Médecine de la douleur pour le praticien 9782294760679, 9782294762314, 9782294769849

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Médecine de la douleur pour le praticien
 9782294760679, 9782294762314, 9782294769849

Table of contents :
1 Front Matter.pdf
2 Copyright.pdf
Copyright
3 Liste des collaborateurs.pdf
4 Préface.pdf
5 Préface.pdf
6 Abréviations.pdf
Abréviations
chapitre 1 De la douleur aiguë à la douleur chronique.pdf
De la douleur aiguë à la douleur chronique
chapitre 2 De la physiologie et la physiopathologie de la douleur à la pharmacologie des antalgiques.pdf
De la physiologie et la physiopathologie de la douleur à la pharmacologie des antalgiques
chapitre 3 Imagerie cérébrale de la douleur.pdf
Imagerie cérébrale de la douleur
chapitre 4 Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques de l'enfant.pdf
Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques de l'enfant
chapitre 5 Principes d'évaluation des syndromes douloureux aigus chez l'adulte.pdf
Principes d'évaluation des syndromes douloureux aigus chez l'adulte
chapitre 6 Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques.pdf
chapitre 7 Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques le sujet âgé.pdf
Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques : le sujet âgé
Difficultés de l'évaluationde la douleur chez le sujet âgé
Utilisation des échellesd'évaluation de la douleur
chapitre 8 Clinique de la douleur aiguë et chronique (facteurs de chronicisation et mémoire de la douleur).pdf
Clinique de la douleur aiguë et chronique (facteurs de chronicisation et mémoire de la douleur)
Douleur Chronique
Douleur aigüe
Facteurs de chronicisation et mémoire de la douleur
chapitre 9 savoir expliquer.pdf
Savoir expliquer
chapitre 10 Savoir communiquer avec le patient douloureux.pdf
Savoir communiquer avec le patient douloureux
chapitre 11 savoir identifier la douleur.pdf
Savoir identifier la douleur
chapitre 12 Savoir éduquer.pdf
Savoir éduquer
chapitre 13 Savoir définir des objectifs réalistes partagés selon le contexte.pdf
Savoir définir des objectifs réalistes partagés selon le contexte
chapitre 14 Traitements médicamenteux.pdf
Traitements médicamenteux
chapitre 15 Douleur et éducation thérapeutique.pdf
Douleur et éducation thérapeutique
chapitre 16 Approches psychocorporelles et psychothérapies.pdf
Approches psychocorporelles et psychothérapies
chapitre 17 Médecine physique et réadaptative de la douleur.pdf
Médecine physique et réadaptative de la douleur
chapitre 18 Traitements techniques.pdf
Traitements techniques
chapitre 19 Effet placebo.pdf
Effet placebo
chapitre 20 Douleurs neuropathiques.pdf
Douleurs neuropathiques
chapitre 21 Douleurs rachidiennes de la cervicalgie à la lombosciatalgie.pdf
Douleurs rachidiennes : de la cervicalgie à la lombosciatalgie
chapitre 22 Douleurs ostéoarticulaires d'horaire inflammatoire.pdf
Douleurs ostéoarticulaires d'horaire inflammatoire
chapitre 23 Douleurs de l'appareil locomoteur et troubles musculosquelettiques.pdf
Douleurs de l'appareil locomoteur et troubles musculosquelettiques
chapitre 24 Fibromyalgie et douleurs myofasciales.pdf
Fibromyalgie et douleurs myofasciales
chapitre 25 Céphalées la migraine, les céphalées quotidiennes chroniques.pdf
Céphalées : la migraine, les céphalées quotidiennes chroniques
chapitre 26 Douleurs faciales.pdf
Douleurs faciales
chapitre 27 Douleur abdominale intestin irritable.pdf
Douleur abdominale : intestin irritable
chapitre 28 Douleurs pelvipérinéales et endométriose.pdf
Douleurs pelvipérinéales et endométriose
chapitre 29 Douleur en pathologie cardiovasculaire.pdf
chapitre 30 Douleur et drépanocytose.pdf
Douleur et drépanocytose
chapitre 31 Syndrome douloureux régional complexe.pdf
Syndrome douloureux régional complexe
chapitre 32 Douleur du cancer.pdf
Douleur du cancer
chapitre 33 Douleurs et génétique.pdf
Douleurs et génétique
chapitre 34 Douleur et gériatrie.pdf
Douleur et gériatrie
Des douleurs difficiles à détecter
chapitre 35 Douleur chez l'enfant et l'adolescent.pdf
Douleur chez l'enfant et l'adolescent
chapitre 36 Douleur et genre.pdf
Douleur et genre
L'analyse de la différencede l'expérience douloureuseentre hommes et femmes
Les travaux expérimentaux,chez l'animal
Les facteurs biologiques,psychologiques et sociaux
Au niveau génétique
Au niveau épigénétique
Traitement de la douleur pardes approches médicamenteusesou non médicamenteuses
Pharmacodynamie des antalgiques
chapitre 37 Handicap et douleur le handicap rend la douleur compliquée ; la douleur complique le handicap..pdf
Handicap et douleur : le handicap rend la douleur compliquée ; la douleur complique le handicap...
chapitre 38 Handicap et douleur place de la médecine physique et de réadaptation dans la douleur chronique bénigne de l'appareil locomoteur.pdf
Handicap et douleur : place de la médecine physique et de réadaptation dans la douleur chronique bénigne de l'app
chapitre 39 Douleur et grossesse.pdf
Douleur et grossesse
chapitre 40 Insuffisance rénale et hépatique.pdf
Insuffisance rénale et hépatique
chapitre 41 Addiction.pdf
Addiction
chapitre 42 Santé mentale.pdf
Santé mentale
chapitre 43 Douleur et psychologie vécu psychologique de la douleur chronique.pdf
Douleur et psychologie : vécu psychologique de la douleur chronique
chapitre 44 Douleur des soins.pdf
Douleur des soins
chapitre 45 Douleur postopératoire et douleur aiguë traumatique.pdf
Douleur postopératoire et douleur aiguë traumatique
chapitre 46 Douleur en pratique ambulatoire.pdf
Douleur en pratique ambulatoire
chapitre 47 Douleurs aiguës médicales et urgences.pdf
Douleurs aiguës médicales et urgences
chapitre 48 Douleurs aiguës chez un douloureux chronique.pdf
Douleurs aiguës chez un douloureux chronique
chapitre 49 Douleur en soins palliatifs.pdf
Douleur en soins palliatifs
Bibliography
chapitre 50 Douleurs des grands syndromes neurologiques.pdf
Douleurs des grands syndromes neurologiques
chapitre 51 Structures douleur chronique et orientation du patient douloureux chronique.pdf
Structures douleur chronique et orientation du patient douloureux chronique
chapitre 52 Approche sociologique de la douleur.pdf
Approche sociologique de la douleur
Vivre avec la douleur
Appréhension de la douleur àtravers des prismes sociologiques
chapitre 53 Prise en charge de la douleur chronique un problème de société.pdf
Prise en charge de la douleur chronique : un problème de société
chapitre 54 Vulnérabilité.pdf
Vulnérabilité
Perceptions et rapport aux autres
Pouvoir dire « J'ai mal »
chapitre 55 Aspects socioprofessionnels de la douleur.pdf
Aspects socioprofessionnels de la douleur
chapitre 56 Est-il une éthique du soin de la douleur.pdf
Est-il une éthique du soin de la douleur  ?
chapitre 57 Les douleurs chroniques en France. Recommandations de l'Académie nationale de médecine pour une meilleure prise en charge des malades.pdf
Les douleurs chroniques en France. Recommandations de l'Académie nationale de médecine pour une meilleure prise en charg ...
chapitre 58 Liste des recommandations.pdf
Liste des recommandations

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Médecine de la douleur pour le praticien

Chez le même éditeur

Dans la même collection : Gériatrie, par J. Belmin, P. Chassagne, P. Friocourt. 3e édition. 2018. 1072 pages. Gynécologie pour le praticien, par J. Lansac, H. Marret. 9e édition. 2018. 656 pages. Rhumatologie pour le praticien, par B. Mazières, M. Laroche, A. Constantin. 2018. 712 pages. Médecine du sport, par H. Monod, P. Rochongar. 4e édition. 2009. 504 pages. Cardiologie, par J.-P. Delahaye, J.-Y. Artigou, J.-C. Daubert, H. Milon. 3e édition. 2008. 568 pages. Pédiatrie, par A. Bourillon. 5e édition. 2008. 848 pages. Médecine de l'adolescent, par P. Alvin, D. Marcelli. 2005. 472 pages. Hépato-gastro-entérologie proctologie, par J. Fexinos, L. Buscail. 5e édition. 2004. 736 pages. Urgences, par B. Blettery. 2002. 324 pages. Cancérologie et hématologie, par. B. Hoerni. 2001. 328 pages. Pneumologie, par G. Huchon. 2001. 408 pages. ORL, par C. Dubreuil, J.-C. Pignat, G. Bolot, P. Céruse. 2e édition. 2002. 352 pages.

Autres ouvrages : Bien débuter – Prise en charge de la douleur, par C. Berlemont, S. Moncayo. 2018. 264 pages. Douleurs – Soins palliatifs – Deuils – Éthique, par A. De Broca. 2e édition. 2018. 360 pages. La douleur en ORL, par J.-M. Prades. 2014. 240 pages. Douleurs thoraciques en urgence, par J.-L. Ducassé. 2005. 288 pages. Guide pratique du traitement des douleurs, par T. Binoche, C. Martineau. 2e édition. 2005. 368 pages. Le médecin, le malade et la douleur, par P. Queneau, G. Ostermann. 4e édition. 2004. 648 pages. Interpréter et traiter les douleurs épigastriques, par M.-A. Bigard. 2003. 192 pages.

Collection Pour le praticien

Médecine de la douleur pour le praticien Ouvrage collectif coordonné par

A. Serrie MD, PhD. HDR, Professeur Associé des Universités, Spécialiste des hôpitaux, Praticien hospitalier, chef de service, service de Médecine de la douleur et de Médecine palliative Hôpital Lariboisière, Hôpital Robert Debré Paris, Rédacteur en chef de la revue spécialisée « Douleurs », membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine, Président de l’ONG Douleurs Sans Frontières.

C. Delorme Praticien hospitalier. Médecin généraliste. Médecin spécialiste de l'évaluation et du traitement de la douleur. Responsable du CETD du CH de Bayeux, coordinatrice du réseau régional douleur Normandie et coordinatrice des SOS du CLCC de Caen.

M.-L. Navez Praticien hospitalier, Anesthésiste, Médecin spécialiste de l'évaluation et du traitement de la douleur, Ex-responsable du CETD du CHU de Saint-Étienne. Enseignante Douleur Université Rhône Alpes Auvergne.

Elsevier Masson SAS, 65, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex, France Médecine de la douleur pour le praticien, coordonné par Alain Serrie, Claire Delorme, Marie-Louise Navez. © 2020, Elsevier Masson SAS ISBN : 978-2-294-76067-9 e-ISBN : 978-2-294-76231-4 Campus : 978-2-294-76984-9 Tous droits réservés. Les praticiens et chercheurs doivent toujours se baser sur leur propre expérience et connaissances pour évaluer et utiliser toute information, méthodes, composés ou expériences décrits ici. Du fait de l'avancement rapide des sciences médicales, en particulier, une vérification indépendante des diagnostics et dosages des médicaments doit être effectuée. Dans toute la mesure permise par la loi, Elsevier, les auteurs, collaborateurs ou autres contributeurs déclinent toute responsabilité pour ce qui concerne la traduction ou pour tout préjudice et/ou dommages aux personnes ou aux biens, que cela résulte de la responsabilité du fait des produits, d'une négligence ou autre, ou de l'utilisation ou de l'application de toutes les méthodes, les produits, les instructions ou les idées contenus dans la présente publication. Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l'autorisation de l'éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d'une part, les reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d'autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d'information de l'œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle). Légendes et crédits de la couverture (de gauche à droite et de haut en bas), Copyright © 2019 Adobe Stock : 1. Lombalgies 2. Examen clinique 3. Explorations à visée diagnostique 4. Céphalées 5. Thérapies pharmacologiques 6. Outils d'évaluation de l'intensité, Copyright © 2019 BSIP. 7. Infiltrations 8. Thérapies non pharmacologiques 9. Prise en charge globale Les illustrations 1.01, 1.02, 4.02, 17.05, 18.11, 18.18, 18.19, 26.02b ont été réalisées par Carole Fumat.

Ce logo a pour objet d'alerter le lecteur sur la menace que représente pour l'avenir de l'écrit, tout particulièrement dans le domaine universitaire, le développement massif du « photocopillage ». Cette pratique, qui s'est généralisée, notamment dans les établissements d'enseignement, provoque une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd'hui menacée. Nous rappelons donc que la reproduction et la vente sans autorisation, ainsi que le recel, sont passibles de poursuites. Les demandes d'autorisation de photocopier doivent être adressées à l'éditeur ou au Centre français d'exploitation du droit de copie : 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. Tél. 01 44 07 47 70.

Liste des collaborateurs

Les coordinateurs Alain Serrie, MD, PhD. HDR, Professeur Associé des Universités, Spécialiste des hôpitaux, Praticien hospitalier, chef de service, service de Médecine de la douleur et de Médecine palliative Hôpital Lariboisière, Hôpital Robert Debré Paris, Rédacteur en chef de la revue spécialisée « Douleurs », membre correspondant de l'Académie Nationale de Médecine, Président de l'ONG Douleurs Sans Frontières.  Claire Delorme, Praticien hospitalier. Médecin généraliste. Médecin spécialiste de l'évaluation et du traitement de la douleur. Responsable du CETD de l'hôpital de Bayeux, coordinatrice du réseau régional douleur Normandie et coordinatrice des SOS du CLCC de Caen.  Marie-Louise Navez, Praticien hospitalier. Anesthésiste. Médecin spécialiste de l'évaluation et du traitement de la douleur. Ex-responsable du CETD du CHU de Saint-Étienne. Enseignante Douleur Université Rhône Alpes Auvergne. 

Les auteurs Pierre Albaladejo, Professeur des universités. Praticien hospitalier. Pôle anesthésie-réanimation, CHU de Grenoble-Alpes.  Denis Ardid, Professeur des universités, université Clermont Auvergne. Responsable de l'équipe de pharmacologie fondamentale et de la clinique de la douleur – UMR Neuro-Dol.  Nadine Attal, Professeur des universités, praticien hospitalier de thérapeutique. Neurologue. Hôpital Ambroise Paré.  Fré d é r i c Au br u n , Profe s s e u r d e s u n i v e r s it é s , université Lyon 1. Praticien hospitalier. Chef du service d'anesthésie-réanimation du CHU de Lyon.  Nicolas Authier, Professeur des universités. Praticien hospitalier. Médecin psychiatre. Chef du service de Pharmacologie Médicale et du CETD. CHU de ClermontFerrand, Inserm 1107, OFMA, Fondation Institut Analgesia.  Véronique Barfety-Servignat, Psychologue clinicienne. CS Douleur et Rhumatologie, CHU de Lille. Chercheure associée LPN Paris 8. Responsable du DIU clinique et psychopathologie de la douleur, université de Lille.  Denis Baylot, Anesthésiste. Médecin de la douleur. Pôle consultation de la Mutualité française Loire, centre Léon Bérard, Lyon.  Valérie Beauvieux, Praticien hospitalier. Médecin généraliste. Clinique Le Castelet, CHU de Nîmes.  Jean-Gabriel Bechier, Médecin algologue. CETP-NHP, Hôpital des Franciscaines.  Anne Bera-Louville, Rhumatologue. Service de rhumatologie, CETD, pôle de neurosciences, CHRU Lille. 

Célian Bertin, Médecin psychiatre-addictologue. Chef de clinique. Assistant hospitalier. Service de Pharmacologie Médicale et CETD, CHU de Clermont-Ferrand, Inserm 1107, OFMA, Fondation Institut Analgesia.  Philippe Bertin, Professeur des universités. Practicien hospitalier. Rhumatologue. Chef du service de rhumatologie et du Centre de la douleur, CHU de Limoges.  Thibault Besselièvre, Néphrologue. Service de Néphrologiedialyse. Centre Hospitalier Mémorial de Saint-Lô.  Antoine Bioy, Professeur des universités, université Paris 8. Docteur en psychologie, psychothérapeute ARS. Responsable scientifique du Centre de Formation et d'Études en Hypnose, IPNOSIA.  Daniel Bontoux, Professeur émérite des universités. Rhumatologue. Membre de l'Académie nationale de médecine.  Nicolas Bourdel, Professeur. Service de chirurgie gynécologique, CHU Clermont-Ferrand.  Olivier Bredeau, Praticien hospitalier. CETD, CHU de Nîmes.  Paul Calmels, Praticien hospitalier. Docteur en médecine physique et réadaptation. Service MPR, Pôle neuro ostéo loco-moteur, CHU de Saint-Étienne.  Bernard Calvino, Professeur des universités honoraire. Neurophysiologiste.  François Chast, Pharmacien des Hôpitaux de Paris. Président du Comité des vigilances et risques sanitaires. Chef de service, CHU Necker-Enfants malades.  Élisabeth Collin, MD, PhD, Responsable de la Consultation d'Étude et de traitement de la Douleur, GH Paris-Seine-Saint-Denis.  Aurélie Comptour, Ingénieur hospitalier. Service de chirurgie gynécologique, CHU de Clermont-Ferrand. Unité CRECHE, Université Clermont-Auvergne. INSERM, CIC 1405.  Christine Courteix, Professeur des Universités. Service de Physiologie, Faculté de Pharmacie, Université Clermont Auvergne U1107 Inserm Neuro-Dol.  Georges Daccache, Clinicien hospitalier. Anesthésisteréanimateur. Service d'anesthésie-réanimation, CHU de Caen.  Noémie Delage, Praticien hospitalier. Médecin algologue. Anesthésiste-réanimateur. CETD, CHU de Clermont-Ferrand.  Rodrigue Deleens, Praticien hospitalier. Médecin de la douleur. CETD, CHU de Rouen.  Cécile Delours, Juriste spécialisée en droit de la santé et en droit des assurances.  Geneviève Demarquay, Neurologue. CETD, service de neurologie fonctionnelle et d'épileptologie. Hôpital neurologique et neurochirurgical Pierre Wertheimer. 

XV

XVI   Liste des collaborateurs Vianney Descroix, Professeur des universités, UFR d'Odontologie de l'Université de Paris. Praticien hospitalier. Consultation de la douleur chronique orofaciale et hypnose médicale, Service d'Odontologie, GH APHP Sorbonne Université (Pitié-Salpêtrière).  Marie-Christine Djian, Anesthésiste-réanimateur. CETD. Unité de neuromodulation. Hôpital Foch, Suresnes.  Anne Donnet, Praticien hospitalier. Neurologue. Responsable du CETD du CHU de Marseille.  Denis Dupoiron, Praticien hospitalier. Anesthésisteréanimateur. Responsable du service d'Anesthésie-Douleur de l'Institut de cancérologie de l'Ouest, site Paul Papin, Angers.  Mathilde Duval, Médecin, équipe mobile de soins palliatifs. Service de médecine de la douleur et de médecine palliative de l'hôpital Lariboisière AP-HP.  Xavier Emmanuelli, Médecin anesthésiste-réanimateur. Co fondateur de Médecins sans frontières et fondateur du Samu Social.  Alain Eschalier, Professeur des universités. Président de l'Institut Analgesia. Faculté de médecine de Clermont-Ferrand.  Isabelle Fayolle-Minon, Praticien hospitalier. Docteur en Médecine Physique et Réadaptation. Service MPR et CETD, Pôle neuro ostéo loco-moteur. CHU de Saint-Étienne.  Denys Fontaine, Professeur des universités, université Côte d'Azur. Praticien hospitalier. Département de neurochirurgie du CHU de Nice.  Jean-Michel Gautier, Infirmier anesthésiste PhDc. Cadre de santé. CHU de Montpellier.  Marie-Emmanuelle Géraud, Médecin de l'équipe mobile de soins palliatifs à l'hôpital Paul Brousse AP-HP.  Pierric Giraud, Praticien hospitalier. Responsable du CETD du CH Annecy Genevois.  Morgane Guillou-Landréat, Maître de conférences des universités. Praticien hospitalier. Addictologie, CHRU de Brest. EA SPURBO 7479,  Soins primaires, santé publique et registre des cancers de bretagne occidentale, faculté de médecine de Brest.   Emmanuel Hirsch, Professeur d'éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay.  Adrian Kastler, Maitre de conférences des universités, praticien hospitalier. Neuroradiologue, algoradiologue. Service de Neuroradiologie, CHU de Grenoble-Alpes.   Bruno Kastler, Professeur des universités, université Paris Descartes. Praticien hospitalier. Algoradiologue, cardiologue. Radiologie adulte, Hôpital universitaire Necker.  Sophie Lacan, Psychologue clinicienne. Thérapeute EMDR. Centre d'Évaluation et de Traitement de la Douleur chronique, Hôpital Privé Les Franciscaines.  Sophie Lalande, Médecin généraliste. Chef de clinique des universités de médecine générale de Brest. Pôle Santé Universitaire de Lanmeur.  Michel Lanteri-Minet, Praticien hospitalier. Neurologue. Chef de service du CETD du CHU de Nice.  Françoise Laroche, Praticien hospitalier. Professeur associé douleur. Rhumatologue. Responsable du Centre de la douleur. Présidente du Collège National des Enseignants de la Médecine de la Douleur. Hôpital SaintAntoine, Paris. 

Bernard Laurent, Professeur des universités. Praticien hospitalier. Neurologue. CETD de Saint- Étienne, INSERM U 1028 neuropain.  Soliman Le Bigot, Avocat au barreau de Paris. Droit de la santé. Cabinet LBM Avocats.  David L e Breton, Professeur de so ciologie et d'anthropologie, Université de Strasbourg. Membre de l'Institut Universitaire de France.  Nathalie Lecoules, Médecin urgentiste. Service des urgences adultes, pôle médecine d'urgence, CHU de Toulouse.  Jean-Pascal Lefaucheur, Professeur des universités. Praticien hospitalier. Physiologie, CHU Henri Mondor.  Romain Lefaucheur, Neurologue. Service de neurologie, CHU de Rouen.  Célia Lloret Linares, MD, PhD. Ramsay Générale de Santé, Maladies nutritionnelles et métaboliques. Hôpital Privé Pays de Savoie.  Caroline Maindet, Praticien hospitalier. Présidente du CLUD. Centre de la douleur. CHU de Grenoble-Alpes.  Caroline Makowski, Praticien hospitalier. Service d'Hématologie. Pôle cancer et maladies du sang, CHU de Grenoble-Alpes.  Pierre Manoli, Praticien hospitalier. Ophtalmologiste. CHU de Saint-Etienne Hôpital Nord.  Fabien Marchand, Enseignant-chercheur. UMR InsermUCA Neuro-dol - Faculté de médecine. Université Clermont-Auvergne.  Nicolas Mathieu, Gastro-entérologue MICI. Département d'hépato gastroentérologie et oncologie digestive, CHU de Grenoble.  Raphaël Minjard, Psychologue clinicien. Psychanalyste. Docteur en psychopathologie et psychologie clinique. Maître de conférences. Enseignant-chercheur. Centre de Recherche en Psychopathologie et Psychologie Clinique (CRPPC), Université de Lyon.  Xavier Moisset, Neurologue. Service de neurologie, NeuroDol U-1107. CHU de Clermont-Ferrand, Hôpital Gabriel Montpied.  M i c h e l Mo r e l Fat i o , Mé d e c i n s p é c i a l i s t e e n Médecine Physique Réadaptation et en Médecine de la Douleur. Enseignant en Médecine de la douleur et Médecine palliative, et au DU Thérapie cognitive et comportementale de la douleur chronique. Coordinateur du CETD du Centre de Médecine Physique Réadaptation Coubert. Consultant au CETD de l'Hôpital Saint Antoine AP-HP.  Vianney Mourman, Praticien hospitalier. Responsable de l'équipe mobile de soins palliatifs, Hôpital Lariboisière AP-HP. Enseignant-chercheur, Espace Éthique d'île de France.  Isabelle Nègre, Chef du centre anti douleur de Bicêtre et de l'équipe mobile douleur du Groupe hospitalier Paris Sud.  Julien Nizard, Professeur des universités, université de Nantes. HDR en Thérapeutique et Médecine de la Douleur. Chef du Centre Fédératif Douleur Soins de Support, CHU de Nantes.   Michel Olivier, Anesthésiste-réanimateur. Algologue. Co-Président du Comité de LUtte contre la Douleur (CLUD). Coordination Anesthésie-réanimation. Hôpital Pierre-Paul Riquet, CHU Purpan, Toulouse. 

Liste des collaborateurs    XVII Nabilah Panchbhaya, Gynécologue-obstétricien. Chirurgie gynécologique et obstétrique. Hôpital Lariboisière AP-HP.  Roland Peyron, Professeur associé. Praticien hospitalier. Neurologue. Service de neurologie et CETD. CHU de Saint-Étienne.  Gisèle Pickering, Professeur des Universités, Praticien Hospitalier. Chef du Service de Pharmacologie Clinique. Médecin coordinateur du Centre d'Investigation Clinique Inserm 1405. Centre Hospitalier Universitaire et Faculté de Médecine de Clermont-Ferrand.  Philippe Poulain, Praticien hospitalier. Anesthésisteréanimateur de formation. Unité de Soins palliatifs. Polyclinique de l'Ormeau, Tarbes.  Jean-Michel Prades, Professeur des universités. Chef de Service d'ORL. CHU de Saint-Étienne, Hôpital Bellevue. Responsable du Laboratoire d'Anatomie de la faculté de Médecine.  Patrice Queneau, Membre de l'Académie nationale de médecine, Doyen honoraire de la faculté de médecine de Clermont-Ferrand, Professeur émérite de thérapeutiques.  Sylvie Raoul, Praticien hospitalier. Neurochirurgien, CHU de Nantes.  Thibault Riant, Anesthésiste-réanimateur. Médecin de la douleur. CETD M Bensignor hôpital privé du Confluent. Centre fédératif nantais de pelvipérinéologie. CHU de Nantes.  Cécile Robert, Infirmière Anesthésiste Ressource Douleur en transversal au CLUD – CHUGA. 

Xavier Roblin, Professeur associé gastro-entérologie. CHU de Saint-Étienne.  Serena Santucci, Project Manager INOVPAIN. Fédération Hospitalo-universitaire INOVPAIN, CHU de Nice.  Éric Serra, Professeur de Médecine de la douleur associé des université, Université de Picardie Jules Verne, Amiens. Chef de service du CETD et du Département Interdisciplinaire de Soins de Support pour le Patient en Oncologie (DISSPO), CHU Amiens-Picardie.  Patrick Sichère, Rhumatologue. Service de rhumatologie, Hôpital Delafontaine.  Grégory Tosti, Médecin algologue et hypnothérapeute. Centre de la douleur, Hôpital Ambroise Paré.  Barbara Tourniaire, Praticien hospitalier. Centre de la douleur et de la migraine de l'enfant. CHU Hôpital Trousseau.  Erwan Treillet, Praticien hospitalier. Responsable de l'UF Douleur. Service médecine de la douleur et médecine palliative, Hôpital Lariboisière.  Richard Trèves, Professeur des universités, Rhumatologue, Membre correspondant de l'Académie nationale de médecine. Service de rhumatologie, CHU de Limoges.  Pierre Volckmann, MD PhD. Médecin de Médecine physique. Centre orthopédique Paul Santy (Lyon 8). Laboratoire P2S, faculté de médecine Lyon Est Université Claude Bernard Lyon I.  Claire Vulser, Praticien hospitalier. Responsable du CETD, Hôpital européen George Pompidou (HEGP). 

Préface

Lorsque mon confrère et ami le Pr Alain Serrie m'a sollicité pour cette tâche, je n'ai pas hésité longtemps, mais un peu réfléchi, par la culture et mes racines de neuro-anatomiste et neuroradiologue. Ce pour trois raisons. D'abord, première raison : l'objectif de cette œuvre collective, aux quatre-vingt-neuf coauteurs rédacteurs, telle que définie par son titre qui l'adresse au praticien. Soulager la femme et l'homme, bébé ou vieillard, telle est la mission première du seul médecin, hier, des professions de santé aujourd'hui. Qu'il s'agisse des chirurgiens, des pharmaciens, des biologistes, des « accoucheurs » (chirurgiens et médecins de gynécologie-obstétrique, comme l'on dit aujourd'hui), des vétérinaires, des chercheurs scientifiques et sociologiques, des administratifs, tous concourent à cet objectif commun : soulager, attribuer ou supprimer ces sensations de souffrance. Là est la raison d'être de l'Académie nationale de médecine, depuis deux siècles. Mais combien plus profonde (éternelle dans les genres humain et animal, végétal et minéral, etc.) elle est. Cette souffrance est maladie, en soi, qu'elle soit d'origine psychique, mentale ou d'origine organique. Du Rétable d'Issenheim (1515) au Cri du norvégien Edvard Munch (1893–1917), l'art s'est emparé de cet état de vie. De la Vénus à la Corne, avec ses vingt-quatre entailles « lunaires » dans la grotte paléontologique d'il y a vingt siècles, aux dieux égyptiens implorés, la situation est semblable. « Où, quand, comment, pourquoi ? » interroge le patient. « Comment choisir et trier dans notre arsenal pour soulager, comment le dire et le résumer pour le patient ou la patiente ? » Loin de l'intelligence dite « artificielle » (IA), qu'elle soit « télé » (à distance en grec) ou non, le « praticien » évoqué dans le titre, est seul. Ensuite, la construction du livre est un scanning (de l'anglais to scan, balayer) des situations de patients, venus consulter et résumant ainsi leur état : « j'ai mal ». Une première partie, du symptôme au syndrome, définit les mots et situations. Le chapitre 1 résume les situations, de l'aigu au chronique, de l'enfant au patient âgé. Le chapitre suivant schématise les actions du médecin, à propos de « cinq grands principes de prise en charge de la douleur, aux auteurs complémentaires ». La deuxième partie aborde immédiatement la thérapeutique, au fil de six chapitres, depuis le médicament, en passant par la radiologie interventionnelle et la neurochirurgie fonctionnelle ou de stimulation, jusqu'à l'effet placebo. La troisième partie aborde les situations pathologiques, locales ou générales, en approche croisée, topographique et étiologique, en treize chapitres, de

XVIII

la cervicalgie à la douleur abdominale et cardiovasculaire, ou encore la douleur cancérologique. La quatrième partie de l'ouvrage, en onze chapitres, approche la variabilité « selon le patient », depuis le handicap jusqu'à l'addiction. La cinquième partie, finement désignée « selon le contexte », affine encore les situations d'exception, des soins palliatifs aux grands syndromes neurologiques. La sixième et dernière partie traite des aspects sociétaux, de la douleur chronique à la vulnérabilité, et se clôture par une approche socioprofessionnelle, jusqu'à l'éthique. Enfin, née avec la médecine, à ses sources hippocratiques (donc égyptiennes, cumulées entre le delta du Nil et les pyramides), son observation du symptôme et son écoute construisant le syndrome algique né de l'examen clinique et paraclinique, puis son suivi thérapeutique, résument ­l'engagement du médecin. Au service de son prochain, à côté du progrès scientifique et technologique heureux, en accélération continue depuis trois siècles, le praticien, sans un quelconque « retour en arrière » dispose dans ce livreoutil, à l'inverse, d'une qualité de synthèse moderne. Synthèse entre les âges et les progrès, elle actionne plusieurs dizaines d'auteurs, ayant tous accepté qu'un seul d'entre eux unisse les spécialités, les savoirs et les expériences sous une seule bannière, celle de ce mot universel qu'est la « douleur ». Il faut en saluer l'auteur, dont cette performance n'est pas la moindre des qualités. Il est d'abord anesthésiste-­ réanimateur, la plus moderne, la plus complète, et, désormais (sauf erreur comptable), la plus « peuplée » de nos spécialités médicales, à travers ce qui est devenu l'« urgentologie ». Nommée seule­ment « réanimation », du temps de l'auteur de ces lignes (qui la pratiqua en milieu hospitalo-­ universitaire de neurochirurgie aux urgences pendant plusieurs années), elle est devenue première en cinquante ans, tant par son attractivité pour nos plus jeunes que par son efficacité. L'Académie nationale de médecine peut s'enorgueillir de cet ouvrage, notamment grâce à la publication des Recommandations initiées par le doyen honoraire Patrice Queneau (CHU de Saint-Étienne), que vous trouverez à la fin de cet ouvrage. Puisse cet ouvrage, ayant bénéficié du talent éditorial d'Elsevier, être diffusé auprès du plus grand nombre. Il s'agit des médecins praticiens, bien sûr, mais aussi de toutes celles et tous ceux qui appartiennent aux « professions de santé », du plus ancien au plus jeune, encore étudiant. Pr Emmanuel Alain Cabanis Président de l'Académie nationale de médecine. 

Préface

En 1998, une enquête Baromètre Santé (Santé Publique France) réalisée auprès de plus de 4 000 jeunes de moins de 20 ans révélait que plus de 37 % d'entre eux avaient pris un médicament contre la douleur sur les trente derniers jours. Vingt ans plus tard, le constat est inflationniste avec une prévalence annuelle de la consommation en antalgiques sur ordonnance passée de 56 % en 2004 à près de 65 % en 2017 (+ 16 %). Selon le livre blanc publié par la SFETD en 2017 (Société Française d'Étude et de Traitement de la Douleur), plus de 12 millions de Français souffrent de douleurs chroniques, soit un Français sur cinq. D'après un rapport de 2011 de l'Académie nationale de médecine des États-Unis, la douleur chronique concerne 116 millions d'adultes soit plus d'un citoyen américain sur trois, avec un coût annuel estimé entre 560 et 635 milliards de dollars. Dans notre pays, la douleur constitue le premier motif de consultation, dans les services d'urgences et chez le médecin généraliste. Malgré cela, moins de 3% des patients douloureux chroniques bénéficient d'une prise en charge dans un centre spécialisé (il y en a 243 en France en 2019).

Tous ces chiffres nous incitent à revenir aux fondamentaux et réfléchir à une meilleure prise en charge des patients douloureux afin de combattre l'errance diag­ nostique, thérapeutique mais aussi le mésusage médicamenteux. Cet ouvrage essentiel, fort de ses 56 chapitres, rassemble tout ce qu'il faut savoir sur les douleurs, leurs caractéristiques, les différentes stratégies thérapeutiques. Il regroupe de très nombreux experts qui sont également des acteurs de terrain, au plus près des patients. Cet ouvrage princeps permettra sans aucun doute de mieux orienter les praticiens dans leurs choix thérapeutiques. Il est grand temps de considérer la douleur non pas comme un symptôme mais comme une maladie et d'inscrire la prise en charge du patient douloureux dans un parcours de santé plus adapté, plus fluide et centré autour du patient. Pr Frédéric Aubrun Président de la SFETD

XIX

Abréviations ACPA ACR ACT ADAM ADH ADP ADT Afssaps AFLAR AFSOS AINS AINS-NS ALAT ALD ALR AMM AMP Anaes ANR ANSM AOMI APA APAIS APS ARS ATP ATU AVC AVF BDNF βHCG BHE BHD BP BPI CADASIL CCA XX

anticorps antipeptides citrullinés American College of Rheumatology thérapies de l'acceptation et de l'engagement algies et dysfonctions de l'appareil manducateur hormone antidiurétique accès douloureux paroxystique antidépresseur tricyclique Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé Association française de lutte antirhumatismale Association francophone pour les soins oncologiques de support anti-inflammatoire non stéroïdien anti-inflammatoire non stéroïdien non spécifique alanine aminotransférase affection de longue durée analgésie locorégionale autorisation de mise sur le marché aide médicale à la procréation Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé Agence nationale de la recherche Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé artériopathie obstructive des membres inférieurs activité physique adaptée Amsterdam Preoperative Anxiety and Information Scale American Pain Society Agence régionale de santé adénosine triphosphate autorisation temporaire d'utilisation accident vasculaire cérébral algie vasculaire de la face Brain-Derived Neurotrophic Factor β-human chorionic gonadotropin barrière hémato-encéphalique buprénorphine haut dosage blood pressure Brief Pain Inventory Cerebral Autosomal Dominant Arteriopathy with Subcortical Infarcts and Leucoencephalo pathy cortex cingulaire antérieur

CCQ CGRP CDME COX-2 CPME CETD CIC CID CIDN CIF CIRC CLUD CNRD CNU COMT CPK CQC CRAT CRP CSAPA CVO DCPC DES DESC DFG DFIP DGOS DIM DMS DREZ DRG DU EBM ECBU ECG ECPA EDAAP

céphalée chronique quotidienne peptide relié au gène calcitonine corne dorsale de la moelle épinière inhibiteurs sélectifs de la cyclooxygénase 2 corne postérieure de la moelle épinière centre d'évaluation et de traitement de la douleur centre d'investigation clinique contrôle inhibiteur descendant contrôle inhibiteur diffus induit par une stimulation nociceptive classification internationale du fonctionnement Centre international de recherche sur le cancer Comité de lutte contre la douleur Centre national de ressource de lutte contre la douleur Conseil national des Universités catéchol-O-méthyltransférase créatine phosphokinase céphalée chronique quotidienne Centre de référence sur les agents tératogènes protéine C réactive centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie crise vaso-occlusive douleur chronique postchirurgicale Diplôme d'études spéciales Diplôme d'études spécialisées complémentaires débit de filtration glomérulaire douleur persistante idiopathique de la face Direction générale de l'offre de soins dérangement intervertébral mineur douleur musculosquelettique Dorsal Root Entry Zone ganglion de la racine dorsale Diplôme d'université evidence-based medicine examen cytobactériologique des urines électrocardiogramme évaluation comportementale de la douleur chez la personne âgée échelle d'hétéroévaluation de l'expression de la douleur chez l'adolescent et l'adulte polyhandicapé

Abréviations   XXI EDD EDPM EFIC EFS EHPAD EMDR EN ENMG ENS EPO EQM EULAR EVA EVS FAST FDA FDI FNCLCC FODMAP FR FST G-CSF GRADE HAD HAS HDJ HIT HR HTA IASP IDM IEC IgA IHS II IL-1 IMAO IMC INCa INR IPAQSS IPP IRC IRM IRSNA ISCOX-2

évaluation de l'expression de la douleur chez des sujets dyscommunicants European Diploma of Pain Medicine European Federation of IASP Chapters Établissement français du sang établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes eye movement desensitization and reprocessing échelle numérique électroneuromyogramme échelle numérique simple érythropoïétine échelle de quantification des médicaments European League Against Rheumatism échelle visuelle analogique échelle verbale simple functional assessment screening tool Food and Drug Administration Functional Disability Inventory Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer Fermentable: Oligosaccharides, Disaccharides, Monosaccharides and Polyols facteur rhumatoïde formation spécialisée transversale granulocyte colony-stimulating factor (Grading of Recommendations Assessment, Development and Evaluation) Hospital Anxiety and Depression Scale Haute Autorité de santé hospitalisations de jour Headache Impact Test heart rate hypertension artérielle International association for the study of pain infarctus du myocarde inhibiteur de l'enzyme de conversion immunoglobuline A International Headache Society interneurone inhibiteur interleukine 1 inhibiteur de la monoamine oxydase indice de masse corporelle Institut national du cancer International Normalized Ratio Indicateurs pour l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins. inhibiteur de la pompe à protons insuffisance rénale chronique imagerie par résonance magnétique inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline inhibiteurs sélectifs des cyclo-oxygénase de type II

ISRS i.v. LAF LDPD LFD LFG LHRF LI LP M6G MAP MBCT MBSR MDPH MEOPA MICI MIGAC MMSE MPR MSO NAPQI NFCS NFS NGF NHWS NMDA NNPS NNT NPSI NRM OARSI OMS ORL PCA PHRC PIO PLP PMP PNfS PRO PROTAU PTA PTH QCD QDSA QST RCH RCP

inhibiteur spécifique de la recapture de la sérotonine par voie intraveineuse lampe à fente La douleur et le patient douloureux (association) latéro-flexion droite latéro-flexion grauche facteur de libération de l'hormone lutéinisante libération immédiate libération prolongée morphine-6-glucuronide menace d'accouchement prématuré Mindfulness basée sur la thérapie cognitive Mindfulness basée sur la réduction du stress Maison départementale des personnes handicapées mélange équimolaire d'oxygène et de protoxyde d'azote maladie inflammatoire chronique de l'intestin missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation Mini-Mental State Examination médecine physique et de réadaptation médicament de substitution aux opiacés N-acétyl-para-benzoquinone imine Neonatal Facing Coding System numération formule sanguine Nerve Growth Factor National Health and Wellness Survey N-méthyl-D-aspartate neurone nociceptif postsynaptique number needed to treat Neuropathic Pain Symptom Inventory noyau raphé magnus Osteoarthritis Research Society International Organisation mondiale de la santé oto-rhino-laryngologie analgésie contrôlée par le patient Programmes hospitaliers de recherche clinique pression intra-oculaire plasma riche en plaquettes Pain Management Program stimulation du champ nerveux périphérique patient outcome report Programme de traitement antalgique en urgence plateformes territoriales d'appui parathormone Questionnaire concis de la douleur Questionnaire douleur de Saint-Antoine Quantitative Sensory Testing rectocolite hémorragique réunion de concertation pluridisciplinaire

XXII   Abréviations RGO RQTH RR rTMS tDCS RFE RVM SAPHO SCA SDPC SDC SDM SDRC SF SFAP SFAR SFEMC SFETD SFMU SFN SGPA SGPV SII SII-PI

reflux gastro-œsophagien reconnaissance de la qualité de « travailleur handicapé » respiration rate stimulation magnétique transcrânienne répétée stimulation transcrânienne à courant continu Recommandations formalisées d'experts médulla rostroventrale synovite-acné-pustulose-hyperostose-ostéite syndrome coronarien aigu syndrome douloureux pelvien complexe structure spécialisée douleur chronique syndrome drépanocytaire majeur syndrome douloureux régional complexe Short Form Société française d'accompagnement et de soins palliatifs Société française d'anesthésie et de réanimation Société française d'étude des migraines et des céphalées Société française d'étude et traitement de la douleur Société française de médecine d'urgence Société française de neurologie substance grise périaqueducale substance grise périventriculaire syndrome de l'intestin irritable syndrome de l'intestin irritable postinfectieux

SNA SNC SRNI SNP SOR SpO2 SSPI STA T2A TCC tDCS TDR TENS TEP TMS TNF TRP TSH UFR UM USC USP VIH VPL VS VZV WPAI

système nerveux autonome système nerveux central inhibiteur capture serotonine et noradrenaline stimulation nerveuse périphérique Standards, options, recommandations saturation pulsée en oxygène salle de surveillance postinterventionnelle syndrome thoracique aigu tarification à l'activité thérapie cognitivocomportementale stimulation électrique transcrânienne à courant continu test de diagnostic rapide neurostimulation électrique transcutanée tomographie par émission de positons stimulation magnétique transcrânienne Tumor Necrosis Factor Transient Receptor Potential Thyréostimuline unité de formation et de recherche ultra métaboliseur unité de soins continus unité de soins palliatifs virus de l'immunodéficience humaine ventro-postérolatéral vitesse de sédimentation virus varicelle-zona Adult Work Productivity and Activity Impairment Scale

Chapitre

1

De la douleur aiguë à la douleur chronique Bernard Calvino  PLAN DU CHAPITRE Douleur aiguë . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

5

Douleur aiguë C'est une expérience sensorielle et émotionnelle résultant des stimulations « nociceptives » de haute intensité qui déclenchent une cascade d'événements physiologiques conduisant à l'intégration des informations codant les différents aspects de la douleur [1]. Le prolongement dans le temps de la douleur aiguë conduit au développement d'une douleur chronique. La douleur perd sa signification de signal d'alarme pour évoluer vers un syndrome chronique. Les douleurs chroniques peuvent être soit des douleurs par excès de nociception (inflammation, sensibilisation des nocicepteurs, etc.), soit des douleurs neuropathiques (neuropathies périphériques ou neuropathies centrales). Il y a aussi des douleurs mixtes, à la fois douleurs par excès de nociception et douleurs neuropathiques, par exemple dans le cas des douleurs cancéreuses. Enfin, ont été considérées plus récemment (2018) par l'IASP les douleurs dites nociplastiques, qui résultent de la plasticité du système nerveux central (SNC) susceptible de modifier les systèmes de contrôle de la douleur et d'engendrer ainsi des douleurs sans cause apparente (par exemple la fibromyalgie) [2]. La douleur peut être modulée en fonction de la situation psychologique du sujet, mais aussi en fonction de son environnement (affectif, socioculturel, ethnologique, religieux, etc.). Cette modulation résulte de la mise en œuvre de contrôles inhibiteurs exercés par les voies descendantes, issus des structures corticales ou sous-corticales. La douleur aiguë résulte de la mise en jeu d'une triade : lésion-inflammation-douleur. Les informations nociceptives à l'origine de la douleur aiguë sont générées à la périphérie par la lésion qui va être à l'origine d'une inflammation : de nombreuses molécules, constituant la « soupe inflammatoire », sont synthétisées et libérées par les cellules lésées des tissus périphériques et les cellules immunocom-

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Douleur chronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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pétentes activées, susceptibles de sensibiliser et d'activer les nocicepteurs, du fait que leurs récepteurs sont exprimés par les terminaisons nerveuses des fibres périphériques. Les nocicepteurs ne répondent qu'à des stimulations nociceptives (mécanonocicepteurs, thermonocicepteurs, répondant au chaud et au froid, chémonocicepteurs qui répondent aux molécules algogènes de la soupe inflammatoire ou encore nocicepteurs polymodaux, qui répondent à plusieurs modalités de stimulations). Trois classes de neurones recevant des afférences des fibres sensorielles dans la corne dorsale de la moelle épinière (CDME) ont été identifiées (figure 1.1) : ■ les neurones nociceptifs spécifiques, qui ne répondent qu'à des stimulations périphériques nociceptives, reçoivent des afférences des fibres Aδ et C ; ■ les neurones nociceptifs non spécifiques, qui répondent à des stimulations périphériques de faible et de forte intensité, reçoivent des afférences de fibres sensorielles non nociceptives (fibres Aα, β) et nociceptives (fibres Aδ, C) ; ■ les neurones non nociceptifs spécifiques ne répondent qu'à des stimulations périphériques de faible intensité et n'interviennent pas dans l'intégration de l'information nociceptive. Les axones des neurones nociceptifs de la CDME constituent les faisceaux médullaires ascendants qui projettent leur information à différents niveaux supraspinaux. On distingue quatre sites supraspinaux de projection : ■ les noyaux du thalamus ventro-postérolatéral (VPL), noyaux spécifiques de la sensibilité tactile et de la nociception, à l'origine de la composante sensoridiscriminative de la douleur ; ■ des sites de projection bulbaires (noyau gigantocellulaire) et mésencéphaliques (substance grise périaqueducale et noyau cunéiforme), structures relais pour l'information nociceptive véhiculée par le faisceau spino-­réticulothalamique jusqu'au thalamus médian non spécifique ;

5

6   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

Encéphale

Contrôles inhibiteurs issus de l'encéphale

Tronc cérébral Neurones sérotoninergiques et noradrénergiques Contrôles Inhibiteurs Descendants (C.I.D.)

Faisceaux spinaux ascendants

Corne Dorsale de la Moelle Épinière (CDME) –

Moelle épinière

NNPS Ganglion de la racine dorsale Périphérie

Figure 1.1 Intégration du message nociceptif et contrôle modulateur. CDME : corne dorsale de la moelle épinière ; CID : contrôle inhibiteur descendant ; NNPS : neurone nociceptif postsynaptique.

■ l'hypothalamus intervient dans le contrôle des réactions végétatives de la douleur, mais aussi dans la libération d'hormones jouant un rôle dans le contrôle du stress ; ■ le complexe amygdalien, structure du système limbique, intervient dans les réactions affectives et émotionnelles de la douleur. Les sites de projection corticaux sont multiples et les interactions entre ces sites sont nombreuses. Tout d'abord, les neurones du thalamus VPL projettent leurs axones vers les aires somesthésiques S1 et S2 : les caractéristiques du message nociceptif y sont décodées, ce qui permet la genèse de la perception de la sensation douloureuse (qualité, localisation, intensité et durée). Ensuite, différents noyaux de l'encéphale impliqués dans la douleur projettent leurs axones vers les aires corticales préfrontales, le cortex insulaire et le cortex cingulaire antérieur, impliquées dans les réactions émotionnelles plus élaborées à la douleur. La douleur peut être modulée en fonction de de la situation psychologique du sujet, mais aussi en fonction de son environnement (affectif, socioculturel, religieux, géographique, etc.), mais aussi de sa situation psychologique. Cette modulation résulte de la mise en jeu de contrôles inhibiteurs exercés par des structures spinales et supraspinales. On distingue cinq catégories de systèmes de contrôle : ■ les contrôles segmentaires spinaux de la CDME, modélisés en 1965 par Melzack et Wall dans la « théorie du portillon » (« gate control theory »), qui reposent sur l'équilibre d'une balance entre deux activités exercées sur les neurones nociceptifs non spécifiques de la CDME [1]

(figure 1.2) : les activités activatrices segmentaires périphériques (véhiculées par les fibres nociceptives) et les activités inhibitrices segmentaires périphériques (véhiculées par les fibres non nociceptives). Ce mécanisme de régulation spinale est lui-même soumis à des contrôles descendants d'origine supraspinale ; ■ les contrôles inhibiteurs descendants, à l'origine de voies descendantes dans la moelle épinière, issues de la substance grise périaqueducale (SGPA) et mésencéphalique, et de la médulla rostroventrale (RVM) sérotoninergique (noyau raphé magnus [NRM] et noyaux paragigantocellulaire et gigantocellulaire). La stimulation de ces noyaux est à l'origine d'une analgésie résultant de ces contrôles inhibiteurs sur les neurones nociceptifs non spécifiques de la CDME. Les axones des neurones sérotoninergiques de la RVM se projettent sur tous les segments spinaux (du segment cervical au segment sacré), dans la CDME. On y associe les systèmes de contrôles inhibiteurs descendants noradrénergiques issus du locus cœruleus et du locus subcœruleus, qui fonctionnent sur le même modèle ; ■ les contrôles facilitateurs descendants, issus du tronc cérébral, exacerbent les stimulations nociceptives au niveau spinal. Une stimulation de la RVM à des intensités élevées déclenche des effets analgésiques (figure 1.2), mais, à des intensités plus faibles dans la même région, déclenche des effets facilitateurs pro-algiques, avec une discrimination anatomique entre des sites inhibiteurs antalgiques et d'autres facilitateurs pro-algiques. L'équilibre entre les deux systèmes descendants concurrents

Chapitre 1. De la douleur aiguë à la douleur chronique     7 0

Douleur

Analgésie Stimulation des fibres de gros diamètre Aα.β

Stimulation des fibres fines nociceptives Aδ.C

Fibres Aα.β

Fibres Aδ.C Périphérie –

I.I. : Interneurone Inhibiteur

+

Corne Dorsale de la Moelle Épinière (CDME)

I.I.

– N.N.P.S. : Neurone Nociceptif Post-Synaptique

+

NNPS

Encéphale

+

Figure 1.2 Contrôle médullaire de la douleur. CDME : corne dorsale de la moelle épinière ; II : interneurone inhibiteur ; NNPS : neurone nociceptif postsynaptique.

déterminerait le degré d'excitabilité des neurones de la CDME, qui à son tour modulerait la transmission de l'information douloureuse vers les structures centrales ; ■ les contrôles inhibiteurs diffus induits par une stimulation nociceptive (CIDN) sont déclenchés depuis tout territoire corporel distinct du champ excitateur des neurones nociceptifs non spécifiques activés (stimulation hétérotopique), à condition que le stimulus hétérotopique soit nociceptif. Ces CIDN constitueraient le support neurophysiologique de la contre-irritation, processus par lequel une douleur peut masquer une autre douleur ; ■ plus récemment, des contrôles issus de diverses structures cérébrales, en particulier de différentes aires du cortex et du système limbique, ont été décrits.

Douleur chronique Lorsqu'elle devient chronique, la douleur est à l'origine de mécanismes de sensibilisation, périphérique et centrale, qui vont modifier l'activité des systèmes physiologiques de la douleur aiguë décrits ci-dessus.

Sensibilisation périphérique Elle résulte du prolongement dans le temps des processus lésionnels périphériques. Les molécules de la soupe inflam-

matoire sont à l'origine de l'abaissement du seuil de réponse des nocicepteurs et de la potentialisation de l'activité électrique des fibres qui va être exacerbée.

Sensibilisation centrale Elle résulte de cette double propriété et s'exprime par une activation considérable des neurones nociceptifs de la CDME. La transmission glutamatergique y joue un rôle important, par l'intermédiaire de l'un des récepteurs du glutamate (neurotransmetteur libéré par les fibres nociceptives périphériques activées), le récepteur NMDA (un récepteur canal perméable aux cations), exprimé par les neurones nociceptifs de la CDME. Le BDNF (Brain-Derived Neurotrophic Factor), stocké dans les terminaisons centrales des fibres sensorielles nociceptives dans la CDME, jouerait un rôle de neuromodulateur dans la douleur chronique. Il pourrait réguler l'excitabilité des neurones nociceptifs postsynaptiques de la CDME.

Références [1] Melzack R, Wall PD. Pain mechanisms : a new theory. Science 1965 ; 150 : 971–9. [2] IASP https://www.iasp-pain.org/Education/Content.aspx ?Item­ Number=1698#Nociplasticpainhttps://w w w.iasp-pain.org/ Education/Content.aspx ?ItemNumber=1698#Nociplasticpain ; 2018.

Chapitre

2

De la physiologie et la physiopathologie de la douleur à la pharmacologie des antalgiques Alain Eschalier, Christine Courteix, Fabien Marchand, Denis Ardid  PLAN DU CHAPITRE Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . De la physiologie à la pharmacologie . . . . . . .

9 9

Introduction On peut, dans l'état actuel de la pharmacopée et des perspectives pharmacologiques, établir un continuum entre les connaissances physiologiques et physiopathologiques de la douleur d'une part, et la pharmacologie des antalgiques d'autre part. Ce continuum conduit à passer de la nociception, phénomène physiologique, aux modifications, en particulier neurochimiques, qui font le lit de la douleur, puis aux impacts pharmacologiques sur les systèmes à l'origine des perturbations physiopathologiques. Même si la complexité des phénomènes impliqués dans chacune de ces situations est bien réelle, il est possible d'en donner une vue, fatalement schématique, afin de conférer une logique, au moins partielle, à la thérapeutique médicamenteuse. C'est une approche de ce type que proposent Lussier et Beaulieu [1]. Leur classification des antalgiques associe des classes identifiées pour les unes par leur impact physiologique (antinociceptifs) ou physiopathologique (agents modulant les phénomènes de sensibilisation pour les douleurs neuropathiques) et, pour les autres, par leur effet symptomatique (antihyperalgésiques) ou leur cible neurophysiologique (contrôles descendants inhibiteurs ou transmission). Ce chapitre qui se situe donc entre les données du chapitre  1 « Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome » et celles du chapitre 14, « Traitements médicamenteux » est centré sur la présentation du continuum existant entre physiologie, physiopathologie et pharmacologie : il montre comment les antalgiques Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

De la physiopathologie à la pharmacologie . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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disponibles interfèrent de la périphérie aux centres avec la genèse, la transmission, la modulation et l'intégration du message douloureux. Cette analyse, focalisée sur les impacts neurochimiques des médicaments, se propose d'établir pour chaque classe un lien étroit avec les mécanismes physiologiques ou les changements physiopathologiques et de fournir ainsi au lecteur une vision mécanistique de la pharmacopée. Nous espérons qu'elle aidera le prescripteur à mieux intégrer la logique du choix médicamenteux, même si nous avons bien conscience que cette approche ne suffit pas à assurer une médecine vraiment personnalisée.

De la physiologie à la pharmacologie La physiologie de la nociception inclut l'ensemble des processus de codage des stimuli nociceptifs et la naissance de l'influx au niveau des nocicepteurs, sa conduction le long des fibres afférentes primaires, sa transmission spinale ou trigéminale et son intégration centrale responsable de la perception et qui permet la mise en œuvre de comportements d'évitement dans l'objectif du maintien de l'intégrité de l'organisme. Certaines molécules peuvent interférer avec les mécanismes impliqués dans ce cheminement : on parle de médicaments antinociceptifs. Dans une approche expérimentale, chez l'homme volontaire sain ou chez l'animal sain, ces molécules sont capables de modifier les seuils de réaction à un stimulus nociceptif ou le niveau de la réponse à un stimulus supraliminaire. 9

10   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome L'action antinociceptive de ces molécules réside dans leur capacité à moduler les mécanismes physiologiques et ainsi à ré­duire la perception nociceptive. La première cible est la détection/transduction du signal nociceptif qui permet au stimulus appliqué (thermique, mécanique, chimique) d'être transformé en influx nerveux puis conduit le long des fibres afférentes primaires. La première étape met en jeu des senseurs qui, activés par les stimuli élémentaires, permettent la genèse de l'influx nerveux via des mouvements ioniques. La conduction de l'influx est également due à des mouvements ioniques transmembranaires dépolarisants (sodiques ou calciques) et hyperpolarisants (potassiques) rendus possibles grâce à une famille de protéines : les canaux ioniques. Une fois véhiculé, l'influx est transmis au niveau de la corne postérieure de la moelle épinière (CPME), ou du noyau du trijumeau, via la première synapse établie entre les terminaisons des fibres afférentes et les neurones de projection. Ce dernier conduit l'influx vers les structures supraspinales, où d'autres synapses sont établies au sein de différents noyaux projetant l'influx jusqu'aux structures d'intégration telles que les aires somesthésiques. Chacun de ces transferts synaptiques est soumis à des mécanismes neurochimiques qui assurent la transmission du message et la régulation de celle-ci. À chacune de ces étapes, les acteurs neurochimiques physiologiquement impliqués aux niveaux neuronal (neuromédiateurs et récepteurs) ou glial (médiateurs et récepteurs) peuvent être des cibles de médicaments, activateurs ou inhibiteurs exogènes, susceptibles de moduler in fine la perception du message nociceptif. Trois types de médicaments, classiques, sont susceptibles d'interférer avec ces mécanismes physiologiques : les anesthésiques locaux, les opioïdes et le paracétamol. Les anesthésiques locaux sont des bloqueurs de canaux sodiques, protéines dépolarisantes qui participent à la conduction de l'influx nerveux, en particulier le long des fibres afférentes primaires. Le blocage de ces canaux réduit la conduction de l'influx nerveux, donc de différents stimuli parmi lesquels les stimuli nociceptifs. Ainsi, la lidocaïne (associée à la prilocaïne), bloqueur non spécifique des canaux sodiques, est utilisée sous forme de crème pour prévenir les douleurs nociceptives induites par les soins ou, comme d'autres anesthésiques locaux (ropivacaïne, bupivacaïne), dans l'anesthésie locorégionale. Parmi ces canaux, les canaux Nav1.7, très présents au niveau des fibres afférentes primaires, jouent un rôle important en physiologie et en physiopathologie de la douleur. Ainsi, une mutation par perte de fonction du gène codant ce canal est retrouvée chez des sujets congénitalement insensibles à la douleur, ce qui témoigne de son rôle physiologique [2]. Poursuivant le cheminement de l'influx nociceptif dans une perspective pharmacologique, nous arrivons à la première synapse entre les fibres afférentes primaires et les neurones de projection, synapse mettant en jeu principalement des acides aminés excitateurs (aspartate, glutamate) et des neuropeptides (substance P et CGRP [peptide relié au gène calcitonine]), chacun agissant sur une cible réceptorielle postsynaptique. L'application d'un stimulus nociceptif, fût-il aigu, induit, sous l'effet de la dépolarisation des fibres afférentes primaires, la libération de ces médiateurs et, ainsi, la transmission du message nociceptif vers les centres supérieurs. Il s'agit, en quelque sorte, de la voie de passage unique par laquelle transitent tous les influx nociceptifs, que

ce soit dans la CPME (zone extracéphalique) ou au niveau du noyau du trijumeau (région céphalique). Cette synapse est régulée, entre autres, par des opioïdes endogènes qui ont des cibles pré- et postsynaptiques, en particulier les récepteurs µ. Ces cibles sont les cibles naturelles des opioïdes exogènes, qui ont donc un effet régulateur, en l'occurrence inhibiteur, de la transmission nociceptive sur la voie de passage unique, ce qui explique leur efficacité. Ainsi, au niveau présynaptique, les opioïdes inhibent la libération des neuromédiateurs en inhibant indirectement les canaux calciques nécessaires au phénomène d'exocytose et, au niveau postsynaptique, ils induisent une hyperpolarisation des neurones de projection, réduisant leur aptitude à répondre à la stimulation des neuromédiateurs libérés dans la fente synaptique. Cet effet, initialement observé avec la morphine [3] et d'autres opioïdes (fentanyl, codéine, codéthyline) [4] chez des animaux soumis à des stimuli nociceptifs ponctuels, et non dans des modèles de douleur persistante, traduit bien l'effet des opioïdes sur le processus nociceptif physiologique. Cela a été à l'origine de la prise en charge de situations de douleurs aiguës par administration péridurale, voire dans un contexte de rachianesthésie. L'activation des récepteurs δ peut également moduler cette transmission, mais aucune molécule agissant spécifiquement sur ce récepteur n'est aujourd'hui commercialisée. La répartition des récepteurs µ étant relativement ubiquitaire dans le système nerveux, d'autres sites d'action, supraspinaux, participent à l'effet antinociceptif des opioïdes. Leur action supraspinale a d'ailleurs été évoquée avant le site médullaire. Ainsi, la présence de récepteurs µ au niveau bulbaire, thalamique, amygdalien et cortical et dans la SGPA sous-tend l'action supraspinale des opioïdes non seulement sur la transmission du message, mais également sur son intégration et sur les dimensions émotionnelles de la douleur [5, 6]. Le paracétamol s'inscrit également dans cette famille des médicaments antinociceptifs. Même si son efficacité est limitée, il augmente les seuils de réaction à des stimuli nociceptifs chez le sujet sain, rongeur [7] ou humain [8]. Actif en dehors de tout phénomène inflammatoire, cet antalgique module les systèmes de contrôle de la nociception, avec un effet impliquant la SGPA puis les contrôles inhibiteurs descendants bulbospinaux. Il exerce cet effet, via son métabolite actif, l'AM404, en mobilisant plusieurs systèmes de neuromédiation au sein de la SGPA : le système endocannabinoïde (récepteurs TRPV1 et CB1), glutamatergique (libération de glutamate et récepteurs métabotropiques mGluR5), gabaergique (libération de GABA) et le système sérotoninergique bulbospinal [9]. Cet effet, qui se manifeste dans ces situations secondaires à des stimuli nociceptifs mais sans inflammation est indépendant des cyclo-oxygénases. On pourrait sans doute ajouter à la liste le néfopam dont les études réalisées chez l'animal laissent à penser qu'il est capable de modifier des processus de contrôle physiologique de la douleur [10]. Ainsi ces différents médicaments disponibles sur le marché ont-ils la capacité de moduler, à différents niveaux et selon différents mécanismes, le message nociceptif induit par des stimulations brèves relevant plus de la physiologie que de modifications physiopathologiques durables. Cela n'exclut pas que ces mêmes produits puissent être actifs

Chapitre 2. De la physiologie et la physiopathologie de la douleur à la pharmacologie    11 v­ is-à-vis de douleurs aiguës, accompagnées de modifications physiopathologiques plus ou moins maintenues ou de douleurs chroniques sous-tendues par des mécanismes physiopathologiques installés.

De la physiopathologie à la pharmacologie La douleur source d'une souffrance qui relève d'un traitement s'accompagne de modifications physiopathologiques dont la nature, l'intensité et la durée varient en fonction des contextes pathologiques. Ainsi, on distingue classiquement les mécanismes physiopathologiques observés dans les douleurs par excès de nociception, aiguës ou chroniques, même s'il est vraisemblable que plusieurs mécanismes peuvent être en cause pour chacun de ces contextes, et ceux observés dans les douleurs neuropathiques chroniques. Nous décrirons ces mécanismes sans évoquer les mécanismes physiopathologiques de la migraine et ceux, plus hypothétiques, des douleurs nociplastiques. Douleurs par excès de nociception et douleurs neuropathiques peuvent être traitées par des médicaments de nature différente, dont l'utilisation et l'existence même sont plus souvent nées de l'empirisme clinique, voire du hasard, que d'une conception issue directement des connaissances physiopathologiques. Néanmoins, il est possible de rattacher telle ou telle famille de médicament antalgique aux mécanismes physiopathologiques avérés ou supposés de tel ou tel type de douleur.

Douleurs par excès de nociception, douleur inflammatoire Comme évoqué dans le chapitre « Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome », la triade lésion-inflammation-douleur constitue le fondement de nombreuses douleurs aiguës du quotidien (douleurs posttraumatiques, postopératoires, musculaires, etc.), mais aussi de douleurs chroniques dans lesquelles la situation inflammatoire est plus ou moins persistante (arthrites, poussées d'arthrose, etc.). La physiopathologie de ces douleurs implique une activation et une sensibilisation des nocicepteurs qui aboutit, outre la douleur spontanée, à une diminution des seuils de réaction à un stimulus nociceptif et une augmentation des réponses à un stimulus supraliminaire (hyperalgésie). Les mécanismes à l'origine de ces changements sont fortement liés à la « soupe inflammatoire » induite par la lésion tissulaire originelle. Ainsi, des médiateurs issus du plasma, de mastocytes, de neutrophiles, de macrophages ou du tissu lésé lui-même, voire des fibres afférentes via le réflexe d'axone, convergent vers le site lésionnel et activent leurs récepteurs spécifiques localisés sur les nocicepteurs conduisant à la genèse de l'influx nerveux. Cet afflux de médiateurs et l'activation des nocicepteurs aboutissent à un excès d'influx nociceptif à l'origine des douleurs ressenties. Les familles de médiateurs sont très variées : cytokines (TNF- α, IL-1β, etc.), bradykinine, histamine, sérotonine, lipides (prostaglandines, etc.), adénosine triphosphate (ATP), ions H +, nerve growth factor (NGF), etc. L'activation importante des nocicepteurs et les nombreux potentiels d'action induits au niveau des

fibres afférentes primaires provoquent un renforcement de la transmission synaptique dans le premier relais neuronal spinal et trigéminal. Cela aboutit, entre autres, à l'activation des récepteurs NMDA aux acides aminés excitateurs, source d'hyperexcitabilité des neurones de projection et, donc, de transmission majorée vers les centres supérieurs. Activation NMDA et neuro-­inflammation participent à la sensibilisation spinale qui fait le lit de la douleur chronique et sont alors accompagnées de modifications d'expression protéique (enzymes, canaux, récepteurs) qui entretiennent le phénomène. Phénomène également entretenu par l'impact que de telles modifications peuvent induire au niveau des centres supérieurs impliqués dans la transmission et la modulation du message nociceptif et de ceux impliqués dans la dimension affectivo-émotionnelle. Ainsi la douleur chronique devientelle un syndrome multidimensionnel dont la prise en charge ne peut être que multimodale. Dans ce contexte physiopathologique, plusieurs stades d'intervention pharmacologique sont possibles vis-à-vis de la dimension sensori-discriminative de la douleur inflammatoire. Ainsi, les médiateurs et leurs récepteurs situés sur les nocicepteurs constituent des cibles potentielles pour des médicaments antalgiques à action prioritairement périphérique. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), inhibiteurs des cyclo-oxygénases, exercent un effet analgésique périphérique en inhibant prioritairement la synthèse de prostaglandines qui jouent un rôle d'activateur et de sensibilisateur des nocicepteurs. Cet effet sur les nocicepteurs (qui n'est pas exclusif) associé à l'effet anti-inflammatoire explique l'intérêt des AINS pour maîtriser la douleur inflammatoire. À ce mécanisme peut s'ajouter un effet central des AINS qui traversent la barrière hémato-encéphalique ; effet central dû également à l'inhibition de cyclo-oxygénases spinales, à l'origine de la synthèse de prostaglandines d'origine neuronale et/ou gliale. Mais au-delà de l'exemple classique des AINS, d'autres produits peuvent exercer une action périphérique bénéfique dans ce type de douleur. C'est le cas des anticorps anti-NGF (tanézumab, fasinumab, fulranumab), dont la commercialisation pourrait survenir dans un délai assez bref, qui empêchent la fixation de ce facteur de croissance neuronal sur son récepteur TrkA et inhibent ainsi un des mécanismes d'activation et de sensibilisation des nocicepteurs. L'efficacité de cette biothérapie a été démontrée il y a plusieurs années dans diverses situations de douleurs par excès de nociception chez l'animal [11, 12] et, plus récemment, chez l'humain, par exemple dans les douleurs arthrosiques [13]. Toujours à la périphérie, il est légitime d'évoquer la possibilité d'activer les récepteurs opioïdes situés sur les nocicepteurs et dont l'expression est augmentée en situation inflammatoire pour accueillir des opioïdes endogènes libérés par les cellules immunocompétentes mobilisées dans cette situation. Une équipe allemande a conçu un fentanyl modifié, susceptible d'agir uniquement à pH bas, ce qui est le cas d'un état inflammatoire, et d'induire ainsi un effet antalgique [14]. Mais le site d'action périphérique n'est bien évidemment pas le seul site d'action possible pour réduire les douleurs par excès de nociception, particulièrement les douleurs inflammatoires. Les médicaments antinociceptifs (opioïdes, paracétamol, néfopam) sont aptes à réduire, plus ou moins

12   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome efficacement, ce type de douleur en inhibant la transmission du message selon les mécanismes évoqués plus haut. Ils deviennent donc antihyperalgésiques, s'opposant aux perturbations observées dans la douleur inflammatoire, parmi lesquelles, justement, l'hyperalgésie, mais aussi, bien sûr, la douleur spontanée. D'autres produits, comme la kétamine, peuvent être qualifiés d'antihyperalgésiques. Antagoniste du récepteur NMDA, elle inhibe un élément clé de l'excès de nociception et de la sensibilisation centrale. Cela justifie son utilisation possible contre la douleur postopératoire, contexte qui bénéficie aussi de son effet anti-inflammatoire, qui relève de plusieurs mécanismes [15]. Son action d'inhibition de l'hyperalgésie aux opioïdes est aussi une raison de son utilisation dans ce contexte. Enfin, des produits moins classiques pour la douleur inflammatoire pourraient, au moins selon des études chez l'animal, avoir également un intérêt dans ces douleurs. C'est le cas, par exemple, des antiépileptiques : plusieurs études menées dans des modèles animaux de douleur inflammatoire révèlent leur efficacité [16]. Les mécanismes suspectés, variés et sans doute différents en fonction du type d'antiépileptique, peuvent s'exercer sur les fibres afférentes et/ou dans la CPME (inhibition de la sous-unité α2δ des canaux calciques, blocage des récepteurs NMDA, activation de canaux potassiques, etc. [gabapentinoïdes] ; inhibition de canaux sodiques [carbamazépine, oxcarbazépine]) ou sur les contrôles descendants (activation des voies sérotoninergiques ou noradrénergiques).

Douleurs neuropathiques Les douleurs neuropathiques sont des douleurs chroniques secondaires à une lésion ou une maladie du système nerveux somatosensoriel. Les altérations de ce système, qui peuvent être d'origine traumatique, métabolique, ischémique, neurodégénérative, tumorale, iatrogène, infectieuse, etc., conduisent à un déséquilibre entre les systèmes excitateurs (facilités) et inhibiteurs (réduits) de la transmission nociceptive. Ce déséquilibre aboutit à une hyperexcitabilité liée à des modifications anatomiques, électrophysiologiques, moléculaires, périphériques et/ou centrales. L'hyperexcitabilité sous-jacente dépend des capacités neuroplastiques du système nerveux, qui affectent les canaux ioniques, l'activité des neurones de projection et les systèmes inhibiteurs et facilitateurs. Ainsi, on observe, dans les neuropathies périphériques, une augmentation de l'expression et une modification de la distribution et de la fonction de certains canaux ioniques dépolarisants tels que les canaux sodiques, calciques ou TRP (Transient Receptor Potential). L'ensemble de ces phénomènes conduit à une excitabilité accrue des fibres afférentes, à des décharges ectopiques, par exemple au niveau d'un névrome, à une libération accrue de neurotransmetteurs et, donc, à une augmentation de la transmission synaptique spinale vers les neurones de projection. On observe également une diminution de l'expression de canaux hyperpolarisants de type potassique. Ainsi, les récepteurs NMDA, localisés sur les neurones de projection, sont activés à la suite de décharges continues issues des fibres afférentes, ce qui permet l'entrée

massive de calcium, à l'origine de phénomènes intracellulaires qui aboutissent à l'hyperexcitabilité de ces neurones. Cette hyperexcitabilité est renforcée par une levée des systèmes inhibiteurs spinaux (interneurones gabaergiques, qui peuvent aussi devenir source d'excitabilité !), ou bulbospinaux noradrénergiques. Des phénomènes d'origine gliale (libération de cytokines TNF-α, IL-1β, BDNF) participent aussi à cette hyperexcitabilité via la neuro-inflammation induite. Ainsi, dans ce contexte de sensibilisation centrale, l'augmentation de l'activité des neurones de deuxième ordre conduit à une augmentation de leur réponse à différentes modalités sensorielles (dont des stimuli mécaniques de faible intensité) et participe à étendre leur champ récepteur. Ces phénomènes spinaux ont des effets sur les structures supraspinales de la « pain matrix » (terme qui désigne un ensemble de structures cérébrales activées en réponse à un stimulus nociceptif) qui participent ainsi non seulement au phénomène douloureux mais également aux comorbidités associées à cette douleur chronique. Deux classes thérapeutiques sont les traitements de première intention de ces douleurs : les antidépresseurs et les antiépileptiques [17]. Les éléments physiopathologiques de ces douleurs, tels que décrits ci-dessus, fournissent le substratum à leur mécanisme d'action sur la dimension sensoridiscriminative, tel qu'admis aujourd'hui. Cela n'exclut pas que leurs effets psychotropes puissent aussi participer à l'amélioration générale des patients. Concernant les antidépresseurs, le premier constat est que seuls les inhibiteurs mixtes de la recapture de la noradrénaline et de la sérotonine (IRSNA) sont efficaces, alors que les inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine (ISRS) ne le sont pas. Ce constat, clairement confirmé par des études cliniques, exclut un mécanisme sérotoninergique alors même que la sérotonine est un modulateur majeur du message nociceptif. Il existerait donc une forme de résistance des douleurs neuropathiques à l'effet antalgique de la sérotonine, résistance qui mérite exploration. Quoi qu'il en soit, ces données montrent qu'il est nécessaire qu'une composante noradrénergique soit mobilisée pour que les antidépresseurs (imipraminiques ou IRSNA) soient efficaces. L'hypothèse privilégiée est que ces antidépresseurs inhibent la recapture de la noradrénaline libérée par les terminaisons spinales des voies inhibitrices descendantes bulbospinales. Par ce mécanisme, les antidépresseurs renforcent un système de contrôle inhibiteur dont l'activité est réduite dans les douleurs neuropathiques. Nombre d'entre eux sont des produits pharmacologiquement « sales », car ils agissent sur plusieurs cibles moléculaires : canaux ioniques ou récepteurs NMDA, α-adrénergiques ou encore histaminergiques, etc. Ces effets, considérés comme annexes à l'inhibition de la recapture, peuvent néanmoins participer à l'action thérapeutique de ces molécules. En effet, certaines de ces cibles sont impliquées dans la physiopathologie des douleurs neuropathiques. Ainsi, le blocage des canaux sodiques pourrait participer à l'effet des imipraminiques et de la venlafaxine. Il convient d'évoquer ici le tramadol, antalgique opioïde qui possède aussi la capacité d'inhiber la recapture de sérotonine et de la noradrénaline, ce qui lui confère une certaine légitimité dans la prise en charge des patients souffrant de douleurs neuropathiques.

Chapitre 2. De la physiologie et la physiopathologie de la douleur à la pharmacologie    13 Les antiépileptiques sont conceptuellement des médicaments qui s'opposent à l'hyperexcitabilité neuronale. Or cet effet peut être obtenu soit en inhibant les effets et/ou la libération de neuromédiateurs excitateurs (par exemple les acides aminés excitateurs agissant sur le récepteur NMDA), soit en inhibant les canaux ioniques dépolarisants (sodiques, calciques), soit en activant les systèmes neuronaux inhibiteurs (par exemple le système gabaergique) ou les canaux ioniques hyperpolarisants (potassiques). Ces différentes cibles protéiques sont impliquées dans la physiopathologie des douleurs neuropathiques (cf. ci-dessus). On comprend alors que les antiépileptiques puissent avoir une place dans ce contexte pathologique. Les gabapentinoïdes (gabapentine et prégabaline) sont recommandés, comme les antidépresseurs, en première intention pour le traitement des douleurs neuropathiques [17]. Ces produits, nous l'avons dit plus haut, sont des inhibiteurs de la sous-unité α2δ des canaux calciques 2.1 et 2.2, dont il a été montré qu'elle était surexprimée au niveau des ganglions spinaux dans des modèles de neuropathie. Les canaux calcique 2.2 sont d'ailleurs la cible du ziconotide, Ω-conotoxine, indiqué dans le traitement de certaines douleurs neuropathiques rebelles, mais produit administrable uniquement, hélas, par voie intrathécale, ce qui en limite l'emploi. Une autre cible des antiépileptiques est représentée par les canaux sodiques, dont la carbamazépine et l'oxcarbazépine sont inhibiteurs. Enfin, il convient de souligner que la carbamazépine, traitement de référence de la névralgie du trijumeau interfère avec le système gabaergique. Elle renforce la transmission gabaergique en activant le récepteur GabaA ; ainsi, en termes de douleur, elle renforce un système inhibiteur antalgique. Au-delà de ces deux familles classiquement utilisées dans le traitement des douleurs neuropathiques d'autres produits sont utilisés en deuxième, voire troisième intention [17]. Les données physiopathologiques évoquées plus haut peuvent expliquer, au moins en partie, leur intérêt. Par exemple, la lidocaïne, anesthésique local, se justifie comme traitement (recommandé en deuxième intention) dans les douleurs neuropathiques du fait de sa capacité à bloquer les canaux sodiques. La capsaïcine, également indiquée en deuxième intention, est, elle, un agoniste des récepteurs canaux TRPV1 présents sur les nocicepteurs et (en moindre quantité) dans le SNC. Elle induit initialement, lors de son application superficielle, chaleur, brûlure, sensation de piqûre, démangeaison, puis, secondairement, une sorte de « défonctionnalisation » des nocicepteurs par une activation massive des récepteurs TRPV1 qui conduit à un influx très important de calcium qui est toxique pour les fibres afférentes. L'administration intradermique ou souscutanée de toxine botulique A, recommandée en troisième intention, s'est révélée efficace chez des patients atteints de douleur neuropathique [18, 19]. Son effet est indépendant de son action sur le tonus musculaire et pourrait relever d'un effet neuro-immunologique central lié à une interférence avec la microglie et la production de cytokines. Il convient enfin de citer ici les opioïdes. Classiquement considérés comme inefficaces dans les douleurs neuropathiques, on admet aujourd'hui leur efficacité dans certains sous-groupes de patients.

Conclusion Les mécanismes physiopathologiques résumés dans ce chapitre – dont la connaissance provient très souvent, mais pas exclusivement, des résultats d'études précliniques in  vivo, ex vivo ou in vitro – fournissent un substratum pathogénique aux douleurs par excès de nociception et aux douleurs neuropathiques. L'évolution de ces connaissances de plus en plus nombreuses et sophistiquées, en particulier grâce aux progrès technologiques aurait dû conduire à l'émergence de nouveaux concepts pharmacothérapeutiques. Hélas, la réalité de la pharmacopée, en voie de raréfaction et constituée de produits dont le ratio bénéfice-risque est souvent insatisfaisant, est aujourd'hui tout autre. Pourtant, les connaissances physiopathologiques permettent de mieux comprendre et souvent de justifier l'utilisation de tel ou tel antalgique dans la prise en charge des syndromes douloureux mentionnés dans ce chapitre. L'objectif de ce dernier était d'illustrer ce lien, afin d'aider le praticien dans sa démarche thérapeutique. Nous aurions aimé pouvoir intégrer à ces réflexions les douleurs nociplastiques, mais les données physiopathologiques, en particulier neurochimiques, sont telles qu'il n'est pas possible aujourd'hui d'en extraire des éléments consensuels susceptibles de justifier l'utilisation de tel ou tel médicament, même si la prégabaline la duloxétine et le minalcipran ont une autorisation de mise sur le marché aux États-Unis pour la fibromyalgie.

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Chapitre

3

Imagerie cérébrale de la douleur Roland Peyron PLAN DU CHAPITRE Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Physiologie de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . Empathie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

15 15 16

Résumé L'imagerie fonctionnelle cérébrale appliquée à l'étude des phénomènes douloureux chez l'homme a permis, au cours des vingt-cinq dernières années, de préciser les aires cérébrales impliquées dans cette fonction, mais aussi les aires permettant les modulations nociceptives, et, enfin, les zones impliquées dans les contrôles antalgiques. Contre tous préjugés, ce sont les aires operculaires (aire somatosensorielle secondaire [S2]) et insulaires qui sont le plus constamment activées par une stimulation douloureuse en plus du thalamus, de l'aire somatosensorielle primaire (S1) et du cortex cingulaire antérieur (CCA). Des modulations peuvent intervenir sur ce circuit, mettant en jeu le cortex cingulaire et les aires pariétales. À la suite d'une stimulation nociceptive sévère, des contrôles antalgiques puissants de nature opioïdergiques se mettent en place et concernent le cortex orbito-frontal, le cortex cingulaire péri- et sous-génual et la SGPA.

Introduction Depuis 1991, les techniques d'imagerie fonctionnelle permettent l'accès, in vivo, au fonctionnement du cerveau de volontaires soumis à un stimulus douloureux [1]. Auparavant, la connaissance des circuits de la douleur était fondée sur l'expérimentation animale et sur les extrapolations à partir de la somesthésie. Les études de physiologie douloureuse chez le volontaire sain se sont multipliées pour appréhender les mécanismes qui composent cette sensation composite caractéristique de la douleur physiologique. Les mêmes techniques d'imagerie peuvent ensuite être déclinées pour étudier les douleurs chroniques (par exemple les douleurs neuropathiques), à des fins de compréhension des mécanismes physiopathologiques et des mécanismes antalgiques. Ces techniques ont beaucoup bénéficié de l'apport d'autres explorations, comme les enregistrements intracrâniens [2] ou les stimulations intracrâniennes directes [3] menés chez des patients ayant des électrodes implantées Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Douleurs chroniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Solutions antalgiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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pour inventorier une épilepsie rebelle. Ces techniques ont ainsi permis d'identifier un nombre restreint de régions cérébrales dans lesquelles les neurones codent l'intensité de la stimulation douloureuse. Leur stimulation induit une sensation douloureuse. Sans parler de spécificité, il est actuellement acquis que le cortex présente des réponses nociceptives corticales (physiologiques).

Physiologie de la douleur Les aires déjà impliquées dans la somesthésie (thalamus, aire S1) étaient considérées comme susceptibles de générer une réponse nociceptive. Dans les années 2000, il apparaît, à l'imagerie fonctionnelle, que ces aires, contre toute attente, ne procurent pas systématiquement une réponse nociceptive (figure 3.1) [1]. Les opercules pariétaux et les insula s'activaient, quant à eux, systématiquement dès lors que la stimulation calorique devenait nocive. D'autres réponses moins constantes et moins prévisibles surviennent en cas de stimulation douloureuse : cortex préfrontaux, cingulaires moyens (aire 24) et pariétaux postérieurs (aire 40) sont activés en réponse à une tâche attentionnelle dirigée vers l'espace corporel recevant la stimulation. Le réseau moteur est recruté si la douleur a été suffisamment intense pour générer un retrait ou si la consigne était de maintenir une immobilité stricte de la zone stimulée. Ce réseau moteur implique l'aire motrice supplémentaire, le cortex moteur primaire et le cervelet ipsilatéral. Autrement dit, le cerveau est capable d'identifier qu'une stimulation calorique atteint un niveau nociceptif dans des aires discriminantes. C'est là la réponse minimale, mais il est capable en même temps de conduire une réponse attentionnelle, de générer une réponse motrice, de localiser avec précision la zone agressée, de constituer une réponse émotionnelle, etc. Les stimulations intracérébrales directes ont beaucoup aidé à comprendre la signification fonctionnelle de chacune de ces activations parallèles : lors des expertises ­préopératoires de 15

16   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

Figure 3.1 La douleur dans le cerveau ?

patients atteints d'épilepsie rebelle préchirurgicale, des électrodes enregistrant les crises sont implantées. Elles peuvent servir à stimuler le cerveau directement. Seuls 11 % de plus de 4 000 stimulations disséminées dans tout le cerveau ont déclenché une sensation douloureuse sans équivoque, mais toutes ces stimulations étaient de localisation operculaire (S2) et/ou insulaire postérieure [3]. Cela suggère que la capacité des aires operculo-insulaires à générer de la douleur est forte, à la différence des autres aires cérébrales, y compris celles du gyrus cingulaire. Si l'on stimule la peau avec un laser, les électrodes enregistrant des réponses proportionnelles à la perception douloureuse sont essentiellement observées dans ces mêmes aires [2]. Les aires capables de générer de la douleur ont donc aussi une capacité discriminative leur permettant de distinguer une stimulation thermique indolore d'une stimulation douloureuse, alors que d'autres régions peuvent avoir d'autres fonctions, attentionnelle (pariétal postérieur et préfrontal), émotionnelle (insula antérieure et cortex orbitofrontal) ou motrice (système moteur). Deux exemples en pathologie confirment ces données : l'épilepsie, modèle de décharge neuronale, peut produire des symptômes douloureux si l'origine de la crise ou sa propagation est operculaire ou insulaire [4]. À l'inverse, une lésion focale du cerveau dans la région de S2 et de l'insula postérieure peut abolir la fonction nociceptive, le patient se trouvant dans l'incapacité de percevoir une stimulation nocive de 50 °C ou la piqûre de l'infirmière en vue d'une prise de sang [5].

Empathie Une partie de ce même réseau se trouve activée quand la douleur est générée à la vue de la souffrance d'autrui (empathie). Logiquement, les aires perceptives ou ­discriminatives décrites plus haut ne sont pas recrutées,

puisque le sujet n'est pas lui-même soumis à la sensation physique de douleur [6].

Douleurs chroniques Appliquer l'imagerie fonctionnelle aux douleurs chroniques, notamment neuropathiques vise à explorer des mécanismes physiopathologiques. Des réorganisations du thalamus, des aires insulaires, operculaires et du cortex préfrontal sont observées. Plus précisément, la tomographie par émission de positons (TEP) permet d'aborder les questions de la médiation chimique des informations nociceptives ou des réorganisations cérébrales qui font la pathologie, ou encore de la médiation de phénomènes antalgiques. Des anomalies du système endorphinique ont ainsi été rapportées dans plusieurs pathologies douloureuses chroniques.

Solutions antalgiques Du point de vue du soignant, s'intéresser aux mécanismes susceptibles d'apporter un soulagement est important. Des études ont évalué les effets sur l'activité cérébrale d'un certain nombre de solutions antalgiques : la diversion, l'hypnose, les opiacés ou l'effet placebo, qui créent des activités concentrées dans le cortex frontal médian, le cingulaire rostral, et le cortex orbito-frontal. Il est admis que ces structures puissent être à l'origine de contrôles inhibiteurs via la SGPA et que cette région puisse être impliquée dans des mécanismes antalgiques physiologiques. La neurostimulation du cortex moteur, technique empirique, soulage la douleur des patients dans 60 % des cas sans que l'on en comprenne les mécanismes. Les activités qu'induit ce neuro­stimulateur concernent les aires à distance, le thalamus, le cortex

Chapitre 3. Imagerie cérébrale de la douleur     17 c­ ingulaire rostral ou la SGPA. Dans ces deux dernières aires, les activités sont corrélées à l'effet antalgique [7]. Cela nous rappelle que la neurostimulation de la SGPA a été développée, de manière empirique elle aussi, avec certains succès thérapeutiques, dans les années 1950, et que le cortex cingulaire rostral pouvait être considéré comme une cible potentielle pour la neurostimulation de ces patients, d'autant que ces structures sont accessibles à l'imagerie de par leur richesse en récepteurs opioïdes.

Références [1] Peyron R, Laurent B, Garcia-Larrea L. Functional imaging of brain responses to pain. A review and meta-analysis (2000). Neurophysiol Clin 2000 ; 30 : 263–88.

[2] Frot M, Magnin M, Mauguiere F, Garcia-Larrea L. Human SII and posterior insula differently encode thermal laser stimuli. Cereb Cortex 2007 ; 17 : 610–20. [3] Mazzola L, Isnard J, Peyron R, Mauguiere F. Stimulation of the human cortex and the experience of pain : Wilder Penfield's observations revisited. Brain 2012 ; 135 : 631–40. [4] Isnard J, Guénot M, Ostrowsky K, Sindou M, Mauguière F. The role of the insular cortex in temporal lobe epilepsy. Ann Neurol 2000 ; 48 : 614–23. [5] Garcia-Larrea L, Perchet C, Creac'h C, Convers P, Peyron R, Laurent B, et al. Operculo-insular pain (parasylvian pain) : a distinct central pain syndrome. Brain 2010 ; 133 : 2528–39. [6] Singer  T, Seymour  B, O'Doherty  J, Kaube  H, Dolan  RJ, Frith  CD. Empathy for Pain Involves the Affective but not Sensory Components of Pain. Science 2004 ; 303 : 1157–62. [7] Maarrawi J, Peyron R, Mertens P, Costes N, Magnin M, Sindou M, et al. Brain opioid receptor density predicts motor cortex stimulation efficacy for chronic pain. Pain 2013 ; 154 : 2563–8.

Chapitre

4

Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques de l'enfant Barbara Tourniaire  PLAN DU CHAPITRE Évaluer l'intensité de la douleur . . . . . . . . . . . Une évaluation globale nécessaire dans la douleur chronique de l'enfant. . . . . . .

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24

23

POINTS ESSENTIELS L'évaluation de la douleur est possible à tous les âges avec des échelles validées. À partir d'environ 5 ans, les enfants sont eux-mêmes capables d'évaluer leur propre douleur. Avant cet âge, une hétéroévaluation est nécessaire, fondée sur l'observation. Dans la douleur chronique, outre l'intensité de la douleur, son retentissement sur la vie de l'enfant et de sa famille doit être évalué.

Comme chez l'adulte, l'évaluation de la douleur est incontournable pour la mise en place d'une stratégie thérapeutique adaptée. L'évaluation n'est pas un acte simple ni isolé. Il s'agit d'un processus complet et complexe qui ne se réduit pas à l'intensité de la douleur. Évaluer consiste à comprendre au plus près ce que l'enfant éprouve. Comme chez l'adulte, l'évaluation doit tenir compte des caractéristiques de la douleur, de sa description, son intensité, sa fréquence, sa durée, sa localisation, mais aussi de son retentissement, en termes d'impact fonctionnel, de qualité de vie, d'absentéisme scolaire et de retentissement familial. Tous ces éléments seront recueillis avec pertinence si le contact avec l'enfant et sa famille a été établi. Évaluer nécessite donc d'observer finement et d'entrer en relation. La démarche d'évaluation ne se réduit donc jamais à l'utilisation d'échelles, d'autant moins que la douleur sera prolongée ou chronique. La douleur devra alors être replacée dans le contexte de vie de l'enfant, dans son histoire et celle de sa famille. Les premières recommandations françaises sur la douleur de l'enfant datent de 2000 : un texte de la Haute Autorité Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

À qui, et quand adresser un enfant ou un adolescent en structure douleur ? . . . . . . . . . .

de santé (HAS) précise les données de l'évaluation dans la douleur aiguë de l'enfant [1]. L'évaluation de la douleur de l'enfant comme de l'adulte est aussi un critère exigible de la certification. Nous ne disposons pas de recommandations spécifiques sur l'évaluation de la douleur chronique de l'enfant, ni d'une définition spécifique de la douleur chronique en pédiatrie : en particulier, la même durée que chez l'adulte doit-elle être retenue, surtout chez les enfants les plus petits ? Le développement psychomoteur de l'enfant et sa compréhension des événements détermineront la façon dont le soignant entrera en contact avec l'enfant et évaluera la douleur.

Évaluer l'intensité de la douleur De la douleur aiguë à la douleur prolongée Dans la douleur aiguë sont surtout présents des signes tels que les cris, les protestations, les pleurs ou l'évitement ; ces signes sont évidents, très sensibles, mais peu spécifiques car aussi parfois présents dans la colère ou la peur. Cependant, le travail d'équipes de recherche a mis en évidence, sur le visage des nouveau-nés, des signes plus spécifiques de la douleur, ce qui permis le développement d'échelles fondées sur l'observation du visage du nouveau-né (échelle Neonatal Facial Coding System [NFCS]). Jusqu'à l'âge d'environ 6 ou 7 ans, le visage des enfants est très expressif, incapables de masquer les émotions. La douleur est assez facilement repérable à la lecture du visage et du corps, selon l'expressivité de l'enfant, ce qui a permis le développement d'échelles d'hétéroévaluation, fondées sur l'observation. Avec l'âge, les enfants apprennent à contenir 21

22   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome leurs émotions, et leur visage n'est plus forcément le témoin de leur douleur. Le rôle de l'éducation, de la famille et de la culture est très important dans la façon dont l'expression des émotions et, donc, de la douleur, est encouragée ou au contraire réfrénée. Des outils d'évaluation de la douleur, fondés sur l'observation, ont été développés et validés chez l'enfant, en fonction de l'âge et de la situation clinique : par exemple, des échelles spécifiques ont été élaborées pour le nouveau-né, pour l'enfant polyhandicapé, etc. Ces échelles sont toutes disponibles sur le site français de la douleur de l'enfant : www.pediadol.org et dans le guide L'Essentiel de la douleur [2]. Il s'agit d'une hétéroévaluation. Depuis la fin des années 1980, la situation d'enfants « trop calmes » a été décrite : un faciès pauvre, peu, voire pas de plaintes, une immobilité ou des positions inhabituelles, très peu d'interactions avec l'entourage, etc. Ces symptômes qui passaient et passent encore trop souvent inaperçus, sont les signes d'une douleur prolongée de l'enfant. Des échelles spécifiques ont été créées pour les enfants atteints de douleurs du cancer, mais sont utilisables pour toute douleur intense prolongée  : Douleur Enfant Gustave-Roussy (DEGR) et Hétéro­évaluation de la douleur de l'enfant (HEDEN). Mais dans les douleurs intenses, en particulier chez les enfants petits, ce tableau d'enfant « trop calme », verbalisant

peu la douleur, « envahi de douleur » apparaît parfois en quelques heures à quelques jours, par exemple lors de douleurs traumatologiques (fractures ou brûlures) ou de douleur postopératoire, mais aussi de gingivostomatite, dont le tableau doit donc être connu de tous les praticiens. Plus récemment, l'échelle française EVENDOL (figure 4.1) a été conçue et validée pour les enfants âgés de 0 à 7 ans dans les situations de douleur aiguë ou prolongée. Elle contient des items de ces deux types de douleur, elle est simple et utilisable rapidement, ne nécessitant que quelques minutes d'appropriation ; les consignes figurent sur l'échelle. L'utilisateur observe l'enfant quelques minutes avant de l'approcher ou de l'examiner, puis lors de l'examen. Sont observés : ses plaintes (si l'enfant pleure, crie, gémit ou se plaint), son visage (front plissé, sourcils froncés, bouche crispée), ses mouvements (adopte une attitude inhabituelle, s'agite, se raidit, se crispe, cherche protection), ses interactions (peut être consolé, échange avec autrui, s'intéresse aux jeux, etc.). C'est actuellement cette échelle qu'il faut retenir en première intention.

Repères selon l'âge Dès les premières années de vie (environ l'âge de 2 ans), les enfants sont capables de désigner les zones douloureuses de leur corps et de faire comprendre à autrui qu'ils ont mal par

Echelle validée de la naissance à 7 ans. Score de 0 à 15, seuil de traitement 4/15. Notez tout ce que vous observez... même si vous pensez que les signes ne sont pas dus à la douleur, mais à la peur, à l'inconfort, à la fatigue ou à la gravité de la maladie. Nom Signe absent

Antalgique

Signe Signe moyen ou environ faible ou passager la moitié du temps

Signe fort ou quasi permanent

Evaluation à l'arrivée au repos1 au calme (R)

à l'examen2 ou la mobilisation (M)

R

Evaluations suivantes Evaluations après antalgique3 M

R

M

R

M

R

M

Expression vocale ou verbale pleure et/ou crie et/ou gémit et/ou dit qu'il a mal

0

1

2

3

0

1

2

3

0

1

2

3

0

1

2

3

diminuée 1

très diminuée 2

absente 3

Mimique a le front plissé et/ou les sourcils froncés et/ou la bouche crispée

s'agite et/ou se raidit et/ou se crispe Positions a une attitude inhabituelle et/ou antalgique et/ou se protège et/ou reste immobile Relation avec l'environnement peut être consolé et/ou s'intéresse aux jeux et/ou communique avec l'entourage Remarques

normale 0

Score total /15 Date et heure Initiales évaluateur

Zid et Zen communication - 01 46 49 96 79 - 08/12

Mouvements

Au repos au calme (R) : observer l'enfant avant tout soin ou examen, dans les meilleures conditions possibles de confort et de confiance, par exemple à distance, avec ses parents, quand il joue... A l'examen ou la mobilisation (M) : il s'agit de l'examen clinique ou de la mobilisation ou palpation de la zone douloureuse par l'infirmière ou le médecin. Réévaluer régulièrement en particulier après antalgique, au moment du pic d'action : après 30 à 45 minutes si oral ou rectal, 5 à 10 minutes si IV. Préciser la situation, au repos (R) ou à la mobilisation (M). Echelle validée pour mesurer la douleur (aiguë ou prolongée avec atonie), de 0 à 7 ans, en pédiatrie, aux urgences, au SAMU, en salle de réveil, en post-opératoire - Référence bibliographique : Archives de Pédiatrie 2006, 13, 922, P129–130. Archives de Pédiatrie 2012, 19, 922, P42–44. Journées Paris Pédiatrie 2009 : 265–276. Pain 2012, 153 : 1573–1582. Contact : [email protected] - © 2011 - Groupe EVENDOL 1 2 3

Figure  4.1 Échelle EVENDOL Copyright Groupe EVENDOL. Échelle reproduite avec l'autorisation des auteurs. Fournier-Charrière E, Tourniaire B, Carbajal R, Cimerman P, Lassauge F, Ricard C, Reiter F, Turquin P, Lombart B, Letierce A, Falissard B. EVENDOL, a new behavioral pain scale for children ages 0 to 7 years in the emergency department: design and validation. Pain 2012 Aug ; 153(8) : 1573–82.

Chapitre 4. Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques de l'enfant    23 des mots simples ou des mimiques. Le plus souvent, l'entourage proche sera le plus à même de décrypter les signes de douleur des plus petits. Mais leurs capacités d'évaluation s'arrêteront souvent là, le reste de l'interrogatoire sera fait avec les parents. Pour obtenir une évaluation de la part d'un enfant, les façons de l'approcher et de s'adresser à lui seront primordiales. Les enfants, jusqu'à l'âge de 4 ans, parfois même plus, pensent que les adultes devinent tout et ne comprennent pas spontanément l'importance qu'il y aurait à leur expliquer ce qu'ils ressentent. Il doit leur être clairement dit que nous pensons qu'il a mal, que nous aimerions qu'il nous montre où, puis, selon l'âge, qu'il nous indique comment et « à combien ».

Avant l'âge de 4 à 5 ans Avant 4 à 5  ans, l'observation par un tiers (hétéro­ évaluation) est donc la seule possibilité pour évaluer l'intensité d'une douleur.

À partir de 4 ou 5 ans À partir de 4 ou 5 ans, l'enfant peut commencer à décrire qualitativement et quantitativement sa douleur, mais il faudra un interlocuteur patient et attentif, qui lui pose des questions simples. L'enfant de cet âge-là est persuadé que les adultes devinent tout et devra être encouragé à expliquer ce qu'il ressent.

À partir d'environ 5 ans À partir d'environ 5 ans, apparaissent les premières possibilités d'auto­-évaluation de l'intensité de la douleur, et l'échelle des six visages peut alors être utilisée. En cas de doute sur la compréhension de l'enfant ou de discordance avec l'observation, une hétéroévaluation sera réalisée (figure. 4.2).

À partir de 6 ans À partir de 6 ans, l'autoévaluation avec l'échelle visuelle analogique (EVA) est possible, en utilisant une échelle verticale, plus large en haut qu'en bas (figure. 4.3).

À partir de 8 ans À partir de 8 ans, une ENS (échelle numérique simple) peut être demandée à l'enfant, avec une note entre 0 et 10, car il sait non seulement compter, mais a compris la proportionnalité des chiffres entre 0 et 10.

Localisation de la douleur Les enfants pourront dès environ 6 ans, parfois avant, indiquer sur le schéma du bonhomme les zones de douleur ; avec l'âge, ils pourront utiliser plusieurs couleurs selon les intensités de douleur.

Douleur neuropathique Une échelle spécifique de la douleur neuropathique chez les enfants est en cours de publication : le DN4 pédiatrique, décrivant au moyen de dessins et de mots adaptés les caractéristiques des douleurs neuropathiques. Tous ces outils sont disponibles sur le site www.pediadol. org, téléchargeables et imprimables, ainsi que les consignes d'utilisation.

Quelle valeur pour cette évaluation chiffrée ? La note obtenue pour cette douleur donne une indication du niveau de douleur et permet d'adapter d'emblée les antalgiques. Cependant, les praticiens s'interrogent souvent sur sa valeur intrinsèque. Or, cette note sert surtout de langage commun entre les soignants et entre le soignant et l'enfant, ainsi qu'à vérifier la diminution de la douleur après antalgique. L'intensité de la douleur doit être réévaluée au pic d'action de l'antalgique administré.

Une évaluation globale nécessaire dans la douleur chronique de l'enfant Tous ces outils évaluent une intensité de la douleur et un retentissement visible sur le corps. Ils sont insuffisants dans la douleur chronique, car ils doivent alors être complétés par une évaluation plus globale du retentissement de la douleur dans les différentes sphères de la vie de l'enfant et de sa famille. Si, initialement, une durée allant de 3 à 6 mois a été retenue pour définir une douleur chronique chez l'adulte, cette durée a pu être rediscutée comme « supérieure à la durée attendue », mais aucune définition spécifique pour la pédiatrie n'a été retenue. C'est en tout cas dans ces situations de douleur qui dure et a un retentissement fort sur la vie que, comme chez l'adulte, l'évaluation doit comporter non seulement l'intensité, la fréquence, la durée et la localisation, mais aussi l'impact fonctionnel, la qualité de vie, l'absentéisme scolaire, le

Figure 4.2 Échelle des six visages. Consigne : « ce sont des bonhommes qui ont mal, montre-moi le bonhomme qui a mal autant que toi », ou encore : « montre-moi comment tu as mal, comment tu te sens à l'intérieur, et non pas le visage que tu montres à l'extérieur ? ».

24   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome Très très mal

10 9 8 7 6 5 4 3 2 1

Pas mal du tout

0

Figure 4.3 Échelle visuelle analogique.

retentissement familial et les éléments psychologiques individuels et familiaux. Nous ne disposons pas de recommandations formelles relatives à l'évaluation de la douleur chronique chez l'enfant, spécifiant quels outils utiliser. Mais les experts de la douleur de l'enfant s'accordent pour nommer les champs de l'évaluation : l'intensité douloureuse, le jugement global et la satisfaction de la prise en charge, les symptômes, l'impact physique, l'impact émotionnel, l'impact social, le sommeil, les facteurs économiques, les relations avec les pairs, avec l'école et avec la famille [3]. Très peu de questionnaires évaluant ces domaines ont été validés en français. Le PedMIDAS [4] peut être utilisé pour évaluer le retentissement des céphalées, le FDI (Functional Disability Inventory), le retentissement fonctionnel des douleurs. Ces outils simples peuvent aussi être utilisés comme un mode de communication avec les adolescents, ainsi qu'un moyen de suivi de l'évolution après le traitement. Enfin, l'enfant vit dans sa famille et des éléments de la dynamique familiale et de l'entente entre les membres de la famille ou l'existence de douleurs chroniques ou de problèmes de santé chez les parents et dans la fratrie doivent être recherchés et font partie de l'évaluation globale de l'enfant. L'absentéisme scolaire doit être précisément recherché, ainsi que le nombre de passages à l'infirmerie scolaire. Ce sont des indices majeurs de gravité de la situation, par l­'isolement qu'il provoque, les risques de retard des acquisitions, et le cercle vicieux qu'ils peuvent amorcer. Plusieurs études ont montré un retentissement important des douleurs chroniques sur la présence à l'école. En France, une enquête réalisée en 2013 dans les structures douleur pédiatriques a mis en évidence que 41 % des enfants avaient, dans les six derniers mois, été absents

plus d'un jour par mois du fait des douleurs, et que 22 % avaient été absents 16 jours, voire plus. Enfin, le sommeil et l'appétit font partie de l'évaluation globale des enfants et adolescents. Des échelles de sommeil existent, mais ne sont pas faciles à appliquer au quotidien. Questionner les troubles de l'endormissement et demander à l'enfant de noter son sommeil entre 0 et 10 est une première approche simple. Ainsi, des échelles ont été validées pour mesurer l'impact fonctionnel de la douleur, mais elles ne remplacent en rien une évaluation clinique globale par le médecin ou une équipe  : elles ne peuvent être qu'un complément. De même, des échelles mesurant la comorbidité sur l'humeur et l'anxiété existent, mais ces items peuvent être questionnés de manière plus simple au cours de la consultation. Le plus souvent, si un bon contact avec lui et sa famille a été tissé, l'enfant répondra facilement aux questions posées directement mais avec douceur. Il pourra même se montrer soulagé à voir que le médecin questionne ces éléments. Parfois, les éléments émotionnels seront niés soit par l'enfant, soit par sa famille, ne laissant de place qu'aux plaintes somatiques. Dans ces situations, l'expérience de l'équipe pour arriver à introduire petit à petit des éléments psychologiques sera primordiale pour dénouer la situation. Les méthodes psychologiques et, surtout, psychocorporelles permettront de faire petit à petit des liens, à travers les ressentis corporels, entre le soma et la psyché. Un livre très accessible aux professionnels et aux familles aborde de manière complète et didactique l'ensemble des notions pour comprendre la douleur de l'enfant, l'évaluer et mettre en œuvre des moyens de la soulager. Il constitue un ouvrage de référence en français dans le domaine [5].

À qui, et quand adresser un enfant ou un adolescent en structure douleur ? Une évaluation globale par tous les praticiens pourra être faite dans la plupart des situations, grâce à des mots simples ; elle aura pour objectif la recherche de l'histoire des douleurs, leur intensité, leur retentissement en termes de jours d'absence scolaire, de relations avec les pairs et leur conséquences sur la vie de l'enfant et de sa famille. Dans les situations plus complexes, comportant des intrications familiales, un retentissement lourd, des difficultés thérapeutiques, un absentéisme scolaire, un impact important dans la vie ou encore des éléments psychosociaux difficiles à explorer ou à moduler, une évaluation pluriprofessionnelle dans une structure douleur pédiatrique sera nécessaire. L'absence de prise de conscience des intrications entre les éléments émotionnels et somatiques est aussi une bonne indication de recours à une structure spécialisée.

Chapitre 4. Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques de l'enfant    25

Références [1] ANAES. Évaluation et stratégies de prise en charge de la douleur aiguë en ambulatoire chez l'enfant de 1 mois à 15 ans. Paris : ANAES ; 2000. https:// www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/doulenf4.pdf. [2] Fournier-Charrière E. Tourniaire B, groupe Pediadol. Édition Pédiadol : Douleur de l'enfant. L'essentiel. Paris ; 2015. [3] McGrath  PJ1, Walco  GA, Turk  DC, Dworkin  RH, Brown  MT, Davidson K, et al. PedIMMPACT. Core outcome domains and mea-

sures for pediatric acute and chronic/recurrent pain clinical trials : PedIMMPACT recommendations. J pain 2008 ; 9. 771–83. [4] Amouroux  R, Rousseau-Salvador  C, Pillant  M, Antonietti  JP, Tourniaire B, Ericson L, et al. Validation française du PedMIDAS, une échelle d'évaluation de l'impact fonctionnel des migraines chez l'enfant et l'adolescent. Douleur et Analgésie 2017 ; 30 : 92–8. [5] Kuttner L. L'enfant et sa douleur. Identifier, comprendre, soulager. Paris : éditions Dunod, 2011.

Chapitre

5

Principes d'évaluation des syndromes douloureux aigus chez l'adulte Frédéric Aubrun  PLAN DU CHAPITRE Évaluation de la douleur postopératoire : quand, comment, par qui et pourquoi ? . . . . . . . Quand évaluer la douleur aiguë ?. . . . . . . . . . .

27 27

Évaluation de la douleur postopératoire : quand, comment, par qui et pourquoi ?

Comment ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Par qui ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Pourquoi ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

27 29 29

La douleur aiguë est un signal d'alerte qui pourrait se résumer en deux situations : « je souffre ou je ne souffre pas ». Cet aspect, excessivement binaire, ne permet pas aux acteurs de soins d'évaluer au mieux le degré de souffrance du patient, ce qui a conduit de nombreux auteurs à déterminer des outils plus précis. Or, la douleur étant subjective, elle doit être évaluée en utilisant des méthodes tenant compte de la propre plainte du patient. Les méthodes validées ­scientifiquement sont des outils d'autoévaluation, qu'il faut privilégier chaque fois que cela est possible.

soulager le patient, en respectant bien sûr les contreindications des agents antalgiques. La SFAR et la SFMU (Société française de médecine d'urgence) ont rédigé des recommandations formalisées d'experts sur la sédation et l'analgésie en structure d'urgence, précisant les modalités d'administration des antalgiques en fonction des scores de douleur (figure. 5.1) [1]. Le constat est le même avant une intervention chirurgicale ou en salle de surveillance postinterventionnelle, cas dans lesquels la douleur peut être sévère, voire incoercible et, donc, nécessiter un traitement urgent. La titration intraveineuse (i.v.) en morphine ne peut être réellement efficace que si la douleur est correctement évaluée au moyen d'outils fiables et reproductibles (figure. 5.2) [2].

Quand évaluer la douleur aiguë ?

Comment ?

Il faut évaluer la douleur chaque fois qu'un patient est pris en charge dans une structure de soins et qu'il est susceptible de subir un inconfort. De même, la douleur doit être évaluée à chaque fois qu'elle dépasse un certain seuil de tolérance et qu'elle nécessite donc un traitement antalgique. Par exemple, l'un des principaux motifs des passages aux urgences est la douleur. Pour mieux la prendre en charge, il faut pouvoir l'évaluer et appliquer un protocole antalgique dès l'arrivée du patient, avant même que celui-ci ait consulté un médecin urgentiste. Ce protocole est déclenché par l'infirmière d'orientation et d'accueil et doit être validé, notamment par la direction des soins infirmiers. Il permet de gagner du temps et de

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Les caractéristiques d'une méthode d'évaluation idéale de la douleur sont connues. L'outil doit être simple à comprendre et à utiliser tant par le patient que par l'évaluateur. Une méthode trop compliquée ou une enquête trop longue à compléter, surtout pour évaluer une douleur aiguë, ne sera pas utilisée. La méthode doit avoir une bonne sensibilité et une bonne spécificité et offrir un large éventail de réponses, afin de détecter le plus précisément possible l'intensité de la douleur tant au repos qu'en condition dynamique. La méthode doit permettre également d'évaluer l'efficacité thérapeutique en se fixant pour objectif un seuil en dessous duquel les acteurs des soins doivent se concentrer. L'outil doit donc être rapide à utiliser et reproductible dans sa présentation. En effet, en fonction

27

28   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

Évaluation quantitative de la douleur par l'EVA, l'EN ou, par défaut, l'EVS

EVA < 60 ou EN < 6 ou EVS = 1−2

Paracétamol 1 g i.v. en 15 minutes ou paliers II ± AINS i.v. en 15 minutes ± MEOPA ± analgésie locale/locorégionale *

Réévaluation de la douleur***

EVA > 30 ou EN > 3 ou EVS ≥ 2

EVA ≥ 60 ou EN ≥ 6 ou EVS > 2

Morphine : titration i.v. par bolus de 2 à 3 mg i.v. directe** ± MEOPA ± AINS i.v. en 15 minutes ± analgésie locale/locorégionale *

Réévaluation de la douleur toutes les 5 minutes

EVA ≤ 30 ou E N ≤ 3 ou EVS < 2 et/ou sédation excessive et/ou bradypnée < 10/min. et/ou désaturation *

Morphine en titration i.v. sans dose maximale : bolus de 2 à 3 mg i.v. directe toutes les 5 minutes

Arrêt de la morphine Mesures symptômatiques si nécessaire****

* Respect des contre-indications respectives de chaque molécule et/ou technique. ** Dose de charge de morphine possible sous couvert d'une présence médicale permanente et prolongée : bolus initial de 0,05 à 0,10 mg/kg i.v. directe, à adapter selon l'âge et le terrain du patient. *** Délai de réévaluation de la douleur en fonction du type d'antalgique administré. **** Stimulation et/ou assistance ventilatoire et/ou naloxone i.v.

Figure 5.1 Traitement antalgique en fonction de l'intensité douloureuse aux urgences. EN : échelle numérique ; EVA : échelle visuelle analogique ; EVS : échelle verbale simple. Source : d'après Vivien B et al. 2010 [1].

de l'âge du patient ou des modalités de présentation de l'outil (urgence préhospitalière, salle de surveillance postinterventionnelle), la représentation de la douleur pourra varier dans le temps et aboutir à des résultats difficiles à interpréter. C'est par exemple le cas de l'EVA qui, présentée horizontalement ou verticalement aux patients aux âges extrêmes de la vie, n'aura pas la même signification. Enfin, la méthode doit bénéficier d'une ­adaptabilité aux spécificités liées à l'urgence ou à la période postopératoire immédiate. Bien que l'EVA soit la méthode de référence depuis  1974 pour évaluer notamment la douleur aux urgences et la douleur postopératoire, la SFAR recommande depuis 2016 l'échelle numérique (EN11 ou 101), qui permet de quantifier avec une précision scientifiquement acceptable l'intensité de la douleur et l'efficacité thérapeutique. La corrélation de cette méthode avec l'EVA est excellente, elle ne nécessite pas de support, et

son taux d'échec est faible, de l'ordre de 5 % [1]. Pour les patients âgés, l'EVS (échelle verbale simplifiée), dotée en général de 5  qualificatifs (douleur absente, faible, modérée, forte et insupportable) semble l'outil préféré tant des patients que des soignants. Elle est moins précise, mais est davantage compréhensible par les patients aux capacités d'abstraction altérées ou qui présentent une démence modérée [1, 3–4]. Quant aux patients qui présentent des troubles sévères de la communication, l'échelle ALGOPLUS®, scientifiquement validée, permet dans un délai court de cerner la souffrance et de délivrer ainsi une analgésie adaptée (figure. 5.3) [5]. Trois outils sont à retenir principalement chez l'adulte : l'EN pour la population générale, l'EVS chez les patients âgés qui présentent des dysfonctions cognitives et des troubles du comportement, et l'échelle ALGOPLUS® chez les non-communicants.

Chapitre 5. Principes d'évaluation des syndromes douloureux aigus chez l'adulte     29

1. Évaluation de la douleur

EVA ≥ 60 EVS > 2

Paracétamol 1 g i.v. lente

Morphine titrée 1 mg/mL* i.v. Premier bolus de 0,05 mg/kg

Sur 15 minutes

Et/ou

30 < EVA < 60 EVS ≤ 2

Morphine titrée 1 mg/mL* i.v. Premier bolus de 1–4 mg

Voire

En association avec des antalgiques non morphiniques

ALR

Ou

Sur 10 minutes

Et/ou

Kétoprofène 50–100 mg i.v. lente

ALR

2. Réévaluation rapide de la douleur

EVA > 30

EVA ≤ 30 EVS < 2 RAMSAY > 2 FR < 10/min.

Morphine titrée 1 mg/mL* i.v. Premier bolus de 1–4 mg Toutes les 5–7 minutes

Arrêt du morphinique

* En fonction des pathologies (par exemple infarctus du myocarde) ou de situations douloureuses prévisibles (par exemple relevage d'un patient traumatisé).

Figure 5.2 Protocole de titration intraveineuse en morphine en salle de surveillance postinterventionnelle. Algorithme 1 : prise en charge préhospitalière. FR : fréquence respiratoire ; ALR : anesthésie locorégionale. Source : B.Vivien et al. Ann Fr Anesth Reanim 2012 ; 31 : 391–404. Avec la permission de l'Éditeur. Tous droits réservés pour tous pays.

Par qui ? L'évaluation de la douleur doit faire partie des fondamentaux de la prise en charge de la douleur. Le rôle de l'infirmier est clairement affirmé. Il est prévu qu'il puisse, dans des conditions d'urgence, mettre en œuvre un protocole de soins après autorisation du médecin ayant identifié l'origine de la douleur présentée par le malade [6]. Aux urgences, l'infirmière d'accueil et d'orientation, puis celle qui va suivre le patient vont utiliser une méthode simple d'autoévaluation. Cette méthode doit toujours être la même. L'infirmière anesthésiste, au bloc opératoire, quand elle accueille le patient, évalue sa douleur et ainsi, le rassure. Dès que le patient quitte le bloc opératoire et arrive en salle de surveillance ­postinterventionnelle,

il est évalué, car le combat contre la douleur nécessite une prise en charge sans délai. La titration i.v. de morphine est la technique d'analgésie la plus efficace, car la plus rapide pour soulager les douleurs modérées à sévères. Elle ne peut être implémentée que si le patient est correctement évalué afin de suivre la cinétique de la douleur et la décroissance de son intensité en fonction du nombre de bolus administrés.

Pourquoi ? Le choix d'un outil fiable d'évaluation de la douleur est crucial, car c'est un des moyens d'établir un lien avec le patient et de le rassurer. Il s'agit d'un moyen précieux de langage et de communication, y compris chez les patients mal ou non communicants.

30   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

Identification du patient

Evaluation de la douleur Echelle d'évaluation comportementale de la douleur aiguë chez la personne âgée présentant des troubles de la communication verbale

Date de l'évaluation de la douleur Heure

..…./..…./..….

..…./..…./..….

..…./..…./..….

..…./..…./..….

..…./..…./..….

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..…..h ..…..

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OUI

NON

OUI

NON

OUI

NON

OUI

NON

OUI

NON

..…./..…./..…. ..…..h ..….. OUI

NON

1 • Visage Froncement des sourcils, grimaces, crispation, mâchoires serrées, visage figé. 2 • Regard Regard inattentif, fixe, lointain ou suppliant, pleurs, yeux fermés. 3 • Plaintess « Aie », « Ouille », « J'ai mal », gémissements, cris. 4 • Corps Retrait ou protection d'une zone, refus de mobilisation, attitudes figées. 5 • Comportements Agitation ou agressivité, agrippement.

/5

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Médecin IDE AS Autre

Médecin IDE AS Autre

Médecin IDE AS Autre

Médecin IDE AS Autre

Médecin IDE AS Autre

Médecin IDE AS Autre

Total OUI Professionnel de santé ayant réalisé l'évaluation

Paraphe

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Paraphe

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L'échelle ALGOPLUS a été spécifiquement développée pour évaluer et permettre la prise en charge des douleurs aiguës chez un patient âgé pour tous les cas où une auto évaluation fiable n'est pas praticable (troubles de la communication verbale). L'utilisation d'ALGOPLUS est ainsi particulièrement recommandée pour le dépistage et l'évaluation des : • pathologies douloureuses aiguës (ex : fractures, zona, post-op, ischémie, lumbago, rétentions urinaires…), • accès douloureux transitoires (ex : névralgies faciales, poussées douloureuses sur cancer…), • douleurs provoquées par les soins ou les actes médicaux diagnostiques.

Erreurs fréquemment rencontrées Difficultés de repérage : • Agrippement doit être coté « oui » quel que soit le support d'agrippement (patient lui même, soignant ou tout autre support). Cotation en fonction d'une interprétation étiologique du signe et non pas sur sa simple présence, par exemple :

• l'item « comportements » coté « non » parce que l'agrippement à la barrière de protection est attribué à la peur de tomber.

L'échelle comporte cinq items (domaines d'observation). La présence d'un seul comportement dans chacun des items suffit pour coter « oui » l'item considéré. La simple observation d'un comportement doit impliquer sa cotation quelles que soient les interprétations étiologiques éventuelles de sa préexistence. En pratique, pour remplir la grille, observer dans l'ordre : les expressions du visage, celles du regard, les plaintes émises, les attitudes corporelles et enfin le comportement général. Chaque item coté « oui » est compté un point et la somme des items permet d'obtenir un score total sur cinq. Un score supérieur ou égal à deux permet de diagnostiquer la présence d'une douleur avec une sensibilité de 87 % et une spécificité de 80 % et donc d'instaurer de façon fiable une prise en charge thérapeutique antalgique. Il est ensuite nécessaire de pratiquer régulièrement de nouvelles cotations. La prise en charge est satisfaisante quand le score reste strictement inférieur à deux.

Figure 5.3 Échelle ALGOPLUS®. Source : Association DOLOPLUS. www.doloplus.com

Echelle d'évaluation comportementale de la douleur aiguë chez la personne âgée présentant des troubles de la communication verbale

• l'item « plaintes » coté « non » parce que le cri du patient est attribué à la démence ou parce que le patient crie depuis longtemps.

www.doloplus.com

FR/DLR/17/08/0122 - Novembre 2017 - Conception et réalisation : Zid et Zen communication : 01 46 49 96 79

Consignes pour la passation de la grille ALGOPLUS

TOUT CHANGEMENT DE COMPORTEMENT CHEZ UNE PERSONNE ÂGÉE DOIT FAIRE ÉVOQUER LA DOULEUR

Chapitre 5. Principes d'évaluation des syndromes douloureux aigus chez l'adulte     31

Références [1] Vivien B, Adnet F, Bounes V, Chéron G, Combes X, David JS, et al. Sédation et analgésie en structure d'urgence. Réactualisation 2010 de la Conférence d'experts de la SFAR de 1999. Ann Fr Anesth Reanim 2012 ; 31 : 391–404. [2] Aubrun F, Mazoit JX, Riou B. Postoperative intravenous morphine titration. Br J Anaesth 2012 ; 108 : 193–201. [3] SFAR Committees on Pain and Local Regional Anaesthesia and on Standards. Expert panel guidelines (2008). Postoperative pain

­ anagement in adults and children. SFAR Committees on Pain and m Local Regional Anaesthesia and on Standards Ann Fr Anesth Reanim 2009 ; 28 : 403–9. [4] Référentiel SFAR. Réactualisation de la recommandation sur la douleur postopératoire, www.sfar.org/referentiels ; 2016. [5] Rat P, Jouve E, Pickering G, Donnarel L, Nguyen L, Michel M, et al. Validation of an acute pain-behavior scale for older persons with inability to communicate verbally : ALGOPLUS. Eur J Pain 2011 ; 15(2) : 198.e1–198.e10. [6] Circulaire DGS/SQ2/DH/DAS n° 99-84 du 11 février 1999.

Chapitre

6

Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques Élisabeth Collin  PLAN DU CHAPITRE Ce qu'il faut comprendre de la douleur chronique 33 Drapeaux jaunes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 Évaluation de la douleur chronique . . . . . . . . 34

POINTS ESSENTIELS • Tout syndrome douloureux chronique est complexe au-delà de la simple notion de durée. Il comporte des mécanismes physiopathologiques souvent mixtes (nociceptifs et neuropathiques), et il est intriqué à l'histoire biopsychosociale du sujet. • Tout syndrome douloureux chronique nécessite un traitement complexe, mêlant traitements médicamenteux et non médicamenteux adaptés, qui impliquent le patient lui-même. • Une évaluation des capacités cognitives, affectives et comportementales du patient est nécessaire pour l'accompagner au mieux et afin qu'il s'approprie la démarche thérapeutique. • Devant toute douleur aiguë persistante (en dépit d'une étiologie claire et d'un traitement satisfaisant), il est urgent de repérer les facteurs de chronicisation pour les prendre en charge rapidement. • Un syndrome douloureux chronique à l'opposé d'une douleur aiguë n'a aucune utilité protectrice, il est destructeur.

Ce qu'il faut comprendre de la douleur chronique Lapalissade sans doute, mais une douleur chronique n'est pas une simple douleur aiguë qui se prolonge. D'ailleurs, si l'on demande à une personne souffrant de douleur chronique (quelle qu'en soit l'étiologie) de définir sa douleur, elle répondra : « C'est un enfermement, ça ne se Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Outils ou échelles d'évaluation . . . . . . . . . . . . Drapeaux rouges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

35 35

voit pas, personne n'y croit, ça finit par retentir sur mon moral, c'est un handicap, je ne peux plus faire ce que je veux, je ne comprends pas, les soignants sont impuissants, etc. » Effectivement, tout est dit par le patient. Une douleur chronique est, selon la HAS, définie par une douleur évoluant depuis plus de trois mois, susceptible d'affecter de façon péjorative le comportement ou le bien-être du patient, et qui persiste malgré un traitement étiologique bien conduit [1, 2]. Ainsi, la sur venue d'une douleur dans certains contextes (notamment en fonction du vécu du sujet) est d'emblée d'une complexité qui l'enracinera dans la durée. La douleur chronique arrête le patient. En effet, audelà de la douleur elle-même, de multiples facteurs modulent sa perception, qu'ils soient en lien avec l'autobiographie du sujet, l'état psychique, le travail, la vie familiale ou les retentissements de la pathologie et ses traitements. L'évaluation d'un syndrome douloureux chronique nécessite non seulement d'être certain de sa cause et de comprendre précisément les mécanismes physiopathologiques à l'œuvre, mais aussi de reconnaître la place des différents facteurs modulateurs intriqués à la plainte douloureuse au commencement de la survenue de la douleur et au moment où nous voyons le patient (souvent à distance de l'événement initial). La démarche thérapeutique qui sera proposée découlera de cette évaluation complexe  : elle devra être explicitée, comprise et acceptée par le patient qui devra s'en saisir. De la même manière, toute démarche thérapeutique doit avoir des objectifs clairs, compris et acceptés par le patient (l'objectif « douleur zéro » n'est jamais raisonnable). 33

34   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome Dans le cas contraire, la plainte et le syndrome douloureux chronique perdurent avec des retentissements de plus en plus complexes (perte du travail, etc.). Cet accompagnement du médecin au cours d'une prise en charge globale doit permettre au patient de mieux comprendre comment faire face à sa douleur, afin qu'il se remette en mouvement et (re)trouve un sens à sa vie. Il faut bien admettre qu'un traitement pharmacologique, jamais suffisant seul, doit être prescrit, néanmoins avec justesse et subtilité !

Drapeaux jaunes Devant une douleur persistante chez un patient, il importe de repérer rapidement les facteurs de risque de chronicisation. Les facteurs de chronicisation d'une douleur aiguë sont présents d'emblée chez les patients. Les repérer tôt et les prendre en charge pourraient bloquer les processus de chronicisation de la douleur. Un certain nombre de facteurs ont ainsi été mis en évidence dans la douleur postopératoire, la lombalgie ou le zona, par exemple. Ces facteurs sont de quatre ordres : ■ la pathologie et le type de douleur : – pathologie s'accompagnant d'une incapacité fonctionnelle, – douleur neuropathique (ou mixte), – intensité de la douleur ; ■ les caractères propres au sujet : l'âge, la perception d'un mauvais état de santé, un état émotionnel fragile, des troubles psychopathologiques (anxiété, dépression), un stress familial ou encore l'adoption d'une stratégie inadaptée pour faire face (peur de bouger, catastrophisme, incertitudes quant à l'avenir, stratégies de coping passives, etc.) ; ■ le travail : son type (port de charges lourdes, travail répétitif, source d'insatisfaction, etc.), un harcèlement, un manque de reconnaissance, un accident du travail et un préjudice ou encore un sentiment d'injustice (compensation financière) ; ■ facteurs liés à la prise en charge : une sous-estimation de la douleur, une non-prise en compte du mécanisme neuro­p athique ou une surmédicalisation sont, par exemple, des facteurs retrouvés dans la chronicisation de la lombalgie aiguë.

Évaluation de la douleur chronique Modalités générales L'évaluation initiale doit permettre une description de la douleur compréhensible par tous les acteurs de santé présents autour du patient et par le patient lui-même. Elle prend souvent du temps et peut nécessiter un déroulement sur plusieurs consultations. L'étiologie doit être claire ; si ce n'est pas le cas, un bilan étiologique doit être effectué comportant un entretien, un examen clinique et

des bilans complémentaires, si nécessaire. Il sera toujours à reconsidérer en cas de doute, en fonction de l'évolution. Les éléments essentiels à rechercher sont contenus dans la grille d'entretien semi-structuré de la HAS [2].

Caractéristiques de la douleur Au temps initial Les caractéristiques de la douleur, au moment où elle survient pour la première fois, sont : ■ les conditions et circonstances de sa survenue (maladie, traumatisme, accident de travail, etc.), ■ sa localisation, sa cause, les modalités de sa prise en charge, le diagnostic initial, les traitements effectués et les explications données, ■ les événements de vie concomitants et précédant l'événement, ■ son retentissement (anxiété, dépression, troubles du sommeil, incapacités fonctionnelle et professionnelle, etc.), selon l'échelle HAD (Hospital Anxiety and Depression Scale), ■ le vécu par le patient de l'événement (sentiment d'injustice, de mauvaise prise en charge, de préjudice, etc.).

Au stade chronique Il est important de déterminer : ■ comment s'est installée la douleur persistante à partir de la douleur initiale, les modifications sémiologiques et topographiques éventuelles dans le temps, ■ les caractéristiques précises de la douleur  : sa topographie, ses caractéristiques sémiologiques (brûlure, décharges électriques, etc.), permettant de faire le diagnostic du mécanisme de la douleur (nociceptif, neuropathique, dysfonctionnel), ses facteurs d'aggravation et de soulagement [3].

Retentissements de la douleur Parmi les retentissements de la douleur, on compte l'anxiété, la dépression, les troubles du sommeil, les incapacités fonctionnelles et professionnelles ou la désorganisation affective, etc.

Traitements effectués et actuels Il importe de tenir compte de la dose des traitements, de leur durée, de leurs effets bénéfiques et de leurs effets indésirables.

Antécédents et pathologies associées Les antécédents et pathologies associées à relever peuvent être : ■ personnels (médicaux, chirurgicaux, et éventuelles expériences douloureuses antérieures), ■ familiaux (notamment, ceux ayant entraîné le décès).

Contextes Il s'agit du contexte familial, psychosocial, professionnel (satisfaction, risques de licenciement, etc.) ou encore d'un éventuel contexte procédural (implication financière, procédures en cours, etc.).

Chapitre 6. Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques    35

Comment le patient se représente-t-il la maladie, la douleur, les événements vécus, les avis médicaux et les traitements ?

nerveuse périphérique ou centrale. Selon la lésion, une hypoesthésie, voire un déficit moteur, peuvent être associés. Les examens complémentaires sont inutiles pour faire le diagnostic.

Facteurs comportementaux

Douleurs dysfonctionnelles/nociplastiques

Quelle est l'attitude du patient vis-à-vis de la maladie et de la douleur ? Y a-t-il kinésiophobie, observance des prescriptions ?

Nous invitons le lecteur à se référer aux chapitres 24 à 28.

Facteurs cognitifs

Projets et demande Quels sont les attentes et les objectifs du patient concernant la prise en charge ?

Évaluer le mécanisme physiopathologique de la douleur Le mécanisme physiopathologique de la douleur doit être établi précisément car une partie du traitement médicamenteux va en dépendre. Le mécanisme peut être nociceptif (inflammatoire), neuropathique, mixte si ces deux mécanismes sont associés, ou dysfonctionnel. La douleur neuropathique est une douleur secondaire à une lésion ou une maladie du système somatosensoriel. Sept pour cent de la population en sont atteints [3]. Elle a plus de retentissements psychologiques que les douleurs nociceptives et altèrent davantage la qualité de vie des patients [3]. Ces douleurs sont souvent « inaperçues » lorsqu'elles sont associées à une douleur nociceptive (dans ce cas on parle de douleurs mixtes), ce qui conduit à des traitements inadaptés et à une chronicisation de la douleur.

Caractère nociceptif d'une douleur (cf. section 1, chapitres 22, 23 et 32) Il est retenu lorsqu'il n'existe pas de caractéristiques neuropathiques ni de systématisation neurologique de la douleur. La douleur nociceptive est chronique en cas de lésion persistante (mécanique ou inflammatoire). Ces douleurs sont induites par la stimulation des nocicepteurs périphériques. Elles sont fréquemment associées à une composante neuropathique.

Diagnostic de la composante neuropathique (cf. chapitre 20) Il repose sur un interrogatoire et un examen clinique bien conduits, identifiant le contexte de la lésion (traumatique ou chirurgicale) ou de la maladie neurologique et déterminant le caractère continu ou paroxystique de la douleur. Ces douleurs peuvent être provoquées par une stimulation non douloureuse (allodynie). Les descripteurs de la douleur neuropathique sont riches et le vocabulaire utilisé doit attirer notre attention : il s'agit de brûlures, de décharges électriques, de froid douloureux, etc. Ces sensations douloureuses sont accompagnées de sensations anormales souvent perçues comme douloureuses par les patients (picotements, fourmillements, démangeaisons ou engourdissements). Leur territoire est compatible avec une lésion

Outils ou échelles d'évaluation Échelle de la dimension quantitative L'autoévaluation de l'intensité globale de la douleur ressentie par le patient peut être faite sur une EN allant de 0 à 10. En cas de difficulté, l'EVS en 4 ou 5 points peut être préférable. Chez un patient âgé non communiquant, l'échelle DOLOPLUS® (cf. chapitre 7) permet l'évaluation du niveau de douleur chronique.

Outil de dépistage de la douleur neuropathique Le DN4, d'utilisation rapide et simple, possède une excellente sensibilité et une grande spécificité (figure 6.1).

Échelles multidimensionnelles Ces échelles prennent en compte les différents aspects de la douleur chronique et leurs retentissements dans différentes dimensions. Probablement difficilement utilisables dans la pratique clinique courante, on peut y avoir recours pour certains patients complexes : ■ le retentissement de la douleur chronique sur le comportement quotidien peut être évalué par le Questionnaire concis de la douleur (QCD), version française de la Brief Pain Inventory [BPI] est un auto-­questionnaire qui permet de faire évaluer par le patient le retentissement de sa douleur sur son activité en général, son humeur, sa capacité à marcher, son aptitude au travail habituel, ses relations avec les autres, son sommeil et son goût de vivre ; ■ le retentissement de la douleur chronique sur l'anxiété et la dépression peut être évalué par HAD [4], un autoquestionnaire qui permet d'évaluer la sévérité de la composante anxieuse et dépressive (figure 6.2).

Drapeaux rouges Les patients douloureux chroniques nous incitent malheureusement parfois à une certaine « lassitude ». Il est néanmoins impératif de rester vigilant devant toute modification de la douleur pouvant remettre en question le diagnostic retenu ou témoigner de la survenue d'une pathologie intercurrente. Particulièrement, chez un patient douloureux chronique dans les suites d'un cancer en rémission, la douleur est souvent le premier signe d'une récidive.

36   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

Figure 6.1 Questionnaire DN4 : un outil simple pour rechercher les douleurs neuropathiques. Source : Bouhassira D, Attal N, Alchaar H et al. Comparison of pain syndromes associated with nervous or somatic lesions and development of a new neuropathic pain diagnostic questionnaire (DN4). Pain. 2005, 114 : 29–36.

Chapitre 6. Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques    37

HADS Hospital Anxiety and Depressive Scale Les médecins savent que les émotions jouent un rôle important dans la plupart des maladies. Si votre médecin est au courant des émotions que vous éprouvez, il pourra mieux vous aider. Ce questionnaire a été conçu de façon à permettre à votre médecin de se familiariser avec ce que vous éprouvez vous-même sur le plan émotif. Ne faites pas attention aux chiffres et aux lettres imprimés à gauche du questionnaire. Lisez chaque série de questions et soulignez la réponse qui exprime le mieux ce que vous avez éprouvé au cours de la semaine qui vient de s'écouler. Ne vous attardez pas sur la réponse à faire, votre réaction immédiate à chaque question fournira probablement une meilleure indication de ce que vous éprouvez, qu'une réponse longuement méditée. Je me sens tendu ou énervé : 3 la plupart du temps 3 souvent 1 de temps en temps 0 jamais J'ai une sensation de peur comme si quelque chose d'horrible allait m'arriver : 3 2 1 0

oui, très nettement oui, mais ce n'est pas grave un peu, mais cela ne m'inquiète pas pas du tout

Je me fais du souci : 3 très souvent 2 assez souvent 1 occasionnellement 0 très occasionnellement Je peux rester tranquillement assis à ne rien faire et me sentir décontracté : 0 oui, quoi qu'il arrive 1 oui, en général 2 rarement 3 jamais J'éprouve des sensations de peur et j'ai I'estomac noué : 0 jamais 1 parfois 2 assez souvent 3 très souvent J'ai la bougeotte et n'arrive pas à tenir en place : 3 oui, c'est tout à fait le cas 2 un peu 1 pas tellement 0 pas du tout J'éprouve des sensations soudaines de panique : 3 vraiment très souvent 2 assez souvent 1 pas très souvent 0 jamais

Je prends plaisir aux mêmes choses qu'autrefois : 0 oui, tout autant 1 pas autant 2 un peu seulement 3 presque plus Je ris facilement et vois le bon côté des choses : 0 autant que par le passé 1 plus autant qu'avant 2 vraiment moins qu'avant 3 plus du tout Je suis de bonne humeur : 3 jamais 2 rarement 1 assez souvent 0 la plupart du temps J'ai I'impression de fonctionner au ralenti : 3 presque toujours 2 très souvent 1 parfois 0 jamais Je ne m'intéresse plus à mon apparence : 3 plus du tout 2 je n'y accorde pas autant d'attention que je le devrais 1 il se peut que je n'y fasse plus autant attention 0 j'y prête autant d'attention que par le passé Je me réjouis d'avance à I'idée de faire certaines choses : 0 autant qu'auparavant 1 un peu moins qu'avant 2 bien moins qu'avant 3 presque jamais Je peux prendre plaisir à un bon livre ou à une bonne émission radio ou de télévision : 0 souvent 1 parfois 2 rarement 3 très rarement

Figure 6.2 Hospital Anxiety and Depression Scale. Autoquestionnaire. Pour chaque sous-score (A : dimension anxieuse ou D : dimension dépressive). Score allant de 0 à 7 : symptomatologie normale ; de 8 à 10 : symptomatologie douteuse ; > 11 : symptomatologie certaine. Source : d’après Zigmund AS, Snaith RT. The Hospital Anxiety and Depression Scale. Acta Psychiatr. Scand. 1983; 67 :361–70. Traduction française : J. F. Lépine.

Références [1] Haute Autorité de santé. Évaluation et suivi de la douleur chronique chez l'adulte en médecine ambulatoire, 1999. [2] Haute Autorité de santé. Douleur chronique : reconnaître le syndrome douloureux chronique, l'évaluer et orienter le patient, 2008.

[3] Bouhassira D, Lanteri-Minet M, Attal N, Laurent B, Touboul C. Prevalence of chronic pain with neuropathic characteristics in the general population. Pain 2008 ; 136 : 380–7. [4] Wary B, Capriz F, Berthel M. Échelle DOLOPLUS échelle d'évaluation comportementale de la douleur chez la personne âgée : de la sensibilisation à la validation. Revue de gériatrie 1997 ; 22 : 22–5.

Chapitre

7

Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques : le sujet âgé Gisèle Pickering PLAN DU CHAPITRE Difficultés de l'évaluation de la douleur chez le sujet âgé . . . . . . . . . . . .

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Difficultés de l'évaluation de la douleur chez le sujet âgé La population « âgée », correspondant aujourd'hui selon les définitions, aux individus ayant plus de 75 ans, inclut une grande diversité de personnes tant en terme d'âge, de pathologie, de niveau cognitif qu'en terme d'autonomie et de lieu de vie, et la personne âgée atteinte d'un syndrome douloureux chronique présente souvent une situation clinique extrêmement complexe à expertiser. La prise en charge d'un syndrome douloureux va devoir s'adapter aux spécificités de la personne âgée, à partir d'un socle commun de dépistage et d'évaluation vers un objectif de traitement médicamenteux et/ou non médicamenteux puis de réévaluation. Ainsi, les changements liés à la sénescence (appauvrissement sémantique, vieillissement du système nociceptif ), les handicaps sensoriels divers, les pathologies multiples et intriquées et les troubles cognitifs, peuvent masquer ou au contraire exagérer l'expression de la douleur. Le dépistage et l'évaluation de syndromes douloureux chroniques n'en seront donc que plus difficiles. L'écoute, l'attention et l'observation sont une première approche indispensable, mais des comportements inattendus, pouvant être également en lien avec la douleur, comme l'apathie, l'agitation, l'agressivité, la régression ou la confusion, peuvent perturber l'évaluation, voire induire en erreur. En effet, ces troubles du comportement se rencontrent aussi au cours d'autres pathologies fréquentes chez le sujet âgé comme la démence, l'anxiété ou la dépression ou lors de la prise de médicaments (antidépresseurs, neuroleptiques, etc). Des troubles variables de la communication verbale risquent également de gêner l'autoévaluation. L'importance d'évaluer systématiquement la douleur a été bien soulignée, car Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Utilisation des échelles d'évaluation de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . .

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lorsqu'un état de douleur se prolonge chez un sujet âgé, la situation peut devenir rapidement préoccupante en raison des conséquences sur l'autonomie et du risque de déclin fonctionnel [1]. Chez le sujet âgé, l'évaluation de la douleur doit prendre en compte les déficits sensoriels (vue, ouïe) et veiller à ce que la personne soit dans les conditions optimales de confort. Même si elle peut discourir, il est important de détecter tout stoïcisme (« il est normal d'avoir mal quand on vieillit »), toute exagération (quête de reconnaissance ou d'attention), toute dépression masquée (apathie ou, au contraire, agressivité). Une évaluation algogérontologique, avec des outils adaptés à la gériatrie (c'est-à-dire une échelle de dépression en gériatrie), doit être faite, en particulier chez les patients peu autonomes. Il est important d'évaluer les comorbidités, la polymédication et le contexte clinique et social. La connaissance des traitements médicamenteux prescrits ou auto-administrés, en particulier ceux agissant sur le SNC, qui pourraient fausser l'évaluation de la douleur et/ou masquer l'expression de l'expérience douloureuse, ne doit pas être négligée. De plus, dans la triade biopsychosociale de la douleur, le niveau de précarité et d'isolement social doit aussi être évalué pour une démarche holistique.

Utilisation des échelles d'évaluation de la douleur Chez le sujet âgé qui peut communiquer sa douleur, les outils d'évaluation sont les mêmes que chez le sujet plus jeune. Il est néanmoins recommandé de ne pas utiliser l'échelle visuelle analogique (EVA), car la notion de p ­ roportionnalité peut s'émousser avec l'âge, et de lui préférer une échelle numérique (EN) (0–10) (encadré 7.1, figure. 7.1) ou une 39

40   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

Encadré 7.1 Notice de l'échelle numérique Quel type d'échelle ?

Encadré 7.2 Notice de l'échelle verbale simple Quel type d'échelle ?

C'est une échelle d'autoévaluation.

Il s'agit d'une échelle d'autoévaluation.

Pour quel patient ?

Pour quel patient ?

Pour tous les patients adultes. Pour tout type de douleur.

Pour tous les patients adultes, notamment ceux pour qui l'utilisation d'autres échelles telles que l'échelle visuelle analogique ou l'échelle numérique n'est pas possible.

Comment l'utiliser ?

Pour quelle douleur ?

Le soignant demande au patient d'évaluer l'intensité de la douleur au moment présent selon ces consignes ci-dessous. Il peut aussi lui demander la douleur habituelle depuis les 8 derniers jours et la douleur la plus intense depuis les 8 derniers jours. Entourez-ci-dessous la note de 0 à 10 qui décrit le mieux l'importance de votre douleur pour chacun des 3 types de douleur. La note 0 correspond à « pas de douleur ». La note 10 correspond à la « douleur maximal imaginable » [6, 7].

Pour tout type de douleur.

Pour quelle douleur ?

Comment l'utiliser ? Le soignant demande au patient d'évaluer l'intensité de la douleur au moment présent selon ces consignes : pour préciser l'importance de votre douleur, répondez en entourant la réponse correcte pour chacun des 3 types de douleur [6, 7]. Source : www.sfetd-douleur.org.

Source : www.sfetd-douleur.org

Tableau 7.1 Échelle verbale simple. PAS DE DOULEUR

0

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

DOULEUR MAXIMALE IMAGINABLE

Figure 7.1 Échelle numérique.

échelle visuelle simple (EVS) (encadré 7.2, tableau 7.1). Le caractère neuropathique de la douleur peut être évalué, comme chez le sujet plus jeune, avec les questionnaires de douleur neuropathique (DN4 ou NPSI [Neuropathic Pain Symptom Inventory]). Chez le patient âgé mal ou non communiquant, le risque majeur est de sous-estimer le phénomène douloureux. Aussi l'autoévaluation doit-elle être toujours tentée en première approche (EN, EV), même si le patient a des troubles cognitifs, voire démentiels. Dans un second temps, l'utilisation d'une échelle d'hétéroévaluation peut permettre d'identifier ou de confirmer l'existence d'une douleur. Des échelles d'hétéroévaluation ont été élaborées en France et au niveau international pour pallier les difficultés de dépistage et de prise en charge de la douleur du sujet âgé. Ces échelles sont toutes fondées sur ­l'observation par les soignants des modifications comportementales entraînées par la douleur chez les sujets âgés ayant des troubles de la communication verbale. Elles nécessitent une formation préalable et un entraînement, car elles font appel à l'observation, doivent rester objectives donc ne pas refléter le ressenti du soignant mais bien le comportement du patient. En France, plusieurs échelles d'hétéroévaluation sont validées scientifiquement et donc protégées  : DOLOPLUS® (score de seuil de présence de douleur ≥ 5) (figure  7.2, encadré 7.3), ALGOPLUS® (douleur aiguë ; score de seuil de présence de douleur ≥ 2 (figure  7.3, encadré 7.4) [2] ; ECPA® (douleur des soins) (figure 7.4, encadré 7.5) et PACSLAC® (échelle d'origine canadienne), mais elles sont encore insuffisamment utilisées en pra-

Douleur 0 1 2 3 au moment Absente Faible Modérée Intense présent

4 Extrêmement intense

Douleur habituelle depuis les 8 derniers jours

0 1 2 3 Absente Faible Modérée Intense

4 Extrêmement intense

Douleur la 0 1 2 3 plus intense Absente Faible Modérée Intense depuis les 8 derniers jours

4 Extrêmement intense

tique clinique. De plus, les échelles doivent toujours être utilisées dans le contexte et la population dans lesquels elles ont été validées. Par exemple, dans les syndromes douloureux chroniques, l'échelle ALGOPLUS® n'est pas à utiliser seule, sauf si le patient souffre d'une douleur aiguë ­intercurrente. En effet, l'échelle ALGOPLUS® peut donner des faux négatifs en comparaison de ­D OLOPLUS® [3]. Le point essentiel est de régulièrement réévaluer la douleur, avec un outil validé comme ­D OLOPLUS®, et de revoir le contexte clinique. L'évaluation de la douleur chez le patient âgé mal ou non communiquant comporte une première étape de détection ou de suspicion de la douleur, en particulier de la douleur neuropathique, puisque les questionnaires spécifiques seront difficiles à utiliser. Ce type de douleur, estimé à environ 10 % chez le sujet âgé, est probablement encore sous-évalué, mais des valeurs beaucoup plus élevées ont été retrouvées, en particulier si l'on cherche spécifiquement ce type de douleur chez le patient. Une telle évaluation est absolument incontournable, mais souvent difficile. Un algorithme décisionnel a été proposé pour sensibiliser à la détection de la douleur neuropathique

Chapitre 7. Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques : le sujet âgé    41

Echelle d'évaluation comportementale de la douleur chronique chez la personne âgée présentant des troubles de la communication verbale DATES NOM :

Prénom :

Service :

Observation comportementale

RETENTISSEMENT SOMATIQUE 1• Plaintes somatiques

2• Positions antalgiques au repos 3• Protection de zones douloureuses 4• Mimique

5• Sommeil

• pas de plainte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

0

0

0

0

• plaintes uniquement à la sollicitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1

1

1

1

• plaintes spontanées occasionnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

2

2

2

2

• plaintes spontanées continues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

3

3

3

3 0

• pas de position antalgique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

0

0

0

• le sujet évite certaines positions de façon occasionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1

1

1

1

• position antalgique permanente et efficace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

2

2

2

2

• position antalgique permanente inefficace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

3

3

3

3

• pas de protection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

0

0

0

0

• protection à la sollicitation n'empêchant pas la poursuite de l'examen ou des soins . . . . . . . . . . . .

1

1

1

1

• protection à la sollicitation empêchant tout examen ou soins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

2

2

2

2

• protection au repos, en l'absence de toute sollicitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

3

3

3

3

• mimique habituelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

0

0

0

0

• mimique semblant exprimer la douleur à la sollicitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1

1

1

1

• mimique semblant exprimer la douleur en l'absence de toute sollicitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

2

2

2

2

• mimique inexpressive en permanence et de manière inhabituelle (atone, figée, regard vide) . . . . . .

3

3

3

3

• sommeil habituel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

0

0

0

0

• difficultés d'endormissement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1

1

1

1

• réveils fréquents (agitation motrice) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

2

2

2

2

• insomnie avec retentissement sur les phases d'éveil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

3

3

3

3

0

RETENTISSEMENT PSYCHOMOTEUR • possibilités habituelles inchangées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

0

0

0

• possibilités habituelles peu diminuées (précautionneux mais complet) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1

1

1

1

• possibilités habituelles très diminuées, toilette et/ou habillage étant difficiles et partiels . . . . . . . . .

2

2

2

2

• toilette et/ou habillage impossibles, le malade exprimant son opposition à toute tentative . . . . . . .

3

3

3

3

• possibilités habituelles inchangées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

0

0

0

0

• possibilités habituelles actives limitées (le malade évite certains mouvements, diminue son périmètre de marche)

1

1

1

1

• possibilités habituelles actives et passives limitées (même aidé, le malade diminue ses mouvements)

2

2

2

2

• mouvement impossible, toute mobilisation entraînant une opposition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

3

3

3

3

8• Communication • inchangée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

0

0

0

0

• intensifiée (la personne attire l'attention de manière inhabituelle) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1

1

1

1

• diminuée (la personne s'isole) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

2

2

2

2

• absence ou refus de toute communication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

3

3

3

3

6• Toilette et/ou habillage 7• Mouvements

RETENTISSEMENT PSYCHOSOCIAL

9• Vie sociale

• participation habituelle aux différentes activités (repas, animations, ateliers thérapeutiques,…) . . . .

0

0

0

0

• participation aux différentes activités uniquement à la sollicitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1

1

1

1

• refus partiel de participation aux différentes activités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

2

2

2

2

• refus de toute vie sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

3

3

3

3

• comportement habituel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10• Troubles du comportement • troubles du comportement à la sollicitation et itératif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

0

0

0

0

1

1

1

1

• troubles du comportement à la sollicitation et permanent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

2

2

2

2

• troubles du comportement permanent (en dehors de toute sollicitation) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

3

3

3

3

COPYRIGHT

Figure 7.2 Échelle DOLOPLUS®. Source : Association DOLOPLUS. www.doloplus.com

SCORE

42   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

Identification du patient

Evaluation de la douleur Echelle d'évaluation comportementale de la douleur aiguë chez la personne âgée présentant des troubles de la communication verbale

Date de l'évaluation de la douleur Heure

..…./..…./..…. ..…..h ..….. OUI

NON

..…./..…./..…. ..…..h ..….. OUI

NON

..…./..…./..…. ..…..h ..….. OUI

NON

..…./..…./..…. ..…..h ..….. OUI

NON

..…./..…./..…. ..…..h ..….. OUI

NON

..…./..…./..…. ..…..h ..….. OUI

NON

1 • Visage Froncement des sourcils, grimaces, crispation, mâchoires serrées, visage figé. 2 • Regard Regard inattentif, fixe, lointain ou suppliant, pleurs, yeux fermés. 3 • Plaintess « Aie », « Ouille », « J'ai mal », gémissements, cris. 4 • Corps Retrait ou protection d'une zone, refus de mobilisation, attitudes figées. 5 • Comportements Agitation ou agressivité, agrippement.

/5

/5

/5

/5

/5

/5

Médecin IDE AS Autre

Médecin IDE AS Autre

Médecin IDE AS Autre

Médecin IDE AS Autre

Médecin IDE AS Autre

Médecin IDE AS Autre

Total OUI Professionnel de santé ayant réalisé l'évaluation

Paraphe

Paraphe

Paraphe

Paraphe

Paraphe

Paraphe

COPYRIGHT

Figure 7.3 Échelle ALGOPLUS®. Source : Association DOLOPLUS. www.doloplus.com

Encadré 7.3 Notice de l'échelle DOLOPLUS® Quel type d'échelle ? C'est une échelle d'hétéroévaluation comportementale.

Pour quel patient ? Cette échelle est destinée à la personne âgée présentant des troubles de la communication verbale.

Pour quelle douleur ? La douleur chronique.

Comment l'utiliser ? L'échelle comporte dix items répartis en trois sous-groupes, proportionnellement à la fréquence rencontrée (cinq items somatiques, deux items psychomoteurs et trois items psychosociaux). Chaque item est coté de 0 à 3 (cotation à quatre niveaux exclusifs et progressifs), ce qui amène à un score global compris entre 0 et 30. La douleur est clairement affirmée pour un score supérieur ou égal à 5 sur 30. Que ce soit en structure sanitaire, sociale ou à domicile, la cotation par plusieurs soignants est préférable. À domicile, la famille et les aidants peuvent être intégrés dans la démarche d'évaluation. La cotation systématique à l'admission du patient servira

de base de référence. Il n'est pas toujours possible d'avoir d'emblée une réponse à chaque item, en particulier face à un patient inconnu dont on n'a pas encore toutes les données, notamment sur le plan psychosocial. On cotera alors les items possibles, la cotation pouvant s'enrichir cependant au fil du temps. La réévaluation sera quotidienne jusqu'à sédation des douleurs, puis s'espacera ensuite en fonction des situations. Le score obtenu doit faire l'objet d'une traçabilité dans le dossier patient (Indicateurs pour l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins [IPAQSS]) [8, 9]. Source : www.sfetd-douleur.org.

Encadré 7.4 Notice de l'échelle ALGOPLUS® Quel type d'échelle ? Il s'agit d'une échelle d'hétéroévaluation comportementale

Pour quel patient ? La personne âgée présentant des troubles de la communication verbale.

Pour quelle douleur ? La douleur aiguë, les accès douloureux transitoires, la douleur procédurale.

Chapitre 7. Principes d'évaluation des syndromes douloureux chroniques : le sujet âgé    43

Figure 7.4 Échelle ECPA®. Source : Morello R et Coll. Une échelle comportementale d'évaluation de la douleur (E.C.P.A.). Lettre Mensuelle de l'Année Gérontologique n° 100-Décembre 1999.

Comment l'utiliser ? L'échelle comporte cinq items (domaines d'observation). La présence d'un seul comportement dans chacun des items suffit pour coter « oui » l'item considéré. La simple observation d'un comportement doit impliquer sa cotation quelles que soient les interprétations étiologiques éventuelles de sa préexistence. En pratique, pour remplir la grille, observer dans l'ordre  : les expressions du visage, celles du regard, les plaintes émises, les attitudes corporelles et, enfin, le comportement général. Chaque item coté « oui » est compté un point et la somme des

items permet d'obtenir un score total sur cinq. Un score supérieur ou égal à deux permet de diagnostiquer la présence d'une douleur avec une sensibilitté de 87 % et une spécificité de 80 % et, donc, d'instaurer de façon fiable une prise en charge thérapeutique et antalgique. Il est ensuite nécessaire de pratiquer régulièrement de nouvelles cotations. La prise en charge est satisfaisante quand le score reste strictement inférieur à deux [2, 10, 11]. Le score obtenu doit faire l'objet d'une traçabilité dans le dossier patient (IPAQSS). Source : www.sfetd-douleur.org.

44   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome et à son dépistage via l'utilisation successive des échelles d'hétéroévaluation habituelles, afin de ne pas négliger l'existence d'une telle pathologie quelquefois cachée par une douleur nociceptive et difficile à prendre en charge avec succès [4]. Il est primordial pour les soignants d'être vigilants, de renouveler l'évaluation, de se sensibiliser à la prise en charge systématique et réflexe. Néanmoins, améliorer l'évaluation de la douleur n'est pas toujours suivi d'une modification ­spectaculaire de la prise en charge médicamenteuse et de la prescription d'antalgiques, mais souvent, à tout le moins, d'une utilisation plus judicieuse des antalgiques de référence [5]. Il est essentiel d'avoir le réflexe de penser qu'un patient avec un comportement anormal puisse avoir une douleur non exprimée verbalement ou physiquement, de l'évaluer systématiquement et de répéter cette évaluation. De manière générale, il faut toujours intégrer l'évaluation de la douleur dans une prise en charge gérontologique et gériatrique globale.

Encadré 7.5 Notice de l'échelle Évalutation comportementale de la douleur chez la personne âgée (ECPA®) Quel type d'échelle ? Il s'agit d'une échelle d'hétéroévaluation comportementale.

Pour quel patient ? La personne âgée présentant des troubles de la communication verbale.

Pour quelle douleur ? Douleur aiguë, douleur chronique, douleur procédurale.

Comment l'utiliser ? L'échelle comporte huit items regroupés en 2 dimensions  : observation avant les soins (4 items), observation pendant les soins (4 items). Chaque item comporte 5 degrés de gravité progressive croissante allant de 0 à 4. La cotation globale va de 0 (pas de douleur) à 32 (douleur extrême). Un score supérieur à 6 est le signe d'une forte suspicion de douleur. Le temps de cotation va de 1 à 5 minutes, cotation pouvant être réalisée par une seule personne. Il est indispensable de coter la dimension « avant les soins » réellement avant les soins, et non pas de mémoire après ceux-ci. Il y aurait alors influence de la deuxième étape sur la première [12, 13]. Le score obtenu doit faire l'objet d'une traçabilité dans le dossier patient (IPAQSS). Source : www.sfetd-douleur.org.

Références [1] Pickering  G, Gavazzi  G, Gaillat  J, Paccalin  M, Bloch  K, ­B ouhassira D. Is herpes zoster an additional complication in old age alongside comorbidity and multiple medications ? Results of the post hoc analysis of the 12-month longitudinal prospective observational ARIZONA cohort study. BMJ Open 2016 ; 6(2). [2] Rat P, Jouve E, Pickering G, Donnarel L, Nguyen L, Michel M, et al. Validation of an acute pain-behavior scale for older persons with inability to communicate verbally : ALGOPLUS. Eur J Pain 2011 ; 15 : 198.e1–198.e10. [3] Martin E, Team DOLOPLUS Collective, Pereira B, Pickering G. Concordance of Pain Detection Using the DOLOPLUS and ALGOPLUS Behavioral Scales. J Am Geriatr Soc 2016 ; 64 : e100–2. [4] Pickering G, Marcoux M, Chapiro S, David L, Rat P, Michel M, et al. An Algorithm for Neuropathic Pain Management in Older People. Drugs Aging 2016 ; 33 : 575–83. [5] Moustafa F, Macian N, Giron F, Schmidt J, Pereira B, Pickering G. Intervention Study with ALGOPLUS® : A Pain Behavioral Scale for Older Patients in the Emergency Department. Pain Pract 2017 ; 17 : 655–62. [6] ANAES. Services des recommandations et références professionnelles. Évaluation et suivi de la douleur chronique chez l'adulte en médecine ambulatoire. Février 1999. [7] Jensen MP, Karoly P. Self-report scales and procedures for assessing pain in adults. In : Turk DC, Melzack R, editors. Handbook of pain assessment. New York : The Guilford Press ; 1992. p. 135–51. [8] Wary B, DOLOPLUS Serbouti S. validation d'une échelle d'évaluation comportementale de la douleur chez la personne âgée. Douleurs 2001 ; 2 : 35–8. [9] Wary B, Capriz F, Berthel M. DOLOPLUS echelle d'évaluation comportementale de la douleur chez la personne âgée : de la sensibilisation à la validation. Revue de gériatrie 1997 ; 22 : 22–5. [10] Rat P Jouve E, Bonin-Guillaume S, Donnarel L, Michel M, Capriz F, et al. Présentation de l'échelle de la douleur aiguë pour personnes âgées. ALGOPLUS. Douleurs 2007 ; 8 : 45–6. [11] Rat P, et al. Développement d'une echelle comportementale d'évalutation de la douleur aiguë du sujet âgé : ALGOPLUS. La Revue Canadienne du vieillissement 2006 ; 25(S1) : 141. [12] ANAES. Evaluation et prise en charge de la douleur chez les ­p ersonnes âgées ayant des troubles de la communication verbal. Octobre ; 2000. [13] Morello R, Jean A, Alix M, Sellin-Perez D, Fermanian J. A scale to measure pain in non-verbally communicating older patients : the ECPA-2. Study of its psychometrics properties. Pain 2007 ; 133  : 87–98.

Chapitre

8

Clinique de la douleur aiguë et chronique (facteurs de chronicisation et mémoire de la douleur) Bernard Laurent PLAN DU CHAPITRE Douleur chronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Douleur Aigüe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Chacun a expérimenté la douleur aiguë d'une brûlure, d'une fracture ou d'une céphalée ; il connaît la réponse musculaire de retrait ou la contracture réflexe, l'émotion avec la réponse végétative (tachycardie, sudation, jusqu'à la syncope, parfois) et l'hyperalgésie qui prolonge la douleur aiguë initiale. Cette réponse est périphérique au lieu de la blessure, ce qui implique des mécanismes neuronaux et biologiques locaux : libération au niveau du site lésionnel de substances biochimiques : K+, H+, prostaglandines, bradykinine, et « soupe inflammatoire », avec l'activation des canaux ioniques des fibres nociceptives C et A δ, des nocicepteurs silencieux, lieu d'efficacité du paracétamol et des anti-inflammatoires. Mais cette réponse est aussi centrale, ce qui explique cette diffusion de la douleur au-delà de la blessure, dans tout un territoire neurologique (nerf, racine), voire un membre entier, quand la réponse médullaire s'étend au-delà de la zone initialement stimulée (activation des récepteurs NMDA, et des seconds messagers, etc.), ce qui correspond à la transformation du système nerveux d'un état basal a un état sensibilisé. Cet état perdure et constitue une forme primitive de mémoire douloureuse supportée par des modifications géniques (les oncogènes c-fos ou c-jun qui initient des modifications neuronales persistantes de la CPME, où convergent les fibres nociceptives). Ces phénomènes de sensibilisation expliquent l'hyperalgésie mécanique et l'allodynie tactile que chacun a expérimenté lors du contact à la suite d'un coup de soleil ou dans l'hypersensibilité du cuir chevelu après une migraine : les mécanorécepteurs Aβ de bas seuil déclenchent la douleur. Cette caractéristique des douleurs neuropathiques Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Facteurs de chronicisation et mémoire de la douleur. . . . . . . . . . . . . . . . .

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(zona, traumatisme, chirurgie) permet leur identification tout comme les caractères de la douleur spontanée (brûlure, électricité) et la perte de sensibilité paradoxale de la zone douloureuse : on a mal là où on ne sent plus… Cette sensibilisation par dépolarisation de la corne postérieure est liée aux récepteurs NMDA du glutamate et aux récepteurs NK-1 de la substance P et de la neurokinine A. L'activation de ces récepteurs permet une entrée massive de calcium intracellulaire et stimule une cascade chimique, impliquant notamment la protéine kinase C et la NO-synthétase, avec production d'oxyde nitrique intracellulaire. Du fait de cette sensibilisation, les champs récepteurs des neurones de la moelle s'étendent au-delà du site lésionnel initial dans les tissus adjacents non lésés. L'analgésie optimale doit bloquer l'influx douloureux au niveau périphérique du nocicepteur (analgésiques AINS), de la conduction nerveuse (blocs anesthésiques) ou au niveau de la moelle (morphiniques ou anti-NMDA) pour prévenir l'hyperalgésie secondaire, prélude de toute douleur chronique.

Douleur Chronique La douleur chronique, quel qu'en soit le mécanisme (inflammatoire, cancer, neuropathique), s'oppose à la douleur aiguë non seulement par sa durée (classiquement supérieure à six mois), mais surtout par sa résistance aux médicaments et l'auto-entretien qui en font une maladie autonome. L'hyperalgésie centrale, le maintien d'une activation des nocicepteurs (nocicepteurs articulaires de l'arthrose, sollicités par le mouvement ou compression d'un nerf par un ­cancer 45

46   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome extensif, etc.) sont aggravés par la faillite des systèmes endogènes de contrôle de la douleur : systèmes endorphinique, sérotoninergique, noradrénergique, cannabinoïde, etc. Ce déficit de contrôle endogène est combattu par des molécules qui tentent de le restaurer (antidépresseurs, antiépileptiques, neuromodulation, etc.). L'abus d'antalgiques, particulièrement des opioïdes (morphine et des dérivés opiacés plus puissants, comme le fentanyl) après une analgésie puissante, déclenche une hyperalgésie d'autant plus grave que la consommation est répétée. Cette prescription dans les situations de douleur chronique doit donc être contrôlée afin d'éviter hyperalgésie, chronicité, mémorisation et addiction (actuellement plus fréquente que les prises à visée récréative aux États-Unis, où plus de 60 000 décès annuels en dépendent).

Douleur aigüe La mémoire d'une douleur aiguë est sans cesse interrogée par le médecin pour son diagnostic alors qu'elle est particulièrement fragile, car on ne peut pas faire revivre le souvenir corporel dans sa précision topographique ni son intensité : on se rappellera la note de l'échelle, mais on retiendra difficilement les caractéristiques topographiques et l'irradiation, pourtant indispensables au médecin qui interroge. Cette mémoire est affectée par plusieurs facteurs et, par exemple, l'intensité de la douleur et l'état douloureux sont souvent mieux mémorisés que la durée de la douleur. Pami ces facteurs, interviennent les conditions de l'amélioration par le médicament : par exemple, le souvenir de l'intensité initiale de la douleur s'efface si l'amélioration de l'état a été rapide. Les facteurs psychologiques et les notions de stress traumatique jouent également un rôle, d'où l'intérêt des interventions psychologiques atténuant le contexte initial : hypnose, prescription d'un anxiolytique, etc. La prévention de cette mémorisation douloureuse passe donc par la réduction maximale des influx nociceptifs (techniques chirurgicales, analgésie efficace, anesthésie locorégionale), des facteurs d'hyperalgésie (anti-NMDA, comme la kétamine, etc.) et des éléments de contexte (anxiété, sommeil, anticipation négative, effet nocebo, etc.). La littérature anesthésiologique est riche dans ce domaine.

Facteurs de chronicisation et mémoire de la douleur Quand on interroge à distance un patient sur une situation douloureuse (accouchement, extraction dentaire, etc.), les rappels du contexte, de l'émotion, de l'échelle de cotation de la douleur sont corrects, mais l'absence de reviviscence conduit aux erreurs déjà citées qui peuvent aller jusqu'à celle du côté. Paradoxalement, on reconnaît très bien une douleur aiguë déjà expérimentée, ce qui atteste de sa mémorisation dans le SNC : quiconque a connu la migraine, la colique néphrétique ou l'angine de poitrine fait vite son propre diagnostic. Donc la douleur physique est stockée, mais non ré-évocable comme peut l'être un souvenir visuel. Les douleurs fantômes,

atteignant un membre qui a été amputé, sont classiques ; plus étranges sont celles qui reproduisent une situation de douleur aiguë ancienne : par exemple, dans le cas de l'accident, la dernière perception de la main crispée sur le guidon de moto, ou encore le cas de ce patient qui ressentait dans son bras fantôme amputé une écharde sous l'ongle du majeur et mit beaucoup de temps à établir, grâce au récit maternel, le lien entre cette douleur et sa biographie : cette écharde avait existé douloureuse­ ment quelques heures seulement à l'âge de 5 ans [1]. Depuis les années 1980, il est établi que les voies nociceptives du fœtus humain sont fonctionnelles dès 6 semaines de grossesse. Les nouveau-nés hospitalisés en soins intensifs ou en réanimation néonatale sont exposés à différents types de stimuli douloureux (cathétérismes, aspirations trachéales, etc.) et soumis à un stress prolongé (isolement affectif, stimuli acoustiques et lumineux, etc.), entraînant une combinaison de douleurs aiguës et chroniques. Ce stress périnatal induit des perturbations à long terme du contrôle de la douleur qui ont été prouvées chez des adolescents anciens prématurés étudiés par imagerie cérébrale. Chez l'humain nouveau-né à terme, les naissances traumatiques (forceps), associées à un taux élevé de cortisol, ou la circoncision sans anesthésie des premiers jours sont responsables d'un comportement douloureux important lors des vaccinations à 4 et 6 mois [2]. Il reste beaucoup d'inconnus sur l'inscription physiologique d'une douleur et les sites anatomiques impliqués. Le système nociceptif est probablement soumis à une « finalité » d'oubli de la douleur, mais tout stimulus douloureux entraîne des modifications neurochimiques et synaptiques durables du système nerveux. Ce stockage mnésique de la douleur, utile pour la reconnaître et mieux la combattre, sera d'autant plus important que le stimulus nociceptif aura été intense et répété. Un frayage commun entre douleur somatique et souffrance psychique peut expliquer l'intrication observée dans les douleurs chroniques poststress ou les douleurs psychogènes. La connaissance de ces phénomènes a promu l'analgésie préventive en cas de lésions nerveuses après chirurgie ou dans la phase initiale du zona. Elle incite à analyser toute douleur en référence à la biographie douloureuse ancienne. Le concept d'allostasie illustre cette idée selon laquelle chacun fait sa douleur actuelle en fonction d'un passé douloureux et d'une expérience des antalgiques qui ont façonné les systèmes de contrôle endogène. Ainsi, l'utilisation des antalgiques n'est jamais anodine, surtout celle des opiacés. Les bonnes intentions (tel « l'hôpital sans douleur », évalué selon sa consommation de morphine, dans les années 1980) s'avèrent parfois nocives à long terme [3].

Références [1] Laurent B. Mémoire de la douleur. Douleur et Analgésie 2011. 24 ; S11 3. [2] Taddio A, Katz J, Ilersich AL, Koren G. Effect of neonatal circumcision on pain response during subsequent routine vaccination. Lancet 1997 ; 349 : 599–603. [3] Simonnet G, Laurent B, Lebreton DL. Homme douloureux. Paris. Odile Jacob ; 2018.

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Chapitre

Savoir expliquer Isabelle Nègre  PLAN DU CHAPITRE Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Différence entre douleur aiguë et douleur chronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Douleur postchirurgicale . . . . . . . . . . . . . . . . . Douleur neuropathique . . . . . . . . . . . . . . . . . .



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Introduction L'adhésion au traitement et à la démarche thérapeutique repose sur la bonne compréhension du patient [1]. Une information pertinente bien comprise est donc primordiale et contribue à une relation thérapeutique de qualité, évoluant vers une alliance thérapeutique [2, 3]. La « bonne explication » nécessite, outre de maîtriser les principes de communication qui seront exposés dans le chapitre 10, de comprendre l'histoire du patient douloureux chronique et la façon dont il voit et vit sa douleur [4]. « Vous êtes mon dernier espoir... » : anxiété ou dépression réactionnelle sont fréquemment présentes, et l'explication reposera sur une relation respectant quelques principes tels que rassurer, encourager les questions, expliquer les examens complémentaires, supprimer tout jugement de valeur et préciser les objectifs et préférences en matière de traitement [5]. Nous développons ci-dessous quelques éléments qui sont presque toujours présents.

Le patient a une faible connaissance sémiologique La douleur est comprise comme un tout, assez global et flou. Le patient évoque sa douleur, et la première difficulté est d'introduire, à partir des éléments descriptifs, des nuances sémiologiques qui permettront de suivre une évolution.

Le patient reconnaît difficilement l'effet psychologique de sa douleur Le patient a une faible reconnaissance de l'effet psychologique de sa douleur. Si la souffrance est souvent évidente, le chemin est parfois long pour qu'elle puisse s'exprimer ouvertement, la demande étant le plus souvent somatique. L'explication des conséquences de la douleur chronique aide à cette expression. Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Traitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Neurostimulation électrique transcutanée (TENS) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ostéopathie ou chiropraxie . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



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Des notions anatomiques ou physiologiques parfois inattendues Le patient explique sa douleur selon des notions anatomiques ou physiologiques parfois inattendues. Il est important d'en tenir compte dans les explications, non pour les contredire, ce qui serait contre-productif, mais pour, gentiment, les ajuster, en s'aidant d'images proposées sur Internet, que le patient pourra revoir chez lui s'il le souhaite.

Une longue histoire Les douloureux chroniques ont, par définition, une longue histoire, marquée par des consultations multiples de nombreux spécialistes qui auront donné leur explication, plus ou moins convaincante, voire parfois traumatisante. Une nouvelle explication contradictoire peut être facteur de confusion, amenant le patient à faire un choix selon sa préférence ou sa meilleure compréhension de l'une ou de l'autre, choix influencé par l'aura, la réputation, l'autorité et la conviction de qui l'a énoncé. Partir de ce que le patient croit savoir sans dénigrer les collègues est une attitude prudente et apaisante.

Une longue histoire écrite aussi par le patient Le patient, en réfléchissant à sa douleur s'est donc construit une histoire. Cette cohérence est une réaction humaine normale dont l'utilité majeure est la préservation psychique et la diminution de l'anxiété. Mais la douleur persistante est menaçante et pollue chaque moment de la vie : la menace de sa survenue exacerbe son intensité, entraînant hypervigilance, défaut d'apprentissage des états de détente, évitement comportemental et cognitif et hyperréactivité face à l'incertitude, autant d'éléments interférant avec le fonctionnement cérébral et induisant un état émotionnel parfois régressif [6]. L'explication doit donc rassurer, mais rester simple. 49

50   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

Diminuer son anxiété selon sa personnalité Le patient cherche à diminuer son anxiété selon sa propre personnalité, variant entre deux extrêmes [7] : les monitors essaient d'exercer un contrôle sur tout en obtenant le plus d'informations possible alors que les blunters ignorent les détails médicaux tout en cherchant à s'assurer que tout ira bien. Mais tous désirent être à la fois informés et rassurés. Les trames d'explication iront donc du technique (monitor) au métaphorique (blunter). L'explication est donc bien différente d'un simple élément de langage : pour être comprise et intégrée, elle devra résulter d'une rencontre, avec écoute empathique, et non pas d'une nouvelle vérité assénée. Il est donc fondamental d'inviter le patient à raconter son histoire pour pouvoir ensuite procéder à l'explication en des termes compréhensibles et adaptés, l'essentiel étant la compréhension de l'approche et non l'exhaustivité neurophysiologique. La qualité de cette explication demande du temps, n'est pas toujours innée et peut être améliorée grâce à un apprentissage [8]. Quelques exemples suivent, illustrant les deux approches, transcrites en langage oral.

Différence entre douleur aiguë et douleur chronique « Pour la douleur aiguë, les choses sont assez simples : le système nerveux est comme un câblage électrique, et le cerveau est comme un grand tableau électrique très sophistiqué. Quand vous vous blessez, des récepteurs au niveau de la peau sont stimulés et codent le message : piqûre, trop chaud, trop froid, écrasement. Le message est transmis dans le nerf, puis les nerfs se rejoignent pour former ce qu'on appelle un plexus, et arrivent à la moelle épinière où les messages sont triés et codés pour être envoyés vers le cerveau. Au niveau du cerveau, il y a plusieurs étages, plus ou moins sophistiqués : par exemple le premier étage vous fait retirer la main de façon automatique, vous réveille, augmente votre attention et votre fréquence cardiaque. Les étages suivants vont localiser précisément la zone de la douleur et interpréter le message comme brûlure, coupure, chaleur ou écrasement. Plus haut dans les étages, le message va être analysé de plus en plus finement, désagréable ou terrifiant, par exemple, et mis en mémoire. Ce message est envoyé partout et en même temps dans votre cerveau qui saura à présent de façon inconsciente, automatique, éviter les situations dangereuses ou vous faire ressentir un sentiment de malaise ou de peur quand vous verrez un grand couteau ou, chez certaines personnes, quand elles viennent à l'hôpital ! Pour la douleur chronique, c'est un peu plus compliqué. En fait, les câbles et le tableau électriques sont vivants, car ils se modifient si les messages durent. Quand la douleur persiste, ce qui est votre cas, les câbles, les nerfs, sont sollicités sans arrêt, la moelle épinière va être envahie de messages douloureux ainsi que le cerveau. L'ensemble du système va être en quelque sorte en surchauffe et devenir de plus en plus

sensible, voire se déclencher tout seul, sans aucune stimulation… Tout le système est touché et devient hypersensible à la moindre chose. Et cela touche tous les étages, y compris ceux de l'émotion. C'est pour ça que vous éprouvez peutêtre de la tristesse, de la fatigue, des moments de déprime… C'est pour ça qu'il faut du temps pour remettre tout en place, pour que les choses s'apaisent… Et c'est pour ça que, parfois, il faut se faire aider. »

Douleur postchirurgicale « Après une opération, ces douleurs sont fréquentes. Mais, rassurez-vous, vous avez été bien opéré… Lorsque le chirurgien incise la peau, il va forcément couper de petits nerfs, minuscules, qu'il est impossible de voir à l'œil nu. Lorsqu'il recoud la peau, les deux côtés ne sont pas forcément exactement en face. Les petits nerfs vont faire ce qu'ils peuvent pour cicatriser : ils forment parfois des petites boules qui sont très sensibles. Dès qu'on touche et qu'on bouge la zone, la petite boule va déclencher un signal puissant, non adapté. Comme un court-circuit électrique. Ou bien les petites fibres vont rester à vif et se déclencher au moindre contact. Le problème, c'est que tout ce qui est autour va ressentir ces impulsions et réagir : les muscles se contractent et aggravent la douleur en augmentant la stimulation du nerf. Forcément, on ne trouve jamais la bonne position pour éviter la douleur et, quoi qu'on fasse, pour un geste quelconque, elle explose. Alors, on a peur du moindre mouvement. »

Douleur neuropathique « Ce que vous avez eu (chimiothérapie, zona, diabète, etc.) a abîmé l'extrémité de vos nerfs. Les nerfs sont comme un câble électrique avec une gaine autour. Au bout, vers la peau, il n'y a plus de gaine et le nerf devient comme une ficelle effilochée. Ce que vous avez eu a abîmé la gaine, le bout qui fonctionne mal et envoie des messages inadaptés. Pour calmer la douleur et permettre au nerf de cicatriser, il faut un traitement spécial, qui va agir en diminuant sa réactivité. »

Traitement « Le traitement a pour but de diminuer les impulsions de ces petites zones nerveuses. On peut le faire grâce à deux familles de médicaments : les antiépileptiques, même si vous n'êtes pas épileptique, et certains antidépresseurs, même si vous n'êtes pas déprimé. Pour les antiépileptiques, les doses seront normales. Pour les antidépresseurs, les doses seront très petites, 10 à 20 fois moins que pour la dépression. Donc, ne lisez pas la notice qui ne correspond pas aux doses que vous prendrez… Par contre, les deux mettent du temps à agir : il faudra prendre le traitement pendant 3 semaines à 1 mois avant d'avoir un résultat. Et il va falloir trouver le dosage qui vous convient. Je vais vous donner d'abord de petites doses, donc, soyez très attentif : toute amélioration, même minime est un signe positif et nous adapterons les doses ensemble par la suite. »

Chapitre 9. Savoir expliquer   51

Neurostimulation électrique transcutanée (TENS) « Cet appareil fonctionne par de petites stimulations électriques sur la peau. Il se fonde sur des fonctions de notre corps que vous connaissez sûrement. En réalité, on ne ressent pas la douleur tout le temps de la même façon. Par exemple si vous êtes sur un bateau au milieu d'une tempête, votre corps va être stimulé par le vent, le froid, la pluie et toutes les choses à faire à ce moment-là pour la bonne marche du bateau. Dans ces moments, si vous vous blessez, vous ne sentirez presque rien. Vous ressentirez la douleur quand vous retournerez au calme et là vous direz : ouh là là ! mais je me suis fait très mal ! À l'inverse, si vous dormez et que vous n'avez aucune stimulation extérieure : pas de vent, pas de pluie, vous êtes au chaud et c'est confortable, et qu'on vous pique, vous allez bondir et avoir très mal. Notre corps est donc très bien organisé : il y a des filtres pour diminuer le message douloureux, comme les stimulations non douloureuses. C'est pour ça que lorsqu'on se fait mal, on a tendance à frotter la partie endolorie, et ça fait du bien. Cet appareil fonctionne sur ce principe : il envoie de petites décharges électriques non douloureuses qui vont masquer votre douleur. C'est un des programmes de la TENS. Notre corps a d'autres filtres : il produit, par exemple, de la morphine. Un programme de la TENS va permettre d'augmenter cette production de morphine. Une infirmière vous expliquera le fonctionnement de l'appareil et vous aidera à choisir le bon programme pour vous. Vous utiliserez l'appareil chez vous en le réglant vousmême pour que les stimulations ne soient pas douloureuses, mais, au contraire apaisantes. »

Ostéopathie ou chiropraxie « Notre corps est soutenu par la colonne vertébrale, comme la charpente d'une maison. Théoriquement, les deux jambes sont égales, le bassin est posé dessus comme une boîte dans laquelle est encastré le sacrum. Par-dessus, il y a les vertèbres et la tête. Tout autour, les muscles qui sont comme des haubans de bateau. En fait, ça n'est jamais comme ça. Les jambes ne sont jamais tout à fait égales. Le bassin est donc un peu en biais. Si la colonne vertébrale était raide, la tête serait penchée. Or, la mission de la colonne vertébrale est de garder la tête droite. La colonne fait un joli S et tout va bien. Mais cet équilibre peut se rompre pour une raison souvent anodine : une glissade, une nuit dans un mauvais

lit, une petite chute, etc. Je prends souvent l'exemple d'une pile de tasses un peu de guingois dans le buffet. Ça tient, mais pour un rien, une porte qui claque ou un éternuement, tout s'écroule. C'est pareil au niveau de la colonne. Du coup, l'équilibre est rompu et les douleurs apparaissent au niveau des zones de contrainte : les sacro-iliaques, les lombaires parce qu'elles sont très mobiles, au milieu du dos (mais souvent on ne le sent pas à cause de la rigidité de la cage thoracique), et au niveau du cou, qui est très mobile. Les muscles sentent le danger et se contractent pour essayer de redresser la situation et on a mal. Les manipulations faites par un bon professionnel ont pour but de vous restituer votre propre équilibre et de diminuer cette tension musculaire. »

Conclusion La qualité de l'information ne peut être jugée qu'a posteriori. Elle est un élément essentiel de la compliance et de l'observance du traitement et, au final, de l'autonomie du patient, objectif essentiel de la prise en charge du douloureux chronique [1].

Références [1] Fu Y, McNichol E, Marczewski K, Closs SJ. Exploring the Influence of Patient-Professional Partnerships on the Self-Management of Chronic Back Pain : A Qualitative Study. Pain Manag Nurs 2016 ; 17 : 339–49. [2] Butow P, Sharpe L. The impact of communication on adherence in pain management. Pain 2013 ; 154 : S101–7. Suppl. 1. [3] Rees S, Williams A. Promoting and supporting self-management for adults living in the community with physical chronic illness : A systematic review of the effectiveness and meaningfulness of the patientpractitioner encounter. JBI Libr Syst Rev 2009 ; 7(13) : 492–582. [4] Haverfield MC, Giannitrapani K, Timko C, Lorenz K. Patient-Centered Pain Management Communication from the Patient Perspective. J Gen Intern Med 2018 ; 33 : 1374–80. [5] Dang BN, Westbrook RA, Njue SM, Giordano TP. Building trust and rapport early in the new doctor-patient relationship : a longitudinal qualitative study. BMC Med Educ 2017 ; 17 : 32. [6] Grupe DW, Nitschke JB. Uncertainty and anticipation in anxiety : an integrated neurobiological and psychological perspective. Nat Rev Neurosci 2013 ; 14 : 488–501. [7] Zollo RA, Lurie SJ, Epstein R, Ward DS. Patterns of communication during the preanesthesia visit. Anesthesiology 2009 ; 111 : 971–8. [8] Delvaux N, Merckaert I, Marchal S, Libert Y, Conradt S, Boniver J, et al. Physicians' communication with a cancer patient and a relative : a randomized study assessing the efficacy of consolidation workshops. Cancer 2005 ; 103 : 2397–411.

Chapitre

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Savoir communiquer avec le patient douloureux Julien Nizard, Éric Serra PLAN DU CHAPITRE Communication non verbale, attitude empathique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Communication verbale, réassurance . . . . . . . Promouvoir l'alliance thérapeutique et la définition d'un contrat d'objectifs . . . . . Favoriser la motivation et l'engagement du patient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Mots-clés : Communication verbale. Communication non verbale. Empathie. Alliance thérapeutique. Motivation. Empowerment. Apprentissage. Médecine intégrative.

POINTS CLÉS • Adopter une attitude empathique, authentique et prendre le temps d'écouter le patient. • Donner des explications simples sur les causes de la douleur, les examens complémentaires éventuels, nécessaires et suffisants, l'évolution habituelle des symptômes et les traitements disponibles, médicamenteux et non médicamenteux. • Faire prendre conscience au patient de l'importance et de la valeur du retentissement émotionnel de ses douleurs et de son investissement dans la prise en charge. • Définir des objectifs de prise en charge précis et réalistes, choisis par le patient. • Valoriser ses efforts, mêmes modestes. • Encourager le patient à la pratique quotidienne d'activités physiques et d'approches psychocorporelles.

La douleur étant subjective, le patient douloureux, particulièrement lorsqu'il s'agit de douleur chronique, s'adressera aux soignants dans un langage et au moyen d'un comportement empreints de son vécu douloureux, souvent marqué par des incompréhensions (voire un rejet) par ses proches et par le corps médical, et par un parcours médical chaotique. Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Promouvoir l'autonomie du patient et sa « responsabilité » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Pratique de la relation thérapeutique : place des thérapies complémentaires . . . . . . . Former les médecins et les professionnels de santé à la communication thérapeutique . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Savoir mieux communiquer avec le patient douloureux constitue ainsi un élément essentiel de sa prise en charge, et en conditionne largement le succès. Il s'agit d'aider le patient à dépasser les obstacles à l'amélioration de ses douleurs et de l'inscrire dans une démarche de changement des stratégies adoptées face à ses douleurs, grâce à un investissement durable dans sa prise en charge.

Communication non verbale, attitude empathique La posture du médecin ou du soignant lorsqu'il communique avec le patient, évalue sa douleur et son retentissement, est capitale : il s'agit d'abord d'écouter attentivement le patient, de le croire, de lui faire confiance. Ce premier élément, qui paraît si évident, est pourtant relativement rare, si l'on écoute les patients douloureux faire part de la souffrance qu'ils ont ressentie lorsque les praticiens qui les ont pris successivement en charge ne les ont pas (de leur point de vue), suffisamment écoutés ou pris en compte, les interrompant (trop) rapidement, se tenant face à leur ordinateur, etc. Les silences sont utiles, lorsqu'il s'agit d'accueillir la souffrance du patient et de ses proches. On peut, par nos attitudes ou nos propos, inviter le patient à exprimer ce qu'il ressent (émotions), ce qu'il pense (cognitions) et ce qu'il craint. Prendre le temps et l'énergie nécessaires à l'établissement d'une relation de qualité, éviter l'impatience, voire un agacement, visible ou perçu [1], est donc une étape indispensable de la prise en charge : en centre de la douleur, la première consultation avec un patient douloureux chronique dure habituellement près d'une heure (voire 53

54   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome une heure et demie s'il s'agit d'un enfant ou d'un adolescent accompagné de ses parents). En médecine libérale, elle peut être répartie sur plusieurs consultations, avec au moins une consultation ciblée sur la définition d'un contrat d'objectifs.

Communication verbale, réassurance Il est important d'expliquer de façon humaine, compréhensible et attentive à un patient en souffrance, dans un langage simple, volontiers positif, le diagnostic envisagé et les différents traitements possibles. Le patient est placé au centre de sa prise en charge : en premier lieu, il réalise lui-même l'évaluation de ses symptômes et de leur retentissement (autoévaluation, toujours préférable à l'hétéroévaluation par un tiers). Ces explications simples peuvent « changer la donne », par exemple dans le cas d'une demande de nouvelle (et inutile) imagerie ou de nouvelle (et, parfois, iatrogène) chirurgie chez le patient atteint de lombalgie chronique ; ou encore lorsqu'il s'agit d'expliquer à un patient porteur d'un syndrome douloureux régional complexe (anciennement appelé algodystrophie) que, même si la symptomatologie est parfois intense, l'évolution est le plus souvent favorable en quelques semaines, à condition que le traitement soit bien conduit, et que le patient s'y investisse activement.

Promouvoir l'alliance thérapeutique et la définition d'un contrat d'objectifs [2] La médecine de la douleur repose sur la participation active et centrale du patient à sa prise en charge : l'éducation thérapeutique (ETP), fondée sur les sciences de l'apprentissage, lui permettra de mieux comprendre les enjeux de sa prise en charge et les moyens de l'optimiser. La définition d'objectifs communs entre le patient et son thérapeute est capitale. Faute de tels objectifs partagés, l'errance diagnostique et thérapeutique du patient risque de se transformer en cercle vicieux. En effet, le patient douloureux est souvent en attente d'une disparition complète, magique, de ses douleurs et d'un traitement qui lui permettra d'y parvenir. Le thérapeute non averti risque de tomber dans ce piège en poursuivant à son tour cet objectif souvent inatteignable dans la douleur chronique, ou, au contraire, en s'en désespérant. Le discours positif et renforçateur de l'alliance thérapeutique permet une approche à la fois réaliste et optimiste, qui fait évoluer l'espoir d'une guérison absolue vers celui d'une amélioration relative, en vue d'une qualité de vie « acceptable ». L'offre thérapeutique, jamais résignée, souvent inventive, « à petits pas », doit valoriser chaque objectif, même modeste, atteint par le patient, et éloigner celui-ci de l'assignation à la chronicité irrémédiable. Cette stratégie est aidante pour le patient mais aussi pour ses

soignants, qui doivent accepter la position basse de celui qui ne sait pas tout et ne pourra pas tout, qui ne sera donc pas le « sauveur » ou le « dernier espoir ».

Favoriser la motivation et l'engagement du patient [3] Initialement, ce sont les facteurs d'entretien du syndrome douloureux chronique qu'il convient de connaître et d'expliquer au patient et à son entourage (et aussi de mieux faire connaître aux médecins et soignants), afin qu'ils puissent se mobiliser pour limiter tout ce qui contribue à l'entretien des douleurs. La première étape consiste souvent à faire comprendre au patient que l'entretien de la douleur a divers facteurs : mésusage des antalgiques et abus médicamenteux très fréquents ou, parfois, résistance à toute prise d'antalgique ; déconditionnement à l'effort avec évitement des activités ; attentes thérapeutiques irréalistes ; pessimisme ou catastrophisme en partie injustifiés ; fausses croyances sur le rôle prétendument néfaste de l'activité physique ou du travail (qui sont au contraire bénéfiques, à conditions d'être adaptés) ; distorsions cognitives (« on me prend pour un tire-au-flanc » ou encore « on me cache la vérité », etc.) ; désocialisation et arrêt de travail prolongé. Le projet thérapeutique proposé est ainsi souvent éloigné des attentes initiales du patient. L'alliance nécessaire et le partage d'objectifs thérapeutiques, pragmatiques et personnalisés, centrés sur l'amélioration de la qualité de vie au quotidien (et pas sur la seule douleur, dont l'amélioration sera souvent modérée), l'instauration d'apprentissages progressifs de comportements favorables à une bonne santé et une hygiène de vie (levers et couchers à des heures régulières, alimentation variée et, si possible, repas en collectif, etc.) et la finalisation d'un échéancier rigoureux (date de reprise d'activités socialisantes, planning en vue d'un retour au travail et adaptations professionnelles à prévoir) s'apparentent à des entretiens motivationnels. Tout en combattant, si possible, tout ce qui aggrave manifestement la douleur, l'apprentissage valorise la recherche des comportements de bonne santé qui influencent favorablement la qualité de vie, tandis que la pathologie d'origine demeure souvent chronique. Les ressources du patient seront mobilisées (par exemple la reprise de la musique chez un musicien ou des séances de cinéma chez un cinéphile) : on cherchera avec lui les solutions qu'il apportera lui-même pour avancer dans la prise en charge de ses douleurs, en promouvant une dynamique de changement grâce à laquelle le patient pourra « mieux vivre avec ses douleurs » plutôt que « vivre avec ses douleurs ». Il est important de valoriser les efforts du patient douloureux, dont l'estime de soi est souvent détériorée et qui recueille de son entourage, de ses collègues et des soignants et médecins qui le prennent en charge, des ressentis souvent indifférents, voire franchement négatifs à son encontre. Le renforcement des réussites ou, au moins, des efforts est plus efficace que la critique des échecs.

Chapitre 10. Savoir communiquer avec le patient douloureux    55

Promouvoir l'autonomie du patient et sa « responsabilité » Davantage que les médicaments ou les approches techniques ou chirurgicales les plus pointues (en fait rarement nécessaires), c'est la qualité de la relation thérapeutique et des interventions thérapeutiques simples qui permettront au patient douloureux d'aller vers une vie meilleure et moins centrée sur ses douleurs, de diminuer sa consommation de certaines molécules responsables d'effets secondaires et de reprendre son travail et ses activités physiques et sociales. Chaque thérapeutique, qu'elle soit corporelle, psychocorporelle, psychocomportementale ou socio-­é ducative, a pour but d'autonomiser le patient qui s'approprie les différents traitements, et met en place une pratique régulière [4], avec, dans le meilleur des cas un « planning de tâches » quotidiennes et hebdomadaires. C'est autant valable pour l'activité physique adaptée plurihebdomadaire, précisément prescrite, qu'il pérennisera, que pour des séances d'autohypnose quotidienne ou pour des activités de loisir ou socialisantes. Enfin la « responsabilisation » du patient (« empowerment » des Anglo-Saxons), qui reprend le pouvoir sur son devenir, en prend conscience et s'en réjouit, permet au patient (dans le meilleur des cas, définitivement), de changer de stratégie vis-à-vis de ses douleurs qui l'ont handicapé, et qu'il a désormais appris à apprivoiser. Moins tenté par une dépendance aux soignants ou aux médicaments, voire aux substances, le patient deviendra davantage libre de son devenir.

Encadré 10.1 Exemple de contrat d'objectifs Patiente fibromyalgique, aide-soignante en arrêt de travail prolongé depuis neuf mois : échéancier à un mois. Rationalisation du traitement médicamenteux  : arrêt des AINS pris au long cours, sevrage progressif des opioïdes de palier 3, du somnifère et des triptans pris de façon abusive. ■ Reprise d'une activité physique : marche quotidienne, deux fois 15 minutes par jour, pour aller chercher mes enfants à l'école ■ Passer moins de temps au lit dans la journée : 30 à 40 minutes en début d'après-midi (au lieu des 3  heures actuelles), et optimiser ce temps par une séance de relaxation ou de méditation. ■ Travailler mon hygiène de vie et de sommeil : lever à heure fixe, à 7 h 30, coucher à 23 h 00, petits déjeuners et dîners en famille. ■ Mettre en place une approche psychothérapeutique individuelle  : contact pris avec le thérapeute et premier rendez-vous programmé. ■ Commencer une activité associative  : aide aux devoirs de jeunes enfants en difficulté. ■ Avancer sur mon projet professionnel  : reprise de contact avec le cadre infirmier et visite de préreprise avec le médecin du travail. ■

Pratique de la relation thérapeutique : place des thérapies complémentaires [5] Partie intégrante de la prise en charge du patient douloureux, les interventions non médicamenteuses (au premier rang desquelles l'activité physique adaptée) et les thérapies complémentaires (acupuncture, médecine manuelle-­ostéopathie, méditation de pleine conscience, etc.) occupent une place de choix dans l'approche du patient douloureux chronique. Elles deviennent parfois le traitement principal de certains symptômes, justifiant l'appellation de « traitements non médicamenteux » dont le niveau de validation scientifique progresse, au sein de la médecine intégrative. Leur intérêt réside notamment dans la qualité de la relation thérapeutique qu'elles soutiennent auprès du patient, et dans le fait qu'elles sont davantage centrées sur l'amélioration de la qualité de vie que sur la résolution des seules douleurs : elles permettent souvent une amélioration des troubles du sommeil, de l'anxiété et d'autres conséquences psychocomportementales associées aux douleurs. Ces thérapies soulignent l'importance de la relation thérapeutique, de la relation du patient avec lui-même et son entourage et de l'auto-pratique par le patient, devenu acteur principal de sa santé.

Former les médecins et les professionnels de santé à la communication thérapeutique La formation initiale à la relation et à la communication thérapeutiques lors des études de santé (médecine, pharmacie, odontologie ou encore études menées par les sages-femmes) est encore limitée, mais se développe. L'apprentissage, grâce à la simulation en santé, en individuel ou en petits groupes, permet d'entraîner l'étudiant ou le professionnel à développer une relation thérapeutique de qualité avec le patient et ses proches, ou d'annoncer une maladie grave, en évitant les pièges relationnels propres aux pathologies chroniques. Ce peut être, par exemple, grâce à des consultations simulées avec un comédien professionnel jouant le rôle d'un patient douloureux, ou à des jeux de rôles. Cette formation aura avantage à être associée, pour ceux qui le peuvent, à un apprentissage plus spécifique au contact des praticiens algologues, lors de consultations douleur, ou au sein d'unités d'hospitalisation douleur.

Conclusion Pour la pratique de la médecine de la douleur, la relation est essentielle et intervient à tous les stades de la prise en charge. La communication thérapeutique auprès du patient douloureux peut s'apprendre lors de la formation initiale, tant d'un point de vue théorique que pratique, au contact des médecins et des soignants qui prennent en charge ces patients, mais aussi lors de la formation continue. Aidé et grandi par la qualité de la relation thérapeutique, le patient renonce à des objectifs irréalistes et dépasse les

56   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome obstacles au changement, en avançant progressivement vers une vie meilleure (un "rétablissement", plus qu'une guérison), davantage au contact de lui-même et des autres.

Références [1] Patrice Queneau, Gérard Ostermann. Soulager la douleur : écouter, croire, prendre soin. Paris : Odile Jacob ; 1998.

[2] Haute Autorité de santé. Évaluation et suivi de la douleur chronique chez l'adulte en médecine ambulatoire ; 1999. [3] Serra Eric. Les bases psychologiques de la douleur. Douleur en santé mentale. Partie 1. Rev Prat 2013 ; 63 : 1159–63. [4] Nizard J, et al. Pratique de la pluridisciplinarité dans un Centre de Traitement de la Douleur. Douleur et Analgésie 2003 ; 3 : 137–97. [5] Nizard J., Kopferschmitt J., Collège Universitaire interdisciplinaire de Médecine Intégrative et Thérapies complémentaires. HEGEL 2017 ; 7(4), https://cumic.net.

Chapitre

11

Savoir identifier la douleur Olivier Bredeau  PLAN DU CHAPITRE Identification « classique » de la douleur. . . . . Identification selon les mécanismes de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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L'évaluation de la douleur est un temps clinique ­indispensable pour le traitement de la douleur. Elle ne peut pas se résumer à la mesure de son intensité ou de la durée : aiguë, chronique. L'identification de la douleur devient indispensable pour mieux définir la douleur et ses mécanismes d'élaboration. Les connaissances physiologiques actuelles permettent de classer les douleurs selon les mécanismes neurophysiologiques qui sont mis en jeu de la périphérie au cerveau. Nous ne parlerons plus seulement de la douleur mais des douleurs. Et même si l'expérience de cette douleur est toujours subjective, nous avons la nécessité d'objectiver les critères d'identification pour personnaliser le traitement en améliorant la réponse thérapeutique et créer des populations homogènes pour les études cliniques.

Identification « classique » de la douleur Selon les recommandations de la HAS de 2008 [1], la douleur est identifiée et classée en trois catégories : nociceptive (mécanique ou inflammatoire) neuro­p athique (périphériques ou centrales), les douleurs mixtes qui associent les deux caractères ou dysfonctionnelles (mécanisme lésionnel non précisé). Le terme de psychogène, source de confusion clinique souvent désignée par le praticien au malade : « la douleur, c'est dans votre tête », a été abandonné, pour laisser place aux facteurs de chronicisation comme l'anxiété, la dépression, le catastrophisme, etc. Cette identification des douleurs se fait par l'examen clinique : interrogatoire, schéma de la douleur et examen physique. Cet examen de la douleur permettra de préciser : l'ancienneté de la douleur, son mode de début, sa localisation (territoire neurologique ou non), son rythme (spontanée ou provoquée, calmée par le repos, augmentée lors des mouvements), évolution dans le temps. Pour les mots de la douleur, l'aide de questionnaire est nécessaire Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Identification des douleurs neuropathiques . . Identification de la douleur chronique . . . . . . En clinique quotidienne . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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comme l'autoquestionnaire douleur de Saint-Antoine (QDSA) [2]. C'est une évaluation qualitative et longue (50 questions !), peu efficiente en pratique courante. Depuis, cette aide à l'identification de la douleur a été améliorée et simplifiée par la diffusion de questionnaire plus précis avec une évaluation de seuil de spécificité et de sensibilité : ■ Le diagnostic de douleur neuropathique (DN4) [3] par ce questionnaire a permis un dépistage rapide de la douleur neuropathique et une qualification rapide de la douleur neuropathique. Ce n'est pas un questionnaire qualitatif, c'est un score de probabilité d'une douleur neuropathique ; ■ l'évaluation de la composante anxieuse ou dépressive par la version française validée de l'échelle Hospital Anxiety and Depression Scale (HAD) [4]. Ces deux questionnaires sont maintenant de pratique courante et permettent de mieux préciser l'identité de cette douleur. Il est apparu de nombreuses limites à cette identification de la douleur. Cette classification n'est pas suffisamment précise pour les travaux de recherche clinique et, en clinique, pour le choix des traitements médicamenteux et non médicamenteux de la douleur notamment neuropathique. Elle est pourtant la seule référence donnée par la HAS qui est la base reconnue pour la certification des structures douleurs. L'actualisation des recommandations s'impose.

Identification selon les mécanismes de la douleur Les connaissances de la neurophysiologie de la nociception [5] permettent de mieux préciser les mécanismes facilitateurs ou inhibiteurs mis en jeu et préciser les différentes douleurs. Dès 2005, Marchand [6] publiait une nouvelle classification des douleurs en précisant les différents mécanismes connus de sensibilisation du message douloureux. Cette classification, permettant une identification du mécanisme principal 57

58   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome de la douleur, facilite le choix thérapeutique et une typologie des patients pour les études cliniques, pour améliorer l'efficacité des traitements de la douleur. Entre le message douloureux enregistré à la périphérie et le phénomène douloureux exprimé par le malade, il existe une cascade chimique et électrique qui se divise en quatre étapes : la transduction (aux niveaux des nocicepteurs), la transmission (des nocicepteurs à la corne dorsale de la moelle), la modulation (au niveau spinale et tronc cérébral) et la perception douloureuse (projection au niveau centrale). Cependant, la douleur viscérale avec la modification de la transduction et de la transmission, et l'intégration du système nerveux autonome (SNA) ne reproduit pas le même schéma ainsi que la douleur orofaciale et le système trigéminal. Il y a, dans tous les cas de figure, des mécanismes excitateurs et des mécanismes inhibiteurs. La douleur est l'expression du déséquilibre entre les deux systèmes. Il s'agit d'une activation du système excitateur, ou d'une modulation des voies inhibitrices. Ainsi les douleurs peuvent selon le mécanisme en cause être classées en : ■ douleur nociceptive avec : – douleur somatique  : douleur superficielle ou profonde, avec réflexe nociceptif et réponse autonomique. Modulation de la douleur à partir d'une stimulation de nature mécanique, thermique ou chimique, – viscérale  : douleur constante ou crampiforme, mal localisée et réponse autonomique, mettant en jeu la distension des viscères, ■ douleur inflammatoire : – douleur spontanée (lourde, diffuse), hypersensibilité, hyperalgésie associée à une lésion tissulaire et de l'inflammation. Il s'agit de phénomènes cliniques associés à une hypersensibilité primaire, ■ douleur neuropathique : – douleur spontanée (choc électrique, coup de couteau), hyperalgésie et allodynie associées à des lésions du SNC ou périphérique, ■ douleur nociplastique : – douleur spontanée (diffuse, profonde), hyperalgésie, ou allodynie associée à une hyperactivation ou à une perte de l'inhibition des voies nociceptives. Notons que ce terme nociplastique est apparu lors de la révision de la taxonomie des douleurs [7] qui a abouti à une nouvelle nomenclature dans la Classification internationale des maladies 11e édition (mai 2019). Il remplace le terme fonctionnel. Il est précisé que le mécanisme mis en jeu dans ces douleurs est une sensibilisation du système au niveau central avec une diminution du contrôle inhibiteur descendant. L'identification du mécanisme de la douleur peut être précisée dans la majorité des cas, mais il peut y avoir des douleurs qui ont un mécanisme mixte. L'exemple le plus connu est la douleur du cancer qui associe un mécanisme nociceptif inflammatoire et un mécanisme neuropathique. Une autre situation clinique est la possibilité pour le patient d'avoir plusieurs localisations de douleurs avec des mécanismes différents ; dans ce cas, il faut démembrer la douleur comme dans le cas de la lombosciatalgie où le patient décrit une douleur nociceptive mécanique au niveau lombaire et une douleur neuropathique sur le trajet du nerf sciatique incriminé.

L'identification de ces douleurs va permettre de prioriser les traitements et de préciser le suivi clinique. Cette nouvelle classification des douleurs est la base de l'utilisation des mécanismes de sensibilisation et de l'utilisation de la nouvelle classification des antalgiques proposée en 2010 par Luissier et Beaulieu [8].

Identification des douleurs neuropathiques En ce qui concerne les douleurs neuropathiques, on a constaté la faiblesse de la réponse thérapeutique, notamment à travers le number needed to treat (NNT) (nombre de patients à traiter pour obtenir une réponse thérapeutique positive). La reprise d'études cliniques, évaluant cette fois les typologies de patients, a permis d'obtenir des résultats significatifs. On a pu ainsi mieux définir les différents types cliniques de douleurs neuropathiques à partir d'un questionnaire, le Neuropathic Pain Symptom Inventory (NPSI) [9]. Ce questionnaire est un autoquestionnaire élaboré en prolongement du DN4, fondé sur les qualificatifs de la douleur neuropathique et la fréquence des crises, répartis en quatre catégories : douleur spontanée (superficielle et profonde), douleur paroxystique, douleur évoquée et paresthésie. Il y a dix questions, chacune évaluée par une échelle numérique de 0 à 10. Il permet de noter un score global de 0 à 100 et des sous-totaux pour chaque catégorie et aussi de réévaluer le malade après traitement. Ce type d'évaluation permet de suivre au plus près l'évaluation des symptômes de la douleur neuropathique en pratique quotidienne dans les structures douleurs. Lors d'étude clinique, il peut permettre de dégager un profil symptomatique permettant une meilleure prédictivité de la réponse thérapeutique. Pour la recherche clinique, un examen complémentaire le Quantity Sentory Testing [10] permet de quantifier l'allodynie mécanique et dynamique, l'allodynie à la température au froid et au chaud, les douleurs provoquées à la vibration et ainsi de préciser les caractéristiques des douleurs neuropathiques. Chaque symptôme recherché est mesuré par une EVA. Cet outil, réservé à la recherche fondamentale, présente un intérêt dans l'identification des douleurs neuropathiques en recherche clinique et peut être complété par le Thermotest®. La recherche de typologie clinique différente dans la douleur neuropathique, répondant à des traitements spécifiques, permet de mieux orienter le praticien dans ses choix thérapeutiques [11].

Identification de la douleur chronique La douleur chronique est définie [7] par une douleur persistante ou récurrente depuis au moins trois mois et associée à une détresse émotionnelle significative ou à une incapacité fonctionnelle (interférence avec les activités du quotidien et la vie sociale : relations, travail, scolarisation, etc.) et ne pouvant s'expliquer par une autre condition chronique.

Chaptire 11. Savoir identifier la douleur    59 En parallèle de l'identification de la composante sensorielle, il faut évaluer la composante émotionnelle et/ou sociale et la composante comportementale associée. Ces évaluations peuvent s'aider d'échelles de dépistage ; anxiété dépression (HAD, BECK), catastrophisme ; échelle de Sullivan, sommeil, addiction : tabac, alcool, café, etc.), kinésiophobie, échelle fonctionnelle de handicap. Ces évaluations sont pluridisciplinaires, dans la mesure du possible, en pratique quotidienne et obligatoire dans les structures douleurs. Le praticien doit pouvoir aborder ces questions avec son patient pour bien définir le caractère chronique et les composantes de cette douleur.

place une véritable « carte d'identité clinique » de la douleur qui permettra de préciser le ou les mécanismes de cette douleur. L'identification de la douleur permet un traitement personnalisé du malade douloureux. Cette identification de la douleur est indispensable pour le choix des traitements par le clinicien et la validation de leur efficacité. Elle est indispensable lors de mise en place de registres/patients pour des études cliniques.

En clinique quotidienne

[1] Haute Autorité de santé (HAS). Douleur chronique : reconnaître le syndrome douloureux chronique, l'évaluer et orienter le patient. Consensus formalisé. Décembre ; 2008. [2] Bourreau F, Luu M, Doubrere JF, Gay C. Élaboration d'un q ­ uestionnaire d'auto-évaluation de la douleur par liste de qualificatifs : comparaison avec le Mac Gill pain questionnaire de Melzack. Thérapie 1984 ; 39 : 119–29. [3] Bouhassira D, Atta N, Alchaar H, Bourreau F, Brochet B, Bruxelle J, et al. Comparaison of pain syndromes associated with nervous or somatic lesions and developpement of a new neuropathic pain diag­ nostic questionnaire (DN4). Pain 2005 ; 114 : 29–36. [4] Zigmund AS, Snaith RT. The Hospital Anxiety Depression scale. Acta Psycho Scand 1983 ; 67 : 361–70. [5] Le Bars JC, Willer. Physiologie de la Douleur. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Anesthésie-Réanimation, 36-020-A10 ; 2004. [6] Marchand  S. The physiology of pain mechanisms  : from the periphery to the brain. Rheum Dis Clin North Am 2008 ; 34 : 285–309. [7] Smith BH, Fors EA, Korwisi B, Barke A, Cameron P, Colvin L, et al. The IASP classification of chronic pain for ICD-11 : applicability in primary care. PAIN 2019 ; 160 : 83–7. [8] Lussier D, Beaulieu P. Toward a rational taxonomy of analgesic treatments. IASP Press ; 2010. p. 27–40. [9] Bouhassira D, Attal N. Development and validation of Neuropathic Pain Symptom Inventory. Pain 2004 ; 108 : 248–57. [10] Gruener G, Dyck PJ. Quantitative sensory testing : methodology, applications, and future directions. J Clin Neurophysiol 1994 ; 11 : 568–75. [11] Baron R, Binder A, Wasner G. Neuropathic pain diagnosis, pathophysiological mecanisms, and traitement. Lancet Neurol 2010 ; 9 : 870–919.

Cette identification de la douleur est indispensable pour préciser les mécanismes nociceptifs qui sont en jeu, orientant ainsi le choix thérapeutique. Il est donc indispensable de connaître : ■ la localisation de la douleur ; ■ le mode de début : précis, progressive, post-chirurgicale, traumatisme, accident du travail, ou événement associé ; ■ la temporalité : continue, discontinue, accès douloureux paroxystique spontanée (obligatoire si douleur et cancer) ou provoquée ; ■ le caractère de la douleur : spontanée ou provoquée ; ■ la sensibilisation de la zone douloureuse (examen clinique) : hyperalgie, hyperpathie, allodynie (mécanique ou dynamique), la sensibilité au froid et au chaud ; ■ autoquestionnaire DN4 : aide au diagnostic de la douleur neuropathique ; ■ autoquestionnaire NPSI : aide au suivi du traitement de la douleur neuropathique ; ■ en douleur aiguë  : les composantes émotionnelle et comportementale sont évaluées (dépister le stress post-­ traumatique et le profil addictif) ; ■ en douleur chronique : le retentissement émotionnelle et comportementale (relationnelle et sociale). La mesure de l'intensité est un bon outil de dépistage de la douleur mais elle ne doit pas être le seul critère de description de la douleur. Il est indispensable de mettre en

Références

Chapitre

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Savoir éduquer Rodrigue Deleens PLAN DU CHAPITRE Processus d'éducation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

Concernant la thématique douleur, l'éducation a essentiellement sa place dans les situations chroniques. Le praticien, confronté à une situation de douleurs rebelles atteignant un patient en demande de soulagement, se trouve souvent en difficulté dans la démarche d'apprentissage et d'éducation du patient. Dans ce contexte, on parle d'éducation à la compréhension de la maladie, de ce qu'est la douleur chronique et de sa gestion au quotidien. On entend par là la gestion des prises de médicaments et de l'utilisation des techniques non médicamenteuse, mais également la gestion des activités physiques du quotidien, du travail, des relations aux autres et des émotions [1]. Éduquer n'est pas simplement informer : en effet, si ces deux actions (éduquer et informer) peuvent être complémentaires, elles différent par leur objectif : celui de l'éducation est l'obtention de nouvelles compétences, acquises par l'apprentissage, ce qui suppose la participation du patient. L'efficacité de la prise en charge d'un patient douloureux chronique passe obligatoirement par l'étape du « savoir éduquer » : celle-ci n'est possible qu'après une écoute, une analyse, une identification des douleurs et des symptômes associés, et du contexte affectif et socioprofessionnel, comme il l'a été décrit précédemment.

Processus d'éducation Grâce à l'éducation, le patient douloureux chronique saura mieux détecter les situations à risque, il saura mettre en œuvre des actions adaptées à ses symptômes et pourra modifier ses comportements de façon plus positive, favorisant ainsi l'amélioration de sa qualité de vie [2]. Ce processus d'éducation commence lors de la consultation, dans le cabinet du médecin généraliste ou spécialiste, en ville ou à l'hôpital. Le recueil des informations jugées nécessaires est fondé sur l'écoute et l'analyse de la situation et des besoins du patient : les informations seront ensuite sélectionnées et transmises au patient. Une même pathologie douloureuse chronique n'aura donc pas la même approche éducative chez différentes personnes, selon les compétences déjà acquises et celles restant à acquérir. Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

L'éducation, un enjeu multidisciplinaire évolutif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Ensuite, la démarche éducative ne se fera ni en un seul temps, ni avec un seul « éducateur ». En effet, ce processus est progressif, évolutif et adaptable [1]. Il est bien connu que les capacités d'apprentissage sont généralement limitées, et que des informations peuvent être assimilées puis mises en œuvre quand elles sont distillées de façon raisonnable et adaptée. Lors d'une consultation, le nombre de messages retenus par le patient est finalement assez réduit, d'autant plus s'il est en état de stress, d'anxiété ou de dépression, ou s'il est sidéré à la suite de l'annonce d'une mauvaise nouvelle. Les messages transmis, utiles au processus éducatif, seront donc réfléchis en fonction de ces différents points et s'ingéreront dans un programme établi au préalable, prenant en compte les connaissances, les attentes, les besoins et les croyances du patient douloureux chronique. Éduquer est donc un processus progressif (dans le temps), mais il est aussi évolutif. En effet, au fil du temps et des expériences vécues, le patient s'adapte, plus ou moins correctement, et son état se modifie. Les messages, les conseils et les informations nécessaires à son éducation seront eux aussi modifiés en fonction de ces variations. Il y a donc toujours nécessité de réévaluer l'état des connaissances et le comportement du patient, à chaque consultation. Cela signifie donc également que le besoin d'adaptabilité est constant. La démarche éducative n'est pas un processus figé, prédéfini en fonction de telle ou telle pathologie douloureuse. Elle est réellement bien un continuum, une approche en constante évolution, s'adaptant au patient situé au centre de ce processus. Cela implique également que ce patient soit motivé et acteur de cette démarche. Sans sa participation, il est très difficile d'espérer obtenir des résultats, des effets positifs, un changement de comportement permettant une amélioration des symptômes.

L'éducation, un enjeu multidisciplinaire évolutif L'éducation d'un patient n'est pas du seul ressort du médecin. Les soignants, paramédicaux et tout acteur de la prise en charge du patient douloureux chronique peut, et doit, 61

62   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome avoir un rôle à jouer dans cette démarche [1]. Parmi les professionnels impliqués, on retrouve, en collaboration avec les médecins, les infirmiers (libéraux, dans les services de soins, dans les structures médicosociales ou dans les services spécialisés comme les centres d'évaluation et de traitement de la douleur), les kinésithérapeutes, les aides-soignants, les pharmaciens, etc. La liste est loin d'être exhaustive. En dehors des programmes spécifiques et de la démarche d'ETP des patients, aucune formation obligatoire n'est nécessaire (les spécificités de l'ETP seront décrites un peu plus loin) ; en revanche, la coordination, les échanges, le partage des informations, des retours des consultations et des rencontres entre le patient et le soignant sont indispensables. Il semble en effet logique de partager ce qu'apporte le patient lors de ses passages, lors de ses différents rendez-vous, d'adapter tous ensemble les objectifs d'éducation et de s'assurer des bénéfices, de l'apprentissage et des modifications positives du comportement. Éduquer un patient n'est donc pas un processus figé, ni rigide dans sa forme. Différents moyens ou outils peuvent être utilisés comme vecteurs d'apprentissage. Différents temps de rencontres engendreront différentes formes d'éducation. La première est la consultation : durant ce moment, en face-à-face, la relation singulière impose une certaine intimité, propice aux échanges et au partage. Profiter de ce moment permettra d'analyser et d'évaluer les différentes composantes de la douleur (sensitive, émotionnelle, cognitive et comportementale) et de détecter les points sur lesquels il faudra apporter des éclaircissements ou effectuer des mises au point, des apports informatifs. Ensuite, selon les besoins et les attentes du patient, des moments particuliers peuvent être mis en place : sous la forme de consultations, avec un médecin et/ou un autre professionnel de santé ; ou sous la forme d'ateliers, utilisant des outils, des jeux, vecteurs d'échanges et surtout d'apport d'informations, adaptés

et utiles au patient (jeux de cartes, méta-plan, différents supports qui seront redéfinis dans le chapitre sur l'ETP). Éduquer, c'est donc transmettre des connaissances, plus qu'informer, mais c'est surtout transmettre les « bonnes connaissances », c'est-à-dire celles dont a besoin le patient. Imaginer un moyen standardisé par pathologie (­lombalgie fibromyalgie, arthrose, etc.) serait voué à l'échec, le maître mot étant « adaptation », autant celle du patient (face à sa douleur, ses symptômes et ses changements de vie) que celle du soignant [2, 3]. Il faut prendre en compte chaque spécificité, liée à l'âge, à la pathologie, aux symptômes associés, aux antécédents médicaux et chirurgicaux ou encore aux projets de vie (personnels, familiaux et professionnels) et au milieu socio-économique, etc. Finalement, le mot « éduquer » n'est peut-être pas le meilleur terme dans ce contexte, il véhicule encore aujourd'hui beaucoup de raideur, d'autorité et de standardisation. Dans l'accompagnement du patient douloureux chronique, l'écoute, l'adaptabilité, la progression et l'élaboration d'objectifs raisonnables constitueront l'essentiel. Enfin, il ne faut pas négliger l'importance de la prise en charge pluriprofessionnelle et pluridisciplinaire, permettant d'aborder l'éducation du patient sur les différentes composantes de la douleur.

Références [1] HAS. Éducation thérapeutique du patient : définition, finalités et organisation, juin 2007, https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1241714/ fr/education-therapeutique-du-patient-etp. [2] Ganji R, Pakniat A, Armat MR, Tabatabaeichehr M, Mortazavi H. The Effect of Self-Management Educational Program on Pain Intensity in Elderly Patients with Knee Osteoarthritis : A Randomized Clinical Trial. Open Access Maced J Med Sci 2018 ; 6 : 1062–6. [3] Foltz V, Laroche F, Dupeyron A. Éducation thérapeutique et lombalgie chronique. Revue du rhumatisme monographies 2013 ; 80 : 174–8.

Chapitre

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Savoir définir des objectifs réalistes partagés selon le contexte Rodrigue Deleens  PLAN DU CHAPITRE Fixer des objectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Traitements, objectifs physiques et projets professionels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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POINTS ESSENTIELS • Les objectifs doivent être raisonnables et réalistes en termes de soulagement : le « zéro douleur » n'est souvent pas la finalité, on lui préfère le minimum de douleur, pour une qualité de vie meilleure (et selon les choix du patient) : « mieux vivre avec… ». • Les objectifs concernant les activités physiques doivent aussi être raisonnables : on ne parle pas de sport, mais de mouvement. • La reprise du travail doit également être adaptée et réfléchie (avec les services de santé au travail, notamment). • Les objectifs seront aussi raisonnables dans les choix thérapeutiques médicamenteux et non médicamenteux : les deux types de traitement sont souvent associés pour limiter autant que possible la iatrogénie.

L'une des clés dans la réussite de l'accompagnement d'un patient douloureux réside dans l'échange entre les soignants et le soigné. En effet, il l'a été décrit précédemment, la communication, les explications claires et adaptées selon le contexte, et la démarche d'éducation sont essentielles. Mais, pour obtenir des résultats concrets sur une meilleure gestion de la maladie et de la douleur chronique, pour obtenir une amélioration de la qualité de vie, il faut fixer des objectifs au patient. Ces objectifs doivent être partagés avec l'équipe soignante, mais adaptés à ses besoins spécifiques, à ses attentes et à ses capacités. L'élaboration des objectifs est donc travaillée, élaborée selon l'évaluation qui a été faite au préalable.

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Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Fixer des objectifs Cela ne se résume pas à dire ou à expliquer au patient ce qu'il doit faire, comment il doit agir dans telle ou telle situation. Il s'agit réellement d'un contrat passé entre le patient et le médecin (ou, plus globalement, avec l'équipe soignante à laquelle s'intègrent les infirmiers, les kinésithérapeutes, les ergothérapeutes, les pharmaciens, le service social, la médecine du travail, etc.). Ce contrat prend donc en compte les besoins spécifiques de chaque patient en fonction de chaque type de douleur, selon le contexte : la pathologie, l'âge du patient, son exercice professionnel, les activités réalisées précédemment et ses envies. Cette démarche ne se fait pas en une seule fois, mais par étapes. Il est nécessaire d'évaluer les capacités du patient et de comprendre les objectifs qu'il se fixe. Il est alors indispensable d'adapter ces derniers au contexte, en un projet partagé [1]. Une ou plusieurs consultations pourront être nécessaires, ce qui peut prendre du temps (parfois beaucoup), durant lequel l'écoute, les échanges sont importants. Pour chaque situation, les propositions différeront. La pathologie, l'âge du patient, ce qu'il était capable de faire avant et ses projets de vie (personnels, professionnels) vont influencer et orienter le travail collaboratif et l'élaboration de ce contrat. Le maître mot dans ce contexte est « raisonnable ». Tout ce qui sera mis en place, organisé, planifié, travaillé et réfléchi devra répondre à cette définition. Il faut que les propositions faites tant par le médecin que par le patient, soient réalistes.

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64   Partie 1. Chemin de la douleur aiguë à la douleur chronique : du symptôme au syndrome

Traitements, objectifs physiques et projets professionels Plusieurs aspects de la prise en charge répondent à ces objectifs, notamment les thérapeutiques, les objectifs physiques et les projets professionnels. Concernant les traitements, les médicaments arrivent souvent en première position dans la liste des attentes et des choix des patients : « ne plus en prendre » ou, au contraire, « trouver le traitement qui fasse disparaître complètement les douleurs ». Aucun de ces deux choix ne paraît raisonnable dans un contexte de chronicité. Il va falloir prendre le temps pour expliquer les aspects positifs et négatifs des médicaments, leurs bénéfices, leurs risques et, surtout, fixer des objectifs en termes de soulagement. Il faut savoir, par exemple, que, dans certains cas, une amélioration de 30 % de l'intensité douloureuse est tout à fait intéressante, dans des situations de douleurs neuropathiques rebelles, notamment. Certains patients attendent aussi beaucoup des approches non médicamenteuses qui, certes, sont largement proposées dans de multiples situations algiques aiguës ou chroniques. Mais une approche raisonnable reste l'association de différentes techniques (médicamenteuses ou non) et leur complémentarité. L'hypnose, la TENS, les approches physiques et rééducatives, la méditation, le tai chi ou encore le qi gong sont autant de moyens complémentaires intéressants, la liste n'est évidemment pas exhaustive. Le choix de ces techniques dépendra avant tout du patient, de ses préférences et de leur caractère adapté ou non à son état de santé et au type de douleur. Une évaluation précise est donc toujours essentielle, ainsi que l'analyse des besoins et attentes du patients [2]. Il sera raisonnable de ne pas vouloir tout mettre en place en même temps. Cela n'est d'aucun intérêt ni bénéfice pour le patient (alors même qu'il est souvent entendu en consultation ces propos : « je suis prêt à tout essayer ! »). Dans de nombreuses situations cliniques, il est fortement conseillé de reprendre des activités physiques, que ce soit dans un contexte de douleurs chroniques d'origine rhumatologique, mais aussi cancéreuse ou neurologique, etc. — la liste peut devenir très longue. La reprise de ces activités ne se fait pas n'importe comment. Les objectifs sont de nouveau raisonnables et, bien entendu, adaptés aux capacités et à la pathologie. La mise en place d'une activité physique est accompagnée, elle s'effectue de façon progressive et, surtout, régulière. C'est cette régularité qui sera la base de l'amélioration des symptômes. Il apparaît alors comme évident que la régularité passe par le plaisir. Il n'y a souvent pas de « sport » ou d'approche physique conseillée pour telle ou telle type de douleur, mais l'activité qui est préconisée est celle qui fait plaisir, car dans ce cas, la régularité est plus aisée. Il ne faut pas fixer pour objectif la performance, mais la persévérance, donc la motivation. Cette dernière est possible s'il est précisément expliqué pourquoi et comment l'activité physique permet une amélioration de la douleur chronique, mais

aussi du sommeil, de la fatigue et des aspects affectifs et émotionnels. Le dernier aspect des objectifs raisonnables concerne la vie professionnelle, sachant que de nombreux patients présentant des douleurs chroniques sont actifs, parfois, dans ce contexte de douleurs, arrêtés, et éprouvant des difficultés pour reprendre leur poste, voire pour envisager une telle reprise. Une approche adaptée commence par l'analyse des capacités du patient à reprendre ou pas son poste. L'intervention des services de santé du travail est indispensable (médecin du travail, infirmier, ergothérapeute, etc.). Elle permet d'évaluer les capacités du patient à reprendre son travail. Le cas échéant, il est possible d'envisager une adaptation : ergonomie, changement de poste et adaptation des horaires ou du temps de travail. Ces aspects seront rendus plus faciles si la qualité de « travailleur handicapé » est reconnue (RQTH), à la suite d'une demande auprès de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Parfois, l'état de santé ne permet pas d'envisager une reprise et une invalidité peut être reconnue par le médecin conseil de la Sécurité sociale. Tous ces éléments administratifs permettent d'adapter de façon raisonnable et personnalisée la reprise d'emploi, souvent perçue comme complexe et insurmontable, l'accompagnement et la clarification des démarches.

Conclusion Tous les aspects de l'accompagnement d'un patient douloureux chronique sont orientés sur ses besoins, ses attentes, mais aussi ses croyances [1]. Pour arriver à améliorer sa qualité de vie (diminuer l'intensité de la douleur, améliorer les capacités physiques, le travail, les loisirs, mais aussi le moral et la motivation), il faut fixer avec lui des objectifs raisonnables et réalistes, et pas de façon unilatérale et descendante [2]. Il s'agit alors de créer un réel contrat entre soignants et soigné, avec des étapes intermédiaires qui, une fois franchies, permettront des évaluations. Ces étapes dont les objectifs sont moins hauts auront pour résultat de renforcer la confiance du patient en lui-même, de lui faire identifier des retours positifs à son propre sujet et de lui prouver qu'il est « capable de faire » et d'agir. Il avancera progressivement, mais sûrement, acceptant cette rythmicité, par opposition à l'envie d'aller trop vite et trop fort, souvent source d'échec, de recrudescence douloureuse et, donc, d'un retour négatif et d'un sentiment « d'incapacité ».

Références [1] HAS. Éducation thérapeutique du patient : définition, finalités et organisation, juin, https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1241714/ fr/education-therapeutique-du-patient-etp ; 2007. [2] Foltz V, Laroche F, Dupeyron A. Éducation thérapeutique et lombalgie chronique. Revue du rhumatisme monographies 2013 ; 80 : 174–8.

Chapitre

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Traitements médicamenteux Alain Eschalier  PLAN DU CHAPITRE Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Antalgiques opioïdes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Antalgiques non opioïdes dénués d'effet anti-inflammatoire . . . . . . . . . . . . . . . .

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Introduction Les traitements médicamenteux de la douleur, médicaments antalgiques, ont été classés selon plusieurs approches : ■ la classification historique des analgésiques périphériques et centraux, désuète aujourd'hui, car certains produits peuvent avoir des sites d'action mixtes (par exemple certains AINS, voire les opioïdes) ; ■ la classification (trop) souvent utilisée, fondée sur l'échelle de l'OMS proposée pour les douleurs cancéreuses par excès de nociception, qui, dans cette seule indication a plusieurs limites, et qui ne peut pas être extrapolée à d'autres contextes ; ■ une classification proposée par Lussier et Beaulieu [1], qui a le mérite d'intégrer les mécanismes d'action des molécules. Mais ces mécanismes d'action sont très souvent inspirés d'observations expérimentales (antinociceptifs, antihyperalgésiques) ou d'hypothèses mécanistiques (activité sur les contrôles descendants, modulateurs de la transmission ou sensibilisation des nocicepteurs) issues d'études chez l'animal. Il nous paraît plus pratique de proposer une classification thérapeutique plus spontanément utilisable par le praticien : ■ les analgésiques opioïdes regroupés parce qu'ils ont un profil pharmacodynamique pour partie au moins commun ; ■ les analgésiques utilisés dans les douleurs par excès de nociception, dénués de propriété anti-inflammatoire (paracétamol et néfopam) ou possédant des propriétés anti-inflammatoires (AINS) ; ■ les traitements des douleurs neuropathiques (antidépresseurs, antiépileptiques, anesthésiques locaux, capsaïcine). Cette classification peut accueillir d'autres antalgiques et évoluer si des traitements médicamenteux spécifiques apparaissent pour les douleurs nociplastiques. Mais, quelle que soit la classification, le constat actuel est que la pharmacopée des analgésiques est ancienne et limitée. Certains produits ont été retirés, des restrictions d'utilisation sont apparues, d'autres ont un ratio bénéMédecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Anti-inflammatoires non stéroïdiens . . . . . . . . Molécules utilisées pour le traitement des douleurs neuropathiques . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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fice-risque mis en cause. Ce constat justifie le fait que, à la suite d'un rappel des données habituelles relatives aux traitements médicamenteux disponibles, une partie de ce chapitre soit consacrée à l'actualité des différentes classes et aux perspectives en termes d'innovation thérapeutique.

Antalgiques opioïdes La morphine reste aujourd'hui la substance de référence, dans la famille des opioïdes, mais d'autres dérivés opioïdes, suivant des formulations variées, sont commercialisés. Ils conservent les propriétés pharmacodynamiques générales de la morphine et partagent avec elle le fait que leur action analgésique et leurs effets indésirables dépendent pour l'essentiel d'un effet agoniste sur le même récepteur μ (ou OP3).

Pharmacologie Activité antalgique Si la morphine ne constitue pas l'antalgique universel, elle est la référence dans les douleurs sévères par excès de nociception, ce qui justifie son utilisation dans les douleurs postopératoires et les crises hyperalgiques et son positionnement au palier III de l'échelle de l'OMS. Les libellés d'AMM autorisent l'utilisation d'opioïdes (morphine, oxycodone ou fentanyl) dans la prise en charge de douleurs chroniques non cancéreuses. Les opioïdes sont proposés en deuxième (tramadol) ou troisième ligne de traitement des douleurs neuropathiques [2]. Les douleurs lombaires sévères, après un diagnostic étiologique bien étayé, peuvent bénéficier des opioïdes en cas d'échec ou de contre-indication d'autres traitements parmi lesquels les AINS, par exemple [3]. Mais le recours aux opioïdes dans les douleurs chroniques non cancéreuses, développé sans doute de façon excessive depuis quelques années, a conduit à des abus qui alimentent l'actualité. 67

68   Partie 2. Traitements en pratique La morphine et les opioïdes sont traditionnellement reconnus comme des antalgiques d'action centrale. Les données actuelles reconnaissent un site d'action spinal et supraspinal, mais une action périphérique est également évoquée. L'action spinale a été initialement montrée par l'unité Inserm 161, dirigée par Besson, à Paris [4]. La morphine est un agoniste préférentiel des récepteurs opioïdes μ présents, avec les récepteurs δ (ou OP1) et k (Kappa) (ou OP2), dans les couches superficielles de la CPME. Ils sont pour partie localisés sur les fibres afférentes primaires ; leur activation par la morphine aboutit alors à la diminution de la libération de neurotransmetteurs tels que la substance P ou le CGRP. Au niveau postsynaptique, l'activation de ces récepteurs conduit à une hyperpolarisation des neurones de deuxième ordre spinaux. La présence de récepteurs opioïdes dans différentes structures supraspinales (chez l'animal mais aussi chez l'homme [5]) suggère que la morphine puisse exercer une partie de son effet antalgique en agissant sur ces cibles. Ainsi, à la suite d'une administration dans la SGPA, la morphine exerce un effet antinociceptif. D'autres sites existent et des structures telles que le thalamus, le cortex somesthésique, le cortex cingulaire antérieur ou l'amygdale semblent être le substratum d'une influence potentielle de la morphine sur les composantes respectivement sensoridiscriminatives et émotionnelles de la douleur [6, 7]. Au-delà du SNC, les peptides opioïdes endogènes et leurs récepteurs sont exprimés à la périphérie, dans les terminaisons des fibres afférentes (nocicepteurs), dans les tissus neuro-endocrines et dans les cellules immunitaires. Aussi l'hypothèse d'une action périphérique de la morphine et des opioïdes a-t-elle été avancée. Des effets antalgiques périphériques ont été montrés avec des opioïdes dans des modèles animaux et, de façon plus ponctuelle, chez l'homme [8]. Des travaux sont toujours en cours pour concevoir des antalgiques opioïdes à effet périphérique, mais la participation périphérique à l'effet antalgique de la morphine ou d'autres opioïdes administrés par voie systémique n'est pas acquise. L'interaction des opioïdes avec le récepteur μ conduit à distinguer plusieurs sous-classes : les agonistes complets agissent tous de façon relativement spécifique sur le récepteur μ et reproduisent ainsi, à quelques différences près, les effets de la morphine. Leurs différentes affinités pour ce récepteur participent à leur différence de puissance antalgique et, donc, de doses thérapeutiques. Ainsi, le fentanyl et ses dérivés possèdent une affinité pour les récepteurs μ bien supérieure à celle de la morphine ce qui explique que les doses utilisées soient bien inférieures. L'oxycodone a une moindre affinité, comparativement à la morphine pour les récepteurs μ, mais certains de ses métabolites (oxymorphone) sont plus affins et antalgiques. Ceci pourrait peutêtre participer à l'analgésie et expliquer, in fine, l'utilisation de doses deux fois plus faibles d'oxycodone que de morphine. La buprénorphine est un agoniste partiel des récepteurs μ et un antagoniste des récepteurs k (Kappa). Sa puissance est 25 à 30 fois plus élevée que celle de la morphine. Ses propriétés d'agoniste partiel peuvent déclencher un syndrome de sevrage chez les sujets présentant un état de dépendance aux opioïdes. Elle peut également diminuer l'effet antalgique d'autres opioïdes associés.

La nalbuphine est un agoniste des récepteurs k (Kappa) et un antagoniste des récepteurs μ. L'association de ce produit aux agonistes μ est donc illogique et contre-indiquée.

Pharmacocinétique Les propriétés pharmacocinétiques des différents opioïdes ne peuvent pas être détaillées ici. Nous n'évoquerons que quelques points. La morphine, dont la biodisponibilité orale est de 20 à 40 %, est métabolisée au niveau hépatique selon trois voies. Sa demi-vie d'élimination plasmatique courte (1,7 heures) explique sa brève durée d'action, qui a justifié le développement de formes à libération prolongée (LP). Codéine et tramadol subissent un métabolisme de phase 1 qui les expose au polymorphisme génétique des cytochromes, sur lequel nous reviendrons.

Pharmacovigilance Elle est très liée aux propriétés pharmacologiques et, prioritairement, à l'activation des récepteurs μ. Il s'agit donc d'effets indésirables prévisibles. La constipation est un effet indésirable très fréquent, puisque presque tous les sujets traités par opioïdes, pendant quelques jours, s'en plaignent. Un traitement correcteur doit être systématiquement envisagé. Des recommandations ont été publiées par la SFAP [9]. Les opioïdes induisent des nausées et des vomissements lors d'une première administration chez environ un tiers à deux tiers des patients. Secondaires à l'activation des récepteurs μ de l'area postrema, ces effets sont, certes, réversibles par la naloxone, mais peuvent être prévenus par des produits antiémétiques. Présente chez à peu près la moitié des patients, la sédation apparaît assez tôt, mais peut être spontanément résolutive. Un prurit, lié à l'effet histaminolibérateur de la morphine, peut survenir. En pratique clinique, la dépression respiratoire est bien connue des anesthésistes, auxquels elle ne pose pas de problème, dès l'instant où le patient est intubé ou ventilé. En cas de dépression respiratoire avérée, le recours à la naloxone, antagoniste des récepteurs μ, permet de reverser cet effet délétère, mais sa durée d'action est limitée, ce qui justifie de maintenir sa présence pour assurer la compétition, avec l'opioïde en cause au niveau du récepteur µ. Dans le contexte de la douleur chronique, l'augmentation progressive des poso­logies de morphine permet de prévenir ce risque de dépression respiratoire. Pour autant, la dépression respiratoire expose au risque de décès en cas de prise de doses excessives. Le risque de pharmacodépendance est également lié à l'action des opioïdes sur leurs récepteurs. Cette propriété intrinsèque a d'abord participé à freiner leur utilisation, puis a été considérée comme ne conduisant que rarement à des risques dès lors que les opioïdes étaient essentiellement prescrits dans les douleurs nociceptives cancéreuses et les douleurs aiguës. Cependant, l'extension de l'utilisation des opioïdes chez des patients atteints de douleurs chroniques non cancéreuses a modifié le contexte en termes de fréquence d'utilisation et de nature des utilisateurs et a conduit à l'apparition de trois risques aujourd'hui avérés et sources de préoccupations : l'abus, la dépendance et l'usage détourné.

Chapitre 14. Traitements médicamenteux   69

Contre-indications Les contre-indications de la morphine et des opioïdes peuvent être résumées comme suit : insuffisance respiratoire décompensée (en l'absence de ventilation artificielle), insuffisance hépatocellulaire sévère, épilepsie non contrôlée, association avec les agonistes opioïdes partiels ou agonistesantagonistes et avec l'alcool ; en aigu : traumatisme crânien et hypertension intracrânienne en l'absence de ventilation contrôlée, ou enfin, allaitement.

Actualités et perspectives L'actualité des opioïdes est dominée par l'« opioid crisis ». En effet, la consommation mondiale des médicaments opioïdes a plus que doublé entre 2001 et 2013 et, avec elle, l'usage abusif de ces produits, plus particulièrement en Amérique du Nord [10]. Aux États-Unis, la quantité de médicaments opioïdes utilisée en 2015 était trois fois plus élevée qu'en 1999 [11], après avoir connu une baisse depuis 2012. La conséquence de cette situation est le risque de dépendance et d'overdose. De 2000 à 2014, les décès dus à une overdose de médicaments opioïdes ont quadruplé aux États-Unis, passant de 1,5 à 5,9 décès pour 100 000 personnes [12] et, en 2016, plus de 42 000 décès liés aux opioïdes ont été signalés, alors qu'en Europe 9 138 décès par surdose (78 % étant liés aux opioïdes dont l'héroïne) étaient enregistrés [13]. Un point de la situation en France, établi à partir de bases nationales exhaustives, vient d'être publié [14]. Il apparaît que l'utilisation de médicaments opioïdes a plus que doublé de 2004 à 2017, avec une augmentation particulièrement importante d'oxycodone. Les décès dûs aux opioïdes ont augmenté de 146 % entre 2000 et 2015, pour atteindre 3,2 décès pour 1 million d'habitants. Cette situation, qui justifie une surveillance accrue, a légitimement conduit au renouvellement des recommandations de prescription des opioïdes, en particulier dans les douleurs chroniques [15, 16]. On ne peut passer ici sous silence l'impact du polymorphisme génétique sur l'efficacité et les risques de certains opioïdes métabolisés par les cytochromes hépatiques. Codéine, oxycodone et tramadol sont particulièrement concernés. L'existence de métaboliseurs ultrarapides de la codéine expose à une transformation importante en morphine et à un risque de surdosage relatif potentiellement mortel. Ce risque, observé en particulièrement chez des enfants, a justifié sa contre-indication chez les enfants âgés de moins de 12 ans. La transformation du tramadol en O-desméthyltramadol par le cytochrome 2D6 subit aussi l'impact du polymorphisme, qui peut conduire à une baisse d'efficacité chez les métaboliseurs lents. L'oxycodone se transforme en oxymorphone sous l'effet du 2D6, ce qui conduit à une variation d'un facteur 10 du ratio oxymorphone/oxycodone en fonction du polymorphisme. Enfin, en perspectives, il est tenté de remplacer des antalgiques opioïdes par de nouvelles molécules qui conserveraient les propriétés analgésiques mais auraient moins, voire n'auraient plus d'effets indésirables opioids-like. Au moins trois stratégies sont développées : ■ la conception d'agonistes biaisés (par exemple l'olicéridine), mais la FDA n'a pas donné l'autorisation de sa mise sur le marché fin 2018, considérant qu'elle ne se démarquait pas suffisamment des opioïdes en terme d'effets indésirables ;

■ le développement de ligands de variants d'épissage du récepteur μ [17, 18] ; ■ la synthèse d'activateurs des canaux potassiques TREK1, effecteurs des récepteurs μ [19, 20].

Antalgiques non opioïdes dénués d'effet anti-inflammatoire Paracétamol Pharmacologie Activité analgésique Le paracétamol est l'antalgique le plus couramment utilisé dans le monde. En France, il était en 2013 la substance active la plus vendue en ville (en chiffre d'affaire et en nombre de boîtes). Il est l'analgésique du quotidien, utilisé dans les douleurs par excès de nociception d'intensité faible à modérée. Administrable par voie orale ou parentérale, il est utilisé, par exemple, dans les céphalées, les douleurs post-traumatiques ou les douleurs articulaires parmi lesquelles la douleur arthrosique ou les douleurs postopératoires, etc. Malgré certaines remises en cause de son efficacité, il garde une part très importante dans la consommation des analgésiques, particulièrement dans l'automédication. La fréquence de son utilisation varie en fonction des pays, par exemple en Europe. Le paracétamol offre une analgésie « renforcée » (avec un gain néanmoins modéré) lorsqu'il est associé avec les AINS, la codéine ou le tramadol. Le mécanisme d'action du paracétamol, longtemps considéré comme un antalgique périphérique, souvent assimilé aux AINS, a été l'objet d'une reconsidération. Ainsi, le paracétamol est aujourd'hui considéré comme un antalgique d'action centrale dont le mécanisme semble relativement complexe. Il s'agirait d'un pro-médicament qui doit subir un double métabolisme, hépatique et cérébral, pour aboutir à son métabolite actif, l'AM404, dérivé lipidique. Celui-ci active, au sein de structures supraspinales, particulièrement au sein de la SGPA, les récepteurs vanilloïdes TRPV1 et cannabinoïdes CB1, ce qui conduit finalement à l'activation de voies bulbospinales sérotoninergiques qui freinent la transmission médullaire de l'influx nociceptif [21]. En plus de son effet antalgique, le paracétamol est aussi largement utilisé pour son effet antipyrétique. Cette action reste considérée comme dépendante de sa capacité à inhiber la synthèse des prostaglandines, avec pour cible l'hypothalamus.

Pharmacocinétique L'absorption intestinale du paracétamol est rapide. Elle est influencée par la vidange gastrique et la forme galénique : Tmax de 15 minutes en cas de comprimé effervescent, et Tmax allant de 30 à 60 minutes pour les autres formes orales. La biodisponibilité à la suite d'une prise orale va de 63 à 89 %. Administré par voie orale, le paracétamol est soumis à l'effet de premier passage hépatique. Seuls 2 à 5 % du paracétamol sont éliminés sous forme inchangée dans les urines, la majorité étant essentiellement métabolisée au niveau du foie : 90 % par deux voies majeures, la glycuroconjugaison et la sulfoconjugaison à laquelle on doit ajouter la déacétylation, source du para-aminophénol qui sera transformé au

70   Partie 2. Traitements en pratique niveau cérébral en AM404. En vingt-quatre heures, 90 % de la dose ingérée sont éliminés dans les urines, principalement sous forme glycuroconjuguée (60 à 80 %) et sulfoconjuguée (20 à 30 %). La demi-vie d'élimination est d'environ 2 heures. Environ 4 % du paracétamol sont catabolisés par les cytochromes P450. Le cytochrome CYP 3A4 est mis en jeu à doses thérapeutiques alors que les cytochromes CYP 2E1 puis 2D6 le sont à de fortes doses. Il y a formation d'un métabolite intermédiaire hépatotoxique, la NAPQI (N-acétyl­-para-benzoquinone imine), qui est rapidement détoxifié par le glutathion et éliminé dans les urines. En cas de surdosage, sulfo- et glycuroconjugaison sont saturées, produisant une accumulation massive de NAPQI supérieure aux possibilités de réduction par le glutathion. Le paracétamol est rapidement et uniformément distribué dans les tissus. Sa diffusion, au travers de la barrière hémato-encéphalique, est assez rapide, et les concentrations retrouvées dans le liquide céphalorachidien sont comparables aux concentrations plasmatiques.

Pharmacovigilance, toxicité Le problème majeur du paracétamol est son hépatotoxicité qui se manifeste, prioritairement, lorsqu'il y a un surdosage et une saturation du processus de détoxification hépatique, la NAPQI provoquant une nécrose hépatique. Chez l'adulte, le surdosage survient lors d'une ingestion de plus de 8 à 10 g et de 125 mg/kg chez l'enfant en une prise. La N-acétylcystéine est l'antidote. Elle agit en régénérant les stocks de glutathion et peut également réparer les dommages oxydatifs entraînés par la NAPQI. Il existe des situations à risque d'atteinte hépatique à doses thérapeutiques (alcoolisme chronique, hépatite chronique, traitement inducteur enzymatique ou état de carence protéique, tels le jeûne ou la malnutrition), l'administration à un enfant ou à un sujet âgé justifiant des adaptations posologiques. Des risques de réaction idiosyncrasique ne sont pas exclus. Il a été rapporté que le paracétamol, à des doses suprathéra­peutiques, pouvait entraîner de sévères nécroses rénales chez l'homme et l'animal. Cette néphrotoxicité pourrait impliquer la NAPQI, qui présenterait alors la même action toxique que celle décrite précédemment au niveau hépatique. Un autre mécanisme pourrait faire intervenir le p-aminophénol issu de la déacétylation du paracétamol. De rares troubles des lignées sanguines (thrombocytopénie ou agranulocytose), attribués au paracétamol, sont rapportés. Une interaction avec les antivitamines K a été décrite, avec un risque d'élévation de l'International Normalized Ratio (INR) cliniquement significatif. Les réactions allergiques sont rares avec le paracétamol, même si la survenue de choc anaphylactique a été rapportée.

Contre-indications Au-delà des sujets présentant une hypersensibilité au paracétamol, ce dernier est contre-indiqué en cas d'insuffisance hépatocellulaire sévère. De façon plus générale, la crainte d'une atteinte hépatique, y compris à dose thérapeutique, en particulier à la suite d'une administration prolongée, conduit, actuellement, les autorités à recommander une posologie quotidienne de 3 g/jour.

Actualités et perspectives L'actualité du paracétamol tient tout d'abord à l'analyse de son ratio bénéfice-risque, évalué dans plusieurs études pharmaco-épidémiologiques. Pour résumer, les unes contribuent à remettre en cause son efficacité, par exemple dans l'arthrose ou les lombalgies, les autres pointent des risques d'effets indésirables, par exemple chez les enfants nés de mère ayant consommé du paracétamol pendant la grossesse, alors même qu'il est considéré comme l'analgésique de référence dans cette situation. Les recommandations de l'Osteoarthritis Research Society International (OARSI), publiées en 2014, conservaient le paracétamol comme traitement de la douleur arthrosique dans les formes sans comorbidité [22]. Qu'en sera-t-il dans les recommandations du Collège américain de rhumatologie pour le traitement pharmacologique et non pharmacologique de l'arthrose de la main, de la hanche et du genou dont la publication finale est prévue en 2019 ? Il est légitime de s'interroger à la lecture de méta-analyses considérant que, dans l'arthrose, l'amélioration des scores de douleur n'est pas cliniquement significative, ou que le paracétamol n'a pas d'intérêt dans la lombalgie [23], opinions néanmoins discutées [24, 25]. Une méta-analyse d'études observationnelles a remis en cause la bonne « tolérabilité » du paracétamol, considérant qu'il n'est pas aussi sûr que peut le croire la communauté (risques cardiovasculaires et gastro-intestinaux) [26]. L'ensemble de ces données méritent une analyse objective [27]. Plusieurs études pharmaco-épidémiologiques considèrent que les enfants nés de mères ayant consommé du paracétamol pendant la grossesse peuvent présenter des troubles, par exemple, une incidence accrue de cryptorchidie [28], ou des troubles de l'attention avec hyperactivité [29]. Ces études observationnelles rétrospectives ne montrent pas de lien de causalité. Elles appellent néanmoins à la prudence, tant dans l'affirmation que la négligence du risque. Le problème de l'hépatotoxicité est toujours d'actualité, dans la mesure où l'intoxication par le paracétamol est la cause la plus fréquente d'insuffisance hépatique aiguë aux États-Unis et en Grande-Bretagne, et où le paracétamol est le produit responsable du plus grand nombre d'appels aux centres antipoisons en Australie. Le mécanisme d'action du paracétamol fait également, de façon plus optimiste, l'objet de travaux qui ont pour objectif d'identifier des cibles d'intérêt susceptibles de permettre la conception de nouveaux antalgiques originaux plus efficaces et ayant une bonne tolérance [21 ; 30].

Néfopam Pharmacologie Activité analgésique Initialement étudié pour ses effets antidépresseur et myorelaxant, il dispose d'une AMM en France (et dans d'autres pays européens) depuis 1981 pour le traitement symptomatique des affections douloureuses aiguës, notamment des douleurs postopératoires. L'analgésie induite par le néfopam administré par voie i.v. a une cinétique avec un pic d'effet de 15 à 60 minutes et une durée d'action de 3 à 4 heures

Chapitre 14. Traitements médicamenteux   71 pour une dose de 10 mg, et de 5 à 6 heures pour une dose de 30 mg. L'efficacité analgésique de 20 mg de néfopam (i.v.) est comparable à celle de 6 à 12 mg de morphine (i.v.), selon les conditions d'utilisation, les patients et le type de chirurgie. Il possède un effet d'épargne morphinique allant de 30 à 50 %, avec une amélioration concomitante de la qualité de l'analgésie. Le néfopam est un antalgique central dont le site d'action serait à la fois spinal et supraspinal. Son mécanisme d'action n'est pas encore élucidé, mais il est distinct de ceux des opioïdes et des AINS. Il augmente l'influence des voies descendantes sérotoninergique et noradrénergique en inhibant la recapture de la noradrénaline et de la sérotonine, voire de la dopamine. Récemment, il a été démontré que l'analgésie induite par le néfopam pouvait impliquer la voie glutamatergique via la modulation des canaux calciques et sodiques.

Pharmacocinétique Par i.v., le pic plasmatique s'établit en 15 à 20 minutes après une perfusion lente de 30 minutes. Le néfopam subit un métabolisme hépatique intense en desméthyl-néfopam, néfopam-N-oxyde et en N-glucuronide-néfopam. Le desméthyl-néfopam semble contribuer en partie à l'effet antalgique du néfopam. La voie d'excrétion du néfopam est essentiellement urinaire (87 %), accessoirement fécale (8 %), sous forme inchangée pour seulement 5 % de la dose administrée. Sa demi-vie d'élimination est de 3 à 5 heures.

Pharmacovigilance Les effets indésirables les plus fréquents sont à type de nausées, sueurs et somnolence, et il y a quelques réactions de type atropinique : sécheresse buccale, tachycardie, rétention d'urine, excitabilité ou irritabilité. Dans certains cas très rares, ont été observés des vomissements, des céphalées, des insomnies, un flou visuel ou des vertiges. De rares cas d'effets indésirables considérés comme « sérieux » ont été rapportés  : il s'agit de complications neuropsychiatriques (hallucinations, convulsions, confusion et délire) ou cardiovasculaires (hypotension artérielle, arrêt cardiaque) et de réactions d'hypersensibilité. Il n'entraîne pas de dépression respiratoire ni de ralentissement du transit intestinal.

Contre-indications Le néfopam est contre-indiqué dans les cas d'hypersensibilité à la molécule, de risque de rétention urinaire lié à des troubles urétroprostatiques et de risque de glaucome par fermeture de l'angle, du fait de son effet atropininique. Il doit être utilisé avec prudence chez les malades aux antécédents d'ischémie myocardique et de convulsions. Son effet tachycardisant doit en restreindre l'utilisation chez les patients présentant des problèmes cardiovasculaires. Il n'est pas recommandé chez les patients souffrant de troubles rénaux, d'insuffisance hépatocellulaire sévère ou d'épilepsie. Il est déconseillé de l'utiliser chez l'enfant de moins de 15 ans, en cas de grossesse ou d'allaitement, et chez le sujet âgé, du fait de ses effets atropiniques.

Actualités, perspectives S'il est difficile de parler d'actualités et de perspectives pour le néfopam, produit limité, dans son utilisation, au territoire national, on doit néanmoins évoquer son quotidien. Il s'agit de son utilisation, loin d'être négligeable, par voie orale après application de la solution injectable sur un sucre : par cette voie, le Tmax est de 2 à 3 heures, et le néfopam a alors une faible biodisponibilité, d'environ 36 %, limitée par un effet de premier passage hépatique. Une étude des effets indésirables, à la suite de cette administration orale, a montré une meilleure tolérance que par voie i.v.

Anti-inflammatoires non stéroïdiens Pharmacologie Activité analgésique Tous les AINS exhibent la même triade d'effets bénéfiques : analgésique, anti-inflammatoire et antipyrétique, mais leurs pouvoirs thérapeutiques diffèrent. Les indications des AINS sont les douleurs par excès de nociception telles que les douleurs postopératoires ou post-traumatiques, les douleurs d'origine ostéoarticulaire (rhumatismes inflammatoires, arthrites microcristallines, arthrose), dentaire, ORL, ainsi que les céphalées et les dysménorrhées, voire les crises hyperalgiques (colique néphrétique, etc.). Enfin, les AINS et le paracétamol forment le premier niveau de l'échelle de l'OMS dans le traitement des douleurs cancéreuses par excès de nociception. Les AINS sont considérés comme plus efficaces que le paracétamol dans des douleurs postopératoires ainsi que dans les arthroses sévères. En conclusion, les AINS ont une réelle efficacité antalgique, aidée en fonction des contextes par une activité anti-inflammatoire. En 1971, John Vane montra que le mécanisme d'action de l'aspirine mettait en jeu une diminution de la synthèse de prostaglandines. En termes d'analgésie, cela a pour conséquence de : ■ réduire au niveau local l'inflammation des sites lésés et enflammés et, également, la participation des prostaglandines à la sensibilisation périphérique des nocicepteurs via des récepteurs spécifiques ; ■ réduire le phénomène de sensibilisation centrale du fait de l'action inhibitrice périphérique, mais aussi d'un éventuel effet central des AINS qui passent la barrière hémato-méningée, via l'inhibition de cyclooxygénases médullaires. Ils inhibent également le facteur de transcription NF-KB, qui entretient la réaction inflammatoire. Le système endocannabinoïde semble aussi jouer un rôle dans l'action des AINS. En effet, il a été démontré que plusieurs AINS (ibuprofène, flurbiprofène) sont capables d'inhiber l'hydrolyse de l'anandamide (endocannabinoïde). De plus, l'action antalgique des AINS est réduite lorsque des antagonistes du récepteur cannabinoïde CB1 sont coadministrés. D'autres hypothèses mécanistiques sont avancées, telles que l'implication des canaux ASIC et des systèmes opioïdergiques et sérotoninergiques.

72   Partie 2. Traitements en pratique

Pharmacocinétique Après administration orale, l'absorption digestive des AINS est bonne (biodisponibilité de l'ordre de 70 à 80  %). En général, la concentration plasmatique maximale est atteinte en 1 à 2 heures après administration orale. Certains AINS, tels que le kétoprofène, subissent une glucuroconjugaison. D'autres, comme l'ibuprofène, le diclofénac, les oxicams et le célécoxib sont d'abord oxydés par des cytochromes P450 hépatiques, notamment le cytochrome CYP 2C9, avant d'être conjugués. L'excrétion des AINS est majoritairement rénale, à l'exception de quelques-uns d'entre eux (diclofénac, indométacine, piroxicam, etc.), qui subissent une excrétion biliaire avec un cycle entéro-hépatique. Les AINS sont retrouvés sous forme inactive pour un tiers dans les selles et pour deux tiers dans les urines. Même si l'action pharmacologique des AINS dépend surtout de la durée de leur présence dans le tissu enflammé, ils peuvent être classés en fonction de leur demi-vie d'élimination : demi-vie courte (inférieure à 4 heures), intermédiaire (entre 4 et 12 heures) et longue (supérieure à 12 heures).

Pharmacovigilance Les effets indésirables des AINS sont nombreux, mais leur fréquence est variable d'un AINS à l'autre. L'avènement des coxibs a fait espérer des progrès sensibles. Si la réalité clinique a été moins rassurante, la mise sur le marché de cette famille d'AINS a permis de mieux appréhender la pharmacovigilance de toute la classe des AINS. Troubles gastro-intestinaux Les effets digestifs bénins (épigastralgies, nausées, douleurs abdominales ou troubles du transit) sont fréquents. Les complications gastro-intestinales à type de perforation, d'ulcère ou de saignement sont classiques. Le risque de survenue d'effets indésirables gastro-intestinaux graves, liés à l'inhibition de la COX-1, est significativement diminué (mais pas supprimé) avec les coxibs, en comparaison des AINS classiques, en particulier lors de prises limitées dans le temps. Troubles cardiovasculaires Si l'inhibition de l'agrégation plaquettaire par les AINS (par exemple l'aspirine ou le naproxène) est à l'origine de risques hémorragiques (digestifs ou autres) bien connus, l'avènement des coxibs a révélé le risque d'accidents thrombotiques tout en montrant une hétérogénéité au sein de cette famille (le rofécoxib étant plus à risque que le célécoxib par exemple). En effet, ce risque existe aussi avec des AINS classiques. L'ibuprofène ainsi que le diclofénac multiplient le risque de survenue par 3, environ. En termes de mortalité, ce sont le diclofénac et l'étoricoxib qui présentent le risque le plus important, en comparaison d'un placebo : ces deux molécules sont associées à une mortalité cardiovasculaire quatre fois plus élevée. Les AINS sont également à l'origine d'une rétention hydrosodée susceptible d'induire des œdèmes des membres inférieurs, une hypertension artérielle (HTA) ou une insuffisance cardiaque. Leur capacité à augmenter la pression artérielle a été retrouvée chez des sujets hypertendus ou

non, dans un délai bref, de une à deux semaines. L'ibuprofène, l'indométacine et le naproxène peuvent augmenter la pression artérielle moyenne de 5 à 6 mmHg chez des sujets hypertendus, augmentation suffisante pour avoir une incidence. Une augmentation de 4 mmHg, chez des sujets âgés hypertendus traités, a, par exemple, conduit à une augmentation de 40 % d'événements cardiaques chez les sujets dont l'hypertension était la moins bien contrôlée. Troubles rénaux Les AINS exposent, du fait de l'inhibition de synthèse des prostaglandines régulatrices de la filtration glomérulaire, au risque d'insuffisance rénale fonctionnelle. L'atteinte rénale peut également relever de mécanismes toxiques et immuno-allergiques. Il convient donc d'être particulièrement attentif chez le patient présentant une hypoperfusion rénale (insuffisance cardiaque, déshydratation ou prise d'un diurétique, d'un inhibiteur de l'enzyme de conversion [IEC] ou d'un antagoniste de l'angiotensine 2, etc.), notamment les sujets âgés. Troubles neurosensoriels Ils peuvent se manifester par des acouphènes, des céphalées, des vertiges, des méningites aseptiques, des confusions et des hallucinations, notamment avec les dérivés arylacétiques ou l'aspirine. Les AINS peuvent causer des céphalées en cas d'abus médicamenteux. Troubles cutanés Des cas d'urticaire, de prurit, d'éruption maculopapuleuse et des réactions de photosensibilité ont été constatés. Les AINS (qu'il s'agisse d'AINS conventionnels ou de coxibs) sont susceptibles d'entraîner des réactions cutanées graves à type de dermatite exfoliative, de syndromes de Stevens-Johnson et de Lyell. Ces réactions apparaissent le plus souvent durant le premier mois de traitement. Autres troubles Des manifestations d'hypersensibilité (choc anaphylactique) ont été bien décrites (par exemple avec l'aspirine), ainsi que des troubles hépatiques (hépatite cytolytique ou cholestatique) ou encore des néphrites interstitielles. Les troubles pulmonaires (aggravations d'asthme ou de rhinite allergique) rencontrés à la suite d'un traitement avec les AINS classiques semblent absents avec les coxibs.

Contre-indications Il ne faut pas prescrire d'AINS classiques en cas d'antécédents de saignement digestif ou de perforation survenus au cours d'un traitement par AINS, en cas d'hémorragie gastro-intestinale, d'hémorragie cérébrovasculaire ou d'une autre hémorragie en évolution,et enfin, dès le début du sixième mois de grossesse. Il convient de contre-indiquer les AINS classiques ou les coxibs en cas d'ulcère peptique évolutif ou de saignement gastro-intestinal, en cas d'insuffisance cardiaque ou rénale et d'hypertension sévères, d'antécédents d'asthme et de réactions de type allergique déclenchés par la prise d'AINS. Les coxibs sont contreindiqués au cours de la grossesse et, chez les femmes en

Chapitre 14. Traitements médicamenteux   73 âge de procréer, au cours de l'allaitement. Les coxibs sont contre-indiqués en cas de cardiopathie ischémique avérée, d'artériopathie périphérique ou d'antécédent d'AVC (contre-indication partagée par le diclofénac) de maladie inflammatoire chronique des intestins. La sensibilité particulière des personnes âgées aux effets indésirables des AINS justifient une extrême prudence.

Molécules utilisées pour le traitement des douleurs neuropathiques

Risques d'interactions médicamenteuses L'association de deux AINS, y compris les coxibs, n'est pas légitime et peut conduire à une aggravation des effets indésirables. L'association avec des anticoagulants oraux, des héparines ou des antiagrégants plaquettaires expose à un risque hémorragique accru. Les AINS diminuent la clairance rénale de médicaments associés par réduction de la filtration glomérulaire (lithium, méthotrexate), ce qui expose à des risques toxiques et justifie, en cas de maintien de ces thérapeutiques, des adaptations posologiques et une surveillance biologique et des taux plasmatiques. Une coprescription avec des diurétiques, des IEC ou des antagonistes des récepteurs à l'angiotensine 2 peut favoriser une insuffisance rénale aiguë. Elle expose à l'hyperkaliémie, risque majoré en présence d'autres produits hyperkaliémiants. L'association d'un AINS, y compris un coxib, avec une corticothérapie augmente le risque d'hémorragie et d'ulcération digestive.

Les antidépresseurs imipraminiques démontrent une efficacité significative, comparativement au placebo, dans les douleurs des neuropathies périphériques, à l'exception de celles induites par le VIH ou par les chimiothérapies anticancéreuses, voire antirétrovirales. En effet, ils présentent un NNT moyen un peu supérieur à 3 (2,5–4,5), ce qui signifie qu'environ un tiers des patients traités avec ces molécules présentent un soulage­ment d'au moins 50 % de leur douleur. L'amitriptyline, la clomipramine et l'imipramine ont l'AMM en France pour les douleurs neuropathiques de l'adulte. Concernant les IRSNA, on retrouve un NNT de 3,1 pour la venlafaxine et un NNT aux environs de 5 pour la duloxétine. Ainsi, amitriptyline et IRSNA sont recommandés en première ligne de traitement [2]. Les ISRS (fluoxétine, paroxétine, citalopram, etc.) sont peu, voire ne sont pas efficaces : leur NNT est d'environ  7 [34]. Deux antidépresseurs, la duloxétine et le minalcipran ont été approuvés par la FDA pour le traitement des patients atteints de fibromyalgie. L'amitriptyline fait partie des médicaments utilisés pour le traitement de fond de la migraine. L'inhibition de la recapture des monoamines, mécanisme neurochimique prioritaire des antidépresseurs, est classiquement considérée comme le mécanisme à l'origine de leur effet analgésique. Exercée à la terminaison des fibres bulbospinales, elle permet le renforcement des contrôles inhibiteurs de la transmission médullaire du message douloureux. À côté de l'activation de ces contrôles inhibiteurs descendants, d'autres mécanismes connus pour être impliqués dans la modulation des voies de la douleur (tels que le blocage des canaux sodiques ou des récepteurs NMDA) sont actuellement évoqués et étudiés pour expliquer les différences d'efficacité entre les classes d'antidépresseurs. Le blocage des canaux sodiques a été rapporté pour les antidépresseurs imipraminiques, ainsi que pour la venlafaxine. L'hypothèse de l'implication du blocage des récepteurs NMDA reste controversée. Enfin, des travaux réalisés chez l'animal ont démontré une implication du système opioïdergique, variable en fonction de l'antidépresseur. La comorbidité douleur chronique-dépression est relativement fréquente (30 à 54 %). Aussi, on ne peut exclure chez certains patients, un bénéfice thérapeutique dû à l'effet thymo-analeptique des antidépresseurs.

Actualités et perspectives La classe des coxibs n'a pas répondu, dans sa globalité, aux espoirs initiaux de la découverte des deux iso-enzymes des cyclo-oxygénases, dans la mesure où la réalité physiologique et physiopathologique a montré une implication plus complexe de ces enzymes. Cependant, comme évoqué ci-dessus, elle a conduit à revoir l'ensemble des AINS pour aboutir au constat d'une hétérogénéité de cette classe, que ce soit pour les AINS classiques ou pour les coxibs. Deux essais cliniques récents traduisent cette évolution et proposent de nouveaux positionnements : PRECISION [31] et CONCERN [32]. Ainsi, l'étude PRECISION, réalisée chez des patients à haut risque cardio-vasculaire, conclut que le celecoxib est non inférieur au naproxène ou à l'ibuprofène pour ce qui est de la sécurité cardiovasculaire et qu'il est associé à moins de risques gastro-intestinaux et rénaux. L'étude CONCERN était focalisée sur les accidents gastro-intestinaux et incluait des patients atteints d'arthrose et d'une pathologie cardiothrombotique, justifiant la prescription de faibles doses d'aspirine, qui avaient des antécédents d'hémorragie digestive haute. Ils étaient traités par célécoxib ou par naproxène, en association avec des IPP. Le nombre d'hémorragies gastro-intestinales hautes était plus de deux fois moindre dans le groupe célécoxib ; il n'y avait pas de différence en termes d'événements graves cardiovasculaires. Ainsi, selon ces travaux dont les résultats ont été récemment analysés et adoptés par un groupe d'experts [33], le célécoxib semblerait avoir acquis une image d'AINS mieux toléré que ce qui était admis initialement.

Antidépresseurs Pharmacologie Activité analgésique

Pharmacocinétique Les antidépresseurs sont bien absorbés au travers de la paroi digestive (absorption complète rapide, en 2 à 4 heures). Ils subissent un effet de premier passage hépatique variable selon les molécules. La demi-vie d'élimination des antidépresseurs

74   Partie 2. Traitements en pratique est variable selon la classe (elle peut prendre quelques heures à quelques jours) et le patient. Leur excrétion est essentiellement rénale. Les imipraminiques, amines tertiaires [R-N(CH3)2], sont métabolisés, au niveau du foie via le cytochrome CYP450 (iso-enzymes 1A2 et 2D6, notamment), en amines secondaires (R-NH-CH3) [tels l'amitriptyline et la nortriptyline], avec une évolution du spectre monoaminergique vers une inhibition du recaptage de la noradrénaline, ce qui confère une action monoaminergique mixte (sérotoninergique et noradrénergique) à ces antidépresseurs.

Pharmacovigilance Les antidépresseurs imipraminiques sont des produits pharmacologiquement « sales », c'est-à-dire qu'ils agissent sur plusieurs cibles, ce qui leur confère plusieurs effets, y compris indésirables, centraux et périphériques. Ainsi, leur action antagoniste des récepteurs α1 et H1 centraux conduit à une sédation. Leurs effets antimuscariniques centraux peuvent provoquer des états confusionnels. Les imipraminiques peuvent également induire une baisse du seuil épileptogène (effet observé avec tous les inhibiteurs de de la monoamine oxydase [IMAO]), une augmentation de l'appétence aux sucres avec prise de poids, un tremblement dose-dépendant et une dysarthrie. Les imipraminiques induisent aussi des effets indésirables périphériques : ■ effets atropiniques (sécheresse de la bouche, constipation, troubles de l'accommodation, tachycardie, sueur, trouble de la miction, etc.) ; ■ risque d'hypotension, majoré par l'orthostatisme, lié à l'action antagoniste des récepteurs α1 vasculaires ; ■ troubles des rythmes auriculaire et ventriculaire et troubles de la conduction, qui sont favorisés par l'existence de cardiopathies préalables et de troubles ioniques (de la kaliémie). L'intoxication aiguë par les imipraminiques peut se révéler grave, du fait du risque cardiaque. Les effets indésirables les plus fréquents des IRSNA sont les nausées, les vomissements, la diarrhée, l'insomnie, la somnolence, les vertiges et les céphalées mais aussi les hyponatrémies par sécrétion inappropriée d'hormone antidiurétique (ADH). La venlafaxine, à posologie élevée (> 200 mg/j), peut induire des HTA dose-dépendantes ; ce risque hypertensif existe aussi avec la duloxétine. Toutes les classes d'antidépresseurs peuvent induire un syndrome sérotoninergique dès lors que les molécules sont capables d'augmenter les taux de sérotonine. Celui-ci est souvent secondaire à un surdosage médicamenteux ou à certaines associations médicamenteuses (entre antidépresseurs, en particulier avec les IMAOA/B ou les ISRS, entre antidépresseurs et tramadol ou triptans ou lithium, ou avec le millepertuis). La survenue d'un syndrome sérotoninergique justifie l'arrêt immédiat du traitement. Tous les antidépresseurs peuvent être impliqués dans la survenue de troubles sexuels, qui sont en premier lieu une diminution du désir et des troubles de l'orgasme. On considère qu'environ 30 % des sujets traités par imipraminiques en sont atteints.

Contre-indications Les contre-indications habituelles des imipraminiques, liées à leur propriété atropinique sont le glaucome par fermeture

de l'angle et l'hypertrophie prostatique. Mais ils sont également contre-indiqués en cas d'infarctus du myocarde récent. L'association de tout antidépresseur avec un IMAOA/B est une contre-indication. Les autres antidépresseurs peuvent avoir des contre-indications spécifiques qui ne sont pas détaillées ici. Chez les patients épileptiques ou ayant des antécédents d'épilepsie, la surveillance clinique doit être renforcée, lors d'un traitement par tout antidépresseur. La survenue de crises convulsives impose l'arrêt du traitement. Les imipraminiques doivent être utilisés avec prudence chez les sujets âgés présentant une plus grande sensibilité à l'hypotension orthostatique et à la sédation (action α1 bloquante), ou une constipation chronique (propriété atropinique). La même prudence est recommandée avec les autres antidépresseurs.

Actualités et perspectives Une avancée qui peut ouvrir des perspectives intéressantes concernant l'utilisation des antidépresseurs est l'évolution actuelle vers une meilleure caractérisation des patients douloureux neuropathiques, dans la perspective d'identifier des critères de réponse à ces produits. Les résultats d'une étude menée par Baron et al. ont été publiés, en 2017 : l'objectif de l'étude était de stratifier les patients neuropathiques sur la base de leur réponse à 13 paramètres, suivant l'idée selon laquelle les sous-groupes identifiés, aux profils sensoriels différents, pourraient répondre différemment aux traitements [35]. Ils ont identifié trois groupes différents susceptibles de correspondre à des mécanismes physiopathologiques particuliers. L'efficacité de certains antidépresseurs et antiépileptiques dans tel ou tel groupe reste à démontrer. Une autre perspective, au-delà de la poursuite légitime des recherches sur le mécanisme de l'action analgésique des antidépresseurs, qui mérite encore des travaux, est la compréhension de l'inefficacité des antidépresseurs ISRS dont la tolérance globale est plutôt meilleure que celle des imipraminiques. En effet, il y a un paradoxe entre ce constat et le rôle de la sérotonine dans la physiologie et, sans doute, la physiopathologie de la douleur. Tout se passe comme s'il existait une résistance des douleurs neuropathiques à la sérotonine. Des travaux expérimentaux ont été réalisés sur ce sujet. Ils ont montré que la libération du récepteur 5-HT2A de ses liens protéiques intracellulaires, qui empêchent son adressage membranaire et, donc, son activation potentielle par la sérotonine, révélait une action antihyperalgésique majeure de la fluoxétine [36–38]. L'idée globale est que le démasquage réceptoriel puisse permettre de révéler les effets analgésiques spinaux de la sérotonine tout en inhibant ses effets pro-algiques (liés à l'activation d'autres récepteurs), assurant ainsi une efficacité marquée des ISRS. La mise en évidence d'une efficacité propre des agents de démasquage pourrait ouvrir de nouvelles voies thérapeutiques.

Antiépileptiques Pharmacologie Activité analgésique Plusieurs études cliniques ont analysé l'efficacité des antiépileptiques dans des syndromes douloureux chroniques. Leur degré d'efficacité est en général au moins égal à celui des

Chapitre 14. Traitements médicamenteux   75 antidépresseurs. Le NNT est situé entre 3 et 4. La carbamazépine a l'AMM en France pour le traitement des névralgies du trijumeau et du glossopharyngien et le traitement des douleurs neuropathiques de l'adulte ; la phénytoïne, pour le traitement de la névralgie du trijumeau ; la gabapentine, pour le traitement des douleurs neuropathiques périphériques telles que la neuropathie diabétique et la névralgie postzostérienne chez l'adulte ; la prégabaline dans le traitement des douleurs neuropathiques périphériques et centrales chez l'adulte ; le topiramate pour le traitement prophylactique de la migraine. Par analogie avec l'efficacité de la carbamazépine dans la névralgie du trijumeau, on considérait que les antiépileptiques possédaient une efficacité plus marquée pour les aspects « fulgurants » de la douleur neuropathique : cela n'est pas obligatoirement retrouvé dans les études et on considère que les antiépileptiques peuvent être envisagés quelle que soit la présentation de la douleur neuropathique. La prégabaline a obtenu l'AMM aux États-Unis pour la fibromyalgie. La pharmacologie des antiépileptiques est hétérogène, mais nombre d'entre eux interfèrent avec des canaux ioniques (par exemple sodiques et calciques) dont l'expression varie dans un contexte de douleur neuropathique. Gabapentine et prégabaline inhibent une sous-unité dite α2δ-1 de canaux calciques voltage-dépendants ; carbamazépine et phénytoïne inhibe des canaux sodiques. Ces inhibitions, péripéhriques ou centrales, induisent une diminution de la transmission de l'influx nerveux et/ou de l'excitabilité neuronale. Cela n'exclut pas d'autres cibles, particulièrement au niveau de la CPME où les antiépileptiques peuvent inhiber le récepteur NMDA (topiramate) pour réduire la sensibilisation centrale. Une action pro-gabaergique est également évoquée comme mécanisme d'action de certains antiépileptiques.

Pharmacocinétique La biodisponibilité orale des antiépileptiques est habituelle­ ment bonne, voire très bonne, avec des différences dans la cinétique d'absorption digestive, qui peut être lente ou rapide. De nombreux antiépileptiques subissent un métabolisme hépatique expliquant les nombreuses interactions médicamenteuses possibles. Ce risque d'interaction est majoré par le fait que les antiépileptiques peuvent modifier eux-mêmes le métabolisme hépatique en l'activant ou l'inhibant. La carbamazépine est auto-inducteur enzymatique, c'est-à-dire qu'elle active son propre métabolisme. La période nécessaire pour atteindre le plateau d'équilibre est variable, mais peut être de plusieurs jours, ce qui est à prendre en compte dans l'évaluation de l'efficacité d'un traite­ment antiépileptique, lors de son instauration ou en cas de changement posologique. La demi-vie plasmatique des antiépileptiques est variable. Selon les produits, l'élimination est rénale, hépatique ou mixte.

Pharmacovigilance Les effets indésirables des antiépileptiques sont assez inhomogènes et ne peuvent être détaillés ici. La carbamazépine est à l'origine de troubles digestifs, hématologiques ou cutanés, qui peuvent être gênants. La gabapentine a des effets indésirables très fréquents, comme la somnolence, des étourdissements, l'ataxie, une infection virale, une fatigue, une fièvre,

ou fréquents tels la leucopénie, l'augmentation de l'appétit, des vertiges ou une impuissance. La prégabaline peut également induire des étourdissements, une somnolence,une augmentation de l'appétit, une humeur euphorique, une confusion, une irritabilité, une vision trouble, des vertiges ou des troubles de l'érection. Le topiramate peut induire une rhinopharyngite, une dépression, une paresthésie, une somnolence, une sensation vertigineuse, de la fatigue, des nausées, une diarrhée et une diminution de poids.

Contre-indications Au-delà de l'hypersensibilité à chaque produit, les contreindications peuvent être résumées comme suit : ■ pour la carbamazépine : un bloc auriculoventriculaire, un antécédent d'hypoplasie médullaire ou des antécédents de porphyrie hépatique ; ■ le topiramate est contre-indiqué chez la femme enceinte ou en âge de procréer n'utilisant pas de méthodes contraceptives efficaces, du fait d'un risque tératogène. Le risque d'interaction contre-indique la coprescription de carbamazépine avec le télaprévir et voriconazole liée à un risque de perte d'efficacité de ces anti-infectieux.

Actualités et perspectives Les perspectives ouvertes par la stratification des patients douloureux neuropathiques évoquée dans le paragraphe sur les antidépresseurs sont applicables de la même façon aux antiépileptiques. Par ailleurs, les nombreux travaux fondamentaux sur les canaux ioniques, cibles de plusieurs antiépileptiques, sont susceptibles d'ouvrir des perspectives intéressantes pour le traitement des douleurs neuropathiques. Le nombre de canaux concernés est élevé et il est difficile ici de tous les citer. On peut néanmoins évoquer les canaux calciques ; outre les canaux porteurs de la sous-unité α2δ, activés par les gabapentinoïdes, les CAV3.2 sont l'objet d'études, et l'éthosuximide, qui se lie à ces canaux, est en cours d'évaluation clinique dans les douleurs neuropathiques. Les canaux Nav 1.7 sont aussi une cible d'intérêt, leur mutation génétique ayant induit des perturbations dans la perception de la douleur : une insensibilité à la douleur [39] ou une douleur [40]. D'autres exemples pourraient être donnés montrant que la recherche sur les canaux ioniques et la douleur est active, par exemple orientée vers les neuropathies chimioinduites particulièrement résistantes aux thérapeutiques analgésiques.

Conclusion À l'issue de cette présentation des antalgiques classiquement utilisés, il convient d'ajouter deux compléments. Certains produits non évoqués ci-dessus ont participé à l'amélioration de la prise en charge de certains patients douloureux. C'est particulièrement le cas des triptans qui ont constitué un progrès singulier dans le traitement des crises migraineuses. C'est aussi le cas de présentations à base de lidocaïne ou de capsaïcine (voire de toxine botulique) utilisées dans le traitement de certaines douleurs neuropathiques. Le

76   Partie 2. Traitements en pratique z­ iconotide occupe une place particulière ; il est en effet le premier antalgique réellement issu d'une réflexion physiopathologique montrant le rôle des canaux calciques Cav2.2 (type N) qu'il inhibe. Son caractère peptidique limite son utilisation à la voie rachidienne pour le traitement des douleurs chroniques intenses. Il convient également de noter qu'une évolution récente a été la mise sur le marché d'antagonistes des récepteurs μ de la paroi digestive qui ne diffusent pas, afin d'inhiber uniquement la constipation induite par les opioïdes. Enfin, nous n'avons pas évoqué dans ce chapitre, consacré aux antalgiques les plus courants, la kétamine, produit ancien utilisé dans le contexte opératoire mais également étudié dans des indications de douleurs chroniques. L'ancienneté de la pharmacopée et le manque, en clinique, de nouveaux concepts issus de la recherche, alors même que les connaissances fondamentales sur la douleur ont évolué, posent la question de la pertinence des stratégies de recherche. Certes, le phénomène douloureux est un phénomène complexe pluridimensionnel et les mécanismes physiopathologiques des douleurs chroniques le sont aussi, mais cela doit conduire à s'interroger sur la stratégie à adopter pour progresser. Espérons que de bonnes stratégies puissent ouvrir la voie à de nouvelles thérapeutiques. Le recours à des biothérapies comme les anticorps anti-NGF pourrait en être une. C'est en tout cas l'espoir suscité par le tanézumab dans le traitement des douleurs arthrosiques : après des retards dans son développement, un ratio bénéfice-risque positif vient d'être rapporté dans une récente étude de phase III (résultats annoncés par les industriels concernés, Pfizer et Eli Lilly). Des analogues suivent (fasinumab, fulranumab), issus d'autres laboratoires, preuve de l'intérêt du concept.

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Chapitre 14. Traitements médicamenteux   77 [31] Nissen  SE, Yeomans  ND, Solomon  DH, Lüscher  TF, Libby  P, Husni  ME, et  al. PRECISION Trial Investigators. Cardiovascular safety of celecoxib, naproxen, or ibuprofen for arthritis. N Engl J Med 2016 ; 375 : 2519–29. [32] Chan FKL, Ching JYL, Tse YK, Lam K, Wong GLH, Ng SC, et al. Gastrointestinal safety of celecoxib versus naproxen in patients with cardiothrombotic diseases and arthritis after upper gastrointestinal bleeding (CONCERN)  : an industry-independent, double-blind, double-dummy, randomised trial. Lancet 2017 ; 389 : 2375–82. [33] Ho KY, Gwee KA, Cheng YK, Yoon KH, Hee HT, Omar AR. Nonsteroidal anti-inflammatory drugs in chronic pain : implications of new data for clinical practice. J Pain Res 2018 ; 11 : 1937–48. [34] Finnerup NB, Sindrup SH, Jensen TS. The evidence for pharmacological treatment of neuropathic pain. Pain 2010 ; 150 : 573–81. [35] Baron R, Maier C, Attal N, Binder A, Bouhassira D, Cruccu G, et al. Peripheral neuropathic pain : a mechanism-related organizing principle based on sensory profiles. Pain 2017 ; 158 : 261–72. [36] Pichon X, Wattiez AS, Becamel C, Ehrlich I, Bockaert J, Eschalier A, et  al. Disrupting 5-HT(2A) receptor/PDZ protein interactions

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Chapitre

15

Douleur et éducation thérapeutique Rodrigue Deleens  PLAN DU CHAPITRE Comment se met en place un programme d'ETP du patient ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les différentes étapes de l'ETP du patient . . .

80 80

La survenue d'une maladie chronique perturbe de nombreux équilibres dans la vie des patients. La douleur chronique fait partie de ces maladies, quelle que soit son étiologie. Cela implique donc l'obligation de vivre avec la douleur et nécessite des recompositions. Des adaptations et l'acquisition de nouveaux comportements, plus adaptés, pourront être nécessaires pour « mieux vivre avec la douleur chronique ». Ces notions sont indispensables dans ce contexte, engageant la participation active du patient et, donc, sa motivation [1]. Cette motivation au changement lui permettra de s'impliquer durablement, de prendre soin de lui-même et de trouver un nouvel équilibre. Pour permettre aux patients, et parfois à son entourage, d'acquérir les connaissances, les capacités et la modification de son comportement, il faut non seulement, comme cela a été détaillé dans les chapitres précédents, expliquer, communiquer, identifier, éduquer et fixer des objectifs, mais il faut que cette démarche soit organisée autour du patient et avec lui. Les informations nécessaires à l'amélioration de la qualité de vie seront issues des connaissances scientifiques validées et adaptées aux besoins et aux attentes des patients. L'ETP répond alors à ces critères, elle représente un champ de pratiques au carrefour de la médecine, du soin et de l'éducation. L'ETP du patient est une démarche active, centrée sur les besoins et les attentes de chaque patient, dans laquelle celuici a une place importante [2]. Ce n'est pas seulement une démarche d'éducation, il ne s'agit pas de participer à des cours et de prendre part à un processus descendant, unilatéral, de transfert de connaissances. C'est un processus plus complexe et plus actif, qui a pour but de faire collaborer soignants, soignés et associations dans le cadre d'un objectif commun : faire en sorte que le patient arrive à vivre mieux avec sa pathologie chronique par le biais de la connaissance de sa maladie et d'une meilleure gestion des traitements. Cette approche, centrée sur le patient, part de ses connaissances et permet de l'orienter en lui transmettant des m ­ essages spécifiques adaptés à sa situation et à ses besoins personnels. Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Patient expert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Évaluation et labellisation des programmes . . . Quelles thématiques en douleur chronique ? . . .

81 81 81

La HAS définit l'ETP comme « un processus continu, dont le but est d'aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique [2]. Elle fait partie intégrante et de façon permanente de la prise en charge du patient. » Selon les recommandations de l'HAS, un programme d'ETP fait partie intégrante des soins, sans s'y substituer ; il a pour objectif de permettre au patient, mais aussi à son entourage, de mieux connaître la maladie et les traitements et de gérer au mieux le quotidien. Lors de ce processus éducatif spécifique, les informations et les connaissances transmises s'appuient sur des données scientifiques validées. Dans la littérature, la définition et la terminologie utilisées portent souvent à confusion et laissent parfois penser qu'il y a plusieurs conceptions dans ce même domaine. Dans les publications anglophones, il y a une différence entre l'éducation (traditionnelle), n'apportant que des informations et le « self management », ou l'éducation à l'autogestion, qui comprend en plus le développement de compétences de résolution de problèmes dans la vie quotidienne, avec la maladie (sur les plans médical, social et émotionnel). C'est ce concept qui est utilisé et décliné dans la gestion des symptômes chez les patients douloureux chroniques. L'accent est donc mis sur le renforcement du sentiment d'auto-efficacité et sur le choix des méthodes d'apprentissage, permettant la résolution de problèmes rencontrés dans la vie quotidienne du fait de l'existence des douleurs chroniques. Il n'y a pas, comme précisé précédemment, d'enseignement vertical mais réellement une collaboration entre les soignants (notions de multiprofessionnalisme et de pluridisciplinarité) et les patients, en accordant l'expérience de chacun. Cette démarche d'ETP répond donc à un besoin de prévention tertiaire, c'est-à-dire « l'ensemble des mesures visant à éviter ou réduire le nombre et la gravité des maladies, des accidents et des handicaps » (selon l'OMS). Concernant la douleur chronique, il s'agira de limiter les 79

80   Partie 2. Traitements en pratique accès douloureux, de contrôler la douleur « de fond » et de limiter les impacts sociaux, professionnels et émotionnels en permettant aux patients de gagner en autonomie, de comprendre leur maladie, ses symptômes, leurs traitements et les moyens d'y faire face, et, ainsi, « de mieux vivre avec ». Au final, il est attendu, certes, une amélioration de la qualité de vie, mais aussi une diminution des consommations de médicaments, une diminution de leurs effets iatrogènes éventuels et des recours aux consultations et aux hospitalisations. L'ETP répond donc aussi à une vision moderne de santé publique. En pratique, l'ETP permet au patient d'analyser le « savoir » et le « savoir-être » et d'acquérir le « savoir-faire » et, ainsi, de : ■ mieux comprendre la maladie, les douleurs, et accepter la maladie ; ■ connaître les bénéfices et les effets indésirables des traitements ; ■ connaître les mesures préventives à adopter : aménagement de l'environnement, prise d'un traitement préventif, etc. ; ■ reconnaître une aggravation et savoir réagir de manière adéquate ; ■ identifier les facteurs ou circonstances déclenchant des pics de résurgence pour mieux les éviter ; ■ résoudre les difficultés du quotidien liées à la maladie et aux douleurs (amélioration de la qualité de vie) : à la maison, au travail, dans la vie privée ou dans l'environnement social. On passe donc à un nouveau paradigme ou le patient prend de l'autonomie. D'un comportement observant, où le patient « subit », où il est passif, peu autonome, on passe à l'alliance, où le patient choisit son comportement, en commun accord, contractuel, entre le médecin et les soignants. Le patient acquiert de l'autonomie.

Comment se met en place un programme d'ETP du patient ? Un programme d'ETP doit tout d'abord répondre aux besoins d'une population de patients, douloureux chroniques dans le cas présent. La douleur chronique, quelle qu'elle soit, quelle que soient son origine et ses mécanismes, est une situation de maladie chronique, ayant pour conséquences des retentissements globaux, avec des mécanismes biopsychosociaux et une approche nécessairement pluriprofessionnelle. Une fois le domaine d'action défini (lombalgie, fibromyalgie, douleur du cancer, douleurs neuropathiques, migraine ou, plus globalement, « la douleur chronique »), un travail de réflexion en équipe s'impose. La rédaction du programme prendra en compte les besoins des patients (en termes de connaissances sur la maladie, ses traite­ ments et les ressources à identifier et à valoriser, etc.) et les connaissances scientifiques validées qui doivent leur être transmises pour leur permettre d'acquérir des techniques d'auto-soins et, enfin, d'élaborer avec une ou des associations de patients le déroulement des ateliers qui composeront ce programme en laissant la place aux « patients experts » [3, 4].

Les différentes étapes de l'ETP du patient Diagnostic éducatif, ou bilan éducatif partagé La première étape est le diagnostic éducatif (ou bilan éducatif partagé). Durant ce moment, les besoins éducatifs du patient et leurs liens avec les nécessités des traitements et des soins sont identifiés. Cette étape permet d'accéder aux connaissances, aux représentations et au ressenti du patient, cela permet d'analyser : ■ ce qu'il sait et croit sur sa manière de gérer ses douleurs ; ■ ses connaissances sur sa maladie et ses douleurs : quelles en sont les causes, les mécanismes, leur évolution ? ■ ses conditions de vie et de travail ; ■ son savoir-faire : comment se soigne-t-il, quelle gestion des médicaments adopte-t-il, ou a-t-il d'autres approches thérapeutiques, comment bouge-t-il ? Cette étape permet également d'évaluer sa manière de réagir à face à certaines situations, et de prendre en compte l'impact psychologique : ■ quelles sont ses réactions comportementales (recherche d'informations, d'aide) ? ■ quel est l'impact cognitif, émotionnel : catastrophisme, kinésiophobie, peur, colère, anxiété, etc. ? ■ quelles sont les perceptions par le patient des facteurs influençant les douleurs : le stress, la vulnérabilité ? En résumé, ce temps permet d'analyser la perception par le patient de ses ressources (optimisme, auto-efficacité, etc.) ou des facteurs défavorables (dévalorisation, anxiété, dépression, etc.), de comprendre ses besoins, ses attentes, ses croyances et ses peurs. En général, il est préconisé d'organiser cette étape dans un lieu dédié, calme, en individuel, et de lui consacrer du temps (une heure en moyenne), mais le diagnostic éducatif peut aussi être fait en plusieurs fois et par plusieurs professionnels.

Élaboration du contrat d'ETP entre soignants et patient La seconde étape consiste en l'élaboration du contrat d'ETP entre les soignants et le patient. Il contient les compétences à acquérir en tenant compte des besoins spécifiques et personnels du patient et des choix thérapeutiques. C'est à ce moment que le patient accepte et prend conscience des points sur lesquels il lui faudra travailler et réfléchir, des éléments de connaissance à acquérir et des changements qu'il devra opérer. Ces points seront validés en collaboration avec les soignants sous la forme d'un contrat où ces objectifs à atteindre seront clairement explicités. Le patient prend alors un rôle actif en les validant et en s'engageant personnellement.

Mise en place du programme personnalisé La troisième étape est la mise en place du programme personnalisé, sous une forme adaptée au patient : ateliers individuels et/ou de groupe.

Chapitre 15. Douleur et éducation thérapeutique    81 Le choix des ateliers proposés dépendra des besoins é­ valués lors de la réalisation du diagnostic éducatif. C'est donc en quelque sorte un programme « à la carte », adapté aux besoins réels du patient, avec son accord. Les ateliers sont, selon la thématique, proposés en individuel ou en groupe. Ce dernier permet souvent des échanges plus riches entre les patients, leur donnant des temps pour exprimer leurs propres expériences, mettant en valeur les moyens positifs pour aller mieux, et toujours reposant sur l'écoute et la validation du ou des professionnel(s) formé(s) à l'ETP, rebondissant sur les recommandations scientifiques validées et reconnues. Pour animer ces ateliers, des outils sont utilisés, souvent ludiques, stimulant les échanges entre tous les participants, et sélectionnés en amont, lors de l'écriture du programme, en vue de leur adaptation aux objectifs éducatifs et aux thématiques spécifiques.

Évaluation des compétences acquises et du déroulement du programme La dernière étape consiste en l'évaluation des compétences acquises et du déroulement du programme. L'évaluation dans le déroulé du processus d'ETP n'est pas un temps fixe en soi, mais il est également un processus continu, organisé au sein des différentes étapes, permettant ainsi une réorientation si cela est nécessaire, ainsi que des ajouts ou des mises au point si certaines compétences n'ont pas été suffisamment acquises ou si d'autres semblent rester à acquérir. On évalue alors ici la transformation du patient.

Patient expert Ces dernières années, le concept de « patient expert », parfois appelé « patient ressource » s'est développé au sein des programmes d'ETP dans la prise en charge des douleurs chroniques. Grâce à lui, un partage de connaissances concernant la maladie s'opère avec les autres malades participant à l'ETP. Des liens particuliers se créent grâce à ces points communs que sont la maladie, son vécu, les traumatismes éventuels qui y sont liés, et les traitements. Ce patient expert apporte alors un soutien moral, mais il joue aussi un véritable rôle éducatif, s'assurant de l'intégration des messages, de leur compréhension, de leur mise en application et de leur reformulation si nécessaire. Grâce à cela, on observe une évolution positive des symptômes, un changement de gestion des activités, des émotions et de la qualité de vie, une meilleure observance des traitements et, enfin, un rôle plus actif du patient dans sa prise en charge.

Évaluation et labellisation des programmes Outre l'évaluation de l'impact de l'ETP sur le patient douloureux chronique et ses symptômes, une évaluation du programme lui-même doit être réalisée tous les ans

par les équipes. Cette autoévaluation doit être réfléchie dès l'élaboration du programme ; on peut même dire qu'elle en fait partie. Le référentiel établi par les équipes permettra ­d 'analyser qualitativement et quantitativement leurs pratiques, l'organisation et la coordination de leur programme. On y retrouve donc le nombre d'ateliers, leur durée, le nombre de patients y ayant participé, ayant commencé et terminé chaque programme, le nombre d'intervenants, l'évaluation de la satisfaction des patients et des résultats d'outils d'évaluation de certains critères, choisis et sélectionnés lors de l'instauration du programme. Bien entendu, cela permettra d'ajuster le contenu ou le déroulé du programme selon les observations, de détecter les points faibles et forts et, ainsi, de faire aux patients une offre de soins de qualité. Une autre démarche d'évaluation doit être réalisée tous les 4 ans, dans un objectif de reconnaissance, de labellisation du programme par l'Agence régionale de Santé, sur les recommandations de la HAS [2]. Lors de la mise en place du programme, une autorisation est délivrée par l'ARS selon des critères de référence, disponibles sur le site des ARS et de l'HAS et que nous avons résumés précédemment. Cette autorisation n'est valable que quatre ans, échéance à laquelle une autoévaluation du programme (bilan des trois années de mise en œuvre) doit être réalisée : impact sur la pathologie et sur les patients. Elle sera transmise à l'ARS, qui validera le renouvellement d'autorisation. Cette évaluation a pour caractéristiques d'être orientée à la fois sur les résultats et effets attendus de l'ETP et sur les évolutions du programme, et d'être réalisée par l'équipe et le coordonnateur. À partir de ces rapports, les ARS prennent connaissance des dynamiques régionales dans le domaine de l'ETP en douleur chronique et de l'offre territoriale. Elles analysent les progressions, les évolutions des différents programmes, leurs atouts et leurs forces, mais aussi leurs limites et difficultés éventuelles ouvrant sur des possibilités d'aide et d'accompagnement.

Quelles thématiques en douleur chronique ? Selon les besoins et les spécificités de chaque structure douleur chronique ou des services accueillant des patients souffrant de douleurs chroniques, différents programmes d'ETP peuvent être mis en place. Ils seront orientés sur des pathologies particulières : lombalgie, fibromyalgie, douleur du cancer, douleurs neuropathiques, céphalées, migraines, ou ils seront moins spécifiques, comme des programmes « douleur chronique », dans lesquels la déclinaison des ateliers pourra s'orienter selon les pathologies avec des ateliers communs tels que « mieux comprendre la douleur chronique », ou encore « bien gérer ses traitements médicamenteux », « savoir utiliser des techniques non médicamenteuses », etc [5]. Dans tous les cas, ces programmes et leurs ateliers permettent, comme nous l'avons évoqué en début de chapitre, de rendre le patient plus autonome dans sa

82   Partie 2. Traitements en pratique pathologie chronique, en lui permettant de comprendre les mécanismes de sa ou de ses douleurs, de mieux gérer les symptômes à l'aide des traitements, médicamenteux ou non, d'analyser son comportement émotionnel, de savoir trouver les ressources adéquates pour les maîtriser, de bouger et garder des ­a ctivités adaptées et, enfin, d'analyser le retentissement social et professionnel pour mettre en œuvre des actions positives. En résumé, l'ETP est complémentaire aux soins et permet une amélioration de la qualité de vie du patient douloureux, en lui rendant une autonomie de compréhension et de gestion, tout à fait intéressante et nécessaire dans ce contexte de chronicité.

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Chapitre

16

Approches psychocorporelles et psychothérapies Antoine Bioy, Veronique Barfety-Servignat, Claire Vulser



PLAN DU CHAPITRE Fondements généraux et intérêt . . . . . . . . . . . Les techniques de relaxation . . . . . . . . . . . . . . L'hypnose appliquée au champ de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Méditation de pleine conscience, ou Mindfulness . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



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Fondements généraux et intérêt Notre culture – presque par tradition – pense l'humain et sa santé en considérant deux plans de nature différente : le substrat corporel (soma) et l'immatériel (psyché). Pour autant, l'existence d'un dialogue entre le corps et l'esprit1 est une évidence pour tous, et ce depuis longtemps, y compris pour Descartes, bien injustement décrié en la matière, qui parlait de l'étroite union entre les deux, dont chacun, écrivait-il, faisait l'expérience dans son quotidien. Les approches psychocorporelles sont une réponse à ce dialogue : d'une part, elles prennent acte de la perspective moniste (l'humain est un tout, vivant et indivisible) et, d'autre part, pour améliorer les processus en santé, elles choisissent dans la pratique une porte d'entrée pour travailler ce « tout », porte qui est ici le corporel (perceptions, sensations, etc.). Cela, en contraste avec les approches psychothérapeutiques qui, elles, choisissent la porte d'entrée offerte par l'activité psychique. Redisons-le afin d'éviter toute mauvaise compréhension : les deux niveaux sont dans un dialogue dynamique et, donc, les deux approches travaillent les deux plans, mais selon angles différents, la plupart du temps complémentaires. Il est bien question dans ce chapitre d'approches, autrement dit de méthodes de travail particulières, aux outils pratiques définis. Ils prennent place dans une démarche thérapeutique qui doit être pensée, avoir des objectifs définis et survenir à la suite d'une évaluation rigoureuse. Le choix de l'intervenant (psychologue, infirmier, médecin, etc.) et le contexte de pratique (libéral, institutionnel, etc.) dépend des conditions qui auront été choisies avec le patient, selon les objectifs poursuivis et l'ensemble des éléments qui rendent un projet réaliste ou non (temps, finances, coordination des intervenants, etc.). Pour reprendre le joli mot de Keller (2006) [1].

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Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Autres approches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Psychothérapies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Nous avons choisi d'aborder les approches les plus courantes en clinique de la douleur et celles qui font l'objet d'un consensus concernant leur intérêt auprès des patients douloureux.

Les techniques de relaxation Le terme de « relaxation » date du xiie siècle, et signifie « libération » (on parle d'ailleurs toujours de « relaxer un prévenu »). Une séance de relaxation travaille en effet à ce que quelque chose se libère, se détende, dans la continuité corps-esprit : relâcher les tensions musculaires à la fois pour défaire le corps douloureux de ce qui le contracte, mais aussi pour dénouer les tensions psychiques en lien avec lesdites douleurs. Si nous disons les choses autrement  : le corps travaillé avec la relaxation « découvre » qu'il a une histoire, qu'il est porteur de pulsions, d'émotions, de sentiments, d'images, d'angoisse, d'une temporalité, etc. La « libération » recherchée mobilise l'ensemble. Les techniques de relaxation ne consistent pas uniquement en une action mécanique pour apprendre à se détendre, mais constituent une proposition de mobilisation via ce corps porteur d'un ensemble, du matériel comme de l'immatériel. N. Baste propose une définition claire de la relaxation : « une pratique psychos­ omatique qui consiste à induire chez le sujet, par différents procédés, un état de relâchement musculaire plus ou moins important et une modification de l'état et du niveau de la conscience plus ou moins profond dans un but thérapeutique, mais aussi prophylactique ou éducatif » [2]. Plusieurs pratiques de relaxation se côtoient : training autogène, méthode Jacobson, etc. En clinique pédiatrique de la douleur, la méthode Bergès est régulièrement employée et, en pratique adulte, la sophrologie est courante. 83

84   Partie 2. Traitements en pratique La méthode Bergès (Jean Bergès) consiste à susciter un état de conscience modifié à l'aide d'images, puis à nommer les parties du corps que l'on va toucher pour travailler avec elles (toucher, travail de suggestion et de métaphores). Le jeune patient est invité à explorer ses ressentis et ses associations au sein de la séance. Au commencement de chaque séance, on reprend aussi ce qui a été fait la séance précédente. L'approche est d'inspiration psychanalytique (mais il n'est pas nécessaire d'être psychanalyste pour la pratiquer) [3]. La sophrologie (Alfonso Caycedo) consiste en l'apprentissage structuré de niveaux de relaxation dynamiques qui sont au total douze. Pour autant, Nathalie Baste rappelle que ce sont principalement les cinq premiers qui sont utilisées en pratique clinique courante, auprès notamment des patients douloureux chroniques [2]. La relaxation dynamique du premier degré, par exemple, consiste à effectuer une série de gestes en harmonie avec la respiration (rythme, amplitude, régularité, alternance des moments d'effort et de détente, etc.), mêlant concentration et pratiques méditatives pour ressentir le mouvement vivant en soi. La sophrologie reprend des techniques d'hypnose (première pratique d'A. Caycedo) dans une conceptualisation d'inspiration orientale (yoga, zazen). L'exploration des différents états sophroniques permet aux patients de mieux explorer leurs états internes, en lien avec leurs manifestations corporelles, et de pouvoir les travailler, accompagnés du praticien (terpnos logos), qui maintient et encourage le relâchement musculaire, notamment.

L'hypnose appliquée au champ de la douleur L'hypnose se définit comme un « mode de fonctionnement psychologique par lequel un sujet, en relation avec un praticien, fait l'expérience d'un champ de conscience élargi » [4]. Elle fait partie des « nouveau modèles de soins » qui centrent leur pratique sur l'individu, sa subjectivité et ses valeurs [5]. Lorsqu'un sujet est en état d'hypnose, son état de conscience est dit modifié. Synthétiquement, cela se traduit par un fonctionnement cérébral qui active à la fois le circuit de l'attention et le circuit de la détente [6]. Cet état permet de jouer sur la façon dont un sujet perçoit sa réalité, peut la modifier, jusqu'à en tirer des bénéfices sur le plan de la santé et dans d'autres champs (sportif, artistique, etc.). C'est toujours un élément du contexte qui amène l'apparition de cet état : une suggestion formulée par une personne, un événement qui survient brutalement et crée une sidération, un changement de posture induit par la pratique de l'autohypnose, etc. De quel « champ de conscience élargi » s'agit-il lorsque l'on est en hypnose ? La conscience dont il est question ici est une conscience corporelle au sens qu'en donne la phénoménologie, une conscience construite grâce à notre sensorialité et qui nous permet de percevoir notre environnement, nous-même et la relation entre nous et ce contexte dans lequel nous nous trouvons. C'est pour cela qu'elle permet de travailler le rapport au réel d'une personne : cette conscience corporelle devenue « modelable » par l'état hypnotique organise son ressenti et, de ce fait, influence la dynamique psychologique, voire globale (incluant les données corporelles), d'un sujet.

Compte tenu de ce qui précède, on comprend donc que l'hypnose est un processus dynamique, global, d'emblée du côté de l'expérience. Être en hypnose, c'est vivre d'une façon différente la réalité environnante et s'ouvrir à une possibilité de la façonner autrement. Il s'agit, avec l'hypnose – nous dit le psychologue et philosophe Thierry Melchior –, de « créer le réel » [7], soit de façonner une réalité qui nous corresponde et qui soit, de ce point de vue, individuelle et unique. En situation de déséquilibre, comme en cas de pathologie physique ou mentale, ce remodelage possible devient un puissant outil d'influence sur la santé, jouant sur des ressources qui nous appartiennent. La pratique de l'hypnose consiste en un accompagnement qui suit globalement trois phases : l'induction d'un état de conscience modifié (état hypnotique), un travail thérapeutique (à l'aide de suggestions et d'un travail métaphorique) et un retour à un état de conscience ordinaire. La façon de pratiquer l'hypnose va dépendre du contexte (urgences, ambulatoire, etc.), du tableau douloureux présenté (chronique, aiguë, provoqué par les soins) et des éléments humains (parmi lesquels la dynamique relationnelle engagée). En fonction des objectifs thérapeutiques fixés, on fait appel à des professionnels différents : hypnothérapeutes psychologues-psychothérapeutes et psychiatres pour un travail sur la psychopathologie de la douleur ; praticiens en hypnose de profession médicale ou paramédicale pour un travail sur la perception douloureuse et sa gestion. Dans les deux situations, c'est l'expérience du patient au contact de sa douleur qui va être travaillée avec l'hypnose, par l'emploi de métaphores et de suggestions. Et dans les deux cas, le patient est invité à la pratique de l'autohypnose, autrement de la pratique par lui-même de l'hypnose qui occupe une place centrale en médecine de la douleur et dans son efficacité [8]. Si plusieurs protocoles existent, la littérature scientifique s'entend sur la nécessité de 7 à 10 séances d'apprentissage de l'autohypnose pour une efficacité qui perdure au-delà de 6 mois [9]. En particulier, ce qui est recherché est que les patients fassent l'expérience d'une forme de familiarité par rapport à l'expérience douloureuse, sans chercher à l'éviter, pour apprendre à la modeler autrement. Ils n'ont pas à l'accepter (l'acceptation mobilisant des processus de contrôle antinomiques avec la flexibilité psychologique recherchée), mais à faire l'expérience d'un laisser-aller des perceptions, y compris douloureuses, en confiance [10]. Ce travail étant particulièrement mobilisant, on comprend l'importance de l'accompagnement par un praticien, y compris lorsque l'on parle de l'apprentissage de l'autohypnose. Ce laisser-aller permet de trouver une posture différente non seulement au regard de la douleur, mais aussi de son rapport au vivant, à son existence. L'expérience douloureuse est alors transformée en apprentissage : le patient apprend de ce qu'il rejetait jusque-là et grandit, se trouvant renforcé dans son identité et ses valeurs [11]. L'hypnose, pratique ancienne datant du xviiie siècle, a donné naissance aux psychothérapies et aux principales méthodes psychocorporelles utilisant les transes, dont les deux méthodes de relaxation que nous avons citées. On comprend donc qu'elle soit certainement la méthode psychocorporelle ayant fait l'objet du plus grand nombre d'écrits professionnels et scientifiques. Ses principales

Chapitre 16. Approches psychocorporelles et psychothérapies    85 composantes sont maintenant bien identifiées, ainsi que sa dynamique d'action dans les cadres thérapeutiques [11]. Particulièrement en clinique de la douleur, plus de cinquante ans de travaux en psychologie et médecine permettent d'affirmer son absolue pertinence pour les patients, dans le cadre d'une prise en charge adaptée [12]. Son usage lors des soins ou de situations aiguës est maintenant une évidence. Dans le domaine du chronique, elle est recommandée, notamment dans les tableaux douloureux complexes (par exemple le syndrome de l'intestin irritable ou encore les migraines), et pour l'ensemble des pathologies persistantes pour lesquels les facteurs psychologiques sont particulièrement mobilisés. L'hypnose joue en effet particulièrement sur la composante affective de la douleur, et aussi pour une certaine part sur la composante cognitive, en donnant accès à une compréhension individuelle différente de la douleur qui fait souffrance.

Méditation de pleine conscience, ou Mindfulness Au sein des techniques psychocorporelles, la méditation de pleine conscience se développe de plus en plus pour la prise en charge de la douleur. Depuis 1982, Kabat-Zinn a élaboré un programme spécifique inspiré des techniques cognitivo­-comportementales et du bouddhisme [13]. Il existe de nombreuses manières de méditer depuis des millénaires. Méditer, c'est focaliser son attention très précisément sur un objet, une sensation, une pensée ou un concept. Mais ce n'est pas rêver, se vider la tête de toute pensée ni effacer la douleur d'un coup de baguette magique. Alors, en quoi consiste la méditation de pleine conscience ? Il s'agit d'un programme parfaitement codifié, permettant des études scientifiques fiables, de 8 séances hebdomadaires de 2  h  30, guidées par des instructeurs formés à cette technique, associées à des pratiques quotidiennes de 45 minutes. Cela constitue la MBSR : Mindfulness basée sur la réduction du stress. Celle-ci a été aménagée en 1995 par les Drs Segal, Williams et Teasdale en MBCT : Mindfulness fondée sur la thérapie cognitive pour la dépression. Ces programmes permettent un apprentissage d'exercices méditatifs très variés qui améliorent la qualité de vie des douloureux chroniques, souvent anxieux ou dépressifs. Les pratiquants s'entraînent à prendre conscience de leurs sensations corporelles, de leurs sens, de leurs pensées et de leurs émotions dans un esprit d'ouverture, de bienveillance et d'acceptation. Souvent, les patients douloureux ne ressentent de leur corps que la douleur : ils en oublient qu'une musique peut les apaiser ou que des étirements peuvent les soulager. Progressivement, ils se réapproprient leur corps sans éviter pour autant la douleur, comme dans l'exercice du « balayage corporel ». Dans un deuxième temps, ils apprennent à se regarder penser et à faire le tri entre le pilotage automatique ou les ruminations qui dirigent leur mental : consignes personnelles d'évitement, comme la kinésiophobie du lombalgique entraînant un isolement social. Puis, le programme s'intéresse au ressenti de diverses émotions, agréables ou non. L'attention est portée avec curiosité sur le lien avec

les pensées et le ressenti physique : la douleur se réveille nettement lorsque la colère est présente. Il s'agit bien d'un apprentissage de la réalité de cette triade : sensations corporelles, pensées et émotions qui, sans cesse variable, induit notre comportement. Il semble donc important d'en prendre conscience pour décider en toute liberté de notre vie, instant après instant [14]. Depuis près de 20 ans, des méta-analyses sont régulière­ ment réactualisées pour montrer l'efficacité de ces techniques sur la douleur, mais aussi surtout sur l'amélioration de la qualité de vie et sur la diminution de l'anxiété et de la dépression [15]. Comment la méditation de pleine conscience fonctionnet-elle ? Jon Kabat-Zinn la définit comme « une conscience qui émerge en faisant attention délibérément, dans l'instant présent, et de façon non jugeante ». Cela requiert de nombreuses qualités à développer au cours de la pratique : être ici et maintenant avec toute l'ouverture d'esprit nécessaire, sans attente, sans jugement, avec patience et bienveillance envers soi-même. Pour cela, aucun besoin de conditions particulières, mais il faut s'autoriser à prendre du temps pour soi, accepter une évolution lente, s'entraîner régulièrement, faire confiance en un changement, même inconnu. Il est effectivement juste question de rester présent, conscient à soi-même, à son environnement, à ses pensées et à ses émotions. Chaque séance est unique, ni bonne ni mauvaise : la distraction de notre attention par la liste des courses à faire ou des personnes à appeler pendant un exercice centré sur la respiration est normale. Dans la méditation de pleine conscience, l'important est notre propre conscience, sans chercher à la modifier. Ainsi, la méditation de pleine conscience permet un véritable changement cognitif, une modification des schémas habituels de pensée, une présence à la réalité sans regret du passé ni anticipation anxieuse du futur. Cette acceptation bienveillante de la variation des émotions ou des sensations corporelles aide à relativiser ce qui survient, y compris les difficultés. Ainsi, progressivement, le ressenti de la douleur est transformé et peut laisser la place à d'autres expériences plus variées. Ces différents mécanismes d'action de la méditation de pleine conscience sont largement étudiés au niveau scientifique [16] : en neurobiologie, en neuro-imagerie, en épigénétique et, bien sûr, aux niveaux comportemental et cognitif. Il a ainsi été observé que la pratique régulière de la méditation de pleine conscience entraîne des modifications sur la fonction immunitaire et les hormones du stress. De nombreuses études ont examiné, en IRM fonctionnelle, le cerveau de méditants experts ou ayant juste effectué les 8 séances : des modifications structurelles sont observées au niveau de l'amygdale, du CCA, du thalamus et du cortex dorsolatéral préfrontal. Ces zones cérébrales sont largement impliquées dans la gestion des émotions, mais aussi de la douleur. Faire l'apprentissage de la méditation de pleine conscience permet aux patients douloureux chroniques de se réapproprier leur corps, leurs pensées et leurs émotions et de se ré-inventer un nouveau mode de fonctionnement. Cette technique doit être enseignée par des soignants bien formés, eux-mêmes pratiquants réguliers, afin que soit au mieux incarnée la bienveillance requise.

86   Partie 2. Traitements en pratique

Autres approches Toute prise en soins demande à s'ajuster le mieux possible au patient, à ses besoins, à ses possibilités et à son désir. Les approches psychocorporelles ne sont pas des analogues médicamenteux : il ne s'agit pas de méthodes universelles à appliquer coûte que coûte, qui auraient des indications et des contre-indications absolues, avec des durées d'efficacité reproductibles, etc. Ces méthodes offrent des approches pertinentes pour la plupart des patients douloureux, mais restent à proposer et à adapter au sujet de façon non dogmatique : certaines méthodes peuvent lui correspondre, d'autres moins, et il est essentiel de prendre ce facteur en compte pour construire une efficacité thérapeutique. Ainsi, ce n'est pas parce que telle méthode est particulièrement recommandée, par exemple, pour les patients lombalgiques qu'il faudra l'appliquer à tous « les lombalgiques ». Elle pourra être proposée, et le thérapeute psychocorporel qui recevra le patient devra évaluer si, en effet, la méthode pressentie est à choisir ou bien si une autre serait plus pertinente ou si le patient se sentirait mieux en travaillant autrement. À l'inverse, la courte liste que nous proposons ici n'est pas exhaustive dans le champ de la clinique de la douleur. D'autres pratiques peuvent tout à fait être pertinentes (QiGong, toucher-massage®, etc.). Citons en particulier le développement de pratiques actuelles en lien avec l'art-­ thérapie. Klein définit ainsi la méthode : « L'art-thérapie est un accompagnement de personnes en difficulté (psychologique, physique, sociale ou existentielle) à travers leurs productions artistiques : œuvres plastiques, sonores, théâtrales, littéraires, corporelles et dansées » [17]. Une méthode de musicothérapie est particulièrement évaluée dans le champ de la douleur : « MusicCare » ; elle propose un mixage musical qui suit une évolution spécifique (« montage en U »), menant le patient à un état de relaxation. Son emploi tant dans la douleur chronique que lors des soins produit des effets thérapeutiques intéressants [18]. Citons également l'EMDR (eye movement desensitization and reprocessing), dont la pratique est jusque-là surtout connue sur les tableaux de trauma psychique [19]. Cette pratique consiste en la stimulation sensorielle bilatérale (par exemple balayage d'un doigt devant les yeux du patient, stimulation sonore gauche/droite), qui active un processus thérapeutique jouant sur les souvenirs traumatiques en travaillant à partir de protocoles validés scientifiquement. Sa pratique semble pertinente dans la douleur : l'on peut faire l'hypothèse que c'est parce que cette dimension du trauma est très associée à la douleur chronique que l'EMDR peut revendiquer sa pertinence dans ce champ de la douleur [20]. Ces pratiques et leur importance dans le champ de la prise en charge des pathologies somatiques suivent une clinique fondée sur les valeurs [21]. Autrement dit, elles revendiquent une approche validée scientifiquement, dans ce que la science peut avoir d'écoute concernant la prise en compte de l'individualité, de la subjectivité et de l'intersubjectivité à l'œuvre dans la rencontre entre un praticien et son patient.

Psychothérapies Fondements généraux La psychothérapie peut paraître une pratique récente en réponse aux tourments et souffrances des sujets du monde moderne dont les plaintes s'axent massivement sur les thématiques de perte de sens. Toutefois, le soin des âmes est une préoccupation présente dans l'Antiquité. C'est à Tuke que l'on doit le terme de « psycho-therapeutics » construit à partir du grec, et que l'on retrouve dans son article, traduit en français en 1886, « Le Corps et l'Esprit. Action du moral et de l'imagination sur le physique » [22]. Mais c'est Bernheim qui finalise le terme « psychothérapie » dans son ouvrage Hypnotisme, suggestion, psychothérapie en 1891 [23]. Comme Tuke, il lui attribue un double sens en le rapprochant d'une suggestion. La définition contemporaine comme pratique thérapeutique concerne « les personnes souffrant de problèmes émotionnels mais aussi celles qui voudraient élargir leurs possibilités d'actions sociale et introspective » [24]. La psychothérapie s'ancre dans les courants philosophiques, dans la culture, dans les développe­ ments de la psychologie et du fonctionnement du cérébral [25]. Le xxe siècle a d'abord vu le développement de la psychanalyse. Par la suite, ce sont les modèles s'appuyant sur la suggestion hypnotique, les sensations et le corporel, les émotions et les processus cognitifs et comportementaux qui ont émergé. Ces derniers modèles, venant surtout du continent nord-américain, concernent principalement des prises en charge brèves. Quelle que soit l'orientation conceptuelle, la psychothérapie convoque la place de l'autre autour de deux concepts majeurs de la relation thérapeutique : l'empathie et l'intersubjectivité. Toute démarche psychothérapique s'acte dans une histoire, un instant, une existence et, surtout, dans une clinique du détail [25].

Principes La psychothérapie est une pratique qui a pour objet le psychisme dans le cadre d'une relation interpersonnelle. Elle permet sa mobilisation et active la mise au travail des empêchements, des difficultés et des conflits. Elle vise leur élaboration en vue d'un soulagement de la souffrance psychique du sujet. Sa pratique s'effectue dans des conditions précises et implique nécessairement une connaissance de la psychopathologie, un savoir-faire clinique qui donne l'éclairage indispensable à la conduite du traitement. Dans tous les cas, le praticien se doit de posséder une technique complexe et de mettre en travail ses propres mouvements psychiques dans le cadre d'une supervision. Parfois, le travail se limite à une thérapie de soutien dont l'objectif est d'apporter une aide et un soulagement et non à mobiliser le psychisme en profondeur : il s'agit alors de soutenir les mécanismes de réassurance narcissique [26]. Par ailleurs, la psychothérapie n'est pas réductible à une technique. Le psychothérapeute soulage d'abord par ce qu'il est et par la qualité de la relation mise en place : processus relationnels, personne et expertise du psychothérapeute ont plus d'effet que les techniques utilisées [27, 28]. Lorsque la thérapie consiste en l'application d'exercices isolés, elle n'est pas une psychothérapie.

Chapitre 16. Approches psychocorporelles et psychothérapies    87 Il est essentiel d'être attentif à la manière dont le malade se représente la maladie : peut-il s'en sentir victime de manière consciente ? comment peut-elle lui être utile de manière inconsciente, si ses comportements sont dommageables pour sa santé (définie par l'OMS comme un état d'équilibre physique, psychique et social) ? comment les angoisses et, parfois, la mort peuvent-elles interférer ? On cherche à saisir en quoi la douleur et la maladie qui touche le corps sont au prise avec la vie psychique et la vie relationnelle, comment s'est installée la chronicité et dans quel contexte psychologique et social. Tout au long de sa vie, le sujet noue des « réactions corporelles à des représentations psychiques par l'intermédiaire d'affects dont l'expression est double : physique et psychique. Il a constitué une trame d'étayages possibles sur l'autre dans les situations difficiles ou au contraire s'est fragilisé à travers des traumatismes à répétition. Ainsi se sont créées des lignes de failles, des fixations, mais aussi des systèmes de défense » qui signent ses forces et ses faiblesses [29]. C'est bien sûr dans cette histoire et dans cette construction que vient s'inscrire la douleur lorsqu'elle paraît. En clinique de la douleur, l'exercice du psychothérapeute est un repérage de la place et de la fonction de la douleur dans la vie actuelle du sujet ainsi que du sens qu'elles prennent dans son histoire. L'objectif est d'en minimiser les impacts, voire d'en contenir les atteintes les plus graves [29]. Les problématiques dans lesquelles évoluent les patients douloureux chroniques sont majoritairement du registre du trauma, du deuil, de la carence et des atteintes narcissiques identitaires. Toutes ces problématiques sont bien connues dans le champ de la psychologie clinique et de la psychopathologie et ne nécessitent pas de validation particulière dans le champ de la douleur. La psychothérapie a largement fait ses preuves dans le domaine de la souffrance et de ces problématiques [30].

Pratiques psychothérapiques En Europe, la psychothérapie a acquis une place manifeste dans les soins de santé́. Inversement, à la place que les activités psychothérapeutiques occupent sur le terrain, la réglementation de ces activités est peu développée et le patient, peu informé quant aux professionnels habilités. En France, l'article 52 de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 modifiée, relative à la politique de santé publique, réglemente l'usage du titre de psychothérapeute et impose l'inscription des professionnels au registre national des psychothérapeutes. Le décret du 20  mai  2010 relatif à l'usage du titre de psychothérapeute, modifié par le décret du 7 mai 2012, en précise les modalités. L'exercice psychothérapeutique repose sur une évaluation psychologique et psychopathologique experte et sur de très bonnes connaissances des modalités psychothérapeutiques et psychopathologiques. L'exercice psychothérapeutique est donc réservé aux professionnels habilités par leur formation à engager une démarche thérapeutique. Concernant le cadre conceptuel ou les orientations psychothérapeutiques, il y a des différences nettes et chaque courant a développé ses modalités psychothérapeutiques. Nous traiterons ici des principaux courants : analytique, comportemental, humaniste, systémique et des nou-

velles pratiques virtuelles. Par ailleurs, les techniques à court, moyen et long termes sont complémentaires et non substitutives.

Psychothérapies analytiques : psychanalyse, psychothérapie psychanalytique, psychothérapie d'orientation analytique, psychothérapie psychodynamique En  1895, la cure psychanalytique est une méthode de traitement des troubles névrotiques par l'exploration de l'inconscient. Il s'agit pour Freud (1895) de faire disparaître des symptômes en permettant au sujet de trouver ses propres solutions aux conflits entre ses divers mouvements pulsionnels (amour et haine pour un même objet) et entre son environnement pulsionnel et les exigences de la société [31]. Par les règles de la cure (pratique de parole, association libre, neutralité de l'analyste, fréquence des séances et contexte du divan), le transfert peut s'opérer et donner accès à l'identification des pensées, affects et souvenirs refoulés pathogènes. Les postfreudiens ont diversifié les approches, devenues davantage centrées sur la guérison, et ces psychothérapies se sont développées dans le cadre des institutions de soins et des prises en charge de familles, de couples et de groupes. Quelles que soient ces variantes, la spécificité de la méthode relève d'une pratique de parole construite dans la rencontre avec le sujet où la dimension relationnelle et subjective se situe au cœur même du processus thérapeutique. À partir de la demande du sujet, il s'agit de l'accompagner dans l'élaboration de ses propres solutions, en tenant compte de la place et des fonctions qu'occupe le symptôme dans son économie psychique. L'approche psychanalytique vise avant tout la souffrance psychique du sujet et doit lui permettre de se construire comme sujet, de s'approprier ou de reprendre le fil de son existence : accéder à un travail, qui ouvre la possibilité de relancer les processus de symbolisation, a un effet de soulagement de la souffrance et d'apaisement des troubles somatiques. La psychanalyse tente de rendre compte de l'intégralité du fonctionnement psychique aussi bien normal que pathologique [32]. Fondée sur la parole, faisant appel à l'inconscient où la souffrance psychique doit être comprise et soulagée, cette méthode prend en considération le patient douloureux dans son organisation psychique : « Elle interroge et identifie les fonctions et le retentissement de la douleur pour le patient. Par l'analyse du transfert, des résistances et du désir, elle permet de mieux comprendre les conflits internes, de leur donner un sens nouveau et d'éviter qu'ils ne se répètent dans la vie actuelle sous forme de symptômes psychiques et/ou physiques » [26]. Les dernières études montrent l'efficacité de ces techniques à long terme chez les patients en souffrance [33]. Cette approche développe des techniques ou des médiations tout à fait indiquées en clinique de la douleur, qui permettent de travailler en groupe : le photolangage, le psychodrame analytique, le groupe de parole, les médiations corporelles d'orientation analytique, etc.

88   Partie 2. Traitements en pratique

Thérapies comportementales et cognitives Les thérapies comportementales (première génération) et les TCC (deuxième génération) sont des théories s'appuyant sur l'apprentissage et sur le traitement de l'information. Elles reposent sur l'analyse fonctionnelle, qui rend possibles une compréhension de la problématique et une définition du cadre d'intervention [26]. Elles peuvent être réalisées en individuel, en groupe ou être intégrées à une équipe pluriprofessionnelle formée. Les TCC abordent la douleur comme un comportement qui s'acquiert ou se maintient, dont les mécanismes sont analogues à ceux de l'apprentissage [34]. L'identification des facteurs psychologiques et relationnels susceptibles d'avoir un effet sur le déclenchement, l'aggravation ou l'atténuation de la douleur permet une prise en charge de la douleur, de ses conséquences et des comorbidités réactionnelles ou précédant la douleur. La première vague développe des stratégies thérapeutiques centrées sur les notions de renforcement, d'apprentissage, d'évitement comportemental et d'extinction : « L'une des limites majeures de ce modèle rapportées dans les études est principalement l'absence de prise en compte des émotions et des cognitions relatives à la douleur » [35]. La deuxième vague propose des méthodes comportementales et cognitives favorisant l'adaptation par diminution du handicap et visant à réduire les émotions pénibles en lien avec la douleur. « Les psychothérapies s'intéressent au catastrophisme, aux croyances dysfonctionnelles, à l'attention, à la détresse émotionnelle, aux schémas d'évitement, à l'auto-efficacité personnelle et au coping » [35]. Les propositions thérapeutiques passent par la psychoéducation, l'auto-­ observation des crises douloureuses, la distraction de pensée, la relaxation, la restructuration cognitive ou le pacing. La thérapie cognitive fondée sur la méditation de pleine conscience (Mindfulness) est plus proche de la première que de la deuxième génération, à laquelle s'ajoutent des notions nouvelles comme la conscience, l'acceptation, le moment présent ou la compassion. En état de conscience modifiée, le sujet porte volontairement son attention avec bienveillance sur l'expérience douloureuse, sans jugement. Enfin, la troisième vague est représentée par les thérapies contextuelles dont relèvent les thérapies de l'acceptation et de l'engagement (ACT). Elles s'intéressent à la relation entre le patient et ses émotions et s'appuient sur des méthodes d'exposition de l'expérience vécue par le patient. « Elle utilise des outils TCC mais également la méditation en "pleine ­conscience"(Mindfulness), les métaphores, ainsi que d'autres outils thérapeutiques amenés par un thérapeute se positionnant de façon singulière » [35].

Psychothérapie humaniste Carl Rogers est le représentant le plus emblématique de ce paradigme développé dans les années 1960 aux États-Unis. Il décrit la relation thérapeutique comme constituant un contexte de sécurité dans lequel est possible un processus d'exploration axé sur l'expérience. La tonalité d'authenticité et de transparence du thérapeute place la relation thérapeutique comme moyen de changement. La relation thérapeutique se distingue comme un champ ouvert dans lequel les interactions du patient sont explicitement explorées [36].

En clinique de la douleur, « l'approche humaniste s'organise autour de l'importance des expériences de vie comme lieu des ressources et des apprentissages d'une personne, dont l'expérience douloureuse fait partie (aiguë et chronique) » [11]. On s'intéresse à la façon dont les expériences sont vécues. On repère la place des ressentis physiques et émotionnels dans cette traversée expérientielle. La psychologie humaniste se nourrit donc du courant phénoménologique. L'être humain répond ainsi à un principe d'actualisation : il apprend de ses expériences et avance dans ses apprentissages pour construire des compétences. Lorsque ce développement est empêché et lorsque l'expérience est bloquante – expérience qui peut être un vécu douloureux – il est nécessaire de mettre en place une intervention psychothérapeutique. Plusieurs approches peuvent être utilisées telles que l'approche centrée sur la personne de Rogers [37], la logothérapie de Frankl [38] ou encore la Gestalt thérapie de Perls [39]. La méthode humaniste s'articule particulièrement bien avec les méthodes dites psychocorporelles au regard de la place donnée au corporel et aux perceptions : « Concernant la façon dont la psychologie humaniste comprend les dynamiques relationnelles, la notion d'alliance thérapeutique prend une place de choix. Il s'agit d'une approche "de l'ici et maintenant" qui n'exclut pas pour autant l'importance biographique du sujet ni la façon dont le futur aperçu influence déjà le présent à l'œuvre » [26].

Psychothérapie systémique et familiale Née dans l'après-guerre, l'approche systémique emprunte ses modèles aux sciences sociales, aux sciences naturelles et aux mathématiques. Elle coupe avec la psychanalyse et s'inscrit dans un nouveau paradigme dont l'école de Palo Alto est l'emblème. La famille est envisagée comme étant un système car c'est un ensemble d'éléments en interaction qui échange de l'information avec l'extérieur [40]. Ainsi, le système familial est régi par des règles fondamentales, qui permettent de maintenir son fonctionnement en équilibre : règle de l'homéostasie, principe de circularité, principe de la totalité, principe de non-sommativité et principe d'équifinalité. Dans cette dynamique, le symptôme a plusieurs fonctions : régulation homéostatique de la famille, régulation de la distance, changement et résistance. Il provient du contexte dans lequel il se situe, plus particulièrement du contexte familial, et non comme étant simplement réductible à l'individu qui le porte. En situation de crise, le fonctionnement peut être bouleversé. Par son impact sur la sphère familiale, la douleur chronique entraîne une rupture existentielle au sein du système familial : son fonctionnement est perturbé par les contraintes et les nouvelles conditions de vie imposées par la douleur. Les places et les rôles de chacun sont affectés. Des remaniements relationnels se produisent alors au sein de la famille (modification de la distance interpersonnelle, mouvement de regroupement protecteur ou tendance à l'isolation, redistribution des tâches familiales, etc.). Parallèlement, lorsque les capacités adaptatives de la famille sont mises à mal, la douleur peut focaliser l'attention de chacun et remplir une fonction utile au maintien d'une

Chapitre 16. Approches psychocorporelles et psychothérapies    89 dysfonctionnalité durable. Il est alors nécessaire de proposer une prise en charge globale du patient douloureux chronique, qui inclut son système familial [26]. Les thérapies systémiques et familiales sont des « thérapies pertinentes dans la prise en charge des patients douloureux chroniques car elles interrogent la fonction du symptôme douloureux afin d'obtenir une vision globale de l'impact de celui-ci sur le patient et son environnement familial » [26]. Elles permettent d'améliorer les capacités d'adaptation familiales, la qualité de vie du patient douloureux chronique et, par voie de conséquence, celle de sa famille.

Psychothérapies virtuelles : jeux vidéo et avatars La psychothérapie à médiation de jeux vidéo est récente et on peut en distinguer trois approches : ■ une approche centrée sur la médiation cognitive, dans laquelle le psychothérapeute recourt à la réalité virtuelle pour modifier des difficultés cognitives acquises ou développementales ; ■ une approche centrée sur des pratiques comportementalistes (traitement des phobies, par exemple) ; ■ une approche centrée sur l'utilisation d'un espace de réalisation d'une intention [41]. Dans cette troisième approche, « la technique de jeux vidéo en psychothérapie consiste à appréhender le jeu comme un espace d'expériences susceptibles d'opérer les conditions d'un changement de soi » [41]. Certains adultes plongés dans des représentations de la maladie et/ ou de la douleur, retrouvent le plaisir de l'action dans les mondes virtuels. Par ailleurs, l'effet calmant du jeu vidéo chez des sujets présentant des hyperactivités compensant des affects dépressifs masqués est bien présent. Dans ces jeux, le corps est mis à distance, réduit à une commande et, pour autant, ils engagent une expérience du corps. À l'opposé de l'idée de l'absence du corps dans le jeu vidéo, on observe une amélioration de l'organisation du mouvement et des postures chez des enfants et adultes douloureux qui utilisent des jeux dans lesquels l'avatar présente un corps entier capable de mouvements. La manipulation de mouvements virtuels a un effet positif sur l'organisation des mouvements réels [41]. Certains enfants et adultes utilisent les jeux vidéo comme des supports projectifs de leurs fantasmes [42]. Dans certains jeux, le sujet peut créer une famille fictive. Il construit une maison, y dispose ses personnages et choisit leurs interactions selon ses désirs. Spectateur, acteur, et metteur en scène, le joueur profite d'un espace projectif pour l'expression de ses désirs, de ses conflits, de ses fantasmes inconscients et de ses demandes transférentielles, qui pourront se mettre au travail dans le cadre de la psychothérapie [43]. Enfin, la plupart des jeux vidéo mettent en scène une quête : elle répond à la recherche de représentations de la transformation de soi et manifeste toujours l'expression symbolique d'un désir de changement [41]. Les lunettes virtuelles, très à la mode aujourd'hui en clinique de la douleur ne relèvent pas de la psychothérapie, ce sont des épreuves distractives.

Conclusion Toutes ces méthodes sont actuellement efficaces en clinique de la douleur [44]. En revanche, la disparité en termes d'offre de soins nécessite d'adapter son niveau d'exigence la disponibilité des soins proposés. Concernant les patients, la demande de psychothérapie et le choix du professionnel et du type de pratique dépendent fréquemment de ce qui leur est appréhendable des théories sous-jacentes à l'offre de soins [32]. En clinique de la douleur, la plainte s'adressant d'abord au professionnel médical, il est important de pouvoir orienter le patient vers ce type de soin. Il s'agit alors d'expliquer au patient les mécanismes de la douleur ainsi que ses composantes. Il s'agit aussi de présenter la prise en charge comme le produit d'une réflexion commune. Parler de psychothérapie à son patient implique que l'on considère la douleur chronique comme un phénomène complexe de nature bio-psycho-social qui entraîne une collaboration réciproque [45]. Il est essentiel de pouvoir éviter la remise en cause de l'authenticité de la plainte, puisque quel que soient les processus physiologiques et psychiques en jeu, la souffrance est bien présente.

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90   Partie 2. Traitements en pratique [20] Defontaine-Catteau MC, Bioy A. Place du trauma psychique en clinique de la douleur. Douleur et Analgésie 2014 ; 27 : 68–74. [21] Fulford KWM, Peile E, Caroll H. La clinique fondée sur les valeurs – De la science aux personnes. Paris : Doin ; 2017. [22] Tuke DH. Le corps et l'esprit. Action du moral et de l'imagination sur le physique. Paris : Librairie Baillère et fils ; 1886. [23] Bernheim H. Hypnotisme, suggestion, psycho-thérapie. Paris : Octave Doin, 1891. [24] Pritz A. Globalized Psychotherapy. Wien : facultas. Wuv/maudrich ; 2002. [25] Vinot-Coubetergues M, Marc E. Les fondements des psychothérapies : de Socrate aux neurosciences. Paris : Dunod ; 2014. [26] Barfety-Servignat V, Bioy A, Conradi S, Hirsch F. Psychothérapies et douleur. In : Livre blanc de la douleur, 2017. État des lieux et propositions pour un système de santé éthique, moderne et citoyen. Paris : Med-Line, 2017. [27] Lambert MJ, Ogles BM. The efficacy and effectiveness of psychotherapy. In : M. J. Lambert MJ, ed. Bergin and Garfield's handbook of psychotherapy and behavior change. New York : Wiley, 2004 : 139–93. [28] Norcross J. Psychotherapy relationships that work. New York : Oxford University Press ; 2002. [29] Célérier MC. Psychothérapie des troubles somatiques. Paris : Dunod ; 2003. [30] Abbass AA, Hancock JT, Henderson J, Kisely S. Short-term psychodynamic psychotherapies for common mental disorders. Cochrane Database Syst Rev 2006 ; 18(4). [31] Freud S, Breuer J. Études sur l'hystérie. Paris : Puf ; 1895. p. 2002. [32] Roussillon R. Psychothérapie psychodynamique : quelques principes et analyseurs, https://www.spp.asso.fr/psychotherapie-psychodynamique-quelques-principes-et-analyseurs/ ; 2001.

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Chapitre

17

Médecine physique et réadaptative de la douleur Pierre Volckmann  PLAN DU CHAPITRE Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Qui sont les acteurs de la rééducation ? . . . . .

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Introduction La médecine physique [1, 2], essentiellement la kinésithérapie et l'ergothérapie, est un outil thérapeutique important en médecine de la douleur. Cette science est confrontée à plusieurs écueils [3] : ■ sa méconnaissance et, donc, son utilisation tardive ou par défaut ; ■ la surcharge professionnelle des différents acteurs ; ■ la multiplicité des techniques plus ou moins validées et utilisées parfois de manière dogmatique. D'autres spécialités ou techniques sont indiquées dans la prise en charge de la douleur. Certaines sont enseignées, d'autres pas, ou peu : ■ la musicothérapie ; ■ l'art-thérapie. Certaines sont fondées sur des connaissances empiriques : ■ la cryothérapie, ■ la thermothérapie. D'autres sont peu accessibles à des études scientifiques classiques (étape placebo impossible)  : l'ostéopathie, par exemple, technique médicale apportée en France par Robert Maigne, est fondée sur la notion de dysfonction segmentaire d'origine articulaire induisant des douleurs localisées (contracture, cellulalgie, etc.) ou à distance (douleurs projetées) [4, 5]. Une des solutions thérapeutiques est alors la manipulation vertébrale dans le sens de la non-douleur (figure 17.1) et du sens libre. Des théories proposées par d'autres auteurs avancent une dysfonction des différents fascias incluant les fascias superficiels mais aussi viscéraux, ce qui expliquerait certaines douleurs [6, 7]. La médecine physique et de réadaptation (MPR) est la spécialité médicale qui organise, en structure institutionnelle ou en libéral, ce type de prise en charge. En cas

Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Comment prescrire la rééducation ? . . . . . . . . Les cures thermales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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de pathologie complexe nécessitant une organisation ­rééducative ­multidisciplinaire, la place du médecin de MPR est essentielle. C'est un des éléments qui rapproche beaucoup la médecine de la douleur de la médecine physique. Mais tout praticien médical ou chirurgical peut et doit prescrire de la rééducation lorsque cela est utile et, surtout, adapté au cas du patient traité. Par exemple, en cas de fibromyalgie, la prescription de massages n'est pas forcément adaptée, à l'inverse d'une balnéothérapie chaude [8]. Il faut donc prescrire la rééducation comme une thérapeutique, avec ses indications et ses contre-indications et, bien sûr, assortie de la surveillance médicale obligatoire à toute prescription.

F LFD

LFG

E Schéma en étoile de Maigne

Figure 17.1 Schéma en étoile de Maigne. LFD : latéro-flexion droite ; LFG : latéro-flexion gauche ; F : flexion ; E : extension. Source : Maigne R, 1990 [4].

91

92   Partie 2. Traitements en pratique

Qui sont les acteurs de la rééducation ? Le masseur kinésithérapeute [1] C'est le spécialiste des techniques de rééducation motrice et fonctionnelle prescrites par le médecin ou le chirurgien. L'objectif est de récupérer une fonction motrice par des moyens et techniques spécifiques. Le deuxième objectif, en lien étroit avec le premier, est la lutte contre la douleur. La prescription médicale doit faire l'objet, de la part du kinésithérapeute, d'un bilan et d'un diagnostic kinésithérapique qui évalue : ■ les déficiences (déformations, degrés de liberté articulaire, etc.), ■ la force musculaire, la douleur et la sensibilité, ■ les incapacités fonctionnelles. Ce bilan aboutit aux choix des techniques et à l'objectif de soins et définit le protocole de soins. Une synthèse de ce bilan est adressée au médecin prescripteur. Le médecin doit préciser, s'il le décide, en fonction du diagnostic qu'il a établi, les contre-indications à certaines techniques (la fibromyalgie ou la phlébite contre-indique les massages ; la prothèse en métal contre-indique la TENS ; aucune mobilisation n'est possible sur une fracture récente, etc.). Cette notion est essentielles, car certaines techniques sont parfois très agressives et peuvent générer des douleurs incoercibles. La règle de la non-douleur doit être toujours appliquée. À l'issue des séances, le kinésithérapeute doit adresser un bilan de la rééducation. Le kinésithérapeute peut utiliser de nombreuses techniques et, éventuellement, les combiner entre elles pour atteindre les objectifs qu'il s'est fixés.

Massages Souvent marginalisé, le massage reste une technique essentielle dans l'antalgie par le système du gate control, primordial dans une stimulation extéroceptive redonnant sens au schéma corporel souvent altéré. Enfin, c'est un moment de relation privilégiée entre le thérapeute et le patient. Les pressions glissées sont plutôt réservées au commencement de la prise en charge et pour la proprioception. Les pressions locales et le drainage lymphatique permettent de lutter contre l'œdème. Les pétrissages lèvent les contractures musculaires. Les frictions de Cyriax (massages transverses profonds) luttent contre les tendinopathies mécaniques.

■ le renforcement isométrique sans déplacement, ■ le renforcement isotonique, ou dynamique, qui peut être concentrique (raccourcissement des fibres) ou excentrique (frein à l'écartement des fibres). On utilise ces techniques en fonction du rôle du groupe musculaire : par exemple, le quadriceps, qui est plus un muscle freinateur, est renforcé en excentrique, ■ le renforcement isocinétique  : ce travail s'effectue à vitesse angulaire constante et permet d'évaluer, au moyen d'un appareillage mécanique associé à du matériel électronique, la capacité de mise en œuvre du recrutement musculaire, sa force et son maintien dans le temps.

Techniques de facilitation neuromotrice Les techniques de facilitation neuromotrice comprennent : ■ la méthode Bobath, plutôt réservée aux cérébrolésés, maintient des postures antalgiques et facilitantes ; ■ la méthode de Kabat, technique en diagonale spirale, propose une aide du groupe musculaire le plus fort vers le plus faible, dans un mouvement organisé en diagonale spirale (associant la conjugaison de travail agoniste- antagoniste) ; ■ la méthode McKenzie recherche la voie de la facilitation et la zone d'antalgie (recherche de la lordose dans le cas d'une lombalgie, par exemple) ; ■ la méthode de rééducation Perfetti est proposée aux patients présentant des lésions neurologiques centrales. Elle permet de réaliser un travail finalisé en partant de la périphérie pour se rapprocher du central (doigts, soit le pouce et l'index, main, coude et épaule).

Méthodes d'étirements

Les méthodes d'étirements comprennent : ■ la méthode Mézières est une technique d'étirements posturaux liés à la respiration et recherchant un relâchement musculaire que Françoise Mézières a décrite dans les années 1950 ; initialement sur la chaîne musculaire postérieure pour les lombalgiques (figure 17.2) ;

Mobilisations articulaires Les mobilisations articulaires permettent, de manière active ou passive, un maintien ou un gain d'amplitude articulaire. Elles nécessitent un positionnement parfait non algique. Elles se fondent sur les postures manuelles ou instrumentales (Kinétec® ). Exceptionnellement, certaines peuvent s'effectuer sous anesthésie générale.

Techniques de renforcement musculaire Les techniques de renforcement musculaire ont pour objectif de permettre au patient de retrouver sa capacité initiale. Cette force peut être restituée sans correspondance avec le volume musculaire. Il y a :

Figure 17.2 Étirements ischio-jambiers selon la méthode Mézières. Source : vidéo « Cuisse étirement chaine postérieure III P­ hysio » de la Swiss orthic clinic.

Chapitre 17. Médecine physique et réadaptative de la douleur    93 ■ le contracter-relâcher : méthode qui utilise la propriété de relâchement musculaire en position étirée après une contraction volontaire.

Physiothérapie [2] Balnéothérapie La balnéothérapie limite les contraintes mécaniques articulaires (niveau de l'eau à l'ombilic : 50 % du poids du corps ; niveau de l'eau au sternum : 10 % du poids du corps). La balnéothérapie chaude (34 à 36 °C) est validée par la Société française de rhumatologie pour améliorer les douleurs des fibromyalgies. Il faut insister également sur l'intérêt de la balnéothérapie pour la reconquête du schéma corporel et la récupération des amplitudes articulaires, notamment en cas de capsulite rétractile.

Neurostimulation électrique transcutanée La TENS peut être essentiellement utilisée en deux modes : ■ à très basse fréquence : stimulation endorphinique ; ■ à moyenne fréquence : contre-stimulation en cas de douleur neuropathique ;

Cryothérapie Elle est utilisée à titre antalgique et anti-inflammatoire.

Thermothérapie Elle est utilisée à des fins myorelaxantes [8].

L'ergothérapeute Il prend en charge des patients présentant des déficiences physiques ou mentales, en utilisant des techniques de mise en situation d'activité ou de travail. Il rééduque les déficits moteurs, sensoriels et cognitifs par les postures et le geste finalisé. Il peut confectionner des orthèses pour limiter les déficits et les douleurs, par exemple une orthèse pour limiter la contraction du deuxième radial dans les tennis-elbow (figure 17.3). Depuis peu, les ergothérapeutes peuvent exercer en libéral.

Le psychomotricien Il rééduque des patients dont les difficultés psychologiques ou neuropsychologiques sont exprimées corporellement. Il agit sur les fonctions psychomotrices au moyen de techniques

de relaxation dynamique, d'éducation gestuelle, d'expression corporelle ou plastique, par des activités d'équilibration et de coordination. Il travaille sur prescription médicale, essentiellement avec les structures de psychiatrie, de douleur et de rééducation fonctionnelle (adulte et enfant).

L'activité physique adaptée Le décret n° 2016-1990 du 30 décembre 2016 relatif aux conditions de dispensation de l'activité physique adaptée prescrite par le médecin traitant à des patients atteints d'une affection de longue durée constitue une grande avancée dans le domaine de la prise en charge de la santé et de la douleur. Désormais, grâce à cet article de loi, des professeur d'APA (activité physique adaptée), en complément des ­rééducateurs, pourront faire pratiquer l'activité physique aux patients en ALD (parmi lesquels les douloureux chroniques, comme mentionné dans l'annexe 11-7-2 de la loi). Ce traitement a pour objectif de rendre les patients plus autonomes dans une démarche proactive salvatrice et, ainsi, de limiter leur douleur.

Comment prescrire la rééducation [3] ? Il s'agit d'une prescription médicale qui ne peut se justifier que sur un examen clinique précis et, ainsi, tenter d'apporter une réponse aux anomalies décelées. C'est une thérapeutique et cela obéit donc aux mêmes règles qu'une prescription classique. Le vecteur thérapeutique est ici un professionnel aux grandes compétences dont les remarques pertinentes sont souvent d'un grand secours.

La première des contre-indications à la kinésithérapie est l'absence d'indication L'examen clinique s'attachera à vérifier les éléments pour lesquels la rééducation peut être proposée.

Sur le plan orthopédique Il importera alors de vérifier : ■ les amplitudes articulaires, ■ la force musculaire et les rétractions musculaires, ■ la présence de contractures musculaires ou de spasticité, ■ la cinétique du mouvement et la fluidité de la gestuelle (par exemple la présence d'un décollement de l'omoplate lors de l'élévation antérieure de l'épaule), ■ les anomalies locorégionales ayant mutuellement des effets les unes sur les autres (par exemple l'épaule et les rachis ont des effets sur le bassin et les hanches, et inversement). ■ les postures douloureuses et les postures antalgiques.

Sur le plan neurologique

Figure 17.3 Orthèse de repos du deuxième radial.

En dehors de l'examen classique, il importera de vérifier : ■ les éléments du questionnaire DN4, ■ les troubles du tonus et du mouvement (hypertonie plastique et décompensation antérieure ou scoliose de la personne âgée, etc.). La prescription peut ainsi s'effectuer en proposant une gestion physique des éléments retrouvés à l'examen clinique.

94   Partie 2. Traitements en pratique Cette prescription est ciblée sur l'anomalie, mais générale dans sa rédaction, le thérapeute ayant libre choix de ses techniques (il est important de préciser les contre-indications, y compris pour un aspect médicolégal (contre-indication à une manipulation, par exemple).

Le kinésithérapeute choisit ses techniques, écrit un bilan au commencement, puis à l'issue des dix premières séances. Il contribue ainsi à améliorer le dialogue avec le médecin prescripteur et à optimiser la prise en charge en fonction de l'évolution et de la réponse aux thérapeutiques proposées.

Exemple du lombalgique par insuffisance discale

Exemple de la fibromyalgie

Le patient décrit des douleurs récurrentes foudroyantes, calmées en décubitus, ce qui révèle une instabilité lombaire. L'examen clinique s'attache à rechercher l'absence de signes neurologiques, une hypomobilité de la colonne dans le cadre d'une kinésiophobie. Il vérifie enfin la qualité des haubans musculaires (abdominaux, iliopsoas, spinaux) et la raideur sous-­ pelvienne : muscle ischio-jambier par l'angle poplité (figure 17.4), et muscle droit antérieur par la distance talon-fesse (figure 17.5). Dans ce cas, faire pratiquer par un masseur kinésithérapeute diplômé d'État des séances de rééducation du rachis lombaire et des membres inférieurs : ■ renforcement des haubans musculaires : gainage, ■ étirements sous-pelviens, ■ recherche des postures antalgiques et gainage en posture lordosante, ■ massages antalgiques, ■ TENS antalgique.

Dans le cas d'une fibromyalgie : ■ faire pratiquer par un masseur kinésithérapeute diplômé d'État 10 séances de balnéothérapie chaude, avec automobilisation douce dans le strict respect de la non-douleur, ■ faire pratiquer par un psychomotricien 10 séances de restauration du schéma corporel avec apprentissage des positions antalgiques, ■ faire pratiquer par un professeur d'APA 10 séances de travail musculaire doux et non algique en favorisant le travail des groupes musculaires permettant la marche, l'équilibre et la fonction. Ce travail doit s'effectuer dans une dépense énergétique autour de 4 à 6 MET par heure. Les séances courtes sont à favoriser au début.

Exemple de la capsulite rétractile C'est une réaction capsulaire secondaire à un traumatisme, une pathologie locorégionale inflammatoire ou une chirurgie. La douleur est souvent diurne et nocturne. Le décubitus latéral est impossible du côté de la capsulite. Les amplitudes passives (et actives) sont limitées (schéma ­c apsulaire  : RE < RI ; EA > EL). Toute agression mécanique locale réactive la rétraction. Les examens complémentaires, échographie, arthroscanner et IRM, confirment l'impression clinique. La prescription peut être : faire pratiquer par un masseur kinésithérapeute diplômé d'État 20 séances de rééducation du membre supérieur avec une balnéothérapie chaude : ■ auto-mobilisation passive en élévation antérieure, élévation latérale en balnéothérapie, ■ auto-étirements indolores mains jointes.

Exemple de l'algodystrophie de la cheville Figure  17.4 Détermination de l'angle poplité (rétraction des muscles ischio-jambiers).

La prescription peut être la suivante : Faire pratiquer par un masseur kinésithérapeute diplômé d'État ou un ergothérapeute 10 séances de rééducation du membre inférieur :

Figure  17.5 Détermination de l'épreuve talon-fesse par la rétraction du muscle droit antérieur.

Chapitre 17. Médecine physique et réadaptative de la douleur    95

Figure 17.6 Exemple de rééducation avec mirror box.

technique mirror box (figure 17.6), mouvements imaginés, bains écossais (si indolores), techniques de désensitivation, techniques de reconquête des amplitudes en restant strictement indolore. Après chaque prescription, le thérapeute rééducateur doit évaluer sa pratique et le bénéfice obtenu ou non. Cette analyse doit être partagée avec le médecin prescripteur. La poursuite d'une rééducation ne peut s'envisager que dans le cadre de cet échange. Le bénéfice d'une séance de kinésithérapie doit perdurer et ne doit pas s'éteindre en quelques minutes. La poursuite d'une rééducation sans bénéfice cristallise le patient dans l'échec et fait perdre du temps à d'autres éventuelles solutions thérapeutiques. La prescription de rééducation en médecine de la douleur doit être précise, adaptée et surveillée. C'est une thérapeutique avec ses indications et contre-indications. Elle est étroitement liée à la médecine de la douleur car dépositaire de savoirs essentiels en termes de contre-stimulation, de schéma corporel et de thérapeutique en lien avec le corps et ses déficits. Toute la richesse de cette thérapeutique est liée au partage des connaissances et au travail en équipe pluridisciplinaire, si cher au monde de la douleur. ■ ■ ■ ■ ■

Les cures thermales Souvent sujet à polémique, le thème des cures thermales se voit fréquemment évoqué. Si le spa était prôné par nos ancêtres gallo-romains, les études scientifiques confirmant l'efficacité des cures thermales sont peu nombreuses. Cependant, des études montrent l'efficacité de ce type de prise en charge sur les douleurs articulaires des personnes âgées [9]. L'amélioration se fait en termes de douleur mais également en termes de fonctionnalité et de qualité de vie.

Cette médecine « alternative » est également mise en exergue du fait des bénéfices qu'elle procure pour la diminution des effets indésirables de certains médicaments [10]. Enfin, on connaît l'effet bénéfique de la chaleur sur les contractures musculaires, des bains chauds chez les patients atteints de fibromyalgie, de la balnéothérapie en rééducation fonctionnelle (schéma corporel, apesanteur limitant les contraintes mécaniques) [8]. Il est important de considérer aussi les multiples biais des études : diagnostic, âge, fonctions rénales, poids, circonstances et fonction sociale de la cure [11]. Une des pistes scientifiques pour la détermination de l'efficacité des cures thermales est le choix de la « sonde » : que mesure-t-on ? En allergologie, par exemple, on démontre dans le cadre d'une étude en double aveugle une diminution des processus inflammatoires dans le mucus rhinopharyngé des enfants [12].

Références [1] Rode G, Handicap Volckmann P. médecine physique et réadaptation, guide pratique. La Rochelle, éditions Xavier Montauban ; 2006. [2] Held JP, Dizien O. Traité de médecine physique et de réadaptation. Paris : Flammarion Médecine-Sciences ; 1998. [3] Pelissier J, Viel E. Douleur et Médecine physique : problèmes posés en médecine physique et réadaptation. Paris : Masson ; 2000. [4] Maigne R. Diagnostic et traitement des douleurs communes d'origine rachidienne, une nouvelle approche. Paris : Expansion scientifique française ; 1990. [5] Verhaeghe N, Schepers J, Van Dun P, Annemans L. Osteopathic care for spinal complaints : A systematic literature review. PLoS One 2018 ; 13 (11) : e0206284. [6] Richter D, Karst M, Buhck H, Fink MG. Efficacy of Fascial Distortion Model Treatment for Acute, Nonspecific Low-Back Pain in Primary Care : A Prospective Controlled Trial. Altern Ther Health Med 2017. epub ahead of print. [7] Tamer S, Öz M, Ülger Ö. The effect of visceral osteopathic manual therapy applications on pain, quality of life and function in patients with chronic nonspecific low back pain. J Back Musculoskelet Rehabil 2017 ; 30 : 419–42. [8] Freiwald  J, Hoppe  MW, Beermann  W, Krajewski  J, Baumgart  C. Effects of supplemental heat therapy in multimodal treated chronic low back pain patients on strength and flexibility. Clin Biomech (Bristol, Avon) 2018 ; 57 : 107–13. [9] Zwolińska J, Weres A, Wyszyńska J. One-Year Follow-Up of Spa Treatment in Older Patients with Osteoarthritis : A Prospective, Single Group Study. Biomed Res Int 2018 ; 7492106. [10] Perrot S. Management strategies for the treatment of non malignant chronic pain in the elderly. Psychol Neuropsychiatr Vieil 2006 ; 4 : 163–70. [11] Santos I, Cantista P, Vasconcelos C. Balneotherapy in rheumatoid arthritis : a systematic review. Int J Biometeorol 2016 ; 60 : 1287–301. [12] Passariello A, Di Costanzo M, Terrin G, Iannotti A, Buono P, Balestrieri U, et al. Crenotherapy modulates the expression of proinflammatory cytokines and immunoregulatiry peptides in nasal secretions of children with chronic rhinosinusitis. Am J Rhinol Allergy 2012 ; 26 : e15–9.

Chapitre

18

Traitements techniques PLAN DU CHAPITRE 18.1 Anesthésie locorégionale et intrathécale . . . . . Blocs régionaux et douleur chronique . . . . . . Analgésie spinale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18.2 Traitement de la douleur par radiologie interventionnelle : l'algoradiologie . . . . . . . . . . Réalisation du geste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Indications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18.3 Traitement neurochirurgical de la douleur chronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Techniques lésionnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Neurostimulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18.4 Stimulation médullaire . . . . . . . . . . . . . . . . . Mécanisme d'action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Indications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bilan précédant une stimulation . . . . . . . . . . . Implantation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Complications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18.5 Stimulation des nerfs occipitaux dans la névralgie d'arnold et les céphalées cervicogéniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Anatomie et physiopathologie . . . . . . . . . . . . Traitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Indications de la stimulation occipitale . . . . . . Techniques chirurgicales . . . . . . . . . . . . . . . . . . Résultats et complications . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18.6 Techniques de stimulation cérébrale pour contrôler la douleur : rtms . . . . . . . . . . . . . Quelques principes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Protocoles de rtms . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Stimulation à haute fréquence du cortex moteur pour traiter les douleurs chroniques . . . . . . . . En pratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Recommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18.7 Neurostimulation transcutanée . . . . . . . . . . Principes de la TENS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Indications de la TENS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Acupuncture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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18.1  Anesthésie

locorégionale et intrathécale

Denis Dupoiron L'anesthésie locorégionale permet de bloquer temporaire­ ment la sensibilité et, donc, la douleur, dans une zone limitée du corps, tout en gardant le patient conscient. Historique­ ment, le premier anesthésique local fut la cocaïne, synthéti­ sée en 1859, utilisée la première fois pour une chirurgie de l'œil par Koller en 1884 [1] ; puis, en 1885, Corning réalisa la première analgésie périmédullaire [2]. Ensuite, l'analgésie locorégionale s'est largement développée pour la réalisa­ tion d'actes chirurgicaux, mais il faudra attendre la fin des années 1970, que les récepteurs opioïdes aient été mis en évidence [3], pour qu'elle se développe dans le traitement des douleurs chroniques. On doit distinguer deux grandes catégories d'anesthé­ sie locorégionale pour le traitement de la douleur : d'une Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

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part, les anesthésies tronculaires et périphériques qui per­ mettent de bloquer les influx nerveux d'une seule aire sen­ sitive en agissant directement sur les fibres conductrices, et, d'autre part, les analgésies axiales, intrathécales et péri­ durales, dont la cible est le relais médullaire des voies de la douleur.

Blocs régionaux et douleur chronique Les blocs régionaux reposent sur l'utilisation de médica­ ments susceptibles d'interrompre de façon transitoire ou définitive les influx nociceptifs. Deux types de molécules permettent cette action. D'une part, les anesthésiques locaux agissent en bloquant les canaux sodiques en se liant à des récepteurs spécifiques présents sur les fibres nerveuses. Ils empêchent ainsi l'entrée de sodium dans la cellule et diminuent la conduction de l'influx nerveux. Cette action est non spécifique sur les fibres sensitives et motrices. D'autre part, les molécules lytiques, le phé­ nol, l'alcool et le glycérol, entraînent une destruction des structures nerveuses. 97

98   Partie 2. Traitements en pratique On distingue trois indications principales pour les blocs dans la douleur chronique : la première indication est le bloc à visée diagnostique afin de préciser le mécanisme de la dou­ leur ; la deuxième est le bloc à visée pronostique et, enfin, le bloc à visée thérapeutique soit transitoire, soit lytique.

Blocs diagnostiques Ils sont indiqués quand le mécanisme physiopathologique d'une douleur dans un territoire n'est pas clairement établi mal­ gré une analyse précise de l'historique des symptômes, l'exa­ men clinique, l'imagerie et les analyses électrophysiologiques. Cependant, plusieurs facteurs limitent l'analyse de tels blocs. D'abord, la qualité du bloc est dépendante de l'expérience de l'opérateur et de la précision de l'acte réalisé. De plus, le patient doit être capable de comprendre et d'interpréter la réponse au bloc. Enfin, la molécule injectée et le volume de dilution doivent être appropriés et rester au contact des structures ner­ veuses cibles, sans interférer avec d'autres qui pourraient modi­ fier l'interprétation du bloc. L'apport, ces dernières années, de l'échographie a permis de fiabiliser considérablement ces tech­ niques. Finalement, ces blocs sont généralement peu fiables, comme l'atteste l'étude menée par A.C. Schwarzer et al., qui fait état d'un taux de faux positifs de 38 % et d'une sensibilité de 31 % pour les douleurs des articulations sacro-iliaques [4]. Le bloc diag­nostique est recommandé dans les algies pelvipéri­ néales avec un faible niveau de preuve (grade II +) [5].

Blocs pronostiques Ils sont indiqués essentiellement dans les séquelles spas­ tiques post-traumatiques ou les séquelles de maladies dégé­ nératives et d'AVC. Ils sont généralement réalisés lorsqu'un bloc lytique est envisagé.

Blocs thérapeutiques Ils sont généralement réalisés avec des anesthésiques locaux. La littérature sur ces blocs est extrêmement fournie, mais le niveau de preuves est faible [6]. En France, les blocs sympa­ thiques sont recommandés dans les cas de syndrome dou­ loureux régional complexe (SDRC) résistants au traitement classiques (grade II +) [5]. De même, les blocs continus périnerveux gardent une place, particulièrement dans la rééducation fonctionnelle des patients.

Blocs lytiques Le principe est l'administration d'agents neurolytiques au niveau des structures nerveuses afin de bloquer de façon segmentaire les influx nociceptifs sans atteindre les fonctions motrices [7, 8]. Les agents utilisables sont au nombre de trois : l'alcool (50 à100 %), dont l'injec­ tion, douloureuse, doit être précédée d'une anesthésie locale ; le phénol (5 à 15  %), dont l'injection est géné­ ralement moins douloureuse et, enfin, le glycérol, uni­ quement utilisé pour les névralgies du trijumeau. On distingue deux types de blocs, les blocs lytiques axiaux intrathécaux ou épiduraux qui peuvent conférer une analgésie durant jusqu'à quatre mois. Les blocs intrathé­ caux paraissent plus efficaces que les blocs périduraux.

Cependant, ils ne sont que très rarement mis en œuvre en raison des risques d'effets indésirables élevés, allant jusqu'à concerner 40  % des cas, comme les pertes de sensibilité, les déficits moteurs et les méningites. Ils ont été supplantés par les méthodes d'analgésie spinale. Les blocs lytiques périphériques restent utilisés, notamment au niveau des ­ganglions stellaires et des plexus cœliaque et ­hypogastrique, même si leur action est transitoire et le urniveau de preuve d'efficacité faible [9].

Analgésie spinale Le principe de l'analgésie spinale repose sur l'administration de substances antalgiques au plus près de la moelle épinière et des récepteurs nociceptifs présents au niveau de la CPME, afin d'agir de façon très spécifique sur le signal nociceptif en utili­ sant des doses très faibles et en limitant ainsi les effets indési­ rables, grâce à l'absence de passage systémique significatif [10]. Le principal avantage de cette technique est une diminution considérable des doses administrées, puisque le facteur de conversion est de 1/300 de la dose orale pour la morphine.

Historique Le concept d'analgésie spinale est attribué à Corning [2], un neurologue américain, qui injecta en 1885 de la cocaïne à titre d'anesthésique local entre deux apophyses épineuses dorsales, obtenant une perte de sensibilité des membres inférieurs du patient. Mais c'est Bier, en 1898, qui publia les résultats relatifs à la première série de patients traités avec une injection intrathécale de cocaïne [11]. Cependant, malgré la diffusion très large des tech­ niques d'anesthésie péridurale et intrathécale au début du xxe siècle, il faudra attendre 1976 pour que soient publiés les résultats de la première étude de l'analgésie spinale chez l'animal, menée par Yaksch et Rudy [12]. En 1979, les premières études sur l'humain, menées par Wang et al. en intrathécal [13] et par Behar en péridural [14], confir­ merons l'efficacité de faibles doses d'opioïdes administrés par cette voie sur les douleurs réfractaires cancéreuses. Ensuite, le développement des pompes totalement implantables (figure 18.1a), à partir des années 1980, per­ mettra un essor considérable de la technique [15].

Principes L'analgésie spinale repose sur le contrôle médullaire des voies de la nociception, à la suite de la publication de la théo­ rie du gate control élaborée par Melzack et Wall en 1965 [16], de la découverte des récepteurs opioïdes au niveau du sys­ tème nerveux par Perth et Snider en 1973 [3] et, enfin, de la mise en évidence de leur concentration élevée au niveau de la CPME [17]. Depuis, la connaissance de la modulation du message nociceptif au niveau médullaire s'est précisée et de nombreux autres récepteurs et médiateurs ont été identifiés.

Diffusion des traitements La diffusion des traitements par voie spinale est soumise à plusieurs facteurs. Elle dépend d'abord du lieu d'admi­ nistration et des différentes structures que l­'antalgique

Chapitre 18. Traitements techniques   99

A

C

B

Figure 18.1 Analgésie spinale. (A) Pompe implantable Synchromed II (Medtronic®) ; (B) Installation du patient ; (C) Contrôle catheter intrathecal cervical. Source : D. Dupoiron.

traverse avant d'atteindre les récepteurs médullaires. En effet, la dure-mère est une structure lipophile, comme la pie-mère et la substance blanche. Ces struc­ tures sont largement vascularisées, alors que le liquide céphalorachidien est une substance très aqueuse. Ainsi, les substances très lipophiles agiront plus rapidement car elles atteindront plus vite leurs cibles, mais une part importante sera réabsorbée dans la ­c irculation géné­ rale, ce qui diminuera leur durée d'action. En revanche, les substances aqueuses auront un début d'action plus lent, mais une durée d'action plus longue [18]. Le deu­ xième élément essentiel à la diffusion des traitements administrés par cette voie est la compréhension de la circulation du liquide céphalorachidien. Celle-ci est uniquement passive : les études récentes, grâce notam­ ment à l'IRM [19], ont montré que les mouvements du liquide cérébrospinal sont oscillatoires, et principale­ ment générées par les différences de pression artérielle et par la respiration [20]. Au total, il est maintenant éta­ bli que la diffusion des traitements par voie intrathécale dépend essentiellement de l'hydrophilie des molécules, de la vitesse d'administration et qu'elle est générale­ ment limitée à quelques centimètres de part et d'autre de l'extrémité du cathéter.

Traitements Opioïdes Les opioïdes sont les premières substances utilisées par cette voie. Plusieurs conférences de consensus internationales ont défini les modalités de cette utilisation [21–26]. La morphine est la molécule de choix, en raison de son caractère très hydro­ phile, de son absence de toxicité pour les structures nerveuses et de sa stabilité dans les pompes. L'hydromorphone a des caractéristiques similaires, avec une plus grande puissance d'action, mais elle n'est pas disponible en France sous la forme injectable. Le fentanyl et le sufentanil sont des molécules plus lipophiles, d'action plus rapide mais de durée plus brève [27].

Anesthésiques locaux Les anesthésiques locaux agissent en bloquant les canaux sodiques. Leur principal intérêt est d'agir à la fois sur les douleurs nociceptives et neuropathiques [28]. Les molé­ cules de choix pour le traitement de la douleur par voie intrathécale sont la bupivacaïne et la ropivacaïne en rai­ son de leur longue durée d'action et de leur stabilité. La bupivacaïne est la plus largement utilisée en raison de sa disponibilité à forte concentration (40 mg/ml), adaptée à cet usage. Cependant, en France, ce produit n'est pas

100   Partie 2. Traitements en pratique commercialisé, c'est pourquoi on utilise plutôt la ropi­ vacaïne, dont la concentration plus faible (10  mg/ml) oblige à des remplissages plus fréquents.

Ziconotide Le ziconotide est un inhibiteur des canaux calciques voltagesdépendant de type N présents au niveau de la CPME. Ce petit peptide (2 500 daltons) a été isolé du venin d'un escargot marin (Conus magus). Son action antalgique est extrêmement puis­ sante (1 à 20 μg/j) surtout sur les douleurs neuropathiques [29]. Il n'est pas rapporté de cas de ­tachyphylaxie avec lui, et il n'est utilisable que par voie intrathécale. Cependant son utilisation est complexe, en raison du taux élevé d'effets indésirables, sur­ tout neuropsychiques, décrits [30], qui exigent une introduc­ tion à faible dose et une incrémentation lente. L'association avec la morphine est synergique et permet de diminuer les doses et les effets indésirables de chacune des molécules [31].

Clonidine La clonidine est un α2-adrénergique qui agit en stimulant les récepteurs présents au niveau présynaptique sur les neurones afférents de la moelle épinière [32]. Elle agit en diminuant la sécrétion de substance P. Ses effets indésirables principaux sont l'hypotension et la sédation.

Associations Les associations sont largement utilisées, car la modulation du signal nociceptif au niveau médullaire est multifactorielle. En outre, certaines molécules sont plus actives sur la composante nociceptive alors que d'autres sont plus efficaces sur les dou­ leurs neuropathiques. Enfin, certaines associations ont prouvé leur efficacité, comme l'association morphine-ziconotide qui permet de diminuer les doses de chacune des molécules et limite ainsi les effets indésirables [33]. Cependant l'utilisation de ces associations nécessite de bien connaître la compatibi­ lité des mélanges ainsi que leur stabilité dans les pompes [34]. De plus, la prescription et la fabrication de ces préparations nécessite l'utilisation de logiciels spécifiques et des contrôles, uniquement disponibles dans des pharmacies spécialisées. Plu­ sieurs conférences de consensus internationales ont défini des référentiels pour la mise en œuvre de ces traitements [24–26].

Mise en œuvre Sélection des patients Les patients susceptibles de bénéficier de ces techniques pré­ sentent des douleurs réfractaires malgré un traitement par voie systémique bien conduit. La sélection se fait après avis d'une réunion multidisciplinaire et à la suite d'une évaluation psy­ chologique, à l'exception des patients atteints de cancer, pour lesquels il est admis que l'amélioration de la prise en charge de la douleur ne souffre pas de délai d'attente. Un test d'effi­ cacité peut être réalisé par injection unique par voie lombaire. Cependant, ce type d'injection est controversé, car il ne reflète pas le traitement dans la mesure où il n'est pas réalisé au niveau des métamères incriminés dans le processus douloureux.

Implantation Elle est réalisée généralement sous anesthésie générale ; le patient est en décubitus latéral (figure 18.1 B). La ponction du liquide

céphalorachidien est effectuée au niveau lombaire par voie per­ cutanée et le cathéter mis en place sous contrôle radiologique, en arrière de la moelle épinière, avec son extrémité située au niveau des métamères impliqués dans la douleur (figure 18.1 C). Une fois celui-ci positionné, une incision est effectuée de part et d'autre de l'aiguille et une loge est réalisée en regard du ligament supraépineux. Le cathéter est alors fixé au plan musculaire grâce à un dispositif spécifique. Dans un deuxième temps, une loge souscutanée est réalisée au niveau de la paroi abdominale et le cathéter est tunnélisé depuis l'incision dorsale jusqu'à la loge abdominale. Après connexion du cathéter à la pompe, celle-ci est fixée au plan musculaire avant fermeture. Lorsque le cathéter est relié à une chambre implantable pour être utilisé avec une pompe externe, la chambre est généralement implantée en basi-thoracique antérieur, afin de faciliter la ponction (figure 18.1 B et C).

Complications Liées à la technique Comme tout acte technique, l'analgésie spinale comporte une morbidité. Les complications les plus fréquentes sont les céphalées postponction du liquide cérébrospinal, qui sur­ viennent chez 20 à 30 % des patients [35]. Le risque de bles­ sure médullaire est faible. L'infection survient dans environ 3 % des cas et une méningite est observée après l'opération dans 1 % des cas [36]. Elle nécessite la plupart du temps l'ablation du matériel. Les autres complications, comme la migration et les plicatures du cathéter, ainsi que le retourne­ ment de la pompe dans sa loge, sont plus rares.

Liées au traitement Le surdosage d'opioïde est possible et peut être responsable de nausées, vomissements, voire d'une détresse respiratoire [37]. De plus, lors de l'utilisation prolongée de morphine intrathécale à haute concentration, un granulome peut se former à l'extré­ mité du cathéter [38, 39]. Des déficits sensitivomoteurs transi­ toires, une rétention aiguë d'urine et des hypotensions peuvent également être observés avec les anesthésiques locaux [40]. Des troubles neuropsychiques sont la principale complication de surdosage en ziconotide ; ils régressent totalement [31].

Organisation de la filière de soins Cette technique antalgique est recommandée [5], particulière­ment dans les douleurs cancéreuses réfractaires. Cependant, peu de patients y ont accès malgré une incita­ tion des autorités sanitaires [41]. La principale raison est la mise en œuvre tardive, le faible nombre de centres capables d'assurer les implantations et une absence d'organisation de la filière de soins qui reste à développer.

Conclusion Les blocs anesthésiques sont un élément majeur du traite­ ment des douleurs réfractaires, particulièrement en cancérologie. Les blocs axiaux de type analgésie spinale ont montré leur efficacité. Cependant, même s'ils sont aujourd'hui recommandés, leur mise en œuvre nécessite une expertise. C'est pourquoi la meilleure diffusion de la technique doit reposer sur des centres de références aux­ quels seront associés des centres de proximité capables de réaliser le suivi des patients et le remplissage des pompes.

Chapitre 18. Traitements techniques   101

18.2  Traitement de la

douleur par radiologie interventionnelle : l'algoradiologie

Adrian Kastler, Bruno Kastler  Le traitement de la douleur, qu'elle soit aiguë ou chronique, est devenu une priorité en France à l'hôpital lors de la mise en place des structures de lutte contre la douleur. De nom­ breuses douleurs demeurent cependant difficiles à traiter en faisant appel au seul arsenal thérapeutique classique, en par­ ticulier dans les pathologies malignes évoluées, mais égale­ ment dans de nombreuses pathologies bénignes réfractaires responsables de douleurs chroniques. Dans cette démarche, les anesthésistes ont été les pion­ niers, en premier lieu l'école anglo-saxonne qui s'est particu­ lièrement illustrée en proposant des techniques de blocs, de neurolyses et d'infiltrations qui ont largement ouvert la voie aux techniques interventionnelles antidouleurs. Les radio­ logues interventionnels possédant une bonne maîtrise de nombreux gestes non vasculaires (biopsies, drainages, etc.) ont pu directement appliquer ce savoir-faire aux traitements antidouleurs. Grâce aux moyens de guidage auxquels ils ont accès au quotidien, telles au début, la fluoroscopie et, plus récemment, les techniques d'imagerie en coupes modernes comme l'échographie, le scanner et l'IRM, ils ont pu répondre présents. Ce guidage par l'image est en effet devenu incon­ tournable dans de nombreux gestes nécessitant un ciblage et un contrôle de haute précision. Il leur a permis de déve­ lopper un arsenal thérapeutique antidouleur très efficace et propre à leur discipline (alcoolisations, cimentoplasties, radiofréquences, micro-ondes, cryothérapie, embolisations d'agents sclérosants par voie percutanée et embolisations par voie endovasculaire). Ces nouveaux traitements ont l'avan­ tage d'être efficaces dans des délais courts (souvent sur la table d'examen) et sont pour la plupart réalisés en ambula­ toire (à coût modeste). Ils peuvent agir en synergie et donc en complément avec les traitements habituels ou parfois être amenés à jouer un rôle de premier plan. Leur apprentissage et leur maîtrise impliquent un engagement et un investisse­ ment fort, en partenariat avec des imageurs dans le traite­ ment de la douleur, radiologues interventionnels douleur, ou « algoradiologues ». Ces derniers doivent alors prendre une part active aux décisions et conduites thérapeutiques, au mieux dans un contexte multidisciplinaire associant algo­ logues, anesthésistes, chirurgiens, oncologues, neurologues, psychiatres, radiothérapeutes, rhumatologues...

Réalisation du geste Tout le parcours du patient dans le service d'algoradiologie doit être centré sur le patient douloureux. Cela va de la prise de ren­ dez-vous à son accueil (via le secrétariat) en consultation préa­ lable (idéalement quelques jours auparavant) durant laquelle une information claire et précise sur les risques et bénéfices attendus de l'intervention est donnée. Le patient devra également être suivi

à distance à long terme, pour évaluer l'efficacité du geste. L'impli­ cation par l'ensemble de l'équipe participe au « bien-être » et à la mise en confiance du patient et contribue au « transfert de la relation de soin soignant-soigné » (effet placebo), optimise la prise en charge du patient et améliore les résultats escomp­ tés de l'intervention. Les précautions de crase sanguine sont les mêmes que pour tout geste interventionnel. Certaines procé­ dures peuvent être réalisées sous guidage fluoroscopique, mais notre préférence va clairement, pour des raisons de précision balistique mais aussi de rapidité d'apprentissage en compagnon­ nage, au guidage scanographique que nous utilisons exclusive­ ment depuis vingt-cinq ans et que certains souhaitent associer à la fluoroscopie pour bénéficier d'un guidage temps réel. L'idéal est d'être doté d'une salle scanner dédiée à l'in­ terventionnel. Si ce n'est pas le cas, les gestes doivent être réalisés de préférence en début de matinée, après nettoyage et désinfection de la salle et du scanner. Les gestes doivent être réalisés dans des conditions d'asepsie stricte. La posi­ tion du patient est un élément important dans la réussite du geste : elle doit permettre un abord et un trajet optimal tout en offrant le plus de confort possible au patient. Une bonne connaissance anatomique de la région d'intérêt et du dérou­ lement du geste est nécessaire pour choisir le point d'entrée cutané, le trajet le plus court et le plus sûr. Le suivi, pas à pas, de la progression de l'aiguille est effectué par le repérage de l'artéfact permettant d'observer avec précision la pointe des instruments introduits (aiguilles, trocarts, etc.). La plupart des gestes peuvent être réalisés avec une anes­ thésie locale et/ou un bloc, complétés dans les cas les plus dou­ loureux (alcoolisations, radiofréquences, MO) ; nous ajoutons parfois une ventilation au masque par MEOPA (Kalinox®).

Indications Un certain nombre de procédures de base sont d'apprentis­ sage aisé. Elles concernent des pathologies bénignes, souvent très invalidantes. Outre leur effet antalgique, elles permettent de confirmer un diagnostic difficile (effet de bloc). Elles sont réalisées à l'aide d'aiguilles de type spinal de 20 à 22 gauges. Les infiltrations du rachis, périradiculaires, articulaires pos­ térieures et épidurales (figure 18.2) représentent très cer­ tainement les gestes les plus pratiqués aujourd'hui par les radiologues. En France, l'injection de corticoïdes dans le rachis est très encadrée, notamment du fait du risque, raris­ sime mais décrit, d'infarctus médullaire par emboles de parti­ cules après cathétérisme d'une artère radiculomédullaire. De fait, depuis l'arrêt de production de l'Altim® (cortivazol), seul l'Hydrocortancyl® (prednisolone) dispose de l'AMM pour : ■ les injections épidurales et articulaires postérieures lombaires, ■ les injections articulaires postérieures cervicales. Cependant la Société française de radiologie a émis des recommandations, publiées en octobre 2017, pour l'utilisa­ tion de la dexaméthasone pour les injections périforaminale et épidurale (y compris cervicale). Ce produit n'est dispo­ nible qu'en milieu hospitalier, mais permet de poursuivre la réalisation d'infiltrations dans toutes les conditions. Il existe de nombreuses autres indications à réaliser des infiltrations radioguidées : ■ infiltrations du nerf grand occipital (névralgie d'Arnold, céphalées réfractaires) (figure 18.3),

102   Partie 2. Traitements en pratique

Figure  18.2 Infiltration épidurale par voie interlamaire gauche sous guidage scanner. Patient de 55  ans souffrant de douleur lombosciatique gauche (S1) réfractaire au traitement médical. Aiguille (tête de flèche noire) en place au sein de l'espace épidural latéral opacifié par le produit de contraste (tête de flèche blanche) atteignant la racine qui est moulée par le produit de contraste (flèche noire).

Figure 18.4 Alcoolisation du ganglion sphénopalatin (ptérygopalatin) sous guidage scanner. Patiente âgée de 57 ans présentant une névralgie du V2. L'alcoolisation est réalisée en insérant une aiguille (tête de flèche noire) dans la fosse ptérygopalatine pointe (tête de flèche blanche) au niveau de la fissure ptérygopalatine. Les algies vasculaires de la face réfractaires peuvent également bénéficier de ce traitement.

Figure 18.3 Infiltration du nerf grand occipital sous guidage scanner. (a) Patient âgé de 55 ans, présentant une névralgie d'Arnold bilatérale. Infiltration bilatérale sur le site intermédiaire dans l'espace graisseux où passe le nerf : en dedans, le muscle oblique caudal inférieur de la tête et, en dehors, le muscle semi-épineux (tête de flèche). Ce traitement est également parfois proposé dans les névralgies du V2, les algies vasculaires de la face et certaines céphalées réfractaires. (b) Patient âgé de 78 ans, présentant une névralgie d'Arnold sur une arthropathie C1-C2. Infiltration unilatérale en deux sites : intermédiaire (tête de flèche noire), et au site profond, à l'origine du nerf au niveau C1-C2 (tête de flèche blanche).

■ neurolyses du ganglion sphénopalatin (algies vasculaires, névralgies du V2) (figure 18.4), ■ blocs du ganglion stellaire (syndrome douloureux régio­ nal complexe de type I, algodystrophies) (figure 18.5), ■ infiltrations du nerf pudendal (névralgies pudendales) (figure 18.6) et des nerfs ilio-inguinaux (névralgies ingui­ nales) (figure 18.7). Ces infiltrations peuvent être complétées pour pro­ longer l'action antalgique par des neurolyses ciblées par radiofréquence dite « sèche », à aiguille de petit calibre (20 ou 22 gauges) ou cryoneurolyse (dans les cas de névral­ gie d'Arnold, d'algodystrophies, de névralgies inguinales, etc.). Les neurolyses peuvent également être réalisées sur des ganglions et plexus nerveux. Elles peuvent aussi être effectuées tout le long de la chaîne sympathique : blocs, neurolyses du ganglion stellaire, sympatholyses thora­ ciques et lombaires, neurolyses des ganglions cœliaques et

splanchniques (traitement des douleurs solaires liées à des tumeurs sus-mésocoliques envahissant ou irritant le plexus cœliaque, telles les tumeurs pancréatiques ou gastriques, les adénopathies, etc.) (figure  18.8), et neurolyses du plexus sympathique interiliaque, des nerfs présacrés et du plexus hypogastrique et du ganglion impar (en cas d'enva­ hissement pelvien, de rectite radique ou d'endométrioses). D'autres interventions, plus élaborées, nécessitent un apprentissage plus approfondi et, parfois, un appareillage dédié (radiofréquence, micro-ondes, cryoablation). Elles concernent des douleurs d'origine cancéreuse très invali­ dantes et rebelles aux antalgiques. Il s'agit : ■ des cimentoplasties et des vertébroplasties, introduites par Deramond et Gallibert en 1987, initialement pour le traitement des angiomes vertébraux et dont les indi­ cations se sont légitimement étendues aux douleurs malignes osseuses réfractaires, dont on connaît le

Chapitre 18. Traitements techniques   103

Figure 18.5 Bloc et RF du ganglion stellaire sous guidage scanner. Patiente âgée de 37 ans présentant un syndrome douloureux régional complexe (SDRC) de type 1 (algodystrophie) post-traumatique (fracture du poignet). Le bloc est réalisé grâce à une aiguille de 22 gauge (têtes de flèche noire) et du produit de contraste (têtes de flèche blanche) sur deux sites : (A) en regard de l'apophyse transverse de C7 ; (B) sur le contingent principal du ganglion en regard de la tête de la première côte. Une radiofréquence peut être réalisée après deux bloc positifs pour prolonger l'effet antalgique et sortir du SDRC (70 % de résultats positifs).

Figure 18.6 Infiltration du nerf pudendal aux deux sites. Femme âgée de 35 ans atteinte de névralgie pudendale gauche (post-traumatique après exercice répété sur un de vélo d'appartement). Infiltration sur son trajet en deux sites : (A) site principal en regard de l'épine ischiatique, entre les ligaments sacro-épineux et sacro-tubérositaire, et (B) site classique dans le canal pudendal sous l'aponévrose du muscle obturateur interne. L'intérêt du scanner réside dans la précision du site d'infiltration avec injection de produit de contraste (têtes de flèche) au niveau des cibles anatomiques définies.

Figure 18.7 Bloc et radiofréquence des nerfs ilio-inguinal et ilio-hypogastrique. Patient âgé de 45 ans et atteint de névralgie ilio-inguinale sévère survenue à la suite de la cure d'une hernie inguinale (10 à 15 % des patients). L'infiltration est réalisée au site superficiel en regard de l'épine iliaque antérosupérieure, entre les muscles transverse en dedans et oblique interne en dehors (tête de flèche), où passent les deux nerfs.

c­ aractère ­invalidant. L'injection de ciment permet, par effet de consolidation, de prévenir le risque fracturaire (figure 18.9) ; ■ des alcoolisations et/ou thermoablations par radiofré­ quences de tumeurs osseuses, avec ou sans composante dans les parties molles et périosseuses ; ■ de l'ablation par radiofréquence, validée dans le traite­ ment de l'ostéome ostéoïde, étendu aux traitements des tumeurs osseuses réfractaires au traitement médical. Sur un os porteur ou une vertèbre, l'ablation par radiofré­ quence ou, plus récemment, par micro-ondes, peut être complétée par une injection de ciment acrylique, réa­ lisée au cours de la même procédure (figure 18.10). À l'ablation thermique par radiofréquence (RF) ou microondes (MO), l'injection de ciment ajoute la possibilité d'une consolidation osseuse. À la cimentation, l'ablation thermique ajoute une possibilité de stériliser la lésion et de réduire par cautérisation les veines de drainage tumoral et, ainsi, le risque de dissémination lors de l'injection sous pression du ciment en phase pâteuse. Cela est d'autant plus intéressant que l'on s'adresse à une localisation unique, alors potentiellement curable.

104   Partie 2. Traitements en pratique

Figure 18.8 Neurolyse cœliaque et splanchnique sous guidage scanner. Patient âgé de 55 ans ayant un néoplasme de la tête du pancréas réfractaire à tout traitement, notamment morphinique. (A) Neurolyse splanchnique (têtes de flèches). (B) Neurolyse coeliaque (flèches), voie transaortique pour ce site.

Figure 18.9 Vertébroplastie de C1 et C2 sous anesthésie locorégionale et bloc intravertébral, et avec un contrôle scanner exclusif (pour la première fois, à l'hôpital européen Georges-Pompidou, en septembre 2018). Patient âgé de 69 ans présentant des lésions métastatiques lytiques vertébrales en C1 et C2 (B), lui faisant encourir un risque majeur de tétraplégie. (A) Traitement par injection de ciment acrylique (en blanc).

Figure  18.10 Ablation thermique et cimentation fémorotibiale sous anesthésie locorégionale et bloc intraosseux, avec contrôle scanner. Patient de 65 ans, atteint de mélanome malin métastatique, confiné au lit, pour lequel la position mise en charge est impossible. Lésions à l'extrémité inférieure du fémur et du plateau tibia (IRM hyper signaux (A)). EVA à 7-8/10. Traitement palliatif par radiofréquence et cimentation réalisant un traitement « chirurgical de consolidation percutanée » (B). EVA à 2-3/10 et patient debout le lendemain.

Les techniques d'ablation par micro-ondes ont l'avan­ tage de permettre de traiter plus rapidement des lésions de grandes tailles. La cryoablation est une technique récente qui bien que faisant appel à un matériel plus encombrant présente le

double avantage d'être facilement réalisable sous anésthésie locale car indolore et de permettre de voir le glaçon qui se forme et donc bien cerner et prédire la zone d'ablation. Enfin, par voie endovasculaire, les embolisations à titre antalgique, effectuées à des fins de réduction ­préopératoire

Chapitre 18. Traitements techniques   105 ou avant une radiothérapie, sont efficaces, notamment dans le traitement des métastases osseuses. Les embolisations de dévascularisation peuvent également être recommandées dans un premier temps, avant un geste interventionnel percu­ tané sur des métastases hypervascularisées. Il en est de même pour les embolisations d'agents sclérosants par voie percu­ tanée (Ethibloc® ou Hexatrione®), qui sont indiquées dans le traitement des tumeurs osseuses à composantes kystiques (kyste essentiel, kyste anévrysmal, etc.). Comme pour toute technique interventionnelle, l'ap­ prentissage se fait essentiellement par compagnonnage. Le recensement des centres pratiquant des techniques à visée antalgique est disponible. Une séance de traitement interventionnel de la douleur est organisée, une fois par an, aux Journées françaises de radiologie depuis 1999. Il existe plusieurs sites Internet d'in­ formations générales sur la radiologie interventionnelle et la douleur (taper ces deux mots-clés pour y accéder). Les techniques de radiologie interventionnelle représentent une thérapeutique antalgique extrêmement efficace et mal­ heureusement insuffisamment développée. Elles sont com­ plémentaires aux traitements classiques, quand les patients y deviennent réfractaires, notamment dans les douleurs chro­ niques. Elles permettent d'améliorer de façon significative le confort, la durée de survie et l'autonomie des patients, notam­ ment en cas de douleur maligne cancéreuse. Les indications doivent être posées dans un contexte multidisciplinaire. Nous avons introduit un grand nombre de ces interventions et intro­ duit le guidage scanner obligatoire pour nombre d'entre eux et dont l'apprentissage est plus aisé pour les élèves et les internes. La maîtrise de ces procédures et l'implication croissante des radiologues dans ce domaine devraient légitimement rendre accessibles ces nouvelles techniques à un plus grand nombre de patients. Bien qu'en évolution constante, elles mériteraient toutefois d'être mieux connues dans le monde médical pour une utilisation optimale au service des patients douloureux.

Bibliographie Kastler Bruno. Radiologie interventionnelle dans le traitement de la dou­ leur. Paris : Elsevier-Masson ; 2003. Kastler Bruno. Interventional Radiology in the treatment of pain. H ­ eidelberg : Springer ; 2007.

18.3  Traitement

neurochirurgical de la douleur chronique

Denys Fontaine, Serena Santucci  Résumé Trois types de techniques neurochirurgicales peuvent être utilisées pour soulager une douleur chronique résistant aux traitements : ■ les techniques lésionnelles pour interrompre la trans­ mission des influx douloureux en lésant les voies

nociceptives (cordotomie antérolatérale, tractotomie pédonculaire, radicotomie, etc.). Elles sont surtout indi­ quées pour le traitement des douleurs cancéreuses résis­ tant à la morphine et, plus rarement, dans les douleurs neuropathiques secondaires à l'avulsion du plexus bra­ chial (DREZotomie) ; ■ les techniques de neuromostimulation qui cherchent à diminuer la douleur en renforçant les mécanismes inhibi­ teurs et en limitant les mécanismes activateurs. La stimula­ tion électrique chronique du système nerveux (stimulation nerveuse périphérique, stimulation médullaire, stimulation du cortex moteur, etc.) est utilisée pour traiter les douleurs neuropathiques chroniques (dont la durée excède 6 mois) ; ■ l'infusion intrathécale d'analgésiques (morphine, zicono­ tide, etc.), à l'aide de pompes implantables, ce qui permet d'augmenter leur efficacité en réduisant leurs effets indé­ sirables. Ces techniques peuvent améliorer, parfois de manière spectaculaire, l'état de certains patients souffrant de douleurs sévères et chroniques, réfractaires à tous les autres traitements. La qualité du résultat analgésique dépend prin­ cipalement de la pertinence des indications et de la compré­ hension des mécanismes à l'origine de la douleur.

Introduction De nombreux patients présentent des douleurs qui résistent à un traitement antalgique, même en utilisant de fortes doses d'analgésiques puissants. Certains patients sélection­ nés souffrant de douleur réfractaire peuvent être soulagés, parfois de manière spectaculaire, par des techniques neuro­ chirurgicales, lésionnelles ou par des techniques de neuro­ modulation, alors que les autres moyens thérapeutiques, médicamenteux ou non, se sont révélés insuffisants. On distingue trois types de techniques neurochirurgi­ cales qui peuvent être utilisées pour soulager une douleur chronique pharmacorésistante : ■ les techniques lésionnelles, qui interrompent la trans­ mission du message douloureux en sectionnant les voies nociceptives (cordotomie antérolatérale, tracto­ tomie pédonculaire, radicotomie, etc.) ou en détruisant les présumés générateurs de douleur (DREZotomie, thalamotomie) ; ■ les techniques de neuromodulation, qui cherchent à diminuer la douleur en renforçant les mécanismes phy­ siologiques inhibiteurs de la douleur et à limiter les méca­ nismes activateurs. Ces techniques de neuromodulation sont fondées sur la stimulation électrique chronique du système nerveux (stimulation nerveuse périphérique, stimulation médullaire, stimulation du cortex moteur, etc.) et sont utilisées pour traiter les douleurs chroniques (durée > 6 mois) neuropathiques ; ■ l'analgésie intrathécale, qui consiste à délivrer des anal­ gésiques (morphine, ziconotide, etc.) dans le liquide cérébrospinal à l'aide de pompes ou de dispositifs implan­ tables, afin d'augmenter leur efficacité et de réduire leurs effets indésirables sont traitées dans le sous-chapitre 18.1, « Anesthésie locorégionale et intrathécale ». Le choix de la technique chirurgicale sera fondé princi­ palement sur l'analyse du type de douleur (douleur neuro­ pathique ou par excès de nociception), du mécanisme

106   Partie 2. Traitements en pratique à l'origine de la douleur, de l'intégrité ou de l'altération fonctionnelle et anatomique du système nerveux et de la localisation et de l'étendue de la douleur.

Techniques lésionnelles Les techniques lésionnelles ciblent de manière sélective les voies nociceptives (figure 18.11). Elles visent à interrompre spécifiquement la transmission du message nociceptif dans le cas de douleurs par excès de nociception ou à détruire les générateurs de douleur dans le cas de douleurs neuro­ pathiques. Elles permettent de soulager certaines douleurs, avec une topographie limitée, principalement des douleurs liées au cancer, mais également certains cas de douleurs neuropathiques non cancéreuses.

Cordotomie Principe et indications La cordotomie consiste à réaliser une lésion du cordon antéro­latéral de la moelle épinière pour interrompre le trac­ tus spinothalamique et, par conséquent, la transmission de la sensation de douleur (et de la température) dans la partie du corps controlatérale et inférieure à cette lésion. La cordotomie a été décrite pour la première fois par Spiller en 1905, après étude d'un patient ayant perdu locale­ ment les sensations de douleur et de température à la suite d'un tuberculome impliquant le quadrant antérolatéral de la moelle épinière. En 1912, Spiller convainc son collègue Martin de recréer délibérément cette lésion afin de soulager un patient souffrant de douleur chronique de la jambe, réa­ lisant ainsi la toute première cordotomie. Bien que les premiers résultats aient été décevants, les ten­ tatives ultérieures de cordotomie se sont révélées plus réussies. La technique moderne est désormais efficace, et cette procé­ dure reste une option importante dans la prise en charge de la douleur cancéreuse sévère réfractaire aux opiacés [42]. Les meilleurs candidats à la cordotomie sont les patients présentant une douleur nociceptive, sous le dermatome C5, secondaire à cancer unilatéral avec, éventuellement, une atteinte radiculaire ou plexique (Pancoast-Tobias). Bien que la cordotomie bilatérale ait été décrite pour le traitement de

DREZotomie

Myélotomie

Cordotomie

Figure 18.11 Localisation anatomique des différentes techniques lésionnelles ciblant la moelle épinière utilisées pour le traitement de la douleur.

la douleur viscérale, bilatérale ou médiane, elle est générale­ ment associée à un taux de complications beaucoup plus élevé, en particulier des troubles respiratoires et urinaires. La cordotomie n'est pas indiquée dans le traitement de la douleur neuropathique.

Technique La cordotomie peut être réalisée soit par une approche ouverte, soit par une technique percutanée, moins invasive mais néces­ sitant un opérateur expérimenté et limitée à la région cervi­ cale. L'aiguille est introduite latéralement dans l'espace C1-C2 sous guidage scanner, sous anesthésie locale [43]. Un produit de contraste peut être injecté en intrathécal pour accentuer le contour de la moelle épinière. Une électrode est ensuite intro­ duite dans le tractus spinothalamique. La position de l'élec­ trode peut être confirmée par la surveillance des impédances des électrodes et par stimulation peropératoire. Si le placement est correct, la stimulation entraîne une sensation d'anesthé­ sie du côté controlatéral. En cas de placement incorrect, la stimulation peut entraîner des mouvements ipsilatéraux liés à la stimulation du faisceau pyramidal. L'électrode est retirée après réalisation d'une lésion par radiofréquence qui induit une analgésie immédiate [43]. La cordotomie microchirur­ gicale ouverte nécessite une hémilaminectomie pour réaliser une lésion chirurgicale dans le quadrant antérolatéral de la moelle épinière, juste en arrière de la racine antérieure.

Résultats Dans les séries historiques, l'efficacité à court terme de la cordotomie était de l'ordre de 54 à 89 %, et 50 % des patients bénéficiaient d'une disparition complète de la douleur [42–44]. De meilleurs résultats ont été obtenus au moyen d'une procédure percutanée guidée par scanner. Cependant, l'efficacité de la cordotomie diminue souvent avec le temps (taux de succès d'environ 40 % après 5 ans) et l'analgésie peut être remplacée par une dysesthésie ou des douleurs neuropathiques. Pour cette raison, l'utilisation de la cordotomie est généralement réservée aux patients atteints d'un cancer en phase terminale, et dont l'espérance de vie est inférieure à 2 ans.

Complications Le taux de complications de la cordotomie est difficile à estimer, car la plupart des séries sont anciennes et réu­ nissent des cas de patients cancéreux dont l'état de santé général est mauvais. Des taux de mortalité de 6 % ont été rapportés dans les études préliminaires, mais la mortalité était inférieure à 1 % dans les procédures percutanées gui­ dées par scanner [43]. Les complications les plus fréquem­ ment rapportées sont un syndrome de Horner, une faiblesse du membre inférieur (69 %) ou supérieur (18 %) ipsilatéral, une rétention urinaire (20 %) et des déficits sensitifs épicri­ tiques (environ 30 %). La survenue d'une nouvelle douleur controlatérale est une autre complication fréquente de la cordotomie, pouvant concerner jusqu'à 62 % des patients. Une telle douleur « en miroir » est souvent transitoire et généralement plus modé­ rée et facile à maîtriser que la douleur initiale, mais son mécanisme exact n'est pas clair.

Chapitre 18. Traitements techniques   107 Un autre risque de la cordotomie percutanée est l'insuf­ fisance respiratoire, liée à la lésion collatérale du tractus réticulospinal porteur de fibres respiratoires autonomes. Pour cette raison, la cordotomie est généralement contre-­ indiquée en cas d'insuffisance respiratoire, de lésion pulmo­ naire controlatérale ou de paralysie de l'hémidiaphragme.

DREZotomie Principe et indications La lésion de la zone d'entrée de la racine dorsale (Dorsal Root Entry Zone [DREZ]) est une procédure destructive qui vise à effectuer une lésion de la face postérolatérale de la moelle épinière, englobant idéalement la partie médiale du tractus de Lissauer et les cinq premières couches lami­ naires de Rexed, correspondant aux couches de la corne dorsale où les premiers neurones nociceptifs font synapse avec les neurones dont les axones forment le tractus spinothalamique. La procédure est classiquement indiquée pour traiter les douleurs neuropathiques résultant d'une avulsion du plexus brachial [45], qui répondent mal aux autres traitements, à l'exception de la stimulation du cortex moteur et de la sti­ mulation cérébrale profonde (cf. ci-dessous). La DREZo­ tomie a également été proposée pour traiter les douleurs secondaires à une lésion de la moelle épinière situées au niveau de la lésion (« douleurs lésionnelles »), mais aussi les douleurs du membre fantôme et les douleurs liées à une plexite radique.

Technique La procédure de DREZotomie nécessite une hémilaminec­ tomie et une exposition de la moelle épinière s'étendant sur les niveaux d'avulsion radiculaire. À la suite de l'ouverture durale, une électrode ou une pince bipolaire est insérée à une profondeur d'environ 2 mm dans corne dorsale. Plu­ sieurs lésions étagées sont réalisées à environ 1 à 2 mm d'intervalle.

Résultats La plupart des études évaluant l'efficacité de la DREZo­ tomie étaient des séries rétrospectives rapportant un sou­ lagement de la douleur supérieur à 50 % chez la majorité des patients, stable dans le temps [44]. Les meilleurs résul­ tats ont été rapportés dans la douleur liée à l'avulsion du plexus brachial traitée par DREZotomie cervicale. Sindou et al. ont rapporté que 95 % des patients d'une série de 55 avaient un excellent soulagement de la douleur en posto­ pératoire immédiat. À 3 mois, 82 % des patients présen­ taient un soulagement de la douleur excellent ou bon, et 66 % continuaient à signaler un soulagement de la douleur excellent ou bon lors du dernier suivi (à 29 mois) [45]. La DREZotomie était principalement efficace sur les douleurs paroxystiques. Dans d'autres séries, l'état de 79 à 89 % des patients avec une avulsion du plexus brachial a été amé­ lioré de plus de 75 %. Le taux de succès de la DREZotomie était plus variable et moins élevé dans d'autres syndromes douloureux, comme les névralgies postzostériennes et les neuro­pathies périphériques [44].

Complications Les principales complications correspondent aux éven­ tuels déficits neurologiques induits par une lésion médul­ laire involontairement étendue au-delà de la DREZ et de la corne dorsale : faiblesse du membre inférieur ipsilatéral due à une lésion du faisceau corticospinal, déficit sensitif lié à une lésion des cordons dorsaux, voire les deux. Ces déficits neuro­logiques sont le plus souvent légers et s'améliorent avec le temps. Parmi les autres complications signalées figurent des fuites de liquide cérébrospinal, une inconti­ nence transitoire et des spasmes vésicaux [45].

Autres techniques lésionnelles Myélotomie La myélotomie commissurale est une procédure destructive qui sectionne les fibres nociceptives qui traversent la ligne médiane entre la corne dorsale et le faisceau spinothalamique contralatéral. Il a été supposé que la procédure interrompait également une voie ascendante située dans la partie médiane des cordons dorsaux et impliquée dans la perception de la dou­ leur viscérale pelvienne [46]. La myélotomie commissurale a été appliquée dans les années 1940 et au début des années 1950, mais n'a jamais été largement acceptée, contrairement aux autres interventions neurochirurgicales ablatives contre la dou­ leur. La technique de myélotomie nécessite l'abord de la moelle épinière par une laminectomie, puis une incision du septum central de la moelle épinière dorsale jusqu'à une profondeur de 6 mm [46]. Dans quelques séries limitées, les taux de réussite de la myélotomie commissurale allaient de 60 à 70 %, mais les critères d'inclusion, la technique et les critères d'évaluation variaient considérablement d'une étude à l'autre.

Hypophysectomie Une lésion de l'hypophyse, ou hypophysectomie, a été pro­ posée pour traiter certaines douleurs cancéreuses réfrac­ taires, surtout liées à un cancer métastatique avec métastases osseuses multiples. Initialement réalisée par radiofréquence sous guidage stéréotaxique ou par abord transsphénoïdal, l'hypophysectomie n'est plus proposée que par radiochirur­ gie. Les mécanismes de l'effet analgésique de l'hypophysec­ tomie ne sont pas complètement compris et pourraient être liés à des modifications de la libération de peptides de l'axe hypothalamohypophysaire dans le liquide cérébrospinal. Dans les études historiques des années 1970 à 1980, l'hypophysectomie permettait de soulager de manière « satisfaisante » ou « excellente » la douleur chez 70 à 83 % des patients atteints d'un cancer métastatique. Les com­ plications les plus fréquentes étaient l'hypopituitarisme, le diabète insipide et des troubles visuels. Dans des séries plus récentes de quelques patients souffrant de douleurs cancéreuses ou neuropathiques, l'hypophysectomie par radiochirurgie Gamma Knife® semblait avoir de meilleurs résultats et induire moins de complications [47]. Un sou­ lagement significatif de la douleur était obtenu chez 53 % des patients, respectivement 87 % des patients souffrant de douleur cancéreuse et 21 % de ceux avec douleur chronique non cancéreuse. Des événements indésirables étaient notés chez 21 % des patients ; la majorité concernait des déficits hormonaux.

108   Partie 2. Traitements en pratique

Le gyrus cingulaire est impliqué dans de nombreuses fonc­ tions cognitives et émotionnelles, parmi lesquelles l'intégra­ tion et la modulation des aspects cognitifs et affectifs de la douleur. Plusieurs études de neuro-imagerie fonctionnelle ont rappporté des modifications de l'activité cingulaire après le soulagement de la douleur et la réponse à divers traite­ ments analgésiques, que ce soit des traitements médica­ menteux, une psychothérapie, un traitement placebo ou un traitement chirurgical. Initialement, le principe de la cingulotomie (lésion focale du gyrus cingulaire antérieur dorsal) avait été proposé à par­ tir d'observations rapportant l'amélioration de la douleur à la suite d'une lobotomie frontale. En 1962, Foltz et White ont pratiqué une cingulotomie frontale bilatérale, avec un bon résultat chez 12 patients sur 16 souffrant de douleur chronique intraitable, chez lesquels on pensait que des facteurs émotion­ nels exacerbaient leur douleur. Bien qu'ils aient continué à percevoir leur douleur, plusieurs patients ont signalé qu'elle n'était « plus particulièrement gênante » ou « ne les inquiétait plus ». Dans les séries ouvertes, 45 à 67 % des patients étaient soulagés après une cingulotomie antérieure bilatérale [44]. Dans les études les plus récentes, la technique chirurgi­ cale consiste en une cingulotomie anterieure dorsale bila­ térale, stéréotaxique, par radiofréquence, guidée par IRM. Les fonctions cognitives sont généralement préservées après une cingulotomie, bien que plusieurs études aient rapporté des changements cognitifs et comportementaux postopé­ ratoires, notamment des déficits de l'attention focalisée et soutenue ou une apathie. Malgré la sévérité de la douleur préexistante et la nature subtile des changements possibles, la cingulotomie reste une procédure controversée. En effet, le risque éventuel de modification des affects et de la per­ sonnalité du patient limite l'acceptation de cette approche. En raison du développement de l'utilisation d'opioïdes et de l'analgésie intrathécale dans la douleur nociceptive, la plupart de ces techniques lésionnelles ont été abandon­ nées, à l'exception de la DREZotomie, qui continue d'être indiquée dans la douleur neuropathique liée à l'avulsion du plexus brachial et à l'atteinte de la moelle épinière. Pour les autres syndromes de douleur neuropathique, les techniques de neuromodulation sont actuellement préférées car elles sont non destructives, réversibles et adaptables.

une technique de neurostimulation essentiellement utilisée pour traiter la douleur neuropathique post-traumatique ou postchirurgicale, limitée au territoire d'un nerf péri­ phérique lésé. La SNP excite préférentiellement les grosses fibres myélinisées, et son effet pourrait s'expliquer par une combinaison de mécanismes centraux et périphériques : modulation des nocicepteurs périphériques, blocage de l'entrée nociceptive afférente par stimulation continue, modulation de la nociception dans la CDME [48]. Chez des volontaires sains, la SNP augmente les seuils nocicep­ tifs laser et les seuils de perception sensitifs mécaniques et diminue l'amplitude des potentiels évoqués laser [49]. La SNP induit généralement des paresthésies dans le territoire du nerf stimulé. Depuis sa première description par Wall et Sweet en 1967, l'efficacité de la SNP pour traiter la douleur neuropathique chronique a été suggérée dans des séries de quelques cas rapportant des taux de patients répondeurs (amélioration de l'intensité de la douleur supérieure à 50 %) allant de 30 à 70 %. Mais les données à long terme manquent. De nombreuses techniques de SNP ont été proposées, incluant l'implantation chirurgicale d'électrodes plates ou l'implantation percutanée d'électrodes cylindriques, pou­ vant cibler soit des troncs nerveux périphériques, soit des racines du plexus bracchial [48], le nerf étant repéré par échographie ou par stimulation électrique. Le principal inconvénient provient des fils non extensibles reliant l'élec­ trode au stimulateur, susceptibles de limiter les mouvements des membres ou d'exposer au risque de déplacement de l'électrode [50]. Récemment, la sécurité et l'efficacité d'un dispositif entièrement implantable, alimenté à distance et spécialement conçu pour la SNP tronculaire, ont été évaluées en conditions contrôlées [51]. L'état de trente-huit pour cent des patients traités par stimulation active a été amélioré de plus de 30 % versus 10 % dans le groupe contrôle traité par stimulation placebo. Les principales complications de la SNP sont liées au dispositif (migration, infection, rupture, déconnexion de l'électrode, etc.) et, très exceptionnellement, à une lésion nerveuse accidentelle lors de l'implantation. Certaines lésions nerveuses peuvent ne pas répondre à la stimulation directe du nerf blessé et être traitées par stimulation de la moelle épinière. C'est le cas lorsque plusieurs nerfs sont atteints ou lorsque la lésion nerveuse est très proximale.

Neurostimulation

Stimulation du champ nerveux périphérique

Cingulotomie

Stimulation médullaire La stimulation médullaire, largement utilisée pour traiter les douleurs neuropathiques chroniques du tronc et des membres secondaires à une atteinte nerveuse périphérique d'origine tronculaire ou radiculaire, fait l'objet d'un chapitre séparé.

Stimulation du système nerveux périphérique Le principe de la stimulation nerveuse périphérique (SNP) est de stimuler électriquement et de manière chronique un nerf périphérique, via un dispositif implanté. La SNP est

Une autre façon de délivrer une stimulation nerveuse péri­ phérique chronique consiste à implanter des électrodes sous-cutanées afin de stimuler les petites fibres sensorielles, ce qui induit en général des paresthésies dans la zone stimu­ lée. Cette technique, appelée stimulation du champ nerveux périphérique (« peripheral nerve field stimulation ») [PNfS], s'adresse au traitement de douleurs localisées, la ou les élec­ trodes étant implantées dans la zone douloureuse. La PNfS a été proposée initialement en complément de la stimula­ tion médullaire, pour traiter les lombalgies insuffisamment améliorées par la stimulation médullaire. Dans une étude contrôlée, 43 % des patients souffrant de douleurs lombaires ont répondu à l'association PNfS-stimulation médullaire,

Chapitre 18. Traitements techniques   109 versus 4 % des patients traités par stimulation médullaire seule [52]. Dans une étude où elle était utilisée seule, la PNfS a diminué en moyenne l'intensité de la douleur lombaire de 3 points sur l'EVA [53]. Les applications à venir de la PNfS concerneront proba­ blement le traitement des douleurs thoraciques, inguinales et faciales post-traumatiques ou postchirurgicales.

Stimulation du ganglion de la racine dorsale Le ganglion de la racine dorsale (dorsal root ganglion [DRG]) joue un rôle clé dans le développement et le main­ tien de la douleur neuropathique et des troubles sensitifs, et participe aux phénomènes de sensibilisation périphé­ rique et centrale, ce qui en fait une cible intéressante pour la neurostimulation. La stimulation du DRG réduit l'activité anormale des neurones du DRG, diminuant ainsi la douleur neuropathique. La technique consiste à implanter une ou plusieurs élec­ trodes percutanées dans l'espace épidural latéral proche du DRG ciblé, à des niveaux allant de T10 à S2 en fonction du dermatome correspondant à la zone douloureuse. La stimulation du DRG est principalement indiquée dans les douleurs neuropathiques chroniques du membre inférieur ou du tronc, localisées dans quelques territoires radiculaires. La stimulation du DRG semble permettre de mieux soula­ ger les zones douloureuses difficiles à traiter par la stimu­ lation médullaire classique telles que les pieds ou la région inguinale, en induisant des paresthésies dont l'intensité est moins variable selon les positions du corps. Dans une étude de non-infériorité récemment publiée, la stimulation du DRG s'est révélée aussi sûre et efficace que la stimulation médullaire pour traiter des douleurs des membres inférieurs secondaires à un SDRC [54].

Stimulation nerveuse occipitale La stimulation périphérique des nerfs grands occipitaux, proposée dans les névralgies occipitales, la migraine chro­ nique et l'AVF chronique, est abordée dans les chapitres 18.5 et 26.2.

la stimulation médullaire, la stimulation corticale n'est pas perçue par le patient (ne surviennent ni contractions ni paresthésie).

Aspects techniques Une ou deux électrodes extradurales sont implantées au niveau du gyrus précentral controlatéral aux dou­ leurs et correspondant somatotopiquement à la région douloureuse, et connectées à un générateur sous-cutané (figure 18.12). Les paramètres de stimulation sont ensuite optimisés (fréquence allant de 30 à 90 Hz, amplitude de 80 % du seuil moteur) en fonction du soulagement de la douleur et de la tolérance (en évitant les contractions et les convulsions).

Indications et résultats La stimulation corticale est indiquée pour les douleurs neuropathiques qui ne peuvent pas être traitées par sti­ mulation médullaire, comme les douleurs étendues tou­ chant tout un hémicorps (douleurs centrales post-AVC) ou les douleurs localisées au visage (neuropathie trigé­ minale douloureuse). Cette procédure peut être proposée dans d'autres indications, telles que les douleurs sous-­ lésionnelles de la paraplégie, les douleurs secondaires à une avulsion du plexus brachial et les douleurs du membre fantôme. Dans la littérature, les résultats de plu­ sieurs séries de cas (concernant environ 300 patients) ont rapporté que l'état d'environ la moitié des patients traités dans ces indications par stimulation corticale était amé­ lioré de 40 à 50 % [57]. Une étude comparative limitée a rapporté une amélioration modérée mais non significative de la douleur lorsque le stimulateur était allumé versus éteint [58]. Bien que la stimulation corticale puisse réelle­ ment aider, parfois de manière spectaculaire, des patients souffrant de douleur extrêmement sévère et pour lesquels il n'existe pas d'autre solution, le problème principal reste de définir des critères permettant de prédire le résultat à l'échelon individuel. La rTMS non invasive du cortex moteur a été proposée pour sélectionner les patients éli­ gibles à une SMC implantée.

Stimulation corticale Principes et mécanismes d'action La stimulation du cortex moteur, ou stimulation du cortex précentral, est une technique de neurostimulation qui, pro­ posée depuis 1991 par Tsubokawa, se fonde sur les effets inhibiteurs de la stimulation de la capsule interne sur l'hy­ peractivité thalamique dans un modèle de douleur neuro­ pathique chez le chat. Cependant, son mécanisme d'action exact reste flou. Elle agit probablement en renforçant les mécanismes supraspinaux de modulation de la douleur. Des études de neuro-imagerie ont montré des modifications de l'activité cérébrale dans le thalamus, le cingulum antérieur, le cortex préfrontal et le tronc cérébral au cours de la sti­ mulation corticale ou à la suite de son arrêt [55]. D'autres études suggèrent que la stimulation corticale pourrait agir en libérant des opioïdes endogènes [56]. Contrairement à

Figure  18.12 Radiographie latérale du crâne montrant deux électrodes de stimulation du cortex précentral.

110   Partie 2. Traitements en pratique

Complications Les complications sont rares : infection du matériel (3 %), dys­ fonctionnement du matériel nécessitant sa révision chirurgicale et, très exceptionnellement, hémorragie intracrânienne. L'induc­ tion de crises d'épilepsie est possible pendant la période post­ opératoire d'ajustement des paramètres de stimulation. Aucune épilepsie chronique induite par stimulation n'a été décrite.

Stimulation cérébrale profonde La douleur a été la première application de la stimulation cérébrale profonde dans les années 1970, développée par Mazars. Dans les années 1970-1980, la stimulation cérébrale profonde était couramment utilisée pour le traitement de la douleur chronique réfractaire. Deux cibles ont principale­ ment été utilisées : le thalamus sensitif (noyaux ventral posté­ rieur médian et ventral postérieur latéral) et la SGPA/SGPV. Cependant, au cours des dernières décennies, le nombre de patients douloureux chroniques traités par stimulation céré­ brale profonde a progressivement diminué. Cela est dû en partie au développement d'alternatives moins invasives pour la prise en charge de la douleur nociceptive, notamment la morphinothérapie intrathécale et l'arrivée de nouveaux agents pharmacologiques, et au développement de techniques alter­ natives (stimulations médullaire et corticale) pour la douleur neuropathique. Malgré tout, la stimulation cérébrale pro­ fonde continue d'être proposée à certains patients souffrant de douleur chronique réfractaire, bien qu'elle soit principale­ ment mise en œuvre dans les pathologies du mouvement.

Mécanismes d'action L'effet antinociceptif de la stimulation de la SGPA/SGPV est probablement lié à l'activation du système opioïde endo­ gène. Le taux d'opioïdes endogènes dans le liquide cérébros­ pinal des patients traités par stimulation cérébrale profonde de la SGPA/SGPV augmente, et l'analgésie induite par sti­ mulation est reversée par la naloxone. En imagerie fonction­ nelle, la stimulation SGPA/SGPV active la partie médiane du thalamus et le CCA. La stimulation cérébrale profonde du thalamus sensitif agit probablement en modulant les patterns de décharge neuro­ nale qui sont altérés dans le thalamus des patients atteints de douleurs neuropathiques. Lors des interventions chirur­ gicales de stimulation cérébrale profonde chez ces patients, les enregistrements par micro-électrodes intracérébrales ont montré que les neurones sensoriels thalamiques répondent aux stimuli nociceptifs et que les patients souffrant de dou­ leur chronique présentent une altération de l'organisation somatotopique des champs récepteurs sensoriels ainsi que des patterns d'activation neuronale anormaux dans le thalamus (en particulier une hyperactivité anarchique en bouffées). En IRM fonctionnelle, la stimulation cérébrale profonde thala­ mique induit une activation des cortex somatosensoriels pri­ maire et secondaire, du thalamus et de l'insula.

Technique De nos jours, la stimulation cérébrale profonde est pratiquée en routine dans la plupart des services de neurochirurgie fonctionnelle pour traiter les pathologies du mouvement,

et la technique dans les indications de douleur est similaire. Les électrodes sont implantées de manière stéréotaxique dans les structures intracérébrales cibles, repérées sur une IRM 3D préopératoire, puis connectées à un stimulateur sous-cutané. Les électrodes thalamiques sont implantées dans la région somatosensorielle du thalamus contralatéral au côté de la douleur, en fonction de la somatotopie et de l'emplacement de la douleur. La stimulation du thalamus sensoriel provoque des paresthésies qui doivent couvrir la région douloureuse. À long terme, la stimulation thala­ mique est souvent délivrée en utilisant des paramètres qui induisent des paresthésies agréables dans les régions dou­ loureuses (fréquence autour de 30 à 40 Hz, amplitude de 2 à 5 V). Les patients stimulés au niveau de la SGPA/SGPV rap­ portent parfois une sensation controlatérale de chaleur induite par la stimulation. Ce sentiment est décrit comme relaxant et agréable. Les paramètres les plus courants pour la stimulation SGPA/SGPV sont 1 à 5 V et 10 à 25 Hz.

Indications et résultats Bien qu'aucune étude comparant les résultats de la stimu­ lation cérébrale profonde dans les différentes cibles n'ait été menée, il est généralement admis que la douleur neuro­ pathique est plus susceptible de répondre à la stimulation du thalamus sensitif, tandis que la douleur par excès de nociception répond mieux à la stimulation SGPA/SGPV. Les patients souffrant de douleurs mixtes peuvent être implantés avec des électrodes dans les deux structures. Les diagnostics étiologiques courants chez les patients souffrant de douleur neuropathique traités par stimulation cérébrale profonde thalamique sont les suivants : douleur post-AVC (lésion n'impliquant pas le thalamus), neuropathie trigémi­ nale douloureuse, lésion de la moelle épinière, sclérose en plaques et douleur du membre fantôme. Par le passé, les patients traités par stimulation SGPA/SGPV présentaient le plus souvent des douleurs cancéreuses ou s'intégrant à un syndrome d'échec de la chirurgie du rachis. Les résultats à long terme de la stimulation cérébrale profonde pour le traitement de la douleur neuropathique chronique sont assez variables dans la littérature, rappor­ tant une réponse chez 20 à 70 % des patients traités. Dans une méta-analyse portant sur 6 séries regroupant plus de 400  patients, les taux de succès étaient respectivement de 63  % et 47  % chez les patients souffrant de douleur nociceptive et neuropathique, et de 31 % et 51 % pour les douleurs d'origines centrale et périphérique [59]. Les fac­ teurs prédictifs d'efficacité font défaut. Deux études indus­ trielles multicentriques ouvertes ont été interrompues du fait de l'insuffisance de résultats positifs lors des analyses intermédiaires, et la compagnie a renoncé à demander l'approbation par la FDA de la stimulation cérébrale pro­ fonde dans le cadre du traitement de la douleur. En dépit du manque de preuves de haut niveau, qui peut être expli­ qué par les nombreux biais méthodologiques de ces deux études, le recours à la stimulation cérébrale profonde peut être considéré comme une option thérapeutique chez cer­ tains patients souffrant de douleurs neuropathiques réfrac­ taires faciales ou post-AVC qui n'ont finalement que deux possibilités chirurgicales : la stimulation du cortex moteur

Chapitre 18. Traitements techniques   111 ou la stimulation cérébrale profonde. De plus, si la propor­ tion de répondeurs à la stimulation cérébrale profonde à long terme n'est pas très élevée, les quelques patients qui répondent effectivement peuvent présenter des améliora­ tions substantielles à long terme, avec des réductions des scores VAS de l'ordre de 50 à 80 %.

Complications Dans la douleur, les complications chirurgicales de la stimu­ lation cérébrale profonde sont les mêmes que dans d'autres indications : hémorragie intracrânienne (2 à 3 %), la plupart du temps asymptomatique mais potentiellement létale, pro­ blèmes liés au matériel (5 %) ou infection (3 à 5 %) [59].

Avancées récentes et perspectives Dans les années 2000, la stimulation cérébrale profonde rétro-hypothalamique a été proposée pour traiter l'AVF chronique réfractaire, sur la base de résultats de neuro-­ imagerie suggérant que le générateur des crises d'AVF se trouvait dans cette région. Environ 60 % des patients souf­ frant d'AVF chronique réfractaire répondent à la stimulation cérébrale profonde (diminution de la fréquence des attaques supérieure à 50 %). Très récemment, la stimulation cérébrale profonde du CCA dorsal, impliqué dans l'intégration des composants affectifs et cognitifs de la douleur, a été proposée pour traiter la douleur réfractaire [60]. Quelques patients ainsi traités ont présenté une légère diminution de l'intensité de la douleur, contrastant avec une amélioration significative de la qualité de vie. Ces patients avaient tendance à rapporter une douleur toujours présente, mais moins gênante. Cela suggère que la stimulation cérébrale profonde du CCA pourrait moduler la composante affective de la douleur en réduisant davantage la souffrance que la douleur elle-même. Des études ulté­ rieures devront confirmer ces premières observations.

18.4  Stimulation

médullaire

Marie-Christine Djian  La douleur chronique est un problème sociétal majeur et les douleurs neuropathiques sont connues pour être les plus réfractaires aux thérapeutiques conventionnelles. La stimulation médullaire chronique, utilisée depuis  1967 dans le traitement de douleurs chroniques rebelles [61], est une technique totalement conservatrice et réversible, de routine pour des centres spécialisés. Un recul à long terme a permis de confirmer son absence totale d'effet neurotoxique.

Mécanisme d'action Il est encore mal connu. Initialement, la stimulation élec­ trique des fibres afférentes myélinisées du système lem­ niscal inhibe la transmission par les fibres amyélinisées

nociceptives par le biais d'interneurones inhibiteurs de la substance gélatineuse de Rolando (« gate control theory » de Melzack et Wall). Il existerait également une inhibition supraspinale [62], une action sur le métabolisme céré­ bral et l'implication d'un mécanisme neuro-hormonal (libération de GABA et de sérotonine) [63, 64]. Enfin, un effet sympatholytique justifie l'action vasomotrice de la stimulation avec une augmentation du débit sanguin périphérique.

Indications Elles sont actuellement bien codifiées (HAS, mars 2014) chez des patients présentant des douleurs neuropathiques chroniques invalidantes : ■ syndrome douloureux chronique radiculaire postopéra­ toire persistant depuis au moins un an, ■ syndrome douloureux chronique tronculaire (d'origine diabétique, zostérienne, traumatique ou chirurgicale) persistant depuis au moins un an, ■ Syndrome régional douloureux complexe de type I (algo­ dystrophie) et II (causalgie) persistant depuis au moins six mois, ■ douleur d'origine ischémique, mettant en échec les alternatives thérapeutiques secondaires à la maladie de Buerger. Globalement, l'efficacité analgésique en termes de bons et excellents résultats est estimée à 70 % à court terme dans plus de 60 % des cas [65, 66]. Elle permet également une réinsertion socioprofessionnelle dans de nombreux cas. La stimulation médullaire conventionnelle a acquis un niveau de recommandation B (modéré) sur la base de ces études.

Bilan précédant une stimulation Cette technique s'inscrit dans un projet thérapeutique planifié. La consultation initiale permet de poser l'indication et conduit à un bilan complémentaire : ■ les potentiels évoqués somesthésiques permettront de rechercher l'existence d'une dégénérescence lemniscale. Cet examen a une valeur prédictive de faisabilité, l'inté­ grité des voies lemniscales étant indispensable ; ■ l'imagerie, dominée par l'IRM, éliminera une étiolo­ gie curable et permettra d'apprécier la taille de l'espace épidural. Une évaluation psychologique, indispensable, permet de rechercher des contre-indications d'ordre psychologique. Le projet thérapeutique est discuté en réunion multidis­ ciplinaire et adapté à chaque patient.

Implantation Le dispositif est composé de plusieurs éléments : ■ une sonde de stimulation, ou électrode ; ■ le générateur d'impulsions, ou neurostimulateur ; ■ une télécommande patient.

112   Partie 2. Traitements en pratique Tout ou partie de ce matériel est compatible avec une IRM, en fonction du modèle utilisé (figure 18.13) L'élec­ trode est connectée à la source d'alimentation du système (neurostimulateur). Ce boîtier est de deux types : externe (pour la phase de test) ou interne (définitif, implanté sous la peau). L'implantation de l'électrode se fait en salle d'opération sous contrôle radioscopique, selon deux techniques dont le choix est dicté par l'état de chaque patient (figures 18.14 et 18.15) : ■ soit par voie percutanée, sous anesthésie locale ; ■ soit par voie chirurgicale, sous anesthésie générale.

Figure 18.13 IRM du rachis dorsal : implantation d'une électrode positionnée en T7-T8 pour cause de douleur intercostale post-traumatique.

Cette électrode sera reliée dans un premier temps au boîtier externe temporaire. La stimulation délivrée va engendrer une sensation de fourmillements « agréables », superposables au territoire douloureux. L'amélioration des dispositifs actuellement disponibles permet des réglages « à la carte » des paramètres de stimulation. Puis, le test de stimulation, durant d'une semaine à quinze jours, est systématiquement réalisé à domicile. L'implantation du stimulateur définitif sera proposée si le test est considéré comme positif, c'est-à-dire si la douleur est suffisamment soulagée. Le patient dispose d'une télécommande qui lui permet d'adapter lui-même l'intensité de la stimulation.

Figure  18.15 Électrode chirurgicale positionnée en T9 pour tabeau de lomboradiculalgies postopératoires.

Figure 18.14 Électrode percutanéeW positionnée en T10-T11 pour douleur radiculaires postopératoires.

Chapitre 18. Traitements techniques   113 Sinon, le matériel implanté sera retiré dans son intégra­ lité, en conditions chirurgicales, la technique étant totale­ ment réversible.

Complications Les complications sont rares mais doivent être reconnues précocement et traitées [66, 67] : ■ les infections interviennent dans 5 à 12 % des cas, néces­ sitant la mise en œuvre d'une antibiothérapie adaptée et, éventuellement, l'ablation du matériel ; ■ le déplacement de l'électrode intervient dans 15 à 30 % des cas, révélé par la modification de la sensation perçue par le patient. Il faut alors essayer une nouvelle program­ mation de l'électrode ou, en cas d'échec, un repositionne­ ment de celle-ci ; ■ le dysfonctionnement du matériel, plus rare ; ■ un hématome extradural, exceptionnel, qui impose une reprise chirurgicale.

Conclusion Les techniques de neuromodulation deviennent prioritaires dans la prise en charge chirurgicale des patients douloureux chroniques. La stimulation médullaire a l'avantage d'être peu agressive, totalement réversible et sans effet indésirable à long terme. Mais les résultats escomptés sont étroitement liés à la qualité de l'évaluation et au soutien psychothérapeu­ tique qui peut être prolongé.

18.5  Stimulation

des nerfs occipitaux dans la névralgie d'Arnold et les céphalées cervicogéniques

gâchette à la palpation de l'émergence du nerf occipital est fréquemment observée. L'examen neurologique est nor­ mal, en dehors des anomalies subjectives (dysesthésie ou hypo­esthésie affectant une partie du cuir chevelu). Entre les crises, il existe parfois une persistance de maux de tête sourds aux caractéristiques variables. En termes cliniques, il est donc souvent difficile de tran­ cher entre une névralgie occipitale vieillie et une névralgie cervicogénique. Le traitement par stimulation occipitale sera efficace dans les deux cas.

Anatomie et physiopathologie Anatomie L'anatomie des nerfs occipitaux comprend trois nerfs : le nerf grand occipital (nerf d'Arnold, émanant des racines C2 et C3), le nerf petit occipital (émanant de la racine C2) et le troi­ sième nerf occipital (à partir de la racine C3). Le trajet du nerf occipital majeur est formé par le ramus dorsalis de la racine nerveuse C2. D'abord profond, il devient superficiel après avoir perforé l'aponévrose du muscle trapèze (figure 18.16).

Physiopathologie Il existe diverses causes possibles d'irritations du nerf occipi­ tal (vasculaires, neurogènes, musculaires et ostéogéniques.) L'étiologie varie selon les cas. La névralgie d'Arnold peut être secondaire  : post-traumatique, compressive (arthrose C1-C2, inflammation dans un contexte de poly­ arthrite rhumatoïde ou spondylarthropathie, ligamen­ tomusculaire, vasculaire ou tumorale), postchirurgicale (traitement de la malformation de Chiari, chirurgie de la colonne cervicale avec une approche postérieure, chirur­ gie de la fosse postérieure). Mais, parfois, aucune cause n'est formellement mise en évidence et la névralgie occi­ pitale est qualifiée d'idiopathique.

Traitement Il existe une variété de traitements pour la névralgie occi­ pitale, allant du traitement médical à la chirurgie invasive. En cas d'échec, des traitements plus invasifs sont utilisés,

Sylvie Raoul 

Introduction La névralgie occipitale, également appelée névralgie d'Arnold, est une pathologie qui survient chez 0,1 à 4,7 % des patients atteints de céphalée [68]. Elle est définie par l'International Headache Society (IHS) comme une ­douleur paroxystique, durant de quelques secondes à minutes, com­ mençant dans la région occipitale avant de rayonner sur l'ensemble du nerf grand occipital (nerf d'Arnold, émanant des racines C2 et C3), du nerf petit occipital (émanant de la racine C2) ou du troisième nerf occipital (à partir de la racine C3) [69]. Ces attaques sont parfois déclenchées par le froid ou par des mouvements cervicaux. Une zone

Figure 18.16 Anatomie des nerfs occipitaux.

114   Partie 2. Traitements en pratique tels que la radiofréquence pulsée, la neurolyse du nerf occipital, la rhizotomie sélective en C1-C3 et la ganglio­ nectomie C2 [70–73]. Les techniques de neuromodulation offrent une nou­ velle approche pour le traitement de la névralgie occipitale. Ces techniques se sont déjà révélées efficaces pour les AVF [74–80]. En 2011, K. Slavin [81] a retracé l'historique de la stimu­ lation des nerfs périphériques. La stimulation des nerfs occi­ pitaux s'est révélée efficace dans les névralgies occipitales et les céphalées cervicogéniques. Les mécanismes physiopathologiques sous-jacents à l'efficacité de la stimulation occipitale ne sont tou­ jours pas bien connus. La théorie du contrôle de Wall et Melzack pourrait jouer un rôle dans l'action analgésique, mais il est peu probable qu'elle soit la seule explication. Une implication du complexe trigéminocervical contri­ bue probablement à l'effet analgésique de la stimulation occipitale, qu'il explique partiellement, dans les céphalées chroniques [82–84].

Indications de la stimulation occipitale Évaluation de la maladie Les patients qui souffrent de névralgie occipitale réfrac­ taire, selon les critères de l'IHS, seront candidats à une sti­ mulation occipitale. C'est un critère majeur pour avoir des études homogènes, mais ce n'est pas suffisant. Les névralgies occipitales doivent être réfractaires au traitement médical (association de molécules neuropathiques tels que des antié­ pileptiques, des antidépresseurs et des antalgiques comme le paracétamol, le tramadol ou la morphine) et à la rhizo­ lyse par radiofréquence ou par infiltration de corticosté­ roïdes de C2. La névralgie doit être chronique (durée de la maladie supérieure à six mois). La douleur peut être uniou bilatérale. Une IRM rachidienne et crânienne doit être réalisée pour éliminer une névralgie nécessitant un traite­ ment chirurgical (tumeurs, anévrismes, instabilité de la colonne vertébrale, etc.). L'indication doit être posée après une concertation multidisciplinaire (chirurgien, algologue, psychiatre).

Évaluation clinique et psychosociale préopératoire Cette évaluation est essentielle avant d'envisager toute pro­ cédure invasive pour le traitement de la douleur, afin de sélectionner les meilleurs candidats pour ces techniques, d'informer le patient des éventuels bénéfices et de limiter ses attentes à l'égard d'un traitement miracle. Cette évaluation doit confirmer le caractère réfractaire de la douleur neuropathique, identifier la présence de comorbidités physiques douloureuses. Enfin, la chirurgie fonctionnelle ne doit pas être envisagée si le patient a une espérance de vie supérieure à six mois. Une évaluation psychologique ou psychiatrique appro­ fondie est très importante tout choix d'une technique d'intervention.

Techniques chirurgicales Considérations générales La stimulation du nerf occipital, réalisée pour la première fois par Weiner et Reed, est une technique simple pouvant être réalisée sous anesthésie locale ou générale. Elle consiste en la mise en place sous-cutanée d'une électrode de stimu­ lation plate (chirurgicale) ou cylindrique (percutanée), en contact avec les nerfs occipitaux via une incision rétromas­ toïdienne ou médiane [85]. L'électrode est alors connectée à un stimulateur placé en région abdominale. Sweet et al. ont effectué une revue systématique de la stimulation du nerf occipital dans les névralgies occipi­ tales réfractaires : neuf séries ont été analysées, cinq études rétrospectives, trois prospectives et 1 non définie [86]. Nous pouvons ajouter notre étude rétrospective person­ nelle, portant sur 60 patients atteints de névralgie occipitale réfractaire traitée par SNP. La douleur, sa localisation, sa durée, son étiologie et le traitement antérieur ont été analy­ sés. Les évaluations comprenaient une EVA avant et 12 mois après l'implantation du SNP, l'échelle de quantification des médicaments (EQM) avant et 12 mois après l'implantation et lors du dernier suivi, échec du traitement médical et approche multidisciplinaire de la douleur.

Électrode chirurgicale plate versus électrode ronde percutanée Les électrodes percutanées peuvent être insérées via une inci­ sion rétromastoïdienne ou une approche sur la ligne médiane. L'approche rétromastoïdienne peut être utilisée pour une approche uni- ou bilatérale. Plusieurs auteurs ont décrit une approche rétromastoïdienne de l'électrode : Weiner et Reed [85], Melvin et al. [87], Slavin et al. [88], Oh et al. [89], Kapural [90] et Johnstone et Sundaraj [91] ont décrit l'im­ plantation de la sonde au moyen d'une approche médiane. Slavin a utilisé les deux approches : latérale en cas de névral­ gie occipitale unilatérale et médiane en cas de névralgie occipitale bilatérale. Dans notre série, nous utilisons des sondes percutanées et chirurgicales, suivant les deux approches, comme Slavin [88]. L'électrode plate chirurgicale, nous semblant mieux fixée, plus stable, peut éviter certains effets indésirables tels qu'une migration et une rupture de sonde ; mais l'in­ convénient de cette électrode est la dissection des tissus environnants. L'aiguille des électrodes percutanées est courbée pour épouser la forme de la région occipitale, mais ce procédé est imparfait, car la courbure de la région occi­ pitale n'est pas uniforme. C'est le défi majeur de la future électrode : la flexibilité et l'adaptation à la région occipitale (figure 18.17).

Anesthésie locale versus anesthésie générale Weiner et Reed ont décrit le placement des électrodes sous anesthésie locale [85]. L'anesthésie locale a pour avantage de pouvoir tester le positionnement correct de l'électrode recouvrant le territoire douloureux par

Chapitre 18. Traitements techniques   115

A

B

C

Figure 18.17 Vision aux rayons X et scan 3D d'électrodes occipitales (A–C).

la paresthésie. Cependant, les médecins expérimen­ tés effectuent maintenant la procédure sous anesthésie générale [84, 88, 92, 93].

Fluoroscopie seule ou fluoroscopie et échographie Une étude rétrospective, portant sur 21 patients avec 53 électrodes, a été publiée à ce sujet [94]. Les patients étaient atteints d'une névralgie occipitale réfractaire pour laquelle une indication de stimulation occipi­ tale avait été retenue. L'objectif de cette étude était de comparer deux groupes : les patients avec stimulation occipitale placée sous fluoroscopie, et les patients avec stimulation occipitale placée avec échographie et fluo­ roscopie. Il n'y avait pas de différences statistiques entre les deux groupes. Cependant, il pourrait être utile d'uti­ liser l'échographie pour évaluer la profondeur de l'élec­ trode. La stimulation sous-cutanée n'est efficace que si elle est bien située, à la jonction derme-hypoderme ; sinon, il existe un risque de stimulation des muscles avec des contractures et des sensations désagréables. La sti­ mulation ne doit pas être trop superficielle non plus car l'électrode présente sinon un risque d'érosion cutanée (figures 18.18, 18.19 et 18.20).

Résultats et complications Résultats (tableau 18.1) La stimulation occipitale est un traitement efficace contre les névralgies occipitales réfractaires. Tous les articles et revues fournissent des preuves de niveau III. L'OMS fournit de bons résultats dans les cas de névralgie occipitale et de céphalée cervicogénique (environ 80 % des patients ont une amélioration) [85–89, 91, 95, 96]. Notre série est la plus grande série mondiale. L'EVA moyenne a diminué de façon spectaculaire après l'implanta­

tion de la stimulation : elle est passée de 8,35 en préopératoire à 2,32 en postopératoire. La série d'Abhinav et al. est particu­ lièrement impressionnante, faisant état de nombreux patients libres de douleur [95]. Les résultats semblent être maintenus à long terme. L'étude de Weiner et Reed [85] a eu le suivi le plus important, durant en moyenne 2 ans, allant de 1,5 à 5,5 ans.

Échecs de test Certains patients n'ont pas pu recevoir d'électrodes, en raison de l'échec de la phase test : ils étaient 3 sur 14 dans l'étude menée par Melvin et al. [87], 4 sur 14 dans l'étude menée par Slavin et al. [88], et 1 sur 8 dans l'étude menée par Johnstone [91]. Nous n'avons pas ce problème car nous utilisons la TENS pour présélectionner les patients [97]. Nous avons rasé le patient ou utilisé le kit Arnold afin d'ef­ fectuer la TENS. À tous les patients qui ont une réduction de la douleur de plus de 30 % avec la TENS sera administrée une stimulation occipitale en une seule étape (électrode et stimu­ lateur en un seul temps). Les patients avec TENS négative ont eu un essai avec une sonde percutanée Si le test était positif, le générateur était implanté ; sinon, l'électrode était retirée.

Complications Les complications comprenaient la migration de l'électrode, l'infection, la réaction allergique et la douleur au cou ou sur le site du générateur d'impulsions. Le taux de complications varie de 0 % [95] à 33 % [96]. Le dysfonctionnement de l'électrode (électrode cassée ou déconnectée) est uniquement survenu (1 cas sur 136) dans l'étude menée par Melvin et al. [87]. Une infection est retrouvée dans 5,3 % des cas. Selon les séries, le taux d'infections se situe entre 0 et 29 %. Aucun consensus n'est formellement établi pour éviter les infections. L'étude des procédures d'implantation de Bendel [99, 100], sur 2737 stimulations médullaires, a permis d'identifier toutes les procédures compliquées par une infection (2,45 %).

116   Partie 2. Traitements en pratique Tens

Électrode

6

2

5 7

8

1 3

4

Figure 18.18 Stimulation transcutanée pour le TENS, profonde dermique à proximité des nerfs pour l'électrode implantée. (1) Sens des cheveux ; (2) sens du toucher ; (3) sens épicritique ; (4) sens de la pression ; (5) sens thermique ; (6) épaisseur ; (7) douleur ; (8) sens protopathique.

Épiderme

Derme

Tissu sous-cutané

Électrode

Nerfs et vaisseaux sanguins sous-cutanés Figure 18.19 Profondeur de l'électrode.

Conclusion L'efficacité de la stimulation occipitale dans les névralgies occipitales et cervicogènes semble indéniable, au vu des résultats rapportés dans la littérature. C'est une technique simple, réversible et peu invasive, avec peu de complica­ tions. La majorité des complications est liée à la migra­ tion des électrodes et à l'infection. Il peut être évité avec un nouveau design d'électrodes cylindriques. Des études prospectives sont nécessaires pour évaluer ces résultats.

Bibliographie

Figure 18.20 Repérage échographique des nerfs occipitaux.

Oh M, Whiting D. Minimally invasive peripheral nerve stimulation for the treatment of occipital neuralgia. Pain Section Newsletter  : CNS Mee­ ting ; October 1999. Rodrigo-Royo MD, Azcona JM, Quero J, Lorente MC, Acín P, Azcona J. Peripheral neurostimulation in the management of cervicogenic hea­ dache : four case reports. Neuromodulation. 2005 Oct ; 8(4) : 241–8.

Chapitre 18. Traitements techniques   117 Tableau 18.1 Résumé des études portant sur des patients atteints de névralgie occipitale. Étude

Type d'étude

Implantations (n)

Suivi (mois)

Réduction de Paddle or la douleur percutaneous lead (% ou EVA)

Middle or lateral approach

Année

Abhinav [95]

ER

4

6–18

9à0

paddle

midline

2013

Palmisani [96]

ER

3

28–31

≥ 50 %

percutaneous

Not none

2013

Magown [98]

EP

7

2–30

96 %

paddle

midline

2009

Melvin[87]

EP

11

3

67 %

percutaneous

both

2007

Johnstone [91]

Aucun

8

6–47

≥ 50 %

paddle

midline

2006

Slavin [88]

ER

14

5–32

60 à 90 %

percutaneous

both

2006

Kapural [90]

EP

6

3

8,66 à 2,5

paddle

midline

2005

Oh [89]

ER

10

6

≥ 70 %

paddle

lateral

2004

Weiner [85]

ER

13

18–66

≥ 50 %

percutaneous

lateral

1999

Raoul, non publiée ER

60

3–72

8,35 à 2,32 (72,2 %)

Paddle and percutaneous

both

Soumis pour publication en 2018

ER : étude rétrospective ; EP : étude prospective.

18.6  Techniques

de stimulation cérébrale pour contrôler la douleur : rTMS

Jean-Pascal Lefaucheur  Les premières machines de stimulation magnétique trans­ crânienne (transcranial magnetic stimulation [TMS]) des­ tinées à stimuler le cortex cérébral chez l'homme ont été mises au point au milieu des années 1980 par Barker, de l'université de Sheffield [101]. La TMS est un outil de sti­ mulation cérébrale non invasive, permettant l'exploration diagnostique (technique des potentiels évoqués moteurs évaluant les conductions sur les voies pyramidales) et des études fonctionnelles de l'activité cérébrale (excitabilité et cartographie des circuits moteurs corticaux). Enfin, grâce au développement de stimulateurs permettant de délivrer des trains de stimulation à différentes fréquences, la voie a été ouverte aux applications thérapeutiques de la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS) en neuro­logie et en psychiatrie [102, 103].

Quelques principes Le principe de la TMS est lié à la décharge d'un courant de très haute intensité (plusieurs milliers d'ampères) dans un intervalle de temps très court (quelques dizaines de microsecondes) à travers une bobine de fil de cuivre, générant de ce fait un champ magnétique de haute éner­ gie (2 à 2,5 teslas) et de brève durée (moins d'une mil­ liseconde). Si la bobine est posée sur le scalp, le champ magnétique produit franchit la boîte crânienne et atteint le cortex cérébral sans atténuation (contrairement aux sti­ mulations électriques qui sont fortement atténuées par le

passage de l'os). Au niveau du cortex cérébral, qui est un milieu conducteur, ce bref champ magnétique induit un courant électrique selon le principe d'induction électro­ magnétique de Faraday. La TMS réalise donc en fait une stimulation électrique du cerveau, générant des poten­ tiels d'action au niveau des circuits neuronaux activés dans le champ de la stimulation. Ce champ devient prati­ quement nul au-delà, à quelques centimètres de distance de la bobine. Cela présente l'avantage de pouvoir utiliser la TMS dans un environnement non contrôlé sur le plan électromagnétique (contrairement à l'IRM). Mais l'incon­ vénient est que la TMS ne permet qu'une stimulation des fibres les plus superficielles du cortex cérébral et non des structures sous-corticales ou cérébrales profondes.

Protocoles de rTMS Dans les années 1990, ont été conçus les premiers appareils de rTMS, permettant de délivrer plusieurs stimulations par seconde, jusqu'à environ 50 Hz, actuellement. Il existe dif­ férents protocoles de stimulation, les plus fréquents étant une stimulation tonique à 1 Hz, dite « à basse fréquence », censée plutôt inhiber l'activité cérébrale, et une stimulation par trains, quelques secondes à 10 ou 20 Hz, dite « à haute fréquence », censée plutôt exciter l'activité cérébrale [102]. Dans tous les cas, les séances de stimulation durent de 15 à 30 minutes maximum et, pour obtenir un effet théra­ peutique, elles doivent être répétées tous les jours pendant une à deux semaines (du lundi au vendredi). Ensuite, les séances « d'entretien » peuvent être plus espacées, une fois par semaine, puis toutes les deux semaines, puis tous les mois, en fonction de la persistance de l'amélioration cli­ nique. En effet, tout l'intérêt de la rTMS est de produire des changements d'activité cérébrale qui perdurent bien au-delà du temps de la stimulation, grâce à l'induction du processus de plasticité cérébrale. Aussi, si les patients répondent au traitement « d'induction » des premières semaines, il n'est besoin d'effectuer par la suite que des séances plus espacées pour maintenir l'effet clinique.

118   Partie 2. Traitements en pratique

Stimulation à haute fréquence du cortex moteur pour traiter les douleurs chroniques Les premières applications thérapeutiques de la rTMS ont concerné les pathologies psychiatriques, notamment la dépression résistant aux médicaments. Dans cette condi­ tion clinique, la cible est le cortex préfrontal. Actuellement, la rTMS est d'usage admis dans l'arsenal thérapeutique de la dépression dans la plupart des pays du monde [104]. L'application au traitement des syndromes douloureux chroniques, notamment neuropathiques, est la seconde indication de la rTMS en termes de niveau de preuves d'ef­ ficacité [103]. Depuis les premiers résultats publiés à la fin des années 1990 [105], de nombreuses études ont confirmé la valeur de la rTMS pour soulager divers types de douleur. Seules les stimulations à haute fréquence (10 à 20 Hz) ont un effet antalgique, la cible étant le cortex moteur primaire, comme en cas de stimulation implantée chirurgicalement. La rTMS active des circuits neuronaux qui « passent » au niveau du cortex moteur, notamment des contrôles descen­ dants ou des projections vers des structures limbiques. En agissant sur cette région corticale « carrefour », qui intègre beaucoup d'informations pour la commande motrice, la rTMS peut moduler l'activité de diverses structures qui contrôlent aussi les différentes composantes de la douleur [106] (figure 18.21).

En pratique De façon pratique, la rTMS peut être indiquée pour traiter des douleurs neuropathiques focales ou des douleurs non neuropathiques diffuses. En ce qui concerne les douleurs neuropathiques focales, qu'elles soient d'origine périphé­ rique ou centrale, la stimulation doit être ciblée sur le cor­ tex moteur controlatéral à la zone douloureuse. Pour les

douleurs non neuropathiques diffuses, de type douleurs myofasciales ou fibromyalgie, la stimulation est ciblée par défaut sur le cortex moteur de la main au niveau de l'hémis­ phère gauche, au moins chez les droitiers. Ensuite, la bobine de stimulation doit être orientée parallèlement à la ligne médiane interhémisphérique [107]. La séance de stimulation est constituée par la répétition, toutes les 30 à 50 secondes, de trains de chocs magnétiques délivrés à 10 ou 20 Hz, et chaque train dure une dizaine de secondes au maximum. Chaque séance dure au total 15 à 30 minutes, comme indi­ qué précédemment, et comprend donc de 1500 à 3000 chocs. La contre-indication absolue est la présence d'un maté­ riel ferromagnétique au niveau de la tête (par exemple des implants cochléaires). L'épilepsie, la grossesse ou la présence d'un pacemaker cardiaque au niveau thoracique ne sont que des contre-indications relatives.

Résultats La rTMS est déjà utilisée par plus d'une vingtaine de centres en France dans la prise en charge des patients douloureux. Des protocoles de 14 séances sur cinq mois chez des patients fibromyalgiques, de 19 séances sur six mois dans le cadre de douleurs faciales réfractaires, ou de 15 séances sur 12 mois pour des douleurs neuropa­ thiques centrales ont montré des taux de 40 à 50 % de patients répondeurs [108–110]. Ces résultats sont très encourageants et, dans l'ensemble, la rTMS à haute fré­ quence du cortex moteur serait susceptible de réduire les scores de douleur de 20 à 45 % en moyenne chez 35 à 60 % des patients [106]. Cet effet antalgique n'est pas immédiat, mais se constitue dans les jours qui suivent les séances et dure au-delà du temps de la stimulation. Pour obtenir une « couverture antalgique » durable et pertinente cliniquement, il est nécessaire de réaliser des séances répétées. Cela impose une grande disponi­ bilité de l'équipe soignante formée à cette technique et, aussi, des patients qui doivent revenir régulièrement aux séances de stimulation.

Perspectives

Figure 18.21 Intérieur d'une bobine de stimulation et visualisation du champ induit au niveau cortical.

Diverses avancées techniques pourraient améliorer l'effica­ cité de la stimulation, comme l'utilisation d'un système de « neuronavigation » intégrant les données d'IRM cérébrale morphologique ou fonctionnelle des patients, ce qui per­ met d'optimiser le repositionnement de la bobine sur une même cible lors des séances successives [106] (figure 18.22). Ensuite, d'autres cibles corticales (préfrontales, insulaires) sont en cours d'évaluation, utilisant notamment de nou­ velles bobines aux designs spécifiques, tout comme d'autres techniques de stimulation corticale non invasive, telle la stimulation électrique transcrânienne à courant continu (transcranial direct current stimulation [tDCS]) [106]. Ces deux méthodes, rTMS et tDCS, qui n'ont pas les mêmes mécanismes d'action au niveau des fibres nerveuses (effets de stimulation et de polarisation, respectivement), pour­ raient toutefois avoir des effets antalgiques similaires.

Chapitre 18. Traitements techniques   119 Les indications de cette technique se sont élargies. Toutes ne sont pas validées. Les plus courantes sont la douleur aiguë (douleur postopératoire, dysménorrhée, angine de poitrine, etc.) et la douleur chronique (arthrose, lombalgie, douleur neuropathique, etc.).

Principes de la TENS

Figure 18.22 Séance de rTMS utilisant un système de neuronavigation.

Recommandations Le niveau de preuve apparaît suffisant pour pouvoir conclure à une efficacité antalgique de la rTMS à haute fréquence du cortex moteur dans les douleurs neuropa­ thiques localisées ou la fibromyalgie [103, 106]. Des études multicentriques internationales portant sur de larges populations restent nécessaires pour confirmer les modali­ tés d'application thérapeutique de la rTMS dans la pratique clinique et mieux définir les indications et les protocoles de stimulation à utiliser chez les patients douloureux chroniques.

La TENS peut contrôler la douleur par une stimulation, à travers la peau, à des intensités bien tolérées et auto-­ administrée par le patient, ce qui inhibe la transmission du message au niveau de la CPME (contrôle de porte). Elle peut aussi renforcer le contrôle opioïde, ce qui explique l'effet poststimulation et la possibilité d'une tolérance croisée si les patients sont traités par opiacés. D'autres mécanismes sont évoqués, comme la mise en action du contrôle inhibi­ teur diffus (courants de haute intensité et haute fréquence), une action plus périphérique ainsi que la participation du système sympathique. Enfin, l'effet placebo participe égale­ ment à l'effet antalgique [111].

Composition de la TENS La TENS est composé d'un générateur électrique, autoalimenté par une pile ou une batterie rechargeable (figures  18.23  et 18.24), ce qui autorise la délivrance en ambulatoire de courants à partir d'électrodes en élastomère siliconé, conductrices, hypoallergiques, souples et de taille variant de 1 cm2 à 160 cm2, fixées sur la peau du patient et reliées au générateur par des câbles flexibles (figure 18.25).

18.7  Neurostimulation

transcutanée

Marie-Louise Navez, Valérie Beauvieux  La TENS est une méthode d'analgésie non médicamenteuse par administration d'un courant électrique par voie transcu­ tanée réalisée à l'aide d'un stimulateur relié à des électrodes appliquées sur la peau. L'effet thérapeutique pourrait être fondé sur plusieurs mécanismes de contrôle de la douleur, dont deux principaux : ■ le premier, appelé contrôle de la porte (gate control), décrit par Wall et Melzak en 1965, suggère une inhibi­ tion de la transmission du message nociceptif par la sti­ mulation des grosses fibres myélinisées du tact et de la proprioception ; ■ le deuxième concerne le renforcement du contrôle opioïde, avec le relargage de substances opioïdes endo­ gènes (endorphines) lors de la stimulation en mode acu­ punctural [111].

Figure 18.23 Appareil TENS.

120   Partie 2. Traitements en pratique P1 P2 P3 P4 P5 P6 P7 P8 P9 P10 P11 P12

Gate control 100 Hz Gate control 80 Hz Endorphinique 2 Hz Gate control (canal 1 : 80 Hz) + endorphinique (canal 2 : 2 Hz) TENS séquentiel : 10 min Gate control 100 Hz + 20 min endorphinique 2 Hz Stimulation HAN : 100 Hz + 2 Hz Alterné toutes les 3 secondes TENS Burst 2 Hz TENS Modulation 2 à 80 Hz Excito-moteur Gate control 80 Hz dynamic lent (massage) Gate control 80 Hz dynamic rapide (frottements) TENS haute fréquence

Figure 18.26 Différents courants proposés lors du TENS.

Figure 18.24 Appareil TENS.

d'onde de 50 à 10 μs et de basses intensités. Il procure des paresthésies non douloureuses dans le territoire stimulé. Les électrodes sont positionnées dans le territoire douloureux (distribution du nerf ou étage métamérique, territoire scia­ tique ou crural, etc.), avec une électrode proximale (racine du membre) et une électrode distale. L'effet antalgique apparaît rapidement pendant la stimulation (30 minutes environ), mais cet effet ne persiste pas après la stimulation (tableau 18.2).

Mode de stimulation discontinue, ou burst

Figure 18.25 Générateur câble souple électrodes.

On assiste à une amélioration des matériels (générateur de courant, programme de stimulation, batterie, fiabilité des connectiques, système connecté) et des applications à d'autres indications (céphalées).

Le mode de stimulation discontinue ou « burst », dit aussi « acupuncture like » (AL-TENS), associe des courants de basses fréquences, entre 1 et 4  Hz, des largeurs d'onde entre 100 et 400 μs et de hautes intensités. Ce mode de cou­ rant est ressenti comme de faibles secousses musculaires. Les stimulations de basses fréquences et hautes intensités sont réalisées pendant 45 minutes environ en territoire extrasegmentaire (pararachidien dans la lombalgie) et procurent une analgésie rapide qui augmente durant la stimulation et persiste après l'arrêt de celle-ci (posteffet). Les électrodes sont placées en pararachidien, en regard du segment lombaire douloureux et souvent de diamètre plus important.

Paramètres de stimulation Plusieurs paramètres de stimulation sont proposés et varient en fonction de la fréquence des impulsions (1  Hz à 100  HZ), de l'intensité du courant électrique (0–50 mA), de la largeur de l'impulsion (0,1 à 0,5 ms) (figure 18.26). On peut globalement retenir deux modes de stimulation.

Mode haute fréquence Le mode haute fréquence, ou TENS conventionnelle (contrôle de porte ou C-TENS), associe une stimulation continue en haute fréquence (80–100 Hz) avec des largeurs

Impératifs de stimulation Certains impératifs de stimulation sont à respecter et condi­ tionnent l'efficacité de la technique, comme la présence d'un nombre suffisant de fibres myélinisées à stimuler, le fait de préférer les fibres superficielles, plus accessibles à la stimulation, la présence, pour les courants hautes fré­ quences, de paresthésies localisées et à des niveaux d'inten­ sité inférieurs au seuil douloureux. Aucune différence n'est rapportée entre les courants de modulation fixe et les cou­ rants de modulation variable, même s'ils sont de pratique courante.

Chapitre 18. Traitements techniques   121 Tableau 18.2 Tableau de correspondance entre TENS éco et CEFAR PRIMO PRO. Programme

TENS ECO

CEFAR PRIMO PRO

Gate Control 100 Hz

P1

P1 ou programmation

Gate Control 80 Hz

P2

P1

Endorphinique 2 Hz

P3

P2

Gate control modulé en largeur d'impulsion (70–180 μs)

Pas P3 d'équivalent

Gate control (canal 1 : 80 Hz) P4 Endorphinique (canal 2 : 2 Hz)

P1 (canal 1) P2 (canal2)

TENS séquentiel : 10 min. P5 Gate control 100 HZ + 20 min. endorphinique 2 Hz

P1 (10 min.) +  P2 (20 min.)

TENS zones sensibles (largeur Pas P4 d'impulsion 60 μs) d'équivalent Stimulation HAN : 100 Hz + 2 Hz alterné toutes les 3 secondes

P6

P5

Traitement des nausées : 10 Hz

Pas P6 d'équivalent

TENS burst 2 Hz

P7

P2

TENS modulation 2 à 80 Hz

P8

P5

Excito-moteur

P9

Pas d'équivalent

Gate control 80 Hz dynamic lent (massage)

P10

P7

Gate control 80 Hz dynamic rapide (frottements)

P11

P7

TENS haute fréquence

P12

P1

sécrétions d'endorphines), à la fois sur la douleur lombaire et la douleur radiculaire. La TENS est très largement pres­ crite dans ces situations. [112, 113]. L'évaluation de la TENS dans la douleur neuropathique souffre de biais méthodologiques, cependant elle a été c­lassée avec un niveau de preuve 2, grade B (présomption scientifique), sans qu'ait été précisé le mode de stimulation le plus opérant [114]. De nombreuses autres indications, sans preuves for­ melles, sont de pratique courante : cervicalgie, fibromyalgie, douleur neuropathique du cancer, SDRC, douleur aiguë postopératoire (figure 18.27). Dans tous les cas, la TENS est proposée comme alter­ native ou en complément d'un traitement médicamenteux dont l'efficacité est réduite et qui est mal toléré (HAS, 2009). L'essai préalable avant prescription et la location per­ mettent d'identifier les patients répondeurs et motivés pour une autoprise en charge. Elle peut, dans certains cas, être envisagée dans l'attente d'une neurostimulation implantable. Des TENS adaptées à la céphalée sont proposées avec une efficacité modeste en prophylaxie. Des neurostimulateurs proposant une stimulation vagale à partir d'une électrode auriculaire sont en cours de validation pour les migraines et les douleurs coliques et pelviennes. Les TENS dites connec­ tées, qui se développent, ont l'avantage d'une meilleure fonc­ tionnalité et autonomie. Elles permettent l'enregistrement automatique des séances, avec une évaluation en continu, un contrôle on line du traitement et son adaptation par le professionnel de santé. Les conditions de prescription et d'utilisation (HAS, 2009) sont les suivantes : prescription par un médecin avec une compétence universitaire douleur, essai pendant six mois avec un appareil loué, achat au-delà, si le test d'effica­ cité est positif. Quatre paires d'électrodes sont remboursées tous les mois.

Apprentissage La période d'apprentissage est fondamentale pour mettre le patient en confiance, trouver avec lui le mode de stimula­ tion adéquat et lui permettre une participation active à son traitement.

Contre-indications Les contre-indications sont la stimulation sur peau lésée, désensibilisée ou hyperalgésique, le pacemaker, du fait d'un risque d'interférences, la stimulation au niveau des sinus carotidiens. Les effets indésirables sont faibles, essentielle­ ment des effets cutanés irritatifs ou allergiques. La prudence est de mise chez les patients épileptiques, les électrophobes, la femme enceinte (éviter l'abdomen et utiliser seulement les programmes contrôle de porte).

Indications de la TENS Les indications de la TENS sont très larges. L'intérêt de la TENS dans la lombalgie et la lombosciatal­ gie chronique a fait l'objet de nombreuses études dont une, multicentrique et randomisée, versus placebo, a rapporté l'efficacité de programmes mixtes (contrôle de porte et

Figure 18.27 TENS et névralgie cervico-brachiale.

122   Partie 2. Traitements en pratique

Acupuncture [115] L'acupuncture est utilisée depuis plus de 2 000 ans en Chine et n'a été introduite en Europe qu'au xviie siècle. Malgré les progrès de la science, il est actuellement toujours difficile d'en comprendre le mécanisme. Toutefois, l'IRM fonctionnelle apporte quelques éléments de réponse en montrant une pro­ bable activation des aires cérébrales impliquées dans la régula­ tion de la douleur. Chez le douloureux chronique, il existe une hyperactivation des zones cérébrales de la matrice douleur, et l'acupuncture aurait un rôle dans la modulation de la douleur et dans la restauration de la connectivité fonctionnelle cérébrale. En pratique, on retiendra la méta-analyse publiée dans The Cochrane Database of Systematic Reviews en 2016, com­ parant l'acupuncture aux traitements occidentaux conven­ tionnels chez les migraineux, qui rapportait une efficacité comparable sur la diminution de la fréquence des crises de migraine et avec moins d'effets indésirables. Les indications sont largement étendues à tous types de douleur, et les contre-indications se limitent à la prise d'une anticoagulation à dose curative et à la phobie des aiguilles. L'acupuncture paraît être une thérapie complémentaire intéressante à associer à la prise en charge habituelle.

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[113] Resende  L, Merriwether  E, Rampazo  ÉP, Dailey  D, Embree  J, Deberg J, et al. Meta-analysis of transcutaneous electrical nerve sti­ mulation for relief of spinal pain. Eur J Pain 2018 ; 22 : 663–78. [114] Gibson  W, Wand  BM, O'Connell  NE. Transcutaneous electrical nerve stimulation (TENS) for neuropathic pain in adults. Cochrane Database Syst Rev 2017 ; 9 : CD011976. [115] Theysohn N, Choi K, Gizewski E, Wen Ming, Rampp T, Gasser T, et  al. Acupuncture-related modulation of pain-associated brain networks during electrical pain stimulation : a functional magne­ tic resonance imaging study. J Altern Complement Med 2014 ; 20 : 893–900.

Chapitre

19

Effet placebo Denis Baylot  PLAN DU CHAPITRE Ce qu'il faut comprendre . . . . . . . . . . . . . . . . . Données cliniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L'effet du conditionnement et de l'apprentissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Ce qu'il faut comprendre Le placebo (latin dont la traduction est : « je plairai ») est une procédure thérapeutique factice simulant un traitement réel. L'effet du placebo est la réponse psychocorporelle à ce traitement. L'étude de l'effet d'un placebo s'attache à analyser les mécanismes neurobiologiques qui, à partir d'un contexte environnemental, vont élaborer une réponse comportementale dans le sens d'une amélioration de l'état de santé. Cet effet n'est pas spécifique à la douleur, il est constaté dans divers champs de la médecine. Sa mise en évidence expérimentale se fait en comparant un groupe d'évolution naturelle d'une douleur avec un groupe recevant un médicament inerte. La différence mesurée entre les deux groupes est donc l'effet du placebo. Les études se sont surtout attachées à étudier les différents paramètres déterminant et influençant la réponse au placebo comme l'attente d'un effet favorable, les expériences antérieures, les instructions données par le soignant, l'environnement social, etc.

Données cliniques L'effet contextuel peut être évalué, sur un modèle de douleur standardisé, par l'administration d'un traitement réel (morphine) administré à l'insu du patient, versus un placebo donné en ouvert, par un soignant « convainquant » quant à l'efficacité du traitement, pourtant factice. L'effet pharmacologique, isolé de toute intervention humaine, ne dépasse l'effet contextuel sur la douleur (perfusion en présence humaine) qu'à partir de 12 mg, démontrant par là même, la puissance de l'effet placebo. L'impact des injonctions verbales a été étudié sur un modèle de douleur postopératoire d'avulsion dentaire. L'effet antalgique d'un placebo donné en perfusion est évalué en fonction des trois types d'injonction verbale : ■ « on vous administre un super ''painkiller'' qui va vous enlever la douleur », Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Données neurobiologiques . . . . . . . . . . . . . . . Conséquences de l'effet placebo sur les études cliniques et notre pratique . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion : ce que le praticien retiendra . . .

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■ « on ne sait pas ce qu'il y a dans la perfusion : soit un antalgique, soit un produit inerte », ■ « il n'y a pas d'antalgique dans la perfusion ». Parallèlement, on autorise les patients à prendre des doses de secours antalgiques de buprénorphine laissées à disposition. Pour un même niveau de douleur, la consommation de buprénorphine varie respectivement de 7,65, 9,15 et 11,55 mg, la différence étant liée au type d'injonction verbale, évoquant un « effet antalgique » ou les médicaments actifs.

L'effet du conditionnement et de l'apprentissage [1] L'effet du placebo est renforcé par l'expérience antérieure d'un soulagement efficace, un bon exemple en étant les céphalées. Le conditionnement résulte du couplage entre un signal et l'effet d'une thérapeutique active. Après une phase d'« entraînement », la simple application du signal procure l'effet clinique du traitement actif. Ainsi, l'effet du placebo est renforcé après une phase de conditionnement où le sujet expérimente un soulagement avec une substance active (ou simulée active) avant d'être exposé à une molécule inerte. L'exemple de l'effet antalgique d'une crème inerte sur une stimulation nociceptive cutanée localisée passe par une première étape, ou l'on suggère au sujet que la crème est anesthésiante, puis une deuxième étape de conditionnement où l'on simule une antalgie en diminuant l'intensité du stimulus douloureux à l'insu du sujet. À la suite de la période de conditionnement, l'application de la crème inerte entraîne un fort effet placebo antalgique sur le stimulus redevenu nociceptif. En outre, un effet somatotopique a été démontré. Le conditionnement est efficace s'il déclenche l'attente d'un effet positif. Plus l'effet d'attente est renforcé et spécifique, plus la réponse est importante. Néanmoins, un conditionnement sans suggestion verbale explicite (simple appariement entre un signal lumineux et une stimulation douloureuse) est efficace, sans que l'on 127

128   Partie 2. Traitements en pratique retrouve de lien entre l'effet du placebo et l'anticipation, le conditionnement et la peur avant la stimulation. Il a aussi été montré que, après un conditionnement lumineux, on retrouve un effet du placebo après présentation infraliminale du même stimulus lumineux. On peut donc obtenir un effet placebo sans interaction consciente, par un mécanisme de conditionnement « caché » distinct du conditionnement habituel. Par ailleurs, après un conditionnement renforcé (modèle de la crème antalgique), l'effet antalgique du placebo persiste après la révélation au sujet du caractère neutre de la crème. Le conditionnement persiste alors que la vraie nature de la manipulation est révélée. Conditionnement et anticipation d'un effet favorable interviennent donc comme des éléments déterminants dans l'effet placebo, mais ne l'expliquent pas isolément. Des éléments préconscients et des processus conceptuels en lien avec des expériences antérieures attribuant un effet positif plausible à une injonction thérapeutique interviennent très probablement [2]. La relation sociale est aussi un facteur renforçant la réponse placebo. Expérimentalement, l'observation d'un soulagement mimé par un comédien renforce l'efficacité du placebo, appliqué ensuite au sujet observant. La question du placebo ouvert (open placebo), cas où le patient est averti du caractère inactif de la thérapeutique, interroge sur la nécessité ou non de dissimuler au patient la nature exacte du produit pour avoir un effet placebo optimal. Dans différents modèles cliniques (côlon irritable, rhinite allergique et lombalgie chronique), l'administration d'un placebo en ouvert a montré un effet favorable sur les douleurs et les capacités fonctionnelles. La divulgation de l'effet inerte du médicament n'est donc pas indispensable pour la réalisation de l'effet placebo.

Données neurobiologiques L'effet placebo ne peut pas être expliqué par un mécanisme neuro- ou psychobiologique simple. La réponse placebo, où le SNC convertit la prise d'un médicament factice en une modification physiologique dans le corps et le cerveau, passe par la mise en jeu de l'activation de zones cérébrales spécifiques et d'un système de neurotransmetteurs. Les structures cérébrales impliquées lors de l'effet placebo ont été mises en évidence par l'IRM fonctionnelle, le TEP-scan et le marquage de récepteurs. Elles concernent essentiellement le lobe préfrontal et témoignent de l'activité de l'effet placebo sur le network de la douleur. Un fort effet placebo entraîne une extinction du réseau neuronal gérant la douleur. Lorsqu'il y a une déconnexion entre le lobe frontal et le reste du cerveau (réalisée par RTMs ou constatée dans la maladie d'Alzheimer), l'effet du placebo s'éteint. Un lien existe également entre la commande frontale (gyrus cingulaire antérieur et cortex préfrontal dorsolatéral) et l'activation de la SGPA et les noyaux du tronc cérébral (bulbe rpstrp-ventromédial [RVM] et locus coeruleus) modulant l'activité de la CPME par les voies descendantes inhibitrices. La neuromédiation fait intervenir des mécanismes opioïdergiques et dopaminergiques.

La médiation opioïde est documentée par l'annulation de l'effet placebo lors de l'administration de naloxone (1978). En utilisant une technique d'imagerie moléculaire, sur un modèle de douleur expérimentale, Zubieta et al. démontrent une activation du système opioïde endogène à l'origine de la réponse placebo avec un effet graduel. Les régions cérébrales spécifiquement activées sont le cortex préfrontal, le gyrus cingulaire antérieur, l'insula et le noyau accumbens. Une corrélation entre l'activation du gyrus cingulaire antérieur et la SGPA est montrée. L'activation du système de récompense à médiation dopaminergique renforce l'effet placebo lors de l'attente d'un effet favorable. Lors de l'analgésie placebo, on retrouve une augmentation de l'activité des récepteurs dopaminergiques (associés avec des récepteurs ?) dans le noyau accumbens (diminution en cas de nocebo). Durant la période d'attente d'un effet favorable, avant même sa survenue, on constate une sécrétion accrue de dopamine proportionnelle à l'importance de cet effet. En comparant l'activation du noyau accumbens en IRM fonctionnelle dans le cadre d'une récompense financière et la réponse placebo sur un modèle de douleur expérimentale en TEP-scan, on retrouve une corrélation graduelle entre l'activation du système de la récompense et la réponse placebo. L'analyse de la réponse dopaminergique et opioïdergique, par la technique de la TEP, montre que le placebo active le système opioïdergique dans le gyrus cingulaire antérieur, l'insula et le cortex orbitofrontal, le noyau accumbens, l'amygdale et la SGPA, et que l'activation dopaminergique concerne les noyaux ventraux de la base, dont le noyau accumbens. Les deux systèmes sont donc associés à la fois durant la période d'anticipation et dans la phase effective du placebo [1].

Conséquences de l'effet placebo sur les études cliniques et notre pratique Dans les études cliniques, le produit testé est généralement évalué contre un placebo reçu par un autre groupe de patient. Il se peut que l'effet pharmacologique soit favorable pour le symptôme, mais que l'effet placebo masque cette efficacité. D'autres modèles sont peut-être à concevoir, comme l'évaluation de l'efficacité d'un antalgique sur la réponse en IRM fonctionnelle d'un signal cérébral de structures connues pour être impliquées dans la douleur. Dans notre pratique clinique, l'utilisation d'un placebo peut poser des questions éthiques évidentes. La « mise à l'épreuve » d'un patient avec un placebo est plus que condamnable. L'étiquette de « simulateur » facilement apposée à un patient répondeur au placebo trouve ici toute sa limite, et nous interroge quant à l'interrelation entre le patient, le médecin et le cerveau. L'effet placebo est donc partie prenante dans tout effet thérapeutique. La prédiction de la capacité d'un individu à moduler une réponse physiologique en lien avec une injonction thérapeutique est soumise à différents facteurs comme la mobilisation de ressources internes liées au changement (sous-tendue par la neurobiologie). Le lien construit au cours du parcours du patient entre une injonction thérapeutique et

Chapitre 19. Effet placebo   129 l'attribution d'un effet favorable sur la santé est certainement central dans l'efficacité du traitement. Cela nous questionne quant à ce qu'est réellement le médicament et, surtout, la façon de l'administrer. De multiples paramètres (éléments historiques, mnésiques et émotionnels) interviennent. Renforcer l'effet d'attente favorable du patient est certainement un moyen de mieux soulager, avec moins de médicaments.

gnant dans le but d'une véritable ETP (vécu, consignes données et comprises par le patient). Nous garderons toujours à l'esprit que le placebo pose des questions éthiques évidentes et que la réponse au placebo ne veut pas dire simulation.

Conclusion : ce que le praticien retiendra

[1] Enck P, Benedetti F, Schedlowski M. New insights into the placebo and nocebo responses. Neuron 2008 ; 59 : 195–206. [2] Geuter S, Koban L, Wager TD. The Cognitive Neuroscience of Placebo Effects : Concepts, Predictions, and Physiology. Annu Rev Neurosci 2017 ; 40 : 167–88.

Contrairement à ce que l'on peut penser, le placebo est tout sauf inerte : il est fait de mots, de rituels, de symboliques et de significations positives. Renforcer l'effet placebo, dans notre pratique de soins, est essentiel, car il est un témoin de la qualité de la relation thérapeutique entre le patient et le soignant. Cela passe par une écoute empathique, une incitation à l'attente d'un effet favorable, la mise en perspective des expériences antérieures positives, un travail sur les instructions données par le soi-

Références

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Chapitre

20

Douleurs neuropathiques Grégory Tosti, Nadine Attal  PLAN DU CHAPITRE Ce qu'il faut retenir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Diagnostic . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Ce qu'il faut retenir La douleur neuropathique résulte d'une maladie ou d'une lésion du système somatosensoriel. Selon la localisation de l'atteinte, on distingue la douleur neuropathique périphérique et la douleur neuropathique centrale. Diagnostiquer une douleur neuropathique implique deux étapes : reconnaître les caractéristiques neuropathiques de la douleur, puis identifier l'existence d'une lésion nerveuse responsable de la douleur. Le questionnaire DN4 est l'outil de dépistage le plus utilisé en France et intervient lors de la première étape diagnostique. La prise en charge médicamenteuse des douleurs neuropathiques s'appuie sur des recommandations fondées sur les preuves. Ont démontré leur efficacité dans le traitement de ces douleurs la prégabaline, la gabapentine, les antidépresseurs tricycliques et inhibiteurs mixtes de la recapture des monoamines, les topiques locaux (lidocaïne, capsaïcine) et les opioïdes. En cas de douleur neuropathique réfractaire, une prise en charge spécialisée est à envisager (toxine botulique, neuro­stimulation, etc.).

Introduction Les douleurs neuropathiques sont souvent sous-estimées et sous-traitées. Elles concernent pourtant un quart de la population souffrant de douleur chronique [1]. Elles ne sont pas l'exclusivité du neurologue et peuvent être diag­ nostiquées et prises en charge dans un premier temps en médecine ambulatoire, grâce à des outils de dépistage simples et à l'aide de recommandations de bonnes pratiques.

Description Définition La douleur neuropathique est une douleur résultant directe­ ment d'une maladie ou d'une lésion du système somatosensoriel [2]. La référence au système somatosensoriel Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Classification des douleurs neuropathiques . . Traitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

135 136 140

vise à exclure de la définition certaines douleurs d'origine ­neurologique telles que les douleurs de spasticité par atteinte du système pyramidal. Selon la localisation de l'atteinte du système somatosensoriel, on distingue la douleur neuropathique périphérique et la douleur neuropathique centrale (cf. infra). La prévalence de la douleur neuropathique d'intensité modérée à sévère en France s'élève à 5 %. Ce chiffre varie peu, quels que soient les pays (par exemple il est similaire au Japon, au Brésil et dans plusieurs pays d'Afrique) [1]. La douleur neuropathique impacte bien davantage la qualité de vie du patient (sommeil, anxiété, dépression, etc.) que les autres douleurs, notamment nociceptives inflammatoires (par exemple les douleurs d'arthrose, la lombalgie chronique) probablement en raison du caractère intolérable de certains symptômes et de la difficulté à les traiter [3].

Description Les douleurs neuropathiques possèdent des caractéristiques qui leur sont propres : ■ leur délai d'apparition est souvent retardé par rapport à la lésion initiale (de quelques jours à quelques mois) ; ■ la douleur ne siège pas nécessairement à l'endroit de la lésion, mais présente une distribution « neuro-­ anatomique ». L'exemple caractéristique est celui de la douleur après un AVC, qui est hémicorporelle après lésion intracérébrale ; ■ l'intensité de la douleur n'est pas corrélée à la gravité de la lésion.

Sémiologie Les douleurs neuropathiques se distinguent de la majorité des douleurs dites « nociceptives inflammatoires » mais aussi des douleurs dites « dysfonctionnelles » ou « nociplastiques », comme les douleurs de la fibromyalgie. 133

134   Partie 3. Pathologies douloureuses Il n'existe pas de corrélation entre les symptômes neuro­ pathiques et l'étiologie, soit le siège de la douleur. On retrouve en effet un ensemble de symptômes communs, indépendants de la nature périphérique ou centrale de la douleur ou de son étiologie [4]. On a pu donc identifier des caractéristiques cliniques communes à l'ensemble des étiologies des douleurs neuropathiques : il peut s'agir de douleurs spontanées continues (brûlures, froid douloureux, sensation d'étau, de compression ou de crampes), de douleurs spontanées paroxystiques (décharges électriques, éclairs douloureux, coup de couteau, élancement), de douleurs provoquées par une stimulation mécanique ou thermique (par exemple allodynie), de paresthésies ou de dysesthésies. À l'examen, on recherche un déficit sensitif et moteur, une allodynie ou une hyperalgésie et la possible présence de signes vasomoteurs et sudoraux. Nombre de ces symptômes sont discriminants et ont permis l'élaboration de questionnaires de dépistage aidant au diagnostic [5]. Le tableau 20.1 regroupe l'ensemble des symptômes retrouvés dans le cadre d'une douleur neuropathique [6].

Diagnostic Questionnaire de dépistage Diagnostiquer une douleur neuropathique implique deux étapes. La première étape consiste à reconnaître les caracTableau 20.1 Douleur neuropathique : symptômes. Symptômes sensoriels positifs Douleur spontanée

Sensation douloureuse ressentie en l'absence de stimulus

Allodynie

Douleur provoquée par un stimulus qui n'est pas normalement douloureux (par exemple : allodynie au frottement)

Hyperalgésie

Réponse accrue à un stimulus normalement douloureux

Paresthésie

Sensation anormale, qu'elle soit spontanée ou évoquée (par exemple fourmillement, picotement, démangeaison, engourdissement)

Dysesthésie

Sensation anormale, qu'elle soit spontanée ou évoquée, de caractère franchement désagréable

Symptômes sensoriels négatifs Hypoesthésie

Sensibilité moindre à une stimulation, à l'exception des sensibilités spécifiques

Anesthésie

Perte totale de sensation

Hypoalgésie

Douleur moindre en réponse à un stimulus normalement douloureux

Analgésie

Absence de douleur en réponse à une stimulation normalement douloureuse

téristiques neuropathiques de la douleur, la seconde à identifier l'existence d'une lésion nerveuse responsable de la douleur [7]. Le questionnaire DN4 (figure 20.1) est l'outil de dépistage le plus utilisé en France et intervient lors de la première étape diagnostique [8, 9]. Il comporte différents symptômes discriminants de la douleur neuropathique. Même si aucun de ces symptômes n'est spécifique, leur combinaison oriente vers le diagnostic de douleur neuropathique. Le questionnaire DN4 possède 7 items d'interrogatoire et 3 items d'examen clinique à la recherche de troubles de la sensibilité (hypoesthésie tactile, à la piqûre, allodynie mécanique). Lorsque 4 items sur 10 sont validés, le DN4 identifie une douleur neuropathique avec une excellente sensibilité et spécificité (figure 20.1).

Intérêt clinique du DN4 et pièges à éviter S'il est possible d'utiliser le questionnaire DN4 sous forme d'auto-diagnostic par le patient, il est préférable que le praticien guide celui-ci afin de s'assurer de la bonne compréhension et de la pertinence des réponses. En outre, les différents items doivent concerner une seule douleur identifiée par le patient. Une erreur classique consiste à répondre aux items du DN4 en cumulant l'ensemble des douleurs du patient en cas de douleurs multiples ou diffuses (comme ce peut être le cas dans la fibromyalgie ou une pathologie articulaire inflammatoire). Le DN4 doit au contraire concerner une aire douloureuse précise, quitte à être appliqué successivement pour différentes aires douloureuses, afin de dépister celles qui ont des caractéristiques neuropathiques [10]. Cet outil, appliqué de façon rigoureuse, permet également de surmonter certains pièges diagnostiques. Ainsi, il peut éviter de porter le diagnostic par excès de douleur neuro­p athique en cas de douleur nociceptive présente dans un territoire neurologique déficitaire : c'est le cas, par exemple, des douleurs des membres inférieurs liées à une arthrose des genoux et des chevilles chez un diabétique présentant une neuropathie sensitive non douloureuse, ou des douleurs de spasticité des membres inférieurs chez un patient présentant une SEP avec déficit sensitif des membres inférieurs. Dans tous les cas, ce questionnaire ne remplace jamais le bon sens clinique du praticien. Il est important de rappeler que nombre de douleurs sont mixtes, c'est-à-dire qu'elles comportent à la fois une composante neuropathique et nociceptive inflammatoire. C'est le cas, par exemple, dans la lombosciatique ou dans la névralgie cervicobrachiale, qui peut comprendre à la fois la douleur neuropathique par lésion de la racine nerveuse, mais aussi une composante inflammatoire ­discale [11].

Chapitre 20. Douleurs neuropathiques   135

Figure 20.1 Questionnaire DN4 : un outil simple pour rechercher les douleurs neuropathiques. Source : Bouhassira D, Attal N, Alchaar H et al. Comparison of pain syndromes associated with nervous or somatic lesions and development of a new neuropathic pain diagnostic questionnaire (DN4). Pain. 2005, 114 : 29–36.

Classification des douleurs neuropathiques Selon la localisation de la lésion du système somatosensoriel, on distingue les douleurs neuropathiques périphériques et centrales (tableau 20.2).

Douleurs neuropathiques périphériques Elles incluent les neuropathies douloureuses (polyneuro­ pathies, mononeuropathies multiples, polyradiculonévrites). Les plus fréquentes sont liées au diabète, mais aussi à la lèpre dans les pays non occidentaux, responsable de mononévrites multiples. Nous citerons également les neuropathies associées à des maladies de système, les

­ europathies iatrogènes, carentielles, endocriniennes n (hypothyroïdie), liées à un cancer, infectieuses et génétiques. Dans nombre de cas, ces neuropathies n'ont pas d'étiologie retrouvée et sont souvent qualifiées de « neuro­ pathies idiopathiques à petites fibres » du fait d'une atteinte prédominante des fibres nociceptives de calibre fin (Aδ et C). Leur diagnostic nécessite des explorations spécifiques (potentiels évoqués laser, biopsie cutanée, exploration des fibres nerveuses sympathiques par sudoscan, tests quantifiés sensoriels tels que le thermotest) dans la mesure où ces fibres fines ne sont pas explorables par l'électromyogramme. Les mononeuropathies peuvent être infectieuses, comme dans la douleur postzostérienne (par atteinte du ganglion sensitif ) ou iatrogènes, notamment postchirurgicales. Tout geste chirurgical, parfaitement réalisé, est en effet

136   Partie 3. Pathologies douloureuses Tableau 20.2 Étiologies des douleurs neuropathiques. Étiologies

Périphériques

Centrales

Fréquentes ou très fréquentes

– Lésions radiculaires : hernie discale, canal lombaire étroit, chirurgie du rachis, etc. – Lésions nerveuses postchirurgicales ou post-traumatiques : douleurs post-thoracotomie, postmastectomie, douleurs après chirurgie inguinale, après prothèse totale de genou, etc. – Syndromes canalaires : canal carpien, tunnel tarsien, etc. – Neuropathies diabétiques – Douleurs postzostériennes – Plexite radique : radiothérapie pour cancer du sein, etc. – Neuropathies chimio-induites : sels de platine, etc. – Douleurs neuropathiques associées au cancer (par compression ou envahissement nerveux) – Neuropathie infectieuse : sida, syndrome de GuillainBarré, etc. – Neuropathies alcooliques

– Accident Vasculaire Cérébral (ischémique ou hémorragique) – Lésion médullaire traumatique – Sclérose en plaques

Rares

– Neuropathies dans le cadre des maladies de système ou de pathologies endocrinniennes : syndrome de GougerotSjögren, hypothyroïdie, etc. – Carences vitaminiques : vitamine B1, B12, etc. – Neuropathie médicamenteuse : isoniazide, disulfiram, amiodarone, etc. – Neuropathie toxique : organophosphorés, etc. – Maladies génétiques : maladie de Fabry, etc.

– Syringomyélie – Autre lésions médullaires (tumeurs, lésions vasculaires, etc.) – Lésions cérébrales (hors AVC)

s­ usceptible de provoquer par lésion nerveuse des douleurs neuro­pathiques pouvant survenir plusieurs jours à plusieurs semaines suivant l'acte chirurgical. Leur prévalence dépend du type de chirurgie (3 % pour la hernie inguinale, plus de 30 % pour les douleurs post-thoracotomie). Enfin, citons les radiculopathies, le plus souvent d'origine discale (sciatique, névralgie cervicobrachiales), souvent associées à des douleurs nociceptives. Ces douleurs sont probablement les douleurs neuropathiques les plus fréquentes dans la population générale.

Douleurs neuropathiques centrales ou douleurs centrales Elles résultent d'une lésion du SNC et peuvent être secondaires à une SEP (la douleur survient souvent après une poussée), à des lésions médullaires (lésions traumatiques, vasculaires ou tumorales, syringomyélie, myélopathie c­ ervico-arthrosique, etc.), ou encore à un AVC (ischémique ou hémorragique).

Traitement Spécificité du traitement des douleurs neuropathiques Les douleurs neuropathiques répondent mal aux antalgiques usuels. Contrairement aux douleurs nociceptives, le choix du traitement ne dépend pas de l'intensité des douleurs neuropathiques : c'est plutôt la physiopathologie de ces douleurs, suggérée par des symptômes et signes particuliers, qui oriente vers des traitements spécifiques. Ainsi, les médicaments ayant une efficacité sur les douleurs neuropathiques peuvent agir sur le système périphérique (réduction de l'excitabilité nerveuse périphérique par la lidocaïne) ou sur le SNC (action sur les systèmes de modulation de la douleur par les antidépresseurs, le tramadol et les opioïdes,

action sur la transmission du message douloureux au niveau médullaire pour les antiépileptiques gabapentinoïdes). La prise en charge médicamenteuse des douleurs neuropathiques s'appuie sur des recommandations fondées sur les preuves. À ce jour, six classes thérapeutiques disponibles en France ont démontré leur efficacité dans le traitement de la douleur neuropathique : les gabapentinoïdes (gabapentine et prégabaline), les antidépresseurs tricycliques (amitriptyline, clomipramine), les IRSNA (duloxétine, venlafaxine), la lidocaïne topique (emplâtres de lidocaïne à 5 %), la capsaïcine (patchs de haute concentration) et les opioïdes (sulfate de morphine, oxycodone, tramadol) (tableau 20.3) [12]. Cependant, seuls la prégabaline et les antidépresseurs tricycliques ont une AMM pour l'ensemble des douleurs neuropathiques. L'AMM de la gabapentine et des patchs de haute concentration de capsaïcine est limitée aux douleurs neuropathiques périphériques (à l'exclusion des neuropathies diabétiques, pour la capsaïcine), celle de la duloxétine, aux douleurs neuropathiques du diabétique, et celle des emplâtres de lidocaïne aux douleurs neuropathiques postzostériennes. La venlafaxine n'a pas d'AMM en analgésie. Les opiacés n'ont pas d'AMM spécifique pour les douleurs neuropathiques, mais une AMM pour les douleurs modérées à sévères (tramadol) ou pour les douleurs sévères, en particulier d'origine cancéreuse (morphine, oxycodone). Dans le contexte des douleurs neuropathiques périphériques localisées, on peut utiliser, en première intention et en association avec les traitements médicamenteux, la TENS, du fait de son excellente sécurité d'emploi et du faible nombre de contre-indications (existence d'un pacemaker, grossesse en cours) [13].

Recommandations thérapeutiques fondées sur les preuves En pratique, en première intention, on prescrit (figure 20.2) :

Chapitre 20. Douleurs neuropathiques   137

Douleur neuropathique (DN4 ≥ 4)

Antidépresseur tricyclique (25–150 mg/jour)1

Prégabaline (150–600 mg/jour)2

ou

ou

IRSNA (duloxétine) (60–120 mg/jour) si DPNP2

gabapentine (1 200–3 600 mg/j)3

Effet indésirable, Contre-indication ou inefficacité

Efficacité partielle (30 à 50 % de soulagement)

Traitement de second recours

Association4

Tramadol

Emplâtre de lidocaïne5

Capsaïcine

En cas de douleur neuropathique périphérique postzostérienne

1. Prudence en cas de dysurie, de constipation, de pathologie cardiovasculaire ou de troubles cognitifs. 2. À privilégier en cas d'anxiété ou de troubles du sommeil associés à la douleur. 3. Médicament remboursé dans la seule indication de douleur postzostérienne. 4. Associations recommandées : tricycliques ou IRSNA et gabapentine ou prégabaline, antidépresseurs ou antiépileptiques et emplâtres de lidocaïne. Association non recommandée : gabapentine et prégabaline. 5. À privilégier en première intention si le sujet est âgé ou en cas d'intolérance aux traitements oraux ou d'allodynie au frottement.

Figure 20.2 Algorithme thérapeutique de première et seconde intention des douleurs neuropathiques.

■ un gabapentinoïde : prégabaline ou gabapentine ; ■ ou un antidépresseur : tricyclique ou inhibiteur mixte de recapture de la sérotonine et de la noradrénaline, tel Cymbalta®, en particulier en cas de douleur neuro­ pathique diabétique. Le choix de la classe thérapeutique dépendra de l'évaluation bénéfice-risque et des comorbidités  : un patient anxieux pourra, par exemple, bénéficier d'un traitement par gabapentinoïdes, alors qu'un patient déprimé bénéficiera d'un traitement par antidépresseur (tableau 20.3). En cas d'inefficacité du traitement (efficacité de moins de 30 % sur la douleur pour un traitement bien pris et à dose suffisante) ou en cas d'effets indésirables majeurs, on changera de classe médicamenteuse. Si l'efficacité est insuffisante, on associera deux classes (par exemple gabapentine et amitriptyline). En seconde intention, on pourra proposer du tramadol. La prudence est de mise en cas d'association avec un IRSNA : il y a en effet un risque de syndrome sérotoninergique. Si la douleur est périphérique, la lidocaïne en patch (Versatis®) ou les patchs de haute concentration de capsaïcine (Qutenza®) peuvent être proposés, en structure spécialisée (hôpital de jour) pour ces derniers. En fonction du terrain ou du

contexte (personne âgée, insuffisance rénale, etc.), les emplâtres de lidocaïne peuvent être prescrits en première intention. En troisième intention, on proposera un traitement par opioïdes forts, avec toutes les précautions d'emplois relatives à cette prescription. L'instauration d'un tel traitement ne peut s'envisager qu'une fois effectuées une évaluation et une prise en charge psychologique, sociale et physique (réadaptation). Il est recommandé de faire appel à un avis spécialisé lorsque la douleur ne répond pas à une dose d'équivalent morphinique de 120 mg. Enfin, en cas de douleur neuropathique réfractaire à ces traitements, il est nécessaire d'orienter le patient vers une prise en charge spécifique pour envisager d'autres gestes thérapeutiques très spécialisées (injection de toxine botulinique, neurostimulation, etc.).

Règles de bonne prescription (tableau 20.4) L'ETP du patient est indispensable dès l'introduction du traitement. Il faut expliquer que la prescription repose avant tout sur les propriétés antalgiques neuropathiques de ces molécules, indépendantes de leur effet thymoanaleptique ou

AMM

Mécanismes principaux d'action

Principaux effets indésirables

Précaution d'emploi

Autres bénéfices

Dose initiale Titration (dose maximale) et dose moyenne

Inhibition de la recapture des monoamines, effets anticholinergiques, blocage des canaux sodiques, action sur les récepteurs β2

Somnolence, effets anticholinergiques, prise de poids, troubles de la conduction, confusion

Pathologie cardiaque (ECG), glaucome, adénome prostatique, épilepsie, utilisation de tramadol

– Amélioration de la dépression (doses minimales : 75 mg/j) – Effet sédatif (amitriptyline) – Effet antipanique (clomipramine)

– 10–25 mg le soir (150 mg par jour) – Dose moyenne efficace : 75 mg/j

Augmentation de 10–25 mg tous les 3–7 jours jusqu'à efficacité ou effets indésirables

Traitement de la douleur neuropathique diabétique périphérique

Inhibition de la recapture de la sérotonine et de la norépinéphrine

Nausées, vomissements, sécheresse de la bouche

Pathologie hépatique, hypertension, utilisation de tramadol

Amélioration de la dépression et de l'anxiété généralisée, amélioration du sommeil

– 30 mg par jour (120 mg en 2 prises) – Dose moyenne efficace : 60 mg/j

Débuter à 30 mg par jour et augmenter de 30 mg à l'issue d'une semaine

Gapabentine (Neurontin® et génériques)

Traitement des douleurs neuropathiques périphériques telles que la neuropathie diabétique et la névralgie postzostérienne chez l'adulte

Action sur la sousunité α2δ des canaux calciques, effets sur la sensibilisation centrale

Somnolence, vertiges, œdèmes périphériques et prise de poids

Réduire les doses en cas d'insuffisance rénale

Amélioration de l'anxiété généralisée et du sommeil, aucune interaction médicamenteuse

– 100–300 mg x 3/jour (1 200 mg x 3/jour – Dose moyenne de 1 800 mg/jour

Augmentation de 100–300 mg x 3/jour tous les 3–7 jours, selon la tolérance

Prégabaline (Lyrica®)

Traitement des douleurs neuropathiques centrales et périphériques de l'adulte

Action sur la sousunité α2δ des canaux calciques, effets sur la sensibilisation centrale

Somnolence, vertiges, œdèmes périphériques et prise de poids

Réduire les doses en cas d'insuffisance rénale

Amélioration de l'anxiété généralisée et du sommeil, aucune interaction médicamenteuse

– 25–75 mg par jour (300 mg x 2/jour) – Dose moyenne de 300 mg/j

Augmentation de 75 mg/jour tous les 3–7 jours, selon la tolérance

Traitement de première intention Antidépresseurs tricycliques Amitriptyline (Laroxyl®, Elavil® et génériques), clomipramine (Anafranil® et génériques), imipramine (Tofranil®)

Douleurs neuropathiques périphériques de l'adulte (amitriptyline), douleurs neuropathiques de l'adulte (clomipramine et imipramine)

Antidépresseurs IRSNA Duloxétine (Cymbalta®)

Agonistes α2δ

138   Partie 3. Pathologies douloureuses

Tableau 20.3 Mécanismes d'actions, doses, AMM, précaution d'emploi et effets indésirables des traitements pharmacologiques en première, deuxième ou troisième intention.

Traitements de deuxième intention Tramadol LP (Zamudol®, Contramal®, Topalgic®, Monotramal®, etc.), association tramadolparacétamol (Ixprim®, Zaldiar®, etc.)

Douleurs modérées à sévères (en première intention en cas de crise douloureuse ou de douleur inflammatoire prédominante)

Effet opioïde par fixation sur les récepteurs μ, effet monoaminergique central par inhibition du recapture de la noradrénaline et de la sérotonine

Vertige, nausées et vomissements, constipation, somnolence, céphalées, sécheresse de la bouche, dysurie, clairance de la créatinine  6 mois) – Réévaluation de la tolérance et de l'efficacité à la fin de la titration, puis de façon régulière – Réduction progressive possible des posologies au bout de 6 à 8 mois d'un traitement efficace à dose stable

Prise en charge des troubles associés – Traitement spécifique de l'anxiété, de la dépression ou des troubles du sommeil si le traitement des douleurs est insuffisant ou si ces troubles associés sont jugés suffisamment intenses – Traitement des autres types de douleurs souvent associées aux douleurs neuropathiques, selon l'étiologie Source : d'après [16].

a­ ntiépileptique. On doit aussi expliquer qu'une titration est indispensable (ainsi qu'une décroissance progressive en cas d'arrêt du traitement), que les effets indésirables sont pour la plupart temporaires et ne doivent pas motiver un arrêt du traitement sans qu'il en ait été discuté avec le médecin. Enfin, il faut informer que l'effet antalgique n'apparaît qu'après quelques semaines d'administration quotidienne, systématique et à bonne posologie pour les traitements par voie systémique, et que l'efficacité de ces traitements est partielle. Pour accompagner la prise en charge, un suivi régulier du patient est nécessaire (à 1 mois, puis tous les 3 à 6 mois) et doit se coordonner avec une prise en charge multimodale associant des techniques non médicamenteuses (acupuncture, relaxation, hypnose, etc.) et, éventuellement, un accompagnement psychologique (TCC, verbalisation, EMDR, etc.).

Traitements non recommandés en médecine de ville Le clonazépam (Rivotril®) n'a jamais fait la preuve de son efficacité et n'a pas d'indication dans le traitement de la douleur neuropathique. De nombreux autres antiépileptiques n'ont pas fait la preuve de leur efficacité ou ont des résultats discordants et ne sont pas recommandés à ce jour [14].

Conclusion La douleur neuropathique, qui concerne un quart des patients souffrant de douleur chronique, présente des spécificités diagnostiques (outil de dépistage) mais aussi thérapeutiques, que sa prise en charge exige de connaître [15]. Nombre de ces traitements peuvent être instaurés en médecine ambulatoire, en suivant les recommandations

fondées sur des preuves. Cette prise en charge s'accompagne nécessairement d'une ETP du patient quant aux possibilités thérapeutiques, aux modalités d'utilisation des traitements et aux bénéfices attendus. Le traitement de la douleur neuro­pathique doit être complété par la prise en charge des symptômes associés tels que les troubles de l'humeur ou les troubles du sommeil, fréquemment rencontrés dans ce type de douleur, mais aussi bien entendu d'un traitement étiologique lorsque cela s'avère possible [16].

Références [1] Bouhassira D, Lantéri-Minet M, Attal N, Laurent B, Touboul C. Prevalence of chronic pain with neuropathic characteristics in the general population. Pain 2008 ; 136 : 380–7. [2] Campbell JN, Cruccu G, Dostrovsky JO, Griffin JW, Treede RD, Jensen TS, et al. Neuropathic pain : redefinition and a grading system for clinical and research purposes. Neurology 2008 ; 70 : 1630–5. [3] Attal N, Lanteri-Minet M, Laurent B, Fermanian J, Bouhassira D. The specific disease burden of neuropathic pain : results of a French nationwide survey. Pain 2011 ; 152 : 2836–43. [4] Attal N, Fermanian C, Fermanian J, Lanteri-Minet M, Alchaar H, Bouhassira D. Neuropathic pain : are there distinct sub- types depending on the aetiology or anatomical lesion ? Pain 2008 ; 138 : 343–53. [5] Attal N, Backonja MM, Baron R, Bennett MI, Bouhassira D, Freynhagen R, et al. Using screening tools to identify neuropathic pain. Pain 2007 ; 127 : 199–203. [6] Bogduk N, Merskey H, editors. Classification of Chronic Pain Descriptions of Chronic Pain Syndromes and Definitions of Pain Term. Seattle, Wash : IASP Press ; 1994. [7] Attal N, Bouhassira D. Stratégies d'évaluation des douleurs neuro­ pathiques. In  : Neurologie. Paris  : Elsevier Masson SAS ; 2010. 17-035-A-68. [8] Alchaar H, Attal N, Bouhassira D, Boureau F, Brochet B, Bruxelle J, et al. TO19 - Développement et validation d'un outil d'aide au diag­ nostic des douleurs neuropathiques. Pain 2004 ; 114 : 29–36. [9] Cruccu G, Sommer C, Anand P, Attal N, Baron R, Garcia-Larrea L, et al. EFNS guidelines on neuropathic pain assessment : revised 2009. Eur J Neurol 2010 ; 17 : 1010–8. [10] Haanpää M, Attal N, Backonja M, Baron R, Bennett M, Bouhassira D, et al. NeuPSIG guidelines on neuropathic pain assessment. Pain 2011 ; 152 : 14–27. [11] Koltzenburg M, McMahon S, editors. Wall and Melzack's Textbook of Pain. Edimbourg : Churchill-Livingstone ; 2005. [12] Finnerup NB, Attal N, Haroutounian S, McNicol E, Baron R, Dworkin RH, et al. Pharmacotherapy for neuropathic pain in adults : a systematic review and meta-analysis. Lancet Neurol 2015 ; 14 : 162–73. [13] Kılınç M, Livanelioğlu A, Yıldırım SA, Tan E. Effects of transcutaneous electrical nerve stimulation in patients with peripheral and central neuropathic pain. J Rehabil Med 2014 ; 46 : 454–60. [14] Cruccu G, Gronseth G, Alksne J, Argoff C, Brainin M, Burchiel K, et al. AAN-EFNS guidelines on trigeminal neuralgia management. Eur J Neurol 2008 ; 15 : 1013–28. [15] Attal N, Bouhassira D. Douleurs neuropathiques. Paris : Arnette ; 2011. [16] Martinez V, Attal N, Bouhassira D, Lantéri-Minet M. pour la Société française d'étude et de traitement de la douleur. Les douleurs neuropathiques chroniques : diagnostic, évaluation et traitement en médecine ambulatoire, recommandations pour la pratique clinique de la Société française d'étude et de traitement de la douleur. Douleurs : évaluation, diagnostic, traitement 2018 ; 11 : 3–21.

Chapitre

21

Douleurs rachidiennes : de la cervicalgie à la lombosciatalgie Patrick Sichère  PLAN DU CHAPITRE Cervicalgies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Dorsalgie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

141 142

Cervicalgies, dorsalgies et lombalgies ne sont que des symptômes. Leur survenue oblige ainsi à rechercher un diagnostic étiologique et nécessitent d'éliminer une pathologie intercurrente, infectieuse, tumorale ou inflammatoire. Cependant, nous retenons pour ce chapitre les rachialgies dites « communes » en partant du principe qu'il s'agit en l'occurrence de décrire et d'évoquer le traitement des douleurs les plus fréquemment rencontrées en pratique courante.

Cervicalgies En préambule, rappelons quelques chiffres pour envisager la cervicalgie à travers sa fréquence et son retentissement de façon générale. Pour une fréquence estimée à 0,6 % de la population par an, les auteurs évaluent la guérison à 36,6 %, l'amélioration des symptômes à 32,7 %, leurs persistances à 37,3 % et leur aggravation à 9,9 %. La même étude compte un épisode par an chez 17,9 % des adultes, et à un moment de la vie chez 60 % de la population, avec un pic entre 30 et 45 ans [1]. Selon Fejer et al., cette pathologie douloureuse est une caractéristique féminine, puisque 9 femmes pour 1 homme seraient concernées [2]. Elles sont plus souvent victimes de coup de fouet cervical, de cervicalgies liées au travail et de céphalées cervicogéniques, dans un contexte de fibromyalgie. D'un point de vue physiologique, la douleur musculaire altérerait l'adaptation normale de l'activité du muscle trapèze chez la femme, constatations qui ne sont pas retrouvées chez l'homme.

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Lombalgie et lombosciatalgie . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

142 145

Cervicalgies persistant à distance d'un coup de fouet cervical ou « coup du lapin » [3–5] Le coup de fouet cervical, choc d'arrière en avant, déclenche des cervicalgies qui peuvent se chroniciser, et s'accompagner de céphalées dans plus 82 % des cas et de raideur cervicale. Il s'agit d'un véritable transfert d'énergie sur le cou par un mécanisme d'accélération-décélération dû à un choc en arrière ou latéral, lors d'un accident de la voie publique, ou, plus souvent, de plongée. Les examens complémentaires sont la plupart du temps sans anomalie notable et, de ce fait, le patient se voit souvent étiqueté « syndrome subjectif ».

Comment identifier la douleur ? À distance du traumatisme et de la douleur initiale, s'installe une douleur cervicale étagée associée à des céphalées postérieures, irradiant vers la région frontale ou dorsale haute. La douleur est une sensation de tension, de lancement, aggravée ou déclenchée par la mobilisation du cou, certaines positions et le stress. Elle s'accompagne d'une sensation de fatigue, peut avoir un retentissement sur le sommeil et modifier l'humeur. A contrario, les examens d'imagerie sont rassurants. Dans le cas de whiplash-associated disorders (coup du lapin), si séquelles il y a, les retentissements, d'ordre psychosocial, sont cliniques : il s'agit d'une limite de l'activité et d'une perturbation de la qualité de vie. Ces mêmes auteurs relèvent comme symptômes principaux, du plus fréquent au plus rare : des céphalées, une raideur cervicale, une épaule douloureuse, des lombalgies, une fatigabilité, des problèmes de concentration, une sensation de malaise, des nausées et une douleur du membre supérieur.

141

142   Partie 3. Pathologies douloureuses Selon certains auteurs, il existe des facteurs pronostiques précollision, qui sont l'intensité de la douleur, à l'origine d'une sensibilisation centrale, et les problèmes psychologiques. Selon d'autres, il y a des facteurs de mauvais pronostics en post-collision, comme le fait d'être une femme, un bas niveau d'éducation, une intensité élevée de la douleur initiale, un retentissement fonctionnel important, un niveau de somatisation tout aussi marqué et des troubles du sommeil.

lisée, exquise à la pression, une faiblesse et une limitation de la mobilité du muscle atteint, et des « bandes » palpables. L'interrogatoire retrouve souvent des antécédents de surmenage local aigu ou de douleur localisée. La palpation, la pression de la zone gâchette et la manœuvre du palper-rouler reproduisent la douleur. Une infiltration locale d'anesthésique ou une manipulation permettent une guérison locale et à distance. Des étirements, des exercices réguliers, la relaxation et l'ergonomie sont la meilleure prévention.

Quel est l'objectif du traitement ?

Lombalgie et lombosciatalgie

Le traitement a pour objectifs de rassurer le patient sur le bon pronostic, de lutter contre la sédentarité et la kinésiophobie et de modifier les croyances. Notamment, il est possible de préciser au patient que les examens complémentaires peuvent être normaux et, donc, ne pas prouver un éventuel étirement du plexus brachial. Une fois la période aiguë passée, il est inutile de porter un collier cervical. Traiter la douleur est une priorité. Elle est médicamenteuse antalgique et coantalgique. Les coantalgiques sont les antidépresseurs ou les anticonvulsivants. S'y associent l'aide du kinésithérapeute, des séances de relaxation ou d'hypnose, une prise en charge globale, en milieu spécialisé, de type cognitivo-­comportemental (TCC) en cas de résistance aux traitements, et il faut garder à l'esprit que la non-résolution du litige à propos de l'accident initial risque de mettre en échec toutes les thérapeutiques possibles. Rappelons que des auteurs ont démontré qu'une heure d'exercices, dont 30 minutes avec un kinésithérapeute, à faire à la maison était plus efficace que l'association collier et AINS.

Dorsalgie Même s'il n'est pas question de traiter ici du rhumatisme inflammatoire, rappelons que la survenue d'une dorsalgie chez un sujet jeune, le réveillant en deuxième partie de nuit, doit conduire à éliminer le diagnostic de spondylarthropathie : dans ce contexte, la douleur dorsale peut s'associer à une douleur thoracique. Mais revenons à la dorsalgie dite commune. Une douleur dorsale implique évidemment de rechercher s'il n'y a pas une pathologie cervicale à l'origine d'une douleur qui serait projetée : en effet, une douleur projetée, ou rapportée, ou encore référée, correspond à une dissociation topographique en raison d'influx douloureux générés sur le trajet des voies sensitives ; la douleur est alors ressentie dans une partie du champ périphérique drainé par les structures nerveuses.

Exemple de douleur référée : le dérangement intervertébral mineur [6] Le dérangement intervertébral mineur, aussi appelé syndrome cellulomyalgique, devrait être le premier diagnostic évoqué devant une douleur musculaire ou aponévrotique d'origine vertébrale. En fait, il s'agit d'une lésion pouvant siéger au niveau du segment mobile de Junghanns, constitué de la partie du rachis mobile, soit le disque, les articulations interapophysaires, des ligaments et des muscles. On en rapproche le syndrome myofascial, reconnaissable par une douleur loca-

On dit qu'avoir mal au dos est la maladie du siècle. Cela signifie-t-il que c'est inévitable ? Non, évidemment, puisque nous connaissons désormais les facteurs de lombalgie, comme ceux qui risquent d'entraîner le patient vers la chronicité. Les reconnaître impose de les prévenir ; encore faut-il les combattre dès que la lombalgie se présente. Cette lutte passe par l'interrogatoire, l'écoute du patient, l'évaluation de la douleur comme de son soulagement ou de la qualité de vie. Puis viennent des propositions thérapeutiques d'ordre non pharmacologique et pharmacologique.

Lombalgie aiguë ou subaiguë (moins de 3 mois d'évolution) La lombalgie est la douleur la plus répandue. On considère que 75 % de la population souffrent, ont souffert ou souffriront du dos. Mais ce sont les 5 à 10 % de lombalgiques chroniques qui seront les victimes du retentissement le plus important. L'objectif est donc de dépister les facteurs de risque et de les traiter à bon escient afin d'éviter la récidive et la chronicité. Du point de vue topographique, rappelons que l'on distingue deux types de lombalgie [7] : ■ dans la catégorie 1, les lombalgies ou dorsolombalgies sans irradiation au-delà du fessier et en l'absence de signe neurologique ; ■ dans la catégorie 2, les lombalgies avec irradiation aux membres inférieurs qui ne dépasse toutefois pas les genoux, sans signes neurologiques. Depuis la Paris Task Force, on peut distinguer les facteurs de risque de la lombalgie comme ceux de la lombalgie chronique (encadré 21.1) [8]. Cette distinction nous offre l'opportunité de mieux orienter nos traitements [9].

Facteurs de risque de lombalgie Outre l'âge, les facteurs de risque sont des images de discopathies radiologiques sévères, le travail de force comme le travail sédentaire, le tabagisme, l'alcoolisme et les soucis personnels. La taille du patient, les discopathies modérées et la scoliose inférieure à 80° ne sont pas des facteurs de risque de lombalgie. Sont encore objets de controverse le poids, les anomalies congénitales, le spondylolisthésis et une inégalité de longueur inférieure à 2,5 cm. Les facteurs de risque de chronicité sont l'âge supérieur à 45 ans, la longue durée de l'épisode actuel, des épisodes antérieurs de lombalgie, des antécédents d'hospitalisation ou d'arrêt de travail pour lombalgie, un grand handicap ­initial ou une irradiation douloureuse initiale sous le genou.

Chapitre 21. Douleurs rachidiennes : de la cervicalgie à la lombosciatalgie    143

Encadré 21.1 Lombalgie : résumé des alertes pronostiques Alertes jaunes (personne) Pensées – catastrophisme – fausses croyances sur l'état, la douleur et la nocivité – attentes négatives du futur ■ Sentiments – inquiétude, détresse, anxiété et dépression – peur du mouvement – incertitudes sur le futur ■ Comportement – Description de symptômes extrêmes – Stratégies de coping passives – Inefficacité répétée des traitements ■

Alertes bleues (travail) ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■

Charge physique de travail élevée Incapacité de modifier le travail Stress au travail Manque de support social Insatisfaction au travail Faible espoir de retour au travail Crainte d'une nouvelle blessure

Alertes noires (contexte) Incompréhension entre les divers acteurs (patient, employeur, médecin) ■ Compensation financière ■ Croyances de l'entourage ■ Isolement social ■ Politique de l'entreprise inadaptée ■ Retard dans les processus ■

Source : d'après Rozenberg et al. [8]

Anxiété et tendance à la somatisation relèvent de facteurs émotionnels auxquels s'ajoutent un comportement de peur et d'évitement, une situation familiale difficile, une insatisfaction au travail, un travail considéré comme stressant, un niveau faible de qualifications, des revendications médicolégales et, enfin, une mauvaise forme physique. La souffrance de la région lombaire relève de plusieurs éléments anatomiques susceptibles de réagir en même temps : le disque, avasculaire, acellulaire et riche en fibres nociceptives en sa périphérie lorsqu'il est sain, l'ensemble qu'il forme avec la vertèbre constituée d'os sous-chondral, véritable articulation avec son appareil capsuloligamentaire et ses ligaments entourés de muscles. Le tout est innervé par des rameaux postérieurs qui se connectent les uns aux autres, d'un étage à l'autre, d'autant plus sensibles qu'une souffrance ressentie comme intense survient ou s'installe. L'interrogatoire comme l'examen clinique restent les éléments incontournables de la bonne compréhension des symptômes, conduisant ainsi à une adaptation thérapeutique correcte. Ils orientent les examens complémentaires, notamment pour éliminer un rhumatisme infectieux ou inflammatoire ou un processus tumoral.

Imagerie du rachis lombaire [10] La découverte d'un nombre important d'anomalies vertébrales, discales ou des articulaires postérieures chez des sujets indemnes de lombalgie a permis de conclure que ces images a priori pathologiques découvertes au cours des douleurs lombaires pouvaient tout à fait être une coïncidence. Seuls des éléments de présomption pourront être avancés, tout en gardant à l'esprit l'extrême banalité des remaniements dégénératifs du rachis lombaire qui restent somme toute souvent asymptomatiques. L'IRM a permis des avancées diagnostiques importantes. En effet, par sa capacité à visualiser l'œdème osseux vertébral elle permet d'identifier les discopathies en poussée inflammatoire, fréquemment responsables de lombalgies. Gardons à l'esprit qu'un des objectifs majeurs pour le radiologue est de tenter d'identifier une cause grave de lombalgie, qu'il s'agisse d'une pathologie tumorale, infectieuse ou encore d'un tassement vertébral.

Exemple des discopathies mécaniques Les discopathies mécaniques sont souvent sources de lombalgies. Le débord discal est global et circonférentiel, avec, parfois, un vide discal. En règle générale, une discopathie dégénérative n'entraîne pas de conflit discoradiculaire, sauf si le disque vient occuper les gouttières radiculaires, qui sont des espaces étroits et rigides, sans échappatoire possible pour la racine nerveuse. Selon certains, la notion d'instabilité joue un rôle important dans la souffrance lombaire [11]. La classification établie par Pfirmann (tableau 21.1) permet d'attribuer un grade, en IRM, à la dégénérescence discale lombaire, sur les séquences sagittales pondérées en T2. Le grade 1 correspond au disque normal et le grade 5 au collapsus discal [12].

Traitements Nous l'avons vu en préambule, ils relèvent de la prise en charge non médicamenteuse comme médicamenteuse, les deux options étant complémentaires et à proposer souvent en même temps.

Le repos En cas de lombalgie aiguë, le repos au lit ne doit pas être prescrit ; il peut être seulement autorisé si l'intensité des douleurs le nécessite. Le repos doit être le plus court possible, et ne pas dépasser cinq jours, un minimum d'activités devant être maintenu. Il a été démontré qu'un repos excédant huit jours non seulement n'était pas bénéfique, mais risquait d'entraîner une évolution vers la chronicité.

Traitements non médicamenteux [10] Ils sont nombreux et souvent complémentaires. L'échec d'une technique de rééducation n'en contre-indique pas une autre. L'essentiel est de respecter la règle de la non-douleur et l'adaptation du praticien au patient. Nous ne décrirons pas ici le détail des techniques dites TCC, qui ont leur place en cas de persistance des douleurs au-delà de trois mois. Elles sont traitées dans un autre chapitre. Cures thermales, balnéothérapie, TENS, notamment en cas d'association avec une douleur neuropathique, ou encore activité physique

144   Partie 3. Pathologies douloureuses Tableau 21.1 Classification de Pfirrmann : la dégénérescence discale en IRM. Grade

Structure discale

Distinction nucleus/ annulus

Signal en T2

Hauteur du disque

Grade 1

Homogène, blanc

Nette

Hyperintense

Normale

Grade 2

Hétérogène ± bande grise Nette

Hyperintense

Normale

Grade 3

Hétérogène , gris

Floue

Intermédiaire

Normale à peu diminuée

Grade 4

Hétérogène, gris à noir

Absente

Intermédiaire à hypo-intense

Normale à modérément diminuée

Grade 5

Homogène, noir

Absente

Hypo-intense

Collapsus discal

Source : Pfirrmann et al. 2001 [12].

régulière, comme la marche nordique, sont des propositions thérapeutiques aux effets bénéfiques tout à fait démontrés. L'important étant de convaincre le patient de maintenir ces solutions sur une longue durée.

Ergonomie En milieu professionnel, à la maison comme à l'école, l'adaptation du mobilier de travail est indispensable. Il peut s'agir de tables et de sièges ergonomiques, qui ont en plus fait la preuve d'un meilleur rendement quand ils étaient proposés. N'oublions pas d'adapter aussi les activités, de les fragmenter comme de les diversifier. Quant au cartable il est conseillé qu'il ne dépasse pas 10 % du poids du corps. Mais il a été démontré que des écoliers qui se rendaient à pied à leur école souffraient moins du dos que ceux que l'on déposait en voiture. Maintenir une activité physique régulière est une règle d'or, quel que soit l'âge.

Traitements médicamenteux par voie générale Cette prescription doit tenir compte de l'âge, des antécédents médicaux du patient, des données de l'examen clinique et du contexte social et professionnel. L'objectif est de traiter la douleur, l'inflammation et la contracture musculaire. On pourra donc s'aider en cas de lombalgie aiguë d'antalgiques et d'AINS.

Antalgiques Priorité est donnée aux antalgiques non opioïdes. Il est important que le patient prenne son traitement à horaire fixe, avec éventuellement une dose de secours. Selon l'intensité de la douleur, il sera prescrit des antalgiques opioïdes faibles ou forts. L'évaluation de la douleur est donc un préalable indispensable à une prescription adaptée.

Anti-inflammatoires non stéroïdiens et stéroïdiens Une lombalgie aiguë est souvent déclenchée par des mécanismes inflammatoires justifiant la prescription d'AINS à dose efficace pendant un temps suffisant, en respectant les précautions d'usage. Ce traitement ne doit pas être poursuivi au-delà d'une à deux semaines sans une réévaluation clinique.

Que dire des myorelaxants ? Soyons clairs, à l'heure actuelle, aucun médicament étiqueté myorelaxant n'a apporté une preuve décontracturante. Qu'ils appartiennent à l'une ou l'autre des deux catégories

connues comme telles, les benzodiazépines et les thiocolchicosides, leur prescription n'est donc pas recommandée. Quand bien même ils seraient proposés, leur prescription ne doit pas dépasser 15 jours. L ' a ss o c i at i on ant a l g i qu e - ant i - i n f l am m atoi re -­ myorelaxant n'a pas fait l'objet d'aucune étude rigoureuse et reste donc hypothétique. Même si, selon certains auteurs, 90 à 95 % des lombalgies aiguës guérissent en moins de huit semaines, selon d'autres, la douleur persiste à six mois chez 76 % des patients atteints et à 12 mois pour 72 % d'entre eux. La lombalgie entraîne une incapacité fonctionnelle chez 14 % des malades à 6 mois et 12 mois. Les chiffres diffèrent donc selon que l'on s'intéresse à la douleur ou à l'incapacité fonctionnelle. Cependant, les auteurs insistent sur l'importance d'un traitement correct et adapté dès le premier épisode, pour éviter notamment la récidive.

En cas de lombalgie persistante [13–24] Comme pour toute douleur chronique d'ordre rhumatologique le traitement fait appel en priorité aux traitements non médicamenteux. Les médicaments seront prescrits pour diminuer l'intensité de la douleur relevant du cercle vicieux douleur-contracture-sédentarité, sinon kinésiophobie, afin de permettre à la prise en charge globale de type TCC d'être efficace. N'oublions pas qu'obtenir un sommeil réparateur est une des clés de l'amélioration de l'état du patient.

ETP Nous avons noté plus haut que plus la lombalgie persiste, plus ses mécanismes sont multiples et, donc, relèvent de traitements complémentaires, à prescrire souvent durant une même période. Ces thérapeutiques répondent donc au concept bio-­ psychosocial évoqué plus haut et nécessitent, avant d'être proposées, une formation spécifique à dispenser aux soignants qui s'intéressent à la prise en charge de la lombalgie, tant nous sommes encombrés de croyances et d'aprioris à ce sujet. Rappelons, par exemple, que si nous sommes dans un contexte de douleur chronique, il n'y a pas urgence à se précipiter, ni à révéler dès la première consultation les différentes cartes que nous connaissons pour gagner la partie. Un tel excès de zèle risque de nous mettre en échec, le patient attendant toujours le traitement à suivre. En pratique, il est courant de répondre au patient qui demande les délais d'obtention d'un résultat significatif : six mois, à condition qu'il participe pleinement à sa prise en charge. Ce délai permet notamment

Chapitre 21. Douleurs rachidiennes : de la cervicalgie à la lombosciatalgie    145 de faire une sorte d'état des lieux, ce qui témoigne de nouveau de l'intérêt qu'a le rhumatologue à faire appel à d'autres praticiens complémentaires, comme l'ergothérapeute, le psychologue ou le psychiatre, tout en restant le praticien expert auquel le patient reste fidèle pendant cette longue prise en charge. Prend tout son sens ici la notion d'ETP. Cependant, les évaluations de l'ETP sont encore souvent partielles ou en cours de publications. Mais les résultats sont encourageants, qui témoignent d'un effet favorable sur la modification du comportement des patients et leur satisfaction.

Thérapies cognitivocomportementales Dans un supplément récent de La Revue du Rhumatisme, F. Laroche et L. Jammet rappellent l'intérêt des TCC dont l'efficacité est démontrée chez les patients atteints de lombalgie chronique. Ces techniques tiennent tant compte des mécanismes classiques de la lombalgie que de la part psychosociale qui s'y ajoute, grâce à une prise en charge multidisciplinaire. Des séances de relaxation ou d'hypnose complètent une prise en charge qui consiste à corriger les croyances, à modifier les comportements, à dédramatiser les peurs qui conduisent à la kinésiophobie et à tenir compte des facteurs aggravants, comme la dépression, l'anxiété et le catastrophisme. On pourra également s'aider de techniques dont l'évaluation est en cours, mais qui sont de mieux en mieux connues, comme le traitement par la pleine conscience, l'art-thérapie ou la musicothérapie.

Programmes d'exercices, école du dos et programme de restauration fonctionnelle Donskoff apporte quelques précisions quant à ces trois techniques. La première se résume en programmes d'exercices favorisant le réentraînement et le développement corporel. Mais les bienfaits sont difficiles à évaluer, les programmes variant d'une équipe à l'autre, même si l'objectif commun est de réduire l'intensité de la douleur et l'incapacité qui en résulte. L'école du dos, deuxième proposition thérapeutique, est l'école des programmes éducatifs pour encourager le patient à se prendre en charge. Y règne une importante disparité quant aux modalités de prise en charge et de jugement. On retiendra que l'efficacité est plus importante chez les patients jeunes, ayant déjà une activité physique régulière. Quant à la troisième technique, proposée par l'équipe menée par Donskoff, elle repose sur la notion de restauration fonctionnelle : il s'agit de favoriser le reconditionnement physique en associant une réhabilitation sociale et professionnelle. Quoi qu'il en soit, il faut toujours encourager les « activités physiques adaptées », termes préférables à ceux de « reconditionnement à l'effort ». Concernant d'autres traitements, plusieurs recommandations publiées permettent désormais de faire le tri parmi certaines les méthodes. La kinésithérapie a démontré son efficacité, mais aucune méthode n'est supérieure à une autre. Ainsi, l'échec d'une série de séances ne doit pas empêcher de tenter une autre série relevant d'une autre technique. A contrario, les tractions vertébrales ne sont plus reconnues comme efficaces dans le traitement de la lombalgie. L'acupuncture et les manipulations, elles, demandent encore de plus amples études pour apporter la preuve de leur efficacité.

Traitements médicamenteux par voie locale Il s'agit de proposer une infiltration épidurale, ou dans les articulaires postérieures ou encore dans une zone gâchette à l'origine d'une douleur ressentie à distance (douleur référée). Ces traitements relèvent en général du spécialiste.

Lombalgies et ostéoporose [25, 26] Une fracture vertébrale (le mot « tassement » prête à confusion) peut être à l'origine d'une douleur intense, en moyenne cotée à 80 sur 100 sur l'EVA. Cette intensité impose donc un traitement morphinique adapté à l'âge du patient. Chez le patient âgé, l'objectif est de soulager rapidement afin d'obtenir une verticalisation rapide, car 30 % des décès surviennent dans l'année qui suit la fracture, en raison notamment de la perte d'autonomie et de la kinésiophobie. Le port de la ceinture lombaire est alors à conseiller. Les séquelles fonctionnelles surviennent chez un patient sur trois. Il s'agit de lombalgies chroniques, de troubles posturaux ou de chutes. Les lombalgies ralentissent la vitesse de déplacement et deviennent par elles-mêmes de véritables facteurs d'aggravation du risque ostéoporotique. Donc traiter les rachialgies équivaut à traiter l'ostéoporose.

La lombalgie comporte-elle une composante neuropathique ? Nous avons vu plus haut que la lombalgie de catégorie 2 se caractérise par une irradiation atteignant les membres inférieurs sans dépasser les genoux et sans signes neurologiques. Cette irradiation pose la question de l'existence d'une composante neuropathique, laquelle a été redéfinie récemment par l'IASP comme une douleur due à une lésion ou à une pathologie du système somatosensoriel. Il est évidemment intéressant de confirmer cette composante, au moins d'un point de vue thérapeutique. Elle expliquerait en effet l'échec des anti-inflammatoires ou des antalgiques simples, puisqu'elle fait appel à des mécanismes centraux. Quelles sont les données apportées par la littérature à propos de cette composante neuropathique, laquelle s'ajouterait ou se mêlerait à la composante nociceptive déjà connue ? La présentation faite par l'équipe menée par N. Attal au congrès de l'IASP de Montréal en 2010, publiée en 2011, est donc la bienvenue [27] : elle reprend le classement des lombalgies en 2  catégories mentionné ci-dessus, distinguant lombalgies et sciatiques, et analyse les plaintes de 132  patients ayant répondu au questionnaire DN4. La conclusion est que la douleur des patients souffrant d'une irradiation émanant d'une lombalgie isolée (catégorie 2) relève de mécanismes locaux n'impliquant pas un caractère neuropathique. Autrement dit, il faudrait qu'il y ait radiculalgie pour envisager cette composante.

Conclusion La lombalgie est donc plus que jamais une pathologie en évolution. Elle opère presque une sorte de synthèse des progrès dans la connaissance de la douleur en rhumatologie, mêlant composante périphérique et centrale, nociceptive et neuropathique et globalité de l'individu, aux soma et

146   Partie 3. Pathologies douloureuses ­ sychisme entremêlés. Cette évolution oblige soignants et p soignés à stimuler leur faculté d'adaptation. Reconnaître le rôle de la douleur de l'arthrose dans la lombalgie, l'aspect bio-psychosocial et l'éventuelle composante neuropathique relève bien de l'interrogatoire complété par l'examen clinique ; cette reconnaissance appartient donc au préalable au domaine de la clinique. Même si l'imagerie nous conforte dans une direction, les choix thérapeutiques n'en sont pas pour autant déduits. Quand on dit que la médecine est un art avant d'être une science, la douleur n'en est-elle pas la meilleure démonstration ?

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Chapitre

22

Douleurs ostéoarticulaires d'horaire inflammatoire Philippe Bertin  PLAN DU CHAPITRE Ce qu'il faut comprendre . . . . . . . . . . . . . . . . . Généralité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Arthrite microcristalline . . . . . . . . . . . . . . . . . .

147 147 148

Ce qu'il faut comprendre Les douleurs articulaires inflammatoires peuvent relever de multiples étiologies. De ce fait, il est indispensable d'avoir une approche clinique très approfondie permettant de cibler les examens complémentaires confirmant le diagnostic étiologique. Ce d'autant qu'un diagnostic étiologique précoce conditionne le pronostic de la pathologie.

Généralité Définitions [1] Les douleurs ostéoarticulaires d'horaire inflammatoire sont des douleurs touchant soit les articulations, soit le rachis, soit les deux : elles surviennent en deuxième partie de nuit, réveillent le patient, sont maximales le matin, s'accompagnant d'un enraidissement matinal qui nécessite un dérouillage de plus de 15 minutes ; elles s'améliorent lors de l'activité modérée. Ces douleurs s'accompagnent des signes cliniques de l'inflammation, à savoir une rougeur et une chaleur locales et un épanchement articulaire. Face à une symptomatologie de ce type, on se doit d'évoquer comme diagnostic étiologique une pathologie inflammatoire, une pathologie infectieuse ou une pathologie tumorale. Il est donc, dans ce contexte, indispensable d'évaluer tous les signes d'accompagnement locaux, régionaux ou généraux tels que la fièvre, une altération de l'état général, une porte d'entrée cutanée, des adénopathies, etc. Il est aussi essentiel de s'attacher à définir s'il s'agit d'une atteinte mono-, oligo-, ou polyarticulaire, s'il s'agit d'un atteinte exclusivement articulaire ou exclusivement rachidienne ou d'une atteinte associant des manifestations rachidiennes et articulaires. Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Arthrite infectieuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Polyarthrite d'une maladie auto-immune . . . . Spondyloarthrite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

149 149 150

Grands cadres étiologiques face aux douleurs ostéoarticulaires d'horaire inflammatoire Atteinte monoarticulaire Une douleur monoarticulaire d'horaire inflammatoire doit faire redouter une monoarthrite infectieuse du fait de la sévérité de cette pathologie tant sur le plan fonctionnel que général. Néanmoins, la plupart des monoarthrites sont des monoarthrites microcristallines telles que la chondrocalcinose ou la goutte. Il est donc nécessaire de rechercher les signes en faveur d'une pathologie infectieuse : recherche d'une porte d'entrée, d'un antécédent infectieux récent, d'une fièvre ou de frissons, d'une altération de l'état général, d'une adénopathie satellite ou d'un terrain favorisant les infections (diabète, immunodépression, etc.). À l'inverse, l'absence de ces signes, l'atteinte préférentielle de certaines articulations, notamment au gros orteil, l'âge du patient (les arthrites microcristallines sont très fréquentes chez les personnes âgées) sont autant d'arguments évocateurs d'une monoarthrite microcristalline. Dans tous les cas, au-delà d'un examen clinique minutieux et exhaustif, le diagnostic reposera sur l'analyse des résultats des examens complémentaires comprenant un bilan biologique (au minimum une NFS, les plaquettes, la VS, la CRP et une uricémie), un bilan radiographique de l'articulation concernée et au moins de l'articulation controlatérale et, surtout, une ponction articulaire permettant l'analyse cytologique, bactériologique et la recherche de microcristaux au sein du liquide synovial. C'est en effet l'analyse du liquide synovial qui permet de faire le diagnostic différentiel entre une arthrite infectieuse et une arthrite microcristalline. À noter que, de façon exceptionnelle, une monoarthrite inflammatoire peut être la porte d'entrée dans une maladie auto-immune débutant par une seule articulation. 147

148   Partie 3. Pathologies douloureuses

Atteinte oligoarticulaire Une douleur oligoarticulaire d'horaire inflammatoire peut être l'expression d'une pathologie microcristalline, d'une pathologie infectieuse sévère ou le début d'une maladie auto-immune.

Atteinte polyarticulaire Une douleur polyarticulaire d'horaire inflammatoire évoque avant tout une maladie auto-immune, la plus fréquente étant la polyarthrite rhumatoïde. Il peut s'agir aussi de manifestations inflammatoires d'autres maladies auto-immunes telles que le syndrome de Gougerot-Sjögren, le lupus, etc. Le diagnostic est orienté par la recherche de signes cliniques généraux évocateurs d'une pathologie auto-immune, et par l'analyse des examens complémentaires, avec une place prépondérante donnée au bilan immunologique et aux examens d'imagerie tels que les radiographies, les échographies et les IRM articulaires.

Atteinte rachidienne associée ou isolée Qu'il s'agisse de douleurs rachidiennes d'horaire inflammatoire isolées ou associées à des manifestations articulaires inflammatoires, l'hypothèse diagnostique la plus probable est celle d'une spondyloarthrite  : spondyloarthrite axiale ou enthésitique, ou périphérique ; radiographique ou non radiographique ; spondyloarthrite associée à une maladie digestive inflammatoire de type rectocolite hémorragique (RCH) ou maladie de Crohn, ou à un psoriasis cutané. Le diagnostic repose donc sur la symptomatologie clinique associant des manifestations inflammatoires rachidiennes ou articulaires ou enthésitiques (les plus caricaturales étant les talalgies, les sternalgies, les épicondylites, etc.), des signes d'imagerie, notamment des atteintes spécifiques au niveau rachidien ou sacro-iliaque, et le bilan biologique confirmant le syndrome inflammatoire (néanmoins inconstant) et l'appartenance éventuelle au groupe HLA-B27.

Arthrite microcristalline Goutte La goutte est liée à une hyperuricémie chronique s'accompagnant de dépôts de cristaux d'urate de sodium dans les articulations, les structures périarticulaires, les viscères et la peau. La forme classique est la crise monoarticulaire aiguë, mais il peut aussi résulter de la goutte des poussées aiguës oligoarticulaires, voire exceptionnellement polyarticulaires. La goutte peut aussi devenir chronique, et causer des accès récidivants d'arthrite aiguë, faisant progressivement le lit d'arthropathies chroniques. Il faut différencier les gouttes primitives des gouttes secondaires soit à une maladie identifiée, soit à certaines molécules tels que les diurétiques thiazidiques, le furosémide, l'aspirine à faible dose, la ciclosporine, certains antituberculeux et certains cytolytiques. Habituellement, la crise de goutte a un début brutal, le plus souvent nocturne, très rapidement progressif, générant

une douleur inflammatoire très intense et une impotence fonctionnelle majeure. Les articulations concernées sont surtout la métatarsophalangienne du gros orteil et les articulations des membres inférieurs. Les petites articulations des doigts peuvent aussi être touchées, le plus souvent chez les femmes âgées hypertendues recevant des diurétiques. Le diagnostic est essentiellement clinique. L'analyse du liquide synovial lorsqu'il est possible permet de mettre en évidence des cristaux d'urate de sodium. L'uricémie est le plus souvent élevée mais peut être normale au moment de la crise aiguë. L'excellente réponse à la colchicine et aux AINS fait partie des critères diagnostiques. Le traitement de la crise de goutte repose sur la colchicine : 1 mg à prendre le plus tôt possible suivi de 0,5 mg quatre heures plus tard, puis 1  mg par jour jusqu'à une semaine après la fin de la crise. À distance de la crise aiguë, il faut, dans la majorité des cas, instaurer un traitement hypo-uricémiant sans omettre de continuer à prévenir les crises de goutte avec 0,5 mg par jour de colchicine pendant les six premiers mois du traitement hypo-uricémiant.

Chondrocalcinose La chondrocalcinose, ou rhumatisme à pyrophosphate de calcium, est liée à des dépôts de cristaux de pyrophosphate de calcium en intra- ou périarticulaire. Les manifestations cliniques sont assez variées, allant des typiques accès aigus articulaires aux arthrites subaiguës ou chroniques et aux arthropathies chroniques dégénératives. L'accès douloureux aigu est le plus souvent monoarticulaire, et ressemble de très près à une crise de goutte. La chondrocalcinose était d'ailleurs autrefois nommée « pseudo-goutte ». Néanmoins la chondrocalcinose atteint les gens plus âgés et touche plus la femme que l'homme. Par ailleurs, elle se localise le plus souvent aux grosses articulations et, enfin, répond mieux aux AINS qu'à la colchicine. Les formes oligo- ou polyarticulaires chroniques, souvent symétriques et atteignant le plus fréquemment les poignets et les doigts, sont quelquefois confondues avec la polyarthrite rhumatoïde. Néanmoins, l'aspect radiographique et le bilan immunologique permettent de séparer habituellement ces deux affections. Les formes très chroniques peuvent prendre l'aspect d'une arthrose oligo- ou polyarticulaire : les radiographies montrent alors des signes d'arthrose et des dépôts de pyrophosphate de calcium. Le diagnostic est fait d'une part par la clinique et d'autre part par l'analyse du liquide synovial qui met en évidence les cristaux de pyrophosphate de calcium et les radiographies, montrant des signes assez caractéristiques de chondrocalcinose : un liseré opaque dans le cartilage hyalin, une opacité en motte dans les fibrocartilages ou un liseré calcique dessinant le contour d'un fibrocartilage. Il faut donc faire des radiographies des genoux, des poignets et du bassin, sur lesquelles il est habituel de voir les signes de chondrocalcinose. Les calcifications du ligament triangulaire du carpe au poignet sont, par exemple, une manifestation spécifique de la chondrocalcinose.

Chapitre 22. Douleurs ostéoarticulaires d'horaire inflammatoire    149 Le traitement des monoarthrites aiguës chondrocalcinosiques repose sur la prise d'AINS et, en cas de contre-indication, de colchicine, voire, dans les formes résistantes, sur une infiltration d'un dérivé corticoïde intra-articulaire.

Rhumatisme à hydroxyapatite Les manifestations en sont le plus souvent périarticulaires et, plus rarement, articulaires, liées au dépôt d'hydroxyapatite au sein des structures périarticulaires, voire intra-articulaire. La forme la plus classique est celle de la tendinopathie calcifiante de l'épaule, souvent nommée épaule hyperalgique. Les symptômes et les signes cliniques sont ceux d'un accès inflammatoire aigu d'origine microcristalline. La radiographie montre des signes spécifiques, avec une opacité de tonalité calcique bien arrondie et régulière. Le traitement est basé sur la prise d'AINS.

Arthrite infectieuse Des douleurs articulaires d'horaire inflammatoire doivent toujours faire craindre l'hypothèse d'une arthrite infectieuse, ce d'autant que la localisation est unique. Les arthrites infectieuses sont le plus souvent à germe pyogène, mais il peut aussi s'agir d'arthrites tuberculeuses ou gonococciques. La localisation la plus fréquente correspond aux membres inférieurs, et particulièrement aux genoux. Les formes monoarticulaires représentant 90 % des cas, les formes polyarticulaires restent donc assez rares. Les arthrites septiques surviennent souvent sur un terrain prédisposant (diabète, immunodépression, arthropathie mécanique sous-jacente, corticothérapie locale ou générale. Les arthrites infectieuses peuvent être iatrogènes, à la suite d'une chirurgie ou d'une infiltration intra-articulaire. Les manifestations cliniques sont celles d'une pathologie articulaire d'horaire inflammatoire accompagnées de signes généraux tels qu'une fièvre (dans un cas sur deux seulement), une altération de l'état général, un amaigrissement, des sueurs, des frissons et la mise en évidence d'une porte d'entrée infectieuse cutanée ou d'un foyer infectieux à distance. Le bilan biologique montre un syndrome inflammatoire et, la plupart du temps, une hyperleucocytose. Les radiographies sont normales au début, mais l'IRM peut montrer des signes précoces évocateurs d'une arthrite septique. Le diagnostic positif est fait sur les prélèvements bactériologiques avec hémocultures répétées et, surtout, sur une ponction articulaire permettant de mettre en évidence le plus souvent plus de 20 000 éléments par millimètre cube, et un germe à l'examen direct – et surtout en culture. Le traitement doit intervenir le plus rapidement possible, associant immobilisation de l'articulation concernée, traitement antalgique et traitement antibiotique adapté et suffisamment prolongé (au moins six semaines). La prise en charge nécessite un avis spécialisé.

Polyarthrite d'une maladie auto-immune Les douleurs polyarticulaires d'horaire inflammatoire sont très exceptionnellement d'origine microcristalline ou infectieuse, et évoquent donc en premier lieu une polyarthrite dans le cadre d'une maladie systémique ou maladie auto-immune, la plus fréquente étant la polyarthrite rhumatoïde. Néanmoins une polyarthrite peut révéler une maladie de Behçet, un syndrome de Gougerot-Sjögren, un lupus érythémateux, un syndrome SAPHO, une sclérodermie, etc. C'est l'association de signes cliniques évocateurs et d'un bilan biologique et immunologique compatibles, qui permet de faire le diagnostic de toutes ces maladies. L'uvéite est par exemple assez évocatrice d'une spondyloarthrite, d'une sarcoïdose, d'une RCH, d'une maladie de Crohn ou d'une maladie de Behçet. L'existence d'un érythème noueux oriente plutôt vers une arthrite réactionnelle, une sarcoïdose, une RCH, une maladie de Crohn ou une maladie de Behçet. Ce chapitre n'a pas pour objectif d'être exhaustif quant à cette problématique. De ce fait, seul les principales caractéristiques de la polyarthrite rhumatoïde sont détaillées ci-dessous. La polyarthrite rhumatoïde est une maladie autoimmune complexe, touchant cinq fois plus la femme que l'homme. Sa prévalence en France est de l'ordre de 0,3 %. Elle survient sur un terrain génétique de susceptibilité et est probablement déclenchée par des facteurs environnementaux (le rôle des infections et les facteurs hormonaux sont discutés, le rôle du tabac est souvent mis en avant. Le tableau clinique de la polyarthrite rhumatoïde est celui de douleurs d'horaire inflammatoire, polyarticulaires, fixes, distales, et symétriques. L'atteinte la plus classique est celle des mains et des pieds, respectant les articulations interphalangiennes distales, mais certaines formes sont à début rhizomélique ou asymétrique. Le diagnostic doit être fait le plus vite possible, car cela permet l'instauration rapide d'un traitement adapté, seul garant de l'évolution la plus favorable possible. Outre les symptômes cliniques, le diagnostic repose sur les signes radiographiques, surtout échographiques et IRM (beaucoup plus précoces que les signes radiographiques), et sur la biologie, avec la mise en évidence d'un syndrome inflammatoire et la présence de facteurs rhumatoïdes et d'anticorps antipeptides citrullinés (ACPA). Les critères diagnostiques de la polyarthrite rhumatoïde ont été redéfinis en 2010 selon le tableau 22.1 : celui-ci ne peut être appliqué que si l'algorithme de la figure 22.1 est satisfait. Lorsque le diagnostic est suspecté et, a fortiori, confirmé, il est indispensable d'avoir un avis spécialisé rhumatologique, sachant qu'il est clairement scientifiquement démontré que la précocité du traitement conditionne le pronostic fonctionnel à moyen et long terme. C'est à partir d'une évaluation objective clinique, biologique et d'imagerie que les choix thérapeutiques seront faits, avec pour objectifs d'améliorer la symptomatologie douloureuse au plus vite et de réduire le risque de destruction articulaire pour maintenir un pronostic fonctionnel favorable.

150   Partie 3. Pathologies douloureuses Tableau 22.1 Critères de classification de l'ACR/ EULAR 2010 pour la polyarthrite rhumatoïde. Atteinte articulaire (0–5) 1 grosse articulation

0

2–10 grosses articulations

1

1–3 petites articulations (grosses articulations non comptées)

2

4–10 petites articulations (grosses articulations non comptées)

3

Plus de 10 articulations (au moins 1 petite articulation)

5

Sérologie (0–3) FR négatif ET ACPA négatif

0

FR faiblement positif ou ACPA faiblement positif (1 à 3 fois la normale)

2

FR fortement positif (> 3 fois la normale) ou ACPA fortement positif (> 3 fois la normale)

3

Durée des symptômes (0–1)  6 semaines

1

Biologie inflammatoire (0–1) CRP normale et VS normale

0

CRP anormale et VS anormale

1

PR = score > 6

Spondyloarthrite Les spondyloarthrites (anciennement nommées spondylarthropathies) associent des manifestations douloureuses d'horaire inflammatoire du rachis et des articulations. Sous ce terme générique on retrouve les anciennes dénominations de spondylarthrite ankylosante, de rhumatisme psoriasique, d'arthrite réactionnelle, de manifestation articulaire des entéropathies inflammatoires chroniques, de SAPHO et de spondyloarthrite indifférenciée. Actuellement, il est préférable de parler de spondyloarthrite périphérique ou de spondyloarthrite axiale, avec ou sans signe radiographique. Le diagnostic doit être évoqué en fonction de la localisation des douleurs d'horaire inflammatoire, en cas de survenue des symptômes chez des sujets jeunes, âgés de moins de 45 ans, et d'observation de tous les signes mentionnés dans les critères de classification repris dans le tableau 22.2 et la figure 22.2. La forme clinique classique est celle de douleurs inflammatoires des régions fessières (traduisant l'atteinte sacroiliaque) chez un homme jeune, s'accompagnant de douleurs rachidiennes lombaires inflammatoires qui s'étendent secondairement au rachis dorsal et cervical. Tableau 22.2 Critères ASAS (Assessment of SpondyloArthritis international Society) de la spondyloarthrite périphérique. ⁎

Arthrite, enthésite ou dactylite

FR : facteur rhumatoïde ; ACPA : anticorps antipeptides citrullinés ; CRP : protéine C réactive ; VS : vitesse de sédimentation.

≥ 1 articulation gonflée

Non Ne peut être classé comme PR… pour l'instant

Oui Mieux expliqué par une autre pathologie Non

Au moins un, parmi

Ou

Ne peut être classé comme PR

Arthrite

Psoriasis

Enthésite

MICI

Dactylite

HLA-B27

Lombalgie inflammatoire

Sacro-iliite IRM

Antécédents familiaux de spondyloarthrite

Sujet de moins de 45 ans. Sensibilité : 75 % ; spécificité : 82 %. MICI : maladie inflammatoire chronique de l'intestin. Source : Rudwaleit M, van der Heijde D, Landewé R et al. The Assessment of SpondyloArthritis international Society classification criteria for peripheral spondyloarthritis and for spondyloarthritis in general. Annals of the Rheumatic Diseases 2011.

≥ 1 signe de SPA* + sacro-iliite**

Non

Oui

Utilisation des critères

PR

Au moins deux, parmi

Uvéite



Oui

Érosion caractéristique sur les radios standard

Plus

Figure  22.1 Algorithme à suivre pour pouvoir appliquer les nouveaux critères ACR/EULAR 2010 pour le diagnostic de polyarthrite rhumatoïde. ACR  : American College of Rheumatology ; EULAR  : European League Against Rheumatism ; PR  : polyarthrite rhumatoïde.

ou

HLA-B 27 + au moins deux autres signes de SPA* * Signes de spondyloarthropathie : rachialgie inflammatoire, arthrite, enthésite, uvéite, dactylite, psoriasis, maladie de Crohn, bonne réponse aux AINS, histoire familiale de spondyloarthrite, HLA-B27 et CRP augmentée ** Inflammation hautement compatible avec une sacro-iliite à l'IRM ou une sacro-iliite radiographique définie selon les critères de New York modifiés.

Figure  22.2 Critères de classification pour les spondyloarthrite axiales. Patients avec lombalgie ≥ à 3 mois et âge >F

H=F

H>F

H=F

H  3 et score sédation < 2 Après titration, lorsqu'EVA = 0–1 : relais antalgique, à adapter au cas par cas au niveau de la douleur PCA (pompe à morphine) Morphine i.v. L simple Si l'EVA remonte à 4 malgré le relais, reprise d'une titration et, selon le contexte, concertation avec équipe référente et médecin anesthésiste réanimateur Traitements associés Traitement étiologique de la crise + poursuite du traitement de fond habituel du patient Oxygénothérapie systématique à 2 à 3 L/min, quelle que soit la saturation Hydratation i.v. : correction de la déshydratation initiale, puis 2 L de NaCl 0,9 %/24 heures Contention veineuse + HBPM à dose préventive en l'absence de contre-indication Kinésithérapie incitative pour recrutement alvéolaire (Respiflow®) en prévention d'un syndrome thoracique aigu Existe-t-il à ce stade une indication d'hémodilution (saignée) ou de prise en charge transfusionnelle ? Analgésie multimodale Paracétamol (selon l'heure de la dernière prise) Néfopam (Acupan®) 20 mg en i.v.L sur 45 minutes, puis 60 à 120 mg par 24 heures au PSE AINS uniquement sur l'avis du médecin référent (néphroprotection) MEOPA (Kalinox®) 20 min/8 heures en cas de besoin ; maximum 1 heure par jour, 15 jours consécutifs Avis de l'anesthésiste (ALR ? Kétamine ? + avis de l'équipe mobile du centre de la douleur (douleur neuropathique surajoutée ?) Traitement de l’anxiété Hydroxyzine (Atarax®) 25 à 100 mg/24 heures (éviter les benzodiazépines) Neuroleptiques sédatifs (type cyamémazine 25 à 50 mg par prise, maximum 300 mg/jour) Hypnose Figure 30.1 Crise vaso-occlusive : proposition de prise en charge antalgique. ALR : anesthésie locorégionale ; HBPM : héparine de bas poids moléculaire. Source : d'après [4].

Titrer en morphine sans appréhension La titration morphinique i.v. constitue la prise en charge antalgique de référence, à mettre en œuvre dès que l'EVA est supérieure ou égale à 4. Les doses totales de morphine atteintes lors d'une titration efficace peuvent paraître massives, allant, d'après notre expérience, de 8 à 60 mg de morphine, selon les patients pour les formes hyperalgiques chez l'adulte : il est important de se référer aux

antériorités du patient si elles sont connues. Il n'y a pas de limite supérieure à cette titration si le score de sédation le permet et si le patient est en environnement sécurisé (salle de surveillance postinterventionnelle [SSPI], unité de soins continus [USC] ou réanimation). Dans certains cas, la posologie des bolus pourra être majorée. La perfusion continue d'opioïdes à posologie équivalente, selon les pratiques oncologiques usuelles, est inefficace et délétère. En cas d'effets indésirables ou d'inefficacité de la morphine, une titration avec de l'oxycodone pourra être réalisée.

208   Partie 3. Pathologies douloureuses Une antalgie insuffisante peut aboutir à une conduite pseudo-addictive. Les doses de morphine nécessaires ne doivent pas faire, à tort, suspecter une addiction. Les demandes abusives (recherche de morphiniques, tableaux psychiatriques) sont rares. Même en cas de doute, le délai nécessaire au diagnostic de SDM ne permet pas de reporter les premières titrations. Les antalgiques non opioïdes (paracétamol, néfopam) font partie de l'analgésie multimodale. L'usage des AINS n'est pas systématique dans un souci de néphroprotection : il est à discuter au cas par cas avec le référent devant un tableau réfractaire, en tenant compte du contexte infectieux. L'utilisation du MEOPA doit rester limitée à 1 heure par jour et pour une durée maximale de 15 jours consécutifs [18]. La dette de sommeil peut mimer une sédation quand le patient est soulagé. La surveillance en cas d'administration d'opioïdes doit respecter le sommeil (fréquence respiratoire, saturation pulsée en oxygène [SpO2]). Une prescription d'hydroxyzine ou d'amitriptyline (ECG) peut aider, à des fins anxiolytiques ou hypnotiques. Les benzodiazépines sont contre-indiquées, favorisant l'hypoventilation et l'évolution vers le STA. Les neuroleptiques sédatifs (type cyamémazine) peuvent être nécessaires. L'approche psychosociale peut aider à prendre en charge l'anxiété : ces tableaux engendrent des situations complexes (garde d'enfant, arrêt de l'activité professionnelle, inadaptation au poste de travail, etc.). Le recours aux équipes d'anesthésie-réanimation est justifié, hors menace vitale : ■ lorsque la titration ne peut être poursuivie en service conventionnel ; ■ pour une analgésie multimodale (anesthésie locorégionale ; l'usage de la kétamine peut être discuté précocement) ; ■ en cas d'indication à des traitements spécifiques (hémodilution, échange érythrocytaire manuel ou automatisé) ; ■ en cas de difficulté dans l'abord veineux ; ■ la prise en charge doit être multiprofessionnelle et multidisciplinaire. La coordination avec le spécialiste référent [19], les biologistes d'immunohématologie (Établissement français du sang [EFS]) et les unités de soins continus est capitale pour une prise en charge efficace, quel que soit le service d'accueil du patient.

Douleurs chroniques Les douleurs chroniques font partie intégrante du SDM. Leur prévalence est élevée chez ces patients dès l'enfance (10 %) ou l'adolescence (15 %). Elles atteignent 50 % à 65 % des cas [6, 16] à l'âge adulte, avec un aspect multidimensionnel. Les douleurs chroniques sont plurifactorielles et plurielles. Elles peuvent être liées à des complications spécifiques de l'hémoglobinopathie (ostéonécrose aseptique, remaniements rachidiens, ulcère de jambe, lésions neurologiques centrales). La composante neuropathique (sensibilisation centrale, hyperalgésie) reste sous-évaluée et sous-traitée. Une vasoocclusion a minima permanente peut conduire à un tableau de crise subintrante, participant à l'inconfort et à l'asthénie.

Ainsi, une partie des adultes atteints de SDM passe de la douleur aiguë récurrente à la douleur chronique. Les thérapeutiques médicamenteuses seront prescrites en fonction de l'intensité douloureuse et du mécanisme. Les opioïdes forts, proscrits à domicile pour la gestion de la CVO, peuvent être prescrits pour le traitement des complications chroniques hyperalgiques. Les approches non médicamenteuses (hypnose, méditation, activité physique, etc.) sont à privilégier [20]. L'insertion professionnelle est une priorité, une approche sociale est souvent nécessaire.

Conclusion Les SDM sont des tableaux graves et douloureux. Leur prise en charge présente des particularités qui doivent être connues des équipes. Le traitement antalgique prompt et efficace de chaque épisode est fondamental en situation aiguë : il fait partie intégrante du traitement de la CVO, et est susceptible de réduire l'impact chronique de cette pathologie invalidante. Le recours aux SSPI, aux USC et à la réanimation est parfois nécessaire, hors menace vitale, pour le mener à bien. En situation aiguë ou dans le cadre du suivi, la prise en charge est multidisciplinaire et multiprofessionnelle. La formation des soignants et l'ETP sont à développer.

Références [1] Lanzkron S, Carroll CP, Haywood Jr. C. Mortality rates and age at death from sickle cell disease : U.S., 1979–2005. Public Health Rep 2013 ; 128 : 110–6. [2] Gomes E, Castetbon K, Goulet V. Mortalité liée à la drépanocytose en France : âge de décès et causes associées (1979–2010). Bulletin épidémiologique hebdomadaire 2015 ; 8 : 142–50. [3] Herrick JB. Peculiar elongated and sickle-shaped red blood corpuscles in a case of severe anemia. 1910. Yale J Biol Med 2001 ; 74 : 179–84. [4] Habibi  A, Arlet  JB, Stankovic  K, Gellen-Dautremer  J, Ribeil  JA, ­Bartolucci P, et al. centre de référence maladies rares « syndromes drépanocytaires majeurs ». Recommandations françaises de prise en charge de la drépanocytose de l'adulte : actualisation 2015. Rev Med Interne 2015 ; 36 : 5S3–5S84. [5] Piel FB, Steinberg MH, Rees DC. Sickle Cell Disease. N Engl J Med 2017 ; 376 : 1561–73. [6] Taylor LE, Stotts NA, Humphreys J, Treadwell MJ, Miaskowski C. A review of the literature on the multiple dimensions of chronic pain in adults with sickle cell disease. J Pain Symptom Manage 2010 ; 40 : 416–35. [7] Berens JC, Jan S, Szalda D, Hanna CM. Young Adults With Chronic Illness : How Can We Improve Transitions to Adult Care ? Pediatrics 2017 ; 139–0410. [8] Arlet JB. Une nouvelle ère thérapeutique dans la drépanocytose. A new therapeutic era in sickle cell disease Rev Med Interne 2017 ; 38 : 569–71. [9] Ribeil JA, Hacein-Bey-Abina S, Payen E, Magnani A, Semeraro M, Magrin E, et al. Gene Therapy in a Patient with Sickle Cell Disease. N Engl J Med 2017 ; 376 : 848–55. [10] Steinberg MH, Barton F, Castro O, Pegelow CH, Ballas SK, Kutlar A, et al. Effect of hydroxyurea on mortality and morbidity in adult sickle cell anemia : risks and benefits up to 9 years of treatment. JAMA 2003 ; 289 : 1645–51. [11] Ballas  SK, Barton  FB, Waclawiw  MA, Swerdlow  P, Eckman  JR, ­Pegelow CH, et al. Hydroxyurea and sickle cell anemia : effect on quality of life. Health Qual Life Outcomes 2006 ; 4 : 59.

Chapitre 30. Douleur et drépanocytose    209 [12] Ataga KI, Kutlar A, Kanter J, Liles D, Cancado R, Friedrisch J, et al. ­Crizanlizumab in Sickle Cell Disease. N Engl J Med 2017 ; 376 : 429–39. [13] Niihara Y, Smith WR, Stark CW. A phase 3 trial of L-glutamine in sickle cell disease. N Engl J Med 2018 ; 379 : 226–35. [14] Mekontso Dessap  A, Leon  R, Habibi  A, Nzouakou  R, Roudot-­ Thoraval F, Adnot S, et al. Pulmonary hypertension and cor pulmonale during severe acute chest syndrome in sickle cell disease. Am J Respir Crit Care 2008 ; 177 : 646–53. [15] Cecchini J, Lionnet F, Djibré M, Parrot A, Stojanovic KS, Girot R, et al. Outcomes of adult patients with sickle cell disease admitted to the ICU : a case series. Crit Care Med 2014 ; 42 : 1629–39. [16] Dampier  C, Palermo  TM, Darbari  DS, Hassell  K, Smith  W, Zempsky W. AAPT Diagnostic criteria for chronic sickle cell disease pain. J Pain 2017 ; 18 : 490–8.

[17] Lovett PB, Sule HP, Lopez BL. Sickle Cell Disease in the Emergency Department. Hematol Oncol Clin North Am 2017 ; 31 : 1061–79. [18] Compte rendu de séance ANSM 17/11/2016 CT022016053  : Présentation des résultats du suivi national d'addictovigilance des médicaments contenant du MEOPA (mélange équimolaire protoxyde d'azote et oxygène), https://www.ansm.sante.fr/var/ ansm_site/storage/­original/application/e0ad6a37715f9e67252b49c91dd34fca.pdf. [19] Filière maladie rare  : MCGRE (Maladies Constitutionnelles du ­Globule Rouge et de l'Érythropoïèse), http://filiere-mcgre.fr. [20] Williams H, Tanabe P. Sickle Cell Disease : A Review of Nonpharmacological Approaches for pain. J Pain Symptom Manage 2016 ; 51 : 163–77.

Chapitre

31

Syndrome douloureux régional complexe Anne Bera-Louville, Véronique Barfety-Servignat



PLAN DU CHAPITRE Ce qu'il faut comprendre de la douleur . . . . . Clinique de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

211 211

Ce qu'il faut comprendre de la douleur Le syndrome douloureux régional complexe (SDRC) est un syndrome douloureux polymorphe articulaire et périarticulaire associé à des modifications variées de la sensibilité, des modifications vasomotrices, sudoromotrices, musculaires et trophiques. Il apparaît, en général, après un traumatisme, parfois mineur. La physiopathogénie, mal connue, suggère des modifications des systèmes somesthésiques, sympathiques et somatomoteurs. L'évolution n'est pas prévisible, souvent disproportionnée en temps et en intensité par rapport à l'éventuel traumatisme ou à la lésion déclenchante, la persistance des symptômes et de la douleur sont susceptibles d'avoir un impact important sur la fonction et la qualité de vie (20 à 30 % de douleurs persistantes au-delà d'un an). Cela explique les difficultés diagnostiques et thérapeutiques. Aujourd'hui, il existe un consensus pour utiliser les critères de Budapest pour le diagnostic de SDRC, ce qui permet d'uniformiser la pratique clinique quotidienne (encadré 31.1). Le SDRC est un diagnostic d'exclusion. La prise en charge réadaptative est proposée systématique­ ment et le plus tôt possible, avec pour objectif le maintien ou la restauration de la mobilité articulaire. Le traitement médicamenteux antalgique doit permettre de faciliter la prise en charge réadaptative et doit être adapté aux types de symptômes douloureux (douleur mécanique, nociceptive, neuropathique, etc.).

Clinique de la douleur Forme classique La cause la plus fréquente de SDRC est le traumatisme, du plus minime jusqu'à la fracture, avec un ratio femme/homme de 4/1. Il peut survenir lors d'une hémiplégie après un AVC. Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Traitement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

212

Encadré 31.1 Critères de Budapest 1. Douleur continue, disproportionnée par rapport à n'importe quel élément déclenchant ; 2. Présence, signalée par le patient, d'au moins un des symptômes dans au moins trois des quatre catégories suivantes ; a. troubles sensoriels : hyperalgésie et/ou allodynie, b. troubles vasomoteurs  : asymétrie thermique et/ou modifications de la couleur de la peau et/ou asymétrie de la coloration cutanée, c. troubles sudoromoteurs et œdème : œdème et/ou sudation modifié et/ou sudation asymétrique, d. troubles moteurs et trophiques : diminution de la mobilité et/ou troubles moteurs (faiblesse, tremblement, dystonie) et/ou troubles trophiques portant sur les poils, les ongles ou la peau ; 3. Présence, constatée à l'examen, au moment de l'évaluation, d'au moins un signe dans deux ou plus des catégories suivantes : a. Troubles sensoriels : hyperalgie (à la piqûre) ou allodynie (à l'effleurement léger ou à la pression somatique profonde), b. troubles vasomoteurs  : asymétrie thermique et/ou changements de la coloration cutanée et/ou asymétrie de la coloration cutanée, c. Troubles sudoromoteurs/œdème : œdème et/ou sudation modifiée ou sudation asymétrique, d. Troubles moteurs et trophiques : diminution de la mobilité́ ou troubles moteurs (faiblesse, tremblement, dystonie), ou encore troubles trophiques (cheveux, ongles, peau) ; 4. Les signes et symptômes ne sont pas expliqués par un autre diagnostic Source : d'après Harden RN, Bruel. S, Perez RDGM, et al. Validation of proposed diag­nostic criteria (the “Budapest criteria”) for complex regional pain syndrome. Pain. 2010 150 : 268–74.

211

212   Partie 3. Pathologies douloureuses Le pourcentage de SDRC idiopathiques, de 6 à 10 %, reste très inférieur à celui de SDRC secondaires, en particulier, postfracturaires, mais ils semblent présenter des caractéristiques cliniques identiques. Les douleurs, critère indispensable au diagnostic, sont souvent sévères et disproportionnées, favorisant la limitation fonctionnelle. On retrouve des douleurs mécaniques, des douleurs spontanées, permanentes, ou paroxystiques, des douleurs provoquées et des douleurs de type neuropathique.

Troubles sensoriels, sudoromoteurs, moteurs et trophiques Quatre catégories de troubles sont décrites : les troubles sensoriels sont variés (hypoesthésie thermique ou mécanique, allodynie, hyperalgésie ou hypoalgésie thermique, mécanique). Les modifications de la température cutanée de plus ou de moins de 1 °C, les modifications de la couleur de la peau (érythrocyanose), les troubles sudoromoteurs et les œdèmes sont fréquents. Les troubles moteurs et trophiques participent aux limitations fonctionnelles et à l'altération de la qualité de vie (faiblesse musculaire, limitation de l'amplitude du mouvement, bradykinésie, tremblements, diminution de la dextérité, dystonies). Ces catégories sont reprises dans les critères de Budapest. Le diagnostic clinique est posé si le patient signale au moins un symptôme dans au moins trois des quatre catégories et s'il est constaté à l'examen au moins un signe dans deux ou plus des catégories. Il faut rester attentif à certaines manifestations survenant après des traumatismes souvent banals et entraînant un surdiagnostic de SDRC (œdème, garrot, clenched fist-syndrome, ulcérations ou hématomes inexpliqués), ce qui fait suspecter un trouble factice motivant le recours à une évaluation pluriprofessionnelle.

Comment l'évaluer dans le contexte ? L'évaluation d'un SDRC a pour objectif de recueillir la plainte du patient le plus tôt possible, d'évaluer la douleur, son intensité et son retentissement, d'en réaliser le bilan étiologique et d'éliminer les diagnostics différentiels afin d'établir un programme thérapeutique. L'examen clinique recherche les signes positifs ou négatifs de la sensibilité, les signes vasomoteurs (température et coloration) et sudoromoteurs, l'œdème et les signes moteurs (amplitude articulaire, force motrice, tremblements, etc.). Il est nécessaire de prendre en compte tout facteur psychologique intervenant, au même titre que dans tout autre syndrome douloureux chronique : les facteurs de vulnérabilité qui interviennent dans la survenue et la chronicisation d'une douleur chronique, ainsi que toute autre condition psychologique (comme un trouble thymique) ou psychopathologique (trait de personnalité particulier intervenant dans la genèse ou l'entretien des symptômes douloureux). Le SDRC est un diagnostic clinique et un diagnostic d'exclusion.

Les examens morphologiques (radiographies, scanner, IRM et scintigraphie osseuse) ne sont nécessaires ni pour le diagnostic, ni pour le suivi de l'évolution d'un SDRC. Ils peuvent être normaux. Leur principal intérêt est de permettre d'éliminer les diagnostics différentiels. Ils sont utiles dans l'exploration des formes atypiques (IRM).

Formes frontières et diagnostics différentiels Les SDRC des membres supérieurs sont souvent appelés syndrome épaule-main. L'atteinte scapulaire est souvent confondue avec la capsulite rétractile. Les SDRC des membres inférieurs au cours de la grossesse, rares (moins de 200 cas dans la littérature), concernent essentiellement la hanche. Le SDRC I (algoneurodystrophie) et le SDCR II (causalgie) sont différenciés par l'absence ou la mise en évidence d'une lésion nerveuse. Anciennement, la description de trois phases, évoluant en fonction du temps, a été proposée : phase chaude, aiguë ; phase dystrophique, commençant entre trois et six mois ; phase atrophique, chronique. L'examen clinique, aidé si besoin par les examens complémentaires, va s'attacher à ne pas méconnaître une étiologie infectieuse, inflammatoire, fracturaire, dysimmunitaire, etc.

Drapeaux rouges La survenue d'un SDRC immédiatement après une opération, avec des signes vasomoteurs importants, doit faire éliminer une arthrite septique (syndrome inflammatoire, érosions, pincement articulaire et abcès). Un SDRC se bilatéralisant ou s'accompagnant d'une atteinte polyarticulaire doit faire éliminer un rhumatisme inflammatoire débutant (syndrome inflammatoire, anticorps anti-CCP, érosions ou synovites).

Traitement Rééducation fonctionnelle Elle est l'élément essentiel du traitement des SDRC. Elle doit être proposée systématiquement et le plus tôt possible chez tout patient souffrant de SDRC et présentant des limitations de mobilité articulaire et/ou une diminution d'utilisation du membre. Il doit être réalisé des exercices analytiques et fonctionnels variés, dont l'intensité est ajustée afin d'éviter d'aggraver les symptômes. La réadaptation fonctionnelle peut être réalisée par un kinésithérapeute de ville dans les situations où l'atteinte est légère à modérée. Elle doit être réalisée par une équipe multidisciplinaire (centre de réadaptation ou centre de la douleur) dans les situations les plus sévères (douleur, limitations fonctionnelles, détresse élevée, dystonie) ou lorsque les symptômes s'aggravent avec le temps. Un traitement antalgique adapté peut être nécessaire pour permettre la mobilisation.

Chapitre 31. Syndrome douloureux régional complexe    213 En association avec le traitement réadaptatif, on peut proposer un essai de thérapie par feedback visuel avec miroirs, ou par entraînement à la discrimination sensorielle, une thérapie d'exposition graduée aux activités perçues par le patient comme dangereuses, lorsque ce dernier présente un niveau élevé de peur et d'évitement. Lors de la prise en charge d'un traumatisme ou d'une douleur, l'immobilisation du membre doit être limitée autant que possible.

Traitements médicamenteux Le traitement médicamenteux doit être adapté au type de symptômes douloureux : douleur mécanique, nociceptive, neuropathique, diurne, nocturne, etc. Il doit accompagner et faciliter la réadaptation fonctionnelle, aider la gestion de la douleur et améliorer la qualité de vie. Les AINS, les corticoïdes et la calcitonine n'ont pas d'utilité. Les opioïdes majeurs ne doivent pas être utilisés. Le paracétamol et les opioïdes faibles peuvent être proposés dans les SDRC afin de faciliter la prise en charge rééducative. Il est nécessaire de réévaluer régulièrement l'efficacité, la tolérance et l'éventuel mésusage de ces traitements. Les antidépresseurs tricycliques, les antiépileptiques, les SRNI peuvent être prescrits quand il existe des troubles sensitifs tels qu'une allodynie, une hyperalgésie, des signes neurologiques négatifs ou positifs, afin de faciliter la prise en charge rééducative. En l'absence d'une amélioration suffisante, en particulier pour faciliter la rééducation, quand le SDRC évolue depuis moins de 1 an, si la scintigraphie osseuse est positive, ce qui prouve l'hyperactivité osseuse, on peut proposer une cure de bisphosphonate i.v. (Pamidronate®). Les patchs de lidocaïne (Versatis®) peuvent être appliqués, hors AMM, en cas d'allodynie au tact, sur la zone délimitée de l'allodynie.

Prise en charge psychologique L'instauration d'un travail psychothérapeutique permet un travail de réassurance, de mise en confiance, en particulier sur le plan corporel, et de considération de l'anxiété défensive. Elle engage également la prise en compte de l'intrication possible entre douleur et événements existentiels, entre douleur et problèmes médicolégaux en particulier. Il est donc important d'établir au plus vite le diagnostic du SDRC, de manière à pouvoir proposer des prises en charge alternatives et complé-

Tableau 31.1 Dans quelles situations recourir au psychologue ? Recours au psychologue

Dans quelles situations ?

Conseillé

Demande de soins exprimée semblant inadéquate Existence d'un litige ou d'une procédure, d'une recherche de compensation Phobie du contact Tout état thymique défavorable : trouble de l'humeur (dont syndrome dépressif), anxiété, détresse, etc.

Nécessaire

État de stress post-traumatique et/ou vécu corporel traumatique Retentissement majeur sur la qualité de vie : désocialisation, désorganisation de la vie affective, etc. Présence de propos ou de comportements suicidaires Suspicion de troubles factices Suspicion de pathologies psychiatriques Suspicion de somatisation d'un trouble psychique

mentaires telles que l'identification et la compréhension du vécu psychologique intervenant dans le vécu de la douleur (tableau 31.1).

Techniques analgésiques locorégionales Il est possible de répéter un bloc sympathique ou de pratiquer des blocs sensitivomoteurs continus par cathéter. Ils doivent être associés à une rééducation fonctionnelle adaptée.

Techniques de neurostimulation Les techniques de neurostimulation peuvent être utilisées dans les SDRC pour le traitement de la composante neuropathique de la douleur. La neurostimulation transcutanée apparaît comme une méthode thérapeutique simple, inoffensive et peu coûteuse. Elle nécessite une application persévérante, un apprentissage rigoureux, une bonne adhésion du patient et doit être intégrée à une prise en charge rééducative et psychologique. La stimulation médullaire chronique peut être proposée en cas de SDRC évoluant depuis au moins 1 an, rebelle aux traitements conventionnels, au terme d'une démarche diagnostique pluridisciplinaire, dans une structure spécialisée dans la douleur chronique, idéale­ ment dans le cadre d'une prise en charge rééducative globale et adaptée.

Chapitre

32

Douleur du cancer PLAN DU CHAPITRE 32.1 La douleur du cancer, d'hier à aujourd'hui... Elle persiste ! mais pourquoi ? . . . . . . . . . . . . . . . Le cancer, source de douleur complexe, associe parfois plusieurs mécanismes . . . . . . . . . . . . . . Épidémiologie : quelques chiffres . . . . . . . . . . La fréquence de la douleur a-t-elle évolué ces dernières décennies ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Pourquoi cette prévalence persiste-t-elle de manière importante ? . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

215 215 215 216 217 218

32.2 Douleur due au cancer . . . . . . . . . . . . . . . . . Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Syndromes douloureux et leurs caractéristiques . . . Évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Douleurs aiguës . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Douleurs chroniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Principes du traitement de la douleur chronique due au cancer . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

32.1  La douleur

du cancer, d'hier à aujourd'hui... Elle persiste ! Mais pourquoi ?

Erwan Treillet Mot-clés  : Douleur. Épidémiologie. Cancer. Douleur du cancer. Paliers OMS.

La douleur est définie depuis plus de vingt ans par l'IASP comme une « expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite en termes d'une telle lésion » [1]. Le cancer est cause de douleur, et la prise en charge de celleci a été codifiée par l'Organisation mondiale de la Santé il y a plus de trente ans [2]… Pourtant, il demeure complexe d'appréhender et de prendre en charge la douleur, notamment au travers de ses composantes sensoridiscriminatives, cognitives, émotionnelles ou comportementales. Les médecins, chercheurs et soignants continuent à rencontrer des patients non ou mal soulagés. Il est proposé dans ce chapitre d'explorer la complexité de la douleur dans le cancer et sa persistance malgré les différentes actions menées. Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

218 218 219 219 220 221 222 226

Le cancer, source de douleur complexe, associe parfois plusieurs mécanismes La douleur nociceptive, par excès de nociception ou inflammatoire est due à la stimulation des nocicepteurs des terminaisons nerveuses libres Aδ et C. Ils sont présents dans différents tissus : articulaires, viscéraux, musculaires et, surtout, cutanés, dans l'épiderme. Ils sont stimulés mécaniquement par le développement de la tumeur et chimiquement par la soupe inflammatoire. Elle est générée par l'inflammation néoplasique (de la tumeur et des métastases, notamment osseuses), mais aussi par les chirurgies, radiothérapies, etc. [3, 4]. La douleur neuropathique, elle, résulte d'une lésion ou d'une anomalie de fonctionnement d'un nerf ou d'une structure nerveuse. Dans le cancer, elle peut être due à la maladie par compression ou infiltration des axes nerveux périphériques ou plexiques ou de la moelle épinière. Elle peut aussi résulter d'une complication du traitement : traumatisme chirurgical avec lésion nerveuse, neurotoxicité des chimiothérapies, ou encore des blessures nerveuses par radiothérapie, etc. [5]. Ainsi, souvent, il existe une association de ces deux types de douleurs. Une composante musculaire est également possible mais peu documentée. L'expression des douleurs est d'ailleurs parfois difficile à distinguer en pratique clinique [6, 7].

Épidémiologie : quelques chiffres Le cancer est fréquent Dans le monde, 18,1 millions de nouveaux cas de cancers ont été diagnostiqués en  2018 et 9,6  millions de personnes sont décédées d'un cancer d'après le Centre 215

216   Partie 3. Pathologies douloureuses international de recherche sur le cancer (CIRC). Une augmentation de 75 % des cas de cancers est à prévoir au cours des deux prochaines décennies [8]. En France, selon l'Institut national du cancer (INCa), 400 000 nouveaux cas de cancer ont été rapportés pour l'année 2017 en France métropolitaine  : 214 000 chez l'homme et 185 500 chez la femme [9]. La survie à cinq ans s'est globalement améliorée (avec de grandes disparités en fonction du type de cancer), passant de 50 % en 1975 à 68 % en 2013 [6].

La douleur chronique est fréquente D'un point de vue général, la douleur chronique concerne en Europe de 12 à 30 % de la population [10]. En France, une étude menée en 2007 rapporte que 31,7 % de la population générale présentent des douleurs chroniques et que l'intensité en est modérée ou sévère pour 19,9 % [11].

La douleur est fréquente dans le cancer La douleur dans le cancer est fréquente : en moyenne de 54 % jusqu'à 77 %, selon les auteurs. Sa prévalence chez les patients recevant des traitements anticancéreux est plus faible : de 24 à 60 %, et beaucoup plus fréquente chez les patients atteints d'un cancer en phase avancée : de 62 à 86 % [12]. En France, une étude portant sur 1 885 patients atteints de cancer retrouve une prévalence globale de 28,2 % de douleur chronique [13]. Jusqu'à 40 % des patients « survivants » rapportent une douleur [6]. On constate des disparités chez ces survivants : les femmes et les patients afro-américains ont des douleurs plus fréquemment [14]. Il y a également une disparité géographique : quand il est déclaré que la douleur est sous-­traitée dans 39 % ou 40 % des cas en Europe ou aux États-Unis, respectivement, elle l'est dans 59 % des cas en Asie [15]. Pourtant, un soulagement est possible dans 70 à 90 % des cas par l'utilisation des paliers OMS [12, 16–17].

La fréquence de la douleur a-t-elle évolué ces dernières décennies ? Grâce aux « paliers OMS » (1986) Avant 1986 Foley et al., en 1979, recense des douleurs pour 45 à 85 % des patients atteints de cancer. Cet écart fluctue en fonction des types et des localisations du cancer [18]. Cette observation est également relevée par Daut et al. en 1982 dans le cadre d'une étude portant sur sur 667 patients atteints de cancer : 14 à 40 % des patients sans atteinte métastatique déclarent des douleurs. Cette prévalence augmente entre 47 à 75 % en cas de présence de métastases [19]. En 1986, l'OMS, pour améliorer la prise en charge de la douleur du cancer et favoriser l'utilisation des opioïdes dans cette indication, propose des recommandations relatives à l'administration d'antalgiques. Y sont décrites des étapes d'utilisation de traitement, de palier 1 à 3, le palier 3 étant les opioïdes dits forts. Rapidement, ces paliers ont été mis en œuvre en fonction de l'intensité douloureuse déclarée par le patient [2].

Après 1986 Une étude prospective américaine portant sur 10  ans de validation des directives de l'OMS est présentée en 1995 par Zech et al. [20]. Vingt-neuf pour cent des 2118 patients évalués sur 140 478 jours cumulé de traitements présentaient une association de traitements non conformes aux recommandations et sans intérêt thérapeutique (palier II + III, ou I + II + III) ; 56 % des patients recevaient des opioïdes (pendant 49 % du temps de suivi, soit 140 jours), 76 % des patients étaient bien soulagés. Dans une autre étude, deux tiers des patients cancéreux restent douloureux, selon une étude de 1994 et 42 % ne recevaient pas d'antalgique adapté selon les recommandations de l'OMS [21]. Ainsi malgré la mise en place de recommandations internationales, la prévalence de la douleur dans le cancer reste importante, et l'application de ces recommandations était partiellement suivie. L'actualisation des recommandations OMS (1997) et le développement des techniques antalgiques (2005) ont-ils fait évoluer les choses ? Une revue de la littérature de 2017 s'intéresse à l'évolution de la prévalence douloureuse dans le cancer. Elle compare deux périodes  : 1966 à 2005 et 2005 à 2014. L'année 2005 a été retenue par les auteurs comme cut-off pour le « peu de progrès dans le traitement de la douleur du cancer » avant cette date. Sans discuter ce choix de date qui n'est pas plus étayé, il est observé une stabilité de la prévalence douloureuse persistante entre ces deux périodes. Cela concerne tous les « stades » du cancer : traitement achevé, en cours de traitement ou en phase avancée. De même, la douleur modérée à sévère reste identique, avant ou après 2005 (tableau 32.1) [22]. Plus précisément, en France, une comparaison effectuée entre 1991 et 2006 retrouve une stabilité de la prévalence de la douleur (57 et 56 %, respectivement) et de l'évaluation de la douleur maximale (moyenne de 5,9 sur 10). En revanche, la douleur moyenne est passée de 4,6 à 3,36 sur 10, et le soulagement était plus fréquent en 2006 [23]. Tableau 32.1 Prévalence de la douleur : 1966–2005 et 2005–2014. Prévalence de la douleur

1966–2005

2005–2014

Tous stades d'évolution confondus (%)

53

50,7

Traitement spécifique terminé (%)

33

39,3

En cours de traitement (%)

59

55

En phase avancée ou métastatique (%)

64

66,4

Source : d'après C. Welsch T. Delorme F. Larue E et al. Données épidémiologiques sur la douleur du cancer en France. Évolution sur deux décennies de la prévalence et de l'intensité de la douleur chez les malades atteints de cancer. Douleur et Analgésie. Septembre 2013, Volume 26, Issue 3, pp 126–132 et J. Haumann, E. (Bert) A. Joosten, M. H.J. van den Beuken-van Everdingen Pain prevalence in cancer patients: status quo or opportunities for improvement? Current Opinion in Supportive and Palliative Care: June 2017 - Volume 11 - Issue 2 - p 99–104.

Chapitre 32. Douleur du cancer    217

EPIC : une étude européenne de grande ampleur [24] Dans cette étude multicentrique européenne regroupant 11 pays, les cas de 5084 patients atteints de cancer ont été évalués : 56 % souffraient de douleur récurrente cotée ≥ 5/10 le mois précédent. Malgré une prescription fréquente d'un antalgique (77 %) et d'un opioïde (41 %), 69 % des patients rapportaient des difficultés liées à leur douleur.

Pourquoi cette prévalence persiste-t -elle de manière importante ? Plusieurs hypothèses peuvent être émises.

Un mauvais diagnostic du mécanisme ? Une douleur neuropathique ? Une manifestation de composante anxieuse ? Lorsqu'on aborde la douleur du cancer, il est accepté de privilégier le mécanisme inflammatoire ou par excès de nociception. Pourtant, avec l'allongement de la survie des patients [6], les douleurs changent. Les douleurs des patients « survivants » ne sont alors que rarement des douleurs par excès de nociception. Ils présentent plutôt des douleurs neuropathiques séquellaires du traitement du cancer (chimiothérapie, radiothérapie, chirurgie, acte invasif comme des cathéters, etc.). Par exemple, l'incidence des neuropathies périphériques chimio-induites est de 30 à 40 % (elle peut aller jusqu'à 90 % en cas d'utilisation d'oxaliplatine®) [26]. Des atteintes neurologiques (compression médullaire, etc.) sont également possibles en cas d'évolution du cancer. Dans ces situations, l'utilisation des paliers de l'OMS perd son sens, car même si les opioïdes peuvent avoir un effet antalgique dans les douleurs neuropathiques, ils sont moins performants que dans les cas de douleur par excès de nociception. Ils sont même parfois sources d'un effet paradoxal (hyperalgésie induit par les opioïdes). Ils ne sont d'ailleurs pas recommandés en première intention pour la douleur neuropathique, même en cas de douleur intense. La proportion de douleurs neuropathiques est loin d'être négligeable : ■ d'après une étude française, 28,2 % des patients atteints de cancer ont des douleurs chroniques ; chez ces patients, 20,9 % ont des douleurs neuropathiques, avec une prévalence allant de 3 à 10 % en fonction de la tumeur primitive [13] ; ■ une autre étude rapporte que 31,4 % des patients avec douleurs cancéreuses ont des douleurs neuropathiques. Les douleurs mixtes sont fréquemment retrouvées, particulièrement en phase avancée : 44,2 % de population de patients sont concernés dans 50 unités de soins palliatifs (USP) en Italie [26]. La part d'anxiété ou la part comportementale peut être au premier plan dans l'expression de la douleur. Ainsi, « j'ai mal » devrait se traduire en « je suis mal ». Il est parfois plus facile ou acceptable de parler de sa douleur que de sa souffrance. Et quand l'une est soulagée, quelle place l'autre peut-elle prendre ? Ainsi, un ajustement du diagnostic du mécanisme douloureux est nécessaire en cas de résistance au traitement « paliers OMS », surtout en cas d'utilisation de fortes doses d'un opioïde.

Accès douloureux paroxystiques Les offres thérapeutiques des accès douloureux paroxystique (ADP), décrits depuis les années 1990 [27], se sont multipliées [28]. Dans l'étude EPIC [24], 63 % des patients recevant des traitements antalgiques avaient des ADP. De titration spécifique et parfois nécessitant de nouvelles titrations, sans équivalence entre eux ou avec les interdoses classiques, leurs usage et prescription peuvent s'avérer moins facile. Défini comme une exacerbation transitoire de la douleur cancéreuse, caractérisé par sa durée (« Le paroxysme est atteint en moins de trois minutes. Dans la moitié des cas, la douleur dure plus de 30 minutes »), l'ADP peut englober de nombreuses entités cliniques de prise en charge variable (sensation de décharge de douleur neuropathique, douleur liée à des soins) et être ou non prévisible [29]. En France, l'étude ADEPI a été menée dans 46 centres sur 512 patients, et les ADP étaient présents pour 85,3 % d'entre eux [30]. Lors d'un ADP, 33 % des patients ne prenaient aucun traitement, 25,4 % prenaient du fentanyl (transmuqueux dans 90,8  % des cas). Ainsi, la majorité des ADP n'étaient pas traitée de manière adéquate. En outre, lors de la prise de fentanyl transmuqueux, 60,9 % des patients étaient bien ou totalement soulagés à 15 minutes ; 39,1 % étaient donc insuffisamment soulagés. Ainsi les ADP sont-ils vraisemblablement en partie responsables de la persistance de la douleur, selon les études épidémiologiques, surtout de par le manque de traitement adapté, mais aussi, parfois, du fait de l'efficacité insuffisante des traitements.

Douleur sous-traitée ou traitée avec retard ? De nombreux auteurs retrouvent une prise en charge antalgique insuffisante pour près de 50 % des patients atteints de cancer [31–33]. Malgré les efforts de diffusion de l'importance de la prise en charge de la douleur dans le cancer, certaines croyances et comportements ont la peau dure. En effet, ce manque de prise en charge se révèle avoir plusieurs causes : ■ en premier lieu, le patient peut être réfractaire à cette prise en charge, pour plusieurs croyances ou, plutôt, fausses croyances, parmi lesquelles l'incurabilité des douleurs et le fatalisme (« finalement quand on a un cancer, c'est normal d'avoir mal » [34]), la peur de ne pas sentir une aggravation ou la crainte que la douleur soit un marqueur du cancer à ne pas perturber, le fait de penser que la douleur ne puisse pas être contrôlée, ou bien encore la peur de l'addiction ou des effets indésirables [22], etc ; ■ en second lieu, les médecins, eux aussi à l'origine de cette insuffisance de traitement, principalement de par leur réticence à l'utilisation d'opioïdes. Cette réticence est rapportée à la peur de leurs effets indésirables, au risque d'addiction, aux croyances erronées sur l'aspect législatif des prescriptions (« l'habilitation à prescrire ») [22, 35]. L'insuffisante peut être due (et c'est finalement peut-être la raison la plus inquiétante) à une évaluation insuffisante de la douleur, qui peut s'élever jusqu'à 64 % [36].

218   Partie 3. Pathologies douloureuses

Patient « résistant », douleurs réfractaires ? Malgré un traitement bien conduit, de bonnes évaluations, une technicité et une pharmacopée adaptée, il y a toujours des patients atteints de douleurs qui nous poussent dans nos retranchements, dans nos savoirs et nos savoir-faire. Il arrive que, malgré nos efforts, nous n'arrivions pas à bout de cette douleur.

Conclusion La douleur est et reste une problématique importante dans le cancer. Malgré des traitements efficaces, des campagnes de sensibilisation et des recommandations internationales, ce problème persiste. Une évaluation rigoureuse est nécessaire pour ne pas méconnaître des mécanismes neuropathiques ou une composante anxieuse qui ne répondront pas aux traitements « usuels ». La nécessité d'un prosélytisme pour diffuser l'importance de la prise en charge antalgique et lutter contre les croyances erronées sur les antalgiques reste d'actualité. Enfin, il est essentiel d'aller au bout de nos connaissances et savoir-faire pour aider ces patients qui, parfois, ont des douleurs rebelles à nos traitements, à l'heure actuelle en tous cas. Mais il ne nous est pas interdit de viser le meilleur.

32.2  Douleur due

au cancer Philippe Poulain 

Généralités Le cancer est presque toujours responsable de douleurs : bien que moins d'un patient sur trois ressente des douleurs au commencement de la maladie (moins de 30 % des cas), près de 60 % des patients qui en sont atteints sont douloureux durant la phase de traitement spécifique de la maladie et plus de 70 %, à un stade évolué ; 90 % des patients en phase terminale ont des douleurs [37]. La douleur due au cancer est soit : ■ un signal d'alarme qui peut permettre : – de détecter une tumeur au début de son évolution (bien que, le plus souvent, le développement du cancer se fait à bas bruit et sans douleur), – de suspecter une récidive, un échappement thérapeutique ou une intolérance aux traitements spécifiques ; ■ le résultat de l'évolution progressive de la maladie, en phase évolutive, avancée ou terminale de la maladie ; ■ Le résultat de séquelles liées aux thérapeutiques spécifiques (chirurgicales, radiothérapiques, chimiothérapiques, immunothérapiques, etc.) ; Elle s'exprime sur un fond douloureux permanent, qui impose un traitement de fond adapté au mécanisme physiopathologique qui l'a créée. Les Accès Douloureux Paroxystiques (ADP) sont une exacerbation transitoire et de courte durée de la douleur, d'intensité modérée à sévère. Ils surviennent sur une douleur de fond contrôlée par un traitement efficace.

Toute douleur survenant ou réapparaissant dans le contexte de la maladie cancéreuse impliquera de la part de l'ensemble des soignants la recherche méticuleuse clinique et paraclinique d'une récidive, d'un échappement thérapeutique ou d'une complication liée au traitement spécifique. Cette recherche doit être étayée sur une écoute attentive et une évaluation appropriée, s'appuyant sur l'utilisation d'outils spécifiques. Ne pas évaluer correctement la douleur d'un patient a pour conséquences un traitement antalgique inadéquat ou insuffisant, voire mal toléré, donc mal suivi, ce qui entraîne une pérennisation de la douleur, situation qui a pour conséquence une véritable maladie douloureuse telle que décrite par les Anglo-Saxons dès le début des années 1970 (douleur totale). La résultante en sera l'enfermement du patient dans sa maladie, avec une détresse physique et psychologique majeure, responsable de son isolement relationnel et social. Ces constatations impliquent que, en raison de la haute prévalence de la douleur chez les patients cancéreux, l'ensemble des soignants impliqués dans le traitement du cancer soit parfaitement entraîné à évaluer une douleur, suivre le syndrome douloureux et les suites des traitements, tout au long de l'évolution de la maladie. Une mauvaise estimation de la douleur sera responsable d'une fausse appréciation de la sévérité de la maladie, de son évolution, de ses séquelles ou de sa récidive. Les études menées il y a quelques années en France montrent qu'il existe une différence d'appréciation importante entre, d'une part, les soignants (les médecins, notamment) qui évaluent la sévérité de la douleur et les patients eux-mêmes [38]. Pour le soignant, quelle que soit sa profession, prendre en charge un patient atteint de cancer, c'est aussi se questionner constamment : « Et si cette personne, en face de moi, était une personne douloureuse ? », ce d'autant que ce patient est isolé, aux âges extrêmes de la vie, ou handicapé. Ce n'est qu'en étant attentif, en effectuant un examen minutieux, en utilisant des outils d'évaluation adaptés et en confrontant son opinion à celle des autres soignants que l'on sera en droit de répondre : « Non, cette personne n'a pas de douleurs ». Se préoccuper d'évaluer la douleur est un processus dynamique qui implique d'écouter en premier lieu le patient, en étant attentif aux mots qu'il utilise pour décrire sa douleur. Pour le médecin, c'est pratiquer un examen complet puis, à partir des constatations cliniques, déterminer quel en est le mécanisme physiopathologique dont le traitement est adapté. On voit donc très bien que si la prescription d'antalgiques est du domaine purement médical, l'évaluation de la douleur et la surveillance des traitements puis l'adaptation des posologies est un phénomène collégial qui requiert l'observation de l'ensemble des soignants, chacun dans son domaine de compétences. Pour évaluer, il convient donc d'avoir pour objectifs de caractériser la douleur, de faire une évaluation de ses répercussions et d'en approcher les conséquences sur le comportement global et l'expression de la souffrance du patient. L'utilisation des outils d'évaluation de la douleur, parmi lesquels se trouvent, entre autres les outils de mesure de l'intensité de la douleur (Échelle Visuelle Analogique (EVA), Échelle Numérique (EN), Échelle Verbale Simple (EVS), etc.) [39], est le vecteur d'un langage commun dans lequel l'ensemble d'une équipe, qu'elle soit au domicile, libérale, à l'hôpital ou en

Chapitre 32. Douleur du cancer    219 hospitalisation à ­domicile, trouvera les repères scientifiques et de c­ ommunication admis par tous. L'évaluation implique la participation du malade dans une relation réciproque de confiance, digne d'une véritable alliance thérapeutique, ciblée sur la douleur. Pour confirmer le diagnostic clinique, le médecin peut prescrire des examens complémentaires qui permettront d'adapter le traitement approprié à chacun, avec un souci constant du détail. Le suivi de ce traitement, quel que soit l'endroit où est traité le malade, est un travail d'équipe, de tous les instants. Plus la maladie est longue, grave et évolutive, plus la douleur se complexifie, plus l'apport des soignants non médecins est indispensable au suivi et à la mise en œuvre des soins. La douleur liée au cancer, aiguë en début de parcours, peut devenir chronique, surtout lorsque le cancer devient lui-même une maladie chronique qui continue d'évoluer lentement. Les épisodes aigus se succèdent dans le temps et peuvent conduire à une chronicisation. Mais la douleur peut aussi régresser sous l'effet des traitements spécifiques et disparaître ; il peut persister des séquelles liées aux traitements et aux dommages créés par la maladie elle-même. Ces séquelles peuvent être très douloureuses et, si elles restent négligées, laisser libre cours à l'évolution d'une douleur-maladie responsable de syndromes anxieux et/ou dépressifs, d'asthénie, d'anorexie, de troubles du sommeil, de troubles affectifs et relationnels, d'une désinsertion sociale, etc. Les ADP, de courte durée, brefs et sévères, doivent être repérés chez tout patient dont la situation s'est équilibrée car ils requièrent un traitement spécifique. Par ailleurs, la maladie cancéreuse demande souvent de pratiquer des examens complémentaires qui peuvent être douloureux, que ce soit durant la phase de diagnostic, de surveillance ou de suivi de la maladie ; ces douleurs liées aux soins doivent systématiquement être prévenues.

Syndromes douloureux et leurs caractéristiques Les syndromes douloureux présentés par les patients diffèrent en fonction des étiologies et de leur physiopathologie. Ils sont donc importants à caractériser pour en dégager les implications thérapeutiques. Ces syndromes peuvent se révéler de manière aiguë ou évoluer sur un fond de chronicité, tout en gardant à certains moments leur acuité. Nous ne devons pas omettre de prévenir les douleurs aiguës infligées aux patients dans un but diagnostique ou dans le cadre d'une intervention thérapeutique (15 à 25 % des cas). Bien que la tumeur soit souvent la cause directe de la douleur (par infiltration, par diffusion loco-régionale ou par métastase), les cas où la douleur n'est pas directement consécutive à la maladie cancéreuse mais à ses traitements ne sont pas rares. L'évaluation des caractéristiques de la douleur nous permet d'identifier le syndrome physiologique douloureux motivant le choix du traitement antalgique. L'intensité de la douleur est une mesure incontournable qui va induire le choix du traitement antalgique, de sa voie d'administration et de la dose (titration). Attention, l'intensité de la douleur n'est pas un marqueur de l'évolution de la maladie. En effet, des tumeurs très agressives peuvent être totalement muettes alors que d'autres, à la limite de la détectabilité, pourront être à l'origine de syndromes douloureux particulièrement aigus et intenses.

La qualification de la douleur (les mots choisis par le patient pour décrire sa douleur) suggère souvent le mécanisme physiopathologique qui la sous-tend. En général, la douleur somatique est bien localisée et les mots choisis pour la décrire orientent le diagnostic (intense, aiguë, pénétrante, transperçante, etc.). Quand il s'agit de douleurs viscérales, la douleur est généralement décrite comme plus diffuse (coliques, torsion, etc.) alors que la douleur neuropathique est en général décrite comme une brûlure, des décharges électriques, un froid douloureux, des fourmillements, des picotements, un engourdissement, des démangeaisons, etc., comme le suggère le DN4, outil d'aide au diagnostic [40]. La confirmation de la douleur neuropathique se fait lors de l'examen clinique du patient, car elle est liée à l'existence de lésions nerveuses et, donc, source de troubles de la sensibilité retrouvés lors de cet examen (hypoesthésie, allodynie, dysesthésies, anesthésie, etc.). Les mécanismes combinant des douleurs neuropathiques et des douleurs par excès de stimulations nociceptives sont très fréquents lors du parcours de soin, et doivent être repérés pour que le traitement combiné, soit le plus adapté possible à chaque situation individuelle. La composante cognitive et émotionnelle de la douleur est toujours très importante dans ces situations et doit être évaluée et prise en charge par des méthodes spécifiques appropriées à chaque situation individuelle.

Évaluation Elle se déroule en plusieurs étapes : ■ rappel de l'histoire clinique du patient et, notamment, du cancer avec ses différents traitements, puis du syndrome douloureux, des antalgiques utilisés, de leurs effets, de leur tolérance et de l'apport des techniques non médicamenteuses ; ■ il est fréquent qu'il y ait plusieurs problèmes de douleur, et chacun doit être évalué séparément puis au travers de son interaction dans la souffrance globale du patient ; ■ évaluation des conséquences de la douleur incluant ses répercussions sur l'activité, le sommeil, le moral, la famille et les proches, et le travail ; ■ approche de l'état psychologique et de la représentation de la douleur pour le patient ; ■ l'examen clinique est un moment crucial de l'évaluation initiale, particulièrement l'examen neurologique (détection d'une étiologie neuropathique) ; ■ relecture des examens complémentaires précédents, à la lumière des nouvelles constatations cliniques. À l'issue de cette étape incontournable, le diagnostic clinique du syndrome douloureux est disponible et permet dans la majeure partie des cas de proposer une attitude thérapeutique symptomatique quasi immédiate dans l'attente de résultats d'examens complémentaires, si nécessaires (confirmation puis suggestion des thérapeutiques spécifiques). Certains examens complémentaires négatifs peuvent, lorsque l'impression clinique n'est pas confortée, indiquer la prescription d'examens plus précis et plus performants qui en aucun cas ne doivent retarder le début du traitement symptomatique.

220   Partie 3. Pathologies douloureuses Lorsque la douleur dure depuis longtemps, l'apport d'autres expertises, comme la kinésithérapie, la psychologie, le travail social, etc. peut être indispensable. À l'issue, l'impact de la douleur sur le malade dans son environnement devrait être bien déterminé et permettre de proposer un plan de traitement adapté. Le soutien de professionnels de santé, comme les infirmières ou des auxiliaires de vie permettra une évaluation et un suivi plus justes, notamment à domicile. La mesure de la douleur en routine (comme la mesure des constantes "vitales") est un point important de la prise en charge du patient douloureux. Les échelles rapportent la douleur évaluée par le patient lui-même (autoévaluation). Des échelles d'hétéroévaluation sont réservées aux patients  qui ont des difficultés à exprimer leur douleur, comme les jeunes enfants, les personnes avec des troubles cognitifs ou les personnes âgées. On a alors recours à des échelles d'hétéroévaluation comme l'ECPA®, DOLOPLUS® ou l'échelle DEGR®. L'aspect pluridimensionnel de la douleur peut être évalué en utilisant le questionnaire concis sur les douleurs (Brief Pain Inventory). Le QDSA (Questionnaire Douleur Saint-Antoine) permet d'évaluer les dimensions sensorielles affectives et évaluatives de la douleur.

Douleurs aiguës Les syndromes douloureux aigus dans le cancer sont surtout dus aux interventions thérapeutiques ou diagnostiques et posent en général peu de difficultés à l'évaluation. Bien que certaines de ces douleurs liées à la tumeur aient une durée relativement courte dans leur phase aiguë (par exemple une fracture d'os long sur une métastase osseuse), bon nombre d'entre elles peuvent persister malgré un traitement spécifique efficace de la lésion causale, et évoluer ensuite sur un mode chronique. Par exemple, la douleur postopératoire dure classiquement moins de 72  heures. Des recommandations pour sa prise en charge ont été édictées. Au-delà de 72 heures, lorsqu'elle persiste, il convient de faire une évaluation des complications éventuelles de l'intervention elle-même. Les techniques antalgiques peuvent aussi être à l'origine de douleurs : par exemple l'injection sous-cutanée de morphine est douloureuse en elle-même, et lorsqu'elle est effectuée de manière répétitive, elle peut être particulièrement mal supportée au fil du temps… ou encore les injections itératives intrathécales d'opioïdes ou de corticoïdes peuvent se compliquer d'une hyperalgésie qui cède à l'arrêt de l'administration. La douleur aiguë liée à des perfusions de chimiothérapies peut être sévère : ■ la douleur au site d'injection de cytotoxiques (spasme veineux, phlébite, extravasation, etc.) est un problème fréquent et l'utilisation systématique de voies d'administration veineuses profondes (sites d'injection [PCA], cathéter central par insertion périphérique [PICC-line], etc.) a permis de réduire ce type de complication, au prix d'une majoration des risques infectieux lorsque les injections sont faites à un patient immunodéprimé ; ■ les injections intra-artérielles d'une chimiothérapie cytotoxique, notamment hépatique, mais aussi les chimio-

embolisations, sont souvent associées à des douleurs aiguës diffuses qui peuvent persister pendant plusieurs jours, en raison du développement d'inflammation, d'ulcérations ou d'érosions gastriques et de cholangite ; ■ la chimiothérapie intrapéritonéale peut, dans 25 % des cas, provoquer des douleurs importantes nécessitant une analgésie opioïde forte et/ou l'arrêt du traitement [41] ; ■ les injections de chimiothérapie ou l'immunothérapie intravésicales peuvent entraîner une irritabilité récurrente de la vessie, caractérisée par des mictions impérieuses et douloureuses ; ■ l'injection d'une chimiothérapie intrathécale dans le traite­ ment des leucémies ou des méningites carcinomateuses peut se compliquer de douleurs dans les membres inférieurs et la partie inférieure de l'abdomen, à type d'hyperalgésie et des myoclonies douloureuses ne sont pas rares. Ces injections peuvent par ailleurs être responsables d'un syndrome méningé associant douleurs et vomissements liés à une fuite de liquide cérébrospinal. Le problème des douleurs aiguës associées à la neurotoxicité des chimiothérapies est majeur. Il s'agit de douleurs mixtes dont la composante nociceptive est souvent au premier plan. La composante neuropathique, plus insidieuse et discrète, se manifeste lorsque les traitements opioïdes forts ont réduit la composante principale : ■ la cytarabine, la doxorubicine, l'étoposide, le 5-fluorouracil (5-FU) et le méthotrexate sont les molécules entraînant le plus de mucites, d'autant plus importantes qu'une hygiène buccale déficiente, une irradiation antérieure, des lésions buccales spécifiques ou des infections mycosiques ou virales associées sont présentes et que le patient était préalablement neutropénique ; ■ la neuropathie périphérique chimio-induite est très fréquente. La vincristine en particulier, les sels de platine et les taxanes peuvent fréquemment se compliquer de douleurs neuropathiques pures. Si l'administration est poursuivie aux mêmes doses, certaines lésions neurologiques seront à l'origine de douleurs sévères et persistantes. Il peut s'y associer un syndrome moteur. D'autres douleurs aiguës liées aux chimiothérapies peuvent être rencontrées ; parmi les plus fréquentes on peut remarquer : ■ des douleurs osseuses diffuses, après injection d'acide transrétinoïque, peuvent notamment s'accompagner de maux de tête ; ■ des arthralgies et des myalgies peuvent être rencontrées à la suite de l'injection de paclitaxel à des doses cumulatives, chez environ 10 à 20 % des patients. Ces douleurs apparaissent dans les quatre premiers jours suivant l'administration, et durent moins d'une semaine ; ■ le syndrome mains-pieds correspond un rash cutané douloureux consécutif à l'injection continue de 5-FU. Il se caractérise par une douleur à type de brûlures et de fourmillements. Un traitement symptomatique approprié peut permettre la poursuite de l'administration. Il a aussi été décrit avec le paclitaxel. Les douleurs aiguës peuvent aussi être en rapport avec l'hormonothérapie : ■ l'instauration d'un traitement par facteur de libération de l'hormone lutéinisante (LHRF) dans les cancers de la prostate peut être à l'origine d'une poussée de douleurs

Chapitre 32. Douleur du cancer    221 osseuses exacerbée, accompagnée d'une rétention urinaire, entre autres. On ne l'observe que dans la première semaine du traitement ; il y a des recrudescences dans le temps ; l'utilisation concomitante d'antiandrogènes durant l'instauration du traitement par LHRF pourrait prévenir ce phénomène ; ■ tout traitement hormonal initié dans un cancer métastatique du sein peut se compliquer de douleurs musculosquelettiques dans les premières semaines du traitement [42] ; ces douleurs semblent être indépendantes du développement tumoral ; ■ les arthralgies multifocales induites par les inhibiteurs de l'aromatase sont rencontrées dans 20 à 50 % des traite­ ments [43]. Elles peuvent considérablement réduire la mobilité des patientes et il est essentiel de faire le diagnostic différentiel avec une poursuite évolutive osseuse de la maladie. En présence de douleurs importantes avec retentissement majeur sur la qualité de vie, malgré une prise en charge médicamenteuse et non médicamenteuse, l'arrêt du traitement par antiaromatase se discutera et fera l'objet d'une décision établie en concertation entre l'oncologue et le médecin de la douleur. Des douleurs aiguës peuvent être liées à une immunothérapie : l'interféron induit fréquemment un syndrome pseudo-grippal (fièvre, myalgies, arthralgies, maux de tête et frissons) qui s'améliore à l'arrêt du traitement. Le paracétamol est souvent efficace pour améliorer les symptômes. Avec l'utilisation croissante de nouvelles molécules, les anticorps monoclonaux des polymyalgies  ont fréquemment été décrites (dinolumab) [44]. Tous les nouveaux traitements immunothérapiques d'utilisation récente peuvent être sources de douleurs très importantes ; la composante neuropathique est souvent au premier plan. Actuellement, des publications dans la littérature spécialisée commencent à les décrire, mais il est encore trop tôt pour avoir une notion très nette de ces complications algiques, notamment en ce qui concerne leur physiopathologie. Les bisphosphonates, très utilisés il y a encore peu dans le traitement des douleurs et en prévention des métastases osseuses, peuvent être à l'origine de douleurs osseuses et musculaires susceptibles d'être sévères dans les 24 heures suivant la perfusion, et pour plusieurs jours. Les facteurs de croissance notamment le granulocyte colony-stimulating factor (G-CSF) peuvent, dans 20 à 30 %, des cas produire des douleurs osseuses accompagnées d'un syndrome pseudo-grippal. La douleur, dont l'intensité peut être sévère, peut être prévenue par l'administration concomitante de corticoïdes. L'administration sous-­c utanée d'érythropoïétine α s'accompagne de douleurs sur le site d'injection, qui peuvent être prévenues par l'addition de lidocaïne. La radiothérapie est aussi à l'origine de douleurs aiguës. La douleur incidente lors du positionnement sur la table doit être prévenue par un traitement adéquat (en général opioïde à action immédiate ou fentanyl transmuqueux chez le patient déjà équilibré par opioïdes). Les douleurs aiguës consécutives à la toxicité du syndrome inflammatoire postradique, (ulcérations de la peau et des muqueuses) dépendent du lieu de l'irradiation (ORL, à

l'origine de stomatite d'inflammation du pharynx, thorax avec œsophagite, pelvis avec cystite postradique, dermatite postradique, ulcérations vaginales et brûlures pelviennes, etc.). La radiothérapie est aussi responsable de syndromes douloureux chroniques à distance qui peuvent se prolonger à long terme, notamment des plexopathies, mais aussi des myélopathies postradiques. Lors des traitements antalgiques sur des localisations secondaires (osseuses, en particulier), il peut y avoir une résurgence temporaire importante des douleurs. Cela peut aussi être observé encore un ou deux jours suivant une radiothérapie métabolique (strontium, samarium, etc.). Les accidents vasculaires thrombotiques ou ischémiques ne sont pas exceptionnels lors de la maladie cancéreuse et peuvent être à l'origine de douleurs aiguës qui devraient être prévenues pas un traitement anticoagulant adapté. Les mucites peuvent être très douloureuses et entraîner un inconfort majeur, une impossibilité d'avaler et, donc, de se nourrir, voire d'aller à la selle. Les surinfections bactériennes et fungiques sont très fréquentes et, outre le traite­ ment qui leur est spécifique, le recours à des opioïdes avec des anesthésiques locaux est régulier. L'alimentation et l'hydratation doivent alors être pratiquées par voie parentérale. Elles sont d'autant plus importantes qu'une radiothérapie est concomitante. Toutes les complications infectieuses, virales ou fungiques peuvent entraîner des douleurs liées à l'inflammation, des abcès et des lésions tissulaires susceptibles par la suite d'évoluer sur un mode chronique (névralgies postherpétiques par exemple).

Douleurs chroniques Les douleurs chroniques sont les douleurs évoluant depuis plus de deux mois consécutifs. La plupart sont liées au développement du cancer, mais les douleurs séquellaires pures dues aux traitements ne sont pas rares. Les douleurs postchirurgicales sont bien connues, mais insuffisamment recherchées et prises en considération. Par exemple, la douleur liée à l'amputation d'un membre ou à l'exérèse d'un organe n'est pas toujours traitée de manière optimale. La douleur chronique après chirurgie du sein est très fréquente et souvent négligée. Considérée comme « normale » par nombre de thérapeutes, elle altère durablement la qualité de vie des patientes qui s'étonnent de la voir non seulement persister des mois après l'intervention, mais encore s'aggraver, souvent à l'occasion d'un traitement néo-adjuvant ou d'une radiothérapie. Attention, toute réapparition d'une douleur après un intervalle libre de plusieurs mois, doit faire suspecter une récidive et redoubler de vigilance. La preuve de la non-récidive doit être recherchée par des examens complémentaires appropriés et répétés en cas d'aggravation ou de persistance. Les douleurs séquellaires dues à la radiothérapie sont bien décrites. Elles sont de moins en moins fréquentes en raison des progrès de la dosimétrie. Elles s'expriment souvent sur un mode neuropathique et atteignent le plus souvent de gros troncs nerveux ou des plexus.

222   Partie 3. Pathologies douloureuses La myélite postradique s'accompagne de dysfonctionnements du système nerveux autonome  : on retrouve une symptomatologie neurologique, des douleurs neuropathiques et un syndrome de Brown-Séquard. Les douleurs des entérocolites et rectopathies postradiques ainsi que les vessies radiques sont très difficiles à traiter et sources d'une altération importante de la qualité de vie des malades. C'est souvent dans ces circonstances que l'administration d'antalgiques par voie intrathécale peut être d'un secours important. Les douleurs osseuses sont une des causes les plus fréquentes de douleurs chroniques (cancers métastatiques qui peuvent rester asymptomatiques un certain temps) et doivent être distinguées des douleurs dont l'origine est indépendante du cancer (ostéoporose et ses complications, suites des traitements). Elles peuvent être localisées ou multifocales. En fonction du lieu d'atteinte, les conséquences thérapeutiques sont très différentes (métastase fragile d'un os long nécessitant une chirurgie prophylactique, métastase vertébrale risquant de créer une compression médullaire, etc.). La compression médullaire et ses complications neurologiques peuvent être très douloureuses lors de son installation et il est très important de recourir à des techniques chirurgicales spécifiques (orthopédie ou neurochirurgie) et à la radiologie interventionnelle (vertébroplasties, chimio-embolisation tumorale, etc.) dès la survenue des signes cliniques. Les douleurs musculaires liées aux traitements et aux désordres métaboliques qu'ils ont induits sont très fréquentes. Elles peuvent aussi être en rapport avec un envahissement des muscles pelviens par les tumeurs locales ou les ganglions métastatiques. La survenue de céphalées et de douleurs faciales projetées peut être à l'origine de la découverte de tumeurs intracérébrales (liées à une hypertension intracrânienne) ou d'une atteinte leptoméningée, comprenant la méningite carcinomateuse (qui donne un tableau particulier de douleurs souvent à prédominance neuropathique, fugaces et se projetant successivement comme une mosaïque sur l'ensemble ou une partie des dermatomes cutanés). Les traitements symptomatiques doivent être prescrits en urgence (perfusions de mannitol, corticothérapie à haute dose, opioïdes, antiépileptiques, etc.). Le système nerveux autonome peut lui aussi être atteint par la maladie, directe­ment ou du fait de métastases souvent ganglionnaires, à l'origine de compression (radiculopathie, plexopathie, atteintes neurogènes diffuses, etc.). L'atteinte viscérale abdominale diffuse ou localisée peut être à l'origine de syndromes algiques subocclusifs ou occlusifs et nécessite, outre un traitement médical approprié, un avis chirurgical pour une éventuelle intervention d'urgence. La colostomie ou l'iléostomie de décharge est proposée pour améliorer la douleur et la qualité de vie des patients en situation d'occlusion ou de subocclusion ne répondant pas au traitement médical bien conduit. La distension de la capsule hépatique par des localisations secondaires à la maladie est à l'origine de violentes douleurs de coliques hépatiques et d'un ictère par obstacle sur la voie biliaire, pouvant nécessiter un drainage interne ou externe. La subocclusion digestive peut aussi être consécutive à une ascite et une carcinose péritonéale. En cas d'ascite, le drainage du liquide par ponction, associé à une corticothérapie et un traitement antalgique souvent opioïde (si l'intensité de la douleur le requiert) améliore en général la qualité de vie des patients. Des ruptures

d'organe creux ont aussi été décrites et sont à l'origine de douleurs aiguës intenses, faisant discuter une intervention chirurgicale en urgence rarement réalisable dans le contexte ou une sédation profonde continue jusqu'au décès peut être effectuée avec l'accord du patient. L'infiltration et l'occlusion des vaisseaux sanguins, les lymphangites périvasculaires sont aussi à l'origine de douleurs diffuses, d'intensité progressive, et sont souvent responsables de lymphœdèmes très handicapants, pouvant aller jusqu'à une impotence fonctionnelle douloureuse quasi totale. L'appareil urinaire n'est pas non plus à l'abri de complications douloureuses. L'obstruction progressive des uretères peut être à l'origine d'une insuffisance rénale nécessitant, en fonction des situations, une évacuation des urines par une sonde (interne, JJ ou externe, pyélostomie). Généralement, le geste de dérivation soulage en grande partie la douleur. Le pronostic sera fondé sur l'importance de l'insuffisance rénale résiduelle après drainage. De nombreux syndromes paranéoplasiques sont aussi sources de douleur, parmi lesquels le pemphigus cutané est source d'un inconfort majeur.

Principes du traitement de la douleur chronique due au cancer Ils suivent les « Standards, options et recommandations » de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (FNCLCC) [39]. Cependant, des travaux d'actualisation ont été réalisés depuis 2011 sous l'égide d'un groupe d'experts issus de la SFETD, de l'AFSOS et de la SFAP. Les principes de traitement de la douleur nociceptive sont rappelés ci-dessous. La stratégie proposée par l'OMS pour la prise en charge de la douleur cancéreuse par excès de nociception, articulée autour de cinq principes essentiels, reste globalement pertinente : prescription par voie orale, prescription à intervalles réguliers, ■ prescription en respectant l'échelle de l'OMS à trois niveaux, ■ prescription personnalisée, ■ prescription avec un constant souci du détail. ■ ■

Antalgiques non opioïdes Les antalgiques non opioïdes (premier niveau OMS) doivent être utilisés pour les douleurs faibles à modérées, ils peuvent être associés aux antalgiques opioïdes (niveaux 2 et 3 OMS) : ■ le paracétamol est recommandé en première intention dans les douleurs faibles à modérées, à la dose de 1 000 mg toutes les quatre à six heures. La dose maximale fixée par l'AMM est de 4 g/j. Il y a des précautions d'emploi à respecter en cas d'insuffisance hépatique ; ■ l'utilisation des AINS est recommandée dans le traite­ ment des douleurs inflammatoires, notamment les douleurs osseuses. Avec les AINS, le risque particulier

Chapitre 32. Douleur du cancer    223 d'association avec les chimiothérapies néphrotoxiques (notamment le cisplatine) et cytopéniantes doit être mesuré ; ■ Le néfopam n'est pas indiqué en première intention dans les douleurs cancéreuses chroniques.

Antalgiques opioïdes On distingue les opioïdes dits « faibles » pour les douleurs modérées (niveau 2 OMS) et les opioïdes dits « forts » pour les douleurs modérées à fortes (niveau 3 OMS). Les opioïdes sont classés en trois catégories, en fonction de leur action sur les récepteurs : agonistes purs, agonistes partielements-­ antagonistes ou agonistes-antagonistes. Les antalgiques opioïdes faibles peuvent être utilisés seuls ou en association avec un antalgique de niveau 1 : ■ les molécules suivantes peuvent être utilisées : codéine, dihydrocodéine, poudre d'opium et tramadol ; ■ il n'existe pas de critère absolu de choix entre les différents produits ; ■ la codéine est souvent associée à du paracétamol. Elle est administrée toutes les 4 à 6 heures et se transforme pour 10 % en morphine, ce qui est à l'origine de son pouvoir antalgique. La dihydrocodéine, à LP, est active 12 heures à la posologie de 60 mg par comprimé. La poudre d'opium en association avec paracétamol et/ou la caféine est aussi une alternative ; ■ le tramadol doit être utilisé avec précaution en cas de risque d'épilepsie ; la dose maximale de l'AMM est de 400 mg/24 h ; ■ à l'exception de la constipation, qui est un effet premier des opioïdes et qui doit être systématiquement prévenue, les effets indésirables doivent être recherchés et traités ; ils sont moins fréquents et tendent à disparaître dans les premiers jours du traitement (somnolence, nausées, vomissements, tremblements fins, troubles cognitifs, cauchemars, etc.). La morphine est l'opioïde fort commercialisé en France le plus fréquemment utilisé. Elle est parmi les opioïdes les moins liposolubles, ce qui conditionne sa lente diffusion dans le SNC. Après administration orale, la morphine est rapidement absorbée et la concentration plasmatique maximale est atteinte en un délai allant d'environ 30 minutes à une heure. La biodisponibilité de la morphine orale varie de 15 % à 64 % (en fonction de l'effet de premier passage hépatique : variations interindividuelles). Son délai d'action est plus lent que celui des opioïdes les plus liposolubles, qui diffusent plus rapidement dans le SNC. La demi-vie d'élimination est variable, allant de deux à six heures. La morphine est métabolisée par le foie, surtout par glucuroconjugaison. La morphine-6-glucuronide (M6G) a une puissance d'action environ 50 fois supérieure à celle de la molécule mère. L'élimination des dérivés se fait essentiellement par voie urinaire : en situation d'insuffisance rénale, une accumulation des dérivés favorise les effets indésirables. En revanche, une altération la fonction hépatique semble avoir assez peu d'incidences sur la pharmacocinétique de la morphine, car les cytochromes n'interviennent pas dans le métabolisme hépatique de la morphine (figure 32.1). On observe des concentrations plasmatiques de morphine 1,5  fois plus élevées deux à cinq minutes après

administration i.v. chez les personnes âgées, il s'avère donc important de commencer à demi-dose. La morphine doit être prescrite sous forme orale, soit en comprimés ou gélules de sulfate de morphine à libération normale dite immédiate (LI), soit en comprimés ou gélules de sulfate de morphine à libération prolongée LP, soit en solution de chlorhydrate de morphine. Dans tous les cas, chez un malade traité auparavant par un autre opioïde fort, la dose de départ de morphine doit être adaptée à la dose de l'opioïde précédent et à la dose que prenait le patient. Sur https://opioconvert.fr/, une table de conversion donne une dose de changement pour passer d'un produit à l'autre en toute sécurité. Le recours à une forme LI est indispensable pour l'équilibration. On augmente la dose en fonction de l'effet antalgique obtenu et des effets indésirables éventuels, par paliers de 30 à 50 %. Compte tenu du recours possible aux interdoses (1/6 à 1/10 de la dose des 24 heures), il est toujours conseillé de privilégier la sécurité à la rapidité d'action. Lorsque l'administration par voie orale est impossible, l'administration transcutanée (fentanyl) ou parentérale continue (morphine) avec antalgie autocontrôlée est privilégiée par rapport aux autres voies plus invasives. Les autres voies d'administration de la morphine et des opioïdes sont d'indications plus rares. Elles doivent être utilisées en tenant compte du ratio ­bénéfice-risque mais aussi de la formation des personnels, de l'entourage et des contraintes du suivi, notamment à domicile. Un traitement par opioïdes (notamment par la morphine orale) ne doit jamais être interrompu brutalement. Aucun protocole précis pour diminuer le traitement n'a été validé. Une diminution progressive par paliers de 30 à 50 % en une semaine environ, en se fondant sur la clinique (réapparition de la douleur, survenue d'un syndrome de sevrage) est proposée pour arrêter la morphine. La buprénorphine (agoniste µ et partiellement antagoniste des récepteurs Δ) ne peut être recommandée depuis la mise à disposition d'autres opioïdes ; elle est néanmoins prescrite par des voies simples : sublinguale et patchs (pas encore commercialisés en France). Elle a un effet plafond aux alentours de 5 à 10 mg/24 heures. Il n'est pas recommandé de l'associer à des agonistes purs. Le fentanyl et le sufentanil, opioïdes très liposolubles, présentent un effet antalgique puissant, rapide et une courte durée d'action. L'utilisation des patchs de fentanyl à partir de 12,5 μg/h est une option thérapeutique dans l'instauration d'un traitement opioïde en cas de douleurs stables, c'est-à-dire sans paroxysme fréquent, sans douleur intense justifiant une voie injectable. Le sufentanil et le fentanyl par voie parentérale (i.v. ou sous-cutanée) peuvent être utilisés dans les douleurs rebelles, en cas d'échec ou d'intolérance aux opioïdes oraux [45]. Fentanyl et sufentanil peuvent être utilisés en cas d'insuffisance rénale (excrétion rénale prédominante essentiellement sous forme de métabolites inactifs). Le sufentanil est 10 fois plus puissant que le fentanyl qui, lui-même, l'est de 50 à 100 fois plus que la morphine : 60 mg de morphine orale par jour est équiantalgique à 600 μg de fentanyl ou à 60 μg de sufentanil injecté par jour en perfusion continue i.v. ou souscutanée. L'existence d'un relargage du fentanyl à partir du tissu adipeux fait préférer l'usage de sufentanil par voie parentérale. Lors de l'administration par PCA, on commence par des bolus ­équivalent à 1 fois la dose horaire, avec une période réfractaire

224   Partie 3. Pathologies douloureuses Métabolisme de la morphine morphine 3-6-diglucuronide

morphine-3-glucuronide

morphine-3 sulfate

morphine-6-glucuronide

Morphine

normorphine-6-glucuronide

normorphine

normorphine-3-glucuronide

Figure 32.1 Métabolisme de la morphine. Source : N. Michenot, S. Rostaing, L. Baron et al. La Morphine dans le cadre du changement d'opioïdes ou de voie d'administration, chez l'adulte avec une douleur due au cancer. Bull Cancer (2018) 105 : 1052–1073.

de 5 à 10 minutes en i.v. et de 20 à 30 minutes en sous-cutané. En cas d'efficacité insuffisante, la dose du bolus sera augmentée et la dose de base réévaluée (conformément à un accord professionnel). Le traitement par fentanyl ou sufentanil doit être instauré par une équipe hospitalière spécialisée dans la prise en charge de la douleur ou des soins palliatifs et formée à leur utilisation. Après stabilisation, le traitement peut être poursuivi à domicile. Le fentanyl absorbé par voie transmuqueuse est indiqué pour le traitement des ADP. Il ne doit pas être utilisé pour équilibrer une douleur et ne doit l'être que lorsque la douleur est stabilisée par un traitement opioïde de base [46]. L'hydromorphone est indiquée dans le traitement des douleurs intenses d'origine cancéreuse en cas de résistance ou d'intolérance à la morphine. Elle a moins ­d'inconvénients que celle-ci en cas d'insuffisance rénale et peut lui être pré-

férée. Sa puissance antalgique est de 5 à 7 fois supérieure à celle de la morphine. L'oxycodone est un opioïde qui peut être utilisé d'emblée pour traiter une douleur nociceptive due au cancer. Elle a une meilleure biodisponibilité que la morphine. Elle est métabolisée dans le foie par les cytochromes P450 et 2D6, ce qui peut amener des surdosages ou une relative inefficacité chez les métaboliseurs lents ou ultrarapides ; elle n'est pas contre-indiquée en cas d'insuffisance rénale. Elle est entre 1,2 à 2,3 plus puissante que la morphine [47]. La péthidine a perdu de son intérêt en tant qu'opioïde de niveau 3 OMS. Elle n'est disponible que par voie parentérale ; son principal métabolite, la norpéthidine, est convulsivant. Elle ne doit pas être donnée répétitivement. La méthadone peut être envisagée après une évaluation effectuée par une équipe spécialisée (soins palliatifs

Chapitre 32. Douleur du cancer    225 ou d ­ ouleur) [48, 49]. Elle peut être prescrite en deuxième intension après échec ou effets indésirables majeurs avec un autre opioïde. La méthadone n'ayant pas de métabolites actifs, elle peut être utilisée chez le patient insuffisant rénal et le dialysé ou encore chez la personne âgée. Le maniement de cet opioïde, notamment la titration, est complexe et nécessite une hospitalisation pour surveillance jusqu'à une équilibration qui survient généralement en moins d'une semaine. Comme pour la morphine, il n'existe pas de doses maximales avec la méthadone. Seule la survenue d'effets indésirables conduit à cesser l'augmentation des doses. La dose des 24 heures est en général proposée en deux prises à 12 heures d'intervalle ; en cas d'ADP, des doses supplémentaires allant du 1/06 à 1/10 de la dose peuvent être prescrites, ou encore du fentanyl transmuqueux. Le tapentadol dispose d'une AMM mais n'est pas commercialisé à ce jour en France. La rotation des opioïdes a été définie la première fois en 1995 par Bruera et al. [50]. Elle se définit par le changement systématique d'un opioïde pour un autre en prévention de l'apparition d'une tolérance ; l'intérêt de cette procédure n'a pas été démontré par les études disponibles à ce jour. Nous préférons employer la notion de changement d'opioïde qui se justifie lorsqu'il survient des effets indésirables intolérables pour une efficacité antalgique insuffisante pour le patient. En pratique, un changement est proposé pour améliorer la douleur ou les effets indésirables des traitements. Il est possible de réaliser un changement d'opioïdes entre tous les agonistes purs opioïdes disponibles en France : morphine [47, 51, 53], fentanyl, hydromorphone [47], oxycodone [53], méthadone [49]. En tenant compte de ses particularités, la buprénorphine peut aussi être utilisée. Le changement d'opioïdes se fait selon le sens du changement et les produits utilisés. La dose utilisée du nouvel opioïde dépend de nombreux facteurs, en fonction de l'opioïde choisi, selon www.opioconvert.fr. Les voies d'administration parentérales peuvent être préférées chez un patient pour qui la voie orale ou transcutanée n'est pas simple. Chez le patient atteint de cancer, il est fréquent qu'un site d'injection veineux sous-cutané soit en place, ce qui est plus simple et plus sûr. La réalisation pratique du traitement par voie sous-cutanée continue peut se faire grâce à l'utilisation d'un infuseur, d'un pousseseringue ou d'une pompe (PCA, en particulier). La dose initiale de morphine va de 0,5 mg à 1 mg/kg/24 heures. Une dose de charge est souvent nécessaire (0,2 mg/kg). Chez un patient, qui a déjà un traitement morphinique par voie orale, la posologie est calculée en divisant par deux la dose orale de 24 heures en sous-cutané et par 2 à 3 par voie i.v. L'oxycodone injectable, le fentanyl et le sufentanil peuvent être préférés, si besoin. L'administration de traitements antalgiques par voie intramédullaire se fait par la mise en place chirurgicale de pompes pour l'injection d'opioïde (morphine, le plus souvent associée à des anesthésiques locaux et éventuellement du ziconotide) [52]. L'indication doit être réservée aux douleurs très intenses suffisamment tôt dans l'évolution de la maladie, surtout lorsque les opioïdes sont mal tolérée par voie générale. Ce système nécessite une habitude des équipes et un haut niveau de technicité. La collaboration des centres

implanteurs et des équipes douleur et soins palliatifs doit être très étroite. Le résultat est en général spectaculaire, redonnant bien souvent au patient une autonomie importante.

Autres antalgiques et coantalgiques Les coantalgiques sont des moyens thérapeutiques, essentiellement médicamenteux, dont la fonction première n'est pas l'antalgie, mais la potentialisation de l'action des antalgiques, ou l'amélioration du confort en agissant électivement sur certains symptômes associés. Ils sont directement antalgiques sur les douleurs neuropathiques. Les antidépresseurs sont justifiés, car ils possèdent une action antalgique propre (essentiellement les imipraminiques tricycliques, ou IRSNA, inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline). Les antiépileptiques le plus utilisés sont la gabapentine et la prégabaline. Leur action antalgique propre dans la douleur neuropathique du cancer est cependant faible, comparativement à celle des antidépresseurs et des opioïdes. Ils seraient cependant mieux tolérés. Les myorelaxants auraient un effet antalgique propre (études cliniques en nombre insuffisant) et supprimeraient la composante douloureuse en rapport avec une contracture musculaire réflexe. On distingue : ■ les myorelaxants antispastiques (action centrale, système gabaergique) : le baclofène, par exemple, antispastique de référence, à l'action antalgique propre, se fixe sur les récepteurs GABA. Il est utilisé pour les douleurs dans les spasticités neurologiques ; la posologie, progressive, va de 5 à 75 mg/jour ; ■ les benzodiazépines, comme le diazépam, sont utilisées dans les contractures musculaires, en particulier lorsqu'elles sont associées à des métastases osseuses. Les cannabinoïdes sont toujours à l'étude. Ils n'auraient pas d'action antalgique propre, mais seraient, de par leurs propriétés relaxantes, anxiolytiques et apaisantes, de très bons ajduvants en association avec des opioïdes. Ils devraient faire prochainement l'objet d'une AMM sous forme d'association THC-cannabidiol. Les experts de L'ANSM ont conclu récemment qu'il serait pertinent d'autoriser l'usage du cannabis à visée thérapeutique dans certaines situations cliniques et en cas de soulagement insuffisant ou d'une mauvaise tolérance des thérapeutiques existantes. Outre les prescriptions antalgiques classiques, on pourra proposer, selon les cas : ■ la TENS en cas de neuropathie localisée, voire une neurostimulation médullaire dans les douleurs incontrôlables par des traitements médicamenteux ; ■ la physiothérapie, la kinésithérapie, notamment dans les douleurs postopératoires ou postradiques ; ■ l'acupuncture, l'auriculothérapie, la cryothérapie ; ■ les techniques de toucher-massage ; ■ les techniques de blocs locorégionaux ; ■ en dehors des thérapeutiques médicamenteuses, il faut souligner que l'approche psychologique, les thérapies cognitivo comportementales (TCC), la relaxation, le biofeed-back et l'hypnose peuvent être intégrées dans une stratégie thérapeutique globale ;

226   Partie 3. Pathologies douloureuses ■ les traitements chirurgicaux (chirurgie de la douleur, neurochirurgie) ont des indications, qui deviennent exceptionnelles ; ■ les traitements à application locale en cas de douleur neuro­pathique localisée, tels la capsaïcine ou les emplâtres d'anesthésiques locaux sont très utiles, notamment dans les douleurs localisées et dont la composante neuropathique est importante.

Conclusion Les douleurs du cancer relèvent de causes très variées qui nécessitent chacune une évaluation minutieuse aboutissant à des traitements spécifiques. Les douleurs du cancer restent sous-évaluées et sous-­ traitées, même si les freins à l'utilisation des opioïdes ont été levés (bien que les débordements venant de leur utilisation larga manu pour tous types de douleurs outre-Atlantique remettent en question de manière inappropriée leur bienfait dans le traitement réfléchi de la douleur du cancer). D'autres approches, non médicamenteuses, ont été mise en exergue ces dernières années mais nécessitent encore d'être évaluées scientifiquement. Le soulagement des douleurs demeure un souci à domicile mais, grâce à une collaboration étroite avec le médecin traitant, grâce à l'hospitalisation à domicile, aux centres d'oncologie et à leur consultation douleur et soins palliatifs, le travail en réseaux doit permettre que, progressivement, il y ait moins de patients cancéreux douloureux pour une qualité de vie, toujours augmentée quelle que soit l'issue de la maladie.

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Chapitre

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Douleurs et génétique Célia Lloret-Linares  PLAN DU CHAPITRE Ce qu'il faut comprendre . . . . . . . . . . . . . . . . . Variabilité génétique de la perception de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Ce qu'il faut comprendre La connaissance concernant les prédispositions génétiques à la douleur ou à la réponse à son traitement a rapidement progressé au cours des dernières années. La découverte de mutations génétiques responsables d'une insensibilité à la douleur, par exemple le syndrome de Lesch-Nyhan ou le syndrome de Riley-Day, a permis de suspecter le rôle de la génétique dans la variabilité de la perception de la douleur. Dès lors, des études d'association ont révolutionné la recherche biomédicale en permettant de faire des liens entre des variations génétiques et les douleurs ou la réponse au traitement, et de progresser dans la compréhension des mécanismes physiopathologiques de la douleur. Les données de ce chapitre permettent d'aborder la variabilité interindividuelle et d'inciter les cliniciens à avoir un objectif d'individualisation de prise en charge des sujets douloureux. La littérature étant désormais abondante, seuls certains exemples seront utilisés pour illustrer ces propos.

Variabilité génétique de la perception de la douleur Nociception et génétique La perception de la douleur est critique pour la survie face au danger environnemental, et elle a subi une pression évolutive rigoureuse. L'étude de jumeaux montre que environ 50 % de la sensibilité à la douleur sont héréditaires, et que des différences dans la perception de la douleur aiguë et chronique existent selon les origines ethniques [1]. Par exemple, les sujets d'origine africaine, les Américains et les hispaniques non caucasiens rapportent une sensibilité à la douleur plus importante que celle des types caucasiens [1]. De la même façon, les femmes rapportent une plus grande intensité du niveau douloureux que les hommes [1]. Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Variabilité génétique de la réponse aux analgésiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Il existe plusieurs gènes candidats de la douleur et de la variabilité de son intensité. Prenons l'exemple du gène de la catéchol-O-méthyltransférase (COMT), une enzyme impliquée dans la dégradation des catécholamines. Des auteurs ont examiné l'influence d'une variation génétique sur la modulation des réponses à la douleur prolongée chez l'homme au moyen d'imageries fonctionnelles [2]. Les individus porteurs de deux allèles met158 du polymorphisme de la COMT (val158met) avaient une diminution des réponses du système opioïde régional à la douleur par rapport aux porteurs d'un seul allèle. Cet état était accompagné d'évaluations sensorielles et affectives plus élevées de la douleur et d'un état affectif interne plus négatif. Des effets opposés ont été observés chez les porteurs de deux allèles val158. Le polymorphisme de la COMT val158met influe donc sur l'expérience humaine de la douleur et peut favoriser des différences interindividuelles dans l'adaptation et les réponses à la douleur et à d'autres stimuli stressants. Le récepteur μ, principal site de liaison des opioïdes, intervient dans la perception de la douleur et dans la détermination des effets des opioïdes. Il est codé par le gène OPRM1. Approximativement 100 variants ont été identifiés. Le plus connu est le polymorphisme A118G, dont la fréquence est variable dans la population selon l'origine géographique (2 à 48 %). Le récepteur « muté » conduit à une affinité supérieure pour les β-endorphines (3,5 fois). Le polymorphisme A118G influence la sensibilité à la douleur expérimentale. Les porteurs de l'allèle G ont des seuils de survenue de la douleur à la pression plus élevés que les porteurs de l'allèle A et des réponses corticales moindres aux stimuli douloureux expérimentaux [3, 4]. Toutefois, les femmes porteuses de cet allèle souffrent davantage dans les 24 premières heures suivant une césarienne que celles qui ne le portent pas [5]. En effet, il existe une interaction significative entre le sexe et le polymorphisme  A118G, comme le suggèrent des travaux concernant l'évolution de

231

232   Partie 4. Douleur selon le patient la douleur au cours des 12 mois suivant une hernie discale [2]. Les femmes porteuses de l'allèle G sont 2,3 fois plus douloureuses et présentent une récupération plus lente que les hommes porteurs de l'allèle G. Un autre exemple est une insensibilité au froid observée chez des sujets porteurs d'un polymorphisme du gène des récepteurs-canaux vanilloïdes TRPA1, un sous-type de récepteurs impliqué dans la sensibilité au chaud et au froid, mais également dans la réponse à la capsaïcine [6].

Douleurs aiguës et génétique Différentes études génétiques ont été réalisées dans un contexte postchirurgical. Dans le cadre de chirurgies programmées, la connaissance des facteurs de prédisposition à la survenue de douleurs importantes permettrait en effet de cibler des sujets à risque de mauvaise évolution : recours à de plus fortes doses d'opioïdes et conséquences associées, soit difficultés de rééducation et survenue de douleurs chroniques. Leur contrôle permettrait a priori d'éviter des prolongations d'hospitalisation en individualisant la prise en charge. Ces études distinguent peu le rôle des facteurs qui font varier la sensibilité à la douleur aiguë, des facteurs qui font varier les concentrations et l'effet des médicaments utilisés (cf. chapitre 14, « Traitements médicamenteux »). Il est attendu que les facteurs faisant varier la douleur aiguë soient assez semblables à ceux impliqués dans la nociception. Les polymorphismes du gène de la COMT, par exemple, font varier la consommation d'opioïdes en modulant la sensibilité et le vécu négatif de la douleur, tandis que les polymorphismes de OPRM1 sont impliqués dans la sensibilité à la douleur d'une part et dans la liaison des opioïdes au récepteur μ d'autre part.

Douleurs chroniques et génétique Les études de familles et de jumeaux sont intéressantes pour mieux connaître le risque génétique de douleurs chroniques. Dans une cohorte de 2195 familles issues de toute l'Écosse et du Royaume-Uni (soit 7644 personnes), l'héritabilité de la « douleur chronique » et de la « douleur chronique sévère » a été estimée à 16 et 30 % après ajustement sur différentes covariables, notamment sur les facteurs confondants [7]. En étudiant 3266 et 2256 jumelles souffrant de lombalgies chroniques ou de douleurs chroniques diffuses respectivement, il a été estimé que 70 et 39 % des douleurs étaient attribuables à des facteurs génétiques communs [8]. Des facteurs génétiques prédisposant aux douleurs chroniques postchirurgicales ont également été observés. Par exemple, des variations des gènes des canaux potassiques impliqués dans la transmission du signal douloureux seraient associées à des douleurs thoraciques postopératoires persistantes après chirurgie du cancer du sein [9]. Sept variations de 5 gènes différents ont été associées au risque de douleur légère chronique. Trois variations et un haplotype (association de plusieurs variations sur des gènes différents) étaient associés au risque de douleur sévère. Des variations génétiques de la COMT interviennent également dans le risque de douleurs chroniques à 6 mois d'une chirurgie de prothèse du genou.

Variabilité génétique de la réponse aux analgésiques Généralités Outre des variations génétiques qui affectent la perception douloureuse, un certain nombre de variations vont porter sur la réponse aux analgésiques. Il s'agit de modifications qui peuvent affecter l'élimination ou la bio-activation des médicaments – on parle de pharmacocinétique – et des variations qui peuvent affecter la cible des médicamentson parle de pharmacodynamie, mais la pharmacodynamie est elle-même sous l'influence des taux sériques des médicaments et donc de la pharmacocinétique. L'étude de la variabilité génétique de la réponse thérapeutique s'appelle la pharmacogénétique.

Exemples de variation génétique des cibles des médicaments Comme précédemment évoqué, les polymorphismes du gène du récepteur de la morphine sont impliqués dans la réponse aux opioïdes. Une moindre expression du gène est observée dans le tissu cérébral humain chez les sujets porteurs de l'allèle 118G du gène OPRM1 et plaide en faveur d'un défaut de production et de contenu du récepteur [10]. Il est donc attendu une moindre réponse aux opioïdes chez les porteurs. Dans des études expérimentales, en utilisant la taille pupillaire (ou myosis) comme marqueur d'effet des opioïdes, des auteurs ont montré qu'il fallait administrer quatre fois plus de métabolite actif de la morphine, le M6G, aux sujets porteurs de deux allèles G qu'aux sujets n'en ayant aucun, et deux fois plus chez les sujets porteur d'un allèle G [11]. Les sujets porteurs de deux allèles G nécessitent des concentrations sanguines de fentanyl 10 à 12 fois plus élevées que les autres patients pour obtenir un même degré de dépression respiratoire [12]. Cela a été confirmé en pratique clinique. Les sujets traités au long cours par morphine dans le cadre d'une pathologie cancéreuse et porteurs de deux allèles mutés requièrent des doses de morphine 2,3 fois plus élevées que les sujets n'en ayant pas. Des cas de sujets porteurs de l'allèle G à l'état homozygote, résistant à des doses élevées de morphine (2 g/jour) ou tolérant la morphine malgré une insuffisance rénale ont été décrits. Cette diminution d'efficacité s'accompagne aussi d'une diminution des effets indésirables.

Exemple de variation génétique des enzymes impliquées dans le métabolisme des médicaments Différentes variations génétiques du CYP2D6 sont à l'origine de 4 profils de métabolisme : les métaboliseurs « lents », à l'activité absente, les « intermédiaires », à l'activité ralentie, les métaboliseurs normaux, « bons métaboliseurs », et les « ultrarapides ». Chez les sujets d'origine caucasienne, 5 à 20 % auront une activité ralentie et 1 à 10 %, une activité ultrarapide. Il existe une variabilité interethnique de la fréquence de ses profils, la fréquence d'UM avec un gradient nord-sud atteint ainsi plus de 30 % dans

Chapitre 33. Douleurs et génétique    233 certaines populations d'Afrique et du Moyen-Orient [13]. Le profil d'efficacité-sécurité des opioïdes prodrogues, codéine, tramadol et oxycodone, dépend largement de l'activité du CYP2D6. La codéine, le tramadol et l'oxycodone sont des prodrogues qui nécessitent une bio-activation par le CYP2D6 en métabolites actifs afin d'exercer leur activité opioïde. Un sujet ultrarapide, par excès de formation de métabolites actifs, sera sensible au médicament administré, voire présentera un risque d'intoxication, tandis qu'un métaboliseur lent aura recours à des posologies plus importantes pour être soulagé. Cette variabilité est à l'origine de la contre-indication de la codéine chez l'enfant de moins de 12 ans. D'autres variations génétiques des enzymes du métabolisme peuvent avoir des conséquences. Par exemple, les anti-inflammatoires sont des substrats du CYP2C9. Il a été démontré que les sujets ayant une clairance réduite à la suite d'une variation génétique du CYP2C9 présentaient davantage de risque hémorragique que ceux n'en étant pas porteurs. Les sujets ayant une variation génétique du gène de l'enzyme UGT2B7 ont aussi un risque plus élevé d'hépatotoxicité du diclofénac que ceux ne l'ayant pas [14].

Conclusion À ce jour, la recherche de variations génétiques en routine a peu de sens, dans la mesure où les analyses génétiques ne sont souvent pas disponibles au moment de la prise en charge. Il n'est pas concevable de retarder une prescription d'analgésiques. Pourtant, des recommandations de posologies en fonction du génotype et du phénotype du CYP2D6 existent, et sont disponibles sur le site de The Pharmacogenomics Knowledgebase (https://www. pharmgkb.org), et l'utilisation de ces recommandations pourrait s'envisager dans le cadre de chirurgies programmées, par exemple. L'essentiel à retenir est qu'il existe une importante variabilité d'un individu à l'autre aux stimuli et aux approches thérapeutiques et qu'elle est en partie génétiquement déterminée. Elle justifie une surveillance rapprochée de l'efficacité et de la tolérance des médicaments pour une adaptation rapide de la stratégie thérapeutique.

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Chapitre

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Douleur et gériatrie Gisèle Pickering PLAN DU CHAPITRE Des douleurs difficiles à détecter . . . . . . . . . . . Traitements médicamenteux de la douleur chez le sujet âgé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Les projections démographiques font état d'une augmentation de 25 % du nombre de personnes âgées de plus de 75 ans d'ici 2025 : 11 % des plus de 80 ans souffrent de dépendance, et d'un nombre croissant de maladies neuro­dégénératives (en particulier démence et maladie de Parkinson). La littérature montre que la prévalence de la douleur chez la personne âgée est très élevée [1–4]. La douleur chronique touche environ 50 % des personnes âgées vivant à domicile, 49 à 83 % de celles vivant en institution et 80 % des personnes âgées en fin de vie ; 30 % des urgences gériatriques sont des douleurs aiguës. Les études suggèrent que la douleur est la plus fréquente au cours de la phase d'âge moyen tardif de la vie, et cela est vrai quel que soit le site anatomique ou la cause pathogène de la douleur. Les pathologies articulaires dégénératives comme l'arthrose montrent une augmentation exponentielle au cours du vieillissement. À un âge avancé, la présentation de la douleur est souvent atypique, avec une réduction de la plainte douloureuse et, quelquefois, de l'intensité des symptômes algiques, souvent dans un contexte de déficit cognitif. La prévalence de la douleur neuropathique chez le sujet âgé [5] a été largement sous-estimée pendant très longtemps, est évaluée à plus de 20 % dans l'arthrose [6] et comme atteignant jusqu'à 48 % de patients âgés vivant à domicile dans une étude finlandaise [7]. Cette identification est importante, car la douleur neuropathique est un facteur de déclin fonctionnel, souvent accompagné d'une perte d'autonomie et de dépendance [8–10]. En effet, la douleur est un facteur d'amplification de la vulnérabilité physique et psychologique, en particulier chez le patient âgé, mal communiquant et souffrant de pathologie cognitive et neurodégénérative. Des répercussions en cascade sont souvent observées sur l'accélération du déclin fonctionnel, le repli sur soi, l'anxiété, la dépression, l'anorexie, la dénutrition ou les troubles du sommeil, et également sur l'aggravation des handicaps et la perte d'autonomie [10]. Les grands défis de la prise en charge de la douleur dans ces populations vulnérables sont d'éviter la douleur par une démarche préventive, de la détecter, de l'évaluer et de la traiter efficacement. Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Des douleurs difficiles à détecter La prévention des douleurs induites et l'anticipation lors des actes courants de la vie quotidienne, comme la toilette et les soins, doivent être privilégiées. La détection de la douleur, qu'elle soit aiguë ou chronique, nociceptive ou neuropathique, est difficile en gériatrie et lors de maladies neurodégénératives. Le caractère iatrogène des douleurs lors des soins est aujourd'hui pris en considération [11] et des thérapies préventives sont proposées. Les outils d'évaluation de la douleur sont complétés par l'évaluation de son retentissement et le repérage de la souffrance psychique (évaluation gériatrique standardisée, pathologies chroniques préexistantes, sources d'incapacité, questionnaires). L'autoévaluation est le gold standard de l'évaluation de la douleur, avec une préférence pour l'échelle verbale et l'EN. Le questionnaire douleur Saint-Antoine, dans sa forme abrégée, et le DN4 ne sont pas validés en gériatrie, mais utiles pour les patients communiquants. Si l'autoévaluation est impossible, en particulier dans les cas de troubles de la communication et les maladies neurodégénératives, une échelle d'hétéroévaluation doit systématiquement être utilisée afin d'éliminer formellement un phénomène douloureux, qui doit être attentivement recherché en cas de modification du comportement. Plusieurs échelles fiables et validées existent en langue française, DOLOPLUS®, ECPA®-2, ALGOPLUS® et PACSLAC®. Néanmoins, ces échelles restent aujourd'hui sous-utilisées dans les établissements de santé et en médecine générale. En ce qui concerne l'évaluation de la douleur chez les patients âgés non communiquants, un algorithme a été proposé [12]. Il faut tenter systématiquement d'obtenir une autoévaluation de la douleur, même si le patient semble présenter des troubles cognitifs. Si l'autoévaluation semble fiable (si une Mini-Mental State Examination [MMSE] a pu être pratiquée), ce qui est en général le cas lorsque le score est supérieur ou égal 18), il faut confirmer les résultats par une hétéroévaluation avec une échelle brève (par exemple ALGOPLUS®), puis mettre éventuellement en place une thérapeutique antalgique en fonction des résultats obtenus.

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236   Partie 4. Douleur selon le patient Si l'autoévaluation est problématique, alors le recours à une hétéroévaluation avec ALGOPLUS® doit être systématique. Si le score obtenu avec cette dernière est de 0 ou de 1point sur 5, il faudra recourir aux échelles plus complètes, comme DOLOPLUS®, ECPA® ou PACSLAC®, car une évaluation négative avec ALGOPLUS® n'élimine pas l'existence d'une douleur chronique. En effet, ALGOPLUS® est recommandée pour l'évaluation de la douleur aiguë ; utilisée dans un autre contexte, elle peut conduire à sous-estimer la douleur chez 17 % des patients [13]. Une telle démarche augmente la sensibilité du dépistage et élimine le risque de faux négatifs. Enfin, il faudra procéder systématiquement à des réévaluations après la mise en place du traitement antalgique pour réadapter éventuellement la thérapeutique. En ce qui concerne la douleur neuropathique, un algorithme décisionnel a été également publié afin de sensibiliser à sa prise en charge chez le sujet avec troubles de la communication [14]. Cet algorithme décrit quatre étapes essentielles qui sont la détection en cas de suspicion de la douleur neuropathique, son évaluation, son traitement et sa réévaluation. Le dépistage rapide de la douleur chez le patient non communiquant, chez qui les troubles comportementaux et psychologiques peuvent être faussement attribués à des troubles psychiatriques, doit être systématiquement effectué afin de limiter le recours inutile à des psychotropes, dont les neuroleptiques, qui amplifieront les déficits cognitifs, en particulier lors de maladie neurodégénérative.

Traitements médicamenteux de la douleur chez le sujet âgé Les traitements médicamenteux de la douleur du sujet âgé ou souffrant de pathologie neurodégénérative sont les mêmes que ceux du patient plus jeune, mais les comorbidités et la polymédication majorent le risque iatrogène, les effets indésirables et les interactions médicamenteuses, une majoration qui va croissant depuis les quinze dernières années [15]. Les adaptations posologiques (poids, contexte clinique, insuffisance rénale, comédications) sont recommandées pour de nombreux antalgiques ; les formes topiques, à privilégier, sont encore peu nombreuses. L'impact cognitif et émotionnel de la douleur dans ces populations vulnérables doit être systématiquement recherché (car souvent masqué), afin de freiner le déclin fonctionnel fréquemment observé lors d'une pathologie intercurrente ou l'installation d'une douleur chronique réfractaire aux traitements recommandés. Les techniques non pharmacologiques sont conseillées en conjonction avec les médicaments antalgiques. Un consensus multidisciplinaire a été récemment publié sur l'utilisation des traitements de la douleur chez la personne âgée et s'est intéressé aux antalgiques et aux « coantalgiques » [16]. En dépit des publications récentes, dont certaines ont des biais méthodologiques, le paracétamol demeure le médicament prescrit en première intention dans les douleurs faibles à modérées. Toutefois, un ajustement posologique est recommandé dans un contexte de comorbidités et de coprescription de médicaments anticoagulants, à la posologie de 3 g par jour de paracétamol chez le patient de plus de 65–70 ans, en fonction de son état de santé. En ce qui concerne les AINS, leur prescription n'est envisagée

qu'avec des précautions d'emploi liées à leurs effets indésirables. En ce qui concerne l'utilisation des opioïdes faibles, leur prescription doit être rigoureuse et la posologie de l'opioïde spécifiée. Leur instauration à dose réduite et leur augmentation progressive sont rendues possibles par certaines formes galéniques qui offrent des possibilités d'adaptation posologique, ce qui implique de rester vigilant sur les effets indésirables et les interactions médicamenteuses. Pour l'utilisation des opioïdes forts, il faut retenir les recommandations suivantes : ■ connaître les différentes galéniques afin de tenir compte des capacités de déglutition, et adapter les voies d'abord du malade ; ■ choisir la voie d'administration la moins invasive possible et privilégier la voie orale ; ■ introduire un seul antalgique ou une seule molécule à la fois pour pouvoir évaluer et attribuer précisément d'éventuels effets indésirables ; ■ la titration de la dose efficace se fait préférentiellement avec un opiacé d'action immédiate réparti toutes les quatre à six heures, afin d'ajuster au mieux la posologie en tenant compte de l'efficacité et des effets indésirables. Toutefois, si le lieu de vie de la personne âgée ne le permet pas, une forme LP efficace sur 12 heures pourra être utilisée d'emblée ; ■ penser à prescrire du fentanyl transmuqueux (cancéro­ logie), quand le patient est bien équilibré, en cas d'ADP ; ■ il n'y a pas de dose maximale à ne pas dépasser du fait de l'âge ; ■ le peu de données relatives aux propriétés pharmacocinétiques et pharmacodynamiques des opiacés chez les personnes âgées ne permet pas d'en recommander un plus qu'un autre. Enfin, en ce qui concerne la douleur neuropathique, les recommandations suivantes ont été proposées : ■ le traitement des douleurs neuropathiques est un traitement prolongé de plusieurs mois, voire davantage ; ■ l'intervention d'une infirmière permettant d'encadrer la prise médicamenteuse et facilitant l'observance est indispensable ; ■ les traitements topiques sont à privilégier dans les douleurs neuropathiques localisées ; ■ l'instauration de ces traitements antalgiques nécessite une ascension posologique prudente en privilégiant une prise en charge multimodale ; ■ les effets indésirables médicamenteux doivent être dépistés le plus tôt possible afin de maîtriser les risques iatrogènes fréquents dans ces classes thérapeutiques chez la personne âgée. L'optimisation du développement de la médecine de la douleur en gériatrie et dans les maladies neurodégénératives en France doit cibler tous les aspects de la pratique clinique, de la pédagogie et de la recherche. Il est primordial de favoriser l'adhésion et la collaboration des personnes âgées, quel que soit leur statut cognitif. Aussi, prendre le temps d'expliquer le choix du médicament, son effet attendu, son délai d'action, ses éventuels effets indésirables et leur gestion, qui doit être anticipée, est essentiel. Associer l'entourage à la démarche est pertinent et privilégier l'ETP permet de favoriser l'observance et d'éviter le mésusage.

Chapitre 34. Douleur et gériatrie    237 Un certain nombre de défis pour optimiser la prise en charge de la douleur chez la personne âgée ou souffrant de maladies neurodégénératives ont été proposés dans le livre blanc de la douleur [17] et au niveau européen [18]. En pédagogie, il est important de poursuivre la construction au niveau national d'une force d'intervention multidisciplinaire en médecine de la douleur en gériatrie, en soins palliatifs et neurologie, etc. : les sociétés savantes doivent collaborer activement afin de rendre la douleur en gériatrie et dans les maladies neurodégénératives attractive pour les professionnels de santé. En recherche, il existe un vrai besoin d'essais cliniques médicamenteux randomisés de bonne qualité, d'études observationnelles larges et d'études sur les bénéfices de la synergie des techniques pharmacologiques et non pharmacologiques. En clinique, il s'agit : ■ de poursuivre la diffusion de l'approche graduelle de détection, d'évaluation et de traitement pharmacologique et non pharmacologique de la douleur, et la réévaluation de celle-ci ; ■ de promouvoir l'utilisation des échelles de la douleur dans tous les milieux de vie des patients âgés ou atteints de maladie neurodégénérative ; ■ d'enrichir les recommandations de prise en charge de la douleur, en particulier lors de troubles de la communication et de la verbalisation ; ■ de sensibiliser aux effets indésirables et aux interactions médicamenteuses dans le contexte fréquent de polymédication, de comorbidités, de déficit cognitif et de fragilité ; ■ de cibler les conséquences de la douleur per se, ainsi que des analgésiques sur les domaines cognitifs et émotionnels de la douleur, et considérer les stratégies de coping qui peuvent être mises en place ; ■ de prévenir la douleur, l'anticiper, la prendre en charge le plus vite possible, avec une balance bénéfice-risque optimisée.

Conclusion Prendre en charge la douleur est un défi éthique chez la personne âgée souvent vulnérable, pour favoriser une qualité de vie préservée et optimisée.

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Douleur chez l'enfant et l'adolescent Barbara Tourniaire  PLAN DU CHAPITRE Les différents types de douleurs . . . . . . . . . . .

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Dans ce chapitre seront abordés les grands principes de prise en charge des douleurs en pédiatrie et les principales douleurs chroniques de l'enfant et de l'adolescent. Plus l'enfant est petit, moins il a les capacités cognitives pour comprendre ce qui lui arrive. La présence des parents à ses côtés chaque fois que la famille le souhaite est un atout indispensable. Tous les moyens et toutes les explications doivent être donnés à l'enfant et aux parents pour qu'ils puissent au mieux aider leur enfant. La communication avec l'enfant doit être adaptée à son âge. Quelques règles simples sont utiles : observer d'abord l'enfant à distance, s'approcher doucement en vérifiant son état émotionnel, ne pas le brusquer, utiliser le jeu pour obtenir son adhésion, y compris dans les explications pour les plus petits puis, une fois la confiance obtenue, s'adresser directement à lui. Dès 4 à 5 ans, l'enfant pourra répondre à bon nombre de questions lui-même, au moins en partie, surtout si elles lui sont posées dans un vocabulaire simple, l'une après l'autre, et assorties d'encouragements. Avant ses 7 ans, l'enfant est très autocentré, a du mal à se mettre à la place de l'autre et pense sa pensée transparente pour les adultes. Aussi faudra-t-il vraiment l'encourager à partager ce qu'il ressent. De même à cet âge dispose-t-il de très peu de moyens propres pour se rassurer ; il n'a le plus souvent aucune référence pour savoir comment les soins ou les consultations vont se dérouler. Les médecins et tous les professionnels de santé doivent donc expliquer à l'enfant d'emblée le déroulement des soins et de la consultation. Quand l'enfant grandit, entre 8 et 11 ans, il devient un partenaire de soins, a souvent très envie d'en savoir plus et collabore assez facilement avec les soignants. Les explications claires lui seront très utiles. À l'adolescence, un temps spécifique doit être proposé en consultation, sans les parents. Avec lui, il faudra convenir de ce qui sera restitué aux parents. Cet accès aux soins seul est Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Douleurs chroniques les plus fréquentes en pédiatrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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primordial et permet bien souvent de comprendre la situation familiale et personnelle dans laquelle l'adolescent se trouve. Dans la douleur chronique, les explications, les émotions et l'ETP jouent un rôle majeur. Une place devra être identifiée pour les parents dans ce processus.

Les différents types de douleurs Douleur aiguë Comme chez l'adulte, l'objectif du traitement est de ramener l'intensité de la douleur à 3 ou à 4/10. Des recommandations françaises concernant la douleur de l'enfant ont été publiées en 2000 par l'HAS, en 2009 par l'AFSSAPS, et à nouveau en 2016 par l'HAS [1]. Elles regroupent l'ensemble des données publiées dans les principales situations de douleur pour lesquelles nous disposons de littérature, précisent les indications et les posologies. Les recommandations les plus récentes publiées après l'alerte sur la codéine en pédiatrie rappellent que : ■ les moyens non médicamenteux, tels que l'information de l'enfant et de sa famille, la distraction, la relaxation, l'hypnose, etc., contribuent à la diminution de la douleur. La présence des parents est un facteur essentiel de soulagement et de sentiment de sécurité ; ■ le paracétamol en première intention est à réserver aux douleurs faibles à modérées. La posologie est de 15 mg/kg/prise, 4 fois par jour. La voie intrarectale ne doit plus être utilisée du fait de sa faible biodisponibilité ; ■ l'ibuprofène est l'AINS à recommander en première intention en pédiatrie dans la plupart des douleurs aiguës modérées à intenses. Le rapport de l'OMS de 2012 précise qu'« aucun autre AINS n'a été suffisamment étudié en pédiatrie, en termes d'efficacité et de sécurité, pour 239

240   Partie 4. Douleur selon le patient être recommandé comme une alternative à l'ibuprofène » et que l'ibuprofène a montré une efficacité supérieure à celle du paracétamol dans la douleur aiguë. Dans certaines situations comme la traumatologie et certaines douleurs postopératoires, les AINS ont montré une efficacité supérieure aux antalgiques de palier 2, voire de palier 3, contrairement à l'idée implicite induite par la classification de l'OMS en paliers. Prescrit aux posologies recommandées (20 à 30 mg/kg/j) par voie orale et pour une durée courte (48 à 72 heures), les effets indésirables sont rares. En France, la peur de l'utilisation des AINS est importante et en grande partie infondée. Les précautions d'emploi et contre-indications doivent être respectées. La posologie est de 20 à 30 mg/kg/jour en 3 ou 4 prises ; ■ le tramadol, antalgique de palier 2, peut être recommandé en alternative à la codéine chez l'enfant de plus de 3 ans, dans certaines situations cliniques de prise en charge d'une douleur intense d'emblée, ou en cas d'échec du paracétamol et de l'ibuprofène. Cependant, son métabolisme suit en partie la même voie que la codéine, par le cytochrome P450 2D6, et des événements indésirables graves peuvent survenir. La posologie est de 1 à 2 mg/kg/prise, trois à quatre fois par jour ; ■ la morphine orale est recommandée dans la prise en charge des douleurs intenses ou en cas d'échec des antalgiques moins puissants. Elle est la molécule de choix pour ce type de douleurs. La posologie de départ par voie orale pour la forme à libération dite immédiate est de 0,2 mg/kg/prise, quatre à six fois par jour. Elle sera rapidement évaluée et adaptée. Pour des titrations ou des douleurs très intenses d'emblée, une dose de charge de 0,4 à 0,5 mg/kg sera proposée. Chez l'enfant de moins de 1 an, la posologie initiale sera réduite ; ■ la morphine par voie i.v. peut être utilisée dès la naissance, à des posologies adaptées, par des équipes entraînées, et moyennant une surveillance adaptée. Les recommandations de la HAS précisent les traitements préconisés dans chaque situation clinique de douleur aiguë. Le guide « La douleur de l'enfant. L'essentiel » [2], disponible aussi librement en e-book sur le site www.pediadol. org, détaille les traitements et les situations cliniques les plus courantes.

Douleur provoquée par les soins Si l'adulte comprend très bien que les soins sont utiles pour le traitement, cela n'est pas le cas en pédiatrie  : l'enfant avant environ 6  ans comprendra difficilement qu'on lui fasse du mal pour son bien. Le soignant devra expliquer le soin de manière à la fois adaptée à l'âge et précise mais non anxiogène. Le rôle de la cognition dans le contrôle de la douleur, bien connu, est dépassé chez l'enfant petit. La douleur sera majorée. Tout doit donc être fait pour rassurer l'enfant, le distraire, l'aider, etc. Bien souvent, il sera dit à tort que l'enfant a plus peur que mal, alors qu'il a à la fois peur et mal. L'anxiété doit donc être prise en compte très spécifiquement. L'accueil, la présence des parents, des explications adaptées, des équipes formées à la distraction et à l'hypno-analgésie seront donc des points clés.

Enfin, tous les traitements antalgiques disponibles doivent être utilisés : allaitement, solutions sucrées et succion non nutritive jusqu'à 4 à 6 mois, solutions hypersucrées ensuite, crème anesthésiante, MEOPA, pour tous les soins douloureux. Il n'y a aucune raison de ne pas les utiliser quand ils sont disponibles. Les études montrent bien la mémorisation de la douleur, y compris chez les nouveau-nés. Contrairement à ce qui était souvent dit : « il est petit, il oubliera », au contraire, le risque est la mémorisation, l'anxiété, voire la phobie. Une attention toute particulière doit être portée aux premiers soins qui, s'ils se passent mal, vont souvent rendre les soins suivants encore plus difficiles. L'information, l'installation de l'enfant et du soignant, la présence des parents et l'anticipation du soin sont nécessaires au bon déroulement de celui-ci. En particulier, bien sûr, dans les maladies chroniques ou dans les soins nécessaires à répétition, des protocoles de soins doivent être réfléchis de manière pluriprofessionnelle. Le site www.pediadol.org et le guide de poche L'essentiel, disponible sur ce même site précisent toutes les posologies et conduites à tenir en fonction des soins.

Douleur prolongée ou chronique Lorsque la douleur dure au-delà de quelques heures pour les plus petits, quelques semaines ou mois ensuite, les caractéristiques de la douleur chronique se précisent. L'évaluation ne doit plus concerner seulement la description des douleurs, leur localisation et leur intensité ; elle doit aussi, voire surtout, s'intéresser au retentissement de la douleur sur la vie de l'enfant et de sa famille. Nous ne disposons que de peu d'études épidémiologiques sur la douleur récidivante ou chronique de l'enfant. La plupart sont fondées sur des enquêtes en milieu scolaire qui, distinguant mal la sévérité et la fréquence des douleurs, font état de chiffres extrêmement variables [3]. Il peut peut-être être avancé que 2 à 4 % des enfants présenteraient des douleurs chroniques invalidantes. En 2013, une étude réalisée dans les structures douleur pédiatrique françaises a montré que les principaux motifs de consultation sont les céphalées (55 %), les douleurs musculosquelettiques (26 %), les douleurs diffuses concernant plus de deux sites (12 %), les douleurs abdominales (6 %) et les douleurs neuropathiques (1 %) [4]. La qualité de vie et l'absentéisme scolaire doivent être évalués, ainsi que le maintien ou non des activités extrascolaires, les sorties, les relations amicales, les invitations, le sport et la situation globale de l'enfant et da sa famille. Parallèlement au bilan étiologique, les éléments psychologiques seront abordés avec la famille, ainsi que la recherche de solutions pour sortir de la situation actuelle. Si le praticien attend la normalité de tout le bilan pour évoquer ces éléments émotionnels, la situation sera ressentie comme : « on n'a rien trouvé, il n'a rien, c'est psy ». Avoir d'emblée abordé les intrications et retentissements réciproques évite cet écueil. Lorsque la douleur résiste aux moyens habituels, lorsqu'elle paraît plus importante qu'attendue, lorsque le retentissement est lourd, que l'absentéisme scolaire de

Chapitre 35. Douleur chez l'enfant et l'adolescent    241 l'enfant est important ou qu'il y a arrêt des activités habituellement réalisées à cet âge-là, lorsque la composante psychologique n'est pas acceptée par la famille, l'enfant devra être adressé en structure douleur ayant des compétences en pédiatrie. Les consultations douleur chronique de l'enfant et de l'adolescent sont longues ; elles comportent un temps individualisé pour l'adolescent, et supposent une attention particulière pour obtenir l'alliance de chacun tout en respectant chaque place. Les recommandations HAS précisent l'absence d'indication des morphiniques dans les douleurs chroniques non cancéreuses de l'enfant, en tous cas en dehors d'une prise en charge globale en structure spécialisée. Les risques d'abus existent dans ces situations de douleur chroniques, en particulier en cas de troubles de l'humeur associés. Des documents d'information pourront être remis aux familles, en fonction de la situation clinique. Un livre d'information très utile aux familles peut leur être indiqué : Comprendre et vaincre la douleur chronique de votre enfant [5]. Cet ouvrage est très intéressant aussi pour les professionnels. Une vidéo d'une dizaine de minutes réalisée par Zernikow, spécialiste allemand de la douleur de l'enfant, explique aussi de manière très didactique aux adolescents et aux parents ce qu'est la douleur chronique [6].

Douleurs chroniques les plus fréquentes en pédiatrie Céphalées primaires de l'enfant La migraine et la céphalée de tension sont de très loin les céphalées récurrentes les plus fréquentes de l'enfant. La névralgie du trijumeau et les AVF sont extrêmement rares en pédiatrie. Migraine et céphalées de tension sont souvent associées chez l'enfant et la recherche pour chaque enfant des deux entités doit être faite méticuleusement et de manière séparée. Ainsi, la première question à poser à l'enfant est « as-tu deux sortes de maux de tête : parfois des gros lors desquels tu dois arrêter tout ce que tu étais en train de faire, te coucher, etc. et parfois des petits, pendant lesquels tu peux continuer à faire ce que tu veux ? ». Si l'enfant a les deux, il sera questionné d'abord sur les plus intenses, probablement de type migraineux puis sur l'autre. La classification ICHD3 (International Classification of Headache Disorders) détaille tous les critères et permet aux cliniciens, dans sa version électronique www.ichd-3.org, un accès très facile non seulement aux critères diagnostiques mais à de nombreuses aides cliniques.

Migraine de l'enfant La migraine est la cause la plus fréquente des céphalées intenses récurrentes de l'enfant : dans la population générale, 5 % des enfants de 5 ans sont migraineux, 10 % à 10 ans et 15 % à l'adolescence. Tous ne consultent pas, car dans les formes les plus simples, des antalgiques de niveau 1 et le sommeil suffisent à arrêter la douleur.

Seul l'interrogatoire permet de diagnostiquer le type de céphalée, interrogatoire centré sur l'enfant dès qu'il est en âge de s'exprimer, interrogatoire composé de questions simples. Les parents découvrent bien souvent des éléments qu'ils méconnaissaient. La façon de questionner l'enfant et sa famille est primordiale ; un déroulement simple des questions leur permet de s'y retrouver.

Rechercher l'existence de crises de migraines par des questions simples à l'enfant et à ses parents (tableau 35.1) Les deux seules différences par rapport aux migraines de l'adulte sont des céphalées fréquemment bilatérales et une durée plus courte (deux heures au minimum au lieu de quatre heures chez l'adulte). En pratique, tout enfant ayant présenté au moins cinq fois dans sa vie des crises de céphalées intenses lors desquels il a arrêté spontanément ses activités, et eu soit des nausées-vomissements, soit une phonophotophobie, est migraineux. D'autres signes sont fréquemment associés aux migraines de l'enfant, et doivent être recherchés, mais ne font pas partie des critères diagnostiques au sens strict du terme : les vertiges ou sensations vertigineuses, les douleurs abdominales et la pâleur. Enfin, des auras peuvent être présentes : visuelles, auditives, sensitives, du langage ou motrice. Chez l'enfant, elles surviennent le plus souvent pendant la céphalée et non avant, et sont le plus souvent à type de tâches colorées ou de flou visuel que de scotomes et autres auras de l'adulte. Elles doivent être recherchées auprès de l'enfant, directement, au moyen de questions simples : « quand tu as très mal à la tête, cela t'arrive-t-il de voir des choses bizarres ? (aura visuelle), d'entendre des choses bizarres (aura auditive), de sentir des choses bizarres sur le corps Tableau 35.1 Critères de l'OCHD3. Quelles questions à poser aux enfants. Critères ICHD3

Questions à poser à l'enfant

Au moins 5 crises Durée : de 2 à 72 heures Au moins 2 caractéristiques : – localisation unilatérale ou bilatérale – pulsatile – modérée ou sévère – aggravation par l'activité physique

Quand tu as très mal à la tête : – peux-tu me montrer à quel endroit de ta tête tu as mal ? – peux-tu me dire comment est cette douleur ; est-ce que ça tape ? – peux-tu donner une note entre 0 et 10 (ou sur une échelle des visages ou sur une EVA) ? – es-tu obligé de te coucher ou peux-tu continuer tes activités ?

Au moins une caractéristique : – nausées ou vomissements – photophobie et phonophobie

Quand tu as très mal à la tête : – as-tu envie de vomir ? vomis-tu parfois ? – es-tu gêné par le bruit, par la lumière ?

Examen clinique normal

242   Partie 4. Douleur selon le patient (aura sensitive), de ne plus arriver à bouger un bras ou une jambe (aura motrice) ou de ne plus arriver à parler normalement (aura du langage) ? ». La fréquence de ces migraines sera précisée.

Rechercher les facteurs déclenchants Seulement ensuite, l'enfant sera interrogé sur les facteurs déclenchants, et on le laissera citer d'abord spontanément les situations qui peuvent déclencher des maux de tête. Puis une liste des facteurs les plus fréquents lui sera proposée, en commençant par les facteurs extérieurs banals tels que la chaleur, la lumière, le bruit, le froid, la chaleur (« quand il fait très chaud, cela peut-il te donner mal à la tête ? ») ; puis les activités physiques, le sport, l'agitation pour les plus petits, les stimulations vestibulaires, les chocs sur la tête ; le jeûne, les facteurs alimentaires (très rares chez l'enfant), la fièvre ; puis les difficultés du sommeil ou les nuits courtes, ce qui commence aussi à mobiliser les éléments émotionnels ; puis le stress, l'inquiétude (« quand tu es stressé, inquiet, que tu te fais du souci, cela peut-il te donner mal à la tête ? »). Ces questions simples, progressant des facteurs extérieurs aux facteurs émotionnels, permettent à l'enfant et sa famille de bien identifier les facteurs déclenchants, et au professionnel, de voir les résistances ou non à aborder certains d'entre eux, les associations faites ou non.

Association migraines-céphalées de tension très fréquente chez l'enfant Environ deux tiers des enfants présentent à la fois des migraines et des céphalées de tension. Cette association doit être bien recherchée et nommée lors de la consultation. Il est intéressant de faire, avec la famille, un diagramme pour illustrer cette situation et sur lequel le traitement peut aussi être indiqué.

Céphalées chroniques Le plus souvent, l'enfant présente d'abord une phase de céphalées de tension et/ou de migraines puis, progressive­ ment, des épisodes de plus en plus fréquents, puis une ­céphalée chronique, définie comme présente plus de 15 jours par mois. Il pourra s'agir de céphalée de tension chronique ou de migraine chronique (plus de 15 jours de céphalées par mois, dont au moins 8 jours de migraines). Dans cette dernière situation, le plus souvent un absentéisme scolaire important s'installe. Cette chronicisation apparaît principalement sous l'effet de facteurs émotionnels personnels ou familiaux. Lorsque le stress scolaire est le premier en cause, les vacances améliorent souvent la situation. Plus rarement, une céphalée chronique s'installe de novo.

Informer

Traitement

Expliquer à l'enfant et sa famille que la migraine est une maladie héréditaire, « de famille », que le cerveau est « comme un peu trop sensible » et répond facilement à des stimulations parfois banales, parfois moins, de la vie. Bien souvent, quand les crises se rapprochent, les facteurs émotionnels sont devenus très présents et évoquer cette intrication de manière simple permet aux familles de l'aborder plus facilement. Ces explications sont la condition sine qua non d'un traitement bien conduit. Elles permettent aux familles de percevoir l'intrication entre le terrain héréditaire et les facteurs déclenchants sur lesquels ils vont pouvoir ou non jouer pour diminuer le nombre de crises.

Traitement médicamenteux

Céphalées de tension La question est cette fois-ci : « as-tu parfois de petits maux de tête, pendant lesquels tu peux continuer tes activités, qui passent tout seuls, sans médicaments ? » Les critères diagnostiques sont les mêmes que chez l'adulte : ■ avoir eu dix épisodes de crises typiques (ou deux crises avec aura) ; ■ céphalée modérée, non pulsatile ; ■ non aggravée par l'activité ; ■ sans nausée-vomissement ; ■ phono- ou photophobie possible, mais non associée. La fréquence de ces céphalées de tension est recherchée.

Des recommandations guident la thérapeutique [1]. Cependant le nombre d'études pédiatriques est limité. Sont recommandés les AINS en première intention, en particulier l'ibuprofène et, en cas d'échec, le sumatriptan, seul triptan ayant une AMM en pédiatrie à partir de l'âge de 12 ans et d'un poids de 35 kg. En deçà, si l'ibuprofène est insuffisant, le paracétamol sera associé, environ une heure plus tard. Les formes inhabituelles ou résistantes aux traitements seront adressées en consultation spécialisée. Un exemple de prescription pour un enfant de plus de 40 kg suit : ■ en tout début de crise de migraine, prendre rapidement de l'ibuprofène 400 mg ; ■ en cas d'échec, 60 minutes plus tard, administrer une pulvérisation de sumatriptan 10 mg dans une narine. Pour un enfant de 6 ans, pesant 20 kg, la prescription peut être la suivante : ■ en tout début de crise de migraine, prendre rapidement de l'ibuprofène 200 mg ; ■ en cas d'échec, 60 minutes plus tard, administrer du paracétamol 300 mg. Il est important de tenir un agenda mentionnant les facteurs déclenchants et l'efficacité thérapeutique. Il n'y a pas d'indication de traitement médicamenteux pour les céphalées de tension, mais les méthodes psycho­ logiques, telles que la relaxation et l'hypnose ont montré son efficacité, ainsi qu'en traitement de fond de la migraine.

Chapitre 35. Douleur chez l'enfant et l'adolescent    243

Méthodes psychocorporelles Plus de vingt études randomisées ont montré l'efficacité de la relaxation, l'hypnose et les moyens psychologiques comme les TCC dans la douleur chronique de l'enfant, et en particulier les céphalées. Chaque médecin recevant des enfants douloureux devra identifier des professionnels formés à ces méthodes, principalement des psychologues et psychomotriciens.

Des supports d'information Délivrer un support d'information en consultation est une aide majeure pour l'enfant, sa famille et le milieu scolaire qui devra être informé et aider l'enfant à prendre son traite­ ment quand nécessaire. Des livrets ont été réalisés et sont disponibles  : www.sparadrap.org, ainsi qu'un site www. migraine-enfant.org. Pour en savoir plus, un ouvrage complet est disponible [7].

Douleurs musculosquelettiques Devant des douleurs musculosquelettiques (DMS), un interrogatoire et un bilan permettent d'évoquer ou d'éliminer les pathologies inflammatoires, tumorales, les maladies osseuses, etc. Le traitement étiologique sera instauré parallèlement au traitement antalgique. Un recours à une consultation douleur peut être nécessaire si la douleur résiste, est invalidante et a un retentissement important sur la vie. Une prise en charge pluriprofessionelle sera alors proposée. Nous évoquerons ici les deux types de DMS les plus fréquemment observées en consultation douleur pédiatrique : le SDRC de type 1 (algodystrophie) et les DMS diffuses à bilan normal.

Le syndrome douloureux régional complexe de type 1 Les hypothèses physiopathologiques et la description ne seront pas reprises en détail, elles l'ont été dans le chapitre 31, « Le syndrome douloureux régional complexe ». Les spécificités pédiatriques sont une phase chaude souvent brève, voire absente, et rapidement, une phase froide, avec une atteinte prédominante des membres inférieurs, principalement chez des jeunes filles prépubères ou adolescentes, à la suite, ou non, d'un traumatisme bénin. La douleur est décrite dans des termes de douleur neuropathique, et le membre atteint est très souvent intouchable, hyperesthésique. L'enfant arrivera en consultation s'appuyant sur une béquille ou en fauteuil roulant sans chaussure, ou le bras en écharpe, ou pendant, ou encore rétracté dans une position vicieuse. Le toucher, même léger et la moindre mobilisation seront très douloureux. La peau peut être marbrée ou sèche, pouvant prendre parfois un aspect impressionnant comme un membre violacé. L'atteinte est « en chaussette » ou « en gant ». Ces signes de douleur neuropathique s'étendent souvent, a minima, au-delà de la zone douloureuse, parfois jusqu'à l'hémicorps. Si la littérature peine à montrer l'existence de caractéristiques psychologiques particulières, dans la très grande majorité des cas, le SDRC de l'enfant commence dans une période de difficultés psychologiques individuelles ou fami-

liales. Il est très rare de ne pas trouver d'élément de ce type. La qualité de la relation avec l'adolescent en consultation, la confiance, mais aussi des échanges orientés et souples, suivant les mouvements de l'adolescent, son histoire et le contexte dans lequel les douleurs se sont installées permettront de comprendre la situation. Évoquer en douceur les difficultés que l'adolescent a eu à affronter sera très aidant. Le questionner directement sur son anxiété et son humeur est important. Les propositions thérapeutiques pourront alors être adaptées, fondées principalement sur les méthodes psychologiques. Aucun traitement médicamenteux n'a montré son efficacité dans le SDRC de l'enfant, du fait aussi d'un manque d'études suffisantes. Les molécules contre les douleurs neuro­ pathiques pourront aider, comme l'amitriptyline ou la gabapentine. Les manœuvres locales n'ont pas montré leur efficacité et sont souvent quasi impossibles du fait de la douleur. L'immobilisation n'est pas aidante, la douleur persiste sous plâtre ou attelle. Une prise en charge précoce est nécessaire pour éviter l'immobilisation trop longue d'un membre, une perte musculaire ou une raideur articulaire. Le rôle des explications, la confiance de la famille, la discussion sur les intrications de la maladie avec les éléments émotionnels, les soins psychologiques et psychocorporels doivent être au premier plan. Lorsque le lien entre les émotions et la douleur a pu être fait par l'adolescent et sa famille, l'amélioration est plus facile, voire rapide. Dans le cas inverse, il est parfois long d'arriver à démêler les choses. Les échanges entre professionnels ou la prise en charge en équipe pluriprofessionnelle (médecin, psychologue, kinésithérapeute, etc.) sont nécessaires. Parfois, la situation est trop complexe, l'enfant est déscolarisé et le milieu scolaire, impuissant ou dépassé. Une hospitalisation en centre médicalisé, avec scolarité intégrée, peut aider à sortir de cette impasse. Nous manquons de données épidémiologiques sur le devenir de ces enfants, mais la pratique clinique montre une amélioration dans la plupart des situations, avec une prise en charge globale adaptée [8, 9].

Douleurs musculosquelettiques diffuses inexpliquées Comme chez l'adulte, mais de manière beaucoup moins fréquente, certains adolescents décrivent des DMS diffuses. Les localisations sont variables. Après avoir éliminé les pathologies possibles, la question du diagnostic à évoquer et des mots à utiliser se pose. L'examen clinique peut montrer soit plusieurs zones douloureuses, soit une douleur diffuse. Le schéma du bonhomme est alors intéressant. L'étiologie de ces douleurs reste inconnue. Parfois le diagnostic de fibromyalgie est énoncé soit par l'entourage, soit par un professionnel. Nous ne disposons actuellement pas d'études affirmant que cette entité existe chez l'adolescent. Le risque pourrait être de figer un diag­ nostic, avec la lourdeur inhérente.

244   Partie 4. Douleur selon le patient Le rôle des émotions, des éléments de vie, des histoires familiales, etc. apparaît souvent important. Certaines familles continuent, malgré la normalité des examens, à rechercher une étiologie. Cela peut conduire à une escalade de bilans et, parfois, de traitements. Les échange de qualité entre professionnels et familles pourront dans ce cas éviter un engrenage terrible. Comme dans les SDRC, le retentissement est parfois tel qu'un temps d'hospitalisation en centre médicalisé avec scolarité intégrée et programme de soins est nécessaire. Le livret d'information intitulé Sur le chemin de la douleur avec Sacha est très utile pour expliquer la douleur chronique de ce type aux adolescents et leur famille [10]. Il apporte une aide aux professionnels pendant les consultations pour expliquer la douleur chronique et ses intrications.

Douleurs abdominales récurrentes

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Les douleurs abdominales récurrentes sont très fréquentes, puisqu'elles touchent 10 à 20 % des enfants et adolescents, voire plus. Ces douleurs ont tendance à persister plusieurs années plus tard, voire à l'âge adulte, dans un tiers des cas selon la plupart des études. Un des facteurs prédictifs est d'avoir un parent atteint lui aussi. Si un bilan minimal s'impose souvent pour éliminer une maladie digestive, parfois, les douleurs deviendront invalidantes et conduiront à de multiples bilans et avis spécialisés. La recherche effrénée d'une étiologie organique sans évoquer avec la famille l'existence de douleurs fonctionnelles risque de favoriser ces excès. Comme pour les autres douleurs chroniques, une prise en charge globale sera nécessaire, avec compréhension des éléments de vie, des intrications scolaires, familiales et individuelles, de l'anxiété, de l'humeur et du retentissement scolaire. Les études sur les éléments psychologiques ne sont pas concordantes et montrent pour certaines l'absence de psychopathologie connue, pour d'autres une anxiété de l'enfant ou de la famille, des conflits ou événements de vie, un stress, une dépression. Pour le praticien, il s'agira de questionner l'enfant et sa famille, comme pour les autres douleurs chroniques, sur les événements et d'évoquer si possible leur lien avec la douleur, d'aborder ouvertement leur rôle et d'exprimer le fait que les émotions renforcent bien souvent la douleur et doivent donc être prises en compte pour qu'il y ait une amélioration. Le fonctionnement de la famille, la place qu'y tient la douleur et, parfois le rôle qu'elle y joue seront explorés. Il a été montré que l'évolution était moins favorable dans les familles où cette prise en compte globale de l'enfant et des éléments de vie n'était pas acceptée et lorsque de nombreux médecins étaient consultés. À l'inverse, elle était meilleure quand des soins psychologiques étaient acceptés. Il a été montré qu'un excès d'attention porté aux douleurs par l'entourage avait un impact négatif sur l'enfant, de même que l'inattention. En revanche, les mesures de distraction sont utiles. Alors que certaines familles associent assez facilement douleurs abdominales et anxiété ou éléments émotionnels, pour d'autres, ce lien sera beaucoup moins évident. Le rôle de l'information sur les douleurs fonctionnelles abdominales est important, sans que soit niée la réalité du ressenti douloureux. Le film Le ventre, notre deuxième cerveau, facile

ment accessible, peut être une aide pour de nombreuses familles, ainsi que la vidéo disponible sur le site Pediadol. Les études réalisées montrent que la plupart des traitements médicamenteux sont des échecs : antiacides, antidépresseurs. Les antispasmodiques n'ont pas fait l'objet d'études de bonne qualité méthodologique, ni les antalgiques. Les modifications du régime alimentaire sont souvent conseillées par excès et malgré l'absence d'arguments scientifiques. Les probiotiques ont pu montrer une certaine efficacité. En revanche, les méthodes psychologiques ont montré des résultats positifs : TCC, relaxation et hypnose.

Douleurs neuropathiques Les douleurs neuropathiques de l'enfant sont beaucoup plus rares que celles de l'adulte, du fait à la fois de l'étiologie et de la plasticité neuronale de l'enfant. Elles doivent cependant être connues. Elles sont décrites dans les mêmes termes que chez l'adulte, chez l'enfant à partir d'environ 8 ans. Auparavant, il faudra l'évoquer dans le cas d'un enfant ne se laissant pas toucher ou ayant des douleurs par pics brefs. Elles doivent être recherchées à l'interrogatoire et à l'examen clinique. La publication d'une version pédiatrique du DN4, validée, est en cours. Des illustrations des mots piqûre, brûlure, picotements, etc. aident les enfants à décrire leurs douleurs. Nous ne disposons que de peu d'études pédiatriques dans ces douleurs. Un article récent résume les données pédiatriques [11].

Références [1] Recommandations HAS 2016. Prise en charge médicamenteuse de la douleur chez l'enfant : alternatives à la codéine. https://www.hassante.fr/portail/jcms/c_2010340/fr/prise-en-charge-medicamenteusede-la-douleur-chez-l-enfant-alternatives-a-la-codeine. [2] Fournier-Charrière E, Tourniaire B. Groupe Pediadol. In : La douleur de l'enfant. L'essentiel ; 2015. Paris : édition Pediadol. [3] King  S, Chambers  CT, Huguet  A, MacNevin  RC, McGrath  PJ, ­Parker L, et al. The epidemiology of chronic pain in children and adoles­ cents revisited : A systematic review. Pain 2011 ; 152 : 2729–38. [4] Tourniaire B. Gallo A. Douleur chronique des enfants et des adolescents : quoi de neuf ? [Internet]. Disponible sur 2013, http://www. sfetd-douleur.org/sites/default/files/u3/docs/lettre-29-juin-2013_. pdf. [5] Zeltzer LK, Blackett S. Comprendre et vaincre la douleur chronique de votre enfant. Paris : Savoirs pratiques éducation 2007. [6] Zernikow B. Comprendre la douleur en 10 minutes. Version française. https://www.youtube.com/watch?v=U5YUg45WFDM. [7] Annequin  D, Tourniaire  B, Amouroux  R. Migraine, céphalées de l'enfant et de l'adolescent. Paris : édition Springer 2014. [8] Tonelli A, Huet D. Adolescents douloureux chroniques déscolarisés : expérience de l'hospitalisation à temps plein en soins/études. Douleurs : évaluation-diagnostic-traitement 2018 ; 4 : 182–91. [9] Gallo A. les douleurs chroniques des adolescents persistent-elles à l'âge adulte. Suivi à long terme d'une cohorte de patients. Thèse d'exercice de médecine. 2014. Chalon-sur-Saône. [10] Sur le chemin de la douleur avec Sacha. Paris : éditions Dubourdon, 2015. [11] Fournier-Charrière  E, Marec-Berard  P, Schmitt  C, Delmon  P, Ricard C, Rachieru P. Management of neuropathic pain in children : guidelines for good clinical practice. Arch Pediatr 2011 ; 18 : 905–13.

Chapitre

36

Douleur et genre Gisèle Pickering  PLAN DU CHAPITRE L'analyse de la différence de l'expérience douloureuse entre hommes et femmes . . . . . Les travaux expérimentaux, chez l'animal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Au niveau génétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



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Il existe une surreprésentation des femmes dans la douleur chronique [1, 2]. Certains symptômes douloureux sont présents seulement chez la femme (endométriose, vulvodynie, douleurs menstruelles) ; d'autres présents dans les deux sexes sont prédominants chez la femme (fatigue chronique, fibromyalgie, cystite interstitielle, douleur temporomandibulaire, céphalée, lombalgie ou arthrose [3].

L'analyse de la différence de l'expérience douloureuse entre hommes et femmes Divers biais ont été évoqués pour expliquer cette surreprésentation : les femmes consultent plus que les hommes, répondent plus facilement aux enquêtes et sont plus souvent incluses dans les études épidémiologiques. De plus, l'évaluation peut être faussée par l'expérience de douleurs répétées liées au cycle menstruel au cours de la vie. Des différences entre les sexes comme la perception, la description et l'expression de la douleur, l'utilisation de stratégies de coping et le bénéfice de différents antalgiques [4, 5] ont été évoquées comme étant également secondaires à d'autres situations ayant elle-même des différences de prévalence hommefemme : anxiété, abus sexuel ou dépression. Il est aussi possible que les femmes aient une plus grande sensibilité ou une plus faible tolérance à la douleur que les hommes, ce qui pourrait avoir de nombreux facteurs incluant des différences biologiques au niveau des faisceaux ascendants de la douleur et/ou au niveau des faisceaux inhibiteurs descendants, et des phénomènes d'ordre psychologique. Enfin, des différences au niveau des récepteurs comme les récepteurs opioïdes ont été évoquées, d'ordre pharmacocinétique, pharmacodynamique ou, simplement, de niveaux de douleur de base différents [3]. L'analyse de la différence de l'expérience douloureuse entre hommes et femmes nécessite d'introduire la distinction entre les deux concepts de sexe et genre [6, 7]. En effet, Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Au niveau épigénétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . Traitement de la douleur par des approches médicamenteuses ou non médicamenteuses . . . . . . . . . . . . . . . . . Pharmacodynamie des antalgiques . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



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le genre fait référence aux faits socioculturels, aux rôles déterminés socialement, aux comportements, attributs, stéréotypes, etc., tandis que le sexe relève de faits biologiques et physiologiques, avec un socle de génétique, d'épigénétique, d'imprégnation hormonale et d'évolution. La littérature rapporte que, dès le plus jeune âge, garçons et filles sont socialisés selon des normes liées au genre pour répondre à la douleur : les garçons visent à tolérer la douleur et à supporter des expériences douloureuses, tandis que les femmes sont socialisées pour être plus sensibles et pour mieux verbaliser un inconfort et une douleur [8]. Néanmoins, les parts respectives du genre et du sexe restent floues, et il semble que ni le genre seul ni le sexe seul ne puisse expliquer les différences entre hommes et femmes. De plus, il est difficile de dissocier genre et sexe – les différences biologiques, psychologiques et sociales entre hommes et femmes dans le cadre de la douleur –, car ces différences sont liées. De nombreux exemples montrent que hommes et femmes peuvent être soignés différemment pour les mêmes maladies, sans justification médicale, dans de nombreux champs médicaux : cela inclut le psoriasis, les pathologies cardiaques, la polypharmacie et la douleur chronique [8].

Les travaux expérimentaux, chez l'animal En ce qui concerne les travaux expérimentaux, chez l'animal, il existe des biais de sélection, puisque la majorité des études précliniques (79 %) ont été effectuées chez des animaux mâles, d'où des résultats controversés. Chez le volontaire sain, de nombreux travaux ont été publiés [3, 9–11], concluant, ce qui prête à controverse aussi, que les femmes seraient plus sensibles à la douleur, mais de manière non uniforme, selon différentes modalités expérimentales d'induction de la douleur (stimuli thermiques, mécaniques, etc.), avec de nombreux biais de sélection et de mesure 245

246   Partie 4. Douleur selon le patient relevés. Plusieurs études, mais tout autant controversées, portant sur le volontaire sain, suggèrent que les différences liées au sexe disparaîtraient une fois l'anxiété et les facteurs biopsychosociaux contrôlés [9].

Les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux Les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux ont été largement étudiés. En ce qui concerne les facteurs biologiques, les réponses des femmes à la douleur sont affectées par le cycle menstruel et la grossesse, et les hormones sont liées à la réponse à la douleur (estrogènes, androgènes et cortisol) [12]. Les hormones gonadiques sont impliquées dans une perception différente de la douleur ; les estrogènes et les androgènes influencent les voies nociceptives via des mécanismes au niveau des récepteurs et, indirectement, via l'influence de l'action des neurotransmetteurs sur des voies nociceptives spécifiques. Les facteurs génétiques et physiologiques (régulation de la pression artérielle, fréquence cardiaque, activité électrodermale) peuvent contribuer aux différences de perception de la douleur, mais g­ lobalement, les différences sont de faible amplitude, insuffisantes, variables, voire absentes. La sensibilisation centrale (allodynie, hyperalgésie) pourrait être plus prononcée, et l'efficacité des faisceaux inhibiteurs descendants, moins bonne chez les femmes que chez les hommes, mais cela ne s'applique pas à toutes les modalités de douleur expérimentale. En ce qui concerne les facteurs psychologiques, il ne semble pas que la dépression soit un médiateur tandis que le rôle de l'anxiété est ambigu. En effet, la direction de l'association entre anxiété et douleur est floue. En ce qui concerne les stratégies de coping, le catastrophisme pourrait partiellement médier les différences de perception de la douleur, et les femmes ont un meilleur coping quand elles utilisent des stratégies d'attention tandis que la distraction est plus efficace chez l'homme. De plus, les interactions interpersonnelles peuvent exercer une influence positive plus large sur le coping et la tolérance chez la femme et chez l'homme. Les attentes liées au genre semblent aussi jouer un rôle et influencent la perception de la douleur expérimentale. Le trait masculinité-féminité [6] (la vulnérabilité émotionnelle) et l'identification perçue selon les stéréotypes homme-femme (volonté de rapporter la douleur) peut être impliqué. Aucune évidence n'émerge vraiment sur le rôle central du sexe de l'expérimentateur pour expliquer des différences homme-femme, mais il semble que la performance de sujets sains soit meilleure si le test est fait par un expérimentateur du sexe opposé. Enfin, il est suggéré que l'histoire du patient (épisodes récents de douleur, modèle familial de douleur, maltraitance dans l'enfance) joue un rôle important, mais les résultats ne sont pas universels. La recherche expérimentale a donc identifié quelques facteurs explicatifs dans certaines études mais ces différences sont faibles, les facteurs biopsychosociaux, variables, et les résultats hétérogènes peinent à retrouver la même expérience différentielle que celle que rapportent les études épidémiologiques chez les patients [9, 11]. Bien que les études portant sur les sujets sains ne donnent pas des résultats univoques, en clinique, en revanche, il est bien documenté que les femmes rapportent une plus grande diversité de douleurs récurrentes que les hommes, dans de

multiples parties du corps, douleurs qui sont souvent décrites comme plus sévères et plus fréquentes que chez les hommes [8]. Des études de populations ont démontré la plus forte prévalence de douleur chronique chez la femme que chez l'homme, incluant migraine, céphalée de tension, fibromyalgie, problème temporomandibulaire, polyarthrite rhumatoïde et lombalgie chronique [3]. Les femmes douloureuses ont aussi des seuils de douleur plus faibles et ressentent une douleur de plus grande intensité dans de nombreuses conditions. Chez les femmes en période prémenstruelle et souffrant de migraine, de céphalée de tension, de fibromyalgie ou d'un problème temporomandibulaire, les publications suggèrent que l'intensité de la douleur est la plus forte quand les taux d'estrogènes diminuent rapidement ou sont très bas. Chez les patientes prenant des contraceptifs oraux ou postménopausées avec traitement hormonal de substitution, les résultats sont plus hétérogènes et aucune conclusion n'est tirée. Les androgènes semblent avoir une activité antinociceptive chez les hommes et les femmes [12].

Au niveau génétique Au niveau génétique, certains gènes ont été identifiés comme impliqués dans l'augmentation ou la diminution de la douleur ou dans la modulation de l'activité analgésique. Dès la conception, 30 % des gènes des hommes et des femmes s'expriment différemment dans tous leurs tissus et les femmes, par exemple, répondent mieux à la pentazocine (via un effet & sur le récepteur MC1) [3].

Au niveau épigénétique Au niveau épigénétique – étude des influences de l'environnement cellulaire ou physiologique sur l'expression des gènes –, une modulation de l'expression des gènes se fait en fonction du sexe. L'environnement intra-utérin, puis celui de l'enfant et de l'adulte contribuent au formatage de l'épigénome, et l'exposition à un stress peut entraîner des modifications d'expression des gènes, susceptibles de mener à une hypersensibilité [13]. De plus, épigénétique et hormones sont liées, et les estrogènes agissent sur la formation synaptique au niveau de l'hippocampe suivant une densité des épines dendritiques qui fluctue avec le cycle menstruel de la femme [14].

Traitement de la douleur par des approches médicamenteuses ou non médicamenteuses En ce qui concerne le traitement de la douleur par des approches médicamenteuses ou non médicamenteuses, des différences liées au genre ont été décrites. La grande variabilité des réponses individuelles aux médicaments, en particulier aux opioïdes est bien connue, et la détection de différences liées au genre dans la réponse antalgique est un défi, si l'on considère la complexité des déterminants physiologiques, génétiques et hormonaux. La réponse à un traite­ ment a de nombreux facteurs, incluant la taille, le poids, l'eau corporelle totale, les compartiments liquidiens, autant de paramètres différant entre l'homme et la femme. En ce qui concerne la pharmacocinétique, des différences sont connues

Chapitre 36. Douleur et genre    247 entre hommes et femmes, avec un métabolisme hépatique plus important chez les femmes par l'activité des cytochromes P450, CYP2D6 et CYP3A. Inversement, un métabolisme diminué par les cytochromes avec concentration sanguine plus élevée chez les femmes a été décrit pour les ISRS [15].

Pharmacodynamie des antalgiques Au niveau de la pharmacodynamie des antalgiques, et donc de leur effet antalgique, des différences de concentrations ou de fonctionnement des neurotransmetteurs ou des récepteurs ont été étudiées, et des différences ont été retrouvées sur les récepteurs NMDA, MC1R et Toll Like 4 (TLR4) [3]. Des circuits différents dans l'analgésie et l'hyperalgésie aux opiacés ont été identifiés chez les hommes et les femmes, les hommes fonctionnant plus sur le circuit NMDA, et les femmes davantage sur le circuit MCR1. De plus, un dimorphisme sexuel de l'expression des récepteurs pourrait expliquer la plus forte consommation de morphine chez la femme à antalgie égale [16, 17] en postopératoire. En effet, l'efficacité de la morphine est corrélée à la densité neuronale des récepteurs μ (MOR) ; or une moindre expression de ces récepteurs a été observée chez la femme. En outre, le degré d'activation de la microglie prédit la quantité de morphine nécessaire à l'obtention d'un effet antalgique et la microglie, riche en TLR4 est plus active chez la femme que chez l'homme [3]. Il manque encore des études avec les opioïdes et les non-opioïdes pour identifier nettement les différences entre hommes et femmes afin d'améliorer la stratégie thérapeutique, mais les essais cliniques incluent aujourd'hui plus de femmes que par le passé. Les femmes rapportent plus d'effets indésirables aux opiacés que les hommes [18]. Cela peut être dû à un surdosage, à une sensibilité accrue aux antalgiques ou aux interactions médicamenteuses, les femmes recevant plus de médicaments [15], en particulier agissant sur le SNC. Les femmes progressent plus rapidement de l'utilisation vers la dépendance, ont plus de conséquences physiques et émotionnelles et sont finalement plus vulnérables aux médicaments, en particulier aux opiacés, d'autant plus que la durée de leur consommation en opiacés est souvent longue [19, 20]. Des différences homme-femme ont également été décrites dans le domaine du stress et du système de la récompense et les femmes ont été particulièrement concernées par l'augmentation des décès dus aux opiacés aux États-Unis [21]. Enfin, le facteur âge joue aussi un rôle central dans l'expérience douloureuse, et l'âge, de même que la douleur préopératoire, a été désigné comme l'un des facteurs confondants majeurs dans les différences hommes-femmes quant à la douleur postopératoire [22].

Conclusion La littérature suggère des différences entre hommes et femmes dans la perception, le vécu de la douleur et dans le mécanisme antalgique des médicaments. La compréhension des mécanismes sous-jacents et des interactions entre ces différents domaines peut permettre d'améliorer la prise en charge de la douleur, en proposant des pistes éducatives, préventives et des traitements adaptés au genre et au sexe des patients.

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Chapitre

37

Handicap et douleur : le handicap rend la douleur compliquée ; la douleur complique le handicap... Paul Calmels, Isabelle Fayolle-Minon  PLAN DU CHAPITRE Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ce qu'il faut comprendre de la douleur chez la personne en situation de handicap : définitions . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Introduction Associer handicap et douleur s'inscrit dans une démarche de reconnaissance de la douleur, de son évaluation et de sa prise en charge, pour tout individu, quel que soit son état physique, psychologique ou cognitif, dans un contexte d'affections chroniques invalidantes, innées ou acquises, et à tout âge. C'est en effet le plus souvent la question de l'expression de la douleur, notamment dans sa modalité non verbale, qui pose des difficultés aux thérapeutes, mais ce peut aussi être la détermination de l'étiologie et de la physiopathologie de la douleur ainsi que le choix de son traitement dans ce contexte du handicap en général [1]. Or l'absence ou le retard de diagnostic peut être à l'origine de complications cliniques, avec un impact certain sur le handicap lui-même, voire sur la mortalité. De plus, la chronicité de la douleur, de par ses conséquences en termes de dépression, d'anxiété et de troubles du sommeil retentira sur le handicap, pouvant le majorer, et sur la qualité de vie. Ainsi, douleur et handicap peuvent s'associer selon trois schémas : ■ douleurs survenant chez une personne présentant une affection chronique évolutive avec un handicap, mais dont l'origine est indépendante de cette affection ou de son retentissement ; ainsi comme pour toute douleur, l'objectif premier sera d'en faire le diagnostic étiologique puis d'envisager sa prise en charge et de suivre son évolution (par exemple une lombalgie chez une personne amputée appareillée de la jambe) ; Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Aspects cliniques : diagnostic et évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prise en charge de la douleur . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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■ douleurs en rapport direct avec l'affection chronique ou le traumatisme invalidant, d'origine neurologique ou ostéoarticulaire, ayant un retentissement supplémentaire au niveau fonctionnel, psychologique et social et sur la qualité de vie (par exemple, douleurs d'épaule d'une personne hémiplégique) ; ■ douleurs chroniques sévères, ayant d'importants retentissements fonctionnels et psychosociaux, elles-mêmes sources d'un véritable handicap (par exemple une fibromyalgie).

Ce qu'il faut comprendre de la douleur chez la personne en situation de handicap : définitions Handicap La définition actuelle du « handicap » émane de la Classification internationale du fonctionnement (CIF), qui fait état des notions de fonctions, de capacités et de participation [2]. Ainsi, pour un individu, présentant une affection chronique ou des séquelles de traumatisme, pouvons-nous évoquer une, ou des situations de handicap, avec réduction des capacités dans un environnement social, culturel, architectural donné et selon des habitudes de vie. Le handicap va donc résulter des conséquences de maladies survenues dans la période périnatale ou acquises dans l'enfance et l'âge adulte, ou de séquelles de traumatismes ou 249

250   Partie 4. Douleur selon le patient d'affections évolutives. Le handicap va pouvoir concerner des capacités sensorimotrices (déambulation, préhension), sensorielles (audition, vision), viscérales (miction, exonération, déglutition), cognitives (parmi lesquelles la communication-expression), relationnelles et comportementales, etc. En France, la loi du 11 février 2005 définit ainsi le handicap : « toute limitation d 'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant ». J.M. Wirotius écrit : « Toute lésion corporelle, qui désorganise de façon directe et/ou par effet de cascades les fonctions, est un handicap » [3].

Douleur Le contexte de handicap ne modifie pas en soi les conditions physiopathologiques de la douleur, à savoir les causes des douleurs nociceptives ou neuropathiques, mais la douleur est associée soit à la physiopathologie de l'affection (par exemple, les douleurs neuropathiques d'une atteinte médullaire traumatique ou évolutive, comme dans la SEP) ; douleurs nociceptives d'une atteinte ostéoarticulaire invalidante (traumatique, dégénérative ou inflammatoire), soit aux conséquences de cette affection, en particulier neuroorthopédiques (douleurs neuro-orthopédiques de l'infirmité motrice cérébrale, du polyhandicapé, etc.) mais aussi viscérales. Cependant, la définition de la douleur comme « expérience sensorielle et émotionnelle désagréable liée à une lésion tissulaire existante ou potentielle ou décrite en termes d'une telle lésion » (IASP, 1979) semble peu adéquate pour le jeune enfant en général ou pour une personne non communicante. Il a longtemps été pensé que les personnes qui n'exprimaient pas la douleur y étaient insensibles [4]. Enfin, une place à part doit être faite face à la douleur chronique, responsable d'une baisse des capacités fonctionnelles, sociales et professionnelles, source de handicap (rachialgie chronique, fibromyalgie, SDRC, etc.), faisant émerger une condition de « douleur handicap ». Ainsi, cette confrontation handicap et douleur, fréquente, va se traduire par de nombreuses situations cliniques et individuelles, pour lesquelles les aspects clinique, diagnostique et thérapeutique vont devoir faire appel, de la part du praticien, à une attention et une connaissance particulières et, parfois, à l'usage d'outils spécifiques et d'avis pluridisciplinaires et spécialisés [5].

Aspects cliniques : diagnostic et évaluation Diagnostic Quel que soit le contexte, maladie aiguë ou chronique, situation de handicap, la douleur constitue un symptôme clinique. Cependant : ■ son expression, en particulier verbale, peut être rendue difficile ou impossible en raison du handicap : troubles

phasiques (versant expression et/ou compréhension), troubles de la communication (déficiences sensorielles), atteinte de la relation et réponse émotionnelle (trouble du spectre autistique, troubles psychotiques, etc.), déficience mentale (polyhandicap, etc.), troubles de la vigilance (état paucirelationnel, coma). Il est alors nécessaire de rechercher une expression non verbale de cette douleur, ce qui nécessite une bonne connaissance du handicap et une certaine expérience de l'évaluation de la douleur [6, 7] ; ■ son identification clinique peut aussi être rendue difficile pour le praticien par la complexité de certains tableaux cliniques et du caractère spécialisé des prises en charge : à titre d'exemple : douleurs des membres inférieurs ou douleurs pelviennes face à une paraplégie complète, douleurs de l'hémicorps dans une hémiplégie ou syndrome épaule-main, douleurs rachidiennes chez le polyhandicapé avec scoliose neurologique, myélopathie cervicale de l'infirmité motrice cérébrale, douleurs des membres fantômes chez les personnes amputées, etc. Cliniquement la douleur peut être l'expression : ■ d'affections indépendantes du handicap  : douleurs dentaires, abdominales, syndromes infectieux ORL, pulmonaires, urinaires, etc. dont l'expression peut être habituelle, mais aussi différente dans certaines situations cliniques (douleur projetée) ou certaines atteintes neurologiques (douleur rapportée ou douleur référée), ce qui rend l'examen clinique plus difficile ; ■ de conséquences de l'affection à l'origine du handicap : conséquences directes des lésions (spasmes et contractures musculaires, tels l'infirmité motrice cérébrale, le traumatisme cranien ou les lésions médullaires), douleurs neuropathiques centrale ou médullaire, lésionnelles et sous-lésionnelles (AVC, lésions médullaires, neuropathies par compression, etc.), douleurs ostéoarticulaires d'attitudes vicieuses (équin, flexum, etc.) ou de postures prolongées, douleurs cutanées d'appui (escarre), douleurs viscérales (constipation), mais aussi conséquences des traitements en lien avec l'affection (orthèses, prothèses, etc.) ; l'examen clinique doit s'attacher à faire la part de chacune des composantes douloureuses ; ■ d'actes de soins ou d'actes thérapeutiques : la douleur lors des actes de soins, en particulier, dans le champ du handicap, des soins de rééducation-réadaptation, doit être prise en compte. Les actes de mobilisations (active et passive), de postures, d'injection (infiltration, ou injection, par exemple de toxine botulique, bloc nerveux), de soins spécifiques (trachéotomie, sonde de gastrostomie) constituent des actes pouvant être douloureux. Il est important de prendre en compte et d'anticiper ces douleurs. De la même manière, l'installation du patient dans son lit ou son fauteuil pendant la journée ou la nuit peut être source de douleurs, non contrôlables par la personne elle-même, compte tenu des difficultés de mobilité ou de la présence de mouvements anormaux, de spasmes ou de rigidité ostéoarticulaire ou spastique. La recherche de ces douleurs sera d'autant plus systématique s'il existe des troubles de l'expression ou de la communication.

Chapitre 37. Handicap et douleur : le handicap rend la douleur compliquée ...    251 Le diagnostic clinique va donc consister à identifier une expression de la douleur, à identifier une étiologie à cette douleur et à rechercher d'éventuels facteurs associés. Il est nécessaire dans toutes les situations d'analyser le comportement induit par la douleur : changement de comportement avec perte d'activité, de participation, réaction psychologique, isolement, troubles du sommeil ou expression spécifique de la douleur (douleurs référées ou rapportées) et, enfin, modifications de comportements lorsque l'expression verbale est difficile : agitation, mouvements anormaux, cris, expression d'angoisse, opposition, agressivité, etc. Ces caractéristiques impliquent pour le praticien et pour toute l'équipe prenant en charge de tels patients, en particulier selon les capacités ou non d'expression de la douleur, de dépister systématiquement toutes les situations qui pourraient faire évoquer une douleur, une équivalence symptomatique et/ou des causes irritatives cliniques [7, 8].

Quelques exemples Chez un patient présentant une atteinte médullaire, la douleur neurologique par exemple ne doit pas nous faire oublier la rougeur d'appui sur chaussage non adapté ou la présence d'un fécalome, facteurs irritatifs majorant la spasticité et, donc, les douleurs sous-lésionnelles. Chez un patient présentant un trouble autistique, des modifications comportementales et relationnelles au sein de son institution et de sa famille, doivent nous amener à rechercher une cause organique lésionnelle mais aussi une plainte douloureuse non verbalisée, comme une migraine.

Évaluation L'évaluation de la douleur, aiguë ou chronique, est nécessaire comme pour tous patients douloureux, et elle utilise des outils d'autoévaluation ou d'hétéroévaluation, selon les capacités cognitives des personnes. Cette évaluation va faire appel : ■ aux échelles usuelles de la douleur (EVA, EN, EVS et QDSA) qui permettent d'identifier l'intensité de la douleur et de ses facteurs qualitatifs en cas de capacités d'expression intactes ; l'évaluation doit aussi faire appel à des échelles spécifiques, souvent comportementales, permettant à l'ensemble des équipes de soin, et parfois à des proches, de traduire la présence de la douleur et d'analyser son intensité, et rendant ainsi possible le suivi des thérapeutiques [9]. Au-delà de l'évaluation de la douleur, tout autre mode de communication, souvent déjà mis en place doit être utilisé : pictogramme, signes, etc. ■ aux échelles du retentissement de la douleur : il est absolument nécessaire de voir comment la douleur induit des modifications fonctionnelles (diminution des capacités fonctionnelles et de participation, mais aussi de la qualité de vie), et surtout, comportementales : troubles du sommeil, de l'appétit, anxiété, agitation, agressivité, régression psychique et motrice, mouvements anormaux, isolement et repli sur soi. Il est important de considérer ces manifestations indirectes, car elles sont parfois les seuls modes d'expression des douleurs et peuvent être rapportées par les soignants, les aidants et les parents [10].

Cette évaluation est nécessaire à des fins diagnostiques, de mesure d'intensité et de typologie de la douleur mais aussi à des fins de suivi thérapeutique.

Prise en charge de la douleur Traitement médicamenteux Les traitements médicamenteux classiques de la douleur peuvent être utilisés dans ce contexte de handicap. Cependant, la pathologie et son retentissement doivent être pris en compte du fait de l'importance de certains effets indésirables (somnolence, épilepsie, troubles respiratoires, troubles digestifs et du transit, troubles urinaires, etc., eux-mêmes mal exprimés). Les modes d'administration devront aussi être adaptés, selon notamment la présence de troubles de la déglutition et, parfois, de gastrostomie. Enfin, bien sûr, ces choix peuvent être conditionnés par des traitements en cours pour l'affection considérée et par l'état général du patient.

Traitements associés L'association de facteurs favorisant la survenue et l'entretien de la douleur rend nécessaire leur contrôle : épines irritatives liées aux conditions de vie (installation au fauteuil, prévention des points d'appui, postures neuro-orthopédiques, etc.), et des soins spécifiques (soins cutanés, mobilisation, actes d'hygiène et actes de la vie quotidienne, comme l'habillage).

Approche pluridisciplinaire Compte tenu des différentes dimensions et du retentissement fonctionnel et comportemental que peut entraîner la douleur, en particulier selon les possibilités d'expression verbale et comportementale de la personne, une prise en charge pluridisciplinaire et un regard attentif de l'ensemble de l'équipe de soin sont absolument nécessaires. Au-delà du diagnostic, cela permet une prise en charge personnalisée et un suivi des thérapeutiques. C'est aussi la possibilité de proposer des thérapeutiques non médicamenteuses à des fins sédatives, notamment des approches psychocorporelles ou de la neurostimulation transcutanée.

Prévention et douleur induite Enfin, l'attention aux actes de soins (hygiène, rééducation, plaies, etc.) et aux actes de la vie quotidienne (installation, mobilisation, transfert, etc.) doit permettre une prise en charge anticipée et systématisée de la douleur : prise médicamenteuse avant kinésithérapie, usage d'une technique MEOPA lors d'injections, techniques de massage, de sédation, de relaxation, etc.

Conclusion Les douleurs sont très fréquentes chez la « personne handicapée », quelle que soit l'affection à l'origine de ce handicap. Leurs composantes polyfactorielles et leur expression fréquemment multidimensionnelle rendent leur analyse

252   Partie 4. Douleur selon le patient et leur prise en charge souvent complexes, obligeant sans cesse à une remise en question diagnostique et à des adaptations thérapeutiques. Une bonne connaissance à la fois de l'affection causale et de la situation de handicap permet une expertise pertinente pour une approche thérapeutique la plus complète possible de ces douleurs qu'il faut parfois « traquer » tant leurs modalités d'expression peuvent varier.

Références [1] Guide ANESM. qualité de vie : handicap, les problèmes somatiques et les phénomènes douloureux. Paris : HAS, avril ; 2017. [2] World Health Organization. Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé. CIF. Genève : Organisation mondiale de la Santé ; 2001. [3] Wirotius JM. Le handicap douloureux. Présentation du modèle du handicap et de la réadaptation dans la douleur chronique. Douleurs : évaluation-diagnostic-traitement 2016 ; 17 : 47–52.

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Chapitre

38

Handicap et douleur : place de la médecine physique et de réadaptation dans la douleur chronique bénigne de l'appareil locomoteur Michel Morel Fatio  PLAN DU CHAPITRE Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Mécanismes d'incapacité et douleur chronique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Introduction La médecine physique et de réadaptation (MPR) est définie comme « une spécialité qui a pour rôle de coordonner et d'assurer la mise en application de toutes les mesures visant à prévenir ou réduire au minimum inévitable les conséquences fonctionnelles, physiques, psychologiques, sociales et économiques des déficiences et des incapacités ». Elle s'articule autour de deux axes complémentaires dans le temps, qui vont donner à la douleur un sens sémiologique différent : passant de la douleur symptôme d'une lésion à la « maladie douloureuse chronique » témoin d'un état séquellaire, devenue une entité sémiologique propre : ■ la rééducation, au stade lésionnel, « traite » la cicatrisation des lésions de la pathologie causale par des techniques kinésithérapiques ; à ce stade, la douleur est le symptôme qui accompagne et protège le processus de cicatrisation ; ■ la réadaptation « compense » par des programmes les déficiences persistant après cicatrisation de la pathologie causale ; à ce stade, la douleur est l'expression de la séquelle qui persiste après guérison, elle devient « maladie chronique ». La douleur chronique rejoint depuis  2016 la liste des maladies chroniques de l'OMS et, depuis juin  2018, elle possède son propre codage diagnostique de la Classification internationale des maladies (CIM 11) [1]. Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Clinique de la douleur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion et perspectives. . . . . . . . . . . . . . . . .

Mécanismes d'incapacité et douleur chronique La douleur chronique bénigne (trois à six mois) est l'expression d'un dysfonctionnement neuro-physiopsychologique de la douleur dans sa fonction d'alerte aiguë. Son traitement vise à corriger les conséquences fonctionnelles consécutives aux déficiences sensoridiscriminatives, affectives et motivationnelles, cognitives et comportementales décrites par Melzack et Wall. [2]. Il existe maintenant un large consensus pour reconnaître que, dans les pathologies douloureuses chroniques bénignes de l'appareil locomoteur, l'incapacité résulte à la fois d'une déficience mécanique musculo-ostéoarticulaire séquellaire de la pathologie initiale (rhumatologique, neurologique, etc.), mais aussi d'un dysfonctionnement neurophysiopsychologique de son système de modulation de la douleur [3]. Cette nouvelle approche de la douleur chronique a stimulé le développement de nombreuses études. Parmi celleci, le modèle de la « peur et évitement de la douleur par peur de la lésion », développé par Vlaeyen [4] donne un cadre de compréhension à la dynamique du handicap lié à la douleur. Dans ce modèle, la douleur est une menace qui suscite la peur et le comportement d'évitements responsables d'une cascade de réactions, physiques, physiologiques, psychologiques, affectives, cognitives et comportementales qui concourent à l'incapacité. 253

254   Partie 4. Douleur selon le patient L'intrication de ces deux mécanismes implique une évaluation et un traitement spécifique de chacun. Selon Gatchel et al. (2007) [5], « Le modèle biopsychosocial de la douleur chronique décrit la douleur et l'incapacité qui en résulte comme le résultat d'une interaction complexe et dynamique entre des facteurs physiologiques, psychologiques et sociaux qui perpétuent, et s'aggravent mutuellement ». C'est pour agir sur cette cascade de réactions que les « pain management programs » (PMP) intègrent les dimensions physiques conjointement aux dimensions psychologiques, comportementales et cognitives. Ces programmes ont fait l'objet d'une validation scientifique (recommandations de la British Pain Society et de l'American Pain Society) [6, 7] et d'une validation médico-économique de deux agences d'évaluation en santé publique américaines  : l'Agency for Healthcare Research and Quality [8] et l'Agency for Clinical Innovation [9]. Ils ont fourni des critères de labellisation institutionnels et un guide pratique pour les structures de réadaptation qui veulent développer ce type de programmes. Parmi leurs préconisations, ils soulignent le fait « qu'il existe un besoin urgent de cours théoriques et pratiques de qualité sur l'application des thérapies cognitivo-comportementales aux problèmes persistants de la douleur. » (www.iasp-pain.org).

Clinique de la douleur Pain management programs Définition Un PMP consiste en l'association d'une variété de méthodes destinées à produire directement et indirectement un change­ ment de comportement, en s'appuyant sur TCC qui s'intègrent conjointement aux dimensions physiques [10]. Les PMP sont le traitement de référence de la maladie douloureuse chronique. En novembre 2013, la British Pain Society publie le Guide pratique pour la mise en place d'un Pain Management Program : Recommandations de la British Pain Society : « An evidence-based review prepared on behalf of the British Pain Society » [6]. À cette occasion sont posées les bases structurantes des PMP, dont l'objectif est la mise en œuvre d'un processus de restauration du potentiel physique, fonctionnel et émotionnel permettant de contribuer à réduire la dépendance des patients aux antalgiques et au système de soin. Actuellement, il existe un consensus général pour considérer que ces programmes ne se limitent pas à un seul protocole de soins, mais que leurs efficacités thérapeutiques reposent sur le respect d'un cadre stricte qui est le suivant.

Une équipe L'équipe met en œuvre un programme multimodal (agissant conjointement sur les différentes dimensions biopsychosociales) délivré par une équipe multidisciplinaire travaillant de façon interdisciplinaire : ■ chacune des disciplines travaille en étroite collaboration au développement du plan de traitement à partir d'objectifs partagés ; ■ elle inclut des médecins, des psychologues, des kinésithérapeutes, des ergothérapeutes, des infirmières spécialisées, etc. Tous les membres de l'équipe utilisent des principes de TCC.

Un programme Le programme doit obligatoirement comporter les quatre composantes suivantes : ■ un pilier médical, soit un médecin qui assure la gestion médicale du patient, spécialisé dans la prise en charge de la douleur chronique et la pratique des TCC ; ■ un pilier techniques TCC : pratiques thérapeutiques des rééducateurs psychologues et non psychologues et interactions entre thérapeutes et patients ; ■ un pilier reconditionnement physique : pratiques guidées de reprise d'activité sur des bases TCC ; ■ un programme d'ETP : autonomisation vis-à-vis de la maladie douloureuse.

Guide pratique d'utilisation de la grille biopsychosociale de la douleur chronique ? Si la grille biopsychosociale des maladies chroniques est largement utilisée dans le diabète, l'asthme, etc., elle l'est moins pour la « maladie douloureuse chronique », qui a du mal à se distinguer de la douleur symptôme. Pourtant, elle est l'outil qui, par une analyse systématisée des mécanismes d'incapacité, permet de guider le clinicien. Ce n'est plus le traitement de la pathologie médicale qui est responsable de la douleur, mais le traitement des mécanismes d'incapacité qu'elle engendre.

Consultation médicale de réadaptation du patient douloureux chronique Cette première consultation est une consultation longue, qui ne peut se concevoir dans une atmosphère d'urgence. La relation peut être délicate du fait de l'agressivité induite par les frustrations, les échecs successifs et l'inquiétude sur le sens pronostique de cette douleur que les moyens médicaux ne parviennent plus à soulager. À la suite d'un parcours médical souvent chaotique, la première étape consiste pour le médecin à rétablir une relation de confiance.

Rappel : indications Le PMP s'adresse aux patients dont la douleur de l'appareil locomoteur est considérée comme rebelle à tous les traite­ ments et responsable d'un handicap. Cette douleur est liée à une pathologie identifiée par un diagnostic médical comme non évolutive, persistant au-delà de trois à six mois d'évolution malgré la mise en œuvre de traitements curatifs adaptés.

Son objectif Il s'agit de définir si le patient vu en consultation est le bon patient pour le bon programme au bon moment.

Évaluer les attentes du patient Pour les patients adressés en vue de leur intégration dans un PMP, il est important d'évaluer l'évolution de leurs attentes entre le commencement et la fin de la consultation. C'est l'une des difficultés de cette consultation qui consiste à faire passer la douleur du statut de symptôme à celui de séquelle

Chapitre 38. Handicap et douleur : place de la médecine physique et de réadaptation    255 exprimée en termes d'incapacité fonctionnelle. La grille biopsychosocial structure la consultation, en lui donnant un cadre de référence, où chacune des dimensions de la maladie douloureuse est discutée avec le patient.

■ périphériques : déficit moteur, déficit sensitif superficiel ou profond, allodynie-hyperalgésie ; ■ centrales : déficit moteur/sensitif/spasticité, dystonies, hypertonie, etc.

Quatre étapes de la consultation médicale de réadaptation Étape 1 : diagnostic médical pronostique

Psycho : bilan des comorbidités Les dysfonctions comportementales et cognitives font l'objet d'évaluations cliniques ; ce sont : ■ des entretiens semi-structurés (grille d'entretien établie par Vlaeyen [4], soit un recueil d'informations sur les aspects cognitifs, comportementaux et psychophysiologiques de la plainte douloureuse ; ■ des questionnaires : – questionnaire Survey of Pain Attitudes (SOPA)  : mesure des attitudes vis-à-vis de la douleur et des répercussions fonctionnelles, – Fear Avoidance Belief Questionnaire (FABQ) : mesure des croyances peur-évitement, – échelle de ctastrophisme vis-à-vis de la douleur, – échelle de Tampa de kinésiophobie significative, qui évalue la peur de la douleur liée au mouvement. Les comorbidités psychiatriques font aussi l'objet de questionnaires de dépistage systématique (questionnaire HAD ou inventaire de dépression de Beck), ainsi que du « bilan de terrain » mené par le psychologue ou le psychiatre. Certaines comorbidités psychiatriques constituent des critères d'exclusion pour la proposition de certaines thérapeutiques.

Il s'agit de procéder à : ■ l'analyse clinique du parcours médical, via un interrogatoire détaillé, prenant en compte les antécédents médicaux, chirurgicaux et traumatiques, à la recherche de comorbidités ; ■ l'analyse de la plainte douloureuse dans ce qu'elle a de singulier : son mode de début, son allure évolutive et sa réponse aux traitements ; ■ l'examen physique, réalisé avec soin, à la recherche d'indices passés inaperçus tels une boiterie inexpliquée, des douleurs provoquées déclenchant la douleur habituelle, des réactions de protection à la mobilisation, des points gâchettes, des déficits sensitifs ou moteurs, une allodynie, une maladie inflammatoires, des troubles vésicaux sphinctériens, des anomalies à l'imagerie, une biologie en faveur d'une pathologie inflammatoire ; ■ l'analyse des bilans paracliniques : biologique, imagerie, etc. Cette étape est la clé permettant de franchir la première marche du processus de réadaptation, elle doit répondre à 4 questions, et permettre : ■ de confirmer le diagnostic médical de la pathologie à l'origine de cette douleur chronique ; ■ de confirmer que la douleur devenue chronique n'est pas le témoin d'une pathologie évolutive, mais une séquelle de la pathologie d'origine ; ■ de confirmer qu'à ce stade il n'existe pas d'indication de traitement curatif permettant de guérir la douleur ; ■ de vérifier l'existence d'éventuels critères d'exclusion par inadaptation à un PMP : – l'absence de diagnostic médical, – l'absence d'adhésion à la logique du programme, – l'incapacité à comprendre et à exécuter les instructions, – des attentes irréalistes quant à ce qui peut être accompli grâce au programme, – un handicap sévère qui dépasse la capacité actuelle du patient à participer aux activités de base du programme, – des omorbidités évolutives neurologiques, rhumatologiques, vasculaires, cardiaques ou pulmonaires, etc., – des troubles psychologiques ou psychiatriques graves, – l'existence de procédures de reconnaissance du préjudice douloureux en cours.

Étape 2 : le diagnostic biopsychosocial Bio : déficiences somatiques Il s'agit de procéder aux évaluations cliniques des déficiences mécaniques musculo-ostéoarticulaires, telles les raideurs, une laxité ou les déformations. Il s'agit également de procéder aux évaluations cliniques des déficiences neurologiques :

« Social » Un bilan des facteurs d'ajustement socioprofessionnel est établi. Les quatre dimensions suivantes sont évaluées : ■ les soutiens : partenaire, famille, amis, collègues, ■ l'impact professionnel (perte de travail, précarisation, conflits, pertes de salaire, etc.), ■ les pertes de rôles (conjugal, familial, professionnel, social, économique, etc.), ■ le changement de statut socio-économique (endettement, etc.).

Étape 3 : douleur et résistance aux traitements Tout d'abord, il faut évaluer les caractéristiques de la douleur : ■ son intensité, via une EN (valeur minimale sur dix, valeur maximale sur dix), ■ son type  : douleur neuropathiques ? Nociceptive ? Inflammatoire ? ■ sa topographie, au moyen d'un schéma du « bonhomme ». Ensuite, la question de la résistance aux traitements passe par l'interrogation des points suivants : ■ analyse des traitements prescrits en fonction de la nature de la douleur, ■ la nature du traitement est-elle adaptée aux types de douleur ? ■ quelles sont les doses (maximale et minimale) ? ■ y a-t-il intolérance à une molécule ? ■ Quel est l'effet sur la douleur ?

256   Partie 4. Douleur selon le patient

Étape IV : impact fonctionnel de la douleur

Étape 7 : engagement signé : médecin patient

Autoévaluation des performances fonctionnelles de base Elle est possible à partir des sept items de base coté (NF), pour non fonctionnelle, ou (F) pour fonctionnelle : votre douleur a-t-elle un impact sur : ■ la marche ? ■ la position assise ? ■ le piétinement ? ■ la possibilité de ramasser des objets au sol ? ■ la position couchée et le sommeil ? ■ le fait de porter ou soulever des charges ? ■ l'utilisation des deux membres supérieurs dans les gestes quotidiens.

Conclusion et perspectives

Autoévaluation du retentissement sur les activités de la vie quotidienne ■ Activités de soins personnels, conjugales, familiales ou sociales et de loisirs, etc. ■ Activité professionnelle : accident de travail, invalidité, perte d'emploi, etc. Échelles d'autoévaluation fonctionnelle Le questionnaire concis de la douleur évalue l'intensité, le soulagement, l'incapacité fonctionnelle, les retentissements sur la vie sociale et sur la vie relationnelle, et la détresse psychologique.

Étape 5 : construction du programme en deux temps Premier temps Ce premier temps comprend la synthèse du bilan discuté avec le patient. Second temps Il s'agit d'ébaucher le programme sur la base du bilan biopsychosocial. Les deux objectifs principaux sont des gains fonctionnels (non une disparition de la douleur) et des compensations des incapacités mises en évidence (appareillage, etc.). Le programme est composé : ■ d'un socle commun : le PMP ; ■ de techniques adjuvantes : – appareillage (orthèses, compressifs, chaussures orthopédiques, etc.), – techniques de neuromodulation (stimulations électriques et magnétiques), – Mirror Therapy.

Étape 6 : « le consentement éclairé » Le PMP est présenté sur la base des résultats du bilan biopsychosocial (jeux de questions- réponses) : ■ descriptif des activités et de leurs objectifs, ■ discussion sur le lien entre les résultats du bilan et les réponses apportées dans le programme. Objectifs partagés, ■ une connaissance des éléments du programme et de leur action Exigences à respecter après le programme : ■ Poursuite d'un entretien régulier à la sortie, etc. ■ Suivi tous les trois mois en consultation pendant un an.

En inscrivant en 2016 la douleur chronique bénigne sur la liste des maladies chroniques, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a contribué à lui donner une identité clinique propre, ayant ses propres outils d'évaluation et de traitement. Son cadre de référence est le modèle Biopsychosocial utilisé en pratique courante en médecine physique réadaptation pour l'évaluation et le traitement des handicaps. Son traitement, comme celui de toutes les maladies chroniques n'est plus curatif, mais « réadaptatif », les PMP en sont l'illustration. La 11e révision de la Classification internationale des maladies (CIM11) fourni à la maladie douloureuse chronique, l'outil de codage propre qui permet de documenter les diagnostics, d'analyser de façon plus précise les thérapeutiques, et de valoriser financièrement les actes de réadaptation. Cette évolution de la douleur chronique comme maladie chronique la fait entrer dans les missions de la MPR, dont le rôle est « de coordonner et d'assurer la mise en application de toutes les mesures visant à prévenir ou réduire au minimum inévitable les conséquences fonctionnelles, physiques, psychologiques, sociales et économiques des déficiences et des incapacités ». On va assister dans les années à venir à l'émergence d'une une nouvelle discipline de la MPR dédiée au « Handicap douloureux chronique » centrée l'analyse et le traitement des processus d'incapacité liés à la douleur chronique.

Références [1] Treede RD1 W, Rief, Barke A, Aziz Q, Bennett MI, Benoliel R, et al. A classification of chronic pain for ICD-11. Pain 2015 ; 156(6) : 1003–7. [2] Melzack  R, Wall  PD. Pain mechanisms  : a new theory. Science 1965 ; 150(3699) : 971–9. [3] Fordyce  WE. Behavioural Methods for chronic pain and illness. St Louis, MO : Mosby ; 1976. [4] Vlaeyen JWS, Morley SJ, Linton SJ, Boersma K, Pain-Related Fear de Jong J. Exposure-Based Treatment of Chronic Pain : Exposure-Based Treatment. IASP ; 2012. [5] Gatchel RJ, Okifuji A. Evidence-based scientific data documenting the treatment and cost-effectiveness of comprehensive pain programs for chronic nonmalignant pain. J Pain 2006 ; 7 : 779–93. [6] Johnson J, Pain Management Network, Pain Management Programs – Which Patient for Which Program? A guide for NSW Tier 3 and Tier 2 public health facilities providing pain programs Agency for Clinical Innovation 2013 Published: December 2013. [7] Gatchel RJ, Okifuji A. Executive summary of the aps task force on comprehensive pain rehabilitation report. In : American Pain Society : bulletin 2–6 ; 2006. [8] Moore J, Butler M, Stark A, Kane R. Agency for Healthcare Research and Quality Department of Health and Human «Multidisciplinary Pain Programs for Chronic Non cancer Pain». Minnesota Evidence-based Practice Center Minneapolis ; 2011. MN AHRQ 11-EHC064-EF. [9] Johnson J, Pain Management Network, Pain Management Programs – Which Patient for Which Program? A guide for NSW Tier 3 and Tier 2 public health facilities providing pain programs Agency for Clinical Innovation, 2013. [10] Sluka KA. Mechanisms and Management of Pain for the Physical Therapist. IASP Press ; 2009.

Chapitre

39

Douleur et grossesse Nabilah Panchbhaya



PLAN DU CHAPITRE Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Gestion des antalgiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . Douleurs liées à la grossesse . . . . . . . . . . . . . .

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Douleur, interruption volontaire de grossesse médicamenteuse, fausse couche précoce . . . . Dyspareunies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Introduction La douleur chez la femme enceinte est une situation fréquente, source d'inquiétude chez la mère mais également chez le praticien qui doit savoir repérer une cause obstétricale potentiellement sévère et qui peut se sentir limité dans ses options thérapeutiques du fait de la tératogénicité et de l'embryotoxicité. Cependant, le choix des antalgiques à disposition restant large, la prescription ne doit pas être restreinte. L'approche du symptôme douloureux chez la femme enceinte est la même qu'en dehors de la grossesse et, en cas

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d'exploration d'une douleur, aucun examen d'imagerie médicale standard n'est contre-indiqué durant la grossesse, quel qu'en soit le terme [1].

Gestion des antalgiques Les tableaux 39.1 et 39.2 résument les traitements antalgiques à disposition, selon le Centre de référence sur les agents tératogènes (Centre de référence sur les agents tératogènes [CRAT]) [1].

Tableau 39.1 Antalgiques, douleur, inflammation et grossesse. Type d'antalgique

Molécule

Terme

Posologie (RCP)

Antalgiques non opiacés (palier 1)

Paracétamol : préféré en première intention

Tout au long de la grossesse 1 g toutes les 6 h Maximum : 4 g/jour

Aspirine : De manière ponctuelle, mais contre-indiquée après 24 SA, avec une posologie > 500 mg/jour

Jusqu'à 24 SA

L'utilisation ponctuelle ou chronique de tous les AINS (y compris l'aspirine junk 500 mg/j et les inhibiteurs sélectifs de COX-2) est formellement contre-indiquée à partir du début du sixième mois de grossesse (24 SA), quelle que soit leur voie d'administration. Avant 24 SA, on évitera si possible les traitements prolongés Antalgiques opioïdes faibles (palier 2)

Codéine : – paracétamol + codéine – Dafalgan codéiné® – Efferalgan codéiné®

Tout au long de la grossesse 1 à 2 comprimés toutes les 4 à 6 heures ; Maximum : 6 à 8 comprimés/jour

Tramadol

Tout au long de la grossesse 50 ou 100 mg (1 ou 2 comprimés) toutes les 4–6 heures Maximum : 400 mg/24 heures

Antalgiques opioïdes mixtes ou forts (palier 3)

On préférera la morphine – Morphine à libération immédiate per os – (Actiskénan®,Sevredol®) – Morphine à libération prolongée per os – (Skénan®, Moscontin®)

Tout au long de la grossesse Débuter par 10 mg toutes les 4 heures Débuter par 30 mg toutes les 12 heures

Corticoïdes

Les corticoïdes peuvent être utilisés chez la femme enceinte quels que soient leurs voies d'administration, leurs posologies et le terme de la grossesse

COX-2 : cyclo-oxygénase 2 ; SA : semaine d'aménorrhée. Source : Le Centre de Référence sur les Agents Tératogènes (CRAT) www.lecrat.fr, l'Hôpital Armand-Trousseau (AP-HP), sauf Posologie (RCP) Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

257

258   Partie 4. Douleur selon le patient Tableau 39.2 Antalgiques, douleurs neuropathiques, algies rebelles et grossesse. Molécule

Terme

Tout au long de la Amitriptyline (Laroxyl Clomipramine (Anafranil®) grossesse (molécules les mieux connues) ®)

Duloxétine (Cymbalta®) Gabapentine (Neurontin®) Lidocaïne en emplâtre (Versatis®) Prégabaline (Lyrica®)

Tout au long de la grossesse En deuxième intention

Posologie À posologie efficace À posologie efficace

En cas d'inefficacité de ces molécules, l'utilisation d'un autre traitement en cours de grossesse sera envisagée au cas par cas, notamment la carbamazépine (Tégrétol®) TENS : neurostimulation électrique transcutanée envisageable quel que soit le terme sauf sur l'abdomen. Source : Le Centre de Référence sur les Agents Tératogènes (CRAT) www.lecrat.fr, l'Hôpital Armand-Trousseau (AP-HP)

Douleurs liées à la grossesse Douleurs d'origines obstétricales et gynécologiques Contractions utérines Fréquentes, elles sont généralement de faible intensité, ponctuelles et liées à l'activité physique, mais elles peuvent annoncer une fausse couche ou une menace d'accouchement prématuré (MAP) lorsque la douleur s'intensifie et qu'elles se répètent. Elles peuvent également être symptomatiques d'une pathologie non obstétricale (infectieuse, fibrome, malformations utérines, etc.). Le traitement antalgique des contractions utérines de faible intensité en dehors du contexte de MAP, repose sur le repos et le recours aux antalgiques de palier 1.

Hématome rétroplacentaire Il survient lors du deuxième ou du troisième trimestre de la grossesse dans un contexte d'HTA gravidique ou de prééclampsie, et se manifeste par une douleur abdominale intense, brutale, associée à une contracture utérine persistante, une hauteur utérine augmentée et des métrorragies de faible abondance. Il impose l'interruption immédiate de la grossesse en milieu hospitalier.

HELLP syndrome Pathologie grave survenant lors du deuxième ou du troisième trimestre de la grossesse dans un contexte de prééclampsie, il se traduit cliniquement par une douleur en barre épigastrique persistante, des signes fonctionnels d'HTA, des nausées, des vomissements et des œdèmes. L'interruption immédiate de la grossesse est indiquée.

Rétroversion utérine Quinze à 20 % des femmes ont un utérus rétroversé. La réduction spontanée de cette particularité anatomique, généralement au cours du troisième mois, est indolore, mais peut parfois s'accompagner de douleurs pelviennes et de troubles urinaires (rétention, dysurie, pollakiurie).

Fibromes utérins, nécrobiose aseptique de fibrome Les fibromes utérins sont responsables de douleurs chroniques tout au long de la grossesse. La nécrobiose aseptique est un infarctus fibromateux qui se voit fréquemment pendant la grossesse et dans le post-partum immédiat [2]. Les douleurs sont d'horaire et d'intensité variables. Elles sont précisément localisées par la patiente et exacerbées par la palpation du fibrome. Elles s'accompagnent de fièvre inférieure à 38,5 °C et d'un syndrome inflammatoire biologique. Le traitement repose sur les antalgiques de paliers 1 à 3, après élimination d'une MAP associée.

Autres En ce qui concerne les kystes ovariens, les vaginoses, l'herpès génital, etc., à l'exception des AINS, la prise en charge de la douleur est la même qu'en dehors de la grossesse.

Douleurs de la région lombopelvienne Syndrome douloureux ostéo-musculo-articulaire (syndrome de Lacomme) Il concerne 10 à 50 % des femmes enceintes et apparaît lors du deuxième ou troisième trimestre de la grossesse. Les douleurs, d'intensité variable, sont responsables d'une impotence fonctionnelle plus ou moins sévère. Elles sont abdominales basses et/ou postérieures, et peuvent irradier aux cuisses ou vers les dernières côtes et les lombes. Le traitement repose sur l'explication claire de la symptomatologie et de sa bénignité, le repos, la correction d'une hypokaliémie ou d'une hypocalcémie et les antalgiques. Les massages, la physiothérapie, les ceintures de contention portées en position basse au niveau des sacro-iliaques sont souvent efficaces. Une rééducation dirigée est utile après l'accouchement. Les infiltrations d'anesthésiques locaux ou de corticoïdes sont réservées aux formes résistantes. La kinésithérapie, l'ostéopathie, l'homéopathie, l'acupuncture peuvent améliorer la symptomatologie [3].

Arthralgies des sacro-iliaques et ostéose iliaque condensante Elles sont d'origine mécanique, apparaissant essentiellement à l'appui. Elles sont dues à la distension et la subluxation des articulations. Le traitement s'appuie sur le repos et les antalgiques [3].

Atteinte dégénérative de la symphyse pubienne Plus fréquente chez les multipares, elle est liée à des remaniements de la symphyse pubienne, responsables parfois de pubalgies. Elle est soulagée par la prescription d'antalgiques, la kinésithérapie junk infiltrations [3].

Coccygodynie Ces douleurs, apparaissant lors du troisième trimestre, sont déclenchées par la position assise, parfois la marche ou la défécation. Le traitement consiste en l'abstention de

Chapitre 39. Douleur et grossesse    259 l'appui direct, l'utilisation d'antalgiques, de neurosédatifs, de massages des releveurs de l'anus, voire d'infiltrations locales du disque rudimentaire douloureux [3].

Rhumatismes abarticulaires Crampes Elles concernent un tiers des patientes et sont rencontrées dans la deuxième moitié de la grossesse. Elles sont le plus souvent d'horaire nocturne et concernent surtout les mollets, mais aussi, parfois, les cuisses ou les pieds. Les carences minérales sont rarement documentées mais la supplémentation par magnésium et, surtout, par calcium (1 à 2 g/jour per os) est souvent efficace [3].

Méralgie paresthésique par compression du nerf fémorocutané Elle survient vers le cinquième mois de grossesse et se caractérise par des dysesthésies et des hyperesthésies à la face antéro-externe de la cuisse. Le traitement consiste en l'utilisation de benzodiazépines, de tricycliques et d'infiltrations locales [3].

Autres Le syndrome du canal carpien et la ténosyvite de De ­Quervain peuvent être rencontrés en fin de grossesse. Outre l'utilisation d'AINS qui est contre-indiquée, le traitement est le même qu'en dehors de la grossesse. Les algies plantaires peuvent êtres soulagées par les antalgiques simples et le port de semelles compensatrices [3].

Douleurs rachidiennes et radiculaires Lombalgies Elles surviennent chez au moins la moitié des femmes et sont favorisées par l'hyperlordose, l'hyperlaxité ligamentaire et la prise de poids. Il s'agit le plus souvent de lombalgies basses à caractère postural, d'intensité modérée, qui n'impose un arrêt de travail et un repos absolu que dans 10 % des cas. Les sciatiques sont plus souvent S1 que L5 et sont habituellement calmées par le décubitus. Le traitement consiste en un repos simple, la limitation du port d'objets lourds et des périodes journalières de repos en position couchée, le dos à plat, les jambes surélevées. En cas de forme résistante, l'utilisation d'un lombostat en coutil réglable peut améliorer la symptomatologie. Une ou deux infiltrations épidurales d'un corticoïde soluble sont habituellement très efficaces. La sciatique hyperalgique gravidique et la sciatique paralysante sont deux pathologies nécessitant un repos strict au lit, un traitement antalgique par paracétamol et, éventuellement, l'infiltration de corticoïdes. Une fois l'existence d'un conflit discoradiculaire démontrée par une IRM, une intervention chirurgicale doit être discutée [3].

Dorsalgies Plus fréquentes en début de grossesse, elles sont mécaniques ou inflammatoires et souvent associées à un

t­ errain anxieux. Le traitement comprend la réassurance de la patiente, les massages, la kinésithérapie, la physiothérapie et, plus rarement, les antalgiques et les anxiolytiques [3].

Algodystrophie Elle survient principalement lors du trimestre de la grossesse, mais, parfois, dès le premier trimestre. La hanche est l'articulation la plus fréquemment touchée. La douleur est mécanique, inguinale irradiant à la face antérieure de la cuisse et apparaît dès la mise en charge, pouvant conduire à une impotence fonctionnelle. Le diagnostic se fait par IRM, et le traitement consiste en du repos, associé à du paracétamol au stade initial. L'utilisation de cannes anglaises est nécessaire à la marche. La kinésithérapie est prescrite dès l'atténuation des douleurs [3].

Ostéonécrose aseptique de la tête fémorale Favorisée par une prise de poids excessive ou une grossesse multiple, elle survient toujours après le quatrième mois. La douleur siège à la face externe de la hanche, dans le pli de l'aine ou au niveau de la fesse. Le diagnostic est obtenu par l'IRM. Le traitement comprend essentiellement une mise en décharge totale (repos et utilisation de cannes anglaises) et des antalgiques [3].

Reflux gastro-œsophagien Il touche environ 50 % des femmes enceintes. Le traitement consiste en l'application des règles hygiénodiététiques habituelles et l'administration d'un médicament. Les molécules suivantes peuvent être utilisées, quel que soit le terme : ■ les pansements gastro-intestinaux  : diméticone (Polysilane®), ■ les antiacides : alginate (Gaviscon®), sels d'aluminium et de magnésium (Maalox®, etc.), ■ les IPP : oméprazole (Mopral®, Zoltum®), ésoméprazole (Inexium®, Nexium control®), et lansoprazole (Lanzor®, Ogast®, Ogastoro®), ■ les antihistaminiques H2 : ranitidine (Azantac®) et famotidine [4].

Douleur hémorroïdaire Les hémorroïdes sont aggravées lors du troisième trimestre et en post-partum immédiat. La constipation, l'imprégnation en progestérone et un facteur mécanique de compression en font une pathologie fréquemment rencontrée. Le traitement antalgique est d'abord local, puis associé à un traitement par voie générale, une régularisation du transit et aux règles hygiénodiététiques habituelles.

Traitement local de la crise hémorroïdaire Ce traitement peut être : ■ des spécialités contenant un anesthésique local sans corticoïde, tels Titanoréïne lidocaïne®, Tronothane® et Rectoquotane® ;

260   Partie 4. Douleur selon le patient ■ des spécialités contenant un anesthésique local avec corticoïde  : Deliproct®, Ultraproct®, Cirkan® à la prednacinolone ; ■ Autres, tel Titanoréine®.

Traitement par voie générale Il s'agit : ■ de veinotoniques (quel que soit le terme de la grossesse) : Diosmine®, Hespéridine®, la troxérutine ou la rutoside ; ■ d'antalgiques ; ■ de corticoïdes. La prise en charge chirurgicale est exceptionnelle et consiste en l'incision d'une thrombose externe [5].

Constipation Elle est aggravée par la grossesse ; les mesures hygiénodiététiques et un traitement laxatif permettent d'en soulager les symptômes. Les associations de plusieurs principes actifs sont à éviter. Sont préférés en cours de grossesse : ■ Soit un laxatif de lest : – mucilage : sterculia (Normacol®), ispaghul (Spagulax®), psyllium (Psylia®) ou gomme guar ; ■ Soit un laxatif osmotique : – polyéthylène glycol (PEG) [macrogol], tels Casenlax®, Forlax®, Transipeg® ou Movicol® ; – lactulose (Duphalac®, Laxaron®), lactitol (Importal®) ou sorbitol (Sorbitol Delalande®). L'utilisation ponctuelle d'un laxatif lubrifiant est possible (Lansoyl®, etc.). Si un laxatif stimulant doit être utilisé ponctuellement pour une constipation opiniâtre, on préférera le séné en cours de grossesse et d'allaitement [6].

Colique néphrétique Relativement fréquentes lors des deuxième et troisième trimestres, les coliques néphrétiques sont liées à la compression urétérale par l'utérus gravide et surviennent le plus souvent du côté droit. Le traitement repose sur les antalgiques de paliers 1 à 3. La dérivation par sonde JJ est parfois nécessaire.

Migraine Durant la grossesse, l'augmentation de l'estrogénie conduit à l'amélioration de la migraine dans 60 à 70 % des cas [7]. Le traitement de la crise repose sur les antalgiques de palier 1. Le sumatriptan peut être utilisé quel que soit le terme de la grossesse. En cas d'échec, l'élétriptan, le rizatriptan et le zolmitriptan peuvent être utilisés. Les dérivés de l'ergot de seigle (ergotamine et dihydroergotamine) sont à éviter. Si l'instauration ou la poursuite d'un traitement de fond est nécessaire, l'amitriptyline, le propranolol ou le métoprolol sont à prescrire en première intention. En cas d'échec, le pizotifène ou l'oxétorone peuvent être prescrits au cas par cas après avis auprès du CRAT. La flunarizine et le topiramate sont à éviter [8].

Douleur, interruption volontaire de grossesse médicamenteuse, fausse couche précoce Interruption volontaire de grossesse L'IVG est un acte qui peut être difficilement vécu par les femmes qui ont fait le choix d'interrompre leur grossesse. La majorité des IVG se faisant en ambulatoire, la prise en charge de la douleur est fondamentale et doit être anticipée. Les molécules utilisées dans le cadre de l'IVG sont la mifépristone et le misoprostol. Celles-ci provoquent une maturation cervicale associée à des contractions utérines, aboutissant à l'expulsion du sac gestationnel. Ce processus est douloureux et doit être systématiquement accompagné d'une prescription d'antalgiques type paracétamol et AINS. En cas de contre-indication maternelle aux AINS, un antalgique de palier 2 sera nécessaire.

Fausse couche précoce Comme pour l'IVG, l'expulsion du sac gestationnel (spontanée ou à la suite d'un traitement médicamenteux) est responsable de douleurs pouvant être intenses. Elle doit faire l'objet d'une prescription d'antalgiques type paracétamol et AINS (palier 2 en cas de contre-indication maternelle aux AINS) systématique.

Dyspareunies La dyspareunie est une douleur persistante ou récurrente lors d'une tentative de rapport sexuel ou lors d'une pénétration effective. Elle toucherait 7 à 10 % des femmes selon leur âge. La douleur est souvent négligée et l'errance diagnostique est fréquente. L'approche globale est à privilégier, les causes physiques pouvant se mêler aux difficultés psychologiques, « psychosexuelles », affectant la femme et/ou son partenaire. L'évaluation de la dyspareunie commence par la caractérisation des symptômes. Il faut avoir une approche empathique et commencer par clarifier le terme de « douleurs sexuelles » avec la patiente. Le mode d'apparition des symptômes est primordial, puisque le début brutal évoquera plutôt une cause psychosexuelle déclenchée par un événement récent alors qu'un début progressif orientera davantage vers une cause physique. Il convient d'explorer les sentiments ressentis vis-à-vis de cette douleur, le contexte psychologique et social ainsi que les antécédents gynéco-obstétricaux. L'approche LOFTI permet d'identifier une cause psychosexuelle. ■ listening (écouter) : chercher les non-dits et les silences ; ■ observing (observer)  : par exemple des rendez-vous annulés, ou, à l'inverse une lettre d'un autre médecin très pressante ; ■ feelings (sentiments) : faire attention à ses propres réactions face aux déclarations de la patiente ; ■ Thinking (réfléchir)  : pourquoi cette femme a-t-elle consulté maintenant ? Comment en est-elle arrivée à consulter, qu'est-ce qui la motive ?

Chapitre 39. Douleur et grossesse    261 ■ Interpreting (interpréter) : avoir une vue d'ensemble, en déterminant si la femme a élaboré des mécanismes de défense occultant une partie du problème (déni, régression, détachement, dissociation pouvant évoquer un historique d'abus sexuels, etc.), si elle est anxieuse ou si elle a peur. L'examen physique comprend, au minimum, la palpation abdominale à la recherche d'un syndrome de masse abdominale, l'inspection vaginale (érythème, fissures, ulcérations, candidose, dermatite, suintements, cicatrice d'épisiotomie, mutilation sexuelle, lichen scléreux vulvaire, atrophie vaginale, etc.), l'examen au spéculum en prenant soin d'utiliser du lubrifiant, et le toucher vaginal. Les deux derniers permettant d'identifier des nodules d'endométriose (ligaments utéro-sacrés, etc.), des masses intra-abdominales (kystes ovariens, fibromes, etc.) et de repérer des malformations utérovaginales. En cas de normalité de l'examen physique, les explorations doivent être poursuivies. Les examens complémentaires à effectuer vont dépendre de l'examen clinique. Le dosage de la ferritine sanguine semble particulièrement important, puisque 5  % des femmes avec une dermatite vulvaire ou un prurit sont associés à un déficit en fer. Un prélèvement vaginal, une échographie, une IRM, une biopsie d'éventuelles lésions cutanées ou une cœlioscopie exploratrice peuvent être nécessaires au diagnostic. Les causes physiques de dyspareunie sont nombreuses et peuvent varier selon l'âge de la patiente : ■ douleurs superficielles avant la ménopause : candidose récidivante, herpès, vaginisme, dermatite vulvaire, cicatrice périnéale (épisiotomie, déchirures postaccouchement, mutilation sexuelle, etc.), abcès ou kyste de la glande de Bartholin ; ■ douleurs superficielles péri- ou postménopausiques  : atrophie vulvovaginale, dermatose (lichen), dermatite vulvaire ou vaginisme ; ■ douleurs superficielles plus rares : radiothérapie, causes neurologiques (douleur neuropathique, maladie neurologique), malformations vaginales, tumeurs vaginales ou vulvaires ; ■ douleurs profondes  : endométriose, pathologie des annexes ou du pelvis (kystes, fibromes, tumeurs), mala-

die inflammatoire pelvienne, iatrogénie (raccourcissement ou rétrécissement vaginal, postradiothérapie, mutilations sexuelles féminines), dysfonction du plancher pelvien (mécanique, anatomique, rétroversion de l'utérus, prolapsus), congestion pelvienne (douleur postcoïtale), cause non gynécologique (syndrome de l'intestin irritable, maladie inflammatoire chronique de l'intestin, infection urinaire) ou insuffisance veineuse pelvienne. Lorsqu'une cause est identifiée, le traitement de celle-ci est indispensable. Une approche multidisciplinaire (gynécologue, dermatologue, psychologue, etc.) est recommandée en cas de vulvodynie. Le massage périnéal avec une huile inerte (comme l'huile de coco), peut de nouveau familiariser certaines femmes avec leur vulve et, en cas de vaginisme ou de vulvodynie, soulager les douleurs. L'utilisation de substances non inertes, allergisantes ou irritantes (savon, gel douche, lingettes) pour l'hygiène intime est déconseillée. Les protections en coton, non parfumées, non teintes et une lessive non parfumée sont à privilégier. La douleur à la pénétration peut être réduite par l'utilisation d'un lubrifiant à base d'eau et diminuant la sensibilité (menthol, lidocaïne). Lorsque l'origine psychosexuelle est envisagée, un recours à un spécialiste est nécessaire [9].

Références [1] https://lecrat.fr/spip.php ?page=article&id_article=18. [2] Fibrome utérin : localisations, manifestations, diagnostic et traitements, http://www.aly-abbara.com/livre_gyn_obs/termes/fibrome.html. [3] Koeger AC. Rhumatologie et grossesse. Wwwem-Premiumcomdatatrai tesmgtm-19446 [4] https://lecrat.fr/spip.php ?page=article&id_article=1049. [5] https://lecrat.fr/spip.php ?page=article&id_article=861. [6] http://lecrat.fr/articleSearch.php ?id_groupe=16. [7] SFEMC. Migraine et grossesse, http://sfemc.fr/maux-de-tete/lamigraine/32-migraine-et-grossesse.html. [8] http://lecrat.fr/spip.php ?page=article&id_article=455. [9] Lee  NMW, Jakes  AD, Lloyd  J, Frodsham  LCG. Dyspareunia. BMJ 2018 ; 361 : k2341.

Chapitre

40

Insuffisance rénale et hépatique PLAN DU CHAPITRE 40.1 Médicaments opioïdes chez l'insuffisant hépatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Modifications de la pharmacocinétique des opioïdes chez l'insuffisant hépatique . . . . Antalgiques de niveau II . . . . . . . . . . . . . . . . . . Antalgiques de niveau III . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion et recommandations . . . . . . . . . . . 40.2 Paracétamol et anti-inflammatoires non stéroïdiens chez l'insuffisant hépatique . . . . .

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Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Paracétamol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Anti-inflammatoires non stéroïdiens . . . . . . . . Recommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40.3 Antalgiques et insuffisance renale . . . . . . . Ce qu'il faut comprendre avec l'insuffisance rénale chronique (IRC) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prescription d'antalgiques dans le contexte de l'IRC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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40.1  Médicaments

opioïdes chez l'insuffisant hépatique

François Chast 

Introduction Si les maladies du foie sont, le plus souvent réversibles, les cellules du foie pouvant se réparer et le foie retrouver son état normal, dans certains cas, des lésions, sévères ou répétées conduisent à une cytolyse majeure ou à une fibrose correspondant à une destruction fonctionnelle du foie, avec un risque accru de troubles hémorragiques, d'hypertension portale, d'encéphalopathie hépatique, etc. Chez ces patients, les effets indésirables des opioïdes peuvent être majorés, et leur utilisation, qu'il s'agisse de situations aiguës (anesthésie, douleurs postopératoires) ou chroniques (douleurs sévères de diverses origines), est alors compromise.

Modifications de la pharmacocinétique des opioïdes chez l'insuffisant hépatique À l'instar de nombreux médicaments, la pharmacocinétique des opioïdes est largement influencée par la fonction hépatique. Un dysfonctionnement peut non seulement réduire Médecine de la douleur pour le praticien © 2019, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

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la clairance plasmatique des médicaments éliminés par le métabolisme hépatique ou l'excrétion biliaire, mais il peut également affecter leur liaison aux protéines plasmatiques, ce qui conduit, par un mécanisme en cascade, à en modifier la distribution et l'élimination [1]. En cas de cirrhose hépatique avancée avec perturbation de la circulation porte, on note une baisse de l'effet de premier passage, dont les conséquences peuvent être sensibles lors d'une administration par voie orale (augmentation significative de l'absorption). Le métabolisme hépatique des opioïdes est caractérisé par deux mécanismes essentiels : ■ un processus d'oxydoréduction, où interviennent les cytochromes P450 (CYP). Les isoformes des cytochromes sont affectées à des degrés variables en fonction de la gravité de la maladie du foie [2, 3]. On observe une forte diminution de l'activité métabolique du CYP2C19 chez les patients atteints d'une maladie hépatique légère, alors que CYP1A2, CYP2D6 et CYP2E1 semblent relativement préservés. Mais en cas d'atteinte sévère, l'activité métabolique des cytochromes est affectée quelle que soit l'isoforme considérée ; ■ un processus de conjugaison (glucurono-, sulfo-, etc.) où sont mises en jeu des transférases. Les réactions de glucuronidation, sont affectées dans une moindre mesure par une insuffisance hépatique et ne sont altérées que chez les patients atteints d'une maladie sévère [4]. Les maladies chroniques du foie sont associées à des réductions variables de l'activité métabolique portée par le système enzymatique des cytochromes CYP450. Quant à la glucuronidation, elle est moins affectée que les réactions médiées par le CYP450 dans les cas de cirrhose légère à modérée, mais elle peut également être sensiblement 263

264   Partie 4. Douleur selon le patient a­ ltérée chez les patients présentant une cirrhose avancée. La situation se complique souvent quand la cirrhose sévère se double d'une insuffisance rénale, d'autant que les patients atteints de cirrhose du foie sont particulièrement sensibles aux effets indésirables centraux des antalgiques opioïdes [5].

Antalgiques de niveau II Codéine La codéine est un antalgique de faible puissance, métabolisé dans le foie la glucuronyl-6-codéine, la norcodéine et 10 % transformé en morphine [6]. La codéine a une faible affinité pour le récepteur opioïde μ et son activité antalgique est majoritairement dépendante de sa conversion en morphine [7]. Le cytochrome CYP2D6 est l'enzyme impliqué dans cette biotransformation. Cette réaction oxydative est diminuée en cas d'insuffisance hépatique, ce qui réduit d'autant l'efficacité antalgique de la codéine. Même si une modeste efficacité est préservée, il ne semble pas possible de conseiller la prescription de codéine lors d'une altération de la fonction hépatique.

Tramadol Le tramadol agit par un double mécanisme d'action : d'une part la modulation d'une voie centrale monoaminergique et, d'autre part, l'activation de récepteurs opioïdes μ. Plus de 80 % du tramadol est métabolisé par le foie [8] en O-déméthyltramadol, grâce au CYP2D6. Si le tramadol lui-même est plutôt actif sur les voies monoaminergiques, son métabolite, l'O-déméthyltramadol a davantage d'affinité pour les récepteurs opioïde μ [9]. En cas de baisse d'activité du CYP2D6 (insuffisance hépatique), le tramadol agit donc préférentiellement comme modulateur monoaminergique, ce qui préserve une part de l'activité antalgique, par ailleurs réduite, car il n'est plus (ou n'est que moins) éligible à la part de son action comme agoniste morphinique (on manque d'une véritable démonstration expérimentale du phénomène). Cette réduction de l'action pharmacologique est compensée par les conséquences pharmacocinétiques de l'insuffisance hépatique. En cas de cirrhose du foie, par exemple, l'aire sous la courbe du tramadol est multipliée par un facteur 3 à 4, et la demi-vie, par un facteur 2 à 3. On observe également ces modifications en cas de carcinome primitif du foie. La biodisponibilité et l'aire sous la courbe du tramadol sont également augmentées, mais dans une moindre mesure, en cas de métastases hépatiques d'un cancer à distance [10]. Au total, l'insuffisance hépatique justifie un élargissement de l'intervalle entre deux prises, afin de limiter les risques d'accumulation et, donc, de toxicité.

Buprénorphine La buprénorphine est un agoniste partiel des récepteurs opioïdes μ qui subit un effet de premier passage si important qu'il n'est pas possible de l'administrer par voie orale (en dehors de la buprénorphine haut dosage [BHD] dans l'indication du sevrage aux opioïdes). Les voies, sublinguale ­(biodisponibilité de 50 à 55 %), injectable et transdermique sont donc incontournables. Largement liée aux protéines

circulantes, surtout aux α- et β-globulines, la buprénorphine est partiellement métabolisée par le foie (CYP3A4), avec une oxydation conduisant à la norbuprénorphine avant que le médicament et son métabolite ne soient ensuite glucuronoconjugués [11]. La pharmacocinétique de la buprénorphine n'a pas été étudiée en cas d'insuffisance hépatique. En théorie, l'administration sublinguale permet de court-­ circuiter le foie, mais une fraction du médicament est avalée, ce qui peut expliquer la réduction et la variabilité de la biodisponibilité (50 à 55 %). Si l'activité du CYP3A4 est diminuée, on peut observer une augmentation de la biodisponibilité et une diminution de la clairance de la buprénorphine, mais ces phénomènes n'ont qu'une modeste traduction clinique. Des cas de toxicité hépatique ont été décrits avec la buprénorphine, mais essentiellement lors d'une administration intraveineuse [12]. Des données contradictoires ont été publiées au sujet de l'hépatotoxicité de la buprénorphine chez des patients présentant déjà une maladie hépatique comme l'hépatite C et, lors d'un traitement au long cours, il paraît pertinent de surveiller l'évolution des transaminases.

Antalgiques de niveau III Les opiacés de niveau III sont largement utilisés dans les douleurs sévères. En cas d'utilisation chez des patients souffrant d'insuffisance hépatique grave ou d'encéphalopathie hépatique, on risque d'observer une rechute ou une aggravation de cette encéphalopathie [13]. Cette complication, fréquente et de mauvais pronostic, est caractérisée par des troubles cognitifs pouvant aller jusqu'au coma. Une autre source de complications vient du fait que, chez les patients atteints d'insuffisance hépatique, on observe une altération de la barrière hémato-encéphalique (BHE) qui induit une augmentation des concentrations cérébrales et, donc, une toxicité accrue. C'est donc avec prudence qu'il convient de prescrire ces opiacés chez l'insuffisant hépatique, même si l'objectif de suppression de la douleur doit rester prioritaire. Quelques règles doivent alors être respectées [14].

Morphine La morphine, faiblement liée aux protéines plasmatiques, subit un effet de premier passage significatif après administration per os avec une biodisponibilité moyenne de 30 à 40  %. Le métabolisme de la morphine en glucuronyl6-morphine, actif, et en glucuronyl-3-morphine, neurotoxique, intervient très majoritairement dans le foie. La diminution possible de la clairance de la morphine chez les patients cirrhotiques serait essentiellement due à la diminution du flux sanguin hépatique et, dans une moindre mesure, à une perte de capacité métabolique intrinsèque [15]. Si certaines études du métabolisme de la morphine en cas d'insuffisance hépatique ne notent pas d'altérations significatives de l'élimination et de la clairance plasmatique en cas de cirrhose, d'autres, en revanche, observent un impact négatif, avec une demi-vie terminale de la morphine, multipliée par 2, et une clairance divisée d'un tiers, chez les patients cirrhotiques, ce qui conduit les auteurs à suggérer une augmentation de l'intervalle entre les administrations pour minimiser le risque d'accumulation [16].

Chapitre 40. Insuffisance rénale et hépatique    265 En réalité, les différences d ­ 'appréciation, semblent être fonction des différences de sévérité de la maladie. Le résultat de la baisse de l'effet de premier passage hépatique est une augmentation (voire un doublement) de la biodisponibilité par voie orale [17]. Une étude réalisée chez des cirrhotiques a montré une biodisponibilité de la morphine LP de 27,7 % contre 16 % pour les contrôles avec augmentation de la demi-vie d'élimination et diminution de la clairance [18], ce que l'on observe également en cas de carcinome primitif. Si, lors de l'administration par voie i.v. chez des patients atteints de maladies hépatiques sévères, l'intervalle entre deux injections doit être augmenté, lors d'une administration par voie orale, non seulement cet intervalle doit être augmenté, mais en plus la posologie doit également être diminuée. En revanche, en cas de double insuffisance, hépatique et rénale, la morphine doit être évitée en raison de  l'accumulation des métabolites, facteurs de toxicité neuro­logique de la morphine.

Oxycodone L'oxycodone a une puissance intrinsèque voisine de celle de la morphine, mais sa biodisponibilité est bien meilleure par voie orale (60 à 90 %, contre 30 à 40 % pour la morphine). Le métabolisme de l'oxycodone dépend d'enzymes oxydatives, en particulier les CYP3A4 et CYP2D6 – qui transforment l'oxycodone en noroxycodone et en un métabolite actif déméthylé, l'oxymorphone [19]. Une perturbation du métabolisme hépatique de l'oxycodone peut conduire à une réduction de la biosynthèse de l'oxymorphone, diminuant l'activité antalgique, situation identique à celles des métaboliseurs « lents » (chez lesquels l'activité du CYP2D6 est peu actif). Chez l'insuffisant hépatique, la concentration maximale d'oxycodone est augmentée de 40 %, sa demi-vie est prolongée de 2 heures et l'aire sous la courbe est pratiquement doublée. En revanche, on note une réduction moyenne de 15 % du pic plasmatique du métabolite actif, l'oxymorphone, et de 50 % de son aire sous la courbe [20]. Comme toujours avec les opiacés, et encore plus en cas de dégradation de la fonction hépatique, « start low and go slow » est une règle absolue.

Hydromorphone L'hydromorphone subit un important métabolisme de premier passage dont la conséquence est une faible biodisponibilité [21]. Elle est majoritairement métabolisée par glucuronoconjugaison en glucuronyl-3-hydromorphone. Chez des patients présentant une insuffisance hépatique modérée, les pics plasmatiques et l'aire sous la courbe sont multipliés par 4 après une dose unique d'hydromorphone LI. En revanche, la demi-vie d'élimination n'est pas modifiée, ce qui suggère une diminution de la posologie d'hydromorphone en maintenant l'intervalle entre deux prises. La baisse des capacités métaboliques des enzymes de conjugaison lors de la progression de la maladie peut conduire à une augmentation de la demi-vie d'élimination et, en cas d'insuffisance rénale associée, l'accumulation du métabolite neurotoxique, la glucuronyl-3-hydromorphone, a été observée [22], ce qui doit conduire à éviter ce médicament.

Fentanyl Le fentanyl est un opioïde synthétique largement lié aux protéines plasmatiques (85 %). Il est métabolisé dans le foie par le CYP3A4 et sa demi-vie (de 3 à 4 heures) est prolongée lors d'une administration continue, dans la mesure où ­l'extraction hépatique est élevée (0,8), Sa clairance est davantage affectée par des changements de flux sanguin hépatique que par une réduction de l'activité des enzymes hépatiques ou de la liaison aux protéines plasmatiques [23]. La pharmacocinétique du fentanyl n'est pas altérée en cas de cirrhose lorsque l'administration est parentérale, du moins chez les patients ayant une perturbation modérée [24]. Lors d'une administration par voie transdermique, la pharmacociné­ tique est perturbée pour le pic de concentration (+35 %) et l'aire sous la courbe (+73 %) [25]. Compte tenu, de sa bonne tolérance en cas d'insuffisance rénale, le fentanyl est l'antalgique de choix en cas de syndrome hépatorénal, mais il est alors légitime de diminuer la posologie pour éviter tout risque d'accumulation [26].

Conclusion et recommandations La peur d'aggraver une insuffisance hépatique préexistante conduit trop fréquemment à un sous-dosage des traitements antalgiques. Il est inapproprié de refuser à un patient un opioïde pour la prévention ou le traitement d'une douleur aiguë postopératoire. La gestion d'une douleur chronique est toujours plus délicate, d'autant que l'antalgique est souvent administré conjointement à d'autres médicaments en raison de comorbidités, en particulier chez le sujet âgé. Pour ces patients, comme chez la femme enceinte, on est souvent confronté à de vraies difficultés. Les opioïdes doivent être prescrits avec discernement et de la manière la plus­ « personnalisée » [27]. Les interactions médicamenteuses doivent être sérieusement prises en considération, comme les risques addictifs qui ont été probablement sous-estimés par le passé. Enfin, d'une manière générale, en cas d'insuffisance hépatique il faut éviter toute prise de médicament susceptible d'altérer le fonctionnement du système des cytochromes, clé de voûte du métabolisme hépatique des médicaments, et valider l'absence d'interactions médicamenteuses significatives. Le choix d'un opioïde est guidé par la nature de la douleur, mais il faut, bien sûr, tenir compte des problèmes que peut poser une insuffisance organique fonctionnelle (hépatique, rénale, etc.) [28] : ■ les opioïdes ne doivent pas être associés à d'autres sédatifs ou à des anxiolytiques de type benzodiazépine afin de ne pas précipiter une encéphalopathie hépatique ; ■ leur métabolisme, affecté par l'insuffisance hépatique et l'activité de la codéine et, dans certains cas, du tramadol ou de l'oxycodone peut être altéré en raison de l'impact négatif de l'insuffisance hépatique sur la biotransformation de ces précurseurs en molécules actives ; ■ ils doivent faire l'objet d'une prescription très précise (posologie et rythme des prises) ; – pour la morphine ou l'hydromorphone, la dose initiale doit être réduite en raison d'une biodisponibilité accrue. Plus que chez tout autre patient, une titration individuelle prudente et graduée est indispensable,

266   Partie 4. Douleur selon le patient – comme en cas d'insuffisance rénale, les antalgiques de demi-vie courte minimisant le risque d'accumulation sont privilégiés, morphine ou hydromorphone (voie orale) et fentanyl, sufentanil ou remifentanil (voies parentérales) sont les meilleurs choix chez les patients insuffisants hépatiques, – toutefois en cas de syndrome hépatorénal, morphine et hydromorphone doivent être prescrites avec prudence, ce qui n'est pas le cas du fentanyl, du sufentanil et du rémifentanil. ■ Chez tous les patients présentant une insuffisance hépatique, les signes éventuels de toxicité (sédation, hallucinations, myoclonies, etc.) doivent être reconnus et, si possible, prévenus.

40.2  Paracétamol

et anti-inflammatoires non stéroïdiens chez l'insuffisant hépatique François Chast 

Introduction Le foie joue un rôle prépondérant dans le métabolisme d'une majorité de médicaments, ce qui explique l'impact que peut avoir une insuffisance hépatique sur l'élimination de certains d'entre eux [29]. Le dysfonctionnement du foie est souvent progressif et la diminution de l'excrétion hépatique des médicaments progresse avec l'histoire de la maladie, même si, dans certains cas (hépatite chronique active ou cancer du foie sans cirrhose), l'élimination des médicaments n'est que modestement modifiée [30, 31]. Malheureusement, il n'existe pas de biomarqueur de l'insuffisance hépatique permettant d'établir un lien entre cette insuffisance fonctionnelle et la capacité du foie à éliminer un médicament, même si certaines avancées voient le jour dans ce domaine [32] Toutefois, la classification de Child-Pugh permet de retenir le « Model for End-stage Liver Disease » [MELD] ou modèle d'évaluation de maladie terminale hépatique [33], qui intègre trois variables biologiques (bilirubine sérique, albumine et taux de prothrombine) et deux variables cliniques (présence, ou non, d'ascite et d'encéphalopathie). Si la FDA aux États-Unis et l'Agence européenne des médicaments encouragent la présentation d'études pharmacocinétiques chez des patients insuffisants hépatiques, on manque, en général, de préconisations d'ajustement de la posologie chez ces patients, notamment pour les médicaments les plus anciens, comme c'est le cas des antalgiques couramment utilisés. En cas de maladie du foie, le métabolisme d'une majorité d'antalgiques peut être altéré, ce qui renforce le risque d'effets indésirables [34]. En outre, on peut observer une aggravation de la dégradation de la fonction hépatique par

le paracétamol, lorsque des doses excessives conduisent à une cytolyse aiguë [35]. Enfin, des cas de lésions hépatiques ont été décrits chez des patients utilisant de l'aspirine ou des AINS [36]. Bien que rares, elles ne doivent pas être sousestimées en raison d'une large utilisation de ces médicaments. Ces inconvénients sont trop souvent méconnus et l'utilisation extensive des antalgiques en automédication est de nature à renforcer les risques encourus par les patients (redondances de traitement, posologies mal respectées, interactions médicamenteuses non maîtrisées, etc.) [37]. Il est donc indispensable d'analyser les caractéristiques de sécurité de chaque médicament afin de les utiliser en minimisant leurs risques potentiels. Tout médicament administré par voie orale est conduit vers la circulation porte à travers le tube digestif, ce qui aboutit à l'étape hépatique, siège d'un phénomène connu sous le nom d'effet de premier passage hépatique. Une cirrhose peut conduire au développement d'une circulation collatérale qui détourne une fraction du flux sanguin théoriquement épuré par le foie, ce qui accroît la toxicité éventuelle des médicaments [38] ; c'est aussi le cas d'une baisse de la biosynthèse de protéines liant les médicaments telles que l'albumine et la glycoprotéine α1-acide, ce qui conduit à une augmentation de la fraction libre de ces médicaments. Souvent, la diminution de la capacité métabolique observée en cas de maladie hépatique est contrebalancée par l'augmentation de la fraction libre du médicament, ce qui peut fausser les interprétations. D'autres facteurs interviennent avec la progression d'une maladie du foie, notamment les changements de composition corporelle comme l'augmentation des compartiments extracellulaires (ascite, œdème) et la diminution de la masse musculaire, ce qui modifie les paramètres de distribution.

Paracétamol Le paracétamol est généralement recommandé comme antalgique de première intention pour un grand nombre de douleurs aiguës ou chroniques et reste l'un des antalgiques les plus sûrs. Si son utilisation chez les patients atteints d'une maladie hépatique doit être, parfois, évitée, elle doit être toujours encadrée, en raison du lien entre le surdosage du paracétamol et son hépatotoxicité. Le paracétamol est métabolisé principalement en glucurono- et sulfoconjugués ; une petite proportion ( 400  mg/jour), le plus souvent par voie i.v. de formes orales, du sulfate de morphine comme substitut d'héroïne. Par ailleurs, de plus en plus fréquemment, sont rapportés des cas de patients de plus de 40 ans souffrant de douleur chronique et présentant une dépendance primaire à leur traitement par morphine. Les signalements relatifs à l'oxycodone permettent d'identifier deux profils : une majorité de cas plutôt masculin, d'âge moyen de 45 ans, et dont le tiers présente des comorbidités psychiatriques, et des des situations d'abus et de dépendance dans un cadre de douleurs chroniques non cancéreuses ; et des sujets plus jeunes, en grande partie de sexe masculin, mésusant de l'oxycodone à des fins récréatives. Dans le cas des pharmacodépendances au fentanyl, on note celle aux formes transmuqueuses ou LI, dans trois quarts des cas liées à un usage hors cancer ou hors traitement de fond par opioïde. Pour le fentanyl transcutané, on retrouve majoritairement des cas de dépendance pour un profil féminin avec des antécédents de troubles psychiatriques ou addictifs (45 %) et des douleurs chroniques non cancéreuses mal soulagées [5]. Un quart des cas, plutôt masculins et âgés de moins de 40 ans, avec une prévalence encore plus élevée des troubles psychiatriques et addictifs associés (87 %) présentent un mésusage, voire un usage détourné, à la recherche d'effets autres qu'antalgiques.

Prévenir et repérer le mésusage des antalgiques opioïdes La prévention et le repérage des situations de mésusage des médicaments antalgiques opioïdes sont indispensables à leur bonne prescription et leur bon usage par le patient. Le repérage commence en effet avant la prescription, par l'identification des facteurs de risque spécifiques de mésusage et par l'information du patient sur la possibilité de survenue de ces comportements d'usage inapproprié et à risque. Parmi les facteurs de risque de mésusage les plus fréquemment relevés, on retrouve : le jeune âge (< 45 ans), des antécédents de comorbidités psychiatriques, des antécédents d'usage problématique de substances, des antécédents familiaux de conduites addictives, une antalgie inadéquate et une prescription d'antalgiques opioïdes [6]. Pour cela, il est possible d'utiliser l'échelle « Opioid Risk Tool », qui permet de mesurer rapidement l'intensité du risque en recherchant ces principaux facteurs (Figure 41.1) [7]. Selon l'existence de facteurs de risque, qui ne contreindiquent pas la prescription si elle s'avère pertinente pour soulager la douleur, une prévention personnalisée devra systématiquement être mise en œuvre en prenant en charge les comorbidités psychiatriques et addictives, en rendant le patient acteur de cette vigilance et en recherchant activement à chaque renouvellement d'ordonnances des comportements de mésusage. Pour cela, l'échelle « Prescription Opioid Misuse Index » permet très rapidement d'identifier une situation problématique en cours de traitement (Figure 41.2) [8]. En complément, d'autres questions devront être posées pour repérer des signes d'addictions, de dépendance physique avec syndrome de sevrage ou de ­soulagement insuffisant de la douleur (Figure 41.3) [9].

Chapitre 41. Addiction   275

Figure 41.1 Repérer avant traitement les patients à risque de troubles d'usage des opioïdes. Source : Webster LR et al. 2005 [7], adapté par l'Observatoire français des médicaments antalgiques pour le RESPADD [9].

Figure 41.2 Repérer en cours de traitement les comportements de mésusage d'opioïdes — Prescription Opioid Misuse Index. Source : Knisely et al. 2008 [8], adapté par l'Observatoire français des médicaments antalgiques pour le RESPADD [9].

276   Partie 4. Douleur selon le patient Comme le mésusage peut aussi être le fait d'une mauvaise prescription, des recommandations de bon usage ont été publiée en  2016 concernant les antalgiques opioïdes forts dans la douleur non cancéreuse [10]. Elles préconisent notamment de : ■ ne pas prescrire les opioïdes forts dans les douleurs nociplastiques comme la fibromyalgie et les céphalées primaires comme les migraines, ■ ne pas poursuivre un traitement au-delà de trois mois sans bénéfice avéré (sur la douleur ou la qualité de vie), ■ ne pas dépasser 150 mg d'équivalent morphine sans avis spécialisé, ■ ne pas prescrire de traitement de fond avec des formes injectables ou LI, et de privilégier les formes LP dans les douleurs chroniques. Dans le cas des douleurs aiguës et postopératoires modérées à sévères, il est préférable d'éviter les prescriptions de trop longue durée sans réévaluation médicale, de prescrire des délivrances pour 7 à 14  jours au maximum et d'éviter les renouvellements automatiques d'ordonnance, cela afin d'éviter la chronicisation inutile d'un traitement par opioïde ou son accumulation dans

l'armoire à pharmacie familiale, qui pourraient favoriser soit une dépendance soit un comportement secondaire d'automédication.

Conclusion La crise des opioïdes nord-américaine met en évidence la nécessité de prévenir en France un tel phénomène pour maintenir une disponibilité et une accessibilité satisfaisante des antalgiques opioïdes, qui restent des médicaments très efficaces dans leurs indications, notamment la douleur liée au cancer. Cela place le prescripteur en responsabilité d'une juste prescription de ces médicaments pour en optimiser le bénéficerisque. Savoir les prescrire implique aussi de savoir et de penser à les déprescrire en cas d'inefficacité ou d'effets indésirables. La prise en charge des usages problématiques de ces médicaments implique une interdisciplinarité entre les professionnels concernés, médecins généralistes, médecins de la douleur et addictologues. Enfin, la prévention de la mortalité par overdose aux antalgiques opioïdes nécessitera la prescription de leur antidote, la naloxone, auprès des patients les plus à risque.

Figure 41.3 Autres questions pratiques sur les motivations d'usage des antalgiques opioïdes. Source : RESPADD [9].

Chapitre 41. Addiction   277

41.2  Prise en charge

médicamenteuse de la douleur aiguë chez le patient traité par médicament de substitution aux opiacés

Morgane Guillou-Landreat, Sophie Lalande 

Ce qu'il faut comprendre de la dépendance aux opiacés La dépendance aux opiacés est définie selon les critères du DSM-5. Un des symptômes centraux en est la perte de contrôle des consommations d'opiacés associée à des conséquences négatives et à un craving (besoin irrépressible et compulsif de consommer qui s'impose au sujet). Les opiacés en cause peuvent être des opiacés illicites (héroïne, principalement), mais également des opiacés médicamenteux (opioïdes forts, codéine, etc.). Les médicaments de substitution aux opiacés (MSO) ont été mis sur le marché il y a plus de vingt ans et les

bénéfices en termes de santé publique et d'amélioration significative de la qualité de vie des patients sont incontestables  : diminution de la morbimortalité, amélioration de l'accès aux soins et réduction des transmissions virales, etc. [11]. Les MSO ont pour objectif l'aide à l'arrêt des opiacés, mais surtout le maintien de l'abstinence et la prévention des rechutes chez les patients dépendants aux opiacés. Il s'agit de traitements au long cours, parfois à vie pour certains patients qui peuvent ne plus présenter de conduites addictives mais garder le traitement pour prévenir la rechute. Il existe en France deux molécules prescrites contre la dépendance aux opiacés  : la buprénorphine et la méthadone (tableau 41.1).

Clinique des douleurs aiguës chez les patients recevant un médicament de substitution aux opiacés Les phénomènes douloureux sont deux à trois fois plus fréquents chez les patients recevant un MSO que dans la population générale. Vingt-quatre à 39 % des patients prenant de la méthadone rapportent des douleurs modérés à sévères et 55 à 61 % rapportent des douleurs chroniques [12] alors que, comparativement, dans la population générale aux États-Unis, 31  % décrivent des douleurs chroniques[13]. Les patients dépendants aux opiacés

Tableau 41.1 Deux molécules contre la dépendance aux opiacés : méthadone et buprénorphine. Méthadone

Buprénorphine

Mode d'action

Agoniste pur des récepteurs opiacés

Agoniste/antagoniste

Dangerosité

– Risque de surdose mortelle – Dose létale chez les patients naïfs : 1 mg/kg

Moindre risque de surdose sauf interactions (avec les benzodiazépines)

Pharmacocinétique

Variations interindividuelles importantes Posologies très variables, moyenne de 60 à 100 mg/j

– Peu de variations d'un sujet à l'autre – Effet plafond, posologies moyennes de 8 à 12 mg – AMM : max 16 mg BHD et Subutex↓ et 24 mg pour Suboxone↓

Galénique

– Solution buvable, pour instauration jusqu'à stabilisation (durée maximale de prescription : 14 jours), puis gélule chez les patients stabilisés (durée maximale de prescription : 28 jours) – Délivrance hebdomadaire à la pharmacie, sauf mention expresse sur ordonnance

– Comprimés sublinguaux buprénorphine/Subutex↓ ou Suboxone↓ (BHD + naloxone, non injectable) – Prescription de 28 jours, – Délivrance hebdomadaire à la pharmacie, sauf mention expresse sur ordonnance

Interactions et précautions d'emploi

– Dépresseurs respiratoires – Contre-indiqué avec un antagoniste des opiacés (naltrexone, nalméfène, naloxone) ou un agoniste/ antagoniste – Contre-indiqué en cas d'insuffisance respiratoire sévère – Associations fortement déconseillées avec des médicaments susceptibles de donner des torsades de pointes et allongeant le QT

– Dépresseurs respiratoires – Contre-indiqué avec antagoniste des opiacés (naltrexone, nalméfène, naloxone) ou agoniste : méthadone, analgésiques de paliers 3 – Contre-indiqué en cas d'insuffisance respiratoire ou hépatique sévère

Réglementation

– Classé stupéfiant – Prescription initiale par un médecin de CSAPA ou d'établissement de santé – Relais de la prescription ensuite, possible par un médecin généraliste

– Classé liste 1, mais soumis à la réglementation des stupéfiants – Instauration possible par tout médecin – Prescription sur ordonnance sécurisée avec pharmacie indiquée

AMM : autorisation de mise sur le marché ; BHD : buprénorphine haut dosage ; CSAPA : Centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie.

278   Partie 4. Douleur selon le patient ­ résentent des comorbidités médicales, traumatiques et p psychiatriques associées à des phénomènes douloureux plus fréquents [14, 15]. De plus, la dépendance aux opiacés induit des mécanismes de tolérance pouvant s'installer, avec un épuisement de l'effet à posologie égale. Enfin, des phénomènes d'hyperalgésie aux opioïdes s'installent chez les patients qui prennent longtemps des opiacés, et se manifestent par une hypersensibilité à la douleur et une résistance à l'efficacité antalgique des opiacés [16, 17].

Évaluation d'une douleur aiguë chez un patient prenant un médicament de substitution aux opiacés La survenue d'un épisode douloureux aigu chez un patient bénéficiant d'un MSO va conduire à une vigilance vis-à-vis des cinq points suivants.

Déstabilisation des patients face à des symptômes douloureux Les patients dépendants aux opiacés sont plus sensibles à la douleur physiologiquement, mais ont aussi un conditionnement négatif associé aux stimuli douloureux. Ils ont vécu des syndromes de sevrage aux opiacés, très douloureux, associant douleurs abdominales, troubles digestifs, douleurs musculaires, sueurs, etc. La douleur impacte significativement la qualité de vie des patients sous MSO et est également un facteur pronostique péjoratif quant au devenir du traitement par MSO [18, 19].

Représentation des patients sous médicament de substitution aux opiacés Ils peuvent présenter des conduites addictives encore récentes, mais, après vingt ans de prescription de MSO en France, beaucoup de patients ne prennent plus que leur traitement sans aucune consommation annexe d'opiacés. La représentation négative que les soignants peuvent parfois avoir, percevant les patients sous MSO comme des « toxicomanes », est un frein majeur à une relation thérapeutique de confiance. Les études récentes menées dans la population générale montrent une dégradation de l'image des patients dépendants à l'héroïne [20], avec une culpabilisation importante de cette addiction comparativement à d'autres conduites addictives, telles que l'alcool par exemple [21]. Dans la gestion de la douleur aiguë de patients sous MSO, il est fondamental de se dégager de ce jugement moral, afin d'établir une relation de confiance avec les patients et de pouvoir répondre de manière juste à leurs demandes concernant leurs douleurs. Karasz et al. ont montré que les patients dépendants aux opiacés rapportent que se sentir écoutés a un effet thérapeutique [22].

Risque d'inefficacité antalgique Il existe une tolérance pharmacologique aux effets analgésiques des opioïdes. De plus, selon le MSO et l'antalgique prescrits, un des risques est l'inefficacité antalgique. En cas de traitement par méthadone, par exemple, les paliers 2 seront totalement inefficaces, puisqu'il s'agit d'opioïdes faibles prescrits chez des patients recevant un opioïde fort (méthadone).

Le risque de déclencher un syndrome de sevrage Ce risque est principalement lié aux associations avec la buprénorphine, qui a un effet agoniste/antagoniste. L'association de paliers 2 ou 3 est contre-indiquée, en cas de traitement par buprénorphine.

Risque de surdose Pharmacologiquement et physiologiquement, pour un même phénomène douloureux, les patients sous MSO vont avoir besoin de posologies d'antalgiques plus élevées en comparaison des non-dépendants aux opiacés. Le risque de surdose est moins élevé chez les patients dépendants aux opiacés déjà tolérants que chez des patients naïfs de toute prise d'opioïdes.

Principes de prise en charge d'une douleur aiguë nociceptive Principes généraux Un MSO prescrit dans le cadre du traitement de la dépendance aux opiacés n'aura pas d'action antalgique à la posologie habituelle et suivant le mode de prise habituel. La pharmacocinétique des MSO explique leur faible efficacité analgésique : leur demi-vie est très longue, point essentiel dans l'objectif de traitement de la dépendance, mais l'effet analgésique de la méthadone et de la buprénorphine ne peut durer que quatre à huit heures. La période de relative analgésie chez les patients sous substitution est donc courte et suit immédiatement la prise. Dans des situations de gestion de la douleur aiguë chez les patients sous MSO, il faut être attentif à certains points : 1. il faut toujours privilégier le maintien du traitement par le MSO ; 2. les posologies d'antalgiques nécessaires chez les patients dépendants aux opiacés sont plus élevées que chez les sujets naïfs, compte tenu des phénomènes de tolérance et d'hypersensibilité à la douleur ; 3. il faut éviter les analgésiques morphiniques de palier 2 (codéine, tramadol) de plus faible affinité pour le récepteur μ donc moins efficaces si le patient prend de la méthadone et contre-indiqués s'il est sous buprénorphine ; 4. les opiacés aux propriétés agonistes/antagonistes μ (nalbuphine) et les antagonistes des récepteurs μ (naloxone) peuvent précipiter un syndrome de sevrage aigu et sont donc formellement contre-indiqués chez ces patients sous traitement oral substitutif ;

Chapitre 41. Addiction   279 5. il est recommandé de choisir la voie orale pour l'administration d'un opioïde fort dès que possible, mais si le niveau de douleur impose le recours à la voie parentérale, celle-ci n'est pas contre-indiquée ; 6. l'efficacité du traitement est rapidement évaluée, et la décision thérapeutique est discutée en accord avec le patient : des craintes sont parfois liées aux augmentations de la posologie du MSO, mais dès que les douleurs sont améliorées, le traitement reprend à la posologie initiale.

En pratique Patient bénéficiant d'un traitement par méthadone En cas de douleur faible à moyenne (jusqu'à 5/10 sur l'EVA), la méthadone est maintenue, avec la possibilité de fractionner et d'augmenter la méthadone pour obtenir un effet analgésique [16]. Le patient reçoit aussi un traitement par analgésiques non opioïdes. En cas de douleur intense (EVA au-delà de 6/10), le traitement par méthadone est maintenu, et il est possible de le fractionner et d'en augmenter la posologie afin d'obtenir un effet analgésique [16]. Il est possible de l'associer avec un traitement par antalgiques morphiniques, en augmentant progressivement celui-ci. Il est alors préférable : ■ de privilégier les antalgiques de palier 3 à demi-vie courte à visée analgésique, ■ de favoriser des schémas fixes d'administration.

Patient ne bénéficiant pas d'un traitement par méthadone En cas de douleur faible à moyenne (jusqu'à 5/10 sur l'EVA), le traitement par buprénorphine est maintenu, avec la possibilité de fractionner et d'augmenter la buprénorphine pour obtenir un effet analgésique [16]. En complément, un traitement par analgésiques non opioïdes peut être prescrit. En cas de douleur intense (EVA supérieure à 6/10), la buprénorphine est maintenue, avec la possibilité de fractionner et d'augmenter la buprénorphine pour obtenir un effet analgésique [16] ; son potentiel d'action est toutefois limité, du fait d'un effet-plafond. Certains auteurs préconisent l'association d'antalgiques de palier 3 avec la buprénorphine [23]. Mais cette association est pharmacologiquement contre-indiquée et peut déclencher un syndrome de sevrage chez les patients. Il est aussi possible d'arrêter la buprénorphine et de la remplacer par le sulfate de morphine : le traitement par morphine LI est instauré par titration, puis converti en morphine LP ou en fentanyl en patch. Une fois les douleurs améliorées, le retour à la buprénorphine est possible. Il faut alors attendre le wash-out de morphine et l'apparition des premiers signes de sevrage pour administrer la buprénorphine et ne pas risquer de précipiter un syndrome de sevrage.

Conclusion Les patients dépendants aux opiacés présentent des comorbidités médicales et des phénomènes douloureux beaucoup plus fréquemment que la population générale. La question de la gestion des douleurs aiguës des patients sous MSO est donc une question à laquelle de nombreux praticiens peuvent être confrontés. Il est essentiel de considérer les patients sous MSO sans jugement et en entendant bien leurs douleurs et d'avoir connaissance des grands principes de prise en charge. Mais il est aussi important de pouvoir s'appuyer sur les structures d'addictologie et de collaborer avec elles (addictologie de liaison, services hospitaliers, CSAPA, etc.), qui peuvent intervenir et favoriser une prise en charge globale.

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Chapitre

42

Santé mentale Éric Serra PLAN DU CHAPITRE Ce qu'il faut comprendre de la douleur . . . . . Clinique et traitement de la douleur en pratique.

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Qu'en est-il de l'évaluation et de la prise en charge de la douleur en psychiatrie ou en situation de troubles psychocomportementaux ? Notre savoir médical en matière de douleur est-il applicable dans le contexte de la santé mentale ?

Ce qu'il faut comprendre de la douleur Existe-t-il des populations plus difficiles à évaluer et à traiter ? Le praticien est confronté à des patients présentant des difficultés psychologiques, sociales et comportementales : des individus ne disposant pas d'un accès à un langage commun, tels les enfants, des personnes désocialisées, des étrangers, des personnes âgées ayant des troubles de la communication, des personnes souffrant de troubles mentaux ou de troubles du développement. Le risque est d'être bloqué par un a priori et de ne pas repérer, de ne pas évaluer, de ne pas traiter la douleur suivant la méthode recommandée. Or, notre savoir en matière de douleur nous rend capable d'évaluer et de traiter toute population. On parle de population vulnérable en cas de troubles mentaux sévères, comme chez les patients psychotiques chroniques déficitaires, ou en cas de troubles du développement, comme dans l'autisme, de troubles neurodégénératifs comme dans la maladie d'Alzheimer, ou de polyhandicap sévère, comme chez des infirmes moteurs cérébraux. Morbidité et mortalité chez les patients psychotiques chroniques entraînent une perte d'espérance de vie par rapport à la population générale allant de 10 à 20 ans. La douleur est un signal de repérage des troubles somatiques, des comorbidités altérant la qualité de vie, responsables de surmorbidité et de surmortalité. Au-delà de cette population vulnérable, se profilent les troubles psychologiques et psychiatriques du quotidien. Dans ces situations, des patients expriment différemment leur douleur et présentent des particularités thérapeutiques. Il s'agit des patients souffrant d'anxiété ou de dépression, ou alléguant des plaintes somatiques d'origine organique incertaine. Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Organisation des soins . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Clinique et traitement de la douleur en pratique Le modèle biopsychosocial est-il une réponse pertinente ? Expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, la douleur répond au modèle biopsychosocial, en particulier lorsqu'elle est chronique. Ce modèle préside à notre compréhension et notre prise en charge des maladies chroniques et des souffrances humaines, donc également des troubles mentaux. Expérience sensorielle et émotionnelle, la douleur est constituée de quatre composantes : sensorielle, affective, cognitive et comportementale. En cas de troubles mentaux ou de troubles du développement, la composante sensoridiscriminative peut s'exprimer d'une façon plus difficilement compréhensible. Des patients psychotiques interprètent leur sensation à partir de leur délire, par exemple en cas de douleurs neuropathiques. Patients psychotiques ou patients autistes peuvent sous-réagir à des stimulations nociceptives tandis qu'ils sur-réagissent à des stimulations non nociceptives. Cela est compris par les observateurs comme une hypoalgésie, si ce n'est une analgésie. Ce qui entraîne un désintérêt clinique ou un retard d'évaluation et, donc, de prise en charge. La composante affectivo-émotionnelle est marquée par l'anxiété qui amplifie l'expression et la perception de la douleur. Être inquiet, anxieux et non pas serein, c'est souffrir encore plus. D'où l'intérêt de prévenir et traiter la douleur et l'anxiété liées aux gestes ou aux situations douloureuses par des prémédications ou des préparations via une information et des interventions non médicamenteuses. Tristesse, pessimisme, voire dépression, constituent une autre émotion fréquente et générée par les douleurs chroniques. Lorsque les idées, les croyances des patients à l'égard de la douleur sont pessimistes, négatives, marquées par l'inquiétude et la dramatisation, il ressent plus fortement la douleur. Ce pessimisme lui fait anticiper l'échec, déterminant son 281

282   Partie 4. Douleur selon le patient insatisfaction, rejointe par celle du praticien, le tout expliquant la réputation d'échec prévisible ou de difficultés de prise en charge. Il en découle un comportement d'évitement qui provoque un déconditionnement à l'activité musculaire, articulaire, sociale et psychologique. Cela crée un cercle vicieux à l'œuvre dans les maladies chroniques. Ce cercle vicieux entretient la douleur chronique. Il doit être repéré et combattu. Dans les maladies chroniques, les actions thérapeutiques s'inscrivent dans un ajustement du patient à sa situation sanitaire, avec l'aide de l'ensemble des accompagnants sociaux et sanitaires et des proches (encadré 42.1).

Quelles sont les particularités cliniques et thérapeutiques pour les populations présentant des problématiques de santé mentale ? Patients communicants Nombre de patients souffrant de troubles mentaux ou de troubles du développement ou de polyhandicaps ne présentent pas d'altération importante de la communication. Ces patients sont peu, voire ne sont pas pris en charge par des institutions spécialisées. Le médecin généraliste les rencontre au quotidien. Il n'y a pas de particularité en termes d'évaluation ou de prise en charge chez ces patients communicants. Concernant les outils d'autoévaluation, en santé mentale, à côté de l'EN largement utilisée dans les établissements de santé, plus que l'échelle visuelle analogique, on prône aussi l'utilisation de l'EVS. Elle impose l'utilisation d'une même échelle par tous les intervenants. Cela n'est pas toujours réalisé. On cite l'échelle des six visages de la douleur développée chez les enfants, puis proposée en autoévaluation chez des personnes âgées puis en milieu psychiatrique pour des patients communicants. Chez certains patients communicants, la douleur s'exprime avec des particularités. Elle peut s'inscrire dans une dimension relationnelle. Elle est présentée avec emphase, réponse du patient à l'impression ou la réalité d'une absence de reconnaissance, une absence de repérage, une absence de prise en considération de sa douleur par des proches ou des intervenants. Cela crée en retour un rejet, un contre-­

Encadré 42.1 Quand adresser au psychiatre ou au psychologue un patient douloureux chronique ? ■ ■

Troubles psychiatriques sévères Problèmes médicopsychologiques perturbant la relation Techniques psychothérapiques non possédées par le soignant L'adresse au psychiatre ou au psychologue exige l'information du patient, son accord, ainsi qu'une information au psychiatre ou au psychologue ■ On doit attendre du psychiatre ou du psychologue une réponse claire aux questions clairement posées par le praticien qui adresse le patient et par ce dernier. ■ ■

investissement par le professionnel de santé. Ce rejet transparaît dans l'attitude ou les propos à l'évocation de certains diagnostics de douleurs chroniques réputés de mécanisme psychogène prépondérant.

Patients non communicants L'évaluation et la prise en charge de la douleur chez les patients souffrant de troubles psychiatriques et ayant des altérations de la communication s'inspirent des autres populations vulnérables  : les enfants et les personnes âgées à troubles de la communication. Cliniquement, la douleur se dissimule derrière différents comportements. Elle peut provoquer un repli de l'individu sur lui-même. Ce retrait, cette inhibition, certes commun avec d'autres problématiques de santé, doit systématiquement faire rechercher une douleur. L'agitation peut être une autre conséquence de la douleur. Toute agitation, comme tout repli, nécessite un examen médical. L'utilisation de l'échelle ALGOPLUS®, développée pour les personnes âgées ayant un trouble de la communication, constitue un test de dépistage. L'hétéroévaluation utilise l'échelle EDAAP, ou Échelle d'hétéroévaluation de l'expression de la douleur chez l'adolescent et l'adulte polyhandicapé (figure 42.1). On dispose maintenant de l'échelle EDD (Échelle d'hétéroévaluation de l'expression de la douleur chez des sujets dyscommunicants) (figure 42.2). Une autre échelle est en préparation, l'ESDDA (Échelle simplifiée d'évaluation de la douleur chez les personnes dyscommunicantes avec troubles du spectre de l'autisme) (figure 42.3, encadré 42.2).

Traitement de la douleur en santé mentale Dans ces populations vulnérables, la démarche est la même que dans la population générale : identifier le problème de douleur, communiquer au patient les attentes, expliquer les facteurs et les réponses thérapeutiques, définir avec le patient des objectifs réalistes c'est-à-dire compréhensibles et, enfin, éduquer le patient et l'ensemble des acteurs de santé à la prise en soins de la douleur qui comporte des actions de prévention et d'accompagnement en cas de douleurs chroniques (encadré 42.3).

Principes thérapeutiques généraux Les principes thérapeutiques sont connus. On traite la douleur en fonction de ses composantes sensoridiscriminatives, affectivo-émotionnelles, cognitives et comportementales. On traite la douleur en fonction de ses mécanismes  : nociceptif, neuropathique, nociplastique ou dysfonctionnel, voire psychogène. Le mécanisme psychogène est de plus en plus considéré à travers la dimension psychocomportementale, toujours présente chez les patients douloureux chroniques. Parfois, cette dimension psychocomportementale prend une place importante. Elle n'est pas limitée aux seuls patients suivis en santé mentale. L'interrogation répétitive ou l'affirmation d'une cause

Chapitre 42. Santé mentale   283

Figure  42.1 Questionnaire d'hétéroévaluation de la douleur  : échelle d'hétéroévaluation de l'expression de la douleur chez l'adolescent et l'adulte polyhandicapés (EDAAP). Source : M.-A. Jutand, A. Gallois, J. Léger et al. Échelle EDAAP 2. Validation statistique d'une grille d'évaluation de l'expression de la douleur chez les adultes ou adolescents polyhandicapés. Motricité cérébrale Volume 29 numéro 3 (2008) 93–100.

psychologique peut provoquer un retard diagnostique ou thérapeutique de la douleur. Les médicaments sont utilisés selon les mécanismes de la douleur. On considère leur impact psychotrope. Cet impact est souhaité avec les biaminergiques comme les tricycliques ou la duloxétine, médicaments antalgiques de référence de la douleur par mécanisme neuropathique, également antidépresseurs, ou avec la prégabaline, autre médicament de référence dans la douleur neuropathique, anxiolytique. Les antalgiques classiques de palier 2 et de palier 3, possèdent un effet apaisant d'un point de vue psychologique. Cela n'est pas a priori négatif. Toutefois, l'impact psychique des médicaments favorise leur mésusage. Il doit être prévenu, évalué et accompagné. Mésusage et addiction font l'objet d'un chapitre spécifique dans cet ouvrage (chapitre 41, « Addiction »). Les traitements non médicamenteux seront de plus en plus utilisés dans les maladies chroniques, en particulier dans la douleur chronique. Nombre de ces traitements sont largement disponibles dans le champ de la santé mentale. La psychiatrie est d'ailleurs à l'origine de la plupart des traitements psychocorporels et psychothérapiques. Les traitements non médicamenteux comportent les traitements corporels, les traitements psychocorporels, les

traitements psychocomportementaux et les traitements socio-éducatifs (encadré 42.4). La validation de ces traitements reste insuffisante. Certains ne reposent sur aucune base scientifique et leur usage doit être interrogé. Certains, validés ou pas, peuvent être détournés, avec un risque de dérive sociale, voire sectaire. Pour un usage optimal des traitements non médicamenteux, les médecins doivent être formés à leurs indications, à leur validation et à leurs modalités de prescription. La formation et la recherche se développent dans ce domaine.

Aspects spécifiques du traitement de la douleur en santé mentale Anxiété La plainte douloureuse est une expression physique de l'anxiété. La présence d'une douleur, dans un contexte psychiatrique, doit bénéficier d'un antalgique adapté au mécanisme, le plus souvent nociceptif. Toute douleur, aiguë ou chronique, s'accompagne d'anxiété. L'anxiété caractérisée nécessite un traitement ­médicamenteux et non médicamenteux. Le traitement de première ligne est constitué d'une information, de propos

284   Partie 4. Douleur selon le patient

Figure 42.2 Questionnaire d'hétéroévaluation de la douleur : questionnaire évaluation de l'expression de la douleur chez des sujets dyscommunicants (EDD).

rassurants et honnêtes, de techniques corporelles comme l'activité physique adaptée (APA), la kinésithérapie ou l'application de chaleur, et de techniques psychocorporelles comme des exercices de respiration, de distraction, de relaxation. Lorsque l'anxiété est sévère, comme en cas de troubles d'ajustement ou de troubles du coping avec la dramatisation ou le catastrophisme, les pensées répétitives, il ne peut pas y avoir de prise en charge efficace de la douleur sans prise en charge simultanée des dimensions affectives, cognitives et comportementales. Dépression Tristesse, anhédonie, agitation ou ralentissement, angoisses, idées suicidaires, symptômes somatiques avec insomnies et douleurs, constituent la symptomatologie de la dépression.

En ambulatoire, 77 % des patients dépressifs présentent des douleurs. Les douleurs les plus fréquentes sont les douleurs musculaires, les douleurs cervicales, les céphalées, les douleurs lombaires et les douleurs articulaires. Dans la douleur chronique, on retrouve toujours des éléments cliniques tels que la tristesse, des troubles du caractère avec exaspération ou colère, ou les sautes d'humeurs, une perte des intérêts, de la fatigabilité, une altération de l'attention ou une insomnie. Les symptômes du syndrome douloureux chronique sont communs avec la dépression. Dans la population générale, 20 % des patients douloureux chroniques souffrent de dépression. Ce pourcentage s'élève en consultation de la douleur à 64 %. Le risque suicidaire doit être recherché.

Chapitre 42. Santé mentale   285

IDENTIFICATION DE LA PERSONNE EVALUEE

ESDDA

Nom : Prénom : Date de naissance :

Echelle Simplifiée d’Evaluation de la Douleur chez les personnes Dyscommunicantes avec troubles du spectre de l’Autisme

Mode d'emploi : Répondre à chaque item par OUI ou NON, un TOTAL > 2 OUI fait suspecter une douleur

Date de l'évaluation

.…/…./….

.…/…./….

.…/…./….

.…/…./….

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.…/…./….

Heure

… H ...

… H ...

… H ...

… H ...

… H ...

… H ...

OUI

NON

OUI

NON

OUI

NON

OUI

NON

OUI

NON

OUI

NON

.…/…./….

… H ... OUI

NON

1. Comportement

Modifié par rapport à l'habitude ?

2. Mimiques et expressions du visage Modifié par rapport à l'habitude ?

3. Plaintes (cris, gémissements…) Modifié par rapport à l'habitude ?

4. Sommeil

Modifié par rapport à l'habitude ?

5. Opposition lors de soins

6. Zone douloureuse identifiée à l'examen

TOTAL DE OUI

/6

/6

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/6

/6

/6

/6

Complétée par Centre Régional Douleur et Soins Somatiques en Santé Mentale, Autisme, Polyhandicap et Handicap génétique rare - Document réalisé par le Dr Isabelle Mytych et le Dr Julie Renaud-Mierzejewski – Version du 31/01/2017

ESDDA

Echelle Simplifiée d'évaluation de la Douleur chez les personnes Dyscommunicantes avec troubles du spectre de l'Autisme Cette échelle a été réalisée par des professionnels de terrain et validée par l'équipe de recherche du Centre Régional Douleur et Soins Somatiques en Santé Mentale et Autisme de l'EPS Barthelemy Durand d'Etampes (91). Elle est la propriété de l'EPS Barthelemy Durand d'Etampes et peut être librement utilisée, à la condition de l'attribuer à son auteur en citant son nom (Centre Régional Douleur et Soins Somatiques en Santé Mentale et Autisme - EPS Barthelemy Durand - Etampes) et de ne pas en faire d'utilisation commerciale. Toute modification de cet outil est également interdite. Elle a été spécifiquement développée pour l'hétéro-évaluation de la douleur aigüe chez les personnes présentant des troubles de la communication en lien avec l'autisme. Veuillez noter que les informations recueillies à l'aide de cet outil ne permettent pas d'établir un diagnostic. Description : - Outil d'aide à l'objectivation d'une potentielle douleur aiguë d'origine somatique - Outil spécifique aux personnes présentant des difficultés à l'autoévaluation de la douleur dans le cadre de l'autisme et des troubles apparentés Elaboration : Dr Isabelle MYTYCH, Praticien Hospitalier, Spécialiste en Médecine Générale. Dr Julie RENAUD-MIERZEJEWSKI, Docteur en Neurosciences. Traduction / Adaptation : Cet outil est aujourd'hui disponible uniquement en version francophone. Population concernée : Toute personne à partir de l'âge de 2 ans présentant une incapacité à l'auto-évaluation de la douleur et présentant un Trouble du Spectre de l'Autisme ou troubles apparentés. Description de l'outil : L'ESDDA est une grille simplifiée d'objectivation d'une potentielle douleur aigue d'origine somatique. EPS Barthelemy Durand – B.P.69 – Avenue du 8 mai 1945 - 91152 Etampes Cedex - France Date de création de la fiche : 29/11/2016 Dernière mise à jour de la fiche : 08/09/2017

Elle se base sur l'observation de la personne évaluée dans : - 4 items concernant des modifications par rapport à l'habitude : ○ son comportement ○ ses mimiques et expressions du visage ○ ses plaintes (cris, gémissements...) ○ son sommeil, - 2 items concernant des situations particulières : ○ son éventuelle opposition lors de soins : ici considérés au sens large, soins médicaux ou para-médicaux mais aussi soins d'hygiène ou de confort comme des massages... ○ le repérage d'une zone douloureuse à l'examen : ici soit un examen médical soit analyse faite par un tiers dans une situation donnée (ex : habillage, mise des chaussures...). Cotation / Notation : Outil qui requiert une formation minimale à son utilisation. Les résultats sont codifiés et interprétés en fonction d'un seuil correspondant à une alerte quant à une potentielle douleur aigue d'origine somatique. Des critères de notation permettent d'attribuer une note qui va de 0 à 1 pour chaque item : - La note 0 est attribuée lorsqu'il n'y a pas de modification par rapport à l'habitude, l'absence d'opposition lors de soins ou l'absence de zone douloureuse identifiée à l'examen. - La note 1 est attribuée lorsqu'il y a modification par rapport à l'habitude, une opposition lors de soins ou le repérage d'une zone douloureuse à l'examen. Un résultat > 2 à l'ESDDA devrait toujours être complété par un avis médical pour rechercher une étiologie organique douloureuse. Intérêt de l'outil : Première échelle simple d'utilisation pouvant être utilisée par des non professionnels de santé en vue du repérage précoce d'une potentielle douleur aiguë d'origine somatique. L'usage final de l'instrument dépend du jugement de son utilisateur. Pour se procurer l'échelle : - EPS Barthélemy Durand – Centre Régional Douleur et Soins Somatiques en Santé Mentale, Autisme, Polyhandicap et Handicap génétique rare B.P.69 - Avenue du 8 mai 1945 - 91152 Etampes Cedex EPS Barthelemy Durand – B.P.69 – Avenue du 8 mai 1945 - 91152 Etampes Cedex - France Date de création de la fiche : 29/11/2016 Dernière mise à jour de la fiche : 08/09/2017

Figure 42.3 Questionnaire d'hétéroévaluation de la douleur : Échelle simplifiée d'évaluation de la douleur chez les personnes dyscommunicantes avec troubles du spectre de l'autisme (ESDDA). Source : Établissement public de santé Barthélemy Durand Centre Regional Douleur et Soins Somatiques en Santé Mentale, Autisme, Polyhandicap et Handicap Génetique Rare. 69 Avenue du 8 mai 1945, 91152 ETAMPES Cedex, FRANCE, Tél : 01 82 26 81 09, Mail : secretariat. [email protected], Site web: http://www.eps-etampes.fr/.

Encadré 42.2 Évaluation de la douleur en santé mentale Examen clinique Autoévaluation de la douleur toujours proposée ■ Sinon, hétéroévaluation ■ Échelle d'hétéroévaluation  : EDAAP (figure  42.1) ou EDD (figure 42.2) ou ESDDA (figure 42.3) ■ Intérêt de l'évaluation avec les proches  : parents  et  inter­ venants sociaux et sanitaires ■ ■

Encadré 42.3 Traitement de la douleur en santé mentale Mêmes principes que pour toute douleur : – selon les composantes (affectives, cognitives, comporte­ mentales et sensorielles), – selon les mécanismes (nociceptif, neuropathique, noci­ plastique ou dysfonctionnel, psychogène) ; ■ nécessité des protocoles dans les établissements de santé ; ■ possibilité d'un test thérapeutique antalgique transitoire. ■

286   Partie 4. Douleur selon le patient

Encadré 42.4 Traitements non médicamenteux Traitements corporels  : kinésithérapie, appareillages, massages et toucher, balnéothérapie, application de chaud ou de froid, ostéopathie, ergothérapie, podologie, étirements, activité physique adaptée, électrothérapie (TENS et neurostimulation centrale), magnétothérapie (r-TMS), acupuncture. ■ Traitements psychocorporels  : relaxation, hypnose, tou­ cher relationnel, art-thérapie (musicothérapie, théâtres et marionnettes, peinture), expression corporelle, gymnastique chinoise, yoga. ■ Traitements psychocomportementaux  : alliance thérapeu­ tique, réactivation physique et psychologique, apprentissage des comportements de bonne santé, psychothérapies de soutien ou relation d'aide, TCC, psychanalyse et psychothé­ rapie brève. ■ Traitements socio-éducatifs  : selon les lois et réglementations, appuyés sur les associations scientifiques et leurs recommandations, ETP, groupes de patients, associations d'usagers reconnus par le ministère de la Santé, information sanitaire du citoyen, Internet et réseaux sociaux, outils connectés. Les traitements non médicamenteux doivent être pratiqués par des professionnels habilités et formés. Il existe des risques en cas de formation insuffisante, de techniques inappropriées, d'efficacité non démontrée, de coût excessif et de dérives non sanitaires. Les traitements non médicamenteux s'inscrivent dans une stratégie multimodale et interdisciplinaire, retrouvée dans la médecine intégrative. ■

Somatisation On désigne par somatisation l'expression de souffrance psychologique à travers des plaintes corporelles. Cette situation est commune en médecine, comme dans l'anxiété ou la dépression. On la décrit dans des préoccupations de santé comme avec l'hypochondrie, ou crainte excessive d'avoir une maladie. Les personnes porteuses d'une maladie chronique ont tendance à centrer leur vie, leurs pensées et leurs discours autour de la maladie, dans un discours corporel ou hypochondriaque proche du discours médical. Dans d'autres cas, les patients utilisent leurs difficultés somatiques dans leurs relations interpersonnelles. Certaines plaintes sont ou étaient qualifiées d'hystériques, c'est-à-dire en lien avec une quête affective insatisfaite et une recherche de reconnaissance. On rappellera que toute plainte douloureuse nécessite une interrogation médicale, voire un examen somatique. Sans que cela ne soit contradictoire avec l'affirmation précédente, la persistance ou la répétition à l'identique d'une symptomatologie autorise le médecin à ne pas renouveler systématiquement l'examen somatique et lui permet d'éviter la répétition des examens paracliniques onéreux et iatrogènes. Schizophrénie Modèle des troubles psychotiques, la schizophrénie en phase productive ou délirante ou en phase déficitaire ou

d'inhibition, altère l'expression de la douleur. Le phénomène de sensibilisation, normal chez tout individu, est diminué chez les patients psychotiques chroniques. L'action antalgique des neuroleptiques ou antipsychotiques n'est pas prouvée. Les principes d'évaluation et de traitement sont les mêmes pour tous les citoyens, même s'ils se révèlent plus délicats à appliquer en cas de trouble psychotique. Les traitements non médicamenteux sont plus facilement disponibles dans les établissements de santé spécialisés en psychiatrie. Enfin, il s'avère indispensable, pour l'évaluation et la prise en charge, de prendre en considération l'avis, l'évaluation et la disponibilité des personnes proches : parents, éducateurs, personnels sociaux, soignants. Autisme Dans les troubles neurodéveloppementaux comme l'autisme, les réactions face à la douleur peuvent être marquées par une indifférence, une insensibilité. On suppose la même altération sensoridiscriminative que chez les patients psychotiques chroniques, soit un probable manque de sensibilisation à la douleur. Nos connaissances restent à développer. Les principes évaluatifs et thérapeutiques sont ceux évoqués pour les troubles psychotiques. Addiction et dépendance On se réfèrera au chapitre précédent du présent ouvrage.

Organisation des soins En médecine de ville, en médecine quotidienne, l'organisation repose sur des recommandations : prévention de la douleur, recherche systématique de celle-ci en cas d'altération du comportement, évaluation multidimensionnelle, application des protocoles thérapeutiques validés, médicamenteux et non médicamenteux. En institution, évaluation et prise en charge reposent sur une organisation obligatoire. Ce sont les Comités de lutte contre la douleur (CLUD) qui symbolisent et coordonnent cette organisation qui comporte : des protocoles, un suivi de l'usage des thérapeutiques médicamenteuses et non médicamenteuses, des formations adaptées aux populations prises en charge dans l'établissement et une évaluation régulière des pratiques à la recherche d'une amélioration.

Bibliographie Fonseca J, Sul N, Serra E. L'émotion-douleur : de l'intérêt de considérer la douleur comme une émotion. L'Encéphale 2017 ; 43 : 603–6. Marchand S, Saravane D, Beaumont I. Santé mentale et douleur. Heidelberg : Springer Verlag éditeur 2013. Serra E. Douleur en santé mentale, partie 1 : les bases psychologiques de la douleur. La Revue du Praticien 2013a ; 63 : 1159–64. Serra E. Douleur en santé mentale, partie 2 : diagnostic et traitement. La Revue du Praticien 2013b ; 63 : 1311–7. Serra E, Saravane D, de Beauchamps I, Pascal JC, Peretti CS, Boccard E. La douleur en santé mentale : enquête auprès des chefs de service en psychiatrie. Douleur et Analgésie 2007 ; 2 : 1–6.

Chapitre

43

Douleur et psychologie : vécu psychologique de la douleur chronique Raphael Minjard  PLAN DU CHAPITRE Travail psychique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Causalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Différentes subjectivités . . . . . . . . . . . . . . . . . . Vécus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Facteurs intrasubjectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



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Travail psychique Dans sa forme aiguë comme dans sa forme chronique, la douleur, quelle qu'elle soit, implique le psychisme ; nous pouvons même dire que la douleur implique un travail psychique. Pour autant, si ce mouvement est connu, il est souvent associé à une traduction réductrice du verbe « impliquer ». Impliquer ne signifie pas en premier lieu « engendrer », mais plutôt « engager », « mettre en cause », « mêler », etc. Ce premier point souligne la confusion que l'on trouve souvent entre un modèle causaliste linéaire indi­ quant qu'une cause entraîne un effet, et un modèle dans lequel l'intrication psychique et somatique met en déroute et complexifie la compréhension du vécu du sujet. En ce sens la douleur est une expérience désagréable faisant événe­ ment et agissant de manière concomitante sur le soma et sur le psychisme. Le travail psychique est le processus par lequel nous cher­ chons à nous approprier les événements que nous vivons. L'une des fonctions de l'appareil psychique est de chercher à ramener les tensions, ou conflits internes ou excitations à l'état d'équilibre ou de neutralité. Une part du travail psy­ chique pousse le sujet à vouloir retourner à l'état antérieur pour éviter d'avoir à vivre ce qu'il est en train de vivre de désagréable. C'est le fameux « comme avant » tant désiré par les patients douloureux chroniques. Ce retour à l'état anté­ rieur est néanmoins illusoire et le sujet va chercher à mettre en œuvre toutes les solutions possibles pour amoindrir sa souffrance.

Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Facteurs extrasubjectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Douleur et rapport au traumatisme . . . . . . . . À l'écoute du vécu psychologique de la douleur chronique . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Le travail psychique est également l'ensemble des res­ sources mises en œuvre pour traverser un événement intérieur et/ou extérieur à soi en cherchant à en com­ prendre le sens, non pas dans un mouvement de causalité linéaire, mais dans une perspective complexe mêlant l'his­ toire de vie du sujet dans son rapport à lui-même et à son environnement.

Causalité Le mouvement causaliste, le plus connu et le plus docu­ menté, particulièrement dans une approche de type EBM (Evidence Based Medecine), est dans un premier temps le plus acceptable et le plus recherché par le patient. La dou­ leur est la cause de son mal-être et cette cause, si elle ne se voit pas toujours, se comprend au moins : « j'ai mal depuis si longtemps que j'en souffre et du coup, si je consulte un psychologue ce n'est pas parce que je suis "fou", mais parce que la douleur me "tape" sur les nerfs ou le système, etc. » Autrement dit, ce que me fait vivre la douleur au quotidien depuis des années légitime le fait de rencontrer un spécia­ liste du psychisme. L'équation est simpliste mais logique : « j'ai mal donc je souffre psychiquement ». Bien souvent s'ajoute à cette équa­ tion une variable d'ajustement telle que « et vous docteur vous ne trouvez pas la cause de mon mal, donc vous parti­ cipez à mon mal-être ». Ce que les psychologues entendent dans « le médecin m'adresse à vous parce que je crois qu'il

287

288   Partie 4. Douleur selon le patient n'y comprend plus rien. » La logique fonctionne toujours : en cas d'impasse, il reste la chirurgie, la médication à haute dose ou le psychologue. Or si cette logique semble triviale ou simpliste, elle n'en reste pas moins opérante. Elle a d'ailleurs dans certains cas toute raison d'être. Le problème de cette logique de pen­ sée est qu'elle n'inscrit le patient subjectivement dans son histoire douloureuse que sous l'angle d'une position de victime qu'il faudra ensuite déconstruire. D'autres logiques fonctionnent dans ce même sens et demandent à être inter­ rogées car leur causalité apparente est le signe de modèles plus complexes ; ce sont par exemple les explications psy­ chologisantes de l'ordre de : « il y a eu un traumatisme dans votre enfance donc c'est pour cela que vous avez des dou­ leurs chroniques maintenant. » Sous ces discours « logiques » fréquemment entendus se cachent des personnalités différentes.

Différentes subjectivités La douleur atteint le sujet dans sa globalité psychique et corporelle par son intensité, sa récurrence, sa fréquence, sa chronicité et les sentiments d'impuissance et d'incompré­ hension qui lui sont liés. La douleur n'est pas perçue de la même manière selon la structure de personnalité prédominante du sujet. Un exa­ men psychopathologique permet de mieux comprendre la relation du sujet à sa douleur. N'oublions pas que la symp­ tomatologie n'est que la partie émergée du fonctionnement du sujet. Nous constatons fréquemment que la douleur rend aigri, agressif, irrite, effondre, empêche, replie, isole, décon­ ditionne physiquement, entraîne des mécanismes de peur de la douleur, des difficultés socioprofessionnelles, des troubles du sommeil, des ruminations mentales, des perturbations émotionnelles et cognitives, des troubles de la sexualité, etc. Elle fait vivre au sujet le sentiment de ne plus être tout à fait lui-même. Par exemple, un effondrement vécu par un patient dont le pôle d'organisation est la névrose n'aura pas le même effet qu'un effondrement vécu par un patient orga­ nisé selon des processus psychotiques. Penser le vécu du patient, c'est penser avec son organisation psychique. La façon dont le sujet est impacté par la douleur varie également en fonction du moment de vie dans lequel la douleur arrive, le contexte de vulnérabilité dans lequel il se trouve, sa conjoncture de vie. En ce sens, la douleur trans­ forme, parfois déforme, parfois encore sidère le rapport du sujet à lui-même et au monde. Qu'elle soit aiguë ou chronique, la douleur traque le sujet dans ses retranchements, le poussant jusqu'à des points de vacillement identitaires ; dans l'aigu, c'est l'in­ tensité qui va engendrer le trouble identitaire en faisant trembler les assises narcissiques du sujet ; dans la chro­ nicité, c'est l'émergence de comportements jusqu'alors inconnus du sujet lui-même qui vont l'interroger sur ce qu'il ne reconnaît pas de lui mais qui existe depuis que la douleur s'est installée. La douleur pousse et/ou installe le sujet dans une position de fragilité quasi traumatique qui va modifier sa façon d'être au monde. Les patients vont dire qu'ils ne se reconnaissent pas, ou qu'ils ne pensaient pas avoir ces réactions en eux, etc.

Pour autant, notre appareil psychique a besoin de trouver un équilibre suffisant pour fonctionner. Ainsi la douleur ne saurait être qu'une médaille à une seule face. L'autre face traiterait donc des « bénéfices » de la dou­ leur. Elle permet pour certains de « dire » ce qu'ils n'ont jamais dit ; de s'autoriser ce qu'ils ne se sont jamais auto­ risés : c'est l'effet désinhibiteur de la douleur : « si cela ne leur plaît pas ils n'ont qu'à prendre ma douleur ! ». Ce qui peut paraître de maigres bénéfices aux yeux des uns sont d'immenses victoires pour les autres. La douleur permet également de déplacer certains conflits qui ont meilleur compte à être retournés sur soi plutôt qu'exprimés au bon destinataire. La douleur peut être ainsi considérée comme une solution biologique pour traiter des conflits psychiques inexprimables. Bien sûr, tout cela serait simple s'il suffisait de mener l'enquête et de mettre à jour les trau­ matismes de vie d'un sujet pour légitimer et annuler la douleur qu'il porte. Nous avons à considérer la place, le rôle et la fonction de la douleur dans l'économie du sujet. L'économie, c'est la façon dont chaque sujet équilibre ses conflits internes. C'est la façon consciente ou inconsciente par laquelle le sujet trouve des moyens plus ou moins coûteux de supporter ce qui fait tension en nous. Donc, lorsque l'on parle de l'impact psychologique de la douleur, il est nécessaire de prendre en compte les différentes subjectivités ; l'impact ne sera pas le même selon les histoires de vie et les types d'organisation de personnalité. La douleur joue sur la personnalité dans un processus à long terme. La douleur transforme le sujet en profondeur.

Vécus Ces tensions, conflits ou traces traumatiques, vont prendre forme au travers de notre vécu. Le vécu traduit ce qui appartient à l'expérience de vie. Chaque événe­ ment de notre vie, chaque décision, est l'intrication d'un état affectif référé à ce qui se passe dans l'ici et main­ tenant, mais également à l'histoire passée et à ce que le sujet aspire à être, mais aussi la découverte d'un inconnu représenté par cet événement qui semble surgir de nulle part. La douleur est un affect. À ce titre, c'est un signal qui signifie quelque chose pour soi et pour l'autre. En tant que signal, elle demande à être entendue, reconnue et interprétée. L'interprétation que le sujet va faire de sa douleur tient à plusieurs facteurs intrasubjectifs et extrasubjectifs.

Facteurs intrasubjectifs Parmi les facteurs intrasubjectifs, il y a l'état interne du sujet au moment où il perçoit la douleur. Son état interne est la façon avec laquelle il est en lien avec son corps, avec lui-même, comment il se reconnaît, comment il s'estime ou comment il se déteste, comment il est ou n'est pas en lien avec ses perceptions, la façon dont il se défend, etc. Ces facteurs

Chapitre 43. Douleur et psychologie : vécu psychologique de la douleur chronique    289 intrasubjectifs traduisent la façon dont le sujet s'est construit au fil de la vie en appui sur ses expériences précoces. Le rap­ port à soi est toujours empreint du rapport à l'autre dans les premiers moments de vie. C'est dans la rencontre avec l'autre que nous apprenons à donner un sens à nos éprouvés. Une partie de notre façon d'interpréter la douleur tient donc à la façon dont nous avons intériorisé les messages de notre entourage lors de nos premières expériences douloureuses. D'autres facteurs intrasubjectifs sont à prendre en compte dans l'expression du vécu douloureux. Il s'agit du moment de vie dans lequel apparaît la douleur. Chaque sujet traverse des périodes au cours de sa vie durant les­ quelles un travail psychique est nécessaire. Nous pou­ vons citer par exemple la prime enfance, la puberté, la maternité, l'entrée dans l'âge adulte, la fin ou l'arrêt de la vie professionnelle, le vieillissement, etc. Chacune de ces périodes de vie impose un travail psychique de réorganisation. Ces réorganisations mettent le sujet en position de vulnérabilité. Un événement traumatique ou l'émergence d'une douleur aiguë, ou la chronicisa­ tion de la douleur dans ce moment de vie peut avoir de profondes répercutions sur l'organisation psychique du sujet. Donc, dans l'expression du vécu douloureux du patient, il n'y a pas seulement l'événement traumatique à rechercher, qui fait trauma pour le sujet, mais le moment de vie que le sujet était alors en train de traverser. Un accident qui survient chez un sujet en cours de traver­ sée de la « crise de la quarantaine » – marquée par un mouvement dépressif, la remise en cause de son histoire familiale, de sa vie actuelle, de ses choix de vie – n'aura pas le même impact sur son psychisme que si cet acci­ dent était arrivé quelques années avant, lorsqu'il était pris d'un mouvement de grande confiance en lui, dans une position entreprenante envers la vie, avec le sen­ timent que rien ne pouvait lui arriver. La vulnérabilité psychique est donc à prendre en compte dans l'écoute du vécu psychologique de la douleur.

Facteurs extrasubjectifs Parmi les facteurs extrasubjectifs, nous devons prendre en compte tout ce qui ne touche pas le sujet directement mais qui va avoir une influence sur lui. Les facteurs sont ici sociaux, professionnels, conjugaux, familiaux, etc. Les angoisses, les peurs et les craintes vont être plus intenses, du fait du contexte dans lequel le sujet se trouve au moment de l'apparition de la douleur. Nous évoquons là les effets de la conjoncture traumatique. La douleur et son vécu sont à replacer dans un contexte, celui du sujet par rapport à luimême, ses idéaux, sa famille et la société. Ce qui rend le vécu douloureux si complexe, c'est que la douleur fait énigme pour tous autant par son intensité que par son absence. Ce qui rend la compréhension du vécu douloureux si complexe, c'est qu'il est en écho à la façon dont le sujet s'est organisé psychiquement. Nous l'avons vu plus haut, la douleur aiguë ou chronique engendre une réorganisation du fonctionnement psychique du sujet et, donc, une interprétation différente de son vécu douloureux.

Douleur et rapport au traumatisme Lors de sa survenue, la douleur envahit le sujet, elle déborde ses capacités à faire face à ce qui lui arrive. À ce moment, la douleur agit comme un traumatisme et oblige à changer de registre d'écoute du sujet. Si le sujet est débordé face à sa douleur, nous ne pouvons plus consi­ dérer que son mode de réaction, de compréhension est le même que le mode habituel. Il a bougé, il a basculé du côté du modèle du traumatisme. Les mécanismes de défense du sujet ne sont plus les mêmes, ses capacités de réaction non plus, ses capacités d'intégration et de transformation ont également changé. Comme la psychologie nous l'indique, l'existence de l'être humain est indissociable d'une certaine souffrance. Cette souffrance, signe de vie, se colore différemment lorsque la capacité à donner du sens à ce qui nous arrive est limitée. Les éléments sources de souffrance ne sont pas seulement des éléments connus du sujet, mais sou­ vent des éléments en attente, en besoin de connaissance, de reconnaissance, qui n'ont pas encore pu trouver de miroir, d'écho, d'écoute, de réceptacle, et qui restent en errance jusqu'à trouver pour certains de ces éléments souffrants un logement dans le corps, une solution par le corps. Douleur et traumatisme entretiennent donc des liens étroits dont l'un des points de raccordement est le débordement. Ce débordement, qui intervient lorsque les capacités d'un sujet à comprendre ce qui lui arrive sont limitées, fait traumatisme et/ou effraction dans l'enveloppe corporelle, mais également dans la vie du sujet.

À l'écoute du vécu psychologique de la douleur chronique Il faut du temps pour déplier l'histoire de vie d'un sujet et comprendre pourquoi l'organisation psychique du patient s'est mobilisée de telle manière plutôt que de telle autre face à un événement de vie, pour conserver un fonctionnement psychique minimal et salvateur. L'écoute du vécu du patient douloureux demande de se dégager d'une volonté première de tout comprendre en faisant usage de notre fonctionnement intellectuel et de nos expertises pour faire et refaire le chemin avec le patient, au plus près d'une sensibilité partagée. En ce sens, pour comprendre le vécu du patient douloureux, il est nécessaire de sentir et saisir la pertinence de se mettre face à lui pour le regarder ou de se mettre à côté de lui et regarder là où il regarde. Le vécu psychologique de la douleur chronique demande un accompagnement adapté du fait de la chronicité de la douleur et des traumatismes de vie toujours associés. Pour ce faire, les patients doivent bénéficier d'une évaluation psychopathologique par le psychologue et de propositions de traitements ou d'accompagnement adapté non seule­ ment à leur problématique somatique, mais également à leur organisation psychique. Ces accompagnements

290   Partie 4. Douleur selon le patient prennent place au sein de l'équipe pluriprofessionnelle du CETD qui constitue une enveloppe autour du patient. Ce travail d'enveloppe permet de restaurer une partie des vécus souffrants des patients douloureux chroniques.

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Bondier M, Mathieu-Nicot F, Mariage A, Bioy A, Aubry R. L'impact psy­ chologique de la douleur en soins palliatifs. Annales médico-psycholo­ giques 2018 ; 176 : 157–62. La douleur Chabert C. Toulouse. Erès ; 2015. Castro de Souza  L, Baudin  M, Pheulpin  M. Les éprouvés du corps et le corps éprouvé de la fibromyalgie. Psychologie clinique et projective 2017 ; 23 : 267–84. Del Volgo  ML. Instant de dire  : éthique d'une pratique. In  : La douleur du malade : clinique, psychanalyse et médecine. Toulouse : Erès ; 2003. p. 47–54. Minjard  R, Duplan  B. Évaluer sa pratique de psychologue clinicien auprès des patients douloureux chroniques. Douleur et Analgésie 2016 ; 29–32. Porte JM. La douleur : concept limite de la psychanalyse. Revue française de psychosomatique 1999 ; (1) : 149–66.

Chapitre

44

Douleur des soins Jean-Michel Gautier  PLAN DU CHAPITRE Ce qu'il faut comprendre de la douleur liée aux soins . . . . . . . . . . . . . . .

293

POINTS ESSENTIELS Il est de la responsabilité des soignants d'anticiper les gestes diagnostiques et thérapeutiques pouvant induire des douleurs. Les approches multimodales sont recommandées (mesures pharmacologiques et non pharmacologiques). La prescription de l'antalgie doit être adaptée au type, à la durée du soin ainsi qu'à l'intensité de la douleur induite attendue, indépendamment du traitement de fond. L'antalgie doit être administrée en temps voulu avant le début de l'intervention, afin d'obtenir l'effet maximal du médicament au moment du soin. Les mesures de prévention doivent être systématiquement réévaluées et réajustées, si nécessaire afin d'anticiper le prochain soin. Une information précise et adaptée à chaque personne est capitale pour permettre au patient d'anticiper et de diminuer l'anxiété liée au geste. La technique du « geste » ainsi que le protocole pour la prévention de la douleur doivent être maîtrisés par le soignant. La prévention et la prise en charge de la douleur induite s'inscrit dans une démarche collective (réflexion éthique, repérage et identification des soins potentiellement douloureux, organisation des soins et anticipation, protocolisation, s'interroger sur les pratiques et la pertinence des soins, etc.) et individuelle (posture soignante, organisation des soins en adéquation avec les besoins et le rythme du patient, environnement, etc.).

La douleur, et plus particulièrement la douleur liée aux soins, constitue depuis de nombreuses années une préoccupation des professionnels de santé comme des pouvoirs publics. Depuis 20 ans, la prévention et la prise en charge de la douleur ont fait l'objet d'une politique nationale, à travers trois plans successifs (1998–2001, 2002–2005 et 2006–2010). Le deuxième plan (2002–2005) a porté une attention importante à la douleur induite par les soins. La prévention et le soulagement des douleurs induites font partie des obligations devenues réglementaires depuis la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Ce qu'il faut mettre en œuvre pour prévenir la douleur liée aux soins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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 Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée… Des progrès indéniables ont été réalisés en matière de prévention des douleurs liées aux soins avec le développement de moyens médicamenteux et non médicamenteux. Ainsi, il est légitime en 2019 de reconnaître que certains soins ou actes de diagnostic, mais également certains actes de la vie quotidienne sont potentiellement douloureux et/ou majorent l'inconfort d'un patient. Il convient donc pour les professionnels de santé de s'interroger sur les douleurs qu'ils peuvent induire afin de pouvoir les prévenir.

Ce qu'il faut comprendre de la douleur liée aux soins La douleur liée aux soins, ou douleur procédurale selon le terme usité dans les pays nord-américains, se catégorise selon trois terminologies [1] : ■ La douleur provoquée est une douleur intentionnellement provoquée par le médecin ou un soignant dans le but d'apporter des informations utiles à la compréhension de la douleur. L'expression « douleur provoquée » désigne les manœuvres volontaires effectuées lors de l'examen clinique, dans un contexte pathologique ou physiologique, à la recherche de signes particuliers. ■ La douleur iatrogène est, quant à elle, une douleur causée par le médecin ou le traitement médical de façon non intentionnelle et n'ayant pas pu être réduite par les mesures de prévention entreprises. Souvent associée à la notion de pathologie ou de complication thérapeutique, la douleur iatrogène est souvent de fréquence aléatoire et sa prévention est difficile à mettre en œuvre. ■ La douleur induite se définit comme une douleur, de courte durée, causée par un soignant ou une thérapeutique dans des circonstances de survenue prévisibles et susceptibles d'être prévenues par des mesures adaptées. Ce sont les douleurs liées aux soins techniques, invasifs (injections, ponctions, pansements, 293

294   Partie 5. Douleur selon le contexte examens et actes de soins avec introduction ou retrait de sondes et/ou de matériels, examens radiologiques, endoscopiques, kinésithérapie, etc.) mais aussi les douleurs liées aux soins de la vie quotidienne (nursing, toilette, habillage/déshabillage, manutention, transport, etc.). Les douleurs induites sont le plus souvent des douleurs aiguës liées à un traumatisme, une inflammation tissulaire. Elles associent deux composantes physiopathologiques : la composante nociceptive, conséquence de la stimulation sur le site de la lésion tissulaire dont l'intensité est au-dessus du seuil nociceptif, et la composante hyperalgésique qui s'installe rapidement et contribue à majorer la sensation douloureuse [2]. Leur durée et leur intensité sont variables. Plusieurs facteurs peuvent influer sur cette douleur : ■ les facteurs liés au soin lui-même : sa nature, invasive ou pas, nécessitant parfois du matériel intrusif (sonde, aiguille) et la zone du corps concernée, sa durée et la répétition de l'acte peuvent influer sur la douleur. Les expériences antérieures de douleur mais aussi d'anxiété liée au soin, peuvent avoir une incidence directe sur la capacité du patient à faire face ou non aux soins ultérieurs, amenant parfois à un refus de soins ou de traitement [3] ; elles peuvent induire des mécanismes de défenses chez la personne douloureuse altérant la relation soignant-soigné et la confiance instaurée ; ■ les facteurs liés au patient : l'ancienneté de la maladie ou du handicap et son évolution, l'âge et le degré de fatigue, l'état psychologique (anxiété, agressivité, peur, phobie, etc.), la compréhension de la raison et la nécessité du soin, les représentations de l'acte (par ce que le patient a vu, lu, entendu ou raconté par d'autres patients, ou du fait de la vision du matériel préparé), ses représentations et croyances dans les thérapeutiques proposées, ses antécédents de douleur (vécus par le patient ou son entourage), son état de douleur avant le geste, sont autant de facteurs pouvant intervenir dans le ressenti de la douleur lors des soins ; ■ les facteurs liés à l'environnement du patient  : le cadre dans lequel se déroule le soin (environnement calme, agité, bruyant, etc.), la connaissance de l'environnement (habituel, nouveau, etc.) ont une influence directe sur la capacité du patient à faire face à la douleur. L'environnement sonore peut majorer l'anxiété ou le stress, notamment chez les patients les plus vulnérables ; ■ les facteurs liés au soignant : la connaissance de l'acte, la maîtrise technique du geste (dextérité, sécurité gestuelle, assurance verbale), la disponibilité du soignant ont une influence sur la relation de confiance entre le patient et le soignant nécessaire à la bonne réalisation du geste. Une organisation inadaptée (défaut d'anticipation, incohérences interdisciplinaires, soignants multiples se succédant auprès d'un même patient, charge en soins élevée), la sous-utilisation des thérapeutiques et des matériels à disposition, une approche trop rapide ou inadaptée du patient renforçant sa crispation corporelle réactionnelle nuisant ainsi à sa coopération,

le décalage entre la rapidité du rythme soignant et la vacuité du temps de l'entre-soin chez le patient sont des facteurs de risque de majoration de la douleur. Les conséquences de l'absence de prise en considération de la douleur des soins peuvent être immédiates et/ ou apparaître à long terme [3]. Les conséquences immédiates peuvent être multiples : fatigue (lors d'un soin long et douloureux, ou réalisé chez un patient dont la douleur de fond est insuffisamment soulagée), agitation (en particulier chez les patients présentant des troubles de la communication, chez les patients les plus vulnérables), parfois des modifications physiologiques telles que des modifications du rythme cardiaque ou respiratoire, des variations des chiffres tensionnels, voire un malaise. Le simple « mauvais souvenir », comme par exemple la vaccination dans l'enfance, peut être déterminant dans la relation de soin à l'âge adulte. La mémorisation peut engendrer de la peur, de l'anxiété, de l'angoisse, voire une phobie des soins. De même, si la douleur n'est pas correctement prévenue lors d'un premier soin, l'anticipation de la douleur lors de soins suivants requiert un besoin d'antalgiques et d'anxiolytiques supérieurs [4]. Cet état de fait peut conduire à une dégradation de la qualité de vie, physique ou psychique, du patient aboutissant à une souffrance globale [5].

Ce qu'il faut mettre en œuvre pour prévenir la douleur liée aux soins La prévention de la douleur liée aux soins fait partie intégrante des bonnes pratiques attendues, dans un souci de qualité de prise en charge, en plus d'être une obligation légalement reconnue et une exigence éthique que ce soit au niveau d'un établissement de soin ou à domicile. La responsabilité de chaque acteur de l'équipe interdisciplinaire y est engagée. Cette démarche fait appel tant aux connaissances actualisées, au savoir-faire et au savoir-être des soignants qu'à la capacité d'auto-analyse individuelle et collective des équipes sur leurs pratiques de soins. Dans les établissements de soins, le rôle des CLUD) est primordial pour la mise en œuvre d'une politique institutionnelle de prévention de la douleur liée aux soins. Les réseaux douleur ou les inter-CLUD territoriaux facilitent l'harmonisation et l'amélioration des pratiques des professionnels des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et des professionnels de premier recours. La prévention de la douleur liée aux soins s'inscrit dans une réflexion sur les modalités d'organisation soignante avant, pendant et après le soin. Cette approche d'antalgie préventive implique d'anticiper le type, la durée et l'intensité de la douleur induite, indépendamment du traitement de fond. Elle implique également de bien connaître la pharmacocinétique des médicaments à disposition afin de pouvoir utiliser le bon antalgique au bon moment (figure 44.1). Les approches multimodales sont recommandées, associant des mesures pharmacologiques et non pharmacologiques. L'évaluation de la douleur de tout soin doit être réalisée et tracée (avant, pendant et après le soin) afin de prévoir la prise en charge analgésique du prochain soin.

Chapitre 44. Douleur des soins    295

Voies Dénominations communes internationales d'administration

Précisions

Minutes

Heures

3'

5'

10' 15' 30' 45'

1h

2h 3h

4h

5h

3'

5'

10' 15' 30' 45'

1h

2h 3h

4h

5h

Pour muqueuse génitale Lidocaïne 2,5 % + prilocaïne 2,5 % crème

Lidocaïne*

Lidocaïne 5 % nébuliseur

Pour détersion longue et douloureuse d'ulcère des jambes Muqueuse buccale et voies aériennes supérieures

Lidocaïne 2 % gel oral ou urétral

Inhalation*

Lidocaïne injectable

Infiltration

MEOPA

Durée maximum d'utilisation : 1 heure

Paracétamol Paracétamol + codéïne Paracétamol + tramadol Per os

Tramadol Morphine sulfate à libération Immédiate Oxydocone à libération Immédiate

Orodispersible Gélules

Sous-cutanée

Morphine Paracétamol Néfopam

Intraveineuse

Intraveineuse lente de 30 à 45 minutes

Tramadol Morphine Oxycodone

*

Le médicament est à son efficacité maximale, le soin peut donc être effectué Le médicament n'est pas/plus à son efficacité maximale Le médicament n'est pas encore/n'est plus efficace, le soin ne peut donc pas être effectué Il est possible d'associer les voies locale et inhalée aux autres voies d’administration tout en respectant les précautions d'emploi

Figure 44.1 Le bon antalgique au bon moment.

Mesures pharmacologiques Anesthésiques locaux Les anesthésiques locaux, mis au contact des muqueuses ou de la peau, exercent un effet anesthésique local en se fixant sur les terminaisons nerveuses et en bloquant de manière spécifique, totale et réversible la conduction nerveuse.

Crème analgésiante Cette crème est un mélange eutectique équimolaire de lidocaïne 2,5 % et de prilocaïne 2,5 % agissant par diffusion transcutanée et induisant une anesthésie locale de la peau saine de quelques millimètres (3 mm après une heure et 5 mm après deux heures d'application). Elle se présente en tube de 5 g ou sous forme de patch (pansement adhésif cutané prêt à l'emploi) contenant 1 g de crème et permettant d'anesthésier une surface de 10 cm2. Elle est indiquée pour réaliser des gestes invasifs avec effraction cutanée sur peau saine : ponction (veineuse, artérielle, lombaire, biopsie, myélogramme, fistule artérioveineuse, chambre implantable, etc.), injection (sous-cutanée, intramusculaire, intradermo-

réaction), pose de cathéter court périphérique ou de cathéter central, certains actes de dermatologie superficielle (ablation de molluscum contagiosum, exérèse de condylomes, etc.), en urologie/gynécologie (libération d'adhérences prépuciales, décollement des petites lèvres). Elle est indiquée également pour la détersion mécanique d'ulcère de jambe.

Lidocaïne La lidocaïne est disponible sous différentes formes (spray, gel, injectable). La lidocaïne 5 % en spray est adaptée à une utilisation sur les muqueuses et entraîne une anesthésie de surface efficace, qui se prolonge pendant approximativement 10 à 15 minutes. L'anesthésie se produit généralement en une à trois minutes en fonction de la surface d'application. La lidocaïne en spray est indiquée chez les adultes et les enfants de plus de 6 ans pour l'anesthésie locale des muqueuses buccopharyngées et/ou des voies aériennes supérieures, par pulvérisation afin de réaliser des gestes thérapeutiques ou diagnostiques douloureux (intubation, petite chirurgie en oto-rhino-laryngologie (ORL), examens endoscopiques en ORL, pneumologie, gastroentérologie).

296   Partie 5. Douleur selon le contexte La lidocaïne à 2 % visqueuse en gel oral entraîne une anesthésie de surface, qui se prolonge pendant approximativement 20 à 30 minutes. L'anesthésie se produit généralement en cinq minutes. Elle peut être utilisée pour l'anesthésie de la cavité bucco-pharyngo-laryngée (se méfier du risque de fausse route en cas d'alimentation et/ou boisson pendant les deux heures suivant l'anesthésie). En cas de sondage gastrique, la lidocaïne visqueuse peut être directement posée sur la sonde. La lidocaïne à 2 % en gel urétral stérile se présente en seringue préremplie à usage unique dosée à 10 g de chlorhydrate de lidocaïne. Elle entraîne une anesthésie locale de contact de la muqueuse urétrale pour la pose d'une sonde urinaire ou pour exploration urologique. Il est recommandé d'utiliser le gel urétral de lidocaïne dès la première manœuvre afin d'éviter un passage sanguin trop important de l'anesthésique à travers une muqueuse éraillée par des tentatives infructueuses. L'anesthésie est à son efficacité maximale à l'issue de cinq à dix minutes d'application. La durée d'action se prolonge 30 minutes. La lidocaïne injectable (0,5, 1 ou 2 %) est utilisée pour l'anesthésie par infiltration, en cas de suture, ponction, geste chirurgical ou dermatologique superficiel. Il est recommandé d'utiliser des aiguilles très fines pour diminuer le désagrément lié à l'infiltration. Dans un premier temps, un bouton intradermique sera réalisé puis l'anesthésie s'effectuera à travers ce bouton et, de proche en proche, à travers la zone anesthésiée. L'adjonction de 2 ml de bicarbonate de sodium semi-molaire à 42/1000 dans 10 ml de lidocaïne rend la solution moins douloureuse. L'infiltration doit s'effectuer lentement sur une zone non infectée.

MEOPA Le MEOPA) est le produit de référence pour les actes et les soins douloureux chez l'enfant dès 4 ans mais aussi chez l'adulte car il possède un ensemble de caractéristiques originales : rapidité et réversibilité d'action, effet antalgique/ anxiolytique et un bon profil bénéfice/risque. Le MEOPA est un médicament qui se présente sous forme de gaz incolore, inodore, stable et proposé en bouteille prête à l'emploi permettant de diminuer, voire supprimer une douleur modérée induite par les soins de courte durée (moins d'une heure). Le MEOPA est notamment indiqué pour les ponctions veineuses et artérielles, ponctions lombaires, myélogrammes, pansements, réductions de fractures simples et de luxations périphériques, petites chirurgies superficielles, mais également pour les transports de patients douloureux, les soins dentaires chez les enfants, patients anxieux ou handicapés, ou encore en obstétrique dans l'attente d'une analgésie péridurale ou en cas de refus ou d'impossibilité de la réaliser. Administré au moyen d'un masque transparent avec système de réserve ou bien d'un masque muni d'une valve de non réinhalation et d'un ballon réservoir, son efficacité est observée au bout de trois minutes et est stoppée dès l'arrêt de l'administration du produit. L'administration doit être faite dans des locaux adaptés, par du personnel médical ou paramédical spécifiquement formé et dont les connaissances sont périodiquement réévaluées. Le MEOPA peut être également utilisé à domicile dans le cadre d'une hospitalisation à domicile en raison de sa sortie de la réserve hospitalière.

Antalgiques anti-nociceptifs Pour les douleurs attendues d'intensité légère à modérée, les antalgiques non opioïdes (paracétamol, AINS) peuvent être utilisés. Pour autant, aucune étude n'a démontré leur effet préventif en matière de douleur induite. L'administration du paracétamol au décours d'un soin modérément douloureux peut suffire à ne pas laisser de douleur résiduelle pendant les heures suivantes. Le paracétamol intraveineux est plus rapidement efficace que la forme per os. La durée d'antalgie maximale est semblable, soit environ deux heures. Pour les douleurs attendues d'intensité modérée à sévère, le recours à l'analgésie multimodale alliant un antalgique non opioïde et un antalgique opioïde est recommandé. L'association de paracétamol plus codéine peut être utilisée pour les douleurs d'intensité modérée mais demeure insuffisante pour contrer une douleur sévère induite par les soins. Les opioïdes de choix pour le traitement de la douleur attendue d'intensité sévère est la morphine et l'oxycodone (particulièrement indiqué en cas d'altération de la fonction rénale). Pour les formes orales de sulfate de morphine à action immédiate (gélule, comprimé, sirop, solution buvable), l'effet débute après 30 à 45 minutes et la durée d'action est de quatre heures. Le chlorhydrate de morphine peut être administré par voie sous-cutanée ou par voie intraveineuse. La voie intraveineuse permet d'administrer une dose de charge et une adaptation si nécessaire par titration. En intraveineuse, le délai d'action est plus rapide (moins de dix minutes). L'oxycodone à libération immédiate a un délai d'action de 30 minutes. Sa forme orodispersible a un délai d'action plus rapide (cinq à dix minutes). Dans sa forme injectable, l'oxycodone débute son action après dix minutes suivant son administration par voie intraveineuse.

Anti-hyperalgique Néfopam Le néfopam est un analgésique non opiacé d'action centrale qui agit par inhibition de la recapture des monoamines (noradrénaline, sérotonine, dopamine). L'administration du néfopam doit être réalisée en perfusion intraveineuse lente de 30 à 45 minutes, le patient étant en décubitus, afin d'éviter la survenue d'effets indésirables (nausées, vertiges, sueurs). Le néfopam peut être administré également par voie intramusculaire. Son délai d'action est alors de 45 minutes. Il conviendra d'être particulièrement prudent en cas d'insuffisance hépatique, d'insuffisance rénale, en raison du risque d'accumulation et donc du risque augmenté d'effet indésirable, chez tous les patients avec pathologie cardiovasculaire en raison de l'effet tachycardisant, chez le sujet âgé en raison des effets anticholinergiques du néfopam.

Antalgiques à effets mixtes (analgésiques anti-nociceptifs, modulateurs des contrôles inhibiteurs ou excitateurs descendants) Tramadol Le tramadol est un antalgique central à double action  : une action opioïde et un effet monoaminergique par inhibition de la recapture neuronale de la sérotonine et de la noradrénaline. Le tramadol peut être administré en per os

Chapitre 44. Douleur des soins    297 idéalement 45 minutes avant le début du soin ou en intraveineuse, 30 minutes avant le soin. Les deux formulations apportent une antalgie maximale pendant environ deux heures. L'utilisation de l'association tramadol plus paracétamol est recommandée du fait de sa meilleure tolérance (moins d'effets indésirables).

Mesures non pharmacologiques Le traitement médicamenteux ne constitue pas la seule réponse à la prévention de la douleur liée aux soins. Les mesures non pharmacologiques existent. Il s'agit de traite­ments réalisés par des professionnels de santé formés et qualifiés : moyens physiques ou physiologiques, méthodes psychocorporelles ou comportementales. L'utilisation de ces moyens non pharmacologiques a fortement été recommandée par le 3e plan gouvernemental 2006–2010.

Moyens physiques et physiologiques Toucher Le toucher est une composante essentielle du soin. Moyen de communication non verbal, il est utilisé par les soignants comme vecteur de détente, de mieux-être et de prévention de la douleur chez le patient. Il est mis en œuvre en s'assurant de l'accord de la personne soignée et du respect de son intimité. On distingue différents types de toucher lors des soins parmi lesquels on retrouve : ■ le toucher technique, caractérisant les soins usuels (prises de signes vitaux, pansements, prélèvements, etc.) ; ■ le toucher relationnel, effectué pendant un soin, lorsque, en plus de la technicité, il implique le soignant par son toucher et son attitude dans une relation avec le patient ; ■ le toucher thérapeutique ou Toucher-massage® , intention bienveillante qui prend forme grâce au toucher sur toute ou partie du corps, et qui invite à détendre, relaxer ou procurer un bien-être. Le Toucher-massage ® allie la compétence technique à une attitude empathique « être avec ». Cet outil thérapeutique présente un intérêt dans la prévention des douleurs induites.

Froid Le froid est utilisé pour ses propriétés antalgiques, antiseptiques et anti-inflammatoires, à des températures proches ou inférieures à 0 °C. Son action entraîne une vasoconstriction, une diminution de l'inflammation et donc de l'œdème. Il a une action sur la vitesse de conduction nerveuse et, donc, sur la conduction de message douloureux. Différentes modalités peuvent être utilisées : compresses froides, vessie de glace, spray réfrigérant, pack de gel préalablement placé en haut du réfrigérateur, etc. Le froid présente un intérêt dans la prévention de la douleur par effraction cutanée. Il existe un nouveau matériel associant l'utilisation du froid et la distraction (Buzzy®), recommandé chez l'enfant pour les prélèvements sanguins, la vaccination, les injections, etc.

Solution sucrée et succion Chez le nouveau-né et le nourrisson âgé de moins de 4  mois, l'administration de solution sucrée (saccharose entre 24 et 30 % ou glucose 30 %) déposée sur la langue diminue ou fait disparaître la douleur induite par un geste invasif mineur. L'effet analgésique apparaît dans les 60 à 120 secondes suivant l'administration de la solution sucrée et dure environ cinq à sept minutes. L'utilisation de la solution sucrée doit s'effectuer en complément des autres techniques de prévention de cette douleur (crème anesthésiante, MEOPA, etc.). L'allaitement au sein a le même effet antalgique.

Méthodes cognitivo-comportementales Hypnose L'hypnose est un mode de fonctionnement psychologique dans lequel un sujet, grâce à l'intervention d'une autre personne, parvient à faire abstraction de la réalité environnante, tout en restant en relation avec l'accompagnateur [6]. L'hypno-analgésie est une technique hypnotique utilisée pour soulager ou prévenir une douleur. Les études cliniques et la pratique mettent en évidence le bénéfice de l'utilisation de l'hypnose, chez l'adulte et chez l'enfant dans la prise en charge de la douleur des soins [7]. Ces techniques ne sont pas des disciplines en soi, mais des méthodes complétant les approches propres à une profession médicale, paramédicale ou psychologique dans le champ de leurs compétences.

Distraction La distraction utilisée avec une visée antalgique se définit comme « l'action de détourner l'esprit d'une occupation ou d'une préoccupation ; une diversion » [3]. La distraction permet de faire face à l'événement de façon positive en fonction des propres ressources du patient et de l'aide que l'on peut lui proposer. La distraction contribue à la diminution de la douleur induite par les soins, en agissant sur l'anxiété, le stress, la peur de la douleur. Cette méthode est le plus souvent utilisée chez l'enfant, mais ses indications peuvent très bien s'adapter à tous les âges de la vie [7, 8]. La pratique de la distraction doit s'associer aux autres moyens antalgiques (MEOPA, crème anesthésiante, antalgique, froid, toucher, etc.).

Relaxation La relaxation est une technique qui, via la focalisation mentale centrée sur un paramètre physiologique (tonus musculaire, tonus vasomoteur, respiration) qu'il s'agit de contrôler, permet d'agir ensuite sur les processus mentaux. Concernant la douleur liée aux soins, deux techniques issues de la relaxation peuvent être utilisées : le travail respiratoire et le relâchement musculaire. Ces pratiques sont recommandées pour des gestes de courte durée, d'intensité douloureuse modérée, en association avec d'autres moyens antalgiques.

298   Partie 5. Douleur selon le contexte

Références

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Chapitre

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Douleur postopératoire et douleur aiguë traumatique Frédéric Aubrun  PLAN DU CHAPITRE Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Stratégies analgésiques par voie systémique . Anesthésie locorégionale

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Introduction La douleur postopératoire est très fréquente puisqu'elle concerne près de 90 % des patients interrogés dans une enquête réalisée en 2008 [1]. Cette douleur est plus souvent continue qu'intermittente et survient plus fréquemment en condition dynamique qu'au repos. L'intensité douloureuse est toutefois raisonnable avec une douleur essentiellement faible à modérée dont la durée est limitée dans le temps [1]. Il est classiquement admis qu'une douleur postopératoire excède rarement 72  heures, durée qui correspond d'ailleurs à la période de mise à disposition d'une pompe d'analgésie autocontrôlée par la morphine pour le soulagement des douleurs les plus sévères. La douleur des entorses, luxations et fractures est constante et constitue le premier motif de recours avec impotence fonctionnelle. Selon le groupe Programme de traitement antalgique en urgence (PROTAU) (Institut UPSA de la douleur), la douleur n'est corrélée ni à l'importance, ni au pronostic de la lésion. Une des principales causes de douleur traumatique est représentée par la fracture de l'extrémité supérieure du fémur qui survient chez près de 75 000 patients par an, le plus souvent âgés. Cette douleur traumatique doit être prise en charge dès le préhospitalier par une stratégie combinant souvent plusieurs techniques analgésiques, voire réalisation d'une anesthésie générale dans les situations extrêmes [2].

Stratégies analgésiques par voie systémique Après plusieurs années de difficultés, la prise en charge de la douleur postopératoire et celle de la douleur traumatique se sont sensiblement améliorées avec une utilisation raisonnée des méthodes d'analgésie conventionnelles, et une Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

et infiltrations tissulaires : en alternative ou en complément . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

303 304

utilisation raisonnable des techniques plus sophistiquées telles que l'analgésie locorégionale, l'analgésie autocontrôlée ou les techniques d'anti-hyperalgésie. Le concept de l'analgésie multimodale s'est imposé, permettant notamment d'anticiper la douleur peropératoire, grâce à une prémédication adaptée et à une titration en antalgiques chirurgicaux. La priorisation de la prise en charge de la douleur postopératoire immédiate a permis de réduire les conséquences à plus long terme d'une souffrance inutile et délétère. Quant au risque de douleur chronique postchirurgicale (DCPC) ou à distance d'un traumatisme, il a été enfin estimé et les moyens de prévenir et de combattre ces DCPC implémentés. La douleur n'est donc pas (plus) une fatalité.

Analgésie multimodale : un concept ancien en voie de modernisation Depuis les années 1990, l'analgésie multimodale s'est imposée avec essentiellement deux objectifs : la réduction des scores de douleur et la réduction de la consommation en morphiniques. La première raison est simple : le confort doit devenir une priorité et donc la douleur postopératoire des patients doit être combattue. La seconde raison est plus discutable. La réduction de la consommation en morphiniques postopératoires n'a de sens que si elle est associée à une réduction en effets indésirables liés à la morphine, dont la plupart sont dose-dépendants. Il s'agit donc d'administrer des antalgiques non morphiniques à la bonne dose, de manière à réduire les nausées, la sédation, etc. mais également les scores de douleur. Certains de ces agents ne sont pas des antalgiques stricto sensu, d'autres le sont mais ont d'autres propriétés encore plus intéressantes. Enfin, certains agents ont été oubliés puis « réhabilités » avec une voie d'administration originale. 299

300   Partie 5. Douleur selon le contexte

Antalgiques non morphiniques : notion de synergie d'action et d'additivité

Association entre opioïdes faibles et paracétamol

L'association de plusieurs antalgiques utilisés par voie systémique ou locorégionale peut être essentiellement additive ou supra-additive c'est-à-dire synergique. Dans ce dernier cas, l'association de deux agents est supérieure à la somme de l'effet des produits utilisés isolément. L'effet additif simple caractérise par exemple l'association morphine-clonidine ou encore l'association morphine et paracétamol par voie systémique. L'effet synergique concerne l'association α2-agonistes avec les morphiniques par voie périmédullaire, l'association anesthésiques locaux et morphiniques, et la combinaison entre les antagonistes NMDA (kétamine) et la morphine. Des associations synergiques sont donc recherchées (exemple : AINS et morphine ou néfopam et AINS) [3, 4], ce qui permet notamment de baisser les doses de chacun des antalgiques tout en obtenant une efficacité clinique satisfaisante.

D'autres antalgiques sont utilisables dans la période postopératoire. Le tramadol est un antalgique central de palier 2 qui répond, en lui-même, au concept de l'analgésie multimodale. Il s'agit en effet de l'association d'un agoniste faible des récepteurs μ et d'un inhibiteur de la recapture de la noradrénaline et de la sérotonine. Cet antalgique est indiqué dans la prise en charge des douleurs modérées avec une réduction des scores de douleur de 45 à 60 %. L'association de tramadol et de paracétamol à plus faibles doses (respectivement 37,5 mg au lieu de 50 mg et 325 mg au lieu de 500 mg) a été proposée depuis plusieurs années. D'abord, cette association est plus efficace que lorsque le tramadol est utilisé seul, de surcroît à une dose plus élevée du fait d'une synergie d'action. La combinaison entre le tramadol et le paracétamol semble, pour certains auteurs, plus efficace que l'association entre la codéine et le paracétamol [7, 8]. Ce constat apparaît également en cas d'association entre l'oxycodone et le paracétamol. Une association de plusieurs agents antalgiques efficace, moins dosée, et donc mieux tolérée (encadré 45.1).

AINS : des acteurs précieux de l'analgésie Les AINS sont les antalgiques non morphiniques les plus puissants et, hormis leur action synergique avec les opioïdes ou le néfopam, ils ont une efficacité majeure pour les chirurgies et les situations traumatiques et/ou inflammatoires. C'est le cas de l'orthopédie, les chirurgies ORL ou maxillo-faciale, la chirurgie gynécologique ou la traumatologie légère. Selon la SFAR (référentiel de 2008), « Il est recommandé d'associer un AINS à la morphine en l'absence de contre-indications » [5]. Ces principales contre-indications concernent les défaillances hépatiques, rénales (une clairance estimée de la créatinine plasmatique inférieure à 50 ml/min est une contre-indication aux AINS), ou cardiaques, les risques hémorragiques, la pathologie ulcéreuse et la grossesse (cinq mois révolus). La SFAR précise qu'il ne faut pas utiliser les AINS ou les inhibiteurs sélectifs des cyclo-oxygénase de type II (ISCOX-2) dans les situations d'hypoperfusion rénale. Il est également recommandé de prendre en compte la majoration du risque hémorragique lors de la prescription d'AINS non sélectif. En cas de prescription d'ISCOX-2, il est recommandé de prendre en compte les facteurs de risque athérothrombotique en respectant les contre-indications et précautions d'emploi définies par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) [5]. Huit ans plus tard, une actualisation de ce référentiel permet d'amplifier certains messages : « Il n'est pas recommandé d'utiliser un ISCOX-2 chez les patients ayant des antécédents athéro-thrombotiques artériels (AOMI, AVC, IDM), les AINS non sélectifs ne sont probablement pas recommandés chez les patients ayant des antécédents athéro-thrombotiques artériels (artériopathie obstructive des membres inférieurs [AOMI], AVC, IDM) au-delà de sept jours de traitement. Il n'est pas recommandé d'associer des AINS non spécifiques (NS) à un traitement anticoagulant à dose curative ». Les AINS-NS ou les ISCOX-2 associés à la morphine permettent une amélioration des scores de douleur, une épargne morphinique significative associée à une réduction des nausées vomissements, de la sédation et de la durée de l'iléus postopératoire. Ils nécessitent toutefois le respect des contre-indications et des précautions d'emploi, notamment en postopératoire : cinq jours de traitement dont 48 heures par voie intraveineuse [6].

Agents antihyperalgésiques : une nouvelle approche incontournable de l'analgésie Un traumatisme, une intervention chirurgicale ou même l'administration d'opioïdes sont responsables de l'activation de récepteurs NMDA impliqués dans des phénomènes d'hyperalgésie et d'allodynie. Ce concept est apparu il y a maintenant de nombreuses années avec la prise de conscience qu'il fallait modifier nos pratiques afin de réduire le risque de sensibilisation du SNC. Les conséquences de ces phénomènes sont en effet d'augmenter les douleurs postopératoires, voire de contribuer au développement des douleurs chroniques post-chirurgicales. Comment prévenir ou traiter l'hyperalgésie ? Modifier d'abord les techniques chirurgicales qui doivent être moins invasives (par exemple, cœlioscopie versus laparotomie). Réduire les doses d'opioïdes est également une nécessité, en s'appuyant notamment sur une analgésie multimodale adaptée. D'autres médicaments ont également fait leur apparition, les agents « anti-­ hyperalgésiques » comportant un agent anesthésique général et des agents anticonvulsivants.

Encadré 45.1 Au total La tendance actuelle n'est plus d'administrer des antalgiques à fortes doses et donc pouvant entraîner des effets indésirables fréquents. Il s'agit d'administrer de façon raisonnée les antalgiques aux bonnes doses, en utilisant leur synergie d'action, de manière à réduire la consommation de morphine et donc les effets indésirables tout en améliorant le confort du patient. Dans ce cas, les nouvelles associations prévalent sur les nouvelles molécules. La place des AINS reste importante de par la puissance d'action, l'épargne morphinique et les effets indésirables liés aux opioïdes.

Chapitre 45. Douleur postopératoire et douleur aiguë traumatique    301

Kétamine et néfopam L'hypersensibilité centrale induite par les morphiniques, avec pour conséquence directe l'apparition d'une hyperalgésie et donc d'une tolérance aiguë, est apparue il y a quelques années comme un écueil dans l'analgésie périopératoire. En effet, les conséquences de cet effet paradoxal sont multiples : il est désormais recommandé de limiter les morphiniques en prémédication aux patients les plus algiques ou à ceux qui bénéficient en préopératoire d'un traitement comportant des opioïdes. Réduire les doses de morphiniques peropératoires, en augmentant la concentration des gaz halogénés et du protoxyde d'azote, doit devenir une priorité. De même, il faut envisager une réduction des doses de morphine dès la période postopératoire immédiate et éviter toute dose de charge avant la sortie du bloc opératoire. Bien que le taux d'échec d'une titration sans plafonnement de la dose soit limité, il paraît souhaitable d'inverser la tendance et d'associer la morphine avec d'autres antalgiques non morphiniques ou agents antihyperalgésiques. À ce titre, la kétamine est le médicament de référence et ses modalités d'utilisation per- et postopératoires sont désormais mieux connues. Certaines équipes ont notamment observé que la kétamine, administrée pendant et après un acte chirurgical, pouvait agir jusqu'à sept jours après le geste opératoire, voire à distance de l'administration de l'agent. Ainsi, la perfusion de kétamine après lombotomie pendant trois jours a permis de réduire significativement la zone d'hyperalgésie péricicatricielle postopératoire [9]. Plus précisément, certains auteurs proposent d'administrer cet antagoniste des récepteurs NMDA à la posologie suivante : en cas de chirurgie à douleur sévère prédictive et/ou lorsque le patient prend un traitement antalgique préopératoire majeur (comportant par exemple des morphiniques), la kétamine peut être administrée lentement avant l'induction ou l'incision, à la dose de 0,5 mg/kg. Une perfusion continue à la dose de 5 μg/ kg/min peut être également proposée pendant l'ensemble de la durée opératoire [10]. La SFAR s'est positionnée dans le cadre d'un référentiel publié en 2016 et a proposé ce qui suit : « En peropératoire, l'administration de faible dose de kétamine chez un patient sous anesthésie générale est recommandée dans les deux situations suivantes : ■ chirurgie à risque de douleur aiguë intense ou pourvoyeuse de DCPC ; ■ patients vulnérables à la douleur, en particulier patients sous opioïdes au long cours ou présentant une toxicomanie aux opiacés (G1+, accord fort) [6]. La kétamine est l'agent antihyperalgésique recommandé en première intention à la dose (maximale) de 0,5 mg/kg après l'induction anesthésique (pour éviter les effets psychodysleptiques), en administration continue à la dose de 0,125 à 0,25 mg/kg/h. La perfusion sera arrêtée 30 minutes avant la fin de la chirurgie » [6]. Cet agent a donc un champ d'action non négligeable mais ne doit pas être administré à tous les patients. Certaines équipes préhospitalières ou aux urgences proposent ce médicament dans le cadre de la traumatologie avec un objectif clair d'épargne morphinique, d'épargne en effets indésirables morphiniques mais aussi de prévention de l'hyperalgésie [6, 11]. La grande variabilité dans les besoins en morphiniques postopératoires mais également dans l'incidence en effets indésirables « morphiniques » incite certains auteurs à réduire les doses de morphine titrée au moyen d'une analgé-

sie multimodale. Ainsi, Kapfer et al. ont évalué d'intérêt de la kétamine mais aussi du néfopam dans la prise en charge postopératoire des patients opérés d'une chirurgie majeure [12]. Après une dose de 9 mg de morphine intraveineuse, les patients étaient séparés en trois groupes  : le premier recevait du sérum salé, le second de la kétamine (10 mg en intraveineuse) et le troisième du néfopam (20 mg i.v.). Les patients non soulagés recevaient une dose de morphine « de secours ». Les auteurs ont pu constater que les patients bénéficiant des deux antalgiques non morphiniques recevaient une dose plus faible de morphine complémentaire sur le groupe sérum salé. Il convient de signaler que les échecs de titration (hypoventilation) étaient plus fréquents dans le groupe sérum salé mais la titration n'était arrêtée que lorsque les patients étaient profondément sédatés (score de sédation > 2, c'est-à-dire réponse à la stimulation nociceptive uniquement). Il faut noter que le néfopam semble avoir des effets sur la réduction de la sensibilité neuronale postopératoire, ce qui permet de le proposer, au même titre que la kétamine pour l'analgésie périopératoire, en particulier à des patients à risque d'hyperalgésie.

Propriétés antalgiques des agents anticonvulsivants Gabapentine C'est un agent antiépileptique de l'adulte et de l'enfant à partir de l'âge de 3 ans (sauf absence), dont la structure est proche du GABA mais dont le mécanisme d'action central est spécifique et surtout différent de celui des autres antiépileptiques. Outre l'épilepsie, il est également utilisé pour le traitement des douleurs neuropathiques de type post-­ zostériennes ou périphériques (diabète, etc.) mais également dans l'anxiété (hors AMM). De nombreux travaux ont été publiés concernant l'utilisation de la gabapentine dans la période postopératoire. Les propriétés anti-hyperalgésiques et anti-allodyniques de la gabapentine favorisent son utilisation en périopératoire, et son action synergique avec la morphine permet une épargne morphinique et en effets indésirables morphiniques. Parfois administré en prémédication, il réduit la douleur et la consommation de morphine postopératoire mais pas la DCPC [13].

Prégabaline C'est un agent antiépileptique qui se fixe sur une des sousunités du canal calcique présynaptique (exacerbé au cours d'une douleur neuropathique), permettant de réduire l'entrée de calcium dans la cellule sans la bloquer, et la libération de neurotransmetteurs excitateurs tels que le glutamate, la substance P et la noradrénaline. Comme pour la gabapentine, son efficacité a été démontrée sur les douleurs neuropathiques périphériques et centrales dès la première semaine de traitement mais également dans l'anxiété. De plus, la prégabaline administrée en prémédication améliore les scores de douleur postopératoire sans réduire la consommation de morphine après la chirurgie. D'autres auteurs retrouvent une réduction de la consommation de morphiniques postopératoires mais au prix d'une augmentation des effets indésirables tels que les vertiges ou les céphalées [14–16] (encadré 45.2).

302   Partie 5. Douleur selon le contexte

Encadré 45.2 Au total Certains agents antihyperalgésiques tels que la kétamine mais aussi le néfopam, peuvent être associés à une analgésie chirurgicale, à une analgésie postopératoire immédiate ou à une efficacité dans le cadre de certaines douleurs aux urgences. Il s'agit de réduire notamment les phénomènes d'hyperalgésie chez certains patients ciblés. Concernant la gabapentine et la prégabaline, ces deux médicaments peuvent améliorer la prise en charge des patients opérés. Encore faut-il déterminer la bonne dose et la bonne association et surtout évaluer le bénéfice à moyen et long termes de ces antiépileptiques.

Titration intraveineuse de morphine ou comment soulager rapidement la douleur en salle de surveillance post-interventionnelle et aux urgences La douleur modérée ou sévère doit être rapidement prise en charge dès le réveil du patient afin d'éviter que celleci induise des conséquences délétères pour le patient et s'inscrive dans la durée. Malgré les techniques d'analgésie anticipée avec l'administration, dès la période opératoire, d'antalgiques morphiniques et non morphiniques, des patients décrivent des douleurs qui nécessitent un soulage­ ment rapide et la morphine titrée constitue un moyen efficace pour y parvenir. Le principe est d'injecter par voie veineuse des bolus de 2 à 3 mg toutes les cinq minutes dès que le score de douleur dépasse un certain seuil (échelle numérique > 3/10) jusqu'au soulagement de la douleur. Il n'existe pas de dose maximale mais, en pratique, les patients reçoivent en moyenne 10 mg de morphine pour être correctement soulagés [17]. Pour bénéficier d'une titration intraveineuse en morphine, les patients doivent être surveillés sur le plan clinique mais doivent également bénéficier d'un monitorage hémodynamique, respiratoire et de leur intensité douloureuse. Aux urgences, cette méthode est également appliquée avec plusieurs niveaux de sécurité supplémentaires par rapport à la SSPI : après trois bolus, la poursuite de la titration doit être validée par un médecin et le patient ne peut pas quitter la structure avant la deuxième heure qui suit la fin de la titration [18] (figure 45.1).

Recours à la voie orale pour les opioïdes : deux exemples, la morphine et l'oxycodone Morphine orale : avantages et limites La morphine à LP a permis depuis 1986 d'améliorer considérablement la prise en charge des douleurs chroniques, en particulier cancéreuses. Des interdoses par des morphiniques à libération immédiate ont également été proposées afin d'ajuster les traitements en réalisant une titration des besoins. Par la suite, l'utilisation de morphiniques par voie orale, au moyen d'ampoules buvables à 10 ou 20 mg puis par des comprimés dosés de 5 à 30 mg a été suggérée pour améliorer la gestion des douleurs postopératoires. Certains auteurs ont proposé d'administrer par voie orale une forme d'opiacés à LP, de préférence en prémédication, afin d'obtenir une efficacité analgésique per- et

Figure 45.1 Principe de la titration intraveineuse en morphine : évaluation de l'intensité de la douleur (initial pain assessment) et début de la titration dès que le seuil de la douleur dépasse 30 (EVA ou EN). Réévaluation de la douleur après cinq minutes. Les critères d'arrêt de titration sont le soulagement, la sédation ou l'apparition d'effets indésirables. Le monitorage de l'état de conscience, la fréquence cardiaque (heart rate [HR]), de la fréquence respiratoire (respiration rate [RR]), de la pression artérielle (blood pressure [BP]) et de l'oxymétrie pulsée est incontournable. Source : [17].

postopératoire. Ainsi, une dose de 30 mg de sulfate de morphine à LP, administrée deux heures avant une chirurgie rachidienne, permet une réduction significative de la consommation de morphine par PCA 12 et 24 heures après l'intervention chirurgicale [19]. Les effets indésirables liés aux opiacés constituent toutefois un premier facteur limitant : les morphiniques induisent notamment des nausées et des vomissements qui peuvent entraîner des conséquences délétères au moment de l'induction anesthésique ou du réveil. De plus, Chauvin a rappelé la nécessité de limiter la prémédication comprenant des morphiniques aux patients les plus algiques ou à ceux dont le traitement préopératoire comporte déjà des morphiniques, du fait d'une augmentation du risque d'hyperalgésie et de tolérance induites par les morphiniques. En effet, l'hyperalgésie et la tolérance sont des phénomènes qui apparaissent dès la période opératoire, en particulier lorsque les doses d'opioïdes sont fortes. Augmenter encore la dose de morphiniques, risque d'augmenter les risques d'hyperalgésie et donc d'accroître les scores de douleur postopératoire. Il existe des limites à l'administration orale de morphine : certains patients sont incapables d'avaler des comprimés dès la période postopératoire immédiate (nausées, vomissements, sédation, iléus, etc.) ou même aux urgences ; la seconde limite concerne la pharmacocinétique et plus spécifiquement l'absorption et la biodisponibilité qui ne dépasse pas 30 % avec la morphine à libération immédiate. Sur le plan clinique, il a été constaté qu'une administration régulière de morphine orale après arthroplastie de hanche avait le double avantage d'être une technique fiable par rapport à une analgésie conventionnelle (efficacité supérieure et effets indésirables identiques) et d'être économique (et moins douloureuse). En revanche, d'autres équipes ont des résultats plus mitigés : dans une étude récente, des patients recevaient dans la période postopératoire d'une arthroplastie de hanche, de la morphine orale à libération immédiate. Des dosages plasmatiques de morphine et de ses métabolites étaient effectués toutes les quatre heures pendant 16 heures. Ces derniers étaient comparés aux résultats d'autres dosages réalisés chez des volontaires sains. Les

Chapitre 45. Douleur postopératoire et douleur aiguë traumatique    303 auteurs ont constaté qu'il existait un retard d'absorption marqué par un délai très long d'apparition de concentrations plasmatiques et d'une ascension lente et faible vers des concentrations constamment inférieures aux concentrations minimales efficaces analgésiques [20]. Les difficultés d'absorption de la morphine sont certainement responsables du profil pharmacocinétique perturbé du morphinique, ce qui conduit les auteurs à proposer cette voie d'administration à distance de l'intervention et/ou après une anesthésie locorégionale.

Oxycodone : la pharmacocinétique comme principal atout L'oxycodone est un opioïde de palier 3 sans effet plafond à son activité antalgique, synthétisé à partir de la thébaïne, alcaloïde extrait du pavot. Il a été découvert il y a une centaine d'années en Allemagne, introduit sur le marché américain dès 1939, surtout utilisé à partir des années 1990 et encore plus tard en France. Son action antalgique est similaire qualitativement à celle de la morphine. L'effet thérapeutique est principalement analgésique, anxiolytique, antitussif et sédatif. Il agit comme agoniste des récepteurs μ et κ avec pour indication la prise en charge des douleurs chroniques d'origine cancéreuse intenses ou rebelles aux antalgiques de niveau plus faible chez l'adulte. La première spécialité pharmaceutique à avoir obtenu une AMM en France est l'Oxycontin® en 2000 (sources Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé [ANSM]). Depuis cette date, d'autres galéniques ont été mises sur le marché : gélule, solution buvable, solution injectable, comprimé orodispersible ou, dans certains pays, solution intranasale ou par voie péridurale. Administré par voie orale, le pic du chlorhydrate d'oxycodone est atteint à une heure (forme à libération immédiate) et à trois heures (forme à LP) et la durée d'efficacité est de 12 heures en cas de forme LP. Sa biodisponibilité peut atteindre 87 %. La demi-vie d'élimination est en moyenne de 4,5 heures, et l'état d'équilibre est atteint en environ 24 heures. Le rapport des doses équi-analgésiques de l'oxycodone avec la morphine doit être connu. Le ratio est de 2/1 entre la morphine et l'oxycodone orale : 10 mg de morphine orale égale 5 mg d'oxycodone par voie orale. La forme à LP d'oxycodone est deux fois plus puissante avec une biodisponibilité deux fois supérieure à celle de la morphine à LP. Quant au ratio entre l'oxycodone orale et injectable, il est de 2/1 : 10 mg d'oxycodone orale égale 5 mg d'oxycodone intraveineuse ou sous-cutanée. L'oxycodone n'a pas l'AMM pour le soulagement spécifique de la douleur postopératoire mais la HAS s'est prononcée en faveur du remboursement de cet antalgique dans les cas de douleur aiguës sévères, susceptibles donc d'intégrer les douleurs périopératoires ou les douleurs traumatiques (www.has-sante.fr). Il existe de nombreuses publications soulignant les bénéfices de cet opioïde dans cette indication. Un seul exemple, l'administration préopératoire et postopératoire d'oxycodone à LP (Oxy-LP), à raison de 20 mg toutes les 12 heures jusqu'à J2, permet de réduire la consommation postopératoire de morphine sur les 24 premières heures et entre J1 et J2 après une chirurgie lombaire de type discectomie. De plus, les scores de douleur au repos et la toux étaient améliorés pendant les 48 premières heures ainsi que l'incidence des nausées et vomissements postopératoires mais aussi le délai de reprise du transit intestinal [21–23] (encadré 45.3).

Encadré 45.3 Au total Il semble donc que la morphine orale soit utilisable en postopératoire mais à distance de la chirurgie afin d'éviter les risques de mauvaise absorption. Quant à l'oxycodone, elle a une meilleure biodisponibilité que la morphine avec peut-être une meilleure tolérance.

Anesthésie locorégionale et infiltrations tissulaires : en alternative ou en complément Bloc nerveux périphérique Quel que soit le site, il offre une analgésie toujours plus efficace que les opioïdes et doit être privilégiée à l'analgésie péridurale pour les membres inférieurs. La neurostimulation et maintenant l'échographie favorisent encore la diffusion de ces techniques. Les techniques d'anesthésies locorégionales se sont considérablement développées ces dernières années offrant avec l'abord échographique une amélioration de la précision, du confort et de la sécurité du patient. Les doses administrées sont plus faibles et les risques, liés à une administration intraveineuse ou intraneurale, réduits. L'efficacité clinique s'associe à une réduction des effets indésirables comme les nausées vomissements postopératoires. L'incidence des effets secondaires graves comme l'injection intravasculaire ou la lésion neurologique lors de la ponction est faible. En cas d'injection unique, le relais avec des techniques d'analgésie systémique doit être anticipé pour éviter l'apparition retardée et brutale d'une douleur intense. En cas de cathéter, l'autoadministration semble comme pour l'analgésie péridurale la meilleure technique associée à une faible perfusion continue. La pose d'un cathéter expose au risque d'infection du site d'injection, surtout après 48 heures, plus particulièrement sur le site du creux inguinal. Un cathéter augmente aussi le risque de lésion neurologique. En 2012, une enquête a été réalisée en préhospitalier concernant la pratique du bloc fémoral pour la traumatologie du membre inférieur. Les auteurs ont souligné le bénéfice indiscutable de cette technique avec, dans plus de la moitié des patients en bénéficiant, un soulagement total de la douleur à l'arrivée aux urgences [24]. Cette technique est d'ailleurs recommandée pour l'analgésie postopératoire après chirurgie de la fracture de l'extrémité supérieure du fémur [25].

Concernant les infiltrations par des anesthésiques locaux Elles souvent réalisées en peropératoire par les chirurgiens ou aux urgences pour la traumatologie mineure. Ces techniques ont permis d'améliorer le confort des patients dans les premières heures qui suivent l'intervention ou le traumatisme. Les formes d'anesthésiques locaux à LP (ou forme liposomales) contribueront dans l'avenir à améliorer le confort des patients en prolongeant leur analgésie dans la durée [26] (encadré 45.4).

304   Partie 5. Douleur selon le contexte

Références

Encadré 45.4 Au total L'échographie a permis d'améliorer la qualité de l'analgésie mais aussi la sécurité des patients. Les anesthésiques locaux du présent mais aussi du futur ont et auront une cinétique de plus en plus précise, permettant d'anticiper et de gérer au mieux le soulagement des patients.

Conclusion Des progrès ont été réalisés grâce aux résultats des études et aux référentiels. Si l'antalgique de référence reste la morphine, elle doit être impérativement associée à des antalgiques non morphiniques ou des agents antihyperalgésiques. Dans le premier cas, les AINS sont les médicaments les plus puissants. Dans le second cas, la kétamine permet de réduire les risques de chronicisation de la douleur. De manière générale, l'analgésie multimodale, qui consiste à associer plusieurs antalgiques ou techniques d'analgésie, est la règle d'or figure 45.2). La titration des antalgiques, dont le principe est d'administrer juste ce dont le patient a besoin, en est une autre. Enfin, l'analgésie locorégionale ou l'infiltration sont des techniques précieuses et efficaces dans l'épargne morphine et la rééducation. Ce constat général s'applique aux douleurs postopératoires et aux douleurs traumatiques. Evaluation quantitative de ta douleur par l'EVA, l'EN ou par défaut l'EVS

EVA ≥ 60 ou EN ≥ 6 ou EVS > 2

EVA < 60 ou EN < 6 ou EVS = 1−2

Paracétamol : 1 gramme IV en 15 min. ou Paliers Il ± Anti-inflammatoire non stéroïdien IV en 15 min. ± MEOPA ± Analgésie locale / locorégionale *

Ré-évaluation de la douleur***

MORPHINE : titration intraveineuse par bolus de 2 à 3 mg IVD ** ± MEOPA ± Anti-inflammatoire non stéroïdien IV en 15 min. ± Analgésie locale / locorégionale *

Ré-évaluation de la douleur toutes les 5 min.

EVA > 30 ou EN > 3 ou EVS ≥ 2

EVA £ 30 ou EN £ 3 ou EVS < 2 Et/ou Sédation excessive Et/ou Bradypnée < 10 / min. Et/ou Désaturation

Morphine en titration IV sans dose maximale : bolus de 2 à 3 mg IVD toutes les 5 min. Stop morphine Mesures symptomatiques si nécessaire ****

* Respect des contre-indications respectives de chaque molécule et/ou technique. ** Dose de charge de morphine possible sous couvert d'une présence médicale permanente et prolongée : bolus initial de 0,05 à 0,10 mg/kg IVD à adapter selon l'âge et le terrain du patient. *** Délai de ré-évaluation de la douleur en fonction du type d'antalgique administré. **** Stimulation et/ou assistance ventilatoire et/ou Naloxone IV.

Figure  45.2 Traitement antalgique en fonction de l'intensité douloureuse aux urgences. Source : Vivien B et al. 2010 [2].

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Chapitre 45. Douleur postopératoire et douleur aiguë traumatique    305 [20] Manoir BD, Bourget P, Langlois M, Szekely B, Fischler M, Chauvin M, et al. Evaluation of the pharmacokinetic profile and analgesic efficacy of oral morphine after total hip arthroplasty. Eur J Anaesthesiol 2006 ; 23 : 748–54. [21] Kampe  S, Warm  M, Kaufmann  J, Hundegger  S, Mellinghoff  H, Kiencke P. Clinical efficacy of controlled-release oxycodone 20 mg administered on a 12-h dosing schedule on the management of postoperative pain after breast surgery for cancer. Curr Med Res Opin 2004 ; 20 : 199–202. [22] Ahdieh H, Ma T, Babul N, Lee D. Efficacy of oxymorphone extended release in postsurgical pain  : a randomized clinical trial in knee arthroplasty. J Clin Pharmacol 2004 ; 44 : 767–76.

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Chapitre

46

Douleur en pratique ambulatoire Frédéric Aubrun  PLAN DU CHAPITRE Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Quatre étapes de prise en charge . . . . . . . . . . Six processus de vérification . . . . . . . . . . . . . . . Sept recommandations SFAR (référentiel 2008). . Savoir anticiper et mieux gérer l'analgésie postopératoire . . . . . . . . . . . . . . . .



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Introduction Les bénéfices de la chirurgie ambulatoire ne sont plus à démontrer et les chirurgiens ou les médecins anesthésistes qui s'opposent à cette organisation risquent d'avoir des difficultés à trouver des arguments pour soutenir la nécessité absolue de garder hospitaliser un patient opéré d'un geste simple tel qu'une arthroscopie. Sur le site du ministère, les principaux avantages signalés pour la chirurgie ambulatoire sont au nombre de cinq : la satisfaction du patient et de sa famille, la qualité et la sécurité avec une limitation de l'exposition aux infections nosocomiales, la satisfaction des personnels, l'optimisation et l'efficience de l'organisation et des ressources et la réduction des coûts. Nous sommes concernés par l'ensemble de ces points avec toutefois une préférence pour les deux premiers. Si la satisfaction des patients est un « leitmotiv », l'organisation de la chirurgie ambulatoire ne doit souffrir d'aucun déséquilibre sur le plan de la sécurité. Le chirurgien ne doit opérer un patient en ambulatoire que si la balance bénéfice/risque est favorable et l'anesthésiste ne doit prendre en charge un patient regagnant son domicile que si les conditions de sécurité et de confort sont totalement réunies. Ces deux principaux acteurs ont l'obligation de travailler en tandem, la décision de l'un de pouvant aller en sens opposé de la décision de l'autre. La douleur est bien entendu au cœur de la réflexion.

Quatre étapes de prise en charge La balance bénéfices/risques est omniprésente à chaque étape de la prise en charge du patient : l'évaluation préopératoire, la phase opératoire, la phase d'autorisation de sortie et Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Identifier les carences dans la gestion des douleurs à domicile . . . . . . . . . . . . . . . . . . Comment améliorer la relation hôpital-ville ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

le suivi des patients. La première étape consiste à sélectionner les patients éligibles à la chirurgie en ambulatoire. Des critères médicaux, chirurgicaux mais aussi psychosociaux et environnementaux existent sans oublier les caractéristiques des suites opératoires prévisibles. La douleur et sa prise en charge sont des éléments incontournables de cette sélection. Ainsi, une sélection appropriée des patients permet de limiter le risque d'hospitalisation non programmée et de réadmission en urgence. Les recommandations formalisées d'experts sur la prise en charge anesthésique des patients en chirurgie ambulatoire précisent en 2009 qu'« il est recommandé que l'éligibilité à l'ambulatoire repose sur l'analyse du bénéfice/risque pour le patient, la prévisibilité de sa prise en charge et de l'organisation mise en place, en particulier la permanence et la continuité des soins ». Il est dit également qu'« il est recommandé que la sélection des actes réalisés en ambulatoire soit fondée sur la maîtrise des risques, de la durée et de la suite de ces actes » (www.sfar.org). La prise en compte et la prise en charge de la douleur sont là encore omniprésentes et indissociables des préoccupations liées à la sécurité des patients. Des actes longs, prévus ou non par l'opérateur, peuvent générer dans les suites opératoires un inconfort et l'installation d'une douleur dès la SSPI, douleur postopératoire qui peut s'inscrire dans la durée, retarder ou interdire la sortie du patient [1].

Six processus de vérification Les acteurs impliqués dans la chirurgie ambulatoire doivent répondre à six questions : ■ 1. Quels sont les critères d'éligibilité à l'hospitalisation ambulatoire ? Si le patient souffre de douleur chronique, 307

308   Partie 5. Douleur selon le contexte











il faut se poser la question de la légitimité de lui proposer une prise en charge ambulatoire si celle-ci induit un déséquilibre de son traitement ou génère un inconfort. Le patient et sa famille ont-ils compris les enjeux ? 2. Quelles sont les modalités de l'information du patient ? À ce titre, il est dit que l'information doit être précoce, réitérée à chaque étape de la prise en charge élaborée et concertée entre les acteurs. Elle doit impérativement intégrer la notion de douleur et de gestion de cette dernière en structure de soins puis à domicile. 3. Quels sont les éléments de choix de la technique d'anesthésie et d'analgésie ? L'anesthésiste doit modifier ses pratiques en ayant toujours en mémoire que le choix de la technique d'anesthésie et d'analgésie chirurgicale doit reposer sur l'analyse du rapport bénéfice/risque pour le patient, de l'acte et de l'organisation. Le choix des techniques et des doses s'apparente à un titrage des doses et des agents en fonction des besoins : ni trop, ni trop peu afin d'éviter de retarder la récupération des patients. C'est un changement de culture de l'exercice du métier. 4. Quelles sont les modalités de la prise en charge des suites opératoires ? Trois problèmes doivent faire l'objet d'une attention particulière, la douleur postopératoire, les nausées-vomissements postopératoires et les événements thromboemboliques. 5. Quelles sont les modalités de la procédure de sortie des patients ? Il s'agit d'autoriser la sortie sans aucune concession à la sécurité mais aussi au confort du patient. Cette démarche constitue le moment clé de cette prise en charge car il n'est pas acceptable qu'un patient souffrant d'une douleur persistante après son geste, soit invité à quitter la structure sous peine de le voir revenir dans les heures qui suivent. 6. Enfin, la coordination entre les acteurs et la continuité des soins constituent le socle de toute cette organisation. Identifier, hiérarchiser et maîtriser les risques dans une démarche globale d'amélioration de la qualité des soins doit être le dénominateur commun de l'ensemble des acteurs de soins impliqués dans la chirurgie ambulatoire. Cette prise en charge intègre les acteurs de premier recours (et le médecin traitant en particulier) qui doivent comprendre la stratégie analgésique pour prendre le relais des acteurs de soins en charge de l'ambulatoire.

Sept recommandations SFAR (référentiel 2008) ■ Il est recommandé que les établissements ayant une activité chirurgicale ambulatoire développent une stratégie spécifique de l'évaluation et du traitement de la DPO à domicile. Les protocoles de lutte contre la douleur postopératoire doivent être évalués de manière régulière et pluridisciplinaire. ■ Il est recommandé, pour les patients devant subir une intervention en ambulatoire, que les éléments prédictifs de la douleur postopératoire et de la tolérance aux analgésiques prescrits à domicile soient appréciés et que les modalités de l'analgésie orale soient expliquées dès la consultation spécialisée préopératoire (chirurgie, anesthésie).

■ Il est recommandé que les ordonnances d'antalgiques soient remises au patient dès la consultation de chirurgie ou d'anesthésie. Ces ordonnances d'antalgiques doivent préciser les horaires de prise d'antalgiques systématique et les conditions de recours aux antalgiques de niveau plus élevé si nécessaire. ■ Il est recommandé pour les patients bénéficiant d'une prise en charge de la douleur postopératoire à domicile par voie locorégionale que le médecin traitant en soit informé par avance et prévenu de la sortie du patient de la structure hospitalière. ■ Il est recommandé, lorsque l'indication opératoire s'y prête, d'utiliser les infiltrations et les blocs périphériques en injection unique pour la chirurgie ambulatoire. La sortie du patient, malgré l'absence de levée du bloc, est possible si une analgésie de secours, le port d'attelles, une information écrite aux patients, une assistance à domicile et des procédures précises d'appel ont été prévus. ■ Il est recommandé, lorsque des cathéters périnerveux sont envisagés pour traiter la douleur postopératoire à domicile, que ces dispositifs soient réservés aux interventions dont la douleur postopératoire est totalement, ou dans sa plus grande partie, couverte par le bloc périnerveux. ■ Il est recommandé lorsque des cathéters périphériques sont utilisés pour traiter la douleur postopératoire à domicile qu'un contact téléphonique quotidien soit réalisé [2].

Savoir anticiper et mieux gérer l'analgésie postopératoire L'anticipation consiste, outre l'information, à délivrer donc aux patients une ordonnance d'antalgiques dès la consultation d'anesthésie et la validation de sa prise en charge ambulatoire. Cette disposition permet de sensibiliser les patients au risque de souffrance à domicile mais aussi d'acheter les antalgiques avant l'intervention et de les avoir à disposition dès le retour à domicile. La prescription anticipée d'antalgiques morphiniques est parfois nécessaire pour certaines chirurgies et pose le problème de la validité de trois jours de ces ordonnances et de la constitution de stocks de morphiniques à domicile. Au-delà des médicaments, il s'agit d'une véritable démarche éducative avec les conseils adaptés à chaque chirurgie comme le refroidissement par la glace après chirurgie du membre inférieur ou la manipulation des béquilles. Une des premières causes de réhospitalisation des patients opérés en chirurgie ambulatoire est liée à la douleur [3, 4]. Parmi les autres facteurs, on note les nausées et/ou vomissements postopératoires mais également la somnolence excessive. En 2002, Coley et al. analysent les causes d'admission non prévue et de réadmission avec leurs coûts après chirurgie ambulatoire. Dans cette étude, près de 6 % des patients sont réadmis dont 38 % pour cause de douleur, soit la première cause relevée [5]. En France, il existe peu de données en dehors de quelques travaux rétrospectifs et d'une enquête sur le point de vue des médecins généralistes sur la gestion

Chapitre 46. Douleur en pratique ambulatoire    309 de la douleur postopératoire à domicile en chirurgie ambulatoire. Ainsi, il est retrouvé dans ce travail [6] qu'il existe une insatisfaction des médecins généralistes liée à l'inefficacité des protocoles d'analgésie, la communication limitée entre les médecins généralistes et l'équipe ambulatoire, la difficulté d'avoir un référent en ambulatoire, l'absence de formation des médecins généralistes et le manque d'information des patients. Enfin, la douleur aiguë postopératoire peut faire le lit de la douleur chronique post-chirurgicale rebelle, situation jusqu'alors peu évaluée en pratique ambulatoire. Le décret n° 2012-969 du 20 août 2012 précise dans son article 3 que, lors de la prise en charge (…), l'organisation, la préparation et la mise en œuvre optimale des protocoles de soins intègrent la prise en charge de la douleur. Concernant le bulletin de sortie : « ce bulletin, signé par l'un des médecins de la structure, mentionne l'identité des personnels médicaux ayant participé à l'intervention, les recommandations sur les conduites à tenir en matière de surveillance postopératoire ou anesthésique, concernant en particulier la prise en charge de la douleur et les coordonnées des personnels de l'établissement de santé assurant la continuité des soins ». La notion de la prise en charge de la douleur en amont et en aval du geste est donc nouvelle dans ce texte de loi modifié. Des recommandations proposées notamment par la SFAR existent déjà depuis plus de trois ans à ce sujet. Il est ainsi fortement conseillé de mettre en place une stratégie multimodale de prise en charge de la douleur au lieu de résidence. L'évaluation des facteurs prédictifs de la douleur postopératoire et de la tolérance aux analgésiques prescrits à domicile est réalisée en amont. Les modalités de prise des antalgiques par voie orale sont expliquées au patient dès la consultation de chirurgie ou d'anesthésie. Le patient est invité à respecter les horaires de prise médicamenteuse et les conditions de recours aux antalgiques de niveau plus élevé si c'est nécessaire. Ces informations ainsi que l'ordonnance d'antalgiques sont intégrées au passeport ambulatoire qui constitue un recueil d'informations diverses, utiles au patient au bon déroulement de son passage en établissement de soins.

Identifier les carences dans la gestion des douleurs à domicile Outre les retours de médecins généralistes sur les défaillances dans la communication des protocoles d'analgésie élaborés par les équipes hospitalières, de nombreux travaux soulignent les carences dans la prise en charge des patients après chirurgie ambulatoire. Ainsi, 62 % des patients opérés d'une hernie inguinale (chirurgie à douleur modérée prédictive), 41 % de patients opérés d'une chirurgie orthopédique se plaignent de douleurs modérées à sévères à leur retour à domicile [7, 8]. Certaines équipent proposent donc l'administration de morphiniques de palier 3 à domicile, dans le cadre d'une analgésie multimodale et en « traitement de secours ». Peu de patients acceptent toutefois de prendre ce traitement par peur probablement des effets indésirables. L'inconvénient parfois souligné par les patients bénéficiant des techniques d'anesthésie locorégionale ou

d'infiltration est la difficulté du relais analgésique. En effet, les anesthésiques locaux permettent de supprimer l'influx nociceptif mais ont une durée d'efficacité limitée dans le temps et donc un relais par des antalgiques de complément doit être réalisé. La recherche se tourne vers deux types d'anesthésiques locaux  : les premiers, en partie disponibles sur le marché, permettent de réduire la durée des blocs moteurs et sensitifs et sont par conséquent indiqués pour les actes chirurgicaux de courte durée, pratiqués par exemple en ambulatoire. Un exemple : l'arthroscopie de genou ne dure que quelques dizaines de minutes et ne nécessitent donc pas une anesthésie périmédullaire trop longue, de manière à ce que le patient soit rapidement mobilisable, permettant son retour précoce à domicile. La chloroprocaïne, administré à 40 mg, permet par exemple de limiter l'anesthésie rachidienne pour un geste chirurgicale ne dépassant pas 40 minutes. L'autre piste consiste à encapsuler les agents anesthésiques locaux dans des membranes lipidiques. Une fois administrés, les anesthésiques locaux sont libérés progressivement, ce qui permet d'entretenir l'anesthésie, qu'elle soit périmédullaire ou périnerveuse. L'anesthésie locorégionale s'inscrit par conséquent dans la durée et assure un relais efficace à une anesthésie/analgésie chirurgicale. Le patient est confortable pendant plusieurs jours en toute sécurité. Malheureusement, cet agent n'existe que dans le cadre de la recherche non clinique mais devrait voir le jour dans les années à venir.

Comment améliorer la relation hôpital-ville ? Le développement de la chirurgie ambulatoire ne pourra pas se faire sans la participation de tous les acteurs de soins, en structure hospitalière ou en clinique mais aussi en ville. Le constat des médecins généralistes dans l'étude précédemment citée est sans appel et implique un changement profond de paradigme avec la communication des protocoles d'analgésie à tous les intervenants. Les médecins généralistes, les infirmiers, les kinésithérapeutes doivent savoir ce que le patient a subi et les risques de douleur, que ce soit au repos ou en condition dynamique. Le patient qui quitte la structure doit connaître sa technique d'analgésie, surtout si celle-ci a été locorégionale ou par infiltration. Il doit être informé sur les suites opératoires et communiquer avec ses correspondants en ville, médicaux et paramédicaux ses plaintes éventuelles. Cette démarche globale est grandement facilitée par la participation d'une infirmière de coordination, dont la mission est d'accompagner le patient dans les démarches mais aussi d'assurer la jonction avec les équipes extrahospitalières. Développer l'ambulatoire implique également d'améliorer les stratégies d'analgésie en ville, intégrant l'anesthésie locorégionale. Pour que celle-ci s'inscrive dans la durée à domicile, il faut banaliser le cathétérisme et assurer ainsi un lien avec les réseaux de soins infirmiers qui vont pouvoir poursuivre les injections d'anesthésiques locaux dans les dispositifs élastomériques ou les pompes d'analgésie autocontrôlée.

310   Partie 5. Douleur selon le contexte

Conclusion

Références

Le médecin anesthésiste réanimateur en charge de patients relevant de la chirurgie ambulatoire, est confronté à la nécessité d'une analyse permanente de la balance bénéfices/ risques, ceci à toutes les étapes de la gestion du patient. Cette démarche concerne en particulier la douleur. L'information du patient, l'évaluation, l'organisation, la communication, la prévention sont des mots-clés qu'il faut appliquer pour une prise en charge rationnelle et sans risque du patient. Si la tendance est à l'augmentation du taux de chirurgies réalisées en ambulatoire (pour atteindre 66 % dans les années qui viennent), elle ne doit en rien sacrifier notre obsession à tous, la sécurité et le confort des patients. Il est indispensable de savoir « qui fait quoi » dans la gestion périopératoire du patient, en particulier pour autoriser sa sortie et assurer une analgésie de qualité domicile. La communication reste le dénominateur commun et la traçabilité un moyen de se protéger. Parmi les risques à prévenir, celui de la douleur à domicile est essentiel car il peut entraîner non seulement une insatisfaction mais également des conséquences plus classiques d'une douleur postopératoire persistante : troubles (ou aggravation de ces troubles) des fonctions supérieures, complications cardiovasculaires ou encore chronicisation.

[1] Référentiel SFAR. Prise en charge anesthésiques des patients en hospitalisation ambulatoire, www.sfar.org/référentiels ; 2009. [2] Expert panel guidelines (2008). Postoperative pain management in adults and children. SFAR Committees on Pain and Local Regional Anaesthesia and on Standards. SFAR Committees on Pain and Local Regional Anaesthesia and on Standards. Ann Fr Anesth Reanim 2009 ; 28 : 403–9. [3] Chung F, Mezei G. Factors contributing to a prolonged stay after ambulatory surgery. Anesth Analg 1999 ; 89 : 1352–9. [4] Chung F, Mezei G. Adverse outcomes in ambulatory anesthesia. Can J Anaesth 1999 ; 46(5 Pt 2) : R18–34. [5] Coley KC, Williams BA, DaPos SV, Chen C, Smith RB. Retrospective evaluation of unanticipated admissions and readmissions after same day surgery and associated costs. J Clin Anesth 2002 ; 14 : 349–53. [6] Robaux S, Bouaziz H, Cornet C, Boivin JM, Lefèvre N, Laxenaire MC. Acute postoperative pain management at home after ambulatory surgery : a French pilot survey of general practitioners' views. Anesth Analg 2002 ; 95 : 1258–62. [7] Beauregard L, Pomp A, Choinière M. Severity and impact of pain after day-surgery. Can J Anaesth 1998 ; 45 : 304–11. [8] Ausems ME, Hulsewé KW, Hooymans PM, Hoofwijk AG. Postoperative analgesia requirements at home after inguinal hernia repair : effects of wound infiltration on postoperative pain. Anaesthesia 2007 ; 62 : 325–31.

Chapitre

47

Douleurs aiguës médicales et urgences Michel Olivier, Nathalie Lecoules  PLAN DU CHAPITRE Douleurs thoraciques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Douleurs d'origine pariétale . . . . . . . . . . . . . . Autres étiologies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Douleurs abdominales . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



311 313 313 313

En France, 7,6 millions de patients arrivent chaque année aux urgences avec des douleurs. La prévalence de la douleur aux urgences est évaluée entre 60 et 78 % dont 54 % de douleurs intenses. Les pathologies médicales représentent environ 40 % de ces douleurs. La douleur est le symptôme principal dans 85 % des cas [1], sans oublier les soins, potentiellement inducteurs de douleur supplémentaire chez 47 % des patients. En dépit de ce constat, 60 % des patients douloureux ne reçoivent pas d'analgésie ou sont traités après un délai non acceptable. Ce retard d'analgésie est lié en particulier à la taille des services d'urgence (nombre important d'entrées). Il est plus fréquent chez les personnes âgées et chez les patients présentant des douleurs modérées à l'entrée. Si la douleur aiguë est un signal d'alerte d'une agression utile, elle est rapidement délétère : consommation d'oxygène augmentée, réduction de volumes ventilatoires, agitation dangereuse ou, à l'inverse, réduction de mobilité favorisant la thrombose, iléus paralytique, syndrome inflammatoire réactionnel local et systémique, déséquilibres endocriniens (hyperglycémie en particulier) et hydroélectrolytiques, retentissement psychologique. La douleur aiguë persistante est, de plus, facteur d'hyperalgésie et sa mémorisation fait le lit de la douleur chronique. Une analgésie efficace répondra donc autant à un réel besoin médical qu'à des motivations humanitaires. La douleur qui amène le patient à consulter en urgence a souvent un caractère brutal et inattendu et peut entraîner des réactions inappropriées (agressivité). La peur du diagnostic, la perte d'autonomie et potentiellement de revenus (arrêt de travail) y contribuent. L'équipe soignante, en dépit d'une activité soutenue, doit faire preuve de beaucoup d'empathie et de compréhension [2]. Après une évaluation globale, quantitative et qualitative, une prise en charge antalgique efficace s'appuiera sur trois Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Céphalées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Colique néphrétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Crise douloureuse drépanocytaire . . . . . . . . . .

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principes : traiter vite, bien et toutes les douleurs, quelle que soit leur composante (nociceptive, neuropathique, mixte, avec ou sans renforcement psychologique), ou leur localisation (abdominale en particulier), au repos et à la mobilisation (si possible). L'analgésie sera multimodale (paracétamol, AINS, opioïdes, lidocaïne, etc.), symptomatique et/ou étiologique et fera appel, selon les circonstances à la pharmacopée orale, transmuqueuse, transbuccale, injectable, inhalatoire (MEOPA, méthoxyflurane), mais également aux techniques non médicamenteuses (froid, chaud, relaxation, hypnose, etc.) [3]. La composante anti-hyperalgésique sera potentiellement prise en compte (kétamine, néfopam). Il n'est pas possible de traiter ici toutes les douleurs médicales motivant un passage aux urgences, nous avons donc choisi de cibler les plus fréquentes.

Douleurs thoraciques Les douleurs thoraciques, 5 % des consultations en urgence, ont une multitude d'étiologies et de symptomatologies qui compliquent le diagnostic et le choix d'un traitement antalgique adapté. Par exemple, 40 % des patients ayant un IDM ont une douleur atypique alors que 35 % des patients sans IDM ont une douleur typique [4]. Outre l'IDM, nous retrouvons les maladies œsophagiennes (42 %), la maladie coronaire (31 %), les douleurs pariétales (28 %) et, plus rarement, les péricardites, les douleurs pleuropulmonaires, l'embolie pulmonaire, le cancer du poumon et l'anévrisme aortique (de 4 à 1 %). En présence d'une douleur thoracique, le pronostic vital peut être engagé ou non et nécessiter un traitement urgent ou pas. Éliminer en première intention une étiologie coronarienne s'impose en raison de la sévérité du pronostic et de l'urgence d'un traitement de revascularisation. 311

312   Partie 5. Douleur selon le contexte Tous les plans anatomiques du thorax peuvent induire une douleur par excès de nociception ischémique ou inflammatoire, par stimulation mécanique suite à une fracture ou par distension viscérale. Les fibres somatiques et viscérales produisent des douleurs différentes. Les fibres somatiques de la paroi (derme, muscles, os et plèvre viscérale), en raison d'une organisation métamérique se projettent sur une zone correspondante du cortex et la douleur est localisée précisément. À l'inverse, les fibres viscérales (cœur, vaisseaux, œsophage, poumon et plèvre viscérale) convergent vers la corne dorsale de la moelle, sur plusieurs étages, se croisant. Elles rejoignent des fibres somatiques venant de plusieurs niveaux (convergence viscéro-somatique), puis rejoignent les structures supraspinales et le cortex. En conséquence, il n'existe pas de somatotopie topographique viscérale au niveau du cortex. Cela permet de comprendre qu'une douleur coronarienne puisse être ressentie au niveau du cou, de la mâchoire ou vers le ou les membres supérieurs (douleur projetée ou référée) alors que la projection métamérique médullaire du cœur est située de C8 à T5. La douleur pariétale médiée par les nerfs intercostaux est souvent superficielle, précise, bien localisée à l'endroit de la pathologie. La douleur viscérale, régie par le système nerveux autonome (nerf pneumogastrique ou vague) est beaucoup plus complexe et parfois trompeuse. Elle est généralement diffuse, profonde, mal localisée, pouvant irradier vers des territoires cutanés éloignés. Son intensité n'est pas toujours proportionnelle à la gravité de la pathologie. Lors d'un phénomène ischémique par exemple, les stimuli sont souvent multiples (distension d'un organe creux, inflammation des séreuses en particulier, spasme, libération de substances algogènes). De plus, des facteurs extrinsèques d'ordre psychologique, culturel, pharmacologique ou physiologique peuvent modifier la perception et l'expression de la douleur. Les caractéristiques de la douleur, leur localisation, leur irradiation et leur durée permettent une orientation diagnostique [4] : ■ constrictive (oppression, serrement, étranglement, poids) : en faveur d'une origine coronarienne. C'est une douleur profonde. Elle n'est pas pour autant spécifique et se retrouve dans la péricardite et les pathologies œsophagiennes (pseudo-angineuse) ; ■ pleurétique : latéralisée, souvent intense et brutale, bloquant la respiration, irradiant vers l'épaule homolatérale et le cou. Elle évoque une origine pleuropulmonaire, une embolie pulmonaire ou une pneumopathie ; ■ pariétale : exacerbée à la toux, à l'inspiration profonde et par la palpation ostéoarticulaire. Elle a peu de valeur chez la personne âgée car très fréquente et d'origines multiples. Ce type de douleur peut également se rencontrer dans le syndrome coronarien aigu (SCA) et l'embolie pulmonaire ; ■ atypique : à type de piqûres, pincements, écrasements, coups de poignard, pointes, brûlures, douleur lancinante. Peu spécifique, elle se rencontre toutefois dans 22 % des SCA. Ainsi, 80 % des douleurs œsophagiennes sont lancinantes, une brûlure est décrite dans la péricardite et un coup de poignard peut évoquer une dissection aortique.

La localisation : ■ rétrosternale : élective des douleurs cardiaques et œsophagiennes, retrouvée dans 61  % des dissections aortiques et seulement 4 à 12 % des embolies ; ■ précordiale : moins spécifique en dehors de la péricardite. Peut évoquer toutes les étiologies, à l'exception des pathologies œsophagiennes ; ■ latérale  : évoque un problème pleuropulmonaire ou pariétal. ■ dorsale : fréquente dans les dissections aortiques (53 %), peu spécifique, peut être d'origine pleuropulmonaire, vasculaire ou pariétale. L'irradiation : ■ latérale, vers le bras gauche : est l'apanage d'une douleur cardiaque ; ■ cervicale  : évoque une origine œsophagienne ou péricardique ; ■ à l'épaule droite ou gauche : d'origine pleuropulmonaire ou péricardique ; ■ dorsale : d'origine œsophagienne, dissection aortique ou pancréatite. La durée : ■ une douleur d'une à trois minutes évoque un angor. Si la douleur se prolonge plus de 20 à 30 minutes et persiste, elle oriente vers un SCA. Dans l'IDM, la douleur persiste habituellement au-delà de 30 minutes. Une douleur lancinante durant plusieurs heures évoque une origine œsophagienne. Une douleur très brève ou persistant plusieurs jours sans évolution n'est a priori pas coronarienne. Autres éléments spécifiques : ■ le lien à l'effort est en faveur d'une origine angineuse. En revanche, le soulagement par le repos n'est pas pathognomonique d'une origine coronaire ; ■ la trinitrine soulage 62  % des douleurs cardiaques et 56 % des douleurs œsophagiennes, parallèlement, un test diagnostique aux antiacides améliore les symptômes des pathologies cardiaques aussi bien qu'œsophagiennes ; ■ le caractère positionnel évoque une péricardite et surtout un reflux gastro-œsophagien (RGO) ; ■ la majorité des SCA surviennent entre 6 h 00 et midi et la probabilité qu'une douleur thoracique soit due à un SCA est exponentiellement liée à l'âge : de 7 % entre 25 et 30 ans, 56 % entre 60 et 69 ans, à 71 % après 80 ans ; ■ l'analgésie des douleurs thoraciques, quant à elle, s'appuie à la fois sur un traitement étiologique et sur une analgésie symptomatique [5] ; ■ il n'est pas dans notre propos de développer de manière exhaustive la prise en charge diagnostique (électrocardiogramme [ECG] en première intention) et thérapeutique de toutes les douleurs thoraciques. Nous avons ciblé les plus fréquentes.

SCA Traitement étiologique : il contribue grandement au soulagement du patient, favorisant la reperfusion et réduisant l'ischémie douloureuse. ■ Fibrinolyse ou angioplastie primaire  : si le début des symptômes est inférieur à trois heures, l'angioplastie primaire (si le patient peut en bénéficier dans un délai

Chapitre 47. Douleurs aiguës médicales et urgences    313 inférieur à deux heures) sera proposée aussi bien que la fibrinolyse. Si le délai depuis le début des symptômes est compris entre 3 et 12 heures, l'angioplastie primaire est privilégiée. Toute arythmie ou état de choc sera traité parallèlement. Après fibrinolyse, le patient sera dirigé vers un centre disposant d'une salle de coronarographie diagnostique et interventionnelle. La prise en charge sera complétée par : – double anti-agrégation plaquettaire : acide acétylsalicylique et inhibiteur des P2Y12 ; – anticoagulation  : énoxaparine ou héparine non fractionnée. Traitement symptomatique : le traitement de choix est la morphine intraveineuse en titration.

■ Les douleurs musculaires : touchent les muscles intercostaux, pectoraux et de la ceinture scapulaire : myosite infectieuse, parasitaire ou immunologique. ■ Les douleurs d'origine neurologique : névralgie intercostale, syndrome de Cyriax (subluxation douloureuse de l'extrémité antérieure des 8e, 9e et 10e côtes qui comprime le nerf intercostal, exacerbée par la manœuvre de crochetage3), névralgie phrénique augmentée par une pression cervicale entre les chefs du sterno-cléido-mastoïdien, le froid, la déglutition et, parfois, associée à un hoquet. Ces différentes pathologies douloureuses pariétales d'origine mécanique ou inflammatoire répondent aux différents antalgiques et AINS, si besoin aux infiltrations associant lidocaïne et corticoïdes retard et, pour certaines, à des techniques manuelles.

Embolie pulmonaire

Autres étiologies

Si la probabilité clinique est moyenne ou forte, les anticoagulants injectables ou oraux sont recommandés. L'analgésie sera symptomatique et adaptée à l'intensité de la douleur.

■ Dans la dissection aortique thoracique, urgence vitale, la douleur est brutale, intense, rétrosternale, irradiant dans le dos et la région lombaire (90 %), impose dans un premier temps une analgésie morphinique efficace associée au traitement de l'HTA. ■ La douleur œsophagienne de RGO bénéficie d'un IPP. ■ La douleur de rupture spontanée de l'œsophage (syndrome de Boerhaave) est basithoracique gauche ou épigastrique, intense associée à des vomissements, une odynophagie et des signes de choc. Elle impose une analgésie morphinique. ■ Le traitement antalgique des pneumopathies est adapté à l'intensité de la douleur. ■ La névralgie intercostale du zona en phase aiguë est traitée par une analgésie multimodale : paracétamol, AINS, opioïdes faibles ou forts, considérer également les corticoïdes per os et associer un traitement antiviral. ■ Face à des troubles anxieux associés à la douleur, une anxiolyse verbale et éventuellement médicamenteuse peut être utile. ■ Le diagnostic de douleurs atypiques d'origine psychologique n'est qu'un diagnostic d'élimination après une analyse étiologique poussée. La gestion des facteurs favorisants est indispensable.

Pneumothorax Un pneumothorax sous tension impose avant drainage, au plus vite, une exsufflation à l'aiguille insérée au niveau du 2e espace intercostal antérieur sur la ligne médio-claviculaire. L'analgésie est symptomatique et adaptée à l'intensité de la douleur. Le drainage thoracique est un geste douloureux et nécessite une analgésie multimodale s'appuyant sur les opioïdes intraveineux. Si le MEOPA est contre-indiqué en phase diagnostique (risque d'aggravation de la pression gazeuse), il peut être utilisé lors de la réalisation du geste.

Péricardite Le traitement antalgique est symptomatique, il peut s'appuyer sur les AINS. Un drainage péricardique peut être indiqué et imposer une analgésie opioïde.

Douleurs d'origine pariétale Nous retrouvons de nombreuses étiologies : ■ Les douleurs osseuses d'origine médicale : fracture spontanée ostéoporotique, myélome, néoplasie secondaire. ■ Les douleurs articulaires : l'entorse costale qui intéresse principalement les articulations postérieures chez le sujet jeune et répond à la manœuvre de la côte2, le syndrome de Tietze (inflammation du cartilage costo-sternal des 2e et 3e côtes, localisée à proximité du sternum), le syndrome de synovite, acné, pustulose, hyperostose, ostéite (SAPHO) avec tuméfactions douloureuses des articulations sternoclaviculaire, sternocostale, manubriosternale mais aussi sacro-iliaque et rachidienne. La manœuvre de la côte : le patient est assis, bras relevé du côté douloureux, main sur la tête. Le médecin, placé derrière lui, fait faire une latéroflexion du tronc controlatérale à la douleur et accroche, dans un premier temps, le bord supérieur de la côte douloureuse en tirant vers le bas puis le bord inférieur, tirant vers le haut. L'un des deux mouvements est douloureux. Le mouvement s'accompagne souvent d'un ressaut ou d'un craquement à l'origine d'un soulagement immédiat [4].

2

Douleurs abdominales C'est un motif de recours fréquent aux urgences autant chez l'enfant que chez l'adulte (4 à 8 %). On distingue trois types de douleurs abdominales [6] : ■ les douleurs viscérales, liées à la pression, l'étirement ou l'ischémie d'un viscère, plutôt sourdes, persistantes, dans les régions médianes de l'abdomen ou imprécises en raison du chevauchement des terminaisons nerveuses des organes (bilatérales). Les douleurs du foie, du pancréas, des voies biliaires, de l'estomac et du grêle proximal sont plutôt épigastriques, celles du grêle distal, de l'appendice et du côlon ascendant sont péri-ombilicales et celles du côlon gauche, des voies urinaires et du pelvis sus-pubiennes. La manœuvre du crochetage : les doigts en crochets sous le rebord costal exercent une pression vers le haut comprimant le nerf intercostal, reproduisant une douleur élective. En controlatéral, le test est négatif [4] ;

3

314   Partie 5. Douleur selon le contexte ■ les douleurs somatiques sont en revanche bien localisées, plus latéralisées et intenses. Elles résultent d'une stimulation nociceptive du péritoine pariétal, des muscles ou de la peau, mais aussi provoquées par une inflammation d'un organe intra-abdominal ; ■ les douleurs projetées, provenant d'un organe extraabdominal peuvent être vives, intenses, localisées ou, au contraire, vagues. Ces trois types de douleurs sont modifiés en fonction de facteurs psychologiques ou environnementaux et certaines douleurs fonctionnelles peuvent être plus intenses que des douleurs organiques. Chez l'enfant, on peut toutefois retenir que, plus la douleur est latéralisée, plus son étiologie organique est probable. Autant que l'intensité, le siège de la douleur abdominale oriente le diagnostic [7] : ■ épigastre  : gastrite, ulcère gastrique ou duodénal, pancréatite ; ■ hypochondre droit ou épigastre : douleur biliaire simple ou cholécystite, migration de calcul ; ■ région péri-ombilicale : pancréatite (lithiasique ou alcoolique), appendicite débutante ; ■ fosse iliaque droite : appendicite ; ■ région hypogastrique : pathologies gynécologiques ; ■ fosse iliaque gauche : diverticulite. Quelques particularités toutefois : ■ bien que la vésicule soit située dans l'hypochondre droit, les douleurs siègent souvent dans l'épigastre ; ■ une cholécystite aiguë doit être suspectée si la douleur dure plus de six heures, s'accompagne d'un état fébrile (voire d'un choc septique), du signe de Murphy (douleur référée sur la ligne mamelonnaire droite, au niveau de la 8e côte) ; ■ une irritation sous-diaphragmatique quelle qu'en soit la cause (rupture de rate, lésion hépatique, abcès sousphrénique, etc.) entraîne une douleur projetée à l'épaule homolatérale à la douleur scapulaire (signe de Kehr) ; ■ une douleur abdominale initialement péri-ombilicale et migrant secondairement en fosse iliaque droite, associée à un état sub-fébrile est suspecte d'appendicite. Le classique point de Mac Burney (douleur référée) est situé à mi-distance entre l'épine iliaque antéro-supérieure et l'ombilic et se recherche par un piquer/toucher ou un roulé cutané et non par appui profond sur la paroi abdominale qui, lui, révèle une irritation péritonéale ; ■ une occlusion mécanique du tube digestif (bride, tumeur) s'accompagne de douleur abdominale et souvent de vomissements et d'iléus. L'examen des orifices herniaires recherche une hernie étranglée ; ■ une hémorragie intrapéritonéale (recherchée à la functional assessment screening tool [FAST] écho) avec état de choc et douleur abdominale doit faire évoquer la rupture d'anévrisme de l'aorte abdominale ou une grossesse extra-utérine, moins fréquemment un kyste ovarien hémorragique, la rupture de tumeur hépatique sous-­ capsulaire ou rupture de rate en deux temps ; ■ douleur abdominale et choc septique évoquent une péritonite par perforation digestive. La douleur est souvent de début brutal, de localisation assez précise puis évolue vers une péritonite localisée puis généralisée et s'accompagne de contracture abdominale (ventre de bois), d'iléus et de douleur au moindre ébranlement ;

■ l'infarctus mésentérique, survient chez un patient ayant des facteurs de risque cardiovasculaires et se traduit classiquement par une douleur abdominale très intense avec initialement un abdomen souple ; ■ des pathologies non urgentes responsables de douleurs abdominales peuvent amener le patient à consulter  : adénite mésentérique fréquente chez l'enfant et l'adulte jeune accompagnée souvent d'infection virale des voies aériennes supérieures, gastroentérite et iléite infectieuse souvent accompagnées de diarrhées, douleur aiguë de milieu de cycle, kyste ovarien fonctionnel, coprostase, troubles fonctionnels intestinaux (dyspepsie, colopathie fonctionnelle). Des affections extra-abdominales peuvent se manifester par des douleurs abdominales et sont des pièges diagnostiques classiques : ■ thorax : SCA, dissection de l'aorte, pneumonie ; ■ rétropéritoine : affections urologiques (lithiase, infection, ischémie), anévrisme de l'aorte abdominale (douleur lombaire) ; ■ organes pelviens, scrotum : globe vésical, prostatite, torsion testiculaire, épididymite ; ■ paroi abdominale : zona, hématome pariétal (du muscle grand droit chez le patient anticoagulé) ; ■ métabolique  : décompensation diabétique acidocétosique ; ■ crise drépanocytaire : développée par ailleurs ; ■ maladie rares, etc. En matière d'analgésie, retenons quelques principes forts : ■ l'analgésie peut modifier l'examen clinique, mais ne crée pas d'erreur de management chirurgical. En effet, après l'anamnèse, l'établissement du diagnostic s'appuie grandement sur l'imagerie (scanner, échographie) et la biologie ; ■ les antalgiques ne modifient pas l'histoire relatée par le patient ; ■ l'analgésie améliore le confort et facilite l'examen clinique ; ■ plus le traitement antalgique est rapide, plus il est efficace. En conséquence, il faut utiliser l'arsenal analgésique médicamenteux (y compris les morphiniques) et non médicamenteux (en particulier le froid dans les pathologies inflammatoires) pour être rapidement efficace. L'accompagnement psychologique est également important dans les douleurs abdominales particulièrement anxiogènes. Quelques restrictions d'emploi toutefois : le MEOPA est contre-indiqué dans les syndromes occlusifs (distension gazeuse), les AINS ne seront pas utilisés dans les pathologies œsophagiennes, gastroduodénales, infectieuses et en présence d'une insuffisance rénale et pendant les 1er et 3e trimestres de la grossesse. Quant au phloroglucinol, largement utilisé, son mécanisme antispasmodique reste à démontrer.

Céphalées Les céphalées sont un motif fréquent de consultation aux urgences. Le chapitre 25 de cet ouvrage traitant ce sujet, nous n'insisterons que sur les principales étiologies de céphalées récentes rencontrées aux urgences.

Chapitre 47. Douleurs aiguës médicales et urgences    315

Céphalées brutales ■ Hémorragie sous-arachnoïdienne et autres causes vasculaires (hémorragies ou infarctus cérébraux ou cérébelleux, dissection des artères cervicales et cérébrales, thrombose veineuse cérébrale, etc.). ■ Encéphalopathie hypertensive et éclampsie. ■ Glaucome aigu.

Céphalées le plus souvent progressives ■ Hypertension intracrânienne. ■ Méningo-encéphalite. ■ Hypotension du liquide cérébrospinal. ■ Tumeur ■ Rhinosinusite aiguë. Les caractéristiques des céphalées (début, caractère inhabituel ou positionnel, localisation, évolution) peuvent orienter le diagnostic. L'examen clinique recherche des signes associés : une fièvre, une HTA, un trouble de la vigilance, un syndrome méningé, un œdème papillaire au fond d'œil, des signes neurologiques, etc. La recherche étiologique est complétée, en fonction, par biologie, scanner et angioscanner, imagerie par résonance magnétique (IRM), échodoppler et ponction lombaire (biochimie, cytologie, bactériologie). Le traitement antalgique est symptomatique dans un premier temps et adapté à l'intensité douloureuse et à l'hypothèse diagnostique (pas d'AINS en cas de suspicion d'infection).

Colique néphrétique La colique néphrétique est un syndrome douloureux aigu lombo-abdominal. C'est une urgence médico-chirurgicale. En France, la colique néphrétique représente environ 1 à 2 % des entrées dans les services d'urgence. Dans 75 à 80 % des cas, elle est d'origine lithiasique. Le mécanisme essentiel de la colique néphrétique est une dilatation des voies excrétrices en amont d'un obstacle. En réponse, la médullaire rénale sécrète la prostaglandine E2 qui augmente le flux sanguin rénal afin de maintenir le débit de filtration glomérulaire, entretenant l'augmentation de la pression intrarénale. La distension du haut appareil urinaire va stimuler les fibres musculaires lisses urétérales responsables de la production d'acide lactique stimulant les fibres nociceptives. L'ensemble de ces mécanismes aboutit à une violente douleur [8]. La clinique est variable selon que la colique néphrétique est simple ou compliquée.

Colique néphrétique simple La douleur est brutale, paroxystique, unilatérale lombaire ou lombo-abdominale, avec irradiation antérieure descendante vers les organes génitaux externes (douleur projetée). Il n'existe pas de position antalgique. Il peut cependant y avoir des phases de rémission spontanée. Des signes d'accompagnement sont fréquents : nausées, vomissements, iléus en raison d'une irritation péritonéale. Des signes urinaires peuvent coexister : pollakiurie, douleur vésicale, hématurie le plus souvent microscopique (bandelette urinaire). L'état général est conservé et il n'existe ni

fièvre ni oligoanurie. L'examen clinique est relativement pauvre comparé à la symptomatologie bruyante (abdomen souple, fosse lombaire sensible à la palpation et douloureuse à la percussion, touchers pelviens normaux).

Coliques néphrétiques compliquées Rares, elles surviennent sur un terrain particulier (grossesse, insuffisance rénale chronique, rein unique ou transplanté, uropathie connue). Elles présentent d'emblée ou secondairement des signes de gravité : infection (pyélonéphrite aiguë), oligoanurie, douleur intense persistante malgré un traitement antalgique bien conduit. Une bandelette urinaire réalisée sans tarder pourra montrer une hématurie microscopique en faveur d'une lithiase, une leucocyturie et la présence de nitrites signant une infection et imposant la réalisation d'une cytobactériologie des urines. Un pH acide inférieur à 6 est en faveur d'une lithiase d'acide urique. Les examens complémentaires permettent d'éliminer une colique néphrétique compliquée : ionogramme sanguin et créatininémie (insuffisance rénale, troubles électrolytiques) numération sanguine (infection), β-human chorionic gonadotropin (βHCG) chez la femme en âge de procréer. Une imagerie de l'arbre urinaire sera réalisée après l'instauration d'un traitement antalgique symptomatique et s'appuiera sur le scanner sans injection de produit de contraste (grande sensibilité) et l'échographie (examen de référence chez la femme enceinte). L'objectif principal du traitement en urgence est de soulager rapidement le patient. Les AINS seront utilisés en première intention (hors contre-indications  : allergie, grossesse 1er et 3e trimestre, ulcère gastroduodénal actif, insuffisance rénale chronique [IRC]). Ils réduisent la filtration glomérulaire par action sur les prostaglandines, diminuent le tonus des fibres musculaires lisses de l'arbre urinaire et réduisent l'œdème inflammatoire urétéral au niveau de l'obstacle. Le kétoprofène sera injecté en perfusion intraveineuse (100 mg). Le paracétamol (1 g) peut être associé, en revanche, le phloroglucinol est inefficace [9]. Les antalgiques morphiniques seront utiles d'emblée ou secondairement devant des douleurs intenses (exemple : morphine 0,1 mg/kg ± titrations 2 à 3 mg/cinq minutes). Pendant la grossesse ou en cas de contre-indications aux AINS, la méthylprednisolone (0,05 mg/kg/j) associée au paracétamol est une alternative thérapeutique. Chez l'IRC, paracétamol et morphiniques titrés seront utilisés d'emblée. La restriction hydrique est inutile, en revanche, la boisson est conseillée. Si une colique néphrétique simple peut être gérée en ambulatoire, devant une colique néphrétique compliquée, une hospitalisation et un avis urologique sont nécessaires et un drainage des voies excrétrices en amont de l'obstacle possible. Une antibioprophylaxie probabiliste à large spectre sera prescrite en urgence devant une colique néphrétique fébrile.

Crise douloureuse drépanocytaire Les douleurs de la drépanocytose, maladie génétique chronique grave liée à une anomalie de structure de l'hémoglobine sont traitées au chapitre 30 de cet ouvrage.

316   Partie 5. Douleur selon le contexte Nous envisagerons donc uniquement la prise en charge antalgique de la crise douloureuse aiguë. La CVO, le STA, le priapisme et l'AVC sont des complications aiguës, constituent des urgences vitales ou fonctionnelles et imposent l'hospitalisation. Certains éléments favorisent l'apparition de la crise  : infection, transfusion récente, déshydratation, exposition au froid, apnée du sommeil, consommation de drogues et d'alcool, altération et troubles du sommeil, stress. Par ailleurs, les douleurs itératives réduisent notablement la qualité de vie, en raison du retentissement social, familial (conflits), professionnel (travail précaire et parfois inadaptation du poste de travail et absences répétées) ou scolaire (absences répétées, incompréhension des camarades de classe et du système scolaire), dont la conséquence est un plus grand nombre de crises. Chaque nouvelle crise est une source d'anxiété majeure pouvant évoluer vers l'angoisse et la dépression. Des angoisses de mort liées à la fulgurance et l'intensité de la douleur physique et morale, à la sensation d'abandon et à la possible perte d'un proche dans ce contexte de pathologie familiale peuvent survenir. La CVO, responsable de douleurs articulaires ou osseuses très intenses est la première cause d'hospitalisation en urgence. Les douleurs multiples touchent le plus souvent les os longs, le rachis, le bassin, le thorax et l'abdomen. La fréquence des crises douloureuses abaisse le seuil de sensibilité à la douleur avec des risques de plasticité neuronale pouvant évoluer vers une chronicisation de la douleur. Une prise en charge efficace [10] s'appuie sur l'évaluation fréquente de la douleur. Elle peut être rendue difficile pour plusieurs raisons : doute sur la réalité de la douleur liée à la représentation soignante erronée de cette maladie chronique, intensité de douleur importante sans lésion visible (ischémie), état d'hyperalgésie lié à la répétition de la douleur depuis l'enfance, contexte anxieux induit par la douleur, la crainte du diagnostic et les conséquences socio-professionnelles. L'écoute, l'empathie et l'évaluation de l'anxiété sont donc primordiales. La prise en charge de cette anxiété permettra également d'éviter une majoration de la douleur. L'importance des douleurs impose une prise en charge rapide et des traitements de court délai d'action. Un abord veineux est donc indispensable. Du fait de la chronicité de la pathologie justifiant des injections répétées, le réseau veineux est souvent altéré, compliquant la prise en charge. Il est déconseillé de rechercher une voie veineuse au niveau des membres inférieurs (risque spécifique de thrombophlébite et d'ulcère). En conséquence, la pose d'une voie veineuse centrale peut être indispensable. La pose ultérieure d'un site implantable doit être envisagée. Si un site implantable est en place, il doit être utilisé d'emblée lors de la prise en charge du patient. La CVO peut être aggravée par certains facteurs : froid, déshydratation, hypoxie, infection et insomnie. La prévention passe donc dès l'accueil par : ■ la non-exposition au froid (transferts intrahospitaliers), chauffage de la chambre, réchauffement du patient (couvertures et application locale de chaud) ; ■ l'hydratation (+++) par voie intraveineuse et orale ; ■ l'oxygénothérapie systématique avec un objectif SpO2 supérieur à 97 % ;

■ le diagnostic et la prise en charge médicamenteuse de toute infection ; ■ en présence d'anxiété majeure, les benzodiazépines seront discutées et l'hydroxyzine préférée ; ■ la prise en charge des troubles du sommeil ; ■ éviter absolument l'application de froid, la corticothérapie, les AINS si problème infectieux, pas de transfusion sans avis spécialisé. Parallèlement, dès l'arrivée, après évaluation de la douleur (EN) et prise en charge psychologique, une analgésie multimodale associera : ■ MEOPA : débit adapté à la ventilation du patient, objectif double : prise en charge de la douleur et facilitation pour l'accès à l'abord veineux. Renouvelable 30 à 60 min trois à quatre fois par jour ; ■ Paracétamol intraveineuse : 1 g/6 heures, sauf contreindications (allergie, insuffisance hépatique) ; ■ kétoprofène intraveineuse : perfusion 100 mg/8 heures, sauf contre-indications (allergie, sepsis, insuffisance rénale, déshydratation, grossesse) ; ■ néfopam intraveineuse : perfusion 20 mg initialement, puis relais 120  mg/24  heures, sauf contre-indications (allergie, épilepsie non contrôlée, prostate) ; ■ si douleur supérieure à 6 : morphine (0,1 mg/kg ± 2 à 3 mg/5 min) ou oxycodone en prenant en compte l'automédication antérieure du patient. Le relais sera pris par PCA (bolus : 1 à 2 mg ; période réfractaire : cinq minutes ; pas de dose maximum quatre heures) ; ■ kétamine : si les doses d'opioïdes sont supérieures à 20 mg et patient non soulagé : 0,1 mg/kg en intraveineuse lente ± réinjection 0,05 mg/kg/15 à 20 min après, sauf contreindications (allergie, maladie hypertensive décompensée, porphyrie) puis relais 50 mg/24 heures ; ■ amitriptyline intraveineuse si les traitements précédents sont insuffisants : 25 mg en 30 minutes (surveiller intervalle QT à l'ECG). Si le patient n'est pas suffisamment soulagé, les paramètres de la PCA seront modifiés et un débit continu de 1 à 2 mg/heure sera ajouté. Si l'accès veineux est impossible : MEOPA et paracétamol 1 g, kétoprofène LP 100 mg et néfopam 20 mg per os. Puis, en fonction de la douleur, associer morphine ou oxycodone à action rapide (0,3 mg/kg) puis amitriptyline 25 mg. La surveillance sera clinique et régulière : efficacité analgésique, échelle de sédation, fréquence respiratoire, tolérance des traitements (nausées, vomissements, prurit). Face à une situation d'échec de l'analgésie, un traitement médical plus lourd et une surveillance monitorée seront instaurés dans la salle d'accueil des urgences vitales. Les critères de gravité seront recherchés : signes respiratoires, neurologiques avec altération de la conscience, fièvre supérieure à 39 °C, signes d'intolérance d'une anémie aigue, signes de défaillance hémodynamique, défaillance viscérale [11]. La complication grave de la crise drépanocytaire qu'il faut savoir dépister est le STA qui associe toux, fièvre, dyspnée aiguë, expectoration, douleur thoracique, respiration superficielle, difficulté à parler, fréquence supérieure à 30 ou inférieure à 10/min, hypoxémie inférieure à 60 mmHg en l'absence de surdosage médicamenteux, troubles de la conscience. Le patient sera alors pris en charge en réanimation.

Chapitre 47. Douleurs aiguës médicales et urgences    317 En conclusion, nous retiendrons l'importance de la clinique et la connaissance de la physiopathologie dans l'élaboration du diagnostic d'une douleur aux urgences. L'analgésie sera d'abord symptomatique, multimodale, précoce, adaptée à l'intensité douloureuse puis étiologique dès le diagnostic établi. Elle fera appel aux thérapeutiques médicamenteuses mais également aux moyens non médicamenteux. La composante anxieuse de la douleur sera réduite par une attitude empathique du personnel soignant. Le tri par une infirmière d'accueil et d'orientation facilitera une analgésie précoce. Enfin, l'élaboration de protocoles antalgiques permettra une prise en charge adaptée et rapide dans un contexte d'urgences surpeuplées.

Références [1] Tcherny-Lessenot  S, Karwowski-Soulié  F, Lamarche-Vadel  A, ­Ginsburg C, Brunet F, Vidal-Trecan G. Management and relief of pain in an emergency department from the adult patients' perspective. J Pain Symptom Manage 2003 ; 25 : 539–46. [2] Olivier  M. De la douleur de l'urgence à l'urgence de la douleur ! ­Médecine & Culture 2016 ; 14 : 21–32.

[3] Motov S, Strayer R, Hayes BD, Reiter M, Rosenbaum S, Richman M, et al. The Treatment of Acute Pain in the Emergency Department : A White Paper Position Statement Prepared for the American Academy of Emergency Medicine. J Emerg Med 2018 ; 54 : 731–6. [4] Raphaël M, Valeri ML. Prise en charge d'une douleur thoracique aux urgences. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Médecine d'urgence, 25-020-B-10. [5] Staeger P, Meier F, Fishman D, Grosgurin O. La douleur thoracique. Rev Med Suisse 2013 ; 9 : 997–1004. [6] Aurel M, Hue V, Martinot A. Douleurs abdominales aiguës non traumatiques de l'enfant. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Médecine d'urgence, 25-140-F-10. [7] Oulhaci de Saussure W, Andereggen E, Sarasin F. Quand référer aux urgences un patient présentant des douleurs abdominales ? Rev Med Suisse 2010 ; 6 : 1546–9. [8] Balssa L, Kleinclauss F. Prise en charge des coliques néphrétiques aiguës. Progrès en Urologie 2010 ; 20 : 802–5. [9] Boubaker  H, Boukef  R, Claessens  YE, Bouida  W, Grissa  MH, ­B eltaief K, et al. Phloroglucinol as adjuvant analgesic to treat renal colic. J Emergency Med 2010 ; 28 : 720–3. [10] http://www.chu-toulouse.fr/-protocoles-et-procedures-pour-traiterla-douleur. [CLUD 56]. [11] https  : //www.has-sante.fr/portail/upload/.../ald_10_guide_­ drepanoadulte_web.pdf.

Chapitre

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Douleurs aiguës chez un douloureux chronique Georges Daccache  PLAN DU CHAPITRE Douloureux chronique : un patient vulnérable à la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Stratégie thérapeutique . . . . . . . . . . . . . . . . . .

POINTS ESSENTIELS Vulnérabilité à la douleur, prise en charge multidisciplinaire, analgésie multimodale de première intention précoce et énergique, traitement opioïde de recours.

La prévalence de la douleur chronique dans la population générale (10 à 50 %) concerne un nombre considérable de personnes. Elle est un peu plus élevée chez la femme et augmente avec l'âge [1]. Cette définition épidémiologique regroupe des entités extrêmement différentes sur le plan physiopathologique et il est difficile de recommander une attitude univoque qui s'applique à toutes les situations. En effet, les mécanismes qui sous-tendent la douleur chronique d'entités cliniques aussi variées que le cancer, les lombalgies chroniques, la fibromyalgie, le syndrome douloureux complexe régional ou la douleur chronique post-chirurgicale sont multiples et nécessitent des approches différentes. Toutefois, des lignes générales peuvent être adoptées quant à la conduite à tenir face à des situations de douleur aiguë chez ces patients. Elles sont fondées sur les connaissances actuelles des modifications physiopathologiques globales dans la douleur chronique et traitent des situations de douleur aiguë intercurrente, ne faisant pas partie de l'évolution paroxystique de la maladie sous-jacente (accès paroxystiques du cancer, poussées de maladies inflammatoires chroniques, syndrome de l'intestin irritable, etc.) qui seront traitées dans les chapitres qui leur sont consacrés dans cet ouvrage.

Douloureux chronique : un patient vulnérable à la douleur Vulnérabilité psychologique Le patient douloureux chronique est par définition insuffisamment soulagé par les traitements antalgiques qui lui Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

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sont proposés, même ceux considérés comme les plus puissants, à savoir les opioïdes. La persistance de la douleur en fait une véritable maladie chronique qui s'accompagne d'un cortège de symptômes comme les troubles de l'humeur, du sommeil et d'une fatigue [2]. Ces symptômes sont éminemment modulés par les facteurs environnementaux, culturels, cognitifs et sociaux et traduisent la fragilité psychologique du douloureux chronique. L'anxiété, la dépression, le catastrophisme et les troubles cognitifs sont très fréquents dans ce contexte et constituent des facteurs de risque de douleur aiguë plus intense et de chronicisation des douleurs postchirurgicales identifiés dans plusieurs études. [3]. La prévalence de la dépression dans la douleur chronique est très supérieure à celle de la population générale et varie selon les études de 30 à 100 %. Le lien de causalité entre dépression et douleur n'est pas simple car la symptomatologie douloureuse aussi est très fréquente chez les patients dépressifs et décrite généralement comme plus intense et plus longue. L'importance de la composante cognitivo-émotionnelle dans la douleur chronique est illustrée aussi par les études d'imagerie cérébrale qui montrent une plus grande implication du cortex préfrontal par rapport aux zones impliquées dans la sensori-discrimination et l'intensité douloureuse (cortex somesthésique, thalamus et cingulaire antérieur) [4]. Face à l'agression physique et psychologique que représente un épisode douloureux aigu (intervention chirurgicale, traumatisme, acte diagnostique), le douloureux chronique est donc plus vulnérable. Cela veut dire qu'il risque de développer une douleur plus intense et plus prolongée qu'un patient naïf de douleur, même si le traumatisme siège à distance du site douloureux habituel, et ce quel que soit le type de douleur chronique. Par exemple, chez des patients fibromyalgiques, la douleur et la consommation de morphine postopératoires étaient d'autant plus importantes qu'ils avaient un score élevé à l'échelle de diagnostic et de sévérité de la fibromyalgie [5]. 319

320   Partie 5. Douleur selon le contexte

Vulnérabilité physique

Identifier le douloureux chronique

Du fait de l'augmentation de la prévalence avec l'âge, plusieurs études ont montré que les patients douloureux chroniques avaient des comorbidités associées plus fréquentes. Dans une large étude néozélandaise récente, 25  % des douloureux chroniques avaient plus de deux comorbidités avec deux à cinq fois plus de risque d'atteinte cardiovasculaire, respiratoire, de diabète ou d'insuffisance hépatique ou rénale [6]. Cela rend compte, d'une part, de l'impact de ces comorbidités sur la condition physique et la qualité de vie et, d'autre part, de la difficulté de traiter la douleur du fait de la polymédication et des comorbidités associées. Beaucoup de patients douloureux chroniques sont traités par opioïdes au long cours. La prise prolongée d'opioïdes est responsable de phénomènes de tolérance mais surtout d'un abaissement du seuil douloureux qui se traduit, par exemple lors d'une chirurgie, par une hyperalgésie pré- et postopératoire avec des scores de douleurs plus élevés et plus prolongés et un risque plus élevé de développer des douleurs chroniques post-chirurgicales [7]. Cette hyperalgésie induite par les opioïdes est dose-dépendante et peut apparaître dès les plus faibles doses. Dans ce cas, l'augmentation des doses d'opioïdes risque d'aggraver cette hyperalgésie. Le recours aux opioïdes ne doit pas être systématique mais réfléchi et contrôlé [8].

Cela doit se faire dès sa prise en charge dans la structure hospitalière ou dès la consultation d'anesthésie mais aussi tout au long de son séjour. Cela fait partie des recommandations actualisées de la SFAR [9]. Le médecin en charge doit rechercher la présence de douleurs chroniques, y compris en dehors du site opératoire, identifier leurs caractéristiques (type, intensité, localisation, durée), rechercher les facteurs psychiques, associés notamment à l'anxiété qui doit être évaluée par une échelle adaptée (Amsterdam Preoperative Anxiety and Information Scale [APAIS] ), la dépression ou les conduites addictives, la prise de traitements antalgiques et co-antalgiques (antispasmodiques etc.), en particulier les opiacés. Celle-ci est de plus en plus fréquente en préopératoire.

Stratégie thérapeutique La survenue ou la perspective d'un événement douloureux aigu chez un douloureux chronique nécessite une intervention rapide et énergique afin de ne pas déstabiliser une situation déjà fragile et d'installer durablement le patient dans une situation encore plus grave. Pour cela, une coopération étroite entre le médecin traitant et les différents acteurs de soins impliqués est indispensable. L'analgésie doit être multimodale afin de n'avoir qu'un recours le plus limité possible aux opioïdes. Elle doit être rapide pour ne pas laisser le temps à la douleur et son cortège émotionnel de s'installer durablement. Elle doit prendre en compte tous les aspects de la douleur, y compris les aspects psychosociaux (au premier plan ici) et la qualité de vie. Pour illustrer concrètement ces propos, nous allons prendre le cas d'une intervention chirurgicale programmée chez un patient douloureux chronique.

Optimiser le traitement antalgique avant l'intervention L'intensité de la douleur préopératoire est en soi un facteur de risque de douleur intense postopératoire et de chronicisation de la douleur. Avant d'envisager une intervention, le traitement de la douleur chronique doit être optimisé en s'aidant d'avis spécialisés afin d'avoir la douleur préopératoire la plus faible possible. Le moment de l'intervention doit être retardé si besoin pour permettre aux symptômes de s'amender (poussée inflammatoire, syndrome douloureux régional complexe [SDRC] en voie de guérison, etc.).

Gestion du traitement préopératoire Il est recommandé de poursuivre le traitement antalgique préopératoire jusqu'au matin de l'intervention sans modification. L'interruption inadaptée peut conduire à des syndromes de sevrage. Si la voie orale est compromise, les opiacés seront remplacés par la dose équi-analgésique de morphine intraveineuse. Les gabapentinoïdes et les antidépresseurs donnés pour des douleurs neuropathiques seront poursuivis jusqu'au matin de l'intervention et repris le plus tôt possible par voie orale. De même que les antispasmodiques et les benzodiazépines.

En per- et postopératoire : privilégier l'analgésie multimodale Associant les anti-inflammatoires (AINS, anti-inhibiteurs sélectifs de la cyclooxygénase 2 [COX-2], dexaméthasone), le paracétamol, les antihyperalgésiques comme le néfopam, le protoxyde d'azote, et la kétamine à faible dose (antagoniste des récepteurs NMDA) qui a montré son intérêt à court et à long termes. Un traitement énergique sur les premiers jours postopératoires (ne dépassant pas cinq-sept jours, ce qui relativise les contre-indications) permettrait de bloquer le cercle vicieux de la douleur qui entretient la douleur. En effet, les mécanismes de la douleur aiguë, y compris chez le douloureux chronique, mettent jeu une hypersensibilisation périphérique des nocicepteurs, médiée avant tout par l'inflammation locale dans laquelle l'activation de la COX-2 joue un rôle primordial. De plus, cette enzyme est surexprimée aussi au niveau central (corne dorsale de la moelle) participant à la sensibilisation centrale (hyperalgésie à distance de la cicatrice et allodynie). La surexpression de la COX-2 convertit aussi les endocannabinoïdes en prostanoïdes, privant ainsi de leur effet analgésiant. Le paracétamol de son côté rétablit en partie leur activité en bloquant leur dégradation. L'activation du récepteur NMDA joue un rôle majeur dans l'exacerbation de la douleur et dans sa pérennisation. Cette activation se produit quand l'influx provenant de la périphérie est intense ou lorsque l'inflammation centrale (médiée par l'activation des cellules gliales) sensibilise le récepteur NMDA en abaissant son seuil d'activation [10].

Chapitre 48. Douleurs aiguës chez un douloureux chronique     321 Un autre pilier de l'analgésie multimodale, à utiliser chaque fois que possible dans ce contexte, est représenté par l'analgésie locorégionale. Celle-ci consiste à injecter un anesthésique local de longue durée d'action (ropivacaïne, bupivacaïne ou lévobupivacaïne) directement ou via un cathéter (périnerveux, péridural ou intracicatriciel) afin de bloquer les afférences douloureuses périphériques intenses et limiter ainsi l'activation des récepteurs NMDA et l'exacerbation de la sensibilisation centrale qui s'ensuivrait. Les cathéters périnerveux peuvent être laissés en place plusieurs jours ou même poursuivis à domicile jusqu'à diminution de l'inflammation périphérique. D'autres thérapeutiques sont utilisées au quotidien et ont montré une certaine efficacité sans que pour le moment on puisse émettre des recommandations formelles quant à leur utilisation. Il ne faut pas les négliger lors de difficultés de traitement chez le douloureux chronique. Il s'agit de la lidocaïne intraveineuse continue, en particulier lors de la chirurgie abdomino-gynécologique ou du rachis ou de la dexmédétomidine (un alpha-2 agoniste) qui ont montré une certaine diminution des douleurs postopératoires ou un effet d'épargne morphinique [11].

Ne pas réveiller la douleur lors des soins Une attention particulière doit être accordée aux soins postopératoires et tous les moyens qui permettent d'en limiter la douleur doivent être soigneusement planifiés et utilisés. Qu'il s'agisse de l'anticipation des doses antalgiques, de l'utilisation d'un bolus d'anesthésique local ou du MEOPA, mais aussi de l'utilisation de l'hypnose, tout doit être fait pour éviter qu'une douleur aiguë ne conduise inutilement à l'escalade thérapeutique.

Traitement opioïde Malgré les multiples possibilités offertes, il peut être nécessaire parfois de recourir à une instauration ou une augmentation du traitement opioïde préexistant. Celle-ci doit être titrée, adaptée à la situation (soins, mobilisation) de manière à utiliser la dose efficace, la plus faible. L'augmentation de la dose journalière des opioïdes doit s'accompagner d'une surveillance accrue des effets secondaires. En effet, la tolérance aux effets des opioïdes est différentielle ; elle peut être importante concernant leur effet analgésique mais faible en ce qui concerne les effets respiratoires ou nauséeux. Un patient sous traitement opioïde chronique doit être considéré comme à risque accru de dépression respiratoire lors de l'augmentation des doses. L'oxygénothérapie et la surveillance de la fréquence respiratoire seront systématiques [12].

Traitements non médicamenteux Ils sont tout aussi importants que les médicaments. Les soins périopératoires chez ces patients vulnérables ne doivent pas se limiter aux traitements médicamenteux. L'accompagnement thérapeutique par des explications sur les soins et leurs objectifs, le renforcement positif, la réhabilitation précoce de l'alimentation et de la marche, le respect de l'intimité, du confort et des cycles de veille-sommeil, la reprise rapide des traitements antidépresseurs et anxiolytiques ; tout cela est important pour passer le cap de l'épisode aigu, sans percevoir de dégradation dans l'état initial ni dans la qualité de vie.

Références [1] Harstall C. How Prevalent is Chronic Pain ? In : IASP Pain Clinical Updates ; 2003. p. 1–4. XI. [2] Miller LR, Cano A. Comorbid Chronic Pain and Depression : Who is at Risk ? J Pain 2009 ; 10 : 619–27. [3] Hinrichs-Rocker A, Schulz K, Järvinen I, Lefering R, Simanski C, Neugebauer EA. Psychosocial predictors and correlates for chronic post-surgical pain (CPSP) – a systematic review. Eur J Pain 2009 ; 13(7) : 719–30. [4] Apkarian  VA, Bushnell  MC, Treede  R, Zubieta  JK. Human brain mechanisms of pain perception and regulation in health and disease. Eur J Pain 2005 ; 9 : 463–84. [5] Janda AM, As-Sanie S, Rajala B, Tsodikov A, Moser SE, Clauw DJ, et al. Fibromyalgia Survey Criteria Are Associated with Increased Postoperative Opioid Consumption in Women Undergoing Hysterectomy. Anesthesiology 2015 ; 122 : 1103–11. [6] Dominick  CH, Blyth  FM, Nicholas  MK. Unpacking the burden  : Understanding the relationships between chronic pain and comorbidity in the general population. Pain 2012 ; 153 : 293–304. [7] Chapman  CR, Davis  J, Donaldson  GW, Naylor  J, Winchester  D. Posto­perative Pain Trajectories in Chronic Pain Patients Undergoing Surgery : The Effects of Chronic Opioid Pharmacotherapy on Acute Pain. J Pain 2011 ; 12(12) : 1240–6. [8] Lee HJ, Yeomans DC. Opioid induced hyperalgesia in anesthetic settings. Korean J Anesthesiol 2014 ; 67 : 299–304. [9] Aubrun F, Nouette-Gaulain K, Fletcher D, Belbachir A, Beloeil H, Carles M, et al. Réactualisation de la recommandation sur la douleur postopératoire. Anesth Reanim 2016 ; 2 : 421–30. [10] Vocopoulos C, Lema A. When does acute pain become chronic ? Br J Anaesth 2010 ; i69–85. S1. [11] Turgut N, Turkmen A, Gökkaya S, Altan A, Hatiboglu MA. Dexmedetomidine-based versus fentanyl-based total intravenous anesthesia for lumbar laminectomy. Minerva Anesthesiol 2008 ; 74 : 469–74. [12] Hayhurst C, Durieux M. Differential Opioid Tolerance and Opioidinduced Hyperalgesia. A Clinical Reality. Anesthesiology 2016 ; 124 : 483–8.

Chapitre

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Douleur en soins palliatifs Vianney Mourman, Mathilde Duval, Marie-Emmanuelle Géraud PLAN DU CHAPITRE Concept de médecine palliative . . . . . . . . . . . . Concept de douleur totale . . . . . . . . . . . . . . . .

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La douleur en médecine palliative est fréquente. Sa composante somatique n'est que la partie émergée de l'iceberg de ce que le patient est amené à endurer au long de la maladie grave. Nous proposons dans ce chapitre d'éclairer le lecteur sur la notion de médecine palliative et de définir ce qu'est la douleur totale dans un contexte de soins palliatifs. Nous aborderons aussi les aspects déontologiques spécifiques à la douleur en fin de vie. Pour conclure, nous verrons comment la prise en charge du patient en fin de vie doit être intégrée dans une approche globale de l'antalgie développée dans cet ouvrage.

Concept de médecine palliative Avant d'aborder la question même de la douleur, il nous parait nécessaire de mieux définir ce que sont les soins palliatifs. Ils sont souvent perçus dans le monde soignant comme le témoin d'un échec d'une médecine enseignée et pratiquée dans un paradigme du guérir. De nombreux préjugés entourent encore cette discipline, souvent pensée comme un soin compassionnel circonscrit à l'agonie imminente. Le soignant y accompagnerait alors le patient vers une mort acceptée et apaisée. Si, bien sûr, cette issue est la fin à laquelle tous aspirent, elle ne reste pourtant, dans la majorité des cas, qu'un idéal. Dans la réalité mourir reste un événement singulier, souvent triste, déchirant et symptomatique (ne serait-ce que du fait de l'arrêt des fonctions vitales). Certaines souffrances ne pourront être soulagées, quels que soient les moyens mis en place. Il sera impossible pour bon nombre de patients et leurs proches d'accepter cette fin. Le contraire ne serait-il d'ailleurs pas étonnant ou inquiétant ? Malgré des soins prodigués avec attention et qualité, bon nombre de familles et de soignants sont déçus lorsque le décès survient : ils n'ont pas assisté à cette « mort heureuse » [1] qu'ils espéraient. Investis, à tort, de ces idéaux de mort apaisée, souvent inaccessibles, les soins palliatifs n'ont pourtant pas vocation à rendre la mort acceptable ou heureuse. Ils ont surtout pour préoccupation d'améliorer la qualité de vie du patient et de lutter contre les souffrances auxquelles Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Aspect déontologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Pour conclure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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lui-même et son entourage et lui-même sont confrontés. Accepter les contingences, la réalité de ce que peuvent proposer ces soins et arrêter de les investir d'objectifs inatteignables permettraient sûrement de diminuer la frustration et la déception de ceux qui seront acteurs ou témoins de cette fin de vie perçue comme imparfaite. Trop souvent enfermés dans l'idée qui se résume à ce que disait Thérèse Vannier : « C'est tout ce qui reste à faire quand il n'y a plus rien à faire », les soins palliatifs visent plutôt à promouvoir un bien-être pour le patient, sans nécessairement tenir compte du stade d'évolution ou du pronostic de sa maladie. Des soins palliatifs peuvent être envisagés tôt dans le déroulement d'une maladie, sans pour autant être associés à une notion de pronostic vital engagé à très court terme. Le soin palliatif pourra alors être une étape dans le parcours du malade qui ne sera pas pour autant exclu d'un éventuel projet thérapeutique spécifique de sa maladie. On parle alors de soins palliatifs précoces. Il s'agit de proposer une aide au patient pour le décharger de ce qui le gêne au quotidien. Nous avons vu que les soins palliatifs ne se limitent pas à l'image d'Épinal d'un accompagnement du mourant. Dans sa définition la plus récente, l'OMS [2] ouvre ainsi leurs horizons à tous les patients atteints de pathologies potentiellement mortelles. Développés initialement dans le contexte de la cancérologie, les soins palliatifs peuvent s'envisager précocement pour des patients atteints de maladies graves et évolutives, pas nécessairement létales, qu'elles soient aiguës ou chroniques. On peut ainsi citer les maladies neurodégénératives, la polypathologie de la personne âgée, les insuffisances d'organes et certaines maladies infectieuses comme par exemple le VIH. S'appuyant sur une démarche diagnostique et thérapeutique ayant comme objectif l'amélioration du confort du malade et de ses proches, les soins palliatifs dorénavant peuvent être caractérisés comme une discipline médicale à part entière : la médecine palliative. Celle-ci nécessite un corpus de connaissances spécifiques et une réflexion originale sur les tenants et aboutissants des actions proposées. Visant un bien-être physique, psychique et social pour le patient, elle s'inclut dans la définition OMS de la santé. 323

324   Partie 5. Douleur selon le contexte

Concept de douleur totale Cicely Saunders, pionnière des soins palliatifs modernes, a, très tôt, défini la notion de douleur ou souffrance totale (Total pain). Au décours de la maladie grave, le patient (et par extension son entourage) fait les frais, simultanément, de souffrances somatiques, psychiques, sociales et spirituelles.

Souffrance physique Dans ce modèle pluridimensionnel, si la douleur physique est un élément invalidant important à prendre en compte et à soulager, nombre d'autres souffrances physiques doivent être dépistées, évaluées et traitées. Ainsi le malade peut souffrir d'autres symptômes qu'il n'évoquera pas toujours spontanément. De façon non exhaustive, ces symptômes peuvent être : ■ généraux (fièvre, asthénie, troubles nutritionnels, bouche sèche ou abimée, etc.) ; ■ respiratoires (dyspnée, toux rebelle, encombrement, hémorragies, etc.) ; ■ digestifs (nausées, vomissements, hoquet, constipation, occlusion, diarrhées, etc.) ; ■ génito-urinaires (dysurie, incontinence, troubles sexuels, etc.) ; ■ locomoteurs (handicaps, fractures, etc.) ; ■ neurologiques (convulsions, déficits, troubles cognitifs, troubles de la conscience, troubles du comportement, etc.) ; ■ dermatologiques (escarres, modification de la peau et des phanères, etc.) ; Pour chacun de ces symptômes invalidants, il faut chercher les moyens pour permettre au patient de trouver un équilibre confortable. Cela nécessite souvent de sortir des schémas de soin habituels (qui sont souvent orientés vers un objectif de guérison). L'évaluation repose sur l'interrogatoire, l'observation et l'examen clinique. Le confort ne peut être mesuré par des examens paracliniques : il s'agit avant tout d'un ressenti du patient, totalement subjectif par définition. Les traitements visent à soulager les symptômes d'inconfort et à en réduire, si possible, la cause. Dans une balance bénéfice/risque, ils feront abstraction du traitement de l'étiologie si celui-ci devait produire trop d'inconfort pour le patient.

Souffrance psychique Par-delà la souffrance physique, la confrontation à la maladie grave a bien sûr des répercussions psychiques : confronté à des émotions en lien avec la perte (qui engendre la tristesse), ou la peur, le malade peut développer des réactions psychiques pouvant aller du normal au pathologique : ■ de la peur à l'anxiété, l'angoisse, voire l'effroi ; ■ de la tristesse à la dépression, voire la mélancolie. Faire un diagnostic précis quant à cette souffrance psychique est délicat. S'il est adapté d'être triste et d'avoir peur face à la maladie grave accompagnée d'un pronostic incertain, il est inadapté (pathologique) d'avoir, par exemple tous les symptômes qui caractérisent une dépression (Manuel diagnostique des troubles mentaux [DSM-IV]). L'évaluation de la détresse psychique est complexifiée par le fait que des symptômes physiques en lien

avec l'évolution de la maladie peuvent cacher une souffrance psychique (ou l'inverse). Par exemple, la perte de poids ou l'asthénie rentrent dans la sémiologie des deux entités. Pour affiner le diagnostic de souffrance psychique et mieux adapter les thérapeutiques, il faudra souvent s'appuyer sur l'expertise de psychologues ou de psychiatres. Certaines échelles d'auto- ou hétéroévaluation et de dépistage peuvent aussi être utiles. Le traitement, d'une façon schématique, s'appuie sur un soutien et un accompagnement du patient et de ses proches lorsque la réaction présentée est adaptée à la situation. Il sera complété par des traitements psychiatriques (médicamenteux ou psychothérapies) si le versant psychopathologique est avéré.

Souffrance sociale L'intrusion de la maladie grave dans le quotidien d'une personne a des répercussions sociales, tant au niveau de ses relations, de son autonomie que sur le plan pécuniaire. La maladie modifie le rôle et la place de la personne malade dans la société, au sein de sa famille, de son environnement amical ou professionnel. On pourrait citer, par exemple, ce chef de famille qui devient dépendant et perd sa posture ou cet enfant qui devient décisionnaire pour son parent malade. L'isolement est une véritable menace au long de la maladie. Pour certains patients, bien insérés, on assiste généralement à un resserrement des liens dans les premiers temps de la maladie, mais souvent ces liens se délitent avec le temps du fait d'une sorte d'usure, de fatigue, de lassitude ou de peur de la part de l'entourage. Pour d'autres, d'emblée très isolés, il va être très difficile de garder ou de tisser des liens du fait de la maladie. L'adage : « Les malades font fuir les biens portants » pourrait résumer ce constat. L'inverse est sûrement vrai aussi, Kafka écrivait : « les biens portants font fuir les malades » [3], façon d'énoncer que la maladie peut inciter certains patients à s'exclure d'une société dans laquelle ils ne se reconnaissent plus. 80 % des Français veulent mourir chez eux mais seul un quart y arrive. Margaux Baralon. La Croix, 10 juin 2015

Les symptômes physiques et psychiques, que provoque la maladie, entraînent souvent une diminution de l'autonomie du patient. Il se pose alors différentes questions : ■ quelles sont encore ses possibilités d'indépendance, de mouvement ? ■ pourrait-t-il encore rester à son domicile ? ■ de quelles aides aurait-il besoin ? ■ une institutionnalisation est-elle inévitable ? ■ qui entoure ce patient ? ■ y a-t-il des aidants naturels dans son entourage ? (et sontils si naturels ?) ; ■ les aidants sont-ils en mesure de prendre cette place quand on sait qu'à domicile, un certain nombre de soins leur sont sous-traités (en particulier la surveillance et les changes en dehors du passage des soignants).

Chapitre 49. Douleur en soins palliatifs    325 La maladie provoque aussi des pertes de revenus, voire de nouvelles dépenses. L'arrêt maladie induit des rentrées d'argent moindres, particulièrement chez les travailleurs indépendants. Même si les prestataires sociaux ou assurances compensent en partie ces pertes de revenus et prennent en charge financièrement la majorité des soins, la maladie a un coût : certains médicaments ou dispositifs médicaux ne sont pas forcément entièrement pris en charge. Il en va de même pour certaines aides humaines que le patient pourrait nécessiter à son domicile et qu'il devra financer en partie. Qu'en est-il pour ceux ne bénéficiant pas de prestations sociales ou d'assurances ? Le patient dans une situation palliative est donc confronté à de nombreuses difficultés sociales qu'il va être nécessaire d'appréhender. Les professionnels de santé sont peu aguerris à l'évaluation de ces problématiques. Dans un climat de sollicitude envers la personne vulnérable qu'est le patient, alors que le système de soin tend, pour des raisons économiques, à faire sortir le malade rapidement du lieu de soin, il est nécessaire d'apprendre à dépister les fêlures sociales. Cela permettra d'éviter exclusion, paupérisation ou institutionnalisation abusives. Un recours à une évaluation sociale de qualité est primordial au long de la maladie grave afin de mettre en place tous les supports sociaux dont la personne pourrait avoir besoin : rencontre de bénévoles, prestations complémentaires, aménagement et organisation du domicile entre autres.

Souffrance spirituelle « L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; mais c'est un roseau pensant. » [4] écrivait Blaise Pascal. Courbé par la maladie et son cortège de souffrances physiques, psychiques et sociales, l'être humain, défini par sa capacité à penser, est atteint dans sa spiritualité. Sa pathologie, lui faisant perdre son fantasme d'immortalité, le confronte à sa finitude et sa fragilité. On assiste souvent, lors de situations palliatives, à des remises en question spirituelles importantes de la part des patients. Ils vont alors souvent se tourner vers leur foi et, parfois, solliciter les soignants en évoquant leurs réflexions ou questionnements. Chaque religion propose une doctrine susceptible d'aider ses fidèles à trouver des réponses, un soutien ou un espoir face à l'inconnu de la maladie et de la mort. Dans ce chapitre, nous n'aborderons pas les questions d'ordre théologique entourant la question de la maladie ou de la mort qui relèvent d'autres disciplines que de la médecine. En pratique, il est utile de repérer au chevet du patient les éléments permettant d'orienter vers une pratique religieuse et de proposer l'intervention d'un représentant de son culte. Il n'est bien sûr pas question de l'imposer ou de le solliciter sans demander au préalable l'accord du malade. On peut rappeler l'importance pour le professionnel de santé de ne pas se substituer aux aumôniers des différents cultes pour éviter la confusion des rôles. Cela lui permettra de préserver sa posture de soignant. Que comprendrait le patient s'il était confronté à un discours schizophrénique du soignant mélangeant données scientifiques et interventions divines ? En dehors des sollicitations d'ordre religieux, les soignants sont régulièrement interpellés par les patients quant à leurs interrogations sur le sens de la maladie, le sens de leur vie ou encore sur ce qu'est la mort. Ces patients aimeraient trouver des réponses : l'être de pensée, qu'ils persistent à être, garde

un besoin inextinguible de trouver une explication rationnelle aux événements auxquels il est confronté. Bien sûr les soignants n'ont pas de réponse évidente à ces questions : la maladie, bien qu'on en connaisse parfois des facteurs de risque, se déclare pour des raisons et à un moment imprévisibles. La mort est une inconnue que personne n'est revenue raconter... Quand bien même le professionnel de santé serait en capacité de trouver pour lui-même des réponses de l'ordre de l'intime à ces différentes questions, que pourrait-il en transmettre à autrui ? À défaut de pouvoir apporter des réponses au patient, être disponible auprès de lui, le laisser formuler ses préoccupations spirituelles, permet certainement aide et soutien. Certains systèmes de soin à travers le monde développent des concepts de travailleurs spirituels. Ils pourraient accompagner le patient au long de la maladie. Il existe quelques publications et interventions sur le sujet. Il faudra du temps pour en évaluer la valeur et la pertinence dans l'assistance apportée aux patients et à leur entourage.

Souffrances physique + psychique + sociale + spirituelle = souffrance existentielle ? Lorsque le patient souffre dans son corps, dans son humeur, dans sa relation à l'autre, à la société et/ou dans son âme, il peut ne plus trouver de sens à sa vie. C'est ce que l'on pourrait appeler la souffrance existentielle, celle qui fait que certains patients souhaitent mourir ou tout au moins ne plus vivre cette vie (ou survie) qui n'est que mal-être. La souffrance existentielle est le terreau de la demande d'euthanasie, de suicide assisté ou encore de sédation profonde et continue maintenue jusqu'au décès (seule entité que la loi française autorise à ce jour). Il n'est pas question ici de militer pour ou contre la légitimation ou la légalisation d'un de ces dispositifs. Il s'agit surtout de proposer une réflexion autour de cette souffrance existentielle. Elle existe et des demandes de mort sont formulées par certains patients lorsqu'ils la subissent. La première étape de la réflexion du soignant, à qui cette demande est adressée, doit reposer sur une analyse méticuleuse des souffrances que le patient subit et qui l'amènent à ne plus avoir envie de vivre. Il existe souvent des moyens pour, si ce n'est les abolir, au moins les atténuer. Il serait dommage que le patient n'ait pu en bénéficier, le poussant dans cet extrême. Ces moyens reposent sur une évaluation des différents signes et symptômes d'inconfort ressentis par le patient et sur les traitements et soutiens qui peuvent lui être proposés. Cela nécessite d'avoir des professionnels de santé formés et entraînés à cela, ce qui n'est pas le cas.

Souffrance réfractaire Parfois, malgré tous les moyens employés, rien ne peut soulager le patient : sa souffrance sera alors qualifiée de réfractaire. Si le patient en fait la demande, et sous réserve de certaines conditions qu'il devra remplir (maladie incurable, pronostic engagé à court terme, décision d'arrêt de traitement, souffrance réfractaire présente ou induite par un arrêt de traitement) et de la validation par une procédure collégiale, il pourra être rendu inconscient, ses traitements de

326   Partie 5. Douleur selon le contexte maintien en vie arrêtés (y compris alimentation et nutrition) jusqu'à son décès. Il s'agit alors d'une sédation profonde et continue maintenue jusqu'au décès. Ce dispositif peut répondre à une souffrance existentielle réfractaire. Il n'est pas toujours souhaité par le patient, même si bon nombre vont l'évoquer de façon anticipée pour se garantir qu'ils auront cette solution si la situation leur devenait insupportable. Pensée comme un geste médical réalisé dans l'intention de soulager le patient et non pas pour donner la mort, cette sédation est lourde de sens et de conséquences : le patient qui était conscient ne pourra plus interagir jusqu'à son décès. Il faudra veiller à être sûr que cette sédation, si elle doit être engagée réponde bien à une souffrance réfractaire et non pas à une souffrance insuffisamment prise en charge.

En résumé, pour tenter de soulager une douleur (totale) en soins palliatifs Nous avons vu que la douleur totale à laquelle est confronté le patient en soins palliatifs est une entité complexe. Plurifactorielle, elle concerne des champs tant médicaux que psychosociaux et spirituels. La conduite à tenir face à cette souffrance globale consiste à réaliser, dans un premier temps, une évaluation rigoureuse de la situation du patient : essayer de comprendre ce qui peut le gêner, ses tourments et ses aspirations. Il ne faudra pas hésiter à solliciter différents corps de métiers : psychiatres, psychologues, stomathérapeutes, diététiciens, ergothérapeutes, kinésithérapeutes, assistants sociaux, etc. Ensuite, en s'appuyant sur les informations recueillies, une réflexion sur les avantages et inconvénients des différentes alternatives thérapeutiques possibles permettra d'aboutir à la définition d'un projet de soin le mieux adapté possible à ses besoins, attentes, désirs et envies. Cette démarche d'évaluation et de proposition ne peut s'appuyer que sur une logique d'interdisciplinarité : chaque professionnel, dans son domaine de compétence spécifique, contribuera à l'évaluation la plus juste possible de ce que vit le patient. La mise en commun des informations collectées et la discussion entre ces différents professionnels concernant la pertinence de chacun des actes envisageables aidera à définir au mieux les moyens à proposer au malade pour le soulager. Ce travail interdisciplinaire potentialise les expertises individuelles : chaque professionnel va enrichir et compléter la compétence de l'autre afin d'améliorer la prise en charge du patient. Cela permet également une valorisation du travail de chacun et la diminution du risque d'épuisement des soignants.

Aspect déontologique Pour les soignants, le « cadre déontologique » est souvent mal connu, voire pensé comme rébarbatif ou coercitif. Pourtant, les différentes lois promulguées concernant les soins palliatifs et la prise en charge de la douleur sont une aide précieuse pour les professionnels de santé. En première lecture, elles semblent contraindre les soignants en imposant une obligation de moyen (pour soulager la souffrance du patient). En y regardant de plus près, elles guident et

protègent les soignants en définissant un périmètre d'action précis. Elles les autorisent, par exemple, à prendre certains risques pour mieux soulager la douleur (ou tout autre symptôme) d'un malade dans certaines conditions.

Historique de la loi En France, jusqu'à la fin des années 1990, il n'existait pas de législation concernant la fin de vie. La loi définissait la mort (par arrêt cardiocirculatoire et encéphalique). Caricaturalement, elle incitait le praticien, dans une pensée médicale toute puissante, à utiliser tous les moyens à disposition pour que le patient survive. En plus d'être toute puissante, la pensée médicale était aussi paternaliste : le patient n'avait pas ou peu son mot à dire quant aux choix thérapeutiques, le médecin décidant en « bon père de famille  4» ce qu'il considérait être le mieux en termes de soins ou d'actions à réaliser. Il devait tout faire pour arriver à convaincre (contraindre) le patient à les accepter. Et celui-ci devait s'y soumettre. La souffrance que le malade pouvait endurer ou qui était provoquée par les soins n'était pas au premier plan des priorités médicales. Limiter ou arrêter un traitement était alors considéré pénalement comme un homicide. Il en allait de même si un patient venait à décéder du fait de traitements mis en place pour le soulager. Bien sûr, les professionnels de santé savaient s'arrêter lorsque les soins invasifs qu'ils pouvaient mettre en place ou prolonger n'apportaient plus qu'inconfort et ne permettaient qu'une survie sans vrai bénéfice pour les patients. De leur propre chef, ils arrêtaient les traitements sans pouvoir l'assumer ouvertement. Clandestines, ces décisions et leur mise en pratique s'appuyaient sur leur propre subjectivité, ce qui présentait un certain risque de dérive. À cette même époque, les médecins, confrontés aux souffrances des mourants et se sentant impuissants à les soulager dans ces moments ultimes, ont imaginé une « potion » permettant d'adoucir leurs fins de vie. Il s'agissait du fameux Dolosal®, Largactil®, Phénergan® (DLP). Cette association d'un opioïde, d'un neuroleptique et d'un barbiturique était fortement sédative et permettait une mort plus apaisée. Insidieusement, cette prescription s'est transformée en cocktail lytique, voué, lors de son utilisation, à accélérer la survenue du décès, sans que cela soit clairement évoqué. La clandestinité, là encore, régnait. Une première loi relative à la fin de vie [5] a été votée en 1999. Son texte en fait avant tout une loi d'intention : il introduit dans l'arsenal juridique français le droit pour tout patient dont l'état le requiert d'avoir accès à des soins palliatifs. Les soins palliatifs, qui jusqu'alors pouvaient être considérés comme accessoires et dépendaient de la motivation ou de la bonne volonté des soignants, deviennent un impératif dans la prise en charge du patient en fin de vie. Cette loi va permettre de structurer l'organisation de cette discipline, de faire rentrer leur enseignement dans le cursus de formation des différents professionnels de santé et de définir clairement le rôle des bénévoles d'accompagnement. Une des conséquences de cette loi est la création ou le renforcement d'équipes, d'unités hospitalières et de réseaux ambulatoires de soins palliatifs, du fait de leur obligation devenue régle Code de déontologie médicale de 1947.

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Chapitre 49. Douleur en soins palliatifs    327 mentaire dans les différents schémas régionaux de soin. La « carotte » de l'accréditation (appelée aujourd'hui certification) a ainsi incité un certain nombre d'institutions à la création de telles structures. Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé, fait voter en 2002 une nouvelle loi [6] connue sous son nom, qui va modifier les fondements de la relation médecin-malade. En s'appuyant sur un principe d'autonomie, elle introduit la notion de consentement éclairé. Le médecin se voit désormais dans l'obligation d'informer le patient sur son état de santé, sur l'évolution de sa pathologie et sur les avantages et inconvénients des explorations et traitements qu'il peut lui proposer. Le malade peut, une fois cette information loyale reçue, accepter ou non les soins qui lui sont préconisés. La notion de personne de confiance apparaît dans cette loi. Ayant pris acte que les proches du patient ne sont pas toujours en mesure de transmettre ses volontés, le législateur a permis au patient de désigner une personne qui sera en mesure de faire connaître ses souhaits s'il n'était pas en mesure de s'exprimer. Cette personne de confiance n'a pas vocation à parler en son nom propre ou encore à décider à la place du patient. Lors des débats ayant abouti à la ratification de la loi, le pouvoir de la famille et des proches du patient dans la prise de décision a été discuté par les parlementaires. Il a été retenu de ne pas donner à l'entourage du malade la possibilité de décider afin qu'il ne porte ni culpabilité, ni responsabilité. Suite à la très médiatisée « affaire Vincent Humbert », jeune homme tétraplégique qui avait, dans une lettre adressée au président de la République, demandé à ce qu'on lui donne la mort, Jacques Chirac, constatant le vide juridique entourant la fin de vie, a mandaté Jean Léonetti pour mettre en place une commission de réflexion sur la fin de vie. Les propositions présentées dans le rapport de cette commission vont être adoptées en 2005 à l'unanimité des deux chambres et devenir ce qui est couramment appelé la « loi Léonetti » [7]. Cette loi introduit dans le droit français le principe du « laisser mourir » : le praticien n'est plus obligé de tout faire pour maintenir le patient en vie lorsque sa situation est dépassée. Les principaux éléments introduits ou définis dans la loi sont alors : ■ l'interdit de l'obstination déraisonnable qui consisterait en des soins inutiles, disproportionnés ou n'ayant comme effet que le seul maintien artificiel de la vie. La loi ne pouvant déterminer dans chaque situation singulière où se situe la limite de l'obstination déraisonnable, il sera nécessaire, pour chaque patient, de définir le seuil à partir duquel le soin basculerait dans cette obstination déraisonnable [8] ; ■ la possibilité pour le patient de refuser des traitements sous réserve qu'il dispose d'une information adaptée sur les conséquences de son choix et d'un délai raisonnable pour réitérer sa décision, en toute connaissance de cause ; ■ les modalités de prise de décision pour le patient qui n'est pas en mesure de s'exprimer (procédure collégiale de limitation ou d'arrêt de traitement) ; ■ les directives anticipées qui permettent au patient de mettre par écrit ses volontés quant à d'éventuels arrêts ou limitations de traitement ;

■ une hiérarchisation dans le recueil des volontés du patient : les directives anticipées écrites sont prioritaires sur le témoignage de la personne de confiance, ce témoignage étant lui-même prioritaire sur celui de la famille et des proches du patient ; ■ l'application de la théorie du « double effet [9] » dans le soulagement de la souffrance. Du fait d'un débat de société régulièrement relancé par d'autres affaires médiatisées (Chantal Sébire, Vincent Lambert, Docteur Bonnemaison, Marwa, etc.) et du fait d'un lobbying d'associations ou mouvements politiques souhaitant soit une légalisation de l'euthanasie ou du suicide assisté, soit un retour en arrière sur les possibilités de limitation ou d'arrêt de traitement, la loi a été remaniée en 2016 [10]. Les principales modifications apportées par cette nouvelle loi sont : ■ l'obligation de moyen concernant le soulagement de la douleur (nous y reviendrons) ; ■ la caractérisation de l'alimentation et de l'hydratation artificielles comme des traitements qui peuvent être arrêtés ou ne pas être entrepris ; ■ le caractère opposable des directives anticipées que le médecin est obligé de respecter, sauf urgence ou si elles ne s'avéraient pas adaptées à la situation présentée par le patient (sous réserve que leur caractère inadapté soit confirmé par la réalisation d'une procédure collégiale) ; ■ la disparition de la durée de validité des directives anticipées (valables jusque-là trois ans) et de la désignation d'une personne de confiance (qui jusqu'alors n'était désignée que pour la durée d'une hospitalisation ou d'une maladie) ; ■ la possibilité de réaliser une sédation profonde et continue maintenue jusqu'au décès à la demande du patient (déjà évoquée plus tôt dans ce chapitre).

Éléments déontologiques à retenir concernant la prise en charge de la douleur en soins palliatifs Le préambule de la loi de 2016 affirme un droit à une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance et insiste sur le fait que la souffrance doit être, en toutes circonstances, prévenue, prise en compte, évaluée et traitée. La loi confirme ainsi une obligation de moyens pour aboutir à ce soulagement. Il s'agit bien d'une obligation de moyens et non de résultat, le législateur ayant bien conscience que la médecine du 100 % n'existe pas. Assurer ce droit pour le patient à recevoir des traitements et des soins visant à soulager la souffrance est un travail d'équipe. L'aide-soignante qui dépiste des allodynies lors de la toilette ; l'infirmière, le kinésithérapeute et même l'étudiant en médecine qui sont témoins ou évaluent les douleurs ; ou encore le médecin qui évalue, prescrit ou réajuste les traitements antalgiques : tous doivent être acteurs de cette démarche de soulagement. Il s'agit, plus que d'une responsabilité collective, d'un combat collectif. Beaucoup de moyens simples peuvent permettre de soulager le patient, encore faut-il faire une évaluation de qualité et avoir des connaissances thérapeutiques suffisantes : on évalue, traite et soigne bien que ce que l'on connaît.

328   Partie 5. Douleur selon le contexte Il existe encore beaucoup de peurs et de résistances quant à la mise en place et l'ajustement des traitements à visée symptomatiques. Les soignants hésitent à mettre en place ces traitements, perçus comme secondaires car non curatifs, par crainte qu'ils n'accélèrent la survenue du décès. Ils préfèrent encore trop souvent laisser souffrir le patient que de prendre ce risque. C'est pourquoi la loi de 2005 instaure le principe du double effet dans la prise en charge de la souffrance en fin de vie. Le praticien peut mettre en place des traitements à visée antalgique (et sédative) même s'ils peuvent avoir comme effet d'abréger la vie dans le but de répondre à la souffrance réfractaire. Le malade doit bien sûr être informé des risques encourus. Avant leur mise en place, le soignant doit se questionner sur : ■ l'intention de sa prescription : met-il en place ce traitement pour soulager ? Dans ce cas, il est dans son bon droit. Si son intention est de faire mourir le patient, alors, il ne doit pas le faire ; ■ la proportionnalité de sa prescription : pour soulager le patient, existe-t-il un traitement qui pourrait avoir le même effet de soulagement avec un risque moindre ? alors, il devrait choisir cet autre traitement. On imagine bien que cet article de loi a été pensé en partie au regard des risques de dépression respiratoire sous opioïdes (pourtant si rares quand ils sont bien utilisés) ou d'une sédation. Son champ d'application est bien plus vaste. Ainsi le professionnel de santé sera amené à envisager des traitements reconnus comme pouvant soulager le patient mais présentant des risques importants. On peut citer par exemples les corticoïdes qui peuvent majorer un risque infectieux mais aussi lever une occlusion sur carcinose péritonéale, ou encore la noramidopyrine risquant de provoquer une agranulocytose mais antalgique puissant sur les douleurs de cette même occlusion, etc.

Pour conclure La médecine palliative vise la meilleure qualité de vie possible pour le patient atteint d'une maladie grave. Une évaluation rigoureuse médicale, psychologique, sociale et spirituelle est nécessaire pour proposer un projet de soin adapté aux besoins du patient et de son entourage. La législation, mal connue, peu appliquée, est d'une grande utilité dans la pratique palliative.

Il n'existe pas de différence dans la prise en charge des douleurs somatiques entre les patients en soins palliatifs et les autres. Ils présentent les mêmes mécanismes douloureux. Les règles d'évaluation, les démarches diagnostiques et thérapeutiques développées dans cet ouvrage s'appliquent aussi bien à ces patients. Il faudra envisager la réflexion menant au traitement en y incluant une vision globale du patient tenant compte de la spécificité de sa pathologie. Il sera utile d'anticiper tant que possible l'évolution prévisible de ses douleurs dont on sait qu'elles vont se modifier du fait de l'évolution de la maladie causale. Il faudra aussi garder en tête de parfois s'autoriser des risques plus importants, s'il n'y a pas d'autre moyen de soulager le patient.

Références [1] Camus A. La Mort heureuse. Paris : Gallimard ; 1971. [2] OMS. Soins palliatifs, https : //www.who.int/cancer/palliative/fr/. [3] Ogien R. Mes mille et une nuits. In : La maladie comme drame et comme comédie. Albin Michel ; 2017. [4] Pascal B. Pensées. Fragment 347. Édition de Brunschvicg. [5] Loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidText e=JORFTEXT000000212121. [6] Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. https://www.legifrance.gouv.fr/ affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000227015. [7] Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JO RFTEXT000000446240&categorieLien=id. [8] Mourman V. De l'obstination déraisonnable. Fins de vie, éthique et société. Coordonné par Emmanuel Hirsch. ERES 2016 ; 788–95. [9] D'Aquin Th. Somme théologique (II-II, q.64, a.7). 1273. [10] Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. https://www.legifrance. gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000031970253&categori eLien=id.

Bibliography Baines M. Le concept de douleur globale, in Saunders, Dame Cicely. Soins palliatifs, une approche pluridisciplinaire, sous la dir. de Cicely Saunders. Paris, Éditions Lamarre « infirmière, société et avenir », 1994.

Chapitre

50

Douleurs des grands syndromes neurologiques PLAN DU CHAPITRE 50.1 Maladie de Parkinson . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ce qu'il faut comprendre de la douleur dans la maladie de Parkinson . . . . . . . . . . . . . Principales formes cliniques de la douleur. . . . Traitements de la douleur dans la maladie de Parkinson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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50.2 Douleurs de la sclérose en plaques . . . . . . . Ce qu'il faut comprendre de la douleur . . . . . Clinique de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Traitements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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50.1  Maladie

de Parkinson

Romain Lefaucheur 

Ce qu'il faut comprendre de la douleur dans la maladie de Parkinson La maladie de Parkinson a longtemps été décrite comme une maladie affectant principalement la motricité et se caractérisant par la triade clinique associant tremblement de repos, akinésie et rigidité. De manière plus récente, les cliniciens se sont intéressés aux autres signes cliniques non moteurs de cette maladie. Ainsi, des symptômes cognitivo-comportementaux, des troubles dysautonomiques, des troubles du sommeil et la douleur ont été plus largement étudiés. La douleur est présente à tous les stades de la maladie de Parkinson, parfois même avant le diagnostic, et sa prise en charge est particulièrement difficile, dans la mesure où les étiologies de ces douleurs peuvent êtres multiples et intriquées. La douleur est très fréquente chez les patients parkinsoniens, pouvant atteindre jusqu'à deux tiers des patients selon les études. Ces douleurs peuvent être classifiées selon plusieurs modalités. Une première classification clinique, la plus couramment utilisée, permet de distinguer quatre grands types de douleurs [1] : ■ les douleurs musculosquelettiques (raideurs, crampes, myalgies) pouvant atteindre les articulations, les régions périarticulaires et les os et être la conséquence de pathologies rhumatologiques sous-jacentes ; Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

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■ les douleurs dystoniques en lien avec les postures ­dystoniques induites par la maladie de Parkinson ellemême, en particulier chez les patients fluctuant lors de blocages ou de dyskinésies ; ■ les douleurs neuropathiques centrales ayant les caractéristiques habituelles des douleurs neuropathiques, à savoir des brûlures, des dysesthésies. Elles sont parfois difficiles à identifier et leur topographie peut suivre ou non un trajet radiculaire ou tronculaire, le plus souvent sur l'hémicorps le plus atteint par la maladie ; ■ les douleurs en lien avec une akathisie, se caractérisant par une difficulté à rester immobile et un besoin irrésistible et douloureux de bouger. Une autre classification de la douleur, plus physiopathologique, peut également être utilisée et distingue deux grands types de douleurs : ■ les douleurs de mécanisme périphérique pour lesquelles les symptômes moteurs de la maladie de Parkinson sont directement à l'origine des phénomènes douloureux et sont la conséquence d'un excès de nociception. Ces douleurs de mécanisme périphérique regroupent ainsi les douleurs musculosquelettiques, dystoniques et radiculaires ; ■ les douleurs de mécanisme central liées à un dysfonctionnement des mécanismes de transmission et d'intégration de la nociception secondaire aux lésions des noyaux gris centraux de la maladie de Parkinson. Ce sont les douleurs neuropathiques centrales décrites un peu plus haut. Il existe plusieurs explications physiopathologiques aux douleurs dans la maladie de Parkinson. Pour résumer, la dénervation des noyaux gris centraux, à savoir de la voie nigro-striatale dans la maladie de Parkinson, et le déficit dopaminergique qu'elle engendre, entraîne une modification centrale de la perception douloureuse [2]. 329

330   Partie 5. Douleur selon le contexte Ainsi, plusieurs études ont démontré que les seuils nociceptifs étaient diminués chez les patients parkinsoniens et que l­'administration de lévodopa modifiait ces seuils en les é­ levant, voire parfois en les normalisant. Des études d'imagerie fonctionnelle ont ainsi montré qu'il existait une ­hyperactivation de plusieurs aires cérébrales impliquées dans la nociception chez des patients parkinsoniens non douloureux et que la lévodopa diminuait cette hyperactivation dans ces mêmes aires [3]. Enfin, d'autres systèmes de neurotransmetteurs, à l'instar des systèmes noradrénergiques, sérotoninergiques et opioïdes, altérés dans la maladie de Parkinson, sont également impliqués dans la perception douloureuse anormale des patients parkinsoniens.

Principales formes cliniques de la douleur Comme indiqué en introduction, la sémiologie et la recherche de l'étiologie de la douleur dans la maladie de Parkinson sont parfois difficiles en pratique courante. Il convient donc de rester systématique et de ne pas retenir trop rapidement la maladie de Parkinson comme responsable des douleurs présentées par les patients. Par exemple, une douleur du membre inférieur chez un patient parkinsonien fluctuant ne doit pas faire méconnaître une douleur en lien avec un phénomène arthrosique, une tendinopathie, une épine calcanéenne, etc. Il ne faut donc pas hésiter à recourir à des examens complémentaires avant de conclure trop rapide­ment à une douleur purement « parkinsonienne ». Selon le stade de la maladie, nous pouvons décrire plusieurs syndromes douloureux classiquement rencontrés dans la maladie de Parkinson.

Douleurs en début de maladie Un syndrome douloureux peut être inaugural de la maladie de Parkinson dans 10 à 20 % des cas, voire précéder les premiers signes moteurs de la maladie de plusieurs mois, et même des années.

Douleur d'épaule pseudo-rhumatismale Il s'agit d'une douleur unilatérale de l'épaule, d'allure mécanique. Cliniquement, le tableau peut faire évoquer une capsulite rétractile et résiste aux antalgiques usuellement utilisés dans une telle pathologie. Le syndrome parkinsonien, souvent de forme akinéto-hypertonique latéralisée du côté de l'épaule douloureuse, peut apparaître de manière concomitante ou dans un délai d'un à deux ans [4]. Ce syndrome douloureux est sensible au traitement antiparkinsonien dopaminergique. Le diagnostic différentiel est celui d'autres affections rhumatologiques, en particulier si les douleurs sont bilatérales ou s'il existe un syndrome inflammatoire

Douleurs du rachis lombaire ou cervical Ces douleurs sont liées à des contractures musculaires paravertébrales. La mobilisation du rachis est indolore. Le traitement dopaminergique permet une amélioration de ces douleurs, qui ne doivent pas, par ailleurs, faire méconnaître une arthrose ou une ostéoporose, pathologies atteignant de manière plus fréquente les patients parkinsoniens comparativement à la population générale.

Autres formes de douleurs En début de maladie, certains patients peuvent décrire des douleurs à type de paresthésies, de sensations de chaleur, de véritables douleurs d'allure neuropathique. Chez les patients débutant une maladie précocement avant 40  ans, il existe parfois des phénomènes dystoniques douloureux, affectant préférentiellement le membre inférieur en distalité, et pouvant être responsables de douleurs à type de crampes ou de tension musculaire.

Douleurs au stade des fluctuations La maladie de Parkinson suit une évolution en plusieurs stades. Ainsi, une fois le diagnostic posé, l'introduction d'un traitement antiparkinsonien dopaminergique (agonistes dopaminergiques et/ou lévodopa) permet une amélioration de symptômes moteurs de la maladie et les patients présentent alors une période de « lune de miel » pendant laquelle le traitement permet un contrôle « quasi parfait » des symptômes moteurs. Au bout de trois à cinq ans, la moitié des patients évolueront vers le stade des fluctuations motrices de la maladie, où les symptômes moteurs redeviennent invalidants, obligeant à une majoration et/ou une fragmentation du traitement dopaminergique. Les patients présentent alors des symptômes à type de fluctuations motrices de début et fin de dose (autrement appelées périodes off) pendant lesquelles le syndrome parkinsonien devient plus sévère ; ou des dyskinésies de milieu de dose, sous forme de mouvements choréiques, lorsque les patient ne sont plus « bloqués » (périodes on). À ce stade, les douleurs sont souvent en lien avec ces périodes de fluctuations motrices lors des périodes off. Néanmoins, certaines fluctuations douloureuses peuvent parfois aussi être indépendantes des fluctuations motrices.

Douleurs et mouvements anormaux L'apparition de fluctuations motrices dans la maladie de Parkinson se traduit souvent sémiologiquement par l'apparition de mouvements anormaux. Ces mouvements anormaux sont pourvoyeurs de douleurs. Ainsi, des douleurs apparaissent lors de manifestations dystoniques qui surviennent plutôt en début et fin de dose (c'est-à-dire rapidement au décours d'une prise de traitement antiparkinsonien ou peu de temps avant de le reprendre), ou le matin au réveil, au cours de la nuit, ou lors de périodes off imprévisibles. Ces manifestations dystoniques se manifestent sous forme de torsions douloureuses des orteils et du pied, plus rarement de la main, de la région cervicale ou du tronc. Classiquement, il existe une extension douloureuse du premier orteil, une flexion des autres orteils, et, parfois, un pied en varus équin [5]. L'adaptation du traitement dopaminergique permet souvent de soulager les douleurs. Le recours à de l'apomorphine sous forme d'injections sous-cutanées, de lévodopa sous forme dispersible, ou à des injections de toxine botulique dans les muscles impliqués permettent de soulager les postures dystoniques ainsi que les douleurs. La stimulation cérébrale profonde est également très efficace sur cette symptomatologie douloureuse.

Chapitre 50. Douleurs des grands syndromes neurologiques    331 A contrario, lorsque les patients sont en « on », ils peuvent présenter des mouvements anormaux involontaires sous forme de mouvements choréiques, également appelés dyskinésies de pic de dose, affectant préférentiellement le côté où le syndrome parkinsonien est le plus sévère, mais aussi la région cervicale et le tronc. Les patients sont souvent partiellement anosognosiques de ces mouvements qui sont généralement moins pourvoyeurs de douleurs, sauf lorsque ces mouvements anormaux sont très intenses. En cas de douleurs lors de dyskinésies de pic, la fragmentation du traitement dopaminergique, l'instauration d'amantadine et la stimulation cérébrale profonde sont des thérapeutiques efficaces.

Douleurs et fluctuations Les manifestations douloureuses peuvent être très polymorphes chez les patients parkinsoniens fluctuants. Ainsi, des douleurs neuropathiques à type d'engourdissement, d'étau, de chaleur, de douleurs lancinantes sont décrites par les patients et peuvent affecter l'hémicorps le plus sévèrement touché par la maladie. Néanmoins, ces douleurs peuvent être plus diffuses et n'évoluent pas forcément au même rythme que les fluctuations motrices de la maladie [6]. Enfin, ces manifestations douloureuses peuvent s'exprimer parfois de manière inattendue. Les patients décrivent des douleurs abdominales intenses, rythmées ou non par les prises médicamenteuses, des sensations d'oppression thoracique avec dyspnée, et même des douleurs génitales [7]. Ces fluctuations non motrices douloureuses sont parfois accompagnées de signes dysautonomiques (sueurs, flushs) et peuvent mimer des douleurs viscérales. Il n'existe pas de recommandations spécifiques pour la prise en charge thérapeutique de ces fluctuations non motrices douloureuses. L'ajustement du traitement dopaminergique est souvent réalisé mais d'efficacité inconstante. Le recours à des traite­ments symptomatiques tels que les tricycliques (amitriptyline), des antiépileptiques (gabapentine, prégabaline) est parfois intéressant. La stimulation cérébrale profonde semble en revanche une alternative thérapeutique très efficace sur les fluctuations non motrices douloureuses.

Autres douleurs Certains patients au stade des fluctuations souffrent d'akathisie, qui correspond à un besoin permanent et désagréable de se mobiliser sans cesse. Ces symptômes sont proches de ceux du syndrome des jambes sans repos qui affecte de manière significativement plus élevée les patients parkinsoniens traités comparativement à la population générale et aux patients parkinsoniens de novo naïfs de traitement. Le syndrome des jambes sans repos se caractérise par un besoin irrépressible de mobiliser les membres inferieurs en réponse à des paresthésies parfois douloureuses de ces mêmes membres ; ces symptômes survenant en décubitus ou en position assise prolongée. Ces sensations douloureuses sont soulagées à l'orthostatisme et à la marche. Ces symptômes sont pourvoyeurs d'insomnie. Les agonistes dopaminergiques permettent de bien soulager les patients. L'ajout de lévodopa ou l'utilisation de prégabaline peuvent également être efficaces [8].

L'ostéoporose et les pathologies musculosquelettiques sont plus fréquentes chez les patients parkinsoniens que dans la population générale. Des douleurs articulaires peuvent ainsi être majorées par l'intensité et la sévérité du syndrome akinéto-rigide et, par conséquent, la moindre mobilisation de l'articulation atteinte. L'adaptation du traitement antiparkinsonien, le recours aux antalgiques et à la kinésithérapie peuvent alors permettre un soulagement de la douleur.

Douleurs au stade de déclin À ce stade tardif de la maladie apparaissent des signes moteurs axiaux et des signes non moteurs de la maladie peu, voire non sensibles au traitement dopaminergique classique. Ces signes associent une dysarthrie, des troubles de la déglutition, une instabilité posturale, des troubles vésico-sphinctériens et des troubles cognitifs. À ce stade, les douleurs sont le plus souvent conséquentes des déformations articulaires et rachidiennes. Ainsi, des postures dystoniques fixées au niveau des pieds peuvent apparaître avec un pied en varus équin et des orteils en griffe. Des déformations au niveau des mains et poignets sont également observables. Au niveau rachidien, des déformations peuvent apparaître avec des tableaux de cyphose dorsale, de déséquilibre lombaire dans le sens coronal autrement appelé « syndrome de la tour de Pise » ou une antéfléxion majeure du tronc dénommée camptocormie. L'ensemble de ces déformations sont sources de douleurs articulaires et musculosquelettiques qu'il conviendra de traiter avec les antalgiques habituellement utilisés dans ces indications. Néanmoins, des précautions sont à prendre chez ces patients fragiles sur le plan cognitif et chez qui des antalgiques de pallier 2 ou 3 pourraient décompenser une fragilité cognitive avec l'apparition d'une confusion, d'une agitation ou d'hallucinations.

Traitements de la douleur dans la maladie de Parkinson Traitement médicamenteux Comme vous avez pu le lire ci-dessus, l'optimisation du traite­ment dopaminergique antiparkinsonien est un élément fondamental pour soulager, tout du moins partiellement, les douleurs dans la maladie de Parkinson. Certains aspects ont été traités dans les chapitres précédents. Le traitement antiparkinsonien per os comprend essentiellement deux grands types de molécules.

Agonistes dopaminergiques (Réquip®, Sifrol®, Neupro®, Trivastal®)

Disponibles sous forme LP pour le Réquip® et le Sifrol®, et sous forme de patch pour le Neupro®, ces traitements sont utilisés chez les patients parkinsoniens pour contrôler les symptômes moteurs. Ils permettent de retarder la survenue de fluctuations motrices et sont utilisés classiquement chez les patients de moins de 70 ans. Ils sont particulièrement efficaces sur les symptômes du syndrome des jambes sans repos lorsque ceux-ci sont présents. L'ajustement de leur posologie peut permettre de réduire les fluctuations motrices et non motrices de la maladie, et ainsi indirectement diminuer l'intensité des douleurs chez le patient parkinsonien lorsque celles-ci sont en lien

332   Partie 5. Douleur selon le contexte avec les fluctuations. Leurs principaux effets indésirables sont la constipation, les œdèmes des membres inférieurs, les nausées, des hallucinations, l'hypotension artérielle, mais surtout l'apparition de troubles du contrôle des impulsions se traduisant par des achats inconsidérés, des jeux pathologiques, des troubles du comportement alimentaire et une hypersexualité. La diminution de la posologie, voire l'arrêt de ces traitements permettent la disparition de ces effets indésirables. Parmi les agonistes dopaminergiques, l'apomorphine (Apokinon®) occupe une place à part. Cette molécule est un agoniste dopaminergique utilisable uniquement en injections sous-cutanée. Son utilisation sous forme de stylo injectable permet de lever rapidement les fluctuations motrices, et s'avère particulièrement utile pour les dystonies du petit matin, souvent douloureuses, ou les blocages imprévisibles. Les effets indésirables sont les mêmes que ceux des agonistes per os. L'apomorphine peut également être utilisée sous forme de pompe sous-cutanée (cf. chapitre suivant).

Lévodopa (Modopar®, Sinemet®) C'est le traitement le plus efficace sur les symptômes moteurs de la maladie de Parkinson. Il a été démontré qu'elle diminuait le seuil nociceptif chez les patients parkinsoniens. La lévodopa est efficace sur les douleurs de l'épaule du patient parkinsonien de novo, comme sur les douleurs en lien avec les fluctuations chez les patients plus avancés dans la maladie. Les principaux effets indésirables sont l'hypotension artérielle, la somnolence, les nausées (à l'introduction essentiellement). L'ajustement des posologies ou le fractionnement des prises de lévodopa permettent d'améliorer les douleurs chez les patients fluctuants. Il existe des formes dispersibles (Modopar® dispersible) permettant, à l'image du stylo d'apomorphine, de lever rapidement les dystonies douloureuses ou les fluctuations imprévisibles douloureuses. Les formes LP de lévodopa, en revanche, se révèlent décevantes pour maîtriser les fluctuations de la maladie. L'ajout d'un inhibiteur de la catéchol-O-méthyltransférase (COMT) (Comtan®, Stalévo®, Tasmar®) à chaque prise de lévodopa chez un patient fluctuant réduit les fluctuations motrices de la maladie et peut ainsi permettre une diminution des douleurs en lien avec les fluctuations. Les douleurs neuropathiques de la maladie de Parkinson sont parfois difficiles à contrôler. La gabapentine (Neurontin®), la prégabaline (Lyrica®), l'amitriptyline (Laroxyl®) sont ainsi souvent utilisés, sans que des études spécifiques chez des patients parkinsoniens douloureux n'aient été menées. En revanche, l'administration de duloxétine (Cymbalta®) permettrait de diminuer significativement les scores cliniques de douleur chez les patients parkinsoniens [9]. Les antalgiques de paliers 1, 2, voire 3, peuvent être utilisés dans la prise en charge des douleurs chez les parkinsoniens. Les indications sont les mêmes que dans la population générale. Il faut toutefois veiller aux effets indésirables, en particulier chez les patients fragiles sur le plan cognitif, avec la survenue d'hallucinations ou d'une confusion. La toxine botulique trouve sa place dans la prise en charge de phénomènes dystoniques douloureux, en particulier aux membres inférieurs. Des injections dans l'extenseur propre du 1er orteil, du fléchisseur commun des orteils, voire du tibial postérieur, permettent de soulager les douleurs en complément de l'ajustement du traitement dopaminergique.

Traitements de seconde ligne Chez les patients présentant des fluctuations persistantes malgré un traitement médicamenteux optimal, il est possible de proposer des traitements dits de « stimulation dopaminergique continue ». Ainsi, la mise en place d'une pompe à apomorphine en sous-cutané ou d'une pompe à Duodopa ® (lévovopa sous forme liquide), par l'intermédiaire d'une sonde de jéjunostomie, permet de délivrer un traitement en continu et, par conséquent, de diminuer drastiquement les fluctuations de la maladie. Les études ont ainsi démontré une amélioration significative de la qualité de vie chez ces patients, améliorations constatées aussi pour les items concernant les douleurs. La stimulation cérébrale profonde des noyaux sous-­ thalamiques permet aussi de diminuer drastiquement les fluctuations de la maladie. La douleur a été particulièrement étudiée chez les patients opérés. Ainsi, certaines études ont montré une amélioration des douleurs en lien avec les fluctuations non motrices de l'ordre de 84 % comparativement aux scores préopératoires [10]. La stimulation cérébrale profonde est aussi particulièrement efficace sur l'amélioration des dystonies, souvent source de douleurs [11]. En revanche, d'autres études ont montré que certaines douleurs d'ordre rhumatologique, en particulier arthrosiques, pouvaient apparaître après l'intervention ou se manifester à nouveau [12].

Traitements non médicamenteux Une prise en charge en kinésithérapie est indispensable chez les patients parkinsoniens. Les douleurs ostéoarticulaires peuvent être prises en charge lors de séances spécifiques. L'efficacité de l'hypnose ou de la sophrologie reste à déterminer dans la prise en charge des patients parkinsoniens.

Conclusion La prise en charge de la douleur dans la maladie de Parkinson est complexe. Les douleurs varient et changent avec l'évolution de la maladie. L'optimisation du traitement antiparkinsonien est primordiale pour le contrôle de ces douleurs. Les traitements de seconde intention, lorsqu'ils sont applicables, sont efficaces sur la prise en charge de la douleur.

Références [1] Ford B. Pain in Parkinson's disease. Clin Neurosci 1998 ; 5 : 63–72. [2] Chudler EH, Dong WK. The role of the basal ganglia in nociception and pain. Pain 1995 ; 60 : 3–38. [3] Brefel-Courbon C, Payoux P, Thalamas C, Ory F, Quelven I, Chollet F, et al. Effect of levodopa on pain threshold in Parkinson's disease : a clinical and positron emission tomography study. Mov Disord 2005 ; 20 : 1557–63. [4] Riley D, Lang AE, Blair RD, Birnbaum A, Reid B. Frozen shoulder and other shoulder disturbances in Parkinson's disease. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1989 ; 52 : 63–6. [5] Vidailhet M, Bonnet AM, Marconi R, Gouider-Khouja N, Agid Y. Do parkinsonian symptoms and levodopa-induced dyskinesias start in the foot ? Neurology 1994 ; 44 : 1613–6.

Chapitre 50. Douleurs des grands syndromes neurologiques    333 [6] Brun L, Lefaucheur R, Fetter D, Derrey S, Borden A, Wallon D, et al. Non-motor fluctuations in Parkinson's disease: prevalence, characteristics and management in a large cohort of parkinsonian outpatients. Clin Neurol Neurosurg 2014 ; 127 : 93–6. [7] Lefaucheur R, Berthelot L, Senant J, Borden A, Maltete D. Acute genital pain during non-motor fluctuations improved by apomorphine. Mov Disord 2013 ; 28 : 687–8. [8] Winkelmann J, Allen RP, Hogl B, Inoue Y, Oertel W, Salminen AV, et al. Treatment of restless legs syndrome: Evidence-based review and implications for clinical practice (Revised 2017) (section sign). Mov Disord 33 : 1077–91. [9] Djaldetti R, Yust-Katz S, Kolianov V, Melamed E, Dabby R. The effect of duloxetine on primary pain symptoms in Parkinson disease. Clin Neuropharmacol 2007 ; 30 : 201–5. [10] Witjas T, Kaphan E, Regis J, Jouve E, Chérif AA, Péragut JC, et al. Effects of chronic subthalamic stimulation on nonmotor fluctuations in Parkinson's disease. Mov Disord 2007 ; 22 : 1729–34. [11] Derrey S, Lefaucheur R, Chastan N, Gérardin E, Hannequin D, Desbordes M, et al. Alleviation of off-period dystonia in Parkinson disease by a microlesion following subthalamic implantation. J ­Neurosurg 2010 ; 112 : 1263–6. [12] Genty S, Derrey S, Pouplin S, Lefaucheur R, Chastan N, Gérardin E, et al. Pain due to osteoarthritis may impair the early outcome of deep brain stimulation in Parkinson's disease. Clin Neurol Neurosurg 2011 ; 113 : 864–7.

gnostiques actuels, fondés sur l'IRM et l'analyse du liquide cérébrospinal, permettent de poser le diagnostic dès le premier événement clinique [2]. Parmi les nombreux signes et symptômes en rapport avec la SEP, la douleur est très fréquente, puisqu'elle concerne deux tiers des patients [3, 4]. Les douleurs les plus fréquentes sont les céphalées, principalement migraineuses, qui concernent plus de 40 % des patients. Viennent ensuite les douleurs neuropathiques continues des extrémités, présentes chez environ 30 % des patients. Enfin, les douleurs musculosquelettiques concernent un quart des patients et les douleurs neuropathiques paroxystiques (signe de Lhermitte ou névralgie du trijumeau) seront ressenties par plus de 15 % des patients à un moment ou l'autre de l'évolution de leur maladie. Il est également connu que ces différentes douleurs peuvent être présentes très précocement dans l'évolution de la SEP, voire conduire au diagnostic de la maladie inflammatoire. Toutes ces douleurs peuvent être associées chez un même patient, compliquant leur prise en charge et aggravant leur impact négatif.

Clinique de la douleur Douleurs neuropathiques centrales

50.2  Douleurs

de la sclérose en plaques

Xavier Moisset

POINTS ESSENTIELS Douleurs fréquentes et multiples (neuropathiques continues ou paroxystiques, musculosquelettiques, migraines). Bien interroger et examiner le patient pour identifier les douleurs et proposer un traitement adapté (pas de traitement spécifique hormis les cannabinoïdes pour la spasticité, non disponibles actuellement).

Ce qu'il faut comprendre de la douleur La sclérose en plaques (SEP) est une maladie neurologique caractérisée par une inflammation ainsi que des lésions dégénératives du SNC. Il n'existe pas de lésion du système nerveux périphérique et toutes les douleurs attribuables à la SEP proviennent donc d'anomalies au niveau encéphalique ou médullaire. La prévalence de la SEP en France est estimée à 100 000 [1]. Elle constitue la maladie chronique la plus fréquemment responsable d'un handicap chez l'adulte jeune. Elle est à l'origine d'une très grande variété de symptômes, qui dépendent de la localisation des lésions. Les manifestations les plus fréquentes comprennent les atteintes sensitives et motrices, les atteintes visuelles (névrite optique notamment), les troubles de l'équilibre et de la coordination, les atteintes uro-génitales et plus tardivement les troubles cognitifs. Les critères dia-

Continues Les douleurs neuropathiques centrales continues sont probablement liées à une déafférentation thalamique ou corticale en rapport avec les multiples lésions qui peuvent survenir sur l'ensemble de la voie sensitive spino-­thalamo-corticale. Néanmoins, cette condition est sans doute nécessaire mais probablement pas suffisante. En effet, si la présence de lésions sur cette voie expliquait entièrement ce type de douleur, la prévalence de ce symptôme devrait augmenter avec la durée d'évolution de la maladie, en rapport avec la probabilité de lésion sur la voie, ce qui n'est pas le cas. Toutes les lésions avec séquelles sensitives, notamment les lésions médullaires, peuvent aboutir à ce type de douleurs et les membres inférieurs sont fréquemment concernés. Il existe fréquemment une hypoesthésie, qui peut être associée à une allodynie et à d'autres caractéristiques neuropathiques. Le questionnaire sur les douleurs neuropathiques (DN4) peut contribuer à leur dépistage.

Paroxystiques Les douleurs neuropathiques paroxystiques sont dues à la genèse de décharges ectopiques à haute fréquence. La localisation du problème se situe au niveau des afférences trigéminales pour la névralgie du trijumeau et au niveau des colonnes dorsales médullaires pour le phénomène de Lhermitte. La douleur de névralgie du trijumeau est décrite dans un chapitre spécifique. La survenue de ce type de douleurs paroxystiques à type de décharge électrique dans le territoire trigéminal nécessite la réalisation d'une IRM à la recherche d'une lésion du tronc cérébral et conduit parfois au diagnostic de SEP. Il peut exister un fond douloureux permanent ou un déficit sensitif inter-critique dans le ­territoire ­douloureux qui augmentent la probabilité d'une cause secondaire, bien que le tableau clinique puisse être identique à celui d'une névralgie essentielle.

334   Partie 5. Douleur selon le contexte Le signe de Lhermitte correspond au déclenchement de paresthésies ou de décharges électriques dans les membres et le rachis, survenant électivement lors de l'antéflexion du cou. Il suffit de demander au patient d'effectuer une flexion du cou pour reproduire le symptôme. Si la SEP n'est pas connue, une IRM médullaire cervicale est indispensable en urgence pour ne pas méconnaître une compression médullaire.

Douleurs musculosquelettiques La spasticité correspond à l'exagération d'un réflexe tonique en rapport avec l'étirement musculaire. Cette contraction musculaire tonique, permanente ou favorisée par les efforts, peut engendrer des douleurs. Les spasmes toniques douloureux correspondent à des contractions musculaires involontaires, stéréotypées, uni- ou bilatérale et durant moins de deux minutes mais pouvant se reproduire plusieurs fois par jour. Ces spasmes se produisent en général pendant quelques semaines ou mois, puis finissent par disparaître. Ils peuvent être déclenchés par le tact, le mouvement, l'hyperventilation ou les émotions. Ils peuvent intéresser toutes les zones du corps. Il est possible d'essayer de les déclencher lors de la consultation, pour affirmer le diagnostic, en demandant au patient de respirer vite et fort pendant une minute (hyperventilation). Enfin, les patients présentant un déficit musculaire ou une spasticité sont sujets à des positions anormales. Ces dernières perturbent la répartition du poids du corps et induisent alors un effort excessif pour certains muscles, ligaments et articulations. Une simple réduction de mobilité va réduire l'élasticité des tendons et des ligaments et causer une limitation des amplitudes articulaires. Des douleurs lombaires ainsi que des douleurs correspondant aux points d'appuis peuvent facilement se développer.

Céphalées Les céphalées, en particulier les migraines, sont au moins deux fois plus fréquentes dans la SEP qu'en population générale. La phase inflammatoire de la maladie et le contrôle insuffisant de l'inflammation semblent être des facteurs favorisant les crises. Les caractéristiques de la migraine sont similaires à celles retrouvées en population générale. Les traitements de fond de la SEP par interférons peuvent augmenter les céphalées et les migraines.

Douleurs en lien avec une névrite optique Une névrite optique peut survenir dans la SEP. L'inflammation du nerf optique est responsable d'une baisse d'acuité visuelle et de douleurs rétro-orbitaires, majorées par les mobilisations du globe oculaire. Les signes visuels et douloureux peuvent réapparaître en cas d'augmentation de la température corporelle, en lien avec l'activité physique notamment (phénomène d'Uhthoff).

Traitements Douleurs neuropathiques centrales Continues Les traitements proposés dans les autres douleurs neuropathiques peuvent être proposés [5]. On pourra essayer en première intention des antiépileptiques gabapentinoïdes ou des antidépresseurs tricycliques ou inhibiteurs de recapture de la sérotonine et de la noradrénaline. Le traitement doit être initié à très faibles doses et augmenté progressivement pour optimiser la tolérance. Pour les antidépresseurs tricycliques, il faut être particulièrement attentif au risque de dysurie et de constipation, problématiques fréquentes dans la population de patients ayant une SEP.

Paroxystiques Les antiépileptiques agissant sur les canaux sodiques, tels que la carbamazépine, sont à utiliser en première intention, qu'il s'agisse d'une névralgie faciale ou d'un signe de Lhermitte. Les posologies à utiliser sont les mêmes que pour la névralgie faciale essentielle. En cas de problème de tolérance, l'oxcarbazépine peut également être utilisée. Lorsqu'il existe un fond douloureux permanent, on peut opter pour la gabapentine ou la prégabaline. Enfin, lorsque la névralgie du trijumeau est réfractaire au traitement médicamenteux, les techniques chirurgicales peuvent être envisagées.

Douleurs musculosquelettiques Les spasmes douloureux peuvent être pris en charge via l'utilisation de carbamazépine ou d'oxcarbazépine. Pour les douleurs liées à la spasticité, l'utilisation d'agents antispastiques, notamment le baclofène, les benzodiazépines ou le dantrolène, peut être proposée. Les cannabinoïdes peuvent également être essayés dans cette indication. Le nabiximols (Sativex®) dispose d'une AMM en France depuis 2014 mais n'est toujours pas disponible, faute d'accord tarifaire. Des injections de toxine botulique, voire l'utilisation d'une pompe de baclofène par voie intrathécale, peuvent être proposées dans de rares cas. Le maintien d'une activité physique doit être encouragé, avec réalisation si nécessaire de kinésithérapie pour l'entretien de la force, des amplitudes articulaires et la lutte contre les positions vicieuses. Les étirements doivent être réalisés au quotidien. Pour les personnes à mobilité réduite, une attention particulière doit être portée à l'installation et aux soins de nursing. Ces moyens non médicamenteux apportent beaucoup pour le confort du patient. Les moyens médicamenteux sont fondés sur l'utilisation des traitements antalgiques classiques (paracétamol ± opioïdes).

Céphalées La prise en charge des migraines n'est pas spécifique à la SEP. Elle fait appel à l'utilisation systématique d'un traitement de crise et éventuellement d'un traitement de fond. En première intention et en l'absence de contre-indication, on utilise un AINS. Un triptan peut être prescrit en deuxième intention.

Chapitre 50. Douleurs des grands syndromes neurologiques    335

Douleurs en lien avec une névrite optique En cas de névrite optique, le traitement par bolus de corticoïdes (en général 1 g de solumédrol par jour pendant trois jours) permet d'agir rapidement sur la douleur.

Références [1] Foulon S, Maura G, Dalichampt M, Alla F, Debouverie M, Moreau T, et al. Prevalence and mortality of patients with multiple sclerosis in France in 2012 : a study based on French health insurance data. J Neurol 2017 ; 264 : 1185–92.

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Chapitre

51

Structures douleur chronique et orientation du patient douloureux chronique Claire Delorme  PLAN DU CHAPITRE Un peu d'histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Structures douleur : missions activité . . . . . . .

339 339

POINTS ESSENTIELS Éligibilité des patients douloureux pour une SDC. Risque de chronicisation et complexité de la situation clinique. Pluridisciplinarité, pluriprofessionnalité. Relai sur le parcours de soin en complémentarité de la prise en charge ambulatoire pour des patients présentant des douleurs complexes quelle(s) qu'en soit (soient) la ou les causes. Anticipation nécessaire pour éviter la chronicisation de la douleur. Réduction de l'errance diagnostique et thérapeutique.

Un peu d'histoire Le concept de Pain clinic est né aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Un anesthésiologiste, John Bonica, constatant que certains patients présentaient des douleurs rebelles malgré des traitements bien conduits, eut l'idée de réunir des médecins de spécialités différentes autour du patient et pour ce symptôme douleur. De nombreuses autres raisons ont concouru à la création des centres de la douleur : ■ la meilleure compréhension des mécanismes neurophysiopathologiques qui sous-tendent ce phénomène complexe ; ■ les progrès en pharmacologie, techniques anesthésiques, neurochirurgie et radiologie interventionnelle ; ■ la douleur, qui n'est pas qu'un simple symptôme, peut devenir une maladie chronique à part entière ; Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Pour quels patients ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

341

■ une certaine pression sociale (tant de la part des patients que des professionnels de santé se sentant « impuissant » à soulager la douleur). Et c'est ainsi qu'est né le modèle biopsychosocial de la douleur et l'approche pluridisciplinaire.

Structures douleur : missions activité Les premiers centres de la douleur ont été créés en France dans les années 1980, sous l'impulsion de pionniers, parallèlement à la création de l'enseignement universitaire de la douleur. On dénombre actuellement 245  SDC dont 96 centres et 149 consultations [1]. En 2001, un décret a établi des règles de fonctionnement de ces structures et, depuis, une succession de labellisation a eu lieu, la dernière en date en 2017 [2]. Cette identification impose deux niveaux : ■ des consultations « douleur » fondées sur la pluriprofessionnalité, plus ou moins pluridisciplinarité, associant médecin, infirmière, psychologue et secrétaire au minimum ; ■ des centres d'évaluation et de traitement de la douleur, associant pluriprofessionnalité, mais surtout pluridisciplinarité, avec accès à des plateaux techniques, des lits d'hospitalisation et exigeant des missions d'enseigne­ ment universitaire, de recherche et un minimum de publications. Toutes ont en commun une polyvalence, c'est-à-dire la capacité de prendre en charge tout patient douloureux chronique, sachant que certains centres bénéficient d'expertises particulières (pédiatrie, cancérologie), recensées en tant que telles et participant aux filières de soins. 339

340   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux Ainsi, il existe une couverture géographique de notre territoire. Pour une meilleure accessibilité, les centres et consultations (figure 51.1) sont incités à créer des consultations dites « avancées » sur les territoires ruraux, permettant ainsi à chaque citoyen de bénéficier d'une prise en charge de proximité [3, 4]. Une compétence douleur, capacité ou DESC, quelle que soit la spécialité d'origine, et un temps minimum de 50 % sont exigés pour le médecin coordinateur. Les missions et les organisations sont communes à ces structures, à savoir un temps cumulé minimal en personnel médical et non médical, sachant que chaque structure peut faire appel à des compétences ou métiers complémentaires, tel qu'assistant social par exemple, que cela soit en intra- ou extrahospitalier. La traçabilité de tous les actes est exigée. Les locaux doivent être regroupés. Une permanence téléphonique est exigée du lundi au vendredi. La structure doit faire du lien avec l'extérieur, en s'adaptant au mieux aux nouvelles organisations sur le territoire. Les centres d'évaluation et de traitement de la douleur réunissent des disciplines indispensables telles que l'anesthésie, la rhumatologie, la neurologie, la psychiatrie, la rééducation physique et fonctionnelle, la gériatrie, l'addictologie, la pharmacologie, etc. Certaines structures spécialisées en oncologie font appel à d'autres expertises telles que notamment la radiothérapie, la radiologie interventionnelle, etc. Un des points communs des structures douleur est également le temps de partage de dossiers, que cela soit en staff ou en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) . Les staff sont le plus souvent hebdomadaires, il s'agit d'un temps d'échanges entre les membres de l'équipe, les RCP sont mensuels et dédiés à la discussion des cas cliniques les plus complexes.

Tous doivent être tracés dans le dossier et le patient (qui a donné son autorisation) ainsi que le médecin sont informés des conclusions et propositions de soins décidées collégialement. Au vu de la complexité de certaines douleurs exigeant des expertises très spécifiques et des discussions collégiales pluridisciplinaires, de plus en plus de RCP (en visio-conférence) se sont développées sur les plans régional et national. Sur le plan régional, il s'agit d'apporter l'expertise nécessaire, de garantir une égalité de traitement des cas complexes et de répondre à certaines recommandations pour des prises de décision (exemple : avant implantation de pompe intrathécale). Sur le plan national, il s'agit d'apporter une expertise rare dans des domaines très spécifiques tels que, par exemple, les douleurs pelvipérinéales.

Activité clinique des structures « douleur » Consultation externe La principale activité est une activité clinique de consultation externe, les patients présentant une douleur chronique (douleur évoluant depuis plus de trois à six mois) sont adressés obligatoirement par un médecin, qu'il soit spécialiste au généraliste.

Équipe mobile douleur Les structures douleur peuvent être sollicitées par les autres services hospitaliers de leur établissement pour des patients complexes nécessitant une expertise dans le domaine de l'évaluation et/ou du traitement et, pour certaines, par les centres hospitaliers de proximité.

Lits d'hospitalisation Les CETD et un grand nombre de consultations douleur bénéficient de lits d'hospitalisation (hospitalisations de jour [HDJ] de semaine [HDS] ou complètes), le plus souvent programmés à des fin d'évaluation pour des patients très complexes, de mise en place de traitements spécifiques médicamenteux ou techniques : PCA, pompes intra-thécale (IT), stimulation médullaire, stimulation cérébrale, etc. ou sevrages médicamenteux. Quel que soit le geste et/ou l'objectif de cette hospitalisation, celle-ci donnera toujours lieu à une réévaluation et prise en charge pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle.

Activité institutionnelle

Figure  51.1 Centres ou consultations sont tous rattachés à un centre hospitalier, qu'il soit privé ou public.

Les structures douleur, très impliquées dans la politique institutionnelle de lutte contre la douleur, sont en général porteuses de la dynamique du CLUD et interviennent largement dans les formations des professionnels (médecin, interne, infirmière, paramédicaux). Elles sont le lieu d'accueil de stagiaires, qu'ils soient dans le domaine médical ou paramédical et, sur leur territoire de santé, interviennent régulièrement auprès de la médecine ambulatoire. Les centres de la douleur ont également une activité importante d'enseignement universitaire, de recherche. Les structures s'investissent de plus en plus dans l'éducation thérapeutique du patient douloureux chronique.

Chapitre 51. Structures douleur chronique et orientation du patient douloureux chronique    341 En fonction de leur expertise, des besoins du territoire, certaines développent des actions spécifiques sur des thématiques telles que la douleur de la personne âgée, ou dans le domaine du polyhandicap.

Pour quels patients ? Si la douleur est l'affaire de tous les professionnels de santé, quels qu'ils soient, les patients pris en charge répondent à des critères d'éligibilité particuliers et la pratique et l'enquête de la Société française d'étude et traitement de la douleur (SFETD) [5] de 2011 prouvent que la grande majorité des patients adressés le sont à bon escient. La HAS a publié en 2008 des recommandations sur l'identification de la douleur chronique et les critères cliniques d'orientation des patients, qui se résument à des patients nécessitant des évaluations répétées complexes, des traitements médicamenteux difficiles à équilibrer, un syndrome douloureux chronique sévère. Les structures douleur chronique s'avèrent également très utiles, voire nécessaires chez des patients présentant des douleurs neuropathiques, qu'elles soient périphériques ou centrales, des douleurs liées aux effets indésirables des traitements, en particulier en cancérologie, des traitements antalgiques opioïdes mal gérés avec risque d'accoutumance, voire addiction avérée. La chronicisation de la douleur en rhumatologie avec des patients présentant des lombo-sciatalgies rebelles complexes, pré- ou, le plus souvent, postopératoires est une indication évidente au vu des évaluations pluridisciplinaires, pluriprofessionnelles qu'elles nécessitent mais aussi pour l'orientation adéquate de ces patients vers des techniques spécifiques, en particulier de chirurgie fonctionnelle mais aussi rééducative. Les céphalées, migraines, toutes les algies de la face, qu'elles soient typiques ou atypiques, sont également du recours des SDC. Les autres syndromes douloureux tels que les douleurs pelvi-périnéales, les douleurs dites « nociplastiques », fibromyalgie, etc. Quelle que soit l'étiologie du syndrome douloureux chronique, force est de constater que ces derniers présentent souvent une composante anxieuse, dépressive, voire une psychopathologie associées. Leur parcours de vie est souvent marqué par des traumatismes physiques, psychiques ou sexuels, facteurs de chronicisation de la douleur La place des psychologues, praticien des sciences humaines, est indispensable dans la prise en charge de ces patients.

Pathologies le plus fréquemment rencontrées La liste n'est pas exhaustive mais les pathologies le plus fréquemment rencontrées sont : les rachialgies, douleurs neuropathiques (centrale ou périphérique), les douleurs cancéreuses (instables, rebelles, complexes ou séquellaires), les céphalées, migraines, fibromyalgie et autres syndromes douloureux du registre de la nociplastie, le syndrome douloureux régional complexe, les douleurs abdomino-pelviennes. Si les céphalées par abus médicamenteux sont depuis de très longue date prise en charge, on voit apparaître également un mésusage, voire de l'addiction aux opioïdes (faibles

ou forts) ; la prise en charge plurimodale et l'éducation théra­peutique offre toute la légitimité aux structures « douleur » dans ce contexte (encadré 51.1).

Comment adresser un patient dans une SDC ? La majorité des SDC ne prend en charge des patients que sur demande médicale écrite qui devrait être la plus explicite possible. Quel que soit le médecin adresseur, le médecin généraliste doit toujours être informé, impliqué, ce d'autant qu'il est en capacité d'apporter des informations complémentaires nécessaires à la bonne compréhension du parcours du patient. De nombreux centres, outre le courrier médical, font remplir au patient, avant proposition de rendez-vous, un questionnaire portant sur des données administratives (âge, situation familiale, professionnelle), médicales (traitements suivis, médecins déjà consultés, examens complémentaires) et sur la douleur et son retentissement (schéma de la douleur ± échelles d'évaluation qualitatives). Ces renseignements, qui parfois semblent fastidieux, permettent de mieux orienter le patient et de juger du degré d'urgence.

Qu'est-ce qu'une consultation dite « d'orientation » ? Le patient est la plupart du temps reçu par le médecin pour une consultation dite « d'orientation » . Dans certains centres, la consultation médicale est précédée par une consultation infirmière et, dans d'autres, ces consultations peuvent être en binôme médecin-infirmière ou médecin-psychologue. L'objectif de cette consultation est de faire une analyse fine du syndrome douloureux chronique, selon le modèle pluridimensionnel, d'avoir une connaissance la plus exhaustive possible du parcours de soins (le plus souvent chaotique) du patient et de son parcours personnel. Il s'agit d'un véritable « décodage » de la plainte douloureuse, par le biais d'une approche combinée médicale, psychologique, sociale et anthropologique [4]. On reprendra les antécédents médicaux, chirurgicaux, gynéco-obstétricaux, familiaux, les habitudes de vie mais aussi l'histoire de la douleur, son contexte, le vécu personnel, les interprétations, les conséquences. Le traitement antalgique doit être détaillé, traitement antérieur, traitement actuel, tolérance, effets indésirables, observance et surtout efficacité de ces derniers, concernant tant les molécules à libération immédiate que prolongée. Pour l'évaluation de la douleur et de son retentissement, le praticien s'aidera de questionnaires validés standardisés reprenant principalement l'évaluation quantitative (EN, EVA,

Encadré 51.1 Drapeaux rouges Le contexte de traumatisme physique et/ou psychique. Douleurs rhumatologiques dans un contexte socioprofessionnel–familial complexe. ■ Cancers potentiellement très algogènes et non contrôlables. ■ Syndrome douloureux régional complexe. ■ ■

342   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux BPI), qualitative (QDSA), le dépistage des douleurs neuropathiques (DN4) et leur évaluation (NPSI), son retentissement sur le plan thymique (HAD, échelle de catastrophisme). Selon le contexte, on recherche des pathologies associées (syndrome d'apnée du sommeil, conduites addictives). Une large part de cet entretien porte aussi sur l'aspect cognitif, comportemental et sur les attentes du patient. En 2009, la HAS a publié une grille d'entretien semistructurée synthétisant les différents items nécessaires à cette première consultation [4] (encadré 51.2). L'examen clinique approfondi (en particulier neurologique) est un temps essentiel de la consultation ainsi que la lecture attentive des différents examens complémentaires. Au terme de cette première consultation, il est nécessaire d'expliquer au patient les conclusions de cette analyse et d'avoir ensemble un projet de soins, avec des objectifs partagés et des attentes réalistes et réalisables. Le parcours de soins proposé doit lui être expliqué tant en ce qui concerne une évaluation complémentaire parfois nécessaire, avec plus ou moins examens complémentaires, les traitements médicamenteux et les traitements non médicamenteux toujours associés. L'évaluation psychologique est souvent indispensable. Des expertises complémentaires peuvent être nécessaires selon le contexte et enrichiront l'évaluation (neurologue, rééducateur, anesthésiste, rhumatologue, psychiatre, oncologue, neurochirurgien, radiologue, etc.). Dans ce cas, les propositions thérapeutiques et les conclusions seront réexpliquées au patient à la consultation suivante avec les conclusions de la RCP.

Les conclusions de cet entretien seront transmises au médecin adresseur et au médecin traitant. La prise en charge peut durer de quelques semaines à quelques mois ou quelques années, selon le contexte clinique et psychologique. Les traitements proposés sont du registre, selon le contexte : ■ techniques neurochirurgicales fonctionnelles, anesthésiques (cf. chapitres correspondants) ; ■ traitement médicamenteux ; ■ neurostimulation, neuromodulation ; ■ techniques psychocorporelles ; ■ éducation thérapeutique.

Plus-value des structures douleur chronique ■ Pluriprofessionnalité. ■ Pluridisciplinarité. ■ Socle de connaissances théoriques communes. ■ Temps d'échanges : RCP, staff ++++. ■ Des techniques spécifiques : – techniques telles rTMS, stimulation, techniques neuro­chirurgicales, pompes intrathécales, etc. ; – traitements non médicamenteux systématiquement associés ; – traitements médicamenteux : kétamine, lidocaïne. ■ Un projet de soins, un projet de vie (encadré 51.3).

Encadré 51.2 Extraits des recommandations pour la pratique clinique, Anaes, 1999 [7] Grille d'entretien semi-structuré Ancienneté de la douleur Mode de début ■ Circonstances exactes (maladie, traumatisme, accident de travail, etc.). ■ Description de la douleur initiale. ■ Modalités de prise en charge immédiate. ■ Événements de vie concomitants. ■ Diagnostic initial, explications données. ■ Retentissement (anxiété, dépression, troubles du sommeil, incapacités fonctionnelle et professionnelle, etc.). Profil évolutif du syndrome douloureux ■ Comment s'est installé l'état douloureux persistant à partir de la douleur initiale. ■ Profil évolutif : (douleur permanente, récurrente, intermittente, etc.). ■ Degré du retentissement (anxiété, dépression, troubles du sommeil, incapacités fonctionnelle et professionnelle, etc.). Traitements effectués et actuels ■ Traitements médicamenteux et non médicamenteux antérieurs, actuels. ■ Modes d'administration des médicaments, doses, durées. ■ Effets bénéfiques partiels, effets indésirables, raisons d'abandon. ■ Attitudes vis-à-vis des traitements. Antécédents et pathologies associées ■ Familiaux.

Personnels (médicaux, obstétricaux, chirurgicaux et psychia­ triques) et leur évolutivité. ■ Expériences douloureuses antérieures. Description de la douleur actuelle ■ Topographie. ■ Type de sensation (brûlure, décharge électrique, etc.) ■ Intensité. ■ Retentissement (anxiété, dépression, troubles du sommeil, incapacités fonctionnelle et professionnelle, etc.). ■ Facteurs d'aggravation et de soulagement de la douleur. Contextes familial, psychosocial, médico-légal et incidences ■ Situation familiale. ■ Situation sociale. ■ Statut professionnel et satisfaction au travail. ■ Indemnisations perçues, attendues ; implications financières. ■ Procédures. Facteurs cognitifs ■ Représentation de la maladie (peur d'une maladie évolutive, etc.). ■ Interprétation des avis médicaux. Facteurs comportementaux ■ Attitude vis-à-vis de la maladie (passivité, etc.). ■ Modalités de prise des médicaments. ■ Observance des prescriptions. Analyse de la demande ■ Attentes du patient (faisabilité, reformulation). ■ Objectifs partagés entre le patient et le médecin. ■

Chapitre 51. Structures douleur chronique et orientation du patient douloureux chronique    343

Encadré 51.3 Et l'avenir Les structures douleur chronique sont en danger comme en témoignent le rapport de l'Académie de médecine [6] et le Livre blanc de la douleur. Et pourtant, leur rôle est primordial de par leur expertise et la prise en charge pluridisciplinaire. Elles doivent s'adapter aux nouvelles organisations territoriales et régionales, tant hospitalières qu'ambulatoires. ■ Elles sont un maillon indispensable de la prévention de la désinsertion sociale, professionnelle et médicale. ■ L'un des prochains défis, outre la démographie médicale, sera de participer au parcours de soins en douleur, de définir des parcours de soins les plus efficients possibles de la ville s'appuyant sur les nouvelles organisations en médecine ambulatoire (pôle de santé, etc.), de travailler en collaboration avec les plateformes territoriales d'appui (PTA) et tous les acteurs de terrain et de développer la télémédecine et l'e-santé. ■ Un autre défi à relever, non des moindres, est celui de tout le champ du médico-social, avec développement des expertises spécifiques, de la formation, de l'information pour une meilleure prise en charge de ces patients vulnérables. ■ L'évolution de la cancérologie devenue « maladie chronique », l'impact des douleurs séquellaires des traitements sur la qualité de vie, le nombre de patients traités ou en rémission mais douloureux impose et imposera de repenser l'organisation de la prise en charge de la douleur du cancer. ■

Références [1] SFETD : Livre blanc de la douleur, http://www.sfetd-douleur.org/sites/ default/files/u3349/Livres/livre_blanc-2017-10-24.pdf ; 2017. [2] Instruction. n° DGOS/PF2/2016/160 du 23 mai. relative à l'appel à candidatures destiné au renouvellement du dispositif des structures labellisées pour la prise en charge de douleur chronique en 2017, et au relevé de leur activité 2016, http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2016/05/cir_40951.pdf ; 2016. [3] Mick G, Moyenin C. L'évaluation initiale d'une plainte douloureuse chronique : réflexions et propositions pour un guide pratique. Douleur et analgésie 2016 ; 29 : 130–40. [4] HAS. Recommandations professionnelles. Douleur chronique : reconnaître le syndrome douloureux chronique, l'évaluer et orienter le patient. Consensus formalisé, https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2009-01/douleur_chronique_recommandations.pdf ; 2008. [5] SFETD. Les structures douleur chronique, http://www.sfetd-douleur. org/les-structures-douleur-chronique. [6] Recommandations de l'Académie nationale de médecine pour une meilleure prise en charge des malades, http://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2018/10/après-vote-Rapport-Douleurs-­ chroniques-12-10-2018-2.pdf ; 2018. [7] Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé. Évaluation et suivi de la douleur chronique chez l'adulte en médecine ambulatoire. Recommandations pour la pratique clinique. Paris : ANAES ; 1999.

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Approche sociologique de la douleur David Le Breton PLAN DU CHAPITRE Vivre avec la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Vivre avec la douleur La douleur ne se cantonne jamais seulement à un organe, un tissu abîmé ou une fonction altérée, elle absorbe toute l'existence. Le mal de dent ou de tête résonne dans la vie toute entière, il bouleverse toutes les activités de l'individu. Ce n'est pas le corps qui souffre, mais l'individu tout entier dans le sens et la valeur de sa vie. Sa douleur est un embrasement de souffrance. Quand elle dure, elle est un abîme qui dévore toute son énergie et ne laisse rien disponible pour la vie courante [1]. Elle transforme l'individu, altère ses relations conjugales et filiales, son rapport au travail ou à ses loisirs. Toute l'existence est ébranlée par la douleur, surtout quand elle devient chronique et impose une réorganisation totale du sentiment de soi et de la vie quotidienne. Toute douleur, surtout chronique, modifie le sentiment d'identité au point que certains douloureux chroniques ne se reconnaissent plus et vivent avec un sentiment de mutilation intime. On distingue souvent sur un mode dualiste la douleur, affectant le corps, et la souffrance, touchant la psyché. Cette distinction oppose le corps et la personne comme deux réalités de nature différente, faisant ainsi de l'individu le produit d'un collage surréaliste entre une âme et un corps. La douleur rompt l'évidence du rapport au monde, elle altère la relation aux autres et à soi. Elle n'est jamais limitée au corps. Par ailleurs, la douleur est toujours contenue dans une souffrance. Celle-ci est la résonance intime d'une douleur, sa mesure subjective. Elle est ce que l'individu fait de sa douleur. Elle n'est jamais le simple prolongement d'une altération organique, mais une activité de sens, une relation personnelle à sa peine. C'est le sens qu'elle revêt pour l'individu qui alimente à son insu la souffrance qu'elle implique. Si l'individu choisit la douleur ou l'accepte, la souffrance est insignifiante et amène alors à connaître des situations limites mais propices au sentiment de soi comme dans le sport extrême ou le body art par exemple où nul ne rechigne à « se faire mal », « à se rentrer dedans ». Les suspensions corMédecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Appréhension de la douleur à travers des prismes sociologiques . . . . . . . . . . . . . . . . .

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porelles, c'est-à-dire le fait d'être hissé avec des broches insérées dans le corps, sans anesthésie, pour explorer les marges de la condition humaine hors de tout contexte religieux et de vivre une intense expérience spirituelle. C'est également une douleur acceptée, et dont la souffrance est mineure, que vivent les novices lors des rites de passage de sociétés traditionnelles qui impliquent des actions sur le corps (scarifications, tatouage, etc.). Une douleur choisie et maîtrisée par une discipline personnelle dans un but de révélation de soi ne contient qu'une parcelle dérisoire de souffrance, même si elle fait mal. Délibérément auto-infligée, elle est paradoxalement un moyen de protéger l'individu d'une menace de destruction de soi, la scarification délibérée est ainsi un paravent contre une souffrance intolérable. Il s'agit alors de se faire mal pour avoir moins mal. Dans toutes ces circonstances où l'individu décide de son action, la douleur est investie d'une dimension morale qui en transforme le sens et en élague la pénibilité, elle devient même un vecteur de l'expérimentation sur soi et elle est rattachée à l'immense satisfaction pour l'individu de l'avoir surmonté. Elle est une voie d'exploration de soi, de recherches des limites de sens qui donnent le sentiment de soi. L'expérience des marques corporelles ou des rites de suspension remet profondément en question le dualisme entre plaisir et douleur. La douleur aboutit même à l'orgasme dans le cadre d'un contrat sadomasochiste. Son érotisation atteignant son point ultime [2]. Mais la souffrance déborde à l'infini la douleur, dans le cas notamment de la torture, c'est-à-dire d'une douleur infligée par un autre sans pouvoir l'en empêcher. Une douleur infligée de manière traumatique laisse une trace de souffrance, même lorsque les séquelles sont apparemment guéries. Elle mutile une part du sentiment d'identité de l'individu qui n'arrive jamais tout à fait à oublier. Si la douleur est un mot au singulier pour celui qui l'éprouve, elle revêt une myriade de significations. S'il existe une pluralité de douleurs c'est d'abord parce qu'il existe une pluralité de souffrances. Et, bien entendu, s'agissant de la maladie grave 345

346   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux ou des séquelles d'un accident, la douleur immerge dans une souffrance considérable. Mais même dans ces circonstances, elle demeure imprégnée de sens. L'individu dispose malgré tout de recours pour amortir sa souffrance grâce justement à des techniques de sens : hypnose, autohypnose, relaxation, méditation, sophrologie, etc. Intervenir sur la signification de la douleur en transforme l'impact en termes d'intensité de souffrance.

Appréhension de la douleur à travers des prismes sociologiques L'expérience intime de la douleur est modulée selon les conditions sociales et culturelles, l'âge, le genre, et le contexte particulier d'apparition de la douleur. Elle mêle toutes ces nuances au sein d'un idiome culturel. Mais elle est toujours d'abord l'expérience singulière d'un individu. Si les situations d'inconfort ou de douleur touchent toutes les populations, elles ne sont pas toujours perçues par elles comme dignes d'intérêt, et elles n'appellent pas toujours la consultation du médecin ou du guérisseur local. Un processus sélectif distingue à ce propos les personnes issues de différentes cultures. Des populations accoutumées à vivre durement sont indifférentes à des douleurs qui déchirent d'autres plus habituées au confort et plus enclines à l'examen sur soi. La douleur est évaluée selon une mesure propre à la vie quotidienne et à la sensibilité particulière d'un individu [1, 3, 7]. Malgré des symptômes proches, des populations différentes révèlent des sensibilités distinctes. Le mal de dos, par exemple, est perçu comme relativement banal, et hors de la juridiction du médecin s'il ne déborde pas un certain degré de douleur et d'invalidité pour des populations ouvrières ou rurales, ou encore pour des personnes âgées ayant grandi et vécu auprès de proches connaissant les mêmes symptômes et les ayant assumé sans se plaindre en un temps où la médecine était moins présente dans la vie quotidienne et les procédures antalgiques moins performantes. Les milieux populaires sont souvent associés à une tolérance plus grande de la maladie ou de la douleur que les milieux de classe moyenne ou privilégiée. Un écran culturel et social, nuancé cependant par les singularités individuelles, amène à percevoir des troubles comme relevant de la banalité des jours et propres à être assumés par soi-même, et d'autres comme nécessitant la compétence du médecin. Ces derniers induisent plus d'anxiété que les premiers sur lesquels l'attention glisse sans trop s'arrêter. La perception d'un symptôme et le ressenti d'une douleur impliquent un caractère à la fois pénible et insolite au regard des repères coutumiers. Le contexte social, et la part qu'y prend l'individu, suscite l'attention ou l'indifférence selon un savoir profane fondé sur l'expérience cumulée des générations. Le fait de savoir si un événement corporel est normal ou pénible relève aussi d'un apprentissage culturel et social et non d'une évidence naturelle, il implique une interprétation qui engage ou non une souffrance [1]. Dans un groupe, chaque situation est associée à une marge diffuse de souffrance. Des attentes communes sont liées à des affections ou à des blessures qui alimentent le degré d'attention envers l'individu atteint. Cependant, la signification conférée à l'épreuve détermine son rapport à la douleur. Toute douleur est d'abord du sens. Son ressenti est

modulé par les ressources intimes de l'individu et les qualités relationnelles de son entourage. Si les conditions d'existence modèlent les comportements jusqu'à un certain point, il ne faut pas les transformer en stéréotypes venant occulter la singularité du malade. Les conditions sociales et culturelles ne sont qu'un indice, elles n'existent qu'à travers les hommes ou les femmes qui les vivent et les significations qu'ils donnent à leur expérience. Ce n'est jamais la culture qui souffre mais l'individu dans la singularité de son histoire, de son âge, de son genre, de sa condition sociale, de ses croyances, de sa sensibilité. Le risque sur le plan clinique est de réduire l'individu à sa culture (une culture transformée en stéréotype), et de ne plus voir le patient qu'à travers un préjugé, sans lui laisser sa chance. Dans ces circonstances, il est liquidé au profit d'une abstraction confortable. L'individu est toujours ce qu'il fait des influences qui pèsent sur lui. Les anciennes défenses culturelles, les manières collectives de répondre à la douleur se sont profondément transformées ces dernières décennies. Le fait de pouvoir la diminuer, voire la supprimer grâce à des traitements faciles d'accès, notamment par automédication, neutralise les anciennes défenses culturelles relayées par des procédures techniques. Ces dernières disparaissent. L'endurance à la douleur diminue en même temps qu'apparaît le sentiment qu'elle peut être anéantie d'une simple prise de médicament ou par une action médicale efficace. La douleur est devenue aux yeux des patients un anachronisme cruel à éliminer. De surcroît, un discours largement diffusé insiste sur le fait que la douleur est inutile, cruelle, et que la médecine dispose de suffisamment de ressources pour l'éliminer. On ne doit plus souffrir aujourd'hui est un cliché contredit par la difficulté pourtant de la clinique de la douleur. Ce discours bien-­pensant redouble la souffrance des patients quand la médecine tarde ou échoue à les soulager. Mais la médecine de la douleur est particulièrement difficile à mettre en œuvre. Une autre influence pèse aussi sur la vulnérabilité à la douleur, ce sont les conditions affectives qui ont accompagné l'enfance de l'individu. Particulièrement les traumas vécus à ce moment (maltraitances, abus sexuels, inceste, manque d'affection, perte d'un père ou d'une mère, etc.). Toutes ces influences sociales, culturelles, relationnelles, affectives, se mêlent dans la singularité d'une histoire de vie. Les soignants doivent répondre à la plainte sans présumer de son intensité, sans projeter leurs valeurs et leurs comportements propres pour juger de l'attitude de leurs patients. De nombreux travaux pointent à cet égard une fréquente sousévaluation de la douleur par les soignants. L'homme actif, en bonne santé, est mal placé pour juger de la souffrance de l'autre, il risque la projection de sa psychologie propre au détriment du patient. Les routines de soin aveuglent parfois sur les souffrances spécifiques du patient. Chaque jour d'innombrables patients sont confrontés à ces formes de maltraitances banalisées. Il convient de soigner la personne dans sa singularité et non pas en tant que pur organisme. La qualité des soins ne saurait être diminuée sous prétexte que certaines catégories sociales seraient plus endurantes que les autres. Nul n'est réductible à son appartenance sociale et culturelle, sinon sous la forme du racisme ou du préjugé. Tous les usagers doivent bénéficier de la même attention, des recours antalgiques appropriés, selon l'intensité et la nature

Chapitre 52. Approche sociologique de la douleur     347 de leurs maux. Le stéréotype culturel empêche d'entendre et de soulager la douleur. La tendance des soignants à sous-évaluer la douleur de leurs patients et à minorer les traitements antalgiques s'appuie sur ces préjugés (le prétendu « syndrome méditerranéen » en est une attestation). Si les malades intègrent leur expérience de la douleur dans leur vision du monde, les médecins ou les infirmières n'échappent pas davantage à leur système de sens et de valeurs. Ils projettent leurs valeurs, et souvent leurs préjugés, sur ce que vivent les patients dont ils ont la charge. L'évaluation des symptômes et de l'intensité de la douleur, la compassion et les soins prodigués s'enracinent dans des visions spécifiques qui doivent repousser les jugements de valeur sur les patients au profit d'une meilleure compréhension de leurs attitudes [1–7]. En donnant un statut scientifique à la maladie, la médecine l'a dépersonnalisée et détachée de l'expérience du malade pour en faire une biologie indifférente, relative à des normes anonymes. Mais l'altération organique ne dit rien de l'intensité de la souffrance. Une même lésion aboutit à des expériences radicalement différentes selon les situations et la particularité des individus. En rester à cette vision purement neurophysiologique est une entrave à une meilleure compréhension de l'expérience du patient et à la résolution de ses maux. Certes, cette approche probabiliste nourrit des protocoles de soin mais échoue à soigner ou à soulager nombre de patients, particulièrement s'agissant de la douleur chronique, il est nécessaire dans la clinique de s'ouvrir à la parole d'un patient profondément affecté par sa peine. Une médecine qui reste purement technicienne considère la relation comme secondaire puisque la vérité du symptôme ne sortira pas de la bouche du patient mais des examens, elle vaut pour le recueil de quelques données factuelles mais sans plus. Le patient est réduit à sa pathologie, ses propos, ses commentaires sur ses troubles, ses hypothèses sur leur origine sont perçues comme des obstacles ou du temps perdu. Il est renvoyé à un rôle secondaire et passif, son expérience n'apportant que des éléments anecdotiques pour le jugement du médecin. Son interprétation profane est sans

valeur à ses yeux. D'où la rapidité et l'indifférence affective de certaines consultations où le patient accompagne par force ses symptômes puisqu'ils lui font corps mais sans que sa présence à lui soit réellement nécessaire [8–10]. Si dans un premier temps le savoir médical détache son organisme du patient pour observer les arcanes d'une physiologie indifférente, dans un second temps la tâche de la clinique est justement de ressaisir l'unité de la personne en prenant en compte son témoignage et son histoire de vie. Elle mêle l'universel de l'organisme à la singularité du patient car c'est lui qu'il s'agit de guérir. L'art de la clinique consiste justement à confronter les données segmentées recueillies par les examens ou l'imagerie à la singularité du patient, son histoire de vie, sa vision personnelle de ses troubles, afin d'élaborer une prise en charge elle-même singularisée. Il importe de soigner le malade et non la maladie, prendre soin et ne pas seulement donner des soins.

Références [1] Le Breton D. Tenir. Douleur chronique et réinvention de soi. Paris : Métailié ; 2010. [2] Le Breton D. Expériences de la douleur. Entre destruction et renaissance. Paris : Métailié ; 2010. [3] Delvecchio Good  MJ, Brodwin  P, Good  BJ, Kleinman  A. Pain as human experience. An anthropological perspective. Berkeley : University of California Press ; 1992. [4] Kotarba JA. Chronic pain. Its social dimension. Beverly Hills : Sage ; 1983. [5] Le Breton  D. Anthropologie de la douleur. Paris  : Métailié ; 2004 (2014). [6] Zborowski M. People in pain. San Francisco : Jossey Bass ; 1969. [7] Simonet G, Laurent B, Le Breton D. L'homme douloureux. Paris : Odile Jacob ; 2018. [8] Morris DB. The culture of pain. Berkeley : University of California Press ; 1993. [9] Natoli S. L'esperienza del dolore. Le forme del patire nella cultura occidentale. Milano : Feltrinelli ; 1986. [10] Scarry E. The body in pain. Oxford : Oxford University Press ; 1985.

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Prise en charge de la douleur chronique : un problème de société Alain Serrie  PLAN DU CHAPITRE Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Impact économique de la douleur chronique et de sa prise en charge . . . . . . . . . . . . . . . . . . Activité professionnelle, productivité et situations professionnelles . . . . . . . . . . . . . . Utilisation des systèmes de soins . . . . . . . . . . . Scores de santé mentale et physique du sf-12v2d . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



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Introduction Les douleurs chroniques sont à l'origine de handicaps, d'altérations majeures de la qualité de vie, d'incapacité des sujets à assumer leurs rôles familiaux et sociaux, induisant une consommation importante de soins, d'absentéisme au travail, et d'arrêts de travail aboutissant à l'invalidité. Les répercussions sont importantes : la vie du patient va être transformée, pouvant entraîner chômage ou licenciement, difficultés familiales (rejet, rupture, divorce ou, au contraire, maternage, infantilisme), ou psychologiques (anxiété, dépression), ou médico-légales (invalidité, procès). Les études conduites dans le cadre du programme européen « Societal impact of pain » montrent qu'en France, la fréquence des comorbidités associées à la douleur sévère est au moins deux fois supérieure à celle retrouvée dans la population générale et comparable à celle retrouvée en Europe. Les troubles du sommeil et anxieux sont particulièrement fréquents. Selon les publications, entre 25 et 50 % des patients voient leurs activités quotidiennes impactées par la douleur chronique. Les activités sociales et physiques quotidiennes sont altérées de façon significative.

Impact économique de la douleur chronique et de sa prise en charge La NHWS [1] est une étude particulièrement intéressante réalisée tous les deux ans via Internet aux États-Unis, au Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Allongement de l'espérance de vie, corollaire de douleurs, maladies, handicaps, etc. . . . . . . Défi des maladies chroniques : conséquences du progrès médical et enjeux éthiques . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Japon, en Chine, au Brésil, en Russie, et dans cinq pays européens, dont la France. Elle évalue l'impact de la douleur et de son intensité sur des indicateurs sociétaux : situations professionnelles, qualité de l'activité professionnelle et productivité, mais aussi utilisation des systèmes de soins, santé mentale et physique. Elle compare le groupe de personnes ayant présenté une douleur au cours du mois précédant l'étude à celui des personnes n'ayant pas présenté de douleur, et étudie l'impact de l'intensité de la douleur – douleur légère, douleur modérée et douleur sévère – sur ces différents paramètres. Les douleurs d'origine dentaire, les céphalées, les migraines et les dysménorrhées, lorsqu'elles étaient isolées, ont été exclues. Cependant, bien que les personnes interrogées dans cette étude aient été sélectionnées pour être représentatives de l'ensemble de la population française, le mode de recueil des données, via Internet, constitue un biais méthodologique potentiel compte tenu d'un accès non systématique et d'une utilisation d'Internet inversement proportionnelle à l'âge. La méthodologie utilisée est de type déclaratif, et les données recueillies ne peuvent pas faire l'objet d'une vérification. Par ailleurs, le fait d'interroger les personnes sur la présence d'une douleur au cours du mois ayant précédé l'étude ne permet pas de faire la distinction entre douleur aiguë et douleur chronique. L'évaluation de la situation professionnelle, de l'utilisation des systèmes de soins au cours des six mois écoulés et de l'activité professionnelle a été réalisée avec des outils validés 349

350   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux comme l'Adult Work Productivity and Activity Impairment Scale (WPAI) [2], et la santé mentale et physique à l'aide du Short Form (SF)-12V2D [3] (forme générique du SF-32 en 12 questions) qui a été élaborée pour permettre un recueil simplifié des donnés de qualité de vie [4]). Dans cette étude, les méthodes de calcul des extrapolations à une population française adulte ont été réalisées sur la base de 50,1 millions (M) de français au moment de l'enquête. Pour pouvoir évaluer l'impact spécifique de la douleur, le groupe des personnes sans douleur (41,5 M) a été ramené à la taille de celui du groupe avec douleur, soit 8,6 M. Afin d'évaluer l'impact de l'absentéisme au travail (nombre de journées perdues par semaine) et le présentéisme (calcul du nombre de journées impactées), les auteurs ont défini le nombre de semaines au cours d'une année travaillée : 52 − (cinq semaines de congés payés + une semaine de jours fériés + deux semaines de RTT) = 44. Pour ce travail particulièrement intéressant, ces deux paramètres ont été évalués de la façon suivante : ■ le calcul du nombre de journées perdues par semaine (absentéisme) est défini de la façon suivante : (5 jours/ semaine × 8,6 M de personnes × % de personnes ayant un emploi) × % absentéisme. L'absentéisme dû à la douleur est la différence des nombres de journées perdues entre les deux groupes avec ou sans douleur ; ■ le calcul du nombre de journées impactées  (présentéisme) est défini par : (5 jours/semaine × 8,6 M de personnes × % de personnes ayant un emploi) − (nombre de journées d'absentéisme) × % de présentéisme. Le présentéisme dû à la douleur est la différence des nombres de journées perdues entre les deux groupes avec ou sans douleur.

Activité professionnelle, productivité et situations professionnelles L'expérience de la douleur, notamment celle de la douleur chronique sévère, réduit la qualité du travail et augmente l'absentéisme et le présentéisme [1]. L'absentéisme a été significativement plus important dans le groupe avec douleur (10,7 versus 5,1 %). Ce pourcentage augmente significativement avec l'intensité de la douleur pour atteindre 27,5 % dans le groupe douleur sévère. Pour les personnes bénéficiant d'un emploi, la douleur entraînerait, par rapport à un groupe sans douleur ramené à 8,6 M de personnes, 1,1  M de journées perdues par semaine, soit 48 M par an. Le présentéisme atteint 22,1 % dans le groupe douleur versus 11,7 % dans le groupe sans douleur, et 34,6 % dans le groupe douleur sévère, soit un équivalent de 13 minutes par heure travaillée. Par rapport à un groupe sans douleur, ramené à 8,6 M de personnes, il y aurait 910 000 journées supplémentaires concernées par semaine et 40 M par an. Si le nombre de personnes bénéficiant d'un emploi est significativement plus faible dans le groupe des personnes avec douleur, la qualité professionnelle et la productivité sont aussi également altérées. Ainsi, pour les personnes avec un emploi, la douleur associée à une perte des capacités fonctionnelles va avoir un impact

sociétal et un retentissement économique importants [5, 6]. En extrapolant sur la population totale, les calculs ont montré qu'en comparant les deux groupes avec et sans douleur, plus de 88 M de journées additionnelles par an seraient altérées par la douleur (48 M par l'absentéisme et 40 M par le présentéisme). Confirmant ces résultats, les pertes de productivité et d'activité sont deux fois plus importantes dans le groupe avec douleur, pour concerner environ 30 et 40 % respectivement des personnes. Dans le groupe douleur sévère, ces pertes d'activité et de productivité touchent plus d'une personne sur deux. Breivik et al. [7] ont montré qu'en France, les personnes avec douleur ont signalé des pertes d'emploi (15 %), des modifications des responsabilités professionnelles (12 %), et des changements d'emploi (12 %). Cependant, cette étude était limitée du fait de l'absence d'un groupe témoin permettant d'évaluer l'impact réel de la douleur. Des résultats comparables ont été retrouvés dans d'autres études, avec en Australie (23 M d'habitants) 9,9 M de journées perdues par absentéisme, 36,5 M de journées altérées du fait de la douleur chronique, et une perte de productivité représentant un coût global annuel de 5,1 milliards de dollars australiens [8]. Kronborg et al. [9] ont démontré sur une population souffrant de douleurs chroniques non malignes et consultant en centre de la douleur au Danemark que seuls 29 % disposaient d'un emploi, que l'absentéisme concernait 19,4 % du temps travaillé, et que la perte de productivité atteignait 51,1 % du temps travaillé, soit plus de 30 minutes par heure. Dans l'étude de la NHWS [1], il y a significativement plus de personnes disposant d'un emploi à plein temps dans le groupe sans douleur (51 %) par rapport à celui avec douleur (48 %). Ce pourcentage est inversement proportionnel à l'intensité de la douleur : douleur légère (59 %), douleur modérée (48 %) et douleur sévère (41 %). Par rapport à un groupe sans douleur équivalent en nombre, il y aurait dans le groupe avec douleur 258 000 personnes de plus sans emploi. Parmi les personnes avec emploi, un pourcentage significativement plus important travaillant à plein temps est retrouvé dans le groupe sans douleur (40 versus 35 %). Cet impact sur l'emploi avait déjà été noté [7, 10] et peut s'expliquer partiellement par des données purement démographiques telles que l'âge et le sexe. Les femmes sont significativement plus nombreuses et plus âgées dans les groupes de patients douloureux [7, 1, 11]. La HAS avait évalué, dans un rapport en 2008 [12], que les « limitations d'activités professionnelles ou domestiques du fait de la douleur sont importantes chez 6 % des personnes de 25–64 ans, puis 15 % des 65–84 ans et, enfin, 33 % des personnes de 85 ans et plus ». Les arrêts de travail sont cinq fois plus fréquents que dans la population générale et 45 % des patients sont concernés par des arrêts de travail dont la durée moyenne cumulée dépasse quatre mois/an. Les patients souffrant d'une douleur chronique sévère sont plus fréquemment hospitalisés (13,6 versus 5,6 %). Et il y a significativement plus de personnes en arrêt maladie de longue durée dans le groupe avec douleur (5 %) que dans celui sans douleur (1 %), soit un équivalent de 344 000 personnes en plus. Cet impact de la douleur sur les arrêts pour maladie avait déjà été retrouvé chez des patients souffrant de pathologies rachidiennes et de spondylarthrite ankylosante [13].

Chapitre 53. Prise en charge de la douleur chronique : un problème de société    351

Utilisation des systèmes de soins Sur l'ensemble de la population interrogée (personnes avec ou sans douleur) dans l'étude de la NHWS, près de neuf personnes sur dix (88 %) ont consulté au moins une fois un professionnel de santé au cours des six mois ayant précédé l'étude [1]. Ce pourcentage atteint 94 % dans le groupe avec douleur et 99 % dans le groupe douleur sévère. Dans le groupe douleur, 688 000 personnes de plus auraient consulté un professionnel de santé par rapport à un groupe sans douleur, ramené à 8,6 M de personnes. Les personnes ayant présenté une douleur au cours du mois précédant l'étude ont consulté deux fois plus souvent les professionnels de santé que celles sans douleur (9,0 versus 4,8 consultations). Ce nombre de consultations est trois fois plus important dans le groupe douleur sévère (13,6 consultations) que dans le groupe douleur légère (5,3 consultations). Ainsi, dans le groupe avec douleur, il y aurait 72,2 M de consultations supplémentaires par an par rapport au groupe sans douleur, ramené à 8,6 M de personnes. Sur la base minimale d'une consultation de médecin généraliste de 23  € dont 70 % (16,1 €) sont pris en charge par l'assurance maladie, le groupe avec douleur présenterait un surcoût annuel lié aux seules consultations de 1,163 milliards d'euros. Au cours de l'étude pan-européenne de Breivik et al. [6], 60 % des personnes ont consulté, entre deux et neuf fois en six mois, leur médecin pour cause de douleur. Ces résultats sont comparables à ceux d'Andersson et al. [14] qui ont montré qu'en Suède, sur une période de trois mois, 45,7 % des personnes souffrant de douleur chronique avaient consulté un médecin contre 29,8 % dans un groupe sans douleur, soit 1,5 fois plus. En Norvège [15], chez des patients souffrant de pathologies rhumatismales non inflammatoires, la cause de la première consultation chez le médecin généraliste était la douleur. L'ensemble de ces données montre que la douleur est génératrice d'une augmentation très significative des consultations médicales. Dans l'étude d'Elder et al. [16], un patient sur deux a recours aux médecines alternatives sans en informer son médecin traitant. Ainsi 58  % de ces participants ont eu recours à la chiropratique et/ou à l'acupuncture, 35 % des participants ont pratiqué l'acupuncture seule et 42  % la chiropratique seule. Les pathologies concernées sont les douleurs articulaires et musculaires, l'arthrose, les céphalées et les dorso-lombalgies. La très grande majorité de ces participants (6000 patients ; âge moyen : 61 ans ; 71 % de femmes) se déclare disposée à partager cette information avec un professionnel de santé. L'étude constate surtout que les médecins n'évoquent pas cette possibilité ou ne sont pas à l'écoute de ces traitements. Ces travaux mettent en évidence l'importance de ces recours qui traduisent le besoin à combler par rapport aux prises en charge plus classiques des systèmes de santé. Les personnes avec douleur se sont également adressées significativement plus souvent aux urgences (13 versus 7 %) et ce pourcentage augmente significativement avec l'intensité de la douleur : douleur légère (6 %), douleur modérée (12 %) et douleur sévère (18 %) [1]. Enfin, 14 % des personnes avec douleur ont été hospitalisées et ce pourcentage a atteint 24 % dans le groupe DS. Dans le groupe avec douleur

par rapport au groupe sans douleur, ramené à 8,6 M de personnes, 516 000 personnes de plus qui se seraient présentées aux urgences et 516 000 de plus auraient été hospitalisées.

Scores de santé mentale et physique du SF-12V2D Les relations entre âge, qualité de vie liée à la santé et utilisation des systèmes de soins ont été bien documentées et la douleur est l'élément le plus impactant [17]. Des publications récentes ont montré que les douleurs chroniques altèrent toutes les composantes du SF-36 chez les personnes présentant une douleur chronique [9]. La plupart des activités sont impactées totalement ou partiellement chez plus de 50 % des personnes concernées. Un quart des personnes interrogées ne peuvent plus conduire, un tiers ne peuvent plus travailler à l'extérieur. Confirmant ces données, la douleur paraît avoir un impact sur les scores de santé physique et mentale du SF-12V2D. L'utilisation du SF-12V2D a permis non seulement d'évaluer l'impact de la douleur mais également des pathologies et des comorbidités telles que l'anxiété, la dépression et les troubles du sommeil associées [1].

Allongement de l'espérance de vie, corollaire de douleurs, maladies, handicaps, etc. La population vieillit du fait de la diminution régulière de la fécondité que l'on observe depuis plusieurs années, mais aussi en raison d'une forte réduction de la mortalité aux âges avancés depuis 1985. L'espérance de vie à la naissance était de 66 ans en 1950 dans les pays développés et de 41 ans dans les autres. En 1998, en France, elle atteint 74,6 ans pour les hommes et 82,2 ans pour les femmes et continuera d'augmenter encore dans les années à venir davantage pour les hommes que pour les femmes. ■ D'après des projections fondées sur des hypothèses modérées, le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus (7,8 millions en 1990), va dépasser les 13 millions en 2020, soit un accroissement de deux tiers, sachant que 16 % auront plus de 85 ans en 2020. Ce chiffre pourrait atteindre 24 % en 2050. En 2000, on dénombrait 10 000 centenaires. La projection des données de l'INSEE estime cette population à 150 000 en 2050 [18]. ■ Nous gagnons chaque jour six heures, soit chaque année trois mois d'espérance de vie. L'espérance de vie devrait donc s'allonger d'environ six ans pour les femmes et de cinq ans pour les hommes d'ici 2050. La prévalence de la douleur est très élevée chez les ­personnes âgées (25 à 30 % de celles vivant à leur domicile, 50 à 93 % de celles vivant en institution). La douleur d'intensité sévère augmente de plus de 10 % entre 65 et 95 ans. Elle est surtout d'origine musculosquelettique ou cancéreuse, mais l'âge est aussi un facteur de risque pour certaines douleurs neuropathiques (diabète, post-zona, etc.). Elle est très vite responsable dans cette population de limitations fonctionnelles et de situation de handicap, d'autant plus que s'y associent polypathologie, polymédication ou isolement.

352   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux Ces éléments sont essentiels à considérer, ils sont un puissant moteur du changement social et doivent être pris en compte dans l'élaboration d'une politique de santé qui se doit d'anticiper les grands problèmes de demain.

Défi des maladies chroniques : conséquences du progrès médical et enjeux éthiques Les maladies infectieuses, aiguës ou subaiguës étaient un des défis médicaux du siècle passé, la médecine de demain sera celle de la gestion des conséquences de la survie avec des maladies chroniques. Lors d'une séance de l'Académie des sciences morales et politiques ­Dupâquier [19] pose le questionnement de l'allongement de l'espérance de vie et ses conséquences multiples : « La part des maladies infectieuses dans la mortalité est tombée de 90 % au début du XXe siècle à 1,9 % seulement dans la France d'aujourd'hui, alors que celle des maladies chroniques est devenue prépondérante. Or les unes et les autres sont fonction de l'âge, mais en sens inverse : les maladies infectieuses fauchaient prioritairement les jeunes enfants, alors que les maladies dégénératives frappent exclusivement les personnes âgées. D'où un renversement de la répartition des âges des décès ». ■ L'amélioration des soins favorise le vieillissement des plus âgés et conduit naturellement à concentrer les décès dans cette population pour laquelle la prévalence des affections chroniques est la plus forte. Entre 1994 et 2004, les ALD ont progressé de 75  %. Mais l'augmentation de l'espérance de vie, en ce qu'elle n'est pas synonyme d'espérance de vie sans incapacité, conduit assez logiquement à poser la question de la qualité des années de vie ainsi gagnées [20]. ■ La cancérologie est un des domaines de la médecine qui a le plus progressé, on ralentit la progression du cancer mais parfois sans guérison. La survie peut s'accompagner de douleurs très intenses entraînées par les traitements, la qualité de vie peut être gravement diminuée avec des inconforts ou des handicaps. « Si l'espérance de vie sans incapacité augmente à peu près au même rythme que l'espérance de vie tout court, c'est-à-dire de deux ou trois mois par an, il y a une exception notable : les fonctions cognitives » [19]. Vivre avec la maladie ou bien vivre plus vieux sont des réels problèmes de société, car non seulement cela renforce la demande à ne plus souffrir, mais ces notions fondamentales sont indissociables de la relation entre les avancées médicales et la qualité de vie et le sens même de la vie. Ce sont les enjeux éthiques du progrès concernant la prise en charge de la douleur et des soins palliatifs pour des pathologies qui ne mettent pas inéluctablement l'espérance de vie en jeu. Des choix sont nécessaires, une réflexion en amont s'impose, car ils doivent permettre la poursuite du progrès, l'accès pour tous à la santé qui est un droit et le maintien de la solidarité nationale. Dans une société ou l'économie est contrainte, il faut se poser la question de la place du citoyen qui est dépendant et donc vulnérable. La cascade de situations, isolement pouvant entraîner une forme de mar-

ginalisation et induire des processus d'exclusion, est alors possible. Cette réflexion est essentielle à mener en amont des décisions qui pourraient être prises parfois dans la hâte ou de façon inappropriée. Car si ces questions ne sont pas abordées, le risque est grand de la tentation de l'exclusion du fait de la dépendance et des coûts liés à sa prise en charge. Associée aux progrès exponentiels de la médecine intimement liés aux financements de ces progrès, il pourrait y avoir une certaine légitimité de l'exclusion et une tentation d'ostracisme [20, 21].

Conclusion Les douleurs chroniques rebelles sont sources d'incapacités, de handicaps, d'invalidités et d'altérations majeures de la qualité de vie. Elles engendrent, outre leurs dégâts propres, des réactions parfois violentes, d'autres fois plus nuancées, qui modifient durablement la perception du monde pour celui qui est concerné mais également pour ceux qui sont les collatéraux. Car la personne qui souffre n'est pas la seule victime, l'entourage familial, professionnel, de voisinage deviennent victimes. D'une certaine façon, ces souffrances ont été le facteur le plus puissant de changement des mentalités dans l'organisation des systèmes sociaux. Les systèmes de santé doivent se soucier autant du malade que de la maladie. Il n'est plus admissible que l'on se préoccupe exclusivement de l'efficacité des moyens thérapeutiques mis en œuvre. L'introduction d'une « culture anti-douleur » au sein des pratiques et des exercices nécessite le changement des comportements de l'ensemble des professionnels de santé, mais aussi celui des malades et de leurs proches. La qualité d'un système de santé est définie par la prise en compte de l'efficacité du traitement proposé mais aussi par le soulagement de la souffrance des patients. Dès lors, l'amélioration de la prise en charge de la douleur doit être un de nos objectifs essentiels. Des considérations éthiques et morales ne peuvent plus être écartées de l'élaboration et de la mise en application d'un projet de soins. La lutte contre la douleur est inséparable de l'évolution de ces idées.

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Chapitre 53. Prise en charge de la douleur chronique : un problème de société    353 [6] Smith BH, Hopton JL, Chambers WA. Chronic pain in primary care. Fam Pract 1999 ; 16 : 475–82. [7] Breivik H, Collett B, Ventafridda V, Cohen R, Gallacher G. Survey of chronic pain in Europe : prevalence, impact on daily life, and treatment. Eur J Pain 2006 ; 10 : 287–333. [8] van Leeuwen MT, Blyth FM, March LM, Nicholas MK, Cousins MJ. Chronic pain and reduced work effectiveness : the hidden cost to Australian employers. Eur J Pain 2006 ; 10 : 161–6. [9] Kronborg C, Handberg G, Axelsen F. Health care costs, work productivity and activity impairment in non-malignant chronic pain patients. Eur J Health Econ 2009 ; 10 : 5–13. [10] Jenkinson C, Layte R. Development and testing of the UK SF-12 (short form health survey). J Health Serv Res Policy 1997 ; 2  : 14–8. [11] Stewart WF, Ricci JA, Chee E, Morganstein D, Lipton R. Lost productive time and cost due to common pain condition in the US Workforce. JAMA 2003 ; 290 : 2443–54. [12] HAS. Douleur chronique : reconnaître le syndrome douloureux chronique, l'évaluer et orienter le patient. Argumentaire. Décembre 2008. [13] Thomas E, Peat G, Harris L, Wilkie R, Croft PR. The prevalence of pain and pains interference in a general population of older adults : a cross-sectional findings from the North Staffordshire Osteoarthritis Project (NorStOP). Pain 2004 ; 110 : 361–8. [14] Andersson HI, Ejlertsson G, Leden I, Scherstén B. Impact of chronic pain on health care seeking, self-care, and medication. Results from

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Chapitre

54

Vulnérabilité Xavier Emmanuelli PLAN DU CHAPITRE Perceptions et rapport aux autres . . . . . . . . . . . .

355

Pouvoir dire « J'ai mal » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le terme « vulnérabilité » peut se concevoir comme une fragilité physique et psychique. Des personnalités vulnérables exposées à des agressions successives finissent par entamer l'image subjective qu'elles se font d'elles-mêmes. Cela a pour conséquence une perte d'estime de soi et une sorte de « quarantenisation » d'elle-même, en quelque sorte voulue, inconsciemment par le sujet. Le syndrome de dépression, de dépréciation décrit par Alexandre Vexliard (« Le clochard », éditions Desclée de Brouwer) est alors le signe clinique de cette atteinte. Cette quarantenisation voulue et subie par l'atteinte narcissique, s'autoentretient par le regard des autres qui, peu à peu, se détourne. La personnalité se sent alors devenue inintéressante et, sans doute plus grave, objetisée, en acquérant ainsi le statut générique « d'exclus » qu'il faut désormais assister. C'est la troisième atteinte, après les conséquences physiques et psychiques et la perte d'un statut social relevant d'échanges dignes et utiles. La vulnérabilité est devenue un nouvel état, celui d'exclus. Cela s'inscrit bien d'ailleurs dans la définition de la santé de l'OMS (1949) « un état de complet bien-être physique, psychique (…) et social ». Ainsi, en cas de maladie, la personne devient en quelque sorte une « victime consentante ».

Perceptions et rapport aux autres La perte des structures qui édifient la personne, faute d'être stimulées, est alors atteinte. Ces éléments fondamentaux qui charpentent un psychisme sont : ■ la perception du corps ; ■ la perception du temps ; ■ la perception de l'espace ; ■ le rapport à l'autre. Les codes traditionnels de la rencontre et de l'échange sont transformés dans l'exclusion et, n'étant pas employés dans leur usage traditionnel, ils ne sont pas compris. Ainsi toutes les parades d'approche, de politesse ou de salutation, les « bonjours », le vouvoiement, ne sont plus utilisés normalement pour s'adresser à la personne vulnérable, fragile ou exclue, par un réflexe de protection et de rejet ou de distanciation. Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

355

On existe dans le miroir des autres, dans le regard des autres et si l'autre ne vous regarde pas avec la déférence minimale des échanges sociétaux, petit à petit, votre corps vous devient étranger et marque une dissociation en quelque sorte « platonicienne » entre corps et esprit, une dissociation, voire une négation de son corps, comme par exemple chez les prostitués, qui se mettent à distance de leur propre corps, objet, comme s'il n'était pas le leur. Le statut du corps n'ayant plus la même représentation pour les autres, si l'on accepte le concept des « neurones miroirs » de Rizolatti, il n'est plus vu comme étant une partie de soi et plus compris comme étant une norme. Le patient étant à la fois là comme une entité et absent comme corps, il est dans l'incompréhension du rapport aux autres, à l'environnement, à l'institution. Cet état est aggravé par la non-perception du temps, puisque le temps n'est plus séquencé en rythme de travail, de repas, de rencontres, il ne donne plus la sensation de s'écouler et le malade est en somme, enchâssé dans un présent répétitif. Enfin, le corps définit l'espace, sa place dans l'environnement et le monde et la personne atteinte reste extrêmement « enchaînée » à son territoire, la chambre, le bout de trottoir, l'institution où elle est accueillie. Chacun sait que sortir de sa chambre habituelle pour une personne âgée, même si elle est encore autonome, équivaut à hâter son décès. La douleur dans ces conditions est perçue et non comprise, comme chez l'enfant autiste, cette « psychose like » qui n'est pas une psychose évidemment mais qui lui ressemble comme une sorte de mélancolie sociale (syndrome de Cotard).

Pouvoir dire « J'ai mal » Le patient ne peut se décrire à lui-même la douleur, son sens et son intensité, et l'institution ne cherche pas à lui faire caractériser. Il garde pour lui cette douleur qui ne sait ni ne peut se dire, crée ainsi la dépression constitutionnelle d'un corps douloureux qui est devenu la norme. Dépréciation, dépression, le patient nie son propre corps et son propre état, 355

356   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux

Figure 54.1 Pieds négligés (A, B)

.

d'autant qu'objectivement et subjectivement il ne demande pas d'aide. (figures 54.1 à 54.5) Bien entendu, ce processus d'aliénation est lent et n'est certainement pas complet, mais la douleur n'étant pas identifiée et comprise, la vulnérabilité, la fragilité, l'exclusion

.

Figure 54.2 Syndrôme de la chaussette (A, B)

finissent par rendre ces patients hors du monde et hors du regard. Il est vrai que pouvoir dire « j'ai mal » permet de dire « je suis mal ». (figures 54.6 et 54.7)

Chapitre 54. Vulnérabilité   357

Figure 54.4 Nécrose de l'orteil lié au froid : omychomycose

Figure  54.6 Cancer de la face  : négligence des symptômes d'alerte .

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Figure  54.5 Zona  : syndrome hyper-algique. Anesthésie psychique en l'absence d'écoute adaptée

.

.

Figure 54.3 Plâtre oublié par la non perception du temps

Figure 54.7 Dénutrition sévère – avitaminose.

Chapitre

55

Aspects socioprofessionnels de la douleur Soliman Le Bigot, Cécile Delours « L'étude de la douleur conduit à une médecine humaine en tous ses gestes »

René Leriche (1879–1955)

PLAN DU CHAPITRE Respect de la volonté du patient douloureux. Interdiction de toute obstination déraisonnable ou acharnement thérapeutique dans le but de préserver la dignité du patient . . . . . . . . . . . . Décision d'arrêt des traitements : entre collégialité et transparence . . . . . . . . . . . . . . . Soins palliatifs visant à soulager la douleur du patient en fin de vie : le droit à une sédation profonde et continue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

360

360 361

361

Depuis la circulaire en date du 7 janvier 1994 [1], le droit est venu encadrer la prise en charge de la douleur. Dès lors, « les établissements de santé doivent mettre en œuvre les moyens propres à prendre en charge la douleur des patients qu'ils accueillent » [2], et ce quels que soient la nature du service de santé, l'âge du patient ou encore son stade d'évolution. La France a été l'un des précurseurs dans l'amélioration de la prise en charge de la douleur en ce qu'elle l'a intégrée dans la grande loi Kouchner de 2002 mais aussi en ce qu'elle a lancé trois plans nationaux d'amélioration de la prise en charge de la douleur, de 1998 à 2010, faisant de la lutte contre la douleur une véritable priorité de santé publique. Un projet de 4e plan national majeur 2013–2017 distinguait les douleurs aiguës, les douleurs chroniques et les douleurs liées aux soins pour l'ensemble des patients très douloureux. Trois axes avaient été alors proposés : ■ améliorer l'évaluation de la douleur et la prise en charge des patients en sensibilisant les acteurs de premier recours ; ■ garantir la prise en charge de la douleur lorsque le patient est hospitalisé à domicile ; ■ aider les patients qui rencontrent des difficultés de communication (nourrissons, personnes souffrant de troubles psychiatriques ou de troubles envahissants du développement, etc.) à mieux exprimer les douleurs ressenties afin d'améliorer leur soulagement. Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Différentes douleurs à prendre en charge . . . 361 Engagement de la responsabilité de l'hôpital ou du médecin : la conséquence directe du défaut de prise en charge de la douleur du patient . 362 Douleur ressentie par les soignants : un obstacle à la bonne prise en charge de la douleur de leurs patients ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 362 Modes amiables de règlement des litiges . . . . 362

Mais ce projet n'a pas abouti, Madame Touraine, ministre de la Santé, ayant finalement privilégié une prise en compte accrue de la lutte contre la douleur dans le Code de la Santé Publique dans le cadre de la loi Touraine de modernisation de notre système de santé, en 2016. Certains articles du Code ont donc été modifiés [3–5]. Le Centre National de Ressource de lutte contre la Douleur (CNRD) » créé par le deuxième plan douleur voit ainsi ses missions actualisées vers davantage d'information du public et des professionnels non spécialistes sur les douleurs et leurs traitements. Il est par ailleurs rappelé que « tout établissement doit se doter des moyens propres à organiser la prise en charge de la douleur des personnes qu'ils accueillent (…). Une attention particulière doit être portée au soulagement de la douleur des personnes en fin de vie » [6]. Avant toute chose, le médecin doit évaluer la douleur du patient [7] par le biais d'échelles d'évaluation, et ce en « toute circonstance » [8]. Les résultats de l'évaluation seront inscrits dans le dossier médical ; à défaut, un manquement dans la prise en charge de la douleur pourrait être reproché et entraîner l'engagement de la responsabilité de l'hôpital. La tendance actuelle est à la judiciarisation mais aussi à l'appel à des modes alternatifs de résolution des litiges. La médiation permet d'entrer dans une autre dimension qui prend en compte non plus seulement une

359

360   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux gestion factuelle et ­quantitative du litige mais qui intègre aussi une approche des racines du conflit et du ressenti subjectif, ce qui est souvent essentiel pour apaiser le patient victime [9].

Respect de la volonté du patient douloureux Le patient doit consentir aux soins médicaux et traitements5 qui lui sont proposés, et ce avant tout acte médical [10], en vertu des lois Kouchner en date du 4 mars 2002 [11] et Léonetti [12]. À l'inverse, il a le droit de les refuser ou de demander leur arrêt. S'il refuse, le médecin doit l'informer des conséquences de son choix [13] et retranscrire la décision du malade dans son dossier médical afin d'assurer une traçabilité de la décision. Ainsi, le personnel médical est certain de ne pas engager sa responsabilité au titre du délit de non-assistance à personne en danger puisque le patient a refusé les soins. Si le médecin ne recueille pas le consentement du patient, il risque d'engager sa responsabilité, à tout le moins, concernant le préjudice moral que subirait le patient (et éventuellement ses proches) et, au plus, concernant aussi toutes les éventuelles conséquences dommageables qu'aurait l'acte médical pratiqué sur le patient6.

Exceptions au principe de consentement du patient : l'urgence et l'obligation de soins L'urgence (malade ou blessé en péril) et l'obligation de soins (particulièrement pour les toxicomanes [14] ou les personnes condamnées notamment pour infraction sexuelle [15]) sont deux cas où, puisque la situation l'impose, le médecin n'a pas besoin du consentement du patient.

Cas d'un patient inconscient ou hors d'état d'exprimer sa volonté Lorsqu'un patient est inconscient, la première chose à faire est de rechercher s'il a rédigé des directives anticipées [12,  16] (valables pendant trois ans après leur rédaction). Le patient y aura inscrit les traitements et soins qu'il entend accepter ou refuser (sédation profonde et continue associée à un traitement de la douleur, assistance respiratoire, etc.) après avoir éventuellement échangé au préalable avec des professionnels de la santé et du droit pour le conseiller. Les directives anticipées sont inscrites dans la loi et ont un caractère obligatoire sauf dans certains cas : NB : les traitements concernent les soins médicaux prodigués au patient ainsi que la nutrition et l'hydratation artificielle, selon la décision du conseil d'État en date du 24 juin 2014. 6 Tel fut le cas lors d'un arrêt en date du 24 septembre 2012 rendu par le conseil d'État. 5

« Les directives anticipées s'imposent au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement, sauf en cas : ■ d'urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et ■ lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale [17]. »

Désignation d'une personne de confiance Créée par la loi Kouchner en date du 4 mars 2002, qui est notamment à l'origine de l'article L.1111-6 du code de la santé publique, la personne de confiance voit son rôle accentué grâce à la loi Léonetti du 22 avril 2005 [12]. À défaut de directives anticipées, le personnel soignant doit consulter systématiquement la personne de confiance, si elle a été désignée par le patient. Elle a un rôle de « porteparole » du patient inconscient. Le praticien n'a toutefois pas l'obligation de suivre l'avis de la personne de confiance qui n'a qu'un rôle consultatif et non décisionnel. Cependant, son avis prévaut sur tout autre avis non médical, à l'exclusion des directives anticipées « dans les décisions d'investigation, d'intervention ou de traitement prises par le médecin » [18]. Le rôle de la personne de confiance cesse lorsque le patient la révoque ou lorsqu'il est décédé. Tout comme les directives anticipées, le formulaire de désignation de la personne de confiance est placé dans le dossier médical du patient. L'établissement de santé a l'obligation d'informer le patient qu'il a la possibilité de désigner une personne de confiance. S'il ne le fait pas, il pourrait voir sa responsabilité être engagée. Le patient, quant à lui, est libre de décider s'il veut désigner ou non une personne de confiance et, s'il en désigne une, il peut, tout comme pour les directives anticipées, la révoquer à tout moment, sans obligation de motiver son choix.

Interdiction de toute obstination déraisonnable ou acharnement thérapeutique dans le but de préserver la dignité du patient Les médecins ont une obligation de soins [19] à l'égard de leurs patients, et ils ne doivent pas se rendre coupable du délit de non-assistance à personne en danger [20]. Cependant, le médecin ne doit pas non plus tomber dans l'écueil de l'obstination déraisonnable [21], synonyme d'acharnement thérapeutique, qui est contraire à la déontologie médicale. En effet, une fois qu'il a conscience que le patient n'a aucune chance de s'en sortir, le médecin ne doit pas entreprendre des soins disproportionnés par rapport à son état de santé et vouloir le sauver coûte que coûte alors qu'il est voué à mourir. « (…) Les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances

Chapitre 55. Aspects socioprofessionnels de la douleur    361 médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté (…) » [8, 12, 16] mais aussi par rapport à la douleur et à la souffrance morale qu'ils génèreraient. Une telle interdiction s'explique par une nécessité de conserver la dignité du patient qui ne doit pas voir se prolonger son agonie, ce qui amplifierait sa souffrance ainsi que celle de son entourage et qui constituerait une fin de vie contraire à toute éthique.

Décision d'arrêt des traitements : entre collégialité et transparence La décision d'arrêter les traitements ou du moins ne pas les entreprendre se fait afin de sauvegarder la dignité du patient. Elle est très importante et lourde de conséquences, c'est pourquoi elle ne doit pas être prise par une seule personne mais de manière collégiale [22]. Il faut alors distinguer si le patient est conscient ou non. S'il est conscient, le médecin a l'obligation de l'informer de toutes les conséquences qu'aurait la décision d'arrêter (ou de poursuivre) les traitements, et lui présenter les bénéfices et les risques que sa décision engendrerait [13]. C'est ce que l'on appelle l'obligation d'information. Cette dernière est donc prise en pleine connaissance de cause [23] et elle devra être confirmée après l'écoulement d'un délai raisonnable afin de s'assurer de sa stabilité, et elle sera inscrite dans le dossier médical du patient. Le consentement du patient peut être retiré à tout moment. Si les avis du médecin et du patient divergent, l'un d'entre eux peut solliciter l'avis d'un autre médecin. Si le désaccord persiste, le médecin doit, quoi qu'il arrive, respecter la volonté du patient, et ce même s'il n'est pas d'accord avec son choix. Au besoin, un médecin médiateur peut intervenir. Si le patient est inconscient, le médecin doit vérifier s'il existe des directives anticipées Et, le cas échéant, une personne de confiance. À défaut, il doit consulter l'avis de la famille du patient ou de ses proches, à la suite de quoi il devra prendre la décision qu'il estime être la meilleure pour son patient. Si l'équipe médicale décide d'arrêter les traitements, elle doit insister auprès de la famille sur le fait que la décision d'arrêt des traitements se fait dans l'intérêt supérieur du patient et qu'il ne consiste en aucun cas en une sorte d'abandon du patient mais bien en une véritable prise en charge du patient en ce que le corps médical, d'une part, soulagera sa douleur grâce aux soins palliatifs et, d'autre part, l'accompagnera, ainsi que sa famille, dans sa fin de vie.

Soins palliatifs visant à soulager la douleur du patient en fin de vie : le droit à une sédation profonde et continue Le médecin est débiteur d'une obligation de moyens concernant le soulagement de la douleur [8, 21], c'est-à-dire qu'il

doit mettre tous les moyens antalgiques qu'il a à sa disposition afin de soulager au mieux son patient, mais il n'est pas tenu à une obligation de résultat qui viserait à faire disparaître les douleurs. Le soulagement de la douleur est un droit fondamental de toute personne [11], visant à sauvegarder la dignité du patient. « Toute personne malade dont l'état le requiert » [24] peut bénéficier des soins palliatifs, et ce sur l'ensemble du territoire français. Le rapport public annuel de la Cour des comptes de 2014 dénonce de nombreuses insuffisances avec une prise en charge toujours incomplète. À titre d'exemple, 7,5 % des patients hospitalisés aux urgences ont bénéficié de soins palliatifs alors que les deux tiers en auraient eu besoin. Parce que toute personne a le droit à une fin de vie digne et du meilleur apaisement possible de la douleur selon la loi Claeys-Léonetti, le patient a le droit à une sédation profonde et continue jusqu'à son décès dans les conditions prévues par la loi.

Différentes douleurs à prendre en charge Alors que la douleur physique pourra être apaisée par la prise d'analgésiques, la souffrance morale du patient pourra être soulagée grâce à l'intervention d'un psychologue, voire d'une assistante sociale, ou encore une écoute attentive du patient, tant par l'équipe médicale que par ses proches. La souffrance spirituelle ne doit ni être mise à l'écart, ni être oubliée. Ainsi, la présence d'un prêtre ou autre ministre de culte peut aider à accompagner le patient dans sa douleur, voire le rassurer spirituellement. Le patient n'est pas le seul à souffrir, sa famille et ses proches ressentent naturellement et également avec lui une souffrance morale et psychologique. L'intervention d'un psychologue pourra ainsi leur être proposée. Aujourd'hui, la formation du personnel médical à la prise en charge de la douleur est généralisée et non contestée. Ainsi la loi du 2 février 2016 a instauré une obligation pour les professionnels de la santé de suivre une formation spécifique aux soins palliatifs. De nombreuses associations de patients ou d'intérêt général telles Hôpital 2000 font valoir que la douleur des patients et de leurs proches n'est souvent pas suffisamment apaisée et comprise, faute de temps et de moyens, particulièrement dans le cadre de la fin de vie et alors même que la médecine devient de plus en plus technique. Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) relève que « seules 20  % des personnes qui devraient bénéficier des soins palliatifs y ont accès avec en outre de lourdes inégalités territoriales qui existent en ce qui concernent les structures palliatives comme le nombre de lits dédiés en milieu hospitalier ».

362   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux

Engagement de la responsabilité de l'hôpital ou du médecin : la conséquence directe du défaut de prise en charge de la douleur du patient La prise en charge de la douleur est primordiale. Si le patient ou ses ayant-droits estiment qu'elle n'a pas été entreprise, ils doivent prouver une faute, le préjudice qu'elle a engendré et qu'ils établissent le lien de causalité entre cette faute et ce préjudice pour engager la responsabilité de l'hôpital, voire du médecin si ce dernier a commis une faute personnelle, détachable de ses fonctions qui doit être très grave (infirmité, décès, etc.), ou n'avoir aucun rapport avec ses fonctions, ou être intentionnelle. Ainsi, un hôpital a vu sa responsabilité engagée7 pour avoir manqué à son obligation de prise en charge de la douleur physique et morale d'une patiente par le biais de traitements visant à atténuer ses douleurs. Dans une autre affaire8, la responsabilité administrative pour faute d'un hôpital avait été recherchée car le défunt patient n'avait bénéficié d'aucune prise en charge de sa douleur. Il aurait fallu qu'il démontre une impossibilité ou une contre-indication d'administrer des antalgiques au patient pour pouvoir être exonéré de toute responsabilité fautive.

Douleur ressentie par les soignants : un obstacle à la bonne prise en charge de la douleur de leurs patients ? La douleur que peuvent ressentir les soignants (burn out, syndrome d'épuisement professionnel des soignants [SEPS], etc.) ne doit pas être négligée en ce qu'elle peut nuire indirectement à une bonne prise en charge de la douleur de leurs patients (oublis, erreurs médicales, etc.) [25]. En théorie, la durée quotidienne du travail ne peut pas dépasser neuf heures pour les équipes de jour et dix heures pour les équipes de nuit. Cependant, si la continuité du service l'exige, le chef d'établissement peut imposer une durée de travail supérieure, mais il doit au préalable consulter l'avis du comité technique, sans pour autant dépasser 12 heures par jour. Le personnel soignant bénéficie d'une pause de vingt minutes qui peut lui être accordée si le temps de travail quotidien est supérieur à six heures consécutives.

Modes amiables de règlement des litiges Ce sont des modes non juridictionnels de règlement des litiges. En effet, il est possible, avant d'entreprendre des poursuites judiciaires, de tenter de résoudre le litige à l'amiable, notamment par le biais d'un médiateur et d'un éventuel Arrêt rendu par le Tribunal administratif de Cergy Pontoise, en date du 3 avril 2008 n° 0506 992. 8 Arrêt rendu par la Cour administrative d'appel de Bordeaux, en date du 13 juin 2006. 7

expert, ce qui est intéressant économiquement parce qu'il permet non seulement de résoudre le conflit à moindre coût mais aussi de comprendre les racines profondes du conflit, ce qui peut être plus pertinent en termes de politique de gestion des risques à l'hôpital [26]. Ainsi, il y a lieu de veiller à instaurer des procédures indépendantes et des acteurs indépendants et bien formés qui n'ont pas de lien hiérarchique avec l'Institution (http://www.mediateurseuropeens.org/). Les procédures amiables de médiation peuvent avoir lieu devant les juridictions administratives, judiciaires ou encore devant les Commissions de Conciliation et d'Indemnisation des accidents médicaux (CCI) ou peuvent faire l'objet d'un accord entre les parties et, dans ce cas, il s'agira de médiations conventionnelles [9]. Par ailleurs, l'action de certaines associations telles que Hôpital 2000 pour vaincre la douleur en France et promouvoir une philosophie positive « bien être pour bien soigner » nous paraît aller dans le bon sens de la collaboration nécessaire entre le médecin et son patient, dans le cadre du service public de santé, ou du contrat qui les lie. Les souffrances au travail ressenties par le soignant ne doivent pas être négligées et le contexte dans lequel il travaille doit faire aussi l'objet de toutes les attentions. Un des défis de la rentrée sera la réforme sociale attendue mais aussi hospitalière pour un traitement accru de la dépendance. Mercredi 24 juillet dernier, le Président de la République a promulgué la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé. Cette nouvelle loi Santé « vise à faire émerger un système de santé mieux organisé dans les territoires, renforçant l'accès aux soins. Il favorise les coopérations entre les acteurs et les métiers de la santé, et assure à chaque Français la qualité et la sécurité des soins. » selon le Gouvernement. C'est aussi une véritable culture de médiation et d'attention au plus faible qui doit en ressortir tant le droit doit avoir à coeur de ne pas perdre de vue de tendre à l'art du juste et du bon.

Références [1] Circulaire. DGS/DH n°  94-3 du 7 janvier. relative à l'organisation des soins et la prise en charge des douleurs chroniques, http:// affairesjuridiques.aphp.fr/textes/circulaire-dgsdh-n-94-3-du-7-­ janvier-1994-relative-a-lorganisation-des-soins-et-la-prise-encharge-des-douleurs-chroniques/ ; 1994. [2] Article L.710-3-1 du code de la santé publique, https : //www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?cidTexte=LEGITEXT00000607 2665&idArticle=LEGIARTI000006694589. [3] Articles L 4111-1 du code de la santé publique, https : //www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI00003397 5530&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20170129. [4] Articles L4130-1 du code de la santé publique, https : //www.legifrance. gouv.fr/affichCodeArticle.do ?cidTexte=LEGITEXT000006072665&id Article=LEGIARTI000020885673&dateTexte=&categorieLien=cid. [5] Articles L 1110-12 du code de la santé publique, https : //www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI00003191 9050&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20160128. [6] Circulaire. n°2006-90 du 2 mars 2006 relative aux droits des personnes hospitalisées, http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2009/04/ cir_10571.pdf. [7] Article  R. 4311-2 cinquièmement du Code de la santé publique, https : //www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do ?idSectionTA=LEGIS CTA000006190610&cidTexte=LEGITEXT000006072665.

Chapitre 55. Aspects socioprofessionnels de la douleur    363 [8] Article L.1110-5 du code de la santé publique, https : //www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI00003197 2245&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20160204. [9] Truelle JL, Azoux-Bacrie L, Meralli-Ballou Monnot S, Cohen Solal H. Médiation & Santé : un nouveau droit de l'homme. Médias & Médiations ; 2018. [10] Article 16-3 du code civil, alinéa 2, https : //www.legifrance.gouv.fr/ affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI000006419297&cidTexte =LEGITEXT000006070721&dateTexte=20040807. [11] Loi Kouchner. en date du 4 mars 2002, n° 2002-303 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, https : //www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do ?cidTexte=JORFTEXT000000227015&c ategorieLien=id. [12] Loi Léonetti. en date du 22 avril 2005, n° 2005-370 relative aux droits des patients en fin de vie, https : //www.legifrance.gouv.fr/affichTexte. do ?cidTexte=JORFTEXT000000446240&categorieLien=id. [13] Article L. 1111-10 du code de la santé publique, https : //www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI00000668 5790&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20050423. [14] Article L.3423-1 du code de la santé publique, https : //www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI00000668 8187&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20100101. [15] Article 131-36-1 du code pénal, https : //www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI000006417315&cidTexte=L EGITEXT000006070719&dateTexte=20040310. [16] Décret. n° 2006-119 du 6 février 2006 relatif aux directives anticipées prévues par la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie et modifiant le code de la santé publique (dispositions réglementaires), https : //www.legifrance.gouv.fr/affichTexte. do ?cidTexte=JORFTEXT000000456203&categorieLien=id. [17] Article L. 1111-11 du Code de la santé publique LOI n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. http://www.legifrance.gouv.fr/

affichTexte.do;jsessionid=AF32750AF05ED3FD75190D7614A C4C41.tplgfr37s_1?cidTexte=JORFTEXT000031970253&dateTe xte=20191016. [18] Article  L. 1111-12 du code de la santé publique, https  : //www. legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIART I000031972320&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTe xte=20160815. [19] Article 47 du code de déontologie médicale et l'article R.4127-47 du code de la santé publique, https : //www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?cidTexte=LEGITEXT000006072665&idArticle=LEGI ARTI000006912913&dateTexte=&categorieLien=cid. [20] Article 223-6 du code pénal, https : //www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI000037289588&cidTexte=LEG ITEXT000006070719&dateTexte=20180806. [21] Article 37 du code de déontologie médicale, retranscrit à l'article R.4127-37 du code de la santé publique, https : //www.legifrance.gouv. fr/affichCodeArticle.do ?cidTexte=LEGITEXT000006072665&idArti cle=LEGIARTI000021773765. [22] Article L.1110-5-1 du code de la santé publique, https : //www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI00003197 1164&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20160204. [23] Article L. 1111-4 du code de la santé publique, https : //www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI00003197 2276&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20160204. [24] Loi. Claeys-Léonetti n° 2016-87 en date du 2 février, https : //www. legifrance.gouv.fr/affichTexte.do ?cidTexte=JORFTEXT00003197025 3&categorieLien=id ; 2016. [25] Hôpital 2000. Bien-être pour bien soigner. Conférence débat sur la souffrance des soignants. In : Faculté de médecine et de maïeutique Lyon Sud-Charles Mérieux ; 2015. Mars. [26] Qualité et sécurité en établissement de santé. Panorama de la gestion des risques en France – 2017. Sous la direction d'Éric Bertrand et Joël Schlatter. In : Panorama LEH édition ; 2017.

Chapitre

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Est-il une éthique du soin de la douleur ? Emmanuel Hirsch



PLAN DU CHAPITRE L'humanité et l'intelligence d'un soin compétent. Responsabilité de soigner avec prévenance. . .

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L'humanité et l'intelligence d'un soin compétent « Tandis qu'on me déplaçait la douleur est arrivée, la vraie, et avec elle, un instant, comme une lumière rouge à travers une persienne, la perception du combat que j'allais devoir mener » [1]. Quelle est la vérité d'une douleur, la connaissance qui avec elle fait irruption en nous ? Comment lui donner l'hospitalité, la recueillir et la comprendre dans ses significations intimes, parfois ultimes ? Que nous révèlet-elle d'une demande et d'une attente adressées par celle ou celui qui souffre, parfois même lorsqu'il ne trouve plus la force d'exprimer la moindre parole ? Ce dont témoigne la personne malade dans l'expression de sa douleur, c'est d'un besoin d'écoute9, de réceptivité, d'apaisement et de sollicitude. Il convient de donner audience à cette parole, voire à cette plainte : la « prendre au sérieux » nous diton, et comprendre l'appel comme un message qui nous est adressé10. En quoi sommes-nous en responsabilité d'une souffrance existentielle – acmé des douleurs incoercibles – dont on comprend que dans son amplitude même elle excède la capacité soignante à l'atténuer et à la conso « Le médecin est celui qui entend ces plaintes. Par conséquent, dans ce secours à l'autre, à ce premier appel à l'autre, la première réponse est peut-être une réponse de médecin. Je ne dis pas que tout le monde est médecin par rapport à tout autre mais, très certainement, cette attente médicale de l'autre constitue une des racines très profondes de la relation interhumaine. » Emmanuel Levinas, in: Médecine et éthique. Le devoir d'humanité, ibid, p. 42–3. 10 Témoignage : Ma souffrance aujourd'hui, elle est diffuse, elle englobe tellement de choses, de l'incompréhension des autres, au manque de soutien des proches, en passant par la solitude, je voudrais juste être une jeune femme, maman, compagne comme les autres. » 9

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Impossibilité même de la synthèse, le non-sens par excellence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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ler ? Qu'en est-il de ce qu'on nomme uniformément maltraitance et qui est souvent négligence11, maladresse, indifférence et révèle peut-être notre peur face à l'autre ainsi éprouvé dans son humanité, dans sa chair, dans ce qui lui est constitutif ? La cohérence, la rationalité des protocoles et des procédures ne sont-elles pas défiées, là où il convient d'accepter une certaine vulnérabilité partagée, une parenthèse ou un autrement dans l'agir, voire une perte de maîtrise, ces détours obligés pour parvenir à réhabiliter la relation ? Est-il en fait une « éthique du soin de la douleur » qui permettrait d'énoncer quelques repères assurés en termes de juste présence et de bonnes pratiques, d'ériger des principes transposables à des attitudes et à des gestes respectueux de la personne assujettie à une douleur souvent intense comme une « lumière rouge », violente comme un « combat » parfois insensé à mains nues ? Je n'en suis pas certain, tant il s'avère déjà hasardeux de définir, de repérer et de circonscrire ces territoires étranges et obscurs dans la cartographie du soin. Respecter la personne qui souffre, c'est assumer ce moment douloureux pour l'un comme pour l'autre, caractérisé par les sentiments d'impuissance, de dépendance, d'incommunicabilité et de fragilité. Il convient d'envisager en des circonstances toujours personnelles, le sens d'une attention, d'une inquiétude ainsi que le champ des compétences à mobiliser. Cela peut se comprendre comme un devoir de non-abandon, interprété par chacun selon la partition inspirée par ses propres valeurs de vie et, pour le soignant, le regard qu'il porte sur son engage-

« La douleur, maître symptôme de la médecine, est trop souvent encore aujourd'hui négligée et mal traitée. » « Les douleurs chroniques en France. Recommandations de l'Académie nationale de médecine pour une meilleure prise en charge des malades », 9 octobre 2018, p. 3.

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366   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux ment. La relation de soin, singulière, parfois énigmatique risque de déporter aux confins des savoirs, des certitudes ou des convictions, y compris dans sa confrontation à la demande d'une sédation profonde et continue12. La notion de « mal » où se forgent les termes malade et maladie trouve ici une signification autre que théologique, morale ou philosophique : celle de souffrance et de douleur. Le mal prend ici la forme d'une force naturelle arbitraire, destructrice et insubmersible, bien décrite ici : « Tout d'abord, tout semble pouvoir être atteint. La souffrance frappe là où elle veut, généralement dans la partie du corps la plus faible, donc là où elle aura le plus de chance d'effectuer des ravages. »13 La douleur en appelle ici à l'urgence d'une réponse antalgique davantage qu'aux controverses savantes. Il est néanmoins une expérience de l'ordre du spirituel et même du sacré (« Il se crée, au moment de la souffrance intense exercée par le médecin sur le malade, curieusement, un sentiment d'amour et de respect que je crois réciproque. La souffrance a quelque chose de sacré. Le médecin qui a fait souffrir et le malade qui a souffert deviennent des sortes d'amis, de complices, mais il y a la pudeur. » [2]) qui, même si elle surprend, dérange et inquiète, ne peut être évitée. Notre rapport ambivalent et peu satisfaisant à la souffrance et à la douleur dans un contexte biomédical, ne se limite donc pas à la technicité d'une « médecine de la douleur ». Il lui faut une ouverture sur une culture, une pensée, voire une spiritualité adossées aux champs disciplinaires, notamment de l'histoire [3], de l'anthropologie [4], de la sociologie [5], de la psychologie [6] et de la philosophie [7]. S'il est une « éthique du soin de la douleur », elle doit ainsi s'inscrire dans l'histoire des conquêtes de nouveaux territoires de responsabilité et de dignité, là où la condition humaine nous confrontait par le passé au caractère insupportable de douleurs incontrôlables et inapaisables14. Cette éthique doit s'inventer, s'imposer et se conjuguer dans le quotidien d'une relation interindividuelle en affirmant la sollicitude, l'humanité et l'intelligence d'un soin digne, respectueux et compétent. En quoi la personne souffrante nous touche-t-elle ? De quelle manière nous affecte-t-elle pour nous situer à son égard dans une proximité, une intimité à ce point énigmatique qu'on hésite à s'y exposer ? « À la demande du patient d'éviter toute souffrance et de ne pas subir d'obstination déraisonnable, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie et à l'arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie, est mise en œuvre dans les cas suivants : « 1. Lorsque le patient atteint d'une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements. 2. Lorsque la décision du patient atteint d'une affection grave et incurable d'arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d'entraîner une souffrance insupportable. (...) », code de la santé publique, article L. 1110-5-2. 13 Témoignage de Jean-Paul Wagner. 14 « Bien que la douleur ne soit que partiellement responsable de la souffrance du patient, les effets qu'elle peut avoir sur la vie de ce dernier peuvent aller du malaise supportable au sentiment d'épuisement et de défaite écrasante. » Déclaration de principe sur la prestation de soins aux patients souffrant de douleurs chroniques violentes en phase terminale de maladie. Association médicale mondiale (AMM) ; 1983. 12

Responsabilité de soigner avec prévenance « Bienheureux ceux qui souffrent », affirme l'évangéliste Matthieu (5, 3–12). Irrecevable aujourd'hui, cette considération justifierait une affirmation profondément différente : « Bienheureux ceux qui ne négligent pas l'autre dans sa demande et son droit de ne pas souffrir, ceux qui consacrent sollicitude et compétence afin de l'apaiser.15 » Trop souvent encore, une indifférence aux aspects douloureux de la maladie y ajoute le fardeau d'une « seconde peine »16 que l'on sait pourtant atténuer, pour autant que soit reconnue et assumée cette part sensible, délicate et complexe qu'est l'humanité d'un soin. Notre relation à la souffrance et à la douleur a évolué, pour parvenir désormais au concept politique de « droit de ne pas souffrir » (« Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toutes circonstances prévenue, évaluée, prise en compte et traitée. […] » [8]. Après avoir mis à bas l'idéalisation du dolorisme et de la catharsis, la souffrance a été médicalisée, sécularisée pour ne pas dire « laïcisée ». Elle se conçoit en des termes de sciences biomédicales ainsi que de sciences humaines et sociales. Les protocoles et les bonnes pratiques professionnelles se sont substitués aux conceptions d'un passé parfois caricaturé (« Laurent, serrez ma haire, avec ma discipline. », Molière, Le Tartuffe, III, 2). Mais une fois posé le principe d'une démarche éthique faite de retenue et de vigilance dans l'exercice professionnel, ne convient-il pas de mieux identifier ce qu'il en est et en quoi elle engage ? D'autre part, n'a-t-on pas à distinguer le concept de souffrance de celui de douleur ? L'approche de la souffrance et de la douleur relève du souci de préserver une attention éthique17 opposée à toute forme de négligence, de banalisation, de violence, voire d'inhumanité. Cette conscience morale de ce qu'incarne et justifie la responsabilité de soigner peut s'inscrire dans la filiation de la Déclaration universelle des droits de l'homme.18

« Lettre de Bernard Kouchner, secrétaire d'État à la Santé et à l'Action sociale, jointe à la lettre circulaire HH-EO 4 n° 052777 du 3 décembre 1998 relative au plan de lutte contre la douleur » : « Pendant longtemps, la douleur a été vécue comme une fatalité. L'évolution des connaissances nous donne aujourd'hui des moyens importants permettant de réduire, dans des proportions considérables, la douleur des patients. » 16 « Véritable « douleur maladie », la douleur chronique doit être considérée comme une authentique « deuxième maladie évoluant souvent pour son propre compte. » « Les douleurs chroniques en France. Recommandations de l'Académie nationale de médecine pour une meilleure prise en charge des malades », 9 octobre 2018. p. 5. 17 Témoignage de T. D., infirmière : « Les niveaux de douleur sont multiples. Elle peut être totalement envahissante et transformer l'homme en quelque chose qui n'a plus de parole, qui n'est plus tout à fait humain. Le malade semble perdre son corps, il ne sait même plus où il a mal. Laisser un malade à “sa” douleur, c'est le comble de l'incompréhension du soignant. La parole compte, mais elle est délicate, il faut apporter des explications qui n'amplifient pas l'angoisse… Et puis aussi, il faut savoir recevoir des questions qui sont de vraies énigmes. » 18 « Nul ne sera soumis à la torture ni a des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. », Déclaration universelle des droits de l'Homme, ONU, 10 décembre 1948, art. 5. 15

Chapitre 56. Est-il une éthique du soin de la douleur ?    367 Une telle exigence d'insoumission ne peut cependant pas se satisfaire de résolutions formelles, de positions incantatoires, aussi généreuses soient-elles. Elle oblige au devoir de ne pas laisser souffrir, mais aussi de ne pas faire souffrir, et fixerait ainsi quelques repères intangibles ainsi que des critères indicatifs de l'effectivité d'une telle prévenance. Les soignants doivent comprendre leur mission comme attachée au bien-être de l'autre, et ne pas consentir à des considérations opposées aux principes de bienveillance et de non-maltraitance. Leur position ne peut donc pas se satisfaire à cet égard d'une neutralité ou d'une passivité indignes de la confiance qui leur est accordée. L'approche éthique de celui qui souffre relève d'un engagement professionnel inconditionnel, et refuse toute concession à l'ancienne rhétorique de « l'endurance du malade » tolérant l'insupportable sans que sa souffrance soit même audible. Cet attachement aux valeurs de dignité et de respect est l'affirmation de droits fondamentaux de la personne qu'aucune justification ne saurait révoquer. Le souci témoigné à ce qui l'éprouve et revendique un apaisement permet d'envisager la justesse d'une présence soignante aux moments les plus marquants du parcours dans la maladie. La prise en soin de la douleur anticipe et accompagne en effet ses différentes phases à travers l'identification des moments critiques, une analyse ajustée aux circonstances ainsi qu'à leur évolutivité, une concertation préoccupée de ce qu'exprime la personne de son ressenti et de ses demandes. Il s'agit d'accueillir, de comprendre et de traiter ce qui, à un moment donné, semble le plus lui importer et risque de faire obstacle à son acceptation du projet médical, à sa volonté de mobiliser ses ressources personnelles pour lutter. Y compris lorsque trop affaiblie pour solliciter la moindre prévenance à son égard, il ne saurait pour autant se concevoir de la laisser « à sa douleur », de l'abandonner dans le huis clos de sa souffrance. Il ressort déjà de ces quelques observations que se soucier de la souffrance et de la douleur de l'autre, c'est concevoir la responsabilité du soin jusque dans ses terrains les plus exposés, là où le reconnaître dans ses vulnérabilités amplifie nos obligations à son égard.

l'effraction de l'intégrité, une crise identitaire accentuée par une perte d'estime de soi, un sentiment de culpabilité, en particulier à l'égard des proches, ce cumul de vulnérabilités qui accentue le ressenti de la dépendance, et parfois la proximité d'un inéluctable qui peut être redouté. Envisager la multiplicité de ces enjeux, c'est donc développer l'intelligence d'une clinique de la douleur accessible à la diversité des formes d'ouverture et de soutiens, complémentaires aux protocoles antalgiques, dont la personne devrait pouvoir bénéficier, notamment d'ordres moral, relationnel, psychologique et spirituel. Il convient de favoriser des mobilisations autres que professionnelles alors que l'expérience de la souffrance entrave précisément la faculté de « sortir de soi19 », de se penser encore dans le monde, en relation et en devenir. Comment maintenir une « présence au monde », dès lors que les conditions mêmes de l'échange s'étiolent au point de se détourner de la parole et de renoncer à l'usage des mots pour tenter de dire ce qui ne sera plus compris ? Comment, pour un proche, accepter, dans l'impuissance à faire encore comprendre son amour et sa considération, l'incapacité d'épargner la personne de ce qui affecte son humanité même20 ? C'est là où doit être posée la distinction nécessaire entre souffrance et douleur. Même si l'apaisement physiologique de la douleur restaure une certaine qualité de bien-être, persiste parfois cette dimension plus ontologique et existentielle de la souffrance, « désespérance d'une angoisse21 » qui ne saurait relever seulement du registre médical. Comment mieux comprendre l'intrication entre souffrance et douleur, et dans une approche éthique quelles lignes d'action en tirer ? Pour le philosophe Emmanuel Levinas « il est difficile d'analyser la douleur. L'enfermement de toute souffrance ? Sans doute, son refus d'entrer dans aucune synthèse. Elle est précisément la déchirure même, refusant la synthèse. Elle n'est pas l'indication du fait que la synthèse n'est pas possible  : c'est l'impossibilité même de la synthèse, le non-sens par excellence vécu « Sortir de soi, c'est s'occuper de l'autre, et de sa souffrance et de sa mort. Je ne dis pas du tout que cela se fait de gaieté de cœur, que ce n'est rien, ni surtout que serait là une cure contre l'horreur ou la lassitude d'être ou contre l'effort d'être, une façon de se distraire de soi. Je pense que c'est la découverte du fond de notre humanité, la découverte même du bien dans la rencontre d'autrui – je n'ai pas peur du mot « bien » ; la responsabilité pour l'autre est le bien. Ce n'est pas agréable, c'est bien. », Poirié F. Emmanuel Levinas. Besançon : La Manufacture ; 1992. p. 80. 20 « Elle perdait toute sensation de son corps, se cognait aux rebords, manquait les marches. Rire lui faisait mal, elle grimaçait seulement quelquefois. Le médecin disait qu'un nerf était probablement coincé. Elle ne parlait qu'à voix basse, était si mal en point qu'elle ne pouvait plus gémir. Elle inclinait la tête sur son épaule mais la douleur l'y poursuivait : ''Je n'ai plus rien d'un être humain'' » Peter Handke, Le malheur indifférent, Paris, Gallimard, 1984, p. 102. 21 « J'ai appris la douleur dans mes livres mais on ne m'avait rien dit de la souffrance, car la souffrance a une autre dimension que la douleur. Elle conteste l'homme et lui montre sa fragilité. Cette souffrance, je l'ai très souvent rencontrée. Désespérance d'une angoisse si difficile, voire impossible de faire partager par les autres. Elle ajoute, à la douleur physique, une dimension de solitude... ». Jasmin C. Médecine et éthique. Le devoir d'humanité. Paris : Cerf ; 1990. p. 323. 19

Impossibilité même de la synthèse, le non-sens par excellence L'approche médicale de la douleur relève d'une clinique à part entière et vise à la prévenir, à favoriser son contrôle, voire à en maîtriser les effets dans le cadre d'une alliance thérapeutique. Les souffrances existentielles relèvent toutefois d'expériences intimes toujours marquées par des particularités biographiques et culturelles et que ne parvient pas à appréhender la seule technicité antalgique, y compris lorsque l'on pense avoir identifié la composante psychologique afin d'en assurer un suivi spécifique. Viser à « la prise en charge globale de la personne » procède d'une exigence certes respectable mais dont on constate les écueils et les limites, dès lors qu'elle viserait en quelque sorte à résorber la totalité d'une souffrance alors que l'approche ne peut que se concevoir dans une humilité, une retenue, y compris dans son intentionnalité. En effet, la maladie au pronostic incertain ou péjoratif confronte à des souffrances multiples, provoquées notamment par des renoncements contraints,

368   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux ­directement  » [9]. « Je ne suis plus que souffrance » me confiait une personne ne trouvant plus d'issue à une maladie qui « s'obstinait à l'emmurer en elle-même et à la trahir ». Il s'agit, pour reprendre les catégories développées par Emmanuel Levinas, d'un « enfermement » dont il convient de trouver une échappée en y rétablissant une cohérence, une cohésion, un ordonnancement, une possibilité de franchissement. L'alliance thérapeutique, en ces circonstances, tient à la capacité de réhabiliter et de soutenir un réinvestissement de soi, une faculté de reprendre l'initiative, ne serait-ce que par fidélité à ce que l'on était avant. Cependant, comment conférer un sens renouvelé à une vie distordue par une douleur qui semble l'avoir déracinée de ses fondations ? Est-ce concevable et à quelles conditions ? Car la douleur peut mener la personne trop loin et ne plus permettre d'envisager un recours lorsqu'elle s'avère réfractaire à son traitement et nous livre à d'obscures pensées. Nos libertés menacent d'être anéanties par l'émergence d'une « souffrance totale » envahissant l'espace relationnel. Souffrir au-delà du possible, du pensable, du dicible, c'est d'une certaine manière avoir le sentiment d'être destitué d'une part de son humanité. La sensibilité est ramenée à une sensation insupportable, à ce qu'il n'est plus possible d'assumer. Il s'agirait déjà de la présence anticipée de la mort : mort à soi, mort aux autres. « À quoi bon aller plus loin… Pourquoi lutter davantage ?... » Au sens propre du terme, tout devient insensé. En témoigne en des termes universels, Léon Tolstoï suggérait que la souffrance est plus insensée encore que la mort : « Ivan Ilitch ne quittait déjà plus son divan, sur lequel il demeurait couché, ne voulant pas rester dans son lit. Et étendu presque toujours le visage tourné vers le mur, il souffrait, seul, de ses souffrances insolubles, il se plongeait, seul, dans ses pensées insolubles. « Qu'est-ce donc ? Est-ce vraiment la mort ? » Et la voix intérieure répondait : « Oui, c'est la mort. » – « Mais pourquoi ces souffrances ? » Et la voix répondait : « Comme ça  ! Pour rien. » [10]. Est-il éthique de renoncer à évoquer l'absurdité des circonstances avec la personne qui tente, malgré tout, d'obtenir les quelques réconforts et explications indispensables pour recomposer un univers sensé, un espace habitable, vivable en dépit de ce qui l'affecte si douloureusement ? Ou alors serait-il préférable de s'en tenir à un discours médico-scientifique, à la rationalité de données objectivées dont il est acquis qu'elles n'allègeront pas le tourment ? Une telle occultation de la signification existentielle de la souffrance lui retirerait la dimension énigmatique et si délicate à appréhender, parce que paradoxale : celle d'une expérience humaine constitutive de qu'est notre humanité. Il ne s'agit pas d'en revenir à une conception spirituelle, mais de saisir en quoi la souffrance fait irruption dans le soin et interpelle le soignant là où la technicité à elle seule ne saurait satisfaire une autre exigence de bienfaisance et de consolation. L'article de Paul Ricœur « La souf-

france n'est pas la douleur » [11] éclaire alors notre propos : « On s'accordera donc pour réserver le terme douleur à des affects ressentis comme localisés dans des organes particuliers du corps ou dans le corps entier, et le terme souffrance à des affects ouverts sur la réflexivité, le langage, le rapport à soi, le rapport à autrui, le rapport au sens, au questionnement […]. » L'éthique du soin de la douleur relève du souci de préserver le sens du rapport entre la personne malade et ce qui lui permet, d'une part, de maintenir son identité en lien avec le monde et, d'autre part, de soutenir une curiosité et une envie de vie insoumises à ce qui risquerait de les entraver. Il me semble dès lors indispensable d'envisager les modalités d'une relation, d'un rapport à l'autre soucieux de son exigence d'intégrité, de délivrance, de liberté. Est-il une éthique du soin de la douleur ? La question semblerait mieux formuler en des termes comme « quel soin consacrer à celle ou celui qui souffre ? » ou « que peut notre soin auprès de l'autre qui souffre ? », ou « que sont nos devoirs de soignants auprès l'autre qui souffre », ou encore « nos soins sont-ils capables d'apaiser la souffrance de l'autre ? » Ces interrogations doivent se partager et s'enrichir dans des approches qui ne peuvent être que personnelles et circonstanciées tant elles échappent à toute forme de systématisation et peuvent bouleverser l'ordonnancement des plus efficaces protocoles. Elles représentent un défi lancé à la science biomédicale, à ses modalités de compréhension, d'analyse, d'évaluation et de décisions. Et pourtant, dans un contexte qui se veut performant en dépit de multiples contraintes, la prise en soin de la douleur est susceptible d'éveiller les pratiques à cette exigence d'humanité et de dignité insoupçonnée ou négligée qui honore et élève la conscience éthique de soin. « La douleur dispense sa force de question, là où celle-ci est la moins soupçonnée.» [12].

Références [1] Lançon P. Le Lambeau. Paris : Gallimard ; 2018. p. 131. [2] Guibert H. Cytomégalovirus. Paris : Le Seuil ; 1992. p. 68. [3] Rey R. Histoire de la douleur. Paris : La Découverte ; 1993. [4] Le Breton D. Anthropologie de la douleur. Paris : Métalié ; 1998. [5] Baszanger I. Douleur et médecine, la fin d'un oubli. Paris : Le Seuil ; 1995. [6] Ruszniewski M. Face à la maladie grave. Paris : Dunod ; 2004. [7] Hirsch E. L'existence malade. Dignité d'un combat de vie. Paris : Cerf ; 2010. [8] Article  L. 1110-5-3 du code de la santé publique, https  : //www.­ legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do ?idArticle=LEGIARTI000031 971181&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20160204. [9] Levinas E. In: Hirsch E. Médecine et éthique. Le devoir d'humanité. ibid. p. 44–5. [10] Tolstoï L. La mort d'Ivan Ilitch. Paris : Stock ; 1927. p. 111. [11] Ricoeur P. La souffrance n'est pas la douleur. Revue de psychiatrie française numéro spécial 1992. juin. [12] Heidegger M. L'expérience de la pensée. In : Questions III. Paris : ­Gallimard ; 1966. p. 156.

Chapitre

57

Les douleurs chroniques en France. Recommandations de l'Académie nationale de médecine pour une meilleure 22 prise en charge des malades Patrice Queneau23, Alain Serrie24, Richard Trèves24, Daniel Bontoux23, au nom d'un groupe de travail rattaché à la Commission XV de l'ANM. Les douleurs chroniques en France. Recommandations de l'Académie nationale de médecine pour une meilleure prise en charge des malades. Bull Acad Natl Méd. 2018 ; 202(7) : 1355–70.

PLAN DU CHAPITRE Méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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La douleur, maître symptôme de la médecine, est trop souvent encore aujourd'hui négligée et mal traitée. La prise en charge des maladies douloureuses chroniques pose souvent des problèmes difficiles, malgré l'éventail actuel des ressources thérapeutiques, médicamenteuses et non médicamenteuses, dont on dispose. Le caractère rebelle de la douleur peut conduire à solliciter la contribution de médecins et de soignants qui, spécialement formés, exercent dans une « structure spécialisée douleur chronique » (SDC).

Méthodologie Un groupe de travail multidisciplinaire, comportant de nombreux invités, fut mis en place en 2015. Treize réunions ont permis les auditions et les débats nécessaires à la rédaction du présent rapport, auquel ont contribué les experts suivants : Rapport voté en séance plénière le 9 octobre 2018 par l'Académie nationale de médecine, 16, rue Bonaparte, 75272 Paris cedex 06 23 Membres de l'Académie nationale de médecine 24 Membres correspondants de l'Académie nationale de médecine 22

Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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■ membre titulaire de l'Académie : – Jean-Pierre Michel ; ■ membres correspondants de l'Académie : – Bernard Laurent, – Yves de Prost, – Christian Roques ; ■ invités au groupe de travail – Dr Justine Avez-Couturier, pédiatre, consultation douleur-enfant, CHU de Lille, – Dr Didier Bouhassira, neurologue, directeur de recherche Inserm, ancien président de la SFETD, CHU Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt, – Dr Elisabeth Collin, médecin de la douleur, responsable de la consultation d'évaluation et de traitement de la douleur, hôpital Avicenne, GHU Paris - Seine-Saint-Denis, – Dr Claire Delorme, praticien hospitalier, coordinateur du Réseau régional douleur, centre hospitalier de Bayeux, – Pr Alain Eschalier, professeur de pharmacologie médicale, UMR Inserm Neuro-dol, institut Analgesia, université Clermont-Auvergne, CHU de Clermont-Ferrand, – Dr Laurent Grange, rhumatologue, CHU GrenobleAlpes, président de l'Association française de lutte antirhumatismale (AFLAR), Paris, 369

370   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux – Dr Caroline Maindet, médecin de la douleur, CHU Grenoble-Alpes, – Pr Julien Nizard, chef du Centre fédératif douleur, soins palliatifs et de support, éthique clinique, ­responsable de l'unité de recherche clinique « Douleur et neurochirurgie », CHU de Nantes, – Pr Serge Perrot, hôpital Cochin, Paris, – Pr Roland Peyron, professeur associé, Centre stéphanois de la douleur, service de neurologie, unité Inserm U879, CHU de Saint-Étienne, – Pr Gisèle Pickering, professeur de pharmacologie clinique, centre d'investigation clinique (CIC) Inserm 1405, université Clermont-Auvergne, CHU de Clermont-Ferrand, – Dr Éric Serra, psychiatre et médecin de la douleur, responsable centre douleur, CHU d'Amiens, – Dr Pierre Tajfel, praticien hospitalier CETD-Versailles, président de l'association La douleur et le patient douloureux (LDPD), – Dr Florence Tiberghien, médecin de la douleur, centre de la douleur d'Aix-les-Bains, – Dr Barbara Tourniaire, pédiatre, responsable du Centre de la douleur et de la migraine de l'enfant, CHU Trousseau, Paris.

Résultats Définition d'une douleur chronique L'une des définitions de référence de la douleur, parmi les plus citées, est celle de l'International Association for the Study of Pain (IASP) : « expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, liée à une lésion tissulaire existante ou potentielle, ou décrite en termes évoquant une telle lésion ». Reprenant cette définition de l'IASP, la Haute Autorité de santé (HAS) définit la douleur chronique comme une douleur « évoluant depuis plus de 3 à 6 mois et/ou susceptible d'affecter de façon péjorative le comportement ou le bienêtre du patient » [1].

Enjeux de la douleur et défis à relever Ils sont explicités dans le Livre blanc de la douleur 2017 de la SFETD, qui propose de mettre en place dès 2018 les mesures concrètes suivantes [2] : 1. maintenir et consolider le rôle des SDC qui se sont développées au cours des vingt dernières années et ont fait la preuve de leur efficacité, 2. renforcer la formation de tous les professionnels de santé à la prise en charge de la douleur, 3. impliquer davantage les acteurs des premiers recours, les médecins généralistes et les pharmaciens, dans l'accompagnement du patient douloureux, 4. améliorer la prise en charge de la douleur aux urgences et en médecine ambulatoire, mais aussi l'accessibilité de cette prise en charge dans tout le territoire, en particulier au moyen des nouvelles technologies, 5. développer des campagnes de prévention de la douleur au travail ou encore du fait d'une intervention chirurgicale ou en lien avec des soins, 6. développer la reconnaissance des approches non médicamenteuses de la douleur et de l'éducation thérapeutique du patient,

7. améliorer les situations de prise en charge pour les populations les plus vulnérables, 8. soutenir et reconnaître les personnes douloureuses et leurs proches, 9. développer la recherche translationnelle en impliquant tous les acteurs.

Prise en charge de la douleur chronique et rôle des structures spécialisées douleur chronique Vingt-deux millions de patients (30 % de la population française de plus de 18 ans) se plaignent de douleurs chroniques et prennent tous les jours au moins un antalgique depuis au moins six mois selon l'étude STOPNEP (Study of Prevalence of Neuropathic Pain), réalisée par entretiens téléphoniques de type SOFRES [3]. La grande majorité des malades douloureux chroniques est prise en charge par les médecins généralistes et les spécialistes concernés. Ce n'est donc que dans les cas de douleurs chroniques rebelles que certains patients sont dirigés vers les SDC, dont la mission est d'appréhender le douloureux chronique selon un modèle multidimensionnel, bio-psychosocial, reposant sur une démarche évaluative puis sur un projet de traitement personnalisé multimodal. Actuellement, ces SDC, labellisées au niveau régional par chaque Agence régionale de santé (ARS) sous la coordination de la Direction générale de l'offre de soins (DGOS), sont organisées en deux niveaux de « prise en charge pluriprofessionnelle en équipes » constituées de médecins, spécialistes de diverses disciplines (neurologues, rhumatologues, chirurgiens, psychiatres, etc.) et d'autres soignants (infirmières, psychologues, physiothérapeutes, etc.) : ■ les consultations, axées sur des démarches d'évaluation, de diagnostic et de soins en cas de douleurs chroniques rebelles et invalidantes, ■ les centres, qui assurent la prise en charge de malades plus complexes et/ou requérant certains soins très spécialisés. Les centres ont en outre des responsabilités d'enseigne­ ment, d'expertise et de recherche. En 2018, il existe 273 SDC labellisées en France, dont 67 centres de la douleur chronique [3,4]. L'activité clinique au sein de ces SDC varie de 500 à plus de 5 000 patients par centre et par an (données des ARS). Le délai d'attente moyen est de l'ordre de 3 mois, voire davantage pour certaines SDC très spécialisées. Les SDC bénéficient de plusieurs sources de financement : des dotations nationales par les missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (MIGAC), au prorata du nombre de consultations externes ; mais également la T2A, pour ce qui est des hospitalisations, avec l'inconvénient de privilégier les actes techniques sur les approches cliniques pluridisciplinaires, ce qui pénalise injustement la prise en charge clinique des patients. Le nombre de demandes de consultations croît continuellement, alors que certaines SDC apparaissent menacées en raison du prochain départ à la retraite des médecins qui les ont fondées et du risque que ceux-ci ne soient pas remplacés faute de candidats formés à la médecine de la douleur et/ou du fait de non-renouvellements de postes médicaux.

Chapitre 57. Les douleurs chroniques en France. Recommandations...    371

Quand recourir aux structures spécialisées en douleur chronique ? La HAS a publié en 2008 des recommandations sur l'identification de la douleur chronique et sur les critères cliniques d'orientation des patients vers les structures spécialisées pour les situations suivantes [1] : ■ diagnostic nécessitant des évaluations répétées, ■ traitement médicamenteux difficile à équilibrer, ■ syndrome douloureux chronique sévère et complexe, ■ lorsque le patient ne perçoit pas le caractère plurifactoriel de sa douleur chronique, ■ difficultés de mise en œuvre du projet thérapeutique ambulatoire, ■ retentissement scolaire ou conséquences socioprofessionnelles, ■ au cas par cas, en cas de demande expresse du patient, ■ motif particulier : social, professionnel, etc. ■ traitements ou modes de prise en charge qui ne peuvent être assurés ailleurs, ■ non-remboursement de certains actes indispensables, ■ dossiers complexes nécessitant une discussion interdisciplinaire, ■ souhait du patient de participer à un programme de recherche. Ces recommandations restent d'actualité. De plus, les SDC peuvent se révéler utiles en cas : ■ de douleurs neuropathiques, de traitement souvent difficile, ■ d'effets indésirables préoccupants de traitements en cours, ■ de traitements antalgiques de palier 3 non justifiés, dont on connaît le risque d'accoutumance, d'addiction et d'overdose (fréquente dans certains pays tels les États-Unis). ■ de prise en charge des malades vulnérables : enfants, handicapés, personnes souffrant de troubles psychologiques ou mentaux importants ou de difficultés de communication.

Quels malades consultent les structures spécialisées en douleur chronique ? Dans le rapport de l'HAS, la répartition des patients selon leur type de douleurs est la suivante [1] : ■ lombalgies et sciatalgies : 26 %, ■ douleurs neuropathiques : 19 %, ■ douleurs cancéreuses : 17 %, ■ céphalées et migraines : 12 %, ■ fibromyalgie et autres symptômes douloureux idio­ pathiques : 10 %, ■ syndromes douloureux régionaux complexes : 8 %, ■ autres douleurs : 7 %,

Qui adresse les malades en structure spécialisée en douleur chronique ? Une fois sur deux, c'est le médecin généraliste, notamment dans des cas de fibromyalgie, de céphalées ou de lombalgies. Quarante pour cent des patients sont orientés par un médecin spécialiste (douleurs neurologiques ou cancéreuses, syndrome douloureux régional complexe, etc.). À noter que le pourcentage des recours justifiés aux SDC était évalué comme situé entre 83,6 % à 97,1 % par l'HAS en 2008 [1].

Exemples d'indications d'envoi en structure spécialisée en douleur chronique selon la spécialité Douleurs chroniques en médecine générale Qu'elle soit aiguë ou chronique, la douleur est le premier motif de consultation du médecin. Elle reste l'apanage, en premier recours, du médecin généraliste. Du fait des progrès thérapeutiques permettant des survies plus longues (notamment aux patients atteints de cancers) et du vieillissement de la population générale, de nombreux patients souffrant de diverses douleurs chroniques sont amenés à être suivis au long cours en médecine générale [5]. L'enquête de la HAS sur la population adressée par les médecins généralistes et les spécialistes aux SDC a montré, en 2008, que les recours étaient « justifiés » pour la majorité des patients (93 %).

Douleurs rhumatologiques chroniques En ce domaine, les SDC sont principalement sollicitées pour : ■ des rachialgies, surtout des lombalgies et des sciatalgies chroniques rebelles (plus d'un million de Français sur dix millions sont lombalgiques), par discarthrose, troubles statiques ou encore maladies professionnelles ou postchirurgicales ; ■ des fibromyalgies (3 à 7 % de la population, dont 80 % de femmes) à expression algique prédominante, sévère et rebelle, dans le cas desquelles un diagnostic posé par un SDC et une prise en charge par des approches complémentaires évitent des errances médicales délétères.

Douleurs chroniques rebelles en neurologie Selon l'étude STOPNEP, 7 % de la population générale souffrent de douleurs neuropathiques liées à [3] : ■ des maladies neurologiques telles la sclérose en plaques (SEP), la maladie de Parkinson, des séquelles d'accident vasculaire cérébral (AVC), une paraplégie, etc. ; ■ des lésions des nerfs périphériques du fait d'un cancer, d'un diabète, de séquelles chirurgicales, etc. ; ■ certains traitements (par exemple une chimiothérapie anticancéreuse). Il faut y ajouter : ■ la migraine (16 % de la population française sont concernés, dont deux tiers de femmes) et les céphalées chroniques quotidiennes (CCQ) « de tension » ou induites par des mésusages et des abus médicamenteux ; ■ les douleurs orofaciales (névralgies faciales, algies vasculaires de la face [AVF], maladie de Horton, etc.), souvent rebelles, qui induisent un handicap dont l'importance est parfois sous-estimée, peuvent devenir des indications de recours aux SDC, en vue de mener des stratégies de traite­ment alliant médicaments, prise en charge psychologique (thérapies comportementales et cognitives [TCC], par exemple) et/ou des interventions techniques spécifiques [6]. Plus généralement, les traitements médicamenteux des douleurs neuropathiques sont souvent peu efficaces, ce qui conduit à recourir à des techniques de stimulation ou d'interruption des voies de la nociception. Les stratégies de prises en charge identifient volontiers les trois niveaux ci-dessous (figure 57.1).

372   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux

Niveau de difficultés de prise en charge Niveau de compétences des spécialistes Niveau des coûts de santé

Douleurs très résistantes... Céphalées réfractaires (quotidienne, abus médicamenteux, algie vasculaire de la face...) Zona diabète alcool... Céphalées : céphalées de tension, migraines, AVF, Douleurs fonctionnelles Fibromyalgie...

*

Médecin formé à la douleur Antidépresseurs et antiépileptiques Antimigraineux Techniques non Médicamenteuses

Stade 1 : médecin généraliste ou spécialiste

Fibromyalgie, lombalgies chroniques résistantes

* Consultation antidouleur Présence de psychiatre TTT spécifiques : patch capsaicine, kétamine, nouveaux antiépileptiques... Techniques non médicamenteuses : TENS, hypnose, sevrage...

Algie vasculaire de la face, névralgies faciales et céphalées sévères... Douleurs fonctionnelles graves Douleurs du cancer résistantes aux opiacés

* Neurochirurgie de la douleur (implantation, stimulation du cortex ou de la moelle) Pose de cathéters intrathécaux ou intra ventriculaires Prise en charge en groupes, éducation thérapeutique

Stade 2 : médecin spécialiste douleur Stade 3 : centre douleur pluridisciplinaire (SDC) (soins-enseignement-recherche... CHU)

Figure 57.1 Douleurs neuropathiques chroniques (B. Laurent et R. Peyron).

Douleurs chroniques au cours du cancer Le nombre de malades en vie après un cancer augmente régulièrement : il atteint 3 millions en France, en 2008, avec la prévision de 18 millions en 2022. Leur réinsertion dans la « vie normale » dans ce contexte d'« après cancer » [7] nécessite une prise en charge psychosociale et familiale ainsi qu'un suivi oncologique incluant une bonne qualité d'alimentation, la pratique du sport, un soutien psychologique, mais aussi une prise en charge des douleurs chroniques, souvent rebelles à de nombreux traitements. Celles-ci peuvent être induites par le cancer, les actes diagnostiques et t­hérapeutiques (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie, utilisation de facteurs de croissance ou d'antiaromatases, etc.) ou encore la dépression et le stress (crainte d'une r­ écidive et de la mort). Dans ce contexte, en interface étroite avec les oncologues, les SDC peuvent être utiles pour apaiser les douleurs les plus rebelles, notamment neuropathiques ou articulaires, condition d'une reprise de l'activité physique et d'une lutte efficace contre la fatigue, l'anxiété et la dépression [8].

Douleurs chroniques de l'enfant et de l'adolescent Fréquentes et parfois sous-évaluées, les douleurs chroniques ont un retentissement global sur l'enfant et sa famille. Des études anglo-saxonnes montrent qu'il existerait des douleurs chroniques et/ou récurrentes chez 25 % des enfants et adolescents, avec une prédominance chez les filles [9, 10]. Il s'agit essentiellement de céphalées et de migraines, de douleurs musculosquelettiques, abdominales ou diffuses. À l'origine d'un absentéisme scolaire important, elles ont un

impact médico-économique important, lié aux soins ainsi qu'à l'absentéisme des parents au travail [11]. Actuellement en France, seules trente SDC bénéficient d'une labellisation spécifique pour l'accueil des enfants, avec une grande disparité géographique. La spécificité d'experts de la douleur de l'enfant est nécessaire pour une évaluation et une prise en charge appropriées dans les cas les plus difficiles.

Douleurs chroniques en gériatrie et dans les maladies neurodégénératives Les personnes âgées de plus de 65 ans représentent 17 % de la population française. Les projections démographiques font état d'une augmentation de 25 % de personnes âgées de plus de 75 ans d'ici 2025. Touchant 50 % des personnes âgées vivant à domicile, 70 % de celles vivant en institution et plus de 80 % de celles en phase terminale de vie, les douleurs chroniques réduisent la mobilité, favorisent l'isolement et produisent un état dépressif souvent inaugural de troubles du comportement et de la cognition. Un nombre croissant de personnes âgées souffrent de douleurs parfois mal exprimées, sous-estimées et souvent importantes, notamment au cours de maladies neurodégénératives (démences, maladie de Parkinson, AVC, troubles cognitifs, etc.). Les nouvelles techniques d'évaluation observationnelle du comportement (visage et attitude) sont en l'occurrence précieuses. L'encadré 57.1 explicite dix objectifs de la prise en charge de la douleur en gériatrie et dans les maladies ­neurodégénératives [12, 13].

Chapitre 57. Les douleurs chroniques en France. Recommandations...    373

Encadré 57.1 Les dix objectifs de la prise en charge de la douleur en gériatrie et dans les maladies neurodégénératives 1. Poursuivre la diffusion de l'approche graduelle et optimiser l'évaluation des traitements antalgiques, médicamenteux et non médicamenteux. 2. Promouvoir l'utilisation des échelles de la douleur dans tous les milieux de vie des patients âgés atteints de troubles neurodégénératifs ; en enseigner les spécificités et les limites. 3. Enrichir les recommandations de prise en charge de la douleur, en particulier chez la personne âgée mal-communicante. 4. Sensibiliser aux effets indésirables et aux interactions médicamenteuses dans le contexte gériatrique de polymédication, de comorbidités, de déficit cognitif et de fragilité. 5. Cibler les conséquences de la douleur per se et des analgésiques sur les domaines cognitifs et émotionnels et envisager des stratégies de coping. 6. Conduire des essais cliniques randomisés de bonne qualité et des études observationnelles larges afin d'évaluer le rapport bénéfice-risque des molécules dans la vraie vie des personnes âgées, en particulier en cas de maladie neurodégénérative. 7. Conduire des études sur la synergie des techniques pharmacologiques et non pharmacologiques chez les patients âgés et très âgés. 8. Poursuivre la construction au niveau national d'une force multidisciplinaire en médecine de la douleur en gériatrie, par une collaboration entre les sociétés savantes. 9. Rendre la gériatrie et la douleur en gériatrie attractives aux professionnels de santé  : cela est lié à un enseignement adapté et à des opportunités d'emplois à la clé. 10.  Prévenir la douleur induite, l'anticiper et la prendre en charge le plus tôt possible, avec une balance bénéficerisque optimisée, ce qui constitue un défi éthique chez le sujet âgé pour une qualité de vie préservée. Source : Capriz F et al., 2017 [12], Pickering G, 2017 [13].

La prise en charge de la douleur chronique : un problème de société La douleur a un coût Les répercussions des douleurs chroniques sont importantes : la vie du patient (QALYS) va être transformée, ce qui peut entraîner chômage ou licenciement, difficultés familiales (rejet, rupture, divorce ou, au contraire, maternage et infantilisation), psychologiques (anxiété, dépression) ou médicolégales (invalidité, procès) [14].

Activité professionnelle, productivité et situations professionnelles La National Health and Wellness Survey (NHWS), réalisée en France en 2013, portant sur 15 000 personnes, permet d'estimer le poids socio-économique de la douleur. On estime (en extrapolant à la population française en 2013) que la douleur a des conséquences sur le travail de deux tiers des personnes en souffrant : 88 millions de journées sont

impactées par la douleur (48 millions par l'absentéisme et 40 millions par le présentéisme avec douleur) [15] : ■ la prévalence des personnes en arrêt maladie de longue durée est de 5 % en cas de douleur, versus 1 % dans le groupe sans douleur ; ■ les patients ayant déclaré une douleur ont consulté environ deux fois plus souvent que les autres (9 consultations versus 4,8), ce qui représente 72,2 millions de consultations supplémentaires par an. À partir du tarif d'une consultation chez un médecin généraliste (23 euros) et du taux de remboursement par l'Assurance maladie (70 %), cela correspond à un surcoût annuel d'environ 1,163 milliard d'euros. Quelques chiffres de coûts annuels de santé liés à des pathologies précises en France suivent : ■ la migraine coûte 1 milliard, pour une prévalence de 17 % de la population [16] ; ■ les céphalées chroniques coûtent 2 milliards, pour une prévalence de 3 % de la population ; ■ les lombalgies coûtent 6 000 euros par personne atteinte ; ■ la fibromyalgie coûte 6 000 euros par personne atteinte.

Formation initiale et continue La formation de tous les soignants Concernant les médecins, cette formation doit commencer dès le premier cycle (en sciences humaines et sociales, notamment), puis tout au long des deuxième et troisième cycles des études médicales. Elle devra faire l'objet de validations spécifiques et se poursuivre dans le cadre de la formation continue.

La formation à la médecine de la douleur Cette formation obéissait ces dernières années à un Diplôme d'études spécialisées complémentaires (DESC) de quatre semestres, intitulé « Médecine de la douleur et médecine palliative », qui donnait satisfaction. Ce DESC est aujourd'hui remplacé par une formation spécialisée transversale (FST) d'une durée de deux semestres consécutifs, durée que ­l'Académie nationale de médecine avait regrettée en 2016 [17]. Cette FST « Médecine de la douleur » doit conduire à former, en complément de leur Diplôme d'études spéciales (DES) d'origine, les médecins de la douleur dont la France a besoin (30 à 35 par an selon le Collège national des enseignants de la douleur), afin de permettre le renouvellement des effectifs nécessaires à la pérennisation des 273 SDC existantes. L'organisation de cette FST sera coordonnée dans chaque région par des « pilotes », universitaires ou praticiens hospitaliers, provenant de disciplines diverses. Cette FST ne créée pas de nouvelle spécialité : elle figurera comme mention associée au diplôme du DES d'origine, témoignant de l'acquisition d'une compétence complémentaire. Cette compétence s'exercera dans le cadre de l'exercice de la spécialité d'origine. Dans le cadre de la réforme, prochaine, du quatrième cycle, un autre objectif serait d'intégrer la formation continue et de permettre les vocations tardives de « médecin de la douleur », comme le permettait auparavant l'acquisition d'une Capacité douleur.

374   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux

Quels enseignants ? L'importance de ces enseignements « exige une filière spécifique dans chaque UFR avec un coordinateur universitaire “douleur” pour organiser les enseignements et la recherche » [17]. Ce coordinateur universitaire “douleur” doit être un PU-PH ou un professeur associé « médecin de la douleur » nommé : ■ soit dans l'option « thérapeutique-médecine de la douleur », récemment créée au sein de la quatrième sous-section de la quarante-huitième section du Conseil national des Universités (CNU), désormais libellée : « Thérapeutique-médecine de la douleur ; addictologie (2 options) » (suivant l'arrêté du 16 février 2018, Journal officiel du 6 mars 2018), ■ soit dans une des grandes spécialités universitaire concernant la douleur.

Données internationales sur la formation à la douleur Au sein de la formation initiale Au sein de la formation initiale, l'enseignement sur la douleur est peu développé en Europe, à l'exception de deux pays, l'Allemagne et la France, avec un contenu pédagogique et un volume horaire standardisés. Il faut rappeler que c'est en France, en 1985, que le premier enseignement au monde a vu le jour, sous la forme d'une attestation d'études supérieures, puis d'un Diplôme d'université (DU) délivrée par la faculté de médecine Lariboisière (Paris VII).

Quel enseignement européen pour les médecins de la douleur ? Récemment, l'European Federation of IASP Chapters (EFIC) a souhaité définir un curriculum de qualification en médecine de la douleur : le European Diploma of Pain Medicine (EDPM), décrit en détail sur le site  : https:// www.europeanpainfederation.eu/core-curriculum/ diploma-in-pain-medicine/.

La recherche La recherche sur la douleur est une nécessité absolue pour des raisons épidémiologiques, diagnostiques, thérapeutiques, sociétales, économiques et éthiques. La recherche fondamentale et clinique française (incluant les thérapeutiques non médicamenteuses insuffisamment validées) a acquis un positionnement apprécié en Europe. Mais elle doit accroître sa visibilité internationale. Conduite par des équipes rattachées à l'Inserm, au CNRS (24 équipes) ainsi qu'aux universités et aux CHU, en interface avec les SDC, elle est financée prioritairement (69 %) par des budgets issus d'appels à projets, avec cependant des financements limités en provenance de l'Agence nationale de la recherche (ANR) et de Programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC) : 0,76 % des projets biologie-santé financés par l'ANR et 1,5 % des projets financés par les PHRC concernent la douleur.

Des choix stratégiques, organisationnels et politiques, sont nécessaires pour soutenir une recherche translationnelle en un temps où la pharmacopée, ancienne, est ­a ssortie d'un ratio bénéfice-risque insatisfaisant pour lutter avec efficacité contre les douleurs chroniques, très handicapantes pour les patients et très coûteuses pour la société.

Recommandations À partir du rapport établi, l'Académie nationale de médecine émet les recommandations pratiques suivantes : 1. Consolider les 273 « structures spécialisées douleur chronique » (SDC) pour les années à venir, alors que certaines d'entre elles se trouvent menacées par les prochains départs à la retraite de médecins de la douleur. 2. Désigner dans chaque UFR un « coordinateur universitaire douleur », rattaché à la sous-section « Thérapeutique-médecine de la douleur » du CNU ou à une des grandes disciplines universitaires concernant la douleur. 3. Veiller au renouvellement des équipes des SDC par : – des médecins ayant bénéficié d'une FST « Médecine de la douleur », outre leur DES d'origine, – d'autres soignants (infirmières, physiothérapeutes, psychologues, etc.) ayant bénéficié d'une formation « douleur ». 4. Outre l'indispensable formation initiale de tous les médecins et soignants à la spécificité de la douleur chronique, faciliter l'accès à des formations complémentaires sur les nouvelles approches non médicamenteuses, technologiques et psychosociales. 5. Développer la recherche clinique et fondamentale translationnelle par la mise en place de choix stratégiques, politiques et organisationnels.

Références [1] Recommandations professionnelles - ­Douleur chronique : reconnaître le syndrome douloureux chronique, l'évaluer et orienter le patient. Recommandations sur l'identification de la douleur chronique et sur les critères cliniques d'orientation des patients vers les structures spécialisées. Décembre, https : //www.has-sante.fr/portail/upload/docs/ application/pdf/2009-01/douleur_chronique_recommandations.pdf ; 2008. [2] SFETD. Livre blanc de la douleur 2017 - État des lieux et propositions pour un système de santé éthique, moderne et citoyen. Paris : MedLine ; 2017. [3] Bouhassira D, Lantéri-Minet M, Attal N, Laurent B, Touboul C. Prevalence of chronic pain with neuropathic characteristics in the general population. Pain 2008 ; 136 : 380–7. [4] Actualisation de l'annuaire national des structures d'étude et de traitement de la douleur chronique et au recueil de leurs données de file active et d'activité 2017. Bulletin officiel Santé-Protection sociale-Solidarité 2017/11, 15 décembre 2017. http://solidarites-sante. gouv.fr/soins-et-maladies/prises-en-charge-specialisees/douleur/ les-structures-specialisees-douleur-chronique. [5] Tajfel P, Gerche S, Huas D. La douleur en médecine générale. Douleur et Analgésie 2002 ; 15 : 71–9. [6] Serrie A, Navez M. In : Guillevin L, Mouthon L, Levesque H, editors. Les douleurs oro-faciales. Traité de médecine. Paris : TDM éditions ; 2018.

Chapitre 57. Les douleurs chroniques en France. Recommandations...    375 [7] Villet R, Degos L, Rouëssé J, Huriet C, Triboulet P. Retour à la « normale » après traitement d'un cancer. Bull Acad Natle Méd 2018 ; 202 : 521–35. [8] Welsch C, Delorme C, Larue F, Beauchet A, Krakowski I, Braseur L. ­Données épidémiologiques sur la douleur du cancer en France. Évolution sur deux décennies de la prévalence et de l'intensité de la douleur chez les malades atteints de cancer. Douleur et Analgésie 2013 ; 26 : 126–32. [9] King S, Chambers CT, Huguet A, MacNevin RC, McGrath PJ, Parker L, Mac Donald AJ. The epidemiology of chronic pain in children and adolescents revisited : A systematic review. Pain 2011 ; 152 : 2729–38. [10] Huguet A, Miró J. The Severity of Chronic Pediatric Pain : an Epidemiological Study. J Pain 2008 ; 9 : 226–36. [11] Gallo A, Tourniaire B, Chary-Tardy A-C. Que sont devenus les adolescents douloureux chroniques ? Suivi d'une cohorte. Archives de pédiatrie 2012 ; 19(6) : H276–7. Supplément 1. [12] Capriz F, Chapiro S, David L, Floccia M, Guillaumé C, Morelet V, et al. Consensus multidisciplinaire de l'utilisation des antalgiques chez la personne âgée. Douleurs 2017 ; 18 : 234–47.

[13] Pickering G, Pain Neuropathic. In : Lussier Cruciani, editor. Pain Management in the Elderly Patient  : A Comprehensive Guide to Diag­nosis and Treatment. New York : Springer ; 2017. [16] Michel JP, Beattie BL, Martin FC, Walston JD. Oxford Textbook of Geriatric Medicine. Oxford : Oxford University Press ; 2017. [14] Serrie A. La prise en charge de la douleur chronique : un problème de société. Bull Acad Natle Méd 2015 ; 199 : 555–65. [15] Eschalier  A, Mick  G, Perrot  S, Poulain  P, Serrie  A, Langley  P, ­Pomerantz D, Ganry H. Prevalence and characteristics of pain and patients suffering from pain in France : an epidemiological survey National Health and Wellness Survey in 1500 adults. Douleurs 2013 ; 14 : 4–15. [17] Queneau P, Serrie A, Laurent B, Trèves R, Communiqué : À propos de la disparition du DESC douleur. Une formation spécialisée transversale de la douleur chronique est nécessaire. Bull Acad. Natle Méd 2016 ; 3 : 597–9.

Chapitre

58

Liste des recommandations Alain Serrie, Claire Delorme, Marie-Louise Navez PLAN DU CHAPITRE Méthodologie générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . Cancer. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Douleurs chroniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Douleurs neuropathiques . . . . . . . . . . . . . . . . . Douleurs postopératoires . . . . . . . . . . . . . . . . . Fibromyalgie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Migraine et céphalée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



377 377 378 378 378 379 379

Les recommandations mises à jour par la SFETD seront présentées à l'occasion du 19e Congrès national de la SFETD du 27 au 29 novembre 2019 à Strasbourg et seront accessibles sur le site http://www.sfetd-douleur.org/.

Méthodologie générale Méthode « Recommandations pour la pratique clinique » (2010) Ce guide a pour objectif de décrire la méthode d'élaboration de recommandations de bonne pratique selon la méthode « Recommandations pour la pratique clinique ». Il s'adresse aux professionnels qui souhaitent connaître la méthode utilisée par la HAS ou développer des recommandations de bonne pratique selon cette méthode. h t t p s : / / w w w. h a s - s a n t e . f r / j c m s / c _ 4 3 1 2 9 4 / f r / recommandations-pour-la-pratique-clinique-rpc

Méthode « Recommandations par consensus formalisé » (2010) Ce guide a pour objectif de décrire la méthode d'élaboration de recommandations de bonne pratique selon la méthode « Recommandations par consensus formalisé ». Il s'adresse aux professionnels qui souhaitent connaître la méthode utilisée par la HAS ou développer des recommandations de bonne pratique selon cette méthode. h t t p s : / / w w w. h a s - s a n t e . f r / j c m s / c _ 2 7 2 5 0 5 / f r / recommandations-par-consensus-formalise-rcf

Cancer L'hydromorphone dans le cadre du changement d'opioïde en oncologie (2018) Ces recommandations, émanant du groupe d'experts AFSOS (Association francophone pour les soins onco­logiques de Médecine de la douleur pour le praticien © 2020, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Opioïdes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Enfant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Sujet âgé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Anesthésie locale et locorégionale . . . . . . . . . Soins palliatifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Handicap . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



379 380 380 380 380 380

support)-SFAP (Société française d'accompagnement et de soins palliatifs)-SFETD, sont actuellement uniquement disponibles dans la revue Douleur et Analgésie (2018 ; 31 : 109–19).

La morphine dans le cadre du changement d'opioïde ou de voie d'administration, chez l'adulte avec une douleur due au cancer (2017) L'objectif de ces « Standards, options et recommandations » (SOR) élaborés par le groupe d'experts AFSOS-SFAP-SFETD est de fixer les modalités d'administration de la morphine dans le cadre du changement d'opioïde ou de voie d'administration, chez l'adulte avec une douleur due au cancer. https://www.sfetd-douleur.org/recos-et-referentiels/

L'oxycodone dans le cadre du changement d'opioïde en oncologie (2016) L'objectif de ces « Standards, options et recommandations » élaborés par le groupe d'experts AFSOS-SFAP-SFETD est de fixer les modalités d'administration du nouvel opioïde dans la prise en charge de la douleur due au cancer. https://www.sfetd-douleur.org/recos-et-referentiels/

SOR pour la prise en charge des douleurs provoquées lors des ponctions lombaires, osseuses et sanguines chez les patients atteints de cancer — adulte et enfants (2005) L'objectif de ces recommandations pour la pratique clinique est de déterminer les règles de prise en charge des douleurs provoquées lors des ponctions sanguines, lombaires ou osseuses chez l'adulte et l'enfant atteints de cancer. Elles visent à améliorer la qualité de la prise en charge des patients en fournissant aux praticiens une aide à la décision facilement 377

378   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux ­ tilisable et actualisée. Cette brochure présente c­ onjointement u les recommandations issues des « Standards, options et recommandations pour la prise en charge des douleurs provoquées lors des ponctions lombaires, osseuses et sanguines chez l'adulte » et « Standards, options et recommandations pour la prise en charge des douleurs provoquées lors des ponctions lombaires, osseuses et sanguines chez l'enfant ». https://www.sfetd-douleur.org/recos-et-referentiels/

Mise au point sur l'utilisation pratique de la méthadone Trois sociétés savantes, l'AFSOS, la SFAP et la SFETD, dans le cadre de la réactualisation des Standards, options et recommandations pour la prise en charge de la douleur due au cancer, ont proposé à un groupe de travail composé d'experts issus de ces sociétés d'établir ces recommandations qui concernent l'utilisation de la méthadone dans les douleurs du cancer. https://www.sfetd-douleur.org/recos-et-referentiels/

Douleurs chroniques Douleur chronique : les aspects organisationnels – Le point de vue des structures spécialisées (2009) Cet état des lieux a pour principaux objectifs d'analyser : ■ les caractéristiques de la population se rendant dans les structures spécialisées ; ■ l'adéquation « ressentie » entre l'offre proposée par les structures d'évaluation et de traitement de la douleur chronique actuellement implantées dans les établissements de soins et les besoins des patients qui consultent ; ■ la pertinence d'une organisation en trois types de structures spécialisées de lutte contre la douleur chronique (consultation, unité, centre) ; ■ le rôle et la place des professionnels médicaux et non médicaux (infirmier, masseur kinésithérapeute, psychologue, etc.) dans le traitement et le suivi de la douleur chronique ; ■ les articulations existantes et souhaitables entre les structures spécialisées et les structures de soins palliatifs. https://www.has-sante.fr//portail/jcms/c_813396/en/­ douleur-chronique-les-aspects-organisationnels?xtmc=&x tcr=4

Douleur chronique : reconnaître le syndrome douloureux chronique, l'évaluer et orienter le patient (2008) L'objectif de ces recommandations est de favoriser la mise en œuvre de parcours de soins adaptés aux patients exprimant une douleur chronique et les échanges entre les professionnels des structures spécialisées et ceux qui leur adressent des patients. L'enjeu de ces recommandations, qui se fondent sur le principe selon lequel toute douleur exprimée doit être entendue et suivie d'un traitement adapté, est d'améliorer la qualité de vie des patients présentant une douleur chronique.

https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_732257/douleurchronique-reconnaitre-le-syndrome-douloureux-­ chronique-l-evaluer-et-orienter-le-patient

Douleurs neuropathiques Les douleurs neuropathiques chroniques : diagnostic, évaluation et traitement en médecine ambulatoire (2010) La SFETD a élaboré des recommandations professionnelles concernant les douleurs neuropathiques chroniques (de durée au moins égale à trois mois) de l'adulte et de l'enfant. Ces recommandations sont destinées à l'ensemble des professionnels de santé confrontés aux douleurs neuropathiques en ambulatoire : généralistes, neurologues, rhumatologues, gériatres, odontologistes, kinésithérapeutes et infirmiers. Ces recommandations ont été actualisées en novembre 2019. https://www.sfetd-douleur.org/recos-et-referentiels/

Neuropathic pain – pharmacological management : the pharmacological management of neuropathic pain in adults in non specialist settings (mise à jour 2013) Le National Institute for Health and Care Excellence (NICE), équivalent de la HAS au Royaume-Uni, a publié des recommandations pour la prise en charge pharmacologique des douleurs neuropathiques de l'adulte. https://www.nice.org.uk/guidance/cg173

Douleurs postopératoires Réactualisation de la recommandation sur la douleur postopératoire, par la Société française d'anesthésie et de réanimation (2016) Depuis la Conférence de consensus sur la douleur postopératoire de 1997 et les Recommandations formalisées d'expert (RFE) de 2008, il était nécessaire de compléter ou de modifier les recommandations déjà existantes. Un groupe de 14 experts a travaillé sur des questions non traitées dans les référentiels précédents ou sur des recommandations déjà publiées mais modifiées à la suite de la publication de nouvelles données dans la littérature. La méthode utilisée est invariablement la méthode GRADE (Grading of Recommendations Assessment, Development and Evaluation), qui garantit la rigueur du travail fourni. https://sfar.org/reactualisation-de-la-recommandation-surla-douleur-postoperatoire/

Prise en charge de la douleur postopératoire chez l'adulte et l'enfant (2008) Ces recommandations professionnelles, élaborées selon la méthodologie des RFE par le comité douleur-ALR de la SFAR, réactualisent la conférence de consensus de 1997 sur la prise en charge de la douleur postopératoire sur huit

Chapitre 58. Liste des recommandations    379 aspects identifiés comme prioritaires : la qualité, l'utilisation des morphiniques, l'utilisation des antalgiques non morphiniques, l'intérêt des antihyperalgésiques, la prévention de la douleur chronique postchirurgicale, les indications des infiltrations, la place de l'anesthésie locorégionale en post­ opératoire et l'analgésie après chirurgie en ambulatoire. ht t p s : / / s f a r. o r g / p r i s e - e n - c h a r g e - d e - l a - d o u l e u r-­ postoperatoire-chez-ladulte-et-lenfant-2/

Prévention et traitement de la douleur postopératoire en chirurgie buccale (2005) L'objectif de ces recommandations est d'assurer une meilleure prise en charge de la douleur postopératoire pour les patients hospitalisés ou en ambulatoire en cas de chirurgie buccale (hors chirurgie sous anesthésie générale et hors analgésie par protoxyde d'azote [50 %] et oxygène). https://www.has-sante.fr//portail/jcms/c_272499/ prevention-et-traitement-de-la-douleur-postoperatoire-enchirurgie-buccale

Fibromyalgie Rapport d'orientation – Syndrome fibromyalgique de l'adulte (2010) Rédigé par la HAS à la demande du ministère de la Santé, ce rapport d'orientation fait un état des lieux des données disponibles (hors sciences fondamentales) concernant le syndrome fibromyalgique de l'adulte et propose des orientations aux professionnels de santé pour prendre en charge les personnes qui en souffrent. h t t p s : / / w w w. h a s - s a n t e . f r / j c m s / c _ 9 9 3 8 9 9 / f r / syndrome-fibromyalgique-de-l-adulte

Migraine et céphalée Recommandations pour la prise en charge d'une céphalée en urgence Les recommandations, élaborée par la Société française d'étude des migraines et des céphalées (SFEMC) et la Société française de neurologie (SFN), concernent la prise en charge des céphalées en urgence : distinction des quatre tableaux cliniques, éléments clés de l'interrogatoire et de l'examen physique, stratégie diagnostique et thérapeutique. Les recommandations concernent l'adulte. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/ S1624568718300015

Démarche diagnostique générale devant une céphalée chronique quotidienne (CCQ) – Prise en charge d'une CCQ chez le migraineux : céphalée par abus médicamenteux et migraine chronique Ces recommandations (élaborées par la SFEMC, l'Association des neurologues libéraux de langue française [ANLLF] et la SFETD, en 2014) concernent essentiellement la démarche diagnostique générale devant une CCQ de

l'adulte et, lorsque la CCQ survient chez un migraineux, la prise en charge des céphalées par abus médicamenteux ainsi que celle de la migraine chronique. La littérature sur les CCQ de l'enfant est plus pauvre. Le groupe de travail a cependant dégagé quelques particularités concernant la démarche diag­nostique en cas de CCQ de l'enfant et de l'adolescent. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/ S0035378714000666?via%3Dihub

Prise en charge diagnostique et thérapeutique de la migraine chez l'adulte et chez l'enfant (2013) Les recommandations concernent la prise en charge globale de la migraine  : stratégie diagnostique et thérapeutique, aspects économiques de la maladie et de ses traitements, migraine cataméniale, migraine de la femme enceinte, migraine et contraception orale ou encore migraine et ménopause. Ces recommandations constituent les révisions des recommandations professionnelles sur la « Prise en charge diagnostique et thérapeutique de la migraine chez l'adulte et chez l'enfant : aspects cliniques et économiques », publiées par l'Anaes (Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé) en 2002 et révisées en 2012. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/ S0035378712010466

Recommandations pour le diagnostic et le traitement de l'algie vasculaire de la face Ces recommandations, élaborées par la SFEMC, concernent le diagnostic et la prise en charge de l'AVF chez le patient adulte. Elles sont destinées aux professionnels impliqués dans la prise en charge des patients présentant une algie vasculaire de la face : médecins généralistes et spécialistes, pharmaciens d'officine. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/ S1624568715000025

Opioïdes Utilisation des opioïdes forts dans la douleur chronique non cancéreuse chez l'adulte, recommandations de bonne pratique clinique par consensus formalisé (janvier 2016) Ces recommandations ont été élaborées par la SFETD. https://www.sfetd-douleur.org/recos-et-referentiels/

Mise au point sur l'utilisation du fentanyl transmuqueux – chez le patient présentant des douleurs d'origine cancéreuse (2011) Cette mise au point a été élaborée par un groupe d'experts issus de l'AFSOS, de la SFAP et de la SFETD. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/ S1624568711002769

380   Partie 6. Douleurs et aspects sociétaux

Enfant Prise en charge médicamenteuse de la douleur chez l'enfant : alternatives à la codéine – Fiche mémo (2016) Cette fiche mémo a pour objectif de proposer des alternatives médicamenteuses à l'utilisation de la codéine dans la prise en charge de la douleur aiguë et prolongée chez l'enfant, dans les situations cliniques problématiques les plus fréquentes. Ces recommandations n'abordent pas l'évaluation de la douleur en pédiatrie, les thérapies non médicamenteuses et la prise en charge de la douleur du nouveau-né. https://www.has-sante.fr/jcms/c_2010340/fr/prise-encharge-medicamenteuse-de-la-douleur-chez-l-enfant-­ alternatives-a-la-codeine

Prise en charge médicamenteuse de la douleur aiguë et chronique chez l'enfant (2009) L'objectif de ces recommandations est d'assurer une meilleure prise en charge médicamenteuse de la douleur chez l'enfant en milieu hospitalier et dans certaines situations particulières en ville. https://pediadol.org/afssaps-prise-en-charge-medicamenteuse-de-la-douleur-aigue-et-chronique-chez-lenfantrecommandations-de-bonne-pratique/

Sujet âgé Évaluation et prise en charge thérapeutique de la douleur chez les personnes âgées ayant des troubles de la communication verbale (2000) Ces recommandations, concernant l'évaluation et le traitement de la douleur chez les personnes âgées ayant des troubles de la communication verbale, sont destinées à tout médecin amené à prendre en charge ces patients en établissement de soins ou au domicile. https://www.has-sante.fr//portail/jcms/c_272123/ evaluation-et-prise-en-charge-therapeutique-de-ladouleur-chez-les-personnes-agees-ayant-des-troubles-dela-communication-verbale

Anesthésie locale et locorégionale Techniques analgésiques locorégionales et douleur chronique (2013) Les objectifs de ces RFE sont d'une part de valider l'intérêt des techniques d'analgésie locorégionale dans le traitement de la douleur chronique, en termes d'efficacité, de bénéfices et de risques pour le patient et, d'autre part, de préciser leur place au sein des autres propositions thérapeutiques déjà validées et/ou admises à partir des données de la littérature ou de consensus d'experts. Ces recommandations ont fait l'objet d'une publication dans les Cahiers de la SFETD.

https://sfar.org/techniques-analgesiques-locoregionales-etdouleur-chronique/

Soins palliatifs Douleur rebelle en situation palliative avancée chez l'adulte (2010) Ces recommandations ont pour objectif d'apporter les informations à l'ensemble des prescripteurs sur les médicaments utilisés dans la douleur en situation palliative avancée chez l'adulte, que ce soit à l'hôpital ou à domicile. Ces recommandations concernent des patients douloureux en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable. Il peut s'agir de douleurs rebelles ou réfractaires, lorsque les patients ne sont pas soulagés de façon satisfaisante ou lorsque les effets indésirables limitent l'utilisation des produits. http://www.sfap.org/rubrique/recommandations-ansm-surla-douleur

Recommandations pour l'indication et l'utilisation de la PCA à l'hôpital et à domicile, pour l'administration de morphine chez le patient atteint de cancer et douloureux, en soins palliatifs (2006) Ces recommandations ont pour objectif de faciliter l'analgésie contrôlée par le patient (PCA) en soins palliatifs chez les patients atteints de cancer et douloureux, sa prescription de au moment de sa mise en place et lors du retour à domicile, ainsi que sa mise en place et sa surveillance par l'équipe infirmière. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/ S1636652207897376

Handicap Qualité de vie : handicap, les problèmes somatiques et les phénomènes douloureux (2017), guide L'objectif est de donner des éléments de compréhension aux professionnels pour améliorer la prévention, le repérage et la prise en compte des problèmes somatiques et des phénomènes douloureux. Ce guide est utile pour accompagner la réflexion des professionnels. Pour coordonner les actions de ces derniers, il se décline en quatre axes : ■ la personne, sa participation au volet soin de son projet personnalisé et les évaluations ; ■ le repérage des problèmes somatiques et des phénomènes douloureux : l'évaluation et leurs traitements ; ■ les proches et les acteurs de la coordination ; ■ la promotion et l'éducation pour la santé. https://w w w.res e au-ma l adies-rares.f r/ac tu a lites/ anesm-guide-des-problemes-somatiques