Moïse et le retour des dieux: Aux origines du conflit entre polythéisme et monothéisme 9782296563223, 2296563228

A la lumière des récentes découvertes archéologiques, égyptologiques, linguistiques, mythologiques et psychanalytiques,

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Polecaj historie

Moïse et le retour des dieux: Aux origines du conflit entre polythéisme et monothéisme
 9782296563223, 2296563228

Table of contents :
Table des matières
INTRODUCTION
MOÏSE D'APRES LE TALMUD
LES LANGUES DE MOÏSE
MOÏSE À L'ÉPOQUE D'AKHENATON
Index
ENTRE T ES LIVRES

Citation preview

Moïse et le retour des dieux

1"- édition : Safed éditions, 2003.

0 L'Harmattan, 2011 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris http.//wwwlibrairieharmattan.com diffusion.harmattangwanadoo.fr [email protected] ISBN : 978-2-296-56322-3 EAN : 9782296563223

GÉRARD HUBER

MOÏSE ET LE RETOUR DES DIEUX

H armattan

Dédicace

Ce livre n'aurait pu s'écrire en dehors d'un chq moi, composé de ma femme Danièle, de mes fils Paul Moïse et Thomas Elie et de mes filles Jenny Simkha et Constance Rachel. Qu'ils soient ici remerciés pour l'humour, l'hospitalité et le sens du dialogue avec lesquels ils accueillent Akhenaton, Moïse et Freud (pour ne parler que d'eux), lorsque ceux-ci s'invitent librement au coeur de nos conversations.

Remerciements

Le Jardin des Plantes n'est pas seulement un des mes écritoires. C'est aussi un lieu où des rencontres peuvent se produire et donner naissance à de grands projets. C'est là que Gilbert Werndoer m'a dit son intérêt pour ce livre. C'est là qu'il a décidé de l'éditer. Qu'il en soit vivement remercié.

Table des matières Introduction

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MOÏSE D'APRÈS LE TALMUD

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Avant Moïse Naissance et adolescence de Moïse Moïse homme de guerre et de violence Révélation de Moïse Les disputes théologiques La révélation collective Les dix commandements Dieu descend sur terre Moïse enseigne la Torah Une nouvelle querelle théologique Une révolte contre Moïse Moïse et Balaam Moïse et la mort Moïse, une figure de l'histoire? Moïse à travers les lacunes de son histoire LES LANGUES DE MOÏSE

Le contexte linguistique du prénom "Moïse" Moïse et la découverte de l'alphabet sémitique Les langues de pharaon "Hébreu" et "Yahoud" Moût et Râ Le et les noms de Dieu Moïse ou la personnification de l'être par le discours MOISE À L'ÉPOQUE D'AKHENATON

Légende et histoire L'hypothèse d'un Exode vers -1207 . La mention du nom de la ville "Ramsès" . La mention " Israël " sur la stèle de Mineptah L'hypothèse d'un Exode vers le milieu du 16ème siècle avant notre ère L'hypothèse d'un Exode vers -1 190 L'hypothèse d'un Exode vers -1 340 Ce que l'on sait de la vie et de l'oeuvre d'Akhenaton . Données biographiques . La réforme religieuse . La malédiction jetée sur Akhenaton après sa mort 7

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MOÏSE ET LE RETOUR DES DIEUX

La lecture traditionnelle de la psychanalyse . Akhenaton au coeur d'un conflit psychanalytique . Akhenaton maître de Moïse La liquidation du transfert sur Akhenaton . Les nouvelles données archéologiques du disparu . L'OEdipe historique

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AKHENATON MONOTHÉISTE?

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L'essai monothéiste d'Akhenaton Un bouleversement complet des pulsions de vie et de mort La sexualité inconsciente du Panthéon égyptien BIOGRAPHIE ET ŒUVRE DE MOÏSE

Le pré-texte du don de la Torah à Moïse Un essai de reconstitution biographique Un essai de reconstitution de l'oeuvre syncrétiste de Moïse L'AMBIVALENCE DE MOÏSE

VIS-À-VIS

DU SOLEIL

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151 YAHVEH SUR LE ROI-DIEU AKHENATON Le sens de la querelle théologique qui oppose Moïse à Akhenaton 151 La victoire de Yahweh sur les fondements du Roi-Dieu Akhenaton 156 Le meurtre des dieux et de leurs représentants 159 LA VICTOIRE DE

LA RÉVOLUTION DE LA TORAH Le paradigme de la vie la mort comme enjeu théologique . La voie pharaonique de la restauration d'Amon . L'invention prophétique de la religion d'Adonaï Du "système Osiris" à la nouvelle eschatologie de YHWH La traversée de la Mer des Roseaux L'écriture de la loi Le sens de la Genèse

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Après Moïse Retour à l'histoire L'arrivée de Josué La néantisation des croyances et l'avènement du nouveau monde Pourquoi Canaan? Conclusion

191 191 193 .196 201 204

CONCLUSION

209 215 229

Index Entre les livres

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INTRODUCTION

Le soleil perce encore, lorsqu'en cette soirée de septembre 2002, la foule se presse aux portes de l'Opéra National du Rhin, où l'on donne Akhnaten, opéra en deux actes de Philipp Glass, un rendez-vous de l'étrangeté et des images d'Epinal, de l'altérité et du bien connu, de la création et de la répétition. On y revit les sentiments monistes du dieu Aton qui s'opposent aux pluralistes du panthéon fédéré par le dieu Amon. Glass veut-il nous faire regretter que l'histoire ait enseveli la vraie vie d'Akhenaton sous un épais manteau ? Veut-il la restaurer dans son intégralité? Caresse-t-il le secret espoir que nous aimions à nouveau ce pharaon près de 3 340 ans après sa chute? Souhaite-t-il nous réconcilier avec le destin de ce roi maudit, comme le firent Sophocle, lorsqu'il écrivit OEdipe-Roi, puis Shakespeare, lorsqu'il donna vie à Hamlet? Ambivalent désir que celui de camper un personnage pour le temps présent, à condition qu'il n'existât que dans le temps passé. Autant de questions qui me viennent, au moment d'écrire cet ouvrage. Car Moïse a aussi sa "pièce", quatre Livres, peutêtre cinq, de la Bible, et un auteur oh combien prestigieux: Dieu. En outre, à la différence de tous ces rois déchus, il est assuré d'avoir des sujets, parce qu'il ne cesse de vivre dans le coeur de tout un peuple. Après avoir publié deux livres sur les rapports entre l'Egypte ancienne, la psychanalyse et le judaïsmel, le projet de faire le portrait d'un Moïse biblique compatible avec l'archéologie s'est

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imposé à moi. Le jeu de son absence et de sa présence invite en effet à camper la "figure scripturaire" 2 biblique d'un Moïse qui réside dans la déconstruction et la maîtrise du retour des dieux ancestraux attesté par l'Histoire et l'archéologie. Je voudrais d'emblée souligner que mes recherches explorent le contenu de l'enseignement de Moïse tel qu'il est transmis par le judaïsme. Moïse est d'abord la figure scripturaire de "l'invention de la liberté" 3 , contraignant Pharaon à ouvrir les portes aux Juifs pour qu'ils quittent l'Egypte, les Juifs qui, comme l'affirme Raphaël Draï, "par ce mouvement sans précédent, rejettent pour la première fois l'ordre esclavagiste qui semblait pourtant inscrit dans la nature des choses; ils proclament la primauté de l'Etat de droit sur l'arbitraire idolâtrique; ils récusent, en offrant une alternative politique et religieuse, la cosmocratie pharaonique dans son principe et ses mythologies extrémistes; ils dénoncent la folie de l'exercice absolu du pouvoir qui peut se porter jusqu'au génocide". Pour autant, c'est aussi et surtout un initiateur théologicopolitique. Nul ne peut comprendre sa vie et son oeuvre sans tenter d'imaginer ce que fut le contenu de la querelle théologico-politique qui l'opposa à Pharaon et que l'on ne saurait réduire à une interprétation théologique interne à l'histoire d'Israël ni à une invention tardive. Mon livre tente de reconstituer les éléments théologicopolitiques qui, entre Hébreux 4 et Egyptiens, se situent à la naissance de ce que l'on a appelé le "monothéisme" (culte d'un seul dieu excluant l'existence d'autres) juif et qui, nous le verrons, est davantage, du moins à l'époque pharaonique, une "monolâtrie" (culte voué à un seul dieu et dont la religion accepte l'existence d'autres dieux) hébraïque.

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INTRODUCTION

Mon enquête vient confirmer l'hypothèse que la figure scripturaire de Moïse n'a pas été une pure invention littéraire, mais la narration de la vie et de l'oeuvre d'un acteur éponyme de l'histoire qui, au XIVe siècle avant notre ère, a connu la révélation du dieu unique Adonaï et des commandements moraux, puis s'est érigé en premier monolâtre de l'histoire théologico-politique pour finalement élaborer une oeuvre syncrétiste qui a consisté à vaincre puis sublimer tous les dieux égyptiens. Cette étape fut essentielle pour qu'ultérieurement d'autres dieux, notamment assyriens, soient à leur tour métabolisés dans ce qui devait devenir, sous le roi Josias et le prophète Isaïe, un monothéisme juif absolu (réussi, à la différence de celui d'Akhenaton). Cette enquête tient compte de la problématique que I. Finkelstein et N.A. Silberman exposent dans La Bible dévoilée et qui éclaire de manière décisive les rapports existant entre la Bible et l'Histoire. Ces auteurs ont démontré que Josias, l'obscur souverain d'un minuscule royaume couronné en l'an 639 avant notre ère, "dans l'ombre des grandes puissances, (est) devenu - consciemment ou non - le protecteur d'un mouvement intellectuel et spirituel, qui est à l'origine de certains des enseignements éthiques majeurs de la Bible et de sa version spécifique de l'histoire d'Israël" 5. Ils ont également montré que l'histoire de l'Exode est devenue "particulièrement signifiante pendant et après l'exil. Le récit de cette libération devait exercer une fascination sur les exilés de Babylone" 6. Enfin, ils rappellent que "l'intégrité de la Bible et, en fait, son historicité ne se fondent pas sur les preuves historiques d'événements ou de personnages donnés, comme le partage des eaux de la mer Rouge... le pouvoir de la saga biblique repose sur le fait qu'elle est l'expression cohérente et irrésistible de thèmes éternels et fondamentaux" 7 .

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MOÏSE ET LE RETOUR DES DIEUX

Aussi, posent-ils la question suivante à propos de l'Exode : "Y aurait-il un noyau plus ancien de vérités historiques, ou bien le fondement même des histoires fut-il inventé à cette époque (seconde moitié du VIIe siècle et première moitié du VIe siècle avant notre ère)" 8 ? Et ils y répondent en ces termes : "la saga de l'Exode d'Israël hors d'Egypte n'est pas une vérité historique, mais elle n'est pas non plus une fiction littéraire"9. C'est précisément cet entre-deux que j'ai voulu étudier dans ce livre. En effet, il est impossible que la figure scripturaire d'un Moïse vivant peu avant ou pendant l'époque ramesside (au XIVe siècle ou au XIIIe avant notre ère) soit réduite au seul résultat d'une construction littéraire datant du roi Josias. Il ne suffit pas d'expliquer que Josias ait voulu rehausser sa propre action en la décrivant comme la digne héritière de celle d'un haut personnage mythique originaire et fondateur auquel il aurait donné le nom de Moïse. S'il raconte l'histoire de Mosché Rabbenoul 8 comme celle de l'inventeur d'une monolâtrie et non d'un monothéisme, c'est bien parce que, pendant les siècles qui précèdent son arrivée dans l'histoire des Juifs, les patriarches et les rois d'Israël sont monolâtres. Certains rois vont même jusqu'à vouer un culte à d'autres dieux qu'à Adonaï. C'est d'ailleurs pourquoi Adonaï et le peuple d'Israël vivent en permanence une relation de fidélité et de détournement. Aussi Josias doit-il respecter cette histoire de la relation du peuple au Dieu unique en en retraçant tous les méandres. C'est pourquoi, il confie à ses scribes la rude tâche de raconter comment Adonaï s'impose peu à peu comme dieu unique aux yeux des Bnei Israël, puis des Juifs. La découverte du "toponyme Yhw3 attesté dans les listes égyptiennes de toponymes des temples nubiens de Soleb et d'Amara-Ouest qui datent des XIV et XIIIe siècles avant 12

INTRODUCTION

notre ère, et le fait qu'il était lié à un groupe de Shosou, sorte de Bédouins vivant dans le sud de la Palestine" 11 et son rapprochement avec le théonyme "Yahweh" ne nous permettent plus de douter de l'existence de ce noyau primitif yahwiste auquel Josias et ses scribes se réfèrent. Dès lors, la tâche qui se trouve devant nous est de reconstituer par l'archéologie et, si ce n'est pas possible, par la seule raison (laquelle doit nécessairement tenir compte du travail psychanalytique sur la transmission des discours narratifs), le lien existant entre le culte de Yahweh et celui d'Adonaï au sein du peuple des Bnei Israël dont l'existence est attestée en -1207, par une inscription sur la stèle de Mineptah, "la plus ancienne mention d'Israël dans un texte extra-biblique", comme l'affirment ces deux archéologues 12 . Cette tâche est ardue. Les deux archéologues nous invitent à cette conclusion malgré eux. D'abord, ils constatent une contradiction criante entre la mention d'Israël sur la stèle de Mineptah et le fait qu'il n'existe aucune preuve archéologique de son existence auparavant 13, mais sans se poser la question de la limite de la méthode archéologique, lorsque celle-ci bute sur le "disparu" dont l'existence est fermement établie. Dans un sens inverse, ils ne citent jamais la mention archéologique de Yahweh dans leur état des lieux, mais admettent, sans expliquer pourquoi, qu'à l'époque du Fer, les deux territoires d'Israël et de Juda partageaient le culte de Yahweh. Il serait tentant de penser qu'il n'y a pas plus de récit primitif de l'Exode que de "livre de la loi" ancestral, découvert, selon Josias, pendant les travaux de la rénovation du Temple de Jérusalem (en 622 avant notre ère), dans la dix-huitième année de son règne, et qui n'est en fait, les archéologues l'ont démontré, qu'un écrit rédigé par ses soins.

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MOÏSE ET LE RETOUR DES DIEUX

Mais, les rédacteurs de la Bible ne parlent pas de l'Exode comme d'un texte écrit ni redécouvert longtemps après qu'il a eu été écrit. Pourquoi? Parce que le récit tardif de l'Exode fonctionne comme un palimpseste, c'est-à-dire comme un nouveau texte qui garde les traces de l'effacement de sa première version, élaborée à l'époque d'un Moïse historique et transmise de manière orale. L'entre-deux négatif du "ni vérité historique ni fiction littéraire" des archéologues fait donc clairement apparaître une double impossibilité des rédacteurs de la Bible de se défaire de toute référence à un Exode historique, à une époque où ils n'en mentionnent pourtant aucun élément archéologique, et d'en faire le récit comme une épopée littéraire actuelle, destinée à louer les rois du peuple qui se succèdent alors. Dès lors, la rédaction de l'Exode apparaît comme la volonté de raconter - mais dans le refoulement - l'épisode fondateur du peuple d'Israël. Mon livre se veut une tentative de lever un coin de ce refoulement et de reconstituer quelques traces effacées de ce palimpseste. S'il est vain d'imaginer que nous pourrons un jour revivre l'illumination mentale de ce Moïse de chair et de sang qui a vécu dans le bruit et la fureur de l'Egypte pharaonique, il n'en reste pas moins que nous pouvons tenter de nous faire une idée de son itinéraire affectif, religieux et intellectuel qui a rendu la constitution de ce message et de cette histoire possible. Partant de la figure dominante du Moïse biblique commentée par le Talmud, je remonterai donc jusqu'à celle du Moïse égyptien pour décrire le travail syncrétiste qui, sous l'égide d'un principe unique, fut son oeuvre spécifique. En effet, l'origine du monothéisme juif ne saurait être décrit comme une naissance sans gestation préalable. Assez souvent, l'on construit l'origine du monothéisme sur le mode

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INTRODUCTION

du dogme de la création du monde ex nihilo. Ainsi, Moïse aurait-il découvert l'originel subitement, lors de la révélation, sans que rien ne l'eût préparé à le faire. Or cet événement arrive, lorsque Moïse a quatre-vingts ans. Il a donc parcouru un long chemin, notamment auprès de Jethrô, lorsqu'il était pasteur des pasteurs du troupeau. De cette expérience préalable, la Bible ne nous dit pas grand-chose. L'apport de l'enseignement de Jethrô est décrit plus tard, notamment lorsqu'il apprend à Moïse la représentativité démocratique. Or Jethrô lui apprend également le rapport au divin. C'est pourquoi, Moïse peut, à son tour, faire l'expérience de la réceptivité et de l'accueil de l'unicité de la parole divine. Voici le cheminement que je propose au lecteur de suivre. Je commencerai par restituer la figure du Moïse telle qu'elle nous est présentée par le Talmud, afin qu'il soit clair qu'il existe des zones d'ombre historique sur Moïse, au sein même de la littérature traditionnelle juive. Cette tâche est d'autant plus essentielle que, assez souvent, Moïse est devenu une image d'Epinal14. Puis, mon intérêt se portera sur les indices de son appartenance filiale, notamment sur son nom tel qu'on peut en reconstituer la signification déterminée par ses rapports avec l'hébreu et l'écriture hiéroglyphique. Parvenu à l'explication de la figure d'un Moïse égyptien comme constitutive de la narration biblique, je reconstruirai le contexte géographique et théologique qui donne sa signification à l'émergence de son personnage dans l'Histoire. Je montrerai surtout que Moïse ne saurait être un Egyptien de type polythéiste, mais que, s'adressant à un pharaon avec lequel il débat de la divinité, son combat ne peut prendre place que dans une Egypte profondément troublée par la percée de l'idée monolâtre, voire monothéiste. Indiquant les

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incohérences qu'il y aurait donc à le penser sous le pharaon Ramsès II, je justifierai mon choix de situer son oeuvre juste après le rétablissement des dieux primordiaux égyptiens consécutif à l'effacement de l'essai monothéiste avorté du pharaon Akhenaton. Pour clarifier ce point, je détaillerai les effets du refoulement originaire du désir monothéiste du pharaon Akhenaton, tels qu'il est possible de les reconstituer dans leurs dimensions pulsionnelles et historiques ! A cet égard, la question qui porte sur la nature des éléments refoulés sera décisive et traversera ce livre de part en part. On pourra dire, par exemple: la Torah est avant tout le don de la loi morale. Donc, le monothéisme d'Akhenaton est le règne de la licence. Mais, de même que l'opinion droite - la pensée orthodoxe - s'en tient à une opposition exacerbée entre le divin (hébraïsme - judaïsme - Israël - Juif) et l'idolâtrie (Egypte) 15, elle a également une grande difficulté à penser que l'inventeur de l'idée monothéiste (et non monolâtre) ait pu avoir été un être pervers 16 et que monothéisme et immoralité puissent aller ensemble. Or dès lors que nous nous débarrassons de cette grille d'interprétation préétablie, nous sommes prêts à accueillir cette nouvelle approche qui est porteuse de nombreux fruits. Dans le chapitre suivant, cette ouverture débouchera sur un scénario événementiel que je soumettrai à la critique des documents et sur lequel je projetterai également la lumière du Zohar. L'exposition de l'ensemble de ces données aura été nécessaire avant de préciser la nature de la querelle théologique à laquelle Moïse prit part, du temps de la révolution religieuse d'Akhenaton, et celle de la victoire qu'après la chute du pharaon et de ses sectateurs, il emporta contre les dieux, lorsque ceux-ci firent retour.

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INTRODUCTION

L'ouvrage se poursuivra par la description de la nouvelle oeuvre eschatologique de Moïse qui travaille en silence l'écriture des cinq premiers livres de L'Ecriture. Je conclurai sur la problématique actuelle d'un retour des dieux annoncé par André Malraux dont je discuterai chaque terme : en quoi ces dieux seraient-ils nouveaux? En quoi s'agit-il encore de dieux? En quoi Moïse est-il parti? En quoi les dieux l'attendent-ils et est-ce le fait de le désirer qui fait d'eux des dieux? En quoi tarde-t-il à venir? Si Moïse revenait, ce ne serait assurément pas la première fois. En effet, à ce que racontent les savants biblistes, ce serait au quinzième ou au treizième siècle avant notre ère que Moïse serait apparu dans l'Histoire. Or à peine commence-t-il à se manifester qu'il est obligé de s'exiler, dans une région du désert, appelée Madian, pour échapper à la peine de mort à laquelle Pharaon l'a condamné pour avoir tué un maître d'oeuvre égyptien qui voulait frapper un maître d'oeuvre hébreu. Souvenons-nous. Dieu lui fait alors savoir qu'il peut et doit réapparaître en Egypte, La finalité de son retour est de conduire le peuple hébreu jusqu'à la montagne sainte où Dieu lui donnera la Torah. Une deuxième fois, Moïse revient, mais cette fois de la montagne où il a reçu les tables de loi, pour se trouver confronté à un événement majeur: le retour des dieux écartés. Enfin, s'il fait retour une troisième fois, c'est, si l'on en croit le Talmud, lors d'une scène tout à fait étrange, qui se déroule à la fois lorsque Dieu écrit la Torah (l'enseignement de la Loi) pour la lui transmettre, et de ne nombreux siècles plus tard, lorsqu'elle est enseignée dans une école juive. En effet, la même scène nous révèle que, tandis que Dieu écrit la Torah dans le saphir, Moïse s'étonne qu'il trace des couronnes, nouées aux lettres. Il lui en fait la remarque. Pour lui

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MOISE ET LE RETOUR DES DIEUX

expliquer l'intérêt de ces couronnes, Dieu fait alors défiler le film de son retour sur terre, bien longtemps après sa mort. En voici le synopsis : après des générations et des générations, le rabbin Akiba (50-135) enseigne la Torah de Moïse à ses disciples. Moïse s'assied à la huitième des rangées dans l'Ecole du Rabbin et l'écoute. Or, surprise des surprises, il ne reconnaît pas "sa" Torah Akiba s'appuie, en effet, sur ces couronnes, pour forger des pensées qui paraissent totalement nouvelles à l'esprit de Moïse. Puis, le film s'arrête; Moïse ne peut alors s'empêcher d'interroger Dieu et de lui demander ce que cela signifie. Et Dieu de lui répondre qu'il est dans l'essence de la Torah de parler à chaque siècle le langage de chaque siècle. La pensée est la même, mais l'expression s'adapte. D'innombrables retours de Moïse ont suivi : chrétiens, musulmans, rabbiniques..., mais aucun n'a jamais douté de sa présence. Le principe de ce livre est, au contraire, de partir de l'idée que Moïse s'est éloigné du monde (certains diront: en a disparu) et de nous demander à quelles conditions il pourrait revenir. Depuis sa mort "sur le mont Nébo", des dieux d'Etat ont fait leur apparition, puis sont morts, en Egypte, bien sûr, mais aussi en Assyrie, chez les Aztèques, en Grèce, à Rome ou ailleurs dans un lointain passé, tandis que Yahweh devenait l'otage du Djihad islamique (à distinguer du message du Coran) puis de l'inquisition catholique (à distinguer du message des Evangiles). Quand Moïse est absent, les dieux dansent. Et si Moïse a réussi jadis l'intégration des dieux, depuis son départ, ces dieux se sont déchaînés à volonté, urbi et orbi et sous différentes formes. Comme je l'ai dit plus haut, je "ferai" revenir Moïse, mais comme un haut personnage qui est vraiment parti, et non comme s'il était une pure figure de l'esprit qui n'était jamais

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INTRODUCTION

partie (ce sentiment rassurant que, s'il est parti, il est quand même là-haut sur la montagne). Je prends ainsi le risque de penser que Moïse a abandonné notre monde et d'examiner ce que signifie le fait de penser aujourd'hui sa réalité d'alors, au moment même où je pense son retour. Les Anciens Egyptiens pensaient que le mort était comme s'il était vivant. Et bien, autant il fallait rompre avec ce déni de la mort, autant il faut aujourd'hui ouvrir les yeux sur la mort de Moïse. Il s'est éclipsé et, finalement, a disparu de la scène pendant des siècles et des siècles. Pendant tout ce temps, il était ce Moïse qui était mort sur le mont Nébo. Aujourd'hui, disons qu'il revient; mais il est sans doute différent de cette image du Moïse biblique. Moïse n'est plus le même, et pourtant, il s'agit toujours de Moïse, de l'homme qui a reçu et enseigné la Torah. Du même coup, j'invite le lecteur à penser sa vie et son oeuvre sans l'instrumentaliser, sans utiliser son enseignement pour justifier a priori quelque cause que ce soit, bref, sans en faire un alibi. Il me semble, en effet, que c'est la seule manière de savoir si le commandement "Tu n'assassineras point" a bien joué et jouera encore un rôle dans l'histoire des hommes. Cette démonstration nous permettra d'explorer dans un autre livrer la raison pour laquelle le fait que ce commandement ait été édicté ne semble pas avoir changé grand-chose au déferlement du meurtre dans l'Histoire. On pourrait penser, en effet, que cette inefficacité serait due à un vice de forme qui a surgi au moment du don de la Torah. Cette assertion, blasphématoire aux oreilles des commentateurs superficiels, est, en fait, pleine de sagesse. Remarquons, en effet que dans la Bible, si Dieu choisit de donner sa Torah au peuple hébreu par l'intermédiaire de Moïse, on ne peut pas dire qu'il fasse le meilleur choix.

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MOÏSE ET LE RETOUR DES DIEUX

Rappelons que Moïse est d'abord quelqu'un qui "a la langue embarrassée". Certes, il révèle son aptitude à communiquer avec Dieu, avec Pharaon, avec les autres Seigneurs et avec le peuple hébreu. Mais, chacun sait que lui-même a recours à son frère Aaron pour délivrer ses messages. Aaron lui sert d'"organe". Alors, si Dieu a voulu le faire parler, le psychanalyste peut vraiment dire qu'il a commis un curieux acte manqué. Il s'y est vraiment mal pris, il n'a pas mis toutes les chances de son côté; peut-être souffrons-nous d'ailleurs tous, encore aujourd'hui, des effets de cet acte ! Un ami m'a récemment posé la question suivante: "tu as une idée derrière la tête. Alors, c'est toi Moïse" ? A quoi j'ai répondu ceci: je suis Moïse et je ne le suis pas. Dans Un été rue des prophètes, le conteur David Shazar met en scène un "vieux Turc" qui se perd dans ses imaginations, "à propos de tout et surtout de Moïse, notre Maître qui fit sortir un peuple d'un peuple. Qu'a-t-il fait Moïse, questionne-t-il? Il a pris la pègre, la canaille, tout un ramassis d'esclaves et de ces fils d'esclaves, il a fait sortir une grande nation. Pourquoi les a-til traînés quarante ans dans une terre aride, à l'ombre de la mort, dans un désert où un être civilisé n'aurait jamais mis les pieds? Écoute ce que je te dis: je dis que s'il a agi ainsi, Moïse, c'est qu'il avait honte d'être vu par des gens civilisés dans la compagnie de cette populace de vauriens qui venaient tout juste d'être libérés du jougu18 Et Shazar de comparer le Pharaon et le boutiquier galicien du coin de la rue, le chef des magiciens et le Rav Yitzhok, et de mettre dans la bouche du "Vieux" l'amer constat qu'il lui manque une femme noire comme celle de Moïse. Je suis comme Shazar. Je me raconte des histoires. Or voici la dernière : et si c'était cet acte manqué plutôt que la toute-puissance de Dieu qui avait peu à peu convaincu Moïse qu'il fallait fonder la loi morale et la transmettre ?

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INTRODUCTION

En effet, pourquoi ne pas imaginer que Moïse aurait perçu Dieu dans sa vulnérabilité et qu'il l'aurait magnifié par la suite pour effacer cette impuissance? En définitive, Moïse aurait-il jeté les fondements de la loi en dépit de Dieu et non grâce à lui ? Dans le même ordre d'idées, on pourrait se dire que si Moïse doit aujourd'hui revenir, c'est non seulement en dépit de Dieu, mais même et surtout en dépit du monde. Ceux qui vénèrent Moïse n'acceptent pas d'imaginer qu'il ait pu s'absenter. Tous les autres s'en moquent. Soit ils ont d'autres maîtres, soit ils n'en ont plus du tout. Le monde ne réclame pas Moïse. Il pense, si tant est qu'il pense, que Moïse n'a plus rien à dire. Voilà une bonne raison - une raison sans alibi - de le faire revenir. On aura donc compris que mes motivations d'écrire ce livre sont très fortement ancrées dans la pulsion de comprendre le temps présent. Parmi celles-ci: penser l'émergence de la question de la survie. Nous avons tous remarqué que, depuis le 11 septembre 2001 notamment, l'âme du monde était ébranlée. Elle est comme frappée de stupeur. Le futur se dérobe. Depuis la mise au point de l'arme atomique, cette dérobade se laissait penser dans l'imminence de l'instant. Le monde pouvait certes imploser, mais soudainement, urbi et orbi. Puis, la guerre froide a installé cette perception dans la durée, jusqu'à ce qu'un court moment, elle disparaisse de l'horizon. Enfin, une autre perception a surgi, l'actuelle conscience que la dérobade est devenue un objet de préméditation. Cette fois, c'est l'âme même qui s'interroge sur sa capacité à survivre. L'âme est dans tous ses états 1 Il nous faut donc croire qu'il existe encore quelque chose qui s'appelle "âme" ! Qu'est ce monde de peuples, de cultures et de nations, en effet, si ce n'est un semblant où les uns

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MOISE ET LE RETOUR DES DIEUX

évoluent aux côtés des autres ? Y aurait-il donc encore une place pour un ultime salut qui consisterait en une unification du monde ? Parmi d'autres motivations : aimer réfléchir sur la signification du salut. Sauver le monde, c'est le guérir. Le monde n'existe pas seulement dans le rapport à ceux que j'aime. Lorsqu'un être cher disparaît, ce n'est pas le monde qui disparaît. Il y a une distance infinie entre ce que l'on appelle le "monde" et l'individu. Si le "monde" n'existe pas, c'est parce que chaque individu est engagé dans la lutte pour sa propre survie, ainsi que pour celle des siens. On voudrait donc guérir l'âme du monde ! Car, la souffrance du monde n'est pas une fatalité. La vie n'a pas émergé sur terre pour que des femmes et des hommes n'en éprouvent que les aspects les plus sordides, ce qui tendrait leurs actions vers la seule quête des moyens de les éviter. Nous avons d'autres choix que celui de nous donner l'illusion, de temps à autre, de fuir cette malédiction par le plaisir de la chair, de la reproduction et de l'amusement, ou encore par la guerre. On dira peut-être que le psychanalyste est très naïf. Mais, qu'y puis-je, si j'ai la conviction que le monde pourrait vivre autrement? Dois-je préférer le cycle maniaco-dépressif du struggle for live Vivons-nous comme des animaux? Lorsque les peuples premiers se sont identifiés à des animaux, c'était, par exemple, le cas des cultures qui en faisaient des dieux, ce n'est pas le struggle for live qui les a intéressés, mais, bien au contraire, ce qui a fait, et fait toujours, la richesse de leur existence quotidienne (l'oeil d'Horus, la vigilance d'Anubis...). Ce que nous entendons par "animaux" n'a rien à voir avec la vie animale. Par exemple, les animaux ne s'entretuent pas. Ce sont les hommes qui ont inventé le meurtre à l'intérieur de l'espèce à laquelle ils appartiennent et le meurtre !

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INTRODUCTION

des autres espèces 19. Si donc les hommes ont besoin de vivre en s'entretuant, je ne vois pas comment nous changerions quoi que ce soit, sauf à modifier leurs dispositions génétiques, cérébrales ou, plus probablement, psychiques qui les poussent à agir ainsi. Mais ne faut-il pas voir là un argument doctrinaire? Car, si la réalité est la pulsion homicide, quelle est notre légitimité à la dénoncer? Ainsi, allons-nous nécessairement et directement à l'essentiel: il n) a pas que du meurtre. Une des particularités du monde dans lequel nous vivons est de continuer à respecter le commandement: "Tu n'assassineras point" que nous devons à Moïse, tandis qu'il se développe à la condition d'être foulé au pied nuit et jour, urbi et orbi. Voilà une première source de réflexion. D'où cette question: y aurait-il des meurtres qui ne seraient pas contradictoires avec l'interdiction d'assassiner? Et cette autre redoutable question: l'interdiction de tuer estelle caduque? "Nous n'avons jamais imaginé cela, pensent les plus sincères des partisans de la peine de mort 20 . Nous disons seulement que refuser de constater que "l'homme est un loup pour l'homme" est une mystification." Le lecteur conviendra que Plaute qui a utilisé cette métaphore pour expliquer sa théorie du droit naturel ne savait pas exactement ce qu'était un loup pour s'être engagé dans une telle définition de l'homme. Car à la lumière de ce que l'on sait aujourd'hui sur cet animal et sur l'homme, n'est-ce pas plutôt le loup imaginaire qui représente un homme pour un autre homme21 ? Certes, mais à la condition que l'on sache aussi donner toute leur place aux qualités humaines. Comme le cinéaste Alfred Hitchcock le proclamait avec ironie, "l'homme ne vit pas seulement de meurtres" ! Et je ne parle pas de la louve qui, elle, est une vraie mère pour le loup...

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Notre civilisation est confrontée à une vraie énigme. Ceux qui interdisent le meurtre sont bien souvent d'accord avec ceux qui le commettent. Ceux qui le commettent ont bien souvent besoin d'être opposés à son interdiction. N'est-ce pas étrange? N'est-ce pas paradoxal ! Peut-être pourronsnous demander à Moïse de nous aider à sortir de ce labyrinthe. Mais, il nous faudra le faire revenir comme le Législateur qui se rend compte que l'intention profonde qui a présidé à l'instauration de la Loi fondamentale de l'interdit du meurtre est dans un piteux état, non parce que cette loi n'est pas respectée, mais parce que, quand bien même elle l'est, cela ne change rien au fait que le meurtre envahit la société mondiale. On ne s'entretue pas moins après Moïse qu'avant. Au contraire. On s'entretue beaucoup plus. Si Moïse revient, il lui faudra donc nous dire pourquoi il a cru, il y a trois mille trois cents ans, en l'utopie de l'interdit du meurtre.

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Notes de l'introduction 1 L'Egypte ancienne dans la Pechanalyse (Paris, Maisonneuve et Larose, 1986) et Akhenaton sur le Divan (Paris, Jean-Cyrille Godefroy, 2001). 2 Jean Lambert, in Le Dieu distribué, Paris Patrimoines Cerf, 1995, p.67. 3 Raphaël Draï, La Sortie d'Egypte, l'invention de la liberté, Fayard, 1992. 4 On a souvent rapproché "Hébreux" de "Habiru", cette peuplade nommée dans les tablettes d'Amarna (qui relatent notamment les relations diplomatiques entre Aménophis III et Aménophis IV / Akhenaton avec les pays avoisinants) et dont les dieux sont désignés comme des "ilani", alors que les divinités des Cananéens et des Bnei Israël établis dans le Nord sont appelés "élohîm" (cf : Max Weber, in Le judar:rme antique, Paris, Agora, 1997, p.197). Mais, comme nous le verrons plus loin, cette lecture de l'origine des Hébreux est incompatible avec le contexte de la querelle théologico-politique dont il sera question tout au long de ce livre. 5 Paris, Bayard, 2002, pp. 314-5. Aux pages 16-17, les auteurs définissent la Bible comme "Le recueil de textes anciens, longtemps désigné sous le titre d'Ancien Testament, et qu'aujourd'hui les savants ont coutume d'appeler la Bible hébraïque. C'est un assemblage d'histoires, de légendes, de textes de lois, de poèmes, de prophéties, de réflexions philosophiques, composés pour la plupart en hébreu". 6 Ibid, p. 351. 7 Idem, p. 357. 8 Idem, p. 87. 9 Idem, p. 90. Je reviens plus loin sur la confrontation qu'ils organisent entre l'Exode biblique et l'archéologie. 10 Nom affectueux donné à Moïse en qui le Talmud désigne le maître. 11 In Paul Garelli et André Lemaire, Le Proche-Orient asiatique, Paris, PUF, Nouvelle Clio, 2001, p. 304. Pour éviter tout malentendu à caractère politique, il n'est pas inutile de rappeler, ici, que le nom "Palestine" renvoie aux régions du Kin'anum (Canaan) (cf : Jacques Briend et Marie Joseph Seux in Textes du Proche-Orient Ancien et Histoire d'Israël, Paris, Les Editions du Cerf,1977, p.43) qu'on a appelées ainsi tardivement, et non à un peuple dont les Palestiniens seraient aujourd'hui les héritiers. 12 Idem, p.75. 13 In op.cit., p. 78. 14 C'est ainsi que, le 3 octobre 2002, lors de la troisième audience du procès de Marwan Barghouti, à Tel-Aviv, un avocat juif, Shammaï Leibovitz, qui assure la défense du Palestinien accusé de terrorisme, n'a

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pas hésité à le comparer à Moïse, au prétexte que ce haut personnage biblique aurait usé de violence, notamment contre un Egyptien, pour libérer le peuple hébreu. 15 Lire sur ce sujet H. Meschonnic, L'Egypte et nous, in L'Utopie du Juif, Paris, Desclée de Brouwer, Paris, 2001, pp. 399 et sq. 16 Lire sur ce sujet mon livre Akhenaton sur le divan, Paris, Jean-Cyrille Godefroid, 2001. 17 Les sources contemporaines du Dieu obscur. Livre en écriture. 18 L'Imaginaire, Gallimard, Paris, 1978, p.44. 19 Sur ce sujet lire L'Homme imprévu et L'Homme fou (PUF) d'André Bourguignon. 20 Lire, sur ce sujet, mon ouvrage Anatomie de la Séparation, De Boeck Université, 2002 21 L'inversion de cette énigme est au coeur du traitement de ce patient que Freud appela "L'Homme aux loups" et qui ne cessa d'enrichir sa réflexion.

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Chapitre I MOÏSE D'APRES LE TALMUD

Quelle image de Moïse pouvons-nous dégager du Talmud? Dans Moïse raconté par les sages, un conteur, Edmond F1eg22, avoue le plaisir qu'il aurait à lire "une histoire véridique de Moïse"23. "Comme le Talmud, écrit-il, le récit de la vie de Moïse est un océan". Puis : "très humble héritier des conteurs du Talmud, de leur esprit et de leur langage, recueillant, regroupant, refondant, repensant leurs fables dispersées, et au besoin, paraphrasant à mon tour leurs paraphrases, j'ai voulu continuer à leur exemple, la tradition qu'ils ont perpétuée, afin d'écrire cette histoire telle qu'elle vit en moi aujourd'hui"24 . C'est pourquoi, je propose au lecteur de suivre le curriculum vitae talmudique de Moïse en compagnie de ce conteur.

Avant Moïse Au début, Israël est en Egypte. Après la mort de Joseph, les fils du peuple d'Israël se sont multipliés. Mais, ils ont abandonné les préceptes de Dieu. Ils se sont "assimilés" et ont adopté les coutumes des Egyptiens. L'histoire de Joseph forme, dans le premier Livre de la Bible (Bereshit), un ensemble cohérent qui précède celui de Moïse. Joseph est le premier-né de Jacob et de Rachel; il épouse une Egyptienne, Asnat25, et devient vice-roi d'Egypte. Sous le régime de Joseph, les Hébreux (ou fils d'Israël) sont

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en odeur de sainteté. Mais, peu après sa mort 26, un nouveau pharaon considère qu'ils prennent trop de place et ont trop de pouvoir. Il veut les éliminer. Comme dans toute légende, ce souhait de mort se cristallise autour de notre héros. Pharaon rêve qu'un fils du peuple hébreu menace de le détrôner. Ce n'est pas écrit dans la Bible, mais le Talmud l'affirme. Le nouveau Pharaon fait un rêve : le plateau de paille, où se trouve un nouveau-né, est plus lourd que le plateau d'or, où se trouve l'Egypte. Les trois conseillers de Pharaon lui font savoir que c'est un rêve prémonitoire : ce nouveau-né appartient au peuple d'Israël; il a pour mission de le renverser et de sauver son peuple. L'un d'entre eux, Balaam, veut sa mort et celle du peuple d'Israël, un autre, Job fait mine de n'avoir aucun avis sur la question, le troisième, Jéthrô, justifie la rédemption de ce peuple et incite Pharaon à se rédimer d'un même élan. Pharaon suit alors le conseil de Balaam et ordonne de noyer tous les enfants mâles nouveau-nés en Israël dans le Nil. Amram, père d'Aaron et de Myriam, est le chef de la tribu de Lévi, la seule qui ne se soit pas assimilée. Pour éviter que des garçons naissent à la mort, pourrais-je dire, Amram ordonne aux fils d'Israël de divorcer de leurs épouses. Mais, comme sa fille lui reproche d'être plus cruel encore que Pharaon, puisqu'il condamne également les filles potentielles, Amram revient sur sa décision et se remarie avec sa femme Jozabeth.

Naissance et adolescence de Moïse Ils conçoivent alors Moïse qui naît prématurément (lorsque sa mère est enceinte de six mois). Refusant de l'exposer au meurtre, son père et sa mère le placent dans une corbeille de jonc qu'ils confient au Nil. Il est sauvé par

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Bithya, la fille du Pharaon, qui lui donne le nom de "retiré" et qui guérit instantanément de la lèpre. Sur les conseils de Myriam, Bithya confie Moïse à une nourrice, en fait Jozabeth, sa vraie mère. Elle simule une grossesse aux yeux de Pharaon. De la simulation de l'accouchement de Bithya et de la naissance de Moïse, nous ne savons rien. Pharaon ne s'en inquiéta-t-il pas? Toujours est-il que, conformément à la tradition, c'est à l'âge de trois ans que Moïse est présenté à Pharaon. Plus tard, lors d'une cérémonie, il s'empare de la couronne que Pharaon a sur la tête. Balaam y voit un signe de mauvais présage et conseille de le mettre à mort. Job s'en lave les mains. Pour confondre Moïse, Balaam organise un test. Moïse doit choisir entre deux plateaux. Sur l'un se trouvent des charbons allumés, sur l'autre des pièces d'or; Grâce à l'ange Gabriel, Moïse choisit les charbons qu'il porte à sa bouche. Il s'en trouve handicapé des lèvres, mais il a la vie sauve. Bien mieux, Pharaon ne le craint plus. En fait, il ne connaît que la vie diurne de Moïse. En effet, le jour, celui-ci apprend les noms des dieux, l'histoire des Pharaons et les devoirs des rois. Mais, ce que Pharaon ignore, c'est que, la nuit, il entend les chants de sa mère qui lui parlent d'un Dieu unique et caché, d'un peuple d'esclaves et des Patriarches Abraham, Isaac et Jacob. Moïse, homme de guerre et de violence Puis, Moïse grandit comme un chef de guerre qui, un jour, devient un Pharaon co-régent. En effet, devenu en âge de guerroyer, il parvient à vaincre Kikanos, roi de Saba et refuse de prendre sa fille Tharbis pour épouse. Moïse est alors associé au trône de Pharaon.

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Parvenu un jour à Goshen, lieu d'esclavage des Hébreux, il se solidarise avec eux, renonce au trône et s'attache à consoler leur détresse. Dieu décide alors de descendre sur la terre. Mais, Moïse est déçu. Les Hébreux n'écoutent toujours pas l'enseignement en lequel il croit, celui d'Amram, d'Aaron et de Myriam. C'est alors que Myriam annonce à Moïse que c'est lui le sauveur que le peuple d'Israël attend. Dès lors, Moïse n'aura de cesse de prouver sa solidarité envers le peuple d'Israël. C'est ainsi qu'il tue 27 un maître d'oeuvre égyptien (Maror) pour l'empêcher de frapper un maître d'oeuvre hébreu (Dathan) et, craignant que cela se sache, impose le silence à tous les Hébreux. Mais, le lendemain, c'est au tour de Dathan d'être menacé par Moïse pour avoir voulu lever la main sur son frère (Abiram). Aussi celuici décide-t-il de révéler à Pharaon que Moïse n'est pas le fils de sa fille, et que son père est un Hébreu. A ces mots, Pharaon condamne Moïse à mort. C'est pourquoi, Moïse s'enfuit à Madian, village du désert. Près d'un puits, Moïse prend la défense des filles du prêtre de Madian, Jéthrô, appelé aussi Jether et Hobab, l'ancien conseiller de Pharaon qui l'avait incité à la rédemption, contre des bergers qui veulent les violenter. Victorieuses grâce à son aide, elles le conduisent à leur père. Celui-ci détient l'arbre issu du bâton primordial que Dieu avait transmis à Adam, lorsque celui-ci fut chassé du paradis et que Jéthrô a emporté, lorsqu'il a quitté Pharaon. Moïse réussit à arracher cet arbre qui aussitôt redevient un bâton. C'est alors que Jéthrô accepte de donner sa fille Sephora en mariage à Moïse dont celui-ci a deux fils, Gershom et Eliezer.

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Révélation de Moïse Pendant ce temps, en Egypte, la cruauté de Pharaon est telle qu'il en est gravement malade et meurt. Mais, le nouveau Pharaon est encore plus cruel. C'est alors que Moïse, apprenant également que son père est mort, connaît la révélation. La présence de Dieu lui apparaît dans un buisson d'épines situé sur la montagne. Dieu appelle Moïse qui croit que c'est son père. Réalisant que c'est Dieu, il couvre son visage. Pourtant, Dieu et Moïse s'entretiennent face-à-face sept jours durant, pendant lesquels Dieu tente de convaincre Moïse de sa mission: 1. Convaincre le peuple de Dieu de quitter l'Egypte et convaincre Pharaon de le laisser partir 2. Conduire ce peuple jusqu'à cette montagne, afin qu'il le connaisse. Il y parvient en lui donnant son nom : "Je suis celui qui est28".

Les disputes théologiques Puis, Moïse rapporte à son frère ce que Dieu veut d'eux et ils s'en retournent tous les deux en Egypte, à Goshen, où ils convainquent les Anciens d'Israël. Le peuple hébreu a spontanément foi en Moïse et Aaron, qui l'a rejoint, mais pas tous ses membres. Korach et Dathan ont un "coeur égyptien" : ils mettent en garde les Hébreux. Pour autant, les soixante-dix Anciens ne s'en laissent pas compter. Ils se rendent compte que Moïse est détenteur du secret du signe que doit porter le Sauveur. Ils acceptent donc d'accompagner Moïse et Aaron chez le Pharaon, mais, apeurés, ils les laissent seuls faire face à la colère de ce dernier.

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Il y a alors une dispute théologique entre Hébreux et entre Moïse, Aaron et Pharaon autour du nom de Dieu. Pour les Egyptiens, Pharaon est dieu, mais pour les Hébreux, dieu est l'Eternel (Elôhims). Son principal attribut est d'être vivant et tout-puissant. Aaron montre la supériorité de l'Eternel, mais cela rend Pharaon encore plus cruel. Moïse se lamente, mais Dieu insiste et lui demande de ne partir qu'avec l'accord de Pharaon. Dieu avertit par dix fois le Pharaon, qui refuse de l'entendre, et il lui envoie dix plaies, la dixième étant la mort des premiers-nés égyptiens (dont celui de Pharaon) ; alors, sous la pression du fantôme de sa fille Bithya, Pharaon cède. Il reconnaît qu'il a péché, parce qu'il connaissait Dieu. Il répète à trois reprises que les Enfants d'Israël sont libres et il les laisse partir. Les Hébreux partent, le 15 du mois de Nissan, non sans transporter le cercueil de Joseph. Et tandis que des Hébreux au coeur égyptien transportent sa richesse, des Egyptiens au coeur hébreu partent aussi. Pour autant, ces disputes théologiques ne sont pas closes. L'une d'entre elles éclate entre l'Egypte, Dieu et Israël. Dieu envoie les Hébreux par la route de l'Orient, et non par celle du Nord. Mais, Pharaon revient sur sa décision, et les poursuit. Au bord de la Mer des Roseaux, devant Baal-Zéphon, Moïse se met à prier. Satan demande à Dieu de ne pas l'écouter. Dieu détourne son attention, en lui donnant Job, autre conseiller de Pharaon, à harceler, et il ordonne à Moïse d'ouvrir la mer. Comme celle-ci résiste aux coups de Moïse, Dieu fait souffler un vent qui divise les eaux. Les douze tribus se déchirent, mais finalement avancent à travers les douze sillons creusés par le souffle, sous le regard des Patriarches. Pendant ce temps, l'archange protecteur de l'Egypte et le protecteur d'Israël s'opposent sur la question de l'extermination de l'Egypte. Finalement, Dieu prend la décision de noyer tous les Egyptiens, à l'exception de Pharaon.

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Pour sa part, le peuple apprend à devenir maître de son destin. Certes, Moïse le guide dans l'épreuve de la foi, mais, dans le désert, ce n'est plus Dieu seul, ou avec Moïse, qui décide du sort des Hébreux, comme aux jours de la traversée de la mer des Roseaux, ou lors de l'épisode du rocher désaltérant, ou lors de la manne nourricière, ou encore lors de la victoire sur les Amalécites : c'est le peuple lui-même. La révélation collective

Afin que Dieu donne la Torah aux Hébreux, Moïse qui, auparavant, a accepté que Jéthrô se joigne à eux, organise la révélation collective au Sinaï. Il commence par leur demander (aux femmes en premier, d'ailleurs), s'ils veulent la Torah. Comme ils acceptent, il les rassemble au pied de la montagne et reste parmi eux, tandis que Dieu leur parle d'en haut. Le silence se fait sur toute la terre; alors, l'Eternel, parlant soixante-dix langages à la fois, dit: "Je mis". Ce mot tue tous les Hébreux et les soixante-dix nations vivantes, passées et à venir, à l'exception de Moïse, mais Dieu les ressuscite à sa demande. Les dix commandements

Puis Dieu dicte ses dix commandements aux Hébreux qui les acceptent, tout en se disant trop faibles pour supporter une relation directe avec lui. Moïse monte donc seul vers Dieu, en passant les sept ciels, et demeure quarante jours et quarante nuits sur la montagne, sans manger ni boire, pour apprendre la Torah. Celle-ci contient des ordonnances pour toutes choses (repas, jeûne, vêtement, toit, semaine, moisson, homme, bête, riche, pauvre, guerre, paix, deuil, fête, prière, offrande, sacrifice, repentance, châtiment, pardon, justice et

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amour). Comme Moïse ne peut retenir tout ce qu'il apprend, Dieu grave la Torah sous la forme de dix commandements, sur deux tables de saphir. Pour autant, Moïse se sent toujours un simple membre du peuple hébreu. Dieu enseigne à Moïse l'humilité du Maître. En gravant, Dieu superpose les lettres de couronnes. Comme Moïse s'en étonne, Dieu lui explique que cela donnera la possibilité aux générations ultérieures d'énoncer des pensées nouvelles. Comme je l'ai dit plus haut, il lui cite Rabbi Akiba en exemple, qui, des centaines d'années plus tard, révolutionnera l'enseignement, à tel point que Moïse ne le reconnaîtra plus comme sien, mais non sans lui révéler le triste sort de victime qui lui sera réservé pas les Romains. Ce face-à-face ne met pas seulement Moïse et Dieu en présence. Il y a aussi les anges, et, comme je l'ai dit plus haut, Satan. Or, une dispute éclate entre Moïse, les anges et Satan. Tous les anges (de la mort, du courroux, de la colère...) s'opposent à ce que Dieu donne la Torah à Moïse. Mais celui-ci leur rétorque qu'ils n'ont pas vécu les épreuves dont parle la Torah. Menacé de mort par les anges, Moïse est sauvé par Dieu qui lui ordonne de descendre. Pendant sa descente, il est agressé par Satan qui lui reproche de posséder la Torah, à quoi il répond qu'il est trop petit pour cela. Dieu décide alors d'appeler la Torah : la "Torah de Moïse". Dès son retour, Moïse, auquel s'est joint Josué, son "chef des armées", est confronté au triomphe de l'idolâtrie. Aaron a cédé devant la menace des Hébreux qui veulent revenir en Egypte, et qui veulent avoir un veau d'or comme dieu, à leur tête. Il espère, ainsi, gagner du temps jusqu'au retour de Moïse. Mais, lorsque Moïse revient, Dieu entre en une telle fureur qu'il veut effacer le peuple de sa Torah. Moïse s'y oppose, lui rappelle ses préceptes et met son propre effacement en balance.

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En fait, il intercède auprès de Dieu pour qu'il n'extermine pas Israël. Il veut donc prendre sur lui le péché de son peuple, mais il veut aussi briser les Tables de la loi. Aaron, les fidèles et les Anciens tentent de l'en empêcher, mais en vain. Et, tandis que lettres et couronnes s'envolent, les deux tables s'abîment sur terre. Alors le déluge se déchaîne. Tous les Hébreux boivent les eaux mêlées à la poussière d'or de l'idole détruite. Les idolâtres meurent aussitôt, puis l'océan se retire. La peste s'abat sur les Hébreux. Moïse obtient que Dieu l'arrête. Enfin, il parvient à délier Dieu de son voeu d'exterminer Israël. Dieu décide alors de rendre la Torah à Moïse, écrite sur des tables de granit.

Dieu descend sur terre A la suite de ce passionnant et pathétique événement, Dieu accepte d'être présent parmi le peuple. En effet, Moïse désire que Dieu habite sur terre, afin qu'Israël sache qu'il est bien pardonné. Il ordonne donc de rassembler toutes les richesses et d'en faire un Tabernacle, selon les préceptes de Dieu. Il confie cette tâche à Bézaleël, en accord avec Dieu et avec les enfants d'Israël. Bézaleël obtient que l'arche de la Torah, la table et le chandelier soient faits avant le Tabernacle. Ce projet ne reçoit pas l'accord de tous. Moïse doit faire face aux murmures malveillants. Profitant d'un long délai avant que le Tabernacle soit érigé, Korach, l'ancien trésorier de Pharaon, et d'autres fils d'Israël, tentent de discréditer Moïse, en le soupçonnant de vol et de mensonge. Pour couper court, Dieu ordonne au Tabernacle de se dresser. Les tentes des Lévites et des douze tribus sont rangées autour; au Nord, Moïse place les enfants de Mérari, au Sud, ceux de

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Kohat, à l'Ouest, ceux de Gerson. Quant à l'Est, Dieu y place Moïse et Aaron. A l'arrière du Trône se tient l'archange Raphaël, au-devant, l'archange Gabriel, à la gauche l'archange Uriel, à la droite l'archange Micaël. Ensuite, au terme d'un dénombrement des fils les plus purs d'Israël, c'est Aaron et non Moïse que Dieu choisit comme Grand Prêtre. Aussitôt, Aaron se sent coupable, mais Moïse lui délivre l'onction. Moïse et Aaron entrent alors dans le sanctuaire, le jour de la présence de Dieu; de leur côté, les fils d'Aaron, qui rêvent de les renverser, sont tués. Moïse enseigne la Torah Enfin, les événements se calment. Moïse peut enseigner la Torah aux fils d'Israël. Sur ordre de Dieu, il met en place un protocole d'enseignement qu'il transmet à Aaron, puis à ses deux autres fils, puis aux Anciens. Le scénario est le suivant: une fois que Moïse s'est retiré, Aaron répète ce qu'il a appris et ainsi de suite, jusqu'à chacun des fils d'Israël. Désormais, la Torah habite n'importe quel acte de la vie quotidienne. Les dix commandements n'en font qu'un ; de nouvelles lois viennent s'ajouter à celles qui sont déjà connues. La contradiction est portée sous formes de questions par Jéthrô, Josué et Korach, notamment. Parallèlement, Zagzagel enseigne la Torah aux anges et Dieu aux justes. Quant à la vie quotidienne des Hébreux, Moïse met en place une justice thoraïque collective. Concrètement, il fait l'objet de plaintes diverses au sujet des interprétations qu'il donne des litiges qui opposent des Hébreux entre eux. Aussi, sur les conseils de Jéthrô, installe-t-il un Conseil de juges, choisis parmi les élus du peuple. C'est le dernier acte de Jéthrô qui s'en retourne chez lui, à Madian.

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Les Hébreux ne sont toujours pas parvenus à destination. Pourtant, ils bénéficient d'un soutien magique. Lors de leur départ pour la Terre promise, l'arche qui contient la Torah se déplace dans les airs, tandis qu'à côté, les douze Princes des tribus portent le cercueil de Joseph. En chemin, Dieu aide Moïse à résoudre les problèmes d'alimentation, de peine de mort, de guide collectif (le Sanhedrin) et de sexualité (notamment lors d'un conflit avec Aaron et Myriam). Au moment d'arriver à destination, il leur faut d'abord être prudents. Sous la pression de Korach, Moïse envoie douze hommes explorer la terre promise. Ils en reviennent, chargés d'une immense grappe. Mais aussitôt ils calomnient la promesse de la terre et terrorisent les Hébreux, en brandissant le spectre des Amalécites. Josué et Caleb s'opposent à cette calomnie, mais ils ne parviennent pas à convaincre les Hébreux que ce n'est qu'une calomnie. Ceux-ci commencent alors à lapider Moïse, Aaron, Josué et Caleb; puis la nuée de Gloire, et Dieu même. Par la suite Moïse intercède auprès de Dieu pour les sauver, mais Dieu décrète de les abandonner dans ce pays sans Nil. Les Hébreux sont alors condamnés à mourir dans le désert. Quant à Moïse, il conduira leurs descendants à qui il enseigne la Torah jusqu'à la terre promise. Dieu décrète également de renverser le Temple et de chasser les descendants de ces Hébreux du pays qu'ils n'ont pas voulu. Sous l'emprise de la culpabilité, les Hébreux fondent alors sur les Amalécites qui les guettent. Et c'est Moïse qui doit les sauver de la défaite.

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Une nouvelle querelle théologique Tous les Bnei Israël qui survivent ne sont pas unanimes Une nouvelle querelle théologique surgit entre Korach et Moïse. Les décès des vieillards dans le désert plutôt qu'en terre promise exaspèrent Dathan. La femme de Korach qui est le cousin germain de Moïse et Aaron, et porteur d'arche, ne supporte plus qu'il soit commandé par Moïse. Korach raille la Torah et s'oppose au pouvoir des lévites (dont pourtant il fait partie). Il réussit à mobiliser les deux derniers fils d'Aaron qui réclament leur part du sanctuaire, puis soulève le peuple contre Moïse, au motif que celui-ci est saint et n'a plus besoin de chef. Le peuple accuse Moïse de tous les maux. Celui-ci justifie son action, puis lance l'anathème contre Korach et les siens (Dathan, Abiram). La nuit, Moïse demande à Dieu que l'enfer les engloutisse. C'est ce qui se produit. Pour autant, Moïse n'a toujours pas la paix. En effet, il doit préparer le peuple à la guerre. C'est pourquoi, il instaure les règles de la guerre et de la paix et justifie le fait d'avoir une terre ainsi : chacun doit préférer la protection de la sécurité (habitation, culture, famille) à la guerre. Par ailleurs, il affirme qu'avant de combattre, il faut proposer la paix à l'ennemi. Ce n'est que s'il la refuse, qu'il faut prendre les armes, mais dans le seul dessein de faire une paix plus grande. Puis Moïse impose des règles d'occupation de la terre promise (agriculture, partage des ressources, liberté pour tous, rejet de l'idolâtrie, maintien de l'alliance). La quarantième année, toute la génération du péché a disparu de la terre. Mais Dieu assure à Moïse que les morts seront conduits intacts et vivants en terre promise, au-delà de la mort. En fait, Dieu conserve les fils d'Israël vivants dans la mort.

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Une révolte contre Moïse A ce moment-là, Moïse doit faire face à la mort de Myriam et d'Aaron ainsi qu'au retour de l'idolâtrie et de la plainte. Plutôt que de s'affronter à Edom, Moïse conduit la nouvelle génération en prenant la route qui contourne le Séïr. Mais à la mort de Myriam, le peuple met en demeure Moïse de trouver de l'eau. Sous le coup de la fureur, Moïse frappe alors un rocher, au lieu de lui parler. Pourtant, le rocher accepte de donner de l'eau. Puis, Moïse doit ensevelir son frère Aaron et transmettre son sacerdoce à son fils, Eléazar. Or, de retour de la montagne, ils commencent à être lapidés par le peuple qui finit cependant par admettre que Moïse a agi sur ordre de Dieu. Pour autant, une partie des Bnei Israël se lasse d'avoir à combattre - même victorieusement - contre les Amalécites et s'en retourne vers l'Egypte. Survient une guerre civile. Ceux qui survivent n'en reprennent pas moins leurs plaintes. Mais ils sont menacés par des serpents. Dans ces conditions et sur ordre de Dieu, Moïse érige un serpent d'airain qui tue les autres serpents et guérit les Hébreux.

Moïse et Balaam De progression en régression, Moïse doit faire face à Balaam, l'ancien conseiller de Pharaon, et à ses alliés. La nouvelle génération d'Israël (les Anciens sont morts) rencontre Sihon et Og qui lui déclarent la guerre. Les miracles de Dieu leur donnent la victoire. Balak, roi de Moab, demande de l'aide à Balaam, mais Moïse le surpasse en prophétie, car Dieu lui parle le jour et la nuit, alors qu'il ne parle que la nuit à Balaam. Du fait que Dieu parle à Balaam, il finit par le laisser maudire Israël. Pour autant, par trois fois, Dieu le met en garde,

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en amenant son ânesse à rebrousser chemin. Mais Balaam ne veut pas la suivre et la frappe. Le moment venu et malgré tous ses efforts, il ne parvient pas à maudire Israël et le bénit. Alors, Balak tend un piège à Israël. Les filles de Moab et de Midian le séduisent et il se met à sacrifier à une idole. Dieu envoie la peste pour le punir, ce qui n'empêche pas le peuple de poursuivre sa débauche. La peste cesse lorsque, devant le mutisme de Moïse, Phinéas, petit-fils d'Aaron, transperce Zimri, prince de Siméon, et Cozbi, fille de Balak, pendant leur copulation. Puis Israël vainc Madian qui est venu en aide à Balaam et tue ce dernier. Alors que Phinéas fait savoir qu'il a préservé les femmes de Madian, Moïse exige qu'on les tue, ainsi que tous les hommes, tous les vieillards et tous les enfants. Mais Dieu reproche à Moïse d'avoir voulu faire disparaître l'instinct mauvais (Satan) qu'il a lui-même créé et lui annonce qu'il doit se préparer à mourir.

Moïse et la mort Car Moïse est mortel. La mort de Moise est la condition de la venue du messie. Par deux fois, il demande à Dieu de mourir, mais, au moment crucial, il négocie sa mort contre le franchissement du Jourdain, d'abord, comme vivant, puis comme mort. Dieu refuse. Moïse ne doit pas entrer dans la terre promise ni comme vivant, ni comme mort, parce qu'il a douté d'Israël. Alors Moïse admet qu'il doit mourir, mais, il veut connaître le nom de son successeur. Dieu lui révèle que ce ne sera pas l'un de ses fils mais son disciple Josué. Pendant trentecinq jours, Moïse inculque son savoir et le savoir de Dieu à Josué, mais il n'a pas renoncé à sa requête. Il demande à Josué puis à Eléazar, à Caleb et, pour finir, à chacun d'entre les fils

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d'Israël d'intercéder auprès de Dieu pour qu'il accepte de le laisser entrer lui aussi dans la terre promise. Samaël, l'ange de la mort, s'y oppose à chaque fois. Le trente-sixième jour, Moïse se rend compte qu'il ne comprend plus la leçon de Josué, ce qui signifie que son heure est venue. Une dernière fois, il demande de ne pas mourir et comme le décret de Dieu est irrévocable, il recopie la Torah, bénit Israël, prend congé du peuple et s'assure que Josué n'a plus rien à apprendre de lui. Enfin il quitte sa mère, sa femme et ses fils sans leur dire où il va et monte seul sur le mont Nebo. Pendant son ascension, tandis que sa mère le cherche en vain, il supplie encore la montagne, la terre, le ciel et le désert d'appeler sur lui la pitié de Dieu. Mais ceux-ci veulent que Dieu ait d'abord pitié d'eux. Dieu ne parvient toujours pas à convaincre Moïse, même lorsqu'il lui dit que sa mort est la condition de sa résurrection. Dieu se résout alors à changer son décret. Il dit à Moïse que son éternité empêchera Israël d'être éternel et le messie de naître. Cet argument convainc Moïse d'accepter sa mort. Il découvre aussitôt qu'il est plus puissant que l'ange de la mort et plus courageux que sa propre âme, que sa mort est un baiser de Dieu et qu'il monte plus haut que les Patriarches, plus haut qu'Adam.

Moïse, une figure de l'histoire? Telle est l'histoire talmudique de Moïse, racontée par Edmond Fleg. Celui-ci était même convaincu qu'on ne connaîtrait jamais la vraie vie de Moïse. Mais, son propos est plus nuancé que celui de l'historien Eduard Meyer, qui, en 1906, à la différence de Max Weber, conclut que Moïse n'a jamais existé, tout en étant plus engagé que celui de l'égyptologue Ian Assmann, qui, en 1999, fera de Moïse une "figure

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de la mémoire", mais pas de l'histoire 29. Dès 1956 pourtant l'historien S.W.Baron n'avait pas hésité à décrire "scientifiquement" la vie et de l'oeuvre de Moïse, en les rapprochant, notamment, de la "réforme hénothéiste" d'Akhnaton. "Outre ces influences que la civilisation babylonienne et la civilisation indigène de Canaan avaient exercé sur les tribus restées en Palestine, les Hébreux, qui étaient sortis d'Egypte, devaient avoir conservé le souvenir plus ou moins vif de la réforme hénothéiste (si on peut l'appeler ainsi) d'Akhnaton, laquelle s'était produite un siècle plus tôt" 30. . Mais il reconnaît aussitôt humblement que la philosophie de l'histoire juive ne progresse pas 31 . L'histoire du peuple juif démontre, à l'évidence que les prêtres, les scribes et les exégètes se sont emparé de ce manque et qu'ils se sont efforcés de le combler32. D'innombrables textes sacrés (le Talmud, le Zohar...) sont venus expliquer ou commenter l'histoire effacée des monuments visibles ou sortis par les fouilles du sol de la Palestine ancestrale (Kin'anum), de la Syrie, d'Egypte ou de la Mésopotamie. Parallèlement, les coutumes et institutions populaires ont gardé la trace des anciens modes hébraïques de la pensée et de l'action, sous la forme du "folklore"33. Aussi les savants biblistes, les égyptologues et les folkloristes ont-ils tous tenté de jeter une lumière vive sur l'historicité d'Israël, en général, et de Moïse, en particulier. Mais trois mille trois cent ans après que Moïse a eu impulsé le courant de l'histoire, et que les scribes ont eu commencé à écrire les textes sacrés, on est en droit de se demander pourquoi ils ont à ce point échoué.

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Moire à travers les lacunes de son histoire C'est pourquoi le psychanalyste qui s'intéresse aux lacunes, aux oublis et autres effacements biographiques, ne prétend pas s'ériger en expert, ni a fortiori en juge, mais seulement en chercheur soucieux de reconstituer la trame d'un récit qui est tout à la fois l'origine et la réécriture d'une identité. Paradoxalement celui qui se sent libre à l'égard des traditions d'écriture se fixe comme objectif de prendre moins de libertés vis-à-vis de la Bible qu'Edmond Fleg vis-à-vis du Talmud. Traditionnellement, le nom de Moïse est attribué à un personnage hébreu de la plus haute importance pour le peuple juif et pour l'humanité. Ce nom est le support d'une identification symbolique et morale fondamentale. Moïse est celui qui a donné les Tables de la Loi. Pour Maïmonide il est aussi le "prince des savants", "notre maître" 34 . Mais, depuis que Sigmund Freud en a fait un Egyptien et a enlevé au peuple juif "l'homme qu'il honorait comme le plus grand de ses fils" 35, on ne sait plus très bien qui est Moïse. En effet, si Moïse est un Hébreu qui a vécu, selon la tradition juive, soit au XVe siècle soit au XIIIe siècle avant l'ère chrétienne, et si selon les égyptologues, c'est un Egyptien qui a vécu aux XVIe, XVe, XIVe, XIIIe ou XIIe siècle avant notre ère, pourquoi les documents archéologiques ne parlent-ils pas de lui? D'autres facteurs concourent à faire disparaître Moïse de la scène : les conflits modernes internes au monothéisme (Judaïsme, Christianisme, Islam) ont mis le nom d'Abraham sur le devant et celui de Moïse paraît désormais secondaire S'il existe un monothéisme abrahamique, il n'existe pas de religion mosaïste. Il y a bien eu la tentative d'un "judaïsme

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philosophique" appelé "mosaïsme" 36, c'est-à-dire la philosophie de "l'émancipation effective hors de la tutelle des lois de la nature". Celle-ci n'est d'ailleurs pas sans rappeler le commentaire du Quatrième Puits dans lequel le Maharal de Prague explique que la fin et le but de l'ouverture des eaux de la mer Rouge et de la libération de l'Egypte avaient été de libérer les individus composant Israël "de la règle générale de la nature" 37. Mais, à une époque comme la nôtre où se libérer des contraintes de la nature est monnaie courante, on peut se demander ce qu'il reste de la pertinence de ce message philosophique. Sans doute l'idée que, la pulsion homicide étant dans la nature de l'homme, c'est bien de cette libération et non d'un simple choix moral et politique que l'homme doit aujourd'hui se libérer.

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Notes du chapitre I 22 Ecrivain et auteur dramatique Juif, français d'origine suisse (18741963). Son vrai nom était Flegheimer ou Flegenheimer. 23 Albin Michel, 1997, p.9. 24 In op.cit., p.10. 25 Du nom de la déesse Neith, déesse de la ville de Saïs dont le temple porte l'inscription : "Je suis tout ce qui a été, tout ce qui est, et tout ce qui sera". Asnat a pour père Potiphéra, prêtre d'On, la future Héliopolis (ville du soleil). 26 "Les résumés d'"histoire sainte" dans Josué 24, 2-13 et 1 Samuel 12, 8-11 ne mettent aucun intermédiaire entre la descente de Jacob et de ses fils en Egypte et la sortie d'Egypte avec Moïse et Aaron", E.M.Laperrousaz, in La Protohistoire d'Israël, Paris, Cerf, 1990, p.10. 27 Lu dans L'Engclopedia Judaïca (p.374, à l'article "Moses") : "The episode proved two things. Though Moses was a man of high ideals and great moral courage, he still lacked the self-discipline requisite to true leadership. Uncontrolled sporadic violence was not the way to salvation. Imperial Egypt was not to be vainquished by such mthods. Nor are the Children of Israël ready for redemption ; they lacked unity and a true understanding of the horror of their plight. They were still slaves in spirit as well in body". 28 Il s'agit d'une traduction "officielle" en français qui ne recouvre nullement le contenu du nom de Dieu tel qu'il est entendu en hébreu. 29 In Moses the Egyptian, Harvard, 1999. 30 Dans Histoire d'Israël, Paris, PUF, 1956, p.61. 31 Idem, p.390. 32 Ainsi, en est-il des Manuscrits de la mer morte. Le 29 novembre 1947, le Professeur A. Sukenik, spécialiste de paléographie judaïque à Jérusalem, révèle la découverte de ces rouleaux de parchemins par deux jeunes Bédouins dans la région de Qumran (désert de Judée). Ces textes, et les 100 000 fragments répartis en 870 manuscrits différents, dont 220 sont des textes bibliques de l'Ancien Testament, confirment l'authenticité du texte hébraïque transcrit au travers des siècles par des milliers de copistes juifs. Tous les livres canoniques de l'Ancien Testament y sont présents (à l'exception de celui d'Esther). Le nom de Yahweh y fait défaut. Sur le plan historique, c'est au Me siècle avant notre ère qu'un groupe de Juifs pieux (probablement les Esséniens) s'est isolé à Qumran. Mais, en 70, tout change. Les Juifs se sont révoltés contre le joug de Rome, et pour mater

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cette révolte, le général Titus a envahi la Palestine. Ses légions brûlent le temple de Jérusalem. Pour préserver leurs écrits, les scribes de Qumran les cachent dans des grottes de la région, à l'intérieur de cruches en terre cuite. Ces manuscrits survivent au massacre des scribes par les Romains. Titus ordonne la déportation des Juifs de Palestine. Le nom de Jérusalem disparaît des cartes, au profit de son appellation latine Aele Capitolina. Des textes plus anciens que la Bible massorétique ont également été trouvés : papyrus Nash (publié 1903) avec le décalogue (150 av. J.-C.) ; plaques d'argent découvertes en janvier 1983 près de l'église écossaise de Jérusalem : 3 versets du livre des Nombres (chapitre 6), du Vile s. av. J.-C., gravés en caractères paléo-hébreux. 33 Sir James George Frazer, in préface à son livre Le Folklore dans l'Ancien Testament, Paris, Paul Geuthner, 1924, p.VII. Frazer avait fait le choix de procéder par identification et comparaison de thèmes. 34 In Le Guide des Egarés, Paris, Verdier, 1979, p.124. 35 In L'Homme Moïse et la Religion Monothéiste, Paris, 1986, Folio Essais, p63. 36 Comme l'affirme Claude Birman, in sa préface au Guide des Egarés, op.cit., p XIII et XIV. 37 In Le Puits de l'Exil, Berg International, 1982, p.227. 38 Pensons seulement à l'essor des biotechnologies et au clonage humain (sur ce sujet qu'il me soit permis de renvoyer à mon livre L'Homme

Dupliqué, Paris, Archipel, 2000).

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ChapitreII LES LANGUES DE MOÏSE

Le contexte linguistique du prénom "MoiSe"

"Moïse" c'est d'abord un prénom donné à un fils par sa mère adoptive (Exode, 2, 10). Or celle-ci, fille de pharaon et princesse d'Egypte, l'appelle "Mose . Ce prénom n'est pas le prénom hébraïque qui lui aurait été donné auparavant par sa mère de sang mais la traduction hébraïque du prénom égyptien que sa mère adoptive lui donne, de son propre chef, pour qu'il se remémore la situation dans laquelle sa mère de sang fut impliquée dès le début de son quatrième mois. Car la princesse aurait dû l'appeler du prénom que celle-ci avait nécessairement dû lui donner à sa naissance et pendant les trois premiers mois, où elle le tint caché, mais elle en choisit un autre. Si nous acceptons l'idée que Moïse est le nom d'un personnage qui a réellement vécu à la Cour d'Egypte 39 (et non un personnage inventé de toutes pièces par des scribes plus tardifs de la Bible), nous nous trouvons devant un contexte linguistique qui met en présence deux langues : l'hiéroglyphique et l'hébraïque (à supposer que la langue hébraïque parlée par la mère de Moïse fût la même que celle parlée par la princesse d'Egypte) 40. Sans présager de l'existence d'une autre langue, l'araméen. En effet si "l'hébreu biblique appartient, au sein de la famille chamito-sémitique, à la branche occidentale, dont le rameau

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septentrional, le cananéen, comprend également le moabite, le phénicien et d'autres" 41, il s'écrit en utilisant "l'alphabet araméen carré" 42, une langue proche du cananéen qui forme avec lui "un des deux rameaux septentrionaux du sémitique oriental" 43 Quelle que soit la langue initiale dans laquelle la princesse nomme son enfant adoptif, il est donc impensable que la signification de ce prénom ne soit pas identifiable dans les trois ou quatre langues en présence. Moshé est le participe actif du verbe hébreu mas hah qui signifie "enlever, écarter" et en araméen, "retirer". "Moshén veut donc dire soit "celui qui écarte" soit celui qui retire". Dans la langue hiéroglyphique, Mésès (prononcé "mèss") signifie "a enfanté" et "mès", "mésou" signifie "enfant" 44 . Lorsqu'elle explique ce nom, la princesse dit autre chose. Elle dit: "je l'ai écarté (ou retiré) des eaux". Or si elle avait voulu l'appeler "celui que j'ai écarté (ou retiré)", elle l'aurait nommé "Mashui". Donc pour l'auteur ou le rédacteur de la Bible, il y a une équivalence entre "écarter" et "retirer" et entre "celui qui écarte (ou retire)" et "celui qui est écarté (ou retiré)", équivalence qu'il fait fonctionner dans le monologue de la princesse. Il n'y a pas de différence mais plutôt une complémentarité entre "retirer" et "écarter" et entre les deux formes active et passive de ces verbes. A partir d'un même point, l'eau ou les eaux, "retirer" indique une extraction centrale, alors que "écarter" signifie une séparation. Dans les deux cas, il s'agit d'une métaphore de la naissance (au demeurant, la racine égyptienne "mosi" signifie "naître"). Ce qui rejoint la signification hiéroglyphique du prénom. D'autre part la différence entre les formes active et passive sont souvent associées à la différence des sexes. Or il ne s'agit pas seulement du féminin et du masculin, mais également de la mère et de l'enfant. .

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Pour le dire autrement, non seulement la princesse se met comme égyptienne à la place des Hébreux, mais comme femme elle se met à la place de la mère et comme mère à la place de son fils. Les traducteurs de la Septante 45 qui, selon la Lettre d'Aristée, étaient soixante-douze savants, six pour chacune des douze tribus d'Israël, et qui, dans l'île de Pharos, établirent en soixante-douze jours la version grecque des cinq premiers Livres de la Bible aux Ille et He siècles avant notre ère, semblent avoir ignoré ou cherché à dissimuler cette double dimension du discours de la princesse, discours lui-même interprétable à partir de la convergence de quatre langues ou dialectes; aussi ont-ils ajouté de la confusion: ils ont attribué à la princesse égyptienne elle-même l'intention de sauver l'enfant qu'elle a adopté de la persécution, en rendant la forme hébraïque Moshe par Môysès (prononcé Mouses). Pour eux, la princesse l'avait appelé Môysès. Bien plus tard l'historien juif et romain Flavius Josèphe (37 - 95 ?) s'est trouvé à l'origine d'une nouvelle traduction du nom de Moïse, puisque orthographiant Môysès: Môyesès qu'il prononce Mou (= "eau") - esès ( qui selon Josèphe signifierait "sauvetage" en égyptien), il lui a donné le sens de "celui qui fut sauvé des eaux" 46 . Or on sait maintenant que "esès" n'a jamais signifié "sauvetage", mais "honoré". Donc Mouesès ne peut signifier que "eau-honoré", combinaison lexicale impossible et fausse en égyptien ancien 47 . Plusieurs siècles plus tard ce Môysès est devenu Mmes (Moises) en anglais et en italien, puis Moïse en français. Alors conscients que le sens du nom Moshé avait dérivé, les égyptologues du début du XXe siècle ont tenté de remonter jusqu'à la signification originelle égyptienne de ce nom, en bâtissant une nouvelle interprétation qui spéculait sur une similitude phonétique des mots hébreu "mashah" et égyptien "mari".

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Or "mose" qui vient du verbe "mesi" (qui signifie "mettre au monde", "enfanter") ou "mosi" (naître) a deux sens possibles en ancien égyptien: soit écrit comme "mas" ou "mes", il signifie "enfant", soit écrit comme "- mose" , c'est-à-dire comme seconde composante d'un nom, il signifie "est né". C'était une habitude que de nommer parfois "est né" un enfant rattaché à un signifié important comme, par exemple, la lune (en égyptien cela donne "Ahmose"). En effet jamais, en égyptien, le mot " mose" (au sens de "est né") n'était dissocié de son signifié. Sans quoi, Mose (en hébreu "Moshe" ,"Messou") aurait effectivement pu signifier "né de personne" 48. Quel est donc le signifié auquel le prénom de Moïse est rattaché dans toutes les langues considérées? Si nous privilégions l'hébreu, le signifié est "les eaux". Il s'ensuit que si la princesse égyptienne a bien appelé son fils adoptif: "est né" en égyptien, le nom égyptien complet de celui-ci (auquel on aura donc ajouté le signifié hébraïque) est soit "né des eaux", soit "les eaux sont nées". Comme les eaux dont il s'agit sont celles du Nil, nous parvenons à la signification égyptienne suivante du nom de Moïse: "Fils du Nil" ou "Renaissance du Nil", ce qui signifie: naissance d'un nouveau roi. La princesse égyptienne s'adressant tout à la fois aux Hébreux et aux Egyptiens qui parlent l'Hébreu (la population mêlée qui vivra l'Exode), le verset Exode 2,10 raconte donc la naissance (légendaire) d'un nouveau roi. L'adoption y est une métaphore de la translittération linguistique qui s'effectue dans le passage simultané de l'Egyptien à l'Hébreu et de l'Hébreu à l'Egyptien. Ce n'est pas dans la réalité, mais par la langue que Moïse est adopté comme roi (potentiel). Cette adoption est rétroactive, au sens où une origine royale lui est attribuée indépendamment (mais ce n'est pas contradictoire) de toute filiation réelle ou supposée.

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Moïse et la découverte de l'alphabet sémitique Revenons sur les rapports entre les écritures alphabétiques hiéroglyphiques, araméennes et hébraïques, même si la science ne sait encore que peu de choses sur eux. Les premiers répertoires de signes propres datent d'au moins 3 300 avant notre ère, en Mésopotamie, 3 200 en Egypte. Pour la science officielle, le premier alphabet, dit protosinaïtique (peut-être précédé d'une première forme d'alphabet sémitique trois siècles plus tôt), date de 1 700 ou 1 600 ou 1 500 avant notre ère. Selon une thèse, les alphabets paléohébraïque et araméen datent de 1 000 avant notre ère. Selon une autre (Claude Hagège 49 ), il aurait même existé des mots isolés écrits en hébreu au moins dès le XIVe siècle avant notre ère. L'écriture démotique date de -700 en Egypte et l'on pense que l'"hébreu carré" date de 600 avant notre ère. Ce qui nous intéresse ici, c'est l'alphabet sémitique. Il aurait été élaboré par des ouvriers sémites qui travaillaient au service des égyptiens dans les mines de turquoise et de cuivre au Sinaï. Cet alphabet est un ensemble de signes hiéroglyphiques égyptiens dont chacun indique une consonne spécifique. Chaque signe est un objet représenté par un dessin. Il en conserve le nom, mais prend la valeur initiale du mot qui le désigne (achrophonie). La particularité de cet alphabet est que la valeur de chaque signe dépend de la première consonne du nom sémitique donné à ce qu'il représente en tant qu'image et non de sa valeur dans l'écriture égyptienne. On pourrait donc imaginer que l'histoire de Moïse ait été racontée par des descendants de ces premiers ouvriers sémites (des "Shasou" et/ou des "Apirou") qui ont fondé cet alphabet et que Moïse est bien d'origine sémite, du moment qu'il y aurait une correspondance entre la première consonne de son nom sémitique Moshé (ms) que lui a donné sa mère

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adoptive et le signe hiéroglyphique égyptien qui désigne l'image qu'il représente. Cette image serait la trace historique égyptienne de Moïse. Moïse serait le libérateur que les ouvriers sémites du Sinaï auraient élu ! Cette hypothèse est acceptable, si nous tenons pour acquit que cet alphabet a bien été choisi pour écrire le récit dont nous parlons et que les versions hébraïques (lors des royaumes d'Israël et de Juda) et araméenne (lors de l'époque assyrienne (IXe - VIIe siècles avant l'ère chrétienne) puis perse (VIe - IVe siècles avant notre ère) ont été empruntés à cette "archi-écriture". En tout cas, les dates parlent d'elles-mêmes. Les premières inscriptions protosinaïtiques datent bien de -2000 à 1700 et les premières inscriptions araméennes qui mentionnent la dynastie de David du Xe siècle avant notre ère, la plus ancienne inscription hébraïque connue (le calendrier de Gezer), datant de -950. Il y aurait un lien évolutif entre le signe hiéroglyphique égyptien, la première consonne de son nom sémitique dans l'idéo-phonogramme du Sinaï, la lettre araméenne, le paléo-hébraïque, puis la lettre hébraïque carrée. Or, quelque chose nous dit que Moïse n'est pas étranger à l'invention du code de translittération linguistique qui a permis l'écriture alphabétique de la Bible et sa transmission, dès les délivrances des Tables de la Loi. La Bible ne dit-elle pas : "L' écriture était l'écriture d'Elohim gravée sur les tables"sO? Suivant cette hypothèse, nous comprenons pourquoi le prophète que Dieu choisit a la "langue embarrassée". Il est en effet difficile de transmettre un message à un peuple auquel on apprend en même temps l'écriture avec laquelle on le formule et que l'on vient soi-même d'apprendre.

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Tout porte à croire que sur (certains lisent "sous") la montagne Moïse n'a pas seulement reçu les Tables de la Loi, mais également un enseignement qui portait sur cette écriture. Quarante jours pour apprendre une "écriture carrée" de vingt-deux lettres, c'était tout à fait possible, du moment qu'il existait un maître à la hauteur ! On peut se demander si Aaron, le frère de Moïse, possédait parfaitement cette écriture. Aaron possédait la valeur phonétique de l'écriture paléo-hébraïque, et mieux que Moïse, puisqu'il était "l'organe" de son frère, celui par lequel Moïse parlait au peuple. Mais il semble avoir été tenu à l'écart de la transmission de la lettre liée au message divin. L'épisode du veau d'or dit clairement cette différence qui sépare Aaron de son frère. Sur la montagne, Moïse écrit le message divin dans les traits de cette écriture qu'il apprend sous la conduite de Dieu. Or son frère Aaron reste en bas. Il ne l'apprend pas et s'en tient à une écriture ancestrale qui correspond à l'adoration des animaux sacrés. En fait, sur la montagne, Dieu enseigne la lettre hébraïque à Moïse en lui révélant la vérité de son nom, ce qu'il a refusé de faire, lors de l'épiphanie du buisson ardent (nous verrons laquelle un peu plus tard, car nous n'en savons pas encore assez sur le divin, les choses, les animaux et les hommes). Max Weber nous apprend que cette conception du numen venait d'Egypte. "Le nom de Yahweh est le symbole de son pouvoir tout comme le nom du Pharaon est le symbole du sien"Sl. En attendant, il est clair que l'avènement de la nouvelle écriture est un des objets du conflit qui oppose Moïse à son frère. À la différence d'Aaron, Moïse est celui qui fait passer le message de la langue paléo-sinaïtique à la langue hébraïque carrée et inversement. Par quel maillon intermédiaire? Voilà la question.

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Pendant tout ce temps, les Egyptiens continuent de s'exprimer dans la langue hiéroglyphique. Si donc Moïse est égyptien, c'est en tant qu'homme "très considéré dans le pays d'Egypte, aux yeux des serviteurs de Pharaon et aux yeux du peuple" (Exode, 9,3). Mais c'est surtout comme un Egyptien qui, possédant parfaitement l'écriture traditionnelle hiéroglyphique, veut purifier l'expression du message divin dont il hérite dans la religion égyptienne, d'une part, et qui commence à s'exprimer dans la langue sémitique primitive, de l'autre.

Les langues des pharaons Apparemment les pharaons respectueux de la tradition égyptienne ne semblaient pas parler l'hébreu qui correspond à ce que j'appelle la "langue sémitique primitive" ou le "paléohébraïque", mais étant donné le discours de la princesse, nul ne saurait se prononcer de manière catégorique sur ce sujet. Si l'Hébreu existait en Egypte, alors il est impensable qu'ils eussent pu l'ignorer. Pour autant, tout indique que cette langue était soit secrète soit connotée d'un affect refoulé. L'émergence des écritures et des langues sémitiques avait probablement été contemporaine d'un épisode qui avait eu mauvaise presse dans l'histoire pharaonique : l'invasion des Héqa Khasout ("Princes de pays étrangers" 52 ) ou des Hekaou khasout ("Souverains des Plateaux désertiques") 53 54, oudesHiqShaRPlrds")poueat qu'on appelle couramment du nom grec d' "Hyksos", ces nomades asiatiques qui pénétrèrent en Egypte sous le dernier roi de la XIIIe dynastie (vers -1730) pour la dominer jusqu'en -1580 (15e et XVIe dynasties). On sait que l'impact de ces Asiatiques sur la civilisation égyptienne fut considérable. Les chefs des Hyksos (futurs pharaons) écrivirent leurs noms

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sémitiques en hiéroglyphes égyptiens et prirent même des noms égyptiens. Une règle d'équivalence a donc du s'établir entre ces deux langues. Or pour des raisons de succession dynastique, le pharaon Hyksos Kamose, dernier souverain de la XVIIe dynastie, fut renversé par son neveu Amosis (15401515), premier pharaon de la XVIIIè dynastie. Tout porte donc à croire que, si la règle d'équivalence entre les deux langues ne fut pas perdue, l'enseignement de la langue sémitique et des modifications religieuses qui l'avaient accompagné fut complètement refoulé. Pour autant, Moïse est-il l'héritier lointain des Hyksos ? Nous ne pourrions prêter attention à cette hypothèse qu'à condition qu'il fût démontré que le dieu qu'il vénérait, Adonaï, était l'héritier d'un dieu des Hyksos. Or rien ne vient encore étayer l'hypothèse que les ascendants lointains de Moïse aient été des Hyksos du Sud de Canaan ou de Nubie où existait un culte de Yahweh (même s'il existe une proximité linguistique entre les noms "Nebo", la montagne sur laquelle Moïse monte pour mourir, et "Nubie"). Pour conclure sur ce point, et compte tenu que les Hyksos furent renversés, si lien il y a entre Moïse et les Hyksos, nous ne saurions l'analyser dans une autre perspective que celle du retour du refoulé hyksos et de son remaniement. Avec Moïse, quelque chose explose au grand jour : la constitution d'un nouvel enseignement issu de la levée du refoulement dont je viens de parler, mais aussi d'autres refoulements dont nous parlerons plus tard. On sait que l'écriture araméenne est proche de la lettre hébraïque carrée. Mais il n'y a aucun rapport entre les lettres proto-sinaïtique, phénicienne, araméenne ancienne et hébraïque carrée 55 ... On ne voit pas de progression. L'objection est exacte. Il n'y a pas de progression.

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Il faut donc considérer que chacune d'entre elles est achroniquement déterminée dans sa relation avec les hiéroglyphes égyptiens. Moïse lie la langue sémitique originelle et les hiéroglyphes à sa manière. Celle-ci n'est pas la même que celle de son frère Aaron (ne serait-ce que parce qu'il est réputé ne pas avoir eu la même éducation) ni que celle de l'araméen antique (a fortiori de l'égyptien antique, si cette langue a jamais existé). Il n'y a pas de rapport direct entre l'ancien araméen et la langue paléo-hébraïque. Cet araméen appartient aux langues qu'on appelle sémitiques du nord par convention. Elle nous apparaît sous les formes variées de dialectes que l'on groupe en deux branches : l'araméen oriental (Babylonie, Mésopotamie) et l'araméen occidental (Syrie, Asie Mineure, Palestine, Arabie, Égypte). Ces deux langues ont longtemps vécu côte à côte. Mais on sait que l'hébreu a emprunté l'écriture de l'araméen. Il existe des parties de la Bible hébraïque qui ont été écrites en araméen: deux mots conservés dans la Genèse (XXXI, 47), un verset de Jérémie (x, 11), une partie du livre d'Esdras (IV,7-V1,18 ; VII, 12-26) et une partie du livre de Daniel (IIVII). Mais Daniel daterait de l'an 165. La partie araméenne d'Esdras est toutefois une peu plus ancienne, mais rien ne vient prouver que ces textes avaient déjà été écrits en araméen antique et plus particulièrement dans un dialecte particulier constitué par un araméen d'Egypte dont l'existence n'est toujours pas démontrée. Rien ne vient donc prouver que ceux qui parlaient et écrivaient araméen au XVe siècle avant notre ère détenaient ce message secret qui aurait été transmis à Moïse bien plus tard dans la lettre hébraïque carrée.

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Certes aujourd'hui encore, de nombreuses parties de la prière juive sont écrites et dites en araméen. Les Juifs reconnaissent même qu'on ne peut pas comprendre le message exact de la Torah sans lire sa traduction en araméen. Le Talmud de Babylone est écrit en araméen. Et s'il y avait plusieurs types locaux d'araméen, tous avaient un fonds commun. L'araméen était la langue internationale de l'époque dans laquelle les communautés dispersées au Moyen-Orient. Donc la question se complique. Nous formulons seulement des hypothèses. Mais nous sommes face à une nouvelle énigme : lorsque au Ier siècle de notre ère, Onkelos traduit la Bible hébraïque en araméen (cette version que l'on appelle couramment le Targum), se réfère-t-il à une version originale (dont, par exemple, la langue araméenne du livre de Job semble attester), récente ou archaïque, car antérieure à la version hébraïque ? Ou se contente-t-il de traduire cette version dans sa langue? Certains pensent que le Targum remonterait au moins à l'époque d'Esdras (époque de la domination de Cyrus en -539). La question est d'autant plus importante que la différence entre certains textes ne porte pas sur la forme des lettres, mais sur d'autres éléments essentiels comme le nom de Dieu, le nom du peuple originaire d'Israël et le récit de la sortie d'Egypte. C'est pourquoi certains 56 se sont légitimement demandé s'il ne fallait pas voir dans cette différence la trace araméenne antique de l'histoire vraie que raconte l'Exode, notamment mais pas seulement, puisqu'en effet, en araméen, le nom de Dieu s'écrit "Yod Yod" 57, là où, en hébreu, il s'écrit YHWH (Yahweh). Et de constater que, de la même manière, en araméen, le peuple est appelé "Yahoud", là où, en hébreu, il est nommé "Hébreu".

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Ce constat est important, parce que tout se passe alors comme si Onkelos avait tenu à produire un texte dont la vérité était de permettre de se souvenir du texte originel et de le commenter en faisant émerger ce qu'il dissimule. Celui qui fait autorité en matière d'exégèse, le grand commentateur juif Rachi (1040-1105), procèdera, pour sa part, en permanence à ce type de renvoi d'un texte à un autre, près de mille ans plus tard. Cela veut donc dire que l'on ne peut comprendre l'oeuvre et la vie de Moïse sans se référer à cette interface existant entre la langue hiéroglyphique, la langue sémitique égyptienne des Hyksos, l'hébreu paléo-hébraïque, l'hébreu carré, l'araméen récent et l'araméen antique (y compris spécifiquement égyptien, si celui-ci a existé) et les deux traductions de la Bible. Certes nous ignorons tout de cette interface. Nous pouvons seulement tenter d'en reconstituer quelques éléments par le savoir archéo-linguistique et par la psychanalyse du "disparu". Mais, s'il est tentant de reconstituer le principe originaire de la construction du récit, il convient de s'efforcer de n'imposer aucun point de vue doctrinal ni aucun préjugé en matière de compréhension de ce qu'on ignore. Sans quoi ce travail ne serait pas rigoureux. Il convient également de se laisser guider par l'imagination, sans quoi il ne serait qu'une entreprise obscurantiste dissimulée derrière le prétexte de la science.

"Hébreu" et "Yahoud' Revenons à présent aux rapports entre le nom hébreu de Moshé et l'explication que, comme égyptienne, sa mère adoptive en donne et essayons de lire le nom hébraïque de Moïse, en égyptien.

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Nous devons d'abord rappeler que si la Bible hébraïque dit que Moïse était un "Hébreu", la Bible araméenne dit, pour sa part, qu'il est un "Yahoud". Contrairement à la thèse de I. Finkelstein et N.A. Silberman, qui considèrent que la Bible ne fait état que d'une "modification de terminologie", du fait que "le royaume de Juda devient Yehoud - le nom de la province au sein de l'empire perse - et le peuple de Juda, (et que) les Judéens, se nommeront dorénavant les Yehoudim, les Juifs" 58, "Hébreu" en hébreu n'est pas l'équivalent de "Yahoud" en araméen, puisque, à la différence de Moïse, Abraham et Joseph sont appelés "Hébreux" dans les deux Bibles-59. J'en déduis que le fait que la Bible araméenne appelle Moïse "Yahoud" a un sens particulier par rapport ce que dit la Bible hébraïque qui, elle, dissimule l'appartenance de Moïse à une filiation différente de celle d'Abraham et de Joseph. Mais ne perdons pas de vue le nom de Moïse. N'oublions pas que, comme nous le rappelle la princesse égyptienne, le nom de Moïse est une phrase comme le sont tous les noms (bibliques, égyptiens...). Or il se compose de trois lettres : M, SH, H. Selon notre méthode, chaque consonne spécifique est en relation avec un hiéroglyphe égyptien qui correspond à un nom sémitique. Nous n'allons donc pas rechercher un nom égyptien (du genre "enfant" ou "est né" comme auparavant), mais un message, une annonce, divine, bien entendu, qui fait sens dans le contexte égyptien. Autrement dit, nous allons à la "pêche" des hiéroglyphes qui entrent en relation avec les consonnes de ce nom.

Moût et Râ Prenons la consonne M. A quel hiéroglyphe divin essentiel à cette époque renvoie-t-elle? À l'image de Moût. Qui est cette déesse? Pendant la XVIIIe dynastie qui commence vers

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1 540 avant notre ère, pour se terminer vers 1 299 avec la mort d'Horemheb et qui voit l'exode des Hébreux/Yahouds sous la conduite de Moshé, le dieu Amon qui régnait à Thèbes avait un double féminin Amaunet à tête de bélier, et une épouse, Moût à tête de vautour, surmontée de la double couronne royale. Son nom signifiait "la mère". Je préfère cette référence à celle d'une autre déesse, Maât, parce que celle-ci est représentée comme une jeune femme coiffée d'une plume d'autruche et signifie "l'harmonie". Or dans le verset biblique, c'est bien avant tout une mère (adoptive) égyptienne qui parle. J'ajoute que la consonne M peut également être associée à l'image de mw (= l'eau). À quel hiéroglyphe divin allons-nous associer la consonne SH ? Si nous nous référons au dieu Shou, nous savons qu'il fut appelé "fils de Rê", lorsque le dieu androgyne primordial Atoum qui fut le père de Shou fut assimilé au dieu Rê qui règne sur les eaux. Nous avons donc bien la valeur "fils". D'autre part, nous savons que la consonne hébraïque SH et le SH hiéroglyphique sont représentés de manière identique par trois branches posées sur un trait dans le Grand Hymne à Aton que l'on a découvert dans la tombe du pharaon Aï (1331-1326), dans les Manuscrits de la Mer Morte (qui datent du premier siècle) et dans les Bibles hébraïque et araméenne. Or le SH hiéroglyphique a une valeur de "végétaux en croissance" et de "champ des roseaux". En outre, si nous rapprochons le M et le SH, nous trouvons le signe hiéroglyphique bilitère et consonantique "mes" qui écrit le verbe "mesi" (=mettre au monde, enfanter) et qui présente un faisceau de trois peaux de renards simplifié sous la forme de traits et d'une inversion du SH. Reste la consonne H. Nous trouvons ce signe hiéroglyphique divin dans la tombe du pharaon Toutankhamon (1340-1331), comme nous trouvons cette lettre hébraïque

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dans les Bibles hébraïque et araméenne. Elle exprime le souffle divin (féminin). Ainsi, lorsque la princesse égyptienne dit aux Yahouds/Hébreux : "Parce que je l'ai retiré des eaux", elle donne à son enfant un nom qui en égyptien semble signifier "je suis devenu mère et j'ai eu un fils par la grâce du souffle divin de Rê qui règne sur les eaux d'où je l'ai retiré". S'il en est ainsi, c'est le texte entier des deux Bibles qui a une corrélation hiéroglyphique et cette signification n'est pas forcément celle que nous connaissons. Pour l'heure, contentons-nous de plaider pour une origine égyptienne du nom de Moïse. Selon le Talmud, ce nom lui a été donné par son père Amram et son appartenance hébraïque est dénoncée au Pharaon par Abiram. L'origine hébraïque pose donc un problème au sein même de la lignée des "Ram". Plaidons pour l'humilité qui vise à nous cantonner aux seuls cinq (peut-être six) premiers Livres de la Bible. Plaidons aussi pour que nous comprenions que la naissance de Moïse a eu une signification profonde dans la langue des Egyptiens et pas seulement dans celle des Hébreux ou des Yahouds (c'est d'ailleurs pourquoi des Egyptiens sont partis avec eux, lors de l'Exode). Si les Egyptiens n'ont pas gardé de trace nominative et archéologique de ce personnage, c'est tout simplement parce que dans leur langue égyptienne, ils n'avaient pas besoin d'un nom de cette sorte. Ma conclusion est que Moshé est le nom Yahoud donné à un personnage qui, en égyptien s'appelle "enfant des eaux de Râ", autrement dit l'autre nom - hébraïque - d'une dimension divine de Pharaon, celui qui est à l'origine de la lignée des Ra-messès. Cela ne signifie pas que Moshé et ce pharaon soient nécessairement une seule et même personne (encore que nous ne pouvions écarter cette hypothèse sans l'examiner avec précaution),

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mais que la Bible reconnaissant le divin qui parle en Pharaon ne commence à parler de Moshé qu'en tant qu'il en est l'autre face, pour expliquer comment par la suite il s'en sépare 6O.

Le et les noms de Dieu Une fois ce résultat acquis, nous pouvons en venir au nom de Dieu. Le nom biblique par lequel, en Exode 3-6, Dieu parle de lui à la troisième personne est Anokhi (-=Je suis). Dans le premier commandement (Exode 20-2), il dit aussi, en parlant de lui-même, Anokhi Yahweh, prononcé Anokhi Adonaï par le rituel liturgique. En revanche telle est la particularité de son nom que, lorsque Dieu se nomme à la première personne (en Exode 3-14), c'est par une réalité objective commune à tous les êtres vivants : E_yeh = être passé, présent et futur. Si donc nous voulons avoir une idée du nom complet de Dieu, il faut rapprocher Anokhi et Eyeh. En linguistique, ce nom est composé d'un signifiant et d'un signifié (ou concept), l'un étant l'image acoustique de l'autre. Ce concept devait être l'idée d'exister au présent. Or nous le savons, il n'y a pas de forme verbale indicative en hébreu. Ce concept vient donc à la place d'un autre. La langue hébraïque ne nous permet pas de savoir de quel concept il s'agit. Le signifié est donc caché, mieux, refoulé. Quel est-il? Une autre langue nous donne une explication, si nous voulons bien admettre, comme nous venons de le voir, qu'elle était en relation étroite avec l'hébraïque: la langue hiéroglyphique. En effet, un pharaon, Akhenaton (-1358-1340), s'est vraiment identifié à son dieu unique Aton en se faisant appeler "Je suis (Ankh) Aton". Or Ankh est proche d'Anokhi. D'autre part, considéré comme hérétique, il a violemment été maudit par les gardiens des traditions religieuses et dynastiques de l'époque. Nous comprenons alors qu'à la suite d'un de ses prédécesseurs

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(le pharaon Aï qui comme "divin père" était détenteur d'un immense savoir religieux sous les pharaons Aménophis 111(1384-1346), Akhenaton, Smenekkharé et Toutankhamon), Moïse est le nom éponyme qui permet tout à la fois de conserver le souvenir du monothéisme d'Akhenaton et d'effacer son nom du Livre divin, en le rendant méconnaissable, par le truchement de la séparation du signifiant ("Akh") du signifié dont il était le signifiant (Aton) et en substituant "Eyeh" à Aton. Le Dieu de Moïse est "Anokhi Eyeh" (= "Je suis celui qui a été, qui est et qui sera"), mais, lorsqu'on le prononce, on se souvient du nom d'Aton refoulé, devenu Adan auquel on ajoute le nom - refoulé également - du pharaon Aï (Aton-Aï devient Adonai) 61 . La difficulté de cette démonstration vient de ce qu'elle est axée sur la substitution du nom "Eyeh" à celui d'Aton" et non sur le nom Yahweh, que l'on appelle le "Tétragramme YHWH', la première lettre n'étant pas un yod, mais un aleph. On dit, en effet, que, pour les Juifs, et sans doute déjà pour les Hébreux, le nom de Dieu est imprononçable, et l'on se réfère alors essentiellement à ces quatre lettres : YHWH. Et il est vrai que, dans la Genèse, le nom de Dieu connaît une ascension qui ne tient pas compte de cette substitution. C'est ainsi que de Gen I, 1-1 à Gen I, 2-3, lorsqu'il s'agit de nommer le créateur d'avant la création du ciel et de la terre, Dieu ne s'appelle encore qu'Elohîm. Puis, jusqu'en Gen 3-24, après cette création mais avant celle de l'homme, Dieu s'appelle Elohîm-YHWH. Et ce n'est qu'à partir de Gen 4-1 que Dieu est YHWH, même s'il faut attendre Gen 4-26 pour que son nom soit évoqué comme tel. Mais, c'est parce que la différence entre Yahweh et Eyeh n'est pas utile tant que n'advient pas l'expérience individuelle de la révélation divine qui est le coeur de la vie et de l'oeuvre de Moïse, telle qu'elle est écrite par le scribe biblique.

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Avant Moïse, Dieu demeure une puissance extérieure même lorsqu'il établit une alliance avec Abraham. Avec Moïse, Dieu devient une puissance personnelle parce qu'intériorisée. C'est également pourquoi le nom de Dieu peut figurer sous sa forme réduite à trois lettres, comme le nom YHW qui, selon les spécialistes 62, a été retrouvé dans des documents archéologiques appartenant aux "Shasou", ces Bédouins dont de nombreux historiens pensent qu'ils sont les ancêtres des Hébreux, dès le règne d'Aménophis III, et peut-être plus tôt. Il est d'ailleurs fort possible que les Shasou aient pu adorer le roi Aménophis III sous le nom divin de Yahou63 (YHW). Mais ce n'est qu'avec Moïse que le nom de Dieu se révèle personnellement comme Adonaï (Aton-Ai), et c'est l'oeuvre du Yahviste que de composer la synthèse entre Aton-Aï et YHW et de la faire évoluer en YHWH. Du point de vue du scribe yahwiste il existe donc une étrange relation entre YHWH et Moïse. Moïse, personnage historique et figure scripturaire, est écrit par YHWH, Dieu et figure scripturaire, mais à la condition que YHWH soit lui-même écrit par Moïse. En complétant YHW par H qui signifie le souffle divin, une partie des Shasous se joint à d'autres peuplades, les Apirous, mais également à d'autres populations originaires descendantes des Hyksos ou de l'Egypte ancestrale, pour se donner une origine divine, tout en se faisant appeler "Yahouds". Moïse qui, selon la Bible araméenne, était un Yahoud (à la différence d'Abraham), doit avoir participé de cette auto-transformation de ces peuplades en peuple divin. Cela ne voulait pas dire que ce n'était pas un Hébreu, mais que, parmi les Shasous et les Apirous qui étaient tous ce que les deux Bibles appellent des "Hébreux", une partie du peuple était devenue "Yahouds" et pas l'autre, et que parmi les

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"Yahouds", certains étaient d'origine shasou, mais d'autres étaient des Égyptiens de souche. Tous ceux que la Bible araméenne appelle les "Yahouds" avaient une foi monothéiste et croyaient dans le dieu YHW, dont la prononciation était Yahou. Mais Moïse a apporté quelque chose de plus : il a introduit une nouvelle distinction entre les Yahouds. Avant Yahweh, il y a, en effet, Eyeh.

Moïse ou la personnalisation de l'être par le discours A l'époque de Moïse, ces peuplades n'ont commencé à s'appeler " Hébreux " et "Yahouds" que lorsqu'elles se sont donné une divinité YHW qui était d'abord compatible avec le panthéon égyptien, mais qui, sous le nom de Eyeh, puis de Yahweh, est devenue lentement mais sûrement incompatible avec ce même panthéon. L'enjeu de cette compatibilité puis de cette incompatibilité a commencé sous Thoutmosis IV, pour devenir l'objet d'un grave conflit théologique entre son fils Aménophis III et son petit-fils Aménophis IV Akhenaton, mais aussi entre des successeurs de ce dernier pharaon "maudit", pendant une période de quatre-vingts ans et même plus. On comprend alors pourquoi Moïse entre dans l'histoire biblique (la révélation du buisson ardent) à l'âge de quatre-vingts ans. Il est surprenant que l'existence du signe hiéroglyphique de YHW ne trouble nullement la quiétude des archéologues mni celle des commentateurs bibliques et encore moins celle des rabbins. Or s'il était possible à Moïse et aux autres Hébreux et Yahouds de voir écrit le nom hiéroglyphique de Dieu, alors qu'en même temps, il leur était interdit de le prononcer, c'était parce que la nouveauté que Moïse révélait ne concernait pas tant Yahweh ni même Eyeh qu'une réalité plus ancienne : le nom complet "Je suis l'existence de ce qui a été, qui est et qui sera"65.

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Simplement, en interdisant de prononcer le Tétragramme, la liturgie en conservait, mais comme effacées, toutes les traces hiéroglyphiques, jusqu'à ce que la science les découvre enfouies dans les sols de Nubie. Pour le dire autrement, Moïse serait un descendant de parents égyptiens/hysksos (par le père) et de Shasou ou Apirou (par la mère) qui aurait imaginé une nouvelle approche du divin à partir d'un syncrétisme entre le signifiant du dieu d'Akhenaton ("Je suis"), celui du divin-père Aï devenu pharaon, le signifiant du Tétragramme (réduit encore à trois lettres) qu'il aurait fait évoluer jusqu'à la révélation personnelle, non sans y intégrer des signifiants d'autres dieux, notamment E1 66. Cette "imagination" serait, en fait, une découverte. Moïse n'est pas un synthétiseur, mais un découvreur. "Je suis l'existence" nomme le contenu d'une révélation qu'il vit à l'âge de quatre-vingts ans et dont on ne trouvera jamais de signe hiéroglyphique. Car la croix ansée qui représente "Ankh", dans les documents hiéroglyphiques, n'est jamais isolée. À elle seule elle ne fait ni ne raconte jamais rien. Le seul fait d'avoir érigé "Je suis" à partir de la consonne qui lui correspond mais aussi à partir de la substitution de Ayeh à "Aton", ce qui est le résultat du génie de la langue hébraïque, impose donc que "Je suis l'existence" soit non seulement irréductible à la croix ansée (même dans le cadre d'une fiction selon laquelle la croix ansée se serait mise à parler comme une personne), mais pensée en dehors de toute référence à ce hiéroglyphe. Avec Moïse, la pensée et le sentiment font un saut radical: ils accèdent à la personnalisation de l'existence de Dieu et de chaque être humain. Ce stade n'a pu survenir qu'après que le concept de Dieu a eu été donné par le Tétragramme (d'abord réduit à ses trois lettres), d'une part, et son signifiant par le "Je suis l'existence" de l'autre, signifiant qui, comme je l'ai dit plus haut, a été intériorisé au prix du refoulement historique et psychique de l'identification du pharaon Akhenaton à la personne de dieu (Aton).

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On s'est souvent insurgé et à juste titre contre la thèse selon laquelle le monothéisme juif était issu de l'atonisme égyptien, du fait que son auteur, Sigmund Freud, n'introduit pas les effets négatifs du refoulement comme explicatifs de sa thèse. Mais la stricte application de la psychanalyse nous apprend que le refoulement a pour effet de négativer le refoulé, cet acte psychique s'effectuant sous l'emprise des mécanismes psychiques du retournement, du renversement, de la condensation et du déplacement. Il est impossible d'accéder à une compréhension psychanalytique de la thèse de Freud sans comprendre que le monothéisme de Moïse, issu du refoulement de l'atonisme, s'est formulé non par son contraire, mais par son interdit (interdit de la représentation de Dieu notamment). De la même manière, le refoulement de l'atonisme n'a pas, chez Moïse, débouché sur un panthéisme. Dans le panthéisme, la personnalisation de Dieu et de l'être humain n'a aucune place. Dieu n'est pas une personne ni l'être humain qui est Dieu en tant qu'homme. Or Moïse a perçu Dieu dans son existence comme personne divine (il l'a vu face-à-face) à partir de quoi il a créé le concept de la personne humaine construite à l'image de Dieue. Il convient donc de lier "personne" et "disparition". L'horizon de la disparition possible de Dieu, de l'être humain, du végétal et de l'animal explique l'émergence de la notion même de personne. D'où les nombreuses menaces de destruction que Dieu fait peser sur l'humanité biblique, si celleci n'adopte pas un comportement moral ! D'où également l'attribution divine de nombreuses pulsions de vie à tous ceux qui vivent sur la terre, notamment les pulsions sexuelles. Là aussi, il a fallu que Moïse innove. Moïse a hérité de la conception du monde des Egyptiens, des Hébreux et des Yahouds, mais aussi de la radicalisation qu'elle avait subie du fait de la révolution religieuse d'Akhenaton. Son génie est donc

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d'avoir été capable de s'en affranchir et de s'élever à une nouvelle conception du divin, même si, et le texte biblique le dit clairement, il ne va pas jusqu'au bout de la révélation, puisqu'il ne lui est pas donné de franchir le Jourdain.. Reste une question, avant d'exposer cette conception du monde et ce remaniement: si les Egyptiens, les Hébreux et les Yahouds cohabitaient, que désigne ce mot de "Mi aïms" qui revient si souvent dans la Bible? Traditionnellement les Egyptiens appelaient eux-mêmes leur pays "Kénzi" (= "la Noire"), que l'on traduit habituellement par la "Terre Noire". La Bible l'appelle "Le pays de Cham". Par exemple, en Psaumes 105, 23, il est écrit: "Et Israël entra en Egypte, Jacob émigra au pays de Cham". Les peuples d'Asie l'appelaient également "Mitsr", composé, dans la langue hiéroglyphique, de Mwy, Ts et Re et qui signifie "les eaux répandues de Ré", autrement dit le Nil. Or en appelant l'Egypte "Mitzraïms", la Bible rajoute " aïms", que l'on peut lire également comme "yam" (= "met'), à "Mite , ce qui donne "la mer des eaux répandues de Re , car elle nomme ainsi la population d'Egypte qui avait adhéré à la nouvelle conception du divin (YHW), à savoir ce nouveau peuple qui, en Egypte, s'était composé de gens d'origine égyptienne et shasou/apirou qui s'appelaient "Hébreux" puis "Yahouds" et d'où sortira le peuple d'Israël. Par contraste, la Bible nomme "Chamites" ceux qui s'affilient encore au nom habituel de "Kémii Le signifiant "mer" prendra toute son importance plus tard, au moment de comprendre la symbolique de la "Mer des Roseaux". L'entrée en Egypte et la sortie d'Egypte deviennent donc l'adhésion à la foi de "Mitsraïms" qui, un moment, croit en Yahou et en Aton, puis le dépassement et l'abandon de cette foi comme "ibrim" (Hébreux) pour la foi en E_yeh, avant que ce soit, finalement en Yahweh.

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Notes du chapitre II 39 "Sans la présence d'une forte personnalité, on ne peut rendre comp-

te de la naissance d'un mouvement religieux aussi original que celui d'Israël" (Bernard Renaud, in Moivre et le Monothéisme, in Le Monde de la Bible, Paris, 2000, p.479). 40 Ce qui suppose que l'hébreu existât à cette époque (voir plus loin). 41 C.Hagège, in Halte à la mort des langues, Editions Odile Jacob, Paris, 2000, p.272. 42 Idem, p.275. 43 Idem, p.278. 44 J. Mélèze Modrzejewski, in Les juifs d'Egypte de Ramsès II à Hadrien, Quadrige/PUF, 1997, p.30. 45 Ibid, ch.V. 46 In Contre Apion I 286, et Jew.Antiq.II 228). 47 Lire les développements onomastiques de Rolf Krauss in Moïse le pharaon, Paris, Editions du Rocher, 2000. 48 In Jean Lambert, Le Dieu Distribué, Paris, 1998, p.67. 49 In op. cit. 50 Sur ce thème, lire la très astucieuse hypothèse de Jérôme Peignot in Moïse ou la preuve par l'alphabet de l'existence de Yahvé, Jérôme Million, Paris, 1988. 51 In op. cit. p. 284. Weber met cette conception en relation avec Le Livre des Morts égyptien. Nous verrons que cette mise en rapport fonctionne en fait sur la base du refoulement. 52 Claude Vendersleyen, in L'Egypte et la Vallée du Nil, Paris, PUF, 1995, p. 163. 53 Voir Cyril Aldred, in Akhenaton roi d'Egypte, paris, Seuil, 1997, p.121. Comme pour Vendersleyen, pour Claire Lalouette, il s'agit de "Princes des pays étrangers" (in Thèbes, Paris, Fayard, 1986, 87). 54 Voir Théodore Reinach, note 1 de Contre Apion de Flavius Josèphe, Paris, Société d'Edition Les belles Lettres, 1972, p.17. 55 In Mireille Hadas-Lebel, L'hébreu 3000 ans d'histoire, Paris, Albin Michel, 1999, p.25. 56 Messod et Roger Sabbah, in Les Secrets de l'Exode, Paris Jean-Cyrille Godefroy. 57 Ce qui évoque une filiation sémantique avec l'écriture du nom du père de la reine Tiyi, épouse d'Aménophis III : Youya. 58 In op.cit., p.336.

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59 Les premiers, Messod et Roger Sabbah ont souligné cette différence in Les Secrets de l'Exode, op.cit. 60 Ce positionnement de Moïse comme figure inconsciente de Pharaon éclaire les résultats de l'enquête sémantique à laquelle Messod et Roger Sabbah se sont livrés au sujet du nom de Moïse. Selon ces auteurs, "Moché" signifie en égyptien : fils enfanté par le Grand Dieu (Râ). In op.cit., p.448. 61 Voir le prochain chapitre. 62 Jean Leclant, in Les fouilles de S oleb, Nubie Soudanaise, dans Annuaire au Collège de France (1980-1981, pp. 474-475). 63 Messod et Roger Sabbah, in op. cit. p.172. 64 I . Finklestein et N.A. Silberman n'en font nullement état in op.cit.. 65 Que nous devons d'ailleurs rapprocher de l'inscription qui figure sur le temple de la déesse Neith : "Je suis tout ce qui a été, tout ce qui est, et tout ce

qui sera". 66 La présence du Dieu El à l'époque d'Akhenaton est désormais prouvée. Sur le vizir Aper-El, qui fut aussi un "père-divin", lire Alain Zivie, Les tombeaux retrouvés de Saqqarah, Paris, Editions du Rocher, 2003. Zivie fait l'hypothèse d'une parenté entre Aï et Aper-El (p.38). 67 Aujourd'hui encore, le champ d'application de ce concept de "personne" est élargi à d'autres êtres que l'être humain, aux animaux, notamment, comme à l'époque de Noé, mais aussi aux végétaux. Ce n'est, en effet, que très récemment que l'on s'est rendu compte que les végétaux pouvaient aussi être menacés de disparition et communiquer entre eux. De manière générale, la problématique contemporaine du concept de "personne" est liée à celle de l'extinction de l'humanité en l'homme.

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ChapitreIII MOÏSE À L'ÉPOQUE D'AKHENATON

Les développements précédents renvoient à un arrièreplan politique, dynastique, théologique, culturel et linguistique qu'il convient d'éclairer à présent. Je ferai référence à plusieurs matériaux provenant de disciplines différentes (l'archéologie, l'histoire, l'égyptologie, la science biblique, la psychanalyse...), mais le coeur de ma démarche sera de me situer du point de vue de ce qui transcende ces disciplines et qui a nom l'Inconscient du langage et des mythes. Dans un premier temps, j'expliquerai pourquoi j'ai renoncé à situer la vie et l'oeuvre de Moïse pendant la période historique qui va de Séthi 1 er (1297-1274) et Ramsès II (1 282 1217) à Mineptah (1 217 à -1197), comme la plupart des savants bibliques et des égyptologues le désirent, ou vers 1600, comme le pense Claude Vendersleyen, et pourquoi il ne me paraît pas justifié de les situer non plus à la fin de la XIXe dynastie, comme le fait l'égyptologue Alain Zivie. Puis, je montrerai qu'il faut nécessairement les situer à l'époque d'Akhenaton. Me référant à des éléments de l'histoire de son règne, j'établirai ma démonstration sur la signification de l'enseignement de Moïse vis-à-vis des pratiques de la vie, de la sexualité et de la mort qui étaient alors en vigueur. J'aborderai les points suivants : ce qu'on sait de sa vie et de son oeuvre, la lecture traditionnelle qu'en donne la psychanalyse, la nouvelle approche que je propose.

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a) Légende et histoire "Nul ne songe à supposer une parfaite coïncidence de la légende avec l'histoire, eussions-nous les preuves les plus certaines que c'est un groupe défini d'événements qui lui a donné naissance. Quoi qu'on fasse, et par évidence, ce n'est jamais qu'un certain degré d'approximation qui peut intervenir ici comme décisif et convaincant" 68 . Cette affirmation de Ferdinand de Saussure, fondateur de la linguistique oriente notre réflexion sur la manière dont "les personnages historiques ont été happés par la légende" Q. Starobinski69 ) en ce qu'elle rejoint l'approche du grand démolisseur de la religion que fut Freud et qui n'en soutenait pas moins que "ce qui rend la religion forte, ce n'est pas sa vérité réelle, mais bien l'historique" 70. Il s'agit donc, pour nous, de partir de l'idée qu'avant la légende et le mythe, il y a l'histoire 7l, et qu'analyser la légende, c'est remonter d'elle vers les personnages historiques par la langue et l'inconscient, tout en sachant qu'il n'existe pas de faits "chimiquement purs" et que jamais l'on ne rétablira des faits, comme s'ils pouvaient ne pas avoir connu l'avatar des déformations dues à la transmission orale des commentaires, des légendes et des mythes qui s'y rapportent. L'exercice est d'autant plus difficile que toute légende s'organise à partir de personnages premiers, que Saussure appelle "symboles" dont on peut voir varier le nom, la position visà-vis des autres, le caractère, la fonction et les actes. Ce qui lui fait dire qu'on "devrait purement renoncer à suivre, vu que la somme des modifications n'est pas calculable", mais que, dans les faits, "nous voyons qu'on peut relativement espérer suivre, même à de grands intervalles de temps et de distance". Pour autant, la tâche est ardue, étant donné qu'il existe

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en retour des "genres de modifications historiques de la légende", notamment la substitution des noms et le fait qu'une action peut rester la même, tandis que son motif (ou but) est déplacé. Mais l'essentiel est d'avoir confiance dans le sens, non comme "une donnée préalable", mais comme "un produit variable de la mise en oeuvre combinatoire" des éléments (faits, symboles). Mon ouvrage est une tentative - très partielle - de lecture de la vie et de l'oeuvre de Moïse, guidée par l'analyse que Saussure donne des rapports entre la légende et l'histoire, et appuyée sur une découverte fondamentale, que j'appelle un code de translittération linguistique : le principe d'une écriture qui tient compte du caractère sacré de la forme hiéroglyphique et de l'alphabet hébreu 72. Car, la légende suit la langue qui détient son secret de fabrication. Ce code fonctionne à partir d'une mise en relation phonétique, figurative et symbolique ("en liaison avec les nombres, les divinités et les croyances égyptiennes" 73 ) des 3 000 (à peu près) hiéroglyphes et des 22 lettres hébraïques. Comme on sait, afin d'accélérer l'écriture et la transmission des messages, les hiéroglyphes étaient également transcrits de manière abrégée, en hiératique. Or l'écriture hiératique est le stade intermédiaire qui assure le passage du hiéroglyphe à l'hébreu. Ce code permet de mettre à jour un "pré-texte", un texte sous le texte, qui se déploie et s'accomplit comme principe de cohésion du texte même autour d'un nom, le "nom-thème" qui n'est pas prononcé dans le texte, mais qui "devient le thème d'une chaîne d'anagrammes ininterrompue" 74. Ce pré-texte raconte l'histoire de ce "nom-thème" et de tous les personnages qui s'y rapportent. L'écriture anagrammatique se fait au décours de sa transposition d'un alphabet à l'autre et porte tout autant sur l'arrangement spatial des lettres que sur les phonèmes.

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Mon hypothèse est que les noms des dieux Aton, Amon, Aï, Akhenaton, El et Yahou (YHW) ont constitué les noms propres devenus mots-thèmes recevables pour la Bible. b) L'hypothèse d'un Exode vers

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L'hypothèse selon laquelle Moïse aurait vécu sous Ramsès II et Mineptah repose, pour l'essentiel, sur deux mentions : celle de la ville de "Ramsès" en Exode 1,11 75 et celle du nom "Israël" sur la stèle de Mineptah (-1 207) 76. Voyons comment Maurice Bucaille, l'un des partisans les plus rigoureux de cette thèse, reconstitue la vie de Moïse 77. Du fait que la Bible indique que Moïse a 80 ans, lorsqu'il se rend auprès de Pharaon (Exode 7,7), l'auteur pense que Moïse est né aux alentours du début du XIIIe siècle avant l'ère chrétienne, que son exil qui a duré pendant "une longue période" (Exode 2, 23) a eu lieu sous le pharaon Ramsès II (mort à 85 ou 90 ans) et qu'il s'est achevé après sa mort sous le règne de son fils Mineptah. Après avoir étudié la momie de Mineptah. Bucaille soutient d'ailleurs que ce pharaon a trouvé la mort, immergé dans les eaux d'un petit bras de la Mer Rouge qui allait jadis du golfe de Suez aux lacs Amer, après qu'il eut lancé ses chars à l'assaut des Bnei Israël en route vers Canaan. Pour ce faire, il soutient que le texte de la Bible affirme catégoriquement que Pharaon est mort avec toute son armée et que sa momie porte les traces de la noyade. 1. La mention du nom de la ville "Ramsès" Il y avait dans cette région (Tanis-Qantir, partie orientale du delta du Nil) d'autres grandes villes construites avant Ramsès II. Il peut donc tout à fait s'agir d'une ville qui a été achevée par Séthi 1er (-1 297 - 1274) et commencée par

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Ramsès 1er (-1 299 - -1297). Cela semble, d'ailleurs, une imprécision délibérée du scribe biblique que de ne pas avoir mentionné le nom exact du pharaon concerné, comme s'il s'agissait d'attirer l'attention sur le seul fondateur de la lignée des Ramsès plutôt que sur ceux qui la représentèrent. En fait, le nom de "Ramsès" est cité bien avant la naissance de Moïse, en Genèse 47,11, lorsque Joseph, en accord avec Pharaon, établit son père et ses frères sur cette terre. "Ramsès" est donc une terre ou une ville qui a d'abord été un foyer spirituel pour les Hébreux et qui est devenue par la suite une terre "d'esclavage". Par "esclavage", on peut certes entendre l'aliénation sociale totale qui est le sens que nous lui donnons habituellement, quand nous pensons à l'asservissement par le travail. Mais le principe de cette aliénation ne saurait être autre que religieux avant tout. Dans une civilisation où le divin est le signifiant maître, être esclave, c'est aussi et surtout servir un dieu. Cette transformation du foyer spirituel en terre d'esclavage ne s'est alors pas déroulée sous les règnes de deux pharaons, le nouveau roi qui "se dressa sur l'Egypte" (Exode I, 8) et celui de l'Exode, mais de trois, puisque, avant l'arrivée du nouveau roi, il y avait un pharaon qui avait confié à Joseph l'attribution du territoire de "Ramsès" aux Hébreux. A moins d'évoquer un inexplicable anachronisme 78 du scribe biblique et rompre avec le principe de demeurer fidèle au texte hébraïque, on parvient à une aberration: ce serait le même pharaon qui aurait donné la terre de Ramsès aux Hébreux et qui les aurait réduit en esclavage. Le reste de la chronologie ne peut donc pas fonctionner non plus. Il faut admettre qu'avant Ramsès II, un pharaon a été mêlé à l'histoire de ceux qui s'appelaient "Ibrim" (lorsque ceux-ci parlaient à ceux qui n'en étaient pas). Comme Ramsès 1er a régné trop peu de temps pour que la génération des Hébreux se reproduise au point de mettre en question l'équilibre

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démographique et ethnique sur lequel reposait le pouvoir pharaonique traditionnel, il faut imaginer que cette ville "Ramsès" fut créée par un seigneur qui, bien antérieurement à son arrivée sur le trône, eut le pouvoir de le faire. Un égyptologue, Pierre Grandet, nous révèle justement que la lecture traditionnelle de la ville d'approvisionnement que la Bible appelle "Ramsès" est simpliste. En effet, sur le même site, le pharaon Horemheb (prédécesseur de Ramsès ler) fonda au cours de son long règne une ville de garnison d'une superficie considérable. Il s'agissait de l'ancienne capitale des Hyksos aux franges orientales du delta égyptien. Et Grandet d'ajouter: "la future Pi-Ramsès" 79 . Nous devons donc admettre que la ville dont la Bible parle est appelée "Ramsès" en raison de la signification symbolique qui s'y rattache, mais qu'elle a existé avant Ramsès ler, peutêtre même sous un autre nom. Le même raisonnement s'impose à propos de la ville "Pithom". Il est tout à fait étrange que les savants n'accordent de l'intérêt qu'à la ville "Pi-Ramsès" et pas à la ville "Pithom"SO, comme si cet intérêt pouvait nuire à leur hypothèse. De fait, la mention "Pithom" est aussi importante que la mention "Ramsès". Or si l'étymologie de "Pi-Ramsès" se rapporte au nom d'un pharaon qui, à l'époque où il était général et gouverneur s'appelait "Paramessou", "Pithom" se rapporte au nom d'un autre pharaon qui, avant que Ramsès ler eût pris le pouvoir, s'en empara, le pharaon Horemheb dont il a déjà été question, lequel, comme général et gouverneur, s'appelait "Paatonemheb". (Ces deux généraux, qui vécurent longtemps, au point d'accéder successivement au rang de pharaon, sont directement liés au pharaon Aï et à l'avènement et à la chute d'Akhenaton et de sa capitale, Akhetaton).

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2. La mention "Israël' sur la Stèle de Mineptah La Stèle de Mineptah est un long poème à la gloire de ce pharaon, fils et successeur de Ramsès II. Son objet est la victoire qu'il remporta de justesse, en compagnie de son fils Séthi (futur Séthi 2) et Khâemouas, sur une invasion libyenne81. Une campagne de répression est menée par le pharaon à travers les possessions asiatiques de l'Egypte. Elle révèle que le peuple d'Israël, identifié comme une personne, définie par son ancêtre éponyme, existait en Canaan dès le XIIIème siècle avant notre ère. Les Israélites ne s'abritent pas dans une cité, mais tiennent la campagne. Cette population est "numériquement assez considérable et socialement assez cohérente" pour figurer à côté de trois cités-Etats (Ascalon, Gézer et Yeno'am)" 82. Elle détient des chars. Ses vêtements sont constitués de robe longue typique. Elle est distincte des Shasou, aux pagnes et coiffures spécifiques, ce qui montre bien qu'elle n'en est pas issue, même si elle compose avec. Cette population Shasou est d'ailleurs désignée comme un ennemi vaincu (elle est donc incompatible avec la narration du triomphe des Bnei Israël sur pharaon, lors du passage de la mer des roseaux 83). Par ailleurs, si les Bnei Israël sont nombreux et se sont doté d'une culture - au moins vestimentaire - cananéenne, c'est parce que l'Exode a eu lieu depuis longtemps, que la population qui avait quitté l'Egypte avait été importante et qu'elle s'était multipliée dans des conditions de vie qui le permettaient. Il nous faut donc interpréter la mention "Israël" en un autre sens. Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman écrivent à ce propos : "la mention d'Israël sur la stèle de Merneptah (Mineptah/NdA) se réfère à des gens qui habitent déjà Canaan. Mais nous n'avons pas la moindre trace, pas un seul 77

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mot, mentionnant la présence d'Israélites en Egypte: pas une seule inscription monumentale sur les murs des temples, pas une seule inscription funéraire, pas un seul papyrus. L'absence d'Israël est totale - que ce soit comme ennemi potentiel de l'Egypte, comme ami, ou comme peuple asservi. Et l'Egypte ne recèle aucune découverte qu'il soit possible d'associer, directement ou indirectement, avec la notion d'un groupement ethnique particulier (par opposition à une forte concentration de travailleurs immigrés en provenance de nombreux pays) qui, si l'on en croit le récit biblique sur les enfants d'Israël installés "dans la terre de Goshen" (Gen 47,27), aurait vécu dans une région déterminée du delta oriental" 84. Il nous faut donc admettre qu' "Israël" est le nom d'une population qui, antérieurement en Egypte, s'appelait autrement et qui a été effacée de l'histoire officielle, mais qui, ayant passé le Jourdain, se nomme "Israël". Un épisode biblique ne va pas sans nous rappeler cette situation: le combat de Jacob avec l'Ange juste après le passage du Jaboc (Genèse XXXII, 23-29) que nous devrions dès lors interpréter comme une écriture de palimpseste à l'intérieur du palimpseste. Au demeurant, Jacob continue de s'appeler "Jacob" à l'intérieur du discours du dedans des Yahouds et de Mitzraïms (c'est-àdire du point de vue de Dieu), mais "Israël", lorsqu'il se place du point de vue du discours du dehors, c'est-à-dire lorsqu'il s'adresse à d'autres que les Yahouds, aux Egyptiens, et lorsqu'il a quitté Mitzraïms et s'est installé en Canaan. Israël en Canaan est l'héritier de Jacob en Egypte. Il n'est donc pas surprenant que "cette entité politique (Israël) ne soit nullement mentionnée dans les lettres d'El-Amarna" 85. Finalement, on ne voit pas ce qui dans la vie et l'oeuvre de Mineptah pourrait avoir à faire avec la querelle théologique qui caractérise les rapports entre Pharaon, Moïse et Aaron.

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Rappelons que, selon la Bible, Moïse et Aaron allaient et venaient librement au Palais. Pharaon était donc obligé de les recevoir, jusqu'à ce qu'il exige de ne plus les voir paraître devant lui... Pharaon leur reconnaissait une dimension divine et c'est pourquoi il acceptait de débattre avec eux, y compris sous la menace. Enfin, force est de constater que la Bible ne relate nullement une défaite des Bnei Israël qui se serait déroulée à l'époque de Mineptah. Nous devons donc impérativement "faire table rase des constructions toutes faites, comme cette association purement gratuite de l'Exode et de Ramsès II" 86 et repenser l'ensemble de la vie et l'oeuvre de Moïse comme pouvant également se dérouler avant ou après l'époque qui va de Ramsès II à son fils Mineptah. c) L'hypothèse d'un Exode vers k milieu du XVIe siècle avant notre ère Tenant compte que l'utilisation du nom de Ramsès est anachronique pour qui veut situer la vie de Moïse à l'époque de Ramsès II, "puisqu'il est déjà utilisé pour désigner la région où Joseph installe son père et ses frères (Gen, 47, 11)", Claude Vendersleyen confirme que "ce nom n'est donc pas un obstacle à une datation de la sortie d'Egypte bien antérieure à Ramsès II". Par ailleurs, "en additionnant les durées des périodes historiques données dans le Pentateuque, le livre de Josué et le livre des Juges (Bimson, 1 978), on arrive à 534 ans avant le règne de Salomon, à quoi il faut ajouter trois périodes de durée inconnue: celles du pouvoir de Josué et de ses successeurs immédiats, de Samuël et de Saül, ce qui a été estimé à 60 ans environ. Cela placerait l'Exode 594 ans avant Salomon, soit vers le milieu du XVIe siècle avant JC" 87. Or, cette date correspond au triomphe du pharaon Ahmosis ter sur le pharaon hyksos Kamosis en l'an III du règne de ce dernier. 79

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Vendersleyen en conclut qu'il y aurait une correspondance significative entre l'expulsion des Hyksos et l'Exode des Hébreux, d'autant que "la date donnée par Manéthon - que l'Exode aurait eu lieu sous Amosis - est la seule qui soit vraiment précise" 88. Mais cette conclusion bute sur trois objections : - La première est, en fait, une contradiction : on ne peut à la fois tenir l'Exode, dont on connaît la dimension religieuse, pour une simple "histoire régionale" dont il n'existe aucune trace archéologique et l'identifier symboliquement comme un épisode de l'histoire nationale (l'expulsion des Hyksos) de l'Egypte. - La seconde est que la narration de l'Exode est tout sauf la narration d'une expulsion. - La troisième tient au fait que la querelle qui oppose Ahmosis 1 er et Kamosis ne révèle aucune dimension religieuse comparable de près ou de loin avec celle qui est narrée par le livre de l'Exode. d) L'hypothèse d'un Exode vers -1190. En fait, nous nous trouvons devant l'obligation de "trouver un fil directeur qui tienne compte, après les avoir passées au crible d'une saine critique, des données bibliques et, sur le même plan, des données égyptiennes du He millénaire, ainsi que des écrits des polygraphes égyptiens tardifs, comme aussi des traditions rabbiniques (haggada)"89. Récemment, l'égyptologue Alain Zivie a voulu situer la vie et l'oeuvre de Moïse à l'extrême fin de la XIXe dynastie (vers - 1 190). Ses arguments s'appuient sur le grand papyrus Harris et sur la stèle d'Eléphantine. "Des faits troublants sont mentionnés dans ces textes, écrit Zivie, qui ne correspondent pas élément par élément avec le récit biblique (cela ne sera jamais,

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il faut s'en convaincre), mais qui nous jettent dans une atmosphère semblable, en un moment de crise, intérieure et extérieure, en liaison avec des Asiatiques, et dans un contexte égyptien de grande faiblesse politique (vers 1190 avant notre ère). En un mot, le cadre idéal pour situer des événements qui nous échappent et qui ont donné naissance à ce qu'on nomme Exode, un Exode qui prendrait la forme d'une fuite ou d'un départ volontaire... Cela dit, bien des traditions concernant la défaite des Hyksos et les débuts de la XVIIIe dynastie évoquent également l'Exode, mais cette fois sous forme d'expulsion" 90. Il est clair que le raisonnement est, ici, primordial. Nous pouvons explorer la piste qui voudrait que la narration de l'Exode empruntât à l'histoire qui s'est déroulée entre le pharaon régnant Séthi II et son rival Amenmès (Amon-masesa), peut-être fils rebelle de ce même Séthi II (dès l'an II du règne de celui-ci) 91. Nous savons, par exemple, qu'à l'époque de cette existence simultanée de deux rois, il est question d'un certain Paneb qui "profite d'une situation troublée pour régler son compte à un collègue dont il était jaloux : il aurait assassiné le contremaître Nebnéfer, selon les dires du frère de celui-ci, Néferhotep qui tente en vain d'obtenir justice 92". D'aucuns y verront même la source historique d'Exode 2, 1314, surtout si, comme l'égyptologue Rolf Krauss, ils identifient le vice-roi de Koush Masemaya (du papyrus Salt 124), qui porte un nom analogue à celui du Moïse de la Bible, comme étant Amon-masesa lui-même 93. Mais cela signifie que nous chercherions alors à reconstituer le récit biblique de l'Exode de l'extérieur de lui-même, en l'occurrence à partir des archives d'Egypte, comme si, de manière générale, les scribes bibliques avaient papillonné çà et là dans l'histoire d'Egypte mais aussi dans celle d'autres pays94, pour rassembler les éléments d'un puzzle auquel ils 81

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auraient, par ailleurs, donné un sens profondément religieux. Krauss reconnaît lui-même que "si l'on fait abstraction de l'épisode de l'exposition, les légendes juives sur le prince égyptien Moïse se lisent comme un récit reproduisant l'histoire de la vie de Masemaya, il ne s'ensuit pas pour autant que le Moïse de la Bible et le prince égyptien Masemaya fussent une seule et même personne. Comment, en effet, un putschiste ayant essuyé un échec politique dans son pays natal aurait-il pu se mettre à la tête des Fils d'Israël, les faisant sortir d'Egypte et leur transmettre le Code de l'Alliance au Sinaï? Ces questions restent ouvertes." 95 Conclure différemment consisterait à réduire la Bible à un morceau de cire, sans être capables de mettre en relation tous les éléments du puzzle avec la signification religieuse que les scribes leur auraient ainsi donnée. Or notre impératif est d'accorder une valeur déterminante au conflit de pouvoir entre deux autorités théologiques qui figure de manière détaillée dans la Bible. En effet, la Bible nwhabille" pas ce conflit d'une prévalence religieuse qu'il n'a pas. Un tel raisonnement ne tient pas compte du sens même du conflit tel qu'il est raconté dans la

Bible. Dans le même esprit, la question n'est pas fuite ou expulsion? des Hébreux/Yahouds par Pharaon, comme le pense Zivie, mais départ volontaire vers la terre sainte en Mitzraïms ou en Canaan? Certes, si Séthi II règne à Pi-Ramsès, Amenmès semble, lui, avoir régné d'abord en Nubie, puis avoir conquis Thèbes, et au-delà (sans que l'on sache exactement jusqu'où) au cours de la guerre civile dont finalement Séthi II sortit vainqueur. Mais cette division territoriale suivie d'une conquête d'Amenmès et d'une reconquête de Séthi II n'offre aucun caractère religieux significatif ni à l'intérieur de la religion égyptienne ni, a fortiori, vis-à-vis d'une nouvelle

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religion qui serait celle d'Israël et dont les scribes de Josias auraient gardé la trace. e) L'hypothèse d'un Exode situé vers - 1340 Selon André Lemaire, "l'émergence d'Israël en Palestine se situe de façon presque sûre entre ca 1 330 et ca 1 210 av. J.-C"% (selon les datations des uns et des autres). Compte tenu du croisement des données archéologiques (écriture hiéroglyphique de YHWH, stèle de Mineptah, mentions de PiRamsès et de Pithom), bibliques (querelle théologique entre Pharaon, Moïse et Aaron), linguistiques (l'écriture araméenne et hébraïque des deux Bibles) et psychanalytiques (le refoulement), nous sommes nécessairement conduits à faire le choix de situer la vie et l'oeuvre de Moïse avant et pendant l'ère amarnienne et de penser le mystère de l'enseignement de l'Exode comme directement lié au renversement d'Akhenaton. L'hypothèse "Akhenaton" est la seule plausible, pour peu (mais c'est beaucoup) que l'on accepte de repenser la fin d'Akhenaton dans sa relation historique avec l'Exode d'Akhetaton. J'ajoute que le mot "pharaon" n'est employé en hiéroglyphes pour désigner la personne du souverain qu'à partir d'environ -1 370 (selon les différentes datations), sous Akhenaton97. Ce qui veut dire que "l'anachronisme" de la ville de Ramsès en Genèse 47,11 n'en est pas un, mais que l'histoire de Joseph se déroule elle aussi à l'époque amarnienne.

Mais avant de décrire cette hypothèse, revenons sur la vie et l'oeuvre du pharaon hérétique.

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f) Ce qu'on sait de la vie et de l'oeuvre d'Akhenaton. 1. Données biographiques Nulle biographie de ce pharaon n'est plus pertinente et percutante que celle qui a été établie par Cyril Aldred, dans son livre magistral Akhenaton, Roi d'Egypte 98. Selon la chronologie, toujours incertaine, Akhenaton, qui n'est encore qu'Aménophis, naît en 1 374 avant notre ère, soit dix ans après la mort de son grand-père, le pharaon Thoutmosis IV et en l'an dix du règne de son père Aménophis III, neuvième roi de la XVIIIe dynastie. Sa mère est la Grande Epouse royale Tiyi. On ne sait strictement rien de ses premières années de vie, sauf qu'il a un frère aîné, qui s'appelle Thoutmosis 99. Ce prince n'a pas le temps de figurer dans la chronologie des rois, car il meurt prématurément, sans que l'on sache aujourd'hui encore dans quelles conditions. En tout cas, Aménophis doit à la disparition de son frère le fait d'accéder au trône à l'âge de seize ans, en 1 358 avant notre ère, sous le nom d'Aménophis IV. À cette date, selon la reconstitution historique d'Aldred, par ailleurs contestée, son père règne sur l'Egypte. Il est donc co-régent. L'installation sur le trône d'Aménophis est illustrée dans la tombe de son vizir Ramose. Il y est représenté comme un jeune homme normal, ce qui est important, compte tenu du nouveau "look" qui figurera ultérieurement sur les murs des temples et palais, et dont je parlerai bientôt. À ce moment-là, il doit déjà être uni à une grande épouse et posséder un harem. Aménophis III étant toujours vivant, Akhenaton ne peut être uni à Tiyi. Il est donc uni à une autre Grande Epouse, Néfertiti, dont on ne sait strictement rien. Aldred pense qu'elle est une descendante de la lointaine reine Ahmès-Nefertari, laquelle fut l'ancêtre féminine de la 84

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XVIIIe dynastie, et qu'elle est la fille du commandant de la charrerie, Aï, à qui une longue vie permettra, au prix de d'intrigues, notamment, de devenir d'abord "divin-père", puis pharaon, et d'une Tiy, probablement la nièce de la reine, mère d'Akhenaton. C'est donc sous sa co-régence (1358-1346), en -1354, qu'a lieu le premier jubilé de son père. Ce jubilé consiste en de nouvelles statues, de nouveaux bijoux, une réactivation du couronnement. Puis, en 1350, c'est le deuxième jubilé, et, en -1347, le dernier. Un an plus tard, Aménophis III meurt. Les informations relatives à son inhumation par Akhenaton manquent. Aménophis VI - Akhenaton règne donc seul, comme le montrent les Lettres d'Amarna dans lesquelles les rois et vassaux asiatiques s'adressent à lui comme leur nouveau correspondant sur le trône d'Egypte. Pendant les premières années de cette co-régence et parce qu'il a hérité des charges détenues par son frère, Aménophis IV apprend comment diriger l'Etat en réglant les affaires de Memphis et de Basse-Egypte avec l'aide de hauts fonctionnaires de la région. Parallèlement, étant devenu grand prêtre du Dieu de Memphis, Ptah, le créateur mythologique qui amena l'univers à l'existence en prononçant un mot au commencement des temps, et nommé "chef des artisans", il est responsable de la création d'oeuvres d'art de toute sorte. Enfin, il semble avoir possédé un palais à Héliopolis (la ville nommée "On" dans la Bible), ce qui veut dire qu'il a été initié aux doctrines du dieu-soleil qui ont influencé en profondeur les conceptions relatives au Panthéon. À cette époque, Aménophis IV réside encore à Thèbes, la "ville du Sud", probablement dans un palais de son père qu'il a rebaptisé "celui qui se réjouit à l'horizon", épithète bien connue du dieu Aton.

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Mais, à la même époque où il entre en possession de la doctrine du dieu-soleil, Aménophis IV la fait secrètement évoluer. Lors de son accession au trône, il acquiert le pouvoir d'associer le disque du soleil (Aton) au dieu Rê-Horakhty qui, traditionnellement, est présent, avec le dieu Amon, lors du couronnement, en l'enfermant dans des cartouches. Mais, cette association devient très vite une substitution. C'est ce que comprend son entourage, lorsqu'il fait une déclaration au sujet de la nouvelle doctrine qu'il promulgue. De fait, ce même dieu - soleil, Aton, est bel et bien devenu le dieu dominant, le nouveau dieu de l'Etat. En -1355, a lieu le premier jubilé du règne d'Aménophis IV. Celui-ci suit encore fidèlement la tradition. Mais, dans son esprit, la révolution religieuse a déjà commencé. Il s'ensuit, toujours à Thèbes, plus précisément à Karnak-est, la construction d'un Temple, le Gempaaton, "Aton est trouvé dans le domaine d'Aton", auquel est associé un palais. Il s'y fait représenté sous la forme d'un colosse castré. Par ailleurs, ce palais dispose d'une fenêtre d'apparition de la nouvelle divinité solaire, sous sa forme incarnée par le pharaon et sa famille royale. Puis, Aménophis IV construit le château du

benben. Arrive alors cette étonnante année -1353, la cinquième année de son règne. Aménophis IV n'est plus seulement visité par Aton qui lui dicte d'éliminer Amon, notamment en retirant toute marque de ce nom de son nom (ce qu'il mettra des années à faire), il s'identifie à Aton. Aussi, le septième mois, change-t-il de nom et se fait-il appeler "Akhenaton" ("je suis Aton"). Puis, le huitième mois, il se dirige vers un lieu où il pense, lui, le pharaon, que réside Aton et qu'il doit résider lui aussi. Nul ne sait où ce lieu se trouve, à l'exception de luimême. Soudain, il décide que sa ville sainte, qu'il appellera Akhetaton ("l'Horizon ou la Demeure d'Aton"), se trouvera

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sur la rive orientale du Nil, en Haute-Egypte. En char, il se rend, accompagné de sa suite, jusqu'à un autel dressé à ciel ouvert. Sur la cérémonie d'inauguration, l'archéologie demeure silencieuse. Un an plus tard, il vient voir où en sont la construction de sa capitale et sa délimitation par quatorze grandes stèles, flanquées par des statues du roi et de la reine, debout, portant des tablettes gravées aux noms d'Aton et avec leurs propres cartouches. Peu avant l'an VI (-1 352), on commence la construction de la tombe royale et d'autres tombes, comme celle du divin-père Aï qui prend de plus en plus d'importance à la cour. Tandis que la construction ralentit à Thèbes, vers la fin de la huitième année (-1 350), l'essentiel d'Akhetaton est réalisé, notamment la grande maison d'Aton, lieu saint et mystérieux de la divinité du roi et centre du culte. Un autre temple est construit, le château d'Aton, doté d'une fenêtre d'apparition. La capitale fonctionne alors comme principale résidence royale. Entre l'an VIII et l'an XII (-1 346), Akhenaton fait une nouvelle fois évoluer le dieu - soleil, en expurgeant son nom de toute référence à Horakhty (le faucon) et à la plume de Chou (la lumière). En l'an XII, les représentants des Etats vassaux et des grandes puissances d'Asie, d'Afrique et de l'Egée se rendent à Akhetaton pour y apporter des présents destinés au pharaon et lui demander sa bénédiction. Ce qui prouve qu'à cette date, et au nom du seul Aton, il contrôle l'empire d'Egypte. Sur le plan familial, pendant les neuf premières années de son règne, Néfertiti, la Grande Epouse royale d'Akhenaton, a donné naissance à six filles. Puis, en l'an XIV (-1 344), Néfertiti disparaît de la scène. Peu avant ou peu après, c'est la mère d'Akhenaton, Tiyi, qui meurt, suivie de près par la deuxième de ses filles.

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C'est alors Kiya, une épouse précédente de son père, qui acquiert les charges de grande épouse royale. Akhenaton est préoccupé par sa succession. Il n'a pas d'héritier. Sans doute est-ce pour cela qu'il a des relations sexuelles avec ses filles aînées. Il devient ainsi le père d'au moins deux filles. Apparaît alors un "fils du roi, né de son corps, Toutankhaton" dont on ne sait qui est le père (Aménophis III? Aménophis IV?) ni qui est la mère (Tiyi, malgré son grand âge, Néfertiti, Kiya?). Toujours est-il qu'Akhenaton promeut sa fille aînée au rang d'épouse royale, dont il a, peut-être, une fille. Curieusement, en l'an XV (-1 343), peu après que Akhenaton a eu pris comme épouse la princesse suivante Ankhespaaton, un nouvel acteur apparaît au grand jour, le co-régent Néfernéférouaton qui deviendra Smenkhkaré après la mort d'Akhenaton. D'où vient-il? Qui est-il? L'énigme est encore totale. Il est né avant -1 358. Est-ce le frère aîné de Toutankhaton? En tout cas, c'est en le prenant comme co-régent que Akhenaton résout le problème de sa succession. Au demeurant, c'est en épousant Méritaton (fille d'Akhenaton et de Néfertiti) que Smenkhkaré sera réputé appartenir à la descendance royale. La fin du règne d'Akhenaton est une succession de décès dus sans doute à une épidémie. Sur le plan politique, l'influence de l'Egypte en Syrie et en Canaan semble près de s'écrouler. Après les vendanges en l'an XVII (-1 341), Akhenaton disparaît dans des circonstances totalement obscures. Contrairement à la tradition, il n'existe aucun compterendu officiel de sa fin. Toutefois, selon l'égyptologue Ahmed Osmanloo, il existerait une preuve architecturale qu'Akhenaton fut forcé d'abdiquer, à la suite d'un coup d'état militaire. Osman fait référence aux inscriptions identifiées par Alain Zivie, après que celui-ci eut découvert la tombe de 88

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Maïa, la nourrice de Toutankhatonlol. On y verrait le "cabinet d'un roi composé presque intégralement de généraux d'armée ayant gagné leur puissante position et étant montés sur le trône à la suite d'un coup d'état militaire". Parmi eux: Aï, Horemheb et Ramsès 1er. 2. La réforme religieuse Karl Krauss a montré 102 que "l'hérésie d'Aton" avait toléré, sans toutefois les adorer, d'autres divinités du panthéon égyptien, comme Atoum, Ptah, Sokar et même Osiris dans certains tombes thébaines. Par ailleurs, récemment, Alain Zivie, s'appuyant sur la découverte de sépultures de très hauts personnages ayant vécu sous les règnes d'Aménophis III et d'Akhenaton, a jeté un nouveau regard sur la réforme religieuse amarnienne. Il a, en effet, mis à jour la tombe d'un vizir nommé Aper-El (diminutif: Aperia), de son épouse, Taouret ou Ouria et d'un de leurs fils, un général en chef nommé Houy. Aper-El fut nourricier des enfants royaux et "père du dieu" ou "père divin", comme Youya, père de la reine Tiy et beau-père d'Aménophis III. Mais il fut surtout le vizir du pharaon d'Aménophis III, gouverneur de Memphis, deuxième personnage de l'Etat au Nouvel Empire et précepteur du pharaon Aménophis IV, quand celui-ci se transforma en Akhenaton l'hérétique, le schismatique. Il servait le Dieu El. Il mourut en l'an X du règne d'Akhenaton. Or le Dieu Ilu (El en hébreu) apparaît à la tête de la religion de Ras-Shamra (Ougarit), ville située sur le territoire qu'on appelle "Syrie" dans des textes rédigés bien avant le XIIIe siècle avant notre ère. El y est "le père des dieux", le "créateur des créatures". Il préside l'assemblée des dieux. Son épouse est Atiratu (en hébreu Aserah), cette déesse qui, d'ailleurs, fera son apparition dès le règne d'Aménophis III. 89

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"Le "El père", Dieu suprême, est loin de faire connaître ses volontés et il est soumis à l'action d'autres puissances cosmiques" 103. Il n'est donc pas question de l'ériger en Dieu unique qui aurait inspiré le monothéisme d'Akhenaton, mais il s'agit de tenter de se représenter la co-existence de dieux d'origine diverse dans la représentation mentale des Egyptiens, à un moment où le monothéisme d'Akhenaton se met en place et tente d'éliminer la plupart des dieux du Panthéon égyptien. En résumé, la réforme religieuse d'Akhenaton se caractérise par un double mouvement: le début d'une table rase monothéiste du panthéon égyptien et le commencement d'une reformulation égypto-sémitique du divin, entreprises interrompues seulement par la chute du souverain. 3. La malédiction jetée sur Akhenaton après sa mort Smenkhkaré règne à Amarna pendant trois ans (13431340). Son devoir est d'inhumer Akhenaton selon les traditions de la nouvelle religion égyptienne, dévolue à Aton. Sa responsabilité est de concrétiser la rupture radicale avec la tradition dynastique de creuser la tombe royale dans les collines occidentales du territoire d'Amon à Thèbes, et d'inhumer le roi dans le ouâdi royal à Akhetaton, là où le soleil levant amène chaque jour le monde des défunts et celui des simples dormeurs à une vie nouvelle. Or les traces archéologiques de cette tombe révèlent qu'au mieux elle n'avait pas été terminée pour recevoir la dépouille du roi, et qu'au pire, il n'a jamais été question, pour son successeur, de l'y inhumer. Il n'y a, en effet, aucune trace de la dépouille d'Akhenaton dans cette tombe, si tant est, d'ailleurs, qu'il reste une trace de la tombe même. Tout montre que Smenkhkaré n'avait pas pu

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ou pas voulu suivre l'enseignement d'Akhenaton sur le nouveau paradigme la vie/la mort (nous allons l'étudier plus loin) et être le premier roi égyptien à les mettre en application. Avec la dépouille d'Akhenaton, ce sont donc les nouveaux rites funéraires amarniens qui sont effacés. Nous l'avons vu, Smenkhkaré abandonne les noms qui se réfèrent au règne d'Akhenaton et se fait appeler par ce seul nom. Il opère donc une rupture nette avec la doctrine religieuse d'Akhenaton, tout en demeurant à Amarna et en épousant une autre de ses filles, après la mort de Méritaton. Pour le dire autrement, il continue de revendiquer son appartenance à la descendance royale, mais il en exclut Akhenaton. Il reprend à son compte l'héritage armarnien, puisqu'il vit à Akhetaton, mais jette dans l'oubli le nom de son fondateur. C'est le premier acte d'effacement d'Akhenaton de l'histoire d'Egypte. Il est probable que, s'il avait vécu suffisamment, il eût réintégré les lieux traditionnels d'accueil de la royauté égyptienne. Mais, en l'an -1340, Smenkhkaré (qui a régné seul pendant 1 an) meurt dans des conditions inexpliquées. On pense que la dépouille que les égyptologues découvrirent dans la tombe 55 de la vallée des rois, et dont ils pensèrent tour à tour que c'était une femme, puis un homme, la reine Tiyi ou Kiya, n'est pas celle d'Akhenaton mais de Smenkhkaré. Quoi qu'il en soit, la vallée des rois est bien ce lieu funéraire traditionnel. Certains pensent, sans aucune preuve, que les inhumations des deux rois (et même celle de Toutankhamon qui leur succède) ont eu lieu à Amarna et que ces pharaons furent réinhumés dans la vallée des rois. Ce qui, de toute façon, signifie que la restauration théologique, et le renversement, sans doute physique, d'Akhenaton avaient bien eu lieu, et sur la question des rites funéraires. C'est cette querelle théologique (dont les surdéterminations

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sexuelles sont également décisives, comme je vais le montrer) qui est à l'origine de l'anathème qui a été jeté sur le règne hérétique d'Akhenaton. Cet anathème, j'en trouve la trace non seulement en appui sur une "archéologie du disparu" dont les indices sont ceux que je viens de résumer, mais à l'aide d'un texte que, peu après avoir succédé à Smenkhkaré, Toutankhaton a édicté au titre de son premier décret, et qui est connu sous le nom de "Stèle de la Restauration". Ce pharaon qui accède au trône à l'âge de huit/neuf ans, et dont le mentor est Aï, porte encore le nom de Toutankhaton qu'il avait du vivant de Akhenaton, et le disque rayonnant d'Aton n'est pas effacé du dossier du trône, mais, dès son accession, il est aussi appelé Toutankhamon. Ce qui veut dire qu'il est allé plus loin que Smenkhkaré, qu'il a réintroduit Amon et rétabli Thèbes, et surtout Memphis, dans ses prérogatives. La découverte de la tombe de Maïa à Saqqara par Alain Zivie confirme que les institutions royales memphites ont survécu au règne d'Akhenaton et à celui de ses successeurs immédiats. En effet, dans un même élan, Toutankhamon déménage la Cour des deux rois précédents à Memphis. Bien plus, il édicte, à Karnak-est, cette "Stèle de la Restauration", qui décrit la situation à laquelle il doit faire face, lors de son accession au trône. D'une extrémité à l'autre de l'Egypte, les temples sont à l'abandon; le pays est sens dessus dessous du fait de l'indifférence des dieux offensés qui ont tourné le dos à l'Egypte à cause de ce qui s'est passé sous Akhenaton. Les expéditions militaires ont échoué; quant aux prières et aux suppliques, elles demeurent sans réponse. Aï, qui est seul à posséder la clef de l'interprétation du message des dieux, développe l'idée que le Clergé qui a suivi Akhenaton s'est aliéné les dieux. Au lendemain de la disparition d'Akhenaton, l'Egypte ne

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mesure donc pas seulement sa puissance créatrice, mais aussi et surtout sa puissance destructrice. Peu à peu, sous les autorités des pharaons qui succèdent à Toutankhamon, mort, en -1331, d'une flèche qui avait pénétré dans son crâne, et en particulier sous l'autorité d'Aï (1331-1326), puis d'Horemheb (1326-1299), de Ramsès 1er, de Séthi 1er, puis de Ramsès II, le règne d'Akhenaton devient aux yeux de l'histoire un "règne maudit". g) La lecture traditionnelle de la pechanalyse104

1. Akhenaton au coeur d'un conflit psychanalytique Le premier psychanalyste qui s'est intéressé de très près à la vie et à l'oeuvre d'Akhenaton est Karl Abraham (18771925). Ce psychanalyste allemand était un élève de Carl Jung (1876-1961) auprès de qui il étudiait les théories de Sigmund Freud (1856-1939), à l'époque où Jung était lui-même encore le disciple de Freud. C'est l'époque où la psychanalyse accède à des matériaux qui ne concernent pas seulement l'homme des temps présents, mais celui que l'on appelle "préhistorique". Il s'agit de trouver dans les événements de l'antiquité des faits qui prouvent que la névrose de l'homme moderne a ses racines dans la nature inconsciente de la préhistoire et dans les récits préconscients de la mythologie et de la religionios. La psychanalyse reçoit la tâche de rendre conscientes la préhistoire, la mythologie et la religion. Vaste programme (auquel, d'ailleurs, Freud rajoute le politique). Or, tandis que Freud veut vérifier sa théorie du fantasme de la mère phallique (dont la déesse, égyptienne Moût est l'image) dans la vie et l'oeuvre de Léonard de Vinci, et que Jung se met à étudier la mythologie de long en large, Karl

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Abraham n'hésite pas à ériger Akhenaton en un grand homme qui confirme ce que la psychanalyse enseigne sur le conflit oedipien. Le diagnostic d'Abraham est le suivant: Le pharaon était un grand réformateur et un grand prophète, mais il dût son illumination au fait d'être dominé psychiquement par l'hostilité envers son père et par un fort attachement à sa mère. Freud réagit, ainsi : "j'ai lu votre étude égyptienne avec le plaisir que je trouve toujours à votre manière d'écrire et de penser. Je voudrais seulement vous présenter deux suggestions. Vous maintenez, je le vois, que lorsqu'une mère est particulièrement éminente, le conflit avec le père prend un caractère atténué. Personnellement, je n'en possède pas la preuve et dois supposer que vous en avez acquis une expérience particulière. Comme je ne suis pas convaincu, je dois vous demander de réviser votre étude. En second lieu, je m'inquiète de vous voir présenter le Roi comme un névrosé incontestable, ce qui contraste très fortement avec son énergie et son oeuvre extraordinaire... Mes connaissances historiques ne me permettent pas de décider si Amenhotep IV présentait des symptômes réellement névrotiques. Si vous en possédez réellement des preuves, vous devriez les citer toutes". Jung n'est pas étranger au différend. En effet, lors de sa dernière rencontre avec lui, en novembre 1912, et peu avant leur rupture, Freud en vient, au contraire, à souligner avec force la névrose du pharaon, visible dans son entreprise hostile d'effacement du nom de son père (Aménophis III) de tous les temples d'Egypte. Jung soutient, au contraire, que ce point n'a guère d'importance en regard de la fondation du monothéisme. L'émotion est telle que Freud s'évanouit. L'idée d'un complexe d'OEdipe se traduisant par une révolte

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du fils contre le père se laisse aisément construire, lorsque l'on constate qu'Akhenaton a effacé toute trace du nom de son père de son propre nom. Exit Aménophis. Le nouveau pharaon n'est plus un successeur (le numéro 4), mais une origine, il ne relaye plus une histoire familiale passée, mais en initie une nouvelle. Par ailleurs, c'est l'effacement du nom du père qui est à l'origine de la révolution religieuse qui se traduit par l'effacement du nom d'Amon par celui d'Aton, en l'an Xi-V. C'est ainsi que tous les béliers de Karnak seront décapités. Partout, le nom d'Amon est martelé. 2.

Akhenaton, Maître de Moïse

Pourtant, après 1912, cette hypothèse ne fait plus l'objet d'aucun travail systématique de psychanalyse appliquée. Comme si un interdit avait été lancé sur cet objet de recherche. En revanche, Freud se l'accapare, mais dans un cheminement extraordinairement complexe sur le plan psychique par lequel il tente de résoudre un des problèmes les plus difficiles qui lui est posé: expliquer historiquement l'origine du judaïsme. Effaçant lui-même toute trace du nom de Karl Abraham de ses travaux, Freud se met, en effet, à accumuler les preuves psychanalytiques selon lesquelles la révolution religieuse d'Akhenaton est à l'origine du judaïsme. Il y a de multiples raisons à cela. J'en isolerai deux: - Akhenaton est l'enjeu de la réponse à la question: que pense la psychanalyse de la mythologie? Pour damer le pion à Jung, Freud s'engage dans un immense travail de lecture et de décryptage de thèmes mythologiques. À l'horizon, l'interprétation psychanalytique du monothéisme. Il s'agit de montrer comment le

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monothéisme s'est arraché à la mythologie et comment il s'est imposé. - L'image d'Akhenaton rejoint l'image inconsciente d'un pharaon - Philippe d'Aridée (Philippe III de Macédoine) - dont le jeune Sigmund Freud avait rêvé, à l'âge de neuf ans et demi, et qui le hantait depuis. Cette hantise fait l'objet d'un cauchemar que Freud cite dans L'Interprétation des Rêves sans l'analyser de manière détaillée. Or, ce cauchemar qui est animé par des pulsions incestueuses du jeune rêveur envers sa mère, Freud en a trouvé les images - égyptiennes - dans La Bible des Philippson, ouvrage à nul autre pareil, puisqu'il se compose du texte hébraïque, de sa traduction allemande, de commentaires savants et d'illustrations de dieux et de scènes païennes, au milieu desquelles figurent quelques scènes saintes. Bref, Akhenaton vient ranimer le questionnement angoissé de Freud sur les origines religieuses du peuple juif. Pendant vingt-deux ans, Freud construit une nouvelle relation avec la figure de l'Egyptien qui le hante depuis son enfance. Dans un premier temps, il contre-investit la figure d'Akhenaton, venue remplacer celle de Philippe III, en lui opposant un héros anti-égyptien: Moïse. Mais, pour que ce Moïse soit bien un compromis avec l'Egyptien, il en fera un Moïse juif non-biblique. En 1914, il écrit une étude, Des Moses des Michelangelo, qui paraît de manière anonyme dans la revue Imago. Ses intimes ne sauront que six ans plus tard que c'est lui qui l'a écrite. Puis, dans un second temps, c'est-à-dire en 1934, il transforme ce Moïse juif non biblique en Moïse juif égyptien.

L'ensemble de cette réflexion le conduit à publier L'homme

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Moïse et la Religion Monothéiste, en 1939. Dans cet ouvrage, composé de trois essais, Freud cherche à démontrer que Moïse a donné aux Israélites une religion égyptienne, non pas celle d'un polythéisme illimité et condamnable qu'enfant, il a découvert dans la Bible des Philippson, mais un monothéisme, inventé par le pharaon Akhenaton, la religion d'Aton, dont, au demeurant, cette Bible, comme tous les commentaires juifs ignorent l'existence. Il conclut que: - L'identité de la religion juive ancienne et de la religion d'Aton s'appuierait sur le refus de l'au-delà et d'une vie après la mort -

Les deux religions recourent à la circoncision,

- Étant donné l'échec d'Akhenaton, la religion juive ancienne serait un dédommagement de la catastrophe qu'a connue la religion d'Aton, lorsqu'elle a été renversée par le clergé d'Amon. Pour Freud, Akhenaton cesse d'être un personnage historique pour devenir la figure imaginaire du psychanalyste qu'il n'a jamais eu et qu'il a toujours souhaité avoir (son ami Ferenczi a d'ailleurs refusé de jouer ce rôle). Dans la vie de Freud, nombreux sont les grands hommes qui ont joué ce rôle épisodique: Moïse, Alexandre le Grand, Hannibal, Léonard de Vinci, Spinoza, Goethe, Dostoïevski, Romain Rolland. Freud a souvent établi une relation de transfert vis-à-vis de certains des désirs de ces analystes imaginaires. Mais l'enjeu est différent. Freud veut camper le personnage d'Akhenaton pour mettre à jour ses propres désirs profonds vis-à-vis du judaïsme : parvenir à expliquer de la manière la plus scientifique possible pourquoi il reste j uif106. Le problème est que le travail de Freud est très limité.

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Toute sa thèse tourne autour de l'idée suivante : le Schema Israël (le credo juif) devrait se lire "Ecoute, Israël, notre dieu Aton (Adonai) est un dieu unique". L'intuition, nous le verrons plus tard, est géniale. Elle est fondée sur une immense expérience d'écoute de l'expression linguistique de l'Inconscient, qui seule justifie d'oser avancer une hypothèse aussi simple et contestable. Mais, elle ne s'appuie sur aucun document archéologique. Bien plus, elle n'est fondée sur aucun des acquis de la psychanalyse. En effet, le plus curieux est que Freud n'applique aucun des enseignements de la psychanalyse à Akhenaton. Il aurait pu tirer parti de la piste OEdipienne, mais, pas un seul instant, il ne songe à la creuser. C'est donc bien la preuve que, pour lui, Akhenaton est en position transférentielle inconsciente. Nous devons, dès lors, revenir à la fois sur l'archéologie du disparu (Akhenaton) et surtout en dégager le sens religieux, si nous voulons valider ou invalider l'hypothèse de Freud, selon laquelle l'origine du judaïsme ne peut se comprendre sans être référée à Akhenaton. h) La liquidation du transfert sur Akhenaton

1. Les nouvelles données archéologiques du disparu Le premier bouquet d'indices archéologiques qui nous donnent l'occasion de nous libérer du transfert de Freud sur Akhenaton, nous le trouvons dans ce que nous avons appris depuis l'époque où il a écrit son Moïse.

- Comme je l'ai déjà signalé, on a trouvé une trace archéo-

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logique de l'identité du grand Dieu qui se tient sous le nom d'Adonaï, à savoir le "Tétragramme" imprononçable par les Juifs, mais seulement sous la forme de trois lettres YHIF qui, selon les spécialisteslo 7, appartenaient aux Shasou, ces Bédouins dont nombreux sont les historiens qui pensent qu'ils font partie des ancêtres des Hébreux, et cela dès le règne d'Aménophis III (1384-1346), et peut-être plus tôt. Ce qui veut dire que, comme sujets du pharaon, les Shasou adoraient le roi Aménophis III sous le nom divin de Yahoulos. - Comme nous l'avons vu plus haut, l'ensemble de la réforme religieuse post-Akhenaton à été conduit de main de maître par le Divin-Père Aï. Cyril Aldred est catégorique : "Dans cette conjoncture difficile, Aï a dû décider de rompre définitivement avec le passé amarnien... le cerveau qui était derrière tous ces nouveaux arrangements (à l'époque de Toutankhamon), était certainement Aï... c'est probablement à ce moment, plutôt qu'au début du règne, que la famille royale d'Amarna fut réinhumée à Thèbes" 109 . Sur la piste de Freud, nous n'avons donc aucune difficulté à dire que le signifiant "Adonaï" qui figure dans le credo juif est une composition d' "Aton" et d' "Aï". - Certes, on ne trouve aucune trace archéologique d'un nouveau dieu qui, à l'époque d'Aï, s'appelait "Aton-Aï", mais cela ne veut absolument pas dire qu'il n'existait pas après la mort de ce pharaon, au moins dans le discours religieux. On peut même penser que ce nouveau concept divin a émergé sur le "Mont Sin-aï", là où le général Paramessou, qui briguait la succession du pharaon Aï, l'a enterré et divinisé, tandis qu'il était en rivalité avec Horemheb qui sut le précéder dans l'accession au trône. Ce nouveau concept a été élaboré dans un esprit syncrétiste qui reprend les formes divines

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d'Akhenaton et de Aï. Dans cette optique, c'est Paramessou, le futur Ramsès I er qui aurait élu Aton-Aï, ce nom de Dieu qui serait devenu "Adonaï", plus tard et en raison d'une consonance sémitisée. Nous savons qu'Aï avait lui-même commencé une synthèse religieuse entre Aton et Amon. Les Hymnes à Aton que l'on a découverts dans sa tombe montrent bien son attachement vis-à-vis de la religion d'Akhenaton. Il y a adhéré à l'époque d'Amarna, lorsqu'il était un des plus hauts dignitaires de la Cour. Mais il l'a aussi sérieusement amendée, lorsqu'il a contrôlé toutes les pratiques religieuses qui se sont précisées sous Toutankhamon (dont tous les égyptologues s'accordent à dire qu'Aï était le maître spirituel et le tuteur). Après Aï, le nouveau pharaon Horemheb a instauré la contre-révolution. - La religion d'Akhenaton a donc été revue et corrigée par Aï. Le nom même d'Akhenaton a été occulté, voire effacé des archives égyptiennes, même si des emprunts seront faits ultérieurement par Ramsès I er, Séthi I er et surtout Ramsès II à sa représentation religieuse, mais il a été conservé disséminé sous les noms bibliques de Dieu. On peut penser que la religion d'Adonaï n'a pas totalement disparu sous Horemheb et qu'elle a été repensée bien plus tard dans un contexte spirituel et un lieu géographique différents. Selon cette hypothèse, à l'origine du judaïsme, il y aurait donc l'invention inouïe d'une synthèse par Moïse, de YHW, d'Aton, d'Amon, d'El et d'Aï qui aurait culminé dans le nom de Dieu YHWH. Les fils d'Israël en auraient fidèlement restitué les péripéties historiques et spirituelles dans les cinq premiers Livres de la Bible, mais en disséminant et dissimulant le nom de l'inventeur du monothéisme : Akhenaton. - L'archéologie révèle que c'est seulement de la fin du

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VIIe siècle avant notre ère que date la réforme religieuse qui a abouti au monothéisme juif, débarrassé de tout syncrétisme, et pour lequel Dieu ne pouvait se représenter ni sur terre ni dans le ciel, ni comme végétal, ni comme animal, ni comme homme, ni comme astre. Il y a donc tout lieu de penser qu'entre l'abandon forcé d'Akhetaton et la dissémination des prêtres monothéistes (dont feront partie les Gabaonites du Livre de Josué) aux quatre coins de la Méditerranée (vers 1 325 avant notre ère au plus tard, mais les traces archéologiques de cet exode ont disparu) et la rédaction définitive des récits qui racontent l'origine du peuple hébreu (Vile siècle avant notre ère), la transmission du syncrétisme israélite s'est faite exclusivement par la voie orale. - En effet, ce serait une grave erreur que de conclure que les origines du judaïsme ne remontent pas en deçà du VIIe siècle. Comme je l'ai dit plus haut, on connaît l'existence de la Stèle de Mineptah, ce pharaon qui succéda à Ramsès II et qui, en l'an V de son règne (vers 1 207 avant notre ère) fit graver 28 lignes dont la partie principale rapporte les victoires obtenues par le pharaon sur les Libyens et qui, aux lignes 26 et 27, évoque la soumission des peuples asiatiques, tout en mentionnant Israël. Cette mention, unique dans les textes égyptiens anciens, révèle l'existence d'un groupe de gens plus ou moins sédentarisés dans le nord du pays de Harou. Il est probable qu'à cette date, Israël est déjà une synthèse importante de plusieurs groupes de populations, dont nombre de Shasou et d'Apirou et d'Egyptiens monothéistes, et qu'il s'est donné un corpus oral constitué des récits et interprétations relatifs à tout ce qu'ont vécu ceux qui se font appeler "Ibrim" (Hébreux), mot placé dans la bouche d'étrangers parlants d'Israël ou utilisé par les fils d'Israël, lorsqu'ils s'adressent aux étrangers. Claude Hagège a, d'ailleurs, 101

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rappelé que s'il n'existe pas de corpus écrit de l'hébreu prébiblique, on possède cependant "plusieurs centaines de toponymes et de mots isolés, transcrits en syllabaires akkadien et égyptien"llo. Il s'agit de documents récemment mis au jour près du Caire, les gloses de Tell el Amarna, soit quelques 80 traductions en hébreu jointes à des lettres adressées par les pharaons Aménophis III et Aménophis IV/Akhenaton à leurs légats ou alliés en Canaan. "Apparemment, dit Hagège, le scribe hébréophone notait en hébreu, dans la marge, les traductions exactes de termes akkadiens dont le sens, pour lui, n'était pas sûr". Le mystère porte donc sur la question suivante : comment l'hébreu est-il devenu le médium de la synthèse de YHW, d'Aton, d'Amon, d'El et d'Aï et de son dépassement par la découverte du nom AHWH, puis YHWH ? De récents travaux nous permettent de commencer à répondre à cette question. J'ai rappelé plus haut, qu'un code de translittération linguistique avait été récemment mis à jour111 qui donne la clef du principe d'écriture qui préside à "l'assemblage d'histoires, de légendes, de textes de lois, de poèmes, de prophéties, de réflexions philosophiques composés pour la plupart en hébreu (exception faite de quelques passages écrits en araméen, dialecte sémitique proche de l'hébreu, qui, à partir de l'an 600 avant notre ère, servit de lingua franca au Moyen-Orient) 112 et de sa transformation en syncrétisme religieux." Il permet aussi d'identifier les principaux personnages des cinq premiers livres de la Bible par leurs significations intrinsèques, sans qu'il soit possible d'en déduire la reconstitution véridique des faits, mais seulement le principe de leur narration. Pour le dire autrement, rien de ce qui est avancé à l'aide de ce code ne peut être tenu pour vrai, tant qu'il ne trouve pas son correspondant archéologique.

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Tout porte à croire que le palimpseste des textes explicatifs du renversement religieux d'Akhenaton a été conservé oralement par les fils d'Israël, puis transmis par écrit, selon la voie interprétative juive, dans le texte de la Bible, lui-même interprété ultérieurement par le Talmud, le Zohar et tous les grands maîtres midrashiques, au rythme d'une révélation toujours recommencée. 2. L'OEdipe historique L'exigence de conserver ce palimpseste tenait à ce qu'Akhenaton avait, le premier, formulé par écrit une révélation monothéiste (du moins est-ce ce que l'archéologie démontre), mais celle de sa transmission était de tenir compte du sens et de l'interprétation de sa chute, de sorte que le monothéisme résistât à son effacement et devienne une base à partir de laquelle il serait possible de construire une autre révélation monothéiste. En effet, on n'a pas assez remarqué que l'invention du monothéisme n'a pas été qu'un acte sublime, mais qu'il s'est également accompagné d'actes profondément immoraux qui ont été à l'origine de la chute d'Akhenaton. Et c'est là, qu'à nouveau, le psychanalyste entre en scène. Le premier, Wladimir Granoff, en appui sur l'analyse d'Immanuel Vélikovsky, a tenté de démontrer qu'Akhenaton était un OEdipe historique, celui-là même que Freud était allé chercher dans la mythologie grecque et qu'il s'était bien gardé de trouver dans la Bible ou dans la mythologie égyptienne. Or, il avait sous la main, si j'ose dire, un pharaon incestueux qui faisait l'affaire. Granoff rappelle que, pareil à OEdipe, ce roi a les jambes enflées, qu'il est fils du soleil, qu'il prend le nom de son père, comme s'il était son propre père. Il ajoute que les représentations où il figure impliquent qu'il 103

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conserva pour lui les femmes du père, et l'âge des filles de sa mère crée un problème, qu'il eut deux reines, probablement jusqu'à la douzième année de son règne, Néfertiti et Tiyi entre lesquelles la rivalité politique mais aussi dynastique et conjugale était grande. Enfin, il précise que Thèbes fut (comme la Thèbes grecque) accablée par la peste, désastre envoyé par les dieux, et cela en rapport avec un événement dont la vérité était refoulée. Même la durée des règnes coïncide, conclut-il: dix-sept ans pour l'égyptien, une vingtaine pour le grec. Selon mes propres recherches 113 Akhenaton ne fut pas seulement un OEdipe historique, il alla très loin dans l'objectivation toute-puissante de ses fantasmes incestueux (ce que j'ai appelé le "complexe d'Akhenaton"), au point que, bien plus tard, le judaïsme dut débarrasser le monothéisme de cette honteuse origine. Il est impossible de comprendre le lien organique qui existe entre le monothéisme juif et l'interdiction obsessionnelle de l'inceste, si l'on ne sait pas que le monothéisme d'Akhenaton - dont le nom est effacé des textes juifs, mais que l'on peut retrouver de manière éclatée par l'intermédiaire du code de translittération dont j'ai parlé sous les noms du vertueux Abraham, mais aussi de l'incestueux Loth, par exemple - furent maudits pour avoir fait régner les abominations de l'inceste familial, de la nudité et du mensonge généralisés. C'est pour sauver le monothéisme que la religion juive effaça le nom de son inventeur. J'ai donné des éléments biographiques d'inceste familial, mais il me faut à présent donner d'autres détails, notamment ceux qui tiennent à sa représentation: je veux parler de la religion et de l'art amarniens.

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Voilà un héritier de la sagesse immémoriale d'Egypte qui, soudain, décide de révéler et d'abolir le message du mystère osirien, encrypté dans l'itinéraire initiatique du meurtre, du dépeçage et de la castration d'Osiris par son frère Seth, de sa vie éternelle comme souverain dans le royaume des morts et de sa résurrection en tant que son fils Horus, mais aussi de la détresse de sa soeur Isis qui rassemble les morceaux du corps de son frère, disséminés aux quatre coins du monde, qui reconstitue son phallus et assure sa résurrection en leur fils, en se faisant féconder par Osiris sous la forme d'une oiselle. En effet, Aménophis IV, qui ne se fait pas encore appeler Akhenaton, révèle au peuple que la vie et la mort ne sont pas deux vérités fondamentales, discontinues et opposées, comme dans le mythe osirien, mais deux faces d'un même phénomène unique et continu. Le vivant comme le mort est mort et vivant à la fois. L'eschatologie, ou discours sur la fin, se renverse en "primordialogie", ou discours sur le commencement. Dans le monde d'Aménophis IV, il n'y a plus que du commencement. Or, cette révélation n'est pas seulement intellectuelle, elle est également sensible et sensuelle. Car, ce pharaon qui se fait représenter sans sexe dans le Gempaaton de Thèbes poursuit le fou désire d'arraisonner la castration. Les égyptologues sont encore saisis d'effroi, d'admiration et d'étrangeté devant ce colosse qui parle pour des siècles et des siècles de l'identité sexuelle réelle et psychique d'Akhenaton. Certains pensent que c'était une femme, d'autres une personne asexuée, d'autres encore un eunuque, ou un androgyne, un homosexuel efféminé, un hétérosexuel souffrant de lipodystrophie ou du syndrome de Marfan. D'innombrables débats révèlent qu'un pharaon se faisant toujours représenter comme la nature l'avait fait, Akhenaton n'échappe pas à la règle, ou que ce fut justement son génie

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artistique de s'être fait représenter différemment, comme un homme castré, ou que l'anomalie de la castration (jamais nommée comme telle) dont il s'affuble est une hypostase du dieu-soleil primordial, quand ils n'indiquent pas que le colosse est seulement inachevé. Mais, pour le psychanalyste qui met en relation cette représentation avec la révélation des mythes immémoriaux, ce pharaon est le premier à décider de vivre dans sa chair, et pour le dépasser, le mythe originaire d'Isis et d'Osiris. S'il inaugure un nouveau discours religieux dont le commencement est le point d'orgue, c'est en tant qu'il écrit l'archi-écriturc d'un mythe vivant qui doit définitivement se substituer à l'ancien. Il y a longtemps qu'Anubis a cédé la place à Osiris. À présent, c'est à Aménophis IV de renverser le Roi des morts. La précédente eschatologie distinguait les dieux des humains, la nouvelle "primordialogie" transforme un humain, pharaon, en un dieu vivant. L'ancienne eschatologie contextualisait la référence et la préparation de la vie dans l'au-delà, la nouvelle "primordialogie" donne sens au temps d'ici et maintenant en le conceptualisant comme un au-delà de l'au-delà, un audelà d'où la signification de l'au-delà est exclue à jamais. L'ancien au-delà a vécu. La mort n'existe plus. Elle n'est plus un passage vers la vie de l'au-delà. L'au-delà est ce qui a été, le passé est un au-delà: il n'y a plus que de l'immédiat, de l'instantané, au moment même où pharaon décide que le monde doit vivre et continuer de vivre en plein soleil, à découvert, sous un ciel d'où toute ombre est bannie. Si Aménophis IV se fait appeler Akhenaton, ce n'est pas seulement parce qu'il est l'aimé d'Aton, mais parce qu'il est l'Aton vivant.

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Le pharaon vit donc à découvert, comme Adam au Paradis. La nudité triomphe, mais la nudité ne veut plus rien dire. Akhenaton parade sur son char, son épouse et ses enfants derrière lui, dans le plus simple appareil. Devant Dieu, la nudité n'a plus aucun sens. Akhetaton, la capitale qu'il a créée ex nihilo, d'abord avec l'accord de son père, puis contre lui, n'est pas seulement le lieu de son apparence, elle est le lieu de toute apparence. C'est un apparoir. Rois et Reines étrangères, princes et magiciens, artistes, tous se pressent en Akhetaton pour exister au grand jour. Hors d'Akhetaton, il n'y a que néant. Car Akhenaton est celui qui fait qu'il y a de la vie en toute éternité. Il est donc le roi-dieu de son père et de tous les pharaons qui l'ont précédé. Akhenaton réinvente une généalogie. Il n'est pas seulement le commencement d'une généalogie, mais le principe généalogique même à l'origine de toute généalogie passée et à venir. Aussi est-ce tout naturellement à l'art et à l'artiste qu'il confie le soin de sculpter la métaphore charnelle de ce commencement absolu. D'où la symbolique des rayons. Toutes les représentations du lien intime qui est établi entre le dieu-soleil Akhenaton, sa famille et le monde, démontrent qu'Akhenaton est sous l'emprise d'un fantasme de toute-puissance qui rompt toutes les barrières existant entre le moi et la réalité extérieure. Seul son rang de pharaon lui donne la possibilité de mobiliser la religion et l'art pour limiter psychiquement sa psychose intérieure laquelle ne s'en épanouit pas moins à l'extérieur. D'aucuns ont voulu réduire l'art amarnien à une invention qui a seulement puisé dans les réserves de l'imagerie ancestrale de PEgypte pour s'exprimer, mais ils ont confondu emprunt et généralisation. C'est ainsi que pour matérialiser la représentation de ce lien exclusif qu'il a avec Aton,

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Akhenaton fait représenter les rayons du soleil comme autant de bras que terminent des mains. Comme si Pharaon et l'Egypte étaient maintenus en vie par une masturbation permanente. Mais, il me faut aller plus loin. Il ne représenta pas seulement le lien intime qu'il avait avec Aton, le père, mais celui qui l'unissait à Tiyi, sa mère, la mère des mères, par la beauté, l'intelligence et la persévérance dans la vie. On sait que, du vivant d'Aménophis III son époux, Tiyi fut l'incarnation d'Hathor ; déesse de l'amour, de la joie, de la mort et du nouveau devenir, celle-là même qui, dans la création divine, incite le soleil initial Atoum à se masturber pour créer sa descendance. Or, après la mort du père d'Akhenaton, celui-ci poursuivit le même schéma. Bien que sa mère ne vivait pas à Akhetaton, le nouveau pharaon lui consacra un temple et un palais dans sa capitale. Certains égyptologues n'écartent pas l'idée que sa fille Baketaton soit née de l'union charnelle hiérogamique entre la mère et son fils, même si beaucoup préfèrent atténuer le choc de l'inceste. D'autres constatent que bien après la mort d'Aménophis III, sa veuve conserve un harem dont elle est le personnage principal, non pour le défunt monarque, mais pour Akhenaton. Mais, il est un indice qui ne trompe pas : Akhenaton a, en effet, arraché la dépouille de sa mère à la tombe où elle fut inhumée (hors d'Amarna), pour la transférer et la faire inhumer à nouveau dans la tombe royale d'Amarna, celle-là même dont toute trace a disparu. Des égyptologues refusent de voir une damnatio memoriae dans le bris de sarcophage de Tiyi qui survint, lorsqu'elle fut transférée puis inhumée une troisième fois dans la tombe de son mari, Aménophis III, après l'exode d'Amarna, et après que la dépouille d'Akhenaton eut ellemême disparu. Ils s'accrochent désespérément au mythe d'un "culte mémorial et affectif qui aurait caractérisé la période

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armarnienne" 114. Pourtant, il faut y voir l'ultime acte manqué d'une conduite incestueuse qui n'eut pas seulement la procréation pour enjeu, mais une jouissance éternelle. En conclusion, les égyptologues ont renoncé à trouver le fil conducteur qui a mené l'art amarnien des premières et traditionnelles représentations d'Aménophis IV au colosse castré, puis de ce colosse aux représentations d'Akhenaton, où il apparaît le visage étroit, d'une forme oblongue, accentué par de hauts couvre-chefs et une barbe postiche, les yeux étirés, en amande, la mâchoire lourde, les oreilles épaisses, les joues creuses, les pommettes saillantes, les lèvres charnues, un torse, des bras et des jambes chétifs, de larges hanches, des grosses cuisses, des seins gonflés, une taille fine et un estomac rentré. Mais, pour le psychanalyste, tout porte à croire que ce fil conducteur a été sa volonté d'illustrer sa pulsion incestueuse. Il faut se représenter l'art pré-amarnien, puis amarnien comme un chemin initiatique qui conduisit Akhenaton de la castration du fils jusqu'à sa métamorphose en père-mère de l'humanité, au sens propre et non plus au sens figuré.

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Notes du chapitres III 68 Ms.fr.3958/I. Cahier d'écolier intitulé Niebelungen. Cité par J.Starobinski, in Les mots sous les mots, Paris, Gallimard, 1978, p.17. 69 Ibid 70 In Lettre à Lou Andréas Salomé du 6.1.1935, in Lou Andréas-Salomé correspondance avec Sigmund Freud, Paris, Gallimard, 1978. 71 Dans le même ordre d'idées, Martin Buber écrit que la légende n'est pas l'histoire, mais qu'elle n'est pas une fiction non plus (in Moïse, Paris, 10-18). Elle est une "mythification de l'histoire". 72 Ce code est exposé dans Messod et Roger Sabbah, Les Secrets de l'Exode, Paris, Jean-Cyrille Godefroy, 2001. 73 Ibib p.22 74 J.Starobinski, in op.cit., p.53. 75 Sur cette hypothèse, lire surtout P.Montet L'Egypte et la Bible, Delachaux et Niestlé, Neuchatel, 1959, R.P. de Vaux, Histoire ancienne J.Gabalda et Cie, 1971, et M.Bucaille, La Bible, Le Coran et la Science, Agora, Paris, 2002 76 J.Mélèze Modzlewski. 77 In Moise et Pharaon, Paris, Agora, 2002. 78 Comme le fait Maurice Bucaille, in op.cit., p.53. En effet, cette inscription délibérée porte sur un nom et n'a rien à voir avec celle que commet le scribe, lorsqu'il mentionne l'existence de chameaux à une époque où il est établi qu'il n'y en avait pas en Egypte. 79 In Hymnes de la religion d'Aton, Paris, Le Seuil, 1995, p.67, note 120. 80 Ainsi Maurice Bucaille qui écrit : "Il est donc sage de ne pas tirer de déductions formelles des investigations archéologiques sur le site supposé de Pitom. Très différente est la portée de ce qui suit concernant PiRamesses..." in op.cit. p.105. En revanche, Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman y voient la forme hébraïque de Pr-Itm ("la Maison du Dieu Atoum"), mais il est vrai qu'ils tiennent l'Exode pour une "saga qui n'est pas une vérité historique, mais pas non plus une fiction littéraire". 81 Lire de Jean Yoyotte, La Campagne Palestinienne du pharaon Merneptah. Données anciennes et récentes, in La Protohistoire d'Israël, Paris, Cerf. 82 Rolf Krauss in Moivre le Pharaon, Paris, 2000, p. 237. 83 A propos de la trouvaille et des observations de Frank J.Yurco sur les dix tableaux qui figurent à Karnak et qui complètent notre information sur la Stèle de Mineptah, Yoyotte écrit qu'elles présentent "l'avantage de dissocier une fois de plus le témoignage égyptien qui nous est parvenu de

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NOTE DU CHAPITRE III

Mineptah et les problèmes posés par la sortie d'Egypte", in idem, p. 116. 84 In op.cit., p. 78. 85 André Lemaire, in Aux angines d'Israël : la montagne d'Ephraïm et k territoire de Manassé (XIII-Xième siècle av.J.C.) in La Protohistoire d'Israël, les Editions du Cerf, Paris, 1990, p.256. 86 Alain Zivie, in Ramsès II et l'Exode : une idée reçue ? in Le Monde de la Bible, Paris, folio histoire, 2000, p.458. Marc-Alain Ouaknin définit la Aggada en ces termes : "Elle n'embrasse pas seulement l'homélie, la prédication et l'exégèse édifiante de la Bible, tout ce qui parle au coeur pour le toucher, à l'esprit pour le persuader : mais on y retrouve l'histoire réelle ou légendaire (chroniques de la destruction du Temple) ainsi que des notions sur les sciences les plus variées (mathématiques, astronomie, physique, médecine, histoire naturelle, botanique). On y trouve l'exposition du symbolisme des rêves et leurs interprétations, différentes avis concernant la fin des temps, l'époque messianique, la résurrection des morts, etc. Faisons aussi appel à l'étymologie : la Aggada, c'est le Dire dans toute son étendue, le Dire par excellence", in Introduction à la littérature talmudique, Aggadoth du Talmud de Babylone, la source de Jacob - 'Ein Yaakov, Paris, Verdier, 1982, p.17. 87 In Claude Vandersleyen, in L'Egypte et la vallée du Nil, tome 2, Nouvelle Clio, Paris, PUF, 1995, p. 233. 88 Idem, p. 234. Vendersleyen ajoute une autre coïncidence avec l'éruption de Santorin. 89 Ibid. 90 Idem, p.149. 91 In op.cit, p. 576. 92 Idem, p. 579. 93 In Moïse k Pharaon, Paris, Editions du Rocher, 2000, p. 133. 94 Voir le parallèle entre l'histoire de Joseph et k Conte des deux frères, entre la naissance de Moïse et de Sargon, entre la fuite de Moïse et celle de Sinoué etc.. 95 Rolf Krauss, in op.cit., p.157. 96 Idem 97 Maurice Bucaille, in op.cit., p.56. 98 Seuil, 1997. 99 Cf : Alain Zivie, in op.cit., p.26. 100 In Au commencement était l'Egypte, Paris, Samie Megally Paris, Paris, 2001, pp.113 et sq. 101 In op.cit., pp.82 et sq.

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102 Je renvoie aux développements de mon livre Akhenaton sur le divan, Paris, Jean-Cyrille Godefroy, 2001. 103 Henri Gazelles, in Ougarit et la Bible, in Le Monde de la Bible, Paris, folio histoire, 2000, p.290. Plus tard, il y aura une équivalence entre El et Yahveh(Nomb, 23, 8). Mais ce sera à l'époque de Moïse. 104 Je reprends ici l'essentiel des acquits dont j'ai exposé la teneur dans Akhenaton sur le divan (op.cit.). Ces développements ont fait l'objet d'une conférence en prélude de la Première d'Akhnaten, opéra en deux actes de Philipp Glass, produit par mon ami Daniel Dollé à l'Opéra national du Rhin en septembre 2002. 105 Sur ce sujet, on peut consulter mon livre L'Illusion métabiologique, Paris, PUF, 1994. 106 Allusion au livre de Leo Strauss Pourquoi nous restons juifs (1962), La Table Ronde, 2001. 107 Selon J.Mélèze Modrzejewski, c'est sous ce Tétragramme réduit à trois lettres que les Juifs d'Eléphantine vouent un culte à leur Dieu en 500 avant notre ère (in op.cit.). Ce qui signifierait qu'ils auraient hérité d'une mémoire du nom de Dieu qui aurait effacé l'apport spécifique de Moïse quant au nom de Dieu. 108 Messod et Roger Sabbah, in op.cit. p.172. 109 In op.cit., p.292. 110 In Halte à la mort des langues, Paris, Editions Odile Jacob, 2000, p.272 et sq. 111 Messod et Roger Sabbah, in op.cit.. 112 Israël Finkelstein et Nier Asher Silberman, in La Bible dévoilée, Paris, Fayard, 2002, p.17. 113 Cette page reprend les idées qui sont présentes dans mon livre précédent Akhenaton sur le divan, op.cit. 114 Agène Cabrol, in Amenhotep III le Magnifique, Paris, Editions du Rocher, 2000, p.420.

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ChapitrelV

AKHENATON MONOTHÉISTE ?

Il existe une profonde controverse sur la conception du monde d'Akhenaton. Etait-elle vraiment monothéiste ? Quelles sont les thèses en présence? Les uns considèrent que la religion d'Akhenaton était dédiée à un seul dieu, mais que ce dieu n'était qu'un astre, et donc que c'est un paganisme, les autres qu'elle était dédiée à un dieu dont la spiritualité était au-delà du visible, mais que c'était le cas de tous les cultes égyptiens (notamment celui qui était rendu au dieu Amon) et donc compatible avec le Panthéon. Quelle que soit l'opinion que l'on se fasse, on voit donc qu'il n'est pas possible d'imaginer, comme l'avait fait Freud, que le judaïsme est un héritage direct de la religion d'Aton. On peut penser que le judaïsme a identifié toutes les contradictions de cette religion et en a refoulé les aspects qui expliquaient qu'elle soit compatible avec la perversion, puis qu'il en a tiré tous les enseignements, d'abord sous la forme d'un syncrétisme avec d'autres dieux, puis sous celle d'un monothéisme exclusif. Mais, il n'est pas possible d'imaginer (sauf à titre ludique) que si Akhenaton n'avait pas été empêché de mener sa réforme jusqu'au bout, il eût finalement élaboré le monothéisme juif. En effet, la forme achevée du monothéisme juif, qui fut longtemps une monolâtrie, n'a pas été engendré par la religion d'Akhenaton. Elle lui est même carrément opposée. 113

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L'essai monothéiste d'Akhenaton Le lecteur comprendra le nécessaire détour que je dois faire pour expliquer de manière psychanalytique ce que fut l'essai monothéiste d'Akhenaton et sa différence avec la monolâtrie de Moïse (la croyance dans le Dieu Un qui n'anéantit pas les autres), puis, a fortiori, avec le monothéisme juif (la croyance en l'existence du seul Dieu Un). Cette démarche suppose qu'il existe un inconscient du monothéisme ! Car le monothéisme a un Inconscient. On sait que les Egyptiens ont développé, dès le Me millénaire avant notre ère, une science de l'astronomie et une science du monde inférieur. Le monde que l'on observe et celui qui se dérobe à la vue, le jour et la nuit, la vie et la mort, ont été unifiés par leur savante religion polythéiste. Mais, c'est surtout l'exploration du monde inférieur qui est la particularité de la civilisation pharaonique, tant il est vrai que, comme l'affirme Erik Hornung, "la profondeur qui est sondée ici donne à l'Egyptien accès au monde de l'Inconscient". Les Egyptiens ont complètement éclairé l'espace intérieur de Pâme, notamment dans son rapport à la mort, "jusqu'à la frontière du Non-être... mais ils l'ont ressenti comme source de renouvellement journalier" 115 . Et l'auteur de conclure: "Cette intégration réussie de l'Inconscient leur conféra l'équilibre et la sereine humanité dont l'effet rayonne aujourd'hui encore, des oeuvres figuratives des Egyptiens et de leurs témoignages écrits". Si l'on admet avec Mircea Eliade qu'"on ne saurait mieux décrire la technique psychanalytique élaborée par Freud qu'en la qualifiant de descensus ad inferos, de descente dans les zones les plus profondes et les plus dangereuses de la psyché humaine" 116, alors, nous devons convenir que la religion égyptienne fut une psychanalyse dirigée, qui eut lieu dans l'esprit bien avant que dans la lettre.

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AKHENATON MONOTHÉISTE?

Or cette intégration s'est trouvé battue en brèche, lors de l'avènement du pharaon Akhenaton (-1358), qui se singularisa par l'invention d'une réforme religieuse profonde qui bouleversa d'un même mouvement le rapport au divin, à la vie et à la mort, et par la proclamation d'une foi que nous qualifions, depuis deux siècles seulement, de "monothéiste". "Pour la première fois dans l'Histoire, écrit Hornung, le divin est devenu un, sans une multiplicité complémentaire; l'hénothéisme s'est transformé en monothéisme". Mais, du fait que cette "hérésie" ne dura que quelques années (de la création de la ville d'Akhetaton à la substitution du nom de Toutankhamon à celui de Toutankhaton), "la religion égyptienne, conserva sa pluralité de dieux jusqu'à la fin, et ne devint jamais une foi monothéiste, même dans ses expressions "philosophiques" 117. Car, peu après que l'anathème eut été jeté sur le pharaon maudit, le panthéisme ramesside (XIXe dynastie) qui caractérisa la nouvelle théologie solaire officielle tint compte de certaines avancées de l'hérésie akhenatonienne, constatant "que toutes les "personnes" qui représentaient l'invisible relevaient de la même essence. On a pu écrire que l'un s'était fait millions", sans cesser d'être un, puisque le même nom, celui que nous traduisons par "dieu", pouvait en désigner toutes les formes" 118 . Qu'entend-on par "monothéisme égyptien" ? Pour répondre à cette question, nous ne devons pas oublier que les querelles théologiques qui s'inscrivent dans le cadre d'une civilisation qui est dominée par la mythologie ne se soucient pas encore d'ajuster des concepts et des théories, mais de répondre par des actions, des narrations, des fabulations et des mythes119. Les dieux sont donc, avant tout, des acteurs de l'Histoire. Or, en s'identifiant lui-même au dieu Aton qu'il avait élu de manière exclusive, Akhenaton (= "Je suis Aton") qui s'affirmait souverain du monde des morts autant que des 115

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vivants, en lieu et place du dieu Osiris, fut sans doute le premier acteur de l'Histoire à "décorporéiser" le divin et à le conceptualiser par la philosophie et non plus seulement par le rapport à la mythologie. Dans le même esprit, il en vint, par exemple, à conceptualiser l'harmonie qui prévalait, lorsque l'univers quitta les mains du créateur, en l'appelant "Maât", que l'on traduit toutefois trop rapidement par "vérité" et en l'écrivant d'une manière phonétique et non plus au moyen du signe représentant une femme assise avec une plume sur la tête 120." Ce n'est donc pas dans les explications des pharaons égyptiens que nous aurons une chance de trouver quelque argument théologique de type monothéiste. Comme la psychanalyse nous apprend qu'on découvre la vérité d'un désir non seulement dans les manifestations de sa réalisation, mais encore dans celles de son inaccomplissement (refoulement, oubli, symptôme), car, "les peuples heureux n'ont pas d'histoire", nous pouvons tenter de comprendre la vérité du désir du "monothéisme" d'Akhenaton à partir de son échec et des réinscriptions qui en ont été faites, depuis cette époque. S'il a existé une prise de distance vis-àvis de ce moment de nouveauté radicale et si des hommes et des femmes désireux d'en tirer les enseignements ont bel et bien existé, alors nous pouvons tenter l'aventure de comprendre ce qu'ils nous en ont transmis.

Un bouleversement complet des pulsions de vie et de mort Le lecteur me permettra d'achever le détour psychanalytique que j'ai commencé dans mon chapitre précédent. On a vu qu'à l'époque (1 912) où la psychanalyse se veut encore messianique et croit qu'elle va libérer l'humanité de ses névroses, un débat se déroule en son sein autour de la signification

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du monothéisme égyptien. S'agit-il de la rationalisation d'une névrose ou d'une sublimation? La discussion tourne vite autour de la personnalité du pharaon. Sigmund Freud, Karl Abraham et Carl Jung s'affrontent sur la question de savoir si, compte tenu de son "complexe paternel" Akhenaton n'est pas un "névrosé incontestable", plutôt qu'un "fondateur" 121. Influencés par l'apologie des historiens de l'époque, comme J.H.Breasted, et surtout par la dynamique qui consiste à mobiliser tous les arguments cliniques et anthropologiques pour asseoir le schibboleth du "complexe d'Œdipe" 122, ils sousestiment le fait que civilisation pharaonique ait pu atteindre le moment quasi-psychotique de la fabula rasa. Il en sera d'ailleurs de même, lorsque Freud, revenant à la fin de sa vie sur la psychanalyse du monothéisme égyptienl 23 , n'en retiendra que la dimension hautement spirituelle et scientifique. Or, les récentes recherches archéologiques soulignent aujourd'hui ce que Freud aurait pu, d'ailleurs, percevoir, à l'époque, sur les murs des tombes dédiées aux rois et dignitaires de l'époque amarnienne : la spiritualité religieuse d'Akhenaton fut l'expression d'un bouleversement complet des pulsions de vie et de mort que le souverain tenta d'introduire dans la société égyptienne tout entière. L'érotisme avait conquis une place grandissante dans les arts; le culte de la nudité avait atteint son apogée 124, la pratique de l'inceste royal aussi125. Par ailleurs, la mort n'existait plus, puisque, à la place d'Osiris, Akhenaton prenait en charge lui-même ses sujets dans la vie futurel26. Les secrets osiriens (qui auparavant réglaient les relations entre la vie et la mort, la reproduction et la résurrection) étaient révélés 127, c'est-à-dire abolis. Habillé comme une "fausse prophétie" 128, le monothéisme égyptien fut en fait la rationalisation religieuse d'une volonté totale d'Akhenaton de projeter à l'extérieur de soi le désordre intérieur de ses pulsions 117

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de vie et de mort. Tout indique qu'il en hérita, du fait que son père, Aménophis III, délégua l'essence de la royauté à son épouse Tiyi (qui n'était pas d'origine royale), devenue, pour la cause, le commencement absolu non seulement d'une nouvelle dynastie, mais surtout d'une nouvelle pratique de la royauté. L'inceste mère - fils devenait fondateur de la royauté, et non plus seulement son auxiliaire, sinon en réalité, du moins en fantasme. C'en fut trop pour l'Egypte qui, dès le changement de nom de Toutankhaton en Toutankhamon, organisé par le divin-père Aï, s'empressa de condamner cette origine et de jeter l'opprobre sur Akhenaton. C'est la raison pour laquelle la psychanalyse peut trouver dans la révolution religieuse du pharaon Akhenaton un modèle de compréhension du risque de déchaînement de l'oppression et de l'intolérance qui caractérise toute emprise du pouvoir politique sur les corps par le biais des modifications des rites de la sexualité psychique et de la mort 129. Akhenaton n'était pas un pharaon épris de la liberté et d'égalité, mais d'ordre et de discipline. C'est bien à Akhetaton que se trouvaient la plus grande caserne et le plus grand poste de police que l'Egypte ait jamais connus. Le "grand prêtre du Disque dans le temple d'Aton" ou le "premier serviteur du Disque dans le Domaine-du-Disque" s'inclinaient devant Pharaon, au lieu de se tenir droit face à lui, la main sur son épaule. Cette emprise sur les hommes fut telle qu'Akhenaton ne se contenta pas de se proclamer, à l'instar de ses prédécesseurs, le pharaon qui garantit l'ordre universel, mais tint à se faire connaître comme celui qui en décide. Nous nous souvenons de ce que dira Descartes au XVIIe siècle : "il vaut mieux changer l'ordre de ses désirs que l'ordre du monde". On pourrait croire qu'il pensait à inverser le message de tous ces doctrinaires qui, comme Akhenaton, soumettaient l'ordre cosmique à leur propre déterminisme.

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Pour les historiens, seul le traumatisme occasionné par cette hérésie explique que dans certaines inscriptions gravées sous Horemheb (1326-1299), Akhenaton fut qualifié d'ennemi", mot violent rarement utilisé par les anciens Egyptiens. Mais, pour le psychanalyste, ce qui apparaît comme essentiel, c'est qu'avec le monothéisme égyptien, soudain, un pharaon donne à comprendre que l'Inconscient existe, qu'il produit des représentations et qu'il devient possible d'avoir une emprise sur lui, et, par voie de conséquence, sur le monde même. L'égyptologue Ian Assmann écrit fort justement que Akhenaton est une figure de l'histoirel 3o. Mais, s'il fit entrer la distinction entre le vrai et le faux dans la religion par la destruction d'autres dieux qu'Aton, il fut aussi celui qui introduisit la confusion entre la réalité et l'Inconscient dans la représentation, et donc celui qui obligea l'Histoire à inaugurer le refoulement. Cela est particulièrement vrai de son rapport à la mort. Si l'on retient l'hypothèse de Freud selon laquelle "l'Inconscient ignore la mort", il n'y a pas lieu de penser que la science du monde inférieur d'Akhenaton fut l'expression directe de l'Inconscient. Mais, si l'on considère que l'Inconscient garde autant les traces de la mort qu'elle conserve celles de la vie, la psychanalyse qui a toujours refusé d'être une conception du monde fondée sur la connaissance de l'Inconscient 131 trouve alors, dans le monothéisme égyptien, un certain savoir de l'Inconscient qui s'est affirmé comme conception du monde. Du même coup, Dieu132 n'y est plus seulement le vis-à-vis de l'homme que celui-ci se donne pour penser les rapports entre le monde d'ici et maintenant et le monde d'ailleurs, du passé et du futur, mais il est cet homme même, le roi - Dieu Akhenaton. C'est encore plus évident, si l'on rapporte l'Inconscient du monothéisme d'Akhenaton, et, en deçà, du panthéon égyptien, à la sexualité. 119

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La sexualité inconsciente du panthéon égyptien La vie du Panthéon égyptien révèle la connaissance que les pharaons et les grands prêtres avaient de ce que, depuis Freud, nous appelons l'Inconscient. Mots et choses, végétaux, animaux et hommes entrent en relation, pour exprimer les pulsions sexuelles et les pulsions de destruction, ainsi que les imageries de la conception, de la naissance et de la mort. La mythologie et l'initiation leur tiennent lieu de psychanalyse. La logique du Panthéon est aussi irrationnelle que l'est celle de l'Inconscient: elle consiste à faire apparaître toutes les impulsions et tous les fantasmes à la conscience par tous les moyens que lui donnent l'association et la combinaison imaginaire des personnages et des situations. La première mention du mot "dieu" dont le nom du hiéroglyphe est NTR (prononcé "natjir") exprime la relation fondamentale à une donnée qui dépasse l'être humain de manière incommensurable. Cette donnée n'est pas un grand dieu, ni une grande déesse, mais plutôt une dimension tout à la fois transcendante et immanente. Le choix, bien avant la première dynastie, d'un bâton pour représenter cette donnée semble témoigner d'une équivalence entre "dieu" et le pénis raidi, établie à partir d'analogies inconscientes plus générales posées entre la réalité extérieure et le corps humain. On peut penser que cette fétichisation est survenue, quand on a attribué la puissance génésique au pénis et quand, pour l'admettre comme indépendant du corps de la mère, celui-ci a été pensé comme un membre qui en était séparé et que l'on pouvait saisir de sa main. Le fait que le bâton soit entouré d'une bandelette signifie également deux choses: le pénis est bien une arme (Champollion y voyait même une hache), mais c'est aussi une ressource à protéger.

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En arrachant le pénis à la toute-puissance maternelle, les anciens Egyptiens révèlent qu'ils cessent de voir la réalité comme la voient les enfants et qu'ils accroissent leur emprise sur le monde environnant; sur le chemin de la fétichisation, un moment décisif se produit, lorsqu'ils confèrent à NTR des attributs solaires. L'observation du soleil n'est plus seulement passive. Sa réalité est intériorisée. Le soleil (Rê) devient une image de la toute-puissance qui dispose du jour et de la nuit à volonté. Cette observation ouvre sur une connaissance du rôle du soleil comme source d'énergie de la vie133. A partir quoi, il faut construire une explication mythologique du soleil qui l'emportera sur l'ignorance et qui rendra compte de l'existence humaine. Les Egyptiens comblent leur ignorance du fonctionnement scientifique du soleil par cette explication, mais, en retour, l'utilisation de cette mythologie par les rites et les cultes développe une pratique religieuse du soleil dont les effets latéraux sont scientifiques : par exemple, l'art de construire et d'orienter la pyramide. Cette observation est rejointe par celle des animaux. S'ils ne peuvent s'identifier personnellement au soleil (à la notable exception, vers -1346, du pharaon Akhenaton qui s'identifiera à Aton et fera représenter la transmission de l'énergie solaire jusqu'à lui et jusqu'au monde par des rayons en forme de bras terminés par des mains), ils s'identifient aux animaux et s'approprient leurs qualités. Très tôt, la pensée et l'écriture complètent le fétichisme par la zoolâtrie et mettent au point l'autre hiéroglyphe pour "dieu" qui représente le faucon, cet oiseau qui voit tout et paralyse tous les autres volatiles. Le stade ultérieur est celui du hiéroglyphe qui représente un dieu assis au corps humain, portant une barbe tressée. L'emprise sur le monde se traduit par l'auto-affirmation de dieu représenté à son image. Une nouvelle période commence qui voit la pensée et l'écriture se donner le courage de 121

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représenter le corps propre du dieu comme doté de tous les attributs du corps humain, notamment masculin. Dans un premier temps, le corps du dieu apparaît comme non seulement doté d'un pénis, mais même ithyphallique. Le pénis bandé est désormais visible en érection. Ainsi, les dieux masculins tels que Atoum, dieu primordial et créateur du monde, Geb, dieu de la terre, MM, dieu de la puissance sexuelle, Amon en tant que MM, dieu créateur et protecteur du monde, Nefertoum, dieu du lotus primordial et Osiris, dieu et seigneur des morts, sont souvent ithyphalliques, comme le sont également les déesses Moût, mère universelle ou Sekhmet, la "plus puissante". La construction des dieux illustre alors de manière étonnante, les caractères les plus évidents des théories sexuelles infantiles. Avant le commencement, il n'y a encore qu'un lieu originaire incréé et indifférencié, la soupe cosmique nommée Noun dont l'hiéroglyphe fétichiste est une ligne brisée. Puis, vient le moment de la différenciation. Au début, le corps est informe, mais l'anthropomorphisme se précise et se fixe très vite sur la sexualité. Comme la dualité de la sexualité adulte ne peut encore être pensée, tout commence vraiment par un fantasme infantile de parthénogenèse. Après la création d'un oeuf initial d'où est issu le soleil primordial, celui-ci devient une entité divine nommée Atoum qui prend forme de lui-même et s'auto-reproduit. La deuxième étape de cette différenciation unisexuée est celle de la masturbation. Atoum découvre son pénis et crée sa descendance en se masturbant. C'est d'ailleurs la déesse Hathor, déesse de l'amour de la joie, de la mort et du nouveau devenir, autre figure de la mère chérie, qui l'incite à cet acte, ce qui lui donne une valeur d'inceste.

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La troisième étape parthénogénétique est le stade oral de la sexualité infantile. Atoum avale sa semence et crache ses enfants Shou et Tefnout. Si la quatrième étape n'est pas le stade anal, en revanche, l'introduction et l'acceptation de la différence sexuelle entre l'homme et la femme, puis de la procréation, sont bien pensées dans le cadre de la relation incestueuse soeur - frère. C'est alors que les enfants de l'inceste primordial donnent naissance à deux nouveaux fils et fille (Nout et Geb) qui, pour leur part, trouvent un énorme plaisir dans le fait de s'accoupler. Si bien que le soleil Rê se trouve empêché d'éclairer le monde. L'obscurité du monde traduit, on ne peut mieux, le marasme infernal dans lequel l'inceste engloutit ceux qui le pratiquent. Vient alors la loi. Rê se fâche; il jette l'anathème sur ces enfants et ordonnent à Shou de les séparer. C'est l'instauration de la loi de séparation par le père et de l'interdiction de l'inceste. La différence s'est révélée. Mais, c'est aussi le moment de l'invention de l'espace - temps, lors de la disparition de Rê, par le dieu Thoth qui, lui, n'est pas ithyphallique, mais qui tient le bâton dans la main, image de la maîtrise de la sexualité (la sublimation), condition sine qua non de la connaissance. Désormais la connaissance sera aussi puissante que la sexualité. L'introduction de la connaissance du temps et de l'espace provoque la substitution des cycles des dieux au coït permanent de Nout et de Geb. Une des particularités de la notion de "cycle" est de faire un sort aux pulsions incestueuses qui n'ont pas disparu pour autant. Nout a quatre enfants : Isis et Osiris qui forment un couple incestueux mais fécond, Seth et Nephtys, autre couple incestueux mais stérile. Ces quatre frères et soeurs détiennent alors les clefs de la sexualité polymorphe.

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En effet, hétérosexualité et homosexualité se côtoient dans des relations dont la démesure conduit au meurtre. Le mythe d'Isis et d'Osiris est une description savante des pulsions sexuelles et des pulsions de destruction que l'on a déjà vues à l'oeuvre lors de l'arrivée de Nout et de Geb. La construction imaginaire du coït parental comme un acte sadique est à l'origine du déchaînement désordonné des pulsions des enfants qui en sont issus. Les tremblements de l'âme sont à maints égards plus graves que les tremblements de terre. Dans l'inceste, la paternité est mise en pièces, comme l'est le corps d'Osiris, démembré par son frère, jaloux et sans descendance. Comme le père mort n'est, bien sûr, pas en position de rétablir sa loi, deux solutions se présentent: soit c'est le grand-père qui officie, soit c'est l'épouse. Le grand-père est absent, car, absorbé par son propre sadisme, il n'a pas su enseigner à son fils ce que c'est qu'être père. Reste donc Isis. Mais, si celle-ci demeure l'Isis qu'elle était avant la mort d'Osiris, si son désir de soeur l'emporte toujours sur son désir de devenir mère, c'est l'échec assuré : il n'y a aucune chance pour qu'Osiris devienne père. Elle doit donc se métamorphoser. Cette métamorphose a lieu, après qu'elle a eu récupéré toutes les parties du corps d'Osiris, y compris le pénis (soit qu'elle l'aie trouvé dans la gueule du poisson oxyrhinque qui l'a avalé (métaphore du retour dans le ventre maternel), soit qu'elle l'aie reconstitué avec du limon et de la salive (métaphore de l'enfant oral). Isis se transforme, en effet, en oiseau (milan) et, rejoignant la stimulation initiale du pénis d'Atoum par Hathor, elle revigore celui d'Osiris en battant des ailes. Elle est alors fécondée et donne naissance à Horus, héritier d'Osiris. La pulsion homosexuelle et le désir de meurtre de Seth avaient terrassé la pulsion hétérosexuelle et le désir d'être père d'Osiris. Mais, Isis ne s'avoue pas vaincue. Elle ne se

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contente pas de "recoller les morceaux". La menace que les pulsions homosexuelles de Seth font peser sur la procréation et l'enfant ne disparaît pas. C'est pourquoi, il revient à Isis de protéger son enfant dans les marais de Chemmis (image du retour dans le ventre maternel), ainsi que le désir que la loi de la procréation soit reconduite sur la terre. Quant à faire triompher la paternité, c'est l'affaire d'Horus. Cette mission ne se déroule pas sans ambivalence vis-à-vis de la mère. Parfois, Horus cherche sa consolation chez Isis, tantôt il lui en veut au point de lui couper la tête (pulsion matricide). Finalement, ce n'est qu'après une tentative homosexuelle de séduction d'Horus par son oncle Seth, puis un combat titanesque entre les deux dieux devenus castrateurs, puisque l'un, Seth, éborgne Horus, tandis que l'autre, Horus, émascule Seth, que la science de Thot guérit l'un et l'autre et assure l'intégration des pulsions homosexuelles et hétérosexuelles. Alors, Rê décide d'affecter Seth à sa garde personnelle, tandis qu'il confie la succession d'Osiris à Horus. Rê a fait émerger l'espace - temps. Il fait aussi surgir la mort. Nul peuple n'a poussé le déni inconscient de la réalité de la mort aussi loin que les Anciens Egyptiens. Le sens de l'existence exige cette forme d'immortalité absolue, car celleci s'oppose à l'absurde, en ce qu'elle met en cohérence l'ignorance qui porte sur l'ordre du monde et celle qui porte sur l'existence de chacun. La mort est justifiée. C'est un lieu de recharge des énergies vitales en vue d'un nouveau cycle. Du fait qu'Osiris devient père post-modem, il se voit attribué un rôle dans la mort. Il revient, en effet, à chaque égyptien d'être un Osiris N., lui-même justifié dans la mort. Dès l'Amdouat, le premier guide de l'au-delà du Nouvel Empire, le travail d'intellectualisation de la mort est très puissant. La mort est ce lieu caché où le soleil descend chaque soir, et où 125

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vivent ceux qui sont morts, mais aussi ceux qui sont endormis. Ce n'est pas une fin, mais un lieu de renouveau. L'Egyptien descend dans les profondeurs de la mort au moyen de la barque du dieu solaire Rê. Pendant la mort, son âme, son Ba séparé de son corps et représenté comme un oiseau à tête humaine, se déplace librement à travers tout l'univers, pour se réunir au corps et partager avec lui la satisfaction des besoins (nourriture, boisson, sexualité). On ne parle de "mort" que pour autant que le mort est comme s'il était vivant. La momification doit maintenir le corps des morts tel qu'il était dans la vie, la science des rêves doit assurer aux vivants la connaissance de leur avenir. Au terme de ce parcours dans l'Inconscient de l'Ancienne Egypte, on comprend mieux pourquoi Freud donna à son ouvrage La Science des Rêves le surnom de Livre égyptien des rêves. Pour autant, l'on ne voit pas encore très bien ce que cet Inconscient égyptien qui produisit le bouleversement pulsionnel qui surgit lors de l'arrivée au pouvoir d'Akhenaton, a à voir avec la loi et le monothéisme de Moïse. Il convient donc de montrer les liens qui existaient entre la monolâtrie de Moïse et le monothéisme d'Akhenaton.

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Notes du chapitres IV 115 Lire Erik Hornung in La découverte de l'Inconscient dans l'ancienne Egypte, in Revue Confrontation, Paris, Aubier, 1985, pp. 107 et sq. La découverte et l'intégration de la sexualité par le monothéisme sera également étudiée dans la dernière partie de cet article. 116 In T 4 nostalgie des origines, Paris, Folio essais, 1969, p.89. 117 In Les dieux de l'Egypte. L'un et le multiple, Paris, Champs Flammarion, 1986, pp. 43 et 225. Rappelons que même la civilisation mésopotamienne est, selon Jean Bottero, "polythéiste" (in Mésopotamie, L'écriture la raison et les dieux, Paris, Folio histoire, 1987, p.381). 118 Philippe Derchain, in Les Dieux de l'Egypte, in L'Ancienne Egypte, Paris, Points, 1996, p.27. Derchain précise qu'en jetant à bas la totalité de la mythologie, Akhenaton créa un désarroi "comme pourrait en laisser chez nous l'abrogation des mathématiques". 119 Sur ce sujet, lire Jean Bottéro in Naissance de Dieu, Paris, Folio histoire, 1992, pp.75 et sq.) et les développements de Mircea Eliade sur le "mythe vivant" (in Aspects du mythe, Paris, Folio Essais, 1963), notamment. 120 Lire Cyril Aldred, in Akhenaton, roi d'Egypte, Paris, Seuil, 1999, p.113 et p270. Sigmund Freud est attentif à ne pas simplifier la compréhension de la conceptualisation à l'oeuvre, comme l'atteste son livre L'Homme Moïse et la Religion Monothéiste, Paris, Folio essais, 1986, p.85. 121 Voir mes livres L'Egypte Ancienne dans la Psychanalyse, Paris, Maisonneuve et Larose, 1986 et Akhenaton sur le divan , Paris, Jean-Cyrille Godefroy, 2001, pp. 85 et sq. 122 La rupture de Freud avec Jung, quelques temps plus tard, sera due, en grande partie, à des vécus et des théorisations différentes des pulsions sexuelles. 123 In L'Homme Moïse et la Religion Monothéiste, Paris, Folio essais, 1986. Il est remarquable que Freud y occulte l'étude - princeps de son disciple Karl Abraham et le débat qui s'ensuivit. 124 Cyril Aldred, in op.cit., p.137. 125 Ruth Schumann Antelme et Stéphane Rossini, in Les Secrets d'Hathor, Paris, Editions du Rocher, 1999, p.82. 126 Cyril Aldred, ibid, p. 244. 127 Lire Christiane Desroches Noblecourt, in Ramsès II la véritable histoire, Paris, France Loisirs, 1996, pp.194 et sq. 128 Nicholas Reeves, Akhenaten, Egypt's False Prophet, Thames and Hudson, 2001.

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129 À chaque fois, il s'agit d'une rupture introduite dans l'ordre précédent qui lie le monde et l'Inconscient. Cette emprise sur les corps peut se faire sous l'égide de la contrainte totalitaire des hommes-dieux (Hitler, Staline, Mao Tse Toung, Pol Pot, Oussama Ben Laden...), ou au nom de l'idéologie de la libération (féminisme démocratique...) A cet égard, il est intéressant de noter qu'un dénonciateur du "biopouvoir" peut se tromper magistralement sur la nature d'un régime politique, comme ce fut le cas (mais ne l'avait-il pas voulu ?) de Michel Foucault à propos du monothéisme de l'Imam Khomeiny. 130 In Moïse l'Egyptien, Paris, Aubier, 2001. Que Moïse fut seulement une histoire de la mémoire est un autre sujet de débat que je n'aborderai pas ici. 131 Freud a tenu à asseoir la psychanalyse comme "science" et non comme philosophie. Sur ce sujet, lire sa XXXVe conférence, D'une vision du monde, in Œuvres Complètes XIX, Paris, PUF, 1995, pp.242 et sq. 132 C'est par le signe Nt r, prononcé "netjer" ou "nâtjir", que les Egyptiens présentaient le mot que nous traduisons par "dieu". Voir Erik Hornung, Les Dieux de l'Egypte, op.cit., pp.24 et sq. 133 Lire sur ce sujet l'article "Rê" de Alain Blottière, in Petit dictionnaire des

dieux égyptiens, Paris, Zulma, 2000, pp.105 et sq.

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ChapitreV BIOGRAPHIE ET ŒUVRE DE MOÏSE

Le pré-texte du don de la Torah à Moïse Si l'on en croit la logique psychanalytique, la monolâtrie de Moïse doit être issue par refoulement du monothéisme d'Akhenaton ! Or, toute la question porte sur la nature des éléments refoulés. Comme je l'ai écrit dans l'introduction, on peut dire, par exemple: la Torah est avant tout le don de la loi morale. Donc, le monothéisme d'Akhenaton est le règne de la licence. Mais nous avons une grande difficulté à penser que l'inventeur du monothéisme ait pu avoir été immoral et que monothéisme et immoralité puissent aller ensemble; en revanche, dès lors que nous nous débarrassons de cette objection préalable, nous sommes prêts à accueillir cette nouvelle approche qui, comme nous allons le voir, est porteuse de nombreux fruits. Il est vrai que l'on peine à croire que le polythéisme des Egyptiens ait pu être moral, et leur monothéisme immoral, et, si l'on part du principe qu'il en a bien été ainsi, tout le raisonnement traditionnel s'effondre. Or, je voudrais montrer concrètement que seul un tel contexte peut pourtant expliquer le don de la Torah à Moïse. On pourrait se demander si cette démonstration suppose que l'on parte de la Bible plutôt que du contexte historique? En fait, partir de la Bible est préférable, parce que partir du contexte historique ne convaincrait que ceux qui le connaissent et non ceux qui en entendent parler pour la première fois.

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Comme nous le savons, c'est (Exode 30, 1-14) au pied du Mont Sinaï que, prononçant les Dix Paroles (que l'on appelle souvent les Dix Commandements) Dieu associe clairement l'idée qu'il a fait sortir le peuple d'Israël d'Egypte (1 er commandement) et que celui-ci n'aura pas d'autres dieux devant lui (2ème commandement). Ce qui signifie clairement qu'en Egypte, ce peuple croit déjà en lui (c'est le dieu des Patriarches), mais également en d'autres dieux. Dieu lui dit: "Moi seul est Dieu, mais, en Egypte, tu ne peux pas y croire. En effet, d'autres dieux y sont encore visibles. Tu ne me vois encore qu'à côté d'eux ou à travers eux. Aussi, la seule possibilité pour que tu croies en moi tel que je suis en moi-même, c'est-à-dire comme un dieu qui exclut tous les autres (car tous les autres sont pure illusion, mais tu ne le sais pas encore), c'est que tu sois hors d'Egypte." C'est exactement en ce point que nous devons appliquer notre enseignement sur "Mit?-aiks". "Mitraiks", c'est l'Egypte au sens de cette terre sacrée qui a vu naître YHW à côté ou parmi les autres dieux, et qui, pour les raisons énoncées plus haut, évolue, lentement depuis Thoutmosis IV, puis brutalement sous Aménophis III et surtout Akhenaton, vers une nouvelle conception du divin.

Un essai de reconstitution biographique Moïse est d'abord menacé de mort par un Pharaon pour avoir tué un "Egyptien". Or, la biographie de Moïse revue et repensée au travers d'un croisement des données archéologiques et bibliques semble indiquer que ce pharaon est Aménophis III et que l'Egyptien est son fils aîné, Thoutmosis 134, frère aîné de Aménophis (le futur pharaon Aménophis IV). Thoutmosis est appelé "L'Egyptien" (en hébreu Mithra), parce qu'il porte le nom divin d"'Unique"

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(nul autre Egyptien n'aura été nommé de ce nom divin avant que Moise rencontre Dieu), et parce qu'il est placé aussi haut que Pharaon (auquel il était appelé à succéder sous le nom de Thoutmosis V), mais, aussi parce qu'il sera impossible - et ce ad vitam aeternam - de l'appeler "Pharaon", mais seulement "L'Egyptien" . C'est ce fils de Pharaon 135, dont on ignore la vie et les circonstances de la mort (ce qui coïncide d'ailleurs avec le récit de l'enfouissement du corps de l'Egyptien sous le sable par Moïse, que l'on peut lire en Exode 2-12), celui-là même dont Rachi dit que si Moïse l'a tué, c'est parce qu'il ne devait avoir aucune descendance 136, que Moïse aurait tué bien avant 1358, alors qu'il n'est encore que le "chef de guerre" (Talmud) et général des armées, Paramessou. En Exode 2-23, on apprend qu'un long intervalle se déroule entre la fuite et la révélation divine de Moïse en Madian. Or, le règne d'Aménophis III dura trente-huit ans. D'autre part, Dieu dit à Moïse de retourner en Egypte. Pourquoi ? Parce qu'Aménophis devenu pharaon sous le nom d'Aménophis IV n'a aucune raison d'attenter à la vie de celui à qui il doit d'avoir pu accéder au trône comme co-régent de son père en -1358, puis comme seul successeur en -1346. Certes, Moïse doit faire face à un Pharaon qui ne veut pas le faire périr; de fait, jamais Pharaon n'attente à sa vie, mais se contente de le menacer une seule fois. Mais, ce pharaon, il ne veut pas non plus le faire périr; en effet, dans la Bible, c'est aussi par la bouche de Pharaon que Dieu parle. Sinon, n'aurait-il pas suffit qu'avec l'aide de Dieu, il le renversât? Tout indique donc que Moïse et Pharaon partagent un secret qui, par-delà leurs différences et même leurs oppositions, scelle la communauté de leur univers de signification théologique. En revanche, ce qui les sépare, c'est la question de l'existence d'Elohims, du nom, de l'identité du grand Dieu et du lieu de la sainte résidence du grand Dieu sur terre. Pour Pharaon, ce lieu est Mitraïms, mais pour Moïse, c'est le mont Sind:

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Sous l'influence du Divin-Père Aï, Moïse s'oppose donc aux rois amarniens sur la question de l'existence du Grand Dieu et sur la manière qu'a chaque Grand Dieu respectif de rendre les autres invisibles. Ce n'est, en effet, pas parce que les dieux deviennent invisibles, qu'ils n'existent pas. Prenons Toutankhamon (1340-1331). Que fit-il? Lorsqu'il accéda au pouvoir, il n'eut de cesse de rétablir la confiance, c'est-à-dire de restaurer les dieux que Akhenaton, puis Smenekhkaré (1343-1340), son successeur, avaient détruits. Comment fit-il? Il passa sa courte vie à rendre les dieux morts à nouveau visibles et à "faire des images des dieux." Dans la représentation religieuse des Anciens Egyptiens, un dieu pouvait être mort et visible à la fois. En le rendant à nouveau visible, on lui rendait la vie. Mais on n'ignorait pas qu'il avait été tué, et qui plus est par un dieu vivant, Pharaon. Il fallait donc trouver un compromis. Les dieux étaient devenus des morts - vivants : ils étaient tombés entre les mains de Pharaon, pour le meilleur et pour le pire, pour la vie et pour la mort, pour la création et la destruction. Cette époque fut un des moments décisifs de l'histoire du monde. Pour la première fois, l'humanité eut à penser ensemble l'existence et la non-existence du divin. Tant que Pharaon renversa les dieux et s'identifia au Grand Dieu, le divin continuait d'exister, même modifié. Cette hérésie provoquait, certes, des incompréhensions, des haines, et, pour tout dire, un scandale de l'entendement, mais les sectateurs de la conception précédente du divin y demeuraient fermement attachés. Ce n'était pas le moment de la remettre en question. En revanche, une fois l'hérésie "criminelle" à terre, le moment vint où ils durent reconnaître une défaite narcissique fondamentale et faire un certain deuil. Après qu'Akhenaton fut renversé - et l'on sait que lui et son successeur ont disparu dans des conditions troubles -, rien ne fut plus comme avant.

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BIOGRAPHIE ET ŒUVRE DE MOÏSE

Une question se pose : qu'est-ce qui nous autorise à affirmer que Moïse ait été mêlé à la disparition de ces deux pharaons? La réponse renvoie à la "figure scripturaire de Moïse"137 . Moïse est avant tout celui par qui les Pharaons amarniens (Akhenaton, Smenekhkaré) se trouvent dépossédés de toute autorité divine. Comme nous le savons, les chapitres XIII, XIV et XV de l'Exode (dont le chant de Myriam en15, 1-22) ne disent pas que Pharaon mourut 138. De ce fait, seul son fils premier-né est mort. On peut donc penser que Moïse destitua Akhenaton de son autorité divine, lors de la mise à mort (dixième plaie d'Egypte) de Smenekhkarê 139, son fils premierné (selon certains égyptologues 140 ) et que l'événement qu'on appelle "Exode" est, en fait, la fin de ce pays que la langue hébraïque appelle "Mitzraïms", autrement dit d'Akhetaton, capitale et terre sainte d'Akhenaton. Tentons d'éclaircir une énigme: l'histoire du meurtre du premier-né. Quel rapport y a-t-il entre le meurtre des garçons hébreux réalisé en Exode 1 -16 et celui des premiers-nés de pharaon et des Egyptiens, annoncé en Exode 4 - 23 et réalisé en Exode 12, 29 ? Une longue période sépare ces deux événements. Le premier a lieu en -1420 sous Aménophis II (-1427-1393), le second en -1 340. Moïse naît en -1420, apparemment pendant une guerre de palais, et la Bible dit qu'il est un Hébreu (en hébreu)/ Yahoud (en araméen), ce qui signifie qu'il appartient à ceux qui revendiquent la royauté. Or les Hébreux (s'ils sont alors les Apirous, population déracinée d'esclaves temporaires ou de mercenaires) sont nommés sur la liste hiéroglyphique du butin rapporté par Aménophis II, lors d'une victoire sur une coalition, en l'an IX de son règne 141 . Cependant, ce que les documents égyptiens ne nous disent pas, c'est qu'un oracle aurait fait savoir à Aménophis II

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qu'un futur enfant "hébreu" menacerait son trône. Ce qui suppose que cet enfant aurait pu naître dans le harem du roi et d'une princesse d'origine hébraïque, qui n'était donc pas d'essence divine et royale ni, bien sûr, descendante d'Ahmès - Néfertari, grande épouse d'Ahmosis, le libérateur des Hyksos, fondateur de la XVIIIe dynastie, mais, peut-être, des Hyksos mêmes. Certes, il n'y a pas trace de cette union dans les récits officiels, ce qui n'est pas surprenant, étant donné que les écrits édifiants de pharaon ne racontent jamais ses ébats dans le harem, mais tel est le sens logique du texte de la Bible. C'est d'ailleurs pourquoi, au début de son dialogue avec Dieu, Moïse souligne son illégitimité, sa bâtardise divine et royale. Il se dit "incirconcis des lèvres" 142. La circoncision était l'apanage des rois Egyptiens, mais ne semble pas avoir fait partie de son héritage symbolique. Le père de Moïse ne l'aurait pas fait circoncire. C'est pourquoi, en Exode 4,24-25, Moïse "oubliera" également de faire circoncire son fils premier-né, et Dieu voudra le faire mourir. Le second événement qui a lieu en -1 340 est le renversement de Pharaon. Alors commence, pour Moïse, une longue période de quarante ans, pendant laquelle il s'efforce de justifier sa légitimité pharaonique. Il ne l'obtiendra qu'à l'âge de... 118 ans, si l'on en croit la convergence entre la Bible et les hiéroglyphes. Selon le Talmud, Moïse est né circoncis. Ce qui signifie clairement qu'il n'a pas été circoncis. D'où la question : quelle fut son attitude vis-à-vis de la circoncision durant sa vie? La reconnaîtra-t-il comme signe divin ou l'abandonnera-t-il? Fidèle héritier de son père que la Bible appelle Amram, nom dans lequel on trouve les deux racines du dieu Amon et du dieu Ra (Rê), ainsi que la souche "Ram" des Ramsès, il la reconnaîtra. En effet, selon la logique que nous exposons,

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Amram était d'origine royale et circoncis.. On peut penser que le nom d'Amram est en connexion avec celui d'Aménophis II. Les deux noms commencent par la même syllabe. Si Moïse s'est bien donné une légitimité qu'il n'avait pas, alors il a dû appeler son père d'un autre nom, celui d'Amram étant une référence linguistique à la fondation d'une dynastie. En tout cas, à la différence de son frère aîné Aaron, peut-être né d'une grande épouse royale, et appelé à devenir pharaon, Moïse n'est pas circoncis. La circoncision ne fera même pas l'objet d'un des dix commandements de Dieu. Pourtant, on peut penser que soit Moïse avait été circoncis par Sephora en même temps que son fils (en Exode 4,25), soit qu'il se fit circoncire, aussitôt qu'il fut parvenu à diriger le peuple d'Israël. Le scribe biblique ne le dit pas, mais il raconte cette même histoire à propos d'Abraham. Il ne s'agit pas, ici, de contester l'historicité d'Abrahaml 43 , même si nous devons à la vérité qu'il n'existe aucune trace historique d'Abraham. En tout cas, si Abraham a existé, c'est en tant qu'il est ce personnage qui se fait circoncire à un âge très avancé. Une autre question se pose : d'où vient la famille du père de Aaron et de Moïse? Une lecture guidée par le code de translittération linguistique dont j'ai parlé plus haut conduit à penser qu'elle vient d'une souche pharaonique d'ascendance Hyksos, originaire d'Avaris (Tanis), où régnait le culte de Seth, dont l'originalité était déjà de "dominer sans le secours de Rê" (comme le dit, avec dépit, la reine Hatchepsout (14791457), et qui fut d'abord écrasé par Thoutmosis II (14821479) et surtout par la reine même. Ce culte dut renaître de ses cendres, non sans mal, jusqu'à triompher, d'abord sous les pharaons Horemheb et Ramsès 1er dans les villes bibliques Pithom et Ramsès, noms dans lesquels, comme nous l'avons vu, nous reconnaissons les noms des deux généraux

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Paatonemheb et Paramessou 144 qui officièrent sous Thoutmosis IV, puis sous les Aménophis III, Akhenaton et Aï. L'histoire nous apprend que, vers la fin de la XVIIIe dynastie, ces deux généraux deviendront Pharaons : Paatonemheb, futur pharaon sous le nom d'Horemheb (1326-1299) et Paramessou (1299-1297), futur pharaon sous le nom de Ramsès 1er. Paatonemheb qui règne avant Paramessou peut avoir été à l'origine de la figure scripturaire de Aaron et Paramessou de celle de Moïse. Pour ce qui concerne Aaron, le verset Exode 32-25: "Et Moïse, voyant le peuple, fut humilié, car, prétendant au trône de Pharaon, il avait découvert que le pharaon Aaron s'était révélé, le dégradant devant ses ennemis" le suggère clairement145 . Au demeurant, Aaron meurt sur le mont Hor (comme un Horus), du nom d'Horemheb. Quant à Moïse, il meurt comme un Seigneur ("Neb" en égyptien).

Un essai de reconstitution de l'oeuvre syncrétiste de Moïse Puis, le culte de Seth règne sous Sethi 1er (qui porte son nom) et sous Ramsès II (1301-1234). Certes, au premier abord, il n'y a aucun rapport entre le culte de Seth et celui de Eyeh / Yahweh, s'il s'agit de la divinité primitive à corps humain et tête animale, plutôt étrange, d'origine inconnue, qui a un long museau et de grandes oreilles aux extrémités carrées ! Mais, s'il s'agit des caractéristiques du dieu de l'orage et du désert, capable de haine et de jalousie, dieu de la guerre et de la victoire, le rapport est, alors, plutôt flagrant. Cela est évident, lorsque, pendant ce qu'il est convenu d'appeler "les dix plaies d'Egypte", Yahwe triomphe du serpent Apophis, ce dieu égyptien dont la particularité était de troubler le paisible trajet du soleil (Rê). En effet, Seth avait la particularité d'être le premier à avoir triomphé d'Apophis.

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De fait, Moïse intègre les principaux traits de Seth, de tous les autres dieux dont il incarne la mort, et de YHW, dieu des Shasou, qui deviendra YHWH. On trouve trace de Seth dans la Bible. Ce syncrétisme est précédé d'un spectre des dieux qui ne fait pas encore figure de panthéon. Jean Leclant fait remarquer que " durant tout le Nouvel Empire, l'Egypte s'ouvre aux dieux sémitiques; Anat, Ashtarté, Baal qui se profile derrière le dieu Seth des Ramsès et de Séthi. Dans le grand temple jubilaire d'Amenophis III de Soleb, au Soudan, où les colonnes de la salle hypostyle étaient gravées, à leur base, d'écussons figurant et nommant les peuples que pharaon voulait dominer, on lit le nom des "Shosou (de la montagne) de Yahwo" ; cette tribu bédouine, sans doute au pays d'Edom, atteste, pour une date voisine de 1 370 av JC, ce qu'est le tétragramme divin lui-même" 146. Chacun sait que la Bible n'a pas été écrite d'un seul tenant et que l'on distingue plusieurs auteurs : le Yahwiste G), l'Elohiste (E), le Deutéronomiste (D) et le Sacerdotal (S) 147. Arrêtons-nous sur la tradition Yahwiste, appelée ainsi, parce qu'elle nomme Dieu "Yahweh", et que l'on la date de 950 avant notre ère (époque du roi Salomon), tradition scripturaire dont on pense traditionnellement qu'elle se réfère à des récits oraux ou écrits très antérieurs qui ont été perdus. La première mention de "Yahweh" est en Genèse 4, 26. Or, cette mention suit celle de Seth. Dans la Bible, Seth n'est pas un dieu. A partir du moment où Yahweh est nommé, Dieu intègre les principales caractéristiques du dieu Seth, lequel devient un homme. C'est le fils d'Adam et d'Eve. Lorsque nous lisons les cinq premiers chapitres de la Genèse, nous ne pouvons qu'être frappés par les deux histoires des générations de l'humanité qui nous sont présentées. Dans le premier récit, Adam et Eve donnent naissance à 137

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Caïn et Abel. Le premier tue le second, puis s'enfuit. C'est alors que Eve enfante Seth qui, plus tard, sera le seul de ses fils capable de devenir père. Mais, dans le second, il n'y a aucune mention de Caïn ni d'Abel. Le premier être qu'Adam produit à son image et selon sa forme, il l'appelle Seth. Encore un palimpseste à l'intérieur du palimpseste. Le dieu égyptien Seth n'est pas mort pour autant. Le fantôme de Seth ressurgit, en effet, dans Satan, ce "serpent à pattes" qui, dans la tradition égyptienne est lancé par Seth contre son ennemi Osiris et à qui ce dieu ordonne de ramper sur le sol, ainsi que dans cet être tout-puissant qui est le visà-vis de Dieu. Relisons le livre de Job et nous comprendrons que Yahweh ne se débarrasse pas de Seth comme ça. Yahweh écoute Seth encore longtemps après l'avoir digéré vivant... ! De cette "digestion", nous inférons que de nombreuses décennies s'étaient écoulées entre la naissance de Moïse sous Aménophis II et la succession d'Horemheb, et que la question était de savoir comment redonner une place au culte de Seth (et à d'autres, d'ailleurs) dans le nouveau contexte mythologique. La religion officielle de la XVIIIe dynastie avait ellemême évolué, comme nous l'avons vu plus haut. Le culte de YHW côtoyait celui d'Amon-Rê. A l'époque de Moïse, le culte de la lune, issu du libérateur des Hyksos, Ahmosis "T .2 lune l'a mis au monde" ou "La lune est née", lune = Sin, en hébreu), était aussi présent, comme le montrent les noms du mont Sinaï, du désert de Sin, du buisson ("sneh") ardent... Moïse est donc venu pour faire de YHWH le dieu unique qui exprime la dissolution puis la synthèse de tous ces dieux qui se côtoyaient. Moïse a tenté, et n'a, sans doute, pas réussi, cette totale substitution. Mais, celle-ci était et reste impossible à réaliser. Un monde où il n'y a que le dieu unique YHWH n'a rien d'humain. C'est, pour l'homme, un monde

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totalement imaginaire et irréel qui n'a aucun sens, y compris pour YHWH. La preuve en est que le monde a du être créé, et toutes ses imperfections avec. En conséquence, pour l'homme, YHWH n'est présent que pour éloigner, voire tuer, les dieux, ou bien pour les dissoudre comme entités abstraites à l'intérieur du concept du Dieu unique. YHWH est donc indissociable du retour des dieux. Pour le dire autrement, un monde dans lequel le grand Dieu Unique est présent contient nécessairement des dieux multiples (morts ou vivants), et un monde de dieux multiples suppose nécessairement l'existence d'un grand Dieu Unique. Là est la faiblesse de l'idée d'un monothéisme exclusif. Sa nécessité doit être démontrée, ce qui n'est pas le cas pour le polythéisme. Le polythéisme n'a jamais eu besoin de prouver que le grand Dieu n'existait pas, tandis que le monothéisme a eu besoin de démontrer que les dieux multiples sont morts. A l'époque de Moïse; rien n'était plus comme avant. La puissance du divin (Aton, Rê) était nécessairement entamée. Désormais, on ne pouvait que la rétablir, ce qui impliquait une mauvaise foi certaine, à moins de commencer à "mettre de l'eau dans son vin", à faire évoluer la représentation du divin, à construire cette toute-puissance qui ne s'imposait plus d'elle-même, en attribuant de la puissance au divin sur tel point et à l'homme sur tel autre. C'est alors que l'on commença à ajuster les rapports entre le divin et l'humain, en pensant que l'homme était "à l'image de dieu". Un long processus se mit en marche qui donna plusieurs bourgeons. La Torah de Moïse en est un, mais il n'est assurément pas intervenu tout de suite. La preuve en est que Aaron, son demifrère par le père, n'hésita pas, pour sa part, à faire revivre les anciens dieux.

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Souvenons-nous de l'épisode qu'on appelle le "veau d'or" (Exode 32-19 et versets suivants). Le peuple demande à Aaron de lui "fabriquer un dieu", et celui-ci le fait. Pour autant, Moïse le réduit en poussière, et le dieu n'existe plus. C'est pourquoi, bien que Dieu dise au peuple que quand il viendra là où il est (au pied du Mont Sinaï), il se rendra compte que non seulement les dieux ne sont plus visibles mais qu'ils n'existent pas, même absents là où Dieu est, les dieux peuvent faire retour et empêcher à nouveau le peuple de croire dans le grand Dieu de Moïse. C'est donc un combat éternel ! Nous commençons à comprendre pourquoi la mission de Moïse s'est toujours définie par rapport au retour des dieux. La nature de Moïse est non seulement de combattre les dieux, comme, par exemple, dans le passage de la Bible (Exode (7-12) qui raconte comment la verge d'Aaron engloutit les verges des magiciens d'Egypte, mais le retour des dieux même, comme dans l'épisode qui l'oppose à ce même Aaron, après que ces dieux ont été réputés avoir disparu.

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Notes du chapitre V 134 Lire A.Dodson, JEA 76 (1990), pp.87-96. 135 Dans mon livre Akhenaton sur le divan (op.cit.), je soutenais que cet Egyptien était probablement Akhenaton lui-même, mais, aujourd'hui la cohérence des textes indique qu'il est préférable de se tourner vers l'identification du frère aîné d'Akhenaton, qui avait tous les attributs divins pour être élevé à la royauté, mais qui fut effacé de l'histoire. 136 Développé par Rabbi Moshe Weissmann, in Le Midrash raconte -

Chem«, Paris, Editions Raphaël, 1992. 137 Jean Lambert, in Le Dieu distribué, Paris Patrimoines Cerf, 1995, p.67. 138 Maurice Bucaille s'oppose à cette thèse au prétexte qu'il ne serait pas douteux que le pharaon laissât sa vie dans la mer des roseaux.. "Les chapitres 13 et 14 du livre de l'Exode sont formels sur ce point...De plus ce psaume 136 de David confirmerait la mort du pharaon" (in La Bible, le Coran et la Science, Paris, Agora, 1998, p.282). Pourtant même le R.P. De Vaux et Pierre Montet (in L'Egypte et la Bible) ne peuvent se résoudre à cette interprétation du texte. Quant au Talmud, il semble tenir pour acquis que le pharaon n'est pas mort. Cette interprétation est reprise, par exemple, par Pirkei Rabbi Eliezer qui dit que Pharaon a souffert dans la mer, mais qu'il a été épargné par Dieu (il poursuit en disant que Pharaon s'est alors enfui à Ninveh (Ninive) pour y devenir roi. Il y aurait alors reçu Yona comme prophète). Il est vrai que Bucaille va jusqu'à tenter de rendre compatibles la dépouille de Mineptah avec une éventuelle noyade, dans l'ignorance des données les plus élémentaires du devenir d'un corps qui aurait baigné des jours et des jours sous les eaux. 139 Nom de pharaon que l'on trouve déjà sous la XIVème dynastie, avant l'invasion de Hyksos.

140 Voir Pierre Grandet, in Hymnes de la religion d'Aton, Paris, 1995, Seuil, p.56. Il est à remarquer que Smenekharê est en relation homophonique avec Chem Anikra, autre nom de Dieu pour les Hébreux. 141 In Quand Israël rencontre le Pharaon,in Le inonde de la Bible, Paris, folio histoire, 2000, p. 461. 142 Cette marque est la preuve que Moïse se sait non légitime comme représentant attendu du dieu des Hébreux, et en charge de la mission d'établir un compromis entre plusieurs divinités. Sésostris 1er, fils d'Amenemhat 1er, exprimait également la difficulté d'établir un compromis entre des divinités, dans une inscription dédicatoire de son temps

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élevé à Horakhty (le faucon solaire) où il écrivait : "Il m'a désigné pour être le seigneur des deux terres, alors que je n'étais encore qu'un enfant incirconcis" (in Claire Lalouette, Thèbes, Paris, Fayard, 1986, p.45). 143 "Selon Genèse 15,13, les Hébreux auraient vécu quatre siècles en Egypte, plus longtemps même ; quatre tente trente ans selon l'Exode (12, 40-41). Mais ni de Hagar, la servante égyptienne, ni de la venue d'Abraham et de Sarah (Gn 12, 10-20), nous ne savons rien : les commentateurs évoquent à ce sujet une tombe de Beni Hassan, du règne d'Amenemhat II (1900 av JC) : 37 Bédouins sémites y sont figurés arrivant dans le nome de l'Oryx ; leur chef est désigné comme heqa-khasout, "le chef des pays étrangers" - c'est l'étymologie du nom même des Hyksos. Il se nomme Abishaï, ce qui est un anthroponyme hébreu attesté. Signalons que des textes d'exécration font connaître, sans doute sous la XIIIème dynastie, un Ibwrhni, prince de Shmuânu qui, en raison de l'alternance connue m.n, pourrait évoquer Abraham..." In Jean Leclant, Les Hébreux en Egypte, in Le Monde de la Bible, op.cit., p.444. 144 Messod et Roger Sabbah in op.cit. 145 Cette traduction, qui est fort éloignée de la canonique, est empruntée à R.Sabbah, in op.cit., pp.433 et sq. 146 In op.cit., p.446. 147 Lire Daniel Elouard, La Genèse et ses mystères, Desclée de Brouwer, 2001, p.28. .

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ChapitreVI

L'AMBIVALENCE DE MOÏSE VIS-À-VIS DU SOLEIL

L'évidence veut donc que l'origine égyptienne de Moïse soit absolument indissociable de la vocation théologique de sa vie et de son oeuvre qui a trouvé son expression la plus forte à l'époque d'Akhenaton. On pourrait dire : la preuve qu'il n'est pas égyptien, c'est qu'il veut consacrer le culte de Yahweh hors d'Egypte. Mais reformulée à la lumière de nos développements précédents, cette évidence signifie qu'il veut se séparer de cette Egypte nommée Mitraiks, en obtenant de Pharaon, et de lui seul (à cet égard, la décision de Pharaon compte plus que la délégation que Dieu a donnée à Moïse) l'accord de consacrer ce culte dans un lieu saint, séparé des capitales religieuses traditionnelles de l'Egypte et même de la capitale hérétique Akhetaton. Sans cet élément, la signification spirituelle de l'Exode (dont la matérialisation existentielle et géographique est l'inscription métaphorique) est incompréhensible. Les patriarches n'arrachent pas l'autorisation de célébrer le culte de Yahweh aux autorités qu'ils rencontrent, çà et là, au gré de leurs pérégrinations. Moïse, si ! Bien entendu, tout est dans la signification de cette "autorisation". Akhenaton a lui aussi obtenu "l'autorisation" de son père de vouer un culte à Aton dans une capitale créée ex nihilo, et, lui aussi, à l'époque de sa co-régence avec Aménophis III. Parallèle troublant s'il en est.

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Mais, Moïse n'est pas Akhenaton. Sa figure scripturaire n'est pas non plus celle d'un traditionaliste amonien 148, mais d'un révolutionnaire atonien qui réagit contre les excès du pharaon hérétique en construisant une nouvelle conception du divin qui sublime les dieux morts. Mais, avant de décrire cette construction, rappelons qu'affirmer que Moïse était un Egyptien n'est pas une nouveauté, puisque l'un des ouvrages placés le plus haut dans la littérature juive, le Zohar, le dit explicitement. Le Zohar est une oeuvre écrite en grande partie par Moïse de Léon Ben Shem Tov (1240-1305), pour contrecarrer le rationalisme juif espagnol, mais dont les énoncés les plus importants remontent à Rabbi Siméon ben Yohaï (He siècle de notre ère), l'un des fleurons de la littérature kabbalistique. Or, le Zohar dit que Moïse fut égyptien. Tout le Zohar tourne autour de deux noms : Abraham et Moïse. A Abraham la création, à Moïse la loi. Mais tenons-nous en à Moïse. Le Zohar écrit: "Moïse est appelé "Egyptien", ainsi qu'il est écrit: "Un Egyptien nous a délivrés" etc. C'est là en Egypte qu'il est né, c'est là qu'il a grandi et c'est là qu'il monta vers la lumière céleste" 149 . A ce thème le Zohar associe également celui d'un "Moïse tué" 150 . L'image qu'il nous donne est celle d'un Moïse égyptien et tué". C'est tout à fait étrange, mais le Zohar tient à nous faire savoir que le mot "Egyptien" (en hébreu "mit7i") a une signification théologique, plutôt que géographique. Etre "égyptien", c'est d'abord appartenir au peuple de Dieu. Ainsi, Rabbi Eléazar, commentant le verset "Je suis le Seigneur ton Dieu, du pays d'Egypte", tient-il ce discours étonnant: "L'Ecriture ne dit pas "qui t'ai tiré d'Egypte", mais : "Ton, Dieu, du pays d'Egypte". Car depuis le commencement de l'existence d'Israël, celui-ci n'a jamais tant connu la gloire de Dieu que dans le pays d'Egypte, où malgré l'oppression

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des Egyptiens, il ne s'est jamais détourné de son Dieu. C'est là qu'Israël fut épuré comme l'or dans le creuset 151 ". L'ambivalence est étonnante. Dieu est à la fois égyptien et pas égyptien. En tout cas, cela signifie clairement qu'il est d'Egypte. De la même manière, Dieu interdit aux Bnei Israël de "maudire les dieux étrangers" qu'ils viennent d'abandonner, d'où un syncrétisme possible, "parce que ce sont ses oeuvres 152 . Puis être égyptien, c'est se tromper sur l'essence du Grand dieu. Le Zohar précise d'ailleurs que cette erreur tient à la domination de la sensualité. Etre égyptien, c'est être soumis aux penchants grossiers du corps 153" (cela ne peut pas ne pas nous rappeler le "culte de la nudité" qui triompha sous Akhenaton). En tant qu'Egyptien, Moïse détient le sceptre de Dieu, orné de l'inscription du nom sacré. C'est donc en tant qu'Egyptien qu'il "tue un Egyptien", qu'il l'emporte sur les magiciens de Pharaon etc.. La vertu de cet "Egyptien" est d'être "immortel, et comme le soleil, de continuer à éclairer la lune 154 . Cette expression n'est pas que métaphorique. Le texte utilise le soleil comme métaphore, mais dans le souvenir du culte d'Aton, l'on ne peut pas écarter que, pour le Zohar, s'approcher de la personnalité de Moïse, c'est comprendre qu'il est un Egyptien qui, au début de son itinéraire, s'identifie au soleil. On retrouve cette contextualisation de la figure de Moïse dans d'autres passages du Zohar. Dans le quatrième tome, il est écrit: "Nous avons appris en plusieurs endroits que Moïse était le soleil et Josué la lune 155". Puis : "l'Ecriture dit que Josué était le fils de "Nun". La lettre "Noun" est l'emblème du soleil; Josué, qui représentait la lune, était réellement fils du solei1156". Parfois le texte est encore plus explicite. Ainsi, il est écrit que " les paroles de la tradition suivant lesquelles Moïse reçut la Loi au mont Sinaï et la transmit à 145

MOISE ET LE RETOUR DES DIEUX

Josué, et celui-ci aux Anciens etc. s'appliquent à la loi orale, attendu que, pour ce qui concerne la loi écrite, L'Ecriture dit: "Et Moïse commanda aux Lévites porteurs de l'arche de l'alliance du Seigneur de prendre le livre de la loi". Donc la loi écrite avait été transmise aux lévites, et non pas à Josué. Les Lévites étaient unis au soleil, et il était naturel qu'ils reçussent la loi écrite de Moïse, qui, durant quarante ans, fut le soleil d'Israël157 ". On peut même dire qu'ailleurs, lorsqu'on lit qu'"une tradition nous apprend que Moïse n'est pas mort; car tous les hommes qui ont la foi ne meurent jamais. Le mot " mort" que l'Ecriture emploie à leur égard signifie qu'ils sont morts pour ceux qui restent ici vivants" 158 , le Zohar nous indique que Moise est dans le même rapport à la mort qu'au soleil. Le discours du Zohar se place donc du point de vue du dieu Akhenaton et de sa foi religieuse. Autre exemple troublant: lorsqu'il s'agit de dire comment Israël punit ceux qui cohabitent avec la fille d'un "dieu étranger", le Zohar rappelle une tradition selon laquelle les grands, qui avaient connaissance du péché d'Israël et ne l'avaient point empêché, étaient pendus "à des potences en face du soleil", afin que la colère de Yahweh s'apaisât. Pourquoi "en face du soleil" ? Parce que "en face du soleil" "signifie en raison de l'Alliance" appelée "soleil". Et le Zohar de conclure : "Car le Seigneur Dieu est le soleil et le bouclier" 159. D'autres thèmes indiquent une proximité entre le discours du Zohar et le sens spirituel du combat de Moïse contre le retour des dieux qui fait l'objet de ce livre, par exemple la thématique de la domination du serpent. Moïse est celui qui échappe à la mort donnée par le serpent. Même les Bnei Israël ont, un temps, le même privilège, jusqu'à ce qu'ils commettent le péché du veau d'or, ce rite de célébration d'un nouveau pharaon. Que fait Moïse contre les murmures qui

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lui sont adressés ? Il dresse un serpent d'airain. Car c'est "l'image du démon" 160 . Le passage d'Israël dans le désert pendant quarante ans a pour but de briser sa force. Il est donc clair que, pour le Zohar, triompher du serpent, qui, dans la religion égyptienne, est ce qui surgit de l'océan primordial pour dévaster le monde, est la marque d'une religion - celle des Bnei Israël - qui est fortement marquée par la mythologie égyptienne et qui doit s'en démarquer, si elle veut avoir des chances d'émerger et de survivre. Israël partage Elohîms avec Mitzraïms, mais pas Yahweh. Le Zohar soutient la même idée en ces termes : "Remarquez que Pharaon l'impie avait répondu à Moïse : "je ne connais point Yahweh." Mais il était le plus sage de tous les magiciens; et il est évident qu'il a connu le nom d' "Elohim"...Pharaon ne craignait point le nom de Yahweh... C'est le nom "Yahweh" qui le fit résister; si Moïse lui eût parlé au nom d '"Elohim", il aurait tremblé161 ." On peut croire qu'alors Dieu commit une nouvelle maladresse, et que ce fût la langue embarrassée de Moïse qui lui joua un tour. Mais Dieu ne commit pas de maladresse. En effet, il ne poursuivait pas le même but que Moïse. Moïse voulait convaincre Pharaon de le laisser prier Yahweh "à trois jours dans le désert", mais Dieu voulait que "la même bouche qui niait d'abord l'existence de Yahweh en reconnut la justice plus tard162 " et qu'il oubliât le soleil. Allons plus loin. Que l'oeuvre de Moïse fut de faire face non seulement au retour des dieux, mais au maintien du culte du soleil, cela est évident, lorsqu'on lit ce passage: "Rabbi Yessé et Rabbi Hiyâ voyageaient une fois ensemble. La nuit les ayant surpris, ils s'assirent et attendirent l'aube du jour; ensuite ils se remirent en route. Rabbi Hiyâ dit à son compagnon: Vois comme l'Orient commence à s'éclairer. C'est maintenant le moment où les adorateurs du soleil se prosternent et adorent

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cet astre. Qu'on ne croie pas que c'est sans raison qu'ils adorent cet astre". Pour autant, le Zohar ne donne que partiellement raison à Akhenaton: "Dès que le soleil se lève, le chef céleste préposé à la garde de cet astre sort de sa demeure ayant les lettres du Nom sacré gravées sur son front, à l'aide desquelles lettres il ouvre toutes les fenêtres du ciel pour y laisser passer la lumière." Car le soleil n'est rien sans Dieu, comme il n'est rien d'ailleurs sans Akhenaton I "Le chef céleste entre ensuite dans le cercle lumineux qui entoure le soleil et y reste jusqu'au coucher de cet astre. Ce même chef est préposé à la garde de l'or ainsi que des pierres précieuses de couleur rouge. Les adorateurs du soleil ont appris des anciens d'une Haute Antiquité l'explication de certains signes qu'on remarque sur cet astre et qui indiquent les endroits où l'or et les pierres précieuses sont cachés sous la terre. Rabbi Yessé dit: Combien de temps Dieu permettra-t-il encore ce culte du soleil? Car nous savons que le mensonge ne subsiste pas toujours. Son compagnon de route prenant la parole s'exprima ainsi: "La bouche véritable sera toujours ferme; mais le témoin précipité se fait avec peine une langue de mensonge". Remarque que si ces païens adoraient une puissance imaginaire et chimérique, il y a longtemps que Dieu y aurait mis un terme. Mais la lumière et l'éclat du soleil sont réels. Faut-il donc que Dieu fasse disparaître ses oeuvres, parce que quelques déments les prennent pour des dieux? Même dans les temps futurs, le soleil et les étoiles subsisteront. Ce ne sont pas les astres qui disparaîtront, mais ceux qui les adorent".

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Le Zohar évoque les "déments", parce qu'il veut nous éclairer sur la démence de ceux qui divinisent le soleil. On croit l'entendre parler du pharaon Akhenaton 163 ! Le soleil est un témoin de Dieu, non Dieu lui-même. Par exemple, lorsque Rabbi Siméon voit des tâches noires et jaunes sur le disque solaire, il lui paraît évident "qu'on vient de décréter au ciel une punitionl64 ". De même, après la mort de Myriam, le Zohar note-t-il que le soleil s'obscurcit. Et rappelons que Josué est avant tout celui qui sait arrêter la course du soleil. Il faut donc reconnaître l'existence des dieux, si l'on veut en empêcher le retour. Les reconnaître n'est pas nécessairement les adorer. Par ailleurs, que serait le refus d'adorer des dieux que l'on a peur de connaître !

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Notes du chapitre VI 148 Bien que dans le tome 4 du Zohar (Paris, Editions Maisonneuve et Larose, 1975, p. 100), "Amon" soit qualifié de "chose précieuse". 149 In tome I, pP.36 et 50. 150 Sur ce sujet, lire Eliane Amado-Lévy-Valensi, Le Moïse de Freud ou la référence occultée, Paris, les Editions du Rocher, 1983. 151 In tome 5, p. 229. 152 Idem, p.268. 153 In tome 3, p.124. 154 Idem, p.234. 155 Idem p.226 156 In tome 4, p.227. 157 Idem, p. 315. 158 Idem, p.129 159 In tome 3, p.p.10-11. 160 In tome 4, p.66. 161 In tome 2. p.371 162 In tome 3, p.237. 163 Sur la démence paranoïaque de ce pharaon, lire mon livre Akhenaton sur le divan, op.cit. 164 In tome 5, p.43. C'est autour de cette notion de "punition" que se jouera le passage de la monolâtrie au monothéisme. Léo Strauss a montré que "l'unicité de Dieu exige ou implique le rejet du culte d' "autres dieux". C'est ainsi qu'il interprète l'apport exégétique de Hermann Cohen, lorsqu'il écrit : "Le culte des autres dieux est, selon lui, nécessairement un culte rendu à des images. En conformité avec le Décalogue, mais non avec le Deutéronome 4, 15-19, il nie qu'il puisse exister un culte voué au soleil, à la lune et aux étoiles en tant que telles". ( In Pourquoi nous restonsinifs, La Table ronde , 2001, p.205).

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ChapitreVII LA VICTOIRE DE YAHWEH SUR LE ROI-DIEU AKHENATON Le sens de la querelle théologique qui oppose Moïse à Akhenaton Avant d'établir un enseignement qui rende le retour des dieux forclos, il faut apprendre à les combattre. Cette lutte évoque le combat raconté par un texte qui nous apprend comment Abraham a voulu convaincre son père Terah de ne plus croire en les idoles des dieux. Dans un apologue du Midrash Rabbah165, le patriarche profite de ce que son marchand d'idoles de père avait dû s'absenter et lui avait laissé son magasin, pour les détruire toutes, à l'exception de la plus grande. Son but est de raconter ce qui s'est passé de telle sorte que Terah prenne conscience de la contradiction intrinsèque qui habite son credo. Abraham pense qu'en refusant qu'une idole ait plus de pouvoir que les autres, son père renoncera de facto à croire au pouvoir des idoles et des dieux qu'elles représentent. Mais Terah ne réagit pas comme prévu. Accusant son fils de sacrilège, il le livre au monarque de l'époque (Nimrod) qui le met à l'épreuve du feu d'où il sortira vivant. Ce Midrash met clairement en lumière la filiation spirituelle abrahamique de Moïse. Abraham combat les dieux, Moïse combat leur retour. Entre temps, le grand Dieu est advenu. La spécificité de l'enseignement de Moïse se trouve dans cette oeuvre, et c'est pour parvenir à triompher des dieux qu'il reçoit (découvre et invente) la Torah. Aussi percevons-nous mieux à présent les raisons pour lesquelles la question de l'existence d'un grand Dieu (Abraham) et celle de l'invisibilité de la plupart des autres 151

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(Akhenaton), voire de tous les autres (Moïse) était déjà posée dans le pays de Mitsraïms. D'ailleurs, comment Moïse auraitil pu dialoguer avec Pharaon sur ce sujet, si cela n'avait pas été d'actualité ? Pour être plus précis, il nous faut analyser les discours successifs de Pharaon. Lors de sa première rencontre avec Moïse et Aaron (Exode 5-1,2), Pharaon (qui, dans les textes hiéroglyphiques, ne s'appelle ainsi qu'à partir d'Akhenaton) dit qu'il ne connaît point Adonaï - Yahweh, et qu'en conséquence, il n'écoutera pas la parole qu'ils lui ont transmise, notamment celle qui consiste à lui donner l'ordre de renvoyer Israël. Si cette parole avait été donnée par les Elohîms, et si Pharaon l'avait donc écoutée, il n'y aurait pas eu de premier commandement, ni d'exode d'ailleurs. Pharaon aurait ainsi été un dieu au sens du Dieu de Moïse. Mais il n'en est rien, au contraire, puisque c'est Moïse qui est un dieu (Elohîm) pour Pharaon (Exode 7-1). La différence entre YHWH et Elohîms est la suivante: YHWH est discours de Dieu à partir de lui-même, Elohîms est discours de Dieu à partir de l'autre. En Exode 20,2-3 et 2-7, la distinction apparaît clairement non du point de vue ontologique, mais de celui de l'énonciation du discours. YHWH et Elohîms désignent le même et unique divin, mais YHWH est le divin perçu du point de vue de Dieu et Elohîms du point de vue de l'Homme. Cette approche des rapports entre Dieu et l'Homme qui parle en son nom n'est pas l'exclusivité de Moïse. On sait, de source archéologique et historique, que dans l'histoire de l'Egypte (au sens traditionnel du terme), c'est bien Akhenaton qui, le premier, s'était considéré comme l'intermédiaire et le prophète de son dieu unique, Aton. L'égyptologue Erik Hornung résume la nouvelle croyance d'Akhenaton en ces termes : "Il n'est d'autre dieu qu'Aton, et Akhenaton est son prophète" 166 ..

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Il faut même aller plus loin, puisque Akhenaton est le seul pharaon qui a osé dire "Je suis Dieu" en disant "Je suis Aton". En conséquence, il y a bien, à ce moment-là, une lutte d'influence entre le dieu d'Akhenaton et le dieu de Moïse. Simplement, cette lutte n'est pas évidente, car à aucun moment Pharaon ne s'exprime en tant que Dieu-Homme. Pharaon-Dieu est l'arrière-plan de la querelle théologique. Pharaon n'a pas à promouvoir son existence comme Dieu, il est acquis qu'il est Dieu. Le Dieu d'Akhenaton n'est pas caché par la Bible, mais étant totalement évident pour les habitants de Mitzraïms (il est partout, non de manière panthéiste, mais totalitaire, c'est-à-dire comme culte de la personnalité), il ne s'exprime que par Pharaon. Et c'est justement parce que le Dieu de Pharaon se révélera muet, c'est-à-dire inexistant au-delà de l'intervention divine même de Pharaon, qu'il s'effondrera. Les dix plaies révèlent l'échec fondamental de la personnalisation absolue de Dieu fait Homme, ce qu'en langage psychanalytique on appellera la castration primaire de la toute-puissance narcissique (l'Homme-Dieu). Pourtant, au début, il y a accord entre Moïse et Pharaon sur la conclusion qu'il n'y a pas de place pour deux grands Dieux en Mitrai"ms. Mais, à la différence de Moïse qui accepte que le grand Dieu de Pharaon continue de dominer en Mitzraiks, et même que Pharaon croie qu'il est ce grand Dieu, du moment que lui, Moïse, peut vouer un culte à "son" grand Dieu "à trois jours de chemin dans le désert", Pharaon refuse que le grand Dieu de Moïse domine en cet endroit. Il se croit acculé à reconnaître que Moïse est pour lui-même un dieu et il refuse. Si Moïse accepte ce compromis, c'est parce que, pour lui, ce n'en est pas un. Il n'exprime jamais l'intention de convaincre Pharaon de vouer un culte à Yahweh en Mtzrraiks. En revanche, se sentant menacé par Yahweh, il affirme que son

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Dieu le frappera de mort ainsi que son frère, par la peste ou par le glaive, s'il ne le laisse pas organiser le culte qu'il doit lui rendre, hors de Mitrai.ms, sur une autre terre jugée sainte, appelée "Canaan". Quant à Pharaon qui ne croit pas en lui, il n'a rien à craindre, s'il ne l'empêche pas de conduire les sectateurs de Yahvé dans le désert. On peut se demander pourquoi Pharaon ne discute pas cet argument et pourquoi il n'évoque pas aussitôt le fait que conduire ces sectateurs dans le désert, c'est leur donner ordre d'arrêter les travaux. La raison en est que ces travaux sont justement d'essence religieuse. L'esclavage n'existait pas en Kêmi. Si pourtant il existe en Mitzraiks, c'est alors comme synonyme de service religieux. Ces travaux consistent à construire un mausolée et son environnement pour le roi. En bâtissant ces édifices, le peuple hébreu montre, ce que les commentateurs juifs soulignent d'ailleurs, qu'antérieurement il partageait la foi dans le Dieu de Pharaon. Mais la volonté de partir de Moïse, consécutive à ce qui est décrit comme une révélation, due au fait qu'il se rend compte que la foi ne résulte plus d'un consentement et d'une adhésion, mais d'une violence (celle de l'Egyptien qui veut tuer un Hébreu), signifie qu'il ne veut pas seulement que le peuple hébreu rompt ses travaux, mais se libère totalement d'une foi et d'un Dieu devenus esclavagistes. S'il y avait eu un autre peuple pour faire ces travaux, un Pharaon "traditionaliste" se serait moqué de laisser partir le peuple hébreu. Mais tout cela se passe en Mitsraiks et non en Kêmi. Le peuple ordinaire d'Egypte, le peuple polythéiste, n'intéresse pas ce Pharaon amarnien. Celui qui l'intéresse, c'est le peuple monothéiste, le peuple "hébreu", celui qui justement a été antérieurement convaincu qu'il fallait construire un mausolée pour le Roi-Dieu qu'il était et dans lequel le peuple

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croyait. C'est pourquoi, à ses yeux, c'est la même chose de dire, en Exode 5-8, que le peuple hébreu est relâché et qu'il crie "allons sacrifier à notre Dieu". Au demeurant, les surveillants des enfants d'Israël n'oublient pas de rappeler à Pharaon qu'ils sont ses "serviteurs" (Exode 5-15). Et tandis que Pharaon perd le peuple hébreu, c'est son Dieu qui perd toute autorité. Or cela lui est inacceptable. C'est ce que signifie la parole de Dieu: "j'endurcirai le coeur de Pharaon". Pharaon doit accepter cet abandon d'autorité. Il doit se résoudre à comprendre que le vrai grand Dieu n'est pas Aton, mais YHWH, et que cette démonstration sera progressive, parce qu'elle se traduira nécessairement par une résistance acharnée de Pharaon. Survient alors cette objection: pourquoi Dieu cherche-t-il à convaincre Pharaon en Misraïms, si ce n'est pas pour l'amener à croire en lui? A quoi il convient de répondre ceci: comme Pharaon ne peut aller à "trois jours de chemin dans le désert", la terre sainte étant pour lui celle où il se trouve, c'est bien là où il est qu'il faut le convaincre. Pour autant, Yahweh ne cherche pas à dominer en Misraiks. Apparemment, la légitimité religieuse de Pharaon n'est jamais contestée pendant toute la querelle théologique. D'ailleurs, après l'Exode, même la mer des roseaux ne se refermera pas sur Pharaon. Moïse est donc prêt à co-régner avec Pharaon sur la base d'une séparation des deux terres. Ceci est conforme au Midrash d'ailleurs, mais à condition que les terres soient délimitées. Ce n'est qu'après la destruction des armées de Pharaon, puis l'entrée en Canaan 167 que le problème se pose différemment. Mitzraïms sombre dans l'oubli. Il n'y a plus que Canaan 168 . Cela nous rappelle que la capitale d'Akhenaton, Akhetaton, a elle aussi sombré dans l'oubli du jour au lendemain. La preuve que l'entente entre Moïse et Pharaon est

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possible est que Pharaon commence à céder, après la plaie des bêtes sauvages ; il demande alors à Moïse de faire des sacrifices pour son Dieu dans Mikraiks (Exode 8-21). Il accepte donc lui aussi un compromis entre son Grand Dieu et celui de Moïse. Mais, il montre également par là qu'il ne comprend pas encore que ces deux Grands Dieux soient réellement incompatibles. C'est donc à Moïse de mettre les points sur les "i" et de lui dire que le nouveau culte consiste à immoler à son grand Dieu l'abomination même des Egyptiens. Finalement, Pharaon cède, mais, retournement de situation, il demande à Moïse de ne pas aller trop loin pour célébrer ce culte, afin qu'il "intercède" pour lui auprès de Dieu, ce qui signifie que Pharaon se prépare à croire, lui aussi, au grand Dieu de Moïse. Cela signifie que les dieux que Moïse et le peuple d'Israël doivent immoler à leur grand Dieu ne sont pas les dieux que Akhenaton a lui-même tués, mais d'autres dieux que ce même Akhenaton se refuse à tuer et qui concernent les fondements mêmes de la mythologie égyptienne dont j'ai exposé le contenu plus haut. Ces fondements sont les forces divines qui sont vaincues par les plaies que Dieu envoie à Mitz.rainis.

La victoire de Yahweh sur les fondements du Roi-Dieu Akhenaton L'histoire des dix plaies raconte comment Moïse prouve à Pharaon qu'il en sait plus que lui sur le divin et sur l'origine du monde. Si Pharaon ne cède pas tout de suite, c'est parce qu'il possède encore de nombreux dieux primordiaux non entamés par la révolution amarnienne, ceux-là mêmes que Dieu lui envoie, puisque la dispute entre Moïse et Pharaon porte sur la question de savoir lequel des deux (ou des trois avec Aaron) est le détenteur de la parole de Dieu, et que tandis que tel dieu est immolé, d'autres continuent de subsister.

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Ce ne sera donc que lorsque tous les dieux fondamentaux de Pharaon compatibles avec son Grand Dieu seront dominés, que Pharaon cédera et laissera partir le peuple d'Israël. Parlons de ces dieux, et distinguons d'abord les dieux morts et les dieux qui sont encore vivants. Les dieux morts sont Amon, Moût, Osiris (toléré, cependant, dans certaines tombes thébaines, mais pas à Akhetaton) et, de manière générale, tout le Panthéon égyptien. Les dieux vivants sont Aton, Rê-Horakhty, Shou, Maât et surtout... Akhenaton. Pour nous en convaincre, étudions la profession de foi monothéiste d'Akhenaton que l'on a retrouvée dans la tombe du pharaon Aï. On dit souvent qu'Akhenaton était un parfait monothéiste. Or, dans cette profession de foi, on voit que, s'il fait l'éloge de son grand Dieu (Aton) et de lui-même (Akhenaton, "fils" unique d'Aton), ce qui suppose que beaucoup des autres dieux ont été tués, il n'en continue pas moins de continuer de croire en l'existence d'un certain nombre d'autres. Ainsi, jusqu'en l'an IX de son règne, il adore encore RêHorakhty, le Soleil divinisé, et Shou, le dieu de l'air et le vecteur de la lumière, Maât, fille de Rê, déesse de l'harmonie. Puis, il bannit Horahkty et Shou, mais conserve Rê. A la fin du règne d'Akhenaton, le divin n'est plus que soleil et les seuls dieux sont Rê, Aton et Akhenaton. Il est donc évident que si le Grand Dieu de Moïse voulait finalement s'imposer, cela ne pouvait être qu'au détriment de la suprématie divine du soleil ! Si Moïse voulait prouver à Akhenaton qu'il en savait plus que lui sur le divin, il fallait qu'il montrât que YHWH maîtrisait le Soleil et la lune, qui étaient des dieux de second ordre. Souvenons-nous d'ailleurs que c'est lorsque Josué s'écrie: "Soleil, arrête-toi sur Gabaon ! Lune, fais halte dans la vallée d'Ayyâlon !" (en Josué 10, 12), que le triomphe de YHWH sur Rê est total. La conceptualisation et la mise

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au point du culte du grand Dieu YHWH aura mis plus de quarante ans. Moïse imposa YHWH, mais sans encore détrôner Rê. Ce fut l'oeuvre de Josué, pas la sienne. Moïse n'avait pas besoin de le détrôner comme Grand Dieu, puisque sa suprématie en MitzraiMs ne gênait nullement YHWH; en revanche, il avait vraiment besoin de montrer que YHWH était plus puissant que Rê, pour obtenir que Pharaon décidât de laisser partir le peuple d'Israël. Mais n'allons pas trop vite. Nous ne parlons encore que du commencement de cette époque qui a vu AHWH puis YHWH se disputer la scène avec le Roi-Dieu (Akhenaton) 169 . En fait, loin de nier l'existence des dieux multiples adorés en Egypte, ceux-là mêmes qui sont encore au fondement de la conception égyptienne du divin malgré l'attaque en règle lancée par Akhenaton contre nombre d'entre eux, Moïse s'applique à démontrer leur impuissance face à l'omnipotence de YHWHI70 . Moïse parachève donc l'oeuvre d'Akhenaton, mais

en dépouillant sa conception du divin de toute personnalisation humaine en laquelle il voit une perversion. Dans cet épisode, il se contente de proclamer la supériorité de Yahweh sur tous les dieux égyptiens, et tous ces dieux qui sont appelés "Elohîms étrangers". En Exode 20,3, Yahweh réclame qu'Israël n'aie pas d'autres dieux que lui, et en Deutéronome 6,14, il ordonne de ne pas aller à la suite d'autres dieux. Le vis-à-vis de Yahweh et de certains autres dieux "survivants" est tel que, longtemps après sa victoire sur Rê, Yahweh en est encore à reconnaître le Dieu de Moab Kemosh,( Juges 11, 24) ainsi que "les dieux étrangers" (en I. Samuel 26, 19). Autre retour des dieux. Et il faudra attendre bien plus tard, en Isaïe 45,22, pour que Yahweh proclame : "Je suis Dieu, il n'y en a pas d'autre".

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Le meurtre des dieux et de leurs représentants Venons-en à présent à ce que l'on a l'habitude d'appeler les "dix plaies d'Egypte" qui ont permis à Moïse de démontrer la suprématie de Yahweh sur Rê. Nous sommes, alors, en 1 340 avant notre ère. La question est la suivante : quels sont les dieux qui sont mis à mort lors des dix plaies d'Egypte? Ce sont des dieux primordiaux, sans lesquels la mythologie égyptienne ne fonctionne plus, tous ceux que Rê a luimême soumis et qui justifient son triomphe par leur asservissement. Moïse entreprend de les détruire en tant que créatures de Rê. Il espère que Pharaon tirera de lui-même la conclusion que Rê est devenu un dieu sans puissance. Au fond, Moïse veut ménager Pharaon, car, tout en condamnant le culte de la personnalité qu'il lui associe, il respecte son intuition divine. De nombreux historiens ont rappelé que les Hébreux, puis les Bnei Israël connaissaient bien la mythologie égyptienne. Une preuve évidente se présente, lorsqu'on compare l'hymne pour Aton au Psaume 104. Ces deux textes, séparés par de nombreuses décennies, décrivent de manière similaire l'activité nocturne des bêtes sauvages jusqu'au lever du jour et leur remplacement par les hommes qui vaquent à leurs occupations. Il en est de même de l'activité des bateaux dans leurs relations avec les animaux de mer. Enfin, il est même fait mention du poids de leurs oeuvres respectives dans l'identité d'Aton et de Yahweh. De ce fait, les neuf plaies entrent en résonance avec les dieux égyptiens. Il n'est pas inutile de rappeler ici que l'hymne pour Aton se trouve associé au pharaon Aï (1331-1326), car avant d'être lui-même pharaon, Aï, dont certains égyptologues pensent qu'il fut le père de Néfertiti sous le nom sémitique de Youya, "en qui certains verraient un possible Joseph" 171 est le

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deuxième personnage après Akhenaton. Or Youya s'écrit avec deux Yod, comme le nom de Dieu dans la Bible araméenne et à la différence de la Bible hébraïque où il s'écrit YHWH. Aï est "Divin-Père", Grand Prêtre d'Akhetaton et vizir régent. Il attendra la fin de la lignée divine pour succéder à Toutankhamon. Or Aï qui fut le mentor de Toutankhamon entreprit de restaurer Amon. C'est ainsi que sous Toutankhamon, il dirigea une campagne militaire qui avait pour but de repousser le peuple monothéiste d'Akhetaton. Il y a donc tout lieu de penser que Aï est le chaînon manquant qui nous permet de comprendre pourquoi YHWH doit triompher non seulement du Dieu Akhenaton, mais de tous les autres dieux qui n'ont pas encore été tués et de tous ceux qui font retour, après avoir été rétablis par ses successeurs. 1. Comme je l'ai dit plus haut, à l'instar du dieu Seth, le premier dieu que Moïse soumet en utilisant le principe même du nom Anokhi est Apophis, le dieu serpent. C'est un démon de taille gigantesque qui menace chaque matin et chaque soir l'ordre cosmique en s'attaquant à la barque du solei1 172 . Ce sont les reptiles des Hymnes pour Aton qui "s'appliquent à piquer", quand Rê se couche. Moïse et Aaron en connaissent le secret, puisqu'ils savent transformer un bâton (représentation, nous l'avons vu plus haut, du divin, en hiéroglyphe NTR) en serpent, et faire avaler les serpents des magiciens égyptiens par le leur. Le "passage de la mer des roseaux" sera d'ailleurs le moment du triomphe sur Apophis, puisque l'écartement des eaux fera apparaître non seulement l'invisibilité et l'impuissance de ce dieu, mais son inexistence. En outre, ce sera la marque de la pharaonicité de Moïse. En effet, les textes des Pyramides précisent que le roi se reconnaissait à sa capacité de séparer les eaux qui formaient un espace entre elles, dans le but de laisser passer la lumière et afin que celle-ci éclaire le monde.

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Le deuxième est les "eaux du fleuve", le Nil, essence du pouvoir pharaoniquem, ce Nil dont Pharaon lui-même s'est dit être l'engendreur, un dieu appelé /IR (prononcé ioterou, nom qui n'est pas sans rappeler celui de Jethrô), mais aussi "Hapy", vaincu par la première plaiel 74 . C'est le "commencement du monde", au sens de la mythologie égyptienne ancestrale, l'expression de l'océan primordial, le flot montant du Noun, mer incréée rejetée à la périphérie de l'univers. Hapy est l'Unique, celui qui se crée de lui-même, le maître des poissons. C'est aussi la crue qui est citée dans les hymnes pour Aton. Yahvé triomphe de Hapy par le sang, ce qui renvoie au sang des criminels qui étaient châtiés, le jour où il leur fallait rendre des comptes devant Osiris, le dieu parfait, mais aussi au triomphe du dieu Seth, meurtrier de son frère Osirism. Moïse use de l'ambivalence pour triompher des Egyptiens sur tous les plans. Le troisième est la grenouille (deuxième plaie), en égyptien "qror", animal qui grouille dans les eaux primordiales encore indéterminées et qui lui donne son bruit de fond. Il faut se souvenir que, chez les anciens Egyptiens, les huit dieux d'Hermopolis (l'Ogdoade) qui sont les forces obscures d'un monde encore inorganique sont composés de quatre couples, grenouilles mâles et femelles serpents. Par ailleurs, faire monter la grenouille, c'est maîtriser la déesse grenouille: H'equet "qui intervient dans la genèse du Dieu suprême de l'Egypte" 176 . La victoire sur la grenouille rejoint donc celle qui a lieu sur Apophis. Le quatrième est la vermine (troisième plaie) issue de la poussière, des insectes et, probablement, des millions de grenouilles qui, selon la logique du discours, ont été putréfiées sur place. Mais la vermine est aussi et surtout le genre animal dominant au stade anté-osirien de la mythologie égyptienne177 .

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Le cinquième (quatrième plaie) est l'ensemble des bêtes sauvages, celles-là mêmes qui, avec les fauves, "quittent une à une leur tanière", dans les Hymnes pour Aton, lors du combat avec Apophis. Si même ces animaux sont dominés, alors la mythologie égyptienne traditionnelle est bien en voie d'effondrement. Le sixième (cinquième plaie) est le bétail contre lequel la peste est lancée, le bétail de Mit7aiks étant une métaphore du peuple qui réunit les sectateurs d'Akhenaton. Le septième (sixième plaie) est le ciel obturé par la pluie de suie et les devins-magiciens attaqués de l'intérieur par les ulcères. Le huitième (septième plaie) est les récoltes détruites par la grêle. Le neuvième (huitième plaie) est la sauterelle, cet insecte qui, dans la religion égyptienne, permet au roi d'atteindre le ciel. Le dixième dieu (neuvième plaie) est l'ensemble des ténèbres, l'obscurité des Hymnes pour Aton, qui, lorsque Rê se couche, "rendent la terre silencieuse". "L'éclipse du soleil annonce la chute du dieu suprême, Rê, et de son fils divin, Pharaon" 178 . Le onzième (dixième plaie) est le premier-né de Pharaon mis à mort, ainsi que les autres premiers-nés. On se souvient que, selon notre reconstitution historique, Moïse l'Egyptien, alors Paramessou, s'en retourne en Egypte après la mort de Pharaon (Aménophis III) dont il a tué l'aîné (Touthmosis), meurtre auquel l'autre fils, Aménophis, doit d'avoir été intronisé comme successeur sous le nom d'Aménophis IV (et plus tard Akhenaton). Or, la première parole de YHWH que Moïse doit adresser à ce Pharaon (Akhenaton) garde la trace de cet événement. En Exode 4,22, YHWH dit: "Mon fils, mon aîné c'est Israël, renvoie mon fils

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qu'il me serve. Mais tu refuses de le renvoyer ! Voici, moimême je tuerai ton fils, ton aîné". Moïse rappelle à Pharaon que ce qu'il a déjà fait, il peut le refaire. De même qu'il avait tué le premier-né d'Aménophis III, parce qu'il allait à l'encontre de l'évolution religieuse préconisée par son père, et que Akhenaton radicalisa, au prix d'une rupture avec son père même, ce qui eut pour effet d'ouvrir la route de la succession à Aménophis, de même il avait le pouvoir de mettre à mort son premier-né (celui d'Aménophis devenu Akhenaton, à savoir Semenkhkâré, selon certains égyptologues), s'il faisait obstacle au triomphe de YHWH. On pourrait croire que s'il croyait en toutes ces réalités divines, Pharaon ne pouvait être qu'un de ces pharaons polythéistes de kêmi! Mais ce n'est pas exact. Ce que Moïse domine, ce n'est pas tant les dieux du Panthéon, lesquels semblent ne plus l'intéresser (à part Rê, bien sûr), comme si ce Panthéon avait déjà été détruit, que le monde qui se tient en arrière du Panthéon et de toute mythologie cosmologique des Anciens Egyptiens. Contrairement à Akhenaton qui encore les respecte, Moïse crée une rupture cosmo-mythologique drastique avec les temps immémoriaux. Où trouver les preuves de cette rupture? Moïse introduit une puissance plus grande que Rê, celle qui domine la sainteté de la vie et de la mort des premiers-nés. On peut dire qu'avec cette plaie, Pharaon est KO debout. Dans les Hymnes pour Aton, en effet, Rê est avant tout un Dieu de vie et, comme Pharaon est Rê - Aton, non seulement il règne sur la vie, mais il règne sur les morts qui sont comme si la mort était la vie. Pour Akhenaton, la mort n'existe pas, mais la vie non plus. Or, la dixième plaie de YHWH vient rétablir la mort par le meurtre des premiers-nés. Aussi, rétablissant la mort, Moïse se trouve devant une tâche inouïe : démontrer que la vie et la mort existent, et qu'elles existent séparément.

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En effet, sous Akhenaton, la mort et la vie n'existaient plus ou existaient de manière confondue. Akhenaton était allé le plus loin dans le déni de la mort. Traditionnellement, c'était le dieu Osiris qui avait pour fonction de faire accepter la mort, en la construisant comme un lieu où l'Egyptien continuait de vivre comme s'il était vivant. On sait qu'avant de devenir une divinité reconnue dans l'Égypte entière, Osiris avait connu des débuts très modestes. Il avait commencé sa carrière à Busiris. Là, il avait remplacé une divinité plus ancienne, Andjty, un dieu roi. Puis, il s'était opposé à Rê d'Héliopolis et, intégré à la grande ennéade, il était devenu, comme nous l'avons vu, fils de Nout et de Geb, frère d'Isis, de Nephthys et de Seth. A Memphis, il avait été assimilé à Sokaris, où il avait reçu les premiers traits de sa légende de roi terrestre et, en même temps, ses premiers aspects funéraires. Puis, Abydos l'avait accueilli, où il avait remplacé Khentamentiou, le patron des morts et des nécropoles. Enfin, devenu dieu de l'au-delà et garant de la résurrection humaine, il s'était répandu dans toute l'Égypte. A la fin de la Ve dynastie, le roi mort était déjà un Osiris, et chacun accédait désormais individuellement et démocratiquement, en suivant Osiris, au monde souterrain. C'était donc un dieu anthropomorphe représenté coiffé d'une couronne décorée de deux hautes plumes qui tenait un fouet "neheh" et un sceptre "heqa", symboles de la royauté. Or depuis qu'Akhenaton avait tué Osiris, en révélant ses secrets, c'était la mort même qui n'avait plus de réalité objective. D'un côté, l'Egyptien comprenait que dans la mort, il n'était plus vivant, de l'autre, que dans la vie, il n'y avait plus de différence avec la mort. Dans les mots d'aujourd'hui, je dirais que chaque Egyptien se percevait comme un mortvivant, c'est-à-dire comme dépossédé de toute preuve que, pendant sa vie propre, il était bien vivant et non pas mort. Ce

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n'est pas l'immortalité qui s'était installée dans la vie de chacun, mais la non-vie. Il faut imaginer l'existence d'ici-bas de tous ces sectateurs vivant à Akhetaton comme une vie quotidienne totalement illuminée, pendant laquelle il n'y avait plus rien à redouter ni à attendre, à l'exception de l'apparition d'Akhenaton. Ainsi, après ce pharaon, une nouvelle objection de fond s'opposa au raisonnement théologique : nul ne pouvait pas faire comme si la mort n'avait jamais existé, en se contentant de dire qu'Akhenaton avait été un "criminel". Les maîtres en théologie étaient mis en demeure de répondre.

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Notes du chapitre VII 165 Le Midrash Rabba est un ensemble de commentaires qui portent sur les Cinq premiers Livres et les cinq rouleaux (Cantique, Ruth, Lamentations, Ecclésiaste, Esther) de la Bible. 166 In Les Dieux de l'Egypte, Paris, Champs, Flammarion, 1997, p.227. 167 Cet épisode fait penser à la co-régence d'Aménophis III et de son fils, mais nous devons écarter cette référence, car Aménophis III connaît YHW et Aton. Il ne peut donc affirmer qu'il ne connaît pas le dieu Aton dont son fils lui parlerait, si tel était le bon scénario. 168 Les six premiers livres de la Bible racontent l'histoire selon YHWH telle qu'elle est chargée de sens pour les Egyptiens de Misraïms également. Mais, une fois que Canaan est conquise, l'histoire qu'elle raconte est d'une nature totalement différente. Elle n'a plus d'équivalent dans l'histoire d'Egypte, celle-ci ayant définitivement rejeté YHWH. Alors, commence l'histoire réelle du peuple d'Israël, celle-là même qui commence à être mentionnée sur les monuments, comme sur la stèle du pharaon Merneptah (fils de Ramsès II, parvenu au pouvoir en -1213). 169 On mesurera ici la différence existant entre l'explication traditionnelle du combat théologique qui oppose Moïse et Pharaon, telle que la présente André Chouraqui (in Moïse, Paris, Champ Flammarion, 2001) et la mienne. 170 Yahveh est alors Shadaï (Gen 17,1-Bible araméenne). 171 In op.cit. p.66. Notons que pour l'auteur, cent dix ans séparent Joseph de Moïse. 172 Serge Sauneron, in Dictionnaire de la civilisation égyptienne, article Apopis, Paris, F.Hazan, 1959, p.17. 173 R.Draï in La Sortie d'Egypte, Paris, Albin Michel, 1992, p. 204. 174 Sur ce sujet, lire le Zohar, op.cit., tome 3, p.87. 175 André Chouraqui perçoit fort bien ce point in Moïse, Flammarion, 1997, p.121. 176 R. Draï, in op.cit., p.211. 177 Idem, p. 215. 178 André Chouraqui, in op.cit., p. 125.

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ChapitreVIII LA RÉVOLUTION DE LA TORAH

Le paradigme la vie la mort comme enjeu théologique Nous devons comprendre qu'à l'époque d'Akhenaton, c'est Pharaon qui donnait la vie et la mort. Les égyptologues rappellent souvent que, à l'époque où le "divin père" Aï, qui détenait la place la plus élevée dans la hiérarchie des transmetteurs de la religiosité royale, n'était encore qu'un sectateur d'Akhenaton, et pas encore Pharaon lui-même, il reconnaissait à ce pharaon le pouvoir de l'avoir façonné. Mais ils oublient que cela voulait dire que si Pharaon pouvait le faire, il pouvait aussi le défaire, lui et tous ses sujets. Chaque Egyptien était contraint de reconnaître à Akhenaton un pouvoir sur sa vie et sa mort. Aussi, nul ne peut croire que, lorsque Akhenaton fut renversé, voire tué, comme son fils aîné, cela ne fut pas un bouleversement considérable dans les représentations. Si celui qui donnait la vie et la mort était non seulement mortel, mais "tuable", et, sans doute, tué, les Egyptiens n'avaient plus le choix qu'entre croire que leur pharaon avait été un fou ou que la vie et la mort n'avaient plus aucun sens. Ou les deux en même temps. Car penser que le pharaon est fou ou que la vie et la mort n'ont aucun sens, c'est sensiblement la même chose. Le noyau dur de la révolution d'Akhenaton ne fut donc pas tant l'invention du monothéisme que la liquidation 167

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d'Osiris. A partir du moment où le meurtrier d'Osiris fut luimême liquidé, le pouvoir théologique dut s'assurer que la vérité dont il était le porteur n'était pas morte avec lui. Le meurtre d'Osiris par Akhenaton ne ressemblait en rien à celui qu'avait commis Seth. Le premier était réel, alors que le second demeurait mythologique, c'est-à-dire gardien de la foi religieuse. En tuant Osiris, Akhenaton commença à tuer la mythologie. Comme l'au-delà, qui était le lieu de cette vérité, était déserté par les dieux et les âmes, les théologiens se trouvèrent contraints de transférer cette vérité dans la vie d'ici et maintenant, là même où Akhenaton avait commis son forfait, sous peine de la voire disparaître à tout jamais. Chaque peuple issu de la division monothéiste d'Akhenaton dut réécrire sa vérité. Il y eut dès lors deux manières différentes et antithétiques d'éviter la seconde mort: a) La voie pharaonique de la restauration d'Amon Ce fut l'oeuvre du divin père Aï qui, rompant avec l'hérésie amarnienne qu'il avait partagée avec Akhenaton, amena Toutankhaton, dont il était le mentor, à changer son nom en Toutankhamon, et qui, s'emparant du pouvoir après la mort de ce dernier, tenta d'imposer l'unité divine Adone-Aï que son successeur, un "homme de grande et vieille noblesse" 179, commandant en chef de l'armée et administrateur fiscal, appelé Paatonemheb ("Aton est en fête") sous Akhenaton, qui sut, à la fois réprimer les révoltes survenues en Canaan, conserver une partie de son pouvoir asiatique et réprimer les pratiques frauduleuses des collecteurs d'impôts", combattit dès son couronnement comme pharaon et pendant les trente ans de son règne sous le nom d'Horemheb ("Horus est en fête"). Après cette reconquête religieuse, IQ/ni reprit sa route,

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avec certains aménagements théologiques, oeuvres de Ramsès 1er, de son fils Séthi 1er et surtout de son petit-fils Ramsès 2180 qui aboutit à la religion trinitaire universelle (Amon - Rê - Ptah) intégrant nombre de divinités sémitiques (Seth, Baal, Astarté... ). b) L'invention prophétique de la religion d'Adonaï Ce fut l'oeuvre de Moïse, alors Paramessou, qui, sur ordre du pharaon Aï conduisit les prêtres monothéistes d'Akhetaton dans la province de Canaan. Dieu était personnifié par Aï (selon la Bible araméenne), par Yahweh (selon la Bible hébraïque). Certes, on ne trouve pas de trace archéologique de la religion d'Adonaï en Canaan à cette époque. Visiblement, la constitution d'une nouvelle religion qui prenait en héritage le monothéisme d'Akhenaton tout en en refoulant les aspects sexuels n'a fait l'objet d'aucune recension hiéroglyphique. Du moins est-ce là le résultat actuel de la recherche archéologique. Mais, les quelque cent trente années qui séparent l'exode d'Akhetaton de la Stèle de Mineptah n'en sont pas moins actuellement accessibles par la Bible. En effet, la Bible nous raconte les faits et gestes d'un peuple alors en voie de constitution qui construit une religion comme le négatif non seulement de celle d'Akhenaton, mais de toute idolâtrie, puisqu'elle récuse toute représentation (astre, homme) de Dieu. Il n'y a donc pas lieu d'espérer trouver quelque inscription que ce soit du nom du Dieu des Bnei Israël, alors, en Canaan. Par ailleurs, cette population s'installe sous la protection du pharaon. Les Bnei Israël continuent d'être des ressortissants égyptiens dissidents qui, lorsqu'ils se parlent à euxmêmes de leurs chefs spirituels les appellent "Moïse" et

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"Josué", mais qui, lorsqu'ils indiquent qu'il y a des traces de ce qu'ils ont vécu, renvoient aux stèles archéologiques sur lesquelles figurent l'ensemble des hauts faits de pharaon (Aï, Horemheb, Ramsès 1er, Séthi 1er) écrits en langage hiéroglyphique.

Du" système Osiris" à la nouvelle eschatologie de YHIFH Du point de vue de la pensée religieuse, la raison d'être de cette alternative : Egypte ou Israël ? Amon-Rê-Ptah ou Adonaï (Aï-Yahweh) ? se trouve dans la nécessité, au lendemain de la chute d'Osiris, de réélaborer de manière novatrice l'enseignement du chapitre CXXV du Livre du sortir à la lumière du jour (en égyptien pr m hrw), plus connu sous le titre (incorrect) de Livre des Morts, soit dans le sens du refoulement dynamique de la révolution opérée par Akhenaton, soit dans celui de son refoulement conservateur. Le premier refoulement efface là où le second garde. Sous le premier, les traces du refoulé sont explicites, sous le second, elles sont implicites. Le premier tient à distance, le second dissémine. Le mode d'écriture du premier est la surimpression, le palimpseste est celui du second. Ce livre date de 2200 avant notre ère. Pour un Egyptien, le but de la vie était d'assurer à son âme, une fois défunte, une sortie "pendant les heures de la lumière solaire", afin de s'unir au nombre des bienheureux qui entourent le soleil, sans quoi cette âme mourait définitivement. Cette "seconde mort" était la damnation éternelle, mais aussi l'anéantissement de tout sens de l'existence du vivant même de l'individu. Pour "sortir vers le jour", cette âme devait être pure. C'était une conception très morale. Osiris "présidait comme juge au jugement des âmes des morts ; ceux-ci faisaient devant lui leur confession solennelle, et, après que leur coeur avait été

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pesé dans la balance de la Justice, ils recevaient la récompense de leur vertu dans une vie éternelle ou le châtiment approprié à leurs péchés 181". Mais, une fois défunte et pure, l'âme devenait un double d'Osiris. Elle s'appelait "Osiris N.." Si donc Osiris avait disparu de la scène, l'âme ne pouvait devenir que le double d'Akhenaton ! Et lorsque Akhenaton fut tué, l'âme ne put plus devenir le double ni d'Osiris ni, bien sûr, d'Akhenaton. D'où le désarroi ! C'était soit la damnation éternelle de chacun, soit le triomphe de l'absurde, l'inutilité des dieux, la fin du monde, l'apocalypse... ! C'était aussi et surtout la fin de la division entre le bien et le mal, la fin de tout jugement. Après le meurtre d'Akhenaton, il n'y avait plus ni jugement ni juge. Cet état d'esprit rappelle le livre biblique des vanités : L'Ecclésiaste (Qokhelet) ! Il a donc fallu réagir. La fin d'Akhenaton ne pouvait seulement se laisser interpréter comme l'acte de rétablissement du jugement et du juge. Il fallait se débarrasser de son fantôme. Le pays de Kêmi n'avait pas été totalement déserté par Osiris. Akhenaton avait fait disparaître ce dieu de sa capitale Akhetaton principalement. Il n'eut pas le temps de généraliser son oeuvre et de la répandre partout. En conséquence, nombre de régions n'eurent pas le temps de connaître la démesure de la révolution amarnienne. Beaucoup d'Egyptiens n'entendirent sans doute jamais parler de la mort d'Osiris. Mais, le problème fut réel pour les prêtres monothéistes essentiellement, qui avaient vu mourir Osiris, puis son meurtrier, Akhenaton. L'Egypte retrouva le chemin de la spiritualité. Dans cet ouvrage, je n'en décrirai pas les arcanes - au demeurant très bien connus -. Mais le choc fut plus sévère pour les prêtres monothéistes chassés d'Akhetaton. Il leur fallut retrouver foi dans l'existence d'un Juge suprême. Ils justifièrent a posteriori la fin 171

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d'Akhetaton, jugée par trop immorale, et y virent une épreuve divine nécessaire, mais ils refusèrent de lui donner la même interprétation religieuse que ceux qui en avaient pris la décision. Au contraire, ils la contestèrent et élaborèrent une parole religieuse collective, nécessairement contrariée de temps à autre par les uns ou les autres, compte tenu des événements et de la non-automaticité de la concordance entre l'histoire et la religion, tout en appelant "Moïse" leur chef éponyme, celui par qui ce Juge éternel réapparut d'entre les dieux morts 183 . Aussi comprenons-nous pourquoi ce Juge, le Dieu d'Israël, fut établi comme une puissance terrifiante. La "crainte devant Dieu" devint le maître - mot de la nouvelle foi. Mais, les hommes eurent également à restaurer la vertu du jugement. C'est ainsi qu'une des principales fonctions de Moïse fut de "rendre la justice au peuple", comme on peut le lire en Exode, 18,14. Un des principaux apports de Jéthrô à l'oeuvre de Moïse est justement de l'avoir convaincu de s'entourer "d'hommes éminents, craignant Dieu, amis de la vérité, ennemis du lucre" qui jugeront le peuple en permanence. Nous retrouvons là le tribunal de 42 juges que, selon la religion osirienne, le défunt devait pouvoir nommer par leur nom. Je rappelle que, dans la salle où comparaissait son âme, outre Osiris, se trouvaient également Isis, Thot et Anubis. Au milieu de la pièce, il y avait une balance qui servait à la pesée de son coeur, considéré comme le seul témoin des événements et des émotions qu'il avait vécus de son vivant. Ce coeur était pesé sur un côté de la balance tandis que de l'autre côté, on y installait une plume de Maât (déesse de la vérité et de la justice). Alors, la vie du défunt pouvait être justifiée.

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Donc Adonaï puis Yahweh triomphent d'Osiris et d'Akhenaton. C'est sans doute cette double victoire que désigne l'ajout du "Hé" 183 final au nom YHW du dieu des Shasous. Pour ce qui concerne la défaite d'Akhenaton, nous en avons déjà parlé lors de la victoire sur le soleil et lors de la mort du premier-né de Pharaon. Mais, pour ce qui concerne Osiris, la démonstration est à venir. Ici s'impose un effort intellectuel et affectif. De même qu'un enfant peut imaginer qu'il est mort tout en étant vivant, de même le peuple d'Israël eut à se prouver à lui-même que, non seulement il avait échappé à la seconde mort, mais qu'il avait découvert de nouveaux fondements métaphysiques et moraux au fait de vivre.

La traversée de la Mer des Roseaux Imaginons que le scribe biblique s'adresse à un peuple de prêtres monothéistes qui vivent leur survie comme s'ils avaient été tués et nous commencerons à comprendre la nature du renversement du discours qu'il opère. Si nous pensons que les personnages de la Bible (avant, pendant et après l'Exode) se pensent comme vivants, nous manquons la vérité du message. Les récits de la traversée de la Mer des roseaux et de l'errance dans le désert, préludes à la conquête de Canaan, sont les récits fondateurs d'une nouvelle eschatologie vécue du vivant même des fils d'Israël 184. Ce sont les récits originaires de reconquête de la vie à partir de la mort. Ce que l'on se raconte, c'est que les fils d'Israël sont de l'autre côté de la vie, dans la mort, et qu'ils doivent revenir à la lumière. Nous avons affaire aux récits de leur expérience initiatique. Comme dans la révélation osirienne, leur problème intellectuel et affectif est de traverser le "champ des roseaux"

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qui est aussi le "champ des offrandes", autrement dit d'accéder au paradis, mais à condition de sortir de la mort pour aller vers le jour; or, pour résoudre ce problème, il leur faut inventer un nouveau voyage, de nouveaux rites, un nouveau credo. Toute la génération qui est sortie de Mitsraïms doit éviter la seconde mort, la damnation; pour ce faire, elle doit écouter Moïse et traverser sans discuter toutes les épreuves, notamment celle de la Mer des Roseaux. La menace de la seconde mort est clairement établie, lorsque les Bnei Israël disent à Moïse : "Est-ce faute de trouver des sépulcres en Egypte que tu nous a conduits mourir dans le désert? Quel bien nous as-tu fait en nous tirant de l'Egypte?" (Exode 14, 11). L'argument est clair. Les Bnei Israël regrettent de ne plus servir Mit7aïms (car tel est le sens d'en être les "esclaves"), c'est-à-dire de ne pas disposer des tombes qui leur avaient été promises en Akhetaton. Leur panique n'a de sens que par rapport à une perspective beaucoup plus drastique que celle d'avoir auparavant rompu avec la tradition funéraire de l'Egypte ancienne, en acceptant d'être enterrés à Akhetaton et non pas à Thèbes ou Memphis, par exemple, à savoir celle d'être jetés au désert. Moïse doit donc leur donner confiance dans sa capacité de leur éviter la seconde mort du désert et même de les conduire au Paradis. Telle est la signification de l'épreuve de la division des eaux de la Mer des Roseaux que nous devons désormais concevoir comme une étendue d'eaux non plus seulement "mythologiques 188 ", mais eschatologiques. La différence est capitale, car elle est toute faite de renversement. Dans la version mythologique (égyptienne), "l'idée fondamentale de la litanie est partout que le roi mort, au matin, se baigne dans le Champ des Roseaux, en l'orient du ciel... comme le fait le dieu solaire, avant de s'engager en son parcours céleste 186". Le Champ des Roseaux est donc un lieu

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aquatique paisible et purificateur. Mais dans la version eschatologique (des Bnei Israël), c'est un lieu dont les eaux sont impitoyables et qu'il ne faut donc traverser qu'après qu'elles ont eu été asséchées. Moïse est ce guide spirituel qui conduit les Bnei Israël au-delà de la Mer des Roseaux. Messod et Roger Sabbah ont clairement démontré que la symbolique de la traversée de cette Mer (Exode XIV,20) est la réécriture d'un passage des Textes des Pyramides qui, comme le rappelle Vandersleyen, "relatent que Pharaon avait pouvoir de séparer les eaux, formant un espace entre elles, afin de permettre à la lumière d'éclairer le monde" 187 . Leurs recherches ont conduit à une découverte de première importance: la présence, dans la tombe du pharaon Ramsès 1er, d'une scène murale qui le montre "sous l'aspect d'Atoum, brandissant son bâton sur Apophis, le serpent aux douze anneaux, surgissant de l'océan primordial. Plus loin, un décor insolite représente l'océan, le Noun, séparé en deux. Apophis est repoussé entre les eaux. Ces éléments, concluent-ils, sont à l'origine de la légende de l'expulsion nocturne des douze tribus d'Israël à travers la Mer Rouge, la Mer des Roseaux" 188 . Cette avancée archéologique confirme que Moïse est le nom du personnage éponyme qui nomme la réalité mythologique de Ramsès ler, du point de vue de la nouvelle eschatologie en train de se constituer. La traversée de la Mer des Roseaux possède ainsi une double inscription: archéologique et hiéroglyphique, elle inaugure la fondation de la lignée des Ramsès ; narrative et hébraïque, elle est vécue comme une des expériences fondatrices d'une foi d'un type radicalement nouveau. Du point de vue de cette nouvelle foi, cette traversée ne suffit pas. Bien après, la génération des Bnei Israël mourra quand même dans le désert. En fait, la Mer des Roseaux n'est qu'un moment du voyage initiatique. Comme la génération

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ne doute pas, elle survit. A d'autres moments, elle doutera, et finira par sombrer dans la seconde mort. Cette interprétation pose deux types de problèmes : le premier est que la Bible serait la révélation même d'une expérience initiatique qui était, au contraire, destinée à restée secrète; le second est que nous ne voyons pas concrètement sur quels éléments du récit nous nous appuyons pour la justifier. Certains épisodes de la légende osirienne étaient révélés, annuellement, lors des fêtes d'Abydos. Elles avaient lieu au début du IVe mois de l'an égyptien, lorsque le retrait des eaux du Nil laissait les champs émerger et s'ouvrir aux nouvelles cultures. Ainsi comme son dieu Osiris, la terre égyptienne, après sa mort annuelle sous la brûlure de l'été, renaissait avec le retrait des eaux et s'ouvrait sous un nouveau jaillissement de vie. Tel était également le destin post mortem dont chaque Egyptien rêvait pour lui-même. Ces rites exprimaient la participation de chacun à la fonction originelle du dieu de la terre et des forces végétales. Mais, d'autres cérémonies, les plus importantes, demeuraient secrètes. Elles faisaient l'objet de mystères accomplis dans les salles les plus retirées des temples. Ainsi le mythe d'Isis et d'Osiris révélait que la puissance reproductrice et le contrôle de la mort étaient liés. Osiris était le roi des enfers et le maître des transmutations, il était aussi celui qui pouvait retrouver sa puissance sexuelle dans la mort, mais à une condition: qu'il ait réellement fait la preuve qu'il était un Juste souffrant. Akhenaton pensa-t-il cela également? Nous ne savons rien des expériences initiatrices que ce pharaon imposait aux prêtres monothéistes. Mais, nous pouvons imaginer qu'elles étaient plus cruelles, car plus hallucinatoires et plus soustraites à la limite que jamais. James George Frazer rappelle que "nous n'avons pas d'informations bien claires sur le sort que les

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Egyptiens croyaient réservé aux méchants après la mort. (Mais), dans les scènes qui représentent le dernier Jugement, on voit accroupi à côté des balances, dans lesquelles on pèse le coeur des morts, un animal monstrueux connu sous le nom de "Mangeuse de morts" (Amenouit). Il a la tête d'un crocodile, le tronc d'un lion, et le derrière d'un hippopotame. Certains croient que l'on abandonnait à ce monstre farouche, pour qu'il les dévorât les âmes de ceux dont le coeur avait été pesé et trouvé insuffisant; mais cette opinion paraît être conjecturale" 189 . La dureté de ces expériences était à la hauteur de la crainte d'être dévoré tout cru par une bête immonde. Nous retrouvons, d'ailleurs, ce châtiment, lorsque les opposants à Moïse seront dévorés par le feu et la terre, peu après l'épisode du veau d'or190 . L'esprit du défunt ne devenait pas immortel automatiquement. Au contraire, il devait traverser de nombreuses épreuves, s'il voulait atteindre le paradis. Les obstacles étaient innombrables: serpents gigantesques, démons épouvantables, dieux vengeurs et justiciers. Pour échapper à cet anéantissement, il fallait aux Egyptiens aller au-delà de la Mer des Roseaux et prouver qu'ils étaient, chacun, des Justes souffrants. Le défunt devait apprendre par coeur les procédures et les formules contenues dans le Livre des Morts. C'est le contenu de cette expérience initiatique qu'au nom d'Adonaï, Moïse refoula, inversa et qu'il livra sous le nom de "don de la Torah". L'écriture de la Loi

La Loi est intellectuellement issue de la réélaboration et de l'écriture du credo égyptien du "Juste souffrant" dans les conditions post-osiriennes et post-akhenatoniennes que j'ai décrites plus haut.

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Le récit de l'Exode rétablit deux réalités essentielles du monde osirien : le désert et la montagne. Les grands égyptologues que sont Moret et Weill ont bien montré que, dès la IVe dynastie, lorsque Osiris supplante Anubis, la mort est le lieu d'un voyage initiatique qui fait "cheminer sur les bonnes routes de l'Occident où cheminent les im'hw (les fidèles) auprès du dieu grand, Seigneur de l'Occident" 191. En chemin, les fidèles ont à résoudre des problèmes, comme ceux de la sépulture et des aliments funéraires. Les Bnei Israël rencontreront également ces problèmes, lorsqu'ils réclameront de quoi manger à Dieu qui, sous les suppliques de Moïse, leur enverra la manne, ou lorsqu'ils seront contraints de mourir, comme Moïse lui-même (selon le Midrash), sans tombeaux ni sépultures. C'est pourquoi, d'ailleurs, ils pourront se relever d'entre les morts, au jour du Jugement dernier. Dépossédés de tout, ils sont comme ces fidèles qui dans le texte des Admonitions ou le Livre du Désespéré, textes très anciens, s'il en est, puisqu'il date de -2000, sont "destinés à être embaumés, mais sont finalement déposés au désert (littéralement: au terrain haut, comme l'Egyptien d'aujourd'hui dit gebel, la "montagne", pour désigner le glacis de sable et de gravier en contre-haut de la zone cultivée) ; l'art secret des embaumeurs tombe à rien, à cause de cela" 192. Le livre de l'Exode est donc le récit d'une grandiose lutte contre le désespoir. Au lieu d'aller de leur plein gré aux crocodiles, les fils d'Israël les tuent. Au lieu de s'abandonner au désert, ils vivent la révélation d'Adonaï. Certes, ils mourront tous dans le désert. Et il y a quand même de l'Ecclésiaste dans cette négation de la vie en un autre monde ! Cela a d'ailleurs fait l'objet de débats importants. Par exemple, le chant du Harpiste, texte égyptien très ancien, qui est une réaction épicurienne à ce type de désespoir, a été rapproché de l'Ecclésiaste ou du Livre de Job pour en être aussitôt

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écarté. On a préféré voir dans ces derniers livres un emprunt à des légendes mésopotamiennes. Pourquoi pas ? Sauf que ces thèmes, et notamment ceux des décalogues (le "décalogue éthique (Exode, 20, 2: Deutéronome 5,6) et les deux dodécalogues (Exode 34, 14 et Deutéronome 27, 15) sont aussi très présents dans les textes ancestraux égyptiens et en particulier dans Le Livre des Morts 193 Le premier commandement est totalement nouveau, et pour cause, puisqu'il est la parole du Grand Dieu qui efface et Osiris et Akhenaton et conduit les Bnei Israël sur le chemin de la vie, au-delà de la mort. Les neuf autres résultent d'une réécriture affirmative du credo du "Juste souffrant", qui était antérieurement exprimé de manière négative que seul le refoulement du principe osirien et de son effacement sous le principe akhenatonien rend possible. En fait, lorsque nous lisons attentivement les cinq premiers Livres de la Bible, nous nous rendons compte que la génération de l'Exode n'échappe à la seconde mort qu'au prix d'une volonté des générations ultérieures de leur rendre hommage par la mémoire et notamment la mémoire de ce dont elles ont été les témoins, même si elles n'ont pas été à la hauteur. Cela nous rappelle que, dans des textes très anciens de l'Egypte, ce n'était pas le tombeau qui était efficace pour la mémoire et la survie de l'homme, mais bien ses oeuvres. Or les oeuvres de cette génération furent loin d'avoir été exemplaires. Prenons, par exemple, ce qui s'est passé lors de la révélation du Sinaï qui, je le note au passage, fut collective, là où celle des Egyptiens était individuelle, et comparons les Dix commandements avec la déclaration que chaque Egyptien était tenu de faire, lors de l'expérience initiatique, pour se préserver de la seconde mort qui était l'anéantissement total. .

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Je fais référence aux formules que le défunt devait prononcer dans l'au-delà. Certes, le mort ne les prononçait pas. Quant on est mort, on est mort ! Mais ces formules étaient des prières que chaque Egyptien devait apprendre par coeur et qui guidaient sa vie de son vivant. S'il les respectait, alors, il avait toutes les chances d'être justifié dans l'au-delà. Bien évidemment, ce n'est pas comme mort qu'il devait les justifier, car alors la justification était forclose. Cette conception fait référence à une conception de l'âme très particulière ! La tombe du défunt égyptien était conçue comme une maison terrestre qui faisait le lien entre la terre et l'au-delà. Les trois composantes de la spiritualité de l'Egyptien y trouvaient leur compte : le "ba", le "ka" et "l'akh". Le "ba" était ce que nous appelons la personnalité. Il avait la vertu de se séparer du corps après la mort et de se promener durant le jour avec Rê, pour réintégrer la momie, une fois la nuit venue, dans le dessein qu'elle se souvienne de sa personnalité. Cette âme était représentée par un oiseau à tête humaine. Le "ka" était cette force qui devait quitter le corps pour se procurer de la nourriture dans l'au-delà, cette même nourriture qui résultait des offrandes des vivants. Enfin, seule "l'akh" était la force spirituelle censée être capable d'intervenir auprès des vivants pour leur venir en aide. Comme je l'ai dit, après la pesée du coeur, le défunt devait ensuite se confesser auprès d'une assemblée de juges. Cette confession était rétro prospective et négative, et non, comme le sera celle des Dix Commandements, prospective et impérative. Les thèmes de cette confession égyptienne étaient les suivants : "Louange à toi, grand Dieu, seigneur de la vérité ! Je comparais devant toi, ô seigneur, je me présente devant toi pour voir ta bonté. J'ai reconnu et je reconnais ton nom. Je connais les noms des quarante-deux dieux qui siègent avec

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toi dans la salle de la vérité, qui vivent là du châtiment des criminels, qui vivent là du sang des criminels au jour où il faut rendre des comptes devant Osiris, le dieu parfait. Forteresse des esprits, seigneur de la vérité, voilà ton nom ! Puisse-je vous reconnaître, seigneurs de la vérité ! C'est la pure vérité que j'apporte devant vous. Couvrez mes fautes ! Je n'ai été ni trompeur ni méchant. Je n'ai point tué. Je n'ai point trompé la justice. Je n'ai point fraudé l'homme sur le salaire de sa journée. Je n'ai point été paresseux. Je ne me suis point lassé. Je n'ai point succombé à la peine. Je n'ai point perdu courage. Je n'ai rien fait de ce que les dieux haïssent. Je ne me suis point oublié envers la personne de mon supérieur. Je n'ai ni opprimé ni affamé ni fait pleurer personne. Je n'ai pratiqué aucune tromperie à la face des hommes. Je n'ai point falsifié les mesures de l'Egypte. Je n'ai rien dérobé aux statues des dieux. Je n'ai point enlevé les bandelettes de lin des morts. Je n'ai point fréquenté les femmes de mauvaise vie. Je n'ai point pratiqué l'usure. Je n'ai point falsifié les cachets des bagues. Je n'ai point diminué les poids des balances. Je n'ai point troublé les gazelles dans leur gîte. Je n'ai point cherché à prendre les oiseaux des dieux. Je n'ai pris ni leur poisson kami ni leur poisson oxyrrynque. Je n'ai ni arrêté ni détourné le cours du fleuve. Je n'ai point frustré les dieux des cuisses des victimes. Je n'ai point pourchassé les troupeaux sacrés. Je suis pur ! Je suis pur ! Je suis pur ! Pur le grand bennou (phénix) qui vit dans Soutenkhéou. Car je suis la narine du seigneur des vents qui donne la vie à tous les hommes au jour où il faut rendre compte, de l'oeil qui est dans Anou (Héliopolis), le trentième jour du mois de Mécir (c'est-à-dire au solstice d'hiver) devant le seigneur de la terre. Car j'ai vu l'oeil dans Anou se remp liri94,1 .

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Les trente jours font penser au temps de deuil de Moïse. Il y a là une trace incontestable du lien existant entre la nouvelle eschatologie qui est l'oeuvre de Moïse et le Jugement dernier d'Osirisl 95 . A la suite de cette confession, les juges prononçaient leur sentence. Si le défunt était accepté pour l'éternité, ils proclamaient: "Il n'a commis aucune mauvaise action, il n'a point volé, il n'a commis aucun homicide volontaire, il ne s'est point fait voir, quand il priait, il n'a point été hypocrite, il n'a volé ni le bien de Dieu ni dérobé les offrandes d'aliments, il n'a point calomnié, il n'a point eu à ronger son coeur, c'est-àdire qu'il n'a point eu sujet à se repentir, il n'a été ni ivrogne ni adultère, il ne s'est point souillé d'impureté, il n'a point secoué la tête, quand il entendait les paroles de vérité, il n'a point allongé inutilement ses discours, il n'a injurié ni le roi son père ni les dieux, il n'a point méprisé les dieux dans son coeur, il n'a point arraché les bandelettes des morts". Puis, la "Mangeuse de morts" sortait et les juges concluaient: ' ", qu on lui remette le pain et la bière délivrés en présence d'Osiris ainsi qu'une nouvelle allocation permanente dans le champ des offrandes". Le défunt était justifié et s'appelait Osiris N. Ceci paraît très loin des Dix Commandements, pour qui s'obstine à prouver que tout ce qu'a apporté la monolâtrie de Moïse était déjà écrit dans les textes ancestraux d'Egypte. Cette conclusion serait, en effet, une erreur monumentale. Mais, pour qui admet que l'immense travail entrepris par Moïse et le peuple d'Israël visait à construire une conception religieuse du monde qui travaillait l'ensemble des héritages spirituels (et je ne parle ici que des Egyptiens) pour en faire le deuil et construire de nouvelles représentations adéquates à la nouvelle situation de tous ceux qui voulaient garder la "foi monothéiste", il existe un rapport entre les Dix

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Commandements et le Jugement dernier d'Osiris, mais aussi d'autres textes qui contiennent des représentations mythologiques égyptiennes traditionnelles. Seulement, là comme auparavant, ce rapport est un rapport de renversement. Venons aux thèmes qui, je le précise, sont loin d'être exhaustifs. Voici le texte que l'on trouve en Exode 20, 2-17: 1. Je suis l'Eternel, ton Dieu qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, d'une maison d'esclavage". Il s'agit de dire: "je suis vivant", c'est-à-dire "j'ai ressurgi d'entre les dieux morts, car je suis éternel. En effet, cette affirmation ne se peut dire que du point de vue de Dieu, car, du point de vue de l'homme qui se découvre à nouveau vivant et mortel, "je suis vivant" se dit seulement "je ne suis pas mort". 2. "Tu n'auras point d'autre dieu que moi. Tu ne te feras point d'idole, ni une image quelconque de ce qui est en haut dans le ciel, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux au-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras point devant elles, tu ne les adoreras point; car moi l'Eternel ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui poursuit le crime des pères sur les enfants jusqu'à la troisième et à la quatrième générations, pour ceux qui m'offensent et qui étend ma bienveillance à la millième, pour ceux qui m'aiment et gardent mes commandements". C'est la marque de la monolâtrie de Moïse qui prend le contre-pied du culte des colosses dont Akhenaton avait poursuivi la pratique licencieusel 96 . Car n'oublions pas qu'Akhenaton, dans son délire de se substituer à Osiris, était allé jusqu'à se faire représenté castré 197 . Mais, il s'agit aussi

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d'en finir avec le culte de la statue: Pour les Égyptiens, la statue était l'être même qu'elle incarnait. On y inscrivait le nom et les qualités du personnage figuré. Dès lors, on exigeait les mêmes soins pour la statue que pour les vivants. 3. "Tu n'invoqueras point le nom de l'Eternel ton Dieu à l'appui du mensonge, car l'Eternel ne laisse pas impuni celui qui invoque son nom pour le mensonge". La reconnaissance du nom et le rejet du mensonge sont présents dans la Confession négative d'Osiris N., sauf que là, ils prennent leur sens devant Adonaï et non devant Osiris. 4. "Pense au jour du Shabbat pour le sanctifier. Durant six jours, tu travailleras et t'occuperas de toutes tes affaires, mais le septième jour est la trêve de l'Eternel, ton Dieu; tu n'y feras aucun travail, toi, ton fils ni ta fille, ton esclave mâle ou femelle, ton bétail, ni l'étranger qui est dans tes murs. Car en six jours l'Eternel a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu'ils renferment, et il s'est reposé le septième jour; c'est pourquoi l'Eternel a béni le jour du Shabbat et l'a sanctifié". C'est un commandement dont le sens est immédiatement lié à la situation des Hébreux/Yahouds en Mitsraiks. Le travail, l'esclavage, le bétail, toutes ces réalités avaient une dimension religieuse. La construction d'Akhetaton avait été infernale (par la rapidité et l'immensité des travaux). C'est pourquoi, Moïse introduisit une rupture dans le rythme même du rapport à Dieu et il est compréhensible que l'on ne trouve pas trace d'une trêve du dieu ou des dieux dans la religion égyptienne.

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5. "Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur la terre que l'Eternel ton Dieu t'accordera". Ce commandement renvoie à la confession de n'avoir fait souffrir personne, mais il nomme très précisément ce qu'il faut entendre prioritairement par "personne" : les parents. Visiblement, il est fait référence à l'inceste 198 qui avait été en vigueur sous Akhenaton et qu'il fallut interdire de manière stricte, par la suite. 6.

"Ne commets point d'homicide".

Ce verset dit positivement ce que le Jugement dit négativement ("il n'a commis aucun homicide volontaire"). D'où l'on infère que les Egyptiens avaient également interdit le meurtre. 7.

"Ne commets point d'adultère".

Ce verset renvoie à la condamnation "il n'a pas été adultère" du Jugement qui succède à la confession d'Osiris N. 8.

"Ne commets point de larcin".

Ce commandement renvoie au thème "il n'a point volé" du Jugement dernier. 9. "Ne rends point contre ton prochain de faux témoignage". Pensons ici à l'article : "il n'a point calomnié" du Jugement dernier. Weber estime même que cette interdiction "est surpassée par la condamnation de tout mensonge" dans le Livre

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10. "Ne convoite pas la maison de ton prochain; ne convoite pas la femme de ton prochain, son esclave ni sa servante, son boeuf ni son âne, ni rien de ce qui est à ton prochain". Ce thème reprend l'interdiction égyptienne de voler ou de s'approprier le bien d'autrui, mais la prolonge sur le plan de l'intention et du désir. Il est donc clair que Moïse a repris certains thèmes du Jugement dernier osirien, mais en leur donnant une formulation impérative, et qu'il a inventé de nouveaux thèmes, en raison d'une radicalisation de la pensée religieuse qu'il s'est imposé du fait du rejet de l'hérésie criminelle d'Akhenaton. L'essentiel de son oeuvre tient dans l'énonciation du Décalogue, dans son énoncé et dans la réception du message face-à-face avec Dieu, mais également dans sa retransmission. Le récit de la révélation de Moïse est unique et originaire. Le commentaire traditionnel du Midrash Rabbah, (Chemoth Rabbah) explique le redoublement du nom de Moïse, lors de son interpellation par Dieu: "Moïse ! Moïse" ! (Exode 3,4). Il souligne qu'il diffère de l'appel d'Abraham, puisque celui-ci n'est nommé qu'une fois. Pour Maïmonide, avec Moïse, il ne s'agit plus seulement d'une révélation personnelle et d'un appel à l'homme au moyen de l'étude et de l'enseignement 200, mais, d'un appel à la foi, au sens de l'histoire et à la mission prophétique. D'où la répétition du nom. Par exemple, le Coran n'accordera pas la même importance à ce trait spécifiqueni. Or, si l'on considère qu'Abraham est une figure scripturaire dont l'esprit reproduit la lutte du pharaon Akhenaton contre le polythéisme et sa rencontre avec un Dieu qu'il voulait unique, on comprend que Moïse soit

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également une figure scripturaire qui, dans sa dimension historique, veut libérer le message d'Akhenaton de sa perversion.

Le sens de la Genèse Si Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome sont quatre livres qui racontent et interprètent selon la théodicée d'Adonaï et de Yahweh la sortie d'Akhetaton et les tribulations du peuple monothéiste qui s'ensuivirent, la Genèse est la mémoire historique d'une partie des événements qui se sont passés en Akhetaton. On ne possède aucune trace hiéroglyphique de l'interprétation biblique de ces événements, mais cette interprétation renvoie à des événements et objets historiques qui prennent place dans la tradition, la révolution et la restauration religieuses égyptiennes. C'est ainsi que l'interprétation des stèles d'Abraham, d'Isaac et de Jacob renverraient à celles de l'ère amarnienne sous la co-régence d'Akhenaton avec Aménophis III, sous son règne exclusif, sous la co-régence de Semenkhkharé avec Akhenaton, sous Toutankhaton et Ankhesenamon et sous Aï, même si aucune de ces stèles retrouvées ne sont porteuses de quelque inscription biblique que ce soit. La Genèse raconte comment, en Akhetaton, le pharaon se représentait la création de l'univers, des plantes, des animaux et des hommes, de la femme et comment il les a découverts par la connaissance, voire par le sexe. La capitale monothéiste y est décrite comme le Jardin d'Eden où règne d'abord la licence sexuelle sans perversité, puis la revendication du droit de la femme, et finalement de tout à chacun, comme membre du peuple sacré, à accéder à la connaissance du divin. Cette licence et cette révolte se voient limitées par les foudres

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d'Adonaï, pour finalement rendre les armes à la fidélité à Adonaï. Les conflits entre Adonaï, les Elohim, les rois et les monolâtres (les "Hébreux", les "Yahouds") qui sont sur le chemin du monothéisme décrivent l'ambivalence des prêtres d'Akhetaton qui oscillent entre respect fidèle du nouveau culte d'Adonaï et transgression. La transcription tardive de ce palimpseste sous la forme d'un nouveau texte dans lequel celui-ci est encrypté emprunte des noms et des explications dont certains prennent sens au moment de sa nouvelle écriture (Vile siècle avant notre ère), mais qui renvoient tous à des personnages, à des lieux qui prennent leur sens, XIVe siècle avant notre ère, dans le cadre d'une mémoire ancestrale ramenée à un commencement ex nihilo.

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Notes du chapitres VIII 179 Claire Lalouette, in Le Monde des Ramsès, Paris, Bayard, 2002, p.36. 180 Ibid. 181 James George Frazer, in Atys et Osiris, Paris, Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1926, p.50. Il poursuit ainsi : "La confession, ou plutôt la profession de soi que Le Livre des Morts met dans la bouche des défunts comparaissant devant Osiris, montre sous un jour très favorable la moralité des anciens Egyptiens". 182 Nombres 16,13,14 (" Sur quoi t'appuies-tu pour exercer ton autorité sur nous ? ") garde une trace de la construction ambivalente de cette figure éponyme. En effet, Moïse y est à la fois le représentant des Bnei Israël, parce que chacun pense être un "Moïse", et une personne différente de chacun. Sainteté et dissidence sont contradictoires. 183 "Dans la tombe de Toutankhamon, on trouve un hiéroglyphe désignant le Grand Dieu, identique au "Hé" hébraïque, lettre qui désigne le souffle de Dieu", M. et R. Sabbah, in op.cit., p. 28. 184 Cette interprétation est en harmonie avec celle d'Isaïe. Dans le Livre d'Isaié, le disciple appelé "le grand inconnu de l'exil" évoque l'Exode en ces termes : "N'est-ce pas toi, bras de YHWH, qui a fendu (hsb) Rahab, transpercé Tannin ? N'est-ce pas toi qui as asséché la Mer, les eaux du grand Abîme, dévasté les profondeurs de la mer, un chemin pour que passent les rachetés (Is 51, 9-10)". "Ce combat, poursuit H.Cazelles, célébrait, chez les Babyloniens, la victoire de la divinité contre le chaos aqueux primordial. Le prophète transforme ce mythe de création en un acte de salut de YHWH par rappel du passage de la mer à la sortie de l'Egypte", in "Peut-on circonscrire un événement Exode",

in La Protohistoire d'Israël, op. cit., p.59. 185 R.Weill in Le champ des Roseaux et le Champ des Offrandes, Paris, Paul Geuthner, 1936, p.97. Kurt Sethe, cité par R.Weill in op.cit., p.153. In op. cit., p. 400. In op. cit., p. 447. Ibid, p.51. Sur la signification de l'angoisse dans la Bible, lire le passionnant livre de Richard L.Rubenstein, L'Imagination religieuse, Paris, Gallimard. 191 Raymond Weill in Ceux qui n'avaient pas de tombeau dans l'Egypte ancienne, in Revue de l'Histoire des Religions. 192 Gardiner, The admonitions of an Egyptian sage (1909), p.37, cité in ibid, p.13.

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193 Dans Le Judaïsme antique (op.cit., p. 320), Max Weber souligne que "pour apprécier pleinement l'originalité de l'ancienne morale israélite telle qu'elle apparaît dans les décalogues ainsi que, d'une façon plus frappante encore, dans les autres devarim éthiques, il ne convient pas d'établir de nombreuses comparaisons avec les registres babyloniens de péchés qui dans l'ensemble sont peu significatives en ce qui concerne la seule éthique et qui nous apprennent guère plus que ce qui est évident. Bien plus profitable est la comparaison avec la liste des péchés que mentionne le 125ème chapitre du Livre des Morts égyptien". Mais s'il tente de l'expliquer, Weber ne commente pas la nouveauté radicale du premier commandement dont aucune trace n'est lisible dans le Livre des Morts. Sa lecture bute donc sur la question du refoulement sans laquelle il est impossible de comprendre l'éthique des Bnei Israël comme le négatif de l'éthique d'Akhenaton. Weber insiste également (p. 190) sur le fait que l'individu devait faire la confession négative de ses péchés, lorsqu'il se présentait devant Yahweh. 194 In Busens, Aegypten, V,II,p.551 195 Dans son Histoire d'israél'op.cit.), S.W.Baron écrit : "La similitude que l'on constate entre certains préceptes moraux et le chapitre CXXV du Livre des Morts égyptien (dont le plus ancien manuscrit remonte au XVème siècle), ou encore la seconde tablette de la série magique babylonienne Shurpu (rédigée à une époque qui se situe entre 1500 et 1100) n'enlève rien à l'originalité de l'oeuvre de Moïse mais détruit l'objection possible à un enseignement mosaïque qui aurait été tiré, pour ainsi parler, du vide". 196 Lire Akhenaton sur le divan, Paris, Jean-Cyrille Godefroy, 2001. 197 Ibid. 198 Il ne s'agit pas seulement de l'inceste sacré des rois, mais de l'inceste profane du peuple qui s'est sans doute répandu sous Akhenaton. 199 Ibid, p.322. 200 In Le Guide des Egarés, Paris, Verdier, 1979, p.153.

201 Sourate 20 v11.

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ChapitrelX

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Retour à l'histoire

Il est temps de revenir à la compréhension des événements historiques du XIVe siècle avant notre ère. Les cinq premiers livres de la Bible sont un discours religieux sur la révélation monothéiste d'Adonaï - Yahweh, Grand Dieu qui supplante le dieu des vivants et des morts (Osiris, puis Akhenaton) et sur le départ des prêtres monothéistes d'Akhetaton ! Pour être logique, ce discours doit être capable de se placer du point de vue des vivants et des morts. Car l'objectif est non seulement d'éviter l'anéantissement de la seconde mort, en étant victorieux de toutes les épreuves de souffrance nouvellement formulées par Moïse, auxquelles les vivants devaient se confronter spirituellement, s'ils voulaient demeurer monothéistes du temps de leur vie, pour que, une fois morts, ils soient sauvés et justifiés, mais également de restaurer l'autorité du Grand Dieu. "Moïse" est le nom que les Bnei Israël donnent à l'interlocuteur de Pharaon, lorsqu'ils jouent leur interprétation religieuse d'un événement qu'ils attribuent à Adonaï Yahweh contre celle que les polythéistes attribuent à AmonRê. C'est pourquoi, vouloir à tout prix affirmer que Ramsès I er et Moïse sont une seule et même personne 202 ne peut résulter que d'un forcing de l'histoire. Il n'existe pas d'Egyptien pour qui Ramsès ler soit Moïse, pas plus qu'il ne 191

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peut exister d'Hébreu ou de Yahoud pour qui Moïse est Ramsès 1er. La question de l'historicité de l'Exode ne se pose ni en ces termes ni en ceux de l'archéologie sensu stricto. Toutes les tentatives de prouver la réalité historico-géographique des événements de l'Exode, par exemple, la Bible en main, ont été vouées à l'échec. Parfois, leurs auteurs ont même sombré dans le ridicule. Autre exemple: le déluge n'a jamais existé203, même s'il a existé un événement que la Bible (et bien d'autres corpus religieux, d'ailleurs) a appelé le "déluge". Il nous faut donc apprendre à distinguer entre deux séries de faits : - l'événement extérieur auquel, pour des raisons religieuses, on a donné le nom de "Exode" ou "Déluge" et que, pour des raisons scientifiques, on a dû appeler autrement en son temps, si la connaissance et l'autorité théologique l'ont permis (comparons avec l'anathème jeté sur Galilée par l'Eglise), et que l'on peut appeler autrement aujourd'hui, - et l'événement intérieur à la réalité psychique, "événement mental" qui prend place dans une logique religieuse, mais auquel, pour des raisons politiques, l'autorité théologique attribue une réalité historico-géographique, à un moment donné. Le lecteur qui n'a jamais été dogmatique ne se sentira pas atteint. D'autre part, celui qui se tient en retrait de toute manipulation théologico-politique pourra accueillir en toute sérénité l'idée d'un parallélisme de deux discours, l'un hiéroglyphique, l'autre hébraïque/yaoudien, dont la vérité axiologique est que le premier retranscrit l'historique en mythologique, là où le second retranscrit le mythologique en historique non sans l'avoir au préalable réinterprété à la lumière d'une expérience fondatrice radicalement nouvelle. Ces deux discours ne sont des discours du dehors et du dedans, et donc les deux volets d'un méta-discours, que du

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point de vue d'un autre discours qui se soumet à la critique de la vérité scientifique, et non du point de vue d'un discours identitaire, ethnique ou religieux passé, présent ou à venir.

L'arrivée de Josué Le lecteur a découvert que l'Exode (dont on ne peut séparer l'histoire de Joseph et de ses frères), le Lévitique, les Nombres, le Deutéronome et le livre de Josué racontent les événements que Moïse, Aaron et Josué ont vécus sur le mode du discours de trois héros parmi lesquels, l'un (Josué) échappe à la seconde mort, mais, finalement, pas les autres. La seconde mort est, en effet, l'au-delà de la rupture que l'ère amarnienne avait réalisée avec la tradition mythologique. La ligne de démarcation de l'au-delà de cette vie où se trouve encore la seconde mort qu'il faut éviter (et le passage de la Mer des Roseaux n'y suffit pas) est ce que la Bible appelle le "Jourdain". Passé cette limite, passé le Jourdain, Israël en aura fini avec le néant amarnien. Autrement dit, lorsque la Bible aura fini de raconter la préparation de la double traversée de la Mer des Roseaux et du Jourdain, puis leur traversée même, chaque monothéiste, appartenant au peuple d'Israël, disposera d'un nouveau corpus théologico-eschatologique qui lui permettra, de son vivant, de croire à nouveau à l'évitement de l'anéantissement post-mortem. Cette croyance est perçue comme une condition indispensable de la moralité et de la justice. Plus tard 204, cette notion donnera lieu à ce que l'on appelle "l'immortalité de l'âme", notion philosophique qui fait l'économie du voyage spirituel de la cité des vivants jusqu'à la ville des morts, de la ville des morts jusqu'à la ville de l'autre monde.

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Ce problème ne se pose pas du tout de la même manière pour l'Egypte traditionnelle, qui est dans une autre logique, puisqu'elle se contente, tant bien que mal, d'effacer les traces de l'anéantissement akhénatonien, ou d'en récupérer ce qui est récupérable et intégrable dans un corpus religieux réactualisé. Ainsi, dès Horemheb, les hiérarques religieux inventent un mode d'écriture du voyage de l'au-delà de la vie. Le Livre des Portes qui se trouve dans le tombeau d'Horemheb mais aussi sur le sarcophage de Séthi I er, n'est plus un recueil de formules, mais un véritable livre où l'unité de la composition est évidente 205 . Comme la Bible. Il est clair que le noyau primitif de la Bible n'a pu être composé sous la forme d'une narration uniforme qu'au même moment, ou juste après Le Livre des Portes, mais pas avant. On peut se demander ce qu'il y a de commun entre Moïse et Josué. Ils ont en commun d'être "nés des eaux". Mais, tandis que Moïse est "retiré des eaux de Rê", Josué, dont le nom s'écrit Yahou-Shouah ben Noun 206 n'est pas seulement fils de la lune, il est fils des eaux primordiales (Noun). Josué est-il le fils de Moïse? La Bible dit qu'il est de la tribu Ephraïm. Et quid d'Aaron? Aaron est une figure scripturaire qui a emprunté au pharaon Horemheb (Exode 32). Or pendant les vingt-cinq à trente ans de son règne, le général-vizir Paramessou, et qui a notamment en charge les territoires de l'est (Canaan et Moab), traverse une épreuve spirituelle considérable. Le Dieu Aï est mort. Son nom a même été martelé sur les monuments Horemheb. Celui-ci est revenu à la religion ancestrale. Paramessou, devenu Ramsès ter, se trouve donc seul pour faire face à la construction d'un syncrétisme religieux d'un nouveau style. Et tandis que le Pharaon de Kêmi et tous ses dignitaires religieux le formuleront par l'intermédiaire des textes hiéroglyphiques, le peuple d'Israël se met à raconter les événements

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spirituels, du point de vue des figures scripturaires de Moïse et de Josué. L'hébreu devient le médium de l'inconscient monothéiste formulé comme nouveau contenu monolâtre qui se veut la sublimation des dieux. Au fil du temps, les remaniements de cet inconscient produiront le monothéisme juif. A l'époque de Moïse, celui-ci ne parle plus qu'avec ce nouveau Dieu qui a fait savoir au peuple qu'il ne résidera plus jamais en son sein. La tente de Dieu est désormais située à l'extérieur. Si ce nouveau Dieu y "rencontre" Moïse, en revanche, il n'y rencontre pas Aaron, ce qui est normal, mais Josué. Si nous interprétons le face-à-face de Moïse avec Dieu selon le principe de la double écriture, il nous faut admettre que l'épisode du veau d'or qui met en présence Moïse et Aaron, est bien la traduction biblique d'un épisode historique qui raconte la rivalité entre Paatonemheb et Paramessou, l'un devenant le pharaon Horemheb sans attendre que l'autre ait achevé l'ouverture de la bouche 207 du pharaon Aï, cet autre devenant lui-même pharaon, au terme du règne d'Horemheb, sous le nom de Ramsès 1 er. Ainsi le récit biblique apparaît-il comme l'écriture d'un discours qui s'oppose à ce que le retour polythéiste des dieux soit l'unique solution "religieuse" inventée pour s'affranchir de la mort du Dieu Aï. Le scribe biblique construit la représentation d'un Dieu désormais invisible, absent et jaloux. Les "secondes" Tables ne sont plus celles d'Aï (car elles ont été insuffisantes dans leur action contre le retour des dieux), mais celles que Moïse lui-même a taillées. Puis, pendant qu'Horemheb règne à partir de Thèbes (Karnak), l'éponyme "Moïse" instaure les règles fondamentales du culte dans le désert (le livre de la doctrine), afin que le peuple puisse, le moment venu, les transporter avec lui par-delà le Jourdain, sur la terre promise, en Canaan. Moïse évoque donc réellement la figure d'un vizir puis du futur pharaon Ramsès 1er, car il est décrit comme pouvant

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aller en Canaan, revenir en Egypte, puis dans le désert, à sa guise. Il peut aussi franchir le seuil de la terre promise. C'est ainsi qu'au début du Livre de Josué, on apprend qu'il a déjà attribué des terres de Transjordanie à deux tribus et demie (Ruben, Gad et la demi tribu de Manassé). On peut cependant se demander pourquoi l'Ecriture dit que Dieu ordonne à Moïse de mourir en deçà du Jourdain.

La néantisation des croyances et l'avènement d'un monde nouveau D'abord, Moïse a l'immense mérite de se défaire de l'anéantissement akhénatonien, en se confrontant au face-àface avec Adonaï - Yahweh. Dans la religion égyptienne, le passeur de l'autre monde, celui que le défunt rencontre, est appelé "maa"(voir) et "her"(visage). Il est celui qui voit derrière lui. Adonaï - Yahweh sera, lui, le passeur dont nul ne peut voir le visage sans mourir (de la seconde mort). Mais, justement, Moïse est encore marqué de cette empreinte égyptienne. C'est ainsi qu'il meurt en deçà du Jourdain, en grimpant sur la montagne, comme Pharaon à l'échelle (ce qui n'est pas sans nous rappeler l'échelle de Jacob, d'ailleurs) et se trouve entre les bras transfigurés d'Anubis (dont le nom rappelle celui du mont "Nebo") qui veille sur les opérations mystérieuses et les secrets de la régénération (en égyptien "khepero", qui fait penser au "partir en khapara" hébreu). Ensuite, Canaan mérite d'autant plus son nom de "terre promise " que c'est une contrée où règnent les coutumes les plus étrangères (Dagon...) qu'Abraham n'a su vaincre, étrangères non seulement en regard de la nouvelle religion d'Israël, mais même en regard de la religion égyptienne traditionnelle. Logiquement, toute l'âme est à reconstruire, ce qui ne peut être fait qu'à partir d'une région dominée par des abomina-

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Lions dont il faudra faire table rase. Le rôle de Moïse était d'arracher le monothéisme au néant où l'avaient projeté les abominations akhénatoniennes. A présent, c'est tout le processus spirituel qui doit être recommencé. D'où la construction d'une nouvelle théo-cosmologie, écrite dans les premiers chapitres du Bereshit (non sans contradictions d'ailleurs) par Moïse. D'où également la nécessité de ne pas seulement conquérir Canaan, mais d'anéantir 208 toute sa population, son bétail etc... ce qui sera l'oeuvre de Josué. Il s'agit d'une stratégie de néantisation des croyances et des pratiques religieuses et mythologiques jugées inférieures au panthéon égyptien même. Ensuite, Canaan est dominé par une pléiade de rois. La guerre va être difficile. Or, comme Moïse est très âgé, il lui est impossible de faire de longs préparatifs qui dureront plus longtemps que le temps qui lui reste à vivre. Enfin, et surtout, le Jourdain est la métaphore de la transformation des eaux de Rê en eaux primordiales et le témoin historique du passage de l'au-delà où règne la seconde mort (le désert) vers l'au-delà qui est un chemin vers la vie. Sur le plan religieux, en s'emparant de Canaan, les Bnei Israël sont des ressuscités qui prennent métaphysiquement possession d'un pays qui n'est pas la carte physique d'un pèlerinage. Aussi ne trouvons-nous pas, dans le Livre de Josué, de faits et de gestes qui exprimeraient l'hommage rendu aux lieux saints et aux puissances divines du temps d'Abraham. Il y a là le signe d'une rupture narrative. On aurait pu s'attendre à ce que la conquête de Canaan soit le voyage initiatique qui reproduirait les principales étapes de la réalisation de la promesse fait par Yahweh à Abraham. Or, ce n'est pas du tout ce que la Bible nous relate. Ce voyage n'est pas paisible, pour la simple raison qu'il n'est pas balisé. Cela explique d'ailleurs aussi l'errance dans le désert. Les 197

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Bnei Israël ne sont pas comme les défunts égyptiens qui abandonnent les cités saintes de l'autre monde pour y revenir, au cours de leur pèlerinage. Ils ont tout à inventer. Les défunts égyptiens arrivent spirituellement armés devant le passeur de l'au-delà. Les Bnei Israël arrivent, quant à eux, désarmés. D'abord, ils doivent traverser la Mer des Roseaux. Mais, ils ne disposent plus de la barque sacrée pour y parvenir. En effet, dans son hérésie, Akhenaton en a détruit jusqu'au concept. Ils sont des "sans-barque", situation redoutable, s'il en est. Ils disposent seulement du cercueil de Joseph. C'est alors que Yahvé donne à Israël un nouveau moyen de passer de l'autre côté, dans le désert: il fend les eaux pour lui. Mais cela est loin de rassurer les Bnei Israël quant à l'évitement de la seconde mort. C'est pourquoi, Moïse construit l'arche sainte. Mais, tandis que son corps et ses os resteront dans le désert, il reviendra à Josué de faire passer, à pied sec, l'arche au-delà du Jourdain, en Canaan. Les Bnei Israël y rencontrent de nouveaux ennemis, pour beaucoup inconnus. Josué doit alors dépasser Moïse en maîtrise des astres. Au-delà du soleil (et de la lune), le principe de vie se réaffirme comme Geb (ainsi que le révèlent le célèbre ordre de s'arrêter à Gabaon que Josué donne au soleil et à la lune et le pacte d'alliance que les Bnei Israël passeront avec les Gabaonites seulement) et Shou (dont on retrouve limage acoustique dans le nom de Josué). Mythologiquement parlant, si nous nous référons à notre quatrième chapitre, nous comprenons que nous avons affaire à la réécriture originale de l'accouplement incestueux de Nout et de Geb. Josué est le héros par qui il devient possible de sortir du marasme infernal dans lequel l'inceste a englouti ceux qui l'ont pratiqué, à la suite d'Akhenaton, malgré la Torah et surtout après la mort de Moïse. Il est donc Shou qui les domine et les sépare dans la lumière (Or).

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Dans ce contexte, Moïse "n'est que" le stratège, si l'on peut dire, alors que Josué est le conquérant. Si la figure scripturaire du Moïse qui a tué l'Egyptien renvoie bien à celle du personnage historique, Paramessou qui aurait assassiné l'aîné d'Akhenaton, et si Paramessou s'est bien finalement opposé à Akhenaton même, c'est parce qu'il s'est auto-investi de la mission d'entamer un processus de métamorphose spirituelle, puis de répondre à la décadence amarnienne (fondation de la dynastie des Ramsès). A la fin, le but de ce processus était de rendre à nouveau possible le passage au-delà de la vie, et de tout faire pour qu'il ait lieu; mais, chacun sait que Moïse commet une faute fatale, en raison de laquelle Dieu le fait mourir en deçà du Jourdain: il s'agit de son comportement devant les "Eaux de Meribah à Qadesh, dans le désert de Cin". Les "Eaux de Meribah" désignent le moment où, en Exode 17, 3-7, le peuple assoiffé veut vérifier que Dieu existe (alors que les défunts égyptiens ne manquent, eux, jamais d'eau) et contraint Moïse à frapper la roche d'où jaillit l'eau, au lieu de lui parler, montrant de la sorte qu'il est lui aussi entamé par le doute et la réprobation de Yahweh. Cet événement a lieu bien avant que Josué soit nommé. Si, donc, en Exode 14, 20, Moïse sépare les eaux de la Mer des Roseaux (le Noun des eaux primordiales), un peu plus tard, dans cet audelà de la première mort, entamé par la destruction des dieux traditionnels, il échoue à prouver qu'il est vraiment le maître des Eaux de Méribah. Meribah veut dire "contestation". Ce nom désigne une source près de laquelle on réglait des procès (rit) 209. Il est donc clair que, dans ce passage, il s'agit d'une épreuve vécue comme si elle était traversée par Moïse dans l'au-delà et au cours de laquelle son âme est jugée par Yahweh. 199

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Certes, la tradition juive dit que Moïse est jugé de son vivant ! Mais, dans l'optique de l'au-delà de la destruction de l'âme religieuse à quoi a conduit l'hérésie d'Akhenaton, le renverser a été le premier acte par lequel il est devenu possible de retourner la mort psychique contre elle-même et de revenir vers la vie. Mais, sur ce chemin de l'au-delà de la vie, être vivant équivalait à être mort une première fois. Il fallait donc éviter la seconde mort, pour avoir des chances de rétablir la confiance dans la vie. Les cinq premiers livres de la Bible racontent l'entrée dans la destruction de l'âme, la construction d'un Dieu qui juge que cette destruction est irréversible, mais qui donne plusieurs fois leurs chances aux hommes pour tenter d'en revenir, jusqu'à ce qu'un homme, Moïse, tente l'impossible: le dialogue personnel avec Yahweh pour que ce processus s'accomplisse. La Bible dit clairement que la génération de l'Exode, conduite par Moïse et Aaron, aurait pu ne pas mourir dans le désert. Après les épreuves individuelles qu'ont connues les patriarches, Moïse a passé un pacte avec Dieu de sorte que la problématique du salut, en quoi consistent les épreuves du Jugement de Dieu, ne soit plus seulement individuelle, mais collective, avec tout ce que cela comporte de complexité. Moïse s'est élevé très haut, mais il a échoué 210 . Seul Josué est passé. Si l'on se réfère à la génération de l'Exode, il est, en effet, le seul à s'élever très haut et à passer. Son nom l'indique clairement. La question est de savoir ce qu'il fait d'une telle victoire ! En fait, il entraîne avec lui les nouvelles générations du peuple. Il faut le souligner. L'Ecriture a pour mission de sauver le monde de la deuxième mort à laquelle l'ère amarnienne l'a voué. Moïse est celui par qui L'Ecriture arrive. Les monothéistes ne sont pas quitte de cette deuxième mort et ne

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se satisfont pas d'un replâtrage religieux. Ils ont besoin d'aller jusqu'au bout du désespoir provoqué par Akhenaton et les siens et d'en assurer la sortie dans une nouvelle conception du divin purifié Il s'ensuit que seul Josué arrive à cet "au-delà de la vie", pour réaliser la promesse de Yahweh. Canaan est alors le pays idéal pour que la nouvelle foi monothéiste soit éprouvée au contact de réalités religieuses qui lui sont totalement opposées. Pourquoi Canaan?

A nouveau se pose la question: pourquoi Canaan? Relisons Nombres 13. Nous y découvrirons que l'exploration de Canaan dure quarante jours, ce qui est la durée du deuil d'un pharaon. Cela signifie donc que l'expédition en Canaan a lieu pendant la cérémonie de la mort de Moïse sur le mont Nebo. Sur le plan historique, cela signifie peut-être que Séthi ler attend d'enterrer son père Ramsès ler pour partir en Canaan, afin de pacifier la région troublée notamment par les Shasous et les Apirous. Certes, si les Yahouds interprètent donc toujours les événements réels dans la nouvelle perspective yahwiste, ces mêmes événements doivent, au moins pour les plus importants d'entre eux, avoir été gravés et interprétés sur les monuments égyptiens, selon l'écriture hiéroglyphique traditionnelle. C'est ainsi qu'il existe des inscriptions lisibles sur les stèles de Séti ler à Beth-Shéan qui racontent le conflit entre Apirous et nomades de Rahamou211. Mais, les écritures hiéroglyphiques racontent des faits d'histoire, tandis que la Bible dit ce qu'ils signifient dans les termes de la nouvelle eschatologie. Aussi, Ramsès ler est-il enterré dans la Vallée des Rois, en Egypte donc, tandis que Moïse n'a, lui, pas le droit de franchir le Jourdain, mais meurt sur le mont Nebo, dans une région sous contrôle égyptien. 201

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Autrement dit, Israël, fondateur d'une écriture égyptohébraïque, tente d'arracher le sens monothéiste de l'histoire à sa gangue polythéiste qui fait retour. Aussi n'est-on plus étonné de constater une similitude étonnante entre la campagne militaire de Josué et celle de Séthi 1er. C'est une erreur, bien compréhensible de la part des égyptologues, que d'établir "la non-historicité de la conquête de Canaan 212, et d'opposer un récit imaginaire à une archéologie bien réelle. Seulement, il leur suffirait de comparer le Livre de Josué avec la compagne militaire de Séthi 1er, pour avoir des doutes. En effet, ce pharaon prend Pa-Kanaan, en l'an I de son règne, puis Qadesh, Yenoam, Qéder, Beth-Shan, Hamath, Pehel, Yarmouth, Gaza, Hazor... il s'agit parfois des mêmes campagnes, sauf que la première est racontée selon les critères hiéroglyphiques traditionnels, alors que l'autre l'est, selon le nouvel esprit hiéroglyphohébraïque: les rois cananéens entrent en coalition. Seuls les Gabaonites (la tétrapole gabaonite: Gabaon, Kefira, Beérot et Qiryat-Yearim) s'allient avec "L'homme d'Israël". Les villes cananéennes et sud-phéniciennes sont conquises. La mère des batailles victorieuses est Qadesh, au nord de la Galilée. Le Pacte de Sichem est scellé. L'unification autour de YHWH est réalisée par ceux qui optent pour les Bnei Israël (os, 24). Pour ceux-ci, les dieux "que vos pères ont adorés au-delà du Fleuve et en Egypte" sont écartés. Les stèles sont posées; Les serments sont faits. Les pères sont vénérés. Mais, d'autres parties des peuplades Shasou et Apirou résistent à cette unification. C'est pourquoi, Séthi I er conquiert et pacifie Canaan. Il nous est donc possible de concilier deux affirmations archéologiques contradictoires : s'il est évident que le livre de Josué n'est pas un récit inventé de toutes pièces 213 et si nous ne trouvons aucune trace archéologique autre qu'égyptienne sous Séthi I er, Ramsès II et Ramsès III, c'est qu'Israël est alors un peuple sans trace, mais pas sans histoire. Josué peut

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devenir l'héritier et le transmetteur d'un héritage biblique 214 215, non sans être adoré etSéhi1rs'noueEgypt sous le nom de El-Shaddaï. Pour les Bnei Israël, c'est Josué qui installe définitivement le culte monolâtrique de Adonaï Yahweh, mais pour les Egyptiens, c'est Séthi 1er qui en a terminé avec la déportation des populations monothéistes. Moïse et Josué sont les figures inconscientes des désirs de Ramsès 1er et de Séthi 1er. La suite de l'histoire, c'est-à-dire l'effacement des traces, nous est livrée métaphoriquement par la Bible même. Non seulement Adonaï - Yahweh ne triomphe pas avec l'installation des Bnei Israël en Canaan, mais les Bnei Israël abandonnent la nouvelle foi monolâtre. Le livre des Juges (2,6-12) est, à cet égard, catégorique : "Or, lorsque Josué eut congédié le peuple et que les enfants d'Israël, prenant possession du pays, s'installèrent chacun dans son héritage, le peuple servit l'Eternel pendant toute la vie de Josué, et tout le temps que vécurent, après lui, les vieillards témoins de toutes les grandes oeuvres que Dieu avait accomplies pour Israël. Josué, fils de Noun, serviteur de l'Eternel, mourut à l'âge de cent dix ans... quand toute cette génération, à son tour, fut réunie à ses pères, une autre génération lui succéda, qui ne connaissait point l'Eternel, ni ce qu'il avait fait pour Israël. Les enfants d'Israël firent ce qui déplaît à l'Eternel, ils adorèrent les Bealim. Abandonnant l'Eternel, Dieu de leurs pères, qui les avait tirés du pays d'Egypte, ils s'attachèrent à d'autres dieux, choisis par ceux des peuples d'alentour, se prosternèrent devant eux et irritèrent l'Eternel.". Autrement dit, tout l'échafaudage religieux élaboré par Moïse, transmis à Josué, puis réactualisé par celui-ci s'effondre comme un château de cartes en l'espace d'une génération ! De nouvelles épreuves commencent !

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Ces paroles expliquent que les archéologues n'aient toujours pas trouvé la moindre trace du culte d'Adonaï ni de l'arche sainte ni en Egypte ni en Canaan à cette époque, ni même à une époque plus tardive 216..

Conclusion L'installation des Bnei Israël en Canaan avec l'accord de Séthi 1 er a bien eu lieu, mais, si l'archéologie ne retrouve que des traces de la conquête de Séthi 1er, c'est dans la Bible qu'il faut en trouver l'interprétation monolâtrique. Dès son retour, le pharaon Séthi 1er ne voit plus aucun danger en Israël (qu'il distingue des Shasous et des Apirous). Il a reconnu sans doute l'authenticité de ce peuple et il le respecte. Mais il pense sûrement que, sur le plan spirituel, c'est un peuple d'égarés (il les appelle des "dissidents") qui donne une nouvelle interprétation (si elle est écrite, si elle est transmise, s'il la connaît et s'il s'y intéresse) des faits que son père et lui ont vécus. A aucun moment, Séthi 1er ni aucun pharaon après lui (Ramsès II...) ne croiront en l'avenir immémorial de ce peuple nouvellement constitué. En revanche, Séthi 1er le laisse s'organiser dans trente et une ville fortifiées, distribuées aux douze tribus d'Israël. Près de cent trente ans après l'Exode d'Akhetaton et soixante-cinq après l'installation d'Israël en Canaan, la Stèle de Mineptah (vers -1 207) indique que l'Egypte connaît l'existence de ce peuple en Canaan, où il est très affaibli et menacé dans son existence. La Stèle dit qu'Israël "est ruine, sans semence217 ." Sans doute trouve-t-on dans la Bible mention de cet événement, lorsqu'il est explicitement dit que la génération de l'Exode a totalement disparu. Pourtant, l'Histoire révélera que toutes les immenses constructions égyptiennes, puis assyriennes, perses, grecques,

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romaines, chrétiennes et musulmanes ne parviendront pas à dissoudre la trace du témoignage dont ce peuple a voulu être porteur jusqu'au bout, à travers une littérature et des commentaires surinvestis d'interprétations toutes plus brillantes les unes que les autres.

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Notes du chapitre IX 202 Il ne fait pas de doute que les frères Messod et Roger Sabbah ont pensé entrer dans l'intimité de Ramsès 1er, au moment d'écrire Le Secret de l'Exode (op.cit.). J'ai tenu à me garder de cette redoutable illusion tout au long de mes recherches, tant il faut se garder de croire que, parce que la vérité religieuse contient un rapport à la vérité historique, le dévoilement de la construction de la vérité religieuse est dévoilement de l'écriture de la vérité historique. 203 Un mathématicien a repris toutes les données de la Bible et a démontré que si l'événement appelé "déluge" s'était réellement déroulé, il n'aurait pu être qu'un trouble mineur etc.. 204 "Mais on sent qu'en Israël il ne s'agit pas seulement d'ignorer la croyance en la résurrection, mais en fait de la refuser. Tout ce qui concerne le royaume des morts et le destin de l'âme restait inquiétant pour la religion sacerdotale et prophétique officielle, et jusqu'à l'époque des Pharisiens qui opérèrent un changement radical dans ce domaine, ses représentants les plus éminents n'utilisèrent jamais l'idée d'une compensation dans l'au-delà, familière aux religions égyptienne et zoroastrienne". Max Weber, in op. cit., p. 192 205 Lire la préface de Charles Maystre et Alexandre Piankoff à l'édition du Livre des Portes, Le Caire, Imprimerie de l'Institut français d'archéologie orientale, 1939. 206 Messod et Roger Sabbah écrivent : "Dans la Bible, l'expression "Josué fils de Noun" contient les symboles hiéroglyphiques du cartouche de Séthi ter : Josué fils de Noun = Yahouchouah ben Noun", in op.cit., p.500. 207 A ceux qui seraient tentés de dire que ce rite était étranger aux Bnei Israël, je dois rappeler ce qu'affirme Jean Lambert : "Chez Ezechiel, ce devin, môphet, est connecté avec le rescapé, phalit, de Jérusalem qui déclenche l'ouverture, avec le rite d'ouverture de la bouche, phatar pha, rituel suméro-babylonien et égyptien par lequel la statue devient le lieu de la présence efficace du dieu, avec la prise de parole opposée au mutisme, et avec la fonction du guetteur du chapitre 33". Et de renvoyer à ce verset : "en ce jour-là viendra vers toi le rescapé pour faire retentir la nouvelle aux oreilles. En ce jour-là ta bouche se rouvrira (pour parler) avec le rescapé ; tu parleras et tu ne seras plus muet ; tu seras pour eux un présage et ils sauront que je suis YHWH" (Ez 24,27).

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NOTES DU CHAPITRE IX

208 Un chapitre de mon prochain livre, Le Dieu obscur, sera consacré à l'analyse de cette néantisation, qui, comme on le sait, a été récemment instrumentalisée par les nouveaux antisémites. 209 R. de Vaux, in Histoire Ancienne d'Israël, Paris, Librairie Lecoffre, 1971, p.496. 210 Le Zohar écrit : "Moïse n'ayant pas eu la faveur d'entrer en Palestine (sic 0, ni même d'y avoir ses os transportés...", op.cit., p.133. 211 Certains chercheurs ont vu dans le nom éponyme Abu-Rahâmi l'origine du nom du patriarche Abraham. 212 Rolf Krauss, in Moïse le Pharaon, Paris, Editions du rocher, 2000, p.234. 213 Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, in La Bible dévoilée, in op.cit., p. 99. 214 Dans L'Encyclopédia Universalis, on lit : "L'archéologue constate, au début du XIIIe siècle, une régression brusque de la civilisation matérielle : la maison confortable est ruinée, les fortifications sont réparées sans art, les demeures nouvelles sont bâties en pierre grossière, le ciment disparaît. C'est la marque, dans les strates, de la brusque conquête israélite : "Tous ces rois et leur terre, Josué les captura en une seule fois, car le Seigneur Dieu d'Israël combattait pour Israël" (Josué, X, 42). Jéricho a donné lieu à des fouilles importantes qui établissent que ses murs s'écroulèrent vers l'extérieur, et non en sens inverse, sous les coups de boutoir d'un assaillant. Josué doit agir vite, car déjà les tribus de Ruben, de Gad et la demi-tribu de Manassé sont installées en Transjordanie. En dépit de la supériorité technique des Cananéens, qui savent fondre le fer, les Hébreux conquièrent une bonne partie du pays ; cependant, des cités cananéennes subsisteront à leurs côtés pendant près de trois siècles." De nouvelles recherches mettent en question la réalité des murs de Jéricho. 215 Messod et Roger Sabbah in op.cit., p.498. 216 Idem, p.243. 217 "Chose curieuse, écrit l'historien S.W.Baron (in op.cit p.55), lors de sa toute première apparition historique (sur la stèle de Mineptah en 1229 (sic)), "Israël" désigne déjà un peuple et non, comme les autres noms que contient cette inscription, un territoire conquis".

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CONCLUSION

Ayant exploré les voies spirituelles dans lesquelles le personnage historique éponyme Moïse s'est engagé pour construire la Torah comme une réponse à la question du retour des dieux, je voudrais éclairer rétroactivement la querelle théologique qui a opposé Moïse et Pharaon, en la rapprochant du message que l'écrivain André Malraux a livré en 1955218, sur la place des dieux au XXIème siècle. Il ne s'agit certes pas de ce fameux aphorisme "le XXle siècle sera religieux ou ne sera pas" qu'on lui attribue et qu'il n'a jamais prononcé, mais des termes exacts de sa réflexion qui sont les suivants : "Je pense que la tâche du prochain siècle, en face de la plus terrible menace qu'ait connue l'humanité, va être d'y réintégrer les dieux" 219. En effet, ce que j'ai tenté de montrer, c'est qu'au lendemain de la chute d'Akhenaton, Moïse et Ramsès 1 er sont deux figures, scripturaires et historiques qui s'affrontent sur le retour des démons et des dieux. Les démons ? Sous couvert de monothéisme, Akhenaton les avait libérés. ! Si, l'oeuvre des Ramsès fut bien de réintégrer les dieux, en instaurant une nouvelle théologie solaire, celle de Moïse et du peuple d'Israël fut de réintégrer les démons, condition préalable à l'élaboration et à la mise en place de la Torah, en élisant un seul Dieu. Le travail de "réintégration" fut différent. Ce ne fut pas la même chose d'unifier le panthéon des dieux dans une nouvelle théologie, en tenant compte, d'ailleurs, de certains acquits de la "révolution akhénatonienne" et d'unifier les pulsions divines dans la Loi, en excluant toute référence à quelque autre dieu.

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Pour être plus clair, je dois à présent exposer le principe qui fut au coeur des deux "réintégrations": l'interaction de l'Un et du multiple. En hébreu, "Kodesh" signifie "saint". Mais "Kodesh" renvoie également au nom d'une ville orthographiée "Qadesh" qui fait penser à la fois à la ville biblique de Galilée qui se trouvait sur la route suivie par les troupes de Séthi ler en Canaan, et à la ville (actuellement Tell Nébi Mend) qui se trouve sur l'Oronte, au nord-est de Byblos, ville qui appartenait à l'Egypte depuis Touthmosis 1 er et que Ramsès 1 er ne se résigna jamais à perdre (lère bataille). Or, cette ville devint la "mère des batailles" contre des princes soutenus par les Hittites, tant pour Séthi ler que pour son fils Ramsès II (vers 1 275 avant notre ère). Il faut d'ailleurs nécessairement passer par Canaan (Gaza, Ascalon, Meggido...) pour remonter d'Egypte jusqu'au nord-est de Byblos. C'est donc troublant ! Séthi ler s'empara de Qadesh qu'il perdit presque aussitôt. Une troisième bataille de Qadesh eut lieu sous Ramsès II. Sans entrer dans le détail des coïncidences troublantes existant entre le récit biblique et le récit archéologique qui mettent en scène des éclaireurs qui se transforment en espions chargés de dissuader ou de décourager les armées, l'une de Josué, l'autre de Séthi I er, puis de Ramsès II, je voudrais à présent souligner les aspects de la réforme religieuse égyptienne qui alla de pair avec les batailles de Qadesh. De retour de Qadesh, les théologiens de Ramsès II racontèrent la victoire (qui n'en était pas vraiment une, puisqu'il n'y avait pas eu de vraie bataille) comme un miracle historique et cosmique. Ramsès II construisit alors un enseignement religieux qui reposait sur la grandeur du Tout-puissant et sur la variété de ses manifestations. Ce syncrétisme que j'appelle la réintégration des dieux se référa à La Trinité Amon (le dieu

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CONCLUSION

caché qui était intervenu devant la citadelle de Qadesh au moment le plus tragique, pour sauver Ramsès 2) - Rê et Ptah, Trinité à laquelle fut associée l'image de Seth. Mais son oeuvre la plus forte fut sans doute de réintégrer également Osiris en rétablissant l'unité entre Rê et Osiris que le pharaon Akhenaton avait, comme je l'ai indiqué plus haut, rompue 220 . Ramsès II était-il un lointain héritier d'Akhenaton? La question mérite d'être posée. En réalité, il s'inspira des initiatives non seulement d'Akhenaton, mais, plus anciennement, de la reine Hatchepsout. Seulement, il masqua ses sources. Officiellement, il les réprouvait, officieusement, il en était l'héritier. L'oeuvre des Ramsès fut d'achever la réintégration des dieux qui avait commencé au lendemain de la mort d'Akhenaton, en les unifiant au sein d'une Trinité. Dès Toutankhamon (1347-1338), une première tentative avait été faite de réintégrer les dieux tués. "L'une des trompettes du trésor funéraire du roi décédé de façon prématurée, dit l'égyptologue Erik Hornung, est décorée d'une scène unique représentant le souverain devant la nouvelle triade d'Etat. Amon est toujours, sur le plan nominal, le dieu le plus élevé et le plus actif des trois... derrière Amon se tient Rê... et derrière le roi Ptah 221". Mais, le processus prit près de soixante-dix ans pour se réaliser. Pendant ce temps, Moïse, Josué et le peuple d'Israël réintégrèrent les démons, élirent un seul Dieu, et construisirent l'enseignement de la Torah. Telle fut leur oeuvre. En définitive, ce que Akhenaton avait mis à mal, c'était l'idée même de l'Unité. A partir du moment où il s'identifia à l'Un et fut renversé, l'Un fut perdu non seulement par l'ancien peuple religieux dont les dieux du panthéon avait tenu ensemble par une unité syncrétique, mais encore par le nouveau peuple monothéiste d'Israël pour qui l'Un existait comme Unique.

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Etait-ce donc aussi grave que ça de perdre l'Un? Oui, c'était excessivement grave, car c'était le signe d'une mélancolie. Nous savons que la mélancolie est une dépression d'autant plus profonde que, dans cet état d'âme, le moi perd toute image de lui-même et finit par vouloir rejoindre ce non-lieu où il se situe, en optant pour sa propre mort. Eh bien l'Un est justement l'inverse de ce non-lieu, le lieu même d'où chaque sujet s'enracine pour établir un lien cohérent non seulement entre lui et lui-même, mais encore entre lui et le monde des autres, le monde qui l'entoure. Un de nos écrivains contemporains, Maurice Blanchot, a su nous l'expliquer en des pages inoubliables. Dans L'Ecriture du Désastre, livre somptueux qu'il publia en 1980, plusieurs décennies après avoir pris conscience du génocide qui avait frappé le peuple juif pendant la deuxième guerre mondiale, Blanchot souligne que la compréhension des rapports entre l'Un et le multiple est au coeur de toute pensée qui veut surgir hors du néant. Les successeurs d'Akhenaton et les Ramsès dominèrent, eux aussi, la mélancolie de l'Egypte en réintégrant les dieux. Les successeurs de Moïse et de Josué installèrent la Loi. Moïse, le Maître, avait exigé que le peuple d'Israël refusât le retour des dieux auquel les théologiens traditionnels d'Egypte cherchaient à donner la forme de La Trinité. Mais, il avait aussi fait un sort aux démons intérieurs libérés par Akhenaton: d'abord le fantasme de toute-puissance en vertu duquel celui-ci se crut Dieu, ensuite les désirs incestueux et pervers qui guidèrent son règne, enfin la haine de l'autre et de soi. Tel fut donc le recommencement de s? In œuvre de loi.

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Notes de la Conclusion 218 Dans un article publié dans le quotidien danois Daglig Nyhiter. 219 Il s'agit de la conclusion de l'article de 1955, publié dans la revue américaine Mélanges Malraux Miseellany, volume III, n°1, été 1971), publié en partie in Revue Notre Histoire, octobre 2001, n ° 192, p.58. 220 Christianne Desroches Noblecourt, in Ramsès II, la véritable histoire, Paris, France Loisirs, 1996, p.187. 221 In Les Dieux de l'Egypte, Paris, Flammarion, 1992, p.200.

213

Index (d'acteurs, de lieux, d'oeuvres)

A Aaron, frère de Moïse 20,28,30,31,32,34à40,45,53,56,78,79,83,135,136,139,140,152,156,160,193, 194,195,200 Abiram, héros biblique 30,38,61 Abishaï, "chef des pays étrangers" 142 Abraham, patriarche 29,43,59,64,104,135,142,151,186,187,196,197,198,207 Abraham, Karl, psychanalyste 93,94,95,117,127 Adam, ancêtre éponyme de l'Homme 30,41,107,137,138 Admonitions, texte égyptien 178,189 Adonaï, nom de Dieu 8,11,12,13,55,62,63,64,98,99,100,152,169,170,173,177,178,184,187,188, 191,196,203,204 Aggada, écrit juif 80,111 Ahmès-Nefertari, pharaon 84 Ahmose, personnage égyptien 50 Ahmosis, personnage égyptien 79,80,134,138 Ahmosis 1 er, pharaon 79,80 Aï, pharaon, 60,63,64,66,70,74,76,85,87,92,93,99,100,102,118,132,136,159,160,167, 169,170,185,194,195 Akhenaton (Amenophis IV), pharaon 7,8,9,11,16,25,26,62à71,74,76,83à100,102à121,126,127,129,130,132,133, 136,141,143,144,145,146,148,150,151,152,153,155,156,157,158,160,162, 163,164,165,167,168,169,170,171,173,175,176,177,179,183,184,185,186, 187,190,191,198,199,200,201,209,211,212 Akiba, Rabbin 18,34 Aldred, Cyril, égyptologue 69,84,99,127 Amado-Lévy-Valensi, Eliane, écrivain 150 Amalécites, peuplade ennemie des Bnei Israël 33,37,39 Amara-Ouest, ville 12

215

INDEX Amaunet, 60 Amdouat, lieu mythologique 125 Amenemhat ler, pharaon 141 Amenmès (Amon-masesa) 81,82 Aménophis, personnage égyptien 84,95,130,131,162,163 Aménophis II, pharaon 25,63,133,135,138 Aménophis III, pharaon 25,63,64,65,69,84,88,89,94,99,102,108,118,130,131,136,143,162,163,166, 187 Amenouit, animal monstrueux, mangeuse de morts 177 Amon, dieu égyptien 8,9,60,74,81,86,90,92,95,97,100,102,113,121,134,138,150,157,160,168, 169,170,191,210,211 Amram, père de Moïse 28,30,61,134,135 Anat, déesse 137 Andjity, dieu roi d'Egypte 164 Ankh 62,66 Ankhesenamon, femme - pharaon 187 Anokhi, nom divin 62,63,160 Antelme, Ruth Shurman, égyptologue 127 Anubis, dieu égyptien 22,106,172,178,196 Aper-El, dieu sémite 70,89 Apirous, peuplade 64,133,201,204 Apophis, dieu égyptien 136,137,160,161,162,175 Ascalon, ville 77,210 Aserah, déesse, déesse 89 Asnat, déesse 27,45 Assmann, Jan, égyptologue allemand 41,119 Astarté, déesse 169 Aton, dieu égyptien 9,60à68,74,85,86,87,89,90,92,95,97,98,99,100,102,106,107,108,110,113, 115,118,119,121,139,141,143,145,152,153,155,157,159,160,161,162,163, 166,168 Atoum, dieu égyptien 60,89,108,110,121,123,124,175 Avaris (Tanis), ville d'Egypte 135

216

INDEX

B Baal, dieu cananéen 137,169 Baal-Zephon, ville 32 Babylone, ville 11,57,111 Baketaton, fille de pharaon 108 Balaam, conseiller de pharaon 7,28,29,39,40 Balak, personnage talmudique 39,40 Baron S.W., historien 42,192,207 Beerot, ville 202 Ben Shem Tov, Moïse de Léon, auteur présumé du Zohar 144 Ben Yohaï, Siméon, Rabbin, 144 Benben, château 86 Bennou, phénix, égyptien 181 Beth-Shan, ville 202 Bezaleel, personnage biblique 35 Bible, ensemble de textes fondateurs de l'histoire du peuple juif, écrits en araméen et en hébreu 9,11,13,14,15,19,25,27,28,43,46,47,48,49,52,56,57,58,59,60,61,62,64,65, 68,69,74,76,79,81,82,83,85,96,97100,102,103,110,111,112,129,131,133, 134,137,140,141,142,153,160,166,16 9,176,179,189,191,192,193,194,198, 200,202,203,204,205,206,207 Birman, Claude, écrivain 46 Bithya, fille de Pharaon 29,32 Blanchot, Maurice, écrivain 212 Bnei Israël, peuple de l'Exode 12,13,25,32,39,74,77,79,145146,147,159,169,174,178,179,182,190,191, 197,198,202,203,204,206 Bottero, Jean, écrivain 127 Buber, Martin, écrivain 110 Bucaille, Maurice, écrivain 74,110,111,141 Busens, Max, égyptologue 190 Busiris, lieu originaire d'Osiris 164 Byblos, ville 210

217

MOISE ET LE RETOUR DES DIEUX

C Cabrol, Agnès, égyptologue 112 Caleb, personnage biblique 37,40 Canaan, région biblique 8,25,42,74,77,78,82,88,102,154,166,168,169,173,194,196,197,198,201, 202, 203,204,210 Cham, personnage biblique 68 Champollion, François, inventeur de l'égyptologie moderne 120 Chemmis, lieu légendaire 125 Chou, lumière 87 Chouraqui, André, écrivain, traducteur 166 Cohen, Hermann, philosophe, 150 Cozbi, personnage biblique 40

D Dagon, dieu cananéen 196 Daniel, prophète 56 Dathan, héros biblique 30,31,38 Derchain, Philippe, égyptologue 127 Descartes, René, philosophe 118 Desroche-Noblecourt, Christian, égyptologue 127,218 Draï, Raphaël, écrivain 10,25,166

E Edom, région 39,137 El, dieu 66,70,74,89,90,102 El-Amarna, ville 78 Eleazar, personnage biblique 39,40,144 Eliade, Mircéa, écrivain 114,127 Eliezer, Rabbin 30,141 Elohîms, nom de Dieu 131,147 Esdras, personnage biblique 56,57 Esseniens, secte 45

218

INDEX

F Finkelstein, Israël, archéologue 11,59,77,110,112,207 Fleg, Edmund, conteur 27,41,43 Foucault, Michel, écrivain 128 Frazer, Sir James George, folkloriste 46,176,189 Freud, Sigmund, psychanalyste 26,43,67,72,93,94,95,96,97,98,99,103,113,114,117,119,120,126,127,128, 150

G Gabaon, ville 157,198,202 Gabriel, ange 29,36 Gad, chef de tribu 196,207 Gardiner, Alan, H, égyptologue 189 Gaza, ville 202,210 Geb, dieu égyptien 121,123,124,164,198 Gempaaton, château 86,105 Gershom, fils de Moïse 30 Gerson 36 Gezer, ville royale cananéenne 52 Glass, Philipp, compositeur 9,112 Goshen, ville du delta egyptien 30,31,78 Grandet, Pierre, égyptologue 76,141 H Hagar, personnage biblique 142 Hagège, Claude, linguiste 51,69,102 Hamlet, héros de Hamlet 9 Hapy, dieu égyptien 161 Hatchepsout, femme-pharaon 135,211 Hathor, déesse égyptienne 108,121,124,127 Hazor, ville 202 Hébreux, peuple 10,25,27,30,31,32,33,34,35,36,37,39,42,46,49,50,59,60,61,63,64,65,67,68, 75,80,82,99,101,133,141,142,159,184,188,207

219

MOÏSE ET LE RETOUR DES DIEUX

Heliopolis, cité égyptienne 45,85,164,181 H'equet, dieu égyptien 161 Hitchcock, cinéaste 23 Hitler, Adolphe, dictateur allemand 128 Hiya, rabbin 147 Hobab 30 Horakhty, dieu égyptien 86,87,142,157 Horemheb, pharaon 60,76,89,93,99,100,119,135,136,138,168,170,194,195 Hornung, Erik, égyptologue 114,115,127,128,152,211 Hor, mont 136 Horus, dieu égyptien 22,105,124,125„136,168 Houy, personnage égyptien 89 Huber, Gérard, écrivain 5 Hymnes pour Aton, texte égyptien 160,161,162,163 Hyksos, peuple 54,55,58,64,76,79,80,81,134,135,138,141,142

I Ibwzhni, forme écrite du nom d'Abraham 142 Ibrim, Hébreux 68,75,101 Ilani, dieux des Habirous 25 Ilu (El), dieu 89 Isaïe, prophète 11,158,189 Isis, déesse égyptienne 105,106,123,124,125,164,172,176 Israël, nom du peuple qui s'établit en Canaan 7,10,11,12,13,14,16,25,27,28,30,31,32,35,36,38,39,40,41,42,44,45,49,52, 57,68,69,74,77,78,82,83,98,100,101,103,110,111,112,130,135,141,144,145 ,146,147,152,155,156,157,158,162,166,170,172,173,175,178,182,189,190, 193,195,196,198,202,203,204,206,207,211,212

J Jaboc, affluent de gauche du Jourdain 78 Jacob, patriarche 27,29,45,68,69,78,111,112,187,196 Jeremie, prophète 56 Jether, Jethrô, personnage biblique 30

220

INDEX

Job, conseiller de Pharaon 28,29,32,57,138,178 Joseph, patriarche 25,27,32,37,59,75,79,83,111,159,166,193,198 Josèphe, Flavius, historien 49,69 Josias, roi 11,12,13,83 Josué, successeur de Moïse 8,34,36,37,40,41,45,79,101,145,146,149,157,158,170,191,194,195,196,197 ,198,199,200,201,202,203,204,206,207,210,211,212 Jozabeth, mère de Moïse 28,29 Juda, royaume 13,52,59 Jung, Carl, psychiatre 93,94,95,117,127

K Kamose, personnage égyptien 55 Kamosis 1 er, pharaon 71,80 Karnak, ville d'Egypte 86,92,95,110,195 Kefira, ville 202 Kêmi, Egypte 68,154,163,168,171,195 Kemosh, dieu principal de Moabites 158 Khentamentiou, dieu égyptien 164 Khomeiny, dictateur iranien 128 Kikanos, personnage talmudique 29 Korach, personnage biblique 31,35,36,37,38 Kouch, personnage biblique 81 Krauss, Rolf, égyptologue 69,81,82,110,111,207

L Lalouette, Claire, égyptologue 69,142,189 Lambert, Jean, écrivain 25,69,141,206 Lemaire, André, historien 25,83,111 Lettre d'Aristée, écrit 49 Lettres de Tell el-Amarna, tablettes 78,85 Leclant, Jean, égyptologue 70,137,142 Lévi, ancêtre de la tribu des Lévites 28 Livre des Morts, texte égyptien 69,170,177,179,186,189,190

221

MOISE ET LE RETOUR DES DIEUX

M Maât, déesse égyptienne 60,116,157,172 Madian, région 17,30,36,40,131 Maharal de Prague, Rabbin 44 Mao Tze Toung, dictateur chinois 128 Maïmonide, Moïse, écrivain 186 Manassé, chef de tribu 111,196,207 Maror, personnage biblique 30 Masemaya, vice-roi éyptien 81,82 Malraux, André, écrivain 17,209,213 Maystre, Charles, égyptologue 26 Meggido, ville 210 Mélèze-Modrzejewski, Jean, historien 69,110,112 Méribas, lieu biblique 199 Méritaton, femme - pharaon 88,91 Mésopotamie, région 42,51,56,127,179 Meyer, Eduard, historien 41 Micael, ange 36 Midian, région 40 Midrash, commentaire juif de la Bible 141,151,155,178 Midrash Rabbah, grand commentaire 151,166,186 Min, dieu égyptien 121 Mineptah, pharaon 7,13,71,74,77,78,79,83,101,110,141,169,204,207 Mitzraïm, Egypte pour les Hébreux 68,78,82,130,131,133,143,147,153,154,155,156,158,162,174 Moab, région 39,40,158,194 Moïse, Moshé, prophète 3,5,7à21,23à43,45,46,47,49à56,58,59,61,63,64,65,66,69,70,71,73,74,75,78, 79,80,81,82,83,95,96,97,98,100,110,111,112,114,126,127,128,129,130,131 ,132,133,134,135,136,137,138,139,140,141,143,144,145,146,147,150à163, 166,169,172,174,175,177,178,182à190,191,192,193,194,195,196,197,198, 199,200,201,202,203,204,207,209,211,212 Montet, Pierre, égyptologue 110,141 Moût, déesse égyptienne 7,59,60,93,121,157 Myriam, soeur de Moïse 28,29,30,37,39,133,149

222

INDEX

N Neb, seigneur 136 Nebo, montagne 41,55,196,201,202 Nefertiti, femme - pharaon 84,87,88,104,159 Nefertoum, dieu égyptien 121 Neith, déesse égyptienne 45,70 Nephtys, déesse égyptienne 123 Ninive, Ninweh, ville 141 Noun, océan primordial pour les Egyptiens 121,145,161,175,194,199,203,206 NTR, dieu en égyptien 120,121,160 Nubie, région 55,66,70,82 0 OEdipe-Roi, pièce de Sophocle 9 Onkelos, auteur du Targum 57,58 Osiris, dieu égyptien 8,89,105,106,116,117,121,123,124,125,138,157,161,164,168,170,171,172, 173,176,178,179,181,182,183,184,185,189,191,211 Osman, Ahmed, Egyptologue 88 Ouaknin, Marc-Alain, Rabbin 111 Ougarit, ville 89,112

P Paatonemheb, nom du général qui deviendra le pharaon Horemheb 76,136,168,195 Palestine, région qui s'appelle Canaan, à l'époque biblique 13,25,42,46,55,56,83,207 Paneb, personnage biblique 81 Paramessou, nom du général qui deviendra le pharaon 76,99,100,131,136,162,169,194,195,199 Pharaon, roi d'Egypte 7,8,9,10,14,15,16„17,20,28,29,30,31,32,35,39,47,53,54,55,60,61,62,63,65, 66,67,69,70,74,75,76,77,78,81,82,83,84,85,86,87,89,91,92,93,94,95,96,97,

223

MOÏSE ET LE RETOUR DES DIEUX

99,100,101,102,103,105,106,107,108,110,111,114,115,116,117,118,119, 120,121,130,131,132,133,134,135,136,137,141,143,144,145,146,147,148, 150,152,152,153,154,155,156,157,158,161,162,163,165,166,167,168,169, 170,173,175,176,187,191,194,195,196,201,202,204,207,209,211

Philippe d'Arrhidée (Philippe III de Macédoine), pharaon 96 Philippson Ludvig, traducteur de la Bible en allemand 96,97 Piankoff, Alexandre, égyptologue 206 Pi-ramsès, ville égyptienne 76,82,83 Pithom, ville égyptienne 76,83,135 Potiphéra, personnage biblique 45 Psaume 104, texte juif 159 Ptah, dieu égyptien 85,89,169,210,211 Q

Qaddesh, ville 199,202,210 Qohelet, livre de la Bible 171 Qror, dieu égyptien 161 Qéder, ville 202 Qumran, ville au bord de la Mer morte 45,46

R Rachel, personnage biblique 27 Rachi, grand commentateur juif 58,131 Ramose, personnage égyptien 84 Ramsès 1 er, pharaon 75,76,89,100,135,136,169,170,175,191,192,194,195,196,201,202,203,206, 209,210 Ramsès II, pharaon 16,69,71,74,75,77,79,101,111,127,136,166,213 Ramsès III, pharaon 203 Raphaël, ange 36 Ras-Shamra, région 89 Rê-Horakhty, dieu égyptien 86,157 Reeves, Nicholas, égyptologue 127 Rossini, Stéphane, égyptologue 127

224

INDEX

Ruben, chef de tribu 196,207 Rubenstein, Richard, L, rabbin, 189

Saba, Reine de, vint rendre visite à Salomon 29 Sabbah, Messod et Roger, chercheurs bibliques en égyptologie, en Talmud et en Zohar 69,70,112,142,175,189,206,207 Salomé, Lou Andréa, écrivain 110 Samaél, ange de la mort 41 Samuel, prophète 45,158 Sanhedrin, institution juive 37 Saqqara, ville égyptienne 70,92 Saussure, Ferdinand de, linguiste 72,73 Satan, diable 32,34,40,138 Seir, région 30,135 Sephora, femme de Moïse 30,135 Septante, traduction de la Bible qui servit de référence aux Chrétiens des premiers siècles 49 Sésostris 1er, pharaon 141 Seth, dieu égyptien 105,123,124,125,135,136,137,138,160,161,164,168,169,189,210 Seth, personnage biblique 105,137 Sethe, kurt, égyptologue 189 Séthi 1er, pharaon 71,74,100,169,170,194,201,202,203,204,206,210 Séthi II, pharaon 81,82 Shakespeare, dramaturge 9 Shasous, peuplade 64,173,201,204 Shazar, David, conteur 20 Shou, dieu égyptien 60,123,157,198,199 Silberman, Neil, Asher, archéologue 11,59,70,77,110,112,207 Siméon, personnage biblique, 40 Siméon, Rabbin 144,149 Sinaï, mont et désert 33,51,52,82,130,131,140,145,179 Smenekkharé, pharaon 63 Sokar, dieu égyptien 89

225

MOÏSE ET LE RETOUR DES DIEUX

Soleb, région de Nubie 12,70,137 Sophocle, auteur 9 Spinoza, Baruch de, philosophe 97 Staline, dictateur de l'Union Soviétique 128 Starobinski, Jean, écrivain 72,110 Strauss Leo, écrivain 112,150 Sukenik, A, historien 45

T Talmud, océan de commentaires rabbiniques 7,14,15,17,25,27,28,41,42,43,57,61,103,111,131,134,141 Tanis-Qantir, ville d'Egypye 74 Targum, version araméenne de la Bible 57 Tefnout, déesse égyptienne 123 Terah, personnage biblique, père d'Abraham 151 Tétragramme, quatre lettres divines 63,66,99,112,137 Texte des Pyramides, texte égyptien 160,175 Thot, dieu égyptien 125,172 Thèbes, ville d'Egypte 60,69,82,85,86,87,90,92,99,104,105,142,142,174,195 Titus, empereur romain 46 Tiy , personnage égyptien 85,89 Tiyi, impératrice 69,84,87,88,91,104,108,118 Torah, Enseignement juif 7,8,16,17,18,19,33,34,35,36,37,38,41,57,129,139,151,167,177,199,209,211 Toutankhamon/Toutankhaton, pharaon 60,63,88,89,91,92,93,99,100,115,118,132,160,168,187,189,211 Thoutmosis, personnage égyptien 84,130 Thoutmosis II, pharaon 135 Thoutmosis IV, pharaon 65,84,130,136

U Uriel, ange 36

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INDEX

V Vaux, R.P. de, bibliste 110,141,207 Vélikovsky, Emmanuel 103 Vendersleyen, Claude, égyptologue 69,71,79,80,111

Weber, Max, sociologue 25,41,53,69,186,190,206 Weill, Raymond, égyptologue 178,189 Weissmann, Moshe, rabbin 141

Y Yarmouth, ville 202 Yenoam, ville 202 Yessé, Rabbin 147,148 Youya, nom sémitique du pharaon Aï 69,89,159,160

z Zimri, 5e roi d'Israël 40 Zivie, Alain, égyptologue 70,71,80,82,88,89,92,111 Zohar, livre de la Kabbale 16,42,103,144,145,146,147,148,149,150,166,207

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ENTRE T ES LIVRES Infinie est la quête de Moïse. Innombrables sont les écrivains qui empruntent les voies de la science et de la foi pour éclairer leur lanterne. Une simple lecture de l'article que leur consacre L'Engclopedia Judaïca suffit à le démontrer. Toute bibliographie est donc nécessairement sélective. Je ne rappellerai pas les références citées dans les notes de cet ouvrage, ni dans les deux autres que j'ai publiés (L'Egypte ancienne dans la pechanalyse (op. cit.) et Akhenaton sur k divan (op. cit.). Mais j'inviterai à lire des auteurs qui présentent les enjeux organisateurs de l'actuelle compréhension de la vie et de l'oeuvre de Moïse: -

Le Dieu unique face aux autres dieux ?: Yehezkel Kauffman, Connaître

la Bible, PUF, 1970, - L'inventeur de la liberté?: Raphaël Draï, La Sortie d'Egypte, Fayard, 1992, - Le prophète du monde moderne?: André Chouraqui, Moïse, Champs Flammarion, 1997, -

Le disciple d'Akhenaton?: Sigmund Freud, L'Homme Moïse et la

Religion monothéiste (1 939), Folio, 2000, - L'inventeur de la distinction entre le vrai et le faux dans la religion? Ian Assmann, Moses the Egyptian, Harvard University Press, London, 1999, - Le Pharaon Ramsès 1er transformant les dissidents monothéistes d'Akhetaton en peuple d'Israël? Messod et Roger Sabbah, Les Secrets de l'Exode, Jean-Cyrille Godefroy, 2001. Plus nous approfondirons la figure "prismique" de Moïse, plus nous aurons de chances de comprendre son intuition et de faire face à la nouveauté du retour des dieux qui s'annonce.

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Du même auteur

Conclure dit-il - Sur Lacan - Galilée - 1981 L'Egypte ancienne dans la psychanalyse - Maisonneuve et Larose - 1986 L'Enigme et le Délire - Osiris- 1988 Patrimoine Génétique et Droits de l'Humanité - Le livre Blanc des Recommandations - Osiris- 1990 L'illusion Métabiologique - PUF - 1994 Rapport sur l'Enseignement et la Formation en Ethique - Associations Descartes - Ministère de la Recherche - 1996 Freud, le sujet de la loi - Editions Michalon - 1999 L'Homme Dupliqué - Editions de l'Archipel - 2000 Akhenaton sur le divan - Jean - Cyrille Godefroy - 2001 Anatomie de la séparation - Réponses à Jacques Derrida - De Boeck Université - 2002 Contre-expertise d'une mise en scène - Editions Raphaël - 2003 Quand le travail rend fou (en coll. avec M.Karli et C.Lujan) - Jean Attias éditions - 2003

- Direction d'ouvrages Vers un anti-destin ? - éd. avec F.Gros - Editions Odile Jacob - 1992 Annuaire Européen de Bioéthique - (sous la direction de) Editions Descartes European Directory of Bioethics (under the direction of,) John Libbey Eurotext - 1994 L'heure du Doute (sous la dir.) John Libbey Eurotext. Annuaire Européen de Bioéthique/European Directory of Bioethics - (sous la direction de/Under the Direction of) Tec et Doc Lavoisier - 1996 Le Génome et son double (sous la dir) Hermès - Avril 1996 Cerveau et Psychisme Humains : quelle éthique? (sous la dir) John Libbey Eurotext - Juin 1996 Bioéthique au pluriel (sous la direction de C.Byk et G.Huber) John Libbey Eurotext - Octobre 1996 Sciences et Valeurs (sous la direction de G.Huber et A.Forti) ESK éditions, 1999.

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