n°178 à n°200, 23 numéros La Quinzaine littéraire (année 1974)

La Quinzaine littéraire est un bimensuel fondé en 1966 par Maurice Nadeau et François Erval, qui publie essentiellement

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French Pages 772 Year 1974

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n°178 à n°200, 23 numéros 
La Quinzaine littéraire (année 1974)

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uinzaine littéraired

Retour de

Thomas Mann

Les enseignants ne sont pas

heureux

|

Vikto

LIVRE DE QUINZAINE

3 LE LA

4 ROMANS

Putney,

La vie d'Adrian

Rémy

Pierre-Jean

FRANCAIS

par Gilles

Lapouge

par Diane

de Margerie

poète

7 THOMAS

Entretiens

MANN

par Georges Piroué par Marcel Schneider

Mario et Le magicien

Thomas Mann L’Exposition Thomas

9 10

11

Otchakovsky-Laurens

par Paul

Supplément

Laporte

Roger

5

Mann

Joyce

13

Renaud

par Tristan

Jack London

ECRIVAINS ETRANGERS

Clerval

par Alain

Corps

Oates

Carol

14 MEMOIRES

|

JOURNAUX

INTIMES

15 16 17

Clara Malraux

Voici que vient l'été

par Maurice

Violette Leduc Mircea Eliade Georges Séféris

La Chasse à l'amour Fragments d'un journal Journal, 1945-1951

par Anne Fabre-Luce par Claude-Henri Rocquet par Christian Giudicelli

Le Chant de la Carpe

par Pierre Dhaïinaut

Urbanisme

par Anatole

Kopp

Noël

18

POESIE

Ghérasim

20

URBANISME

A. Jacinto

21

ARTS

Expositions

25

PHILOSOPHIE

Alain Juranville Pierre Boudot Jacques Sojcher

Physique de Nietzsche Nietzsche en miettes Esthétique de Nietzsche

par Bernard

Jean-François

Des

par

26

Luca Rodrigues

Lyotard

et révolution

pulsionnels

dispositifs

Dérive à partir de Marx et de Freud

Chavardès

Christian

par José

Descamps

Pierre Meillon

Journal d'une institutrice Institutrice de village Prof. à T. Vingt têtes à couper

par Jacqueline

31

Daniel Granet Huguette Bastide François George Pierre Joffroy

32

Pierre

De l'Ordre

moral

par Olivier Cohen

33 SCIENCES POLITIQUES 34

Lucien Sfez Morton D. Davis

Critique de la décision La théorie des jeux Les Bolcheviks et le contrôle ouvrier, 1917-1921

par Pierre Avril par Bernard Cazes

Bleak moments

par Louis Seguin

Le Cycle de Cuchulain

par Dominique

30

VIE

SOCIALE

Gaudibert

Maurice

Brinton

35 CINEMA W.-B. Yeats

36 THEATRE

par Paul Hordequin

par Jacqueline Pluet

par Olivier

38 BIBLIOGRAPHIE ROSE

TT EU

SLT

M

EE

PRE RENE

TE TRES

ER PET RP

Direction : Maurice

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Cazes, Châtelet,

Françoise Choay, Roger Dadoun, Serge

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La

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Quinzaine

Fauchereau,

Dominique Fernandez, Marc Ferro, Gilles Lapouge, Olivier de Magny,

José Pierre,

Mlle

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OT OR

TT

galeries

Brunswig.

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Prix du n° au Canada : 75 cents.

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232

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reçue.

Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal : dat 1 à C.C.P. Paris 15 551-53.

Nadia Monteggia.

Directeur de la publication

Rédaction, administration : 43, rue du Temple, Paris (4°).

Maurice Nadeau. LE.I. 92120 Montrouge

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Printed in France.

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Crédits photographiques P. 6NRF + 18 1 P. 8 Barrigue

Secrétariat de la rédaction

LA

de Magny

Crédits photographiques

: au journal.

Expositions,

Nadeau.

F Te . Comité de rédaction Georges Balandier, Bernard François

PT

EM"

Nores

:

DH.

P, 36 Nicolas Treatt

LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Un itinéraire halluciné à travers la réalité soviétique Nikto Les Lettres

Denoël

continuer à mentir à ses étudiants. Il a vu se dissoudre la parole car « si les mathématiques servent aux personnes offi-

Nouvelles

éd., 180

p.

cielles, par

Gilles

Lapouge

Il continue

de

neiger

sur

la

Russie de Dostoïevski et l’inconnu qui a écrit pour le Samizdat, en l’année 1966, l’histoire de Nikto, a la voix familière, nous dit le

préfacier française, Pour

anonyme de l'édition du prince Muichkine. nous,

c’est

plutôt

du

côté de Raskolnikov que Nikto entraîne et davantage encore vers le personnage énigmatique, caustique et enténébré des Mémoires dans un souterrain. C’est à croire que les deux récits — Nikto et les Mémoires — sont enchevêtrés l’un à l'autre. Ici et là, les rues dessinent d’improbables dédales dans lesquels tourbillonne, sous la clarté jaune des réverbères, une population morne et égarée. Brouillard et froid règnent sur une cité de caves au fond desquelles grouillent les hommes comme rats ou cloportes : pays des marges, que hantent les inadaptés, les déraisonnables,

poètes —

les

Depuis

Der sta hr,

#7

clochards,

les

pays de l’insoumission.

Dostoïevski

Et pourtant, que de chemin parcouru depuis Dostoïevski! L'homme qui surgit aujourd’hui des tanières où se blottissait Ras-

kolnikov a tout perdu en route. Il a troqué son nom (Arcadovitch,

fils d’Arcadie)

contre

ce-

lui de Nikto qui signifie Personne. Il a abandonné son métier puisque Nikto fut jadis professeur de philologie jusqu’au jour où il n’a plus eu le cœur de Gilles

Lapouge,

qui

Bernard Pivot et André

sion

littéraire

«

anime Bourin,

Ouvrez

les

avec l’émis-

guille-

mets », appartient au comité de rédaction de « La Quinzaine littéraire ».

du 1°’ au 15 janvier 1974

les

mots,

eux,

sont

dan-

gereux, ils peuvent crier le bien et l'amour. » Il n’a même plus droit à l'écrit « car personne ne croyait à (ses) mots parce qu’ils étaient imprimés en Russie et qu’ (il) n’était pas en prison. » Il a

vu

sombrer

son

ardeur,

sa

foi dans le « paradis de l’avenir », il a délaissé

ses

amis,

sa femme.

Il a choisi l’exil dans son pays lui-même et maintenant le voici qui s’acagnarde dans une vilaine chambre en la compagnie dérisoire de la chatte de sa logeuse. C’est là que s’effilochent les ultimes rêves d’un Soviétique qui est peut-être très fou, peut-être très

sage,

temps

«

il veut

car ne

pas

être

en

même

esclave

et

ne pas être seul ».

Nikto

rencontre

son

an-

cienne femme, Nadejda (Espérance), et Nadejda se met en tête de le sauver. « Chacun de notre côté, mais

dit-elle, ensemble,

nous nous

mourrons, survivrons

en dépit de tout et de tous. » Nadejda invite Nikto à secouer son engourdissement et à lutter contre la tyrannie. Alors, Nikto : « Me révolter? Et puis? On nous brisera et si c’est nous qui les brisons, que ferons-nous après ? Je suis devenu astucieux. »

D’autres silhouettes croisent les chemins de Nikto : un vieil homme rencontré dans un cimetière, un

« fou

de Dieu

du

Parti ; des

d’une

cave,

sans

sortir

en

concentrationnaire : « Voilà, dit Nikto, où nous a conduits l’élec-

trification : des sapins avec ours

autour.

des

»

si ce récit fonctionne une bombarde savam-

ment pointée contre le stalinisme, ses boulets ravagent aussi terres.

Pour

Nikto,

une

frontière a été franchie par le stalinisme et cette frontière est irréversible. Le mal a infecté l’homme même : « Il est arrivé une chose inouïe : on a violé un peuple tout entier. » Tous les

hommes,

homme

abandonné.

pas

divin pour deux sous, un vagabond qui n’a plus d'autre pouvoir que de se traînailler dans les rêves neigeux de Nikto. Le Christ a perdu ses énergies « Toi (Nikto) tu te prends pour le Christ mais à Jésus personne ne Lui a demandé sa nationalité et s’Il était enregistré par la police, personne ne L’a jamais expulsé à cent un kilomètres de Jérusalem. On L’a laissé tout dire. Tandis que toi, tu dois la fermer. » Nous nous sommes efforcé de suggérer que ce texte grinçant, s’il recèle une implacable éner-

Un Christ vagabond Mais comme

qu’un

toutes

les

femmes

sont empestés, la bonté s’est endormie et nulle réforme ne pourra renverser le temps de l’horeur. « La tyrannie n’est pas morte avec le tyran. Elle est souple, elle est éternelle puisqu'elle s’est installée dans l’homme. » Aucune clarté, par conséquent, et Dieu même s’est évaporé comme une brume. Reste peut-être, pour Nikto, la figure

du Christ, mais son Christ n’est

gie destructrice, c’est qu’il forme d’abord un grand récit littéraire. [Il est composé d’une succession d’images fascinées que n’alourdissent que très peu de considérations idéologiques, théoriques ou politiques, ou bien celles-ci éclatent, au hasard des conversations échevelées de Nikto,

comme des foudres. Ce livre, qui vacille à la limite des songes, est un grand témoignage sur le réel. Peut-être est-ce là un des aspects inattendus du réalisme socialiste, que de façonner la réalité dans la matière des songes : « Le diable nous a rêvés, dit’ Nikto, et ce rêve est éternel. »

Ce qui referme le cercle dans lequel tournoie l’homme qui a nom Personne, comme si le songe et le réel, engendrés l’un de l’autre, s’infectaient ensemble : « Maintenant, dit Nikto, c’est ter-

rifiant de rêver car les rêves se réalisent. » nu

», mais

son Dieu a les couleurs du néant ; un journaliste qui oublie ses lâchetés en collectionnant les vignettes des boîtes d’allumettes ; un haut fonctionnaire de la police qui distrait son ennui en organisant des mises en scène sadiques ; un homme qui appartient au corps des « claqueurs », ces fonctionnaires subalternes dont les mains sont dures comme de l’asphalte à force d’applaudir dans les réunions

fond

jamais « car il vaut mieux rester couché que de remuer ». L'itinéraire halluciné de Nikto traverse toutes les strates de la société soviétique. Il dessine la la civilisation de géographie

d’autres

Au hasard des désastreuses promenades qu’il entreprend dans Moscou,

félins, des hyènes, qui tournent inlassablement derrière les barreaux de leurs cages ; un garçon qui réside depuis six ans au

singes,

des

Le poète et photographe Lütfi Ozkôk, qui réside à Stockholm, voudrait montrer aux lecteurs de «la Quinzaine littéraire» un film d’une heure sur René Char qu'il

a réalisé grâce à une subvention du gouvernement suédois. Dans notre prochain numéro nous indiquerons le lieu, le jour et l'heure de cette projection.

ROMANS

FRANÇAIS

Pierre-Jean

La vie d'Adrian poète Supplément

Rémy

Roger Laporte

par Diane

Putney,

par P. Otchakovsky-Laurens

Pierre-Jean Rémy La vie d’'Adrian Putney, poète Coll. « La Mémoire » La Table Ronde éd., 232 p.

Une odeur de feuilles mortes

par

mère

Diane

de

Margerie

La Vie d’Adrian est un

Putney, poète

récit au charme

envoütant,

au suspens savamment maintenu qui nous rappelle enfin ce qu'est lire pour son plaisir. Il est impossible de quitter ce petit livre avant de l'avoir terminé, peutêtre parce que l’on devine qu’il n’y a pas de fin à la quête qui s’y poursuit.

véritable,

est

bien

cette

Dorothy Richardson, ou si elle n’est après tout qu’une vieille prostituée. Parallèlement le professeur

Dobson,

ami

de

Dowds,

s'inquiète de savoir si la photographie que possèdent les deux amis représente une ancienne putain ou la célèbre hôtesse de Belgravia, Lady Dobson. Ainsi chacun poursuit côte à côte une quête solitaire.

Le charme n’est pas l’unique qualité de ce texte à l’odeur lancinante

de feuilles

mortes,

car

récit est aussi une sorte de pasti-

che hanté par l’époque victorienne. Tout lecteur de L’Image dans le Tapis retrouvera ici l’obsession jamesienne d’un secret qui ne se livre pas. Le protagoniste, Richard Dowds, biographe du poète Adrian Putney, est à la recherche d’un passé — le passé d’un autre. Même s’il était à la recherche de son passé personnel, ne serait-ce pas pareil, et n’aurait-il pas déjà lui-même la forme insaisissable d’un autre ? Putney avait été lié à une Dorothy Richardson imaginée par P.-J. Rémy, et homonyme de la célèbre romancière. Il s’agit pour le protagoniste de savoir si la clocharde qu'il a rencontrée dans un parc et qu’il soigne avec un amour tout filial, alors qu’il se détache de plus en plus de sa Diane de Margerie vient duire (avec François-Xavier « Givre et sang » de John Powys. Voir « la Quinzaine »

Cette jonglerie

il

pose toute une série de problèmes passionnants. Celui, surtout, de la personnalité de l'écrivain, auquel P.-J. Rémy fait tout de suite allusion dans sa préface, car le

de traJaujard) Cowper n° 173.

Cette jonglerie dans les noms (Dorothy Richardson, Richard Dowds,

le

professeur

Dobson,

Lady Dobson) qui rappelle aussi L’'Image dans le Tapis (où le maître au talent énigmatique et son disciple sont liés de façon indéfinissable, discernable pourtant à travers les consonnes communes à leurs deux noms, Corvick et Vereker) trahit combien vou-

loir se saisir de la vérité d’un autre mène à la projection obsessionnelle du moi qui la cherche. Dowds s’enferme peu à peu dans une

folie

circulaire,



noms

et

prénoms se font stérilement écho. Il devient la victime consentante du délire d’interprétation. A ce jeu de miroirs P.-J. Rémy ajoute une facette supplémentaire : l’auteur, pour exprimer les

tourments

du

narrateur,

a

emprunté la voix d’un autre, celle de l’homme qu'il fut, mais aussi celle d’un écrivain qu'il aime, et si le récit est né de James, c’est de façon lucide, consciente, dans une sorte de han-

tise supplémentaire.

Car

on

re-

trouve ici non seulement certains

des thèmes préférés de James (l'impossibilité de percer le mystère d’autrui),

mais

ses

procédés

les plus chers (la mort subite de ceux qui pourraient donner des indices,

la contagion

développée taines

de

par la quête)

structures

la folie

et cer-

du récit, comme

ce mouvement pendulaire qui régit la vie des personnages (plus une théorie devient vraisemblable, moins

elle est séduisante).

C’est le lot d’une certaine famille d’esprits de se laisser davantage séduire et dévorer par la démarche que par la substance, par la quête que par son chjet; ce qu’ils poursuivent, c’est l’imaginaire de l'imaginaire, et leur recherche ne peut que s’arrêter

avec leur propre destruction plus Richard Dowds trouvera d’hypothèses plausibles avec lesquelles étoffer sa soif immatérielle, plus sa personne de chair et d'os sera guettée par la déchéance. Le récit suggère ici des profondeurs et des résonances infinies car ce que Dowds poursuit en face de l’énigme indestructible, opaque grâce à sa transparence même, n’est peutêtre que son propre anéantissement. Il y a toujours ce parfum de mort dans l’univers de P.-J. Rémy ; ici l’angoisse liée à la personnalité s'exprime de multiples façons : la mémoire de ce que l’on fut est la pierre de touche de l'identité qui fuit, La forme du récit et sa matière sont hantées par deux écrivains dont l’un, James,

de Margerie

est l’homme

du mystère,

et l’autre, Dorothy Richardson, devient un personnage mystérieux. Si le centre autour duquel s’organise cette histoire est une

romancière

(dans

la réalité,

au-

teur des douze volumes du Pilgrimage et non point du Roman vide imaginé ici), c’est que pour P.-J. Rémy l'écrivain hanté par les autres et traversé par tant de voix est le personnage par excellence, le personnage exemplaire, le point où tous les autres personnages se croisent, le lieu fantasmatique essentiel. Que l’on se souvienne de Segalen et du rêle qu’il joue dans Le Sac du Palais d'Eté. Ce titre imaginaire du Roman vide exprime à merveille l’obsession d’une impossibilité de se saisir d’un réel qui d’ailleurs n’existe que dans l’imaginaire ; il souligne le fait que le roman n'existe pas tant dans l'intrigue que dans la création en soi, dans les rapports entre le créateur et les voix qui parlent à travers lui.

Le thème

profond

Tel paraît être fond de ce récit émouvant dans sa le, son évocation

le thème proqui, pour être simplicité totasi poétique de

Londres, sa sensualité triste et fié-

vreuse, n’en est pas moins un texte qui va loin, car il rappelle combien l'écriture demeure une énigme

indéchiffrable,

même

si ses

adorateurs protéens adoptent toutes les formes pour la séduire et passent, comme P.-J. Rémy luimême,

du

poème

au

roman,

du

suspense policier au récit érotique. La vieille femme, c’est la mémoire, mais c’est aussi la créa-

tion, et qui est moins certain de posséder une identité que le créateur lui-même ? []

La Quinzaine Littéraire

Romans

français

Ê RIX

Ecrire Roger Laporte Supplément biographie coll. Le Chemin Gallimard éd., 129

par

Paul

un livre

Otchakovsky-Laurens

Ecrire sur Supplément. Sans doute peut-on s’en tirer en mettant en jeu tout l'appareil critique fourni par ces disciplines de l’intelligibilité que sont linguistique, psychanalyse, science économique, anthropologie. L'essentiel de ce texte, ce qui en lui est irréductible,

auront

son

pas

battement

été

secret,

pressentis

n’en

pour

autant. Ecrire un livre qui soit à luimême son contenu, qui produise et inscrive sa propre formation (1) : écrire sur Supplément impliquerait que l’on réécrivît Supplément ligne à ligne, mot à mot. Seule manière de commenter, puisque dans le champ où il se déploie et se rétracte, où il s’agit, ce livre est obligatoirement son propre commentaire. Ou encore : écrire à partir de Supplément en montrant bien tout ce que ce texte peut avoir de mobilisateur, de déterminant.

Supplément fait suite à Fugue. Entre l’arrêt brutal de Fugue et le commencement de Supplément, de l’aveu de Roger Laporte, un silence affolant parce qu’il semblait ne plus jamais devoir déboucher sur l'écriture. Ecrire, ce jeu insensé, m'avait expulsé à la

fois de l'écrit et de l'écriture. Une telle alerte, pour grave qu’elle soit, s'inscrit pourtant normalement dans le jeu tantôt réglé, tantôt sauvage, sauvage et réglé, auquel l'écrivain s’adonne tout entier. Le développement de l’ouvrage ne s'effectue point de manière linéaire puisqu'à lacte décrire est attribué un double rôle : il suture l'écart entre le texte manifeste, déjà lu, et le texte ignoré, sous-écrit et dissé-

f ‘

Paul Otchakovsky-Laurens la collection « Textes » chez marion.

du 1‘ au 15 janvier 1974

|

miné, mais en même temps qu’il tisse cet entre-deux, une opération silencieuse, sans temps ni lieu, détisse l'ouvrage qui se fait, pro-

sage, comme jeu, comme système d’alliances et d’antagonismes, comme phénomène économique, etc.)

l'être,

mas opératoires, les organismes successifs de ce que pourrait être

voque une divergence entre ce qui voulait se dire et ce qui pourra

p.

dirige Flam-

brisure

cruelle

mais

sans

laquelle la machine d'écriture cesserait de fonctionner (1). Pourtant, cette fois, le fil de l’écriture avait si bien été rompu, la trame du texte si violemment ajourée, qu'il semblait que l'interruption fût définitive.

Un champ

ruines

de

L’expulsion acquise, le livre devenait de ce fait un champ de ruines silencieux, où rien ne paraissait plus devoir être sauvé.

Cette fois la perception amère d’une insuffisance du texte manifeste ne s’accompagnait pas du surgissement simultané d’un autre texte, épars, dissimulé par le précédent. Fugue commence ainsi par une évocation de ce temps de désolation et de sécheresse où l'écart était devenu si grand entre le volume et son scripteur que rien, sans doute, ne pourrait jamais le combler. Et puis subitement : Je ne sais exactement ni quand, ni comment, J'ai cessé d'être au chômage Cette aventure

issue

de Fugue,

à

non

décrite,

indescriptible, en ce qu’elle bouleverse par son intensité tout ce qui avait été auparavant écrit, remet tout en question et fait du

champ de ruines un chantier. Qu'est-ce qu’écrire ? L'écriture ne peut être saisie en son cœur puisqu'il y aurait alors parfaite coïncidence entre le dire et le faire et que celui qui parviendrait à cette coïncidence serait Dieu. Il faudra toujours souffrir d’un très infime décalage entre ce qui se passe et la narration de ce qui est forcément déjà passé. Rien n’interdit pourtant l’accélération, l’intensification d’une recherche dont on voit bien qu’elle est infinie, rien non plus n'’interdit de tenter la réduction systématique d’un espace sans mesure. Dans cette perspective, l’usage de la métaphore (l'écriture comme tis-

permet à Roger Laporte de proposer un certain nombre de sché-

la machine

d'écriture.

Successifs parce que aussitôt constitués, aussitôt périmés : ici le mouvement même de la connaissance modifie l’objet de la connaissance et le dérobe car il en implique le fonctionnement, fonctionnement qui sera obligatoirement, sous peine de sclérose mortelle, perpétuellement renouvelé dans ses modes, gauchira ou contredira la grille selon laquelle on avait mis la machine en branle, en proposera une autre qui, à son tour, révélera son inefficacité finale, sans autres arrêts que ceux qui permettent la relance en préfigurant l’éclatement. Cette implication, cette participation : les sautes de régime et les emballements, les interruptions qu’elles provoquent, quels

en sont les motifs ? On pourrait penser à l’énoncé du projet initial, la mise à nu de l’écrire, qu’ils sont de nature didactique. Mais les livres de Roger Laporte ne sont justement pas des ouvrages didactiques en lesquels un prétendu savoir viendrait se cristalliser. Ici le savoir se défait et si la tentation unitaire (Eros-Apollon) tend le fil, une poussée à peine contrôlable s’affaire à provoquer la rupture par quoi tout peut

s'arrêter,

tout

recommencer,

et à poser la question de la dépense en écriture d’une vie entièrement gagée sur l'écriture. C’est qu’à partir du questionnement sans relâche auquel il voue

ses forces, de la continuelle

reformulation contraint,

à laquelle

l’auteur

tente

il est d’instau-

rer le genre nouveau de la Biographie. Seul type d'ouvrage que je désire écrire : ne rien rapporter d'événementiel ou d’autobiographique, mais écrire, seulement écrire, et pourtant de telle sorte

que l'ouvrage apporte ou donne lieu à quelque chose d'aussi irrécusable

que la vie, de plus verti-

gineux qu'une visite inconnue, car on accède alors à une solitude

GENEVIEVE DÉRREAU

RICTGATE nouvelles

“Si parfois un humour coupant fait irruption, tout le livre bañgne dans une mélancolie songeuse”. H. Bianciotti NOUVEL OBSERVATEUR “Un net retour à l’introspection, ou du moins à l'écoute lyrique, musicale, de soimême”. B. Poirot-Delpech LE MONDE

“Radieusement

moderne

et

d'une sensibilité aiguë”. A. Rinaldi L'EXPRESS

“Geneviève Serreau sait être diverse et inventive avec clarté”. C. Bonnefoy NOUVELLES

LITTERAIRES

“Elle exprime et assume ce que nous préférons taire”. J. Gaugeard

QUINZAINE LITTERAIRE

romans récemment parus, dans la même collection.

Tahar BEN JELLOUN HARROUDA

Albert BENSOUSSAN LA BREHAIGNE Théo LÉSOUALC'H MARAYAT Vincent PLACOLY L'EAU-DE-MORT GUILDIVE

“Les Lettres Nouvelles” dirigées par Maurice Nadeau

Denoël

d'une

fraicheur si peu. supportable que l'on est seulement en droit de dire rien nest arrivé (1) non pas le récit des événements

ordinaires

qui

consti-

voir se poursuivre l’entreprise indéfiniment

sans

autre

de

jusqu’à

la vie

faire

éléments

de

de La

et

véri-

table que la justification de l'énorme investissement affectif et physique initialement fait?

tuent la vie d’un homme, mais, en exercice constant et absolu, la liaison

raison

(Que la machine jamais ne cesse de fonctionner : tel est l'impératif suprême auquel je dois satisfaire.) En réalité, si l’on ne peut à proprement parler de dépense à pro-

Roger Laporte

de l’écriture,

la vie machine

un

des

décri-

ture, à tel point que l’on ne puisse plus

à tel

les

séparer

point

que

l’une

de

l’autre,

raconter

la vie

de l’homme revienne à raconter le travail de l’écrivain, à tel point que la vie soit irrévocablement transformée par l’exercice de ce jeu où elle a été investie totalement sans qu’il soit possible de savoir ou non si c’est à fonds perdus. Employer sans compter son temps et ses efforts, consentir à une effrayante dépense d'énergie, accepter le risque de se perdre misérablement pour une cause rationnellement injustifiable constitue la première condition d’une Biographie. Mais n’y at-il pas danger de

[1 Shakespeare and Co Quel flâneur des deux rives ne connaît, au moins de vue, la librairie Shakespeare and C°, 37, rue de la Bûcherie, reposoire docte et accueillant dont les rayonnages surchargés jusqu'au plafond de ilittérature anglosaxonne captivent par leurs multicolores hachures l'œil du passant dès le quai des Grands-Augustins ?

Animée depuis des années par George Whitman, qui régulièrement y organise lectures de poèmes, expositions de peinture, et entretiens sur la psychanalyse, ou tout autre sujet, Shakespeare and C° servit de havre et même de bibliothèque à bien des voyageurs littéraires d'Outre-Atlantique et d'outre-Manche, dont certains s'appellent Henry Miller, Anaïs Nin, Lawrence Durrell, Allen Ginsberg, etc.

Cependant George Wilson estime que sa librairie n'est pas une chapelle consacrée à la langue anglaise, et, depuis le 5 novembre dernier, chaque lundi soir à 20 heures, Shakespeare and C° ouvre ses portes à des poètes de toutes nationalités qui viennent y lire, dans fleur langue originale, des poèmes publiés ou inédits. Les étalages repliés, on est en mesure d'accueillir, 37, rue de la Bûcherie (tél. . 033-32-62), environ quatre-vingts personnes qui s'entretiennent ensuite, avec l'auteur, de l'œuvre qu'il vient de leur lire. Depuis le 5 novembre, se sont succédé aux lundis de Shakespeare and C° Saul Yurkievitch, Jean-Claude Montel, Serge Sautreau, Geneviève Clancy. Le 3 décembre, Alain Jouf-

pos des livres de Roger Laporte, puisque la dépense y est au contraire réservée dans la perspective du livre à venir — après Supplément, une Biographie qui ferait encore plus dangereusement pour le scripteur sa part à la dimension insurrectionnelle de la vie telle que l'écriture peut la démesurer — on constate que l’investissement y est chaque fois renouvelé quand survient une de ces brisures où ce que Roger Laporte appelle la contre-écriture oblige le scripteur à tout reprendre comme si la majeure partie du travail accompli était nulle. Chaque fois le dénuement est plus grand, chaque fois l’investissement plus cruel et plus fou, la menace d’un silence injuste et définitif plus bouleversante.

Ecrire demeure un acte nu, toujours inaugural, n'octroyant au scripteur qu’un impouvoir dont il lui faut pourtant s’accommoder et vivre.

[]

1. Fugue,

froy y a lu des poèmes; le 10, Rodolfo Hinostroza; le 17, John Raymond Hart. Parmi les invités annoncés pour les semaines suivantes, citons Danielle Collobert, Colin Higgins, Edoardo Sanguineti, Jacques Roubaud, Giuseppe Recchia, Jean Pierre Faye, etc. Il faut se réjouir d’une aussi excellente initiative.

[] Malcolm

Lowry

Un professeur d'anglais à l'université de Virginie, Douglas Day, vient de publier à Oxford University Press la première biographie de Malcolm Lowry. Les contempteurs de ce genre diront, comme à l'accoutumée, qu'une bonne re-lecture d'« Au-dessous du volcan » nous donnerait de l’auteur de ce chef-d'œuvre un portrait suffisant. Pourtant, sont passionnantes les pages consacrées par le professeur Day à une existence

dévastée par le complexe d'échec, l'auto-destruction et l'alcoolisme. Au moment où paraissait en 1933 son premier roman, « Ultramarine », le jeune Lowry, âgé de vingt-quatre ans, se trouvait déjà en clinique de désintoxication. | Il faut malgré tout, remarque le critique du New-York Times Book Review, savoir gré à la finesse sceptique et sensible de Douglas Day de

n'avoir pas pris la psychanalyse pour guide dans la descente aux enfers où vécut Malcolm Lowry, et sur le feu desquels, écrivait-il à son éditeur, il avait à dire quelque chose de nouveau. || l'a amplement prouvé.

[1 Francophonie Une maison d'édition s’est fondée dans le Québec, à Sherbrooke, qui entend se consacrer « au rayonnement de l'écriture française dans l'univers ». En effet, déclarent les Editions Naaman, « la francophonie n'a pas de centre, de foyer ; elle n'est ni centrifuge, ni centripète. Elle est universelle, planétaire. La francophonie ne se présente pas sous une forme unique. Elle est polymorphe.» En outre, elle comprend environ deux cents millions de francophones souvent bilingues, éparpillés à la surface du globe.

Parmi les ouvrages que viennent publier les Editions Naaman, signalons « La littérature maghrebine de langue française », de Jean Déjeux, excellent panorama critique couvrant la période 1945-1972, où l'on pourra lire des études approfondies sur Jean Amrouche, Mouloud Feraoun, Mohammed Dib, Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Assia Djebar, Mourad Bourboune, Albert Memmi, Rachid Boudjedra, et KhaiïrEddine. de

Signalons également, par Jingiri Ghana, « La révolte des romanciers Noirs » : une étude thématique sur le roman africain de langue française, qui insiste plus particulièrement sur l'œuvre de Mongo Beti, Camara Laye, Ferdinand Oyono, Jacques Roumain, Bernard Dadié et Cheihk Hamidou Kane.

Gallimard.

[] Le Prix Jean-Macé Le prix Jean

Macé

1973 a été dé-

cerné le 17 décembre à deux livres : un roman, « la Terre des autres »,

de

Michel

Grimaud

(Hatier),

et

un

« documentaire », « l'Homme de toutes les couleurs », de Pierre Paraf

(La Farandole). Créé en 1958 par la Ligue de l'Enseignement et de l'Education permanente, le prix Jean Macé est devenu dans le domaine des livres pour la jeunesse l'équivalent des grands prix littéraires de fin d'année. Ce prix couronne des ouvrages non pas destinés à des adolescents mais leur convenant. La littérature pour les adolescents, dit le règlement du prix, ne doit pas être une littérature enfantine. Elle ne doit pas nécessairement avoir été écrite à leur. intention. Les deux livres choisis cette année prouvent l’un comme l'autre que la littérature pour la jeunesse s'ouvre de plus en plus aux problèmes de notre temps. Le roman de Michel Grimaud et le « documentaire » de Pierre Paraf ont en effet un thème commun : le racisme. « La Terre des autres », de Michel Grimaud,

raconte l'incompréhension à laquelle se heurtent et même les injustices dont

sont

victimes

en

France

un

travailleur algérien immigré et son jeune fils. Dans « l'Homme de toutes les couleurs », Pierre Paraf montre les origines du racisme, retrace son histoire, analyse ses différentes formes. Dans cette étude claire et bien documentée il a inséré de nombreux témoignages d'artistes et d'écrivains.

La Quinzaine Littéraire

x Li

THOMAS MANN

Thomas

Mann

Mario

et Le magicien

par

Entretiens

L'exposition

Retour

Frédérick

Tristan

Romancier (Naissance d'un spectre, Le Singe égal de Dieu) et critique. A dirigé le cahier de l'Herne sur Mann, dans lequel il a donné un « Dialogue sur le malaise ».

Q. L. — Dans quelle mesure ce Cahier Thomas Mann va-t-il à contre-courant des préoccupations actuelles ? N’avez-vous pas le sentiment que Mann, si présent à la conscience française il y a trente

ans,

une

sorte

F. T. — Je m'attendais question inverse. Thomas est actuellement en plein

à une Mann essor.

d’éclipse

traverse

?

Jamais on ne l'a publié avec autant de soins, y compris dans ses œuvres les plus difficiles. C'est qu'il participe d'un courant fort présent. Mann est l’un des ponts essentiels entre le romantisme allemand — que le public français découvre lentement — et l'écriture actuelle dont on sait que les pôles d'attraction sont l'essai au cœur

du 1° au 15 janvier 1974

Th.

Mann

par

de Thomas

On assiste à un retour de l’œuvre de Thomas Mann. II se manifeste sur deux plans : la publication systématique et raisonnée, chez Grasset, des derniers inédits de l'écrivain et par le dernier cahier de |’ « Herne », nanti d'un vaste appareil critique. Ce cahier, dirigé par Frédérick Tristan, reprend un certain nombre des textes qui composaient l’ « Hommage de la France à Thomas Mann », publié en 1955 par Martin Flinker à l’occasion du 80° anniversaire de l'écrivain. | comporte de nouveaux articles ainsi que des inédits de Thomas Mann lui-même. C'est un outil de travail désormais indispensable pour les études manniennes. Ce que confirment un certain nombre de germanistes qui ont bien voulu répondre aux questions posées par « la Quinzaine littéraire ». Parallèlement, l'Institut Goethe a organisé une exposition une les rapports de Thomas Mann et la France. Marcel Schneider commente cette exposition. Diane de Margerie a préparé ce « dossier ».

même du récit, le collage, la parodie, par exemple, toutes choses qui appartiennent aux méthodes mêmes de travail de Thomas Mann, et à son humour. La dernière rencontre de Zeitblom avec Leverkühn dans le « Docteur Faustus » est reprise quasi intégralement d’une dernière visite de Gabriele Reuter à Nietzsche (« Vom Kinde zum Menschen »). Mais l'essentiel n'est pas là. Thomas Mann nous importe non seulement par son écriture, mais surtout par ce qu'il dit. Beaucoup le prennent pour une manière de vieil homme vaticinant. Je pense, au contraire que sa pensée est actuelle et qu'elle s'adapte foncièrement à nos problèmes immédiats, politiques y compris. De toute manière, si le roman doit survivre, ce sera par le truchement d’'anecdotes élevées au niveau du mythe, ou bien il basculera dans la « parlote » ou dans l'essai.

Q.

Georges

L. —

Quels

inédits

du

Cahier

F.T.



sont

les textes

?

Marcel

En

Allemagne,

Q. L. — l'importance

un

Quelle fut, pour Mann, de Freud, dont vous témoignage inédit ?

toute

l'œuvre a été publiée sauf des éléments de correspondance, des brouillons, naturellement, comme « le Mariage de Luther », et les dans même

Schneider

Mann publiez

carnets

Pironé

avec F. Tristan, M. Deguy, A. Clément, J. Brenner. L. Servicen, M. Flinker

qui ne seront connus que deux ans par la volonté de Mann. Néanmoins, dans

notre Cahier, Hans Wysling nous a permis de publier des extraits des carnets relatifs à la genèse de « Tonio Krôger ». Nous publions aussi nombre de lettres inédites à Bruno Walter, à Hofmannsthal, un récit qui ne trouva pas sa place dans le cycle de « Joseph » : « l'Enfant Henoch », et beaucoup de textes introuvables de Mann ou sur Mann. Je pense ici surtout à des articles de Blanchot, Yourcenar, Brion, Rychner, etc.

F. T. — Elle fut grande, mais assez tardive. Il semble que, dans un premier temps, Mann se soit défié de Freud, ce qui est caractéristique de sa prudence. Puis il a plongé. Il s'est accaparé les éléments qui dans l'œuvre de Freud l'intéressaient. Mais je crois que, curieusement, Freud a surtout compté pour lui d’une manière morale. Il pensait, à l'instar de Schopenhauer, qu'il faut descendre au fond de la maladie —

et même n'en soit atteindre Goethe « Meurs

qu'il est improbable qu'il pas ainsi — si l’on veut une nouvelle santé. C'est aussi, et sa devise et deviens ».

Michel Deguy En même temps que les Poèmes de la Presqu'île (Gallimard), a publié en 1962 son essai Le Monde de Thomas Mann (Plon).

Q. L. — Frédérick Tristan écrit que « Mann est un romancier d’observation. Il n’invente pas ; il décrit. C’est un des rares écrivains allemands à n'avoir jamais écrit un poème. » Pensez-vous que la poésie était pour Mann comme un gouffre dans lequel il se devait de ne pas tomber ? M. D. — Mann a trop pratiqué et aimé Schiller ou Goethe pour avoir pu tenir la poésie dans une mauvaise suspicion. Mais savoir que le poème est écrit de son

temps par Trakl, Rilke, Benn, George, cela interdit au romancier l'illusion de croire qu'il peut « écrire aussi de la poésie ». Le génie de la narration qui fut le sien, n'a de rapport qu'indirect avec la poésie ; il sait en évoquer le temps, à tel âge du mythe, comme celui des « beaux entretiens » (enfance de Joseph) où l'homme s’éduquait au monde et au savoir du mythe. Le « personnage » du poète aurait pu entrer en scène ; ce fut Joseph l'herméneute, Castorp le malade, Leverkühn le musicien, Krull le bluffeur. Le génie parodique, encyclopédique, politique, de Mann n'était pas « poétique ». Le socio-historique a relayé « l'épique »,

ou le sarcastique le « satirique » ; la responsabilité politique, engagée, éduquante (elle en appelle à plus de conscience). c'est trop copieux pour le poème |! Mais la poésie s'’ouvrait-elle comme un gouffre » où on ne sait quelle timidité l'aurait détourné de risquer prendre vertige jusqu'à tomber ? Les risques pris par Mann nous interdisent de lui supposer un manque d'audace, et la figure par lui longuement élaborée du « bourgeois » fut trop construite, complexe et humoristique pour que nous imaginions qu'une de ses composantes ait dû être je ne sais quel reste de gros-

sièreté homaisienne. Si en garde qu'il ait pu se tenir contre les risques propres à « l'esprit germanique », il ne confondait pas l'abîme « nazi » avec le « gouffre de la poésie », et ce n'est pas pour

mieux

reculer

horrifié

de

celui-là qu'il se serait écarté de celui-ci. En dépit de la médisante interprétation rétroactive du « hôlderlinisme » de l'Allemagne du XX° siècle par le relais d’un « heideggerianisme » supposé de mêche avec le Reich, il n’y a pas de couloir secret du délire poli-

tique

au « gouffre poétique ». Parlant d'abîmes, évoquons plutôt celui de « la profonde caverne de Montesinos » d'où Cervantès remonte avec « les choses admirables dont l'impossibilité et la grandeur font qu'on tient cette aventure pour apocryphe » : Grégoire le fabuleux « élu » changé en insecte puis en pape en fut une... Quant à la « poésie »’ au sens, depuis un siècle généralisé, d’élément de la fiction et de l'écriture, disons, par paraphrase d'une formule fameuse de Breton, que Mann fut poète dans ses romans: la poésie n'y fait pas plus défaut que la couleur à l'architecte ou la danse au sculpteur, ou la rhétorique au poête ; elle est l'élément de ralentissement et de complication de” la phrase, puissance de délai, art de la récapitulation, mise en perspective, procrastination du « sens », artifice du labyrinthage, préciosité du n'en-pas-finir… Affaire de rythme. Elle est ce qui fait demeurer le lecteur dans la lecture, l'empêche de quitter la page ; ce qui séduit, fascine, et maintient, et rappelle, au roman circéen. B

Oeuvres

de Thomas

Œuvres de Thomas bles en français.

Mann

Romans et Récits. Les Buddenbrook,

trad. Geneviève Bianquis (Fayard). Tonio Krôger, trad. Geneviève Maury, préface d'Edmond Jaloux

(Stock). La

Th. Mann,

par Barrigne

à

Venise,

trad.

Félix

L'Elu,

trad.

Louise

Servicen

(Albin

Michel). Le Mirage, trad. Louise Servicen (Albin Michel). Les Confessions du Chevalier d'industrie Félix Krull, trad. Louise Servicen (Albin Michel). Déception, trad. Louise Servicen (Albin Michel). Sang réservé, suivi de Désordre et et

chien,

trad.

Denise

Van

Moppès et Geneviève Bianquis, préface de Jacques Brenner (Grasset).

Clément

Longtemps chargé des questions allemandes au Monde, a publié no-

Mort

Bertaux (Fayard) / trad. Philippe Jaccottet (Mermod). La Montagne Magique, trad. Maurice Betz (Fayard). Joseph et ses frères, 4 volumes, trad. Louise Servicen (Gallimard). Charlotte à Weimar, trad. Louise Servicen (Albin Michel). Les Têtes interverties, trad. Louise Servicen (Gallimard). Le Docteur Faustus, trad. Louise Servicen (Albin Michel).

Maître

Alain

disponi-

tamment une importante étude sur « L'esprit de la politique et le génie du roman d’après Thomas Mann » (Preuves, octobre 1961).

Q. L. — Ce cahier de l’Herne met l’accent sur l’activité politique et circonstancielle de l’homme et de l’écrivain, notamment dans ses rapports avec la France. Pensezvous que les positions de Mann puissent être définies comme une évolution de plus en plus lucide vers une sorte de « dépassement des nations » ou comme une fidélité maintenue à une suprématie spirituelle germanique ? A. C. — Il y aurait la même impertinence à vouloir transfigurer Thomas Mann en ectoplasme humaniste et transculturel qu'à le ranger parmi les « chantres du nationalisme allemand ». || est vrai que l'habitude est prise, en France particulièrement, de détacher de son œuvre romanesque ces « Considérations d’un Apolitique », écrites durant la Première Guerre mondiale, et qui ont donné tant de « mauvais sang » à ses admirateurs — surtout s'ils ne les ont pas lues, ce qui est la règle plutôt que l'exception — qu'ils n'en parlent qu'à voix basse alors qu'elles font partie intégrante de la biographie intellectuelle de leur auteur. Je crois, au contraire, qu'il faut rendre hommage à Thomas Mann d'avoir, avec tout son sérieux et son scrupule, pensé et vécu la difficulté du rapport au lien national. Après tout, assumer la vo-

cation d'écrivain, c’est au plus haut degré ressentir que, pas plus que les mots, les langues ne sont interchangeables. Ce n’est pas par hasard que nous devons à Thomas Mann la définition de l'écrivain comme homme « auquel il pèse d'écrire » (dem das Schreiben schwerfallt). Quel est ce « poids », sinon le poids spécifique de ce que lui « seul » peut exprimer à l'intérieur de |’ « espace spirituel » déterminé (pour reprendre la célèbre formule d'Hofmannsthal) que sa naissance lui assigne ? Ou, en d’autres termes, qu'est-ce qui, du génie de l'espèce humaine, est « confié » en propre à la langue allemande (ou russe, française, etc.) ? Question nullement académique pour un Thomas Mann; il s’'interrogera sur son destin d'Allemand avec d'autant plus d'insistance qu'il doute que celui de « romancier » soit dans la veine allemande. Au reste, peut-on citer une seule grande figure des Lettres allemandes pour qui l'AIlemagne, de son temps et de toujours, n'ait pas fait problème de quelque manière ? En ce sens, « Doktor Faustus » porte à son apogée tragique la tradition d'un tourment. On ne niera pas, cependant, que le dialogue de Thomas Mann avec l'Allemagne — dialogue qui passe, comme on sait, par l’opposition virulente à son frère Heinrich Mann, grand écrivain lui aussi, mais en qui Thomas verra jusque tard dans sa vie l'incarnation de ce qui le défie — ne gagne rien à puiser son vocabulaire au réser-

Mann

Altesse

royale,

trad.

G.

Bianquis,

J. Choplet et L. Servicen, préface de Jacques Brenner (Grasset). Mario et le Magicien suivi d'Expériences

occultes,

et Louise

trad. André

Servicen,

préface

Gaillard

de Jac-

ques Brenner (Grasset). Essais Souffrance et grandeur de Richard Wagner, trad. Félix Bertaux (Fayard). Etudes : Improvisations sur Goethe. Nietzsche. Joseph et ses frères, trad. Philippe Jaccottet (Mermod). Noblesse de l'Esprit, trad. Fernand Delmas (Albin Michel). Le Journal du « Docteur Faustus », trad. Louise Servicen (Plon). Esquisse de ma vie. Essai sur Kleist.

Essai

sur

Tchekhov,

trad.

Louise Servicen (Gallimard). Sur le mariage. Lessing. Freud et la pensée moderne. Mon temps, éd. Louis Leibrich, trad. Louise Servicen (Aubier-Flammarion). Ed. Bilingue. Goethe

et Tolstoï,

trad.

Alexandre

Vialatte, préface de Jacques Brenner (Petite Bibliothèque Payot). L'Artiste et la Société, trad. Louise Servicen, préface de Jacques Brenner (Grasset). Lettres.

Lettres, éd. Erika Mann, trad. Louise Servicen, 4 volumes : |. 18891936. II. 1937-1947. II 1937-1947

(suite). IV. 1948-1955 ( Gallimard).

voir des antinomies à la mode à la fin du XIX° siècle, du type « Kultur » contre « Zivilisation », « Gesellschaft » contre « Gemeinschaft » et autres clichés d’une idéologie romantique qui aura la vie dure. Thomas Mann n'a que trop sacrifié à ces concepts d'un dualisme métronomique, dont s’est nourrie une contagieuse rhétorique patriotique (le journal des années 14-18 de Romain Rolland nous en offre une triste et impartiale anthologie).

La « germanité » Malgré ces déficiences sémantiques, n'oublions pas que pour Thomas Mann, il ne s'est jamais agi d’exalter un « Reich » quelconque, dynastique ou mystique, La « germanité » dont il se réclame, sans être sûr d'y adhérer tout à fait, n'est pas celle de la

teutomanie

impériale.

C'est

celle

— et il y revient trop souvent dans ses écrits critiques de toutes les époques pour qu'on puisse l'ignorer — qu'il tentera de recapter aux sources enfouies d'un « esprit bourgeois » très antérieur à toute unité nationale, essentiellement fondateur, médiateur, assimilateur,

la Guerre

et qui anima,

de

Trente

avant

ans

ne

que

le

ruine, cette création européenne unique en son genre : la ville allemande, de Strasbourg à Vienne. Lübeck, sa ville natale, en était pour Thomas Mann l'image idéale ;

La Quinzaine Littéraire

la conférence qu'il lui consacra après la Seconde Guerre mondiale demeure un modèle de sociologie nostalgique. En résumé, si Thomas Mann a

évolué, c'est en direction d’une fidélité toujours plus exigeante (et même sourcilleuse dans ses dernières années) à un « appel » allemand qui commanda jusqu'à

Thomas

Thomas Mann Mario et le Magicien suivi d’Expériences occultes traduits par André Gailliard et Louise Servicen Grasset éd., 269 p.

tisme,

tout

Piroué

Il se pourrait que trompé par la morbidité du film que Visconti, notre

accessoiriste

le

lecteur

fin

se

de

race,

fasse

a

une

au

plus

pourrait-on

parler

fausse image de Thomas Mann au travers des textes qui composent ce recueil. Plusieurs en effet sont des œuvres de jeunesse

parfois d’une feinte componction pédante teintée d’autodérision. Il n’a jamais sacrifié à je ne sais quel manichéisme, mais sem-

d’avant

ble avoir, à l'inverse, toujours pratiqué un jeu de balance entre

1900 et, à remonter

ainsi

la biographie de l'écrivain vers sa source, on s'expose au contresens de le plonger dans une atmosphère wagnérienne et wilhelmienne décadente contre laquelle on

constaterait,

redescendant

au

contraire,

le cours

en

de sa vie,

qu’il s’est toujours défendu et dont il a finalement triomphé.

Le romantisme finissant Je n’entends pas dire par là que seul mérite attention chez lui le personnage goethéen qu’il a voulu être — non sans d’ailleurs ironiser sur « l’olympien »

dans Charlotte à Weimar. Il est évident que le romantisme finissant a violemment remué sa jeunesse et que dans son tréfonds, Thomas Mann a dû perpétuellement se sentir menacé par des forces ténébreuses, des pulsions et des penchants qui, même après la guerre et le ralliement aux

démocrates, réapparaissent dans le diabolisme du Docteur Faustus. Il y a en tout ce qu'il a écrit une face obscure et une face claire. Mais l’important est moins dans le dosage de ce nocturne et de ce diurne que dans leur orientée dynamique alternance vers la victoire de la lumière. Le schéma qui consisterait, sur Georges Piroué, romancier et es, nous a déjà entretenu de Thomas Mann (voir « la Q. L. » n° 162).

du 1” au 15 janvier 1974

mais

n'y

introduisons

de

compren-

pas

des « retournements », des « ruptures », des « dépassements »

Illusionnistes et autres bateleurs

tiré de La Mort à Venise et soulevé par la vague qui porte notre siècle aux rivages de l’obscuran-

Georges

dons,

pour nous dispenser dre sa rectitude.

Mann

l’idée que Thomas Mann est intérieurement prisonnier de ses propres perversités, à le présenter comme une figure masquée de duplicité bourgeoise — sagesse édifiante dissimulant les tentations inavouables — serait malveillant et primaire. L’écrivain ne fut pas un hypocrite —

par

son exil volontaire. Qualifions cette attitude comme nous l'enten-

le non et le oui, avec prédominance finale du oui positif, une comédie de la complaisance et de la discipline, de l’adhésion et du refus, pour tout dire une morale en quelque sorte vitaliste calquée sur le processus de la gestation embryonnaire, comme ïl l’explique dans Doux sommeil, qui forment la base de son équilibre et de ses options finalement optimistes.

Et,

par

bonheur,

cu qu’il déclare la guerre à cette pseudo-évidence, combat sa propre crédulité en plaçant tout ce qui vient de le surprendre sous l'éclairage de l'esprit et dans une plus large perspective éthique. Il arrache le miracle à son ambiance clandestine, il lui répugne que la foi soit cultivée comme une plante de serre. Il s’est inventé à lui-même, pour son usage personnel, un scepticisme qui n’est pas préalable, mais interviendrait plutôt à l’instant même où nous ferions taire le nôtre. Il amorce le décroire au plus fort du croire et ce mouvement de bascule rompt l’ensorcellement, provoque la réaction saine qui n’est pas celle du recul effrayé, mais de la distanciation réfléchie. Au scepticisme-parapluie que les rationalistes ouvrent pour se protéger des retombées du mystère, ThoTh.

premier de ces morceaux est le compte rendu commenté d’une séance de spiritisme chez un certain baron parapsychologue à Munich. Jolie scène de genre fin de siècle. Mais sous le ton amusé du rapporteur, il y a quelque chose de plus grave : l’ébaudébat,

la

d’avance,

ce

qui serait

pour

voir, donc

il écarquille

les

bourbier

spiri-

Dans Mario et le Magicien, Thomas Mann assiste une seconde fois à un spectacle du même genre : un numéro d’hypnotisme donné par un équivoque bateleur devant un public d’estivants en Italie, sous

le fascisme.

On

a vu

à juste titre (Lukacs en particulier) une intention politique et l'on pourrait presque dire une vision prémonitoire des horreurs du nazisme (le texte date de 1929-30) dans l’aimable récit de cette divertissante soirée. Mais, ici encore, l'intérêt ne réside pas

son

malaise

à voir

ses

en-

tion, il a voulu faire un bout de

chemin avec l’illusionniste pour l’observer de près et à fond, se donner le temps de saisir le secret de ses plus mauvais tours. Il a voulu garder le contact, combattre

au

corps-à-corps,

vivre

dans la familiarité de l’acteur et presque dans la coulisse du spectacle, tout en cédant, à l’avance,

à une

fascination.

Cependant,

sous

yeux et constate. Mais c’est au moment où il devrait être convain-

le

fants assister à une telle exhibi-

recherche

des dehors de rigidité une manifestation de peur. Il était là

et

»

Un numéro d’hypnotisme

sion,

d’une méthode, la mise au point d’une attitude morale qui dépasse de beaucoup la simple question de savoir s’il faut tenir pour réels ou non les exploits du medium. D'abord Thomas Mann se prête à l'expérience. Il ne nie rien

tuel.

damner. Malgré sa gêne, sa répul-

Le

d’un

autocaricature

s’écrie-t-il,

seulement dans la conclusion : il est aussi et davantage dans le caractère récréatif, en apparence distrayant, de cette histoire, dans la réponse longtemps différée que Thomas Mann retient sur ses lèvres, dans le sursis qu’il accorde au mage avant de le con-

cette

subtile procédure se trouve illustrée du double point de vue de l'expérience intellectuelle et de la pratique artistique dans le court essai intitulé Expériences occultes et la nouvelle italienne Mario et le Magicien.

che

Mann,

mas Mann oppose un scepticismebistouri qui essaye de connaître l’insolite pour agir sur lui. « Je hais Les entorses au cerveau,

7 PTE) T

cette fois, il a don-

né congé à l’intellectuel attiré par le risque et marchant au bord de l’abîime. Il vient plutôt de passer la parole à un narrateur disert qui paraît d’abord muser sur la plage et se faire des montagnes d'incidents de vacances

mineurs. Puis qui s’en prend au magicien, le décrit minutieusement, ne nous fait grâce d’aucun geste, d’aucune grimace, s’interdisant toute digression, toute suggestion analogique : non, il reste sur

le motif,

le nez

dèle. Il paufine pie servilement bien à manière

sur

son

mo-

l’anecdote, il cola vie. Et c’est

cause de cela, de cette d’avoir tourné autour du

sujet avec circonspection, sans un certain bonheur à

non s’at-

tarder au fignolage (ne faut-il pas

soutenir sa réputation de grand prosateur ?) que peu à peu Thomas Mann revêt le personnage de

ses

véritables

dimensions,

ar-

rière-fonds, ressemblances et significations. C’est alors qu’apparaissent les sadiques coquetteries et les ridicules de cette ganache à cravache qui, occupé à fumer, à boire, feignant une désinvolture insultante coupée de rappels impératifs à l’obéissance de ses victimes, réduit le public à l'état pantelant de l’aliénation totale,

Q. L. — Où en est l'édition française de l’œuvre de Mann ? Quels textes demeurent inédits ? Pourquoi mêler dans un recueil comme « Mario et le Magicien » des nouvelles et des textes personnels, voire autocritiques ? Les Editions Grasset ont entrepris de rendre accessibles au public français les œuvres de Thomas Mann, épuisées depuis longtemps ou inédites en notre langue. Quatre volumes ont maintenant paru. Le dernier réunit six nouvelles dont «Mario et le Magicien » et trois essais autobiographiques dont « Expériences occultes ». Pourquoi des textes de fiction avec des documents non romancés ? On pourrait répondre qu'il s'agit dans tous les cas de « récits ». A vrai dire, nous avions d'abord pensé donner simplement dans ce volume « Mario et le Magicien », « Expériences occultes»

et « Eloge du sommeil trois textes montrent Mann

Louise

». Ces en face

Q. L. — Quels sont les écrivains qui, selon vous, ont compté le plus pour Thomas Mann ? L. S. — Parmi les écrivains russes, Tolstoi et Dostoïevsky surtout ont eu une influence sur lui ; chez les Nordiques, J. P. Jacobsen, l’auteur de « Niels Lynhe » et de « Marie Grubbe », et Strindberg à qui il a consacré un bref essai, traduit dans « l’Artiste et la société»; chez les Allemands, Fontane. Il lisait beaucoup d’auteurs français, et il avait un culte pour Flaubert, en particulier pour

10

de puissances mystérieuses et irrationnelles. « Mario et le Magjicien » est une nouvelle, mais que Thomas Mann donne comme une « expérience de voyage ». Nous avons ajouté au recueil les nouvelles de jeunesse qui restaient inédites en français, afin que toute l'œuvre narrative de Mann soit désormais disponible en librairie. La préface donne tous les renseignements souhaitables sur la nature des textes rassemblés. Beaucoup de choses restent à publier dans le domaine des essais. Avant tout, l'essai capital écrit au cours de la Première Guerre mondiale et intitulé « Considérations d’un apolitique». ll permet de voir le chemin qu'a dû parcourir Thomas Mann pour devenir le porte-parole de l'humanisme européen. Mais Mann ne renia jamais les « Considérations », considérées comme une « étape » importante dans sa carrière. Le livre, très riche et volumineux, comporte par ailleurs des pages

sur l’art et la littérature parmi les plus belles de l'auteur. Louise Servicen et Jeanne Naujac travaillent à la traduction, qui paraîtra l'an

prochain.

Servicen

Traductrice de la plupart des œuvres de Thomas Mann depuis 1935, ainsi que des «carnets» de Henry James et de ceux de Léonard de Vinci.

honteuse,

obscène,

mi-

sérable, d’où nous sort le coup de feu final comme le coup de pied du nageur au fond de l’eau pour nous ramener à la surface. Fertile et utile exercice de promiscuité avec le mal. Le plus drôle, c’est que cette approche et cette dénonciation du

monstre,

réalisées mes

en

détours,

Thomas

Mann

se plaisant discours

aux

les a

mé-

et déguise-

ments que l’histrion, aux mêmes trucs de persuasion irrationnelle,

puisqu'il a choisi pour arme l’efficacité si peu logique du mot, le plaisir d’intriguer de tenir, comme on

«l'Education sentimentale» et « Trois contes». Le roman des Goncourt « Renée Mauperin » l’a marqué à ses débuts, à l’époque des « Buddenbrook », ainsi que Balzac et Maupassant. Il aimait aussi Montaigne, en qui il avait trouvé, disait-il, « le prototype de l'essayiste européen ». Parmi les

contemporains,

il était

un

grand

admirateur de Gide, et également de Cocteau dont il a eu le dessein de traduire « la Machine infernale » en allemand ; entre les critiques de son temps, il estimait surtout Charles Du Bos et Edmond Jaloux, si fins connaisseurs des lettres allemandes ; enfin il aimait particulièrement Marguerite Yourcenar, qu'il mentionne souvent dans ses lettres avec admiration.

(Be

par Marcel Schneider

Le nom de Thomas Mann reste lié à celui d'humanisme bourgeois et de sagesse goethéenne : c'est dire que, dans sa vie comme dans son œuvre, il a essayé d'assurer l'équilibre des forces antagoniques, de concilier l'esprit de métaphysique et de musique essentiellement allemand avec les traditions d'ordre intellectuel et de

liberté chères à l'Occident. Il a su résister aux prestiges de l'irrationnel célébrés dans « la Mort à Venise » et surtout dans « la Montagne magique », balancer l'influence sur lui des grands Russes par celle des grands Anglais et combiner les découvertes de la Renaissance avec celles, plus inquiétantes, du Romantisme allemand. Dans cet univers, quelle est la part de la France ? Thomas Mann a toujours entretenu des relations courtoises avec notre pays, mais on ne saurait dire que notre littérature l'ait influencé. Les Nordiques, les Russes et les AngloSaxons peuvent avec raison revendiquer leur empreinte sur la formation de sa pensée, de son style et de son univers romanesque. La constante référence de Mann a été Goethe, son admiration la plus vive — au moins jusque vers 1925 — est allée à Wagner. C’est seulement après l'accession de Hitler au pouvoir que Mann, sous la pression des circonstances, s'est fait le champion d'un certain humanisme démocratique et qu'il a entretenu des relations assez chaleureuses avec Gide, Valéry, Mauriac, Cocteau. Dans sa jeunesse il avait pratiqué les écrivains naturalistes, les Goncourt, Maupassant et surtout Zola. Il a même dans son célèbre essai sur Wagner établi une corrélation entre l'emploi des thèmes conducteurs dans l’ « Anneau des NiebeRomancier, critique musical et spécialiste du fantastique en littérature. Auteur d’une étude sur « Thomas Mann et la musique ».

en contant, dit, sous le

charme ; puisqu'il a mis à contribution, afin d’augmenter son audience, ses pouvoirs

occultes

d’ar-

tiste et que pour nous désabuser, aiguiser notre perspicacité et réduire

à néant

le thaumaturge,

nous aura envoûtés…. Ses enfants le nommaient

« magicien ». Mais mènerait trop loin.

L'exposition Thomas

Jacques Brenner Romancier, critique, a préfacé les rééditions ou les publications d’inédits de Mann chez Grasset.

absurde,

ceci

il

le nous CO

Mann

lungen » et la réapparition des personnages dans les « RougonMacquart » : il semble qu'il aurait pu le faire de meilleur droit avec « la Comédie humaine ». L'exposition organisée au Goethe Institut propose de nombreux documents sur les liens entre Zola et Mann rien de comparable avec Balzac ou Stendhal — ou l'un des grands classiques. Dans les quatre volumes de « Lettres » publiés chez Gallimard, on cher-

chera en vain la mention de Corneille ou de Racine. En revanche, il adresse à Molière le plus haut éloge qui se puisse concevoir, que plus d’un Français hésiterait à lui décerner : « On peut même se demander si Goethe doit être rangé parmi les plus grands de tous, les génies de la moisson merveilleuse, tels Shakespeare et Molière. Peut-être était-il trop cultivé pour cela, bien qu’exempt de la plupart des défauts allemands » (lettre du 28 janvier 1949). La France a toujours témoigné à Mann la plus admirative considération : ses livres ont été traduits dès les années 1920, il y eut « l'Hommage de la NRF » en 1935, celui que publièrent les éditions Flinker en 1955, sans parler des études de MM. Fougère, Deguy, des thèses universitaires, d'innombrables articles dans les journaux et les revues. L'exposition du Goethe Institut ne mâanque pas de mettre en bonne place tous les documents qui témoignent de la constante et exceptionnelle faveur dont Thomas Mann bénéficia en France depuis 1930 jusqu’à sa mort.

Il faut lire dans le recueil d'essais réunis par Jacques Brenner chez Grasset « l'Artiste et la société» le récit du séjour que Mann fit à Paris du 20 au 28 janvier 1926 : il avait été invité par la section française de la Fondation Carnegie afin qu'intellectuels français et allemands de bonne foi puissent confronter leurs positions. A cette date l’entreprise était hardie, Mann le rappelle dans une lettre à Charles Du Bos : « J'avais fait un premier pas, donné un signal. Ce pourquoi des imbéciles, impénitents comme il y

La Quinzaine Littéraire

en a partout, m'ont insulté dans mon pays » (3-V-1929), Ce « Bilan parisien », qui paraît pour la première fois en français (et l'on s'étonne de ce retard), exprime ce qui séduit Thomas Man en France, et aussi ce qui lui inspira un peu de malaise. || aime l’'intelligence pragmatique, le tact, le génie de la conversation des Français,

mais

notre

sensibilité

Martin

Flinker

Germaniste,

l« Hommage Mann

éditeur

», dont

en

1955

il fut

de

à Thomas

la France

de

l’ami.

le dé-

route, et plus encore l'idée que nous nous faisons des relations humaines, de la religion et de la beauté. Au début de son exil, Mann avait d'abord vécu dans le midi de la France, puis il s'était installé près du lac de Zurich entendre un parler germanique lui était nécessaire, et plus encore sans doute respirer une atmosphère, avoir une manière de vivre qui lui fussent plus familières. Mann souhaitait une Allemagne européenne et non une Europe à l’allemande il pouvait sûrement mieux travailler à la réalisation de son dessein de Suisse ou des Etats-Unis plutôt que de France

même.

Q.

L. —

En

tant

que

familier

de Mann et de son œuvre, pensez-vous de ce cahier ?

Thomas

(I

que

M. F. — Ce cahier est une nouvelle preuve de l'intérêt constant que la France porte à Mann : ici, Mann n'a jamais subi ce que Joseph Breitbach appelle « le pasSage par le purgatoire d’un oubli momentané ». On ne s’est jamais éloigné de Mann en France, et non seulement de son œuvre, mais de ses idées politiques, de son attitude durant la dernière guerre, de sa sympathie pour la démocratie française. Comme l’a dit François Mauriac, « Il a maintenu durant la traversée du tunnel hitlé-

Mann

rien la gloire intacte du génie allemand ». Ce que Frédérick Tristan a voulu faire, c'est proposer, comme il le dit dans sa présentation, un ensemble de témoignages, d'analyses, de documents, qui permette à un lecteur non spécialisé de mieux pénétrer dans l'univers romanesque de Thomas Mann. Il a pleinement réussi dans ce propos, à mon sens, et j'ai été étonné de lire dans un quotidien une critique non justifiée de ce numéro de l'’Herne, d'une grande valeur littéraire et d'un apport précieux du point de vue bibliographique.

ECRIVAINS ETRANGERS

Jack London Joyce Carol Oates Martin Eden traduction de Claude

Quatre romans Corps

par Tristan Renaud par Alain Clerval

Cendrée

448 pages

Présence de Jack London

Les Temps maudits traduction de Louis Postif 320 pages

Le Talon de fer traduction 440 pages

de Louis Posti

du 1” au 15 janvier 1974

moins

temps extrêmement divers, de l'oppression que fait subir une classe fortunée ou dirigeante à une classe défavorisée, pour ne pas dire misérable. Si des liens assez, apparents réunissent ces deux ouvrages, on peut regretter que Martin Eden soit privé, au

suicide de Jack London lui-même que celui de Martin Eden se laissant glisser, quelques vers de

assurer

sa suprématie,

évo-

lue vers ce que l’histoire retiendra sous le nom de fascisme. Les Temps maudits, composé de huit nouvelles qui, bien que traduites par Louis Postif dans les années

Des quatre ouvrages de Jack London publiés sous la direction de Francis Lacassin, qui les a fort utilement préfacés, deux au moins sont de toutes première importance : Martin Eden, le chefd'œuvre autobiographique de London et un chef-d'œuvre tout court, et Le Talon de fer où inexorablement

gnent, sous des latitudes et en des

pour

par Tristan Renaud

s’expriment

30, étaient restées inédités, constitue une sorte de commentaire au Talon de fer dans la mesure où la plupart de ces récits témoi-

niveau de l’autobiographie telle que la concevait Jack London, de ce complément indispensable qu'est le Cabaret de la dernière chance. Même en souscrivant entièrement au titre de la préface de Francis Lacassin : Jack London n’était pas Martin Eden mais il le devint, il n’en reste pas moins vrai que le John Barleycorn du Cabaret explique au

contradictions du capitalisme qui,

Les Vagabonds du rail traduction de Louis Postif 310 pages Collection 10.18

les

autant,

Swinburne

fût-ce

en

creux,

le

en tête, dans l’éternité

de l’Océan. C’est dire que la publication de ces œuvres choisies de Jack London ne me paraît pas relever

d’un

plan très

Francis

Lacassin,

précis, même non

si

seulement

au vu de ces quatre volumes, mais lorsqu'on consulte la liste des œuvres

à paraître (1), semble pri-

vilégier le London prolétarien et socialisant au détriment du London « classique », du moins en France,

aventurier

du

Grand

Nord et coureur d’océans. Ces œuvres nous arrivent donc une fois de plus en ordre dispersé, Leur publication ne se soumet nuNement à la chronologie et la thématique qu’utilisait l'édition Gallimard/Hachette de 1965, pour arbitraire qu’elle fût, avait au moins le mérite de constituer des ensembles relativement cohérents. On voit mal par exemple, dans

11

GISELE HALIMI #

«

cette nouvelle édition, ce qui imposait la publication des Vagabonds

du

rail, œuvre

intéressante

certes, et qui a de plus la chance de se trouver réactualisée par les errances, Kerouac en tête, de la « Beat Generation », mais dont l’aspect social — l’armée des chômeurs de 1894 conduite par le « général » Kelly — ne dépasse pas, dans l'optique du London d’alors, la simple anecdote. De plus, en

ce

qui concerne

la pré-

sente édition, un point demeure mystérieux pourquoi (et comment) la traduction de Martin Eden signée Claude Cendrée reprend-elle à la virgule près celle de Louis Postif, parue chez Hachette ? Cela étant dit, il me paraît très fructueux de lire ou de relire coup sur coup Martin Eden et le Talon de fer, qui témoignent, l’un dans le domaine du réalisme, l’autre dans celui de la fiction, des préoccupations essentielles de Jack London — l’aventure bien entendu mise à part : le métier d'écrivain et l’action révolution-

La cause des femmes Une sobre passion, des exemples de l’avocate Gisèle Halimi.

précis. C'est

la meilleure

cause

FRANÇOISE GIROUD L'Express Comment enfin une femme peut se réaliser dans sa lutte personnelle et publique pour l'égalité et l'indépendance. Gisèle Halimi le dit ici.

Le Nouvel Observateur C'est trop peu dire que ‘La cause

pour toutes toutes lesles ffemmes -

des femmes”

PIERRE

est un plaidoyer

DESGRAUPES

Le Point Gisèle Halimi, douée de surcroît d’un don d'expression, “communiquer” ce que peut connaître une femme.

a réussi à

Un livre-document, qui est destiné à faire réfléchir.

PIERRE YSMAL Sud-Ouest Les femmes ont trouvé en Gisèle Halimi un ardent et brillant défenseur. C'est un livre qu’elles devraient lire. Les hommes, aussi. Surtout...

CLAUDE MATTEI Le Provençal

veau social supérieur. La porte qui s'ouvre, à la première ligne du

roman,

ANDRE

sur

les

vastes

salons

où Martin va rencontrer Ruth dont il tombera très romantiquement

amoureux,

lui donne

accès

à un monde dont il n’a même pas rêvé et qui secrète naturellement,

devant les yeux éblouis de Martin, la beauté, le raffinement

et, sur-

tout, la culture. Pour conquérir celle qu’il aime, le héros de London n’a pas d’autre ressource que de se jeter à corps perdu dans les livres puis, pour tenter de lui faire partager son propre

la littérature — ou plus exactement de plonger sans avoir appris à nager.

Tâche considérable — celle-là même qu’accomplit London qui écrivit, au cours de sa brève existence, une quarantaine de livres

au rythme soutenu mille mots par jour rien ne prédestinait qui trouve sa source rience

Un livre utile, donc qui a force de preuve.

12

là d'échapper à sa classe, et si possible sans espoir de retour, plutôt que de se hisser à un ni-

rêve de beauté, de se lancer dans

PAUL GIANNOLI Le Journal du Dimanche

COLLECTION ENJEUX

naire. Ecrire, pour Martin Eden, est un moyen — on serait presque tenté de dire : comme un autre — d’arriver. Entendons par

de quelque — à laquelle Martin, mais dans l’expé-

d’une vie aventureuse,

fournissant

une

matière

lui

brute

ALLIER L'Unité

qu’il ne songe pas — et c’est aussi là la force de London — à dé-

grasset

très tard couronner les efforts de Martin Eden. Très tard parce que

grossir. Le succès ne viendra que

tune venant au héros de London, la société, après l’avoir évincé, tente de le récupérer. Il est devenu,

sans le savoir, un

des leurs.

L'argent, la célébrité ont fait ce médiocre miracle. Ruth s'offre à lui. Le drame se noue. Eden qui a terriblement surestimé celle qu'il aimait — mais il en fut exactement de même pour Jack London et sa première femme — ne peut comprendre comment, aux yeux des autres, sa fortune soudaine fait de lui un être différent de ce qu’il était auparavant. Il n’a pas changé, et il le sait. Et son suicide est peut-être moins motivé par la désillusion que par la volonté ultime d’affirmer contre les autres une identité qu’on lui refuse.

En position d'attaquant À

l'inverse,

Ernest

Everhard,

dans Le Talon de fer, connaît avec Avis, sa campagne, l’épanouissement d’une passion partagée. Il est vrai qu’Ernest n’a pas à faire l’apprentissage culturel que s’est imposé Martin. Il n’a pas non plus à solliciter les faveurs d’une femme qui se laisse troubler dès leur première rencontre. Encore moins à rechercher les faveurs d’une classe dont il a compris depuis longtemps, par l'expérience vécue, la nocivité. Au contraire, il est en position d’attaquant, donc de force. Chef socialiste célèbre, à la fois craint et admiré, Everhard a saisi

les contradictions fondamentales du capitalisme, et de sa lecture de Karl Marx il a retenu surtout l’analyse essentielle du mécanisme de la plus-value. Elle lui fournit la clé qui lui manquait pour comprendre les crises et les convulsions d’un monde déchiré par la lutte des classes. Mais partant de cette notion de plus-value, Jack la laisse se développer logiquement : ce sera la guerre entre l'Amérique et l’Allemagne, évitée ou annulée par la grève générale, cette utopie qui n’a pas été envisagée que par des romanciers. Ce sera ensuite la riposte du capitalisme, la constitution de milices armées, un régime d’oppression et de terreur policières, facilité par la collusion des grands syndicats américains avec le régime social qu’ils prétendaient combattre. Ce sera enfin l'insurrection de la commune de Chicago, certain mois

d’octobre

1917, et son écra-

sociale et malgré l’attirance physique qu’elle éprouve pour le jeune

sement sanglant qui nous livrent sans doute les pages les plus étonnantes que London ait écrites. Ce qui frappe dans Le Talon

homme,

de fer c’est son pessimisme, et en

Ruth,

par

un

réflexe

l’a quitté.

de

Mais,

classe

la for-

La Quinzaine Littéraire

cela, Everhard et Eden, au-delà de la ressemblance physique, et Marx contre Nietzsche, sont bien son malgré Everhard, cousins, attitude, sait bien que le talon de fer —

Sur

son

celui

de la ploutocratie

— n'a pas fini d’opprimer les peuples pas plus que le réford’empoisonner misme le s0CI1alisme. Plus curieusement, il fait du socialisme une arme de défense beaucoup plus qu’il n’y voit le moyen de transformer radicalement la société. La proposition même du roman — dans un âge de paix et d'équité, en 2368, on retrouve le récit d'Avis retraçant la lutte qu’a menée son compagnon contre le talon de fer — ne peut faire illusion. Le temps où l’homme cessera d’être opprimé n’est évidemment par l’homme pour pas demain. Existe-t-il n’y même, ce temps ? London croit guère qui, anticipant son récit de quelques années seulement (le Talon de fer date de et les événements qu'il 1907 relate se déroulent de 1910 à

bateau

1917),

pour

propose

bien plus incertain reculé l'égalité des

Cette

un

et bien classes.

contradiction

pessimisme

et

re. Il montre

Bien

plus

entre

l'utopie

rien à ce roman.

avenir

le

n’enlève

au contrai-

la fragilité

des en-

treprises humaines, fussent-elles les plus généreuses, face à un destin qui n’a d'autre fonction que de broyer les êtres ou de les en-

chaîner Jack

à leurs

London

désillusions. en

ait

pris

Que cons-

cience est peut-être ce qui le rend toujours si proche.

nous 1]

(1) Yours for the Revolution, Radieuse aurore, l’Appel de la

jorét, Histoire des siècles futurs, le Peuple de l’abime, les Demihommes.

Tristan

Renaud,

ancien

collaborateur

des « Lettres Françaises » écrit régulièrement pour « la Quinzaine littéraire ».

Jack

et sa femme

London

Ecrivains étrangers

L’érotisme

Joyce Carol Oates Corps Stock éd.

par

Alain

une société puritaine

Clerval

Auteur des Gens Chics, où elle projetait sur la société américaine

un éclairage glacé et, derrière les facettes de l’élégance et du luxe, traversé par les fulgurances ténébreuses de la cruauté, Joyce Carol Oates a réuni dans ce recueil un ensemble de nouvelles dont le thème central est lié à la sexualité féminine. Dans une société puritaine qui fait de la famille l’ennemie, l’espion vigilant du corps guetté par

les flétrissures de l’âge et du gouffre intérieur du sexe et de la folie, la femme

fraie son che-

min parmi les obstacles que l’argent et le désir élèvent autour d'elle. En dépit de la sophistication et de la facilité des procédés

mis en œuvre,

tous ces récits té-

moignent d’une vigueur et d’une violence assez remarquables. Il s’agit d’une satire, souvent terrible, des mœurs d’une société où la violence, l’argent, les interdits,

NE

Alain

Clerval

dans

collabore

régulière-

ment à « la Quinzaine littéraire », à « l'Art vivant » et à la « NRF ».

du 1‘ au 15 janvier 1974

l'érotisme et l’american way of life composent un mélange détonant dont l'instabilité fait vivre tous les personnages dans un climat

exacerbé

et

cruel,

car

ils

ont peur de tout et surtout d’euxmêmes.

C’est bien la condition faite à la femme dans la société américaine qui est le sujet de ces nouvelles,

la sexualité

avec

sa

vio-

lence latente apparaissant comme le foyer de contradictions intolérables, la déchirure qui fait craquer le mensonge et l’oppression morale d’un univers si soucieux d'offrir une façade, une respectabilité

immaculées,

rutilantes

de

propreté et de blancheur. En effet, mise sur un piédestal, idole effleurée par la convoitise de l'homme et lovée au cœur du temple de l’argent, la femme est le lieu commun d’une divergence tragique entre le désir qu’elle doit inspirer et le refus de toutes les implications sexuelles qu’il entraîne. Entre l’argent et la sexualité, entre la morale puritaine et l'érotisme, la tension se résout inexorablement dans la violence,

du sexe et de la morale tient au refus d’intégrer le désir autrement que sous l’expression frelatée d’un érotisme considéré comme le signe extérieur de la richesse et de la prospérité. Tous les personnages féminins de ces nouvelles, la plupart sont des adolescentes ou des femmes

seules,

sont

dominés

par l’ombre écrasante du père puritain, accablés par une famille vengeresse qui les fait vivre’ dans

un cercle enchanté, habité par la peur et l’angoisse. Apparaissant comme une clôture protectrice et mutilante, la famille puritaine, installée derrière la façade néo-gothique des maisons coloniales, absorbée par des tâches fastidieuses où la futilité le dispute à la bouffonnerie, dresse un rempart effrayant d’interdits. La sexualité refoulée prend sa revanche en investissant

J.-M. GENG INFORMATION

MYSTIFICATION 30:F;

« J'ai une sorte de plaisir personnel et un presque de soulagement à voir quelqu prendre le problème du discours informant sous le double feu marxiste et freudien ce qui est encore une rareté absolue. » Roland

Epi SA Editeurs, 68, rue de Babylone,

Barthes

75007 Paris

Diffusion B. Laville

l'agression quotidienne. Le conflit

13

les actes et les conduites d’une telle charge érotique et symbolique que les éléments du récit exigent d'être déchiffrés à la Iu-

mière de la psychanalyse. Je pense à

cette

nouvelle

qui

baigne

dans

un climat onirique envoûtant, intitulée « Démons ». Alors qu’elle

chez la jeune femme à un mouvement parallèle de défoulement érotique et de vengeance parricide. L’art de l’auteur maintient tout au long du récit une subtile ambiguïté sur la réalité des événements dont on ne sait s'ils ont

est allée promener le chien de son

été vécus au niveau du fantasme ou de l’accomplissement. On ne

père, une jeune fille ne parvient pas à retenir l’animal qui rompt

nique

sa laisse pour se jeter sous les roues d’une voiture. La mort du chien, métaphore de la liberté

sexuelle tenue en bride par un père jaloux, donne libre cours

peut

nier l'efficacité d’une technarrative pourtant, qui, gêne par l’artifice un peu labo-

rieux

de certains procédés. C’est, encore, une fille de treize ans, restée seule à la maison dans

l'ennui

pesant

d’un

dimanche



Ja

famille

est

allée

glements qui peuvent aller jusqu'à la folie. Le principe de réalité qui seul permet aux êtres d’affronter l’existence, Dans la Région des Glaces, n’est pas séparable d’un acquiescement, d’un assentiment aux pulsions érotiques qui sont, chez la plupart de ses personnages, éludées et refusées pour

pique-

niquer —, qui reçoit la visite inopinée d’un jeune délinquant qui veut la violer ou la tuer. Elle s’abandonne à une issue sanglante pour s’arracher à la cellule familiale, plus encore que pour épargner à ses parents un règlement de comptes atroce. Filles ou garcons sont retenus à l’âge de la puberté par l’effroi, saisis d’un tremblement panique devant la réalité obscène de leur corps, siège d’opérations obscures. La sexualité apparaît comme un état répugnant et scandaleux, l’origine de déré-

resurgir tragiquement

dans

la ma-

ladie, la mort, ou la violence. Lapropreté, l’hygiène, le luxe qui comptent parmi les commandements de cette société trahissent une fuite panique devant l'érotisme.

C]

MEMOIRES JOURNAUX INTIMES

Clara Malraux Violette Leduc Mircea Eliade

Georges Séféris

Abd

Chavardès

el-Krim,

celle



se

révoltèrent les Druses en Syrie, celle où André Breton se mit à flirter

avec

le PCF,

celle

enfin

où l’armée tira sur les grévistes de Fourmies. C’est l’année — 1925 — qu'a choisie Clara Malraux comme point de départ du quatrième tome de ses mémoires, auquel elle donne pour titre le premier hémistiche d’un vers d’Apollinaire : « Voici que vient l'été, La saison violente ». Saison violente, certes, durant

laquelle les démocraties libérales assisteront, impuissantes à la montée du triple péril : fasciste, nazi et stalinien. L'ouvrage s’arrête au moment du Congrès des écrivains, en 1935, Tout n’est pas joué,

à Moscou. loin de là,

Maurice Chavardès, romancier, essayiste, est un collaborateur habituel de « la Quinzaine littéraire ».

14

Fragments d’un journal Journal 1945-1951

Maurice Chavardès Anne Fabre-Luce Claude-Henri Rocquet Christian Giudicelli

sous un certain éclairage

C'était l’année où Trotsky se vit relevé de ses fonctions de commissaire du peuple, l’année où débuta la répression militaire contre

par par par par

à l’amour

Malraux

Clara Malraux Voici que vient l'été Grasset éd., 288 p.

par Maurice

Voici que vient l'été La chasse

puisque ni la guerre d’Espagne, ni la victoire allemande en Europe n’ont eu lieu. Mais de l’une et de l’autre le germe n'’était-il pas contenu dans cette décade — 1925-1935 — qui remit en question à la fois le monde des traités et celui des idées ?

remarque «

Dans

désabusée le domaine

de

Clara

:

sentimental,

André se révélait un conservateur. » Tel n’était pas le cas sur d’autres plans. Bilan piquant des activités coutumières des Malraux en ce temps-là : publication Ces années essentielles, comd'œuvres érotiques, joies de ment les vécut le couple, déjà l’opium, aide aux jeunes persecoué, mais non encore désagrégé, sonnes désireuses de se faire que formaient André Malraux avorter, signature de traites dont et Clara, née Goldschmidt ? Lui, ils n'étaient pas sûrs de pouvoir il compose ses trois premiers payer le premier centime, etc. Le romans, les Conquérants, la Voie goût de la transgression. Avec, royale et la Condition humaine, peut-être, une part d’irresponsaqui lui vaudra le prix Goncourt : bilité inhérente au fait que l’un de la misère à la gloire presque et l’autre étaient assurés de l’insans transition. Elle, écrire la dulgence d’une bourgeoisie que, travaille, et elle commence par pourtant, ils méprisaient. Pour publier, en 1928, chez Gallimard, eux, l’argent n’était pas absoluune traduction du journal d’une ment lié au travail. Lui ne l’aupetite fille : Journal psychanarait pas supporté ; elle non plus, lytique. Ce n’est qu’un début, semble-t-il. Un de leurs plaisirs qui agace Malraux, dont la docétait de courir le monde : trine conjugale, sur le chapitre Trébizonde, Ispahan, Canton, de la création littéraire, se résul'U.R.S.S. jusqu’en Sibérie. Malme en ces termes : « Mieux vaut raux y trouvait des matériaux être ma femme qu'un écrivain pour embellir sa légende (cf. la part qu'il aurait prise dans de second ordre. » D'où cette

la révolution de Canton), pour nourrir ses réflexions sur le passé de l'humanité. Clara en rapporte des paysages, des portraits, dont plusieurs, nimbés par le souvenir, font l’un des charmes de son livre. Quant à la bataille idéologique, on s’y livrait entre deux voyages, lorsqu'elle ne fournissait pas elle-même l’occasion de franchir une frontière, comme l’intervention, à Berlin, de Malraux et

de Gide en faveur de Dimitrov et de Thaelman. Ce fut aussi l'adhésion au (Comité mondial antifasciste,

à la

tionale

contre

(Clara,

israélite,

Ligue

interna-

l’antisémitisme consacre

quel-

ques pages bouleversantes à l’exode vers Paris de juifs allemands, dont plusieurs membres de sa

famille).

Au fond, à cheval sur la litté-

rature et la politique ce sera pour le couple une vie intense, parfois orageuse, comme en témoignent, sous couvert d’études théoriques, deux textes de Clara intitulés la Scène conjugale et

La Quinzaine Littéraire

à _

De lassassinat dans les rapports conjugaux, glissés ici en sandwiches, après avoir paru en 1950 et 1951 dans la « Revue contemporaine ». Ce n’est pas la moindre leçon de cet ouvrage — qui, au demeurant, ne prétend pas en donner — que l'échec matrimonial lorsqu'un conjoint croit pouvoir dominer l’autre jusqu’à nier le droit de ce dernier à s’accomplir personnellement. Pour

son

malheur,

la

révolte

de Clara venait trop tôt. L'époque était alors — elle l’est encore, mais un peu moins — aux suprématies masculines dans les secteurs de la pensée et de la création. N'est-il pas à cet égard caractéristique de noter que parmi les gens « importants » rencontrés ou fréquentés par les

Malraux, il y avait des hommes, rien que des hommes — de Groethuysen à Pasternak, en passant par Emmanuel Berl, Guéhenno, Gide, Nizan, Aragon, Eisenstein ?

Vouloir à tout prix « entendre (sa) propre voix », ou « sentir (son)

sang

circuler

dans

(ses)

propres veines », c'était courir à la rupture, se condamner à « la lutte inégale » (titre d’un poignant roman de Clara Malraux) dans la nuit de l’Occupation, avec cette petite fille qu’elle

a

conçue

elle

l'a

par

Anne

Si l’on admet que face à l’évolution de la notion de sujet dans l'écriture, celle-ci peut encore prendre la forme à peine transposée d’un vécu autobiographique, alors la Chasse à l'amour de Violette Leduc — dernier volet de la trilogie commencée avec la Bâtarde et la Folie en tête — doit compter parmi les témoignages exemplaires de ce type d'entreprise littéraire. saisissant

dans

ce

texte posthume ce n’est pas tant _ que la matière sort du sujet pour _ y revenir en quelque sorte, puisque l’auteur n’a d’autre sujet

qu

Dinoneme,

mais

c’est plus

. paraît séparer l'expérience mise en forme qu’elle provoque. On pourra naturellement répondre que le délire verbal qui

occupe

une

grande

texte est en soi une

jour »,

même

Malraux.

où lui.

lité, ses dons

d’expression,

mérite

la plus grande attention : il n’est pas si fréquent qu’à l’ombre du génie ait pu se développer une plante aussi vivace et, somme toute, exemplaire. CO Journaux

intimes

A la proue du silence

Fabre-Luce

Ce qui est

au

ayant d’abord écarté l’idée d’être père pour ne pas « donner de gages à la société >». C’est une injustice, trop souvent commise, que de chercher avant tout l’auteur de l'Espoir et l’aventurier communisant, puis gaulliste, dans les souvenirs de celle qui fut sa femme jusqu’en 1945. S'il y apparaît sous un éclairage sans lequel, pour ce qui est des années 20 à 40, on risquerait de ne pas comprendre grandchose à ce phénix fabulateur, celle qui tient la plume avec son intelligence intuitive, sa sensibi-

Mémoires,

Violette Leduc : La Chasse à l'amour Gallimard, 408 p.

«

voulue

partie

du

expression

Anne Fabre-Luce est maître-assistant à l’Université de Paris-X (Nanterre).

_ du 1” au 15 janvier 1974

distancée : mais, pour nous, ce voyage fantasmatique dans et par le discours n’est que la relation fidèle d’une crise psychique

réelle (Simone de Beauvoir y fait longuement allusion dans Tout compte fait) dont une des manifestations est justement cette mise à distance par la parole

d’une insoutenable réalité. Le déchaînement métaphorique et associatif du discours n'étant qu’une tentative désespérée pour se protéger du réel. L’intolérable, pour Violette Leduc,

c’est

d’abord

elle-même,

et par contrecoup, ce sont les autres. Leur altérité lui est insupportable parce qu’elle la vit comme négation de sa propre personne. Elle mendie l’amour de l’autre et le sachant comblé d’un autre côté elle lui renvoie de la haine. Ses exigences ne sont et ne peuvent être que démesurées; elles la ramènent à son insatisfaction fondamentale, à sa

béance tragique. Un vide effrayant l’habite qu’elle meuble par le délire persécutoire. Puisqu’on ne peut l'aimer, donc on la hait. Les traces de ce malé-

fice

sont

partout,

sur

les visages,

sur les objets, ce qui est une manière de faire reconnaître son manque par le monde. Une grande partie de la vie intérieure de cette femme est constituée par des hallucinations négatives : ce qui est rêvé ou désiré comme présent a pour fonction de manquer. Le désir éperdu n’est que l’actualisation consciente de ce vide. Comme chez AlainFournier, l'écriture n’est ici que l'expression lyrique du désir de l'impossible et la confirmation d’une irrémédiable aliénation. Il suffit de considérer les objets de désir pour voir qu'ils ne sont choisis qu’en fonction de leur relative ou totale indisponibilité : Simone de Beauvoir « a sa vie », l’homosexuel qu’elle aime vit avec un autre garçon, le jeune maçon qui lui révèle sa féminité adore sa femme. Ces objets sont aussi frustrants que l'est pour Seurel l’aventure du Grand Meaulnes, la d’Yvonne de Galais, ou

destins réussis par personne interposée, Violette Leduc choisit,

elle,

la

non-réalisation

tra-

gique de tout rapport à l’autre. On peut bien sûr lire ce livre au style haletant — encore une marque des « vides >» — comme l’histoire d’une femme qui n’a pas de chance, d’une « malaimée » parmi d’autres. Mais je pense qu’il faut aller plus loin et tenter de saisir entre les lignes le moteur invisible qui anime le texte : seule l’expérience répétée de la négation peut expliquer l’acharnement du désir et celui de la destruction. Il justifie également l’apparente disponibilité affective,

la « béance

d'amour

»

de l’auteur et l'impossibilité de combler celle-ci. L’entêtement aveugle du sort à nous refuser le bonheur ne serait alors que le reflet du « mauvais » regard que nous posons sur le monde.

0

fidélité la noir-

ceur d’Annette. Mais alors que Fournier opte pour la vicariance, en vivant imaginairement des

15

Mémoires,

Mircea

d’un journal

Traduit du roumain par Luc Badesco

Gallimard

Eliade, l’herméneute

éd., 574 p.

Claude-Henri

Rocquet

Les principes qui animent l’œuvre de Mircea Eliade, historien des religions, s’énoncent aisément. Dans « l’homme primitif » se retrouve un noyau universel : l’homo religiosus. Mythes, rêves, rites, symboles de cet homo religiosus forment une « ontologie archaïque ». Cette métaphysique primitive touche et traduit une vérité transcendante. Enfin, dans « l’homme moderne » subsistent,

voilés,

déchus,

les Arché-

types traditionnels. Quant à la vision du monde de l’homo religiosus, elle se fonde sur des oppositions élémentaires l’opposition du Sacré et du Profane

Sacré

intimes

Eliade

Fragments

par

Journaux

étant

structure

«un

élément

nir un journal, pour lui, c’est conjurer l’obsession du temps qui passe, éterniser l'instant, donner à l’irréversible une sorte de réversibilité et de permanence. Autres thèmes : la scission entre le créateur et ses propres mythes (Eliade est romancier), versant sacré, et le savant, versant profane (mais peu à peu le profane se sacralise) ; l’exil (en 1945, Eliade vient à Paris ; il laisse derrière soi, en Roumanie, sa vie antérieure, ses manuscrits ; il vit

dans une extrême pauvreté) ; l’errance à travers le monde (de l’Inde,

en

sa

jeunesse,

go, où il enseigne) ; et « l’aventure intellectuelle >» même : ce sont, pour ÉEliade, les épreuves

une

odyssée,

un

gures

d’un labyrinthe,

che d’un « Centre

la recher-

». Pour Eliade,

sans la sympathie, sans l’expérience intérieure de ce que vit l’homme « archaïque », il n’y aurait aucune intelligence vraie de cet homme. Mais on n’entre pas dans cette « existence sanctifiée » sans se changer soi-même. Si bien que le Journal atteste une fusion de plus en plus profonde entre l’objet de l'étude et celui qui s’y adonne. (Note du 5 février 1968 : « Il s’agit d’une transmutation de la personne qui reçoit, interprète, et assimile la révélation. »)

(le

de la conscience, et non

Le Temps

sacré, c’est celui

des

Origines et de leur répétition rituelle, celui des Morts et des Résurrections, de l’Epreuve, de la

Fête ; en opposition avec le temps de « l'Histoire » (2). Même à l’heure de Geza Roheim et de Lévi-Strauss, de J.-P. Vernant, l'intérêt de cette œuvre

est indéniable : démystifier n’est pas démythiser ; et il est vrai que l’homme vit imaginairement, symboliquement ; il est vrai que « l’homme habite en poète » (Hôlderlin, cité par Heidegger). Ainsi, par exemple, et pour nous en tenir, ici, à ce que nous dit Eliade sur l’espace humain, il est souhaitable que les futurs architectes lisent Le Sacré et le (3).

Etape

nécessaire

dans la découverte du sens inhérent à tout espace vécu ; dans l'intelligence de l'imaginaire. Les thèmes familiers de l’herméneute conviennent à la lecture du portrait et de la vie qui se découvrent en ces Fragments d'un journal. Eliade lui-même ne vit-il pas son existence sur le mode de l’homo religiosus ? TeClaude-Henri Rocquet enseigne Sciences humaines à l’université Montpellier.

16

initiation,

de la

pas un moment de l’histoire de la conscience »[1]) gouverne celle du Temps et de l’Espace. L’Espace sacré, c’est celui du Centre et du Dedans, en opposition avec le Dehors, l’Informe, le Chaos...

Profane

à Chica-

d’une

chemin de Dante, une suite de morts et de résurrections, les fi-

les de

Journal d’une vie Journal d’une œuvre

des religions pour la compréhension des comportements archaïques » ; et Goethe (notamment celui

de

Versuche,

die

Metamor-

phose der Pflanzen zur erklären). Ces présences, dans le Journal, ne surprennent pas le lecteur des essais d’Éliade. Mais, pour définir avec précision le territoire de cet historien des religions, mieux vaut considérer ce qu’il refuse et ce dont il ne parle pas. Ce qu’il refuse : Freud et Marx (à peu près totalement) ; en un mot : le matérialisme. Absence et refus

plus surprenants, toutefois

: ceux

de Lévi-Strauss, et du structuralis-

me (5). Aucune trace d’une rencontre d’Eliade avec cette pensée nouvelle et adverse. Aucune trace du séisme qui travaille encore les «sciences de l’homme ». Quelle puissance de clôture et de quiétude en cet ésprit « scientifique » ! (Cette résistance au « moderne » s'explique sans doute, en partie, par la propre situation d’Eliade, et de la Roumanie, dans

Journal d’une vie, journal d’une œuvre. À plusieurs reprises, Eliade s'explique sur son dessein,

sa

méthode,

l’idée

qu'il

se fait de l'Histoire des religions. Parmi les notes les plus éclairantes,

celle-ci,

du

5

décembre

1959 : « S'il est vrai que Marx a analysé et « démasqué » l’inconscient social et que Freud a fait de même pour l'inconscient personnel — s’il est donc vrai que la psychanalyse et le marxisme nous apprennent comment percer les « superstructures » « pour arriver aux causes et aux mobiles

véritables,

alors, l’Histoi-

re des religions, telle que moi je la comprends, aurait le même but : identifier la présence du transcendant dans l'expérience humaine — isoler — dans la masse énorme de « l'inconscient >» — ce qui est trans-conscient. (.….) « démasquer » la présence du transcendant et le supra-historique dans la vie de tous les jours. » Pour Eliade, l'Histoire des religions, comme pensée des symboles, permet à l’homme moderne de « pénétrer dans le phénomène religieux » et lui promet une chance de « renouveler la problématique de la philosophie

contemporaine ». Elle est aussi, à la veille d’une barbarie universelle, une

sorte

d’Arche

de Noé

des « traditions mythicoreligieuses » : « Cette discipline mystérieuse et absurde qu'est « l'Histoire des religions» pourrait avoir une fonction royale : les publications « scientifiques » constitueront

un

réservoir



pourraient se camoufler toutes les valeurs et les modèles religieux traditionnels. C’est pourquoi je m’efforce toujours de mettre en évidence la signification des faits religieux. — 23-3-62. » — « Discipline libératrice » : l'historien des religions fait, initiatiquement, son salut, en sauvant, dans les âges noirs, les secrets salutaires. Autour d’un homme, son monde. Ici : des confrères, des étudiants (4), des religieux, des ésotéristes, de jeunes Américains mys-

tiques. Parmi les figures célèbres, Ionesco, Cioran, Roumains de Paris ; Teilhard de Chardin ; Pa-

pini ; Jung, surtout. Et, pour les morts, Hegel («5 décembre 1959).

A refaire Phänomenologie des Geistes en partant des résultats de la psychanalyse et de l’ethnologie. L'importance de l’histoire

« l'Histoire ».

Explication

mutadis mutandis, vaudrait pour Ilonesco et Cioran).

qui, aussi

Pourtant, l’œuvre de Dumézil est, évidemment, familière à Eliade. Pourtant, Eliade lisait

Propp bien avant qu’on l’eût traduit ; mais l’œuvre du « folkloriste russe » le conduit à réfléchir

sur les «archétypes», non sur les structures. Il 4 lu le Bachelard de l'Eau et Les Rêves, l'Air et Les

songes, mais celui de La Formation de l'esprit scientifique ?.… Pas d'inquiétude épistémologique, chez Eliade. Mais, au fond, en matière «d'histoire des religions », l'obstacle épistémologique majeur ne serait-il pas le présupposé qu’il existe un phénomène « religion » » ? Chacun a en mémoire le début du Totémisme au-

jourd'hui : «Il en est du totémisme comme de l'hystérie. Quand on s’est avisé de douter qu’on püût arbitrairement isoler certains phénomènes et les grouper entre eux, pour en faire les signes diagnostiques d’une maladie ou d’une institution objective, les symptômes mêmes

ont

disparu,

ou

se

sont

montrés rebelles aux interprétations unifiantes ». N’en est-il pas de la « religion >» comme du « to-

La Quinzaine Littéraire

témisme »

et

de

« l’hystérie » ?

L'une des sciences qui aujourd’hui se cherchent,

c’est

la science

l’Imaginaire

et

du

que (6), non

pas

des

« reli-

dans

l’éclai-

rage d’une épistémologie toujours inquiète, le discours du sens et celui de la structure ; le sens ne dé-

1. Fragments

Georges Séféris Journal 1945-1951 trad. du grec par Lorand Gaspar.

Giudicelli

Les trente mille Grecs qui, en septembre 1971, suivirent les obsèques de Georges Séféris entendaient bien par cet hommage au plus grand de leurs poètes manifester contre une dictature dont on a vu récemment les sinistres effets. S’étant refusé à toute publication depuis la suppression des libertés, Séféris avait de plus dit ce qu'il pensait du régime dans une déclaration tranchante. Les sphères officielles ne le lui ont pas pardonné. Mais ceux qui souffrent et résistent ont su reconnaître et honorer en lui l’homme qui, selon Henry Miller, « a saisi cet esprit d’éternité que l’on trouve partout en Grèce ». Il est beau que la littérature — et dans sa part la plus secrète : la poésie — soit la source même qui réconforte et donne du courage, Pourtant, les signes du malheur surgissent dans de nombreuses pages de ce Journal qui, s'étendant de 1945 à 1951, rend compte d’une Grèce délabrée au sortir de la guerre civile. Ce ne sont qu’habitations

éventrées,

nœuvres de près — il est net du

sombres

ma-

politiques, boue. Mêlé aux affaires publiques d’abord chef de cabirégent, puis conseiller

d’ambassade à Ankara —, Séféris

ne touche mot de sa vie professionnelle (ces carnets-là, dit-il, sont

pour d’autres temps s'ils ne sont jetés au feu), il parle de ce qu’il voit, de l’air qu'il respire, du rêve qu’il vient de faire, du poème

qu'il ébauche, de l’essai qu’il pré_ pare sur Cavafy ou sur Eliot. Avec Christian journaliste,

Giudicelli, romancier participe à l'émission

téraire hebdomadaire sur France-Culture.

} +4

et lit-

de Roger Vrigny

du 1° au 15 janvier 1974

p. 555.

(ou «a-scientifiques », « idéologiques ») à l’œuvre dans la construction de ses modèles et ques

»

Journaux

de ses objets.

Rappelons

que

l’es-

quisse d’une critique des thèses de M.E. se trouvent dans Marxisme et Structuralisme, de L. Sebag

(Payot). 3. Le Sacré Gallimard.

et Le Profane, (En même



parentes

Jectures



Idéestemps

que

la

Poétique de l’espace, de Bachelard, La Poétique de La ville, de Sansot, Les Structures anthropolo-

giques de l'imaginaire, de G. Durand...) 1. Très décevant, le Journal. en ce qui touche la jeunesse universitaire américaine des années 60. 5. Ne comptons pour rien deux allusions, très superficielles (p. 528

et p. °46). 6. Cf. Deleuze, dans

Histoire

- XXE® siècle

Le Structuralisme. de

la

philosophie

(Hachette).

intimes

Le chant même de la Grèce

de France, éd., 245 p.

Christian

d'un Journal,

2. Ce n’est pas le lieu de mettre en question la méthode de ME. et les prémisses « pré-scientifi-

Mémoires,

par

le

C]

de

gions ». Éliade y occupe une position ambiguë. Proposons qu’il

Mercure

nécessairement

transcendant.

Symboli-

la science

s’agit de dialectiser,

signant

une lucidité sans complaisance il présente les écrivains au hasard des rencontres : un Michaux énigmatique, un Cocteau flagorneur, un Eluard à bout de souffle que le soleil de l’Attique arrive quand même à transfigurer.

Mais

l'élément

premier



il

faut y revenir — réside dans cette

souffrance

procurée

par un pays

aimé passionnément et dont Séféris est souvent arraché. « Où que me

porte mon voyage, la Grèce me fait mal», ce vers ancien de Cahiers d’études lié au thème du voyageur, du vagabond ahuri en quête d’un retour, si constant dans son œuvre, reçoit ici de multiples échos. Mais comme le remarque avec justesse Yves Bonnefoy à son propos : « Etre grec n’est sans doute une vraie souf-

france que pour celui qui a pressenti la souffrance universelle L'expérience, d’être homme.» toute expérience, renvoie à l’espace de l’homme et à sa destinée dans cet espace. Une vérité élémentaire — et,

que d’une absolue transparence « Je ne demande rien d’autre que de parler simplement, que cette grâce me soit accordée » (Un vieillard sur le bord du fleuve). On suit à plusieurs reprises dans le

par là même,

à l’organisation d’un grand poème (La grive, par exemple). On y lit d’extraordinaires intuitions lyriques (dont seul un poète de la qualité de Lorand Gaspar pouvait conserver dans la traduction le mouvement et l’éclat). On est introduit au centre même de l’atelier où se forment «ces incom-

dérobée,

ou, si l’on

veut, aveuglante dans sa clarté — exige une expression résolument nouvelle sous peine de n’être pas révélée. Séféris définit ainsi le sens de cet effort : « Pour dire ce que tu veux dire, tu dois créer une autre langue et la nourrir

pendant des années et des années avec tout ce que tu as aimé, avec tout ce que tu as perdu, avec tout “Te que tu ne retrouveräs jamais. »

Cette voix jusqu'alors inconnue, il faut que le chant qui la soutient garde une ligne mélodi-

Georges Séféris

Journal

parables

ces étapes

qui aboutissent

phrases mi-verbales,

mi-

musicales où la suffocation heureuse des jours d’été sur la terre semble venir s’apaiser dans une eau qui rejoint la nuit » (Bonnefoy). La démarche de Séféris apparaîtrait comme celle d’un somnambule, s’il existait un somnam-

bule du plein soleil qui s’avancerait les yeux brûlés dans la lumière. «Je sais, dit-il, que je dois vivre avec la lumière » et aussi : «cette colonne de lumière,

cette

chose

intacte

(..)

reste enfermée dans le cœur du changement, telle une pierre brillante dans le ruisseau ». C’est dans la pureté de cette lumière, de son rapport avec les pierres, avec la mer, que naissent le récit et le drame. D'où les fréquents rappels d’Eschyle et de Sophocle et la référence à Homère. Le poète ne se soucie pas d'analyse, il progresse à pas lents vers l’inédit de la création : « Mon problème, mon problème jusqu'aux os : je ne veux pas comprendre, je veux m'approcher, dépasser la ligne de démarcation avec l’autre monde. » Il n’est pas contradictoire que Séféris assure également que « le poète a un seul sujet : son corps

t#r

voir une connaissance. Le poète est «un vide» (Le Roi d’Asiné) où la sensation se fait parole, le verbe vertige. Il s’agit de découvrir l’aube du monde : Nous ne

commençons à distinguer Les choses qui pourraient peut-être voir la lumière. > Il y a dans la poésie de Séféris, au point le plus déchirant de la tragédie humaine, une confiance qui ne faiblit pas, celle d’un homme qui coupe du

sommes

bois et se baigne

vivant et

».

c’est

Car

par

la vie

seule

le corps

rien

compte

qu'on

encore,

peut

Mais

en

nous

avec

délice

au

début

du printemps. Il y a cette « Moi j'écrirai, quoi foi

unique

qu'il arrive,

pour

garder

vivante

cette chose qui exprime le fait que je suis vivant. » La poésie de Séféris dessine le lieu privilégié de cette présence de l'être au monde. Elle ne s’égare sur aucune

route qui ne mènerait au sens d'un mystère ressenti d’abord comme un éblouissement « Lorsque nous avons tout dit et redit, il reste ceci : il n'existe rien que cette lampe, la vie, rien d'autre. » Rien d'autre ? Dans le

silence, les mots du poète.

[]

A gorge dénouée Ghérasim

« Accouplé à la peur / comme Dieu à l’odieux // le cou engen-

Luca

Le Chant de la Carpe Couverture

de Piotr

dre le couteau

Kowalski

de têtes / suspendu entre la tête et le corps // comme le crime / entre le cri et la rime... » Il suffit de prendre un mot — n’importe lequel — et de l'écouter vraiment, le voici qui se divise

Le Soleil Noir éd., 107 p.

par

Pierre

The

Dhainaut

human

don,

NW3

7NP,

aussitôt,

context

Editor Responsible: Paul A. Senft, 17 Platt's

Lane,

Lon-

U.K.

« the human context » explores the philosophical assumptions and the methodology of the human sciences (the different fields of psychology, sociology and anthropology). It aims at a critical dialogue between different orientations in philosophy itself and at a confrontation with science. The total yearly volume of the periodical is in excess of 600 pages and is published in three issues annually, with original contributions in full translation from and into English, French, German, Spanish and Italian.

Volume VI, NO. 1, 1974 Articles

Gérard

RADNITZKY

: On

the

Cru-

cial Role of Preconceptions about the Subject Matter in Scientific Research.

Anthony DE Communication

REUCK Controlled Rationale and Dy-

namics.

Mitchell GINSBERG Communication. J.-P. COULTER : The dological Programme rary Sociology.

G. the

BENEDETTI Psychotherapy

Action

and

Ethnomethoin Contempo-

The

Irrational

in

of Psychosis.

Robert D. ROMANYSHYN Psychotherapy A Dialogue of Faith and Power. Joseph F. RYCHLAK : The Misplaced Dialectic in the Dialogue of Faith and Power. Michael G. PICARDIE : A Metaphysical Order in Psychiatrie Work. Alex COMFORT : On Sexuality, Play and Earnest. Miguel PRADOS : Vincent Van Gogh's Childhood and Boyhood : A Psychological Enquiry. Documents views, Books

18

and Reports, Received.

Book

// et le Coupeur

Re-

mais

pour

se multiplier,

pour donner, sans fin, croirait-on, naissance à d’autres mots. Surtout dans

Héros-Limite

et, récemment,

dans Le Chant de la Carpe qui se présente comme une épure du livre précédent, la plupart des poèmes de Ghérasim Luca sont produits par le jeu des mots, c’est-à-dire à la fois par la faille qui se révèle en chacun d’eux, puis selon le système de leurs échos innombrables. Ainsi Luca parle-t-il la légendaire langue des oiseaux, la plus ductile et la plus riche. Aucun savoir ne précède ici l’expérience : nous sommes mis en présence directement de ce que le poème, et lui seul, sait,

de ce que lui-même expérimente. Certains prédécesseurs de Luca

tes il ne saurait être question d’influences) : il possède le patient délire du premier, l’intelligence de l’autre. Sa passion demeure

lucide,

sa

violence

froide.

Luca n’éprouve pas, fût-ce en secret, la nostalgie que Breton maintenait d’une langue première enchantée, le souci de l'origine

ou de l’unité ne le tourmente plus : comme Duchamp il dédaigne

la

thèse,

temps renoncé

il a

depuis

long-

à se justifier, mais

le besoin l’anime d'établir une « morphologie de la métamorphose ». Aussi ne se contente-t-il pas de nous livrer la matière brute de ses manipulations. Il les mène le plus loin possible et, tout en leur demeurant fidèle, essaie

de les comprendre. On peut classer en trois principales catégories ses procédés (au sens rousselien du terme). Le bégaiement d’abord dont Passionnément propose un exemple sublime. On écoutera le disque (2) où Luca récite ce poème pour comprendre, physiquement, de quelle manière

un

mot,

du tréfonds

nous sont désormais connus, sinon familiers, Jean-Pierre Brisset,

Raymond Roussel, Marcel Duchamp (pour mentionner ceux qui figuraient dans l’Anthologie de

en les attirant, peut naître et jaillir enfin. Tous les tons — l’in-

l'Humour

noir) ;

d’autre

part,

des textes ont été publiés qui permettent une approche précise de ce qu’on appelait naguère un peu vite calembours et contrepèteries, je pense en particulier au Schizo et les langues de Louis Wolfson : nous devons lire Luca dans ce contexte renouvelé. Volontiers, je placerai Luca entre

Brisset

et

Duchamp

(cer-

en

et du langage,

de

la bouche écartant

vective

d’autres

mots,

et la dérision,

tantôt tantôt

la confi-

dence et l’appel — tous les mots, même les plus sales et jusqu'aux néologismes : « Le pas pas le faux

2° PRIX DE POÉSIE

Si6: 5.000f. pour le laurèat Règlement et renseignements

Pierre Dhainaut a notamment publié « le Poème commencé » (Mercure de France).

contre 184,bd Saint

enveloppe

timbree

Germain,75006

Paris

pas le pas (.…) le pas le passi passi passi pissez sur / le pape

sur papa (.…) ne dominez pas vos passions rations vos / ne dominez pas vos ne vos ne do do / minez minez vos rations (.….) vos passionnantes rations de rats de pas (.…) crachez cra crachez sur

vos rations cra / de la neige il est il est né / passionné né il est né /

à la nage à la rage (.…) « pour crier je t’aime. Tel est le procédé majeur, le processus plus exactement, puisque Luca nous projette dans le mouvement, cette trajectoire tourbillonnante et néanmoins orientée d’un mot, capable de tirer avec entier.

lui

le

vocabulaire

Le second procédé vient du précédent. Le bégaiement qui fendait le mot le faisait exploser en mille particules sonores porteuses de significations toujours insoupçonnées et toujours nécessaires : Luca cette fois ajoute ou bien retire au mot soit une lettre soit une syllabe : « Il arrache la hache de la « pure lâcheté » // et comme il a hâte et le sens de l’Ange du « danger » / d’un coup / coupe le cou de « tout à coup ». Cabale phonétique, assurément : « Une lettre

/ c’est

l’être

lui-même

»,

dit Luca. Avec netteté les contenus latents du mot se dégagent, s’exhibent,

et

Luca

les

inscrit

dans un texte de plus en plus complexe ou ramifié dont les rimes en quelque sorte sont les seuls repères. Ainsi dans le Chant de la Carpe la longue série intitulée le Verbe, ainsi dans HérosLimite L'Echo du Corps. Rimes, paronomases également, anagrammes,

dira-t-ron

:

Luca

ne

les

emploie que pour les subvertir. Il s’en sert comme Bellmer des euisses ou des seins de sa poupée, commettant « un délit d’être ».

La Quinzaine Littéraire

Alors les mots font l’amour la langue est un corps dont toutes

faut que raconter

les parties se scindent ou se réunissent, érogènes, autant de formes gagnées sur le déjà entendu.

cette

histoire

plus

exactement

nous

voulons,

L'Echo du corps (« entre la fronde de ton front et les pierres de tes paupières »), ce titre n’est pas seulement bien venu, il rend compte exactement de ce qu'est la poésie de Luca, l'écoute attentive de la langue rendue à sa matérialité — masse en expansion, rythme constant d'ondes, choc des analogies —, de ce que devrait être toute poésie. Parfois, enfin, Luca préfère utiliser des expressions toutes faites pour en modifier la structure. C’est le cas du Quart d'heure de Culture métaphysique : « Allongée sur le vide / bien à plat sur la mort idées tendues / la mort étendue au-dessus de la tête // la vie

les mots se mettent à leur propre histoire, d'amour

Deleuze, libérant bérer. Roussel fascine

la

je

même.

ou

miment,

cite Eros, : au

si

encore nous

li-

contraire

Luca, ne dissimulant jamais sa méthode, parvient à communiquer et ce qui lui sert à exalter les mots et ce qu’en retour les mots lui apportent. Cette énergie, nous la partageons. Nous dépassons la simple critique du langage, mais nous n’entrons pas pour autant parmi les méandres d’une fable qui risquerait d’inPiotr

Kowalski

terrompre,

à tout le moins de ralentir le courant d’air mental : nous sommes au-delà du nihilisme et de son envers, le merveilleux (ou, si l’on veut, Dada et le surréalisme). Où donc Luca nous emmène-t-1l ? Oui, non, ordre et désordre, ce n'est pas « la Sainte Synthèse > qui le sollicite. Le poème est sans cesse en train de vibrer : un ordre inévitablement se développe, il se brise en

retournant au désordre où déjà se devine la possibilité d’une autre figure. Oui devient non, mais ce non est gros d’un oui nouveau. Incertitude généralisée, et Ghérasim

effectivement

élevée à la hauteur actif. Quelle est sa « cible? Les deux pôles de l’inadmissible ». répond Luca « ce qui ne peut pas arriver se ce qui ne peut arriver produit

d’un

principe

qu'une

fois

seule

se

répète

N'est-ce pas là l’espace et temps totalement limpides

l’illumination,

l

«

bien

du

intense vers

satori,

vacuité »? quoi Luca,

ce

(C'est dans

sa pratique du langage (ou du collage, ou du hasard objectif). s’est toujours dirigé, mais avec nonchalance,

avec

humour.

com-

me il se doit, selon une dynamique qui sans cela resterait inefficace et retrouverait les conventions.

Luca

le de de

C3

tenue de deux mains (…) Expirer en inspirant inspirer en expi-

rant. » Le procédé ne s’applique plus aux phonèmes mais à l’organisation classique de la phrase, et l’on assiste à des métamorphoses aussi surprenantes, aussi bouleversantes.

Tous

ces

procédés,

1. Héros-Limite a été réédité en 1970 par le Soleil Noir. Le Chant de la Carpe ne reprend

s’ils

que

prennent place dans une certaine tradition, appartiennent en outre au langage psychotique. C’est en

les

vivant selon ses plus intimes replis, dans ses mots, que nous pouvons espérer reconnaître les pulsions et les fantasmes dont le langage a gardé le secret : il

par José Pierre

des

textes

écrits

autres,

nombreux,

restent

éparpillés ou inconnus dans les revues ou des plaquettes à tirage restreint. Quand disposeronsnous de l’œuvre complète de Luca ?

nous fondant sur la maladie, en la

Le Surréalisme, aujourd'hui

certains

durant ces dix dernières années

2. Editions

Givaudan,

1970.

En dépit de la mort d'André Breton, en 1966, en dépit de la dissodu Mouvement surréaliste, en 1969, le combat surréa-

lution officielle liste continue.

C'est ce que José Pierre est allé dire aux auditeurs de l'Institut Français de Naples, en avril 1973, avec preuves et pièces à l'appui. «La Quinzaine littéraire» publie le texte de cette communication, riche de prolongements et également d’espoirs en ce qui concerne la finalité

de

la Révolution

surréaliste

: mettre

fin à l'antinomie

mortelle

entre Révolution économique et sociale d’une part, Révolution poétique et plastique de l’autre, de ces deux Révolutions n'en faire qu'une. Une plaquette de 52 pages, 11/18, photographiques sur « couché» : France

avec

8 reproductions

dont

4

: 10 F

Etranger : 15 F Envois franco de port. 70 exemplaires sur pur fil, sous emboîtage, avec originales signées par Théo Gerber et Ivan Tovar, la librairie

« Les

Mains

libres », 2, rue

du

deux eaux-fortes sont en vente à

Père-Corentin,

75014

Paris.

URBANISME

L’avant-garde soviétique des années vingt A Jacinto

Rodrigues Urbanisme et révolution Ed. Universitaires

par

Anatole

Kopp

L’'U.R.S.S. des années vingt, J'U.RSSS. des grandes espérances, V’'U.R.S.S. du temps où tout semblait possible sort petit à petit de l’ombre. Cette ombre, ce qu’il est convenu d’appeler le stalinisme l'avait créée et volontairement entretenue. Pour ceux qui, après avoir exterminé les véritables acteurs de la Révolution d'Octobre, prétendaient en être les seuls représentants authentiques, il importait que les années vingt demeurent inconnues, que la «véritable» histoire de J’'Union soviétique ne commence qu'avec leur avènement. Ces années furent des années de famine,

de chaos

économique

où l’U.R.S.S. ne dut sa survie qu’au recul, par rapport aux principes théoriques, de la N.E.P. Mais ces années marquèrent en même temps un renouvellement et une

explosion culturelle comparables seulement à ceux de la Renaissance. ci

Toutefois, alors que celle-

s'étend

sur

deux

siècles,

la

révolution culturelle soviétique se mesure en quelque dix années. La production de ces années fait aujourd’hui l’objet d’études et de traductions de plus en plus nombreuses.

nikov,

Maïakovski,

Mandelstam,

Khleb-

Meyerhold,

Tatline, les architectes « construc-

tivistes» sont de plus en plus connus en dehors des frontières de leur propre pays. Mais un aspect essentiel, commun à l’ensemble

de

ces

recherches,

semble

pour l'instant avoir été négligé : ce dénominateur commun et spécifique des différents champs de l’Avant-Garde soviétique des anAnatole

Kopp

est directeur

de l'Ecole

spéciale d'architecture et maître de conférences à Paris VIII (Vincennes).

nées vingt, c’est leur inscription dans un projet social global de transformation de la société. Tout allait changer ; c’est du moins ce que certains pensaient alors : les rapports entre les hommes comme les rapports de production dans une société sans classe, comme les rapports entre les producteurs et leur production,

entre

les

« consomma-

teurs » de culture et ceux qui en sont les créateurs aboutissant à une véritable « déprofessionnalisation de l’art » (1). Cette société nouvelle,

fruit

de

la

révolution

économique,

sociale et culturelle

allait, comme

toute société, mode-

ler l’espace à son image. Au projet social correspondait un projet spatial (C’est ce dernier — conçu à l'échelle du pays tout entier — que À. Jacinto Rodrigues expose et étudie dans Urbanisme et Révolution. Ce projet se présentait sous Leonidov

: Détail d’une

deux versions en apparence contradictoires : celle des « Urbanistes » et celle des « Désurbanistes ». Dans ce qui fut en 1928/1929 un grand débat (encore possible en U.R.S.S. à cette époque), A.J. Rodrigues prend résolument parti pour les « Désurbanistes » dont le projet était sans conteste plus neuf, plus radical et plus global que celui des « Urbanistes ». Il correspondait par certains de ses aspects à l’étape théoriquement

ultime

du

communisme,

marquée par le dépérissement de l'Etat, la décentralisation totale de l’économie, le jaillissement

spontané d’une culture de masse et supposait (encore que le mot ne fût jamais prononcé) une société que nous qualifierions aujourd’hui d’autogérée. On-ne peut faire à A. J. Rodrigues qu’un seul reproche : emporté par un enthousiasme légitime, bande

il a

minimisé

de colonisation

(et parfois

déformé) le projet adverse des « Urbanistes », qui n'étaient pas tant (comme il le laisse entendre)

des partisans de la centralisation économique et de la croissance

urbaine que plutôt des « désurbanistes » modérés comme le montrent clairement certains textes de leur chef de file, Sabsovitch. Ces documents n’ont pas été traduits du russe et Rodrigues n’y a pas eu accès. Aussi est-ce sa méconnaissance des vraies positions des « Urbanistes », partisans eux aussi d’une décentralisation mais sous des formes différentes et plus classiques que celles

des

«

Désurbanistes

»,

qui amène A. J. Rodrigues à les assimiler à ceux qui détenaient effectivement les leviers du pouvoir, et engagèrent l’U.R.S.S. dans un processus de croissance à bien des égards semblable à celui suivi par les sociétés capitalistes. Sans doute faudra-t-il un jour rendre justice aux « Urbanistes » quelque peu malmenés par Rodrigues. En l’occurrence Urbanisme et révolution apporte des lumières nouvelles sur une période mal connue et un domaine négligé qu’il replace dans le champ plus vaste de la culture de la vie politique de l’U.R.S.S. des années 20. Et surtout ce livre montre que le « Désurbanisme » ne doit pas être comme une curiosité historique sans lendemain mais comme une doctrine encore vivante et utilisable.

Applicable aux pays industriellement développés ? Rodrigues le pense. Peut-être se laisse-t-il là encore porter par son enthousiasme. À moins qu’un changement d'échelle ne puisse faire renaître un « Désurbanisme » opératoire dans le cadre des « conurbations » surgies durant les quarante années qui nous séparent du projet soviétique. Rodrigues voit également le « Désurbanisme » appliqué en Chine. Les maigres informations dont on dispose sur la politique chinoise d'aménagement du territoire tendent à le laisser penser mais ce « Désurbanisme » à la chinoise

La Quinzaine Littéraire

semble taire

bien en

primitif

regard

du

et élémenprojet

sovié-

tique des années 20, Enfin, Rodrigues pose sans doute à juste titre le problème des pays dits «en voie de développement » où l’on peut effectivement observer sur des termes divers un modèle de développement économique et spatial qui s'apparente à celui des pays industrialisés et qui a donné en matière d’environne-

ment les résultats que l’on sait. Ne serait-ce point là un lien privilégié pour la réactualisation des

thèses

Faut-il deux

«

désurbanistes

vraiment millions

»

?

qu’Alger

ait

d’habitants

en

1985 ? Que des complexes industriels géants naissent dans la brousse africaine par ailleurs inchangée ? Que dans certains pays du Moyen-Orient, la voiture américaine côtoie l’âne dans une s0-

ciété doute ment

féodale immuable ? Sans ce modèle de développen'est-il pas obligatoire ;

sans, doute existe-t-il une voie spécifique pour chaque pays. Alors, peut-elle prendre dans les pays en voie de développement l'orientation qu’avaient (dans un autre contexte et à une autre

époque)

imaginée

les « désurba-

nistes

» ? Peut-être,

de ne

pas oublier

à condition

(et Rodrigues

ne

l’oublie

spatial

des

pas)

que

le

années

20

n'était

projet

que la transposition du projet social et que, comme l’a tragiquement montré l’histoire de l’Union soviétique, c’est le projet social qui est déterminant. Œ

1. Lise

Fontaine,

Mémoire

de

maîtrise de russe 1969. Dépt. de russe de l’université de Vincennes. Paris VIII.

ARTS

Expositions Exposition Wilhelm Lehmbruck Maison de la Culture de Bourges.

par Jean Selz

Meurtre, massacre atroce. Mes amis gisent autour de moi, Mes frères sont désormais [disparus. Et vous qui avez si bien dispensé [la mort N'avez-vous pas Pour moi ?

Qui a survécu à ce meurtre ? Qui échappe à cette mer de sang ? Je traverse ce champ moissonné Et mon regard s'offre cette [récolte, Lehmbruck

: Jeune

Celui

qui,

en

une

mort

janvier

1918,

pelait ainsi la mort, Wilhelm

ap-

Lehm-

bruck, devait, un an plus tard, aller au-devant d'elle en se suicidant. Il n'était pas poète, mais

homme

assis, 1918

sculpteur. La guerre l'avait arraché de Paris où il était venu vivre à Montparnasse pour s’y confronter avec

des artistes de son temps,

Brancusi, Modigliani, Archipenko. L'exposition que lui consacra, en 1914, la galerie Levesque, dont le catalogue avait été préfacé par André Salmon et qui lui valut un article de, Guillaume Apollinaire, fut la seule que de tout temps on ait pu voir de lui à Paris. Soixante ans ont passé depuis. S'il est une chose — faute d'attention, indifférence, méconnaissance des valeurs esthétiques de notre siècle ou, plus simplement, chauvinisme artistique — qui fasse honte à plusieurs générations de conservateurs de musée et de directeurs de galerie, c'est bien l'absence de toute œuvre de Lehmbruck dans notre « capitale des arts ». Ce n'est pas la première fois que, dans ce domaine, la province se montre plus avisée que Paris. L'exemple nous vient aujourd'hui de Bourges où, sur l'initiative de Jean Goldman et par ses soins, une exposition Lehmbruck est présentée à la Maison de la Culture. A travers quatre-vingts sculptures et une cinquantaine de dessins et de gravures, exécutés entre 1910 et 1918, nous pouvons suivre la brève évolution de l'artiste dont la personnalité, hors de tous les courants historiques de la statuaire, s’est très vite affirmée après de fugitives influences où Rodin avait apporté la nervosité du modelé et Maillol le calme des attiL'humanité statufiée par tudes.

Lehmbruck est d'abord idéalisée dans un ascétisme où les corps, sans perdre la solidité de leur structure, sont comme élongés dans une tension spirituelle. A cet élan mystique, succède une imprégnation douloureuse, mais où la détresse, intériorisée, s’enferme dans une réflexion qui la transcende en une ferveur proche de l'extase. La puissance d'expression de ces gestes retenus, de ces visages secrets, n'a rien de littéraire. Avant tout, compte à nos yeux l’admirable travail du sculpteur, même s'il situe toute forme, toute surface, à mi-chemin entre l'observation sensible de la nature et la volonté de créer une œuvre qui universalise chaque thème. Ainsi en est-il avec un nu de femme aux yeux clos, devenu la « Méditation », et ce personnage renversé sur le sol, « l'Homme foudroyé » (sculpté pendant la guerre), incarnation des désastres dont les rêves généreux de Lehmbruck devaient être à jamais ébranlés. La mélancolique grandeur qui caractérise chaque statue du sculpteur allemand plane aussi comme une ombre sur ses bustes et sur ses portraits. Parfois, l'esquisse d'un faible sourire semble écarter d'un visage tout accent

PARIS-SCULPT Centre de Sculpture Contemporaine 52, rue Bassano

« Une certaine figuration » ==

du 12 décembre

au 19 janvier

Ger LATASTER Galerie Paul Facchetti

du 1° au 15 janvier 1974

17 rue de Lille Paris

21

dramatique.

Il se dérobe ainsi à nos interrogations, mêlant au respect qu'il nous inspire le sourd sentiment d'une inquiétude.

Lehmbruck, méconnu en France, est célèbre aux Etats-Unis où, depuis longtemps, ses œuvres figurent au Museum of Modern Art de New York et à la National Gallery de Washington. En Allemagne, un musée Wilhelm Lehmbruck a été inauguré en 1964 à Duisbourg. Le musée national d'Art moderne de Paris s'ouvrirat-il au grand sculpteur ? Il est encore temps de réparer l'inexplicable oubli. []

Jean Selz, écrivain et critique d'art, anime la rubrique « Arts » de «la Quinzaine littéraire ».

Dessins français Dessins français du Metropolitan Museum of Art, New York, (Cabinet des Dessins : Louvre) de David à Picasso

toute sa l'étonnant

force au carnet

trait Mais aussi d'ignace-François

Bonhomme ouvert à la page qui décrit minutieusement la disposition d'une table pour un banquet à Versailles sous Louis-Philippe. Dix ans séparent « la Fille d'Abraham-ben-Chimol » de Delacroix de la « Femme algérienne assise à terre » de Chassériau le même goût de l'exotisme partagé bien différemment, la chaleureuse attention contre l'effet facile, une certaine condition féminine contre la typologie des « beautés » de l’Empire colonial. Enfin une fascinant autoportrait de Degas. Une exposition où grands et petits maïtres se rencontrent pour une dure confrontation sur le terrain « à découvert » du dessin. Au-delà des écoles, le meilleur hommage aux forces qui agitèrent le XIX° siècle. Jean-Louis Pradel

Deux peintres italiens de la « réalité » : de l’objet fétichiste à l’objet politique. Gnoli (C.N.A.C.) Dans une vie éphémère, Gnoli ne consacra à la peinture que quelques années. L'exposition rassemble, fort judicieusement, les toiles produites entre 1965 et 1969, selon les thèmes traités. Ainsi, cet accrochage ajoute encore à la fascination d'un œuvre



le monde

est vu

par

le menu,

sur

des formats qui paraissent immenses. Le « tout se brouille » de Diderot, appliqué à Chardin, reprend ici son sens. Décorateur

de

théâtre,

dessinateur-

reporter, Gnoli, fils d'historien d'art romain, connaît de la peinture tout ce que l'on doit connaître. Il en retient surtout le goût du métier. Son art sera plutôt celui du fresquiste. La matière picturale, lourde de sables et d'ingrédients divers, charrie la couleur pour la déposer en limons diaphanes. Etranges aplats décrivant avec patience

tel

élément

du

costume

ou

du mobilier, telle chevelure, telle table soigneusement « mise » pour être à jamais désertée, ils instaurent, à la surface de la toile, sur son fragile épiderme, des plages colorées aux pernicieux sables mouvants. La palette n'étant utilisée que pour ses terres, elle engloutit les objets qu'elle paraissait ériger, égarant à plaisir le regard. Le monde métaphysique de Chirico vu à la loupe mais qui allie, à la sensualité de la matière, le goût fétichiste d'objets dissimulant d'autant mieux l'homme qu'il en est plus proche. C'est sa chair qui gonfle les étoffes, c'est pour son corps que sont gonflés ces coussins moelleux, c'est sa valise qui s’entrouvre sur le vide, c'est encore lui l’absent de ce festin. Dans sa retraite de Majorque,

Gnoli meurt, le 17 avril 1970, d'un cancer. Il avait trente-sept ans. J.-L. P. Le Yaouanc, 8, rue Mahler.

Galerie

Carmen

Cassé,

Je ne saurais trop recommander à l'amateur de passer par le quartier des halles pour se rendre chez Carmen Cassé, il aura là une belle introduction à la contemplation de l'œuvre gravée de Le Yaouanc. L'immense chantier est évoqué dans des

lithographies



un

artiste

se

livre

à

une méditation sur notre monde dans lequel les villes sont détruites, reconstruites suivant un rythme fou, sans projet, dans un désordre et un encombrement croissants. L'homme, absent de l’œuvre de Le Yaouanc, assiste impuissant à l'écroulement des valeurs de son passé. Ce ne sont que chutes en chaîne, succédant à un équilibre précaire, de choses sans nom,

dont

sant.

Toute

ne,

de

l’amoncellement

tentative

va

d'ordre

l'accumulation

naît

crois-

est à

la

vaifin

le déséquilibre. De ce fini même naît l'angoisse, une angoisse qui monte, car dans les gravures exposées les plus anciennes ont encore des blancs, l'univers n’est pas encore saturé, dans les plus récentes il ne reste plus de plage d'espoir, la feuille est tout entière occupée.

Régine

Cathelin-Simonet

Organisée dans le cadre des accords passés entre le Louvre et le MET, cette

exposition

rassemble

94 dessins

dont les limites historiques sont l! « Etude de draperie », pour « la Mort de Socrate », par David (1787) et le portrait d'Ambroise Vollard de Picasso (1915) Ces deux exemples extrémes manifestent l'intérêt du corpus choisi. Non seulement le XIX° siècle fut certainement le siècle d'or du dessin

français,

ne

serait-ce

que

Chefs-d’œuvre de la tapisserie Exposition « Chefs-d'œuvre de la tapisserie du XIVE au XVI° siècle » Grand Palais

par

l'abondance de la production, mais encore celui qui vit fleurir de nombreuses « écoles » selon un rythme prémonitoire de l'avalanche contem-

par Madeleine

Jarry

poraine.

L'artificialité de ces concepts d'écoles est mise à jour lorsque, abandonnant pour

un temps

la peinture

et ses

pesanteurs techniques, nous . nous tournons vers le dessin. Les libertés qu'il offre, son aspect souvent préparatoire, en constituent un champ d'expérimentation où les reclassements peuvent se multiplier. Ainsi Picasso évoque-t-il Ingres plutôt que le Cubisme. L'artiste le mieux représenté dans cette exposition est Seurat. Ses œuvres au crayon, loin d'être préparatoires, ont les dimensions et le fini d'œuvres achevées. Sa première exposition publique, au Salon des Artistes français de 1883, ne comportait qu'un dessin : le portrait d'Aman-Jean. De son compagnon d'étude, Seurat nous offre un portrait où les savantes modulations du noir au gris semblent rivaliser avec les sels d'argent des portraits photographiques de Niepce ou Daguerre. Le visage, placé dans un halo, de profil, penché vers nous, semble sortir de l'ombre, tout à l'attention d'exécuter à son tour une œuvre absente. Le blanc réservé de la feuille éclaire « de l'intérieur » le portrait de « la

Mère de l'artiste ». Avec

le « singe »,

étude pour celui de la « Grande Jatte », le dessin devient épure. Avec «la cité », en marquant l'intérêt de Seurat pour le nouveau « sujet » que constituent les tristes paysages urbains de la banlieue industrielle, la ferveur naturaliste atteint l'un de ses sommets.

De Manet, un « Homme aux béquilles » où l'économie des moyens rend

22

Les organisateurs de l'exposition « Chefs-d'œuvre de la tapisserie du XIV® au XVI° siècle » ont rassemblé, sur les murs du Grand Palais, un nombre impressionnant de tentures venues de tous les pays d'Europe et des Etats-Unis. Manifestation brillante qui rappelle qu'au Moyen Age, la tapisserie est un art majeur. Ainsi peut-on voir, en face d’une monumentale pièce de « l'Apocalypse » d’Angers, l'étonnante suite de « la Guerre de Troie » provenant de la cathédrale de Zamora. « La Chasse à la licorne » des Cloisters de New York voisine avec la célèbre « Dame à la licorne » du musée de Cluny et, non loin, le « Narcisse » du musée de Boston montre un ravissant exemple de cet art des Millefleurs dont la séduction n'est plus à décrire. « Le Tournoi » de Valenciennes tissé de fils d'or et d'argent fait figure de chef-d'œuvre cette grandeur dans la composition et cette somptuosité de matériaux se retrouvent dans d’autres pièces exécutées à Bruxelles, « l'Adoration des Mages », « les Trois Couronnements » conservées dans le trésor de la cathédrale de Sens ainsi que le « Triomphe du

Christ » de la National Gallery of Art de Washington : « la plus belle tapisserie dû monde » a-t-on pu écrire au sujet de cette pièce exceptionnelle, qui fit, très vraisemblablement, partie des collections du cardinal Mazarin. Bien des problèmes se posent encore aux historiens : origine de l'ate-

lier,

datation,

organisation

de

la pro-

duction, auteur des cartons, interprétation des sujets. L'étude minutieuse des archives suffira-t-elle à combler ces lacunes ? Rappelons que la tapisserie tient une part essentielle dans l’histoire économique et artistique du Moyen Age occidental. Il faut en effet réfléchir sur la finalité de l'abondante production de la tapisserie médiévale. « Il est clair, écrit F. Salet, dans la préface du catalogue de l'exposition, qu'aucune demeure princière n'était susceptible d'accueillir sur ses murs des tentures de quelque dix pièces dont chacune avait couramment cinq mètres de haut

sur dix de long. » Les ducs de Bourgogne, ces mécènes auxquels nous devons, pour une grande part, le luxe de la tapisserie, possédaient des garde-meubles où leurs tentures étaient entreposées en magasin. Des gardes, des valets, des « rentrayeurs », chargés de réparer les pièces fatiguées par de constagts déplacements étaient employés AA surrilance de ces tapisseries “qui représentaient un investissement de capitaux des plus importants. Non seulement négligées, mais abimées, quelquefois dépecées et découpées en morceaux (« l'Apocalypse » n'a-t-elle pas, sous la Révolution, servi à protéger les orangers contre le froid et à boucher les trous des murs), les tapisseries médiévales

ont été réhabilitées par notre XX° siècle. William Morris et les Préraphaélites sont à l'origine du mouvement. En France, les Nabis apprécient les tentures du Moyen Age et Jean Verkade, auteur du « Tourment de Dieu », évoque ses stations au musée de Cluny devant la « Dame à la licorne ». Le peintre Vuillard rappelle par certains aspects les fonds fouillés des tentures millefleurs. Pour le grand Maillol, c'est une exposition de tentures médiévales venue d'Es-

pagne au musée des Arts décoratifs qui décidera de sa première vocation de peintre de cartons. « Une tapisserie gothique me cause plus de

jouissance qu'un Cézanne », dit-il à Judith Cladel qui a rapporté son propos. Quarante

de

années

la grande

plus tard, en

tenture

de

«

face

l'Apoca-

lypse d'Angers », Lurçat ressent un choc émotionnel qui lui révèle les immenses possibilités de la tapisserie murale. « La Chapelle Sixtine de la laine » sera à l'origine du mouvement de renaissance d'un art qui a pris depuis l'ampleur que l'on sait. Les recherches actuelles dans le domaine du tissage se réfèrent toujours à la tapisserie du Moyen Age. Nos artistes contemporains s’intéressent de plus en plus au problème de la texture, cet équilibre de la chaîne et de la trame que seul le lissier peut doser. Exposant ses recherches de 1947 pour l'interprétation tissée des gravures d'Adam, P. Baudouin, pro-

fesseur à l'Ecole nationale des Arts décoratifs d’Aubusson, a écrit : « Un détail de feuillages de la Dame à la licorne est valable en soi, le détail d'une tapisserie moderne détaché de l'ensemble n'était guère qu'un morceau de tissu mort. » Le problème des rapports entre le peintre créateur du modèle et le lissier exécutant est à l'ordre du jour. Il n'est pas nouveau. On se souvient du procès intenté en 1476 aux tapissiers de Bruxelles par les peintres qui se plaignaient de n'avoir point part à la confection des cartons. []

Madeleine Jarry est inspecteur principal du Mobilier national. Elle a écrit plusieurs ouvrages sur l'histoire de la tapisserie.

La Quinzaine Littéraire

dy pre

ENQUETE

Trois libraires : «Les problèmes de la profession resteront entiers » L'ouverture d'une grande librairie Fnac pratiquant le discount conStituera-t-elle une menace, directe ou indirecte, pour les structures de la librairie et de l'édition ? A cette question ont déjà répondu pour les lecteurs de « la Quinzaine littéraire » MM. Gouillou, de la direction de la Fnac, Jacques Plaine, président de la Fédération française des syndicats de libraires, et les éditeurs Jérôme Lindon, Christian Bourgois et Robert Laffont. Poursuivant son enquête, Claude Bonnefoy a rencontré trois libraires, MM. Bazin, de Dijon, Christian Bon, président du syndicat des libraires parisiens, et le directeur de la librairie Spir.

Une enquête de Claude Bonnefoy La librairie de l'Université à Dijon, lés librairies Fontaine, à Paris, et la librairie Spir, dans le cinquième arrondissement, ne se ressemblent pas. A Dijon, M. Bazin, qui débuta il y a près de vingtcinq ans avec un magasin de dimension très moyenne, a monté par étapes une des plus grandes librairies de province, la seconde après le Furet du Nord, à Lille. Aujourd'hui, la librairie de l'Université, qui s'étend sur plusieurs étages, a une surface de 1 800 mètres carrés, compte 110 employés et possède des services de recherche bibliographique et de vente par correspondance. On y trouve d'importants rayons de disques, de papeterie et de jouets, mais la part du livre y est considérable et chacun de ses départements (romans, philosophie, technique, jeunesse, etc.) peut faire figure de librairie spécialisée.

A Paris, les trois librairies Fontaine (Victor Hugo, Laborde et Bourse), que dirige M. Bon, sont chacune de taille moyenne et sont, comme toute librairie traditionnelle, vouées aux livres de littérature générale. La librairie Spir n'a qu'une façade modeste sur la rue des Ecoles, mais elle a été la première librairie parisienne à pratiquer systématiquement le discount sur les livres et la papeterie. MM. Bazin, Bon et le directeur de la librairie Spir sont à la tête d'affaires fort différentes qui supposent des différences d’organisation, de gestion, donc de politique générale. M. Bazin n'est pas purement libraire comme M. Bon, mais, en tant que libraire, il estime comme lui que le service rendu au client (conseils, commandes, recherches bibliographiques) est une des fonctions essentielles de son

du 1° au 15 janvier 1974

beaucoup plus faible que dans les secteurs commerciaux. » L'analyse de M. Bazin est, au départ, assez semblable. « Je suis libraire, dit-il, mais aussi papetier, disquaire, marchand de jouets. En ce qui concerne la papeterie, j'ai la possibilité de choisir mes fournitures en fonction de différents critères qualité des produits, conditions commerciales qui me sont faites, renom d’une marque. Je peux, si je le désire, décider de vendre uniquement des stylos autres

Parker ou Waterman et, selon leurs goûts, les clients achèteront chez métier. Tous discount.

deux

sont

contre

le

Au contraire, la librairie Spir pratique ce même discount que demain la Fnac pratiquera sur une grande échelle. Mais avant de s'opposer sur le principe du discount, MM. Bazin et Bon, d'une part, et le directeur de la librairie Spir, de l’autre, sont d'abord libraires et s'accordent pour dire que la situation de la librairie n'est pas comparable à celle des autres commerces. « Quand la Fnac, dit M. Bazin, pour justifier le recours au discount, prétend qu’elle veut assainir le marché du livre, elle oublie que le livre est tout autre chose que le disque, la radio ou les appareils photographiques. Jérôme Lindon, dans l'interview qu'il a accordée à « la Quinzaine littéraire », a eu le grand mérite de dire que le livre était quelque

chose

d'à part, ei surtout de ne

pas le dire naires. »

en |

termes À

réaction-

#

En quoi le me --j.dy livre se distingue-t-il des aues : Pour le directeur de la librairie Spir, la librairie a une organisation commerciale de forme particulière. « Le libraire, dit-il, est placé entre des clients qui ont une psychologie singulière, qui n'ont pas la même humeur selon qu'ils achètent un livre par obligation (ouvrages scolaires) ou pour leur plaisir, et des fournisseurs qui, sauf pour des œuvres tombées dans le domaine public, ont l'exclusivité de ce qu'ils vendent. Cette exclusivité qu’on retrouve seulement dans le domaine de la pharmacie permet à certains éditeurs de traiter leurs clients comme des vassaux. Elle explique aussi que l’étalement des

remises,

selon

qu’on

moi ou non. Pour les jouets, il en va de même, et dans une certaine mesure aussi pour le disque. Quand je veux un livre, je n’ai pas le choix. Chaque livre est une œuvre originale — ceux qui veulent être dans l’avant-garde terminologique diraient : « un produit original » — et le contrat passé entre l’auteur et l’éditeur se répercute jusqu’au lecteur. Cela n’est qu’une des singularités du marché du livre. Au niveau du fabricant, quel est l’industrie! qui, comme

l'éditeur, consentirait de gros investissements pour la création d’un produit dont il ne vendra peutêtre que 300 exemplaires à 15, 20 ou 30 F? Quel est le commerçant qui travaillerait comme le libraire pour qui commander un

Que

sais-je ? à 4,50 F représente

souvent non seulement une absence de bénéfice, mais une perte d'argent? » Pour M. Christian Bon, le premier problème est celui de la vente des livres en France, quelles qu'en soient les conditions. || constate que, paradoxalement, le mar-

ché du livre est à la fois facile et en expansion. « Le livre, qu’on dit souvent moribond, explique-t-il, n’a sans doute pas encore fait le

plein de sa clientèle. Et cela pour toutes les formes d'éditions, qu’elles s’adressent à un public restreint ou à un très large public. Que ce soit par la diversification des productions au sein d’une même maison ou par la spécialisation de différentes maisons, l'édition doit et devra toujours toucher toutes les catégories de lec-

L'accueil rencontré par « l’Année littéraire 1972 » nous a amenés à récidiver. Nous préparons la mise sous presse de « l’Année littéraire 1973 », choix de soixante-dix-sept articles publiés par « la Quinzaine littéraire » en 1973, présentés par Maurice Nadeau, et répartis sous les rubriques : « les Grands Aînés », « Prosateurs français », « Prosateurs

étrangers

», « Poésie

», « Histoire

et cri-

tique littéraire », « Philosophie, Psychanalyse, Linguistique », « Sociologie, Ethnologie, Tiers Monde », « Histoire », « Idéologies », « Sciences », « Arts », « Divers », où nos lecteurs trouveront en un

ouvrage clair et ordonné les composantes essentielles de ce qui a constitué l’activité culturelle en 1973. Bibliographies et tables de x références contribueront à faire de cet ouvrage, comme du précédent, un instrument de travail indispensable, « L’Année littéraire 1973 » (350 pages environ) sera en vente début avril dans les kiosques et librairies à un prix avoisinant 25 F, Il ne sera envoyé qu'aux abonnés qui en feront la demande. Prix de souscription, France (Bien tenant

:

: 12 F ; Etranger

spécifier sur les commandes, « Année littéraire 1973 ».)

qui sont

“+157 R2 reçues

dès

main-

achète

un volume ou cinq cent mille, soit

23

teurs, remplir tous ses rôles. Ces rôles, on les retrouve au niveau du détaillant : du libraire pur, qu'on peut appeler le libraireconseil au point de vente où le

livre peut ne représenter que 10 % du chiffre d’affaires. L’un comme l'autre assurent la présence du livre et le marché a besoin de

« Le

toutes les possibilités qu'ils lui offrent. Mais cependant ce circuit est extrêmement fragile car il n’est rémunérateur ni pour l’éditeur, ni pour le libraire. Aussi, dans un marché tout juste rentable, l’introduction du discount constituet-elle une grand danger pour le livre.

« discount » est

difficilement

généralisable » Le discount, la librairie Spir le pratique depuis novembre 1967. Au départ, dit son directeur, j'ai voulu pratiquer les prix les plus bas possibles. J’ai fait savoir par affiche dans ma librairie qu'il s'agissait d’un nouveau système de vente. Nous vendons tous les

livres

de

enfantine, des livres

littérature des livres techniques,

Mais

évidemment,

blèmes.

obtenu

En

des

fait,

même

succès

non

si

j'ai

négligea-

me sont personnelles. Je n’ai pas cherché à accaparer le marché, encore moins à tuer la profession. »

un

on

vient

75003 paris

Deux numéros spéciaux: généalogie du capital

1. Les équipements du pouvoir des villes, des terri-

toires et des équipements collectifs du point de vue généalogique. La famille, pierre angulaire de l'économie politique. Décembre 1973, 32 F.

* 2. L'idéal historique De l'idéal militant à l’idéal historique.

— Considérez-vous que la généralisation du discount par la Fnac et les grandes surfaces puisse constituer un danger pour la librairie? — Je crois qu’il faut ici séparer les problèmes. Le discount me paraît difficilement généralisable. Etant donné le petit chiffre d’affaires de la librairie, il n’est possible que dans les grandes villes. Un libraire d’une petite ville de province qui pourrait le pratiquer irait à la ruine. La menace viendrait donc de sa pratique par les grandes surfaces et la Fnac. Mais ses circuits commerciaux étant en général bien conçus, il me semble qu’un bouleversement total de la librairie dû à une telle concurrence est difficilement concevable. Les grandes surfaces enlèveront sans doute aux libraires une petite partie de leur chiffre d’affaires, mais comme elles n'’offrent qu’un nombre de titres très limité, cela ne devrait pas constituer un danger mortel. Et les libraires d’une ville grande ou moyenne disposent de moyens pour lutter contre les grandes surfaces se grouper pour créer une grande librairie qui soit une véritable grande surface du livre.

Plus que les grandes surfaces, je crains la gratuité du livre scolaire qui risque d'enlever à cer-

tains libraires 50 ° de leur chiffre d’affaires.

Je

faire L’épistémologie historique enfermée dans la problématique de l’homme et du monde : structure, capital, praxis, longue durée.

L'appareil de pouvoir et la libido dans l’histoire. Janvier 1974, 20 F.

24

illé-

avec

recherches

L'histoire

parfaitement

gales et qui ont abouti à des procès que j'ai gagnés. Avec les libraires, je n’ai pas eu de pro-

bies, j'ai volontairement limité mon entreprise pour des raisons qui

plutôt chez moi pour des ouvrages relativement chers. Quand j'ai commencé à pratiquer le discount, j'ai rencontré une certaine hostilité de la part de quelques édi-

103 bd beaumarchais

discriminatoires,

générale, d'art et

discount de 20 ‘ pour la littérature générale, moindre pour les ouvrages techniques pour lesquels les remises sont plus faibles. Je pense vendre toutes les catégories de livres à peu près dans les mêmes proportions que mes confrères.

teurs. Ceux-ci ont essayé de prendre à mon égard des mesures

ne

Enfin,

crois

un

pas

discount

il y a

la

Fnac.

qu’elle

pourra

de

‘0.

20

Il

faut choisir en effet entre service et discount à un taux élevé. Mais par sa puissance et, plus que par le discount, par la qualité de ses services, elle constituera indiscutablement un danger pour la profession, un danger qu’on dénonce, qu’on voit venir, mais contre lequel on ne fait rien, si ce n’est appeler au secours. » Sur le danger constitué par la Fnac, MM. Bazin et Bon sont

également d'accord. Mais pour eux, ce danger est lié au discount. Leurs analyses, ici, rejoignent celles de M. Jacques Plaine et Jérôme Lindon.

« Si on introduit le discount sur un marché (1), dit M. Christian Bon, on va accélérer ce que l'on a déjà commenêé à sentir : une désaffection de nombreux points de vente pour le livre. Tous les vrais libraires, voyant qu'ils peuvent de moins en moins vivre de la vente du livre, seront conduits à se tourner vers d’autres articles : la papeterie, le disque, le jouet, voire, avec beaucoup de tristesse, à se reconvertir totalement. Si ces libraires disparaissent, les collections de « recherche » ou des éditeurs aussi remarquables que José Corti n’auront plus de débouchés. Le discount pratiqué par la Fnac va d’abord gangrener le marché parisien car tous les grands magasins, toutes les grandes surfaces vont suivre. Cela ne leur posera pas de problème : pour un grand magasin, en effet, le rayon librairie représente un très faible pourcentage de son chiffre d’affaires. Les libraires, qu'ils s’alignent ou non sur le discount, ne pourront généralement pas tenir. Après les libraires et les éditeurs, qui en pâtira finalement ? Les auteurs et les lecteurs. Quand ils auront un premier roman à publier, les éditeurs ne disposeront plus d’un circuit de trois à quatre mille libraires acceptant de le recevoir en office. Même si la Fnac est une très bonne librairie et assure la vente de deux ou trois cents exemplaires de ce premier roman, les grandes surfaces ne suivront pas. Les éditeurs n'auront donc plus la possibilité d'éditer des auteurs à petit tirage et ne publieront que des volumes assurés d’une rentabilité immédiate. »

Une

immense

ambiguïté 4 La Fnac est illusoire,

affirme que ce danger aue dans le domaine

du disque, of de a fait un effort particuliera*Et" en pratiquant discount, les disquaires se alignés sur sa politique et, de disparaître, ont progressé. conséquent, dit-elle, il n'y a de raison pour qu'il n’en aille de même dans la librairie.

le sont loin Par pas pas

Selon M. Bazin, la comparaison est mauvaise : « Avant l'apparition de la Fnac sur le marché du disque, dit-il, il y avait dans toute la France 40 à 45 disquaires dont la plupart, à l’origine, étaient des libraires. Sur Paris, on comptait quatre ou cinq vrais disquaires. Tout le reste n’était que points de vente du disque, généralement exploités par des maisons d’édition. Pour la librairie, profession plus ancienne, à la fois plus structurée et plus traditionnelle, la

situation est différente. Que dit la Fnac? Qu'il n'y a pas deux cents bons libraires en France, que sur Paris il existe quelques

vrais libraires et que le reste égale zéro. Je dirai que sur toute la France, il y a au moins trois cents bons libraires et que cela constitue déjà un réseau unique au monde. Songez qu’à Boston, dans la magnifique librairie Brentano's, il faut jusqu’à cinq semaines pour obtenir le livre qu'on désire, à tel point que les universités américaines ont dû monter leurs propres librairies, fort bien approvisionnées et, au demeurant, fort rentables. A Paris, c’est vrai, la plupart des bonnes librairies sont concentrées au Quartier latin et aux

alentours,

ou

encore

dans

le

XVI arrondissement. Mais dans certains arrondissements, comme le XX° ou dans les banlieues, les vraies librairies manquent. Or, où s’installe la Fnac ? Dans le quartier où il y a déjà le plus de libraires et le plus de lecteurs. Placée où elle sera, et pratiquant le discount, la Fnac va ratisser tout le marché des ventes moyennes ou importantes. »

MM. Bazin et Bon sont très sévères à l'égard non de la création d’une librairie par la Fnac, mais de la politique de discount qu'elle entend y pratiquer. « La Fnac, dit M. Bazin, repose sur une immense ambiguïté. Elle se donne l’image d’une coopérative d'achats alors qu’elle est une affaire purement financière et que, dans le cas du livre, elle s’apprête à mener une opération de capitalisme sauvage. Dans cette opération, l'intérêt du « produit » n'entre pas en jeu. Je veux espérer que l'intérêt de l’acheteur reste un de ses objectifs majeurs. » « Je trouve dommage, dit Christian Bon, qu’une entreprise comme la Fnac, qui est dirigée par deux hommes dont les engagements politiques sont connus, éprouve le besoin de se lancer dans le discount pour montrer qu'elle peut faire une très bonne librairie. Je suis tout à fait d'accord pour qu’elle fasse une grande librairie à Paris. C’est même une excellente idée. Mais je juge inutile qu’ils se croient obligés de pratiquer de fortes remises. Ils vont bouleverser un marché et mettre dans la gêne des gens, auteurs, éditeurs et libraires qui sont bien loin d’avoir leurs revenus annuels, leurs fortunes et... leurs relations! Il me paraît peu moral de vouloir écraser ceux qui sont moins puissants que vous en sachant

qu'à terme on va récupérer le marché. Que peuvent faire les libraires contre la concurrence de la Fnac et des grandes surfaces? Pratiquer les mêmes méthodes que ceux qui réussissent, créer des grandes

surfaces

de

librairies,

appliquer le discount, répond le directeur de la librairie Spir. Mais pour MM. Bazin et Bon, c'est le discount qui est en question. Que peut-on lui opposer?

La Quinzaine Littéraire

« Bien souvent, une reconversion partielle, dit Christian Bon. Mais d’abord, ie libraire sera

contraint de supprimer tout ce qui dans son affaire n’est pas rentable : les offices ; les auteurs qui n’atteignent pas le grand public ; le service, bref tout ce qui fait sa fonction de libraire. Il lui restera à vendre le petit Larousse, le Quid et Papillon. Pour sauver le livre, la solution est le prix fixé. Lui seul permettra aux éditeurs et aux libraires de maintenir la qualité de leur « recherche » et de leurs services. Oui, il faut se battre, mais au niveau de la qualité. Si on considère uniquement le point de vue quantitatif dans la vente du livre, on joue un jeu extrêmement dangereux. » M. Bazin approuve : « Je crois que le prix imposé ne serait pas une mesure corporative, syndicale ou catégorielle, mais une mesure de salut public. Sinon, à terme, nous serons conduits à ne vendre

que des livres d’une rentabilité immédiate. Je sais que, dans une chaîne de grande surface, on victoire comme considère une d’avoir obtenu au rayon des disques une rotation de 16 %. Or, quand on sait que les disques en question sont des repiquages médiocres, en stéréophonie, d’enregistrements qui ont été exploités sur tous les marchés du monde, on se dit qu’il y a là un singulier mépris du client. » Ce mépris du client, M. Bazin redoute qu'il s'installe dans la librairie et constate qu'il existe déjà d’une certaine manière dans l'édition. Pour lui, les menaces qui pèsent sur le livre ne proviennent pas seulement de la Fnac ou du discount. « Que la Fnac s’installe ou pas, dit-il, certains problèmes essentiels de la profession resteront entiers. Je crois que les structures de la librairie sont plus fortes qu’on ne le dit. Mais au-dessus de

nous, il y a situation est nôtre. »

les éditeurs plus fragile

et leur que la

« Ici, ajoute M. Bazin, je prendrai de nouveau l'exemple du disque. Il y a environ dix-huit ans, quand les libraires ont commencé à vendre des disques, vente qui nous paraissait répondre à la même démarche que pour le livre, nous nous sommes trouvés en présence d’une dizaine de fournisseurs, et cela nous paraissait merveilleux. D’année en année nous

nous

sommes

rendus

compte

que

si ce métier était passionnant, nous nous trouvions en face de maisons de production que nous intéressions de moins en moins. Depuis cinq ans nous ne sommes guère pour celles-ci que des numéros de compte et nos seuls rapports avec elles sont des rapports de force.

Que s'est-il passé ? Des éditeurs de disques qui occupaient une place importante sur le marché

l'ont perdue à la suite d’une politique incohérente et, souvent, ont dû passer la main à des firmes étrangères. Aujourd’hui, à quelques exceptions près, les directions françaises des maisons de disques ne sont plus que des marionnettes dont les fils sont tirés de New York, Londres, Amsterdam ou Hanovre. Dans le domaine

du

livre,

une

semblable

évolution serait redoutable. Si demain, par suite de mauvaise gestion ou d’absence de politique éditoriale cohérente des éditeurs français deviennent des filiales de firmes étrangères, soucieuses seulement de rentabilité, à qui s’adresseront les jeunes auteurs pour se

faire

éditer? »

0

1. Où il est impossible de réduire encore les marges minimes de la grande majorité des libraires.

PHILOSOPHIE

Alain Juranville Pierre Boudot Jacques Sojcher Jean-François Lyotard

Alain

par Bernard

et de

Noël

par Christian Descamps par José Pierre

Juranville

Physique

de Nietzsche

Coll. Médiations Denoël/Gonthier,

184 p.

Pierre Boudot Nietzsche en miettes Bibl. de philosophie contemporaine Presses Universitaires de France, 128 p.

écrivains

Bernard

Noël

Et si, pour un écrivain, tout se ramenait à savoir dans combien de temps il sera mangé ? La culture est une grande bouche, dont les professeurs les dents. Mâcher, réduire,

sont c’est

leur travail, et il n’y a guère résistent. leur qui d'œuvres des trouve L'étrange est qu’il se

du 1‘ au 15 janvier 1974

pour

p

:, tant vants et s'offrir sf et nd" l’autoleur narcissisme

Jacques Sojcher La Question. et le Sens Esthétique de Nietzsche Bibliothèque philosophique Aubier-Montaigne, 320 p.

par

Physique de Nietzsche Nietzsche en miettes Esthétique de Nietzsche Des dispositifs pulsionnels Dérive à partir de Marx Freud

phagie avec l’éqh@ifissage dans les colloques ou les séminaires. Ainsi font-ils en plus le jeu d’un certain ordre moral : celui qui, depuis toujours en France, tend à remplacer l’œuvre par son commentaire. Comment en sortir? Trois livres récents sur Nietzsche permettent de poser nettement le problème, et l’un au moins indique une solution. Alain Juranville; dans Physique de Nietzsche, s'engage tout simplement à nous fournir « une explication globale, rigoureuse et absolument systématique » de la

philosophie de Nietzsche. C’est tout un programme : il s’agit de liquider le sujet et de le rem-

placer par son explication. Toutefois, le pire n’arrive qu’à l’au-

pose. Il n’écrit pas sur Nietzsche, mais à partir de lui, et il y a déjà

teur,

là, dans cette démarche antiréductrice, un retournement de

car

à force

de rapiécer

sa

prose avec des morceaux de Nietzsche, il ne réussit qu’à la faire craquer. Dès lors, il ne reste qu’une assez belle série de citations, dont le propos général est da montrer que « toute philosophie est une exégèse du corps ». Il n’était sans doute pas de meilleure direction pour une lecture de Nietzsche, dommage de n’en avoir tiré qu’un devoir. Cet échec est révélateur : il démontre la faillite de l’appropriation en tant que système de lecture et d’éducation. À vouloir toujours prendre l’Autre, on finit par se baiser soi-même. Tout au en

contraire, dans son Nietzsche miettes, Pierre Boudot s’ex-

la mâchoire universitaire qui suffirait à rendre son travail remarquable. Mis à part un lyrisme qui fait songer parfois aux redondances

des essais de Malraux,

le livre de Pierre Boudot trouve son originalité dans une sorte d’errance entre les thèmes nietzschéens que ce perpétuel déplacement met « en miettes ». Cette errance s’effectue à lintérieur

d’une

pour centre

qui

a

« imaginer/écrire

circularité,

»,

centre vers lequel on progresse à travers les chapitres : « Se taire », « Espérer », « Etre heu-

reux », puis dont on s'éloigne en passant de « Créer » à « Vou-

25

loir » et à « Mourir ». Pareil cheminement illustre, dit l’auteur, sa méthode dia-critique, invention sur laquelle il demeure avare de renseignements, se réservant de l’approfondir dans

un

autre

ouvrage

Quoi

qu'il

en soit, ce Nietzsche en miettes enchaîne des réflexions sur la mort, le temps, la révolution, d’une l'écriture, qui témoignent

pensée provoque le lecteur, au lieu de vouloir le gaver. Et les formules, quand il y en a, ont un tour personnel. Exemple : « L'homme appensée

vivante

cette

prend qu'il est écrivain lorsque, jusqu'à lextrérenoncé s'étant me limite de son être, il ne peut

cependant

se

débarrasser

de lui-même. » Pierre Boudot déblaie le terrain. Il montre que, pour comprendre, il faut sortir du cadre de la compréhension. Jacques

Sojcher va plus loin dans la Question et Le Sens, il conteste

ne répond pas : il donne l’exemple, il est cet élan, qui ne se

d'avance

satisfait

minant

toute

ce

mettre. Son d’un choix

en

est et

quelque sorte lecture. Grâce passe toujours l'observation à arrive à décrire

ces

du

à

un

la

en

per-

est suivi présenté

fois

une



en

la lecture d’une à une langue qui souplement de la réflexion, il toutes les nuansans

perde sa pointe

mouvement

que

pas

de

ses

découvertes;

il délivre son lecteur en le livrant à ce que Bataille appelle la dépense et qu’on pourrait également appeler la vitalité. Aussi la question va-t-elle vers une mise en jeu si complète qu’à la fin elle fait danser le corps, à moins qu'il n’éclate — qu'il n’éclate de rire. « Penser, dit Jacques Sojcher, est une activité sexuelle qui engage tout

dans

l'être,

habituel

de

l’in-

travaille

à

nous

à-dire remet en question les frontières de la personne, les limites de la ratio. » Il faudrait que tous les « éducateurs » lisent ce livre, qui ne cherche pas à enseigner, mais à nous rendre disponibles — et donc créateurs. Bataille (encore) disait : « L’on ne peut sans

telligence,

qui

approprier

toute dans sa

l’étouffant

la

traité

questionnement

leur acuité ce

pourrait

essai, qui de textes

bilingue,

expérience

récupération

qui

question réponse.

en

Comment aller vers le sens tout en conservant l'élan de la question de telle sorte que cet élan éveille une question nouvelle, qui nous délogera du confort du jugement ? Ce livre

qui

exprime

contrefaçon

viser

le

à la

Soi,

c’est-

souverai-

neté et fessorale Sojcher il n’est message. ve, un

s'exprimer de façon pro» (V. 471). Jacques n’est pas professoral, et le propriétaire d’aucun Quand son texte s’achèglissement s’est opéré,

qui nous démasque à nous-même, cependant que sur une bouche sans bouche s’efface au milieu de l’air quelque chose comme un sourire.

[]

La collection de poche 10/18 publie en deux volumes le compte rendu des Entretiens de Cerisy-laSalle sur Nietzsche sous le titre : « Nietzsche aujourd’hui? » Vingt-cinq écrivains, philosophes, essayistes ont participé à ces entretiens

(N.D.L.R.).

Bernard Noël, poète, romancier critique, collabore régulièrement « la Quinzaine littéraire ».

et à

Philosophie

Le désir,

force productive Jean-François Lyotard, dont nous avons signalé « Discours Figure » (voir « la Q. L. ».n° 140), a publié cette année deux ouvrages importants : « Dérive à partir de Marx et de Freud » et, tout récemment : « Des dispositifs pulsionnels » (tous deux dans l'excellente collection de poche 10/18). Tous deux sont des recueils d’études ou d'articles sur divers sujets et en divers domaines qui placent leur auteur au premier rang des esprits qui répugnent à tout système-carcan (y compris le marxisme et le freudisme tels qu'ils apparaissent à travers d'innombrables disciples et commentateurs) et qui, tels Deleuze et Guattari dans «l'Anti-Œdipe », prônent l'énergie libre du Désir, seule force révolutionnaire et déconstructrice de tous les enfermements de la pensée. Christian Descamps résume ici les principaux thèmes exposés dans « Des dispositifs pulsionnels ». José Pierre, à propos de la peinture, opère certains rapprochements avec d’anciennes déclarations d'André Breton.

Lyotard Des dispositifs pulsionnels 10/18.

par

Bourgois

Christian

pas traité comme langue-système, mais dans sa capacité de valoir en tant que point d'intensité. Lyotard accomplit le crime de lèsesignifiant. Déjà dans DiscoursFigure le désir était posé commme « ce qui violente l’ordre de la parole ». Le rêve-désir contraste

éd.

Descamps

avec

Livre

intense,

écrit

en

éclats.

Articles morcelés, comme les corps épars que Lyotard décrit ; la critique de la maîtrise ne s'organise pas elle-même en maîtrise. Les analyses — belles et rigoureuses — ne renvoient pas à des objets achevés. La pulsion produit l'écart du langage quand :il n'est

26

le statut du discours, les fi-

gures des hiéroglyphes — rébus ne relevant pas seulement du langage. Assertion qui valut à Lyotard la hautaine réponse de Lacan dans les Ecrits

(69)

« L’inconscient

s’est rencontré d’abord dans le discours : c’est toujours là qu’on le trouve. » Les pulsions produi-

sent la brisure des langues-miroir, des

réflexions,

des

vitres

de

la

représentation, celles du. dispositif pictural de Leonard-Duürer. Pas l’ontologie du désir qui poserait celui-ci dans la position d’une nature

au

sens

du

XVIII,

mais

déplacement libidinal du désirforce productive qui change le jeu en changeant les régimes.

Il y a au moins deux sens du désir chez reud. Le désir Wunsch, Kai sr vœu, celui de la

négativit logic, ,,...

manque de la téléo‘ussi et surtout le

désir »,® ,»

ce, énergie, libido,

intensité C9 9 "à c’est la force qui ignore les à” / 5 — celles de la négation, comme celles de la succession —, mise en branle absolue de ce qui est en ordre dans le discours. Parler c’est fonctionner sur la règle, exclure l'intensité

extrême de l’inarticulé (par excès ou défaut). Parler c’est fonction-

repose-t-elle provisoirement dans ce dispositif ? La peinture c’est du branchement

de libido sur de la couleur,

l’hyperréalisme c’est la démultiplication des intensités chromatiques, prolifération de la lumière passée dans la machine photooptique. L'objet hyper-réaliste n’est pas naïf

(au sens de l’émer-

veillement d’un Merleau-Ponty devant les naissances), il a perdu toute naturalité. L’hyper, c’est l’ultra représentation. (Cette tache d’huile, là sur la toile, c’est de l'énergie fixée là en objet à jouir. « Mais ce qui est détraqué, bloqué, lieu de stages énergétiques, coupé en tronçons fonctionnant à part, c’est le corps du travailleur, de la dactylo, de la cais-

sière et du peintre hyper-réaliste. Par tout son appareillage photooptique il se met en posture hystérique, il désire que cette machine soit sa maîtresse, qu’elle gouverne ses gestes, corrige ses impulsions... Mais en même temps, il désire gouverner cette machine,

ner sur l’économie-épargne qui exclut l’ultime. La « Loi » régulation c’est l’ordre de l’exclusion. Lyotard serre l’énergie libre — il l’alimente, elle ne fonctionne celle du processus primaire — qui . que par lui et peut-être que se déplace et se condense, sans pour lui. » | la traduire

(vieille maîtrise), sans

Jouissances

intraduisibles,

tomber non plus dans le mysticisme de l’ineffable. Comment cette énergie est-elle

leversement s’évade du

capturée

système, mais en intensité

dans

un

texte,

toile, dans un corps

sur

une

? Comment

mot,

bou-

des codes. Lyotard structuralisme. Le

la couleur,

valent

dans

un

aussi ét surtout inéchangeables,

La Quinzaine Littéraire

L’œil, l'oreille sont à l'écoute des intensités de Cage, de Monory, de l’A-cinéma, dans leur rythme propre. On imagine qu’un « synthétiseur » (L’homme de synthèse qui procède de l'élément du Tout, dit le Robert qui est comme on sait hégélien) en aurait fait une grille unique, aurait articulé l’épars en mise en ordre totalisé. Lyotard, lui, nous présente une bande de Moebius de collages pulsionnels. Abandonnant l'ordonnance, il abandonne le lieu du bon discours, la pensée pieuse. Le Kapital (orthographe de Lyotard) n'offre plus rien à croire. Il n’exige pas même l’adhésion. Sa perversion, c’est de fonctionner sur l’échangeabilité généralisée. Tout vaut pour tout, commensurabilité générale qui compte même des trous (mon-

naie de crédit). Ce Kapital-là ne mourra pas de mauvaise conscience. Faire, c’est déplacer l’énergétique, fonctionner ailleurs.

« Klee dit par exemple qu’il faut faire trois choses : premièrement, dessiner d’après nature, retourner

la

feuille et mettre l'accent sur les éléments plastiquement importroisièmement,

remettre

la

feuille dans la position première et essayer de concilier les résultats des deux opérations (.….). En retournant son dessin, il renverse

le rapport entre le représenté et le système formel, il travaille, et s’il renverse

c’est pour ratif, pour

la représentation,

ne plus voir ne

plus

être

le figuvictime

du fantasme et pour pouvoir travailler sur l'écran plastique en tant

que

tel,

revient sous forme de code balinais. Re-traduction. liaison de

l'énergie du

sauvage,

échangeabilité

théâtre Artaud. C’est une ré-inscription

Jean-François

que

Lyotard

nomie libidinale, c’est celle de la mise hors scène, celle de la

réduction de la représentation. Le théâtre c’est représentation, redoublée au moins une fois. Mise en place scène-salle, mise en grille intérieur, extérieur

(réalité). Artaud approche de l'efficacité libidinale quand ïl déplace les affects, quand il casse le langage articulé, quand ïil touche au corps. Mais il s’arrête en

Il y a une fonction de réconciliation qui est à peu près ce que Freud appelle l'élaboration se-

« L’œil n’est pas un organe des sens il est l'organe de tous les sens et le sens de tous les organes. » (JF. L.)

tants,

une gramthéâitralité

réalise la Régie Renault, la C.G.T. ou le gauchisme quand ils narrent la mort d’'Overney. Dans

leur rhétorique,

ils inscrivent

inéchangeable

cet

cette mort-là

en objet pensable, échangeable, centre d’autres événements. Dans la « Régie Renault raconte le meurtre d’Overney », Lyotard pose l’immense question d’une politique libidinale, affirmative. Sorti de la critique-critique, auto-reproductrice, « Des dispositifs pulsionnels » est affirmativement nietzschéen. Plus de critique : des déplacements d’intensité. « Les hommes de surcroît, marginaux, peintres expérimentaux, pop, hippies et yippies, parasites fous, internés, produisent plus d'intensité en une heure de leur vie que dans mille mots d'un philosophe professionnel. Intensités fluides à l’intérieur de la figure du capital savoir. La critique de l'économie politique, toujours pas faite, impossible à faire peutêtre, y est déplacée par l'affirmation de l’économie libidinale. » []

à partir de Lyotard

Pierre

deuxièmement,.

chemin. Il reconstruit maire corporelle, la

Dérive

Jean-François Lyotard Dérive à partir de Marx et Freud « 10/18 », 316 p.

par José

Lyotard pousse à son terme la critique de l’ordre. Mettre en scène, monter, couper un film c'est le rendre échangeable. L’objet-film est pris dans Hé loi de la valeur. La mise en scène est mise en ordre des mouvements « supportables» supports de la narration, de la musique de film, etc. Le film a abandonné les prises multiples comme le corps a abandonné la perversion polymorphe pour entrer dans la « génitalité normale ». Le film réputé « normal » ne l’est pas plus que la société qui le produit. La question de l’éco-

c’est-à-dire

sur

la

feuille de papier, en traçant des traits qui ont une certaine relation formelle entre eux. Après il faudra réconcilier les deux en renversant la feuille à nouveau.

du 1° au 15 janvier 1974

condaire.

À

ce

moment-là,

vous

avez une œuvre a n'est plus fantastique, qui re lus bloquée dans une con on répétitive, mais au PE Fustqui s'ouvre sur d'autres _ 11 ais), une œuvre oscilla js e1e & É

quelle il y a du chES jeu des formes, Chase Fa ÿ _… le

mais

renversement

du

qui repose

fantasme.

hasme,

toujours

sur

le

Resnais

»

Aïnsi Jean-François Lyotard expose-t-il, dans un cas bien précis, celui de Klee (qu’il oppose à Giacometti),

sa

thèse

esthéti-

que du « double retournement » de l’œuvre d’art. Car à ses yeux « l'artiste ne produit pas audehors des systèmes de figures internes, mais c’est quelqu'un qui essaie de se battre pour délivrer dans le fantasme, dans la matrice de figures dont il est le lieu et l’héritier, ce qui est proprement processus primaire et qui

n’est

pas

de la forme la plus profonde du pouvoir », « c’est-à-dire qu’il est une mise en scène provenant de l'interdiction du désir », ce pourquoi les formes artistiques qui existent notamment « comme expression pour le prolétariat » sont des « formes où le désir s’accomplit et par conséquent se perd » parce qu'il accomplit cette interdiction que portait en lui le fantasme. Par conséquent, « obliger le public à ne pas fantasmer » (comme

répétition,

«

écri-

ture ». » En effet, « il est clair que le fantasme est un rejeton direct de l’interdit, c’est-à-dire

je

dans le film Je t'aime,

t'aime),

«

l'obliger

à

inac-

complir son désir, c’est une fonction révolutionnaire. » Thèse d’une originalité brûlante, dont je regrette pour ma part qu’un plus grand nombre d'applications ne nous soient pas fournies : on n’a jamais trop de preuves ! (Mais sans doute l'intéressé s’empresserait-il de proclamer qu’il ne s’agit pas d’une « thèse » et qu’il n’entend pas « prouver » quoi que ce soit ?)

J’aimerais

tout

d’abord

montrer qu’elle n’est pas si opposée qu’il y paraît à celle selon laquelle « lartiste produit audehors des systèmes de figures

internes », à savoir celle de Breton dite du « modèle intérieur ».

En effet, cette dernière formule,

avancée on ne peut plus brutalement dans le Surréalisme et la Peinture à des fins à la fois polémiques et mobilisatrices, se verra dix ans plus tard j'ose à peine dire rendue plus « dialectique » (quand il entend le mot « dialectique », Jean-François Lyotard tire son yatagan) sous la forme suivante : « La peinture, libérée du souci de reproduire essentiellement des formes prises dans le monde extérieur, tire à son tour parti du seul élément extérieur dont aucun art ne peut se passer, à savoir de la représentation

intérieure,

de l’image

pré-

sente à l'esprit. Elle confronte cette représentation intérieure avec celle des formes concrètes du

tour,

monde

réel,

comme

Picasso,

cherche

elle

à saisir

a

l'objet

à son

fait

avec

dans

et, dès

parvenue, démarche démarche

tente à son tour cette suprême qui est la poétique par excel-

lence

:

exclure

qu’elle

sa

généralité

y est

(relativement)

l'objet extérieur comme tel et ne considérer la nature que dans

27

son

rapport

avec

le monde

rieur de la conscience.

inté-

» (1)

Qui ne voit l’analogie profonde des deux thèses jusque dans le « double retournement » qui les fonde l’une et l’autre ? Que, parlant de Klee, Lyotard identifie trop aisément fantasme et « objet extérieur » ne modifie pas fondamentalement le processus, tant il est évident que si le fantasme est premier, le « retournement » numéro un consiste à faire accueil à cet « objet extérieur » alors que, inversement,

si

celui-ci

est

premier,

celui-là sera second. Bien entendu, montrer le fantasme en premier sert mieux la démonstration de la nocivité de son expression immédiate et du désamorçage du désir figuré (il n’est pas indifférent non plus de noter que c’est l’œuvre de Giacometti

d'après le surréalisme qui se trouve « bloquée dans une configuration répétitive », justement parce que si le fantasme l’anime toujours, ne s’y montre plus la délivrance de « ce qui est proprement processus primaire », en d’autres

termes

de

l’inconscient,

lequel imposa sa marque indélébile de l’Heure des Traces à l'Objet invisible). Mais on s'étonnera sans doute que je fasse à l’auteur querelle de ce que je suis justement de son avis, comme dans le cas de cette notion de « l’émotion différée »

telle que j'ai pu la dégager des écrits de Breton en 1935 (2) et qui offrirait plus d’un point commun avec la nécessité d”’ « inaccomplir le désir » dans l’œuvre d’art (l’œuvre de Sadé s’offrirait ici comme lieu idéal d’observation).

« dériveur » s’égare en ne privilégiant finalement qu’une seule face de l’œuvre d’art, celle qu'il désigne déconstruccomme « tion », ou « anti-art », et qui consiste à systématiquement « déconstruire comme anciennes, en s'attaquant à tous les niveaux », « les nouvelles bonnes formes » proposées par l'avant-garde. Il est bien évident que toute avant-garde

d'art

ces

»,

ne pas récupérer

J'en viens à des divergences. Je suis de ceux qui ne pensent pas que « ce que fait — ce que doit faire — l’art, c’est toujours de démasquer toutes les tentatives de reconstitution d’une pseudo-religion ; c’est-à-dire que

CONTREPOINT REVUE

TRIMESTRIELLE ACTUELLES

SOLJENITSYNE de l'Occident

: L’hypocrisie

B. BOURRICAUD nage chilien

: L'engre-

MELANGES P. MANENT : Raison lence chez Aron

J. PLUMYENE bon sauvage et

chaque fois qu’une espèce d’ « écriture >» — un ensemble de formes qui produit une résonance psychique et qui se reproduit — tente de la fonction de

du

: Freud, Abra-

Laios.

maire

numéro

15

L'abonnement

1,

rue

CCP

50

redoutables que « lè corps glorieux » et « l’ordre spirituel », pour les faire servir à la plus grande gloire du corps et de

du

Mail,

(3)

: les

«

démasquer

comme idéologie » équivaut seulement à creuser un « manque » jusqu’au point de faire apparaître la frustration seule

vend

numéros

(s)

75002

Paris.

2605-96

du 1° au 15 janvier 1974

alors

tout Le sacré poss sr fusques et y compris des eXfA,.iors aussi

qui

F

:

Paris

sociétés,

est

dans

un

lintéresse

c'est

(elle Certes,

qui

système

s’en fout, du sacré, parce

F.

:

Adresse

nos

révolutionnaire comme l'est, mais pas seule).

Je commande Nom

», dans

que ce n’est pas vrai » Non seulement un tel « mode de communication » ne me paraît pas impensable « dans nos s0ociétés », mais jé, suis persuadé comme Philippe ædoin qu’il faut envisager de 4 mérer »

« on Le

se reconstituer, l’anti-art, c’est

de la démasquer comme idéologie, au sens marxiste du terme, comme une tentative de faire croire qu'il y a des modes de communication de ce type, « pri-

l'esprit

: Le retour

A. BESANÇON ham

et vio-

le sacré ?

ce

», dit J.-F. L., mais

que

ce

qui

se

juste-

ment rien ne nous force à imiter en cela le « système », bien au contraire ! Serait-ce la crainte d’être dupe, qui fourvoie les meilleurs dans une « démystification » où ils perdent leurs plumes les plus fières selon un d’autocastration ? Il processus me semble en tout cas qu'ici le

conserve

cette

de

«

création

suspicions-là

ne

»,

sont

etc.

:

à mes

yeux que phénomènes de mode intellectuelle sans grande conséquence, sinon comme symptômes rationalistes) est « déconstructrice », quand ce ne serait qu’à l'égard de l’académisme ou de l'avant-garde antérieure (les deux ont même sens pour elle « passéisme ») à quoi elle s’oppose.

Pourquoi

(je

appellation, suspecte aux yeux de Lyotard comme celles d’ « œuvre

En

outre,

l’ex-professeur

de Nanterre, si marqué idéologiquement par le 22 mars, met en lumière l'émergence d’une sorte d’activité hybride, laquelle se manifeste par « des pratiques qui relèvent beaucoup plus de l’activité de l” « artiste » que des activités politiques au sens traditionnel ». Il n’en demeure pas moins que c’est prendre un peu trop souvent les vessies « déconstructivistes » pour des lanternes révolutionnaires (où pendre les « pseudo-religieux » de l’art, dont je suis) ! Je ne saurais mieux me faire entendre sur ce point qu’en faisant valoir les deux instances inséparablement mises en œuvre dans le « surmoi » selon Freud, l’injonction : « tu feras comme ton père » et l'interdiction : « tu ne feras pas comme ton père ». C’est l’interdiction qui inspire la « déconstruction » : se servir par exemple du « support plastique » préexistant reviendrait à user de la même femme, à savoir de la déconstruire

mère ; «

»,

à

que « l'écran selon Bertram

du rêve », D. Lewin,

entr’aperçu maternel le sein dans le sommeil du nourrisson rassasié

(mais

« écran

sur

cet

les

fantasmes)

s’il ne

l’est

pas,

raît tout particulièrement que la permanence de « l'écran du rêve » est plus essentielle que les «

déconstructions

»

opérées

par

le groupe Support/Surface ! Mais il va sans dire, à mes yeux du moins, que l’œuvre d'art véri-

tablement révolutionnaire répond également, ou tente de répondre, à ces deux exigences (« garder la barraque la barraque »)

déséquilibre, ment

de

Cette

ne

très

» et « casser sous peine de

sous pas

peine être

modeste

finale-

(5):

« dérive

»,

la mienne, ne saurait en aucune mesure rendre compte de la foule de réflexions et de sautes d'humeur que soulève ce passionnant ouvrage qui se refuse à être un corps de doctrine, ce par quoi il efface aisément (pour moi) la brillante et savoureuse imposture (je pèse mon mot) de l’anti-Œdipe*, en même temps qu'il dénonce l’irrespira-

ESPRIT Les immigrés et le racisme en France

& Mounier

et Maritain

e La loi sur l’avortement

Lip : Échec et réussite

POUVOIR ET SOCIÉTÉ DANS LE TIERS-MONDE Nasser et les Égyptiens Bourguiba et la Tunisie

» se projettent (4).

Inversement, l’injonction « conservatrice » est celle qui encourage implicitement l'inceste, un inceste accompli lui aussi fanmême ce sur tasmatiquement support et par conséquent dans le cadre d’une développement harmonieux

l « ancien » (le père) par le « nouveau » (le fils). Il me pa-

ce

titre, c’est nier la possibilité de l'inceste et jusqu’à son projet en détruisant fantasmatiquement l’image de la mère jusque dans son support même : la toile à peindre, qui n’est autre, à mon avis, soit,

donc entraînant à plus ou moins brève échéance l’'éclipse de

(?) de la « libido »,

DÉCEMBRE

1973, 12 F

ESPRIT 19, rue Jacob, Paris 6° C.C.P.

Paris

1154-51

ble ciens

dogmatisme »

des

des

écoles

«

théori-

althussérienne

et telquellique. Qui- d'autre en effet aurait aujourd’hui le front de soutenir que la société révolutionnaire (de demain) « sera la société dans laquelle il y aura le maximum d’angoisse » ? C’est le même qui écrit, le sacrilège !, il n'y a pas d'efficacité qu’ « révolutionnaire, parce que lefficacité est un concept et une pratique de pouvoir, contre-révolutionnaire

en

son

principe

» !

Le même encore pour qui |’ « esthétique » a été « non pas un alibi, non une retraite confortable, mais la faille et la fissure descendre dans le sous-sol pour de la scène politique »! Le même enfin qui, reléguant Ja « dialectique

marxiste

» au

rang

des vieilles lunes religieuses, cependant nous présente un Marx tout fringant, « enragé » et lucide ! Que d’aventure vous vous

trouviez (parfois) de certaines idées

proche de Jean-Franassez

çois Lyotard ou non, je vous garantis que vous serez secoués, vous et vos pensées, comme un prunier ! CO

dirigés

velle

* Opinion propre à José Pierre et que ne partagent ni Lyotard ni la rédaction de « la Quinzaine littéraire ». 1. Position politique du surréalisme (chez divers éditeurs). 2. Position politique de la Peinture surréaliste (à paraître). 3. Le Surréalisme (entretiens

par

Ferdinand

Alquié,

1966), Mouton. 1968. 4. Le sommeil, la bouche et l'écran du rêve (1949), Nou-

revue

de

psychanalyse,

n° 5, printemps

5. Dans (réédition

1972, Gallimard. Le Fils de La servante « Folio », Gallimard),

August Strindberg se livre à une remarquable analyse du pouvoir

«

déconstructeur

Belle Hélène, Offenbach.

est

aussi

»

de

La

de Meilhac-Halévy-

Mais

La Belle Hélène

musique

et théâtre.

VIE SOCIALE

Danièle Journal

Granet d'une institutrice.

J.-C. Lattès/Ed., Spéciale, 169 p. Huguette Bastide, Institutrice de village. Denoël-Gonthier éd., 186 p.

François George, Prof à T. Editions Galilée, 131 p.

par

Jacqueline

Meillon

L'école en 1973 est construite sur du sable mouvant. C’est l’effritement d’un siècle de traditions, commencé en 1932 dans un vil-

lage des Alpes-Maritimes tin Freinet, taxé

: Céles-

de bolchevisme,

De l'Ordre

30

Meillon

par Paul Hordequin par Olivier Cohen

moral

Les enseignants ne sont pas heureux veaux de prendre conscience de leur rôle. ; « Etre institutrice en 1973, qu'est-ce que c’est ? ». Danièle Granet livre la réponse à travers de nombreux témoignages qui saisissent une réalité relative à notre époque. Il n’y a pas d’institutrice type, mais des institutrices. À mi-chemin entre les deux extrêmes, la banlieusarde (le train de 5 h 59, les gosses d'HLM, les cités pluvieuses, les classes difficiles) et la rurale (« ma classe

fait un peu partie de ma maiavait décidé que « l’école », c'était son »), l’institutrice au visage «les enfants ». Pour la première multiple est insatisfaite des condifois, la « République des profes- - tions de vie qui lui sont imposées. seurs » était ébranlée dans sa rigiAutrefois, on ne dépassait pas dité et sa légitimité. la communale. Aujourd’hui on Entre les « Hussards noirs de va au lycée. Le nombre croissant la République » et les « instits » des élèves dans les grandes écoles d'aujourd'hui, une lente évolua reporté l’auréole du savoir, de tion s’est opérée : la conquête de l’instituteur au professeur. Les l’école par les enfants du peuple, instituteurs sont la base de l’enla scolarisation obligatoire jusseignement, les derniers dans la qu’à seize ans ont banalisé la hiérarchie sociale. Et comme tous profession, ont permis aux noules prolétaires, leurs conditions de vie sont déplorables : salaire Jacqueline Meillon, qui sort d'une école de journalisme, fait ses débuts à « la Quinzaine littéraire ».

par Jacqueline

Journal d'une institutrice Institutrice de village Prof. à T. Vingt têtes à couper

Danièle Granet Huguette Bastide François George Pierre Joffroy Pierre Gaudibert

dérisoire,

insécurité

de

l’emploi

avant la titularisation, impossibilité de l'initiative, humiliation.

hommes préfèrent une autre sécurité, celle accompagnée d’hon-

Cette morale contraignante, les instituteurs d’aujourd’hui n’en veulent plus. Ils veulent se libérer du carcan d’un siècle d’éducation rigoriste qui oubliait trop facilement l'enfant au profit de

neurs.

l’écolier.

La conclusion

: la vocation est en

perte de vitesse.

« Devenir insti-

tutrice, c’est aussi choisir la sécurité ». Pour une femme. Car les

L--0mmes

désertent

la

comm#*7 fu profit des collèges pour 4PAÏ h'ofesseurs. « Aujourd'hui, To > des instituteurs sont des institutrices ». La revalorisation du métier reste donc les mains des femmes.

entre

De femmes qui n’ont guère le droit à la parole et qui sont maintenues dans un climat de rivalité, le même qui existe des deux côtés de l’estrade. Si l’institutrice punit, note, réprimande, conseille, elle est de même punie, notée, réprimandée, conseillée. « Elle a quitté

les bancs de la classe pour passer derrière

lestrade,

mais

elle

na

jamais oublié les rapports qui existent entre celui qui sait et celui qui apprend... elle vit dans un monde infantile que personne ne cherche à lui faire quitter. Surtout pas l'administration pour qui autonomie et liberté sont synonymes bien vite de révolte et d'irrationnel ».

« Parce

qu’elle (l’école)

a dû fabriquer le même type d’enfants,

les mouler

uniformément,

elle s’est vidée de sa substance », ce qui entraîne « inadaptation, contestation, pédagogies nouvelles ». Célestin Freinet est aujourd’hui dépassé par les tenants d’une nouvelle école qui ne la veulent plus aliénante mais libératrice. Contestataires, marginaux, leur nombre est croissant, face au

« marais » composé de ceux qui abandonnent la partie, dépassés par la grandeur de l’œuvre à accomplir. Nommée en 1963 en qualité de remplaçante dans une des campagnes les plus reculées de la Lozère, Huguette

Bastide n’a pas

le choix des moyens : l’abandon ou la résignation. Mais abandonner, c’est se condamner

au

chô-

mage. Son long cheminement d’une école à l’autre, pourtant distantes de quelques kilomètres

La Quinzaine Littéraire

seulement, va lui paraître infini.

Des écoles ? Des granges, des taudis sans eau, parfois sans W.-C. Au-dessus de cette pièce unique et sans nom qui servira de classe, une autre pièce et c’est le logement

: les

rats,

l’humidité,

froid.

Impensable,

le

inacceptable.

La Lozère, c’est la France, mais c’est aussi le bout du monde, c’est

le

Moyen

XX’

Age

au

cœur

du

siècle.

L’institutrice est seule : les parents d'élèves ont d’autres chats à fouetter que l'éducation de leurs enfants qui un jour conduiront la charrue à leur place. Et c’est ça qui compte. L’inspecteur est audessus de tous les problèmes qui ne touchent pas spécifiquement à l'éducation. Quant aux confrères, où sont-ils ? On essaie bien de lutter, un temps ; on s’insurge et puis on se résigne et on se retrouve encore plus seul qu’au départ. Alors on écrit. Pour avoir quelqu'un en face de soi. Aux parents

d’abord,

amis,

aux

moins beau à ces dames qui s’offrent sur un trottoir. » Elle dénonce la cécité et la surdité d’une hiérarchie complice honteuse d’un état de fait inhumain. « Instituteurs, gentils benêts aux « bonnets » atrophiés à qui il faut tout dire, conseiller, interdire.

sachez

rangez-vous pour vos élèves qu'ils

L'école

Je voulais

avant

comprendre

de

le transfor-

mer

». Le narrateur voulait, il n’a pas pu. Et c’est le livre de la désillusion, de l’'amertume. Il

voulait transformer le monde, il était doué, et le voilà bêtement

et

institutrices,

cette peau.

mal

que

l’autopunition.

Il

se

C’est

projette

lycée,

»

de la peur

Le livre de François George se dresse comme une barricade de mai 68 mais s’effondre sous sa propre impulsion. La première phrase du narrateur donne le ton : « Quand je fus bachelier, j'eus de grandes ambitions intel-

néant. pourvoit

À

part

à tout

tu

touches

au

ça, la province il n'y a rien ».

Le narrateur avertit par une note : « Ce récit relève de la fiction. Il y a bien par-ci par-là quelques petits faits vrais mais je les élabore et j’affabule. Je veux mettre en cause une institution, et non des individus ». Parfait iconoclaste, aussi bien de l’enseignement que de lui-même, il va

ironiser. Îronie plus proche du sarcasme que du sourire. Mais le lycée de T. peut-il être

Un dessin de Daumier

rien,

l'air que

pouvoir.

»,

que

qu’on

c’est

le ne

nous

l'instrument

« Aujourd’hui

c’est

apprend

du

la fonc-

tion de prof perd toutes ses justi-

fications

présentables,

elle appa-

raît comme simple fonction de gardiennage, tout dans l’école ne repose plus que sur le contrôle ». La vérité ne se rencontre pas à

l’école parce que son but est de transmettre non des connaissances « mais des comportements, des habitudes, des réflexes ». L'école perd son utilité. « Ce qui est vrai, on peut l’apprendre par s01même ». C’est le lieu du « nonapprendre » que le narrateur, pourtant complice par sa position, détruit avec un rien de masochisme.

Il n’empêche que cette expérience, malgré l’ambiguiïité du personnage, stigmatise, à travers les griefs du narrateur, une réalité surprenante par sa gravité. L’éducation est basée sur la peur. Peur des élèves face à des profs qui jugent, peur des profs face à des censeurs. Que fait-on à l’école ? On apprend à avoir peur. Et cette

lucidité,

je suis

l’ensei-

de

celui

enseignants.

dépassé,

province,

puis

Je crains

des

en

en

réponse peut venir aussi bien de

suffisamment de bois pour se chauffer. Parce que d’autres viendront après elle en Lozère, elle dénonce et elle a raison. « Instituteurs,

de

faisant

et

arrives

avoir

la vie d’une presque institutrice, d’une OS de l’enseignement dont le principal souci est de trouver

dans

en

gnement

peuvent

« Gaby, lui, parvenait

précision

procès

vous taire, arfaire croire à

Huguette Bastide noircit du papier pour raconter au jour le avec

du

s'accordent est à foutre

à « être », je n’y arrivais plus ».

jour,

l’expérience

narrateur ? Il fait de l’éducation son problème. Il a un compte à régler avec elle. Il fait son propre

sur les élèves qui pour dire que « tout

à un académicien, pourquoi pas ?, qui n’est qu’un moyen pour mieux se parler, à soi-même. Pour se retrouver.

exemplaire ? Et

nommé en province, seul, infiniment seul, avec ses dons inutiles, toute son inutile présence. « Tu

confiance en vous. Ne laissez pas voir l’affreuse castration, personne

ne la soupçonnera.

lectuelles.

le monde

la bouche d’un élève que de celle d’un professeur. L'image de l’enseignant-élève est ce qui ressort des trois ouvrages, au-delà du malaise général, au-delà du témoignage. CO

nous ne ressemblions en beaucoup rat

Vie sociale

| ac

\

Pour quelle sorte d’ordre ?

Pierre Joffroy Vingt têtes à couper Fayard éd. De 1960 à 1973, Pierre Joffroy a suivi pour un grand magazine quelques-unes des affaires criminelles qui ont fortement marqué l'opinion.

du

«

contrevenant

»

est

balayé

lorsqu'on ferme le « recueil » de Pierre Joffroy. C'est en écrivain que le journaliste aborde ces sinistres

« affaires », et non point en écrivain à sensation, mais en farouche

cits de Joffroy, par la peine capitale, par l'incarcération à vie, ce n'est pas seulement parce que

l'écrivain,

en

exhumant

la

misère

psychologique des condamnés, leurs traumatismes enfantins, leurs égarements, nous donne à palper le filet qui nous retient du bon côté de la barrière, mais parce éclater l'inqu'il fait constamment supportable vérité : il n'y a pas de justice possible.

« Vingt têtes à couper » est un d'articles que l'auteur a plus ou moins remaniés et qu'il a groupés par « affinités » : paricides, crimes passionnels, crimes de forcenés, crimes crapuleux, crimes « d'anarchistes », etc., la dernière « affaire » étant celle de Buffet et de Bontems qui valut à Pierre Joffroy d'être condamné récemment à 5000 F d'amende par le tribunal de grande instance de Paris pour avoir décrit la peine de mort, ce qu'interdit notre législation. Une telle démarche, estime le tribunal, transforme le lecteur en « véritable spectateur malsain ».

Les abîmes de détresse, d'abjection ou de douleur dans lesquels sont plongés les condamnés le fascinent au point que ces portraits nés du hasard — je pense notamment à Pedro Bougrat, ce Jean Valjean moderne, à l'hallucinante Charlie Manson, à l'ardente Pauline Dubuisson — nous remettent en mémoire (non, je n'exagère pas) les visages ravagés, les regards insoutenables de désespérance qui hantaient l'univers de Georges Bernanos.

time conviction » des jurés, de notre maigre exploration de la condition humaine, de la Peur cons-

Le doute qui pourrait quant aux « vilaines »

Si ment

tante dans laquelle vivent vilisations » de l'éternel

recueil

subsister intentions

du 1‘ au 15 janvier 1974

adversaire

de

nous nous concernés,

la

peine

de

mort.

sentons si viveà travers les ré-

Il n'y a pas de justice possible parce que les châtiments que nous infligeons ne dépendent pas seulement du profil des criminels mais de « l'opinion », des paramètres fluctuants qui forgent « l'in-

nos « cicoup de

force, de l'incapacité dans laquelle nous sommes, « nous, les fameux régents du cosmos », de saisir à quel point nos conduites « individuelles » relèvent des pulsions à la fois destructrices et conservatrices de la société tout entière.

Soit, soit, mais il faut bien que l'ordre règne, la sécurité. Il faut bien que la société se défende contre les étrangleurs, les désaxés, et les assassins de tout poil. Pierre Joffroy soulève de terribles questions, mais il se garde bien de proposer des solutions. C'est vrai. Mais il est vrai aussi qu'il n'y aura pas de solutions aux problèmes de la Justice tant

que nous n'aurons pas posé les vraies questions. La première de toutes est probablement celle-ci : quelle sorte d'ordre défendons-nous ? Paul Hordequin

31

Vie

P. Gaudibert De l'ordre moral Coll. « Enjeux » Grasset

par

éd.

Olivier

146

Un catalogue de questions

P.

Cohen

Lorsqu'il entend le mot « culture », M. Druon brandit sa petite épée, ce qui le disqualifie doublement aux yeux de l’opinion. Car s’il est imprudent pour un ministre de défier l’opposition à l’arme blanche,

un

académicien

ne

sau-

rait manier le sabre sans prêter à rire : l’usage des symboles exige plus de délicatesse. C’est une erreur politique, et une faute de goût.

Pour

ce qui est de MM.

Mar-

cellin, Galley, Royer, Malaud et consorts, nous n'avons aucune crainte à leur sujet. Ici, le pitre

cède le pas à l’homme d'action, l’habit vert s'incline devant l’uniforme. « Travail, Famille, Patrie »,

tel est le couplet favori des ministres de M. Pompidou. Il a nom Ordre Moral. Air connu. La musique militaire n’effraie pas Pierre Gaudibert : le livre qu’il vient d'écrire est un recueil de communiqués de guerre. Conservateur au musée d’Art moderne,

fondateur

de

l’A.R.C.

P. Gaudibert possède également des talents d’historien. Les mœurs changent, non les censeurs. Il est bon de se rafraichir la mémoire. Ainsi MacMahon évoque trop souvent l’image d’une avenue — d’ailleurs assez laide —, quand il fut l’un de nos plus glorieux soldats. Le maréchal Pétain n’est plus qu’un cercueil que l’on change de place, de temps à autre.

Bref,

l'Ordre

Moral

pas né de la dernière par hasard. Selon

P.

n’est

pluie. Ni

Gaudibert,

l'Ordre

Moral apparaît toujours après un double choc : une blessure profonde

sociale

de la sensibilité

nationale,

et une phase aiguë de la lutte des classes. La défaite de 1870 et la Commune ; le Front popu-

a plus que

jamais

le goût

treprendre,

semble

avoir

d’enperdu

celui d’imaginer. Lorsqu'elle se sent menacée dans son pouvoir, elle ne craint pas de s’allier avec ses

ennemis

d'hier.

En

1873,

on

fusille encore le peuple avec la bénédiction des évêques. Pour récompenser l'Eglise de ses bons et loyaux services, on lui offrira en prime l’écœurante pâtisserie nommée Sacré-Cœur. Cette fidélité ne se démentira pas. En 40, Pétain, c’est Jeanne d’Arc. L’Armée est présente, elle aussi, et

la Police ; et la famille, à qui l’on tente de subordonner l’Ecole. Voici la grande peur des bienpensants. Tandis que l'appareil d'Etat se renforce, que la répression se déchaîne, de nouvelles batailles se préparent. Leur enjeu ? Un autre appareil : celui qui assure la reproduction de l'idéologie. La Culture en est un rouage essentiel. L'Ordre Moral est une Restauration culturelle. Il

suffit,

pour

s’en

persuader,

d'évoquer brièvement la que culturelle de la V° blique. Au

commencement,

politiRépu-

était

le

Verbe. Souvenez-vous une grande voix passionnée prêchait la religion de l'Art, convoquant les foules aux portes de ces nouveaux temples : les Maisons de la Culture. « L’Art est grand, et

Malraux est son prophète », psalmodiaient les fidèles. En privé,

d'œuvre qui en

ils ajoutaient

faillite,

dieux

sont

sür,

les

l’homme,

le pauvre, se trouve tout esseulé. Mais, grâce aux bienfaits conjugués de l’Art et de la Démocratie, nous

lui ferons

cadeau

d’une

transcendance toute neuve, aussi jolie que l’ancienne. » Hélas ! Le 6 mai 1968, une poignée de jeunes gens en colère venait rappeler au vieux monde que la violence est parfois la seule issue au désespoir ; ces jeunes gens crachaient,

comme

le leur

avait

appris Henri Michaux, à la face du Parthénon et des dynasties chinoises. Un beau rêve prenait fin. Il s’évanouit définitivement dans les couloirs du Commissariat au Plan. Les épiciers triomphaient. Dépouillé de sa royauté, l'Esprit se fit marchandise. Qu'est-ce que la culture, pour un technocrate ? Au mieux, un supplément d’âme à la croissance économique ; au pire, un département du commerce de gros. Les commis-voyageurs de la Nouvelle Société inventèrent

un

nouveau

le socio-culturel,

que,

Son

à la portée

bourses,

deva

produit,

prix modi-

de toutes

permettre

aux

les ci-

toyens ip es d'oublier les dures Ééonnék le la vie moderne, en, Ainitéts quelques chefs-

EE

à

Une eau-for te d'Ensor PA

« Bien

morts ; et

appropriés. On sait ce advint : la société fit le produit

fut

retiré

de

la circulation. C’est sur les ruines du néo-libéralisme que s’établit l'Ordre Moral. L’ère du soupçon

a

commencé.

L'Etat

est

en

danger. Un complot. Partout, des suppôts. Infiltration, noyautage. Chasse aux sorcières. Un Tel pense à gauche : qu’on lui coupe les vivres. Un autre professe en chaire des idées subversives. Le laissera-t-on corrompre impunément notre belle jeunesse ? À la trappe, l’agitateur! Et, scrongneugneu, vive le Père Ubu!

La révolution sera culturelle ou

ne

sera

pas

Le pouvoir se ridiculise ? tant mieux. Il faut l’abattre. Comment ? en contre-attaquant sur tous les fronts. « Révolutionnarisation

de

la culture

»

; tel

est le mot d'ordre que lance P. Gaudibert. En langage clair : unification de la lutte idéologique et de la lutte culturelle. La révolution sera culturelle ou ne sera pas. Feu sur les institutions bourgeoises, les traditions bourgeoises, la vie bourgeoise. Tout est politique. Et de citer, pêlemêle : le « Grand Refus » de la jeunesse ; la crise de la famille,

la

libération

sexuelle,

le

féminisme ; l'avant-garde, l’underground, l’anti-psychiatrie, etc. Il reste qu’on ne construit pas un programme en additionnant des slogans ; et que le catalogue de questions par quoi se conclut le pamphlet de Pierre Gaudibert relève plus du verbalisme que d’une interrogation féconde.

L'auteur,

il

est

vrai,

perte de l'Algérie et la grève générale de 1968 : ce sont là

n’est point philosophe de profession. Et puis, la polémique a ses raisons, que la Raison ne connaît pas. Il faut forcer l’ad-

trois épisodes

versaire

laire

et

la

débâcle

d’une

de

même

40;

la

crise,

dont le profil reste inchangé. Aussi le remède ne varie guère. C’est que la bourgeoisie, si elle Olivier Cohen est élève à l'Ecole normale supérieure de Saint-Cloud et collaborateur habituel ne littéraire ».

32

de « la Quinzai-

sur

son

propre

terrain,

sans trop s’embarrasser de préalables théoriques. Malheureusement, le silence de la théorie, c'est bien connu, favorise le

bavardage idéologique. En l’occurence, le concept de culture qu’emploie P. Gaudibert ne

La Quinzaine Littéraire

laisse pas d’être obscur. « La culture est une superstructure » : formule aussi dangereuse que vague, qui nous ramène

re.

cinquante

Rappelons

que,

sauf

pagande, directives

ans

à

P.

en

arriè-

Gaudibert

à s'identifier

à la pro-

la culture ignore les des états-majors. Son

« Front culturel » ressuscite fàcheusement le fantôme du Proletkult et son volontarisme étroit, bientôt confisqué par le stalinisme. Jdanov fit:il rien

d'autre que de tique au poste

mettre la polide commande-

ment » ? Pierre Gaudibert nous accusera sans doute de lui chercher une

mauvaise querelle. Rendons-lui justice : il n’a guère l’âme d’un bureaucrate.

plutôt

Cette

quelques

âme

aurait

affinités

avec

l’anarchisme. C’est sympathique, mais insuffisant. L’humanisme libertaire a fait long feu. Sommé de suppléer aux lacunes de la doctrine marxiste de la culture. il n’aboutit qu’à une série de

platitudes sur l’«infra-politique », la vie quotidienne, etc. Le plaisir, la tendresse, la Fête ? Personne n’est contre. La Grande Libération ? Bien sûr. Mais encore ? Un vocabulaire confus, emprunté à divers courants de recherche actuels, ne saurait jouer ici le rôle canonique qu’on veut lui atribuer. Le Symbolique, le Désir et la Transgression attendent encore le D qui les soustraira à l’emprise des petits maîtres du concept. Bref, le psychologisme est l’inévitable complément du sociologisme. Il ne suffit pas de répé-

ter

l’idéologie,

de

questions,

fût-ce pour

forme sous annuler ses

effets. Gaudibert s'emprisonne dans un jeu de miroirs l’image qu'ils lui renvoient est celle de ses préjugés. Ceci marque bien les limites de

la démarche

et Il

l’impasse n’est pas

voyer.

de

P. Gaudibert.,

où elle le seul

L'endroit

est

le conduit. à s’y four-

fréquenté,

et

par les gens du meilleur monde. Penser F culture est devenu une

tâche singulièrement difficile, Si ce champ fracturé, disloqué, se dérobe ainsi à l’analyse, c’est que le discours sur la culture est contaminé par la crise qui affecte son objet. Le bricolage idéologique règne en maître ; çà et là, on ramasse les débris des anciens systèmes, on les assemble en hâte pour colmater les brèches. Cu-

rieuse industrie. aux produits identiques dans leur insignifiance. Entre le technocrate doublé

d’un

pion

haineux,

et

le

marvi-

nal qui dérive doucement vers la déraison. le choix est un peu rai-

de. On ne P. Gaudibert native. Au

fond,

peut reprocher à de refuser l’alterc’est

peut-être

à cela

qu’on nous appelle « Réveillez-vous. n'attendez plus. Rompez le silence. La théorie peut attendre, vous La retrouverez plus tard, quand le danger

sera

conjuré. Il y a péril en la demeure. Contre Les flics de l'Esprit, les fanatiques de l'Ordre Moral, aux armes ! » Si le manifeste est médiocre. l’appel vaut d’être entendu. Ainsi le veulent les lois de la stratégie.

nn

[]

——

SCIENCES POLITIQUES

Lucien Sfez Morton D. Davis Maurice Brinton

Lucien Sfez Critique de la Cahiers de la nationale des Armand Colin

par

Pierre

décision Fondation sciences politiques. éd., 368 p.

fluencé par les tendances « anti_ humanistes » qui sont dans l’air, entend

évacuer

abusif à ses yeux,

le rôle,

que le sujet

rationnel et libre est censé jouer

dans la prise des décisions. « Les méthodologies —

par Pierre Avril par Bernard Cazes par Jacqueline Pluet

Une :shéorie de li«décision » NE

a" 7

Avril

Le dernier ouvrage de L. Sfez est un essai de synthèse des recherches qu'il a animées au Centre de recherches et d’études sur la décision administrative et politique, et qui ont notamment comporté des enquêtes sur les équipements de la région parisienne (R.E.R., Aérotrain). Etudes sur la décision, donc, mais études critiques : fortement inl’auteur

Critique de la décision La Théorie des jeux Les bolcheviks et le contrôle ouvrier

marxisme,

modernes

freudisme,

structu-

ralisme, analyse de systèmes — ont habitué leurs lecteurs à se passer de ces notions de « pou-

du 1° au 15 janvier 1974

voir créateur » et d.« individu » jouissant d’une grande liberté. » Toutefois les préjugés en faveur du libre arbitre demeurent si résistants qu’une critique systématique lui semble nécessaire. Il l’organise autour de trois mythes dont il dénonce la persistance

:

linéarité,

rationalité,

liberté. Leur remise en cause est certes engagée, mais elle est le fait de « pratiques théorisées » plus que de véritables « théories critiques » dans la mesure où la plupart des travaux modernes n’incluent pas dans leur démarche une critique des fins. En ce sens, l’expulsion du sujet rationnel et libre n’est que la face négative d’une entreprise ambitieuse qui s'efforce d'élaborer une approche globale, capable d’embrasser tous les aspects et tous

les niveaux de la connaissance. C’est ainsi que Sfez, tout en soulignant l’apport de Michel Crozier et de son équipe, déplore que ceux-ci ne poussent pas assez loin le « décloisonnement » des différentes disciplines : ils sont sur un seul niveau, « le niveau sociologique sans aucune épaisseur, en

particulier d’ordre psychanalytique ». Il soulève là un problème classique et jamais résolu : celui de ce que Bachelard appelait le « régionalisme » du savoir, c’est-à-

dire le fait que les différentes disciplines se constituent à partir d’une réduction et d’une simplification.

« Aucune

science,

écrit

Lazarsfeld, ne vise son objet dans sa plénitude concrète. Elle choisit certaines de ses propriétés et s'efforce d'établir des relations

entre elles. » N’y a-t-il pas alors injustice à lui faire grief d’une abstraction simplificatrice qui est la première étape de la formation d’un savoir ? On le croirait parfois, en lisant par exemple les allusions à Rousseau et le parallèle entre l’homo economicus et l’homo politicus du Contrat social. La réalité concrète est évidemment plus compliquée que les schémas et les modèles mais, sauf

à tomber dans la monographie, force est de la découper en niveaux justiciables chacun de traitements spécifiques et non transférables. Pour prendre un exemple, je sais qu’il y aura cinquante morts sur la route ce week-end, c’est le niveau des actuaires ; mais

je peux aussi analyser la personnalité agressive de tel chauffard : c’est un autre niveau. L’explica-

33

tion de l’ensemble des accidents n’est pas l’addition des explications individuelles, les”unes et les

autres vent

sont de

légitimes

démarches

mais

relè-

radicalement

différentes.

Cela, Lucien rellement. Son

Sfez le sait naturecours à la lin-

guistique, à la psychiatrie et à la psychanalyse

ne

tombe

pas

dans

un syncrétisme naïf, il s'apparente plutôt à l’attitude de Merton (1) s'inspirant de la structure logique de la physiologie pour organiser l’analyse fonctionnelle. Ainsi, « l'articulation de l’irrationnel dans le champ du rationnel », qui le fascine visiblement, l’amèe-

ment, que le critère de cohérence des classifications a cessé d’être

tionnel théorie

politique et qu’il s’y est substitué un critère d'importation ? C’est

de ses recherches suggère peutêtre une hypothèse. Avec quelque injustice, on avait reproché à Michel Crozier d’avoir élaboré sa théorie du modèle bureaucratique à partir d'organisations qui en étaient l'expression caricaturale : l’obsession de l’irrationnel n'est-elle pas ici inspirée par le processus de décision pathologique qui caractérise en France l’urbanisme administratif ? Processus essentiellement secret, il se déroule sans que jamais les citoyens ni leurs représentants y

ce que semble confirmer la critique de la définition que donne Easton de l’activité politique et le refus (p. 129) de retenir la notion de contrainte, bien que celle-ci constitue l’élément commun à tou-

tes les définitions depuis Max Weber et que, loin d’être limitée à un type de société, elle soit ratifiée par l’anthropologie politique comme l’a montré Balandier. Lucien Sfez, a-t-on dit, est

ciné

par

l'intégration

de

fas-

lirra-

et de l’inconscient à une de la décision. Le sujet

ne, non à tenter une psychanalyse mais à emprunter à la psychanalyse des concepts opérasociale,

toires,

notamment

pour

proposer

mes, taires,

Morton D. Davis La Théorie des Jeux, (collection U Prisme) Armand Colin, 272 p.

dres-Douvres qui s'arrête à Canterbury. À laquelle des deux stations chacun des protagonistes aurait-il intérêt à descendre compte tenu de ce que son adversaire pourrait faire ? Voilà typiquement le genre de pro-

Ici l'instrument

blèmes

çon

rudimentaire

les

de fa-

attitudes

entre lesquelles la politique reconnaît ses clivages significatifs (majorité,

socialistes,

tes), tandis

communis-

qu’il nuance

jusqu’à

l’infinitésimal un secteur résiduel. La raison n'est-elle pas, précisé-

ouvrier,

1917-1921

Revue « Autogestion et Socialisme

par Jacqueline Depuis

une

»

Pluet dizaine

d'années,

le

groupe « Solidarity » de Londres (qui publie la revue du même nom [2]) a apporté plusieurs contributions à l'étude de la Russie préstalinienne. On lui doit notamment la première réédition (1961) en Europe occidentale, depuis les années 20, de | « Opposition ouvrière » d'Alexandra Kollontaï (3). La note qui présente le groupe dans le n° 24-25 d’ « Autogestion et socialisme » donne une bonne idée de l'orientation générale des activités de « Solidarity » : «… critique radicale des pays de l'Est, vus comme des sociétés d'exploitation, et de la bureaucratie comme nouvelle classe dominante ; critique de la conception léniniste de l'organisation et des rapports

entre

masses

; définition

comme duction

34

gestion et de

l'organisation

du

et

les

socialisme

ouvrière de la protoutes les activités

pour fuir le le train Lon-

la théorie

des

jeux

a

pour objet de traiter de manière rigoureuse, mais son champ d'action s'étend bien au-delà de l'univers de la friction et de l’« homo ludens » puisqu'en fait, elle peut s'appliquer à toutes les situations où les participants

ont

des

intérêts

en

conflit

et où les résultats sont incertains affrontements diplomatiques et mili-

Sciences Maurice Brinton Les Bolcheviks et Le contrôle

que

firmes,

etc. Davis,

d'initiation

élève

de

de

Morgen-

stern et professeur à Princeton, apporte à cet égard une quantité d'illustrations puisées dans ces différents domaines en procédant par étapes, depuis les jeux à deux joueurs et”à somme nulle (l’un gagne ce que l'autre perd) jusqu'aux jeux à « n » joueurs et à somme non nulle. L'appareil mathématique y est réduit au sirict minimum et le style généralement d’une extrême clarté, ce qui permet d'accéder sans difficulté excessive aux éléments de base de cette importante branche de la théorie de la décision (avertissons le lecteur que dans ce livre le mot « prévention » doit en réalité se lire « dissuasion » — « deterrence » —, ce qui n'est pas du tout la même chose l). Bernard

Cazes

l’auteur

ait

été

tenté

de

« rationaliser » (si l’on ose dire) l’analyse de la décision en substituant à l'impossible empirisme conscient un décodage des mythes. Mais, en fin de compte, ne retrou-

ve-t-on

pas

une

décision

person-

nelle, à défaut d’être raisonnable ?

Après

d’autres

dont

le peu

sagesse était à la mesure

tère

personnel

Concorde,

nom



de

du carac-

Nous

ferons

de Dieu !), la voie

express sur la rive gauche vient d'illustrer avec éclat ce retour offensif de l'arbitraire dans le système rationnel-légal... CO 1. Eléments de théorie et de méthode sociologique, 2° éd., Plon,

1965, p. 98.

2. Qui 1971.

gouverne?

A.

Colin,

politiques

sociales ; critique des conceptions marxistes traditionnelles sur la dynamique et la nature de la crise de la société capitaliste, et de la conception traditionnelle de la politique révolutionnaire comme activité « spécialisée » séparée des autres activités sociales... ». L'étude de M. Brinton s'inscrit dans cette perspective. Elle établit une chronologie minutieuse du processus qui a abouti à la formation d'une couche bureaucratique dans l'appareil de direction de la production et de l'économie dans son ensemble en Russie, et ce, non

pas à partir de 1924, mais dès les premières années du régime. On peut y suivre, à travers les événements essentiels et les déclarations des principaux acteurs, les différentes phases de ce processus : la subordination du mouvement des Comités d'usine à un Conseil panrusse du Contrôle ouvrier dominé par l'appareil syndical, puis la su-

bordination de ce Conseil à un organisme étatique directement contrôlé par le Parti et les syndicats : la

entre

Le très utile ouvrage Morton

Les amateurs de Sherlock Holmes se souviennent que dans « the Final Problem » le héros cherche à pas-

ser sur le Continent Dr Moriarty en prenant

concurrence

élections,

une typologie des attitudes politiques (p. 122). Pour neuve et stimulante qu’elle soit, l'expérience n’est pas encore pleinement convaincante en raison de la différence d'optique : la quasi-totalité des forces politiques se trouve en effet regroupée sous la même rubrique du « volontarisme non intégratif » tandis que deux autres catégories se partagent le PSU et les gauchistes…

amalgame

jouent un rôle effectif. Il est presque entièrement organisé contre eux. Les méthodes empiriques du genre de l'enquête de Dahl sur New Haven (2) y sont donc impraticables. Processus technocratique, il oppose les ambitions et les routines des services, de telle sorte que les critères qui apparaissent finalement prépondérants ne relèvent pas de l’honnête et modeste rationalité technique, qui avait présidé à la construction du réseau métropolitain, mais du goût de la performance spectaculaire (La Villette!) ou du souci élyséen de prestige explicitement mentionné ici. On comprend que devant ce brouillard traversé de phantas-

Vésenka,

et,

finalement,

la

su-

bordination totale des syndicats au Parti lui-même (X° Congrès du Parti, 1921). Dans son « Introduction » à la traduction française du texte de Kollontaï, P. Cardan [Castoriadis] a bien résumé quel en fut l’aboutissement : « Le pouvoir incontesté

des directeurs q4As les usines, sous

la revue

le seul

me » de « the Bolcheviks and Worker's Control, 1917-1921 » de Maurice Brinton, Londres, 1970. L'ou-

« contwas

»

(quel

contrôle,

en

réalité ?) #1 Parti. Le pouvoir aïarti sur la société, sans aucr®oral+ $e* frôle. : Personne dès : incontesté

lors ne £,

de

,Jr empêcher

la fusion

ces” PErarpouvoirs,

l'interpéné-

tioh d'une "Sureaucratie

inamovible

tratigf ,sc;0*que des deux couches qui les inc aient, et la consolida-

dominant tous les secteurs de la vie sociale. » (4) La lecture de l'ouvrage de Brinton est un utile complément aux grandes études qui ont déjà été consacrées à la bureaucratie de l'appareil d'Etat « soviétique », à travers l'élimination des oppositions à l'extérieur et à l'intérieur du Parti (Schapiro, 1955 ; Daniels, 1960) (5) et la mainmise absolue du Parti sur les

Soviets

(Anweiler,

1958)

(6). 11 faut

savoir gré à Brinton d'avoir rassemblé, sur ce problème essentiel que pose — au militant et à l'historien— la disparition graduelle du pouvoir des ouvriers russes dans la production, une documentation précieuse (du moins pour le lecteur non spé-

cialisé



et

peut-être

aussi

pour

d'autres..), dont l'intérêt ne saurait être contesté, même par ceux qui n'acceptent pas toutes ses conclusions. El

(1) Traduction

n° double

(24-25

française,

oct.-déc.

dans

le

1973)

de

«

Autogestion

et Socialis-

vrage avait déjà été traduit en allemand, néerlandais, suédois, grec, espagnol et japonais. Une fois n'est pas coutume, l'édition française ne vient pas trop tard.

(2) « Solidarity for Worker's Power » (123 Lathom Road, London,

E.6). (3) V. la traduction de ce texte, ainsi que des «Notes» de « Solidarity », dans le n° 35 (janvier 1964) de la revue « Socialisme ou Barbarie ». Une nouvelle traduction de « l'Opposition ouvrière » doit paraître en 1974 aux éditions du Seuil. (4) « Le rôle de l'idéologie bolchevik dans la naissance de la bureaucratie », « S. ou B. », 35, 1964, page 50.

(5) L. Schapiro, « Les bolcheviks et l'opposition » (1955), tr. fr., Paris, Les Iles d'Or, 1957 ; R. V. Daniels, « the Conscience of the Revolution. Communist opposition in Soviet Russia », Cambr. (Mass.), Harvard UP. 1960. (6) O. Anweiler, « les Soviets en Russie, 1905-1921 » (1958), tr. fr. Paris, Gallimard, 1972.

La Quinzaine Littéraire

CINEMA

L’incommunicable Mike Leigh Bleak

Moments

Jean-Louis Jorge Les Serpents de des Pirates

la Lune

par Louis Seguin

Avec l'ouverture de «il Grido » de «l'Avventura », l'exposé et puis la paraphrase de « La Notte » de Antonioni «l'Eclipse», et aura apporté au récit du cinéma le thème nouveau de l’'incommunicabilité. Jusqu'alors l'aventure du couple s'attardait au vécu de la rencontre et de l'aveu. Elle ne se heurtait qu'au mensonge ou au destin tandis que, soudainement, voici que la parole même défaille. L'ontologie du naturel se brise et les héros se retrouvent main d'une « seuls », tenant leur « être » impénétrable et, de l'autre, une « langue » inutile. Mais, tout en inspirant une nouvelle pratique de la fiction, cette rupture favorise aussi la tentation d'un schématisme théorique. la sociologie du Elle inverse où se groupe fondaient, par exemple, le pessimisme de Vidor ou l'optimisme de Capra, elle une de psychologie développe l'indicible ou bien, à un niveau plus élaboré, elle tente de réconcilier l’une avec l'autre dans la synthèse illusoire du freudomarxisme. « Bleak moments », de Mike Leigh, et « les Serpents de la Lune des Pirates », de JeanLouis Jorge, ont l'avantage premier de revenir sur ces équivoques et d'excéder cette réversibilité des hypothèses. Les péripéties du premier film sont réduites à une mince série de rencontres et d’affrontements qui ne sont suivis d'aucun ac_ complissement. L'héroïne principale, Sylvia, cherche à séduire un professeur qui n'ose répondre à ses avances et s'enfuit. Une amie disgraciée mène contre sa mère à demi folle une lutte dont l'exaspération même se dissout dans sa propre monotonie. Les autres personnages, de la sœur idiote au folk-singer effarouché, du garçon de restaurant chinois au

du 1°’ au 15 janvier 1974

mangeur, alignent une figuration de la solitude. (Leur présence importe moins que les vides de leurs espaces ou que les moments « décolorés » (bleak) qui séparent deux tentatives improbables. Une caresse, un baiser ou une brève crise de désespoir ne découpent pas l'action: ils l’articulent moins encore; ils ne mesquin le superflu que sont d'une indifférence, le produit saudétruit de la grenu et aussitôt grisaille. Le dialogue, par un retournement dérisoire de la formule, s'enlise dans le « lieu commun ». Il se fige « au lieu » de circuler. Le temps et l'espace de la « performance » chère à Chomsky sont paradoxalement obstrués par l'afflux même du langage et Mike Leigh souligne cette dérision et ce paradoxe lorsque son professeur débite, pour précisément

meubler les silences, une version Simplifiée des postulats chers à McLuhan. L'inventeur de « La Galaxie Gutemberg » aime à opposer les media « froids », inachevés, d'une parole qui invite à la participation aux media « chauds », pleins, suffisants, Or, le mécade |’ «imprimé». nisme de la citation réchauffe la parole du professeur et, du l'épaissit, si bien coup, même qu'il ne peut plus répondre au travail fluide de l'échange. L'incommunicabilité n'est pas due à la perversité secrète du groupe « existenou à la malédiction tielle » de l'individu, mais à une de classe. La petiteposition bourgeoisie que décrit Leigh n’est pas privée de la parole par une métaphysique du destin mais parce qu'elle en encombre la place par des simulacres de savoir et

des

fantasmes

de

sentiment.

L'itTfent de la petite-bourgeoisie procède de son incompétence Ainsi démultiplié, reflété dans le drame de chacun de ses sujets, l'isolement de la petite-bourgeoisie procède de son incompétence. Enfermée et déchirée par un antagonisme où elle n’est pas, « en dernière analyse », partie prenante mais enjeu, elle ne peut que tenter, pour combler le vide de sa parole, de récupérer et d’entasser des amas de culture. Sa « lividité » (bleakness) n'est pas le blanc de l'absence mais l'incohérence des couleurs entassées. Et c'est là que « Bleak moments » perfectionne le concept de l'incommunicabilité. Dans «il Grido », Stève Cochran était isolé par une double coupure il était rejeté par la femme qu'il aimait et il se retranchait de sa classe. Plus récemment, René Allio décrit, chez Simone Signoret dans « Rude journée pour la Reine », l'insistance ambiguë, à la fois refusée et exploitée, d'une fausse mythologie populiste. Or, Sylvia n'est ni abandonnée ni sollicitée ; elle est engluée dans un discours sans propriétaire, où personne ne parle et où nul n'écoute, où les gestes de l'amour et de la compassion ne sont même plus paralysés par l'impuissance et l'indécision, ce qui

permettrait encore de les récupérer dans une psycho-sociologie de | « aliénation », mais simplement privés de sens. « Les Serpents de la Lune des Pirates », en amplifiant démesurément sa propre dramatisation et en livrant une version hystérique du sujet, est le complément antithétique de la retenue systématique de « Bleak Moments ». La danseuse d'un cabaret sordide de Los Angeles y vit quatre nuits de transe et quatre jours d'insomnie. Elle passe par les étapes successives de la fièvre, de l'abattement, de la révolte et de la capitulation, jusqu'à découvrir, au cinquième jour, le chemin de la rupture. Le piège où elle se débat et auquel elle échappe est celui, redoublé, de sa condition d'artiste et de femme. Elle est retenue à la fois par le propriétaire de la boîte et par son amant qui la transforme en objet de plaisir et de profit. On voit assez comment le film pourrait inviter à bavarder sur une misère morale vaguement dostoïewskienne, d'autant plus que Jean-Louis Jorge, en tournant les scènes de nuit en couleur et les scènes de jour sans, a risqué l'inversion de la métaphore. Les

jours sans sommeil sont bien, à la lettre du titre, les jours blancs de Los Angeles. Mais « Les Serpents » va au-delà de l'affabulation morale et du jeu de mots culturel. Le dédoublement de sa construction temporelle, qui partage le jour et la nuit, et plastique, qui alterne le blanc et la couleur, découpe aussi dans l'épaisseur même de son cinéma ces deux versions, « artificielle » et « naturelle », du décor que sont le tréteau et la fenêtre, les planches du théâtre et la veduta du tableau. Le cabaret est décrit par une série de mouvements qui démarquent et relient le plateau et les coulisses tandis que la peinture du logement est dominée par le lit où les héros essayent en vain de trouver le sommeil et qui est dominé par une large baie ouverte sur la banlieue désolée de Los Angeles.

La beauté du film de Jean-Louis Jorge est une beauté dérivante, consumée par l'insomnie des héros. Le déplacement et l'imprévu y défient le repos et la coïncidence. La scène et la fenêtre sont continuellement sollicitées : la première dérape vers le refuge d'une coulisse qui l'expulse à son tour, tandis que le néant de la seconde est envahi fortuitement par une multitude d'oiseaux. Le travestissement et le play-back collaborent pour composer le double pathétique d'une chanteuse de blues. Une vieille dame offre à sa fille les plaisirs démodés, hors du temps, d’une leçon de tango. Ces traversées, ces intrusions et ces superpositions construisent une vaste symbolique du déplacement. L'identité et la situation sont prises à leur propre défaut. Le monde des « Serpents » est rejeté hors de sa scène et ses personnages à l'écart de leur « je », dans |" « Unheimliche » freudienne où « le moi n'est plus maître de sa propre maison ». L'incommunicabilité n’est plus ici identifiable au seul gel de la parole. Elle reproduit la défaillance du sujet, l'évanouissement du lieu, l'impérialisme de l'Autre et la répression du désir, mais on voit assez comment les deux films de Jorge et de Leigh peuvent, non contents d'une simple complémentarité, renchérir l'un sur l'autre et relancer leur . élan.

35

THEATRE

Une méditation sur l'écriture scénique W.-B. Yeats Le Cycle de Cuchulain Théâtre Oblique Trad. de Yves de Bayser

« Obliques

» (n° spécial,

par Dominiques Yeats,

poète,

96 p.)

Nores est

un

homme

de

théâtre. En 1904, quand il écrit la première pièce du cycle de Cuchulain, « Sur le rivage de Baile », il est, avec lady Gregory, le directeur de la première vraie salle qu'ait eue l'Irlande, le Théâtre de l'Abbaye. Il a d’ailleurs déjà écrit plusieurs grandes pièces, «la Comtesse Cathleen », et cette « Cathleen ni Houlihan », qui montrait l'Irlande comme une belle jeune femme vénant solliciter le courage de ses fils et dont le succès auprès de la jeunesse révolutionnaire fut tel que Yeats s'est toujours demandé quelle part elle a eue dans le soulèvement de 1916.

Yeats pris en écharpe Le projet d'Henri Ronse, animateur du Théâtre Oblique, n'est pas de faire revivre ces grandes heures. La difficulté tient au fait qu'il prend l’œuvre de Yeats en écharpe pour en faire saillir des contraires. Ainsi s’applique-t-il — c'est le propos même du « Cycle » — à mettre en lumière la continuité du thème, mais dans la discontinuité de la vie et de la manière d'écrire de son auteur. || y a un

Yeats

d'avant

la guerre

civile

et

un Yeats d'après. De la même façon, il y a un Yeats homme de théâtre et un Yeats du refus du théâtre engagé, Yeats aristocrate irlandais, profondément imbibé de symbolisme français, et qui refuse qu'on mette quoi que ce soit audessus du verbe, le théâtre n'étant

pour lui que

le véhicule

de l'élan

poétique de l'Irlande populaire, paysanne, l'Irlande des légendes — si forte dans le souvenir qu'elle alimentera encore, un demi-siècle plus tard, l’œuvre de Brendan Behan. Dans la représentation de Ronse,

c'est au grand art qu'on a affaire, un grand art déraciné. Le lieu géométrique du spectacle n'est plus l'Irlande, mais la scène même, où se heurtent et se conjuguent des traditions de jeu différentes. La mise en scène ainsi comprise devient une méditation sur l'écriture. Sur l'écriture scénique d’abord. Les mises en scène de l'Abbaye, telles que Ronse entreprend de

les rêver, sont le point de rencontre de toutes les tendances de l’art théâtral. Aussi sont-elles propres

à

transmettre

cette

«

fasci-

nation pour la vieille machine théâtrale, pour son instrumentalité, (ce) goût pour les artifices désuets du théâtre, pour toute une théätralité fanée, moribonde », d'où le Théâtre Oblique procède autant que de sa volonté de mise à jour, au niveau du texte, de ce que

Ronse appelle « l'effet de théätralité ». Les îles Britanniques, au tournant du siècle, redécouvraient Shakespeare. Ronse met en lumière ce que les deux premières œuvres du « Cycle de Cuchulain y>

Une scène du Cycle de Cuchulain

ont de shakespearien. Mais, scéniquement, il ne montre pas l'effort de stylisation fait par les contemporains de Yeats. Au contraire. S'il a demandé à José Quiroga un décor qui semble inspiré par une maquette d'’Appia, décor architecturé permettant des déplacements et des différences d'intensité de lumière suivant les mouvements d’un texte riche en images, il livre ce texte à une interprétation violemment mélodramatique qui, les acteurs articulant mal, ou criant plus haut que leur voix, le rend partiellement inaudible. Commencé à un haut diapason, le spectacle peut opérer une constante dégression du mélodrame au jeu épuré, de la gestuelle symboliste à l'abstraction du signe. Peu à peu, à mesure que les voix se posent, faisant alterner le ton neutre, le parler désarticulé et l'éclat, on voit mieux quelle importance est donnée au traitement du texte. Les deux dernières pièces du

« Cycle » ont pris avec l'épopée une distance calculée. Le Yeats d'après la guerre civile, ramené de force au réel, ne garde plus des légendes qui ont d’abord nourri son verbe que l'interpénétration qu'elles proposent du monde des vivants et de celui des morts. Le poème se fait méditation. Que sont devenus les vieux compagnons de lutte? Yeats a eu alors la révélation de ce théätre de théâtralité pure qu'est le Nô japonais. Il s'en inspire pour ses « pièces pour danseurs » et, parmi elles, « la Seule Jalousie d’'Emer », qui confronte Emer, la veuve de Cuchulain, avec l'ombre d'un époux à qui elle ne peut redonner vie qu'en renonçant à son amour. Le projet de Ronse faire de cette pièce, et de « la Mort de Cuchulain »,. qui clôt le « Cycle », une célébration empruntant ses formes au théätre religieux japonais est plus excitante pour l'esprit que scéniquement féconde. Les gestes du théâtre extrême-oriental sont muets pour nous, ils se fondent sur une grammaire de signes qui nous demeure étrangère. Pour n'être pas pleinement réussie, la tentative est belle, et auda-

cieuse.

O

Dominique Nores collabore à « la Quinzaine littéraire » et aux « Lettres Nouvelles ».

36

La Quinzaine Littéraire

En 1973 Antoine Adam Maurice Agulhon René Alleau Jacques-Pierre Amette Michel Amiot Auguste Anglès Louis Arenilla Daniel Arnaud Michel Arrivé Jean-Pierre Attal

Georges Auclair Marc Augé Pierre Avril Charles Baladier Wanda Bannour Christiane Baroche Roland Barthes Tahar Ben Jelloun Simone Benmussa Jean-Marie Benoist Alain Besançon Hector Bianciotti Maurice Blanchot Claude Bonnefoy Jean Borie Guy de Bosschère Jean-Yves Bosseur Georges Boudaille Yvon Bourdet Michel Bourgeois R. L. Bruckberger Lou Bruder

Martine Cadieu Régine Cathelin Simonet Bernard Cazes Pierre Chan

Pierre Chappuis François Chatelet Maurice Chavardès Marc Chénetier Jean Chesneaux Michel Ciment E. M. Cioran Alain Clerval Claude-Michel Cluny Olivier Cohen Bernard

Collin

Michel Collinet Jean-Claude Combessie Michel Contat Rafael Conte Jean-Louis Curtis Roger Dadoun André Dalmas Michel Décaudin Claude Delarue Noël Devaulx Christian Descamps Claude Guillot A. Hamdani Marc Hanrez Josette Hector Michelle Héliot

Daniel Hémery Béatrice Didier Roselène Dousset Henri J. Enu Claude Ernoult Anne Fabre-Luce Serge Fauchereau Henri Favre Victor Fay Jean Pierre Faye François Fejtô M. B. Féline Marc Ferro Michel Fichant Lucette Finas Louis Forestier Viviane Forrester

Jean Frémon Pierre Fresnaut-Deruelle Jean eard

Guy _Aier Clau. ‘Girard Christian Giudicelli G.-A. Goldschmidt Gérard Granel Dominique Grisoni Marielle Gros Daniel Guérin Joseph Guglielmi Gerhardt Hôhn Horst Homburg Jean ltard

Philippe Jacottet Raymond Jean Hubert Juin Barbara Keseljevic Stanislas Kocik Jean Lacoste Patrick Lacoste Michel Lacrénais Pascal Laîné Jean Laloy Roger Laporte Gilles Lapouge J. M. G. Le Clézio Jacques Le Goff Gérard Legrand Théo Lésoualc’h Bernard Lortat-Jacob Jean Leymarie Robert Maggiori Jean-Marie Magnan Olivier de Magny Pieyre de Mandiargues Maud Mannoni Diane de Margerie Daniel Marin Maurice Maschino Jean-Jacques Mayoux Jacqueline Meillon Henri Meschonnic Claude Mettra Jacques Meunier

René Micha Jacques Michaut André Miguel Lionel Mirisch Violette Morin Claude Mouchard Georges Nivat Bernard Noël Dominique Nores Antoine Orezza Paul Otchakovsky-Laurens Pierre Pachet Philippe Pène Georges Perec Gaëtan Picon José Pierre Georges Piroué Evelyne Pisier Clelia Piza Léon Poliakov René Pomeau Georges Poulet Jean-Louis Pradel Jean Rabaut Alice Raillard Georges Raillard Madeleine Rebérioux Tristan Renaud Patrick Reumaux Alain Rey Jean-Dominique Rey Jean-Michel Rey

Denis Richet Claude Rivière

Claude-Henri Rocquet Jacinto Rodrigues Mitsou

Ronat

Jacques Roubaud Fernand Rude Gilles Sandier René Schérer Jean-Noël Schifano Joël Schmidt Jean Schuster

Philippe Schuwer Louis Seguin Jean Selz Jean-Claude Sempé Geneviève Serreau Jacques Sojcher 1. Stern Yvon Taillandier

Julia Tardy-Marcus Nicolas Tertulian Elmar Tophoven Philippe Torrens Michel Tournier Catherine Turlan Lucette Valensi Dora Vallier Anne Villelaur Jean-Marie Vincent Jean Wagner Gilbert Walusinski Guy Wheelen Pierre Zima Richard Zrehen

ont honoré

«La

Quinzaine

littéraire »

de leur collaboration

du 1‘ au 15 janvier 1974

37

BIBLIOGRAPHIE ES

ETES

AU

ROMANS ET FRANÇAIS

RECITS

Jacques-Pierre Les

Amette

Lumières

de

l'Antarctique Coll. Les Lettres Nouvelles

Denoël,

133

p.,

22

F

Douze

nouvelles,

ou

petits films tournés des mots noir blanc .

avec sur

EDR

INSEE

Antonio Machado Poésies trad. de l'espagnol par S. Léger et B. Sesé Gallimard, 506 p., 46 F Première traduction intégrale des poésies complètes du grand poète espagnol (18751939).

Zoïa Sept

Bogouslavskaïa cents roubles nouveaux suivi de

Le trad.

déménagement du

russe

par B. du Crest Gallimard, 169 p., 23 F Un court roman et une nouvelle par une romancière moscovite « dans le vent ». Tolkien Le Seigneur

des

anneaux trad. de l'anglais par F. Ledoux Bourgois, 361 p. 452Fe70 dernier Troisième et vaste tome de ce conte fantastique ou plutôt de cette saga dont la traduction obtint l'année dernière le prix du Meilleur livre étranger.

Toukârâm Psaumes du pèlerin trad. par G.-A. Deleury Coll. Poésie Gallimard, 213 p. 6 F 40 Toukârâm, poète mystique indien, de souche paysanne, composa dans la première moitié du XVII® ces chants spirituels

RRRITRNER ENETE NES LITTERATURE Marguerite Duras India song Gallimard, 152 p., 21

Quatre

Duculot,

416

Stoià

p.,

80

F

voix,

Baudelaire Correspondance Tome 1, 1832-1860 Tome Il, 1860-1866 Bibl. de la Pléïade Gallimard, 1208 p., 75 Fete 100, p;#752F Texte présenté, établi et annoté par Claude Pichois avec la collaboration gler.

Bella

Jean

Lumières

allumées

Gallimard,

394

p.,

45

F

Bella Chagall rencontra son mari en 1909. Ses souvenirs évoquent avec une sensibilité merveild’où elle

vient l'époque

un ghetto tsariste. Dumini

jour-

Amerigo Matteotti trad. de

de

Part

Luther

Privat, 486 p., 95 F Par une équipe d'uni-

Cinq textes sur les problèmes de l'autorité civile trad. de l'allemand par J. Lefebvre Aubier Montaigne, 330 D. 30 F « De l'autorité temporelle et dans quelle mesure on obéissance ».

Nietzsche Tome Tome 10.18,

lui

doit

aujourd’hui ?

| : Intensités ll Passion 440 p., 9 F

95,

443 p., 9 F 95 Recueil en deux volumes des exposés et des interventions pré-

THEATRE Romain Weingarten La Mandore Coll. Le manteau d'Arlequin

Gallimard, 176 p., 10 F Une féerie burlesque. Le théâtre de la poésie.

versitaires vistes,

Maurice

et

d’'archi-

HISTOIRE Bernard

et la troisième révolution industrielle Coll. Peuples et civilisations PUF PR G8S Ep 60RE Un grand manuel d’histoire générale. Maurice Crouzet (sous la direction de) Le Monde depuis 1945 Tome Il Les pays pauvres et la naissance de nouveaux mondes Coll. Peupes et civilisations PUF RS5SS30 0 8072E Paul Guichonnet (sous la direction de) Histoire de la Savoie Coll. Univers de la France et des pays francophones Privat, 484 p., 95 F

FETES

Eisenstein Mettre en

10.18, 317 p., Transcription

7 F 90 rigoureu-

se, par V. Nijny, de quelques-uns des cours professés par Eisenstein à l'Institut ciné-

Crouzet

(sous la direction de) Le Monde depuis 1945 Tome | Les pays riches

Bligny

trad. du russe par J. Aumont

matographique d'Etat, de 1928 à 1948.

ESSAIS

l'italien

par A. Salmieri Julliard, 317 p., 38 F 50 Les souvenirs du tueur

arrive

PHILOSOPHIE

(sous la direction de) Histoire du Dauphiné Coll. Univers de la France et des pays francophones

sentés en juillet 1972 au colloque de Cerisyla-Salle,

trad. du yiddish par Ida Chagall

leuse le monde

F

Zié-

Chagall

vécu

Actuels/La

de

n° 1 du parti national fasciste italien,

SRETEL PER

RESTES ATNTTEE CORRESPONDANCE, SOUVENIRS

deux

qui

p.

Michel Spanneut Permanence du cisme de Zénon Malraux

nées d'un amour en Inde. Scénario. Henri Poncet

Ce

155

Roubaud

Trente et un au cube Gallimard, 206 p., 46 F Un poème composé de 31 poèmes de 31 lignes

RECITS

Feu,

Quand l'écriture ne dit plus rien qu'elle-même.

Jacques

ROMANS ET ETRANGERS

du

POESIE

scène

Raymond Lassiera et J.-C. Lauret La Torture et les pouvoirs Balland, 480 p., 42 F Le point sur la tor-

ture en Occident, de l'Antiquité à l'Inquisition, de l'Allemagne nazie aux guerres d’indochine et d'Algérie. Jean Malaurie (sous la direction de) Le peuple Esquimau aujourd’hui et demain Mouton,

696

p.,

96

F

Ouvrage collectif. Exposés du 4 congrès international de la Fondation française d'études nordiques. Jean Saunier L'Opus Dei Grasset, 281 p., 27 F Le premier dossier complet

sur

cette

société

secrète catholique qui depuis une trentaine d'années influence fortement le destin politique de l'Espagne.

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5 Arthur

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6 Joseph

Joffo

7 Michel Déon 8 Graham Greene

9 Milan

Kundera

10 Morris

West

L'Ogre (Grasset) Hommes libres. (Plon) Un sac de billes (Ed. Spéciale) Un taxi mauve (Gallimard) Le Consul honoraire (Laffont) La Vie est ailleurs (Gallimard) La Salamandre (Fayard)

William Milan

Gaddis Kundera

Les reconnaissances Voir « la Quinzaine littéraire », n° 177 La vie est ailleurs Voir « la Quinzaine littéraire », n° 176

Gallimard Gallimard

ESSAIS

1 2

4 3

Michel Bakounine

4

3

Pierre Barbéris

J.M. Geng

Information/mystification Voir « la Quinzaine littéraire », n° 177

Epi

10 9

1 1 2 4

Alain Jaubert

Dossier d… comme drogue Un document explosif

Alain Moreau

(Calmann-

Lévy)

4 Jacques Chessex

LITTERATURE

3 8

3 1 2

Liste établie d'après les renseignements donnés par les libraires suivants : Brest, la Cité. — Dijon, l’Université. — Grenoble, Arthaud. — Issoudun, Cherrier. — Lille, le Furet du Nord. — Montpellier, Sauramps. — Nantes, Coiffard. — Nice, Rudin. — Paris, les Alicans, Aude, Fontaine, Gallimard, la Hune, Julien-Cornic, Marceau, Présence du temps, Variété, Weil — Reims, les Arts. — Rennes, les Nourritures terrestres. — Royan, Magellan. — Strasbourg, les Facultés. — Toulon, Bonnaud. — Vichy, Royale.

J.F. Lyotard

Œuvres complètes | Bakounine et l'Italie Le monde de Balzac Voir « la Quinzaine littéraire », n° 177

Des dispositifs pulsionnels

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Nom Hitler, prénom Adolf Une biographie très bien documentée La logique de la découverte scientifique Un ouvrage classique à l'étranger L’éther, Dieu et le diable Dans la série des Œuvres complètes

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La Quinzaine Littéraire

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littéraire »

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abonnement au moins depuis un an, nous vous proposons d'échapper à la hausse générale des tarifs de presse en souscrivant un abonnement l’ancien tarif. Il vous permettra de ne payer votre numéro de « la Quinzaine littéraire » que 2,85 F pour un abonnement 3,50 F pour un abonnement 4,17 F pour un abonnement

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3 1° au 15 janvier 1974

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39

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date

signature

Ubraite Le

awwyuinzaline littéraire

Un inédit de Dostoïevski

| Baudelaire A

3 ENQUETE

6

ECRIVAINS

FRANCAIS

Librairies et « grandes

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Angelo

Maurice

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Edmond

Jabès

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Et la neige recouvrit

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10

Lucien

Beppe Fenoglio

11

La Guerre sur Les collines

par Georges Piroué

Présence

par Diane de Margerie

de Yeats

13

INEDIT

Dostoïevski

Cahiers

15

CORRESPONDANCES

Baudelaire

Correspondance Lettres à Baudelaire

par Hubert

19

POESIE

Paol

Hommes

par Serge Fauchereau

20

ARTS

Keineg

Nicolaï

Taraboukine

de L’Herne

liges des talus

en

transes

Le

dernier

Lindner

22

23

Expositions

PHILOSOPHIE

tableau

et

Richesses

par

les mannequins

Juin

Stephen

Bann

par José Pierre

de l’Equateur

par Jean Selz

Wols

par Jean-Louis

Héraclite

par

Claude Duneton

Parler croquant

par James

Jean Poirier

Ethnologie

par

Martin

Heidegger

Jean

Pradel

Lacoste

et Eugen Fink 24

REGIONS

25

26

29

Robert Lafont

Nouvelle histoire de la

et Christian Anatole

littérature occitane Lettre ouverte aux Français

Robert

d’un

Lafont

Claude

Rivière

par René Nelli

Occitan

Marcel Liebman

Le léninisme sous Lénine

par Guy de Bosschère

30

François Fejtô

L’Héritage de Lénine

par D. Grisoni et R. Maggiori

32

Adam

Les Bolcheviks

par Jean Rabaud

33

HISTOIRE

régionale

G. Clark

VIE

SOCIALE

35 CINEMA 36 THEATRE

B. Ulam

Piaget, Maire et Militants CFDT

Lip 73

Don Siegel

Charley Varrick

R. Altman

Le Privé

Peter Handke

La Chevauchée sur le

2

|

par Roger Dadoun

par Louis Seguin par Simone Benmussa

lac de Constance

par Olivier de Magny

38 BIBLIOGRAPHIE

Direction Maurice

:

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Nadeau.

Comité de rédaction Georges

Mlle

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Balandier,

_

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galeries

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Deux ans : 144 F, quarante-six numéros. t : : Un an : 88 F, vingt-trois numéros. : 55 F, douze numéros.

Etranger

:

DR.

3 Grasset : Le Seuil Denoël Le Seuil

P.

6 N.R-F. Jacques Robert

Olivier de Magny,

Un an : 111 F, par avion : 166F

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7 Denoël

Citbert

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P. 13 L'Herne

Ferro,

,

Six mois

P.

Deux ans : 177 F, par avion 277F

Marc

littéraire

: au journal.

Expositions,

Gilles Lapouge,

Walonnte

p, 8 Le Seuil

: 75 cents.

ROM J : Secrétariat de la rédaction

Pour tout changement d'adresse envoyer 3 timbres à 0,50 F

et documentation Anne Sarraute. Aliment: Louis Aldebert

avec la dernière bande reçue. Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal :

P. 20 DR. p.21 DR. P. 35 DR.

C.C.P.

P. 27 Roger Viollet

| re

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à rt

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43, rue du Temple, Paris (4°). Téléphone : 887-48.58.

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P. 14 L’Herne P. 15 DR.

Directeur de la publication :

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P. 31 DR.

Nadeau.

LE.I., 92120 Montrouge Printed in France.

P. 33 Marc Semo, Fotolib P. 36 Claude Le-anh

Librairies et « grandes surfaces »

ENQUETE

Et les écrivains ? Ils ont leur mot à dire L'ouverture par la Fnac, en mars 1974, d'une grande librairie pratiquant le discount va-t-elle entraîner un bouleversement du circuit traditionnel de la librairie ? De nombreux points de vente du livre disparaîtront-ils au profit des grandes surfaces ? Les éditeurs devront-ils en conséquence renoncer à publier des livres difficiles ou d'avant-garde ? A ces questions posées par « la Quinzaine littéraire », un dirigeant de la Fnac, des éditeurs, des libraires ont déjà répondu. Ces questions concernent aussi les écrivains. Pour en débattre, « la Quinzaïîne littéraire » a réuni autour de Claude Bonnefoy et d'Olivier de Magny des écrivains fort différents Lucien Bodard, Roger Bordier, Angelo Rinaldi et Maurice Roche.

Une enquête de Claude Bonnefoy Claude Bonnefoy. — Pourquoi réunir des écrivains afin de débattre d’un problème, celui de la librairie et des « grandes surfaces », qui semble être uniquement économique et commercial ? Parce que les écrivains produisent des livres et que ces livres sont vendus par les librairies et les « grandes surfaces ». Sans doute, mais il y a plus. Au cours de l'enquête que nous avons menée sur la concurrence des librairies et des « grandes surfaces », tout

le monde,

en

dernier

ressort

a

parlé de littérature. La Fnac affirme qu'elle veut faire une bonne librairie et qu’elle défendra

des auteurs difficiles ou d’avantgarde. Les libraires et la plupart des éditeurs soutiennent que le démantèlement du réseau de la librairie aurait pour première conséquence la disparition de toutes les formes d'édition dites d'avant-garde ou de recherche. Les écrivains sont donc concernés. Mais ne sont-ils pas confrontés du même coup avec des Lucien

Bodard

RTE.

du 16 au 31 janvier 1974

problèmes l'ensemble,

qui peu

leur sont, familiers?

dans

Maurice Roche. — Pour moi, il s’agit non pas du livre considéré comme un produit de consommation ni de sa trajectoire commerciale, mais de littérature et des moyens par lesquels on pourrait faire communiquer le texte littéraire à un public de plus en plus large. Or, dans la majorité des librairies ainsi que dans les « grandes surfaces », que cherche-t-on à vendre en priorité ? « Marie des Anges » et autres « Manouche ». Je me demande en quoi un écrivain peut être concerné par cette histoire d’épicerie| Lucien Bodard. — Jusqu'à une date très récente, j’appartenais à la cohorte des journalistes-écrivains et le milieu de la littérature m'était relativement étranger. Je connaissais beaucoup mieux les problèmes des journalistes que ceux des écrivains. Maintenant que je suis entré un peu plus dans le monde de la littérature, je peux dire ceci : j'ai l'impression qu’en

Roger Bordier

France l'écrivain est un individualiste qui n’a pas su s'organiser corporativement ou syndicalement et qui, bien souvent, préfère plus ou moins consciemment le paternalisme des maisons d’'édition. Paternalisme qu'il dénonce mais contre lequel, au fond, il n'agit pas de façon très cohérente. Sa seule arme est de changer de maison d'édition. Encore ne le peut-il pas toujours, car il est lié par des contrats qu'il a parfois signés un peu naïvement et par des avances. Je ne parle pas pour moi qui, de toute manière, dispose de mon traitement de journaliste, mais je pense que dans l'état actuel des choses, commencer une carrière de romancier, de créateur, est extrémement difficile. Bien des éditeurs estiment avoir assez fait pour un jeune auteur en publiant ses premiers livres. II me semble qu'une grande maison qui a la charge de jeunes écrivains leur doit des conseils, mais surtout doit prendre sur eux des risques financiers, ne pas se contenter de leur accorder une mince avance. L'édition devrait se montrer plus rigoureuse dans ses choix et les soutenir davantage. Au contraire, avec le parternalisme qui règne dans certaines maisons d'édition, les auteurs savent très peu de choses sur le tirage et la diffusion de leurs livres, ils ont l'impression, et on la leur donne, qu’à vouloir être renseignés, ils manqueraient à la grandeur littéraire. Il leur

faut donc s'en remettre à des maisons qui, elles, obéissent à des règles financières très strictes.

tions,

Comment,

dans ces condiauraient-ils des contacts

Angelo Rinaldi

avec

la librairie?

Maurice Roche. — La plupart des livres n'ont rien à voir avec la littérature et par conséquent avec une véritable lecture. Et l'on ne gagnera pas des lecteurs en mélangeant les torchons et les serviettes.

Roger Bordier. — Le problème c'est : « que vend-on et comment vend-on ? » La question, pour nous, est de savoir comment se vend la littérature de création, ce qu'on a coutume d'appeler la littérature pure, et non pas cette méprisable fabrication qui s’exerce à peu près dans tous les domaines. C'est sous cet angle qu'il faut poser le problème en élargissant un peu le débat. Or que se passe-t-il ? La Fnac va ouvrir une grande librairie à Paris. Je ne suis pas contre a priori. Je veux bien ne pas douter des intentions culturelles de ses dirigeants. Mais le problème me semble aller beaucoup plus loin. La création de cette librairie Fnac aura des répercussions sur la politique de vente des grandes surfaces. Elle entraînera une transformation des méthodes de vente du livre et aussi des structures de librairie. Une telle transformation s'inscrit dans une logique économique et je ne vois pas comment cette logique pourrait être combattue par ceux-là même qui s'inscrivent dedans, pourrait être, en l'occurence, tempérée par une certaine morale artistique.

Cela me semble impossible. Une fois le mécanisme mis en marche, on ne pourra pas l'empêcher de suivre son chemin naturel.

Eh: sur

? le

Nous problème

débouchons là des « grandes

surfaces ». Celles-ci-peuvent-elles vendre des livres de recherche, de littérature ? Lucien Bodard. — A priori, sachant que les conditions de la diffusion du livre en France suivent des règles ancestrales et qu'il faudrait les moderniser, je ne suis pas contre les « grandes surfaces ». Mais à une condition : qu'elles ressemblent à ce qu'est une grande librairie, qu'elles offrent toute la gamme des livres et ne soient pas simplement une machine à débiter des best-

Les

Maurice Roche. — … Que beaucoup de libraires ont, inconsciemment et peut-être par la force des choses, contribué à aggraver. N'auraient-ils pas, dans une certaine mesure, préparé la voie pour les grandes surfaces du genre Fnac ?

Lucien Bodard. — Pendant longtemps je n'ai eu aucun contact avec les libraires et j'ai

es Lettres

Nouvelles À

Déc. 1973-Janv. 1974

% _ Ecrivains _du Danemark 7 v À

(RER

contraire.

Maurice Roche. — Etant donné le système actuel, le malentendu ne peut que continuer. Pour s'en convaincre il suffit de regarder les présentoirs des « grandes surfaces » ainsi que presque toutes les vitrines des librairies de quartier.

Qui s'intéresse à la littérature ? libraires ou les « grandes surfaces

Angelo Rinaldi. Oui, mais on a plus de chance de trouver dans le circuit classique de la librairie, quelqu'un qui s'intéresse à la littérature et qui pousse un écrivain qu'à la Fnac. J'imagine mal Adrienne Monnier, employée à la Fnac. La Fnac risque d’accentuer le côté un peu ghetto de la littérature...

Lis

sellers. En fait, dans l'intérêt même de la lecture et de la littérature, je crois plutôt à la nécessité de multiplier les librairies. Or il est à craindre que quelques grandes surfaces, ça ne fasse pas une vraie librairie de plus. Au

» ?

cru que leur pourcentage était excessif. J'ai changé d'éditeur et il se trouve que chez Grasset, peut-être parce qu'il s’agit d'une plus petite maison, on s'efforce de favoriser les rencontres entre auteurs et libraires. Ainsi, j'ai eu l'occasion de rencontrer des libraires de province. Ceux-ci,

dans l'ensemble m'ont semblé être des gens qui s'intéressent à leur métier, et qui lisent. Il existe aussi des librairies dont les propriétaires ont fait un placement et qui confient la responsabilité de leurs magasins à des gérantes. J'ai parlé avec plusieurs de ces femmes. Elles font leur métier avec passion, elles aiment vraiment les bons livres. Et quand elles me disent qu'une librairie n'est pas une tellement bonne affaire, que sans une bonne gestion et des marges de 33 l, ce serait un commerce à peine rentable, je les crois. Je les crois car je sais qu’elles sont médiocrement payées. En conséquence, je comprends que le discount puisse irriter les libraires. Il constitue

pour eux une menace très certaine. Et pour la littérature également. Le discount suppose des ventes massives. Il ne peut se faire que sur des best-sellers, donc au détriment de la plupart des écrivains, et, en général, de la littérature.

A

la

Maurice Roche. — Il y a de moins en moins de vrais, de bons libraires. A Paris ils sont à peine quatre ou cinq qui s'intéressent à la littérature, et qui, malgré tout ‘ ce qui s'y oppose, défendent les idées et les textes, suivent les titres et se réapprovisionnent lorsqu'un ouvrage vient à leur manquer. Les autres, dans le meilleur des cas, se contentent de suivre paresseusement l'actualité ; sans « se mouiller » d'ailleurs. Car si un éditeur prend des risques financiers en publiant certaines œuvres de jeunes auteurs — mais c'est sa raison d'être —, les libraires, eux, n'en prennent guère puisqu'ils ont les livres en dépôt

et qu'ils peuvent retourner aux éditeurs les invendus au bout de quelques semaines. La Fnac fera à n'en pas douter la même chose.

Angelo Rinaldi. — Je ne veux pas faire l'éloge des corporations, mais je pense que le libraire pourrait objecter ceci : je vends « Manouche » parce que le public me le demande, et il faut bien que je le vende si je veux pouvoir aussi vendre tel ou tel livre plus difficile. Si je suis un des rouages du « système » qui vous mécontente, j'en suis aussi l'une des victimes, après tout. Roger Bordier. — Sans doute peut-on faire certaines critiques aux libraires, mais on peut en faire dans tous les domaines d'activité. Ce que je crois, c'est que les libraires ont actuellement des difficultés très réelles. Or il y a beaucoup de libraires qui ont su créer une animation culturelle dans certaines villes, dans certains lieux, qui ont un contact très direct avec la population. Que tous n'aient pas une égale compétence, c'est une autre question dont, je suppose, leurs organismes professionnels se préoccupent. Mais, aujourd'hui, où j'ai le sentiment que plus rien n'est adapté aux formes modernes, je ne pense pas que la librairie puisse rester simplement, même perfectionnée comme elle l'est par certains libraires, un simple lieu de vente. Et je me dis qu'il faudrait peut-être méditer l'exemple des ciné-clubs.

avec eux les écrivains, pourraient être tentés de faire des opérations culturelles intelligentes avec le livre. C'est sur ce point qu'il faudrait réfléchir, faire preuve d'imagination.

Olivier de Magny. — A vous entendre, il m'apparaît ceci Le livre est un produit que vend le libraire et dont vous êtes les producteurs. Vous n'êtes pas de purs esprits. Vous êtes intéressés par la vente. Mais dès que vous parlez de sa vente, insensiblement et sans vous en rendre compte, vous mettez l'accent sur le fait que ce produit ne se consomme pas de la même manière que les autres, que c’est un produit hautement personnalisé. Et à la question dre

: « Comment nous faire ven» vous en substituez une autre : « Comment nous faire

lire ? » C'est dire que par rapport au libraire qui vend votre produit, vous ne parlez pas le même langage, et c'est ce qui vous distingue de tout autre producteur. Même quand vous vous réunissez pour parler de la vente des livres, vous parlez de la lecture.

Et le public ? Il est absent du débat Maurice Roche. — || me semble que tout est lié. Si l'on veut faire vendre il faut faire lire. Mais comment? Le problème est vaste, complexe, qui tient à la société, à l'écrivain, à l'éditeur, à la presse, au libraire.

Angelo Rinaldi. — Je vois mal comment on pourrait avoir l'équivalent des ciné-clubs pour la littérature. Le ciné-club est privilégié du fait que le cinéma on le reçoit, alors que la littérature, il faut l'acquérir.

Angelo Rinaldi. — Et au public. Le public est le grand absent du débat. Le public n'est pas obligé d’avoir du talent. Il a le droit d'aimer ou de ne pas aimer. Il a le droit de lire « Manouche ». Et il aura toujours le droit de trouver, éventuellement, nos livres — ou ceux que nous aimons — assom-

Roger Bordier. — Je reconnais que c'est beaucoup plus facile avec le spectacle. Je reconnais aussi que rien n'est plus intime, que rien ne ressortit mieux à l’activité de solitude que l'écriture ou la lecture. Cette intimité entre le travail solitaire de l'écrivain et la lecture de celui qui a acheté son livre est ce qui me paraît correspondre le mieux à la littérature. Il n'y a rien que j'aime autant. Mais nous ne devons pas oublier la vie publique du livre, ne pas oublier que nous, écrivains, sommes tenus ausi à des rapports sociaux. Nous acceptons d'aller à des signatures, de faire des conférences. Nous sommes pris dans un circuit, et la question est de savoir si ce circuit — qui nous relie au lecteur — fonctionne bien ou mal. Ou bien nous nous retranchons tout à fait avec les risques que cela comporte, ou bien nous reconnaissons que nous sommes pris dans ce circuit et il faut que nous

mants.

nous interrogions sur lui. La question que je posais sur l'exemple des ciné-clubs allait dans ce sens. Je voulais dire que les libraires, et

Maurice Roche. — Ce serait le travail du libraire, de conseiller. S'il est là simplement pour vendre de la « soupe », je ne vois pas pourquoi il fait ce métier.

Angelo Rinaldi. — Il y a plus de chance de trouver des gens à vocation pédagogique parmi les libraires que parmi les employés de la Fnac. Maurice Roche. — II y a aussi un problème important : celui de l'information littéraire. La responsabilité de la presse est grande. Elle peut faire connaître un auteur, le défendre; elle peut tout aussi bien par son silence l’'enterrer. Par ailleurs remarquons ceci : depuis à peine dix ans de nombreux hebdomadaires littéraires ont disparu et la page consacrée aux livres dans les grands journaux a singulièrement rétréci. Cela me paraît révélateur et plus grave que cette histoire de « grandes surfaces ».

La Quinzaine

Littéraire

Roger Bordier. —

Le public n'est

pas réellement informé de tout ce qui se publie. Il y a d'excellents critiques littéraires, littéraire qui fait son

une presse travail. Tout

cela n’est pas en cause. Pourtant le relais entre la production littéraire et le public ne semble pas se faire de façon satisfaisante. Je

suis convaincu que beaucoup de livres réputés plus ou moins difficiles et qui se vendent à 3 000 ou 5000 exemplaires pourraient

se vendre à 15000 ou 20 000 exemplaires. Il y a tout un public qui pourrait lire ces livres et qui les aimerait, mais qui, on ne voit pas très bien pourquoi, n'est pas touché, pas informé. Je voudrais me permettre de donner un exemple personnel. J'ai eu un roman, réputé difficile, dont on a tiré une dramatique pour la télévison, elle aussi réputée difficile, ce qui aggravait mon cas. Le film avait été tourné dans un village de montagne et il a été présenté dans ce village par le réalisateur, des acteurs et moi-même. J'ai rencontré là des gens qui avaient lu le livre, des cuiltivateurs, des ouvriers, dont un maçon qui m'en a parlé admirablement, des petits commerçants. Tous l'avaient parfaitement compris. Certains l'avaient aimé, d’autres non, mais il n'avait été inaccessible à aucun. Je n’en suis pas revenu, parce qu'on finit par être traumatisé, par croire soimême qu'on a écrit une œuvre difficile. Cette notion de difficulté est le plus souvent une mystification dont il nous faut essayer de sortir.

_C. B. —

Mais que peut-on

faire

pour en sortir ? Comment améliorer les circuits d’information ? de diffusion ? Doit-on transformer les

librairies ou faire confiance à de nouvelles méthodes de vente ?

Lucien Bodard. — Je pense que l'édition et la librairie doivent se moderniser. Ce qui doit être condamné, c'est la librairie-épicerie tenue par des gens qui ne connaissent rien et qui vendent des livres au hasard. Cela dit, les libraires ont une grande importance, surtout villes dans les petites ou moyennes, ils peuvent influencer le choix des lecteurs. Certes, je n'ai personnellement pas à me plaindre, et si je le faisais ce serait grotesque, mais si je considère la condition des écrivains — écrire est un métier pénible, solitaire, souvent peu lucratif — et celle de la littérature, je pense qu'il importe de faire lire les Français davantage et mieux. Cela suppose d’abord une amélioration des structures de diffusion, mais aussi des rapports entre écrivains, éditeurs et libraires.

Angelo Rinaldi. — Si nous poursuivions le débat, nous nous apercevrions qu'on ne peut rien faire sans changer le régime politique. Nous sommes devant des solutions également boiteuses. Si on veut établir une coordination harmonieuse entre les moyens d'information et le reste, on retrouve toujours, à y bien regarder, le capitalisme d'un côté, le socialisme de l’autre, la notion de culture et la notion de profit Je me demande, à la réflexion, si le problème de la Fnac n'est pas un faux problème. Ou bien si nous ne sommes pas en train de l’'examiner par le petit bout de la lorgnette.

Roger Bordier. — Personnellement, je veux bien croire que la Fnac n'a pas d'intentions uniquement commerciales et qu'elle ne veut pas mépriser les œuvres de culture. Mais ce qu'elle risque d'entraîner, c'est une surconcentration de la vente du livre. Si tous les points de vente du livre disparaissent ou presque à cause‘ du discount, il est certain qu'il y aura, outre des ventes,

une une

de l'édition.

Cela est dans

que même

surconcentration surconcentration

de l’économie.

la logi-

Cela veut

dire que les maisons petites ou moyennes qui se consacrent à la littérature s’arrêteront ou seront absorbées par d’autres, que de grandes maisons elles-mêmes devront renoncer à leur production purement littéraire. Il n'y aura plus que deux où trois énormes maisons d'édition comme il n'y aura plus que quelques grosses surfaces de vente du livre et ce sera la mort de la littérature. C'est pourquoi afin d'éviter cela, je serais assez partisan d’une coopération étroite entre écrivains, éditeurs, critiques, libraires et représentants des associations de lecteurs, de promotion de la lecture. Dans un premier temps, une table ronde réunissant des représentants de toutes catégories pourrait essayer de définir une meilleure politique d'information sur la production littéraire, cela devrait permettre à des livres réputés difficiles — mais en raison de quels critères ? — de toucher le public qui peut les lire et qui ne se borne pas nécessairement aux gens dits cultivés. Je veux dire par là que la culture est le produit de tous, y compris de ceux qui n’ont pas de culture.

Angelo Rinaldi. — En vous écoutant, je pensais ceci : le meilleur circuit commercial possible, l'information la plus parfaite possible n'empêcheront pas qu'une œuvre d'un ton absolument nouveau et qui prendra le public à rebroussepoil, d'emblée ne s'imposera pas

et ne dépassera pas les sinon les 300 exemplaires

1000,

Maurice Roche. — Elle finira peut-être par s'imposer. Il y a des lecteurs virtuels plus nombreux qu'on veut bien le laisser croire — et pas toujours là où on penserait les rencontrer —, qui recherchent « le plaisir du texte » et pour lesquels un livre est aussi un instrument de travail. Mais cela peut prendre du temps. En attendant, que deviendra l'auteur qui ne demanderait pas mieux que de gagner sa vie avec la vente de ses livres, avec le produit de son travail ? Voilà qui devrait nous amener à poser le véritable problème, celui de la condition de

l'écrivain.

Mais

dans

une

société

qui a tout intérêt à encourager la confusion, je ne vois pas comment on pourrait envisager une solution. De toute façon, on ne la

trouvera pas, même au dans les supermarchés.

rabais, O

Lucien Bodard vient de publier « Le Consul » qui a récemment obtenu le Prix Interallié. Roger Bordier a été Prix Renaudot en 1961 pour « Les Blés ». Il anime la commission corporative de l’Union des écrivains. Angelo Rinaldi a obtenu le Prix Fémina en 1971 pour « La Maison des Atlantes » et va faire paraître un nouveau roman. Maurice Roche est l’auteur de « Compact » et de « Circus ». Son prochain ouvrage : « Codex » est sous

presse.

Le Surréalisme, En dépit de la mort d'André lution officielle liste continue.

du

Mouvement

Breton,

en 1966, en dépit de la disso-

surréaliste,

en

1969,

le combat

surréa-

C'est ce que José Pierre est allé dire aux auditeurs de l'Institut Français de Naples, en avril 1973, avec preuves et pièces à l'appui. « La Quinzaine littéraire» publie le texte de cette communication, riche de prolongements et également d'espoirs en ce qui concerne la finalité

de

la Révolution

surréaliste

: mettre

fin à l'antinomie

mortelle

entre Révolution économique et sociale d’une part, Révolution poétique et plastique de l’autre, de ces deux Révolutions n'en faire qu'une. Une plaquette de 52 pages, 11/18, photographiques sur « couché » :

France

avec

8 reproductions

dont

4

: 10 F

Etranger : 15 F Envois franco de port. 70 exemplaires sur pur fil, sous emboîtage, avec deux eaux-fortes originales signées par Théo Gerber et Ivan Tovar, sont en vente à la librairie « Les Mains libres », 2, rue du Père-Corentin, 75014 Paris.

ECRIVAINS FRANÇAIS

Gallimard éd., 123 p.

par Philippe Boyer

dans

le

El, ou le dernier livre

Daniel Boulanger

Fouette

dernier

livre,

se

rassemble au titre d’un simple point, la constellation de sept livres — sept étoiles sur la page

qui interdit que le point se répète dans l’espoir vain des suspensions. « Hier et demain sont moitiés d’un même point ». C’est dans cette coupure du présent toujours défait, dans cette blessure qui ne se suture

ni de la mémoire,

ni du

boucle. Le livre des questions d’abord inscrit trois livres-points, ce qui suffit à définir un cercle et à en laisser du même coup pressentir le centre absent. Puis une nouvelle boucle vient se prendre dans la première, par trois autres livres et

projet, que le livre laisse sa marque d’absence, rejeté hors de la question qui le supporte. Multiples sont les « points » où le regard peut serrer le point qui serait ici à lire — à dé-lire et à dé-lier — dans l'éternité de la question, dans le néant de sa béance. Ainsi du côté de lHistoire « Charniers, je connais tous vos noms putréfiés dans les abysses du Nom. » Ou du côté du corps « le point, goutte de sperme. » Et constamment ponctué

trois

dans

noire du ciel. Ainsi, d’aucune manière ce point ne peut se lire

comme la limite paisible du livre, mais il constitue plutôt l’étranglement, le nœud

autres

serré d’une double

points

: Yaël,

Aely. Alors il suffit de qu’au bord de la mort point s’inscrive : en « n'est pas un lieu et où possible de résider >

Elya,

serrer pour le dernier ce lieu qui il nest pas comme dit

Blanchot, le lieu du Livre et l’in-

nommable nom de ce lieu qui est aussi le nom de Dieu qui « pour se révéler, Se manifesta par un point. »

C’est de ce point qu’il faut partir pour lire le dernier livre de Jabès, et pour relire cette figure de la double boucle dont le septième point marque le serrage, ou encore de deux triangles inversés, le septième point accrochant alors l'étoile juive à la redoutable exigence de l’errance. Rien ici qui se termine d’aucune manière. Dans le nœud serré de la double boucle, le livre très littéralement

s’ex-termine en son extériorité radicale, dans l’entaille d’un suspens Philippe « L'écarté

Boyer (e) »,

par Philippe Boyer par Claude Mettra par P. Otchakovsky-Laurens

La Bréhaigne cocher !

Le point nodal

Edmond Jabès, EL, ou Le dernier livre

Ici,

Edmond Jabès Albert Bensoussan

vient de publier coll. Change, Se-

l’entaille

même

des

mots,

pour en faire jaillir la sève, le sens — et le sperme. « Dans le mot naufrage, disait-il, nuage est le

vocable de la chance. » Ou encore: «

car

le

murmure,

nest-ce

pas

deux fois le mur renversé, le mur attaqué par le mur ? » Ce chemin

de lecture,

Derrida

déjà en indiquait le passage à propos du Livre des questions « la forêt, où grouillent les signes apeurés, dit sans doute le non-lieu de l’errance, l’absence de

chemins prescrits, l'érection solitaire de la racine offusquée, hors de portée du soleil, vers un ciel qui se cache. Mais la forêt, c’est aussi, outre la rigidité des lignes, des arbres où s’accrochent des lettres affolées, le bois que blesse l’incision poétique. » Si lire c’est aussi voir ce qui dans le livre ne peut pas se lire,

alors il faut se rappeler ce qu’au seuil du regard on lit dans Aely : « Dans le mot œil, il y a le mot Loi. Tout regard contient la loi. » Cette Loi, le Talmud déjà la regarde.

Edmond Jabès

Les fictions ouvertes de Jabès apparaissent alors comme un regard redoublé. regard sur le regard, laissant apercevoir en sa béance la Loi

comme

un

simple

point,

illisible, un œil blanc sur quoi le livre ne cesse d'interroger, cet œil qui est la question même du Livre.

« Le vide, comme

Dieu, n’a

pas de nom. L’œil d’outre-silence se pétrifie avec le point final du livre. » Et peut-être, si les trois Livres des questions dessinent la forme d’un œil, si les trois livres de Yaël, Elya, Aely dessinent en leur

fiction l’œil qui se retourne dans le regard de l’Autre, viendrait s’inscrire en ce septième livre le centre inhabitable de ce regard saisi dans le regard de l’Autre. Le centre, c’est toujours le point aveugle. « Le centre, c’est entre voir et vu. » Au terme

de l’errance, il n’y a

pas de terme, et le point n’est ici que la marque insaisissable de cette longue traversée des déserts qu'aucun livre n'arrête. « Etre juif, c’est être parti très tôt de son lieu et n’avoir abouti nulle part. » Jabès, avant même le premier livre de la constellation,

a donné

ce

titre à l’avant-livre : Je bâtis ma demeure. La voici bâtie. Et son nom est ce point d’orgue, le dernier souffle, seul énoncé possible, en son échappée radicale, du nom de Dieu. Après quoi, la mort souffle de son « r » irrespirable le dernier mot. « Autour de mon cou, cercle de plus en plus serré, il aura été mon lien avec le livre. O mort préméditée ! » Tel est le point nodal, qui dans le serrage de son nœud dérobe au livre jusqu’à son nom. Point NUL, où l’UN, au revers du point, serait enfin visible à l’œil NU : L ou EL.

CO]

ghers/Laffont.

La Quinzaine

Littéraire

Ecrivains français Albert

Bensoussan

La Bréhaigne Coll. « les Lettres Nouvelles

»

Denoël éd., 166 p.

La brisure

par

africaine,

Claude

Le

Mettra

cœur

est vide,

déserté ; la

flamme qui y brûle ne consume plus que le passé et dans cet espace creux erre la mémoire, celle d’un temps où la vie était pleine, où les bouches étaient faites pour le rire et le sourire, où chaque main amie portait avec elle son poids de chaleur et de paix. Que faire de cette mémoire errante, sinon la jeter comme un cri à son propre visage, afin que le chagrin puisse se reconnaître et la douleur se nommer ? Le territoire dont il est question ici s'appelle exil et c’est à la quête de sa géographie souffrante que nous convie la Bréhaigne. « J'ai terriblement de peine à vous savoir si loin, si fragiles et

si seuls

»,

écrit

à ses

vieux

parents le narrateur, et il n’y a rien au départ de cet admirable récit que l’effroyable banalité de la vie quotidienne, celle qui, au hasard des guerres, des révolutions ou des misères personnelles, rejette loin les uns des autres ceux qui ont connu ensemble, sous

un

même

soleil,

la beauté

et la paix du monde.

Mais l’éloi-

gnement,

la solitude

la fragilité,

de ceux que nous aimons, ce sont les nôtres. Les absents renvoient Albert Bensoussan à son propre abîme. A l'aurore de l'enfance

par Paul

pour

univers

de la

l'enfant

à la cruauté

de la terre,

à la dislocation des espaces heureux ? Voici la guerre d’Algérie où le petit Arabe découvre que son camarade est juif, que la fille du voisin est chrétienne ? Voici les temps où il n’est plus d’espoir que dans la fuite, plus de recours que dans l’arrachement. Bien des années après, la blessure est tou-

jours là, qu’il faut bien mettre à nu pour lui donner un sens; alors il ne reste plus qu’à s’enfoncer dans les trappes obscures de l’être pour savoir ce qu’il en était exactement de la paix et du bonheur : « Descendre au fond du gouffre. Sous les dalots. Creuser des galeries. Découvrir des filons, des issues, des espaces. Les fulguDes d'autrefois. éclairs rances ténébreux ». A l’exhumation de ce lointain commencement, partiles sortilèges tous cipent de l’image qui sont aussi les sortilèges du verbe. Camus, jadis, en

avait dessiné les contours en explorant les mêmes et hommes les mêmes

paysages

et l’on trouve

ici la somptuosité baroque que l’école algérienne révéla nous d’après-guerre. Face à cette Algérie maternelle, le narrateur ne peut plus chercher son reflet que dans l’étrangeté du pays froid, dans la brume muette de cette « Bréhaigne » dont les dieux et les démons lui sont à jamais inconnus. C’est entre l’ardeur d’un soleil perdu et la glace de la terre d’exil qu’il célèbre dans ce long oratorio la tragique aventure de ceux que l’histoire a arrachés à leur sol sans ménagement puisqu'ils y ont laissé une part de leurs racines. Et la tige coupée, longtemps pleure dans les soirs de l’hiver. Mais au-delà des larmes, il y a

Albert Bensoussan

ici le ruissellement magique de l’aube africaine, le chant bariolé d’une terre archaïque où les plantes et les pierres ont une parole pour les hommes. C’est cette parole qui, au-delà de la longue plainte exilée, donne à cette chronique un rayonnement lyrique qu’on aimera voir plus tard éclairer de plus vastes territoires.

[]

Claude Mettra; qui participe à l'émission quotidienne « Chemins de la Connaissance » à France-Culture, collabore à « l'Express » et à « la Quinzaine littéraire ».

français

Une composition réglée

Otchakovsky-Laurens

Quelque chose de très surprenant advient au lecteur de Daniel Boulanger. Et sans doute est-ce là le signe d’une belle réussite : le voilà incapable de déterminer, sitôt chaque texte achevé, l’exacte dimension de ce qu’il vient de lire. Si une nouvelle est à l'évidence plus brève qu’un roman, celles-ci sont écrites de telle manière qu’elles donnent l'illusion d’un arrêt du temps ordinair-, sans

cet

qui protège de tous les désastres. « Je n'avais pas peur, maman, car ma tête connaissait la chaleur de tes jambes où je poursuivais mon sommeil interrompu par les youyous des sirènes sur le port... nous vivions protégés ». Mais cette sécurité n’était pas un enclos. Elle était au contraire le chemin pour découvrir l’amitié des vivants et la douceur des choses. Une saison était jadis où le ciel était bleu, où les paroles n'étaient pas obscures, où le corps n’était pas empoisonné par les cauchemars et les terreurs. La mort elle-même trouvait sa place familière dans les cercles réguliers des saisons. Où commence la brisure, le grand mensonge qui va ramener

Ecrivains

Daniel Boulanger Fouette Cocher! Nouvelles Gallimard éd., 288 p.

dans

pauvreté où musulmans, juifs et chrétiens jouissent de la même lumière et participent de la même humilité, il y a la Mère. C’est autour de son visage que le regard enfantin construit la cohérence du monde, la muraille

autant

en

proposer

un

substitut. Elles ménagent de curieux suspens qui provoquent un

du 16 au 31 janvier 1974

plaisir aigu douloureux, plaisir que chacun des Boulanger. Vingt-sept

et grave, parfois toujours poignant, l’on retrouve dans recueils de Daniel

nouvelles — vingtsept personnages et même un peu plus, et quelques comparses qui ne sont pas de simples faire-valoir mais les éléments nécessaires d’une composition réglée dans ses moindres

détails,

avec

toutefois

cette marge et cette incertitude par où s’établissent une vibration, un flottement qui évoquent ceux de la vie. De Marthe la voyante

aux nostalgies médiumniques ou plus simplement rêveuses, à Camille Récasse le politicien arrivé, de Montal l’impavide et infirme collectionneur de timbres à Maurice Forge l'industriel qui s’idéalise Chéyenne, des uns aux autres il n’y a pas de véritable solution de continuité. On ne peut dire vraiment de ces textes qu’ils sont une succession de portraits ou même l'exploitation systématique de situations choisies pour leur originalité, ou encore des chroniques de la vie provinciale ou de

l'existence

retirée,

ou

enfin

des tableaux tout

cela

de mœurs.

ensemble

Ils sont

et, du

coup,

bien plus. Car le rapprochement de ces divers éléments permet toutes ments

les variations, les changede ton et de mode, toutes

les fugues possibles à un auteur dont la plume sait être légère et dansante. Le déconcertant est que tout ceci pourraît n'être au fond qu’un remarquable exercice de style dont le principal intérêt serait d'établir à propos de la nouvelle une sous-classification des genres telle que la pratique et la lecture l’ont dégagée à pro-

pos du roman. Il y aurait ainsi la nouvelle psychologique, la nouvelle historique, la nouvelle de mœurs, d'amour, paysanne, à tiroirs, etc. Mais il passe dans chacune des histoires que raconte Daniel Boulanger, une chaleur

qui

anime,

réveille

et

tout

uniment engourdit, emporte ravit. On est alors proche de ce moment où on est heureux. Il n'y a plus besoin des mots. Mais, en attendant, les mots qu’emploie l’auteur excellent à cerner

caractères,

faits,

gestes.

Silhouettes qu’une phrase, et puis d’autres qui suivent avec la

inten-

aussi parce que. il faut y revenir.

se, capables de brusques élancements, dégagent d’un brouillard de couleurs et de sensations dont elles préservent la vérité indécise tout en l’éclairant un peu plus

elles jouent et se jouent du temps

même

fort,

douceur

en

exigeante,

accusant

ses

nuances

et

ses contrastes. Quant aux faits et aux gestes, discrets généralement, du moins ceux qui importent,

l'écriture ici refait un monde à leur mesure de folie plutôt tendre. Si les nouvelles de Daniel Boulanger sont tellement précieuses — disons, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, rares — c’est

et

que

ce

jeu

nest

pas

gratuit.

La dimension réduite du texte ne permet pas la mise en œuvre dans leur intégralité des mécanismes romanesques qui toujours et bon gré mal gré, s’inscrivent dans une

durée parallèle à la durée vraie. Ici les rapports avec le temps sont plus sauvages, plus immédiats. Cruciaux. Les personnages de Fouette Cocher ! et leurs aventures sont comme arrachés aux lentes décrépitudes du vieillissement, même si c’est parfois de cela qu’il est question.

Raison pour laquelle, peut-être, le livre une fois refermé ne devient dans le souvenir du lecteur ni catalogue de figures exceptionnelles ni mosaïque froide. Il emprunte à la mémoire et pour elle des désordres et des correspondances imprévus, des organisations subtiles sitôt faites sitôt défaites, des bonheurs discrets, de soudaines crispations. Il vit ses vies. []

Paul

Otchakovsky-Laurens

dirige

la

collection « Textes » chez Flammarion. Il est un collaborateur habituel de « la Quinzaine littéraire ».

ECRIVAINS ETRANGERS

Wlodzimierz Odojewski Beppe Fenoglio

Wlodzimierz Odojewski Et la neige recouvrit leur trace Trad. du polonais par Johanna Ritt et Stefan Radov Le Seuil éd., 446 p.

Et la neige recouvrit leur trace La guerre sur les collines Présence de Yeats

La fin de ‘ leur ’monde sonne, apparemment ne dirige les divers mouvements liés ou enne-

mis dans cette Ukraine polonaise de 1943-1944, mouvements qui ap-

par Anne Villelaur

Bien que Et la neige recouvrit leur trace recoupe largement le Crépuscule d’un monde (traduit en 1966) : on y retrouve les deux familles de « seigneurs » les Czerestwienski et les Woynowicz, et principalement leurs fils cadets: Piotr et Pawel, ainsi que la bellesœur

de ce

dernier,

Katarzyna;

et bien que ce dernier roman eût pu s’intituler aussi le Crépuscule d’un

monde,

c’est,

en

partie

Août 14 de Soljenitsyne qu’il rappelle. En effet si, dans Le Crépuscule d’un monde, Odojewski nous dit le chaos qui règne dans cette Ukraine polonaise —

tout récemment

en-

par Anne Villelaur par Georges Piroué par Diane de Margerie

paraissent uniquement quand ils interviennent dans la région où vivent les Czerestwienski et les Woynowicz ou dans la ville de Kryztol où se sont réfugiés certains membres des deux familles. C'est-à-dire que nous voyons à

l’œuvre,

quand

l’occasion

s’en

présente, les Allemands, bien sûr,

avec la Légion de l'Est et surtout les SS de la Nachtigal spécialement

entraînés

à massacrer,

mais

aussi des unités et des bandes proallemandes aux activités non coordonnées, les Bleu Marine (police polonaise) et la police auxiliaire polonaise, les unités militaires de la ROA (Russes blancs), les Wla-

sow

(prisonniers

les Banderistes,

bande

fondée

en

1943 et représentée dans la région par Gawryluk, bâtard des Czerestwienski. Il faut encore ajouter

deux organisations spécialisées dans la chasse aux Juifs (bien que les autres ne s’en privent pas à l’occasion) : les divisions galiciennes,

Wlodzimierz

Odojewski

et

le vieux

mouvement

qui organise des pogroms depuis le xIx° siècle : les Cent Noirs. De l’autre côté, nous voyons des groupes de résistance aux Allemands, ceux de Draza (qui attend des parachutages de Londres, en vain), de Laudanski et Natanezyk (plutôt pro-soviétiques mais pas d'accord entre eux), de Hullas (qui attaque des convois allemands) et des gens comme Karpatka qui travaille d’abord avec Laudanski, puis rejoint les partisans soviétiques ; comme Czartorius et Hanczar qui assurent avec plus ou moins de fidélité l’autodéfense de Gleby (le fief des Woy-

de guerre sovié-

nowicz), car tout village tente de

tiques ralliés aux Allemands), les Ukrainiens de Melynkowiec, ceux

se défendre, la plupart du temps de façon dérisoire, par manque

core appelée Galicie —, dans Et la neige, l’auteur nous « met » dans le chaos. Pas plus que Soljenitsyne, il nous donne une vue cavalière de la situation : l’étatmajor d’Août 14 ne connaissait pas la situation des armées et n'avait aucun plan stratégi-

Allemands

que, laissant

aux

de maisons avec leurs habitants, et

cipant parfois à de vrais combats,

d’improviser caire ; dans

une tactique Et la guerre.

massacres en tout genre), mais ils

parfois exécutant un traître en compagnie de quelques hommes,

officiels le soin

préper-

appartenant aux Boulbiens, et ceux de l’Organisation nationaliste ukrainienne. Ces groupes font plus ou moins le sale travail pour le compte des (incendies

de villages,

semblent dépassés en férocité par

d'armes ; ou

comme

Piotr

qui,

après avoir travaillé plus ou moins mollement pour deux organisations, forme son propre groupe; ou enfin comme Pawel qui passe beaucoup de temps à errer, parti-

La Quinzaine

Littéraire

parfois arrêté par la maladie ou par une sorte de lassitude. Si nous suivons vaguement ces derniers groupes dans la mesure où Piotr et Pawel sont en rapport avec eux, les autres — pas toujours identifiables d’ailleurs — surgissent le temps d’un massacre ou d’un incendie, et ne laissent derrière eux que destruction. Toute une masse de noms de villages revient à la mémoire de Pawel rentrant à Gleby où sa mère a été atrocement assassinée : Des villes, des villages incendiés. Le vent hurlant sur les poutres carbonisées. Des cadavres pourrissant dans les ruines. Des visions de ce genre attendant partout le voyageur ou le fermier ou le seigneur qui se trouve menacé où qu’il aille, comme ces gens massacrés dans une église où les survivants sont littéralement submergés par les cadavres et les corps des agonisants, sans qu’on sache qui, exactement, a attaqué. Devant ces images de destruction, de destruction de toute une région, Pawel en arrive à se demander combien de temps durerait cette saignée fratricide et dénuée de sens.

wienski (mais avec cette différence que ceux-ci sont des Russes),

les Woynowicz (qui, eux, sont ukrainiens) savent que leur monde s'est écroulé. Pawel luimême s’est demandé Qu'est-ce qui avait encore le moindre sens, si le tourbillon sanglant qui les emportait était vraiment la fin de leur monde ? Katarzyna, entendant par hasard des palabres entre sa belle-mère et des amis, pense : Comme si la fin de la guerre n’était pas également la fin de leur monde. Et, bien qu’elle avoue ne rien comprendre, ne rien savoir, finalement l’éducation qu’elle a reçue chez les Czerestwienski lui paraît dérisoire : On l'avait élevée, elle

en

était

consciente,

comme

une fleur de serre, qui avant même de s'épanouir est condamnée à une perfection factice, pri-

vée de cette valeur unique que donne une existence naturelle. On avait poli ses gestes, ses mouvements [|] afin que toute sa personne reflète uniquement la tradition séculaire de sa caste. Piotr, lui, comprend un jour, que son grand-père savait parfaitement qu’il n’assistait plus, cette fois-ci,

au crépuscule d’un monde, à celui de leur monde.

mais

nouvelle bibliotheque romantique

romantisme Le choix que plusieur. S 9e inérations

Cette absurde tragédie de la guerre, nous la sentons probablement d’autant mieux que Wlodzimierz Odojewski nous contraint à découvrir peu à peu tous ces gens qui s’acharnent à mettre à sac leur pays, à l’anéantir, et cela avant que les circonstances historiques justifient à leurs yeux la technique de la terre brûlée, — avant l’arrivée des Soviétiques. On ne peut même pas dire, en 1943, que c’est une revanche contre ces derniers qui ont déporté beaucoup d’Ukrainiens et en ont tué un trop grand nombre. Pawel, lui, à la rigueur, qui a tenté de ramener le

corps de son frère de Katyn, et qui a vu cette immense fosse commune, pourrait, lorsqu'il revient bouleversé par cette vision, éprouver le besoin de se battre contre les résistants plus ou moins pro-soviétiques — symbole de ceux qui ont tué son aîné, Aleksy. Mais il n’en est rien. Au contraire,

c’est Laudanski qu’il rejoint dans le combat. S'il est vrai que Pawel ne comprend pas très bien ce que veut lui dire un résistant affirmant : Les jeunes croient que la patrie a

besoin

d'eux,

mais

ce

nest

qu'une part de la vérité. Ce sont eux qui ont besoin d’une patrie. Et qui d’entre nous sait quel avenir lui est destiné ?…. c’est peutêtre parce que, comme les Czerest-

du 16 au 31 janvier 1974

refuse à quitter cette terre, se refuse à croire à la fin de son monde,

comme si quelque miracle pouvait faire que l’histoire se fige. Ce qui ne l’empêche pas, après l’assassinat de son père, de dire à Pawel que le vieux Czerestwienski s'était attaché à ce pays, tout en sachant qu’il serait obligé de payer pour la terrible injustice que, depuis des siècles, vous (les Woynowicz, et tous

les propriétaires

et

seigneurs) faites subir au peuple, payer pour le pillage, l’exploitation et le mensonge ; payer pour votre insolence aveugle, votre orgueil qui dépasse les bornes. Et lorsque meurt, assassinée à son tour, la vieille Mme Woynowicz, Pawel a une façon très ambiguëé d’expliquer l’attachement de sa mère à son pays : elle qui avait

été attachée à ce peuple par les liens séculaires de l'exploitation de l’homme par l’homme, les liens de la richesse et de la misère,

de l’orgueil et de lhumiliation. Il n’est pas étonnant, dans cette atmosphère, que Pawel ait un sentiment de culpabilité et ne sente aucun but véritable à son combat,

tandis que son cousin Piotr, plus jeune et d’origine russe, choisit le combat à outrance : il est devenu comme un loup. Il s’en va d'un village à l’autre et incendie, dit-on de lui. Et plus tard, il avoue à Pawel : Je ne laisserai rien ici qui puisse servir aux Rouges. Et après ce jour tragique. Ô mon Dieu. il faudra peut-être s’intro-

et d'éditeurs

ont ope re

qu ils n'ont pas cesse d'être admirables, bien des textes qui ont connu el qui conservent une juste célébrité demeurent d'un accès difficile ; d'autres sont toujours inédits. LA NOUVELLE BIBLIOTHEQUE ROMANTIQUE se propose de réparer les oublis d'un autre âge. Elle contient non seulement des œuvres littéraires, mais des correspondances, des recueils d'articles, des documents de toute sorte, susceptibles de favoriser et d'éclairer toute

une nouvelle Renaissance, qui fait apparaitre le XIX® siècle comme notre Grand Siècle.

volumes parus :

a. bertrand gaspard de la nuit h. berlioz

L’oncle Teodor, en revanche, se

Cette absurde tragédie...

de lecteurs

depuis un siècle en puisant dans l'abondante bibliothèque romantique n'a pas toujours ele serein. Naguère encore, Balzac et Hugo eux-mêmes attendaient d'être délivrés du purgatoire dans lequel une certaine critique les avait con/fines. Si les chefs-d'œuvre du XIX* siècle suscitent désormais des études systématiques, si d'excellentes éditions témoignent

correspondance générale tome

1

stendhal

d'un nouveau complot contre les industriels e. quinet histoire de mes idées ch. fourier le nouveau monde industriel et sociétaire lamennais

paroles d’un croyant

george sand les sept cordes de la lyre

l'âne mort

j. janin et la femme guillotinée

victor hugo william shakespeare

revue de la Société des Etudes Romantiques Parait deux fois par an. Elle contient à la fois des études critiques et des informations destinées à faciliter les recherches. 6 numéros parus.prix du numéro en librairie : 20F°

FLAMMARION

duire parmi

eux, faire ce qui est

toujours Le Lot des vaincus, semer du poison, la trahison, la mort... C’est

truit,

dans ce pays qui se déqui sent dans ce monde

venir sa fin

— que seuls viennent

éclairer quelques souvenirs d’un passé de paix, les belles demeures des seigneurs, mais aussi les villages et les champs pleins de vie

et parfois de chants — que Katarzyna exerce sur les deux cousins, Pawel et Piotr, une fascination qui n’est pas.étrangère à l’activité politique des deux cousins. Ce n’est pas, évidemment, parce que Katarzyna a une sorte de sens politique (elle avoue qu’elle n’y comprend rien), mais parce qu’une rivalité sourde oppose les deux hommes qui sont amoureux d'elle, et qu’il leur arrive de choisir la fuite

Beppe Fenoglio La Guerre sur les collines trad. de l'italien par Gilles de Van Gallimard éd., 464 p.

par Georges

événements,

dans

le tourbil-

lon de l’action ou la première ferveur du souvenir. Quoiqu'il s’agisse d’un témoignage et d’une œuvre autobiographique, le chroniqueur a pris de la hauteur pour narrer. Si bien que ce qui encombre d’habitude ce genre de littérature, professions de foi patriotiques, options et haines partisanes, enflure du style — rien n’est plus rhétorique que ce qui est dicté par l’émotion —, n’apparaît jamais ici. Remplacé par quoi ? L'efficacité narrative est un grand mystère. Vittorini et Pavese qui ont évoqué les mémes années sombres font figure à côté de Fenoglio de fignoleurs de procédés avec les Hommes et les autres ou la Maison sur les collines. Il y a d’abord — le titre l’indique avec précision et ce qu’il faut de résonance poétique — le lieu du drame : les Langhe, cette vaste région de mamelons, d’arétes,

de

comme

creux,

d’anfractuosités,

une mer en train d’essuyer

un grain, qui s'étend à peu près d’Asti à Cuneo, au sud de Turin.

Villages perchés avec la place ou le cimetière en surplomb et pardessus la pince à linge du campanile qui maintient le tout en l'air : routes de crêtes zigzaganGeorges Piroué, romancier et critique, a traduit de nombreux ouvrages de littérature italienne.

10

à leur égard, refusant d’épouser Pawel alors qu’elle voudrait un foyer, ses rapports avec Pawel sont toujours en porte-à-faux et son aventure avec Piotr est peut-être quelque peu mythique. C’est un

amour

fois apparaît comme une femme rêvée. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant dans un livre où, souvent, le rêve a la même réalité que les événements vécus, où Pawel, par exemple, fait une sorte de rêve en boucle où sans cesse repassent les mêmes paysages, où se répète la même quête. Et souvent, le temps s’'étire, hier devient une zone

d’adolescent,

et, en

1943,

alors qu’il a dix-sept ans, il semble que

Katarzyna

ait éprouvé

pour

lui un tendre attachement. Curieusement, Odojewski ne décrit pas la jeune femme dont nous ne connaissons que quelques traits. Et l’on se demande si son charme, indéfinissable pour le lecteur,

n’est pas, en partie, le reflet de l'amour des deux hommes. Tour à tour passive et déterminée, nostalgique lorsqu'elle songe à sa vie chez les Czerestwienski, sans que cela ne l'empêche d’être critique Ecrivains

personnage

mouvante

insaisissable

qui

par-

et lointaine, et trois ans

des siècles, ce qui rapproche certains épisodes du rêve, ou, parfois, quand Pawel perd totalement la

notion du temps, du cauchemar. Le mélange de ce monde qui meurt, de ce pays dévasté, alliés à l’étrange présence de Katarzyna, à ces amours proches de l’envoütement, donne à Et la neige recouvrit leurs traces une dimension que n'avaient pas les œuvres précédentes d'Odojewski. Peut-être demande-t-1l parfois plus d’attention au lecteur, mais c'est là le signe d’une richesse, d'une ampleur, d’une subtilité aussi qui classent définitivement Wlodzimierz Odojewski parmi les écrivains de tout premier plan. [] P.S. — na Ritt et lente, et poser de langue.

La traduction de JohanStefan Radov est excelil semble qu’elle a dû sérieux problèmes de

étrangers

Dans le sillage de Tolstoi

Piroué

Cet ouvrage, Fenoglio ne l’a pas écrit au fil ou au lendemain des

ou de livrer parfois à une sorte de surenchère pour séduire Katarzyna. Pawel semble avoir aimé Katarzyna dès qu’elle a épousé Aleksy, et ses espoirs ont pris corps quand il a cru son frère mort. Piotr a eu pour elle un

tes avec le dévalement des pentes vers les cuvettes plantées de vigne et les vallées piquetées de fermes, et toujours en face de nouveaux amphithéâtres de collines ; ravins et torrents, et tous ces fleuves aux formidables sonorités : Belbo, Bormida, Tanaro.. Puis, doublant

cette nieuse

agitation

à la fois harmo-

et syncopée

des terres,

il

y a le rythme de l'Histoire que Fenoglio n’a sans doute perçu qu'avec du recul, distinguant la marée de la houle et la vague de son écume. Au

début, juste après la chute

du régime fasciste, une période de vasouillage et de vadrouille; ensuite une lame qui s’enfle peu à peu et qui du haut des monts, avec une joyeuse sécurité, s'écroule

sur la plaine emportant dans son déferlement la ville d’Alba, première ville d'Italie libérée par les partisans ; alors s’allonge jusqu’au cœur de l’hiver 1945 un lent et inexorable reflux qui commence sous des torrents de pluie, dans la boue, par un semblant de bataille fantomatique et titubante devant Alba vite perdue, qui se poursuit sous un soleil aigrelet d’automne par le ratissage au peigne fin des collines, qui s'achève par lerrance dans la neige de quelques solitaires pourchassés, traqués autant par les rigueurs de la saison que par les

fascistes. Oui, les masses sont en place, les transitions bien ménagées, les mécanismes connus à fond. Feneglio a des vues et porte des

jugements

d’historien:

lorsque

à

petites touches il révèle sous la guerre chaude la guerre froide que se livrent les formations garibaldiennes à foulard rouge d’obédience marxiste et les formations militaires à foulard bleu de l’ancienne armée royale ; lorsque surtout, tout au long du livre, il bée

lui-même

de stupéfaction

le monument

devant

d’inconscience,

de

puérilité, d’inutiles fanfaronnades à quoi se ramène ce qu’on a cru être l’épopée de la Résistance. Jamais, pas une seconde, en face de cette dilapidation de bonne volonté et de gaîté, de salive, de larmes, tudes, de choix

de sang, d’attid’uniformes et

d’insignes distinctifs, de harangues et d’injures, Fenoglio ne se repent d’avoir rejoint le camp des fous plutôt que celui des nantis, ne marque la plus petite réserve, n’ébauche le geste de se désolidariser.

Au

contraire,

il se

nourrit de cette générosité qui tourne si souvent au dernier don

chef Nord, ce drapeau rouge déployé en pleine nuit de 1943 sur la façade d’une mairie, ce partisan paysan qui tranquillement, avec

son

couteau,

se

coupe

pour

la mâchonner une tranche de résine synthétique qui enveloppe une bombe, la gesticulation de l’homme

tué

en

pleine

course,

la façon du fuyard de bouler sur la

pente,

de

monter,

descendre

par monts et vaux, se ruer, s’aplatir, s’étaler dans l’eau, et les fer-

mes incendiées dégagent des colonnes de fumée, les coups de feu font des flocons dans l'air cristallin, les coups de sifflet vrillent le ciel bleu, toute une ima-

gerie d’Epinal miniaturisée, et les doigts,

les lèvres,

tremblent,

les

larmes viennent aux yeux d’énervement,

d’épuisement,

on s’effon-

dre, la peur, la peur, et soudain la vive clarté d’une sorte d’émerveillement, une manière de lévitation, ou bien l’adhérence totale, saine, ferme, à ce qui se passe, fût-ce un massacre, bref,

de soi, au sacrifice de la vie.

tout ce que le corps, et pas seu-

Fenoglio n’est pas seulement un stratège à la façon du colonel Lawrence menant des gosses à la bagarre, mais à la manière du Tolstoï des Souvenirs de Sébastopol, un psychologue, un moraliste, mieux que cela, un sympathisant qui a le don de la narration commémorative. Ses larges panoramas aérés grouillent de petits faits vrais disséminés partout qui attirent le regard et remuent le cœur : la dérisoire coquetterie d’opérette du grand

lement

l'esprit,

ressent,

exprime,

ignoble et en même temps infiniment respectable parce que nous sommes

tous

faits

d’une

même

chair. On pense à Stephen Crane et à sa Conquête du courage. A Hemingway aussi, dans ses meilleurs moments... Publié

au

sortir

de la guerre,

Fenoglio se serait trouvé noyé sous le petit raz-de-marée du néoréalisme. Aujourd’hui il rejoint le réalisme universel et contribue à assurer sa permanence.

O]

La Quinzaine

Littéraire

Ecrivains

étrangers

COLLECTION SCIENCE

DENIS RICHET

Présence de Yeats par Diane

La France moderne: l'esprit des institutions

suivis d’un Journal (3) composé de notes et de fragments, qui

de Margerie

s'étend de façon intermittente

La place croissante que les pays anglo-saxons accordent à Yeats fait d'autant plus regretter l’absence de ses œuvres complètes en français, et apprécier les publications qui viennent combler peu à peu ce vide flagrant. Il est difficile en effet de trouver une œuvre plus diverse et plus complexe, car ce visionnaire

fut hom-

me politique, orateur, polémiste, théosophe. En Angleterre, des inédits importants viennent d’être révélés, tandis qu’en France plusieurs parutions récentes nous font enfin découvrir des textes poétiques ou dramatiques qui sont déjà classiques dans leur langue. Nous connaissons déjà les deux premiers volumes de ses Autobiographies, admirablement traduits par Pierre Leyris : Enfance

et jeunesse

resongées

missement

du

voile

et le Fré(1);

ces

œuvres nous livrent à la fois une passionnante série de portraits de ses contemporains (Beardsley, William

Morris,

Oscar

Wilde,

le

poète A.E., le révolutionnaire O’Leary), ses conceptions esthétiques et ses souvenirs personnels. Le troisième volume de cet ensemble,

Dramatis

Personae,

va

paraître ici en 1974. En Angleterre, on ne cesse de remonter aux sources Denis Donoghue vient de publier une première version de ces Autobiographies sous

le titre de Memoirs

Yeats, par Sargent POLICE

(2) —

1908 à 1930. D’autre nateur

Michael

de

part, le sé-

Yeats,

le fils du

poète, a autorisé la parution prochaine (à tirage limité) d’un roman entièrement inédit de son père, The Speckled Bird (4). Tous ces inédits apportent des éléments essentiels à la compré-

hension d’un des plus grands visionnaires de ce temps. Les Memoirs donnent des précisions de première importance sur les rêves de Yeats, la personnalité de Maud Gonne la belle révolutionnaire qui fut le grand amour insatisfait de sa jeunesse — et le rôle qu’elle joue dans les incursions de plus en plus profondes que Yeats devait faire dans le domaine de l’occulte. La grande révélation de ces notations intimes est la nature à la fois chaste et brûlante de la passion solitaire que Yeats nourrit pour elle. C’est la mort d’un enfant qu’elle avait eu d’un autre qui poussa ŸYeats à vouloir communiquer avec l'au-delà : elle était hantée par des apparitions, par « l'esprit du malheur

» ; de

plus, belle, froide et violente, elle lui parut incarner le type même de la femme androgyne, liée à tous les éléments habituellement proches de la virilité. Un certain masochisme sensuel se révèle dès les premières pages de ces Memoirs où Yeats cite une admirable phrase de Léonard de Vinci, qu’il commente

par ces mots

: « Toute

notre vie durant, nous sommes en proie à la nostalgie, non pas de la lune comme nous le croyons, mais de notre propre destruction ; et quand nous la rencontrons incarnée par l'extrême beauté d’une femme, comment ne pas délaisser toutes les autres pour elle ? N'est-ce pas notre propre dissolution que nous cherchons sur ses lèvres ? » Ainsi

les

Memoirs,

comme

le

Journal, permettent-ils de mieux comprendre certains thèmes des poèmes et des pièces, notamment celles où la reine danse en tenant une tête coupée.

La cruauté

raf-

finée du théâtre de Yeats nous a été rendue plus sensible à travers le récent spectacle du Théâtre Oblique, mis en scène par Henri Ronse,

du 16 au 31 janvier 1974

Le

Cycle

de

COLLECTION NOUVELLE BIBLIOTHEQUE SCIENTIFIQUE dirigée par Fernand Braudel

WILHEM ABEL Crises agraires en Europe (XIII - XIX° siècle) un classique de la littérature historique allemande

COLLECTION

L'HISTOIRE

YVONNE KNIBIEHLER Naissance des sciences humaines:

Mignet et l’histoire philosophique au XIX° siècle

COLLECTION IDÉES ET RECHERCHES dirigée par Yves Bonnefoy

FRGERS Pour une théorie de l'écriture introduction à la grammatologie

REVER Di Œuvres complètes Note éternelle du présent, écrits sur l’art (1923-1960) déjà | Il Il -

parus : PLUPART DU TEMPS, POEMES (1915-1922) LE VOLEUR DE TALAN, ROMAN (1917) LA PEAU DE L'HOMME, ROMAN POPULAIRE ET CONTES (1915-1926) IV - LE GANT DE CRIN, NOTES (1927) V - RISQUES ET PERILS, CONTES (1915-1928) VI - FLAQUES DE VERRE, POEMES EN PROSE (1929)

FLAMMARION

Cuchulain,

11

inspiré à demi par la légende celtique et à demi par le Nô japonais : le texte des quatre pièces qui le composent nous est apparu dans toute sa force à travers la belle traduction d’Yves de Bayser (5). Seuls les poètes peuvent traduire un poète comme Yeats ; et c’est ce que vient de faire aussi Fouad El-Etr, dont le choix de Dix-sept poèmes (6) restitués avec bonheur fait entendre une

ONGOURT

JACQUES CHESSEX

des nombreuses

L’Ogre

quatre

ans,

de la mort,

La Suisse est en train de nous donner un écrivain de premier ordre: Jacques Chessex. Un tempérament, doué de surcroît d’une plume alerte, colorée... Une

fête des sens, de la vie et des mots. La plupart des scènes qui se succèdent dans ce livre sont admirables, admirables de naturel, de vérité,

JACQUELINE PIATIER -Le Monde

Une fois de plus la relation du fils et du père. Mais le roman tire une force singulière de sa netteté, de sa férocité même. ROBERT

de Yeats, la

est

destiné

à

Iseult

Gonne, la propre fille de Maud, que Yeats demanda également en mariage pour en être également refusé. Souvent ces poèmes sont dotés d’une sensualité amoureuse

roman

d'émotion.

voix

douce voix lyrique et tendre qu’il savait admirablement faire alterner avec la voix de la tension passionnée et de l’extase tragique. Empruntés à divers recueils échelonnés de 1893 à 1939, ces poèmes n’en conservent pas moins cette unité que leur donne l’inspiration amoureuse. Les grandes figures féminines qui traversent l’œuvre sont toutes ici successivement évoquées. « Jamais ne donnez tout le cœur » et « O n’aimez pas trop longtemps » furent écrits dans le souvenir de la rupture avec Maud Gonne, alors que le poème « À une jeune fille », écrit par Yeats en 1919 à cinquante-

tels « Un

aviateur

ir-

landais prévoit sa mort » ou bien « Huile et Sang », où se fait jour cette obsession de la pierre précieuse que les Memoirs révèlent être un thème érotique relié à la fois à l’enfance et à Maud Gonne. D’autres poèmes évoquent les jeunes filles que Yeats célèbre dans

Anna

son

âge mûr,

ainsi

« Pour

Gregory » ou le poème —

déjà légendaire — intitulé « Douce Danseuse » et inspiré par Margot Ruddock, jeune actrice et poétesse devenue folle, internée après qu’elle eut dansé seule, prise de délire, sur une plage près de Barcelone : ce thème était bien fait pour toucher Yeats, chez qui on sait que la danse est le symbole, chargé de sens, de la création poétique. Ainsi ce recueil, si tendre et limpide soit-il, fait pénétrer dans un monde tout de tension et d’allusions à des souvenirs poignants : « Je désire, écrivait Yeats, un art mystérieux qui rappelle à demi les choses chèrement aimées, un art qui agisse par la suggestion » 1. Mercure de France, Collection « Domaine Anglais », 1965 et 1970. 2. Londres, Macmillan, 1972. 3. Comme les Memoirs sont en quelque sorte la matrice d’où Yeats a tiré les deux premiers volumes de ces Autobiographies, ce Journal a été en partie publié dans Eloignement et la Mort de Synge (à paraître dans Dramatis Personae). 4. Dublin, The Dolmen Press, à paraître en 1974. 5. Le Cycle de Cuchulain, tra-

duit par Yves de Bayser, Collection « Théâtre Oblique », 1973, 96 p. 6. Dix-sept poèmes, traduits par Fouad El-Etr, La Délirante (54, rue de Seine, Paris-6°), 1973, 48 p.

Diane de Margerie vient de publier, avec François-Xavier Jaujard, le premier numéro d’une revue : « Granit ». Ce numéro est consacré à John Cowper Powys. On peut se le procurer à « la Quinzaine littéraire » (45 F, franco de port).

KANTERS - Le Figaro

“L’'Ogre”’ est une excellente occasion de découvrir cette littérature d'Outre-Jura, qui fermente si près de nous et dont nous entendons mal le cri.

FRANÇOIS

NOURISSIER- Le Point

Jacques Chessex mobilise toutes les couleurs, les sensations, les saveurs,

les odeurs du ciel et de la terre, comme s’il était urgent de dresser, face à la marche implacable du Rien, les fulgurances, les sortilèges de la vie. C’est un livre qui sonne vrai. HENRY-CHARLES

Voici la Suisse de Chessex,

TAUXE-24

heures de Lausanne

aimée, vivante, dans un beau

mort et de désir.

MATTHIEU

roman

de

GALEY-L'Express

C’est terrible, c’est douloureux, c’est très beau. Cet écrivain suisse sait mieux que personne nous faire sentir ce qu'il y a de plus important, de plus essentiel : la vie, vie fragile, dérisoire, inutile, le minable, notre vie à tous. JEAN-MARC ROBERTS-Le Magazine Littéraire Le livre est beau.

LIONEL MIRISCH-La Quinzaine Littéraire

310.000 exemplaires grasset

Le Nouveau

Commerce

Ce numéro 26 propose un texte de Nietzsche « La Cité Grecque », inédit en France, et dont les pages, redoutables, lucides et ambiguës, démystifient la notion de travail, révèlent « les fondations effrayantes » sur lesquelles repose la culture, pour parvenir à des conclusions aberrantes mais équivoques, au centre même de nos désarrois. C'est dire l'actualité de ce texte. André Dalmas poursuit de sa haute écriture le parcours du « Musée de la Parole », à la fois obscur et transparent. Une très belle nouvelle de Monique Wittig : « Une partie de campagne », rigoureuse et sensuelle. Des poèmes de Marthe Boivin, Christian Guez, et la belle voix, originale, de Gérard Macé. Un texte bref, dru et joyeux

de

Raphaël

Pividal.

Enfin,

racontée avec une fervente simplicité la vie si peu connue, pathétique de Daniel de Foe, par Philarète

12

Chasles, préfacier du Robinson Crusoe traduit par Pétrus Borel (1836); encore un document rare et précieux. Ce cahier est bien un « objet de lecture ». De lecture, il est surtout question dans les carnets trimestriels servis aux adhérents des Amis du Nouveau Commerce (8, rue de la Cossonnerie, 75001 Paris) en même temps que la

revue. À tirage limité, ces « Carnets de lecture » forment une collection déjà

prisée

des

bibliophiles.

Le « Club Culture et Démocratie » organise un débat autour du livre de Joffre Dumazedier : « Sociologie empirique du loisir : critique et contre-critique de la civilisation du loisir » (Ed. du Seuil) le jeudi 17 janvier, à 19 h 30, au Foyer international d'accueil de Paris, 30, rue Cabanis, Paris-14°, métro : Glacière. Renseignements : « Peuple et Culture », 27, rue Cassette, Paris-6°.

La Quinzaine

Littéraire

INÉDIT

Dostoïevski en 1849: “Suis-je un libre-penseur ? ” Dans la série des Cahiers de «l'Herne » paraît dans quelques jours un très remarquable « Dostoïevski » sous la direction de Jacques Catteau. Comme dans les Cahiers précédents on y trouvera biographie, documents et témoignages, interviews d'auteurs contemporains, essais et études, parallèles, et une bibliographie analytique due à Jacques Catteau. Les meilleurs spécialistes de Dostoïevski apportent à ce Cahier de substantielles et parfois révélatrices contributions : de Pierre Pascal à Sylvie Luneau, Nina Gourfinkel, Dominique Arban, Georges Nivat, et une vingtaine d’autres collaborateurs. La partie la plus passionnante de ce Cahier est constituée par des textes inédits (en français, et seulement publiés en URSS ces dernières années) de Dostoïevski lui-même : «explication » du jeune auteur (il a vingt-huit ans) au cours de l'interrogatoire qui suit son arrestation et avant le jugement qui le condamne à mort en 1849 (peine commuée en quatre ans de travaux forcés après un simulacre d'exécution) ; « Carnet de Sibérie», « Pages des carnets de 1864-1865 », lettres

… C'est que si, « souhaiter le mieux » est du libéralisme, de la libre-pensée, en ce cas je suis peut-être un libre-penseur. Je suis un libre-penseur dans le sens où [un libre-penseur] peut aussi être appelé libre-penseur chaque homme qui se sent en droit d’être un citoyen,

loir en de lui «

se

sent

du bien à sa son cœur sa patrie et avoir jamais souhaiter

le

en

droit

de vou-

patrie car il trouve à la fois l'amour le sentiment de ne nui en rien. Mais mieux

»,

était-ce

dans le domaine du possible ou de l'impossible ? Que l'on me convainque d’avoir souhaité amener des changements ou des transformations par la violence, la révolution, en excitant le fiel et la haine ! Mais je ne redoute pas d'être convaincu

; car aucune

dénonciation au monde ne m'ajoutera ni ne me retranchera rien ; aucune dénonciation ne me rendra autre que je ne suis en réalité. Est-ce en cela que je me suis montré libre-penseur, que j'ai parlé à voix haute de sujets que d'autres considèrent de leur devoir de

passer sous silence, non point qu'ils craignent de rien dire contre le gouvernement (car ceci ne peut exister, pas même en pensée |!) mais parce que pour eux cela ne se fait pas d'évoquer ces sujets à voix haute ? Est-ce en cela ? Mais elle m'a toujours blessé, cette crainte de la parole, plus susceptible d'être [utile ?] une offense au gouvernement que

du 16 au 31 janvier 1974

et fragments cent ».

non

encore

connus

des

«

Carnets

de

l'adoles-

Parmi ces inédits, nous avons choisi à l'intention de nos lecteurs des passages de |’ «Explication ». Rappelons que Dostoïevski avait été arrêté sur dénonciation, avec trentequatre autres, pour avoir lu à haute voix au cours d'un des « vendredis » du fouriériste Pétrachevski la fameuse lettre de Biélinski reprochant à Gogol d’avoir « embrassé la cause de la monarchie absolue ». Dans cette « Explication » qui vise à rassurer le Pouvoir en minimisant sa « faute », Dostoïevski ne formule pas moins ses convictions de jeunesse (on sait qu'elles subiront de profondes transformations) avec habileté, certes, mais aussi avec une certaine force. Il n’est pas interdit de trouver dans son plaidoyer des accents très actuels : en ce que toute réforme en Russie ne peut venir que de l'Autorité (opinion récemment défendue par Roy Medvedev), également quant à la condition de l'écrivain et au rôle de la littérature dans un pays soumis à la censure.

de lui être agréable. Et de fait, pourquoi un homme juste craindrait-il pour lui-même et pour ce qu'il dit ? Cela revient à supposer que les lois ne protègent pas suffisamment l'individu, et que l'on peut faire sa propre perte d'un mot sans importance, d’une phrase imprudente. Mais pourquoi avons-nous — nous-mêmes — tant et si bien fait que tout le monde considère la moindre parole franche, prononcée à voix haute et intelligible, comme une excentricité, pour peu qu'elle ressemble à une opinion ! Mon sentiment est que si nous étions tous plus francs avec le gouvernement,

nous ne pourrions nous en porter que mieux. Cela m'a toujours rendu triste de voir que tous, instinctivement en quelque sorte, nous craignons quelque chose ; que si, par exemple, nous nous retrouvons nombreux dans un lieu public, nous nous regardons avec méfiance, par en-dessous, nous louchons à droite et à gauche, nous Si l'autre. ou l'un suspectons quelqu'un se met à parler de politique, ce sera obligatoirement à voix basse, et de l'air le plus mystérieux, même si l'idée d'une république est aussi loin de lui que la France. On dira : « Eh, mais ça vaut mieux qu'on ne vocifère pas aux carrefours chez nous ! » Sans doute et personne ne dira un mot là-contre ; mais de trop se taire, de trop craindre, apporte à notre vie quotidienne de sombres

13

couleurs, qui donnent à tout un aspect morne et peu souriant alors que, de surcroît, ces couleurs sont fausses ; toute cette peur est sans objet, vaine (et cela, je le crois fermement),

toutes

ces

craintes,

nous les avons inventées nousmêmes et nous ne faisons qu'alarmer inutilement le gouvernement par nos cachotteries et notre méfiance. Car à cause de cette situation tendue il y a souvent beaucoup de bruit pour rien. Les mots les plus ordinaires, prononcés à voix haute, ont un rententissement bien supérieur, et le fait lui-même, parce qu’excentrique, prend des proportions parfois colossales et

sera à coup sûr rapporté à des causes qui lui sont étrangères (extraordinaires), et non pas aux causes réelles (ordinaires) (...)

De quoi suis-je accusé ? Mais [cependant] de quoi suis-je accusé ? [une ligne et demie illisible] D'avoir parlé de politique, de l'Occident, de la censure, etc. ? Mais qui donc à notre époque n'en a pas parlé, n'y a pas réfléchi ? Pourquoi ai-je donc étudié, pourquoi a-t-on, par la connaissance, excité ma soif de savoir, si je n'ai pas le droit d'exprimer mon opinion personnelle, ou de ne pas être d'accord avec un point de vue qui fait autorité ? Si j'ai parlé de la révolution française, si je me suis permis de porter un jugement sur les événements actuels, faut-il en conclure que je suis un « libre-penseur », que j'ai des idées républicaines, que je suis opposé à l’autocratie, que je la sape. Impossible ! Pour moi il n’y a jamais rien eu de plus absurde que l'idée . d'un gouvernement républicain en Russie. Tous ceux qui me connaissent, connaissent mes idées làdessus. Mais enfin, une telle accusation serait contraire à toutes

mes convictions, à toute mon ins-

truction. J'arriverai peut-être, en_ core, à m'expliquer une révolution en Occident, et le caractère historiquement indispensable de la _ crise là-bas. Là-bas il y a quel_ ques siècles [et peut-être], plus d'un millénaire que dure la plus _ àpre des luttes entre la société et une autorité qui s'est développée

* sur

une

civilisation

qui

lui

est

_ étrangère, par la conquête, la violence,

l'oppression.

Mais

chez

_ nous ? Notre terre elle-même ne

__ s'est pas faite à l'occidentale (...) È - S'il y a des réformes à accom_plir,il sera clair comme le jour,

même pour ceux qui les souhaitent, que c'est justement de l’autorité que doivent provenir ces ‘réformes, d'une autorité même ren_ forcée durant ce temps ; sinon c'est de façon révolutionnaire que _ tout doit se passer. Je ne crois _ pas qu'il se trouve en Russie un amateur de soulèvement russe. Les exemples en sont connus et _ vivants dans les mémoires, bien _ qu'anciens. En conclusion, [ce

14

que j'ai dit une fois] mes paroles, plusieurs fois répétées, me reviennent maintenant : que tout ce qu'il y a de bon en Russie depuis Pierre le Grand, tout est venu constamment d'en haut, du trône, alors que d'en bas rien ne s’est manifesté que l'entêtement et l'ignorance. C'est une de mes opinions qui est familière [2 mots illisibles] à nombre de ceux qui me connaissent. J'ai parlé de la censure, de sa sévérité démesurée à notre époque, et j'ai récriminé contre cela; car je sentais là un malentendu, cause justement [illisible] de cette situation tendue et pénible de la littérature. [Car] Cela me chagrinait que le titre d'écrivain fût avili à notre époque par je ne sais quelle suspicion, [qu'il] que l'écrivain avant que d'avoir rien écrit fût déjà considéré, en quelque sorte, comme un ennemi naturel du gouvernement, et qu'on étudiât le manuscrit avec, d'avance, un préjugé évident. Cela me chagrine d'apprendre que telle ou telle œuvre est interdite, non qu'on y ait trouvé quoi que ce soit de libéral, de frondeur, de contraire aux bonnes mœurs, mais parce que, par exemple, [l'œuvre] le roman ou le récit a une fin trop triste, que l'on y donne un tableau trop sombre, même si ce tableau n'accuse personne, ne soupçonne personne dans la société, même si la tra‘gédie a des causes purement fortuites et extérieures. Que l’on étudie tous mes écrits, publiés ou inédits, que l'on [lise] parcoure les manuscrits des œuvres qui ont été publiées, et que l’on voie ce qu’elles étaient avant de parvenir au censeur, et que l’on y trouve ne serait-ce qu'un mot contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre

établi. Et cependant j'ai été victime d'une telle interdiction, justement parce que mon tableau était brossé avec des couleurs trop sombres. Mai si l'on savait dans quelle sombre situation a été placé l'auteur de l’œuvre interdite ! Il s'est vu dans l'obligation de se passer de pain — pis même! — trois grands mois, car le travail me fournissait mes moyens d'existence. Et de plus, au milieu de ces privations, de cette tristesse, de ce désespoir presque (car, la question d'argent mise à part, c'est à désespérer de voir son œuvre, que l’on a aimée, où l'on a mis son labeur, sa santé, le meilleur de ses forces, interdite pour un malentendu, par suspicion [pas plus] — de plus donc, au milieu de ces privations, de cette tristesse, de ce désespoir, il faut encore trouver assez [de minutes] d'heures joyeuses, légères, pour écrire une nouvelle œuvre littéraire, aux couleurs [vives] claires, roses, plaisantes. Or écrire, il le faut absolument, car il faut vivre. Si j'ai parlé, si je me suis un petit peu plaint (et je me suis plaint si peu !), est-ce que vraiment je me suis conduit en « libre-penseur » ? Et de quoi me suis-je plaint , D'un « malentendu ». Très exactement : j'ai combattu de toutes mes forces [pour démontrer — une ligne illisible], en essayant de démontrer que chaque homme de lettres est déjà suspect, d'avance, qu’on le considère avec stupéfaction et méfiance, et j'ai accusé les hommes de lettres eux-mêmes de ne pas chercher les moyens de dissiper ce malentendu funeste. Funeste, car la littérature a du mal à exister dans une situation aussi tendue [car la littérature est une des choses les plus impor-

Une page de carnet des « Démons » Er

tantes dans un Etat [illisible] en tout cas [illisible]. Des genres entiers doivent disparaître : la satire, la tragédie ne peuvent plus exister. Ne peuvent plus exister, avec la sévérité de la censure actuelle, des écrivains comme Griboïedov, Fonvizine et même Pouchkine. La satire raille le vice, et le plus souvent le vice sous le masque de la vertu. Quelle raillerie pourrait-il y avoir maintenant ? Le censeur voit partout l’allusion, soupçonne quelque clef, quelque intention fielleuse, se demande si l'écrivain ne fait pas allusion à quelque personnage, à quelque ordre social. Il m'est arrivé bien souvent, oubliant ma tristesse, de rire aux éclats en voyant ce que le censeur avait jugé nuisible à la société et impropre à la publication dans mes manuscrits ou ceux d’autres écrivains. Je riais parce qu’à personne d'autre qu’à un censeur ne viendraient à notre époque de pareils soupçons. [Actuellement — De] Dans la plus innocente, la plus pure des phrases, l’on soupçonne la pensée la plus criminelle, pensée que visiblement le censeur a poursuivie, toute sa vigueur intellectuelle en éveil, comme une idée fixe, inamovible, qui ne peut quitter son esprit, qu'il a créée lui-même, agité de craintes et de soupçons, à laquelle il a donné corps dans son imagination, qu'il a enluminée lui-même des couleurs les plus invraisemblables, les plus sombres, et qu'il a enfin détruite, par la punition qu'il lui inflige, en même temps que la cause innocente de sa frayeur, la phrase originelle, pure de tout péché, de

l'écrivain.

Exactement

comme

si,

en cachant le vice et la face sombre de sa vie, l’on pouvait cacher au lecteur leur existence. Non, l'écrivain ne cacherait pas cette

face sombre en l'omettant systématiquement : il ne ferait que devenir suspect d’insincérité, de manque de véracité. D'ailleurs est-il possible de peindre uniquement avec des couleurs claires ? [Comment] De quelle façon rendre visible la face claire sans la face sombre ? Un tableau peut-il exister sans mêler lumière et ombre ? Nous ne concevons la lumière que parce que l'ombre existe. On nous dit : « Ne décrivez que les hauts faits, les vertus ». Mais la vertu, justement, nous ne la connaissons “pas, sans le vice ; les concepts

mêmes

de bien et de mal

pro-

. viennent de ce que le bien et le mal ont toujours existé ensemble, côte à côte. Mais que j'aie seulement l'idée de mettre en scène l'ignorance, le vice, l'abus, l'ar2 rogance, la violence ! Le censeur me soupçonnera aussitôt et pensera que je parle de tout sans omission. Je ne suis pas pour représenter le vice et la face sombre de l'existence. Je n'éprouve aucu‘ne inclination ni pour l’un ni pour l'autre. [Mais je. Je] Mais je parle uniquement dans l'intérêt de l'art [deux lignes illisibles]. Traduit

du

russe

Sinany,C. L'Herne.

par

Hélène

La Quinzaine Littéraire

CORRESPONDANCES

Les aveux Baudelaire Correspondance Texte établi, présenté et annoté

par Claude Pichois avec la collaboration de Jean Ziegler Bibliothèque de La Pléiade Tome 1 (1832-1860), XC + 1 114 p. Tome 2 (1860-1866), 1 149 p. Gallimard,

éd.

figurent en appendice au terme de l'édition de La Pléiade : c’est le Répertoire des personnes citées, — ainsi que, dans les Lettres à Baudelaire,

en pré-texte

aux

mis-

sives des divers correspondants. Rien n’y est inutile, et tout y est vif. Il y a, dans

ces

notices,

une

sorte de grâce, qui tient à l’écriture, certes ! mais

aussi au

« tem-

Lettres à Baudelaire,

pérament » de Claude Pichois, qui a toujours oublié, parlant de Phi-

publiées par Claude

larète

Pichois

« Etudes baudelairiennes » IV - V A la Baconnière (Neuchâtel) 411 p.

On aimerait dresser un autel aux plus notables représentants de l'édition véritable. Parmi les figures votives, place serait faite à l'effigie de Claude Pichois. Et j'aimerais que l’on ne découvre ironie dans un propos où

je n’en mets aucune. Il ÿ a, simplement, qu’à mes yeux les travaux baudelairiens de Claude Pichois ont une importance certaine, —

et d’abord celle-ci : c’est

que loin de contraindre la recherche à se cantonner dans un cadre

étroit,

ils lui

ouvrent

et

permettent un plus vaste champ. D’une part, l'effacement de Claude Pichois lorsqu'il s’agit de rédiger des notices ou de donner matière

à d’innombrables

notes,

n'exclut nullement la très importante contribution apportée par l’« homme sensible » à la connaissance (pour ainsi dire) «intime » de Charles Baudelaire. Il me semble qu’il y a là l’exemple d’une démarche ensemble probe et hardie : mesurer très exactement l'information,

et

ne

se

livrer

qu’ensuite à la transcription critique.

Mais il n’est, pour l’heure, par l'édition de cette Correspondance de et à Baudelaire, question que du premier point. Dès lors, je voudrais

que

Philarète

Chasles était mort depuis longtemps. Cette culture vivace, cette participation (on me comprendra !), voilà sans doute ce qui fait le charme des publications de

autre. Question de méthode, pourrait-on écrire ! Il ne semblait pas, à leurs yeux, essentiel de respecter scrupuleusement le manuscrit. Ni capital de le dater exactement. Pour beaucoup d’entre eux, ces inédits n'étaient que les à-côtés de l’œuvre. Ils seraient surpris de voir l'intérêt que nous leur accordons, à ces pseudo-broutilleslà ! C’est que le regard s’est modifié du tout au tout : de l’âge des « morceaux choisis » et des

« grandes œuvres », nous sommes passés à l’exigence de la «totalité ». Nous pouvons préférer d’un

auteur

notre

ceci

ou

fantaisie

personnel,

mais

cela,

ou

au

gré

de notre

nous

ne

de

goût

pouvons

plus envisager — ou, plus justement encore, « dévisager >»— un écrivain en négligeant telle ou telle partie de ses écrits, — si bien que ce qu’il destinait à la publication, et publia, puis £e qu’il voulait distraire à l’attention publique, se rejoignent, s’unissent,

et,

ensemble,

le

désignent,

et ne désignent, à la fin, que cette « chose >» fuyante, indispensable (ce que Henry James nomtmait « l’image dans le tapis ») : l'œuvre

Claude Pichois. Leur autre, et non moindre mérite, est leur sérieux

par Hubert Juin

aucune

Chasles,

de Baudelaire

débuter

par

la fin, et

faire l’éloge de ces petits textes rédigés par Claude Pichois, qui sont des médaillons exacts, et qui

du 16 au 31 janvier 1974

extrême : on apprend ou vérifie dix choses en lisant dix lignes de ce commentateur-là. D’autres vous en disent autant ? Mais ils sont

pesants.

J'évoquais plus haut Philarète Chasles pour la raison que Claude Pichois

lui

a,

dit-on,

naguère,

consacré un ouvrage fondamental. Mais il y avait de la passion papillonne (comme dit Fourier) chez Chasles, ce qui ne veut point dire de la légéreté. Claude Pichois est à l’inverse : il a de l’obstination,

de

l’acharnement,

mais,

aussi bien, un esprit quelque peu narquois. Il remplit, à mesure que passent les années, un rayon de bibliothèque consacré à Baudelaire, et qui se révèle, les années

passant,

indispensable.

Cela

se

fait sans trop de bruit, de tapage,

ou de publicité. Ainsi de l’entreprise présente. L'historique des lettres — je veux dire : de la publication des lettres — de Charles Baudelaire est chaotique. Elles parurent dans un désordre normal, au gré du bon vouloir des destinataires et de leurs ayants droit. Elles furent livrées non seulement dans le vrac

des

découvertes

successives,

mais encore avec ce peu de soin que l’on portait, alors, à la lecture exacte des manuscrits. Il serait iniuste d’accuser de nonchalance les éditeurs de la fin du siècle dernier ou de l’extrême début du nôtre : le problème est

15

de cet écrivain, Baudelaire n'’échappe aucunement à cette règle. C’est au contraire il l’a conforte. dans la mesure où, parmi les correspondances les plus cé-

lèbres, celles qui bruissent d’aveux

pantelants, de mensonges rés,

ou

vertus

bien

qui

valent

» marxiste, avec cette différence toutefois qu’il veut se placer en dehors de la problématique marxiste. Témoin « impartial », Fejtô ne peut cependant résister à la tentation d’étayer son « repenser » avec les clichés les plus éculés en matière de « réfutation » du marxisme. Quel but veut-il atteindre en opérant

cette

coupure

entre

un

Marx théoricien et un Lénine praticien ? Celui-ci n’apparaît pas immédiatement,

surtout

pour

Marx. En fait, les attaques portées contre

Lénine

engendrent

au

moins deux effets. Le premier l’enferme dans le cycle de l’activisme, cercle infernal qui en fin de compte dépasse et domine son auteur-acteur : Lénine et les bolcheviks ont été des apprentis sorciers. Ils ont, en Russie, brûlé les

étapes et sont passés outre (ont transgressé, dirait Fejto) une nécessaire évolution « naturelle » du mode de production qui devait rendre concevable la révolution dans ce pays. Par contrecoup, le

second effet induit une rectification des conceptions de Marx qui sont réfutées par la situation historique, par la révolution en Russie, alors que, comme lui-même l’avait dit, elle ne pouvait pas se produire là avant longtemps.

Une

religion ?

Fejtô attribue à Staline la « dogmatisation >» du marxismeléninisme,

mais

nous

constatons

que lui aussi réclame ce dogme et n’aborde les écrits de Marx qu’à travers le présupposé initial qu’ils sont, d’abord et toujours, de nou-

Lénine et Kroupskaïa sortant du premier Congrès des enseignants

velles «tables de la loi» c’est-àdire un discours éternitaire figé. Pour Fejtô, Marx est un « voyant » ou un autre Messie, un théoricien

qui a eu des intuitions géniales. Il le veut d’autant plus qu’il n’argumente que pour prouver que le communisme

est une nouvelle foi,

le marxisme un nouveau Verbe. L'entreprise est désormais limpide : puisque le marxisme (le marxisme-léninisme)

recueille une

adhésion qui fonctionne sur le registre de la croyance, de l’irrationnel, c’est la preuve que nous sommes confrontés à une idéologie, à une idéologie qui n’est qu’une forme

(parmi

d’autres)

de la re-

ligion. Mais que produit encore le leitmotiv religion ? La réduction/assimilation prête à sourire tant qu’elle demeure métaphorique. Fejtô cependant tente de lui donner une réalité précise et actuelle, fondée dans cette autre réalité passée : l’histoire. Et nous comprenons l’importance d’un tel pas-

31

sage de la métaphore au réel, l’aspect sécurisant de la vision du communisme devenu religion. Grâce à cela, le débat tourne court, les luttes sont travesties, la réalité

déguisée.

Pourquoi

d’ailleurs

ne

pas admettre l’hypothèse ? C’est un nouveau « Pari» que propose Fejtô : si le communisme est une religion, alors l’histoire

devient le lieu d’émergence, de reproduction et de « répétition » des idéologies et, dans une certaine mesure, sa scansion ou son rythme se révèlent à travers le répétitif. L’angoissant devenir s’estompe pour n'être qu’un revenir, gagne la stabilité des certitudes dans un texte déjà là l'inscription du passé. Avec ce premier terme du « Pari», Fejtô rétablit une métaphysique de l’histoire. Mais, si le communisme n’est pas religion, l’« homme » se retrouve seul devant

l’Inconnu

menaçant,

la tota-

lité des possibles rassemblés derrière l’unique synonyme du lendemain : la révolution. Une révolution

qui, cette

fois encore,

prend

l’apparence de l’inhumain, du diabolique et du satanique. Les vieux concepts idéologisés et même suridéologisés reconstruisent, immuables, l’antique alternative de : l’ordre ou le désordre, l'harmonie ou le chaos, le monde ou l’enfer.

Pour plus de sûreté, Fejtô a même truqué l’énoncé du pari; choisir entre l’ange et la bête implique

nécessairement que les deux réalités existent, qu’elles soient contraires et qu'elles s’excluent l’une l’autre. Mais, les anges... Le communisme n’est donc qu’une promesse. Le postulat de l’histoire sera l'égalité communisme — religion. Tout s'organise alors : l’hypothèse sera démonstration et nous assisterons au défilé des similitudes, correspondance mécanique sous le couvert de l’identité entre des réalités inconciliables

: Marx



la Bible,

Christ,

Capital



line —

Saint Paul, Parti/Etat

Le

Lénine/Sta—

Eglise, etc., il y aura des schismes, des excommunications, des hérésies. Cette trouble perversion du

Fejtô dresse les plans d’un nouvel édifice. Le bilan est simple : comme en tout, il y a du « bon » et

tion historique donnée. les schémas analytiques détaillés d’une autre situation historique et d’énu-

du

mérer

« mauvais », dans le marxisme

aussi et, dit-il, « Le tour d'horizon

que nous avons fait sur les destinées de l'idéologie marxiste-léniniste débouche sur un constat de succès et d'échecs entremélés ». La «variante léniniste du marxisme » incline finalement à l'échec et nécessite que nous revenions à un marxisme authentique, à l’enseignement de Marx luimême, qui sera revu et corrigé pour en retirer la coquille irréaliste ou, dirait encore Fejtô, utopiste. Il y a un «idéal » vers lequel

marxisme, si facile à obtenir à tra-

nous

vers les schématisations outrancières, les stéréotypes nimbés d’une pseudo-scientificité, engendre sous la plume de Fejtô un discours crédible qui parfois sonne avec les accents de la vérité. Cela parce que cet «historien » n’ouvre pas une voie nouvelle mais reprend la toujours jeune idéologie réactionnaire/dominante devenue «sens commun ». Avec lui désormais, celle qui depuis Marx était une arme contre l'idéologie

le trouverons

devons

tendre, mais nous

ne

« totalisé » ni dans

Marx, ni dans Lénine, ni dans le

marxisme-léninisme qui a fait « dans l'esprit de beaucoup, de la révolution une fin en soi, une panacée, la porte — la seule — par laquelle l'humanité peut accéder au

vrai

salut,

à la liberté,

de

Fejtô

aura

devenir)

; ensuite, elle ne compare

pas mais adhère au développement dialectique du réel sans tenter de l’immobiliser dans des schémas figés, c’est-à-dire dans un cadre déjà fait. Ainsi, dire ou prétendre que, par exemple, Marx ne contient pas Lénine, perd toute signification. Il y a eu Marx, Lénine, Staline... il y a Mao, certes, mais cette

au

thèse, la « table rase >» consommée,

comme

redevient

non-coïnci-

instaurerait l’équation : marxisme + léninisme — marxisme-léni-

une complice. À quel prix ? Celui de ne plus être science historique, d’être à nouveau idéologisme. Le lourd tribut payé à l’hypo-

: l’histoire,

de

à La

moins cette valeur insigne : mettre à nu la démarche habituelle mais souvent voilée de nombreux idéologues « savants » : la récupération. L'analyse critique effectivement comporte deux tranchants. Le premier, la récupération, consiste à plaquer mécaniquement

dominante

points

succession dans l’histoire, qui renvoie à une succession dans la théorie, n’est pas une addition qui

justice ».

L'ouvrage

les

dence. Seuls seront déclarés opératoires (justes, vrais, etc.i les points confondus. Le second tranchant, l'analyse dialectique. use d’une double démarche elle abstrait à partir des analyses effectuées, les axes, les lignes de force du devenir et obtient. non pas un modèle, mais un sens (un sens relatif parce qu’indexé sur le

un calque, sur une situa-

nisme. C’est à chaque fois nouvelle synthèse dialectique le point de départ aura été autre synthèse dialectique mée

« marxisme

une dont cette nom-

».

[el

Dominique Grisoni et Robert Maggiori viennent de publier « Lire Gramsci» (Editions Universitaires). Voir « la Quinzaine littéraire » n° 173.

Histoire

Adam B. Ulam Les Bolcheviks Coll. « L'histoire sans frontières »

historien

Fayard éd., 654 p.

par Jean

Rabaud

On n’est jamais si bien servi que par son éditeur : Adam B. Ulam, professeur à l’université de Harvard,

est, paraît-il,

« mon-

dialement reconnu comme l’un des meilleurs experts en soviétologie ». La lecture de son livre oblige, en vérité, à se retrancher

de ce vaste consensus. Ce n’est pas qu’on reproche à Adam B. Ulam ses penchants politiques : il ne manque pas d’historiens réactionnaires de la Russie dont l’apport mérite la considération, et rien n’est plus louable que le dessein de pulvériser les produits de série de l’hagiographie moscovite. En ce sens, on lui saura gré, par exemple, de tourner en dérision la légende selon laquelle Lénine adolescent rompit brusquement avec la re-

32

Lénine vu par un ligion du jour où il entendit un ami de son père conseiller de fouetter les enfants qui refusaient d’aller à l’église : boniment évident à l’usage des petits Ivan. Ou de contester la pieuse légende entretenue par sa sœur, d’après laquelle Alexandre, frère aîné de Vladimir Ilyitch, populiste qui fut exécuté pour sa participation à un attentat contre le Tsar, avait

épousé

les thèses

même,

ce

marxistes.

qui est moins

Ou

sûr, de

contester que c’est en raison de l'exécution d'Alexandre que Vladimir eut des difficultés à s’inscrire à l’Université. Tout cela est plausible. Mais il se trouve, dans le gros volume d’Adam

B. Ulam,

tant de choses

qui le sont moins, quand même elles ne le sont pas du tout, ou si carrément incroyables qu’elles sont manifestement le produit

réactionnaire d’une imagination nourrie de fiel ! Matière de fait, d’abord,

et un peu en vrac : Ulam situe en 1895 la rencontre entre Lénine et Lafargue, qui n’eut lieu qu’en 1911. Il déclare que Lénine tenait Jaurès pour un « lamentable modéré », alors que sa condamnation de la stratégie du tribun français n’empêchait pas le leader bolchevik d’apprécier son « Histoire socialiste » de la Révolution française, et de se féliciter de son intervention au Congrès international de Stuttgart, où ils

votèrent tous deux le célèbre paragraphe « Si la guerre éclatait néanmoins », inspiré en partie par Lénine. M. Ulam affirme que Lénine,

lors de ce Congrès,

était

dans la crainte d’être exclu de la II° Internationale, alors que pour la première fois il siégeait à la tribune en qualité de mem-

bre du Bureau socialiste international, et que rien dans sa correspondance avec le secrétaire Camille Huysmans n'’étaie l’affirmation de M. Ulam. Celui-ci affirme d’autre part que les rap-

ports d’Inessa Armand avec Lénine, « la grande romance de sa vie », ne sont pas allés jusqu’à pousser les deux partenaires dans le même lit, alors que pour le moins la prudence en pareille matière s'impose, et que ce n’est pas certes par hasard que les lettres d’Ilyitch à Inessa n’ont été publiées que tronquées en URSS. Voici encore quelques perles du collier ulamesque : J.Keynes est « socialiste » ; Sylvia

Pankhurst

est une suffragette ri-

dicule ; Alexandra Kollontaï, théoricienne de l’amour, a dit

qu’on pouvait le faire comme boit un verre

d’eau.

on

Oui, Kollon-

La Quinzaine

Littéraire

taï, cette grande dame du mouvement,

intelligente,

sensible,

gra-

cieuse, n’a pas écrit ses belles pages sur l’Eros ailé, ou alors le « soviétologue » Ulam les ignore ! J'en passe, et qui ne sont pas meilleures. M. Ulam aime les « Cadets » — c’est son droit. Ils «ont été les premiers à tenter d'établir un compromis entre le conservatisme traditionnel d’un régime voué à disparaître et les forces désordonnées et irrésistibles d’une révolution qui considérait la liberté politique comme un moyen plutôt que comme un but. » On attendrait après cela la construc-

Ainsi, jusqu’en 1905, Lénine n’était qu’«un polémiste incohérent ». Il professait à l'égard de l’Intelligenzia une haine « élémentaire et irrationnelle ». Il était

méticuleux,

donc

« il avait

fait, à

le comportement d’un intellectuel bourgeois ». Quand, dans les derniers temps de sa vie, il a mis fin à ses relations avec Staline, il a agi « comme aurait fait un barine ». Là où chacun verrait Lénine débordé par l’événement, comme lors de la mise au pas des nationalités allogènes par des responsables qu’il ne contrôlait plus, M. Ulam déclare, du fait que le leader avait déclaré auparavant vouloir l'égalité des peuples, qu’il pratiquait systématiquement l’hypocrisie.. Si ce pamphlet avait de la

lire M. Ulam, que percevoir les effets d’une animosité à éclipses.

consistance, au moins ! Mais M. Ulam, insoucieux de se contre-

tion d’une histoire, à thèse certes,

mais qui ne prononcerait contre les bolcheviks que la condamnation

des

faits.

Or, on

ne

VIE SOCIALE

dire, déclare que Lénine dirigeait son parti « en évitant les dangers de l’idéalisme doctrinaire et de la jouissance cynique du pouvoir pour l’amour du pouvoir ». Curieux satrape, ma parole, en dépit de la « perversité de son esprit ! ». On en vient à se demander si ce n’est pas par l'effet d’une épaisse habileté qu'ont été omises la bibliographie méthodique et la plus grande partie des références. Au surplus, le « soviétologue » américain n’a pas été bien servi par son traducteur. Celui-ci, en effet, non content de multiplier les

tournures

incorrectes,

trans-

mue, par exemple, intrépidement general Staff en « général Staff » et deputy en « député ». Ce n’est pas ainsi qu’on fait avancer l’étude du bolchevisme. L'intelligence de la révolution russe ne peut en vérité progresser,

d’une

part, qu’à force

d’autre lyse

part,

en

historique

socialiste

d’érudition,

combinant du

avec

une

l’ana-

mouvement

sociologie

de

séculaire la bureaucratie combinée avec une psychologie collective des Russes. Cette bureaucra-

tie douée de la pérennité de l’hydre, Lénine avait cardinale de la

pour ambition briser (relire

l'Etat et la Révolution, « ce malheureux pamphlet », dixit Ulam), et elle a fini par le vaincre. Quel-

ques concessions re au

rebours

qu'il ait dû fai-

de son

dessein

ini-

tial, quelques contradictions qu’il ait dû s’infliger à lui-même, c’est ce

dessein

qui,

avec

son

génie

stratégique, a fait la grandeur

de

l’homme.

[]

Jean

Rabaud,

journaliste

à l'ORTF,

est l’auteur d’une émission « Il y a cinquante ans Lénine » qui sera diffusée le 19 janvier à 14 h 30 sur France Culture.

-

Lip ou le commencement Piaget, Maire

et Militants

CFDT

lip 73 Combats, Seuil, 140 p.

LIP, Charles Piaget racontent Lutter/Stock, 216 p.

et les Lip

F.-H. de Virieu Lip, 100 000 montres sans patron Calmann-Lévy, 292 p.

sent les licenciements et le démantèlement de leur entreprise — résiste à toutes les réductions, à toutes les banalisations que veulent imposer le patronat, l'Etat ou certaines directions politiques et syndicales ; l’affaire Lip fait histoire, ce qui veut dire qu’elle plante partout ses éclats et ses

triple trait vertical orné d’une boucle et qui marche) d’un éclatement innommable autrement et portant tous les sens : éclatement des carcans, que racontent les femmes de Lip dans Libération du 13-12-73 : « pendant la lutte, tout a changé : plus de division entre le personnel des bureaux et celui

tissant, plus de chefs. » ; et éclatement, avènement de quelque

semences ; et

des machines, plus de travail abru-

abolit les raideurs même du corps

qui

Des

entreprises

qui

ferment

leurs portes, il y en a, dit-on, des

milliers chaque année; il n’y a pas de quoi faire une histoire, disent les patrons et les spécialistes,

dans

leur

discours

écono-

miste et technicien qui se veut justement sans histoire, hors de l’histoire,

et où les centaines

de

milliers d'hommes et de femmes jetés à la rue et dans le chômage ne sont là que pour alimenter ce qui se pare du gracieux nom de « mobilité » sociale. Mais l’affaire Lip — 1.200 travailleurs qui refu-

du 16 au 31 janvier 1974

formidable

CFDT-Comité

d’action

: « c’est

une fête qui est empreinte d’une certaine gravité. La danse, c'était ça, autrefois. ») : un flux de parole qui resurgit, un afflux de sang qui

dissémination trouve son centre vital, son dur noyau (son noyau de durs)

par Roger Dadoun

cette

chose d’autre, ancien et nouveau à la fois (Ludmilla Kita, 61 ans,

dans le nom

connaît

même

de LIP,

une

fortune

ainsi

singulière. « 1800 : Napoléon

qui passait

par

de

Besançon,

écrit

.

Virieu,

reçoit une montre des mains du président du consistoire israélite. Celui-ci est un horloger itinérant

d'Alsace. Il s’appelle Lipmann le nom de Lip entre dans l’histoire. » Il y retourne aujourd’hui, au pluriel : les Lip — après s’être égaré dans une marque de montre et une mesure de l’heure popularisée par la publicité radiophonique. C’est plus qu'un « sigle politique », comme le prétend le « médiateur » Giraud : c’est un signe éclatant, ou plutôt le signifiant

(forme

sonore

familière,

33

(troubles en nette

psychiques et maladies régression, affirment les

travailleurs de Lip à la Mutualité, ce 7 décembre), et un travail qui n’est pas seulement fait, mais vécu, c’est-à-dire perçu comme réalité vivante, organique, humaine, dans un tissu de relations « bonnes » avec les objets, les machines et les hommes. Ainsi, renouant avec mai 68, le nom de Lip at-il valeur inaugurale aussi : le commencement, peut-être, de la vraie vie ouvrière...

« Demain on dira :

c'était avant Lip » De Virieu propose avec Lip — 100 000 montres sans patron un dossier substantiel,

détaillé, indis-

pensable : structure de l’industrie horlogère et place spécifique de Lip, jeu des firmes multinationales, comme Ebauches S.A., qui se soucient peu, là où elles passent, de faire le désert de l’emploi, contradictions des « deux patronats » (Ceyrac et la routine, Bidegain

et

l'ouverture),

des

« trois clergés », ou quatre (l’archevêque

Lallier,

«

l’allié

des

patrons », chantent les ouvriers ; et Raguenès, le dominicain révolutionnaire,

animateur

du comité

d’action ; et les prêtres travailleurs de l’Action Catholique Ouvrière ;

et la paroisse de l’abbé Manche). De Virieu a beau sentir le poids spécifique de l’événement Lip (le meilleur de son livre est peut-être

Dialectiques

organisé,

sens,

producteur

d'un

l'espace

réseau

de

du tableau/

texte. Leur regard est double qui, d'une part, fait l'analyse critique de l'instrument sémantique et, d’une autre, décèle les différents niveaux du possible de la lecture. Puis, J. Bidet interroge P. Bourdieu, dissèque pour ce faire |’ «esquisse d'une théorie de la pratique», s'installe «dans» le texte pour mieux l'ouvrir, pour mieux «dialoguer» avec lui. Au même sommaire, l'étude faite par C. Buci-Glucksmann relance un débat très actuel sur le problème

de la liaison philosophie/politique. Utilisant l'acquis althussérien, elle opère

34

constituer en « coopérative vrière » n’est pas, comme

oudit l’auteur, une « dérobade », mais une lucide esquive du piège corporatiste où l’on voulait les enfermer.

Le texte de de Virieu est tout en porte-à-faux, déplacé, comme le révèle cette formule : « Le vrai problème est celui des mentalités ». Nous y revoilà ! Après une bonne description économicopolitique, c’est le dérapage dans une confuse perspective psychosociologique dépliée à la sauvette. Dans

cette affaire Lip, « beau-

coup de grands mots », dit de Virieu. Mais qui les prononce ? Lui-même d’abord, qui vient

un fascinant

d'écrire

: « Romantisme

pie ?….

Les

retour aux textes

de Lénine lecteur de Hegel, jouant tour à tour avec les «blocages» produits par les théoriciens de la Ile Internationale et les « ruptures » introduites par la conceptualité gramscienne dans le bloc monolithioue d’un certain type de discours postmarxiste. Sans conteste, une excellente illustration de la nouvelle filiation «orthodoxe » de l'althussérianisme. Signalons encore A. Etchegoyen qui, dans une « préhistoire d'Hermès», use du prétexte de |’ «histoire des sciences» pour réduire les masquages qui ont tou-

jours

connoté

le rapport

sciences/

philosophie. J. Jung, lui, réclame une «lecture » complémentaire/supplémentaire du Capital. Il dénonce certains rejets symptomatiques des diverses exégèses dont «la section V, et plus particulièrement le chapitre XVII» (Livre 1). Or, de ceux-ci, il tire les «notions de modèle combinatoire et de résistance ouvrière ». Saluons enfin, au passage, la rubrique ori-

ginale

qu'inaugure

la

revue

elle

offre une bibliographie — renvoyant aux textes fondamentaux — pour tel ou tel concept, question ou auteur. G. Labica retient, cette fois-ci, le thème de «la théorie marxiste de l'Etat». (Une excellente recension, qui néglige cependant les « Quaderni» de Gramsci, et oublie l'existence de N. Poulantzas.) D. Grisoni

mutins

etc. » ; le patronat

de

ou utoPalente,

de l’Union

des

Industries métallurgiques et minières, avec son pamphlet Lip-laLune (« défense du capitalisme au ras du bifteck... un peu vulgaire », écrit de Virieu, « vulgarité et hideux visage de la médiocrité », dit Michel Rocard) où les rédacteurs, s’acharnant

à nier l’histori-

cité de Lip, parlent de « mythe », d’ « hallucination », de la « minorité d’élites » que sont les. patrons ; et aurons-nous la cruauté d'évoquer ce devoir bâclé de Fred Lip intitulé Conter mes heures (éd. Parnasse), où il est proclamé que « la paresse est le grand moteur négatif de l’impossible », et raconté que Giscard d'Estaing « entamait une lutte implacable contre la calvitie qui gagnait peu à peu du terrain, malgré l’habile défense latérale pratiquée par notre homme ».…. A ces discours rampant au ras du fric, hargneux, ignares sous leur camouflage techniciste masturbateur de « ing » à l'américaine (planning, marketing, timing, etc.), s'oppose le langage net, sobre, direct des gens de Lip, dont les interventions sont groupées dans le recueil n°2 de Lutter/ Stock. Raymond Burgy, secrétaire CFDT du comité d’entreprise : « Le capitalisme est dégueulasse ». Daniel Montébelli : « L’illégalité... bof ! » Raguenès, qui avait demandé avec le C.A. une paie égale pour tous, met le doigt sur la structure caractérielle profonde qui a fait échouer cette revendication essentielle : « derrière chie,

organisable/organisateur/

à savoir

inculqués par un système répressif

et aliénant. Le refus des Lip de se

n° 3

Rappelons pour mémoire le projet de cette revue être «pour tous ceux qui réfléchissent.… qui travaillent. qui cherchent un «lieu» de travail, de réflexion, de débats, un «lieu» d'expression, un «instrument » de connaissance ». Le numéro 3 ne s'inscrit pas en faux dans ce projet et semble, au contraire, le vivifier, l'enrichir. Un vaste horizon, une polychromie d'idées et de genres s'offre au lecteur, qui dépasse largement l'étroit carcan de la spécialisation « intellectuelle ». Dans ce numéro, D. et D. Kaisergruber jettent les bases d'une « théorie des significations », décryptant

cet espace

sa première phrase : « Demain on dira : c'était avant Lip »), son étude reste dominée par la « logique » du développement industriel, ce qui lui fait juger suicidaires, ou passéistes, ou corporatistes, les principales initiatives des Lip. Quand il dit « Laisser à chacun le soin de prendre en main sa destinée, n’estce pas accepter tous les débordements, n'est-ce pas prêter le flanc au reproche d'irresponsabilité ? » — non seulement il contredit ses propres descriptions, qui montraient que les « débordements » étaient d’abord ceux des trusts internationaux, et « l’irresponsabilité » la caractéristique majeure des milieux patronaux et gouvernementaux, mais il reproduit les postulats imbéciles massivement

le salaire, il y a la hiéraret derrière la hiérarchie

une image conventionnelle du monde, des rapports sociaux entre les hommes. » Charles Piaget, qui porte la parole des Lip parce que sa propre parole porte le réel (bâtiment

directorial

grille d’entrée fermée visiteur,

interdit,

derrière le

etc.), sait aussi

parfaite-

ment cerner les limites de ce qu’il appelle « la démocratie de l’informel» préconisée par le comité d’action : « Prennent les décisions ceux qui sont présents, c’est-à-dire pas toujours les mêmes. Par le seul fait de sa présence constante,

un petit noyau peut s'approprier la direction de fait du comité,

sans que cela résulte d’une décision.

» Roland

Vittot,

secrétaire

du C.E.-CFDT : « Je suis chrétien de plus en plus et je pratique de moins en moins. Je ne peux plus concevoir de prier à l’église côte à côte avec un

patron

qui tout au

long de la semaine fait ramper, fait crever les gars. » Au centre de l'éclatement de l'affaire Lip, il pourrait bien y avoir ce qu’on peut appeler, après

la prise de parole de mai 68, la prise d'information de Besançon, centrée elle-même sur l'épisode de la serviette Laverny, formule euphonique, galet poli propice à se glisser dans le fameux flux de l'histoire.

Vernis,

ils le furent

au

plus haut point, les Lip, de découvrir cette serviette d’un adjoint des administrateurs, de l'ouvrir, d’en déballer le contenu, et d’enri-

chir ensuite leur prise en fouillant tiroirs et dossiers ; tous les dessous

fangeux et crapuleux de l'affaire montèrent

à

la

surface,

faisant

éclater le mensonge structurel de tout discours patronal ou gouvernemental,

et

illuminant

la face

cachée grimaçante le M. Hyde de ce Dr. Jekyll qu'est le profit.

« Larguer les secteurs annexes, surtout Equipement », « 480 à dégager » (je souligne) : un trait de plume démantèle des circuits productifs, voue au chômage plusieurs centaines de familles. Angoisse et misère pour les uns, gras

pillage et gaspillage pour les autres : le gendre de Fred Lip, qui touche 1 million et demi par mois, emporte à son départ 20 millions

anciens

d’indemnités ; un

autre cadre se tire avec

près de

18 millions ; les « conseils >» d’un

ancien ministre sont « honorés» par 4000 F mensuels, etc. Les procès-verbaux des conseils d’administration révèlent certaines combines,

constitue

la

truanderie

l’ouverture

aux

que

délé-

gués d’entreprise ; divers papiers confirment les rapports étroits et quasi confraternels avec la police. La lecon à tirer de cette riche moisson effectuée par les militants CFDT et offerte dans un excellent Lip 73 du Seuil est claire : dans la lutte sévère pour l’emploi et sa qualité, la prise d’information est un acte primordial, la pièce déterminante de toute stratégie. E. Maire, secrétaire général de la CEDT et Chérèque, secrétaire de la Fédération des métallurgistes, tirent eux aussi, dans ce livre,

beaucoup de leçons, dans un discours dirigeant où, à trop parler de « maîtriser » (des facteurs, des actions, etc.), ils prennent

posture de maîtres faisant la leçon. Tout se passe comme si, sur Lip 73, grand cru de l’action ouvrière libérée des coupages ou coupures bureaucratiques, Maire et Chérèque se penchaient en tastevins,

gramme

louchant

commun.

vers

le Pro-

Mais,

comme

diraient les Chinois, Qui trop calli-

graphie ses étiquettes, néglige ses vendanges. Q Roger Dadoun, qui enseigne à l’université de Paris VIII appartient au comité de rédaction de « La Quinzaine littéraire ».

La Quinzaine

Littéraire

CINEMA

la derniére

réincarnation

de Philip Marlowe Don Siegel Charley Varrick (Tuez Charley Varrick) R. Altman The Long Good-bye (Le Privé)

par Louis Seguin Raymond Chandler refusait la dignité et les privilèges du romancier (il n'était, disait-il, qu'un rédacteur de feuilletons populaires) mais revendiquait son métier d'écrivain. A la différence de Dashiell Hammett, et même s’il l’'admirait, il se défiait du réalisme. Il ne peignait pas les « milieux du crime » (1) mais évoquait « juste la corruption ordinaire vue sous un angle mélodramatique ». ll avouait aussi « insister un peu

trop

sur

les

comparaisons

»,

autrement dit user avec excès de la métaphore. Il soutenait même que l'argot du « milieu » était une invention de l'écriture et que la parole « réelle » reproduisait une parole fictive. Cette rupture d'avec la littérature du comportement démarque une perversion de l'Histoire. La saga de Philip Marlowe commence en 1939, avec « The Big Sleep », lorsque les derniers horsla-loi disparaissent et que s'effacent les. espérances du New-Deal. Les années trente éliminent les Pretty Boy Floyd tandis que reprennent les luttes ouvrières. Elle s'achève en 1959, avec le chapitre quatre de « The Poodle Springs

story », huit ans après l'éclat et l'échec du Senate Crime Investigation Committee et de « The Crime in America ». La défaite électorale d'Estes Kefauver coïncide avec l'ascension encore furtive de cet Accusateur public du Comité McCarthy qui se nommait Richard Nixon (2). L'une et l’autre suggèrent l'affinité d'un Crime désormais si définitivement « organisé » que la dénonciation ne suffit plus à l'ébranler et d'une politique dont l'appareil fortifiait le triomphe des monopoles. Philip Marlowe est, au propre et au figuré, un héros de l'évanouissement. Tandis que Sam Spade empruntait à l'expérience

de l’ancien employé de Pinkerton,

du 16 au 31 janvier 1974

le détective de Chandler est un être de stricte fiction. Dans la « vie réelle » le « privé » est soit un flic à la retraite soit « un petit besogneux miteux qui cavale à la recherche de gens qui ont déménagé », ou encore comme le dit, depuis le roman même, la Vivian Regan de « The Big Sleep », « un petit homme crasseux qui passe son temps à fureter dans les hôtels ». Marlowe est un. imaginaire presque mathématique ; il a, dit Chandler, « simplement surgi de ces histoires que j'écrivais pour la presse bon marché ». Il a une figure, un âge. une stature, il évolue même, mais cette facticité reste secondaire.

Physiquement

passif

Spade, d'autre part, développait, jusque dans les pires situations, l'énergie d’un masochisme rageur tandis que Marlowe est physiquement passif. Son obstination s'exerce ailleurs, elle n’oppose à l'agression que l'humour désespéré de la parole. Il n'est plus un témoin mais un juge que tiennent à distance les mots du jugement. Sa dureté n'est plus de l'ordre de la qualité mais du signe : il est « dur » comme la corruption est « molle ». Ainsi s'explique que Chandler, qui avait quant à l'incarnation de son héros des idées assez précises puisqu'il le voyait sous les traits de Cary Grant, ait accordé toute sa faveur à celui de ses acteurs qui en était le plus différent. Bogart n'avait ni l'âge, ni la taille, ni l'allure désirables mais il était « très supérieur à tous les autres durs du cinéma ». Marlowe est un personnage tranchant. Son irréalité est elle un facteur de séparation, réféla où l'écarte d'un monde rence se confond avec la preuve de l'avilissement. En le reprenant après quinze DourBrasher (« The années bloon », de John Brahm, adaptation de « High Window », est de 1947), Altman, contrairement à toute supposition, ne dépoussière ni ne trahit la lettre du héros. Elliot la à la loi de obéit Gould vraisemblance. I! campe un chefd'œuvre de reconstitution minuredoutieuse, imperceptiblement les veulent le que blée, ainsi par tion, restaura la de normes

une certaine démesure du geste, lorsque, par exemple il enflamme ses classiques allumettes phosphorées. Car Altman achève ici le calcul commencé avec « Mash » pour le film de guerre et poursuivi

avec « McCabe » pour le western: il développe une entreprise d'appropriation et d'exploitation. II ne s’agit que de remplir. « The Long goodbye » est un film de repus où la fidélité est un argument d'épargne. Sa satisfaction n'est pas si éloignée de la prétention de Dmytryck, pour « Murder my sweet », ou du pari gratuit de Robert Montgomery, pour « Lady in the Lake ». Seule a changé une mode quasi-provinciale des signifiants. Aux plans « oniriques » et à la caméra subjective ont succédé la photographie dorée de Vilmos Zsigmond (voir Hamilton, passim), les focales longues et cette gloutonnerie qui encombre la bande-son, cache les premiers plans et exhibe un pittoresque du sanglant et de la drogue. Cette économie fade et passablement sordide introduit à une morale de la parcimonie. Le romantisme et le désespoir de Chandler, ou de Hawks, étaient les sursauts atroces d’un déséquilibre contre la venue d'une stabilité inacceptable. Les hyperboles d’Altman prennent le parti de l'idéal; leur nostalgie consolide ce qu'il exploite. Marlowe n'est plus le héros d'une irréalité déchirante ; il appartient, comme simple profit d'un capital culturel, à la mystification digestive du passé.

Le personnage de Marlowe est aussi construit sur un principe de différence et c'est pour cette raison que sa filiation passe non par la récupération et l'entassement esthétiques d'Altman, mais par les

héros misérables et têtus de Gordon Douglas ou de Don Siegel. Sinatra, dans « Detective », découvre en marge d'une enquête un scandale immobilier auquel il ne pourra s'attaquer qu'en démissionnant de la police. Les policiers ou les bandits de Siegel sont également des sujets de l'extérieur. Ils se placent à l'écart d'une limite qu'ils défient ou qu'ils

outrepassent.

Lee

Marvin,

dans « The Killers », veut comprendre, malgré les interdits, pourquoi il doit tuer. Léo Gordon, dans « Riot in Block Cell 11 » prison. de sa les murs défie

Clint Eastwood, dans « Dirty Harry », franchit les tolérances que s'accorde la violence policière. Les uns et les autres sont à la recherche d’une justice dont l'immanence se profilerait derrière l'horizon de la loi. IIs guettent les profits d'un droit qui restituerait les privilèges de la conquête individuelle. Autrement dit, ils se perdent à l'infini dans le mirage préféré du capitalisme, dans la morale toujours proposée et toujours refusée qu'est la libre entreprise. Elle occupe parfois l’espace fabuleux de l'Ouest, d'où le shériff de « Coogan's bluff » l'apportait à New York. Le Walter Matthau de « Charley Varrick » qui pratique l'attaque de banque dans le style révolu de Bonnie et Clyde puis est amené à lutter contre l'appareil de la Mafia est, de ce point de vue, exemplaire. Sa victoire solitaire est l’accomplissement du mythe de la chance égale.

L'ordre du suspense La dureté, le tranchant se déplacent ; ils sont maintenant du côté de la fabulation. La mise en scène de « Charley Varrick » est une mise en scène de la machination ; elle est géométrique et tactique. Elle ne suit plan par

plan, mouvement après mouvement, la manœuvre de Walter Matthau que pour ménager un étonnement de la logique; elle n'est explicable qu'après le coup, lorsque le résultat éclaire les raisons. Le schéma de cette rétrospection est donné dès le début nous n'apprenons que plus tard que la balle que l'on

voit perforer une portière de voiture a également frappé la conductrice. De même le calcul topographique subtil qui assure le triomphe final du fugitif n'est perceptible que lorsque le tueur qui

le traque

piège que sans rien

se

fait

prendre

nous avons vu y comprendre.

au

monter Siegel

inverse l’ordre du suspense. Il en transforme l'attente en une eupho-, rie ambiguë de la participation. Son plaisir est un plaisir froid, uni, poli par l'ironie : une vieille dame nymphomane admire longuement et confortablement l'as-

35

saut

trailer avant de révéler que la roulotte est vide. La jouissance procède aussi par élimination de ce fantasme favori de Siegel qu'est la mutilation (voir « The Beguiled » et « Two mules for Sister Sarah »). Les blessures et la mort ne frappent que les comparses parce aux

d'un

assaillants

que leur sacrifice fait partie du rite de la libération individuelle. Les complices et les victimes doivent mourir, même lorsqu'elles sont aussi intrépides et touchantes que Felicia Farr, pour détourner le destin. Le scandale de « Charley Varrick » qui, comme le procès de son récit,

ne se découvre qu'ensuite, est de jouer jusqu'à l'extrême d'un triomphe glacial, définitivement dépouillé de toute complaisance et de toute nostalgie, le jeu d'une illusion perdue. C]

contraire, des tées récement 10/18.

(1) Toutes Chandler sont

mois

les citations extraites, sauf

de avis

(2) Le Comité

«

Lettres », réédila collection

dans

McCarthy

mit fin

à la carrière de Dashiell Hammett en le condamnant, en 1951, à six

de

prison

pour

non-coopé-

ration.

THEATRE

Une pièce (curieuse) de Peter Handke Peter Handke La chevauchée sur le lac de Constance Mise en scène de Claude Régy Espace Cardin

par Simone

Benmussa

Le titre de la pièce est inspiré d'un poème de Gustav Schwab qui raconte cette histoire : Un cavalier galope des heures sur une immense plaine étrange et lisse à la recherche du Lac de Constance. Il aperçoit enfin un village et demande à quelqu'un : — « où est le Lac de Constance ? » — « Derrière vous. Vous avez galopé tout ce temps sur une mince couche de glace sans jamais la briser ». Pris de peur à l'annonce du danger auquel il vient d'échapper, ses oreilles se remplissent du bruit sourd de la glace qui se brise, son corps se couvre d'une sueur aussi froide que l'eau et il meurt aussitôt de l'imagination du vide. « Les personnages entrant en scène, empruntent l'escalier, se montrent donc aux spectateurs, d'abord de profil, puis de face », écrit Handke dans sa première indication de scène. Les personnages sont présentés sans perspective, comme s'ils avaient seulement . deux dimensions. Au cours de la lecture des indications de scène, le dessin apparaît très précis, de chaque acte, de chaque geste, de chaque objet, de chaque mot, de chaque lien entre les mots-objets, les objets-mots, les gestes-mots. On s'aperçoit que les personnages parlent depuis un moment ; on ne sait plus comment ils ont glissé du manuscrit à la scène, de l'indication de scène au dialogue, à moins qu'ils ne disent justement rien d'autre que des in-

36

dications de leur dialogue

scène car, de fait, est écrit en termes

de « conduites ». Ils parlent à la première personne et on a l'impression qu'ils parlent d’euxmêmes à la troisième personne. Sont-ils en train de parler ou sontils en train de dire les indications de scène qui les décrivent ? Ils sont manipulés par le texte en italique, celui qui est en retrait, appuyé à droite de la page. Les personnages s'inscrivent dans un décor détaillé à l’extréme, bien délimité par le cadre à l'italienne comme dans la mise en page d'un livre. On s'aperçoit après coup qu'on a peut-être encore glissé dans les pages d'un

roman.

Sami

Frey, Delphine

Le déroulement de la pièce achoppe à quelque chose et dévie, achoppe à nouveau et dévie. Les personnages sont surpris au milieu d'une conversation comme s'ils y étaient depuis toujours, mais on se rend compte qu'ils parlent tout à coup d’une chose et ont d’autres gestes tout aussi connus mais incompatibles avec ce qui a précédé. La caméra a changé de champ. De la scène on a glissé sur la surface lisse d’un film pas encore monté. « Deux personnes ont une conversation banale questions,

récits, tout

réponses, en

et

poursuivant

peu

à

leur

conver-

peu,

sation banale, elles deviennent de plus en plus hostiles. » Les émo-

Seyrig, Jeanne Moreau

tions les plus violentes, les courants qui vont d'un personnage à l'autre sous-tendent le texte. La vraie vie circule là-dessous : sous le contrôle du quadrillage grammatical, de cette syntaxe des gestes. Les stéréotypes agissent selon un modèle policier. L'œil saisit l’'étrangeté, le texte est miné. Handke pastiche la littérature, défigure les citations, brouille les lignes du maquillage littéraire avec humour. C'est par le glissement, l'altération, qu'il dénonce d’une manière subversive le réel. C'est au travers de ces différentes surfaces superposées, celle du livre, celle de la scène, celle du film que l'on regarde. AU travers de ces rêves différés, on voit les conduites habituelles de la vie intégrées, soumises, transmises dans le système politique et social contemporain. Plus nous regardons ces conduites de surface dans leurs moindres détails, plus elles nous semblent étranges. Ainsi apparaît le contraire du particulier, de la vie subjective, le plus proche de ce que nous avons en commun : une espèce de mort sociale. Ces gestes et ces phrases usuels ont une valeur marchande que l'on croit, de ce fait, sécurisante ; or c'est justement là que le danger est installé. Ces conduites nous les accomplissons sur le

vide de la mort. Claude Régy, avec la maîtrise qu'on lui connaît, conduit les comédiens sur la surface fragile du texte. || y a dans ses mises en scène, et particulièrement dans celle-ci, de la violence, de la sensualité, de la tendresse : l'émotion vibre sous le tracé fin d'une gravure au trait. || soigne le détail ferme, le fini de chaque séquence, la recherche des sons sans échos, des lumières sans ombres, les attaques parfaites des voix, les pianissimi, la façon de dire ce qui est tu. Tous les comédiens sont

La Quinzaine

Littéraire

remarquables de précision et d’humilité, attentifs à la moindre émotion qui passe de l’un à l'autre. Ils dirigent leur sensibilité sur la tranche fine du dire et du nondire. Maîtrisant parfaitement leur technique, ils révèlent leurs différences qui montrent les gestes de leur métier et atteignent le but

de l'auteur mettre en pratique une réflexion poétique et politique sur le métier de comédien. []

La pièce est représentée depuis le 9 janvier au Théâtre de l'Espace Pierre Cardin jusqu'au 31 mars, dans une mise en scène de ClauMoreau, de Régy Jeanne avec

Delphine Seyrig, Michael Lonsdale, Sami Frey, Gérard Depardieu, Isabelle Desgrange, Frédérique Tirmont et Agnès Junger. Décors et costumes de Ezio Frigerio. La pièce est publiée aux Editions de l'Arche dans l'adaptation de MarieLouise Audiberti. Un livre composé de textes autour de la pièce a

: de à + àà

Virginia Woolf

« Reléguant tout schéma académique, Viviane Forrester a capté la vie même. » A.P. Le Point. « Etant elle-même écrivain, c'est instinctivement l'écrivain que Viviane Forrester débusque de préférence chez Virginia Woolf. » Geneviève Serreau. La Quinzaine littéraire.

par Viviane

Forrester

« Dans l'excellent « Virginia Woolf » que Viviane Forrester a donné comme supplément à « La Quinzaine littéraire », (l')intelligence critique se marque jusque dans les propos qu'elle obtient de ses interlocuteurs », Jean-Jacques Majoux. Le Monde. « Une logique pleine de relief et de nuances, émaillée de formules-choc qui s'attardent dans l'esprit. » Raymond Las Vergnas, Les Nouvelles Littéraires.

ESS

La Quinzaine

|

« sac

Ce ».

que On

soi,

on

l'ouvre

replonge on rêve

Pour

paru

aux

Editions

Christian Bourgois dans lection « Action Théâtrale

à cette

occasion

la col». Deux

romans du même auteur ont paru aux Editions Gallimard et un recueil de nouvelles chez Christian

Bourgois. Peter Handke vient de recevoir le prix Büchner pour l’ensemble

QU

conserver

à.

de

son

œuvre.

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du 16 au 31 janvier 1974

Préparant mémoire sur Paul Nizan, cherche Attoll (nov.-déc. 1967). Ecrire : M. François André, villa Majanifra, 73190 Saint-Baldoph.

37

BIBLIOGRAPHIE

Livres publiés du 20 décembre au 5 janvier EBEETES JL ER SEREOT ROMANS ET RECITS FRANÇAIS Jean-Marie

Philippe Boyer L'Ecarté (e) Coll. Change

Turpin

La Guerre langéenne Coll. Textes Flammarion, 139 p.,

18 F Le déterminateur Jacques-Jules Langa a déclaré la guerre aux anciens-chrétiens des îles. Une fable et un monde

suspendus.

ROMANS ET RECITS ETRANGERS John Hopkins Les Mouches de Tanger trad. de l'américain par S. Nétillard Gallimard, 398 p., 38 F A travers un amour vécu et perdu dans le désert,

et une demi-guérison à Tanger, ce roman relate une découverte en profondeur

du

Maroc.

Max Loreau Cri Eclat et phases Gallimard, 207 p., 30 F Désagrégations, restau-

rations,

pulsations

l'éternelle visitlle. Andreï

histoire

Vozsnessenski

(Skrymtymnym)

trad.

russe

par

L. Robel Gallimard, 150 p., 25 F Edition bilingue des poèmes de l’année 1965.

JOURNAUX

INTIMES

Sainte-Beuve Le Cahier vert 1834-47 Gallimard, 520 p., 65 F Première édition intégrale et critique (par Raphaël Molho) de ia pre-

mière partie des cahiers intimes de Sainte-Beuve dont on ne connaissait que les extraits intitulés «

38

Mes

poisons

».

Laffont/Seghers, 359-p., 28-F Le travail du livre entendu par analogie avec le « travail du rêve », c'est-à-dire comme visant à une réalisation de désir. (Michaux, Butor, Pinget, Duras, Derrida, etc.)

Serge Brindeau (sous la direction de) La Poésie contemporaine de langue française depuis 1945 Ed. St-Germain-desPrés, 918 p., 75 F Panorama critique. Voir « la Quinzaine », n° 177 du 15 décembre 1973.

Jacques Chouillet La Formation des idées esthétiques de Diderot Armand Colin, 653 p., ToLE L'écrivain Diderot n'est pas compris si l’on ne le reconnaît pas d'abord pour un philosophe.

Pierre Reverdy Note éternelle du présent. Ecrits sur l’art

(1923-1960) Flammarion,

220 p.,

321FE Le profond regard de Reverdy, ami de Braque, Gris, Léger, Picasso, Laurens, fut l'un des premiers à se poser sur la naissance et l’accomplissement du Cubisme.

Michel

Terrier

Individu

et société

dans le roman américain de 1900 à 1940 Didier, 444 p., 70 F La société américaine vue par ses romanciers de Th. Dreiser à R.

Wright.

Tableau

Yann Gaillard Mémoires des morts illustres Gallimard, 216 p., 20 F L'auteur, écrivain aigü, prête à chacun des morts illustres de l'an 1970 (De Gaulle, Luis Mariano, Salazar, B. Russell, Nasser, Mauriac, etc.) un monologue où il résume et interprète son destin. Edgar

Poe

Les Aventures d'Arthur Gordon Pym Aubier Montaigne, 409 p., 36 F Edition bilingue de ce texte fameux (traduction de Baudelaire) avec une introduction et des notes par Roger Asseli-

neau.

Analyse brillante et documentée des causes, des évolutions, et des formes du phénomène idéologique du fascisme, sur tous les continents. lustrations.

Jean-Louis Bory Questions au cinéma Stock, 304 p., 25 F Après douze ans de critique cinématographique, J.-L. Bory se sent en mesure de poser quelques « questions de confiance » au septième

Gallimard, 460 p., 42 F Troisième volume inédit de cet ouvrage collectif bien connu. Y ont collaboré, parmi bien d'autres, Barthes, Butor, Derrida, Grosjean, Mauriac, Morand, Paulhan, Man-

diargues,

etc.

HISTOIRE Gustave von Grunebaum L'identité culturelle de l'Islam

trad. de l'anglais par R. Stuvéras

du savoir originel de l'humanité. L'archéologie d'une race.

Coll. Les classiques de l'art Flammarion, 150 p., 26 F Préface d'André Berne-

Maurice

Joffroy. 64 planches en couleurs, 130 en noir.

Guinguand

et

Béatrice Lanne Le berceau des cathédrales

Gilbert Lascauit Le Monstre dans occidental Coll. d'esthétique

Coll. Pensées et sociétés secrètes Mame, 244 p., 34 F L'architecture des cathédrales, fondée sur des nombres, des rythmes crit

Klincksieck,

Alain Krivine Questions sur la révolution Stock, 304 p., 20 F Une interrogation précise et sans faux-fuyants.

et des formes, insun secret alchimi-

que.

Jacques Sutter Comme si Dieu n'existait pas

Epi, 156 p., 28 F Les points névralgiques de la crise des Eglises chrétiennes examinés à la lumière de la sociologie religieuse.

RP SRE SCIENCES SECRETES Jean-Claude Frère L'Enigme des Gitans Coll. Pensées et sociétés secrètes Mame, 207 p., 28 F Des gitans considérés comme les dépositaires

Michel Waldberg Gurdiieff Coll. Table d'Emeraude Seghers,

189 p., 23,50

l’art

469 p., 72 F

De quel et multiple sens se trouvent porteurs ces sphinges, sirènes, centaures, etc. qui peuplent dès l'origine les arts en Occident ? 113 illustrations.

art.

de

la littérature française de Mme de Staël à Rimbaud

du

Poèmes du

LITTERATURE CRITIQUE LITTERAIRE

F

Après tant de bruit et de gloses sur un personnage, une approche précise d'un enseignement, à travers les œuvres écrites.

Jean Starobinski 1789, les emblèmes de la raison Coll. Les balances du temps Flammarion, 200 p., 95 F 1789, c'est la Déclaration des droits de l'hom-

Arnold

me,

Waldstein

Lumières de l’Alchimie Coll. Pensée et sociétés secrètes Mame, 271 p., 32 F L'alchimie antique ; l'hermétisme oriental ; les grandes œuvres de l'aichimie médiévale et renaissante ; les travaux les plus récents des alchimistes.

BEAUX-ARTS Umberto Baldini Tout l’œuvre peint de Fra Angelico

et

la

prise

de

la

Bastille, mais c'est aussi Goya, David, Guardi, Blake, Houdon, Ledoux,

Fussli,

Anne

Tiepolo.

Tronche

et

Hervé Gloaguen L'Art actuel en du cinétisme à

France,

l’hyperréalisme Balland, 325 p., 49 F Dictionnaire illustré, dépourvu de discrimination critique, des artistes qui se sont peu ou prou fait connaître en France ces quinze dernières années.

Bibl. des Histoires

Gallimard, 295 p., 43 F L'Islam classique et les problèmes de l'influence culturelle de l'Occident. Une querelle des Anciens et des Modernes. Préface

de J. Berque.

Pierre Milza et Marianne Benteli La Liberté en question Le fascisme au XX° siècle Ed. Richelieu, 410 p., 60 F

« Peuples et Dans la collection Civilisations », aux Presses Universitaires de France, paraît, en deux forts volumes, un important ouvrage de synthèse dirigé par Maurice Crouzet : «Le Monde depuis 1945 ».

Premier tome : «Les pays riches la troisième révolution industrielle 2e tome : «Les pays pauvres et naissance de nouveaux mondes

et », la ».

S'il y est beaucoup question d'économie et de politique, on y trouvera également de forts intéressants chapitres sur les sciences et l'évolution

des techniques (René Taton), sur la pensée, les lettres et les arts (Gaëtan Picon). Importants le monde musulman

chapitres sur (Maxime Rodinson), indien (Alice et Daniel Thorner), asiatique (Denys Lombard), chinois (Lucien Bianco), africain (Henri Brunschvig), latino-américain (J.-P. Berthe et C. Furtado). Dans sa conclusion, Maurice Crouzet fait remarquer que si l'on peut parler «d'une crise de la civilisation, on oublie qu'il existe « des civilisations » qui n'ont pas encore dit leur dernier mot.

La Quinzaine

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Lecteur de « La Quinzaine littéraire » Vous achetez votre journal au numéro. Vous le payez 5 F. Bien que votre dépense pour le mois (2 fois 5 F) soit moins élevée que si vous achetiez chaque semaine n'importe quel hebdomadaire courant (4 fois 4 F), vous trouvez que c'est cher. Nous aussi. En dépit de l'augmentation générale des tarifs à laquelle vient de procéder toute la presse, les abonnés de « la Quinzaine littéraire » paient leur numéro, depuis ce 1°’ janvier 1974 : 3,13 F pour un abonnement de 2 ans, 3,82 F pour un abonnement d’un an, 4,58 F pour un abonnement de 6 mois, ce qui constitue, déjà, une réduction substantielle : plus de 37 °/ pour un abonnement de 2 ans. Nous vous avions fait une offre spéciale, valable jusqu'au 31 décembre 1973, qui vous aurait permis de le payer encore bien moins cher. Plusieurs centaines de lecteurs en ont profité. Ils s'en félicitent. Des milliers d’autres, dont

vous peut-être, n'ont pas saisi l'occasion. Nous vous offrons la possibilité d'un « repêchage ». Si vous n'avez jamais été abonné à « la Quinzaine littéraire », ou si, ancien abonné, vous n'avez pas renouvelé votre abonnement au moins depuis un an, nous vous proposons d'échapper à la hausse l’ancien tarif.

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La Quinzaine littéraire

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gardez l'esprit critique

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ns

La Quinzaine littéraire

Burroughs chantre des épaves

SOMMAIRE

3 L'EVENEMENT

\lexandre

5 ECRIVAINS DE LANGUE FRANÇAISE

Marguerite

6 7 8 9

Fereydoun Hoveyda E.-M. Cioran Maurice Chavardès Jean Grenier

10

ENQUETE

Librairies

14

ECRIVAINS

W.-S.

Soljenitsyne Duras

et grandes

L’Archipel du Goulag

par

Jean-Jacques

India Song Nathalie Granger

par

Viviane

Les Neiges du Sinaï De l'inconvénient d'être né L'attente Réflexions sur quelques écrivains Voir Naples

par Lyane Bergerioux par Pierre Pachet par Clara Malraux par Raymond Jean

surfaces

Burroughs

Marie

Forrester

par Claude

Bonnefoy

Les Garçons sauvages

par Claude Delarue

Le Nouveau

par Anne Fabre-Luce

ETRANGERS 16

ESSAIS

CRITIQUES

18

POESIE

23

ARTS

24

LANGAGES

Jean

Ricardou

Maurice

Rollinat

L.-J. Gelb Jürgen

Jean

Pierre-Marie Dioudonnat Alastair Hamilton

Juliette

Minces

par Serge Fauchereau

Dans les galeries

par Régine Cathelin-Simonet et Jean-Louis Pradel

Pour une

par Jérôme

comme

Duvignaud

Maurras

Les Névroses

théorie de l'écriture

La technique

Habermas

Charles

roman

et la science

par Gerhardt

Fêtes et civilisations Le Langage perdu

par D. Grisoni

Je suis partout

par Eugen Weber

Les Travailleurs en France

(1930-1944)

étrangers

par

Maurice

T. Maschino

par Gilles Sandier

La Tempête

Shakespeare

Peter Handke

La Chevauchée sur le lac de Constance

33

Nagisa

Une petite sœur

Le cinéma

et

R. Maggiori

L’Illusion fasciste Œuvres capitales

Oshima

Hôhn

idéologie

32 THEATRE

CINEMA

Peignot

pour l’été

par

Louis

Seguin

selon Bergman

par Olivier de Magny

Publicité : au journal. Expositions, galeries : Mlle Brunswig. Wag. 79-29.

Direction : Maurice Nadeau.

Comité de rédaction Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise

:

Choay,

La Quinzaine

Ferro,

Gilles

Six mois Lapouge,

ivier de Magny, José Pierre, Gilbert

Couverture

Abonnements : Deux ans 144 F, quarante-six numéros. Un an : 88 F, vingt-trois numéros.

Roger Dadoun, Serge Fauchereau, Marc

Crédits photographiques

Walusinski.

: 55 F, douze numéros.

Etranger : Deux ans : 177 F, par avion 277 F Un an : 111 F, par avion : 166 F Six mois : 66 F. Prix du n° au Canada : 75 cents.

Seghers DR. 3 DR. 5 Ralph Gibson . 14 L’Herne . 17 Le Seuil éd. . 24 DR. 0 DE RE CR EE . 31 Leterrier _

Pour tout changement d'adresse : envoyer 3 timbres à 0,50 F avec la dernière bande reçue. Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal : C.C.P. Paris 15 551-53.

Secrétariat de La rédaction et documentation : Anne Sarraute. Administration Louis Aldebert

:

Nadia Monteggia. Rédaction,

administration

Directeur de la publication :

43, rue du Temple, Paris (4°). Téléphone 887-4858.

Maurice Nadeau. LE.I., 92120 Montrouge Printed in France.

:

D.R. L’Herne

L’'EVENEMENT

L’Archipel du Goulag Le suicide, en septembre 1973, d'Elisabeth Voronskaïa, après plusieurs interrogatoires de police, a précipité la publication par Soljenitsyne du manuscrit qu’elle dactylographiait pour lui « l’'Archipel du Goulag ». Il s'agissait en effet pour l'auteur de préserver dans la plus grande mesure possible les centaines de témoins rescapés des camps, qu’il avait rencontrés à propos de la vaste enquête à laquelle il s’est livré sur la répression en URSS depuis quarante ans. En publiant leurs noms, dans un ouvrage qui va paraître sensiblement en même temps dans les divers pays d'Occident, il peut espérer les placer sous la protection de l'opinion

le et

Et le poète » dénonce ensuite «tintamarre éhonté, infâmant destructeur

de

ces

sifleurs >» qui critiquent écrivains

Judas

lorsqu’enfin ils sont anéantis (c’est-à-dire licenciés, arrêtés ou déportés) alors le poète-pogromiste chante : le cœur joyeux et l’âme à l’aise Soudain on a respiré plus légèrerusses

et,

internationale.

La campagne déclenchée en URSS contre Soljenitsyne à propos de cet ouvrage que les Russes ne peuvent lire, la litanie des calomnies stéréotypées publiées par la presse soviétique nous rappellent de très mauvais

souvenirs.

Nous avons demandé à Jean-Jacques Marie ce qu’il pense de « Archipel du Goulag » après lecture de l'original. Nous reviendrons sur cet ouvrage quand il paraîtra en français. par

Jean-Jacques

rateur » ces lignes et quelques autres emplissent une demi-page de l'organe de l’Union des écrivains «soviétiques» Literatour-

Marie

L’hystérie « Lignes pleines de fiel et de poison … rage hystérique … il parle avec une chaleur encore plus grande des traîtres de Vlassov … les mots-balles de Soljenitsyne empoisonnés par la calomnie et le mensonge

sont

tirés sur

le

peuple soviétique … Soljenitsyne « travaille >» en contact étroit et en bonne intelligence avec les réactionnaires les plus effrénés … il calomnie le Russe … Soljenitsyne décrit avec délice la trahison et Les'traîtres depuis les plus petits.

Les agents de police, les dénon-

| |

ciateurs de la Gestapo jusqu’au général Vlassov … ceux qui cherchent aujourd'hui à réhabiliter

Hitler et le nazisme ont vite saisi le nouvel écrit de Soljenitsyne … Soljenitsyne fait, sur sa « révolte », un bon business … la marionnette se

grimace,

ne

cesse

de

rature au «poète» Serge Vassiliev qui, lors de la campagne anticosmopolite de 1949 (c’est-àdire

antisémite),

avait

écrit

un

beau poème intitulé Sans qui fait-il bon vivre en Russie ? et qui répondait clairement : sans les juifs. On pouvait lire dans ce chef-d'œuvre aujourd’hui officiellement récompensé des lignes ailées : Pour plus aisément salir Plus

commodément

L'un dit, à louzoski,

lumière, qu'on est beaucoup mieux dans les ténèbres, exige

Et peut-être à Borchtchagovski

won ferme tous les rideaux, ’on stoppe le soleil. Car à la ière du jour les reptiles sont toujours répugnants. » Sous la signature «Le litté-

Soufflèrent Holtzman et Bleiman,

Jean-Jacques Marie achève une biographie de Trotsky.

d

4 du

1°” au 15 février 1974

Ou

bien

Bernstein

à Plotka-Danine, est pour

Finkelstein,

Tcherniak pour Hoffesher, B Kedrov pour Selector, M Helphand pour Rounine, Mundblitt pour Holtzmann » (Cité par Gregori Sviski : « Les Otages ».)

[ment,

Soudain on a chanté plus gaiement Soudain on a eu plus envie De travailler à perdre haleine, De travailler comme il faut À la russe et à la Stakhanow |...) A la manière de Lénine et de [Staline le Russe » (à sup-

« Calomnier poser encore que Soljenitsyne l’ait fait !) c’est un «crime », mais

«calomnier le juif» un mérite pour lequel on décore de la couronne de lauriers un ami de l'écrivain Vassili Smirnov qui prétendait qu’Alexandre Issaievitch Soljenitsyne s’appelait en réalité Abraham Israélovitch Soljenitzer….

Quoi que l’on pense par ailleurs de l’Archipel du Goulag — et il y a beaucoup à en dire — il faut se rappeler qui parle, se rappeler que le vocabulaire du « Littérateur » c’est celui de la chasse aux sorcières et des procès montés par la bureaucratie pour défendre envers et. contre tout ses privilèges exorbitants; chasse aux sorcières qu’elle déchaîne contre Soljenitsyne, non point à cause de ses positions politiques, mais pour le combat qu’il mène en faveur des libertés bafouées par le Kremlin.

calomnier!

À qui confier la priorité, Pour commander à tous Qui mettre à notre tête ?

répéter que la lumière nest pas

4

ë

tord,

naïa Gazeta (16 janvier 1974) et le Bureau Soviétique d’Information les a jugées dignes d’être entièrement reproduites en français dans son numéro du 18 janvier 1974. Quelques jours plus tôt, le gouvernement du Kremlin faisait accorder le prix d'Etat de litté-

per-

les vrais

Un dossier. Cela dit, qu'est-ce que l’Archipel du Goulag ? Un énorme dossier sur la répression en URSS de 1918 à 1956 qui nous décrit l’Union soviétique de sa naissance au vingtième congrès du PCUS comme un vaste univers

concentrationnaire,

livré

à l'arbitraire et à la violence. Un énorme dossier sur les procès, les arrestations et leurs métho-

des

multiples,

les

et leurs formes sier nourri de

de

souvenirs,

interrogatoires

diverses, un dosfaits, d’exemples,

de

témoignages

et

entrecoupé par le récit de « l’expérience personnelle du capitaine Soljenitsyne arrêté en 1945 pour sa

correspondance

avec

un

de

ses

amis qui comportait quelques jugements critiques sur le maréchal Staline. Ainsi, Soljenitsyne énumère

minutieusement

vingtaine

de

méthodes

tions et trente

ou

formes

de chantage

gatoires,

une

de pression

lors des

liste

des

une

d’arresta-

interro-

camps,

un

état des procès de 1918 à la mort de Staline...

Bref, l’Archipel du Goulag un inventaire et un sation. Mais un acte

contre

qui ou

Contre

est

acte d’accud’accusation

quoi?

l'arbitraire

et

la

vio-

lence qui, d’après Soljenitsyne, ont marqué l’histoire de l'URSS dès

ses

premiers

balbutiements.

Pourquoi date-t-il le point de départ de son livre 1918 et non 1917 ? Sans doute parce que la Tchéka (commission naire de lutte contre révolution) créée en

extraordila contredécembre à agir en 1918.

1917 a commencé Mais la date politique qui devrait s'inscrire sur la première page est bien 1917...

Pour

Soljenitsyne, une ligne et continue mène de Lénine à Staline, de la Tchéka à la Guépéou et au KGB., de la répression sous la guerre civile à la répression sous la Constitution de 1936 «la plus démocratique de la répression sous du monde DA la révolution à la répression sous la réaction. La thèse n’est jamais réellement démontrée. L’Ardroite

chipel sur

si

du

la

Goulag

l’on

ose

démontrer

l'ouvrage

est

pour

est

pour

point

mais

pour

dossier elle

implicitement

dire

non

un

mais

Tout

explicite. construit

mieux,

est

répression,

la

l’illustrer,

la souligner

comme

une évidence qui va de soi et la redondance n’est pas ici superflue..

L’illustration présente des avantages indubitables. Soljenitsyne

que les empereurs Byzantins ont fait régner la terreur la plus 3 Sr ignoble, qu’à l’appel du noble Luther les seigneurs allemands ont

tué

et

massacré

les

paysans

allemands au début du XVI siècle, qu’'Ivan le Terrible et ses opritchniki ont déclenché une sauvage répression, ajouter la barbarie fasciste de Hitler, Mussolini

et

Pinochet,

et

en

conclure

quoi ? Que l’homme est pervers (ou « faible >» comme l'écrit Soljenitsyne page 275 « L’homme est

faible,

faible »),

et

la nature

humaine méchante ? Ou du moins que

toute

violence

se

vaut,

que

tout arbitraire est égal et renvoyer dos à dos tous ceux qui ne vénèrent pas les valeurs morales décrétées éternelles (par qui?) sous leurs formes laïque ou religieuse?

aligne des faits de répression en 1918. 1919, 1920, 1921 et d’autres

faits 32

de ou

répression 1937-38,

en

demment, ces faits blent > comme tous répression.

Mais,

1930,

1945-46...

31,

« développement

se « ressemles actes de comme

naturel » du

léninisme ?

chose ? Il en est de même au niveau de la société et de l’Histoire. Qui frappe qui et pourquoi ? Soljenitsyne refuse de répondre à cette question. Est-ce que PURSS en 1918, c’est la même chose que PURSS en 1937 ou 1947 ? Est-ce que les fins de la

violence sont les mêmes ? Est-ce que les intérêts qu’elle défend sont identiques ? D’où vient-elle, en 1918 et en 1937 ? En réalité, Soljenitsyne esquive la réponse à cette question. Dès s’arrêter en si bon

par eux (un acte moralement condamnable, n'est-ce pas ?), le principal parti de la guerre à outrance pour des fins brutalement impérialistes (une forme indubitable de violence qui condamnait des centaines de milliers d’hommes à mourir pour le

Capital

franco-britannique),

c’est escamoter dès le départ une donnée essentielle et laisser supposer que la violence bolchevique règle de façon illégitime un débat d'idées. Signaler, ensuite, page 43, que les socialistesrévolutionnaires de gauche ont été victimes de la répression bolchevique à dater du 6 juillet 1918 en oubliant de rappeler que ces mêmes socialistes-révolutionnaires de gauche, désireux de rallumer la guerre contre l’Allemagne

avaient ce jour-là assassiné

l'ambassadeur

disait

Alain, un fait n’est pas une preuve. Après tout, lorsqu'un gardien de camp tire sur un déporté qui s’évade et lorsque le déporté qui s’évade tire sur le gardien lancé à sa poursuite il s’agit dans les deux cas d’un coup de revolver. Et encore quel déporté sur quel gardien ? Du point de vue de la morale éternelle, des valeurs post-kantiennes du vrai, du beau et du bien, dans les deux cas un homme tire sur un autre homme. Violence. Pendre Gæœhring, exécuter Sacco et Vanzetti est-ce donc la même

lors, pourquoi

Le stalinisme

Evi-

s'expriment. Or, nous signaler que « l’un des premiers coups de la dictature frappa les Cadets » (p. 39) sans rappeler que les Cadets étaient, depuis la révolution de février 1917 confisqués

On

ne

sait,

à vrai

dire.

Mais

une chose est certaine : pour Soljenitsyne le stalinisme n’est pas la dégénérescence du bolchévisme. Il en est le développement naturel, la maturité,

l’âge adulte.

Le chapitre intitulé «La loienfant » couvre la répression jusqu’en 1921, le chapitre «La loi devient

adulte » de 1921

à 1928,

et «La loi a müri» de 1928 à 1937. Le cheminement est sans détours. dans la pensée de l’auteur. Soljenitsyne se refuse à établir un lien entre «la pensée et la volonté >» d’un côté et de l’autre le monde réel dans lequel elles

clenché

un

d’Allemagne et dé-

soulèvement

militaire,

attaqué le Kremlin au canon... et bien failli le prendre en utilisant leurs postes dans la direction de la Tchéka, ce n’est pas seulement gommer un fait, c’est gommer une situation. Il Èen est de même lorsque Soljenitsyne dresse un bilan de la répression bolchevique en 1918 - premier semestre 1919 : 8389 fusillés (rappelons qu’en une dizaine de jours les Versaillais ont liquidé physiquement vingt mille communards dans la seule ville de Paris), 412 organisations démantelées, 87 000 personnes

arrêtées.

Mais,

en

trois

Pour le soutien

à Soljenitsyne M. Sakharov, les écrivains Alexandre Galitsch, Vladimir Maximov et Vladimir Vornovitch et le mathématicien Igor Shaferevitch, dans une déclaration conjointe, ont lancé un appel aux « honnêtes gens du monde entier », pour qu'ils s'efforcent de protéger Soljenitsyne contre

les

«

la

publication

persécutions

»

à la suite

de

chemin et ne pas remonter plus haut le cours de l'Histoire ? Et constater la répression menée par Cromwell lors des premières années de la révolution anglaise, ou par les Jacobins en 1793-1794 (et en déduire peut-être dès lors que toute révolution est une catastrophe sanglante et absurde ?) Puis constater ensuite que Thiers a utilisé la terreur la plus brutale contre la Commune de Paris, que

Goulag ». Les mêmes signataires, dans une seconde déclaration, dont ils ont également fait parvenir le texte aux correspondants étrangers, dénoncent l'usage que l'URSS fait de la convention internationale sur les droits d'auteur pour censurer les auteurs soviétiques. En ce qui concerne Soljenitsyne, les signataires écrivent : « Nous sommes profondément préoccupés

l’'Inquisition a semé la terreur pendant près d’un siècle et demi,

Alexandre dans les

nouveau

par

les

en

livre,

nouvelles

France «

de

son

l'Archipel

du

menaces

contre

Soljenitsyne contenues récentes déclarations de

l'agence Tass. Tass dit que Soljenitsyne est un traître à sa patrie dont il calomnie le passé. Mais comment est-il possible en même temps d'affirmer que les erreurs admises ont été condamnées et corrigées et de traiter de calomnie une tentative honnête pour rassembler des témoignages historiques sur une

partie des crimes

notre

conscience

qui oppressent

collective ? »

UNE DECLARATION DE HEINRICH BOLL D'autre part, l'écrivain ouest-allemand Heinrich Bôll a exprimé, dans une interview à l'agence D.P.A. sa « totale compréhension pour les motifs qui ont poussé Alexandre Soljenitsyne à autoriser la publication de « l’Archipel du Goulag » dans le monde occidental. » Le président du Pen Club International a affirmé qu'il soutiendrait « son collègue et ami envers et contre

tout

».

ans,

la guerre

civile a fait près

de 7000000 de réduit la Russie

morts, elle à la ruine,

a à

la famine et à un état de quasibarbarie qui vit réapparaître le cannibalisme dans la Basse-Volga. La révolution russe attaquée de toutes parts se débattit dans une situation infiniment pire que celle des

Jacobins

en

1793-1794,

ces

pères de la bourgeoisie moderne, dont la Terreur fit quelques 17000 morts dans le même laps de temps (un an et demi). Comparaisons oïseuses ? Mais ce sont celles-là mêmes qu’établit patiemment Soljenitsyne. Il compare cent fois la répression en URSS avec la répression sous le Tsar ou sous les nazis, pour aboutir à la conclusion que l’Archipel Goulag est la pire des machines répressives.

Un

axiome

moral

Trotsky écrivait en 1935 : « L'Etat créé par les bolcheviks reflète non seulement la pensée et la volonté des bolcheviks, mais

aussi le niveau culturel du pays, la composition sociale de la population et de l’impérialisme mondial non moins barbare. » Soljenitsyne se refuse à envisager ainsi la question et à considérer ensuite que, restant dans sa situation

d’isolement

et

d’arriération,

cet Etat ait dégénéré et engendré une couche sociale parasitaire et privilégiée. Dès lors, l’extermination par Staline des dirigeants bolcheviks apparaît comme le simple déroulement d’un axiome moral : celui qui use de la violence périra par la violence, ou

bien : la révolution dévore ses propres enfants. Aussi Soljenitsyne écrase-t-il l’un des aspects essentiels de la répression de 1929 à 1940 : la lutte prioritaire contre le «trotskysme » réel ou supposé. Varlam Chalamov signale dans les récits de Kolyma que le détenu qui portait sur son dossier Ja lettre « T » (trotskyste)

stigmate

était

fatal.

plus dangereuse

perdu

Petite

:

«T,

lettre

(.…) Pour

la

lEtat

aucun autre article du Code pénal ne réprimait un danger aussi grave que la menace cachée derrière la lettre T..» (p. 22 et 228). Pourquoi ? Soljenitsyne, qui dénigre avec mesquinerie le passé des dirigeants bolcheviks (1) ne peut l'expliquer. Ainsi, par un curieux

retour

de manivelle,

l’avalanche accusatrice aplatit-elle la perspective réduite à un long musée d’horreurs. Dès lors, on ne comprend plus : si l’on ajoute au long chapelet de la répression l’absurdité eriminelle de la politique de Staline

La Quinzaine Littéraire

dans la conduite de la guerre et l’incurie de nombre de ses généraux, conjuguée à la poursuite + À : he d’une répression aussi féroce qu’absurde pendant la guerre et qu'il n'y ait rien d'autre, on

ne

comprend

peuple

soviétique

l’armée nazie. chose d’autre. pas seulement lag que nous Elle conserve des

pas

comment a

pu

le

écraser

Il y a donc quelque L’URSS n’est donc l’Archipel du Goudécrit Soljenitsyne. encore certaines

conquêtes

arrachées

en

1917

qui

dressèrent contre elle toute la barbarie du vieux monde : et elles faillirent bien en périr

cela, Soljenitsyne

Mais

étouffées.

parle pas. La révolution de 1917, après quelques semaines d’enthousiasme., commence en réalité, pour lui, avec la Tchéka

n'en

et se de

déroule

cette

impartiale

le long

voie.

Soljenitsyne

de

recréer

que de lexpliquer. 1. «Les dirigeants que l’on exhiba 1936-38 avaient,

aux dans connu

le monde

Les du

parti

procès de leur passé de courts

révolutionnaire, doux séjours en prison, des assignations à résidence de courte durée, et n'avaient jamais tâté du bagne» (p. 411). Il dénigre

et

L’historien de l’Archipel du Goulag ne vaut pas le romancier du Pavillon des Cancéreux : ïl est manifestement plus facile à

les

Marguerite

Duras

Fereydoun

Hoveyda

India Song Nathalie Granger Les Neiges du Sinaï De l'inconvénient d'être né L’attente Réflexions sur quelques écrivains Voir Naples

condamnés

Moscou en lation sur

«volonté

des

Procès

de

mettant leur capitule compte de leur

de vivre ». Soljenitsyne

va

jusqu’à

supposer

gratuite-

ment, mais pour les besoins de son illustration c’est une nécessité que

Trotsky

resté

en

URSS

aurait capitulé car « Trotsky avait acquis à bon marché son caractère redoutable de Président du Soviet Militaire qui n’exprime

pas qui

une véritable a condamné

fermeté ; celui beaucoup de

gens à être fusillés, comme il s’aigrit devant sa propre mort ! Ces deux fermetés ne liées l’une à l’autre»

sont pas (p. 411).

ECRIVAINS DE LANGUE FRANCAISE

E.-M. Cioran Maurice Chavardès Jean Grenier

Marguerite Duras India Song Texte. Théâtre. Film Gallimard éd., 148 p.

La forme

Nathalie Granger Suivie de la Femme du Gange Gallimard éd., 194 p.

par

Viviane

Avec

Depuis un temps déjà, on pouvait remarquer les relations affectives, passionnelles des livres de Marguerite Duras, comme s'ils étaient capables entre eux de

Forrester

India

Song

l'œuvre

de

Marguerite Duras occupe toute son ampleur ; œuvre à elle-même sa propre mémoire et qui se dit. Et qui prend donc la forme de l'oubli : chaque mot porte ici le poids d’autres, cette fois tus ; les traces d’un silence autrefois —

s’aimer, se blesser, de se libérer. Ici, éclate, leur drame, — et celle sans

se détruire ou leur intimité leur fête aussi doute de Lol

V. Stein, à peine remémorée dans India Song, mais dominante. Lol

ailleurs, dans d’autres volumes —

enfin « ravie », absente et dont on disait dans Le Ravissement de Lol V. Stein : « On pouvait, me

interrompu,

parut-il,

et

dans

ces

pages

recouvré, sauf pour quelques brèches par-où passe (on voudrait

écrire « pleut ») un texte d’autant plus dépouillé qu’il était déjà su. Un livre, India Song, qui se souvient à distance d’autres livres, lesquels disaient le même récit, et cette autre même neuf, gnent

distance d’un ouvrage à un que piège leur auteur, ellepiégée là, devient un espace opérant — dilaté — où rèl'écriture, l'imagination en

leur énergie même,

en leur éco-

nomie. Viviane

Forrester



Ainsi

des

exilés », « le Grand Festin », « VirA ne ginia Woolf ») est une collaboratrice

habituelle de « la Quinzaine littéraire ».

du 1” au 15 février 1974

en

savoir

moins

encore,

de moins en moins sur Lol V. Stein. » Lol, détentrice de la scène de bal originaire où Michael Richardson s’éprenant violemment, subitement, de « la dernière venue » Anne-Marie Stretter, la suit, abandonnant Lol, sa fiancée, déjà stupéfaite et prête au ravis-

sement.

Lol

qui va

l'exploration, la réclamation,

lui donne

Gilles

Deleuze,

poursuivait

la rafle

indifférente

Cette fois, comme elle se déchirait dans Le Vice-Consul (où se

par Clara Malraux par Raymond Jean

cette mémoire

que le ressassement

dans la Femme du Gange, la fête dans India Song est défoncée. Hors de la scène — « Théâtre. Texte. Film » annonce la page de garde — ce sont des voix autonomes qui se souviennent — mal — et qui, tapissées de leur propre souffrance, de leurs propres questions, se confient les bribes essentielles d’une histoire elle-même lourde de la mémoire de Lol et

présent. Ce moment dangereusement, invinciblement propagé d’un texte à un autre, et qui se développe de l’intérieur par la répétition

de son « cinéma », lourdes de l'histoire du Vice-Consul, mais

après qu’elle a traversé l’espace triangulaire, l’atroce clarté de l'Amour et s’est perdue dans la Femme du Gange. Lourdes ? allégées plutôt, car ce sont de mauvaises mémoires,

fascinées,

de ces mémoires

acharnées

à la répéti-

jours selon Deleuze, « l'oubli devient une force positive ». Cette prise de vue neuve d’une scène

la fête

par Lyane Bergerioux par Pierre Pachet

de Lol annulait en instaurant le règne statique, rigide et vide du

à la

« qui n’a pas d'autre paradoxe apparent : répéter un irrecommençable ».

Forrester

Stretter), comme dans l’Amour ou

d’Anne-Marie elle s’abîmait

tion, cette répétition par qui, tou-

persistance obtenue de son désastre et vivre ainsi, dans le sens que

Viviane

de l’oubli

à

s’adonner

par

irrémédiable,

cette

création

d’un

palimpseste, cette mobilisation d’une scène toujours semblable mais non identique, c’est peut-être le lieu exact de l'imagination, activée par l'oubli, le lieu de

Marguerite Duras

constante et la déperdition, n'’estce pas la pulsion même dune vie organique, presque biologique ? On se demande alors s’il est possible de faire mourir un texte et c'est peut-être ce que fait India

quitté. — La nuit du bal? Oui. Mais Lui aussi. C’était Lui qui, parfois, le soir, jouait au piano cet air de S. Thala. » Et

Song

tirait

de

tenter

cette

mort

en

allant se perdre, se détruire hors des limites écrites, pour se faire entendre et voir. « Théâtre. Texte. , le passage est transparent. Film C’est tout naturellement que Mar: « Ils reguerite Duras note

gardent tous le bruit de la pluie ». Les mots palpitent au fond d’une mémoire et ne sont plus les ter-

mes

d’une

progression,

consommation ; ils

sont

d’une là

dans

leur exactitude globale, leur poids très

mesuré.

comme

on

On

voit

entend

les

les images

sons

(et

ce devrait être la proposition naturelle de tout texte) comme on découvre les scènes que cherchent

les

voix

tremblantes

de

peur,

d’hésitations, éprouvant jusqu’au vertige l’épouvante de cette béance : la scène imaginée. Béance

de

savoir

du

de

la lèpre,

Vice-Consul la

nuit

de sur

les

des

Indes,

qui

Lahore lépreux

et

les chiens dans les jardins de du viceShalimar ; de savoir consul qui criait dans la nuit des mots

insensés

et

dont

le cri

béant

communique avec l'aptitude au vide d’Anne-Marie Stretter, et qui hurle son amour pour elle au cours d’une réception : « Ne supportait pas. — Non. — Les Indes, ne supportait pas? — Non. — Quoi des Indes ? — L'idée. » Litanies dynamiques en leur réitération même et dont l'intensité conduit à la simplicité menaçante qui tout au long des pages de Duras conduit au scandale, au pire danger : celui de voir, celui de la

clarté. « Le jour vient », disent les voix à la lueur des crématoires.

où s’engouffre le désir qu’elle ne

Il ne s’agit pas cependant d’une quête ou d’une initiation (encore que la mendiante qui marche d’un

peut

livre à l’autre, elle aussi, cherche

incarnée

par Anne-Marie

Stretter

capter.

Les voix (deux voix de femmes d’une « douceur pernicieuse »,

deux

voix

d'hommes

plus tard)

se souviennent, vivantes, de la vie,

mais bien après, lorsqu'il suffira de dire : « Pour elle, il avait tout

« une indication pour se perdre », mais « personne ne sait ») mais d’une démarche intransigeante menée par l'écriture. Ce livre — Texte. Théâtre. Film — n’a rien de mystique et sil

bascule, c’est dans la présence concrète de l’image et du son, par une précision elliptique qui en fait un texte total. L’émotion demeure ici la force initiale, bouleversante, mais sévère, le véhicule d’une intelligence qui ignore l’explication. En fait, c’est bien une histoire que content les voix, une histoire d’amour, mais pas celle d’un couple, celle de lamour, peut-être, et donc une légende, mais agie et avec véhémence; une histoire où des invités babillent, où l’on joue au tennis, où l’on mendie, où l’on a des carrières ou faim, où l’on désire, où l’on crie, où l’on meurt dans l’in-

justice et qui n’en finit pas. Notre histoire comme on la racontera dans la souffrance future.

Inscrire ce qui se dérobe A travers ces voix qui relatent la folle, la maniaque activité de l'écrivain acharné à inscrire ce qui se dérobe, peut-être le texte parvient-il à se sauver lui-même hors de cette inscription démente, hors de la page imprimée. C’est dans un geste opposé que Nathalie Granger devient de film un livre

tantes.



Nathalie

Granger

re-

fuse d'avance, à dix ans, toute existence proposée, tandis que

s’organise lentement, maladroitement autour d’elle une résistance qui protégera, on l'espère, ce refus. Un seul homme traversera ces lieux où l’on apprend à dire non,

et

c’est

un

personnage

très

marginal. Le père s’est, le matin, très naturellement et de lui-même exclu — laissant aux femmes — pour la journée ? — la maison, le pare, le temps ; aux femmes qui apprennent à prendre possession, au moins, de ce qui leur est attribué : la maison, le pare, ce temps,

indifférentes aux territoires du père, à ses domaines dont elles obstruent cependant l’un des accès majeurs : l’école, où Nathalie n'ira plus. Est-ce

une

Lol

cette

Nathalie

saura

par

V. Stein

Granger,

une

vigilance

neuve,

et

qui

neuve,

par la violence et le mutisme, éviter à la fois ce crime qu'est notre vie et les fuites délectables ? qui saura

ne

pas

accepter

ce

tra-

et très dense, où le parc, la forêt,

vestissement qu'on lui propose? Ce travestissement que déchirent le cri du Vice-Consul de Lahore et le corps d’Anne-Marie Stretter, maigre et nue. On a compris que Marguerite Duras sait par le texte

la maison sont des êtres tout autant que les femmes, leurs habi-

lui.

même

détruire

ce qui ment

en 0

Ecrivains de langue française

Fereydoun Hoveyda Les neiges du Sinaï Gallimard éd., 257 p.

par

Lyane

Le désordre

Un dimanche de neige, «un jour comme les autres anonyme mais exemplaire », Georges Amberson, écrivain,

ouvre

la monu-

mentale édition dominicale du « New York Times ». Noël est proche, et pourtant, dans le silence douillet de sa chambre, c’est un monde de violence et de bruit qui l’assaille, un monde

balles qui sifflent — tanks au sommet des dunes s’arrêtant et reprenant leur course ». A ces obsessions s'ajoutent celles Arabes. Nous entendons parler de qui naissent des échecs personnels la Mafia, du féminisme et du prod’Amberson. La femme qu’il blème noir. Nous constatons les aimait vient de le quitter. En surméfaits de la pollution qui fait de impression s'impose l’image d’un New York une gigantesque poucouple bras dessus, bras dessous. belle. Un seul événement ne fait Le passé du « héros » donne aussi plus la une de nos journaux : la naissance à des images obsédanguerre au Vietnam, mais d’autres ont su la remplacer. tes, souriantes parfois, comme celle de la mère portant un tablier Les angoisses de Georges Amde coton bleu à fleurs roses, mais berson se traduisent sous forme le plus souvent angoissantes. Des de thèmes obsédants. C’est l’image terreurs enfantines le hantent. Les du pantalon qui rétrécit, inquiétante impression que ressent le visages de ses compagnons de jeu morts en Corée ou au Vietnam personnage, c’est l’image d’un viennent le harceler. fl se souvient aveugle qui frappe furieusement le sol de sa canne et profère des avec la même frayeur d’une maiinsultes en tendant sa sébille, c’est son aujourd’hui démolie et de sa vie au cours de la première aussi celle d’Yves Montand dans « Z », s’écroulant sur la chaussée. guerre mondiale. C’est surtout celle d’un «jet de Pour traduire ce désordre mensable se soulevant, s’éparpillant, tal, Fereydoun Hoveyda a comrejaillissant au gré des bombes, posé son récit d’une succession alimentent nos journaux. Nous y voyons les querelles entre Chinois et Soviétiques ou Israéliens et

Bergerioux

dont le dés-

ordre est en correspondance étroite avec le désordre de son monde mental. Tel est le sujet des Neiges du Sinaï, écrit dans notre langue par un diplomate et romancier iranien. Le 14 décembre 1969, Georges Amberson se met donc à lire son journal, errant d’une rubrique à l’autre, au gré de sa fantaisie et de sa curiosité. Les nouvelles qui retiennent son attention sont celles qui, chaque jour encore,

du monde d’images fixes qui viennent frapper le lecteur comme autant d’éclairs. De la juxtaposition rapide de ces images naît l'illusion du mouvement et même d’un mouvement

vif, d’un

accéléré

de la

vie. On s'aperçoit que l’on retrouve ainsi la définition la plus élémentaire du cinéma. Présence de figurants, silhouettes réelles ou romanesques qui peuplent la mémoire du personnage ; retours en arrière, fondus

enchaînés, thèmes

récurrents qui sont comme le fond «sonore» du roman. La phrase est dépouillée de presque tous ses éléments verbaux (roman sans action) et réduite à la juxtaposition d'éléments

nominaux,

tourbillon

étourdissant d’images fugitives. A l'opposé, il n’y a pas de séparation nette entre l’énoncé des nouvelles que lit Georges Amberson et ses rêveries, si bien que nous ne savons pas toujours si les visions viennent du monde imaginaire ou

La Quinzaine Littéraire

du monde réel. De toute façon, le lien est étroit entre

vers.

ces deux uni-

La multiplicité

est le comme

des images

reflet du délire de l’un de la folie de l’autre.

Tous posés

les

problèmes

dans

d'autant

ce

livre

qui

sont

le sont

avec

plus d’acuité

que

nous

sommes aux Etats-Unis, et plus précisément à New York, la nouvelle Babylone, la ville tentaculaire, ville de tous les superlatifs qui est aussi celle des pires misères. Pourtant, il serait vain de les croire réservés à une ville, ou même à un pays. Tous nos contem-

porains

se

Georges

sentiront

proches

Amberson.

PLS Vof

de

Ils retrouve-

ront en lui leurs propres angoisses et leurs propres obsessions. C’est un autre nous-même que nous

apprivoisons

au fil des pages.

[]

COLLECTION Chaque Archi

volume de {

ao

Ecrivains de langue française

chaud sous l’édredon volumineux. Le roman policier se propose, avec la consolation de ses crimes érotisme

de

surface.

Je lui préfère De l'inconvénient d'être né, que je lis à rebroussepoil, plein d’hostilité préconçue contre son pessimisme buté et ostentatoire,

sa mauvaise

humeur

superlative qui pourtant ressemble à la mienne, à ce ciel de vacances bouché et sans promesse. Cioran a peu à peu désamorcé mon

sérieux,

insinué

bon dans mon fensive.

solitude m'oublie.

Il

de l’à quoi

argumentation

s'impose,

sous

la

Avec

dé-

écrase

sienne,

lui,

ma

et

je

la réflexion

philosophique prend la consistance et la valeur anesthésique du romanesque, sa force esthétique. Car sa réflexion ne va nulle part mais ne cesse de couper des fils, de libérer des espaces de rêverie ; parlant

de maladie,

elle

me rend au bonheur de mon corps bien portant et lisant. Cioran offre avec art son angoisse et son

tion.

insatisfaction

Le

frances mon

à ma

spectacle

pour

protège

bien-être

de

délecta-

ses un

souftemps

d’amateur.

Cette lecture, profiteuse et égoïste, ne détruit pourtant pas la lecture plus classique par laquelle je seconde l’auteur, imite ses poses, le suis dans ses questions, reconnais Dans référence.

ses points de seconde cette

plus rapide et consommation, moins paresseuse, je lui prête ma vie pour

qu'il en

nie

la valeur,

mon énergie pour qu'il la dissipe dans la fatigue des efforts Pierre Pachet est professeur d’université, il collabore depuis plusieurs années à « la Quinzaine littéraire ».

du 1” au 15 février 1974

"

commentaires de toute sorte : Cioran est-il philosophe ? et de quelle secte ? où va sa pensée telle qu’elle se marque dans ce livre, le septième qu’il publie ? à quoi engage-t-elle ? quelle est sa valeur dans le grand catalogue des pensées, si toutefois elle mérite d’y être inscrite ? Si l’on se guide sur la pensée qui donne son titre à l'essai, on reconnaîtra aisément une filiation classique, celle de la sagesse grecque qui, avec Sophocle aussi bien qu'avec les penseurs hellénistiques, a donné une forme à l’idée selon laquelle « ce qui vaut mieux, c’est de n'être pas né ». Et on dépistera aussi une influence hindoue, telle que celle qu’a subie Schopenhauer. Deux courants aussi exotiques l’un que l’autre, à la fois par rapport au grand fleuve de la philosophie d'Occident,

de la source

platoni-

cienne au delta hégélien, avec sa préoccupation continue des limites et des conditions de la connaissance ; et par rapport à notre quotidienneté, chrétienne aussi bien qu’athée, qui, éprise

d'efficacité, a relégué le non-agir dans la littérature. Empressons-nous d’ajouter que cette classification est totalement fausse, et que la pensée de Cio-

ran, avec son air de venir du fond des âges, est particulièrement Chaque époque contemporaine. une faimposent pays et chaque d’être regretter de con particulière nous de né. Cioran est proche comme Baudelaire (il a d’ailleurs édité un choix de textes de Joseph

de

Maistre),

comme

un

Baudelaire qui aurait en plus à se reprocher de n’avoir pas écrit les du mal. Déambulation Fleurs dans la ville repue d’insatisfac-

Dr

P

ignoré.

Articulé

dossier

réunit

GUERRE

nm

connu

)

ou

sur

DI

l'illustration,

un reportage

Archives

sorte

de

film

qui

de

fixe,

le

complet

Guerre un

demeure.

chercheurs

de

report

1ge

Tous

l'équipe

travaillent

dans cet esprit afin de livrer au grand public ce qui, jusque là, était réservé à quelques curieux.

tion, délectation satanique de la vilenie humaine, tournoiement des spectres modernes : le cafard, l’angoisse, la maladie, la solitude. Mais une solitude qui débouche tantôt sur l'Histoire, tantôt sur la métaphysique. Désirer de n’être pas né est en effet une pensée à deux faces. Côté métaphysique, elle engage à imaginer l'indifférenciation primordiale de l’incréé et de l’intemporel, à explorer les apories nées de la réversibilité du Temps. Côté sociologique, elle est liée à la facon particulière qu’a chaque société de rendre ses membres inutiles ou interchangeables. En ce sens, l’allure désuète de ce que Cioran appelle lui-même son « byronisme

russe

», de son

ennui

et

de sa passion pour l'ennui qui l’apparentent à un héros de Lermontov ou de Dostoïevsky, lui donne une sorte de classicisme d'avant-garde : car l’individualité d’aujourd’hui n’en a pas fini d’être désuète — énergique, cruelle, négatrice, inconsolée. Ainsi va l’aphorisme de Cioran, défaisant ce que le précédent a pu établir, rentrant en lui-même pour laisser place au tour de piste du suivant : individualités nettement détachées les unes des autres, fraternelles

sans

attendris-

sement. Ainsi Cioran l’insomniaque construit-il des abris pour nos après-midi. Ainsi Cioran le métèque (c’est la qualité qu’il se donne) a-t-il fait de la langue française un vêtement si élégant de sa pensée qu’on ne l’aperçoit qu’au second regard. Cioran se compare lui-même à Ishi, cet Indien de Californie recueilli par l’anthropologue Kroeber, seul survivant d’une tribu détruite, représentation miraculeusement visible du dernier homme : on ne saurait mieux suggérer que cette pensée

annonciatrice

phes est elle-même d’un

]

peu

télévisé

par Pierre Pachet

Le temps maussade comme moi-même m'isole pour la journée dans un lit campagnard, au

ICCINCT

collection

Cioran

inutiles, mes projets pour qu'il les stérilise. Dans ce second mouvement se maintient la position critique, riche en interrogations préliminaires, en préalables et

di l

DE

ou reconstitue l'unité d'un élément fragmenté par l'oubli, l'ignorance ou le temps. Chaque volume de

éd., 256 p.

son

e

une

avec

ouatés,

r

ment

Un après-midi

E.M. Cioran De l'inconvénient d’être né Coll. « Les Essais »

Gallimard



ARCHIVES

désastre.

ne [Marseille19

LafinduVieux-Port À À LesBlockhaus . : del'illusoire

Marseille 1943. La fin du Vieux-Port. Format 14% 27.

Jamais vu encore à ce jour, réunies dans un livre, les photos des dernières heures du Vieux-Port

de Marseille rasé par les nazis de 1943. Préface d'Edmonde Charles-Roux.

au commencement

Le Mur de l'Atlantique. Les Blockhaus de l'illusoire. Format 14 x 27. Instrument de propagande, forteresse inexpugnable s'il avait

été sérieusement armé? On en discute encore. La réalité : le 6 juin 1944, la gigantesque armada des Alliés prouva que le Mur de l'Atlantique n'avait été qu'un mythe.

Bon de Commande à adresser à la Quinzaine Littéraire Daniel & Cie 43, rue du Temple - 75004 Paris Marseille

1943.

La fin du Vieux-Port, 40 dou-

bles pages, 100 documents inédits. Prix :15F, port en sus (3 F).

Le Mur

de

l'Atlantique.

Les

Blockhaus

de

l'illusoire, 80 doubles pages, 200 documents inédits. Prix : 38 F, port en sus (3 F).

Marseille

1943

+ Le Mur de l'Atlantique, les

deux volumes : Prix : 53 F, port gratuit.

Ci-joint la somme

caire,

Chèque

de

Postal,

* F par Chèque Ban-

(rayer

la

mention

inutile) à l'ordre de Daniel & Cie. * Ecrire ici le montant de votre envoi en chiffres

3443N9

de catastro-

la survivante [O

: î Le Murde l'Atlantique

DANIEL(A, 141440

30 SIAIHOHY

&

NOI19371109

Ecrivains de langue française

Maurice |Fu

Le poids des pères

Chavardès

{ttente

\lbin

par

Michel

Clara

éd.

245

P-

Ses héros sont de gens, presque des

Malraux

étroitement

Y eut-il d'hommes ment que

une qui,

autre aussi

génération passionné-

nôtre, adulte au cours de la dernière guerre, souhaita à Ja fois oublier et se souvenir ? Et de quel poids ce double mouvement pèse-t-1l sur ceux qui nous succèdent ? Peu d’ailleurs ont abordé ce problème — essentiel me semble-t-il — avec autant d’honnêteté et de délicatesse que Maurice Chavardès dans, d’abord, la Réparation puis l'Attente. Et cela en permettant, malgré un souci tour à tour de réalisme et de poésie, qu’intervienne ce qui, pour chacun de nous, semble aujourd’hui acquis de la psychanalyse. De quels gestes sommes-nous

la

les héritiers ? Que fait naître en nous la présence ou l’absence parentale ? Ces questions se posaient dans la Réparation à travers une quête douloureuse. Dans l’Attente,

il s’agit de savoir

dans

quelle mesure la connaissance acquise commandera l’action. Sans doute l’œuvre dans son ensemble comportera-t-elle un troisième volet. En attendant, celui-ci,

qui d’ailleurs s'impose à lui tout seul, semble étrangement actuel.

Chili L'AICA-France proteste contre les mesures de répression et d'expulsion prises par le nouveau gouvernement chilien contre les artistes, les étudiants et les enseignants de la faculté des beaux-arts, de l'Institut d'art latino-américain et de l'Université du Chili, et s'inquiète de leur sort.

L'AICA-France, préoccupée de la situation des artistes chiliens réfugiés en France, lance un appel en leur faveur à tous ceux qui peuvent leur venir en aide en leur procurant du travail, des subsides, des bourses, des postes de professeur et des ateliers pour travailler. L'AICA-France demande, en outre, la restitution à tous les donateurs des œuvres envoyées au musée de la Solidarité de Santiago. S'adresser à l'AICA, Section française, 11, rue Berryer, 75008 Paris.

tout jeunes adolescents,

enserrés

tissu

d'événements

leur

existence

dans

un

antérieurs

et

qu’ils

à

décou-

vrent peu à peu. Pour l’un, c’est à travers les fragments d’un journal tenu par

son père qu'il apprendra que celui-ci, demi-juif, est mort en déportation à la suite de la dénonciation d’un de ses collègues, journaliste. Pour l’autre, c’est à travers une phrase brutale destinée à abattre un soi-disant orgueil, qu’elle connaîtra sa situation d'enfant adopté. Le poids d’un savoir qui leur semble lourd rapproche l’un de l’autre le garçon et la fille. Les confidences du journal paternel dessineront la forme de l’amour qui sera la part du fils : comme son père, après s'être attendri au cours d’une aventure superficielle, il aura la révélation d’un sentiment plus riche grâce à une jeune femme venue d’un tout autre milieu que le sien. Mais ici, les rôles sont inversés : le père de Pascal était de famille aisée, celle qu’il a épousée, pauvre. Cette fois, l’adolescent n’est plus qu’un boursier pauvre, sans arrière-plan familial, celle qu’il aime, une héritière qui

cependant que

comportera une mes, y compris

quinzaine de volules poèmes et des

inédits. Chaque dié et présenté

ouvrage sera étupar un critique dif-

et,

à

la

fin

de

chaque

volume, l'auteur des « Hommes de mais » et des « Légendes guatémaltèques » ajoutera une postface dans laquelle il s'expliquera luimême sur l'œuvre en question et la situera dans la perspective générale de sa vie et de sa production. Le manuscrit du premier volume sera remis aux Editions Klincksieck en avril prochain.

tout

lieu

parents

de croire furent

mi-

passé

paternel,

sur

le

devoir

de

vengeance que s’imposait le fils. Or, c’est au cours même des gestes qu'il entreprend pour mener à bien ce qu’il considère comme sa mission, qu'il rencontre, liée d’ailleurs

au

coupable,

celle

dont

il pense qu’elle pourrait le retenir toute sa vie. Halte merveilleuse dans un décor réel, lourd lui aussi de passé, exaltant et apaisant selon les moments : la France occitane. Car, dans ce livre, autour d’un thème central, s’entrecroi-

sent des thèmes multiples, dont ceux nés de cette terre qui aujourd’hui reprend conscience d'elle-même. L'amour que lui portent les deux adolescents enrichit la découverte qu’ils font l’un de l’autre, permet que s’annulent leurs divergences. Leur accord n’empêchera pas leur séparation. Ne pouvant supprimer celui qui indirectement tua

son

père —

peut-être

Action

Fait sans précédent dans les annales littéraires d'Amérique latine, c'est à un éditeur français, Klincksieck, que Miguel Angel Asturias a confié le soin de publier l'édition critique de ses œuvres complètes, en langue espagnole. Cette édition

a

vrais

sérables. Pour l’un et pour l’autre, la pesée du passé aboutira à la liberté sous sa forme la plus précise : le rejet — ou l’acceptation lucide de ce qui leur fut imposé. Cependant, la Réparation s’achevait, après la révélation du

Asturias

férent,

ses

la

est

un

un

accident

qui

accident-suicide

poétique

Dans le dernier numéro paru revue « Action poétique

de »

(n° 56, décembre 1973) on tirera le plus grand profit et le plus grand agrément à lire un excellent ensemble anthologique consacré à la poésie contemporaine aux EtatsUnis, poésie qui reste encore, comme le remarque Jacques Roubaud,

extrêmement

mal

connue

en

France. Parmi la trentaine de poètes dont il nous est offert un aperçu, il faut citer Louis Zukofsky, longtemps ami de Pound, qui compose depuis 1928 un poème en 24 parties (intitué A) dont, à ce jours, 23 parties ont paru; Jack Spicer (1925-1965), dont les recueils (« the Holy Grail ») sont aux EtatsUnis même à peu près introuvables ; les poètes qui, sans former groupe, publient dans la revue

est intervenu entretemps, Pascal quittera la France. Pense-t-il que, n'ayant pu accomplir ce qui lui semblait

sa

n’a

le

pas

bonheur

tâche

droit

immérité

essentielle,

de

jouir

?

Veut-il,

il

d’un lui,

demi-juif, s’assumer pleinement comme juif et ainsi porter le plus difficile ? C’est pour Israël qu'il partira, pour un kibboutz il se peut,

pour

la guerre

en

tout

cas.

Dans la Réparation l'approche des événements avait lieu tour à tour à la troisième ou à la première personne, sous la forme du journal. Dans l’Attente, c’est sous la forme d’une lettre qui ne parviendra peut-être jamais, que nous approchons de ce qui fut. Maurice Chavardès n’ignore pas, et pour cause, le maniement des techniques modernes, s’il n’en use qu'avec une extrême discrétion ; ce

qui

importe,

pour

lui,

c’est approcher les multiples possibles que comportent les destins humains.

Pris ainsi, au cours

des

pages, ceux qui au départ n'étaient que des personnages acquièrent parfois une valeur symbolique. []

Clara Malraux vient de publier un nouveau volume de ses Mémoires « Voici que vient l'été ». Voir « la Quinzaine littéraire » n° 178.

« Caterpillar » {la Chenille) : Paul Blackburn, Clayton Eshleman, Jackson Mac Low, le très singulier Armand Schwerner, etc. etc. La plupar des traductions sont dues à J. Roubaud et à J. Guglielmi.

Chateaubriand Dans l'excellente petite collection « Thèmes et textes », chez Larousse, vient de paraître un « René » par lequel Pierre Barbéris enrichit d'un nouvel exemple sa persévérante entreprise de lecture socio-littéraire. « C'est toujours à partir de son mythe central », écrit-il, « qu'il faut lire un écrivain ». Pour Barbéris, « René » est une « introduction à la compréhension du « réalisme » de Chateaubriand ».

La Quinzaine Littéraire

Ecrivains de langue française Jean Grenier Réflexions sur quelques écrivains Gallimard éd., 153 p.

Voir Naples Gallimard éd., 351 p.

Le choix des paysages

par Raymond

parle si bien de Jean-Jacques promeneur, c’est sans doute qu’il a été un étonnant promeneur luimême. J’introduirai ici une petite parenthèse personnelle pour dire que l’ayant quelquefois rencontré à Simiane-la-Rotonde en HauteProvence où l’appelait sa maison de vacances accrochée à flanc de village, et l’ayant à l’occasion accompagné sur des sentiers d’herbes et de pierres, j’ai le souvenir de sa tranquille et sûre allure de marcheur, de la précision de son pas. Aussi savait-il de quoi il parlait quand il évoquait le goût de Rousseau pour un certain type de promenade circonscrite — l’amour des îles ou des horizons proches

Parlant

Jean

de

Senancour,

Jean

Grenier écrit : « Aussi le choix des paysages est-il influencé par les lectures de l'auteur. » J'ai envie de retourner cette petite phrase pour l’appliquer à Grenier lui-même. Peut-être les lectures, chez lui, étaient-elles influencées

par le choix des paysages. Ce qui voudrait dire que la sélection des livres dont il aimait à parler était liée à la sélection de certains paysages « mentaux » où le cœur respire, où le corps se meut à l’aise. C’est l’impression que l’on a au sortir de ces Réflexions sur quelques écrivains où ont été réunis — en une sorte de discret hommage posthume à son travail de critique et de « liseur » — des textes, surtout des préfaces, écrits au fil de ses dernières années.

Des «étoiles accessibles » Paysages au sens strict du mot. On en rencontre à tout moment

dans ces pages sur Senancour qui sont parmi les plus « justes » d’accent du livre. Si Etiemble apprécie dans l’auteur d’Oberman le voltairien qui savait à l’occasion (surtout dans son essai De l'amour) fustiger les conventions sociales et prôner la liberté des mœurs, Jean Grenier préfère _ célébrer en lui le romantique dans les écrits duquel « les bois alter-

où tout

se centre

et se concen-

nature,

la « laïcisation

»

de

la

méditation jusqu'alors enfermée dans les formes religieuses ou métaphysiques, quand il expliquait son sens de la botanique par son peu de sympathie pour le règne minéral ou le règne animal qui le porte à privilégier le monde simple et « offert » des plantes, qui sont des « étoiles accessibles ». Paysages

plus

intérieurs,

secrètes

ou

aux

lignes

abruptes,

aux

découverts plus vastes, avec les textes consacrés à Dostoïevsky ou

à Tolstoï. C’est un autre versant de la culture de Jean Grenier qui se révèle cette fois. Et qui montre que sa sagesse critique ne saurait

proportions s’établissent entre les images de la nuit, de la forêt et de la montagne, des mystères se

se limiter à ce classicisme-romantique qui semble parfois être son domaine d'élection. Car s’il revient, dans des préfaces qui lui sont demandées un jour ou

construisent

l’autre,

nent

avec

les lacs », de savantes

sur

le contour

des

prés, l'ombre des hêtres et des châtaigniers, le bruit des torrents. _ Equilibres et déchirements subtils, qui

sont

saisis

avec

autant

de calme et sage exactitude que les pulsations secrètes du corps

de

;



tre dans les rythmes de la marche, quand :il lui savait gré d’avoir accompli, dans le cadre de la libre

Rousseau

à l'heure

de

ses

promenades. Car un autre beau texte de ce recueil est la préface aux Rêveries. Si Jean Grenier Raymond Jean, romancier, essayiste, enseigne à l’université d’Aix-enProvence.

du 1‘ au 15 février 1974 Des 74

saluer

certaines

c’est que ces œuvres

œuvres,

ont marqué,

jadis ou naguère, sa vie et sa ré-

flexion. Ainsi les Mémoires écrits dans

un

souterrain,

de Dostoïev-

sky, qui se sont imposés une fois pour toutes à lui comme un et » incomparable chef-d'œuvre « « explosif », où il met à nu cette dialectique du « méchant » et du « malheureux » si spécifique selon lui de la vision du grand romancier russe et cette forme de révolte qu'est le scandale écrasant le scandale : « La formule appa-

remment scandaleuse de Dostoïevsky : « Deux fois deux font quatre, ce n'est déjà plus la vie, c’est le commencement de la mort », cette formule ne choque plus, surtout lorsqu'elle est lue dans son contexte où Dostoïevsky montre que le caractère propre de l’homme est de chercher, découvrir, et non de trouver

de et

cette

chasse il faut beaucoup de patience, et c’est bien d'avoir l'esprit lent. C’est qu'il est nécessaire d'interpréter ce que l’on

voit. Tout ce qui semble

d'abord

naturel se révèle être un signe. Le travail à accomplir est celui d’un décryptage. Se refuser aux premières évidences est un devoir. Elles nous trompent. « Mon dé-

d'exploiter. ». Ainsi la Guerre et la paix, dont il dégage en peu de lignes la puissance créatrice, en montrant Tolstoï au seuil d’un monde qui se transforme et accouche de fatalités nouvelles : « Nous sommes ici dans les Temps

faut, c’est d’être naïf », écrit Jean

modernes,

apparence et la désinvolture avec laquelle il les traite cache un

au

siècle

dernier

et

dans un pays où les rapports de force et de masse ont un aspect à la fois plus fruste et plus grandiose, où il n’est pas question de dosage mais d’affrontement et de combat à l’intérieur même dun immense empire. Les nuances ny sont pas de mise. »

A propos

de Nietzsche

Mais c’est sans doute à propos de Nietzsche que Grenier exprime le mieux ce que peut être l’adhésion d’un homme et d’un âge à un livre lorsqu'il écrit, d’Ainsi parlait Zarathoustra : « C’est un livre fait pour la jeunesse de

l’homme.

Nous

avons

tous

été

émerveillés lorsque nous l'avons ouvert pour la première fois. Nous y avons lu tout de suite les mots de joie, de bonheur,

d'héroïsme,

de générosité et autres semblables, qui enthousiasmaient les lecteurs des romans de chevalerie. Beaucoup d'épreuves s’offraient en perspective : elles n'étaient pas décourageantes pour qui envisageait Le but : le Surhumain était notre Dulcinée du Toboso. »

Retour à la mesure avec des pages sur Camus (la préface à l'édition de la Pléiade) où les non et les oui de l’auteur de la Peste sont jugés avec la luci-

Paulhan.

On

ne

le croirait

pas.

Mais il a raison : il est naïf à la manière de Montaigne qui re parle que de choses familières et sur un ton cavalier ; or, ces choses ont une réalité contraire à leur

désarroi.

»

Une autre façon d'établir une relation avec les paysages est de les faire entrer dans le dessin (dessein) d’un roman. Jean Grenier l’a fait dans Voir Naples, œuvre romanesque publiée en même temps que ces essais critiques, dont on nous dit qu’il l’a commencée

en,

1956,

l’a

laissée

inachevée, mais y travaillait encore avant sa mort. L’émouvant de ce livre est dans l’activité de la mémoire aux prises avec la fiction, l’insistant tracé autobiographique qui court à travers une œuvre organisée comme un ro-

man : temps, lieux, sites, personnages, mais où se lira d’abord la très réelle et concrète expérience d’un homme qui fut professeur à l’Institut français de Naples, y eut des amitiés, y accomplit la découverte d’une ville, y enseigna à de jeunes élèves italiennes semblables à Antoniella, y noua la réflexion philosophique à la vie. Et surtout y perfectionna une certaine approche méditerranéenne du monde et des choses. Cela signifie-t-il que Jean Grenier romancier enveloppe et prolonge Jean Grenier « homme », philosophe, critique et lecteur ? Ce n’est peut-être ce qui ne

pas

évident,

fait aucun

mais

doute,

c’est

dité du maître et du témoin, et un excellent (et amical) portrait

la présence irrécusable dans son œuvre d’un certain décor com-

de Jean

mun

Paulhan,

critique

d'art,

où un certain don de la « chasse » aux découvertes est décrit avec pénétration : « Pour réussir dans

de

de sa pensée,

son

mémoire.

paysage.

de sa culture,

imagination

et

de

sa

Cela aussi est affaire de

0

9

Librairies et « grandes surfaces »

ENQUETE

Qu'en pensent les lecteurs L'ouverture par la Fnac, au mois de mars, d’une grande librairie pratiquant le discount va-t-elle avoir d'importantes répercussions sur le marché du livre, entraîner la disparition d'un certain nombre de librairies et, par contrecoup, contraindre les éditeurs à restreindre ou supprimer la publication d'ouvrages difficiles ou d'avant-garde ? A ces questions, posées par « la Quinzaine littéraire », les dirigeants de la Fnac ont répondu. Egalement des libraires, des éditeurs, des écrivains. Mais que pensent les lecteurs des différents circuits de vente du livre ? Quelle sera leur réaction devant

le discount

?

Une enquête de Claude Bonnefoy D'entrée de jeu, plusieurs questions se posent. Qui sont les lecteurs ? Comment les définir? Quels lecteurs interroger? Le lecteur de Maurice Roche n'est pas celui d'Anne et Serge Golon. Le client des librairies n'achète pas de livres à Prisunic. Encore n'est-ce pas si simple. Un lecteur de Maurice Roche peut aussi lire des romans de la Série Noire, acheter « Circus » à La Hune et James Hadley Chase un peu au hasard des présentoirs, dans une bibliothèque de gare ou, l'été, chez un marchand de journaux

près de la plage. Certes, on dira que les librairies et les grandes surfaces n'ont pas la même clientèle socio-culturelle. Cela est vrai surtout dans les grandes villes et à Paris. Ailleurs, le lecteur va souvent au plus près, au plus commode et souvent, faute de trouver un vrai choix de livres, s'’abonne à un club, achète par correspondance. Ainsi, un lecteur de « la Quinzaine », professeur à Sète, nous écrit : « Comment faire pour avoir ici en moins de quinze jours un livre qu'on trouverait à Paris en descendant le boulevard SaintMichel ? Une seule grande surface où l'on trouverait tous les livres serait préférable à des librairies et des points de vente pauvres en stocks et en services. »

Enfin le lecteur, si on l'interroge sur les réseaux de diffusion, répond

en

fonction

de

ses

besoins

ou intérêts immédiats, mais ignore l'extension, quelles conséquences ou l'appauvrissement de ces réseaux

peuvent

avoir

sur

la politi-

que littéraire des éditeurs. Et quel lecteur, si on la lui propose, refu-

10

sera de bénéficier d'une remise ? Traditionnellement, les enseignants en demandent une de 10 ‘/o à leur libraire

et

l’obtiennent.

Une grande enquête auprès des lecteurs sur le fonctionnement du marché du livre reste à faire et devrait intéresser les sociologues. Plutôt que d'opérer quelques sondages hasardeux auprès des clients de librairies ou de grandes surfaces, nous avons préféré interroger des responsables et des animateurs d'associations d'éducation permanente qui, animant des clubs de lecture, organisant des manifestations pour la promotion de la lecture (de la présentation de livres dans une école à de véritables foires du livre), sont en contact permanent avec des lecteurs de différents niveaux, connaissent leurs goûts, leurs habitudes, leurs désirs.

Pour les librairies à grande surface « Tout d’abord, président

dit M. Cacérès,

et Culture, il faut rappeler ceci : la lecture est un phénomène récent, qui date de la création, il y a un peu moins d'un siècle, de l'école primaire laïque et obligatoire par Jules Ferry. On a cru alors un peu naivement que l’alphabétisation doublée de la création de bibliothèques municipales suffirait à répandre la culture. Que constate-t-on aujourd’hui ? Si l’on considère la prolifération des magazines, des ciné-romans, des brochures bon marché, de la sous-littérature, on peut dire que tout le monde lit, mais,

de

Peuple

en l’occurrence, on ne peut parler de culture. Les lecteurs qui

savent

°? vraiment

lire, choisir

leurs

livres, sont plus rares. Ces lecteurs, où trouvent-ils leurs livres ? Dans des bibliothèques, mais, conçues plus pour l’étude que pour le plaisir de la lecture, les bibliothèques en France ne sont souvent que des cimetières de livres. Plus sûrement, sur le marché du livre. Mais là, que voit-on? On peut vendre des livres comme des casseroles ou des tournevis. La librairie est un métier de diffusion culturelle, mais alors qu'il faut un diplôme pour être charcutier, il n’en faut aucun pour être libraire. Il suffit d’avoir de l'argent pour

s'installer.

Résultat

: 15 à 20 %

des libraires font un excellent travail, ont des librairies véritablement culturelles. Les autres sont simplement des vendeurs de livres, Ceux-ci sont mal venus de critiquer les grands magasins, les grandes surfaces, car ils n'’offrent rien de plus aux lecteurs. Cela dit, ils ne sont pas inutiles car ils sont des vitrines pour le livre. Pour cette raison, à côté des librairies, tout le réseau des points de vente du livre, des marchands de journaux, est utile. Même les kiosques le sont lorsqu'ils proposent des livres en format de poche. Si quelqu’un qui: n’a pas l’habitude d’entrer dans une librairie achète

Stendhal ou Giono dans un kiosque, en collection de poche, c’est autant de gagné pour la lecture. » Interrogés sur la rivalité des librairies et des grandes surfaces, ‘responsables ou animateurs de différentes associations d’'éducation permanente s'accordent pour dire que la librairie offrant à la fois un grand choix et un service de qualité reste l'idéal. Pour souligner aussi que de telles librairies sont trop rares. Pour M. Anderson, animateur de | « Atelier de recherche et de

création », association qui est à Clichy une filiale de la Fédération Léo Lagrange, comme pour M. Legris, professeur à Sarcelles et animateur de la Fédération des œuvres laïques de Paris (affiliée à la Ligue française de l’Enseignement et de l'Education permanente), les lecteurs habitant la banlieue ont la plus grande difficulté à se procurer des livres. «

A

Clichy,

note

M.

Anderson,

il y a plus de vingt points de vente du livre, dont plusieurs petites librairies,

mais

l’on puisse trouver beaucoup plus que les offices ou les collections de poche courantes. Si un lecteur désire un livre sortant un peu de l'ordinaire, même un livre récent sur lequel il vient de lire un article, il lui faut le commander. Souvent même le vendeur se contente de lui dire : « Vous trouverez ça au Quartier Latin ». Il ne dit pas à Paris, il dit : au Quartier Latin, ce qui est très significatif. Il en va de même pour tout l’ensemble Clichy, Asnières, Levallois, qui représente plus de 150000 habitants. »

pas une

librairie



A Sarcelles A Sarcelles, la situation est analogue. « Si nous recommandons des livres, dit M. Legris, à des parents d'élèves, à des lycéens, voire à des enseignants qui suivent des stages pour l'animation de clubs

de lecture, nous

ne som-

mes pas sûrs qu'ils pourront les trouver. Parfois, le libraire (plutôt le marchand de livres) proche de chez eux ira jusqu’à leur affirmer que le livre ou la collection qu'ils demandent n'existent pas. La plupart des adolescents de Sarcelles vont très peu à Paris. S'ils ne trouvent pas le livre qu'ils désirent, en poche, au kiosque de la gare du Nord, ils sont perdus. » Alors, dans ces conditions, si une grande surface vend des livres, pourquoi n'irait-on pas? « On ne peut pas rejeter les grandes

surfaces,

dit

M.

Patoureau,

responsable de « la Lecture » à la Ligue française de l'Enseignement ; elles existent et, qu’on le veuille ou non, elles vont continuer à exister. Le vrai problème est celui de leur contenu. Malheureusement leurs rayons librairie, tant pour la jeunesse que pour les adultes, n'offrent le plus souvent que de mauvais livres. C’est contre cela qu'il faut réagir. Je pense que des associations d'éducation permanente comme la nôtre, des associations de lecteurs, peuvent constituer des groupes de pression auprès des éditeurs et, pourquoi pas, auprès des responsables des rayons de librairie des grandes surfaces. Ce serait une erreur de la part de ceux-ci comme de la part des éditeurs de postuler que les lecteurs ne veulent que des best-

La Quinzaine Littéraire

sellers. La clientèle pour les livres de qualité existe. Pourquoi les grandes surfaces n'en tiendraientelles pas compte ? » « En province, dit M. Huguet, président des Jeunesses littéraires de France, les grandes surfaces sont souvent le seul endroit où un public rural ou semi-rural peut trouver des livres. Je connais bien le problème de la lecture, en Vendée, où j'habite. En dehors des librairies et de la bibliothèque (une des plus modernes de France) La Roche-sur-Yon, des librairies des Sables-d'Olonne et de Fontenay-le-Comte (où existe la seule grande librairie de littérature générale du département), campagnes et petites villes sont très mal desservies. Aux journées de la lecture qui se sont tenues aux Sables en 1970, un libraire faisait remarquer qu’un Vendéen sur deux pouvait passer sa vie sans avoir accès au livre. Les grandes surfaces, les clubs, toutes les formes de coopératives sont alors des moyens nécessaires à la diffusion du livre. »

Une appellation équivoque Mais le mot « grande surface » est équivoque. Il ne faut pas confondre les rayons de librairie des magasins à grande surface et ces grandes librairies qu'on pourrait appeler des grandes surfaces du livre. Or, de telles grandes surfaces semblent être appréciées ou souhaitées par les lecteurs. Ainsi, pour Georges Belle, délégué dgénéral des Jeunesses littéraires de France, « les jeunes, qui forment en France un pourcentage important des lecteurs, aiment les librairies de grandes superficies, les grandes surfaces du livre. Et cela pour plusieurs raisons. Contrairement aux adultes, surtout au pu-

blic bourgeois, qui est traditionnellement celui de la librairie, ils ne souhaitent pas tellement être conseillés,

ils

manifestent

une

certaine méfiance à l'égard de l'autorité. Dans les grandes surfaces du livre, ils trouvent une sorte d’anonymat et aussi une grande possibilité de choix. A l'opposé des adultes, un stock important ne les effraie pas. Ils apprécient de trouver sur un sujet qui les intéresse tous les titres disponibles, quitte alors à demander conseil à un vendeur qualifié. A leurs yeux, des grandes surfaces du livre comme Gibert, la librairie des P.U.F., à Lille Le Furet du Nord, ont un caractère plus démocratique, plus culturel que les librairies traditionnelles. » M. Anderson confirme cette analyse. Pour cela il se fonde sur son expérience de la Foire du livre de Clichy, dont il est l’un des principaux organisateurs ; « On nous a dit que cette foire qui dure deux jours et qui eut lieu pour la pre-

du 1° au

15 février 1974

mière fois en 1972 était un supermarché du livre. De fait, il faut noter que dans une agglomération où le commerce du livre est fort modeste, nous avons eu un nombre considérable de visiteurs 3 500 en 1972, 6 000 en 1973. Tous n'ont pas acheté de livres, mais vus, en ont en ont feuilletés. les différentes Outre animations (projections de films tirés de romans,

rencontres

avec

CAMILLE BOURNIQUEL

des auteurs

et même, au rayon des ouvrages dégustation gastronomiques, de plats), ils ont apprécié deux choses qui manquent dans beaucoup de librairies : une grande liberté de circulation et de choix, la prédes livres par thème. sentation D'ordinaire, chaque collection de poche est classée par ordre alphabétique ou numérique. Nous avons regroupé tous les livres des différentes collections se rapportant à un d’une sujet, relevant même même rubrique. Cela a permis aux lecteurs de choisir mieux, de découvrir des livres. »

Ce qu'on attend donc d'une grande surface du livre, c'est qu'elle offre un grand choix, qu'elle soit une super-librairie. La Fnac ne cache pas que son ambition est justement de faire une super-librairie. Pour cette raison, « les jeunes iront à la Fnac, dit Georges Belle, comme ils vont chez Gibert, au P.U.F. ou au Bazar de l’Hôtel de Ville. » Pour MM. Anderson et Legris, il est vraisemblable que les lecteurs de banlieue, habitués aux magasins de grande surface, surtout les jeunes, seront à l'aise à la Fnac. Mais ils ne feront pas nécessairement le déplacement exprès. « Dans l'initiative de la Fnac, dit M. Anderson, quelque chose peut être très positif. La Fnac diffuse un bulletin auprès de ses adhérents. Ce bulletin donne un point de vue critique sur du matériel photographique, sur des disques, recommande les meilleurs enregistrements, les meilleurs appareils. Si ce bulletin consacre des pages à la librairie (et pourquoi celles-ci ne seraient-elles pas rédigées par un bon critique littéraire ?), s’il recommande de bons livres, défend la littérature de qualité, la Fnac fera un travail d'information utile dont les libraires bénéficieront. Si un adhérent de la Fnac habitant la province ou même Ciichy repère dans son bulletin un titre qui l’intéresse, il ira l’acheter chez le libraire le plus proche plutôt qu’à la Fnac, malgré le discount. » Le discount. Nous voilà ramenés au cœur du débat qui oppose à la Fnac les libraires et la plupart des éditeurs. Le discount va-t-il faire tache d'huile, gagner les rayons de livres des grands magasins, des grandes surfaces, risquant ainsi d'entraîner le démantèlement du réseau de la librairie ? Pour cela, il faudrait qu'il exerce sur les lecteurs une forte puissance d'attraction. Sans doute celle-ci existera. « A la Fnac surtout, dit Georges Belle, il sera un

"enfant dans la cité des ombres roman La réussite de M. Camille Bourniquel est d’avoir opéré sans avoir l'air d’y penser cette transposition ou cette transfiguration d’un quartier de Paris il y a trente ou quarante ans, d’en avoir rendu la qualité sentimentale perceptible aux yeux du souvenir. ROBERT KANTERS- Le Figaro

Camille Bourniquel possède l’art de retrouver la réalité en lui donnant la consistance d’un songe. KLEBER HAEDENS

- Le Journal du Dimanche

Tous les éléments sont réunis, qui font les livres tendres et les chants poignants.

ANGELO RINALDI - L'Express

Un magnifique poème à l’enfance. Il est rare qu’une lecture vous donne à ce point la sensation d’un envoûtement et d’une délivrance. ROGER

VRIGNY - Le Point

On est si bien pris par ce mélange si propre à Bourniquel - et où il rejoint le Nerval des “Nuits d'Octobre” ou de “Sylvie” -, cette fusion du réalisme et du surréalisme. BEATRICE

DIDIER - Le Monde

M. Bourniquel nous invite à sortir des chemins battus et il nous entraîne à l'envers de Paris dans d’étranges souterrains. PHILIPPE SENART _Combat

Un délicieux mais très classique roman du souvenir. CLAUDE

BONNEFOY _ La Quinzaine Littéraire

grasset

se

DIGRAPHE collection dirigée par Jean Ristat

SAUL KARSZ

THEORIE

facteur important pour la venue d’une clientèle de jeunes, d’employés, de cadres, lesquels pensent

bien

souvent,

à

tort

ou

à

raison, que le livre est trop cher. » Mais la Fnac offrira d’autres avantages. D'ailleurs, le discount seul ne constituera pas toujours, d'après les diverses estimations, une motivation suffisante. Les remises, en effet, rappelle M. Cacérès « ne sont pas une nouveauté. De nombreux libraires en font, et avec une marge de 33 °/o ou plus, ils peuvent en faire. S'il y a quelque chose d’anormal dans le marché

du

rence

pourcentages

des

à l’auteur

10

%

livre,

et au

pour

c’est

la diffé-

accordés

libraire, seulement

l’un

et

33

‘/

pour

l’autre. Quant aux remises, les libraires ne sont pas seuls à en faire. Mais aussi des clubs, des organismes de vente, des associations de culture populaire. Ainsi

le CDLP, parti

organisme

communiste,

créé

fournit

par

le

des

li-

vres aux comités d'entreprise avec une remise de 28 %/. À « Peuple et Culture », comme dans d’autres associations d’éducation perma-

AVEC QUATRE TEXTES INEDITS DE LOUIS ALTHUSSER Articuler théorie et politique c’est vouloir produire à'la fois des connaissances scientifiquement pertinentes et des interventions politiquement justes. Une clé pour comprendre du dedans les travaux de Louis Althusser pour en tirer profit, pour les continuer et les dépasser effectivement. dans la méme collection :

LUCETTE FINAS, SARAH KOFMAN. ROGER LAPORTE, J.M. REY

ECARTS QUATRE ESSAIS À PROPOS DE JACQUES DERRIDA

nente,

nous

procurons

des

si une

librai-

rie ou une grande surface offre un choix de livres important, le discount y attirera surtout les gens dont le choix est déjà fait. Les autres, plus que le discount, apprécieront la qualité de l'accueil, du service. « Que répondre, dit-il, devant les différentes formules possibles ? Le discount ? Bof. Le libre-service avec discount ? Peutêtre. Une grande librairie avec service d'accueil, de documentation, d'animation ? Très certainement. »

Au fond, les points de vue des responsables et des animateurs d'associations d'éducation permanente convergent. Le discount intéressera sans doute les lecteurs, mais ce n'est pas le meilleur moyen de promouvoir le livre. L'important est la qualité des libraires : richesse du stock, clarté de la présentation, services d’accueil et de documentation. Ce qu'ils souhaitent, c'est une évolution de la librairie traditionnelle, soit qu'elle s'agrandisse, soit

12

classique ? dit Georges Belle. En fonction de leur clientèle et de leur compétence, beaucoup de libraires, me semble-t-il élargiront

un rayon spécialisé : livres pour la jeunesse, sciences humaines et sociales, voire œuvres très littéraires. » Pour M. Cacérès, de telles librairies sont nécessaires. « Comme je suis partisan, ajoute-t-il, de diminuer le pourcentage des libraires en général, donc le prix des livres, je pense que les vrais libraires qui connaissent leur métier, qui font un documentation,

travail sérieux de d’animation, de-

vraient bénéficier d’un allégement de la fiscalité. Et, pourquoi pas ? de subventions. Je trouverais normal qu’on subventionne des gens qui ouvriraient des librairies de qualité dans des quartiers populaires de Paris ou de la banlieue, dans des villes de province d’où le livre est absent. »

livres à

nos adhérents sans prendre de bénéfice. De plus, nous leur fournissons un matériel critique. Chaque mois nous publions sur un livre, classique ou moderne, une fiche de lecture, fascicule qui comprend une présentation de l’auteur et de son œuvre, une analyse du livre, une bibliographie, éventuellement une filmographie, enfin tous les éléments nécessaires (montages, notes pour la discussion) pour animer sur ce livre une séance d’un club de lecture. Mais, bien évidemment, nous ne faisons pas là concurrence aux libraires puisqu'il s’agit d’un travail qu'ils ne peuvent pas faire. Pour en revenir au discount, le problème essentiel me paraît être celui de la qualité des ouvrages proposés. Si la Fnac vend meilleur marché des livres de qualité, alors tant mieux. »

Pour M. Anderson,

qu'elle se spécialise. « A côté de librairies de grandes surfaces qui attirent les jeunes lecteurs, quelle peut être la place de la librairie

Libraires et vendeurs

de

livres

Tous nos interlocuteurs ont mis l'accent sur cette absence du livre dans la périphérie parisienne ou dans certaines régions. Certes, on trouve partout des vendeurs de livres, mais ceux-ci ne font rien pour la promotion des livres, pour l'information du public. « Pour l’organisation de la Foire du Livre, dit M. Anderson, nous avons sollicité le concours des éditeurs, mais aussi, ce qui nous paraissait aussi utile pour eux que pour nous, des libraires de Clichy. Les éditeurs nous ont beaucoup aidés. Un seul libraire a accepté de collaborer avec nous. » A Sarcelles, dit M. Legris, « nous organisons des expositions de livres, notamment dans des établissements scolaires. Récemment, nous avons fait une exposition sur les livres de linguistique. Les éditeurs nous epportent un concours précieux, mais les libraires aucun. » Pourtant, les animateurs, qui souhaitent des librairies accueillantes, animées, lieux de rencontre, lieux où l’on puisse s'asseoir, feuilleter des livres (« la table et les chaises des librairies-relais France-Loisirs, dit M. Anderson, sont une très heureuse innovation »), ne demandent qu’à collaborer avec les libraires. « Pour l'animation des clubs de lecture, dit M. Legris,

nous faisons des montages audiovisuels. De tels montages pourraient être aussi projetés dans les librairies. On pourrait même organiser un centre d'échanges et de diffusion de ces montages qui réunirait associations culturelles et librairies.

»

« À Marseille,



j'ai

travaillé plusieurs années, dit M. Anderson, il existait une collaboration très étroite entre les ani-

La Quinzaine Littéraire

mateurs et au moins trois bons libraires. Ceux-ci nous aidaient pour la documentation, et lorsque nous avions des journées d’animation sur un thème, faisaient des vitrines sur ce même thème, sachant que tout un public y était sensibilisé. A Clichy, cela est malheureusement impossible. » Mais déjà, certains animateurs ont travaillé avec des grandes

La Société

des

surfaces.

« Il est arrivé, dit M. Pa-

rieur

du

Le

magasin,

problème

Gens

à M. Maurice

de

soit

est

devant.

donc

un

»

pro-

lettres

M.

Druon Les poètes, qui n'ont déjà que si peu d'audience, les jeunes romanciers où essayistes, dont les tirages sont extrêmement faibles, seront inéluctablement les premières victimes d'un système de vente que fera fond sur la facilité Ne seront pas épargnés non plus les auteurs de tous âges et de toutes disciplines dont les ouvrages n'ont aucun caractère pratique où « événementiel » et ressortissent à ce qu'on peut appeler la « littérature proprement dite ». C'est cette triste perspective qui

surfaces

exige le maintien d'une littérature de qualité et d’un vivier d'auteurs nouveaux, même difficiles à lire et à « vendre », qui seraient condamnés à la clandestinité si la librairie traditionnelle était étouffée.

à un

rayon

motive essentiellement notre intervention pour le respect du prix fixé côte à côte avec les libraires et les éditeurs, lesquels ont compris que leur intérêt moral et matériel

commercial

quelconque et que, n'y pouvant apporter la particulière compétence requise de tout véritable libraire, ils se bornent à mettre en vente des ouvrages de grande consommation, écartant les œuvres réputées « difficiles » que, seul, un public dûment formé et informé est susceptible d'acquérir. Les

libraires,

incapables

de

J'ose

pourront

consentir

à

Monsieur

nistre, que vous aurez à saisir de cette question ministres des Finances et

ga-

le

agréer ments et tout

celle-ci,

n'ont plus qu’à disparaître. Avec eux, disparaîtra le contact direct et confiant que le lecteur pouvait entretenir avec des guides éclairés.

Les entretiens qu'a Claude |

pour son intéressés

cœur de MM. les du Com-

prie de vouloir bien l'expression de mes sentiprofondément respectueux dévoués. Le Président : Jean ROUSSELOT

enquête aux fins

Bonnefoy

sont soumis aux de précisions ou

PN23/AC01M93%1020; .… en fonction de critères de qualité, le ou les enregistrements que nous désirons vendre. Cela n'implique d'ailleurs pas un stock réduit, car le choix offert à nos clients est exceptionnellement varié. Cela permet néanmoins d'éliminer les disques de maisons produisant ou diffusant des enregistrements de qualité médiocre, et dont le style commercial montre qu'ils se moquent de leurs .clients.

P224 …

col 3164 est

Lors

mauvaise.

de

l'apparition

de

parisiens.

Déjà

une crise l'avait secoué et il avait fallu, vers les années 1955-1960, une forte

relève

des

libraires,

pour

lui donner

des méthodes et un sang neufs. Sur ce marché pas très structuré, la F.N.A.C. et les discounteurs ont ravagé la région parisienne. Îl ne reste plus, actuellement, que quelques rares

vrais disquaires à Paris, et sur toute la

Un

lecteur

Monsieur le Directeur, Beaucoup de tapage autour de la Fnac. Et ça continue. Je ne dis pas

que cela ne nous concerne en rien; mais je ne puis faire que je ne regrette

ces

belles

colonnes

gaspil-

lées. Et pour quel résultat cette enquête ? Je ne suis pas arrivé à me

faire‘une idée. Ma tête allait d'un côté à l'autre, tantôt pour la Fnac et tantôt contre avec une égale conviction. Voilà l'exemple d'une étude de marché qui ira jusqu'au bout selon toutes les apparences. Mais justement une enquête récente dans « Le Monde » n'a pas abouti et je l'ai regretté. On a demandé aux éditeurs ce qu'ils pensaient des comptes d'auteur. De grands noms faisaient poids pour nous prouver que leur machine à détecter les génies en herbe ne fonctionne pas. On a même oublié de ces noms illustres comme pour ne pas trop accabler ces pauvres éditeurs. Ceux-ci se sont senti mauvaise conscience ; l'enquête commençait à filer tandis qu'on a parlé d'au-

tre chose.

du 1°" au 15 février 1974

écrit

Ne faudrait-il pas la reprendre et mener cette fois avec le même entêtement et la conséquence qu'on met pour ou contre la Fnac. C’est un sujet si important! Quelle réforme j'entrevois à partir d'un travail — à condition qu'on en vienne à bout — sur la prétendue machine des éditeurs qui ont beaucoup plus d'imagination pour nous faire croire à leur détecteur miraculeux que pour pousser la littérature, par la recherche des talents, par provoquer de nouveaux courants, en découvrant ce que personne n'attend que chacun reconnaîtra pour sien dès qu'il sera là. C'est du monde de l'édition qu'il faut s'inquiéter, non du marché des livres. G. Quoidbach, 4521 Cheratte (Belgique).

la

Les préoccupations de M. Quoidbach rejoignent les nôtres au point que nous le soupçonnons de lire dans nos pensées. La prochaine enquête de « la Quinzaine littéraire » portera en effet sur l'édition.

France on ne peut véritablement en compter plus de 40 à 50 au maximum. Les autres (même importants) ne sont que des distributeurs plus ou moins valables et souvent peu qualifiés. A la limite, on pourrait même dire que la réussite de la F.N.A.C. en disque devrait être bien plus grande, étant donné l'immense réservoir de population de la région parisienne. Quant au disque, il est de fait souvent absent de quartiers et de banlieues entières (sauf peut-être dans ses pressages les plus médiocres). Heureusement pour la librairie, celleci repose sur des bases plus solides. En fait et surtout en province, ses assises sont sérieuses et certaines réalisations de libraires peuvent souvent être considérées comme exceptionnelles.

le

De plus, dans la majorité réseau traditionnel est

sera aux

pas

pour

libraires,

bonne

faire et

librairie,

les structures

rien

concurrence ne

mais

actuelles

vaut

parce

une

que

sont encore

insuffisantes. Notre problème, en effet, n’est pas de vendre des livres, mais de promouvoir la lecture,

aux

de

faire

lecteurs.

connaître

les

livres

»

C]SJ

libraire,

de lecteurs,

de librairies ! En bon

capi-

taliste, elle va essayer de prendre la clientèle là où elle est la plus concentrée. Son rayonnement sur les autres quartiers sera plus faible, mais ce sera dans ces quartiers que les dégâts seront les plus graves. Des librairies, petites et moyennes, vont disparaître et l'appauvrissement culturel s'accentuera.

PA25ICOL 1222 M. Lo approuve : «Je crois que le prix imposé (dans la mesure où il s’appliquerait selon les règles pratiquées dans d’autres pays du Marché

commun)

ne

serait

pas

une

mesure

corporative de défense syndicale ou catégorielle, mais une mesure de salut public. Nous savons que le problème est problème de gouvernement, un choix politique en faveur du livre. Sinon, à terme, nous serons conduits à ne vendre que des livres d'une rentabilité immédiate.

la F.N.A.C.

sur le marché du disque, celui-ci était déjà miné par un discount pratiqué par

certains établissements

de diffusion du livre. Si nous montons une telle coopérative, ce ne

et complète

rectifications. M. Bazin, libraire à Dijon, nous a fait parvenir les siennes trop tard pour que nous puissions en tenir compte dans notre numéro 178. Nos lecteurs voudrons bien se reporter à ce numéro et compléter ainsi les déclarations de M. Bazin :

Mi-

merce. Et vous

rantir à leur clientèle les ristournes importantes que les grandes surfaces

espérer,

Bazin,

précise

À Monsieur Maurice DRUON, ministre des Affaires culturelles Monsieur le Ministre, En plein accord avec le Syndicat de l'édition et de la Fédération des syndicats de libraires, j'ai l'honneur d'attirer votre attention sur le grave péril que risque de faire courir à la diffusion, voire même à l'existence des œuvres littéraires de création, l'implantation dans les magasins à grande surface de rayons de librairie pratiquant, sous le nom de « discount », des sur-remises considérables, de l'ordre de 20 à 25 %o. Il est à craindre, en effet, que ces rayons de librairie ne soient assimilés purement et simplement par les dirigeants des « grandes

»

blème d'animation, d'imagination. Partout où le livre est présent, facilement accessible, où les possibilités de choix sont les plus grandes, le lecteur est satisfait. « Mais si le livre de qualité était partout, dit M. Anderson, nous n'envisagerions pas comme nous l'avons fait récemment dans une réunion d’animateurs au niveau national de créer une coopérative

toureau, que des responsables de rayons livres dans des grandes surfaces demandent conseil à des animateurs de la Ligue de l’Enseignement pour le choix des ouvrages destinés à la jeunesse ou, mieux, les invitent à faire une animation sur le livre, soit à l’inté-

des cas, bien en

place, et le livre est présent grâce à 400 ou 500 librairies qualifiées aux-

quelles s'ajoutent 10 à 30 fois plus de points de vente. Le problème est un peu différent à Paris où il existe une concentration sur le quartier Latin, le XVI° arrondissement, et aussi un sous-équipement dans bien des arrondissements et banlieues. Or, où vient s'installer la F.N.A.C. ? Là où il y a le plus de livres,

PA25 200174; que la nôtre. Nous constatons quotidiennement la mise sur le marché de livres médiocres, trop vite faits, d'une actualité précaire, sur des sujets que tout le monde veut traiter en même temps et le plus vite possible. Rares sont les éditeurs qui publient

pour le présent et pour l'avenir. La plupart de ces livres médiocres se vendent mal, et les maisons d'édition françaises en subissent de lourdes charges, charges qui vont s'ajouter à des erreurs

de gestion.

Notre intérêt est de nous battre malgré tout pour les éditeurs. La situation du livre serait pire si des noms prestigieux n'étaient plus que des filiales de groupes étrangers ou bancaires. Le discount, avec la disparition de la petite et moyenne librairie, ne ferait qu'accentuer cette crise latente. Les grandes et principales victimes seraient, après les éditeurs et les libraires, les auteurs et donc les lecteurs. P. 25, bas de la 4° col. Le problème de la F.N.AC. n'est qu'un épiphénomène qui cristallise les menaces qui pèsent sur le livre en France. Il a au moins le mérite de mettre tous les problèmes «sur la table » et de prendre conscience des catastrophes qui risquent de se produire. Le prix imposé n'est peut-être pas

la solution

absolue.

Nous

sommes

à

l'heure du choix. Le statu quo n'est guère enviable et le discount serait

pire. Il est urgent que les professionnels comme les Pouvoirs publics trouvent une politique de sauvegarde de la pensée.

13

ECRIVAINS ETRANGERS

Le chantre des épaves W.S.

vertige de l’intangible que ressent le lecteur qui accepte de s’aban-

Burroughs

Les Garçons sauvages Christian Bourgois éd.,

213

donner

p.

naire

à cette

œuvre

rendent-ils

forme

de

critique

de

d'emblée

vision-

toute

illégitime

et

absurde.

Depuis Le Festin par

Claude

Delarue

Mon esprit saute d'un objet à l’autre dans une série de lacunes et d'arrêts positifs. Une fois encore, sur le béton éclaté et les rebuts écrasés de soleil de notre civilisation-déchet, le grand magicien du psychédélisme fait fulgurer hors du chaos et de l’hyperréalisme les particules bigarrées d’une fresque fantasmatique : un univers kaléidoscopique où seules se reproduisent dans une ivresse féroce, une barbarie superbe et une folie meurtrière vengeresse les épaves pourrissantes de l’Occident. W.S. Burroughs reste l’incontestable seigneur des « suburbs » de l’âme que ses émules européens — tout perclus encore de culture séculaire et d’intériorité — ne parviendront sans doute jamais à égaler. Une telle littérature ‘ne pouvait naître que dans les grandes métropoles américaines et se développer dans les décharges

nu en passant

pas la Machine molle pour arriune ver aux Garçons sauvages, seule démarche semble possible pour pénétrer les arcanes de cet holocauste tantôt sordide, tantôt infernal et souvent d’une poésie corrosive laisser son humanité

raisonnante au vestiaire du musée de la littérature contemporaine. Quitte à se demander plus tard

si le voyage La

fut bon ou mauvais. caméra est l'œil d'un vau-

tour au-dessus

d'une région située

dans Les faubourgs d'une ville mexicaine, une région de détritus, de moellons et de bâtiments inachevés….

des

chiens

aboient,

des

poules caquettent, sur le toit, un garçon simule la branlette alors que la caméra passe très vite. Ainsi commence Les Garçons sauvages. Ce genre de décor n’est pas sans rappeler Steinbeck ou Caldwell et on peut le retrouver dans tous les textes de Burroughs. Il s’agit d’archétypes visuels (morceaux de fer rouillés, tessons de bouteille brillant au soleil, bandes dessinées

tachées

de merde,

etc.)

auxquels on revient toujours entre deux croisières dans le délire, leur sordidité les rendant rassu-

rants, somme toute humains par excellence. De même certaines phrases obsessionnelles apparaissent régulièrement pour permettre de reprendre pied (des garçons se masturbent dans les chiottes mornes

d’une

école

communale,

soleil dans les poils pubiens, odeur de muqueuses rectales) ; et encore, surprenante résurgence dans ce monde acéré comme le fil d’un

rasoir, la Mélancolie,

la

détourner avec le mépris de l’incompréhension d’une œuvre aussi éloignée du cogito, ergo sum. Quant à l'intérêt scientifique que pourront lui manifester nos dialecticiens marginaux et structuralistes de tous poils, il est à craindre qu’il ne sera que rhétorique avant-gardiste. Face aux livres de Burroughs, le critique se sent pareil à un météorologue expliquant calmement et méthodiquement les effets atmosphériques d’un cyclone qui vient de ravager tout un pays. Aussi, la frayeur

petite musique des années 20 qui surgit telle une escale pour apaiser momentanément le voyageur épuisé, Il serait vain de vouloir résumer un texte de Burroughs : une succession de tableaux s’imbriquant les uns dans les autres et dont les infinis reflets finissent par esquisser, presque accidentellement, une image continue. Mais ce sont avant tout ces reflets qui composent l'essence même du texte en projetant l’action hors du temps et de l’espace. Car si la structure mobile du récit Les Garçons sauvages se présente sous la forme d’un scénario de cinéma à la fois déjà filmé et en train de se filmer, visionné par un spectateur qui est aussi acteur (et

quasi

auteur),

d’une société super-industrialisée et ahistorique. Nos scoliastes à l'esprit classique, nos exégètes rationalistes

ne

sacrée,

sauront

la répulsion

que

ou

se

le

Claude Delarue, romancier, est un collaborateur habituel de « la Quinzaine littéraire ».

14

c’est

bien

dans

le

but

d'oblitérer temps et espace. Sous l'effet de la drogue hallucinogène, ces deux notions s’effacent d’ailleurs complètement et

nul doute que ce spectateur-acteur installé dans le Penny Arcade Peep Show, sorte de cinéma vivant, est en plein « trip ». Objets et séquences disparaissent et apparaissent suivant un mouvement

lent et hydraulique toujours à la méme vitesse. Ecran à trois dimensions et sections visuelles ponctuées de flashes lumineux. Par une suite d'événements fragmentaires dont on aurait supprimé volontairement les images ordinatrices, le film intérieur de Burroughs donne accès direct au plein ciel de l’hallucination. Que l'action — plutôt la fable piétinante



se déroule,

comme

le cas pour Les Garçons dans un bled pourri du (ce qui n’est pas sans tion, le Mexique est un

c’est

sauvages, Mexique significapays où

la mort est partout présente), à Marrakech ou dans le désert;

que ce soit en 1988, en 1926 ou en 1974 ne signifie rien, et moins encore qu’il s’agit de science-fiction, ainsi que le suggère le prière d'insérer.

Le 25 juin

1988,

16 h,

Casablanca. Le café Azar se trouve dans une rue minable de la banlieue, on peut retrouver la même rue à Fort Worth dans le Texas Et encore : Le 4 juillet 1926 tombe dans un rouleau silencieux. Aucune trame rigide à laquelle se raccrocher, il faut accepter de flotter comme un bouchon dans la tempête. Et il faut,

si possible,

lire

le livre

d’une

traite.

Les inquiétants personnages de Burroughs qui eroupissent dans le

meurtre,

l'urine

et

l’ordure

pour sillonner tout à coup le ciel comme des étoiles quittant la terre pour toujours n’ont rien de commun apparemment avec ceux que nous côtoyons dans le roman européen. Ils en sont les spectres. Nulle pensée faustienne ne les unit

au

monde,

ils vivent

dans

le présent immédiat, sans psychologie, presque sans ego, un peu à la manière des héros grecs de la tragédie, ils sont là pour créer la catharsis. Un homme est un homme, mais qu’arrive-t-il lorsque l'émotion et l'âme ne laissent aucune trace sur son visage ?

La Quinzaine Littéraire

Voici le portrait de l’homme conditionné des grandes cités. J'apprends vite, dit « l'enfant mort » de la plus admirable séquence

du

livre,

parce

que

je

suis vide à l'intérieur et je n’ai pas de technique particulière pour bouger ou pour faire quoi que ce soit. Aucune passion — sinon peut-être celle du meurtre — aucun amour ne fait frémir ces êtres qui n’ont de rapports entre eux que dans la copulation.

littérature extrêmement sophistiquée, rejeton de la décadence d’une civilisation ou, au contraire, à un art brut, primitif et neuf, La très belle séquence de « l’enfantmort » et de Xolotl possède la puissance occulte d’une ancienne légende aztèque. Et les garçons sauvages ? Ils sont présents tout au long du livre mais de loin en loin comme présage de la mort et n’apparaissent vraiment leur force dans destructrice,

Ces

accouplements..

Mais quelle copulation ! Il est probable que l'aspect le plus important de l’œuvre de Burroughs se révèle dans ces accouplements d’où toute femme est absente et qui sont élevés à l'importance des rites propitiatoires. Un petit garçon sans nombril dans une salle de classe des années 20. Il dépose une pomme sur le bureau de la maîtresse d'école. « Mamzelle j'vous rends vot’ pomme ». Puis il se dirige vers le tableau noir et efface le mot

mère.

Cette

rogne

contre

femme,

c’est

la jalousie

pouvoir

créer

la vie.

de

la

ne

Alors, l’or-

gasme stérile puisé dans la sodomie, Burroughs le transforme en un fantastique enfantement du monde par l’homme. Certains garçons lancent des roses rouges et des roses-coquillages délicats et éjaculent des arcs-en-ciel et des aurores boréales... Dessus de lit. rouge saupoudré de pétales de roses reniflant l’œuf au rouge de son entrejambe éjaculant des couchers de soleil des taches de rous-

seur des poils roux des feuilles mortes les genoux relevés il venait dans le ciel d'automne. Ce rituel barbare d’un extraordinaire lyrisme et qui peut s’apparenter aux orgies sexuelles initiatiques des tribus primitives atteint son paroxysme dans la scène où les garçons sauvages s’accouplent avec les points cardinaux : Un garçon aux traits mongoloïdes sur le tapis jouait de la flûte aux quatre points cardinaux... il s’agenouilla au centre du tapis et joua de plus en plus vite et la silhouette d’un garçon prend forme devant lui, alors il pose sa flûte, et ses mains

modelèrent ce corps en le moulant et l'attirant contre lui pénétrant la forme nacrée la touchant à l'intérieur. Le corps tremble, frémit et il modèle les fesses puis la bite tout en caressant l'appareil génital sortant du clair de lune puis du rose et finalement la bouche rouge haletante et entrouverte bite et couilles surgissant de la brume lunaire. On se demande si l’on a à faire à une

du 1‘ au 15 février 1974

vaguement

grandgui-

gnolesque, qu’au dernier tiers de l’œuvre. Des bandes d’adolescents vengeurs et ivres de cruauté qui fondent sur les Etats pour les anéantir comme déferlèrent naguère les hordes barbares sur l’Europe. Les garçons sauvages sont

nos Vandales,

nos

Huns,

nos

Scythes, ils sont les Hachachin de l'Occident, notre mort. Les morts partout, tels des chants d'oiseaux-pluie sur mon visage. Nombreux sont les groupes de combat éparpillés sur ce vaste territoire qui s'étend des faubourgs de Tanger au Désert Bleu du Silence. des garçonsplaneurs armés d’'arcs et de fusils laser, des garçons-patins à. roulettes — cache-sexe bleu et casque d'acier — des garçons-chamanes qui chevauchent le vent. Eclaboussures de sang, les. feuilles mortes s'élèvent dans l'air. Explosion. de cratères lunaires sur l'écran points argentés bouillonnants. « Garçons sauvages très près maintenant ». La nuit tombe sur les banlieues en ruine. Au

loin un chien aboie. Etoiles obscures saccadées soufflant à travers un ciel brillant et vide, « les

garçons

sauvages

sourient… ».

nouvelle bibliotheque romantique Le choix que plusieurs générations de lecteurs et d'éditeurs ont opér depuis un siècle en puisant dans l'abondante bibliothèque romantique n'a pas loujours ete serein. Naguère encore,

Balzac et Hugo

désormais des études systématiques, si d'excellentes éditions témoignent qu'ils n'ont pas cesse d'être admirables,

bien des textes qui ont connu

el qui conservent une juste célébrité demeurent d'un accès difficile ; d'autres sont toujours inédits. LA NOUVELLE BIBLIOTHEQUE ROMANTIQUE se propose de réparer les oublis d'un autre âge. Elle contient non seulement des œuvres littéraires, mais des correspondances, des recueils d'articles, des documents de toute sorte, susceptibles de favoriser et d'éclairer toute une nouvelle Renaissance, qui fait apparaitre le XIX® siècle comme notre Grand Siècle. volumes

Parus

*:

a. bertrand gaspard de la nuit

h. berlioz correspondance générale tome 1

Stendhal d’un nouveau complot contre les industriels e. quinet histoire de mes idees ch. fourier le nouveau monde industriel et sociétaire

Les moyens employés par le chantre pour parvenir à une telle richesse de l’imaginaire importent peu. Certains Indiens du Mexique communiquent avec les divinités à l’aide du peyotl, champignon hallucinogène. Seul compte le ré-

george sand les sept cordes de la l1yre

sultat. Certes, Burroughs n’échappe pas à la règle : toute sa vie

j. janin

il écrira le même

livre, son livre-

révélation, son apocalypse. Mais parfois, au cœur de ce maelstrôm, l'impression aiguë persiste que s’il ne parvient pas à toucher vraiment

l'essentiel,

il le survole

de très près, au-delà lisme,

de la raison

du formaet de toutes

les philosophies

pratiques,

une

du subconscient

zone vierge

humain. De William

dans 5]

Burroughs,

les éditions

Champ Libre publient « Révolution électronique », défense et illustration du « cut-up », procédé destiné à brouiller les messages des « media » et à ruiner par là les codes totalitaires qu'utilisent presse, radio, télévision, grandes machines administratives.

eux-mêmes

attendaient d'être délivrés du purgatoire dans lequel une certaine critique les avait con/ines. Si les chefs-d'œuvre du XIX* siècle suscitent

lamennais paroles d’un croyant

|

l’âne mort et la femme guïillotinée victor hugo william shakespeare

romantisme revue de la Société des Etudes Romantiques Parait deux fois par an. Elle contient à la fois des études critiques et des informations destinées à faciliter les recherches.

6 numéros parus.prix du numéro en librairie : 20F.

FLAMMARION

Morton Schatzman

Bernard Cunu Denise Zigante

ESSAIS CRITIQUES

L'esprit

LA. POLITIQUE DE LA FOLIE

assassiné

No

et discou BERNARD CUAU

La politique

MORTON

« Ecrivains de Toujours » Le Seuil éd., 185 p.

|SCHATZMAN

de la folie Bernard Cuau s'attaque à de redoutables bastilles: la psychiatrie et la psychanalyse

COLLECTION STOCK 2

ÉESDrit assassiné Un disciple de Laing met en lumière les ravages provoqués par une éducation contraignante qui peut

aller jusqu'à broyer une vie.

Teresa *

VIVE JOSEPH DELTEIL

la voleuse

JEAN-MARIE DROT Vive

DACIA MARAINI

Joseph Delteil

la voleuse

Un livre-émission, un livre-télé à la mise en pages et en images surprenante.

COLLECTION STOCK 2

par Anne

Fabre-Luce

Jusqu'en 1967, date de la publication des premières analyses de Jean Ricardou (Problèmes Nouveau Roman, Le Seuil),

du un

des aspects à la fois séduisant et ambigu des écrivains du Nouveau Roman résidait dans l’impossibilité de définir leur projet et d’appliquer à leur entreprise fictionnelle un dénominateur commun véritablement positif. Avec un troisième ouvrage, Le Nouveau Roman, qu’il leur consacre aujourd’hui, Jean Ricardou semble bien avoir réussi à officialiser enfin ce mouvement littéraire en lui fournissant l’armature théorique qui lui faisait défaut.

Ce travail d’élucidation et de synthèse conceptuelles ne saurait être dépourvu de conséquences il va d’abord intégrer le Nouveau Roman dans l’histoire littéraire en donnant aux enseignants et aux étudiants un véritable manuel de déchiffrement. Il va ensuite influer sur les auteurs concernés

À

Teresa Une histoire poignante, drôle et triste à la fois mais toujours empreinte d'optimisme, dans l'Italie populaire fasciste.

(Butor, Grillet,

Ollier, Pinget, RobbeRicardou, Sarraute, Si-

mon), qui ne pourront poursuivre leur œuvre sans tenir compte des formalisations dont leurs textes viennent de faire l’objet. Celles-ci peuvent certainement agir dans le sens d’une contrainte qui les amèneraient en quelque sorte à renchérir sur la théorie par leur pratique à venir. Enfin, si les analyses proposées par Ricardou se révèlent pertinentes — et tout porte à croire qu'elles le sont au plan d’explication auquel elles se situent — il est à craindre que les futures œuvres se trouvent ainsi expliquées «a priori », ex-

Anne Fabre-Luce est une trice habituelle de « la littéraire ».

16

posant les écrivains aux risques de la redondance à l’intérieur d’une écriture devenue prévisible.

Jean Ricardou Le Nouveau roman

collaboraQuinzaine

Le don le plus éclatant de ce critique consiste ici, je crois, à mettre des titres irrécusables sur les différents types de fonctions qui sont en jeu dans la fiction. (« Le génie consiste à trouver des titres », disait Poincaré.) La précision et la justesse de cette entreprise taxonomique ont quelque chose d'’irrésistiblement convaincant. Pourtant, à y regarder de plus près, les dénominations et les nomenclatures qu’il ordonne se-

}

|

|

lon un ordre rigoureux ne sont pas nouvelles : mise en abyme du récit, homonymie,

paronymie, variantes,

synonymie,

symétrie, toutes

ces

analogie, notions

ap-

partiennent à la description du discours de la rhétorique classique.

Une analyse « transversale » L'intérêt de ce travail réside davantage dans l’analyse « transversale » et synthétisante des œuvres.

la

fluidité

apparente

Grâce

de la matière

fiction-

nelle,

aspect

son

à

elle,

protéiforme,

la

réversibilité inquiétante des événements, la contamination des signifiants qui travaillent le texte,

tout cela se retrouve maintenant expliqué, intégré dans le cadre d’une « économie » générale des procédés discursifs propres au Nouveau Roman. L'analyse des dispositifs qui précèdent et président à l’élaboration des romans montre que toutes

les œuvres

(sauf celle

de

Sarraute) ont été longuement préméditées au plan de la structure. C’est en effet celle-ci qui produit le livre, comme tor à propos de « En travaillant Temps, dont le nage était une posé la question un roman avec ne s'agissait pas

le dit Michel Bula Modification :

sur l'Emploi du principal personville, je me suis : comment faire deux villes ? Il encore de Paris

La Quinzaine Littéraire

LeMoT em

fois jugée comme tement

formel,

un

d’une manière, et réalité historique. Sans

doute

rassembler

eau

plus,

Mais en fouillant un ces capitales se sont

imposées inéluctablement (1). Après avoir essayé divers procédés, j’en suis arrivé à ces voyages

successifs racontés dans un voyage. « l’histoire », c’est ce qui vient

en

dernier,

une

solution

à

un certain nombre de problèmes, une certaine façon de parler d’autre chose.

«

(Entretien

avec

J.L.

de Rambures, Le Monde, 11 juin 1971.)

Le livre de Jean Ricardou

contient d’ailleurs un grand nombre de reproductions des schémas préparatoires établis par les auteurs : ceux de Butor pour Degrés, de Claude Ollier pour la Mise en Scène et Epsilon, de Jean Ricardou pour la Prise de Constantinople, de Bernard Pinget pour

Passacaille,

mon pour sale, etc. La

de

Claude

la Bataille

« mise

en

Si-

de Phar-

théorie

», véri-

table « discours sur la méthode » de production des nouveaux romans, réalisée par Jean Ricardou laisse pourtant ouverte la question délicate du choix des dispo“ sitifs initiaux (« imposés inéluctablement » à M. Butor, par exemple), celui des générateurs de la fiction. Lorsque, travaillant sur son propre nom pour l’élaboration de la Prise de Constantinople,

Ricardou

hardouin

choisit

« Ville-

» qui produira ensuite

« croisades

», on se demande

ce

qui l’a empêché de prendre « Ricardo » ou « Ricard » de préférence au chroniqueur médiéval. (Voir « Naissance d’une fiction »,

Nouveau Roman Hier et Aujourd'hui, Vol. 2, 10/18, p. 382.)

De

la même manière, on peut soulever le problème de la surdétermination des signifiants en général, même si l’on acquiesce à la théorie de leur fonctionnement pour produire la suite du texte. Pourquoi Simon a-t-il choisi le tableau de Poussin pour la Bataille de Pharsale,

schenberg pour ducteurs ?

celui

de Rau-

Les Corps

Con-

C'est à ce plan que la réponse fait défaut. Si l’on admet au départ la « gratuité » des généra-

du 1° au 15 février 1974

était-il

dans

lité manifeste,

‘ss sUr la méthode peu

coupé

un

stric-

de

plus de

la

nécessaire

de

ordre

didac-

tique et cohérent les idées des nouveaux romanciers. Mais pourquoi se limiter à la textua-

roman

et de Rome.

effort

privilégié

teurs choisis pour produire la fiction, on ne peut, par la suite, récuser aucune des étapes subséquentes à cette option. Mais si cette impunité initiale n’est pas admise, la tentation demeure forte d'introduire à ce niveau l'effet de déterminations extérieures

au

texte

lui-même,

telles

que les surdéterminations d’ordre psychanalytique ou sociologique. (Certains textes semblent d’ailleurs confirmer la validité relative de ces lectures complémentaires. Je pense par exemple que le jeu polysémique que fait Claude Simon dans Les Corps Conducteurs sur des mots comme SOCIA, SOCIAlisme, ou assOcIAcion, ou encore CAN, CAN-didato, CANïi-

bal, cANcer est loin d’être gratuit. Cette paronymie « en chaîne » oriente le discours dans le sens d’une subversion de l'idéologie dominante

; elle tend à en dénon-

cer les poncifs en exhibant la fonction mystifiante de certains signifiants. À la limite, il est d’ailleurs difficile de concevoir un matériau initial comme existant tout seul, sans rapport avec l’inconscient de l'écrivain d’une part, avec le corps socio-idéologique, de l’autre.

Du point de vue de la technique On sait pourtant à quel point les travaux de Jean Ricardou ont contribué à dégager la fiction de l'idéologie bourgeoise, Mais :il semble que cette libération par rapport au référent ait surtout été envisagée par lui du point de vue de la technique elle-même. Si la plupart des écrivains du Nouveau Roman ne sont pas en effet des auteurs pour lesquels l'engagement politique est au premier plan, si leur allégeance profonde porte en fait sur « l’écriture » plus que sur leur désir de « changer la vie » ou de transformer

les

consciences,

reste

pas

moins

que

dans

son

ensemble,

il

n’en

considérée leur

entre-

prise ne peut manquer d’être par-

et

refouler

délibé-

rément les autres types de déterminations qui participent à « l’engendrement » de l’œuvre ? Sans aller aussi loin que Bruce Morrissette ou Didier Anzieu dans linterprétation psychanalytique, sans se rallier nécessairement à des motivations d'ordre purement s0ciologique comme l’a fait Jacques Leenhardt (Une Lecture politique du Roman : la Jalousie, Minuit), il faut reconnaître qu’une véritable explication de la fiction ne saurait dispenser de ces instances. Si un roman comme La Jalousie résiste assez bien à une interprétation

«

saturante

»

aux

plans

psychanalytique et politique, il est également vrai qu’elle ne peut davantage se laisser « résoudre » tout entière dans le champ d’une explication purement structurale ou formelle. Tout en avalisant l’importante contribution apportée par les analyses de Jean Ricardou, il convient peut-être maintenant de poursuivre la recherche et de la

Jean

compléter tions.

sur

par

Ricardou

d’autres

Celles-ci

le statut

interroga-

pourraient

porter

fantasme,

et sur

du

sociologiques les déterminations qui influent spécifiquement sur le choix des générateurs plutôt que sur l’œuvre en général dans ce type de fiction. Le grand mérite de Jean Ricardou est d’avoir éclairé par ce livre, de manière définitive, les instances formelles de fonctionnement dans le Nouveau Roman. On ne peut qu’admirer la cohérence et la pénétration de pensée qui animent ce travail dans lequel il faut voir non une conclusion mais une ou-

verture.

(1)

C]

C’est

nous

qui soulignons.

“Iln'existe rien d'égal à CHANG S.J. Keyser (Le Monde)

Change @ LA CRITIQUE GÉNÉRATIVE “Une véritable théorie de la lecture.” (La Quinzaine Littéraire)

x

HYPOTHÈSES SUR LA LINGUISTIQUE ET LA POÉSIE “Une clarté peu commune.” (Le Monde)

MELENÇCOLIA

par J.-C. Montel “Un récit Rs et somptueux comme des funérailles.”

(La Quinzaine Littéraire)

SEGHERS/LAFFONT né

POESIE

Pauvre

Rollinat ! Maurice Rollinat Les Névroses Notice, notes et appendice de Régis Miannay Minard

par

éd.,

Serge

444

p.

Fauchereau

Tous les vingt ans on ressort, comme le serpent de mer, Maurice Rollinat-poète maudit. Cette fois l’idée d’une mystification est exclue : il s’agit d’une édition critique onéreuse publiée par une maison spécialisée dans la publication de thèses et travaux universitaires. Après Dans les brandes, recueil de poèmes rustiques bourrés de clichés et de chevilles, voici l’œuvre la plus connue (1883),

de Rollinat, Les Névroses l’un des best-sellers de

l’époque. Dès le

suivi de

ans la cage déjà parus

Portrait de femme Tour d'écrou suivi de

CLes papiers de Jeffrey Aspern

Stock 18

fantôme

premier du

poème,

crime»,

le

«Le lecteur

est placé dans l’atmosphère du recueil : La mauvaise pensée arrive dans mon âme En tous lieux,

à toute

heure,

au fort de mes travaux, Et jai beau n’épurer dans un vigoureux bläme Pour tout ce que le Mal insufÎle à nos

cerveaux,

La mauvaise pensée arrive dans mon

àme.….

Et nous voici partis pour près de quatre cents pages de « cadavres », de « putréfactions » diverses et de « noirs cauchemars » à peine coupés par quelques rares poèmes inspirés par la nature, avec la même platitude consternante. Les plagiats de Baudelaire tournent à la caricature ou à la lourde gauloiserie de «La belle fromagère ». On nous dira que l’auteur était sincère, que cette morbidité «rouge et suant le carnage » n’était pas feinte Pour jardins, je voudrais deux ou trois cimetières Où je pourrais tout seul rôder des nuits entières;

Je m'y promènerais lugubre et triomphant, Escorté de lézards gros comme ceux du Tigre. — Oh! fumer l'opium dans un crâne d'enfant, Les pieds nonchalamment appuyés sur un tigre! Pauvre Rollinat ! Il cultiva si bien ses « névroses >» que de simple maniaque il devint fou pour de bon et se donna la mort en 1903. Le Tout-Paris, de Sarah Bernhardt à Barbey d’Aurevilly, s’est pâmé pour le poète qui au club des Hydropathes déclamait et chantait en s’accompagnant au piano la « Ballade du cadavre », le «Rondeau du guillotiné>» ou «la

Vache

au

taureau».

Cela,

après Rimbaud et Corbière, du vivant même de Laforgue, de Cros et de Mallarmé ! Les Névroses sont au plus un document, un document de la vulgarité finde-siècle. Dans le même genre, puis-je me permettre de conseiller la Chanson des gueux de Jean Richepin : même scandale à la parution, même goût de l’'épate et du scabreux, presque aussi mal écrit, cela vaut bien les Névroses ? Les névrosés, les

suicidés, la Belle Epoque en est pleine. Je rappellerai le nom de deux poètes, selon moi supérieurs à Rollinat : Edouard Dubus et Léon Deubel. Leur œuvre, qui n’a pas le côté grandguignol de Rollinat, n'aura pas l’honneur

d’une réédition. C’est bien dommage : l’un fut trouvé gorgé de morphine dans un urinoir et l’autre flottant dans la Marne où il s'était jeté ; cela ferait un bien beau point d'orgue dans une biographie.

O0

« L'Information poétique » est publiée sous la responsabilité de la Librairie St-Germain-des-Prés. Elle est insérée dans « la Quinzaine téraire » au titre de service.

Lit-

La Quinzaine Littéraire

numero | nouvelle serie Trimestre 1974 Poétique est L'Information libre de un publi-reportage toute publicité offert à tous les amateurs de poésie par la librairie Saint-Germain-desPrés.

800 000

exemplaires

de ‘« Poésie

A vingt ans, Mallarmé ne redoutait rien tant pour le poète — « adorateur du beau inaccessible au vulgaire » — que le déplaisir d’être lu. Vers la fin de sa vie, il écrivait encore : « À quoi bon trafiquer de ce qui, peut-être, ne

se doit vendre, surtout

quand cela ne se vend pas ».

poraine

exemplaires ? (1) On dira qu'il s'agit d'une revue, et que celle-ci ne coûte que deux francs. De très grands poètes attendent encore des années avant que leurs recueils aient joindre

quelques

centaines

de

lecteurs

(en

France,

car

les mêmes

ou

Mallarmé



rendra

compte

de tout

1936

9,90 F Danièle ANDRÉ-CARRAZ L'Expérience intérieure

d’Antonin

Artaud Librairie Saint-Germain-des-Prés 20 F Sous la direction de Philippe SOLLERS Artaud

10/18

-LSUE

L'étude la plus générale est celle de Gérard Durozoi. Elle rappelle les repères biographiques indispensables, montre comment le poète, dans la singularité de son retranchement, a vécu l'expérience de la non-pensée, examine les motivations profondes de ses démêlés avec le surréalisme et le marxisme, décrit, à travers les épreuves de la maladie et l’angoisse charnelle de l’aliénation, l'effort tragique de récupération de soi; elle établit la genèse et

dégage la signification métaphysique du « Théâtre de la Cruauté »; elle ana_ lyse avec rigueur l'aventure d’une volonté qui, dans la « revendication forcenée de l’excentricité » (la fête indienne et la révélation des Tarahumaras, tentation d’une théologie du pouvoir négatif et exorcismes anti-religieux, folie de Van Gogh-Artaud, invention d’un langage du corps) est restée tendue, en dépit de redoutables affres, vers la victoire totale, la conquête définitive (au seuil de l’anéantissement) du corps et de la pensée. Dans un livre abondamment fourni de citations bien répertoriées et aussi éclairantes que possible (en un domaine aussi

mouvant),

a étudié

Danièle

successivement

André-Carraz

ce qu’elle

pelle « le Versant lumineux “vie et de la pensée d’Artaud,

ap-

» de la jusqu’en

(expérience

poétique

du

cycle

noir,

vraie Vie, un homme

mysticisme

l’avènement

du corps).

…Un acte a eu lieu — historique, selon Guy Scarpetta, de Tel Quel Philippe Sollers a ouvert, à Cerisy-laSalle, en 1972, le colloque Vers une Révolution Culturelle : Artaud, Bataille. Sollers déconcerte même ses fidèles,

toujours avec élégance. Le savoir et l’aisance dialectique de Julia Kristeva requièrent la plus grande attention. Mais comme on semble loin des affres d'Artaud! Au moins Pierre Guyotat, dans une confession publique d’une sincérité inouïe, se débat-il avec d’au-

thentiques d'écriture.

problèmes d’existence et On retiendra encore, entre

autres, les communications de Marcelin Pleynet (curieuse mise en pièce (s), en: cut-up, de la conférence d’Artaud sur le Théâtre et la peste), et de Jacques

Henric



Artaud

» —

Chine

autant

travaillé dire,

en

par

la

somme,

Artaud le Mao).

SctB: Paul ELUARD Lettres à Joë Bousquet Préface et notes de Lucien Scheler Les Editeurs Français Réunis 18 F La publication de cette correspondance accomplit un des vœux les plus chers

de

Joë

Bousquet

«

j'ai

lui aura

qui parle,

».

—,

a

trait

(..)

En

poursuivant

à

sa

notoire

dans

impuissance

L'Information

envers

Poétique

l’œuvre

l'effort

entrepris

avec

depuis 1945 (jusqu'à 1972) (2), bien démentir, aujourd'hui, le

(1) Nous précisons qu'à cette date, 800000 exemplaires de Poésie EL ont été vendus par la librairie-éditions Saint-Germain-des-Prés. (2) La Poésie contemporaine de langue française depuis 1945. Etudes critiques par Serge Brindeau (France, Belgique, Luxembourg, Suisse, Proche-Orient), Jacques Rancourt (Québec), Jean Déjeux (Maghreb), Edouard J. Maunick (Afrique Noire), Marc Rombaut (Antilles, océan Indien). Bordas, 1973, 980 pages, format Editions Saint-Germain-des-Prés, Diffusion 160 X 220. 280 photos et documents inédits; 79 francs.

pathologique d’Artaud le Momo, éclatement de la chair et clivage de l’esprit, obstacle du langage) ; enfin la Passion du poète (les « négations terreuses » et « l’Abolition de la Croix », la destruction du langage,

nouveautés

Serge BRINDEAU

souffrant d’une « effroyable maladie de l'esprit » par la quête mystique de l’'Etre) ; puis le Temps du Mal (com-

mencement

les «

exception-

1895

la Poésie contemporaine de langue française la Librairie Saint-Germain-des-Prés entend pessimisme du grand poète.

et théâtrale,

tentative de rejoindre la avant tout marquées, chez

qui, parmi

en

EE EE SR RTE ER RTS Artaud - L’Aliénation et la folie Larousse, coll. « Thèmes et textes »

ce

paru important dans ce domaine. Ce sera en toute indépendance — et donc en toute franchise ! « Le discrédit, où se place la librairie — c’est encore Mallarmé nelle

poètes

nous assurent que les traductions de leurs œuvres connaissent un succès plus large et plus rapide dans des pays comme la Hongrie ou la Yougoslavie). Nous n'entreprendrons pas ici le recensement des causes. Il en est une cependant qui ne peut échapper, c'est l’énormité de la production. (Pardonneznous ce terme, Ô mânes du Maître, mais votre disciple Paul Valéry reconnaissait que « le poète doit avoir une surface commerciale ».) Plus de mille ouvrages de poésie sont publiés chaque année. Les critiques spécialisés — ils ne sont pas si nombreux — voient quotidiennement leur boîte aux lettres déborder. Les journaux et les revues leur mesurent l’espace. Les libraires (ne tirez pas sur le libraire!) ne savent que conseiller aux amateurs. Une chance encore quand ils savent où découvrir le livre réclamé!

Gérard DUROZOI

démenti

De là nous est venue l’idée de cette Information poétique, que la Quinzaine littéraire » veut bien abriter quatre fois l'an. Une équipe constituée par la Librairie Saint-Germain-des-Prés — lieu central de toute la poésie contem-

Or nous savons aujourd'hui que cela peut se vendre. Comment ne pas tenir compte du fait que chaque numéro de Poésie I est tiré à cinquante mille

pu

1?”

pris

ER

des dispositions — confiait-il au poète, à l’homme qu’il admirait « le plus profondément » — pour que ce petit trésor ne soit pas dispersé après ma mort

et demeure

comme

le témoignage

MR

TE

RE

TE ET PSN

Re

5

où l’on sent, ininterrompue, l'influence de l’écrit sur la couleur, et inversement.

On connaissait déjà la profonde conviction érotique de Jean Breton. Fouetté s'engage à fond de ce côté, mais en opérant des transformations. Moins d’intransigeance et moins d'inquiétude, semble-t-il, moins de nervosité aussi. L'écriture par à-coups, les images sur-

de ce que peut le génie quand il se met à parler la langue du cœur ». Ces simples lettres — Eluard s’accusait de son « impuissance épistolaire » — toutes vibrantes encore de sympathie active, d’admirations partagées, d’invitations à lire, à voir et à entendre, de colères aussi, ont été écrites, de 1928 à 1937, dans un esprit de «confiance absolue ». Et l’on sait que toute confiance se survit. S.B:

sées, en se mettant au service d’une recherche de vérité érotique : présence directe (non littéraire) face à l’autre, sentiment d’absolu (voire d’éternité) nouveau dans la poésie de Jean Breton — en même temps que conscience humble, sereine, des limites humaines :

UNE

VÉRITÉ

plusieurs eaux.

Jean

BRETON

prenantes,

Avant

ÉROTIQUE

tement

Fouetté en collaboration avec Antonio Guansé

mise

en

page

de

80 ex. de tête sur couleurs - 350 F

Francis chiffon,

Deswarte 3 lithos

et

Je dis toujours adieu, et je reste 1S F Editions Saint-Germain-des-Prés

Depuis L’Été des corps (1966), Jean Breton n’avait publié aucun recueil. Il vient de rompre le silence en nous donnant, en moins d’un an, deux nouveaux titres. Le premier, Fouetté, a vu le jour dans l'atelier du peintre Antonio Guansé. Breton faisait le texte, Guansé travaillait avec les couleurs, découpait,

préparait des papiers collés, qui devinrent ensuite lithos. Ils ont créé ensemble ce livre inspiré — qui fait songer à une fiesta baroque — dont ils ne savaient rien au départ, sinon qu'ils iraient jusqu’au bout. Fouetté maintenant

existe,

comme

un

tout

cohérent,

par

contre,

chaque

amant,

se sont

Vera

radicali-

se passe

J'y allai. Elle immédia-

tête-bêche.

Passage

souvenir d'ammoniac et de diller son algue jetait sa d'elle. Ici tinte un ruisselet. Les hommes gonflaient zeppelin, à l’autre bout du

de saumon,

musc. Morfouine hors comme un monde, trois

minutes.

Le second titre, Je dis toujours adieu,

et je reste, plus continuellement relié au quotidien, poursuit la ligne du manifeste Poésie pour vivre, publié en 1964 à la Table Ronde avec Serge Brindeau. Jean Breton en consacre la première partie à la vie à la campagne, et la deuxième à la recherche de la

femme

: séduction,

échec,

hantise

de la possession et de la caresse-dialogue, temps qui passe. Sa poésie, souvent en prose, prend les risques de réfléchir tout haut, de s’énerver quand même, de feindre, d’aimer, de se trom-

per, de se réjouir. Son rythme est irrégulier, haletant. Elle est bien peu classique, mais le lecteur la reçoit. Sa véra-

cité justifie l’esthétique qu’elle engendre. Jacques RANCOURT

19

LE

WESTERN Pierre

|

U.S.A. S.0.5.

ATV

7

Jean-Luc

SN



DEMESURE FAILLI

aux

contours

nets,

vi-

le siècle.

Connaissance des Etats-Unis : domination économique (cuivre, pétrole, caoutchouc, uranium), puissance militaire (napalm sur le Viêt-nam, microbes

bien préparés, ingénieurs nucléaires au travail), prouesses scientifiques et techniques (l’espace), civilisation de la démesure (mégalopoles, fureur de vivre happée par les gadgets). Sur fond d’immensité (le grand désert mohave, la Voie Lactée, le Pacifique), l’homme égaré parmi ses rêves avec sa Bible anachronique, ses Mormons, sa drogue ou ses boîtes de bière,

évasion-voiture,

couleurs

son

cinéma

aux

d’épouvante.

Saisissante vision où le cœur de chacun palpite aux dimensions du monde, aux dimensions du temps. Pierre Della Faille a réalisé lui aussi son grand Western. Le vieux rêve de nos ancêtres, et des ancêtres de nos ancêtres, partis du fond de l’Asie et de tous les Paradis perdus, vers les « sources du vent d'Ouest » et vers l’El Dorado. Ici finit la terre, au bout des autoroutes,

et les millions

de voitures

tour-

nent en rond, pare-chocs de chrome contre pare-chocs. Resterait bien la Lune. Mais qui donc nous rendra l’innocence de la nuit ? SLR LUXURIANT

ET

la fenêtre

12

voit,

le centre

aussi

d’où

l’on

(qui est l’autre

? et l’autre

en

l’autre ?)

autour de soi. Mais qui est moi ? C’est encore le centre mouvant des poèmes. Un moi qui se cherche partout dans l’entourage, à la surface ou dans l’abîme des choses (un meuble, un paysage), à travers l’obsession des vocables (et les mots ne font pas bon ménage avec euxmêmes, ils insistent trop sur leurs syllabes, ils se disloquent). Un moi qui

des-Prés Collection Poètes Contemporains - 15 F

s’invente.

(ou de au qui

l’éblouissent en sautant à ses yeux, et dont le prodige est une évidence brute. Evidence en premier plan, qui est aussi celle des corps donnant la sensualité. Là, Jean Orizet est dans une réception forcenée. Et il y a, sous sa prose ou ses second

dont

la clé nous est donnée par ces deux vers : C’est le silence proche de cette mort — qui fait éclater le poème. La marche cède tout d’un coup. La chausse-trape nous engloutit. Si luxuriant et mesuré que soit à la fois ce recueil, quels que soient l’odeur d’existence et l’exotisme dans le bon sens qui s’en dégagent, on y rencontre une musique désespérée. Dans la deuxième partie, Terre assaillie, d’une plus sourde angoisse, le signal d’alarme

se précise sous le foisonnement des visions : Quand l'aiguille se bloque — l'acier tressaille — volant à l'homme son souffle — après, il faut sculpter la mort.

Orizet

nous

tend de beaux

paysages,

ouvre des saveurs, révèle de secrètes brûlures, mais «mort ou vie (sont)

d’égale épaisseur ». Rien ne nous a été donné peut-être, s’il faut mourir. H. R.

20

EROS

AU

FEMININ Littérature érotique féminine (tome 2)

Il semble y avoir deux niveaux dimensions ?) dans le dernier recueil l'auteur de Silencieuse entrave temps : celui du voyage, des images

VERS

LEGENDE

LA

Cinquième

MAISON DE Salah STÉTIÉ

L'ETRE

L'eau froide gardée

Gallimard - 15 F

Poème

Les Editeurs français réunis - 13 F Toujours l'arbre voyage, toujours le vent. Aux approches d'Hiver, le temps

Le meilleur signe : plus on relit les poèmes du Libanais Salah Stétié, plus cette haute écriture — qui semble, dans

marque

sa

le pas.

Le

poème

se

lève

en-

core, gonflé de sève, bientôt bruissant de feuilles, d'oiseaux des heures, d’oiseaux nocturnes. Il traverse les âges, portant le nom des héros de l’histoire,

navigateurs

et chevaliers,

le nom

d’Or-

phée et d’Eurydice et le nom des amis, le nom de Paul Eluard, le nom de Boris Vian. Les arbres chantent, musi-

ciens,

quand

déjà

la

saison

se

pré-

sente. La voix se teinte aux couleurs de l’automne. Tapisserie flamande où la vie abondante, moisson de gloire, prépare son oubli. Cependant l’humanité reprend inlassablement son poème. Le même vent souffle en Vendée ou dans la forêt d’Ardenne. On lutte, on aime, on parle à belles dents. La vie pousse les rêves. L'oiseau appelle. Les vers succèdent aux versets. Par-dessus les saisons enjambées, parcourues, les mots portent longue légende. Poésie : puissance aussi de l’arbre dans la mer. SUB:

tonalité

propre,

allier

la sensualité,

la transparence de Georges Schehadé à la profonde limpidité d'Yves Bonnefoy — laisse passer sa lumière au travers des frondaisons de la parole. Malgré la chute dans le monde et les épreuves de l’ici, un long désir remonte vers la source d’eau pure, vers une idée de ciel qui serait ciel encore, mais véridique, inaltérable. Ainsi guidé par un poète, comme on aimerait atteindre, pour y séjourner serait-ce un temps, cette Maison de l'Etre! Mais c’est bien ce monde, avec ses lampes — même si nous pressentons l’ultime clarté —, avec son pain doré, ses femmes séduisantes,

c’est bien

ce monde

que nous

essayons

de retenir par nos gestes, nos Voix. Tandis que le cours d’une vie méditée nous élève au Principe, la poésie, mêlée de temps

et d’éternel,

nous

sauve

main-

tenant. S.B.



S'EB:

Les Grandes Baleines Bleues Librairie Saint-Germain-

chant

vu.

Attiré par la fixité des regards, aussi bien par celle d’un judas dans la porte (« œil sans paupière »), on se prend à tourner autour d’on ne sait quel autre

Jean ORIZET

vers, très secret, un

Le

F

Grand

est

PORTENT

Hubert JUIN L’Automne à Lacaud André de Rache, éd.

\

de

« L’œil étant la fenêtre de l’âme », disait Léonard de Vinci, « l’âme a toujours peur de le perdre ». Que voit l’œil — ou l'âme (mais « qu'est-ce que l’âme ? ») — dans les récits de Vahé Godel ? Ce que tout le monde peut voir : la ville moderne, un reste de végétation, une cour, des couloirs, un appartement, une dame, un chat, un piano, des inscriptions, une lettre à déchiffrer — de la lumière, des mots, les choses de la vie. Dans ce dédale d’observations, d’images, de signes, où le passant mêle ses propres fantasmagories, érotiques entre autres, non seulement la scène mais le centre, dont on cherche toujours à se rapprocher, se déplace. Le centre d’où l’on

peut-être

MESURE

étant

l'âme *ARECHS Grasset Epreuves Poèmes Millas-Martin, coll. Fond. 124

du trait, hyperluminosité de cet de prose sur lequel éclatent les arrachées au reste d'âme bouspar

son

L’œil

ATX. ni. 4 ,

éd.

LES MOTS

L'ŒIL-FENETRE Vahé GODEL

|

Vernal,

Bruxelles

Paragraphes

gueur écran mages

DE LA DELLA

par Denise Miège Ed. Civilisation Nouvelle

Ce deuxième tome de l’anthologie de Denise Miège porte sur le vingtième siècle. On y trouvera une majorité de proses, et une quarantaine de pages consacrées aux poètes. Un certain flottement entre deux options — l’émancipation de la femme et la rigueur dans le choix des textes — ainsi que des difficultés face à la censure, ont pu contribuer à rendre ce

livre moins intéressant qu’il aurait pu être. Les récits en prose d’expériences sexuelles ajoutent peu aux « Lettres des demoiselles du Palais Royal », publiées dans le premier tome (1970). En revanche, la poésie érotique de Claude de Burine, Thérèse Plantier, Jocelyne Curtil, Yvonne Caroutch.… paraît plus authentique, plus « contemporaine». Si la gaîté n’est plus celle de Pernette du Guillet ou de Louise Labé, c'est, on le sait, que les temps ont changé. En ce sens, les poèmes retenus dans ce livre sont miroir de notre épo-

que, à travers même

l’œuvre de libéra-

tion entreprise. Leur écriture, franche, crue, ou fortement colorée, contribue à renouveler la poésie érotique, et, du même coup, nos «conceptions » sur la

sexualité féminine. JR.

‘“ Poésie pour Dans ma collection « Poésie pour vivre », j'ai publié d’abord trois recueils : Juste derrière le sifflet des trains, de la grande comédienne Emmanuèle Riva — succès d'estime ; Oiseaux mohicans, qui a lancé Daniel Biga, le maître de la confidence-tract ; Fragments, de Françoise Thieck,

dont personne n’a parlé. Je tiens le défi, je persévère. Voici dans cette collection trois nouveaux titres. Je crois en eux profondément. Je ne suis pas un ciel de lit est le premier livre de Jean-Yves Quenouille, qui me montre ses pages depuis des années. L’effeuillement intérieur de la midinette. Le mécano du désir reconstitué pièce à pièce, depuis l'enfance. La découverte des femmes et de l’environnement. Des chocs en perspective. Comme bleu ou rouge foncé, par. Henri Rode, hier romancier et essayiste. Un cri de détresse devant la dictature que les hommes concèdent à la douleur, à l’humiliation, à la séparation ou distinction des sexes, à un festival de manques. C’est aussi une vision plus cynique, d’un regard froid, le temps d’une paupière qui cille.

Puis

de nouveau,

avec

un

‘« sourire insensé », le choix de l’humour qui nous expulse de l’absurde. Sixième titre de « Poésie pour vivre » : avec Ventre amer, Claude Maillard insulte — d'une façon parfois scatologique l'amour bourgeois, ses billets pliés « à la place du cœur ». Elle raconte les jeux

vivre ”?

rapaces du corps — vus de quelle lointaine planète d’angoisse? — découvre la solitude qui nous tord malgré le désir « sans l’un sans l’autre ». Après gifles et obscénités — pour moins souffrir — on entend un timide appel à l’amour, devrait-il se violer lui-même pour se supporter. Les poètes de « Poésie pour vivre » expriment simplement une réalité dont ils souffrent, en dehors des partis pris. Ils vont toujours de la (leur) vie au poème, préférant l’'anecdote au cliché philosophique ou à la paraphrase qui triche. Ils ne sont pas bibliothécaires. Ils se méfient aussi des rimes-spaghetti. Ils ne font du trapèze avec leur intelligence qu’à l’aide d’un filet d’amnésie. Du collage ? Alors, ils l’avouent. L’hermétisme ? Non, sauf cas de névrose majeure. Ils aiment se perdre dans leur poème comme souvent dans la chair qui roule à gogo. Ils ne font pas du pseudo. Ce ne sont pas

des cadavres, avec étiquette. Ce qu'ils font, ça sent le sperme, les larmes dures, la verdure du cœur. Contrai-

rement à nos

poètes

« biens pari-

siens », — ou relevant des écoles intellectuelles — on ne s'ennuie jamais avec eux. Voilà. Lisez-les. Leurs poèmes à vif nous regardent dans les yeux, cigarettes aux lèvres. C'est de la poésie-énergie-totale, l'âme sans cesse touchée par le corps. (Il va sans dire que les éditions SaintGermain-des-Prés possèdent d’autres collections, où toutes les tendances s'expriment !) Jean BRETON.

QUEBEC

Le

1973: Poésie Première

en

à faire, au

su-

jet de la poésie québécoise publiée cette année : elle a pris plusieurs voies. Le temps est périmé où la «poésie du pays» repoussait plus ou moins à la périphérie toute autre inspiration. A Québec les Editions Garneau publient encore en abondance. Le ton est

un peu celui que donne

Ernest

Pallas-

cio-Morin dans Un visage à reconnattre : poésie intime, simple, regardant davantage vers l’éternité que vers le quotidien. A Sherbrooke, la revue Présence francophone, dirigée par Antoine Naaman, concentre ses efforts sur la vie internationale des lettres de langue française; elle s’est donné un rôle à la fois de rassembleur et de diffuseur, dans l’optique du décloisonnement de la culture francophone. Le poète et professeur Gatien Lapointe anime à Trois-Rivières les Editions des Forges. Citons trois recueils parus cette année Transes-mutations d’Yvon Bonenfant, /nnocence de Jean Larivière, et L’ de Gilles Lemieux. Ces « Ecrits des forges » publient une poésie calme, imagée, tournée vers l’intérieur, dans une certaine continuité avec celle de Gatien Lapointe.

C’est à Montréal, toutefois, sonne la plus grande diversité. un courant nord-américain, à cher, avec nuances, de Kerouac

que foiD’abord

rapproet Ginsberg. Le chef de file en est Patrick Straram, auteur de Le Bison ravi (Ed. l’'Hexagone-l’'Obscène Nyctalope). Difficile à « classer », Straram étant à la fois québécois, certes, mais aussi californien, amérindien, européen, « oriental », hippy et

marxiste.

Nommons

aussi,

avec

lui

mais plus étroitement américanisés, ingénieux mais d’une lucidité plus variable. Denis Vanier (Lesbiennes d’acid, Ed. Parti-Pris) et le poète chauffeur de taxi Lucien Francœur (Minibrixes réactées, Hexagone).

Les Editions La Québécoise, « exemptes » de subventions, publient pour leur part une poésie engagée, populaire (underground) à visées révolutionnaires. Il faut saluer leur travail, en particulier des poèmes de Georges Langford (Arrangez-vous pour qu'il fasse beau) et de Gilbert Langevin (Chansons et poëmes). Regrettons que cette poésie de contre-culture, voulant ignorer la « culture », tombe souvent dans des clichés

naïfs que celle-ci lui a malgré tout légués. Dans

un

autre

ordre

d'idées,

autour

de la revue La Barre du Jour, progresse depuis quelques années déjà une tendance à prédominance telquelienne, attachée à la déstructuration du langage. Dans Nocturnales d'octobre (Ed. Spinifex), d'André Beaudet, on trouvera, si on a le courage de lire lentement, quelques assises théoriques québécoises de cette tendance. Du même côté, citons un recueil posthume d’Huguette Gaulin (1), Lecture en vélocipède (Ed. du Jour), Les Bracelets d'ombre de Claude Beausoleil (Ed. du Jour), ainsi que Les Problèmes du cinématographe de Roger des Roches (revue «Les Herbes rouges », n° 8).

Poètes contemporains

(1) Huguette Gaulin s’est brûlée vive devant l'hôtel de ville de Montréal pour protester contre la répression qui a brisé le soulèvement des travailleurs durant la crise sociale et politique du Québec au prin-

|

;

Saint-Germain-des-Prés

propose un riche programme

trottoirs révent Jean-Hugues

Commune Doute des

pour

les mois à venir. Il ne s’agit pas, pour les poètes sous Sa Casaque, de rallier une école ; mais tout au contraire de représenter chacun un genre d'urgence poétiquement humaine. « Poètes contemporains» continue de capter l'essence, la mobilité, la diversité de l'esprit de poésie de notre temps, sans ukase. C’est dans cet éclairage que se situe « L’Analyse » (dernier volet du cycle La Mis-

sion, la Demeure, la Roue, les Passes) publié à nos éditions par Robert Champigny. Ces poèmes ont en commun les lieux (le marais poitevin), les personnages, les motifs. Philosophe et footballeur, Champigny renouvèle la forme du poème narratif, et veut nous dire « l’histoire de la terre en images ». Cette histoire éclôt complètement à travers l'Analyse. Attendu avec curiosité est le recueil de Jean Rivet, lauréat

du grand

Concours

de Poésie

1 de cette

année

Poètes

à une

encore

nommer

Avec

Saisons,

Maurice

Bourg

nous

donnera

un

long

poème lyrique, où la forêt a un rôle idéal et primordial : Saisons qui portez tout. Ces pages semblent imprégnées d’une philosophie lyrique sur fond de nature héraclitéen. La forêt absolue est, pour l’homme, suprême déité.

:

d'un

met

dans

le mille

de l’actuel

et «tourne

».

la morsure

Cette révolte de vivre, Michel Merlen nous la dit aussi dans « La Peau des Etoiles ». Merlen (à qui l’on doit Fracture du Soleil, paru chez nous), a une identité écorchée, panique — et se rattache à l’expérience d’Artaud, si l’on veut. Lui est le problème, à base de schizophrénie.

La tragédie d’exister, d’être soi, c’est l’objet de Nouvelle Prophétie d'André Marissel, recueil d’une nostalgie déchiquetante. Chez Marissel, la familiarité avec la mort corrige une cruauté foudroyante à la d’Aubigné. Une grande lucidité et le néant pour miroir : « Quarante années d'identité usurpée — nous dit Marissel —

pour

que

la mort

en

moi

prenne

corps.

»

Marissel

n’emploie pas le langage comme un exorcisme, vinaigre pour envenimer ses plaies.

mais

un

d'ailleurs d’intuition, de prévision. Egalement africain, mais d'Algérie, Ahmed Boulahfa (publié dans Miroir oblique) entre cette année parmi les «poètes sans frontière» avec Les Craies troubles. Boulahfa rappelle que « la poésie cherche et doit se trouver ». Il entend rejoindre, grâce à elle, le baiser

de

l'unité.

A

travers

le

trop-plein

d’une

souffrance

vivace, ce jeune Algérien laisse entendre que l’arme du poète, c’est de pénétrer les secrets, de voir le vrai sous l'apparence et le postiche, de déceler Le charme, de tenter un langage neuf « de notre temps, de tous les temps ». _ Gardons pour la bonne bouche, de Roland Busselen, Belge à la poétique exercée, Quelques Je, quelques Tu, quelques II. Fascinant recueil. C’est une introspection à trois niveaux, d’une finesse incisive. Les pronoms inspirent tout autant Busselen, dans une inépuisable suggestion, que les voyelles Rimbaud. Sur le plan moral, intellectuel, vivant, cela fascine. Quelques Je, quelques Tu, quelques Il est une ouverture poétique sur la connaissance de l’être, triplé. Corps en friche, du poète syrien d’expression française Kamal Ibrahim, offre une belle vie du langage. On évoquerait volontiers Rimbaud et Artaud si la touche

de Kamal Ibrahim n'était aussi personnelle, excitante dans son côté déroutant. Ses poèmes sont à la fois comme suspendus et ouverts de toute part.

plusieurs

petites maisons d’édition («Les Cahiers du hibou », Go-Rébec...), et ne pas ou-

‘blier que d’autres poètes plus connus continuent d'écrire, et, pour certains (Gilbert Langevin, Paul Chamberland.…..) participent activement aux transformations de la poésie québécoise. Pour recevoir l’Information Poétique, il vous suffira d’envoyer 20 F avec vos nom et adresse à la Librairie SaintGermain-des-Prés. ou de lire réguliè-

rement

humaine.

les brancards,

savoir flamboyant, objet de son second recueil à paraître. Poète centre-africain, Pierre Bamboté, dans Technique pour rien, suivi de Civilisation des Autres, nous emporte dans un lyrisme, à tendance libératrice, qui nous transmet le suc de l’esprit de sa race. Il s’agit (presque) d’un message télépathique, où Bamboté nous apparaît en médium ou en voyant, avec une étonnante richesse

Il faudrait

ration

venus

sorte d’extase. Il rêve de l'harmonie

Malineau, animateur de la revue Mesure, fait entendre dans L'Ombre du accents orphiques, nous ouvre sa liesse

secrète, nous rappelle les ressources de l’âme et de la nature. On songe à un valérysme vivifié par la respi-

dans

Création 1974 — un bon chiffre! — Ja Collection « Poètes sans Frontière » elle est destinée à faire connaître une poésie directement écrite en français par des étrangers. Ne suffit-il pas de voir les horribles barrières infligées aux piétons, boulevard Saint-Michel, pour comprendre combien il convient, plus que jamais, que les frontières sautent ? C’est l’un des buts de nos éditions. Découvrir un poète étranger amoureux fou de notre langue, et usant d’elle avec le souci d’une absolue perfection, c’est ce que permettra aux lecteurs L’Arbre dont ma vie est le Ciel, de Ratimir Pavlovitch. Ce poète de 25 .ans, d’origine yougoslave (que Maurice Nadeau publia dans sa revue Lettres nouvelles) a le goût de la métaphysique. Sa poésie nous aide à dépasser la vie grâce aux mystérieuses transmutations dont notre esprit est capable. Poète contemplatif qui croit à l’âme, mais tout irrigué de sève vivante,Pavlovitch hausse le drame ‘ humain

de ta cambrure.

Pour en revenir à l’oppression du réel, voici Révolte au Clair, de Jean-Luc Maxence, déjà publié dans notre collection Miroir oblique. Un jeune poète qui rue dans

il s’agit là d’une poésie familière et secrète à la fois, issue d’un univers intérieur tissé de .hantise et de miracles, où tout se transfigure — et où le quotidien, essentielle de l'être. cruel, correspond à la douleur Jean Rivet, d’un romantisme déchiré, nous dit que nous portons la vie comme un panier fissuré et établit des équivalences sournoises : beauté laideur de la mort. Albert Fabre, un prix Apollinaire, déjà publié dans Poètes contemporains, signe cette saison « Lumière et Cécité », poèmes qui cristallisent et irradient ses intuitions. Ce poète a une adresse singulière à se métamorphoser en images pour se dire et nous ouvrir son moi : La Terre se hissa pour boire le soleil et nous sûmes qui nous étions. Ailleurs : — La rue rit de ton rire — les

Jacques RANCOURT

temps 1972.

de

Lancée en faveur d’une poésie vivante, qui est depuis toujours la tendance de Jean et Michel Breton, ainsi que de Jean Orizet, ses trois créateurs, la Collection

ébullition

constatation

bloc-notes

Tous les livres cités ou faisant l’objet d’une note critique dans « l’Information Poétique » sont en vente à la Librairie Saint-Germain-desPrés, 184, boulevard Saint-Germain, Paris 75006. Vous pouvez vous les procurer par correspondance leur prix de vente 5 F pour frais d'expédition.

en

ajoutant

à

Toute commande supérieure à 50 F sera servie franco de port.

Attention : adresse sera

à compter : 68-70,

du rue

15 mars du

notre

Cherche-Midi

PARIS 75006

la Quinzaine Littéraire !

21

s'est écrié : « Quand on nous certains l’aiment froide ! ».

La vie des poètes ®@ SOUS

LA

LUMIERE

FROIDE.

Le

n” 30 de Poésie I rend visite à seize Poètes du Nord. Trois aînés: Robert Mallet et Looten le flamand. Un humoriste de 20 ans: Jean-Louis Rambour. Les poèmes d'amour ou de mort de Michel-Daniel Robakowski. Inédits assez étonnants de Pierre Garnier et Pierre Dhainaut. Sans oublier Jean-Claude Bail-

leul, Alain Bouchez, Jeanne Bessière, André Devynck, Gilbert Delahaye, R.L. Geeraert, Bernard Picavet, Claude Vaillant et Michel Voiturier.

® ON PEUT LIRE dans La Poésie française de Suisse (Poésie I, n° 31), sous le commentaire de Vahé Godel, textes poétiques et poèmes de Rousseau et Amiel, du symboliste Duchosal, Spiess (des inédits), Ramuz, Cingria, Cendrars, Matthey, Roud, Crisinel et Werner Renfer. @ Place aux nouveaux-venus avec La Nouvelle Poésie française de Suisse, par Jean-Paul Séguin (Poésie I, n° 32). Au carrefour des cultures latine et germanique,

voici

Pache,

Brachetto,

Anne

Perrier,

Godel,

Jaccottet,

Schlunegger,

Tà-

SAVENT

PAS

che.

@ A TRAVERS RUTEBEUF qu'il a traduit (Poésie I, n° 7), Serge Wellens s'était déjà dit «inculte et pauvre », comme nous le sommes tous, devant tout. Nous retrouvons dans Santé des ruines

Crau

(Saint-Germain-des-Prés)

le poème : «

Le

poème

de toutes les créatures ruines met en joie ».

@ PAUL à un la

«

chétive », où, par endroits,

la plus pauvre

que

la santé des

nouveau

départ.

Une

s’astreint marche

universelle

qui

POETES

NE

COMPTER : ce ne sont pas, outre le grand lauréat, Jean Rivet, cent poèmes qui ont été groupés dans le n° 33 de Poésie I, «les Poètes du premier grand concours Poésie I» — mais cent un. cherche

le responsable

de

l’erreur,

dans le jury et autour... @ POETE DE L’'ILLUSION LYRIQUE DE NOTE TEMPS — et l’un des meilleurs — une voix très fraternelle: Ernest Delève entre dans les « Poètes d'aujourd'hui» de Seghers. Celui qui aurait fait parler les pierres pour que l'homme soit moins seul.

@ DES INSURGES SEXUELS : ils sont foison, nous dit-on. On en retrouve quelques-uns, non des moindres, dans le n° 6 d’A haute voix (6, rue Mony, Bordeaux) où Didier Arnaudet, Daniel Biga, Pierre Bourgeade, Pierre Guyotat, Alain Jégou, Robert Paine, Marc Villard font entendre audacieusement la leur. Ça balance et ça chauffe. LE SIGNE

DU

SURREALIS-

ME, de Valéry et de Jouve, une bonne adresse pour les poètes : celle de la revue ble).

à nos éditions, Pierre

Dac, l’auteur des Pensées, feuilletant Froide, la nouvelle collection de Se-

gbers, à la présentation de banquise raffinée — où la Poésie tient son rôle —

Ferveur

écriture noms

de

précieuse. de

Guibbert,

Greno-

la présentation,

A

Christian

Jean Joubert

haute

retenir,

outre

Guez,

Jean-Paul

et Claude

les

Esté-

ban, ceux de Paul Farellier, Francis Fabre, Bernard Gautheron.

@ HOBO QUEBEC : un nouveau mensuel artistique et littéraire, réalisé par des écrivains de vingt à trente ans. Textes de création, interviews, critiques. Important pour connaître plusieurs directions actuelles de la sensibilité et de l'écriture au Québec (case postale 464, succursale « C », Montréal, Québec).

@ LES nuèle

@ DE PASSAGE

vers

engage

tout l’hémme et toute sa poésie. On sentira mieux les poèmes si l’on commence par lire la « révélation » à la fin de ces Eclats de la pierre noire d’où rejaillit ma vie (Montréal, éd. Danielle Laliberté).

@ SOUS

COMEDIENS Riva,

pour

super-freudiennes

appartenant à la troupe de Jean-Louis Barrault — futur Henri III de la TV, il vient de nous apporter le manuscrit

de ses

premiers

AUSSI.

se reposer

Emma-

des affres

que lui fait subir Ar-

rabal dans son film J'irai comme un cheval fou, met la dernière main à son deuxième recueil de poèmes. — Quant à Yves Gasc, acteur et scénographe —

poèmes:

L’Instable

et

l'Instant.

@ DU QUOTIDIEN avec incursions dans la féerie. Humour insolite qui tire gestes et objets de leur effacement. L’Or des fous de Jacques Boulerice (Montréal, éd. du Jour) se lit avec intérêt, sauf quand Boulerice veut tout aborder dans

le même

CHAMBERLAND

conscience

la

pousse

Syllepses (65, rue de Stalingrad,

@ LES

On

disait que

poème.

@ RETOURS SUR SOI et faim de l’autre, tendresse, constats d’insatisfaction et rage indomptée de vivre. Sans éviter toujours le piège de sa ferveur poétique : l’'éloquence à vide. Pierre Morency dans Lieu

de naissance

radicalise

encore

son

rêve éveillé, à travers des images qui inquiètent, ébranlent ou nous comblent (Montréal, Hexagone). @ YVONNE

CAROUTCH,

dont

nous

avons publié les poèmes choisis ou inédits de La

Voie

du cœur

de verre,

n’a

rien trouvé de mieux pour écrire un livre sur le XVIIT° siècle italien, que d’aller se griller plusieurs mois en Turquie. — Il est vrai que Robert Champigny n'est jamais mieux inspiré par Châtellerault, sa ville, qu’entre deux cours à Indiana University, Bloomington, où il a terminé son cycle poétique avec Les Passes. Le poète-footballeur a relancé sur le campus américain la mode de la « petite reine », son fétiche.

@ UNE ANTHOLOGIE DE L’ECRITURE AUTOMATIQUE à Prague et à Bratislava, dans les trente dernières années, nous est proposée par Arnost Budik avec La Poésie surréaliste tchèque et slovaque

(Bruxelles, Gradiva).

Bonnes

bibliographies. Vitezslav Nezval médiocre. Certains opteront pour l'annexe « Autour du surréalisme ».

@ ROBERT

GOFFIN



L’ANTI-

CUISTRE, selon Maxime Duchamp, qui a bien raison, est salué par Le Pont de l’Epée (n° 49). Bosquet, Caillois, Crevel y parlent de l’homme et de l’œuvre,

inséparables. Bibliographie. Choix uniquement dans la poésie libre du faitdivers. Fragments à vif d’interview: nous apprenons

tresse

entre autres que la maï-

de Gegenbach,

«le

vampire

sur-

DU NOUVEAU DANS LE MONDE DE LA POESIE Après avoir lancé, en mai 1969,

une

revue

de

poésie

à 1 franc, POESIE 1 — qui révolutionna l'édition littéraire — la Librairie SaintGermain-des-Prés vient de publier un livre indispensable sur la poésie moderne: La Poésie contemporaine de langue française depuis 1954. Ce

livre,

unique

en

son

genre, fait le premier bilan sur l’œuvre de 500 poètes contemporains des 31 pays francophones. Cinq années d'efforts auront été nécessaires à une équipe de quatre nationalités différentes — animée par un professeur de philosophie, Serge Brindeau — pour rédiger cette bible de la Poésie Contemporaine dont la diffusion a été confiée à Bordas. réaliste », lisait Supervielle régulièrement, en pleine nuit, toute volupté dépassée. @ ISMAIL KADARÉ ET LA NOUVELLE POESIE ALBANAISE (Oswald)

:

Kadaré

le

romancier

est,

en

moins violent et débraillé, le Maïakowski de l’Albanie. Trois poètes l’accompagnent : Drittero Agolli, Fatos Arapi, la jeune Natasha Lako, sentimentale, On

est un peu déçu. @ ON chants

PREFERERA les Poèmes et de Kabylie (Saint-Germain-desPrés), «sauvés» par Malek Ouary: à côté de refrains quotidiens, voici de

grands «La

poèmes

mort

de tradition

arrive»

ou

orale,

tels

« Hemd-ou-Mer-

ry, bandit d'honneur », à l'intensité lyrique digne de la Bible, de l’avis aussi de Jean Sénac, qui nous en parlait peu de temps

avant

sa mort.

Poètes, vous avez peur! J'ai ce privilège, parfois redoutable : chaque mois, plus de cent manuscrits de poèmes arrivent sur ma table. Dans cette mer de feuilles — médiocres et attardés écartés, — je trouve de tout des néo-romanti-

ques, néo-symbolistes,

néo-surréalis-

tes, des nostalgiques du dadaïsme, des textologistes, des épistémologistes, des topologistes-telquellistes. Mais ce que je trouve le moins, c’est le poète conscient de l’Apocalypse maquillée que nous vivons. Vous me direz que le poète clairvoyant, en colère et en révolte, ne manque pas en France, s’il se révèle parfois plus actif ailleurs, et que, de toute façon, faire de la poésie n’est pas rendre compte d’un Paris en déconfiture, du cauchemar des nouvelles banlieues, d’une foule traumatisée par toutes les difficultés et le manque absolu de communication (de tout ordre). Que les Pythies, penchées sur le présent et l'avenir, ne font pas toujours les bons vers. Je le sais bien et il m’arrive, en tant que lecteur, de le constater.

22

Quand même. Ouvrez, pris au hasard, Le Monde. Ecoutez les informations à la télévision. Voyez les derniers films d’Arrabal, de Peter Watkins ou de tel cinéaste « dans le coup » du nouveau cinéma. Là, nous avons une vision réelle de notre temps, et des dangers qui nous cernent. On me glisse : « Mais le poète n’est pas le sociologue, ni le cinéaste! » A coup sûr, bien que le cinéaste soit souvent poète. J’admets cependant l’objection. Pourtant, reconnaissons que ce monde paniqué, où tout est menace, où se multi-

plient les crimes politiques, où s’installent les occupations totalitaires, mérite bien, sous forme de manuscrits tentant leur chance, que le poète témoin soit moins rare. Que cette tragédie quotidienne, ces images atroces partout diffusées — et l’homme coincé, dernière roue de la locomotive, valent que davantage de jeunes poètes osent les dénoncer. Or nos prophètes 74 sont encore ceux d’il y a cent ans (Hugo, toujours lui, Rimbaud, Lautréamont) ou

d’il y a quarante

ans (Artaud).

Mon

étonnement est grand à constater combien les poètes à la recherche d’un éditeur, en dépit même souvent de leur talent, sont portés à ronronner, à s’aveugler exquisement, à se ravir d’une goutte l’eau (sans l’imaginer polluée), d’une branche (sans songer à la DDT), du sexe de leur femme (sans prévoir le moindre

ennui entre deux transports amoureux). Tout se traduit, pour ceux-là, en sublimation, avec une perfection que je m’empresse de saluer, bien entendu, dès qu’elle existe. Mais il s’agit d’une autre planète. Le plus grand nombre des poètes que je lis continuent de se regarder dans le miroir de Char le délectable (pas celui de l’événement), d’Eluard (le plus délicieux), d'André Breton, le dogue bariolé, de Bataille et Leiris, ces

ravageurs

en

chambre.

De-

vant le tumulte de l'univers, le poète-poète, qui est légion, continue de voguer,

cygne immaculé,

sur

les

eaux d’une nostalgie mallarméenne qui cache à peine son nom, sous son

plumage imperméable d’idéalisme. Que lui importent les gosses qui braillent, la dévaluation-massue, la traite impayée du bloc-cuisine? Il attend, tremblant de convoitise d’y découvrir enfin sa signature, la dernière revue «rare», caressée religieusement. C’est son havre, tout comme l'espoir du recueil à paraître. Inspiré, il s’écrie : « Pitié, réalité! Laisse-moi, avant de te manifester imbuvable, le temps de fignoler ce poème sur ma propre transcendance hégélienne, avec ce détour sur la pensée réflexive, le tout saupoudré d’un éclairage à la Machin qui est génial. » Le poète-poète continuera, je gage, même sous le champignon atomique ou si le ciel s'écroule, à se déguster, à se savourer — comme il nous arrive de le savourer si, après tout, : quoiqu’aveugle volontaire, il se révèle un Poète, et peut-être un grand. Henri RODE

ARTS

Dans les galeries La Galerie de Paris consacre une exposition à l'école viennoise du Réalisme fantastique, école peu connue en France malgré ses vingt ans d'existence. Dans cette ville de vieille tradition fantastique, les peintres de « l'alliance quintuple », et leurs disciples, tant dans l'inspiration, où sont mêlés le macabre, le démoniaque, l'érotisme

bouffon

et

le

merveilleux,

que dans la technique très traditionnelle et savante, s'inscrivent dans la lignée maniériste baroque. Parmi les six peintres exposés, Anton Lehmden s'inspire des catastrophes naturelles la terre s'ouvre et engloutit paysages et monuments, tandis que Swoboda nous égare dans les méandres colorés de paysages imaginaires, semblables à ceux de nos fièvres d'enfants. Très différentes sont les toiles de Dachauer et de Peter Proksch. Il est dommage que chez ces peintres, la volonté délibérée d'aboutir à une vision fantastique manque parfois son objectif, alors qu'il est atteint par des artistes qui s'’attachent à rendre simplement les aspects les moins apparents du réel et rendent inquiétants les spectacles les plus quotidiens. A vouloir trop dépayser, on peut lasser le spectateur dont l'imagination n'est plus sollicitée, mais

saturée.

(Galerie

de

Paris,

14,

place François-l°.)

SRE

ER PE EE SE

Autre forme de délire à la Galerie d'Iris Clert, où sont exposées actuellement les « anti-icônes » de Noirel. L'homme et l'œuvre évoquent l'heureuse époque des canulars « dada » : ce garçon, né dans un pays qui n'existe pas sur la carte, Alburria, et mûri par un « stage de formation à l'usine de création artistique de Vervilla », capitale de ce petit paradis socialiste, propose à notre béate admiration des icônes où la place de la Vierge et des saints apôtres est occupée par des travestis, des dgitons savamment maquillés, dont le portrait aux découpes inattendues est enchâssé dans un cadre doré, clouté et agrémenté de pierres colorées et de ferrures. L'ensemble dégage un fumet

sacrilège dont l'humour échappera aux gens sérieux. (Galerie Iris Clert, 3, rue Duphot.) Après la récente exposition des dessins de Corneille, « L'Œil de Bœuf » se consacre à une artiste marocaine, Chaïbia, dont les toiles semblent, elles

aussi,

apparentées

au

style

Cobra,

tant par l’utilisation des couleurs pures, que par le dessin spontané, évoquant à première vue les dessins d’'enfant. En réalité, c'est spontanément et libre de toute influence que Chaïbia s'exprime, puisant son inspiration dans ses souvenirs du Maroc. Cependant ce peintre-né ne doit rien au folklore,

ER PRE

PUERTO

RENTREE

Diane Arbus. Ed. du Chêne,

boîteuse, sinistre, elles constituent

David Douglas Duncan (Exploration Prismatiques

rité se clôt sur le suicide du photographe en juillet 71. Un an plus tard, ses photos furent les premières à être admises à la Biennale de Venise. Hommage mérité

nouveau

monde

un témoignage

pathétique sur la

condition humaine,

d’un

: Paris)

Editions du Chêne.

dont la sincé-

à une œuvre qui ne cesse de pren-

« Je n’ai jamais pris la photo que j'avais l'intention de prendre. Elles sont toujours meilleures ou pires. Pour moi le sujet est toujours plus important que l’image. » Quels sont les « sujets » de Diane Arbus ? Des handicapés, des in-

dre le spectateur à témoin.

Chacun connaît les inoubliables photographies de David Douglas Duncan, reporter de guerre, telles ces trognes dégoûtées de jeunes « marines » pris au piège du Vietnam. Pourtant cet album est firmes, de pitoyables nudistes, des souriant : pour les Américains, travestis, des putains ou des fem- Paris ne cesse d’être une fête. Mais mes du monde âgées. Née à surtout, le travail de D.D.D. New York en 1923, la photogra- concerne le plus capricieux des phie fut, pour Diane Arbus, un partenaires du photographe, l’approcédé d'investigation. Pour cela, pareil

elle utilise les moyens les plus simples, loin des sophistications à la mode. Elle laisse la parole à ses « sujets » dont les regards, fascinés par l'objectif, nous fascinent à leur tour. La détresse qu'ils crient est profondément individuelle, elle éclate dans leur chair même. Images d’une Amérique sordide,

du 1‘ au 15 février 1974

lui-même, et, plus précisément, son œil : l’objectif. Cet œil capricieux auquel tant de photographes se soumettent, D.D.D.

le transforme,

le sculpte, le plie

à sa volonté. Enfin des photographies pleines d’esprit, des photographies inspirées. Jean-Louis Pradel

c'est

par

la

poésie

violente

de

sa

couleur, et du trait brut, et non par les thèmes employés, qu'elle retient notre regard. (Galerie « L'Œil de Bœuf », 58, rue Quincampoix.) C'est aussi à une exposition lyrique d'amour et de foi dans la vie et la nature que s’abandonne Ger Lataster, dans une série de toiles récentes d'une inspiration moins abstraite qu'à l’accoutumé. A la présence insistante et menaçante des canons à la gueule encore fumante, s'opposent victorieu-

sement, sur les panneaux colorés où sont froissés des pans de plastique

avec ses mottes, ses accidents, et ce qu'il appelle une table, sorte de dalle suspendue, composent un paysage austère, admirablement équilibré ; dans les autres, la végétation a tout envahi, le ciel, la terre et les pierres. Mais ce

n'est

pas

un

feuillage

«

normal

»,

il

suscite l'angoisse, comme une sorte de cancer plastique. On ne peut oublier ces paysages imaginaires, obsédants et dessinés avec une rigueur qui, elle aussi, inquiète. (Galerie « Le

Soleil dans girard.)

la Tête

», 10, rue

Régine

de Vau-

Cathelin-Simonet

transparent, des grappes de merveilleux fruits rouges, brillants de vie, des

étoiles

et

des

triangles

aux

tons

éclatants et joyeux, des semis de pastilles dorées. Une bouffée de bonheur et d’optimisme dans la grisaille de ces mois d'hiver. (Galerie Facchetti, 17, rue de Lille.) Une dizaine de jeunes sculpteurs, représentant « une certaine figuration », exposent au Centre de sculpture contemporaine. Outre les terres cuites de Martine Boileau, des personnages de Brown en résine de polyester, un ensemble de cinq sculptures de Semser, dont trois affectées à un usage utilitaire (deux lampes et un fauteuil-bouche), tandis que les deux autres, le « tango » et le « sauteur aux pieds joints », dégagent une éton-

nante impression d'équilibre ; Sigg a imaginé des figures dignes d'un cauchemar de science-fiction, traitées en époxy, « la secrétaire » et « les trois grâces en désordre », et Schultze quelques « gestes » en céramique colorée. Les matériaux traditionnels, marbre et métal poli, sont utilisés par Pakciarz (beaux marbres sensuels), et Tarabella, qui a conçu une belle tête en laiton, d'inspiration 1930. Les trois sculptures de Simossi, jeune femme d’origine grecque, paraissent particulièrement intéressantes le « veston », et un « paquet » témoignent d'une recherche comparable à celle d'un dessinateur comme Gäfgen, où la perfection de la représentation atteint à une exaspération et aboutit à faire ressentir au spectateur l'étrangeté, l'énigme contenue dans l'objet le plus banal en aparence. (Centre de Sculpture Contemporaine, 52, rue de Bassano.) Une feuille blanche, de la mine de plomb, une gomme, voilà les seuls matériaux employés par Pierre Gaste pour recréer un univers où une végétation dévitalisée prolifère. Dans certains de ses dessins, un ciel vaste et si précis qu'on le croirait issu de documents photographiques, le sol où souvent est creusée une fosse, la terre

LE num LA

GALERIE

Alain Tirouflet (Galerie Rencontres, 46, rue Berger, Paris-1°) Le murmure est cette sorte de conversation où se fomentent les cons-

pirations. de

toiles Leur

de

lent,

patient,

d'une

sont même

délicatesse

ex-

une toile qu'il a soigneusement préparée lui-même, une pluie serrée de petites touches instaure l'espace de la représentation. Les sujets que le peintre se choisit sont ceux que lui propose le réel. Telle fenêtre, telle jetée normande, telle falaise, tel mur dressé devant des arbres par quelque propriétaire jaloux, de son voisinage, autant de « réalités » que Tirouflet inscrira sur l'opacité de la toile. Couleurs et formes seront alors « travaillées » par la peinture. L'écriture picturale instaure, dès lors, son ordre. La réalité, confuse, devient épure. Les trois

dimensions sont réduites au plan de la toile. L'image s'organise selon d’amples surfaces vibrantes du travail du pinceau. Le chromatisme s'étend selon une large gamme de gris, du « presque » blanc au « presque » noir. Les formes sont cernées par des lignes dont la précision bannit l'accident, l'anecdote. Ces toiles, qui pourraient paraître froides, sont pourtant chaleureuses, tant elles ne cessent de témoigner du travail du peintre, de ses instruments, de ses matériaux, de leur paradoxale fragilité qui contraint le regard. Là est bien la conspiration qu'entretiennent les « murmures » de Tirouflet. Jean-Louis Pradel

DE LA VIE

mem

Paris-4", 272-77-32

A BEAUBOURG

C. COTINAUD

Tirouflet

discrétion

trême. Sur

LES CHOSES

« CONTES

Les nature.

force l'attention dans un monde envahi par un tumulte qui va croissant. Auprès des peintres prêts à toutes les audaces pour se faire entendre, Tirouflet préfère user d’un métier

23, rue Aubry-le-Boucher,

| EEE ER EEE LELELLEELEELELETE L UN

cette

»

- D. GREINER

du 1°° au 14 février 1974

WMA

MA

23

LANGAGES

De la parole à l’écriture Gelb

EI.

Pour une théorie de Flammarion éd., 304

par

Jérôme

l'écriture p.

Peignot

Le récit que Gelb fait de l’hisde l'écriture est minutieux à ce point qu'on le dirait écrit au ralenti. C’est en effet parce qu'il a donné de la moindre des étapes franchies l’analyse qui convenait que, pour la première fois sans doute, un fil conducteur apparaît dans le déroulement pourtant complexe du processus qui a présidé à l’élaboration de nos alphabets. Exactement comme le langage toire

parlé est sorti de l’imitation des sons,

l’écriture

est

née

de l’imi-

tation des formes des êtres et des choses réelles. Cela a son importance

dans

la mesure

où,

à elle

seule, la démarche témoigne déjà d’un indéniable effort d’abstraction. C’est à ce souci d’intériorisation qu’on devra la naissance de nos écritures alphabétiques. En ce sens, on peut dire de l'esprit qu’il a bâti au-dessus

du vide, comme

une araignée tisse sa toile. Qu'il ait créé le moyen de s'exprimer dans le même instant qu’il se manifestait de la manière la plus éclatante, est une opération qui tient du miracle.

Mais, et c’est le

grand mérite de Gelb de ‘nous le faire comprendre, pour prodigieuse qu’elle soit, pas plus que la réalisation de l’araignée, cette « invention

» n’est

miraculeuse.

Le moment décisif de l’évolution de chaque écriture se situe à cet instant de son histoire où elle a tenté de donner une forme graphique à des phonèmes. Dans la première partie de son ouvrage, Gelb traite de ce qu’il appelle les « avant-courriers de l'écriture ». Parmi

eux, il évoque

les écritures pictographiques

qu’il

Jérôme Peignot a publié, entre autres : « De l'écriture à la typographie », dans Gallimard.

24

la collection

Idées

chez

dissocie des hiéroglyphes égyptiens plus sophistiqués que, par exemple, les pictogrammes des Indiens d'Amérique. Pour lui, les hiéroglyphes ont beau se lire comme un livre d'images, ils ne constituent pas à proprement parler une écriture, dans la mesure où cet ensemble de signes visait à protéger les intérêts particuliers d’une certaine caste religieuse. Le contexte ésotérique limite à la fois sa portée et son évolution. Le critère qui, pour Gelb, départage les écritures des codes, c’est le stade phonétique. Pour constituer une écriture, les signes doivent aussi fournir un écho au langage. Les Aztèques ni les Mayas n'ont atteint ce niveau,

Idéographie

alors que, pourtant, il est déjà et depuis longtemps dépassé à Sumer. Mais on aurait tort de tenir cet aspect de la transcription phonétique pour le seul critère de l'efficacité des écritures. Dans une seconde période, que Gelb appelle celle des systèmes « logo-syllabiques », un certain nombre d’écritures associent l’adjonction d’un procédé phonétique à un système logographique. Par écriture logographique, il faut entendre une écriture dans laquelle un seul signe peut valoir pour un ou plusieurs mots. Pour qu’il y ait écriture il importe qu’il y ait à la fois écriture de mots et écriture de sons, faute de quoi il n’y a que balbutiements.. Ainsi les tablettes

de l'ile de Pâques

de l’île de Pâques, dans lesquelles on a absolument voulu voir une écriture, n'étaient qu’un mode de signalisation religieuses.

aux

implications

Aussi bien chez les Indiens d'Amérique qu’au Moyen-Orient, c’est généralement à la faveur de la volonté de transerire les noms propres que le besoin s’est fait sentir de la mise au point d’un système phonétique. Ainsi peut-on oser cet aphorisme : une écriture émerge des chiffres, s’enrichit de la transcription des noms propres, atteint à la maturité avec l’alphabet et meurt de négliger la recherche d’une toujours meilleure mise en lettres des sons. La formule est valable pour la plupart des écritures, à l'exception

de la chinoise. Née dans le milieu du second millénaire avant notre ère pendant la dynastie des Chang sous la forme d’un système phonétique déjà développé, elle s’est perfectionnée sans se transformer profondément dans ses caractères internes.

Gelb distingue sept systèmes orientaux logo-syllabiques. Le Sumérien, en Mésopotamie, 3100 av.

J.-C. à 75 après ; le Proto-élamite de 300 à 2200 av. ; le Proto-indien

dans la vallée de l’Indus vers 2200 av. ; le Chinois de 1300 jusqu’à nos jours donc ; l’Egyptien de 3000 av. à 460 après ; le Crétois

en

Crète

1200

et

en

Grèce

av. ; le Hittite

en

2000

à

Anatolie

et en Syrie 1500 à 700 av... Compte tenu du fait que le Proto-élamite, le Proto-indien et le Crétois ne sont pas encore entièrement déchiffrés, on estime que le Sumérien est le plus ancien de tous. Sans doute donne-t-on généralement

une

origine

égyptienne

à

l'écriture sémitique. L’argument est que les sémitiques auraient commencé par donner un nom à des signes empruntés aux Egyptiens pour ensuite dériver de leur nom Ja valeur de ces signes. «

Aberrant,

déclare,

Gelb,

c’est

prétendre que les Sémites ont nommé des choses avant que, pour eux, elles signifient quoi que ce soit. » Pour Gelb, si certains emprunts

ont

pu

être

faits,

rien

La Quinzaine Littéraire

ne nom

prouve donné

en

revanche

à ces

signes

que n’a

le pas

été inventé et librement accolé au signe retenu. À l'inverse, stimulés en cela par les écritures sumériennes, les Egyptiens mirent au point deux formes d'écriture cursive, l’une dite hiératique, l’autre démotique. Cette fois, au système logographique dit « du rébus », se trouvent adjoints certains signes diacritiques. Pour n'avoir pas distingué avec assez de soin les signes de mots et ceux des sons, les égyptologues ont surévalué la portée de ces écritures. « L'écriture phonétique non sémantique des Egyptiens, écrit Gelb, ne peut être consonantale tout simplement parce

que

le

passage

d'une

écriture

logographique

à

écriture

une

consonantale est impensable dans l'histoire de l'écriture, Le seul développement connu attesté cette fois par des douzaines de systèmes allant d’une écriture

logographique à une écriture syllabique. » Au lieu d’admettre, comme

le font

savants,

l’idée

tienne

de,

généralement

de

l’origine

l’écriture

les

égyp-

sémitique,

Gelb défend une thèse qui fait la part plus grande aux influences diverses, aussi bien qu’aux emprunts. Cette attitude fait toute son originalité. On dirait de sa manière de concevoir l'histoire de l'écriture (il donne le sentiment de procéder par des coupures dans le substrat historique de manière à pouvoir

considérer

la

tranche

qui

ce

ainsi

se

passe sur qu’elle créée)

est structuraliste. On finit par se demander si l’étude comparative des écritures à laquelle il se livre ne relève pas plutôt de l’anthropologie que de la linguistique. À propos de la découverte faite au village de Ras Shamrah en Syrie, dans les ruines de l’ancienne cité d’'Ugarit, de tablettes sur lesquelles figurait une écriture cunéiforme inconnue, Gelb explique comment on est passé des écritures syllabiques à lalphabet grâce au fait qu’on voulait graphiquement rendre compte de la sonorité produite par la rencontre d’une voyelle et d’une consonne. Ainsi est née

Gelb

termine

son

traité

en

van-

tant les mérites de l’alphabet phonétique de l'International Phonetic Association. Qui se soucie,

dit-il

ner la

en

substance,

à la transcription place

qu'elle

mérite

est

là parfaitement

est

relégué

soires.

naissent comme

On

au

?

au

lui

don L'outil

point

rayon

peut

de Le

de

phonétique

des

et

répondre

nouveaux National

il

accesqu

alphabets, Roman de

l'Anglais Reginald Piggott, et que pour survivre, les alphabets doivent se renouveler. Malheureusement, les échecs de ceux qui ont tenté d’effectuer ces rajeunissements prouvent qu’une écriture ne se perpétue pas à n’importe quel prix. []

la lettre.

PHILOSOPHIE

D'un marxisme à une critique du marxisme dans naît

Jürgen Habermas La Technique et la science comme idéologie trad. de l’allemand par Jean-René Ladmiral Gallimard éd., 214 p.

par

Gerhardt

cachée

Hôhn

« Une théorie de la société ne peut plus prendre la seule et unique forme d'une Critique de l'Economie ‘Politique >» (p. 38). Selon J. Habermas, mentor des étudiants contestataires (1) et

héritier

de l’école

(2), l’analyse

des

de Francfort nouvelles

réa-

lités historiques suppose l’abandon des thèses et des catégories essentielles de la théorie sociale de Marx qui est à l’origine de la Théorie critique. Renouvelant la dimension critique du matérialisme historique et en combattant idéologiquement le nazisme, Max Horkheimer,

laquelle Habermas reconencore uné « orthodoxie

H. Marcuse, Th. W.

Adorno ont développé après la guerre une critique du marxisme

». Avec

ses travaux,

nous

passons d’un marxisme critique à une critique du marxisme qui se présente comme une « révision qui est à l’ordre du jour ». Pour Habermas, il s’agit d’« adapter » le marxisme aux réalités du « capitalisme avancé » et « organisé » qui se caractérise par la décomposition de l'opinion publique libérale et par la dépolitisation des masses. Reprenant les réflexions épistémologiques de Max Horkheimer, l’auteur de Theorie und Praxis (1963) teresse

et de Erkenntnis (1968) (3) met

und Inl'accent

du 1° au 15 février 1974

PAYOT

L'ŒDIPE ORIGINAIRE T.B. Bottomore

INTRODUCTION A LA SOCIOLOGIE René Grousset

HISTOIRE DE L’ARMEÉNIE Mircea Eliade

TRAITE D'HISTOIRE DES

RELIGIONS

PETITE BIBLIOTHÈQUE

exactes.

Wilhelm Reich

Pour

lui,

toute

théorie

doit pouvoir se justifier tant à l'égard de l’état donné de la recherche des sciences empiriques, que

devant

le

«

tribunal

»

de

l’épistémologie actuelle. Par sa critique du matérialisme historique, Habermas pense ainsi s'acquitter d’une dette épistémologique léguée par la Théorie pour

Adorno,

par

exemple,

janvier 19/4

Claude Le Guen

principal sur le problème des rapports entre l'effort d’élaboration théorique et les sciences

critique en sa phase plus récente ; Nous avons publié, de Gerhardt Hôhn, un article sur Horkheimer et l'école de Francfort. Voir «la Q.L.» no 171.

critique

(réimpression en Payothèque)

PAYOT

ÉCOUTE, PETIT HOMME ! »° 230

Collectif

SOCIOPSYCHANALYSE

4 n° 231

Nicole Belmont

ARNOLD VAN GENNEP, créateur de l'ethnographie française n° 23

la

critique se justifie par l'attaque de l’idée même d’un fondement « premier » dans la philosophie.

Catalogue sur demande aux Editions Payot, service QL 106, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

25

Aujourd’hui, e travail du

Habermas critique

travail

tématique cation de la

a délaissé äu profit

constructif

», et

»,

annonce

prochaine d’une communication

«

SVS-

la publi«

théorie

L'ouvrage rendu accessible au lecteur français par les soins de J.-R. Ladmiral (composé de cinq 1964 et 1968) textes écrits entre

idéologie,, »). La « scientifisation de la technique », par ailleurs, a transformé la technique et

première

force

productive. La théorie du talisme monopoliste d'Etat

la

capin’est

pas

science

en

discutée.

de Marx

Les

telles que

catégories

clés

lutte des clas-

ses (aujourd’hui « arrêtée », « latente » selon l’auteur) et idéologie

cipale du rapport entre la théorie et la pratique par des analyses

ont perdu leur sens pour Habermas. Par contre, il affirme en accord avec Marcuse qu’en fonc-

traitant

tion de l’évolution du capitalisme

introduit

à la problématique

de

la

relation

prin-

entre

science, politique et opinion publique ainsi que de l’aspect épistémologique. La dimension méthodologique de la question,

toutefois très pas abordée. constructions

avancé

la technique

jouent

maintenant

importante, n’y est En multipliant les verbales,

le

Les

« intérêts

et la science

le

rôle

de

qui commandent

plexité de la syntaxe de Habermas tout en présentant un texte stylistiquement réussi en français. S'inspirant des difficultés du concept de « rationalité » chez

Max Weber et chez H. Marcuse, Habermas introduit le dualisme entre « travail et interaction », entre « activité instrumentale » et « activité communicationnelle »

(p. 21 sqq). Ce dualisme qui fonde sa critique du matérialisme historique (p. 59 sqq) est d’ailleurs historiquement déduit de la

Dans

le



« Connaissance

chapitre, et

intérêt

intitulé », Ha-

bermas entreprend une élaboration épistémologique de sa problématique tout en se plaçant à un niveau transcendantal (cf. le livre paru sous le même titre en 1968). Le concept d’« intérêts qui commandent la connaissance » est considéré comme fondamental et « invariant » ; il décrit l’organisation a priori de l’expérience humaine. En affirmant que ces intérêts se forment dans le « milieu

du travail,

dans celui

de la

langue et dans celui de la domination » (p. 155), Habermas disRealphilosophie d’'Iéna (p. 163 tingue trois types de recherches scientifiques. Les sciences « empisqq). La thèse selon laquelle la réalité du « capitalisme avancé ».. rico-analytiques », « historico-hera réfuté empiriquement le marxisméneutiques » et « critiques » me s'appuie en particulier sur le procèdent respectivement d’un intérêt « technique », d’un intérêt fait nouveau de l’intervention étatique, qui modifie le rapport « pratique » et d’un intérêt classique entre l’économie et la « émancipatoire ». Selon ce mopolitique (chap. T intitulé « La dèle, non dialectique, les sciences exactes ne possèdent pas le monotechnique et la science comme

Collections Editions

Payot

anoncent

la

sortie prochaine d'une nouvelle collection, « Critique de la Politique », dirigée par Michel Abensour, et plus particulièrement axée sur

l'étude

de

l'aliénation

politique

et

celle des structures de domination. Parmi les nombreux ouvrages prévus, citons : « De la serviture volontaire », par La Boétie; « Marx, critique du marxisme », par Maximilien Rubel ; « les Débuts de la philosophie de l'histoire bourgeoise », par Max Horkheimer ; « le Problème

de

la légitimité

dans

le capitalisme

avancé », par Jürgen Habermas; « Dialectique négative », par Theo-

dor

Adorno ; et

«

Droit

la connaissance »

traduc-

teur, qui, dans sa longue préface, développe aussi des idées sur la traduction, a conservé la com-

Les

l'idéologie éliminant de la conscience toute alternative d’émancipation. Cette critique repose au fond sur la distinction entre travail et interaction que Habermas propose de substituer au rapport dialectique entre forces productives et rapports de production. Cette distinction irréductible et « plus abstraite » doit permettre, là où Marx, par le concept de « pratique sociale », aurait réduit l’activité communicationnelle à l’activité instrumentale, une explication plus adéquate des réalités contemporaines.

naturel

et

dignité humaine », par Ernst Bloch. Aux Editions Pierre Belfond, la collection « Mandala » débutera par « le Dossier LSD », choix d'écrits relatifs à la drogue et dus à des écrivains, à des scientifiques, et à

des expérimentateurs. Le prochain titre annoncé par cette collection, que dirige le groupe Mandala, est « Victor Hugo et le spiritisme », par Charles Duits. Le même éditeur lance une autre collection, « Bâätisseurs du XXe siècle », qui présentera des œuvres ou des témoignages de créateurs qui ont contribué à donner à notre siècle sa physionomie. Premier titre : « Ma vie heureuse », où Darius Milhaud évoque non seulement les grandes périodes de son activité de compositeur, mais ses années du « Bœuf sur le toit », ses rencontres avec des contemporains célèbres, et ses voyages. Suivra un recueil des textes écrits à propos de cinéma par Jean Renoir, entre 1921 et 1970.

Sternberg « Mépris », revue satirique publiée, et en grande partie rédigée, par Jacques Sternberg, vient de

pole de la connaissance ; les sciences humaines ne sont pas simplement idéologiques ; le matérialisme historique n’est pas une science fondamentale parce que Marx n’a pas justifié les éléments scientifiques de sa critique, confondant critique et science. Finalement,

tirant

des

conclu-

sions pratiques de ses analyses, Habermas pense que la stabilité du système capitaliste est moins directement menacée par des conflits sociaux que par une repolitisation de l’opinion publi-que grâce à la « force matérielle » de l’activité communicationnelle non réprimée et grâce au mouve-

ment de contestation. Par son refus de « l’idéologie de la performance

» individuelle,

ce mou-

vement pose un problème insoluble au système (p. 74). Dans ce programme d’un « réformisme radical », le forum des citoyens et des scientifiques éclairés par un marxisme révisé remplace la

faire paraître son deuxième numéro. L'éditorial annonce : « Mépris » a reçu dans la presse un accueil unanime le silence et le mépris. » Rompons donc ce silence. « Mépris » se moque d'une quantité de choses et de gens en effet méprisables ou ridicules (télévision, publicité, presse, commerce de la littérature, etc.); il y a d’ailleurs autant de bonne humeur que de méchanceté dans ses sarcasmes.

C'est quelquefois un peu lourd mais souvent drôle. Le « lexique toxique » et le « carnet de lecture tent parmi les meilleures

» comppages.

classe ouvrière comme sujet historique d’une transformation sociale. Par ses interventions dans la discussion de l’herméneutique (Gadamer), du « rationalisme critique » (Popper, Albert), de la psychanalyse (Lorenzer) et de l « analyse systématique » (Lubhmann), Habermas a donné à la Théorie critique un nouveau contenu et une nouvelle orientation. Son projet d’une philosophie de l’histoire empiriquement fondée déplace sensiblement la problématique d’un Horkheimer et d’un Adorno. Tout en amputant le matérialisme historique de sa base économique et en écartant la logique dialectique, Habermas n’en continue pas moins de considérer ses analyses comme marxistes. Ce paradoxe assurera peut-être à sa théorie l'intérêt

de la communication d’intellectuels d’orienta-

tions très différentes.

Fa

1. Habermas s’est senti très proche du mouvement étudiant contestataire jusqu’en 1967 lorsque de nouvelles formes d’action ont posé le problème de la violence et l’ont amené à voir là des « activités symboliques » relevant d’un « infantilisme ». 2. Entre-temps, Habermas a abandonné Francfort ; il travaille comme co-directeur à l’Institut

Max Planck pour la recherche des conditions de vie du monde

tifico-technique

scien-

à Starnberg/Ba-

vière.

3. Les duits en

deux livres seront trafrançais dans un ordre

inverse de celui de leur parution originale.

Paris

6°.

On

y voit

tous

les

livres

publiés par Fata Morgana depuis 1967, des éléments de livres en préparation, des documents de travail, manuscrits, épreuves, etc., ainsi que des gouaches et dessins originaux d'Henri Michaux, Rebeyrolle, Bram Van Velde, Alechinsky, Bryen, - Camacho, Velickovic, Dufour, Alejandro, qui ont illustré nombre d'ouvrages publiés par l'éditeur. Des souscriptions sont prises pour

« Espace déluté », poèmes de Pierre Torreilles avec neuf pointessèches de Tal Coat:

Freud inédit Fata

Morgana

Les Editions Fata Morgana, dont le siège est à Montpellier, fêtent leurs sept années d'activité par une exposition qui se déroulera jusqu'au 16 février au « Soleil dans la tête », 18, rue de Vaugirard,

De Freud, les Presses Universitaires de France publient, sous le titre « Névrose, psychose et perversion », un recueil de vingt-cinq textes — études et articles rédigés entre 1894 et 1924 — dont six n'avaient encore

jamais

été traduits en français.

La Quinzaine Littéraire

ANTHROPOLOGIE

Le sens Jean Duvignaud Fêtes

et civilisations

Weber

éd., 197 p.

Le Langage perdu P.U:F. éd., 277 p.

par D. Grisoni

et R. Maggiori

Mai 68 aura reçu de nombreuses celle,

connotations de sens, certaine, de fête. Un

dont mois

« chaud » vécu sur le lumineux registre de cette folie ; un nom répété, sans cesse ; un fantôme errant sur les ruines fumantes de l’Etat contesté : la Sorbonne, le « boul mich », les usines. Le règne assassin de l’ordre était aboli pouvait renaître la fête! (admettant par là une sorte de déjà vécu, une histoire-fête). Quelle fête toutefois ? Notre société industrielle use du mot mais n’a plus, à proprement parler, de fêtes. Il fonctionne maintenant

comme

schéma

explicatif,

comme catégorie du culturel, dans un certain discours réducteur des sciences sociales. Dans Fêtes et civilisations comme dans le Langage perdu, Jean Duvignaud traque les apparences de la fête, là où elle surgit encore, pour lui reconnaître une unité qui déborde largement les particularismes ou les spécificités contenus dans ce grand catalogue classificatoire que l’on nomme civilisation. Deux ouvrages qui se recouvrent l’un l’autre, qui s’insèrent dans un ensemble plus vaste voulant composer « les linéaments d’une sociologie de l'imaginaire » (1). Le livre refermé, la richesse

de

Fêtes et civilisations laisse le lecteur

abasourdi

et,

d’emblée,

il

comprend qu’un texte sur la fête ne pouvait être que Le texte de la fête,

un

texte

devenu

lui-même

une fête qui, sans vouloir expliquer le phénomène sur un mode

D. Grisoni et R. Maggiori ont récemment publié « Lire Gramsci ».

Voir la « Q. L. » n° 173.

du

1° au 15 février 1974

de la ‘ Fête ”

théorique, réduire son polymorphisme à une forme simple, le pétrifier pour le mieux disséquer, analyser, mathématiser, le donne à sentir ou ressentir et l’organise, comme la fête, sur la totalité du registre des sens. La connaissance procède par marquages, classifications, mise en forme (au sens strict). On range le « monde » dans des tiroirs, on l’estampille, Or la fête n’entre nulle part : elle est d’un monde où s’abolit le signe scientifique. Pourtant, de Mauss à Lévi-Strauss, la sociologie comme l’anthropologie n’ont pas manqué de la forcer dans sa réalité profonde pour tenter de la faire entrer dans l’ordre du culturel, pour la charger d’un sens qui n’était opératoire que dans la problématique des uns ou des autres. Une évidence s’imposait donc : il fallait revoir la fête, changer en même temps le lieu du regard et celui du discours ; pour une fois, peutêtre, écrire une poétique de la. fête qui écartait une certaine scientificité de l'observation. Jean Duvignaud articule son exposé autour

de quatre

et l’avant de la fête mais qui, dans sa forme et sa méthode,

qui est encore fonder interprétations fatalistes

rejette la texture mystificatrice des précédentes analyses à base sociologique ou anthropologique. Les « classiques » interprétations du phénomène obéissaient à plu-sieurs a priori douteux, dont nous citerons deux exemples : le premier, celui de l’évolutionnisme, enraciné dans le déterminisme du devenir, prenait la fête comme un signe/étape du fatal développement de la société primitive, c'est-à-dire de son fatal passage au statut de société/civilisation industrialisée. Comme le dit Duvignaud, « les positivistes contemporains feignent de croire que l’histoire européenne est le modèle de l’histoire mondiale », ce

nistes du marxisme selon lesquelles le capitalisme était inévitable. Mais

quel

fut

historique

ment

ce

moment

notre » présent ? Le second

« inévitable

a priori,

donc

qui

certaines et méca-

lui,

interne

détermina

englobe des

le

mouve-

formations

s0-

ciales, un a priori qui veut faire « croire que toutes les sociétés se

conservent

d’un

mouvement

« naturel ». Un mouvement que l’on ne pourrait saisir qu’à travers des « comme

nissement qui s’use dans un mencé.

social

qui

rajeu-

vieillit,

et vole son renouveau passé toujours recom-

Certaines peuvent

si... », éternel

du

pratiques

avaliser,

de la fête

si l’on se main-

commen-

taires dont — faussement d’ailleurs — nous pourrions reprendre les « titres » : commentaire Î : la fête ailleurs : II : la fête avant ; Digression : l’indestructible monde ; III : la fête hic et

nunc ; IV : la fête. et après? De la fête, les repérages nombreux possibles légitiment l’emploi d’un pluriel, comme s’il y avait — acceptant l'apparence polymorphe — des fêtes, tant proposées dans la succession temporelle — celle du calendrier — que dans l'éclatement de l’espace — une répartition par zones géographiques, c’est-à-dire par zones de

civilisations

—.

Plus

encore,

les différenciations selon les lieux peuvent se doubler d’une arrièrescène d’intelligibilité : celle des différenciations dans l’histoire. Il y aurait

donc une

géographie

et

une histoire des fêtes. Cette approche, nous le constatons, s'effectue par le faux-semblant de l’extériorité. Un descriptif s’'amorce qui justifie l’ailleurs

JEAN-MARIE TURPIN La guerre langéenne roman - dans la même

;

collection:

BERNARD NOEL la peau et les mots les premiers mots

COLLECTION TEXTES/FLAMMARION 27

tient à la surface du phénomène, ce dernier point de vue. J.G. Frazer (2) cite l’exemple de communautés où les sujets ont coutume de se livrer, au cours de gigantesques fêtes, à des actes de violence

sur la personne de leur roi qui est, selon les cas, égorgé, brûlé, ou martyrisé. Frazer lui-même interprète cette agression contre l'individu comme justement le refus, affirmé symboliquement, de remettre en cause l'institution politique, comme le désir d’instaurer un processus d’éternisation/rénovation

des

structures

socio-politiques de la communauté par l'élimination cyclique de ses éléments fonctionnels imparfaits, dont l’homme et sa « finitude ». Cette atteinte perpétrée contre l'humain produit un « contreeffet » qui sacralise l'institution, la pérennise en la disposant au sein d’une alternative à quatre termes : humain-profane/inhumain-sacré,

manifeste,

mais

elle

feste jamais. Non

ne

se

mani-

qu’il faille, ici,

admettre l’énoncé au « pied de la lettre » car, si elle ne se manifeste

pas,

encore,

c’est

que

incapables

nous

sommes,

de la voir.

La fête se réalise toujours comme une situation limite, un lieu/moment de rupture d’un ordre abstrait, le social, par opposition

à

un

ordre

concret,

la nature. Son effervescence, qui ne rend compte que de l’excessif et de l’abusif, radicalise les rapports homme-nature, hommehomme, homme-société,. Elle transgresse la loi de la cité, renverse l’ordre, déchaîne l’immoralité



érotisme,

beuveries,

transes —, investit l’espace social, le défonctionnalise, usant de tous les

lieux

sans

exclusive



rue,

Mais les rôles, divers et créateurs, de la fête n’autorisent pas — contrairement à l'interprétation traditionnelle sa réduction au sacré. Elle n’est pas manifestation de l’irrationnel, voile de l’in-con-

naissance, signe distinctif code — de la formation

— ou sociale

(ce qui renvoie aux termes généraux du culturel, puis des civilisations). Si d'elle-même elle ne

raconte rien, elle écrit cependant le roman du réel, roman interminable car « elle est anticipation de ce qui est sur ce qui n’est pas, effort pour réinvestir le nouveau dans l'écriture par l’exercice du langage métaphorique ». La fête parle, écrit, mais nous ne savons plus écouter ni lire. Klle est cette mémoire qui perpétuellement nous traverse, sans jamais nous

rester.

L'ouvrage de Duvignaud est donc aussi un ouvrage critique.

usine, temple —, le remodèle selon les formes de son débordement, referme le temps sur un éternel présent, fige l’instant dans une durée sans fin, déconstruit l’'économique — car elle marque l'arrêt de l’activité productive et impose la consumation des réserves du groupe (potlatch) —. La fête ne se rencontre alors que

Sur deux niveaux : l’un qui reprend les traditionnelles études de la fête et les contraint à recon-

dans une équivalence tragique : celle de la mort. La mise en jeu festive suppose l’enjeu inégal du

De là, un long réapprentissage, dont Duvignaud nous propose le chemin dans son second ouvrage. Le Langage perdu, qui ne saurait pourtant s'échapper de notre présent, a été remplacé par un langage neutre et homogène que désormais « n'importe quel computer, conçu dans notre univers technique, pourrait traiter ». Notre connaissance des autres, curieusement implique la simplifica-

naître

vivant contre la mort.

tion, la réduction ; curieusement

Un

contre-modèle

leurs insuffisances,

l’autre

qui élabore un nouveau statut de la fête, montrant qu’elle est toujours explication d’autre chose qu’elle-même. Du second niveau se retient l'essentiel : la fête

R. Caillois,

notamment, voit dans les guerres modernes le substitut des anciennes frairies, le nouveau langage destructeur des frénésies collectives.

aussi ellé nécessite l’emploi de modèles dont nous sommes l’étalon. Connaissance réflexive qui réclame la différence pour miroir, son processus passe par une chro-

nologie universelle ayant celui qui observe pour aboutissement, celui qui est observé pour passé. L’impériale

connaissance

de

l’autre

renvoie toujours, en dernière limite, à la connaissance du soi et rend alors nécessaire la mort de cet autre qui ne peut être moimême. C’est, simplement dit, le

constat d’une anthropologie « soucieuse de définir une

qui, cul-

s’enferme dans de l’autosuffisance et devient légalisation scientifique du meurtre culturel. Son discours travestit son objet, évitant soigneusement de lui reconnaître son originale diiférence, sa ture

structurée

les schémas

faciles

riche complexité ; un objet qui devrait se rencontrer non dans la verticalité d’une chronologie, mais dans l’horizontalité de la différenciation. L’éblouissant travail de Jean Duvignaud, son livre-poème qui

absorbe le rythme échevelé du déferlement

festif, se lit comme

un

spectacle d’où s’absentent les acteurs au profit d’un décor de glaces qui démultiplie à l'infini l’« histoire » de mondes qui n’en finissent pas de mourir pour survivre.

[]

1. Quatre

ouvrages

composent

cet ensemble Chebika (1967), Fêtes et civilisations (1973), Le

Langage

perdu

(1973),

l’Anomie

(1973).

2. J.G. Frazer, le Cycle du rameau d'or.

HISTOIRE

aurrassiens, fascistes, et ‘collaborateurs ” Pierre-Marie

Dioudonnat

Je Suis Partout Les

1930-1944.

toucher, à moins de s'engager et donc de ne pas faire un travail sérieux, ou réputé tel. Il y avait (il y en a encore) des choses qui ne sont pas bonnes à dire, à tirer au clair : des thèmes, des noms.

Essais Politiques Flammarion éd., 536 p.

Maurrassiens

devant la tentation fasciste La Table Ronde éd., 471 p. par Eugen Weber

Alastair Hamilton L’Illusion fasciste. Les intellectuels et Le fascisme 1919-1945 Gallimard éd., 333 p.

Charles Maurras Œuvres Capitales.

du 1" au 15 février 1974

Heureusement,

Un des problèmes contemporaine,

en

de l’histoire France,

est

qu’elle est trop contemporaine, donc difficile à écrire de façon détachée. Il y avait (il y en a encore) des sujets qu’un homme sérieux ferait mieux de ne pas

si

l’histoire

contemporaine ne se fait pas encore dans les facultés d'histoire (mais elle commence à se faire), elle s’écrit depuis longtemps, et bien, aux Sciences Po. Ainsi, dans

une thèse de Sciences

Politiques,

claire, consciencieuse, et qui se lit facilement, P.-M. Dioudonnat

vient Je

nous

Suis

donner

Partout,

l’histoire solide

de

tranche

de l’histoire française d’avant-hier — et un peu d’aujourd’hui. Fondé par une équipe d’inspiration maurrassienne, JSP, né en 1930, décédé en 1944, devait de-

venir l’hebdomadaire du fascisme français. Fascisme intellectuel, fascisme d'intellectuels, et on se

demande

s’il en

a jamais

existé

d'autre en France. Mais ce n’est pas précisément comme ça qu'il débuta. « bâtard de l’Action Française et du Canard enchaîné »

29

selon

van

Brasillach

Lebesque

(et

l'occupation... comme d’ailleurs). ront elli

seconder de ter

Candide

Marianne une

en

effet

y écrivit Jean JSP

de Baallait

(Fayard),

(Gallimard),

information

Mor-

pendant

rival appor-

internatio-

nale, affirmer les chiens enragés de l’Europe au-dessus des chiens écrasés de Paris (Bainville dixit) une sorte de Temps hebdomadaire.

La formule ne tint pas longtemps. L'équipe rassemblée autour de Pierre Gaxotte n’était pas assez compassée, ni assez respectueuse, pour faire un Temps. L'époque n'était pas à l’objectivité, ni au calme. Paul parachevait Nizan son passage du Faisceau de Georges Valois au PC, Drieu La Rochelle s’acheminait en sens inverse, Claude Roy hésitait entre l’aventure de droite et celle de gauche. A JSP, la neutralité (de droite) céda vite la place à l’affirmation et aux polémiques. Des jeunes entraient en lice — Reba-

tet, Cousteau, Brasillach — pétant l'intelligence, outrecuidants, attirés par l’aventure, par l’occasion, se prêtant par curiosité, se donnant par recherche d’absolu, se jouant par envie de sensations, sans indulgence ni patience, joyeux, cruels, et facilement rancuniers. Se voulant logiciens et raisonneurs, comme leur maître Maurras,

ils se révélaient

comme

lui mousquetaires guerroyant contre la faiblesse humaine. Ils apprécient la violence et l’absurdité anti-absurde de Jarry et de Céline, le beau langage et l'intelligence — Anouilh, Aymé, Giraudoux — celui qui faisait proclamer par Jouvet que le destin de la France est d’être l’em-

bêteuse du monde. Ils embêtent le monde, tout le monde, et sur-

tout le régime — empâté, empoté. « enjuivé » — trop embourgeoisé pour les fils de notaires qu'ils

étaient. Ils vantent la force Mussolini, et l’ordre qu'il sait faire régner. Ils célèbrent Jeanne d'Arc, mais aussi les morts de la Commune, « premières victimes du régime ». Ils admirent les fascistes. puis les nationaux-socialistes, que Brasillach voit d’abord comme des poètes, leurs régimes comme des grandes fêtes populaires. Exaltants, vivifiants régimes, qu’on voudrait tant chez soi.

« Pourquoi pas nous ? » demande Brasillach, et c’est le thème (dit Dioudonnat) du fascisme français des années trente. Mais il n’y a pas assez de désespoir en France, assez de déclassés, seulement des

désillusions et de la médiocrité. Le fascisme français restera l’affaire d’intellectuels et d’isolés. A JSP on devient plus amer et plus désespéré. Les Français ne comprennent

pas,

ne

veulent

pas

comprendre, On se méfie des Allemands, mais on les envie et on les craint. On veut la force et la sécurité, mais on ne veut pas les moyens. Ni à JSP, ni ailleurs.

traits des textes politiques du maître à penser de la droite française entre les deux guerres. Maurras est important parce qu'il représente la revendication des pas-tout-à-fait pauvres, et celle des provinciaux. C’est Maurras qui, au tournant du siècle, a suggéré une tradition pour ceux qui se voulaient

traditionalistes,

(d'autant plus que, comme pour Marx, on le citait plus qu'on ne le lisait). Avec Maurras, la Révolution française, meurtre

Les

S.S.

de

de l’histoire, est Vient la guerre, vient la défaite.

du conservatisme », fournira les SS du collaborationnisme. Ici, P.-M. Dioudonnat montre très bien comment l’hebdomadaire passe d’une défaite (celle de la

qui la font ». Si on mise sur la victoire allemande, que peut-on souhaiter à la France, pays qui. comme le déplore P.-A. Cousteau en 1943, « croit pour ses 90 % à la victoire juive » ? Peut-être

tous

les Français,

à

France et de son nationalisme) à un autre (celle du fascisme qu’il a embrassé). L'équipe se défait.

l'encontre de ce que Brasillach voudrait faire croire, n’ont-ils pas « plus ou moins couché avec l'Allemagne ». Mais ceux de JSP

Gaxotte

Bra-

l’auront fait, « et le souvenir leur

sillach abandonne la rédaction en 1943. Ceux qui restent paraissent de plus en plus crispés dans la haine de l'isolement et de la défaite. Ils sont pour les Allemands parce qu’ils sont contre les Anglais, les juifs et les communistes. Mais peut-on être nationaliste et en même temps ami des ennemis, des vainqueurs, des occupants de sa nation ? « Notre guerre à nous,

en restera doux ». Comment des maurrassiens ontils succombé à cette tentation fasciste ? Dioudonnat suggère quelques explications dans un excellent dernier chapitre. En

se

nationalistes

retire

»,

en

1940,

déclare

« ce sont les armées

Rebatet,

allemandes

revanche, on ne le saura guère en lisant le livre d’Alastair Hamil-

ton — pourvu d’un canevas beaucoup plus large et d’un sujet en or — et qui maltraite les deux. Il n’explique pas l’accueil sympathique fait au fascisme par des milieux

avides

d’action,

ou

de

ses simulacres, empressés d’aller au bout des principes (fussent-ils de droite ou de gauche), et de le faire aussi hardiment,

aussi féro-

cement que possible. « Rigueur de la cohérence », écrira Claude Roy.

L’inspirateur Maurras

du père,

négation du péché originel transmis par filiation, donc négation

la « collaboration »

Le journal qui déclarait en 1940 « nous ne sommes pas les SA

indi-

qué une politique « rétrograde jusqu’à la santé », cherché « à rétablir la belle notion de fini », structuré des aspirations et des rancunes dans une logique qui se prêtait à des multiples utilisations

à son

tour

niée,

abolie, par une négation traditionaliste de la tradition qui se fonde sur 1789 et 1792. Deux négations de l’histoire se retrouvent face à face, impuissantes toutes les deux à abolir cette histoire qui les gêne et dans la toile de laquelle elles se débattent. Maurras, disait de Gaulle, a eu tellement raison qu’il en est devenu fou. On peut juger par soimême en feuilletant ce recueil un peu pédant, mais intelligent comme son auteur (1). Ce qui donne à penser que Barrès, dont on ne parle guère dans tous ces livres, avait raison quand il insinuait, perfidement : « L’Intelligence, quelle petite chose à la surface de nous-mêmes. » 0

1. On peut également consulter le premier cahier des Etudes maurrassiennes, édité par le Centre

Charles

Maurras,

B.P.

76,

13107 Aix-en-Provence, qui donne les actes d’un colloque sur « Charles Maurras et la vie française sous la 3° République » avec, notamment, des communications suggestives de Philippe Ariès, Pierre Moreau et Victor Nguyen. Eugen Weber est professeur d'’histoire à l’université de Californie, Los Angeles.

:

Pour ceux qui vont à la recherche de principes pouvant servir d’alibis à leur action ou à leurs paroles (et qui ne les cherchaient pas à gauche), Maurras — « généreux,

5

LeFe de prie eson mie bn

30

désintéressé,

mais

simple-

ment d'une logique inflexible », constituait une inspiration capitale. Le lecteur patient trouvera les sources de cette tentation fasciste (que Hamilton décrit sans l’approfondir) dans le gros volume des Œuvres capitales de Charles Maurras : collection d’ex-

Avec El, ou le dernier livre, Edmond Jabès termine la série du Livre des questions, qui comporte 7 volumes. Il sera l'invité de la 3° chaîne, dans l'émission Les Poètes, réalisée et produite par JeanPierre Prévost, le 1° février 1974, à 21 h 30.

La Quinzaine Littéraire

VIE SOCIALE

Les ‘“ soutiers ”

de l’Europe Juliette Minces Les Travailleurs

justement parce qu’on ne les écoute jamais, ont beaucoup à dire. Portugais, Yougoslaves, Turcs, Algériens. retrouvent donc la parole, et il est probable que bien des lecteurs les entendront ici parler pour la première fois. Au discours sur l’autre, toujours aliénant, Juliette Minces substitue le discours de l’autre, reconnaissant, par là

étrangers

en France Coll. « Combats » Le Seuil éd., 472 p.

par

Maurice

T. Maschino

même,

Au pire, on les assassine (21 agressions, en juillet, sur la Côte d'Azur), ou on les expulse (1 326

expulsions

dans

les six premiers

mois de 1973) ; au mieux, on les fuit, ou on les ignore, puis-

qu’ « ils ne sont pas comme nous ». Mais qui sont-ils, comment vivent-ils, comment réagissent-ils à la situation que nous leur fai-

sons, ces hommes qui traversent notre existence comme des ombres inquiétantes ? C’est à ces questions que répond Juliette Minces, dans un ouvrage qui dépasse, et de loin, tous ceux qu’on a pu consacrer aux « soutiers de l’Eu-

rope ». Sans doute disposait-on déjà de travaux sérieux sur les immigrés (tel celui

chez

de Bernard

Maspero),

mais

Granotier,

la plupart,

si exacts fussent-ils, les abordaïient

trop souvent dans une perspective chosifiante : chiffres, statistiques, analyses estompaient (escamotaient) la réalité quotidienne du travailleur étranger qui, tel le coléoptère pour le zoologiste, se métamorphosait en objet d'étude. Le premier mérite de J. Minces,

c’est précisément de ne pas oublier que l’immigration n’est pas une abstraction, ni l’immigré une essence quantifiable ; si bien que, restituant à l’autre ses dimensions humaines, elle nous confronte à des sujets qui vivent, parlent, racontent — à des gens, comme vous

et moi,

qui n’ont

pas néces-

sairement d'appartenance politique ou syndicale (J. Minces n’a nullement

cherché,

elle

a même

plutôt évité, l’immigré qui lui tiendrait le discours gauchiste que, précisément, elle n’attendait pas), des gens qui ne sont pas particulièrement

revendicateurs,

pas toujours « éclairés », mais qui,

du 1°" au 15 février 1974

cette évidence trop souvent

cette

analyse,

qui

porte

sur

tous

les aspects de la condition de l’immigré (arrivée en France, problèmes administratifs, travail, logement, santé.…..), a une vertu

fondamentale : elle ne se contente pas d’apporter des précisions — elle démystifie, et bouscule bien des idées reçues. Celle, par exemple, d’une France

« généreuse

» et « accueil-

négligée : si maladroit, si impropre que soit leur langage, ce sont

lante ». Mais sait-on qu’à peu de choses près (lesquelles, d’ail-

les « racisés

leurs ?), la situation

exploités même

nous tion.

», les humiliés,

qui

de nous

sont

les

découvrir

faire pressentir)

Reste, bien entendu

les

mieux

à

(ou

de

leur situa—

mais en

s’appuyant sur elle, et en la réfléchissant — à l’analyser, c’est-àdire à chercher, du côté des conditions objectives, les raisons (économiques, sociales, politiques) qui déterminent pareille situation. Ce à quoi s'emploie Juliette Minces, qui fait judicieusement alterner, dans son ouvrage, présentation des entretiens et analyse théorique. Solidement documentée

(et

aux

meilleures

sources : ainsi, ce ne sont pas les gauchistes, c’est Pompidou lui-même qui reconnaît que l’immigration permet « de créer une détente

sur le marché

et de résister

du travail,

à la pression

ciale » des travailleurs

so-

français),

d’un

étran-

ger en France est comparable à celle d’un Noir en Afrique du Sud ? Non seulement parce que l’immigré, comme le Bantou, est parqué dans des réserves (bidonvilles,

hôtels

insalubres,

cités

de

transit), non seulement parce qu’il est surexploité dans son travail (salaires inférieurs, escamotage des primes, des bonus, heures supplémentaires payées au tarif « normal »), mais encore parce qu’il est très légalement privé d’un certain nombre de droits. Droits politiques, d’abord (on ne voit pas pourquoi quelqu'un qui contribue, autant et plus qu’un autre, au développement des richesses nationales, n’aurait pas son mot à dire sur la gestion des affaires publiques : la coopération

— dans l’autre compagne-t-elle

sens — ne s’acpas de pres-

sions ?.…), droits sociaux, ensuite.

Et c’est ici que le scandale éclate : enceinte, la femme d’un

Algérien,

d’un

Portugais

ne

une

carte

dit,

un

de

Espagnol peut priorité

Français

ou

pas

d’un

obtenir

(autrement

bien

portant

a

plus de valeur humaine, et mérite plus d’égards, qu’une étrangère handicapée) ; malade, et bien que son mari cotise au même taux qu’un travailleur français, elle sera remboursée à celui — généralement inférieur — de son pays d’origine (la différence allant au Fonds d’aide sociale, dont les foyers sont également ouverts aux travailleurs français, qui ne

les financent pas.) ; mère, elle ne touchera les allocations familiales que si son enfant devient Français dans les trois mois ; père, mère, enfants, parce que étrangers, n’ont pas droit, comme toute famille nombreuse « bien de chez nous », à une carte

de réduction sur les transports en commun... A

lire

l’ouvrage

de

Juliette

Minces, on reste confondu devant une volonté, si clairement affirmée, de maintenir l’autre à la lisière, ou sur les franges (et dans

la fange) d’une société qu’il contribue pourtant à enrichir ; et l'on comprend mieux, du coup, pourquoi le racisme est si généralement répandu : le statut même de l’étranger y incite. Racisme qui n’est pas toujours agressif (tout le monde ne « ratonne

»

pas,

bien

sûr,

tout

le

monde ne jette pas à la Seine le premier Portugais rencontré), mais qui s'exprime de mille et une façons

: attitude

(ainsi, cette

jeune femme qui « fait la bise », le matin, à ses collègues de bureau, et qui, arrivée devant un employé algérien, recule), « plaisanterie » (« un jour, comme Ça, un Noir se lavait les mains à l’usine, et un Français lui a dit : « Pourquoi tu te laves les mains

comme façon suis

ça, ça ne se voit pas »), habituelle

Français,

de parler mais

on

ne

(« Je dira

pas, constate un postier réunionnais, « le Français qui est assis »,

on dira

: « le Noir

qui est as-

31

sis

»).…

choquent

Les

étrangers

font

peur,

d’une facon ou d’une autre, leur différence est toujours perçue comme une

ou

étonnent

provocation.

Mais

eux-mêmes, comment réacette situation de vissent-ils à parias ? C'est peut-être cette par-

tie de l'ouvrage qui remet

le plus

en cause les idées reçues — ou les espoirs trop tôt formulés ; car la

plupart

des

immigrés,

si grande

soit leur humiliation, si abjectes leurs conditions de vie, protestent

à peine, et ne se révoltent pas; ils sont tellement dépossédés d'eux-mêmes, tellement aliénés (et par tellement marqués, aussi, l'éducation patriarcale qu’ils ont reçue), qu'ils trouvent normale leur situation : « Après tout, nous sommes pas

des étrangers,

content,

on

n’a

si on qu'à

n’est

retour-

ner », cela revient comme un refrain. Changeant d’emsouvent ploi, parce que « ailleurs, c’est peut-être mieux », ils jugent termes de personnes plus que

en de

classes : si ce patron-là est « méchant », l’autre sera peut-être meilleur et ils se méfient, dans l’ensemble, de ces syndicats qui viennent de découvrir leur existence, et par qui ils craignent d’être utilisés à des fins qui ne les concernent pas : « Les syndicats, c’est toujours de la politique, dit un Marocain qui vit en France depuis dix ans... En 1968, ils ont commencé à injurier les ministres et ils ont critiqué le président de la République ; alors,

on

a bien

vu

politique,

et

que nous,

c'était on

de la est

des

étrangers. » Décidément, le tableau est très noir, et que Juliette Minces,

pas

en

retouché

terminant,

dans

un

ne

l'ait

sens

plus

conforme à certains schémas (ou à certaines attentes), est un signe de plus de son honnêteté, et du sérieux de son travail. Ci Maurice

déla sions

Maschino

a publié, avec

M'Rabet, « l'Algérie » chez Laffont.

des

Fa-

illu-

THEATRE

‘“ L’étoffe de nos songes ” Shakespeare La tempête par B. Sobel NE P. Peter Handke La chevauchée sur le lac de Constance

par Claude Régy Espace Cardin

par Gilles Sandier

Peter Handke n'est pas Shakespeare, mais, pour qui vient de voir « la Tempête », « la Chavauchée sur le lac de Constance » peut en apparaître, sans paradoxe, comme un écho lointain, mineur. Ces deux œuvres énigmatiques, produits de deux époques, la nôtre et la Renaissance, où vacille un vieil univers de valeurs et de certitudes, peuvent paraître tenir un discours voisin, dans une construction analogue. Dans les deux œuvres, à travers une structure onirique reproduisant les gestes, situations et stéréotypes théâtraux, on nous donne à voir le vide, ou l'horreur, d'une réalité humaine réduite à des rapports de puissance et de domination. Et dans les deux spectacles une magie s'instaure, qui opère, dans les deux cas, par l'insertion d'un jeu d'acteur rigoureux et froid dans une structure baroque. Mais, alors que le Shakespeare de « la Tempête »

semble

espérer

que,

malgré

tout,

malgré la barbarie des rapports humains, l'Histoire n'est pas définitivement close sur l'horreur, qu'elle peut encore commencer

32

sur de nouveaux fondements, que le monde, en somme, peut être changé, Handke nous dit que, dans notre civilisation d’automates somnambules, nous marchons irréversiblement sur le vide. Idyllique XX° siècle. Prospero, lui, duc humaniste déchu, chassé, a fait le tour des illusions, il est revenu de l’île d'Utopie, et l'île déserte sur laquelle l’a jeté l'exil, il en fera, par l'usage de ses pouvoirs magiques (et le temps d’une représentation théâtrale), le théâtre, justement, de notre monde réel, réduit à ce qu'il est : aux seuls rapports de

force. Et l'amère sagesse d'un Léonard de Vinci qui viendrait achopper sur Machiavel est désormais la sienne. Il sait que le rêve ni la magie non plus ne transformeront pas le monde ; vanité, les artifices ; seuls peuvent les actes, gouvernés par la raison réaliste; et il repart pour Milan ; tout recommence; il faut tenter de vivre, et de faire une Histoire qui ne soit pas seulement de bruit et de fureur.

Pour la première

fois

Pour la première fois, dans la très remarquable mise en scène de Bernard Sobel, « la Tempête » nous parvient comme autre chose qu'un bric-à-brac confus de féerie ésotérique. Pour la première fois cette œuvre, tout en gardant son allure de songe, sa magie théâtrale, sa poésie onirique, nous tient un discours juste et clair. Sobel, le brechtien Sobel, tient le pari, et son credo:

une œuvre théâtrale doit nous donner, à la fois, à entendre et à rêver, puisque le rêve est une des catégories du plaisir. Il a réconcilié rêve et raison. C'est ce que ne lui ont pas pardonné nos beaux esprits, pour qui la raison doit nécessairement être emmerdante, puisqu'elle a la réputation d'être à gauche; ils se sont donc acharnés sur ce spectacle. Regrettant la poésie de pacotille dont ils sont friands, accrochés à leurs clichés — et la légèreté féerique d’Ariel, et la grâce aérienne de l'œuvre et autres sornettes —, ils n'ont su ni entendre l'étrange musique, la rigoureuse harmonie qui gouverne le spectacle, ni saisir que la belle lenteur avec laquelle Sobel conduit ce songe, et la précision aiguë du jeu des acteurs, créaient cette nécessaire distance — « poétique » proprement — grâce à quoi le jeu qui se joue, l'histoire qu'on nous conte, la nôtre — nous parvient comme dans le miroir déformant d'un songe. Jamais, à ma connaissance, une mise en scène de « la Tempête » n'a su dire aussi bien, par la seule magie des moyens scéniques savamment maîtrisés, que nous sommes « de la même étoffe dont nos songes sont faits ». On a le sentiment que Sobel met en scène « la Tempête » de Shakespeare en usant du même art, du même mode, de la même méthode dont se sert Prospero pour mettre en scène, sur son île, la fable du monde : dans les deux cas la magie naît du savoir, et du gouvernement de la raison. Hubert Gignoux (Prospero) nous dit dans chacun de ses gestes calmes, dans chaque inflexion de

cette voix posée et sûre d'ellemême, que le savoir peut être source d'enchantement ; et son jeu unit intelligemment la convention théâtrale (puisque, en somme, Prospero « fait du théâtre ») et une vibration juste, humaine; il est la Sagesse, comme Ariel, joué par Christian Colin avec toute la souplesse du corps et de l'intelligence, est la Nature en liberté. Quant aux pantins royaux qui se déchirent entre eux dans les admirables costumes baroques de Pierre Cadot, ils sont les clowns grotesques d’un qguignol fantastique ; jusqu'aux deux

amoureux, Ferdinand et Miranda, qui reproduisent avec humour les stéréotypes théâtraux. Quant au texte de François Rey, adoptant le parti de littéralité baroque qu'on discernait dans la traduction d’ « Hamlet » par Raymond Lepoutre, c'est un matériau superbe à proférer, lyrique, abrupt et dur : langage d’une poésie de l'intelligence pour un théâtre non naturaliste qui, fidèle au théâtre médiéval, ne se propose point de reproduire le réel, mais de se faire instrument d'analyse, en même temps que sourcier de plaisir, ce que refusera toujours l'engeance boulevardière.

Un propos fascinant Dans la pièce de Peter Handke, elle, mise en scène par Claude Régy, tout se veut magie. Tout refuse l'analyse; le parti pris anticartésien est enragé, joliment. Et il est vrai que dans cette œuvre déconcertante, qui nous a paru,

La Quinzaine Littéraire

du moins à la première vision, être assez gratuite et tourner à vide, une magie opère, à laquelle on est Pareils

contraint d'être sensible. à ce cavalier de la bal-

lade allemande qui tombe foudroyé lorsqu'il s'entend dire que ce lac de Constance dont il cherchait d'en

à atteindre la traverser sans

rive, il vient le savoir la

par moments, le spectacle, dans son esthétisme forcené et sa sophistication extrême. Dans un décor monumental et baroque, qui tiendrait d'un salon Maijorelle et d'un caveau de Style mussolinien, cinq spectres bavardent en marchant sur des œufs. Tout ce que charrie ce qu'il est convenu d'appeler, de lonesco ‘à Pinter, le théâtre de l'absurde, Peter Handke en use habilement : gestes manqués, actes ratés ou déviés, objets qui résistent ou se déplacent par rapport aux personnages, mots qui ne viennent pas, logique de l'absurde, humour noir, dérapages de sens, étonnement devant le fait que des choses soient et qu'il y ait des mots pour les désigner, mise en cause de la signification des gestes, réalité réduite à la pure et fantasmagorique apparence, tout y est. Et pourtant, cet absurde n'est pas seulement métaphysique, pas plus que chez Pinter ; dans cette réalité creuse, vidée comme une coquille d'œuf, un monde précis est désigné le monde mort que puissance,

surface à peine gelée — le thème est superbe —, cinq personnages, cinq acteurs plutôt, cinq acteurs de théâtre se donnant pour tels, pendant une traversée de deux heures, marchent sur le vide — sur le gouffre — ; n'ayant déjà pas plus d'existence que des acteurs de théâtre — qu'ils sont —, pures « images », pures « idoles », ils sont eux aussi de l'étoffe — mais singulièrement pauvre, banale, et en lambeaux —, dont sont tissés les rêves ;.ces personnes, qui ne sont constituées que d'une syntaxe de clichés, gestes et phrases stéréotypés — ceux de la vie, ceux du théâtre —, n'abordent la rive que pour faire naufrage, disparaître, s'évanouir, quand leur est révélée la fragilité de leur supfric et sexe ont constitué de port, et finalement le néant dont leurs clichés dictatoriaux. Entre ils étaient faits, le vide qui leur ces acteurs, dont on ne sait tenait lieu d’être. Le propos est jamais très exactement s'ils s’afassez fascinant, fascinant aussi, -frontent dans le présent, s'ils

revivent des moments de leur passé qui viennent les investir, ou s'ils jouent seulement de vieilles scènes de théâtre cent fois répétées déjà, tout est rapports de domination, de puissance, exercés les uns sur les autres; le désir, en particulier, court. Tous ces rapports de puissance circulent, se déplacent, d'une personne à l'autre cette étrange chimie, cette circulation de flux, fait la pièce, on le devine, on le ressent ; et on sent bien aussi que l'Allemand Peter Handke, de l’'après-nazisme, nous dit sa haine de la puissance, et des clichés avec quoi on fabrique un monde. Ces rapports de domination sont rendus au vide, au dérisoire, à l'horreur ; on pense parfois à « la Maison d'os », de Dubillard, qui serait logée dans « l'Année dernière à Marienbad ». On devine aussi qu'il y a là-dedans une secrète cohérence, beau faire, et faire

mais on a marcher les yeux et l'intellect, on n'arrive pas à la saisir. Chez Pinter, même dans « l’Anniversaire », où l’am-

biguïté était absolue, où l’on pouvait tout imaginer, une certaine structure, l'apparence d'une histoire, malgré tout, nous portait. lci, le spectacle du vide, pour fascinant qu'il soit, nous laisse, com-

me les personnages, sans support ; et on perd pied, quelquefois dans l'angoisse, plus souvent dans l'ennui la substance se dérobe paraît la gratuité Et l'on regarde, un peu | étranger, se mouvoir sur le ces cinq animaux de théâtre épinglés par Régy comme d'élé gants

insectes

:

Jeanne

Moreau

Sami Frey, Delphine Sevyrig, Michael Lonsdale et Gérard Depardieu ; ils ont été choisis en raison de leur célébrité même, pour qu'ils portent avec eux, sur la scène, une charge d'images; mais malgré leur notoriété, ils ne véhiculent pas, malgré tout, le même monde mythologique que Stroheim, Jannings et autres, que Handke désignait nommément comme les acteurs de cette chevauchée sur le vide ; et, du coup, l'effet dérangeant, qu'on recherchait, n’est pas obtenu ; ces acteurs coïncident avec euxmêmes, de facon assez banale, sans guère mettre en branle notre monde imaginaire. Seul Lonsdale, dont le génie s'affirme chaque jour, — avec Depardieu lui donnant une inquiétante réplique — fait s'ouvrir sous nos pas des abîmes. CO

cs

CINEMA

Le dimanche Nagisa Oshima Natsu no Imôto pour l'été)

(Une

petite sœur

Tokyo. Ils affrontent aussi le passé et le présent. « Nuit et brouillard sur le Japon », c'était, en 1960, l'année de la lutte contre le re- nouvellement

par

Louis

Seguin

1. Le temps, « La Cérémonie

la méprise. », entre

autres

indications, montrait comment la cohérence la mieux perceptible de l'œuvre repose, chez Nagisa

Oshima, sur la suite de la chronologie. L'Histoire y est moins une référence qu'un texte; il ne lui est pas demandé un surplus de crédibilité, mais une correspondance, ou une liaison. Les films sont datés avec une précision qui peut aller jusqu'à la manie de sa propre ruine : au début du « Journal du voleur de Shinjuku », dont le titre même évoque déjà la chronique, une pierre brise une horloge qui indique l'heure de

du 1° au 15 février 1974

du pacte américano-

japonais ; c'était également une « critique révolutionnaire du mouvement révolutionnaire » (1) où se mesuraient la ligne dure du P.C.J. et de la Zengakuren en 1950 puis la voie parlementaire du même P.C.J. dix ans après. « || est mort après la guerre » commence et s'achève le 28 avril 1970, le jour précis d'une manifestation contre le retour d'Okinawa au Japon sans démilitarisation, tandis qu'y plane le souvenir de la « Guerre des paysages ». Enfin c'est à Okinawa même,

en 1972, dans

l'été qui suit

le rattachement effectif de l’archipel des Ryukyu, que s'installe « Une petite sœur pour l'été ». « Une petite sœur pour l'été » est animé d'autre part grâce à ce ressort familier du mélodrame et du vaudeville qu'est la méprise.

de la vie

Les situations se dédoublent et leur ambiguïté justifie le hasard des paris et des options. Le jeune Okinawaïte Tsuruo a appris de sa mère qu'il pouvait être aussi bien le fils du magistrat Kikuchi que celui du commissaire Kuniyoshi. En se renseignant sur la première de ces familles incertaines, il a aperçu au détour d’un jardin une jeune fille qu'il a prise pour sa « sœur « Sunaoko et qui est en réalité sa maîtresse de piano et future belle-mère. Elle se nomme Momoko. Il écrit et Sunaoko accompagnée de Momoko décide de se rendre à Okinawa pour retrouver son « frère ». Sur le bateau elles font la connaissance d'un homme déjà âgé, Takuzo Sukurada, qui est tout à la fois hanté par les crimes du colonialisme nippon, amoureux passionné des femmes de l’île et impatient d'y rencontrer

le

bourreau

qui

sera

l'instrument de son expiation. A partir de là, le film commence et se perd dans le mouvement des

méconnaissances et des substitutions. Sunaoko rencontre Tsuruo sans savoir qu'il est son « frère ». Momoko intercepte une seconde lettre et se fait passer, délibérément cette fois, pour la « sœur » qu'elle n'est pas. Les deux pères et la mère de Tsuruo se retrouvent par ailleurs cependant que Sakurado découvre dans le chanteur Teruya l'homme qui haïit les Japonais avec assez de force pour vouloir le tuer. Mais les feintes restent aussi irrésolues que les rencontres. Même prévenue, Sunaoko refuse de reconnaître son frère et, au dénouement, c’est la victime volontaire qui jettera à l'eau l'exécuteur.

2. L'ivresse,

les vacances.

Ce refus et ce retournement sont bien autre chose qu’un épilogue habile et insolent, une complication supplémentaire dans un récit déjà difficile. En fait, ils éta-

33

blissent nesque.

l'impossibilité du romaÀ mesure qu'il ässemble

les épisodes de son intrigue, Oshima les met aussi au défi : il leur refuse toute solution. Rien, dans Une petite sœur pour l'été », ne s'achève. Les événements perdent toute importance. Nul ne saura qui est le père véritable de Tsu-

ruo et l'amour, peut-être partagé, du jeune homme pour Sunaoko ou pour Momoko ne provoque aucun éclat. L'inceste lui-même, dont la transgression déchirait « la Cérémonie », demeure infiniment improbable. Sous les yeux de Sunaoko, Tsuruo couche avec Momoko qui ignore qu'il a appris, lui, à ce moment-là, qu'elle ne pouvait être sa sœur. La vengeance enfin s'efface Sakurado et Teruya paraissent oublier la raison de leur rencontre. La situation n'est pas même trouble, elle se fond dans le système d'une indiférence thématique et psychologique. « Une petite sœur pour l'été » est un film d'ivresse. Depuis la bière, au début, jusqu’au whisky de la fin en passant par d’autres alcools, aborigènes ceuxlà, les personnages ne cessent de boire. Lorsqu'ils se retrouvent sur une plage, pour une explication ultime qui ne démêle rien, les bouteilles de Black Label forment l'axe de la mise en scène. Elles dessinent le diamètre du cercle que tracent les interlocuteurs puis s'éparpillent lorsque ce cercle se brise en autant de couples. L'ivresse n'est pas un argument parmi d’autres, mais un principe

d'incertitude. Elle est la raison du voyage et des vacances. Elle imprègne la béatitude (une certaine béance et un certain bonheur) de ce « dimanche de la vie » hégélien, repris par Raymond Queneau, « qui nivelle tout » au bénéfice de la « belle humeur » et de l'innocence. Elle se fait l'intermédiaire d'une libération formelle. Les conventions et les catégories s'y défont dans le même temps que les péripéties. Lorsque la commentatrice d'un autocar touristique détaille les mœurs originales des pêcheurs autochtones, Oshima ne veut s'intéresser qu'aux trois passagers que sont Sunaoko, Momoko et Sakurada, même si leur comportement est d'une passivité à peu près totale. Aussitôt après, il retrouve le style de la description objective pour montrer l'urbanisme funéraire de Koijihara-mouchu puis revient, à la scène suivante, au découpage narratif, équilibré, du monument et du témoin. Ce manque de « sérieux », ce goût de la discontinuité discréditent les codes touristiques. Le genre, commercialement très dé- fini, où se classe « Une petite sœur pour l'été » et qui est le « seishun eiga », où « film de jeunes », n'est pas mieux traité. L'acidité assez insupportable de Hiromi Kurita (Sunaoko), dont la spontanéité et la naïveté sont accusées jusqu'au grincement, décourage les équivoques de la sympathie. Les postulats de ces formalismes sont réduits, une scène du film le dit, à l’état de monnaie

inutile. Il en est de leurs règles comme des mots de la langue okinawaïte que vend Tsuruo et que lui rachète Sunaoko avec une pièce de monnaie qu'il lui restitue aussitôt : elles miment leur propre économie et ne découvrent que le mouvement de leur retrait.

3. Une métonymie politique. Sur ce film contredit, défait, irrésolu jusque dans sa matière (c'est aussi un film de « vacances », en 16 mm), ce qui surnage

et fait contraste, ce sont d'abord les constantes d’autres films, fussent-elles effacées à demi. La question politique y est posée par le détour de l’exterritorialité, Okinawa relayant la Corée du « Petit garçon » et de « la Cérémonie ». La culpabilité, la famille ou les chansons n'y sont pas des ressorts psychologiques, fussentils empruntés, mais la norme méme de l'emprunt, les pions d'un jeu transversal où se rencontrent et se dérobent la règle et l’égare-

daire tant de qu'okinawaïte

la nation japonaise ». Il ajoute que

« la fiction d'Oshima

renverse

les

rapports historiques et politiques entre protecteur et protégé. Or ce renversement est tout le contraire d'un procédé gratuit, c'est le ressort même de toute la dynamique et de la dramaturgie du film » (2). Reste, dans l'intérêt même du « renversement » (en fait : un « rétablissement »), à examiner ce « parallèle » et ces « rapports ». En parlant, un peu vite, d'allégorie ou de symbole, on a suggéré que la relation était d'ordre métaphorique, qu'elle opérait par échange, en « condensant » (3) l'image refoulée du désir. Le procès du film, où les termes de l'échange circulent, comme la pièce et le mot, dans un main à main sans fin, contredit ce verdict. Indéfiniment « déplacé », l'objet du désir manque et seuls sont marqués, dans la déperdition du discours, sa place et son geste : son espace et, la revoici, sa chronologie. La politique

d'Oshima

est

une

métonymie

po-

litique.

ment.

Mais la nouveauté passe ici la limite de ces reprises et de ces défaites. Oshima dit que son film met en « parallèle » « les rapports frère-sœur » et les rapports Japon-Okinawa » et le critique Karabata Nei rappelle, dans la « mythologie », « le rôle essentiel que l'on attribue à un dieu ou à une déesse frère-aîné et sœurcadette, dans la création légen-

1. Voir l'entretien recueilli par Michel Ciment, dans « Positif », n° 111, page 50. 2. Voir dans le numéro 143 de « Positif» un autre entretien avec Oshima, page 27, et l’article de Karabata Nei, page 24. 3. Voir « Condensation et déplacement », de Jacques Lacan, dans

«

Scilicet

»,

numéro

2/3.

BONNES FEUILLES

Bergman : “ Politique, éthique, c’est la même « Je suis

un

radar »

S. B. : « Dans tes films, tu relates tes expériences du monde, tes expériences vécues, mais tu ne fais pas de cinéma, disons, d'une façon «programmatique ». l. B. : Non, jamais de cinéma lié idéologiquement. Je ne peux pas. Pour moi, c'est impossible, ça n'existe pas. J. S. : « Mais tu penses que tes conceptions fondamentales sont vraies. Les critiques veulent volontiers voir ta production cinématographique comme un tout, et c'est une approche qui me paraît intéressante.»

34

chose ”

Dans quelques jours va paraître chez Seghers, dans la collection dirigée par Pierre Lherminier, « le Cinéma selon Bergman », un ouvrage de 320 pages uniquement composé d'entretiens qu'ont eus avec l’auteur de « Cris et chuchotements » (son dernier film) trois journalistes suédois : Stig Bjôrkman, Torsten Manns, Jonas Simas. Bergman parle de son œuvre, de son métier, et de lui-même. Nous avons choisi à l'intention de nos lecteurs quelques extraits significatifs de cette longue confession.

I. B. : Ma conception fondamentale est justement de ne pas avoir de conception fondamentale. Mes idées sur la vie, au départ extrêmement dogmatiques,

se sont assouplies, petit à petit. Aujourd'hui, elles n'existent plus, ce ne sont plus les mêmes. Je suis un radar qui détecte objets et phénomènes et les ren-

voie,

sous

mêlée

d'idées.

de

une

forme

souvenirs,

Une

sorte

reflétée,

de

de

rêves

et

nostalgie

et une volonté de lui donner forme.

J. S. : « Peut-on vivre sans idéologie dans le monde d'aujourd'hui ? N'est-on pas contraint — bien que ce soit difficile — de prendre position politiquement ? » PEACE

Je

suis

tout

à

fait

conscient du fait que notre monde est en train de sombrer. Nos systèmes politiques sont périmés,

compromis et inutilisables. Le schéma de nos attitudes et de notre comportement intérieur et par rapport aux autres est faux. Le tragique dans l'histoire est que nous ne pouvons pas, ou ne vou-

La Quinzaine Littéraire

lons pas, où n'avons pas le courage d'en changer. C'est trop tard pour les révolutions, et au fond de nous-mêmes, nous doutons de ses effets bénéfiques. Un monde d'insectes nous attend, et un jour il surgira et viendra se répandre sur notre existence si individualiste. Notez, que malgré tout, je suis un honnête social-démocrate...

S. B. : « Peu après ta percée sur le plan international, on a beaucoup spéculé en Suède sur ton avenir, on disait que tu allais tourner à l'étranger et il était question notamment d'un projet — sans doute américain — d'adaptation cinématographique d'un livre de Camus. Est-ce que c'était sérieux ? Je ne me souviens plus de quel titre il s’agissait. » I. B. : Je crois que c'était «la Chute ». S. B. : « Tu même ? »

l'avais choisi

toi-

I. B. : Le projet était même si avancé que Camus et moi échangions une correspondance à ce sujet, et je projetais même d'aller en France pour y écrire le scénario avec lui. C'était un film à petit budget. Le projet avait été lancé par Hecht-Lancaster, une petite maison de production ambitieuse qui voulait faire un film bon marché. Mais Camus est mort peu après. et le projet a été abandonné. Mais dans d’autres circonstances, le film aurait certainement été réalisé. Mais je ne crois pas que j'en étais capable. Le résultat aurait été mauvais. NS

ne

Mais

tu

voulais

le

faire ? »

I. B. : C'était avant tout la perspective de rencontrer Camus qui était fantastique.

J. S. : « En parlant des influences littéraires étrangères, tu n'as pas mentionné Kafka. » |. °B: dente.

Non,

mais

elle est

J. S. : « Soit dit entre thèses,

tu

ne

sembles

évi-

parenpas

tellement apprécier — comme beaucoup d’autres artistes d'ailleurs — cette recherche continuelle des influences littéraires ou autres ? » I. B. : Non, pas du tout. Je pense que nous sommes la somme de ce que nous avons lu, de ce que nous avons vu, de ce que nous avons vécu. Je ne crois pas que les artistes naissent du vide ! Je suis une petite pierre d’un grand édifice, je dépends de chacun des éléments de cet édifice, à côté, au-dessus, au-dessous.

L'humiliation Ingmar Bergman Tu reviens toujours à cette idée de la condition de l'artiste et du romantisme ! Il est fort possible que sur ce point mes

idées soient

surannées.

du 1" au 15 février 1974

Je ne le sais pas. Il existe une conception plus moderne de l'art, des artistes, de leur situation, ça ne fait aucun doute, mais le thème de l'humiliation est essentiel. C'est un des sentiments qui ont marqué mon enfance, et dont je me souviens le mieux : l'humiliation, être humilié, physiquement, en paroles ou dans une situation donnée. Je me demande si les enfants n'éprouvent pas continuellement et très intensément ce sentiment d'humiliation dans leurs rapports avec les adultes et avec les autres enfants. J'ai l'impression, par exemple, que les enfants prennent plaisir à s’humilier les uns les autres. Tout notre système d'’éducation est en réalité une humiliation, et quand moi j'étais petit, c'était encore plus évident qu'aujourd’hui. La crainte d'être humilié et le sentiment de l'être m'ont causé beaucoup de problèmes dans ma vie adulte.

Cette forme d'angoisse peut me saisir aujourd’hui encore, chaque fois, par exemple, que je lis une critique, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Une critique peut être extrêmement dure, sans pour cela être humiliante, si je sens qu'elle m'apporte quelque chose, qu'elle m'apprend quelque chose, et que l'auteur s'adresse directement à moi. Mais des éloges peuvent, tout comme des critiques négatives, me paraître humiliants. Jusqu'en 1955, je dépendais très intimement de la maison qui m'employait et, pour moi, ces relations très étroites étaient une forme d’humiliation. Je trouvais humiliant et ridicule aussi, quand j'étais chef du Théâtre Dramaten à Stockholm, de me rendre au ministère de l'Education nationale et des Affaires culturelles, pour expliquer à ces messieurs certaines choses que j'avais faites Je n'aimais pas non plus que les comptables examinent nos livres, cherchant partout la petite bête. J'avais l'impression que je savais bien mieux que tous ces gens-là comment fonctionnait un théâtre, qu'ils n'y connaissaient rien et venaient pourtant y fourrer leur nez | Humilier et être humilié, ce sont à mon avis deux sentiments qui constituent une composante active de tout notre système social, et ici je ne parle pas seulement pour

les artistes.

Ce

que

je sais

points, identique au mécanisme de l'agressivité qui crée les idées de révolution sociale, de socialisme, et qui mène à la conscience politique. Mais, chez toi, ce sentiment a pris d'autres formes, plus intimes je crois, plus personnelles. Et ce sont ces formes que j'appelle romantiques ! » l. B. : Je parle des choses que je connais. J'ai vivement critiqué le christianisme, en grande partie justement parce que le motif de l'humiliation y est présent, très fort, il est presque inhérent au Christianisme. Il est dit quelque part, au début de la messe protestante : « Moi, pauvre pécheur, qui suis né dans le péché, et qui ai péché chaque jour de ma vie. » Et, de façon purement atavique, nous vivons et nous agissons dans ce climat de punition. Je pourrais vous parler de cela pendant des heures. C’est une émotion et une expérience fondamentales. L'humiliation peut prendre, bien sûr, différents aspects, mais je crois pou-

voir dire que j'ai été exposé, vu ma situation et ma position, à toutes les formes possibles et. imaginables de l'humiliation. Et par-dessus le marché, je ne me suis pas gêné pour humilier d’autres personnes !

mande constamment comment elle va pouvoir humilier une autre personne, comment elle va pouvoir renvoyer la balle, écraser l'adversaire, le paralyser jusqu’à éliminer en lui l’idée même de la riposte. J. S. : « Le mécanisme de l'humiliation est, en bien des

de

ble.

celle

Mais

qui

me

cela

résoudre les proest la plus proche semble

ne

Ethique

et politique

J. S. : « || paraît que O'Neill a dit : « Toute œuvre dramatique qui ne traite pas des rapports des êtres humains avec Dieu est sans valeur. »

|. B. : Oui, j'ai souvent cité cette phrase, et sur ce point, je crois que j'ai été très mal compris. Nous disons aujourd'hui que tout art est action politique, mais je dirais aussi que tout art est en rapport avec l'éthique. En réalité, c’est la même chose. Il s’agit d’un schéma de relations. C’est ce que O’Neill voulait dire. Cela m'a toujours étonné qu'on dise de moi que je suis étranger à tout, que je me situe en dehors de la société, que je m'en isole, etc. J. S. « On a l'impression que, maintenant, nous avons pu le noter au cours de cette longue interview, tu peux articuler ces problèmes très distinctement,

pour nous, mais aussi pour toi. Tu as dit aussi dans d’autres interviews « Je ne suis pas un homme politique, je ne m'intéresse pas.

»

I. B. : J'ai déclaré très clairement que je n'étais pas un artiste engagé politiquement, mais, naturellement, je suis l'expression de

la société dans laquelle je vis. Prétendre le contraire serait grotesque. Mais je ne fais pas de propagande pour une tendance ou pour une autre. Je vous

vote social-démocrate, je l'ai déjà dit! Je trouve que

convena-

veut

pas

dire

que parfois je ne trouve pas leurs décisions bizarres. Surtout à l'époque où j'étais à la tête du Théâtre Dramaten à Stockholm, je côtoyais beaucoup de politiciens, et j'ai eu un aperçu de leur solidité morale,

j'allais ajouter quotidienne

!

RS: Je crois qu'il n’est pas inutile de souligner de temps en temps que les problèmes éthiques, c'est-à-dire les problèmes moraux, ont surtout été de nature religieuse, dans une situation sociale précise, dans une société définie. Mais on peut aussi proposer des solutions politiques à ces problèmes. Autrement dit, on ne peut pas séparer l'éthique de la politique. » |. B. : J'allais presque dire que c'est la même chose. C'est une question sémantique. Vous allez voir, si nous continuons sur ce chemin, bientôt je serai un gauchiste! T. M. : « Mais tu veux donc dire qu'il serait sans intérêt de nier subitement le fait que tu es issu d’un milieu bour-

geois ? Il existe, prononcé. »

sim-

plement, c'est où et comment les artistes ressentent l'humiliation. Je pense, par exemple, que la bureaucratie qui nous entoure est fondée en grande partie sur un système d’humiliations, ce qui en fait un des poisons les plus terribles et les plus dangereux qui existent à l'heure actuelle. La personne humiliée se de-

leur façon de blèmes sociaux

il est

très

FRE: Pourquoi voudriez-vous que je nie un facteur qui a signifié tant de choses pour moi, à tous points de vue.

On ne peut pas «s’expatrier ». On ne peut pas couper les racines, sans supprimer aussi la suggestion créatrice. Il faut reconnaître et accepter que l’on est d’une certaine façon, et ensuite il s’agit de bien tenir la barre du gouvernail, dans cette mer obscure qui nous entoure.

Le corps I. B. : Après la sortie de « Persona », quelques jeunes femmes de gauche dynamiques ont pris le sentier de la guerre et voulaient à tout prix démontrer que les femmes de ce film étaient l’image d'une conception réactionnaire de la femme. C'est Kjell Grede, qui, je crois, parvint à les arrêter et réussit à leur faire comprendre que le sujet du film n'était pas spécialement la femme.

J. S. : « Mais la morale taine.. »

puri-

PRE: Ah, ça oui, nom d'un chien! J'ai dû la trainer pendant toute mon enfance. C'était le milieu bourgeois typique des années vingt. Pour être bien élevé, il ne fallait jamais parler de deux choses : il ne fallait jamais parler de choses sexuelles, et il ne fallait jamais parler d'argent. Je pourrais m'étendre longtemps sur ce sujet, mais je ne crois pas que ce soit utile. C.

Editions Seghers.

35

BIBLIOGRAPHIE

Livres publiés du 5 au 20 janvier PS

“|

Un

ROMANS ET RECITS FRANÇAIS

ROMANS ET ETRANGERS

Roger Bordier L'océan Seuil, 317 p., 30 F L'océan : la prodigieuse respiration d'une cité.

S. J. Agnon L'hôte de passage trad. de l’hébreu par R. Leblanc et A. Zaoui

Mais dans

Albin Michel, 485 p., 48 F

qui ce

pourquoi

vit, au juste, tumuilte, et

Vers 1930, quand se prépare une nouvelle et tragique prise de

?

Maurice Chavardès L'attente Albin Michel, 245 p., 24 F Parce qu'ils se sont rencontrés et qu'ils s’'aiment, Aude et Pascal, les deux héros de ce roman, comprennent

que

RECITS

l'amour

est une

at-

tente.

conscience

de

l'identité

juive, le narrateur passe un an dans la communauté d’une petite ville de Galicie, où il est né. Etienne Barilier Laura L'Age d'Homme, Lausanne, 105 p. détruit Quand l'amour ce qu'il aime.

Paul Gadenne

Siloé Seuil, On

471

p., 39 F

commence

d'hui

à

cet

aujour-

découvrir

écrivain

que

solitaire

était un grand romancier. Siloé parut en 1941.

Bruno Gay-Lussac L'homme violet Gallimard, 170 p., 17 F La femme du narrateur vient de mourir. Une lutte avec la mort, avec le fils, avec le désir.

Robert

Quatrepoint

Moi, le Serpent Denoël, 137 p., 20 F

Dans l'Eden, le Serpent regarde une adolescente merveilleusement belle, et s'applique à la séduire...

Jacqueline Voulet Juliette et Juliette Julliard, 217 p., 23,55 F Les confidences d'une ingénue d'aujourd'hui, ou

M.L-F.

36

Bécassine

et

le

Giuseppe Bonaviri Des nuits sur les hauteurs trad. de l'italien par D. Collobert et E. Torrigiani Denoël, 221 p., 30 F Le narrateur retrouve dans son village sicilien l'âge mythologique et les rites magiques d'étranges aventures s'ensuivent. Richard Brautigan Sucre de pastèque La pêche à la truite en Amérique trad. de l'Américain par M. Doury Christian Bourgois, 287 p., 33 F Le benjamin de dla « Beat generation » est un narrateur et un styliste ; sa fantaisie contestataire utilise causticité, saveur et raffinement.

Henry James La Princesse Casamassima trad. de l'anglais par R. Daillie Denoël, 579 p., 45 F

grand

inédit

roman

en

encore

France,

écrit

juste après « les Bostoniennes », où se révèle l'attitude ambivalente de James la société.

envers

Henry James L'autel des morts suivi de Dans la cage trad. de l'anglais par D. de Margerie et F.-X. Jaujard Stock; 239:1p.,,32-F De grands thèmes jamesiens sous-tendent ces deux nouvelles ; la première rivalité et ressentiment ; la seconde l'imaginaire et le secret. Préface par D. de Margerie. Henry James Daisy Miller trad. de l'anglais par M. Pétris Champ Libre,

1208 TORE Traduction intégrale de cette nouvelle que James publia en 1878, et qui fonda sa réputation. Gyôrgy Konrad Le visiteur trad. du hongrois par V. Charaire Seuil, 218 p., 23 F Quand le camarade T. juge et procureur, descend aux enfers de la misère sociale. Jean-Louis Kuffer © terrible, terrible jeunesse ! Cœur vide! L'Age d'Homme, Lausanne, 95 p. Un jeune homme de notre temps et sa rêverie

initiatrice. Norman

Un

Mailer

caillou

au

paradis

trad. de l'américain par J. Rosenthal Laffont, 277 p., 30 F Douze nouvelles de N. Mailer.

Michel

Ossorguine

Une

rue

à Moscou

louse.

trad. du russe par Léo Lack L'Age d'Homme, 483 p. Par un grand romancier russe (1878-1942) encore inconnu en France, la tourmente révolutionnaire vécue de l’intérieur. Abraham

B.

Yehoshoua

Trois jours et un enfant trad. Claire Malroux Coll. Lettres Nouvelles Denoël,

276

p., 34

F

Directes et sensibles, ces cinq nouvelles d’un jeune écrivain israélien nous mettent à l'écoute de la réalité d'un peuple.

ERP TS RIRES POESIE Régis Boyer et Evelyne Lot-Falck Les religions de l'Europe du Nord

Fayard/Denoël, khios CSM Les religions

vikings présentées à travers les textes qu'elles ont inspirés : Eddas, Sagas, et hymnes chamaniques. Traductions originales. Bernard Heidsieck Partition V Soleil Noir, 150 p., 45 F Un livre-objet. Collages, structures et matériaux pour une « poésie concrète» au sens où l'on entend «musique concrète ». Pierre

Torreilles

Denudare Gallimard, 170 p., 23 F Ingénue et savante, cette parole poétique, par brefs poèmes, construit l'édifice d'une ode.

Chants flamencos Aubier Montaigne, 236 p., 24 F Anthologie bilingue de la poésie gitane-anda-

Introduction,

duction

et

notes

Danielle

Dumas.

tra-

par

LITTERATURE, HISTOIRE ET CRITIQUE LITTERAIRE R.M. Albérès Littérature horizon 2 000 Albin Michel, PAT o'E ser ON© Une vingtaine d’écrivains contemporains étudiés comme annonçant un état d'esprit des générations de l'an 2 000.

Pierre Barbéris René, de Chateaubriand Coll. Thèmes et textes Larousse, 256 p., 9,90 F Une lecture serrée (littéraire, historique et sociale) du premier et du plus fameux des textes romantiques. William

Burroughs

Révolution électronique trad. de l'américain par J. Chopin Champ Libre,

129 PR2StE Trois textes où Burroughs varie les effets de la technique du « cut-up » dans l'intention de « démolir les codes totalitaires ». Jean Gattégno Lewis Carroll, une vie Seuil, 316 p., 36 F Première biographie, en France, du grand enchanteur des Lettres qui fut aussi le très singulier Rvd. Charles Dodg-

son. Jean-Marie Drot Vive Joseph Delteil Stock 2, 262 p., 28 F Dialogues et conversations, durant le tournage d'un film, avec le vieil écrivain que Miller considère comme un maïitre.

Jacques Geninasca Les Chimères de Nerval Larousse, 192 p., 26 F Etude fondée sur l’a priori suivant lequel l'hermétisme de Nerval obéirait à une finalité sémantique... Charles Grivel Production de l'intérêt romanesque Mouton, 428 p., 80 F Le roman étudié comme produit culturel sans référence au système littéraire. L'étude se base sur 200 inédits, entre 1870 et 1880.

Ernst Jünger Rivarol et autres essais trad. de l'allemand. par J. Naujac et L. Eze Grasset, 270 p., 26 F Coup d'œil pénétrant sur Rivarol, par Jünger, qui le traduisit en allemand ; des souvenirs sur Gide; une étude sur Kubin peintre, etc.

Henri Laporte Alice au pays des merveilles Coll. Repères Mame, 97 p.,,9F Cette lecture du chefd'œuvre de L. Carroll en recherche le sens comme étant celui d'une libération du plaisir.

PHILOSOPHIE Henri-Pierre Jeudy La mort du sens Coll. Repère Mame, 151 p., 13 F La destruction du sens ne peut se comprendre qu'à travers celle des valeurs et des représentations d’une so-

ciété. Philippe Sollers Sur le matérialisme Seuil, 191 p., 23 F

La Quinzaine Littéraire

Sur le matérialisme: Lénine et le matéria-

lisme philosophique ; Sur la contradiction : Poèmes de Mao Tsétoung ; La lutte philosophique dans la Chine révolutionnaire.

révolutionnaires armées en Amérique latine.

Régis Debray La guerilla du Coll.

du ouvrier.

1 Comment lutter 10.18, 445 p., 9,95 F Publication de 14 essais parus en revue entre 1949 et 1958, où se développe la tentative de repenser la réalité du prolétariat en tant que classe

révolutionnaire.

Jules Chomé L’ascension de Maspero,

198

Mobutu p.,

22

F

Le cas « Mobutu » étudié comme représentatif des nouveaux dirigeants

africains, capital

par un combat,

Castoriadis

L'expérience mouvement

de

IP PRE EC ES

de la tentative révolutionnaire du Che Guevara, fondée sur la réalité et l'analyse des faits.

RE RER TUE EEE POLITIQUE, SOCIOLOGIE Cornelius

Che

L'histoire immédiate Seuil, 188 p., 21 F

Explication, compagnon

au service du

étranger.

Régis Debray La critique des armes Coll. Combats Seuil, 324 p., 27 F Bilan critique des luttes

Joffre Dumazedier Sociologie empirique loisir Seuil,

270

p.,

29

du

F

Le loisir n’est pas seulement le temps soustrait au travail et aux obligations sociales, mais celui où s’élaborent des valeurs nouvelles.

Leila Khaled Mon peuple vivra trad. de l'anglais M. Pagnier Gallimard,

257

Maspero, 221 p., 26 F Qu'est-ce qu'un intellectuel révolutionnaire arabe 7? Quelles sont ses contradictions ?

par

AUTOBIOGRAPHIES Günter Grass Journal d’un escargot trad. de l'allemand par J. Amsler Seuil, 287 p., 29 F Un engagement politique, une tournée électorale, quatre enfants qui dgrandissent, telle est, en partie, la matière du journal de l'auteur du « Tambour »

Michel Ossorguine Saisons trad. du russe par À. et S. Tecoutoff L'Age d'Homme, 197 p. Une enfance aux confins de l'Oural ; espoirs et combats d'un idéaliste en 1905 et en 1917 ; la prison et l'exil.

p.

L'autobiographie d’une révolutionnaire palestinienne, rédigée par G. Haijjar.

Abdallah Laroui La crise des intellectuels arabes

par M.A. Revellat Fayard, 493 p., 50 F Biographie de l'empereur Hiro-Hito, essai sur sa politique personnelle, et histoire de la Seconde Guerre mondiale du point de vue japonais.

Laffont,

pourrait

Une enquête historique renouvelée sur les significations de l'assas-

que,

fondée

sur

les

Qui

l'étude

enclaves

ESS

sont

1634

Relation

Nouvelle

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France

du.Père



Lejeune.

Alberto

les drogués

?

Moravia

tribu ?

trad. de l'italien par S. de Vergennes Flammarion,

252) 42015 Chroniques 1963-1972.

africaines,

Daniel Verney Fondements et avenir de l'astrologie Coll. Recherches avancées Fayard, 350 p., 59

F L'astrologie repensée comme la science qu'el-

Paul Lejeune Le missionnaire, l’'apostat, le sorcier Presse de l’université de Montréal, 263 p.

Bensoussan

quelle

appartiens-tu

HISTOIRE

Dr. Pierre

de

A

SRE AP RAPPAGRE VOTRE

David Bergamini La conspiration de Hiro-Hito trad. de l'américain

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L'Age d'Homme, 450 p. L'ensemble le plus complet des manifestes et proclamations futuristes et des documents concernant le futurisme. Remarquable travail. Illustrations.

Tony Duvert Le bon sexe illustré Minuit, 156 p., 18 F Une attaque mordante contre d'économie du plaisir sexuel dans notre société de profit.

minières, les mécanismes commerciaux.

NERF ESSAIS

ce la

la

Bernard Cuau et Denise Zigante La politique de la folie Stock, 218 p., 20 F Contre la violence des hôpitaux psychiatriques justifiée par des prétentions scientistes.

quelques structures l'économie l'ha-

cienda,

de

suite

César.

Stanley et Barbara Stein L'héritage colonial de l'Amérique latine trad. de l'anglais par J.-P. Rospars Maspero, 187 p., 28 F Analyse historique d’une dépendance économide de

fonder

(par

sous de

intéressante

François de Closets Le bonheur en plus Denoël, 347 p., 29 F Le bon-sens contre la conception technique du progrès ?

Archives

de Jules

en

critique

Laflèche), renouvelé,

Giovanni Lista Futurisme

Gallimard/Julliard, 209 p., 12F

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Robert Etienne Les Ides de Mars

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Le léninisme sous Lénine Voir « la Quinzaine littéraire

Klincksieck

occidental

Seuil

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n° 179. Gallimard

Tableau de la littérature française 3° vol. d'un ouvrage collectif Les grands écrivains du passé leurs pairs d'aujourd'hui Pierre

Reverdy

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Note éternelle du présent Ecrits sur l’art 1923-1960 Braque, Gris, Léger, Picasso.

REVUES L'Herne

Dostoievsky Voir « la Quinzaine

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179.

37

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Les

Nouvelles

« Ce que j'appelle « un livre de sac ». On le traîne partout avec soi, on l'ouvre n'importe où, on se replonge dans l'univers parallèle, on rêve. Etonnante expérience|! Jacqueline Barde, Femmes d'aujourd'hui.

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Le Surréalisme,

aujourd'hui par José Pierre

En dépit de la mort d'André lution officielle liste continue.

du

Mouvement

Breton,

en 1966, en dépit de la disso-

surréaliste,

en

1969,

le combat

surréa-

C'est ce que José Pierre est allé dire aux auditeurs de l'Institut Français de Naples, en avril 1973, avec preuves et pièces à l'appui. « La Quinzaine littéraire » publie le texte de cette communication, riche de prolongements et également d'’espoirs en ce qui concerne la finalité de la Révolution surréaliste : mettre fin à l’antinomie mortelle entre Révolution économique et sociale d’une part, Révolution poétique et plastique de l’autre, de ces deux Révolutions n'en faire qu'une. Une plaquette de 52 pages, 11/18, photographiques sur « couché » :

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mr SEPT MACHINES A REVER noue lles

CHASSEUR D'HOMMES récits

belono

uinzaine littéraire

« 181

Entretien Belaval

Chatelet

SOMMAIRE 3 L'EVENEMENT

Les oranges de sang

Propos recueillis par Viviane Forrester

La chronique libre

de Noël Devaulx

Philippe Murray

Chant pluriel

par Marion Renard

Simone Jacquemard Roger Bordier Jacques-Pierre Amette

La Thessalienne L'Océan Les lumières de l'Antarctique

par Jacques Lacarrière par Lionel Mirisch par Jean Gaugeard

Lumières

par Anne

John

Hawkes

4

"5ROMANS

FRANÇAIS

6 7 8

9 ECRIVAINS 11

ETRANGERS

12

Bella

Chagall

allumées

S J. Agnon Abraham B. Yehoshoua

L'Hôte de passage Trois jours et un enfant

Henry James

La princesse L’Autel

Villelaur

par Claude Delarue par Jean-Jacques Mayoux

Casamassima

des morts

Daisy Miller

15 HISTOIRE

LITTERAIRE

Cahiers I Artaud - Bataille

Sainte-Beuve

16 19

ENQUETE

Librairies

20

ARTS

Le

livre

et

par Louis

grandes

secret

Forestier

par Jacques Sojcher par Claude

surfaces

par

des

Jean

Bonnefoy

Selz

jardins japonais 21

23 PHILOSOPHIE

Anne

Tronche,

Hervé

Gloaguen

L’art actuel en

Entretien

Raymond

Abellio

Siwitt Aray

par José Pierre

France

avec Yvon Belaval et François Chatelet

Propos recueillis par Gilles Lapouge

La fin de lésotérisme

par Marc Hanrez

Les Cent

par Louis Arenilla

Fleurs

et José Pierre Documents

par Siwitt Aray

de la révolution

culturelle Entretien avec Ding Wang Dominique Boris

de Roux

Rybak

Propos recueillis par Siwitt Aray

Ne traversez pas le Zambèze

par Guy de Bosschère

Vers un

par Pierre

Boudot

Sandier

nouvel

entendement

33 THEATRE

Pierre Bourgeade J.-C. Grumberg

Deutsches Requiem Dreyfus

par Gilles

34

Jean-Paul

Un théâtre de situations

par Claude-Henri

35 CINEMA

Sartre

Pierre Verstraeten

Violence et éthique

Pierre Granier-Deferre

Le train L’horloger de Saint-Paul

Bertrand

Tavernier

par Louis Seguin

38 BIBLIOGRAPHIE

par Olivier de Magny

Direction : Maurice Nadeau.

Comité de rédaction : Georges Balandier, Bernard

La Quinzaine

Rocquet

Cazes,

François Châtelet, Françoise Choay, Roger Dadoun, Serge Fauchereau, Marc

Olivier

Ferro,

Gilles Lapouge,

de Magny,

José Pierre, Gilbert Walusinski. Secrétariat de la rédaction et documentation : Anne Sarraute. Administration Louis Aldebert

:

Nadia Monteggia. Rédaction, administration : 43, rue du Temple, Paris (4°).

Téléphone

: 887-48.58.

Publicité : au journal. Expositions, galeries : Mlle Brunswig. Wag. 79-29.

Crédits photographiques Couverture Barrigue

” Abonnements : Deux ans : 144 F, quarante-six numéros. Un an : 88 F, vingt-trois numéros. Six mois : 55 F, douze numéros. Etranger :

Deux ans : 177 F, par avion 277 F Un an : 111 F, par avion : 166 F Six mois : 66 F. Prix du n° au Canada : 75 cents. Pour tout changement d'adresse : envoyer 3 timbres à 0,50 F avec la dernière bande reçue. Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal : C.C.P. Paris 15 551-53. Directeur de la publication Maurice

Nadeau.

LE.I., 92120 Montrouge Printed in France.

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SERRE 5 NR-F. 7 Le Seuil 8 Denoël 9 DR. 11 Albin Michel 13 Barrigue 15 DR. 17 Denise Colomb 20 Skira éd. 21 Balland éd. 24 Leterrier 29 DR. 36 DR.

Ll’'EVENEMENT

Le Prix

du Meilleur Livre Etranger à John Hawkes Le Prix du Meilleur Livre Etranger 1973 a été décerné au romancier américain John Hawkes pour « les Oranges

de sang

» et l’ensemble

de son œuvre.

Avant « les Oranges de sang » ont été traduits en français « le Gluau », « Cassandra », «le Cannibale ». Ils ont tous paru dans la collection « Les Lettres Nouvelles ». A l'automne 1974 paraîtra dans la même collection « la Mort, le Sommeil et le Voyageur » qui sera publié dans quelques semaines aux Etats-Unis. Nous donnons ci-dessous quelques extraits d'une conversation qu'a eue Viviane Forrester avec l'auteur lors d’un récent passage de celui-ci à Paris. « La Quinzaine littéraire » a rendu compte d’ « Oranges de sang » dans son n° 168.

Viviane Forrester. Hawkes, quelle sorte pensez-vous être ?

— John d'écrivain

John Hawkes (avec un large sourire). — Mais. un très bon romancier. Pour moi, le roman, c'est la forme privilégiée de la création littéraire. || crée sa propre vie. Il est en tout cas indispensable à la mienne. Pour me sentir vivre, pour avoir le goût de vivre, il faut que j'écrive un roman. Mais cela comporte des risques graves : comme de commettre une action criminelle, ou de lutter à mort avec un adversaire, ou de connaître l'amour. V. F. — Ce sont là des actions bien réelles, ancrées dans la réalité, la vie.

J. H. — Savoir ce qu'est la réalité ne m'intéresse pas vraiment. Encore moins les questions philosophiques relatives à cette réalité. L'art vient d'abord. Pour moi, l'amour, la vie sont des produits de l'art. Seule importe l'imagination. Le langage est son medium. Le langage, dans ma vie, est ce qui a le plus de valeur. J'aime la saveur de la réalité concrète: mordre dans une orange, où un raisin, mais le rêve, de toute évidence, est aussi réel que n'importe quelle expérience concrète. Et la fiction surpasse le rêve en sa cohérence, ses pouvoirs, sa représentation véritable de ce que nous sommes. Une réalité prévue par l'écrivain avant qu'il ne se mette à écrire ne m'intéresse pas. Je me méfie de quiconque s'imagine savoir ce qu'est la réalité.

du 16 au 28 février 1974

V. F. — Pour vous, le roman produit cette réalité. Depuis « le Cannibale » jusqu'aux « Oranges de sang » chacun de vos livres sculpte, taille, écorche cette réalité, en fait quelque chose de neuf, et de neuf à chaque œuvre. J. H. — Si j'innove, ce n'est pas consciemment. Je ne cherche

pas

la nouveauté

prix.

Je

veine comique. Car je suis également un auteur comique, n'estce pas? V. F. — D'un comique assez spécial, et qui fait froid dans le dos. J. H. — Disons que je suis un poète. La poésie, c'est pour moi la recherche hasardeuse, toujours difficile, du seul langage qui puisse créer un moment de vie imaginée et tel qu'on ne savait pas qu'il existait avant de le faire naître par l'écriture. Le seul langage qui puisse libérer les couches les plus profondes de notre vie au plus obscur de ses manifestations.

V. F. — La parole libérée par l'écriture et qui aboutit à la vision ? J. H. —

Je

refuse

BRIE CS RE à Re

John

à tout

tente seulement d'aller au centre des possibilités et des dilemmes de tout être humain. Ce que je vous dis là vous paraît prétentieux ? Portez-le au compte de ma

l'écriture

D Mont

EEE

in—

contrôlée, vomie en quelque sorte. Seul un travail extrêmement contrôlé peut révéler les profondeurs de la vie psychique, qui n'est pas uniquement personnelle. ll faut retrouver les structures communes, disposer convenablement du matériel, user du langage avec scrupule et minutie, phrase par phrase, mot par mot, image par image, trouver un rythme qui soit celui de l'imagination, le capter tel qu'il se déroule, inaltéré. V. F. —

C'est

ce

qui donne

à chacune de vos œuvres cette intensité, leur immédiateté, chaque fois diverse. Croyez-vous à l'Histoire, à ce passé du Monde, exigeant, envahissant? J. H. — Je ne sais rien de l’Histoire. Pour écrire « le Cannibale » j'ai dû chercher dans des livres de classe des renseignements sur la Première Guerre mondiale. Ce sont les moments dans le Temps qui m'intéressent. « Le Cannibale » est sans doute une sorte d'ouvrage historique: l'Allemagne année zéro, mais « les Oranges de sang » montrent des gens sans aucun passé. Cela paraît être le contraire et pourtant c'est la même chose.

Hawkes V. bale

F. — Dans « le Canni», un seul moment, mais qui contient toutes les activités de l'Histoire...

J. H. — Au point qu’on a écrit que s'y trouvait l'essence de l'époque mieux que dans les romans réalistes sur le même thème. ?

V. F. — Grâce à la vision que vous en donnez et qui repose, dans « les Oranges de sang », sur une thématique, un certain usage des archétypes, de notre capacité à fabriquer des mythes. J. H. — Oui, ici la mort, la stérilité, la désolation. Mais si ce livre est visionnaire, il exprime aussi, je crois, cette réalité concrète dont nous parlions. « Le: Cannibale », c'est le monde considéré comme un pénitencier, une prison, un camp de concentration, mais c'est aussi la possibilité

d'exister là où il n'y a Plus rien. Commencer à exister là où il n'y a rien, c'est le domaine essentiel du

roman.

Je

fais

exister.

qu'individu,

je

le

vulnérable.

monde,

suis

En

comme

qu'écrivain, je dispose rité, d'une force, d'un

En

F. —

«

Les

tant

existent.

Ce

aussi,

j'essaie

de

rester

V. F. vérité?



En

cherchant

la

tant

d'une autopouvoir im-

Oranges

de

sang » traite de l'existence de choses qui n'existent pas, en même temps que de la qualité, de la richesse des choses qui et ce qui est identiques?

Moi vie.

tout

placables.

V.

moi. en

qui est imaginé réel seraient-ils

J. H. — Cyril décrit une réalité telle qu'il voudrait qu'elle soit. Il a le don de la faire advenir. V. F. — Oui, et cela produit un désastre. Entre ce que dit Cyril et ce que vous faites passer à travers son récit, il existe une distance. Il révèle et il cache en même temps. De même dans « Cassandra », Skipper veut se convaincre de quelque chose. Il n’est pas difficile de voir qu'il se ment à lui-même. J. H. — Il veut rester en vie. Seulement rester en vie. Ne pas être obligé de se tuer. Comme

J. H. — Sans doute

En créant mes héros

la réalité. sont comi-

ques. Ils ont des faiblesses grotesques, ils subissent le pouvoir de leur imagination. Les quatre personnages d’'« Oranges de sang » évoluent dans un lieu mi-

nable, dans un désert que Cyril voit comme un paradis. Mais si vous voulez discréditer la vision de Cyril, je vous renvoie au dernier paragraphe, lorsqu'il considère les choses accrochées à son mur : la ceinture de chasteté, une vieille paire de caleçons, une couronne de fleurs fanées. Et cependant la vie reprend, pour lui. Sa vision n'est pas uniquement déformante. Il crée beaucoup de ce qui lui arrive. Il est un chanteur parfois ridicule, mais aussi parfois très beau. Impuissant tout au long du récit, il retrouve sa vie sexuelle, tout en étant conscient de l'inexorabilité de sa propre mort. V. F. — Comme quelqu'un qui voudrait transformer sa mort en naissance?

Enfin je l'espère. Je crois à la puissance du mythe. Non à sa trame, j'en suis incapable. Je ne connais pas plus la mythologie que l'Histoire. Pour moi, l'image est plus importante que l'idée. Le mythe, c'est un paysage, des archétypes, le retour des symboles, les contrastes simples. Si, dans « les Oranges de sang », Fiona est Aphrodite et Catherine lsis, elles échangent leurs rôles à la fin. La déesse de l'amour devient la déesse de la vie, la mère, et la mère devient l'amante. Quant à l'amant. Il n'y a pas de vrai amant. Ou il est infirme sexuellement, ou il l’est psychologiquement. Il est impossible d'aimer s'il n'y a pas place pour l'impossibilité d'aimer. Mais n'importe qui, même s'il se trouve délabré, infirme ou sans amour, est potentiellement l'amant. Le roman doit faire apparaître que tout est possible et en même temps que tout va disparaître, et n'importe quand.

V. F. — En fait, cette possibilité réside dans le langage. Le langage serait donc le temps, le paysage où vous faites naître ce qui advient. J. H. — V.

J.

H.



Peut-être,

peut-être.

man,

Oui,

c'est

bien

cela.

F. — Votre prochain ro« la Mort, le Sommeil

et le Voyageur », est-il très différent des « Oranges de sang » ? J. H. — Il donne, je crois, une vision plus mythique, plus sombre, et peut-être plus sérieuse, de notre bref voyage. Les plongées dans l'inconscient s'y font plus intrépides que dans « les Oranges de sang ». Mon héros a assassiné une jeune femme sur un bateau de croisière. Il a poussé sa femme dans les bras de son meilleur ami. Il est un participant actif de leur liaison en même temps qu'il a chargé sa femme du poids de tous ses problèmes. Il rêve tout le temps. Il est seul, terriblement seul dans ce voyage dans la nuit, dans l'inconnu, dans la fosse d’aisances. Il a expérimenté le mystère d'une mort ambulante. S'enfoncer dans le puits d'où l'on cherche sans cesse à sortir. La comédie est claire et brutale. C'est ce que j'aime. Trouver l'expression de la vraie laideur qui est en nous, de la beauté de cette laideur. V. F. — John Hawkes, vous sentez-vous souvent seul?

J. H. (après un moment d’'hésitation et avec ce large sourire qui ne l’a guère quitté durant cet entretien) — Oui.

La chronique libre de Noël Devaulx « Ces quelques notes. Ce sont les

impressions que je recueille au hasard d'expositions, de concerts. Bref, ce qui me passe par la tête. »

Hebdoméros Qui n'a amèrement déploré de ne pouvoir déambuler dans les cités de Giorgio de Chirico ? Leurs vastes _ pavements offerts au soleil appellent la fraîcheur des portiques. Cepen-

dant, en plein feu, deux hommes - s'attardent, absorbés par leur causerie au point que leurs ombres s'allongent

démesurément,

escaladant

bientôt les façades voisines. Le maître est là, disputant avec un

_ disciple.

Or, ton vaisseau,

caché

à

demi par le phare, appareille. Le train qui t'a amené en ces lieux repart en lâchant sa fumée. Avance-

_toi. Hebdoméros t'accueille : « Donnemoi tes mers froides, te dira-t-il affablement, comme Neptune à Borée, je les chaufferai dans les miennes. » Hebdoméros te guidera dans sa ville interdite où les dieux, descendus de leurs socles, s'animeront sous ton regard. Hebdoméros t'ouvrira ses palais délabrés où, dans les salles

immenses,

ici s'affrontent les gladia-

teurs, là des mannequins d'osier, les célébrités du moment dont la tête de bois est finement polie, s'interrogent sur leur sort.

Hebdoméros »… l'ouvrage de Chirico publié à Paris en 1929, récemment repris par Henri Parisot dans une belle typographie, reste le seul com-

mentaire concevable à l'œuvre de celui qui voulait vider la peinture des idées, des pensées, bref de tout le connu. et qui, sur l’un de ses autoportraits, inscrivait pour devise « Qu'aimerais-je, sinon l'énigme? » Lisez, relisez-le, ou plutôt regardez dans ses détails concrets ce merveilleux livre d'images. Intérieurs, paysages (est-ce Volo où Chirico naquit, d'où les Argonautes levèrent l'ancre pour une quête aussi folle ?), la villa du général (aussitôt vous apprendrez tout sur ce général : il se ruine aux cartes, emprunte aux domestiques. mais vous verrez aussi la façon dont sa famille mange le riz aux poivrons). Hebdoméros quitte-t-il un hôtel trop humide, il croit devoir se justifier tandis que l'hôtelier lui vante le paysage : « Il le faut, c’est l'expiation, comme disait le capitaine pour mettre

sa

conscience

que,

en

soudain,

paix.

ce

» Et voici

capitaine

vous

raconte sa vie Les images défilent sans lasser le grand directeur Martiobarbulus, le peintre qui est mort jeune et sentait fort l’eau de Lubin, les bizarreries de la femme du préfet, les demi-dieux de passage, assis aux terrasses des cafés, les centaures si décriés, si convaincants pourtant

:

« Parmi eux, il y avait des vieillards,

de vieux

centaures…

à l'ombre

des

épais sourcils blancs qui contrastaient curieusement avec la couleur foncée de leur visage, on voyait leurs yeux céruléens et doux comme les

yeux

des enfants

nordiques.

»

A

regret

vous

fermerez

le

livre,

mais la complainte de la femme du pêcheur vous poursuivra longtemps : « fais de mes bras des avirons et de mes tresses des cordages… »

L'Art

chinois

L'exposition d'art chinois au Petit Palais, présente encore à toutes les

mémoires,

a drainé à juste titre une

foule considérable d'amateurs et de curieux. Mais combien se seront souciés d’une visite — que je tiens

pour indispensable — à la collection Michel Calmann, très bien présentée depuis déjà quelques années dans une salle spéciale du musée Guimet? On n'y verra pas la princesse au suaire de jade, ni la cavalerie de bronze sortie en piaffant d'un estampage Han, ni même les os gravés des Chang. Ah, je ne résiste pas à ouvrir ici une petite parenthèse ces os auraient mérité une note amusante — peut-être peu flatteuse pour la médecine chinoise — dans le passionnant catalogue de Vadime Elisseeff. Les paysans qui les trouvaient en retournant leurs champs les vendaient aux apothicaires et, pilés soigneusement sous le nom d'os de dragons, ils entraient dans des électuaires très recherchés contre les maladies nerveuses. Jusqu'au jour où, au début du siècle, un antiquaire s'avisa d'y reconnaître une écriture archaïque. Et la civilisation des Chang ressuscita après quatre mille ans d'oubli.

Donc, rien d'aussi spectaculaire. Mais on y verra une réunion de céramiques recueillies, avec quelle maîtrise, au hasard des voyages ou des ventes, dans un domaine semé de pièges, truffé de faux. Le clou de cette exposition me paraît être la série impressionnante des plats T'ang. Leur décor floral ou animalier surprend par sa force et son élégance, la diversité des partis, l'extrême beauté des « trois couleurs » qui jouent sur des fonds variés. Le buffle, les chevaux (un cheval jaune, un vert), le cavalier, s'ils n'ont pas la taille exceptionnelle du cheval du prince Yi-tô, ont la même éblouissante fraîcheur à la sortie d’une tombe.

"

Les T'ang ne feront pas oublier les bols Song, clair de lune, écaille de tortue, fourrure de lièvre, qui joignent la chaleur de la vie à la précision réservée d'ordinaire aux arts du métal. Non plus que ces « mols oreillers » de grès si délicatement ornés, et cet admirable mortier qui servit sans doute à détruire quantité d'os divinatoires. Je ne puis quitter ce sujet sans signaler les merveilleux albums édités par le musée Cernuschi et qui me semblent peu connus. Comment parler d'art chinois sans parler peinture ? : Noël Devaulx est l’auteur de « l’Auberge Parpillon », « Compère, vous mentez », « Sainte Barbegrise »… Voir la « Q.L. » n° 6.

La Quinzaine Littéraire

ROMANS FRANÇAIS

Philippe Murray Simone Jacquemard Roger Bordier Jacques-Pierre Amette

Chant pluriel La Thessalienne L’Océan

Les Lumières de Antarctique

par par par par

Marion Renard Jacques Lacarrière P. Otchakovsky-Laurens Jean Gaugeard

Philippe Murray Chant pluriel Gallimard éd., 220 p.

Légendaire et cosmique

Au cœur des hachloums Gallimard, coll. théâtre

par

Marion

Renard

« La Foule : Silence. Nous voulons parler. Voulons dire ce que nous étions, jusqu’à ce jour,

à cette

date.

Voulons expliquer, exprimer, raconter ce que nous savions peu avant le 31 août. Nos mille voix glapissent ensemble, mille bouches sur la plaine nue. Pluie tombe, plantons le décor. » De ce premier « récit », Philippe Murray (né en 1945) veut faire un livre total. « Voici seul

roman

vrai, roman

collectif.

»

parlé, roman

(Collectif,

en

effet,

plutôt que pluriel. Il ne faut pas s'attendre à trouver ici, en un discours éclaté, les cris fusant de

la multitude. sont

celles

Les mille bouches

d’un

chœur,

qui

dé-

clame les cent quarante-deux versets inégaux de son récitatif, sur un

ton

tantôt

gouailleur.

« On

mais de moi

oratoire,

ne

(foule)

tantôt

parlait

ja-

en tant que

moi, on désignait toujours des individus, en disant d'eux qu’ils étaient

des héros,

on

m’'oubliait,

on me comptait continuellement pour du beurre. >» Comment s’est opéré ce passage des individus à la Foule? On limagine mieux en lisant Au cœur des hachloums, « tragédie musicale », qui paraît en même temps que Chant pluriel. Philippe Murray y dénonce « la religion - télé-voiture », opium du peuple des hachloums (H.L.M.), qui sépare les individus en les crispant sur des valeurs illusoires : super-

+

marché, famille, tion même :

travail,

révolu-

« — Je suis une Alfa-Romeo à 180 à l'heure.

du 16 au 28 février 1974

— Je suis Trotski à 200à l'heure. » Dans un registre qui reste parodique, la pièce montre une révolte isolée, instinctive, primaire, contre l’oppression moderne. Un

veut pas revenir de vacances ». Evoqué rapidement cette fois, le fait divers, dont la pièce montrait les conséquences immédia-

H.L.M. de vacances, le 31 août. Une femme, Louise Godilon, refusant

trière devient l’Eve nouvelle, qui, de la moiteur de ses entrailles,

de quitter son paradis minable, tue en coulisse son mari et ses enfants. Poursuivie par une horde de locataires, elle rejoint au dernier étage du H.L.M. un certain Théophile qui tente de mettre en pratique un précepte de saint

va « évacuer » la Foule. Et ce jour devient la première fête d’un

Augustin et Espérance, couple martyr, s’attaquer au H.L.M. devenu bête de l’Apocalypse. « Voici la bête qui doit mourir, dit Augustin, marquons-la du signe révélateur », et ce signe indique dans son graphisme l’équivalence Révolution/Révélation. Ce sont eux qui vont mourir. Torturés et emmurés vivants

nouveau 33 août,

dans une cave, ils deviennent « racine crue », « vivant fonde-

Jean de la Croix (« Pour arriver à être tout, veillez à n'être rien en rien »), et médite la « ca-

tes,

sert

maintenant

de

«

blason

de ce qui va suivre ». La meur-

calendrier etc.).

(32

août,

La succession des fêtes rappelle les actes des apôtres. Les premiers d’entre eux ont apporté un ferment nouveau dans les grands rassemblements humains. Ainsi Théophraste,

Théophane,

Théo-

ment de H.L.M. Dès

putréfaction

lors,

la victoire

»

du

est

iné-

luctable. Les apôtres deviennent « les impies de Dieu, les sceptiques de Dieu ». Refusant de célébrer plus longtemps Dieu-la-

tastrophe capitale », celle qui demandera cent ans pour s’accomplir. Nouveau messie ? Dangereux imposteur ? Après un

phile, Théodore et Théodule, apôtres bronzés et felliniens, transforment en fête un immense carambolage. Quant à Gaston,

moment de doute, les locataires retrouvent leur croyance intacte (« Donnez-nous, s’il vous plaît,

Eugène, Félix le Chat, Catherine et Prudence, ils ont au cours

d’une émeute la vision de l’émeute

la-vie, « impulseur de liberté ». Ils voyagent, proclamant qu’« il n’y a de total néant qu’en Dieu, de total orgasme qu’en Dieu ». Désormais les actes les plus vio-

notre Moi quotidien, ne nous laissez pas succomber au Néant ») et assassinent Théophile sur l’autoroute. Succédant au martyr, Louise sera le premier apôtre de la foi nouvelle (« le Néant pour

définitive,

lents

cette vie, Dieu pour l’autre vie »).

modernité.

Cent ans plus tard Dans Chant pluriel, nous sommes cent ans plus tard, au cœur de l'utopie. Les temps sont accomplis, tous les individus se sont anéantis et mêlés dans une Foule unie, compacte. La Foule raconte les visions qui prophétisèrent son règne, les craquements

qui l’annoncèrent. légende dorée de « révolution » de commencé le 31 manifeste violent

Elle récite la ses apôtres. La la Foule a bien août par « le de celle qui ne

où la foule

réclamera

non plus une augmentation, mais l'impossible (« On veut Dieu parmi nous »). On célèbre ensuite le souvenir de la conversation des sept apôtres qui dénoncent les mythes de la fausse Puis, en

1991, le pro-

phète Polyphème Méry, réinterprétant le ueravorîte de l’Evangile de saint Matthieu (III, 2), prononce un sermon passionné : ne vous repentez pas mais « changez de manière de penser, changez de couleur d’yeux et de couleur de pieds, changez d’ongles et changez de sexe, devenez multiples,

multipliez-vous.…

chan-

gez de H.L.M. Ce sera déjà un début ». Les apôtres passent ensuite au combat. Au centre du livre, on voit,

dans

un

épisode

essentiel,

mort,

ils se réclament

de Dieu-

(incendies de supermarchés,

détournements

d’avions)

s’accom-

plissent

au

Dieu

est

nom de Dieu, puisque celui qui seul vous On

approche de la Dieu moins soixante

scandalise fin.

Il est

Les demander à l'impossible. Les apôtres se dissolvent dans Foule, qui n’était la masse. La hommes

secondes

se

déci-

dent

autre

que

«

la

troisième

divine

sent son propre chant confondre avec le soupir col-

personne,

se

lectif.

La

Jacques

les

images

tentaculaires.

On

a

sentiment

que

a atteint Comment

une sorte aller plus

la même

direction?

des

Villes

toutefois

Philippe

le

Murray

de limite. loin dans

CO]

français

Athènes,

p.

Lacarrière

Alcibiade. La parodie des Mystères. La mutilation des Hermès. L'expédition de Sicile. Athènes. Sparte. Sardes. La Grèce. L’Asie. Ce livre pourrait être chronique, histoire, fresque des quelque vingt années de fièvre et de désastres que vécurent Athènes et la Grèce en cette fin du V° siècle. IL est

plus que cela. Il est roman, comme l'indique l’auteur. Il est aussi poème. Car aux personnages obscurs ou célèbres qui ont marqué l’histoire d’Athènes, aux foules des agoras, des ports et des sanctuaires

ensoleillés,

il mêle

la

silhouette insistante et sombre de cette Thessalienne, magicienne venue du Nord, femme-chrysalide instruite

disparu,

vellent

Jacquemard

La Thessalienne Le Seuil éd., 310

par

ayant

tout semble, dans une métamorphose retourner àè extatique, l’humus. Par l’ampleur constamment légendaire, cosmiéternelle et que, par le ton « oraculaire »,

Romans

Simone

Pensée

le livre surprend et peut irriter. L’attention, qui faiblit parfois dans des passages trop théoriques, est ranimée par la violence des fantasmes érotiques et souvent sadiques. Certaines évocations sont très belles, comme celle de la gare du Nord, où le lyrisme, la compassion et la colère renou-

des

secrets

de

la nuit,

des semences et des métamorphoses. Face à la dialectique sophistiquée d’un Alcibiade, à ses humeurs de dandy, à ses intrigues et complots, à son ambition de maîtriser par le verbe un monde

soumis à sa magie sournoise, elle est la voix des éléments, la parole de terre et de ciel qui meut les articulations du temps, elle est le chuchotement des sources vives de l’histoire. Elle sait, alors qu’Alcibiade croit savoir. Elle devine alors qu’Alcibiade suppute ou imagine. Ainsi deux voix, deux Grèce se mêlent-elles dans ce livre, l’une que l’on croit connaître depuis longtemps, éclaboussée de soleil et d’harmonie attiques, l’autre, tissée de nuit, de sang, de signes

inversés,

de

lune

et

de

combats. Athènes, Sardes, puis de nouveau Athènes, seront les lieux

des retrouvailles entre la magicienne et le dandy. Ce qui m’a le plus frappé dans ce livre, outre la poésie, la densité de son écriture, c’est d’abord cette

façon si neuve

de raconter

l’his-

toire, la trame de ce récit où se croisent, se décroisent sans cesse

les fils et les chemins des personnages, récit doublé, ourlé de

« Les Gnostiques », de Jacques Lacarrière, vient de paraître en Livre de poche dans la collection Idées, Gallimard.

inondée

délires. Ces deux mondes et les deux êtres qui les portent se rencontreront quelquefois, au hasard des épreuves, des rapts ou des

commentaires,

de

scolies,

de

« notes >» comme des additions de vie, voire d'espaces blancs dans Je livre, restituant endroits les silences soudains

par des

Ve siècle hommes, les pauses de l’histoire. Ces scolies, ces ourlets brodés d’une main avertie sont empruntés le plus souvent à Thucydide, quelquefois à Eschyle, à Sophocle, à Héraclite,

littérale touchée, l’auteur,

dans

leur

traduction

ou dans une forme rereprise et reprisée par mélant

le

verbe

d’au-

jourd’hui à celui d’autrefois. Si bien que l’on va et vient, par ce verbe, sur l’échelle du temps, que Thucydide a parfois les accents de Claude Simon ou de Michel Butor ou plus simplement encore de Simone Jacquemard et que ces accompagnements, ces murmures incessants, juxtaposés à l’action, au déroulement du récit, contribuent, sous cette forme obli-

que, à nous restituer le monde antique dans sa totalité. On y lit ses lumières, ses paysages, ses rituels, ses oiseaux, ses herbes, ses odeurs, son artisanat, ses foules, ses marchés, ses ports, ses cités comme en une somme où la Grèce entière est saisie, cernée, où

elle transparaît, transpire même comme un bouquet d’odeurs au bout des doigts froissant des herbes sèches. C’est à la fois l’intérêt mais aussi le seul défaut de cette recréation magistrale : trop sacrifier au goût de notre temps pour

les paroles émiettées, les ruptures du langage, les récits fragmentés en parcelles irréductibles, de construire en même temps le récit et l’anti-récit. Lorsqu'on lit notamment les pages où apparaît Séphoria, notre Thessalienne, qu'on retrouve à des intervalles inégaux (entre lesquels Athènes nourrit le vain combat de la démocratie et meurt lentement sous les complots de ceux qui veulent la sauver) sa présence envoütante, ce monde tellurique qu’elle porte en elle et qui nous attire

et

effraie

à

la

fois,

on

regrette que ce fil soit rompu par ces

«

notes

»

souvent

arbitraires,

ces fausses notes d’une histoire au second ou au troisième degré, dont la substance pourrait être instillée ailleurs ou autrement. On regrette, en somme, qu’au sein de cette trame si savante et

si pure flottent parfois ces lambeaux déchiquetés qui deviennent alors érudition, coquetterie d’auteur,

fard

inutile

sur

ces

visages

si vivants, si bien ressuscités. Oui,

c’est le seul reproche à faire à cette Thessalienne qui est, à mon sens, le premier livre à parler ainsi

de

la Grèce,

à la rendre

si présente et si vraie, au point qu’il n’est plus possible de l’oublier. |La

HUBERT BEUVE-MERY

Onze ans de règne (1958-1969 De Gaulle vu par Sirius

COLLECTION “TEXTES POLITIQUES” FLAMMARION La Quinzaine Littéraire

Romans

Roger Bordier l'Océan

Demain peut arriver

Seuil éd., 317 p

par Lionel Mirisch

sadeur,

Il y a beaucoup d’océans dans ce nouveau livre de Roger Bordier. L'océan-ville, métropole future (à peine) où la technologie est en train de l’emporter définitivement sur l'esprit, où l’ordre déshumanisé, représenté par Bast et les Bastiens, est en train de l’emporter sur la joie et la liberté « naturelles ». L’océan-mer, présence formidable dont les urbanistes de choc tentent de se débarrasser en la contrôlant ou en la niant. L’océan des images et des mots, dans lequel Roger Bordier se jette avec une ardeur saccadée, voluptueuse, explosive. Et le lecteur, s’il est d’abord un

peu perdu parmi ces immensités, ces forces grandioses, ces mythes, voit peu à peu s'organiser, dans sa profondeur, un livre lui-même Océan. Dans cette cité maritime où les vieux quartiers ont à peu près tous

disparu, par des tilignes voitures

leurs maisons remplacées tours, où les avenues recsont parcourues par des électriques, où les exis-

tences elles aussi sont rectilignes, corsetées par un pouvoir aseptisant (et les programmes de TéléOcéan jouent ici leur rôle), la victoire semble à jamais acquise aux ingénieurs-flics. Toute tenta-

tive de résistance individuelle est immédiatement et proprement ré-

primée : c’est le cas: de lAmbasLionel Mirisch, romancier, collabore à la Nouvelle Revue Française et à

la Quinzaine

français

littéraire.

autrement

dit un

Armé-

(le

narrateur),

en

qui

du bonheur,

mais celui, plus puis-

sant encore,

plus enraciné,

le mouton

justice

pour une très jeune femme,

a réveillé, non

recuit, Le haricot éternel

et le yogourt ; après sa misérable révolte d’une nuit, il partira encadré par des policiers, et réapparaîtra quelque temps plus tard tout à fait gagné aux « idées nouvelles ». D’autres encore, comme et stérile.

Léo, naturaliste,

est lui-même naturalisé, empaillé, et c’est avec une parfaite logique qu’il se donnera la mort, « épinglé » (avec une

papillons

Un ce

épée)

comme

les

de ses collections.

hymne

fraternel

Non — et tout le livre est en sens un hymne fraternel —,

la seule révolte possible, efficace, est collective. Et si cette révolte,

Roger Bordier

de la

de la liberté.

de plein midi. Soucieuse de vérité

comme la joie qui en est le moteur, ou plutôt l’influx, peut avoir quel-

aussi. Et ce n’est pas un nouvel

que chose

(Mai 68),

« ordre », une nouvelle contrainte,

elle ne saurait aboutir sans préparation, sans concertation, ni sans but. L'hypothèse la plus répandue veut que l’action ait été concertée, mise au point par le

qui vont s'installer : ce jour, pour la réussite duquel il peut être beau de mourir, est le jour d’amour. D'ailleurs, la grande fête finale

C.P.Q., de telle sorte qu’elle faisait d’une pierre deux coups en relançant, au dehors, les énergies. Alors — alors seulement —, demain peut arriver, peut devenir aujourd’hui (le jour J), puisque le vertige s'est pris en charge, lui

blement évoquée par Roger Bordier, cette course tenace et heureuse (Tout ceci est à nous), elle est née de l’esprit irréductible des

de spontané

Irène.

le goût

Et, dans une telle œuvre, qui déborde de symboles et d’affinités subtiles, il n’est pas impossible qu'Irène, sourde et muette, infirme apparente, représente le lien le plus secret, le plus fort, avec les choses profondes, les choses essentielles, celles que les paroles ne peuvent exprimer. Avec la Vie. Sous ce signe, à la fois féminin et originel (déesse-mère), le livre de Roger Bordier apparaît comme transfiguré. L’Océan est baigné de lumière. Il y a dans ces pages une force éblouissante, éblouie, une douceur d’aube et une violence

le vieux

Léo, se sont figés dans un refus amer,

et

seulement

Le lien le plus secret

du

roman,

hommes,

cette

mais

course

aussi

admira-

de

mais aussi de beauté, riche de conviction mais aussi de tendresse,

cette œuvre politique est, avec gravité et parfois avec humour, une œuvre charnelle. Et Roger Bordier nous fait entendre, pour finir, un Océan pacifié, amical, humain, où la rumeur a fait place

au chant.

leurs

cœurs. Comme, par exemple, du cœur longtemps tiède de Marceau

JEAN

SUQCE Miroir de la Marie ESSAI

COLLECTION TEXTES/FLAMMARION Une lecture de Marcel Duchamp

du 16 au 28 février 1974

l’amour

nien, patron du restaurant « A l’Ambassade d'Arménie », qui refuse de quitter la vieille salle enfumée qui sentait le graillon,

CO

Romans

Jacques-Pierre

Les Lumières l’Antarticque « Les Lettres Denoël

éd., 131

français

Amette

de Nouvelles » p.

Une

curieuse

avait sept

Le

ans, écrit encore Jacques-Pierre Amette. Tirer la langue. Se dissiper. Il faut se dissiper dans l'air, dans les bavardages, dans une carafe d’eau, dans les lignes d’un matelas, dans la craie qui tombe du tableau, ou se replier dans une serviette de papier. Ne pas remuer ses pistils. Tout est là.»

plaît

« Ecrire par Jean

Gaugeard

Singulier recueil de nouvelles. Pas plus recueil d’ailleurs, et pas plus nouvelles que l’admirable Ricercare de Geneviève Serreau. S'il est vrai que la démarche de Jacques-Pierre Amette (le joli nom : petite âme ! ») emprunte parfois le chemin de la nouvelle, ce n’est jamais que brève passade ; le chemin devient piste et va se perdre en d’autres sables. Mais surtout démarche singulière, tout à la fois titubante et tenace et qui trouve son équilibre approximatif et sa force motrice dans cette contradiction. « … C’est pas ça que je voulais écrire, écrit n'importe



(et,

Cette

West,

mais

trop littéraire, où en étais-je… » Voici donc un jeune auteur qui avoue ne pas savoir où il en est

mais qui sait fort bien ce qu’il refuse : parler de Steinbeck et faire de la littérature. Jean-Pierre Amette commence done par la glaise. Il a le courage d’un refus qui est la condition sine qua non de toute tentative littéraire digne de ce nom. Sous des dehors bénins et charmants, Jacques-Pierre Amette captive dans la mesure où on le soupçonne de poursuivre une chimère : ah! qu’écrire ne soit en rien surtout,

s’aliéner de la vie et, que ce ne soit pas se

si on

nonchalance,

cette

ma-

encore,

Jacques-Pierre

tel

un

abandon

Amette

dre, à se constituer

mettre,

de quelque

manière

dé-

tournée, en relation avec la mort,

mais, bien au contraire, que cela permette de s’approcher, plus près

encore,

de

la

texture

de

l'existence ; qu’écrire ne soit nullement un servage mais l’accès à

une

liberté

nouvelle,

à

une

certaine fascination. Dans ces résilles de notations que tendent ses pages, l’être cherche tour à tour à se prendre et à se dépren-

semble-t-il,

ça aussi c’est

comme

nière de relâchement qu’affecte l’auteur des Lumières de l’Antarticque n’ont rien à voir avec je ne sais quel parti pris d'élégance ou de désinvolture. Il faudrait plutôt dire que Jacques-Pierre Amette établit ce relâchement comme une discipline. Mais

n'importe comment) JacquesPierre Amette, plutôt parler de Steinbeck et des pauvres gens du Middle

liberté

à

une

liberté en expansion, comme la connaissance du monde et son appropriation. C’est la situation même de l'écrivain qui serait à bouleverser : le soulager peutêtre de son opiniâtreté ordinaire,

et à s’anéan-

tir. L’on assiste à de subtiles permutations entre le dérisoire des observations multipliées virtuellement à l’infini et la vacuité de l’observant, entre le plein du monde et l’afflux d’une existence. « Dire ce qui est, ce que je vois,

ce

qui

existe,

comment

ne

pas

réductrice le plus souvent, invalidante, castratrice ; lui redonner

être hanté par ça, aujourd'hui plus qu’hier et peut-être bien moins que demain qui sait, qui sait, qui sait.» Et encore : «ce qui m'intéresse, c’est de savoir. Savoir comment les choses se mélangent entre elles, comment elles se décomposent et s’irradient

un univers qui ne soit pas, par avance, le sien, lui permettre d'écrire à côté, et un peu partout.

ramifient et disparaissent au fond de l'œil... »

HUBERT ROYER

dans notre tête, comment

narrateur encore,

de

des Lumières loin

en

se

loin,

à

se décrire lui-même, installé le plus souvent à la terrasse d’un café parisien, flemmardant si l’on veut mais un carnet de notes à la main, consignant les bribes qu'il dérobe au donné. Il lui arrive aussi de se lancer dans une histoire, d’esquisser un personnage, une situation vaguement romanes-

que. Mais l’histoire véritable c’est, encore là, celle de cette curieuse liberté. L'esprit bat la campagne, l’histoire déraille. Et l’on retourne au guéridon du café, aux jambes de la fille en jupe écossaise. Et ne parlons surtout pas de fantasmes, pas plus que de recherche objectale. Rien ici d’entêtant ou de préétabli; rien d’autre que la liberté de l’air. Et c’est bien à elle que Jacques-

Pierre Amette emprunte le charme surprenant de ses petits vagabondages presque statiques. La première cigarette, les mains dans les poches, le nez au vent au sortir d’une prison quelconque. On le lit avec plaisir, avec une sorte de complicité presque secrète. Avec curiosité. Qu’écrit-on quand on a décidé d'écrire sur rien ? Les Lumières de l'Antarticque ressemble au début d’une aventure.

Œ

elles se Jean Gaugeard est un collaborateur habituel de « la Quinzaine littéraire ».

Alexandrie

et autresiles récit

Carnet de notes, journal de bord, ouvrage d'humeur et de confidences, un livre qui incite à la flânerie.

FLAMMARION La Quinzaine Littéraire

ECRIVAINS ETRANGERS

Bella Chagall S.-J. Agnon A.-B. Yehoshoua Henry James

Lumières allumées L’hôte de passage

Trois jours et un enfant La princesse Casamassima L’autel des morts

par

Anne

par

Claude

Villelaur

Delarue

par Jean-Jacques

Mayoux

Daisy Miller

Bella Chagall Lumières allumées Trad. du yiddish par Ida Chagall Gallimard éd., 396 pages

Une enfance au présent

Bien qu’une première version de Lumières allumées ait été publiée en français aux Editions

et Marc Chagall (qui a illustré le livre de dessins d’une remarquable pureté de lignes) nous permet de comprendre ce retour au monde de l'enfance. Il a toujours été frappé par la rete-

des

nue,

par Anne

Villelaur

Trois

collines,

à Genève,

en

1948, le présent recueil est presque un inédit pour le public français, le premier texte étant une

nouvelle

traduction,

et Pre-

mière remcontre paraissant pour la première fois en français. De prime abord, on serait tenté de dire que c’est un «joli» livre, une expression pleine de

charme

d’une

adolescence,

enfance

et d’une

le livre d’une adulte

qui sait, des années plus tard, retrouver le regard de l’enfance. Bien que ce soit une vision fragmentaire

de

Lumières

allumées,

ce point de vue est souligné par Bella Chagall elle-même qui écrit : D’aussi loin que mes années

d'enfance

ont

glissé, sou-

dainement aussi proches elles reviennent vers moi, toujours plus proches — si près qu’elles pourraient respirer dans ma bouche,

le

l'ombre

besoin

de

rester

de sa femme...

cahiers

1

qui «grosso modo » se situent la même période. Dans

dans

jusqu’au

jour, dit-il, où elle revécut lexil des dernières années, où l'âme Juive retentit de nouveau en elle et où sa langue redevint celle de ses

enfance

à Vitebsk, une

Lumières

rencontre,

allumées,

à

Bella

quotidienne, de Bella. Certes, le quartier, la cour de l’immeuble, l'appartement, le magasin de ses parents où règne une mère épuisée par le travail, ou ce salon privé de lumière où seul pénètre le père et que les autres traversent comme une passerelle, la

C’est donc par l’intermédiaire de la langue, en retrouvant le yiddish qu’elle ne parlait plus, que Bella Chagall s’est trouvée replongée dans le monde juif de son

Première

semblent oblitérer la vie normale,

parents.

tren-

taine d’années plus tôt. Comme si la langue retrouvée avait entraîné, plus qu’un resurgissement, presque une mise au présent de l’enfance. C’est un phénomène qui pourrait être simplement curieux si le recueil n’en prenait un ton très. particulier on n’a pratiquement jamais l’impression qu’il s’agit de souvenirs, mais des sensations immédiates d’un enfant

de

Chagall s’est essentiellement attachée aux fêtes religieuses juives, événements marquants de ces années d'enfance. Ces points de ponctuation rituels, symboles, pour la petite fille, de joie, de tristesse et même parfois de peur,

À _ MY

TJ

Ti

RÈNS

maison,

4

sorte

a

qui jouirait d’un don assez exceptionnel sur le plan du langage. Cela est d’autant plus frappant, lorsqu'on compare Lumières allumées et la partie intitulée Mes

Les origines de la non-violence La recherche d'un psychanalyste occidental à la poursuite de la réalité historique de Gandhi.

de

domaine

de

gouvernante

Sacha

—,

cuisine, domaine de Chaya, cet environnement existe,

Bella Chagall

ERIK H. ERIKSON La vérité de Gandhi

du 16 au 28 février 1974

À



et la tout em-

preint le plus souvent d’une certaine tristesse et envahi par le bruit. Mais c’est un arrière-plan, un monde où l'enfant exagère peut-être un peu lorsqu'elle dit : Je dérange toujours, mais où elle

déjà parusdu même auteur :

Luther avant Luther Ethique et psychanalyse Adolescence et crise

NOUVELLE BIBLIOTHEQUE SCIENTIFIQUE collection dirigée par Fernand Braudel

FLAMMARION

THOMAS MANN

a tout de même éprouvé le besoin de se réfugier en bas de l'escalier,

Mario et le magicien

un

dans

ma

tête,

ce

nest

pas

pas assis à côté de toi?… Ne s’est-elle pas demandé déjà Pourquoi les bougies de Sabbat de maman sont-elles si hautes et si grandes ? Et pourquoi papa, si grand, bénit-il une si petite lumière pour Hanukkah ? Ques-

Génousie - Le satyre de la Villette Le général inconnu. Lee

L’air du large- Du vent

tions d’enfants, mais

dans les branches de Sassafras -

_ Le cosmonaute agricole. re

T. 4:

10

les fêtes

de réunions

y est admise. Il n’y a ni exagération ni boutade de Bella Chagall lorsqu'elle écrit, à propos des quatre questions rituelles qu’elle doit poser à son père avant le banquet de Pâque : Et moi,

PRES

Deux femmes pour un fantôme = La baby-sitter rasset Classe terminale Le banquet des méduses.

que

quatre, mais quarante questions qui se bousculent. Mais va donc interroger papa! «Papa, pourquoi deviens-tu soudainement Roi pour le banquet de Päque? Pourquoi, dès les lendemains de fête, n’es-tu plus Roi? Et tout notre royaume n'existe-t-il plus ? Papa, pourquoi, au banquet de Päque, le prophète Elie n'est-il

Théâtre

et:

donc occasions

certaines cérémonies, même si elle

RENE DE OBALDIA

Le damné- Urbi et Orbi. Les larmes de l’aveugle -

sa mère, elle

familiales ou de rituels auxquels participe toute la communauté juive, soient pour Bachenka des points d’ancrage, et souvent des palliatifs à sa solitude quotidienne. Evidemment, elle est trop petite pour participer vraiment à

Sang réservé Altesse royale L’Artiste et la société

Sept impromptus à loisir.

sombre,

d’un enfant

doué d’un grand désir de comprendre et d’une immense curiosité. D’où le regard attentif qu’elle pose sur chaque chose, sur chaque geste, sur chaque expression de visage. D’où la force avec laquelle Bella Chagall leur redonne, longtemps après, valeur de présent. Elle ne se « souvient » pas des jours gris, des branches piquantes des sapins dans la cour, de la danse à la synagogue ou de la campagne en été, tout cela resurgit devant elle, en même temps que ses sentiments et la multitude de

ou semblant attentifs comme la chaise de

sensations,

d’intentions,

de

jugements presque, qu’elle prête aux choses, faisant preuve ici d’un animisme qui, loin d’être élémentaire — et agaçant comme il l’est souvent —, apparaît plutôt comme la quête d’un interlocuteur, de quelque chose qu’elle ne

à d’autres, la mariée,

pourraient agir ainsi avec elle. Si un certain animisme subsiste dans

Mes

ment

atténué. Et ce n’est pas un

hasard

tant

cahiers,

il est

forte-

car, là, Bella, tout en res-

dans

l'univers

familial,

est

nettement plus tournée vers l’extérieur. Elles est l’observatrice au regard aigu qui est témoin des scènes de la vie quotidienne ou qui y participe : les employés de maison,

I1 semble

chez le même éditeur :

d'os

bain rituel avec

religieuses,

La vengeance Anecdote Seize ans

|

cour

maison.

La mort

8

la

a la sensation d’aller vers un ailleurs dans l'air pur. Le plus souvent, Bella — à l’époque, la petite Bachenka — paraît assez seule, fille unique parmi les nombreux frères qui, en dehors d’Abrachka avec qui elle joue ou se dispute, l’ignorent ou poursuivent leurs études loin de la

Dar Expériences occultes Doux sommeil La chute La volonté du bonheur

grasset

dans

pour avoir un univers à elle, et d’où elle est heureuse de s’échapper puisque, lorsqu'elle part pour

dérange pas, et qui lui réponde — ou qui, répondant à d’autres, comme les pendules à l’horloger,

le travail

de

l’horloger,

son père vendant des bijoux à un riche client, le passage d’un radeau

sur

le fleuve

en

crue,

son

précepteur fatigué par l’étude, la nuit,

des

textes

sacrés ; ou

les

blagues qu’elles fait avec son frère, son entêtement pour que sa mère lui offre des patins, et sa première séance de patinage. Elle n’a pas cessé de se poser des questions (pourquoi, par exemple, les gens sur un pont voient-ils avec joie un radeau se disloquer ?)}, mais

le fait

d’être

plongée dans un univers matériel, où elle connaît souvent une joie simple, ne peut éveiller en un enfant ce désir presque tragique de comprendre, qu’elle a ressenti

au sein de ce monde essentiellement axé sur la religion juive qu'est celui de Lumières allumées. Et je crois que le retour à la langue yiddish explique cette sorte de césure entre les deux textes. Quant à la rencontre avec Chagall évoquée en cinquante petites pages dans Première rencontre, c’est certainement un des plus beaux textes sur la naissance de l'amour. Ce ne sont là encore

pourtant

que

quelques

courtes

scènes (chez une amie, à la gare, au bord de l’eau, dans la cham-

bre de Chagall qui esquisse son premier portrait) où Bella exprime plus sa rébellion contre celui qui allait être son mari que son

bonheur

de

l'avoir

connu,

mais cette révolte qui cède peu à peu le pas à la joie a une fraicheur et un ton de vérité qui sont vraiment ceux de l’adolescente, et non l'accent, souvent factice,

de l’adulte qui se penche sur son passé. On comprend que Chagall et les amis de Bella aient senti que cette femme était autre chose que l’inspiratrice de son mari. Et l’on ne peut que regretter la brièveté de cette œuvre longuement mürie et interrompue par la mort. Il est si rare qu’un écrivain ait un ton,

une

langue,

une

vision

bien

lui...

à O

La traduction

d’Ida Chagall

est

excellente.

La Quinzaine Littéraire

Ecrivains étrangers

S.-J. Agnon L’Hôte de passage Albin Michel éd., 485 p. Abraham

Israël, l’ancienne

B. Yehoshoua

Trois jours et un enfant Coll. « Lettres Nouvelles » Denoël éd., 288 p.

génération et la nouvelle

par

C’est pourquoi, en rallumant le poêle et les lampes éteintes de

Claude

Delarue

la

Tchatchekess de son vrai nom, Samuel-Joseph Agnon, prix Nobel de littérature, est né dans une petite ville de Galicie orientale que pour la symbolique romanesque il baptise ici « Shiboush », ce qui signifie en hébreu : désordre. trouble, erreur. L’Hôte de passage a été écrit après un bref séjour de l'auteur dans sa ville natale ;: mais s’il n’a été en cette occasion qu’un «voyageur qui plante sa tente pour une nuit », il n’en va pas de même pour le personnage central du roman qui demeure près d’un an dans la cité de son enfance. Cité meurtrie par la guerre et les pogroms où la population juive

traverse

une

crise

morale

et religieuse très grave. Malgré un certain sens national qui se manifeste dans l'existence ‘de partis politiques divers (Mizrahi, Agoudath Israël) les adolescents se révoltent contre la Tradition et les adultes eux-mêmes ne pratiquent plus guère qu’à contrecœur. La maison d'étude, qui avait toujours été le centre de la pensée et de la vie religieuse, est désertée.

La maison

d’Agnon.

Celle

d’étude l’œuvre

de Shiboush,



plus personne n’entre et dont la clé qui ouvre à la fois le passé et l’avenir messianique est remise à l’Hôte de passage, se dresse contre la montagne. Elle joue le rôle de protectrice spirituelle et physique, elle conserve dans son giron les vieux livres et la Tradition,

elle

est

le

symbole

de

l'unité juive et, en même temps, défend ceux qui s’y réfugient contre les pareil, vous ver

dans

assassins. Un lieu ne pouvez en trou-

le monde.

L'homme,

avant sa mort, ne possède pas dabri qui lui soit supérieur. Claude Delarue, romancier, est un collaborateur habituel de « la Quinzaine littéraire ».

du 16 au 28 février 1974

c’est

à la

Tradition

de

ce

lieu

sacré,

le

narrateur

tient la chronique spirituelle d’une communauté juive d'Europe centrale pendant les années trente. Agnon était un romancier traditionnaliste, et à tel point même que l’on peut se demander si son œuvre n'apparaîtra pas hermétique, voire fastidieuse, aux nonjuifs, comme à ceux des juifs pour qui la Tradition n’est plus le souci primordial. L’Hôte de passage se présente sous la forme de tableaux,

de scènes

où la vie

quotidienne est intimement mélée à la vie religieuse. Les per-

sonnages centraux qui n’accomplissent aucun exploit particulier et qui vivent vaille que vaille dans la misère du siècle, à peine remis des blessures de la Première Guerre mondiale et des horreurs des pogroms, petits commerçants, bedeaux,

mendiants,

rabbi,

du

retour

au

pays

des

ancêtres. Israël est toujours présent dans les rêves des habitants de Shiboush, mais à la façon d’un dualisme, d’un déchirement

chez

eux

Jeunes

hors d'Israël,

gens

ou de ces

qui prenaient

beau-

coup de peine pour « monter » en Israël et préparer le pays pour le Messie. Le risque est grand en effet, car si la vérité ne peut se trouver en dehors des livres sacrés («S'ils détournent les yeux de la Tora, elle détourne d’eux ses yeux et nous devenons inférieurs à tous les peuples ») il y a fort à parier que les pionniers confrontés à d’innombrables problèmes matériels délaisssent quelque peu le sacré pour le profane.

l’au-

teur les pare d’une aura rituelle qui laisse un peu à l’arrièreplan l’aspect social de leur existence. On sait qu’Agnon a été toute sa vie préoccupé par l’idée d’un renouvellement du courant mystique hassidique à laquelle s’ajoutait le problème concret du sionisme,

d’étude

Le rôle de la maison est prépondérant dans

maison,

défaillante que l’Hôte de passage insuffle une nouvelle vie. À partir

ment du spiritualisme propre à donner au judaïsme un visage moderne. C’est à ce renouvellement qu'avec l’enthousiasme d’un prophète Agnon a toujours tendu. Mais le doute n’est pas écarté pour autant. Je ne sais ce qui m'est le plus cher : des justes de La Diaspora qui importunaient le Messie pour qu’il vint

entre

le lieu d’origine et le lieu sacré. Comme l’auteur, qui a été l’un des fondateurs de Tel Aviv puis qui a rejoint la Diaspora pour retourner enfin s'installer définitivement en Israël, l’'Hôte de passage peut dire : Il y a dans le monde un esprit qui attaque l'homme parti loin de son lieu de naissance ; mais encore : Cet homme que je suis était à Shiboush comme une pierre qu'un sculpteur a arrachée à la montagne… Cette pierre reposait au lieu où il l'avait prise et elle ny adhérait plus. Où est la vraie place de l'homme juif? S'il s’arrache à sa terre natale, cela suppose une révision profonde, un renouvelle-

Un style quasi biblique La pratique assidue de la Tora du Talmud, la permanente exégèse interprétative des textes sacrés confèrent à la mystique juive une dialectique qui échappe au non-initié. Le style quasi biblique d’Agnon, la surabon-

et

dance de citations, le ton archaï-

Notre époque, même si un revirement est prévisible, est métaphysique avant d’être mystique,

tout au moins en ce qui concerne la pensée créatrice. Ceci naturellement est valable aussi pour Israël, Etat moderne et capitaliste. Kafka écrivait Le Château environ

vingt ans avant qu’Agnon

se lance dans la rédaction de l'Hôte de passage. Et cependant, c’est incontestablement du premier que se réclame le jeune écrivain Abraham B. Yehoshoua. Même

solitude,

même

recherche

même

désolation,

d’un impossible

havre et surtout, spécificité juive,

identique

humiliation

stoïcisme

mais

non

subie avec résignation.

Dans au moins quatre des cinq nouvelles d’inégale valeur réunies en un volume, ces thèmes

se

retrouvent.

Aucune complaisance, nulle recherche de la couleur locale dans ces textes à l’écriture laconique, aux phrases lapidaires et qui

savent si bien atteindre l'essentiel. Le caractère d'Israël n’apparaît qu’en filigrane, le pays n’est qu’un décor comme tant d’autres, frappé déjà par les stigmates de la décrépitude et de la stagnation. Tel Aviv pour Agnon : « Une telle vous dans chez

ville, mes frères et mes amis, n’en avez jamais vu, même

vos rêves. Quand vous mardans les rues, vous ne savez

de quoi vous étonner d’abord, de quoi

vous

étonner

en

dernier

que et l’engouement pour la parabole et l’allégorie ne pourront toucher qu’une certaine catégorie de lecteurs. Sans mettre en doute la qualité de la traduction, on peut aussi supposer que la langue hébraïque, par ses nuances et sa musicalité,

convient

mieux

que la nôtre à une telle œuvre. Considéré comme le chef-d'œuvre du «plus grand écrivain israélien », l'Hôte de passage passionnera tous ceux qui s'intéressent à la pensée d’Agnon ainsi qu’à la qualité du spiritualisme dans les communautés juives d'Europe centrale entre les deux guerres. Mais bien que la religiosité soit imprimée au plus profond de l'inconscient

collectif

israélite,

il

est à craindre que ce roman passe au large des préoccupations actuelles de la jeune génération.

11

même ville pour lieu. » La Cette ville est bâtie Yehoshoua sur du sable, muet et impénétrable.

Sous

pavés

et

La fragile couche

de

maisons,

un

de

désert

est enfoui. Et pourtant, ce n’est pas un jeune défaitiste qui pense ainsi, mais le vieux poète stérile de la première nouvelle. Celle-ci est la plus admirable tant par sa sensibilité descriptive que par l'intelligence des rapports psychologiques entre les êtres. Un vieil

homme

que la musique

vit seul

avec

son

a quitté

fils, un

arriéré

mental qui se met à écrire des poèmes. L'auteur procède par petites touches d’une efficacité absolue et les relations quotidiennes entre ces deux personnages à la fois parents et terriblement étrangers, enfermés dans leur si-

lence respectif, ne sauraient être plus justes, mieux senties. Maimetil? se demande le père en observant son fils crétin lui servir de portier lors d’une récep-

aimer encore. Tous les sentiments qu’il peut éprouver pour celle qui

tion. Comment savoir ? Quelque chose dans mon attitude semble l'effrayer. Peut-être est-ce mon âge, peut-être mon silence. Quoi qu’il en soit, il se comporte en

l’a abandonné

ma présence comme quelqu'un qui s'attend à recevoir des coups. Et plus loin, autre réflexion du

tion

père : Soudain, je me suis dit Qu'est-ce qu’il est pour moi? Je suis rentré, j'ai changé de cravate et je suis parti à la recherche d'amis dans les cafés. Le plus surprenant est que la désolation qu’exhalent ces textes n’est jamais oppressante. Au contraire, la netteté du style laisse croire à un certain bonheur d'écrire et les obscurités de la vie s’éclairent par magie. La

seconde

nouvelle,

traitée

dans un mode plus caustique, parfois franchement ironique, montre un homme aux prises avec un enfant en bas âge que lui a confié pour trois jours une ancienne maîtresse qu'il croit

naguère

se

repor-

tent sur le gamin haine, tendresse, cruauté, curiosité. Malgré

une certaine lenteur dans l’évoludu

récit,

on

est

à nouveau

séduit par l’habileté de Yehoshoua à tirer d’une situation banale tant d'humour et de subtilité. C’est en décrivant minutieusement, au premier degré, les faits et gestes de ses personnages qu’il atteint la profondeur, là où une petite plaie saigne doucement. Pareillement accablé d’un mal sourd est l'étudiant qui, pour rédiger sa thèse, prend un poste de guetteur d’incendie et apprend que la forêt qu’il surveille pousse sur les ruines d’un village arabe. La quatrième nouvelle, d’une facture plus artificielle, fait songer à Buzzati. Mais l’aveugle application que met le geôlier à apprendre le règlement de la prison

où il est resté seul avec ses prisonniers, parce qu’une inondation menace le bâtiment, n’est pas sans rappeler l’obstination de l’arpenteur du Château. Quant au cinquième récit — les longues journées d’un homme atteint d’un

cancer et qui, isolé par la maladie, regarde vivre sa femme et sa fille comme de derrière une vitre — il tend vers un néoréalisme à l’américaine qui ne possède ni l’acuité ni la sensibilité des textes précédents. Le symbolisme d'Abraham B. Yehoshoua ne s’embarrasse d’aucune

fioriture.

la transparence

Il découvre,

avec

d’un naturalisme

et sans nul dolorisme, la solitude

inéluctable de lindividu dans n'importe quelle civilisation superdéveloppée, pour qui les adjuvants spirituels et mystiques sont, hélas, vides de sens.

O

Ecrivains étrangers

Henry James La Princesse Casamassima Trad. de l’anglais par R. Daillie Denoël éd., 579 p.

Henry James revient

Henry James L’Autel des morts suivi de Dans la cage Trad. par D. de Margerie et F.-X. Jaujard Stock

tre, avec lequel il était le moins prêt à sympathiser — dans lequel il rassemble, significativement, «

éd., 239 p.

socialistes,

ristes ». On peut à cette même discerner un socialisme

Henry James Daisy Miller Trad. de l’anglais par M. Pétris Champ Libre éd., 120 p.

humaine,

Mayoux

Nul des romans de James n’est moins jamesien que La Princesse Casamassima : nul en effet ne fait plus souvent penser au Dickens « sérieux » de Notre ami commun ou des Temps difficiles. Non seulement James ici, exceptionnellement, cherche à peindre un

milieu

et

non

un

groupe

d'individus vivant entre eux des problèmes de relations personnelles,

mais

ce

milieu,

comme

la classe ouvrière à laquelle il était lié, était celui de tous que l’auteur pouvait le moins connaîJean-Jacques Mayoux, professeur à la Sorbonne, est l’auteur de nombreux ouvrages dont « Vivants Piliers », « Melville par lui-même », etc.

12

celui

ris, mais il drame ni fonctionne prescrivant plaires.

par Jean-Jacques

anarchistes,

terro-

époque à face

de William

Mor-

n’a rien pour nourrir mélodrame. Celui-ci par lettres cachetées des assassinats exem-

James,

qui

aime

à

se

donner le frisson, a placé de l’autre côté de l’écran des ombres aussi menaçantes que les spectres corrompus du Tour d'Ecrou.

Au

moins

a-t-il, comme

déjà Dickens d’ailleurs, le sens des liens secrets entre la société et

son

enfer,

et les damnés le reste, on le face attester ment effronté s’il réussit

entre

les heureux

de la Terre. Pour verra dans sa prépar un raisonnede technicien que

à nous

les faire voir,

ces milieux, c’est qu’ils sont vrais. Bref le roman ne sera social qu’au sens jamesien, que comme

une

construction,

fût-ce

une invention, significative. La référence extérieure n’importe pas, ou plutôt elle est ce dont le roman doit triompher, comme toute œuvre d’art. La convergence vers l’art est

imparfaite cependant, et je doute que beaucoup de Jamesiens soient sensibles aux joliesses inhabituelles, aux attendrisse-

ments sentimentaux liés petite sœur de Muniment, me

à la infir-

clouée sur son lit à demeure,

et qui tient sous son

héroïque

le charme

autant

de

qu'intaris-

sable badinage les Ladies et les travailleurs qui peuplent sa ruelle. La doctrine de James, qui

est que seul reste romanesque et condamnable ce qu’on n’a pas réussi à absorber dans son projet, me paraît ici en défaut. La

fable,

quasi

naïve

et, oui,

terriblement romanesque mais admirablement réabsorbée et dépassée, est bâtie autour de la prison où agonise la mère du

héros,

la

petite

couturière

parisienne meurtrière du lord anglais qui l’a séduite et abandonnée. Hyacinthe Robinson, dont le nom n’a pas été choisi au hasard sur les listes que se donnait James, le pauvre petit naufragé solitaire, a été emmené embrasser la mourante dans ce lieu dont les aspects sinistres s'emparent de lui pour toujours. Héritier dans le malheur de deux sangs,

de

deux

races,

de

deux

classes antagonistes, il est voué au déchirement : rancune contre

l'injustice sociale liée à sa présence solidaire parmi les humbles et les rebelles, attirance inavouée

vers tout le beau et le délicat dont une classe à laquelle il appartient aussi a su s’entourer en écrasant les autres, tels sont

les termes Il s’est

de son

écartèlement.

fait relieur,

métier

sale

et qui pue, dont les plus belles œuvres pourtant font partie des trésors qu'il s’est mis à admirer. James, fort sévère pour les romanciers français parce qu’ils n’auraient pas selon lui le sens de l’intériorité ni des abîmes du monde spirituel, est au contraire préoccupé, plus qu'eux à ce qu'il croit, de la dynamique des âmes tenue pour ressort. Chaque nœud événementiel marque une modification chez les protagonistes et ajoute une complexité aux impulsions dont la somme totale leur fera une destinée. Lorsque Robinson s’engage décisivement dans une action où il sait qu'il doit s’anéantir, James l'entoure de figures hiéroglyphiques surgies ou

resurgies

dans

sa vie, comme

par nécessité, dont la combinaison porte le désarroi. L'enfant des taudis, dix ans après, voit reparaître la petite fille barbouillée qui lui faisait du char-

La Quinzaine Littéraire

me. James lui accorde la beauté permise à sa classe : où irionsnous si les filles du peuple avaient des mains qui ne fus-

tension temporelle imperceptible et constante, Hyacinthe porte en lui ce mécanisme d’horlogerie dont il ignore le terme. Atten-

essai a dépassé la médiocre habileté du récit narré à la première personne la troisième permet

sent pas des battoirs ? Mais elle

due, incertaine, vient la lettre cachetée qui

tils de distanciation variable. Le protagoniste, Winterbourne, jeune Américain de Genève, très disponible, n’appartient pas à la

vit,

et

elle

séduit.

Bientôt cependant, de l’autre bout de l’horizon, survient l’admirable princesse, pour que désormais ces deux femmes ajoutent à son double mouvement une motivation symbolique. Mais ce serait trop simple et insuffisamment cruel si l’inversion n'était pas inscrite dans l'impulsion la plus forte : la princesse

est

révolutionnaire.

Elle désapprouve de plus en plus l’émerveillement qu’elle dispense, tandis qu’elle encourage Hyacinthe, d’ailleurs dans une exaltation à laquelle sa première présence

n’est

sans

doute

pas

étrangère. Il s'engage sous serment à répondre à tout appel, à accomplir toute mission. On le prend au mot et il est invité à attendre l’ordre qui viendra un jour. À mi-chemin de ces cinq cent quatre-vingts pages, le récit change d’allure, la surface de l'écriture marque une

Le drame

des

en

communion

lutionnaire,

elle

tueuse,

elle

laideurs

petit-bourgeois,

moins autre.

sa

de sang

avec

avec

son

se

son

pistolet.

superposent, poignard,

Une

lui

seule

issue : le tourner contre luimême. C’est une émotion assez

forte pour la princesse, pour awelle lui revienne et qu’elle étreigne ce beau corps ensanglanté. Faire voir pour que cela ait été, telle est la mission du romancier. La préface qui comme d'habitude celles de James a

l'importance

d’une profession

du 16 au 28 février 1974

de

sa

vie

d’un

qui

nostalgie

des

cadre

nourrit

d’être

des

effets

catégorie

singulièrement

des

Ralph

sub-

Touchett

(du pas

Portrait de Femme). Il n’est en d’expérimenter position

sur

la

face,

voir jeune

jeune puis

le

fille

de

résultat.

homme

qui

se

lui

fait

reculer

Il

qui,

est

pour

le

bon

puisqu'il

est

disponible, se laisse conduire. Il est engagé plus qu’à demi par le seul fait de suivre La double civilisation

tage

avec

{a >ente. qu’il par-

James

lui

permet

cer-

tes de distancier

son

observation,

mais en même temps elle rend ses jugements plus hésitants et plus incertains,

comme

s’il n’était

plus tout à fait sûr du point d'application de ses valeurs. Henry

James,

le

voici

face

à cette

Daisy

n’est

pas

péenne. de

une

Un

coquette

mélange

s'affirmer

à

à

l’euro-

de

tout

volonté

prix

et

à

tout risque et du simple plaisir de faire ce qu’on veut sans plus connaître les limites ni les interdits, paraît la représenter ; il faut, pour lui plaire, tout risquer aussi,

selon

le génie

de

sa

race;

son impérieuse hardiesse est l’étalon par lequel elle juge les autres et les rejette, Winterbourne, par exemple, qui malgré son invite ne la suit de Vevey à Rome qu’en marquant le délai. Quand il arrive, il la trouve qui « s’affiche » avec un bel Italien de statut incertain. Elle est jugée et réprouvée ; un soir qu’elle

passe

au

clair

de

lune

dans

le

par Barrigue

au

une

fortes

foi apporte beaucoup de lumières sur son dessein. L'affaire du romancier comme du peintre, dit-il, est le champ non point dans une d’un tableau

mère

décisivement

entoure

donner la comédie, ou, comme Muniment le constate, le drame

images

a

ingrates

direct reflet,

sa

monde

révélé à Hyacinthe les valeurs qu’il croit maintenant véritables, les joies de l'imagination délicieusement envahie par une richesse de perceptions heureuses. Ainsi, à partir presque de leur rencontre, il y a divergence; il y a eu croisement de diagonales, la ligne d’Hyacinthe s'élève vers cette révélation, celle de la princesse s’abaisse jusqu’au point que, par autopunition volup-

Hyacinthe devient à mesure qu’il se détache plus lumineux, plus transparent et jplus pur. On n’en dirait pas autant de la princesse qui peut-être ne fait, pour se tirer de l’ennui, que se

blime : « Je n'ai pas promis de croire, jai nromis dobéir. » Cependant là-dessus l’imagination, don fatal, intervient : deux

le

chaque regard et chaque perception. Face à la mort, James rejoint son héros dans une intensité d’éréthisme caractéristique. Car, cependant que la princesse plongeait avec délices dans les abîmes du terrorisme révo-

émotions

des émotions fortes. Elle se détourne d’Hyacinthe et favorise le fruste Muniment qui la rudoie et qui doit représenter pour elle le type du militant véritable, qu'il n’est peut-être pas. Quant à notre héros qui ne croit plus à la cause pour laquelle on lui demande de tout perdre, James lui prête une formule assez su-

avec

un jour convertit

Et

impossible et Miller délicieuse. que James montre d’abord trop attentive à ses falbalas. mais on se demande si cela ne met pas sur une fausse piste, car Daisy

mais donc,

reflété de la vie; de toute extériorité conscience : les figures

ou les agents d’un drame ne sont intéressants que dans la mesure où, James le souligne, ils éprouvent assez leur situation pour l’imaginer complètement.

miroir

Ainsi

chacun

a

intérieur ; mais

chaque

situation

est

de au

de

Daisy

Miller,

on

son

quatrième

ou

Fos té Fa tee

ER

son

centre

jure-

rait qu’il est dedans, tant il y semble mêlé, tant il nous y introduit aisément et tant il semble alors incertain de ce qu’il percoit, se trouvant en situation de souffrir de l’intolérable opacité des autres. Le jeune écrivain à

ë :Eke D,"

plus

d’un jeu de miroirs — qui reflètent bien plus que le visible. L’intensité de ces reflets conioints et projetés sur le centre d'intérêt complète l'effet de la conscience de soi ; le voyeur halluciné qu’est James suscite autour de ses protagonistes un très particulier chœur de voyeurs délégués, qui produisent l’image globale des grandes heures. Bien que l’auteur conte l’histoire

+ #

cinquième

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Colisée avec son cavalier servant elle prend les fièvres et meurt.

une

énigme laisse qu’elle déchiffrement. Dans à Rome, :1l semble qu'il y ait un défi, le refus justement du code et de la limite imposée, la résolution d’être soi jusqu’au bout. James reprendra et compliquera tout cela avec Isabel dans Portrait de Femme. Daisy est riche, Isabel est faite riche, le romancier donne se deux champs moraux à explorer. Il y a dans ce court roman C’est

et sa

non un conduite

une autre esquisse, celle de l’Italien. Daisy s’est comportée par jeu comme eût fait, chez lui, une voir,

fiancée. Mais il semble saavec la science de sa race,

qu'elle n'aurait femme

jamais

été ni sa

ni sa maîtresse.

La phrase

brève qu’il l'enterrement ceur

d’une

fait

‘prononce lors de marque de la noirpréméditation

qu'immunisé

le

lui-même

il

l'ait sciemment laissée s’exposer à la malaria. Au moins, semblet-il vouloir dire, elle ne sera à personne d'autre.

lement fluide et informe Dans L’Autel des morts

jointe

Si est

l’ultra-James La

de

Princesse l’infra-James,

Casamassima l’Autel

des

morts est de l’ultra-James. C’est une de ces étranges fêtes de l'imaginaire qui sont une de ses drogues. Sa magie incantatoire aime

à triompher

de

l'absence,

même de la plus irrémédiable qui est la mort. En fait elle crée la seule présence valable, celle qui n’est plus liée à l’écou-

Ossian On sait le retentissement extraordinaire et durable qu’eut dans toute l'Europe la publication par Macpherson (en 1762) des poèmes du fameux barde gaélique Ossian. Une exposition va se tenir au mu-

sée du Grand Palais, du 16 février au 15 avril, dont l’objet consistera à nous montrer Ossian comme source d'inspiration de la peinture pré-romantique et romantique en France, en Grande-Bretagne, en

Allemagne et en Scandinavie. D'importantes toiles, en particulier de Girodet, d'Ingres, de Gérard et du Romantique anglais Cotman, ainsi qu'un grand nombre d'esquisses et de dessins, permettront d'apprécier non seulement l'importance du thème ossianesque entre 1790 et 1830 mais encore l'étroit enchevétrement de l'inspiration pré-romantique et romantique et de la manière néo-classique.

14

à la piété équilibre

centrisme

morbide

et

la

l’égonécro-

philie. La présence des morts — chacun son cierge ,— est maintenue dans la seule pureté d’une abstraction symbolique. Il s’y joint comme en harmonie la solitude des vivants. Un homme et une femme se trouvent j'allais dire

rassemblés,

non,

ni

joints

non plus, recueillis côte à côte devant les cierges, dans une chapelle d'église détournée vers un culte hérétique et comme infernal. Leurs visages regardent en arrière. Longtemps ïils ne se voient pas l’un l’autre. L'élément le plus fascinant du conte est d’ailleurs une temporalité si ralentie qu’elle est comme arrétée.

Avec

une

dans

la

expérimente ce cas, organise ces réactions, sur sa propre vacance affectée de certaines tendances envahissement donc à deux degrés. Les Carnets sont pleins de ces étranges moments de surexcitation produits par la première pénétration en lui d’une donnée fertilisante — moments qui précèdent les joies palpitantes de la gestation.

est

un où

moiselle

pièce

sanctuaire

possédé ou dépossédé par situation nouvelle James

de la mort,

extrême

lenteur,

opaque et inconnue absolument, elle l’admet, chez elle, à péné-

trer

tré, une

L’envahissement, tel est à coup sûr le sujet de Dans la cage. Quand on est princesse — fûtce par mariage avec un prince italien — et qu’on s’ennuie, on rêve des bas-fonds et même des abîmes : la belle Astiné Aravian de Barrès allait bientôt en faire autant. Mais chez James le rêve de dépaysement total du moi qui porte vers l’autre va plus volontiers en sens inverse : si James, jeune bourgeois américain déraciné, ne cesse d’éprouver l’attirance du mystère de la condition aristocratique, à plus forte raison la romanesque de-

d’extrêmes réticences, après des années, ils gravitent l’un vers l’autre, restant tout absorbés dans leur obsession. Un jour, encore

autre

De

du réel. la pitié

qui

les « souvenirs » accumulés extériorisent le souvenir. Il reconnaît dans le mort ici commémoré son ennemi mortel, celui pour lequel il s’est juré qu’il ne devrait jamais y avoir de cierge. Ce mort impardonnable, à elle aussi il avait fait un tort cruel et bien pire, mais elle avait pardonné. Chacun retourne à sa solitude désormais maudite. Le suiet de James, je crois qu'on pourrait le prouver dans chaque cas, c’est l’envahissement. Un être que l’on pourrait concevoir comme vacant se voit péné-

Caravage Durant la même période (16 février-15 avril) le musée du Grand Palais présentera une autre exposition de grand intérêt : « Valentin et les Caravagesques français ». Dans les années 1610-1630, un certain nombre de peintres français qui séjournaient à Rome y constatèrent la grande portée, pour ne pas dire la portée révolutionnaire, en peinture de l'œuvre du Caravage. Parmi cette « avant-garde », le peintre Valentin, de Boulogne, mérite d'être enfin reconnu par un vaste public; mais ce « caravagisme » imprègne également les débuts de grands Classiques comme Simon Vouëêt et Nicolas Tournier, et de tempéraments intéressants tels que Claude Vignon et Trophime Bigot. De nombreux prêts d'Amérique, du Canada, des principaux musées

d'Europe, des galeries et des édglises de Rome s'ajouteront au fonds

des

postes.

James,

qui

de sa retraite de Rye correspondait par télégrammes interminables, est parti sans nul doute de ce guichet-là et d’une telle demoiselle. En face de l’opacité indéchiffrable des rencontres humaines qui après avoir tant occupé James allait si fort tourmenter Virginia Woolf, James a eu ses visions, fondé son œuvre. Son bonheur a été de saisir des indices et d’en faire une réalité. Ainsi la postière issue et héritière de son imagination voit tout à coup une suite de télégrammes de deux sources se

des collections nationales pour enrichir cette exposition très remarquable.

La loi du 21 décembre 1973 vient de réformer le régime fiscal des droits d'auteur : les droits d'auteur, assimilés jusqu'à présent à la catégorie des bénéfices non commerciaux, seront désormais traités comme les salaires; il en sera, par conséquent déduit dans la déclaration d'impôts les cotisations de

la Sécurité

ensemble,

faire

un

sens, indiquer la situation difficile où une liaison illicite a mis le beau capitaine, son client. Elle tend sa mémoire de façon à comprendre et enfin à pouvoir aider. Mais va-t-elle vraiment des télégrammes au beau capitaine ou n'est-ce pas, pour la fiancée imaginative d’un épicier au calepin crasseux,

le coup

de foudre

inavoué qu'elle a tôt reçu du capitaine qui l’a rendue ainsi attentive ? James qui d’habitude suscite des hasards ingénieux ne l’a pas essayé ici sa postière se met délibérément sur le chemin de l'officier avec des offres de services si ferventes qu’elles sont une déclaration à peine voilée. Mais en même

Fleda

dans

Poynton,

les

en

le

temps, comme

Dépouilles tirant

de

de son

mauvais pas elle permet son mariage à l’autre, et se sacrifie alors qu’il commence à s’intéresser à elle.

James

soutient

son

rêve

de

liaisons aristocratiques en lui donnant une amie fleuriste qui garde le secret de son accès aux grandes maisons : dans le dégonflement ironique des rêves qui clôt la nouvelle, il se découvre que l’intermédiaire de la fleuriste est un domestique, un maître d’hôtel qu’elle va épouser. Chaque chose a repris sa place, et la cage a tous ses barreaux. Si nous rappelons encore La Maison natale, publiée il y a quelques mois aux « Lettres Nouvelles

ceau

», voici

tout

un

fais-

de James pour initiés, plus

la Princesse pour intercéder auprès des non-initiés. La mise en place s’achève. a]

vier, après

une

longue

maladie.

Roger Giroux était un poète doué, mais discret. Des poèmes extraits de ses rares recueils : «l’Arbre, le Temps », plus tard « Retrouver la parole» figurent dans toutes les

Fiscalité

frais

construire

sociale,

professionnels

çon forfaitaire

le 10 °% pour évalués

de

fa-

et les 20 %o d'abat-

tement spécial.

Roger Giroux Nous apprenons avec peine la mort

de Roger Giroux, survenue

le 26 jan-

anthologies consacrées d'après-guerre. Il fut également Lawrence Durrell

à la poésie

le traducteur

(« Le

de Quatuor

d'Alexandre »), de Brendan Behan, du « Nexus » d'Henry Miller. Ses

traductions de Yeats (« l'Œuf de Heron »), du « Bois de Lait », de Dylan Thomas, sont dans toutes les mémoires. Roger Giroux se tenait à l'écart des modes comme des groupes. Il poursuivait une recherche dont son ami Jean Laude nous assure qu'elle débouche dans ses derniers manuscrits sur un étonnant rapport du signe typographique à la page. Nous lirons et relirons Roger Giroux.

La Quinzaine Littéraire

HISTOIRE LITTERAIRE

Sainte-Beuve Artaud, Bataille

Sainte-Beuve,

Cahiers

I,

présentés par Raphaël Gallimard éd., 520 p.

Molho,

tique est précisément

Je ne sais s’il faut parler, à propos de Sainte-Beuve, de ce « purgatoire >» dans lequel les écrivains doivent passer, dit-on, les premiers moments de leur éternité. coup

sûr

non,

si l’on

veut

signifier par cette image un oubli provisoire de l’œuvre. Peu d’écrivains ont été aussi constamment lus et commentés.

C’est peut-être aussi avoir porté tort au critique des Lundis que d’en avoir débité l’œuvre en fournitures générales pour la dissertation. Que n’a-t-il pas écrit, sur quoi plusieurs générations durent pâlir et méditer ! Je parierais que, pour beaucoup, cet homme qui ne craint pas d’assortir l’habit vert à la calotte et aux manchettes de lustrine s’'identifie à la copie que sa blancheur défend, aux parfums

_ vaguement moisis faits de poussiè-

__ re et de craie, à l’ironique

_

azur

qu’un grillage raye de toute atteinte possible...

On ne peut oublier, non plus,

l'attaque

de Proust

: « Sainte-

Beuve a méconnu tous les grands écrivains de son temps (.…). Après avoir incroyablement rabaissé le _ romancier chez Stendhal, il céle-

bre, en manière de compensation,

sa modestie, les procédés délicats : l'homme, comme s’il n’y avait d’autre de favorable à en ! Cette cécité de Sainte-Beuve

par Louis Forestier par Jacques Sojcher

Le miroir magique de Sainte-Beuve Ce que Proust reproche au cri-

par Louis Forestier

A

Cahiers I Colloque

ce

que

ce

dernier tenait pour une des originalités de sa tentative. Il va au vrai avec le créateur entier : homme et œuvre, Stendhal et Beyle. Les Cahiers nous le répètent avec éclat. Raphaël Molho, à qui rien n’échappe de ce qui touche à cette

œuvre

(2), nous

les pré-

sente avec tact et talent. J’ajouterai : sympathie ; et le mot surprendra peut-être. C’est que, en réalité, à travers ces centaines de pages de notes, incisives, parfois

irritantes,

toujours

pénétrantes,

c’est un nouveau spectacle qui se joue pour un autre public. Raphaël Molho parle, en une juste formule,

d’entrée

« dans les cou-

lisses d’un théâtre où l’on ne joue que des pièces censurées par l’auteur lui-même.» Sainte-Beuve underground !

Il y a un peu de cela dans ces Cahiers, dont la publication com-

portera deux volumes. Le premier nous révèle le Cahier vert (en attendant le Cahier brun), dont le

contenu couvre les années 1834 à 1847. Cet aspect du critique n’était pas inconnu. Il y a quelques dizaines d’années Victor Giraud nous avait introduits dans ce laboratoire central et initiés à cette chimie qui fait passer une substance colorée, quand on la délaye suffisamment, de l’état de poison à celui d’aquarelle. En publiant quelques-unes de ces notes (— le produit concentré —) sous

ce qui concerne son époque le titre Mes Poisons, il avait réntraste singulièrement avec ses tout un aspect de l'écrivain. vélé . | D à la clairvoyance, à la prescience. » (1) Peut-être la critique s’était-elle alors excessivement attachée à ce que de telles boutades pouvaient » d'un « Germain marquer d’aigreur et de petitesse. ne à ). Paris X enseigrs Ilhe (Seg Une publication complète, accom).

pagnée d’un relevé de variantes et

« boutades d’humeur », dit-il, com-

de notes efficaces et discrètes, mo-

me à une sorte de thérapeutique morale et psychologique, physique aussi peut-être puisqu'il lui est permis d’écrire ici ce qu’il eût été délicat de publier ailleurs. Revers d’un tel projet : la conscience prise, soudain, que le cahier rempli ne donne pas seulement une

difie les perspectives et fait porter l'éclairage sur la création d’une méthode plus que sur les faiblesses d’un homme. Aussi n'est-il pas impossible, comme le pense et l'espère Raphaël Molho, que ce livre ramène à Sainte-Beuve « l’affection du lecteur de bonne foi ». On ne s’ennuie pas un instant à lire ces pages. Elles peuvent se lire d’affilée ; mais elles peuvent se prendre et se laisser selon la méthode même qui préside à leur écriture, étalée sur treize années. Elles ont le goût du fruit défendu, c’est l’auteur qui nous en avertit : Le recueil d'observations et de pensées, qui suit, ne devra tomber que dans des mains amies, il n’est

pas fait pour le public ; il donnerait de moi et de mes sentiments ume fausse idée. Diabolique Sainte-Beuve, qui se cache et se révèle, se confie et se divulgue, gardant toujours le souci d’un spectacle dans les coulisses. mais d’un spectacle. Aussi le miroir devant lequel le grand premier rôle s’installe est-il plus souvent concave ou convexe que plan.

mesure de soi, mais une mesure du

temps écoulé. Il y aurait une belle étude à faire sur ce problème du temps à travers les Cahiers, et à s’interroger sur les lignes par lesquelles s’achève le Cahier vert : « Je vais au jour le jour. Je comptais que ce gros cahier ne se remplirait jamais ; c’est comme la vie ; j'allais comme s’il ne devait jamais finir, et, en retournant

la

page, voilà que je m'aperçois que Sainte-Beuve,

par Heim

Miroir magique, d’ailleurs, en lequel rien de ce qui s’est une fois reflété ne s’efface. Chaque instant s’y accumule à tous les autres pour compenser la somme d’une histoire et d’une existence. Chaque trait, chaque anecdote sont un peu d’un temps perdu ; leur ensemble est un temps retrouvé. Pour SainteBeuve d’abord, qui trouve en ces

pages l’occasion de se fixer et de se ressaisir. Pour cet homme, qui s’évanouit dans le présent, c’est la possibilité de retrouver une permanence et une unité de son être. Il se livre à ces confidences, à ces

15

je suis

au

bout.

d’en recommencer pas

ouvrir

un

Est-ce

nouveau

exorciser la ce serait peut-être de s’écouler temps Ces

comme pages

ne

un

cahier,

ce

temporalité; empêcher le feuille après

serait

feuille,

la peine

un autre ? » Ne

automne

sont

déjà.

pourtant

pas

un journal au sens étroit du terme. Sainte-Beuve note, le plus souvent, la date de telle conversation qu’il rapporte et voilà le témoignage fixé dans le temps. Il ne se rend

cependant pas esclave de cette égotiste minutie qui rend lassante la lecture du journal d’un Claudel. L’homme de Port-Royal voit dans l’événementiel l’occasion d’aller plus loin avec tel écrivain dont la fréquentation, la conversation, les réactions imprévues, fournissent une approche supplémentaire en vue de cette compréhension to-

tale à laquelle aspire SainteBeuve. Rien n’est donc plus vivant que les personnages qu’il fait défiler devant nous. Au fil des lignes, on recomposerait, par exemple, un savoureux portrait de Lamennais : c’est un homme charmant et folichon, qui rajeunit tous les jours, ce qui, assurément, l’empêche de mürir. Il est doué d’enthousiasmes contradictoires, et porteur d’une vocation au martyre bien déterminée; avec cela, théoricien qui oublie la pesanteur des contingences : il calArtaud par Xavière Gauthier, Pierre Guyotat, Jacques

culerait la vitesse d’une diligence en oubliant de tenir compte des frottements. Il «fait de la mécanique rationnelle ». On se délectera d’une belle évocation de la carrière de Sieyès, ou de tel mot appliqué à Balzac « C'est un Lovelace

littéraire » ; ou

de

cet

étrange « compliment » Tous les défauts de Victor Hugo sont compris dans ceci : Ame grossière de Barbare énergique et rusé qui a passé par le Bas-Empire. — Après cela, qualités immenses et puissance. On n’en finirait pas de multiplier les exemples. Ce serait l’envers — et l’enfer ! — des grands hommes.

La méthode On

aurait

tort,

au

ra un élément supplémentaire dans la connaissance de ce devenir commun que constituent le créateur et sa création. Ces pages sont révélatrices de la méthode de Sainte-Beuve, qui en reprenait des éléments pour composer ses articles et ses ouvrages. On saisit le passage de la note sur le vif à l’article d’ensemble ; on mesure les prudences qui font de quelques lignes au vitriol quelques pages à l’eau-de-rose Raphaël Molho nous offre, dans son introduction, une savoureuse confrontation en ce domaine. Les Cahiers sont pour Sainte-Beuve un vaste grenier où l'écrivain puise de quoi pétrir la pâte future. Aussi se relit-il, sans complaisance (critique du critique qu'il est), afin de préciser

demeurant,

de voir là hargne et grogne de créateur déçu, d’homme que «le mauvais succès » a «un peu découragé » : Au fond je ne suis pas un littérateur, je ne suis pas

même un artiste. La vérité est tout autre. Cette connaissance complète d’un être est indispensable à l’exercice de la critique telle qu’il la conçoit. Il n’imagine pas que l’œuvre soit dissociable de son créateur et il pense qu’elle est tributaire des circonstances dans lesquelles elle s’est produite. Connaître l’homme, le milieu, apporte-

un

détail,

noter

une

nuance ou marquer une évolution. C’est donc toute une esthétique de la critique que révèlent les Cahiers. On y discerne un désir d'aborder les choses par toutes les approches possibles, sans se laisser lier par aucune : Le propre de la pensée de l’homme est de concevoir les idées sans nécessairement y croire, de faire le tour de chacune, sans pour cela y adhérer. Il aimerait s'appuyer sur quelque grande idée arrêtée, et il doit reconnaître que tout est caméléon. C’est un sceptique mal à l’aise qui vit avec difficulté une

mutation

de la littérature et, plus

généralement, de la société ; « les vieux dieux s’en vont, les nou-

veaux ne sont pas venus », écrit-il. Devant cette évidence, le critique est pourtant bien près d’adopter la leçon qu’il reçoit de Chateaubriand et qu’il consigne dans ces Cahiers : Le meilleur moyen d'aider l'avenir en des moments de transition et de décomposition ou recomposition sociale intermé-

diaires comme aujourd'hui, c'était de s'appliquer au passé non encore aboli,

à l’histoire

sous

ses

diver-

ses formes, de s'attacher à reproduire, à peindre ce dont la mémoire autrement s’évamouirait bientôt. » En fin de compte, à tra-

vers ces tableaux « d’un fond de palette très noir », c’est un défi que nous lance ce diable d’homme,

et une

invitation

à user

de

cette vue pénétrante qu’il qualifie plaisamment (et peut-être justement) de «triste don » ! O 1. Cité par Pierre Clarac et Yves Sandre, dans leur édition de Contre Sainte-Beuve, Bibl. de la Pléiade, 1971, p. 819.

2. On doit déjà à R. Molho, outre de nombreux articles, une pénétrante étude : L'ordre et les ténèbres ou la naissance dun

mythe du XVII" siècle chez SainteBeuve (Armand

Colin, 1972).

Henric,

Julia Kristeva,

Georges Kutukdjian, Marcelin Pleynet, Guy Scarpetta, Philippe Sollers 10/18, 306 p.

Bataille par Roland Barthes, Jean-Louis Baudry, Denis Hollier, Jean-Louis Houdebine,

Julia Kristeva, Marcelin Pleynet, Philippe Sollers, François Wahl

10/18, 316 p.

Compte

rendu

du colloque

de Cerisy-la-Salle, dirigé par Philippe Sollers et intitulé Vers une Révolution culturelle : Artaud,

par

Bataille

Jacques

Sojcher

Tac-Tic de la Révolution culturelle l’histoire, ses figures et ses signes (ici Artaud, Bataille), dans un certain sens qu’il s’agira de lire déjà dans le passé, de dégager de tout

ce qui n’est pas lui encore. Pour cette purification d’Artaud et de Bataille, pour ce coup de force ordonnateur de la lecture rétrospective-prospective, il fallait un maître de ballet, un metteur en scène assez pur pour ne pas

s’embarrasser de la nuance petitebourgeoise, assez convaincu de sa « mission » révolutionnaire pour ramener tout à cette voix — à sa voix. Sollers est ce général qui met au pas dialectique et maoïste tous les hétérodoxes et les petits fauteurs d'écart. Il parle, il parle,

Un colloque, c’est un ensemble de voix, un pluriel asemblé dans et par sa dissémination. Mais c’est

dans ses communications (c’est bien normal), après chaque communication, refaisant l’exposé, re-

parfois aussi un centre, une volonté d’ordonner, de réactiver

dressant les développements, remettant sur leurs pieds les dialec-

tiques trop idéalistes, coupant la parole, la redonnant un (petit) temps, la reprenant aussitôt, distribuant les bons et les mauvais points, s’étonnant pour finir qu’il n’y ait pas plus d'interventions, qu'après qu’il s’est substitué à Artaud, personne ne pose de

mour,

que

le

ton

du

discours,

l'incroyable sérieux de bas-bleu révolutionnaire. Le ton perturbe la communication, non pas qu'il conduise à la subversion

(l’irruption

du

nom

propre, l’intrusion du sujet dans le savoir), mais parce qu’il déto-

nalise l’avènement qu’il prétendait le silence n’était pas la seule réannoncer, qu’il désactive ce qu'il ponse à ce matraquage pontifiant- _ pensait réactiver et fait subir une idéologisant-délirant, à la frustrabaisse de tension à ce que la tion ressentie par la double confisparole d’Artaud et de Bataille cation d’Artaud ou de Bataille et matériellement disait. Soit qu'il de la parole de/sur Artaud ou tombe dans l’outrance mimétique questions

sur

Artaud

(comme

si

Bataille).

de l’histrion,

Pourtant, ce que dit le maître du jeu n’est pas dépourvu d'’inté-

ter le nom propre pour en empêcher l’appropriation — et, ce faisant, renforçant le sujet, le sujet Sollers qui jongle avec les mots et se rend maître d’un autre lan-

rêt, est même souvent passionnant,

force à remettre en question. En simplifiant, je pourrais dire que ce n’est pas tant ce qu'il dit qui fait problème que l’envahissement de sa parole, que son narcissisme impudique, son allergie à l’hu-

voulant

faire

écla-

gage, volontairement composite, brouillé, où Bataille, mais surtout Artaud, devient de la littérature,

de l’insupportable

littérature.

La Quinzaine Littéraire

1 -

:

Mais ici Sollers est battu d’un diapason par Kristeva qui remonte au déluge pour immerger Artaud et Bataille dans son savoir et inonder les auditeurs (et les lecteurs) de son flux salivant. Intelligent, certes très intelligent, mais à côté, autour, prétextant Artaud, Bataille, n’importe qui, pour mettre au point le petit sys-

de ce regard prévenu (plutôt que prévenant), préjugeant, prédéterminant. L’équivoque, c’est de don-

tème

qu’elles valent. Toute mise en savoir. toute idéologisation est un mensonge.

sémiotique

et jouir

de

ner pour analogue (ou au moins pour un prolongement) ce qui n’est sans doute pas du mème ordre philosophique et politique. Il n’y a pas de traduction d’une pratique à l’autre et les analogies valent

ses

formules sans se soucier si elles sont ou non opérantes (ce que remarque justement François Wahl). Si la tentation savante de Sollers est Kristeva, avec cette modulation-là de la voix, l’éner-

toujours

ce qu’on

Une « vieille idéaliste »

gétique est encore plus dissolu. La grosse caisse conceptuelle couvre les cris d’Artaud et l'ivresse riante de Bataille, plus encore que les jeux de mots ou les gros mots de l’histrionisme.

veut

bien

ruse

Ce qui ne veut pas dire que la culture soit tabou, qu’Artaud et Bataille soient protégés par l’inef-

fable. Scarpetta a raison de dénoncer là une « vieille ruse idéaliste » qui nous détourne des

Montrer

questions qu’ils nous posent « avec urgence ». D’où la difficulté de parler et l'impossibilité de se taire. Mais qu’au moins cet écart soit reconnu (Scarpetta est à peu près le seul, avec Pleynet, à le

la voie

Un colloque sur Artaud/Bataille ? Sans doute. Mais aussi un colloque sur ce que Sollers a dit, pensé, prescrit sur Artaud et Bataille.

Ici,

la

référence

est

faire pour Artaud ; Barthes, Hol-

de

rigueur. Cela donne une dialectique du compliment

grand

prince,

rend

les

compli-

ments), cela donne une guirlande de fleurs, où tous les protagonistes

de la Révolution culturelle se retrouvent, associés dans la même

importance. À force de se distribuer les épithètes : « force particulière », « intelligence du texte », « texte historique », il n’y a plus que les autres qui sont des imbéciles, ceux qui restent à l'écart de cet échange de ( bonnes) paroles ou qui enfreignent le code, n’entonnant pas l’air du matérialisme dialectique et de la « pensée Mao Tsé-toung », n’associant pas Artaud et Bataille à la révolution en cours sous leurs yeux. Que réserver à ces « idéalistes » indécrottables, sinon le refus

d'entendre la question, la feinte de ne pas se sentir concerné par elle (Lamarche-Vadel), la moquerie (Wasmund), la censure et l’ex_ clusion (Denis Roche), au mieux

la disputation « amicale » pour lever ce qui ne peut être qu’un malentendu ? __ _

Qu’'ont donc en commun ceux s’entrelouent ? De quoi se Jouent-ils ? D’être

des révolution-

naires qui découvrent chez Artaud et Bataille le ferment de la révo-

_ lution rouge, une

Antonin

Artaud

(car le maître,

sorte de pré-

modèle du matérialisme révolutionnaire Mao Tsé-toung. La démonstration de la véracité de ce rapprochement, voire de cette annexion, est faite de la manière la

plus explicite et la plus définitive

par Henric dans sa communication Artaud travaillé par la Chine (dont il faut s ligner la remarquable secona partie sur la langue, la famille et le sexe). « Ce

que l’auteur des Lettres du Mexique était venu chercher sur une terre indienne et qu’il parut désenchanté de ne pas vraiment trouver... n'est-ce pas aujourd’hui », demande Henric, « un événement

comme la Révolution culturelle prolétarienne en Chine qui le réalise ? » A quoi l’on pourrait facilement répondre que ce n’est pas parce qu’Artaud écrivait : « Nous attendons du Mexique, en somme, un nouveau concept de la révolution », qu’il s’agit là déjà, en puissance, de la forme qu’a prise plus tard la révolution c\inoise. Nous sommes au moins ici en pleine hypothèse, en pleine vue rétroactive de l’histoire. Qu'il y ait chez Artaud

(comme chez Bataille

dans une autre mesure) une aspiration et une force révolutionnaires, c’est bien évident, qu’il y ait chez l’un et l’autre un matérialisme — encore qu’il soit assez ambigu et d’une ambiguïté différente

—,

cela aussi

est incontes-

table, qu’il y ait enfin chez Artaud la tentation d’un autre espace culturel (Mexique, Chine), c’est encore vrai. Mais cela ne veut pas dire que la révolution, le matérialisme, l’autre espace culturel préfigurent la Révolution culturelle prolétarienne en Chine ! L’affir-

mer n’est possible que par le coup de force idéologique de la lecture, qui lit dans le texte ce qui a été programmé hors de lui, qui récupère ce qui ne lui était peutêtre pas destiné (car Artaud et Bataille — soyons-en sûrs — eussent rué dans les brancards, ri du rire majeur, apostrophé tout ce

sérieux de l’esprit, démantelé tout cet ennui bavard et cette mondanité colloquante qui se porte vraiment trop bien pour être honnête).

lier et Baudry pour Bataille) et maintenu sans le résorber ou le positiver, le transformer en réponse, en norme révolutionnaire (car il y a aussi un ordre révolutionnaire auquel ni Artaud, ni Bataille n’ont jamais adhéré). Et ce maintien — oserai-je dire cette fidélité — n’est qu’au prix du risque : le risque d’écouter. « Mais risquons au moins d'écouter ce que dit Artaud », demande Scarpetta, terminant son commentaire par la lecture d’un texte d’Artaud, rendu ainsi à son avenir,

à la liberté de l’écoute. De tels instants, bien que rares,

existent aussi dans ce colloque paradoxal et, comme le dit Sollers,

La visée

politique

Toujours est-il que le Artaud de Henric mesure

(comme dans une certaine le Bataille d’Houdebine)

traduit bien la vision et la visée politique de ce colloque avantgardiste et révolutionnaire : celle d’un écrivain engagé qui a opéré en plein surréalisme un retrait « tactique » qui constitue « une avancée révolutionnaire dans une stratégie globale, à long terme » (sic). Le parallèle Mao-Artaud esquissé par Henric est de l’ordre du collage : il aligne les unes derrière les autres des phrases des deux « penseurs », hors de tout contexte. À ce compte-là, tout veut tout dire et rien ne veut rien dire. L’équivoque du colloque vient de ce type de lecture téléguidée,

impossible.

délirant ou vant,

neutre,

ni

prétentieusement

Ni

sa-

passionnément

ouvert,

par-

fois le discours rejoint le soulèvement même de la parole et ouvre la spirale sur son orbe infini. Parfois le pluriel

est

affirmé

(par

Sollers même). Que nous sommes loin alors du texte branlant de Guyotat, du commentaire castrateur de Xavière Gauthier ou de la pensée trouée de Kutukdjian, loin du délire scatologico-scientifique et même loin du tic-tac idéologique. Près de la différence qu'il n’aurait jamais fallu perdre de vue. O

Jacques Sojcher, maître de conférences à l’université de Bruxelles, a publié un essai sur l'esthétique de Nietzsche : « la Question et le sens », Aubier-Montaigne, dont il a été rendu compte dans la « Q. L. » n° 178.

| L

du 16 au 28 février 1974

nkr6

bellond _ au COUrS du ler trimestre 1974

Pierre Belfond présentera :

LES BATISSEURS DU XX: SIECLE

COLLECTION :

* DARIUS MILRAUD MA

LA

COLLECTION :

VIE HEUREUSE

autobiographie

,

ELEMENTS

publiée sous la direction de Clara Halter

* JEAN PIERRE FAYE MIGRATIONS DU RÉCIT SUR LE PEUPLE JUIF

* CLARA HALTE LES PALESTINIENS DU SILENCE

L'HISTOIRE AU PRÉSENT

COLLECTION :

* HANS PETER BLEUEL LA MORALE

COLLECTION :

DES SEIGNEURS

RUPTURES

vie et mœurs sexuelles sous le Ille Reich

publiée sous la direction d'André Bercoff

* BERNARD THÉSÉE

LES AVENTURES COMMUNAUTAIRES DE WAO LE LAID Dessins de Gotiib

* GASTON COMPÈRE HORS COLLECTION : SEPT MACHINES À RÊVER nouvelles * ALAIN PUJOL

CHASSEUR D'HOMMES récits

_

_

Librairies et « grandes surfaces »

ENQUETE

Le problème est posé Il n’est pas résolu Une enquête de Claude Bonnefoy La prochaine ouverture d’une grande librairie à Paris, entre Saint-Germain-des-Prés et la tour Montparnasse, risque-t-elle de modifier, voire de menacer, l'équilibre

du

marché

du

livre

et,

à

terme, de compromettre l'avenir de la librairie, de condamner certaines formes d'édition ? Ainsi posée, cette question semble fort curieuse. La disproportion entre la cause et l'effet saute aux yeux. Que la création d’un grand magasin puisse nuire aux petits commerçants du voisinage spécialisés dans la même branche, on le sait. Qu'elle puisse avoir, un retentissement au plan national sur l’ensemble du réseau de diffusion, mais aussi sur la politique de production de ses fournisseurs, voilà qui paraît aberrant. Pourtant c'est bien à cette question : la librairie de la Fnac constitue-t-elle un danger pour l'avenir de la librairie et de l'édition, que «la Quinzaine littéraire » a consacré une longue enquête portant sur plusieurs numéros. Et cette enquête répondait à une inquiétude très vive que manifestaient depuis quelque temps déjà la quasi-totalité des libraires et la majorité des éditeurs.

Ce qui n’est pas en question Qu'est-il

apparu

au

cette enquête ? D'abord vrai problème n’est pas

le lieu choisi par la Fnac pour l'implantation de son magasin: au cœur d'un quartier où l'on trouve non seulement d'excellents libraires, mais où la densité de librairies et de lecteurs est considérable.

villes,

de

ceci. celui

Le de la librairie de la Fnac en tant que librairie. Tout le monde fait suffisamment crédit à la Fnac,

à sa réputation, à la « mythologie » qu'elle a su créer autour de son nom pour accorder que sa librairie sera certainement une très bonne librairie, offrant le plus grand éventail de choix et dotée de tous les services nécessaires. Certains libraires reconnaissent même que la création d'une grande librairie de littérature générale à Paris, analogue à celles qui existent déjà en province et dont la plus célèbre est « Le Furet du Nord » à Lille, était une initiative souhaitable. Ce qui est déjà plus contesté, y compris par des lecteurs, c'est

L du 16 au 28 février 1974

la

Fnac,

dit-on,

vou-

généralement

de

villes

uni-

versitaires ? La qualité de la librairie de la Fnac n'est donc pas en question. Ni même finalement son utilité en tant que grande librairie. Le problème est celui de ses méthodes de vente. Comme dans ses autres magasins, et parce que c’est en grande partie ce qui a fait son succès, elle pratiquera le « discount ». C'est contre cela, nous l'avons vu, que protestent vigoureusement les libraires, mais aussi de nombreux éditeurs, dont Jérôme Lindon, président du groupe des éditeurs de littérature. Pourquoi ces protestations, alors que plusieurs libraires parisiens ont déjà pratiqué le « discount » sans que cela fasse de gros remous ? Parce que la Fnac va pratiquer le « discount » sur une grande échelle, et de façon spectaculaire. Les libraires qui jusque-là offraient systématique-

ment

cours

Si

lait gagner un nouveau public à la lecture, que ne s’est-elle installée dans le 19° arrondissement ou dans ce désert culturel que sont bien souvent les banlieues? Sans doute. Mais les grandes et bonnes librairies de province sontelles ailleurs qu’au centre des

des

remises

de

20 %

le

faisaient sur une échelle modeste, en supprimant les services ordinaires (recherches, commandes, etc.) d'une librairie, et ils seront parmi les premiers à souffrir de la concurrence de la Fnac. De la Fnac et sans doute aussi des grands magasins et des grandes surfaces qui, dans leurs rayons de livres, s’aligneront sur la Fnac et offriront les mêmes remises. C'est précisément cet alignement qui pourrait jouer au niveau national que redoutent libraires et éditeurs. Quand pour lutter contre les effets d'un « discount» généralisé qui entraînerait la disparition d'un certain nombre de points de vente du livre, libraires et éditeurs, soutenus maintenant par les écrivains de la Société des gens de lettres, demandent au gouvernement d'intervenir en soumettant les livres au prix imposé, leur attitude est-elle corporatiste ? En

apparence certes, et même au premier degré, certainement. Mais Jérôme Lindon, dans son interview, a bien montré que ce qui était en cause ici, c'était plus que l'intérêt des libraires, celui de la littérature et, en dernier ressort, de la lecture. Tous les points de vente du livre, dit-il (et il n’est pas seul à le dire), sont autant de vitrines pour le livre, autant d'incitations à la lecture. La concentration des points de vente se traduira non seulement par une diminution de la qualité des livres proposés, mais aussi par une diminution des ventes globales du livre. Et c’est la littérature d'avant-garde qui sera la première à en pâtir. De cela, les écrivains eux-mêmes sont conscients,

débat

qui

comme

réunissait

zaine littéraire Lucien Bodard,

Maurice

l’a

montré

à «la

le

Quin-

» Roger Bordier, Angelo Rinaldi et

Roche.

Menaces pour les libraires Disparition de librairies, diminution des ventes de livres, cela,

dira-t-on, reste à prouver. Mais ne murmure-t-on pas déjà dans les couloirs des maisons d'édition que dans la région lilloise, où, même sans « discount », le succès considérable du « Furet du Nord » a entraîné la fermeture d'un certain nombre de petits points de vente, le chiffre d’aïffaires de la plupart des éditeurs a baissé? Avec le « discount », ajoute-t-on, ce serait pire. Et celui-ci entraînerait, outre la concentration des points de vente, une concentration accrue de l'édition, laquelle se ferait vraisemblablement au profit des best-sellers et au détriment de la vraie littérature. Ainsi écrivains et lecteurs sont donc à leur tour concernés. Même si la menace que constitue le « discount » est moins grave qu'on ne le dit parfois, il faudra bien lui trouver une solution — qu'il s'agisse du prix imposé ou de toute autre — afin de conserver à l'activité éditoriale sa richesse et sa diversité. Cela dit, en jouant le rôle de détonateur, l'initiative de la Fnac a eu l’avantage de mettre en lumière un certain nombre de problèmes, de contraindre libraires, éditeurs,

mais aussi écrivains et lecteurs, à les poser. Le «discount» constitue une menace pour bien des libraires. Mais il peut être aussi pour eux l'occasion d'une prise de conscience des insuffisances actuelles de la distribution du livre. Certes, comme nous l’a rappelé Jacques Plaine, président de la Fédération française des syndicats de librairie, de nombreux libraires, surtout en province, ont fait un gros effort de modernisation et certains d'entre eux tendent même à devenir véritablement des animateurs culturels. Mais si les lecteurs, eux, souhaitent quelque chose, notre enquête auprès de responsables de mouvements d'éducation populaire l'a montré, c'est moins obtenir des remises sur des livres que pouvoir se procurer ceux-ci facilement. S'ils se plaignent, c'est de l'absence de véritables librairies dans les banlieues comme dans certaines villes de province, c'est aussi du manque de qualification professionnelle de certains libraires. « Discount » ou non, M. Bazin,

libraire à Dijon, l'a bien souligné au cours de notre enquête, la concentration, phénomène normal dans la plupart des domaines industriels et commerciaux, risque de gagner ia librairie et l'édition. Mais la concentration suppose une standardisation des produits, une élimination de tous les produits de faible vente. Pour le livre, une telle politique économique aurait finalement des conséquences aberrantes. Elle serait une menace pour la littérature et pour la culture. Et il apparaît alors que l'édition, plus encore que la librairie, se trouve confrontée avec le problème suivant : comment faire pour appliquer des principes modernes de fabrication, de gestion et de vente sans renoncer à la diversité des genres littéraires et à ce risque que constitue la publication d'auteurs nouveaux et difficiles mais sans lesquels demain, les éditeurs n'auraient plus de fonds ni le pays

de culture vivante?

0

19

ARTS

Pierre et Suzanne Rambach

Anne

Tronche,

Hervé

Gloaguen

par Jean Selz

Le livre secret des jardins japonais L’art actuel en France

par José Pierre

Le Livre secret

des jardins japonais Manuscrit inédit du XII° commenté par Pierre et Suzanne Rambach

siècle

92 pl. en couleurs, 293 ill. en noir Albert Skira éd., Genève, 274 p.

_ par Jean

Paysages métaphysiques cela, le paysage

Selz

piré, ble

Beaucoup mieux qu’un « beau livre», le Livre secret des jardins japonais, dernier ouvrage auquel Albert Skira, avant de disparaître, avait apporté ses soins person-

nels, est un chef-d'œuvre de l'édition. Rien n’y manque pour enchanter le regard, protéger la rêverie et stimuler la réflexion. Réunir, au long des pages, tant de documents d’origines et d’époques diverses, les juxtaposer à la traduction

de

ce

traité

aux

siècle), le Sakutei-ki,

utiles

observations

commentateurs,

soulevait

de

et

ses

de mul-

tiples difficultés que seul un art accompli de la mise en page a pu surmonter. Il semble que l’esprit même qui anima l’auteur de ces préceptes ait fourni à l’éditeur la clef de sa présentation. Il va sans dire que la lecture de ce livre nécessite l’abandon de ce que le concept jardin représente dans notre vision occidentale.

En

vérité,

il s’agit

ici

de

tout autre chose. Et le mot jardin n’a été conservé dans la traduction du Sakutei-ki que faute d’un terme signifiant l’espace aménagé autour de la demeure de l’homme,

du temple bouddhique ou du sanctuaire shintoïste. C’est, en fait, un

paysage inventé, à la fois en harmonie et en opposition avec le paysage naturel. Par-dessus tout, il est un spectacle mental, destiné à suggérer l'unité cosmique perçue par « celui qui parvient à l’Eveil ». En Jean Selz, écrivain et critique d'art, anime la rubrique « Arts » de « la Quinzaine littéraire ».

20

au

son VII:

inventé

apparition siècle,

du

s’est ins-

probamodèle

chinois qui transposait à l’échelle humaine la configuration mythique de la demeure céleste du Bouddha. A quoi se sont intégrées, peu à peu, les « topographies » mythologiques coréenne et japonaise. Les premiers principes en ont été fixés à la période Héïan (794-1185). Ils apparaissent tout d’abord très rigoureux. Mais on découvre bientôt, à travers les lois

(calli-

graphié sur un rouleau de la fin du XII

à

Jardin du Taizo-in t

innombrables et les innombrables

tion zen. Mais le culte des pier-

interdits, des zones d'incertitude, une ouverture à la liberté, à la

res, encore observé dans le Shintoïsme,

confiance en celui qui doit orienter la recherche individuelle de l’Ilumination. Yoshitsuma Goky6hoko, l’auteur présumé du manuscrit, écrit ainsi : « Îl ne faut suivre qu’un seul principe fondamental : suivre sa première idée,

origines mêmes du Bouddhisme, et la pierre symbolise la montagne, archétype de tous les sanctuaires du monde. Au Japon, où l’on évalue à huit cents millions le nombre des kami, esprits des ancêtres, ces esprits descendent du ciel par le chemin de la mon-

ensuite, pour ce qui en découlera,

suivre son cœur. » Et : « Ne soyez pas trop précis. » Car le temps se charge de transformer la forme d’un rivage, le cours d’un ruisseau, et il ne faut pas imposer au temps sa volonté. Dans les très anciens

jardins,

comme

celui

du

Saihô-ji à Kyôto, il est impossible

de déceler la part de la nature et celle que l’homme

avait créée.

Un des premiers préceptes du Sakutei-ki concerne l’appréhension du lieu : « Si vous pouvez découvrir

le

tayori,

alors,

plus

tard, vous pourrez exprimer le fuzei. » Le tayori est la structure subjective du site, en quelque sorte

la

virtualité

du

paysage,

l’espace idéal qui doit s’accorder au paysage objectif. La notion du fuzeï est plus difficile à saisir. L’idéogramme qui le représente laisse osciller sa signification entre apparence (atmosphère spirituelle ?) et impression (émotion que doit provoquer le paysage construit). Il apparaît que la perception émotionnelle favorise la suggestion des idées auxquelles renvoient les composants du lieu. Car, le paysage inventé, bien que conçu comme un tout harmonieux et comme une création vivante (il peut mourir s’il ne correspond pas à ceux qui le possèdent), est un paysage de signes. Son abstraction s’est accentuée avec le jardin minéral de médita-

de nos jours remonte aux

tagne. En fait, tout élément

naturel a

sa correspondance sacrée, et les Japonais fondent sur le réel leur vision de l’imaginaire. L’amour de la nature est une voie de la Connaissance, et sa symbolique est

à double répercussion. Un seul pin peut suffire à symboliser la forêt, il rappelle aussi à son contemplateur que Bouddha fit ses sermons sous un arbre. La Quatrième Contemplation de la Vie Infinie est une méditation sur . les arbres. Le nanteï est l’espace vide qui sépare la maison du bord de l'étang. Il constitue un éloignement sans lequel le jardin perdrait sa puissance poétique et l'étang son pouvoir d'évoquer le lac du « Dragon qui se baigne ». Mais il évoque ausi le lieu où, encore au X° siècle, on célébrait le rituel des fêtes religieuses. L'élément principal de l’étang est l’île, souvenir

des étapes franchies par les ancêétres venus du sud de la Chine par l’île Kyûshû et autres îles de l’Archipel. Les formes de liîle varient selon les intentions symbolisantes du créateur de jardin.

Elle peut avoir — dans la tradition coréenne — la forme d’une pierre précieuse, symbole de spiritualisation de la matière, celle de la tortue, qui joua

rôle si important

ou un dans la cosmo-

La Quinzaine Littéraire

gonie chinoise et que les Japonais ont conservée comme symbole de longévité. Dans le jeu ambigu des corrélations mystiques et poétiques,

la référence

à l’impondé-

rable trouve aussi son idéologie l’île peut avoir la forme d’un nuage ou même d’un brouillard, figurations de l’éphémère. Le pont arqué, en

demi-cercle,

ou soribashi, donnant accès à l’île (lieu du sanctuaire), est le passage entre deux mondes, le che-

min vers la pureté. Mais certains ponts, par leur courbure excessive, restent impraticables aux hommes et sont réservés aux kami. L'architecture mythique prend donc une réalité tangible dans le

domaine esthétique. La rivière, dont le courant doit venir de l’Est, retrace la marche du dragon

ou du serpent. Et la cascade (dont la construction est particulièrement compliquée et dont les variétés sont nombreuses, avec sa chute à « eau collée » ou à « eau décollée ») est la Source de la Vie.

Si la nature est ainsi appelée à imager la réflexion, elle est aussi parfois utilisée à faire rebondir la contemplation sur un autre élément naturel. Un tapis de mousse doit être regardé comme étang; une succession de pierres inclinées concrétise, sans eau, l’idée de cascade. Ce dédoublement des

significations par interposition d’une vision objectivée a été poussé très loin dans les monastères zen où le sable ratissé en mouvements onduleux représente la ri-

paraboles bouddhiques, et figuration de la fugacité des choses matérielles.

vière. L'espace lui-même implique une

signe et objet de résonance, il y a place encore pour une échappée vers de plus secrets cheminements de la pensée les pierres qu’on cache, et celles qu’on met à l'écart, « comme si on les avait oubliées ». Elles ne me paraissent pas les moins importantes dans ces paysages métaphysiques où

illusion d’espace, lorsque le jardin, conçu pour être vu de loin, est dessiné de façon à figurer synthétiquement un vaste paysage — parfois le pays japonais tout

entier

—,

comme

s’il

était

aperçu d’un point très élevé du ciel. Le temps, enfin, est évoqué par l’usure d’une pierre dressée au

bord

de l’eau, lentement

ron-

Au milieu de cet univers miroirs spirituels, où tout

de est

l’absolu serait trop ou pas assez humain sans une parcelle d’inabsolu.

CO

gée par l’eau, image de la durée des périodes cosmiques selon les

Arts

Anne

Tronche

Hervé

Gloaguen

L'Art actuel en France,

Du cinétisme à l'hyperréalisme Balland éd., 325 p. ill.

par

José

Pierre

Il faut se réjouir qu’un an à peine après la publication, aux éditions

du

Chêne,

d’Art

en

généranouvelle une France, Balland édite tion (1), André

à son tour un ouvrage sur le même sujet. Les deux ouvrages ne feront pas double emploi car si les mêmes artistes dont parlait Jean Clair (Hantaï excepté) se retrouvent dans celui-ci, une

foule d’autres vient s’y ajouter : * des Conceptuels (Kirili, Pineau, Thénot, Venet, Barré), des Sup(Cane, Dolla, porters/Surfacistes

Bioulès, Devade, à peine mentionnés par Clair), le Nouveau Réa-

lisme au grand complet (éliminé appartenant par Clair comme déjà au passé), des artistes difficilement classables comme Caniaris, Bertholo,

Miralda, réalistes Moninot, artistes Ljuba),

Dufo,

Sanejouand,

Del

Pezzo,

des hyper-

comme Szafran, Csernus, Gramatzki, Sandorfi, des (Dado, du fantastique (néo» s les « Objecteur

_logisme dû à Alain Jouffroy pour Pommereulle, Kudo, désigner

Raynaud), le « Mec Art » (néologisme, restanyen cette fois, concernant non pas l’art des « mecs »,

mais l’art mécanique

obtenu par

des procédés de reproduction de

l’image) et même des surréalistes Enfin, (Camacho, Silbermann). l’art cinétique, dont Jean Clair ne voulait à aucun prix, obtient ici droit de cité, et jusqu’à une vieille lune comme Dewasne.

du 16 au 28 février 1974

Entrée

des artistes

L'auteur est Anne Tronche. Je ne la connais pas. Son nom me dit qu’il s’agit d’une femme. Je ne parlerai donc que de son texte. Ce texte est remarquable, notamment par ses qualités didactiques.

Anne

Tronche,

en

effet,

s’attache pour chacun des artistes qu’elle étudie non seulement à expliquer sa démarche théorique et pratique, mais à analyser l’évolution chronologique de son œuvre. Elle y réussit parfaite-

ment. Au point que je me suis aperçu qu’elle avait compris beaucoup mieux que moi des choses qui, cependant, me sont familières depuis des siècles et des siècles. Elle est sans doute plus intelligente que moi. Que l’on ne croie pas que ce soit là de ma part une constatation désagréable. Pas du tout. L'intelligence ne me dégoûte que lorsqu'elle se croit seule au monde. Ce n’est pas le cas. J’aime qu’Anne Tron-

che main

vienne et me

me

prendre

montre

par

la

des tableaux

César au travail

les représentants étrangers sont rares. Aussi faut-il souligner l'importance de la représentation des « Petersburg Press » de New York et de Londres qui exposent des éditions importanLe marché de l'art à visage décou- tes de Rosenquist, Oldenburg, Havert. Alors que la plupart des gran- milton, Jim Dine et Stella. Enfin, à des manifestations artistiques sem- l'initiative d'André Parinaud, un cerblent rougir de leurs implications tain nombre de «cartes blanches» avec les « marchands », cette fois, permettent à des critiques de préen plein Paris, un Salon consacré senter des peintres : le changement aux « Beaux Arts » s'organise sur quotidien de l'accrochage constitue le modèle de ceux qui permettent de une heureuse animation dans ce vendre des autos ou des piscines. salon, où même le stand tenu par L'art y est montré comme un bien de Ben paraît bien désuet. consommation. Le forfait fut commis, Paris doit pouvoir intervenir plus loin des quartiers réservés au haut courageusement sur le marché de négoce d'art, à la Bastille, là où se l'art, les artistes n'y manquent pas; motards. encore faudrait-il que bien des marles rendez-vous donnent Ainsi, après l'Allemagne où ce type chands soient plus téméraires et de « foires de l'art » s'est multiplié cessent d'être de prudents observaces dernières années, Paris a rompu teurs ou les suiveurs laborieux de aristocratiques leurs collègues traditions ses avec américains et allepour s'encanailler à son tour, mais mands. Au moment où l'Etat construit encore timidement. Certains ont pré- à grands frais le centre Beaubourg, féré ne pas jouer le jeu. Ainsi ce les galeries devraient être moins Salon est devenu celui des éditeurs mgrates quand il s’agit de renforcer la prospection s'organi- fa place de Paris dans la vie interd'estampes, sant sous le slogan : « De l'art pour nationale des arts. toutes les bourses ». Alors que la Jean-Louis Pradel plupart des galeries parisiennes les plus prestigieuses ont préféré bouder parisienne, tentative première cette

Salon international porain.

d’Art

contem-

21

ou

autre

chose

patiemment,

ter

par

en

sans

mes

m'expliquant

se

laisser

questions

rebu-

imbéciles.

J'aime. d'autant plus Son mérite est grand que l’ouvrage, fort illustré cependant, ne contient pratiquement pas de reproductions d’œuvres d'art. Ce qui constitue d’ailleurs sa grande originalité, puisque cela a conduit l'écrivain et le

photographe, à

se

chacun

comporter

plet.

Hervé

de son

en

auteur

Gloaguen,

en

côté, com-

effet,

s’est préoccupé essentiellement de la personne des créateurs (oui,

c’est

le

vocabulaire

papa,

et

après ?),

travail,

soit

au

de

grand-

saisis

repos,

soit

soit

au

plantées

là ! » leur

dit-on.

Elles la trouvent mauvaise, et pourtant ! Cette gageure à mon sens pleinement tenue m’entraîne à de folles rêveries, par exemple un livre sur l’art abstrait uniquement illustré par des photos de jolies filles (j'attends le premier éditeur qui dira : « Chiche ! »). Mais grâce à André Balland vrai dire, je ne sais de qui

(à est

Directeur : Jean PIEL Au sommaire

JANVIER

des derniers numéros :

1974 (n° 320)

Jean-François LYOTARD Coïtus reservatus Roger

Un Paul Le

amphibie vertical

Alain DUAULT Lettre à Michel Deguy

FEVRIER 1974 (n° 321) Luce IRIGARAY Freud : un vieux

rêve

de symétrie Louis

MARIN Champ théorique et pratique symbolique Jacqueline

PIGEOT

Le Japon aux avec l’autre Abonnements France Etranger Editions

de

:

Minuit

prises

6 mois 45 F 50 F -

7, rue

1 an 80F 9 F Bernard-

Palissy - 75006 Paris. CCP Paris 180.43 Le numéro :8 F

22

seur,

Diable

gouffre se de Gérald Baudelaire, un profes-

merci,

écrivait

l’instar des chinois même

nom)

rizons

», on

repassera,

avec

ces

messieurs-dames qui considèrent une œuvre d'art avec autant

d'émotion (qui sait ? moins, peutêtre) qu’une copie de baccalauréat ! Que l’on n’interprète pas cela comme une attaque contre (d’abord,

c’est

bien

trop à la mode et ensuite, les poètes sont partout aujourd’hui, y compris dans l’Université ; mais ils y sont, comme partout ailleurs, en minorité), mais contre le positivisme. Feu sur les ours savants du social-positivisme ! Et, pour

Royaumes

! Et nous

nous

du haïs-

sions de bon cœur les uns les autres, lui, Jouffroy, Restany, Otto Hahn, Jean-Clarence Lambert, Jean-Jacques Lévêque, Raoul-Jean Moulin et moimême, tandis que les artistes que nous défendions entretema

foi,

d’assez

bons

rapports les uns avec les autres. Car soudain me frappe « a posteriori » cette évidence, bien peu faite pour raccourcir la distance avec la « relève » universitaire, je le crains, que ce n’est pas nos propres personnes que nous

prenions

alors

au

non,

ce

que

nous

prenions

ce

n’était

tragique,

« Pour être juste, c’est-à-dire pour avoir sa raison d’être, la critique doit être partiale, passionnée, politique, c’est-à-dire forte d’un point de vue exclusif, mais du point de vue qui ouvre le plus d’horizons. » Quelle est la « raison d’être » de la « critique des professeurs », sinon d’être chiante, prétentieuse et dogmatique ? En tout cas, pour « le point de vue qui ouvre le plus d’ho-

que

sérieux

rien

:

au

moins

l’art.

Et

voici

maintenant

l'entrée

des artistes. Voici, en effet, par la grâce d'Hervé Gloaguen, le visage ou la silhouette ou en tout cas « l’allure naturelle » de ceux

concéderai cependant que tous ne méritent pas cette infamante appellation) s’explique par la certitude où il avoue se tenir que les critiques du début des années soixante engagés, comme luimême, dans un combat résolument partial, doivent aujourd’hui, comme ïil le dit, « passer la main » et notamment à l’universitaire sans fièvre. Propos de patriarche ou ne serait-ce pas encore un coup le mirage de la scientificité surgissant du désert de l’empirisme ? C’est encore le même gouffre qui nous sépare,

de la Cannebière,

Tin-

guely se mangeant les mains, Raysse jouant avec son fils, Christo arpentant ses draps de lit, Jacquet descendant aux caves de soi-même, Pommereulle en Sitting-Bull, Kudo en sage du Japon, Raynaud en prophète, Rancillac faisant

les

cornes,

Klasen

ven-

dant des appareils sanitaires, Erro dans

sa

Maison-du-Jouir,

Mono-

ry-Narcisse canardant les miroirs, Télémaque disposant dans son couloir un traquenard destiné à faire trébucher la concierge, Samuel

Buri

sur

son

escarpolette,

Arroyo avec une poussière dans l'œil, Parré pris d’une soudaine envie

de

vomir,

bre,

Cueco

ture

aux

Aillaud

à l’om-

enseignant CRS,

Del

la

pein-

Pezzo

dac-

petit à petit, mais je m'y mets !).

le rôle

te, enfin

aimés

ou

détestés,

semble comme une sorte de western dont le sujet serait en somme l'artiste courant après sa propre

image,

l’histoire queue.

la

de l’art

casserole

attachée

Ah ! ils auront

les

entends

d'ici

de

à sa

beau

: «

jeu,

Mais

qu'est-ce que c’est que ces zozos ?

Mais pour qui se prend-on ? Mais qu'est-ce

qu’on

essaie

de

nous

faire croire ? Mais à quoi rime tout ce guignol? » Ah oui, Hervé Gloaguen, vous en avez fait de belles ! Ah

oui, c’est du

création chef dans papa !) reportage

seul

en truand

Je

avons

poète »).… Cette placidité de Gassiot-Talabot devant l’offensive des cuistres (sans me faire prier, je

un

mélanger ses couleurs, Takis en sage de la Grèce, le Saint-Esprit géométrique descendant sur la tête de Kowalski, Alleyn après la ponte, César répandant ses déjections à pleins seaux, Arman

les contempteurs de la chose artistique et de ses producteurs actuels (je m’y mets, au jargon —

que nous

portés aux nues ou voués à l’extermination, quelquefois même sciemment ignorés, selon les cas, les voici qui composent tous en-

Charles Estienne (il fut peutêtre notre dernier « critique-

» pour

écoutant les remontrances de son patron, Pol Bury remontant sa pendule, Cruz-Diez apprenant à

tylographe, Titus-Carmel dans son grand numéro de charme, Sanejouand allant aux cabinets dans le fond du jardin, Gina Pane déplaçant les montagnes, Le Gac observant le paysage par le petit bout de la lorgnette, Ben cherchant la claque, Boltanski dans les affres de la constipation, Sarkis prêt à mordre, Journiac communiant, l'inspecteur Barré, Viallat secouant ses tapis, Dezeuze et Devade jouant à qui posera le mieux la photo du refoulé, Csernus au travail, Gasiorowski dans

propre ! N’empêche que ce n’est pas, comme le croiront les positivistes, à une sociologie de la

ques-professeurs

VIRILIO littoral

Là, un insondable creuse entre les pieds et mes propres pieds. qui, lui, n’était pas

ma part, je donnerais volontiers une pleine charretée de « ceriti-

KEMPF

sinistre

Feu sur les ours savants du social-positivisme!

l’Université

CRITIQUE

certes, mais je conviens avec Gérald que nous nous jetâmes à corps perdu, il y a environ une dizaine d’années, dans ce combat, nous les critiques-combattants (à

naient,

à la

pose, tandis qu’Anne Tronche, elle, ne se souciait que des œuvres. Voilà du coup le discours critique libéré de ce pléonasme permanent que représente d'ordinaire l’insistance des œuvres à rester « dans le champ » (dans la galerie ou dans le musée comme dans l’article de revue ou le livre sur l’art). Mais puisqu'on parle de vous, vous n'avez pas besoin de rester

l’idée), peut-être finira-t-on par s’apercevoir que le discours critique tend, à la limite, à éliminer l’objet même qui lui sert de prétexte. Et cela n’est nulle part plus évident que chez ces « critiques-professeurs » dont, dans sa bonne préface, Gérald GassiotTalabot se réjouit de constater depuis quelques années l’irrésistible émergence (n'est-ce pas ainsi qu'ils diraient?) (2).

d’art (nous voilà derele vocabulaire de grandque nous introduit ce photographique qui fera

date (je regrette pour ma part que n’y figurent pas tous les artistes recensés par Anne Tronche), mais à son ontologie, ni plus ni moins. Qu’'y voit-on en effet ? Camacho en méditation devant un caillou, Olivier se boyautant entre ses compères Arrabal-la-Panique et Topor-le-Punique, Dado dialoguant avec Jehovah, Zeimert écoutant la voix de sainte Catherine,

Ljuba tirant un tableau

de son

nombril,

de cra-

Dewasne

venant

cher sur le plancher, Agam jouant avec un ressort à boudin, Soto triste,

Le

Parc

en

magasinier

de Madame

Sandorfi

Irma, voyan-

en

play-boy.

« Tics, tics et tics »

mont,

Poésies).

C’est

(Lautréa-

des

comé-

diens. À savoir des artistes. « Words, words, words », des mots, des mots, des mots (Shakespeare, Hamlet). C’est des tragé-

diens.

A

savoir

combattants. Mais les

uns

des et

critiquesles

autres,

comédiens et tragédiens, participent ensemble à ce grand drame de l’art contemporain. Et une fois la pièce jouée, le rideau retombé, quoi ? Les balayeuses. Les « critiques-professeurs ».

1. Voir la Quinzaine littéraire n° 175. 2. Tout le développement qui

suit ne concerne en rien — est-il besoin de le dire ? — Anne Tronche, dont je ne crois d’ailleurs pas qu’elle soit une universitaire, et quand bien même le serait-elle,

La Quinzaine Littéraire

Entretien

PHILOSOPHIE

Deux sœurs mais qui ne sont pas Jumelles François Chatelet publie, chez Hachette, le septième tome de |’ « Histoire de la philosophie », entreprise collective dont il a pris la direction. D'autre part, dans l'Encyclopédie de la Pléiade paraît le tome Il d’une « Histoire de la philosophie », sous la direction d'Yvon

tion.

Belaval (le premier tome avait été dirigé par Brice Parain).

Chez Hachette, j'étais « hors collection ». lJ'occupe, en somme, un bâtiment indépendant. En outre, pendant ma gestion, qui a duré sept ans (oui, sept ans), un journaliste, d’ailleurs fort aimable, a dit : « L’histoire de Chatelet qui a couru bride abattue puisqu'on a vu paraître huit volumes en un an et demi. » C'est vrai, ces volumes ont paru en dix-huit mois, mais il y avait eu sept ans de préparation.

Une « histoire » de la philosophie est donc encore possible aujourd'hui. On peut l’envisager de diverses manières et le curieux en l'affaire est que ces deux entreprises, celle de Chatelet et celle de Belaval, loin de se concurrencer, se complètent. Pourquoi, et de quelle façon ? C'est ce que Gilles Lapouge, pour « la Quinzaine littéraire », a demandé aux deux maîtres d'œuvre. Ils se sont réunis tous trois autour d’une table. Voici les propos qu'ils ont échangés.

« laire et Mais quer les

Y.

Gilles Lapouge. —

Yvon

Belaval,

celle de construire, de diriger une Histoire de la philosophie. Pouvezvous, d’abord, définir le projet qui vous a été proposé, et la manière dont vous l'avez conçu ? François Chatelet. — Il y avait un besoin d'histoires de la philosophie car nous en étions privés. Certes, nous disposions d'ouvrages dus à des personnalités très remarquables, le « Bréhier », par exemple. Mais, dans la première . édition de cet ouvrage, Karl Marx est présenté comme un épigone de gauche de Hegel et Freud a droit à dix lignes...

G. L. — Mais, dieu merci, Ollé Laprune a cinq pages... Yvon

Belaval.



Même

chose

_ pour l’histoire de Janet et Séailles dans

laquelle

le nom

ne figure qu'une sommes en 1930.

de

fois,

Husserl

et

nous

F. C. — Je pense donc qu'aujourd'hui une Histoire de la philosophie ne peut qu'être un travail collectif et, cela, pour deux raisons. D'abord, l'exigence de sérieux. On ne peut tout connaître. Le philosophe humaniste qui est capabie de disserter sur tout, de Platon à Husserl, c'est fini. Les historiens

du 16 au 28 février 1974

nous ont contraints à des précisions plus fines, à des analyses plus fouillées. Dès lors, on ne peut plus être l'élégant philosophe qui parle de n'importe quoi. Il faut être en partie spécialisé. La seconde raison est que nous devons admettre l'éclatement de la perspective philosophique. Y. B. —

Oui, je l'ai indiqué dans

ma préface. Mais il y a encore autre chose : celui qui écrit. Les professeurs n'ont plus le temps

qu'ils

avaient

jadis

pour

oser

entreprendre, comme Brunschvicg, une histoire de la philosophie, ou, avant lui, Weber qui, d’un point de vue hégélien, impose une unité que nous ne pouvons guère imposer à un ensemble disparate de collaborateurs. Nous sommes obligés de faire appel à des spécialistes et de bâtir des histoires à multiples foyers. En même temps, Chatelet

comme moi, nous nous adressons à un grand public. Pourquoi pas ? A l'hôpital maritime de Brest, la musique des équipages de la flotte

jouait,

sans

concession

aucune,

Bach, Mozart. Les marins bretons se disaient « Qu'est-ce que c'est que ça? », mais ils revenaient. Morale : « Il ne faut pas faire de la mauvaise musique pour le peuple. »

F. C. —

Oui, pas de vulgarisa-

la philosophie popunon pas vulgaire. » je voudrais aussi indidifférences entre l’entre-

prise de Belaval et la mienne. En réalité, je les crois complémentaires. J'ai eu de la chance.

délai

François Chatelet, vous avez eu, l'un et l’autre, une étrange idée,

De

B. — pour

Sept

ans,

oui,

même

moi.

F. C. — Donc, j'ai eu la chance trois directeurs adminisce qui m'a ménagé une très grande liberté, d'autant plus que tous m'ont fait la même confiance.

d'avoir tratifs,

Y. B. —

Je n'ai eu

affaire

collaborateurs étrangers, deux Egyptiens, Badawi et Abdel-Malek, pour la pensée arabe, ou Duchesneau, un Québecois, pour la philosophie américaine. Mais mon projet n'était pas celui de Belaval. Je n'avais pas une période à couvrir, pas de calendrier. Je voulais baliser un champ. En réalité, j'aurais volontiers appelé l'ouvrage « géographie de la philosophie », étant entendu que je conservais d'inévitables repérages chronologiques. Quant à une « position philosophique », non, je n'ai pas voulu en prendre, si ce n'est un « rationalisme méticuleux ». Belaval parle d'une perspective marxiste, il est vraiment trop gentil. Non. J'ai simplement considéré que la philosophie, ce «texte», ce n'est pas quelque chose qui vient « comme ça ». C'est une réponse. Ce n'est pas une production d’une pensée, d'une subjectivité, ce n'est pas non plus le reflet d’une classe sociale. C'est l'entrée du théorique dans une problématique intellectuelle et du coup dans une lutte politique, sociale, historique.

qu’à

Raymond Queneau, directeur de G. L. — Je voudrais revenir au la collection, qui m'a laissé la travail réel que vous avez accomliberté la plus totale. Au fond, ce pli, et surtout à vos relations que je devais faire, c'était remavec vos collaborateurs. Je prends plir la période de temps qui va un exemple très précis : le déde la Renaissance aux postcoupage des périodes, est-ce une kantiens. J'ai dû éliminer, comme décision initiale ou bien dégagée n'étant pas homogènes à mon à la suite de discussions ? Plus projet, les philosophies juive, précisément, vous, Chatelet, par arabe ou hindoue, mais elles appaexemple, il y a des auteurs, ou raîtront dans le troisième volume des notions, que vous éclairez de l'Encyclopédie, avec, par brillamment alors que d'autres exemple, Corbin sur la philosozones sont abandonnées à l'omphie arabe. Elles s'intégraient mal bre. Est-ce délibéré, ou bien un à la philosophie européenne. C'est “effet de hasard ? seulement maintenant que nous pouvons commencer à parler d'une philosophie planétaire. J'ai. F. C. — C'est une décision de voulu me garder de tout préjugé . ma.part, à 80 ", et la malchance philosophique, à la différence de à 20 % — malchance qui peut Chatelet qui avait pour centre se transformer en chance. Quant une perspective sur Marx. En au travail collectif, que dire ? J'ai tant que collaborateurs, loin de me mis du soin à donner un titre à cantonner à des Français, j'ai fait chaque volume. Le tome Ill, le appel à un Anglais, Acton, pour XVIIe siècle, je l'ai appelé « la la philosophie anglaise, à un ItaPhilosophie du monde nouveau ». lien, Baldoloni, pour la philosoEh bien, le titre même donne phie italienne, etc, et j'ai un immédiatement le ton à ce qui chapitre remarquable, neuf, sur la suit. Et du coup, le texte de philosophie allemande au XVII° Pividal sur Leibniz, dans la mesiècle, par Heinrich Schepers. sure où il s'inscrivait sous cet intitulé, et sans qu'on puisse parler d'un «travail d'atelier», F. C. — J'ai, moi aussi, quelques

23

devenait cohérent à l'ensemble. il en est résulté un texte court et merveilleux dans lequel Pivi-

dal

montre

la

question

que

Leibniz

du

monde

répond

à

nouveau

et fait surgir une espèce de surrationalité extraordinaire pour l'époque. Cela dit, on pourrait, en effet,

élaborer

une

autre

sorte

d'histoire de la philosophie, un immense travail exhaustif mais qui serait alors l'œuvre d'un CNRS à l'échelle planétaire.

Y. B. — Amérique. F. C. comme

On

s'y

— Ils vont d'habitude.

emploie,

mal

en

G. L. — Oui, à moins que tout le travail soit le résultat d'une recherche d'équipe. Autrement dit, l'idée de |’ « atelier » vous paraît-elle folle ? F. C. — nais à une et si j'avais demander à quinze jours

un séminaire avec des étudiants et d'autres spécialistes, là oui, on pourrait faire un vrai travail d'équipe. M. Un Tel aurait les connaissances, moi j'aurais la méthode, le fil directeur.

le faire,

Y. B. — La complémentarité de deux ouvrages, je crois qu'on la saisit tout de suite si l’on jette un œil sur les dernières pages. La Pléiade est une encyclopédie. Il faut donc fournir des renseignements, le genre l'exige, l'ouvrage est assorti d’un index des noms, des tableaux, des synchronismes… autant d'éléments qui ne pouvaient pas apparaître dans l'entreprise de Chatelet. On lira peut-être l'Histoire de la philosophie de Hachette; celle de la Pléiade est un ouvrage de consultation. nos

F. C. — De référence, oui, de fond et très précieux. Mais nous, ce que nous avons voulu faire, c'est déterminer un champ avec ses pics, ses abrupts, ses fossés, etc. Et, en même temps, j'ai voulu provoquer chez le lecteur des amours et des haines. Je souhaiterais que la lecture du chapitre sur Kant pousse un avocat de Provins ou un médecin de Nevers à acheter les œuvres complètes de Kant, qu'il écrive à M. Vrin. Y. B. — Autrement dit, votre prochain titre sera « Pourquoi je lis de si bons livres » (Nietzsche).

Y. B. — Ah! non, Chatelet, là je vous taxerais d'idéalisme. Vous séparez le contenu du contenant, le fond de la forme. En réalité,

la méthode, c'est aussi de la philosophie. C'est aussi une philosophie. À mon sens, on ne peut effectuer un travail d'atelier qu'’en-

tre gens de la même croyance. Il vient de paraître aux Editions sociales une excellente histoire de la littérature française, elle est une dans la mesure où elle est l'œuvre d'une équipe marxiste. Sans croyance commune, on n'a pas d'équipe homogène. G. L. — Reste une autre interrogation peut-on, aujourd'hui, faire de l’histoire de la philosophie, au sens traditionnel du moins de cette discipline ? L'idée de progrès, par exemple, qui me paraît avoir nourri toute l’histoire de la philosophie, est une idée qui doit être soit abandonnée, soit remaniée. Alors, quelle figure peut prendre cette discipline?

F. C. — Oui, l’idée que l'histoire de la philosophie est une mise à la portée des jeunes âmes de la philosophie

Que

recevez

un

texte

de

n'être

gas

directif. Je ne peux donc exiger de modification.

pas

Perte AS

ahiDéBoga

re ja!vaine vois pas

Y. B. — C'est qu’un spécialiste a une certaine unité de vues que vous ne pouvez en aucun cas fausser par une perspective différente

ilosophie

analogue à celui que Lévi-Strauss accorde aux tribus indiennes. Exemple : dans le rapport bureaucratique, il y a une relation de dépendance, de servage. Cette relation, nous avons de la difficulté à la comprendre car nous sommes dedans, soit que nous soyons serfs, soit que nous soyons maîtres. Et la lecture du « Politique » d’'Aristote ou de son « Economique » nous permet d'accéder à un autre monde, avec un mode de production radicalement différent, une mentalité différente, tout cela me permettant de mieux comprendre les articulations de ce qui se passe aujourd'hui. Le recours au passé, c'est une sorte de voyage, presque au sens de voyage-drogue. Grâce à Platon, je comprends mieux le sort qui m'est fait aujourd'hui. Y. B. — Il est vrai qu'on ne peut devenir philosophe sans avoir lu les auteurs du passé. Je rabaisserai peut-être un peu votre formule en disant sans connaissance du passé, on manque de repères et les jeunes s'embarquent sur le dernier bateau, la dernière mode, au lieu que, s'ils avaient lu Aristote, ils jugeraient à leur valeur bien des proclamations qui n'ont de nouveauté que par notre ignorance. Pour revenir à la question, je distinguerai trois

aspects — Premier

aspect. L'usage du passé. Malraux dit qu’un peintre ne regarde pas la nature, il regarde les autres peintres. Un philosophe aussi se forme en lisant la philosophie. Il ne peut en être autrement. Il est bon qu'on ait du

recul là-dessus, je suis leibnizien. Nul ne pense à partir de rien. On doit connaître du passé. Sinon on est « moderniste », on n'est pas « moderne ». Il est vrai, on peut utiliser le passé sans faire de l'histoire de la philosophie. C'est ce que faisaient les Hindous, le passé était un présent; c'est ce que fait, à sa manière, Heidegger, négateur de l’histoire de la philosophie, commémorateur de l'être des présocratiques. — Second aspect. Appelons histoire de la philosophie, empiriquement, tout livre qui s'intitule histoire de la philosophie. De tels livres n'existent qu'à partir du XVIII® siècle. Avant il y avait des doxographies, suite d'opinions et de systèmes, un Bottin, ou un annuaire des philosophies. — A la fin du XVII", on se tourne vers le passé récent, disons de-

puis Viete et Galilée, et l'on cons-

G. L. — Pardonnez-moi, mais je ne vois pas du tout pourquoi.

24

ce

aberrant.

F. C. — C'est arrivé pour deux ou trois articles. Que faire? Je ne peux faire de reproches, si ce n'est à moi-même : j'avais fait un mauvais choix, ou bien j'avais mal exprimé mon projet. De plus, c'est un de mes soucis

que

l’histoire,

ET RAT

faites-vous ?

permanents

de

n'est plus possible. On ne peut plus être hégélien en ce sens. Je voudrais citer ma récente

G. L. — J'insiste sur la liberté que l'un comme l’autre vous avez laissée à vos collaborateurs. Prenons un cas concret. Vous avez demandé un article à quelqu'un et vous

Ecoutez, si j'apparteuniversité américaine assez de fonds pour M. Un Tel de passer avec moi, de faire

expérience, dans le Québec. Làbas, il y a eu une révolution tranquille, en 1968. Tout le passé clérical a été liquidé. Et du coup, les Québecois ont confondu passé et cléricalisme. Ils: ont évacué complètement l'histoire de la philosophie. Moi-même, je me suis montré un peu « vieillot » en évoquant Aristote. Au Québec, à présent, cela est « réactionnaire » d'évoquer Aristote. Et pourtant, comment parler de philosophie sans références à l’histoire de la pensée, que ce soit celle de Platon ou celle de Mao? Mon idée est la suivante : la philosophie et l’histoire de la philosophie sont nécessaires parce que dans le code explicite ou implicite que nous employons sont véhiculés et en général de mauvaise manière des concepts hérités du passé. Exemple : tous nos penseurs technocrates font un usage illégitime de concepts qui leur ont été légués par le passé philosophique. Qu'on me pardonne un souvenir. Mon père était dans l’administration et, pour monter dans la hiérarchie, il suivait des cours d'organisation du travail. J'étais, à cette époque, élève de troisième, de seconde. || me montrait ses cours. Je les trouvais très bien, jusqu’au jour où j'ai eu la chance d’avoir un professeur de philosophie qui m'a fait lire Descartes, pas seulement celui du « Discours de la méthode », mais aussi celui des « Méditations métaphysiques ». Alors, j'ai compris que cette organisation mentait sur Descartes, donnant de Descartes, à ces hommes mûrs, une idée menteuse. On leur disait que Descartes avait dit des choses qu'il n’a jamais dites. Il y a autre chose : les concepts du passé nous donnent la différence nous permettant de mieux comprendre notre présent. A cet égard, le passé philosophique d’Aristote jouerait un rôle

LÉTERRIER

tate que les mathématiques ont progressé. C'est alors que l’idée de progrès entre dans la civilisation occidentale, progrès non plus — où non plus seulement — moral et religieux, orienté vers l’audelà, mais scientifique et technique, dans l'immanence de l’histoire. Quand le marquis de l’Hospital publie l'analyse des infiniment petits, Fontenelle, son préfacier, aperçoit bien que l’ordre dans

La Quinzaine Littéraire

lequel se développe la mathématique est un ordre logique. Jusque-là, on acceptait le modèle chrétien : saint lrénée avait institué une dichotomie entre l'historia «stultitiae», celle des Anciens qui ne connaissaient pas le Christ, et l’ «historia sapientiae » chrétienne. On avait ainsi une histoire (un récit) : le péché originel, la venue du Christ, le Jugement dernier. Cette vision pouvait nourrir une philosophie de l’histoire, sûrement pas une histoire de la philosophie. Pour que celleci soit possible, il faut d'abord que le XVII siècle découvre l'idée de progrès. De fait, au siècle suivant, paraissent l’ «histoire critique de la philosophie » (1737) par Boureau-Deslandes et (1742-1744) l'énorme « Historia critica philosophiae » de Johann Jakob Brucker qui alimentera l’ « Encyclopédie », pour ne citer que les plus connues de ces histoires. — Troisième aspect le progrès a un sens. Quel sens ? On va le demander à une « philosophie de l'Histoire ». Elle prétend le lire soit a posteriori dans l’observation même de l'Histoire — ainsi Voltaire entend « philosophie» dans l'expression « philosophie de l'Histoire » qu'il inaugure, comme « natural philosophy » —, soit, à la fois, a priori et a posteriori — ainsi Bossuet, lorsqu'il s'appuie Sur sa croyance en un Dieu providentiel et aux Ecritures —, soit a priori chaque fois qu’on pose en principe non pas un « commencement» mais une «origine» de l'Histoire : la raison en puissance chez l’homme naturel pour Rousseau, l'Esprit pour Hegel, etc. De toute façon on invente un « roman» de la philosophie : Cournot, se référant à Vico et à Hegel, leur reproche d'avoir écrit une «épopée» de l'humanité (déjà Schelling, préludant à la « Phénoménologie de l'esprit», annonçait une «Odyssée de la conscience »). En ce roman, si la philoso-

phie, éclairée par son « origine », a un « commencement », elle doit avoir une «fin», dans la double acception de «terme» et de « but » : le Jugement dernier, l’Esprit conscient de soi-même, la société sans classes, etc. Une philo-' sophie de l'Histoire est nécessaire,

inévitable,

même

si l’on

ramène

l'Histoire à la toxographie, à un surgissement imprévisible de systèmes (ou d'intuitions) indépendants l’un de l’autre, ou qu'on la déclare inutile. La difficulté est de situer cette philosophie de l'Histoire, car n'est-elle pas ellemême une philosophie ? Ou nous la situons dans la chaîne des autres et ce n'est qu'une philosophie de plus, ou nous la situons en transcendance (option idéaliste en définitive) et nous nous heurtons à quelque paradoxe de l’ensemble de tous les ensembles. Quoi qu'il en soit, une unité de perspective en une Histoire de la philosophie exige le choix préalable d'une philosophie de l'Histoire, par exemple le marxisme...

du 16 au 28 février 1974

F.C. — Ce que je n'ai pas fait dans le texte dont j'ai eu la responsabilité. Y.B. — Pour ne pas lier les systèmes, il faut, je le répète, être bergsonien ou heideggerien — mais bergsonisme et heideggerianisme sont encore des philosophies de l'Histoire. G.L. — Une géographie, plutôt qu'une histoire.

donc,

Y.B. —

Non

: la géographie

tra-

vaille dans l'espace. Là, il vaudrait mieux parler du temps. On accepte que le temps est créateur,

que l'histoire existe, produit, ou on le nie, et alors, les systèmes durent bien dans le temps, mais le temps ne les lie pas l'un à l’autre. J'ai simplement voulu désigner ici, rapidement, les difficultés de l’entreprise. Je ne nous crois guère capables, encore aujourd'hui, de définir le concept «histoire de » — Sauf dans les romans.

Que reste-t-il comme territoire à l'Histoire de la Philosophie ? F.C. — Je crois qu'il y a une histoire mais pas une histoire de la philosophie. Il y a une histoire des hommes, une histoire des sociétés, une histoire matérielle. C'est là qu’il se passe des choses.

Y.B. —

Dans

quel

ordre ?

F.C. —

Dans

l'ordre

discursif….

Y.B. — Alors c'est une philosophie de l’histoire. Parlez-vous de « discours » ou de « calendrier » ? F.C. — On peut les situer, ces « choses », dans le calendrier. Je parle d’ «historia rerum gestarum ».. : Y.B. — « Ce qui se passait à Paris et au Zambèze se passait dans deux mondes » dit, à peu près, Valéry. En d’autres termes, on ne se rapporte pas, pour la culture, au calendrier...

F.C. — Il y a une sociétés réelles.

histoire

des

Y.B. — Selon quel calendrier? Vous n'échappez pas à une philosophie de l’histoire. D'ailleurs, si l'histoire de la philosophie a commencé...

F.C. — Et puis, disais-je, il y a des surgissements.. Y.B. — … elle doit avoir une fin. Lisez la Note de Kojève, sur la fin de l’histoire depuis la bataille d'Iéna, aux pages 434 et suivantes de son Introduction à la lecture de Hegel, deuxième édition.

F.C. — Donc, j'y reviens, il y a une histoire. J'essaie d'être marxiste... Y.B. —

Voilà!

Le:

F.C. — Mais, et c'est pourquoi je dénonçais tout à l'heure violemment la théorie du reflet, l’inconvénient est qu’à partir de là, nos marxistes ont construit des théories parallèles.

Y.B.



Des

historismes...

F.C. — Une histoire de l'art, une histoire de la philosophie reflets de l’histoire des sociétés. Et cela, je le refuse. L'art, la philosophie sont des intrusions brutales dans cette histoire réaliste et du coup on ne peut pas les traiter dans le sens d'une philosophie de l’histoire, on ne peut pas les intégrer à un tout homogène.

G. L. — Ce que je vois c'est que vous plumez peu à peu toute l'histoire de la philosophie comme on le fait d'une volaille et qu'une fois tout rejeté, idée de progrès, homogénéité des sphères culturelles, etc., il ne reste rien. Y. B. — Non : je me borne montrer qu'il y a problème. G.

t-il de

dien est pénétré de mauvaise philosophie. J'ajoute ceci : la philosophie est une institution dans nos pays. Belaval et moi, par exemple, nous avons pour métier son enseignement. C'est pourquoi il est important de temps à autre de bâtir des entreprises ces deux-ci. || demeure comme qu'une histoire de la philosophie

est n'y

absolument pas

a

illégitime

d'histoire

car

de

la

il

philo-

Sophie isolable. || y aurait peutêtre une histoire des idéologies, et encore. Le mot «idéologie» me paraît être un fourre-tout tellement répugnant! On peut donc dire qu'il y a une histoire des sociétés, et puis des irruptions dans le texte philosophique qui a une tradition et qui, du coup, détermine un champ. Heidegger, par exemple, ou Nietzsche, ont pensé que les dialogues platoniciens constituaient un domaine, le « définissant » de la philosophie. Ces irruptions, on peut en faire l’histoire, mais ce sera une histoire métaphorique. En réalité, elles ont représenté des réponses ponctuelles à des situations historiques.

G. L. — Dernière question votre ouvrage, Chatelet, et le vôtre, Belaval, feront-ils un jour partie de l'ensemble, c'est-à-dire ces histoires de la philosophie prendront-elles place dans l'histoire de la philosophie? F. C. — J'espère bien que non. J'espère bien que ce travail ne sera pas récupérable.

à

L. — Mais alors que resteaujourd'hui comme territoire l’histoire de la philosophie?

Y. B. — Ce que délimitent les ouvrages intitulés « Histoire de la philosophie » et qui n’est pas une essence immorale. Ces ouvrages sont utiles. Un peintre regarde des peintres, il ne fait pas d'histoire de la peinture, mais il

Y. B. — Moi, je suis certain du contraire. Pour des raisons que j'emprunte à Chatelet. Je suis contre le génialisme (romantique).

Nous

avons

fait un travail

col-

lectif. Le plus humble d'entre nous travaille à la tâche de tous. Rien n'est en vain.

F. cris.

C.

(silence).



Je

sous-

se nourrit du passé. Quant à l’histoire de la philosophie, si elle est difficile, c'est que le temps historique est déjà incertain et le temps de la philosophie est encore un autre temps. Donc le temps de l'histoire de la philosophie n'est pas le temps d'une autre histoire. L'histoire de Napoléon et l'histoire du kantisme sontelles vraiment contemporaines? Leur survivance dépend-elle des mêmes facteurs ? Koyré disait en 1930 : « Il y a des systèmes philosophiques morts à jamais », et donnait en exemple les. présocratiques. Il reste que le passé (muable) de la philosophie est passionnant comme tout le passé et qu'il faut le connaître pour dissiper les illusions de la mode et... du journalisme.

F., C. — Pourquoi ce projet ? J'ai dit que le vocabulaire quoti-

PSS

ET TEE

RE

ERIS

Suppressions à France-Culture France-Culture primer

les

a décidé

émissions

de

littéraires

supen-

tre 11 h 30 et midi. Parmi celles-ci, «les livres de philosophie» par Pierre Boudot, « les nouveaux livres de poésie » par «les livres et la

Alain Bosquet, musique » par Pierre Massé, « le livre d'art » par Jean Paget et « le livre ésotérique » par Raymond Abellio. En outre, « un livre, des voix », l'émission de Pierre Sipriot, a été déplacée. Elle passera désormais entre 17 h 45 et 18 h 05 au lieu de 21 h 20, heure de grande écoute.

ESOTERISME

Désocculter Raymond Abellio La Fin de l'Esotérisme Flammarion

par

Marc

éd., 254

moins,

p.

Hanrez

«

destination

Pour

en

finir

sait

qu’ésotérisme,

d’après sa racine grecque, signifie accès « de l’intérieur ». C’està-dire que, du dehors où nous sommes, nous devons d’abord

Déjà le titre est énigmatique. Il peut se lire : « L’ésotérisme et sa

si l’on

», ou

encore

avec

l’ésotéris-

me ». Mais le propos ne l’est pas

EOPRIT LA CRISE PÉTROLIÈRE et les troubles

de conscience des sociétés européennes

Sous-développement et dépendance

passer «au dedans >»— où nous ne serons plus ce que nous étions. Double mouvement qui se réduit, dans le temps et dans l’espace, à « la permanence de tout moment présent (p. 96) ». Dialectique, également, entre le duratif (découverte progressive des « vérités

cachées

»)

et

l’instantané

(coup de foudre qui les révèle tout de go) ; sur laquelle s’articule en fait la problématique du langage comme médiateur de la pensée (le sens réside-t-il entièrement dans le signe ou bien se raccroche-t-il à autre chose ailleurs ?). Soit. Mais quand même une question : tout cela pour accéder à quoi ? — A la « vérité » que l’homme ne peut vivre qu’en mourant à lui-même sous sa forme relative. On le voit : ce petit livre, au format presque de poche, n’est pas un vade mecum des plus commodes. Et pourtant, hormis dans quelques articles, préfaces et autres textes brefs, Abellio n’a

CHRÉTIENS

DU CHILI

Le chemin de la révolution, les leçons de l’expérience Rome

et la Junte

Enquête au pays basque

Personnaliste en Pologne

Les Arabes après la guerre d’octobre

FÉVRIER 1974, 10 F

ESPRIT 26

19, rue Jacob, Paris 6 C.C.P. Paris 1154-51

jamais fait pareil effort de simplification : pour l’ésotérisme millénaire en tant que tel et/ou pour ce qu’il en pense au regard de la modernité. Car il s’agit d’une « thèse » aussi bien que d’une leçon, le discours auquel cela donne lieu se distribuant en cinq exposés sur : 1) ce qu’il faut entendre au juste par ésotérisme ; 2) la désoccultation doré-

navant

possible et nécessaire

actuelle

de

certaine redondance et, ce qui gènera davantage les profanes (donc forcément la majorité des lecteurs),

mations

un

télescopage

d’infor-

singulières.

Par exemple, au passage sur la « guématrie » kabbalistique, où Abellio « relit » l’arbre des séphiroth à la lumière de son ouvrage La Bible document chiffré (1),

il faut

rester

très

vigi-

lant pour ne pas perdre le fil de la démonstration. Et, en général, si l’on ne veut pas être désorienté parmi toutes ces références, qui sautent de la philosophie à la physique, de l’histoire à l'informatique, etc., il est bon

d’avoir

une

forte

culture,

seul intellect », et de l’occultisme,

d’autre part, comme « pratique dépourvue des parapets intellectuels et spirituels de la doctrine (ibid.) », à montrer quelle ouverture salutaire, voire salvatrice,

« l’ésotérisme traditionnel » peut offrir à l’esprit moderne. Ce faisant, Abellio prend parti : à la fois contre un scientisme de serre chaude, qui enferme le réel dans des systèmes clos, et contre un mysticisme d’irresponsabilité, qui dissout la conscience au lieu de la focaliser. Car, tout bien considéré, « l’orgasme initiatique sera toujours

d’autant plus intense que la montée vers ce paroxysme d’ « incon-

d’être en plus à la page et, sur-

naissance

tout,

elle-même mieux connue (pp. 194-

de

connaître

La

Structure

absolue, essai du même penseur, auquel celui-ci se reporte explicitement ou implicitement. Cela dit, le discours

dans

son

ensem-

195)

> sera plus attentive et

». C’est

donc

à la re-con-

naïssance de « la qualité gnostique de cette approche » que nous convie Abellio dans un texte par-

ble atteint son objectif, qui est manifestement d’appâter plutôt que de convaincre. En effet, nous sommes dans un ordre de choses

ticulièrement

(d’idées) et, pour

récemment parus (2), il donne une clé valable en même temps pour l’ésotérisme, « traditionnel »

extrêmement délicat — certains, discutable —,

puisque finalement chaque fait, chaque mot, chaque signe au monde soulève le problème de la « transparence à l’invisible et à l’universel que les modernes ont perdue en exerçant le pouvoir dissociateur de l’intellect (page 24)

».

Nous autres intellectualistes

dense.

Et,

s’il

ne

renouvelle pas là son œuvre, ni même ne la prolonge, contrairement aux mémoires et au journal

ou non, et pour son propre système philosophique. On retiendra que plus que jamais l’homme y est destiné, sans pour autant répudier l’histoire, à fonder son bien-être dans la « transfiguration » de l’histoire même : démarche a priori contradictoire où Abellio, pour sa part, semble avoir mis sa dernière ambition.

(s

de

la tradition ; 3) les enseignements significatifs de la Kabbale hébraïque et du Y-King chinois ; 4) la portée intime et toujours

la Tradition

l’alchimie;

et 5) ce que l’astrologie représente par rapport à l’épistémologie contemporaine. Exposés qui succèdent à autant de conférences et qui, malgré leur refonte et leur accroissement (dixit l’auteur), ont gardé l’allure et le ton

dégagé d’une causerie. D’où parfois, d’un chapitre à l’autre, une

Mais voilà précisément le biais par lequel, nous autres intellectualistes, nous serions capables en quelque sorte de renouer avec une tradition indatable : avec LA « tradition primordiale [qui] a été donnée aux hommes d’un seul coup, tout entière, mais voilée (p. 12) ». Aussi, sur une lon-

gue série de points, suivant les vecteurs précités, Abellio s’ingénie à rapprocher l’ancien du nouveau

et,

au-delà

d’une part, comme

de

l’érudition,

« activité du

L Tome II, Paris, Gallimard, « Les Essais », n° XLVI, 1950. 2. Voir La Quinzaine littéraire, n° 136, du 1” au 15 mars 1972, p. 5, et n° 160, du 16 au 31 mars

1973, pp. 9-10. Marc

Hanrez,

professeur d'université

aux Etats-Unis, prépare une thèse de doctorat sur Raymond Abellio.

La Quinzaine Littéraire

HISTOIRE

C'était avant la Révolution Siwitt Aray Les Cent Fleurs Coll. « Questions Flammarion

par

Louis

d’histoire

».

éd., 186 p.

vants, annonçant ainsi la nouvelle politique du parti communiste chinois. Contemporaine de la dénonciation du culte de la personnalité par Khrouchtchev au XX° congrès du P.C.US., la formule promet aux intellectuels un traitement plus libéral, d’autant plus que deux ans plus tôt, à l’occasion d’une campagne de critiques développée autour du Rêve dans le pavillon rouge, un roman de la dynastie des Quing, une chasse aux sorcières s'était déclenchée dans le domaine culturel avant de s’étendre au-delà des cercles littéraires. En 1955, des intellectuels, des militaires, membres du Parti ou non, des catholiques, des taoïstes, des bouddhistes furent envoyés en prison.

Dans tous les secteurs de la vie nationale — y compris ceux de la science, de la littérature et de

l’art — des plans étaient mis sur pied pour une durée de douze ans (1956-1967). A travers eux le Parti visait au renforcement de son contrôle sur toutes les activités, individuelles ou sociales.

« Que Cent Fleurs s’épanouissent, que Cent Ecoles rivalisent », ce nouveau mot d'ordre annonce un relâchement du contrôle bureaucratique et une volonté de ‘rallier les intellectuels en leur donnant la possibilité de s’exprimer librement. Peut-être même, au-delà de l'objectif immédiat, la formule contenait-elle un projet plus ambitieux, celui de promou-

28 février

de l’histoire,

la Renaissan-

ce italienne ou plus précisément la période chinoise des Cent Ecoles de l’époque des Royaumes

Combattants (480-222 av. J.-C.) qui avait vu l’éclosion de plusieurs courants philosophiques

Arenilla

En janvier 1956, à la réunion du Conseil suprême d’Etat, Mao lance le slogan « Que Cent Fleurs s’épanouissent, que (Cent Ecoles rivalisent ». Deux mois plus tard, le chef du département de propagande reprend le mot d'ordre devant une assemblée d'écrivains, d'artistes et de sa-

du 16 au

librement créatrice se développe toute une campagne de rectification qui met en jeu les rapports d'autorité. En particulier, le mouvement étudiant à travers le déferlement de la parole libérée, par ses publications, ses organisations et ses campagnes, donne aux « Cent Fleurs » et aux « Cent Ecoles » le sens d’une contestation du système social et indirectement d’une dénonciation des agissements du parti communiste chinois, jusqu’au jour où en mai 1957 un message de Mao à la troisième conférence de la Ligue des Jeunesses communistes mar-

voir un moment historique qui rivaliserait avec les grands renouveaux

1974

culturelle

(l’école des lettrés, l’école des Taoïstes, l’école du Yin et du Yan, l’école de Moze, l’école des

Légistes, etc.) avant que le confucianisme devint un dogme d’Etat. Dans cette double perspective de rupture avec le passé immédiat et d’instauration d’une volonté

1957 : LE « MAI » CHINOIS Au lendemain

de la « campagne

de

rectification » lancée le 27 avril 1957 par le Comité central du parti com-

muniste chinois pour enrayer l'exercice de la libre discussion trois «

et

maux

dénoncés

bureaucratisme

le

par

par les

Mao,

le

», le « sectarisme

«subjectivisme»,

un

»

profond

mouvement de contestation fait apparition dans les universités

son chi-

noises, déjà très agitées depuis la rentrée scolaire par les insurrections de Poznan et de Budapest.

Déclenchée dès le 25 mai par une phrase de Mao à la troisième conférence de la Ligue des jeunesses com-

munistes : « Toute parole, tout acte s'écartant du socialisme est totalement dans l'erreur », la répression, qui permettra l'instauration d'un sys-

tème

pénitentiaire

à

toute

épreuve,

sera sévère : « 800 étudiants de la seule Université de Pékin furent accusés d'être des «droitiers». Les plus connus, Lin Xi-ling (une étudiante), Dang Tien-rong, etc. durent rejoindre Hu Feng (écrivain contestataire) et bien d'autres, dans les

Le 19 mai, c’est l'explosion : « A la fin du mois de mai 1957, l'Université de Pékin a son « Hyde Park », oubliettes de la « rééducation par le une place entre les cantines et les travail », la mort ou la folie. A Hadortoirs devenue la « Place démocra- .nyang, trois « contre-révolutionnaires » tique » où chacun peut aller dire ce accusés par les autorités d'avoir été qu'il pense. Des centaines d'affiches les meneurs de l'émeute étudiante qui recouvrent les murs de l'Université. eut lieu dans cette ville les 12 et Signées ou non, elles font, chacune 13 juin, furent exécutés le 6 sepà sa manière, la critique du Pouvoir, tembre 1957 devant 10 000 personnes. du système policier, de l'idéologie du D'autres exécutions auront lieu ultéPendant les vacances, Parti communiste. Des membres des rieurement. partis minoritaires, des députés, des 12600 étudiants de Pékin furent enétudiants d’autres universités, viennent voyés dans des fermes d'Etat pour prendre la parole. Et dans cette at- arracher des herbes, ramasser le fumosphère de fête, on entend l'écho mier, construire des bâtiments, etc. aidèrent à l'entretien des d'un mot d’Héraclite : « Les Ephésiens D'autres devraient se pendre et abandonner machines dans les usines. À Shangai, leur cité aux enfants », peut-on lire 3000 étudiants furent envoyés dans sur la première affiche de Dang Tian- les campagnes. A Fuzhou, les éturong. Il en écrira d’autres qui porteront diants furent employés à la construcle titre provocateur d'« Herbes véné- tion des routes. » Faut-il maintenant rappeler le nom neuses », et qu'il signe « puer robustus sed malitiosus » (..). Pour de celui qui écrasa le «mai» chiles étudiants nois ? Un certain Mao... le Pouvoir, contester 1! suffit quelquefois de recopier et avaient recours à des textes ouver-

tement polémiques, mais aussi à la à la bande poésie, à l'historiette, dessinée. » C’est la dénonciation générale des «trois qualités » requises de l'étudiant par Mao : « bonne santé, bonnes études, bon travail ».

de signer. C'est ce que j'ai fait pour

quelques passages des « Cent Fleurs » de Siwitt Aray. Je n'ai rien à ajouter. José Pierre

que le coup role,

tout

d’arrêt.

acte

« Toute pa-

s’écartant

du

so-

cialisme est totalement dans lerreur ». La répression sévira jusqu’à l’hiver avant que le nouveau mot d'ordre du Grand Bond ne vienne mobiliser les masses. Ainsi, la signification des « Cent Fleurs » et des « Cent Ecoles » ne peut résider dans la sim-

ple référence aux intellectuels ou à la création spirituelle. Très justement, l’auteur met les circonstances de

en lumière tout ordre,

économiques ou sociologiques et de dimension nationale ou internationale. En dehors de la Chine, les émeutes ouvrières de Poznan,

le « printemps d'octobre » en Pologne, l'insurrection hongroise et la campagne de déstalinisation posent de façon directe ou indirecte le problème de la démocratie à l’intérieur de chaque parti. Sur le plan intérieur, le raiïdissement qui avait précédé les « Cent Fleurs » coïncidait avec les impératifs d’une politique définie par la collectivisation forcée et l’industrialisation accélérée. Cette politique provoquait une double résistance de la part des ouvriers et des paysans ; les premiers se plaignaient de l’accélération des rythmes de travail sus-

citée par l’ambition des objectifs, l’organisation de mouvements stakhanovistes, l’abandon du principe de l’égalité des rémunérations, l’extension du salaire aux pièces ; les seconds condamnaient le processus excessivement rapide de la collectivisation, l'intégration forcée dans les coopératives, le zèle

des cadres subalternes plus empressés à former des coopératives qu’attentifs aux problèmes de gestion ou de bien-être. Les grèves ouvrières se multiplièrent ; le mouvement de désertion des campagnes, apparu durant les premiers mois de la collectivisation en 1953, s’accentua au point que dans la seule ville de Shanghaï, on comptait plus de 500 000 paysans immigrés au cours de l’année 1956 tandis que 300000 s’infiltraient dans Canton entre l’autom-

27

ne 56 et le printemps 57. Devant le malaise grandissant des masses, renforcé par la logique de coercition et d’arbitraire que le pouvoir opposait à la résistance oupaysanne, il fallait vrière et desserrer l’étau de l’autoritarisme politique et économique ; au mois de mars 1957, le parti communiste chinois recommande la constitution d’assemblées représentatives d'ouvriers qui pourraient faire des propositions dans tous les domaines concernant le fonc-

tionnement

de

même

d’associer

souci

l’entreprise

; le

les agents

à la vie économique de leur entreprise inspire les directives qui exigent des coopératives la publication des recettes et des dépenses,

la consultation

des

membres

lors des décisions, la participation des cadres de tous les échelons à la production. Les « Cent Fleurs » jouent le rôle de soupape

de sécurité ; par le biais d’un pro-

jet de renouvellement culturel, la campagne pour la libre critique tend à resserrer les liens entre le Parti et les masses, à prévenir une situation à la hongroise, à exorciser finalement les démons de la révolte populaire. Il serait néanmoins superficiel de ne voir dans les « Cent

Fleurs » qu’une attitude d’opportunité dictée par les circonstances, et l’auteur a le souci de dépasser ce point de vue purement événementiel pour chercher une explication dans les structures mêmes du pouvoir et de la société chinois. La critique des étudiants insistait sur la nature de l’appropriation des moyens de production ; si la propriété privée était abolie, il n’en restait pas moins que les pratiques autoritaires d’une administration bureaucratique transformaient la collectivisation en appropriation privée au bénéfice d’une classe politique; mais celle-ci demeure divisée par des conflits d'intérêts dans la me-

sure où ses membres venant de tous les horizons restent liés aux conditions concrètes qui assurent leur appartenance au groupe diri-

geant. Or, deux types de situation se présentent : dans le secteur industriel, l'expansion

de la classe

di-

rigeante est parallèle au développement de l’industrialisation et à l'émergence des cadres techniciens

; au

contraire,

dans le sec-

teur agricole, le développement de la classe dirigeante s’appuie sur l'essor de la collectivisation et sur un recrutement d'hommes

d'encadrement beaucoup plus marqués par leur métier politique que par leur compétence technique, d’autant plus que la collectivisation s’effectuait sans recours à la technologie.

Deux groupes, deux positions Au

sein du Parti, la définition

et la fixation des objectifs s’effectuaient à travers deux groupes et deux positions différentes, celle des techniciens et celle des politiques. Les premiers, hostiles à une collectivisation accélérée qu’ils considéraient impossible sans une mécanisation de l’agriculture, souhaitaient un développement prioritaire de l’industrie et par conséquent des liens économiques étroits avec l'étranger, en particulier avec l’U.R.S.S.

Les seconds,

avec Mao, étaient partisans d’une réforme agraire radicale permettant l’accumulation nécessaire au développement de l’industrie ; ils voulaient hâter la collectivisation et s’orientaient vers une conception autarcique de l’économie. Les « Cent Fleurs » et les « Cent Ecoles » avec l’alternance de la libération et de la répression reflètent le conflit des deux frac-

tions

; la première

phase,

avec

la dissolution de plusieurs coopératives, le rétablissement partiel du marché agricole, marque la prédominance de la fraction hostile à Mao ; mais en même temps l'appel maoïste à l’épanouissement de la libre critique apparaît, à la lumière de la répression prochaine, comme l'application de la tactique habituelle de Mao qui consiste à avoir recours à des forces extérieures pour exercer une pression sur les instances dirigeantes du Parti.

On le voit, dans l’analyse structurelle

des

événements,

le

fait

Mao apparaît comme un élément de la structure. Tous les documents présentés ainsi que l’exposé de la question tendent à dégager, sur un mode très critique d’ailleurs, l’idée d’un

Héros

national,

incarné par Mao et introduisant dans l’histoire une sorte de dimension mythique. Si bien qu’une certaine stylisation qui n’est pas sans rappeler Orwell, en mettant en scène l'Ordre, le Héros et l’Interdit, finit par donner à tous

les événements évoqués une épaisseur à la fois épique et énigmatique. Æ Louis

ne»

Arenilla

et à «la

collabore

Quinzaine

à « Diogè-

littéraire ».

Chine

Documents de la Révolution culturelle (en chinois). Edités par Ding Wang. Editions Mig Bao, Hong Kong. M 717 p., 1967; 2° éd. 1971. V. IL, 591 p., 1969. V. III, 530 p., 1969. V. IV, 750 p., 1969. V. V, 750.p., 1970. V. VI, 732 p., 1972.

Un moment de la lutte pour le pouvoir

par Siwitt Aray

Ding

Wang

appartient

génération formée

à

la

sous le maoïs-

me. Après ses études universitaires en Chine populaire, il gagna Hong Kong où il débuta avec des articles sur la littérature chinoise moderne. (C’est seulement avec la Révolution culturelle qu’il se consacra aux problèmes politiques de la Chine populaire ; depuis, il compte i les meilleurs spécialistes de la Chine contemporaine. | Il nous semble que la connais-

sance, lorsqu'elle

mise

aux

n’est pas sou-

préjugés,

mène

tout

droit à l’hérésie. C’est du moins ce qui ressort de la lecture de _ ces Documents. Bien que lau2 teur dise être motivé dans ses recherches par la vieille devise chinoise Weimin Qingmin (dénoncer

il

28

les

donne

misères

en

même

du

peuple),

temps

la

preuve qu’il n’est pas besoin de slogans pour ce faire ; la réalité parle d’elle-même et ne demande qu’à être mise au jour. Pour contrecarrer la censure permanente, la première tâche est de maintenir intacte l’archive. C’est à quoi répond cette série de Documents de la Révolution culturelle qui est à son sixième volume.

Les

volumes

2, 3 et 4

sont chacun consacrés à un personnage ayant marqué un moment important de la lutte de pouvoir en Chine, Deng Tuo, Peng Dehuai et Wu Han. Ces trois personnages ont d’abord en commun leur appartenance à la classe dirigeante; ensuite leur prise de position contre le pouvoir, non pas dans le cadre d’une lutte d’influence ou de prestige, mais comme porte-parole de la misère du peuple. A la réunion du Comité cen-

tral tenue à Lushan en août 1959,

Peng Dehuai avait dénoncé la politique du Grand Bond. Aux yeux de Peng Dehuai le Grand Bond était une politique « aventureuse » dans laquelle il n’a pas été tenu compte des conditions de, vie des masses. On sait depuis la Révolution culturelle

que

‘Mao,

l'artisan

du

Grand

Bond, avait réagi de la façon la plus brutale à ces critiques. Peng Dehuai fut démis de ses fonctions de ministre de la Défense. A l’époque on fit peu de publicité à cette réunion. A la suite de cet incident, Wu Han publia une série d’études sur

Hai

Rui,

dont

insulte l'Empereur. difficile d'établir entre

Hai

Rui

Hai

Rui

Il] n’était pas un parallèle

(ancien

manda-

rin) et Peng Dehuai, l’empereur insulté étant bien sûr Mao. Comme Peng Dehuai, Hai Rui

dénonçait la misère du peuple, produit de la politique de l’empereur. Wu Han était maireadjoint de Pékin et Deng Tuo dirigeait

le

magazine

Front,

organe du Comité du Parti de la municipalité de Pékin. Avec Liao Mosha, ils publièrent une série d'essais, Notes du village des trois familles dans Front entre octobre 1961 et juillet 1962 (sous

le nom

collectif

de

Wu-

Nanxing). Ces essais, ainsi que les Propos du soir à Yanshan de Teng Tuo (parus dans le Journal du soir de Pékin), cons-

tituent un réquisitoire contre le gaspillage des énergies, les stéréotypes idéologiques et l’ossification de l’esprit réduit à n'être qu’une « vis » de la grande machine bureaucratique. Wu Han, Deng Tuo et Liao Mosha seront les premières cibles de la Révolution culturelle.

La Quinzaine Littéraire

Ce n’est là qu’un aspect des problèmes étudiés dans ces Do:cuments. Les trois volumes consacrés à Peng Dehuai, Deng Tuo et Wu Han, conçus sous d’un dossier d’accusation,

tuent

un

document

forme consti-

sur la société

chinoise

contemporaine,

conflits,

les

les comportements

et la

pratique de la classe au pouvoir en Chine, Le premier volume est consacré à la lutte pour le pouvoir au niveau le plus haut : le Comité central. Les trois premières parties permettent de situer le problème ; la quatrième aborde le cas de chaque dirigeant — Liu Shaoqi, Deng Xiaoping, Dao Chu, Peng Zhen, Lu Dingyi, Chu De, Ho Long, Bo Yibo,

etc.

Il est

une

sorte

d'’in-

troduction à la Révolution culturelle vue sous l’angle de la lutte politique. Les volumes 5 et 6 — ainsi que les 7 et 8 prévus — sont centrés sur des thèmes régionaux. Ce qu’on sait des luttes au sommet ne suffisant pas à nous éclairer sur les problèmes politiques et le rapport des forces

exact à l'échelle nationale, l’étude régionale comble cette lacune et

peut

montrer

sous

nouveau les conflits de la pyramide,

au

un

jour

sommet

La portée de ces Documents est accrue par l'apport des publications de gardes rouges. On apprend par celles-ci les désaccords au sein du Comité central au sujet par exemple de la participation de la Chine à la guerre de Corée, les soutiens dont Gao Gang jouissait auprès de

certains

etc.

On

cadres

regrette

provinciaux,

cependant

que

rien n’y soit consacré au problème des intellectuels, que rien ne soit dit sur ce phénomène peu connu qu'est l’Ultra-gauche, forme de dissidence distincte par

ses modes d’expression et ses préoccupations de la lutte pour le pouvoir au sein de la classe dirigeante. La lutte de l’Ultragauche ne vise pas à l’obtention de privilèges. Ses partisans sont des « communistes », tel que ce terme était entendu avant l’avènement du socialisme disciplinaire — dans une société bureaucratique. Ils mettent en cause le

système dans son ensemble et des appellent à la destruction privilèges, de la hiérarchie, de l'inégalité dans la distribution des ressources et le partage des responsabilités. Pour sauver la mémoire de la collectivité et briser sa dépendance à l'égard du pouvoir, il faut sauver l'archive. Cette archive ne sert pas seulement la postérité ; elle est d’abord pour nous. Ding Wang, sur la base de cette archive, compare le dit d'aujourd'hui à celui d'hier. Il est ainsi fait obstacle à la nouvelle historiographie fondée sur la censure du passé. Dans ses articles,

dont

une

partie

a

été

l’angle

qu'il

s’est

choisi.

le cas de Ding Wang. vise à travers l’histoire

appréhension

des

mécanismes

internes du pouvoir Chine moderne. Les

l’organisation lution

dans Cadres

pendant

culturelle

C’est

Ce qu’il c’est une

(1)

la et

la et

Révol’Emer-

gence de la classe militaire (2) répondent à cette préoccupation. De même, son long essai, « La succession de Mao », dont une version parue en anglais (3) contribue indirectement — par l'exploitation de la tradition politique dans la Chine ancienne à l’étude d’un sujet encore dans l’ombre, la circulation de l'élite dans la Chine maoïste. []

regroupée sous le titre d’Essais critiques sur la Révolution culturelle,

Ding

Wang

s’est

consa-

cré à cette tâche : rôle de Liu Shaoqi dans l’histoire du P.C., politique littéraire du P.C. après le limogeage de Zhou Yang et « corrigée » à nouveau après

1. Institut de Recherche sur la Chine contemporaine, Hong Kong, 1970 (en chinois). 2. In the Military and Poli-

celui

1970’s, ed. by William

de

Zhen

Boda,

etc.

La défaillance des études historiques pousse souvent le chercheur à se faire d’abord historien avant d'aborder son objet sous

tical son,

Power Prager

in

China

in

Publishers,

3. « The Succession

the

W. Whit1972.

Problem

Problems of Communism, June 1973, pp. 13-24.

»,

May-

Chine

Le soleil

rouge

brille dans

les cœurs chinois

des

intellectuels

Siwitt Aray. — coup

des

On

intellectuels

Ding Wang : “Toute critique est quasiment impossible”

parle beauen

Chine.

Quelle est leur fonction sociale? Ding Wang. — Celle qu'ils occupent dans l'Etat. Depuis la fondation de la République populaire, le pouvoir a essayé de les intégrer à ses projets de construction et de réformes. Sa politique de départ était d'unir, utiliser et réformer. || ne pouvait se passer de toute cette partie de l'intelligentsia formée hors de la sphère d'influence du parti communiste. Mais, en même temps qu'il fallait se rallier les intellectuels et les utiliser, il était nécessaire de les réformer dans l'optique des projets socio-économiques de l'Etat. S. À. — On retrouve le même lien étroit entre l'intellectuel et l'Etat dans la Chine ancienne; pourtant ce n'est pas la même chose...

D. W. — Bien sûr. Dans le passé les Etats avaient aussi besoin des intellectuels, quelles que fussent les disponibilités person-

du 16 au 28 février 1974

helles de l'Empereur à l'égard des choses de l'esprit. Le recrutement des fonctionnaires sur la base d'examens se faisait presque exclusivement parmi les lettrés. Autre trait commun la répression. La plus fameuse est celle menée par l'empereur Qing Shihuang qui voulait « brûler tous les livres et enterrer les hommes de savoir ». On en connaît d’autres, sous le règne des eunuques. En Chine populaire, en quelques années il y a eu la « campagne contre la clique Hu Feng » (1955), le « mouvement contre les droi-tiers », qui a succédé aux « Cent fleurs » (1957) et qui a emporté Ding Ling, Aï Qing, Feng Xuefeng, etc. ; plus près de nous, la campagne contre Wu Han, Deng Tuo, Tian Han, etc., pendant la Révolution culturelle. C'est sur le plan politique qu'on peut voir, me semble-t-il, la différence entre le passé et le présent. Dans le passé, les mandarins incarnaient plus ou moins l'Etat et jouissaient de ce fait d'un certain pouvoir. En Chine populaire, les intellectuels servent l'Etat, ce qui est différent. Eux-mêmes n'exercent pas le pouvoir.

29

S. À. — Quels ont été les secteurs qui ont le plus souffert de la Révolution culturelle?

D. W. — A ma connaissance, tous les secteurs ont été frappés sans exception ; il est évidemment difficile de mesurer l'ampleur de la purge dans chacun d'eux.

S. A. —

N'a-t-on

pas

un assouplissement avec forcement du pouvoir du d'Etat (Zhou Enlai)?

attendu le renConseil

D. W. — Il semble au contraire que l'atmosphère soit très tendue. Cela est dû aux luttes entre diverses fractions du Parti; ce qui naturellement crée un climat peu hospitalier à la culture. Pour ne parler que des intellectuels, plusieurs indices montrent qu'on est loin d'une libéralisation. Dernièrement, la presse chinoise a manifesté un grand intérêt pour le règne de l’empereur Qing Shihuang dont j'ai parlé tout à l'heure ; et cela ne prédit rien de bon. S. mes sia ? dans

À.

— Quelles sont les ford'opposition de l’intelligentPeut-on voir une évolution ces formes ?

D. W.



Il y a d’abord

l'op-

position ouverte. Elle consiste, dans la mesure du possible, à appeler un chat un chat. Cette période s'est achevée avec les « Cent fleurs». Ce n'est pas un hasard si à la même époque (1958), l'unique revue satirique, «Manhua», cessa de paraître. L'humour devenait impossible, et une autre période a commencé au cours de laquelle seule la forme indirecte était possible ; une

forme

par allusion

: on

trans-

pose le présent dans le passé comme l'a fait Wu Han dans ses écrits sur Hai Rui, ou Deng Tuo dans ses « Propos du soir à Yanshan ». La Révolution culturelle a mis fin à ce mode d'opposition.

S. A. — Cela va voir surgir d'opposition ?

veut-il dire un autre

qu'on mode

D. W. — Je l'ignore. On peut seulement constater que toute critique est quasiment impossible actuellement du fait de la pression croissante du pouvoir. On ne peut évidemment être trop affirmatif puisque notre source d'information est réduite à ce que la presse officielle veut bien dévoiler. S. À. — Pourtant, en U.R.SSS., malgré la répression, l'opposition

a toujours trouvé le moyen survivre et de s'exprimer. D. W. —

Oui, mais

de

la répression

en Chine est beaucoup qu'en U.R.SSS.

plus dure

S. À. — Sur le plan général de la législation, les systèmes répressifs dans les deux pays ont un fond commun. Si l’on se réfère aux lois soviétiques, Soljenitsyne est par exemple passible de lourdes sanctions. D. W. — Mais Soljenitsyne aurait-il survécu sans l’Europe? S. À. — commencé

Au départ, seul...

il a

bien

D. W. — Le seul fait de la couleur de peau permet à beaucoup d'Européens de circuler et d'avoir des contacts avec les gens, sans attirer l'attention, ce qui est impossible en Chine. S'’ajoutent à ce fait les liens culturels lointains entre les Russes et l’Europe. S. À. — Les Japonais raient-ils pas jouer le Européens ? D. W. —

ne pourrôle des

Rappelez-vous

le cas

de Zhou Fenggqing. Il avait accompagné, en tant qu'interprète, une délégation chinoise au Japon. C'était en 1964, tous les journaux en avaient parlé. Les autorités japonaises lui ont refusé l'asile et l'ont renvoyé en Chine. En outre, les Chinois ne s'ouvrent pas à n'importe qui.

S. A. — Pourtant, ses points faibles.

tout

Etat

a

D. W. — Je ne dis pas que toute opposition est impossible en Chine. Il y a celle des masses, qui est la plus importante et qu'on peut rencontrer quotidien-

nement. La presse est presque muette sur ce sujet. Tenez, par exemple en 1969, dans le lot de produits chinois exportés vers Hong Kong il y avait des flûtes fabriquées à Guizhou. Ceux qui les ont fabriquées ont gravé sur chacune des citations de Lu Xun sur l'injustice sociale. Lu Xun, bien sûr, écrivait sur la vieille société de son époque. Les nouveaux fabricants de flûtes l'ont cité pour parler de la société actuelle. Peu après, les magasins communistes de Hong Kong reti-

rèrent ces flûtes de leurs étalages. Soljenitsyne nous apprend, il est vrai, que l'essentiel est de com-

mencer.

O

Politique

Tout va bien au Mozambique

Dominique de Roux Ne traversez pas le Zambèze La Proue éd., 165 p.

On peut se demander (si on a l'interrogation naïve) pour quelle étrange raison Dominique de Roux, si vivement intelligent, si constamment pertinent quand il juge les méfaits de la colonisation et de la «

re-colonisation

»

actuelle

en

Afrique, s'offre brusquement le luxe de perdre toute lucidité, tout sens critique et même tout bon sens, dès lors que l'Empire portugais, qu'il nomme pompeusement la « communauté lusitanienne », entre en jeu ? Et puis, à un détour de son petit livre, soudain on comprend. L'astuce, il faut le reconnaïtre, est de taille. C'est que pour rehausser sa « thèse », qui n'est, en somme, qu'une fidèle transcription (fort embellie, il est vrai, par l'élé-

gance d'un style d'un lyrisme personnel) de la doctrine officielle de Lisbonne, l’auteur a besoin de « rabaisser » les « concurrents », de les avilir et, si possible, de s'en servir comme de « repoussoirs ». Il y réussit presque, d'ailleurs. Je veux dire qu'un esprit non averti s'y

laisserait

sans

doute

prendre.

Pour fonder sa «thèse», la rendre plus crédible, Dominique de Roux se pose d'abord en « témoin ». Il est allé au Mozambique, en Guinée-Bissau, voir « sur le terrain » (du côté portugais) ce qui s'y

30

passe. Lorsqu'il affirme un fait, il s'agit donc de le croire sur parole. Pour son malheur, nombre d'écrivains et de journalistes, tout aussi dignes de foi (les Basil Davidson, Robert Davezies, Gérard Chaliand, etc.), qui ont séjourné, parfois plus longtemps que lui, dans les « maquis » angolais, mozambicains et

guinéens, affirment, eux, tout le contraire de ce qu'il avance. Je sais bien que Dominique de Roux récusera ces « témoignages », en raison de leur « insiration tendan-

cieuse », parce que, pense-t-il, on fait voir et dire ce que l'on veut à des « témoins ». Mais, dans ce cas, ne peut-on lui opposer la même attitude de suspicion? Non, l'argument du « témoignage » n'est guère décisif. Soyons sérieux. Il y a, d’ailleurs, plus important. Dominique de Roux prétend que la « colonisation » portugaise (sans que ce mot tabou apparaisse jamais sous sa plume) est la plus ancienne du monde, du moins en Afrique (cinq siècles), et qu'elle a donné naissance à une communauté humaine et culturelle parfaitement harmonieuse, au sein de laquelle Portugais d'Europe et d'audelà des mers se sentent unis et égaux. Voyons cela de près. Pendant quatre siècles et demi, les Portugais se sont accrochés à

une mince et fragile bande côtière en Angola et au Mozambique, n'occupant l'ensemble de ces territoires qu'à partir de 1914. Colonisation tardive, donc, archaïque de surcroît et singulièrement cruelle, inaugurant le trafic négrier vers les Amériques (la Traite) et perpétuant, jusqu'au lendemain du second conflit mondial, des méthodes inhumaines d'asservissement, telles que le « travail forcé ». Et si effectivement la ségrégation raciale ne s'exerce pas au niveau des rapports sexuels (ce qui n'a en soi rien d'«original», puisqu'il en va de même au sein de l'univers hispanique), elle se manifeste, en revanche, avec éclat, au niveau des rapports politiques et économiques, les seuls dé-

tenteurs du pouvoir réel » étant les Portugais métropolitains ou les « Blancs » d'origine portugaise (notamment au Brésil). Depuis peu, il est vrai, un petit nombre de mulâtres, les «assimilados», jouissent, « en principe », des mêmes droits que les Portugais de souche. Mais, alors, comment expliquer que ces « Assimilados » (« si satisfaits de leur sort », s'il faut en croire la propagande de Lisbonne) soient précisément ceux qui, partout les premiers,

ont

pris les armes

le Portugal ? Où la mystification

prend

contre

réelle-

ment son sens (de joyeux canular), c'est lorsque Dominique de Roux présente la « Communauté lusita-

nienne » comme une entité originale, incomparable, sans point de référence avec aucune autre expérience coloniale, échappant au contrôle du capitalisme mondial et représentant, notamment pour les pays souverains d'Afrique, un « modèle » d'indépendance et de développement autonome. Or, il suffit de consulter n'importe quel document récent où figurent les zones d'implantation des sociétés multinationales, pour s'aviser que ce tableau, à combien idyllique, ne correspond à aucune réalité (et l'on finit par se demander si l'auteur est de bonne foi ou s'il s'est réellement laissé abuser à ce point |). Le Portugal est sans doute, aujourd'hui, de tous les pays d'Europe, le plus totalement « colonisé » par les capitaux étrangers, tandis que ses colonies (n'en déplaise à Dominique de Roux), « chasse gardée », depuis plus d'un siècle, des intérêts britanniques, le sont actuellement de ceux de l'ensemble des grandes puissances capitalistes mondiales, au premier rang desquelles apparaissent les Etats-Unis. Alors, de quelle « indépendance » nous parle-t-on 7? Guy de Bosschère

La Quinzaine Littéraire

SCIENCES

Un projet totalisant Boris Rybak

logique

Vers un nouvel Denoël éd.

entendement

païenne

venue ou

de

non.

à partir de l’humain que Rybak, avec simplicité, presque parfois allusivement, nous

par

Pierre

Boudot

Il ne manque pas de savants pour exposer leurs idées sur la vie et sur le monde tel qu’il va. Il y en a peu cependant capables d’atteindre leurs lecteurs dans leur préoccupation et de leur faire poser leur livre en se demandant avec anxiété : que puis-je donc faire ? Heisenberg, Einstein, Oppenheimer ont réussi et réussissent à dégager leurs œuvres de leurs conséquences et à condamner les Etats qui trahissent l’effort scientifique dans leur volonté de puissance. La tradition française existe aussi en ce domaine. Des travaux prophétiques de Langevin sur l’éducation auxquels on recourt encore, la plupart du temps sans l’avouer, aux combats de Laurent Schwartz, il ne manque

pas d’exemples.

Crise

morale

crise logique L’analyse de Boris Rybak s’inscrit tout naturellement dans la lignée de ces grands noms. Peu de gens savent qu’il est un biochimiste réputé ou ont assisté au palais de la Découverte au montage mensuel d’une de ses expériences de cardiologie. L’Amérique l'invite et les pays scandinaves lui ont offert un pied-à-terre scientifique d’où il tire certaines de ses

observations

fondamentales.

Vers

un nouvel entendement nous confronte avec la crise morale et avec la crise logique de notre temps.

« …Ce livre où jexplicite ma rupture avec quasiment toute la Pierre Boudot a récemment publié « Nietzsche en miettes », aux Presses universitaires de France. Voir « !a Quinzaine littéraire » n° 178.

du 16 au 28 février 1974

l'Antiquité,

» C’est toujours

met en contact

avec cette rupture. Il récuse la séparation des savoirs et pense que la maîtrise de la pensée et le gouvernement des Etats se font par extrapolation de l’observation des lois naturelles. Il observe notre humanité encombrée de corps qui ne pensent plus, de corps rompus, de pensées brisées, d’intelligences atrophiées par le cycle production/publicité/consommation/aliénation. Mais cette humanité éteinte, cet ensemble de corps qui sont déjà logiquement morts, assassinés avec logique, porte — la biologie nous l’assure — son poids d’exigences mentales. Là où il n’y a pas création chez un individu tout seul au milieu d’un groupe, c’est qu’il y a agression, hypnose, victoire du Léviathan. Rien n’est épargné dans cet inventaire. Rybak remet en cause tous les dogmatismes, qu’ils soient ceux de Marx, de Liebig ou de Lavoisier pour les réinterpréter et les dépasser en fonction de notre pouvoir accru d’analyse et de prévision. La nuisance à l’homme par la surpopulation le pousse à préconiser une régulation planétaire fondée sur la connaissance du déterminisme des crises. Voir devant soi et loin, plutôt que de se sécuriser avec des textes sacralisés par l’histoire. L’homme est un être rompu, décalé dans sa conscience entre deux niveaux d’humain, ceux du dix-huitième et du vingtdeuxième siècles. Le rythme du travail l'empêche de se consacrer à son unification nécessaire ou bien l’impulsion de la découverte amène le savant à mettre en péril à la fois la science et l’humanité parce qu’elles l’emportent trop loin et qu’il ne sait pas « atten-

dre les autres ». La nouvelle logique de Rybak se fonde sur un postulat d’humanisme dont il n'indique pas tous les termes par souci de la liberté. « Homo est en somme la métaphysique de l'anthropoïde. » Et notre monde

de progrès tech-

nique étant devenu celui des régressions humaines, ou bien la logique humanisera l’humanité et dépassera ses tâches scientifiques et épistémologiques pour élaborer un idéal nouveau, ou manité et la logique

bien l’humourront.

D’autant plus que le savant est mieux placé qu’un autre pour affirmer que nous n’en sommes malgré notre triomphalisme qu’au stade de l'inventaire des possibilités scientifiques.

Crise de la rigueur Ainsi la crise de la vérité que nous subissons est-elle avant tout une crise de la rigueur. Il s’agit de remplacer la compétition par l’émulation, l’envie par le désir, la possession par l’amour, car telle est la loi fondamentale de l’évolution. Le malaise de la civilisation

est en

effet, selon

Boris

Rybak, explicable par le fait que l’idée d’évolution est mal intégrée au

discours

scientifique

et

que

l’homme ne prend que difficilement son parti de son irréversibilité. Vivant selon le deuxième principe de la thermodynamique, il patauge dans les ruines des idéologies pré-évolutives, incapable qu’il semble être d’élaborer la méthodologie rigoureuse grâce à laquelle il pourra se servir du savoir encyclopédique amassé sans être obligé au préalable de le réacquérir. Cela explique que la dimension politique en temps de paix demeure celle de la guerre. Qu’'y at-il de plus agressif en effet contre l’exigence créatrice que la quête du temps qui nous est imposée, quand il s’agit de trouver l’argent des crédits bancaires ou de satisfaire aux besoins artificiels ? Qu’y a-t-il de plus étranger à la qualité du produit que l’idée même de productivité ? Dans ce fatras, paraphrasant Buffon, Boris Rybak affirme : « L'homme

de science, c’est pro-

prement l'homme Ainsi s'affirme

même. » la rupture

gique annoncée par Rybak, la balkanisation des sciences humaines lui paraît en partie fondée sur une collusion entre l’esthé-

tisme et la scolastique. Incapable d’une synthèse, elle finit même par perdre de vue l’analyse, éloignée qu’elle est du jeu fondamental des intérêts organiques. Dans cette perspective, la logique évolutive traitée simultanément comme science et comme métaphysique peut servir de garde-fou, empêche la préciosité contemporaine d’engendrer le sectarisme et les créateurs de devenir les esclaves des masses. Simultanément adapter la bio-masse humaine au développement scientifique, développer le pacifisme, généraliser des mouvements comme Pugwash, traquer les chefs d’Etat qui emmagasinent des germes d’épidémies ou des bombes et ne pas oublier que le but de la science est « l’indiscernable », tel est le projet totalisant de Boris Rybak. « Tout apparait lyrique et cognitif en même temps. » Mais le lyrisme de Rybak n’est pas celui de Bachelard et il s’apparenterait plutôt à celui de Blanchot. Si l'ouvrage de Rybak m'a paru important, c’est aussi à cause de cette dimension : il lui est arrivé de me faire penser au dernier livre de Maurice Blanchot, Le Pas au-delà (1), que je tiens pour un

des livres transséculaires derniers mois. 1. Gallimard

de ces Œ

éd.

Solidarité Une

exposition-vente

sée

à

Paris

44,

rue

de

du

11

Rennes

est

organi-

au

16

par

le Comité

février,

d'information et de solidarité avec les prisonniers politiques espagnols. De nombreux peintres offriront des tableaux.

lo-

31

| à la TV 26 épisodes sur la 2" chaîne couleur et dans

de + à NA

x

EE |

1” »

tout Arsène Lupin 19 titres disponibles. ARSENE LUPIN, GENTLEMAN CAMBRIOLEUR ARSENE LUPIN, CONTRE HERLOCK

SHOLMES

LA COMTESSE DE CAGLIOSTRO L’AIGUILLE CREUSE LES CONFIDENCES D’ARSENE LUPIN

7

4

LE BOUCHON DE CRISTAL HUIT CENT TREIZE

LES HUIT COUPS DE L'HORLOGE LA DEMOISELLE AUX YEUX VERTS LA BARRE-Y-VA LE TRIANGLE D'OR L'ILE AUX TRENTE CERCUEILS LES DENTS DU TIGRE LA DEMEURE MYSTERIEUSE L'ECLAT D’'OBUS L'AGENCE BARNETT ET CIE VICTOR, DE LA BRIGADE MONDAINE LA FEMME AUX DEUX SOURIRES LA CAGLIOSTRO SE VENGE

32

:

— |

eee

&

* |

| La Quinzaine Littéraire

THEATRE

Pierre Bourgeade J.-C. Grumberg Jean-Paul Sartre Pierre Verstraeten

Deutsches Requiem Dreyfus Un théâtre de situations Violence et éthique

par

Gilles

Sandier

par Claude-Henri

Rocquet

Pierre Bourgeade Deuisches Requiem Th. Daniel Sorano, Vincennes

De Dreyfus à Hitler

J.-C. Grumberg Dreyfus Odéon

pas

Parmi ceux qu'il est convenu d'appeler les « jeunes auteurs » (âge moyen : 35 à 40 ans), on peut discerner en tout cas deux espèces : les naïfs et les roués, disons : les purs et les habiles, ou encore : les chercheurs de formes et les boulevardiers. Pierre Bourgeade est de la première espèce, J.-C. Grumberg est de la seconde. Quand l’un parle de Hitler aujourd'hui présent, son texte l'engage, son texte dénonce ; quand l’autre parle des Juifs, du judaïsme, il escamote, il se défile et se contente de fabriquer avec talent une pièce bien torchée et séduisante pour tous les publics : best-seller 74. Bourgeade ne paraissait pas, « a priori », avoir la fibre politique. Et voilà que cet écrivain vrai, pour qui les mots sont chose grave

(Grumberg, lui, jongle en pitre avec les « répliques »), voilà que, découvrant, avec

la passion

faire

Les grands moments du IlI° Reich

indignée

des naïfs, une réalité politique et sociale, soudain pour lui inacceptable, il se jette dans l'arène, jusqu'à être traîné, pour plusieurs articles, devant les tribunaux, pour offense au chef de l'Etat; et le voilà qui, sur sa lancée, écrit « une trilogie qui a pour objet les drames historiques que vécut le XX° siècle : franquisme, nazisme, stalinisme ». Le franquisme, c'était « Orden » ; on attend son « Staline ». Et voici « Deutsches Requiem ». || y a, hélas, deux pièces : le texte publié- chez Gallimard (« le Manteau d'Arlequin »), et le spectacle de la Compagnie Daniel Benoit ; l’un a mutilé l’autre et proprement châtré. La pièce écrite est d’une actualité et d'une force également remarquables. Bourgeade, certes, n’a jamais prétendu analyser ou démonter les mécanismes historiques du Ill° Reich; il n'avait

du 16 au

le culot de refaire Brecht, ni comme si n'existaient pas «Arturo Ui» et «Schweyk dans la Seconde Guerre mondiale » et « Grand’Peur et misère du III® Reich ». Ce qu'il voulait, c'est parler à la génération de « Hitler ? connais pas ». Il leur répondait : « Connaissez pas? Regardez donc partout aujourd'hui, autour de vous, du Chili, au Quartier latin les grands soirs, des îles grecques aux commissariats de la «Goutte d'Or», de la Grèce à l'Iran, de Watergate à la DST, de l’Opus Dei à l'affaire Ben Barka, et de Massula-Torture aux Palestiniens déportés, il est présent partout, partout, et si vous n'y prenez garde, il est en vous peut-être; fantôme partout menaçant; demain même, attention. de

par Gilles Sandier

28 février 1974

Et il commençait par projeter sous leurs yeux une sorte de film instructif, succession de flashes rapides, bande dessinée sommaire les grands moments du III® Reich. Le scénario était astucieux. Réfugié en Argentine avec Borman et Eva Braun, Hitler, dans le coma, brûlé, tête bandée, dans un fauteuil roulant, demi aveugle et schizophrène plus que jamais, revoit, dans son délire, les grandes années, jusqu’à la chute. Jusque-là, la mise en scène sert efficacement le propos de Bourgeade, pédagogique, didactique, qui est de livrer des images d’un passé revécu par un Hitler dédoublé; d'un côté, le moribond, de l’autre le Hitler des vieilles images, lui et sa bande : cirque et guignol, et music-hall de cauchemar ; réfractée dans des panneaux d'aluminium qui font miroir déformant, l'horreur an-

cienne dgrimace. Tout cela est mené au juste train, un train d'enfer comme on dit. Mais, prenant force en prenant voix dans son délire, voici que Hitler se redresse

cite. va

Ce

et

qu'il

le réussir

proprement

a

raté

cette

en

ressus-

1944,

il

fois ; nouveau

Christ, il ressuscite ses douze apôtres — les pendus de Nüremberg — en faisant endosser leurs rôles par les servants qui l'ont suivi. Là encore, la mise en scène, d'une scansion sauvage, évoque assez magistralement dans un bruit de bottes et décrit la seconde venue de ce second Messie, parousie accomplie grâce à la complicité , comme en 1933, de l'Eglise et des bien-pensants de la « démocratie » chrétienne. Hélas, le spectacle de Vincennes s'arrête là. On entend crier des dates 1958, 1974, 1985, 2020, etc., Hitler toujours. Nous voilà en pleine politique-fiction, toujours rassurante, et noyant le poisson. Mais Hitler aujourd'hui, en nous, chez nous, passez muscade, on ne le voit pas, c'est-àdire que la pièce est tout simplement escamotée. Dans le texte les apôtres du nouveau Messie, de partout, rapportaient la Grande nouvelle police, armée, propagande, méthodes de gouvernement, partout, aujourd’hui, triomphe le nouvel évangile. Tout cela

a été coupé. Le spectacle d’agitprop qui était prévu dans le texte, avec projection de documents d'actualité, supprimé totalement ; le metteur en scène a cru pouvoir s’en dispenser. Cela faisait « pléonasme », paraît-il commodes figures de grammaire! Pléonasme aussi, sans doute, la phrase de Hitler : « En 1933, à Munich, le cardinal Pacelli, qui allait devenir le pape Pie XII, avait bien compris le sens. la volonté, etc. »; coupée aussi. Et le moment où on élève sur la scène une grande croix de bois : « Il manque quelqu'un sur cette croix

— un juif», et c'est la croix gammée. Pléonasme sans doute ; coupé aussi. Coupées encore, les ultimes paroles du nouveau Christ : « Encore un peu de temps, et je vous quitterai (etc.). En vérité je vous le dis, partout où il y a un Dieu, là je suis ;… partout où règnent la religion, l'ordre et la censure, là je suis. » Pléonasme, cela va de soi. Par cette mutilation scandaleuse, la pièce devient sommaire : bande dessinée sur le lIll® Reich, efficace peutêtre pour les ignorants; mais anodine, désarmorcée. Prudence est sœur d'imposture ; le public catholique constitue encore une imposante légion; et Daniel Benoin est un prudent; c'est aussi un habile, et le naïf Bourgeade, il s’est laissé avoir.

Humour et larme

à l'œil

J.-C. Grumberg n'est pas non plus de l'espèce des naïfs, et ce n'est pas lui qui se serait laissé doubler par son metteur en scène ; si par exemple Jacques Rosner avait voulu, ce qui n'a pas été le cas, imposer à la pièce une idéologie puérile, et lui faire dire plus qu'elle ne dit, c'està dire pas grande-chose. Scénario : dans une petite ville de Pologne, à Vilno, en 1930, une troupe de comédiens amateurs, juifs, répètent une pièce sur Dreyfus : tout un petit monde qui ne sait pas encore qu'il sera bientôt anéanti: le pogrom rôde (il fait un moment irruption dans la salle de répétition), mais qui penserait au génocide ? Gentil folklore sur une petite communauté saisie par le biais de son activité théâtrale ; ça cabotine, ça se chamaille, ça s'aime, ça s'engueule ; vie de tous les jours entre petites gens — coiffeur, cordonnier, etc. — deve-

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nus cabots c'est drôle, attendrissant, et pas mal racoleur. Maurice l'intellectuel, qui a écrit la pièce, a du mal à la faire jouer Michel, qui joue Dreyfus, n'est pas doué, et puis

il est antimilitariste : un capitaine juif, il encaisse mal, et puis aussi, un capitaine juif et français, tout ça c'est bien loin le vieux cabot qui joue Zola, et les autres acteurs aussi, ça ne les passionne guère. Finalement la pièce ne sera pas jouée, tout le monde se disperse. Maurice (remarquable Gérard Desarthe) va à Varsovie militer au parti communiste, Michel et sa femme partent pour Berlin (là au moins on est tranquille !) et les vieux cabots (Claude Dauphin et Maurice Chevit s’en donnent à cœur joie) continuent à faire du théâtre de patronage. En attendant Auschwitz.

Pièce charmeuse, racoleuse, jouant sur l'humour et la larme à l'œil. Du cousu main, du théâtre

bien ficelé, un dialogue qui a la « justesse « du dialogue boulevardier, c'est-à-dire faux de bout en bout, mais brillant, cocasse et tendre. Le public d’Anouilh, Jean Cau, Françoise Dorin, n’est pas

dépaysé, il est à son affaire, on le chatouille où ça le démange. J.-C. Grumberg parle de ce petit monde juif, celui de son père, à Cracovie, comme de son enfance imaginaire, et cela pourrait toucher si ce n'était pas aussi roublard.

Comme

en se jouant

On y parle, comme en se jouant, de choses graves : le judaïsme et le sionisme, et l'antisémitisme, et tout le monde est content. « Je suis incapable de trouver le point de vue de l'auteur », dit Jacques Rosner (dont le travail de mise en scène est fort intelligent). Nous non plus. Bien sûr,

c'est gentiment anarchiste : on brocarde l’armée, la patrie, etc. c'est plutôt antisioniste (« Le pire qui puisse arriver à un juif, c'est de se sentir chez lui quelque part» ; quand on parle d’un Etat juif comme les autres : « Un pays comme les autres ? A quoi ça servirait d'être juif? »). Le juif, c'est d'abord sa différence, sa sensation d'être autre. Soit. Mais

le vieux cabot, qui rampe pour ne pas attirer l'attention des salauds, le jeune intellectuel qui devient internationaliste, les militants sionistes aussi, tous sont également acceptés, « compris », regardés par l'auteur avec un égal attendrissement. Le plus intéressant, ce qui sonne le plus juste, est sans doute ce qui est dit sur le théâtre, sa fonction, son rapport avec l'Histoire, la difficulté du théâtre historique, la déformation que subit une histoire — Dreyfus — dès qu'on la raconte. Tout cela nous touche, et le brechtien Rosner nous en parle bien. Mais pour le reste, cette pièce trop habile, d’un pirandellisme boulevardier, et truffée de mots d’auteur, est déplaisante. En raison de sa séduction méme attrape-gogos qui déplace, ou escamote, les problèmes. Evoquer la France de Drumont, et la Pologne des années 30, et ces pauvres gens promis aux crématoires, évoquer aussi l