Michel Foucault et l'histoire du sujet en Occident
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NCE Collectlon dirigée par Daniel Delas

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BERTRAND-LACOSTE 36 rue Saint-Germain-1'Auxerrois - 75001 PARIS

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SOMMAIRE

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/'{'! JLlste des Éclairages ................................................................ 4 Principaux ouvrages de Michel Foucault ....................... 5

Contextes DISCONTINUITÉS La biographie : entre fiction à inventer et histoire intellectuelle du xx« siècle .................................... 9 Il. La généalogie nietzschéenne et l'épistémologie relativiste .. .. .. .. .. ... ... .. .. .. ... .. .. ... .. .. .. ... .. . ... 13 m. Foucault et le structuralisme ............. .. ............. .. ... ....... .. .... . 18 IV. Le philosophe militant engagé dans l'histoire .................... 21 I.



Mots clés uvir dans l'histire .................................................... 76 Il. De la punitin à la surveillance ........................................... 81 III. ~ seié~ disciplinaire ........................................................ ~ POUVOIR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



SEXUALITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

89

1. L' « hypc>thèse répressive » .................................................. 89 Il. Le savoir et le sexe .............................................................. 91 III. Le pc>uvir et les dispsitifs de sexualité ............................ 92 $()1 .............................................................................................. ~~

1. L' éthique de soi ....... ,.......................................................... 98 Il. L• usage des plaisirs ............................................................ 1OO - Ill. Le souci de soi ... .. .. ... .. .... ... . .. .. . ... .. .. ... ....... .. ... .. .. .. . ... .. .... . ... 102 IV. L' Antiquité cmme référence à ntre mdemité ? ............ 105

Enjeux MÉPRISES ET DIALOGUES

1. Fucault est-il sbUcturaliste ? ........................................... 109 II. Le débat avec les histriens ........ ................ ...................... . 112 Ill. Fucault et la questin du pc>uvir ..................................... 116

Ouvertures LE POUR PENSER LA MODERNITÉ 1.

Une philSphie de l'essai ....... ... ... .. .... .... .. .. .. ...... ........ .. .. .. 123 Il. L' uc8'1lt ...... ....................................................... 124 Index................................................................................ 127

Les mts signalés péll' le pictgramme • snt des mts clés qu' n trouvera à leur place alphabétique dans la partie centrale.

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ECLAIRAGES

La généalogie nietzschéenne ............. .. ....................... 14 L'éplstémologle ............................................................. 16

Le structuralisme ............................................... ........... 19

Le paradigme selon Thomas Kuhn .......................... ... 28

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Emmanuel Kant et la modernité .................................. 63 R11~111C>11d Re>11~~11I

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Les langages de Wolfson et Brlaset ........................... 75

Gllltttl Dttlellz:tt ............................................................... ~~

C BERTRAND-LACOSTE, Paris, 1995. Toute repr'8entation, traduction, adaptation, mime partielle, par tous procédés, en tous pays, faite sana autorisation préalable est illicite et exposerait le contrevenant à des poursuites judiciaires (réf. loi du 11 mars 1957).

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Principaux ouvrages de Michel Foucault Ces ouvrages seront cités par la suite sous la fo11ne abrégée indiquée ici entre parenthèses. Folie et déraison. Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, , 1972 (HF). Naissance de la clinique. Une archéologie du regard médical, PUF, 1963 (NC). Raymond Roussel, Gallimard, , 1963 (RR). Les Mots et les choses, Gallimard, , 1966 (MC).

, in Nieti.sche, Éditions de Minuit,>, 1967 (NFM). L 'Archéologie du savoir, Gallimard, , 1969 (AS). L'Ordre du discours, Gallimard, 1971 (OD). Ceci n'est pas une pipe, Fata Morgana, 1973 (CNP). Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère ... , Gallimard, 1973 (MPR). Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, , 1975 (SP). La Volonté de savoir, Histoire de la sexualité, tome I, Gallimard, , 1976 (VS). Herculine Barbin, dite Alexina B., Gallimard, , 1978 (HB). L'Usage des plaisirs, Histoire de la sexualité, tome Il, Gallimard, , 1984 (UP). Le Souci de soi, Histoire de la sexualité, tome Ill, Gallimard, , 1984 (SS). Dits et écrits. 1954-1988, Gallimard, , 1994. Édition établie sous la direction de Daniel Defert et François Ewald avec la collaboration de Jacques Lagrange (DE).

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L'histoire des hommes est la longue succession des synonymes d'un même vocable. Y contredire est un devoir. René Char, cité par Michel Foucault.

1. La biographie : entre fiction à inventer et histoire Intellectuelle du xx• siècle Le mystère Foucault qu'ont voulu créer certains bio-

graphes après la mort tragique et prématurée du philosophe des suites du sida disparaît à la lecture de son œuvre : , et est influencé par la psychiatrie existentielle, marquée par Heidegger. En 1955, sur la recommandation de Georges Dumézil, avec qui il entretiendra une très longue amitié intellectuelle, Foucault devient directeur de la Maison de France à Uppsala, en Suède. C'est au cours de ce séjour,jusqu 'en 1958, qu'il écrit Histoire de la folie à l'âge classique. Nomade comme Ulysse, Foucault multipliera les voyages au cours de sa vie, en Pologne, en Allemagne, aux États-Unis, au Brésil, au Japon, etc., comme pour décentrer son regard et se rendre étranger à sa propre culture. Histoire de la folie à l'âge classique ( 1961) et Naissance de la clinique (1963), qui vont faire connaître Foucault, inaugurent une histoire structurale des processus d'exclusion propres au monde occidental et des théories qui constituent les > comme exclus. Qu'il s'agisse de la naissance de la psychiatrie ou de l'anatomie, les deux disciplines sont indissociables, d'une part des procédures de marquage et d'exclusion de couches de la population, d'autre part des institutions qui assurent ces procédures, comme l'asile ou l'hôpital. C'est aussi à cette époque que Foucault s'intéresse à l' œuvre de Raymond Roussel (Voir Éclairage p. 71 ), une sorte de double du philosophe lui-même, qui s'intéresse non au sens, mais au signe. De 1961 à 1964, il se plonge dans la lecture des textes écorchés d' Artaud, Hôlderlin et Bataille, qui révèlent une >. La parution en 1966 des Mots et les choses dans la nouvelle collection , dirigée par Pierre Nora chez Gallimard, fait sensation au point d'être au cœur d'une polémique médiatique sur le structuralisme. Les sartriens (Les Temps modernes), qui ressentent le livre comme une déclaration de guerre contre l'humanisme sartrien ·et les intellectuels du Parti communiste (La Nouvelle Critique), contestent ce livre ambitieux et hardi qui se donne 10

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comme programme de faire une archéologie de la discontinuité du savoir depuis le xvr siècle jusqu'à l'époque contemporaine avant de fmir par le constat de la >. Articulant les> et les pratiques historiques, l'essai, plus tempéré que Les Mots et les choses, se présente comme la théorie de la pratique théorique de Foucault. C'est en 1970 que Foucault est nommé au Collège de France à la chaire d'histoire des systèmes de pensée et remplace son maître Jean Hyppolite. Sa leçon inaugurale, prononcée le 2 décembre 1970, paraîtra sous le titre L 'Ordre du discours ( 1971 ), un texte très court qui revient sur l' interrogation fondamentale de Foucault : comment faire l' interrogation de notre volonté de vérité? Issu des cours du Collège de France et suscité par I' actualité de la révolte, Surveiller et punir, en 1975, eut un impact moins fort que L 'Archipel du goulag, de Soljenitsyne, paru en 1974. Ce livre sur l'enfe1111ement moderne met pourtant en valeur une nouvelle figure de l'autre : le prisonnier, le délinquant. L'essai, qui tourne autour de la question du pouvoir et de ses techniques, des stratégies et des tactiques, de la relation entre pouvoir et savoir, connaît un grand retentissement, dO au fait qu'au thème marxiste de l'exploitation Foucault substitue une autre approche dans l'analyse des sociétés modernes. À partir de 1976, Foucault projette d'écrire une Histoire de la sexualité qui aurait dO comprendre six volumes. Au cours des années 1970, le désir et la folie, sous l'influence de la psychanalyse, occupent une place importante dans le paysage culturel. Les discours dénonçant la répression de la folie et du sexe, comme L'Anti-Œdipe de Gilles Deleuze et Félix Guattari ( 1971 ), la réédition des thèses de Wilhelm Reich prônant dans les années 1920 la libération sexuelle, les travaux des antipsychiatres comme Ronald Laing et David Cooper, qui nient la notion de maladie mentale, en

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origDlsœntinuités 1 11 UNIVERSITY OF MICHIGAN

sont la preuve. S'inscrivant dans ce courant de réhabilitation des comportements tabous, l.A Volonté de savoir, introduction à cette Histoire de la sexualité, démontre comment les sociétés modernes répriment et produisent en la provoquant la sexualité. Comme dans ses ouvrages précédents, l'œuvre analyse les discours sans les référer à une subjectivité qui les constituerait. Mais l'entreprise s'efforce surtout de dénouer le lien entre savoir et pouvoir, à travers une critique des formes de contrôle social et de leurs justifications théoriques. Heurtant cette fois-ci les défenseurs de la libération sexuelle, l'ouvrage associe le problème politique à un désenfern1ement du sujet de la vérité de son désir et à la nécessité d'une>. Il s'agit de se désexualiser afin d'intensifier les plaisirs. La biographie intellectuelle très controversée de l' Américain James Miller cherche à montrer que l'engagement de Foucault autour d'une question politique peut être lié à un problème de l'existence personnelle du philosophe. La réorientation vers ce que Foucault appelle l' , consacré à la rupture opérée par les trois œuvres dans l'histoire des techniques interprétatives. Avec Marx, les rapports sociaux réels sont prédéter1ninés par des rapports de production; avec Nietzsche, le beau, le bien, le vrai, apparaissent comme des valeurs mues par la volonté de puissance ; avec Freud, la conscience humaine est régie par les lois de l'inconscient. Ces maîtres du soupçon ont mis en question cette fonction fondatrice du cogito, le sujet pensant ne pouvant plus trouver son fondement en Dieu ou dans la Raison humaine.

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Discontinuités

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Dans la perspective de Karl Marx et du matérialisme historique, l'analyse des rapports de production et de la lutte des classes ébranle une vision synthétique et globale de l'histoire ou la conception d'un type cohérent de civilisation. Dans ses premiers ouvrages, la démarche de Foucault, qui relie la constitution d'une discipline théorique à prétention scientifique (la psychiatrie, la médecine) à la pratique d'un appareil matériel de traitement des populations comme l'hôpital ou l'asile, semble s'inscrire dans une théorie marxiste des idéologies et de ces appareils. La référence à la production capitaliste est en effet présente. Mais, en même temps, Foucault contredit le penseur de l'exploitation, montrant dans Les Mots et les choses que l 'œuvre de Marx dans ses rapports avec l'économie politique bourgeoise n'introduisait pas de , ce qui fut considéré comme un ,

ECLAIRAGE

LA GÉNÉALOGIE NIE 1ZSCHÉENNE À la science qui cherche l'objectivité et les vérités universelles, à la philosophie qui part en quête des essences éternelles, Friedrich Nietzsche (1844-1900), dans La généalogie de la morale, oppose sa critique, sa «généalogie>>, c'est-à-dire une recherche de l'origine des valeurs du point de vue de leur noblesse ou de leur bassesse. Cette critique, qu'il se propose d'introduire du savoir, une sorte de psychanalyse de l'activité scientifique, en faisant l'histoire des savoirs, en retraçant la vie cachée dont les faits livrés par l'historien ou le savant ne seraient que la conscience défo1111ée et lacunaire. C'est en se mettant au carrefour de plusieurs sciences, de plusieurs techniques, que l'historien philosophe montre que la vérité d'une science à un moment donné de l'histoire ne tient ni dans le moment qu'elle dépasse, ni dans celui qu'elle dépassera, mais dans sa convergence avec les autres savoirs. Vivant de méconnaissances et se leurrant sur ses pouvoirs, la science ne trouve pas en elle-même ses propres fondements. La démarche de Foucault doit beaucoup à des auteurs de la philosophie des sciences comme Gaston Bachelard (1884-1962) pour les , Georges Canguilhem (né en 1904) pour les et Alexandre Koyré ( 1882-1964), qui ont relié la pensée scientifique aux cadres mentaux d'une époque. Dans L'Archéologie du savoir, utilisant les catégories de la discontinuité et de la différence ainsi que les notions de seuil et de rupture, Foucault est conscient de commettre un contre le discours du continu qui caractérise l'analyse historique traditionnelle:

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Mais il ne faut pas s'y tromper: ce qu'on pleure si fof4 ce n'est pas la disparition de l'histoire, c'est l'effacement de cette forme d'histoire qui était en secret, mais tout entière, référée à l'activité synthétique du sujet; ce qu'on pleure, c'est ce devenir qui devait fournir à la souveraineté de la conscience un abri plus sûr, moins exposé, que les mythes, les systèmes de parenté, les langues, la sexualité ou le désir; ce qu'on pleure, c'est la possibilité de ranimer par le projet, le travail du sens ou le mouvement de la totalisation, le jeu des déterminations matérielles, des règles de pratique, des systèmes inconscients, des relations rigoureuses mais non réfléchies, des corrélations qui échappent à toute expérience vécue; ce qu'on pleure, c'est cet usage idéologique de l'histoire par lequel on essaie de restituer à l'homme tout ce qui, depuis plus d'un siècle, n'a cessé de lui échapper. (AS, p. 24.) ECLAIRAGE

L'ÉPISTÉMOLOGIE

Le tenne d . (épistémè siglifiant cc scienœ » et logos, cc étude >>), employé depuis le début du siècle en France, a eu d'abord un sens assez vague de . Aujourd'hui, pour les philosophes, il tend à renvoyer à toutes les activités critiques qui s'efforcent d'analyser I' « esprit >> des sciences contemporaines, d'estimer la validité scientifique de disciplines comme les sciences humaines ou de rendre compte des lignes de force de notre condition historique d'hommes occidentaux. Refusant d'identifier l'histoire au développement d'un ordre ou au déchiffrement d'un sens, l'épistémologie moderne substitue une pluralité d'ordres équivalents sur le plan de la cohérence à l'ordre progressif qu'on croyait percevoir jadis dans la succession : elle refuse les idées de progrès, de conscience et de totalité. Parmi les fondateurs de l'épistémologie française se distinguent Gaston Bachelard et Georges Canguilhem. Gaston Bachelard (1884-1962)

La philosophie de Bachelard constitue une analyse et une justification du 16

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nouvel esprit scientifique »

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dans les sciences depuis la révolution physique opérée par le relativisme d'Albert Einstein. Bachelard démontre que la science a su dépasser ses limites, qui ne lui étaient pas inhérentes, mais qui étaient liées à un stade de son développement. Une telle philosophie des sciences constitue une tentative pour dégager leur historicité. Essentiellement rétrospectif, le mowvement de la science conduit celle-ci à désigner après coup à la fois ses propres fondements, la façon rationnelle dont il faudrait procéder pour parvenir rationnellement là où on est. L'œuvre de Bachelard développe pour chaque concept scientifique le « spectre épistémologique ,, de ses motivations philosophiques, qu'il perçoit comme des obstacles, comme des résistances qui obligent une pensée objective à vaincre ses préjugés. Par ailleurs, au lieu de décrire une époque de la science comme un fait, l'auteur du Nouvel Esprit scientifique (1934) et de La Formation de l'esprit scientifique (1938) la pense comme un ensemble d' « idées s'inscrivant dans un système de pensée,,, Celui-ci, qui se manifeste par des techniques précises et complexes dans la matérialité des expériences et l'élaboration des concepts, finit par aboutir à une rationalisation du domaine donné, à une telle unité de conception que toute tentative pour le rompre au profit d'un projet nouveau se heurte à des résistances.

Georges Canguilhem (né en 1904) Agrégé de philosophie, puis docteur en médecine et docteur ès lettres, Canguilhem défend des thèses qui prennent appui sur le projet nouveau d'épistémologie contenu dans la philosophie bachelardienne : « En renouvelant aussi profondément le sens de l'histoire des sciences, en l'arrachant à sa situation jusqu'alors subalterne au rang d'une discipline philosophique de premier rang, Gaston Bachelard a fait plus que frayer une voie, il a fixé une tâche. ,, Refusant la conception de l'histoire des sciences comme un catalogue des erreurs de la raison et

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l'idée qu'il existerait un cc état définitif du savoir ,, , Canguilhem montre que les théories scientifiques ne découlent pas de faits cc purs ,, qui leur confèrent une force de vérité en un moment de leur histoire, mais qu'elles naissent de théories antérieures, plus anciennes, appartenant à des domaines scientifiques ou techniques différents. Par exemple, l'histoire de la théorie de l'arc réflexe (un trajet suivi par l'influx nerveux au cours d'un réflexe) ne pouvait être conceptualisée par une idéologie du mécanisme biologique comme celle de Descartes, mais est née dans le cadre d'une problématique vitaliste.

Ill. Foucault et le structuralisme Après la parution des Mots et les choses en 1966, Michel Foucault est considéré comme l'un des principaux hérauts du structuralisme aux côtés de Claude Lévi-Strauss, Jacques Lacan et Roland Barthes. Dans les années 1960, le courant dominant des sciences humaines est en effet le structuralisme, un terme qui regroupe diverses recherches dans les disciplines des sciences humaines. Alors que, dans les années 1945-1960, l'existentialisme sartrien (L 'existentialisme est un humanisme) avait per1nis une reconquête de l'homme sur les choses et affirmait une philosophie de l'existence, le structuralisme constitue la tentative ' contraire pour réintégrer le langage littéraire et philosophique dans le langage scientifique. Le concept de structure s'impose sous la for1ne de la linguistique structurale et se réfère au Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure. Selon la thèse de celui-ci, la langue, conçue comme un système de signes, organise ses composantes de façon autonome, sans référence directe à une réalité extralinguistique. Saussure s'efforce d'élaborer une science de l'organisation linguistique en individualisant d'abord les éléments réels de cette langue avant de les saisir de manière relationnelle. 18 1 MICHEL FOUCMAT l D1gitized by ~008 e

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ECLAIRAGE

LE STRUCTURALISME Le projet du structuralisme est de montrer qu'il existe, au-delà du sens que les êtres accordent à leurs discours ou à leurs actions, des structures sousjacentes, cachées, qui fixent un cadre à leur expression. Afin de les révéler, les structuralistes, qui travaillent dans des disciplines différentes, privilégient le discours et le langage comme objet d'analyse. La sémiologie de Roland BartlleS (1915-1980) applique les principes de l'analyse structurale aux textes littéraires (S/Z), à la mode (Système de la mode) ou aux mythologies contemporaines (Mythologies). La psychanalyse de Jacques Lacan (19011981) se focalise sur les structures et les discours dans l'analyse de l'inconscient: cc L'inconscient est structuré comme un langage ,, , dit Lacan à la suite de Freud, qui considérait déjà le rêve comme un rébus. Les mécanismes de i'inconscient tels le déplacement et la condensation sont homologues aux figures de rQétorique que sont la métonymie et la métaphore. Lacan découvre le rôle du langage dans la cure comme moyen de production d'un passage d'une ,allant jusqu'à proclamer la > (DE, 11, p. 434). En 1950, Foucault adhère au Parti communiste, qu'il quitte deux ans plus tard. Attiré vaguement par le marxisme comme maints intellectuels après l' Occupation, il ftnit par tourner le dos à la génération des Sartre et Merleau-Ponty pour explorer des penseurs qui critiquent de façon radicale la société moderne, qu'il s'agisse de philosophes anti.:.humanistes, d'écrivains d'avant-garde ou de surréalistes. En 1966, professeur de philosophie à l'université de Tunis, Foucault assiste aux révoltes étudiantes anti-impérialistes. Il protège les étudiants contre la répression très dure dont ils sont victimes : (DE, IV, p. 78). Si, dans les années 1960, Foucault a la réputation d'être un intellectuel apolitique, les > de mai 68 sont certainement à l'origine de la naissance du Foucault politique: il partage l'illusion qu'un nouveau type de société est en gestation, que la frontière entre la nor1nalité bourgeoise et les expériences extrêmes est en train de s'effacer. C'est ainsi qu'il signe des manifestes, marche dans les manifestations, associé avec la Gauche prolétarienne maoïste. L'articulation entre la pensée théorique et la pratique politique est évidente lorsqu'en 1971, avec Jean-Marie Domenach et Pierre VidalNaquet, Foucault crée le GIP. Cette contestation politique de l'univers carcéral a pour origine la grève de la faim des détenus gauchistes Ganvier et février 1971) qui revendiquaient le régime prévu pour les . , précise l'une des brochures du groupe. A la différence d'autres groupes gauchistes, comme l'a montré Gilles Deleuze, le fonctionnement du groupe, sous l'impulsion de Foucault, a su éviter les résurgences du totalisme marxiste et la restauration d'une centralisation de groupe. En inventant une nouvelle fo11ne de pratique politique loin du militantisme de parti, Foucault s'efforce de maintenir un rapport original entre la lutte des prisons et d'autres luttes locales et spécifiques autour de la justice, de la médecine, de la psychiatrie. C'est à partir du début des années 1970 que Foucault, capté par la politique, s'engage dans les luttes auprès des mouvements gauchistes. En 1973, il participe avec Sartre et Maurice Clavel à la création du quotidien Libération. Il manifeste également avec Sartre contre l'exécution en 1975 de onze Espagnols condamnés au garrot par le régime de Franco. En 1977, le philosophe soutient les dissidents soviétiques expulsés d'Union soviétique et dénonce l'extradition 22

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de Klaus Croissant, avocat de la Fraction armée rouge qui s'était réfugié en France. Il insiste sur l'importance de la notion d'asile politique au cœur de la problématique des droits de l'homme. En 1979, lors d'une conférence avec Raymond Aron et Jean-Paul Sartre, sur l'accueil des boat people sauvés en mer de Chine par L'Îie de lumière et l'équipe de Médecins du monde, dirigée par Bernard Kouchner, il déclare que disant la vérité, l'autre comme un qui s'efforce de découvrir la vérité des pouvoirs et des privilèges, ils se sont retrouvés dans les mouvements politiques de l' après-68. Les positions éthiques et politiques de Foucault, pourtant pourfendeur de l'humanisme, s'avèrent proches des engagements sartriens. Dénoncé comme un suppôt de la bourgeoisie faisant l'apologie du système capitaliste dans Les Mots et les choses, un manifeste réactionnaire qui nie l'homme, Foucault sera considéré vingt ans plus tard comme celui qui annonçait par son livre la . En 1978, Foucault effectue deux voyages en Iran pour suivre la , qui refuse la modernisation et le développement économique. Il perçoit dans ce qu'il appelle le> le modèle d'une action politique qui échappe au modèle de la Révolution. Douze ans avant le bicentenaire de la Révolution française, Foucault pense que l'actualité n'est plus celle de la Révolution, d'un . soulèvement no1·111alisé au nom de la raison, que la question du pouvoir ne peut plus être pensée en référence avec l'État, selon le schéma révolutionnaire ou à partir d'une morale de l'homme et du citoyen. En 1981, lorsque l'état de guerre est déclaré en Pologne, s'opposant à la politique extérieure du nouveau gouvernement socialiste, Foucault collabore avec Solidamosc en France. , de chercher à modifier sa propre pensée et celle des autres en ne cessant de se réinterroger en se soumettant au principe d'une > : Rien n'est plus inconsistant qu'un régime politique qui est indifférent à la vérité ; mais rien n'est plus dangereux qu'un système politique qui prétend prescrire la vérité. La fonction du > n'a pas à prendre la forme de la loi, tout comme il serait vain de croire qu'elle réside de plein droit dans les jeux spontanés de la communication. La tâche du dire vrai est un travail infini : la respecter dans sa complexité est une obligation dont aucun pouvoir ne peut faire l'économie. Sauf à impiviste et le ~ûd~~~'f?Î'

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plus positive, comme une histoire critique, non parce qu'elle juge le passé, mais parce qu'elle le montre, parce qu'elle analyse comment l' épistémè d'une période succède à une autre. L'archéologie chez Foucault épouse deux histoires différentes. Elle est l'histoire del' Autre, du marginal, criminel ou fou, > (MC, p. 15). Elle est aussi l'histoire du Même, de la ressemblance, lorsqu'en décrivant l'âge classique, la modernité, non plus à partir de leur Autre mais du Même Foucault observe l' existence de lois, de règles et de contraintes, le jeu d'identités et de différences qui, en contrôlant la production des discours, autorise pour une époque d'en dresser le tableau.

Il. La discontinuité anonyme du savoir • Continuité et discontinuité Selon l'historiographie traditionnelle, l'histoire est perçue comme un écoulement linéaire et cumulatif d'événements. Au rêve d'une continuité historique, Foucault, se soumettant à une lecture en discontinuité de l'histoire et suivant les leçons de Bachelard, Koyré et Canguilhem, oppose des fractures, des seuils et des césures. Ruptures et discontinuités scandent en effet l'action et la connaissance humaines. Le projet·des Mots et les choses est donc de réaliser partiellement une archéologie de la discontinuité anonyme du savoir en empruntant à Bachelard (voir Éclairage p. 16-18) sa notion de rupture épistémologique et à la linguistique la thèse d'une autonomie des structures linguistiques. Aux antipodes du vieil humanisme qui vise à nouer la subjectivité fondatrice de tout et l'unité fondamentale de l'histoire, cette histoire structurale dessine de vastes ensembles épistémiques qui possèdent leurs structures propres, leurs problèmes internes, leurs déplacements en d'autres configurations. L'archéologie se veut globale: l'aspect hétérogène des discours sur la vie, le travail et le làngage, des concepts apparemment sans contact entre eux, s'efface Original from

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devant une homogénéité plus essentielle. Celle-ci montre aussi bien les compatibilités et les cohérences à une époque déternùnée que les mutations et les différences entre des époques différentes. Par ailleurs, la démarche archéologique comme analyse historique des savoirs vise la profondeur; elle oppose un niveau de surface, celui des opinions, à un niveau de profondeur, celui del' , qui se donne comme la condition de possibilité des savoirs à une époque donnée. L'approche de Foucault, qui ne veut pas une nouvelle continuité, une nouvelle histoire universelle, s'intéresse à tout ce qui introduit une rupture, tout ce qui surgit de façon non répétable, venant briser de longues périodes presque immobiles, tout ce qui interdit à l'histoire de se totaliser. C'est ainsi que, dans Les Mots et les choses, Foucault relève à la fois des continuités synchroniques et des discontinuités diachroniques. La révolution opérée par le philosophe est de maintenir le principe de dispersion des énoncés, de faire du discontinu non plus un obstacle à l'analyse historique, mais son objet même et sa condition de possibilité. En ce sens, elle est une déconstruction de l'histoire de la philosophie.

• Les trois époques de la pensée La convergence avec les autres savoirs qui fonde la vérité d'une science à un moment donné conduit Foucault à s'interroger sur son lieu et la nature des invariants qu'elle révèle. Cette démarche lui permet de fixer les moments et la place de leur succession et de repérer deux grandes mutations : celle qui, à la fin du xvir siècle, inaugure l'âge classique, avec la solidarité entre la théorie de la représentation et les théories du langage, de la nature et de la richesse, et celle qui, au début du xixe siècle, marque le seuil de notre modernité, période au cours de laquelle la théorie de la représentation disparaît comme fondement général de tous les ordres possibles et où l'homme• devient l'objet d'un savoir possible. Dans Les Mots et les choses, Michel Foucault distingue donc trois grandes épistémè, trois moments essentiels de la pensée occidentale qui se sont succédé depuis le Moyen

A

Age : la Renaissance, l'âge classique et la modernité. L'œuvre, qui tend à montrer que toute fo11ne de savoir est relative, met en rapport la grammaire, l'histoire naturelle et l'analyse des richesses : Si l'histoire naturelle de Tournefort, de Linné et de Buffon a rapport à autre chose qu'à elle-même, ce n'est pas à la biologie, à l'anatomie comparée de Cuvier ou à l' évolutionnisme de Darwin, c'est à la grammaire générale de Beauzée, c'est à l'analyse de la monnaie et de la richesse telle qu'on la trouve chez Law, chez Véron de Fortbonnais ou chez Turgot. (MC, p. 14.) .

•L'âge préclassique, ou la Renaissance La ressemblance est un principe fondateur d'organisation

de la Renaissance. L'étude du monde consiste en effet à découvrir des analogies, que ce soit entre les quatre éléments naturels que sont l'air, le feu, l'eau, la te11e, entre les différents types de maladie ou encore entre les caractères humains. Au xvr siècle, la nature et le langage constituent un fonds de ressemblance et de continuité à partir duquel s'établit un jeu de signes et de ressemblances qui se referme sur lui-même. Ainsi, les signes renvoient aux signes selon l'ordre de la ressemblance. Par exemple, si la noix présente le signe d'une affinité avec une tête, son écorce doit nécessairement guérir les et le noyau du fruit, les maux intérieurs de la tête. Au xvr siècle, le langage donné aux hommes par Dieu n'est pas un système arbitraire. Déposé dans le monde, il en fait partie dans le sens où les choses se présentent comme un langage énigmatique et où les mots se proposent à l'homme comme des choses à déchiffrer. Savoir ne consiste donc ni à voir, ni à démontrer, mais à commenter. La connaissance d'un animal ou d'une plante revient à mettre du langage sur du langage• , à recueillir la prolifération des signes qui ont été déposés en eux par la nature et par l'homme, par le langage du monde et celui de l'être humain. Don Quichotte, le héros de Cervantès qui veut lire le monde afin de démontrer les livres, marque les limites de cette épistémologie. En effet, la transparence est brouillée par 32 1 MICHEL FOueAUL Digitized by \.:JO

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le divorce entre les signes lisibles et les êtres visibles, entre la culture livresque (les romans héroïques de chevalerie) et la réalité concrète du monde, entre les mots et les choses : Don Quichotte dessine le négatif du monde de la Renaissance ; l'écriture a cessé d'être la prose du monde; les ressemblances et les signes ont dénoué leur vieille entente ; les similitudes déçoivent, tournent à la vision et au délire ; les choses demeurent obstinément dans leur identité ironique : elles ne sont plus ce qu'elles sont; les mots errent à l'aventure, sans contenu, sans ressemblance pour les remplir; ils ne marquent plus les choses ; ils donnent entre les feuillets des livres au milieu de la poussière. La magie, qui permettait le déchiffrement du monde en découvrant des ressemblances secrètes sous les signes, ne sert plus qu'à expliquer sur le mode délirant pourquoi les analogies sont toujours déçues. L'érudition qui lisait comme un texte unique la nature et les livres est renvoyée à ses chimères : déposés sur les pages jaunies des volumes, les signes du langage n'ont plus pour valeur que la mince fiction de ce qu'ils représentent. L'écriture et les choses ne se ressemblent plus. Entre elles, Don Quichotte erre à l'aventure. (MC, p. 61-62.)

• L'ige classique L' épistémè classique, qui opère la première rupture dans la pensée occidentale, se confond avec le projet d'une science générale de l'ordre, structurée autour du primat de la représentation et du privilège que possède le langage• de pouvoir représenter les choses. Cet ordre s'appuie sur trois notions : - la mathésis (ordonner les natures simples), dont la méthode universelle est l' Algèbre ; - la taxinomie (une mise en ordre des représentations complexes en un système de signes) ; - la genèse, c'est-à-dire l'interrogation sur l'origine des • connaissances. L' épistémè dessine un tableau des identités et des différences qui s'articule en trois disciplines, trois figures différenciées : la grammaire générale, la science des signes (parler); l'histoire naturelle, la science des caractères, qui pense la nature et son enchevêtrement (classer); l'analyse des richesses, la théorie de la monnaie et des valeurs, qui Digitizect by Goo

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autorise l'échange et établit une équivalence entre le besoin et le désir des hommes (échanger). Par une systématique des signes, par une taxinomie générale des choses, le savoir tend à se réduire au tableau : Les sciences portent toujours avec elles le projet même lointain d'une mise en ordre exhaustive: elles pointent toujours aussi vers la découverte des éléments simples et de leur composition progressive ; et en leur milieu, elles sont tableau, étalement des connaissances dans un système contemporain de lui-même. Le centre du savoir, au xvir et au xv11r siècle, c'est le tableau. Quant aux grands débats dominés par la figure emblématique de Descartes, qui ont occupé l'opinion, ils se logent tout naturellement dans les pliures de cette organisation. (MC, p. 89.) La description des Ménines ( 1656), le célèbre tableau de Vélasquez, sur laquelle s'ouvrent Les Mots et les choses, révèle la structure du savoir à l'âge classique. Dans l'espace ordonné du tableau sont dispersées de façon visible les trois fonctions de la représentation : - la production de la représentation (l'artiste, le peintre en retrait qui, la palette à la main, fixe les yeux sur le modèle, un lieu occupé par nous, spectateurs) ; -1' objet représenté (les modèles que sont le roi Philippe IV et son épouse Mariana) à travers le reflet pâle et excentré dans le miroir ; - le spectacle de la représentation avec le visiteur (représentant le spectateur), à droite, un pied sur la marche, prêt à entrer dans la pièce. Ces trois fonctions «regardantes>> se confondent en un point extérieur au tableau : c'est-à-dire idéal par rapport à ce qui est représenté, mais parfaitement réel puisque c'est à partir de lui que devient possible la représentation. (MC, p. 30.) Le succès de cette représentation qui > s'accompagne d'une tension, source d'instabilité, car, paradoxalement, le tableau dit > (MC, p. 31), instabilité qui caractérise l'épistémè. En dépit des miroirs, des reflets, des imitations, des portraits, l'activité de représentation reste invisible. Personne ne voit les trois fonctions du sujet. Le spectateur sur le seuil, le miroir 34 1 MICHEL FO~ULT Digitizect by

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sur le mur du fond et le peintre à I'œuvre sont placés derrière les personnages qui regardent le modèle. Le tableau révèle l'impossibilité de rassembler les trois fonctions en une représentatio n unitïée de leur activité. C'est ainsi que la t·onction spectatrice n'est pas représentée comme activité. Le visiteur à l'arrière-plan qui observe la scène devient lui même un objet peint. Le retlet dans le miroir n'est pas notre image de spectateur en train de regarder le tableau que l' artiste peint, mais le couple royal .

Véf41squez, Les M é11i11es, 1656,

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(AS, p. 46). Le discours psychiatrique au xixe siècle se caractérise non par des objets privilégiés, mais par la manière dont se for111ent ses objets dispersés. Cette for1nation des objets apparaît partiellement à travers l'ensemble de relations entre : - > : la famille, le groupe social proche, le milieu de travail, la communauté religieuse, avec leurs nor1nes, leurs interdits, etc. ; - > qui ont départagé, nommé et instauré la folie t comme objet, comme la médecine, la justice pénale (les notions d'excuse, d'irresponsabilité, de circonstances atténuantes, etc.), l'autorité religieuse, qui établit elle-même un partage entre le mystique et le pathologique, le corps et l'esprit ; - les , c'est-à-dire (AS, p. 58).

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Ce sont ces rapports entre ces différentes instances d'émergence, de délimitation et de spécification, ces diverses relations entre les institutions, les processus économiques, les fo11nes de comportement, les types de classification, qui caractérisent le discours psychiatrique du xixe siècle, un discours qui tend à > et > le délinquant (Voir Pouvoir•, p. 81).

• Les modalHés énonciatives Qui parle? Qui peut-on prendre au sérieux, c'est-à-dire qui a le droit de parler d'une position qui présuppose que ce qu'il dit est vrai ? De quel lieu émanent les énoncés ? Telles sont les questions posées par l'archéologue. L'enjeu de Naissance de la clinique, qui est de rechercher la manière dont les formes d'énonciation se sont modifiées de la fin du xvnr siècle au début du xxe, conduit Foucault à décrire : - le statut du médecin, qui comprend à la fois des critères de compétence et de savoir, des institutions, des systèmes, des no11nes pédagogiques, et comporte un système de différences et de rapports avec le statut d'autres individus et de groupes; - les emplacements institutionnels d'où le médecin tient son discours (l'hôpital, la pratique privée, le laboratoire, le champ documentaire livres, traités, comptes rendus, etc.); - les diverses positions qui sont occupées par le sujet du discours médical, que ce soit au niveau de la perception (, AS, p. 72) ou au niveau de sa place dans le réseau des inf01111ations (l'enseignement théorique, la pédagogie hospitalière, etc.). L'analyse des diverses modalités d'énonciation fait apparaître la dispersion du sujet à la recherche du savoir ainsi qu'une discontinuité due à la diversité des statuts, des emplacements et des positions quand il tient un discours. Le sujet n'est pas à l'origine du discours, l'origine étant constituée par un : Tout à l'heure, on a montré que ce n'était ni par les ni par les > qu'il fallait définir le régime des objets propres à une formation discursive ; de la même façon, il faut reconnaître maintenant que ce n'est ni par le recours à un sujet transcendantal ni par le recours à une Original from

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subjectivité psychologique qu'il faut définir le régime de ses énonciations. (AS, p. 74.)

• La formation des concepts Comme les objets, les concepts sont soumis à un questionnement. Se transfor1nant, se recoupant, soumis à des révolutions, les concepts apparaissent complexes. L' >, l'un des thèmes favoris du xvor siècle, que l'on retrouve plus tard chez Darwin, constitue un mot équivoque qui renvoie à deux réseaux discursifs : Au xv11r siècle, l'idée évolutionniste est définie à partir d'une parenté des espèces qui forment un continuum prescrit dès le départ (seules les catastrophes de la nature l'auraient interrompu) ou progressivement constitué par le déroulement du temps. Au xix:e siècle le thème évolutionniste concerne moins la constitution du tableau continu des espèces que la description de groupes discontinus et l'analyse des modalités d'interaction entre un organisme dont tous les éléments sont solidaires et un milieu qui lui offre ses conditions réelles de vie. Un seul thème, mais à partir de deux types de discours. (AS, p. 51 .)

La dispersion anonyme à travers des textes et des livres montre que les différentes règles de for1nation ne naissent pas dans la conscience des individus, mais dans le discours lui-même.

• La formation des stratégies Foucault s'interroge également sur la façon dont les stratégies, thème (le thème d'une langue originaire dont toutes les autres dériveraient dans la grammaire du xvrrr siècle) ou théorie (la théorie chez les physiocrates d'une circulation des richesses à partir de la production agricole) se distribuent dans l'histoire. L'archéologue montre les difficultés à repérer une régularité entre des idées d'origine diverse et à définir le système commun de leur fonnation, puisqu' (AS, p. 93).

•L'énoncé et l'archive Afin de reconstituer l'organisation du Savoir/ Pouvoir• au sein d'une époque, Foucault interroge le savoir inconscient des gens, les documents, les archives, les traces, c'està-dire des systèmes d'énoncés qui autorisent la description archéologique. L'archive, définie comme le (AS, p. 171), fait surgir le niveau d'une pratique des énoncés dans leur valeur d'événements. Ceux-ci ont leurs conditions d'apparition et comportent leur possibilité d'utilisation. C'est ce domaine des , à la fois coupées des choses qu'elles disent et coupées des hommes qui les disent, que Foucault appelle l'archive. Pour l'affaire Pierre Rivière (voir Littérature•, p. 67), l'archéologue procède à des , utilisant des rapports médicaux, des pièces judiciaires, le mémoire rédigé par l'accusé lui-même, c'est-à-dire une archive qui se donne par fragments, régions et niveaux: son objectif est d'analyser la for111ation et le jeu spécifique d'un savoir dans ses rapports avec les institutions. Organisée en manuels, en discours, en ordonnances, en traités, l'archive constitue les éléments essentiels de l'archéologie de Foucault en ce qu'elle mêle de façon bavarde l' infor111ation la plus stricte et une part d'imaginaire. Cette méthode lui per1net de traiter sur le même plan les pratiques, les institutions et les théories, et de rechercher le savoir commun qui les a rendues possibles : \

De nos jours, l'histoire, c'est ce qui transfonne les documents en monuments, et qui, là où on déchiffrait des traces laissées par les hommes, là où on essayait de reconnaître en creux ce qu'ils avaient été, déploie une masse d'éléments qu'il s'agit d'isoler, de grouper, de rendre pertinents, de mettre en relations, de constituer en ensembles. (AS, p. 15.)

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olie Ruse et nouveau triomphe de la folie : ce monde qui croit la mesurer, la justifier par la psychologie, c'est devant elle qu'il doit se justifier, puisque dans son effort et ses débats, il se mesure à la démesure d' œuvres comme celle de Nietzsche, de Van Gogh, d' Artaud. Et rien en lui, surtout pas ce qu'il peut connaître de la folie, ne l'assure que ces œuvres de folie le justifient. (HF, p. 557.)

1. Les discours sur la folle ou la raison normalisatrice Dans Histoire de la folie à l'âge classique, qui met en œuvre la méthode généalogique héritée de Nietzsche (voir Éclairage, p. 14), Michel Foucault dresse moins une histoire de la folie que celle des conceptions de la société sur la folie. Il ne définit pas celle-ci comme objet d'une connaissance, comme une maladie substantielle ayant existé de tout temps, mais comme la connaissance même de la folie, comme l'ensemble des discours qui ont été tenus par la raison sur la déraison. Cette raison devient une des figures du pouvoir• fonctionnant comme un modèle de l'exclusion.

•Avant l'âge classique Avant le xvir siècle, la folie est intégrée à l'existence des hommes. Au Moyen Age, perçue comme un > (HF, p. 260): Mais tandis que l'erreur n'est que non-vérité, tandis que le rêve n'affirme ni ne juge, la folie, elle, remplit d'images le vide de l' etteur, et lie les fantasmes par l'affirmation du faux. En un sens, elle est donc plénitude, joignant aux figures de la nuit les puissances du jour, aux fonnes de la fantaisie l' activité de l'esprit éveillé ; elle noue des contenus obscurs avec les formes de la clarté. Mais cette plénitude n'est-elle pas, en vérité, le comble du vide? (HF, p. 260-261.)

Si la folie est éprouvée comme déraison, comme négativité vide, l'analyse médicale s'efforce néanmoins de lui donner de plus en plus une déte11nination positive par un travail de classification. Au xvrrr siècle, les maladies mentales sont rangées en classes, genres et espèces. Il se produit un

(du latin alienus, qui signifie >), d'être devenu étranger à lui-même. Ainsi, l'on cesse de confondre la folie et la déraison. Au milieu du xvnr siècle, un > se dessine qui sépare les , enfe1111és dans des>, et les>, séquestrés dans les prisons et séparés à leur demande des >. ' A présent que la folie est isolée par la raison, qu'elle devient un objet entrant dans le champ d'une science positive qui sera la psychiatrie au xixe siècle, il devient possible de la >. Le > peut être guéri en étant stabilisé dans un type moralement et socialement reconnu. S'il n'est pas coupable de sa folie en tant qu'être humain, il doit se sentir responsable de ce qui, dans son comportement, risque de nuire à la société. Il revient à la médecine de forcer le malade à reconnaître sa faute et sa folie et de le contraindre à rejoindre la raison. Enfe11ner le>, cet être qui s'est perdu en quittant sa vérité immédiate, c'est le libérer en lui permettant d'atteindre sa propre vérité sous la f011ne de l'aliénation, c'est-à-dire de catégories psychiatriques qui lui sont étrangères. Ce progressisme de l'âge moderne qui convertit la déraison en aliénation représente pour Foucault une régression sur le plan anthropologique : Objective, cette liberté se trouve, au niveau des faits et des observations, exactement répartie en un déterminisme qui la nie entièrement, et une culpabilité précise qui l'exalte. L'ambiguïté de la pensée classique sur les rapports de la faute et de la folie va maintenant se dissocier; et la pensée psychiatrique du xrxe siècle va à la fois chercher la totalité du déterminisme, et tenter de définir le point d'insertion d'une culpabilité; les discussions sur les folies criminelles, les prestiges de la paralysie générale, le grand thème des dégénérescences, la critique des phénomènes hystériques, tout cela qui anime la recherche médicale d'Esquirol à Freud, relève de ce double effort. Le fou du XIXC siècle sera déterminé et coupable; sa non-liberté est plus pénétrée de faute que la liberté par laquelle le fou classique s'échappait à lui-même. (HF, p. 534.)

Il. Procédures d'enfennernent et d'exclusion Pour Foucault, le rationalisme, qui n'est pas universel, est facteur de souffrance et de servitude dans la mesure où il se fonde sur le principe de négation, la folie étant perçue comme dérai46 1 M~~ogle

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son, et parce qu'il aboutit, au nom de la raison, à l'exclusion et à l'enfennement. L'histoire de la folie s'appuie sur deux dates charnières de l'histoire de l'internement: 1656, avec le décret qui fonde l' de Paris et va organiser le des pauvres, et 1794, année mythique où Philippe Pinel libère les enchaînés de Bicêtre, rendant à la folie sa spécificité et lui donnant des asiles où elle pourra guérir.

• Le « Grand Renfermement » Dans cet espace del'>, qui est une sbUcture juridique et policière (

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a) La théorie du verbe et de la proposition. Selon la pensée classique, le langage commence non avec l' expression (le cri, le bruit), mais avec le discours, avec la proposition, c'est-à-dire le sujet, l'attribut et surtout le verbe, condition indispensable. Le verbe être a le pouvoir singulier d'affi11ner l'idée, qui se trouve assurée par lui, de poser un lien d'attribution entre deux choses () : Si bien que le verbe être aurait essentiellement pour fonction de rapporter tout langage à la représentation qu'il désigne. L'être vers lequel il déborde les signes, ce n'est ni plus ni moins que l'être de la pensée. Comparant le langage à un tableau, un grammairien de la fin du xv11r siècle définit les noms comme des formes, les adjectifs comme des couleurs, et le verbe comme la toile elle-même sur laquelle elles apparaissent. (MC, p. 110.)

b) La théorie de l'articulation. Chaque mot est une (MC, p. 119) qui pointe vers la représentation. L'articulation définit les mots et les individualise les uns en face des autres dans l'intention de les référer au contenu qu'ils peuvent signifier. Pour les auteurs de Port-Royal, les mots qui signifient des choses comme seront désignés comme des , comme des>, ceux qui signifient les manières, des qualités qui caractérisent le sujet ( (MC, p. 136). Lieu de l'ontologie, le discours occidental se confond avec la philosophie comme théorie de la connaissance et analyse des idées, avec la science comme nomenclature et taxinomie.

• La philologie ' partir du x1xe siècle, le langage se replie sur soi, A acquiert son épaisseur propre, déploie une histoire, des lois et une objectivité qui n'appartiennent qu'à lui. Il est devenu un objet de connaissance parmi tant d'autres: à côté des êtres vivants, à côté des richesses et de la valeur, à côté de l'histoire des événements et des hommes. (MC, p. 309.)

À l'âge classique, alors que le langage, pensé comme discours, (MC, p. 245), est enraciné dans la représentation, alors que les mots sont interrogés à partir de leur valeurs représentatives, une mutation se produit entre la fin du XVIIr siècle et le début du xixc siècle sous l'influence de Grimm, Schlegel, Rask et BoI_>p. Celle-ci aboutit à une nouvelle positivité philologique. A travers la confrontation des langues entre elles (la grammaire comparée) et l'analyse des sons, de leurs rapports et transfor1nations possibles, le langage est défini Digitizect by

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comme un système d'éléments for1nels qui n'obéit plus au régime de la représentation : Ce qui per111et de définir une langue, ce n'est pas la manière dont elle représente les représentations, mais une certaine architecture interne, une certaine manière de modifier les mots eux-mêmes selon la posture grammaticale qu'ils occupent les uns par rapport aux autres : c'est son système fonctionnel. (MC, p. 250.)

Les quatre segments théoriques qui pe1111ettaient de définir la grammaire générale se sont modifiés : a) L'analyse intérieure de la langue. Elle traite le langage comme une organisation interne autonome. La proposition n'est plus considérée que comme une unité de syntaxe et le verbe comme un mot parmi les autres avec son système de concordance, de flexions et de régime. b) Les variations internes de la langue. Contrairement à la théorie de l'articulation représentative, c'est-à-dire l'analyse visible de la représentation, le langage est traité comme un ensemble d'éléments phonétiques, de sons affranchis des ' lettres qui peuvent les transcrire. A la différence de l' articulation, qui définissait les mots en les rapportant à leur signification, l'étude des variations caractérise les mots par leur morphologie et leurs mutati~ns phonétiques. c) La théorie du radical. A la différence de la racine, qui suppose l'existence d'une langue primitive, composée des cris de la nature, proche des choses, le radical est une individualité linguistique isolable, propre à un groupe de langues, servant principalement de noyau aux formes verbales. d) La théorie des systèmes de parentl entre les langues. Une comparaison directe et latérale est possible entre plusieurs langues à partir de leur proximité fo11nélle (les modifications du radical, le système des flexions, la série des désinences). La Grammaire générale ne pouvait comparer que de façon indirecte en remontant verticalement aux racines primitives ou en faisant communiquer les langues dans la manière universelle de découper et relier les mêmes représentations. Alors qu'à l'âge classique la langue, définie comme discours, se confondait avec l'histoire de ses représentations

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(idées, choses, connaissances, etc.), elle se définit par son mécanisme intérieur, un mécanisme porteur d'identité et de différence et par qui l' (MC, p. 249). Le langage est devenu un objet de connaissance parmi d'autres.

Il. Discours et ordre La tâche du philosophe est de remettre en question notre , de restituer au discours son caractère d'événement et de lever la souveraineté du signifiant en faisant entre autres l'inventaire des procédés qui, dans toute société, contrôlent la production du discours. La question du langage et de sa fonction est posée d'emblée dès la première phrase de Naissance de la clinique : > (NC, préface, p. Xill). Foucault veut voir se > (NC, p. 200). Le savoir du xixe siècle tient dans une nouvelle for1ne d'articulation de l'espace, du langage et de la mort, enfin intégrée épistémologiquement à l'expérience médicale et non plus perçue métaphysiquement comme une chose contre nature. Avec les travaux de Bichat, qui font basculer l'expérience clinique vers l'expérience anatomique, c'est le cadavre qu'on interroge pour mieux comprendre la vie : Le nouvel esprit médical dont Bichat porte sans doute le premier témoignage absolument cohérent n'est pas à inscrire à l'ordre des purifications psychologiques et épistémologiques; il n'est pas autre chose qu'une réorganisation épistémologique de la maladie où les limites du visible et de l'invisible suivent un nouveau dessein; l'abîme d'en dessous le mal et qui était le mal lui-même vient de surgir dans la lumière du langage - cette lumière sans doute qui éclaire d'un même jour les 120 Journées, Juliette et les Désastres. (NC, p. 199.)

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• Le discours, enjeu du pouvoir Le discours apparaît dans l' œuvre de Foucault comme enjeu du désir et du pouvoir•. La vérité d'un énoncé n'est pas dans le silence de son sens, que le commentaire articule, mais dans sa position et dans la stratégie de celui qui l'énonce. Qui dit et pourquoi? Il n'existe pas de neutralité de la grammaire et de la syntaxe, pas d'innocence dans l'articulation des mots pour traduire des idées. Mettre en fo11ne le discours à la recherche d'une cohérence de sens revient à se soumettre à une loi cachée, à un ordre invisible. Différent des autres objets de pouvoir, le discours constitue peut-être l'enjeu décisif du pouvoir• : Je suppose que dans toute société la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures qui ont pour rôle d'en conjurer les pouvoirs et les dangers, d'en maîtriser l'événement aléatoire, d'en esquiver la lourde, la redoutable matérialité. (OD, p. 10-11.)

C'est dans les régions de la politique et de la sexualité• que les procédures d'exclusion sont les plus évidentes. Parmi ces procédures, les interdits (tabou de l'objet dont on parle, rituel de la circonstance, droit privilégié de celui qui parle) contrôlent la production du discours et censurent ses excès. Le jeu de partages, d'exclusions (l'opposition entre raison et folie•) définit le deuxième principe d'exclusion. Le dernier système d'exclusion qui entrave la prolifération du discours dans les sociétés occidentales est la volonté de vérité, cette f01111e d'énonciation qui semble hors d'atteinte du pouvoir•. Est-on vraiment sûr de la nature de cette volonté de vérité? Foucault émet l'hypothèse que la volonté de vérité n'est jamais innocente et qu'elle est un instrument dans la discipline du savoir, qu'elle fonctionne comme principe de raréfaction du discours. Elle exerce en effet un pouvoir de contrainte sur les autres discours en s'appuyant sur des supports institutionnels comme la pédagogie, le système des livres et de l'édition, le laboratoire, et en étant valorisée, et distribuée, par la société.

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Ill. La disparition de l'homme et la critique des sciences humaines Cette mise en question de l'ordre, des classifications, des taxinomies posés par le discours per1net à Foucault de faire l'étrange découverte d'un homme sujet à disparition parce qu'il a été produit et inventé par les sciences dites . Le discours de Foucault et sa méthode de l'histoire, qui donne aux énoncés un obscur sous-sol, composé de règles anonymes et de lois matérielles (voir Archéologie•, p. 3031 ), opposent aux « inventions >> du génie la vérité des règles de production et des régimes de dispersion. En ruinant la prétention de l'homme à maîtriser et totaliser le cours de son histoire, Foucault élimine le sujet transcendantal, souverain. Sa recherche des > des sciences est aux antipodes de la démarche transcendantale de Kant ou de Husserl, qui veut mettre à jour des conditions de possibilité éternelles, a priori, de la connaissance en général et qui les trouve dans un sujet conscient.

• L' « analytique • de la finitude Au seuil du xixc siècle, la rupture qui marque la naissance de notre modernité tient dans l'apparition ambiguë de l'homme comme objet de savoir dans les sciences de l'homme. L'homme fait son apparition et devient mesure de toute chose. L'ordre du monde n'étant plus imposé par Dieu et susceptible d'être représentable sur un tableau, la continuité de l'homme avec les autres êtres vivants est interrompue. Il devient un sujet parmi les objets, un sujet qui désire appliquer la connaissance à lui-même. En l'absence d'un langage transparent qui pourrait éclairer la structure des objets et du monde, le sujet de la connaissance n'occupe plus un rôle de spectateur : il est impliqué dans sa relation aux objets qu'il veut connaître. Il lui incombe de per rnetb-e la représentation. L'homme apparaît dès lors comme le sujet et l'objet de la connaissance, mais aussi comme l'organisateur du spectacle. Mais surtout, il découvre sa dimension d'être fini, ses limites. C'est ainsi que de l'analyse des représentations on passe à une analytique, c'est-à-dire une démarche L'archiviste et le cartog~ du pouvoir

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qui vise à déte111ûner sur quoi peuvent se fonder la représentation et l'analyse des représentations et jusqu'où cellesci sont légitimes : Alors, tout le champ de la pensée occidentale fut inversé. Là où jadis il y avait corrélation entre une métaphysique de la représentation et de l'infini et une analyse des êtres vivants, des désirs de l'homme, et des mots de sa langue, on voit se constituer une analytique de la finitude et de l'existence humaine, et en opposition avec elle (mais en une opposition corrélative) une perpétuelle tentation de constituer une métaphysique de la vie, du travail et du langage. (MC, p. 328.)

La réflexion de Foucault s'appuie sur la nor111e kantienne de la finitude d'un homme assigné aux instances empiriques du travail, de la vie et du langage : Au fondement de toutes les positivités empiriques, et de ce qui peut s'indiquer de limitations concrètes à l'existence de l'homme, on découvre une finitude - qui en un sens est la même : elle est marquée par la spatialité du corps, la béance du désir, et le temps du langage. (MC, p. 326.)

Ces linùtes, imposées par l'homme lui-même, vont fonder paradoxalement la possibilité de prétendre à un savoir total. C'est en vertu même de sa finitude que l'homme peut prendre la place de Dieu, qu'il peut chercher à élaborer des savoirs positifs. Même s'il est un objet partiel et limité, l'homme est aussi un être souverain, un suje~ parce qu'il est esclave. Dans Naissance de la clinique, grâce au cadavre offert au scalpel de la dissection, rendu à son individualité, chargé de tout un potentiel de savoir, le discours médical inverse le jeu de la finitude de la mort. Si la médecine montre les linùtes inhérentes à l'homme en intégrant épistémologiquement la mort, elle pet 1net aussi à l'homme de prendre une connaissance positive de lui-même, de se constituer à la fois comme sujet et objet de science à l'intérieur de son langage.

• L'homme et ses doubles Vouée à l'échec dès le départ, l'analytique de la finitude met en place des stratégies qui affir1nent une identité et une différence entre la finitude comme linùte et la finitude comme fondement de tous les faits. L'homme, son mode 62

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EMMANUEL KANT ET LA MODERNITÉ

C'est avec Kant que nait l'homme tel que nous le concevons aujourd'hui, c'est-à-dire un sujet transcendantal en mesure d'imposer ses règles au monde extérieur. cc Avec Kant s'ouvre l'âge de la modernité. Dès l'instant où le sceau métaphysique qui garantissait la correspondance entre le langage et le monde se brise, la fonction représentative du langage devient elle-même un problème : le sujet représentant, pour y voir plus clair dans le processus problématique de la représentation elle-même, doit se transformer en objet,,, écrit Jürgen Habermas (Le Discours philosophique de la modernité, Gallimard, 1988, p. 310). L'auteur de La Critique de la raison pure reste une référence actuelle en France à travers deux traditions opposées. la première revendique le retour à l'humanisme des Lumières. la seconde, avec les philosophes comme Derrida, Deleuze, Lyotard et bien sûr Foucault, poursuit le mouvement de déconstruction de la subjectivité inauguré par Kant et suivi par Nietzsche et Heidegger. Cette déconstruction est marquée par deux notions qui sont associées : la cc mort de Dieu ,, et la « fin de la philosophie ,, . Dans son cours «Qu'est-ce que les Lumières?,,, Foucault distingue lui-même deux traditions critiques issues de Kant, celle d'une cc ontologie du présent ,, , une pensée de l'actualité historique qui irait cc de Hegel à l'École de Francfort en passant par Nietzsche et Max Weber,, et celle d'une cc analytique de la vérité,, à laquelle se rattachent les sciences humaines depuis le x1x- siècle, dénoncées dans Les Mots et les choses.

d'être, est alors envisagé par le discours anthropologique sous un double aspect, comme (MC, p. 329). a) L'homme se définit comme un fait parmi les autres faits, soumis à l'analyse empirique, et, en même temps, il est la condition transcendantale de la possibilité de tout savoir. /..'archiviste et le cartogr~~f'ai, le cogito moderne ouvre sur une série d'interrogations où il est question de l'être et de ses rapports avec l'impensé. Double insistant, étranger et obscur, l' impensé a été appréhendé par la philosophie moderne sous la for1ne de l'en-soi dans la phénoménologie de Hegel, de l' Unbewusste pour Schopenhauer, de l'homme aliéné pour Marx, de l'implicite pour Husserl. c) Il est le produit d'une longue histoire dont il ne peut rejoindre l'origine et, en même temps, il est paradoxalement la source même de cette histoire.

• Les sciences humaines Grâce à cette nouvelle configuration du savoir, de l'homme comme objet de savoir par le sujet connaissant luimême, Foucault explique la naissance des sciences humaines et le dépassement de la rupture entre les mots et les choses qui marquent la disparition de la métaphysique. L'Homme va être accueilli dans un . C'est dans cet espace volumineux, dans l'interstice de ses trois dimensions (les sciences exactes, la philosophie et les sciences déductives), que les sciences humaines vont se répartir. Celles-ci, n'appartenant à aucune arête du trièdre, ne peuvent jouer que de leur écart: dérivées, instables, mouvantes, elles se rapprochent de la philosophie, mais se laissent aussi tenter par les modèles mathématiques. Cette fragilité et cette précarité de la structure du trièdre laissent présager la disparition des sciences humaines et, avec elles, de l'homme lui-même.

• Une cc analytique » du discours Le déracinement de l'anthropologie de Kant aboutit à l'analyse du statut du discours. L'Archéologie du savoir se

présente comme une critique de la nor1ne kantienne par le ( 1) Un trièdre est une figure fonnée par trois plans qui se coupent deux à deux ou par trois demi-droites de même origine.

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biais d'une mise hors jeu de l'homme dans la constitution du discours en tant que pratique. La création d'unités autonomes du discours aboutit à une , et non de l'homme. Il s'agit pour Foucault de définir une méthode d'analyse historique qui soit affranchie du thème anthropologique. Disposant d'une unité transtemporelle et transindividuelle, le discours est présenté comme un événement anonyme, que l'on peut analyser en dehors de l'homme et des catégories anthropologiques (voir Archéologie+, p. 40). Le postulat de l'identité et de la continuité de l'homme est nié. L'individu se disperse dans le discours, se perd dans I' anonymat des masses verbales. N'existant pas comme sujet à l'extérieur du discours, il n'apparaît plus que comme point de référence interne aux énoncés.

•La mort de l'homme Se déprenant de la figure kantienne de l'homme, Foucault attribue à Nietzsche le mérite d'avoir interrompu l'interrogation sur l'être humain en montrant que c'est dans la mort de l'homme que s'accomplit la mort de Dieu. L'orientation , nietzschéenne de Foucault (voir Eclairage, p. 14) se comprend comme l'affirmation de son écart par rapport à 1' anthropologie de Kant : Plus que la mort de Dieu, - ou plutôt dans le sillage de cette mort et selon une corrélation profonde avec elle, ce qu'annonce la pensée de Nietzsche, c'est la fin de son meurtrier; c'est l'éclatement du visage de l'homme dans le rire, et le retour des masques; c'est la dispersion de la profonde coulée du temps par laquelle il se sentait porté et dont il soupçonnait la pression dans l'être même des choses ; c'est l'identité du Retour du Même et de l'absolue dispersion de l'homme. (MC, p. 396-397.)

Loin d'être , l'homme, selon Foucault, est (MC, p. 398) : L'homme est une invention dont l'archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la mort prochaine.

ittérature Un cauchemar me poursuit depuis mon enfance : j, ai sous les yeux un texte que je ne peux pas lire, ou dont seule une infime partie m, est déchiffrable ; je fais semblant de le lire, je sais que je l'invente ; puis le texte soudain se brouille entièrement, je ne peux plus rien lire ni même inventer, ma gorge se serre et je me réveille. Deuxième entretien avec Michel Foucault, juin 1967, dans Le Livre des autres, de Raymond Bellour, L'Heme, p. 201-202.

1. Littérature et archéologie Les œuvres de Foucault ont toujours noué étroitement le travail théorique à une réflex.ion sur la littérature, celle-ci apparaissant comme un lieu privilégié où peuvent être pensées les expériences singulières de la folie• , de l'exclusion, · ·du savoir, de la punition ou de la sexualité•. Souvent marginale dans sa manière d'explorer les marges, la littérature pe1111et d'éclairer l'histoire de nos pratiques et de nos savoirs en constituant un terrain propice au projet archéologique du philosophe. Les œuvres littéraires comme Le Neveu de Rameau dans Histoire de la folie, Don Quichotte dans Les Mots et les choses, Les Bijoux indiscrets dans La Volonté de savoir acquièrent un statut d'archive, d'énoncé, de discours Original from

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où se jouent les questions de la folie, du langage ou de la sexualité. Littérature et archéologie• sont prises dans un même mouvement enveloppant, comme le révèle le début de la préface des Mots et les choses: (MC, p. 7). Cette communication incessante entre l'œuvre et l'archive, leur ressemblance ambiguë, sont évidentes dans le mémoire de Pierre Rivière,>. Ce texte, qui a servi de pièce au cours du procès du parricide, se présente comme une archive utile pour le travail archéologique. Mais il est aussi littérature, non seulement parce que le récit du meurtre s'inscrit dans la tradition d'un genre, celui de ces qui existe par exemple dans le tableau Les Deux Mystères ( 1966) entre le dessin représentant deux pipes (l'une figurée sur le tableau noir posé sur un chevalet, l'autre, plus grosse, au-dessus) et le texte > (CNP, p. 47). Il revient aux peintres surréalistes d'avoir rejeté les > représentatives du monde extéOriginal from L

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rieur qui caractérisent la peinture classique et ses conventions mimétiques pour privilégier les répétitives: celles-ci per1nettent une circulation de signes visuels et linguistiques sans référence à l'extérieur, une lutte entre la ,

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RAYMOND ROUSSEL (1877-1933) L'œuvre de Raymond Roussel, écrivain secret et solitaire, auteur d'ouvrages peu connus, qui se suicida en 1933 en absorbant des barbituriques, s'écarte de la tradition: elle se situe entre un univers littéraire exclusivement verbal et les productions discursives de la schizophrénie (celles d' ), désigne la correspondance visuelle entre la disposition graphique du poème et l'objet du message lui-même, la coïncidence entre le visible et le lisible, selon le procédé de motivation qui vise à réduire l'arbitraire du signe et à combler le fossé entre les mots et les choses qu'ils représentent. Parmi les calligrammes les plus célèbres, on peut citer l'invocation à la Dive Bouteille en forme de flacon chez Rabelais, la répartition symbolique des mots sur l'espace visuel dans le Coup de dés de Mallarmé et, bien sûr, les > d'Apollinaire (Calligrammes, 1918), qui tentent de réaliser « la synthèse des arts, de la musique, de la peinture et de la littérature>>. 72

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Ce type de croisement entre l'ordre figuratif et

l'ordre linguistique sous·tend le plus souvent l'ambi· tion de redonner au langage un poids et une épaisseur matérielle, d'inventer une parole première, vierge, différente de la langue sociale, de rendre manifeste la chose dans l'inscription même de la lettre, comme dans les poèmes de Desnos, Leiris ou Ponge.

Ill. La littérature et la folle



Non plus rejetée comme Autre, l'expérience de la folie•, qui surgit au plus proche de nous comme présence de l' origine, de l'impensé et de la finitude, apparaît comme l'horizon de la littérature. L'affrontement tragique avec la folie, que la psychologie ne pourra jamais maîtriser, puisqu'elle s'est justement constituée dans l'exclusion même de cette folie, est sans doute la seule voie réservée à ceux qui risquent de s'aventurer dans la direction de l' Autre, comme Nietzsche, Hôlderlin, Artaud ou Van Gogh. Comme la folie, la littérature s'inscrit dans l'expérience d'un langage• qui ne se rend déchiffrable que par son propre mouvement et qui transgresse tous les codes institués de la langue. Là s'écrit une nouvelle littérature dans laquelle le langage est renvoyé au cri, à la matérialité de la pensée, au corps, comme chez Artaud, ou bien qui ne cesse d'écrire l'impensable origine et la mort, comme chez Roussel. Cette origine, loin d'indiquer une identité, un moment du Même avant la dispersion, articule l'homme sur autre chose que lui-même et introduit des contenus immaîtrisables. Lieu d'excès, la littérature semble exiger la disparition de la première personne, l' évanouissement du sujet, la mort de l'auteur, «comme si le regard, pour voir ce qu'il y a à voir, avait besoin de la dédoublante présence de la mort» (RR, p. 77). Cet effacement du sujet dans sa parole, «ce droit à la mort>> dont parle Blanchot, apparaissent au début de la leçon inaugurale au Collège de France, placée sous le signe de Beckett: J'aurais aimé qu'il y ait denière moi (ayant pris depuis bien longtemps la parole, doublant à l'avance tout ce que je ... d b Digitize Y

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vais dire) une voix qui parlerait ainsi : « 11 faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, il faut dire des mots tant qu'il y en a, il faut les dire jusqu'à ce qu'ils me trouvent, jusqu'à ce qu'ils me disent - étrange peine, étrange faute, il faut continuer, c'est peut-être déjà fait, ils m'ont peut-être déjà dit, ils m'ont peut-être porté jusqu'au seuil de mon histoire, devant la porte qui s'ouvre sur mon histoire, ça m'étonnerait si elle s'ouvre.~ (OD, p. 8.)

Refusant la conception psychologisante d'une synthèse de la vie et de l'œuvre d'un écrivain>, ainsi que l'idée de la folie• minant à la fois l'artiste dans son existence et son travail, Foucault pense que la folie ne se glisse pas dans l'œuvre, mais est 1' >), une machinerie aux pièces multiples qui permet plus de souplesse et de mobilité. La discipline, par le contrôle qu'elle exerce sur les corps, finit par fabriquer une individualité nouvelle, > : Elle est cellulaire (par le jeu de la répartition spatiale), elle est organique (par le codage des activités), elle est génétique (par le cumul du temps), elle est combinatoire (par la composition des forces). Et pour ce faire, elle met en œuvre quatre grandes techniques : elle construit des tableaux ; elle prescrit des manœuvres ; elle impose des exercices ; enfin, pour assurer la combinaison des forces, elle aménage des > Foucault soutient la thèse que, dans les sociétés modernes, la sexualité n'est pas réprimée. En effet, l' > d'un régime victorien, puritain, imposant l'interdiction, l'inexistence et le mutisme du sexe, reposerait sur un présupposé contestable. Loin de se réduire à une mécaDigitizect by Goo

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nique accumulant défenses, refus, censures et dénégations, le pouvoir• produit davantage de la sexualité que de la répression. lnte11ogeant les instances de production discursive, de production de pouvoir et de savoir, Foucault s'efforce de comprendre la volonté et l'intention qui sous-tendent les discours selon lesquels la sexualité n'aurait jamais été assujettie avec autant de rigueur qu'à notre époque. Contrairement à une idée reçue, on assiste au xvir siècle au déversement d'un flot de discours sur le sujet qui correspond au projet d'une , VS, p. 77), la civilisation occidentale n'a pas cherché à intensifier les plaisirs, mais à comprendre la vérité du sexe.

• La vérité • scientifique • du sexe La procédure de l'aveu, qui lie la vérité et le sexe en un discours rituel, a dominé dans une société (VS, p. 84). En se détachant du sacrement de pénitence, l'aveu (voir p. 96) a perdu sa localisation purement religieuse et s'est ajusté sur les règles du discours scientifique ; l'expression obligatoire d'un secret individuel, la confidence exhaustive, ont été oigicized by

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Le dispositif de sexualité a pour raison d'être non de se reproduire, mais de proliférer, d'innover, d'annexer, d' inventer, de pénétrer les corps de façon de plus en plus détaillée et de contrôler les populations de manière de plus en plus globale. (VS, p. 141.) ...

A partir du xvnr siècle, quatre ensembles stratégiques développent des dispositifs spécifiques de pouvoir et de • savoir: a) l'hystérisation du corps de la femme, corps pathologique, saturé de sexualité, qui doit être assujetti au discours médical et relié au corps social ; b) la pédagogisation du sexe de l'enfant à travers une lutte contre la masturbation ; c) la socialisation des conduites procréatrices, qui confère au couple des responsabilités à la fois sociales et médicales (le contrôle des naissances) ; d) la psychiatrisation du plaisir pervers, qui a pour but de diagnostiquer les perversions et de mettre en place une nouvelle orthopédie du sexe. Liées par l'idée d'une sexualité profonde, cachée, lourde de sens, ces quatre stratégies instaurent un rapport curieux entre le pouvoir et le plaisir. Par ailleurs, la sexualité est encadrée, soutenue et valorisée, à l'extérieur par les médecins, les pédagogues et plus tard par les psychiatres, et au sein même de l'institution familiale. En effe~ celle-ci est un lieu d'affects, de sentiments et d'amour qui joue un rôle sexuel dans la mesure où elle est fondée sur l'alliance (un système de mariage, de développement de parentés et de transmission des noms et des biens) : La famille est l'échangeur de la sexualité et de l'alliance : elle transporte la loi et la dimension du juridique dans le dispositif de sexualité ; et elle transporte l'économie du plaisir et l'intensité des sensations dans le régime de l'alliance. (VS, p. 143.)

• Le blo-pouvoir La transfo11nation en Occident des mécanismes du pouvoir a abouti au passage du vieux droit de vie et de mort, privilège du pouvoir souverain, au > qui intègre le biologique au politique, l'homme moderne fait une découverte: L'homme occidental apprend peu à peu ce que c'est que d'être une espèce vivante dans un monde vivant, d'avoir un corps, des conditions d'existence, des probabilités de vie, une santé individuelle et collective, des forces qu'on peut modifier et un espace où on peut les répartir de façon optimale. (VS, p. 187.)

• Une cc analytique » de la sexualité Conséquence du développement du bio-pouvoir, nos sociétés modernes tendent à privilégier la nonne par rapport au système juridique fondé sur le de la loi. Si les interdits 94 1 MICHEL FOUCAULT oigicized by

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n'ont pas disparu du >, ils sont supplantés par des processus qui prescrivent des comportements par renvoi à une moyenne, des injonctions, des obligations positive~, des attitudes imposées de façon de plus en plus minutieuse. A travers le contrôle de la sexualité, un micropouvoir s'exerce sur tous les corps vivants, organise et gère la vie, les codes et les Constitutions ne servant plus qu'à rendre acceptable un pouvoir+ qui est avant tout no1111alisateur. Ces procédures nouvelles, qui s'intéressent à la santé, à la démographie, à la race, à l'avenir de l'espèce et à la vitalité du corps social, ont opéré le glissement q' une symbolique du sang à une analytique de la sexua.lité. A une société qui se caractérisait par le sang (le sang de la caste, du lignage, le sang versé dans les supplices qui dit le pouvoir absolu, etc.) s'est substituée une société de la sexualité qui est> (VS, p. 195). Exception abominable, le nazisme a combiné le fantasme du sang (la pureté du sang et le triomphe de la race supérieure) avec la technologie disciplinaire du pouvoir.

• Le sexe et la sexualité Le paradoxe mis en valeur dans la Volonté de savoir est

que le sexe n'est qu'une idée for111ée par les différentes stratégies de pouvoir• , par le dispositif de sexualité qui relie les sciences biologiques aux pratiques du >. Il est cet élément imaginaire, fictif, spéculatif qui a pe11nis d'unifier les discours modernes sur la sexualité et de regrouper de façon artificielle les éléments anatomiques, les fonctions biologiques, les conduites, les savoirs et les plaisirs. Ce signifié caché, à découvrir partout, a pe111tls à la sexualité de fonctionner à travers ses mécanismes de pouvoir et d'investir la vie humaine, les coips, leurs forces, leurs énergies et leurs plaisirs. Or, le sexe est sous la dépendance historique de la sexualité : Le sexe, cette instance qui nous paraît nous dominer et ce secret qui nous semble sous-jacent à tout ce que nous sommes, ce point qui nous fascine par le pouvoir qu'il manifeste et par le sens qu'il cache, auquel nous demandons de révéler ce que nous sommes et de nous libérer de

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ce qui nous définit, le sexe n'est sans doute qu'un point idéal rendu nécessaire par le dispositif de sexualité et par son fonctionnement. (VS, p. 205.)

Cette analyse du dispositif de la sexualité, qui rabat la sexualité sur le sexe, sur la différence des sexes, mène à une critique de la psychanalyse. Foucault superpose l'histoire du dispositif de sexualité depuis l'âge classique et l'archéologie• de la psychanalyse. Celle-ci fait fonctionner le sexe comme un principe causal, un signifiant omniprésent et caché ; elle maintient l' ne représentait rien de plus, mais rien de moins - et c'était déjà fort important - qu'un déplacement et un retournement tactiques dans le grand dispositif de sexualité. (VS, p. 173.) La véritable > consiste à se détacher des terrnes mêmes que le pouvoir qu'elle dénonce lui impose, à s'affranchir de cette instance du sexe, de ce mirage désirable qui nous fait croire à la souveraineté de sa loi, à la force de sa vérité. Il s'agit de comprendre que la ruse du pouvoir• est de cacher son vrai , qui n'est ni la loi, ni la répression, mais son rapport à la sexualité. Contre ce dispositif, il est nécessaire d'affirrner (VS, p. 208). L'approche de Foucault présente des analogies et des différences avec la notion, chez Gilles Deleuze, d' et avec celle d'un > se définissant par des zones d'intensité, des seuils, des flux et s'opposant à toute organisation de pouvoir. Original from

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GILLES DELEUZE

Gilles Deleuze est l'auteur avec Félix Guattari de L'Anti-Œdipe, une machine de guerre lancée contre le système freudien, jugé répressif et œdipien, auquel ils opposent une théorie des flux désirants hostile à toute forme de représentation symbolique. En 19n, Deleuze amorce un dialogue amical avec Foucault (qui a préfacé l'édition américaine de L'Anti-Œdipe), après la publication de La Volonté de savoir: cc 21 En revanche, l'idée de Michel que les dispositifs de savoir ont avec le corps un rapport immédiat et direct est essentielle. Mais pour moi, c'est dans la mesure où ils imposent une organisation aux corps. Alors que le corps sans organes est lieu ou agent de déterritorialisation (et par là plan d'immanence du désir), tout le système de ce que Michel appelle le 1>iopouvoir" opère des reterritorialisations du corps. " 31 Est-ce que je pourrais penser à des équivalences du type : ce qui pour moi est "corps sans organes-désirs" correspond à ce qui, pour Michel, est "corps-plaisirs" ? La distinction dont Michel me parlait "corps-chair", est-ce que je peux la mettre en rapport avec "corps sans organes-organismes"? Page très importante de V.S., 190, sur la vie comme donnant un statut possible aux forces de résistance.>> Gilles Deleuze, cc Désir et plaisir•, Le Magazine littéraire, octobre 1994, p. 64.

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• 01 Il convenait de chercher quelles sont les formes et les modalités du rapport à soi par lesquelles l'individu se constitue et se reconnaît comme sujet. (UP, p. 12.)

1. L'éthique de soi De la question du dispositif de sexualité•, de l'enjeu énorrne du bio-pouvoir qui animait La Volonté de savoir, Foucault passe à la question du rapport à soi, défini par l'esthétique et l' ber 1néneutique du désir dans les deux derniers tomes de l'Histoire de la sexualité: L'Usage des plaisirs et Le Souci de soi. Dès La Volonté de savoir, l' , tout en restant prise dans une problématique du pouvoir• et des assujettissements, cherche à analyser la manière dont le sujet occidental se constitue comme objet de savoir pour lui-même et se recentre donc déjà sur le thème ' partir de 1978, Foucault, dans ses cours au du sujet. A Collège de France, substitue au thème du pouvoir• la problémàtique du , celle de la conduite de soi et des autres, mêlant la problématique politique ,et la dimension éthique dans son approche de la raison d'Etat (l'art de gouverner à l'âge classique) ou celle de la rationalité gouvernementale libérale. t

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De Socrate aux cyniques et aux stoïciens, la philosophie éthique rencontrée dans le monde grec et romain met l' accent sur le > libre d'exercer sa liberté, par opposition au sujet moderne, soumis non seulement à la culture politique de la lutte entre la vie et la mort (le > ), mais aussi aux rapports entre savoir, pouvoir et subjectivité, liés aux techniques de la science psychologique et psychanalytique (le sexe comme accès à la vérité de l'identité humaine). La pratique et la constitution de soi sur le mode éthique s' organise autour de quatre interrogations de la pensée, quatre modes de subjectivation : - la détermination de la substance éthique, > (UP, p. 18). 11 s'intéresse à la manière dont le sujet se constitue comme sujet dans un champ où il est libre à l'égard des codes et des interdits, selon les procédures de la subjcctivation qui caractérisent l'éthique : L'austérité sexuelle précocement recommandée par la philosophie grecque ne s'enracine pas dans I' intemporalité d'une loi qui prendrait tour à tour les formes historiquement diverses de la répression: elle relève d'une histoire qui est, pour comprendre les transformations de l'expérience morale, plus décisive que celle de codes : une histoire de l' entendue . comme l'élaboration d'une forme de rapport à soi qui per1net à l' individu de· se constituer comme sujet d'une ·conduite morale. (UP, p. 275.) Digitized by Goo

/JàfRhiviste et le cartoaraoffi:J irJürf!!.?.uvoir 1 99 OL\:°'." " UNTVERSITY OF MICHIGAN

Dans sa remontée de l'époque moderne jusqu'à l' Antiquité, Foucault est confronté à une question. Pourquoi le comportement sexuel fait-il l'objet d'une préoccupation morale ou d'un souci éthique beaucoup plus importants que d'autres domaines de la vie individuelle ou collective? Refusant de répondre par la référence à des interdits fondamentaux et universels, le philosophe tente de faire une histoire des problématisations éthiques (problématisation signifiant modification d'un champ à un certain moment, liée à l'émergence d'un objet alors inaperçu) à partir des pratiques de soi : Pourquoi cette aussi quand le sujet est avec un être plus âgé et plus riche que lui. La valeur positive du songe dépend également de l'adéquation entre la consentie et le > obtenu par le rêveur.

• La culture de sol Problématisée, la question des plaisirs a abouti au cours de l'époque impériale à des exigences d'austérité sexuelle à l'époque impériale et au développement d'une> ; celle-ci correspond à > (SS, p. 55). L'art de l'existence doit être commandé par le principe du souci de soi, l'idée qu' >, un thème hérité de la pensée socratique. Chez Épictète, l'homme se définit comme l'être qui a été confié au souci de soi. Cette application à soi implique un labeur et une gestion minutieuse du .temps, peuplé d'exercices, de tâches pratiques, de soins du corps, de régimes de santé, d'exercices physiques, de méditations, de lectures, de notes, de remémoration de vérités apprises, d'entretiens avec des confidents, des amis, des directeurs, de correspondances, etc. Véritable pratiqee sociale, le souci de soi est lié à un jeu d'échanges avec l'autre et à un système d'obligations réciDigitized by

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proques. La culture de soi se traduit également par un souci médical et une attention intense portée au corps, en ce qu'il révèle les maux de l'âme. Mais c'est surtout la connaissance de soi qui est privilégiée dans cette culture. Elle se développe à travers des en une œuvre, la notion de dispersion faisant partie elle-même de son projet. En France, les travaux de Foucault ont ouvert pour certains de nouvelles voies pour comprendre les conditions de nos modes de pensée. Mais, en même temps, ignoré par l'Université, comme Gilles Deleuze l'a été, marginalisé dans l'institution d'où il vien~ Michel Foucault a suscité et suscite des critiques nombreuses et diverses de la part des historiens, des psychiatres, des épistémologues et des philosophes, qui l'accusent de failles théoriques tout en reconnaissant l'extraordinaire séduction de cette aventure multiple qui ne revendique pas une cohérence, qui bouscule la philosophie, offre à l'histoire des objets et des méthodes singuliers et abandonne ses propres chemins pour en penser de nouveaux.

1. Foucault est-il structuraliste? Les thèses philosophiques de Michel Foucault ont fait l'objet de nombreuses controverses dans la mesure où elles ont pu apparaître exclusivement liées au structuralisme. Pour les structuralistes américains, Foucault est considéré

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Méprises et dialogues

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comme un structuraliste, moins en raison du contenu du texte que d'un style, d'un ton scientifique refusant tout sentimentalisme et par conséquent anti-humaniste. Pour Hubert Dreyfus et Paul Rabinow, des œuvres comme Les Mots et les choses et L'Archéologie du savoir relèvent d'une approche structuraliste : Foucault ne nie pas s'être détourné, vers le milieu des années soixante, d'un intérêt pour les pratiques sociales qui constituent le discours et les institutions, au profit d'une attention presque exclusive aux pratiques linguistiques. Radicalisée, cette approche, de par sa logique même et contrairement aux visées de Foucault, l'a conduit à faire une description objective de la manière réglée dont le discours s' autorégit tout en régissant les pratiques et les institutions sociales, et à négliger 1' idée que les pratiques discursives sont elles-mêmes influencées par les pratiques sociales globalisantes. C'est ce que nous avons appelé «l'illusion du discours autonome,.. Hubert Dreyfus et Paul Rabinow, Michel Foucault. Un parcours philosophique, traduit de l'anglais par Fabienne Durand-Bogaert, Gallim~ «Bibliothèque des sciences humaines», 1984, p. 10.

À la fin de L'Archéologie du savoir, Foucault s'est pourtant expliqué à propos du malentendu relatif à son prétendu >. Il insiste sur sa différence avec les analyses de Lévi-Strauss: il se défend de s'inscrire dans le débat de la structure en se démarquant des méthodes et des concepts du structuralisme, même s'il reconnat"t, à l'instar de la linguistique, s'être passé du sujet parlant, même s'il avoue avoir baité le discours en dehors de toute référence anthropologique, de toute subjectivité de son émetteur, même s'il n'a pas montté que le discours est essentiellement historique : Enfin, vous avez pu le constater : je n'ai pas nié l 'histoire, j'ai tenu en suspens la catégorie générale et vide du changement pour faire apparaître des transformations de niveaux différents ; je refuse un modèle uniforme de temporalisation, pour décrire, à propos de chaque pratique discursive, ses règles de cumul, d'exclusion, de réactivation, ses formes propres de dérivation et ses modes spkifiques d'embrayage sur des successions diverses.

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Je n'ai donc pas voulu reconduire au-delà de ses limites légitimes l'entreprise structuraliste. Et vous me rendrez facilement cette justice que je n'ai pas employé une seule fois le tenne de structure dans Les Mots et les choses. (AS, p. 261.) En effet, dans Les Mots et les choses, qui tente une généa-

logie des conditions du savoir contemporain de l'homme, Foucault montre les limites de tout discours depuis Kant et se dégage de l'univers de pensée du structuralisme. Prenant la défense de Foucault, accusé de pratiquer une méthode fixiste et immobiliste, Bernard-Henri Lévy déclare : Comme si on cherchait à toute force à oublier l'essentiel: que c'est l'histoire traditionnelle, l'histoire du continu et du sujet, qui a fait depuis longtemps la preuve de son impotence politique. Qu'il fallait au contraire en passer par toutes les déchirures foucaldiennes, qu'il fallait tracer l'ébauche d'une théorie générale des productions, pour se donner une chance - un jour - de rejoindre la pratique politique. Qu'il fallait de toute urgence rendre au discours sa matérialité, s'en tenir scrupuleusement à sa positivité d'énoncé, pour se donner une chance - un jour - de lui restituer ses pouvoirs. , Le Magazine littéraire, n° 101, juin 1975, p. 8. Pour Foucault, il ne s'agit pas de dire que l'histoire n'a pas de ~ qu'elle est absurde, incohérente ou anarchique, avec

ses discontinuités. Son projet est au contraire de la rendre intelligible en analysant ses moindres détails, en scrutant les sttatégies et tactiques, en inventant un code nouveau. Selon Dreyfus et Rabinow, si l'archéologie• ne pouvait pas dire grand-chose parce qu'elle faisait abstraction du sens et de la vérité, en revanche, la réussite de Foucault a été d' enbeprendre à partir des années 1970 une nouvelle méthode qui s'interroge sur le rôle historique et politique joué par la science étudiée, sur les fonctions remplies par les formatioos discursives, sur les rapports entre le pouvoir• et le savoir: Cette nouvelle méthode consiste à poursuivre un type d'analyse archéologique qui préserve l'effet de distance du structuralisme, tout en lui associant une dimension interprétative; celle-ci se fonde sur l'intuition herméneutique que le chercheur est toujours > (P. Morel et C. Quétel, Les Médecines de la folie, Hachette, 1985, p. 200). Comme si, dans sa volonté de séparer de façon tranchée les époques et leurs épistémè, Foucault avait été obligé de défor1ner les faits historiques, de commettre des anachronismes, d'escamoter certains courants de pensée qui n'entraient pas dans le cadre du savoir de 1' épistémè, une notion trop abstraite et trop rigide. . . Dans son désir d'articuler l' enfern1ement à l'âge classique, avec sa ligne de partage entre Raison et Folie•, et le contrôle de la folie tracé par les philosophes des Lumières, l'archéologue se méprend. De même, la pensée magique et analogique de l'époque préclassique (xvr siècle) voisine déjà avec une pensée rationnelle et mathématique (le système de Copernic et les lois de Kepler), preuve que la discontinuité est par conséquent moins brutale que ne le démontre Foucault. Refusant le réconfort d'une anthropologie universelle, la pensée de Foucault peut apparaître comme une forme subtile d'historicisme, c'est-à-dire une conception qui considère que toutes les croyances et les norn1es sont déterminées par l'histoire et sont donc contingentes. Le fait de ne voir que des configurations particulières, des paradigmes étanches se succédant sans raison les uns les autres, ne conduit-il pas nécessairement au relativisme? Écartant les déte11ninismes sociaux et politiques comme la lutte des classes et les constructions idéalistes globales comme l'histoire des progrès de la raison, Foucault aurait échoué à expliquer de l' intérieur ou de 1'extérieur les mutations brusques qui font époque, à découvrir les facteurs qui justifient une transformation aussi radicale de l' épistémè ... 1141 MICHa FOUÇ4ULT oigicized by

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S'ajoute à ces différentes critiques le défaut de totalisation et de généralité. Foucault fait l'histoire de la discipline, du collège à l'armée en passant par l'atelier et la prison, pour montrer comment elle devient un système de production du geste. Mais il n'inscrit pas cette histoire dans l'espace d'une société donnée, il ne s'interroge pas sur la fonction sociale du geste en dehors de l'objet qu'il s'est donné comme tâche de construire. Cette absence de totalisation, cette analyse historique sans récit qui n'englobe pas toute la réalité selon les historiens, conduit Foucault à occulter les phénomènes de résistance aux effets de pouvoir•, à délaisser le comportement du peuple vis-à-vis des systèmes politiques et économiques. Le modèle disciplinaire décrit dans Surveiller et punir ne correspond pas, selon certains historiens, à la réalité sociale des xvnr et xixe siècles, mais à un discours utopique qui a été dévié par les faits et les comportements. Foucault oublie les acteurs sociaux ; il évoque la carcéralité sans tenir compte des discours des prisonniers. Attention ! répond Arlette Farge prenant la défense de Foucault, son projet n'est pas de raconter le récit d'un objet (la folie•, la criminalité, la sexualité•) de manière évolutive, mais d'interroger cet objet, le lieu précis où la pratique l'a engendré. Son but n'est pas d'analyser les comportements humains et les tensions sociales, mais de questionner la formation des savoirs, des discours, et les systèmes de pouvoir• qui règlent leurs pratiques, en prenant l'histoire pour support de son étude. Selon Arlette Farge, l'impression d'une irréductibilité entre le point de vue des historiens et celui de Foucault vient d'une approche trop réductrice, intangible et définie d'avance, du réel: L'histoire est une façon de poser des représentations de notre existence, elle produit du sens et délivre un discours qui n'annule jamais les précédents mais s'ajoute à eux pour mieux percevoir ce qu'est l'acte de penser comme celui de vivre : à ce niveau d'explicitation de l'histoire, le réel devient bien autre chose qu'un produit fini et délimité, et le sens se démultiplie. La rencontre >, in Michel Foucault philosophe, Seuil, 1989, p. 336.

Habe111tas reproche à Foucault de ne pas reconnaître que toute critique situe, de façon explicite ou non, celui qui la fo11nule et de n'avoir pas précisé au nom de quelles valeurs et de quelles no1 mes il parlait lorsqu'il révèle le mensonge des valeurs et des no11nes de la société disciplinaire. Comment une généalogie des savoirs et des pouvoirs qui démasque les réfo11nes humanitaires en matière pénale comme les ruses de la société peut-elle se présenter comme dissidente et libératrice en dehors de toute référence à des nor1nes universelles? Il est vrai qu'à la différence du philosophe allemand Foucault pense qu'on peut prétendre au vrai sans prétendre à l'universel. Malheureusement, la controverse sur le besoin d'universel n'a jamais vraiment abouti à un dialogue entre les deux hommes. oigicized by

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Mépris8J;ti etrdialoguss 1117

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On a reproché à la topologie de Foucault, qui n'assigne pas un lieu privilégié comme source de pouvoir, de donner une définition imprécise, dispersée et diffuse de cette notion de pouvoir•. Celui-ci désigne aussi bien un dispositif physique de contrainte comme la prison ou l'asile qu'un cadre de pensée normatif, l'une des fonctions des disciplines scientifiques étant de définir les no11nes de la vérité. Ce concept du pouvoir disséminé dans le tissu social ne s'avère guère opérant comme objet d'analyse critique et de comparaison. Telle est la position de Richard Rorty : D'autre part cependant, nous, réformistes libéraux, pensons que I' œuvre de Foucault est ttaversée par une paralysante ambiguïté entre l'emploi du mot comme tenne péjoratif et son emploi comme tenne neutre et descriptif. Selon cette de11üère signification, élmgie et vide, l'étude de n'importe quel sujet (qu'il s'agisse des relations en chimie ou en mathématique, du jeu d'échecs ou des institutions sociales) pourrait être une étude des - qu'il faut entendre comme épreuve modificatrice de soi-même dans le jeu de la vérité et non comme appropriation simplificatrice d'autrui à des fins de communication - est le corps vivant de la philosophie, si du moins celle-ci est encore maintenant ce qu'elle était autrefois, c'est-à-dire une , un exercice de soi, dans la pensée. (U.P, p. 15.)

L' œuvre de Michel Foucault, à travers son parti pris de dissidence, ses questionnements excentriques souvent risqués, ct b GooAt~ dire D1.9·r· 1 ize Y èSL~

vrai» pour f)8nse;rçJaa'fR6demité 1123 UNIVERSITY OF MICHIGAN

appanu"'t peut-êtte avant tout comme une p~tique de savoir, à la fois hors de la philosophie et en elle. A la différence de ceux qui cherchent un point fixe de certitude ou un choix authentique, Foucault ne déploie jamais une théorie ou un système, mais part en quête d'événements qui transfo11nent à jamais le rapport à soi et aux auttes. Il ne souhaite pas se poser comme philosophe, mais maintenir une distance par rapport à lui-même, dans sa manière de s'occuper de la vérité. L'effroi et la stupéfaction caractérisent sa position philosophique lorsqu'il est confronté à la brèche du sens et à l'indicible devant les expériences des exclus, des > et des marginaux (voir le texte , écrit en 1977), lorsqu'il se heurte à la ~ité d'inventer de nouveaux outils pour appréhender les zones d'ombre de la société. Cela explique pourquoi Foucault cherche non pas à s'inscrire dans la tradition de la philosophie occidentale, mais à questionner au contraire ses schémas généraux en proposant de nouvelles lectures de Freud, de Nietzsche, de Marx. En outre, sa pratique le conduit à mettte à l'épreuve la philosophie à travers des questions qui lui paraissent étrangères et extérieures (le discours littéraire, la médecine de la déviance du xixe siècle, la science de la police du xvnr siècle, etc.). Le style philosophique de Foucault se démarque lui-même de la tradition : Contre une image de la pensée guidée par l'idée de con-sensus, Foucault cherche à produire le dis-sensus: exercer son droit d'aller s'asseoir ailleurs. Ses procédés d'écriture (discours du dissensus) et ses objets d'étude (la folie, les prisons, les sexualités ... ) s'enroulent d'une manière malicieusement autoréférentielle : comme si le langage devenait soudain transparent pour montrer ce qui est invisible à force d'être vu; comme s'il ne nous parlait pas d'autre chose que de ses propres procédés d'écriture, de la conquête de ses conditions d'énonciation. Miguel Morey, >, in Michel Foucault philosophe, op. cit., p. 141.

Il. L' > Foucault L' de Michel Foucault se perçoit dans les transformations apportées par ses travaux sur les différents domaines : 1241 MICHEL FOUCAULT l Digitized by \JOOg e

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philosophie et histoire politiques, psychiatrie, médecine, justice, critique littéraire, lutte des minorités, etc. La lecture de l'œuvre (des , préférait-il dire) que Foucault nous laisse, une œuvre faite de et d' , est d'une richesse et d'une complexité très grandes. Elle peut épouser verticalement le mouvement d'une chronologie qui irait du Savoir à la question de Soi•. Mais les livres de Foucault peuvent être lus aussi comme des , selon l'expression du philosophe, esquissant des directions, proposant des positions multiples qui pourraient mener à d'autre sites. Enfin, l'ensemble des essais peut ~tre approché comme une dont la signification se trouverait moins dans la succession qui enchaîne les livres que dans leur écart, dans la manière dont Foucault redéploie toujour8 les paysages de ses descriptions antérieures, ses analyses du vrai et du faux, du montré et du caché. > en perpétuelle reprise et genèse comme pour ne pas se rassembler en une œuvre, la démarche du philosophe est animée par la nécessité de reprendre, réévaluer, corriger ses travaux. L' œuvre de Foucault produit également un effet de vérité sur nous-mêmes pour nous penser autrement et penser autrement l'actualité en s'installant sur les lignes de fracture de la société. Dire le présent exige de lutter contre celui-ci, dénouer la confusion entre le et l' > et contredire la no1111e, qui n'est pas une for1ne universelle, générale et anhistorique, mais une f01111e produite par le pouvoir• : Ici, je dirai que Foucault qui, un jour, se proclama par défi un fut un homme en danger et qui, sans en faire étalage, eut un sens aigu des périls auxquels nous sommes exposés, s'inte11oge.ant pour savoir ceux qui sont les plus menaçants et ceux avec qui l'on peut temporiser. Maurice Blanchot, Foucault tel que je l'imagine, Fata Morgana, 1986, p. 16.

L'éthique telle que la conçoit le philosophe revient à poser la question des pratiques foi matrices de soi• dans le rapport au savoir, à la politique et au droit modernes. Au nom de la liberté pratique d'un sujet, apte à se transfo11ner historiquement, à problématiser les évidences de son savoir et de ses pratiques, Foucault a développé une analyse critique nominaliste

. . . G J.i,d" dire vrai» pour Dens$Ji9la1mocJemité Digitized by Ü Ü èSit. UNIVERSITY OF MICHIGAN

1125 ....

6 S:~ bDO~

02/97 02-013-01 Ge~ qui a pour tâche de penser les problèmes et les dangers propres à soi et à la société. Cette ttansfo11nation vise à une pratique du «dire vrai >> et à une attitude de résistance face à tous les phénomènes de domination. Foucault invite à une interrogation éthique (voir Soi, p. 99) pour accéder à une nouvelle fonne de

responsabilité de la pensée sur le plan individuel et collectif et appréhender l' pouvoir• ou le> sexe. La tâche du est de chasser les fausses vérités, l'illusion d'une libération définitive et d'une identité sexuelle de l'être humain comme le leurre d'un pouvoir• centralisé, mais aussi d'actualiser son travail à la lumière de son expérience et des circonstances historiques. Et d'inventer sa vie comme une fiction, quitte à · se heurter à soi-même... Selon certains, seul sans doute Foucault aurait pu analyser les transfo11nations de la société et de la médecine avec l'émergence du sida, ~oser l'affaire du sang contaminé et la · mise en question de l'État à la lumière du>, se pencher sur l'avenir incertain du droit, inte11oger le pouvoir• à travers cette nouvelle archive qu'est le sondage d'opinion. Le projet de Foucault, qui a consisté à faire l'histoire des rapports entre la subjectivité et la vérité en Occident, à étudier comment le sujet occidental se constitue en devenant ·objet .de · savoir, n'a certainement pas fini de solliciter la pensée contemporaine, divisée entre la tentation de penser selon .la tradition et le désir de penser autrement l'avenir.

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Index Les mots signalés par le pictogramme • sont des mots clés qu'on trouvera à leur place alphabétique dans la partie > de l'ouvrage ; les chiffres de renvoi sont en gras dans l'index. Les chiffres en caractères gras concernant les autres mots renvoient aux pages où la notion est définie.

A " Age: 31-37, 44. Aliénation : 46. Analytique: 61-62, 64-65, 98. Antipsychiatrie : 11-12, 49, 50. A priori: 31, 37, 38. Archéologie• : 15, 27-42, 50, 61, 67, 89, 111. Archive: 42, 66-67, 125, 126. Asile: 10, 47, 48-50, 118. Autre : 30, 73. Aveu: 90, 91, 92, 96, 106.

Discontinuité: 19, 30-37, 111, 114. Discours: 39-40, 53-55, 57, 58-60, 65, 110. Dispositif: 92-93, 96, 118. Droit: 80, 118, 125.

E Empirique/transcendantal :

Calligramme : 71, 72-73. Clinique: 57-59. Corps : 73, 78-79, 82, 8486, 94, 104.

63-64. Enquête: 37, 42, 81, 88, 104. Épistémè: 28, 33, 34, 113, 114. Epistémologie: 15, 16, 18, 19. Esthétique : 12, 100-101. Éthique: 12, 24, 98-99, 100, 106, 112, 125. Examen : 86, 88, 91. Exclusion : 10, 46-48, 60, 73, 124. Expérience : 22, 51, 66, 6870, 124.

D Désir : 11, 96-97. Dire vrai: 24, 123, 126. Discipline : 77, 84-86, 87, 88, 115.

F Finitude : 37, 62. Folie•: 10, 39, 43-51, 60, 66, 73-75, 114, 116.

B Bio-pouvoir: 93-94, 95, 97, 126.

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3 9015 03811 0022 Forrnation 01scurs1ve : JM, 39, 40, 111.

G Généalog ie: 14-15. Gouverne ment : 12, 98. Grammair e : 36, 53-55, 56.

H Historicité : 17, 36-37, 57. Homme• : 21, 36, 37, 5265, 68. 1 lmpensé : 64, 73.

L Langage • : 34, 36, 54-65, 67-75. Libération : 11, 45-46, 48, 96, 119. Littérature • : 51, 66-75, 88. M . Marxisme : 11, 13-14, 21, 76-78, 126. Mathésis : 33. Même: 30, 73. Microphy sique : 78-79. Mort : 11, 59, 62, 65, 73.

N Nihilisme : 112, 119. Nor111e, nor111alisation : 40, 44-45, 81, 94-95, 106, 117' 118-119' 125. p Panoptism e : 87. Paradigme : 28-29, 114. Plaisir: 91, 97, 100-102, 104, lo6.

Pouvoir • : 11, 48, 60, 7688, 90, 92-94, 96, 116119. Positivité: 55, 62, 111. Possibilité : 31, 42, 61, 63. Prison : 22, 48, 79-80, 8384, 118. Problémat isation : 1OO, 104. Psychanal yse: 19, 51 , 96.

R Raison: 13, 23, 43-46, 50, 114. Regard : 34, 57-59, 81. Relativism e: 112, 114. Renfe1111ement: 47, 48, 85. Représent ation: 33-36, 5556, 61 -62, 69.

s Savoir : 32, 34, 42, 59, 8081 . Sciences humaines : 18, 20, 52, 61, 64, 81, 88. Sexe : 90-92, 94, 95-96. Sexualité • : 12, 60, 66, 8997, 104-105, 126. Silence: 47, 50-51 , 68. Soi+ : 12, 98-106. Structural isme : 10, 18-20, 109, 112. Subjectivi té: 30, 41, 67, 110.

T Taxinomi e: 33, 52, 55, 61 . V Vérité: 11, 52, 60, 123-125. Vie : 36, 62, 94-95.

Achevé d'imprimer par Corlet. Imprimeur, S.A. - 14110 Cor:i~~f~~-Noireau (France) Dépôt légal : oct~NË~~n~œ~,m_~.E.E. ~9,~ffilP/iG©·

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