Masculinites Sacerdotales (Bibliotheque De La Revue D'histoire Ecclesiastique, 111) (English and French Edition) 9782503585239, 250358523X

279 88 6MB

French Pages [400]

Report DMCA / Copyright

DOWNLOAD FILE

Polecaj historie

Masculinites Sacerdotales (Bibliotheque De La Revue D'histoire Ecclesiastique, 111) (English and French Edition)
 9782503585239, 250358523X

Table of contents :
Pour une vision relationnelle et performative des masculinités sacerdotales. Prologue. Silvia Mostaccio
Masculinités sacerdotales. Approches historiques et apports sociologiques. Josselin Tricou
Towards a religious history of gender. Sacerdotal masculinity and the historicization of hegemony. Jean-Pascal Gay
La figure du prêtre et la supériorité du célibat sacerdotal dans l’œuvre d’Henricus Cuyckius, deuxième évêque de Ruremonde (1596-1609). Tom Bervoets
A Theologian and his obsession with a binary gender order. Masculinity, knowledge and conflicts over ministry in a seventeenth-century Jesuit province. Jean-Pascal Gay
Ambiguous Gender in Early Modern Catholicism? The Case of Clerical Eunuchs. Brendan Röder
La compagnie restaurée. Masculinités jésuites en France dans le premier xixe siècle. Sarah Barthélemy
De trente aux trente glorieuses. Le prêtre, modèle masculin, dans Le prêtre.Qui est-il ? Que fait-il ? (1961). Paul Airiau
La masculinité des prêtres-ouvriers entre accomplissement sacerdotal, exemplarité militante et scandale ecclésial. Tangi Cavalin
La virilité maternelle au xiie siècle. L’anéantissement du féminin dans la perfection spirituelle. Alexis Fontbonne
On Priestly Hairs and Beards. Jean-Marie Le Gall (transl. Jean‑Pascal Gay)
Féminisation monstrueuse ou glorification sanctifiante. L’imaginaire du vêtement liturgique entre catholiques et protestants au premier âge moderne. Ralph Dekoninck et Caroline Heering
Hérésies du corps masculin. Le cas du frère Giovanni Battista, laïc capucin (xviie siècle). Fernanda Alfieri (trad. Sylvie Coyaud)
Fates and faiths intertwined. Clergymen and mystical women in nineteenth- and twentieth‑century Europe. Tine Van Osselaer, Leonardo Rossi and Kristof Smeyers
Quelle masculinité pour quelle mission ? Les prêtres Fidei Donum au Brésil face aux enjeux de genre (1950-1985). Caroline Sappia
Sex and priestly masculinity in late medieval Europe. Michelle Armstrong-Partida
Être prêtre et amoureux. Quelles masculinités pour les ecclésiastiques dévoyés ?(xvie-xviiie siècle). Sarah Dumortier
Sacerdotal masculinity at war. Jesuit military chaplains at the Eighty Years’ War. Silvia Mostaccio
Clerical masculinity and sexual violence in eighteenth-century France in the Girard/Cadière affair. Mita Choudhury
Pères spirituels contre pères de famille ? Masculinité sacerdotale et famille bourgeoise dans la seconde moitié du xixe siècle. Caroline Muller
L’éducation à la masculinité dans la production littéraire de Giovanni Bosco. À l’origine du laboratoire salésien. Alessandro Serra
L’écran des prêtres-ouvriers ? La masculinité sacerdotale et les milieux populaires en France (années 1930-années 1970). Anthony Favier
Priestly masculinity in French cinema (1944-2014). Josselin Tricou
Conclusions. Jean-Pascal Gay, Silvia Mostaccio et Josselin Tricou

Citation preview

Masculinités sacerdotales

BIBLIOTHÈQUE DE LA REVUE D’HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE VOLUME 111

Masculinités sacerdotales

Sous la direction de jean-pascal gay, silvia mostaccio et  josselin tricou

Illustration de couverture : Archivio Mario Giacomelli © Simone Giacomelli « Io non ho mani che mi accarezzino il volto » 1961/63 Mario Giacomelli

© 2022, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2022/0095/243 ISBN 978-2-503-58523-9 eISBN 978-2-503-58553-6 DOI 10.1484/M.BRHE-EB.5.118008 ISSN 0067-8279 eISSN 2565-9308 Printed in the EU on acid-free paper.

Table des matières

List of Figures

9

Pour une vision relationnelle et performative des masculinités sacerdotales. Prologue Silvia Mostaccio

11

Masculinités sacerdotales. Approches historiques et apports sociologiques Josselin Tricou

21

Towards a religious history of gender. Sacerdotal masculinity and the historicization of hegemony Jean-Pascal Gay

37

Partie 1 Institution masculine, masculinités instituées La figure du prêtre et la supériorité du célibat sacerdotal dans l’œuvre d’Henricus Cuyckius, deuxième évêque de Ruremonde (1596-1609) Tom Bervoets

49

A Theologian and his obsession with a binary gender order. Masculinity, knowledge and conflicts over ministry in a seventeenthcentury Jesuit province Jean-Pascal Gay

59

Ambiguous Gender in Early Modern Catholicism? The Case of Clerical Eunuchs Brendan Röder

71

La compagnie restaurée. Masculinités jésuites en France dans le premier xixe siècle Sarah Barthélemy

87

6

TABLE DES MATIÈRES

De trente aux trente glorieuses. Le prêtre, modèle masculin, dans Le prêtre. Qui est-il ? Que fait-il ? (1961) Paul Airiau

107

La masculinité des prêtres-ouvriers entre accomplissement sacerdotal, exemplarité militante et scandale ecclésial Tangi Cavalin

121

Partie 2 Performances du masculin sacerdotal La virilité maternelle au xiie siècle. L’anéantissement du féminin dans la perfection spirituelle Alexis Fontbonne

139

On Priestly Hairs and Beards Jean-Marie Le Gall (transl. Jean‑Pascal Gay)

155

Féminisation monstrueuse ou glorification sanctifiante. L’imaginaire du vêtement liturgique entre catholiques et protestants au premier âge moderne Ralph Dekoninck et Caroline Heering

177

Hérésies du corps masculin. Le cas du frère Giovanni Battista, laïc capucin (xviie siècle) Fernanda Alfieri (trad. Sylvie Coyaud)

195

Fates and faiths intertwined. Clergymen and mystical women in nineteenth- and twentieth‑century Europe Tine Van Osselaer, Leonardo Rossi and Kristof Smeyers

211

Quelle masculinité pour quelle mission ? Les prêtres Fidei Donum au Brésil face aux enjeux de genre (1950-1985) Caroline Sappia

233

Partie 3 Masculinités sacerdotales à l'épreuve de l’hégémonie Sex and priestly masculinity in late medieval Europe Michelle Armstrong-Partida

251

TABLE DES MATIÈRES

Être prêtre et amoureux. Quelles masculinités pour les ecclésiastiques dévoyés ? (xvie-xviiie siècle) Sarah Dumortier

279

Sacerdotal masculinity at war. Jesuit military chaplains at the Eighty Years’ War Silvia Mostaccio

291

Clerical masculinity and sexual violence in eighteenth-century France in the Girard/Cadière affair Mita Choudhury

303

Pères spirituels contre pères de famille ? Masculinité sacerdotale et famille bourgeoise dans la seconde moitié du xixe siècle Caroline Muller

321

L’éducation à la masculinité dans la production littéraire de Giovanni Bosco. À l’origine du laboratoire salésien Alessandro Serra

337

L’écran des prêtres-ouvriers ? La masculinité sacerdotale et les milieux populaires en France (années 1930-années 1970) Anthony Favier

357

Priestly masculinity in French cinema (1944-2014) Josselin Tricou

371

Conclusions Jean-Pascal Gay, Silvia Mostaccio et Josselin Tricou

393

7

List of Figures

Tom Bervoets Fig. 1.

Henricus Cuyckius, deuxième évêque de Ruremonde (1596-1609) ©KU Leuven, Bibliothèque universitaire, PA00025.

52

Ralph Dekoninck et Caroline Heering Fig. 1. Fig. 2a. Fig. 2b. Fig. 2c. Fig. 3. Fig. 4. Fig. 5.

Chasuble, xviiie siècle, Tournai, Séminaire épiscopal, © KIK-IRPA. Robert de Baudous, Satire de l’Église catholique (détail), 1605, Amsterdam, © Rijksmuseum. Robert de Baudous, Satire de l’Église catholique (détail), 1605, Amsterdam, © Rijksmuseum. Robert de Baudous, Satire de l’Église catholique (détail), 1605, Amsterdam, © Rijksmuseum. Anonyme, Ego sum Papa. Caricature du Paper Alexandre VI, vers 1500, collection privée. Pieter van der Heyden, La Vérité et le Temps dévoilant la couvée diabolique du Pape, vers 1585, Amsterdam, © Rijksmuseum. Pierre Paul Rubens, La Madone de la Vallicella adorée par les saints Grégoire, Domitille, Papinien et Maurice, vers 1606-1607, Grenoble, Musée des Beaux-Arts © Domaine public.

179 182 183 183 184 185

193

Anthony Favier Figs 1a–1b. Extraits de la bande-dessinée « Au service des jeunes travailleurs : Michel Moreaine », après 1969, sans auteur, Archives départementales des Hauts-de-Seine, 44 J 745.

364

SILVIA mOSTACCIO 

Pour une vision relationnelle et performative des masculinités sacerdotales Prologue

Élément fondateur de l’identité sacerdotale catholique, le mimétisme entre le Christ et le prêtre est à l’origine d’une sotériologie « indiscutablement mascu­ line », véritable clé de voute d’un système d’Église qui se veut atemporel. Un système qui repose sur la définition d’une « normativité de rôles » entre les sexes non négociable1. On pourrait dire que dans l’interprétation largement majoritaire jusqu’à nos jours, le salut en tant que réalité activée par un ensemble de gestes – notamment par les sacrements – ne peut qu’être masculin. La masculinité de Jésus prédétermine toute une série de règles institutionnelles excluant ipso facto les femmes du sacerdoce. Mais elle détermine aussi la nécessité pour les prêtres d’assumer leur masculinité en tant que partie intégrante de leur mimétisme face au Christ, homme parfait. Comment cet élément de fond s’est-t-il adapté et manifesté dans les différents moments de l’histoire du christianisme ? Alors que le discours officiel de l’Église romaine se résume aujourd’hui dans la non-pertinence de la catégorie épistémologique du genre pour interroger la plura­ lité des expériences humaines et chrétiennes dans le temps2, ce volume se propose d’attirer l’attention sur l’un des groupes sociaux essentiels de cette même Église, les prêtres. Et ceci en passant par une porte d’accès bien précise : la masculinité. Il s’agit notamment d’intégrer l’examen des masculinités sacerdotales aux multiples objets d’enquête historique par lesquels aujourd’hui on teste l’efficacité et la force épistémologique du genre pour susciter un regard complémentaire sur les réalités humaines3. L’enjeu est de mobiliser ce questionnement pour une histoire des hommes et des femmes qui firent face aux mêmes défis à partir de positions 1 W. Lesch, « Le genre : une catégorie utile en éthique ? », Trajectoires, 26 (2016), p. 106-131, ici p. 125-126. 2 Conseil pontifical pour la Famille, Lexique des termes ambigus et controversés sur la vie, la famille et les questions éthiques, Paris, 2005. Sur ce texte, J.-P. Gay, « Genre et sexualité au risque de leur mise en doctrine : théologie catholique et comportements hétéropratiques au xviie siècle », in H. Hermant (dir.), Le pouvoir contourné. Infléchir et subvertir l’autorité à l’âge moderne, Paris, Classiques Garnier, 2016, p. 277-298. 3 L. L. Dawns, Writing Gender History, New York, Bloomsbury Publishing, 2010 ; A. Bidet-Mordrel (éd.), Les rapports sociaux de sexe, Paris, PUF, 2010. Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 11-20. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131587

12

SILvIA MoSTAccIo

sociales, culturelles, religieuses et de pouvoir différentes. Ce positionnement réciproque, intégré ou contesté, se concrétise dans des discours et des pratiques, produisant des résultats sociaux concrets. En effet, aucun groupe social ne peut être étudié en dehors de son contexte relationnel : des relations structurant les individus et les collectivités, fondamentalement parcourues par des jeux de pouvoir déterminés, entre autres, par des appartenances de genre4. À la base de ce projet on retrouve donc la conviction de la portée profondément relationnelle de toute enquête historique genrée. C’est dans la relation à soi-même, aux autres et à Dieu que chacun performe son identité et les prêtres ne font pas exception. Dans ce volume on les suivra dans la relation à leur corps – avec ses dimensions physiques, intellectuelles, émotionnelles et symboliques ; aux autres hommes et aux femmes de leur temps. En effet, ce parcours entre le xiiie et le xxe siècle permettra de suivre le changement des équilibres de prestige et de pouvoir entre différentes masculinités sacerdotales et laïques : des signes importants pour des frontières mouvantes entre les institutions politiques et religieuses, ainsi qu’entre les individus. Il permettra aussi de prendre conscience du rôle joué par les femmes dans la définition de soi et de sa mission par le prêtre. Si les attitudes féminines ou efféminées sont à fuir tout au long de la période considérée, l’interaction avec la féminité et avec les femmes – par le conflit ou par la collaboration ; dans la domination ou pas – s’impose comme une constante à prendre en compte dans la définition des masculinités sacerdotales. À l’origine de ce volume on retrouve la double volonté de développer un discours historique sur une catégorie d’acteurs bien précise – les prêtres – tout en mobilisant de façon ponctuelle les cadres théoriques pouvant aider un parcours d’historien. Pour les initiateurs de ce projet il s’agissait notamment de rester atten­ tifs aux suggestions de la sociologie religieuse et de la sociologie tout court : une discipline qui travaille la notion « genre » et les manifestations genrées en société et qui peut aider les historiens dans la définition des modèles épistémologiques pertinents. Des catégories telles que la performativité d’une identité genrée ou les jeux entre masculinités hégémoniques, non-hégémoniques et complices se sont révélées particulièrement efficaces pour une intelligence des discours et des pratiques des prêtres dans le temps et dans l’espace5. Au regard des historiens et des historiennes l’Église catholique est avant tout une institution qui doit jongler entre sa dimension temporelle et ses prétentions métaphysiques. Cette articulation constitutive se retrouve donc à l’échelle des prêtres : fonctionnaires d’une institution et représentants auprès des fidèles d’une indispensable médiation du sacré. Dans la première section de ce volume – Insti­ tution masculine, masculinités instituées – on pointe certaines des conséquences

4 M. Foucault, Histoire de la sexualité, t. 1 : La volonté de savoir, nouv. éd., Paris, Gallimard, 2018 (1re éd. 1976) ; en part. « Méthode », p. 120-135. 5 J. Butler, «Performative Acts and Gender Constitution: An Essay in Phenomenology and Feminist Theory », Theatre Journal, 40 (1988), p. 519-531 ; R. Connell, Masculinities, Berkeley, University California Press, 2005.

PouR unE vISIon DES MAScuLInITéS SAcERDoTALES

de cette articulation entre l’individu et son institution d’appartenance. Ils se façonnent réciproquement dans l’adaptation constante par les discours et les pratiques aux contextes spécifiques qui sont les leurs. Dans la réflexion théolo­ gique, ainsi que dans les discours sur la discipline ecclésiastique élaborés par les instances conciliaires ou par les évêques, l’identité du prêtre se construit donc en lien avec les priorités et les attentes de l’Église, mais aussi avec les changements de la société. La deuxième partie – Performances du masculin sacerdotal – permet quant à elle d’apprivoiser la question des ajustements concrets du modèle de longue durée du prêtre viril aux différents contextes de son action pastorale, de la liturgie, à la direction spirituelle, à l’assistance aux démunis. La référence à la performativité, avec ses valences concrètes, met en avant l’importance du corps en tant qu’espace performatif : délaissé ou entretenu, caché ou valorisé par des uniformes différents en fonction des activités pastorales, il doit avant tout racon­ ter d’une virilité maitrisée mais assumée, qui maintient ses distances de toute féminisation. Et cette référence à un cadre homosocial qui est celui de la société patriarcale que tout prêtre partage avec les hommes de son temps est au centre de la troisième section : Masculinités sacerdotales à l’épreuve de l’hégémonie. Que ce soit à l’échelle individuelle ou collective, le prêtre nécessite de la légitimation de son identité non seulement par l’Église, mais aussi par ses contemporains. Une reconnaissance et une légitimation qui peuvent passer par la complicité ou par la contraposition mais qui restent nécessaires pour agir. En fonction des changements des équilibres de pouvoir entre Église et État, les interactions entre masculinités évoluent, tout en restant un élément essentiel.

Institution masculine, masculinités instituées À la première modernité, face au clivage entre protestants et catholiques et au rôle d’indispensable médiation du sacré revendiqué par l’Église romaine pour ses prêtres, leur masculinité doit se montrer à la fois comme étant accomplie et absolument maitrisée. Le contrôle des pulsions sexuelles et affectives est bien évidemment un élément majeur, d’autant plus central à partir du concile de Trente qui actualise les discours des conciles Latran I et II au xiie siècle, où s’était imposée une sensibilité ecclésiologique et ecclésiastique profondément monastique. La réaction antiprotestante donne une nouvelle raison d’être à ces attitudes, comme le montre Tom Bervoets, par l’exemple d’Hendrik van Cuyk, évêque de Ruremonde entre 1596 et 1609, sur la frontière confessionnelle entre les Pays-Bas espagnols et les provinces calvinistes. Alors que le concubinage du clergé est encore plus que rependu, l’évêque insiste sur cette atteinte à la pureté en pointant les liens entre celle-ci et l’hérésie. Un demi-siècle plus tard, lors du triomphe de la Contreréforme française, la masculinité du prêtre est perçue par certains comme un danger suite au dévelop­ pement de nouvelles formes d’interaction spirituelle et pastorale entre hommes et femmes d’après le modèle salésien. En présentant les argumentations contre

13

14

SILvIA MoSTAccIo

ces pratiques du théologien jésuite Théophile Raynaud, Jean-Pascal Gay met en avant la séparation ontologique entre hommes et femmes comme conditio sine qua non de l’ordre social, spirituel, ecclésiologique et théologique. Un ordre que certaines pratiques notamment françaises – des salons aux expériences religieuses mixtes et novatrices, faisant de certaines femmes des actrices dans la transmission de la foi et dans l’éducation spirituelle – risquaient de remettre en cause. À ce propos, la catégorie de l’« eunuque par analogie » théorisée par Raynaud est particulièrement significative. C’est en collaborant avec les femmes que le prêtre voit sa masculinité s’affaiblir. Il devient celle qu’il fréquente : molle et inefficace. Qu’il s’agisse de la France et de ses expérimentations spirituelles et pastorales remettant en cause par les faits l’ordre hiérarchique entre femmes et hommes, entre religieuses et prêtres, ou de la passion italienne pour le chant liturgique des castrati, c’est dans les allers-retours entre une institution qui se voudrait immuable et ses contextes d’action que les caractéristiques essentielles de la masculinité du prêtre se (re)définissent. Ainsi, par un détour apparemment anecdotique du côté des restrictions canoniques envers les eunuques et les hermaphrodites souhaitant intégrer les ordres mineurs ou la prêtrise, Brendan Roeder construit un parcours qui passe par le corps imparfait, parfois souffrant, pour pointer ce qui est négo­ ciable et ce qui ne l’est pas dans la masculinité du prêtre. L’analyse des dispenses pour le sacerdoce octroyées aux eunuques mais refusées aux hermaphrodites montre une fois de plus que la barrière réellement infranchissable est celle du féminin : si l’imperfection des castrati est tolérable – même si elle éloigne ces prêtres du modèle du Christ, homme au corps parfait qu’ils devraient représen­ ter – celle des hermaphrodites ne l’est pas. Et cela parce qu’elle remet en cause l’exclusivité des hommes dans la médiation du sacré. Mais avec le temps, même les frontières les mieux établies subissent quelque ajustement pour s’adapter aux changements de la société. C’est le cas de celle entre le masculin et le féminin. En effet, entre la période révolutionnaire et le long xixe siècle les changements des relations de force entre Église et sociétés libérales redéfinissent la place de l’institution ecclésiastique en favorisant une alliance plus intense entre celle-ci et les femmes. C’est le phénomène bien connu de la féminisation du religieux et notamment du catholicisme entre Europe et Amériques. Plusieurs contributions de ce volume pointent les conséquences de ce mouvement de fond. Dans cette première partie, Sarah Barthélemy montre clairement comment des représentants d’ordres religieux actifs dans la confrontation avec la société laïque ont été capables de s’adapter à un contexte mouvant aussi en s’appropriant certaines attitudes intérieures et extérieures qui n’auraient certainement pas fait l’unanimité auparavant. L’inévitable multiplications des modèles de masculinité concrétisant les asymétries de genre au cœur du xixe siècle bourgeois, se traduisent pour les prêtres dans la mise en avant d’un savoir-être qui se nourrit d’attitudes jusque-là attribués plutôt aux femmes. C’est le cas de la « douceur » mise à l’honneur dans la Compagnie de Jésus restaurée : en s’inspirant de cette qualité déjà bien présente dans les sources fondatrices de la Compagnie, les jésuites rendent visible et opérationnel un modèle de masculinité antitype par rapport à celui de l’homme

PouR unE vISIon DES MAScuLInITéS SAcERDoTALES

à la virilité coupée des émotions et du ressenti intérieur alors dominant, en revendiquant aussi par ce biais une autre modalité d’exercice de l’autorité et du pouvoir. Évidemment, un volume tel que celui-ci doit être capable de croiser les fils rouges du changement et de la continuité, en soulignant les phénomènes de longue durée. À cet égard, le modèle du prêtre tridentin joue un rôle essentiel jusqu’à la veille du concile Vatican II et à ses actualisations. Paul Airiau traite de cette réalité à partir d’un petit album illustré Le Prêtre. Qui est-il ? Que fait-il ? (1960-1961), réalisé à l’occasion du congrès bisannuel de l’Union des œuvres catholiques de France dédié à la vocation. Ce qui frappe c’est avant tout la solitude de la figure du prêtre mise en avant : représentant d’une institution qui revendique son altérité par rapport à un monde de plus en plus sécularisé. À la différence des autres masculinités de la même époque se construisant dans une socialité entre individus du même niveau socio-culturel, source de légitimation, le prêtre fait de son étrangeté au monde et de son appartenance à l’Église la racine de son autorité. Il partage donc avec les autres hommes l’autorité masculine, avec un surplus de pouvoir et de reconnaissance sociale issu de l’institution qu’il a intégrée et qui relativise sa position non-hégémonique. Cela, du moins, est le discours mis en avant dans le cadre de la pastorale auprès des jeunes garçons pour les inviter à la prêtrise – des garçons souvent issus de milieux ruraux et de la petite bourgeoisie pour qui l’ascension sociale par une professionnalisation savante et en lien avec le sacré est évidente. Mais le modèle du prêtre néo-tridentin inculqué dans la plupart des sémi­ naires n’est sûrement pas le seul à inspirer les modalités de la présence de l’Église au milieu des sociétés dans la reconstruction d’après-guerre au xxe siècle. La question majeure du rapport à la modernité et de la pertinence de la réponse ca­ tholique dans la reprise démocratique se traduit, entre autres, dans l’individuation de nouvelles terres de mission : le prolétariat urbain et les usines. La génération de prêtres-ouvriers des années 1950 oblige à sortir des binarisations simplistes – laïque/prêtre, bourgeoisie/classe ouvrière – pour étudier les espaces de redéfini­ tion d’identités sacerdotales multiples. Le défi passe avant tout par le corps dans sa dimension physique et relationnelle : « acquérir un corps d’ouvrier », nous rappelle Tangui Cavalin, est une nécessité pour les prêtres français ayant fait le choix de l’usine et du milieu ouvrier comme mission. Ce corps à muscler pour tenir dans un travail physique ; ce corps qui n’est plus séparé et protégé par la soutane ; ce corps qui occupe l’espace lors de la confrontation sociale des grèves et des manifestations ; ce corps est le lieu où s’enracine une théologie pratique ayant dans l’usine l’espace de sa révélation. Cavalin souligne par ailleurs la double dimension relationnelle de ces expériences sacerdotales : si dans le milieu essentiellement masculin de l’usine on assiste à un refaçonnement de la virilité sacerdotale ouvrière par le travail, dans les autres espaces de la mission les relations chastes mais genrées et sexuées avec des femmes engagées elles aussi dans la mission ouvrière jouèrent un rôle essentiel.

15

16

SILvIA MoSTAccIo

Performances du masculin sacerdotal La deuxième partie du volume est consacrée aux différents contextes de per­ formativité des masculinités sacerdotales. Alexis Fontbonne analyse la littérature spirituelle de clercs et prophétique des femmes dans le cadre de la réforme monastique et de la lutte anti-cathare du xiiie siècle. Une lecture genrée de cette contribution permet de sortir d’une perspective tautologique identifiant la femme au féminin et l’homme au masculin ; on perçoit alors toute la richesse du corpus présenté qui aide à réaliser la centralité de l’interprétation de la hiérarchie des sexes par des clercs engagés dans la réforme de l’Église : au prêtre viril s’oppose le prêtre féminin, « relâché et stérile ». Souvent incapables de saisir la rhétorique du discours mystique porté par les femmes, les clercs performent une masculinité sacerdotale qui, sur le modèle de celle du Christ, résume virilement en soi la fonction maternelle et paternelle, soulignant par les discours et par les faits l’inanité spirituelle et pastorale des femmes. La manifestation de la virilité sacerdotale par des attributs corporels claire­ ment identifiables est au centre de la contribution de Jean-Marie Le Gall sur la barbe des clercs, et notamment des prêtres, entre xve et xviie siècle. En s’appuyant sur un corpus hétérogène de sources catholiques et protestantes qui relève de la production canonique, ascético-spirituelle et pamphlétaire, Le Gall refuse les explications essentialisantes : elles ne rendraient pas justice à la polysémie de la barbe, qui est à la fois un signe de mortification, de participation aux souffrances du Christ et de refus des attentions extérieures, mais aussi une marque d’autorité et de gravité fiable, qui s’oppose aux accusations d’hermaphroditisme adressées par les protestants au clergé catholique. Une véritable épaisseur culturelle, spiri­ tuelle et institutionnelle se cache derrière la pilosité du visage et le choix de s’adapter ou pas à la mode masculine laïque d’une époque raconte des allersretours importants entre séparation et intégration des prêtres face à la société. Les deux contributions qui suivent mettent au centre de l’analyse le corps du clerc : un corps à habiller – notamment dans le cadre de la liturgie – et à maîtriser dans ses pulsions. À la première modernité, la dichotomie entre la perfection virile et l’inachevé féminin susceptible de basculer à tout moment dans le mons­ trueux anime la polémique protestante contre la vanité des prêtres et des hauts ecclésiastiques catholiques. Dès lors les vêtements liturgiques sont la preuve d’un travestisme monstrueux et efféminé. Par leur analyse intermédiale, Ralph Deko­ ninck et Caroline Heering pointent la construction d’une masculinité sacerdotale contreréformiste qui, par la sacralisation liturgique, mise sur la disparition du corps de l’individu/prêtre à profit de la fonction de médiation indispensable de l’Église. Le corpus Ecclesiae, symbolisé par des vêtements liturgiques riches, lourds et imposants est celui qui éblouit le fidèle qui regarde. Le cadre liturgique devient alors l’espace d’une célébration de la performativité transformatrice agissant avant tout sur le prêtre. Aux antipodes de cette puissance liturgique, source d’une masculinité autrement hégémonique par rapport aux canons laïques, on retrouve par contre les milliers de clercs vivant dans les périphéries d’une Europe pauvre

PouR unE vISIon DES MAScuLInITéS SAcERDoTALES

et ignorante. C’est Fernanda Alfieri qui, grâce au cas de possession diabolique d’un frère capucin errant entre plusieurs couvents des Pouilles, nous rappelle les corps souffrants de générations de religieux et d’ecclésiastiques écrasés par l’angoisse face à un corps – le leur – qui semblait ne pas pouvoir leur obéir. Si frère Giovanni Battista finira par s’émasculer, désespéré par les pollutions nocturnes et par les actes posés par ses mains sous le contrôle du diable, son histoire et celle des responsables ecclésiastiques qui s’intéressèrent à lui posent la question de longue durée de la prise en compte des pulsions sexuelles dans la construction d’une identité religieuse et sacerdotale centrée sur la chasteté et sur la maitrise de soi. Elle permet aussi de pointer des peurs plus spécifiques telle que celle de l’articulation entre capacité d’action et passivité qui étaient au centre de la croisade anti-quiétiste de la fin du xviie siècle. L’articulation entre corps et religion est un thème inépuisable. À côté du corps du clerc comme espace de tentation diabolique, on retrouve par exemple les cas des prêtres qui accompagnent spirituellement, soutiennent et rendent visibles des femmes mystiques stigmatisées dont le corps manifeste un pouvoir charismatique. Un phénomène particulièrement répandu dans le long xixe siècle européen – une définition qui, pour l’histoire ecclésiastique pourrait aller jusqu’à Vatican II. Le riche dossier de plus de 200 cas présenté par Tine van Osselaer réinterroge par ce biais l’alliance entre femmes et Église évoquée plus haut. Prenant au sérieux la capacité d’action féminine et encore plus les interactions entre le pouvoir clérical local et le pouvoir mystique féminin, van Osselaer pointe certaines caractéristiques de la masculinité sacerdotale hégémonique à partir des déviances d’hommes qui risquèrent une collaboration affichée avec ces femmes. En les valorisant, non seulement le prêtre semble abdiquer face à la rationalité supposée de son sexe – qualité essentielle pour défendre le catholicisme dans une société essentialiste où le corps et l’irrationnel se féminisent –, mais il s’éloigne de l’équilibre d’une masculinité maitrisée pour pencher alternativement du côté d’une hypermasculinité prédatrice ou d’une prêtrise efféminée, dirigée par les femmes et par les émotions. La deuxième partie du volume s’achève par un cas d’étude qui propose une démarche partagée par les historiens du catholicisme mondialisé. En effet le dépassement des frontières et les conséquences d’interactions réciproques entre régions fort éloignées sont un élément d’analyse indispensable ne fût-ce que pour une véritable histoire des Européens. Caroline Sappia nous propose le parcours des prêtres formés auprès du Collège pour l’Amérique Latine de Louvain (COPAL) entre 1955 et 1983 et envoyés en bonne partie au Brésil. Un cas de frontière à plusieurs égards : projet pensé à la veille de Vatican II et réalisé lors de son appropriation au niveau local ; initié par un pays colonial – la Belgique – et poursuivi dans la phase de la décolonisation. Ici, des régimes de performati­ vité de masculinités sacerdotales radicalement différents se croisent : du prêtre néo-tridentin, centré sur la vie sacramentelle et sur la séparation des fidèles, au prêtre « homme parmi les hommes » voulant apprendre le langage corporel des

17

18

SILvIA MoSTAccIo

paysans et des ouvriers. Un cas à étudier dans une perspective intersectionnelle : la seule qui permet de dépasser, entre autres, la binarisation entre prêtre européen et prêtre brésilien.

Masculinités sacerdotales à l’épreuve de l’hégémonie La troisième partie du volume se construit autour de la notion d’hégémonie. Il ne s’agit pas de calquer de façon mécanique une catégorie sociologique sur des réalités historiques assez différentes. Il s’agit plutôt de vérifier si et à quelle condition ces catégories peuvent aider à une compréhension renouvelée de cer­ tains dossiers. À cet égard, Michelle Armstrong-Partida ouvre la section avec une contribution où l’articulation entre sources et cadre théorique est assumée avec vigueur. La question est celle de la signification sociale et culturelle de pratiques fortement répandues auprès du bas clergé paroissial européen à la fin du Moyen Âge : l’exercice d’une sexualité hétérosexuelle active – dans le concu­ binage ou autrement –, témoignée par une pléthore de sources de l’Andalousie, à l’Angleterre, à l’Italie. Plutôt que d’analyser ces pratiques en relation avec le discours ecclésiastique, Armstrong choisit d’intégrer ce clergé d’un niveau social medio-bas dans le jeu des masculinités complices théorisé par Raewyn Connell. Collectivement ces clercs doivent se confronter au modèle hégémonique du pater familias, ainsi qu’à une masculinité à la sexualité assertive, publique et source d’autorité. Le besoin d’être reconnu et légitimé dans la communauté homosociale avec les séculiers s’impose sur l’obéissance aux autorités ecclésiastiques perçues comme faisant partie d’un autre univers social. La dimension intersectionnelle du propos est évidente. L’article de Sarah Dumortier permet d’intégrer de nouvelles données, en prolongeant l’étude sur les prêtres liés aux paroisses pour la France septentrionale entre xvie et xviiie siècle. Le corpus de 450 dossiers traités par les tribunaux des officialités recueille les cas d’une majorité de prêtres vivant more uxorio avec leur concubine, auxquels s’ajoutent les coupables de viol ou de sollicitatio ad turpia. Même dans cette étude, ce qui frappe est le véritable système des régimes de masculinité : à la fois solidaires et en rivalité les uns avec les autres. Souvent issus du même milieu socio-culturel que leurs paroissiens, ces prêtres revendiquent une sexualité active dans le cadre d’une relation stable – « en quoi vivre en homme interdit d’être un bon pasteur ? » – et cette relation contribue à leur autorité. À d’autres moments, la douceur et la capacité d’écoute des clercs se révèle un capital de séduction important face à des femmes maltraitées par leurs maris et l’antagonisme entre des performativités masculines alternatives s’impose. Avec la contribution que Silvia Mostaccio consacre à la masculinité mission­ naire des jésuites actifs auprès de l’armée des Flandres en tant qu’aumôniers militaires lors de la guerre des Quatre-Vingts Ans (1568-1648), la question reste celle de l’ajustement des régimes de masculinités différents partageant un même espace de vie, dans ce cas, l’armée. L’enjeu de l’accommodation au contexte spécifique de la mission – si fondamentale dans les pratiques missionnaires de la

PouR unE vISIon DES MAScuLInITéS SAcERDoTALES

Compagnie de Jésus – permet de suivre le travail d’adaptation des jésuites pour qui une masculinité affirmée et reconnue par les militaires est l’une des conditions indispensables pour l’efficacité missionnaire. Leur discours sur la « vraie » virilité, ainsi que leurs pratiques envers les femmes, témoignent à la fois de l’intégration du modèle hégémonique de la masculinité guerrière et d’un détournement de celui-ci pour les priorités missionnaires. C’est le cas, par exemple, des femmes qui deviennent le « butin » de l’aumonier et qui ne pourront donc pas être les proies d’autres hommes lors de la mise à sac de certaines villes. La question du viol et de l’abus sexuel est au centre de la contribution de Mita Choudhury, qui revient sur un dossier qu’elle connait très bien – l’affaire Girard/Cadière dans la ville de Toulon des années 1730 – pour démontrer combien un récit historique peut changer lorsque le questionnement change. En effet, au-delà des multiples lectures sur la direction spirituelle en tant qu’espace de confrontation avec le pourvoir mystique, au-delà de la femme comme espace de conflit entre la société laïque et les ordres religieux, ce dossier peut être mobilisé pour étudier le viol. Et cela en prenant au sérieux certaines intuitions des contemporains. C’est le cas de la pièce Le Nouveau Tarquin, qui superpose la figure du jésuite Jean-Baptiste Girard à celle du violeur de Lucrèce. Le viol assume ici avant tout une portée politique, le prêtre étant, comme Tarquin, le compagnon d’armes qui se révèle traitre et violeur : violeur du corps et de l’esprit d’une jeune femme, mais aussi – et peut-être avant tout –, de l’autorité des autres hommes exerçant sur elle un pouvoir légitime. En outre, le registre de la séduction et de la prédation mobilisé par le jésuite coupable d’inceste spirituel, aident à définir a contrario les modèles autres d’une masculinité sacerdotale complice du système patriarcal. L’autocontrôle dont tout prêtre doit faire preuve lui permet de ne pas risquer de céder le pouvoir à la femme ; un pouvoir qui serait mis en péril aussi par l’adoption d’une spiritualité mystique désormais perçue comme féminine. Avec l’article de Caroline Muller on reste en France lors de l’accomplissement du processus de longue durée qui mena à l’apogée de la famille bourgeoise au xixe siècle. Ici la contraposition n’est pas tellement entre des masculinités sacerdo­ tales hégémoniques ou déviantes ; Muller développe plutôt la dialectique – déjà présente chez Choudhury pour la France du xviiie siècle – entre clergé et société civile masculine à partir de l’exercice du pouvoir familial selon les principes du Code civil de 1804. L’enquête se concentre sur l’analyse des « fonctions du discours tenu sur la masculinité supposée de l’autre », en suivant le fil rouge d’un écrit particulièrement représentatif d’un état d’esprit partagé : Le prêtre, la femme, et la famille de Jules Michelet (1845). Le confesseur devient une sorte de contrefigure du père de famille et, surtout, image d’un homme inachevé. Si la masculinité dominante repose sur le double pilier d’un foyer – épouse et enfants – et du travail, le prêtre – et notamment le confesseur sans famille propre et sans travail – devient un perturbateur de l’ordre bourgeois, susceptible de remettre en cause l’autorité du mari et celle du père de famille, ainsi que de porter atteinte au corps et à l’esprit de l’épouse.

19

20

SILvIA MoSTAccIo

Cette contraposition radicale entre prêtre et père de famille est bien évidem­ ment un élément central de la réflexion sociopolitique libérale du long xixe siècle. Il est dès lors d’autant plus intéressant d’intégrer ce récit avec celui des solu­ tions élaborées à l’intérieur même des institutions ecclésiastiques pour sortir de la dichotomie entre État et Église, entre hommes d’État et hommes d’Église. L’exemple de Giovanni Bosco, fondateur des salésiens, est particulièrement signifi­ catif. Alessandro Serra analyse la production hagiographique et dévote pour les jeunes garçons de don Bosco et des premiers salésiens. Visant particulièrement les classes populaires urbaines ou rurales, cette littérature à succès propose un clergé virilement actif dans le « métier » d’éducateur : physiquement vaillant, courageux et prêt à se battre pour défendre Dieu et les plus faibles, ce clergé propose ces mêmes qualités aux jeunes. Les enfants du peuple se préparent ainsi à devenir des soldats vertueux dans la défense de la « patrie » et de la religion : une équation n’allant pas de soi dans l’Italie à peine réunifiée aux dépens de l’État pontifical. Pour conclure, Anthony Favier propose une relecture de l’articulation entre les masculinités ouvrières et sacerdotales dans le milieu de la Jeunesse ouvrière chrétienne ( JOC). En travaillant sur différents matériaux issus des archives de la JOC et notamment sur les « révisions de vie » de ses militants, Favier met en discussion l’effacement du modèle sacerdotal traditionnel dans le monde ouvrier français, là où la solution du prêtre ouvrier se transformant dans le corps et dans l’esprit par le travail ne fut qu’une des solutions au hiatus entre les hommes laïques et les prêtres. Pour commencer le façonnement fut réciproque, avec une superposition des discours et des représentations importantes entre le prêtre et le militant laïque : pas de famille – exception faite pour les camarades du syndicat ou de l’atelier – ni de vie affective ou sexuelle – pour se consacrer à la cause. À côté de cette réciprocité, il faut aussi souligner que par un discours partagé sur la complémentarité des « vocations » chrétiennes dans la JOC, on garda une place pour la masculinité spiritualisée et « autre » du prêtre dont l’affirmation ne devait pas se mesurer avec le même mètre que celle des militants ouvriers. L’altérité et même l’extranéité du prêtre au système des masculinités perçu par la majorité de la population est enfin au centre de l’enquête présentée par Josselin Tricou à propos de l’évolution de cette figure dans le cinéma français à partir de la deuxième partie du xxe siècle. Il est évident que l’une des conséquences de la sé­ cularisation c’est que les codes pour une interprétation collective de la masculinité du prêtre ne sont plus nécessairement présents. Par conséquent, on peut constater une sorte d’émasculation qui ne fait que rejouer, souvent inconsciemment, la rhétorique du prêtre angélique.

jOSSELIn TRICOU 

Masculinités sacerdotales Approches historiques et apports sociologiques

C’est au titre de mon ancrage disciplinaire « autre » au sein du trio qui a dirigé cet ouvrage que les deux historien·ne·s m’ont demandé de prendre ici l’espace et le temps d’expliciter ce que la perspective sociologique dans laquelle je m’inscris peut apporter à une approche historique des masculinités sacerdotales. C’est dans cette logique de décalage que j’assumerai dans cette seconde introduc­ tion, contrairement à une tradition historienne d’effacement de la subjectivité de l’auteur, un point de vue réflexif et situé. Je reviendrais, en effet, sur les condi­ tions sociales et épistémologiques d’émergence de la question des masculinités sacerdotales dans les sciences sociales et sur la manière dont on peut s’emparer de l’appareillage conceptuel issu de la sociologie pour élaborer un tel objet d’étude, en prenant ma propre recherche en exemple. Non que celle-ci soit exemplaire, mais elle peut illustrer pour le ou la lecteur·trice la fécondité d’une telle démarche. Longtemps la masculinité des prêtres n’a été qu’effleurée par la sociologie du catholicisme, tout simplement parce qu’elle n’était pas identifiée comme un outil pertinent au cœur des cadres d’analyse utilisés. Pour le moins en France, et à titre d’exemples, les deux derniers travaux sociologiques d’envergure sur le clergé catholique ne cessent de la croiser et de la recroiser sans jamais l’aborder frontalement. Dans sa thèse, Charles Suaud utilise le prisme de l’habitus et ses effets d’hystérésis pour expliquer l’exceptionnelle réussite de l’inculcation de la vocation sacerdotale dans le bocage vendéen jusqu’au mitan des années 1960 puis son effondrement. Il est significatif de le voir écrire que le but de cette inculcation « n’était pas de transmettre aux enfants des connaissances abstraites sur le sacer­ doce mais bien de les amener à se retraduire complètement, à se percevoir comme « des garçons pas comme les autres1 » sans pour autant thématiser cette dernière expression en termes de masculinité. Dans sa thèse, Céline Béraud mobilise, quant à elle, le prisme de la division du travail pour analyser la redistribution de la tâche pastorale entre clercs et laïcs à partir des années 1980 au sein d’une Église marquée par cet effondrement du recrutement clérical2. Si, son analyse révèle une

1 Ch. Suaud, La Vocation. Conversion et reconversion des prêtres ruraux, Paris, Éditions de Minuit, 1978, p. 13. 2 C. Béraud, Prêtres, diacres, laïcs. Révolution silencieuse dans le catholicisme français, Paris, PUF, 2007. Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 21-36. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131588

22

JoSSELIn TRIcou

division sexuelle sous-jacente à cette « révolution silencieuse » et si elle pointe alors des pratiques dont les prêtres cherchent à garder le monopole face à des « laïcs en mission ecclésiale » à 90% femmes, elle n’utilise pas encore la catégorie de masculinité. Même en 2012, quand je commence à soumettre à l’évaluation d’universitaires mon projet de thèse sur la masculinité des prêtres catholiques3, certain·e·s me rétorquent encore que je devrais plutôt m’intéresser à la place des femmes dans l’Église. C’est dire la rémanence de l’aveuglante évidence du masculin, cet objet longtemps resté le « neutre invisible4 » – unmarked5 – et construit comme tel par un androcentrisme généralisé, y compris dans le regard des sciences sociales6. Pourtant, objectiver les enjeux contemporains touchant à la masculinité sacerdotale, soit la masculinité censée être incarnée par les agents de l’appareil catholique romain7, c’était affronter une des rares institutions qui oppose encore une fin de non-recevoir à toutes revendications d’égal accès des femmes aux postes de pouvoir. A contrario, la majorité des grandes institutions se sont converties bon gré mal gré à l’égalité des sexes, fusse à reculons. Sur fond donc de féminisation du pouvoir – même relative dans les faits – difficile de ne pas apercevoir le « plafond de vitrail8 » désormais explicitement imposée aux femmes par l’institution et son envers, à savoir le maintien de l’homosociabilité

3 Pour un résumé cf. J. Tricou, Des soutanes et des hommes. Enquête sur la masculinité des prêtres catholiques. Thèse de doctorat en sciences politique – Études de genre, Université Paris 8, sous la direction d’Éric Fassin, 6 juin 2019 », Genre & Histoire, 24 (2019) [En ligne]. URL : https:// journals.openedition.org/genrehistoire/4375 ; pour le texte publié cf. J. Tricou, Des soutanes et des hommes. Enquête sur la masculinité des prêtres catholiques, Paris, PUF, 2021. 4 M. Cervulle, P. Farges et A. I. François, Marges du masculin : exotisation, déplacements, recentrements, Paris, L’Harmattan, 2015. 5 T. W. Reeser, Masculinities in Theory: An Introduction, Toronto, Wiley-Blackwell, 2010. 6 V. Descoutures et al., Sous les sciences sociales, le genre, Paris, La Découverte, 2010. 7 Faut-il distinguer ici masculinité des prêtres, masculinité sacerdotale et masculinité cléricale ? Pour ma part, je pose que la masculinité sacerdotale n’est qu’un cas de figure historiquement construit de masculinités cléricales possibles, celle afférente à l’idéal sacerdotal que l’Église catholique romaine de rite latin a imposé à ses clercs. Cette imposition n’est pas le fruit d’une volonté claire et d’une seule décision historique mais plutôt le résultat d’un long procès de sacerdotalisation des clercs catholiques – comme Elias parle d’un procès de civilisation. Celui-ci finit par constituer la prêtrise au tournant des xixe et xxe siècles en un véritable « projet de genre » singulier par rapport aux attendus de l’époque. Pour rappel cet idéal, tel qu’il se cristallise alors dans les normes officielles du droit canon mais aussi dans les rappels à l’ordre épiscopaux, les règlements de séminaire et nombre de pratiques coutumières, exclut le prêtre du marché sexuel, des champs politique et économique et l’invite à performer un certain nombre de vertus traditionnellement codées comme féminines, sans parler du port de robes précisément au moment où celle-ci devient la marque exclusive du féminin. Concernant ce procès de sacerdotalisation et ses effets de genre, voir J. Tricou, « Hommes d’Église, masculinités et idéal sacerdotal », in Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l’Europe, 2016 [En ligne]. URL : https://ehne.fr/fr. Pour une analyse de sa remise en valeur actuelle sous le signe de la performance individuelle, voir C. Béraud, « Prêtres de la génération Jean-Paul II : recomposition de l’idéal sacerdotal et accomplissement de soi », Archives de Sciences sociales des religions, 133 (mars 2006), p. 45-66. 8 B. de Gasquet, « La barrière et le plafond de vitrail. Analyser les carrières féminines dans les organisations religieuses », Sociologie du Travail, 51 (avril 2009), p. 218-236.

MAScuLInITéS SAcERDoTALES

du corps clérical, bref, sa patriarcalité décomplexée. Il faut reconnaître néanmoins, qu’une fois certains enjeux de ma recherche explicités – notamment la fonction de « placard » que peut recouvrir la prêtrise pour des hommes catholiques non-hétérosexuels et l’éventuel « escalator de verre9 » offert aux prêtres au placard et rappelant les autres à l’ordre du placard10 – l’évidence d’appliquer un tel prisme sautait aux yeux de mes interlocteur·ice·s. Pétri·e·s parfois malgré elles et eux par une sorte de catholic gaze dégenrant et désexualisant le corps des prêtres11, certain·e·s chercheur·se·s dont le catholicisme est l’objet principal m’ont témoigné qu’elles et ils ont relu leurs travaux avec un regard renouvelé après m’avoir entendu ne serait-ce qu’évoquer la question. La masculinité sacerdotale apparaissant consubstantielle à l’institution catholique, elle était à leur yeux tout à la fois omniprésente et cachée. C’est bien en ce sens, et avec humour, que Nicole-Claude Mathieu écrivait en 1971, même si son propos visait au-delà de la seule Église : « La catégorie homme se caractérisait, tel le Christ dans l’hostie, par une présence réelle mais cachée12 ». Or c’est aujourd’hui une prise de conscience qui s’est diffusée au-delà d’un petit cercle de chercheuses et militantes féministes, y compris au sein d’un public croyant. C’est que la structuration institutionnelle du catholicisme produit une va­ riante locale de la manière dont les sociétés occidentales distinguent et ordonnent les sexes et les sexualités, de plus en plus perçue comme étrange au sein de ces mêmes sociétés. Ce « bougé » catholique du genre – comme on dit d’une photographie floue – est lié au double paradoxe qu’induit l’idéal sacerdotal que l’Église a imposé à ses clercs, « qui dicte leur conduite et la justifie à leurs propres yeux13 ». Alors que l’Église se présente plus que jamais comme la grande défenseuse de la complémentarité des sexes et de la vocation universelle à l’hété­ rosexualité des êtres humains, elle a institutionnalisé deux modèles de masculini­ tés : celle du laïc marié correspond à ce discours et se trouve donc présentée comme naturelle ; celle des prêtres échappe « surnaturellement » à cette vocation universelle et à la division entres les rôles de sexes traditionnels. Rien que par cette pratique, l’Église vend la mèche – comme le dirait Bourdieu – sur cette naturalisation qu’elle opère en discours. Par ailleurs, et tout aussi paradoxalement, 9 M. Buscatto et B. Fusulier, « Présentation. Les “masculinités” à l’épreuve des métiers “féminins” », Recherches sociologiques et anthropologiques, 44 (décembre 2013), p. 1-19. 10 Cf. J. Tricou. « Refaire des “taupes” : gouverner le silence des prêtres homosexuels à l’heure du mariage gay », Sociologie, 9 (2018), p. 131-150 ; id., « De quoi la réception catholique de “Sodoma” est-elle le symptôme ? », Golias Hebdo, 567 (14 mars 2019), p. 5-8. 11 J’utilise cette expression en femmage (hommage au féminin) à la critique de cinéma et féministe, Laura Mulvey, qui a développé le concept de male gaze (To gaze signifiant en anglais “regarder fixement”, “contempler”). Par ce terme, elle désigne l’imprégnation tant de la culture visuelle (films, publicités, etc.) que de l’expérience quotidienne des acteurs sociaux – quel que soit leur sexe ou leur sexualité – par un regard masculin et hétérosexuel érotisant et objectifiant le corps des femmes ; L. Mulvey, « Visual Pleasure and Narrative Cinema », Screen, automne 1975, p. 6-18. 12 N.-Cl. Mathieu, « Notes pour une définition sociologique des catégories de sexe », Epistémologie sociologique, 11 (1971), p. 19-39. 13 C. Béraud, « Prêtres de la génération Jean-Paul II… », art. cit.

23

24

JoSSELIn TRIcou

l’Église institutionnalise ce faisant une hiérarchie des masculinités inversée par rapport à celle qui structure les sociétés dans lesquelles elle s’imbrique : elle fait prévaloir sur la masculinité laïque jugée normale la masculinité sacerdotale pourtant atypique au regard des modèles culturellement dominants de masculi­ nité. Or, dans le regard de nos contemporain·e·s, ce « bougé » du genre est devenu un « trouble dans le genre » (pour reprendre le fameux titre de Judith Butler14). La dynamique de politisation des questions de genre et de sexualité dans l’espace public depuis la fin des années 1960 – appelée « démocratisation sexuelle » par Éric Fassin15 – redoublant la déprise de l’Église sur la société depuis l’après-guerre, a infléchi les regards extérieurs portés sur cette atypie en matière de genre et de sexualité des prêtres16. Elle exerce, en retour, une pression sur l’Église catholique, pression renforcée par le grand mouvement actuel de dévoilement des violences sexuelles et sexistes perpétrées par ses représentants17. Or, une telle dy­ namique conduit nécessairement les membres du clergé à redoubler de réflexivité sur la manière dont ils vivent et performent leur genre et leur sexualité, d’autant plus que l’exculturation croissante du catholicisme en Occident18 joue en faveur d’une pluralisation des manières d’appréhender une identité cléricale à la fois raréfiée et exotisée19. Dès lors, on observe dans le cas des clercs ce que Clément Arambourou remarque à propos des acteurs et actrices cherchant à incarner des rôles de pouvoir dans le champ politique, à savoir que « ce qui relève des rapports de genre et de sexualité ne ressortit plus au domaine de l’évidence », mais constitue désormais « un des enjeux du travail de représentation politique20 ». D’objet qui allait de soi, le genre et la sexualité deviennent un langage d’autant plus stratégique, dans le cas des prêtres, que la légitimité de l’exercice de leur pouvoir se noue et se dénoue, non pas sur des compétences professionnelles, mais, en dernière instance, sur leur compliance à des normes de genre et de sexualité spécifiques. Or, ce modèle de construction institutionnelle n’apparaît plus intrinsèque au christianisme. Il a une histoire qui ne remonte pas au Christ. Surtout au regard de la diversité des constructions organisationnelles dans les autres Églises chrétiennes, qui ont montré leur capacité à intégrer l’exigence 14 J. Butler, Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion, Paris, La Découverte, 2005. 15 É. Fassin, « La démocratie sexuelle et le conflit des civilisations », Multitudes, 26 (septembre 2006), p. 123-131. 16 Pour une analyse de ce trouble à partir de la réception médiatique du genre du pape à l’occasion de la transition entre Benoît XVI et François, voir J. Tricou, « Le genre du pape », L’imparfaite, 10 (2019), p. 48-53. 17 C. Lalo et J. Tricou, « “Si cet homme n’avait pas été prêtre…” Patriarcalité du pouvoir, script catholique et pédocriminalité dans l’Église », Cahiers d’histoire, n°147, 2020, p. 69-93. https:// doi.org/10.4000/chrhc.15431. 18 D. Hervieu-Léger, Catholicisme, la fin d’un monde, Paris, Bayard, 2003. 19 J. Tricou, « Le prêtre imag(in)é, une émasculation symbolique du clergé dans le cinéma français ? », Genre en série, 4 (2016), p. 34-57. 20 Cl. Arambourou, « De la masculinité de François Bayrou. Une analyse en creux des conditions d’efficacité d’un registre identitaire controversé », Genre, sexualité & société, hors-série no 2 (2013) [En ligne]. URL : https://journals.openedition.org/gss/2686?lang=en.

MAScuLInITéS SAcERDoTALES

contemporaine d’égalité entre les sexes et les sexualités, il apparaît comme propre au catholicisme romain qui en a fait une de ses signatures. Voilà pour les conditions sociales de possibilité de l’interrogation. Mais reve­ nons en arrière. En réalité, indépendamment des recherches sur le catholicisme, l’étude des masculinités en sociologie est ancienne et met à disposition des outils pertinents pour produire une analyse de la ou des masculinités sacerdotales. En langue française, Georges Falconnet et Nadine Lefaucheur21, Maurice Godelier22, Daniel Welzer-Lang23, François de Singly 24 et Pierre Bourdieu25 ont posé quelques jalons d’une sociologie des hommes (en tant qu’humains assignés hommes) et des masculinités. Il ne reste qu’aucun·e n’a donné une définition des masculinités aussi opérationnelle et systématique que Raewyn Connell. La conceptualisation des masculinités – au pluriel – proposée par la sociologue australienne dès 198526, bénéficiant de la rupture féministe avec une science androcentrée d’une part, et rompant avec une approche essentialiste et anhistorique de LA masculinité d’autre part, a en effet eu à une fécondité certaine dans le champ des études de genre. On peut même affirmer qu’elle est fondatrice pour ce sous-champ qu’il est convenu d’appeler désormais les masculinities studies ou études critiques des masculinités – un champ d’étude sorti de la « côte d’Ève », pour reprendre le bon mot de Rodrigo Parrini, c’est-à-dire qui s’inscrit pleinement dans la continuité des théories et des pratiques féministes même s’il ne prend pas les femmes pour objet27. Comme le rappellent les deux coordinateur·trices·s de la première traduction française d’une partie de Masculinities, l’ouvrage clé de Connell daté de 1995 : « le projet général qui sous-tend l’études des masculinités chez Connell est d’éclairer les impensés du féminisme et des études de genre en mettant en lumière les logiques de genre qui s’établissent du côté des hommes et du masculin, trop longtemps demeurés dans l’ombre de la recherche28 ». Dans la postface à cette traduction, Éric Fassin compare le développement des études critiques des masculinités par rapport aux études de genre, aux développements récents des travaux sur la blanchité par rapport aux études sur le racisme, et ceux sur l’hétérosexualité par rapport aux études gay et lesbiennes. Il en précise la logique commune : « C’est à chaque fois la même démarche : [il s’agit d’]aborder 21 G. Falconnet et N. Lefaucheur, La fabrication des mâles, Paris, Le Seuil, 1977. 22 M. Godelier, La production des grands hommes. Pouvoirs et domination masculine chez les Baruya de Nouvelle-Guinée, Paris, Fayard, 1982. 23 D. Welzer-Lang, Les hommes violents, Paris, Lierre et Coudrier Éditeur, 1991. 24 Fr. de Singly, « Les habits neufs de la domination masculine », Esprit, 196/11 (1993), p. 54-64. 25 P. Bourdieu, La domination masculine. Suivi de Quelques questions sur le mouvement gay et lesbien, Paris, Le Seuil, 1998. 26 T. Carrigan, R. Connell et J. Lee, « Toward a New Sociology of Masculinity », Theory and Society, 14 (1985), p. 551-604. 27 R. Parrini, Apuntes acerca de los estudios de masculinidad. De la hegemonía a la pluralidad, 2020 [En ligne]. URL : http://www.eurosur.org/FLACSO/apuntesmasc.htm (consulté le 24 octobre 2016). 28 A. Vuattoux et M. Hagège, « Les masculinités : critique de l’hégémonie, recherche et horizons politiques », Contretemps, 2013 [En ligne]. URL : https://www.contretemps.eu/les-masculinitescritique-de-lhegemonie-recherche-et-horizons-politiques/.

25

26

JoSSELIn TRIcou

la norme universelle dans sa particularité, et la révéler ainsi en tant que point aveugle d’une approche de la domination29 ». Connell pose donc les exigences programmatiques de études critiques des masculinités naissantes qui s’appliquent évidemment à l’études des masculinités sacerdotales : une exigence d’aller-retour entre théorie et approche empirique ; une exigence de penser à la fois la pluralité et la hiérarchie des masculinités « disponibles », donc « susceptibles d’être incarnées30 » ; une exigence de penser ces masculinités à l’intersection des ordres du genre, bien sûr, mais aussi de la classe, de la race et des sexualités ; enfin une prise en compte de la capacité d’agir dans la matière des corps tout à la fois agents et objets de la pratique. Ceci posé, Connell pose que « l’ordre du genre définit des espaces et des traits dans lesquels les hommes sont tenus de s’investir pour devenir des hommes31 ». De là, les masculinités sont définies comme « des confi­ gurations de pratiques structurées par des rapports de genre32 ». L’intérêt de cette perspective est de dépasser les limites et les incompatibilités entre une approche d’inspiration fonctionnaliste du genre en termes de rôles de sexe, et une approche inspirée des féminismes matérialistes en termes de classe de sexe. Elle permet, en effet, de penser l’articulation dynamique entre les rôles sociaux de sexe (ici reconceptualisés en configurations de pratiques non figées ni d’emblée rattachées à des corps mâles ou femelles33) et les rapports sociaux de sexe (la division et la hiérarchisation entre deux, et seulement deux classes de sexes antagoniques). En ce sens, elle permet de penser les effets différenciés du genre à l’intérieur même d’une desdites « classes de sexe » – celle dominante des hommes – jusqu’ici considérées comme homogènes du point de vue de la domination sur la classe des femmes. De fait, être un homme prêtre et un homme marié ne vous positionnent pas exactement de la même manière au sein du système de genre. C’est ce qu’avait déjà compris depuis longtemps certain·e·s historien·ne·s. Contrairement à la sociologie du catholicisme, en effet, l’histoire du catholi­ cisme n’avait pas totalement ignoré l’atypie des masculinités sacerdotales. Il reste que l’émergence des études critiques des masculinités à la suite de Connell en a largement changé l’approche, palliant son déficit conceptuel initial. L’historiographie de langue anglaise débat depuis plusieurs années du statut de la masculinité sacerdotale. Le débat concerne surtout les médiévistes, la ré­ forme grégorienne du xie siècle, en finissant d’imposer le célibat et l’interdiction du port des armes aux membres du clergé séculier à l’instar des moines, apparait comme un moment de rupture à leurs yeux. Mais comment l’interpréter en 29 R. Connell, Masculinités : Enjeux sociaux de l’hégémonie, Paris, Editions Amsterdam, 2014. 30 A. Vuattoux et M. Hagège, « Les masculinités… », art. cit., p. 11. 31 M. Trachman, Les vrais hommes et les autres, La Vie des Idées, 2014 [En ligne]. URL : http:// www.laviedesidees.fr/Les-vrais-hommes-et-les-autres.html. 32 R. Connell, Masculinities, 2e éd., Berkeley, University of California Press, 2005, p. 44. 33 À la limite, chez Connell, rien n’empêche dès lors de concevoir des incarnations de ces masculinités chez des individus assignés femmes ou autres, détachant totalement, ce faisant, l’étude critique des masculinités des men’s studies. Voir J. Halberstam, Female Masculinity, Durham, Duke University Press, 1998.

MAScuLInITéS SAcERDoTALES

termes de masculinité ? Robert N. Swanson y voit, par exemple, la mise en place d’une émasculinité – en jouant sur la collusion entre les mots masculinité et émasculation –, reconnaissant que sa mise en œuvre ne s’est jamais faite sans ten­ sion entre « l’angélisme auquel aspiraient les prêtres et leur désir profond d’être hommes34 ». Ruth Mazo Karras au contraire, défend l’idée que « les membres du clergé ne sont pas devenus des non-hommes, mais des hommes d’une espèce différente » où la force toute masculine du clergé consiste justement dans sa maîtrise, maîtrise qui s’exprime par la prouesse de résister à toute tentation sexuelle ou violente35. Du côté francophone, un article devenu classique de Paul Airiau interroge également la masculinité des prêtres mais dans le contexte de fin du xixe siècle, marqué par une forte remise en cause politique du cléricalisme36. Dans la ligné d’une histoire de la virilité initiée par Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello, Paul Airiau suggère quant à lui que la masculinité sacerdotale – qu’il qualifie de neutre – s’est transformée, à partir de la fin du xixe siècle et jusqu’au milieu du xxe siècle par une sorte de rapprochement réciproque avec la masculinité séculière : « Ce qui en faisait le propre (la struc­ turation psychologique assumant la culture et l’expression du sentimental et du passionnel) a été progressivement intégré par les autres hommes », tandis que la sécularisation interne du clergé qui a suivi aurait contribué à folkloriser l’idéal sacerdotal. Il reste que ces travaux historiques, l’historiographie anglaise surtout, pêchent paradoxalement par son manque d’historicisation des masculinités. Par­ ler d’« émasculinité », de masculinité « neutre », de « non-hommes » parce que des individus hommes ne performeraient pas certains attendus de genre situés constitue un déficit de conceptualisation qui expose à essentialiser la normâlité. Au contraire, la théorisation critique des masculinités chez Connell permet de penser à nouveau frais l’énigme de la masculinité sacerdotale, sans avoir à imaginer le prêtre comme un non-homme, un homme neutre ou un homme émasculé, soit un autre exotique face à une masculinité synonyme de virilité qui irait de soi et serait anhistorique. Dans l’élan initié par Connell, une nouvelle historiographie des masculinités catholiques s’est développée depuis les années 2010, notamment dans les pays néerlandophones37 et en France avec « l’école lyonnaise du genre catholique » – autodésignation mi-sérieuse mi-humoristique d’un groupe formé d’Anthony

34 R. N. Swanson, « Angel Incarnate. Clergy and Masculinity from Gregorian Reform to Reformation », in D. M. Hadley (dir.), Masculinity in Medieval Europe, Londres, Longman, 1999, p. 160-177. 35 R. Mazo Karras, « Clergé, mariage et masculinité au Moyen Âge », in Anne-Marie Sohn (dir.), Une histoire sans les hommes est-elle Possible ? Genre et Masculinité, Lyon, ENS Éditions, 2014, p. 109-120. 36 P. Airiau, « Le prêtre catholique : masculin, neutre, autre ? », Mémoires / Histoire, septembre 2007, p. 191-207. 37 Y. M. Werner, Christian Masculinity: Men and Religion in Northern Europe in the 19th and 20th Centuries, Leuven, Leuven University Press, 2011 ; P. Pasture, J. Art et Th. Buerman, Gender and Christianity in Modern Europe. Beyond the Feminization Thesis, Leuven, Leuven University Press,

27

28

JoSSELIn TRIcou

Favier, Caroline Muller et moi-même38 – dont le programme de recherche est esquissé par Anthony Favier dès 201039. Or cette nouvelle historiographie, plus relationnelle, interroge nécessairement la masculinité sacerdotale en tant que clé de voute du système catholique de genre. À ce titre, l’article d’Art et de Buerman daté de 2009 apparaît révélateur de ce tournant40. En explorant la littérature anticléricale française, belge et allemande de la fin du xixe siècle, il montre comment l’idéal du prêtre catholique, chaste et à l’écoute des femmes à travers la confession, a pu être perçu et construit comme une masculinité repoussoir pour l’État bourgeois et pointé du doigt comme une menace pour les autres hommes, et ce, tant du point de vue de l’hétérosexualité conjugale dominante que de l’hexis corporelle attendue chez le clerc catholique. Il reste que, quand ils interprètent les pratiques pédagogiques des séminaires comme des pratiques efféminantes, Art et Buerman négligent le paramètre social. Ils font, de fait, l’impasse sur les enjeux liés aux classes sociales, ne s’inscrivant pas dans une perspective qui imbriquerait les différents rapports de pouvoir qui coexistent et se coconstruisent au sein de la société, comme le suggèrent les approches intersec­ tionnelles. Dès lors que le recrutement sacerdotal devient très majoritairement rural vers la moitié du xixe siècle et ce jusque dans les années 1960, une partie de la disciplinarisation des corps au séminaire vise à « élever » les futurs prêtres au rang de notables, soit à « dégrossir » les corps, plus qu’à les « efféminer » même s’ils deviennent, ce faisant, efféminés aux yeux de leurs groupes sociaux d’origine, les classes populaires et les petites classes moyennes rurales, lesquelles portent souvent tendanciellement un tel regard sur les classes supérieures nobles et/ou intellectuelles. D’où l’émergence d’un tel codage dans les représentations sociales hors de l’institution, notamment dans les caricatures anticléricales, où l’un – l’élévation sociale par l’accès à une « masculinité de raison » – revient à l’autre – la perception d’un efféminement41. Le colloque Masculinités sacerdotales :

38

39 40 41

2012 ; T. Van Osselaer, The Pious Sex : Catholic Constructions of Masculinity and Femininity in Belgium, 1800-1940, Leuven, Leuven University Press, 2014. A. Favier, « Faire l’histoire du masculin catholique, France (xixe-xxe) (II) », Penser le genre catholique, 2011 [En ligne]. URL : http://penser-le-genre-catholique.over-blog.com/article-fairel-histoire-du-masculin-catholique-71500911.html ; C. Muller et A. Favier, « Les Hommes catholiques, un point aveugle des études de genre ? Réflexions sur l’étude des masculinités en contexte catholique (France, xixe-xxe) », Acquis de conscience Histoire(s) de xixe siècle, 2014 [En ligne]. URL : https://consciences.hypotheses.org/530 ; J. Tricou, Ainsi sont-ils ! Les prêtres catholiques et la masculinité hégémonique, working papers no 5, Labtop, 2015. A. Favier, « Malaise du masculin en contexte catholique », Lumière et Vie, 288 (octobre 2010), p. 71-82. J. Art et Th. Buerman, « Anticléricalisme et genre au xixe siècle. Le prêtre catholique, principal défi à l’image hégémonique de l’homme », Sextant, 27 (2009), p. 323-337. De la même manière, sans penser l’intersectionnalité, on ne peut comprendre pourquoi, durant le xxe siècle, les normes de masculinité inscrites dans « la culture du pauvre » pouvaient inciter à faire croire aux pauvres qu’ils devaient échouer à l’école pour être des hommes, alors qu’au contraire, une certaine « masculinité de raison » pouvait pousser les hommes des classes moyennes à croire qu’ils réussissaient à l’école justement parce qu’ils étaient des hommes, c’est-à-dire des êtres rationnels

MAScuLInITéS SAcERDoTALES

approches historiques, à l’origine de ce livre, avait précisément comme objectif de faire le point sur l’effervescence actuelle du champ historien sur la question. Or le trait commun à toutes les contributions de ce colloque comme à cette nouvelle historiographie fut précisément la référence à Connell, ne serait-ce que minimalement via le concept de « masculinité hégémonique ». Il s’agit de revenir maintenant dessus pour ne pas se méprendre sur son sens et sa portée dans la perspective d’une histoire des masculinités sacerdotales, surtout pour ne pas neutraliser son origine gramscienne. Il n’est pas neutre, en effet, que Connell propose de penser les masculinités selon le schème gramscien de l’hégémonie culturelle, qui s’exprime comme une coercition idéologique complémentaire de ceux marxiens de l’oppression, de l’ex­ ploitation et de l’aliénation. Connell précise : « emprunté à l’étude des rapports de classe d’Antonio Gramsci, le concept d’hégémonie renvoie à la dynamique culturelle par laquelle un groupe revendique et maintient une position sociale de leadership42 ». De là découle le concept central de son cadre d’analyse, devenu incontournable comme on l’a vu lors du colloque : la « masculinité hégémonique ». « À tout moment, écrit-elle, il y a une forme de masculinité qui est culturellement glorifiée au détriment d’autres formes. La masculinité hégémonique peut être définie comme la configuration de la pratique de genre qui incarne la réponse acceptée à un moment donné au problème de la légitimité du patriarcat43 ». Cette masculinité hégémonique est donc « la configuration des pratiques de genre qui incarnent la solution socialement acceptée au problème de la légitimité du patriarcat, et qui garantit (ou qui est utilisée pour garantir) la position dominante des hommes et la subordination des femmes44 ». À cette configuration, le cadre connellien ajoute d’autres types de masculinités – nonhégémoniques donc : des masculinités marginales, encore soumises à l’emprise de la masculinité hégémonique mais disqualifiés selon d’autres rapports sociaux ; des masculinités subalternes (ou subordonnées) qui, « à l’instar des masculinités ho­ mosexuelles, sont culturellement exclues de la masculinité hégémonique en tant que figure repoussoir, et se construisent donc en arrière-plan de la masculinité hégémonique45 » – à ce titre, George L. Mosse montrait déjà que les archétypes de la virilité ne se construisaient pas sans s’appuyer sur le rejet de contretypes46 ; enfin, des masculinités qualifiées de complices par Connell « lorsque des hommes participent ou légitiment la masculinité hégémonique, sans toutefois en bénéficier ou la réaliser pleinement47 ». Or, on le comprend aisément, ces masculinités font

42 43 44 45 46 47

et raisonnables capables d’un certain ascétisme, à l’image des hussards noirs de la République. Cf. R. Hoggart, La Culture du Pauvre. Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Editions de Minuit, 1970. R. Connell, Masculinités…, op. cit., p. 74. Ibid. Ibid. Ibid. G. Lachman Mosse, L’image de l’homme : l’invention de la virilité moderne, Paris, Pocket, 1999. A. Vuattoux et M. Hagège, « Les masculinités », art cit.

29

30

JoSSELIn TRIcou

système avec la masculinité hégémonique : « La masculinité hégémonique n’est pas considérée comme normale dans un sens statistique, car elle n’est observable que chez une minorité d’hommes. Mais elle est sans aucun doute normative. Elle correspond à la façon actuellement la plus reconnue d’être un homme, implique que les autres hommes se positionnent par rapport à elle48 ». Les masculinités connelliennes apparaissent dès lors clairement relationnelles et impliquées dans un processus dynamique. Connell le précise : « Le terme de ‟configuration” évoque peut-être quelque chose de trop statique. Le plus important est le processus par lequel une pratique se trouve configurée. […] Si l’on conçoit l’organisation de la pratique comme quelque chose de dynamique, on peut comprendre la masculinité et la féminité comme des projets de genre. Ce sont des processus de configuration de la pratique dans le temps, dont les points de départ sont transformés dans la structure des rapports de genre49 ». Encore une fois, les masculinités « désignent non pas des traits de caractères fixes mais bien des configurations de pratiques, émergeant dans des situations particulières et dans une structure de rapports sociaux changeante »50. « Or, comme il s’agit de configurations de pratiques et non d’identités figées, ces modalités […] peuvent se reconfigurer. Ainsi des groupes d’hommes que l’on identifiera dans un contexte donné à l’hégémonie pourront apparaître comme subordonnés ou marginalisés dans un autre contexte, la domination masculine en tant que structure sociale n’en étant pas pour autant nécessairement modifiée51 ». Cette typologie des masculinités, qui permet de penser les effets de hiérarchie entre elles, est surtout positionnelle. Gramsci ne parlait-il pas du processus hégémonique comme d’une « guerre de position » ? Ce n’est pas tant leur mise en forme qui singularise ces formes ou types de masculinités que leur positionnement dynamique les unes par rapport aux autres au sein d’un « espace des masculinités52 ». Ces masculinités, notamment la ou les masculinités hégémoniques (en fonction des lieux et du temps), ne sont, en réalité, jamais totalement incarnées par des individus même dominants socialement. Elles apparaissent plutôt comme des lieux ou des idéaux régulateurs inscrits dans les représentations culturelles. À ce titre, elles sont autant de modèles à imiter (ou à éviter), mais qui ne se sont jamais totalement figés et qu’on n’arrive jamais totalement à cerner, parce qu’ils ne sont pas codifiés comme tel – à l’instar de l’idéal sacerdotal. On retrouve ici, à l’échelle individuelle, la logique de la performance de genre décrite par Butler comme une « pratique d’improvisation qui se déploie à l’intérieur d’une scène de contraintes53 » ou encore, comme un processus de citations répétées de normes de genre plus ou moins exactes, plus ou moins conformes, qui produise le sujet genré même si

48 49 50 51 52 53

R. Connell, Masculinités…, op. cit., p. 32. Ibid., p. 74. Ibid., p. 81. Ibid., p. 11. M. Trachman, « Les vrais hommes et les autres », art. cit. J. Butler, Trouble dans le genre…, op. cit., p. 13.

MAScuLInITéS SAcERDoTALES

le sujet peut aussi jouer avec les normes « citées » et se jouer de sa propre performance selon sa plus ou moins grande agentivité ou capacité d’agir. Il reste un point de vigilance pour ne pas dégramsciser le cadre d’analyse connellien : l’enjeu politique. En effet, ce cadre a bien souvent été mobilisée pour approfondir une sociologie du genre et des sexualités, c’est-à-dire pour décrire les mécanismes sociaux de leur reproduction, plus que pour analyser de véritables « guerres de position » ou pour penser l’éventuelle constitution de « blocs historiques » au cœur des luttes centrées sur le genre et la sexualité. Connell elle-même dénonce cette dérive réduisant sa théorie à une sociologie de la reproduction, dix ans après la sortie de son maître-ouvrage54. Or, c’est bien à une véritable bataille politique et culturelle à laquelle on assiste en permanence concernant le genre et la sexualité. Certes, aujourd’hui, au sein de la « démocratie sexuelle » cette bataille emprunte les contours du répertoire démocratique d’ac­ tion, mais en réalité le genre ayant toujours été a priori, comme le dit Joan Scott « une façon première de signifier les rapports de pouvoir55 », cette lutte existait avant la démocratie sexuelle sous d’autres formes. Ainsi, les clercs et l’institution catholique aujourd’hui prennent position dans un champ politique animé par des débats sur le genre et la sexualité, mais leurs différentes performances de genre et de sexualité sont aussi des prises de position dans le champ religieux. Or, précisément, ce que la théorie connellienne des masculinités a de plus intéres­ sant pour analyser les masculinités sacerdotales, est sa capacité à articuler une sociologie du genre et des sexualités (de leurs production et reproduction structu­ relles) et une sociologie politique du genre et des sexualités (de leur production stratégique). Il s’agit dès lors de distinguer pour mieux les lier ce qui relève de l’hégémonie et ce qui relève de véritables politiques volontaristes et stratégiques de masculinité portés par certains acteurs pour infléchir cette hégémonie. Connell déjà affirmait à propos des politiques publiques : « Implicitement, la politique est majoritairement “la politique des hommes”, parce que, dans la plupart des pays, les hommes dominent l’État [et] les institutions défendent en général en silence la masculinité hégémonique. Parfois, cependant, émerge une politique explicite de la masculinité56 ». Si de telles politiques de la masculinité ne sont ou ne se veulent pas nécessairement anti-égalitaires, comme le montre leurs descriptions dans la suite du texte de Connell, la plupart relèvent néanmoins du masculinisme, sans forcément revendiquer ce terme. « Un tel mouvement, s’il profite surtout aux hommes déjà puissants, peut recevoir un soutien important des masculinités mar­ ginalisées, par exemple dans la jeunesse ouvrière » précise-t-elle effectivement. 54 R. Connell et J. W. Messerschmidt, « Hegemonic Masculinity. Rethinking the Concept », Gender & Society, 19 (2005), p. 829-859. 55 J. Scott, « Genre : Une catégorie utile d’analyse historique », Les Cahiers du GRIF, 37 (1988), p. 125-153. 56 R. Connell. « Les Armes et l’homme : comment la nouvelle recherche sur la masculinité permet de comprendre la violence et de promouvoir la paix dans le monde d’aujourd’hui », in I. Breins, R. Connell et I. Eide (dir.), Rôles masculins, masculinités et violence. Perspectives d’une culture de paix, Paris, UNESCO, 2004.

31

32

JoSSELIn TRIcou

Elles se fondent alors le plus souvent sur le discours de la crise supposée de la masculinité. Or, comme le montre Mélanie Gourarier, ce discours de crise est récurrent – sa récurrence historiquement attestée invalidant son qualificatif même de crise même si son occurrence actuelle présente la spécificité de s’incarner, en miroir et sur le modèle du mouvement féministe, sous la forme de multiples groupes militant. Et Gourarier de préciser : « En caractérisant ses heures troubles, les défenseurs de la cause masculine promeuvent simultanément le modèle à partir duquel ils forgent la fiction de son péril57 ». En ce sens, toute hégémonie masculine est toujours instable. D’où le nécessaire « combat culturel » pour la maintenir ou éventuellement pour la réformer pour mieux la maintenir. À partir de là, on peut reformuler la question du genre des prêtres58. En repre­ nant les catégories situationnelles de Connell, on peut interroger le ou les lieux occupés par la masculinité sacerdotale au sein du système de genre catholique, dans l’espace des masculinités catholiques, et au sein d’un ordre de genre plus global en mutation. En terme plus dynamique, il s’agit d’appréhender ce que la société produit sur ses incarnations, ce que l’institution leur fait en propre en tant qu’elle est emboîtée dans cette société donnée, et ce que les agents de l’institution produisent eux-mêmes en tant qu’ils sont positionnés et prennent position depuis l’institution au sein de la société. Pour la période contemporaine, il s’agissait ainsi de se demander : – Structurellement, cette masculinité numériquement minoritaire occupe-telle une position subordonnée mais subversive face aux formes hégémoniques de masculinités les plus stabilisées, notamment au regard de la résistance qu’elle oppose de fait au sens commun hétéronormatif dans lequel circule une injonction à la sexualité active majoritairement à deux sexes ? Ou bien n’est-elle qu’une mas­ culinité complice de cette hégémonie, surtout au regard du discours familialiste et différentialiste porté par la hiérarchie de l’Église, aujourd’hui en décalage et souvent pour contrer d’autres discours séculiers émergents ? – D’un point de vue dynamique, dans un double contexte, celui de la « dé­ mocratisation sexuelle » de la société et celui d’un catholicisme contemporain travaillé par son « devenir minoritaire59 », on peut se demander comment évoluent les représentations, le dispositif d’imposition institutionnel des normes et les pratiques de subjectivation de la masculinité sacerdotale ? Dans le cadre de la démocratie sexuelle, il s’agit de prendre en compte les conséquences d’une pluralisation des modèles de masculinités disponibles plus ou moins légitimes. Cette pluralisation se produit à la croisée des progrès de la reconnaissance des identités queers, de la légitimation croissante de la vie « en singleton60 » et/ou

57 M. Gourarier, Alpha mâle. Séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes, Paris, Le Seuil, 2017, p. 17. 58 J. Tricou, Ainsi sont-ils !…, op. cit. 59 D. Pelletier, La crise catholique. Religion, société, politique en France (1965-1978), Paris, Payot, 2002. 60 E. Klinenberg, « De New York à Tokyo : vivre seul, mais pas solitaire », Le Monde diplomatique, 1er mars 2013, p. 22-23.

MAScuLInITéS SAcERDoTALES

childfree, des éloges récurrents dans les médias d’une « nouvelle » masculinité qui se serait reconfigurée comme « positive » ou « non-toxique » à la suite de la deuxième vague du féminisme, ou à l’inverse du constat de la montée d’un masculinisme explicite pour contrer ces phénomènes. Dans le cadre d’un catholicisme travaillé par son devenir minoritaire, il s’agit de prendre en compte la rétractation globale du nombre d’adhérent·e·s, la polarisation de leur rapport au monde, et la dynamique interne de fragmentation et d’archipélisation du cercle des militant·e·s61. Ces évolutions et leurs effets sur la masculinité sacerdotale peuvent être analysés à trois échelles : l’échelle macro des représentations sociales et des mécanismes d’imposition institutionnels de la masculinité sacerdotale ; l’échelle micro des processus genrés de subjectivation des prêtres ; mais aussi à l’échelle méso des spécificités locales de communautés ou types de communautés dans lesquelles les incarnations de genre se construisent et sont performées. Et c’est précisément à cette échelle que pourra être aperçue l’émergence éventuelle de politiques de masculinité mises en œuvre au sein de l’institution. Pour désigner ce niveau méso, j’ai utilisé dans mes travaux tantôt le néologisme « maison » d’agenrement (pour agencement de genre), tantôt la notion de régime local de genre afin de mieux coller à l’appareillage conceptuel de Connell qui distingue différents « régimes de genre » au sein du « système de genre62 ». Par l’ajout de l’adjectif local à la notion connellienne, j’entendais d’abord être attentif dans le cas de l’Église à la pluralité synchronique d’un univers social restreint mais souvent homogénéisé tant dans le discours de ses analystes extérieurs que dans celui de ses membres eux-mêmes, et en premier lieu des évêques dont la fonction est d’en garantir l’unité. Il s’agissait ensuite, de montrer que les représentations, les normes et les pratiques de la masculinité cléricale sont à appréhender en lien avec des dispositifs socioculturels localisé du fait de l’archipélisation actuelle du catholicisme. En ce sens la « recomposition » de l’idéal sacerdotal sur le mode de l’accomplissement individuel évoquée par Céline Béraud63 est prise dans des agencements symboliques et matériels de genre particuliers et localisés aux cœurs de communautés distinctives ou de types de communauté qui se construisent selon des logiques oppositionnelles. J’ai, ainsi, pu montrer que dans le contexte actuel de politisation des questions sexuelles et de réflexivité accentuée quant aux identités de genre, une partie du clergé catholique adopte des comportements et des pratiques pastorales qui convergent vers une véritable politique de la masculinité cléricale. L’opposition entre catholicisme d’ouverture et catholicisme d’identité proposée par Philippe Portier64, bien qu’idéal-typique, m’a permis de situer les belligérants de cette

61 62 63 64

D. Hervieu-Léger, Catholicisme, la fin d’un monde…, op. cit. R. Connell, Gender, Cambridge, Polity Press, 2002. C. Béraud, « Prêtres de la génération Jean-Paul II », art cit. Ph. Portier, « Pluralité et unité dans le catholicisme français » in C. Béraud, Fr. Gugelot et I. Saint-Martin (dir.), Catholicisme en tensions, Éditions de l’EHESS, Paris, 2012, p. 19-36.

33

34

JoSSELIn TRIcou

bataille au sein du champ catholique. Une autre catégorie, celle de front masculi­ niste, m’a permis de penser les alliances objectives – et parfois subjectivement voulue – entre ces acteurs cléricaux et les courants masculinistes qui émergent au-delà des frontières du champ catholique, jusqu’à une sorte de confusion entre prosélytisme de genre et prosélytisme religieux. Ainsi, une des réussites de la croisade morale contre la « théorie du genre » lancée par le Vatican, mais qui réussit à coaguler au-delà des frontières du catholicisme, a été de rendre problématique un régime local de genre en cours de stabilisation dans certains vieux ordres religieux qu’on peut qualifier de queerisants. J’utilise ce néologisme non pas pour dire qu’on y promouvrait une quelconque culture queer, loin de là, mais au sens où ces ordres religieux constituent des boys’ clubs permanents, suffisamment prestigieux et autonomes par rapport au regard des fidèles laïques – contrairement aux prêtres de paroisse qui y sont exposés – pour que s’y relâche l’injonction qui pèse sur tous les hommes de prouver sans cesse leur complicité à la forme hégémonique de masculinité s’ils n’ont pas la capacité à l’incarner. Dès lors peut s’y instaurer du jeu (au sens mécanique et ludique du terme) dans les catégories comme dans les pratiques genrées et, peuvent s’y épanouir certaines formes de masculinités non-hégémoniques. Cette réaction a aussi réduit au silence une politique de la masculinité cléricale émergente au sein de ces vieux ordres religieux : l’affirmation de plus en plus explicite de « l’égalité des vœux » quelles que soient les préférences sexuelles des clercs qui les prononcent. Une politique de la masculinité sacerdotale homo-tolérante en somme, dont le pôle d’ouverture du catholicisme français aurait pu s’emparer. En réalité, il n’a pas su le faire, essentiellement pour des raisons générationnelles, et morphologiques. En effet, majoritairement composé de couples hétérosexuels, il s’est peu approprié les questions d’homosexualité. Vieillissant, il a surtout été marqué par la deuxième vague du féminisme centrée autour de la question du droit des femmes, très peu par la troisième vague ayant intégré à son agenda les luttes LGBTQI. Face à l’apa­ thie du catholicisme d’ouverture sur cette question, au contraire, le catholicisme d’identité n’est pas resté sans rien faire. Au niveau des trois principaux « ilots » de « l’archipel » qui le structurent se sont systématiquement mises en place des tentatives pour contrer le déclassement de la masculinité sacerdotale. Chacun de ces îlots a fait émerger un répertoire d’action générant une véritable politique de la masculinité, voire un front masculiniste, au sein de ce catholicisme-ci. Les com­ munautés restitutionnistes ont produit, sur fond d’un régime local de genre de type néo-clérical, un répertoire viriliste qui consiste à mettre en scène la relance de la fabrique de vrais prêtres – resacerdotalisés donc – mais néanmoins virils, et à ce titre, tentant ainsi d’échapper au soupçon d’efféminement ou d’homosexua­ lité65. Les communautés charismatiques, sur fond d’un régime local de genre de type sponsal, ont initié un répertoire redifférentialiste qui consiste à développer 65 J. Tricou, « “Ici, c’est viril !” Ethnographie d’une communauté cléricale récente qui veut former des hommes avant de former des prêtres », in B. Dumons et F. Gugelot (dir.), Catholicisme et identité. Regards croisés sur le catholicisme français contemporain, Paris, Karthala, 2017, p. 101-117.

MAScuLInITéS SAcERDoTALES

des activités pastorales en non-mixité, principalement à destination d’hommes en tant qu’hommes. Les prêtres qui s’engagent dans ce répertoire, profitant de l’aura de laïcs psychologues, manager ou coach – ces nouveaux clercs – avec lesquels ils organisent ces activités, peuvent ainsi apparaître comme des experts de la masculinité des laïcs sans pour autant la performer. Ils en accompagnent même la transformation en se faisant le relais auprès des hommes laïcs de certaines critiques faites à la masculinité hégémonique (notamment la nécessité de mieux exprimer leurs émotions et d’être plus à l’écoute de celles de leurs femmes) et se rendent ainsi indispensables à ceux qui l’incarnent. Ce faisant, tout en contrant le rendement symbolique décroissant de leur propre masculinité, ils se font les agents du maintien de sa forme hégémonique en en favorisant les déplacements nécessaires66. Un dernier répertoire, sur fond d’un régime local de genre bour­ geois, consiste à adopter un discours managérial et à affirmer l’autorité politique du prêtre. Ce répertoire libéral conservateur apparaît distinctif des prêtres diocé­ sains implantés dans les bastions catholiques bourgeois, le rendement symbolique de leur prêtrise dépendant de la vieille bourgeoisie notabiliaire, une clientèle, tout à la fois conservatrice et travaillée par les exigences d’adaptation au néolibéralisme mondialisé. Dans ce contexte, l’enracinement catholique est converti en élément du capital d’autochtonie, tout comme la blanchité mise en avant par ces prêtres, invisibilisant de fait les prêtres étrangers et racisés qui assurent la continuité du service public du sacré aux périphéries de ces bastions67. L’ensemble de ces outils sociologiques, me semble-t-il (et d’autres encore68), peuvent être largement réemployés et adaptés pour produire une histoire des masculinités cléricales catholiques, qui reste encore largement à faire dans une perspective à la fois de longue portée – capable de remonter en-deçà de la sacerdotalisation des clercs d’occident – et échappant à l’occidental-centrisme69 – capable de dépasser le nationalisme méthodologique et surtout de prendre en compte la « colonialité du pouvoir70 » clérical au sein d’un l’Église latine qui s’est déployée bien au-delà de de ce qu’il est convenu d’appeler l’Occident avec la colo­ nisation européenne, et a ainsi marquée, par son hégémonie sur le champ chrétien global, tant les autres rites catholiques que les autres confessions chrétiennes.

66 Id., « Le catholicisme d’identité contre la mixité », in F. Dupuis-Déri, Chr. Bard et M. Blais (dir.), Antiféminismes et masculinismes d’hier et d’aujourd’hui, Paris, PUF, 2019, p. 271-298. 67 Id., « Mise en scène de soi et performance de genre sur internet », in CollectiF B., Parler de soi. Méthodes biographiques en sciences sociales, Paris, Éditions de l’EHESS, 2020, p. 249-260. 68 Je pense entre autres ici à la notion d’épreuve de virilité élaborée dans la perspective d’une sociologie pragmatique. Voir ma contribution au présent volume. 69 R. Connell, Southern Theory. Social Science and the Global Dynamics of Knowledge, Cambridge, Polity Press, 2007. 70 A. Quijano, « “Race” et colonialité du pouvoir », Mouvements, 51 (2007), p. 111-118.

35

jEAn-pASCAL gAy 

Towards a religious history of gender Sacerdotal masculinity and the historicization of hegemony

In 2015, Matthieu Bréjon de Lavergnée and Magali della Sudda argued that “gender as an analytical tool for religious history, as well as religion as a function­ ing category for the history of gender, seem despite undeniable connections, insufficiently taken into account1.” In 2013, Joanna de Groot and Sue Morgan had first formulated a similar view regarding the state of English-speaking histori­ ography in a noted issue of Gender and History on Sex Gender and the Sacred2. Whether these statement remains valid in 2022 is a matter for debate. The number of studies that turn to gender to provide new insight on religion, both past and present, has steadily grown in the past decade. Yet, one could argue that gender has not the same status in religious history as it has in social history for instance: many studies still implicitly dismiss gender as a necessary tool of religious studies, if only by sketching gendered issues as if they were not so. This may be particularly true of studies about the clergy. Furthermore, while gender has become much more familiar to scholars of religion, it remains debatable whether religion has truly become familiar to scholars of gender studies. If early 2010s’ statements about insufficient acknowledgment of gender in religious studies may no longer hold as much as they used to, it remains clear that we are still far from a true intersectional approach of both religion and gender. This certainly has to do first and foremost with the sociology and politics of each disciplinary fields. Scholars of religion, and this is particularly true of historians, are often –though no longer predominantly – committed to specific religious traditions. Several prominent historians of religion have also contributed to the recent anti-gender campaigns in Europe. It is also clear that the rather more secular profile of historians and social scientists dealing with gender has certainly contributed to either avoidance or even at times dismissal of the specific

1 M. Bréjon de Lavergnée and M. Della Sudda, “Une histoire religieuse sans genre est-elle (encore) possible ?”, in M. Bréjon de Lavergnée and M. Della Sudda (ed.), Genre et christianisme. Plaidoyers pour une histoire croisée, Paris, Beauchesne, 2015, p. 9-28. 2 J. De Groot and S. Morgan, “Beyond the ‘Religious Turn’? Past, Present and Future Perspectives in Gender History”, in J. De Groot and S. Morgan (ed.), Sex, Gender and the Sacred. Reconfiguring Religion in Gender History, in Gender and History, 25 (2013), p. 395-422. Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 37-46. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131589

38

JEAn-PAScAL GAy

agency of religion in the making of gender3.The mostly secular profile of scholars in gender studies has also meant some distance with both religion and religious studies. In the 2005 Handbook of Studies on Men and Masculinities4, there was only one paper dealing with ‘religious’ masculinities: that of Shahin Gerami on “Islamist masculinity and Muslim masculinities”. It came under the category of ‘Politics’ and actually dealt much more with masculinities in the contemporary Muslim worlds than with the religious dynamics that affected them. The signifi­ cant number of gay men, and particularly of catholic gay men, in the field of history of Christianity (a reality that mirrors and certainly has connection to the overrepresentation of gay men among contemporary catholic clergy) could certainly bring some complexity to this assessment, and may prove both medium and cause for more intersection between these fields. Yet, this cannot be accounted for purely in terms of sociology of scholarship. Part of the problem here may come from the fact that we tend to elaborate gender as a category and religion as field or subfield of study. As Josephine Hoegaerts has noted in her 2015 paper on soldiers and saints5, it is because of such discrepant elaborations that we tend to practice history of religious masculinities merely as the application of pre-elaborated categories and methodologies, thereby casting gender as almost impervious to religion as such. She argues for the same type of intersectionality between religion and gender, as has proved so productive regarding the connection between race, age and gender. “History of masculinity – she writes – requires the contribution of research that explore other forms of development of identity.” This, she argues, would not only have significant conse­ quences not only for the history of masculinity but for the “very definition of masculinity as an analytical category”. To put it even more bluntly, the question is that of religion not merely as an object, but rather as a point of view on the social and as a category of social analysis. This collection of essays comes at a time when the study of religious masculin­ ities is certainly gaining pace (while at the same time, in the particular field of religious history, history of the clergy may prove a somewhat declining field at a time when religious history seems less preoccupied than it was in the second half of the 20th century with quantitative outputs as well as with what Dupront and Certeau respectively characterized as history of the sacred as well as history of belief). So is to a certain extent, the study of sacerdotal masculinities. No recent work on religious masculinities in Christianity has ignored the question of the re­ lationship between sacerdotal masculinity and other Christian masculinities (be it

3 See for instance R. Kuhar and D. Paternotte, Anti-Gender Campaigns in Europe. Mobilizing Against Equality, London, Rowman & Littlefield Int., 2017. 4 M. S. Kimmel, J. Hearn and R. Connell, Handbook of Studies on Men And Masculinities, Thousand Oaks (CA), SAGE, 2005. 5 J. Hoegaerts, “Soldats dévots et saints combatifs. Regards sur l’historiographie anglophone et germanophone des masculinités religieuses (xixe-xxe siècle)”, in M. Bréjon de Lavergnée and M. Della Sudda (ed.), Genre et christianisme…, op. cit., p. 73-94.

TowARDS A RELIGIouS hISToRy of GEnDER

that of different categories of laymen, of monks, as well as ideological elaborations of religious masculinity). From a methodological point of view, such studies have turned to common effort of theorization in masculinity studies. Many works have some connection to Connell’s model. When studying sacerdotal masculinities from an historical point of view, one can no longer ignore the questions of cate­ gorization, hierarchization or relationship to hegemony. If one turns to Raewyn Connell’s model for analyzing masculinities, sacerdotal masculinity may appear as a somewhat straightforward (so to speak) case of complicit masculinity6: one that never performs nor challenges the tenets of hegemonic masculinity, but rather supports them; one that is also never truly marginal nor subordinate. In Catholi­ cism, the mere existence of the clergy introduces a distance between ‘cultural ideals’ and ‘institutional power’ both within the Church and within Society. This is actually even more manifest for churches in secular environments. Sacerdotal masculinity can hardly be hegemonic. Even in churches where celibacy is not a rule, the distinctiveness of the clergy also entails a difference of performance of masculinity. Yet, there is little doubt that clerical masculinity can never be truly subordinate. The very status of the clergy protects priests and other clerics –at least collectively – from the type of exclusion that characterizes subordinate mas­ culinities. It even may protect individual clerics from the very type of exclusion that their performance of masculinity would submit them too, were they not clerics. There is also little doubt that clerical masculinity can never be actually marginal in a society that values the clergy. Clerical masculinities are always authorized and authorized proportionately to the value ascribed to the clerical status. Therefore – or so it seems – along Connell lines for analyzing specific masculinities, clerical masculinity would always escape both subordination (as opposed to hegemony) and marginalization (as opposed to authorization). It is for these reasons that it appears to fall under the category of what Connell calls ‘complicity’. In her 2014 paper, Caroline Muller argued that catholic masculinity could be characterized as such7. The argument she makes – regarding self-control and sexuality – certainly seems all the more relevant for the clergy. There is also little doubt that as long as the clergy remained socially prominent in European societies; sacerdotal masculinity was –to speak in Connell’s terms for defining complicity – “constructed in ways that realize the patriarchal dividend, without the tensions or risks of being the frontline troops of patriarchy”. In the case of the early modern clergy, the dividends of patriarchy for clerics are many: they are social, symbolic, but also of course economic. Connell’s model certainly offers a vocabulary as well as guidelines for a possible historiographical agenda for the study of clerical masculinities. One that would have the advantage of keeping in touch with the social sciences. One of

6 See Josselin Tricou’s introduction to the present volume. 7 C. Muller, “Le catholicisme au masculin ? Antoine Manilève, un jeune homme catholique au tournant du siècle”, in M. Bréjon de Lavergnée and M. Della Sudda (ed.), Genre et christianisme…, op. cit., p. 233-256.

39

40

JEAn-PAScAL GAy

the possible ways of investigation for historians in this regard would therefore be to historicize hierarchization of masculinities or the religious impossibility of too strong a hierarchization of Christian masculinities. Besides, if clerical masculinity has some structural affinity with complicity, the category also appears as rich in terms of historical agenda, encouraging investigation of its modalities and their variations. The study of the role of the priest in the production, implementation and acculturation of norms would certainly be essential here. Exploring the relationship between priesthood and education in this regard may prove and has already proven a significant contribution for our endeavour here. The same goes for the emergence of gender-specific pastoral care (see for example Tine van Osse­ laer’s analysis of difference in clerical attitude in male and female confessions8). Connell’s model certainly calls for such an historical analysis, particularly when she insists on gender relations as both historical products and producers of the history of gender itself. The relationship of the priests to lay, as individuals as well as as a group, is certainly of the utmost importance here since it pertains to the evolutions of both the sacred and the institutional. For instance, the category of complicity seems highly relevant for the analysis of the greater distance between sacerdotal and lay masculinities at the time of the Catholic Reformation. It can help better characterize what some historians have seen as step back from strictly patriarchal logics on the part of clergymen that encouraged the new religious agency of socially prominent women in the early modern era9. The category of hegemony also certainly turns the eye of the historian towards the issue of those men who – for a reason or another – could not perform hegemonic masculinity at a particular time in history. Historical enquiries of the clergy have conspicuously side-stepped the issue of sexual orientation for instance. Finally, Connell’s model also calls for a history of the interactions between institutions and gender. For her, the contradiction between the inequality that is inherent to the patriarchal structure on the one hand, and the universalizing aspirations of the modern state on the other, proves a powerful historical catalyst: the crisis it generates reconfigures men’s response to feminism. Here, indeed, Connell’s model can easily converse with historical studies, such as those that have shown how the Gregorian reform wrought a crisis of clerical masculinities or how clerics who adopted secular ideals of manliness after the same Gregorian reform faced tough challenges10. With her own approach of Connell, Michelle Armstrong-Partida has clearly shown how parish priests in Catalunya adopted hegemonic patterns of 8 T. Van Osselaer, The Pious Sex. Catholic Constructions of Masculinity and Feminity in Belgium, c. 1800-1940, Leuven, Leuven University Press, 2013. 9 B. Diefendorf, From Penitence to Charity. Pious Women and the Catholic Reformation in Paris, Oxford, Oxford University Press, 2004. 10 M. Miller, “Masculinity, Reform and Clerical Culture: Narratives of Episcopal Holiness in the Gregorian Era”, Church History, 72 (2003), p. 25-52 ; J. Murray, “Masculinizing Religious Life: Sexual Prowess, the Battle for Chastity and Monastic Identity”, in P. H. Cullum and K. J. Lewis (ed.), Holiness and Masculinitiy in the Middle Ages, Cardiff, University of Wales Press, 2004, p. 24-42; K. J. Lewis, “Male Saints and Devotional Masculinity in Late Medieval England”, Gender and History,

TowARDS A RELIGIouS hISToRy of GEnDER

masculinity, patterns that functioned better for them in the parochial setting than conformity to canon laws of celibacy did11. She has thereby provided a remarkable case study in the exploration of the complex relations between gender and institu­ tion, but also between institution and gender. She challenges scholarly accounts that make celibacy a normative trait of priestly masculinity by pointing out that widespread clerical concubinage cannot be interpreted merely as being the result of the difficult implementation of religious ideals but also that social as well as institutional logics worked towards greater acceptance of clerical concubinage before the critical time of the Reformation. Michelle Armstrong-Partida’s work certainly reminds us that a central issue for the historical analysis of sacerdotal masculinities is that of the relationship between lay and clerical masculinities, particularly sacerdotal masculinity. It also reminds us of how much Connell’s categorization enlightens this very issue. The many dynamics of a Christian religious system do not allow for too much diver­ gence between different types – hegemonic and non-hegemonic – of masculini­ ties. This may be less true for Catholicism than for other styles of Christianity where the boundaries of the clerical and the lay are either less clear, less profound, or less embedded in a sacral economy. Yet this has changed considerably over time, with no linear trend of evolution. These changes involved transformations of both wider conceptions and performances of masculinity, as well as of clerical and sacerdotal identities. One could see the clerical crisis of identity of the 20th century as a time where the tenets of hegemonic masculinity tend to stronger influence priestly performances of masculinity12. Yet at the same time this crisis may have led to a growth in the proportion of gay men among the clergy. The discrepancy in departures from the clergy in the 1970s along the lines of sexual orientation as well as the still strong dismissal of homosexuality among Catholic families, making the priesthood a religiously and socially more viable option for Catholic gay youth, certainly contributed to a growth in the number of gay men within the clergy13. It thereby also challenged the greater pervasiveness between sacerdotal and hegemonic masculinity that the 1970s crisis of Catholicism also brought about as can be seen in the case of workers priests, or missionaries. More recently, one could probably argue that it is the contemporary very publicity of sexual orientation and the inevitability of the category of sexual orientation (even for the lay public of clerical activities) that is prompting individual and collective strategies of distanciation from suspicions of homosexuality among the Catholic 24 (2012), p. 112-133; J. D. Thibodeaux (ed.), Negotiating Clerical Identities. Priests, Monks and Masculinity in the Middle Ages, New York, Palgrave McMillan, 2010. 11 M. Armstrong-Partida, Defiant Priests. Domestic Unions, Violence and Clerical Masculinty in Fourteenth Century Catalunya, Ithaca NY, Cornell University Press, 2017. 12 Y. Raizon du Cleuziou, “Devenir homme parmi les hommes. Révolution ascétique et redéfinition de la virilité sacerdotale au milieu du xxe siècle”, in M. Bréjon de Lavergnée and M. Della Sudda (ed.), Genre et christianisme…, op. cit., p. 257-285. 13 J. Tricou, “Refaire des « taupes » : gouverner le silence des prêtres homosexuels à l’heure du mariage gay”, Sociologie, 9 (2018), p. 131-150.

41

42

JEAn-PAScAL GAy

clergy. This may be one of the reasons for recent masculinist claims in contem­ porary Catholicism. The relationship of contemporary sacerdotal masculinities to hegemonic masculinity is not only complex, it is also contradictory and this contradiction has to do with the priesthood itself and its place in the Church both as community as well as institution. Mita Choudhury has shown that in early modern times the very same adversaries of the Jesuit could paint them both as effeminate as well as sexual predators14. At the time of the Reformation, protestant polemics specifically targeted this very issue of effeminacy in the Catholic clergy, thereby putting pressure on Catholic priests and Catholic authorities towards greater conformity between lay and clerical masculinities. Yet the newfound reli­ gious agency of women, the emergence of a new public of women for a specialized apostolate for some priests, as well as the greater insistence of the sacrality of the priesthood and the implementation of disciplinary norms certainly contributed to a greater distance between sacerdotal and lay, particularly lay and popular, masculinities. In the confessional era, the same type of contradiction already played out, but for very different reasons. While theorization of masculinities can certainly help us change previously established narratives in religious history, historical analysis, and particularly one that deals with such a central object for religious history as the priesthood, can also help refine our categories for analyzing masculinities themselves as well as the intersection between gender and religion. The first issue here is that of chronology or rather that of duration. Complicit Catholic masculinity, and particularly that of post-Tridentine clergymen, has been sketched out by historians of early modern times as one of self-control, particu­ larly one of sexual self-control. This type of complicit masculinity both echoes and supports the emergence of a model of royal and aristocratic masculinity. It fits well in the growing polarization of masculinities along social lines at a time when clerics became more socially distinct from their flock than they used to, because of the implementation of new cultural norms and because of their role in the mechanics of Sozialdisziplinierung. Complicity here certainly has to do with the relationship between Church and State in the confessionalization process, yet, in this, it can also appear as a specifically early modern categorization of patriarchy. Longue durée here is of great help. It is no surprise that medievalists have taken the lead in the study of sacerdotal masculinities, as Michelle Armstrong-Partida’s work bears witness to. The 2010 volume edited by Jennifer Thibodeaux15, certainly proved how much more attentive historians of the Middle Ages have been to the intersection of the sacred and of gender, and to how clerical identities were essential to the exploration of this intersection. This collection of essays points to the strength of the divergence between different ideals of masculinity, both within the Church as well within the world of men. Of particular relevance in this volume 14 M. Choudhury, The Wanton Jesuit and the Wayward Saint. A Tale of Sex, Religion and Politics in Eighteenth Century France, University Park (PA), Pennsylvania State University Press, 2015. 15 J. Thibodeaux (ed.), Negotiating Clerical Identities…, op. cit.

TowARDS A RELIGIouS hISToRy of GEnDER

are both Jennifer Thibodeaux’s introduction to the collection of essays as well as Derek Neal’s paper16. Neal follows in the footsteps of John Tosh’s famous 1994 essay arguing for the historical consideration of the multivalence of masculine identity17. Yet he also challenges Tosh’s perspective from the point of view of the medievalist. He shows how Tosh’s line of analysis actually strongly depends on a very modern construction of gender. He sketches the discrepancies between premodern (i.e. medieval and early modern) and modern conceptions of gender and sets out to describe the emergence of a dividing line between 1500 and 1700, one that modern conceptions of gender tend to ignore, and that of course also has much to do with the divergence in the social and political configurations of religion in premodern and modern Europe. What is surprising, is the relative impermeability of modern studies of reli­ gious masculinities to the framing of the issue by medievalists and to the very type of challenge that the study of premodern times brings about. This is particularly true of French speaking historiography despite its long tradition of attention to longue durée, particularly when it comes to religious history. The 2015 volume Genre et christianisme. Plaidoyers pour une histoire croisée brings together papers assembled on the occasion of one of the annual conferences of the French Associ­ ation for the History of Modern Religion, and is therefore quite unsurprisingly focused on the contemporary. Yet in all these papers, with the exception of non-French authors, one would be hard pressed to find more than a passing refer­ ence to medieval or early modern studies. There is certainly no acknowledgment whatsoever of the type of questions that Derek Neal brings to the discussion. In 2016, the issue that the Mélanges de l’Ecole Française de Rome (a key publication for French speaking religious history) dedicated to gender as a still new approach in religious history included papers covering every historical periods but did not raise the issue of how chronology challenges theorizations of gender18. Was it because – as the authors noted and regretted – the volume included no paper on masculinity or rather because it remained stuck in the casting of gender as a category and of religion as a field ? One could argue that exploring religious masculinities in the longue durée – and this could be particularly true of sacerdotal masculinity with both its connec­ tion to the sacred and the institutional – compels us, if not as to challenge, at least to question the notion of “hegemony” as a specifically modern characterization, as belonging to an intrinsically modern and western regime of masculinities. The connected notions of hegemony and subordination (one cannot come without

16 D. Neal, “What Can Historians Do with Clerical Masculinity? Lessons from Medieval Europe”, in ibid., p. 16-36. 17 J. Tosh, “What Should Historians Do with Masculinity? Reflections on Nineteenth-Century Britain”, History Workshop Journal, 38 (1994), p. 179-202. 18 See M. della Sudda and X. von Tippelskirch, “Introduction”, in Le genre une nouvelle approchee du fait religieux, in Mélanges de l’École Française de Rome, 2 (2016) [online]. URL : http:// journals.openedition.org/mefrim/2690.

43

44

JEAn-PAScAL GAy

the other) may prove both fruitful and problematic for the study of medieval and early modern times. Indeed, while studies of medieval masculinities have doc­ umented tensions and contradictions between lay and clerical ideals of masculini­ ties19, they have also shown that theses tensions cannot absolutely be thought of in terms of hierarchization and subordination. While the partition between two male genders in the medieval – masculinity and ‘emasculinity’20 – hardly seems to stand the historical test there is no denying also that the idea of subordination of clerical masculinities to lay masculinities cannot effectively account for the reality of premodern societies, particularly when one takes into account the issues of social status and particularly that of authority. The religious hegemony of priests renders the relationship of sacerdotal masculinity to a lay ‘hegemonic’ masculinity immediately complex and necessarily heterologous. It seems, for instance, quite difficult to characterize some models of early medieval monastic masculinities and their relationship to lay masculinities in terms of hegemony and subordination. Indeed, it does not mean that the categories of hierarchy and hegemony do not wield historical results. As Michelle Armstrong-Partida has shown in the case of the late medieval Catalan clergy, it is the very competition for status and authority that leads clergymen to incorporate violence in their gender identities. Yet, if one accepts, that hegemony may be a very contemporary characterization, one that is connected to modern regimes of both gender and religion, it also means that we ought to be wary of the use of Connell’s model without attention to chronology, and to the capacity of its categories to account for particular chronological sequences. The question thus becomes at the same time one of chronology, geography and sociography of gender. The increasing patriarchy of the 15th and 16th century, the frontiers of the extra-european world, the rural parishes of medieval and early modern Europe may prove more adequate grounds for a characterization in terms of hierarchy and subordination than other times, other areas, or other social environments in the premodern world. Indeed, too direct a translation of Connell’s category in historical terms may prove to carry to some extent a form of a colonization of the past by the present. Conversely, the insufficient awareness of the very contemporariness of Connell’s model – a by-product of either mischaracterization of or inattention to historiography – may have strong theoretical and analytical consequences. The issue seems all the more important as it also has strong connections to the question of ‘secularization’. One could think that the characterization of religious masculinities, and particularly sacerdotal masculinities, in terms of complicity and subordination has something to do with the growing disconnection between the religious and the social and with the chronology of this disconnection. Yet, as Michelle Armstrong-Partida’s research has shown, such categories may prove highly efficient for characterizing the evolution of religious masculinities in 19 D. M. Hadley, Masculinity in Medieval Europe, London, Longman, 1999. 20 R. N. Swanson, “Angel Incarnate. Clergy and Masculinity from Gregorian Reform to Reformation”, in ibid., p. 160-177.

TowARDS A RELIGIouS hISToRy of GEnDER

times and places that can hardly be regarded as ‘secular’. To put the question in excessively simple and blunt terms: how is Connell’s model tied to a specifically modern and ‘secular’ regime of masculinities? How can it be historicized and what are the means of such an historicization if it proves necessary? This may be one of the reasons why it is important along studies of other religious masculinities to specifically promote studies of sacerdotal masculinities, and to do so from an historical perspective. While past sacerdotal masculinities may prove more resistant to a categorization in Connell’s terms, this very resis­ tance also ought to be connected in relationship to her model. Dismissal of the characterization of religious masculinities in terms of complicity or hegemony also comes with strong apologetic overtones and may appear as attempts to pre­ serve an an-historical separatedness of the priesthood, as proposals to characterize clerical masculinities as “neutral” or “alternative” bear witness to21. Dismissal of hegemony helps make the study of masculinity less threatening in religious terms both by nuancing the connection between the Church and patriarchy, but also by smoothing the question of the difficult insertion of contemporary clerics in the world of men. It allows for instance to avoid the contemporary obvious and now explicit issue of the overrepresentation of men who are incapable of performing hegemonic masculinity within the clergy. The question that such a characterization avoids is that of the tensions that are at work between clerical masculinity, other religious masculinities, and non-religious masculinities in a ‘secular’ world, i.e. the very question that the Catholic church, as an institution, finds more and more difficult to avoid. How can one both acknowledge the need to truly historicize hegemony and subordination while avoiding such apologetic pitfalls? Again, attention to chronology, geography and sociography, certainly are strong safeguards. Yet, they do not provide the tools for such an historicization. It is certainly here than we need to come back to the many calls for exploring the intersection between the study of religion and gender. The historical study of clerical masculinities offers an ideal point of view for implementing such an agenda of analytical intersection, considering the centrality of the clergy in medieval Christianity and in early modern and modern Catholicisms and Protestantisms, both in institutional and religious terms. This also means that to do so we need to seriously account for the specific agency of religious dynamics. In his 2015 paper22, Yann Raison du Cleuziou ar­ gues that the evolution from an extra-worldly towards an intra-worldly spirituality greatly influenced the evolution of the masculine ideals of Catholic priests. To him, it may help explain the number of priests who chose to leave the priesthood and marry in the 1970s. One could argue that the issue of masculinity is actually somewhat superfluous in this line of reasoning since the shift in spirituality itself 21 P. Airiau, “Le prêtre catholique. Une virilité problématique et incertaine (1775-1914)”, in A. Corbin and G. Vigarello (ed.), Histoire de la virilité, Paris, Le Seuil, 2011, p. 241-254. 22 Y. Raizon du Cleuziou, “Devenir homme parmi les hommes…”, art. cit.

45

46

JEAn-PAScAL GAy

suffices to explain departures from the priesthood, of which, for heterosexual priests, marriage is as much consequence as it is cause. Yet, what Raison du Cleuziou rightly points to is how a change in spirituality and particularly in the spirituality of the priesthood may have influenced gender performances and conceptions. In early modern Catholicism changes in doctrine, spirituality and gender relations appear as strongly connected. The growing misogyny of the Reformation era, as well as the anxieties over masculinity in early modern catholic Europe have very specific religious overtones. They do not appear merely as a reaction to the newfound agency of socially prominent women, they also appear as a reaction to their religious agency. The activation – for instance in polemical discourse – of a certain type of hegemonic rhetoric about gender and specifically masculinity may have much to do with how the new social and gender norms of the confessional era challenge earlier ecclesiologies. The question here is not only that of whether and how Connell’s model truly allows for historical investigation of the intersection of gender and religion, but also that of the very methodology to explore this intersection. In many ways, the question raised so convincingly by Josephine Hoegarts of gender as an analytical category and of religion as a field, is also one of model as well as of vocabulary. One could argue that in order to have a better understanding of the intersection of religion and gender, we need to focus on what actually connects gender and religion. An example here would be the study of the connected dynamics of performance and intermittence23. Both, as affirmation and negation of fiction and reality, can offer insight on the connections between gender and religion and help us analyze situations of co-construction as well of conflict between the two. In this regard, our choice to focus on the highly performative figure of the priest, a man whose performance of his religious belief and status may both conflict with as well as reinforce performances of masculinity may be particularly welcome. The study of this very issue of the priesthood as a both religious and male performance may help us move towards a more religious history of gender, one that we may need as much as we do a more gendered history of religion.

23 A. Piette, Le fait religieux. Une théorie de la religion ordinaire, Paris, Economica, 2003.

PARTIE 1

Institution masculine, masculinités instituées

TOm BERVOETS 

La figure du prêtre et la supériorité du célibat sacerdotal dans l’œuvre d’Henricus Cuyckius, deuxième évêque de Ruremonde (1596-1609) *

L’une des caractéristiques principales de la prêtrise, aujourd’hui, est le célibat sacerdotal. Devenu une obligation au xiie siècle, le vœu de chasteté des ecclésias­ tiques a été réaffirmé par l’Église en 1563, durant une des dernières sessions du concile de Trente. Aux siècles suivants, le nombre d’infractions ne cessera de diminuer. Cependant, malgré ce maintien officiel, la première génération des évêques post-Tridentins devait régulièrement se battre contre des prêtres de leurs diocèses qui vivaient avec une femme et des enfants. C’était aussi le cas dans les Pays-Bas, où la lutte contre le libertinage ne se faisait pas seulement sur le terrain mais aussi dans des traités théoriques publiés par une poignée de théologiens et figures de proue de la Réforme catholique de la première heure. Parmi eux Henricus Cuyckius, deuxième évêque de Ruremonde entre 1596 et 1609. Il écrivit durant son épiscopat plusieurs traités dans lesquels il défendit avec ardeur l’abstinence comme mode de vie pour le clergé. Jusqu’à présent, les études sur la figure de Cuyckius et son œuvre sont rares. Cette contribution veut quelque peu combler cette lacune. Elle analyse le discours de l’évêque concernant le célibat sacerdotal et se focalise plus spécifiquement sur sa description du caractère (a)sexuel et de l’être masculin du prêtre ainsi que sur les avertissements donnés par l’évêque au sujet de la fréquentation du sexe féminin. Pour mieux aborder son œuvre il sera d’abord nécessaire de dire quelques mots sur l’auteur et sur le développement du célibat sacerdotal dans la période qui précède la publication des écrits.

Le célibat sacerdotal à la veille de la Réforme catholique L’Église chrétienne, à l’origine, ne connaît pas de célibat obligatoire. À mesure que l’Institution s’est intégrée de plus en plus dans la société romaine tardive,

* Je tiens à remercier Inès Glogowski pour le soutien en préparant cette contribution. Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 49-58. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131590

50

ToM BERvoETS

certains groupes ont commencé à s’isoler du reste du monde. Leur ascétisme s’est accompagné entre autres d’une abstinence sexuelle. Ce mode de vie a été ensuite institutionnalisé par les différents conciles régionaux organisés par l’Église aux siècles suivants1. Bien que le mariage des prêtres soit devenu clandestin, la majorité du clergé reste marié. En effet, cette abstinence n’est devenue une obliga­ tion qu’au xiie siècle avec le premier et le deuxième concile de Latran, lorsque la valeur sacramentelle des unions entre prêtres et femmes fut déclarée non valable2. À partir de ce moment, toutes les femmes mariées à un prêtre étaient considérées comme des concubines et leurs descendants étaient qualifiés de bâtards. Malgré cette décision le clergé a ignoré en masse le célibat et a continué à vivre « en famille ». Certains d’entre eux n’ont d’ailleurs pas hésité à « officialiser » cette relation face à leurs paroissiens, s’accommodant de l’amende qu’ils devaient payer annuellement pour cette infraction3. La question de l’abstinence fut à nouveau discutée au xvie siècle, le célibat sacerdotal étant un des principaux points critiqués au moment de la Réforme protestante. Au début, Luther n’était pas favo­ rable au mariage, qu’il considérait comme une chose impure, tolérée seulement pour éviter un péché plus grave. Il a changé d’idée par la suite et a lui-même donné le bon exemple en contractant un mariage avec Catherine De Bore, une ancienne sœur cistercienne4. D’autres grands ténors du protestantisme, comme par exemple Heinrich Zwingli, partageaient l’avis du réformateur allemand5. La critique n’était toutefois pas limitée aux protestants ; selon Erasme, lui-même fils d’un prêtre, le clergé devait avoir le droit de choisir entre le mariage et le célibat. Néanmoins, Érasme considérait la continence comme le bien suprême6. Il n’est pas étonnant que le vœu de chasteté ait constitué, avec le sacrement du mariage, un sujet important lors d’une des dernières sessions du concile de Trente (1545-1563). Le débat fut animé. Plusieurs participants argumentèrent qu’un maintien officiel ne correspondrait pas à la réalité. Parmi ces adversaires il y avait entre autres l’empereur Ferdinand Ier et le duc de Bavière. Ferdinand était convaincu qu’une légalisation du mariage clérical répondrait aux attentes

1 Sur l’Église et la sexualité en général lors de la période antérieure au concile de Trente, voir J. A. Brundage, Law, Sex and Christian Society in Medieval Europe, Chicago, University of Chicago Press, 1987. 2 J. Gaudemet, « Le célibat ecclésiastique : le droit et la pratique du xie au xiiie siècle », Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte. Kanonische Abteilung, 99 (1982), p. 1-31, ici p. 17. 3 Comme l’a bien démontré Michelle Armstrong-Partida pour la Catalogne médiévale tardive. Voir M. Armstrong-Partida, « Priestly Marriage: The Tradition of Clerical Concubinage in the Spanish Church », Viator, 40 (2009), p. 221-253. Voir aussi M. A. Kelleher, « Like Man and Wife: Clerics’ Concubines in the Diocese of Barcelona », Journal of Medieval History, 28 (2002), p. 349-360. 4 S. E. Buckwalter, Die Priesterehe in Flugschriften der frühen Reformation, Gütersloh, Gütersloher Verlagshaus, 1998, p. 60-61. Sur la controverse théologique autour de ce marriage, voir T. Fudge, « Incest and Lust in Luther’s Marriage: Theology and Morality in Reformation Polemics », Sixteenth Century Journal, 34 (2003), p. 319-345. 5 S. E. Buckwalter, Die Priesterehe in Flugschriften…, op.cit., p. 115. 6 Pour les points de vue d’Érasme sur le célibat sacerdotal, voir L. E. Halkin, « Érasme et le célibat sacerdotal », Revue d’Histoire et de Philosophie religieuses, 57 (1977), p. 497-511.

LA fIGuRE Du PRêTRE ET LA SuPéRIoRITé Du céLIBAT SAcERDoTAL

du clergé de son empire. Le délégué ducal prétendait qu’environ 95 % des prêtres bavarois vivaient avec une concubine. Guillaume, duc des duchés unis de Juliers– Clèves–Berg, présentait des chiffres similaires7. Pour les Pays-Bas, on dispose de chiffres montrant qu’au xvie siècle entre 45 et 60 % des prêtres se voyaient infliger une amende parce qu’ils transgressaient leur vœu de chasteté 8. Néanmoins, le céli­ bat sacerdotal est finalement réaffirmé par le concile et ensuite déclaré supérieur au mariage, un point de vue qui sera annoncé du haut de la chaire par plusieurs prédicateurs au fil des xviie et xviiie siècles9. Les décrets Tridentins sont intro­ duits dans les nombreux évêchés européens10. Pour la province ecclésiastique de Malines, cette réaffirmation est traitée au premier concile provincial organisé en 1570, où toute forme de conversation entre un prêtre et une femme, qui pourrait être suspecte, fut interdite. Les transgresseurs étaient punis, en première instance, par une amende. S’ils persistaient, ils risquaient une punition plus sévère, propor­ tionnelle à leur infraction11. Durant les premières décennies qui suivirent le concile, la Réforme catholique éprouva des difficultés à démarrer – entre autres à cause des gouvernements calvinistes installés dans les villes d’Anvers, Malines et Bruxelles à la fin des années 1570 et au début des années 1580 – et les décrets restèrent lettre morte. Par conséquent, les violations du vœu de chasteté conti­ nuèrent à être nombreuses. C’est dans ce contexte que l’on doit situer les traités d’Henricus Cuyckius, deuxième évêque de Ruremonde.

Un réformateur ardent et son œuvre Henricus Cuyckius naît à Culemborg (actuellement dans la province de Gueldre) en 1546. Étudiant à l’école latine d’Utrecht, où il est un des élèves instruits par le fameux humaniste Macropedius, il poursuit ensuite ses études d’humanité à Louvain. Admis à l’université de cette ville, il étudie la philosophie à la pédagogie du Lys. Une fois sa licence en Théologie obtenue en 1575, il enseigne

7 H. C. Lea, An Historical Sketch of Sacerdotal Celibacy in the Christian Church, Boston, Lippincott & Co., 1884, p. 531-536. Pour plus de détails sur la situation dans les Dûchés unis de JuliersClèves-Berg, voir aussi A. Flüchter, Der Zölibat zwischen Devianz und Norm. Kirchenpolitik und Gemeindealltag in den Herzogtümern Jülich und Berg im 16. und 17. Jahrhundert, Cologne, Böhlau Verlag, 2006. 8 Voir les chiffres donnés par A.-J. A Bijsterveld, Laverend tussen Kerk en wereld. De pastoors in Noord-Brabant, 1400-1570, Amsterdam, Dissertatie Vrije Universiteit, 1993, p. 342-362, et E. Lips, « De Brabantse geestelijkheid en de andere sekse. Een onderzoek naar celibaatschendingen bij de Brabantse parochiegeestelijkheid in de vijftiende en zestiende eeuw », Tijdschrift voor Geschiedenis, 102 (1989), p. 1-30 [p. 19]. 9 H. Storme, Die trouwen wil voorsichtelijk: predikanten en moralisten over de voorbereiding op het huwelijk in de Vlaamse bisdommen (17de-18de eeuw), Louvain, Leuven University Press, 1992, p. 68-79. 10 Pour les Pays-Bas méridionaux, voir F. Willocx, L’introduction des décrets du concile de Trente dans les Pays-Bas et dans la principauté de Liège, Louvain, Librairie universitaire, 1929. 11 P. F. X. de Ram, Synodicon Belgicum sive acta omnium ecclesiarum Belgii a celebrato concilio Tridentino usque ad concordatum anni, 1801, t. 1, Malines, 1828-1858, p. 118-119.

51

52

ToM BERvoETS

la dogmatique et puis les Écritures dans le cloître des chanoines réguliers de SaintMartin et à la célèbre abbaye SainteGertrude. Après quelques années, le brillant théologien est nommé professeur à l’université, où il est responsable du cours de philosophie morale. Promu doc­ teur en théologie en 1584, il commence sa carrière ecclésiastique comme censeur des productions littéraires et vicaire général de l’archevêché de Malines12. Il est aussi le dernier official du tribunal ecclésiastique qui siègeait à Louvain13. En 1589, il suc­ cède à l’illustre Michael Baius comme doyen du chapitre de Saint-Pierre et de­ vient chancelier de son Alma Mater. Après la mort de Jean Hauchin, deuxième arche­ Fig. 1. Henricus Cuyckius, deuxième vêque de Malines, il dirige le diocèse pen­ évêque de Ruremonde (1596-1609) dant une période de sept ans, jusqu’à la ©KU Leuven, Bibliothèque nomination de Matthias Hovius. Déjà ap­ universitaire, PA00025. pelé au siège épiscopal de Ruremonde en 1590 par le roi Philipe II, après le transfert de Wilhelmus Lindanus au diocèse de Gand, Cuyckius reçoit sa consécration des mains du nouvel archevêque, le 30 juillet 1596 dans la collégiale Saint-Pierre14 (Fig. 1). Érigée en 1559 lors de la réorganisation des évêchés dans les Pays-Bas espagnols, Ruremonde fait partie de la province ecclésiastique de Malines. C’était un diocèse assez modeste, qui à l’époque ne comptait qu’environ 150 paroisses et qui, à cause de sa position géographique près de la frontière avec les ProvincesUnies, était fortement influencé par le protestantisme. D’après Cuyckius, son pré­ décesseur Lindanus, à son arrivée, n’avait trouvé que six prêtres respectant leur vœu de chasteté15. De même en 1607, l’évêque anversois Jean Miraeus avouera 12 Bien qu’il puisse être considéré comme une des figures de proue de la Réforme Catholique de la première heure, une biographie complète de Cuyckius manque encore. Une brève notice biographique dans J.-J. Thonissen, « Cuyck, Henri van », in Biographie nationale, t. 5, Bruxelles, Bruylant, 1914-1920, p. 601-602, à compléter avec W. J. Pricke, « Levensbeschrijving van de veertien Roermondse bisschoppen », in Limburgs verleden. Geschiedenis van Nederlands Limburg tot 1815, t. 2, Maastricht, Limburgs geschied- en oudheidkundig genootschap, 1967, p. 603-607. 13 T. Bervoets, « Van ‘fantoomtribunaal’ tot volwaardige rechtbank. De moeizame totstandkoming van de Brabantse officialiteit in Brussel (1728-1762) », Pro Memorie. Bijdragen tot de rechtsgeschiedenis der Nederlanden, 15 (2013), p. 71. 14 Sur Lindanus, voir P. T. Van Beuningen, Wilhelmus Lindanus als inquisiteur en bisschop. Bijdrage tot zijn biografie 1525-1576, Assen, Van Gorcum, 1966. 15 H. Cuyckius, De ecclesiarum rectoribus, an recte dicant, praestare concubinarios quam nullos haberi pastores, exegetica tractatio, Louvain, Typis Ioannis Masii, 1601, f. 5: « qui quando ad hunc accesit Episcopatum, non nisi sex castos invenit ».

LA fIGuRE Du PRêTRE ET LA SuPéRIoRITé Du céLIBAT SAcERDoTAL

qu’il devait tolérer des curés vivant en concubinage et buvant de trop parce qu’au­ trement des prédicants du Nord s’approprieraient leurs paroisses16. L’épiscopat de Cuyckius est caractérisé par des tentatives enragées pour sortir son diocèse de l’impasse. Visites personnelles, développement de l’enseignement, fondation d’un séminaire en 1599 et politique pastorale rigoureuse devaient tendre vers cet objec­ tif17. Ses réformes sont couronnées de succès, surtout en ce qui concerne le clergé paroissial du diocèse. Dans sa lettre ad limina à Rome, en 1615, son successeur Jacobus a Castro écrit qu’il n’a plus connaissance de prêtres qui transgressent leur célibat18. Non seulement dans ses actes, mais aussi dans son œuvre considérable, l’évêque exprime l’esprit de la Réforme catholique. Il produit de nombreux écrits dans lesquels la défense de la doctrine catholique et les attaques contre l’hérésie du protestantisme sont les principaux thèmes. La plus connue de ses lettres est probablement celle dans laquelle il essaie de persuader le stadhouder Maurice de Nassau de se convertir au catholicisme19. Dans plusieurs de ses traités, il réagit sé­ vèrement contre des prêtres de son diocèse qui transgressent leur célibat. Selon lui, le célibat est l’allié inséparable de l’identité cléricale. Un prêtre doit être un modèle de chasteté. Ceux qui vivent en concubinage ternissent le caractère sacré de leur ministère. Il argumente que cette situation n’est pas appropriée pour admi­ nistrer les sacrements aux croyants. Le clergé se doit de résister aux tentatives de séduction des femmes. Par ailleurs, céder à ces tentations prêterait le flanc à la cri­ tique des protestants. C’est sur cette problématique qu’il publie au tournant du siècle son Speculum concubinariorum (Cologne, 1599 ; Louvain, 1601) et deux autres petits écrits (De concubinariis pastoribus et De ecclesiarum rectoribus, Lou­ vain, 1601)20. Auparavant il avait déjà fulminé contre les infractions du célibat, entre autres dans son traité contre Hendrik Boxhorn, un prêtre converti au protes­ tantisme qui s’était marié (Parænetica de Henrico Bochorinck desertore Catholicæ re­ ligionis, Anvers, 1595 ; Louvain, 1596)21. Son œuvre en général et ses traités en particulier peuvent être considérés comme un parfait exemple du catholicisme mi­ litant de cette période. D’une part, il défend avec ardeur les décisions prises par le

16 Cité dans P. Toebak, « Het kerkelijk-godsdienstige en culturele leven binnen het noordwestelijk deel van het hertogdom Brabant (1597-1609): een typering », Trajecta. Tijdschrift voor de geschiedenis van het katholiek leven in de Nederlanden, 1 (1992), p. 124-143, ici p. 127. 17 J.-J. Thonissen « Cuyck, Henri… », art. cit. ; W. J. Pricke, « Levensbeschrijving van de veertien Roermondse bisschoppen », art. cit., p. 603-607. 18 R. de La Haye et P. W. F. M. Hamans, Bisdom langs de Maas. Geschiedenis van de Kerk in Limburg, Maastricht, TIC, 2009, p. 230. 19 H. Cuyckius, Ad Mauritium Comitem Nassauium parænetica epistola, Louvain, apud Ioannem Masium,1601. 20 Id., Speculum concubinariorum, Louvain, apud Ioannem Masium, 1601 ; id., De concubinariis pastoribus nullius necessitatis praetextu in ministerio tolerandis, ad D. Georgium Eleutherium paraenetica epistola, Louvain, apud Ioannem Masium, 1601. 21 Id., Parænetica de Henrico Bochorinck desertore Catholicæ religionis, Anvers, apud Ioannem Keerbergium, 1595. Sur la figure de Boxhorn, voir C. Rahlenbeck, « Bochorinc (Henri) ou Boxhorn », in Biographie nationale, t. 1, Bruxelles, Bruylant, 1866, p. 548-551 et V. Soen et J. François, « A Protestant Polemist among the Alumni of the Leuven Faculty of Theology: Henricus

53

54

ToM BERvoETS

concile de Trente et les articles de la foi catholique contre la critique protestante. D’autre part, il tend à réaliser une réforme interne en soulignant l’importance du célibat sacerdotal et en avertissant le clergé au sujet de la fréquentation du sexe féminin. Avec sa défense catégorique de l’abstinence, Cuyckius marche sur les traces de son prédécesseur Lindanus, lui-même auteur d’un traité dans lequel il condamne des prêtres concubinaires et lance l’anathème sur le mariage de Luther et sur des mouvements chrétiens qui, dans le passé, avaient plaidé contre l’obliga­ tion du vœu de chasteté22.

Un homme pas comme les autres ? Le caractère (a)sexuel du prêtre Vaut-il mieux tolérer un prêtre qui transgresse le célibat ou ne pas avoir de prêtre du tout ? Cette question était une préoccupation au tournant du siècle, comme l’a déjà montré la remarque de l’évêque anversois Jean Miraeus. En argumentant que la chasteté est le bien suprême, Cuyckius s’est farouchement opposé à la position de ce dernier. Comment de tels prêtres seraient-ils capables de préserver la foi contre l’hérésie alors qu’ils la laissent entrer par leur compor­ tement23 ? Selon lui, ceux qui pensent qu’il vaut mieux pour l’Église avoir des prêtres concubinaires que pas de prêtre du tout, se trompent24. Un prêtre doit donc être capable de renoncer à toute forme de contact physique. Par son ordina­ tion il est obligé de s’occuper des œuvres pieuses, c’est-à-dire, l’administration des sacrements, la prédication de la foi, l’assistance aux pauvres, … Cette fonction fait de lui le médiateur principal entre Dieu et les croyants. Mais il ne peut jouer pleinement ce rôle de premier plan que s’il vit dans la pureté. Dans ce contexte, Cuyckius a également consacré quelques mots à la situation matrimoniale, qu’il considère comme inferieure à la continence. Selon lui, non seulement le mariage féminise l’homme, mais un tel engagement exige aussi du temps. Or, un prêtre doit consacrer ses jours à Dieu et au peuple croyant. Le célibat sacerdotal lui permet de ne pas partager son temps entre une femme et le Tout-Puissant25. Cuyckius se plaint de la situation des hommes qui sont sous l’influence d’une femme, il les décrit comme des captifs menottés et opprimés, un état qui fait scandale à Dieu et duquel ils veulent se libérer. Concernant le célibat sacerdotal, il se pose les questions suivantes : Comment des prêtres qui transgressent leur vœu de chasteté pourraient annoncer l’Evangile, comment pourraient-ils parler

22 23 24 25

Boxhornius during the Eighty Years War in the Low Countries », dans: M. Lamberigts et W. DE Pril, Louvain, Belgium, and Beyond. Studies in Religious History in Honour of Leo Kenis, Louvain, 2018, p. 39-52. W. Lindanus, De Apostolico Virginitatis Voto, Atque Evangelico Sacerdotum Caelibatu, Cologne, apud Maternum Cholinum, 1577, f. 1-4. H. Cuyckius, De concubinariis pastoribus…, op. cit., f. 2. Ibid., f. 9. Id., Speculum concubinariorum…, f. 41.

LA fIGuRE Du PRêTRE ET LA SuPéRIoRITé Du céLIBAT SAcERDoTAL

du mystère de la Rédemption ou prêcher la Vérité quand eux-mêmes pèchent gravement ? Comment pourraient-ils encourager le peuple à marcher sur les traces de Jésus Christ quand eux-mêmes ne donnent pas le bon exemple ? Dans ce contexte, Cuyckius s’est plusieurs fois référé à la parabole classique du Bon Berger. Les prêtres concubinaires sont comparés à de mauvais bergers qui laissent sortir le troupeau du droit chemin. Ils polluent l’autel de Dieu et, par leur comportement, abiment la réputation de l’Église26. Ceux qui ne respectent pas le célibat doivent d’abord être punis sévèrement par un carême au pain sec et à l’eau, porter la haire et le cilice et, en cas de besoin, se châtier eux-mêmes27. Une seconde chance est donnée aux prêtres qui se repentent sincèrement ; par contre, s’ils persévèrent ils doivent être privés de leur bénéfice. Cette punition proposée est plus ou moins identique à celle inscrite dans les décrets du concile de Trente. La critique de l’évêque ruremondais ne se limite pas seulement aux transgresseurs. Il lance régulièrement des piques aux protestants. Par exemple, lorsqu’il fait explicitement référence à la situation de la Hollande, Zélande, Frise, … où le clergé – selon lui – vit massivement en concubinage. Ces prêtres ne sont rien de moins que des séducteurs et des loups ayant pour seul but de souiller l’Église de l’intérieur28. Érasme, qui a plaidé pour un assouplissement du célibat sacerdotal se voit égale­ ment accusé d’hérésie29. Si on considère cette position, Cuyckius voit l’avenir de l’Église en noir. Par son point de vue sur le prêtre, vu comme un être asexuel, qui renonce à toute forme d’intimité physique, l’évêque s’inscrit visiblement dans les intentions du programme de la Réforme catholique, qui tendait à créer un modèle de prêtre que l’on peut peut-être mieux décrire, en utilisant l’expression élaborée par l’historiographie française, comme un « être séparé30 ».

La femme, source de méfiance et menace pour la continence Déjà dans son avis sur le mariage déjà, Cuyckius a fait preuve d’une grande méfiance vis-à-vis du sexe féminin. Cette vision misogyne est encore plus élaborée quand il parle de la figure de la concubine, et sa description des femmes en général ne laisse subsister aucune équivoque. Les femmes, selon l’évêque, sont une véritable source d’immoralité et un « trésor crasseux ». Il leur attribue plusieurs caractéristiques négatives. Elles sont par exemple décrites comme jalouses, immo­ rales, querelleuses et bruyantes. Elles sont aussi liées à la ruse, la coquetterie et 26 27 28 29 30

Voir par exemple id., De concubinariis pastoribus…, f. 3. Ibid., f. 7. Ibid., f. 5. Id., De ecclesiarum rectoribus…, f. 4. L’historiographie sur la transformation du clergé après le concile de Trente est considérable. Voir par exemple J. Quéniart, Les hommes, l’Église et Dieu dans la France du xviiie siècle, Paris, Hachette, 1978, et plus récemment S. Brunet, « Les prêtres de campagne de la France du xviie siècle : la grande mutation », Dix-septième siècle, 234 (2007), p. 49-82.

55

56

ToM BERvoETS

la flatterie, qualités qu’elles utilisent pour séduire les hommes et les précipiter dans le malheur31. En plus, elles sont comparées à des dragons, à des quadrupèdes monstrueux qui tournent autour du sexe masculin. En fait, dit-il, une femme n’est rien d’autre qu’un homme qui a été privé de ses sens. Les tentatives de séduction de ces « serpents déguisés » – une référence directe à l’histoire de la Chute – ont pour seul but d’attirer les hommes dans leurs filets32. Les femmes se maquillent, et avec leurs yeux brillants et leurs visages joyeux, elles allument le feu dans le corps de l’homme. Ce sont des instruments dociles par excellence utilisés par Satan qui veut mener l’humanité à sa perte et dont le clergé est la victime préférée33. Parlant des femmes, il n’est pas étonnant que l’évêque ruremondais ait surtout visé les concubines des prêtres34. Il les décrit comme oscillant entre la flatterie et l’impudence, elles envahissent, pour ainsi dire, la foi catholique et le saint ministère. C’est pour cette raison que Cuyckius exhorte le clergé à être très prudent au sujet de la fréquentation du sexe féminin. Ses membres doivent absolument éviter que leur comportement puisse soulever l’indignation et ainsi embarrasser l’Église. La plus grande menace, selon lui, vient des curés ou prêtres qui vivent avec une servante parce que cette situation donne inévitable­ ment prise aux clabaudages et aux insinuations. Si le peuple, donc, s’offusque de la présence d’une telle personne dans la maison pastorale, le prêtre doit la renvoyer pour étouffer les rumeurs publiques, même s’il n’a pas transgressé son vœu de célibat35. Cette fixation sur la figure de la servante n’était pas injustifiée. C’est elle qui entre en scène dans la majorité des infractions concernant le vœu de chasteté. Tout comme ses paroissiens, le clergé avait un ménage à gérer et beaucoup d’entre eux faisaient appel à une aide domestique. À cause des revenus modestes et de la mauvaise réputation de l’emploi, le clergé avait souvent un choix restreint au moment du recrutement. Par conséquent, il devait parfois se contenter d’une femme peu recommandable qui ne trouvait un poste nulle part ailleurs et qui ne satisfaisait pas au prétendu « âge canonique » de quarante ans imposé par l’Église dans de pareils cas36. Les paroles provocantes et misogynes de l’évêque ruremondais n’étaient pas un cas isolé37. En 1586, Mathias Bossemius avait déjà publié à Douai un livre intitulé De clericorum cum foeminis cohabitatione. L’écrit consistait en cinq sermons été prononcés à l’occasion de la graduation de six théologiens à l’Université de Douai. Tout comme Cuyckius, Bossemius

H. Cuyckius, Speculum concubinariorum, op. cit., f. 42-43. Ibid., f. 43. Ibid. Pour une étude récente sur les concubines des prêtres, voir S. Laqua-O’Donnell, Women and the Counter-Reformation in Early Modern Münster, Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 134-169. 35 H. Cuyckius, Speculum concubinariorum, f. 44 et f. 52-54. 36 S. Laqua-O’Donnell, « Concubinage and the Church in early Modern Münster », Past and Present, 55 (2006), p. 77-87. 37 Une analyse du discours contemporain sur les femmes dans les Pays-Bas méridionaux figure dans K. Rotsaert, Tussen Eva en Maria. De vrouw volgens predikanten van de 17de en 18de eeuw, Aartrijke, E. Decock, 1992. 31 32 33 34

LA fIGuRE Du PRêTRE ET LA SuPéRIoRITé Du céLIBAT SAcERDoTAL

a souligné, dans son apologie du célibat sacerdotal, la fonction exemplaire du clergé en réprimandant les prêtres qui vivaient avec une femme, une situation qu’il comparait au passage dans le Détroit de Messine où, selon la mythologie grecque, deux monstres – Scylla et Charybde – engloutissaient tous les marins qui y passaient. Non seulement par le contenu de son œuvre, mais aussi par son profil Bossemius offre une analogie avec Cuyckius : théologien formé à l’Université de Louvain, il a exercé une charge d’enseignement dans une institution ecclésiastique prestigieuse de la ville avant d’obtenir un professorat à l’Université de Douai, l’autre université des Pays-Bas méridionaux qui fonctionnait comme un bastion de la foi catholique38. Le ton misogyne de leurs discours convient à la culture chrétienne en général et à la politique de l’Église en particulier à cette période. Il suffit ici de se référer aux nombreuses persécutions de sorcières de la fin du xvie et du début du xviie siècle et aux sévères décrets tridentins concernant la clôture imposée aux ordres monastiques féminins39.

Conclusion Plusieurs historiens ont avancé l’idée que le clergé catholique pouvait être considéré comme un « troisième sexe40 ». Vue que les prêtres ont respecté de plus en plus leur vœu de chasteté au cours de l’époque moderne, ils ont commencé à se détacher des laïcs à qui ils administraient les sacrements. Cette description correspond jusqu’à un certain point aux idéaux que Cuyckius cherche à inculquer au clergé dans ses écrits. Pour lui, il n’y avait aucun doute que celui qui choisissait la prêtrise était obligé de vivre dans la pureté. Un prêtre doit être capable de résister au désir charnel pour réussir à dépasser les restrictions de son « être homme » et ainsi remplir son devoir d’intermédiaire entre Dieu et le peuple. En même temps on voit qu’il a situé la plus grande menace pour la continence cléricale à l’extérieur du corps du prêtre. Ce sont les femmes, qui sont à l’affût pour lui faire enfreindre son vœu de chasteté. L’évêque veut avertir ceux qui ont reçu une ordination. Les avertissements qu’il donne au clergé et surtout sa description négative et sans détour du sexe féminin étaient un trait caractéristique de l’époque. On peut néanmoins remarquer un certain paradoxe dans son œuvre. D’une part, il tend à la formation du clergé dans un

38 Sur la figure de Bossemius et son apologie, voir T. Bervoets, « Embodying the Catholic Reform. Mathias Bossemius and the Defence of Clerical Celibacy in his De clericorum cum foeminis cohabitatione (1586) », in A. Eusterschultze et H. Wälzholz (éd.), Anthropological Reformations – Anthropology in the Era of Reformation, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2015, p. 187-195. 39 R. P.-C. Hsia, The World of Catholic Renewal, 1540-1770, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p. 33. 40 Par exemple, A. Huovinen, « Zwischen Zölibat, Familie und Unzucht. Katholische Geistliche in Andalusien am Ende des Ancien Regime », L’Homme. Europäische Zeitschrift für feministische Geschichtswissenschaft, 9 (1998), p. 7-25.

57

58

ToM BERvoETS

« troisième sexe » mais d’autre part, pour y parvenir, les prêtres doivent faire preuve d’assez de dévouement et de persévérance, deux caractéristiques liées par excellence à la masculinité. Les idées de Cuyckius étaient sans doute influencées par les mauvaises expériences qu’il avait eues pendant les premières années de son épiscopat à Ruremonde. Par son apologie, il a voulu faire prendre conscience au clergé de son diocèse de l’importance du célibat sacerdotal dans la lutte contre le protestantisme, mais également dans la réussite de la Réforme catholique. Avec ses écrits, l’évêque marche sur les traces des autres « Lovanistes », qui avaient fortement défendu la supériorité du célibat sacerdotal41. Nous avons déjà mentionné ses collègues théologiens Lindanus et Bossemius, mais on peut y ajouter le célèbre juriste Petrus Peckius, qui avait déjà touché à la question dans son De continentia clericorum sive de concubinatu tollendo (Louvain, 1544)42. On sait que dans le clergé, le nombre d’infractions sur le célibat a diminué au cours des xviie et xviiie siècles, mis à part quelques exceptions43. Cette évolution a-t-elle été partiellement influencée par tous ces écrits qui glorifient la masculinité sacerdotale ? Ont-ils trouvé place aux bibliothèques des curés et des prêtres ou sont-ils restés pour la plupart des réflexions théoriques ? Cette question intrigante pourrait peut-être trouver une réponse grâce à l’étude des nombreux inventaires des biens laissés par des curés.

41 Dès avant le concile de Trente, les théologiens de Louvain ont conscience de la nécessité d’une réforme au sein du clergé. Voir G. Gielis, « Een pleidooi voor klerikale herbronning: Ruard Tapper (1487-1559) en zijn ideeën over kerkhervorming », in P. Knevel et V. Soen (ed.) Religie, hervorming en controverse in de zestiende-eeuwse Nederlanden, Herzogenrath, Shaker Publishing, 2014, p. 21-36. 42 P. Peckius, De continentia clericorum sive de concubinatu tollendo, Louvain, 1544. Sur Peckius voir la notice biographique de V. Brants, « Peck, Pierre », in Biographie nationale, t. 16, Bruxelles, 1901, p. 782-784. 43 Parmi les nombreuses études concernant les infractions du célibat au cours des xviie et xviiie siècles, voir M. Deniel-Ternant, Ecclésiastiques en débauche (1700-1790), Paris, 2017. Pour les Pays-Bas méridionaux, voir également G. Deregnaucourt, « Les déviances ecclésiastiques dans les anciens diocèses des Pays-Bas méridionaux aux xvie, xviie et xviiie siècles : répression, ecclésiologie et pastorale », in B. Garnot (éd.), Le clergé délinquant (xiiie-xviiie siècle), Dijon, Publications de l’Université de Bourgogne, 1995, p. 65-95, ainsi que le cas spécifique étudié dans T. Bervoets, « Het priestercelibaat in de achttiende eeuw. Een gevalsstudie uit het aartsbisdom Mechelen », Trajecta, 19-20 (2011), p. 319-336.

jEAn-pASCAL gAy 

A Theologian and his obsession with a binary gender order Masculinity, knowledge and conflicts over ministry in a seventeenth-century Jesuit province

This paper deals with a now little known Jesuit theologian but who was a cen­ tral figure of several scholarly scenes in the mid 17th century1. Father Theophile Raynaud who lived from around 1583 to 1663 was a very prolific writer (his entire works were published in a series of 21 in folios not including his lost manu­ scripts). He wrote from a theological point of view on all the intellectual issues of his time –he is quite famous for instance for his 1637 treatise on caesarean section which actually invented the term itself2. At the end of his life, he was celebrated in Europe as a “new Bellarmine” and his scholarly authority extended well beyond the field of theology itself. Yet, he is considered by the bibliographical and theological traditions as an odd baroque figure of little interest. The process of exclusion of Raynaud from the field of acceptable and valuable theology started in the generation that followed him, which certainly has to do with cultural evolutions regarding the place of theology in early modern French and European cultures. This makes him a rather relevant historical object: an evidence of change. Raynaud was inordinately troubled by gender issues and much more explicit on them than many theologians were. Even for a 17th century clergyman, he shows an uncommon degree of obsession with the idea of a binary gender order3. He advocated a strong separation between clerics and women, inspiring part of the 19th century pastoral tradition in this regard. He went as far as to call for distance between clerics and widows (be they young or old) in an implicit yet direct attack 1 On Raynaud, see J.-P. Gay, Le dernier théologien ? Théophile Raynaud (v. 1583-1663). Histoire d’une obsolescence, Paris, Beauchesne, 2018. This paper expands on what I have written there on Raynaud’s theology as evidence of conflict over the evolution of gender configurations in Early Modern Catholicism. 2 T. Raynaud, De ortu infantium contra naturam per sectione caesaream tractatio, Lyons, G. Boissat, 1637. 3 Several historians have noted his contribution to misogynistic discourse in 17th century France, see I. Maclean, Woman triumphant. Feminism in French Literature (1610-1652), Oxford, Clarendon Press, 1977, p. 44 and L. Timmermans, L’accès des femmes à la culture (1598-1715). Un débat d’idées de Saint François de Sales à la Marquise de Lambert, Paris, Honoré Champion, 1993, p. 482. Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 59-70. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131591

60

JEAn-PAScAL GAy

on many central figures of early modern reformed Catholicism (with the obvious example of François de Sales and Jeanne de Chantal coming to mind)4. He wrote a treatise regarding eunuchs and hermaphrodites that directly challenged less binary medical and philosophical accounts of intersex variations5. This came at a time of strong anxieties in France over masculinity6 but also of interrogation about clerical masculinity in wider a context of change in gender relations. What I would like to do here is explore this theological obsession and understand what it shows about the intersection of religion and gender at this particular time and in Raynaud’s cultural and religious context. I will do so by turning (1) to his stance on gender relations (2) to his stance on masculinity and finally (3) to how theses stances connect with religious and cultural evolutions in 17th century French Catholicism.

Raynaud, Jesuit ministry to women and gender relations Regarding gender, and the intersections between religion and gender, Ray­ naud has already attracted some scholarly attention. He wrote a quite famous treatise regarding the need for clerics to keep away from women. His 1653 De sobria alterius sexus frequentatione has been noted as a major attempt to put in the­ ological words the new strain of misogyny that emerged in early modern Catholic Europe in the early 17th century. In his call for restraining relations between clerics and women, Raynaud had gone further than many of his contemporaries. He had gone far enough for a few bibliographers to mention his peculiar strictness in this regard. Pierre Bayle for instance remarked that while Raynaud’s age could have made him impervious to suspicions of impropriety, he had throughout his life limited interactions with the other sex to “cases of necessity”. Bayle claimed that the type of estrangement from women Raynaud had practiced and had advocated was a form of moral statement that “is not ordinarily to the taste of directors of conscience who appear little bored with their dévotes if one considers the duration and frequency of their conversations7”. Raynaud misogynistic argument is, in many regards rather ordinary: women are the favored instrument of the demon to lead humankind into spiritual ruin

4 See his Dissertatio de sobria alterius sexus frequentatione per sacros et religiosos homines, Lyons, M. Duhan, 1653, p. 181. 5 Eunuchi, nati, facti, mystici, ex sacra et humana literatura illustrati. Zacharias Pasqualigus puerorum emasculator ob musicam quod loco habendus responsio, Dijon, P. Chavance, 1655. The first edition was anonymous but the book was reprinted in his complete works. The text was most likely written during Raynaud’s tenure as professor of Scriptures at the Collegio Romano, at the beginning of the 1650s. 6 See K. P. Long (ed.), High Anxiety. Masculinity in Crisis in Early Modern France, Kirksville, Truman State University Press, 2002. 7 P. Bayle, Dictionnaire historique et critique, vol. 3, c. 1544 in the 1702 Rotterdam edition, “Raynaud”, note C.

A ThEoLoGIAn AnD hIS oBSESSIon wITh A BInARy GEnDER oRDER

(though he goes further by trying to prove how this is actually an issue of natural theology). Women are deficient human beings – though again he goes further than most by arguing that since sexual pleasure is no real pleasure but rather the produce of fantasy itself, even the power of women to attract men does not come from any perfection on their part. One of the main characteristics of his misogyny is that Raynaud turns arguments taken from other scholarly traditions (elaborated for instance from within the “querelle des femmes” with obvious references to Tiraqueau or Lambert) into theological arguments, finding for them a theological genealogy. Bayle is certainly right in connecting Raynaud’s stance with discussions over the legitimacy and forms of Jesuit ministry to women and particularly to the new religious female leaders whose religious agency was fostered by cultural and social changes in early 17th century France8. The Jesuits from Raynaud’s own Province of Lyons had gotten much more involved in ministering to female communities such as Jeanne Chézard de Matel’s Sœurs du Verbe Incarné or the Dames de la Miséricorde in Grenoble. A key contemporary and rival of Raynaud’s in his province, Joseph Gibalin, himself a follower and even disciple of Jeanne de Matel, acted as one of the key defenders of the female religious communities in the 1640s campaign they kept leading against enclosure. He wrote an authoritative theological and canonical treatise de clausura where he defended the right of some communities of noblewomen to be exempt from enclosure9. The issue of ministry to female religious communities looms large over Ray­ naud’s work as a theologian as well as over his life and career within his province. Many of his texts display his restlessness towards the new religious agency of women. While in Grenoble, in 1646-1647, he wrote one of his most celebrated works, one that he also considered himself as most significant, his Heteroclita spiritualia10. In the Heteroclita, Raynaud offers a sort of encyclopedia of devotions aimed at pruning what he deems illegitimate and spurious religious ‘imaginations’. Many examples of overzealousness that Raynaud pegs as superstitions are actually taken from the devotional warehouses of the dévots and dévotes, and Raynaud never fails to notice that they have strong feminine overtones. Raynaud’s opposi­ tion to the dévotes and those Jesuits he sees as their enablers certainly proved

8 On the newfound agency of such women see B. Diefendorf, From Penitence to Charity. Pious Women and the Catholic Reformation in Paris, Oxford, Oxford University Press, 2004. 9 J. de Gibalin, Disquisitiones Canonicæ de Clausura Regulari, Lyons, P. Prost, P. Borde, L. Arnaud, 1648. On Matel and her congregation, see L. Cristiani, Une Grande mystique lyonnaise : Jeanne de Matel, fondatrice de l’Ordre du Verbe Incarné et du Saint-Sacrement, 1596-1670, Lyons, Emmanuel Vitte, 1947; and M. C. Underbrink, Le « Traité des quatre mariages » de Jeanne Chézard de Matel (1596-1670). Vers une spiritualité de l’Incarnation, PhD Thesis, Université Lyon 3, 2011 [online]. URL: http://theses.univ-lyon3.fr/documents/lyon3/2011/underbrink_m/. 10 A first version was published while Raynaud lived in Grenoble (Heteroclita spiritualia et anomalia pietatis cœlestium, terrestrium et infernorum, [Grenoble, Cl. Bureau, 1646]); it was republished in Lyons in 1654 and then expanded into the 15th and 16th volume of the 1665 edition of his complete works (Lyons, Boissat).

61

62

JEAn-PAScAL GAy

essential in making him a controversial figure in his province. There is no doubt that many of his critics and adversaries within the Province (such as Paul de Barry11 and Gibalin), including many of his superiors, were promoters of ministry towards women and that this issue was central in their perception of Raynaud. Those type of Jesuits, Raynauld insultingly describes as men who “caress the Berthas”. It is also quite obvious that his Dissertatio de sobria alterius sexus frequen­ tatione is written in order to address the ministry to women in his province.

Raynaud, masculinity and Catholic confessional culture Yet, in his work, the question of relationship between men and women is never one that has to do merely with the relationships between men and women. The fear of effeminacy pervades his discourse. It is at the heart of his De Pileo (where he condemns the use of wigs by clergymen)12. In the Dissertatio de sobria alterius sexus frequentatione, he explicitly sketches contacts between women and clerics as a direct threat to the type of masculine performance that is specifically required from them by the religious nature of the priesthood. The priests, he argues for instance, are warriors of God, and they should abide by the strict law that made the Roman army the strongest in history, i.e. the exclusion of women from military camps, a tradition that had been upheld by every major figure in Roman military history13. Yet nowhere is the theme of effeminacy, and particularly of clerical effeminacy, more explicit and elaborated in theological terms than in Raynaud’s dissertation De Eunuchismo14. The treatise appears as a polemical impugnation of moral theologians who justified castration for liturgical purposes, such as the Italian Theatine Zaccharia Pasqualigo, whom Raynaud calls a ‘castrator of children’. The Jesuit theologian sees such legitimization of a cruel and barbaric practice as the result of the confessional confrontation with Protestantism. The legitimate defense of castratio mystica against Protestant dismissal of celibacy, would have led some theologians to go astray and accept some form of physical castration15.

11 On De Barry’s relations with female congregations, see H. Keller-Lapp, “Devenir des Jésuitesses : les missionnaires ursulines du monde atlantique”, Histoire et missions chrétiennes, 16 (2010), p. 19-51. 12 T. Raynaud, Tractatus de Pileo cœterisque capitis tegminibus tam sacris quam profanis, Lyons, J. Champion, Chr. Fourmy, 1645. 13 “Abhorret igitur a castrorum præsentia sexus fœmineus. Quo D. August[inus] refert quod Venus Vulcani coniux cum Marte bellorum præside adulterata diceretur : ad significandum, incongruam esse belligerantibus Venerem, et ab eis alienam ; æque ac incongruit adultero, et ab eo aliena uxor alterius. Arcebantur ergo veteri instituto a castris omnes mulieres. Idque institutum Aristoteles commendat, eo quod non possit confusio et perturbatio deesse, ubi adsunt mulieres : præter enervationem et effœminationem quam inserunt viris” id., Dissertatio…, op. cit., p. 152-153. 14 Eunuchi, nati, facti, mystici…, op. cit. 15 On the Catholic discussion of eunuchism, see also Brendan Röder’s contribution to the present volume.

A ThEoLoGIAn AnD hIS oBSESSIon wITh A BInARy GEnDER oRDER

Yet, there is also a specific and wider scholarly side to this discussion. The disputatio with Pasqualigo comes at a time of significant amplification of discourse over eunuchism and hermaphroditism, in the connected fields of medicine, phi­ losophy, as well as law. After such texts as those of Marcello Francolini (1605)16, Jacques Duval (1612)17, Samuel Smith (1632)18, the discussion picked up pace in the 1650s with the 1653 publication of Inchofer’s De eunuchismo19, and the dissertations of Francisco de Amaya (1656)20 and Caspar Loescher21. There is particular attention to this issue in France particularly in connection with ‘liberti­ nage’: the 1662 publication of La Mothe Le Vayer’s works included a letter on eunuchism22; in 1654 La Fontaine wrote his own version of Terence’s L’Eunuque23. Raynaud’s dissertation therefore appears as much more than just a disputation within the field of theology, it is also an attempt at affirming the value of theology itself in scholarly discussions. The fact that two Jesuits who were often critical of some contemporary evolutions of their order, such as Raynaud and Inchofer, felt necessary to address this issue, should also probably alert to a specifically Jesuit background to this discussion. The aim of Raynaud’s own treatise is to argue for the scarcity of true androg­ yny and for the fact that any trouble in gender boundaries cannot be accounted for as an effect of the will of God. To better understand this statement, we also need to recall why this scholarly discussion regarding the related but distinct issues of eunuchism and hermaphroditism may have been so vibrant. Castration remained in 17th century France a therapeutic practice, particularly as a possible preventive treatment against hernia or as an answer to some forms of venereal diseases24. Furthermore, 17th century science, and even canon law, insisted on the very reality of hermaphroditism (giving the authority to ascribe gender usually to the physicians), and even on the possibility of a woman turning into a man 16 M. Francolini, De matrimonio Spadonis utroque testiculo carentis disputatio, Venice, D. Zenario, 1605. 17 J. Duval, Des Hermaphrodites, accouchemens des femmes et traitement qui est requis pour les relever en santé et bien élever leurs enfans, Rouen, D. Gevefroy, 1612. On this text, See K. P. Long, “Jacques Duval on Hermaphrodites”, in K. P. Long (ed.), High Anxiety…, p. 107-138. 18 S. Smith, The Ethiopian Eunuchs Conversion or the Summe of Thirtie Sermons Upon Part of the Eight Chapter of the Acts, London, Th. Harper, 1632. 19 M. Inchofer, “De eunuchismo dissertatio ad clarissimum virum Leonem Allatium”, in Leonis Allatii, Symmikta sive opusculorum Græcorum et Latinorum vetustiorum ac recentiorum libri duo, Cologne, I. Kalcovium, 1653, p. 394-413. 20 F. de Amaya, Eunuchus sive in Flavii Julii Constantii imp. aug. rescriptum quod extat in l. Eunuchis v. c. qui testamenta facere possunt Commentarius, Salamanca, A. Ramirez, 1625, p. 608-620 [republished in his Opera Iuridica seu Commentarii in Tres Posteriores Libros Codicis Imp. Iustiniani, necnon Observationes Iuris nunc noviter additæ, Lyons, A. Borde, 1667]. 21 C. Löscher, De Eunuchis dissertatio, Leipzig, J. Wittigau, 1666. 22 F. de La Mothe Levayer, Œuvres, letter CXII, “Des Eunuques”, in the extended 1662 edition (Paris, A. Courbé, 1662), p. 913-918. 23 J. de la Fontaine, L’Eunuque. Comédie, Paris, A. Courbé, 1654. 24 See K. Crawford, Eunuchs and Castrati. Disability and Normativity in Early Modern Europe, Abingdon, Routledge, 2019, p. 31-36.

63

64

JEAn-PAScAL GAy

from an outburst of heat25. These beliefs affected individuals, occasionally in the context of religious orders, particularly when an individual was deemed or claimed to have been assigned a wrong gender at a certain moment in their life. Raynaud’s, as other treatises, discussed some famous cases of instances of hermaphroditism. It is against the backdrops of medical discourse on hermaphroditism and of legal discourse on eunuchism that Raynaud writes. He does indeed acknowl­ edge the physical spectrum of sex. His typology of eunuchs includes the ‘born eunuch’, who were born without the proper attribute of either sex or who due to their humoral constitution do not seem to appear to belong to the sex that is actually their own. Yet he is not only, or mainly concerned with actual cases of intersexuality, but also with eunuchism as a result of human activity and also as a spiritual category (with the necessity to explain the verse about ‘eunuchs for the kingdom’ in Matthew 9). With the exception of true spiritual eunuchism (i.e. clerical celibacy), Raynaud paints any sort of eunuchism as a form of deficient masculinity. To him all these deficient masculinities come with a strong affinity to female character. The eunuch – in particular – shares with women a softness (mollitia) that makes him incapable of perseverance in virtue. He is inapt to war as well as to government. As women, eunuchs show a propension to heresy (as the story of Arianism would show). For these reasons, except in legitimate cases (such as disease), castration is detestable26. Furthermore, Raynaud explicitly states that castration creates a third gender in the world were God only created two. Castration goes against both divine and natural law. While acknowledging and accepting medical discourse on eunuchism, Raynaud’s treatise appears as an attempt to make sense theologically of the latter and fight its possible doctrinal consequences that go way beyond the mere question of castration for liturgical purposes. This seems to have little connection to the clergy at first, except of course for the reiteration of the Church prohibition for the ordination of eunuchs and hermaphrodites. Yet Raynaud made a further connection. While he of course defended celibacy as “eunuchism for the kingdom”, he also discerned other cat­ egories of spiritual eunuchism that he felt were worthy of reprobation27: such as celibacy imposed by parents on their children (something that according to Raynaud happens daily), that of men who chose the clerical status for other reasons than the search for the Kingdom of God, that of men who do so in order to escape having to perform marital duties (a possible rare allusion to homosexuality within the clergy). Finally among those reproved forms of spiritual

25 G. K. Paster, “Unbearable Coldness of Female Being: Women’s Imperfection and the Humoral Economy”, English Literary Renaissance, 28 (1998), p. 416-440 ; M. E. Wiesner, Women and Gender in Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 32-34. 26 Eunichi, nati, facti, mystici…, op. cit., cap. 5 : Sigillatim de malitia Eunuchismi, ultro suscepti in variis eventibus, extra medicina necessitatem. 27 Ibid., cap. 6 : De morali bonitate et malitia Eunuchismi spiritualis.

A ThEoLoGIAn AnD hIS oBSESSIon wITh A BInARy GEnDER oRDER

eunuchism, Raynaud mentioned men who turned to clerical celibacy to, quote, “seduce and entertain their vain glory”. At the end of the spectrum is the spiritual eunuch that Raynaud calls analogous28, a clergyman who has voluntarily put aside his own masculinity, by embracing spiritual infertility. Here Raynaud innovates with regard to his predecessors and to the theological tradition. The traditional defect of virtue and virility of eunuchs or hermaphrodites becomes a figure of inaction, refusal to edify, and pastoral sterility. The analogous eunuch is a Jesuit in reverse: he lacks every quality a Jesuit should have. Yet, in turn, these qualities become not only that of a Jesuit but are tightly bound by Raynaud to maleness. In the context of Raynaud’s other works and of his relations to other Jesuits in his provinces, there is but little doubt as to whom the invention of the category of the “analogous eunuchs” aims at criticizing: those very Jesuits who minister to women and against whom Raynaud argues for a strong separation between women and clergymen. What Raynaud worries about but also points to is not only a change in gender relations in early modern Catholicism but actually a change in gender definitions. It is also quite clear that Raynaud’s theological stance on eunuchism and hermaphroditism is an assessment of the masculinity of his colleagues whose familiarity with women has excluded them from the world of men. I would argue that this assessment – polemical as it is – makes the evolution of French clerical masculinities visible.

Raynaud : masculinity and religious and cultural change How can we account for such an assessment? And what does it have to tell us about the intersection between gender and religion at this particular moment of the Catholic reformation, and in the particular context of French Catholicism. A possible way to explore these issues would be to turn to Raynaud’s own masculinity and relationship to women. In his autobiography29, very few women appear. Yet two do at the darkest moment in Raynaud’s own life narrative. In 1641, he was imprisoned in Avignon. He had come under suspicion of being in league with political enemies of Richelieu. After having taken refuge in Avignon, he was abandoned by his local superior and French political envoys managed to convince the vice legate, Federico Sforza, to have him imprisoned. This six months stint in jail actually proved a major turn in Raynaud’s career. Sforza’s own enquiry as well as Raynaud’s own connection to the Barberini cultural network led the vice-legate to change his opinion regarding the theologian: he made him his confessor and theological advisor; he also managed to get Raynaud a position in the Collegio

28 Ibid., p. 196-197. 29 Amedei Sallyi Hetæriani speciminum divinæ erga se providentiæ, visitantis nocte et igne examinantis in camino paupertatis, historia anecdotos, Paris, Bibliothèque nationale de France, coll. Baluze, ms. 28, f. 10-91 [a copy can be found in Rome, Archivum Romanum Societatis Iesu, Vitæ 136].

65

66

JEAn-PAScAL GAy

Romano. After this turn of fortune, Raynaud became a prominent theological figure. His superiors in the province could no longer prevent him from publishing most of his works – as they had tried to do before – and rather decided to endorse from then on. In his account of this decisive moment of imprisonment, Raynaud mentions two quite archetypical women: one is a prostitute sent to him by guards trying to lead him astray but that he managed to turn away from her bad purpose; the other one is an unnamed Carmelite to whose prayer, Raynaud attributes his own triumphant turnabout and his perseverance in this trial (she had sent him a note to let him know that his imprisonment had been allowed by God for his own perfection). In these episodes, his masculinity does not conflict with his celibacy quite to the contrary. Nor does it conflict with his own theological assessment of gender and gender relations which seems to shape as much his life narrative as it is shaped by it. To best answer these questions, one needs to return to what troubles Raynaud most in the relationship between women and clerics. He is always restless when confronted with the possibility of women having authority over men. For this very reason, he was for instance very critical of the order of Fontevraud. In his De sobria alterius sexu frequetatione, Raynaud painted Fontevraud’s founder, Robert d’Arbrisssel, as an example of disordered relationships between clerics and devout women30. He presented Fontevraud’s exception of having women rule over men, as a mere tolerance31. Even when political pressure – the abbess of Fontevraud was after all the daughter of Henri IV – made him soften his stance, he did so by trying to find distinctions that allowed for limited acknowledgment of the authority of the abbess over the male community within the order32. By asserting that the friars are not a true monastic community in itself, he escapes the conundrum that the case of Fontevraud put him in. At Fontevraud, obedience to legal female authority does not means subjection and domination, whereby effeminacy would surely ensure, something the Church would not have allowed. Obedience of men to women at Fontevraud is therefore recast as more heroic and more virile: it is an ascetic choice made by rational men who accept a form of obedience that goes counter to the natural relationship between the sexes. He compares this obedience to that of Christ who placed himself through circumcision under the rule of a Law that had no authority over Him33. The question of gender is never only one of gender for him but also one of power. It is also specifically one of knowledge. In the De sobria alterius sexu frequentatione, Raynaud condemns directors who encourage women to read scrip­

30 31 32 33

Dissertatio…, op. cit., p. 131-132. Disssertatio…, op. cit., p. 297. See his 1657 Trias fortium David, Lyons, J. Canier. Trias fortium David…, op. cit., p. 105-108.

A ThEoLoGIAn AnD hIS oBSESSIon wITh A BInARy GEnDER oRDER

ture and discuss religious issues34. Knowledgeable women, he argues, have greater tendencies to voluptuousness35. In them knowledge is not checked as it is for men by constancy, integrity, modesty, and prudence36. Women therefore should never be able to hold teaching positions, except for a public of children, and to a lesser extent, other women. With a particular aim at the contemporary situation he witnesses, Raynaud argues that restrictions of female teaching ought to be particularly strenuous in urban settings. In his disputation on eunuchism, when he portrays the analogous effeminate eunuch who is a figure of the Jesuits from his province who minister to women religious communities, he adds another dimension to this portrait. The analogous eunuch is also dispossessed of the knowledge that ought to be his: he has submitted himself to the theological authority of the ‘theologastra’. And here again we return to the issue of ministry to women and its downsides. By ministering to empowered women, as those from the new French urban elites, other Jesuits do not only weaken the right social order of the Church, they also endanger its right doctrinal order and, by so doing, put their very own masculinity in danger. The theologastra does not come alone, the devirilized cleric is a by-product of her existence, of her authority over clerics; one would say, of her very agency. In the Heteroclita, Raynaud keeps returning to this issue of the authority of women over theologians themselves. Raynaud picks up on Martín Delrío already strongly gendered account of the downfall of the Peruvian Dominican Francisco de la Cruz under the influence of María Pizarro37. Raynaud builds on this case to further generalize on the relationship between director and directed and describes how theologians can happen to renounce their position as theologians in spiritual conversations with women mystics38. Speaking of a specific new form of devotion he objected to, he denounced it “a new practice of some Bertha, a mistress of theologians”. His censors noted that here he was speaking ironically39. In his

34 Disssertatio…, op. cit., § In captantes mulierum familiaritatem, ut doceant, vel doceantur sacras literas, p. 451-470. 35 Ibid., p. 489. 36 “Considerat itaque Gerso mulierem destitui dotibus disseminatorem prædicationis Evangelicæ decentibus, nimirum constantia, prudentia, pudicitia, integritate etiam respectiva ; id est, ita ut non modo niteat ipsa, sed etiam nemini illex sit ad turpitudinem : quæ omnia fere deficiunt mulieres. Nam constantia, qua prædicator nec frangitur adversis, nec effertur applausibus, raro cadit in vasculum adeo infirmum, et variam semper atque mutabilem personam. Prudentiam fere exulare a sexu fœmineo, agnovit Aristoteles ; nec multum abesse a pueris, Comicus pronunciavit. Illicium vero libidinis semper a fœmina esse timendum, sic ibi conficit Gerso […] Merito igitur submotæ, sunt a publica Ecclesiastica doctrina mulieres, de lege (ut sic dicam,) communi : præter quam fuit, quod aliquando ex speciali privilegio, Spiritus sanctus apud quem non est mas neque fœmina, aliquas mulieres ad evangelizandum assumpsit, ut Magdalenam et Martham, ac Christianam”, (ibid., p. 463-464). 37 Isabelle Poutrin has noted the difference between Delrío’s account and the earlier account by Acosta. See I. Poutrin, Le voile et la plume. Autobiographie et sainteté féminine dans l’Espagne moderne, Madrid, Casa de Velázquez, 1995, p. 59-60. 38 Heteroclita spiritualia…, op. cit., p. 242-243. 39 Archivum Romanum Societatis Iesu, FG 665 I-II Censuræ Librorum 1619-1654 602b.

67

68

JEAn-PAScAL GAy

answer to their censure40, Raynaud answered he absolutely did not: this title of ‘mistress of theologians’, he insisted, was certainly ridiculous but certainly not ironical. To Raynaud –regretfully, the ‘mistress of theologians’ exists: this is the very reality he feels he has been confronted with in his province, and he makes a point of denouncing it as a reality. In the Dissertatio de sobria alterius sexus frequentatione, Raynaud list the cases of knowledgeable directors who have been led astray by their directed. Much more clearly than in the earlier Heteroclita, the issue appears as a systemic one, one that recurs regularly in the history of the Church. Yet, in this list, Raynaud starts the discussion with a case that would speak most to Jesuits, that of the famous former Jesuit Guillaume Postel and of Mother Zuana41. One of the explicit failures of Postel, that Raynaud points out, is his incapacity to check his own infatuation not only with Zuana and her mysticism but specifically with her doctrines. To Raynaud, only a right order of knowledge can preserve the legitimate religious order, which includes and requires a legitimate gender order. Raynaud is not the only one worried with the newfound religious agency of women and their authority over men. Yet, he is specifically worried with the connection of this newfound agency with a demise of the status of theology as knowledge, and as normative knowledge both within the Society and within the Church. It is difficult here not to connect this assessment of the situation of early modern French Catholicism with the cultural and religious evolutions that dispossess theologians from their professional monopoly by making the public an arbitrator of theological disputes, a public that has a strong female element42. Raynaud’s anx­ ieties are not only about what becomes of masculinity, or about the difficulty for clerics to affirm their being part of the world of men, or to a form of ‘queering’ of the clerical world by mysticism and connection with prominent and authoritative women; it also has to do very much with the connected evolutions of culture that structure the regime of ecclesiality43 that he knew.

40 Published in the pseudonymous final volume of his complete works, Apopompæus, Krakow [= Lyons], 1669, p. 253-255. 41 Dissertatio, p. 31-32. 42 On this see J.-P. Gay, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle, Paris, Cerf, 2011. 43 On ‘regimes of ecclesiality’ see my “Lettres de controverse. Religion, publication et espace public en France au xviie siècle”, Annales. Histoire, Sciences sociales, 68 (2013), p. 7-41.

A ThEoLoGIAn AnD hIS oBSESSIon wITh A BInARy GEnDER oRDER

Conclusion Raynaud’s work cannot be described merely as a pure byproduct of the growing misogyny of the Reformation era, nor as the simple expression of the anxieties over masculinity in early modern Catholic Europe. The issue of gender relations has for him very specific religious overtones. He is particularly wary of the pastoral interactions of his fellow Jesuits with socially prominent and cultur­ ally proficient women. Not only do these groups of dévots and dévotes promote a type of mysticism and spirituality that conflicts with his own understanding of the ideals of Catholic reformation, he also sees this as a challenge to the right order of knowledge, as the newfound religious agency of women in early modern France has to do with the emergence of the public sphere and the crisis of the authority of professional theologians such as himself. This leads him to an assessment of the masculinity of his Jesuit adversaries that can be easily analyzed in terms of exclusion, subordination, and authorization. Yet, his position is that of a discontented Jesuit, prominent on the theological scene yet marginal in his province. The activation of a certain type of rhetoric on gender and specifically masculinity in Raynaud’s work has much to do in his case with a specific ideal of what the right order of the Church and of doctrine is. His understanding of the norms of Catholic Reformation conflicts with that of other members of his order. Therefore, the pervasiveness of his ideals of masculinity with hegemonic tropes cannot be accounted for without reference to the multifaceted conflicts that characterized Catholic Reformation. Characterizing Raynaud’s discourse in terms of hegemony would be both accurate and anachronistic just as it would be to characterize it as a reaction against some form of queering of Catholicism that he nonetheless bears witness to. Such analytical vocabulary certainly helps stylize historical evolutions, yet by giving a greater implicit weight to gender dynamics, it also tends to pull focus from other specifically religious evolutions. Raynaud’s work appears as evidence of the strong connection between changes in Catholic confessional culture (publicity, actors, status of theology, etc) and in gender relations in 17th century France and reminds us of the necessity for the historian to explore this very connection.

69

BREnDAn RöDER 

Ambiguous Gender in Early Modern Catholicism? The Case of Clerical Eunuchs

He began by asking me Whether I was a man or a woman I was at loss for an answer If I say ‘male’, I am practically lying If ‘female’, I will say even less what I am If ‘neuter’, I will blush1. This episode of uncertainty comes from the autobiography of the Italian castrato singer Filippo Balatri (1682-1756), the questioner being a Tatar Khan. Balatri travelled the world and performed in Moscow, Vienna and Munich and other places in Europe2. His last years however were spent far from the glam­ ourous stages of court cities, in the Cistercian monastery of Fürstenfeld, west of Munich. In 1741 his protector, the Prince-Bishop of Freising, Johann Theodor of Bavaria, ordained him a priest. This last step fits well into Balatri’s own narrative of his life. Tired of travelling he entered the clergy and turned away from the ‘world’, i.e. from secular life. Unlike during his travels, we find no indication in his own writings that his status as a eunuch was an issue regarding his desire to enter a monastery. Research on the early modern history of gender, sexuality and the body in the context of marriage has shown that what made a man a man was far from self-evident. Some studies suggest that anatomical sex became more important

1 “Incomincia dal farmi domandare / se mascio son’ ò femmina […] / Rest’imbrogliato allor per dar risposta. / Se maschio, dico quasi unabugia. / Femmina, men che men dirò ch’io sia, / e dir che son neutral, rossore costa” (D. F. Balatri, Frutti del mondo, esperimentati da F. B., nativo dell’Alfea in Toscana, Bayerische Staatsbibliothek (Munich), Cod. ital. 39.1, 1735, f. 36v-37r. 2 On Balatri, see M. Feldman, The Castrato: Reflections on Natures and Kinds, Oakland, University of California Press, 2015, and Chr. Wunnicke, Die Nachtigall des Zaren: das Leben des Kastraten Filippo Balatri, Munich, Claassen, 2001. Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 71-86. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131592

72

BREnDAn RöDER

in the early modern period3. Marriage, as a social situation, brought up the issue of gender and laymen’s bodies came under scrutiny by jurists, physicians, theologians4. Cathy McClive has argued for early modern France that the mere presence of male genitals, especially the penis, was not sufficient to be considered a man but that its physical functionality was a further requirement5. In what follows, I want to show how clerical manhood fits into these discus­ sions. The article explores whether men with imperfect or without genitals such as Balatri were regularly allowed access to the clergy. I focus on entering the clergy as a social practice that problematized the categorization as a man. I will argue that there are specific situations in which we can observe particular attention to gendered behaviour and the physical body of clergymen. What can the topic of eunuchs in the clergy tell us about broader early modern concerns with manhood or gender ambiguity? At first sight, the clergy may seem an unsuitable context to explore the topic of the physical aspects of manhood. The absence or dysfunctionality of the penis, for instance, would appear to be less essential in a normatively celibate community. If, as Mathew Kuefler has argued, “in important ways, eunuchs lived the ideal life for Christians, abandoning sex, marriage and family life6”, would this not make their clerical status rather unproblematic? The clergy could even be imagined as a safe haven for eunuchs, a suitable place to keep corporeal secrets safe and form an environment resistant to medical and judicial attempts of uncovering and disambiguating the body7. While the role of women in the Catholic Church has been hotly debated with regards to ordination, the manhood of clergymen often seems more or less a given8. Studies that do look at clerical masculinity frequently focus on celibacy. The physical body of clergymen and eunuchism, especially for the early

3 E. Behrend-Martínez, “Manhood and the Neutered Body in Early Modern Spain”, Journal of Social History, 38 (2005), p. 1073-1093. 4 Chr. Rolker, “The Two Laws and the Three Sexes: Ambiguous Bodies in Canon Law and Roman Law (12th to 16th Centuries)”, Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte, kanonistische Abteilung, 100 (2014), p. 178-222; C. McClive, “Masculinity on Trial: Penises, Hermaphrodites and the Uncertain Male Body in Early Modern France”, History Workshop Journal, 68 (2009), p. 45-68. 5 C. McClive, “Masculinity on Trial…”, art. cit., p. 46, against Th. Laqueur, Making Sex. Body and Gender from the Greeks to Freud, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1990, p. 139. 6 M. Kuefler, “Physical and Symbolic Castration and the Holy Eunuch in Late Antiquity, Third to Sixth Centuries”, in A. Höfert, M. Mesley and S. Tolino (ed.), Celibate and Childless Men in Power. Ruling Eunuchs and Bishops in the Pre-Modern World, London-New York, Routledge, 2018, p. 177-191, here at p. 184. On eunuchs in the medieval church, see A. Fossier, The Body of the Priest: Eunuchs in Western Canon Law and the Medieval Catholic Church, Catholic History Review, 106 (2020), p. 27-49. 7 As described by C. McClive, “Masculinity on Trial…”, art. cit., p. 51. 8 G. Macy, The Hidden History of Women’s Ordination. Female Clergy in the Medieval West, Oxford, Oxford University Press, 2008.

AMBIGuouS GEnDER In EARLy MoDERn cAThoLIcISM?

modern period, has received little attention9. In their 2018 collection of articles, Almut Höfert, Matthew Mesley and Serena Tolino linked the topics of clergy and eunuchism by looking at bishops and eunuchs in the pre-modern world10. They saw the connecting point between the two groups in their exclusion from legitimate or physical reproduction but also their elevated role in society. This research, however, has taught us relatively little about the physicality of clergymen who had missing or imperfect reproductive parts. While the issue of analogies and a metaphorical understanding of eunuchism is certainly an important one, I will focus on the corporeal dimension of the eunuch. To put it simply, this article deals with eunuchs as clergymen rather than clergymen as eunuchs. Historiographical treatments of eunuchs and their manhood diverge funda­ mentally. Historian of music, Patrick Barbier, stated categorically that there were never any doubts within the Catholic Church about the masculinity of the cas­ trati11. Marianne Tråvén examined the same castrati as a third gender, neither male nor female12. Kathryn Ringrose in her history of eunuchs in Byzantium has also argued that they counted as a separate gender category13. The article addresses these issues in two steps. The first part, connections and obstacles, focuses on the Catholic legal and scholarly discourse and describes the main contexts of eunuchism in the early modern period, namely canon law and music. It looks at legal regulations and scholarly attitudes regarding Eunuchs that problematized their status as clergymen, especially in relation to Church music. To what extent was the Church, on a normative level, a favourable environment for eunuchs? The second part turns to practical arrangements and analyses cases of eunuchs seeking access to the clergy in the later 17th and early 18th century. I argue that it is important to go beyond the level of norms and treatises and incorporate prac­ tical negotiation and categorization of a person’s gender. The term ‘negotiation’ indicates that we should consider various actors on different levels involved in this process and not just canon lawyers and ecclesiastical authorities. Through specific

9 A lot of the literature on alternative masculinity has engaged with J. A. McNamara, “The Herrenfrage.The Reconstruction of the Gender System, 1050-1150”, in C. A. Lees (ed.), Medieval Masculinities, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1994, p. 3-29. 10 A. Höfert, M. Mesley and S. Tolino (ed.), Celibate and Childless Men…, op. cit. 11 P. Barbier, “Die Männlichkeit der Kastraten”, in M. Dinges (ed.), Hausväter, Priester, Kastraten: zur Konstruktion von Männlichkeit in Spätmittelalter und Früher Neuzeit, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1998, p. 123-152. 12 M. Tråvén, “Voicing the Third Gender. The Castrato Voice and the Stigma of Emasculation in Eighteenth-century Society”, Études Épistémè, 29 (2016) [Online]. URL: http:// journals.openedition.org/episteme/1220. 13 K. Ringrose, Perfect Servant. Eunuchs and the Social Construction of Gender in Byzantium, ChicagoLondon, The University of Chicago Press, 2003, for instance p. 3, and id., “Living in the Shadows: Eunuchs and Gender in Byzantium”, in G. Herdt (ed.), Third Sex, Third Gender. Beyond Sexual Dimorphism in Culture and History, New York, Zone Books, 1994, p. 85-109, for instance p. 108: “Some people may have seen them as a third sex, and they obviously constituted a third gender”.

73

74

BREnDAn RöDER

cases from legal practice, the article offers an early modern perspective on the debate over a third gender, the crossing of gender boundaries and the place of eunuchs in this complex.

Connections and obstacles: Catholic discourse on eunuchs Canon law and music are the two fields providing the main context for early modern eunuchism. I will first summarize important elements in canon law discussion, link them to music and then show how a specific Canon law debate, namely the attack of Jesuit author Théophile Raynaud on the Theatine Zaccaria Pasqualigo treated the subject14. Canon law subsumed under eunuchi several other terms such as castrati and spadones. This vagueness may seem problematic. However, we can take this broad definition encompassing everything from full castration of penis and testicles to deformed or dysfunctional genitals as a starting point and see when early modern actors themselves were interested in physical details. An even greater terminological uncertainty is, in a way, at the core of the discussion of eunuchism, namely that regarding a literal or metaphorical reading. The gospel’s three types of eunuchi, ‘born, made, and for the sake of the heavenly kingdom’ remained a point of reference for early modern authors15. The attempts within the early church to delegitimize a literal reading of this passage are rela­ tively well known16. Especially the third type of eunuchism was used against physical castration and taken to refer to celibacy. Willful self-emasculation was to be avoided and even punished. Since the Nicaean Council, authors have repeated that the main issue was that of voluntary castration. The often-repeated formula was si quis a medicis. It allowed men castrated by force or for medical necessity to enter the clergy. While canon law regulations of the ancient and medieval Church regarding eunuchs have received some attention, this is not the case for the early modern period. Perhaps this is because the Council of Trent did not create new norms on the topic, making the question of eunuchism a seemingly traditional one not at the core of early modern concerns. We will see, however, that it nevertheless

14 T. Raynaud, Eunuchi, nati, facti, mystici, ex sacra et humana literatura illustrati. Zacharias Pasqualigus puerorum emasculator ob musicam quod loco habendus responsio, Dijon, P. Chavance, 1655, and Z. Pasqualigo, Decisiones morales iuxta principia theologica, et sacras, atq[ue] ciuiles leges difficultatum, quae in vtroq[ue] foro passim occurrunt, Verona, Apud Bartholomaeum Merlum, 1641, Decisio 498. See J.-P. Gay, Le dernier théologien ? Théophile Raynaud (1583-1663). Histoire d’une obsolescence, Paris, Beauchesne, 2018. Many thanks to the author for sending me his work. On the context of this debate see also Jean-Pascal Gay in this volume. 15 “Sunt enim eunuchi, qui de matris utero sic nati sunt : et sunt eunuchi, qui facti sunt ab hominibus : et sunt eunuchi, qui seipsos castraverunt propter regnum cælorum” (Matthew 19.12). 16 See P. Browe, Zur Geschichte der Entmannung. Eine religions- und rechtsgeschichtliche Studie, Breslau, Müller & Seiffert, 1936.

AMBIGuouS GEnDER In EARLy MoDERn cAThoLIcISM?

preoccupied post-Tridentine canon law and moral theology authors as well as popes and ecclesiastical decision makers. Despite all efforts of distinguishing physical, illicit and metaphorical, desired emasculation of clergymen, blending spiritual and corporeal eunuchism always re­ mained a discursive option. It could have polemical purposes. Arguments against celibacy, be it by Protestants or from within the Catholic Church, tended to conflate literal and the metaphorical eunuchism. An 18th century anonymous Catholic author from Germany characteristically stated, “whether one is a eunuch through the anatomical knife or a Church law is all the same regarding the consequences17”. By these consequences, he meant a greedy and vicious character, which authors often ascribed to eunuchs. Negative assumptions about celibate priests and men without genitals or the ability to reproduce could re-enforce each other. The idea that the Church excluded physical eunuchs from its ranks in general is clearly an oversimplification. In fact, legal exceptions were made on the basis of different causes of castration, something not specific to the early modern period. Shaun Tougher has shown the common existence of religious eunuchs in the later Roman and Byzantine empires, be it as monks, secular clergymen, bishops or even Patriarchs18. What is important in our context is that these examples of Eunuch saints also occur in early modern canon law texts19. Since Christian history provided an ambivalent pool of examples of strongly condemned as well as of virtuous eunuchs, it is not surprising that other legal norms fed into this discussion of eunuchism. The Hebrew Bible offered a state­ ment that was understood to clearly forbid the access of eunuchs to the clergy and authors quoted Deuteronomium 23.1 that “No man with crushed or severed genitals may enter the assembly of the LORD20”. However, while early modern authors referenced this passage frequently, most made it clear that Mosaic law was not binding for Christians. Apart from the focus on willfulness, we can identify two other registers of discussing eunuchs. Simone Maiolo, canon law author and bishop of Vulturara, gave two reasons why eunuchs could be excluded from the clergy. Firstly, because they had a bodily flaw or defect (ob vitium seu defectum corporis), namely of their genitals. Secondly, because of their effemination as they are emasculated (evirati) and turn from men into half-women (semi-mulieres)21. The description of eunuchism as a bodily defect or defectus corporis requires some explanation. Early modern authors postulated the wholeness of the clerical 17 Die Priesterehe als Grundlage einer höchst nothwendigen Verbesserung des katholischen Kirchenwesens und Priesterstandes, s.l., 1797. 18 S. Tougher, The Eunuch in Byzantine History and Society, London-New York, Routledge, 2008, p. 68-82. 19 S. Maiolo, Tractatus de irregularitate et aliis canonicis impedimentis […], Rome 1619, p. 43. 20 As Maiolo quotes: Non intravit eunuchus, attritis vel amputatis testiculis et abscisso veretro, ecclesiam Domini (Ibid., p. 43). 21 Ibid., p. 43.

75

76

BREnDAn RöDER

and especially priestly body. The mentioned author Maiolo wrote one of the first and most widely quoted works on the topic of impediments to ordination and gave a list of physical features that have to be irreprehensible in a clergyman from head to toe22. In due order, he mentions genitals and, in the same context, the idea of the figura Christi comes up. Christ in this context had a perfect male body. The idea of perfection or wholeness is therefore clearly present in early modern Church discourse. To enter the clergy or to exercise received orders, a person’s body was supposed to be free of so-called bodily defects. This was a specific legal term applied to the body, which encompassed both a corporeal and a juridical dimension. It could refer to missing or impaired members but also to certain diseases or cosmetic issues of appearance. Whether authors integrated eunuchism into the tableau of bodily defects or rather treated it as something separate is central to the question of how heavily charged with gender anxieties the physical genitalia were. To a certain extent, genitals were discussed as any other body part. The importance of these was evaluated according to their functionality in clerical tasks and visibility or notoriety. Classical examples for the first register, functionality, were the hand or specific fingers as well as eyesight for eucharistic actions. Regarding genitalia, certainly not needed in liturgy, this was virtually a non-issue, especially compared to marriage procedures. Visibility was equally unproblematic as genital organs were categorized as a membrum occultum. What, then, to put it simply, was the problem of missing genitalia as a bodily defect? Any bodily defect could be linked to the issue of self-mutilation, however with genitalia this happened by far more frequently than with other parts of the body. The focus on the issue of guilt may be a result of traditional norms such as the Nicaean council. Genitals were neither indispensable for clerical functions such as the mass, nor indeed necessarily visible or known to the public. It is therefore logical that the central issue was that of voluntariness, that is whether a man was suspected of self-mutilation or castration happened against his will. While there is similarity with other bodily defects, the intensity of the focus on responsibility makes genitalia distinct. This went so far that only some authors discussed them together with the rest of body parts, while others categorized the whole issue as one of wrong-doing (ex delicto), focusing not on the body itself but on human action23. These aspects were not mutually exclusive. If the underlying cause was justified, then it remained a “normal” bodily defect which, given the unimportance for liturgical functions and the low visibility, was not very grave. If castration was voluntary and thereby illegitimate, then the issue turned into one of sin and offence. These canon law elements provide the background for the daily concerns linked to eunuchism in the early modern Catholic clergy. The debate over willful castration gained acuteness in this period because of castrati in Church music. Was 22 Ibid., p. 378. 23 See P. Layman, Theologia moralis […], Lyon, 1691, Schönwetter, p. 172.

AMBIGuouS GEnDER In EARLy MoDERn cAThoLIcISM?

it allowed to choose to be a castrato singer or to decide for a boy by having him castrated or did this contradict Church law? Treatments of the subject have often been polemical with some authors accusing the Church of horrid wrongdoings (that is allowing or even encouraging and organizing the castration of boys) and others trying to exculpate it. As a context for the question of access to the clergy and gender assignment, it suffices to summarize the basic information available24. Historians of music have long acknowledged the importance of the Catholic Church music for the development of castrato singing. Most castrati were from the Italian states and we know that the 1589 papal bull Cum pro nostro pastorali munere mentions four eunuchs at the papal chapel (the last official castrato being Alessandro Moreschi who died 1922)25. Going beyond the obvious institutional links, historian and musicologist John Rosselli has argued that the religious ideal of sexual asceticism around 1600 contributed to the rise of the castrato while secularization, he claims, led to its decline from the 18th century onward. Rosselli sees ecclesiastical and musical careers as complementary family strategies. Both show the same readiness to give up ones offspring’s virility, either reversibly or permanently. Given the legal obstacles and elaborate distinction of celibacy and eunuchism described above, especially when suspected as self-mutilation, this hypothesis seems problematic (apart from begging the chronological question whether there was no religious idea of asceticism before the prevalence of castrati singers, say in medieval christianity). Before turning to how the church dealt with these issues in individual cases of eunuchs, I will sketch out a highly relevant contemporary scholarly debate that serves to illuminate the discussion of eunuchs as sexually ambiguous. Castration for musical purposes was not an issue silenced in discourse. On the contrary, canon lawyers and moral theologians intensely discussed the topic throughout the early modern period26. Théophile Raynaud’s 1655-book, for in­ stance, directly refers to the three types of eunuchs in his main title Eunuchi nati, facti, mystici. While the first two types are meant to be physically eunuchs, the third are only ‘mystically’ that is metaphorically called so. They have chosen the perfect path of clerical continence. In his title, Raynaud identifies his main opponent, Pasqualigo and, far from subtle, describes him as castrator of boys (emasculator ob musicam). In the section on castration for the effect of a permanently higher voice, Raynaud addresses Pasqualigo’s defense of castration directly27. Raynaud himself marks the debate as much more acute than his previous discussions of emasculation for continence or 24 For the following, synthesizing many older works on castrati, see J. Rosselli, “The Castrati as a Professional Group and a Social Phenomenon, 1550-1850”, Acta Musicologica, 60 (1988), p. 143-179. 25 See also A. Millner, “The Sacred Capons”, The Musical Times, 114, no 1561 (1973), p. 250-252. 26 G. Müller, “Hat Clemens XIV. die Kastration von Sängerknaben verboten?”, Zeitschrift für Kirchengeschichte, 68 (1957), p. 129-138 lists authors for and against castration for musical purposes. 27 De exectione ob diuturnius vocis acumen, ad musicos concentus necessarium (Th. Raynaud, Eunuchi…, op. cit. p. 162).

77

78

BREnDAn RöDER

a courtly career. He calls these latter reasons for castration outdated and hardly ever to be found today. However, as he says in the beginning of the section, Satan always inspires new pretexts that seem to justify mutilation, today’s being the argument of castration for a pleasant voice. He later repeats this idea in his summary of the discussion when he calls it ‘Satan’s new artifice to reintroduce eunuchism and institute injustice against divine shape and human wholeness’28. Given this framing, his result that castration for the goal of a better voice is illicit hardly comes as a surprise. The discussion of contradicting opinions is nevertheless interesting and I want to highlight two aspects of it, namely, to what extent humans can dispose over their body and the functions of gender assumptions in the discussion29. To begin with, we should distinguish two issues for which voluntariness is relevant in the debate. Firstly, whether there is such a thing as licit castration at all and secondly under which condition a eunuch can enter the clergy. Regarding the permissibility of castration, Pasqualigo argued that there is a self-determined and reasonable way to decide to be castrated30. The hope for a musical career was one of the legitimate reasons for castration in this regard and the danger of dying during the operation was supposedly very low31. According to Pasqualigo, there is a major difference between a boy involuntarily castrated by his parents and a boy making an informed, reasonable decision about his own body. Regarding access to the clergy, however, the first case seems more favourable, especially if the child was not yet able to decide. Both authors refer to the phrase Quod nemo est dominus suorum membrorum, stressing the power of God over each individual’s body. Still, we find a major divergence in the conceptualization of the body and man’s relation to it. Raynaud reads the phrase as devaluing all arguments of temporal (or indeed spiritual) ben­ efit brought about by castration, such as the potential career and fame described by Pasqualigo. Whichever benefit it may bring, it is not for humans to dispose over their body parts. Pasqualigo, on the contrary, admits that while man is not the Lord over his body, “he is commissioned by God with the care of his own body (cura proprii corporis), able to dispose over his members for the greater good of his body”32. The voice, he continues, is a more noble bodily part than

28 Ibid., p. 162 and also p. 169: exectionem ad vocis acumen diuturnum, esse novum Satanae artificium, ad Eunuchismum reducendum; & divinae plasticae ac humanae integritatis iniuriam […] colore honesti instaurandam. 29 For a summary of other arguments, see P. Browe, Zur Geschichte der Entmannung…, op. cit., p. 101-118. Browe claims that most authors simply invented their arguments to justify current practice. On further dimensions of the debate, see Jean-Pascal Gay in this volume. 30 Z. Pasqualigo, Decisiones morales…, op. cit., p. 439. 31 Interestingly, Raynaud did not strongly oppose the argument that the danger of losing one’s life in the operation itself is very low with today’s experienced barbers (tanta tonsorum peritia). Th. Raynaud, Eunuchi…, op. cit. p. 163. 32 Z. Pasqualigo, Decisiones morales…, op. cit., p. 438.

AMBIGuouS GEnDER In EARLy MoDERn cAThoLIcISM?

genitals, which man has in common with animals, and therefore the perfection of the former can justify the mutilation of the latter by castration. While the main dispute in the legal evaluation of castration was about its causes, we can also observe conflicting positions on the effects, especially relating to one’s sex. Canon law authors invoked the notion of effeminatio to talk about the exclusion of eunuchs. Describing eunuchs as between the two genders had strong antecedents in patristics33. In addition, Raynaud argued with humoral theory that castration makes the body colder and therefore female. “It has been demonstrated sufficiently that eunuchs transition to a female bodily shape, shown by their higher voice, colder temperature, smooth face, and similar things34.” We should note that Raynaud’s conception has elements that presuppose a sex difference as a spectrum of different humoral characteristics rather than a radically incommensurable male-female opposition. It nevertheless operates with a strong and corporeally defined opposition between two sexes lending the idea of the in-between eunuch its derogatory weight. The costs incurred by this loss of masculinity by far outweigh the advantages of effemination, for instance virtual immunity from leprosy and other diseases that were perceived to originate in the hot, male body. While the transition from male to female appears as negative per se what makes it even worse are the visible effects in the body that Raynaud describes as deformitas. This includes the absence of a beard (here obviously taking a certain type of male face as a reference) but also an ugly paleness in the face and the early appearance of wrinkles35. How does this open contempt for the effeminate eunuch relate to the strong focus on how castration happened? Raynaud acknowledges the classical just causes for castration. The cause however could not make a difference in terms of corporeal consequences36. When thinking about eunuchs’ access to the clergy, are we to believe that individuals described as effeminate and deformed are allowed to be priests, as long as the cause for castration was a just one? This logic seems to apply according to Raynaud: He clearly states that the legal problem lies in the act of deformatio i.e. the illicit castration and not the deformitas, the bodily appearance of the eunuch. Nevertheless, stressing the effeminizing effects was a complementary disqualification of the figure of the physical eunuch. Stressing the dangers of gender ambiguity was presumably the overarching goal in the context

33 Among other passages present in Raynaud and other early modern treatises are Basil of Caesarea’s dictum that they are neither woman nor man and Gregory of Nazianzus’ that eunuchs are those who are men among women, women among men. What matters for our purposes is less the historical context of these utterances than their activation in early modern debates. 34 Monstratum igitur sufficienter est, Eunuchos in foemineum corporis habitum transire, quem vox acuta & temperies frigidior, ac facies glabra, & similia adiuncta praeferunt (Th. Raynaud, Eunuchi…, op. cit. p. 65). 35 Ibid., p. 67. On the often much more complex meaning of the beard, see J.-M. Le Gall, Un idéal masculin ? Barbes et moustaches (xve-xviiie siècles), Paris, Payot, 2011 and the same author in this volume. 36 Th. Raynaud, Eunuchi…, op. cit. p. 75-79.

79

80

BREnDAn RöDER

of Raynaud’s concern with ‘effemination’37. However, in the specific matter of castration it could also reinforce a point that was on a rather different register, namely about the legal disqualification of castration for music and the role of physical eunuchs in the Roman church.

Arrangements: eunuchs in early modern legal practice Raynaud attacked the Roman Curia rather directly when stating that the presence of eunuchs at the Roman court does not make this phenomenon more legitimate (just as, according to him, stone-throwing teenagers on Monte Pincio are no doubt a reality and nevertheless condemnable). As God is the Lord over human bodies, it would not be in any civil or ecclesiastical magistrate’s power to allow castration anyway. Raynaud does not explicitly mention curial dispensations for castrated men to enter the clergy but this practice would certainly meet with his disapproval. In what follows, I will discuss cases of documented eunuchs entering the clergy and analyse the role of dispensations. We can ask whether musical careers in the clergy contradicted or simply circumvented canon law norms and what arguments were made in legal practice. A view from outside the Catholic Church can confirm the debated character of papal dispensations. Protestant authors viewed the entire Catholic idea of dispensations for eunuchs as flawed, albeit from a different angle than Raynaud. The jurist Nicolaus Hieronymus Gundling (1671-1729), for instance, criticized the alleged Catholic exclusion of eunuchs as unbecoming adherence to Hebrew legality: “Where in the divine law is it forbidden for Eunuchs and Castrati to access the Altar of God? The Papists refer to Leviticus XXI.18 but that is only Jewish ceremonial law which doesn’t concern us Christians38”. There is therefore no need at all for something like a dispensation. Gundling continued that it is not surprising that the Pope nevertheless engages in such useless activity, as he always liked to earn money39. Did eunuchs need and receive dispensations to enter the clergy and how did the procedure work? Looking to Rome for dispensations in various legal fields was apparently rather common. In the archive of one Roman office alone, the Congregation of the Council, we find twelve petitions by eunuchs in a sample of seventeen years between 1693 and 171040. One should note, that this cardinals’ 37 See J.-P. Gay, Le dernier théologien…, op. cit. 38 N.-H. Gundling, Allgemeines geistliches Recht der 3 Christlichen Haupt-Religionen […], FrankfurtLeipzig, 1744, vol. 2, p. 1671. 39 “Ich zweifle nicht, daß der Papst, der ohnedem gerne Geld nimmt, hierinnen dispensiren, und einen solchen Castraten ordiniren lassen würde”. 40 All archival sources come from the Archivio Segreto Vaticano (Rome), Congr. Concil, Positiones, I will quote the cases by diocese, date of last decision and number of the positio. On the context, see B. Röder, Der Körper des Priesters. Gebrechen im Katholizismus der Frühen Neuzeit, Frankfurt-New York, Campus, 2021

AMBIGuouS GEnDER In EARLy MoDERn cAThoLIcISM?

office was certainly not the only curial institution dealing with such matter. Not all too surprisingly given the origin of most castrati, all petitions were all from Italy41. Although Théophile Raynaud was known in the Congregation of the Council and his work Laus brevitati’ was quoted in later documents, we find no direct references to his work on eunuchs or, for that matter, to Pasqualigo’s ideas. Pamphilio Francesco Sero from Sulmona wrote to Rome that his bishop denied him the first tonsure and the minor orders, for the twofold reason of being a eunuch and the son of an uncertain father. Regarding castration, he claims that it was involuntary and “because of his age of eight years he did not have the knowledge of right and wrong42”. Another eunuch petitioner, Giacomo Bonani, originally from Perugia but at the time already a musicus in Rome, claimed that his bishop denied him the necessary permissions to receive first tonsure and then the orders “per essere castrato43”. He argued he had become so “not by his choice and consent, or that of his parents, but for pure necessity, to avoid a severe bodily infirmity44”. Not a single petitioner seems to have followed the path sketched out by Pasqualigo and argued for voluntary castration on the ground of benefiting the voice or the community. Instead, the texts focus on the traditional involuntary character of the castration. The medical necessity, so important in canon law discourse since the Nicaean Council, also played a role. Secondary literature on castrati has described this requirement as simply disregarded or a matter of pure invention45. Both Sero and Bonani complained about the bishop not believing their story of medical necessity and refusing to even confer the minor orders. This suspicion is therefore not a later belief of better informed historians, but was voiced by contemporaries in legal procedures. As the bishop of Perugia, Lucalberto Patrizi put it in his letter to Rome: Regarding Giacomo Bonani it was never “proven conclusively […] that the castration had been necessary because of his illness46”. The fact that medical necessity was disputed shows that we should take a closer look at the character and function of medical expertise in this context. Since works on eunuchs have treated surgical practice of castration, I will focus

41 I have excluded a much earlier and fragmentary case from 1615, in which a Hungarian priest describes that heretics (presumably Calvinists) cut off his nose, ears and natural parts (Strigoniensis, 26.02.1615, Pos. 24). 42 That “per la sua eta di otto anni non haveva cognizione del bene, o del male” (Sulmonen, 22.02.1710, Pos. 330). 43 We can infer, though only on the basis of this single case, that it was desirable but not indispensable for a musicus in Rome to be a clergymen, see for the demand of clerical status, P. Browe, Zur Geschichte der Entmannung…, op. cit., p. 89-90, 1696 exactly a lay person mentioned. 44 “Non per elezzione, e consenso suo, ò de Parenti, mà per mera necessita, per evitare una sua grave Infermità corporale” (Perusina, 01.12.1696 Pos. 170). 45 J. Rosselli, “The Castrati…”, art. cit., p. 155. 46 Numquam per Testium examen concludenti probatione in hac Cancellaria iustificavit necessario eviratum fuisse ex indispositione.

81

82

BREnDAn RöDER

only on the presence of medicine in legal procedures47. In both cases, the petition­ ers answered by providing actual sworn statements from the surgeons. In the case of Pamphilio Francesco Sero from Sulmona, this signed statement comes from the surgeons Angelo Amici who recalls the operation he had carried out without the boy’s permission so that he would not be left impaired or dead. In both cases, regarding the problem of being a eunuch, Rome ruled favourably, however leaving the final decision on the matter to the bishops. In most other cases, when there was no evident scepticism about the claimed med­ ical necessity, the answer was that petitioners did not even need a dispensation to ascend on the ladder of clerical hierarchy. The bars for eunuchs were quite low, but they remained discreditable, espe­ cially, as we have seen, in the case of sceptical bishops. Here we can come back to the singer Filippo Balatri who seems like a case in point of the clergy as a safe haven for retired castrati. The later abbot Gerhard Führer in Balatri’s monastery still remembered the singer and the “ruin of a voice once greatly admired”. Interestingly, in his chronicle of the monastery, he mentions that between Balatri’s ardent desire to swear off secular life and his admission to the monastery there was a legal procedure: “After the prince-bishop had examined and recognized his constant zeal, he personally effected his acceptance in the monastery, after obtaining a dispensation48”. We should not disregard this obstacle of obtaining a dispensation, however surmountable it seems in retrospect. I would argue that legal procedures were not perfunctory but instead had their own functionality. From a Roman view, we can think of these procedures as empowering Rome as the center, taking decisions on matters of eunuchism on a case-to-case basis. A different case from the Roman archives may illustrate this point: The Order of the Clerics Regular, Ministers to the Sick in 1695 requested an opinion on the part of its constitutions excluding eunuchs from the orders. The constitution speaks of someone “being a eunuch or lacking considerably in some part of the body or having an incurable hidden or manifest disease49”. Rome however did not wish to comment on the rules in general but rather wanted to provide answers in each individual case, making it necessary for each concerned individual to ask for permission. It would be too simple to see canonical rules as mere decoration without any effect that were discussed in canon law treatises but had no relevance for practice.

47 See P. Browe, Zur Geschichte der Entmannung…, op. cit., p. 53-62. 48 “Nachdem der Fürstbischof seinen Eifer prüften und anhaltend erkannt hatten, hat Höchstselber dessen Aufnahme in hiesiges Kloster, nach vorläufig erhaltener Dispensation unschwer erwerket.” G. Führer, Gerhard Führers, letzten Abtes von Fürstenfeld Chronik dieses Klosters von seiner Entstehung bis zur Auflösung im Jahre 1802, [Bavarian State Library Cgm 3920], ([s.l.]: 1803), p. 209. 49 “L’esser Eunuco, ò mancante considerabilmente in qualche parte del Corpo ò l’haver male occulto, ò manifesto incurabile” (Ordinis Clericorum Regul. ministrantium Infirmis, 28.05.1695. LD 45, 268r). The relevant part of the constitution is “Dell’ impedimenti indispensabile, che annullaranno le professioni, e che proibiscono l’ammettere all’habito si per lo stato di chierico.” That the ill or impaired, the declared objects of the orders ministry, could not enter it, is a different topic.

AMBIGuouS GEnDER In EARLy MoDERn cAThoLIcISM?

On the contrary, procedures and dispensations had the effect of reinforcing the rules while making them less strict. Even the requests which received the answer that no dispensation was needed demonstrate the knowledge about these rules and the assignment of authority over one’s career and body to Rome. It is also worth mentioning that the fact that dispensations were often not even required makes the Protestants claim of a predominant financial logic, however true it may be in other fields of curial activity, rather unlikely. For eunuch petitioners, affirmation of clerical status seemed to be important, especially when it was disputed or rejected by others. How to be a ‘legitimate eunuch’ seems to have been a very real concern. Claims about the eunuchs’ sex and medical examination of the genitals played a relatively minor role in this. Physicians commented on the the issue of mutilation or deformatio, not so much on questions of deformitas (how genitals looked etc.). A close inspection of bodies to find out cases of self-mutilation has pre-occupied physicians up to the modern age. Late 19th-century physician Charles-Emile Félix in his work on castration claimed that a medical “examen attentif ” will always be able to read the signs of castration and recognize an artificial ‘ablation’ of genitals50. We can assume that medical experts could claim authority on the matter in the 18th century as well51. However, the legal procedure did not demand this expertal inspection. Physicians spoke about what had happened in the past rather than the current status of individuals’ bodies. In the cases from legal practice I have chosen so far, petitioners had to or felt the need to initiate legal procedures but their masculinity was not a major issue. It is safe to say that eunuchs in practice often managed to be regarded as clerical men. They could still be discredited but, at least as far as the sources tell us, regarding the legitimate causes of their corporeal status rather than the body itself. Was eunuchism then, contrary to the discourse described above, a matter that had little to do with gender anxiety? Apart from proving medical necessity, a second form of medical expertise was the inspection of genitals which did appear in some specific cases. When Pietro Angelo Godi from Narni turned to the Curia in 1710, he had heard the calling to enter the clergy for many years. Both the current bishop and his predecessor however, doubted whether they could allow this as he was not only rather short of height and “hunch-backed” but also had “the appearance of a eunuch in voice and look52”. Unlike in the cases before, the petitioner did not himself confirm this status from the start but, on the contrary, disputed it.

50 Ch.-E. Félix, Recherches sur l’excision des organes génitaux externes chez l’homme, Lyon, Lucien Duc & Francis Demaison, 1883, p. 9-18. The signs include, for instance, the absence of a scar. 51 See on medico-legal expertise in general, especially on Paolo Zacchia, S. De Renzi, “Witnesses of the Body: Medico-Legal Cases in Seventeenth-Century Rome”, Studies in History and Philosophy of Science, 33 (2002), p. 219-242. 52 Narnien, 12.04.1710, Pos. 331 : etiam voce, et aspectu Eunuchi speciem praeseferentis.

83

84

BREnDAn RöDER

In this situation, the bishop relied on two types of expertise: Two masters of ceremony observed Godi’s ability to celebrate Mass. Those two did not comment on the matter of eunuchism at all. In addition, ecclesiastical authorities called in the town physician to inspect Godi’s genitals to establish whether he was a eunuch or not. This separation of domains of expertise shows that the Church outsourced the observation related to sex to medical experts. The physician, in his personal sworn statement, claimed he had ‘inspected and diligently observed the local Pier Angelo Godi’s genitalia (verenda) and found them complete and without any laesion or flaw’53. Rome concluded that Godi did not need a dispensation and we know from other sources that he became the parish priest in Narni54. The path to this result was very different than in the previous cases. Voice and appearance suspicious of eunuchism were trumped by perfect, male genitalia. The establishment of this corporeal ‘truth’ was the reign of the physician. The case also allow us to ask whether the point of contention for eunuchs was rather a person’s anatomy, especially male genitals, or gendered performance. Gendered performance and corporeal characteristics such as voice and outward i.e. dressed appearance could lead to the suspicion of being a eunuch and initiate a social and legal procedure. Anatomical inspection was the solution called upon by authorities as well as suspected individuals such as the alleged eunuch Pietro Angelo Godio. In this sense, both aspects were important but juridical preference was certainly given to the inspection of genitals. While the status as a non-eunuch was certainly the most desired, it was by no means a prerequiste for clerical status and acceptance. A eunuch could therefore be a perfect male priest. Showing one’s body became necessary when wanting to cross from one category into another. I will show this with one last case which involves the question of hermaphroditism. While Pier Angelo Godi was struggling to be a full man, not a eunuch, the French layman Clodius was, in a way, struggling to be a eunuch. His petition reached the Curia in 1652 from the diocese of Toul. In it, he explained that people thought he was a hermaphrodite in his early childhood, even though he had always been a man55. His parents, confused by doubt however had his male parts amputated by an “unskilled lithotomist” when he was one year old. The following years, the petition continues, he had worn female clothes, until he was 34, when he could not dissimulate his true gender anymore and lived as a man. He then wanted to enter the clergy and had doubts about his canonical status. Clodius indicated that he might be barred from entering the clergy without dispensation because of his mutilatio, which he had however suffered unwillingly, thereby appealing to the register of involuntariness so prevalent in the Curiа’s dealing with eunuchism. Distancing oneself from any sexual ambiguity was the main strategy of male clergymen or candidates suspected not of eunuchism but 53 Inspecto et diligenter observato verenda, integra, et absque ulla laesione seu diminutione inveni. 54 G. F. Titi, Il notajo principiante istruito […], Perugia, 1788, vol. 6, part 2, here p. 56. 55 Tullen, 04.05.1652, Pos. 126.

AMBIGuouS GEnDER In EARLy MoDERn cAThoLIcISM?

of hermaphroditism. In Clodius case, this ambiguity appears merely as an error by his social surrounding, especially his parents, which he could apparently never fully correct afterwards. The wounded body, not the ambigious, mutilatio and not sexus are the issue in his narrative. While modern medicine considers intersex and missing genitalia as two entirely separate physical phenomena, we can see how this border, although very much present, was more fluid and subject to negotiation. Other individuals suspected of hermaphroditism were subjected to medical inspection and Rome was interested in the iudicium Medici and close description of genitalia56.

Conclusions We have seen that eunuchs were allowed to enter the clergy. Still, an individ­ ual’s position could become a matter of legal and medical dispute. The answer to the question whether eunuchs were seen as sexually ambiguous and therefore threatening to masculinity needs to be a nuanced one: their falling between the status of man and woman, being an effeminate semivir was certainly discussed in canon law discourse, as the example of Raynaud versus Pasqualigo makes very clear. It was however not the main issue at stake in legal practice where it was surpassed by the question of self-mutilation and medical necessity. The individual cases discussed show that eunuchs managed to count as men and encountered relatively few obstacles when seeking access to the clergy. Rather than being engaged in a struggle to be men, they were trying to be legitimate eunuchs. I would argue that the eunuch can still be seen as an in-between-figure, although not between male and female, even though this point is emphasized in canon law discourse. Rather, it makes sense to position eunuchs between unproblematized male and gender ambiguous hermaphrodite. The first category of unproblematized male was the most beneficial option for clergymen. Still, being a eunuch was by no means an obstacle to enter the male clergy. The topic of hermaphrodites is an entirely different matter. It was essential for eunuchs to distance themselves from hermaphroditism, much more charged with suspicions of gender ambiguity. Medical experts could be called upon for two very different tasks, namely to confirm medical necessity of castration or for bodily inspection. In cases in which petitioners outrightly stated their status as eunuchs, there was no documented interest in their genitalia as such and we learn nothing about even the most basic anatomical details of the individuals at hand. Medical experts were involved to comment on the necessity of operations performed in the past, not on genitalia as such.

56 See B. Röder, Der Körper des Priesters … op. cit., p. 272-281.

85

86

BREnDAn RöDER

The second role of physicians, medical inspection, was present as well though. One had to show one’s body when striving to prove that one was not a eunuch or, even more so, when claiming not to be a hermaphrodite. It was when one wanted to cross the lines between the hierarchically arranged categories of unproblema­ tized male, eunuch, and hermaphrodite that one’s genitals became the object of inspection and medico-legal scrutiny. Only the hermaphrodite, seen as physically ambiguous, aroused any anatomical interest as such. Proceeding from the presented material, one can see that eunuchs’ gender ambiguity was situational rather than essential and became problematized only under certain conditions. Rather than postulating an overarching model of a med­ ical gaze with an intrinsic interest in bodily truth or a clear separation between epochal phases à la Thomas Laqueur, we should ask in which precise situations the pressure on gendered performance and/or the physical body was higher or lower.

SARAH BARTHÉLEmy 

La compagnie restaurée * Masculinités jésuites en France dans le premier xixe siècle

La figure du jésuite traverse le xixe siècle sous la plume de nombreux auteurs – qu’ils soient eux-mêmes jésuites ou laïcs, ecclésiastiques, jansénistes, antijésuites, anticléricaux. Si d’autres auteurs ont déjà exploré le rôle de la dimension sexuée dans les polémiques entre cléricaux et anticléricaux1, il reste encore à réfléchir la manière dont se construisent et s’articulent les modèles de masculinité sacerdo­ tale pour les jésuites, cibles privilégiées des attaques contre l’Église2. En partant de sources écrites3 produites par les jésuites, je m’attacherai à détailler non pas la masculinité du jésuite efféminé décrit par la littérature, mais plutôt celle proposée par les supérieurs jésuites dans leur correspondance au début du xixe siècle. En quoi cette masculinité varie-t-elle de la masculinité sacerdotale, ou ecclésias­ tique – si tant est qu’une telle notion ait été définie ? La disparité du vocabulaire utilisé par les chercheurs (masculinités ecclésiastique, sacerdotale, cléricale, etc.) ne fait qu’obscurcir le tableau. Les masculinités, définies dans une conception relationnelle du genre par Raewyn Connell comme des configurations de pratiques4, vont être considérées au prisme de la Compagnie de Jésus en France. Or, au début du xixe siècle, plusieurs questionnements cruciaux traversent les jésuites récemment restaurés, en termes de perception de soi, de rattachement à l’ancienne Compagnie de Jésus, et de jalons sur lesquels fonder la Compagnie restaurée. Le contexte qui

* Cet article n’aurait pas vu le jour sans l’aide bienveillante de Silvia Mostaccio et de Pierre-Antoine Fabre. Je tiens également à remercier chaleureusement Alessandro Serra et Fernanda Alfieri d’avoir attiré mon attention sur certaines archives de l’Archivum Romanum Societatis Iesu (dorénavant ARSI) à Rome. Cette recherche a été effectuée grâce à une bourse de l’École française de Rome. 1 J. Art et Th. Buerman, « Anticléricalisme et genre au xixe siècle. Le prêtre catholique, principal défi à l’image hégémonique de l’homme », Sextant, 27 (2009), p. 323-337. 2 Pour l’antijésuitisme, voir P.-A. Fabre et C. Maire, Les antijésuites : discours, figures et lieux de l’antijésuitisme à l’époque moderne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010. Pour une analyse des attaques à l’encontre d’un mythe entourant les jésuites plutôt qu’à l’encontre des jésuites euxmêmes, voir G. Cubitt, The Jesuit Myth. Conspiracy Theory and Politics in Nineteenth-Century France, Oxford-New York, Clarendon Press-Oxford University Press, 1993. 3 La correspondance citée provient de l’ARSI. 4 R. Connell, Masculinités : enjeux sociaux de l’hégémonie, éd. par M. Hagège et A. Vuattoux, Paris-Amsterdam, 2014. Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 87-106. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131593

88

SARAh BARThéLEMy

m’intéresse est celui d’une Compagnie de Jésus supprimée et restaurée5, dont les membres français, s’ils ne l’ont pas quittée au moment d’une des suppressions, continuent de se dire « jésuites », « ex-jésuites » ou « anciens jésuites6 ». La question de l’« identité » se pose donc de toute façon pour ces hommes qui ont continué à se revendiquer comme appartenant à un même corps, celui de la Compagnie. De par leur place importante dans le paysage religieux français de cette pre­ mière moitié du xixe siècle, les jésuites permettent de penser les masculinités sacerdotales, dont ils sont à la fois proches et distants. Selon Ulrike Strasser7, la Compagnie de Jésus présentait dès sa fondation un nouveau modèle de masculinité, renouvelant la masculinité cléricale tradition­ nelle. En intégrant notamment l’émotivité, alors considérée comme féminine, dans ses écrits, Ignace avait étendu les possibilités des expériences émotionnelles et affectives jusque-là proposées aux hommes (et était parvenu à faire des larmes le signe d’une véritable masculinité pieuse). En outre, l’exclusion ferme et défini­ tive des femmes par la Compagnie de Jésus écartait toute menace à la masculinité des jésuites, quelles que caractéristiques féminines qu’ils puissent incarner. Que devient cette masculinité au xixe siècle, dans un contexte religieux toujours sti­ mulé par le concile de Trente mais en lutte contre la société moderne devant être re-christianisée8, où la Compagnie de Jésus vient de reprendre pied ? Comment y penser la place du sacerdoce ? En partant de la figure du jésuite et de son supérieur, je m’attacherai à retracer les représentations idéales que les jésuites français de la Restauration avaient d’eux-mêmes, et à les confronter avec les reproches qu’ils adressent à Rome. Comment leur expérience des modèles projetés par le gouvernement central de la Compagnie de Jésus se module-t-elle dans la reconstruction de l’ordre ? Je mon­ trerai également comment se négocient les relations de pouvoir entre le jésuite et son supérieur, qui peuvent être lus comme deux configurations différentes de

5 P.-A. Fabre, « Introduction : une situation historiographique », in De la suppression à la restauration de la Compagnie de Jésus : nouvelles recherches, in Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée modernes et contemporaines, 126 (2014), p. 5-13 ; P.-A. Fabre et P. Goujon, Suppression et rétablissement de la Compagnie de Jésus : 1773-1814, Namur, Lessius, 2014 ; P. Bianchini, Morte e rezurrezione di un Ordine religioso : le strategie culturali ed educative della Compagnia di Gesù durante la soppressione (1759-1814), Paris, Vita e pensiero, 2006 ; S. Pavone, Una strana alleanza : la Compagnia di Gesù in Russia dal 1772 al 1820, Naples, Bibliopolis, 2010. 6 Ph. Lécrivain, « Une prosopographie des ex-jésuites “parisiens” (1762-1848) », in De la suppression à la restauration…, op. cit., p. 24. 7 U. Strasser, « “The First Form and Grace.” Ignatius of Loyola and the Reformation of Masculinity », in S. Hendrix et S. Karant-Nunn (dir.), Masculinity in the Reformation era, Kirksville, Truman State University Press, 2008, p. 45-70. 8 D. Menozzi, « Roman Catholicism. The Catholic Response to Revolutionary Secularization », in J. D. Rasmussen, J. Wolfe et J. Zachhuber (dir.), The Oxford Handbook of Nineteenth-Century Christian Thought, New York, Oxford University Press, 2017, p. 485-503.

LA coMPAGnIE RESTAuRéE

masculinité sacerdotale9. L’attention portée aux rapports entre hommes au sein de la Compagnie sera suivie d’une analyse relationnelle montrant en quoi le jésuite prêtre se différencie des hommes, et surtout des femmes. Reste enfin à poser la question de la spécificité jésuite, étroitement liée à celle de l’« identité jésuite » qu’il est difficile de définir autrement qu’en termes d’obéissance, de hiérarchie et de loyauté au souverain pontife10. Dès sa fondation, l’une des originalités de la Compagnie de Jésus est cette « tension entre l’obéissance au supérieur et l’écoute du sentiment intérieur », c’est-à-dire entre « l’obéissance aux hommes et l’obéissance à l’Esprit qui se manifeste dans le sentiment de chacun11 ». Sur cette base, les jésuites peuvent développer leur activité de la manière qui soit la plus adaptée aux temps et aux lieux (l’accommo­ dation). Quelle porte d’entrée tenant compte du contexte ont-ils choisi durant leur période dite de restauration ? Les jésuites ne font-ils qu’incarner une masculi­ nité ecclésiastique commune à tous les religieux ou à tous les prêtres du début du xixe siècle ?

Masculinité et hiérarchie interne jésuite Les lettres et les documents échangés par les jésuites français (plus particu­ lièrement le provincial et ses consulteurs) et le préposé général Brzozowski (1749-1820) dans les années qui suivent la restauration12 permettent de voir comment les membres de la Compagnie s’écrivaient, en suivant les prescriptions de l’institut. Dans ces lettres, la préoccupation majeure est de rétablir l’institution, pour revenir à « l’esprit d’Ignace », « l’esprit de l’Institut », « l’obéissance

9 Cette question du pouvoir est centrale dans l’étude des masculinités – et les études de genre en général. Voir K. Harvey et A. Shepard, « What Have Historians Done with Masculinity? Reflections on Five Centuries of British History, circa 1500-1950 », Journal of British Studies, 44 (2005), p. 274-280. 10 L. Giard, « Cómo la redacción de las Constituciones acompaño a la creación de la Compañía de Jesús », Historia y Grafía, 7 (1996), p. 73-91. Sur l’identité des jésuites à l’époque moderne, voir le numéro 19/2 (2002) des Annali di Storia dell’esegesi, intitulé Anatomia di un corpo religioso. L’identità dei gesuiti in età moderna. 11 S. Mostaccio, « Perinde ac si cadaver essent. Les jésuites dans une perspective comparative : la tension constitutive entre l’obéissance et le representar dans les sources normatives des réguliers », Revue d’Histoire Ecclésiastique, 105 (2010), p. 57 et p. 65. 12 ARSI, fonds Franciae 1001 et 1002, Russia 1018.

89

90

SARAh BARThéLEMy

aux Constitutions13 ». Toutes les stratégies des jésuites sont orientées vers cet objectif14. Toutefois, malgré la présence d’un texte normatif établi, les idées diffèrent sur la manière dont il convient de s’y prendre. Anne-Sophie Gallo, en discutant la difficulté de cerner et de définir l’« identité jésuite », a montré l’existence d’iden­ tités plurielles répondant à des dynamiques diverses tout en pointant, parmi les éléments significatifs, l’importance accordée par les jésuites à l’institution, dans leur autocompréhension15. Les sources de ce moment charnière montrent dès lors des jésuites inévitablement éloignés de la compréhension moderne de l’Institut, mais en pleine revendication de leur propre héritage16. Cette autocompréhension (et autoreprésentation) dans la construction d’une identité17 se traduit dans ces lettres par des descriptions des « bons jésuites »18 (ou des « bons éléments ») suivant de près les grands thèmes des Constitutions : les jésuites ont beaucoup d’obéissance, d’humilité, de piété – ce qui présente déjà un écart assez net par rapport à la figure de l’homme laïque et viril au xixe siècle, qui s’est endurci, qui relève les défis, qui a recours à la violence et qui a de l’honneur19. Les lettres font la distinction entre les qualités attendues des jésuites (ou des postulants) et des supérieurs. Les lignes directrices font écho à la littérature rééditée au début du siècle sur l’idéal sacerdotal, comme le Mémorial de la vie ecclé­ siastique de Jean Eudes, le Recueil de textes et de pensées sur les devoirs ecclésiastiques d’Alphonse de Liguori, L’Imitation de Jésus-Christ, l’Introduction à la vie dévote, ou

13 « […] selon l’esprit et l’usage de la Compagnie » (ARSI, Franc. 1-I, 6, f. 2r) ; « à y établir de plus en plus l’esprit de la Compagnie » (ARSI, Franc. 1-I, 6, f. 1r) ; « qu’ils n’ont pas l’esprit de S. Ignace, qu’ils ne l’ont puisé nulle part » (ARSI, Franc. 1-I, 6, f. 3v) ; « vous pourrez répandre par là le véritable esprit de S. Ignace » (ARSI, Franc. 1-I, 6, f. 4r) ; « vrai et pur esprit de notre Saint Fondateur » (ARSI, Franc. 1-I, 6, f. 1r) ; « se former à l’esprit de l’Institut et devenir de vrais Jésuites » (ARSI, Russia 1018, f. 177) ; « qui genuino praedite erunt s.P. Ignatii spiritu » (ARSI, Franc. 1-I, 6, f. 1r) ; etc. 14 Lorsqu’il parle de la restauration, John O’Malley estime que « l’essence de la vocation jésuite » semble tenir dans la formule « suivre les règles ». Voir J. W. O’Malley, Une histoire des jésuites. D’Ignace de Loyola à nos jours, trad. par I. Hoorickx-Raucq et D. Salin, Bruxelles, Lessius, 2014, p. 129. 15 A.-S. Gallo, « Réflexions et jalons pour une histoire de l’“identité jésuite” pendant la suppression de la Compagnie de Jésus (1762-1814) », Europa Moderna, 3 (2012), p. 101-124. 16 « Le nombre de sujets augmentant toujours, et l’établissement de la Compagnie avançant, quoique lentement, je désire aussi que vous vous rapprochiez toujours de plus en plus de la forme de gouvernement prescrite dans les Constitutions », ARSI, Russia 1018, 12/24 novembre 1816 (lettre de Brzozowski à Clorivière), f. 175. 17 R. Brubacker, « Au-delà de l’“identité” », trad. par F. Junqua, Actes de la Recherche en Sciences sociales, 139 (2001), p. 66-85. 18 Les jésuites, en suivant les règles de la formula scribendi, donnent leur opinion sur les membres de la Compagnie qui les entourent au général. 19 A. Corbin et G. Vigarello (dir.), Histoire de la virilité, t. 2 : Le triomphe de la virilité : le xixe siècle, Paris, Seuil, 2011, p. 7-11.

LA coMPAGnIE RESTAuRéE

la Pratique de la perfection chrétienne d’Alphonse Rodriguez20. Le profil du jésuite français se précise toutefois au fur et à mesure des difficultés qui surgissent dans la restauration de la Compagnie. Parler des « jésuites » comme d’un seul tout homogène semble impossible dans ce cadre précis : il y a une séparation entre les supérieurs et les inférieurs. Comme explicité par les Constitutions, le gouvernement de la Compagnie passe par l’autorité des premiers sur les seconds (au prisme de l’obéissance)21.

Le jésuite Douceur

Lorsque les supérieurs décrivent les jésuites22 de leurs maisons au général, ils mettent en exergue l’obéissance de ces derniers23. Les lettres insistent sur les vertus, dressant un portrait des qualités et des défauts tout en explicitant le rôle que le jésuite en question pourrait être amené à jouer (très souvent avec des précisions sur les « talents pour la chaire24 »). Cette structure est utilisée pour la majorité des descriptions, comme en témoigne l’extrait suivant : Le R.P. Brennot professeur de logique, il l’enseigne avec succès, et ne manque pas d’un certain talent pour la prédication, caractère fort doux, il est d’une grande bonté et très religieux25.

20 M. Launay, Le bon prêtre : le clergé rural au xixe siècle, Paris, Aubier, 1986, p. 122-123. 21 A. Demoustier, « La distinction des fonctions et l’exercice du pouvoir selon les règles de la Compagnie de Jésus », in L. Giard (dir.), Les jésuites à la Renaissance : système éducatif et production du savoir, Paris, Presses Universitaires de France, 1995, p. 18-19. 22 Malgré la différenciation claire des membres de la Compagnie de Jésus (entre autres profès des quatre vœux, coadjuteur spirituel ou temporel – formé ou approuvé – et novice), ici l’appellation générique « jésuite » servira à désigner tous ceux qui se trouvent sous l’autorité du provincial, du recteur, du supérieur de maison ou du maître des novices. Art. « Miembros de la CJ », in C. O’Neill et J.M. Dominguez, Diccionario Histórico de la Compañía de Jesús, t. 3, Rome-Madrid, Institutum Historicum Societatis Iesu-Universidad Pontificia Comillas, 2001, p. 2664-2669. 23 Par exemple, à propos de Loriquet : « Ce père est d’ailleurs excellent religieux, très obéissant, et aussi modeste que sçavant, attachant plus d’estime aux dons de piété et de crainte du seigneur qu’aux talents de l’esprit ». ARSI, Franc. 1-III, 2, fo 2r (lettre de Folloppe à Brzozowski, 1817). Un autre exemple à propos d’un novice : « Un autre novice, destiné au sacerdoce, âgé de 19 ans, […] se distinguoit surtout par son recueillement, son amour du silence, son humilité et sa soumission aveugle aux ordres des supérieurs » (ARSI, Franc. 1-II, 3, f. 1r, lettre de Gury maître des Novices à Panizoni, 1818). 24 Toujours à propos de Loriquet : « plus sec qu’onctueux organe faible, peu propre à la chaire ». ARSI, Franc. 1-III, 2, f. 2r, Lettre de Folloppe à Brzozowski, 1817. 25 Souligné dans l’original. ARSI, Franc. 1-III, 2, f. 2, Lettre de Folloppe à Brzozowski, 1817.

91

92

SARAh BARThéLEMy

Comme les temps sont difficiles pour la nouvelle Compagnie, il est également régulièrement précisé que les (nouveaux) jésuites font preuve de bonne volonté26. Ajoutons que les caractéristiques des jésuites ne sont pas « naturelles » ; ils doivent travailler à corriger leurs défauts (défauts qui correspondent à certaines qualités de la masculinité comprise comme hégémonique au xixe siècle)27. Hormis l’obéissance et l’humilité (qui occupent une place particulière dans la Compagnie de Jésus), toutes les vertus citées et remarquées – comme la docilité, la soumission, la douceur, la prudence, le zèle, le talent pour la prédication – par les jésuites qui écrivent à Rome sont présentes d’une manière ou d’une autre dans le corpus des normes jésuites (c’est-à-dire aux sources de l’Institut), mais de manière très ponctuelle, voire exceptionnelle. Quoique directement liée à la charité, la douceur se fait une place de choix dans ces descriptions : J’enverrai à sa place le P. Augustin Coulon, procureur de notre maison de Paris, [servant] très sage, plein de douceur et de prudence et de vertu28. L’activité de son zèle n’est rien ni à son obéissance ni à sa douceur, il est difficile de réunir plus d’excellentes qualités29. La douceur apparaît dans les Exercices Spirituels (124,1 et 335,1 pour qualifier le touché divin), dans les Constitutions (270,1 pour qualifier la réprimande à ceux qui fautent) et dans le Journal des Motions Intérieures (notamment 28,1 ; 30,1 ; 71,1 et 105,3 pour qualifier l’amour de Dieu le père, la dévotion ainsi que la douceur intérieure)30. Dans ce dernier texte, qui n’était pas connu des jésuites de la restauration31, le champ lexical de la douceur (doucement, douceur, doux ainsi que suave) est plus prégnant encore32, révélant un monde spirituel fait de douceur et de mesure. Cette douceur ne va pas sans rappeler la bienveillance de Liguori33, voire la charité de Muratori34, pour qui la conquête du Paraguay doit se faire par la douceur35. En cela, cette attention à la douceur est également marquée

26 ARSI, Franc. 2-I, 48, f. 2 (Lettre de Varin à Fortis, 1824) ; ARSI, Franc. 2-I, 50, f. 1r (lettre de Gury à Fortis, 1824) ; ARSI, Franc. 1-III, 2, f. 1r-2v (lettre de Folloppe à Brzozowski, 1817). 27 « […] il [le père Chamon] a aussi de la vivacité avec ses frères un ton dur quand il est [piqué] un peu facile à interpreter en mal les actions, ou les paroles des autres. Il fait des efforts et prend les moyens pour se corriger ». ARSI, Franc. 2-I, 50, f. 1v, lettre de Gury à Fortis. 28 ARSI, Franc. 1-III, 7, f. 2v, lettre de Simpson à Brzozowski, 1819. 29 ARSI, Franc. 1-III, 2, f. 1r, lettre de Folloppe à Brzozowski, 1817. 30 I. Echarte, Concordancia Ignaciana, Bilbao-Maliaño, Ed. Mensajero-Sal Terrae, 1996, p. 419-420. 31 Il est publié pour la première fois en 1892. 32 I. de Loyola, Journal des motions intérieures, éd. par P.-A. Fabre, Bruxelles, Lessius, 2007, p. 211. 33 J. Delumeau, « Morale et pastorale de saint Alphonse. Bienveillance et juste milieu », in F. Bourdeau et al., Alphonse de Liguori. Pasteur et docteur, Paris, Beauchesne, 1987, p. 139-159. 34 C. Continisio, Il governo delle passioni : prudenza, giustizia e carità nel pensiero politico di Lodovico Antonio Muratori, Florence, Olschki, 1999, p. 296-316. 35 L. Muratori, Relation des missions du Paraguay, éd. par G. Imbruglia, Paris, La DécouverteMaspero, 1983.

LA coMPAGnIE RESTAuRéE

par un « catholicisme des Lumières », religion de grâce et de paix pour « un État-Providence qui se soucie du sort de tous36 ». La douceur trouve également sa source dans la littérature sacerdotale37. Le Père de Ravignan (1795-1858), dans sa Consécration au Cœur de Jésus, reprend lui aussi cette citation biblique sur la charité qui parsème les écrits religieux : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur38 » (Mt 11, 29). Si les qualités pointées ne correspondent pas explicitement aux textes norma­ tifs, c’est également parce qu’elles se rapportent plus à l’esprit de la Compagnie de Jésus – l’esprit d’Ignace à un moment où les jésuites souhaitent revendiquer l’héritage de l’ancienne Compagnie – qu’au texte exact. Qui possède cet esprit ? Après quarante ans de suppression, comme nous le livre le père de Clorivière (1735-1820), chargé de restaurer la Compagnie de Jésus en France : les vieux jésuites sont « en très petit nombre et presque tous impotens39 ». Le point crucial est de former de nouveaux jésuites. Le travail est double : les ex-jésuites doivent réapprendre à suivre l’institut et les nouveaux jésuites doivent quant à eux apprendre (la Bulle de Restauration dit qu’il faut « maintenir et suivre » les Constitutions). La liste des défauts pointés par les supérieurs tombe dans un registre qu’on attribue plus volontiers aux qualités d’une masculinité civile fondée sur la force et le défi : celui-ci a envie de mener, celui-là a trop d’activité40, etc. Cela n’exclut pas pour autant des portraits rattachés à une masculinité plutôt subordonnée : les pos­ tulants sont alors pusillanimes, lents, négligés, revêches, ou mous (pire encore : de talent médiocre). En lien plus direct avec le portrait dressé du postulant dans les Constitutions, le manque de soumission, l’absence ou l’excès de zèle sont aussi pointés comme défauts à corriger41. L’aspect corporel n’est évoqué qu’à de rares exceptions, toujours en lien avec la bonne ou mauvaise santé d’une population jésuite vieillissante – le corps trahit

36 M. Fumaroli, « Une terra incognita de l’histoire littéraire : l’éloquence sacrée du siècle des Lumières », Revue d’Histoire littéraire de la France, 104 (2004), p. 783-800. 37 Par exemple, Liguori recommande aux prêtres de s’appliquer « à l’exercice de la douceur et de la vraie charité envers le prochain » (A. de Liguori, Recueil de textes et de pensées sur les devoirs ecclésiastiques, Turin, Marietti, 1827, p. 74). 38 Consécration au Cœur de Jésus du père de Ravignan [1795-1858]. 39 ARSI, Franc. 1-I, 6, f. 1v. Lettre de Clorivière à Brzozowski, 1815. 40 « malgré son caractère ardent que l’âge et sa grande vertu calment tous les jours », ARSI, Franc. 1-I, 46, f. 1r, lettre Grivel à Brzozowski, 1818 ; « il faut un homme tout entier et qui ait moins d’activité que lui », ARSI, Franc. 1-I, 17, f. 2r, lettre de Grivel à Brzozowski, 1816. 41 « On désireroit le voir plus porté aux pratiques de piété ; il manque de soumission de jugement en plusieurs rencontres, toutefois on n’a rien à lui reprocher de marquant sur l’obéissance d’action » (ARSI, Franc. 1-III, 2, f. 1r, lettre de Folloppe à Brzozowski, 1817). « Lui et le P. Glover […] n’ont aucun zèle, étant persuadés que tous leurs efforts seront inutiles, ce qui est une très fausse persuasion », ARSI, Franc. 1-I, 58, f. 1r, lettre de Grivel à Brzozowski, 1818 ; « Le P. Sellier lui dit qu’il avait un caractère trop mou et qu’il n’était pas propre à la Compagnie », ARSI, Franc. 2-I, 50, f. 1v, lettre de Gury à Fortis, 1824 ; en parlant des inférieurs, ut Provincialis majorem obedientiam ab illis frustra exposceret, ARSI, Franc. 2-I, 5, f. 1r, lettre de Grivel à Petrucci, 1820.

93

94

SARAh BARThéLEMy

le zèle des membres ; le corps de la Compagnie si cher aux jésuites transcende toute matérialité. Pour des hommes préoccupés par l’incarnation la plus parfaite de l’esprit d’Ignace, les jésuites de France parlent relativement peu de leur propre corporalité. L’âge demeure cependant une partie constituante du rapport entre supérieurs très âgés et novices, dimension qui reste à explorer. Délicatesse

Côté italien, un manuscrit de 1807 engage la discussion sur l’apparence phy­ sique des jésuites. Après quelques remarques sur les vêtements typiques des jésuites et ce qu’ils signifient pour l’accueil réservé aux missionnaires qui le portent, l’on en vient à la rudesse de la vie missionnaire telle qu’elle l’était jusqu’à la suppression, incompatible avec toute incarnation de la délicatesse : Nel riferire le cose intese o vedute, ne lascierò da parte alcune, v.g., viaggi a piedi, e sempre nudi in tutta la missione, barba lunga, catene, discipline e sangue, fiaccole accese sotto il braccio, anima dannata etc. come cose non convenienti alla delicatezza del tempo, o più ancora alla delicatezza di certi nostri, che pure hanno la smania di fare il missionario… Quantunque tali cose si siano praticate fino all’abolizione, od anche da altri non del nostro ordine, e sul esempio dei nostri. Quelle addietro, che credo assolutamente ammissibili, o anche assolutamente da pratticarsi, salvo sempre il giudizio dei superiori42. Le jésuite continue de devoir obéissance à ses supérieurs, mais l’époque – le temps – lui permet hypothétiquement d’envisager la mission autrement, puisque l’on admet – à regret semble-t-il – que la Compagnie compte dans ses rangs des sujets délicats. La référence au passé de l’ordre montre le désir de se conformer à un héritage qui traverse la suppression, mais la compréhension de la douceur ne peut se confondre avec la délicatesse, qui ne convient pas au dur labeur d’un missionnaire. Cet exemple montre l’équilibre précaire entre un homme doux (où le jésuite serait un antitype) et un homme délicat (où, démasculinisé, le jésuite serait une figure repoussoir43).

42 Traduction libre : « Par rapport aux choses entendues ou vues, j’en laisserais certaines de côté, par exemple les voyages à pieds (et toujours nus dans toute la mission), la barbe longue, les chaînes, la discipline et le sang, les torches allumées sous le bras, l’âme damnée, etc. comme des choses qui ne conviennent pas à la délicatesse du temps, et encore moins à la délicatesse de certains des nôtres, même s’ils sont rongés par l’envie de faire le missionnaire… Bien que de telles choses aient été pratiquées jusqu’à l’abolition, ou même par d’autres qui ne sont pas de notre ordre, ou sur l’exemple des nôtres. Ceux d’avant, que je crois absolument admissibles, ou aussi absolument à pratiquer, sauf toujours le jugement des supérieurs ». ARSI, Rom. 1001, fasc. 1, 23, manuscrit anonyme daté de 1807. Je remercie vivement Fernanda Alfieri de m’avoir indiqué cette source. 43 Ces deux figures – repoussoir et antitype – sont proposées par P. Airiau, « Le prêtre catholique : masculin, neutre, autre ? Des débuts du xixe siècle au milieu du xxe siècle », in R. Revenin (dir.), Hommes et masculinités de 1789 à nos jours, Paris, Éd. Autrement, 2007, p. 191-207.

LA coMPAGnIE RESTAuRéE

Le véritable jésuite

Plusieurs extraits de lettres françaises nous livrent des opinions sur ce qu’est censé être un véritable jésuite. Le père de la Fontaine (1739-1821), qui avait appartenu à l’ancienne Compagnie, écrit à propos du maître des novices : Le maître lui-même, quoique de bonne volonté et un saint ecclésiastique, Mr. Rogers, n’a point été élevé parmi nous. Il n’en a point la trempe, ni la tournure, pour manier les esprits et les caractères ni inculquer les idées droites et saines qui caractérisent le vrai enfant de St Ig44. En effet, le jésuite Roger (1773-1839) n’a rejoint le noviciat qu’en 1814, avec d’autres Pères de la Foi45, avant de devenir maître des novices sous l’impulsion de Clorivière : ce n’est donc pas un ex-jésuite et il a lui aussi besoin d’apprendre cet esprit d’Ignace. C’est finalement le père Loriquet (1767-1845), un ancien père de la Foi (qu’un jésuite comme Grivel (1769-1842) juge coupable d’avoir un « esprit particulier46 »), qui définit cet esprit d’Ignace : Je crois devoir vous dire, M.T.R.P. que le R.P. Provincial ne pouvant plus guère voir et entendre que par l’organe des autres, le gouvernement est exposé à flotter au gré de certaines impulsions étrangères, lesquelles ne sont pas toujours dans l’esprit de la société qui est, je pense, un esprit de douceur, de sagesse, de force et de constance47. Si la sagesse, la force et la constance sont volontiers associées à la masculi­ nité48, la douceur renvoie plutôt à la féminité. D’autres études discutent aussi de la féminité des jésuites en analysant les caractéristiques qui leur sont associées par la sphère publique (et l’anti-jésuitisme), comme la séduction, la coquetterie, la faiblesse49.

44 ARSI, Franc. 1-I, 32, f. 1r, lettre de Fontaine à Brzozowski, 1817. 45 Les Pères de la Foi sont nés de la fusion des congrégations de Tournély (1767-1797) et de Broglie (1765-1849), ainsi que de Paccanari (1786-1811). Sur leur rapport à la Compagnie de Jésus (dont ils se revendiquaient dans leurs premières ambitions), voir E. Fontana Castelli, “La Compagnia di Gesù sotto altro nome” : Niccolò Paccanari e la Compagnia della fede di Gesù (1797-1814), Rome, Institutum Historicum Societatis Iesu, 2007. 46 ARSI, Franc. 1-I, 17, f. 3v, lettre de Grivel à Brzozowski, 1816. 47 ARSI, Franc. 1-III, 3, f. 1r, lettre de Loriquet à Brzozowski, 1817. 48 Ces mots précis n’apparaissent presque pas dans la correspondance ; seule la sagesse intervient régulièrement, associée au général, qui « dans sa grande sagesse » prend les décisions et guide la Compagnie de Jésus. 49 T. Verhoeven, « Neither Male nor Female: The Jesuit as Androgyne 1843-1870 », Modern & Contemporary France, 16 (2008), p. 37-49 ; R. Healy, « Anti-Jesuitism in Imperial Germany: The Jesuit as Androgyne », in H. W. Smith (éd.), Protestants, Catholics and Jews in Germany, 1800-1914, Oxford, Berg, 2001, p. 153-181 ; U. Strasser, « “The First Form and Grace”… », art. cit., p. 45-70 ; S. Choudhury, « Genre, religion et histoire de la culture politique et de la vie privée en France : le procès Girard-Cadière », in S. Mostaccio, M. Caffiero, J. de Maeyer, P.-A. Fabre et A. Serra,

95

96

SARAh BARThéLEMy

La définition des jésuites est indissociable de l’obéissance ; ce sont les supé­ rieurs et surtout, les membres de l’ancienne Compagnie qui détiennent l’autorité et le savoir nécessaire à une restauration. Les instructions délivrées par les supé­ rieurs aux inférieurs sont par ailleurs objets de fantasmes ; quelques années plus tard, entre 1825 et 1828, ce sont les Monita Secreta qui seront rééditées en nombre50. La Compagnie, elle, n’a pas réédité ses textes normatifs dès sa restauration (la première Congrégation Générale qui suit la restauration – la xxe – en mesure toutefois l’urgence dans son décret 951). Le vrai jésuite est aussi un intellectuel : lorsque le général écrit depuis la Russie blanche en justifiant l’importance d’une bonne formation (et d’un noviciat en bonne et due forme) pour les nouveaux éléments de la Compagnie, il s’appuie sur une définition du jésuite qui ne passe plus seulement par les Constitutions, mais par ce qui a rendu les jésuites célèbres au xviiie siècle. Une personne qui a parlé au souverain Pontife de ma part vient de m’écrire que le saint Père lui avoit dit entr’autres choses qu’il me recommandoit instamment d’avoir soin que nos jeunes gens soient solidement formés dans la piété et dans les sciences afin que ce soient de vrais Jésuites52. En outre, la bataille commencée au siècle précédent contre les Lumières conti­ nue sur le terrain de l’instruction et de l’éducation53. La figure du bon « sçavan », du bon professeur et de l’enseignant aimé de ses élèves apparaît régulièrement dans les lettres, consacrant les stratégies mises en place pour faire renaître l’époque florissante des collèges jésuites54.

50 51 52 53 54

Échelles de pouvoir, rapports de genre : femmes, jésuites et modèle ignatien dans le long xixe siècle, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2014, p. 27-45. Ph. Lécrivain, Les premiers siècles jésuites : jalons pour une histoire, 1540-1814, Namur-Paris, Lessius, 2016, p. 632-639. J. W. Padberg, M. D. O’Keefe et J. L. McCarthy (éd.), For Matters of Greater Moment: The First Thirty Jesuit General Congregations. A Brief History and a Translation of the Decrees, St. Louis, Institute of Jesuit Sources, 1994, p. 430. Souligné dans l’original. ARSI, Russia 1018, f. 225, lettre de Brzozowski à Clorivière, 1817. P. Bianchini, Morte e rezurrezione…, op. cit., p. 87. « Je sais par les Sulpiciens et autres, que des gens qui ne nous veulent ni bien ni mal disent : si les Jésuites d’aujourd’hui étaient ceux d’autrefois, à la bonne heure, mais ils n’en savent pas plus que les autres. Là dessus nos amis nous engagent fort à faire faire de bonnes études à nos jeunes gens » (ARSI, Franc. 1-I, 34, f. 1v, lettre de Grivel à Rozaven, 1817).

LA coMPAGnIE RESTAuRéE

Le supérieur Douceur

Les attentes pesant sur les épaules des supérieurs en cette période de restaura­ tion se formulent en d’autres termes55 : s’il est attendu que le supérieur fasse lui aussi preuve de douceur, de piété, d’humilité et de zèle ; l’accent est mis sur le soin paternel qu’il doit prendre de ses inférieurs. La fermeté est nécessaire, mais couplée de douceur56 : J’approuve également les choix que vous avez fait des PP. Varin et Jennesseaux pour Supérieurs des maisons de Paris et de Forcalquier, mais recommandez bien au dernier de lire dans l’Institut quelles doivent être les qualités d’un Supérieur et de tâcher d’acquérir ce qui pourroit lui manquer, surtout du côté de la douceur paternelle57. Cette expression de « douceur paternelle » n’apparaît pas dans les Constitu­ tions. La paternité n’est pas seulement rattachée à la crainte et au respect, en ce début de xixe siècle pétri de rhétorique apocalyptique58, mais également à cette douceur, soulignant par analogie le glissement d’un « dieu terrible à un dieu d’amour », selon l’expression de Gérard Cholvy59. Cette douceur paternelle qui se rattache à la féminité peut également être comprise comme une manière d’atténuer l’impact de l’autorité masculine sur d’autres hommes60. En raison de la hiérarchie stricte de la Compagnie de Jésus 55 Le portrait d’un supérieur dressé par un père bordelais montre la teneur des descriptions : « Son zèle pour le maintien de la discipline le rendroit même sévère, si la charité ne lui apprenoit à compâtir à ce qui n’est qui ne vient que de faiblesse dans ses inférieurs. En un mot il a su se concilier au dehors la considération et l’estime ; et au-dedans le respect et l’affection de tous ses inférieurs ». ARSI, Franc. I-IV, 2, f. 1r, lettre de Fressencourt à Brzozowski, 1817). 56 « Pour ce qui est de nos maisons, je crois pouvoir dire que l’on a animé d’un vrai zèle pour les intérêt[s] de la Compagnie et pour en prendre l’esprit. Le gouvernement des Supérieurs y est doux et paternel, […] » (ARSI, Franc. 1-I, 40, f. 1v, lettre de Varin à Brzozowski, 1817) ; « Le Père Gloriot […] a du côté des vertus des connaissances théologiques et de l’érudition ce qu’il faut pour faire un excellent supérieur de grand séminaire. La douceur, la simplicité, la prudence, la cordialité, font son caractère » (ARSI, Franc. I-V, 1, f. 1r, lettre de Gury à Brzozowski, 1817) ; « Le P. Thomas sait joindre la prudence du serpent à la simplicité de la colombe, et s’il étoit plus ferme, il seroit propre au gouvernement ; car il est très instruit, doux, conciliant, plein d’aménité, d’un extérieur vénérable et âgé de 63 ans » (ARSI, Franc. 1-I, 46, f. 1r, lettre de Grivel à Brzozowski, 1818) ; « Imparano poco a poco i Superiori mà lentamente a governare con dolcezza » (ARSI, Franc. 2-I, 16, f. 1v, lettre de Grivel à Fortis, 1821). 57 ARSI, Franc. 1-I, 53, f. 1r, lettre de Brzozowski à Simpson, 1818. 58 P.-A. Fabre et P. Goujon, Suppression et rétablissement…, op. cit., p. 130 ; P. Airiau, L’Église et l’Apocalypse : du xixe siècle à nos jours, Paris, Berg International, 2000. 59 G. Cholvy, « “Du Dieu terrible au Dieu d’amour” : une évolution dans la sensibilité religieuse au xixe siècle », in Transmettre la foi : xvie-xxe siècles. I : Pastorale et prédication en France, Paris, CTHS, 1984, p. 141-154. 60 U. Strasser, « “The First Form and Grace”… », art. cit., p. 55.

97

98

SARAh BARThéLEMy

basée sur l’obéissance, la perspective d’un « père » plutôt qu’un supérieur a son importance61. Brzozowski insiste sur ce point dans l’un de ses courriers à Clorivière, en replaçant la douceur dans une perspective de long terme : […] je dois encore vous recommander deux choses. La première est d’exhorter tous les supérieurs à avoir un gouvernement ferme à la vérité, mais en même tems paternel. La douceur la suavité dans le gouvernement a toujours été un des caractères distinctifs de notre Compagnie. Un supérieur doit s’étudier à gagner la confiance et l’amour de ses inférieurs, et il ne peut se flatter d’y réussir que par la douceur, l’affabilité et une condescendance compatissante et paternelle pour leurs besoins et pour leurs infirmité corporelles ou spirituelles, la dureté, la sécheresse, la vivacité, la rudesse dans les manières rebutent les inférieurs, les éloignent, leur resserrent le cœur et empêchent cette ouverture qu’ils devroient avoir pour ceux qui leur tiennent la place de Dieu62. La suavité n’apparaît pas non plus dans les Constitutions de la Compagnie. En revanche, la douceur intervient dans les Règles qui concernent le provincial, le supérieur de la maison professe et le recteur63. La douceur est recommandée – de pair avec la charité – comme le moyen de reprendre les inférieurs à leur charge64. Enfant d’Ignace et père

À nouveau, l’esprit de la Compagnie de Jésus est central – qu’il s’agisse d’inférieurs ou de supérieurs : La chose est toute simple, pour être bon supérieur, il faut être soi-même bien formé dans l’esprit de la Compagnie et avoir encore d’autres qualités65. Vous pouvez devenir un vrai enfant de St Ignace, sans vous donner tant de mouvemens. Dieu demande même quelque chose de plus de vous, c’est que vous travailliez de toutes vos forces à faire naitre et croitre le véritable esprit de la Compagnie dans ceux qui vous sont confiés66. La référence à Ignace est plus explicite, inscrivant les nouveaux supérieurs dans la ligne directe d’une histoire qui a traversé les siècles : 61 « Son gouvernement tout paternel fait un contraste frappant avec celui du P. Jennesseaux que le P. Provincial a rappellé auprès de lui » (ARSI, Franc. 1-III, 4, fo 1r, lettre de Sellier à Brzozowski, 1817). 62 ARSI, Russia 1018, 6 juillet 1817, f. 226, lettre de Brzozowski à Clorivière. 63 Règles de la Compagnie de Jésus, Paris, Foüet, 1620, p. 44, p. 94, p. 123 et p. 156. 64 Dans l’excès, cette douceur devient problématique : « S’il m’était permis de faire quelque reproche au P. Foloppe ce seroit de pousser la douceur jusqu’à la faiblesse. C’est ce qui fait que le P. Ministre est plus Recteur que lui, ce qui me paroit un désordre » (ARSI, Franc. 1-III, 4, f. 1r, lettre de Sellier à Brzozowski, 1817). 65 ARSI, Franc. 1-I, 63, f. 1r, lettre de Rozaven à Clorivière, 1818. 66 ARSI, Russia 1018, Au P. Le Blanc 14/26 7bre 1816, f. 163.

LA coMPAGnIE RESTAuRéE

Les vertus de St Ignace, dont la mémoire nous est si chère, & la protection si puissante auprès de Dieu, me semblerent toujours revivre dans la personne de ses successeurs67. Toutefois, avant de devenir supérieur, il faut avoir fait preuve d’obéissance ; ce n’est qu’après ce respect des normes de la Compagnie de Jésus que le jésuite peut prendre la charge de supérieur : Sur le fait qu’il faut avoir été jésuite pour espérer être supérieur un jour : « […] le P. Loriquet, homme d’ordre, de beaucoup d’esprit, ne manquant pas de piété, mais gaté par les éloges prodigués à tout ce qu’il a fait, d’ailleurs n’ayant pas appris à obéir n’est guère propre à commander […] »68. En outre, le supérieur devra toujours obéissance au provincial et au général ; la hiérarchie fait de chaque jésuite (à l’exception du général) l’inférieur d’un autre. En dehors de la Compagnie de Jésus, la domination du supérieur sur la population catholique en fait, selon Róisín Healy, l’homme le plus masculin (et, à l’inverse, fait du jésuite inférieur – obéissant et soumis – l’homme le plus féminin, interprété comme androgyne)69. Parmi les défauts reprochés aux supérieurs, il y a la dureté (opposée plus ou moins directement à la douceur et à la charité)70 et la mauvaise gestion de l’autorité (précisant ce que les supérieurs ne doivent pas faire de l’obéissance qui leur est due)71. Par ailleurs, ils ne font pas exception aux comportements condamnés chez les prêtres au cours de la période concordataire : la fréquentation de femmes et les manifestations caractérielles72. Ce qui est central, au-delà des descriptions complémentaires des uns et des autres, c’est ce rapport qui s’établit entre le jésuite et son supérieur. Le supérieur est le jésuite père (qui par les Constitutions tient pour ses inférieurs la place de Dieu le père). Et ce concept de paternité – qui définit la virilité au xixe siècle73 – est crucial pour une masculinité hégémonique.

ARSI, Franc. I-VII, 2, f. 1r, lettre de Delage à Brzozowski, 1817. ARSI, Franc. 1-III, 7, f. 1r, lettre de Simpson à Brzozowski, 1819. R. Healy, « Anti-Jesuitism… », p. 153-181. Par exemple : « Une trop grande fermeté et une espèce de roideur dans la conduite du P. Jennesseaux avoit rendu pénible le joug de l’obéissance et pouvoient même ébranler quelques vocations » (ARSI, Franc. 1-I, 15, f. 1r, lettre de Clorivière à Brzozowki, 1816). 71 « M. Béquet a consenti à tout ; il est faible, ne connaît pas l’institut : il est minusieux, tracassier pour ses inférieurs, susceptible sur son autorité » (ARSI, Franc. 1-I, 17, f. 5v, lettre de Grivel à Brzozowski, 1816). 72 S. Gicquel, Prêtres de Bretagne au xixe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 133-134. 73 « Il se dit aussi pour signifier, dans l’homme, la puissance, la capacité d’engendrer » (Dictionnaire de l’Académie Française, t. 2, 6e éd., Paris, Chez Paul Dupont et Cie, 1835, p. 752-753).

67 68 69 70

99

100

SARAh BARThéLEMy

Hiérarchie de genre Cette recherche des origines par la Compagnie de Jésus s’inscrit dans un temps où, sans disposer de son ancienne force de frappe, elle s’efforce de recons­ truire une société authentiquement chrétienne, entretenant avec les intransigeants le rêve du retour à une époque médiévale où l’Église aurait été le seul fondement de la civilisation. Pour parvenir à cet objectif, l’Église porte une attention renou­ velée aux classes populaires et aux femmes, afin de renforcer sa présence dans le monde. Le xixe siècle voit ainsi culminer un mouvement de « féminisation74 » du catholicisme commencé au xviiie siècle sur le plan institutionnel (avec la transformation structurelle des modèles de vie religieuse féminine) et sur le plan dévotionnel (avec les dévotions mariales « féminines » entendues au sens d’une piété sentimentale et adoucie)75. L’attrait du modèle jésuite mène au fleurissement d’un grand nombre de congrégations – masculines et féminines76. Un exemple d’appropriation par les femmes de l’appareil normatif de la Com­ pagnie de Jésus est celui des fidèles compagnes de Jésus, érigées en congrégation au début du xixe siècle77, qui reprennent les Règles et les Constitutions des jésuites et sont au cœur d’une vive discussion lors de leur demande d’approbation à Rome (le dossier sera reporté d’année en année). Ce détour par ce qu’elles font de l’« identité jésuite » me permet d’ouvrir une réflexion à deux niveaux : d’une part, sur ce qui doit selon les jésuites constituer le marqueur de séparation entre les hommes et les femmes « jésuites », d’autre part, sur l’intérêt d’une analyse relationnelle intégrant les femmes pour parler de masculinité78. Pour le préposé général Roothaan (1785-1853), les Constitutions de la Com­ pagnie de Jésus ne sont « pas écrites pour former un corps militaire composé de femmes » et « vouloir appliquer et approuver celles-ci [les Constitutions] pour

74 C. Langlois, Le catholicisme au féminin. Les congrégations françaises à supérieure générale au xixe siècle, Paris, Cerf, 1984. 75 Dans une perspective de longue durée, l’on peut replacer au xviie siècle les expériences de vie religieuse féminine allant dans le sens de ce type de fondation, comme celle de Mary Ward. M. Caffiero, « Femminile / popolare. La femminilizzazione religiosa nel Settecento tra nuove congregazioni e nuove devozioni », Dimensioni e problemi della ricerca storica, 7 (1994), p. 235-245. Pour une critique des nombreuses acceptions de ce concept de « féminisation », voir P. Pasture et al., Gender and Christianity in Modern Europe. Beyond the Feminization Thesis, Louvain, Leuven University Press, 2012. 76 S. Mostaccio et al., Échelles de pouvoir…, op. cit. 77 P. Calliari, art. « Fedeli Compagne di Gesù », in Dizionario degli Istituti di Perfezione, vol. 3, 1976, p. 1429-1431. 78 Raewyn Connell et James Messerschmidt ont critiqué la tendance des travaux sur les masculinités à faire « comme si les femmes n’étaient pas un élément pertinent de l’analyse, et donc à étudier les masculinités du point de vue des hommes et des relations entre hommes uniquement ». R. Connell et J. W. Messerschmidt, « Faut-il repenser le concept de masculinité hégémonique ? », trad. par E. Béthoux et C. Vincensini, Terrains & travaux, 27 (2015), p. 162.

LA coMPAGnIE RESTAuRéE

des femmes semble quelque chose de plus que médiocrement bizarre79 ». Passé cet argument moqueur consistant à exclure les femmes parce qu’elles ne peuvent être membres d’un corps militaire comme celui des jésuites – ce qui n’est plus tel­ lement revendiqué par les jésuites du début du xixe siècle – Roothaan pose avant tout le sexe comme frontière nette pour pouvoir vivre selon les Constitutions de la Compagnie de Jésus. Il suit en cela les normes sur la vie religieuse féminine post-tridentines et l’ancienne interdiction d’Ignace sur une branche féminine de la Compagnie de Jésus, mais pas seulement. Que proposent donc ces Constitutions qui soit « masculin » et non « féminin » ? Un début de réponse tient à trois éléments constitutifs majeurs : l’examen de conscience, le généralat à vie et le sacerdoce80. Une vingtaine d’années après son opposition aux fidèles compagnes de Jésus, le général tient toujours les femmes à distance de la Compagnie de Jésus, comme il l’écrit à l’évêque de Strasbourg à propos d’une autre congrégation religieuse féminine, celle du Sacré-Cœur : Je pense toujours que les religieuses sont comme la vigne qui a un besoin absolu d’un soutien. Ce soutien pour des religieuses ne peut être que du genre masculin. Les DD. Du S.C. le voudraient avoir dans les PP. de la Compagnie. Or, cela ne peut être. Il n’y a jamais eu, il ne peut y avoir de Jésuitesses81. Sans entrer ici dans les détails ni les différents niveaux de lecture de part et d’autre de ce malaise à redéfinir le rôle des hommes et des femmes dans l’Église catholique, il m’importe principalement de montrer ce que cette discussion au­ tour de l’impossible jésuitesse dit des jésuites, et ici de leur préposé général. La masculinité dont il est question, en dépit de sa transformation au contact des 79 « […] essendo quelle Costituzioni non una imitazione delle Costituzioni di sant’Ignazio ma una Traduzione delle medesime Costituzioni di sant’Ignazio, il quale certo non le aveva scritte per formare un corpo militare composto di donne, non sembra probabile che così venga approvato. Dirò esser io fermamente persuaso che la fondatrice non intendeva neanche quelle Costituzioni, e domandato io per cagion d’esempio, se tale o tal cosa, veramente impraticabile per donne, si fosse osservata, non rispose se non con termini vaghi. Del resto, ove si domandi l’approvazione di Regole, già in uso presso quelle suore, crederei dovesse ottenersi senza difficoltà. Tali regole, cavate dall’Istituto di sant’Ignazio si hanno in molte congregazioni non solo d’uomini, ma anche di donne, e di queste ve n’è una approvata fino da Paolo V. Ma altro è Regole, altro tutto il corpo delle dieci parti delle Costituzioni di sant’Ignazio. Queste volerle applicate e approvate per donne, sembra cosa più che mediocremente strana » (ARSI, Fondo Roothaan, b. 13, fasc. 63, 1562, lettre de Roothaan à Galvano, 1839). Je remercie vivement Alessandro Serra de m’avoir indiqué cette source. Sur la réaction de Roothaan face à une autre congrégation religieuses féminine, les Dames du Sacré-Cœur, voir A. Serra, « Madeleine-Sophie Barat et la Société du Sacré-Cœur entre Compagnie de Jésus et modèle ignatien », in S. Mostaccio et al. (éd.), Échelles de pouvoir…, op. cit., p. 271-292. 80 Pour une analyse détaillée du cas des fidèles compagnes de Jésus, voir S. Barthélemy, Les appropriations du modèle jésuite par les Fidèles Compagnes de Jésus dans la France de la Restauration (1820). Genre et parcours de légitimation, Thèse de doctorat, Université catholique de Louvain et École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2019. 81 Souligné dans l’original. ARSI, Fondo Roothaan, b. 13, fasc. 63, 1561, lettre de Roothaan à Tharin évêque de Strasbourg, 1843.

101

102

SARAh BARThéLEMy

formes de piété plus « féminines » et sensibles, reste celle au sommet d’une hiérarchie de genre (imbriquée par exemple dans le soutien, ou la direction spirituelle, dont parle Roothaan), construite autour de pratiques pensées comme exclusivement masculines, tant bien même cette masculinité serait plurielle. Quant aux femmes, elles font émerger des pratiques impensables par le gé­ néral. Les idéaux masculins et féminins sont tous deux incarnés par le prêtre, qui pourtant demeure le marqueur discriminant entre homme et femme dans l’Église. Dans la configuration particulière proposée par l’Église, la masculinité « sacerdotale » est construite autour d’une fonction inaccessible aux femmes. Et les expériences féminines autour de ce « projet de genre82 » montrent que cette masculinité « sacerdotale » des jésuites peut être pensée et incarnée par des femmes, au prix d’un mouvement fermement défensif (chez les jésuites romains).

Une spécificité sacerdotale ? Si le sacerdoce fait partie de l’identité jésuite, que signifie être un prêtre dans la Compagnie de Jésus ? Une des différences notables entre l’ancienne Compagnie et la nouvelle est le nombre élevé de prêtres après la restauration83. Les textes normatifs de la Compagnie de Jésus restent discrets sur cette question de la prêtrise, bien que les premiers jésuites soient prêtres84 – et que pour faire les quatre vœux, il faille être prêtre (Const. 511)85. Nadal appelle les jésuites à être « prêtres et clercs, non moines86 ». La gouvernance pratique est toutefois plus explicite : le dix-huitième ensemble de Règles des jésuites concerne les prêtres. Les coadjuteurs temporels, qui ne sont pas prêtres, sont au bas de la hiérarchie des responsabilités dans une maison87. Le prêtre est un homme (ce qui est posé comme condition sine qua non par l’Église), mais sa masculinité peut s’exprimer de plusieurs manières, en fonction notamment de son comportement et de son rapport au corps88. Qu’en est-il pour les jésuites et surtout, quel est le point de jonction entre une masculinité jésuite et

82 Expression utilisée par Raewyn Connell pour désigner l’aspect dynamique des processus de configuration des pratiques lorsqu’on parle de masculinité et de féminité (R. Connell, Masculinités…, op. cit., p. 67). 83 La vingtième Congrégation Générale de la Compagnie de Jésus prend même des dispositions particulières à ce propos dans son huitième décret, afin que les prêtres rejoignant la Compagnie passent obligatoirement par la troisième année de probation ( J. W. Padberg et al. (éd.), For Matters of Greater Moment…, op. cit., p. 430). 84 J. W. O’Malley, Une histoire des jésuites…, op. cit., p. 14. 85 E. Olivares, « Profesos de cuatro votos », in Miembros de la CJ, p. 2665-2666. 86 Cité p. 567 par A. Begasse de Dhaem, « L’élection du sacerdoce aux origines de la Compagnie de Jésus », Gregorianum, 91 (2010), p. 550-572. 87 A. Demoustier, « La distinction des fonctions… », art. cit., p. 22. 88 P. Airiau, « Le prêtre catholique… », art. cit.

LA coMPAGnIE RESTAuRéE

une masculinité sacerdotale ? Si le sacerdoce est l’achèvement du jésuite, nombre de jésuites se trouvaient en ce lieu au sein des rapports de genre. La masculinité jésuite s’exprime dans la sociabilité des activités apostoliques promues par l’ordre, qu’il s’agisse des prédications, des cas de conscience, des Exercices Spirituels, etc. (ou même des sacrements donnés par les prêtres). Or, ces activités pratiquées par tous forment, selon André Ravier, l’un des éléments qui « rassemblent toujours en un seul corps » les membres de la Compagnie89. L’on peut également lire à ce prisme la difficulté, soulignée par Chantal Reynier, d’avoir un « esprit de corps » au sein du groupe disparate constitué par les nouveaux jésuites90. Le sens de cette unité – garantie par l’obéissance – est d’autant plus crucial pour les jésuites restaurés. Dès lors, le corps réuni de la Compagnie devient l’endroit où se joue l’épreuve de la masculinité des jésuites91. Leur positionnement face aux autres hommes (en particulier les laïcs) reste conditionné par la preuve qu’ils peuvent apporter du fait qu’ils sont eux aussi des hommes. Malgré cette incarnation de la douceur et d’autres caractéristiques féminines héritées d’Ignace, les jésuites ne renoncent pas à ce statut d’homme. Ravignan, dans De l’existence et de l’institut des jésuites, qui confère aux jésuites en temps de reconstruction un passé de très longue durée qu’ils n’ont pas92, déclare : Avant de me faire prêtre et Jésuite, j’étais homme de mon temps, je le suis encore ; Français, je n’ai pas cessé de l’être93 Ravignan veut prouver que l’on peut être religieux et ne pas avoir renoncé à sa conscience ; que l’obéissance des jésuites ne les démasculinise pas (il insiste quelques pages plus loin : « j’oserais demander que l’on consentît à croire que nous sommes des hommes comme les autres, et que nous n’avons abdiqué vraiment ni la dignité, ni la liberté d’un esprit raisonnable94 »). Après avoir dépeint apologétiquement la gloire des jésuites pour défendre son ordre, Ravignan résorbe la séparation entre corps laïque et corps sacré afin de présenter des hommes qui n’ont pas neutralisé leur masculinité.

89 L’unité de la Compagnie de Jésus se réalise grâce à un « souffle missionnaire intense », les « ministeria assueta pratiqués par tous », « la foi inconfusible en la verba Dei energeia », la mobilisation de la prière au profit de tout le corps, et l’amitié (la rencontre des jésuites étant l’œuvre de Dieu, il n’ont pas le droit de briser le lien qui les réunit). Voir A. Ravier, La Compagnie de Jésus sous le gouvernement d’Ignace de Loyola (1541-1556) d’après les Chroniques de Juan-Alphonso de Polanco, Paris, Desclée De Brouwer, 1991, p. 338-370. 90 C. Reynier, Pierre-Joseph de Clorivière, 1735-1820 : un mystique jésuite contre vents et marées, Namur, Lessius, 2014, p. 312. 91 Cette articulation des corps qui deviennent un corps et du sacerdoce revient à Pierre-Antoine Fabre, que je remercie chaleureusement pour son aide. 92 P.-A. Fabre, « Abraham, lui, avait épargné Isaac. La Suppression et le Rétablissement de la Compagnie de Jésus (1773-1814) », Rivista di storia del cristianesimo, 11 (2014), p. 265-284. 93 F.-X. de Ravignan, De l’existence et de l’institut des jésuites, 4e éd., Paris, Poussielgue-Rusand, 1844, p. 2. 94 Ibid., p. 79.

103

104

SARAh BARThéLEMy

Conclusion Cette lecture des sources jésuites s’accompagne d’hypothèses qui doivent encore être approfondies, en particulier en ce qui concerne la notion toujours flot­ tante de l’identité jésuite95. Il reste également à élargir cette enquête à l’ensemble de l’ordre – aux jésuites d’autres provinces – et à l’ensemble du xixe siècle. En effet, le jésuite fait office de figure repoussoir pour les jeunes hommes anticléri­ caux de la France du xixe siècle, comme le montre Anne-Marie Sohn96. Les jésuites sont marginalisés par cette réaction groupée et virile de la jeunesse qui refuse et moque la religion97. C’est sans doute ce qui fait dire à Joseph Burnichon (1847-1936), un historien jésuite de la deuxième moitié du xixe siècle : Un autre reproche qu’on a cru pouvoir leur [aux Jésuites] adresser, avec de bonnes intentions, c’est que les hommes sortis de leurs écoles n’ont pas assez l’esprit combatif, indispensable aux chrétiens d’aujourd’hui. Il ne s’agit pas de l’esprit militaire ; on sait très bien que, à cet égard, les élèves des Jésuites ont fait leurs preuves. Je veux parler de cette humeur entreprenante, et au besoin agressive, qui fait que dans la vie civile on ne marchande pas sa peine, qu’on n’hésite pas à se jeter dans la mêlée, au risque de recevoir des coups, sauf à les rendre quand il le faut pour défendre les grands intérêts de la religion, de la famille, de la société. Voilà ce qui leur manquerait plus que les qualités qui font les bons soldats. Hommes d’honneur et de devoir, fidèles à leurs traditions, ils se cantonneraient trop volontiers dans la dignité tranquille de leur vie privée, laissant le champ libre à des adversaires plus osés et plus actifs98. C’est ce même besoin, faisant écho à la muscular christianity99, d’aligner la chrétienté avec la virilité.

95 L. Giard, « Cómo la redacción de las Constituciones acompaño a la creación de la Compañía de Jesús », Historia y Grafía, 7 (1996), p. 73-91 ; A.-S. Gallo, « Réflexions et jalons…, op. cit. ; P. Chinchilla Pawling, « La identidad de la Compañía de Jesús ante su Restauración », in De la suppression à la restauration…, op. cit., p. 101-112. 96 A.-M. Sohn, Sois un homme ! La construction de la masculinité au xixe siècle, Paris, Seuil, 2009, p. 293-300. 97 « Les impies ont changé de batterie : ils ont vu que la force ouverte ne leur avoit pas réussi il y a 26 ans ; ils emploient aujourd’hui la mine sourde avec une adresse, une constance et un génie diabolique. Quand ils rencontrent dans les rues un ecclésiastique ils ne disent rien mais ils le regardent avec l’air expressif, malin, goguenard, profondément haineux de gens qui nous abhorrent, qui ne veulent pas se presser d’agir, mais qui paroissent surs de leur fait. Ils me feroient vraiment grand peur si je ne pensois au texte : qui est in caelis irridebit eos, et Dominus subsannabis eos ». ARSI, Franc. 1-I, 46, f. 6v, lettre de Grivel à Brzozowski, 1818. 98 J. Burnichon, La compagnie de Jésus en France : histoire d’un siècle, 1814-1914, t. 1, Paris, Beauchesne, 1914, p. xxxvi-xxxvii. 99 Y. M. Werner, Christian masculinity : men and religion in Northern Europe in the 19th and 20th centuries, Louvain, Leuven University Press, 2011 ; T. Van Osselaer, « Une œuvre essentiellement virile: de ‘masculinisering’ van de Heilig Hartdevotie in België? », Tijdschrift voor genderstudies, 3 (2008), p. 33-45.

LA coMPAGnIE RESTAuRéE

Dans son étude sur l’androgynéité des jésuites, Timothy Verhoeven part prin­ cipalement du discours anti-jésuite et des documents extérieurs à la Compagnie de Jésus pour définir et étudier leur image au sein de la société100. En se penchant sur l’autocompréhension de ces jésuites au travers de leurs lettres, et pour en revenir au début du xixe siècle, deux lignes de réflexion apparaissent : celle d’une masculinité intimement liée à cet esprit d’Ignace qui est l’apanage des hommes – les vrais jésuites – et la manière dont cette masculinité est expérimentée et vécue par les jésuites. Cette notion insaisissable qu’est l’identité jésuite est forcément sexuée pour les jésuites de la Restauration. Ce qui fait l’intérêt de la douceur, ce n’est pas tant que cette vertu appar­ tienne aux nombreuses caractéristiques de la littérature sacerdotale (dont l’apogée semble se situer plutôt vers le milieu du siècle, avec notamment Le bon curé au xixe siècle, publié en 1845), mais qu’elle participe de cet antitype dont les jésuites se revendiquent, pour s’inscrire dans le droit héritage des premiers temps de la Compagnie, mais également parce qu’ils n’ont pas d’autre porte d’entrée vers une société à rechristianiser101. Ce qui sépare (et singularise) les jésuites d’une masculinité « sacerdotale », c’est la centralité qu’ils donnent au fait d’être unis en un seul corps. C’est à la fois ce qu’ils constituent et ce qu’ils deviennent à travers leurs pratiques.

100 T. Verhoeven, « Neither Male nor Female… », art. cit. 101 La douceur est une porte d’entrée au sens suggéré par la phrase intraduisible d’Ignace « entrar con el otro y salir consigo » qui indique aux missionnaires et aux confesseurs comment convertir et prendre soin des âmes ; P.-A. Fabre et I. G. Županov, « “Entrar con el otro y salir consigo.” Le motif de la “porte” dans la littérature missionnaire jésuite aux xvie et xviie siècles », présenté au séminaire du Groupe de recherches sur les missions religieuses ibériques modernes à l’EHESS, Paris, le 8 mai 1999.

105

pAUL AIRIAU 

De trente aux trente glorieuses Le prêtre, modèle masculin, dans Le prêtre. Qui est-il ? Que fait-il ? (1961)

À l’aune de l’année 1961 et de l’histoire du catholicisme français, l’album illus­ tré Le Prêtre. Qui est-il ? Que fait-il ? est une fort petite chose1. Pourtant, relevant d’une vulgarisation à destination de grands garçons et de jeunes adolescents, il est une trace privilégiée d’une configuration sociale qui disparaît brutalement moins de dix ans après sa publication. Il résume en effet une histoire plus que séculaire, la réappropriation d’un modèle tridentino-sulpicien du prêtre, relu par une ecclésiologie intransigeante, étroitement associé à une volonté de couverture totale du territoire et de l’espace social, conduisant à une politique intensive de recrutement2. Il exprime aussi une conception minimale commune du prêtre, explicitée par un discours textuel et visuel adapté à des recrues potentielles. Enfin, si, en raison de ce public, il occulte des réalités et interrogations soulevées depuis le milieu des années 19303, il traite pourtant d’un élément important pour des garçons pouvant et incités à se projeter dans l’homme et l’éventuel prêtre qu’ils seront, la masculinité sacerdotale. Il donne ainsi d’accéder assez aisément à ce qu’on pense possible d’en présenter à de possibles futurs prêtres4.

1 J. Vergriete, Le Prêtre. Qui est-il ? Que fait-il ?, illustrations de R. Rigot, Paris, Éditions Fleurus, 1961. L’album n’est pas paginé, mais ses 168 blocs de texte et d’image sont numérotés par ordre croissant. On citera en renvoyant au numéro, en précisant si nécessaire s’il s’agit du texte (t) ou de la vignette (v). 2 Ph. Boutry, « Paroisses et clergé paroissial en France », in B. Pellistrandi (éd.), L’histoire religieuse en France et en Espagne. Colloque international (Casa de Velázquez, 2-5 avril 2001), Madrid, Casa de Velázquez, 2004, p. 175-200, ici p. 182-185) ; J. Art, « L’histoire du recrutement des prêtres et religieux en Europe occidentale aux xixe et xxe siècles : chapitre clos ? », Revue d’Histoire ecclésiastique, 95 (2000), p. 225-237, ici p. 228-232. 3 M. Sévegrand, Vers une Église sans prêtres. La crise du clergé séculier en France (1945-1978), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 35-59. 4 Pour la période 1800-1950, P. Airiau, « Le prêtre catholique : masculin, féminin, neutre ? Des débuts du xixe siècle au milieu du xxe siècle », in R. Révenin (éd.), Hommes et masculinités de 1789 siècle à nos jours. Contributions à l’histoire du genre et de la sexualité en France, Paris, Autrement, 2007, p. 192-207 ; interprétation globale pour la deuxième partie du xxe siècle : Y. Raison du Cleuziou, « Devenir homme parmi les hommes. Révolution ascétique et redéfinition de la virilité sacerdotale au milieu du xxe siècle », in M. Brejon de Lavergnée et M. Della Sudda (éd.), Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 107-120. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131594

108

PAuL AIRIAu

Un contexte Le Prêtre est d’autant plus précieux qu’il se situe à l’acmé de l’ancienne angoisse de l’insuffisance du recrutement sacerdotal, renouvelée au sortir la Deuxième Guerre mondiale5. Une nouvelle génération de spécialistes constitue alors une administration spécialisée et centralisée, qui articule la question aux autres pastorales dans un cadre national. À partir de 1958, la mobilisation pour les vocations déferle : numéro spécial des Informations catholiques internationales (1958), thème d’année de l’ACGH (1958-1959), transformation du Centre de Documentation Sacerdotale (fondé en 1946) en Centre national des Vocations (CNV) dépendants de la Conférence épiscopale (1959), centenaire de la mort du curé d’Ars (1959), thème d’année du louvetisme (1959-1960), brochure du CNV intitulée Si tu savais et destinée aux garçons et filles de 10-12 ans (1961)6. L’Union des œuvres catholiques de France, pilotée par les Fils de la Charité et spécialisée dans la coordination des activités paroissiales de jeunesse, aux origines des Éditions Fleurus et des mouvements Cœurs Vaillants et Âmes vaillantes, accompagne le mouvement7. Alors qu’elle envisageait depuis 1952 de faire de

Genre et christianisme, plaidoyers pour une histoire croisée, Paris, Beauchesne, 2015, p. 229-250 ; sur les transformations des années 1930 aux années 1970 et le rapport au monde ouvrier : Y. Tranvouez, « Les vicaires de patro », in id. (éd.) Catholicisme et société dans la France du xxe siècle. Apostolat, progressisme et tradition, Paris, Karthala, 2011, p. 17-41, ici p. 32-35 ; T. Cavalin, « Dans les replis de l’engagement : la figure de l’aumônier d’action catholique ouvrière » et N. Viet-Depaule, « Les prêtres-ouvriers ou un engagement sans retour (1944-1969) » in B. Duriez, É. Fouilloux et N. Viet-Depaule (éd.), Les catholiques dans la République (1905-2005), Paris, Les Éditions de l’Atelier, 2005, p. 203-215 et p. 253-262. 5 R. Izard, « La pastorale des vocations en France de 1900 à 1970 », Jeunes et vocations, 69 (04/1993), p. 7-14, et id., « Aux origines du SNV », Église et vocations, 8 (11/2009), p. 97-100 ; Ph. Boutry, « Paroisses et clergé paroissial… », art. cit. ; M. Launay, Les séminaires français aux xixe et xxe siècles, Paris, Les Éditions du Cerf, 2003, p. 116-119, p. 144-149 et p. 164-170 ; M. Sévegrand, Vers une Église sans prêtres…, op. cit., p. 23-35, p. 40-41 et p. 287-294. 6 « Crise des structures ? crise de civilisation ? “crise du sacerdoce” », Informations catholiques internationales, 76 (15/07/1958), p. 5-27 ; Action catholique générale, Au service des vocations. Campagne d’année 1958-1959, Paris, Imp. G. Durassié et Cie, 1958 ; R. Izard et J. Arbellot, « Vocations et mouvements d’enfants », Vocations sacerdotales et religieuses, 209 (01/1960), p. 61-66. Voir aussi les deux enquêtes diocésaines présentes dans CNAEF 1 LA 41 (Union des œuvres Congrès de Toulouse), chemise « Documents divers sur les vocations ». Sur le CDS-CNV, CNAEF 85 CO 1, notamment dossier « Dossier A. Historique CNV » (Chemise « Notes pour une petite histoire du CNV glanées auprès de Mgr Izard par G. Muchery. Le 12 juillet 1977 » ; Acte de création du CDS en association loi 1901 – 2 copies différentes ; note dactyl. ss d., 1 p. [biographie de Raymond Izard] ; Acte de constitution du CNV en association loi 1901, ss d. ; « Centre national des Vocations », [20 p.] dactyl, 03/1960 [dossier pour la Congrégation du Clergé et des Séminaires] ; [Raymond Izard], Note sur le CNV, ss d. 2 p. manus. [1958-1959]). Brochure Si tu savais : CNAEF 85 CO 18 [2C. Session des Régionaux. 1959-1973], dossier « Comité national des vocations, 1959-1966 », chemises « Compte rendu Comité 18-19 mars 1960 » [« Comité des 18 et 19 mars 1960 », p. 7], « Comité d’octobre 1960 [10 et 11] » [« Comité du 10 octobre 1960 », p. 1]). 7 Sur l’UOCF, V. Feroldi, La Force des Enfants : des Cœurs Vaillants et Âmes Vaillantes à l’Action Catholique des Enfants, Paris, Éditions Ouvrières, 1987.

DE TREnTE Aux TREnTE GLoRIEuSES

la vocation le thème de son congrès bisannuel, elle ne peut mettre son projet à exécution que pour 1961. Elle mobilise ses relais à partir de mars 1960 et articule son action avec le CNV8. Tenu à Toulouse du 4 au 9 avril, bien couvert médiatiquement, le congrès rassemble deux mille participants (prêtres, religieux et religieuses surtout)9. C’est à cette occasion que les Éditions Fleurus publient, avec l’appui du CNV, Le Prêtre. Qui est-il ? Que fait-il ?, 51e titre de la collection d’albums illustrés « Belles histoires et belles vies », rédigé par Jean Vergriete et illustré par Robert Rigot (1908-1998). Proposant surtout des hagiographies, cette collection participe depuis 1947 à la construction de l’identité catholique des 8-15 ans en développant leur culture religieuse, en leur proposant une plura­ lité de modèles d’identification y compris militants, et en leur permettant de s’inscrire dans une lignée croyante. Elle permet aussi à des congrégations de se faire connaître par le biais de leur fondateur ou fondatrice, et donc éventuellement

8 « La vocation sacerdotale dans la pastorale de l’enfance », Vocations sacerdotales et religieuses, no 208 (10/1959), p. 3 ; H. Nadal, « Pastorale des vocations : Congrès National de l’Union des Œuvres », Vocations sacerdotales et religieuses, 210 (04/1960), p. 25-34 ; L’Union, « Et la relève ? », « Pastorale des vocations », L’Union. Revue mensuelle de pastorale (04/1960), 2e p. de couv., p. 3-6 ; S. Therme, « Pour votre sermon du dimanche », L’Union. Revue mensuelle de pastorale, 01/1961, p. 21-33 [32-33], 02-03/1961, p. 31-42 (plans de sermon traitant de la vocation). 70e congrès Union de Œuvres catholiques de France, Toulouse : Pastorale des vocations sacerdotales et religieuses, 70e Congrès national de l’union des œuvres catholiques de France, Paris, Corbeil-Essonnes, Impr. Creté, 1961 (plaquette de présentation) ; Pastorale des vocations sacerdotales et religieuses, Congrès national de Toulouse 1961, Paris, Éditions Fleurus, 1962 (actes). CNAEF 1 LA 41 (UOCF Congrès de Toulouse), notamment le dossier « A propos de l’enquête sur les vocations », chemise « Questionnaires » ; 1 LA 42 (Union des Œuvres Congrès de Toulouse), notamment dossier « Archives Congrès de Toulouse 1961 – circulaires aux membres de la Commission – courriers divers – présence aux réunions de la Commission – convocations, rappels et circulaires », chemise « Congrès de Toulouse. Convocations, rappels et circulaires aux membres de la commission de Pastorale ». CNAEF 85 CO 18 (« 2C Session des Régionaux. 1959-1973 ») : dossier « Comité national des vocations, 1959-1966 », chemises « CR du 26.1.1960 » (lettre du CNV aux membres du Comité national, 15/01/1960 ; « Réunion du Comité national des vocations du 26 janvier 1959 », [41 p.], dactyl.), « Compte rendu Comité 18-19 mars 1960 » (« Comité des 18 et 19 mars 1960 », p. 7), « Comité d’octobre 1960 (10 et 11) » (« Comité du 10 octobre 1960 », p. 1), « Comité 30-31 janvier 1961. Mai 29 et 30 » (« Congrès de Toulouse. Réunion des directeurs d’œuvres de Vocations. Comptes rendus d’activités et projets », 7 p. dactyl. ; « Comité national du 30-31 janvier 1961 », p. 1 ; « Compte rendu du comité national du 30-31 janvier 1961 », p. 5-6). 9 Notamment La Croix : J. Pélissier, « À Toulouse, S. Exc. Mgr Garrone a ouvert le 70e Congrès de l’Union des œuvres », 06/04/1961, p. 1, 4, « Le Congrès de l’Union des œuvres. Que pense le Français moyen de la vocation ? », 07/04/1961, p. 1, 4, « Au Congrès de l’Union des œuvres. Vocation et sens de l’Église », 08/04/1961, p. 4, « Au Congrès de l’Union des œuvres. Vocation et sens de l’Église », 09-10/04/1961, p. 4, et art. anon., « Les conclusions du Congrès de l’Union des œuvres. Pastorale des vocations », 11/04/1961, p. 5. Voir aussi « La pastorale des vocations sacerdotales et religieuses. Congrès de l’Union des œuvres (Toulouse, 4-9 avril) », La Documentation catholique (07/05/1961), col. 569-580.

109

110

PAuL AIRIAu

de recruter10. On comprend la caution par le CNV, qui veut élargir le vivier des possibles petits séminaristes sans que soit concurrencée sa brochure11. La publication par les Éditions Fleurus explique l’appel à Rigot, un des princi­ paux illustrateurs de la maison et de la collection (27 des 50 titres parus jusqu’en 1961)12. Quant à Jean Vergriete, c’est l’abbé Jean Vegh (1906-1991), issu d’une pieuse famille (deux frères prêtres) de Bergues (Nord). Prêtre en 1930 (diocèse de Lille), il enseigne à l’Institution Jeanne d’Arc jusqu’en 1954, puis devient aumônier de l’hôpital psychiatrique de Bailleul13. Juste avant la Seconde Guerre mondiale, il satisfait sa sensibilité littéraire avec les Éditions Alsatia, auxquelles il donnera cinq titres destinés à la jeunesse. En 1958, il rejoint les Éditions Fleurus avec Mère Nathalie, fondatrice des Filles de l’Enfant-Jésus de Lille, volume de « Belles histoires et belles vies » illustré par Rigot. Rédigé et dessiné sans doute à la fin 1960-début 1961 (imprimatur du 10 mars 1961), Le Prêtre est reçu au dépôt légal le 26 mai14. La mise en vente (lors du congrès ? en mai ?) correspond à l’ouverture de la période des confirmations, des communions solennelles, des ordinations sacerdotales (la Pentecôte est le 21 mai), et des retraites de discernement d’entrée en petit séminaire. L’album peut servir d’éventuel cadeau à bon marché (2,5 NF) ou de lecture conseillée ou proposée, d’autant qu’il reconduit un rassurant modèle ancien d’histoires illustrées15.

10 M. Soriano et F. Guérard, « Le point de vue des éditeurs », Enfance, 9/3 (1956), p. 30-32 ; J. Pihan, Merci pour le passé…, Paris, Éditions Fleurus, 1985, p. 93-96. J.-B. Renard, Bandes dessinées et croyances du siècle : essai sur la religion et le fantastique dans la bande dessinée franco-belge, Paris, Presses universitaires de France, 1986, p. 32-33, est repris par M. Lagrée, La bénédiction de Prométhée. Religion et technologie, Paris, Fayard, 1999, p. 284-285, puis S. Lesage, L’Effet codex : quand la bande dessinée gagne le livre. L’album de bande dessinée en France de 1950 à 1990, Thèse d’histoire, Université Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines, 2014, p. 504-506. 11 CNAEF 85 CO 18 (« 2C. Session des Régionaux. 1959-1973 »), dossier « Comité national des vocations, 1959-1966 », chemises « Compte rendu Comité 18-19 mars 1960 » (« Comité des 18 et 19 mars 1960 », p. 7), « Comité d’octobre 1960 (10 et 11) » (« Comité du 10 octobre 1960 », p. 1). 12 Rigot est actuellement réduit à sa participation à la propagande vichyste antisémite (en particulier Th. Crépin, « Robert Rigot, un dessinateur gagné par l’antisémitisme ? », in id. et Fr. HacheBissette (éd.), Les presses enfantines chrétiennes au xxe siècle, Arras, Artois Presses Université, 2008, p. 201-207). Voir surtout « R. Rigot », Hop !, 35 (automne 1984 [02/1985]), p. 47-50, « R. Rigot. 2e partie : Les Éditions Fleurus », Hop !, 36 (hiver 1984-1985 [05/1985]), p. 51-54, « R. Rigot. 3e partie : L’Après-Guerre », Hop ! Revue d’informations et d’études sur la B.D, 37 (2e trim. 1985 [01/1986]), p. 51-54, « R. Rigot. 4e Partie : Reportages judiciaires », Hop ! Revue d’informations et d’études sur la B.D, 38 (déc. 1985 [07/1986]), p. 51-59, « R. Rigot. 5e Partie : Les Fonctions (suite) », Hop ! Revue d’informations et d’études sur la B.D, 39 (s. d. [3e trim. 1986]), p. 50-61. 13 Informations sur sa carrière transmises par Frédéric Vienne, archiviste de l’archidiocèse de Lille, que je remercie vivement. 14 Tampon sur l’exemplaire de la BnF. 15 Je laisse de côté l’articulation texte-images, qui mériterait un traitement per se.

DE TREnTE Aux TREnTE GLoRIEuSES

Ne varietur Le Prêtre reconduit aussi un modèle de masculinité sacerdotale fort tridentin. Le prêtre est évidemment mâle. L’album s’adresse à de jeunes garçons, débute par la présentation de métiers masculins (t1-3), se conclut par la représentation de garçons (v165, v166-167), et moins d’un tiers des vignettes (50/168) comporte des femmes, surtout au second plan16. Cette exclusivisme est justifié par le choix fondateur du Christ continué par les évêques (t13-14, t18, t27), la vocation sacer­ dotale étant distinguée des appels exceptionnels (31, v32, 33). Bien que mâle, le prêtre diffère cependant des hommes. Discrètement tonsuré (v46-47), son visage est glabre (sauf pour les missionnaires et les aumôniers militaires, v9, v87, v122), conformément aux prescriptions ecclésiastiques désormais en harmonie avec la mode masculine17. Le prêtre porte aussi un « costume particulier » (t4), la sou­ tane, expliquée et relativisée par une mise en perspective socio-historique (t5-9), et une tenue « professionnelle », les vêtements cultuels (10-12). La soutane provenant de la robe masculine médiévale (t6-7), cette particularité ne remet pas en cause la virilité sacerdotale. Le décalage se retrouve dans le comportement, maîtrisé, avec une gestuelle cultuelle ritualisée et pondérée. Les seuls moments d’activité (représentés assez statiquement, v48) sont ceux du grand séminariste moniteur (48), du vicaire de patronage (93), de l’aumônier scout (95) et du pré­ dicateur (v130), jeunesse et pastorale justifiant cet écart à l’hexis ecclésiastique. Pourtant, même sans dépense physique, le prêtre demeure le plus souvent svelte, sauf parfois lorsque l’âge suscite de l’embonpoint (v63, v68). L’écart comportemental le plus net est l’absence de toute vie familiale. La famille, réduite aux parents et à leur garçon possible prêtre18, est ambivalente : elle s’oppose à ou appuie la vocation (37-38). En tout cas, « Il sera nécessaire de se séparer des siens » (t40), la vignette traduisant clairement le transfert de la famille à l’Église : un pilier blanc sépare le couple parental de dos à droite du couple prêtre-petit séminariste de face à l’arrière-plan à gauche, seule la valise

16 Proportion supérieure à celle des magazines illustrés pour la jeunesse des années 1950 : O. Piffault, « Tous les garçons et les filles au pays des bulles, 1945-1970 : rencontres impossibles ? », in Chr. Connan-Pintado et G. Béhotéguy (éd.), Être une fille, un garçon dans la littérature pour la jeunesse. France 1945-2012, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2014, p. 193-207. 17 La pilosité faciale masculine s’est effondrée depuis le début du xxe siècle, et les barbus et moustachus de Rigot sont plutôt âgés. Sur les racines du glabre ecclésiastique latin, J.-M. Le Gall, Un idéal masculin ? Barbes et moustaches (xve-xviiie siècles) suivi de Le Barbu ou Dialogue sur la Barbe d’Antoine Hotman, Paris, Payot, 2011, p. 114-159. Sur la barbe et la moustache en France à la fin du xixe siècle : G. Mihaely, « Un poil de différence. Masculinité dans le monde du travail : années 1870-1900 », in R. Révenin (éd.), Hommes et masculinités…, op. cit., p. 128-145. On élargira avec J. Evans et A. Whitey (éd.), New Perspectives on the History of Facial Hair. Framing the Face, s. l., Palgrave Macmillan, 2018. 18 Rigot s’éloigne du discours catholique associant famille nombreuse et fécondité sacerdotale au moment où les évêques s’opposent aux offensives en faveur du contrôle des naissances (M. Sévegrand, Les enfants du bon Dieu. Les catholiques français et la procréation au xxe siècle, Paris, Albin Michel, 1995, p. 178-179).

111

112

PAuL AIRIAu

du petit séminariste reliant les parents à leur enfant tout en disant le départ. La bénédiction des parents par leur fils après son ordination (61) traduit un renversement d’autorité (désormais du côté du fils prêtre) et une désaffiliation définitive (la famille du prêtre n’est plus ensuite évoquée). Rupture avec sa famille, sans créer la sienne par le mariage : le célibat est définitif avec le sous-diaconat. Le « don à Dieu total et définitif » (t50) est renoncement au mariage, et donc, implicitement, à la sexualité. L’abstinence est exprimée de manière fort détournée : « L’agitation qui l’entoure [le prêtre] ne le détourne pas de son recueillement intérieur, même s’il va et vient dans une grande ville pleine de mouvement et de bruit » (65). Rigot est plus clair, avec un jeune prêtre passant devant le Moulin rouge, ou en ne représentant que des prêtres mûrs ou âgés pour la pastorale impliquant des femmes ou la sexualité (maternité, conjugalité, famille, religieuses : v121, v81, v90, v98, v99, v114). La maîtrise des pulsions est entendue comme accomplissement d’une donation de soi à Dieu, source de bonheur sans frustrations (v99, v114). La compensation par la sociabilité sacerdotale est presque absente (t44, 68). En ignorant cet aspect fondamental19, Vegh caractérise le prêtre par la dialectique de sa livraison à Dieu (65, 69, 76) et de sa disponibilité pour les autres (77-84, 89-96, 98-116), la solitude en étant le moyen (103), le dévouement des fidèles une espérance (133-136). In fine, l’être sacerdotal relève d’un agir enraciné dans la vie spirituelle, l’intériorité psychologique étant fortement minorée. C’est la traduction du titre de l’album (le prêtre est et fait), les illustrations laissant cependant deviner des affects (v7, v10, v43, v90, v102, v165…), toujours reliés aux missions sacerdotales. Ce décalage de l’homme prêtre est en fait déterminée par l’appartenance à une institution, omniprésente, l’Église, qui fait du grand garçon un homme prêtre. Elle lui donne d’abord une formation spécifique qui l’isole des garçons de son âge. Fi­ dèle aux données disponibles, Vegh associe la vocation aux grands garçons (32-34, 38-40) par le biais du propre du prêtre, la relation à l’hostie consacrée (t33, même s’il évoque les vocations d’adultes, t35-36)20. L’identité masculine du prêtre se détermine ainsi autour des fonctions cultuelles, atteintes graduellement. Le petit séminaire est, malgré des précautions (t4121), la première étape d’un parcours linéaire, temporairement interrompu par le service militaire, d’incorporation et d’acquisition de connaissances, d’habitudes et de dispositions sociales et psycho­ logiques, jusqu’aux ordinations (41-53). Aucune temporalité n’est évoquée, la durée étant suggérée par quelques notations et scansions (44-53). La masculinité sacerdotale se rapproche donc de celle d’hommes issus des classes dominantes,

19 Riches données dans L. Perrin, Paris à l’heure de Vatican II, Paris, Les Éditions de l’Atelier, p. 73-75, p. 78-80 et p. 85-86 ; utile témoignage de J. Espinasse, Prêtre en Corrèze, 1929-1979, Paris, Robert Laffont, 1979, p. 214-234. 20 Sur les vocations et l’eucharistie, P. Dewisme, « Motivations de la vocation », Supplément de La Vie spirituelle, 60 (1er trim. 1960), p. 55-65. 21 Les proportions de sortie dépassent les 60% (M. Launay, Les séminaires français…, op. cit., p. 148).

DE TREnTE Aux TREnTE GLoRIEuSES

effectuant des études longues et non marquées par le travail manuel et des rituels de domination. La subordination est pourtant présente sous la modalité de l’obéissance à Dieu et à l’évêque (t51, t60), la première étant aussi accès à l’autorité et la seconde intégration à une famille nouvelle (t51, t58). Cette occultation des rapports avec l’administration diocésaine, au profit de l’idéal visé, traduit l’articulation plus nette recherchée depuis les années 1940 entre prêtres et évêques pour répondre aux interrogations sur l’identité sacerdotale22. Elle insiste sur l’intégration et l’appar­ tenance à une institution définissant l’identité masculine du prêtre. Par sa hiérar­ chie, cette institution sanctionne le parcours (t29, t50-53), s’intègre l’impétrant (t27-28, t53-60) et lui assigne les activités où se réalise son identité (culte, occupa­ tions pastorales). Elle lui a donc fourni, au-delà de ses « éventuelles dispositions personnelles » (t32), les habitus et compétences spirituelles, humaines, psycholo­ giques, intellectuelles, relationnelles, lui permettant de réaliser correctement son rôle : piété, dévotion, maîtrise des célébrations cultuelles (t77-8…), longanimité, empathie et compassion (t101-102, t120…), travail intellectuel (t66), amabilité, enjouement et capacité à lier des relations sociales par-delà les différences de classes et d’âges (t93-96, t98-100, t115-118…), courage physique (t145-148)… Grâce à l’Église, le prêtre est un homme total.

Des éléments de modernisation Masculinité particulière mais non anormale, différente mais non inférieure : l’album distille le modèle tridentin revisité par le moule sulpicien, les transforma­ tions de la fin du xixe siècle et l’Action catholique23. Même, il ajoute une dose de ce qui n’est pas encore les Trente Glorieuses. Celle-ci se repère à trois dimensions, qui renforcent la masculinité. Urbanité d’abord. Si le prêtre de Vegh n’est de nulle part, ou presque, des renvois semblent évoquer le monde urbain (appartement, t101 ; « églises vides » de campagne, t116). Chez Rigot, la grande ville et la ville industrielle ont une faible place (v35, v115, v119, v161, v165), et le gros bourg, la ville petite et moyenne d’une petite et moyenne bourgeoisie dominent, à voir les quelques décors (v4, v136, v165), certains intérieurs (v37-38, avec des conditions de confort plus urbaines que ru­ rales), des intérieurs d’églises (v69-74), même si ce qui paraît être un espace rural est aussi présent (v68, v84-85, v103, v131-132, v140). Les messalisants penchent vers l’urbanité, à voir leurs tenues (plutôt celles d’un monde de la distinction vestimentaire, v75, v77, v98, v101 ; costume trois pièces de militants d’action catholique, v100), même si une sortie de messe rurale en partie comparable (v84) minore le caractère probant de la lecture. L’urbanité dominerait donc, mais non

22 M. Sévegrand, Vers une Église sans prêtres…, op. cit., p. 31-367 (ici p. 31-35 et p. 44-47). 23 Ph. Boutry, « Paroisses et clergé paroissial… », art. cit.

113

114

PAuL AIRIAu

celle des plus grosses agglomérations, en phase avec la croissance urbaine des années 1950, ce qui fait du prêtre un homme de son temps et non du passé rural. Cette urbanité peut se relier à la technicité, discrètement mise en avant sans originalité, en raison de la technophilie catholique24. L’autonomie de la technique étant jugée évidente, Vegh insiste sur sa spiritualisation (elle doit servir au « pro­ grès de la culture humaine et spirituelle », t111). Il introduit donc les prêtres l’utilisant au service de l’Église (t109-112), notamment les hommes de médias et d’édition. Rigot dessine alors le directeur des Éditions Fleurus, le P. Jean Pihan, en clergyman au milieu d’un bureau (v111). Modernité et adaptation aux circonstances sont ainsi reliées, proposant discrètement une masculinité sacerdo­ tale moins particulière25. Mais le phénomène est circonscrit : les dominicains des émissions de télévision demeurent en habit (v112), la ronéotypie à alcool et le micro (v167, v130) sont utilisés par un prêtres en soutane ou en habit liturgique. Cette conscience du poids croissant de la technique s’accompagne de celle du risque de dévalorisation concomitante des professions liées aux humanités. Pour y répondre, l’intellectualité est valorisée. La solidité de la formation sacerdotale est soulignée : sérieuses études au petit et au grand séminaire, connaissances entretenues (t42, t46, t66). La culture acquise est spécialisée, selon une approche doctrinale où le culte a peu de place : Écriture, histoire sainte et de l’Église, ensei­ gnements pontificaux (t47). Elle est aussi générale. D’un niveau au moins égal au baccalauréat, le prêtre suit et comprend les problématiques contemporaines (t42, t66). Il possède souvent des diplômes, et peut enseigner à tous les degrés (t106, t108-109) – ce qui correspond à une réalité26. Le prêtre est ainsi un éveilleur so­ lide (108 : un magistrat, un professeur de faculté, un membre de l’Institut ont été formé par un prêtre enseignant), associé à des objets symboliques : le livre, très présent du petit séminaire jusqu’à l’âge mûr (v42, v44, v47, v65-66, v106-109…) ; les lunettes27. Lunettes et intellectualité sont en effet associés : deux des trois prêtres enseignants, un prêtre étudiant à l’Université et un se formant après son ordination en portent (v45, v66, v106-109), trois d’entre eux tenant en sus un livre. Prêtres et séminaristes portent d’ailleurs plus de lunettes que les autres hommes (40/173 soit 23,1% contre 16/153 soit 10,45%), la proportion de prêtres jeunes et relativement jeunes équipés étant supérieure à celle des prêtres âgés. Rigot lie ainsi le clergé aux professions intellectuelles, sans négliger la dimension spirituelle, car les lunettes disent aussi la pénétration intellectuelle et spirituelle :

24 M. Lagrée, La bénédiction de Prométhée…, op. cit. 25 À Paris, les séculiers sont en soutane jusqu’en juin 1962 : L. Perrin, Paris à l’heure de Vatican II…, op. cit., p. 69. 26 En 1950, 17 % des prêtres à disposition des diocèses sont affectés à l’enseignement ou à l’aumônerie scolaire (F. Boulard, Essor ou déclin du clergé français ?, Paris, Les Éditions du Cerf, 1950, p. 470-472). 27 Sur la complexité symbolique des lunettes, J.-Cl. Margolin, P. Biérent et P. Marly, Lunettes et lorgnettes, Paris, Hoëbeke, 1988 ; A. Vitols, Dictionnaire des lunettes. Historique et symbolique d’un objet culturel, Paris, Éditions Bonneton, 1994 ; A. Maillet, Prothèses lunatiques les lunettes, de la science aux fantasmes, Paris, Éditions Amsterdam, 2007.

DE TREnTE Aux TREnTE GLoRIEuSES

en portent le prêtre accueillant le désir de la prêtrise d’un jeune garçon, un séminariste priant et projeté dans son futur sacerdotal, un séminariste soldat qui observera ses contemporains, et un prêtre éveilleur (v39, v43, v45, v108). L’album propose ainsi comme modèle de prêtre un homme accompli pleine­ ment à sa place dans une société philotechnicienne, et garantit son statut social, ni dominé ni discrédité. Cette affirmation de l’autorité sacerdotale, posée dès l’avant-propos (la pluralité des compétences du prêtre l’établit à part et au-dessus des autres métiers ; voir aussi t83), se poursuit en présentant le prêtre comme source de la vitalité paroissiale par les sacrements et la pastorale (89-124), de l’engagement dans la vie paroissiale (surtout matérielle, 133-135), de la militance d’Action catholique (100), de l’amélioration du monde (avant-propos, 84, 130, 132). La paroisse, rassemblant une communauté sous la houlette du prêtre (t101, t131), est placée au centre de la vie religieuse, ce qui relève plutôt d’une réalité rurale ou de petites villes et permet de contester la pratique élective des grandes villes28. Le métier de prêtre est ainsi situé dans une partielle relecture missionnaire de la paroisse d’œuvres d’après la Deuxième Guerre mondiale (90)29. Les autres modalités d’encadrement pastoral (aumôneries, 114, 120-122 ; missions spéciali­ sées pour certains groupes sociaux, 117-119) maintiennent la centralité du prêtre. Il en va de même avec l’Action catholique (113, 115-116), lue de manière plu­ tôt cléricale. Le prêtre « stimule le zèle des âmes généreuses », t100), est chargé de « découvrir, […] former et […] épauler les militants ouvriers », t115), les vignettes montrent au premier plan un jeune prêtre, adapté au milieu par sa tenue, avant-bras levé, poing serré, parlant à un auditoire attentif, parfois plus âgé30. Rigot appuie ainsi Vegh : lorsqu’il dessine des prêtres et laïcs ensemble, les premiers sont très souvent au premier plan et leur tête dépasse presque toujours les autres personnages. Frappante est ici une vignette (v101) où un prêtre échange une poignée de main avec un père d’âge mûr semblant d’un milieu aisé, tout en posant sa main gauche sur l’épaule et en regardant le garçon de celui-ci. La mère et la fille, isolées par les bras du père et du prêtre et sans contact physique avec le prêtre, sont rejetées en arrière-plan, chacune à leur rang. Le prêtre est égal et supérieur au père, salué, non regardé, en partie dépossédé de son autorité sur son fils, sur lequel le premier exerce sa supériorité. L’autorité masculine du prêtre s’affirme en s’interposant dans l’ordre des générations et en fixant la hiérarchie des genres,

28 Pour Paris : J. Petit et Fr. Isambert, « Structure sociale et vie religieuse d’une paroisse parisienne », Archives de Sociologie des religions, 1 (1956), p. 71-127 ; Y. Daniel, Aspects de la pratique religieuse à Paris, Paris, Les Editions ouvrières, 1952, p. 34-37, p. 48-49, p. 58, p. 74-75, p. 79-80, p. 87-88 et p. 103-105. 29 É. Fouilloux, « La paroisse urbaine française entre tradition et mission, 1937-1946 », in id., Les chrétiens français entre crise et libération, 1937-1947, Paris, Les Éditions du Seuil, p. 147-160 ; Y. Tranvouez, « Paroisse urbaine et Action catholique spécialisée », in id. (éd), Catholicisme et société…, op. cit., p. 85-113. 30 Vegh fait primer dans l’Action catholique la dimension institutionnelle, qui détermine la dimension apostolique, dans le cadre d’un mandat (distinctions et éclaircissements dans Y. Tranvouez, « Deux équivoques de l’Action catholique… » op. cit., p. 63-84.

115

116

PAuL AIRIAu

simplement grâce à sa main. Ainsi, le sacerdoce rend la masculinité insensible aux effets de classe et d’âge. Les garçons des couches moyennes, moyennes-inférieures et agricoles fournissant les gros contingents de prêtres sont donc assurés de leur épanouissement masculin : prêtres, ils ne seront pas intérieurs aux autres hommes, quels qu’ils soient31. L’autorité sacerdotale se retrouve dans la gestuaire du prêtre, qui est celle de ses mains. Jointes pour la prière, tenant le bréviaire ou disposées selon les rubriques, elles prolongent voire incarnent la main du Christ (v83, v130), qui, par le prêtre, bénit, mobilise, encourage, indique, insiste, souligne les propos (v86-87, v89-90, v92 – toutes sur la même double page, ce qui renforce l’efficacité du dis­ cours –, v100, v121, v115, v137). A contrario, les autres personnages sont passifs, sauf les enfants, ardents physiquement (v93-94, v96), les violents (v132, v166) et ceux se livrant à une activité manuelle (v134). Cette gestuaire virilise moralement le prêtre, homme de décision et d’autorité. La tenue joue le même rôle au plan physique : ceinturon, soutane à poches de poitrine, blouson éventuellement en cuir, canadienne parfois à fermeture éclair, pèlerine et béret (v7, v39, v48, v65-66, v68, v80, v90 v93-96, v115-117, v161, v165)32. Le tout est associé à la jeunesse (v39, v93-96) ou au monde populaire (v90, v115-116), où la virilité du prêtre a toujours été un enjeu – l’usage de la pipe dans le monde agricole va dans le même sens (v116)33. Autre virilisation, la mise à l’écart de toute piété sentimentale, réduite à la dévotion à la Vierge. Représentée avec un prêtre juvénile peu viril (v67), elle est contrebalancée par une scène où s’accomplit en l’homme fait la for­ mation du grand adolescent priant (v43), par la présence de nombreux hommes pieux aux cérémonies (v33, v69-70, v73, v75, v77, v98) et par une confession masculine (v80). Le dimorphisme de la pratique est ignoré pour contester l’idée d’une féminisation du prêtre par contact avec de nombreuses femmes. Enfin, la virilité sacerdotale est mise en exergue en lui opposant des virilités dépréciées, représentées par des personnages physiquement et moralement dégradés (père opposé à la vocation de son fils, v37 ; homme adultère, v104 ; alcoolisation, v132). La virilisation n’empêche pas l’esthétisation : le prêtre est fréquemment grand, le corps relativement élancé, conforme à l’esthétique de la minceur masculine qui commence à s’imposer, les cheveux coiffés en arrière et ondulants, le visage allongé, le front haut, le nez fin, droit ou légèrement busqué, le menton net. La couverture de l’album en est une synthèse colorée, déclinée dans presque la moitié des vignettes détaillant un ou des prêtres contemporains (une quarantaine de fois sur presque 90). Si Rigot a sans doute exploité un canon des années 195034, 31 Sur les origines sociales du clergé, « Crise des structures ?… », art. cit., p. 78. 32 Cette tenue est héritée, outre du scoutisme et des aumôniers des mouvements de jeunesse, de celle inventée en 1945 par l’abbé Pierre ; R. Barthes, « Petite mythologie du mois. Iconographie de l’abbé Pierre », Lettres nouvelles, 23 (01/1955), p. 154-156, repris dans Mythologies, Paris, Les Éditions du Seuil, 1957, p. 57-59, ignore la virilisation : autres temps… 33 P. Airiau, « Le prêtre catholique… », art. cit., p. 199-202. 34 Ce type rappelle des héros de bandes dessinées des années 1950 (Buck Danny, Jean Valhardi, Eric fils de Barbe-Rouge, Jerry Spring…). Sur le corps masculin : K. Krauss, Male Beauty. Postwar

DE TREnTE Aux TREnTE GLoRIEuSES

il s’est aussi vraisemblablement inspiré de Montgomery Clift jouant l’abbé Mi­ chael Logan dans I confess d’Alfred Hitchcock (1953)35. Rares sont les prêtres peu plaisants (v68, v116), malgré de nombreuses alopécies partielles ou totales (une trentaine), indépendantes de l’embonpoint, la voussure ou la sénescence. La beauté physique paraît être une de ces « dispositions personnelles » et « aptitudes » données par Dieu pour préparer à être prêtre (t32). A moins que le sacerdoce n’embellisse et révèle en l’homme la beauté. Le laissent entendre la comparaison d’un petit séminariste déjà grand adolescent au prêtre qu’il sera (v43), et l’établissement du Christ comme archétype sacerdotal (v62), où la conformation au Christ par l’ordination crée une union spirituelle tellement intime qu’elle devient conformation physique (t62)36. À moins encore qu’il ne faille concurrencer efficacement le nouveau chevalier de l’adolescence catholique (le raider scout), les sportifs, les chanteurs, les acteurs et les héros de papier envahissant les illustrés pour la jeunesse37. Tous proposent d’autres types d’identification masculine, d’autres modalités d’expression des affects et d’autres types d’amis idéaux, que certains catholiques tiennent pour des

Masculinity in Theater, Film and Physique Magazines, New York, State University of New York Press, 2014 ; G. Vigarello, Histoire de la beauté. Le corps et l’art d’embellir de la Renaissance à nos jours, Paris, Éditions du Seuil, 2004. 35 La sexualité de Clift rend le choix de Rigot a posteriori involontairement ironique (K. Krauss, Male Beauty…, op. cit., p. 81-124 ; E. Girelli, Montgomery Clift, Queer Star, Detroit, Wayne State University Press, 2014, p. 90-102). 36 Cette identification physique au Christ est présente dans les manuels belges de religion de l’enseignement primaire : Ch. Paradis, L’éducation morale et religieuse des adolescents à l’école publique québécoise, 1929-1958, Mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Laval-Québec, 2007, partie 3.1.2.1 [en ligne]. URL : http://archimede.bibl.ulaval.ca/archimede/fichiers/24962/ch04.html. 37 G. Saint-Aubin, « Les modèles éducatifs des Scouts de France en direction des adolescents. Évolution historique », Le Supplément, 150 (10/1984), p. 85-101, et id., « Le langage du signe. Du scout-chevalier au pionnier. Évolution des modèles éducatifs des Scouts de France », in G. Cholvy et M.-Th. Cheroutre (éd.), Le scoutisme. Quel type d’homme ? Quel type de femme ? Quel type de chrétien ?, Paris, Les Éditions du Cerf, 1994, p. 171-185 ; M. Attali et J.-M. Lemonnier, « Le champion sportif : une figure totémique de la France des années 1960 », Sport History Review, 42 (11/2011), p. 117-130 ; J.-Fr. Sirinelli, Les baby-boomers, une génération (1945-1969), Paris, Fayard, 2003, p. 123-128, 155-158, 175-179 ; W. Michallat, French Cartoon Art in the 1960s and 1970s. Pilote hebdomadaire and the Teenager Bande Dessinée, Leuven, Leuven University Press, 2018 ; O. Piffault, O. Piffault, « Tous les garçons et les filles… », art. cit. ; B. Glaude, « Jijé, l’abbé Pirot et le western missionnaire », in P. Delisle (éd.), Bandes dessinées et religions. Des cases et des dieux, Paris, Karthala, 2016, p. 69-98 ; É. Maigret, « “Strange grandit avec moi”. Sentimentalité et masculinité chez les lecteurs de bandes dessinées de super-héros », Réseaux, 13/70 (1995), p. 79-103 (pour une période ultérieure) ; on attend la publication de Ch. Vivier, S. Laffage-Cosnier et M. Thiébaut, « Un as du volant, idole des jeunes garçons des années 1960 : le héros de bande dessinée Michel Vaillant », communication au 16e Carrefour d’Histoire du Sport organisé par l’équipe LH2S du CRIS, Le sport et les sixties, Lyon, 27-29 octobre 2014, pour en prendre connaissance ; A.-M. Sohn, Âge tendre et tête de bois. Histoire des jeunes des années 1960, Paris, Hachette, 2001, p. 86-91.

117

118

PAuL AIRIAu

modèles à rejeter car concurrençant frontalement ce que le Christ et les saints qui le déclinent doivent être pour le prêtre et tout jeune catholique38. Deux points peuvent servir de réflexions conclusives. Tout d’abord, la masculi­ nité sacerdotale, différant des masculinités les plus largement répandues, du point de vue de la formation initiale, des modalités du travail, de la conjugalité, de la sociabilité, est l’incorporation progressive d’un modèle porté par l’institution catholique. Cette dimension institutionnelle spécifie sans doute la masculinité sacerdotale, la seule des masculinités françaises à être ainsi construite – sauf à considérer que l’armée et les écoles normales proposent ou ont proposé une masculinité particulière –, et ainsi assumée, voire revendiquée, au moins comprise comme source de supériorité, en raison de sa finalité spirituelle et altruiste, et de sa capacité à assumer et sublimer tout et toutes les facettes de ce qui a été abandonné – le sacerdoce est une vie masculine accomplie. L’intransigeance en est la pierre de touche, comme supériorité insurpassable d’une structuration de la société autour de l’Église permettant de transcender les clivages sociaux, donc d’ignorer les variantes socialement déterminées de la masculinité. Ce positionne­ ment assure une force réelle à ceux qui l’assument, le subissent, en bénéficient, l’exercent, car ils se sont constitués, expérimentés et se savent l’expression indivi­ duelle et diffractée selon des modalités particulières d’un modèle institutionnel accepté comme sacré et sage. Le rapport aux autres masculinités peut donc être conflictuel, dialectique, ou tranquillement divergent39. Deuxième aspect, cette masculinité institutionnelle évolue avec les transfor­ mations de l’identité sacerdotale sous l’effet des mutations sociales et des sécula­ risations de l’agir. Cette identité passe, à partir du premier quart du xxe siècle, de l’intégration d’habitudes suscitant l’hexis presbytéral pour constituer un être théoriquement séparé du monde, à un intégralisme faisant que tous les actes peuvent désormais être assumés car spirituellement ou apostoliquement finalisés. Un « pôle organisationnel [de la personnalité] » (soit la vie spiri­ tuelle sacerdotale, non plus identifiée à des actes méthodiques, notamment en matière spirituelle – acquisition des vertus, oraison méthodique, etc.) devient une « […] structure génératrice qui ne détermine plus de comportement mais

38 G. Hourdin, La presse catholique, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1957, p. 47-48 ; « Notre jeu “Complétez la rédaction” révèle : Roger Rivière et le Père Duval sont les personnages préférés des garçons et des filles », Cœurs vaillants, 16 (16/04/1961), p. 6-7 ; N. Carré, « Non ! Les jeunes ne sont pas tous comme ça ! », Cœurs vaillants, 35 (06/07/1961), p. 14-15 ; id., « Rock ‘n’ roll contre alpinisme », Cœurs vaillants, 31 (30/07/1961), p. 15. Ch. Paradis, L’éducation morale et religieuse…, op. cit. ; M. Pires, « The popular music press », in St. Cannon et H. Dauncey (éd.), Popular Music in France from Chanson to Techno. Culture, Identity and Society, Londres-New York, Routledge, 2008 (2003), p. 77-96 (80-83); J. Briggs, Sounds French. Globalization, Cultural Communities and Pop Music, 1958-1980, New York, Oxford University Press, 2015, p. 37-39 ; M. Duffet, « Caught in a Trap? Beyond Pop Theory’s “Butch” Construction of Male Elvis fans », Popular Music, 20/3 (10/2001), p. 395-408. 39 Je poursuis ici Ph. Boutry, Prêtres et paroisses au pays du curé d’Ars, Paris, Les Éditions du Cerf, 1985, p. 216-217.

DE TREnTE Aux TREnTE GLoRIEuSES

qui permet l’unité personnelle en infusant un esprit général à un agir40 ». De performateur d’un rôle social, qui était son identité institutionnelle et personnelle, dans une fusion entre l’être et l’agir, puisque l’agir fait l’être qui suscite l’agir, le prêtre devient performateur d’une modalité d’existence, déterminée par son rapport à l’institution, qui lui réserve exclusivement certains actes cultuels (car impliqués par l’identité symbolique qu’elle lui assigne : collaborateur du Christ élu par lui pour le continuer dans le temps et l’espace), et lui procure les ressources psycho-spirituelles pour accomplir ce qui lui est demandé (être un ami du Christ se faisant tout à tous), et qui ce faisant construit son identité d’institution (elle regroupe tous les hommes partageant l’identité ainsi définie). Il dispose ainsi d’une souplesse comportementale qui lui permet à sa masculinité d’évoluer et de s’adapter aux circonstances et interlocuteurs, tout en conservant sa spécificité par sa finalisation, son appartenance institutionnelle et son pôle organisationnel. De ceci, Le Prêtre de Vegh témoigne lorsqu’il met en scène un prêtre insensible aux lieux, aux temps, aux personnes, capable d’être authentiquement lui-même partout. Mais il propose alors, à de grands garçons et jeunes adolescents nés après 1945, la modalité de masculinité sacerdotale construite depuis les années 1920, dans laquelle Vegh a été structurée. Pourtant, ce modèle, s’il a permis une véri­ table adaptabilité, a entraîné une incertitude identitaire, puisque chaque prêtre était plus ou moins invité à s’inventer lui-même, renouvelant ce qui s’était produit entre 1880 et 1920, avec le « mouvement catholique », le discordat, la Séparation et la Première Guerre mondiale. De plus, accompagnant l’institutionnalisation de l’Action catholique, il converge avec le modèle du militant catholique, au point que la distinction entre eux est perçue comme floue à partir des années 1940, malgré la tentative de refonder l’identité sacerdotale en renforçant son apparte­ nance institutionnelle41. Une nouvelle redéfinition de la masculinité sacerdotale s’opère alors dans les jeunes cohortes sacerdotales, notamment celles qui ont connu la captivité de la Seconde Guerre mondiale et celles qui viennent ensuite, aboutissant à une remise en cause radicale dans les années 1965-197542. Faudrait-il donc conclure, avec une cruauté facile, sur les effets nuls de l’album sur le recrutement ecclésiastique, à voir les courbes43 ? Il est des livres qui ont changé le monde. Le Prêtre n’en fait pas partie – mais le pouvait-il ?

40 P. Airiau, Le Séminaire français de Rome du P. Le Floch, 1904-1927, Thèse de doctorat, IEP de Paris, 2003, p. 628-631 (ici p. 631) ; id., « La formation sacerdotale en France au xixe siècle », Archives de Sciences sociales des religions, 133 (01-03/2006), p. 28-33. 41 Id., « Le prêtre catholique, masculin, féminin, neutre ?… », art. cit., p. 198-200, ici p. 202 ; id., « La formation sacerdotale en France au xixe siècle… », art. cit., p. 37-43 ; id., « La virilité du prêtre catholique : certaine ou problématique ? », in A. Corbin, J.-J. Courtine et G. Vigarello (éd.), Histoire de la virilité, t. 2 : Le triomphe de la virilité. Le xixe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 2011, p. 251-253 ; M. Sévegrand, Vers une Église sans prêtres…, op. cit., p. 31-47. 42 Y. Raison du Cleuziou, « Devenir homme… », art. cit., dont je nuancerais l’interprétation. 43 D. Pelletier, La crise catholique. Religion, société, politique en France (1965-1978), Paris, Éditions Payot & Rivages, coll. Petite bibliothèque Payot, 2005 (2002) , p. 48-56.

119

TAngI CAVALIn 

La masculinité des prêtres-ouvriers entre accomplissement sacerdotal, exemplarité militante et scandale ecclésial

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, en France, des dizaines de prêtres quittent les paroisses et les aumôneries pour gagner le monde du travail. Issus d’une Église porteuse de vérités révélées et dogmatisées, ils agissent au nom de la rechristianisation des masses, selon des convictions absolues qui les préparent mal à s’établir en terre ouvrière où ils ne sont pas attendus. Armés de leurs seules croyances, il leur faut inventer un mode de présence qui relève le défi de la double disqualification dont ils sont l’objet dans les représentations ouvrières militantes : inutiles socialement, les prêtres ne sont qu’au service de la bourgeoisie. Et, sur un autre mode, une image persistante s’ajoute aux précédentes, qui vise directement l’incorporation des valeurs sacerdotales : à l’instar de sa religion, la virilité du prêtre pose question, rendant absurde la neutralisation de sa masculinité. Ainsi, si ces clercs s’identifient fréquemment aux missionnaires partant pour des contrées inconnues, ils s’en différencient, sans toujours le mesurer, sur un point essentiel : les prêtres de la mission ouvrière vont vers un monde plein de représentations à leur encontre. C’est donc dans une lutte entre représentations antagonistes que s’inscrit leur mission, lutte dans laquelle il leur faut démontrer qu’ils ne jouent pas double jeu et que leur engagement est à la mesure de leur vocation. L’enjeu n’est pas mince : il en va de leur capacité à capter la force populaire mobilisée par le mouvement ouvrier sans laquelle le catholicisme ne pense pas pouvoir se repositionner au centre de la société moderne.

L’entrée au travail des prêtres : une quête de revilirisation L’infléchissement de la question de la virilité du christianisme

« Le christianisme a-t-il dévirilisé l’homme ? » : cette question, en soi peu originale, qui traverse le catholicisme social du milieu du xxe siècle, la revue Jeu­ nesse de l’Église s’en fait l’écho dans ses livraisons des années 1943 à 1945. Il n’est Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 121-136. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131595

122

TAnGI cAvALIn

pas question d’y lire l’anticipation d’une réflexion sur le genre ou la masculinité chrétienne. La virilité à laquelle il est fait référence ici renvoie à l’ordre des vertus, selon des conceptions éprouvées dans la culture catholique d’alors. C’est bien ainsi que l’entendent des intellectuels (Stanislas Fumet, Pierre Dunoyer de Segon­ zac, Jean Lacroix, Emmanuel Mounier…) qui apportent leur concours à l’enquête sur « l’homme chrétien » lancée en pleine guerre par la revue du dominicain Maurice Montuclard. Chacun y répond en fonction de la manière dont la défaite de la France lui semble reformuler cette exigence chrétienne. Face à la puissance guerrière déployée par les régimes totalitaires, la France n’a-t-elle pas fait montre de faiblesse ? Et cette « dégénérescence » des « qualités viriles1 » nationales n’est-elle pas imputable aux chrétiens et à la manière dont ils vivent leur religion depuis des décennies ? Cette recherche des causes morales de l’effondrement n’est pas propre à Jeunesse de l’Église : on en retrouverait aisément les mots d’ordre dans de multiples cercles de pensée au sein de la société française avant comme après la défaite2. Dans le catholicisme, elle nourrit de nombreuses expériences3 dont certaines se reconnaissent bientôt dans la notion de mission. Le recours à cette catégorie peut être lu comme une validation dans le langage ecclésial de celle de l’action, voire de l’engagement. Elle exprime un refus de l’esprit de résignation et une volonté d’insertion dans le siècle qui prennent à contre-pied les représentations du christianisme promues par ceux, dans la lignée de Nietzsche et de ses commentateurs, qui n’y voient qu’une religion mortifère4. Recherches intellectuelles et expériences missionnaires convergent dans la mise à l’épreuve d’une certaine manière d’être chrétien et d’être prêtre5. Stanislas Fumet a beau rappeler que la spécificité de la virilité chrétienne est qu’elle refuse de s’exhiber comme telle, à la différence de la masculinité des régimes totalitaires qui est, pour lui, la négation de la véritable virilité, il n’ignore pas qu’il n’est pas seulement

1 Jeunesse de l’Église, 2 (août 1943), p. 63. 2 D. Lindenberg, Les années souterraines, 1937-1947, Paris, La Découverte, 1990, p. 87-97. Voir aussi Y. Cohen, Le siècle des chefs. Une histoire transnationale du commandement et de l’autorité (1890-1940), Paris, Éditions Amsterdam, 2013. Dans le catholicisme, on relève la prégnance de ces thématiques aussi bien dans le scoutisme que dans les regroupements professionnels (les ingénieurs) et dans les mouvements d’Action catholique. Le séminaire de la Mission de France, fondé en 1941, illustre l’appropriation de ce thème du chef dans une partie du clergé français. 3 Notamment l’École des cadres d’Uriage. Voir B. Comte, Une utopie combattante. L’École des cadres d’Uriage 1940-1942, Paris, Fayard, 1991. 4 François Varillon, discutant l’enquête de Jeunesse de l’Église dans Cité nouvelle (10-25 mars 1944, p. 285), est l’un des rares à récuser le vocable de la virilité : « Au lieu de demander : le christianisme a-t-il dévirilisé l’homme ? on poserait ainsi le problème : le christianisme a-t-il fait perdre à l’homme le sens de la grandeur ? ». S’il rejoint Joseph Folliet appelant dans Positions (15 janvier 1944) à distinguer virilité et masculinité, il n’est guère entendu. 5 La France, pays de mission ?, l’ouvrage des aumôniers jocistes Godin et Daniel paru en 1943, véhicule des critiques sur la piété efféminée qui caractérisent un catholicisme bourgeois hégémonique dans les paroisses et qui interdit aux jeunes ouvriers de s’y sentir à leur place. Les auteurs préconisent des « militants intermédiaires » qui, bien « qu’incomplètement chrétiens », sauront établir le premier contact avec les incroyants par leurs qualités d’amitié et de franchise.

LA MAScuLInITé DES PRêTRES-ouvRIERS

question d’idées dans ses affirmations : l’incarnation de Jésus-Christ contraint le chrétien à se penser comme homo au regard du vir latin6. Dunoyer de Segonzac va plus loin, dénonçant un catholicisme embourgeoisé d’allure « asexuée, lénifiante, papelarde » et déplorant la pudibonderie de l’Église sur le « problème sexuel ». La formation d’élites, cadres pour la nation ou séminaristes pour l’Église, lui apparaît comme la priorité du moment7. Les termes du débat ne se situent pas seulement dans une opposition entre christianisme viril et religion efféminée. Ce schème binaire se superpose à d’autres : christianisme d’action contre pratique paroissiale routinisée ; vie évangélique parmi les masses contre catholicisme bourgeois et individualiste. Dans l’enquête de Jeunesse de l’Église, un rapport complexe se noue entre ces op­ positions, qui dessinent les contours des aspirations d’une génération catholique. La liaison de la virilité et de la masculinité ne peut être qu’implicite dans les écrits et discours tant la question du genre du prêtre est, du point de vue de l’institution ecclésiale, verrouillée et donc naturalisée. La virilité chrétienne au prisme des expériences de guerre

Ces préoccupations sont loin de se cantonner au registre intellectuel. Ce qui leur confère un impact social réside dans la manière dont elles s’articulent avec les effets de la guerre, notamment pour les jeunes clercs saisis par la captivité, la réquisition, la déportation, la Résistance. Dans ces expériences qui, pour n’être pas forcément combattantes n’en sont pas moins bouleversantes, ce qui se joue est double : d’une part, les jeunes clercs ont le sentiment d’avoir à relever seuls, à partir de ce qui est vécu plus qu’à partir de ce qui est enseigné, le défi de l’apostolat des masses et, d’autre part, ils sont souvent renvoyés à leur conscience personnelle plutôt qu’à l’accompagnement de leur hiérarchie. La réquisition, dans le cadre du Service du travail obligatoire (STO), fait figure d’événement idéal-typique de ce point de vue8. Qu’ils partent en Allemagne ou qu’ils rejoignent les rangs des réfractaires, leur décision les coupe le plus souvent du milieu catholique pour les mêler aux autres hommes, sans considération d’appartenance sociale ou idéologique. C’est lors de ces brassages que tout le dispositif de formation clérical est mis à mal. Préparés à être des individus « séparés » des laïcs, les clercs de cette génération vivent les bouleversements de la guerre comme un « choc » d’autant plus fort qu’ils peinent à les inscrire dans les cadres de référence de leur culture ecclésiastique. La surreprésentation des ouvriers parmi les 600 000 requis

6 Jeunesse de l’Église…, art. cit., p. 73. 7 Ibid., p. 77-81. Moins explicites, les autres réponses de l’enquête suggèrent que, derrière la question de la virilité, ce n’est pas seulement de vertus dont il est question, mais de masculinité. Jean Lacroix déplore que « littéralement, il [le catholicisme] s’est efféminé » (ibid., p. 86-87). 8 Émile Poulat a témoigné de la manière dont la question s’est posée pour lui et s’en est fait l’historien dans l’étude de la genèse des prêtres-ouvriers. Voir É. Poulat, Les prêtres-ouvriers. Naissance et fin, Paris, Les Éditions du Cerf, 1999.

123

124

TAnGI cAvALIn

en Allemagne ainsi que les emplois imposés aux jeunes Français contribuent à faire de cette réquisition en pays ennemi une plongée au cœur des sociabilités ouvrières françaises, plus exceptionnellement étrangères9, et une découverte des solidarités dont elles sont porteuses10. Les contacts, à la faveur de la défaite et des besoins en main-d’œuvre de l’économie de guerre nazie, avec des individus ayant comme triple caractéristique d’être jeunes, de sexe masculin et ouvriers sont décisifs. À l’issue de la guerre, la crainte est celle d’un retour aux certitudes et aux positions acquises avant-guerre, autrement dit d’un retour à des classifications qui situent le prêtre hors des masses. Parmi les multiples initiatives qui caractérisent la sortie de guerre du catholicisme français, l’entrée au travail de prêtres et de séminaristes semble réaliser le plus justement l’idéal, qu’une frange des élites catholiques appelle de ses vœux, d’un christianisme revirilisé. Il est bien évident que ce langage de la « virilité » n’est pas d’abord un positionnement en termes de masculinité, qu’il condense plutôt l’ampleur des défis que les catholiques ont à relever pour être fidèles à leur vocation (guerre, reconstruction, déchristianisa­ tion…), mais il est tout aussi vrai que si ce vocable paraît adéquat, c’est parce qu’il anticipe une recherche d’action, d’efficacité et de contact qui permet de construire le sens du départ en mission. L’entrée dans le travail des prêtres : acquérir un corps d’ouvrier

Quelles que soient les ambiguïtés de la thématique de la virilité chrétienne, elle ne consiste en rien à exhiber dans l’espace ouvrier la présence du prêtre. La référence évangélique au « levain dans la pâte », mise en avant par les premiers missionnaires pour décrire leur insertion, exclut tout prosélytisme et même toute prise de parole. Plus encore, il leur faut se rendre crédibles en tant qu’ouvriers, ce qui leur impose une métamorphose de leur apparence. De ce point de vue, on ne peut s’étonner, provenant de clercs à qui leurs formateurs ont inculqué qu’ils avaient à manifester leur appartenance à l’Église par le port de la soutane (ce

9 Des clercs – et futurs prêtres-ouvriers – comme Henri Perrin, prêtre et novice jésuite, ou Joseph Robert, dominicain, ont rapporté le bouleversement qu’a représenté pour eux d’être en captivité avec des étrangers, Soviétiques ou Polonais. Voir H. Perrin, Journal d’un prêtre-ouvrier en Allemagne, Paris, Le Seuil, 1945 ; Y. Tranvouez, art. « Joseph Robert », in Dictionnaire biographique des frères prêcheurs, depuis 2011 [en ligne]. URL : http://journals.openedition.org/dominicains/1492. Chez le séminariste Honoré Sarda qui, à son retour de déportation entre au séminaire de la Mission de France, la vie en Allemagne est aussi présentée comme un temps de mise à l’épreuve de l’abstinence sexuelle. Voir H. Sarda, L’esprit souffle où il veut. Destin d’un prêtre-ouvrier marié, Thoissey, Éditions Coup de pouce, 1999, p. 59-79. 10 Voir H. E. Bories-Sawala, Dans la gueule du loup. Les Français requis en Allemagne, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2010 ; P. Arnaud, Les STO. Histoire des Français requis en Allemagne nazie 1942-1945, Paris, CNRS Éditions, 2010.

LA MAScuLInITé DES PRêTRES-ouvRIERS

« saint habit »)11, que l’habit ouvrier occupe une place récurrente dans les récits. Jacques Loew, à Marseille, pour signifier son départ « en mission prolétarienne », intitule le premier chapitre de son ouvrage « revêtir un bleu de chauffe » : Le fait est qu’à peine revêtu d’un bleu tout rapiécé, tout sali par le charbon et rongé par les phosphates ou les pyrites, on est, à l’intérieur même du prolétariat, plongé dans une catégorie sociale de vie absolument différente. Montez-vous dans un tram, on s’écartera un peu de vous qui êtes plein de charbon et de saleté, et qui sait, de punaises12. Roger Déliat, entré au travail en 1947 chez un fabricant de machines-outils à Montreuil, rapporte l’effet produit par cette prise d’habit : Mon départ en bleu le matin, du presbytère, et mon retour à midi et le soir dans ce costume, cela représentait aux yeux des gens du quartier, qui me connaissaient, un genre de folie nouvelle, inconnue jusqu’alors. Je n’avais pas encore acheté de vêtements civils. Plus tard, quelques « bonnes âmes » me diront : « Sans soutane, vous perdez toute dignité sacerdotale »13. Jean Perrot, prêtre parisien ordonné en 1955 après plusieurs stages ouvriers ayant dû attendre l’autorisation de 1965 pour s’embaucher en usine, rappelait avec constance le soin avec lequel sa mère avait conservé dans une armoire ses bleus de travail en prévision d’une relance des prêtres-ouvriers : elle y accordait l’atten­ tion qui convient pour un vêtement dont la valeur symbolique était évidente. Des responsables ecclésiaux ont également recours à ce procédé d’identification des prêtres-ouvriers, comme Mgr Montini, en 1963, évoquant lors d’un congrès « ceux qui échangent l’habit du prêtre contre le bleu de l’ouvrier14 ». Les médias, aux moyens de la photographie ou d’une écriture en quête de sensationnalisme, ainsi que des récits postérieurs15 ont mis en scène ce rapport entre le vêtement de travail et l’appartenance à la condition ouvrière, construisant, dans leur souci d’attirer l’attention, une figure du prêtre-ouvrier qui prend appui sur la silhouette familière du prêtre pour la subvertir : le souci des prêtres entrés incognito en usine afin de se fondre dans la masse se voyait par là-même contredit.

11 J. Rogé, Le simple prêtre. Sa formation, son expérience, Tournai, Casterman, 1965. Cet ouvrage analyse le rapport à l’habit sacerdotal entretenu au milieu du xxe siècle qui ajoute aux prescriptions canoniques des considérations morales : « rappel de l’état de mortification et protection contre le monde, [l’habit ecclésiastique] rappelle à lui seul toute la vocation » (p. 149). 12 J. Loew, En mission prolétarienne. Étapes vers un apostolat intégral, Paris-L’Arbresle, Éditions Économie et Humanisme, 1946, p. 14. 13 R. Déliat, Vingt ans OS chez Renault. Itinéraire d’un enfant du peuple devenu prêtre-ouvrier, Paris, Les Éditions ouvrières, 1973, p. 22. 14 Cité dans Informations catholiques internationales, 195 (1er juillet 1963), p. 20. 15 Deux exemples : le 31 mai 1946, dans Témoignage chrétien, Jean Mauduit titre : « L’Église en marche. Prêtres en salopette » ; Oscar L. Cole-Arnald intitule son récit fondé sur de nombreux témoignages : Prêtres en bleu de chauffe. Histoire des prêtres-ouvriers (1943-1954), Paris, Les Éditions ouvrières, 1992.

125

126

TAnGI cAvALIn

Si cette identification du missionnaire à l’habit résume pour le grand public la présence des prêtres en usine, ceux-ci découvrent rapidement qu’il ne suffit pas de revêtir un vêtement pour devenir ouvrier. En 1946, Albert Lauwaert, prêtre-ouvrier belge, se fait photographier à deux reprises avant de s’embaucher à la mine : d’abord revêtu de la soutane sur le premier cliché, il pose en mineur sur le second. Mais, « qu’il s’agisse du maintien du buste, du casque porté comme une barrette ou de la lampe de fond mise en valeur comme un saint-sacrement, tout rappelle que ce mineur est habité par un prêtre16 ». Tous les prêtres-ouvriers l’ont rapporté dans leurs souvenirs : le corps d’un prêtre n’est pas préparé au travail ouvrier, pas plus que son esprit n’est disposé à se plier à la discipline de l’usine. Si certains clercs renoncent alors au travail ouvrier17, c’est en raison de sa pénibilité et de l’incapacité dans laquelle ils se trouvent de se créer un corps de prolétaire. Pour les autres, l’immersion dans le travail prend l’allure d’un combat « corps et âme » donnant d’autant plus de valeur à la transformation physique et mentale qu’il leur faut l’opérer sur et contre eux-mêmes. La reconnaissance de leurs camarades de travail est à ce prix. Même s’il existe des différences entre les missionnaires que leurs origines sociales ont habitués au travail manuel et les autres, les témoignages se rejoignent dans la description de l’entrée au travail comme d’une redécouverte de leur corps18 à travers la pénibilité, la souffrance, le désarroi et même le dégoût avant que ne s’ajoute, plus tard, l’ennui. L’expérience apparaît pour plus d’un, en fonction de la dureté du travail choisi, proche de l’insupportable. Ainsi Henri Barreau, prêtre de la Mission de Paris ordonné en 1940, s’em­ bauche en 1946 à la Compagnie des compteurs de Montrouge comme fondeur puis, confronté à la rudesse de la tâche, comme mouleur : Le travail consistait à faire des moules qui allaient recevoir le métal en fusion. […] Quand arrivaient les fondeurs porteurs de poches pleines de fonte ou 16 T. Cavalin, Ch. Suaud, N. Viet-Depaule (éd.), De la subversion en religion, Paris, Karthala, 2010, p. 4. Ces deux photos ont été publiées en couverture de l’ouvrage. Le commentaire est de Suaud [en ligne]. URL : http://www.karthala.com/2189-de-la-subversion-en-religion-9782811103040.html). Le second cahier photo de l’ouvrage de Fr. Leprieur, Quand Rome condamne, Paris, Plon-Les Éditions du Cerf, 1989, offre des clichés qui montrent l’incorporation du travail par les prêtres : les mains dans les poches ou, calleuses et sales, occupées à allumer une cigarette, les cicatrices, les postures un rien crâneuses, le maintien, les tenues, la manière de prendre la parole pendant la grève… 17 Certains se tournent vers des emplois moins éprouvants, d’autres renoncent à tout travail salarié. Ainsi Joseph Kopf, dominicain et futur provincial, s’embauche en 1946 aux laminoirs de Longwy. Mais, rapidement, une faiblesse dans le genou le contraint à l’abandon des travaux de force (B. Gardey, La foi hors les murs, Paris, Karthala, 2001, p. 127). 18 Pour Jean Olhagaray, diocésain de Bayonne ayant rejoint la Mission de Paris en 1946, l’entrée au travail se lit comme une reconfiguration corporelle à laquelle même le sport ne peut être comparé : « Sauf pour jouer à la pelote basque ou au rugby, je ne me suis jamais servi de mes mains. Je ne sais pas encore tout ce qu’une main peut représenter ». Embauché dans une entreprise artisanale de fabrication de jouets, il ne peut suivre les cadences imposées et contracte dès le second jour des douleurs à la main : « Aller au travail devient une démarche qui équivaut à un trajet vers le martyre ». J. Olhagaray, Ce mur il faut l’abattre, Biarritz, Atlantica, 1999, p. 64-65.

LA MAScuLInITé DES PRêTRES-ouvRIERS

d’alu en fusion, il fallait avoir aligné derrière sa machine des dizaines de moules, pesant de 20 à 30 kilos chacun. La coulée faite, les moules cassés et les pièces dégagées, il restait à balayer le sol pour recommencer. Le premier jour de moulage, je terminai fourbu. Le second jour, j’étais « mort ». Le contremaître n’insista pas. Je n’avais pas les muscles de mon ambition19. Les récits du passage au travail frappent par leur similarité : en insistant sur la difficulté physique et pratique du travail ouvrier, sur le caractère inhumain des ca­ dences, ils décrivent une souffrance que seul leur positionnement comme prêtres envoyés par la hiérarchie auprès des incroyants rend supportable. Il ne faut pas lire dans ces témoignages, comme les adversaires catholiques des prêtres-ouvriers l’ont fait, des trahisons de leur sacerdoce. C’est au contraire parce qu’ils sont prêtres et que leur envoi en mission est effectué « sans esprit de retour20 » qu’ils tiennent – lorsqu’ils y parviennent – face à l’intolérable de leurs conditions de travail. En même temps qu’ils acquièrent un savoir-faire, un sens des postures, leur apparence physique se modifie progressivement en leur composant un corps (musculature, démarche, silhouette) dont la métamorphose même dit qu’ils en sont venus là, parmi les ouvriers, parce qu’ils étaient prêtres. Formulée comme telle, la question de la virilité ouvrière21 ne se pose pas pour les clercs qui prennent le chemin de l’usine au cours des années 1940 : il s’agit pour eux d’effectuer des « choix de prêtres » afin de vivre autrement le rôle sacerdotal auquel ils se sont donnés22. Ils n’en font pas moins le constat que leur insertion ouvrière a des effets très pratiques sur leurs manières d’être et d’apparaître qui, s’ils opèrent comme une validation de leur présence auprès de leurs camarades d’usine, les éloignent irrémédiablement des milieux ecclésiastiques23. Leurs évêques, lorsqu’ils les ren­ contrent individuellement et surtout collectivement au début des années 1950, le relèvent avec amertume : En réalité, nous leur devenons progressivement étrangers à mesure qu’ils deviennent plus complètement participants du milieu auquel ils se sont donnés. À l’impression qu’ils nous font de s’éloigner, correspond en eux 19 « Nu comme un ver », témoignage écrit dans les années 1980 et publié dans C. Suaud et N. VietDepaule (éd.), Prêtres et ouvriers. Une double fidélité mise à l’épreuve 1944-1969, Paris, Karthala, 2004, p. 202. 20 T. Cavalin, « Partir sans esprit de retour : les missionnaires au travail, d’utopie missionnaire en hétérotopie ouvrière », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 133 (2016), p. 65-80. 21 Voir Th. Pillon, « Virilité ouvrière », in G. Vigarello, A. Corbin et J.-Fr. Courtine (éd.), Histoire de la virilité. La virilité en crise ? Le xxe siècle, Paris, Le Seuil, 2011, p. 303-325. Voir X. Vigna et M. Zancarini-Fournel (éd.), dossier « Ouvrières, ouvriers », Clio. Femmes, genre, histoire, 38 (2013). 22 C. Suaud et N. Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers…, op. cit., p. 89-92. 23 Ils font à leur tour l’expérience de ce trait constitutif de la culture ouvrière dégagé par Richard Hoggart pour l’Angleterre du second tiers du xxe siècle : l’opposition irréductible entre « eux » et « nous » qui, pour les prêtres-ouvriers, se traduit en termes de double fidélité et, lors de la crise de 1953-1954, de « choix impossible » (R. Hoggart, La culture du pauvre, Paris, Éditions de Minuit, 1970).

127

128

TAnGI cAvALIn

l’impression que nous nous éloignons. Ils nous apportent le monde ouvrier avec sa sensibilité, nous leur offrons nos raisons. Nous avons à les aider, et, faute d’être en harmonie, nous ne savons guère que les mettre en garde24. Lorsqu’ils sont entre eux, les évêques sont plus explicites encore, se disant gênés par les manières des prêtres-ouvriers pour prendre la parole, formuler leurs propos, exiger au nom de leur orthopraxie ouvrière d’être entendus, se tenir, s’habiller (beaucoup refusent alors de venir en soutane), fumer25… Ce sont des hommes rudes qui, de manière parfois ostensible, récusent en pratique les formes de la culture cléricale26. Là même où le prêtre est encore jugé socialement le plus utile, c’est-à-dire pour assurer les rites de passage (baptêmes, mariages, enterrements), certains refusent de les pratiquer afin de marquer leur rejet de tout ce qui, les rattachant à la vie paroissiale, entrave leur intégration dans la classe ouvrière. Des représentations sacerdotales de la virilité ouvrière entre travail manuel et culture communiste

Si l’incompréhension grandit entre les prêtres-ouvriers et leurs responsables, c’est aussi parce que les premiers en sont venus à identifier le « peuple », qu’il s’agissait de ramener à l’Église, à la classe ouvrière et aux ouvriers les plus militants. Ce processus d’identification s’est effectué à partir d’une critique des représentations ecclésiales des catégories populaires : la vie dans les quartiers ouvriers est vite disqualifiée au motif que seules les femmes, les enfants et les vieillards y sont présents ; le travail ouvrier lui-même est mis en cause lorsqu’il ne s’effectue pas dans des entreprises assez importantes comportant un nombre significatif de travailleurs syndiqués à la CGT. Les itinéraires les plus radicaux parmi les prêtres-ouvriers sont ainsi marqués par des changements fréquents d’emploi justifiés par la recherche d’un terrain missionnaire coïncidant avec les

24 Mgr Garrone, note de synthèse écrite pour les évêques ayant des prêtres-ouvriers dans leur diocèse (Archives historiques de l’archevêché de Paris, 1 D XV, 4). 25 Mgr Guerry, archevêque de Cambrai, confie sa stupéfaction dans son carnet personnel lorsqu’il assiste pour la première fois à une rencontre d’évêques et de prêtres-ouvriers, le 3 juillet 1953 : « Étrange rencontre ! Bien touchante en un sens : ces évêques discutant si familièrement avec des prêtres-ouvriers, naturellement sans soutane, et, comme il faisait chaud, sans veste (du moins plusieurs) autour d’une table sur laquelle se remplissaient des cendriers… ». Cité dans C. Suaud et N. Viet-Depaule, « Corps de doctrine. L’esprit de corps des évêques français dans la crise des prêtres-ouvriers (1949-1954) », in T. Cavalin, C. Suaud et N. Viet-Depaule (dir.), De la subversion en religion…, op. cit., p. 251. 26 L’opposition n’est pas celle de prélats efféminés et de prêtres masculinisés : les responsables de l’Église ont connu, pour beaucoup, la Grande Guerre et participent activement au culte des anciens combattants ; mais la virilité ouvrière ne se prête pas à ce type de connivence et les jeunes missionnaires voient avant tout dans leurs évêques des hiérarques d’un autre temps. Fr. Le Moigne, Les évêques français de Verdun à Vatican II. Une génération en mal d’héroïsme, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.

LA MAScuLInITé DES PRêTRES-ouvRIERS

lieux les plus emblématiques de la lutte syndicale et partisane. De même, alors qu’ils choisissent au départ des emplois subalternes de manœuvres, dans le souci d’être auprès des plus pauvres, ils suivent ensuite des formations afin d’être des ouvriers qualifiés et se situer parmi les militants qui constituent les viviers de la CGT et du Parti communiste27. L’insertion des prêtres-ouvriers dans les grandes agglomérations ouvrières et les entreprises les plus représentatives de la grande industrie ne doit donc rien au hasard : c’est l’ouvrier conscient de sa condition de classe que les prêtres missionnaires cherchent à rejoindre. Et, une fois insérés dans ces entreprises, c’est en acceptant les sollicitations de leurs camarades à militer, voire à prendre des responsabilités syndicales, qu’ils manifestent leur engagement définitif. La mission des prêtres-ouvriers les amène, par étapes, à déconstruire la figure cléricale inculquée au séminaire en prenant appui sur une conception – re­ cherchée et de plus en plus assumée – du prolétaire tel que le mouvement ouvrier et le Parti communiste le promeuvent à cette époque. L’ouvrier de la métallurgie, le mineur ou le docker en sont les figures exemplaires28. L’évangélisation des ouvriers qui justifiait leur envoi par les évêques est subvertie par la quête d’une vie évangélique que les luttes ouvrières rendent concrètes, au coude à coude avec les militants de la cause ouvrière. Le positionnement de ces clercs n’est pas d’abord idéologique, en dépit des accusations de marxisation qu’ils ont eu à subir : c’est parce qu’ils découvrent dans les idéaux du mouvement ouvrier une homologie avec les valeurs de l’Évangile qu’ils refusent l’anticommunisme. Aucun n’adhère d’ailleurs au Parti communiste avant la condamnation de 1954, et s’ils sont nom­ breux à rejoindre la CGT29 c’est parce que leurs luttes se situent sur le terrain des solidarités professionnelles à la base. La solidarité avec les « copains30 » les initie également à la répression et à la violence au cours de grèves et de manifestations de rue dans lesquelles il faut prouver son courage physique et sa capacité à choisir son camp. Il n’est plus question, dans ces situations, de « se faire tout à tous » selon les termes de saint Paul inculqués au séminaire, mais d’être « ouvrier avec les ouvriers » selon une déclinaison identitaire qui emprunte plus au modèle du militant exemplaire qu’à celui de l’ouvrier réduit à sa vulgarité conformément à certaines représentations moralisatrices courantes dans le catholicisme (brutalité, alcoolisme, sexualité débridée…)31.

27 Il faudrait ici nuancer en fonction de l’identité spécifique des congrégations religieuses auxquelles appartiennent ces prêtres : chez les Petits frères de Jésus, voire chez les prêtres du Prado, le groupe de référence reste plus volontiers celui des plus démunis, mais toujours à l’intérieur du monde du travail. 28 Les prêtres-ouvriers dans la métallurgie sont les plus nombreux. Les mineurs sont rares, mais des séminaristes effectuent des stages dans les mines. Chez les dockers, outre les figures de Loew à Marseille et de Michel Favreau à Bordeaux (tué sur le port en avril 1951), plusieurs clercs exercent occasionnellement cet emploi. 29 N. Viet-Depaule, « Les prêtres-ouvriers, des militants de la CGT (1948-1962) », in É. Bressol, M. Dreyfus, J. Hedde et M. Pigenet (éd.), La CGT dans les années 1950, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 195-206. 30 Le terme est préféré à celui de « camarades », indice discret d’un écart avec la phraséologie marxiste. 31 X. Vigna, L’espoir et l’effroi, Paris, La Découverte, 2016, p. 48-57, p. 195-198 et p. 234-237.

129

130

TAnGI cAvALIn

Les prêtres-ouvriers ne renoncent donc pas à leur fidélité à l’Église et agissent, jusqu’en 1954, au nom de leurs convictions religieuses. Ils expriment même le sentiment de vivre une forme d’accomplissement de leur sacerdoce dans cette « naturalisation » ouvrière dont ils tiennent à rendre compte auprès de leurs supérieurs par l’entremise de multiples courriers et textes collectifs ainsi que par des audiences32. À leur manière, eux aussi, comme l’ouvrier rêvé par le Parti communiste, sont des hommes nouveaux, dévoués de manière exemplaire à leur nouvelle condition et assumant leur repositionnement dans l’espace social33. Comme Simone Weil34 quelques années avant eux, et sans doute parce que leur culture scolastique leur offre la possibilité de raisonner selon les mêmes références qu’elle, le travail ouvrier les conduit à reconsidérer le rapport de l’esprit et de la matière : à l’usine, c’est la matière qui commande et modèle l’esprit jusqu’à l’asservissement. Cet ébranlement de catégories philosophiques parfaitement hiérarchisées auparavant a un double effet : d’une part, il contribue à réévaluer, au sein de cet autre couple conceptuel qu’est la distinction « corps et âme », la dimension charnelle et sensorielle de la présence au monde ; d’autre part, il confère un surcroît de crédit à une lecture matérialiste, voire marxiste, des réalités. Il reviendra à des intellectuels organiques, plus qu’aux prêtres-ouvriers eux-mêmes dont la théologie se dit par le corps, de systématiser l’expression de ce vécu ouvrier, mais nombre des textes écrits avant 1954 portent la marque de cet enthousiasme pour la matière qui met la théologie spéculative d’inspiration thomiste, matrice de leur formation au séminaire, en position d’être critiquée. Il revient d’ailleurs à un dominicain, Bernard Gardey, ouvrier chez Renault, de fournir la réflexion la plus avancée : issu d’un ordre intellectuel, formé à l’école du Saulchoir, marqué par le thomisme lu à la lumière des conditionnements historiques selon les leçons du Père Marie-Dominique Chenu, il publie sous pseudonyme en 1957 un récit de sa vie ouvrière objectivant l’opposition de deux cultures : Pour les ecclésiastiques, le monde existe pratiquement, comme un donné, quelque chose que l’on reçoit – beau, bon, lamentable ou pernicieux, cela dépend des tempéraments – où il faut vivre, dont il faut s’accommoder ; il n’est absolument pas question de le considérer comme une matière à travailler, à transformer. Les seules transformations dont on se préoccupe sont celles des âmes. […] Le monde, pour nous aussi [prêtres-ouvriers] est un donné,

32 L’ouvrage élaboré par les prêtres-ouvriers restés au travail après la condamnation reproduit une partie de ces documents : Les prêtres-ouvriers, Paris, Les Éditions de Minuit, 1954. 33 M. Lazar, « Damné de la terre et homme de marbre. L’ouvrier dans l’imaginaire du PCF du milieu des années trente à la fin des années cinquante », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 45 (1990), p. 1071-1096. 34 S. Weil, La condition ouvrière, Paris, Gallimard, 2002 (1re éd. 1951) ; Fr. Leprieur, « Simone Weil et les prêtres-ouvriers : l’aventure spirituelle », Hauts lieux, Autrement, 115 (mai 1990), p. 176-183.

LA MAScuLInITé DES PRêTRES-ouvRIERS

mais c’est un objet qu’il nous faut transformer, et cela, au nom de toutes les exigences humaines de justice et au nom même de l’Évangile35 ! C’est dans ce rapport reformulé entre l’esprit et la matière, entre le corps et l’âme, en référence à l’incarnation du prêtre dans la condition ouvrière, que se nourrissent, chacune à leur manière, aussi bien la théologie du travail à laquelle aspire Marie-Dominique Chenu que la méditation nostalgique de Robert Delavi­ gnette, intellectuel catholique et haut fonctionnaire colonial, sur le délitement, en Afrique comme dans l’Europe industrielle, du lien antique assuré par les alchimistes entre la transformation du fer et les forces spirituelles36. La virilité ouvrière des prêtres envoyés en mission suscite des élaborations théoriques qui se donnent à lire comme des interpellations prophétiques.

Clercs/laïques, masculin/féminin : quelles relations entre hommes et femmes pour quelle mission ouvrière ? Un point aveugle : le genre des prêtres-ouvriers

L’impact des prêtres-ouvriers tient à ce que leur enracinement leur a conféré une autorité dans l’Église pour parler des ouvriers, disqualifiant au nom de leur orthopraxie tous les discours doctrinaux coupés des réalités. Mais la manière dont ils ont affirmé leur position n’est pas sans ambiguïté puisqu’elle a pris appui sur un renforcement de la distinction ecclésiale entre clercs et laïques. En effet, tant dans la manière dont ils ont été considérés par leurs évêques que par celle dont ils ont été représentés dans l’espace social ou, plus tard, été analysés par une grande partie de l’historiographie, ils sont apparus comme des hommes seuls, jouant à travers leur destin individuel le sort de l’Église catholique dans le monde moderne. Cette lecture est possible du point de vue symbolique : rendre compte du choc qu’a pu représenter la mission des prêtres-ouvriers dans la culture catholique passe logiquement par une focalisation sur la dimension sacerdotale de la crise. Mais elle contredit une autre réalité, de nature sociologique : les relations entre les prêtres et les ouvriers ont été possibles dans des configurations où les premiers n’étaient pas aussi coupés d’un terreau chrétien qu’on a pu le dire au motif qu’ils tournaient le dos à la civilisation paroissiale. Qu’il s’agisse des contacts nécessaires aux premières embauches, des relations nouées dans les quartiers ouvriers avec le voisinage, de la vie militante ou de l’animation de petites communautés chrétiennes, les prêtres-ouvriers ont rarement été seuls car ils sont

35 A. Collonge [B. Gardey], Le scandale du xxe siècle et le drame des prêtres-ouvriers, Paris, Olivier Perrin, 1957, p. 38. 36 M.-D. Chenu, Pour une théologie du travail, Paris, Le Seuil, 1955 ; R. Delavignette, Birama, Paris, Gallimard, 1955.

131

132

TAnGI cAvALIn

partis au nom de conceptions religieuses missionnaires qu’ils partageaient avec des laïques plus nombreux qu’eux sur le terrain. Parmi ceux-ci, les missionnaires au féminin occupent une place déterminante quoique souvent négligée du fait de leur positionnement doublement dominé, comme laïques et comme femmes37. Refusant de s’intégrer aux cadres en vigueur dans l’Église, comme le leur suggèrent les responsables ecclésiastiques qu’elles consultent, elles inventent une voie missionnaire originale, en dehors des congré­ gations religieuses et des mouvements d’Action catholique dont elles sont pour­ tant souvent issues. Leur lien avec l’Église en est fragilisé, mais elles y gagnent la possibilité, comme les prêtres-ouvriers, de se situer dans des types d’insertions ouvrières inédites au nom de la mission : qu’il s’agisse de Geneviève Schmitt à Montreuil avec André Depierre, d’Yvonne Viguier avec René Besnard dans le 18e arrondissement de Paris, de Jacques Loew à Marseille et des « résidentes » (Marguerite Tarride, Marie Salvador…), elles nouent des relations étroites avec ces prêtres sur la base d’une stricte séparation des rôles : aux prêtres, l’insertion en usine, parmi les hommes, dans des usines où la mixité est le plus souvent réduite ; aux femmes laïques missionnaires, l’animation de la communauté et des associations de quartier ou l’entraide. La réalité est plus complexe et la séparation des rôles entre clercs et laïques est atténuée sur le terrain missionnaire d’un double point de vue : en premier lieu, si les récits des prêtres-ouvriers, centrés sur les premiers temps de l’entrée en usine, laissent peu de place à la présence dans le quartier, celle-ci est plus significative lorsqu’ils participent à des actions militantes avec les femmes laïques ; ensuite, du côté féminin de la mission, il est très réducteur de ne retenir que les cas des femmes comme Geneviève Schmitt qui n’ont jamais travaillé, car nombre d’entre elles se sont insérées dans la vie ouvrière en recherchant, comme les prêtres, une embauche en usine. Ces considérations permettent de préciser le rapport des prêtres-ouvriers de la première génération à la masculinité : loin d’être seulement des clercs ayant conquis une virilité ouvrière dont l’exemplarité militante permet de passer sous silence la dimension genrée, ils sont aussi des hommes nouant des relations fortes avec des femmes, jeunes comme eux, au nom de la mission évangélisatrice. Et parce que la logique de la mission les amène à s’insérer de plus en plus dans la condition ouvrière, considérée dans ses dimensions aussi bien syndicales qu’associatives, les distances classiques entre les prêtres et les laïques, objets d’une grande attention au séminaire, s’en trouvent questionnées : au nom de l’action militante, de l’urgence des situations, de l’impossibilité de déléguer, femmes et hommes en mission se côtoient dans des relations de promiscuité

37 Outre le travail pionnier de Jean Giard (Cinquante ans aux frontières de l’Église. De la Mission de France aux Équipes d’Ivry, Paris, L’Harmattan, 1994), voir les recherches de Michèle Rault : M. Rault et N. Viet-Depaule, « Missionnaires au travail en banlieue parisienne », in J. Girault (dir.), Ouvriers en banlieue xixe-xxe siècle, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 1998 ; M. Rault, « Femmes missionnaires en banlieue rouge », Histoire et missions chrétiennes, 9 (2009), p. 43-55.

LA MAScuLInITé DES PRêTRES-ouvRIERS

largement occultées dans les archives mais dont les témoignages de fin de vie ont révélé l’importance. Leur nature doit être présentée de manière diachronique : lors des premiers temps de la mission, jusqu’au seuil des années 1950, le masculin sacerdotal côtoie le féminin laïque dans des relations que justifient la mission tout d’abord, la soli­ darité ouvrière très vite. Si les prêtres et les femmes missionnaires se côtoient sur les mêmes espaces, à l’échelle des quartiers ouvriers, c’est parce qu’ils en partagent les mêmes représentations religieuses38 : les uns et les autres ont tout quitté pour vivre dans des espaces qui, même situés à faible distance, sont socialement et symboliquement les plus éloignés de l’Église. De ce point de vue, et parce que les engagements des uns et des autres sont vécus « corps et âme », avec une grande crainte de ne pas être acceptés par la classe ouvrière, la surveillance qu’ils exercent sur les frontières du masculin et du féminin est extrême : dans leur conception héroïque de la vie ouvrière, une relation amoureuse viendrait compromettre le don de soi et le sérieux de l’idéal missionnaire. Aussi, les premières attirances réciproques, lorsqu’elles sont évoquées dans les souvenirs des missionnaires, le sont toujours sur le mode du refoulement. Comme le formule précisément Jean Desailly, prêtre de la Mission de Paris, « mon vœu de chasteté m’apparaît comme la condition sine qua non de la réussite de ma mission39 ». Virilité, masculinité, conjugalité : les choix des prêtres-ouvriers face aux sanctions hiérarchiques

Pour les prêtres-ouvriers, la question de la sexualité ne se pose pas. Par contre, elle leur est posée par les ouvriers dans les usines où les missionnaires sont restés silencieux sur leur état clérical. Roger Déliat rapporte un échange avec un ouvrier d’une cinquantaine d’années : T’es marié ? Non ! – Pourquoi ? Cherche ! – Divorcé alors ? – Non ! – T’aimes pas les femmes ! – Si ! – Alors, t’as eu des pépins ? – Non ! T’es peut-être impuissant ? – Non ! – Tu préfères rester libre de courir le jupon ? – Non ! – Ben mince alors, t’es quand même pas curé ? Si40 ! Révélateurs ultimes de l’appartenance ecclésiale, le célibat et la chasteté au­ raient pu contrarier l’insertion salariale des prêtres-ouvriers tant leur écart est grand par rapport aux normes (conjugales et sexuelles). Il n’en a rien été. Si beaucoup ont subi le même type de questionnement que Déliat, les obligeant à dévoiler leur identité sacerdotale, celle-ci a toujours été acceptée d’autant qu’elle paraissait aux yeux des ouvriers compatible avec la disponibilité et l’exemplarité des prêtres-ouvriers sur le terrain de l’entraide et de la militance : entièrement 38 É. Fouilloux, « Des chrétiens à Ivry-sur-Seine (1930-1960) », art. repris dans Les chrétiens français entre guerre d’Algérie et mai 1968, Paris, Éditions Parole et Silence, 2008, p. 175-192. 39 J. Desailly, Prêtre-ouvrier, Mission de Paris, 1946-1954, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 387. 40 R. Déliat, Vingt ans OS chez Renault…, op. cit., p. 22.

133

134

TAnGI cAvALIn

dévoués à la condition ouvrière dont ils exaltaient les valeurs, ayant fait la preuve par leur adhésion à la CGT de leur refus de concourir à la division syndicale, ils ont su gagner la confiance de leurs camarades. Autant leur retrait des responsabili­ tés syndicales au nom des interdits de l’Église sur toute collaboration avec des communistes leur apparaît impossible à tenir, autant la règle du célibat et de la chasteté s’ajuste sans difficulté dans un modèle de militantisme faisant passer la cause ouvrière avant toute préoccupation personnelle. Si le célibat pose problème, c’est du côté de l’Église. L’un des moyens privi­ légiés pour déconsidérer la mission ouvrière est de dénoncer les manquements supposés à l’égard de la chasteté. Ceux-ci sont exceptionnels, pour autant qu’on puisse en juger, mais, à partir du début des années 1950 la question se pose à la Mission de Paris lorsqu’Henri Barreau révèle aux autres membres de l’équipe sa relation amoureuse avec Marie Doreau, une ancienne membre de la Mission de France féminine. C’est en 1947-1948 qu’ils se sont avoués leurs sentiments mais, au nom de la mission et de la préservation du sacerdoce d’Henri, Marie a été éloignée. Leur couple se reforme au début des années 1950 et décide de faire de leur vie commune un enjeu dans les discussions de l’équipe. Trois tendances se confrontent : à côté du soutien à Barreau du Père Auguste Rosi, acquis depuis plusieurs années, les autres membres s’opposent à cette revendication, soit au nom de la préservation du sacerdoce, soit pour éviter de fournir un prétexte à ceux qui souhaitent la suppression des prêtres-ouvriers au nom du scandale. La question du célibat et de la sexualité apparaît comme la seule à ne pouvoir être posée tant prime la sauvegarde des enjeux missionnaires et ouvriers41. Il n’en est pas fait état dans les multiples documents qu’écrivent les prêtres-ouvriers aux évêques au moment de leur condamnation en 1953-1954. La force de cet interdit se mesure à la manière dont une partie des prêtresouvriers le retourne après la crise de 1954. Les mesures imposées par les évêques les ont contraints à se positionner pour ou contre elles, « soumis » ou « in­ soumis » selon les catégories de la hiérarchie. Or, les prêtres-ouvriers ont été unanimes à dénoncer un « choix impossible » entre deux fidélités, à l’Église et à la classe ouvrière. Parmi ceux qui ont refusé d’obéir aux injonctions et ont donc privilégié la vie ouvrière en restant au travail en usine à temps complet après la date du 1er mars 1954, certains ont rapidement pris leur distance, le mariage sanctionnant cet éloignement dès les mois qui ont suivi leur départ. Il convient de noter la forte endogamie de ces unions, les anciens prêtres-ouvriers s’unissant fréquemment avec des ouvrières chrétiennes issues du mouvement missionnaire, ce qui confirme l’intensité des sentiments noués entre ces jeunes gens au cours des années précédentes qu’il leur avait fallu refouler et sublimer. D’autres prêtres « insoumis » refusent cependant d’abandonner la lutte et constituent un groupe autour de l’un d’entre eux, Bernard Chauveau. Poursuivant 41 M. Margotti, Preti e operai. La Mission de Paris dal 1943 al 1954, Turin, Paravia, 2000, p. 322-323 ; La Mission de Paris. Cinq prêtres-ouvriers insoumis témoignent. Récits de J.-M. Marzio, M. Barreau, Y. Besnard, J. Olhagaray et J. Desailly, éd. N. Viet-Depaule, Paris, Karthala, 2002.

LA MAScuLInITé DES PRêTRES-ouvRIERS

leurs rencontres au cours des années qui suivent la condamnation, ils contraignent l’archevêque de Paris, Mgr Feltin, à prendre en considération leur existence dès lors qu’ils conservent, au nom de la mission d’évangélisation, certains attributs du sacerdoce, en particulier le célibat qu’ils maintiennent coûte que coûte. Bernard Cagne, qui fait partie de ce groupe, refuse ainsi de se marier avec celle dont il est amoureux et qui l’attend dix-neuf ans car « je ne voulais pas, en ce qui me concerne, que l’Église puisse utiliser notre mariage comme une explication facile de l’interdiction des prêtres-ouvriers […] c’était de ma part un genre de ferveur désespéré42 ». Le responsable de la mission ouvrière à Paris, Robert Frossard, est mandaté auprès d’eux par le cardinal Feltin mais sa présence s’interrompt, en 1961, lorsque le groupe accepte la participation d’un prêtre-ouvrier marié. Ses membres n’en continuent pas moins de se réunir et de porter leurs revendications auprès des responsables de l’Église de France. L’une d’entre elles est embléma­ tique, celle de l’ordination d’Aldo Bardini. Séminariste au travail chez Renault, il refuse d’être ordonné avant 1954 dès qu’on lui fait savoir qu’il ne peut être prêtre et ouvrier ; « insoumis » à sa manière, il formule une demande d’ordination après 1954, faisant de cette requête un levier dans la lutte du « groupe Chauveau », ce qui le contraint à rester célibataire : Des fois, en rigolant, je disais aux copains : « J’ai été doublement eu par l’Église : elle m’a refusé le sacerdoce, et elle m’a empêché de me marier ! ». […] Si j’ai désiré le sacerdoce, ce n’était pas pour dire la messe mais pour obtenir la reconnaissance de notre groupe et le fait qu’être prêtre-ouvrier n’était pas à rejeter. L’enjeu dépassait ma personne43. Le cas Bardini est exceptionnel et le « groupe Chauveau » voué à la margina­ lisation jusqu’à la disparition progressive de ses membres. Rappeler ces réalités postérieures à la crise de 1954 permet cependant de mesurer à quel point, dans le contexte de l’après-guerre, alors que le mouvement ouvrier occupe une place centrale dans la société française, l’histoire des prêtres-ouvriers est révélatrice des tensions à l’œuvre dans une Église catholique qui n’a pas renoncé à des perspectives de chrétienté. Partis rechristianiser la classe ouvrière, ils ont vu leur mission condamnée après une décennie : ils ont vécu, selon les termes les plus utilisés, un « drame » aux multiples ressorts, plutôt religieux pour les uns, plutôt politiques pour les autres. Quoi qu’il en soit, parce que, comme pour Bardini, comme pour tous les autres prêtres-ouvriers, les enjeux dépassaient leur personne, ils ont incarné l’impossibilité pour l’Église catholique d’inverser un processus de déprise religieuse et la nécessité pour l’institution de condamner afin de réaffirmer le contrôle de son identité. Leur virilité à la fois sacerdotale et ouvrière a été largement reconnue, y compris parmi ceux qui appelaient à leur retrait des usines tout en vantant leur héroïsme et leur grandeur, mais cette 42 B. Cagne, Prêtre-ouvrier à La Courneuve. Un insoumis de 1954, Paris, Karthala, 2007, p. 219. 43 Témoignage de Bardini, 1997, cité dans C. Suaud et N. Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers…, op. cit., p. 429.

135

136

TAnGI cAvALIn

virilité a été acquise au prix d’une sévère mutilation de leur masculinité qui ne pouvait opérer la fusion entre les exigences du clerc séparé des autres hommes et celles de l’ouvrier inséré dans un autre réseau de normes. Les prêtres-ouvriers qui ont voulu vivre la part d’intimité de cette masculinité ont dû quitter le corps ecclésial pour des raisons qui relevaient d’un autre registre, faute d’avoir pu en faire une revendication légitime. On mesure l’écart entre leur histoire et celle des prêtres réunis après 1968 dans le mouvement Échanges et dialogues autour de revendications indissociablement salariale, politique et conjugale.

PARTIE 2

Performances du masculin sacerdotal

ALExIS fOnTBOnnE 

La virilité maternelle au xIIe siècle L’anéantissement du féminin dans la perfection spirituelle

Introduction : masculinité et sacerdoce au xii e  siècle Au xiie siècle déjà, l’idée est fermement implantée qu’une femme ne saurait être prêtre. La question de la masculinité sacerdotale apparaît en ce sens comme une question classique du rapport entre les genres au sein du champ religieux chrétien. Cependant, c’est durant les années 1140 que s’enracine une distinction cruciale : l’ordination est définie comme investissant une personne de façon permanente du pouvoir de conférer les sacrements. Cette définition s’inscrit dans les débats autour de la légitimité des prêtres indignes à pouvoir baptiser, le refus de la prêtrise devenant une accusation courante employée contre les hérétiques : selon les polémistes orthodoxes, les cathares n’ont que des évêques et des diacres et l’absence de prêtre prouve qu’ils n’appartiennent pas à l’Église de Dieu mais à celle du diable1. Le sacerdoce est établi comme une distinction essentielle entre le prêtre ordonné et le reste de la société. Si cette distinction est fondée sur le principe d’une institution du prêtre par la hiérarchie ecclésiastique, sans que la capacité de conférer les sacrements ne dépende d’une perfection personnelle, elle s’inscrit dans la construction de l’Église comme autonome à l’égard du monde, ce qui impose à tous ses membres un idéal de perfection spirituelle2. La période étudiée est donc celle d’une construction progressive du sacerdoce, dans une dialectique entre perfection personnelle et institution de la position. Le terme de masculinité présente quant à lui un problème d’ordre plus géné­ ral : le risque d’une objectivation de la masculinité posant comme préexistante et structurante une dualité masculin/féminin. Il faut au contraire interroger la manière dont se traduit la domination masculine du monde social médiéval dans le champ religieux. Pour illustrer cette approche, nous allons prendre l’exemple de 1 R. Moore, Hérétiques, résistances et répression dans l’Occident médiéval, trad. J. Théry, Paris, Belin, 2017, p. 453 (1re éd. anglaise, 2012). 2 Jean-Hervé Foulon, dans sa thèse sur la réforme grégorienne en pays ligérien, rappelle que l’ordre grégorien ne doit pas être assimilé à une théocratie mais à une théonomie qui entend ordonner à Dieu, dans l’Église, l’ensemble de la Création restaurée par le Christ et fondée sur lui ( J.-H. Foulon, Église et réforme au Moyen Âge. Papauté, milieux réformateurs et ecclésiologie dans les Pays de la Loire au tournant des xie-xiie siècles, Bruxelles, De Boeck, 2008, p. 506). Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 139-154. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131596

140

ALExIS fonTBonnE

l’usage de l’hérésie comme expression de la domination masculine dans la relation entre clerc et femme. Le cistercien Raoul de Coggeshall, dans sa chronique, évoque à la fin des années 1170 le cas du clerc anglais Gervais de Tilbury, placé au service de l’archevêque de Reims. Attiré par une jeune fille qu’il voit travailler dans une vigne, il est rejeté par celle-ci qui argue que la perte de sa virginité la conduirait à une damnation certaine. Gervais y voit une preuve d’appartenance à la secte hérétique des publicani qui est alors recherchée et détruite dans le royaume de France. La jeune fille est alors arrêtée, conduite au palais épiscopal et l’enquête débouche sur sa mise au bûcher3. Ce cas n’est pas isolé, à tel point que le théologien Pierre le Chantre, en 1191, dénonce les cas où des femmes laïques ont été injustement soupçonnées et condamnées comme cathares en Flandre parce qu’elles résistaient à des tentatives cléricales contre leur chasteté4. Dans le cadre de notre propos, il s’agira de montrer la mise en adéquation d’un certain nombre de propositions relevant à la fois de la définition du sacerdoce, de l’expression de la domination masculine et enfin de la valorisation d’un certain nombre de caractères habituellement conçus comme féminin. Il peut apparaître paradoxal d’aborder la question de la masculinité sacerdotale en un temps où la femme et la « féminité » (prophétesses, communautés doubles, amour maternel) jouent un rôle clé dans les mouvements religieux. Cette dynamique est étroite­ ment liée à la place donnée à l’Esprit dans ces mouvements et pourtant la prophé­ tesse Hildegarde de Bingen parle d’une virilité de l’Esprit-Saint. Ce paradoxe tient avant tout dans une dualité masculin/féminin qu’il convient d’interroger pour comprendre comment la forte présence de la « féminité » participe d’une exclusivité masculine dans le champ religieux. Après avoir observé que le champ lexical de la féminité positive est avant tout attribué aux hommes spirituels, on s’attachera à montrer, à partir des textes d’Hildegarde de Bingen et d’Élisabeth de Schönau, que cette féminité cléricale est la manifestation d’un Esprit viril. Enfin, on montrera comment autour de cette notion de virilité spirituelle se construit une relation entre les genres fondée sur la conversion du masculin et l’anéantissement, y compris physique, du féminin.

Une féminité sacerdotale ? Les hommes spirituels et le champ lexical du féminin Maternité de l’Église, féminité du prêtre

Par delà la dimension individuelle du prêtre, l’affirmation de sa différence essentielle par rapport aux autres hommes participe de l’autonomisation de 3 Radulphi de Coggeshall Chronicon Anglicanum, éd. J. Stevenson, Londres, Longmans & Co., 1875, p. 122. 4 W. Simons, Cities of Ladies: Beguine Communities in the Medieval Low Countries, 1200-1565, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2001, p. 23.

LA vIRILITé MATERnELLE Au xII E SIÈcLE

l’institution ecclésiastique à l’égard du siècle. C’est donc dans les discours ecclé­ siologiques qu’il faut chercher les éléments de définition de la figure sacerdotale. Or, les acteurs de la période grégorienne de la réforme de l’Église soulignent la dimension féminine de cette institution. Anselme de Cantorbéry, dans son Monologion (1076) distingue Jésus comme père, qui gouverne, et Jésus comme mère, qui aime5. Cette dualité du Christ trouve un écho dans l’ecclésiologie d’Anselme pour qui l’Église est l’épouse de Dieu en tant qu’elle est la mère de tous les chrétiens6 : l’amour maternel du Christ se confond avec l’Église. Urbain II, lors du concile de Clermont de 1095, défend l’idée selon laquelle l’ingérence des pouvoirs séculiers (simonie, confusion entre clercs et laïcs) est une atteinte à la chasteté de l’Église, notion qui se confond avec celle de liberté de l’Église car l’investiture laïque remet en cause l’union de l’Église au Christ7. Cette double position de l’Église, à la fois épouse du Christ et mère des chrétiens, légitime la nécessité d’une coupure entre clercs et laïcs, coupure qui devient un sacrement chez le prêtre. Depuis l’Antiquité tardive, l’Église-mère – distincte de ses enfants – désigne l’Église ministérielle et hiérarchique. Pour Geoffroy de Vendôme, cette Églisemère s’incarne essentiellement dans l’Église romaine, qu’il qualifie de Mater Romana, même si chaque Église diocésaine l’actualise à sa manière8. Ainsi, Yves de Chartres, partisan d’une Église comme fédération d’évêchés, fait un faible usage de cette formule9. Cette Église-mère est avant tout le lieu de communication des sacrements, dont Yves rappelle qu’ils sont, y compris dans leur forme, des dons de l’Esprit10. Dans la seconde moitié du xie siècle, l’Église-mère, que les grégoriens les plus fervents assimilent en premier lieu à l’Église romaine, désigne une unité du corps mystique assurée par la charité, c’est-à-dire l’Esprit-Saint. Au xiie siècle, le lien entre Église-mère et Église romaine se renforce dans le cadre de la lutte entre la papauté et l’Empire durant laquelle les intérêts de l’Église romaine sont confondus avec ceux de l’Église toute entière, au nom de l’inspiration de l’Esprit-Saint. Alexandre III condamne Frédéric Barberousse car celui-ci s’adresse à l’Église non comme à une mère mais comme à une servante, assimilant l’affront fait à Rome à un affront fait à la fonction maternelle de l’Église toute entière. Dans une lettre de 1165, ce même pape affirme que l’Église romaine est la tête et la mère des autres églises11. L’autorité de l’Église sur les chrétiens et de l’Église romaine sur les autres églises s’exprime en termes d’amour maternel, un amour

5 Anselme de Canterbury, Monologion (S. Anselmi, Opera Omnia), éd. F. S. Schmitt, Édimbourg, Th. Nelson & Sons, 1946, vol. 1, p. 58-59). 6 Y. Congar « L’Église chez saint Anselme », in Études d’ecclésiologie médiévale, Londres, Variorum Reprints, 1983, p. 390. 7 J.-H. Foulon, Église et réforme…, op. cit., p. 353. 8 Ibid., p. 484. 9 Ibid., p. 397. 10 Ibid., p. 486. 11 M. Pacaut, Alexandre III, étude sur la conception du pouvoir pontifical dans sa pensée et dans son œuvre, Paris, J. Vrin, 1956, p. 120-123.

141

142

ALExIS fonTBonnE

qui unit le Christ et les hommes par l’Église, un amour qui se confond avec l’Esprit-Saint. Le cistercien Guéric d’Igny (1070/1080-1157), dans son second sermon pour la fête de Pierre et Paul, décrit l’Esprit comme le lait coulant du sein maternel du Christ.12 Résoudre le paradoxe de l’autorité de l’homme spirituel

C’est le monachisme réformé, acteur central de cette affirmation de l’autono­ mie de l’Église, qui actualise sur le plan individuel cette nature duale et féminine de l’autorité. Ce lien entre amour maternel et exercice du pouvoir doit être distingué de la reconnaissance du féminin. Lorsque Robert d’Arbrissel confie le commandement de Fontevrault à une femme, et une femme active, il s’agit avant tout d’insister sur l’humilité des frères. La soumission à une femme, comme le travail manuel, sont des moyens d’humiliation des moines, comparables à la soumission des prêtres aux convers dans la congrégation de Grandmont13. En re­ vanche, dans la Vita prima beati Roberti de Arbrissello, l’abbé est décrit comme une mère abeille14, prospectant pour nourrir les recrues. C’est ce pouvoir masculin s’exprimant au féminin qu’il va falloir étudier. On trouve chez les abbés cisterciens un usage important du champ lexical de la figure maternelle (concevoir, donner naissance, allaiter) pour décrire l’ensemble des figures d’autorité : abbés, évêques, personnages des deux Testaments15. Ber­ nard de Clairvaux rappelle, dans un sermon aux supérieurs des communautés monastiques, qu’ils doivent être des mères et non des maîtres, susciter l’amour et non la peur, laisser leur poitrine s’emplir de lait et non de passion16. Cette métaphore permet de présenter l’exercice du pouvoir comme un fardeau : aussi bien Aelred de Rielvaux que Bernard de Clairvaux évoquent la charge abbatiale comme le moment douloureux, mais nécessaire, de séparation avec le Christ17. Bernard file ainsi la métaphore de l’allaitement qui sépare l’épouse du baiser de l’époux. À travers l’usage de la métaphore maternelle, la légitimité des détenteurs de l’autorité est fondée sur leur relation d’amour à Dieu. L’exercice du pouvoir est le moment où cette relation se rompt, un fardeau nécessaire qui se justifie par l’amour que doit éprouver la mère pour ses enfants et les devoirs qu’elle a à leur égard, en particulier celui de les nourrir. La dualité de la figure féminine, mère/ épouse permet de construire un modèle où l’exercice du pouvoir est présenté comme l’antithèse de l’origine du pouvoir. Cette dualité trouve son unité dans la

12 C. W. Bynum, Jesus as mother. Studies in the Spirituality of the High Middle Ages, Berkeley, University of California Press, 1982, p. 122. 13 J. Dalarun, « Dieu changea de sexe, pour ainsi dire ». La religion faite femme. xie-xve siècle, Paris, Fayard, 2008, p. 117-118. 14 Ibid., p. 106. 15 C. W. Bynum, Jesus as mother…, op. cit., p. 147. 16 Ibid., p. 118-119. 17 Ibid., p. 70.

LA vIRILITé MATERnELLE Au xII E SIÈcLE

notion d’amour, pour Dieu ou pour l’homme, amour de l’épouse ou amour de la mère. À l’inverse, lorsque Jean de Salisbury critique l’Église romaine, il l’accuse de se comporter comme « la pire des marâtres18 » soit une fausse mère dénuée d’amour pour ses enfants et qui n’exerce sur eux une autorité que par le biais du droit. Au xiie siècle, certains des principaux acteurs de la réforme de la vie religieuse sont donc parvenus à résoudre le paradoxe de l’exercice de l’autorité par des hommes spirituels rejetant le pouvoir. L’homme spirituel exerce son autorité par un amour maternel des hommes et la légitimité de cette autorité trouve son origine dans l’amour qui unit l’homme spirituel à Dieu comme l’épouse à l’époux. Cet amour se confond avec l’Esprit-Saint et unit de manière consubstantielle ins­ piration divine, amour maternel et exercice de l’autorité. Cette féminité de l’homme spirituel doit-elle être conçue comme une contra­ diction de la masculinité sacerdotale ? Faut-il opposer l’idéal spirituel produit par le monachisme et l’exercice quotidien de la pastorale qui incombe aux prêtres ? Cette féminité du pouvoir est-elle une féminité du moine qui s’opposerait à la virilité du prêtre resté dans le monde ? On peut immédiatement noter que, durant le siècle suivant, l’usage du champ lexical du féminin se maintient au sein d’un nouveau mouvement réformateur qui s’engage dans le monde : François d’Assise est fréquemment qualifié de mère, mère poule et il allaite Claire « comme une mère19 ». Mais il ne s’agit en rien d’une innovation ; en centrant l’étude sur un sermon d’Hildegarde de Bingen nous allons essayer de montrer que l’idéal de l’homme spirituel est aussi l’aune à laquelle sont jugés les prêtres et les clercs et que cette féminité idéale implique à la fois une virilité spirituelle et un anéantissement des femmes.

Virilité de l’Esprit contre sensualité féminine : la recomposition des rapports de genre dans l’idéal sacerdotal au xii e  siècle Le sermon d’Hildegarde aux clercs de Cologne

Vers le milieu du xiie siècle, Cologne et ses environs inquiètent plusieurs auteurs du monde monastique, convaincus d’y voir se multiplier des mouvements hérétiques. Eberwin de Steinfeld, dans une lettre à Bernard de Clairvaux, décrit des hérétiques situés près de Cologne qui affirment, du fait de leur vie authenti­ quement pauvre, être les véritables disciples du Christ et la véritable Église. Ils dénoncent la possession en commun pratiquée par les moines et les chanoines 18 J. Krynen, « Sur la leçon de législation ecclésiastique du Policraticus », in G. Constable et M. Rouche (éd.), Auctoritas. Mélanges offets à Olivier Guillot, Paris, PUPS, 2006, p. 497-502, ici p. 499. 19 J. Dalarun « Dieu changea de sexe, pour ainsi dire »…, op. cit., p. 144.

143

144

ALExIS fonTBonnE

réguliers et le fait que ceux qui se disent les plus parfaits accumulent sans cesse des biens20. Si des hérétiques sont finalement condamnés au bûcher, les accusa­ tions et les soupçons perdurent. Ces accusations d’hérésie doivent être intégrées dans le contexte du schisme, le clergé colonais soutenant depuis 1159 l’antipape Calixte III, qualifié d’hérésiarque par la faction romaine21. Le soupçon d’hérésie participe d’une entreprise de disqualification de l’antipape soutenu par l’empereur germanique. C’est dans ce contexte qu’Hildegarde de Bingen, abbesse et prophétesse reconnue par le pape et Bernard de Clairvaux, prononce un sermon contre les hérétiques où elle dénonce l’inaction du clergé. Le propos nous en est connu car en 1163, le diacre de la cathédrale, Philippe de Heinsberg, futur archevêque de Cologne (1167), demande au nom du chapitre une version écrite de ce sermon. S’il peut sembler paradoxal que le clergé, objet des critiques d’Hildegarde demande une telle copie il faut comprendre que cette requête contribue à renfor­ cer l’autorité du chapitre cathédral. Manifestant leur orthodoxie, Philippe et ses confrères renforcent leur autorité sur les autres chapitres de la ville et légitiment l’usage d’une prérogative épiscopale – la lutte contre l’hérésie – par le chapitre cathédral22. Dans son sermon, Hildegarde de Bingen dénonce l’inactivité des clercs, car, par leur silence, ceux-ci refusent d’apporter la vérité divine aux laïcs et permettent le succès d’hérétiques qui se disent meilleurs que le clergé du fait de leur vie humble. C’est là aussi l’emploi d’une métaphore maternelle qui est choisie : les clercs ont des seins mais ne nourrissent pas les enfants de Dieu23. Le sermon s’achève sur le rappel que c’est l’inspiration de l’Esprit-Saint qui fonde la hiérar­ chie de l’Église – évêques et prêtres étant une représentation spirituelle de l’ordre angélique – et la mission de prédication des clercs. Loin d’être une critique des clercs, le sermon d’Hildegarde présente l’institution ecclésiastique dans sa structure hiérarchique comme une œuvre divine et réserve aux seuls clercs la mission maternelle de nourrir les laïcs avec la parole de Dieu. Dans le Livre des œuvres divines, le terme de fontaine vivante est utilisé pour désigner aussi bien la charité que l’Esprit comme inspiration des prophètes24, formule que l’on retrouve dans la correspondance d’Hildegarde pour souligner qu’à travers elle s’exprime l’Esprit25. De même, dans une séquence sur l’EspritSaint, c’est la charité, comme troisième personne de la Trinité, qui est présentée

20 Lettre d’Eberwin de Steinfeld à Bernard de Clairvaux, no 472, p. l. 182, col. 677 C-D. 21 U. Brunn, Des contestataire aux « cathares ». Discours de réforme et propagande antihérétique dans les pays du Rhin et de la Meuse avant l’Inquisition, Paris, Institut d’Études Augustiniennes, 2006, p. 255. 22 Ibid., p. 254. 23 B. Newman, Sister of Wisdom: St. Hildegard’s Theology of the Feminine, Berkeley, University of California Press, 1987, p. 12. 24 Ibid., p. 52. 25 Hildegardis Bingensis, Epistolarium, éd. L. Van Acker et M. Klaes-Hachmoller, Turnhout, Brepols, 1991, p. 17, lettre 7 (1153).

LA vIRILITé MATERnELLE Au xII E SIÈcLE

comme rendant l’univers fécond26. Hildegarde suit une conception classique qui identifie la charité à l’Esprit agissant dans le monde. Cependant, cette charité s’intègre aussi dans la constitution d’une figure (davantage propre à Hildegarde) de la fiancée de Dieu exerçant, avec la Vierge et l’Église, la fonction maternelle qui consiste à apporter Dieu au monde. Celui-ci ayant été créé dans la charité pour fournir la substance au corps du Christ, que la Vierge a ensuite porté et que l’Église porte continuellement27. Cette figure de la fiancée de Dieu ne doit pas être associée à la place des femmes dans l’Église mais est étroitement liée au sacerdoce, réservé aux hommes. La fiancée de Dieu parmi les hommes est avant tout le prêtre accomplissant le sacrement eucharistique : selon Hildegarde, lors de la messe, le prêtre fait venir le Christ au monde ; il tient alors la place de Marie et, comme elle, doit inviter le même Esprit-Saint avec des mots d’obéissance28. L’emploi du champ lexical de la maternité ne se constitue pas comme une al­ ternative éventuellement contestataire à la masculinité cléricale mais est présentée comme la propriété exclusive d’une hiérarchie entièrement composée d’hommes. Ce n’est qu’en raison des défaillances des clercs dans l’accomplissement de leur tâche maternelle que la parole d’Hildegarde possède une légitimité. Si, pour les chanoines de Cologne, l’Esprit a choisi de reposer dans le cœur de l’abbesse de Rupersberg29 cela ne signifie en rien qu’il puisse exister des « femmes spiri­ tuelles ».

Hildegarde de Bingen et l’anéantissement du féminin dans le champ religieux La prise de parole d’Hildegarde de Bingen ne s’inscrit pas dans une logique de légitimation d’une féminité spirituelle. Il faut y voir, de même que la décision de Robert d’Arbrissel de confier la direction de sa communauté à une « Marthe », une humiliation d’un clergé rendu indigne par sa passivité : une femme parle parce que les clercs se taisent30. L’idéal exprimé ici est celui d’une hiérarchie spirituelle instruite par les inférieurs par lesquels s’expriment l’Esprit-Saint. On peut rapprocher la position prophétique d’Hildegarde des récits de Césaire de Heisterbach tirés du Dialogue des Miracles, dialogue entre un maître et son disciple (1219-1223). On y trouve un duo, le frère lai Henri et le prieur du monastère d’Hemmenrode Herman, au sein duquel les visions et les capacités prophétiques sont réservées à Henri. À la question du disciple de savoir pourquoi un convers

26 P. Barth, M.-I. Ritscher et J. Schmitd-Görg, Hildegard von Bingen : Lieder, Salzburg, Otto Müller, 1969, p. 232-234. 27 B. Newman, Sister of Wisdom…, op. cit., p. 64. 28 Ibid., p. 195. 29 Hildegardis Bingensis, Epistolarium…, op. cit., p. 33, lettre 15 (1163). 30 S. Gouguenheim, La sibylle du Rhin. Hildegarde de Bingen, abbesse et prophétesse rhénane, Paris, Publications de la Sorbonne, 1996, p. 35.

145

146

ALExIS fonTBonnE

comme Henri peut voir ce qui est invisible à des moines, le maître répond que le mérite est plus grand pour ceux qui croient alors qu’ils ne voient pas31. L’humilité des moines est démontrée par le biais du respect qu’ils accordent aux conseils et visions d’un simple convers, sans que cela n’implique aucune remise en cause hiérarchique. De la même manière, l’appel à Hildegarde de Bingen participe, comme on l’a vu, à une stratégie d’affirmation de l’autorité et de l’orthodoxie du chapitre cathédral. Dans le cas particulier des sermons de l’abbesse, il faut souligner que le renforcement de l’infériorité féminine va jusqu’à l’anéantissement même de la personne pour justifier la prophétie féminine. Hildegarde de Bingen se présente en « pauvre petite femme32 » et, dans la première lettre qu’elle écrit à Bernard de Clairvaux, se décrit comme une misérable personne33. Cette position est reconnue par les interlocuteurs des prophétesses, Arnold de Cologne admettant que, comme l’Esprit souffle où il veut et a pu changer des laboureurs en prophètes et faire parler un âne, il n’y a aucun doute qu’il ait pu accorder ses dons à Hildegarde34. Mais surtout, la prophétesse justifie le don qu’elle a reçu par le tempérament aérien de la femme qui la rend sensible aussi bien aux inspirations de l’Esprit qu’à celles du démon, ce qui fut le cas d’Eve35. C’est donc l’absence naturelle de volonté qui conduit ici Hildegarde à servir de messagère à l’Esprit mais cette même défaillance peut profiter aux démons. La femme apparaît comme un vide spirituel, identique à l’animal, qui n’a de valeur que par ce qui l’emplit. L’acte de volonté est réservé aux hommes, aussi indignes soient-ils. L’amour maternel qui est exigé des clercs ne correspond pas à une imitation du féminin mais à un acte de perfectionnement spirituel décrit comme réservé aux hommes par nature. À l’inverse, l’union entre masculin et féminin charnels est l’attribut du diable. Hildegarde associe l’Esprit-Saint à l’allégorie féminine de la charité qu’elle associe à une force virile rendant ferme l’Église et l’empêchant de tomber36. L’antithèse de cette Église idéale est une Église corrompue par le diable et ayant la forme d’une créature hermaphrodite37. Cette opposition structure le discours réformateur d’Hildegarde, opposant virilité de l’Esprit et féminité de l’imperfection spirituelle. La virilité maternelle de l’Esprit contre la négligence féminine

Hildegarde insiste à plusieurs reprises sur la virilité de l’Esprit-Saint, corres­ pondant à la transformation intérieure nécessaire à l’accomplissement de la vie

31 Césaire de Heisterbach en ligne, Gahom (EHESS) [en ligne]. URL : http:// betula.annexus.ehess.fr/sdx/cesaire/index.xsp, Distinction 9, Chapitre 29. 32 Hildegardis Bingensis, Epistolarium…, op. cit., p. 103, lettre 40 (1148-1149). 33 Ibid., p. 3, lettre 1 (1147). 34 Ibid., p. 56, lettre 20 (1158-1160). 35 B. Newman, Sister of Wisdom…, op. cit., p. 106 et p. 115. 36 Scivias II, 4, à propos du sacrement de confirmation (Ibid., p. 215). 37 Ibid., p. 245.

LA vIRILITé MATERnELLE Au xII E SIÈcLE

spirituelle. Elle bénit l’abbesse Adelheid en lui souhaitant que Dieu l’oigne de la virilité de l’Esprit38 et elle indique au moine Heinrich, qui la questionnait à propos de la pénitence, que la virilité de l’Esprit éloigne la pensée du désir39. Pour Hildegarde le caractère féminin de l’âme la rend davantage sujette à la corruption40. Pour s’en prémunir il devient alors nécessaire que l’âme reçoive de l’Esprit-Saint une part de virilité. La venue de la virilité de l’Esprit-Saint est pour Hildegarde une étape de la conversion, ce qu’elle décrit dans une lettre adressée à une abbesse où elle évoque, après le long hiver dans la vie spirituelle, la venue de la virilité de l’Esprit-Saint qui est l’été et transforme le comportement. Il faut laisser l’Esprit allumer son feu pour se rappeler les conseils d’Hildegarde, c’est-à-dire se garder de l’ennemi par le zèle des bonnes œuvres et l’abstinence du péché41. La virilité de l’Esprit correspond à une conversion des mœurs dans la vie monastique, conversion qui protège de la corruption et est inspirée par Hildegarde. Or, cette action d’Hildegarde comme propagatrice de l’Esprit-Saint contre la corruption des mœurs est explicitement décrite comme une lutte contre le féminin. Hildegarde, dans sa Vita, rappelle qu’elle est née au moment où la doctrine des apôtres et la brûlante justice fermement établie chez le peuple chrétien et spirituel commencent à vaciller et à se changer en hésitation42. La faiblesse de son époque, Hildegarde la décrit dans une lettre à l’archevêque de Trèves, datée de 1152 comme féminine43. Vingt-cinq ans plus tard, écrivant aux prélats de Mayence, elle reprend cette formule, indiquant qu’il s’agit d’une époque féminine car on n’y dispense que faiblement la justice de Dieu. Cependant, la force de la justice de Dieu s’exerce et une femme guerrière, elle-même, se bat contre l’injustice44. Le cheminement que décrit Hildegarde de Bingen vers la perfection spirituelle ne peut être conçu sous la forme d’un couple masculin/féminin. Il faut y voir une ascension à la base de laquelle le masculin est corrompu par le féminin et devient alors sensuel et négligent – avec comme idéal-type le diable hermaphrodite – et au sommet l’homme spirituel qui, inspiré par la virilité de l’Esprit, témoigne de cette inspiration par un amour maternel pour les hommes et un amour d’épouse pour Dieu. Du masculin corrompu à l’homme spirituel, la femme est absente de cette échelle de perfection, cette absence est d’ordre essentiel : dénuée de volonté, la femme n’est que le réceptacle de l’Esprit ou du démon et, reléguée à la même position qu’un animal, n’intervient que comme obstacle ou adjuvant. Tout le paradoxe de ce discours d’exclusive du masculin dans le cheminement spirituel 38 Hildegardis Bingensis, Epistolarium…, op. cit., p. 258, lettre 101 (1152-1173). 39 […] voluptatem mentis nostre viriditas Spiritus tui everterit (ibid., p. 394, lettre 173r, avant 1170). 40 L’idée n’est pas propre à Hildegarde, ainsi Geoffroy de Vendôme distingue l’âme et l’esprit, associant la première à Ève et la seconde à Adam ( J. Dalarun, « Dieu changea de sexe, pour ainsi dire »…, op. cit., p. 69). 41 Hildegardis Bingensis, Epistolarium…, op. cit., p. 327, lettre 147r (avant 1173). 42 Patrologie latine, t. 197, Paris, 1855, col. 102 D-103 A. 43 Hildegardis Bingensis, Epistolarium…, op. cit., p. 75, lettre 26r (1152). 44 Ibid., p. 77-79, lettre 23 (1178-1179).

147

148

ALExIS fonTBonnE

est bien entendu qu’il est ici exprimé par une femme – même s’il rend compte de propositions présentes plus largement dans le monde monastique. Le discours d’Hildegarde a cela d’exceptionnel que, théorisant l’anéantissement du féminin, il légitime simultanément une prise de parole très indépendante et de grande envergure. Cette position tient avant tout à la personne même d’Hildegarde qui a non seulement réussi à acquérir une autonomie institutionnelle mais aussi la reconnaissance de son autorité prophétique par l’ensemble de la hiérarchie ecclésiastique contemporaine et une figure monastique aussi importante que Bernard de Clairvaux. L’accession à une telle position d’autorité impliquait, dans une société marquée par la domination masculine, que le discours d’Hildegarde de Bingen n’apparaissent en aucun cas comme un discours féminin. Pour aborder un autre versant de l’anéantissement du féminin dans le domaine spirituel, il faut étudier une autre figure prophétique, dont le succès contemporain fut plus grand que celui d’Hildegarde, mais la position réelle beaucoup moins autonome à l’égard de la domination masculine. Élisabeth de Schönau, une prophétesse et son frère

Élisabeth de Schönau est aujourd’hui moins connue qu’Hildegarde de Bingen. Durant la période médiévale les visions d’Élisabeth bénéficièrent pourtant d’une diffusion plus importante que celles de la sibylle du Rhin : nous possédons encore 150 manuscrits dont 34 datent du xiie siècle et ses visions furent reprises par de nombreux auteurs jusqu’au xive siècle45. Le cas d’Élisabeth nous donne l’occasion d’étudier une prophétesse ayant connu de son vivant un large succès. Élisabeth est née avant 1129 et entre au monastère de Schönau en 1141. Ses visions commencent en 1152 et suscitent rapidement des controverses. En 1154 l’abbé de Schönau diffuse l’une de ces visions contenant des révélations sur des événements futurs et un appel à la pénitence. Lorsque les révélations ne se réalisent pas, de nombreux fidèles ayant fait des dons sont pris de fureur et ridicu­ lisent la moniale. En 1155, Eckbert, frère d’Élisabeth, s’installe dans le monastère de sa sœur, qu’il a probablement déjà conduit à rencontrer Hildegarde. À partir de cette date, les visions d’Élisabeth sont fortement influencées par la formation théologique et les positions hérésiologiques d’Eckbert. Pour Uwe Brunn, qui a étudié la part croissante de la polémique anti-cathare dans les visions d’Élisabeth et la manière dont celles-ci servent à relier les prophéties d’Hildegarde avec les écrits théologiques d’Eckbert, « nous pouvons considérer Eckbert comme l’auteur de la majorité des textes rapportant les visions d’Élisabeth. En ce qui concerne le Liber visionum, la part rédactionnelle d’Eckbert est évidente ; […] il l’assume dans le prologue de cette œuvre46 ».

45 K. Köster, « Élisabeth von Schönau, Werk und Wirkung im Spiegal der mittelalterlichen handschriftlichen Überlieferung », Archiv für mittelrheinische Kirchengeschichte, 3 (1951), p. 243-316. 46 U. Brunn, Des contestataire aux « cathares »…, op. cit., p. 229.

LA vIRILITé MATERnELLE Au xII E SIÈcLE

L’exemple d’Élisabeth nous permet de montrer le caractère exclusif de la masculinité dans le domaine spirituel sous une autre forme. Alors que les pre­ mières visions sont tournées en dérision du fait qu’elles ne se réalisent pas, le filtre théologique que leur applique Eckbert les intègrent dans les polémiques contemporaines. L’inspiration féminine ne prend son sens qu’une fois qu’elle est exprimée par des acteurs masculins, d’abord l’abbé puis Eckbert. Pour continuer l’étude de cette concrétisation de l’anéantissement du féminin dans et par la masculinité sacerdotale dans le champ religieux, il est important d’aborder la question du corps. La différence de traitement entre le corps masculin et le corps féminin pour l’accession à la perfection spirituelle est un révélateur du schéma que nous avons décrit plus haut.

Ascèse et perfection spirituelle : anéantissement de la volonté humaine et du corps féminin Le chemin de perfection pour l’homme spirituel : l’anéantissement de la volonté

L’homme spirituel est celui dont la volonté se confond avec la la volonté divine, c’est-à-dire l’Esprit-Saint. Le cheminement ascétique nécessaire pour par­ venir à cette union est décrit par Guillaume de Saint-Thierry (1075-1148) comme un anéantissement de la volonté. Né dans une famille noble de Liège, Guillaume rencontre Bernard de Clairvaux vers 1119 et devient abbé de l’abbaye clunisienne de Saint-Thierry en 1121. En 1135, il abandonne cette charge contre l’avis de ses frères et de l’archevêque de Reims et entre dans l’abbaye cistercienne d’Igny dont il avait soutenu la fondation47. En 1144, il écrit une lettre aux frères du Mont-Dieu (la Chartreuse), lettre de louange pour leur modèle de vie mais qui est aussi destinée aux cisterciens de la deuxième génération. Guillaume redoute que ceuxci, bénéficiant du succès économique et politique de leur ordre, n’abandonnent la pauvreté et la sobriété originelle48. L’une des particularités de Guillaume est l’importance accordée à l’Esprit-Saint dans sa théologie, à tel point qu’il a pu être considéré comme l’un des inspirateurs de la mystique flamande (la béguine Hadewichj d’Anvers et Jean de Ruusbroec)49.

47 P. Verdeyen, Guillaume de Saint-Thierry, premier auteur mystique des Pays-Bas, Turnhout, Brepols, 2003, p. 43. Pour justifier son départ, Guillaume évoque son âge, rappelant qu’à soixante ans les soldats romains avaient le droit de se retirer. Guillaume semble avoir considéré sa charge comme un fardeau nécessaire ce que révèle une lettre de Bernard de Clairvaux datant du début de l’abbatiat de Guillaume et qui interdit à ce dernier de quitter une charge où il est utile (ibid, p. 34). 48 Ibid., p. 92. 49 P. Verdeyen, « État des travaux sur Guillaume de Saint-Thierry depuis 1976 », Revue des Sciences religieuses, 73 (1999), p. 17-20, ici p. 19.

149

150

ALExIS fonTBonnE

L’idéal monastique de Guillaume se veut une rupture avec le modèle cluni­ sien. En 1131, il participe à un synode provincial à Reims où, avec vingt autres abbés, il forme une societas à laquelle s’appliquent les règles suivantes : commémo­ ration des membres décédés de la communauté, offices abrégés afin qu’ils soient chantés plus respectueusement, observation plus fidèle du jeûne et du silence50. Le cœur de l’idéal monastique développé par Guillaume n’est ni dans l’exploit ascétique ni dans la dureté de la règle mais dans l’adhésion du moine à celle-ci. Il établit une progression entre trois états du moine, animal, rationnel et parfait qui correspond à un détachement à l’égard de l’obéissance traditionnelle. L’obéissance au supérieur n’est mentionnée que dans l’état animal, du fait que le moine n’est alors conduit ni par la raison, ni par l’amour et doit se soumettre à l’esprit d’un supérieur51. Guillaume reprend l’idée augustinienne selon laquelle la vertu est naturelle à l’homme et c’est seulement l’habitude, fruit d’une volonté corrompue, qui débouche sur le vice. Cette vertu se définit comme l’assentiment volontaire pour le bien en conformité parfaite avec la raison. Cette volonté libre est l’exact opposé de la volonté propre. Ce que doit vouloir absolument l’homme c’est l’amour de Dieu et selon Guillaume la présence de la vérité, comme guide de la volonté, passe par l’obéissance : ce n’est que dans l’accord entre volonté et vérité que se trouve la plénitude de la vertu. Il rappelle d’ailleurs la nécessité de l’obéissance pour éviter que l’âme ne se trompe par négligence ou par amour propre ; cette obéissance se distingue de celle du premier état par le fait que l’obéissance à un inférieur est alors préférable car dans ce cas seul l’amour obéit. L’obéissance n’est plus un aspect de la hiérarchie monastique mais de la conversion intérieure. Ce que Guillaume propose c’est un anéantissement de la volonté propre par l’effacement de tout objet d’application de la raison autre que l’amour de Dieu que la volonté doit « vouloir absolument ». Pour Guillaume, les études spirituelles requièrent la pauvreté d’esprit et la paix et s’opposent à la vanité des écoles et aux discussions verbeuses. Celles-ci détruisent l’animus, c’est-à-dire l’âme rationnelle qui ne considère plus les choses charnelles (objet de l’anima, âme charnelle) mais seulement les choses viriles et spirituelles. Pour Guillaume l’entendement abandonné à lui-même se préoccupe alors des affaires du siècle, sérieuses ou frivoles et l’Esprit se détourne52. L’ascèse proposée par Guillaume ne s’intègre pas à première vue dans des distinctions de genre, l’anéantissement de la volonté n’apparaît pas comme une pratique qui distinguerait hommes et femmes dans le champ religieux. Cepen­ dant, la perfection spirituelle est définie comme une virilité, opposée au goût des choses charnelles. Cette distinction renvoie non à un couple de perfection masculin/féminin mais à un cheminement du féminin vers le masculin. Cet

50 P. Verdeyen, Guillaume de Saint-Thierry…, op. cit., p. 37. 51 Guillaume de Saint-Thierry, Lettre aux frères du Mont-Dieu (lettre d’or), éd. J. Déchanet, Paris, Éditions du Cerf, 1985, p. 179. 52 Ibid., p. 323-341.

LA vIRILITé MATERnELLE Au xII E SIÈcLE

anéantissement de la volonté propre est-il possible pour des femmes ? Si d’une part on trouve des conceptions proches de celle de Guillaume chez des moniales comme Mechtilde de Magdebourg il faut rappeler d’autre part que la diffusion de ces thèses au sein du mouvement béguinal contribuent à la répression de celui-ci. Chez les dominés du champ religieux – femmes ou laïcs – la proposition selon laquelle l’union à l’Esprit est possible est interprétée par l’institution comme la preuve d’une autodéification hérétique53. Bien qu’elle ne s’exprime que peu en termes d’opposition masculin/féminin, l’ascèse spirituelle est de fait avant tout pensée pour des clercs, décrits comme seuls dotés d’une volonté qui puissent discipliner l’âme jusqu’à s’unir à l’Esprit. Le pendant de cette conception est la dimension corporelle de l’ascèse féminine : à l’anéantissement de la volonté propre chez les hommes répond l’anéantissement du corps chez les femmes. Maladie et privation : l’anéantissement du corps féminin

Alors que les excès physiques sont considérés avec méfiance chez les hommes spirituels dès l’Antiquité tardive, on peut observer de nombreux cas où le per­ fectionnement spirituel féminin s’accompagne d’un anéantissement physique. Au-delà d’une discipline du corps, on peut parler d’anéantissement à partir du moment où sont valorisées des pratiques (flagellations, privation de sommeil ou de nourriture) ou des situations (maladies) qui diminuent significativement l’espérance de vie de la personne sans avoir d’autre finalité que l’action sur le corps – les pèlerinages n’entrent donc pas en ligne de compte. Cet anéantissement du corps féminin s’inscrit souvent dans une relation à la masculinité. L’un des premiers et plus remarquables exemples est l’épisode d’Élisabeth de Hongrie et de son confesseur, Conrad de Marbourg. Ce dernier est un prédicateur itinérant actif dans l’espace germanique où il prêche la croisade à partir de 1213. Élisabeth est la fille du roi de Hongrie, elle entre dans la vie religieuse à l’âge de vingt ans suite à la mort de son époux le comte Louis de Thuringe en 1227. Conrad devient son confesseur, la conduit à abandonner ses trois enfants et à s’installer à Marbourg où elle fait construire un hôpital et se consacre au soin des malades et des lépreux. La mort précoce d’Élisabeth, en 1231, peut s’expliquer par la dureté de la discipline infligée par son confesseur. Dans sa Légende dorée, Jacques de Voragine évoque un épisode où Élisabeth rend visite à sa fille, avec l’autorisation de Conrad, et se fait alors flageller avec une longue et lourde baguette par un frère franciscain pendant que Conrad chante le Miserere Deus. Élisabeth conserve les marques de cette flagellation durant au moins trois semaines. Après la mort d’Élisabeth, Conrad mène une féroce campagne contre l’hérésie, faisant ériger de nombreux bûchers,

53 Sur ce sujet voir, par exemple, S. Field, R. Lerner et S. Piron (éd.), Marguerite Porete et le miroir des simples âmes, Paris, Vrin, 2013, p. 242-244.

151

152

ALExIS fonTBonnE

il finit assassiné par des chevaliers en 1233 après avoir accusé d’hérésie le comte Henri II de Sayn54. Le caractère extrême des pénitences infligées par Conrad de Marbourg ne doit pas être considéré comme un cas unique. À la différence de la sainteté masculine, la sainteté féminine médiévale se manifeste en grande partie dans la destruction du corps. Si, du xie au xve siècle, seuls 17,5 % des canonisés sont des femmes, 53 % des saints dont l’acceptation résignée de la maladie justifie la sainteté sont des saintes55. De même, l’importance de la dévotion eucharistique chez les saintes s’accompagne d’un rejet de toute autre forme de nourriture. Caroline Walker Bynum considère qu’il faut distinguer ces pratiques d’une intériorisation du dualisme et des stéréotypes négatifs de la chair et de la femme au Moyen Âge. Elle y voit ainsi un rejet des propositions modérées concernant le jeûne et l’ascèse en général que développent les clercs – y compris ceux qui, comme Abélard ou Henri Suso sont témoins de ces privations extrêmes – et qui offrent aux femmes une place, mais secondaire, dans la pratique religieuse56. Il n’est pas nécessaire d’opposer comme antinomiques domination masculine et accès féminin à la perfection spirituelle, les deux trouvent précisément leur syn­ thèse dans la masculinité sacerdotale. Nombre de récits de miracles concernant la dévotion eucharistique des saintes instituent un modèle où l’on trouve d’une part les hommes, qui sont des prêtres accomplissant la consécration eucharistique et des femmes à qui la communion confère une dignité particulière qui peut aller jusqu’à une supériorité face au prêtre, en particulier si celui-ci est indigne : Agnès Blannbekin voit ainsi l’eucharistie s’échapper de la bouche d’un prêtre corrompu pour voler dans la sienne57. La domination masculine ne se traduit pas par une exclusion des femmes mais par un anéantissement du féminin dans le sens où la perfection spirituelle des hommes emprunte la voie de la maîtrise de soi tandis que la sainteté féminine s’exprime de manière mortifère. L’accumulation du capital religieux passe pour les uns par l’accession à une dignité, celle de prêtre tandis que c’est un exercice d’anéantissement du corps qui permet de prétendre à la sainteté féminine. Cette différence peut être exprimée de manière théorique : Pierre Bourdieu voit dans le degré d’objectivation du capital social cumulé le fondement de toutes les différences pertinentes entre les modes de domination. L’objectivation permet la permanence et la cumulativité des acquis tant matériels que symboliques, sans devoir recourir à une perpétuelle réactualisation de la

54 R. Moore, Hérétiques…, op. cit., p. 399. 55 25 femmes (soit 16,5 % des saintes) contre seulement 22 hommes (3 % des saints) présentent cet aspect. Autres éléments jouant un rôle central dans l’ascétisme féminin : la flagellation (18 % des saintes contre 9 % des saints), l’austérité extrême (35 % des saintes contre 18 % des hommes). Cf. D. Weinstein et R. Bell, Saints and Society: The Two Worlds of Western Christendom, Chicago, University of Chicago Press, 1982, p. 234-235. 56 C. Bynum, Jeûnes et festins sacrés. Les femmes et la nourriture dans la spiritualité médiévale, Paris, Éditions du Cerf, 2007, p. 329-330. 57 Ibid., p. 326.

LA vIRILITé MATERnELLE Au xII E SIÈcLE

domination58. Ce que l’on a étudié ici permet de distinguer deux formes de revendication de l’inspiration divine : d’une part, la masculinité sacerdotale relève d’un degré d’objectivation avancé dans le sens où l’Église interdit la remise en cause des sacrements accomplis par un prêtre, même jugé indigne, d’autre part, c’est bien à une perpétuelle réactualisation incorporée de leur perfection spiri­ tuelle que se livrent les saintes par les privations alimentaires et l’acceptation de la souffrance physique. Les deux constituent bien des stratégies de domination, mais avec des coûts très différents. L’opposé de la masculinité sacerdotale, charisme d’institution, n’est pas l’infériorité féminine, mais la nécessité d’une ascèse morti­ fère pour les femmes désirant accéder à un charisme dans le champ religieux.

Conclusion : la virilité sacerdotale au Moyen Âge Parler de masculinité sacerdotale conduit à des variations autour d’un inva­ riant (masculinité nobiliaire, populaire, cléricale etc.). En employant un terme propre à l’époque considéré, celui de virilité, nous nous privons bien entendu d’un certain niveau de conceptualisation. Cependant, ce terme permet de rendre la manière dont se traduit, dans un champ donné, la domination masculine sans lui attribuer des caractéristiques essentielles. Ainsi, à l’époque que nous venons de présenter, la virilité se manifeste, dans le champ religieux, par un amour de mère et d’épouse, par la tendresse et l’allaitement, valeurs qui s’opposent à une féminité faite de relâchement et de stérilité. Se dessine ainsi une figure de l’homme spirituel, modèle de perfection indivi­ duel du prêtre, qui est plein de la virilité maternelle de l’Esprit-Saint. L’opposé de cet homme spirituel n’est pas la femme – charnelle ou spirituelle – mais le clerc féminin : relâché et stérile, il se rapproche du diable hermaphrodite et favorise l’hérésie par son abandon des laïcs et de Dieu. Le féminin n’est pas l’opposé du masculin mais du spirituel. Le chemin de perfection qui mène vers la voie de l’homme spirituel est l’anéantissement de la volonté animale, de l’âme féminine pour arriver à la virilité de l’Esprit. À ce parcours de perfectionnement répond un parcours d’anéantissement du corps féminin chez les saintes : la femme étant définie par son absence de volonté, c’est dans l’action sur le corps qu’elle peut faire preuve de cette sainteté. Cette idée de preuve souligne une seconde différence : là où le capital symbolique du prêtre est objectivé par son appartenance à une institution, la sainte doit sans cesse faire preuve de sa perfection personnelle. Enfin, tout discours féminin doit se constituer en preuve de légitimité, ce qui peut permettre de comprendre pourquoi l’un des discours les plus accompli sur la femme comme néant spirituel se trouve sous la plume d’Hildegarde de Bingen.

58 P. Bourdieu, « Les modes de domination », Actes de la Recherche en Sciences sociales. La production de l’idéologie dominante, 2/2-3 (1976), p. 122-132.

153

jEAn-mARIE LE gALL ( TRAnSL. jEAn‑pASCAL gAy) 

On Priestly Hairs and Beards

Masculinity is often associated with hair as the latter is a manifestation of virility. The beard accompanies puberty and the awakening of a vigorous sexuality. However, with its obligatory chastity, the priesthood requires a renunciation of the latter. The priest is to have an angelic nature, non-violent, without sexuality, in the service of a Holy Mother, the Church. If we add that religious vocations were sometimes imposed on younger sons by family strategies, we might rightly consider that the priesthood does not meet the norms of hegemonic, patriarchal masculinity, and may be relegated to the lower category of femininity, mollitia1, or even hermaphroditism2. Yet there is indeed such a thing as a specific clerical virility, alternative but elitist, as the priesthood is an exclusively male world, reserved to men alone, with its own places (seminaries, presbyteries, convents and monasteries) and in a posi­ tion of social domination over the laity through its monopoly on the sacraments and preaching, as well as theology3. The affirmation of Christocentrism of Early Modern times went hand in hand with a denunciation of mysticism that was often fueled by the latter’s supposed femininity, which would allegedly be a female theology; its quietist abandonment was equated with an altogether feminine

1 Jean-Marie Le Gall, ‘Barbes et mollesse’, in Daniele Maira (ed.), Mollesses de la Renaissance. Défaillances et assouplissement du masculin (to be published). 2 Marie Delcourt, Hermaphrodite mythe et rites de la bisexualité dans l’antiquité classique (Paris: PUF, 1958) ; Marianne Closson (ed.), L’hermaphrodite de la Renaissance aux Lumières (Paris: Garnier, 2013) ; Valerio Marchetti, L’invenzione della bisessualità. Discussioni tra teologi, medici e giuristi del XVII secolo sull’ ambiguità dei corpi et dei animi (Milan: Mondadori, 2001). 3 Jean-Marie Le Gall, ‘Y-a-t-il un honneur des clercs ?’, in Hervé Drevillon, Diego Venturino (eds), Penser et vivre l’honneur à l’époque moderne (Rennes: Presses Universitaires de Rennes, 2011), p. 281-300 ; id., ‘La virilité des clercs’, in Georges Vigarello (ed.), Histoire de la virilité : 1 De l’Antiquité aux Lumières (Paris: Le Seuil, 2011), p. 213-230 ; id. ‘La prééminence du clerc à l’âge moderne’, in Jean-Pierre Genet, Igor E. Mineo (eds), Marquer la prééminence sociale (Rome-Paris: Publications de la Sorbonne-École Française de Rome, 2014), p. 75-94. Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 155-176. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131597

156

JEAn-MARIE LE GALL

passivity4. The elitist character of the priesthood alone would encourage us to think of this non-hegemonic clerical masculinity in terms of intersectionality. However, the question of sacerdotal pilosity results from a problematic which, on the one hand, confronts and intersects the affirmation of a priestly superiority, born by an ideal that rejects the apparent forms of male, warrior predatory domination, and which, on other hand, and at once, assumes the figure of a domination acquiesced to. Like the Crucified, who sacrificed himself for the salvation of humanity, the priest, without being a monk, must be a man who stands apart5. That includes living in a presbytery and should incarnate sacrifice in his life, both in renouncing to having offspring, as well as renouncing the vanities of this world, such as frequenting taverns or balls, or wearing beards or wigs6. At the end of the Middle Ages, with the exception of Swiss and German soldiers, beards were only temporarily worn by a few hermits, the sick, or those who had taken a vow of pilgrimage or intended to display their affliction. When Julius II grew one in 1510, it was as much to bear witness to his sadness at the loss of Bologna as to honor a vow… However, after 1510, in Italian and then European courts, young aristocrats opted for beards. Juvenile and aristocratic, and neither senile nor rustic, the new fashion faced resistance because it was judged to be incompatible with certain social conditions. The clergy was also confronted with this ‘renaissance’ of the beard. Should clergymen wear them or renounce the practice? This controversy, which gener­ ated legislation, took place in the context of the early Protestant Reformation. Did the beard therefore become a sign of confessional identity or did it merely provide a depreciative argument in the confessional controversy?

The Quarrel over Priestly Beards in the Roman Church In 1515, as the beard began to catch on at the Roman court, the 9th session of the Fifth Lateran Council addressed the question of whether holders of church benefices and priests could wear one. For modesty’s sake, they should let neither their beards nor their hair grow7. Faced with this new fashion, some reacted against it in reclaiming the tradition of a glabrous clergy and in appealing to ancient canonical legislation in that regard. For them, the reform of the Catholic Church required eradicating the clerical and/or priestly beard in order to manifest

4 Sophie Houdard, Les invasions mystiques. Spiritualités, hétérodoxies et censures au début de l’époque moderne (Paris: Les Belles Lettres, 2008). See also chapter 7 in Jean Marie Le Gall, Le mythe de saint Denis entre Renaissance et Révolution (Seyssel: Champ Vallon, 2008). 5 Nicole Lemaître, Histoire des curés (Paris: Fayard, 2002). 6 On wearing wigs, Louis Trichet, La tonsure (Paris: Cerf, 1990). 7 « Clerici temperate ac modeste omnia faciunt… non comam neque barbam non nutriant ».

on PRIESTLy hAIRS AnD BEARDS

contempt for the world and its fashions. But that option was far from attaining universal approval in clerical circles, agitated by a real quarrel over beards. In a society where beards had become an ostentatious sign of authority and mas­ culinity, could clergymen whose authority and magisterium might be otherwise threatened afford to renounce them? As early as 1529, the Humanist Pierio Valeriano (1477-1588) published his Latin Pro barbis sacerdotum, which spread throughout Europe and became a milestone in the revival of this ancient quarrel (with editions in Paris in 1533 and 1558, in Leiden in 1639 and Liège in 1643)8. In the dedication to his protector Cardinal Hippolito de Medici – a relative of Pope Clement VII – Valeriano, who was also an apostolic protonotary, expressed concern with how canonists and clerics in the Pope’s entourage were militating for the renewal of a decision by the Council of Carthage, already endorsed by Alexander III, that all priests abandon their beards (barbam deponere omnes). Critics of the clerical beard deemed it incompatible with piety and holiness9. Valeriano intended to repudiate their claim by turning to Mosaic law, as well as to the law of grace, and finally to canon and natural law. Valeriano – and after him all the defenders of clerical beards – quoted the verses in the Old Testament which attest to how honourable it was in Israel, and even more so for priests. ‘In the old law, not only is the beard not forbidden but God himself recommended wearing it and not removing it’10. Aaron’s was anointed and holy while the loss of hair or beard appears as a curse. Shaving is considered to be the manifestation of intolerable pain or great calamity11. Leviticus forbade the Jews, and especially their pontiffs, from shaving them off12. The Chosen peoples knew that the beard pleases God. Barbam deo placere. The law of grace, that is, the law of Jesus, did not come to abolish the old. Jesus is the source and model of it. As it happens, he never encouraged shaving but wore a beard as a sign of his own virility13. His example, like those of Peter, Paul and the other apostles, is enough to justify wearing beards14. Statues or images of the apostles always show them bearded. If some consider that this is merely a conventional representation, one may easily respond that that convention has

8 See Giovan Pietro Pierio Valeriano, Pro sacerdotum barbis, Paris, 1533, fol. 15. On the antiquity of this debate see the introduction in Gilles Constable, L’Apologia de barbis, in Burchard de Belleveaux, Corpus christianorum continuatio mediaevalis, (Turnhout: Brepols, 1985), p. 62. 9 « Ubi enim barba sit, nullam ibi pietatem sanctitatem nullam, nullam esse posse religionem putant », Valeriano, Pro sacerdotum barbis, op. cit., p. 12. 10 « Constat enim in vetere lege barbam non modo non prohibitum sed etiam decreto habendam imperiisque dei ipseis nequaquam amovendam », ibid., p. 15. 11 « Apud Hebraeos abradi barbam invenias ubi vel dolor intolerabilis vel insignis aliqua calamitas ingruisset quo se ornamentis monibus expoliatos ostendarent », ibid., p. 15. 12 « Barbam enim rasitandam non esse Levitici libris populo praecipatur universo sacerdotibus autem sine exceptione mandatum praecipue ne barbam radant », ibid., p. 14. 13 « Dominus Deus noster barbam virilitatem indicium gestauit », Valeriano, op. cit., p. 18. 14 « Christi ipsius exemplum qui barbam assidue gestasse fertur et Petri, Pauli et apostolorum barbatum defensionem constituere videntur », ibid., p. 16.

157

158

JEAn-MARIE LE GALL

been accepted by every authority because the beard suits holiness15. Relics also bear witness to the beard prevailing in apostolic times. On the eve of Easter 1581 in Rome, Montaigne attended the ostentation of the heads of St. Peter and St. Paul ‘who still have their flesh, complexion and beards as if they were living’16. In Paris, the reliquary of Notre Dame preserves the beard of Saint Germain17. This testimony of images, statues and even of the iconoclast Calvin embarrassed Molanus, the great theorist of images of the Catholic CounterReformation. In his chapter on the face of Christ, or in that on the Veronica, he says nothing of Jesus’ beard18. Pomponeo Sarnelli, a 17th century doctor in theology and apostolic protonotary, later attempted to take up the challenge of showing that clergymen in the early Church were indeed glabrous. In his eyes, the face of Jesus should not be confused with that of Christ who appeared as a victim and priest at the time of his passion. His almost hairless beard would be a sign of neglect19. Like Jesus, if Peter did shave, it was out of contempt for the customs of the gentiles and out of fidelity to the passion of Christ20. But how to account for the images of that apostle showing him bearded? Simply because they paint him at the moment of his ordeal, after a long stay in prison, without access to a barber21. All this remains highly hypothetical and one can understand why adversaries of the priestly beard preferred to turn to canon law. The principal argument of the ‘clean shaven advocates’ was invoking ecclesi­ astical law. They turned to the Council of Carthage which declares that clerics should not retain their hair or beards ; clerici neque comam nutriant neque barbam. This 398 Council, which Augustine and 214 bishops took part in, is considered universal. Baronio therefore concludes that neither the clerics nor Augustine himself had long beards, but that they were trimmed and perhaps even shaved. Heretics to the contrary had long beards22. That decision was reportedly reasserted by Alexander III in the 12th century in a letter to the Archbishop

15 « Quae sententia omnium facile ostendit barbam aliquid habere quod sanctitati decenter accomodetur », Valeriano, op. cit., p. 17. 16 Michel de Montaigne, Journal de voyage, Fausta Garavini (ed.) (Paris: Gallimard, 1983), p. 228. 17 Jacques du Breul, Le théâtre des antiquités de Paris, Paris, 1612, p. 40. 18 Jean Molanus, Traité des saintes images, François Boespflug, Olivier Christin, Benoît Tassel (eds) (Paris: Cerf, 1996), p. 484. 19 « Cosi la barba nuda de peli ne dinota lo svellimento de peli della barba del medesimo per la quale egli strascinato su nel colmo de suoi dolori », Pompeo Sarnelli, Lettere ecclesiastiche, Naples, 1686, p. 95. 20 « L’apostolo S. Pietro avvenendogli che per obrobrio da gentili gli fusse raso il capo e la barba rifletendo sui l’appasionato Signore », P. Sarnelli, Lettere, op. cit., p. 95. 21 « Ne ostano le imagini de s. Pietro che barbate si veggono perciocche havendo egli santificato le carceri in quelle non potea adoperat barbiete : anzi chi ben considera la barba delle sue imagini vedra esser barba cresciuto ad un volto raso per esser corta ed uguale in giro », P. Sarnelli, Lettere, op. cit., p. 96. 22 « da questo canone inferisce il cardinal Baronio che s. Agostino il quale intervene della chiesa africana non portassero la barba lunga ma se non rasa almeno tosata », Della canonica tonsura o rasatura della barba clericale, P. Sarnelli, Lettere, op. cit., p. 92.

on PRIESTLy hAIRS AnD BEARDS

of Canterbury23.Therefore, contravening this conciliar and pontifical injunction and letting each clergyman act according to his own desire, (ex libidine sua vitam instituere) would muddle everything and leave nothing whatsoever holy and honest24. Thus, Valeriano and other supporters of priestly beards after him had to find ways of dismissing that law. In a humanist style of argumentation, they did so by mobilizing historical and philological arguments, as well as positive theology. As a disciple of Marco Antonio Sabellicus, Valeriano’s intent was not to put Antiquity to the service of the reform of the present, but to challenge a reform project based on a misreading of venerable texts. For him, the so-called decision of the Council of Carthage was interpolated and distorted. In Gratian, as well as in various manuscripts he was able to collate, the sentence put forward by the ‘beard adversaries’ might be missing a verb that would dramatically change its meaning. One should read, Clerici neque comam nutriant neque barbam radant, i.e. : “Clerics should neither let their hair grow (long) nor shave their beards”25. He therefore points to a copying error that distorted the Council’s meaning. Similarly, Alexander III’s letter would have been misappropriated. Building on the council of Agde, which ordered that ‘clerics taking care of their hair must trim it by order of the archdeacon even if they do not want to’26. Valeriano insists that that type of interpolation is common. Some had thus recently succeeded in convincing Pope Adrian VI to judge poetry heretical on the basis of a misleading reading of Gelasius in mistakenly replacing heroïcis with hereticis27. The humanist Valeriano therefore refused to let ignorant canonists induce the Pope into passing a law against beards on the basis of a mistaken reading of a venerable council. But he also intended to confuse them by invoking present custom. Doesn’t a principle of law state that a new law erases an older one?28 Pope Julius II before, and now Clement VII, as well as cardinals, happened to wear beards, as it pleased them29. Clement VII’s is struck daily on gold and silver coins30. Will the censors of the beard censure both the Pope, as well as an honest and living custom, in the name of old and insecure laws (leges infirmas)31? Yet as a good humanist, Valeriano does not set Antiquity aside, especially pagan antiquity. ‘We are Romans’, he exclaimed. Romani sumus. He wished to link the common and pontifical custom of his time with that of ancient Rome…

23 « Clerici qui comam et barbam nutriant etiam inviti a suis archidiaconis tondeantur », Valeriano, Pro sacerdotum barbis, op. cit., p. 22. 24 Ibid., p. 20. 25 Ibid., p. 22. 26 « Clerici qui comam nutriunt ab archidiacono etiam si noluerint tondiantur », ibid., p. 22. 27 Ibid., p. 24. 28 « lex quaeque novissima priorem aboleat », ibid., p. 31. 29 « Placuit enim Julio aliquanddum gestare barbam, barbam placet etiam Clementi, placet cardinalium collegio sacrosancto », ibid., p. 31-32. 30 « Barbata Clementis facies nummis aureis argenteisque quotidie cuditur », ibid., p. 38. 31 « Leges infirma vel iam antiquitas renovare reditabimur cum haec viva lex hodie passim vigeat et passim observetur? », ibid., p. 32.

159

160

JEAn-MARIE LE GALL

Without mentioning the Republic and the Empire, Valeriano argues that the papacy of his time is reconnecting with the primitive Urbs, an almost mythical Rome that merges with primeval times and creation. Valeriano also bases his defence of the beard on natural law. ‘That nature is on our side, no one can dispute’32; ‘as it adorns the trees with foliage, so it adorns man with a thick beard that enhances his dignity’33. In a speech on shaving published in 1536, Gentian Hervet argued, to the contrary, that nature itself invites us to fight against this hairy excrement. After all, don’t we prune trees, don’t we cut wheat? Why keep what nature rejects34? But Valeriano thinks that requiring of priests that they shave also means making them appear effeminate, ‘softened’, however virtuous they may be35 : ‘It’s obvious that children, women, eunuchs and those who are soft and tender are beardless. It’s therefore easy to understand why those who shave can be likened to them’36. Thus, ‘men should grow beards mainly as a means of distinguishing male strength from female softness, caring for their beards as women do their hair’37. Those who equate clerical reform with the eradication of beards are ‘barking up the wrong tree’. They risk making even good priests look like effeminates, as friends of the flesh and good food. Moreover, in Castiglione’s Courtisan, Frigio, the ascetic who later retires to a Carthusian monastery, felt that a cleric who shaved too closely would fall under suspicion of seeking elegance and even of pursuing a dissolute life?38. For Valeriano, the Council of Carthage prescribed that men should not shave to show that they are truly men39. Shaving would be detrimental to priestly authority. Beyond these legal, philosophical and philological arguments, what’s at stake in the debate resides in one’s conception of clerical reform. Valeriano believed that the critics of beards should take on other, real abuses, such as carrying weapons40. He fails to see how the perfection of the priest should be seen in the rejection of an attribute that, among the laity, signifies authority, piety, probity and virile masculinity. The exemplarity and singularity of the priest makes him no less a man among men. Those who want to prohibit priests from wearing beards retort that they are a sign of sadness and do not suit those who are standard bearers of hope, 32 « Naturae lex a nobis stet quam ita esse non inficiantur », ibid., p. 13. 33 « Nam veluti arbores natura frondibus ita viros ad eorum dignitatem uberus augendam barba ornatos voluit », ibid., p. 9. 34 « Naturam ipsam ad tollenda pilorum excrementa invitare », Gentian Hervet, Orationes, Orléans, 1536, p. 25-27. 35 Valeriano, Pro sacerdotum barbis, op. cit., p. 5. 36 « Manifestum enim est in hominum genere pueros tantum foeminas eunuchos et qui mollius degunt viros sine barba conspici atque ita facile potest intelligi quibus iis qui rasitant assimilari possint », ibid., p. 9. 37 « Barba viros promissa decet eoque pracipue signo uti saepius dictum virtus mascula a foeminarum mollitie distinguitur quod illae comam viri barbam nutrire debent », ibid., p. 23. 38 Baldassare Castiglione, Le livre du courtisan (Paris: Garnier Flammarion 1991), p. 252. 39 « Concilii Carthaginensis edicto sacerdotibus praecipitur ne barbam radant ut viri sint et videantur », Valeriano, Pro sacerdotum barbis, op. cit., p. 24. 40 Ibid, p. 30.

on PRIESTLy hAIRS AnD BEARDS

incapable of tears41. Yet, Valeriano continues, how could a priest not weep over the fate of Italy or of a sacked Rome; how could he not join in the lament of all other men over the misfortunes of the time42. Therefore a priest cannot help but share in collective anguish and affliction. By shaving, he would be evincing an inadmissible unconcern. He concludes that forcing priests to shave would risk attracting God’s wrath on Rome43. Yet the style of Catholic reform which carried the day, namely the CounterReformation, affirmed in the face of the Protestant universal priesthood that the priest was set apart to celebrate Christ’s sacrifice; a sacrifice that Protestants consider accomplished on Good Friday, but that Catholic priests reenact at each Mass. How did the Roman Church reconcile this confessional conception of the priest as separate with Valeriano’s apology, founded on the ideal of a priest, an exemplary man, yes, but living among other men?

Catholic Legislation on Priestly Beards Valeriano’s powerful argument and his connections with the Pope and the Medicis dissuaded both Clement VII and his successors from legislating. Indeed, it was not until Urban VIII in 1624 that an edict for clerics (edictum pro clericis) was issued, requiring them to cut, not shave, the beard above the upper lip so that it would not impede celebrating the Eucharist44. Therefore, this did not involve shaving: it concerned only priests and dealt with the size and cut of their moustaches. Appropriate local legislation was implemented in provincial councils under the aegis of metropolitans and diocesan synods assembled by bishops. Before the opening of Trent in 1545, provincial councils were held for the reform of the Church. That of Sens, having authority over the diocese of Paris, in 1527 sought that the clergy not groom their beards. Shortly before that, the legate in the Empire, Campeggi, also demanded it45. But it was the Milanese Cardinal Charles Borromeo who played a decisive role in the establishment of early modern canonical legislation. Shortly after the closing of Trent, the Council of Milan of 1565 specified that no cleric should studiously groom his beard, ne barbam nutrient studiose. It first and foremost condemned the excessive care of beards. The moustache of the upper lip ought to be cut (recidatur) so that hairs

41 « Sed faciamus hoc persuasum fuerit barba tristiatiae luctusque et afflicti animi signum moerendum sacerdotibus non esse », ibid., p. 42. 42 Ibid., p. 45-46. 43 Ibid., p. 47. 44 « Sacerdotes habeant barbam in labro superiore ita rescissam ut illis non sit impedimento in sumptione corporis et sanguinis Christi quando celebrant », Gaston Chamillard, De corona tonsura et habitu clericorum, Paris, 1659, p. 28. 45 Ibid., p. 70.

161

162

JEAn-MARIE LE GALL

not compromise receiving the blood and body of Christ46. The decision appears technical and fairly moderate. But Borromeo didn’t stop there. The acts of the church of Milan, printed in 1583, contains a letter of December 30, 1576 entitled De barba radenda, in which the prelate explains the meaning of shaving. He deplores the fact that the ancient custom of shaving has disappeared in Italy, although it is the Church’s ancestral tradition. But he above all provides a spiritual and ecclesiological explanation. Abandoning one’s beard is a sacrifice of humility. God gave his son, and he his life; the priest may well abandon his beard. He will thus testify to his humility by abandoning that outward sign of superbia. But going even further, Borromeo regards the beard as an attribute of the laity, incompatible with an ecclesiastical calling that must separate the priest from others. The ‘ecclesiastical militia’ is a popolo peculiare di sua divina maesta, distinguished by study, profession, morals and therefore by clothing and tonsure. To continue to wearing a beard, despite having taken the habit, shows an attachment to secular conventions and practices. Borromeo concludes: We are restoring our ancient custom of shaving the beard with the true resolution that by abandoning it we are henceforth also abandoning all ostentation and vain confidence in worldly wisdom and strength and all self-esteem and any other pride. By despising this common facial ornament we renounce the vain ornaments and glories of men47. But Borromeo was not alone in taking sides against the beard after the Council. Around 1564-1565, the Bishop of Tournai forbade priests and even singers participating in the divine office to have beards. “This was the starting point of rather great difficulties as the choirmasters complained at being hard pressed to find a sufficient number of singers”. Some up and left, preferring their beards to their jobs. A bourgeois from Ghent, Marcus Van Vaernewyck, noted that “Guillaume de Moor, a long time singer at Saint James’ with a good and firm voice at the lectern”, preferred to leave rather “than let his small black goatee be cut off; which far from being uncultivated or unseemly to behold, suited him perfectly”. This chronicler is hard put to choose between his refusal of innovations and what he deems the silliness of this attack against the beards of singers48. Yet, often having received minor orders, singers and choir boys ought to have an angelic voice and appearance. In 1658, the chapter of Saint-Germain l’Auxerrois in 46 « Comam vero et barbam ne studiose nutriant. Barba a superiore labro ita recidatur ut pili in sacrificio missa Christi domni corpus et sanguinem sumptionem non impediant », ibid., p. 41. 47 « Ristauriamo in effeto l’antico uso nostro di radere la barba con questa vera risolutione che con deponere la barba deponiamo insieme hormai ogni ostentatione et vana confidanza della prudenza et della fortezza mundana et ogni stima di noi medesimi et ogni altra superbia et con il dispreggio di questo commune ornamento della faccia rinonciamo a gli ornamenti vani et allé glorie de gli uomini », Acta ecclesiae Mediolanensis, p. 385v°. 48 Marcus Van Vaernewyck, Mémoire d’un patricien gantois du xvie siècle, Hermann van Duyse (ed.), (Ghent, Maison d’éditions d’art, 1905), t. 1, p. 236-237.

on PRIESTLy hAIRS AnD BEARDS

Paris further reproached the choirmaster for not having had “the great choir boy” shaved clean49. After Borromeo’s decisions, episcopal prescriptions multiplied as a reaction against fashion and in a context of intense religious confrontation. Between 1480 and 1670, 21 provincial councils and 77 synods ruled on the beard. France, Spain and Italy seem to have been the zones most affected. In the kingdom of the most Christian king, out of 124 dioceses (including Avignon) around 1600, 30 dioceses had dealt with beards in their synods, about a quarter of them. In Italy, 35 synods had dealt with the problem but the peninsula then had 281 dioceses. In Spain, a rapid examination of a dozen constituciones synodales shows that the beards of priests, deacons and sub-deacons were systematically dealt with. Other institutions produced their own legislation as, for instance, did some cathedral or even collegiate chapters. By the mid 16th century, they seemed to consider that canonical custom and perfection are synonyms of glabrousness. Thus, in 1548, after having been accused of disciplinary laxity before the Grand Jours held in the town of Le Puy, the city’s Cathedral chapter responded that their canons fulfilled their office well, dressed decently and that only four or five out of forty-three wore beards50. During the visit the Bishop of Chartres, Louis Guillard, made in 1549 to the Collegiate church of Saint-Georges de Vendôme, the prelate sided with the chapter against the dean who wore a long beard and subsequently had to shave it off. A century later, the canon who recounted the affair deemed it “more ridiculous than necessary”51. But shaving in the mid-sixteenth century was no laughing matter. In 1553, the canon of Rouen forbade entry to the choir to all those who had not shaved52. In Bordeaux, in 1541, the primatial chapter forbade all those entering the choir, canons, benefactors and choristers to wear long beards. In 1579, they even attacked moustaches. Despite their reluctances, the few bearded members of the chapter agreed to shave53. To this we should add the legislation developed by the countless religious orders and institutes and other congregations of clerics. Thus, the 1547 statutes of Cluny required that monks sent to study in Avignon or Paris not wear beards; the general chapter of 1554 forbade any form of beard grooming under penalty of excommunication and prison54. Universities also participated in the trend. In

49 Catherine Massip, La vie des musiciens de Paris au temps de Mazarin (Paris: Picard 1976), p. 63. 50 Bernard Rivet, Une ville au xvie siècle : Le Puy en Velay (Le Puy: Les Cahiers de la Haute-Loire, 1988), p. 144. 51 Alexandre Dupré, ‘Histoire de l’église de Saint-Georges de Vendôme’, in Congrès archéologique de France, 39e session, Angers, 1873, p. 19. 52 Léon Fallue, Histoire politique et religieuse de l’Église de Rouen (Rouen: A. Le Brument, 1850), t. 3, p. 184. 53 Jean-Auguste Brutails, ‘La barbe du chanoine Belcier’, Revue historique de Bordeaux, 12/1 (1919), p. 6-14. 54 Dom Gaston Charvin, Statuts, chapitres généraux et visites de l’ordre de Cluny (Paris: De Boccard, 1972), t. 6, p. 136, 158.

163

164

JEAn-MARIE LE GALL

1587, the Faculty of Theology of Paris thus reminded teachers that they should not have beards the way the laity do55. In the second half of the 17th century, with the disappearance of beards and even moustaches, canonical activity on this subject dried up. A reawakening of the bishops’ legislative zeal against beards, and particularly in France, only occurred in the 1870 to 1960 period56. In looking at the decisions of 19 provincial councils and 57 synods held between 1480 and 1650, a few characteristics appear. First of all, on the one hand, the prelates legislated above all in order to preserve the Eucharist from all pollution. The beard and whiskers being excrement, they must not come into contact with the sacrament. More than the beard, it is therefore the moustache that is forbidden as it risks soaking in the blood of Christ or being moistened by it. The Council of Naples forbade the Turkish style beard, which is turned up and spiky; the 1607 Council of Mechelen prohibited the winged beard (barba alata)57. It was therefore an instrumental reason, linked to the priesthood, that justified Church intervention involving facial hair. Therefore the prohibition does not concern all clerics but only those accessing the altar. On the other hand, only six provincial councils and five synods justify their pogonophobia by the need for clerics to distinguish themselves from the laity. Provincial councils seem more concerned with this separation of appearances than the synods. In Piedmont in 1585, in Trani and Salpense in 1589, in Ferrara in 1612, and in Saint-Malo in 1618, they asked clerics not to follow the fashions of the laity; Bishop Guillaume Le Gouverneur of Saint-Malo deemed it a mon­ strosity in a clergyman58. The cleric is not so much invited to free himself from the fashions the faithful live with, as from those the elite do. The 1583 councils of Tours and Aix required not adopting the fashions of the military or soldiers (sicarii); the latter law forbade turned over moustaches (pilos intortos) or beards cut in points. The synod of Nole forbade the beards of soldiers (again called sicarius, “assassin”) made of turned curly hair (pilos retortos cirrosque). In his homily before the States General in 1615, Bishop Jean-Pierre Camus conceded some hairs on priests’ chins, but considered a Turkish moustache on a cleric’s face a “banner of ineptitude”. It is the priesthood’s duty not to be frightening and proud, but gentle, modest and affable. This legislation shows that it is the fashioned beard, identified with a social group that is outlawed rather than the beard itself. 55 « Inhibetur magistris nostris nutriant barbas aut novo modo faciunt more laicorum secularium », César Egasse Du Boulay, Historia universitatis Parisiensis, Paris, 1673, t. 6, p. 791. 56 Louis Trichet, La tonsure, op. cit., p. 171-175. 57 G. Chamillard, De corona, op. cit., p. 53, 76. 58 Ibid., p. 53, 59, 363. We note that the edition of the statutes of Saint Malo in 1619 does not present a text as hostile as that cited by Chamillard. « Faisons commandement à tous bénéficiers de porter la barbe raze ou court tondue ou du moins médiocre sans aucune moustache et toujours tenir le poils court en la lèvre supérieure ». Guillaume Le Gouverneur, Statuts synodaux du diocèse de Saint-Malo, Saint Malo, 1619, p. 252.

on PRIESTLy hAIRS AnD BEARDS

The ‘pilose’ Counter-Reformation did not follow the most rigorous Bor­ romean injunctions. Tonsure and clerical clothing were quite sufficient in achiev­ ing a separation of priests from laity. From the early seventeenth century on, it was the cassock that designated the man of God. Finally, contrary to an ethnoanthropological leitmotiv largely inspired by psychoanalysis and anachronically imposed on any time or place, the legislation of the early modern era, both ecclesiastical as well as lay, never saw in the prohibition of the beard a means of signifying a symbolic castration of clerics. It is in no way a matter of devirilizing the clergy into a sacred androgyne or sacred eunuch. The idea of symbolic castration is an element of polemic, not a justification for legislation. Especially since, as Gentian Hervet reminds us in his De radenda barba of 1536, the priest is asked to be chaste, but not castrated59. The verbs used to rule on the fate of the clerical beard show a form of moderation, a classic ideal of honest mediocrity that condemns the care of the beard more than its existence. Nine councils and 21 synods say that priests should not wear (gestare) or even more often maintain (nutrire) beards. The verb nutrire which means to nourish or to maintain and which would have been used by the Council of Carthage is ambiguous. It seems to denounce the care of the beard rather than its existence. Moreover, the verb is very often associated with the adverb, “studiose” or even as in Viterbo in 1614 with “curiose”; clerici non-nutrient barbam studiose. Clerics should not groom their beards with passion or with too much care. Sometimes only the long and wide beard, barbam prolixam, is forbidden. The 1615 synod of Faenza considered that taking too much care of one’s beard, curling it while perfuming it, is a sign of mollitia, pleasure loving, and evidence of a feminine character60. It is thus the care of the beard and not the hairlessness which makes it mundane and feminine. The most frequent synodal vocabulary thus leaves a part of freedom, as long as decency and humility are preserved. In Spain the synodal constitutions proscribe the beard less than they require that it be trimmed, short, round, even (pajera), moderate, without points, without tips, without tufts (copetes), without sideburns (olmo) or whiskers61. This invitation to discretion and moderation has not always been effective. The Spanish synods mention the penalties incurred against those who failed to abide by their legislation. In Mondonedo in 1618, the offender is taxed two reales as in Zaragoza in 1647: in Valladolid in 1607, the penalty is six days in prison, in Badajoz in 1673, the fine is one thousand maravedis and four days in prison. Repeat offenders had their sentence doubled. A text published under Louis XIII,

59 « Dico sacerdotem nulla corporis parte mutilum esse oportere sed castissimos oportere sacerdotes esse sentiam », Gentian Hervet, Orationes, Orléans, 1536, p. 24. 60 G. Chamillard, De corona, op. cit., p. 259. 61 Constituciones synodales del obispado de Salamanca, Salamanque, 1606, p. 61. Constituciones sinodales de obispado de Mondonedo, Madrid, 1618, p. 15. Constituciones promulgadas por el obispado de Badajoz, Madrid, 1673, p. 130. Constituciones synodales del obispado de Siguenza, Saragosse, 1647, p. 80.

165

166

JEAn-MARIE LE GALL

La promenade du Pré aux Clercs, also reproaches certain priests for walking around with “fashionable beards”62. The secular clergy was therefore not required to be strictly hairless. Not all prelates had the self-assurance of the Bishop of Rieux, Jean Louis de Bertier, who in 1624 forbade both beards and moustaches. The prelates were usually cautious, in the manner of the 1583 Council of Tours, ruling as follows: “Clerics should not wear beards at all; that seems preferable to us, or at least they should trim them and shave their upper lip for communion”63. In Augsburg in 1610, the beard must not be inappropriate, neither too long nor too wide, but cut honestly, especially around the lips so that it does not prevent the consumption of blood during mass64. We might say that an honest mediocrity gradually prevailed. Listing the three types of pubic hair of women, ranging from a bushy sign of bawdiness to its total absence, a symptom of disease, Brantôme felt that some women like to keep it “trimmed like a priest’s beard”65. That in no way implies associating femininity and the priesthood, but merely of valorizing an average style, refusing any form of excess. But the Renaissance remained faithful to an Aristotelian tradition of the mean, the middle way, refusing both absence as well as excess. Priestly masculinity was characterized by that moderation, distanced from both intemperance as well as from the want that characterizes a female temperament, torn between lust and frigidity66. The bishops moreover hardly followed the medieval monastic legislation that remained in force in early modern times and which set the frequency of shaving to ensure a certain hairlessness. Of our sample of 19 councils and 57 synods covering the Renaissance, only five, three of which predate 1526, specify the rhythm with which clerics ought to groom their faces. The synods of Besançon in 1481, Mâcon in 1498 and Chartres in 1526 require shaving weekly at best and twice a month at least. In 1583, the Council of Lima demanded at least a monthly shave (singulis saltem mensibus) and that of Cologne in 1596 set it at every two or three weeks. Compared to the late Middle Ages, the prescription becomes rarer and less restrictive in the early modern era. The late 16th century secular clergy was at most invited to shave between 12 and 26 times a year. But the requirement was very rarely formulated that way as it was too reminiscent of monastic customs. One may finally wonder about the zeal the ecclesiastical authorities devoted to tracking down the beards of secular clerics67. Marie Hélène Froeschlé-Chopard’s analysis of French early modern pastoral visitations, makes no reference to beards. 62 Louise Godard de Donville, Signification de la mode sous Louis XIII (Aix: Edisud, 1978), p. 74. 63 « Barbam vero et omnino non gestent quod magis approbamus aut saltem totam a superiore labro ob sacrae communionis tondeant aut radant », G. Chamillard, De corona, op. cit., p. 92. 64 « Barba ne indecora sit nimium longa aut latta sed honeste praecisa praesertim circa labra ne in missa sumptionem sanguinis impediat », Chamillard, De corona, op. cit., p. 321. 65 Brantôme, Les dames galantes (Paris: Gallimard, « Folio classique », 2009), p. 253. 66 Todd W. Reeser, Moderating Masculinity in Early Modern Culture (Chapel Hill: University of North Carolina Press, 2001), p. 13, 17. 67 In Ripa’s iconologia zeal appears as a prelate and as a priest, both bearded.

on PRIESTLy hAIRS AnD BEARDS

Perhaps because the problem did not come up. The legislation was effective. According to Charles of Sigogne (1618), not having a beard amounts to having a “village priest’s face”68. In 1789, out of 243 anthropometric indications of Poitevin parish priests, only sixteen wore a beard, perhaps to hide a scar. But the silence about visitations also invites us to wonder if, after having legislated, the prelates really cared about enforcing their decisions. It must be said that they failed to set an example.

A Bearded Clergy There is indeed a bearded clergy: hermits, missionaries and prelates. Among the regulars, some wear beards as a sign of commitment to hermitic life and flight from the world. Moreover, hermits have no pastoral function and are not necessarily priests. This image of the bearded hermit explains why the Papacy, at the very moment when priests’ beards was being debated, in July 1528, granted a new religious order, the Capuchins, the right to wear one69. If their hood (capuchon) had inspired their generic name, their beards too came to be instrinsic to their identity, to the point that in Portugal they were called “barbadinhos” and that a proverb says that the beard does not make the monk, a barba não faz monge70. Besides hermits, many members of religious orders wore beards as evidence of their missionary calling, at a time when the mission was expanding in the struggle against heresy, for the education of the Catholic masses as well as for the evangelization of the extra-European world. According to the theologian John Molanus, if St. Peter is to be portrayed as bald, as prefiguring the tonsure, the apostle to the Gentiles, St. Paul, must have an abundant beard71. Before the eman­ cipation of the 1950s led to abandoning the beard, having become synonymous with colonization, missionaries wore it to signify a paternal and “professorial” relationship with the people72. A venerable Mercederian brother who went to look for Christians captured by barbarians is described as follows upon his return in 1601: “It was a marvelous sight to see this venerable old hermano, emaciated, with a long beard and tousled hair… dividing up bread among the captive children who asked for it - as would a loving father”73. The missionary beard also conferred a certain authority. Matteo Ricci (1552-1610) arrived near Canton in 68 Charles de Sigogne, Œuvres satiriques (Paris: Bibliothèque des Curieux, 1920), p. 187. 69 « Habitum cum caputio quadrato gestare … nec non omnes tam clerico, seculares et presbuteros quam laicos ad vestrum consortium recipere ac tam illi quam vos barbam deferre », Bullarium romanorum pontificum collectio, C. Cocquelines (ed.), Rome, 1745, t. 4, part 1, p. 73. 70 José Leite de Vasconcellos, A barba em Portugal (Lisbon: Imprensa Nacional, 1925), p. 100. 71 Molanus, Traité des saintes images, op. cit., p. 391. 72 Dizionario degli istituti di perfezione, t. 1, col. 1038. 73 « Maravilloso espectaculo de ver un religioso anciano i venerable macilento la barba luenga el cabello rebuelto repartir a los ninos captivos el pan que como el padre amoroso le pedian », Francisco

167

JEAn-MARIE LE GALL

168

1583. To gain acceptance, he began dressing as a buddhist monk, before realizing that that didn’t get him anywhere. He then dressed as a mandarin, with a long beard. Of course, it was not the beard, but his mathematical, astronomical and cartographical knowledge that earned him great respect. But the beard reinforced his authority as a wise man. Several of his fellow missionaries wore beards too, such as the Jesuit Martin Martinus, author of an Atlas sinensis (1638), or Adam Schall von Bell, author of a history of the beginnings and development of the Society of Jesus in China74. Finally, many prelates wore beards. Although they had passed prudent but rather hostile legislation against clerical beards, and even more so against the priestly moustache, a few canons and quite commonly bishops, cardinals and even popes had beards. In the mid 16th century, Cardinal Pole, the Cardinal of Lorraine and the Cardinal of Granvelle had them75. Later, in 1664, the Protes­ tant Sophie of Hanover spoke of the “naughty bearded cardinals”76. The popes followed the curial modes on beards and moustaches until their disappearance from European courts in the late 17th century. In France, the adoption of beards by bishops sparked anger among their canons. At a time when they had lost the right to elect their prelate, who were appointed by the king after the Bologna concordat of 1516, the arrival of bearded bishops offered the Cathedral chapters a pretext for expressing their discontent. The confrontation between capitular Gallicanism and the king’s not only took the form of trials against the appointees, but also of harassment to make those prelates shave off their courtly beards if they wanted to enter their cathedrals. The call for discipline came from below and not only from the summit of the Church. Such troubles occurred on the occasion of the installation of Jean de Hangest in Noyon in 153477, of Guillaume Duprat in Clermont in 153578, of Antoine Carraciolo in Troyes in 1551, of Jean de Morvilliers in Orleans in 155279, of Charles Guillart

74 75

76 77 78 79

Pacheco, Libro de descripcion de verdaderos ritratos de ilustres varones, Pedro Pinero Ramirez, Rogelio Reyes Cano (eds) (Seville: Dipitación Provincial de Sevilla, 1985), p. 58. Antonio Paolucci, Giovanni Morello (eds), Ai crinali della storia. Matteo Ricci fra Roma e Pechino (Torino: Allemandi, 2010), fig. 90. On Lorraine by Georges Boha, see Musée de Reims. On Pole, see Roy Strong, Tudor and Jacobean Portraits, (London: National Portrait Gallery Publications, 1968), t. 1, p. 252 et t. 2, n°498-499. On Granvelle by Antonio Mor, see Joanna Woodall, Anthonis Mor. Art and Authority (Zwolle: Waanders, 2007), p. 138, 150. Sophie de Hanovre, Mémoires, Dirk Van der Cruysse (ed) (Paris: Fayard, 1990), p. 223. Abel Lefranc, La jeunesse de Calvin (Paris: Fischbacher, 1888), p. 34-35. Guillaume Majour, Apologie des chanoines de la cathédrale et des citoyens de la ville de Clermont, Clermont, 1713, p. 121. Revue du xvie siècle, 1925, t. 2, p. 81.

on PRIESTLy hAIRS AnD BEARDS

in Chartres in 155880, of Charles d’Angennes, the Cardinal of Rambouillet, in Le Mans in 155981, and of Jean de Crequi in Amiens in 156482. Faced with that opposition, the bearded bishops obtained the king’s support, as they were often courtly prelates and servants of the State. Service to the prince required a beard that was not appropriate for service to God. By asking them to shave in the name of custom, the canons not only intended to fight off innovations, but also to ask them to choose between service of the court and that of the choir. The royal letters amounted to derogatory privileges granted in the name of the prince’s service. Henri II wrote to the chapter of Orleans that Jean de Morvilliers must be received as a bishop while keeping his beard, “since it was necessary for his functions as ambassador in foreign countries”83. His authority would be diminished, as would the king’s, if the chapters stubbornly refused to receive him and his people. Thus in 1548, Henri II expressed his wrath against the canons of Chartres whom he accused of “intolerable deportations, derision and mockery” against him. They refused to receive Claude Sublet, whereas as a gift of joyful accession, each chapter had to offer the first vacant prebend to a royal candidate. The canons thereupon multiplied their recourses - to hinder his canonical installation on the grounds that he wore a beard in contravention of chapter customs. The king reminded them that Sublet was the “tutor of our bastard daughter” and that as such he would not be “long in residence in your church” but would quickly be “back in our service near our said daughter”, and that, at court, the beard was de rigueur84. When the architect Pierre Lescot asked to be received as canon of Paris in 1556 with his beard, he stressed the daily occupations to which he is bound by the king and his upcoming mission to serve the kingdom in Rome. The canons of Paris recalled that one could only serve in the choir with a decent habit and a shaved beard, but allowed a personal derogation because of Lescot’s quality and activities85. The French king, who in 1536 forbade his subjects wearing beards except for courtiers, was in conformity with his edict when he allowed court clerics to wear them, even if it contradicted ecclesiastical legislation. The privilege he granted merely sought to circumvent capitular customs. But the monarchs do not seem to have supported the prelates in the application of a rather tolerant synodal legislation. Quite the contrary. Louis XIV apparently authorized a parish priest to

80 Marc Venard, ‘Un évêque d’entre-deux au xvie siècle’ ; Charles Guillart, Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 58 (1996), p. 62. 81 Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, t. 3, col. 77-79. 82 Charles IX in his 12 november 1564 letter demands that Créqui be received in Amiens despite his long beard : « Ut liceret huic episcopo prolixam barbam ecclesia deferre », Gallia christiana, t. X, col. 1207-1208. 83 Jean Fange, Mémoire pour servir à l’histoire de la barbe, op. cit., p. 100. 84 Mémoire de la société archéologique de l’Orléanais, Orléans, t. 3, p. 42-45. 85 AN, LL 149, fol. 231. Quoted in Bulletin de la société de l’histoire de Paris et de l’Ile de France, 40 (1913), p. 164-165.

169

JEAn-MARIE LE GALL

170

return to his parish with his long beard whereas he’d been sent off by his bishop86. During the 1551 Gallican crisis in Troyes, there was a rumor that the king wanted to impose the wearing of beards on the churches under his patronage87. But it was only a rumor, just like the one that François I would have considered taxing bearded clergymen; the whole affair being invented by Hospinianus (1547-1622), a protestant. François I did obtain a constitution from the Pope in 1516 to fight against the abuse of the privilege of clerical tonsure before the secular courts. But beards were out of the question88. This amalgamation of king and pope in the fight against beards here resulted from a religious polemic. The beard has in fact been an issue in inter-confessional confrontations. And if the Church had to be tolerant of its servants’ beards, it was for their safety too.

War to the Glabrous Identifying the Catholic clergy with glabrousness, which we have just seen is far from accurate, came to be reinforced by the attitude of its opponents, who made the absence of a beard an almost synecdochical mark of clergymen, to belit­ tle, marginalize and caricature them. The Protestants thus mocked the “shaven ones”, that is, not the Catholics but their priests. As early as 1533/34, a French text of Lutheran inspiration sarcastically speaks of the “effeminate, shorn, shaved and horned” men who wouldn’t be able to protect a country89. While taking temporarily refuge in Lutheran Germany, the great Gallican jurist Charles Du Moulin published his annotations on the Decretales. Referring to the inclusion of the decision of the Council of Carthage in canon law, he considered it ridiculous to make laws in matters of religion on shaving or wearing a beard90. Valeriano’s Catholic apologetics inspired Protestant attacks on the Catholic clergy. In 1560, the Satyres chrestiennes de la cuisine papale was published anony­ mously in Geneva. Long attributed to Pierre Viret, Charles Antoine Chamay con­ vincingly identified the author as Théodore de Bèze91. Bèze described Catholic clergymen as “shorn, shaved robbers”. The absence of hair is a sure sign of their identity and their mollitia92.

Jacques Guyot de Pitaval, Causes célèbres et intéressantes, Paris, 1736, t. VIII, p. 389. Joseph Roserto de Melin, Antoine Carraciolo, évêque de Troyes, op. cit., p. 220, note 2. See Leon X’s constitution in G. Chamillard, De corona, op. cit., p. 19-22. Les faictz de Jesus Christ et du pape, Rome, (Neuchâtel), R. Bodenmann (ed.) (Genève: Droz, 2009), fol. Dr°. 90 « Ego vero ridiculum puto legem de alterutro fieri causa religionis in qua hoc impertinens est », Charles Du Moulin, Opera omnia, Paris, 1681, t. 4, p. 134. 91 See the introduction of the 2005 edition published by Droz. 92 « Mais comment sont ils appelés / généralement? Ras pelez / Pelez ils sont, signe apparent / Que le péché est leur parent / D’autant qu’ils n’ont d’hommes de bien / Un tout seul poil qui vaille rien O mentons tondus, mentons ras », Satyres chrestiennes de la cuisine papale, Genève, 1560, p. 32.

86 87 88 89

on PRIESTLy hAIRS AnD BEARDS

Priests lead “idle lives”, have “bilious ruddy faces”93 and “soft and tender backs”94. They manifest the poor health and laziness characteristic of mollitia. And they manifest too the outrage and sexual deviance defining it. Convents, he argues, are havens for sodomites95. These “shiny foreheads” are “catamites without beards (cynedes esbarbés)” with the “elagabalic bellies” so typical of “Sardanapale’s disciples”96. Their holy waters are philters, “effeminating salmax”, alluding to their impotence as much as their bawdiness. The pamphleteer avails himself of every nuance of mollitia to disparage the Catholic clergy. In 1562, an anonymous and facetious appeal for the murder or apostasy of the Catholic clergy, was published in Lyon in 1562, the Rasoir des rasés97. Shaving was presented as a mark of servility to the Pope, who placed shaved clergymen in an abject position, deprived of manly honour. The author refutes the symbolic interpretation of shaving and denounces it as evidence of the clergy’s hypocrisy. To him shaving highlights Popery’s residual marks of paganism. Rather than a defense of the beard, the pamphlet plays on every possible way of stigmatizing shaving. Thus the author addresses those he calls the pope’s children (papelards = hypocrites), whom he’d like to help out. The bearded pope imposes glabrousness on priests as if they were little children, the author writes98. The text functions as an appeal for revolt against an abusive father and for freedom in opposing this servile infantilization. Indeed, another instance of this degradation the pope inflicts is making eunuchs of these shaven men, utterly stripped of their virility99. The author builds on masculine anxiety by arguing that these shaven men are also made submissive to women, with whom a confusion of appearances might allow women access to the priesthood. Was the Papacy not occupied in the ninth century by Papess Jeanne100? Priestly tonsure is a circumcision of the head, and St. Paul likened circumcision to servitude101. It is thus a sign of servage and a means of Roman despotism, offensive to both male dignity as well as to Gallican pride, since “hairy Gaul” is a land of liberty. The kings of France “have always considered that to wear a long beard is to wear the natural signs of royal nobility”102. The shaved man cannot be a good Frenchman as he’s showing signs of his subjugation to the pope.

93 94 95 96 97 98 99 100 101 102

Ibid., p. 13. Ibid., p. 97. Ibid., p. 26. Ibid., p. 36, 61. « Escorchons vivement ces veaux ». Le rasoir des rasez recueil auquel est traité amplement de la tonsure et rasure du pape et de ses papelards, sl, 1562, p. 27. The title alludes to Isaiah 7, 20. Idem, p. 11. Hospinianus also says that shaving turns clergymen into “hairless children”, Rodolphe Hospinien, De rasione, op. cit., p. 114. Le rasoir des raséz, op. cit., p. 12. Ibid., p. 12. Ibid., p. 19. He builds on Galatians, 2, 4. Ibid., p. 37.

171

172

JEAn-MARIE LE GALL

According to its defenders, Papist shaving would proceed from a desire for hu­ mility, penance, poverty and chastity based on a contempt for hair, when equated with lust and its refinements. Hairiness designates pleasure seekers, “sodomized” (“the hairy are catamites”); seeing bearded men as “barbarically voluptuous”103. The anonymous pamphleteer intends to shake and overturn that allegorical and symbolic interpretation by pointing to the turpitudes of clergymen. In these times of revelation, it’s time to unmask the tricks of the shaven. A whole semiotic system surrounding a hairlessness which has seen a venerated clergy is to be overthrown. Removing their hair has never made clergymen poor: the more the clergy shave, like mendicant brothers, the more they pluck the laity - who still have hair. This polemical literature is based more on the virtuosity of the response than the solidity of the arguments, efficaciousness in invective over coherence. One can readily see the risk involved in extracting a citation in developing a ‘gendered history’ of the clergy. Thus, as we have seen, the Pope emasculated priests. But in the same text, the shaven are accused of being lascivious as well as seducers of women. The pamphlet seeks less to exalt the masculinity of the Reformation than to belittle the Catholic clergy in denouncing their effeminacy. The Rasoir des rasés skillfully connects confessional polemics to previous discussions about beards. The pamphlet thus differs from Valeriano in that his apology for the beard is above all an attack on the papacy, whereas the humanist of the curia saw in the sovereign pontiff a protector against the criminal activities of certain misguided reformers. Le rasoir des rasés is an anticlérical - and still more anti-pontifical text. It even ends by putting the razor in the Antichrist’s camp. The author imagines that the devil who tempted Christ in the desert was beardless and horned104. In short, tonsure is the mark of the beast and “the papacy shall soon be destroyed”105. Yet the text remains largely dependent on Valeriano; for example, in defending beards according to the law of nature, the law of grace and ecclesiastical tradition. Like Valeriano, this iconophobic Protestant hastens to mention “the Veronica, shrouds, and the statues and images of papal temples” as evidence of the suitability of beards for Christian men106. The Reformation’s posthumous takeover of Valeriano may be why Moreri, in the entry of his dictionary dedicated to the humanist, forgot to mention the pro sacerdotum barbis. The treatise was republished in Leiden in 1639 with a dissertation by a Zurich minister, Hospinianus, entitled De rasione comae et barbae. It enriched Valeriano’s argument while largely retaining its logic. Hospinianus disputes the assertion that Pope Anacletus forbade clerics from growing beards on historical grounds107. He refers back to the Council of Carthage and notes that monks still wore beards in the eighth century and that pogonophobic ecclesial

103 104 105 106 107

Ibid., p. 7, 8, 17. No beard is mentioned in Matthew 4, 2. Le rasoir des razés, op. cit., p. 55. Ibid., p. 44. R. Hospinien, De rasione, op. cit., p. 106.

on PRIESTLy hAIRS AnD BEARDS

legislation only appeared later, in the thirteenth century with the adoption of the dogma of transubstantiation108. He thus connects polemics over beards with the major themes of the Eucharistic controversy as well as with anti-Papism or anti-Jesuitism109. Yet it remained a secondary and short-lived polemic: beards never became a major point of contention and distinction between Catholic clergymen and Protestant ministers. Beards have certainly been an occasional element of conflict. At the beginning of the wars of religion, tonsure and hairlessness were a suspicious marker of clerical identity. The violence against Catholic clerics paradoxically had the effect of further discouraging the implementation of a hesitant canonical legislation against beards. A threatened clergy chose to hide behind beards, rather than shave out of desire for martyrdom. Claude Haton thus notes that in the face of the grow­ ing insolence of the Huguenots after 1560, “both regular and secular clergymen were forced to disguise themselves in their clothing and appearance just to save their lives; no longer wearing clerical habits, coronets, or shaved beards in the fields”110. In Troyes, in 1563, during the first French war of religion, the canons who had sought to upset Claude de Bauffrémont’s predecessor over his beard authorized the latter to wear it because of the particular turbulence of the time111. The Church of Rouen also granted priests the right to wear beards to protect themselves from Protestant vindictiveness112. It is likely that this disciplinary relaxation was only temporary, because at the first war of religion’s end, in July 1564 and February 1565, the chapter of Notre-Dame de Paris reminded its clerics of the need to conform fully to the statutes of 1556, including the article super barbis radendis113. A few years later, however, when the Beggars’ revolt broke out in the Spanish Netherlands, the Catholic clergy acted in a similar manner. In Ghent, in 1566, “almost all the priests let their beards grow and no longer shaved their tonsures. This measure had been taken by some Minor Friars and Carmelites and even by prelates and abbots. Some Carmelites walked around in lay garb”. Some clerics even went so far as to have their hair completely shaven before allowing it to grow back so that no trace of tonsure remained. “They had been taught that the Huguenots examined the hair of suspicious people and if any inequality indicated a tonsure, the suspected person was immediately stabbed”114. For their part, Protestant ministers wanted to affirm their identity and the universal priesthood by displaying beautiful patriarchal beards. The Waldensian clergy was made up of “beards”. In his 1563 Remontrances au peuple de France, Ronsard asserts that to be a Protestant and above all a preacher, one need only

108 109 110 111 112 113 114

Ibid., p. 110. Ibid., p. 110. Claude Haton, Mémoires, Laurent Bourquin (ed.) (Paris : CTHS, 2001), t. 1, p. 162. Roserot de Melin, Antoine Carraciolo, op. cit., p. 220. A. Canel, Histoire de la barbe… en Normandie, op. cit., p. 53. Paris, AN., LL 152, fol. 888, 1041. M. Van Vaernewyck, Mémoires, op. cit., t. 1, p. 236, 325.

173

174

JEAn-MARIE LE GALL

“boldly hate the Pope, speak against the Mass, be sober in speech, have a long beard and a plowed, wrinkled brow”115. In 1562, the French began to witness “in our cities […], bearded, envious, filthy and half-naked men wandering around”116. Those reformed beards terrified Ronsard. Having heard Theodore de Bèze preach, all he saw was a “large horned forehead and a forked beard”117. The devil’s wisdom, might one say. In the Rhine country, Calvinist and Lutheran pastors distinguished themselves from one another by the shape of their beards; the former sported a goatee like Zwingli’s; the latter wore venerable beards. And in polemics, a Calvinist pastor was often called a “little bearded man”. Finally, if the pastors’ beards reflected their situation as fathers, husbands and educated men, it’s less certain that they earned them much consideration; as they lived in a very downtrodden material situation; their pastoral calling remained quite despised in the Rhine countries and even in late 16th century Geneva118. Hence we would be exaggerating to make wearing or not wearing beards an important and lasting sign of confessional distinction. First of all, as part of the Catholic clergy, beginning with 16th century popes, but also the faithful, wore beards. A contrario, not all Protestant ministers had them. Luther’s most wide­ spread iconography shows him shaved while Georges Buchanan is depicted with a groomed beard 119. Renunciation of shaving did not systematically follow a break with Catholicism. The Archbishop of Canterbury, Thomas Cranmer, painted by Gerlach Flicke (1489-1556) is as hairless as was Warham, immortalized by Holbein. It was not until the second half of the century that Archbishops Whitgift, Bancroft and Abbott wore heavy beards, hardly distinguishing them from Scottish Presbyterians like John Knox or even Catholics. It also seems hard to distinguish between seventeenth century Puritans and Anglicans on those grounds. In his 1647 Heresiography or a description of the hereticks and sectaries of these latter times, Ephraim Pagitt, a High Church minister, emphasized the Adamites’ taste for nudity, the apostolic Anabaptists’ for refusing shoes and money. Yet he made no distinction as to hair and beards between Trakists, Familists, Arminians, Socinists, Brownists and Grindeltonians… The frontispiece presents six vignettes portraying six sectarians, among them a Jesuit. All of them have medium-length hair, a discreet moustache and a slight tuft of beard on the chin. They are not distinguished by facial hair. Finally, the beard did not remain a distinctive sign of the reformed ministry everywhere. The clergy of the established Church of England renounced it in the Classical Age and the Enlightenment. In France, after the time of Du Moulin, Drelincourt and Amyraut, who were as bearded as

Ronsard, Discours, derniers vers, Yves Bellenger (ed.) (Paris: Garnier Flammarion, 1979). See his Prognostiques sur les misères de nostre temps (1584), ibid., p. 189. See his Réponse…aux injures et calomnies de je ne sçay quel prédicans (1563), ibid., p. 141-142. Bernard Vogler, Le clergé protestant rhénan au siècle de la Réforme, 1555-1619 (Strasbourg: Presses Universitaires de Strasbourg, 1976), p. 223, 371. 119 Erasmus, in letter to Lupset (4 october 1525), connects Luther’s wedding with the shaving of his philosopher’s beard [Erasmus, letter n°1624].

115 116 117 118

on PRIESTLy hAIRS AnD BEARDS

their predecessors, the second half of the 17th century and Enlightenment saw pastors shaving their beards off. Those of the Désert, even those from abroad like Frossard in Lyons or Marron in Paris, were hairless. So were Rabaut, Court de Gebelin and the pastors gone into exile like Jurieu or Basnage. The great Genevan theologian, Jean Alphonse Turretini gave up the long beards of Calvin and Bèze. That renunciation of facial hair was not always appreciated and may perhaps have had a lesser effect on German-speaking areas. This leads us to nuance the thesis that the Reformation was an affirmation of masculinity. Not that in the context of the universal priesthood, the pater familias become priest didn’t have an increased role in the praying church that is the family. But this reinforcement of patriarchal authority, further increased by the presbytero-synodal system, was not in the long run made manifest by wearing beards. In the long term, therefore, wearing beards occasioned little debate between Catholics and Protestants120. Polemics over beards remained limited to the most confrontational moments.

Conclusion There is a priestly masculinity, despite polemics within the Catholic world or a confessional confrontation which intends to denounce the clergy over an effeminizing and infantilizing hairlessness. However, we must avoid essentializing and reifying the discourses produced by those debates on clerical beards. There certainly is a pogonophobic discourse fueled by those who intend to separate the clergy from the laity, who, since the sixteenth century, have everywhere been caught up in the passion for beards and moustaches. But if the ecclesiastical legislation of the early modern era condemned the moustache due to risk of polluting the sacrament, since hair was an excrement for contemporaries, the beard was not condemned in itself but rather when it became the object of excessive care. And certain clerical functions require it: hermitism, missions and the exercise of a prelature in the ecclesiastical hierarchy. The priesthood therefore allows for differentiated forms of masculine appearance. And in the Latin world, the priestly beard has not been an element of lasting conflict with Protestants, an adiaphoron, that only temporarily attained identitary sign status. That would more readily describe the Orthodox clergy, for whom the beard is a strong identitary semiophor.

120 It is significant that the issue of beards is not mentioned in the proceedings of the conference on Masculinity in the Reformation Era [Scott Hendrix, Susan Karrant Nunn (eds) (Aldershot, Ashgate, 2008)].

175

RALpH DEkOnInCk ET CAROLInE HEERIng 

Féminisation monstrueuse ou glorification sanctifiante L’imaginaire du vêtement liturgique entre catholiques et protestants au premier âge moderne

Dans la perspective de ce qu’il convient d’appeler une iconologie du vête­ ment – marqueur essentiel de l’identité genrée, mais aussi de l’identité religieuse, deux types d’identité qu’il s’agit ici de croiser –, on souhaite remettre en perspec­ tive historique quelques impensés de l’histoire de la paramentique, à commencer par celui de l’archaïsme ou du conservatisme du vestiaire liturgique. Celui-ci trouve son origine dans l’Antiquité pour les principaux vêtements. Mais il s’est, au cours du temps, progressivement éloigné des modes vestimentaires masculines, lesquelles ont considérablement évolué au fil des siècles, finissant par apparenter les vêtements sacerdotaux, en raison de leurs formes mêmes, à certains aspects de la mode, en particulier de la mode féminine. En effet, alors que les liturgistes n’ont eu de cesse de justifier les formes extrêmement codifiées du vêtement par la tradition de l’Église, ancrée dans le christianisme primitif, force est de constater que ce qui est présenté comme le plus stable ou conservateur n’en subit pas moins les effets de la mode, parfois très discrets, parfois évidents. Il en est ainsi du vêtement par excellence du prêtre, la chasuble, dont l’évolu­ tion d’une forme ample et longue à un rétrécissement et échancrement progressif à la fin du Moyen Âge, jusqu’à la forme violonée du xviie siècle, se justifierait non seulement par des critères liturgiques – l’échancrure dégageant les bras du textile pesant afin de faciliter le geste d’élévation de l’hostie – mais aussi par une tentative de la part des clercs de donner une certaine modernité à leur silhouette par une adaptation à la mode laïque, laquelle fait place dès la fin du xive siècle au vêtement masculin court et moulant1. Les emprunts à la mode se font toutefois plus évidents au niveau des matières textiles elles-mêmes, puisqu’il n’existe pas, au cours de la première modernité, de textile à usage proprement liturgique : les textiles des vêtements sacerdotaux sont confectionnés à partir de textiles de mode.

1 Voir N. Bavoux, Sacralité, pouvoir, identité. Une histoire du vêtement d’autel (xiiie-xvie siècles), Thèse de doctorat, Université de Grenoble, 2012. Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 177-194. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131598

178

RALPh DEkonInck ET cARoLInE hEERInG

Il n’était d’ailleurs pas rare que ces textiles soient des réemplois de robes féminines à usage civil. Les dons de vêtements ou de textiles précieux et les processus de bricolage étaient en effet des pratiques courantes dans la confection des vêtements sacerdotaux2, les effets de contagion entre sphères masculine et féminine se super­ posant cette fois aux effets de contagion entre sacré et profane. Au xviiie siècle, l’emprise de la mode sur le textile religieux se manifeste avec plus d’évidence encore par l’usage de textiles chamarrés déclinant tout le vocabulaire ornemental en vogue (arabesques, indiennes, chinoiseries, etc.) pour des chasubles désormais dépourvues d’orfrois brodés (fig. 1). Mais plutôt que de déployer cette riche problématique – encore largement inexplorée – de l’influence de la mode sur le vestiaire liturgique3, on voudrait contribuer très modestement au désenclavement de l’histoire du vêtement litur­ gique en le replaçant dans une histoire élargie du vêtement envisagée à travers ses liens avec la question de la perception de l’identité genrée, et ce tout autant, si pas davantage, à travers l’étude des représentations et des imaginaires qu’à travers celle des vêtements eux-mêmes. Au niveau des imaginaires, on peut commencer par l’évocation d’une sé­ quence du film Roma de Federico Fellini datant de 1972. Il s’agit du fameux défilé de mode ecclésiastique (sfilata di moda ecclesiastica). C’est sur le ton de la dérision de l’apparat ecclésiastique que Fellini nous dépeint le monde clérical. On ne peut être que frappé par la façon dont il fait défiler certains vêtements liturgiques sans corps à l’intérieur, évoquant ainsi cette seconde peau qui en vient à faire dispa­ raître l’homme d’Église derrière sa fonction et plus encore son prestige. Il pousse ainsi jusqu’à l’extrême le vieux principe de l’oubli ou de l’enfouissement du corps sexué du prêtre. Ce principe du « vêtement linceul4 », qui ensevelit littéralement celui qui le porte sous le poids de sa propre monumentalité, s’impose à la fin du Moyen Âge à rebours de l’évolution du vêtement laïque, qui, dès la seconde moitié du xive siècle, met en avant les parties du corps investies par le pouvoir et la sensualité, comme l’a montré Odile Blanc5. Fellini, dont on connaît les rapports complexes avec l’Église, renverse toutefois ce principe : l’accentuation, pour ne pas dire l’exagération des formes tape-à-l’œil contribue à fustiger toutes les outrances d’une Église qui s’est vidée de l’intérieur pour n’être plus qu’apparence, une Église qui disparaît sous ses ornements dans une surenchère de luxe que Fellini fait résonner avec le néobaroque de la société

2 Sur ces questions, voir notamment les travaux de Chr. Aribaud, Soieries en Sacristie. Fastes liturgiques. xviie-xviiie siècles, Paris, Somogy Éditions d’art, 1998 ; id. (éd.), Destins d’étoffes. Usages, ravaudages et remplois des textiles sacrés (14e-20e siècle). Actes des 3e Journées d’études de l’AFET (janvier 1999), Toulouse, CNRS-Université de Toulouse-Le Mirail, 2006. 3 Sur les rapports entre la mode et le vestiaire liturgique, notamment dans l’histoire de la mode contemporaine, nous renvoyons à la récente exposition tenue au Metropolitan Museum : Heavenly Bodies. Fashion and the Catholic Imagination, The Metropolitan Museum of Art, New York, 2018. 4 L’expression est de R. Barthes dans Le système de la mode, Paris, Seuil, 1967. 5 O. Blanc, Parades et parures. L’invention du corps de mode à la fin du Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1997, p. 131-153.

féMInISATIon MonSTRuEuSE ou GLoRIfIcATIon SAncTIfIAnTE

Fig. 1. Chasuble, xVIIIe siècle, Tournai, Séminaire épiscopal, © KIK-IRPA.

contemporaine. L’une des répliques réactionnaires d’un spectateur du défilé est éclairante à cet égard : « Le Monde doit suivre l’Église et non l’inverse ». Or c’est plutôt une coalescence des deux mondes que propose Fellini, comme si l’Église incarnait au mieux la société du spectacle, les codes de la mode, tant masculine que féminine, se confondant avec ceux de la parure et de la parade ecclésiastiques. On peut parler en outre d’une forme d’efféminisation, voire d’homosexualisation qui apparaît non pas tant à travers les vêtements qu’à travers les comportements des personnages masculins, comme avec les deux prêtres faisant du patin à rou­ lette tout en se tenant la main. Que dire aussi de la mariée, à l’identité genrée indé­ terminée, Fellini créant cette zone d’indistinction que permet précisément le vête­ ment ecclésiastique, au-delà de ses codes liturgiques, et si l’on s’en tient qu’à ses formes ? Cette indétermination se retrouve dans d’autres films de Fellini : on se souviendra, dans La Dolce Vita, d’Anita Eckberg, modèle, s’il en est, de la féminité fétichisée, que Fellini habille en prêtre. Cette référence à l’univers singulier de Fellini nous permet juste de mettre en évidence, sous un jour contrasté, une certaine ambivalence du vestiaire liturgique balançant entre, d’une part, héroïsation, voire sacralisation ou glorification de la puissance de l’homme d’Église – le défilé mis en scène par Fellini se termine en un véritable culte idolâtre du pape – et, d’autre part, affectation ou préciosité assi­ milée à une forme d’efféminisation, rappelant ainsi que luxe et beauté balancent

179

180

RALPh DEkonInck ET cARoLInE hEERInG

en permanence entre ces deux pôles, l’excès de beauté faisant basculer du côté de l’afféterie, et le vêtement devenant travestissement6. C’est précisément cet écart ou cette tension qui se trouve au cœur des po­ lémiques entre protestants et catholiques au xvie siècle. Dans le contexte des crises iconoclastes, nombreuses sont les parodies de messes que les protestants orchestrèrent en s’affublant des habits liturgiques, tournant ainsi en dérision cet accoutrement dont ils cherchent à dévoiler le caractère grotesque. Ces parodies sont nourries par les prêches et les moqueries qu’on découvre dans la littérature de controverse protestante7. Ainsi le réformateur suisse, Pierre Viret, assimile clairement le vêtement liturgique à un travestissement efféminé en se demandant ce que dirait saint Paul si, pénétrant dans une église, il se trouvait face à un homme « un bandeau sur la tête, une chemise de femme sur le vêtement, accoutré comme une matrone ou plutôt comme un monstre8 ». Ailleurs, il invite le lecteur à regarder comment les clercs « marchent, poliz et ornez, couvers tout autour de divers joyaux, comme une espouse sortant de sa chambre nuptiale9 ». Cette allusion à la mariée ne manque pas d’entrer en résonance avec les références symboliques attachées à certains vêtements liturgiques, comme la chasuble assi­ milée à une robe nuptiale en référence à l’Évangile de Matthieu (22, 12)10. Viret dénonce dès lors tout naturellement « ces commères, ces épouses papistiques, et ces dissipateurs tant mous et efféminés11 » qu’il oppose aux apôtres, évangélistes et vrais pasteurs. Il applique également cette critique à l’habit des moines qui leur sert pour monstrer qu’ilz sont effeminez, & dignes d’estre tenus pour femmes […] ; ilz contreviennent à l’Escriture, qui defend que l’homme ne veste point l’habit de femme, ne la femme celuy de l’homme. Car qui considerera leurs habillemens de pres, ilz ressemblent plus à ceux des femmes, que des hommes, tant ceux qu’ilz portent communement, que les revestemens, desquels ilz usent en leurs messes12. 6 Il est intéressant de remarquer, en passant, les résonances contemporaines de cette ambivalence. Ainsi sur un blog intitulé Liturgy Guy, on découvre ce genre de critique à propos d’une image montrant l’évêque américain Raymond Burke, évêque fort controversé en raison de ses principes très conservateurs, et qui est montré officiant dans des vêtements assez fidèles au vestiaire pré-concile Vatican II. La critique est ainsi formulée : « Lacemakers and tassel-manufacturers could barely keep up with the demand for more and more archaic, silly frippery for the feminized ‘clergy’ of the time to prance and parade in a public display of their own vanity »; Liturgy Guy, depuis 2013 [en ligne]. URL: https://liturgyguy.com/2016/01/04/liturgical-vestments-and-the-glorification-of-god (consulté le 27 juin 2022). 7 Voir J.-M. Le Gall, « La virilité des clercs », in G. Vigarello (éd.), Histoire de la virilité, t. 1 : L’invention de la virilité de l’Antiquité aux Lumières, Paris, Édition du Seuil, 2011, p. 217-234. 8 P. Viret, Dialogues du désordre qui est à présent au monde, Genève, Jean Girard, 1545, p. 53. 9 Ibid. 10 Guillaume Durand de Mende, Rationale Divinorum Officiorum, chap. vii : « De la chasuble » (voir l’édition d’A. Davril et T. M. Thibodeau, Turnhout, Brepols, 1998). 11 P. Viret, Dialogues du désordre…, op. cit., p. 55. 12 Id., La Physique papale, Genève, Jean Girard, 1552, p. 228-229.

féMInISATIon MonSTRuEuSE ou GLoRIfIcATIon SAncTIfIAnTE

Le vocabulaire retenu par Viret pour disqualifier les atours des prêtres comme des moines renvoie explicitement à l’idée d’une certaine mollesse féminine à laquelle sont assimilés tous les ornements, qui, de pièces nécessaires à la liturgie, sont finalement réduits au rang d’un luxe superfétatoire. Beauté et monstruosité vont même jusqu’à se confondre sous sa plume à travers la dénonciation d’une réalité contre-nature, en tout cas contre la nature genrée. La gravure satirique, toujours du côté protestant, s’est, elle aussi, emparée de ce réseau d’allusions aux liens entre monstruosité, féminité et ornement. C’est le cas d’une gravure satirique de Robert de Baudous datant de 1605 (fig. 2a, b et c). On y voit notamment, en regard d’un paon humanisé, un pape dont on devine, sous les ornements liturgiques, la monstruosité. On y découvre également un prêtre nu sous sa chasuble. C’est là une satire caustique sur les colifichets et l’apparat ecclésiastiques, satire qui nous dévoile non pas que le roi est nu mais que le prêtre est nu sous ses oripeaux sacerdotaux. Afin de rendre cette critique encore plus explicite, Robert de Baudous a représenté l’Église romaine, à l’entrée de l’édifice à droite, sous les traits d’Ohola et Oholiba, noms donnés par le prophète Ézéchiel à deux sœurs prostituées et adultères qui se livrent à des amants étrangers, et à travers lesquelles le prophète dénonce l’idolâtrie : Vêtus de pourpre, gouverneurs et magistrats, tous beaux jeunes hommes, cavaliers montés sur des chevaux. C’est vers eux qu’elle [Ohola] dirigea ses prostitutions, vers toute l’élite des fils de l’Assyrie ; et près de tous ceux pour qui elle brûlait d’amour, elle se souilla avec toutes leurs infâmes idoles (Ez 23, 6-7). Cette prostitution idolâtre est appliquée, dans la gravure, à une Église corrompue où le somptuaire n’est qu’un appât pour que les âmes se prostituent à leur tour devant ces idoles que sont les images mais aussi que deviennent les membres du clergé. Sous les apparences les plus séduisantes se cachent, comme ne cesse de le marteler la critique protestante, une monstruosité diabolique. D’ailleurs, les figurations du Diable paré de la pompe vestimentaire pontificale abondent dans l’imagerie et l’imaginaire polémiques protestants ; et même avant l’avènement de la Réforme, comme l’atteste, sous le titre d’Ego sum Papa, une gravure datant de la fin du xve siècle et montrant la figure diabolique du pape Alexandre VI dont la chape est présentée comme une extension de son corps monstrueux, extension assimilable aux ailes d’une chauve-souris (fig. 3). Quand ce n’est pas la monstruosité qui est ainsi dévoilée sous les plus belles apparences, c’est à nouveau une nudité très efféminée qui est mise en avant, comme dans une gravure de Pieter van der Heyden datant de vers 1585 (fig. 4). Elle nous montre la Vérité et le Temps dévoilant la couvée diabolique du pape. C’est la référence mythologique à la grossesse de Callisto dévoilée par Diane et ses Nymphes qui donne ici l’occasion de révéler, sous une chape assez légère, une nudité féminine porteuse de tous les péchés. Si l’idéal catholique du vêtement liturgique est de refléter à l’extérieur les vertus intérieures, on voit que le rapport s’inverse puisque le vêtement devient le manifeste des vices.

181

182

RALPh DEkonInck ET cARoLInE hEERInG

Fig. 2a. Robert de Baudous, Satire de l’Église catholique (détail), 1605, Amsterdam, © Rijksmuseum.

Si une telle critique acerbe des ornamenta prend tout son sens dans le contexte de la Réforme fustigeant toutes les formes d’extériorisation trop exagérées du culte et de la piété, il faut aussi la réinscrire au sein d’une histoire longue du dis­ cours sur le vêtement et, de manière plus générale, au sein d’une collusion entre critique de l’ornement et sexisme, laquelle trouve ses prolongements jusqu’à nos jours. Car en stigmatisant la féminisation du clergé par l’emploi « contre l’Écri­ ture » de vêtements à l’apparence féminine par des moines ou clercs, ou en

féMInISATIon MonSTRuEuSE ou GLoRIfIcATIon SAncTIfIAnTE

Fig. 2b. Robert de Baudous, Satire de l’Église catholique (détail), 1605, Amsterdam, © Rijksmuseum.

Fig. 2c. Robert de Baudous, Satire de l’Église catholique (détail), 1605, Amsterdam, © Rijksmuseum.

183

184

RALPh DEkonInck ET cARoLInE hEERInG

Fig. 3. Anonyme, Ego sum Papa. Caricature du Paper Alexandre VI, vers 1500, collection privée.

associant les fastes vestimentaires à l’animalité, voire au monstrueux, les réforma­ teurs ne font que reprendre, mais en les dirigeant vers le clergé, des arguments lar­ gement répandus et parfois très anciens. Associé à l’ornement, au masque, au voile, au fard, au luxe – à tout ce qui couvre une surface pour la protéger ou l’em­ bellir –, le vêtement a en effet toujours fait l’objet d’une moralisation de type bi­ naire : les uns le fustigeant au non d’une primauté de l’essence, plaçant toutes les dépenses vestimentaires du côté du superflu et en y opposant une esthétique du dépouillement, les autres le valorisant pour des raisons de persuasion, de transcendance ou encore de représentation. Cette ambiguïté de l’ornement et le statut équivoque du vêtement s’enracinent dans la riche symbolique vestimentaire présente dans la Bible : si d’un côté le vêtement distingue les élus, il est d’un autre côté associé au péché, cette part « négative » semblant toutefois l’emporter sur la première dans les Écritures. Cette condamnation du vêtement repose bien évidemment sur le passage de la Genèse où Adam et Ève doivent couvrir leur nudité au sortir du Jardin d’Éden, faisant du vêtement le symbole de la misère humaine. Nombreux sont les passages

féMInISATIon MonSTRuEuSE ou GLoRIfIcATIon SAncTIfIAnTE

Fig. 4. Pieter van der Heyden, La Vérité et le Temps dévoilant la couvée diabolique du Pape, vers 1585, Amsterdam, © Rijksmuseum.

bibliques où, à l’image d’Ève, tentatrice responsable de la Chute de l’humanité, la vanité des femmes est ramenée à l’orgueil vestimentaire, source de perdition. L’association de l’ornement/vêtement au féminin se codifie par ailleurs dans le domaine de la rhétorique antique, le langage étant alors constamment assimilé au corps humain. Partisan d’une rhétorique dépouillée de ses attraits et de ses objectifs de séduction, Quintilien assimile les ornements du discours à la parure de ce corps. Or rien ne vaut pour lui le corps nu du langage, associé au masculin, doté d’une beauté naturelle, mâle, virile et musclée, forte et chaste. Se dessinent ainsi avec Quintilien les grandes lignes de faîte d’une identité genrée de l’ornement : le discours orné est pour lui constamment comparé aux femmes faciles, aux fards voyants et aux visages épilés et émaillés des éphèbes, comme à la mollesse des corps et la lascivité13. La condamnation du fard s’accompagne alors d’arguments moraux qui auront la vie longue : la beauté des corps des femmes et des éphèbes qui travestissent leur corps est corollaire à la corruption 13 Du côté chrétien, cette identité genrée de l’ornement et en particulier du vêtement apparaît très clairement dans le De cultu feminarum de Tertullien.

185

186

RALPh DEkonInck ET cARoLInE hEERInG

des mœurs, si bien que l’ornement devient le signe d’un dérèglement des mœurs sexuelles14. À partir de la rhétorique antique et dans l’héritage de Platon, se dessine ainsi une conception négative et « féminine » de l’ornement, sous-tendue par une dialectique entre essence et apparence, sensible et intelligible, vérité et simulacre, qui imprégnera durablement toute l’esthétique occidentale15. À celle-ci s’oppose une pensée plus positive de l’ornement développée dans le sillage de la philosophie aristotélicienne, Aristote servant alors de « bouclier » à tous ceux qui veulent échapper au platonisme et défendre « le rôle de l’émotion, du corps, du plaisir et de l’ornementation16 ». Pendant tout le Moyen Âge et au-delà, la critique du vêtement féminin devient, comme l’a bien montré Frédérique Lachaud, un véritable topos des compilations morales et théologiques, des écrits satiriques et didactiques, comme de la littérature de prédication qui se plaît à illustrer les divers châtiments réservés aux « belles orgueilleuses17 ». Mais la critique du corps paré s’adresse aussi aux hommes : selon une conception largement répandue depuis la fin du Moyen Âge, l’accent sur la virilité de l’homme par le vêtement, accentuant notamment les par­ ties génitales, parallèlement à un soin démesuré pour les apparences extérieures, met en avant la féminité et l’animalité qui sont en lui. Les moralistes dénoncent cette monstration du corps sexué, car le vêtement ne remplit plus le rôle assigné après la Chute, celui de cacher le sexe devenu coupable et par conséquent hon­ teux. Les hommes qui accordent trop d’importance à leurs apparences sont non seulement mous et enclins à la lascivité18, mais ils négligent aussi leur âme en soignant uniquement leur corps mortel. Or, l’âme étant fréquemment assimilée à l’homme et le corps à l’animal, l’homme se rapproche de l’animalité et du mons­ trueux19. Les écrits de Viret se situent dans le prolongement de cet imaginaire : de la femme au monstre, il n’y a qu’un pas, la fonction de transformation du vête­ ment basculant rapidement vers le travestissement et glissant vers le non-humain. Mais si d’un côté les moralistes fustigent le besoin de paraître et l’orgueil du vêtement, il se développe d’un autre côté une sorte d’« éthique de l’ornement » selon laquelle ce dernier vaudrait en tant que reflet des vices et vertus de son détenteur, l’apparence n’étant finalement qu’une simple enveloppe de l’âme. C’est

14 Voir T. Todorov, Théories du Symbole, Paris, Seuil, 1977, p. 59 s. 15 Th. Golsenne, « L’ornement aujourd’hui », Images Re-vues, 10 (2012), [en ligne]. URL : https:// journals.openedition.org/imagesrevues/2416. 16 J. Lichtenstein, La couleur éloquente. Rhétorique et peinture à l’âge classique, Paris, Flammarion, 1989, p. 65 s. 17 Voir Fr. Lachaud, « La critique du vêtement et du soin des apparences dans quelques œuvres religieuses, morales et politiques, xiie-xive siècles », in Le Corps et sa parure, numéro spécial de Micrologus, 15 (2007), p. 61-85, ici p. 78. 18 Gilles de Rome, De regimine principum, I, ii, xxi, 278-279. Cité dans Fr. Lachaud, « La critique du vêtement… », art. cit. 19 P.-Ol. Dittmar, « Le propre de la bête et le sale de l’homme », in G. Bartholeyns et al. (éd.), Adam et l’Astragale. Essais d’anthropologie et d’histoire sur les limites de l’humain, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2009, p. 158.

féMInISATIon MonSTRuEuSE ou GLoRIfIcATIon SAncTIfIAnTE

bien là le double sens du terme latin habitus, signifiant à la fois disposition morale et vêtement. En suivant l’autorité de docteurs de l’Église comme Thomas d’Aquin, qui avaient développé une vision plus positive de l’ornement/vêtement dans la lignée de la philosophie aristotélicienne, les milieux ecclésiastiques justifient les formes du vestiaire liturgique par l’idée que l’apparence des vêtements du prêtre est conforme aux vertus : l’habit extérieur manifeste l’honnêteté intérieure20. C’est ainsi que, dans les écrits des liturgistes, selon une logique symbolique qui sous-tend cette littérature, chaque vêtement se voit associé à une vertu parti­ culière : la chasuble symbolise la charité du prêtre, essence même du Christ, l’étole devient le symbole de l’immortalité et de l’innocence, le manipule du travail et de la pénitence que doivent incarner les ministres du culte, etc. La richesse des ornamenta se voit aussi justifiée en adoptant une même logique : « dans le vêtement du prêtre l’or brille avant tout, pour montrer que l’intelligence de la sagesse brille surtout en lui21 ». Dans la culture médiévale, le vêtement exprime ainsi l’ordo de la personne : la somptuosité du vêtement est l’indice d’une vertu morale comme de l’identité sociale, et elle devient l’expression la plus manifeste de la sacralité des ornamenta. Le débat sur le vêtement est donc pendant tout le Moyen Âge corollaire au traditionnel débat sur l’exhibition du luxe dans les églises, bien représenté par l’opposition entre, d’une part, l’abbé Suger de Saint-Denis, qui au xiie siècle avait conjuré son amour pour les ornamenta en leur accordant une valeur doxologique (rien n’est trop beau pour honorer Dieu) et en invoquant une théologie de la lumière permettant de favoriser, selon la voie anagogique, la communication avec la sphère céleste22, et, d’autre part, Bernard de Clairvaux qui, dans sa polémique contre Cluny et les clercs séculiers, avait fustigé les richesses sensibles et « assimilé la transgression de l’ordo à une transgression d’ordre sexuel, jugeant ainsi efféminées les mœurs des moines ou des clercs qui se laissent aller à apprécier le superflu23 ». Si les protestants ne font donc que reprendre, en les poussant jusqu’à l’ab­ surde, les termes d’un débat traditionnel sur l’ornement/vêtement, il en va de même des catholiques qui dans leur réponse aux protestants ont développé une légitimation du luxe dans les églises, fixé le statut des ornamenta et exploité toute l’efficacité transformatrice du vêtement sacerdotal. Ainsi, Charles Borromée, dans

20 Fr. Lachaud, « La critique du vêtement… », art. cit., p. 70. 21 Guillaume Durand de Mende, Rationale…, op. cit., chap. xix : « Des vêtement de l’Ancienne Loi ou de l’Ancien Testament ». 22 « Lorsque je suis saisi par l’amour de la beauté de la maison de Dieu, la splendeur multicolore des gemmes m’arrache parfois aux soucis extérieurs, et même la diversité des saintes vertus paraît transportée des choses matérielles aux choses immatérielles par une noble méditation, et il me semble que je demeure comme sur quelque plage extérieure à l’orbe terrestre qui ne se trouverait ni dans la lie de la terre ni entièrement dans la pureté du ciel : par le don de Dieu, je suis transporté de l’espace inférieur à cet espace supérieur de manière anagogique » (Suger, Œuvres complètes, éd. A. Lecoy de La Marche, Paris, 1867, p. 198). 23 Bernard de Clairvaux, Homilia super missus est, IV (Patrologie latine, t. 183, Paris, 1854, col. 85). Cité par Fr. Lachaud, « La critique du vêtement… », art. cit., p. 75.

187

188

RALPh DEkonInck ET cARoLInE hEERInG

ses Instructiones, invoque le pouvoir et la richesse des ornamenta pour émouvoir le fidèle : « L’église et les services qui s’y déroulent doivent être aussi impression­ nants et aussi majestueux que possible afin que leur splendeur et leur caractère religieux aient le pouvoir d’émouvoir les spectateurs24 ». Aussi, le décret promul­ gué lors de la la xxiie session du concile de Trente, consacrée aux cérémonies de la messe, justifie-t-il la richesse des ornamenta et l’appel au sensible par les besoins de l’expérience religieuse : par l’attrait provoqué sur les sens, l’ornement permet le passage nécessaire du visible à l’invisible, le transitus, et de s’élever à la méditation des choses divines, conférant à l’église l’apparence des Cieux sur la terre25. Les vêtements participent de cette performativité des ornamenta au sein du rituel tout en orientant son efficacité vers l’exaltation de la figure sacerdotale. Vêtement par excellence du prêtre, la chasuble est particulièrement révélatrice de cette performativité du vêtement liturgique. Comme l’ont bien montré Nadège Bavoux et Christine Aribaud26, la chasuble est le support d’une construction identitaire et transforme le prêtre en un représentant de Dieu dans l’église. Le vêtement est bien un dispositif transformateur, par lequel, pour reprendre les termes de Georges Simmel27, l’homme augmente sa « sphère d’existence », puisque les apparences qu’il se donne lui apportent comme un surplus d’être. Si la fonction générale de transformation du vêtement agit sur les identités sociales, elle s’oriente aussi vers le surhumain – super hominem, tel qu’est parfois nommé le saint. Thomas More, dans son Utopie, donne une belle illustration de ce que peut être l’efficacité transformatrice du vêtement : Dès que le prêtre revêtu de ses ornements [des tissus de plumes d’oiseaux] s’offre à l’entrée du sanctuaire, tout le monde se prosterne contre terre, avec

24 Ch. Borromée, Instructiones fabricae et supellectilis ecclesiasticae, Milan, 1577. Cité par J. Van Ackere, Belgique baroque et classique (1600-1789). Architecture, art monumental, Bruxelles, Marc Vokaer, 1972, p. 13. 25 « La nature humaine est ainsi faite qu’elle ne parvient que difficilement à la contemplation des choses divines sans aide extérieure. C’est pourquoi l’Église a instauré des cérémonies telles que les bénédictions, illuminations, décorations et autres choses semblables afin de souligner la majesté de la messe et d’inciter par ces signes extérieurs de ferveur et d’adoration à la contemplation des symboles sacrés qui y sont présents » ; concile de Trente, session xxii, Exposition de la doctrine touchant au sacrifice de la messe, chap. v (17 septembre 1562). Voir G. Alberigo (éd.), Les conciles œcuméniques, t. 2.2 : Les décrets de Trente à Vatican II, Paris, Cerf, 1994. 26 N. Bavoux, Sacralité, pouvoir, identité…, op. cit. ; Chr. Aribaud, « La chasuble et ses pouvoirs : le visible et l’invisible », in id. et S. Mouysset (éd.), Vêture et pouvoir. xiiie-xxe siècles. Actes du colloque Vêture & Pouvoir, Albi, octobre 2001, Université Toulouse 2-CNRS, 2003, p. 21-34. Voir également A. Poschmann, « Parura – Planeta – Pluviale. Liturgische Gewänder zwischen Alltagskleidung und Sakraldesign », in id. et al. (éd.), Zweite Haut: zur Kulturgeschichte der Kleidung, Berne-StuggartVienne, Haupt, 2010, p. 135-168. 27 G. Simmel, Sociologie. Études sur les formes de la socialisation, trad. L. Deroche-Gurcel et S. Muller, Paris, Presses Universitaires de France, 2010 (1re éd. allemande 1908).

féMInISATIon MonSTRuEuSE ou GLoRIfIcATIon SAncTIfIAnTE

respect et avec un silence tellement profond, que ce spectacle frappe l’âme d’une sorte de terreur, comme si Dieu apparaissait dans le temple28. Au xviie siècle, ce « surcroit d’être » apporté par le vêtement est savamment exploité dans les représentations, comme en témoigne la tendance qui consiste, dans les arts plastiques, à exalter la figure sacerdotale en magnifiant le vêtement liturgique. Si une des principales modalités renaissantes d’exaltation du corps saint était la nudité du martyr – nudité qui n’était pas dénuée d’ambivalence, balançant entre force virile et sensualité androgyne –, le xviie siècle baroque redonne au vêtement liturgique sa force héroïsante et sacralisante, conférant aux grandes figures saintes du passé mais aussi aux figures sacerdotales plus récentes une puissance qui passe donc par une monumentalisation du corps, grâce surtout à des chapes imposantes et très enveloppantes. Nul autre que Rubens n’a su mieux exalter la figure ecclésiale par ce drapé29. Une de ses œuvres précoces, datant de son premier séjour en Italie, et qui consti­ tue une de ses deux premières grandes commandes religieuses, à savoir l’ensemble des trois peintures réalisées pour Santa Maria in Vallicella à Rome, pose déjà ce qui deviendra un véritable canon de représentation, principalement des Pères et Docteurs de l’Église : petite tête barbue sur un corps massif entièrement drapé par les vêtements liturgiques. C’est ainsi qu’est dépeint Grégoire le Grand sur l’un des trois tableaux qui forment cet ensemble commandé par les oratoriens. La première version qui a été écartée et qui est aujourd’hui conservée au Musée des Beaux-Arts de Grenoble (fig. 4) donne encore plus d’ampleur au saint pape30 dont la présence s’impose par les lourdes, et à la fois animées, étoffes de satin blanc, agrémentées d’imposants orfrois. Tranchant avec, à gauche, la nudité de saint Papinien et la cuirasse de saint Maurice, comme avec, à droite, la grâce de sainte Domitille – trois figures qui présentent donc trois modalités de rapport au vêtement et au corps –, la force magistérielle de saint Grégoire est ainsi rendue par le caractère massif et donc aussi par la suggestion du poids du vêtement, lequel était assimilé, dans certaines prières de vêture, au poids de la croix portée par le Christ31, croix qui se trouvait d’ailleurs figurée sur bien des chasubles de cette époque.

28 Th. More, Utopia, Louvain, 1516, livre ii : Des religions d’Utopie. Cité par G. Bartholeyns, « L’homme au risque du vêtement. Un indice d’humanité dans la culture occidentale », in id. et al. (éd.), Adam et l’Astragale…, op. cit., p. 118. 29 Étonnement, cette présence du vêtement liturgique dans l’œuvre de Rubens n’a pas fait l’objet d’une étude fouillée. Il n’en est par exemple aucunement question dans le seul ouvrage récent consacré au vêtement dans l’œuvre du maître anversois : A. Newman et L. Nijkamp (éd.), Undressing Rubens : Fashion and Painting in Seventeenth-century Antwerp, Turnhout, Harvey Miller, 2019. 30 La version préparatoire (1606, Gemäldegalerie, Berlin) insiste encore plus sur la volumétrie du vêtement de couleur blanche intense qui vient littéralement gonfler de l’intérieur le corps du saint, lequel occupe ainsi près de la moité de la largeur du tableau. 31 X. Barbier de Montault, Le costume et les usages ecclésiastiques selon la tradition romaine, t. 2, Paris, Letouzey et Ané, 1899, p. 77-78.

189

190

RALPh DEkonInck ET cARoLInE hEERInG

Une analogie entre l’image, le vêtement et le prêtre comme image du Christ se construit donc à travers ces représentations, mais aussi à travers les textes contemporains qui cherchent à légitimer conjointement le culte des saints et le culte des images. Un des arguments récurrents dans ces textes est celui du manteau du roi que l’on vénère au même titre que celui qui le porte. C’est selon la même logique que l’on doit vénérer l’image du Christ et des saints. Selon Robert Bellarmin, l’image et son modèle reçoivent le même type d’honneur, en tant que le second est comme « revêtu » de l’image (vestita imagine)32. L’image comme vêtement et l’habit liturgique comme seconde peau ne sont dès lors plus de fausses apparences, mais définissent l’identité même de celui qui porte l’image-vêtement ou le vêtement-image. C’est bien une telle réflexion plastique que Rubens met en scène dans le tableau de Grenoble qui s’offre, ainsi que Victor Stoichita l’a bien montré33, comme une véritable réflexion méta-picturale sur le statut de l’image sainte, puisqu’il ne faut pas oublier que l’objet même de ce tableau n’est autre que l’image miraculeuse de la Madone de la Vallicella qui, dans cette première version, devait se cacher derrière la peinture de Rubens. Ce qui en revanche n’a pas été relevé, c’est que cette réflexion s’exprime également à travers la présence imposante de Grégoire le Grand, le pape qui a, par ailleurs, posé, dans sa lettre à Serenus de Marseille mais aussi dans celle apocryphe à Secondinus, ce qui deviendra une véritable doxa en matière de théorie chrétienne de l’image : celle fixée par Basile de Césarée sous l’appellation de translatio ad prototypum34, désignant par là la dimension transitive de l’image sainte qui doit conduire le regard vers son modèle35. Or cette dimension transitive et médiatrice passe également par la paramentique. Dans le cas du tableau de Grenoble, Grégoire le Grand, image vivante de l’Église, apparaît, grâce notamment à sa chape, comme le médiateur entre l’image miraculeuse et les fidèles assemblés dans la Chiesa Nuova. Car il faut se rappeler que de semblables ornements sacrés étaient revêtus par les prêtres célébrant la messe en face même de ce genre de tableau d’autel. On peut dès lors comprendre combien un tel anachronisme pictural pour les vêtements sacerdotaux portés par les personnages saints les plus éloignés dans le temps,

32 R. Bellarmin, Primi tomi Septima controversia generalis de ecclesia triumphante, livre ii, chapitre xi, Ingolstadt, D. Sartorius, 1587. 33 V. I. Stoichita, L’instauration du tableau. Métapeinture à l’aube des Temps modernes, Paris, Klincksieck, 1993, p. 82-90. Voir également I. von zur Mühlen, Bild und Vision. Peter Paul Rubens und der « Pinsel Gottes », Francfort, Peter Lang, 1998, p. 139-190 ; K. Krüger, Das Bild als Schleier des Unsichtbaren, Munich, Wilhelm Fink, 2001, p. 144-152 ; R. Dekoninck, La vision incarnante et l’image incarnée. Santi di Tito et Caravage, Paris, 1:1 éditions, 2016, p. 73-80. 34 De Spiritu Sancto, 18, 45 (Patrologie grecque, t. 32, Paris, 1857, col. 149). 35 « Je sais, cependant, que vous ne vous adressez pas à l’image de notre Sauveur comme si vous adoriez Dieu, mais que votre âme s’enflamme au souvenir du Fils de Dieu en son amour, dont vous désirez contempler l’image » (Grégoire le Grand, Epistola lii Ad Secundinum, in Patrologie latine, t. 77, Paris, 1862, col. 990-991).

féMInISATIon MonSTRuEuSE ou GLoRIfIcATIon SAncTIfIAnTE

comme saint Grégoire, faisait sens en assurant un transfert de sacralité du tableau vers le célébrant36. Au-delà du cas particulier de saint Grégoire, on peut parler du côté de l’iconographie catholique du xviie siècle de la mise en œuvre d’une stratégie qui consiste non pas tant à viriliser ce qui pourrait avoir toutes les apparences du féminin – impression qui, dans le tableau de Grenoble, est renforcée par la proximité entre sainte Domitille et saint Grégoire – qu’à magnifier par le vêtement la grandeur de la sainteté. Comme l’attestent d’autres tableaux de Rubens repré­ sentant des saints37, la manière de traiter picturalement les vêtements sacerdotaux en évoquant, par une touche libre et enlevée, leur richesse chatoyante et leur poids, mais aussi un dynamisme, voire une certaine vie, contribue à annihiler le corps, ou plutôt à conférer au corps saint un corps de substitution. La masculinité herculéenne des corps héroïques que Rubens exploite dans ses œuvres mytholo­ giques se trouve en effet convertie ici en une force qui n’est pas physique mais institutionnelle. Cette force va par ailleurs de pair avec celle de l’âge, puisque la majorité de ces figures sont représentées sous les traits de vieillards munis d’une longue barbe, traits propres à une sagesse, celle de la tradition et de la doctrine de l’Église. Les corps athlétiques des héros martyrs, occis dans la fleur de l’âge, font ainsi place aux corps saints revêtus du prestige de la fonction cléricale, essentiellement épiscopale et pontificale. L’habit sacerdotal prend ici pleinement son sens de seconde peau, celle qui incarne, plus que le Christ, l’institution ecclésiale. On peut à présent conclure sur ces différentes stratégies de défiguration/trans­ figuration du vêtement sacerdotal, balançant entre dés-humanisation du côté protestant et sur-humanisation du côté catholique. Ce vêtement apparaît bien être un observatoire privilégié des rapports complexes qui se tissent entre féminin et masculin, rapports qui croisent et s’entremêlent avec d’autres rapports dialec­ tiques : monstruosité et beauté, intériorité et extériorité, richesse et pauvreté, terrestre et céleste, jeunesse et vieillesse, sacré et profane… Comme on l’a vu, il incarne une masculinité en décalage avec la mode vestimentaire masculine, car il a toutes les apparences de la mode féminine, ce que n’ont pas manqué

36 Il faut par ailleurs tenir compte du fait que cette dimension médiatrice de saint Grégoire revêtu de ses ornamenta sacra fut au cœur d’une des iconographies les plus répandues aux xve et xvie siècles, principalement dans le Nord de l’Europe, et qui fut la plus riche en matière de représentation de la liturgie : la Messe de saint Grégoire, thème qui parle également du rapport incarnationel de la liturgie à l’image. Voir entre autres E. Meier, Die Gregorsmesse. Funktionen eines spätmittelalterlichen Bildtypus, Cologne-Weimar-Vienne, Böhlau, 2006. 37 Voir par exemple le saint Amand sur le revers du volet gauche de l’Érection de la Croix (1610-1611, Anvers, Cathédrale Notre-Dame) ; le saint Ignace revêtu d’une imposante et chatoyante chasuble et opérant ses miracles (1618-1619, Vienne, Kunsthistorisches Museum) ou représenté en pied (1620-1622, Pasadena, Norton Simon Museum) ; le saint Étienne avec sa dalmatique dans le tableau représentant son martyre (1615-1620, Valenciennes, Musée des Beaux-Arts) ; le saint Ambroise rencontrant l’empereur Théodose (1615-1616, Vienne, Kunsthistorisches Museum) ; le saint Augustin (1636-1637, Prague, National Gallery), etc.

191

192

RALPh DEkonInck ET cARoLInE hEERInG

de fustiger les protestants. Du côté catholique, il permet de construire, dans le re­ gistre des représentations, une masculinité alternative, qui ancre son autorité dans l’ancienneté et la somptuosité du vestiaire ecclésiastique. À côté du modèle tri­ dentin de la masculinité angélique du prêtre, il fonde une force, qui n’est pas du côté de la virilité, mais de l’institution, la force d’un corps qui n’est pas celui de l’individu mais qui est celui de l’Ecclesia. Les marqueurs de cette virtus ou potentia transformatrice et instituante sont le poids, l’ampleur, la richesse et l’ornemental qui transfigurent le corps pour lui faire servir une fonction sacrée.

féMInISATIon MonSTRuEuSE ou GLoRIfIcATIon SAncTIfIAnTE

Fig. 5. Pierre Paul Rubens, La Madone de la Vallicella adorée par les saints Grégoire, Domitille, Papinien et Maurice, vers 1606-1607, Grenoble, Musée des Beaux-Arts © Domaine public.

193

fERnAnDA ALfIERI (TRAD. SyLVIE COyAUD) 

Hérésies du corps masculin Le cas du frère Giovanni Battista, laïc capucin (xviie siècle)*

1. Une histoire charnelle Il dit qu’il a quarante-deux ans […]. Sept ans plus tôt […], une nuit il entendit claquer les planches sur lesquelles il était couché. « Ne voyant rien, » raconte-t-il, « je pensai à quelque chose de diabolique, et j’eus des pensées malhonnêtes avec des images de Femmes, et je tombai dans la pollution, mais sans utiliser mes mains […]. Le Père Domenico da Francavilla, pensant à quelque intervention diabolique, me récita l’évangile de l’In principio. En l’entendant il me vint un grand tremblement et quand il me demanda, “Qui es-tu?” le diable répondit avec ma langue: “Un vagabond”, et moi j’entendais cette voix avec mes oreilles […]. Alors le diable a commencé à me pousser, en me disant avec des mots prononcés par ma langue, entendus de mes oreilles, à prendre mon membre avec mes mains, et j’ai répondu “je ne veux pas”, mais le Démon remua ma langue et dit “Je veux”. Puis je me suis senti retourner de l’autre côté du lit par ce Démon et me dire “Maintenant je le prends” en me faisant signe avec ma main à moi. Et tandis que disais “je n’y consens pas, fais comme tu veux”, le Démon poussa ma main sur les parties honteuses et bien que je pensasse retenir mon bras, je ne pouvais pas et la pollution s’ensuivit. Je dis tout au Confesseur pour m’assurer de ne pas avoir consenti à ce qui m’arrivait, et ce dernier me dit de le supporter, et que c’est une infirmité que Dieu nous envoie [...]. Toutefois, après qu’un autre confesseur m’ait dit que les pollutions ne pouvaient survenir sans mon

* Une version étendue de cet essai se trouve in F. Alfieri, Fisiologia, morale e demonologia. Il corpo conteso di fra Giovanni Battista (Terra d’Otranto, 1688), in id. et V. Lagioia (éd.), Infami macchie. Sessualità maschili e indisciplina in età moderna, Rome, Viella, 2018, p. 111-133. Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 195-210. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131599

196

fERnAnDA ALfIERI

consentement et qu’elles continuaient nonobstant, désespéré, je décidai de me couper les parties viriles : […] avec un rasoir j’ai coupé la peau d’une des bourses, j’ai réussi à en faire sortir un testicule1».

En janvier 1688, l’archevêque de Bari Tommaso Ruffo écrivait aux inquisiteurs romains sur un cas qui lui avait été confié par le visiteur de la province des capucins en Terre d’Otrante2, en vertu de sa capacité reconnue de guérir les obsédés3. On lui avait envoyé de Lecce un frère capucin laïc4, Giovanni Battista da Galatone5, qu’un exorcisme avait confirmé être possédé. Mais l’archevêque avait vu des choses bien plus inquiétantes qu’une obsession diabolique, une partie de son horizon quotidien (en fait chaque matin après la messe, il recevait des dizaines d’obsédés6). Au cours d’un entretien, alors que Giovanni Battista parlait et non pas les esprits qui l’assiégeaient, il apparut que ce qui tourmentait le frère, c’était le fait que « le diable le violentait pour agir charnellement de toute sorte, même avec ses propres mains7 ». Giovanni Battista se déclarait totalement privé de contrôle : au fait que c’était ses « propres » mains ne correspondait pas la capacité d’en

1 Archives de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (désormais ACDF), S.O., St. St. O 1 l, fasc. 13, ff. n. nn. ; S.O., St. St. UV6, f. 357r-367v. Le cas est cité in V. Lavenia, « Tenere i malefici per cosa vera. Esorcismi e censura nell’Italia moderna », in V. Bonani (éd.), Dal torchio alle fiamme. Inquisizione e censura: nuovi contributi dalla più antica biblioteca provinciale d’Italia. Atti del Convegno nazionale di studi, Salerno 5-6 novembre 2004, Salerne, Biblioteca Provinciale di Salerno, 2005, p. 129-172, ici p. 156. 2 La province des capucins des Pouilles, née en 1533, est divisée en 1590 en « Terre de Bari de la Province de San Nicola » et « Terre di Otrante ». Voir S. Da Valenzano, I Cappuccini nelle Puglie. Memorie storiche (1530-1926), Bari, La Tipografica, 1926 ; R. A. Savoia (éd.), La Provincia dei Frati Minori Cappuccini di Puglia: cinque secoli di storia. Primo centenario della rifondazione della Provincia (1908-2008), Lecce, Edizioni Grifo, 2010 ; A. di Napoli, Secundum regulam ex eleemosinis : il Salento e i suoi frati cappuccini (secoli 16.-17.), Bari : L'Aurora Serafica, 2017. 3 Voir F. Lombardi, Compendio cronologico delle vite degli arcivescovi baresi, dall’unione delle due sedi di Canosa, e di Bari, seguita l’anno di nostra salute 845, Naples, nella stamperia di Porpora e Troyse, 1697, p. 159-169. La double charge d’exorciste et d’évêque recouverte par Tommaso Ruffo favorise la remise à la justice inquisitoriale de Giovanni Battista, couvert en théorie par le privilège du tribunal dont jouissent les Ordres réguliers, étendu également aux laïcs afférents à l’Ordre. Voir F. Rurale, Monaci, frati, chierici. Gli ordini religiosi in età moderna, Rome, Carocci 2008, p. 89-106 ; G. De Rosa, Vescovi, popolo e magia nel Sud : ricerche di storia socio-religiosa dal XVII al XIX secolo, Napoli, Guida, 1971. 4 Les frères laïques ont trois vœux de pauvreté, chasteté et obéissance mais n’accèdent pas aux ordres majeurs ; ils reçoivent une formation spirituelle de caractère général et on leur demande d’accomplir des tâches plus humbles et lourdes. Voir l’entrée de M. Sauvage, art. « Fratello », in G. Pelliccia et G. Rocca (éd.), Dizionario degli Istituti di Perfezione, t. 4, Rome, Paoline, 1977, col. 762-794. 5 Sur Giovanni Battista, ainsi que sur nombre de ses confrères impliqués dans l’affaire, il n’a pas été possible de trouver des informations biographiques. 6 Ainsi le procès informatif pour la béatification commencé en 1745, in Archives Apostoliques du Vatican (désormais AAV), Congr. Riti, Processus 226, f. 283v. 7 ACDF, S.O., St. St. O 1 l, fasc. 13, ff. n. nn. ; S.O., St.St. UV6, f. 357r.

héRéSIES Du coRPS MAScuLIn

décider ; son corps lui était doublement autre, sujet et objet d’actions engendrées non par lui mais par le démon qui le « violentait8 ». Giovanni affirmait toutefois qu’il n’avait pas perdu la maîtrise de sa volonté, qu’elle restait contraire à ce que ses mains faisaient et ses sens percevaient. Dans cette dimension scindée, et arrivée à nous sous une forme rhétorique oscillant entre la première et la troisième personne, frère Giovanni Battista se disait convaincu de n’avoir commis aucun pé­ ché. Et ceci parce que certains des confrères qu’il avait consultés l’avaient rassuré avec deux arguments : le démon a un pouvoir sur nous parce que c’est Dieu qui le lui concède, ce qu’ils auraient lu dans un célèbre manuel pour exorcistes qu’on verra ensuite; et que si Giovanni Battista ne consentait pas avec sa volonté, de fait il ne participait pas aux actes qu’il commettait9. Si le corps de frère Giovanni Battista ne pouvait reposer tranquille en somme, sa conscience le pouvait : elle pouvait se réfugier soit sous une autorité divine qui permet malgré nous les assauts du démon, soit sous des autorités terrestres. Celles-ci, une fois qu’on leur a déclaré l’absence de consentement, peuvent réconforter quant à l’absence de faute pour des péchés par ailleurs graves. Les documents du procureur général de l’Ordre ne manquent pas d’enregis­ trer, dans les années de cette affaire, les désordres et les intempérances dont les membres sont protagonistes. Mais parmi ceux qui sont enregistrés et retrouvés jusqu’ici, un seul cas concerne des soupçons d’intempérance sexuelles : à Ruti­ gliano, dans la province de San Nicolò de Bari, une femme fut trouvée dans un bûcher. Une intrusion qui faisait craindre qu’une porte n’ait été ouverte à de graves intempérance sensuelles et pour laquelle une visite des supérieurs était requise10. Mais aucun cas ne paraît ressembler à celui de Giovanni Battista. À la lettre de l’archevêque de Bari le tribunal romain du Saint-Office répondait par un ordre de réclusion du capucin dans la prison des Mineurs Observants de Bisceglie, et avec la remise à l’évêque local11, chargé d’instruire le procès (comme on le sait, dans les terres de la Vice-Royauté l’Inquisition romaine faisait référence aux évêques). C’est en cette occasion que frère Giovanni Battista, interrogé, raconte son histoire charnelle rapportée au début de cet essai. L’histoire de Giovanni Battista pourrait se définir charnelle parce qu’elle semble construite autour d’une manifestation de la « loi du péché qui est dans mes membres » (Romains 7,23) qui s’appelle “chair” : loi autre, car opposée à l’esprit, et qui trouve dans le corps un lieu d’action spectaculaire. La chair est ici la clef de la

8 Sur l’acception de violence dans ce contexte, voir § 5. 9 Ibid. 10 Registrum scripturarum della Procura Generale dell’ordine Cappuccino: 1650-1688, éd. G. Avarucci, Rome, Istituto storico dei cappuccini, 2015, doc. 152, p. 114 ; doc. 712, p. 504 ; doc. 353, p. 278 ; doc. 512, p. 357; doc. 608, p. 434 ; doc. 249, doc. 189. A l’époque du procès, le procureur était Francesco degli Oddi da Perugia (1688-1696). 11 Les raisons pour attribuer le cas à Bisceglie, diocèse suffragant de Trani faisant partie du diocèse de la Terre de Bari, ne sont pas spécifiées. Voir M. Rosa, « Diocesi e vescovi nel mezzogiorno durante il viceregno spagnolo. Capitanata, Terra di Bari e Terra d’Otranto dal 1545 al 1714 », in G. Musca (éd.), Studi storici in onore di Gabriele Pepe, Bari, Dedalo Libri, 1969, p. 551-574.

197

198

fERnAnDA ALfIERI

brève récapitulation – en réponse aux questions circonstanciées de ses examina­ teurs – de l’existence de frère Giovanni Battista. Mise au centre d’une enquête qui allait durer quatre ans, cette affaire est le théâtre d’une indiscipline dont les autorités craignaient des conséquences potentiellement catastrophiques pour la religio catholica tout entière12. Selon les théologiens qui à Rome examinèrent le matériel recueilli à Bisceglie, accepter que le corps de frère Giovanni Battista puisse être animé par une autre volonté que la sienne, sous le regard bénévole (donc complice) de ses confrères, aurait en effet comporté ceci : l’échafaudage de la religio se serait écroulé à cause d’une pratique douce de la disciplina, sa structure portante. Il aurait suffi à cet effondrement qu’un corps cède et une déclaration verbale (propositio) pour étayer l’absence de faute. De l’affaire de Giovanni Battista semble donc affleurer une inquiétude, trans­ versale et diachronique, qui s’accumulait depuis longtemps dans les registres des tribunaux et qui aurait continué à se représenter des décennies durant, revenant avec la sérialité de l’irrésolu : une question sur les possibilités de l’utilisation du corps du religieux, sur la disponibilité de ses substances et de ses sens, sur les limites de la responsabilité par rapport à un corps donné en gestion à la personne qui toutefois n’en est pas propriétaire, devant obéir dans son usage à des tensions que nous définirions “objectives” dans la mesure où elles ne répondent pas directement aux désirs de l’individu mais lui sont extérieures : désirs de Dieu, de la nature, de la société13. Dans l’affaire de frère Giovanni Battista, qui vit comparaître devant l’évêqueinquisiteur une dizaine de frères venus témoigner, ce qui faisait problème ce n’était pas seulement la question, dépourvue de nouveauté, de la discipline du corps et de sa physiologie dans un contexte religieux, mais aussi celle, à l’ordre du jour de l’agenda inquisitorial, de l’hérésie quiétiste. L’archevêque de Bari, qui avait exorcisé plusieurs fois Giovanni Battista, avait lu dans les « violences » réitérées qu’il subissait, dans la passivité déclarée de la volonté du frère, capable du trouble charnel le plus fort tout en maintenant ferme (quiète) sa volonté (et si la volonté manque, la faute aussi), certains éléments de l’hérésie de Miguel de Molinos, qui avait reçu une condamnation officielle à peine un an plus tôt, en 168714. 12 ACDF, S.O., St. St. O 1 l, fasc. 13, ff. nn. n. 13 Pour une problématisation du concept de discipline en relation à la corporéité et renvois bibliographiques relatifs, F. Alfieri, L’età della disciplina cristiana. Confronti e comparazioni, in V. Lavenia, Storia del cristianesimo: l’età moderna, Rome, Carocci, 2015, p. 351-378. Un examen critique de l'utilisation de catégories historiographiques telles que la disciplination et la confessionnalisation pour comprendre l'intérêt accru de l'Église catholique pour la sexualité à l'époque moderne, en J.-P. Gay, Sexualité et régime de normativité à l’âge confessionnel, Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [Online], 147 | 2020, Online since 01 December 2020, connection on 10 June 2022. URL: http://journals.openedition.org/chrhc/15192; DOI: https://doi.org/10.4000/chrhc.15192. 14 Sur Molinos, P. Dudon, Le quiétiste espagnol Michel Molinos (1628-1698), Paris, Beauchesne 1921. Les enquêtes sur l’hérésie molinosiste auraient fait émerger aussi une implication des capucins, comme Antonio Francesco Candelari, des Marches, contre lequel un procès fut intenté en 1688 (sentence de 1690). Voir A. Malena, L’eresia dei perfetti. Inquisizione romana ed esperienze mistiche nel Seicento italiano, Rome, Edizioni di storia e letteratura, 2003, p. 220-237. Des cas dans les Pouilles

héRéSIES Du coRPS MAScuLIn

L’évêque de Bari avait fait abjurer Giovanni Battista pendant une rencontre après un exorcisme, mais devant les récidives non seulement des pollutions mais aussi de leur lecture qui sentait fort l’hérésie, il avait écrit à Rome et enclenché ainsi le procès. La lecture quiétiste qui fut faite de l’affaire de Giovanni Battista est commune à de nombreux cas soumis à l’examen du Saint-Office et classés, malgré leur caractère multiforme, sous le même paradigme15. Des histoires de discipline adoucie dans l’abandon confiant dans l’amour d’un Dieu père qui ne condamne pas, dans lequel se fondre, et vues avec soupçon par l’Inquisition non seulement à cause de l’exaltation d’une dévotion spontanée difficilement contrôlable, mais aussi de leur portée en tant que légitimation d’actes sexuels parmi des sujets qui auraient dû au contraire vivre dans la chasteté. Mais si l’argument de la suspension des facultés de l’âme rationnelle, de l’abandon total dans l’annulation de la volonté – dont la présence est, nous le savons, un ingrédient nécessaire pour la responsabilité morale du sujet – pouvait porter à la consommation d’actes charnels entre des religieux charismatiques et des femmes dont ils étaient les di­ recteurs spirituels, elles-mêmes souvent consacrées16, Giovanni Battista est engagé dans un combat tout individuel. Il n’y a pas d’autre sujet, physiquement présent, avec lequel pécher. Les « Femmes » sont des entités imaginées et immatérielles dont la pensée a pourtant des effets physiquement tangibles. Tout se consomme en solitude. Mais une solitude peuplée : il y a les rêveries sur les « Femmes », envers lesquelles les constitutions capucines de 1536 prescrivaient la séparation la plus sévère17 (quelqu’un, comme les frères de Sarzana, avait pris la règle à la lettre et avait demandé à l’évêque de faire vendre à sa propriétaire le verger jouxtant le couvent et dont la présence était source de varias daemonum tentationes18). Outres les « Femmes », les solitudes de Giovanni Battista étaient habitées par le « Diable » qui incitait et parlait et par la conscience, tout aussi parlante, qui accusait. Et en dehors de la cellule, par une communauté masculine murmurant des consultations et des passages d’opinion demandés par Giovanni Battista lui-même pour avoir (aurait-il raconté), sinon le corps, du moins la conscience tranquille.

15 16 17 18

signalés dans A. Malena, art. « Quietismo », in A. Prosperi (dir.), V. Lavenia et J. Tedeschi (collab.), Dizionario storico dell’Inquisizione, t. 3, Pise, Edizioni della Normale, 2010, p. 1288-1294. AAV, Congr. Riti, Processus 226, f. 1289r. Voir les cas siciliens dans M. Modica, Infetta dottrina. Inquisizione e quietismo nel Seicento, Rome, Viella, 2009, p. 117-139. I frati cappuccini: documenti e testimonianze del primo secolo, éd. C. Cargnoni, t. 1, Pérouse, Edizioni Frate Indovino, 1988, p. 439-440. V. Criscuolo, I cappuccini e le donne: la clausura dei conventi e l’accesso ai monasteri femminili, Rome, Conferenza italiana superiori provinciali cappuccini, 1990, p. 21.

199

200

fERnAnDA ALfIERI

2. Du diocèse de Nardò Les extraits du procès à Giovanni Battista laissent deviner une errance d’un couvent à l’autre, due à la règle capucine qui décourageait de longues perma­ nences sur les lieux du procès et en partie, peut-être, sa recherche de consultations parmi les membres de son ordre. Nous ne savons rien de sa vie quotidienne, qui pouvait le voir occupé à des tâches attribuées habituellement aux frères laïques, « des hommes simples et analphabètes qui s’en remettent au couvent19 » : quê­ teur, horticulteur, menuisier, maçon, infirmier, sacristain, concierge ou député à l’accueil des pèlerins. Giovanni Battista venait de Galatone (Galatole à l’époque) : « un château, beaucoup d’églises et bon nombre de couvents… près des pentes australes de l’Apennin dans cette fin d’Italie, un territoire fertile de vignes, de mûriers, d’amandiers et de presque toute sorte d’arbres fruitiers20 », raconte une description de la péninsule établie au début du xixe siècle. Les relations des visites pastorales effectuées dans le diocèse de Nardò, dont Galatone faisait partie quand Giovanni Battista y vivait, offrent une image moins riante de la région : Nardò, florissante et peuplée autrefois, ne comptait plus que 6 000 des 20 000 habitants de son âge d’or, dont une noblesse pour ainsi dire inexistante21. Le peuple avait semblé au visiteur vivre dans l’inconséquence la plus totale, dans l’oisiveté et l’ivresse. Les jeunes n’avaient rien à espérer pour eux-mêmes puisque le séminaire pour leur éducation, construit avec les meilleures intentions, à cause de ses maigres ressources n’en pouvait nourrir que six, les autres étant réduits à envisager la mendicité. Le clergé ne versait pas dans de meilleures conditions : égaré dans l’ignorance de la langue latine et des rudiments de la foi, il fainéantait sur la place les jours de fête et faisait scandale. Galatone, lieu de naissance de Giovanni Battista, comptait dans ses murs à peine plus de 3 000 âmes, 115 prêtres et 80 clerici in minoribus. Un nombre respectable de membres du clergé, mais l’évêque avait dû en suspendre quarante qui connaissaient à peine les mystères de la foi et leurs fondements premiers ; quant aux autres il avait dû les tolérer, ce qui pesait lourd sur sa conscience. De tous ceux qu’il avait examinés, il n’avait pu en admettre que six aux confessions. Et la situation n’était pas meilleure à Casarano où les curés vivaient sans rente, des aumônes reçues à l’occasion des enterrements, et où depuis longtemps l’évêque s’échinait à leur enseigner la

19 M. Rosa, « La chiesa meridionale nell’età della Controriforma », in G. Chittolini et G. Miccoli (éd.), Storia d’Italia. Annali, t. 9 : La Chiesa e il potere politico dal Medioevo all’età contemporanea, Turin, Einaudi, 1986, p. 291-345, ici p. 337. 20 G. B. Rampoldi, Corografia dell’Italia, t. 2., Milan, per Antonio Fontana, 1833, p. 144. 21 Un cadre de crise généralisée évoqué par A. Spagnoletti, « I poteri territoriali dall’età aragonese all’età spagnola », in A. Massafra et B. Salvemini, Storia della Puglia, t. 1 : Dalle origini al Seicento, Bari-Rome, Laterza, 2005, p. 171-186, ici p. 183-186; B. Salvemini, Flussi economici e organizzazione del territorio, in ibid., p. 187-203, ici p. 202-203 ; sur la « réforme manquée du clergé », B. Pellegrino, La presenza della Chiesa prima e dopo il concilio di Trento, in ibid., p. 238-252, ici p. 247-252 ; M. Rosa, « Diocesi e vescovi… », art. cit., p. 550 and p. 562-563.

héRéSIES Du coRPS MAScuLIn

doctrine, sans résultats notables22. C’est ici, dans le couvent capucin où il vivait avec treize autres frères, dans une des vingt petites cellules du bâtiment érigé un siècle plus tôt « selon la pauvre forme23 » et loin de l’agglomération comme l’exigent les constitutions correspondant à la vocation érémitique de l’ordre, que Giovanni Battista avait entendu pour la première fois « claquer les planches24 » sur lesquelles il couchait, des planches nues comme dictait la règle25. Ici allait commencer son histoire de visions accompagnées de corrélats physiologiques d’après lui inexorables, et de demandes de rassurance à ses confrères sur ce qui lui arrivait.

3. Un cas de conscience Le premier à être consulté le matin après le premier épisode (le lever était à 4 h 40 au son d’une canne tapée sur la porte de la cellule26) avait été le confrère Bonaventura da Serrano auquel il s’était confessé car c’était « jour de communion27 ». Ce dernier avait averti Giovanni Battista de faire attention à un détail : si, dans ce « tout » que le pénitent affirmait lui avoir dit, il y avait eu une forme quelconque de consentement. Cet élément qui, en théologie morale, est fondamental pour la détermination de la responsabilité des actes, nous le verrons, reviendra régulièrement dans les opinions reçues, toutes d’accord pour discriminer – comme le veut l’orthodoxie – le péché sur la base de sa présence ou de son absence. À quels textes les capucins faisaient-ils référence pour la confession que les constitutions de l’ordre prescrivaient deux fois par semaine à tous, y compris les laïcs, à effectuer obligatoirement entre confrères (et jamais dans une cellule mais à l’église, dans le confessionnal ou en séparant les pénitents des confesseurs par des planches28)? La règle des dispositions capitulaires de 1618, confirmées ensuite dans les constitutions de 1638, avait établi que « pour autant que possible, des cas de conscience soient lus » au moins deux fois par semaine. Nous ne 22 AAV, Congr. Concilii, Relationes Dioecesum, Neriton., Relation de 1680, ff. nn. n. Les relations des années1660 à 1690 ont été consultées sans trouver de changements significatifs. 23 M. d’Alatri (éd.), I conventi cappuccini nell’inchiesta del 1650, t. 3 : L’Italia meridionale e insulare, Rome, Istituto storico dei cappuccini, 1985, p. 113-114. 24 ACDF, S.O., St. St. O 1 l, fasc. 13, ff. n. nn.; S.O., St. St. UV6, f. 358r. 25 I frati cappuccini…, op. cit., t. 1, p. 289. 26 S. Gieben, « La vita quotidiana nei conventi », in P. Prodi et G. Pozzi (éd.), I cappuccini in Emilia-Romagna. Storia di una presenza, Bologne, EDB, 2002, p. 198-215. 27 ACDF, S.O., St. St. O 1 l, fasc. 13, ff. n. nn. 28 I frati cappuccini…, op. cit., t. 1, p. 364 ; M. Turrini, « La confessione », in I cappuccini in Emilia-Romagna, p. 516-553 ; pour les Pouilles, F. de Luca, Biblioteche monastiche in Puglia nel Cinquecento, t. 1 : La tonaca, il saio, il breviario nella Lecce del Cinquecento, Lecce, Conte editore, 1996 ; Scorrano. Le visite pastorali e la fraternità cappuccina (secoli xvi-xx), éd. S. Campanella et M. C. Rossi, t. 2 : La fraternità cappuccina, Galatina, Congedo, 2002, en particulier pour l’inventaire de la bibliothèque du couvent de Scorrano en Terre d’Otrante, p. 151-161.

201

202

fERnAnDA ALfIERI

connaissons pas les auctoritates morales auxquelles les confrères de Giovanni Battista pouvaient se rapporter mais, grâce à des recherches conduites sur les in­ ventaires des bibliothèques d’autres couvents de l’Ordre, nous pouvons supposer qu’ils disposaient d’une « bonne partie de la littérature publiée en Italie depuis l’introduction de l’imprimerie29 » à l’usage des confesseurs : outre les textes classiques de l’archevêque florentin Antonino Pierozzi (1389-1459), ils pouvaient s’appuyer sur des summae du xive et xve siècles tout aussi connues, comme la Summula de Tommaso De Vio (1469-1534), la Sylvestrina di Silvestro Mazzolini da Prierio (1456-1527) ou l’Angelica d’Angelo Carletti da Chivasso (1411-1495), mais consulter aussi des manuels plus récents, de tendance probabiliste comme la Theologia moralis du jésuite Paul Laymann (1574-1635), et laxiste comme les Resolutiones morales d’Antonino Diana (1585-1663)30. La Summula du dominicain De Vio, à l’entrée pollutio, spécifiait immédiatement l’innocence du phénomène purement physiologique s’il était dépourvu de consentement volontaire et, par contre, la gravité mortelle de l’acte volontaire (que la pollutio soit procurée ou qu’on ne fasse rien pour l’éviter en sachant qu’elle adviendra). L’application de la norme est invoquée et pour les laïcs et pour le clergé, mais c’est à ce dernier qu’est consacrée une section spécifique, dédiée aux risques auxquels les confesseurs sont exposés en écoutant des récits d'actes turpia (mais sans pécher si, en accomplis­ sant l’acte pieux de l’écoute, ils sont poussés à une émission de semence sans y consentir)31. Le souci de De Vio est sous-tendu par une vision de la personne, typique de la théologie morale d’origine thomiste, comme extrêmement poreuse et ouverte aux suggestions des sens, une constante que nous retrouverons dans la tradition classique théologico-morale que nous rappellerons plus loin. Mais le composé d’âme et de corps (c’est ainsi que dans cet épistème la personne est conçue) paraît aussi caractérisé par une nature humorale qui en elle-même exige et conditionne : comme l’explique la Summa Angelica, la nature a besoin d’un épanchement périodique qu’il n’est guère possible d’empêcher mais qu’il ne faut certainement pas fomenter en assumant, par exemple, des nourritures qui augmentent la chaleur32 (les remèdes pour le fluxus seminis consistent en effet à intervenir pour le refroidissement à travers l’alimentation et l’application locale de compresses)33. La Summa sylvestrina consacre elle aussi une entrée à la pollutio, en ajoutant une section à l’entrée eucharistia où la question se posait encore une fois par rapport à la position du prêtre pour l’administration du sacrement, laquelle exigeait son intégrité psychosomatique. Mazzolini exposait tout d’abord les causes dont la première est extrinsèque et spirituelle : il s’agit de l’illusion produite par les démons qui peuvent déchaîner les phantasmata,

29 30 31 32 33

M. Turrini, « La confessione… », art. cit., p. 530. Scorrano. Le visite pastorali…, op. cit., p. 151-161. T. De Vio, Summula de peccatis, Lyon, apud Iacobum Giuncti, 1539, f. 179v-180r. A. da Chivasso, Summa angelica, sub voce pollutio, sl., sd., f. CCXXXv. Par exemple la Collectio salernitana, éd. S. De Renzi, t. 2, Naples, Tipografia del Filiatre Sebezio, 1853, p. 326.

héRéSIES Du coRPS MAScuLIn

c’est-à-dire – dans la vulgate psychologique d’origine aristotélico-thomiste – le produit de la faculté imaginative34. La deuxième cause est encore de nature spiri­ tuelle mais intrinsèque, elle dérive donc de l’intérieur du sujet comme un certain type de pensée. Dans la Summa sylvestrina, elle est suivie des causes corporelles : superfluité (une surabondance humorale due à la concoction de la nourriture qui produit le sang), faiblesse de la nature ou excès de nourriture et de boissons. Dans toutes ces causes, l’élément du consentement décide de la nature vénielle ou mortelle du péché, ou de l’absence de faute. Si par méchanceté les démons veulent empêcher la communion sans qu’on ne les entrave, ou si une pensée lascive intervient et qu’on lui donne sciemment libre cours, la pollutio est mortelle. La maladie par contre est innocente quand le sang et la semence (qui est de la même nature que le précédent) s’écoulent par une cause naturelle, sans aucune intervention démoniaque ou impulsion de la pensée. Dans chaque cas, l’équilibre psychosomatique est déstabilisé par un état de débilitation tel qu’il interdit aux prêtres de célébrer et, à tous, de recevoir l’eucharistie pendant 24 heures, le temps réputé nécessaire à la nature deordinata pour se remettre en ordre (c’est-à-dire, suppose-t-on, pour rétablir l’emprise des facultés rationnelles sur les facultés organiques)35. C’est l’opinion de Thomas d’Aquin rappelée par Mazzolini. Mais il l’atténue et concède à qui, par exemple, se confesse avec contrition de recevoir la communion le jour suivant la pollutio nocturne36. Et se confesser pour pouvoir recevoir l’eucharistie est ce que Giovanni Battista s’empressa de faire, recevant une réponse alignée sur un sens commun de la morale courante : sans consentement, pas de péché.

4. L’élément diabolique D’après l’interrogatoire de Bisceglie parvenu à Rome pourtant, ce principe n’est pas reconduit par les confrères de Giovanni Battista aux auteurs classiques des textes pour la confession, mais à un texte tout aussi populaire, cette fois-ci à l’usage des exorcistes : le Flagellum daemonum du dominicain Gerolamo Menghi 34 Pour une synthèse explicative, voir les articles dans C. B. Schmitt (dir.), Q. Skinner et E. Kessler (éd.), The Cambridge History of Renaissance Philosophy, Cambridge-New York, Cambridge University Press, 1988, en particulier K. Park et E. Kessler, « The Concept of Psychology », p. 455-463 ; K. Park, « The Organic Soul », p. 464-484 ; E. Kessler, « The Intellective Soul », p. 485-534. 35 S. da Prierio, Summae sylvestrinae, quae merito summa summarum nuncupatur, pars prima, Venise, apud Fabium et Augustinum Zopinum, 1581, sub voce « Eucharistia », cap. 3, § 10, f. 161v. Voir J. A. Brundage, Law, Sex, and Christian Society in Medieval Europe, Chicago, University of Chicago Press, 1990, p. 92. 36 Id., Summae sylvestrinae, quae merito summa summarum nuncupatur, pars secunda, Venise, apud haeredes Petri Dehichini, 1587, sub voce « pollutio » f. 234r-v. Dans le texte à l’empreinte de Bonaventure du capucin G. da Brescia, Palladium theologicum, 7 vol., Lyon, Sumptibus Laurenti Arnaud, Petri Borde, Ioan et Petri Arnaud, 1676, V, disp. 2, q. 3, subdubit. 4, p. 632, la casistique se multiplie et s’adoucit grâce au principe de la parvitas materiae qui permet de juger l’acte vénérien sur la base de l’intensité de la delectatio qui l’accompagne.

203

204

fERnAnDA ALfIERI

(1529-1609). Cette citation, et son caractère significatif sur lequel nous revien­ drons, semble laisser entrevoir entre temps un penchant des intéressés pour une lecture surnaturelle de la réalité qui ne fait certes pas exception dans le cadre des sensibilités de l’époque et de l’usage des ordres religieux soulignés par l’historiographie italienne37, ni dans le cadre local et ni même dans l’histoire de l’ordre capucin. Bien que les constitutions de 1552 recommandent que « nul frère ne s’entremette à chasser ou à conjurer les esprits38 », la congrégation romaine des évêques et des réguliers continuera dans les décennies suivantes à recevoir des membres de l’ordre des demandes d’autorisation à pratiquer des exorcismes39 et les mémoires capucines regorgent de prodigieuses débâcles de démons, racontées dans les chroniques à des fins apologétiques, pour confirmer les dons charisma­ tiques des protagonistes. D’après un compte-rendu des années 1630, Francesco da Vicenza avait libéré un « homme dit messire Girolamo, opprimé par dix mille démons40 ». Ces années-là Lorenzo da Brindisi, ambassadeur du Saint-Siège à Munich, s’était occupé avec succès des démons de la duchesse de Bavière41. Les démons entraient parfois au couvent à travers des laïcs cherchant de l’aide. C’était arrivé à Paderborn en 1616, quand le gardien Constantin de Barbanson, renommé pour son charisme, avait accueilli un certain Conrad, « possédé par une légion, c’est-à-dire par six mille six cent soixante six démons ». Constantin les chassa tous, sauf un nommé Withegan « qui resta […] l’espace d’une année entière », bouleversant grandement le couvent42. Mais les membres de l’Ordre pouvaient en être eux-mêmes les victimes. Ce fut ce qui arriva dans la province flamande au cours des deux dernières décennies du xvie siècle quand de « nombreux novices et profès furent molestés de bien des façons par des démons qui leur apparaissaient sous des formes diverses et cherchaient surtout à les effrayer par leur aspect menaçant43 ». Dans les chroniques capucines en somme, le démon n’était pas vraiment une présence extraordinaire. Ceci contribue aussi à expliquer pourquoi, quand Giovanni Battista avait raconté ses tourments au père définiteur Domenico da Francavilla, ce dernier avait soupçonné « chose diabolique » et l’avait exorcisé : « il me fit agenouiller dans sa chambre – raconta Giovanni Battista – il me récita

37 Pour une vue d’ensemble, je renvoie à V. Lavenia, art. « Esorcismo », in Dizionario storico dell’Inquisizione…, op. cit., t. 2, p. 549-554. 38 I frati cappuccini…, op. cit., t. 1, p. 476. 39 V. Criscuolo (éd.), I cappuccini e la Congregazione romana dei vescovi e dei regolari, t. 9 : 1630-40, Rome, Istituto storico dei cappuccini, 2004, par exemple p. 385 et p. 484. 40 I frati cappuccini…, op. cit., t. 3/2, p. 3875. Sur Francesco da Vicenza, prédicateur célèbre, voir sub voce C. Scarpa, in Dizionario Biografico degli Italiani, t. 50, Rome, Istituto dell’Enciclopedia Italiana, 1998, p. 37-38. 41 I frati cappuccini…, op. cit., t. 4, p. 1239. Sur la vie de Lorenzo da Brindisi, canonisé en 1881 et proclamé docteur de l’Église en 1959, voir sub voce D. Busolini in ibid., t. 66, 2006, p. 64-67. 42 I frati cappuccini…, op. cit., t. 4, p. 1539. 43 Ibid., p. 457 ; en 1646, un frère agonisant fut possédé au monastère de Grottaglie, également dans la province capucine des Pouilles, voir di Napoli, Secundum regulam ex eleemosinis, p. 62.

héRéSIES Du coRPS MAScuLIn

l’Evangile de l’In principio, et durant le dit de l’Evangile il me vint un grand tremblement et me demandant “Qui es tu?” le démon répondit avec ma langue “Un vagabond44” » (transversalité des manifestations du démoniaque au-delà du genre, du temps, du lieu : quelques décennies auparavant, était apparu à Venise à sœur Mansueta « un homme barbu qui se faisait appeler “l’Esseulé” » ; la femme affirmait subir en son corps ses visites répétées, dont les effets se percevaient distinctement45). Le « vagabond » fut interrogé comme il se doit sur les raisons de sa présence dans le corps de Giovanni Battista, et la réponse fut « à cause d’un maléfice fait dans les terres de Casarano », lieu de sa première manifestation. Il en serait parti le jour de sainte Anne. Entre temps le père Domenico avait rassuré Giovanni Battista, qu’il aille « allègrement » en se contentant « de ce que Dieu voulait46 ». L’exorciste, destiné à devenir peu après le provincial47, n’était pas connu pour ses positions douces en matière de péchés du sens. Dans ses pré­ dications, recueillies quelques années plus tard en volume sous le titre éloquent Ultimi colpi al cuore de’ peccatori (« Derniers coups au cœur des pécheurs », une dramatisation sentimentale et fantastique fréquente chez les orateurs religieux de l’époque)48, il introduisait la section de son sermon sur Isaïe 59, 17 dédiée « au vice du sens » qui « est la chose la plus pestiférée qui soit » : « Quelle puanteur, oh, quelle fétidité ! Oh, quelle dégoûtante exhalaison de viande putride et moisie jusqu’au plus infime degré de corruption pestiférée ! Elle pue vraiment l’enfer49 ! » Pourtant Giovanni Battista n’avait pas semblé à l’austère Francavilla mériter un reproche, étant donnée son absence (tout du moins déclarée) de participation volontaire. Mais les tourments n’avaient pas abandonné le corps du frère, ni sa conscience. Le voilà donc qui s’adresse à un autre confrère, Francesco da Galimera qui l’invite lui aussi à la patience, à supporter cette « infirmité que Dieu béni nous envoie50 ». Derrière les tourments qui affligeaient le frère, qu’ils fussent d’origine naturelle ou démoniaque, il y avait dans tous les cas une volonté divine à laquelle le sujet ne pouvait opposer aucune résistance. À Giovanni Battista déchiré par les scrupules, deux autres confrères, frère Francesco da Massafra et frère Gerolamo da Martina Franca51, avaient alors « montré un livre qui s’appelait Flagellum Daemonum ». Il

44 ACDF, S.O., St. St. O 1 l, fasc. 13, ff. n. nn.; S.O., St. St. UV6, f. 358v. 45 G. Dall’Olio, « Usi giudiziari della possessione e dell’esorcismo », in D. Corsi et M. Duni, « Non lasciar vivere la malefica ». Le streghe nei trattati e nei processi (secoli xiv-xvii), Florence, Firenze University Press, 2008, p. 197-212, ici p. 212. 46 ACDF, S.O., St. St. O 1 l, fasc. 13, ff. n. nn.; S.O., St. St. UV6, f. 358v. 47 Domenico da Francavilla, mort en 1607, fut définiteur et deux fois provincial ; A. da Stigliano, Necrologio dei frati minori cappuccini di Puglia, Bari, L’Aurora Serafica, 1943, p. 238. 48 G. Ingegneri (éd.), La predicazione cappuccina nel Seicento. Atti del convegno internazionale di studi dei bibliotecari cappuccini italiani, Assisi, 26-28 settembre 1996, Rome, Istituto storico dei cappuccini, 1997. 49 D. da Francavilla, Ultimi colpi al cuore de’ peccatori, da darsi con quaranta sermoni declamatorii, nell’esercitio delle Quarant’hore, Venise, appresso Andrea Poletti, 1694, p. 95. 50 ACDF, S.O., St. St. O 1 l, fasc. 13, ff. n. nn.; S.O., St. St. UV6, f. 359r. 51 Aucune information sur les deux frères dans A. da Stigliano, Necrologio…, op. cit.

205

206

fERnAnDA ALfIERI

aurait dit que « le démon exerçait son emprise sur tout le corps de la créature », raison pour laquelle les « actes obscènes » (au dehors de la scène idéale du corps sous contrôle) étaient complètement étrangers à la responsabilité de Giovanni Battista. Un double problème émerge dans ce va-et-vient de confessions, exorcismes et consultations. D’une part, le contrôle des pratiques d’exorcisme et en particu­ lier des textes les concernant : quelles références sont à considérer pleinement orthodoxes et qui, à quel titre, peut les interpréter et les appliquer? De l’autre, le contrôle de l’agir moral des obsédés. Le premier est un problème de discipline de l’exorcisme, le second un problème de discipline des sujets interprétés comme harcelés. Une pluralité de juridictions (Congrégation des évêques et des réguliers, Saint-Office, ordinaires locaux), entre poussées contradictoires et complicité des pouvoirs, avait rendu inefficaces les tentatives, faites ici et là à partir de la seconde moitié du xvie siècle, de règlementer la pratique exorciste. On le sait, un premier Rituale qui offrait la procédure exacte entre formules et actes avait été composé dans les années Quatre-vingts mais n’avait pas été promulgué officiellement. Ce n’est qu’en 1614 que le Rituale romanum voulu par Paul V fournit un texte de référence, dont la diffusion ne met pas terme à la production de manuels fortement liés à l’expérience personnelle des auteurs, des exorcistes détenteurs d’un savoir aussi empirique qu’en puissance augmentable et variable à l’infini (une caractéristique qui évoque la prolifération, à la même époque, des textes de confesseurs pour la discipline des âmes)52. Ces années-là, la Congrégation des évêques et des réguliers mettait au point une liste de décrets visant à réglementer l’activité des exorcistes quant au temps et à l’espace (durée, publicité) et aux rapports avec les exorcisés (le problème entrecroisait souvent le danger de dévier vers des abus sexuels). Mais les foyers de possession qui s’allumaient tout au long de la péninsule, parfois fomentés par les exorcistes mêmes, n’avaient pas pour solution une action de discipline structurée. Ils étaient éteints par des mesures ad hoc et avec une sévérité souvent tempérée par l’action des pouvoirs locaux. Ce n’est que dans la première décennie du xviiie siècle, plus de vingt ans après le cas du frère Giovanni Battista, que les interventions de censure inquisitoriale sur la littérature à l’usage des exorcistes deviennent explicites et structurées. Le Flagellum daemonum, utilisé par les confrères de Giovanni Battista moins pour l’exorciser que pour calmer ses inquiétudes (et peut-être les leurs) sera mis à l’Index en 1704. Et le cas du capucin de Galatone, parmi d’autres, avait contribué à signaler aux autorités l’urgence d’adopter des mesures53. Quant à la question de la responsabilité morale des obsédés, le harcèlement diabolique prouvé par l’exorciste pouvait en impliquer une diminution et par

52 M. Turrini, La coscienza e le leggi. Morale e diritto nei testi per la confessione della prima Età moderna, Bologne, il Mulino, 1991. 53 V. Lavenia, « Tenere i malefici per cosa vera… », art. cit. ; id., « Esorcismo », art. cit. ; id., « Menghi, Girolamo », in Dizionario storico dell’Inquisizione…, op. cit., p. 1022-1021.

héRéSIES Du coRPS MAScuLIn

conséquent une atténuation de la peine54. La « montagnarde » qui, « avec les esprits attachés à elle […] un jour prenant un petit enfant couché dans son berceau, le tua et puis le porta mort à son mari » échappa à la condamnation à mort55. L’adolescente accusée de pratiques magiques dans un couvent de Bologne fut soustraite, au contraire de ses consœurs, au procès pour sorcellerie à cause des « signes qu’elle donna d’être possédée en faisant des sauts de deux bras de haut56 ». Mais si l’argument déresponsabilisant de la présence diabolique pouvait fonctionner dans le jugement de crimes contre les personnes, que faire des infractions qui concernent le rapport de l’individu avec un corps qui lui doit obéissance ? Comment configurer sa responsabilité ?

5. Violence Comme nous l’avions annoncé, la lecture des pollutions involontaires comme « violence » infligée par le diable revient souvent dans les dossiers recueillis à Bisceglie. La source adoptée par les confrères Giovanni Battista pour expliquer cette emprise autorisée est, nous l’avons vu, le Flagellum Daemonum où je n’ai pourtant pas trouvé un passage qui explicite ce concept. Par contre il y a une section dédiée à la question praelatio daemonum est a Deo (« la prévarication des démons est accordée par Dieu ») dans l’introduction doctrinale d’un autre ouvrage de Menghi, le Fustis daemonum (1584)57. En considérant d’autres textes qui circulaient à l’époque, on s’aperçoit que le thème de la violence et de son origine en dernière instance divine est souvent traité. Dans le premier tome de l’Alexicacon du bergamasque Candido Brugnoli (1607-1668, texte à la limite de l’hétérodoxie publié à Venise en 1668, quoique moins controversé que l’autre Manuale pour exorcistes du même auteur, mis à l’Index 1727), à la section dédiée aux causes diaboliques du maléfice (qui à son tour peut être la cause d’une possession, comme le soutenaient aussi les exorcistes de Giovanni Battista), on trouve une liste des modalités à travers lesquelles le démon peut harceler les hommes, en les tenant liés et opprimés violemment58 : dans l’esprit des hommes et des femmes qui veillent la nuit, les démons insinuent des pensées impures ; dans la chair de ceux qui dorment, ils insinuent des rêves immondes en suscitant des réactions physiques incontrôlées. Ils peuvent faire apparaître des plaies, tordre

54 G. Dall’Olio, « Usi giudiziari… », op. cit. 55 G. Menghi, Parte seconda del Compendio dell’arte essorcistica, Venise, appresso Georgio Varisco, 1601, p. 615-616, cité par G. Dall’Olio, « Usi giudiziari… », art. cit., p. 195. 56 G. Menghi, Parte seconda…, op. cit., p. 594-597, cité par G. Dall’Olio, « Usi giudiziari… », art. cit., p. 206. 57 Edition consultée : G. Menghi, Fustis daemonum, adiurationes formidabiles, potentissimas et efficaces in malignos spiritus fugandos de oppressis corporibus humanis […] complectens, Venise, apud Paulum Balleunium, 1697, cap. 6, p. 14. 58 Edition consultée : C. Brugnoli, Alexicacon, hoc est de maleficiis, ac morbis maleficis cognoscendis, t. 1, Venise, apud Nicolaum Pezzana, 1714, p. 243.

207

208

fERnAnDA ALfIERI

les membres, aiguillonner, réveiller en sursaut. La gamme des tourments et de leurs conséquences est ample : de la tentation charnelle au malaise physique et à l’hallucination, ce qui caractérise le tout comme « violent » ne semble pas le degré de harcèlement subi, mais le degré de non volonté à la base de ces phénomènes. Tout cela peut en effet arriver en dépit des intentions du sujet. Brugnoli, toujours lui, explique que la disponibilité du sujet à l’infiltration de l’esprit malin dans son corps n’est pas nécessaire, il est suffisant que Dieu le permette. Alors, outre les harcèlements déjà cités, il peut arriver que les veines du corps soient obstruées, que les humeurs soient mises sans dessus dessous60. Comme anticipé toutefois, ce que l’archevêque de Bari Tommaso Ruffo – qui exorcisa Giovanni Battista d’abord et en écrivit à Rome ensuite – lisait entre les lignes des affirmations du frère et des confrères qu’il avait consultés, était le signal d’une adhésion à l’hérésie quiétiste. L’écho des propositions extraites des écrits de Molinos – condamnées par Innocent XI dans la bulle Coelestis Pastor du 20 novembre 1687 – retentissait encore, en particulier la proposition no 41 : Deus permittit et vult ad nos humiliandos et ad veram transformationem perducendos, quod in aliquibus animis perfectis […] daemon violentiam inferat earum corporibus, easque actus carnales committere faciat […] movendo physice illarum manus et alia membra contra earum voluntatem. Et idem dicitur quoad alios actus per se peccaminosos : in quo casu non sunt peccata, quia his non adest consensus60. [Dieu permet et veut, pour nous humilier et nous conduire à la vraie transformation, que dans certaines âmes parfaites le diable fasse violence à leur corps, et leur fasse commettre des actes charnels. Il en va de même pour d'autres actes pécheurs en soi, auquel cas ils ne sont pas des péchés à moins qu'il y ait consentement.] La violence permise par Dieu, les mains qui bougent « physiquement » contre la volonté, l’absence de consentement qui rend les actes charnels dénués de péché. Aux dossiers recueillis par l’évêque de Bisceglie et envoyés à Rome il man­ quait toutefois un encadrement mystique : l’âme de frère Giovanni Battista n’était pas rendue plus sainte par les tribulations que le corps subissait, mise à l’épreuve pour se transformer et produire, enfin, une union avec Dieu. L’âme de Giovanni Battista n’était pas problématisée. Au centre il y avait son corps et la crainte que l’on puisse de quelque façon excuser sa physiologie. C’est peut-être pourquoi les qualificateurs romains qui examinèrent les dossiers du procès jugèrent les prépositions extraites « proches de l’hérésie » et de plus téméraires, scandaleuses, erronées, blasphèmes et in praxi totius christianae disciplinae relaxativae (« capable d'affaiblir toute discipline chrétienne dans la pratique »). Giovanni Battista, que

59 F. Lombardi, Compendio cronologico…, op. cit., p. 199. 60 H. Denzinger, Enchiridion symbolorum et definitionum quae in rebus fidei et morum a conciliis oecumenicis et summis pontificibus emanarunt, Wirceburgi, sumptibus Stahelianis, 1854, p. 273.

héRéSIES Du coRPS MAScuLIn

l’avocat de la défense avait cherché de démontrer sinon « fou61 », du moins igno­ rant et mal conseillé, abjura de vehementi (l’abjuration réservée aux hérétiques), fut soumis à des pénitences salutaires et libéré de la prison de Bisceglie. Ses confrères qui en avaient approuvé les opinions, furent avertis de s’abstenir de discours semblables. Nous ne savons pas si Giovanni Battista eut d’autres « représentations de Femmes » ni les arguments peut-être utilisés pour tenter de contenir ses inquié­ tudes une fois le silence imposé à l’échange d’opinions entre confrères. Tandis que le procès arrivait à son terme, une autre urgence – de nature ni doctrinale ni disciplinaire, cette fois-ci – s’apprêtait à ébranler la province. De nouveau, les capucins et leurs corps à contrôler et à contenir en seraient le centre. En mars 1691, sur le cadavre d’un frère laïque du couvent de Bari le médecin avait trouvé « une petite glande […] qui ressemblait à un début de bubon62 ». Les autorités firent enterrer le cadavre dans la chaux vive, brûler les choses avec lesquelles il était entré en contact et mirent la communauté toute entière en quarantaine, soupçonnant que le foyer de la maladie se trouvait là. Les signes apparus peu après sur le corps d’un autre frère confirmèrent que la peste était vraiment entrée au couvent. Un confrère épouvanté s’en était enfuit une nuit, comptant sur l’aide de deux complices de l’autre côté de l’enceinte. Les autorités avaient donné l’alarme et publié un ban qui obligeait quiconque rencontrait le fuyard à le dénoncer, craignant que le capucin n’apporte la peste dans la ville de Bari. Elles finirent par le trouver en ville, en effet. Le frère s’était réfugié dans le palais de l’archevêque, pour essayer peut-être de conjurer la contagion grâce aux pouvoirs de Ruffo qui dans le passé avait tant de fois guéri les maux de l’âme et du corps. On ne sait si la rencontre a eu lieu. Quoi qu’il en soit, au mois d’avril l’archevêque mourait lui aussi, « laissant la ville en proie aux soupçons de la mortalité contagieuse63 ».

61 ACDF, S.O., St. St. O 1l, fasc. 13, ff. n. nn. ; S.O., St. St. UV6, f. 366v. 62 F. De Arrieta, Ragguaglio historico del contaggio occorso ne la provincia di Bari ne gli anni 1690, 1691 e 1692, Naples, Parrino, 1694, cap. 27, p. 124-127. Voir aussi V. L’Abbate, La peste in Terra di Bari 1690-1692. Cronaca e documenti, Fasano, Schena, 1992. Je remercie Biagio Salvemini de me l’avoir signalé. 63 Compendio cronologico, op. cit., p. 166.

209

TInE VAn OSSELAER, LEOnARDO ROSSI AnD kRISTOf SmEyERS  

Fates and faiths intertwined Clergymen and mystical women in nineteenth- and twentieth‑century Europe

I. Introduction Side by side: Louise Lateau and Father Niels

Present-day visitors to the former cemetery of Bois-d’Haine, a small village in Belgium, will not fail to notice the impressive grave against the church wall. While several names are mentioned on the gravestone, the most important one, which explains the grave’s position so close to the church, is Anne Louise Lateau (1850-1883). She was one of the best-known stigmatics of her time. Louise Lateau bore the wounds of Christ from 1868 until her death in 1883, attracting the attention of many people during that period. Visited by thousands, discussed by the international press and examined by medical experts, Lateau remained in the public eye throughout her life and in the hearts of the faithful after her death. Lateau’s grave is one of the few to be preserved after the cemetery was abandoned, but not the only one. If you take a step back and turn to the right, you will find the grave of the man who helped Lateau achieve her saintly status, supporting her case from the moment he first heard of it: the parish priest Father Niels (1823-1890). For years he kept a diary, recording the most important visitors and events, as well as copying all the letters he received concerning his famous parishioner. It seems only appropriate that he is by her side in death as well1. This article addresses the interaction between modern mystical women and the men by their side – the male clergy – who were often their parish priest, father confessor and/or spiritual guide. We examine what happened when the traditional religious authority of the male clergy was put to the test by the enthusiasm developing around a mystical woman who also claimed to speak with a certain authority. We address the impact that the presence of such a mystic could have on the self-presentation and descriptions of the clergy facing this challenge. 1 Archives of the Seminary of Tournai, Louise Lateau, G.11. Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 211-232. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131600 This is an open access article made available under a CC By 4.0 International License.

212

TInE vAn oSSELAER, LEonARDo RoSSI AnD kRISTof SMEyERS

We pay attention to the gendered nature of the discourse, the different forms of co-existence that developed (ignoration, conflict and collaboration), and the effect these had on the careers and lives of the clergy involved. Moreover, we believe that it is more fruitful to think beyond a binary relationship between clergyman and stigmatic; rather than refer to control and emancipation, we prefer to speak about the responsibilities between the different parties. We will draw on works studying the interaction between the male clergy and their female parishioners, the clergy as spiritual guides (primarily of elite women), and the gendered nature of their relationship2. Scholars such as Dominique-Marie Dauzet have, for example, focused explicitly on mystical women and ‘masculine coaching’3. However, in contrast to Dauzet, we will not study the correspondence between the clergy and their spiritual daughters – or their spiritual diaries – but focus on the broader response to these sometimes harmonious or sometimes broken relationships. It is important to note that many of the stigmatics we will mention were part of a new trend identified by Nicole Priesching and others: lay women who were visible to and commented on by all4. Some cases involving religious women in a cloister setting that became well-known will be included in the analysis. The visibility and notoriety of both the lay and religious cases resulted in an exceptional set of sources produced at the level of local communi­ ties (e.g. parish, cloister, and village), which commented on the events and the behaviour of those involved. In some cases, the story was also taken up by the national and international press. As we will see, the gendered images adopted by newspaper articles were often similar to those we know from studies of European anti-clericalism5. Below, we will address cases from various European countries spanning almost a century and a half. We are well aware that each case has a local dynamic, but we hope that by bringing these cases together we can point out some similarities. First, we will present our main characters; the following sections briefly introduce the male clergy and the female mystics; subsequently we will explain why they were – at times – an equal match for each other.

2 See, for example, K. E. Gedge, Without Benefit of Clergy. Women and the Pastoral Relationship in Nineteenth-Century American Culture, Oxford, Oxford University Press, 2003; A. Douglas, The Feminization of American Culture, New York, Knopf, 1977; C. Muller, Au plus près des âmes et des corps. Une histoire intime des catholiques au xixe siècle, Paris, Presses universitaires de France, 2019. 3 D.-M Dauzet, ‘Mystique féminine, coaching masculin. La direction de conscience en débat’, in A. Cova and B. Dumons (ed.), Femmes, genre et Catholicisme. Nouvelles recherches, nouveaux objets, France, xixe-xxe siècles, special issue of Chrétiens et Sociétés. Documents et Mémoires, 17 (2012), p. 57-67. See also the work of Nicole Priesching on the father confessor of Maria von Mörl: N. Priesching, Unter der Geissel Gottes. Das Leiden der stigmatisierten Maria von Mörl (1812-1868) im Urteil ihres Beichtvaters, Brixen, Weger, 2007. 4 N. Priesching, ‘Mystikerinnen des 19. Jahrhunderts- ein neuer Typus?’, in W. Pulz (ed.), Zwischen Himmel und Erde. Körperliche Zeichen der Heiligkeit, Stuttgart, Steiner, 2012, p. 79-97. 5 P. Airiau, ‘La virilité du prêtre’, in G. Vigarello (ed.), Histoire de la virilité, t. 1 : L’invention de la virilité de l’Antiquité aux Lumières, Paris, Edition du Seuil, 2011, p. 242.

fATES AnD fAIThS InTERTwInED

The clergy

Scholars working on modern mystical phenomena such as Marian apparitions and stigmata have frequently pointed out the important role the clergy played in promoting the events. Such studies suggest that while the visionaries, stigmatics, and miraculés lacked the social status required to have their voices heard, the clergy could speak with a certain authority and their voices also reached further afield6. Similarly, in studies of women mystics, their relationship with their clerical supervisors is described precisely as one of supervision and management7. In other words, the relationship between the male clergy and the female mystic is often cast in hierarchical terms, parallel to the hierarchical order upheld by the Catholic Church. According to this order, the parish priest must supervise and guide his parishioners, with the spiritual guide and father confessor assisting the souls under their supervision to continue along the right path. The clerical images linked to this supervisory task emphasize and confirm the hierarchical order as well as the ideals and ideas of masculinity of the time. As Marit Monteiro has pointed out, in the late nineteenth century, ‘typologies of clerical authority and clerical masculinities were moulded into the secular, patriar­ chal mode of masculinity of lay bourgeois men as dedicated, decisive husbands and fathers’8. In this regard, she adds, the imagery of the Catholic clergy seems to have been similar to that in Protestant traditions. Equipped with ratio, logic, and strength (at least according to the predominant gender ideals of the time), these men aimed to be the shepherds or heads of the communities under their supervision9. Mystical phenomena were, of course, events quite beyond the ordinary. When we take a closer look at the reports of stigmatization, it becomes clear that the period between 1800 and 1950 was the ‘golden age’ of stigmatics10, with no fewer than 245 cases reported in the countries we studied11. These reports also affected the careers of the clergy, not least because many of these modern stigmatics

6 E. Badone, ‘Echoes from Kerizinen: Pilgrimage, Narrative, and the Construction of Sacred History at a Marian shrine in northwestern France’, Journal of the Royal Anthropological Institute, 13, 2007, p. 453-470, here at p. 465. 7 On male clerical support, see N. Priesching, ‘Mystikerinnen…’, art. cit., p. 83-84. As managers and ghostwriters, see P. Kane, Sister Thorn and Catholic Mysticism in Modern America, Chapel Hill, University of North Carolina, 2013, p. 120. 8 M. Monteiro, ‘Repertoires of Catholic Manliness in the Netherlands (1850-1940). A case study of the Dutch Dominicans’, in P. Pasture et al. Gender and Christianity in Modern Europe, Leuven, Leuven University Press, 2012, p. 137-155, here at p. 146. 9 T. Van Osselaer, The Pious Sex. Catholic Constructions of Masculinity and Femininity in Belgium, c. 1800-1940, Leuven, Leuven University Press, 2013, p. 10-12. 10 E. Pahud de Mortanges, ‘Irre – Gauklerin – Heilige? Inszenierung und Instrumentalisierung frommer Frauen im Katholizismus des 19. Jahrhunderts’, Schweizerische Zeitschrift für Religions- und Kulturgeschichte, 100 (2006), p. 203-225, here at p. 203. 11 T. Van Osselaer et al., The Devotion and Promotion of Stigmatics in Europe, c.1800-1950. Between Saints and Celebrities, Leiden-Boston, Brill, 2021, p. 18.

213

214

TInE vAn oSSELAER, LEonARDo RoSSI AnD kRISTof SMEyERS

displayed the visible wounds of Christ (rather than the invisible stigmata), thereby attracting the faithful and curious who were eager to see the ‘miracle’ with their own eyes. A parish priest thus needed to be prepared for the hundreds or even thousands (e.g. in the case of Louise Lateau) of people who travelled to see a parishioner suffering Christ’s Passion on Fridays. Moreover, discussions about the authenticity of the phenomenon could divide a parish or heighten the opposition between different denominations. Similar scenarios developed in cloisters where stigmata were reported, apparently singling out a specific woman for a slightly different life than that of her fellow nuns. The parish priest would have been responsible for finding out what was going on. In the nineteenth and early twentieth centuries, four possible explanations of such mystical epiphenomena were considered: 1 Fraud, in such a case, the sooner it was discovered the better, with punishment and denunciation of the culprits carried out at the parish level. A telling example is the ‘miracle girl’ Anne Marie Kinker from Borgloh, in Niedersach­ sen, Germany. When it became clear, in 1799, that she and her brother had collaborated in an elaborate scheme to make everyone believe that Kinker did not eat and carried the stigmata, her brother was sentenced by the Gogericht to a beating on his bare back, while Kinker was sent to a Zuchthaus in Osnabrück. Upon her return, she had to stand beside her parish church for an hour holding a sign stating, ‘I am a fraud’12. 2 Diabolic intervention also had to be considered. In some cases, priests asked for an exorcism to be performed and for permission from the episcopal authorities, such as with the German Viktoria Hecht, from Wolpertswende, and Anna Perschl, from Palling, in 184013. 3 Whereas a diagnosis of ‘hysteria’ was something best left to the medical experts, the clergy of the nineteenth and early twentieth centuries were well aware of explanations of illness. In letters to their bishops or vicars general, they did not shy away from using the word, while minimizing the importance of the phenomena reported in the parishes or cloisters under their supervi­ sion. 4 Finally, if they were convinced of the authenticity of the divine intervention, the clergy often became some of the most fervent promotors of their parish­ ioners. Father Niels, for example, wrote numerous letters defending Louise Lateau and, after her death, published a booklet defending her role in an affair concerning the former bishop of his diocese. Father Niels also signed devotional cards that had a drop of Lateau’s blood on them, verifying that it 12 M. Fiegert, Kranke, Betrügerin oder Wundermädchen? Die Geschichte der Anne Marie Kienker aus Eppendorf bei Brogloh im Fürstbistum Osnabrück. Texte von Ludwig Schmidtmann und Justus Gruner, Osnabrück, Landkreis Osnabrück, 2001. 13 S. Pappelau, Viktoria Hecht. Stigmatisierte Dulderin von Wolpertswende 1840-1890, Lindenberg, Kunstverlag Josef Fink, 2010; B. Gisibl, Frömmigkeit, Hysterie und Schwärmerei, Frankfurt-am-Main, Peter Lang, 2004, p. 59-60.

fATES AnD fAIThS InTERTwInED

was indeed the stigmatic’s blood and thus authenticating them as a relic. He also helped to distribute these cards among the faithful. The parish priest did not have to carry the burden of this responsibility on his own. In many cases, if the phenomenon continued for more than a week, the clergymen would write to their superiors: their bishop or provincial (the head of the province). The latter could take charge of the situation by organizing commissions, for example, but also by monitoring the behaviour of the clergy involved. Over-enthusiasm could be tempered by denying the local priest access to the stigmatic or by forbidding him to administer the holy host (e.g. if the stigmatic was bedridden). Often, however, superiors primarily asked for updates on the situation, the number of visitors, the impact on the local population and more background information about the stigmatics. Sometimes the parish priests were asked to communicate the episcopal guidelines from the pulpit (the best way to reach all parishioners and to ensure that there was no misunderstanding about what the bishop thought of the events) or to ensure that their orders were observed (e.g. forbidding visits). As we will see, obeying the bishop or other superiors was also of importance to the clergy themselves. Their enthusiasm and personal convictions could cloud their judgement, and in binding their fate to that of a dubious stigmatic they could jeopardize their career. Not all of them ended up lying in close proximity to their stigmatic in a cemetery – nor did they want to. The stigmatics

The large majority of stigmatics were women. Historians have linked the high number of female mystics in this period (including visionaries, etc.) to what has been called the ‘feminization’ of religion – religion coming to be perceived predominantly as a woman’s preoccupation14. Moreover, even if to display the stigmata was to imitate a male body, the high number of female stigmatics made sense, for in this period of increasing gender polarization, men were associated with the rational mind while women were linked to the non-rational body. Women were thus, as Otto Weiß has noted, ‘mehr als der Mann dazu geschaffen, das Christsein in ihrem Körper zu verwirklichen’15. Furthermore, ideals of suffer­ ing and femininity also converged in this era: the ideal woman was seen as some­ one who was willing to sacrifice herself for others. The physical and emotional pain from which the stigmatics suffered was seen to serve a higher goal: they were atoning for the sins of others and/or society in general. In other words, their

14 N. Priesching, Maria von Mörl (1812-1868). Leben und Bedeutung einer ‘Stigmatisierten Jungfrau’ aus Tirol im Kontext ultramontaner Frömmigkeit, Brixen, A. Weger, 2004, p. 28. 15 O. Weiß, art. ‘Stigmata’, in H. Wolf (ed.), ‘Wahre’ und ‘falsche’ Heiligkeit. Mystik, Macht und Geschlechterrollen im Katholizismus des 19. Jahrhunderts, Oldenburg, De Gruyter, 2013, p. 111-125, here at p. 119.

215

216

TInE vAn oSSELAER, LEonARDo RoSSI AnD kRISTof SMEyERS

suffering as ‘heroic victims’ was ‘productive’16. One telling example that illustrates the productive nature of the pain and suffering concerns an Alsatian stigmatic in Ochsenfeld, Germany in the last quarter of the nineteenth century. Allegedly, she was singlehandedly responsible for the high number of priestly vocations in her region17. Suffering certainly did not mean passivity or powerlessness. The predominance of women among the reported cases of stigmatization made it easy to criticize and ridicule the phenomenon, as women were gener­ ally considered to be more emotional and thus more susceptible to hysteria18. As noted above, the diagnosis of hysteria was also used in clerical circles; for example, in Germany in August 1926, the bishop of Trier wrote to Dean Faber in Bickendorf about the latter’s involvement in the case of Anne Marie Göbel, warning him to keep his distance: ‘such poor sick people, who suffer under psychic neuroses and do not know how to draw the line between imagination and truth, have for many a priest sooner or later become a cross and heavy burden. Experto crede Ruperto!’19 It is thus important to note that not all stigmatics were of the same ‘type’. While some of them remained silent throughout the entire period of stigmati­ zation and ideas could be projected onto them, others found their own voice and uttered prophecies. Referring to their own suffering body – the wonderful phenomena – supported their claims to the authenticity of their ‘divine’ messages. This was in line with an older mystical tradition, in which women’s corporeal experience of the divine gave them the authority to speak20. Helena Wallraff, for example, dictated her prophecies to her spiritual guide, the Pastor of Kirdorf. He recorded these in writing and sent them to the archbishop of Cologne at

16 P. Kane, ‘“She Offered Herself up”: The Victim Soul and Victim Spirituality in Catholicism’, Church History, 71/1 (2002), p. 80-119; see also R. Burton, Holy Tears, Holy Blood. Women, Catholicism, and the Culture of Suffering in France, 1840-1970, Ithaca-London, Cornell University Press, 2005. 17 Munich, Bayerische Staatsbibliothek München, Nachlass Friedrich von Lama (1876-1944), Ana 445, letter of P. Felix Lieber, Asal 31/5/30. 18 J. Goldstein, ‘The Hysteria Diagnosis and the Politics of Anticlericalism in Late NineteenthCentury France’, The Journal of Modern History, 54 (1982), p. 209-239, here at p. 210; M. Borutta, ‘Das Andere der Moderne. Geschlecht, Sexualität und Krankheit in antikatholischen Diskursen Deutschlands und Italien (1850-1900)’, in W. Rammert et al. (ed.), Kollektive Identitäten und kulturelle Innovationen. ethnologische, soziologische und historische Studien, Leipzig, 2001, p. 59-75, here at p. 66; C. Mazzoni, Saint Hysteria. Neurosis, Mysticism, and Gender in European Culture, Ithaca, Cornell University Press, 1996, p. 8. 19 ‘Solche arme Kranke, die unter psychischen Zwangsvorstellungen stark leiden, und die Grenzlinie zwischen Einbildung und Wahrheit nicht zu ziehen vermögen, sind schon manchem Priester, früher und später, zum Kreuze und zum schweren Leiden geworden. Experto crede Ruperto!’ (Trier, Archives of the diocese of Trier, B.III.12, 10 Bd. 3a. Causa Göbel-Faber, Bickendorf, Hauptakten, April 1924April 1927, letter of the bishop of Trier to Faber, 16/8/1926). 20 N. Priesching, Maria von Mörl…, op. cit., p. 270; S. Lachapelle, ‘Between miracle and sickness: Louise Lateau and the experience of stigmata and ecstasy’, Configurations, 12 (2004), p. 77-105; M. Pagliarini, ‘“And the Word was made flesh”: Divining the female body in nineteenth-century American and Catholic culture’, Religion and American Culture: A Journal of Interpretation, 17 (2007), p. 213-245.

fATES AnD fAIThS InTERTwInED

the turn of the nineteenth century21. In other cases, the ‘messages’ also implied monitoring the clergy’s behaviour. One of the most elaborate studies of this scenario is Otto Weiß’s work on Louise Beck (1822-1879), who claimed to be in communication with the Virgin and had a significant impact on the Redemptorist Order22. Whatever the form, whether through silent suffering or being more outspoken, the stigmatics had a certain power or a task they wanted to fulfil; one in which they might need the clergy (as their assistant) or in fact wanted to help them. In other words, the relationship between the stigmatic and the clergy was far more complex than the latter merely gaining control over the former. Below, we will examine the modes of partnership and the consequences of teaming up, in particular, for male authority. We will show how, in each of the scenarios, the power balance between the two main characters hinged on constant renegotiation, even while drawing on dominant gender norms.

II. In it together Reasons for collaboration

While a state of conflict between clerical and mystical authority may seem the most likely result of the disruptive emergence of a female mystic in a parish, in practice, several forms of interdependent relationships emerged. These suggest a more positively defined but complex dynamic that is not – initially or solely – determined by conflicting interests or interesting conflicts. This dynamic devel­ oped when a clergyman chose to tie his fate to that of a mystic and collaborate with her. According to the Bavarian moral theologian and commentator Magnus Jocham (1808-1893), it was almost bon ton for a nineteenth-century Catholic priest to be able to count a visionary or other mystically inspired woman among his parishioners23. This section aims to further deconstruct the traditional depic­ tion of a one-sided gendered power relationship between an authoritative father confessor and a submissive female mystic by tracing how and why both parties worked together. It will consider the range of consequences of such collaboration for the individual clergyman, and for the legitimacy of his religious masculinity within normative frameworks of ‘hegemonic masculinity’24. The intimate nature 21 E. M. J. Heinen, Helena Wallraff von Brüggen, Pfarrei Kirdorf bei Lechenich, die merkwürdigste Seherin am Rhein, Euskirchen, Franz Kreuder-Friedrich Reel, 1849. 22 O. Weiß, Weisungen aus dem Jenseits? Der Einfluss mystizistischer Phänomene auf Ordens- und Kirchenleitungen im 19. Jahrhundert, Regensburg, Pustet, 2011. 23 Id., ‘Seherinnen und Stigmatisierte im 19. Jahrhundert’, in I. Götz v. Olenhusen (ed.), Wunderbare Erscheinungen. Frauen und katholische Frömmigkeit im 19. und 20. Jahrhundert, Paderborn, Schöningh, 1995, p. 48-78, here at p. 63; M. JOCHAM, Memoiren eines Obskuranten. Eine Selbstbiographie, Kempten, Kösel, 1896, p. 213. 24 On the complexities of ‘hegemonic masculinity’ for historians, see B. Griffin, ‘Hegemonic Masculinity as a Historical Problem’, Gender & History, 30/2 (2018), p. 1-24.

217

218

TInE vAn oSSELAER, LEonARDo RoSSI AnD kRISTof SMEyERS

of this power balance or imbalance could result in situations of friction and drive a wedge between the two figures, but this was not an inevitability. Sometimes the collaboration outlived – and outshone – the conflict and became a transformative experience for both parties. An additional aim in the following is to reconsider some of the outcomes and ‘output’ of this relationship as the fruits of mutual collaboration. A mystic woman’s diaries, for example, can be analysed based on a one-directional relation­ ship, in which the spiritual director holds the mystic’s pen or, at the very least, adds, edits, and deletes words depending on the agenda he has set out for her. This is a matter of agency, and we argue that, in certain cases, these written works were the result of a collaborative process in which both parties maintained a sense of autonomy. Central to this argument is the notion that clergyman and mystic woman were ‘in it together’ – often for worse, sometimes for better. The reasons for the clergyman choosing to work with the mystic varied and depended on the cultural, historical, and religious contexts in which a mystic woman emerged. A priest could engage out of a sense of pastoral duty and responsibility. As the caretaker of his community, he would help her ‘navigate her inner life’ in the same way he assisted other members of his parish. He might also act out of conviction, believing in the mystic’s spiritual authenticity and, as such, indeed, hoping to enhance the spiritual standing of his parish by helping her communicate her message. His motives could also be related to maintaining the power balance – his power – in his parish. By keeping the mystic close, under his paternal priestly wings, he might hope to neutralize and even control the potentially disruptive force. Alternatively, he might attempt to harness the mystic’s charismatic and popular appeal, as an instrument to enhance his own spiritual authority in the parish and beyond. These motives shaped the forms of collaboration. Forms of collaboration

Contrary to the stereotype, collaborations in which the mystic woman was subordinated to a priest who exerted complete control are very rare. In almost all cases there is an interdependent dynamic at play between two agents. The circumstances in which the collaboration began often determined its character. The clergyman and mystic woman could form an alliance against the ecclesiastical authorities, in defence of the supernatural phenomena contested by the latter – with some success. Such alliances were fragile and were often forged in moments of great vulnerability or need, for example when the mystical experience, once ‘exposed’, threatened to overwhelm the mystic herself. In such instances, because of her vulnerable position, it was easier for the priest to maintain, even strengthen, his position of clerical authority by extending his fatherly duties to her. Such was the case with Helena (1848-1931) from the village of Gonawila in the British Crown colony of Ceylon (now Sri Lanka), who was a member of the local Catholic community of illiterate pious women. When she experienced

fATES AnD fAIThS InTERTwInED

the Passion in December 1870 and subsequently claimed to be crucified every Friday, she became a popular phenomenon, attracting people from far beyond the village25. Dismayed at the sudden loss of her private life, she turned to the parish priest, Florentino Garcia, a Spanish Cistercian who ran the women’s community. Garcia became Helena’s spiritual director, first and foremost to shield her from un­ wanted public attention26. To do so, he initially suggested she go into a three-week trance: a form of passivity that he hoped would deter religious visitors27. However, when Helena unwillingly displayed the stigmata during mass on Christmas Eve 1871, her mystical fame spread across Ceylon. Attempting again (and in vain) to conceal Helena from the public eye, Garcia offered a side room of his church for her to stay in while she experienced the supernatural manifestations, and he prohibited visits on Thursdays and Fridays. In such a case, the characteristics of a traditional, stereotypical power relation are all present: Helena was a young, uneducated, highly pious woman from an agrarian background, living a ‘mixed life’ in a religious community of women, and under the spiritual direction of a missionary priest from Europe, adding a layer of colonial authority to the relationship. It is at any rate worth pointing out that under Garcia’s spiritual directorship, Helena began to have visions of the precarious state of the Catholic Church in Spain, Garcia’s home country28. Under Garcia’s care and because of his seemingly authentic enthusiasm for Helena, ‘his’ mystic became the darling of the higher echelons of the Church hierarchy. After her death, the bishop wrote the standard hagiography of Helena – partly to initiate a campaign for Helena’s beatification, partly because of Garcia’s former devotion and promotion. The hagiography calls him ‘her teacher’, as well as ‘the captain who guided the ship of Helena’s religious life’ –serving to highlight the image of a partnership between the clergyman and mystic woman. Although such descriptions were largely meant to imply a mutually beneficial relationship, it would be incorrect to define their collaboration solely in terms of the dominance suggested by the notion of a captain ‘steering’ a ship29. In Garcia’s diaries, as well as in eyewitness reports, their efficient working relationship is described as almost on equal footing – Garcia allowed Helena to take over some of his spiritual duties, and he dedicated more and more of his time to an adminis­ trative role, in effect becoming her support staff. While their relationship changed over the years, Garcia’s dedication to Helena’s cause was for life. When she was summoned by the bishop in 1872, Garcia went with her to the episcopal seat in Kurunegala, where she was examined by doctors and the bishop himself. Again, 25 See, for example, the hagiographical Rev. D. E. Peiris O.M.I., Story of Helena, the Virgin of Gonawila; Or, the Biography of a Sri Lankan Stigmatic, transl. by D. F. Medagoda, Chilaw, 1945, transl. 2015. 26 Diary entry of Florentino Garcia, 1871, quoted in ibid., unpaginated. 27 This motivation is repeated throughout the life stories of Helena. However, taking the adverse effects of Helena’s prolonged trance into account, it is not wholly inconceivable that Father Garcia actually used the trance to reinforce Helena’s mystical appeal. 28 D. E. Peiris O.M.I., Story of Helena…, op. cit., unpaginated. 29 Ibid.

219

220

TInE vAn oSSELAER, LEonARDo RoSSI AnD kRISTof SMEyERS

from the sources, it becomes clear that Garcia’s presence created goodwill with his superiors30. When the bishop visited Garcia’s parish in 1881, he promised the then ageing priest he would look after Helena. Garcia remained by Helena’s side until his death in 1900, continuing to defend the authenticity of her stigmata and message before the Church hierarchy, physicians and non-Catholics of Ceylon. His detailed diaries form the main chronicle of Helena’s spiritual life. There were other forms of collaboration between clergymen and mystic women, in which each party assumed different roles to those described above. The priest could position himself as teacher, guide, or coach; or as the promoter of her cause in attempts to convince the Church hierarchy and the people of his community of the mystical qualities of his companion. This form of collaboration often went hand in hand with becoming her ‘chronicler’, ensuring that her mysti­ cal legacy was recorded and could circulate among her followers. Alternatively, a clergyman might encourage ‘their’ mystic to put pen to paper themselves, while keeping a close eye on what was written – either to ensure Church-friendly content or to ‘rationalize’ the supernatural aspects of her experience. In these cases, it is more valuable to speak of forms of collaboration and shared responsi­ bilities rather than forms of control, although it is important to point out that the dynamics of this relationship could shift when a mystic woman became known outside her local ‘communication community’, which was often the parish31. Risks of collaboration

The path of collaboration was more fraught with risks than one on which a priest staunchly opposed the mystic woman and sided with a sceptical estab­ lishment. Different stereotypical images criticizing the priest’s role could circu­ late simultaneously. Some suggested that priests who associated themselves too intensely or intimately with laywomen risked being dominated by them and becoming ‘effeminate’. At the same time, the image of a clergyman preying on poor women was widely spread. From the eighteenth century onwards, an addi­ tional perceived risk was that these priests could be swept up or ‘deluded’ by the woman’s ‘religious enthusiasm’ and abandon the path of a rationalizing Church in favour of a spirituality that was altogether more prophetic and supernatural than was considered appropriate32. In short, associating oneself with what was seen as a distinctly more feminine interpretation of mysticism – defined by ecstasy, visions and prophecies – made it easy for opponents, both anti-clerical and within the Church or the priest’s

30 This goodwill is emphasized on many occasions, for example in the report by Father Galio, S.J., a theologian from the Indian mainland in 1871, quoted in the diaries of Garcia, which are held by the Sister Helena Foundation. 31 B. Griffin, ‘Hegemonic masculinity…’, art. cit., p. 9. 32 See, for example, L. Laborie, Enlightening Enthusiasm: Prophecy and Religious Experience in Early Eighteenth-century England, Manchester, Manchester University Press, 2015, particularly chap. 5.

fATES AnD fAIThS InTERTwInED

own religious community, to view their target as not corresponding to the priestly ideal of the time. There was no code of conduct that the stigmatic’s spiritual director could consult: a priest often had to improvise when siding with a mystic, and could find himself caught between the hammer of a strong charismatic woman and the anvil of his ecclesiastical superiors. This gendered balancing act required skill, because these collaborations were often dragged into the limelight, where stereotypical images reigned in the ever-expanding reach of mass media and the yellow press. Popular attention could be a double-edged sword: in the public sphere, verdicts about the stigmatic and ‘her’ priest (or the priest and ‘his’ mystic) could take on a life of their own, sometimes co-existing in apparent contradiction with each other, but nonetheless mutually reinforcing a depiction of the clergyman as unfit for office. In this context, ‘unfit for office’ could imply both moral bankruptcy and professional, clerical inadequacy. In 1843, in Youghal, County Cork in Ireland, the publicly known and pub­ licized case of three stigmatic women living in a Catholic Magdalene Asylum that had opened only months earlier, offers an illuminating example of the risks involved. Father John Foley, the director of the asylum, was held publicly accountable for the sudden occurrence of supernatural mysticism at his institute, where two inmates experienced the stigmata and a third had gone into religious ecstasy. To some extent, the accountability was cultivated by Foley himself, as he decided to promote the three mystics and succeeded in doing so, as pilgrims and visitors from all over the county flocked to Youghal. Until then, Foley had enjoyed a considerable, mostly positive reputation, in large part due to his work in the temperance movement33. A few months earlier he had also founded a missionary college for young men to prepare for the Catholic reconversion of England. How­ ever, his latest project, the Magdalene Asylum for ‘destitute women’, had raised doubts among his peers in the diocese, in Rome, and among the local community in general34. The emergence of Foley’s mystics offered polemical ammunition to reporters as well as the increasing number of Foley’s opponents – Protestants, Dissenters, and Catholics – who felt the association with the supernatural would only upset the fragile position of their denomination in the country. Two aspects of the ensuing controversy are striking: first its public character, shaped by newspaper articles, pamphlets, and letters; second, the images of Foley and ‘his’ mystical Magdalenes that were shaped by the polemic. In most published sources of the time, Foley was depicted as the master schemer, manipulating young, vulnerable women under his care into acts of supernaturalism. In these narratives, the clergyman appeared as an older man of great local repute and authority, who was coercing his ‘victims’ both to aggrandize his own reputation – Foley’s letters about the wondrous nature of the stigmatics to the Venerable Irish College in Rome only fuelled this interpretation – and for financial reasons. 33 J. F. Quinn, Father Mathew’s Crusade: Temperance in Nineteenth-Century Ireland and Irish America, Amherst, University of Massachusetts Press, p. 56-57. 34 Archives of the Venerable Irish College in Rome, Kirby Collection, KIR/UN/19.

221

TInE vAn oSSELAER, LEonARDo RoSSI AnD kRISTof SMEyERS

222

Visitors to the asylum at Youghal had to pay an entrance fee35. To make matters worse, sceptical journalists were quick to point out that the publicized appearance of the stigmata coincided with the hefty mortgage instalments Foley had to pay on the asylum36. However, simultaneous with the emergence of an image of Foley as a manipulator, and apparently in contradiction to it, Foley was painted as being manipulated, ‘deluded by an artful sisterhood’37. In this discourse, he was not depicted as forsaking or abusing his clerical duties, but as incompetent or powerless to act appropriately. These diametrically opposing images co-existed, and both contributed to the ruin of Foley’s clerical career. Associating oneself with a mystic woman also facilitated ridicule and other suspicions, in which traditional gender roles came under scrutiny. In late 1920s England, for example, the Anglican Benedictine Community of the Holy Cross in Haywards Heath was in the eye of the storm when one of the nuns was ‘outed’ as a woman mystic who experienced stigmata, trances, and prophecies. Visitors’ letters to the bishop and the curate mention an ‘unhealthy atmosphere’ in the community38. Although in this instance the controversy was mostly shielded from the mediatized public eye and limited to the internal workings of the Church of England, the close friendship between the nun and her spiritual director, the Warden of the community, Victor Roberts, was considered the central reason for the ‘unhealthy atmosphere’39. Roberts was accused of encouraging ‘unbalanced emotional sensations’ in the sister, or at any rate of failing to act and fulfil his duty of care to the other nuns in the community40. As with Foley eighty years earlier, Roberts was represented in reports as irre­ sponsible, weak, and dishonourable: in the eyes of the critics, neither clergyman took care of their flock nor had the moral strength to ‘stand up’ to the women. Whereas with Foley the arguments were of a pecuniary nature, in the investigation of Roberts they were more personal, suggesting that he had an intimate relation­ ship with his ‘wonder nun’41. It was Roberts rather than the stigmatized nun who was judged to have brought the Benedictine community into disrepute, and he was formally asked by the abbot to relinquish his habit. At this point, it was the woman mystic who took up the role of promoter of ‘her’ clergyman. In two audiences with the abbot, she defended Roberts and even threatened prophecies of a doomed Church of England and of making public some vague unwholesome

See, for example, The Cork Examiner, 30 January 1843, p. 1. Archives of the Venerable Irish College in Rome, Cullen Master Collection, CUL/700. Kerry Evening Post, 4 March 1843, p. 3. Lambeth Palace Library (London), MS 3066: Community of the Holy Cross, 11 June 1929-30 June 1930. Memorandum of Abbot Denys, unpaginated. 39 Lambeth Palace Library (London), MS 3066: Community of the Holy Cross, 11 June 1929-30 June 1930. Memorandum of Sister Scholastica, unpaginated. 40 Lambeth Palace Library (London), MS 3066: Community of the Holy Cross, 11 June 1929-30 June 1930. Memorandum of Sister Scholastica, unpaginated. 41 The term was coined by A. Graus, ‘Wonder nuns: Sor Patrocinio, the politics of the supernatural and republican caricature’, Journal of Religious History, 42 (2018), p. 568-590.

35 36 37 38

fATES AnD fAIThS InTERTwInED

stories relating to the religious community and the abbot himself, if Roberts was not pardoned and left alone42. Here, the traditional gender roles were almost reversed. The (rotten) fruits of collaboration

After the mystic women in the Youghal Magdalene Asylum were ‘unmasked’ by an interdenominational inquiry in 1843, John Foley’s clerical career was ru­ ined. He was banished from his parish and the inmates were sent home. One stigmatic returned to her parents’ home, while the others fell back into a life of prostitution. Victor Roberts, who in 1926 had broken his vows in the eyes of his superiors by tying his fate to that of a nun, became an outcast of religious life. Thus, collaboration between a clergyman and mystic woman could take on many forms and, as we have shown, it is worth considering these relationships as a matter of shared or overlapping responsibilities rather than of one-sided control. However, sharing the responsibilities of religious authority could be detrimental; were the fruits of collaboration always as rotten as they appear here? In 2016, the ‘Most Revered Helena’ event took place in Sri Lanka, a festival in honour of the stigmatic Helena of Gonawila, which relaunched the campaign for her beatification. This was made possible due to Father Garcia’s detailed diaries and the mythologized accounts of his loyalty and belief in Helena’s mystical qualities43. His devotion and his written account of their collaboration facilitated the wider devotion to Helena in the twentieth and twenty-first centuries. This is a dynamic that would have been inconceivable without Garcia and the mutual respect between him and the woman mystic who emerged in his parish. Such stories, however, are exception rather than rule.

III. Dangerous liaisons Among the sources preserved in the Tabularium of the Roman Inquisition, there are more than one hundred cases of ‘affettata santità’ (‘alleged sanctity’) from the late eighteenth to the early twentieth century44. Almost all cases concern 42 Lambeth Palace Library (London), MS 3066: Community of the Holy Cross, 11 June 1929-30 June 1930. Memorandum of Sister Scholastica, unpaginated. 43 Again, it is necessary to point out that such dedication was not always beneficial to a mystic woman’s beatification campaign. A clergyman’s involvement in a mystic’s writing could also diminish the perceived authenticity of the woman’s sanctity. See, for example, the case of A. K. Emmerick, C. Brentano and X. Goslicka, Die Kraft der Berührung. Eine Poetik der Auserwählung, Paderborn, Wilhelm Fink, 2015. 44 About the wealth of the sources conserved and their importance for historical research, one main stream is given by the archivist of the Archive for the Doctrine of the Faith, Dr Ponziani: D. Ponziani, ‘Fonti per una storia dei misticismi nel xx secolo. La serie Devotiones variae dell’Archivio del Sant’Uffizio (1912-1938)’, Ricerche di storia sociale e religiosa, 79 (2011), p. 59-66. On

223

TInE vAn oSSELAER, LEonARDo RoSSI AnD kRISTof SMEyERS

224

women whose reputation as a ‘living saint’ – but potentially a false saint – made them a person of interest to the Vatican45. Scrolling through the long list, the names of men can be found as well46. Apart from the famous case of Padre Pio, the men investigated were usually father confessors and spiritual guides of the ‘sante viventi’ (‘living saints’). They drew the attention of the investigating fathers: (1) because of their support for unofficial fama sanctitatis (rather than blocking it) and (2) for creating controversy among different ecclesiastical or other hier­ archical levels (e.g. by supporting female charismatic authority rather than the authority of office)47. These controversies often had a public character (even when they took place in a cloister), being talked about by the local population, while the figures involved were also discredited in the press. On an unofficial level, however, the files on these men primarily document them being criticized for challenging the authority of other men by collaborating with the stigmatic (e.g. by opposing their bishop rather than obeying him). As already mentioned, an overly close relationship between a clergyman and mystical or visionary woman could trigger rumours and suspicions within the parish community, and thus be of concern to the Vatican leaders48. In many cases, mystical gifts such as stigmata and visions were popularly recognized as charisms divinely given by the Lord to exceptional leaders, and worthy of respect49. Applying Weberian theory to the religious context, many of these women came from marginalized backgrounds, gaining importance and authority due to their supernatural signs and above all their reputation and/or relationship established with society (leader-audience)50. This type of power, citing Weber, can be called ‘charismatic authority’, one of three possible forms of authority alongside the traditional and rational51. While the latter two are based on specific

45 46 47

48 49 50 51

the alleged sanctity, see G. Zarri, Finzione e santità tra Medioevo ed età moderna, Turin, Rosenberg and Seller, 1991; A. Jacobson Schutte, Aspiring Saints: Pretense of Holiness, Inquisition, and Gender in the Republic of Venice, 1618-1750, Baltimore-London, The Johns Hopkins University Press, 2001; A. J. Schutte, art. ‘Finzione di santità’, in A. Prosperi et al., Dizionario storico dell’Inquisizione, vol. 2, Pisa, Edizioni della Normale, 2011, p. 601-605; A. Del Col, L’Inquisizione in Italia. Dal xii al xxi secolo, Milan, Mondadori, 2006, p. 659-680. For the definition of ‘living saints’, see G. Zarri, Le sante vive: profezie di corte e devozione femminile tra ‘400 e ‘500, Turin, Rosenberg & Sellier, 1990; and A. M. Kleinberg, Prophets in Their Own Country: Living Saints and the Making of Sainthood in the Later Middle Ages, Chicago, IL, 1992. A. J. Schutte, art. ‘Finzione di santità…’, art. cit., p. 602. The reputation for holiness is a ‘spontaneous, genuine, continuing and lasting to the present-day reputation with which the majority of the community’s members defines a person rich of Catholic heroic virtues’, Canon 2050 § 2, Codex Iuris Canonici, Rome, Typis polyglottis vaticanis, 1917. On different kind of authorities, see M. Weber, Economy and Society: An Outline of Interpretive Sociology, Berkeley, University of California Press, 1978, p. 54-56, p. 241-246, and p. 1163-1166. See n. 24. G. Dickson, ‘Charisma, Medieval and Modern’, Religions, 3 (2012), p. 763-789, here at p. 778. M. Caffiero, ‘From the Late Baroque Mystical Explosion to the Social Apostolate, 1650-1850’, in L. Scaraffia and G. Zarri (ed.), Women and Faith. Catholic Religious Life in Italy from Late Antique to the Present, Cambridge, Harvard University Press, 1999, p. 176-204, and p. 195-204. On different kind of authorities, see M. Weber, Economy and Society…, op. cit., p. 241-246.

fATES AnD fAIThS InTERTwInED

norms, historical continuity, and a vertical bureaucratic system (we can include in this group the authority of office held by ecclesiastical members), charismatic authority is difficult to control and potentially revolutionary52. For this reason, the Holy See was concerned about relationships between clergymen and charismatic women becoming too close, as the religious men’s authority of office could validate and publicly reinforce the reputation for sanctity of aspiring ‘living saints’ rather than halting and condemning it. This relationship could also subvert the obedience of the men of God to their superiors, who in some cases and in some moments preferred to follow the charismatic authority of mystics rather than the ecclesiastical leaders (bishop, provincial, Vatican Curia). Both situations were considered negative by the Church, which did not hesitate to take measures to intervene in the fama sanctitatis of aspiring saints and bring the clergymen back in line with the Catholic hierarchy. The two cases that we will now consider show how, for the clergymen involved, collaborating with someone whose authority was linked to mystical episodes and divine inspiration rather than the authority of office could be empowering. Their firm belief in the divine origin of the messages and ‘signs’ of their stigmatics led them to remain loyal to the mystic under their charge and sometimes to publicly go against episcopal decisions. In the cases of Rosa Serra (1766-after 1806) and Maria Bordoni (1824-1863), the collaboration with some members of the clergy became problematic for others, at both the local and central levels. In both cases, the stigmatics had been ‘active’ and ‘visible’ for years; however, the arrival of a new bishop led the clergy involved, and those who witnessed the phenomena, to reflect on the situation and reconsider their actions. Despite the similarities in these two cases, there are also numerous differences. In the Serra affair, we see how the support of the mystical woman turned into a real challenge to the ordinary authority (the bishop as ordinarius), spurning tradi­ tional power for an alleged charismatic authority. In the Bordoni case, however, the local clergy (father confessor, friars, and even the bishop), who for years had defended the stigmatic and spread her reputation for holiness, renounced this mission when they realized the danger of challenging the ecclesiastical superiors (the Vatican Curia and above all the Holy Office). While in the first case, teaming up with the mystical woman resulted in a head-on struggle between religious men, leading to the ruin of their careers; in the second, the supporters abandoned the stigmatic before it was too late, and this allowed them to maintain their privileges once they had served their sentences. Supporting the stigmatic at any cost: The challenge to episcopal power

The first case took place in the Kingdom of Sardinia at the beginning of the nineteenth century, with the election of Msgr Azzei as the new bishop of

52 G. Dickson, ‘Charisma…’, art. cit., p. 766.

225

226

TInE vAn oSSELAER, LEonARDo RoSSI AnD kRISTof SMEyERS

Ozieri (Sassari). After his arrival in town, he immediately understood that the authority of his office was threatened by the charismatic power of the local ‘holy abbess’53. Rosa Serra (known also by the religious name Maria Rosa), Abbess of the Capuchin Monastery of the Most Holy Rosary since 1801, was indeed immensely popular at the time54. Due to her visible stigmata and her undergoing of the Passion on Fridays, she attracted visitors and drew media attention55. She was regarded, and called on, as a ‘holy’ nun by the faithful, who included both local citizens and important authorities (e.g. the members of the House of Savoy)56. Serra was supported by two former Jesuit fathers, the Sequi Nin brothers, who spread her fame across the island. Gavino Luigi Sequi Nin, the ex-Vicar General, had the task of keeping the religious and civil authorities informed about the charisma of the Abbess57. His brother Antonio was the spiritual director of the monastery and was responsible for her reputation in the local community58. When Azzei arrived in Ozieri in 1804, conflict between Serra, her spiritual fathers, and the bishop was inevitable, as the latter saw the charismatic leadership of the ‘living saint’ as a challenge to his episcopal authority. Serra had been ‘untouchable’ for years because her uncle, the bishop of Sassari, had protected her and her paranormal abilities (stigmata, ecstasies, political prophecies). The Sequi Nin brothers were also gifted with religious authority and had popular respect as spiritual guides of a ‘saint’, having thus linked their fates to her. With the specific aim of undermining her false fama sanctitatis, the bishop opened a diocesan investigation to ‘unmask […] the error and deception of that boasted sanctity’ and ‘report the foolish partisans of the Sister Maria Rosa who strongly supported her’59. On 6 January 1806, the ‘holy’ Abbess handed 53 ASCa, State Archive of Cagliari, Fondo Segreteria di Stato e di Guerra del Regno di Sardegna, Materie Ecclesiastiche, IV. 504, Carte relative alla falsa santità della Monaca cappuccina d’Ozieri Suor Maria Rosa Serra dal 1802 al 1806, f. 1-46, here at f. 3v. 54 ASCa, State Archive of Cagliari, Fondo Segreteria di Stato e di Guerra del Regno di Sardegna, Materie Ecclesiastiche, IV. 504, Carte relative alla falsa santità della Monaca cappuccina d’Ozieri Suor Maria Rosa Serra dal 1802 al 1806, f. 1-46, here at f. 10r-11v. 55 BUCa, University Library of Cagliari, Ms. 10.30, Copia della Lettera del R.do D. Gavino Secchi Nin come Delegato informa l’occorso nell’elezione di Suora Maria Rosa Serra in Badessa delle Cappuccine di Ozieri, f. 1-4. Media attention is proved by W. H. Smyth, Sketch of the Present State of the Island of Sardinia. By Captain William Henry Smyth, London, John Murray, 1828, p. 194-196; G. Manno, Note sarde e ricordi, Turin, Stamperia reale, 1868, p. 147-150; Anonymous, Relacion del prodigio sucedido en Ozieri Diocesis de Saser, en Cerdeña. Traducida de la que en italiano se ha impreso en Roma con licencia superior en la imprenta de Cracas este año de 1801, Barcelona, Pedro Batlle, 1801. 56 ASTo, State Archive of Turin, Lettere principi Savoia, Serie 1a (Duchi e Sovrani), Carlo Felice duca del Genevese indi re di Sardegna al conte di Moriana, S. A. R. Giuseppe Benedetto Maria Placido suo fratello, 1799-1802, doc. no 107, f. 83/b-85/b. 57 BUCa, Ms. 10.30, Copia della Lettera del Rev.do Gavino Secchi Nin che come delegato informa l’occorso nell’elezione di Suor Maria Rosa Serra in Badessa delle Cappuccine di Ozieri, f. 4-7. 58 ASCa, f. 8r-9r. 59 ASDSs, Fondo Cap., SC 16, 1806, Carte riguardanti la ritrattazione di Suor Maria Serra, Cappuccina nel monastero di Ozeri, f. 1 and ASCa, Fondo Segreteria di Stato e di Guerra del Regno di Sardegna,

fATES AnD fAIThS InTERTwInED

him the manuscript of her ‘freely sworn retraction’, in which she abjured the mystical phenomena that she previously claimed to have received and confessed to premeditated ‘pious fraud’60. Azzei immediately wrote reports to make her confession public and halt any form of ‘deviant devotion’61. The reaction of the Sequi Nin brothers was swift. They mobilized a party of ‘partisans’ of the Abbess and began sharply criticizing the bishop in a media battle. Affiches and pamphlets praising the sanctity of Serra were spread throughout the city. Then, when Azzei decreed the removal of Serra from the role of abbess and ordered her to leave the monastery of Ozieri, the Sequi Nin brothers threatened the life of the bishop, marching with her devotees towards the monastery. The conflict thus assumed a considerable public dimension, jeopardizing the social order. In an attempt to resolve the situation, Azzei wrote in vain to the Roman Inquisition – in vain because his post was controlled by political officials who did not want papal interference in the matter – asking ‘that the secular power come to the aid of the bishop to allow him to govern his new diocese’62. The case ended with the victory of Azzei and the separation of Serra from the Sequi Nin brothers. Serra was removed from her position as abbess and locked away in a Sar­ dinian monastery, condemned to the ‘perpetual deprivation of active [speaking] and passive voice [listening], and a perpetual retreat to her room, without contact with the other sisters of the monastery’63. The Sequi Nin brothers, accused of ‘spreading zizania’ (that is: ransacking the public safety of the community), lost their religious authority and religious offices and were transferred to another diocese64. To recapitulate, the investigation had initially only been opened against the fake mystic. In her confession, she did not formally admit any fault of her spiritual directors, but they immediately became involved due to their tenacious resistance to the measures imposed by the bishop. From 1801 to 1804, the Sequi Nin brothers had benefited from the popularity of Serra, and when her case became problematic they did not think of abandoning her or leaving her to the mercy of her enemies. On the contrary, they engaged in strong resistance to their ecclesiastical superior and for this reason they were in turn condemned and forced to leave the city, losing their privileged positions and careers.

60 61 62 63 64

Materie Ecclesiastiche, IV. 504, Carte relative alla falsa santità della Monaca cappuccina d’Ozieri Suor Maria Rosa Serra dal 1802 al 1806, f. 6v. ADSs, f. 2r-2v. This concept has been discussed by P. J. Margry, ‘New Transnational Religious Cultures: The Networks and Strategies of Deviant Devotions in Contemporary Europe’, in A. Paládi-Kovács (ed.), Times, Places, Passages, Budapest, Akademia Kiado, 2004, p. 205-213. ASCa, f. 14v. ASCa, f. 23r. ASCa, f. 16r.

227

228

TInE vAn oSSELAER, LEonARDo RoSSI AnD kRISTof SMEyERS

Jumping ship: when supporting the stigmatic becomes too dangerous

The following case, almost fifty years later, also starts with the appointment of a new bishop. In Italy in the spring of 1851, Msgr Fratellini, bishop of Fossombrone, faced a quite bizarre but extremely popular ‘living saint’ who was supported by a large religious group65. Maria Bordoni (1824-1863) was a laywoman who claimed to have visions and ecstasies. After suffering what were considered diabolic attacks, she had been exorcised in the Capuchin monastery in which she lived. However, she was subsequently forced to leave the monastery because of rumours that her relationship with Father Damiano was too intimate66. When the new bishop took up his position, she was already living outside the Capuchin monastery and drawing public attention, which divided the local com­ munity. Some worshipped her as a ‘living saint’, while others treated her as a trickster67. However, Bordoni was strenuously supported by the Capuchin fathers of Fossombrone, including her father confessor and various laymen. In contrast to the previous case, the bishop was actually in favour of Bordoni and acted accordingly68. Nevertheless, due to his tolerance – and perhaps even support – of the stigmatic, Fratellini was challenged by his own staff in June 1851, with the Vicar General and the Chancellor requesting an investigation of the case. While the bishop did open an investigation, he closed it very quickly, without reaching any conclusions69. A month later, a citizen (Alfonso Sabatelli) – realizing that the bishop had not intervened against the false mystic – wrote a letter to the Roman Inquisition denouncing the case70. The Roman cardinals responded by sending a dispatch to Fratellini and the archbishop of Urbino, his ecclesiastical superior. Fratellini defended the woman, guaranteeing the genuineness of her graces and denying the rumours about her relationship with the clergy and the difficulties caused in the local community71. This response was rather biased, with the com­ munity, as we have already seen, divided between supporters and opponents of Bordoni. As a result, a good part of the clergy wanted Bordoni to be removed from the diocese so as to end the scandal72. Even the archbishop of Urbino was asked to give his opinion on the matter. However, the Roman Inquisition hesitated to act, demonstrating, as was common in this period, that they expected the local

65 The case of Bordoni, even more than that of Rosa Serra, appears completely ignored by historiographical research. The only available sources are those kept at the Archive of the Doctrine of the Faith: ACDF, (C 4) I, f. 1r-350r and ACDF, M.D. MD 1863, Md. 041 (1863), 35. 66 ACDF (C 4 i), f. 130r-145r. 67 ACDF (C 4 i), f. 140v. 68 ACDF (C 4 i), f. 106r. 69 ACDF (C 4 i), f. 111r. 70 ACDF (C 4 i), f. 155v-156v. 71 ACDF (C 4 i), f. 155v-156v. 72 ACDF (C 4 i), f. 193v.

fATES AnD fAIThS InTERTwInED

courts, through diocesan or city inquisitorial trial, to investigate cases of aspiring holiness73. In September 1851, Bordoni’s story took a new turn when she started to exhibit the stigmata, which she had kept hidden thus far74. Once more, the Vicar General and the Chancellor requested an investigation, but Fratellini refused. Two years later, the Vicar General, who seemed to have given up on the idea of personally convincing the bishop to open an investigation, bypassed him and wrote to the local inquisitor of Pesaro75. The latter collaborated with the Roman Holy Office in this matter, and the reluctant bishop was obliged to open an investigation due to pressure from Vatican clergymen. Cooperation between the different religious levels resulted in a quick resolution: in August 1853, Bordoni was arrested. She confessed to fraud, also accusing some Capuchin friars of being involved in the affair76. The Inquisitorial Fathers ordered that she be secluded in a Benedictine cloister, where she lived in total isolation – not permitted to talk to anyone, and forbidden to receive letters from or have contact with the outside world – until her death in 186377. Bordoni’s detention caused panic within the group of her devotees. While one of her most devoted supporters had stated that ‘Bordoni must win [that is: she must be recognized by the Church] at the cost of all of us becoming schismatics and apostates’78, after the restrictive measures of the Holy Office were made public they did not prove to be so faithful. When her old allies perceived the danger of serious condemnation by the Inquisition, such as life imprisonment, excommunication or perpetual expulsion from the priesthood (and therefore from income and economic benefits), they jumped ship, claiming to have been misled by Bordoni and breaking all links with her. Conflict indirectly arose between them and the guilty woman through the various interrogations made by the Inquisitors, which reported the accusations or versions of the other parties to each person involved. Father Damiano and the canon, Boldrini, were condemned to a year in prison and temporary suspension from the sacraments, while bishop Fratellini, probably due to his higher religious position, did not receive any formal condemnation79. Thus, in this case, it is clear that the clergymen might choose to change sides before definitively compromising themselves, when collaboration between spiritual directors and mystical woman becomes too problematic. The Church, in general, proved to be forgiving of the clergymen if they renounced their original

73 74 75 76 77 78 79

ACDF (C 4 i), f. 111r-114r. ACDF (C 4 i), f. 57r-57v. ACDF (C 4 i), f. 70v and following. ACDF (C 4 i), f.117r-117v. ACDF, M.D. MD 1863, Md. 041 (1863), 35. ACDF (C 4 i), f. 248v-249r. ACDF (C 4 i), f. 265v.

229

230

TInE vAn oSSELAER, LEonARDo RoSSI AnD kRISTof SMEyERS

positions and acknowledged they were victims of cunning women, against whom the measures grew ever more severe.

IV. Concluding remarks This article has mapped the possible outcomes of the meeting of two kinds of explicitly gendered authority – the local clerical authority of office and the embodied, charismatic authority of a mystic woman – in the nineteenth and early twentieth centuries. As we have seen, this encounter hinged on two main components, responsibility and accountability, which nuance the previously ac­ cepted narratives of control. The relationship between clergymen and female mystics under their supervision has often been described in terms of control, with the spiritual guides thought of as managers, impresarios or ghostwriters who could speak with a certain self-evident authority due to their profession and status80. However, as demonstrated above, there were various types of stigmatics, whose level of autonomy differed to no small extent. This realization led Nicole Priesching and Elke Pahud de Mortange to prefer to think of these women as in­ habiting a space that lay somewhere between emancipation – using the voice they found in their religious experiences – and instrumentalization. In the latter sce­ nario, they were reduced to mute icons, symbols to be used for various causes81. However, rather than replicating implicit gendered hierarchies by thinking of the relationship between clergymen and stigmatics in terms of control, emancipation or instrumentalization, we prefer to speak of the responsibilities that come with the clergyman’s professional identity. We certainly do not want to minimize the impact of the gendered ideals of the time, but focusing on responsibilities gives us the opportunity to discuss the multiple dependences of the clergy. Instead of

80 N. Priesching, ‘Mystikerinnen…’, p. 83-84; P. Kane, Sister Thorn…, op. cit., p. 120; O. Weiß, ‘Seherinnen und Stigmatisierte’, in I. Götz von Olenhusen (ed.), Wunderbare Erscheinungen. Frauen und katholische Frömmigkeit im 19. und 20. Jahrhundert, Paderborn, 1995, p. 51-82, here at p. 79; Thomas Kselman suggests that a recurring pattern ‘was for the prophet or visionary to entrust herself completely to a clergyman who functioned as a spiritual advisor’ (T. Kselman, Miracles & Prophecies in Nineteenth-Century France, New Brunswick, Rutgers University Press, 1983, p. 110). For a similar dynamic in an apparition case, see E. Badone, ‘Echoes from Kerizinen’, p. 465; see also N. Priesching, ‘Mystikerinnen…’, p. 96-97. 81 As Nicole Priesching notes about the nineteenth-century stigmatics, A. C. Emmerick and M. von Mörl, ‘Beide wurden von ihren Betreuern in gewisser Hinsicht mundtot gemacht’, art. cit.; N. Priesching, ‘Mystikerinnen…’, p. 84; E. Pahud de Mortanges, ‘Irre – Gauklerin – Heilige? Inszenierung und Instrumentalisierung frommer Frauen im Katholizismus des 19. Jahrhunderts’, Schweizerische Zeitschrift für Religions- und Kulturgeschichte, 100 (2006), p. 203-225, here at p. 208. For a critical reflexion on religious experience as an emancipatory experience, see M. Scheer, ‘Das Medium hat ein Geschlecht’, in H. Wolf (ed.), ‘Wahre’ und ‘falsche’ Heiligkeit. Mystik, Macht und Geschlechterrollen im Katholizismus des 19. Jahrhunderts, München, Oldenburg, 2013, p. 170 and p. 181-182.

fATES AnD fAIThS InTERTwInED

regarding the latter as one pole of a binary relationship, we can see the clergyman as the nucleus of a wider web of social relations. Shifting the emphasis to matters of responsibility and accountability allows us to recognize that the relationship between clergyman and mystic woman was profoundly unstable; subject to constant renegotiation, both from within (interdependent dynamic) and from without (ecclesiastical hierarchies of author­ ity, society, media). Moreover, any analysis of relationships between different authorities must consider the temporal instability of their configuration: as power dynamics shift, so too does the dynamic of the collaboration. A woman with an established mystical career and considerable charismatic authority in the clergy­ man’s community evidently engages differently with her confessor than one who is unknown. This instability is also reflected in the different perspectives on the power balance, which shifted depending on the vantage point. It could focus on the clergyman’s perceived powerlessness or the mystic’s seemingly inappropriate display of power. This change of perspective was highlighted in the case of Maria Bordoni, considered for years to be a living saint, but later judged to be a very flawed Catholic and a shrewd woman who was moved by the Devil’s temptations82. As we have seen, there were consequences when a clergyman tied his fate to that of the mystic woman. In a somewhat schematic way, a local clergyman’s responsibilities extended to four overlapping, sometimes conflicting ‘fields’. First, and perhaps foremost, he had a duty of care towards his local community: a pastoral duty to tend to every member of his microcosm in equal measure. The clergyman’s flock could provide essential support in his collaboration with the local mystic, lifting her ever higher in the public sphere. In contrast, if the community did not support the clergyman’s dedication to the mystic woman, they could challenge his authority by taking their concerns higher up the clergyman’s chain of command, for example to the bishop. That this had a profound effect on his masculine image is clear: clergymen in league with mystic women were simultaneously depicted as not ‘real’ men, as Paul Airiau has shown in his analysis of French anti-clerical depictions of priestly masculinity, and as ‘hypervirile’, suave seducers of gullible women. These images were enthusiastically picked up by the media83. A clergyman’s second field of responsibility was towards his faith. He func­ tioned as a representative of Christian beliefs, as the local advocate for the universal Church. In this capacity, he was charged with defending the faith against

82 About her reputation as a living saint: ACDF (C 4 i), f. 91v. The shift in perception:ACDF (C 4 i), f. 304v. 83 P. Airiau, ‘La virilité du prêtre catholique : certaine ou problématique ?’, in A. Corbin et al. (ed.), Histoire de la virilité…, op. cit., t. 2: Triomphe de la virilité. Le xixe siècle, Paris, 2011, p. 241-254, here at p. 248. For Belgium, see, A. Morelli, ‘Les thèmes de la caricature anticléricale en Belgique au xixe siècle’, in De qui se moque-t-on ? Caricatures d’hier et d’aujourd’hui, de Rops à Kroll, MorlanwelzMariemont, Musée royal de Mariemont, 2001, p. 13-25, here at p. 19.

231

232

TInE vAn oSSELAER, LEonARDo RoSSI AnD kRISTof SMEyERS

accusations of superstition and fraudulence, and he was held accountable when it was attacked and presented as such. The third field of his responsibility was closely intertwined with his faith: the institution of the Church itself, for which he also acted as representative and whose chain of command he was expected to respect and obey. Failure to report the appearance of a mystic woman in his community was an act of disobedience and therefore irresponsible. As illustrated above, this could result in exile, removal from office, or other strategies which stripped the clergyman of his authority, depending on who in the chain of com­ mand undertook action – and indeed, depending on how the chain of command functioned: a member of the Capuchin order was subject to different rules than a parish priest. At the same time, if a mystic had gained a public reputation of sainthood, as in Gonawila, the Church hierarchy could step in to support their local representative. In other words, the institution could also put its weight behind the clergyman and support both the clerical and mystical authority. These three fields of responsibility and accountability were usually combined with relative and pragmatic ease, not in the least because they were concerned with clerical duties, for which the clergyman was educated and trained. They were, however, more difficult to combine with the fourth field: his clerical and pastoral responsibilities towards the mystic woman herself. As pointed out, these could range widely, from assistance in recording her mystical experiences, to spiritual guidance and personal coaching, sometimes at the expense of his other fields of responsibility. Once he chose to act on behalf of the mystic, fate and faith were intertwined. If she fell, he also fell; if her reputation was ruined, his was ruined as well; if she was silenced, he was silenced. Alternatively, if she was accepted by the community, then his role was reinforced; if she was successful, then his career would advance; and if she was heard, his voice would also be heeded.

Funding statement This research has received funding from the European Research Council (ERC) under the European Union’s Horizon 2020 research and innovation programme, under grant agreement No. 637908.

CAROLInE SAppIA 

Quelle masculinité pour quelle mission ? Les prêtres Fidei Donum au Brésil face aux enjeux de genre (1950-1985)

Plusieurs stéréotypes viennent d’emblée à l’esprit lorsqu’on évoque l’engage­ ment de prêtres européens en Amérique latine dans la deuxième moitié du xxe siècle : les images du missionnaire en soutane et du prêtre en col romain côtoient celles du prêtre engagé dans les favelas, du prêtre-guérillero et du prêtre martyr1, voire celle de « l’homme latino-américain », ou plutôt des « hommes latino-américains », entre indiens, noirs, métisses et blancs, et leur supposé machisme. Mais ces images n’épuisent pas ce que peuvent être les masculinités sacerdotales d’hommes d’Église naviguant entre deux continents à une période charnière de l’histoire de l’Église : la tenue du concile Vatican II et ses ouvertures à un monde moderne redessinent la figure du prêtre et son rôle au sein des socié­ tés européennes et latino-américaines. Les actualisations du concile Vatican II en Amérique latine avec les assemblées des évêques latino-américains de Medellín (1968) et de Puebla (1978) et les dictatures latino-américaines modifient aussi l’action des prêtres au sein des paroisses latino-américaines. Période qui voit également, d’une part, l’émergence de la théologie de la libération après 1968 et, d’autre part, une sécularisation accélérée des sociétés européenne et latinoaméricaine, avec la désertion des séminaires et du sacerdoce. Cet article propose de revisiter à travers le prisme de la masculinité sacerdotale une recherche sur des prêtres dit Fidei Donum belges en Amérique latine des années 1950 aux années 1980 partis dans le cadre du Collège pour l’Amérique latine (COPAL) de Louvain fondé en 1953, lieu de formation et plateforme d’envoi de séminaristes et de prêtres majoritairement belges en Amérique latine2.

1 C. Sappia (éd.), À l’image d’Oscar Romero. Héros, prophètes et martyrs d’Amérique latine, Louvain-laNeuve, Academia Bruylant, 2009, p. 1-22. 2 Entre 1955 et 1983, 60,6 % des effectifs du COPAL sont de nationalité belge, soit 208 prêtres sur 343 prêtres toutes nationalités confondues. Parmi eux, 115 prêtres (33,5 %) ont pour destination le Brésil, dont 68 Belges, (soit 19,8 % des effectifs totaux du COPAL, et 32,7 % des effectifs belges du COPAL, et 59,1 % des effectifs du COPAL, toutes nationalités confondues, au Brésil). Il s’agit du pays de destination privilégié des prêtres belges du COPAL. Chiffres issus de C. Sappia, Le Collège pour l’Amérique latine de Louvain et son ancrage au Brésil : outil d’un projet d’Église, 1953-1983, Thèse de doctorat, Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, 2013, p. 536-537. Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 233-248. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131601

234

cARoLInE SAPPIA

Le Collège pour l’Amérique latine n’est pas un organisme isolé. Dès les an­ nées 1950, une réelle « question latino-américaine3 » s’élabore dans les débats romains et influe sur la « géopolitique missionnaire » ou « géoreligion4 ». Le continent comptant le plus de catholiques au monde est en manque cruel de prêtres pour réaliser les sacrements, alors que les concurrences protestantes, com­ munistes et spirites sont de plus en plus pressantes. C’est ainsi qu’en une décennie et à la demande directe du Vatican, une série d’organismes d’envoi, voire de formation, de séminaristes et de prêtres à un apostolat en Amérique latine se met en place entre l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Amérique latine5. L’encyclique Fidei Donum sur la situation de la mission, particulièrement en Afrique de Pie XII (1957) donne un cadre à cette dynamique vers l’Amérique latine en proposant un « prêt » à court ou moyen terme de prêtres entre évêques de diocèses des vieilles chrétientés et des diocèses en manque de personnel ecclésiastique, notamment en Amérique latine. Cette nouvelle dynamique contourne les voies missionnaires traditionnelles tout en donnant un nouvel élan aux relations entre le centre européen de l’Église catholique et la périphérie latino-américaine6.

3 O. Chatelan et C. Sappia, Fidei donum European Priests in Latin America: A Case of Transnational Catholic Third-Worldism (early 1950s-mid-1980s)?, Congress Progressive Catholicism in Latin America and Europe, 1950s-1980s, Irish College Leuven, 28-29 May 2018 [en cours d’évaluation, à paraître]. 4 Néologisme calqué sur le terme « géopolitique » (É. Fouilloux, « L’Église catholique en « guerre froide » (1945-1958) », Cristianismo nella storia, 22/3 [octobre 2001], p. 689). 5 Espagne en 1948, Belgique en 1953, Canada et États-Unis en 1959, Allemagne et France en 1961, Italie en 1962. D’autres structures plus petites d’aide à l’Église latino-américaine verront le jour en Suisse, aux Pays-Bas, en Irlande et en Pologne… À ce sujet voir, C. Sappia, « Prêtres Fidei Donum et tentative de coopération épiscopale européenne d’aide à l’Église d’Amérique latine, 1965-1980 », in C. Foisy, B. Dumons et C. Sorrel (éd.), La mission dans tous ses états (xxe-xxie siècles). Circulations, rencontres, échanges et hybridités, Bruxelles-Berlin-Berne-New York-Oxford-Varsovie-Vienne, Peter Lang, 2021, p. 147-166. En 1968, on compte 1302 prêtres partis par l’intermédiaire des organismes épiscopaux européens d’aide à l’Église latino-américaine. Parmi eux, on dénombre 817 prêtres espagnols, 181 prêtres italiens, 146 prêtres français et 131 prêtres belges. Direcciones de los sacerdotes incorporados a las organisationes europeas de ayuda en personal a América Latina. Diciembre 1968, Madrid, 1969. Pour une présentation complète des chiffres, voir C. Sappia, « Bilan statistique des prêtres Fidei Donum européens présents en Amérique latine en décembre 1968 », in O. Chatelan, C. Sappia et G. Routhier (éd.), Prêtres Fidei Donum en Amérique latine, 1949-2000. Guide de recherche, numéro spécial no 3 de Chrétiens et Sociétés. 16e-21e siècles, p. 145-152. 6 À ce sujet voir, J. Pirotte, « Action romaine et dynamique de l’expansion chrétienne. Lecture historico-anthropologique de quinze siècles de tensions “centre-périphérie” », in J.-P. Delville et M. Jačov (dir.), La papauté contemporaine (19e-20e siècles), hommage au chanoine Roger Aubert, Louvain-Cité du Vatican-Louvain-la-Neuve, 2009, p. 43-69.

QuELLE MAScuLInITé PouR QuELLE MISSIon ?

Masculinités sacerdotales et prêtres européens en Amérique latine Entre la moitié des années 1950 – la fin du pontificat de Pie XII – et la fin des années 1970 – le début du pontificat de Jean-Paul II –, l’Église n’est plus la même. Le concile Vatican II a tenté d’actualiser l’Église au monde contemporain. Le mo­ dèle du prêtre a aussi évolué : la chute des vocations et la sécularisation accélérée des sociétés européennes et latino-américaines marquent considérablement les prêtres du COPAL. Dans quels modèles de « masculinités » se forment et/ou se préparent les prêtres à leur départ et à leur arrivée en Amérique latine ? Dans quels rapports de hiérarchie, de pouvoir et de domination sont-ils imbriqués ? Et comment ces questions ont-elles évolué pendant ces trois décennies ? L’Église catholique est certes une institution d’inspiration divine, mais construite et dirigée par des hommes et insérée dans des rapports de hiérarchie constant. De manière schématique, deux modèles de masculinités hégémoniques s’y côtoient7. D’une part, le laïc inséré dans le monde, père de famille et s’en­ gageant dans la société par une action économique (ne fusse qu’en ramenant le denier familial) et politique ; d’autre part, le clerc, intermédiaire avec le transcendant qui confère les sacrements, écoute les confessions et maintient une certaine distance par rapport au monde temporel et à l’engagement politique, et qui s’engage avec « l’arme » du sacrement pour maintenir le catholicisme dans les diocèses latino-américains. L’image du clerc aux traits féminisés (soutane et caractère réservé) est issu des conceptions du prêtre héritées du xixe siècle8. Le vœu de célibat et de chasteté est alors pensé dans la prolongation de la vie du Christ – lui-même célibataire –, et le prêtre étant son « alter ego » en reprend les principaux traits9. La figure du prêtre, soldat du Christ, sera également présente dans la dialectique vaticane de Pie XII dans les années 1950 lorsqu’il s’agira de mobiliser les troupes sacerdotales pour sauvegarder les territoires catholiques en Amérique latine. Et comme nous le verrons, ce modèle de prêtre tridentin est présent au Brésil jusqu’à la moitié du xxe siècle, tandis qu’en Belgique, et plus largement en Europe, l’Action catholique, l’expérience des deux Guerres mondiales – dont celle des camps de concentration et, bientôt, celle des prêtres ouvriers – ouvrent un réel champ d’action nouveau pour les prêtres européens. Champ d’action qui se verra renforcé pour les prêtres Fidei Donum par la confrontation aux inégalités sociales et aux contextes dictatoriaux latino-américains. Ce ne sont pas seulement deux mondes et deux cultures qui se croisent, se confrontent et se rencontrent entre l’Europe et l’Amérique latine, mais aussi

7 J. Tricou, « Ainsi sont-ils ! Les prêtres catholiques face à la masculinité hégémonique », LabTop Working Papers, 4 (2015), no 4. 8 J. Art et Th. Buerman, « Anticléricalisme et genre au xixe siècle. Le prêtre catholique, principal défi à l’image hégémonique de l’homme », Sextant, 27 (2009), p. 323-337. 9 Ibid.

235

236

cARoLInE SAPPIA

deux types d’hommes d’Église dont l’apparence change radicalement : celui en soutane, centré sur les sacrements avant Vatican II, et celui qui s’en dépouille après le concile, pour être « un homme parmi les hommes », à l’image du Christ, et vivre au cœur des quartiers populaires, dont certains dans la perspective de la théologie de la libération.

Motivations au départ Les prêtres Fidei Donum belges partant en Amérique latine participent de différents projets insérés tant dans l’institution Vaticane qu’au sein des Églises belge et brésilienne. Ces projets de départ s’imbriquent dans un contexte histo­ rique propre aux années 1950 et ils modèlent le type d’hommes et de prêtres s’engageant dans ce nouveau modèle missionnaire que sont les Fidei Donum. Ces organismes d’aide à l’Église latino-américaine – du type du COPAL – sont fondés dans une dynamique défensive. Cette dynamique défensive se couple d’une volonté affirmée de Pie XII de sauvegarder le continent latino-américain catholique en conférant les sacrements notamment du baptême aux LatinoAméricains. Il s’agit donc bien d’une logique visant à occuper l’espace religieux dans des diocèses énormes et souvent totalement en manque de personnel ecclé­ siastique. Le discours est volontariste et use d’un lexique militaire. L’Amérique latine devient une « citadelle assiégée », selon les termes martiaux de Pie XII en 1955 : [En Amérique latine], Les assauts d’ennemis rusés sont nombreux et une vigilance énergique est nécessaire pour les repousser : telles les embûches de la maçonnerie, la propagande protestante, les diverses formes de laïcisme, de superstition et de spiritisme qui se répandent d’autant plus facilement qu’est plus grave l’ignorance des choses divines et plus engourdie la vie chrétienne10. Depuis la Belgique, le discours des prêtres se centre davantage sur la « justice distributive du personnel ecclésiastique » dans le monde – vocabulaire pour le moins pacifique –, l’appel de Joseph Cardijn à s’engager avec la JOC en Amérique latine début des années 1950 et « l’air du temps » qui était au tiers-mondisme à partir du début des années 1960. Progressivement, les prêtres passent d’un modèle clérical considéré comme au-dessus des réalités terrestres au modèle du prêtre inséré dans la société. Cette transition s’est faite suivant un processus complexe, passant notamment par le dé­ veloppement de l’Action catholique spécialisée fondée en 1925 et par l’expérience des prêtres ouvriers de l’après-Deuxième Guerre mondiale, deux expériences qui

10 Pie XII, « Lettre apostolique au cardinal Piazza à l’occasion de la conférence des évêques de l’Amérique latine à Rio de Janeiro, 29 juin 1955 », in Documents pontificaux de sa Sainteté Pie XII, Saint-Maurice, Saint-Augustin, 1957, p. 216-217.

QuELLE MAScuLInITé PouR QuELLE MISSIon ?

avaient pour effets l’insertion du prêtre au milieu de ces catégories de population fondée sur l’idée de l’apostolat du semblable par le semblable11. Et ces catégories ouvrières ou rurales représentaient tant un type de masculi­ nité – à savoir l’homme fort, travaillant les machines ou la terre, produisant grâce à l’action de leur corps des produits finis ou des produits de culture – qu’un type de domination – celle des dirigeants d’entreprise ou des grands propriétaires terriens, les ouvriers ou petits agriculteurs étant soumis à leurs décisions, voire à leur bon vouloir, et ce en particulier au Brésil. Mais dans le cas des prêtres ouvriers, il y a une réelle inversion du rapport traditionnel vertical entre le prêtre et l’ouvrier catholiques – le prêtre étant alors le vecteur du salut du fidèle –, vers le prêtre-ouvrier dans la pratique, l’hexis corporel, les gestes et postures répétitifs de l’ouvrier qui deviennent le vecteur de l’apprentissage du prêtre et d’une autre voie de salut. Cela étant, comme l’évoquait dans une interview le théologien belge José Comblin, arrivé au Brésil en 1958, les prêtres belges partis dans cette perspective défensive anticommuniste ont vite pris conscience de la réalité de leur nouveau terrain paroissial, bien éloignée des craintes vaticanes concernant l’Amérique latine : Car tout cela est né d’une idée de Pie XII qui n’avait pas d’informations. […] Les informations dont on tient compte à Rome sont toujours sélectionnées. De sorte qu’il croyait effectivement que le communisme allait pénétrer. Mais on se rendait bien compte que, dans ces pays, toute personne qui s’intéressait et qui s’éveillait aux questions sociales était baptisée de communiste. Tous des communistes. Alors de cette manière-là, on avait l’impression qu’il y avait beaucoup de communistes, […] alors qu’il n’y en avait pas tellement. Un jour, je demandais à des ouvriers de la JOC [à Campinas, donc entre 1958 et 1962] : « est-ce qu’il y a des communistes ici, parce que je n’en ai pas encore vus ? » On m’a répondu : « Oui, il y en a. Ils se réunissent toutes les semaines dans cette maison-là. Et des vingt, il y a dix infiltrés de la police… » C’était absolument insignifiant. Ils n’avaient aucune pénétration sociale, ils n’avaient aucune force12.

Sacerdoce au Brésil Les prêtres Fidei Donum au Brésil sont confrontés dès leur arrivée à ce déca­ lage entre visions vaticanes et réalités brésiliennes. Le rôle du prêtre dans la société brésilienne en voie de modernisation – fondation de la nouvelle capitale

11 Sur les prêtres ouvriers et leur corporéité, voir Ch. Suaud et N. Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers. Une double fidélité mise à l’épreuve, 1944-1969, Karthala, Paris, 2004 ; T. Cavalin, Ch. Suaud, N. Viet-Depaule, De la subversion en religion, Karthala, Paris, 2010. 12 Interview de José Comblin, le 1er juin 2006, Ixelles.

237

238

cARoLInE SAPPIA

Brasilia par le président Juscelino Kubitschek dès 1956 et inaugurée en 1960 – est au cœur des débats sur la formation sacerdotale dès la seconde moitié des années 1950, alors que la tenue du concile Vatican II n’a pas encore été annoncée par Jean XXIII. Le Brésil de la moitié du xxe siècle porte en effet une image du prêtre néotridentin issu de la romanisation. À partir des années 1840, l’Église catholique brésilienne marque un tournant en cherchant à reprendre en main la discipline ecclésiastique, considérée comme dissolue pendant la période coloniale. L’insti­ tution entame alors la « romanisation » ou « l’européanisation13 » de ses structures14. Les cadres ecclésiastiques s’engagent dans des réformes dites « néotridentines » prônant la « grande discipline15 » axée sur la formation sacerdotale, le célibat des prêtres, les sacrements, le port de l’habit ecclésiastique et la lutte contre les superstitions populaires. Cette romanisation dessine le profil du prêtre traditionnel et conservateur brésilien du xixe siècle qui persistera jusqu’à la moitié du xxe siècle, période de l’arrivée des premiers prêtres Fidei Donum en Amérique latine : une masculinité sacerdotale faite de distance, d’un comportement digne de celui d’un saint, une formation faite de discipline, de respect de la hiérarchie et de spiritualité. Mais dans le courant des années 1950, les évolutions rapides tant sociales, économiques que démographiques du Brésil affectent l’Église et interpellent les séminaristes en formation. C’est surtout au séminaire de Viamão dans les faubourgs de Porto Alegre que cette remise en question se cristallise. À partir de 1957, sous le pontificat de Pie XII et deux ans avant l’annonce du concile Vatican II, un mouvement de séminaristes y remet en question le modèle du prêtre tridentin avec pour ambition de moderniser l’Église et la pastorale16. Ce mouvement interroge la formation sacerdotale classique et romaine ainsi que la figure traditionnelle du prêtre. Il ne s’agit plus de remédier à une insuffisance numérique, mais bien de combler les manques qualitatifs des formations sacer­ dotale et pastorale. L’annonce du concile Vatican II donne une impulsion à ce mouvement qui se renforce dans le courant des années 1960. L’attention à la question sacerdotale au Brésil se concrétise par la publication de plusieurs recherches sur la figure du prêtre dans les années 196017. La première, publiée en 1964 et dirigée par le Ceris (Centro de Estatística Religiosa e Inves­ tigações Sociais) est intitulée O problema sacerdotal no Brasil18. Les auteurs y

13 J. Comblin, « Situação Histórica do Catolicismo no Brasil », Reb, 26 (septembre 1966), p. 590-598. 14 K. P. Serbin, Padres, celibato e conflito social. Uma historia da Igreja no Brasil, trad. L. Teixeira Motta, São Paulo, Companhia das Letras, 2008, p. 78 s. 15 Ibid., p. 87 s. 16 Ibid., p. 166 s. 17 G. Pérez Ramírez, A. Gregory, F. H. Lepargneur, O problema sacerdotal no Brasil, Madrid, 1964; O papel do Padre – Pesquisa no 1.A., Clero do Plano Pastoral do Conjunto da Cnbb (1966-1970), 3 vol. polycopiés [non édité], Rio de Janeiro, Ceris, 1968. 18 Ibid. Cette recherche est menée dans le cadre des travaux de la Feres (Fédération internationales des centres de recherches sociales et socioreligieuses) sur l’État de l’Église en Amérique latine. Une

QuELLE MAScuLInITé PouR QuELLE MISSIon ?

dénoncent les déficiences de la formation sacerdotale et la conception même du prêtre issue de la romanisation, à savoir « un homme qui n’en est pas un », un « être sublime », à mi-chemin avec la transcendance19. Les auteurs privilégient ainsi une conception plus simple du prêtre comme « un homme de Dieu », un pasteur, terme qui ramène le projet sacerdotal dans la sphère du travail et de l’action. La dynamique est donc celle de l’ancrage dans l’expérience concrète de la vie du Christ, plutôt que de l’élévation vers Dieu. Et c’est ici que le basculement s’opère entre deux figures du prêtre au Brésil, mais aussi deux types de masculinités sacerdotales : l’une, issue de la période coloniale, faite de réserve et de transcendance, l’autre, plus terre à terre et contem­ porain, d’un guide proche du peuple de Dieu. À cela s’adjoignent les dynamiques de colonisation et les rapports entre prêtres blancs et prêtres colonisés latinoaméricains, pour le Brésil : le noir, l’indien, le métis. Les prêtres belges arrivent donc au Brésil dans un rapport à l’autre marqué tant par leur statut religieux que par les caractéristiques de la couleur de leur peau, souvent malgré eux et sans toujours en avoir conscience. Comme le souligne Mara Viveros Vigoya, « la blanchité [branquitude] est le lieu de pouvoirs, de privilèges symboliques, subjectifs et matériels20 ». Et les stéréotypes et imaginaires sur les hommes noirs – prétendument « hyper sexuels et hyper virils, pères absents et infidèles21 » – et sur les hommes indigènes – prétendument « archaïques, figés, démotivés et hyposexuels », voire « primitifs ou bons sauvages22 » – influent inévitablement sur le regard que portent les nouveaux venus sur leurs confrères brésiliens ainsi que, réciproquement, le regard qui est porté sur eux, prêtres, blancs, formés intellectuellement dans les séminaires et universités européens et plus proches du centre romain de l’Église catholique. Relation que l’on peut analyser sous le prisme d’une masculinité sacerdotale hégémonique, bien que le mouvement libérationniste, auquel nombre de prêtres Fidei Donum se recon­ naissent, remette en question et dénonce les relations d’oppression. Un prêtre arrivé en 1959 dans le diocèse de Recife évoque paradoxalement, d’une part, l’Église de Recife fort traditionnelle et, d’autre part, les stéréotypes que les prêtres belges avaient sur les prêtres brésiliens considérés comme

19 20

21 22

série d’ouvrages sur la même thématique sont publiés sur d’autres pays latino-américains dans le cadre de la Feres : G. Pérez, El problema sacerdotal en Colombia, Fribourg, 1962 ; G. Garrido, La colaboración sacerdotal con América Latina, Madrid, s.l.n.d. ; id., El problema sacerdotal en América Latina (Centroamérica, Antillas mayores, Venezuela, Ecuador, Perú, Bolivia, Paraguay, Uruguay), Fribourg, 1964 ; id., El problema sacerdotal en América Latina, Fribourg, 1964. G. Pérez Ramírez et. al., O problema…, op. cit., p. 157. Le concept de « branquitude » (branco signifie blanc en portugais) a été utilisé pour la première fois en 1962 par le sociologue et anthropologue Gilberto Freyre en opposition au terme « négritude » dans le contexte racial brésilien. Pour une genèse du terme, voir Mara Viveros Vigoya, Les couleurs de la masculinité. Expérience intersectionnelle et pratiques de pouvoir en Amérique latine, Paris, Éditions La Découverte, 2018, p. 137 s. Ibid. Ibid.

239

240

cARoLInE SAPPIA

« désorganisés », trop « affectifs » ou « émotionnels » et ne respectant pas le vœu de célibat. Un autre prêtre arrivé en 1971 dans un petit diocèse de l’État de Paraíba (Nordeste brésilien) raconte que les trois prêtres brésiliens à qui il succédait s’étaient mariés. Le type de masculinité sacerdotale de part et d’autre de l’Océan leur semblait bien différent. Et le fait d’insister sur ces qualificatifs pour décrire les prêtres brésiliens impliquaient bien que les prêtres belges au début des années 1960 s’attribuaient par contraste ou négatif photographique les qualificatifs opposés, voire comme se considéraient comme l’étalon à partir duquel l’action des prêtres brésiliens devait être évaluée : ils se considéraient donc comme « organisés », dans la retenue affective et sexuelle et disciplinés, notamment en ce qui concerne le vœu de célibat. Un des prêtres interviewés explicite comment sa perception a évolué et qu’il évitait donc de rester avec les prêtres de sa nationalité pour éviter ce type de catégorisation. Parallèlement, comme nous l’avons constaté, du côté brésilien, les prêtres étrangers incarnent à leur arrivée malgré eux différentes représentations d’euxmêmes à l’intersection du prêtre, de l’Européen, de l’homme blanc, d’un milieu social toujours plus favorisé que les milieux pauvres brésiliens dans lesquels ils sont amenés à travailler, et de l’intellectuel ou, du moins, ayant une solide formation intellectuelle leur donnant un avantage certain face à la majorité de leurs confrères brésiliens. En effet, les prêtres du COPAL partent en Amérique latine à partir de 1955. La Belgique est encore un pays colonial. La filiation des prêtres Fidei Donum avec les missionnaires classiques est manifeste. Certains prêtres choisissent d’ailleurs comme destination l’Amérique latine, car les voies des missions au Congo belge leur sont fermées à partir de 1960. Ils évoquent souvent aussi un esprit de jeunesse et d’aventure, comme motivation à leur vocation latino-américaine. De nombreux prêtres ont rapidement conscience de ce potentiel, tout en le relativisant, car pour réellement pouvoir agir au Brésil, une adaptation devait avoir lieu. Il s’agit d’une réelle reconversion pour certains, une autre manière de vivre la foi, la pastorale et l’Évangile. Autrement dit, cela demandait d’entrer dans un être au monde brésilien, tout en négociant avec le statut de prêtre étranger et blanc dans une société traversée par les tensions raciales issues des relations coloniales.

S’insérer au sein du peuple et Théologie de la libération Nous l’avons déjà souligné, le concile Vatican II a eu plusieurs implications très concrètes dans le quotidien de la vie des prêtres : le retrait de la soutane et la possibilité de s’habiller comme un laïc, dire la messe en langue vernaculaire, le portugais. Les prêtres enlèvent donc les attributs visibles qui les distinguent de la communauté des laïcs. Ces réformes diminuent de fait la distance entre le prêtre et le peuple des fidèles, limitant les apparats du statut sacerdotal et donc d’une certaine masculinité, et cela aura des conséquences importantes dans le contexte brésilien dans lequel arrivent les prêtres du COPAL.

QuELLE MAScuLInITé PouR QuELLE MISSIon ?

Pendant la décennie 1960, l’Église brésilienne est un réel terreau d’expérimen­ tation sociale et théologique avec la création en 1961 du Mouvement d’éducation de base du pédagogue catholique Paulo Freire et le développement des Commu­ nautés ecclésiales de base. Ce christianisme de la libération23 visait de manière différente à la conscientisation du peuple, des laïcs, de leur situation d’oppression pour pouvoir s’en extraire et s’inspirait notamment du « Voir, juger, agir » de l’Action catholique de Joseph Cardijn. Ce christianisme de la libération est aussi la matrice dans laquelle se forge la théologie de la libération, formulée à partir de 1968, théologie contextuelle latino-américaine qui prône l’option préférentielle pour les pauvres et propose une relecture de la Bible et de l’histoire chrétienne dans la perspective du Jésus pauvre et opprimé. Les prêtres du COPAL au Brésil se réfèrent dès le début des années 1960 à ces mouvements. Ils évoquent leur prise de conscience de la grande pauvreté dans laquelle vivaient nombre de leurs paroissiens. Ils ont vécu selon les termes de certains une réelle conversion à ce type d’Église dans le prolongement de leur engagement dans la JOC en Belgique. La plupart des prêtres interviewés évoquent alors cet engagement social et de conscientisation auprès des plus pauvres, la volonté d’une vie sacerdotale simple et non ostentatoire, et la volonté de transmettre des outils à ces populations pour qu’ils puissent sortir de cette pauvreté. Ils disent alors « faire » ou « pratiquer » de la théologie de la libération et ne pas s’intéresser à la théorie ou à l’idéologie marxiste, et certainement pas à un engagement politique au sens partisan du terme. Le vocabulaire est bien celui de l’action, du concret. Et l’expression « pés no chão » [« pieds sur terre »] qui est souvent mobilisée par les prêtres pour décrire leur pastorale est révélatrice de ce mouvement d’ancrage et d’engagement, bien éloigné de la figure du prêtre tridentin brésilien qui planait à mi-chemin entre les fidèles et Dieu. Ce qui nous intéresse ici c’est l’implication de cet engagement dans cette théologie de la libération en termes de masculinité sacerdotale. Quand ces prêtres disent « faire » de la théologie de la libération à quels types d’action se réfèrentils et quels types de développement humain et d’homme promeuvent-ils en toile de fond ? Dans la perspective de la théologie de la libération, le prêtre suit le modèle du Christ qui s’insère au milieu des plus pauvres et des opprimés, et c’est bien dans ce lieu théologique que se dévoile avec plus de force la foi. Et dans ce sens, les prêtres Fidei Donum au Brésil modèlent leur posture sacerdotale sur cette figure christique : il s’agit d’être au milieu du peuple de manière très concrète « pés no chão », mais pas n’importe quel peuple, le peuple pauvre, opprimé qui appelle à une libération. Les prêtres ont donc une fonction non seulement sacramentelle, mais aussi « agissante », basée sur la praxis libératrice, dans le but de sortir le peuple de son oppression. Ils créent des écoles agricoles (notamment dans l’État 23 M. Löwy, La Guerre des dieux. Religion et politique en Amérique latine, Paris, Éditions du Félin, 1998, p. 54 ; L. Martínez Andrade, « Le marxisme dans la théologie de la libération aujourd’hui », Actuel Marx, 64/2 (2018), p. 60-73.

241

242

cARoLInE SAPPIA

de Bahia), ils participent à l’élaboration de la teologia da enxada [théologie de la houe]24 formant des séminaristes non seulement à la théologie, mais aussi aux méthodes agricoles des petits agriculteurs du Nordeste brésilien pour rentrer dans les zones rurales isolées et parler le même langage tant lexical que corporel des paysans et ainsi, simultanément, évangéliser etaméliorer la culture de leur lopin de terre. Dans les zones urbaines, ils participent au mouvement de la JOC, et certains travailleront dans des écoles techniques pour la formation en électriciens, voire seront prêtres ouvriers. Certains aussi poursuivent leur apostolat comme prêtres de paroisse développant des pastorales spécialisées, notamment auprès des plus pauvres. Certains prennent aussi des engagements intellectuels fort comme José Comblin dans la Teologia da Enxada et ses autres écrits et Eduardo Hoornaert qui participe à la rédaction de l’histoire de l’Église latino-américaine dans la perspective du pauvre porté par le Cehila (Commission d’étude de l’Histoire de l’Église en Amérique latine)25. Ils militent souvent de manière discrète contre la dictature militaire brésilienne, pour éviter toute répercussion sur leurs paroissiens, voire d’être expulsés. La figure prophétique et pacifique de Dom Helder Câmara, archevêque de Recife, avec lequel une équipe de prêtres du COPAL travaille dès 196526, est également porteuse de sens et d’autorité pour nombre de prêtres interviewés, tout en étant source d’inspiration d’une posture à adopter. Ses positions en faveur des droits de l’homme et contre la dictature militaire brésilienne ainsi que celles pour une Église pauvre27 renforce l’engagement des prêtres Fidei Donum au Brésil et, plus largement, en Amérique latine, tout en suscitant des vocations européennes. Les discours de Dom Helder Câmara aux étudiants à Paris et à Bruxelles n’y sont pas étrangers. L’interdiction d’entrée sur le sol brésilien du théologien belge José Comblin en 1973 participe également de ce renforcement du sens de l’apostolat des prêtres étrangers au Brésil dans la ligne de la théologie de la libération28. En termes d’engagements politiques militants, seul un prêtre a eu un réel engagement politique pour lequel il a été expulsé du Brésil. En tant qu’intellec­ tuel imprégné de culture catholique, le COPAL envoie Jan Talpe à l’Université 24 Sur la Teologia da enxada, voir A. Rocha de Souza, « A prática de Comblin: a Igreja do chão da realidade », Horizonte. Revista de Estudos de Teologia e Ciências da Religião, 15/45 (jan.-mar. 2017), p. 239-255. 25 E. Hoornaert (éd.), História da Igreja o Brasil, Petrópolis, 1983. 26 Le théologien José Comblin et l’historien Eduardo Hoornaert ont tous deux collaboré avec Dom Helder Câmara à partir de 1965. 27 Dom Helder Câmara est signataire du Pacte des Catacombes pris à l’initiative du groupe « Jésus, l’Église et les pauvres » et signé par une quarantaine d’évêques à la toute fin du concile (16 novembre 1965). Ce Pacte promeut la simplicité de l’Église, la pauvreté évangélique du mode de vie et la priorité de l’évangélisation des pauvres. L. Martinez Saavedra et P. Sauvage, art. « Pacte des Catacombes », in M. Cheza, L. Martinez Saavedra et P. Sauvage (dir.), Dictionnaire historique de la théologie de la libération, Namur, Lessius, 2017, p. 355-361. 28 Sur l’expulsion de José Comblin, voir Richard Marin, Dom Helder Câmara les puissants et les pauvres. Pour une histoire de l’Église des pauvres dans le Nordeste brésilien, Paris, L’Atelier, 1995, p. 174-189 ; C. Sappia, Le Collège pour l’Amérique latine…, op. cit., p. 604-614.

QuELLE MAScuLInITé PouR QuELLE MISSIon ?

fédérale de São Paulo (USP) en 1965 où il devient assistant. Dans un milieu laïque, il s’agit, selon ses dires, d’évangéliser l’université par sa présence et son action. Il vivra une réelle « conversion marxiste-léniniste » (selon ses termes). Il s’engage auprès de l’Ação Popular et a le projet de se faire engager comme prêtre ouvrier dans la ville industrielle d’Osasco dans la banlieue de Sao Paulo. Il se fait faire des faux-papiers qu’il n’aura pas le temps d’utiliser, car il se fait arrêter avec des tracts de l’Ação Popular. Il passe six mois dans les prisons brésiliennes avant d’être renvoyé en Belgique. Il retourne alors au COPAL, puis quitte la prêtrise et poursuit son engagement politique et se marie avec une militante chilienne. Il retourne ensuite en Argentine pendant la période de dictature où il travaille en tant que professeur d’université tout en poursuivant son engagement politique. Il vit actuellement à Bruxelles et reste un militant communiste actif. Remarquons aussi que la figure du prêtre guérillero Camilo Torrés, ayant vécu un an au COPAL29, a marqué le parcours des prêtres du COPAL. La mort de Camilo Torrés le 15 février 1966, ancien étudiant de l’Université catholique de Louvain, proche de François Houtart, marque plus la vie du COPAL en Belgique que les prêtres en Amérique latine, et ce dans le contexte des manifestations des étudiants flamands pour la scission en deux entités linguistiques indépendantes de l’Université. En mars 1966, soit un mois après la mort de Camilo Torrés, un groupe de séminaristes flamands participent à une manifestation des étudiants flamands, allant à l’encontre des consignes de la hiérarchie ecclésiastique en la matière. Et deux articles anonymes signés par « Un séminariste flamand » dans une revue du mouvement étudiant flamand, Ons Leven, reprennent les discours de Camilo Torrès à l’encontre des évêques flamands30. Ce n’est pas la posture militaire ou guerrière de Camilo Torrés qu’ils mettent en avant, mais bien ses discours et sa pensée intellectuelle et sacerdotale, mettant la liberté de conscience des prêtres et des évêques flamands au cœur de ces articles. Le « Séminariste flamand » cite donc un discours de Camilo Torrés avant son engagement au sein de l’ELN : Je ne crois pas que le Dieu des Chrétiens exige de choisir entre le salut de son peuple et le salut de l’Église, car je crois que les deux saluts ne font qu’un. L’aspect le plus important de la prêtrise réside en ceci que, dans la mesure du possible, se réalise dans la communauté des humains, la charité dans une forme authentique, car c’est là que cet amour, l’amour du Christ et l’amour du

29 Camilo Torrès Restrepo étudie à l’Université catholique de Louvain entre 1955 et 1958. Il vit au Collège pour l’Amérique latine les années académiques 1955-1956 et 1956-1957 en tant sur sous régent, à savoir responsable des étudiants latino-américains. Louvain, KADOC, A. COPAL, no 2 : Farde Fondation. Doc. A. Gruson. Listes de membres du COPAL. 1955-1956 et 1956-1957. 30 Louvain, KADOC, A. COPAL : Traduit du néerlandais par l’auteur. « Leuven ver van Rome », Ons Leven. Studentenweekblad, 78e année, no 23 (18 mars 1966), p. 3 ; Louvain , KADOC, A. COPAL : « Lettre ouverte d’un séminariste flamand aux évêques flamands de l’épiscopat belge ».

243

244

cARoLInE SAPPIA

Père céleste, se réalise (père Camilo Torres, prêtre colombien, interview, Lima, juillet 1965)31. L’auteur poursuit rappelant aux évêques flamands que l’amour du prochain et la charité devaient commencer par l’entourage le plus proche, c’est-à-dire, pour eux, le « peuple flamand ». Plus loin, le « séminariste flamand » entame une véritable leçon de conscience aux évêques flamands. Avec la même liberté de ton, il développe l’importance du libre arbitre des chrétiens face à des questions de conscience – tel le combat flamand, libre arbitre qui doit s’exercer même jusqu’à une éventuelle excommunication : Un chrétien doit suivre la voix de sa conscience et il doit agir de façon à rester fidèle avec lui-même, et ce, même jusqu’aux conséquences d’une excommunication. […] L’obéissance est un acte de volonté des personnes libres, la soumission la dégrade au rang d’animal. Elle [la soumission] tue le sens des responsabilités personnelles et empêche toutes prises d’initiatives. […]. Face à l’émancipation sociale du peuple flamand, dont nous sommes les prêtres, nous n’avons pas le droit, mais le devoir de lui prouver notre amour par des actes et un soutien sans réserve. Nous étions prêts pour notre vocation, mais votre circulaire et votre attitude [des évêques flamands] ont semé le trouble parmi nous [prêtres et séminaristes flamands]. Par conséquent, afin que nous voyions à nouveau clair, je vous demande à vous, évêques flamands […] de nous répondre, ce qui ne résoudra pas seulement mon problème, mais celui de nombreux prêtres et séminaristes flamands dont les vingt qui m’ont accordé leur soutien32. Les séminaristes en question seront sanctionnés. Leur ordination est reportée, alors qu’ils devaient être ordonnés à Rome en juin 1966 par le pape Paul VI en personne. La masculinité sacerdotale en jeu dans cet article est celle d’une justice sociale en action, et d’une lutte contre l’oppression au risque de la sanction suprême pour un prêtre qu’est l’excommunication. Ces modèles de martyrs ou de prêtre guérilléro ont certainement modelé la vision de l’apostolat et du monde des prêtres du COPAL, mais peu in fine leurs actions en termes révolutionnaires ou de lutte armée. Leur apostolat reste ancré dans la réalité et le contexte des pauvres, et en lien, bien que parfois fort lâche, avec la hiérarchie ecclésiastique.

Sortie de prêtrise Alors que les archives restent muettes sur ce point, très rapidement la ques­ tion de la sortie de la prêtrise s’est posée dans les interviews. Les témoins font

31 Ibid. 32 Ibid.

QuELLE MAScuLInITé PouR QuELLE MISSIon ?

référence aux parcours de vie de leurs confrères affirmant que ces défections suivies de mariage étaient plus nombreuses pour les prêtres partant en Amérique latine que pour les prêtres restés en Belgique. Alors que, dans les faits, on observe un taux de défection similaire sur les deux continents. Pour ce qui est des prêtres du COPAL au Brésil, sur les 68 prêtres partis à cette époque, 22 quittent le sacer­ doce (32,4 %) pour se marier après des périodes d’apostolat des plus variables allant d’un an à 23 ans. Et parmi eux 19 quittent le sacerdoce entre la fin des années 1960 et 198033. La question du célibat sacerdotal est au cœur des débats préconciliaires. Un témoin nous disait clairement que le cardinal Suenens aurait glissé à certains séminaristes que la question du célibat serait résolue pendant le concile. Cela aurait trompé certains candidats au départ qui partaient en Amérique latine en attente d’une « résolution » de cette question. Or, au lendemain du concile, Paul VI réaffirme le célibat sacerdotal en promulguant l’encyclique Sacerdotalis Caelibatus le 24 juin 1967 dans laquelle il déconstruit les différentes critiques au sein de l’Église contre le célibat sacerdotal. Au-delà de ce type de discours, il nous a semblé intéressant de comprendre le parcours et le changement de vie vécus par ces hommes engagés dans l’Église par le sacrement de l’ordination, impliquant une forte identification à la fonction sacerdotale ainsi qu’un rôle fortement institutionnalisé34. Et cela est d’autant plus marqué que le changement dans la vie personnelle et intime de ces hommes rend impossible l’exercice de leur fonction sacerdotale et donc l’accomplissement de ce qui peut être considéré comme une réelle « profession35 » dans les deux sens du terme : un métier et une vocation dans lesquels ils sont engagés depuis quelques années et parfois plusieurs décennies. C’est donc par le biais des sorties de la prêtrise et par quelques phrases glanées au fil des entretiens d’une quarantaine de témoins, dont quatre anciens prêtres partis au Brésil qui se sont ensuite mariés, que la question du rapport au mariage s’est posée. Et c’est bien à l’intersection des deux rôles de l’homme catholique que nous nous situons : le laïc et le clerc, voire du passage d’un type de masculinité catho­ lique à l’autre. Les quatre témoins interviewés évoquent leur grand attachement à la fonction sacerdotale. Alors qu’ils sont mariés, ils se sentent d’ailleurs pour deux d’entre eux encore – ontologiquement – prêtres vu qu’ils n’ont pas demandé leur réduction à l’état laïc et que le sacrement d’ordination est irréversible.

33 C. Sappia, « Prêtres du Collège pour l’Amérique latine de Louvain au Brésil entre crise de vocation et mariage, 1960-1985 », in J. Pirotte et J.-Fr. Zorn (éd.), Hommes et femmes en mission Entre partage et confrontation (xixe-xxe siècle). Actes du 37e colloque du Crédic à Paris, Paris, Karthala, 2018, p. 291-306. 34 Fr. Grima, E. Abord de Chatillon et P. de Becdelièvre, De prêtre à prêtres mariés : faire face à la menace identitaire lors d’une macro transition stigmatisante. Congrès AGRH, octobre 2015, Montpellier, France. Actes du 26ème congrès de l’Association francophone de Gestion des Ressources Humaines, 2015 [en ligne]. URL : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01174099/. 35 C. Béraud, Le métier de prêtre, Paris, L’Atelier, 2006.

245

246

cARoLInE SAPPIA

Pour un autre ancien prêtre du COPAL, le processus de sortie du sacerdoce a été long et difficile parce que pour lui, rencontrer une femme et se marier ne signifiait pas nécessairement rejeter la fonction de prêtre que de fait il estimait. En effet, pour le prêtre qu’il était, « quitter la soutane » signifiait tant symbolique­ ment que concrètement, descendre de l’autel, basculer de l’autre côté, et rejoindre la communauté des fidèles, et cela n’était pas sans conséquence sur le type de masculinité catholique en jeu qui modifiait leur rapport avec l’ensemble de la communauté des laïcs – leurs anciens fidèles, hommes et femmes. Quand ils se marient et qu’ils restent liés à l’institution, les anciens prêtres vivent à la perte du rôle de médiation entre le transcendant et le temporel, au passage du sacrement de l’ordination à celui du mariage – tous deux considérés comme éternels et irrévocables par l’institution ecclésiastique – et au passage du statut de prêtre – pasteur d’une paroisse – à celui de mari, voire de père de famille, passant donc d’une masculinité sacerdotale à celle d’un prêtre réduit à l’état laïque, voire, selon les conceptions, d’un « prêtre marié36 ». Plus prosaïquement, c’est la perte d’un statut sacerdotal que vivent ces hommes auxquels s’adjoint la perte de certains avantages et privilèges. Certains anciens prêtres ne demandant pas la réduction à l’état laïque, ils ne pouvaient donc se marier religieusement. Un témoin expliquait d’ailleurs très simplement lorsque je lui demandai comment s’était déroulée la rencontre avec sa future épouse : « c’est juste l’histoire d’un homme et d’une femme qui tombent amoureux », ramenant ainsi son statut à l’échelle humaine. Et dans ce cas, l’ancien prêtre se considère avant tout comme un homme, avant sans doute d’être un prêtre. Notons que l’expression « réduc­ tion à l’état laïque » témoigne bien de cette diminution du statut de médiation transcendantale de prêtre à celui de simple laïc – telle une dévalorisation. Nous observons dans ces témoignages que le lien d’attachement avec la fonc­ tion sacerdotale est souvent fort et intime. Ces hommes montrent d’ailleurs une certaine retenue et de la pudeur quant à la relation qu’ils ont eue avec leur épouse. Certains étaient d’ailleurs encore prêtres quand ils les ont rencontrées. Il serait intéressant d’interviewer les épouses de ces anciens prêtres pour sonder leurs propres représentations d’elles-mêmes, de leur mari et de la manière dont les fidèles de l’ancienne paroisse de leur époux ont éventuellement considéré, accepté, voire rejeté, cette transition. Cela prolongerait l’analyse de genre, des masculinités en jeux et des relations coloniales. Cette représentation de la fonction de « prêtre » se mêle également avec celle de « prêtre européen », voire de « l’homme européen » en tant qu’homme cultivé, de haute formation intellectuelle, venant d’un pays développé et donc avec un potentiel capital financier et doté de valeurs de vie telles que la fiabilité et la fidélité, éloignés des habitus machistes des Brésiliens, selon certains. Ce point est loin d’être négligeable, car, au dire de certains témoins, « les femmes issues de milieux populaires » auraient un plan pour « épouser » les prêtres étrangers. 36 E. Oliveira Silva, Entre a batina e a aliança: das mulheres de padres ao movimento dos padres casados no Brasil, Thèse de doctorat, Brasilia, Université de Brasilia, 2008, p. 135.

QuELLE MAScuLInITé PouR QuELLE MISSIon ?

Mais n’est-ce pas une nouvelle représentation de prêtres sur les « femmes brési­ liennes » à la recherche, selon eux, d’un passeport vers l’Europe, impliquant leur masculinité hégémonique ? Nous sommes ici en présence d’un enchevêtrement de représentations des uns et des autres. Il est donc important de nuancer ces pro­ pos et de proposer une analyse en plusieurs couches des écrits et des interviews sur les questions de la sortie de prêtrise, de cette transition entre différents statuts et entre différentes identités qui modifient radicalement le rapport au monde, le rapport à l’entourage et à l’intimité de ces hommes. Cette transition s’opère entre continuité, critique et rejet par rapport à une fonction, à une vocation et à une institution au fort pouvoir identitaire et symbolique.

Conclusion Évoquer la masculinité sacerdotale des prêtres Fidei Donum au Brésil, c’est avant tout analyser une posture d’homme d’Église entre deux continents, à la croisée de deux modèles missionnaires dans une période de transition préet post conciliaire. C’est aussi se placer tant dans les héritages missionnaires coloniaux, que d’analyser les filiations avec d’autres expériences « d’Églises en subversion37 » dont celles des prêtres ouvriers en France et en Belgique qui ont donné une certaine légitimité à l’adaptation des prêtres Fidei Donum en Amérique latine qui prennent souvent une tout autre direction que celles préconisées par le Saint-Siège38. La volonté de s’inscrire dans l’option préférentielle pour les pauvres, de s’insérer au cœur des quartiers populaires et de s’ancrer « pés no xão » pour avoir une action de conscientisation auprès du peuple, notamment au sein des communautés ecclésiales de base, a eu paradoxalement un effet non attendu : celui d’une certaine « déshégémonisation » de la figure du prêtre qui aurait perdu de sa transcendance dans cette volonté de se rapprocher du peuple. C’est d’ailleurs un des reproches formulés par de certains prêtres interviewés dans le cadre de cette recherche, bien qu’ils se reconnaissent dans le christianisme de la libération. La théologie de la libération aurait créé une distance entre le peuple et la transcendance, perdant ainsi une certaine spiritualité. Cette réflexion pose une certaine équivalence entre hégémonie sacerdotale et transcendance qui reste à étudier. Par ailleurs, certains observateurs avancent l’hypothèse que le succès des mouvements évangélistes et catholiques charismatiques reposent sur le désir des fidèles de retrouver cette transcendance à travers un culte ostentatoire et mis en scène, et la mise en valeur d’attributs sacerdotaux – tels la soutane et le col

37 T. Cavalin, Ch. Suaud et N. Viet-Depaule, De la subversion en religion, Karthala, Paris, 2010. 38 En atteste la série de témoignages de prêtres et religieux en Amérique latine depuis les années 1950 publiés aux Éditions Karthala depuis le début des années 2010 dans la collection « Signes des temps ».

247

248

cARoLInE SAPPIA

romain – rappelant la période préconciliaire. Au contraire, d’autres observateurs, plus proches de la théologie de la libération, revendiquent cette « déshégémonisa­ tion » et entendent ancrer la spiritualité dans une pratique inscrite dans l’option préférentielle pour les pauvres.

PARTIE 3

Masculinités sacerdotales à l'épreuve de l’hégémonie

mICHELLE ARmSTROng-pARTIDA 

Sex and priestly masculinity in late medieval Europe

Marriage, concubinage, and sex – forbidden to men in the priesthood and yet perpetually linked to the image of the medieval priest. Scholars of the Mid­ dle Ages are very familiar with the clergy’s struggle to forgo marriage and their reputation for sexual licentiousness. Since Jo Ann McNamara published her arti­ cle on The Herrenfrage: The Restructuring of the Gender System, 1050-1150 in 1994, historians have attempted to flesh out the masculinities of bishops, monks, saints, and priests1. Much of this scholarship has focused on the Gregorian reform and the transition period immediately after that brought about a crisis of masculinity when the Western Church insisted on clerical celibacy and prohibited the most visible markers of medieval manhood to the clergy, such as wives, children, and weapons2. These studies of the letters, hagiographies, and treatises produced during the 11th and 12th centuries reveal that elite clergymen developed alternative masculinities of celibate manhood that offered a substitute for secular ideals of masculine norms as spiritual bridegrooms and spiritual fathers3. The irony is

1 J. A. McNamara, “The Herrenfrage: The Restructuring of the Gender System, 1050-1150”, in C. A. Lees (ed.), Medieval Masculinities: Regarding Men in the Middle Ages, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1994, p. 3-29. 2 M. C. Miller, “Masculinity, Reform, and Clerical Culture: Narratives of Episcopal Holiness in the Gregorian Era”, Church History, 72 (2003), p. 25-52; M. McLaughlin, “Secular and Spiritual Fatherhood in the Eleventh Century”, in J. Murray (ed.), Conflicted Identities and Multiple Masculinities, New York, Garland Press, 1999, p. 25-43; id., “The Bishop as Bridegroom: Marital Imagery and Clerical Celibacy in the Eleventh and Early Twelfth Centuries”, in M. Frassetto (ed.), Medieval Purity and Piety: Essays on Medieval Clerical Celibacy and Religious Reform, New York, Garland Publishing, 1998; R. N. Swanson, “Angels Incarnate: Clergy and Masculinity from Gregorian Reform to Reformation”, in D. M. Hadley (ed.), Masculinity in Medieval Europe, London, Longman, 1999, p. 160-177; J. Thibodeaux, The Manly Priest: Clerical Celibacy, Masculinity, and Reform in England and Normandy, 1066-1300, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2015. 3 For the numerous ways in which clergy have defined their own masculine ideal, see M. Kuefler, The Manly Eunuch: Masculinity, Gender Ambiguity, and Christian Ideology in Late Antiquity, Chicago, The University of Chicago Press, 2001; P. H. Cullum and K. J. Lewis (ed.), Holiness and Masculinity in the Middle Ages, Toronto, University of Toronto Press, 2004; J. D. Thibodeaux (ed.), Negotiating Clerical Identities: Priests, Monks and Masculinity in the Middle Ages, New York, Palgrave Macmillan, Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 251-278. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131602

252

MIchELLE ARMSTRonG-PARTIDA

that these models of clerical masculinity continued to mirror the centrality of marriage and fatherhood to secular manhood and, as I will argue throughout this essay, continued to influence the masculinity of priests who maintained an active sexuality. In every corner of medieval European society, it is evident that a significant population of priests could not be convinced to embrace spiritual marriage and spiritual children as a replacement for sex and a relationship with a woman that generated progeny. Synodal legislation, ecclesiastical court records, saints’ lives, fabliaux, songs, poems, exempla, narrative sources, crusading accounts, manuals for priests, and sermons all reveal the difficulties that secular clerics, including reg­ ular clergy, experienced in maintaining a lifelong abstinence from sexual relations. Dispensations granted to clerical children for their illegitimate birth recorded in papal registers and in the volumes of the apostolic penitentiary from every diocese of the Western Church further suggest that the clergy’s transgressive sexuality was endemic throughout Europe and that a great number experienced fatherhood4. The inability of secular clergy to fully renounce an active sexuality for one of celibacy and chastity tells us that at the very least secular clergy were not comfortable with a masculine identity that completely eschewed sex with women. Because the typical late medieval parish priest did not leave behind letters or an account of how he constructed his own masculinity, we must use the behaviors 2010; K. J. Lewis, “Male Saints and Devotional Masculinity in Late Medieval England”, Gender & History, 24 (2012), p. 112-133; S. Farmer, “Manual Labor, Begging, and Conflicting Gender Expectations in Thirteenth-Century Paris”, in S. Farmer and C. R. Pasternack (ed.), Gender and Difference in the Middle Ages, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2003, p. 261-287. See also the essays on clergy and masculinity in D. M. Hadley (ed.), Masculinity in Medieval Europe…, op. cit. 4 According to Ludwig Schmugge and Kirsi Salonen, 60 % of the 37,916 dispensations for defectum natalium from 1449 to 1533 belonged to children of the clergy. Bernhard Schimmelpfennig’s study of papal registers from the 12th to 14th centuries revealed that out of 568 dispensations granted to illegitimate children, 202 belonged to priests and 255 to clerics, so 457 petitions represent children of the clergy. Schimmelpfennig cautions that the number of illegitimate children is likely to be ‘considerably higher’ because not all dioceses are represented and some of the dispensations refer to children in the plural but do not specify a number. See K. Salonen and L. Schmugge, A Sip from the ‘Well of Grace’: Medieval Texts from the Apostolic Penitentiary, Washington, D.C., The Catholic University of America Press, 2009, p. 58-59; L. Schmugge, “‘Cleansing on Consciences’: Some Observations Regarding the Fifteenth-Century Registers of the Papal Penitentiary”, Viator, 29 (1998), p. 345-361; K. Salonen and J. Hanska, Entering a Clerical Career at the Roman Curia, 1458-1471, Farnham, Surrey, Ashgate, 2013; B. Schimmelpfennig, “Ex fornicatione nati: Studies on the Position of Priests’ Sons from the Twelfth to the Fourteenth Century”, Studies in Medieval and Renaissance History, 2 (1979), p. 3-50, here at p. 37. The important work of Julien Théry-Astruc also addresses the many clerics from France and Italy who appear in papal registers for the charge of incontinence from the 12th to 14th centuries. J. Théry-Astruc, “‘Excès’, ‘affaires d’enquête” et gouvernement de l’Église (v. 1150-v. 1350). Les procedures de la papauté contre les prélats ‘criminels’: première approche”, in P. Gilli, Pathologie du pouvoir: vices, crimes et délits des gouvernants, Leyden, Brill, 2016, p. 164-236; id., “Luxure cléricale, gouvernement de l’Église et royauté capétienne au temps de la ‘Bible de Saint Louis’. Apostilles à l’article de François Boespflug”, Revue Mabillon, 25 (2014), p. 165-193. See also H. Parish, Clerical Celibacy in the West: 1100-1700, Farnham, Surrey, Ashgate, 2010, p. 120-128.

SEx AnD PRIESTLy MAScuLInITy In LATE MEDIEvAL EuRoPE

and actions of clerics in documents of practice to decipher the gender identity of parish clergy. Judith Butler’s theory that gender is performative is instructive for understanding the sexual conduct of the clergy. To repeatedly engage in a set of behaviors and activities means that gender identity is a performance that has social meaning and that its repetition is a form of legitimation5. The choices that parish clergy made to engage in marriage-like unions, short term affairs, or sex with a prostitute signifies that they were taking part in behaviors that were perceived as masculine in their social milieu. Although the Western Church deemed the clergy’s sex acts with women to be illicit, they were still conforming to some degree to the sexual norms of medieval society. Many of the clergy’s sexual behaviors were in line with culturally determined gender roles that were organized around the primacy that medieval society gave to opposite-sex courtship, the social institution of marriage and the reproduction of children, as well as male dominance in all of the above including sex acts6. It was considered natural for the masculine body to desire a woman and the pursuit of women for sex was seen as a masculine endeavor7. This does not mean that simply engaging in sex made a priest a ‘man’, but that it was one trait among many that placed his manhood along a continuum of male behavior that conformed to masculine norms to produce a masculine identity. To varying degrees, then, secular clergy conformed to the social expectation that as men they would become sexually involved with women and father children. For guidance in understanding priestly masculinity in late medieval Europe we can turn to Joan W. Scott and the work of sociologists, such as Michael Kimmel, R. W. Connell, and James Messerschmidt. Both Scott and Kimmel have emphasized the role of power in explanations of gender relations and differences because gender is ‘a primary way of signifying power’ where men have power over women but also over other men8. Within any society, various forms of masculini­ ties and femininities exist and the plurality of gender identities means that not all masculinities (or femininities) are perceived to be equal. The hegemonic ideals of manhood that a society produces reveals that some masculinities are more socially dominant than others because they exemplify these ideals to a greater 5 J. Butler, Gender Trouble: Feminism and the Subversion of Identity, New York, Routledge, 1999, p. xv-xvi, p. 185-187, and p. 190-192. 6 I use Kim M. Phillips and Barry Reay’s definition of ‘normative premodern sex’ and what would classify as ‘heterosexual’ behavior and desire in the premodern West. See K. M. Phillips and B. Reay, Sex before Sexuality, op. cit., p. 5, p. 12-13, p. 34, p. 41, p. 47, and p. 53. See also R. M. Karras, Sexuality in Medieval Europe: Doing Unto Others, 3rd ed., New York, Routledge, 2017, p. 7-8. 7 Ibid., p. 8 and p. 175-177. 8 J. W. Scott, Gender and the Politics of History, revised ed., New York, Columbia University Press, 1999, p. 44-45; M. S. Kimmel, The Gendered Society, 3rd ed., Oxford: Oxford University Press, 2008, p. 105. When thinking about how gender operates in any given society, Joan Scott has also made clear that gender is about power because “the concepts of gender structure perception and the concrete and symbolic organization of all social life”. Likewise, Kimmel argues that “gender is about the power that men as a group have over women as a group, and it is also about the power that some men have over other men”.

253

254

MIchELLE ARMSTRonG-PARTIDA

extent and are more often associated with authority and social power9. Although men conform to, modify, challenge and negotiate the gendered prescriptions and norms of their society, it is inevitable that their performative manhood is measured in respect to the masculinity of other men. The result is the subordina­ tion, marginalization, or promotion of some masculinities over others depending on the situation and historical context10. In medieval society, a hierarchy of mas­ culinities existed that depended on age, marital status, socio-economic position, education, profession, and ethnicity, as well as political and moral authority, and also depended on whether a man lived in a rural village, a town, or a city. This af­ fected the relationships among groups of men and established power differentials based on who had more socially dominant masculinities11.

9 See, for example, R. M. Karras, From Boys to Men: Formations of Masculinity in Late Medieval Europe, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2003; K. J. Lewis, Kingship and Masculinity in Late Medieval England, New York, Routledge, 2015; S. McSheffrey, “Men and Masculinity in Late Medieval London Civic Culture: Governance, Patriarchy, and Reputation”, in J. Murray (ed.), Conflicted Identities and Multiple Masculinities…, op. cit., p. 243-278; S. M. Stuard, “Burdens of Matrimony: Husbanding and Gender in Medieval Italy”, in C. A. Lees (ed.), Medieval Masculinities…, op. cit., p. 61-72; S. Chojnacki, “Subaltern Patriarchs: Patrician Bachelors in Renaissance Venice”, in ibid., p. 73-90; A. Miller, “Knights, Bishops, and Deer Parks: Episcopal Identity, Emasculation and Clerical Space in Medieval England”, in J. D. Thibodeaux (ed.), Negotiating Clerical Identities…, op. cit., p. 204-237; A. Miller, “‘Tails’ of Masculinity: Knights, Clerics, and the Mutilation of Horses in Medieval England”, Speculum, 88 (2013), p. 958-995. 10 M. S. Kimmel, The Gendered Society…, op. cit., p. 103 and p. 114; R. W. Connell and J. W. Messerschmidt, “Hegemonic Masculinity: Rethinking the Concept”, Gender and Society, 19 (2005), p. 844-845 and 848-849, here at p. 846. Connell and Messerschmidt argue that “the concept of hegemonic masculinity presumes the subordination of nonhegemonic masculinities… Also well supported is the idea that the hierarchy of masculinities is a pattern of hegemony, not a pattern of simple domination based on force. Cultural consent, discursive centrality, institutionalization, and the marginalization or delegitimization of alternatives are widely documented features of socially dominant masculinities”. Judith Butler also sees gender as fluid and situational: “If gender is a kind of a doing, an incessant activity performed, in part, without one’s knowing and without one’s willing, it is not for that reason automatic or mechanical. On the contrary, it is a practice of improvisation within a scene of constraint. Moreover, one does not ‘do’ one’s gender alone. One is always ‘doing’ with or for another, even if the other is only imaginary”. See J. Butler, Undoing Gender, New York Routledge, 2009, p. 1. 11 R. W. Connell and J. W. Messerschmidt, “Hegemonic Masculinity…”, art. cit., p. 847-849. See also R. M. Karras, From Boys to Men…, op. cit., p. 3, p. 8, p. 128-129, and p. 157-162; D. G. Neal, The Masculine Self in Late Medieval England, Chicago, The University of Chicago Press, 2008, p. 13-24, p. 43, p. 46, p. 58, and p. 93; J. Nelson, “Monks, Secular Men, and Masculinity, c. 900”, in D. M. Hadley (ed.), Masculinity in Medieval Europe…, op. cit., p. 121-142; P. J. P. Goldberg, “Masters and Men in Later Medieval England”, in ibid., p. 56-70; E. A. Lehfeldt, “Ideal Men: Masculinity and Decline in Seventeenth-Century Spain”, Renaissance Quarterly, 61 (2008), p. 463-494: K. M. Phillips, “Masculinities and the Medieval English Sumptuary Laws”, in Gender & History, 19 (2007), p. 22-42; M. M. Mesley, “Beyond Celibacy: Medieval Bishops, Power, and Masculinity in the Middle Ages”, in Chr. Fletcher, S. Brady, R. E. Moss and L. Riall (ed.), The Palgrave Handbook of Masculinity and Political Culture in Europe, London, Palgrave, 2018, p. 133-160.

SEx AnD PRIESTLy MAScuLInITy In LATE MEDIEvAL EuRoPE

In the Masculine Self, Derek Neal reminds us that “without sex, gender threat­ ens to float away from the individual” and that “the male body helped to define masculinity […] both to society and the self, through its function, what it did. Sexual acts were only the most specially charged of such functions12”. The tension for priests and monks to choose between the values of secular manhood and the religious obligation to repress their sexual desires was real. Whether or not clerics felt conflicted for engaging in sex acts, the pressure to demonstrate this aspect of their manliness meant that many clergymen fell prey to it. Why? One part of the answer lies in the fields of anthropology and sociology that connect sex acts to emotional, cultural, and social elements that are not driven by a biological mandate but by sexual behavior that can be understood as an opportunity to express and serve nonsexual motives13. Acts of sex, therefore, have meaning beyond expressing sexual desire and achieving sexual pleasure because they can also signify male privilege, domination, power, paternity (i.e. lineage), and even non-conformity to sexual norms. The other part of the answer lies in the link be­ tween sex, gender identity, and masculine anxiety. Given that men (and women) communicate and affirm their gendered identities through sexual behavior, the fear of being perceived as unmanly often translates into a significant amount of energy invested in masculine displays of gender stereotypical behaviors14. In this article, I argue that an active sexuality was a masculine trait for many secular clergymen in the major orders during the late medieval period15. By active sexuality, I mean the broadest definition of sexuality defined by Anna Clark as ‘the desires, relationships, acts, and identities concerned with sexual behavior16’. Although virginity and celibacy were certainly powerful messages, in actuality a small percentage of the male population practiced true sexual abstinence, espe­

12 D. G. Neal, The Masculine Self…, op. cit., p. 124-125. It is important to note that simply existing as a biological male did not confer manhood. See also M. Armstrong-Partida, Defiant Priests…, op. cit., p. 16 and p. 124. 13 H. Donnan and F. Magowan, The Anthropology of Sex, London, Bloomsbury, 2010, p. 1-3, p. 49, p. 68-69, p. 76-78, here at p. 21. Donnan and Magowan write that “sex has no natural basis that is outside of culture and history” and can “be analyzed as a particular kind of processual and culturally conditioned relationship”. See also J. H. Gagnon and W. Simon, “The Social Origins of Sexual Development”, in M. S. Kimmel and R. F. Plante (ed.), Sexualities: Identities, Behaviors, and Society, New York, Oxford University Press, 2004, p. 31-33 and p. 35. 14 M. S. Kimmel, The Gendered Society…, op. cit., p. 307. 15 See also P. H. Cullum, “Clergy, Masculinity, and Transgression in Late Medieval England”, in D. M. Hadley (ed.), Masculinity in Medieval Europe…, op. cit., p. 178-196; J. Werner, “Promiscuous Priest and Vicarage Children: Clerical Sexuality and Masculinity in Late Medieval England”, in J. D. Thibodeaux (ed.), Negotiating Clerical Identities…, op. cit., p 159-184; J. D. Thibodeaux, “The Sexual Lives of Medieval Norman Clerics: A New Perspective on Clerical Sexuality”, in A. Classen (ed.), Sexuality in the Middle Ages and the Early Modern Times: New Approaches to a Fundamental Cultural-Historical and Literary Anthropological Theme, Berlin, De Gruyter, 2008, p. 471-483. 16 See A. Clark, “Introduction: Sexuality and the Problem of Western Civilization”, in id. (ed.), Desire: A History of European Sexuality, New York, Routledge, 2008, p. 3.

255

256

MIchELLE ARMSTRonG-PARTIDA

cially men in the period before their twilight years17. Because the performance of opposite-sex desire was an important characteristic of socially dominant mas­ culinities in medieval society, secular and regular clergy in the major orders, in spite of their vow of celibacy, would have been judged by this standard18. In what follows, I begin by showing that a significant population of priests, particularly in the Mediterranean, formed marriage-like unions to acquire a more conventional manhood. However, the marriage-like unions of the clergy were not tolerated in all local contexts. In such areas, we find that secular clerics participated regularly in the sex trade with prostitutes or engaged in casual affairs. In this second part, I consider how clerics were socialized to understand what constituted appropriate sexual behavior and discuss how medieval culture could accommodate the sexual activity of the clergy, particularly sex outside of a concubinous union. Then I address how secular clerics created a masculine identity that complied with certain hegemonic traits of secular manhood but at the same time compensated for their subordinate status by disrespecting the patriarchal authority of husbands and fathers and resisted the control of church officials.

The social practice of marriage and priestly masculinity As the working class of an international institution the lives of secular clergy interacted and overlapped to a greater degree with lay society, so their gender identity had to function in a secular environment. Because marriage was the normal expectation for the majority of the population, married men embodied the most common characteristics of adult masculinity19. In areas of Europe that were more accepting of clerical unions, parish priests were engaging in the so­ cial practice of marriage. Priests in Catalunya, for example, formed long-term marriage-like unions, produced children, and established a household to provide for the well-being of their families. The clerical preference for these domestic unions, compared to casual sex, is seen in the total number of clergy in the major orders accused of concubinage in the dioceses of Barcelona, Girona, Vic, and Urgell, from 1303 to 1346, which amounts to 2148 (85 %) out the 2526 charged with incontinence in 3877 visitation records20. Like the laymen they lived among, priests performed the masculine roles of husband, father, patriarch, provider, and

17 R. M. Karras, Sexuality in Medieval Europe…, op. cit., p. 38 and p. 79-80; K. M. Phillips and B. Reay, Sex before Sexuality: A Premodern History, Cambridge, Polity Press, 2011, p. 5, p. 53, and p. 57. 18 See R. M. Karras, From Boys to Men…, op. cit., p. 151-159; V. L. Bullough, “On Being a Male in the Middle Ages”, in C. A. Lees (ed.), Medieval Masculinities…, op. cit., p. 31-46. 19 R. M. Karras, From Boys to Men…, op. cit., p. 144-148. 20 M. Armstrong-Partida, Defiant Priests…, op. cit. These relationships were more than just passing fancies or casual affairs, but unions that lasted fifteen, twenty, or thirty years. Ibid., p. 33-34 and p. 37-38. For a breakdown of the number of clergy that engaged in concubinage in each diocese, see the Appendix, Tables 1.1, 1.2, 1.3, p. 272-275.

SEx AnD PRIESTLy MAScuLInITy In LATE MEDIEvAL EuRoPE

householder. That these clergymen remained committed to their families in the face of episcopal harassment is a testament to the seriousness with which they valued their unions with women21. By establishing a household and forming a family, priests acquired adult masculine status, which translated into a masculinity that conformed to these hegemonic norms and thus was more socially in line with dominant masculinities. Marriage died out slowly among parish priests, particularly in the more re­ mote rural areas of Europe, which is a sign of its importance to the masculine identity of priests who lived and worked among laymen. In the Mediterranean where there appears to be a link between the acceptance of concubinous unions among the laity with those of the clergy, the evidence for clerics maintaining families is omnipresent at every turn. Throughout Iberia clerical unions were the norm because the social practice of marriage continued among the clergy well into the 17th century22. Sources from Italy show a similar tolerance for clerical unions. Visitation records from the dioceses of Arezzo, Cortona, and Ivrea in

21 Episcopal officials recognized this entrenched custom among the clergy and tolerated these families; they did not implement draconian measures that would result in a large population of excommunicated and suspended clergymen who could not carry out their pastoral duties. Officials used a guiding principle of moderation that did not penalize clerics with exorbitant fees and often took into account a cleric’s ability to pay when administering fines of 10 to 100 sous. In Catalunya, a monogamous union fared better than a cleric involved with multiple women; polyamorous affairs were punished more harshly because they brought disorder to the community compared to a domestic partnership that mirrored marriage. See ibid., p. 55-64. 22 See, for example, R. Jimeno Aranguren, “Concubinato, matrimonio y adulterio de los clérigos: notas sobre la regulación jurídica y praxis en la Navarra medieval”, Anuario de Historia del Derecho Español, 71 (2011), p. 543-574; J. Rodríguez Molina, “Celibato eclesiástico y discriminación de la mujer en la Edad Media Andaluza”, Cuadernos de estudios medievales y ciencias y técnicas historiográficas, 18-19 (1993-1994), p. 37-57; R. Haboucha, “Clerics, Their Wives, and Their Concubines in the ‘Partidas’ of Alfonso El Sabio”, in H. Rodite Lemay (ed.), Acta, Homo Carnalis: The Carnal Aspect of Medieval Human Life, Binghamton, 1990, p. 85-104. See also H. C. Lea, The History of Sacerdotal Celibacy in the Christian Church, New York, 1957, p. 253-263 and p. 287-299; P. Linehan, The Spanish Church and the Papacy in the Thirteenth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 1971, p. 2-11; id., Spanish Church and Society, 1150-1300, London, Variorum Reprints, 1983, p. 181-184, p. 484-485, and p. 496-497; S. T. Nalle, God in La Mancha: Religious Reform and the People of Cuenca, 1500-1650, Baltimore: The John Hopkins University Press, 1992, p. 24 and p. 26-27; H. Kamen, The Phoenix and the Flame: Catalonia and the Counter Reformation, New Haven, Yale University Press, 1993, p. 211-217, p. 250-252, p. 324, and p. 326. For an extended discussion and bibliography of the tradition of clerical concubinage in Iberia, see M. Armstrong-Partida, Defiant Priests…, op. cit., p. 51-62, 78-79, 261-269.

257

258

MIchELLE ARMSTRonG-PARTIDA

Italy23, notarial documents from Bergamo and Venice24, and ecclesiastical court records from Lucca25 reveal that many priests in rural parishes maintained fami­ lies. Evidence from Scandinavia, Germanic regions, central Europe, and Ireland indicates that clerical concubinage also persisted among the lower clergy26. An example of how priests could justify their domestic unions can be seen in the testimony of the rector of Santa Cristina di Carmignani who appeared before the bishop’s court of Lucca for keeping Fresca and their children in his home. The notary recorded that the rector defiantly claimed in his defense that “he was not sinning” because he, like the pope, his cardinals, and many other prelates, kept a concubine, which was customary among the clergy27. Such an attitude reveals that the practice of concubinage among the clergy was an open secret that everyone 23 Visite Pastorali dal 1257 al 1516, ed. by S. Pieri and C. Volpi, Arezzo, Archivi Diocesani, 2006, p. 7, 14, 15, 16, 17, 22, 26, 27, 28, 30, 34, 35, 36, 39, 41, 43, 44, 45, 52, 53, 59, 63, 67, 68, 69, 77, 79, 82, 84, 86, 87, 89, 93, 99. In the diocese of Ivrea, the bishop’s 1329 visitation to fifty-three parishes uncovered twenty-eight rectors and priests (52%) who currently kept a concubine or had at one time maintained a family. It is interesting that many of these priests claimed that they had had these families prior to their ordination and stated that they no longer lived with their women and children. The testimonies of parishioners, however, disclose that the vast majority of these clergymen continued to support their families and that their sons lived and aided their fathers in the parish church. These records do not indicate what punishment the bishop meted out to concubinary clergy. For the diocese of Cortona, see D. Bornstein, “Parish Priests in Late Medieval Cortona: The Urban and Rural Clergy”, Quaderni di Storia Religiosa, 4 (1997), p. 165-193; id., “Priests and Villagers in the Diocese of Cortona”, Richerche Storiche, 27 (1997), p. 93-106. 24 R. Cossar, “Clerical ‘Concubines’ in Northern Italy during the Fourteenth Century”, Journal of Women’s History, 23 (2011), p. 110-131; id., Clerical Households in Late Medieval Italy, Cambridge, MA, Harvard University Press, 2017. 25 Archivio Arcivescovile di Lucca (= AAL), Tribunale Ecclesiastico, Cause Criminali, no 2 (1350-1351): f. 18r; See also no 5 (1352-1353): f. 7r, 9r, 59r, 62r, 113r, 117r, 127r; no 8 (1356): f. 37r, 45r, 52r-v; no 10 (1358-1359): f. 7r, 20r, 30r, 65r, 66v. It is interesting that most of the cases of concubinary priests brought before the court had to do with priests involved with married women or those who kept their women and children in the rectory of the church, which may have crossed a line compared to priests who kept their families in a separate house in the parish. Some of these priests were also charged with violence and concubinage. 26 See A. Perron, “Saxo Grammaticus’s Heroic Chastity”, in J. D. Thibodeaux (ed.), Negotiating Clerical Identities…, op. cit., p. 113-135; C. Sutt, “Uxores, ancillae and dominae: Women in 13thcentury Hungary in the Register of Várad”, Journal of Medieval History, 36 (2010), p. 142-155; M. Karbic, “Illicit Love in Medieval Slavonian Cities”, in I. Davis, M. Müller, and S. Rees Jones (ed.), Love, Marriage and Family Ties in the Later Middle Ages, Turnhout, Brepols, 2003, p. 338-339; M. E. Plummer, From Priest’s Whore to Pastor’s Wife: Clerical Marriage and the Process of Reform in the Early German Reformation, Farnham, Surrey, Ashgate, 2012, p. 11-50; C. Mooney, The Church in Gaelic Ireland: Thirteenth to Fifteenth Centuries, vol. 2, Dublin, Gill and Macmillan, 1969, p. 56-57. There is some evidence that clerical concubinage was practiced openly in Southern France prior to the 15th century when it appears to have been punished more severely. See L. Otis-Cour, “De jure novo: Dealing with Adultery in the Fifteenth-Century Toulousain”, Speculum, 84 (2009), p. 368. 27 AAL, Tribunale Ecclesiastico, Causarum Civilium, no 49, fo 63v (1369). Item in eo de eo et super eo quod dictus presbiter Cione loco et tempore in dicta inquisitis contentis spiritu diabolico instigatus dixit in presentia pluries personarum quod tenendo dictam dominam Frescani in concubinam et eam carnaliter cognoscendo et filios ex ea procreando non peccabat quia homo erat licet esset presbiter cum dominus papae et domini cardinales et alii prelati concubinas tenebant et consueti sicut tenetur.

SEx AnD PRIESTLy MAScuLInITy In LATE MEDIEvAL EuRoPE

knew and it suggests, moreover, that concubinary priests were not necessarily ashamed but could easily excuse their behavior by pointing to the practices of the most elite of ecclesiastics. The reality is that in regions where a strong clerical culture resisted the imposi­ tion of celibacy and where lay society had a greater acceptance of concubinage, many parish priests preferred to establish relationships with women that were more socially acceptable by the standards of their communities. The tenacity of clerics who continued to form a marriage-like union in the late medieval period, moreover, demonstrates that clergymen wanted more than to simply engage in sex with a woman. Even in areas such as England and in Normandy where the laity were less likely to accept and ecclesiastical officials were less tolerant of clerical concubinage, some clergymen continued to form these marriage-like unions28. Such persistence in the face of great adversity demonstrates the profound desire of men who sought the affective, economic, social, and masculine benefits that came from imitating the marital unions of the laity29. As the research on clerical concu­ binage and masculinity advances, we are likely to find a much larger population of clerics who formed domestic unions with women, which will certainly be a sign of the influence that marriage and the ideals of secular manhood exerted on the clergy.

Rampant sexuality, resistance, and the compensatory masculinity of priests The inability to form a marriage-like union and achieve a mature masculinity could undermine a priest’s masculine identity. Compensating for this subordinate masculine status included participating publicly in a male culture of sex and in some cases presenting a hypersexual masculinity. Under these circumstances, such behavior became a strategy for secular clergy to prove their membership in the male community and partake in the hegemonic masculine ideals of medieval society that valued sexual virility, prowess, and the promise of fatherhood30. I ar­ gue that the active sexuality of clerics, including their seduction of young unmar­ ried women or their involvement in adulterous affairs, can also be interpreted as acts that defy the control of church officials and of more dominant masculinities. To disregard the patriarchal authority of a husband or father became a means of resistance against the more socially dominant masculinities of men that bolstered 28 J. Werner, “Promiscuous Priest…”, art. cit., p. 160-161, p. 165-167, and p. 170-171; J. Thibodeaux, The Manly Priest…, p. 129-132, p. 134, and p. 136-137. 29 For the economic, social, and masculine benefits that came with forming a marriage-like union, see the first three chapters in M. Armstrong-Partida, Defiant Priests…, op. cit. 30 For compensatory masculinities, see K. D. Pyke, “Class-Based Masculinities: The Interdependence of Gender, Class, and Interpersonal Power”, Gender and Society, 10 (1996), p. 527-549; K. Minjeong, “Rural Husbands, Compensatory Masculinity, and International Marriage”, The Journal of Korean Studies, 19 (2014), p. 291-325.

259

260

MIchELLE ARMSTRonG-PARTIDA

their own clerical manhood. Given that masculinity is very much about power relations among men, priests used these acts of manhood to compensate for their subaltern masculinity when they were unable to enact the hegemonic ideal of a paterfamilias that came through marriage31. First, it is important to understand the aspects of medieval culture that in­ fluenced the gender identity of secular clergy and how these clerics navigated and at times resisted the hegemonic norms of secular manhood. There is no doubt that the masculinity of parish priests was very much the product of their environment. Future clergymen did not grow up insulated from secular culture. Their life experiences as children and young men shaped their gender identities. Sociologists have long recognized that “the real power of gender typing resides less in the child than in the environments in which the child finds itself. The social environment is filled with gendered messages and gendered activities32”. Sexuality, too, is a cultural production learned through socialization. During childhood and adolescence individuals learn sexual scripts that teach “where, when, and with whom – based on age, race, or class – we are supposed to have sex and what it means when we do33”. Medieval culture, then, not only influenced how men viewed sex with women but also shaped how men understood their sex acts in relation to their manhood. As clerics-to-be came of age, they would have witnessed and experienced a culture that privileged the sexual indulgences of men. A myriad of pastourelles, fabliaux, romances, Icelandic sagas, and literature, such as the Libro de Buen Amor, as well as ballads and university drinking songs, such as A Servant Girl’s Holiday and Carmina Burana, celebrated the sexual prowess of men in wooing, seducing, and even raping virgins, servant women, and wives34. The availability of prostitutes in towns and cities also contributed to a culture that catered to the sexual pleasure of single and married men even if it was considered sinful. In The Sex of Premodern Men, Patricia Simons notes the ubiquity of sexual metaphors, such as lances, jousts, petticoats, and the besieging of castles, that permeated the humor, jokes, insults, puns, and slang of everyday life. She relates several examples of the “eroticized fraternity” of men bonding over beer, publicly fondling their own or women’s genitals, and simulating sex with serving women at inns where

31 D. Schrock and M. Schwalbe, “Men, Masculinity, and Manhood Acts”, Annual Review of Sociology, 35 (2009), p. 277-295; K. M. Young, “Masculine Compensation and Masculine Balance: Notes on the Hawaiian Cockfight”, Social Forces, 95 (2017), p. 1341-1370. 32 M. S. Kimmel, The Gendered Society…, op. cit., p. 92. 33 S. Seidman, The Social Construction of Sexuality, 2nd ed., New York, W.W. Norton & Company, 2010, p. 26. See also R. M. Karras, Sexuality in Medieval Europe…, op. cit., p. 8. 34 The link between sex and masculinity can also been seen in the fact that these sources often did not distinguish between rape and intercourse but portrayed the act as one of conquest and dominance. See R. M. Karras, Sexuality in Medieval Europe…, op. cit., p. 134-135, p. 155-156, and p. 176-177. For the Libro de Buen Amor, see J. Ruiz, Libro de buen amor, trans. by M. Brey Mariño, Madrid, Editorial Castalia, 1995; id., The Book of Good Love, trans. by R. Mignani and M. A. di Cesare, Albany, SUNY Press, 1970.

SEx AnD PRIESTLy MAScuLInITy In LATE MEDIEvAL EuRoPE

the act of tossing a beer at a woman’s genitals symbolized ejaculation and the dousing of lust in a woman’s nether region35. These aggressive acts of grabbing and sexually harassing lower class women in predominantly male spaces, particularly in taverns and inns, were normalized in premodern Europe. Displays of sexual aggression and harassment in the company of other men, moreover, functions to build shared masculine identities and social relations among men, and also works to reinforce the sexual objectification of women36. Clerics, as young boys, adolescents, and as physically adult men would have seen and participated in such behavior at their local tavern or in moments of homosocial bonding. The point is that medieval society produced a culture where sex acts were very much a part of men’s gender identity because as Simons rightly observes sex for men was depicted as “expansive, public, assertive and authoritative37”. Furthermore, sex with working class women was seen as something of a male prerogative and priests grew up and took part of this environment because this was an integral part of masculine culture. Priests were able to reconcile the sin of sexual pleasure with an active sex­ uality because medieval culture accommodated men’s sexual activities outside of marriage. Moreover, attitudes about sex were not as rigid as they are often portrayed. To begin with, the contradiction between the sexual mores of the Western Church and the “recalcitrant realities of human conduct” concerning sex is evident everywhere in legal, social, religious, and literary sources38. That pre­ marital sex, fornication, concubinage, adultery, same-gender acts, masturbation, and coitus-interruptus were commonplace suggests at the very least that medieval people minimized its sinfulness and found ways to mitigate their sense of guilt. Kim Phillips and Barry Reay have argued that Christian belief on sexual desire was “a narrative of discontinuity and failure. Efforts to cast sex as sinful were repeatedly fractured –by disagreement, dissent, and considerations of gender. Theologians could rarely agree on the precise relationship of sin and desire; priests

35 P. Simons, The Sex of Men in Premodern Europe: A Cultural History, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 38-49, 70. 36 B. A. Quinn, “Sexual Harassment and Masculinity: The Power and Meaning of ‘Girl Watching’”, Gender and Society, 16 (2002), p. 387, p. 389, p. 391, and p. 394-395. See also C. Berco, “Producing Patriarchy: Male Sodomy and Gender in Early Modern Spain”, Journal of the History of Sexuality, 17 (2008), p. 365 and p. 370. 37 P. Simons, The Sex of Men…, op. cit., p. 50. Simons concludes that “what most ties together the core features of masculinity is the capacity of projection, that is, to have external genitals (and beards) forced out by the body’s greater heat, to expel with some for the bodily fluids of urine and semen (and surrogates like beer or vomit), and to act in expansive, public, assertive and authoritative ways (including the ejaculatory rupture of lances or being on top of the sex partner)”. 38 J. A. Brundage, “Playing by the Rules: Sexual Behaviour and Legal Norms in Medieval Europe”, in J. Murray and K. Eisenbichler (ed.), Desire and Discipline: Sex and Sexuality in the Premodern West, Toronto, University of Toronto Press, 1996, p. 23. Brundage writes: “the gap between the prescribed ideal and actual experience was often very wide indeed” (p. 23). See also id., Law, Sex, and Christian Society in Medieval Europe, Chicago, University of Chicago Press, 1987, p. 460-462, p. 481-482, and p. 490-493.

261

262

MIchELLE ARMSTRonG-PARTIDA

and laity alike persisted in marrying or flouting sexual strictures […] It was far more radical to enforce chastity on men than women, and the male virgin was a much more astounding figure than its female counterpart39”. The reality of human behavior and practice indicates that there was a real disconnect between official teaching on sexual sin and the attitudes of people40. Moreover, the writings of patristic fathers and various other Church literature is too often placed at center stage, which disproportionately give precedence to the views of the Church and those who adhered to its message. To a certain extent this is understandable given that churchmen composed much of the extant written materials for the medieval period41. Certainly medieval Christian teachings on sex and its sinfulness did have a significant impact on the culture, but we must strive to balance the full range of voices and sexual activities across the spectrum of society. The focus should be more on the conduct of medieval people to understand medieval views on sexuality so that we do not inordinately depend upon behavioral expectations rather than actual practice. As Ruth Karras has noted, a “complex web of attitudes” concerning sex could coexist in a single society and these attitudes “varied not only across religious lines but also across class lines42”. Therefore, instead of relying solely on the vast array of Church literature that condemned the clergy for their sexual weaknesses, we should consider that there were likely pockets of medieval society, especially among the lower classes, that were more tolerant and forgiving of clergymen and their sexually illicit conduct. Furthermore, medical theories that linked sexual ability, virility, and masculin­ ity, indicate the importance that medieval society placed on men’s active sexuality. Acting like a man entailed initiating sex and displaying ‘manly will’ by fondling, kissing, and hugging a woman who was the object of desire. Sexually assertive behavior was coded as masculine43. Medical traditions and popular beliefs based on the well-known principals of humoral balance advocated that men practice

39 K. M. Phillips and B. Reay, Sex before Sexuality…, op. cit., p. 19-20. 40 J. A. Brundage, “Playing by the Rules…”, art. cit., p. 24; K. M. Phillips and B. Reay, Sex before Sexuality…, op. cit., p. 29, p. 34-35, and p. 51-52. Philips and Reay write, “The casual attitude which many laypeople, and some clerics, held regarding premarital sex and even adultery is mirrored in medieval literature, where sex between young, unmarried men and women is treated as a subject of humor, pleasure and mischief, not shock or condemnation”, p. 34. Leah Otis-Cour confirms this view in Prostitution in Medieval Society: The History of an Urban Institution in Languedoc, Chicago, The University of Chicago Press, 1985, p. 106-107. 41 Ruth Karras made this point when discussing how our perception of medieval masculinities is likely affected by the fact that celibate churchmen produced most of the sources we use to study gender identities. See R. M. Karras, From Boys to Men…, op. cit., p. 10. 42 Id., Sexuality in Medieval Europe…, op. cit., p. 32, p. 28, p. 33, and p. 211 (here at p. 3). 43 P. Simons, The Sex of Men…, op. cit., p. 25 and p. 35-36; J. Cadden, Meanings of Sex Difference in the Middle Ages: Medicine, Science, and Culture, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, p. 169-171, p. 173, p. 178, p. 181, p. 192, and p. 224-225; C. Berco, “Producing Patriarchy…”, art. cit., p. 351-376; H. Puff, “Female Sodomy: The Trial of Katherina Hetzeldorfer (1477)”, Journal of Medieval and Early Modern Studies, 30 (2000), p. 60; J. Bennett, “‘Lesbian-Like’ and the Social History of Lesbianisms”, Journal of the History of Sexuality, 9 (2000), p. 18-19.

SEx AnD PRIESTLy MAScuLInITy In LATE MEDIEvAL EuRoPE

moderate sexual activity to reduce the buildup of sperm44. The 15th-century vernacular treatise Mirror of Coitus advised men that sex and the release of sperm helped “to excite the mind, and to cool hot vapors”. The ill-effects of abstinence, the author cautioned, could be seen in men who “for religious reasons” do not engage in coitus and become depressed, suffer headaches, show signs of insanity, and lose their appetites45. Single men who had sex outside of marriage, including the clergy, may have used this knowledge about the balance of the humors and the dangers of sexual abstinence as a justification for their sexual activity46. The impulse to confirm manliness through sex acts in medieval society must have been quite strong, particularly for unmarried men, considering that any sug­ gestion that a man was sexually passive or dysfunctional made him effeminate and cast doubt on his manhood. Indeed, Patricia Simons, Edward Behrend-Martinez, and Cathy McClive have argued that the penis, testicles, and semen were linked to the performativity of manhood because functioning genitalia “capable of erection, penetration, and the ejaculation of fertile seed” was needed not only to engender offspring but also used as a way of “measuring the embodiment of masculinity47”. Sex with women and the public recognition that they could sire progeny became one way in which clerics could confirm their manhood in lay society. What is more, the dispensations for illegitimate birth recorded in papal registers and in diocesan archives throughout Europe attest to the fact that many clerics in the major orders sired children48. A great number of priests experienced fatherhood, and contrary to what we might expect, many actually claimed their children and were involved in their upbringing. In the diocese of Girona, visitation records from 1303 to 1344 reveal that clergymen in the major orders produced more than

44 J. Cadden, Meanings of Sex Difference…, op. cit., p. 273 and p. 275. 45 The Mirror of Coitus. A Translation and Edition of the Fifteenth-Century Speculum al foderi, trans. and ed. by M. Solomon, Madison, Hispanic Seminary of Medieval Studies, 1990, p. 13 (p. 14). Joan Cadden discusses this same advice for those committed to abstinence offered in an 11th century treatise by the Benedictine monk, Constantine the African, and the 13th century anonymous treatise, On Intercourse, in J. Cadden, Meanings of Sex Difference…, op. cit., p. 273-274. See also R. M. Karras, Sexuality in Medieval Europe…, op. cit., p. 50. 46 Ruth Karras argues that university students also followed the teachings of medical scholars and their recommendations on “moderate coitus as productive of good health for men” and would have been familiar with the Aristotelian idea of balance and moderation. See id., From Boys to Men…, op. cit., p. 108. 47 P. Simons, The Sex of Men…, op. cit., p. 1-18; E. Behrend-Martinez, “Manhood and the Neutered Body in Early Modern Spain”, Journal of Social History, 38 (2005), p. 1073-1093; C. McClive, “Masculinity on Trial: Penises, Hermaphrodites and the Uncertain Male Body in Early Modern France”, History Workshop Journal, 68 (2009), p. 68 and p. 64. See also J. Murray, “Hiding Behind the Universal Male: Male Sexuality in the Middle Ages”, in V. L. Bullough and J. A. Brundage (ed.), Handbook of Medieval Sexuality, New York, Garland Publishing, 1996, p. 123-152, and J. E. Salisbury, “Gendered Sexuality”, in ibid., p. 84-85. For the importance of fatherhood to men’s masculinity, see R. E. Moss, Fatherhood and its Representations in Middle English Texts, Cambridge, Boydell & Brewer Inc., 2013. 48 K. Salonen and J. Hanska, Entering a Clerical Career…, p. 37-102.

263

264

MIchELLE ARMSTRonG-PARTIDA

1000 children49. Siring an illegitimate child may not have been entirely shameful to a cleric who might also have experienced a sense of gratification in knowing that he had proven the health of his male body and his ability to produce children. The desire to have their virility acknowledged by other men may have even prompted some clerics to claim and contribute to the welfare of their child. The need to prove one’s virility can be seen in the marriage dispute of a Venetian sailor Nicolò who had a local parish priest testify on his behalf that he was not impotent. While at a house with prostitutes, Nicolò, in front of the priest and at least three other men and two women, took the priest’s hand and said, ‘‘Look here, I am a man, even though some say I cannot get it up’. And he made this witness feel his member, which was erect… This done, Nicolò placed Magdalena on a nearby bench and began to carnally know her50”. During the process, Nicolò stopped to have the priest and two other men acknowledge the semen on his hands and on his member. That Nicolò’s sex act with the prostitute was a performance meant to convince them of his functioning member can further be seen in the remark that in front everyone present Nicolò “made it so that he touched his erect member while he was in the act of carnally knowing” the woman51. Nicolò, then, wanted to erase any doubt that it was his penis and testicles (and not a dildo) that could function sexually. The performative nature of gender identity means not only that men must continually demonstrate their masculinity in social and private settings but that men also seek validation. This need for validation reveals that the socio-cultural manifestation of masculinity is ultimately fragile and prone to uncertainty because of the subconscious fear of being exposed as an impostor52. The historian Judith Allen has made the point that masculinity is “inherently unstable […] always in process, under negotiation, needing to be ‘shored up’, reinforced, [and] buttressed against its enemies53”. Indeed, the one commonality among studies of masculini­ ties across time, culture, and geographical location, appears to be that masculinity

49 M. Armstrong-Partida, Defiant Priests…, op. cit., p. 108-110 and p. 272-273. See also id., “Concubinage, Illegitimacy, and Fatherhood: Urban Masculinity in Late Medieval Barcelona”, Gender & History, 31 (2019), p. 195-219. See also S. McDougall, “Bastard Priests: Illegitimacy and Ordination in Medieval Europe”, Speculum, 94 (2019), p. 138-172. 50 A transcription of the priest’s testimony can be found in G. Ruggiero, The Boundaries of Eros: Sex Crime and Sexuality in Renaissance Venice, New York, Oxford University Press, 1985, p. 146. 51 Ibid., p. 147. That men had sex in front of other men was not unusual. Christian Berco reports that in Valencia “men often pursued their erotic interests with little concern for privacy”. See C. Berco, “Producing Patriarchy…”, art. cit., p. 364. 52 C. McClive, “Masculinity on Trial…”, art. cit., p. 46-47 and p. 48. Behrend-Martinez argues that “manhood was a restricted status; it was granted to a small part of society while it was denied to some males… Members of the community were anxious about individuals in their midst who did not merit the rights pertaining to manhood; rights of inheritance, local politics, and social stature”. E. Behrend-Martinez, “Manhood and the Neutered Body…”, art. cit., p. 1073, p. 1078, and p. 1087. 53 J. A. Allen, “Men Interminably in Crisis? Historians on Masculinity, Sexual Boundaries, and Manhood”, Radical History Review, 82 (2002), 199. See also P. Simons, The Sex of Men…, op. cit., p. 26-27.

SEx AnD PRIESTLy MAScuLInITy In LATE MEDIEvAL EuRoPE

is always on guard to respond to possible threats. In the opening of his book Anxious Masculinity in Early Modern England, Mark Breitenberg explains that “the phrase ‘anxious masculinity’ is redundant. Masculine subjectivity constructed and sustained by a patriarchal culture – infused with patriarchal assumptions about power, privilege, sexual desire, the body – inevitably engenders varying degrees of anxiety in its male members54”. Breitenberg believes that masculine anxiety is “endemic” because it is a “product of patriarchy at the same that it contributes to the reproduction of patriarchy55”. It makes sense, then, that many priests crafted a masculine identity that was on the defensive because clergy in the major orders had to navigate two diametrically opposed ideals: a lay culture that respected and even celebrated male sexual prowess56 and the Church’s model of complete sexual abstinence. The celibacy requirement that prohibited priests from marrying put them at a deficit in terms of hegemonic patterns of masculinity, particularly in reaping the benefits of the ‘patriarchal dividend’ which came through marital status, fatherhood, dominance over a wife and children; the social networks of marriage due to the joining of two families, their kin and friends; and the economic benefits that men receive from their labor57. For those clergymen who were unable to establish a de facto marriage union that afforded them access to the patriarchal dividend, casual sex may have been one way they resorted to bolstering their masculinity before laymen. The masculine identity of priests as a group was likely to be a hybrid of the sec­ ular and clerical worlds they inhabited. The degree to which their gender identity adapted to social, cultural, economic, political, and religious factors in their imme­ diate environment depended on the individual, but the burden to conform to

54 M. Breitenberg, Anxious Masculinity in Early Modern England, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 1. 55 Ibid., p. 3. 56 R. M. Karras, Sexuality in Medieval Europe…, op. cit., p. 169 and p. 172-173; A. Shephard, Meanings of Manhood in Early Modern England, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 121. Although elements of lay culture privileged single and married men’s sexual indulgences, it should be noted that ecclesiastical sources also represent a man’s rampant sexuality as unmanly because men, unlike women, men were expected to have the manly will to reign in their sexual desires. See, for example, K. M. Phillips, “Gender and Sexuality”, in R. N. Swanson (ed.), The Routledge History of Medieval Christianity, 1050-1500, New York, Routledge, 2015, p. 309-321; L. K. Bailey, “‘These Are Not Men’: Sex and Drink in the Sermons of Caesarius of Arles”, Journal of Early Christian Studies, 15 (2007), p. 23-43. The degree to which this attitude prevailed among the lower classes of medieval society, however, is unknown. 57 R. W. Connell, Masculinities, 2nd ed., Berkeley, University of California Press, 2005, p. 79-80. Connell writes that “men gain a dividend from patriarchy in terms of honour, prestige and the right to command. They also gain a material dividend… [because] men’s average incomes are approximately double women’s average incomes. […] Men are vastly more likely to control a major block of capital… [and] are much more likely to hold state power’ which results in ‘a structure of inequality’ for women” at p. 82-83. See also C. McClive, “Masculinity on Trial…”, art. cit., p. 53 and p. 64. For a discussion on the need for feminist historians to historicize patriarchy, see J. Bennett, History Matters: Patriarchy and the Challenge of Feminism, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2006.

265

266

MIchELLE ARMSTRonG-PARTIDA

secular ideals of manhood would always be present. A priest created a masculine identity that was likely to be suitable to the environment he lived and worked in, which meant that the pressure to construct a sense of manhood that laymen could respect and even bond with without the fear of being considered unmanly may have driven some to perform heterosexual desire in certain situations that called for its performance. Taking part in a male sex culture allowed priests to participate in a masculine sphere and demonstrated not only their manhood but that they belonged among the men of their social milieu, not lumped together at the same level of the gender hierarchy with women. We know that social circumstances affect how men perform their masculin­ ity because gender identity is also situational58. Homosocial bonding activities among men that involved drinking, gambling, playing sports, visiting a bathhouse, and patronizing a brothel with friends were situations where medieval clergymen would have felt the need to “fit in” and thus fell in line with performing this aspect of secular manhood59. Moreover, the act of seeking out and obtaining a prostitute was not a clandestine one in most medieval villages, towns, and cities. Prostitutes were often located in neighborhoods known for the sex trade and men had knowledge of where to find the women who plied their business in the brothels, taverns, bathhouses, streets, corners, and alleyways of their communities60. The decision for a priest to seek out the services of a prostitute was more than a deed that simply itched the scratch of sexual desire; it became a public act that was validated by taking place before a male and female audience. The work of cultural anthropologists has identified “sexual geographies” and eroticized urban spaces in cities that combine “public sex” with “voyeurism and exhibitionism61”. People go to these sexualized spaces to engage in sex and to be seen there. These spaces are viewed as a site for expressing one’s sexual desire, for bonding and showing solidarity with those who share the same proclivity, as well as an

58 M. S. Kimmel, The Gendered Society…, op. cit., p. 103. 59 R. M. Karras, “Sharing Wine, Women, and Song: Masculine Identity Formation in the Medieval European Universities”, in J. J. Cohen and B. Wheeler (ed.), Becoming Male in the Middle Ages, New York, Garland Publishing, 2000, p. 187-202; A. Shephard, Meanings of Manhood…, op. cit., p. 120-121; M. Rocke, “Gender and Sexual Culture in Renaissance Italy”, in J. C. Brown and R. C. Davis (ed.), Gender and Society in Renaissance Italy, London, Longman Publishing, 1998, p. 161. 60 R. M. Karras, Common Women: Prostitution and Sexuality in Medieval England, New York, Oxford University Press, 1996, p. 71-73; B. Geremek, The Margins of Society in Late Medieval Paris, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 87-94; L. L. Otis, Prostitution in Medieval Society: The History of an Urban Institution in Languedoc, Chicago, University of Chicago Press, 1985, p. 51-56, p. 66, p. 70, p. 77-78, p. 79, p. 81, and p. 98; J. Rossiaud, Medieval Prostitution, transl. L. G. Cochrane, Oxford, Blackwell, 1988, p. 32-34, p. 39-42, and p. 59-61; M. Rocke, “Gender and Sexual Culture…”, art. cit., p. 160. 61 H. Donnan and F. Magowan, The Anthropology of Sex…, op. cit., p. 16 and p. 12-17. See also A. Clark, “Twilight Moments”, Journal of the History of Sexuality, 14 (2005), p. 148.

SEx AnD PRIESTLy MAScuLInITy In LATE MEDIEvAL EuRoPE

area for showing resistance to norms, or it becomes a space for the purpose of transgressing boundaries that is exciting because it is dangerous62. For the priest (or any cleric in the major orders for that matter) who had sex with a woman in a public space, it became an act that demonstrated his manhood and proof that his genitalia functioned, and was way of partaking in a male sex culture that can be found throughout Europe. Given that much of the sex trade took part on streets and alleyways where people walked by, or in bathhouses and brothels were both men and women were on the scene, those present could not only confirm the priest’s identity, but they also could have seen or heard proof of the priest’s virility. In fact, it is possible that priests counted on being seen. For example, when the layman Gellekin Dubois was explaining how he ended up beating a brothel keeper in Bruges, he recounted that while he and his friend were ‘going together down the street they happened upon a priest they knew who was also considering going out for a drink, and he led them to the house owned by Myne Sgeests, where some prostitutes were residing63’. Clearly the priest was familiar with this particular house of prostitution and on this normalized occasion of social bonding over drinking and paying for sex, knew that these acquaintances would witness his interactions with women. In another example, consider the actions of a friar-priest who, while visiting an informal brothel in Paris, exposed his member when he was accused of having the “Neapolitan disease”. The priest “stripped off his clothes and naked, showed himself front and back” to all those present64. Such a reaction suggests that this priest not only felt the need to demonstrate the health of his genitalia so that he could proceed to have sex with one of the women but also wanted to show that he was perfectly capable of performing sexually because his member was not defective. Think back, too, to the case of the Venetian sailor Nicolò when he penetrated the prostitute Margarida in front of five or more witnesses. Although it is doubtful that every priest at a brothel felt the need to publicly mount and penetrate a woman, clerics were likely aware that being seen with a prostitute on the street, alleyway, or in a brothel was proof of their participation in this highly visible male sex culture. Evidence that even medieval people recognized that public sex could be a place to validate one’s masculinity can be attested to in the comments of a Florentine humanist who explains that the brothel was a place where “youths who were once sodomites” “passive” boyfriends could redeem their reputations by proving their manliness with compliant whores65”.

62 H. Donnan and F. Magowan, The Anthropology of Sex…, op. cit., p. 16-17. 63 Pardon letter for Gillekin Dubois from Bailleul transcribed in P. Arnade and W. Prevenier, Honor Vengeance, and Social Trouble: Pardon Letters in the Burgundian Low Countries, Ithaca, Cornell Press, 2015, p. 111. 64 This example comes from R. M. Karras, Unmarriages. Women, Men, and Sexual Unions in the Middle Ages, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2014, p. 154. 65 Michael Rocke discusses the views of Angelo Poliziano in his article “Gender and Sexual Culture…”, art. cit., p. 1.

267

268

MIchELLE ARMSTRonG-PARTIDA

In cathedral cities, university towns, and important cities, such as London, Paris, Rome, Avignon, Venice, Bruges, Prague, Bologna, Dijon, Troyes, York, and pretty much any place where clerics in the minor and major orders made up a significant portion of the population, clergymen were serious participants in the sexual economy of premodern Europe. There is also evidence in these cities that some prostitutes catered specifically to the clergy66. Although Jacques Rossaiud’s estimate that the clergy “made up 20 per cent of the clientele of the bathhouses and the private bordellos of Dijon”, seems a bit low, he adds that clerics at all levels of the ecclesiastical hierarchy engaged in the sex trade: “We find secular and regular clergy, aged monks, and mendicant friars, canons, priests and dignitaries of the church67”. It is telling, furthermore, that Rossaiud notes that, “as for the customers themselves, they felt no guilt”. He cites the testimonies of laymen and clerics who made statements such as: “nature moved me to go sporting in the maison de filles”, “nature impels them”, and “nature moves them”, which indicate that men viewed the impulse to slake their sexual desires as natural to their masculine condition68. A similar attitude is documented in Tessa Storey’s study 66 For clergymen and prostitution in England, see R. M. Karras, Common Women…, op. cit., p. 30, p. 45, p. 77-78, and p. 82; id. and D. L. Boyd, “Ut cum mulier: A Male Transvestite Prostitute in Fourteenth-Century London”, in L. Fradenburg and C. Freccero (ed.), Pre-Modern Sexualities, New York-London, Routledge, 1996, p. 101-116; P. J. P. Goldberg, “Pigs and Prostitutes: Streetwalking in Comparative Perspective”, in K. Lewis, N. J. Menuge and K. Phillips (ed.), Young Medieval Women, New York, St. Martin’s, 1999), p. 172-193; “Women in Fifteenth-Century Town Life”, in J. A. Thomson (ed.), Towns and Townspeople in the Fifteenth-Century, Gloucester, Alan Sutton, 1988, p. 119-120. For clergymen and prostitution in France, see L. L. Otis, Prostitution in Medieval Society: The History of an Urban Institution in Languedoc, Chicago, University of Chicago Press, 1985, p. 83-84; J. Rossiaud, Medieval Prostitution…, op. cit., p. 28, p. 41-42, p. 118, and p. 145-148; R. M. Karras, From Boys to Men…, op. cit., p. 80 and p. 97; id., Unmarriages…, op. cit., p. 153-154; K. Nowacka, “Persecution, Marginalization, or Tolerance: Prostitutes in ThirteenthCentury Parisian Society”, in M. Cohen and J. Firnhaber-Baker (ed.), Difference and Identity in Francia and Medieval France, Burlington, Ashgate, 2010, p. 181, p. 188, p. 192 and p. 195; J. RolloKoster, “From Prostitutes to Brides of Christ: The Avignonese Repenties in the Late Midde Ages”, Journal of Medieval and Early Modern Studies, 32 (2002), p. 110-111. For clergymen and prostitution in Burgundy, see P. Arnade and W. Prevenier, Honor Vengeance…, op. cit., p. 79-80. For clergymen and prostitution in Italy, see G. Ruggiero, “Sexual Criminality in the Early Renaissance: Venice, 1338-1358”, Journal of Social History, 8 (1974), p. 22-23; C. Lansing, “Concubines, Lovers, and Prostitutes: Infamy and Female Identity in Medieval Bologna”, in P. Findlen, M. M. Fontaine, and D. J. Osheim (ed.), Beyond Florence: The Countours of Medieval and Early Modern Italy, Stanford, Stanford University Press, 2003, p. 96; id., “Gender and Civic Authority: Sexual Control in a Medieval Italian Town”, Journal of Social History, 31 (1997), p. 39; T. Storey, Carnal Commerce in Counter-Reformation Rome, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 60-61 and p. 66; P. C. Clarke, “The Business of Prostitution in Early Renaissance Venice”, Renaissance Quarterly, 68 (2015), p. 419-464; J. M. Ferraro, “Making a Living: The Sex Trade in Early Modern Venice”, American Historical Review, 123 (2018), p. 30-59. For clergymen and prostitution in Prague, see D. C. Mengel, “From Venice to Jerusalem and Beyond: Milíè of Kromìøíž and the Topography of Prostitution in Fourteenth-Century Prague”, Speculum, 79 (2004), p. 413, p. 416, and p. 418. 67 J. Rossiaud, Medieval Prostitution…, op. cit., p. 41. Rossiaud does not explain how he arrived at this percentage. 68 Ibid., p. 39.

SEx AnD PRIESTLy MAScuLInITy In LATE MEDIEvAL EuRoPE

of courtesans and prostitutes in early modern Rome, where she writes that adult men “presented these relationships as entirely blameless and as a routine part of their social life”. Indeed, one client “verbalised the belief that having sex with prostitutes was an ‘integral’ aspect of manhood69”. In Prague, priests accused of sexual misdeeds during a parish visitation by the bishop readily acknowledged that they frequented prostitutes but defended their behavior by claiming that they did so discretely or by assuring the bishop that they did not maintain a relationship with a particular woman70. That these priests were brazen about visiting prostitutes and at the same time made these reassuring comments to the bishop indicates not only that it was a strategy of defense in that these clerics knew what the bishop wanted to hear when they admitted to their sexual peccadillos, but likewise reveals that clerics may not have felt very conflicted about their sexual needs. This brings us to the particular situation of clerics who were brought before the ecclesiastical courts to answer for their sexual transgressions. We assume that a priest hauled into court and charged with fornication or concubinage would be ashamed and find the experience humiliating, but what if it were the opposite? What if it became a moment that validated their masculinity? Thousands of priests made their way into the courts during and after the high Middle Ages for their illicit sexual behavior. In late medieval Troyes, the bishop’s court charged 523 clerics with sexual offences, 449 of which were in the major orders, over a fifty-two-year period from 1429 to 148171. The criminal registers of the archdeacon of Paris show that 299 priests were charged with sexual misconduct for a twenty-two-year period (1483-1505)72. In the diocese of Tournai, 723 secular clerics in the major orders, out of 1058 offenders, were charged with incontinence in the officiality records over a forty-seven-year period, which amounts to 68% of the court’s business73. This is nearly 1500 clerics in only three dioceses for a period of less than fifty years in the 15th-century! Imagine what these numbers would like if we had similar tabulations for all dioceses in

69 T. Storey, Carnal Commerce…, op. cit., p. 222 (p. 221). 70 Three priests testified that: Item dicit, quod ipse deponens interdum, sed raro, habet unam publicam meretricam per noctem, sed oculte et ipsam in crastino repellit’; ‘dicit, quod ipse interdum commiscetur una nocte mulieri publice et statim de mane, soluto precio, ipsam dimittit;’ ‘sepius commiscetur mulieribus publicis sed nunquam habuit aliquam specialem’. See D. C. Mengel, “From Venice to Jerusalem…”, art. cit., p. 418, f.n. no 43. 71 S. McDougall, “The Prosecution of Sex in Late Medieval Troyes”, in A. Classen (ed.), Sexuality in the Middle Ages…, op. cit., p. 707. Unfortunately, studies on medieval court records focus primarily on the sexual offences of the laity and not the clergy, thus the information we have on the sexual activities of the late medieval clergy are often incidental or anecdotal and are rarely tabulated to offer numbers or percentages of clerics charged with fornication or concubinage. 72 R. M. Karras, Unmarriages…, op. cit., p. 153 and p. 154. 73 M. Vleeschouwers-Van Melkebeek, “Mandatory Celibacy and Priestly Ministry in the Diocese of Tournai at the End of the Middle Ages”, in Jean-Marie Duvosquel and Erik Thoen (ed.), Peasants & Townsmen in Medieval Europe: Studia in Honorem Adriaan Verhulst, Leuven, Belgisch Centrum voor Landelijke Geschiedenis, 1995, p. 685-690.

269

270

MIchELLE ARMSTRonG-PARTIDA

the late medieval period across western Europe. James Brundage, in his magnum opus Law, Sex, and Christian Society, writes that in respect to sex and the clergy in the 14th and 15th centuries the “documentary evidence of visitations, petitions to the pope, and court records bears out the impression that clerical incontinence was an open scandal in many parts of Western Christendom74”. Although celibacy required priests to forsake marriage, Brundage believed that many did not feel that “it obliged them to renounce sex” and that episcopal officials settled for confining “the clergy’s sexual activities within tolerable limits75”. Such an attitude amongst the clergy suggests that perhaps clerics were not greatly embarrassed by their sexual behavior and were even unapologetic about it. Visitation and ecclesiastical court records that document the sexual offences of the clergy often give the impression that it was so commonplace that episcopal officials in the day-to-day business of managing the numerous cases brought before them treated the sexual transgressions of the clergy as routine and unexceptional76. It is hard to imagine that the bishop or his officials had the time to chastise and lecture every cleric brought before their court for their sexual indiscretion in the hope that it became a humiliating or traumatic episode that discouraged clergymen from repeating the crime again. We can surmise, therefore, that a significant number of the clerical population appeared before a church court to answer for their sexual crime. Punishment usually entailed a fine and not time spent in jail. Although paying a fine would certainly have been a burden, it is possible that coming before the court had more than one meaning for a cleric that had nothing to do with chagrin. In Undoing Gender, Judith Butler has theorized that “sexuality is never fully captured by regulation […] it can exceed regulation, take on new forms in response to regulation, even turn around and make it sexy. In this sense, sexuality is never fully reducible to the ‘effect’ of this or that operation of regulatory power” because “it can also be mobilized and incited by constraints, even sometimes requiring them to be produced again and again77”. Indeed, priests may have experienced a moment where their illicit sex act became a form of legitimization in the court, a 74 J. A. Brundage, Law, Sex and Christian Society…, op. cit., p. 536. See also J. Théry-Astruc, “‘Excès’…”, art. cit., p. 164-236; id., “Luxure cléricale…”, art. cit., p. 165-193. P.H. Cullum has looked at the Capitular Act Book of York Minister for the years 1387 to 1494. Although she does not provide a numerical analysis of the number of clergy and laity charged with for illicit sex, she observes that “the vast majority of clerical cases dealt with sexual misconduct”. See P. H. Cullum, “Clergy, Masculinity and Transgression in Late Medieval England”, in D. M. Hadley (ed.), Masculinity in Medieval Europe…, op. cit., p. 187. See also A. D. Frankforter, “The Reformation and the Register: Episcopal Administration of Parishes in Late Medieval England”, The Catholic Historical Review, 63 (1977), p. 212-214. 75 J. A. Brundage, Law, Sex and Christian Society…, op. cit., p. 537. 76 M. Armstrong-Partida, Defiant Priests…, op. cit., p. 53-64 and p. 70-72. 77 J. Butler, Undoing Gender…, op. cit., p. 15. Butler further explains that “to a certain extent sexuality establishes us as outside of ourselves; we are motivated by an elsewhere whose full meaning and purpose we cannot definitively establish. This is only because sexuality is one way cultural meanings are carried, through both the operation of norms and the peripheral modes of their undoing” (p. 15).

SEx AnD PRIESTLy MAScuLInITy In LATE MEDIEvAL EuRoPE

mark of membership among men who conformed to the hegemonic practice of an active male sexuality. Here, too, like that occasion in the brothel or tavern or on the street while soliciting a prostitute, it became an episode that confirmed that they belonged and took part in secular manhood. Committing a sexual act that was forbidden, moreover, may have engendered feelings that their act of rebelliousness was manly too. Foucault, after all, empha­ sizes that “where there is power, there is resistance” and that groups or individuals can deploy resistance “in a definitive way, inflaming certain points of the body, certain moments in life, certain types of behavior78”. Scholarship on the masculine identity of lower-class men has shown that defying existing power structures “is worn like a badge of masculinity in the work and social environments they inhabited”, which becomes a way to compensate for their subordinated status79. Therefore, priests may have experienced a sense of satisfaction in flouting Church expectations, particularly when the expectation of chastity made their manhood vulnerable to attack. Humans, after all, can experience conflicting emotions, such as chagrin and defiance, at the same time80. An explanation for the behavior of priests and their engagement in an active sexuality indicates a confluence in men’s belief about the naturalness of masculine desire and the need to partake in homosocial bonding. Participating in the sex trade was as an experience or process that reinforced a man’s gender identity and his claim to a place in the hierarchy of men. This is R.W. Connell’s pattern of com­ plicit masculinity where men do not need to enact “a strong version of masculine dominance” but it nevertheless requires that “all other men position themselves in relation to it” so that they still “benefit from the patriarchal dividend81”. An over­ lap between hegemonic and complicit masculinities will always exist if hegemonic patterns of manhood are going to be dominant and effective at subordinating

78 M. Foucault, The History of Sexuality: An Introduction, New York, Vintage Books, 1990, p. 95-96. Foucault further adds that there is a plurality of resistances that “are possible, necessary, improbable; others that are spontaneous, savage, solitary, concerted, rampant, or violent… Hence they too are distributed in irregular fashion: the points, knots, or focuses of resistance are spread over time and space at varying densities, at times mobilizing groups or individuals in a definitive way, inflaming certain points of the body, certain moments in life, certain types of behavior”. 79 K. D. Pyke, “Class-Based Masculinities…”, art. cit., p. 538. See also D. Schrock and M. Schwalbe, “Men, Masculinity…”, art. cit., p. 285; Th. M. Klubock, “Working-Class Masculinity, Middle-Class Morality, and Labor Politics in the Chilean Copper Mines”, Journal of Social History, 30 (1996), p. 445-447. 80 I agree with Derek Neal that historians must do more to consider the intersections of emotion and masculine identity. Neal writes, “we need to admit somethings that historians often are not comfortable admitting. First, feelings matter: the emotional texture of life is as worthwhile to analyze historically as its tangible, quantifiable side”. He explains that we cannot dismiss the individual because “premodern people had the same psychological complexity that we attribute to ourselves…” See D. Neal, “What Can Historians Do with Clerical Masculinity? Lessons from Medieval Europe”, in J. D. Thibodeaux (ed.), Negotiating Clerical Identities…, op. cit., p 28. 81 R. W. Connell and J. W. Messerschmidt, “Hegemonic Masculinity…”, art. cit., p. 832; R. W. Connell, Masculinities…, op. cit., p. 79.

271

272

MIchELLE ARMSTRonG-PARTIDA

both women and men. Men “adopt a position of complicit masculinity” Kim Phillips explains, because “this model of masculinity is essential to the success of homosociality, which requires that men place themselves on a continuum of acceptable manly rules82”. The repeated behaviors of drinking, tavern-frequenting, hunting, taking part in sports, dressing in secular garb, carrying weapons, and using violence to defend their honor and status that the medieval church consis­ tently condemned for hundreds of years are not only evidence that many among the priestly class adopted certain traits of secular manhood but that they did so to situate themselves in a configuration of hegemonic ideals of masculinity. How they conformed to, modified, or challenged the masculine norms of medieval society exposes much about the reality of the environments they had to live, work, and function in, which will not likely be uniform for every parish priest across Europe, but will certainly have commonalities. Although individuals move through society and perform their gender identity by repeating an identifiable set of masculine or feminine practices, this does not mean that its reproduction is static. On the contrary, because gender identity is situational and is mobilized differently depending on the context, sociologists and social psychologists also believe that it can be multi-positional. Essentially, they argue that “we need to allow for the possibility that complicity and resistance can be mixed together83”. This means that the self-presentation of a priest could combine characteristics of secular manhood at the same time that he could also assimilate particular traits specific of his profession to produce a clerical masculine identity. The gender identity of secular priests represents a hybridity of the secular and clerical world that could incorporate to a certain degree an active sexuality while also representing the spiritual authority, clerical status, and privilege of men in the priesthood. Connell and Messerschmidt explain best how men can adjust their masculine identity to hegemonic norms in certain situations depending on their age or any other variable that affects how they promote a particular version of their masculinity: Men can dodge among multiple meanings [of masculinity] according to their interactional needs. Men can adopt hegemonic masculinity when it is desirable; but the same men can distance themselves strategically from hegemonic masculinity at other moments. Consequently, “masculinity” represents not a certain type of man but, rather, a way that men position themselves through discursive practices84.

82 K. M. Phillips, “Masculinities…”, art. cit., p. 29. 83 M. Wetherell and N. Edley, “Negotiating Hegemonic Masculinity: Imaginary Positions and Psycho-Discursive Practices”, Feminism and Psychology, 9 (1999), p. 352-353. See also M. Schippers, Recovering the Feminine Other: Masculinity, Femininity, and Gender Hegemony”, Theory and Society, 36 (2007), p. 88-87, p. 93, and p. 98. 84 R. W. Connell and J. W. Messerschmidt, “Hegemonic Masculinity…”, art. cit., p. 841.

SEx AnD PRIESTLy MAScuLInITy In LATE MEDIEvAL EuRoPE

Priests in their everyday lives could both adopt particular traits of secular manhood and at the same time show resistance toward more socially dominant men. In fact, sociological studies have shown that while men strive to position themselves in accordance to hegemonic ideals, those who possess subordinate masculinities, particularly lower-class men, will often have moments where they compensate by enacting a masculine bravado and engaging in rebellious or defiant behavior against higher status men, especially when it comes to sex85. A priest who became involved in adulterous affairs or seduced unmarried women under the protection of a male guardian was defying the patriarchal authority of a married man as an act that bolstered his own masculine identity. These priests on some level resented the position and power of patriarchs – men who had achieved the status of an adult man in charge of the wife or daughter under their management – that they themselves did not possess. This was not unusual because the historian Jacques Rossaiud has examined the resentment of unmarried men in 15th-century Dijon who carried out frequent gang rapes of wives and female servants to challenge the authority of mature husbands and city officials. Most were urban artisans and apprentices, much like the university students in towns throughout Europe who also engaged in gang violence and rape86. Ruth Karras has also observed that many boys and adolescents were taught in an environment that naturalized sexual violence so it is not unusual that we find males demonstrating their opposite-sex desire by force, which also explains why the clergy were also frequently charged with rape87. For priests, the seduction of a woman was not only a show of disrespect for the authority of a husband, father, or brother, but also impugned the honor and manhood of the man who had failed to guard the sexual honor of his women. In cases where priests publicly and blatantly took the wives or daughters of other men, this can only be classified as sexually assertive 85 K. D. Pyke, “Class-Based Masculinities…”, art. cit., p. 537-538; D. Schrock and M. Schwalbe, “Men, Masculinity…”, art. cit., p. 288; Th. M. Klubock, “Working-Class Masculinity…”, art. cit., p. 444 and p. 448-449; M. Kim, “South Korean Rural Husbands. Compensatory Masculinity, and International Marriage”, The Journal of Korean Studies, 19 (1979), p. 295-296, p. 307-309, and p. 316; K. M. Young, “Masculine Compensation…”, art. cit., p. 1346. 86 J. Rossiaud, Medieval Prostitution…, op. cit., p. 20-22, 41; R. M. Karras, From Boys to Men…, op. cit., p. 77 and p. 148-149; J. Davies, “Violence and Italian universities during the Renaissance”, Renaissance Society, 27 (2013), p. 504-516; H. Skoda, Medieval Violence: Physical Brutality in Northern France, 1270-1330, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 127-128 and p. 148. P. J. P. Goldberg also discusses the seduction of female servants by apprentices and how such an act was perceived as a challenge to the authority of the master. See P. J. P. Goldberg, “Masters and Men…”, art. cit., p. 59-60 and p. 63. 87 R. M. Karras, From Boys to Men…, op. cit., p. 77-78; J. Davies, “Violence and Italian universities…”, p. 504 and p. 508. Hannah Skoda notes that young men were frequently involved in rapes and that they carried out the deed in public to make their actions known. She cites an example of two clerics who abducted a woman from her home and raped her outdoors. Skoda further comments about the involvement of young men in gang rapes as youths “evidently anxious to prove their macho identity and insert themselves visibly into the adult world of sexually active men”. My own work in Catalunya shows that clerics were frequently perpetrated this crime. See H. Skoda, Medieval Violence…, p. 71, p. 25-26, p. 70-72, and p. 148.

273

274

MIchELLE ARMSTRonG-PARTIDA

behavior that challenged the masculinity of a husband or father88. Appropriating the wife of another man, moreover, was also a statement about the priest’s virility that had the potential to elevate his manly status. Through their sexual conquest, the priest subverted the patriarch’s control and thereby flouted social norms that gave precedence to the paterfamilias. It was not unusual, moreover, for men to engage in risk-taking behavior in order to validate their masculinity. The work of Andrew Miller has shown that knights in England played dangerous games by poaching on private hunting grounds and by mutilating and killing the horses and animals on the properties belonging to archbishops, bishops, and their ecclesiastical officials in order to emasculate them. These acts were meant to humiliate and effeminize powerful churchmen. If caught, these knights were willing to pay steep fines and the penalty of excommunication in order to challenge the authority and denigrate the masculinity of these clerical elites89. Men at all levels of the masculine hierarchy, therefore, could engage in risky behavior to undermine the masculinity of other men. A priest, then, could feel victorious that his seduction undermined the power of a man whose masculinity was seen as more in tune with the ideals of secular manhood. While it seems likely that most wanted a clandestine affair to avoid getting caught, some priests brazenly took the wives and daughters of parish men. Such an act was more than about sex but about subverting the manhood of a particular husband or father90. Undoubtedly there were consequences for such behavior because a priest’s reputation could be damaged91. However, secular clergymen knew that their cleri­ cal status conferred the privilege of being tried in an ecclesiastical court, which meant that at most the penalty would be temporary excommunication, a fine, and in rare instances the loss of his benefice92. In Hereford, England, episcopal officials punished priests less often and less harshly than the laity for their sexual misbehavior and even permitted them to fulfill their penances in private rather than in public. It is not surprising that ecclesiastical authorities sought ‘to main­ tain the authority and community standing of the clergy’ with such leniency93. It is possible, too, that priests avoided seducing the wives and daughters of elite men who were more likely to cause problems with their ecclesiastical superiors when

88 M. Armstrong-Partida, Defiant Priests…, op. cit., p. 183-187; J. D. Thibodeaux, “The Sexual Lives…”, art. cit., p. 480-481. 89 A. Miller, “Knights, Bishops, and Deer Parks…”, art. cit., p. 206-227, p. 210, p. 216, p. 219, p. 222, and p. 226; id., “‘Tails’ of Masculinity…”, art. cit., p. 959, p. 974, p. 986-687, p. 990, and p. 995. 90 M. Armstrong-Partida, Defiant Priests…, op. cit., p. 183-186. 91 D. G. Neal, The Masculine Self…, op. cit., p. 99-101. 92 M. Armstrong-Partida, Defiant Priests…, op. cit., p. 57-61, 187; S. McDougall, “The Prosecution of Sex…”, art. cit., p. 697-698 and p. 708-711; J. D. Thibodeaux, “The Sexual Lives…”, art. cit., p. 480-481; G. Ruggiero, The Boundaries of Eros…, p. 85-86 and p. 143. 93 J. Werner, “Promiscuous Priest…”, art. cit., p. 170-171. This is also seen in the diocese of Rochester. See A. Finch, “Sexual Morality and Canon Law: The Evidence of the Rochester Consistory Court”, Journal of Medieval History, 20 (1994), p. 265-267.

SEx AnD PRIESTLy MAScuLInITy In LATE MEDIEvAL EuRoPE

they became involved with their women94. In addition, such behavior could have been more prevalent among younger priests than older ones who were unwilling to risk the consequences to their reputation later in life. This would make sense because age affects gender identity and as priests aged other masculine traits, such as a higher position in the Church, steadfastness, and even largesse, could become more important masculine traits for older men when there was less need to prove physical and sexual bravado95. When writing about the sexual transgressions of the clergy medieval scholars often emphasize how the laity was scandalized by the sexual activities and concu­ binary relationships of priests and monks. Such an assertion is understandable given that the sources often make this claim. However, we must take into ac­ count that clerical notaries and episcopal officials produced the majority of these sources and had an interest in portraying the laity as shocked and in line with the Church’s condemnation of any sexual behavior outside of marriage. People probably were scandalized on some level, but only to a certain degree. After all, medieval sources reveal the ubiquitous image of the sexually promiscuous priest, so it could not have come as a great surprise. While some experienced outrage, others probably thought it was also funny. Consider that medieval people had a sense of humor: a common joke among the working class was to make a priest “swear by his virginity”. In Southern France people were entertained by the custom of priests “dancing with prostitutes following their first celebration of the mass96”. Rossaiud opines, moreover, that “I doubt that priests’ frequenting prosti­ tutes was seen as truly scandalous, at least not by the majority of the faithful97”. Consider, too, that priests were not burdened with the full responsibility for their sexual misdeeds because much of the blame was placed on the lustful nature of women98.

Conclusion A chasm existed between the proletariat of the Western Church and its ecclesiastical leaders that went beyond clerical rank and the monetary value of a benefice. While the average parish priest shared a profession with the middling

94 L. Otis-Cour, “De jure novo…”, art. cit., p. 368. 95 For a list of masculine traits that were associated with manhood, see K. M. Phillips, “Gender and Sexuality…”, p. 310. See also C. Fletcher, “The Whig Interpretation of Masculinity? Honour and Sexuality in Late Medieval Manhood”, in J. H. Arnold and S. Brady (ed.), What is Masculinity? Historical Dynamic from Antiquity to the Contemporary World, Basingstoke, Hampshire, Palgrave Macmillan, 2013, p. 57-75. P. H. Cullum also addresses how chastity appealed to high status laymen later in life, particularly as widowers. See P. H. Cullum, “‘Give Me Chastity’: Masculinity and Attitudes to Chastity and Celibacy in the Middle Ages”, Gender & History, 25 (2013), p. 621-636. 96 J. Rossiaud, Medieval Prostitution…, op. cit., p. 116, 145. 97 Ibid., p. 39. 98 R. M. Karras, Common Women…, op. cit., p. 108-109.

275

276

MIchELLE ARMSTRonG-PARTIDA

level and elite clergymen of their diocese, he had more in common with the men of his community. The difference had everything to do with social status, wealth, education, and a way of life that conformed to the hegemonic patterns of masculinity in the villages and towns where they grew up, served as priests, and lived as men. The diversity of the clergy’s backgrounds and experiences explains why a singular, coherent model of clerical masculinity does not exist for this international institution. Given the diversity of socio-economic upbringings, re­ gional customs, and clerical practices that existed among the proletariat clergy, we should expect that the masculine identity of parish clergy throughout Continental Europe would vary so that eventually we are discussing priestly masculinities and not simply a priestly masculinity that represents the entire spectrum of parish priests. Nevertheless, we cannot deny a characteristic that is consistently encountered when studying the lives of secular clergy – their sexual involvement with women – and its implication for the gender identity of clerics. Clearly, secular clergymen felt a tremendous pressure to conform to the secular ideals of manhood in late medieval society and many repeatedly performed a sexual desire for women. While it is true that sexual activity is not “the linchpin99” of any masculine identity, we cannot lose sight of the fact that secular clerics were performing opposite-sex desire in very public ways. Sexual activity clearly had some social meaning for their manhood. My goal in this essay has been to demonstrate that while many priests throughout Europe were able to achieve an adult masculinity based on their marriage-like union that conferred the role of husband, father, and patriarch, other priests experienced this burden of conforming to secular manhood by proving their membership in the male community in the form of participating in a public sex culture that privileged men. Their public performance of engaging in the sex trade confirms that such acts were an attempt to place their masculine identity along the continuum of hegemonic patterns of masculinity in late medieval society. As secular clerics, priests had to navigate the lay and clerical world, the way they projected their masculine identity changed depending on the situation and the audience. This may be one reason why we find such conflicting behavior among the clergy – wearing secular clothing, bearing arms, fighting, drinking in taverns – in that we are detecting particular moments where a priest’s masculinity is complicit with the most salient characteristics of secular manhood. Because men can adopt and at the same time resist hegemonic norms of masculinity, some priests engaged in risky behavior, such as adulterous affairs and the seduction of daughters, as a way of challenging the power and influence of men who held the status of a paterfamilias. This behavior came at a personal cost but worked to temporarily undermine the hierarchies of masculinity by threatening the patriarchal dividend that married men enjoyed. It is possible that clerics experienced a sense of defiance in resisting and challenging the control of 99 D. G. Neal, The Masculine Self…, op. cit., p. 8. See also C. Fletcher, “The Whig Interpretation…”, art. cit., p. 60-62 and p. 69.

SEx AnD PRIESTLy MAScuLInITy In LATE MEDIEvAL EuRoPE

their superior episcopal officials when they disregarded the Church’s requirement of sexual abstinence. Some secular clerics may have actually embraced an active sexuality precisely because they were banned from doing so100. Rebelliousness could become a form of masculine pride that actually validated their manliness, especially when it bucked the authority of ecclesiastical leaders. It is only by continuing to study the specific religious environment of local areas, along with social, economic, and religious factors, that we will begin to understand the diversities of strategies priests used to adapt and contest the hegemonic norms of medieval society and construct their own masculine identity101.

100 P. H. Cullum, “Clergy, Masculinity and Transgression…”, art. cit., p. 193-194. 101 R. W. Connell and J. W. Messerschmidt, “Hegemonic Masculinity…”, art. cit., p. 839 and p. 841.

277

SARAH DUmORTIER 

Être prêtre et amoureux Quelles masculinités pour les ecclésiastiques dévoyés ? (xvie-xviiie siècle)

Aborder la question de la masculinité sacerdotale sous l’angle de la pratique amoureuse peut sembler paradoxal puisque sexualité et sentiment amoureux des gens d’Église sont interdits et condamnés depuis le xiie siècle1. En effet, l’affection sentimentale et la sexualité ne pouvant s’exprimer que dans le cadre légal du mariage, les ecclésiastiques ne devraient pas être concernés par l’interrogation de la masculinité en rapport avec le sentiment. Or, la réalité des sources et les études menées2 indiquent qu’un pourcentage, difficile à quantifier, du premier ordre de la société n’a pas respecté l’obligation de célibat et c’est cette minorité qui nous importe. C’est, assurément, la confrontation de deux statuts, celui du prêtre et celui de l’homme, qui modifie la vision de la masculinité sacerdotale car les conciles successifs et, particulièrement, celui de Trente, ont fait du prêtre un homme dénué de corps, de sexe ou de pulsions. L’ecclésiastique se devait d’être l’époux et le père d’une paroisse, un père parfait accomplissant le devoir sacerdotal, se livrant tout entier à ses fidèles, sans rien devoir à une femme. Sa vie était consacrée à Dieu, il était l’homme juste, raisonnable, pilier de la sociabilité de l’Ancien Régime dont l’existence n’était faite que de labeur et de prières et dont le seul plaisir tenait à la Révélation. Rester chaste était pour les hommes d’Église ce qu’il y avait de meilleur et de plus heureux, comme l’affirmait le

1 Lors du concile de Latran II en 1139, l’ordination devient officiellement un empêchement dirimant de mariage ; l’union des clercs est donc invalide, peut être annulée et tout mariage postérieur aux canons de référence est interdit. De même, le concile de Pise, en 1135, consacrait trois canons à l’interdiction du mariage, du concubinage et rappelait la nécessaire chasteté des ecclésiastiques. 2 Parmi les différents travaux concernant le non respect du célibat ecclésiastique, il faut citer, au sein des plus récents, M. Deniel-Ternant, Ecclésiastiques en débauche, Paris, Champ Vallon, 2017 ; A. Stella, Le prêtre et le sexe. Les révélations des procès de l’Inquisition, Bruxelles, André Versaille, 2009 ; J. Gélis, « Sexualité des prêtres et discipline de l’Église dans l’ancien diocèse de Sens au xviiie siècle : l’exemple du chanoine Desforges d’Etampes » in L. Feller (éd.), Contrôler les agents du pouvoir, Limoges, Pulim, 2004, p. 233-244 ; S. Dumortier, Le célibat ecclésiastique offensé au sein du clergé de la France septentrionale (xvie-début xixe siècle), Thèse de doctorat, Université Lille III, 2015. Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 279-290. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131603

280

SARAh DuMoRTIER

canon 10 du concile de Trente3. La continence n’était alors pas perçue comme quelque chose de rare et d’exceptionnel, mais comme un simple don de Dieu auquel il fallait se conformer. D’ailleurs, le discours normatif de la hiérarchie ecclésiastique définissait le portrait d’un prêtre irréprochable, dépositaire du sacré, c’est-à-dire d’un pouvoir que ne pouvaient posséder ceux qui n’avaient pas reçu l’ordo sacerdotis. Dès lors, le prêtre devait mener une vie digne, se tenir à l’écart des mœurs des paroissiens et donc ne plus se comporter en « homme ». Face à ces attendus institutionnels, le comportement de la minorité dite dévoyée appelle à l’existence ou à la coexistence d’un second statut : celui d’un prêtre qui se conduit tel un fidèle, en homme avec les réalités et matérialités sexuelles et/ou amoureuses que cela comporte. Or, c’est la condamnation de la masculinité traditionnelle et de ses attributs qui conduit à faire du prêtre actif sexuellement une sorte de « troisième sexe », au genre difficilement différenciable, qui oscille entre le sacré et des considérations bassement physiques. C’est cette dichotomie du statut qui transforme la masculinité sacerdotale et amène l’ecclésiastique à en jouer ou à s’en cacher. De ce fait, il est nécessaire de s’interroger sur la construction sociale et genrée de la masculinité sacerdotale dans le cadre du non respect du célibat ecclésiastique tout en ayant le souci constant de confronter les attentes religieuses de la période avec les réalités conjugales et sexuelles des délinquants. Entre dichotomie et revendication ou repentir, la sexualité des ecclésiastiques dits déviants amène une ambigüité en termes d’appartenance au genre. Sont-ils hommes ? Sont-ils prêtres ? Sont-ils autres ?

Prêtre et homme : l’utilisation du sacré pour construire une masculinité interdite En analysant les sources judiciaires des officialités4, soit celles des tribunaux ecclésiastiques, il est possible d’établir les comportements de cette masculinité sa­ cerdotale particulière. Il apparaît, indifféremment, aux xvie, xviie ou xviiie siècle que la masculinité est centrale dans les comportements des prêtres ne respectant pas l’obligation de célibat. D’une part, ils agissent en fonction des attributs traditionnels de la virilité ; d’autre part, ils utilisent la masculinité singulière qu’ils incarnent pour exister en tant que corps alors qu’ils n’en ont, théoriquement, pas le droit. Une réflexion essentielle est de savoir si ces ecclésiastiques ont conscience de leur interprétation de la masculinité en fonction d’un statut propre ? Utilisentils consciemment le sacré pour vivre leur passion ou est-ce qu’il s’agit d’un

3 « Si quelqu’un dit que l’état du mariage doit être préféré à l’état de virginité ou de célibat, et que ce n’est pas quelque chose de meilleur et de plus heureux de demeurer dans la virginité ou le célibat, que de se marier, qu’il soit anathème » (P.-T. Durand de Maillane, Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéficiale, t. 1, Paris, Bauche, 1761, p. 244). 4 La présente étude porte sur 451 dossiers de procédure répartis dans six officialités : Beauvais, Cambrai, Châlons-en-Champagne, Paris, Reims et Troyes, entre 1504 et 1788.

êTRE PRêTRE ET AMouREux

aparté sensuel réalisé et regretté parce qu’ils sont formatés par le dogme ? Il est très difficile de répondre à cette question en raison de la nature judiciaire des archives ; de même en diversifiant la nature des sources, accéder à la pensée de ces hommes est chimérique. Ainsi, dans le vaste corpus des archives du séminaire de Cambrai, un seul témoignage, celui d’un jeune séminariste, s’interroge sur la corrélation entre masculinité et prêtrise. Toutefois, il est intéressant de noter que ce jeune homme s’engage à se conduire comme « le meilleur des pasteurs pour les brebis » et à ne « jamais se laisser égarer par les émois des hommes5 ». Toutefois, s’il est impossible d’émettre des certitudes sur la conscience de cette masculinité particulière, on peut dégager plusieurs postulats en fonction des situations rencontrées dans les sources. À partir de 451 dossiers de procédures, il est possible d’esquisser une typologie de ces masculinités du sacré en fonction de la situation « matrimoniale » de l’ecclésiastique. Le premier cas de figure correspond aux prêtres du clergé séculier qui vivent en concubinage et/ou qui ont une relation suivie avec une seule et même compagne, soit 76 % du panel. En caricaturant, il s’agit, dans le cas présent, d’ordinaires relations conjugales ne se distinguant, finalement, des unions laïques que par leur caractère interdit et condamnable. Dans ce cas précis, la majorité des ecclésiastiques n’utilise pas la fonction sacerdotale pour affirmer une masculi­ nité distincte face à la gente féminine ; au contraire, la fonction est simplement concomitante de leur état d’homme. Ils vivent en couple au sein de la commu­ nauté, bien souvent avertie et complice, et exercent un « emploi » en parallèle de leur vie conjugale et familiale. Les compagnes, elles-mêmes, se comportent davantage en épouses qu’en femmes perdues au sein des solidarités villageoises. Ainsi, la compagne du curé Lannoy, dans le diocèse de Beauvais, se jette au col de son amant, le baise et l’embrasse « avec autant d’attache et de primauté qu’une femme auroit faict son mary6 ». L’ecclésiastique se comporte comme ses ouailles et présente ou explique les problèmes inhérents à sa virilité et sa sexualité sans s’interroger sur les interdits par la fonction. Dans ces cas de relations établies, l’homme d’Église est un homme qui partage, avant tout, des solidarités mascu­ lines et non pas religieuses. Par exemple, en 1687, dans le diocèse de Cambrai, le curé Lustin Marotte interpelle ses voisins et fidèles car il « souffroit a la partie » et se renseigne sur son mal en ces termes : « il auroit cru que le mal qui souffroit, seroit arrivé de ce qu’il se seroit trop eschauffé et fait un trop grand effort allentour de sa femme7 ». Il appert que la notion de sacerdoce n’est absolument pas présente dans son questionnement ni dans son attitude. Avec leur compagne, ces clercs ne mettent pas non plus en exergue les nécessités du sacerdoce ; ils réalisent, auprès d’elles, leurs devoirs de pasteur sans songer, pour la plupart, à la contradiction ultime de leur geste. Ainsi, Louise Houbereau, compagne du prêtre

5 Lille, Archives départementales du Nord [= AD Nord], 3 G 2839, Résolutions d’un futur prêtre, 1737. 6 Beauvais, Archives départementales de l’Oise [= AD Oise], G 4271, Jean de Lannoy, 1656-1664. 7 AD Nord, 5 G 514, Lustin Marotte, 1687.

281

282

SARAh DuMoRTIER

Mahaut depuis plus de vingt ans, se confesse et reçoit l’absolution par ce dernier ; ni la compagne ni le prêtre ne semblent trouver la situation répréhensible car Mahaut sépare ses deux existences. D’un côté, il opère en tant que prêtre dans la paroisse et de l’autre en tant qu’époux, ce dont il témoigne auprès de l’official8. Un seul dossier de procédure laisse présager que l’ecclésiastique était lucide sur la dualité de son comportement et de ses actes : à Vauroux, dans le diocèse de Beauvais, le curé Jean Rohart confesse sa maitresse Nicole Suaire et oscille entre la crainte de la perdre et la pleine conscience de sa faute : La deposante fut en confesse avec ledit curé pendant ledit temps et fust conseiller de se retirer de ce peché […] mais ledit curé la faisoit retomber en son peché disant qu’il estoit fragille […] apres qu’elle voulloit se reconcillier pour aller a la communion, ledit curé l’entendoit en reconcilliation […] la desposante lui remonstroit sa mauvaise vie, il pleuroit en elle et luy disoit qu’elle ne le quittat point et qu’il ne la quitteroit jamais mais qu’il commetoit grande faute9. L’association du double statut, évoqué précédemment, apparaît remarquable­ ment dans cet extrait : d’un côté, Rohart est prêtre, il confesse, il absout, il arbore son rôle religieux ; mais de l’autre, il se présente comme homme « fragile » et dé­ pendant de ses sentiments amoureux. Or, finalement, c’est son rôle de prêtre qu’il met en avant, consciemment ou non, puisque sa mauvaise vie et l’existence même de sa compagne entraînent sa propre culpabilisation, celle de l’ecclésiastique qui ne respecte pas le dogme et la moralité imposée. Ces prêtres ont-ils conscience de la subdivision de leur vie ? Il est impossible de le savoir avec certitude ; néanmoins certains dossiers de procédure indiquent ce phénomène. Par exemple, le prêtre Aubert Basviau reconnaît, par écrit, que l’enfant de Jeanne Barbe Dervaux est le sien ; or, dans cette reconnaissance, il ne stipule aucunement sa fonction. Crainte des conséquences judiciaires certaine­ ment mais possiblement représentation duale de sa personne10. Cas plus remar­ quable, celui du curé Philippe Gourdin qui, en 1644, face au juge ecclésiastique de Cambrai, reconnaît qu’il a commis une « faute humaine » et ajoute qu’il suffirait d’accepter le possible mariage de l’apôtre Paul pour le dédouaner d’un crime qui n’en est pas un selon lui11. De même, Hubert Lansiart, en 1617, stipule à l’official métropolitain de Cambrai « que toute sa faute est une fornication simple qu’il a eu le malheur et la faiblesse de commettre » mais que sa conduite n’a aucunement entaché sa fonction sacerdotale. Il truffe sa déposition de références juridiques,

8 AD Oise, G 4466, Guillaume Mahaut, 1620-1638. 9 AD Oise, G 4550, Jean Rohart, 1651-1653. 10 AD Nord, 5 G 513, Aubert Basviau, 1683 : « Le soubsigné avoüe et confesse que l’enfant qui est né de Jeanne Barbe Dervaux ne provient que de luy et ne soupconne aucunement laditte jeanne Barbe d’avoir eu affaire ou intelligence avec quelque autre, ny d’aucune chose pour laquelle il pourroit denier. Fait a Saint Martin le 20 noembre 1683. A de Basviau ». 11 AD Nord, 5 G 510, Philippe Gourdin, 1644.

êTRE PRêTRE ET AMouREux

cite les « traitez de cohabitatione clericorum et mulierum ou les peines sont portées et fulminées contra non se abstinentem » et termine son exposé par ces mots : « en quoi vivre en homme interdit d’être bon pasteur ? ». La seconde catégorie de la masculinité représentée en lien avec la situation personnelle correspond aux ecclésiastiques qui multiplient les relations éphé­ mères, les attouchements ou qui ont recours à la force pour vivre leur sexualité. Détailler l’intégralité des chiffres de ces diverses situations n’aurait aucun intérêt dans le cas présent, d’autant plus que la majorité des prêtres de cet ensemble statistique utilise consciemment le caractère sacré pour séduire, pour convaincre ou pour forcer une femme. La sainteté de leur fonction leur permet d’exister en tant qu’homme aux yeux du corps féminin qu’ils convoitent. L’incarnation la plus frappante de ce phénomène est celui de la confession. Les extraits judiciaires narrant cette utilisation du rôle d’intercesseur sacré pour obtenir des faveurs charnelles pourraient être multipliés mais attardons-nous sur le cas exemplaire du curé de Sogny-en-l’angle, diocèse de Châlons-en-Champagne. Jugé en 1773, le curé Charles Dupont a une fâcheuse tendance, au moment de la confession, à vouloir exister en tant qu’homme dès que la repentante a terminé son récit. Il écoute, donne les pénitences à accomplir et exécute ainsi sa fonction. Toutefois, le rituel achevé, il agrémente sexuellement le rituel et insiste régulièrement pour que la pénitente l’accompagne dans la sacristie afin d’accélérer les faveurs divines. Ainsi, une de ses victimes et paroissiennes indique, lors de sa déposition, qu’après l’avoir confessée, il lui avait dit de le suivre dans la sacristie pour la « baiser à la gorge et faire son Salut ». Une autre rapporte qu’elle craignait tant le Purgatoire qu’elle a « mis toute sa confiance dans le sieur curé et l’a laissé toucher ses parties honteuses12 ». Les réalités du rôle de confesseur dévoyé ne manquent pas dans ce dossier et on y constate, clairement, l’utilisation d’une masculinité corrompue mais également hégémonique c’est-à-dire qu’en tant que prêtre, il utilise les peurs inhérentes au catholicisme pour exercer une sexualité interdite mais également pour dominer une femme dont le statut est l’infériorité sociale et genrée. Le caractère sacré est également mis en évidence par certains ecclésiastiques pour séduire une femme ou tout au moins pour mettre un terme à ses atermoie­ ments lorsqu’ils ne parviennent pas, en tant qu’homme, à leurs fins. En 1739, le curé Pierre-Joseph Leprochon, tente, par divers stratagèmes, de séduire une jeune fille à marier ; les présents, les cadeaux et les déclarations ne suffisant pas, il va alors utiliser sa fonction afin de transformer, même transcender, sa masculinité. Très pédagogue, il explique à cette jeune fille qu’il n’y a « point de mal de se donner à lui », qu’elle ne doit craindre ni pour son Salut, ni pour sa réputation car « lui étoit son curé ». De charmeur insistant, Leprochon devient, par ce propos, le prêtre dévoué auquel elle doit se soumettre en raison de sa position de notable sacré13. 12 Châlons-en-Champagne, Archives Départementales de la Marne [= AD Marne], G 939, Charles Dupont, 1773-1774. 13 AD Nord, 5 G 524, Pierre-Joseph Leprochon, 1739.

283

284

SARAh DuMoRTIER

On retrouve ce même mécanisme chez les ecclésiastiques voulant convaincre une victime que l’acte commis, à savoir le viol ou la tentative, n’est pas fâcheux puisqu’ils sont les dépositaires du sacré. De nombreux exemples émaillent les dossiers judiciaires mais le cas du curé Esquisier, qui confesse Marguerite après l’avoir violée, joue de sa fonction de prêtre et tente de rejeter la faute sur la victime, est très instructif pour appréhender ce phénomène de modification de la masculinité qui, par son aspect sacré, dédouane des excès de la virilité. La déposition de Marguerite en atteste bien : Qu’elle avoit esté la veille a confesse au curé d’Achy, quy luy avoit permis de communié, mais qu’elle ne se voyoit guere disposée apres ce quy s’estoit passé, a quoy ledit Esquisier repondit qu’elle pouvoit venir a confesse a luy et qu’elle luy diroit si elle avoit manqué en quelque chose, la deposante fist response que le curé d’Achy luy avoit defendu d’aller a confesse a d’autres qu’a luy. Ledit Esquisier dit pour cette fois, il falloit qu’elle vint a luy et que par apres, elle iroit au curé d’Achy mais qu’il ne vouloit point qu’elle dit rien au curé d’Achy de ce qui s’estoit passé la nuict […] car elle avoit esté cause qu’il avoit offensé Dieu. […] la deposante alla a confesse audit Esquisier et dans la confession, la deposante luy demanda qu’il luy fist promesse foy de prestre qu’il ne la toucheroit jamais si elle demeuroit avec luy, et il dit, foy de prestre, qu’il ne la toucheroit jamais, et luy donna l’absolution et ensuitte la communion a la seconde messe […]. L’histoire ne s’arrête pas là puisqu’une fois l’absolution donnée, Esquisier s’estime à nouveau dans son bon droit d’homme dominant et non plus de prêtre. À peine la communion reçue, Marguerite fait à nouveau les frais de sa masculinité et l’homme d’Église « se mist a la caresser, la prist sur ses genoux et luy mist la main sur ses parties honteuses et la mena a son lict ». En donnant l’absolution, et en permettant à Marguerite de communier à la messe, le curé la rassure car il lui obtient le pardon divin mais il apaise, également, très certainement sa conscience en retrouvant son rôle d’intercesseur14. Avec les différents exemples présentés précédemment, aussi bien dans le cadre des relations suivies ou des relations éphémères ou violentes, on constate que, somme toute, l’aspect sacerdotal importe peu aux ecclésiastiques délinquants si ce n’est lorsque cela sert leurs intérêts. Les ecclésiastiques de ce panel ont avant tout une masculinité dite « classique », qui est celle des rapports de force et de domination homme-femme que l’on retrouve aussi dans les sources judiciaires ayant trait aux laïcs. Cette donnée peut s’expliquer par le manque de formation de ces prêtres avant le siècle des Lumières mais, également, par la permanence d’un recrutement local malgré une généralisation du séminaire au xviiie siècle. En effet, les sources montrent, essentiellement, un enracinement local dans le

14 AD Oise, G 4309, Philippe Esquisier, 1685.

êTRE PRêTRE ET AMouREux

corpus étudié puisqu’à 121 reprises minimum15, l’ecclésiastique incriminé est un « enfant de la paroisse », un « pays », un local, un voisin ce qui fait, certes, de lui un intercesseur avec les saints, mais un intercesseur qui partage davantage les solidarités masculines plutôt qu’il n’incarne l’homme déférant incarnant la hiérarchie ecclésiastiques/laïcs. Le prêtre vit alors dans ces solidarités villageoises qui ne l’amènent pas à considérer sa masculinité comme différente de celle des fidèles.

Quelles perceptions de la masculinité des prêtres dévoyés ? La première perception qui nous captive est celle des femmes. Comment perçoivent-elles ces hommes qui, parfois, sont des compagnons ou des dangers pour elles. Une distinction doit, bien évidemment, être établie entre celles qui succombent volontairement au charme de l’ecclésiastique de celles qui subissent attouchements ou viols. Les compagnes des ecclésiastiques ou tout au moins les femmes séduites, majoritairement des jeunes filles à marier ou des célibataires, peuvent l’être par les gestes, les attentions, les cadeaux ou les repas offerts à une époque où la population a dans la bouche « un goût de trop peu16 ». Il s’agit en ce cas d’une séduction par la notabilité, la distinction sociale et on se retrouve dans le cadre de la masculinité classique. En revanche, ce qui concerne intégralement notre sujet correspond au schéma où l’ecclésiastique plaît moralement, lorsqu’il incarne l’homme de Dieu plus que l’homme. Le curé représente alors l’espoir du salut, le personnage du sacré, celui qui fait l’onction du baptême et de l’extrême onction avec le saint-chrême consacré par l’évêque le jeudi saint, celui qui tient l’hostie consacrée en vertu de la transsubstantiation. Représentant le sacré et la pureté, il peut passer, aux yeux de certaines femmes, pour un homme dénué de tout mal, un homme incarnant une troisième voie entre le prêtre et le laïc. Il est loin de l’autoritarisme ambiant confinant parfois à la tyrannie, des réprimandes, de la brutalité. Il sait écouter, peut être savant, témoigne d’une réelle empathie et peut donc impressionner des laïques. Cette masculinité du sacerdoce se compose d’éléments de séduction inconscients mais puissants. L’ecclésiastique est alors porteur, par sa seule présence, de l’espoir d’un autre monde et il lui suffit d’utili­ ser, avec plus ou moins de raffinement, le prestige qui émane de sa personne pour séduire ces femmes des classes populaires qui confondent alors commiséra­ tion, sollicitude et charme avec bienveillance et fonctions curiales. Un exemple choisi, qui montre pleinement ce phénomène est celui de Marguerite Lesmons,

15 Il s’agit d’un minimum car établir une statistique du recrutement au vu des sources disponibles, titres patrimoniaux et bénéficiaux est difficile en raison du caractère foisonnant mais aussi partiel des archives. 16 R. Muchembled, Société, cultures et mentalités dans la France moderne, xvie-xviiie siècles, Paris, Armand Colin, 2001, p. 59.

285

286

SARAh DuMoRTIER

paroissienne du curé Duhoux qui, en 1703, rapporte au promoteur de l’officialité de Reims, qu’elle s’est laissée séduire car le curé était « bel homme avec des masnieres douces », qu’il « l’entendait avec attention ». De plus, elle ajoute que grâce à sa fréquentation, elle atteignait la « pureté de la Vierge17 ». Il en va de même pour certaines épouses qui se rendent adultères car elles sont séduites par la moralité, le prestige de la prêtrise et l’espoir d’une empathie à leur égard. Il s’agit essentiellement des femmes mal mariées, victimes de la violence physique ou ver­ bale de l’époux et qui se laissent aller à rêver à une union douce. L’ecclésiastique de la paroisse peut alors incarner ce fantasme car sa masculinité n’est pas celle de l’époux. Là, encore, il matérialise une autre masculinité : une masculinité auréolée de bonté. Cet homme symbolise alors le confident, celui qui laisse espérer de la compassion sur leur situation, un homme peut-être moins frustre que leur époux et les hommes de la paroisse. De fait, le témoignage de Thomasse, épouse de Jacques Lenglet, est révélateur de cette perception tronquée : battue par son mari et son beau-frère, blessée à la tête, elle se réfugie alors chez le curé Jean Pillé qui la soigne et l’écoute. Cette empathie non feinte la conduit à accepter les avances de l’homme d’Église et à entamer une liaison adultère mais amoureuse18. En s’attachant à l’ecclésiastique de la paroisse, ces femmes permettent au chercheur de quitter un questionnement somme toute classique sur leurs droits et leurs devoirs de femmes mariées et offrent la possibilité de déterminer dans quelle mesure le sacerdoce transforme la masculinité et leurs repères moraux. Nous sommes loin de l’image extrêmement pessimiste donnée par la tradition littéraire aux femmes mariées de l’Ancien Régime. Le renversement des rapports de force s’illustre dans ces exemples où l’épouse refuse de se conformer au rôle attendu ab initio par la société et transgresse à la fois son statut et la morale religieuse en se liant amoureusement et physiquement à un homme d’Église lui même transcendé par la liaison. À l’inverse, les femmes victimes perçoivent le caractère sacré de leur agresseur mais elles dénigrent, avec raison, le non respect de la fonction curiale et traitent le coupable en homme et non plus en représentant du sacré. Au sein des plaintes pour viol ou dans les dépositions témoignant d’une agression, le seul aspect sacerdotal de l’agresseur qui demeure est son titre : il est « ledit curé », « ledit prêtre », « ledit pasteur ». La description de l’agression met en évidence une masculinité violente sans lien avec la prêtrise et l’homme de Dieu est alors nommément cité ou devient « l’accusé ». Les faits mis en avant nient, finalement, l’identité religieuse du prêtre ; en agressant, il a perdu son statut comme on le peut voir avec cet extrait du procès du curé Philippe de Givry où pas une seule fois son statut n’est évoqué par les victimes : Ledict Givry […] la print par les jambes et luy aiant levé toutes les juppes et detaché sa culotte, se mit en posture de la violer, n’en ayant esté retenu

17 AD Marne, G 937, Jacques Duhoux, 1703. 18 AD Oise, G 4510, Jean Pillé, 1659.

êTRE PRêTRE ET AMouREux

que par les menaces qu’elle luy fit de crier et d’appeler a son secours George Moreau qu’elle entendoit passer là proche avec son chariot. […] Au mois de may 1701, Marie Masson, femme audit Huge, estant allée querir du feu chez l’accusé, elle l’a trouvé sur le seuil de sa cuisine, qui l’a appellé et fait asseoir sur un siege, où estant, il s’est mis sur son giron, a commencé a faire plusieurs insolences, toucher ses tetons, enlever ses juppes, toucher ses parties honteuses. Ensuite, l’a prise entre ses bras, l’a emportée dans sa chambre et jettée sur son lit, luy leva derechef toutes les juppes, promettant de nourrir l’enfant si elle devenoit enceinte de luy et la pressa pour commestre l’action charnelle, ce qui obligea cette femme de crier aprez la servante […]19. Cette perte de l’identité religieuse peut s’expliquer par le dégoût suscité par la conduite de l’ecclésiastique mais également par la difficulté à faire admettre l’existence de violences sexuelles. Il ne s’agit pas du sujet présent mais la question de l’honneur, de la défense physique de la victime et de la présence de témoins est essentielle pour établir qu’il y a eu agression. La reconnaissance du viol commis par un laïc était déjà extrêmement difficile dans la justice d’Ancien Régime, mais celle-ci devenait quasiment impossible lorsque le malfaiteur était un homme de Dieu : l’honorabilité de l’ecclésiastique étant ancrée dans les mœurs comme en témoigne Joseph Lambert qui, dans son Discours sur la vie ecclésiastique, prétend « qu’il n’y a rien de plus grand que l’état ecclésiastique parce que le fils de Dieu commande de porter un honneur très grand aux ministres de l’Évangile20 ». La seconde perception à laquelle il faut nous intéresser est celle des parois­ siens. Comment le prêtre sexuellement actif est considéré dans sa paroisse ? Le premier point à noter est que tant que les offices sont convenablement exécutés, la débauche ecclésiastique suscite surtout l’indifférence. La liaison de l’homme d’Église n’est ni bien ni mal perçue, elle s’intègre dans la vie de la communauté et on retrouve ici la dichotomie des existences de ces hommes : prêtres accomplis­ sant le devoir sacerdotal pour les fidèles, hommes ayant une réalité et une matéria­ lité conjugale proche des fidèles. Les deux masculinités coexistent donc dans ces trajectoires. Cependant, force est de constater que les archives mettent également en évidence des ecclésiastiques admirés, réputés pour leur agilité amoureuse et d’autres moqués, décriés, critiqués et c’est dans ces situations que la question de leur masculinité intervient. Dans le cas où l’ecclésiastique est admiré pour ses talents de séducteur, les paroissiens ne tarissent pas d’éloges sur la masculinité de ce dernier comme à Étouy, dans le diocèse de Beauvais. En apprenant la nomination de leur curé, Adrien Tallon, dans une paroisse voisine, les fidèles s’exclament « que c’estoit un bon gaillard et que s’il y avoit de belles filles et de belles femmes audict Angivillers, qu’il les auroit21 ». Le curé Tallon n’est pas le seul à susciter de tels

19 AD Nord, 5 G 518, Philippe de Givry, 1703. 20 J. Lambert, Discours sur la vie ecclésiastique, t. 1, Paris, Dezallier, 1702, p. 48. 21 AD Oise, G 4559, Adrien Tallon, 1643-1662.

287

288

SARAh DuMoRTIER

commentaires et certains hommes de Dieu passent pour des séducteurs hors-pair quand bien même leur fonction leur interdit. À Pleurs, dans le diocèse de Troyes, les prouesses du curé suscitent également l’admiration : en plus de vivre avec deux sœurs, d’avoir « fortz sobvent commerce charnel », il « auroit toutes les filles s’il le vouloit » d’après un témoin22. Ces deux dossiers montrent que le comportement sexuel de certains hommes de Dieu était enthousiasmé et que le rapport entre célibat et sacerdoce était occulté au profit de la virilité. Après analyse des témoignages dans les dossiers de procédures, cette bienveillance transparaît toutefois peu : 21 exemples sur les 451 dossiers analysés. Cependant, à partir de ce faible échantillonnage, on constate que les dépositions, ou le truchement des propos rapportés, donnent à voir des ecclésiastiques dont le comportement sexuel provoque l’envie. Or, les paroissiens admirent un séducteur qui est toutefois doté d’une certaine morale : le prêtre débauché, multipliant les liaisons n’attire pas sur lui l’admiration de ses paroissiens et ce, malgré une sexualité devant faire bien des envieux. On admire l’homme de Dieu vigoureux mais fidèle, débauché mais sensible. On admire un homme de cœur, écartelé entre des aspirations contra­ dictoires, entre l’office et le plaisir. Cet homme admiré est certes vu davantage comme un homme de pouvoir que comme un ecclésiastique mais l’admiration n’est présente que face à la morale et l’honorabilité de l’ecclésiastique. Les prêtres qualifiés de « vils » ou d’« infâmes » n’attirent pas d’éloges quant à leur réputation de séducteur. À côté de ces prêtres admirés, 46 ecclésiastiques sont moqués, injuriés, tour­ nés en dérision comme Jean Cuvelier dont les paroissiens évoquent ses deux servantes « disant que l’une estoit pour les dimanches et l’autre pour les jours ouvriers, les autres disant qu’il avoit deux bonnes lepvrieres23 ». À Eslincourt, on écrit des « chansons publiques » sur les mœurs et la paternité du curé et il est « publiquement diffamé audit lieu et circonvoisins24 ». À Ay, Marguerite Perrin, « une des plus mauvaises langues de tout le pays, reconnue telle par toutte la paroisse », est l’auteur d’une chanson calomnieuse sur la sexualité du prêtre Martin Legros25. À Vauroux, dans le diocèse de Beauvais, Noël Maisnel se moque du curé en volant ses vêtements alors qu’il est couché avec sa maîtresse et il se présente à lui « avecq les habitz dudit curé et lui dit vous voila Monsieur Le Galand », ce qui oblige l’ecclésiastique à sortir en chemise dans la paroisse pour récupérer son bien26. Si ces railleries restent bon enfant et témoignent d’une forme de familiarité des fidèles à l’encontre de leur desservant, il faut remarquer qu’elles s’attachent à la masculinité hégémonique et non pas au sacerdoce. De même, lorsque la plaisanterie devient insulte, le caractère sacré de l’ecclésiastique n’existe plus. L’injure est considérée comme un objet de l’histoire des mentalités

22 23 24 25 26

Troyes, Archives départementales de l’Aube [= AD Aube], G 4198, Ponthus de Montgrenier, 1528. AD Nord, 5 G 510, Jean Cuvelier, 1657. AD Nord, 5 G 516, Noël Lefebvre, 1695. AD Marne, 2 G 1934, Martin Legros, 1739. AD Oise, G 4550, Jean Rohart, 1651-1653.

êTRE PRêTRE ET AMouREux

dont les spécialistes ont mis à jour les structures sociales et mentales issues de cette parole déviante27. Unanimement, ils reconnaissent l’importance de la défense et de la sauvegarde de l’honneur dans ces violences verbales, l’offensé étant le seul à pouvoir juger de la gravité de l’atteinte portée à sa fama. Jean-Marie Le Gall s’est interrogé sur l’existence d’un honneur des clercs et est arrivé à la conclusion que le déshonneur du prêtre est avant tout celui de l’Église28. Les insultes adressées à un homme de Dieu, concubinaire ou libertin, sont-elles donc déshonneur pour l’ecclésiastique ou pour l’institution ? Nuisent-elles au sacer­ doce ou à l’homme ? C’est son comportement sexuel qui scandalise les fidèles et déshonore l’Église ; les emportements verbaux ne doivent pas être considérés comme une atteinte à l’Église mais comme un manque de considération envers un ecclésiastique non respectueux des règles et attentes de l’institution. Il est insulté en tant qu’homme et pas en tant que prêtre. L’analyse des invectives adressées aux prêtres dévoyés sexuellement est difficile à établir tant elles relèvent de la proximité entre clergé et fidèles et abordent l’ensemble des points de discorde. Ces mots ne visent pas l’honneur clérical puisqu’on traite le prêtre de « bougre », « coquin », « jean foutre » « putassier » ou « foutu bec », mettant ainsi en avant son statut d’ecclésiastique ne respectant pas la chasteté. Cependant, ces offenses concernant les mœurs du prêtre s’inscrivent dans un contexte plus global et visent surtout à piquer à vif un voisin avec qui on a des problèmes. Doit-on voir ces insultes comme une remise en cause des comportements sexuels des prêtres invectivés ? Oui, au sens le plus large, mais c’est avant tout la remise en cause des comportements d’un homme qui ne s’inscrit plus dans le cadre de la masculinité sacerdotale mais dans celui de la masculinité virile. Enfin, son appartenance à l’institution ecclésiastique apparaît lorsque le clerc, par ses agissements, est déconsidéré et surtout désacralisé. Si les incartades sexuelles entraînent une faible défection des paroissiens, les comportements les plus excessifs conduisent à une remise en question du rôle de prêtre, à un juge­ ment sur sa personne mais aussi sur la fonction. La masculinité de l’ecclésiastique sexuellement actif redevient alors sacerdotale car il ne symbolise plus le sacré. De fait, le manque de confiance envers l’ecclésiastique et la baisse des dévotions qui en découle sont concomitantes des comportements les plus scandaleux : en effet, dans les dossiers où cette désacralisation transparaît, les ecclésiastiques représentent ce que je nomme la minorité marginalisée, à savoir des hommes agressifs qui violent, brutalisent, utilisent leur rang pour contraindre et attoucher les pénitentes. Un seul curé concubinaire, François Mahaut, semble susciter une

27 Quelques travaux non exhaustifs : N. Gonthier, « Sanglant Coupauf ! » « Orde Ribaude! » Les injures au Moyen Âge, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007 ; H. Piant, Une justice ordinaire. Justice civile et criminelle dans la prévôté royale de Vaucouleurs sous l’Ancien Régime, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006 ; B. Garnot, Crime et justice aux xviie et xviiie siècles, Paris, Imago, 2000. 28 Y.-M. Le Gall, « Y a-t-il un honneur des clercs ? », in H. Drevillon et D. Venturino (éd.), Penser et vivre l’honneur à l’époque moderne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 281-300.

289

290

SARAh DuMoRTIER

réelle aversion chez ses paroissiens qui indiquent, dans leur plainte, un attiédisse­ ment de la vie religieuse de leur paroisse29. Ce phénomène se ressent dans les trois siècles étudiés et le concubinaire, à 93,75 %, n’est pas déconsidéré, ne connaît pas la désacralisation de sa personne. Au contraire, interrogés, les paroissiens rapportent qu’il fait bien les offices. Par exemple, dans le diocèse de Beauvais, les fidèles du curé de Fay-Saint-Quentin, vivant avec une veuve depuis plus de quatre ans et père d’un jeune enfant, rapportent presque unanimement qu’il accomplissait parfaitement son devoir à l’église30. En fonction de ces résultats, nous sommes en droit de penser que les fidèles avaient leur propre « barème » quant aux normes attendues de celui qui devait les imposer et la masculinité, si elle ne nuisait pas à la vie religieuse, n’entrait pas dans les comportements honnis. L’ecclésiastique parvenait à séparer ces existences conjointes et les fidèles, même si la présence d’une compagne faisait gausser, avaient cette même représentation de la situation.

Conclusion L’étude du corpus, composé uniquement de sources judiciaires, a permis de mener une réflexion sur la masculinité singulière des ecclésiastiques sentimenta­ lement et/ou sexuellement actifs. Plusieurs axes d’approches ont démontré le caractère intrinsèque d’une masculinité fondée essentiellement sur la virilité et les rapports sociaux inhérents à l’Ancien Régime. Le prêtre dit amoureux est avant tout un homme qui exerce et s’exprime dans une société où la masculinité repose sur des valeurs codifiées et normées et rompt ainsi avec la masculinité sacerdotale qui lui est propre. Cependant, cette dernière coexiste avec une virilité interdite car l’homme de Dieu exerce sa fonction et reste le représentant du sacré. Il est alors à la fois un homme soumis aux pulsions de la chair, un ecclésiastique obéissant au dogme et un être hybride condensant deux visages contradictoires et rédhibitoires. Ses masculinités sont donc multiples mais elles subsistent et ne suscitent généralement que l’indifférence tant que la fonction curiale permet à la communauté d’espérer son salut. C’est réellement lorsque l’homme de Dieu est désacralisé par une sexualité trop scandaleuse que la fonction prend l’ascendant sur l’homme.

29 AD Oise, G 4465, François Mahaut, 1654-1663. 30 AD Oise, G 4400, Simon Langlois, 1654.

SILVIA mOSTACCIO 

Sacerdotal masculinity at war Jesuit military chaplains at the Eighty Years’ War

In 1587 the Jesuit missio castrensis was instituted in the army of Flanders (the Spanish army fighting against the “rebels-calvinists” of the Seventeen Provinces of the Netherlands between 1568 and 1648, during the Eighty Years’ War). This initiative was in response to the wishes of Alessandro Farnese, General of the Army of Flanders and governor of the Spanish Low-Countries, who wanted to reform the military chaplaincy. The mission was active until the Peace of the Pyrenees in 1659. It was suspended during the Twelve Years Truce, but already in 1614 it was restored following the will of Archduke Albert and his general, Ambrogio Spinola1. Its first superior will be the Brussels’ Jesuit Thomas Sailly (1558-1623)2. 1 On that mission, see different issues of V. Lavenia, Dio in uniforme. Cappellani, catechesi cattolica e soldati in età moderna, Bologna, il Mulino, 2017, p. 129-154; id., “Missiones Castrenses: Jesuits and Soldiers between Pastoral Care and Violence. Introduction”, Journal of Jesuit Studies, 4 (2017), p. 545-657, here at p. 545-558; id., “In God’s Fields. Military Chaplains and Soldiers in Flanders during the Eighty Years’ War”, in M. Mondini, M. Rospocher (ed.), Narrating War. Early Modern and Contemporary Perspectives, Bologna-Berlin, Duncker et Humblot, 2013, p. 99-112. S. Mostaccio, “La mission militaire jésuite auprès de l’armée des Flandres pendant la guerre de Trente ans. Conversions et sacrements”, in B. Forclaz and P. Martin (ed.), Religion et piété au défi de la guerre de Trente ans, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 183-202 ; id., “Dieu à la guerre. Les émotions de Dieu et la guerre des Quatre-vingt ans aux Pays-Bas espagnols”, in C. Bernat and F. Gabriel (ed.), Émotions de Dieu. Attributions et appropriations chrétiennes (xvie-xviiie siècle), Turnhout, Brepols, 2019, p. 205-229, here at p. 207-218 ; id., “Spiritual Exercises: Obedience, Conscience, Conquest”, in I. Županov (ed.), The Oxford Handbook of Jesuits, New York, Oxford University Press, 2019, p. 75-104 (“The Spiritual Exercises in the army in wartime”). Still important: A. Poncelet, “L’activité apostolique. Les aumôniers militaires”, in Histoire de la Compagnie de Jésus dans les anciens Pays-Bas, vol. 2, Brussels, Académie Royale de Belgique, 1927, p. 405-422 ; X. Rousseaux, “Sur tous les fronts. Les missions des jésuites aux Pays-Bas et outre-mer”, in A. Deneef et al. (ed.), Les jésuites belges 1542-1992. 450 ans de Compagnie de Jésus dans les provinces belgiques, Bruxelles, aesm éditions, 1992, p. 45-48. See also G. Parker, El ejército de Flandes y el Camino Español 1567-1659. La logística de la victoria y de la derrota de España en las guerras de los Países Bajos, Madrid, Alianza Editorial, 1985, p. 213-214. 2 In addition to the bibliography of the previous note add L. Browers, art. “Sailly, Thomas”, in Diccionario Histórico de la Compañia de Jesús: biográfico-temático [= DHCJ], vol. 4, Rome-Madrid, Institutum Historicum Societatis Iesu-Universidad Pontificia Comillas, 2001, p. 3463-3464. Books by father Sailly addressed to military man: T. Sailly, Guidon et pratique spirituelle du soldat chrestien. Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 291-302. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131604

292

SILvIA MoSTAccIo

Entering the Jesuit novitiate in Rome in 1580, Thomas Sailly will then became the personal secretary of Antonio Possevino during his diplomatic missions in Poland and Hungary. Returning to the Netherlands, he became the confessor of Alessandro Farnese, sharing with him the project of a new form of apostolate with soldiers of the army of Flanders: an apostolate led by religious men, capable of supporting the fighters on a spiritual and material level. Aware of the difficulties inherent in this pastoral activity, the superiors of the Flandro-Belgica province decided to support it, and in 1587 father Sailly became its first responsible. The missio castrensis was linked to the Jesuit college in Brussels during the winter months: 400 Jesuits took part in its activities between the foundation and 16593. In 1588 General superior Claudio Acquaviva, engaged in the revival of Jesuit missionary enterprises, approved the Instructions written for the missio by the Belgian provincial François Coster4. This article would like to examine the issues of missionary masculinities in military and confessional wartime contexts. This includes pointing out the elements highlighted in the definition and by the practices of what is missionaries’ masculinity in relation to the military one. From then on, discourses on masculin­ ities become a focus point for thinking in terms of hierarchies of masculinities within the essentially homosocial framework of the army. Indeed, women are well represented in early modern armies: prostitutes, “wores” and wifes are accompanying vivandières and traders of all sorts. They played an active and decisive role in the pillage economy on which the war was based, at least until the military reforms of the second half of the 17th century5. However, military or religious authorities are not taking their numerically significant presence, linked to concrete activities, seriously. Women were excluded from formal power and its hierarchies. Their presence has had significant consequences on masculine Reveu & augmenté pour l’armé de S.M. Catholique au Pays-Bas par le R.P. Thomas Sailly Prestre de la Compagnie de Jesus, Anvers, Imprimerie Plantinienne chez la veuve et Jan Monreto, 1590 ; id., Memorial testamentaire composé en faveur des soldats combattans sous l’Estandart de la crainte de Dieu. Par le R.P. Thomas Sailly de la Compagnie de Iesus. Partie premiere dediée à monseigneur Ambroise Spinola Marquis des Balbases, Chevalier de l’ordre de la Toison d’or, du conseil de Sa Maiesté Catholique, Capitaine General de son armée au Palatinat Inferieur, &c., Louvain, Henri Hastens Imprimeur de la Ville & Université, 1622; Thesaurus litaniarum ac orationum sacer, cum suis adversus Sectarios Apologis Opera, Bruxellae, ex officina Rutgeri Velpii, 1598. 3 Prosopographia Iesuitica Belgica Antiqua [= PIBA], vol. 3, Leuven, 2000, Appendix ix. 4 I refer here to the copy of the Ordinationes preserved in a small handwritten book belonging to the Castrensis’ Jesuit missionaries : “Ordinationes pro Missione Castrensi”, Liber ordinationum et aliorum quae in Missione Societatis Jesu in Castris Regys observantur, Archives Générales du Royaume (Brussels) [= AGR], Jésuites, Collège de Bruxelles, n. 1969, f. 7-9. About François Coster, J. Adriassen, art. “Costerus (De Costere) Franciscus”, in DHCJ, vol. 2, p. 981-982. On Coster pastoral activities, see L. Châtellier, L’Europe des dévots, Paris, Flammarion, 1987, ad indicem. See also Claudio Aquaviva’s Generalate (1581-1615) and the Emergence of Modern Catholicism, ed. by P.-A. Fabre and F. Rurale, St. Louis-Boston, The Institute of Jesuit Sources St. Luis-Boston College, 2017, ad indicem. 5 J. A. Lynn II, Women, Armies, and Warfare in Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2008.

SAcERDoTAL MAScuLInITy AT wAR

performativity, but theirs remains a presence on the margins. The setting of the explicit games of power, influence and redefinition of the self in relation to the other, therefore, remains essentially homosocial: a complex of hierarchies at the crossroads of religious, social and military contexts6. Analyzing writings from and about Thomas Sailly’s, this article will develop into four parts: the missionary’s borderline position in a military context – be­ tween sharing with the laity and loneliness –, the discourses on the virility of the chaplain manifesting itself in the confessor’s capacity for free judgment and in the virile power of sexual continence, the performance of the chaplain’s masculinity in his relationship with the Virgin Mary and with the women victims of rape. In the last few years some important contributions have focused on the masculinity of religious in the Early Modern period7. These investigations have multiplied the points of observation by complexifying the tridentine model of the angelic priest. This model was based on the “intimate relationship between man and the rite”, recalled by Philippe Martin about the celebration of Mass8. With regard to the complexity of this unequivocal angelic model, Ulrike Strasser highlighted how the gender norms crisis provoked by the Protestant Reforms towards Catholic priests and religious gave the occasion to the founder of the Society of Jesus, Ignatius de Loyola, to consider and put into practice a new form of clerical masculinity. This one, thanks to the Spiritual Exercises, was built around a fluidity of genders: “a compelling combination of affective piety and active involvement in the world9”. In this perspective, it was not a question of denying the gendered dimension of individuals by the constant reference to an angelic reality, but rather of circulating – at least in practice – between attitudes recognized as masculine and other in link with female attitudes – tears, introspec­ tion and affectivity. This Jesuit novelty will be seized by the contemporaries and will be the subject of severe criticism against a religious order perceived as both “hermaphrodite” and carrying a “predatory masculinity10”. If one investigates the hagiographies of members of the Society of Jesus between the 16th and 17th centuries, he quickly realizes the co-presence of two 6 R. Connell, Masculinities, Cambridge, Polity press, 2001; id., “Hegemonic Masculinity. Rethinking the Concept”, Gender and Society, 19 (2005), p. 829-859; K. Crenshaw, “Mapping the margins : Intersectionality, Identity, Politics and Violence against Women of Color”, Stanford Law review, 43, 1991, p. 124-199. 7 About the Society of Jesus, see at least M. Laven (ed.), The Jesuits and Gender: Body, Sexuality, and Emotions, special issue of Journal of Jesuit Studies, 2 (2015), p. 545-684. 8 P. Martin, Le théâtre divin. Une histoire de la messe du xvie au xxe siècle, Paris, CNRS Éditions, 2010. 9 U. Strasser, “The First Form of Grace. Ignatius of Loyola and the Reformation of Masculinity”, in S. H. Hendrix and S. C. Karant-Nunn (ed.), Masculinity in the Reformation Era, Kirksville, Mo., Truman State University Press, 2008, p. 54-70, especially p. 59. 10 M. Choudhury, “Genre, religion et histoire de la culture politique et de la vie privée en France : le procès Girad-Cadière”, in S. Mostaccio et al. (ed.), Échelles de pouvoir, rapports de genre : femmes, jésuites et modèle ignatien, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2014, p. 27-45 ; id., The Wanton Jesuit and the Wayward Saint. A Tale of Sex, Religion, and Politics in Eighteenth-Century France, University Park, Penn Sate University Press, 2015.

293

294

SILvIA MoSTAccIo

models, theorized to inspire the Jesuits according to the very moment of their life within the order. Beyond Ignatius, the other two figures are those of the angelic novice – Stanislas Kostka († 1568), Luigi Gonzaga († 1591), Jan Berchmans († 1621) – and that of the missionary who can bear witness by blood to his faith and to his concern with the salvation of the souls. In this latter case, the prototype is, of course, François Xavier († 1552)11. Ulrike Strasser had demonstrated how the martyrdom of the missionary can be considered as a manifestation of his generative capacity. Pouring blood is the “virile” gesture that generates new Christians12. But what about these models within the framework of a very specific mission, such as that of the army of Flanders?

Between loneliness and military solidarity The sources tell us above all about the loneliness of the Jesuit missionaries in the army. But they also tell us about the militant and military attitude of the chaplains. Among the archives of this Jesuit mission there is a small handwritten book that constitutes a kind of mobile memory of the mission. It is the Liber ordi­ nationum et aliorum quae in Missione Societatis Jesu in Castris Regys observantur. The normative sources – especially the Ordinationes – are accompanied by prayers, the repertoire of Jesuits involved in the mission, letters dealing with complex issues to be settled from the jurisdictional or pastoral point of view, recipes for cooking and remedies for the sick people attended to by missionaries. Among other things, we find the letter sent to the superior of the mission – father Thomas Sailly – by his provincial, Bernard Olivier, following the death of three fathers at the Battle of Nieuport, on July 160013. An intense and melancholy letter, reminding the mission leader of the duty to control the zeal of his men: they must remember what their role is and not replace the captains when it is time to encourage troops during the battle. The fathers we are talking about here, therefore, had gone out on the battleground and lost their lives. What is striking in this letter is the Jesuits’ sense of profound loneliness and foreignness in the military context of their mission. Fathers share not only battles, but also life in military camps. They often feel isolated from their confr­ eres. The provincial therefore reminds them of the opportunity to stay in touch 11 S. Ditchfield. “‘Coping with the beati moderni’: Canonization Procedure in the Aftermath of the Council of Trent”, in T. M. McCoog (ed.), Ite Inflammate Omnia: Selected Historical Papers from Conferences Held at Loyola and Rome in 2006, Rome: Institutum Historicum Societatis Iesu, 2010, p. 413-440. 12 U. Strasser, “The First Form of Grace…”, art. cit., in part. p. 48-49; id., “Copies with Souls: The Late Seventeenth-century Marianas Martyrs, Francis Xavier, and the Question of Clerical Reproduction”, in M. Laven (ed.), The Jesuits and Gender…, op. cit., p. 558-585. 13 Liber Ordinationum, 14 july 1600, letter from Bernardinus Oliverius, s.n. Cf. A. Poncelet, “L’activité apostolique…”, art. cit., p. 415-416.

SAcERDoTAL MAScuLInITy AT wAR

with the nearest colleges; to go there and get medical supplies, food but also “maiorem consolationem inter fratres (greater consolation from the brothers)”. Missionaries seem to live side by side with men whose priorities and lifestyles they do not necessarily share. They died a few kilometers away from the confreres, but alone. Indeed, even Thomas Sailly, who is nevertheless strongly linked to military life and its protagonists, can but notice the “persecutions” experienced by missionaries “trop frequentes et journalieres en l’armée, pour le naturel depravé & corrumpu de certain soldats (too frequent and daily in the army, for the natural depraved & corrumpu of certain soldiers)”14. However, in addition to these painful aspects of distance, the sources also bear witness to a sense of sharing that is deeply rooted in the experience of the military mission. This sentiment was reinterpreted as self-legitimisation a posteriori in 1640, with the publication of the Imago primi saeculi Societatis Jesu. The sixth book was devoted to the Flandro-Belge province and its missionary activities: the missio hollandica, the missio castrensis, and the missio navalis express the same preoccupa­ tion to participate in the reconquest of men and land at risk of Calvinist reform, as well as to support the Catholic armies15. The Imago tells us that when Alexander Farnese decided to entrust his confessor Thomas Sailly with the Jesuit military mission to the Flanders army, twelve Jesuits from different colleges were sent to participate. On this occasion Farnese wanted the names of the missionaries to be written in the royal register ad militarem modum; not stipendio faciundo, quos erat nefas, sed elemosynis sustentandae vitae impetrandis16. Even with their specificities, the Jesuits therefore join the army and will share with the soldiers not only the difficulties linked to the lack of food, the cold, the contagious diseases, but also and above all, the difficulty of getting paid. Again in the 1630s, the twelve ecus promised by Archduchess Clara Eugenia were rarely paid and the missionaries engaged with the cavalry were unable to follow the soldiers17. Besides material difficulties, the missionaries share among themselves and seek to spread among the soldiers the conviction of fighting for God’s honor. In the time of heretical disobedience, God must restore his honor and, therefore, he must commit himself to war. The Catholic soldier and his chaplains will share with

14 T. Sailly, Memorial testamentaire…, op. cit., p. 170. 15 Imago primi saeculi Societatis Iesu a prouincia Flandro-Belgica eiusdem Societatis repraesentata, Antwerp, Ex officina Plantiniana Balthasaris Moreti, 1640. On missio castrensis, p. 804-807. For the English translation see Art, Controversy, and the Jesuits: The Imago Primi Saeculi (1640), ed. by J. O’Malley, Philadelphia, Saint Joseph’s University Press, 2015. 16 Imago primi saeculi…, op. cit., p. 805. 17 AGR, Jésuites, Collège Bruxelles, n. 1965. Fascicule : «Cavalerie, Ruiterij », s.d. The chaplains are not able to follow the knights: “Siendo impossible que un capellan pueda sustentar su persona, y un cavallo con doze escudos al mes, pagados come se sabe, donde resulta que quasi todos estan a pie sin cavallos”.

295

296

SILvIA MoSTAccIo

God the battleground, as an instrument of his vengeance for the restoration of divine honor. The shared affirmation of masculinity through the honor of arms is evident18.

The virility of the chaplain by Thomas Sailly: a matter of freedom It is in his Memorial Testamentaire that Thomas Sailly summarizes his own vision of the priest engaged with the armies. Re-reading his long experience as military chaplain, the Jesuit proposes a profoundly gendered model: it is of himself and his confreres that Sailly speaks when, page after page, he sketches the portrait of the military chaplain as a deeply virile being, because he is able to keep his freedom both towards power – it is the confessor’s “holy freedom” – and towards lust. The highly hierarchical context of the army is thus explicitly put forward and it is within this framework, Sailly points out, that one will have to manage his body and his impulses. Chapter fifteen of the Memorial is dedicated to the Religious and Priests following the army19. The fundamental premise for what follows is the idea of a deep, almost ontological separation between those who have received priestly ordination and the rest of humanity. Sailly refers in this regard to chapter 18 of the book of Deuteronomy, in which are specified the rights and duties of the Levite priests in Israel. Their separation from the rest of the Chosen People is clearly manifested by the rules of inheritance: “The Levite has no inheritance in the midst of his brothers: the Lord is his inheritance20”. Separated from other human beings, the priest must, at certain moments, take the place of God before human beings. In this function he is both priest and prophet. The reference here is to the book of Exodus, with the distinction of these two functions21. The long list of qualities specific to the chaplain is realistic only as a conse­ quence of this very special link with God: trained in virtues, able to go and return constantly between contemplative and active life, vigilant towards heresy, animated by a zeal for the salvation of soldiers, versed in the Bible, the priest in the army stands out above all for his perfect “continence et chasteté (continence and chastity)”: complementary and “très nécessaires (very necessary)” virtues. The priest who has as a fundamental mandate to make Christ present among the soldiers during the Eucharistic celebration – said Sailly – will be “net, pur, & honneste (clean, pure, & honourable)” in his spirit, heart, eyes, lips, hands, ears

18 S. Mostaccio, “Dieu à la guerre…”, p. 208-212. 19 T. Sailly, “Religieux et Prestres qui suivent l’armée”, in Memorial testamentaire…, op. cit., XV, p. 168-180. 20 Deuteronomy, 18, 1-2. 21 Exodus, 7, 1: “See! I have made you as God to Pharaoh, and Aaron your brother shall act as your prophet”.

SAcERDoTAL MAScuLInITy AT wAR

“et en tout son corps (and in all his body)22”. What is interesting here is that the divine corporality of Christ and that of the priest are not denied; in a typically Ignatian approach, the corporality of the priest -as well as his spirit- is constantly and effectively controlled, but not negated. Indeed, it is in this self-control that true virility can manifest itself. If then, as we have seen above, the angelic model is present in the devout literature for the novices, for the Jesuits definitively incorporated into the Society, the ideal proposed is another: the priest is not only the one who consecrates the body of Christ; he is also the one who administers the confession –the Catholic sacrament par excellence, beside the Eucharist. As a confessor, he will be a “juge equitable (fair judge)” and a “prudent medecin (prudent doctor)”23. C’est à luy à faire d’estre assis en son siège sacerdotal, & comme iuge installé en la place de Dieu examiner et diriger les consciences d’un chacun […], soit qu’ils soyent Princes, ou personnes vulgaires & du commun ; c’est pourquoi il est assis la teste couverte, & le penitent est à genoux, la teste nüe24. With regard to this essential role for the economy of Catholic salvation, that of the confessor, Sailly admonishes by repeating a verse from the book of Ecclesiastics, for which he proposes a translation emphasizing the ‘virility’ proper to the good judge. This translation has no equivalent in any documented lesson of the old Latin version of this text. In fact, in the quotation proposed by Sailly, it refers to the ‘virtus’ of the Latin text, interpreted as ‘virilement’: Ne demande point d’estre saict juge, si tu ne peux virilement rompre du tout les iniquitez. Et ne craigne la face d’un homme puissant25.

22 T. Sailly, Memorial testamentaire…, op. cit., p. 177. See the contribution of Brendan Roeder in this book. 23 Ibid., p. 179-180. On Jesuits as confessors in wartime, R. Bireley, The Jesuits and the Thirty Years War. Kings, Courts, and Confessors, Cambridge, Cambridge University Press, 2003. 24 T. Sailly, Memorial testamentaire…, op. cit., p. 179. 25 Ibid., p. 181. As for the latin text : “Noli quaerere fieri iudex, nisi si valeas virtute inrumpere iniquitates; ne forte extimescas faciem potentis et ponas scandalum in agilitate tua”. Ecclesiasticus, VII, 6, in R. Weber (ed.), Biblia sacra iuxta Vulgatam versionem, 4e éd. revue par R. Gryson, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 1994, p. 1037. See also Vetus Latina. Die Reste der altlateinischen Bibel, t. 11/II: Sirach (Ecclesiasticus), fasc. 4, ed. W. Thiele, Fribourg-en-Brisgau, Herder, 1992, p. 307-309. I would like to thank Jean-Marie Auwers who helped me with his biblical knowledge.

297

298

SILvIA MoSTAccIo

Lust and virility? Lust or virility Among the missionaries in the army, there are therefore two complementary ways of exercising and manifesting one’s own virility: continence and chastity on the one hand, and the “holy freedom” of the confessor on the other. To this virility is opposed the inability to resist the sexual urge so common among the soldiers, about which Sailly gives his opinion in the long chapter devoted to the most common sins in the army26. With regard to the sin of lust, the Jesuit makes an explicit link between it and the loss of virility, which goes hand in hand with that of the vis militaris27. From Aeneas, “capitaine très vigilant, attiré à la nonchalance & aux delices […] par l’usage trop lascif de l’impudique Venus28”, to the ancient peoples of Lydians and Romans, all would have lost their military strength as a result of lust. But no one fell further down, according to Sailly, than Emperor Heliogabalus: pas un des Princes iusque à present n’a esté tellement perdu & abruti par les voluptez comme luy, attendu que sa passion le porta si avant que se faire couper à guise d’une femme29. It is interesting to note that, in Sailly’s words, Héliogabale’s decision to “be cut as a woman” is not of the order of choice, but rather the extreme consequence of his (passive) passion and therefore, of his loss of virility. It is clear that we find here a judgement with regard to an emperor whom the historians of late antiquity had represented as effeminate and, above all, subjugated by the women of his family. Heliogabalus leaving control of the empire to his grandmother and mother does not respect the order of nature and this same order will be broken by his sexual habits. When he died, his decapitated body will be thrown into the Tiber: the sewers of Rome will be a “sepulchre fort convenable à un tel corps (a sepulchre most suitable for such a body)30”. Obviously, these pages send back to the repression of homosexual practices in the army, with a final appeal to the soldiers to take care of their virility: C’est pourquoi j’exhorte tous nos soldats catholiques que se resouvenants de tant de dommages produicts par la luxure, qu’ils se resoluent de resister virilement à l’esprit de fornication, & de tout immondicité31.

26 Des quelques autres choses, desquelles les Prestres doivent avertir les soldats, in T. Sailly, Memorial testamentaire…, op. cit., p. 189-235 especially Du peché de luxure, p. 196-215. 27 T. Sailly, Du peché de luxure…, op. cit., p. 201-205. 28 Ibid., p. 202. 29 Ibid., p. 204. Sailly’s reference is to the first chapter of Herodian's Historiae. Cfr. Hérodien, Histoire des empereurs romains. De Marc Aurèle à Gordien, trad. D. Roques, vol. 3, Paris, Les Belles Lettres, 2004. 30 T. Sailly, Du peché de luxure…, op. cit., p. 205. 31 Ibid., p. 205.

SAcERDoTAL MAScuLInITy AT wAR

This invitation to preserve his virility and potency in combat also has conse­ quences for the attendance of prostitutes (encouraged by military authorities who did not want too many married soldiers in their ranks): Je vous coniure, ô genereux soldats, que vous chassiez loins de votre compagnie ces truyes si sales & si ordes & ces publiques vilaines & infames32. It is obvious that when we talk about virility and conditions for preserving it in the army, whether they are chaplains or soldiers, the discourse is reserved for men. By the exercise of arms or through the engagement in the militia Christi, men contribute to the fair war against heretics and rebels33. The woman is the great missing in this discourse, which is all internal to a male universe. It is the “homosocial milieu” put forward by Ulriche Strasser, about masculinity at the time of the reforms in the Society of Jesus34. But if women are absent from discourses about the good catholic soldier or the manly priest, they are there when the missionary is at work in his mission. I have dealt elsewhere with pastoral practices that have actually been put in place, particularly with regard to the conflicts on the celebration of marriages in the army. Here I would rather like to emphasize the role played by women in relation to the performativity of the mas­ culinity of the missionary. Mary Laven pointed the challenges to the masculinity of missionaries depending on life contexts; they are forced to “re-performing masculinity” in very different geographical and cultural contexts35. As far as Jesuit military chaplains are concerned, the context is that of a porous but self-reliant universe: the army. With this questioning, I turned my attention to the Elogium of Father Thomas Sailly, written by another Jesuit, who was very active in the Catholic reconquest of the Spanish Low Countries: Carolus Scribani. A very fine latinist, author of pamphlets and historian, Scribani held various administrative functions in the Flandro-Belgica province. He knew the men of his province very well, and particularly appreciated Father Sailly. The Elogium – a circular letter intended to circulate in the Society for the collective edification – was written in June 1623, three months after Thomas Sailly’s death36. The deeply masculine identity of the Jesuit manifests itself in the way in which Scribani speaks about

32 Ibid., p. 254, chap. xx, Des nautonniers, chartiers, vivandiers, & des femmes qui suivent le camp, p. 248-255. See Lynn II, Women, Armies, and Warfare, op. cit., p. 67-72; G. Parker, El ejército de Flandes…, op. cit., p. 217-218. 33 V. Lavenia, Dio in uniforme…, op. cit., p. 37-79; D. Crouzet, Les guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion, vers 1525-vers 1610, Seyssel, Champ Vallon, 1990. 34 U. Strasser, “The First Form of Grace…”, art. cit. 35 M. Laven, Mission to China: Matteo Ricci and the Encounter with the East, London, Faber, 2011, in part. p. 184-189 and p. 190-191; id., “Introduction”, M. Laven (ed.), in id. (ed.), The Jesuits and Gender…, in part. p. 552. 36 L. Brouwers, “L’Elogium du père Thomas Sailly S.I. (1553-1623) composé par le père Charles Scribani S.I.”, Archivum historicum Societatis Iesu, 48 (1979), p. 87-124; for the text, C. Scribani, Elogium [cité dans Brouwers, ibid.], p. 92-123.

299

300

SILvIA MoSTAccIo

Sailly’s relationship with the Virgin Mary, as well as about his action towards women during the pillages. Throughout his writings, Scribani insists on Father Sailly’s profound Marian devotion: a trait that is hardly surprising, if we consider the place played by this devotion in the Catholic reconquest of the Netherlands, especially by the new religious orders37. If we take a closer look at the relationship developed with the Virgin, we can see that it is completely coherent with the one to which Ignace de Loyola relates in his autobiography and taken up by his hagiographers. Mary is both the mother, who reinforces the bonds of spiritual brotherhood between confreres, and the Lady whose honor must be protected38. From this shared base, what strikes in Sailly is the development of a true nuptial mystic between the religious and the Virgin Mary. A mysticism which, mutatis mutandis, brings him closer to the feminine mystics towards the married Christ. Thus, Scribani reminds us on the day when an “impudent” servant enters the Jesuit’s room to seduce Sailly. He firmly distances her by showing her the image of “his Lady”. An image that – we learn a little further from the same Scribani – Sailly always carried on him: sua sponsa tenerissime appelabat (he called her with great tenderness “my wife”)39. This image, and especially the relationship it evokes, is part of the Jesuit identity as a married man (several studies have underlined the importance of marriage in affirming modern masculinity)40 and Scribani points out that Sailly frequently showed the image of his wife to both young women and soldiers. But it is during the looting of cities, when violence explodes; when the “fury” of the military overlaps with the licentia … typical of the armies, that the Jesuit missionary shows his creativity to adapt his teaching and action to the very specific context of his mission (this is the accommodation to times and places recommended by Ignatius). To do so, once again, Sailly performs his masculinity, overturning the meaning of a practice he shared with the men entrusted to him to be saved: rape. In 1595, during the sacking of the Picarde town of Dullens, facing the obscene militum furoris (soldiers' fury), Sailly sets up something new. According to the story, which seems to refer to a pre-existing hagiographical topos, he connects several cords to his belt, which one of them, his assistants will bring

37 A. Delfosse, La « Protectrice du Païs-Bas ». Stratégies politiques et figures de la Vierge dans les Pays-Bas espagnols, Turnhout, Brepols, 2009. 38 On Ignace of Loyola’s Lives, J. O’Malley, Constructing a Saint Through Images. The 1609 illustrated Biography of Ignatius of Loyola, Philadelphia, Saint Joseph University Press, 2008; cf. in part. images 8 and 9, which relate Ignatius’ defense of the Virgin’s honor in the face of a More doubting her virginity. On this subject, see also the comments by U. Strasser, “The First Form of Grace…”, art. cit., in part. p. 52 and p. 59-61. 39 C. Scribani, Elogium…, op. cit., p. 106. 40 W. Fisher, “The Renaissance Beard: Masculinity in Early Modern England”, Renaissance Quaterly, 54 (2001), p. 155-187. See also J.-M. Le Gall, “La virilité des clercs”, in G. Vigarello (ed.), Histoire de la virilité, t. 1 : L’invention de la virilité de l’Antiquité aux Lumières, Paris, Edition du Seuil, 2011, p. 217-234; H. Drévillon, “Du guerrier au militaire”, in ibid., p. 293-325.

SAcERDoTAL MAScuLInITy AT wAR

to different parts of the town. Women who want to flee from the violence of the military could attach themselves to one of these cords and Sailly, by moving away from the city, would take them with him. Scribani points out that Father Thomas presented himself as a rapist (raptor), just like the other soldiers. Given the prestige of the missionary among the soldiers, no one dares to take away his spoils: the logic of the military “fury” against a city that had resisted for a long time is respected by the shared practice of kidnapping and raping41. With this paper I wanted to show the arrangement of two different masculin­ ities, sharing the same living environment. A reality that Connell would have probably defined as complicit masculinities. The virile soldier and the virile priest are therefore two complementary images of the miles Christi drawing the strength of their virility from a life of devotion and control of impulses …at least in Jesuits’ interpretation!

41 G. Vigarello, Histoire du viol, xvie-xxe siècle, Paris, Édition du Seuil, 1998, in part. p. 58-63.

301

mITA CHOUDHURy 

Clerical masculinity and sexual violence in eighteenth-century France in the Girard/ Cadière affair

In September 1731, the Parisian lawyer Mathieu Marais and the Dijonnais magistrate Jean Bouhier exchanged notes on the Nouveau Tarquin, a play which retold the rape of Lucretia by Lucius Tarquinius Superbus, the 6th-century BCE usurper of the Roman throne1. The play, written by the abbé Jean Novi de Caveirac, was a barely-disguised narrative of the ongoing Girard/Cadière affair. One of the biggest religious scandals of the 18th century, this trial revealed accu­ sations of seduction, bewitchment, heresy that twenty-one-year-old Catherine Cadière, an obscure bourgeoise from Toulon, had made against her confessor Jean-Baptiste Girard, aged fifty and a member of the powerful Society of Jesus. Accordingly, the play concluded in a courtroom, recreating the dramatic trial un­ folding in the palais de justice in Aix-en-Provence. Contemporaries were well aware that the play and the highly-politicized trial were enmeshed in the drama over Cardinal Fleury’s efforts to stamp out Augustinian Jansenism and the Parlement of Paris’ efforts to thwart the cardinal-minister. The title Le Nouveau Tarquin directed its focus on Tarquin’s political crime while muting one of Tarquin’s most infamous crimes: his rape of the married Lucretia2. Le Nouveau Tarquin remade Lucretia into a young virgin to represent Cadière, and although not an actual cleric, Tarquin signified Girard through his appropriation of religious ritual and use of sorcery to seduce Lucretia. Like Girard, Tarquin is seemingly unbound and exceeds his authority’: “don’t you [Tarquin] fear the gods will be offended by the temerity of a mortal who dares to

1 Journal et mémoires de Mathieu Marais, avocat de Paris sur la régence et le règne de Louis XV (1715-1737), ed. A. de Lescure, vol. 4, Paris, Firmin Didot, 1868, p. 282 and p. 297 ; J. Bouhier, Lettres de Mathieu Marais (1730-1732). Correspondance littéraire du president Bouhier, ed. H. Duranton, vol. 4, Saint-Étienne, Université de Saint-Étienne, 1984, p. 209 and p. 230. 2 “J’ay préféré Tarquin à tout autre à cause de son orgueil et de son usurpation à la souveraineté” (Le Nouveau Tarquin, comédie en trois actes, in Recueil général des pièces concernant le procez entre la demoiselle Cadière, de la ville de Toulon; et le père Girard, jésuite, vol. 4, The Hague, Swart, 1731) [= Recueil général, The Hague], p. 3 and p. 22). Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 303-320. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131605

304

MITA chouDhuRy

put on their face to surprise the credulity of some, and abuse the confidence of other3”. Later, Tarquin cynically retorts: “Religion is only purely political, to serve the passions of some and hide the vices of others4”. By fusing Tarquin’s identity as a despot and a rapist, a violeur, the Provençal author portrayed Tarquin/Girard as a man driven by his passions who had lost self-control5. As Claire Cage has noted, “in the early modern period, the dominant model of manhood was associated with capacity for self-control […] the celibate priest in some respects exemplified masculine virtue, through self-discipline and controlling his passions6”. I would add that the contours of clerical masculinity were defined not just by sexuality but also by politics and faith. Thus, as Le Nouveau Tarquin suggested, the Girard/Cadière scandal laid bare the instability of clerical masculinity within the context of political and theological fissures over Jansenism and the heightened hostility toward the Jesuits and the ultramontane clergy during the late 1720s and early 1730s. Tensions were aggravated by Cardinal Fleury’s policies to enforce the anti-Jansenist papal bull Unigenitus within the clergy and to suppress the scandalous convulsionary affair of St. Médard7. During this volatile period, the intricate web connecting Jansenism and clerical masculinity became tied to ques­ tions of religious authenticity and authority. I have argued elsewhere that the public discussion of the Girard/Cadière scandal echoed these larger anxieties about sanctity and religious legitimacy8. In this essay, I revisit how the political accusations were shaped by the rape narrative suggested in Le Nouveau Tarquin. The first half argues that the voluminous legal mémoires judiciaires, songs, and libelles intimated that Girard’s seduction of Cadière’s soul and his violation of her body symbolized the vul­ nerability of all French subjects before the ambitious Jesuit order9. Since one of the accusations against Girard included sexual misconduct, it was inevitable that lawyers and polemicists tapped into interconnected hierarchical paradigms

3 The statement is made by Scarpinello, a reference to another Toulon Jesuit Sabatier, whom Girard’s detractors regarded as the architect behind the procedural irregularities that favored the confessor (Nouveau Tarquin…, op. cit., p. 15). 4 Ibid., p. 16. 5 Ibid., p. 36. 6 C. Cage, Unnatural Frenchmen: The Politics of Priestly Celibacy and Marriage, Charlottesville, VA, University of Virginia, 2015, p. 5. 7 Discussions of Jansenism and masculinity are limited. See M. Choudury, “Masculinity and faith in the 18th century: comparing François de Pâris and Jean-Baptiste Girard” in M. Choudury, D. J. Watkins (eds.), Belief and Politics in Enlightenment France: Essays in Honor of Dale K. Van Kley, Liverpool, UK, Liverpool University Press, p. 109-136 and C. Randall, “Masculinity, Monarch, and Metaphysics: A Crisis of Authority in Early Modern France”, in K. P. Long (ed.), High Anxiety: Masculinity in Crisis in Early Modern France, Kirksville, MO, Truman State University Press, p. 211-216. 8 M. Choudhury, The Wanton Jesuit and the Wayward Saint: A Tale of Sex, Religion, and Politics in Eighteenth-Century France, University Park, PA, Penn State University Press, 2015. 9 Les Véritables sentimens de mademoiselle Cadière, tels que’elle les a donnez à son confesseur, écrits de sa proper main, pour les rendres publics, in Recueil général, The Hague, vol. 1, p. 7.

cLERIcAL MAScuLInITy AnD SExuAL vIoLEncE In 18 T h -cEnTuRy fRAncE

– masculinity/femininity, clergy/laity – of early modern French society. This phenomenon reflects Carine Mardossian’s assertion in Framing the Rape Victim: “it [rape] is an issue pertaining to masculinity, an ideological construct that cannot and should not be reduced to biological sexual difference and whose authority in culture derives from its structural and relational positioning vis-à-vis femininity10”. While the first half of this essay considers the representational meanings of rape in the Girard/Cadière phenomenon, in the second half I consider the question of rape and sexual assault not just as a byproduct of a larger, ‘more important’ narrative but as a distinct possibility. The Jesuits used their access to power in an effort, albeit unsuccessful, to quash the scandal. For myself, and no doubt, for many readers, this 18th-century conspiracy has eerie echoes in the 21st century with the on-going revelations of the Catholic Church’s cover-up of sexual scandal in the United States, Chile, Germany, and Australia. Whether it was in the 18th century or in the 20th, these remained untold because of institutional structures that suppress such episodes and because of the victims’ own feelings of guilt, fear, and the knowledge that they would not be believed. By training, historians are hesitant to allow the present to shape an inquiry into the past. But can we not assume that at its core, the Girard/Cadière liaison also fit this pattern? I examine how the “grooming” of Catherine Cadière was made possible because of the authority bestowed on Girard. Such episodes point to a larger question: to what extent was the possibility of sexual assault written into the relationship between penitent and confessor, and how did gender shape this relationship? In considering the Cadière affair as an episode of sexual violence, I lay out more broadly the challenges historians face in uncovering such cases, especially if we seek to uncover the voices of the victims. And I suggest possible methodolo­ gies in unpacking historical notions of assault, seduction, consent, and faith. A feminist approach also needs to integrate the story of institutionalized power with interiorized faith, beliefs that victims often stood by, as intrinsic to the dynamic in which sexual assault took place.

The Jesuit and flawed masculinity The Girard/Cadière scandal reveals how gender and the early modern clergy was defined by a dialectic in which masculinity shaped religious vocation, and this same calling molded gender expectations11. In the immediate wake of Protestant

10 C. Mardossian, Framing the Rape Victim: Gender and Agency Reconsidered, New Brunswick, NJ, Rutgers University Press, 2014, p. 3. 11 On a discussion of the relative dearth of scholarship on early modern masculinity, see K. Gouwens, B. Kane and L. Nussdorfer, “Reading for Gender”, European Review of History / Revue Européenne d’histoire, 22 (2015), p. 527-535. The authors note that studies of masculinity in Spain, and Italy, for example, are far fewer than of England and Germany, which also raise the question of religion (p. 527).

305

306

MITA chouDhuRy

challenges, symbolized by the notion of a “priesthood of all believers”, questions and anxieties regarding masculinity, authority, and the clergy gained urgency. Within Catholicism, vows of chastity had elevated the status of the male clergy over the laity, and they symbolized not just religious purity but also a form of self-governance12. The Catholic Reformation focused on reaffirming this image as much as it did on suppressing Protestant heresy. Thanks to the efforts of individuals such as Pierre de Bérulle (1575-1629), the priest became “for the whole social body, a model of sanctity in his way of walking, dressing, speaking, sleeping”; he resembled Christ because he was “master of himself, grave, pious and attentive to others13”. However, male clergy were faced with multiple models of masculinity contained within their vocation14. As a result, clerical masculinity was protean and inherently fragile. Religious vows may have separated the clergy from the laity, but male clergy still belonged to the larger social world where men of all backgrounds negotiated gendered expectations, including self-possession, which remained the core of masculine superiority. This capacity was the basis of authority, an ideal bolstered by counter images of unruly femininity. These notions of self-governance dove­ tailed with the patriarchal ideology of the Old Regime. Thus, members of the upper and lower clergy represented ‘fathers’, figures of authority with respect to questions of faith and salvation. The early modern French Catholic Church pro­ moted a clerical masculinity that operated within the nexus of Catholic Renewal and Bourbon patriarchal ideology. Although patriarchal values of governance were justified in pulpits and po­ litical treatises, the suspicion of a darker, more violent masculine behavior remained. The emphasis on self-discipline co-existed with anxieties about ag­ gression, also gendered masculine15. Male clergy then embodied a paradox: a heightened masculinity characterized by self-governance and a renunciation of an

12 C. Eberhardt, “La religiosité villageoise à travers le procès de Michel Boutran”, in M. Cottret (ed.), Normes et déviances de la réforme à la révolution, Paris, Les Éditions de Paris, 2007, p. 215. 13 N. Lemaître, Histoire des curés, Paris, Fayard, 2002, p. 229. 14 These observations are derived from the innovative work of medieval historians who have used masculinity to analyze the representations and experiences of male clerics. For examples, see P. H. Cullum and K. J. Lewis (ed.), Holiness and Masculinity in the Middle Ages, Cardiff-Toronto, University of Toronto Press, 2005; J. D. Thibodeaux (ed.), Negotiating Clerical Identities: Priests, Monks, and Masculinity in the Middle Ages, Basingstoke-New York, Palgrave Macmillan, 2010; id., The Manly Priest: Clerical Celibacy, Masculinity, and Reform in England and Normandy, 1066-1300, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2015; R. Karras, From Boys to Men: Formations of Masculinity in late Medieval Europe, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2002. 15 In French history, see K. P. Long (ed.), High Anxiety…, op. cit. ; L. C. Seifert, Manning the Margins: Masculinity and Writing in Seventeenth-Century France, Ann Arbor, MI, University of Michigan Press, 2009; B. T. Ragan and J. Merrick (ed.), Homosexuality in Modern France, New York-Oxford, Oxford University Press, 1996; J. Hardwick, “Policing Paternity: Historicising Masculinity and Sexuality in Early-Modern France”, European Review of History / Revue européenne d’histoire, 22 (2015), p. 643-657. For European history, see B. T. Ragan and J. Merrick (ed.), Governing Masculinities in the Early Modern Period: Regulating Selves and Others, Farnham-Burlington, Ashgate, 2001.

cLERIcAL MAScuLInITy AnD SExuAL vIoLEncE In 18 T h -cEnTuRy fRAncE

“inherently” masculine trait, violence. It was a fragile form of masculinity, and contemporaries were aware of how easily it collapsed. As Myriam Deniel-Ternant has shown, the Paris police archives contain continuing concerns about deviant clerics16.Similarly, Jean-Baptiste Girard encapsulated all the fears surrounding clerical masculinity: a loss of control and a propensity toward violence expressed in the form of sexual assault. Moreover, Girard’s supposed crimes rapidly became politicized in the volatile early 1730s because they signaled the potential violation and subjugation of the realm by the entire Society of Jesus. During 1731, the caricatures and accusations against Girard were shaped by pre-existing images of male clerics that oscillated between idealization and demonization, most often associated with the Jesuits whose prominence and proximity to power aroused widespread animosity. Arguably, the Jesuits repre­ sented a separate category unto themselves. The order was unable to shake the taint of being foreign, the result of their Spanish origins and the fact that they swore direct allegiance to the Pope and were not answerable to any French authority. Widely-circulated anti-Jesuit texts reinforced the image of the Jesuits as potential social and political threats, whose loyalties to the French Church, crown, and society were questionable. Pierre Wachenheim examines visual imagery that featured caricatures of impassioned Jesuits incapable of managing their emotions, suggestive of masculine deviance and fallibility17. Moreover, Jean-Pascal Gay has explored how Jesuit casuistry, especially as it was practiced in the confession, became synonymous with moral laxity18. It was a vehicle of corruption that enabled the Jesuits to manipulate and control. Highlighting these attributes, their opponents circulated theories that the order hatched secret plots to overthrow legitimate authority within the private arena of the family and the public realm of the state. The hostility toward Jean-Baptiste Girard articulated in the trial’s numerous mémoires judiciaires and libelles reflected these caricatures of the Jesuits, but such parodies also intersected with other images of male clergy who did not belong to the order. For example, much of the polemical literature of 1731 and 1732 jux­ taposed Girard, the false saint, and François de Pâris, the authentic saint who was at the focal point for the convulsionnaires of St. Médard19. Girard was cast as the lecherous confessor seducing a nubile young penitent, an 18th-century Abelard. From the Jansenist perspective, he embodied the moral depravity of the Jesuits and their false Christianity. In contrast, during his lifetime, Pâris was depicted

16 M. Deniel-Ternant, Eccléisastiques en débauche (1700-1790), Paris, Champs Vallon, 2017. 17 For an extensive discussion of anti-Jesuit sentiment, see P.-A. Fabre and C. Maire (ed.), Les Antijésuites. Discours, figures et lieux de l’antijésuitisme à l’époque moderne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010. On visual images, see P. Wachenheim, “De la physiognomie à la tératologie : les jésuites portraitures ou les visages de l’antijésuitisme”, in ibid., p. 13-52. 18 J.-P. Gay, Morales en conflit. Théologie et polémique au grand siècle (1640-1700), Paris, Éditions du Cerf, 2011. 19 For a more thorough discussion of this comparison, see note 7.

307

308

MITA chouDhuRy

as exhibiting only sincere piety and selfless charity20. The language pertaining to false and true saints highlighted moral opposites that stitched together differing notions of masculine self-control with contrasting theological viewpoints: Pâris exemplified the austerity of Jansenism while Girard appeared as baroque Jesuitism run amok. According to one poem, “Pâris et Girard”, “the one perverts / the other edifies / the one is all peace all charity / the other all force and all authority21”. This libelle belonged to a large corpus of over 200 songs and poems commenting on both the Cadière trial and the convulsionnaires, which circulated in streets, cafés, and elite drawing rooms throughout France22. Their sentiments were echoed in the Nouvelles ecclésiastiques, which regularly reported on the persecution of those who opposed Unigenitus23. During the same period that prints appeared depicting Pâris’ life of piety and self-sacrifice, the curious could also purchase engravings of Catherine Cadière and Jean-Baptiste Girard, most of which demonized the Jesuit confessor24. Like their oral and textual counterparts, these visual images portrayed Girard as the opposite of the masculine ideal of self-control: a cleric ruled by his passions, unable to govern himself and using the cover of priesthood to satisfy his lust. Certain drawings featured Girard kneeling before Catherine and gazing at her naked body reverentially with an expression of worshipful desire. These scenes highlighted the depth of Girard’s sacrilege through false poses of piety and holiness, which cloaked the confessor’s unruly passion. Unrestrained emotions, as well as deceit and secrecy, were not the traits demanded of masculine authority. Indeed, they echoed characteristics often gendered female in the early modern era, characteris­ tics such as duplicity, passion, and unpredicability. Girard also appeared to reject standards of male piety in favor of more femi­ nized devotion, namely mysticism. Although there were many notable male mys­ tics, mysticism in the early modern era had become regarded as a feminized form of religious expression that often tested the boundaries of prescribed devotion and male clerical authority. During the 17th century, some of the most popular devotional books, such as Theresa of Avila’s autobiography, were about or by female mystics and became canonical guides for perfecting one’s inner and outer 20 A deacon, Pâris technically belonged to the lower order of the clergy. 21 Pâris et Girard, Bibliothèque nationale de France (Paris), Manuscrits Français [= BnF, fr.], 23859, f. 87. 22 In 2012, the Université Jean Monnet, Saint-Etienne, under the direction of Henri Duranton, published a digital collection of 18th-century satirical poems, taken from holdings throughout France as well as Germany and Italy; numerous collections featured the Girard/Cadière affair. See http:// satires18.univ-st-etienne.fr/pr%C3%A9sentation. The diary of the lawyer Edmond Barbier along with the correspondence of Marais, Bouhier, the marquis de Caumont, and Madame de Simiane, all illustrate how voraciously the public consumed such material. M. Choudhury, The Wanton Jesuit…, op. cit., p. 127-134. 23 A. Farge, Subversive Words: Public Opinion in Eighteenth-Century France, trans. by R. Morris, University Park, PA, Penn State University Press, 1995, p. 36-48. 24 P. Wachenheim, “Le ‘péril de seduction’: les jésuites face aux gravures jansénistes au xviiie siècle”, Nouvelles de l’estampe, 201 (2005), p. 37-38.

cLERIcAL MAScuLInITy AnD SExuAL vIoLEncE In 18 T h -cEnTuRy fRAncE

spiritual life25. Replacing prescribed prayer, theological discourse, and catechism, mystical expression often assumed the form of loving ‘conversations’ with God or Christ that went beyond speech. For some, it was a dubious manifestation of devotion, a feminized spirituality that defied the boundaries between the ratio­ nal and the emotional. But by the early 18th century, intellectuals, theologians, and medical practitioners increasingly questioned the validity of mysticism as a religious experience. Was female mysticism just a mutant product of the female intellect, itself incapable of reason and captive to ‘melancholy’ and passion?26 One of the accusations made against Girard was Quietism, a form of mysti­ cism that had gained notoriety just decades earlier, in large part because of its link to the widow Jeanne Guyon. Guyon’s religious tract, the Moyen court (1685) described her mystical union with God, a union that flourished without the mediation of a priest. Its publication violated the canonical admonition that cen­ sured women for engaging in theological discussion. Moreover, Guyon had male followers, including François Fénelon, a further threat to the gender hierarchies guarded by the Church. In his condemnation of Guyon, Jacques Bossuet evoked well-worn constructions of female deception and duplicity: “It’s important to warn the faithful against a seduction that still exists; a woman who is capable of deceiving souls by such illusions, must be found out, especially when she has admirers and defenders and a lot of support for her27”. Similar language of seduction and deception were pervasive in the factums, which argued that Girard disguised his carnal designs on Cadière through mys­ tical Quietism. In the Parallèle des sentimens du P. Girard avec ceux de Molinos, Cadière’s lawyer Jean-Baptiste Chaudon created a lineage between Girard and Miguel Molinos, a 17th-century Quietist who also had questionable relationships with female penitents28. Chaudon described how Girard deployed Quietist prac­ tices of orison, which emphasized complete abandonment, a passive acceptance of all God offers including temptation29. Thus, “he [Father Girard] told her: ‘My daughter how can you doubt that the good God does not wish us to live together in a state of conjugal union’ […] He successfully persuaded her that she should 25 M. Sluhovsky, “Discernment of Difference, the Introspective Subject and the Birth of Modernity”, Journal of Medieval and Early Modern Studies, 36 (2006), p. 169-200, here at p. 183; on Theresa of Avila’s influence in France, see B. Diefendorf, From Penitence to Charity: Pious Women and the Catholic Reformation in Paris, New York-Oxford, Oxford University Press, 2004, p. 95-96. For a broader discussion, see J. Bilinkoff, Related Lives: Confessors and Their Female Penitents, 1460-1750, Ithaca, NY, Cornell University Press, 2005. 26 L. Timmermans, L’accès des femmes à la culture (1598-1715) : un débat d’idées de saint François de Sales à la marquise de Lambert, Paris, Honoré Champion, 1993, p. 620-659. 27 Translation taken from C. Randall, “‘Loosening the stays’: Madame Guyon’s Quietist opposition to absolutism”, Mystics Quarterly, 26 (2000), p. 8-30, here at p. 19. See also J. Bergin, Church, Society and Religious Change in France, 1580-1730, New Haven, CT-London, Yale University, 2009, p. 330-331. 28 J.-B. Chaudon, Parallèle des sentimens du P. Girard avec ceux de Molinos, in Recueil général, The Hague, vol. 8, p. 2. 29 M. Sluhovsky, Believe Not Every Spirit: Possession, Mysticism, and Discernment in Early Modern Catholicism, Chicago, University of Chicago, 2007, p. 100-101.

309

310

MITA chouDhuRy

regard it like the caresses of Divine love30”. According to Chaudon and other lawyers in the trial, through Quietism, Girard had transformed libertinism into a ‘virtue’31. He had seriously compromised his role as confessor when he acted as an “incestuous Seducer”, a reference to the crime of spiritual incest discussed below32. As libertine, spouse, or “homme du monde”, Girard was a volatile mascu­ line figure dominated by passion and desire who possessed no control even as he sought Cadière’s unquestioning obedience33. The Jesuit’s expectations of compliance extended to her family, suggesting that Girard the seducer was also Girard the predator. Significantly, he preyed not just on Cadière and other dévotes of Toulon but also on the Cadière family. One song labeled Father Girard as a ‘tartuffe’, an indication that by the 18th century, Molière’s title was commonly used to describe a religious “hypocrite34”. Although Molière never explicitly identified Tartuffe as a Jesuit, there were numerous parallels between his portrayal of this “imposter” and the anti-Jesuit polemics circulating in the late 17th century35. Indeed, Bourgarel, the lawyer for François Cadière (one of the three Cadière brothers and a priest), seemed to have inscribed the Molière play into the trial, casting the Cadière family as an honest family who unwittingly became victims of Father Girard’s crimes and Jesuit domination. Girard had infiltrated their household to the point where Cadière mère regarded his commands as sacrosanct. In the first mémoire for Cadière’s brother François, Bourgarel noted “the tears of joy that they [the Cadière family] saw him [Girard] shed so conveniently when coming out of the girl’s bedroom, [they] penetrated his (François’s] family of the edification and knowledge about God, which was raised in the bosom of the family, according to the accused’s language36”. The simplicity of this obscure bourgeois family had led them to trust the ‘depraved Di­

30 J.-B. Chaudon, Précis des charges, pour demoiselle Catherine Cadière, de la ville de Toulon, in Recueil général, The Hague, vol. 5, p. 74. For more on carnal quietism, see M. Choudhury, “‘Carnal Quietism’: Embodying Anti-Jesuit Polemics in the Catherine Cadière Affair, 1731”, EighteenthCentury studies, 39 (2006), p. 173-186. 31 J.-J. Pascal, Mémoire instructif pour le père Nicolas de Saint Joseph, prieur des carme déchaussez du couvent de la ville de Toulon, in Recueil général des pieces contenues au procez du père Jean-Baptiste Girard, jésuite, recteur du séminaire royal de la marine du Toulon, et de demoiselle Catherine Cadière, querellante, vol. 3, Aix, Joseph David, 1731 [= Recueil général, Aix], p. 265. 32 J.-B. Chaudon, Réponse à memoire instructif du père Jean-Baptiste Girard, jésuite pour demoiselle Catherine Cadière, in Recueil général, Aix, vol. 2, p. 25. 33 J.-B. Chaudon, Réponse à memoire instructif…, op. cit., p. 72. 34 On Tartuffe in the 18th-century, see W. D. Howarth, “The Theme of Tartuffe in Eighteenth-Century Comedy”, French Studies, 4 (1950), p. 113-127. Chanson, BnF, fr. 23859, f. 98. The 1694 edition of the Dictionnaire de l’Académie française indicates that “tartuffe” had become a common epithet for religious hypocrites. 35 A. Calder, “Molière, le Tartuffe and Anti-Jesuit Propaganda”, Zeitschrift fuer Religions und Geistesgeschichte, 28 (1976), p. 303-323. 36 Bourgarel, Mémoire instructif pour messire François Cadière prêtre de la ville de Toulon, appellant du decret d’assigné contre lui rendu le 23 fevrier dernier […] contre le procureur général du roy, intimé et défendeur, in Recueil général, Aix, vol. 2, p. 253.

cLERIcAL MAScuLInITy AnD SExuAL vIoLEncE In 18 T h -cEnTuRy fRAncE

rector37’.Even if we refrain from overemphasizing the term “penetrate”, Bourgarel painted a scenario in which the Cadière family experienced violation and power­ lessness in the face of a predator. The characterization of Girard as a predator mirrored other violent representa­ tions found in the anti-Jesuit arsenal, which provided songwriters, versifiers, and pamphleteers with a ready supply of imagined crimes attributed to Father Girard and the Jesuits. For proponents of Jansenism who opposed Unigenitus in the early 1730s, Girard’s use of the confession paralleled how the Jesuits had forcibly installed Unigenitus, ‘this constitution/that serves our [the Jesuits’] ambition38’. One satiric verse described how the Jesuits carried “Marie Alacoque and Girard” on their standard and punished anyone who dared oppose the bull39. These violent punishments, in the form of “garroting, questioning, hanging, impaling, burning, torture, piercing, pillaging, and pulverizing” underscored how Jesuits wielded “despotic authority” and “tyrannical power40”. According to another verse, “the Bar moans and Rome thunders / We pawn our liberties our rights” and in the meantime, the Jesuits “debauched children, women, and mistresses41”. Thus, sexual and political imaginary reinforced the idea of violation on multiple fronts. The consequences of such domination had even more sinister connotations in this verse: “God keep our kings from a Father Guignard / And our daughters from a Father Girard42”. The Jesuit Jean Guignard was executed in 1595 for possessing writings on regicide, a crime associated with the Order since the assassination of Henry III in 158943. By bringing together Guignard and Girard, these verses put regicide and seduction on equal footing, especially since seduction represented a social ‘death’ for a woman, and it brought dishonor and disorder to a family. What Unigenitus then represented was a political rape, and Jean-Baptiste Girard was a vehicle for the execution of this crime. Girard’s absence of self-control, his misuse of his authority to satisfy his passions combined with the Jesuits’ determined intervention in the legal process, suggest that all Jesuits were the embodiment of religious masculinity gone awry. Their political ambitions revealed that they were despots. In the 18th century, despotism was configured as a both a feminized form of power – secretive, 37 Ibid., p. 326. 38 Girard/Cadière, Dijon, Bibliothèque municipale, ms. 1125 (174), Chanson sur l’air des pendus, f. 99. 39 Edit portant création d’une chamber ardente dans le régiment de la calotte [1731], in BnF, fr. 12655, Recueil de pièces tant en vers, qu’en prose concernant le régiment de la calottes non imprimées, année 1730 à 1743, vol. 2, f. 154. 40 BnF, fr. 12655, vol. 2, f. 151, 152, 155; BnF, fr. 23589, Ode sur le père Girard, f. 136. 41 BnF, fr. 23589, Chanson sur l’air de Diable malicieux et fin, f. 37. 42 BnF, fr. 23589, Vers, f. 1731. Mathieu Marais felt compelled to send the verse to Jean Bouhier in Dijon (Journal et mémoires de Mathieu Marais…, op. cit., vol. 4, p. 27). 43 E. Nelson, The Jesuits and the Monarch: Catholic Reform and Political Authority in France (1590-1615), Aldershot, Ashgate, 2005, p. 47-53; J.-B. de Boyer, marquis d’Argens, Lettres juives, ou correspondence philosophique, historique et critique […] nouvelle edition, vol. 5, The Hague, Pierre Paupie, 1754, p. 67. According to the marquis d’Argens, whose father was a fierce supporter of Girard, Guignard had “solicited and corrupted” Jean Châtel who attempted to kill Henry IV in 1594.

311

312

MITA chouDhuRy

impulsive, self-serving and therefore illicit – and of masculine authority that had been corrupted. The Jesuits became the placeholder for these images. In the end, the Society’s achievements were nothing less than a vast conspiracy to infiltrate families and to usurp power from all legitimate forms of authority –fathers, magis­ trates, bishops, and ultimately, the king himself. Certainly, the crisis surrounding Unigenitus heightened the impression that Girard’s supposed assault of Catherine Cadière was a natural extension of the Jesuit drive to dominate.

Reading the Girard/Cadière affair as rape In the pages of the mémoires judiciaires and within the verses circulating throughout cafes and drawing rooms, Cadière was often characterized as the victim of seduction. Certainly, public discourse was brimming with indignation, declaring ‘that the tartuffe perish in the fire44’. If not, the consequences would be far reaching: Les directeurs par ce canal [penance] Peuvent fair impunément mal’ Corrompre même les Lucrèces, Usurper toutes nos richesses…45 The more universal term ‘directeurs’ suggests how the fears about sexual misconduct in the confessional encompassed more than the Jesuits. The verse referenced Le Nouveau Tarquin, which was much more focused on Tarquin’s political crimes rather than Lucretia/Cadière’s rape. Thus, on a certain level, public sympathy for Cadière as victim was in many ways inauthentic. Her true value lay in her role as a proxy for social and political institutions supposedly threatened by the Jesuit order. Indeed, my own analysis in The Wanton Jesuit focused on the political representations of Cadière’s victimization without fully considering the authenticity of her claims. Below I explore how Cadière’s likely violation was shaped by this devotional culture embedded in the very structure of the confessor/penitent relationship. Investigating the possibility of rape signals how the study of clerical mas­ culinity must acknowledge the very real power dynamic between confessor and female penitent that rested on gender hierarchies and clerical status. Questions of sexuality, celibacy, and clerical identity shaped actual experience and were not simply rhetorical tools being wielded during a political crisis. Indeed, Tridentine reforms reflected persistent suspicion of sexual desire and potential aggression, acknowledging the instability of clerical masculinity. Ironically, Catholic Renewal

44 “L’Arrêt du Parlement d’Aix”, in Recueil Clairambault-Maurepas : chansonnier historique du xviiie siècle, vol. 5, Paris, A. Quantin, 1879, p. 285. 45 Ibid., p. 285.

cLERIcAL MAScuLInITy AnD SExuAL vIoLEncE In 18 T h -cEnTuRy fRAncE

ushered in confessional practices in which the male confessor and penitent forged close relationships to focus on a penitent’s interiority. This intimacy presented new dangers for the male confessor and his female penitent. Unsurprisingly, the Church and the laity obsessively feared that the intimate practice of confession could hide a multitude of sins. Both canon law and the Jesuit rule forbade priests from being alone with women and certainly from touching them46. And in the late 16th century, Charles Borromeo, cardinal-archbishop of Milan, responded by designing a lattice grille that separated the kneeling penitent and seated confessor from one another47. Regardless, access allowed for intimacy and predatory behav­ ior that contempory sociologists investigating clerical sexual abuse have identified as “grooming”. Key behaviors associated with grooming include: victim selection; gaining access and isolation; trust development; desensitizing the minor to sexual content and physical contact; post-abuse maintenance48. Such patterns were clear in the Cadière affair and how Jean-Baptiste Girard selected Catherine Cadière. The Girard/Cadière relationship flourished in the world of faith and devo­ tional practices so central to the Cadière family. Moreover, the importance on leading a Christian life was reflected beyond Catherine’s family and in her friendships with other devout women developed in neighborhoods and parishes. Girard entered this world easily because of his position and reputation as rector and superior of the Jesuit royal seminary. He arrived in Toulon in 1728 with a reputation also for making saints, a scholar and gifted confessor and spiritual director. Ten years earlier, Girard maintained a correspondence with “the saint of Marseille”, the mystical Sister Anne-Madeleine Rémuzat, who had been instru­ mental in introducing the cult of the Sacred Heart to Marseille49. Thus, despite being “excessively ugly”, Girard seems to have been a charismatic figure who “appeared to be occupied only with the affairs of heaven”50.

46 J.-B. Chaudon, Mémoire instructif pour demoiselle Catherine Cadière, in Recueil général, The Hague, vol. 1, p. 46. 47 W. de Boer, The Conquest of the Soul: Confession, Discipline, and Public Order in Counter-Reformation Milan, London-Boston-Cologne, Brill, 2001, p. 97-111; R. Briggs, Communities of Beliefs: Cultural and Social Tension in Early Modern France, Oxford, Clarendon Press, 1989, p. 280; M. Bernos, Les sacrements dans la France des xviie et xviiie siècles. Pastorale et vécu des fidèles, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2007, p. 153-163. The Borromean grille would not be used consistently in France until the late seventeenth-century. On policing and the clergy, see M. Deniel-Ternant, Ecclésiastiques en débauche…, op. cit.. 48 While these sociologists examine grooming in the context of children, I would argue they can be applied to adults. See G. Winters, E. L. Jeglic, K. J. Terry, “The prevalence of Sexual Grooming Behaviors in a Large Sample of Clergy”, Sexual Abuse (2022), p. 4-5. 49 R. Jonas, France and the Cult of the Sacred Heart: An Epic for Modern Times, Berkeley, University of California Press, 2000, p. 9-53. 50 J.-B. de Boyer, marquis d’Argens , Mémoires du marquis d’Argens, contenant le récit des aventures de sa jeunesse, des anecdotes et des observations sur plusieurs événemens du règne de Louis XV, et des personnes de ce temps, ed. Jacques Peuchet, Paris, F. Buisson, 1807, p. 282 ; Thérèse Philosophe, in Œuvres anonymes du xviiie siècle, L'Enfer de la Bibliothèque, Paris: Fayard, 1985-1988, 3: p. 74.

313

314

MITA chouDhuRy

Even in the early days of the acquaintance between this saintly Jesuit and younge dévote, there were signs of victim selection, access, and isolation. Girard’s commitment to a life of spiritual devotion soon appealed to Cadière, her family, and members of her dévote social circle. Cadière and the other women in the dévote coterie, Madame Guiol, Anne Batarelle, Anne-Rose Reboul, and Claire Gravier, all became the core of Jean-Baptiste Girard’s circle of penitents. They regarded him as a saint who could lead them to lead lives of holiness. For example, he seemed to have required these women to practice different forms of abstinence, such as fasting or simply living on bread and water51. There were, however, also stories of Girard and his penitents picnicking in the countryside where they danced and sang52. Girard singled out Cadière from within this group of followers, and he insinuated himself into her life within months. According to Catherine, “no matter how busy he was, he never was so for me, and when I asked for him, whether it was at the door [of the rectory] or the confessional, I never met with any of the slowness that causes chagrin in people of our sex, who naturally love distinctions”53. Having gained the trust (another element of grooming) of the entire Cadière family, the Jesuit enjoyed easy access to her household. For the first year, however, the relationship drew no unwelcome attention, and Father Girard became a familiar presence within the Cadière household. He appears to have visited the Cadière apartments frequently, and out of reverence and gratitude, the pious Cadières welcomed his presence and rejoiced in the attachment, especially when Catherine began to experience visions and convulsions. At this point, he began initiating physical contact. According to Cadière’s accounts, he began touching and caressing her in her bedroom. When she attempted to question what he was doing, he replied that it “was the will of God” that she submit to “these humiliating experiences”54. Power, trust, and secrecy-central elements of confession-shaped the Gi­ rard/Cadière relationship. Girard had at his disposal the inviolable seal of secrecy, which prohibited him from revealing the penitent’s confession. But secrecy could be turned around and extracted from the penitent. Accordingly, Girard asserted his authority by exhorting Catherine that “submission, obedience, abandon: this is what must be practiced today”55. Once Cadière moved to the convent of Ollioules at Girard’s insistence, the Jesuit demanded that his penitent write to

51 A. de Barrique sieur de Montvalon, “Histoire du père Girard de la Cadière tirée de la procèdure”, Musée Paul Arbaud, Aix-en-Provence, Ms. MQ 365, fol. 2. 52 Procédure sur laquelle le père Jean-Baptiste Girard, jésuite, Catherine Cadière….ont été jugé par arrêt du parlement de Provence, du 10 octobre 1731, Aix, Joseph David, 1733, p. 20. 53 Justification de demoiselle Catherine Cadière, contentant un récit fidèle de tout ce qui s’est passé entre le père Jean-Baptiste Girard, recteur du séminaire de la marine des jésuites de Toulon, et elle, in Recueil général, The Hague, vol. 1, p. 2. 54 Ibid., p. 10. 55 Recueil des lettres du père Girard et de la demoiselle Cadière, dont les originaux ont été produits au procès. Réflexions générales sur les lettres, n.p., [1731], p. 24-25; 31, 44, 51, 79.

cLERIcAL MAScuLInITy AnD SExuAL vIoLEncE In 18 T h -cEnTuRy fRAncE

him “incessantly”, reminding her that Heaven had designs for her56. But he also asked that the abbess not read his letters to Catherine since they dealt strictly with the “economy of her interior”57. Thus, Girard chose and then separated Cadière, justifying his actions – whether it was through visits or correspondence – as rigorous acts of piety. Within the Catholic paradigm, the potential to possess a penitent’s body was built into a relationship in which power was bestowed on one person who was in fact authorized to cultivate a certain intimacy – in effect, to groom. Indeed, Girard’s grooming gave him such a hold over Cadière that it erased her subjecthood, a subjecthood which also needed to be muted when Cadière appeared before the public. Throughout the trial, certain images and poems that portrayed Girard and Cadière as lovers. But the very act of naming what had happened to her potentially jeopardized her position in the eyes of the public. Thus, to prove her innocence, Cadière also had to prove that she was innocent – in other words, that she possessed no sexual knowledge and therefore, was not aware of and did not understand what had taken place. In the Justification de demoiselle Cadière, Cadière carefully notes, “I could not respond to what he was doing when I was in that state”, a reference to “accidents” (possible seizures) she had58. She further describes the first act of penetration as “a sort of pain that was unknown to me”. Innocence and ignorance explained why Cadière did not resist her spiritual director, especially as he reassured her that what she was experiencing was the ‘will of God’, ‘divine justice59’. As presented by her lawyer, Cadière had no choice but to submit to her confessor, a scenario that was tactically necessary if Chaudon was going to have Girard convicted. This absence of choice also contained hints of violation, which were tucked away in the mémoires judiciaires that speculated as to what had happened behind closed doors. Chaudon repeatedly highlighted how Girard had been sequestered alone and unobserved in Cadière’s bedroom in Toulon and later in her cell at the convent of Ollioules. According to Girard, he had been alone with Cadière only four or five times and then for just a few minutes with sole purpose of authenti­ cating her supposed stigmata. But Chaudon argued that the circumstances were more sinister. Why had the Jesuit insisted that he be alone with Cadière and not permit the girl’s mother in the room, which was sometimes locked? Regarding

56 Ibid., p. 24. 57 J.-B. Chaudon, Mémoire instructif pour demoiselle Catherine Cadière de la ville de Toulon… contre le père Jean-Baptiste Girard Jésuite, recteur du séminaire royal de la marine dudit Toulon, in Recueil général des pièces concernant le procez entre la demoiselle Cadière de la ville de Toulon. Et le père Girard, jésuite, recteur du séminaire royal de la marine de ladite ville, 2 vols., n.p., 1731, 1, p. 7. 58 Justification de demoiselle Catherine Cadière…, op. cit., p. 10. It is very likely that Cadière did not actually compose this pamphlet. The probable author was the abbé François Gastaud (d. 1732), a cleric and lawyer from Aix-en-Provence known for his fierce dislike of the Jesuits. A letter dated November 1731 notes that Gastaud was exiled to Viviers for having helped Chaudon compose the Justification (BnF, fr. 23860, fo 175). 59 Justification de demoiselle Catherine Cadière…, op. cit., p. 11.

315

316

MITA chouDhuRy

Girard’s claims that he had used a handkerchief to preserve Cadière’s modesty while assessing her supposed stigmata, Chaudon caustically asked “Could we not ask him how he kissed this stigmata without touching a tit?60” The lawyer sealed his arguments by reminding his readers that both canon law and the Jesuit rule forbade priests from being alone with women and certainly, from touching them61. Chaudon repeatedly described how Girard had taken “criminal liberties” with Cadière. Anticipating the hypothetical question the judges and his readers might ask as to how Cadière could know that she had been abused if she had lost consciousness, Chaudon countered that she undoubtedly felt the “marks of a violated woman62”. Another attorney in the trial, Jean-Jacques Pascal, described how Cadière had suffered from “attacks” (attentat) and thus existed in a world of “eternal seduction 63”. The words attentat and libertez criminels suggested a fine line between seduction and rape. Polemical sources indicate that on some level, Cadière’s contemporaries also believed that Girard may have breached that fine line. The possibility of sexual as­ sault was suggested most provocatively in some of the thirty-two erotic engravings by Gisset de Bordelet depicting the affair64. The narrative began in the confession, the initial site of seduction and then moved into Cadière’s bedroom, the eventual space of consummation. Although some of the etchings showed Cadière wearing a coy smile, a sign of her consent, there was one that unequivocally conveyed the absence of consent. Plate 16, the mid-point of the series, illustrates Girard’s final triumph as he holds his erect penis and prepares to penetrate an unconscious Cadière from the back. Moreover, Cadière’s utter lack of agency highlighted Girard’s complete power as he moved to possess her body after having corrupted her soul. No doubt such imaginative recreations of what transpired in Cadière’s must be read carefully given its satirical provenance. Nevertheless, they were indicative of widely shared anxieties and suspicions and arguably, a broader secret knowledge of what sometimes did happen in the shadows of the confessional.

60 J.-B. Chaudon, Réponse à memoire instructif…, op. cit., p. 105. 61 Id., Mémoire instructif pour demoiselle Catherine Cadière…, op. cit., p. 112-113. This is just one example of the numerous occasions in which Chaudon used this article. 62 J.-B. Chaudon, Réponse à memoire instructif…, op. cit., p. 68. 63 J.-J. Pascal, Mémoire instructif pour le père Nicolas de Saint Joseph, prieur des carmes déchaussez du couvent de la ville de Toulon, in Recueil général, Aix, vol. 3, p. 281. 64 On the engravings, M. Deniel, “Le père Girard, parangon de la déviance ecclésiastique”, in M. Cottret (ed.), Normes et déviances…, op. cit., p. 191-198. The thirty-two plates are located in the following collection: [Gissey de Bordelet], Histoire du père Jean-Baptiste Girard jésuite, et de la delle. Marie-Catherine Cadière, divisée en 32 planches, Paris, 1730 [sic]. A copy of the Historische print-en dicht-tarfereelen van Jan Baptiste Girard, en juffrou Maria Catharine Cadière, n.p., 1735, may be found at the Bibliothèque Méjanes, Aix-en-Provence.

cLERIcAL MAScuLInITy AnD SExuAL vIoLEncE In 18 T h -cEnTuRy fRAncE

Conclusion To a large extent, the public rape narrative buried in the Cadière scandal reflected the politics revolving around Unigenitus in which the very vocal – and likely Jansenist – voices deployed Jean-Baptiste Girard to demonize the Jesuits. Within this discourse, Girard, transformed into a parody of corrupted masculinity, a symbol of Jesuit decadence and despotism. Although they pointed fingers at the Jesuits, contemporaries referred more generally to directors and confessors, indi­ cating a deeper anxiety about the intimate and hidden relationships between these clerics and their female penitents. Paradoxically, clerical power in the 18th century had been bolstered by a renewed reverence, which did not diminish overnight. The priest, the most celebrated male figure within the Church, was endowed with the traits associated with masculinity, self-mastery and patriarchal authority. These elements gave priests authority over their flock, something denied nuns for example. I would suggest that this veneration depended on a gendered hierarchy. Early modern French society and politics openly defined itself through patriarchal language. In a society comprised of multiple “father” figures starting with the king, the priest was yet another father whose authority was affirmed a larger culture of acceptance. In other words, the power dynamic between priest and penitent was not simply coercive, albeit unequal. Moreover, the beliefs associated with the Catholic Church, including the sa­ cred authority of the priest, were not simply pronounced from on high, reinforced by authorities and elites. Importantly, they were internalized. The dévot’s faith affirmed the power of the priest at the same time as the priest/confessor who had access to the individual’s inner life, legitimized that faith. Indeed, Cadière described herself as unwavering in her obedience and devotion to her Jesuit confessor: “I made myself to do all that was asked of me; I even did more than was asked of me65”. I would argue that the cleric needed the passive, feminized lay believer – embodied in this instance by Cadière and the silence of her consent – to maintain his power, to perform acts of power and self-control. Within this paradigm, her acquiescence signaled her faith. Did Cadière have a choice if Girard insisted on sexual relations? Sociologists Susan Raine and Stephen A. Kent have noted: “The Catholic Church is an extremely hierarchal institution… Priests mediate Catholics' rela­ tionships with God, thus they occupy immense positions of trust – positions that in some cases afford “opportunity structures” for grooming66”. Obedience to religious authority characterizes the hierarchy where children have no power. Fearful of disobeying God (and his representatives-priests) and mindful of oth­ erworldly punishments – going to hell – children are especially vulnerable to

65 Justification de demoiselle Catherine Cadière…, op. cit., p. 13. 66 S. Raine, S. A. Kent, “The Grooming of children for sexual abuse in religious settings: Unique characteristics and select case studies”, Aggression and Violent Behavior 48 (2019), p. 185; see also R. Orsi, History and Presence, Cambridge, MA, Belknap Press, 2016, p. 219.

317

318

MITA chouDhuRy

manipulation. To question what has been bestowed with religious meaning and significance often may be difficult if not impossible. These observation echoed the lawyer Jean-Louis Fouque who asked if Girard pretended “that his [Girard’s] piety was above that of David, his wisdom superior to Solomon’s […] stronger and more perfect than St. Paul?67”. These words may have been written with sarcasm, but they undoubtedly captured the spirit in which many of Girard’s dévotes revered their confessor. This belief in the priesthood, its sanctity and indeed, superiority, was deeply powerful and that power also made heinous acts possible and silenced the victims of those acts. Power however does not mean invincibility. The perplexing ruling of the Provençal Parlement found neither party ‘guilty’, and Girard went on to say mass within hours, which outraged many observers. Even after death, Father Girard remained an object of debate and vicious mockery while the scandal continued to taint the Order well into the 19th century, most notably in Jules Michelet’s La Sorcière (1862)68. While the trials of the Society of Jesus are intertwined with French politics, it also indicates that despite that early modern clerical masculin­ ity, however normative, remained an ideal in constant flux, even fragile. Moreover, sexuality, a thing both denied and suspected, could, within the perfect storm expose this vulnerability. 1731 was such a storm. Girard’s crime was certainly embellished because he was a Jesuit, and his failure was the failure of the Jesuits, a verdict that would rebound on the French clergy at the end of the 18th century. Today, almost weekly revelations of sexual abuse by priests and other male clergy have contributed to growing distrust of the Catholic Church as well as deepening rifts within the institution. Another outcome has been the painful recognition of the victims’ suffering. Perhaps it is time for historians to ask different questions and apply different methodologies to provide Catherine Cadière and other vic­ tims of the past their #MeToo moment. Girard’s masculinity and his vocation combined to create a web of access and power within the confessional that complicates questions of consent and violation, not just for the 18th-century public but for historians as well. Sharon Block examines how both legal structures and representation determined the construction of rape and sexual assault in early America. Block notes that white men could rewrite narratives of coercion into ones of consent, thus mitigating their own guilt69. The fluid constructions of consent and coercion were connected to and at various times determined by other social, cultural, and political factors, such as class, race, and urbanization. Because notions of consent often shored up power, Block argues that the historian must avoid accepting hegemonic discourses

67 J.-L. Fouque, Réflexions sur la recrimination en prétendu complot imputé au père Estienne Thomas, prêtre, religieux de l’ordre de S. Dominique, in Recueil général, The Hague, vol. 3, p. 3. Fouque represented one of the Cadière brothers. 68 M. Choudhury, The Wanton Jesuit…, op. cit., p. 153, 167-168, 176. 69 S. Block, Rape and Sexual Power in Early America, Chapel Hill, University of North Carolina, 2006.

cLERIcAL MAScuLInITy AnD SExuAL vIoLEncE In 18 T h -cEnTuRy fRAncE

of the period, a task made more difficult because the sources available to histori­ ans originate within institutions and practices of power. As historians, we need to be aware and wary of how historical sources deliberately erase the subject, thus reinforcing certain hegemonies.

319

CAROLInE mULLER 

Pères spirituels contre pères de famille ? Masculinité sacerdotale et famille bourgeoise dans la seconde moitié du xixe siècle

« Nos femmes et nos filles sont élevées, gouvernées, par nos ennemis » écrit Michelet en 1845 dans Le prêtre, la femme, et la famille. La série de cours qu’il donne au Collège de France contribue à revivifier une rhétorique anticléri­ cale ancienne qui s’attaque à la direction de conscience dès le xviie siècle1. Il réactualise des motifs narratifs développés par La Bruyère ou encore Molière dans son Tartuffe : l’hypocrisie et l’immoralité du directeur de conscience. Il vise en particulier la Compagnie de Jésus qui fait l’objet d’une pléthorique littérature polémique2. Le prêtre, la femme et la famille est cependant le premier pamphlet à présenter un système complet d’explication de l’emprise supposée des directeurs de conscience sur les âmes féminines : il propose un historique de la pratique de la direction depuis le Moyen Âge jusqu’au xixe siècle. Son ouvrage s’inscrit dans un temps de regain de l’anticléricalisme en France qui se manifeste par l’essor des sociétés de libre-pensée qui reprennent volontiers ce discours de dénonciation de la confession et la direction de conscience catholiques : Pour eux, le confessionnal était « un asile plus discret que le boudoir le mieux capitonné », où le prêtre pressait ses pénitentes de questions indiscrètes ; si la « fille imprudente » répondait, plongeant « dans l’extase ce confesseur en rut », l’irréparable était bien près d’arriver […] Parmi tous les sacrements de l’Église catholique, le sacrement de pénitence était le plus propre à soulever l’indignation et la colère3. La littérature relaie aussi ces représentations, à l’exemple de Zola dans les Mystères de Marseille (1867) qui donne à voir l’abbé Donadéi, stéréotype du 1 S. H. de Franceschi, « La femme aux mains des jésuites. Genèse d’un lieu commun de l’antijésuitisme français (xviie-xxe siècles) », in S. Mostaccio (éd.), Genre et identités aux Pays Bas méridionaux. L’éducation religieuse des femmes après le concile de Trente, Academia Bruylant., Louvain-La-Neuve, 2010, p. 205-226. 2 A. Paschoud, « Les Antijésuites. Discours, figures et lieux de l’antijésuitisme à l’époque moderne, sous la direction de Pierre-Antoine Fabre et Catherine Maire », Revue de l’histoire des religions, 230 (2013), p. 138-141. 3 J. Lalouette, La libre pensée en France : 1848-1940, Paris, Albin Michel, 1997. Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 321-336. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131606

322

cARoLInE MuLLER

confesseur séduisant ses pénitentes en mêlant vocabulaire du désir et rhétorique spirituelle : Peut-être mes larmes, mes frissons, vous ont-ils livré le secret de mon cœur. Je vous aime comme la sainte Église, notre mère, aime les âmes blanches qui viennent à elle. Je vous rêve chaque nuit, je nous vois enlacés dans une étreinte céleste, et nous montons au ciel tous deux, en échangeant des baisers angéliques. Tous ces discours voient dans le directeur de conscience un homme qui use de son pouvoir spirituel pour développer une emprise sur les femmes pénitentes, emprise pouvant aller jusqu’à l’inceste spirituel. Cette inquiétude peut être reliée aux caractéristiques de la direction de conscience, souvent confondue avec la confession dans les discours, bien que les deux pratiques soient nettement diffé­ rentes4. La direction de conscience repose en effet sur un échange individuel protégé par le secret, ce qui alimente les conjectures. Polémistes et pamphlétaires sont alors prompts à voir dans le lien qui unit directeur et femme dirigée un « commerce hétérosexuel5 » déguisé en relation spirituelle. Michelet, Zola et les libres-penseurs partagent la conviction que les directeurs de conscience seraient animés par le désir charnel et la recherche du pouvoir. Toute cette littérature – essais, romans, nouvelles – se donne pour vraie ; dans le sillage du développement de l’enquête sociale apparaissent des « physiologies du jésuite6 » et des récits qui prétendent éclairer le lecteur sur une réalité qui lui échapperait. Car c’est bien d’un lecteur dont il s’agit : ces auteurs n’ont jamais l’air de considérer qu’ils pourraient être lus par les femmes dont ils parlent. Ils souhaitent avertir les maris et les pères des dangers qui les guettent. Cette préoccupation naît de la place particulière occupée par le prêtre cé­ libataire, sans famille, dans un ordre de genre organisé autour de la famille hétérosexuelle encadrée juridiquement par le Code Civil de 18047. Ces discours de dénonciation du pouvoir des directeurs de conscience révèlent des représenta­ tions attachées à la masculinité : ils donnent à voir une définition de la masculinité incompatible avec l’expérience du célibat ecclésiastique. Ils livrent aussi une vision de l’organisation idéale du pouvoir des hommes : celui du mari sur sa femme, celui du père sur ses enfants. Plutôt que d’opposer une « masculinité sacerdotale » et

4 La confession est un sacrement qui repose sur un temps de récit des péchés organisé par un formulaire, qui se tient au confessionnal, dans l’espace de l’église ; le confesseur peut la conclure par l’absolution ou une série de pénitences à effectuer. La direction de conscience est beaucoup plus souple : c’est une conversation orale ou épistolaire qui a trait à des domaines variés (famille, couple, situation professionnelle…). Les échanges doivent permettre au dirigé de progresser moralement et spirituellement. 5 L. Timmermans, L’accès des femmes à la culture (1598-1715) : un débat d’idées de saint François de Sales à la marquise de Lambert, Paris, Honoré Champion, 1993, p. 544. 6 Inconnu, Physiologie du Jésuite, Paris, Martinon, 1844. 7 A. Lefebvre-Teillard, « La famille, pilier du Code civil », RHJ. Histoire de la Justice, 19 (2009), p. 311-319.

PÈRES SPIRITuELS conTRE PÈRES DE fAMILLE ?

une « masculinité laïque », je propose d’observer comment la première permet aux seconds de penser leur rôle dans la famille. Le point de départ de ma réflexion ne sera donc pas l’existence réelle ou supposée de deux formes de masculinités qui seraient concurrentes8, mais bien plutôt une interrogation sur les fonctions du discours tenus sur la masculinité supposée de l’autre. Si les liens entre l’anti­ cléricalisme et le genre n’a pas échappé aux historiens9, peu se sont intéressés à la direction de conscience qui est pourtant au cœur de ces discours. Dans la pléthorique littérature anticléricale existante, ce motif du directeur abusif revient avec insistance. Ces ouvrages présentent des familles ruinées et désorganisées par l’interventionnisme des directeurs10. Les auteurs font directement écho au Code Civil de 1804 en mêlant des considérations sur les liens maritaux, sur l’amour filial et la paternité, sur la propriété et les droits de succession. À bien des égards, la masculinité incarnée par le directeur ne questionne pas seulement le pouvoir des maris, mais bien l’organisation de la famille bourgeoise telle qu’elle est prévue par la loi.

L’autorité du mari et l’autorité du directeur de conscience Nous disions : une personne. Il faut dire : un homme11 Ces ouvrages se penchent sur la question de la famille et de l’articulation entre le pouvoir du directeur de conscience et du chef de famille. Un seul cadre de la direction de conscience retient leur attention : la femme mariée, bourgeoise, diri­ gée par un prêtre. Les autres configurations ne les intéressent pas : la direction des religieuses, des veuves ou encore les hommes dirigés, véritable impensé de cette

8 R. Connell, Masculinities, Berkeley, University of California Press, 1995. 9 J. Art et Th. Buerman, « Anticléricalisme et genre au xixe siècle. Le prêtre catholique, principal défi à l’image hégémonique de l’homme », Sextant, 27 (2009), p. 323-337 ; P. Macdonough, « Metamorphoses of the Jesuits: Sexual Identity, Gender Roles, and Hierarchy in Catholicism », Comparative Studies in Society and History, 32 (1990), p. 325-356 ; T. Verhoeven, « Neither Male nor Female: The Jesuit as Androgyne 1843-1870 », Modern & Contemporary France, 16 (2008), p. 37-49. Pour un point complet de l’état de la recherche en men studies et catholicisme, voir Y. M. Werner, « Concepts, Ideas, and Practices of Masculinity in Catholicism and Protestantism around 1900. Some Reflections on Recent Research », in D. Gerster and M. Krüggeler (ed.), God’s Own Gender? Masculinities in World Religions, Baden-Baden, Ergon-Verlag, 2018, p. 37-64. 10 Ce travail se concentre sur trois ouvrages : le premier est celui de Michelet, Le prêtre, la femme, la famille (1841) qui a ensuite servi de modèle à bien des feuilletons et romans. J’ai retenu deux autres ouvrages : G. Graux, Les amours d’un Jésuite : histoire vraie, Paris, Claverie, 1878 ; A. Durantin, Un jésuite de robe courte, Paris, Degorce-Cadot, 1870 (disponibles sur Gallica). Ils contiennent des références explicites à Michelet et permettent d’étudier la reformulation des thèses du Prêtre, de la femme et de la famille. Ils sont également suffisamment longs pour se prêter à une analyse détaillée des thématiques abordées. Ils présentent des récits stéréotypés qu’on retrouve partout ailleurs dans la littérature anticléricale. Sur ce point, consulter J. Lalouette, La libre pensée en France…, op. cit. 11 J. Michelet, Le prêtre, la femme, et la famille, Paris, Chamerot, 1861, p. 233.

323

324

cARoLInE MuLLER

littérature. Les auteurs cherchent d’abord à définir ce que serait la masculinité du prêtre, avant de souligner l’incompatibilité de la direction de conscience avec l’exercice de l’autorité du mari. Ce faisant, ils dessinent en creux le modèle ce que devrait être l’organisation idéale des pouvoirs dans le couple sans l’intervention du directeur. Le corps des prêtres

Le propos de Michelet repose sur l’idée qu’il existe une essence masculine qui conduit les hommes à éprouver des désirs charnels impulsifs : Pas un mouvement de l’âme qui n’agisse sur le corps, et le corps réagit de même. La guerre la plus cruelle au corps tuera le corps plus aisément qu’il n’empêchera son action sur l’âme. Croire qu’un vœu, quelques prières, une robe noire sur le dos, vont vous délivrer de la chair et vous faire un pur esprit, n’est-ce pas chose puérile12 ? Dans ce chapitre intitulé Le jeune confesseur, Michelet expose l’ensemble de ces arguments contre le célibat et l’abstinence des prêtres. Leur corps les enracine dans le monde des hommes, quelques soient leur bonne volonté ou leurs vœux sacrés par ailleurs. L’obligation de l’abstinence est d’autant plus dramatique, nous dit Michelet, que le travail du confesseur consiste justement à passer de longues heures à écouter les autres parler de sexualité, ce qui ne peut que produire l’obsession. La formation de ces jeunes confesseurs les conduirait à développer cet intérêt maladif pour la chair, en les forçant à étudier les tréfonds de l’âme humaine : Personne ne se représentera l’état d’un pauvre jeune homme, très-croyant encore, très-sincère, se débattant entre les terreurs et les tentations dont on l’entoure à plaisir, entre deux inconnus dont un seul le rendrait fou, la femme ! l’enfer !… Et cependant contraint sans cesse de regarder l’abîme, aveuglé, sur ces livres immondes, de tempérament, de sang, de jeunesse13. Tout l’argumentaire est organisé autour de la dialectique homme/prêtre : le célibat et l’abstinence, loin de « supprimer le corps », le rendent au contraire plus saillant par le jeu de la frustration, frustration que directeurs et confesseurs reporteraient sur leurs pénitentes et leur famille : « il n’a point de famille, elle n’aura point de famille ». Ce débat déjà ancien sur le célibat des prêtres avait été particulièrement animé pendant la Révolution française14 dans le contexte de l’élaboration de la notion de citoyenneté. Le bon citoyen est père de famille15 : 12 Ibid., p. 201. 13 Ibid., p. 200. 14 E. C. Cage, Unnatural Frenchmen: The Politics of Priestly Celibacy and Marriage, 1720-1815, Charlottesville, University of Virginia Press, 2015. 15 A. Verjus, Le cens de la famille : les femmes et le vote, 1789-1848, Paris, Belin, 2002.

PÈRES SPIRITuELS conTRE PÈRES DE fAMILLE ?

dans ces conditions, quelle citoyenneté pour le prêtre ? Entrer dans la famille par le mariage, c’est entrer en société. Le prêtre – sans sexualité et sans famille – constitue une menace pour l’ordre social puisqu’il choisit de ne pas se soumettre à cette norme. La destruction de l’harmonie des familles répond alors à plusieurs objectifs : satisfaire des désirs charnels, travailler à l’influence de l’Église dans les foyers, voire diffuser une vision politique « ultramontaine » défendant l’autorité du Pape. Pour mener à bien ces projets, le directeur s’appuierait sur l’influence des mères de famille et sur la sape de l’autorité du père de famille. Des pouvoirs masculins en concurrence

Dans le Code Civil de 1804, le chapitre vi intitulé Des droits et des devoirs respectifs des époux, prévoit que : 212. Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance. 213. Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari. 214. La femme est obligée d’habiter avec le mari, et de le suivre partout où il juge à propos de résider : le mari est obligé de la recevoir, et de lui fournir tout ce qui est nécessaire pour les besoins de la vie, selon ses facultés et son état. Cette autorité du mari sur sa femme est fondée sur l’idée que les femmes sont naturellement plus faibles, comme les enfants ; parce qu’il est doté d’une force et d’une raison supérieures, le mari dirige sa famille. Les attaques contre la direction de conscience donnent à voir un pouvoir du directeur qui entre en concurrence avec celui du mari. Dans Un jésuite de robe courte16, le Père Pingard cherche à imposer ses projets dans la famille de l’avocat libre-penseur Ercelier : Depuis longtemps, Ercelier caressait un doux rêve pour l’avenir ; il voulait faire de son fils un avocat, marier ses deux filles, et entourer ses dernières années de trois familles dont il serait le chef adoré. De son côté, Pingard formait des vœux différents. Il espérait, aidé par leur mère elle-même, faire des deux filles des religieuses, et du fils un prêtre. C’était amener dans le giron de l’Église trois enfants de bonne famille, et dont la dot ne serait pas inutile à la propagation des saintes doctrines17. Les menées du Père Pingard commencent et troublent ce qui est présenté comme un modèle d’harmonie conjugale : le couple Ercelier. L’obéissance de madame Ercelier à son mari n’est jamais présentée comme un dû et, bien au contraire, l’ouvrage met en scène la recherche du consensus entre les époux. Monsieur Ercelier cherche à convaincre par la douceur, fondant son autorité

16 A. Durantin, Un jésuite de robe courte…, op. cit. 17 Ibid., p. 53.

325

326

cARoLInE MuLLER

sur l’exercice de la raison plutôt que la force18. Plusieurs passages rappellent cependant le bon droit du mari entamé par le comportement du Père Pingard. Lorsque madame Ercelier demande à envoyer sa fille au pensionnat, une dispute éclate : Je ne te reconnais plus depuis quelque temps, Henriette. Tout ceci ne vient pas de toi. Quel mauvais génie te souffle de pareilles idées ? Qui donc ose se placer entre ton cœur et le mien pour faire germer en toi l’esprit de révolte ? Je t’ai laissée libre de choisir ton confesseur ; mais s’il se permettait de se mêler de notre intérieur, s’il tentait de diriger mes actions par la légitime influence que tu as sur moi19 ! L’auteur insiste sur la générosité du mari qui n’intervient pas dans les fréquen­ tations de son épouse alors qu’il en aurait le droit. L’exercice effectif de l’autorité maritale est présenté comme une épreuve domestique : Ce n’était pas sans de grands tiraillements, sans des déchirements de cœur qu’Ercelier se voyait forcé d’imposer sa volonté à sa femme. Celle-ci se gardait bien de se plaindre, encore moins d’entrer en guerre ouverte ; mais elle savait par quels chemins détournés elle pourrait arriver à son but20. La question du pouvoir du directeur de conscience permet ici d’entrevoir le modèle de la conjugalité réussie : une autorité qui ne reposerait pas sur la violence mais sur la recherche du consensus et le refus de régenter la vie de l’autre. C’est bien pourtant cette douceur dans l’exercice de l’autorité qui cause la perte de l’avocat Ercelier : face à lui, le Père Pingard est sans cesse qualifié de « fanatique », d’inflexible : l’autorité spirituelle est aussi brutale que l’autorité conjugale s’exerce avec diplomatie. Le père jésuite n’hésite pas à agiter la menace de l’Enfer et de la perdition pour parvenir à ses fins. Cette inquiétude autour de l’autorité maritale se double de la crainte que les directeurs de conscience ne concurrencent les maris sur le terrain de l’amour et de la sexualité. Le corps et l’âme des femmes ? Le mariage bourgeois comme fusion

Le prêtre est un homme, ni plus, ni moins21 Dans la lignée de Michelet, les auteurs voient dans les confesseurs et directeurs de conscience des hommes impatients de combler leurs manques affectifs et sexuels. C’est l’accès au corps et à l’âme des femmes mariées qui posent problème dans la mesure où le mariage est présenté comme une fusion des corps et des

18 A. Verjus, « “Révolution et conception bourgeoise de la famille” : paternalisme et légitimation de l’autorité dans les débats du Code civil », in J.-P. Jessenne (dir.), Vers un ordre bourgeois ?, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 353-367. 19 A. Durantin, Un jésuite de robe courte…, op. cit., p. 84. 20 Ibid., p. 184. 21 Ibid., p. 127.

PÈRES SPIRITuELS conTRE PÈRES DE fAMILLE ?

cœurs. Michelet s’inquiète ainsi des premières émotions des jeunes femmes, qui devraient être réservées à leur mari. Il faut que le mari possède le corps mais aussi l’âme de son épouse : Tout homme qui réfléchit sait trop bien que la pensée soit dans la personne ce qu’elle a de plus personnel. Le maître de la pensée est celui à qui la personne appartient. Le prêtre tient l’âme, dès qu’il a le gage dangereux des premiers secrets, et il la tiendra de plus en plus. Voilà un partage tout fait entre les époux, car maintenant il y en aura deux, l’âme à l’un, à l’autre le corps22. La confession est présentée comme un dangereux moment d’union des âmes, au fil de laquelle les femmes disent au prêtre ce qu’elles ne disent ni à leur mari ni à leur mère. Le narrateur du Jésuite de robe courte commente : Pour moi, j’avoue franchement que j’ai peine à comprendre qu’une femme, après avoir révélé certains péchés d’alcôve à son confesseur, puisse se retrouver avec lui dans le monde. Ou elle doit se sentir fort gênée en sa présence, ou il lui reste peu de pudeur23. Ces discours témoignent d’une vision du mariage dans laquelle l’épouse ne saurait avoir de secrets pour son mari. C’est à lui que devraient être réservées les premières expériences affectives, et il doit pouvoir lire dans les pensées de sa femme pour laquelle il est un initiateur et un éducateur. Ni l’âme ni le corps des femmes ne devraient être mieux connues et comprises par leur directeur que par leur mari. La préoccupation des auteurs ne s’arrête pas au partage des secrets et à l’intimité d’âme : la débauche des confesseurs est un lieu commun de la littérature anticléricale24. Comment expliquer cette insistance sur la sexualité des prêtres ? Ce souci des auteurs doit là aussi être relié aux nouvelles dispositions juridiques qui entrent en vigueur à partir de 1804. Désormais, l’enfant d’une femme mariée est nécessairement l’enfant de son mari, quelle que soit la réalité biologique de la paternité : « l’enfant conçu pendant le mariage, a pour père le mari », et la recherche en paternité est interdite25. Il résulte de cette disposition un contrôle renouvelé de la sexualité des femmes et la répression de l’adultère féminin, dans l’optique d’éviter que l’enfant d’un autre homme puisse entrer dans la famille. Les Amours d’un jésuite mettent en scène le destin d’un jeune homme né d’une femme bourgeoise, Claire Doussaint, et de son directeur le Père Bloom. Un conflit éclate autour des frais à payer pour son entretien et son éducation. Le chapitre Le conseil de famille et les suivants mettent en scène l’intervention de la puissance publique (le procureur, le commissaire) qui cherche à savoir qui est le géniteur de l’enfant. Mais le père Bloom, qui connaît son Code Civil, leur

22 J. Michelet, Le prêtre, la femme, et la famille…, op. cit., p. 213. 23 A. Durantin, Un jésuite de robe courte…, op. cit., p. 58. 24 G. Graux, Les amours d’un Jésuite…, op. cit. ; L. Taxil, Le fils du Jésuite ; précédé de pensées anti-cléricales, Paris, L’Anticlérical, 1879. 25 Code Civil, 1804, titre vii, chapitre premier, 312.

327

328

cARoLInE MuLLER

rétorque : « Je croyais, monsieur, que votre loi interdisait la recherche de la paternité26 ? » Cette obsession de l’état civil et de l’identité des enfants des prêtres est un autre des lieux communs de la littérature anticléricale. Sans aller toujours jusqu’à décrire des naissances illégitimes, les auteurs consi­ dèrent qu’il s’agit aussi de protéger l’accès des maris aux corps de leurs femmes. Dans Un jésuite de robe courte, Durantin dénonce l’intervention des directeurs dans les rythmes de la vie sexuelle des couples. D’après lui, les consignes des directeurs contrarient les désirs des maris sous prétexte d’exigences spirituelles, fournissant aux épouses des prétextes de refus : « Tantôt c’était l’Avent et tantôt le Carême, ou bien les quatre-temps, et les rogations, les Pâques, Quasimodo, vendredi, jour de jeûne, dimanche, jour de repos27 ». L’explication privilégiée est que le prêtre, homme frustré, reporterait ses manques sur les couples en leur interdisant l’harmonie conjugale. Les désirs et projets des épouses sont un impensé : la liberté sexuelle des femmes n’apparaît qu’à travers des figures repoussoirs de courtisanes ou de comédiennes. Dans Un jésuite de robe courte, « la Grassote » est présentée comme une femme de mœurs légères qui avait voulu se faire travesti au théâtre, avant de tomber dans la prostitution28 et de donner un enfant au Père Pingard. Ces passages ne remplissent pas seulement une fonction narrative ou décorative : ils révèlent la crainte de l’émancipation des femmes et du désordre de genre, en des temps ou les premières voix féministes s’élèvent pour protester contre les inégalités29. La masculinité des prêtres participe de ce risque de désordre du genre puisqu’elle ne trouve pas de régulation dans le couple et le mariage. L’exceptionnalité de la situation du prêtre permet de saisir ce que les auteurs considèrent comme la norme du comportement masculin dans la famille, norme qui épouse les valeurs de la famille bourgeoise.

L’espace du foyer John Tosh a proposé une approche stimulante de ces valeurs de la masculinité « bourgeoise » dans l’Angleterre victorienne30. Pour lui, c’est l’idéal du repli sur le foyer qui prévaut en ces temps de révolution industrielle, foyer présenté comme le refuge accueillant, lieu de l’amour filial et conjugal. Ce modèle est aussi présent en France : être un homme, c’est être un bon mari, un bon père, un travailleur capable de subvenir aux besoins de sa famille, ou encore fréquenter G. Graux, Les amours d’un Jésuite…, op. cit., p. 198. A. Durantin, Un jésuite de robe courte…, op. cit., p. 127. Ibid., p. 149. M. Riot-Sarcey, Histoire du féminisme, Paris, Éditions La Découverte, 2002. Voir aussi L. Kiejman et F. Rochefort, L’égalité en marche. Le féminisme sous la IIIe République, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1989. Pour les réactions aux demandes des féministes, voir C. Bard, Un siècle d’antiféminisme, Paris, Fayard, 1999. 30 J. Tosh, A Man’s Place: Masculinity and the Middle-Class Home in Victorian England, New Haven, Yale University Press, 2007.

26 27 28 29

PÈRES SPIRITuELS conTRE PÈRES DE fAMILLE ?

les espaces homosociaux comme les cercles masculins31. Les hommes catholiques sont encouragés à moraliser leur famille et à incarner la piété au foyer32. C’est la défense de ce modèle bourgeois du foyer qui est en jeu dans les discours dénonçant la direction de conscience. Les auteurs sont en effet très attentifs aux espaces dans lesquels évoluent les personnages, reprenant à leur compte la séparation entre sphère privée et sphère publique qui s’établit après la Révolution française33.

Une lecture matérialiste de la domination des directeurs de conscience Dans ce temps d’âpre concurrence où le jour est plein d’efforts, où l’on revient chez soi brisé, moins de travaux encore que de désappointements, il faudrait une femme au foyer pour rafraîchir le front brûlant de l’homme34. Michelet prête une attention particulière à la place des hommes et des femmes dans le système économique. Pour lui, les femmes se tournent vers la religion et les directeurs de conscience faute d’avoir pu trouver une activité les associant à leur mari35. Les historiens et historiennes de la bourgeoisie du xixe siècle ont montré cet éloignement progressif des femmes des activités économiques, de plus en plus séparées du lieu d’habitation36. Le contexte socio-économique n’est jamais absent de cette littérature anticléricale qui renvoie dos à dos le travail acharné des hommes laïcs et la disponibilité des directeurs de conscience. L’avocat Ercelier est l’homme « le plus consciencieux du palais » : Quand une visite survenait, le maître, sans se lever, tendait une main affectueuse aux nouveaux venus, puis il reprenait son travail qu’il n’interrompait pour personne. Ses amis respectaient ce labeur nécessaire ; car tous savaient qu’Ercelier était l’homme le plus consciencieux du palais, un de ces savants jurisconsultes estimés et estimables comme le regretté Paillet, et comme Le Berquier, notre bâtonnier dans un avenir prochain. J’ai toujours admiré Ercelier pouvant travailler sans trouble et sans distractions au milieu des rires et des conversations les plus animées. Il s’isolait si

31 M. Agulhon, Le Cercle dans la France bourgeoise : 1810-1848, étude d’une mutation de sociabilité, Paris, A. Colin-École des hautes études en sciences sociales, 1977. 32 T. Van Osselaer et P. Pasture, Christian Homes: Religion, Family and Domesticity in the 19th and 20th Centuries, Leuven, Leuven University Press, 2014. 33 A. Verjus et J. Heuer, « L’invention de la sphère domestique au sortir de la Révolution », Annales historiques de la Révolution française, 327 (2002), p. 1-28. 34 J. Michelet, Le prêtre, la femme, et la famille…, op. cit., p. 284. 35 Ibid., p. 181-182. 36 B. Smith, Les Bourgeoises du Nord : 1850-1914, Paris, Perrin, 1989.

329

330

cARoLInE MuLLER

complètement dans sa pensée qu’il ne nous entendait pas. C’est une faculté rare et précieuse37. L’honnête homme enracine sa vie dans le travail et la régularité des occupa­ tions, autre facteur central de la stabilité du foyer bourgeois : « Son intérieur était un modèle de régularité, nous en plaisantions tous ; aucune horloge ne marchait avec plus de précision que la maison Ercelier ». Le prêtre, sans foyer ni travail, apparaît dès lors comme un homme incomplet. Il rend visite aux femmes pendant l’après-midi, à l’heure où les maris sont absents38 : « L’homme d’église au contraire, qui aujourd’hui, en juger par ce qu’il publie, étudie peu, n’invente rien, qui d’autre part ne se fait plus à lui-même cette guerre de mortifications que s’imposait le Moyen Âge, il peut, frais et reposé, suivre à la fois deux affaires39 ». La solution consiste, plaide Michelet, à recréer une communauté de pensée et d’intérêts dans le couple. Se dessine alors une autre facette du foyer bourgeois : « l’esprit de famille40 » et l’unité autour du couple, qui tranche avec la pensée lignagère qui prévalait avant le Code Civil41. L’unité du foyer, un idéal d’harmonie brisé

C’est désormais autour du foyer que chacun trouve sa place, et ce foyer est pensé comme un tout indivisible, qui unit le couple et les enfants. Dans ce modèle, les temps de sociabilité et de contact avec le monde extérieur sont aussi des temps familiaux : c’est le « partage d’une vie sociale préférentiellement domestique42 ». Dans la maison Ercelier, c’est monsieur Ercelier lui-même qui présente le père Pingard à sa femme : « il le présenta à sa femme, puis, bien qu’il y eut entre ces deux hommes un abîme en matière de foi, comme il existait une communauté d’honorabilité, ils se lièrent promptement, et, peu d’années après, Pingard devenait l’ami le plus assidu de la maison43 ». Tout au long de l’ouvrage, Pingard et Ercelier discutent, échangent leurs arguments à propos de la religion ; l’auteur y donne à voir le modèle du libre-penseur dont la parole est fondée en raison et l’expression tout en tolérance, tandis que Pingard agite sans cesse la menace de l’Enfer. L’harmonie conjugale se brise sur le « gouffre » qui sépare les deux hommes : Entre le but du Jésuite et celui du père de famille, il y avait un gouffre ; Pingard le savait et, sans qu’Ercelier put s’en douter, une lutte s’établit dans sa maison, lutte sourde, travail du mineur dans les entrailles de la terre, lutte dans

37 38 39 40 41 42 43

A. Durantin, Un jésuite de robe courte…, op. cit., p. 100. J. Michelet, Le prêtre, la femme, et la famille…, op. cit., p. 221. Ibid., p. 291. A. Durantin, Un jésuite de robe courte…, op. cit., p. 142. A. Verjus, « “Révolution et conception bourgeoise de la famille” », art. cit. Ibid. A. Durantin, Un jésuite de robe courte…, op. cit., p. 51.

PÈRES SPIRITuELS conTRE PÈRES DE fAMILLE ?

laquelle excellent les hommes de la trempe de Pingard […] enfin, et c’eut été le couronnement de l’édifice, quel triomphe pour l’ultramontain s’il parvenait à faire partager ses convictions à l’avocat libre-penseur. La bataille s’engagea ; qui devait l’emporter44 ? Dans ce passage, l’unité familiale a disparu : l’avocat est présenté comme le dernier îlot qu’il faudra convertir quand toute la maisonnée aura rallié les opinions de Pingard. Les ambitions du directeur ne s’arrêtent pas aux enfants et à la mère de famille : le père de famille lui-même devra plier. Durantin mobilise la métaphore de la chasse pour décrire le comportement du prêtre : « comme le chasseur se sert du chien, du cheval et du furet pour se rendre maître du gibier. Ici, le gibier, c’est l’homme, et celui qui le chasse, c’est encore l’homme45 ». La masculinité sacerdotale, pétrie d’ambitions et de manipulation, est une menace pour la masculinité des libres-penseurs, qui placent leur qualité d’homme dans l’exercice de l’autonomie et de l’indépendance intellectuelle : La culture masculine rend la confession difficile, pas seulement parce qu’elle a appris aux hommes à observer une grande réserve à l’égard de leurs vies privées, mais aussi parce que cette culture les a socialisés dans le sens d’une certaine indépendance d’esprit qui entre en contradiction avec la soumission à l’autorité d’un autre homme. Ce trait culturel est au cœur du modèle républicain et du rejet de l’autorité cléricale […] Un catholicisme insistant autant sur l’autorité cléricale apparaît largement inacceptable aux yeux d’hommes qui accordent un tel prix à l’illusion de la détermination personnelle46. On retrouve cette défense de l’union du foyer dans la charge que ces ouvrages mènent contre les institutions éducatives qui éloignent les enfants des parents : pensionnats, collèges, instituts, en particulier s’ils sont tenus par des religieux. Après le droit des maris et la défense du foyer, c’est le droit des pères qui retient l’attention. Cet aspect a été très peu traité par l’historiographie qui a plutôt retenu l’inquiétude liée à la relation entre prêtre et femmes. Pourtant, la défense de la paternité bourgeoise est un autre pôle du discours contre la direction de conscience.

44 Ibid., p. 154. 45 Ibid., p. 44. 46 R. Gibson, A Social History of French Catholicism (1789-1914), Londres-New York, Routledge, 1989, p. 189. Je traduis : « Male culture made confession difficult, not only because it imposed on men a deep sense of reserve where their private lives were concerned, but because it prescribed a certain independance of spirit, a refusal to submit oneself to the authority of another man. This cultural trait was at the heart both of republicanism and of the rejection of clerical authority. This was all the more true because the model of catholicism that the clergy was purveying all the time was a peculiarly hierarchical one, according to which the mère fidèle was expected only to watch and pray –and to do as he was told. A catholicism so insistent on clerical authority was widely unnacceptable to men who prized at least the illusion of being self-determining ».

331

332

cARoLInE MuLLER

Les droits des pères en danger Le prêtre menace l’organisation même de la famille bourgeoise en sapant un autre de ses piliers : l’amour et les devoirs filiaux. Les auteurs insistent sur l’importance de la dignité de père dans ce qui « fait l’homme » et esquissent les traits de la paternité idéale. Les lois de l’amour

Les historiens et historiennes ont montré la façon dont parents et enfants se rapprochent à partir du xviiie siècle, observant par exemple la diffusion du tutoiement ou encore l’intérêt des pères pour la santé et le développement de leurs enfants47. Plutôt que l’autorité, c’est l’amour qui fonde le lien entre le pater familias et ses enfants. Un jésuite en robe courte s’achève sur l’entrée en religion de deux des enfants de l’avocat Ercelier, qui soulignent que la loi divine est plus importante pour eux que les affections terrestres. La réponse d’Ercelier donne à voir la dimension sacrificielle de la paternité : Cette morale est sans doute admirable ; seulement j’ai le malheur de ne pas en comprendre la beauté. À mes yeux, le respect et l’amour des parents, le dévouement à l’enfant sont nos premiers devoirs. Je me trompe probablement. Pour vous, mes enfants, j’eusse tout abandonné, j’abandonnerais tout encore48. Au sacrifice des pères répondent les devoirs supposés des enfants : « le respect et l’amour des parents ». Jusqu’à l’intervention du Père Pingard, le narrateur donne d’ailleurs à voir ce portrait des « bons enfants » ; Ercelier dit d’Edith, son aînée : « C’est une bonne fille, douce, soumise, qui nous aime beaucoup, et qui sera plus tard une femme charmante et une excellente mère49 ». L’enfant doit témoigner sa gratitude et son amour. Michelet dépeint lui aussi des pères attentifs à leurs enfants, soucieux de leur bien-être, qui entretiennent volontiers des discussions intimes avec eux. Le directeur de conscience est présenté comme un tiers qui s’immisce dans cette relation filiale : Ce confessionnal, Ercelier l’avait en horreur. Ne savait-il pas que, là, le prêtre, jeune ou vieux, vertueux ou libertin, tient votre femme dans un long tête à tête que rien ne peut interrompre ; qu’il faut tout lui révéler, tout, jusqu’aux actes

47 J. Delumeau et D. Roche, Histoire des pères et de la paternité, Paris, Larousse, 1990 ; P. Marchand, « Une paternité bourgeoise au xixe siècle. Jules-Émile Scrive et ses enfants (1879-1891) », Revue du Nord, 390 (2011), p. 447-475 ; A. Verjus et D. Z. Davidson, Le roman conjugal chroniques de la vie familiale à l’époque de la Révolution et de l’Empire, Seyssel, Champ Vallon, 2011 ; P. Ariès et G. Duby, Histoire de la vie privée, Paris, Seuil, 1985. 48 A. Durantin, Un jésuite de robe courte…, op. cit., p. 231. 49 Ibid., p. 72.

PÈRES SPIRITuELS conTRE PÈRES DE fAMILLE ?

les plus mystérieux, jusqu’à ces secrets délicats qu’un père n’oserait demander à sa fille50 ? Le prêtre fait prévaloir l’amour spirituel sur l’amour filial : Celui qui n’a ni femme, ni enfant, qui place son amour, je ne dirai pas au-dessus, mais en dehors des affections terrestres, comme faisait le Jésuite Pingard, celui-là n’ayant jamais connu les pures jouissances du foyer conjugal, ne saurait comprendre la grandeur de la mission du père51. L’affrontement entre le directeur de conscience et l’homme laïque ne se limite donc pas au couple : la concurrence est aussi présente autour de l’amour des enfants. Cet amour fonde l’obéissance – comment les enfants peuvent-ils continuer à obéir à leur père s’ils placent leurs devoirs spirituels au-dessus de leurs devoirs filiaux ? L’autorité des pères en danger

Cette question de l’autorité des pères a beaucoup occupé les rédacteurs du Code Civil. Là aussi, ce texte est un point de bascule fondamental puisqu’il entérine la fin de la puissance paternelle illimitée, qui permettait au père d’exercer une autorité arbitraire sur ses enfants. Le père ne peut plus marier ses enfants de force, les priver de leur héritage ou leur liberté52. Dans la seconde moitié du xixe siècle, cet affaiblissement de l’autorité paternelle se poursuit par de vives critiques adressées au « droit de correction » : les parents ne peuvent plus demander à la puissance publique de détenir les enfants sans justification53. Les directeurs de conscience, d’après les auteurs, tournent cette nouvelle liberté des enfants à leur avantage en distinguant loi civile et loi spirituelle. Clément, le fils de l’avocat Ercelier, refuse de quitter le collège jésuite où il subit pourtant de mauvais traitements. Le supérieur lui dit alors « Mon enfant, suivez votre père, la loi civile lui donne le droit de vous emmener. Je vous vois partir sans inquiétude ; car la semence, répandue par nous dans votre esprit, ne se perdra jamais ». Et le narrateur commente : « Entre Ercelier et Clément, il ne subsistait plus désormais qu’un lien civil ; l’action dissolvante des hommes du passé avait tué l’esprit de famille54 ». Au père « civil » se substitue le « père spirituel ». La littérature anticléricale est ainsi un des lieux d’exploration des modalités et risques de ces

Ibid., p. 57. Ibid., p. 55. A. Verjus, « “Révolution et conception bourgeoise de la famille”… », art. cit. P. Quincy-Lefebvre, « Une autorité sous tutelle. La justice et le droit de correction des pères sous la Troisième République », Lien social et Politiques, 37 (1997), p. 99-108. 54 A. Durantin, Un jésuite de robe courte…, op. cit., p. 142.

50 51 52 53

333

334

cARoLInE MuLLER

nouveaux fondements de l’autorité parentale. Les pères y apparaissent privés de leurs prérogatives, en matière d’amour filial mais aussi, de façon plus prosaïque, en matière de transmission de la propriété. Transmettre le fruit de son travail, l’idéal du bon père menacé

L’éthique bourgeoise du travail a pour but la transmission aux enfants du capital accumulé, et ainsi la fortification de la famille au fil des générations. En sus de ce travail acharné et de l’épargne, cette perspective de transmission implique la gestion de ce que Robert Nye désigne par l’expression de « capital sexuel » : maîtriser sa fécondité, c’est empêcher que le capital accumulé ne disperse55. Cette éthique du travail associée à une éthique de la modération sexuelle est nécessaire dans la mesure ou loi oblige désormais les pères à partager ce qu’ils transmettent : Les enfants ou leurs descendants succèdent à leurs père et mère, aïeuls, aïeules, ou autres ascendants, sans distinction de sexe ni de primogéniture, et encore qu’ils soient issus de différents mariages. Ils succèdent par égales portions et par tête, quand ils sont tous au premier degré et appelés de leur chef : ils succèdent par souche, lorsqu’ils viennent tous ou en partie par représentation56. L’enfant jouit ensuite librement de son héritage. Ce changement juridique – et ses conséquences – n’échappent pas à Michelet : Nos lois modernes, les lois de la Révolution, qui dans leur équité, ont voulu que la fille et le cadet héritassent, travaillent ici puissamment pour la contre-révolution. Cela aide à comprendre la multiplication rapide, inouïe, des maisons religieuses. Rien n’arrête le zèle des recruteurs monastiques pour le salut des âmes riches. Vous les voyez frétiller autour des héritiers, des héritières… Quelle prime pour les jeunes paysans qui peuplent nos séminaires, que cette perspective de pouvoir, une fois prêtres, gouverner les fortunes aussi bien que les consciences57 ! Il établit un lien direct entre le changement du régime de succession et le déve­ loppement des maisons religieuses, responsables de la « captation des fortunes ». On retrouve alors le directeur de conscience, « recruteur monastique », qui détournerait les enfants du juste usage du fruit du travail de leur père. La propriété et la possibilité de la transmettre sont au cœur de l’éthique de l’avocat Ercelier : il travaille pour « chercher au palais le pain de la famille, la dot de ses enfants, le repos heureux de la vieillesse pour sa femme et pour lui58 », pour « transmettre 55 R. A. Nye, « De l’honneur nobiliaire à l’honorabilité bourgeoise. Les origines de la masculinité moderne », Actes de la Recherche en Sciences sociales, 105 (1994), p. 46-51. 56 Code Civil, 1804, Section iii, « Des successions déférées aux descendants », 745. 57 J. Michelet, Le prêtre, la femme, et la famille…, op. cit., p. 239. 58 A. Durantin, Un jésuite de robe courte…, op. cit., p. 53.

PÈRES SPIRITuELS conTRE PÈRES DE fAMILLE ?

après [lui] le fruit de [s]on travail59 ». Lorsque ses enfants lui annoncent leur décision d’entrer en religion, il commente : Suivez une autre voie ; je l’appellerais le chemin de l’ingratitude si vos intentions ne le sanctifiaient. Je ne résisterai pas plus longtemps. Vous êtes libres tous deux, toi, mon fils, d’entrer aux missions, toi, ma fille, de prendre le voile. Allez, allez, l’esprit de famille est mort dans votre cœur. Je n’ai plus d’enfants. Mes biens passeront entre les mains des communistes religieux ; j’aurai travaillé trente ans pour les enrichir60. Le directeur de conscience prive le père du sens de son travail : la transmis­ sion. Il s’empare ainsi de tout ce qui lui manquait pour devenir un véritable homme : une femme, des enfants, une autorité, la gestion de la propriété. Dans tous ces ouvrages, la masculinité incarnée par le directeur de conscience permet de développer un discours sur le modèle de la famille bourgeoise qui s’enracine en France après la Révolution française. Les fictions anticléricales sont un laboratoire d’exploration des caractéristiques de ce nouveau pater familias et des dangers qui le guettent. Le prêtre, parce qu’il échappe à un ordre de genre de plus en plus rigide, cristallise toutes les inquiétudes en même temps qu’il aide les contemporains à penser l’exercice de la masculinité idéale, fondée dans la conjugalité et la paternité. L’histoire de l’anticléricalisme aurait beaucoup à gagner en reliant l’histoire de ces pamphlets, essais et romans à l’histoire de la famille et de l’autorité des pères. Ces fictions de la masculinité sacerdotale ne tiennent pas seulement un discours qui concerne la vie politique : elles sont un miroir déformant de la nouvelle organisation des relations sociales prévue par le Code Civil.

59 Ibid., p. 108. 60 Ibid., p. 231.

335

ALESSAnDRO SERRA 

L’éducation à la masculinité dans la production littéraire de Giovanni Bosco À l’origine du laboratoire salésien

Des romans d’aventure pour les jeunes catholiques : une prémisse Dans l’histoire des formes et des modèles multiples qui caractérisent l’éduca­ tion à la masculinité des jeunes hommes dans la culture italienne des xixe et xxe siècles1, l’étude du laboratoire salésien représente assurément l’un des chan­ tiers de recherche les plus importants et les plus riches. Le projet pédagogique de Don Bosco et de ses fils spirituels a en effet réussi à pénétrer profondément non seulement dans la culture catholique, mais plus généralement dans l’imaginaire de larges strates de la société de la péninsule, en provoquant une transformation radicale des modèles culturels et religieux assimilés par les jeunes mâles au moins jusqu’au début des années 19502. Emblématique, dans cette perspective, est un passage du roman La mystérieuse flamme de la reine Loana, d’Umberto Eco. Le célèbre intellectuel italien, récem­ ment décédé, avait fait partie, durant ses années de lycée, puis dans ses premières années d’université, de la Gioventù Italiana di Azione Cattolica (GIAC), jusqu’à en devenir l’un des principaux responsables, avant de l’abandonner en 1954. Dans le

1 Sur ce thème, dans une bibliographie assez développée, je renvoie à L. La Rovere, Storia dei GUF. Organizzazione, politica e miti della gioventù universitaria fascista 1919-1943, Turin, Bollati Boringhieri, 2003 ; C. Papa, L’Italia giovane dall’Unità al fascismo, Rome-Bari, Laterza, 2013, et, de manière plus générale, à S. Dudink, K. Hagenmann et J. Tosh (éd.), Masculinities in Politics and War. Gendering Modern History, Manchester, Manchester University Press, 2004. 2 Sur la figure du prêtre piémontais Giovanni Bosco et sur son intense activité pédagogique, dans une bibliographie extraordinairement riche, voir au moins Fr. Desramaut, Don Bosco et la vie spirituelle, Paris, Beauchesne, 1967 ; id., Don Bosco en son temps (1815-1888), Turin, SEI, 1996 ; P. Braido, Il sistema preventivo di Don Bosco, Turin, Pontificio ateneo salesiano, 1955 ; id., Don Bosco prete dei giovani nel secolo delle libertà, 3e éd. revue et modifiée, 2 vol., Rome, LAS, 2009 (1re éd. 2002), mais surtout les travaux fondamentaux de P. Stella, Don Bosco nella storia della religiosità cattolica, t. 1 : Vita e opere, 2e éd., Rome, LAS, 1979 (1re éd. Zurich, PAS-Verlag, 1968) ; t. 2 : Mentalità religiosa e spiritualità, 2e éd., Rome, LAS, 1981 (1re éd. Zurich, PAS-Verlag, 1969) ; t. 3 : La canonizzazione (1888-1934), Rome, LAS, 1988 ; et id., Don Bosco nella storia economica e sociale (1815-1870), Rome, LAS, 1980. Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 337-356. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131607

338

ALESSAnDRo SERRA

roman mentionné, il insère parmi les souvenirs désordonnés de son protagoniste, frappé d’une amnésie sélective après un coma consécutif à un accident vasculaire cérébral, certains développements du plus connu des ouvrages de piété de Don Bosco, Il giovane provveduto (1847)3, livre qu’il associe à la découverte et à la répression de sa propre sexualité, expérimentées par la vision de la nudité de Joséphine Baker : L’imitation de saint Louis n’est pas facile, autrement dit, le prix pour fuir les tentations paraît très élevé, vu que le jeune homme, s’étant flagellé jusqu’au sang, plaçait sous ses draps des morceaux de bois pour se tourmenter même dans le sommeil, sous ses vêtements il cachait des éperons car il n’avait pas de cilices. Il cherchait son incommodité debout, assis, en marchant… Cependant, le confesseur me propose comme parangon de vertu Domenico Savio, au pantalon déformé à trop rester agenouillé, mais moins sanglant que saint Louis dans ses pénitences […]4. Comme le suggère ce passage d’Umberto Eco, le laboratoire salésien revient sur les modèles hagiographiques typiques de la culture des milieux ecclésiastiques et éducatifs posttridentins, en particulier celui de Louis Gonzague, en les rema­ niant de manière continue à la lumière de l’expérience des Oratoires de Don Bosco ; plus précisément, à travers un processus d’actualisation et d’adaptation à des exigences et à des contextes différents, il les repropose en une véritable constellation d’exempla biographiques et narratifs, dans laquelle la figure de Do­ menico Savio, le premier des jeunes saints du milieu salésien, ne représente que la pointe de l’iceberg5.

3 [G. Bosco], Il giovane provveduto per la pratica de’ Suoi Doveri degli esercizi di cristiana pietà per la recita dell’Uffizio della Beata Vergine e de’ Vespri di tutto l’anno, coll’aggiunta di una scelta di laudi sacre ecc., Turin, Tipografia Paravia e comp., 1847 (1re éd. fr. La jeunesse instruite de la pratique de ses devoirs et des exercices de la piété chrétienne suivi de l’Office de la Sainte Vierge, de l’Office des Morts et des Vêpres de toute l’année par l’abbé Jean Bosco, Turin-Paris, Imprimerie et Librairie de l’Oratoire de S. François de Sales-Chez P. Lethiellieux Imprimeur, 1876. Une analyse très fine de l’histoire éditoriale et des thématiques de cet ouvrage, qui a connu de très nombreuses éditions jusqu’à nos jours, est proposée par P. Stella, Valori spirituali nel “Giovane provveduto” di san Giovanni Bosco, Rome, PAS, 1960. 4 U. Eco, La mystérieuse flamme de la reine Loana. Roman illustré, trad. de l’italien par J.-N. Schifano, Paris, Grasset, 2005, p. 420 (éd. orig. La misteriosa fiamma della regina Loana. Romanzo illustrato, Milan, Bompiani, 2004, p. 385 : « L’imitazione di san Luigi non è facile, ovvero il prezzo per fuggire alle tentazioni sembra assai elevato, dato che il giovinetto, flagellatosi a sangue, metteva sotto le lenzuola pezzetti di legno per tormentarsi anche nel sonno, sotto le vesti nascondeva speroni da cavallo perché non aveva cilici; cercava il suo scomodo nello stare, nel sedere, nel camminare… Però il confessore mi propose come esempio di virtù Domenico Savio, dai calzoni sformati per il troppo star ginocchioni, ma meno cruento di san Luigi nelle sue penitenze […] »). À l’égard de ce contexte culturel, voir aussi F. Piva, La gioventù cattolica in cammino. Memoria e storia del gruppo dirigente, 1946-1954, Milan, FrancoAngeli, 2003. Pour rendre la lecture plus aisée, toutes les citations dans le corps du texte sont proposées en traduction française, avec le texte original italien en note. 5 Sur cette production bio-hagiographique aussi, la référence obligée demeure les études de P. Stella, « Santi per giovani e santi giovani nell’Ottocento », in E. Fattorini (éd.), Santi, culti, simboli nell’età della secolarizzazione (1815-1915), Turin, Rosenberg & Sellier, 1997, p. 563-586 ; id., « Il modo di

L’éDucATIon à LA MAScuLInITé DE GIovAnnI BoSco

Il s’agit d’une production littéraire très développée et fort variée qui va des récits édifiants publiés dans la presse périodique pour l’enfance et la jeunesse aux romans d’aventure « catholiques » écrits par des auteurs appartenant au milieu culturel et éditorial salésien ou gravitant autour de celui-ci : par exemple monsei­ gneur Ugo Mioni, puis le jésuite Celestino Testore, qui, parmi d’autres, essayèrent de s’inscrire dans la ligne des grands auteurs à succès de l’époque, Emilio Salgari et Jules Verne. Leurs histoires, proposées aux jeunes lecteurs catholiques en tant qu’alternatives « édifiantes » à l’immoralité propagée de leur point de vue par la littérature contemporaine, se déroulent souvent dans le contexte exotique des colonies d’Afrique du Nord ou dans les vastes et sauvages prairies américaines, où des jeunes, bons catholiques, sont les héros qui obtiennent le succès précisément en s’engageant, même physiquement, dans la lutte contre des adversaires qui prennent d’une fois à l’autre le visage stéréotypé de l’incroyant, du protestant, du juif6… Pour mieux comprendre l’univers mental qui est à la base de cette représenta­ tion de la jeunesse catholique, il est indispensable de remonter dans le temps, en parcourant à rebours l’histoire de la tradition narrative et du discours pédago­ gique salésiens jusqu’au corpus des sources constituant les racines identitaires les plus profondes de ce laboratoire culturel, c’est-à-dire les nombreux écrits narratifs de Don Bosco lui-même et les premières représentations de la vie commune des prêtres, clercs et jeunes gens qui étaient au cœur de la réalité quotidienne de l’Oratoire de Saint-François de Sales.

lavorare di don Bosco », in A. Giraudo (éd.), Domenico Savio raccontato da don Bosco. Riflessioni sulla “Vita”. Atti del Simposio (Roma, 8 maggio 2004), Rome, LAS, 2005, p. 11-30 ; id., « Per una storia dell’agiografia in età contemporanea. Il “giovanetto Savio Domenico” (1859) di san Giovanni Bosco », in A. Sindoni et M. Tosti (éd.), Vita religiosa, problemi sociali e impegno civile dei cattolici. Studi storici in onore di Alberto Monticone, Rome, Studium, 2009, p. 143-167. Toujours utile est aussi le recours aux travaux d’A. Caviglia, « Savio Domenico e don Bosco. Studio », in Opere e scritti editi e inediti di don Bosco nuovamente pubblicati e riveduti secondo le edizioni originali e manoscritti superstiti, t. 4, Turin, SEI, 1943, p. 5-590 ; id., « Il “Magone Michele” una classica esperienza educativa. Studio », in ibid., t. 5, Turin, SEI, 1965, p. 131-200) et id., « La Vita di Besucco Francesco scritta da Don Bosco e il suo contenuto spirituale », in ibid., t. 6, Turin, SEI, 1965, p. 105-262. Voir aussi J. M. Prellezo, « La “Vita” di Domenico Savio scritta da don Bosco nella storiografia salesiana (1859-1954) », in A. Giraudo (éd.), Domenico Savio…, op. cit., p. 61-102. Pour un panorama général et une édition de ces textes avec des notes historiques, voir G. Bosco, Vite di giovani. Le biografie di Domenico Savio, Michele Magone e Francesco Besucco, éd. A. Giraudo, Rome, LAS, 2012 ; mais voir aussi, pour l’élaboration de la biographie de Domenico Savio, A. Giraudo, « Il contesto, le intenzioni dell'autore e i livelli d'interpretazione », in id., Domenico Savio raccontato da don Bosco…, op. cit., p. 31-60. Une présentation rapide de ces ouvrages, enfin, est proposée par M. Collin, Don Bosco auteur pour la jeunesse italienne. Ses biographies d’enfants saints, in id. (éd.), Les catéchismes et les littératures chrétiennes pour l’enfance en Europe, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2014, p. 215-231. 6 Voir, à cet égard, les considérations de T. Caliò, « Guglielmo Massaja nella cultura popolare del Novecento », in L. Ceci (éd.), Guglielmo Massaja 1809-2009. Percorsi, influenze, strategie missionarie, Rome, Società Geografica Italiana, 2011, p. 125-165.

339

340

ALESSAnDRo SERRA

Loin de constituer seulement et de manière absolue un point d’origine, l’ex­ périence salésienne représente aussi un moment de passage fondamental vers la résolution de la fracture entre pouvoir politique et religion majoritaire, dramati­ quement approfondie en Italie par le Risorgimento, en contribuant de manière décisive à l’élaboration d’un nouveau discours catholique sur l’alliance du trône et de l’autel qui trouvera sous le Régime fasciste un nouveau et très complexe point d’équilibre7.

Don Bosco écrivain et éditeur : un champion de la littérature populaire Bien qu’engagé de manière quotidienne dans son activité d’éducateur, Don Bosco est aussi l’un des principaux protagonistes de la stratégie éditoriale re­ nouvelée mise en place au cours du xixe siècle par les milieux culturels du catholicisme italien avec le soutien de la haute hiérarchie ecclésiastique8. Fervent partisan des « bons livres » catholiques, il croit que leur diffusion capillaire doit servir d’antidote à la propagation parallèle de « mauvais livres » alimentée à la fois par les suggestions culturelles provenant de l’autre côté des Alpes, par les milieux progressistes du Risorgimento et par les efforts renouvelés des protestants, libres de se consacrer au prosélytisme après leur émancipation accordée par le Statut Albertin de 18489. Il vise toutefois un segment de public précis. Dans un

7 Sur l’évolution de ce rapport entre xixe et xxe siècles, à l’ouvrage classique de A. C. Jemolo, L’Église et l’État en Italie du Risorgimento à nos jours, préface de E. Juffé, Paris, Seuil, 1960 (éd. orig. Chiesa e Stato in Italia dal Risorgimento ad oggi, Turin, Einaudi, 1955), on ajoutera : A. Canavero, I cattolici nella società italiana. Dalla metà dell’800 al Concilio Vaticano II, Brescia, La Scuola, 1991 ; G. Formigoni, L’Italia dei cattolici. Fede e nazione dal Risorgimento alla Repubblica, Bologne, il Mulino, 1998 ; A. Acerbi (éd.), La Chiesa e l’Italia. Per una storia dei loro rapporti negli ultimi due secoli, Milan, V&P Università, 2003 ; F. Traniello, Religione cattolica e Stato nazionale. Dal Risorgimento al secondo Dopoguerra, Bologne, il Mulino, 2007. 8 Sur la situation italienne, voir : A. Majo, La stampa cattolica in Italia. Storia e documentazione, Casale Monferrato, Piemme, 1992 ; F. Traniello, « L’editoria cattolica tra libri e riviste », in G. Turi (éd.), Storia dell’editoria nell’Italia contemporanea, Florence, Giunti, 1997, p. 299-319; id., Cultura cattolica e vita religiosa tra Ottocento e Novecento, Brescia, Morcelliana, 1991 ; id., « La cultura popolare cattolica nell’Italia unita », in S. Soldani et G. Turi (éd.), Fare gli italiani. Scuola e cultura nell’Italia contemporanea, t. 1, Bologne, il Mulino, 1993, p. 429-458 ; I. Piazza, Buoni libri per tutti. L’editoria cattolica e l’evoluzione dei generi letterari nel secondo Ottocento, Milan, Unicopli, 2009 ; R. Rusconi, « “Emuliamo i perversi”. Una strategia editoriale cattolica nell’Italia dell’Ottocento », in L. Braida et M. Infelise (éd.), Libri per tutti. Generi editoriali di lunga circolazione tra antico regime ed età contemporanea, Turin, Utet, 2010, p. 106-125. Pour la France, voir Cl. Savart, Les catholiques en France au xixe siècle. Le témoignage du livre religieux, Paris, Beauchesne, 1985 et L. Artiaga, Des torrents de papier. Catholicisme et lectures populaires au xixe siècle, préface de J.-Y. Mollier, Limoges, Pulim, 2007. 9 À propos des « mauvais livres », cf. L. Artiaga, Des torrents de papier…, op. cit., p. 21-31 et, dans une perspective plus générale, M. I. Palazzolo, I libri il trono l’altare. La censura nell’Italia della Restaurazione, Milan, FrancoAngeli, 2003. Sur la culture anticléricale italienne, dans une riche

L’éDucATIon à LA MAScuLInITé DE GIovAnnI BoSco

contexte, celui du Nord et du Centre de la péninsule italienne, riche d’initiatives éditoriales répondant aux exigences de la bourgeoisie philanthropique ou à celles de lecteurs déjà dotés de quelques rudiments de culture humaniste, l’extraordi­ naire activité d’écrivain et d’éditeur dans laquelle s’est engagé Don Bosco cible spécifiquement le monde de jeunes adhérant à son Oratoire et plus généralement les élèves appartenant aux couches sociales inférieures des villes et des campagnes, ainsi que leurs familles10. Un public composé donc non seulement de lecteurs stricto sensu, mais aussi de « consommateurs » analphabètes se réunissant dans les veillées d’hiver pour écouter la voix d’un narrateur, selon l’usage traditionnel des cultures orales telles que celle du Piémont rural à cette époque11. Pour cet auditoire, Don Bosco fait circuler une grande quantité de petits livres, comme ceux qui dès 1853 composent la collection « Letture cattoliche », dont il est souvent lui-même l’auteur12. Il s’agit d’une production très variée : livres d’histoire et de polémique antiprotestante, textes scolaires et manuels de piété – comme Il giovane provveduto déjà évoqué – Vies de saints pontifes ou martyrs de l’Antiquité et biographies de personnages contemporains comme le propre directeur spirituel de Don Bosco, Giuseppe Cafasso, son collègue de séminaire Luigi Comollo ou les élèves de son Oratoire décédés en réputation de sainteté (Domenico Savio, déjà mentionné, Michele Magone, Francesco Besucco). Et aussi une grande quantité de « letture amene », c’est-à-dire des contes plus ou moins développés, publiés de manière autonome ou insérés dans les éditions bibliographie, voir G. Verucci, L’Italia laica prima e dopo l’Unità, 1848-1876, Rome-Bari, Laterza, 1996. Pour l’histoire de cette présence au lendemain de l’émancipation, voir au moins V. Vinay (éd.), Storia dei Valdesi, t. 3 : Dal movimento evangelico italiano al movimento ecumenico (1848-1978), Turin, Claudiana, [1980] et G. P. Romagnani, « I valdesi nel 1848 : dall’emancipazione alla scelta italiana », in B. Bellion et al., Dalle Valli all’Italia (1848-1998). I valdesi nel Risorgimento, Turin, Claudiana, 1998, p. 71-101 ; sur la ville de Turin, A. Comba, « I Valdesi », in Storia di Torino, t. VI: U. Levra (éd.), La città del Risorgimento (1798-1864), Turin, Einaudi, 2000, p. 839-856. Pour quelques renseignements sur la réaction des milieux culturels catholiques, P. Cozzo, « Protestantesimo e stampa cattolica nel Risorgimento. L’“Armonia” e la polemica antiprotestante nel decennio preunitario », Rivista di storia e letteratura religiosa, 36 (2000), p. 77-113 et N. Del Corno, « “Il Piemonte noi non possiamo che compiangerlo”. La polemica antiprotestante nella pubblicistica reazionaria : “La Bilancia” di Milano (1850-1858) », in P. Cozzo, F. De Pieri et A. Merlotti (éd.), Valdesi e protestanti a Torino (xviii-xx secolo), Turin, Zamorani, 2005, p. 117-128. 10 P. Stella, Don Bosco, Bologne, il Mulino, 2001, p. 34-35. 11 À ce sujet, voir en part. M. Colombo et I. Piazza, « La lettura comunitaria nell’Italia dell’Ottocento », Studi Linguistici Italiani, 24 (2008), p. 62-96 ; de manière plus générale, J. S. Allen, In the Public Eye. A History of Reading in Modern France, 1800-1940, Princeton, Princeton University Press, 1991 et J.-Y. Mollier, La lecture et ses publics à l’époque contemporaine. Essais d’histoire culturelle, Paris, PUF, 2001. 12 Sur cette collection et ses buts pédagogiques, voir L. Terrone, 1000 fascicoli delle « Letture Cattoliche » fondate da San Giovanni Bosco, Turin, SEI, 1936 ; P. Braido, « L’educazione religiosa popolare e giovanile nelle Letture Cattoliche di Don Bosco », Salesianum, 15 (1953), p. 648-672 ; L. Giovannini, Le “Letture Cattoliche” di Don Bosco esempio di stampa cattolica nel secolo xix, Napoli, Liguori, 1984. À ces travaux il faut encore ajouter les considérations d’I. Piazza, « “Romanzo a modo mio”. La strategia narrativa dell’editore don Bosco », La fabbrica del libro. Bollettino di storia dell’editoria in Italia, 12/2 (2006), p. 101-106.

341

342

ALESSAnDRo SERRA

annuelles du Galantuomo, almanach rédigé personnellement par Don Bosco entre 1855 et 1886, et distribué en hommage aux abonnés des Letture cattoliche13. Comme le souligne Pietro Stella, pour élaborer ses publications le fonda­ teur des Salésiens utilise sans trop de scrupules un éventail de sources variées. Constamment, il emprunte des idées, des informations et parfois des développe­ ments entiers à un ou plusieurs textes italiens et français – lus dans leur version originale ou en traduction – qu’il juge dignes de confiance, mais qu’il ne signale pas toujours de manière explicite. Peu profond en matière de théologie, peu exigeant en matière de critique historique, peu incisif dans la polémique contre les anticléricaux et les protestants, Don Bosco est toutefois toujours fidèle à sa stratégie générale, qui ne cherche pas à convaincre ses adversaires, mais plutôt à renforcer la foi et la conviction des catholiques qui, en raison de la précarité de leur condition financière et/ou sociale, peuvent facilement constituer une proie aux mauvaises influences des ennemis de la religion14. Dans cet immense engagement d’écrivain populaire, il n’y a peut-être pas beaucoup d’originalité, mais en revanche une forte cohérence de l’objectif : à l’exception de deux ou trois ouvrages dédiés à l’instruction religieuse des jeunes filles15, la finalité principale apparaît toujours la définition et la diffusion d’un modèle d’homme, à la fois bon chrétien et bon citoyen, qui soit accessible non seulement aux élites ou à la bourgeoisie urbaine, mais aussi aux masses de plus en plus pauvres et inquiètes16.

13 Pour la diffusion et l’importance de ce genre de publications en Italie aux xviiie et xixe siècles, voir : G. Solari (éd.), Almanacchi, lunari e calendari toscani tra Settecento e Ottocento, Florence-Milan, Giunta regionale toscana-Editrice bibliografica, 1989 ; L. Braida, Le guide del tempo. Produzione, contenuti e forme degli almanacchi piemontesi nel Settecento, Turin, Deputazione subalpina di storia patria, 1989 ; M. I. Palazzolo, « La battaglia degli almanacchi. Protestanti e cattolici nell’Italia liberale », in L. Braida et M. Infelise (éd.), Libri per tutti…, op. cit., p. 126-141. 14 Sur cet aspect, voir P. Stella, Don Bosco nella storia della religiosità cattolica, t. 1, p. 241 et, de manière plus générale, ibid., p. 229-248. Sur les objectifs que Don Bosco se propose dans son activité d’écrivain et d’éditeur, voir aussi : E. Valentini, Don Bosco e l’apostolato della stampa, Turin, SEI, 1957 ; S. Pivato, « Don Bosco e la “cultura popolare” », in F. Traniello (éd.), Don Bosco nella storia della cultura popolare, Turin, SEI, 1987, p. 253-287, poi in id., Clericalismo e laicismo nella cultura popolare italiana, Milan, FrancoAngeli, 1990 ; F. Traniello, « Don Bosco nella storia della cultura popolare », in M. Midali (éd.), Don Bosco nella storia. Atti del I Congresso Internazionale di Studi su Don Bosco (Roma, 16-20 gennaio 1989), Rome, LAS, 1990, p. 411-425; G. Chiarle, « Don Bosco nella storia del libro popolare », in F. Malaguzzi (éd.), Bibliofilia subalpina. Quaderno 2003, Turin, Centro studi piemontesi, 2003, p. 71-102. 15 P. Stella, « Il modo di lavorare… », art. cit., p. 30. 16 Voir, dans cette perspective, P. Braido, « Una formula dell’umanesimo educativo di Don Bosco : “Buon cristiano e onesto cittadino” », Ricerche storiche salesiane, 13 (1994), p. 7-75. À propos de la préoccupation et de la méfiance avec lesquelles on considère les jeunes dans l’Italie du xixe siècle, voir C. Papa, L’Italia giovane dall’Unità al fascismo, Rome-Bari, Laterza, 2013, p. 7-8. Pour un panorama plus général : J. R. Gillis, Youth and History. Tradition and Change in European Age Relations, 1770-present, New York, Academic Press, 1974 ; G. Levi et J.-Cl. Schmitt (éd.), Histoire des jeunes en Occident, t. 2 : L’époque contemporaine, Paris, Seuil, 1996 ; B. Dogliani, Storia dei giovani, Milan, Bruno Mondadori, 2003.

L’éDucATIon à LA MAScuLInITé DE GIovAnnI BoSco

Don Bosco face au genre : femmes et hommes dans sa production narrative Une première question qui se pose à cet égard concerne la manière dont les hommes et les femmes sont présentés dans les écrits de Don Bosco et le profil psychologique qui est le leur. Dans ses textes narratifs, en particulier, même si les protagonistes de la fiction littéraire sont presque toujours des garçonnets, des adolescents ou de jeunes hommes, Jean Bosco met en scène aussi un grand nombre de femmes. Dans la plupart des cas, il s’agit d’une véritable exaltation de la parfaite mère chrétienne : affectueuse et vigilante, forte et infatigable, moralement irréprochable et inébranlable dans sa foi, elle représente pour ses enfants – qu’il s’agisse de fils ou de filles – le premier maître et guide en matière de religion. En collaboration avec le curé du village ou du quartier, les mères ont aussi un rôle actif dans la préparation de leurs enfants à la première communion, dont il est beaucoup question dans les contes et les biographies de Don Bosco et qui est présentée comme un moment de passage essentiel dans la formation du bon chrétien. Elles s’intéressent en effet au salut de l’âme de leurs enfants plus qu’à toute autre chose, tout en étant des modèles de mansuétude et de respect formel des hiérarchies sociales : elles restent donc soumises à l’autorité de leur mari, généralement plus intéressé à employer sa progéniture dans le travail qu’à se préoccuper de l’instruction religieuse ; elles manifestent toutefois la confiance la plus totale dans la Providence, qui leur permet de mener à bon port leurs projets. Ce n’est pas un hasard si les héros négatifs nés de la plume du fondateur des Salé­ siens sont, comme le malheureux protagoniste du conte Valentino, ou la Vocation empêchée (1868), des enfants qui, ayant perdu leur mère trop tôt sont demeurés sous l’autorité d’un père plus préoccupé par leur succès matériel que par leur formation morale et religieuse. Dans le contexte religieux et culturel du xixe siècle, que l’historiographie des dernières décennies a généralement considéré comme caractérisé par un phénomène de « féminisation religieuse », cette représentation de la femme n’a rien d’étonnant, mais correspond plutôt, en quelque sorte, à l’extension d’un modèle féminin élitaire bien consolidé aux femmes des couches sociales inférieures17. Deux aspects particuliers méritent toutefois d’être soulignés.

17 Pour un aperçu sur la littérature d’Ancien Régime sur le rôle central de la « femme sage » dans la famille aristocratique, voir M. Fubini Leuzzi, « Vita coniugale e vita familiare nei trattati italiani fra xvi e xvii secolo », in G. Zarri (éd.), Donna, disciplina, creanza cristiana dal xv al xvii secolo. Studi e testi a stampa, Rome, Edizioni di storia e letteratura, 1996, p. 253-267 (je remercie vivement Sara Cabibbo d’avoir attiré mon attention sur ce texte). Sur la notion de « féminisation religieuse », on renvoie notamment à M. Caffiero, « La femminilizzazione religiosa », in id., Religione e modernità in Italia (secoli xvii-xix), Pise-Rome, Istituti Editoriali e Poligrafici Internazionali, 2000, p. 111-189, mais voir aussi, sur les évolutions du magistère ecclésiastique à partir du milieu du xixe siècle, L. Scaraffia, « “Il Cristianesimo l’ha fatta libera, collocandola nella famiglia accanto all’uomo” (dal 1850 alla Mulieris Dignitatem) », in id. et G. Zarri (éd.), Donne e fede. Santità e vita religiosa in Italia, Rome-Bari, Laterza, 1994, p. 441-493 ; au niveau institutionnel, cette attitude générale de se réfléchit aussi dans la prolifération, au xixe siècle, de formes nouvelles de vie consacrée réservées aux femmes :

343

344

ALESSAnDRo SERRA

Tout d’abord, le fait que l’auteur ne procède jamais à la dévalorisation de la femme : même s’il soutient que les jeunes gens doivent limiter le plus possible les rapports avec l’autre sexe, la femme n’est jamais présentée comme séductrice ou immorale, mais tout au plus – et de manière implicite – comme un objet potentiel de pensées contraires à la vertu fondamentale de pureté, sur laquelle on reviendra plus avant. Cette représentation de la figure féminine dans la prose de Don Bosco, bien qu’enracinée dans la tradition littéraire catholique, n’est pas purement théorique, mais procède directement aussi de l’expérience personnelle du prêtre piémontais : son hagiographie, tout comme ses mémoires ou encore les autres sources sur les origines salésiennes accordent en effet une place fondamentale à la figure de Mamma Margherita. Mère de Jean Bosco, elle fut aussi, avec d’autres femmes pieuses, une collaboratrice formidable de son fils durant les premières années de l’Oratoire de Valdocco, jusqu’à sa mort en réputation de sainteté (1856)18. La persistance de la mémoire de ce personnage, central dans le « culte des origines » de l’institut salésien, est d’ailleurs attestée par l’introduction, en 1995, de sa cause de canonisation, toujours en cours après sa reconnaissance comme vénérable en 200819. À cette exaltation de la femme, et de la femme du peuple notamment, cor­ respond une représentation profondément négative des figures masculines : les hommes, en particulier les hommes appartenant aux couches sociales inférieures, sont – au moins au début de la narration – dans le meilleur des cas comme indifférents aux questions religieuses. En proie au vice, ils négligent parfois le travail, gaspillent une bonne partie de leur maigre salaire à la taverne et passent leur temps en mauvaise compagnie, entre vin, jeux de hasard et blasphèmes, en Cl. Langlois, Le catholicisme au féminin. Les congrégations françaises à supérieure générale au xixe siècle, Paris, Cerf, 1984 ; G. Rocca, Donne religiose. Contributo a una storia della condizione femminile in Italia nei secoli xix e xx, Rome, Città Nuova, 1992 ; S. Mostaccio et al. (éd.), Echelles de pouvoir, rapports de genre. Femmes, jésuites et modèle ignatien dans le long xixe siècle, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2014. 18 « Mamma Margherita aveva raggiunto il figlio sacerdote nel 1846 e rimase a Valdocco fino alla morte […], aiutata poi anche dalla sorella […] Marianna, morta anch’ella all’Oratorio nel 1857. […] Morta mamma Margherita, si stabilì all’oratorio la mamma di Don Rua, ch’era coadiuvata dalla mamma del chierico Bellia, da quella del canonico Gastaldi e da altre. Visse all’oratorio anche Marianna Magone, mamma del noto alunno di Don Bosco […]. Poi la tradizione delle mamme si perdette » (P. Stella, Don Bosco nella storia della religiosità cattolica, t. 1, p. 115 ; sur le rôle joué par Margherita durant l’enfance de Don Bosco, ibid., en part. p. 23-50). 19 Parmi les hagiographies rédigées par des salésiens et dédiées à Margherita Occhiena, on se borne à signaler G. B. Lemoyne, Scene morali di famiglia esposte nella vita di Margherita Bosco. Racconto edificante ed ameno, Turin, Tip. Salesiana Edit., 18892. En ce qui concerne l’état de son procès de canonisation, voir Taurinen. beatificationis et canonizationis servae Dei Margaritae Occhiena vid. Bosco, laicae matrisfamilias (1788-1856), positio super vita, virtutibus et fama sanctitatis, 2 vol., Rome, Guerra, 2000. Sur la pensée de Don Bosco à l’égard de la femme et sur sa place dans le contexte de la culture catholique contemporaine, enfin, voir M. L. Trebiliani, « Modello mariano e immagine della donna nell’esperienza educativa di Don Bosco », in F. Traniello (éd.), Don Bosco nella storia della cultura popolare…, op. cit., p. 187-207.

L’éDucATIon à LA MAScuLInITé DE GIovAnnI BoSco

se désintéressant de leur famille, dont ils sont en définitive la ruine. À la force de l’âme féminine correspond donc dans la société contemporaine de plus en plus sécularisée la faiblesse extrême de l’esprit masculin face aux vices et aux séductions du mal20. C’est aussi à partir de cette image négative et dégradée que Don Bosco commence à dessiner son projet d’éducation de la jeunesse. Le contexte social et moral dans lequel il travaille, il est à peine besoin de le rappeler, est celui de la ville de Turin au milieu du xixe siècle, marquée, dans le climat plus général des prodromes de la Révolution industrielle, par la présence d’une masse de jeunes marginalisés : enfants de familles pauvres ou paysans urbanisés sans instruction ni métier, ou employés comme apprentis et manœuvres aux conditions de travail pénibles, ils sont abandonnés à leur destin d’abrutissement21.

Instruction religieuse et éducation à la masculinité L’exaltation de la chasteté, cette véritable « obsession de la pureté » qui carac­ térise Il giovane provveduto, dont Umberto Eco nous a offert une représentation22, revient aussi constamment dans les biographies édifiantes qui réinterprètent le modèle de Louis Gonzague. Le plus ancien de ces textes, rédigé en 1844, est la vie de Luigi Comollo, qui avait été l’ami de Don Bosco à l’école, puis au séminaire de Chieri, où il était mort à 22 ans, en 1837. Dans cet ouvrage, Don Bosco exalte la « modestie » en la considérant comme la vertu principale de ce jeune clerc qui, dévot de saint Louis, en partageait la candeur et la pureté23. 20 C’est le cas, par exemple, de G. Bosco, La forza della buona educazione. Curioso episodio contemporaneo, Turin, Paravia, 1855, dont la première partie est une traduction, pas très heureuse, d’un ouvrage français, Un mari comme il y en a beaucoup, une femme comme il y en a peu, dont la première édition parisienne date de 1853 (cf. P. Stella, « Per una storia dell’agiografia… », art. cit., p. 155-156). 21 G. M. Bravo, Torino operaia. Mondo del lavoro e idee sociali nell’età di Carlo Alberto, Turin, Fondazione Luigi Einaudi, 1968 ; U. Levra, L’altro volto di Torino risorgimentale, 1814-1848, Turin, Comitato di Torino dell’Istituto per la Storia del Risorgimento Italiano, 1988. Pour un aperçu plus global sur le contexte historique de la ville de Turin à l’époque de Don Bosco, id. (éd.), La città del Risorgimento…, op. cit. et Storia di Torino, t. VII : id. (éd.), Da capitale politica a capitale industriale (1864-1915), Turin, Einaudi, 2001. Dans une perspective générale voir aussi M. Perrot, « La jeunesse ouvrière : de l’atelier à l’usine », in Cl. Levi et J.-Cl. Schmitt (éd.), Histoire des jeunes…, op. cit., t. 2, p. 85-141. Pour la perspective de Don Bosco : P. Bairati, « Cultura salesiana e società industriale », in F. Traniello (éd.), Don Bosco nella storia della cultura popolare…, op. cit., p. 331-357 ; S. Tramontin, « Don Bosco e il mondo del lavoro », in M. Midali (éd.), Don Bosco nella storia…, op. cit., p. 237-256. 22 Cfr. F. Piva, Gioventù cattolica…, op. cit., p. 201-221. 23 « Un esterno così regolato, una condotta tanto esatta, una compostezza sì edificante, una mortificazione sì compita di tutti i sensi e principalmente degli occhi fanno arguire che egli abbia una tale virtù in grado eminente posseduta : e a me pare non dire di troppo se affermo, e nutro costante opinione che egli abbia portata all’altra vita la bella stola dell’innocenza battesimale. Questo io

345

346

ALESSAnDRo SERRA

Dans les propos de Don Bosco, tout au long de sa production, la pureté est en effet la véritable pierre angulaire de l’édification du bon chrétien, à tel point que les réactions proprement « viriles », y compris violentes24, destinées à la protéger, sont légitimées, alors que le jeune homme est en règle générale appelé à la docilité et à l’obéissance. Dans la biographie de Francesco Besucco (1864), Don Bosco en donne un exemple singulier : à la campagne avec son troupeau de brebis, Francesco se trouve en compagnie de deux garçons plus jeunes que lui, qui s’abandonnent à des « gestes immodestes », sans plus de précisions. Sa réaction est immédiate et de plus en plus agressive : il leur adresse des reproches de manière très sévère puis, ses protestations étant inutiles, il s’éloigne d’eux, indigné. Mais c’est à ce moment-là que la situation dégénère : L’un de ces deux scélérats […] le poursuit pour l’inciter au mal. Le pauvre Francesco, se voyant poursuivi, s’arrête et assène au séducteur une série de gifles, de coups de poing et de pied. Ne pouvant encore se délivrer du danger de cette façon, il utilise un autre moyen qu’il faudrait admirer plus qu’imiter. Arrivé près d’un tas de pierres, il commence à crier : « Éloigne-toi de moi, ou je te casse la tête ». Cela dit, il commence, comme furieux, à jeter de toutes ses forces des pierres contre l’ennemi de son âme. Finalement, victime de contusions assez graves au visage, aux épaules et à la tête, le compagnon s’enfuit25.

argomento non solo dalla scrupolosa riserbatezza nel trattare, o parlare con persone di sesso diverso ; ma molto più da certe materie teologiche che egli niente affatto comprendeva, da certe interrogazioni ridicole che talvolta faceva, il che mostrava la sua semplicità, e purezza. Son Luigi di nome, diceva, ah potessi pure un giorno essere Luigi di fatto : che se studiavasi di seguire le virtù di S. Luigi gli avrà certamente tenuto dietro in quella che di tal santo è la caratteristica il candore, e purità di costumi » ([G. Bosco], Cenni storici sulla vita del chierico Luigi Comollo morto nel Seminario di Chieri ammirato da tutti per le sue singolari virtù. Scritti da un suo collega, Turin, dalla Tipografia Speirani e Ferrero, 1844, p. 80-81). 24 Sur l’importance de l’éducation des jeunes à la vertu de la pureté, voir P. Stella, Don Bosco nella storia della religiosità cattolica…, op. cit., t. 2, p. 240-265. Sur l’idée de « virilité » dans l’Italie du xixe siècle, voir : L. Riall, « Eroi maschili, virilità e forme della guerra », in Storia d’Italia. Annali, t. 22 : A. M Banti et P. Ginsborg (éd.), Il Risorgimento, Turin, Einaudi, 2007, p. 253-288 ; id., « Men at war : masculinity and military ideals in the Risorgimento », in S. Patriarca et L. Riall (éd.), The Risorgimento revisited : Nationalism and Culture in 19th-Century Italy, Londres, Palgrave, 2012, p. 152-70 ; id., « Guerre et nation dans l’Italie du Risorgimento », Revue d’histoire du xixe siècle, 44/1 (2012), p. 49-64. De manière plus générale, on renvoie aussi à O. Blom, K. Hagemann et C. Hall (éd.), Gendered Nations. Nationalism and Gender Order in the Long Nineteenth Century, Oxford-New York, Berg, 2000 et A. M Banti, L’onore della nazione. Identità sessuali e violenza nel nazionalismo europeo dal xviii secolo alla Grande Guerra, Turin, Einaudi, 2005. 25 « Trovandosi alla custodia delle pecore con altri due ragazzi poco di lui più giovani in una campagna vicina al paese nella primavera del 1858, questi fecero alcuni atti immodesti alla presenza del nostro Francesco. Offeso da quell’indegno procedere li rimproverò acremente dicendo : “Se non volete farvi del bene col buon esempio, almeno non datevi scandalo. Fareste voi tali cose alla presenza del nostro Arciprete, o de’ nostri genitori ? Se non osate farle in presenza degli uomini, come si oserà poi alla presenza di Dio ?”. Ma quando vide che tornavano inutili i suoi detti tutto sdegnato si allontanò dalla

L’éDucATIon à LA MAScuLInITé DE GIovAnnI BoSco

Le curé du village, qui observe en cachette, loin de reprocher au jeune prota­ goniste sa réaction violente, s’en montre si satisfait qu’il décide de l’autoriser à accéder à la première communion même s’il n’a pas encore l’âge requis. Le recours à la violence, mieux vaut le préciser, est normalement blâmé dans les écrits de Don Bosco, qui attribue à ses jeunes « saints » – de Comollo à Domenico Savio, de Magone à Besucco lui-même – une capacité extraordinaire d’interrompre ou d’éviter les bagarres entre camarades. L’action violente est tou­ tefois justifiée par le narrateur, directement ou indirectement, non seulement lorsque la vertu de pureté – et donc le salut de l’âme – est en danger, mais aussi dans d’autres occasions de la vie du jeune mâle catholique. Dans le cas des blasphèmes publics, qui produisent une offense à Dieu intolé­ rable pour ceux qui l’aiment, une action vigoureuse peut être admise, même s’il vaudrait mieux l’éviter. Nous en avons un exemple dans la biographie de Michele Magone (1861), le seul des jeunes héros de Don Bosco qui ait été un mauvais sujet. Chef d’une sorte de bande d’enfants mal élevés avant de rencontrer son père spirituel à la gare de Carmagnola, il représente pour les enfants de l’Oratoire une réélaboration du modèle du « saint jeune » plus accessible à l’imitation. En marchant dans une rue de Turin à côté de son supérieur – qui est peut-être Don Bosco lui-même –, il entend un garçon blasphémer à pleine voix ; sans hésiter un instant, il se jette sur lui en le giflant et en le reprenant âprement ; dans la bagarre qui s’ensuit, il donne le meilleur de lui, sans se borner évidemment à encaisser passivement les coups, jusqu’au moment où le prêtre arrive à séparer les deux adversaires. Même si l’enfant promet de corriger à l’avenir les pécheurs de cette sorte par la douceur et la persuasion, très significativement, aucune réprimande ne lui est adressée par le père spirituel26. perversa compagnia. Ma che ? Uno di quei scellerati vedendolo a fuggire gli corse dietro per indurlo al male. Il povero Francesco scorgendosi inseguito si fermò ed affrontò il seduttore con calci, pugni e schiaffi. Neppure con questi mezzi potendo liberarsi dal pericolo, si servì di un mezzo piuttosto da ammirare, che da imitare. Giunto presso ad un mucchio di pietre si pose a gridare : “O che ti allontani o che ti rompo il capo”. Ciò detto, come furioso si pose con tutte le sue forze a gettar sassi contro al nemico dell’anima sua. Il compagno dopo aver riportate non leggiere contusioni nella faccia, nelle spalle e sopra la testa se ne fuggì » (G. Bosco, Il pastorello delle Alpi ovvero vita del giovane Besucco Francesco d’Argentera […], Turin, Tip. Oratorio di S. Franc, di Sales, 1864, p. 63-64). 26 « Accompagnando un giorno il suo superiore per la città di Torino giunse in mezzo ad una piazza dove udì un monello a bestemmiare il santo nome di Dio. A quelle parole parve tratto fuori di senno ; più non riflettendo né al luogo né al pericolo, con due salti vola sul bestemmiatore, gli dà due sonori schiaffi dicendo : “È questo il modo di trattare il santo nome del Signore ?”. Ma il monello che era più alto di lui, senza badare al riflesso morale, irritato dalla baia de’ compagni, dall’insulto pubblico, e dal sangue che in copia gli colava dal naso, si avventa arrabbiato sopra Magone ; e qui calci, pugni e schiaffi non lasciavano tempo né all’uno né all’altro da respirare. Fortunatamente corse il superiore e postosi paciere tra le parti belligeranti, riuscì, non senza difficoltà, a stabilire la pace con vicendevole soddisfazione. Quando Michele fu padrone di se medesimo si accorse dell’imprudenza fatta nel correggere in cutal guisa quello sconsiderato. Si pentì del trasporto e assicurò che per l’avvenire avrebbe usato maggior cautelo, limitandosi a semplici amichevoli avvisi » (G. Bosco, Cenno biografico sul giovanetto Magone Michele allievo dell’Oratorio di S. Francesco di Sales […], Turin, Tip. G. B. Paravia e Comp., 1861, p. 54).

347

348

ALESSAnDRo SERRA

Mais le jeune homme chrétien peut aussi recourir à la force s’il est témoin d’une injustice ou d’un abus contre les plus faibles. L’exemple est dans ce cas encore plus emblématique, parce que tiré directement des Mémoires personnels de Don Bosco ; il est lié au rapport d’amitié qui l’unit à Luigi Comollo : L’un avait besoin de l’autre ; moi d’aide spirituelle, lui d’aide corporelle. Comollo, en effet, en raison de sa grande timidité, n’osait même pas essayer de se défendre contre les insultes des voyous. Quant à moi, mon courage et ma force impétueuse en imposaient à tous mes compagnons, fussent-ils plus âgés et plus solides que moi. Quelques-uns s’en aperçurent le jour où ils voulurent ridiculiser et frapper le même Comollo ainsi qu’un certain Antonio Candelo, garçon débonnaire entre tous. Je voulus intervenir en leur faveur mais on n’y prêta pas attention. Un jour, voyant que l’on continuait à maltraiter ces innocents, je dis à haute voix : « Gare à vous ! Gare à qui brutalisera encore ces garçons ! ». Un nombre imposant des plus grands et des plus effrontés prirent une attitude commune de défense et de menace contre moi tandis que deux gifles retentissantes s’abattaient sur le visage de Comollo. Alors je ne me dominai plus. En moi, plus de raison, rien que la force brutale. Ne voyant rien à portée de ma main, ni chaise, ni gourdin, j’empoignai un de mes compagnons par les épaules et m’en servis comme d’un bâton pour frapper mes adversaires. Quatre d’entre eux tombèrent, culbutés à terre, tandis que les autres s’enfuyaient en criant ou en demandant grâce. Mais voilà ! Le professeur entre en classe et voyant bras et jambes battre l’air au milieu d’un vacarme de l’autre monde, il se met à crier en distribuant des gifles à droite et à gauche. L’orage allait tomber sur moi. Mais, s’étant fait raconter la cause de ce désordre, il demanda une reconstitution de la scène, ou mieux de cette épreuve de force. Puis il éclata de rire et tous avec lui. On n’en revenait pas ; si bien que le professeur en oublia la punition que j’avais bel et bien méritée27.

27 « […] L’uno aveva bisogno dell’altro. Io di aiuto spirituale, l’altro di aiuto corporale. Perciocché il Comollo per la sua grande timidità non osava nemmeno tentare la difesa contro agli insulti dei cattivi, mentre io da tutti i compagni, anche maggiori di età e di statura, era temuto pel mio coraggio e per la mia forza gagliarda. Ciò aveva un giorno fatto palese verso taluni che volevano disprezzare e percuotere il medesimo Comollo ed un altro di nome Candelo Antonio modello di bonomia. Io volli intervenire in loro favore, ma non si voleva badare. Vedendo un giorno quegli innocenti maltrattati, guai a voi, dissi ad alta voce, guai a chi fa ancora oltraggio a costoro. Un numero notabile dei più alti e dei più sfacciati si misero in atteggiamento di comune difesa e di minaccia contro di me stesso, mentre due sonore ceffate cadono sulla faccia del Comollo. In quel momento io dimenticai me stesso ed eccitando in me non la ragione, ma la mia forza brutale, non capitandomi tra mano né sedia né bastone strinsi colle mani un condiscepolo alle spalle, e di lui mi valsi come di bastone a percuotere gli avversari. Quattro caddero stramazzoni a terra gli altri fuggirono gridando e demandando pietà. Ma che ? In quel momento entrò il professore nella scuola, e mirando braccia e gambe sventolare in alto in mezzo ad uno schiamazzo dell’altro mondo, si pose a gridare dando spalmate a destra e a sinistra. Il temporale stava per cadere sopra di me, ma fattasi raccontare la cagione di quel disordine, volle fosse rinnovata quella scena, o meglio sperimento di forza. Rise il professore, risero tutti gli allievi ed ognuno facendo maraviglia, non si badò più al castigo che mi era meritato » (G. Bosco,

L’éDucATIon à LA MAScuLInITé DE GIovAnnI BoSco

L’épisode est très intéressant, y compris en raison de l’embarras qu’il suscite à l’occasion de la première réélaboration de la vie de Don Bosco et de ses mémoires, les Mémoires biographiques rédigés par Giovanni Battista Lemoyne, qui en arrive à affirmer que son goût du récit a conduit dans ce cas son père fondateur à exagérer les circonstances28. L’anecdote est toutefois très importante dans une autre perspective, celle de la place accordée à l’expérience personnelle du jeune Jean Bosco dans l’élaboration de la structure fondamentale de vie quotidienne de l’Oratoire. Quand il était jeune, il avait énormément aimé les jeux d’agilité et avait fait preuve d’une extraordinaire vitalité physique : comme il le raconte lui-même, Don Bosco aurait été un véritable funambule capable d’attirer l’attention des autres enfants, qu’il conduisait ensuite avec lui au catéchisme en marchant en équilibre sur une corde tendue entre deux arbres29. Cet usage du corps et de la force demeure fondamental dans la pratique de l’Oratoire, qui proposait, à côté du catéchisme, de l’instruction et de l’initiation au travail, de nombreuses activités physiques: tous les après-midi, comme le dit Don Bosco dans ses Mémoires, « on jouait aux boules, aux échasses, avec des fusils et sabres de bois, et avec les premiers agrès de gymnastique30 » ; pendant plusieurs années, en outre, les prêtres de l’Oratoire organisaient régulièrement des promenades à la campagne et en montagne qui avaient pour fonction de revigorer à la fois le corps et l’esprit de leurs élèves31. Il s’agit d’activités, mieux vaut le

28

29 30

31

Memorie dell’Oratorio di S. Francesco di Sales dal 1815 al 1855, éd. A. Giraudo, Rome, LAS, 2011 p. 85). G. B. Lemoyne, Memorie biografiche di don Giovanni Bosco, t. 1, S. Benigno Canavese, Scuola tipografica libraria salesiana, 1898, p. 336-338. Pour une réflexion sur ce texte qui prend en compte le rapport entre ego-histoire et représentation hagiographique, voir P. Stella, Apologia della storia. Piccola guida critica alle Memorie biografiche di Don Bosco, Dispensa poligrafata, Rome, Università Pontificia Salesiana, 1990-1991 (révision par l’auteur 1997-1998), qui souligne comme les Memorie biografiche représentent en même temps «una ricostruzione agiografica» de la vie de Don Bosco, mais aussi un « documento di un’epoca e di una mentalità » utile pour une analyse historique finalisée à la compréhension de « la fascia di cultura ecclesiastica entro cui si colloca Don Bosco » (ibid., p. 51). G. Bosco, Memorie dell’Oratorio…, op. cit., p. 64. Cf. aussi P. Stella, Don Bosco nella storia della religiosità cattolica…, op. cit., t. II, p. 32-33. « Raccolti i giovani nel prato e dato loro tempo a giuocare alquanto alle bocce, alle piastrelle, alle stampelle, etc., si suonava un tamburo quindi una tromba che segnava la radunanza e la partenza. Si procurava che ognuno ascoltasse prima la Messa e poco dopo le 9 partimmo alla volta di Superga. Chi portava canestri di pane, chi cacio o salame o frutta od altre cose necessarie per quella giornata. Si osservava silenzio sin fuori delle abitazioni della città, di poi cominciavano gli schiamazzi, canti e grida ma sempre in fila ed ordinati » (G. Bosco, Memorie dell’Oratorio…, op. cit., p. 140). Sur la place accordée par Don Bosco aux activités physiques dans sa stratégie pédagogique voir S. Pivato, « Don Bosco e la “cultura popolare”… », art. cit., p. 280-282 et, dans une perspective plus large, L. Demofonti, « Il movimento sportivo cattolico in Italia fra Ottocento e Novecento », in Giuliano Procacci storico, numéro spécial de Studi Storici, 51 (2010), p. 651-689 (sur Don Bosco, en part. p. 655) et sa riche bibliographie. G. B. Francesia, Don Bosco e le sue passeggiate autunnali nel Monferrato, Turin, Libr. Salesiana S. Giovanni Evangelista edit., 1897 ; id., Don Bosco e le sue ultime passeggiate, Turin, Libr. Salesiana S. Giovanni Evangelista edit., 1897.

349

350

ALESSAnDRo SERRA

souligner, auxquelles les prêtres participaient aussi, prenant part à tous les jeux et activités gymniques proposés aux enfants. Cet aspect est en total accord avec la représentation du prêtre qu’on retrouve constamment dans la production narrative de Don Bosco. En effet, à côté du prêtre saint homme, tout entier docilité et obéissance, lecture et prière, on retrouve le prêtre héros, prêt à mobiliser son courage et sa force physique si la situation l’exige32. Plutôt mince et pas vraiment de grande taille, mais doté d’une force étonnante, attestée par de nombreux témoignages, Don Bosco est lui-même une incarnation de ce modèle. Il s’agit d’un filon très intéressant et destiné en Italie à une fortune exceptionnelle, grâce à la réinterprétation qu’en donne Giovannino Guareschi avec son Don Camillo, dans ses romans et dans leur version cinématographique33. En revenant aux pratiques salésiennes de récréation, il ne faut pas sous-évaluer leur renvoi au lexique et à la dimension typiquement masculine et « militaire34 ». Ces derniers apparaissent parfois de manière explicite dans certains passages des écrits de Don Bosco. À propos de Francesco Besucco, par exemple, il précise : Dans les conversations et les récréations avec ses camarades, il était le plus jovial de tous. Il choisissait normalement les divertissements qui entraînaient le corps à la fatigue, en disant à ses camarades et à ses parents : – Étant destiné à partir un jour pour le service militaire, je me prépare à temps et je deviendrai ainsi, assurément, un bon bersagliere35 !

Le « soldat du Christ » Il est évident que, par le biais de cette méthode éducative, on souhaitait faire de ces enfants parfois difficiles non seulement de bons chrétiens, mais aussi des citoyens conscients de leurs responsabilités envers la « patrie », un thème qui

32 Il s’agit par exemple de curés qui n’hésitent pas à plonger dans les eaux impétueuses d’un fleuve pour sauver un jeune homme risquant de noyer ([G. Bosco], Il Galantuomo. Almanacco nazionale pel 1855, coll’aggiunta di varie utili curiosità, a. II, Turin, Tipografia dir. da P. De Agostini, 1854, p. 91-92) ou à s’offrir au peloton d’exécution en temps de guerre à la place d’un père de famille ([G. Bosco], Il Galantuomo. Almanacco per l’anno 1877. Strenna offerta agli associati alle Letture cattoliche, a. XXV, Turin, Tipografia e Libreria Salesiana, 1876, p. 39-42). 33 Pour un panorama de longue durée sur l’image du curé dans le contexte italien, voir P. Cozzo, Andate in pace. Parroci e parrocchie in Italia dal Concilio di Trento a papa Francesco, Rome, Carocci, 2014. 34 Sur le succès de ce modèle pendant les premières décennies de l’Italie post-unitaire, dans une perspective plus large, voir : G. Conti, « L’educazione nazionale militare nell’Italia liberale. I convitti nazionali militarizzati », Storia contemporanea, 6 (1992), p. 939-999 ; S. Polenghi, « Educazione militare e Stato nazionale nell’Italia ottocentesca », Pedagogia e Vita, 1 (1999), p. 105-146. 35 « Nelle conversazioni e ricreazioni coi compagni egli era gioviale quanto altri mai. Sceglieva d’ordinario quei divertimenti, che addestrano il corpo alla fatica, solendo dire ai compagni ed ai genitori : Dovendo poi partire pel militare servizio mi addestro per tempo e potrò certamente riuscire un buon bersagliere » (G. Bosco, Il pastorello delle Alpi…, op. cit., p. 47-48).

L’éDucATIon à LA MAScuLInITé DE GIovAnnI BoSco

sera d’une importance centrale dans la culture catholique italienne de la fin du xixe siècle, puis du xxe siècle. En effet c’est à partir de la dernière décennie du xixe siècle que, dans le cadre de la Jeunesse Italienne de l’Action Catholique, s’élabore une « pédagogie de guerre » spécifiquement catholique. Durant cette période, la sacralisation de la Nation devient graduellement une valeur, même pour les milieux catholiques les plus conservateurs. Ce thème imprègne de plus en plus les schémas éducatifs en renouvelant le modèle du jeune catholique « en armes », qui se révèle capable de tuer l’ennemi tout en demeurant solidement ancré à ses principes religieux, et d’autant plus fiable qu’il peut fortifier sa volonté par la plus stricte discipline de la continence. La pédagogie catholique jouera donc un rôle fondamental dans la préparation des jeunes participants aux deux guerres mondiales à travers la réac­ tualisation du modèle du miles Christi médiéval, du croisé prêt à sacrifier sa propre vie, tel un nouveau martyr, au nom d’un idéal qui est à la fois « patriotique » et spirituel36. Cet ancien modèle hagiographique, toutefois, avait déjà été réélaboré, récem­ ment, par la production littéraire liée aux milieux du catholicisme intransigeant et philo-pontifical, et notamment aux jésuites qui, à partir des années 1860, l’avaient utilisé dans la polémique anti-italienne en exaltant les soldats tombés pour la défense du pouvoir temporel de Pie IX. Parmi ceux-ci, on mettait notamment en avant les étrangers, souvent très jeunes, qui, provenant en particulier de France et de Belgique, avaient grossi les rangs des troupes pontificales37.

36 Ces thèmes sont développés de manière très approfondie principalement dans une série de recueils de travaux dirigés par Daniele Menozzi : D. Menozzi (éd.), Religione, nazione e guerra nel primo conflitto mondiale, numéro spécial de la Rivista di storia del cristianesimo, 3 [2006], p. 305-422) ; id. (éd.), La Chiesa e la guerra. I cattolici italiani nel primo conflitto mondiale, numéro spécial de Humanitas, n.s., 6 [2008], p. 900-992) ; id. (éd.), Sacrificarsi per la patria. L’integrazione dei cattolici italiani nello Stato nazionale, numéro spécial de la Rivista di storia del cristianesimo, 8 [2011], p. 3-109). Pour un panorama brillant sur ces thèmes ainsi que pour la définition de la « pédagogie de guerre », on renvoie à F. Piva, Uccidere senza odio. Pedagogia di guerra nella storia della Gioventù cattolica italiana (1868-1943), Milan, FrancoAngeli, 2015. Pour un aperçu plus général, voir F. De Giorgi, « Il soldato di Cristo (e il soldato di Cesare) », in M. Franzinelli et R. Bottoni (éd.), Chiesa e guerra. Dalla benedizione delle armi alla “Pacem in terris”, Bologne, il Mulino, 2005, p. 129-161 et la bibliographie proposée. 37 À propos des zouaves : Ph. Boutry, « Zouaves pontificaux », in Ph. Levillain (éd.), Dictionnaire historique de la papauté, Paris, Fayard, 1994, p. 1745-1749 ; J. Guenel, La dernière guerre du pape. Les zouaves pontificaux au secours du Saint-Siège (1860-1870), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1998 ; C. E. Harrison, « Zouave Stories: Gender, Catholic Spirituality, and French Responses to the Roman Question », The Journal of Modern History, 79 (2007), p. 274-305 ; J.-Ph. Warren (éd.), Les soldats du Pape. Les zouaves canadiens entre l’Europe et l’Amérique, Québec, Presses l’Université de Laval, 2015 ; B. Dumons, J.-Ph. Warren (éd.), Les zouaves pontificaux en France, en Belgique et au Québec. La mise en récit d’une expérience historique transnationale (xixe-xxe siècles), Bruxelles, Peter Lang, 2015. Concernant la dévotion qui se développe autour de ces défenseurs du pouvoir temporel du pape, T. Caliò, « Corpi santi e santuari nella Roma della seconda Restaurazione », in A. Volpato (éd.), Monaci, ebrei, santi. Studi per Sofia Boesch Gajano, Rome, Viella, 2008, p. 305-373,

351

352

ALESSAnDRo SERRA

Le romancier jésuite Antonio Bresciani exalte la mémoire de ces défenseurs des prérogatives du pontife dans un feuilleton publié pour la première fois dans les pages de La Civiltà cattolica en 1861, L’Olderico, qui célèbre le corps militaire international des zouaves pontificaux : La foi vive dans le cœur des hommes a tellement de valeur, tout comme le désir ardent d’assister au triomphe de la vérité et de la justice ; et par-dessus tout la compassion filiale pour les amertumes, le souci et les larmes du Vicaire de Christ, que les impies voudraient exterminer de la terre38 ! Ces jeunes hommes, « si blancs et délicats qu’ils semblent de petites vierges39 », sont des martyrs aux yeux de Dieu « puisqu’ils souffrent déjà de toutes les privations de la vie militaire, et se rendent aussi disponibles à verser tout leur sang dans les batailles40 ». Ils représentent un modèle du combattant : « Le soldat, qui demain ira peut-être combattre, et dans la bataille se jettera comme un lion sur l’ennemi et le tuera sans pitié, ce même soldat a un cœur affectueux, particulièrement à l’égard des enfants, avec qui il s’entretient en les caressant, leur faisant des cadeaux et jouant avec eux41 ». Dès les années 1850, nous avons aussi dans les écrits de Don Bosco de très nombreux récits concernant la vie militaire et plusieurs portraits du « soldat chrétien ». Tous ces exemples n’ont toutefois pas comme objectif spécifique d’exalter les défenseurs de l’État Pontifical, mais ils visent à soutenir une thèse plus générale et fort claire : un bon catholique peut être un bon soldat et, même si au cœur de la bataille il doit oublier la compassion humaine, il ne cessera jamais de se recommander à la Vierge et au Christ en leur demandant protection ou, du moins, la grâce de mourir en bon chrétien. De la même façon un bon soldat, s’il

38

39 40 41

en part. p. 311-318 ; L. Gruaz, « L’extraordinaire chrétien chez les Zouaves pontificaux : JosephLouis Guérin (1838-1860) mort en odeur de sainteté », Revue de l’Histoire des religions, 234 (2017), p. 485-517 ; S. Sarlin, « Combattre et mourir pour la foi. Joseph-Louis Guérin (1838-1860), séminariste, soldat du pape et “martyr” », Le Mouvement social, 264 (2018), p. 61-74. « Tanto valore ha negli umani petti una fede viva ; un desiderio acceso di veder trionfare la verità e la giustizia ; […] e sovra ogn’altro una figlial compassione delle amarezze, delle angustie e delle lacrime del Vicario di Cristo, che gli empi vorrebbero sterminar dalla terra ! » (A. Bresciani, Olderico, ovvero, Il zuavo pontificio. Racconto del 1860, Rome, coi tipi della Civiltà cattolica, 1862, p. 25). Sur le père Bresciani et ses romans, voir : G. Bolletta, « Martirio e conversione. Due temi nell’Amico della gioventù e nei romanzi di Padre Bresciani », Rivista di storia e letteratura religiosa, 16 (1980), p. 381-417 ; R. Rinaldi, « L’estrema civiltà di Padre Bresciani. Passeggiate critiche », Critica letteraria, 11 (1983), p. 27-61 ; A. Di Ricco, « Padre Bresciani : populismo e reazione », Studi storici, 22 (1981), p. 833-860 ; N. Del Corno, « Letteratura e anti-risorgimento. I romanzi di Antonio Bresciani », in Letteratura e politica. Sulla contro-rivoluzione nell’Europa del xix secolo, numéro spécial de Memoria e Ricerca, 24 (2007), p. 21-32. « Così bianchi e delicati che sembrano verginelle » (A. Bresciani, Olderico…, op. cit., p. 227). « Perocché oltre gli stenti della milizia, si offrono a versar tutto il sangue loro nelle battaglie » (ibid., p. 26). « Il soldato, che forse domani va a combattere, e in battaglia s’avventa come un lione contra il nemico e l’uccide senza pietà, il soldato è d’un cuore affettuoso, in ispezie verso i fanciulli, e gli accarezza, e li regala e si trastulla con essi » (ibid., p. 226).

L’éDucATIon à LA MAScuLInITé DE GIovAnnI BoSco

a été dûment éduqué à la foi, peut et doit rester un bon catholique, nonobstant les tentations et les occasions de péché que la vie militaire favorise et multiplie. Soutenu par l’accès le plus régulier possible aux sacrements de la confession et de l’eucharistie, le soldat du Christ sera plus fidèle à ses devoirs et plus courageux. Le personnage de Pietro dans La forza della buona educazione, ancien élève de l’Oratoire qui est enrôlé et envoyé en Crimée, représente fort bien le prototype du soldat chrétien prêt à « servir la patrie42 » – une patrie qui correspond encore au Piémont – tout en demeurant le jeune homme doux et pieux que Don Bosco propose de manière constante : C’est un fait que la vie militaire est pleine de dangers pour les bonnes âmes, et bien qu’il ne manque pas de supérieurs et de soldats qui font preuve d’une conduite exemplaire et d’un courage vraiment chrétien, en raison à la fois de l’oisiveté dont on peut jouir en temps de paix notamment, des livres et des journaux irreligieux qui sont diffusés, des conversations qu’on fait, de certains lieux et personnes qu’on est obligés à fréquenter pour les devoirs de service, il est très rare de trouver quelqu’un qui revient du service militaire avec la sainteté de vie et l’honnêteté de conduite qu’il montrait lorsqu’il a quitté la maison de son père43. À la suite de l’Unité d’Italie (1861), toute référence directe et indirecte au contexte politique et même géographique italien disparaît, mais le thème du soldat chrétien demeure un élément récurrent de l’œuvre du prêtre piémontais. Et ceci à une époque où, en raison des rapports très tendus entre l’État italien et le Saint-Siège, une vraie production littéraire édifiante destinée de manière systématique aux armées fait presque totalement défaut44. Dans le Galantuomo de l’année 1870, par exemple, un bref conte met parfaitement en lumière le lien étroit entre courage militaire et bonne conscience : Pendant la Guerre de Crimée, un colonel français avait reçu l’ordre de s’emparer d’un fortin occupé et défendu obstinément par les Russes. Il se jeta

42 G. Bosco, La forza della buona educazione…, op. cit., p. 69. 43 « Egli è un fatto che la vita militare è piena di pericoli per le anime buone, e sebbene non manchino e superiori e semplici soldati di condotta esemplare, e di coraggio veramente cristiano; tuttavia o per l’ozio che spesso si gode soprattutto in tempo di pace, o per certi libri e giornali irreligiosi che si spargono, per certi discorsi che si fanno, certi luoghi e persone, cui il proprio dovere porta di frequentare, ne conseguita che sia cosa rara trovare chi ritorni dal servizio militare colla santità di vita ed onestà di costumi con cui partì dalla casa paterna. Pietro fu fra quei pochi benedetti da Dio e favoriti dalla sua grazia » (ibid., p. 75). 44 Cette production recommence en Italie à la fin des années 1870, pour ne devenir plus nourrie qu’à partir des années 1890 (voir M. Paiano, « Religione e patria negli opuscoli per l’esercito italiano. Il cristianesimo come scuola di sacrificio per i soldati (1861-1914) », in D. Menozzi [éd.], Sacrificarsi per la patria…, op. cit., p. 7-25 ; M. Paiano, « “Amate la religione e la patria con uno stesso amore”. Declinazioni del patriottismo cattolico nei manuali religiosi per I soldati italiani tra Otto e Novecento », in A. Becker et al. [éd.], Écrire l’histoire du christianisme contemporain. Autour de l’oeuvre d’Étienne Fouilloux, Paris, Éditions Karthala, 2013, p. 103-113).

353

354

ALESSAnDRo SERRA

à l’assaut à la tête de son régiment tout excité par le courage du commandant ; puis il resta impassible au milieu d’une grêle de mitraille, comme s’il assistait à une parade ou s’il passait en revue ses troupes. Le général, émerveillé de tant de courage lui dit : Colonel, où avez vous trouvé autant de sang-froid dans des circonstances de péril si imminent ? – Mon général, répondit le colonel avec une sublime simplicité, j’ai communié ce matin45. Il s’agit, bien entendu, d’une représentation générique et apparemment assez naïve du « bon soldat chrétien ». Dans la rhétorique de Don Bosco, en effet, il est impensable de retrouver une désignation explicite de l’Italie comme « patrie », ce qui est une conséquence naturelle de son soutien indéfectible au pontife dans le cadre de la Question Romaine et du choix d’éviter toute référence au politique dans ses écrits après 1873, quand il abandonne ses dernières espérances d’un rétablissement du pouvoir temporel des papes46. Mais Don Bosco est aussi un sujet fidèle de son roi et surtout un observateur attentif de la société dans laquelle il est appelé à exercer son apostolat : ce n’est donc pas par hasard si, lorsque se produit progressivement la laïcisation des armées italiennes – qui atteint son acmé avec l’abolition de la fonction de chapelain militaire dans l’Armée de terre puis dans la Marine (1878)47 –, il continue à réserver un certain espace dans les publications dont il est le promoteur et dont il connaît très bien la capillarité de la diffusion – du moins dans l’Italie du Nord – pour un message d’évangélisation spécifiquement dédié aux jeunes conscrits, parmi lesquels, à partir de 1869, il y a aussi des clercs48.

45 « Nella guerra di Crimea un colonnello francese aveva ricevuto ordine di impadronirsi di un fortino occupato e difeso ostinatamente dai Russi. Ei si slanciò all’assalto alla testa del reggimento elettrizzato dal suo coraggio ; e rimase impassibile in mezzo al grandinar della mitraglia, come se assistesse ad una parata o passasse in rassegna le sue truppe, finché il nemico fu cacciato e la batteria ridotta a silenzio. Il suo generale, meravigliato a tanto coraggio : Colonnello, gli disse, dove avete voi preso tanto sangue freddo in mezzo ad un pericolo cosi imminente ? – Generale, rispose il colonnello con sublime semplicità, mi sono comunicato questa mattina » (Il Galantuomo. Almanacco per l’anno 1870. Strenna Offerta agli associati alle Letture Cattoliche, a. XVIII, Turin, Tip. dell’Orat. di S. Franc. di Sales, 1869, p. 32). 46 P. Stella, Don Bosco, op. cit., p. 104. Don Bosco joua toutefois un certain rôle dans les négociations entre le gouvernement italien et le Saint-Siège après l’Unité et même après la Prise de Rome de 1870 (cf. F. Motto, « La mediazione di Don Bosco fra Santa Sede e governo per la concessione degli Exequatur ai vescovi d’Italia (1872-1874) », Ricerche storiche Salesiane, 6 [1987], p. 3-79 ; id., « Orientamenti politici di don Bosco nella corrispondenza con Pio IX del triennio 1858-1861 », Ricerche Storiche Salesiane, 12 [1993], p. 9-37 ; id., « Orientamenti politici di don Bosco nella corrispondenza con Pio IX nel decennio dopo l’Unità d’Italia », Ricerche Storiche Salesiane, 19 [2000], p. 201-221). Pour un panorama plus général sur la question, M. Belardinelli, Il conflitto per gli exequatur (1871-1878), Rome, Edizioni dell’Ateneo, 1971. 47 M. Paiano, « Religione e patria… », art. cit., p. 8-9. 48 Pour l’histoire de la conscription au Piémont, puis en Italie, on renvoie à P. Del Negro, « La leva militare in Italia dall’Unità alla Grande Guerra », in id., Esercito, Stato, Società. Saggi di storia militare, Bologne, Cappelli, 1979, p. 167-261.

L’éDucATIon à LA MAScuLInITé DE GIovAnnI BoSco

Jouant un rôle qui mériterait d’être approfondi, le laboratoire salésien participe donc de manière active au retournement du modèle du soldat catholique d’abord fidèle au pape, défendu par Bresciani, et en conférant une plus nette connotation « nationale » à la représentation rhétorique du « bon soldat catholique » proposée par le fondateur. Un tel processus devient plus évident pendant les années 1880-1890, lorsque les successeurs immédiats du prêtre piémontais s’em­ ploient à développer ces thèmes de manière très explicite, comme le démontre de manière paradigmatique le roman Vita di collegio, publié pour la première fois en 1893 par Carlo Maria Viglietti, ancien secrétaire personnel de Don Bosco, et considéré comme une sorte de version catholique du célèbre roman pour l’enfance Cuore d’Edmondo De Amicis49. Dans le « petit monde » du collège, Viglietti introduit tous les aspects caracté­ ristiques du discours salésien, sur la base de sa conception des types humains et des différents modèles hagiographiques propagés. La mère du jeune protagoniste du récit, emblématiquement, prévient son fils à l’égard du panorama humain qu’il rencontrera : Le collège, mon cher fils, n’est qu’une première représentation de la scène de la société, où tous les personnages que tu rencontreras ensuite durant ta vie commencent à apparaître et à agir. Dans ce petit monde tu pourras deviner les futurs héros, les martyrs du vrai progrès, les victimes de l’intimidation, les saints et les méchants50. Ainsi, parmi les méchants, il y a Ribario promis, comme le personnage de Franti dans le livre de De Amicis, à une vie de perdition et à la maison de correction. Et puis les « saints », chacun représentant une déclinaison spécifique du modèle du jeune saint : Denina, fort et loyal, point de référence pour tous ses camarades, leader incontesté qui est aussi appelé à entrer dans les rangs de la société salésienne; Nazari, qui « semble un saint Louis», avec ses «yeux qui sont doux comme les yeux de la Mère de Dieu », et qui mérite le surnom de « Savio Domenico »; et enfin Leonelli dit le « caporale », « un vrai soldat en devenir», courageux, fier, imbattable à la course. La virilité précoce de Leonelli qui, bien qu’imberbe, se rase déjà, s’étend à ses amis et même à sa mère, dont il garde un portrait photographique qu’il a retouché en dessinant deux épées croisées, un casque et, dans un climax qui ne peut qu’apparaître comique, des

49 C. M. Viglietti, Vita di Collegio, San Benigno Canavese, Tipografia Salesiana, 1893 (on a utilisé la 7e éd. : Turin, Libreria Salesiana Editrice, 1901). Pour le rapport entre Vita di Collegio et le célèbre roman Cuore, voir M. Masoero, « Cuore : un tempio senza Dio ? », in M. Ricciardi et L. Tamburini (éd.), Cent’anni di Cuore. Contributi per la rilettura del libro, Turin, Allemandi, 1986, p. 119-128, en part. p. 119-120. 50 « Il collegio, caro figliuolo, ti rappresenta la prima scena della società ; in cui cominciano ad apparire e ad agire tutti i diversi personaggi che incontrerai nel corso della vita. Tu in mezzo a questo piccolo mondo avrai potuto indovinare i futuri eroi, i martiri del vero progresso, le vittime della prepotenza, i santi ed i malvagi » (C. M. Viglietti, Vita di Collegio…, op. cit., p. 44-45).

355

356

ALESSAnDRo SERRA

moustaches, parce qu’il dit que « de cette façon, il l’aime davantage51 ». Leonelli n’est toutefois que l’aboutissement, involontairement caricatural, d’un prototype hagiographique qui remodèle la figure du soldat- à la fois catholique et italienet qui atteindra son acmé dans l’« appel aux armes » rhétorique qui prélude à la Grande Guerre, lorsque les enfants et les adolescents seront appelés à partici­ per activement au « procès de nationalisation »52. Ce sera la Première Guerre mondiale d’ailleurs, avec son tribut de sang et son exaltation patriotique, qui fera oublier définitivement l’opposition entre « pays légal » et « pays réel » qui caractérise la lecture polémique de la société italienne opérée par les milieux du catholicisme intransigeant53. Et ceci à travers un parcours rhétorique qui passe aussi par la fusion entre le modèle hagiographique du miles Christi et le topos du soldat-héros à travers la figure, à la fois politique et religieuse, du combattantmartyr catholique54.

51 Ibid., p. 40, p. 42 et p. 44. 52 A. Gibelli, Il popolo bambino. Infanzia e nazione dalla grande guerra a Salò, Turin, Einaudi, 2005 ; D. Menozzi, G. Procacci et S. Soldani (éd.), Un paese in guerra. La mobilitazione civile in Italia (1914-1918), Milan, Edizioni Unicopli, 2010. 53 Pour une contextualisation de ce « paradigme intransigeant », voir D. Menozzi, « I gesuiti, Pio IX e la nazione italiana », in A. M. Banti et P. Ginsborg (éd.), Il Risorgimento…, op. cit., p. 451-478. 54 G. Cavagnini, « I martiri della Grande Guerra », in T. Caliò et D. Menozzi (éd.), L’Italia e i santi. Agiografie, riti e devozioni nella costruzione dell’identità nazionale, Rome, Treccani, 2017, p. 527-547. Pour une perspective plus générale dans le contexte européen, A. Becker, La guerre et la foi. De la mort à la mémoire, 1914-1939, 2e éd. revue et augmentée, Paris, Armand Colin, 1994 et à S. Lesti, Riti di guerra. Religione e politica nell’Europa della Grande Guerra, Bologne, il Mulino, 2015.

AnTHOny fAVIER 

L’écran des prêtres-ouvriers ? La masculinité sacerdotale et les milieux populaires en France (années 1930-années 1970)

Si, dans l’imaginaire et la culture populaires, le prêtre catholique est un élé­ ment très présent dans les sociétés d’Europe occidentale, les études historiques concernant le masculin sacerdotal à l’époque contemporaine sont plus rares. Il y a quelques années, l’historienne des femmes et du genre Anne-Marie Sohn pouvait encore faire le constat du relatif silence des études sur le masculin sacerdotal. Dans un bilan sur les travaux existants, elle notait que : « le rôle des hommes, et particulièrement des ecclésiastiques, est un point aveugle de l’historiographie1 ». Une partie de son appréciation est sûrement aujourd’hui dépassée. Dans le sillage des études de genre, l’intérêt pour les masculinités grandit dans les milieux scien­ tifiques et cela même dans l’histoire2 et la sociologie3 du catholicisme contempo­ rain. Mettant fin à une période de défiance mutuelle ou simplement d’ignorance, différents travaux tendent aujourd’hui à utiliser les outils épistémologiques du genre sur des objets catholiques4 et, parmi eux, celui du masculin sacerdotal. À partir de diverses études désormais disponibles, on peut commencer à établir les premiers éléments d’une mise en récit plus synthétique de la place de la masculinité des prêtres dans la France contemporaine. Si les autorités catholiques ont pu conforter au xixe siècle des rapports de genre traditionnels, les modèles proposés pouvaient être en tension avec leurs homologues laïques5. Et ceci principalement autour de la masculinité sacerdotale. Il existe des soupçons

1 A.-M. Sohn, « Histoire des hommes et des masculinités », Historiens et géographes, 394 (2006), p. 167-178. 2 P. Airiau, « Le prêtre catholique : masculin, neutre, autre ? Des débuts du xixe siècle au milieu du xxe siècle », in R. Révenin (éd.), Hommes et masculinités de 1789 à nos jours. Contributions à l’histoire du genre et de la sexualité en France, Paris, Autrement, 2007, p. 192-207. 3 J. Tricou, Des Soutanes et des hommes : enquête sur la masculinité des prêtres, Paris, PUF, 2021. 4 M. Bréjon de Lavergnée et M. Della Sudda (dir.), Genre et christianisme : plaidoyers pour une histoire croisée, Paris, Beauchesne, 2015. 5 A. Favier et C. Muller, « Genre et autorités catholiques, xixe-xxe siècles », in Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l’Europe, depuis 2018 [en ligne]. URL : https://ehne.fr/article/ genre-et-europe/les-religions-en-europe-le-sacre-du-genre/genre-et-autorites-catholiques (consulté le 21 juillet 2018). Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 357-370. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131608

358

AnThony fAvIER

de « féminisation » du clergé6 et des dénonciations de la concurrence entre les prêtres et les maris, notamment autour du sacrement de la confession, souvent diffusés par une culture d’opposition républicaine et libre-penseuse7. À l’époque contemporaine, le sacerdoce n’est pas non plus à l’abri lui-même des mutations qui affectent en général la masculinité au sein de la société8. La démocratisation des sociétés occidentales signifie, en effet, la généralisation de la conscription et, conséquemment, la diffusion d’un imaginaire plus martial de masculinité9. En France, de la Révolution jusqu’aux deux conflits mondiaux, le modèle qui renou­ velle la pratique de la masculinité sacerdotale est assurément celui de l’officier militaire. Le clergé français n’hésite pas, après la Première Guerre mondiale, à mettre en avant la posture sacrificielle du soldat, avec l’espoir calculé, il est vrai, de retrouver sa place dans la Nation après le moment anti-clérical du début du siècle10. À l’apport des guerres et des conflits, s’ajoute le poids grandissant du scoutisme qui renouvelle également le rôle et la perception sociale du prêtre. Issu du monde anglophone, le mouvement de la « muscular christianity » reconfigure, en effet, la masculinité sacerdotale en y introduisant des éléments inédits. Impor­ tés initialement en France par le monde réformé, le sport, le scoutisme ou même le camping véhiculent de nouveaux modèles pour le prêtre ainsi qu’un nouveau rapport au corps et à la nature11. C’est pourtant une autre thématique qui irrigue principalement l’historiogra­ phie de langue française. Cette dernière interprète principalement encore l’évolu­ tion du masculin sacerdotal au xxe siècle à l’aune du masculin populaire ouvrier. Quittant la soutane pour endosser le bleu de travail, mettant de côté les dévotions traditionnelles pour embrasser les combats séculiers comme ceux du syndica­ lisme, mettant parfois fin également au célibat, les prêtres ouvriers ont effectué un passage vers le masculin populaire. Cette transition est si forte qu’on l’assimile souvent à une forme d’« incorporation » et l’analyse historique se concentre beaucoup sur la « subversion » que cela représente12. Le poids mémoriel de la fin de l’expérience des prêtres-ouvriers, annoncé en 1953 pour l’année 1954, explique sûrement pourquoi le modèle de l’ouvrier a revêtu un caractère central dans l’analyse française du masculin sacerdotal. La condamnation par Pie XII

6 R. Gibson, « Le catholicisme et les femmes en France au xixe siècle », Revue d’Histoire de l’Église de France, 89 (201), janvier-juin 1993, p. 63-64. 7 C. C. Ford, Divided houses: Religion and Gender in Modern France, Ithaca, Cornell University Press, 2005. 8 A. Rauch, Le premier sexe : mutations et crise de l’identité masculine, Paris, Fayard, 2012. 9 A.-M. Sohn, « Nation et apprentissage de la masculinité. L’exemple des jeunes Français au xixe siècle », Mélanges de la Casa de Velásquez, 42 (2012) [en ligne]. URL : http:// journals.openedition.org/mcv/4622 (consulté le 21 juillet 2018). 10 L. Lagarde, Égaux comme au front ! » La Ligue des droits du religieux ancien combattant, 1914-1924-1934, Mémoire de maîtrise, Paris, Institut d’études politiques, 2014. 11 A. Baubérot, « De la vie sainte à la vie saine, hygiène et sport dans les mouvements de jeunesse protestants (1890-1914) », Études théologiques et religieuses, 87 (2012), p. 279-291. 12 Par exemple, T. Cavalin et al. (dir.), De la subversion à la religion, Paris, Karthala, 2010.

L’écRAn DES PRêTRES-ouvRIERS ?

d’une expérience perçue comme une avant-garde missionnaire a pu avoir un impact fort sur les milieux d’ouverture, la mémoire nationale et, indirectement, l’historiographie. À partir des archives du Secrétariat national de la Jeunesse ouvrière chrétienne ( JOC), mouvement d’Action catholique spécialisée organisé en France en 1927, nous souhaiterions interroger ce déplacement du masculin sacerdotal catholique vers le masculin ouvrier populaire. La JOC participe, en effet, à la « Mission ouvrière », l’organisation choisie par l’épiscopat français pour coordonner l’action des prêtres et des laïcs en charge des milieux populaires français. Le mouvement accorde également une certaine importance aux aumôniers. Ils ne sont pas stricto sensu les dirigeants mais ont une forte influence sur leur fonctionnement. Ces prêtres encadrent les groupes de paroles des jeunes et les accompagnent spirituel­ lement. Comme mouvement spécifiquement destiné aux enfants des quartiers populaires, des écoles techniques ou de la jeunesse salariée, la JOC offre donc un observatoire intéressant des liens concrets qui peuvent s’établir entre les milieux ouvriers et le sacerdoce. La JOC est en effet un des lieux de la société française industrialisée d’aprèsguerre où s’établissent des ponts entre les masculinités intra et extra-ecclésiales. À partir de cet exemple, nous voudrions nuancer le schéma d’un alignement entre masculinité sacerdotale et masculinité populaire par souci pastoral de reconquête et, ceci même, dans les milieux en charge du monde ouvrier. S’il existe une tension possible entre le sacerdoce catholique et la masculinité des garçons des milieux populaires (première partie), il y a également une forte homologie entre les masculinités d’engagement laïque ou sacerdotale qu’il ne faut pas occulter (deuxième partie). L’existence d’une pastorale des vocations au sein de la JOC témoigne que des garçons des milieux populaires consentent à la masculinité sacerdotale et y trouvent même parfois une forme d’accomplissement, en accord avec les valeurs de leur milieu, et ceci même au moment où les prêtres-ouvriers constituent l’aile marchante du catholicisme français (troisième partie).

La tension entre masculinité ouvrière et masculinité sacerdotale dans les milieux populaires Dans un numéro du périodique l’Équipe ouvrière à l’usage des jeunes militants en date de 1956, un article rapporte l’altercation entre Jean-Louis, un « jociste » (membre de la JOC), et d’autres jeunes de son âge. Ces derniers lui demandent pourquoi les prêtres sont autant à part et ne se soucient pas des jeunes des milieux populaires. Jean-Louis lui répond : Hé bien ! Voilà ce que je leur ai dit : que le prêtre avait un rôle irremplaçable, que notre vie bien sûr l’intéressait, pour qu’il l’offre à la messe, pour toutes ses prières, pour qu’il nous aide à mettre le Bon Dieu dans notre vie, mais que remplacer les parents par des garderies d’enfants, ou s’occuper des

359

360

AnThony fAvIER

vieilles dames qui s’ennuient ou diriger un camp de vacances c’est un peu secondaire13. Cet extrait, à qui il ne faudrait pas donner une valeur trop générale, a toutefois le mérite de nous mettre sur la piste des conceptions du sacerdoce à la JOC et dans les milieux populaires des années 1950. Dans le mouvement de jeunesse chrétien, le sacerdoce est encore estimé. Le prêtre a « un rôle irremplaçable », il permet de « mettre le Bon Dieu dans [sa] vie ». Il ne doit pas être un simple animateur de jeunesse selon le modèle bien connu alors du « vicaire de patro[nage]14 » (un prêtre ordonné récemment pour être assistant du curé de la paroisse en charge des œuvres sportives ou de jeunesse). Cet attachement jociste à la masculinité sacerdotale montre l’importance que revêt l’aumônier au sein des mouvements. Il n’est pas un animateur d’œuvres. Si la messe qu’il célèbre garde une valeur sacrificielle (« il offre à la messe »), le prêtre est également un éducateur qui fait grandir les militants. Du côté des jeunes détracteurs du jociste, il s’agit d’une autre conception. À travers la réponse faîte par le militant apparaît en effet une critique : le monde des prêtres est associé à celui des femmes, principalement âgées, et des jeunes personnes. Depuis longtemps, les soupçons de « féminité » des prêtres existent en raison de leur absence de famille et de sexualité ainsi que leur proximité avec les femmes et les enfants. Pour l’historien Paul Airiau, cette thématique reflète la distance entre les masculinités populaire et bourgeoise : Les regards sur les prêtres montrent [l’] ambiguïté de la masculinité sacerdotale dont la construction diverge de celles des autres hommes. […] Le prêtre diffère du Français. Son vêtement lui est consubstantielle, l’apparence dit et fait être. […] Il est l’homme du juste milieu, de l’ascèse raisonné et raisonnable proche des couches intermédiaires assumant la stabilité des bourgeois de province. […] [Le sacerdoce] propose une masculinité plus abstraite. Mais cette masculinité peut être associée à une sensibilité féminine15. À moins d’attribuer des qualités inhérentes à tel ou tel genre, il est délicat sur la question de la « féminisation » d’avoir une analyse simple. Il convient plutôt de distinguer les controverses sociales, nourries en partie par le camp anticlérical, la perception des acteurs eux-mêmes et ce qui relève également de divergences d’appréciation de ce qui est féminin ou masculin entre les milieux sociaux. L’association du prêtre au monde des femmes et de l’enfance n’est pas un fait en soi, mais une construction dans une société à un moment donné. Ce thème fait en tout cas l’objet d’une ré-appropriation par toute une litté­ rature militante catholique de l’entre-deux-guerres. Il n’est pas étonnant d’en 13 Équipe ouvrière, 61 (1956). 14 Y. Tranvouez, « Un type sacerdotal : le vicaire de patro », in G. Cholvy (éd.), Sport, culture et religion. Les patronages catholiques (1898-1998), Brest, Centre de recherche bretonne et celtique, 1999, p. 305-322. 15 P. Airiau, « Le prêtre catholique… », art. cit.

L’écRAn DES PRêTRES-ouvRIERS ?

trouver des échos dans les bulletins jocistes. On le retrouve également par exemple dans les écrits de Georges Michonneau (1899-1983). Ce dernier est curé d’une paroisse d’un quartier populaire à Colombes (une commune de la petite couronne parisienne). Il y expérimente différents moyens pour revitaliser la pratique. Michonneau est convaincu qu’il faut renouveler le modèle paroissial en le rendant plus « missionnaire » et cela signifie pour lui plus masculin. Dans son essai de 1945 Paroisse, communauté missionnaire, il déplore en effet que depuis un demi-siècle, les prêtres se sont consolés de la perte d’un royaume par la conquête d’un autre : ne pouvant avoir les hommes, on s’est attaqué à grouper les femmes, ne pouvant pas avoir les adultes, on a cherché à atteindre les jeunes ; et comme les jeunes gens sont encore difficiles à atteindre ; on s’est rabattus sur les enfants. Ils offrent un domaine presque certain : c’est un royaume assuré16. Le « dimorphisme » de la pratique religieuse17, qui est un fait perçu par les acteurs catholiques avant même l’essor de la sociologie religieuse du chanoine Boulard dans les années 1930-196018, est une déploration ecclésiastique courante à l’époque contemporaine. La reconquête spécifique des jeunes adultes devient même un des objectifs missionnaires de la pastorale catholique de l’entre-deuxguerres19. Georges Michonneau propose en tout cas un raisonnement au diapason des préoccupations de son époque. Il révèle également la hiérarchie qu’il établit entre les genres et les générations. La partie la plus estimée de la population est constituée, si on le suit, des hommes adultes qui forment le public précieux que l’Église aurait perdu, devant les femmes, les adolescents et les enfants. Ce faisant, il avalise le thème d’une crise catholique provenant de la perte des hommes et le souci, en creux, de reviriliser, si ce n’est le sacerdoce, l’univers, du moins, des pratiques catholiques. Négligeant le fait que de nombreux groupes de genre mas­ culin sont mobilisés par l’institution depuis le 19e siècle, en dehors des pratiques cultuelles, par exemple dans les paraliturgies comme les processions, dans l’Action catholique, dans les syndicats ou dans les ligues, le Père Michonneau révèle en tout cas une thématique qui irrigue plus ou moins consciemment toute une littérature missionnaire. Dans ce type d’analyses, la faiblesse du modèle paroissial, et du sacerdoce sur lequel il repose, proviendrait d’une coupure qui s’établit avec

16 G. Michonneau, Paroisse, communauté missionnaire : conclusions de cinq ans d’expérience en milieu populaire, Paris, Le Cerf, 1946, p. 46. 17 C. Langlois, « “Toujours plus pratiquantes.” La permanence du dimorphisme sexuel dans le catholicisme français contemporain », Clio. Histoire, femmes et société, 2 (1995) [en ligne]. URL : http://journals.openedition.org/clio/533 (consulté le 21 juillet 2018). 18 C. Sorrel (dir.), Des Chiffres et des cartes. Approches sérielles et spatiales en histoire religieuse : les « Matériaux Boulard « trente ans après, Lyon, Réséa-Larhra, 2013. 19 Voir É. Fouilloux, « Femmes et catholicisme dans la France contemporaine », Clio. Histoire, femmes et société, 2 (1995) [en ligne]. URL : http://journals.openedition.org/clio/498 (consulté le 21 juillet 2018) et ses analyses sur la pastorale de l’entre-deux-guerres.

361

362

AnThony fAvIER

le groupe des hommes adultes, ceux des milieux populaires étant parés de la plus grande valeur dans les programmes de reconquête missionnaires. Cet appel à un sacerdoce proche des milieux adultes, et parmi eux les ouvriers, porté par une avant-garde de séminaristes, de religieux et de prêtres expérimenta­ teurs dans des paroisses de grandes villes industrielles, ébranle assurément ce que Paul Airiau caractérise comme « le modèle tridentino-sulpicien du prêtre20 ». Ce dernier a certes pu s’adapter mais, jusque dans les années 1960, il connait une relative stabilité. L’institution peut encore valoriser le « bon prêtre, homme du culte, disponible à tous, faisant le bien, mobilisant les militants, à l’identité tran­ quillement installée21 ». Après la Deuxième Guerre mondiale le prêtre français type dans les représentations, rappelle-t-il, est l’« Abbé Pierre » (de son vrai nom Henri Grouès) (1912-2007). Ce dernier arbore des éléments en rupture : une veste et un ceinturon militaires par exemple. Ils se combinent, toutefois, plus classiquement, avec la soutane. Parce qu’elle a induit une rupture très visible, repérable jusque dans la culture populaire, et qu’elle a abouti à une crise retentissante en 1953-1954, l’expérience des prêtres au travail, qui s’amorce dans certaines congrégations religieuses, mais également autour du séminaire de Lisieux ou de la Mission ouvrière de Paris dès les années 1940, a pourtant le plus retenu l’attention des analystes de l’époque. Par exemple, pour Charles Suaud et Nathalie Viet-Depaule : [Les prêtres-ouvriers] ont expérimenté très concrètement à travers l’expérience de la transformation de leur corps de prêtres, d’ordinaire protégé des aléas de la vie de travail et de la pauvreté, en corps d’ouvriers directement exposés à la dureté du monde et de l’usine et des conditions difficiles de la vie ouvrière durant les années d’après-guerre22. En opérant une coupure avec le monde paroissial centré sur la liturgie et associé aux œuvres du patronage, les prêtres au travail ont déplacé de manière très visible l’idéal sacerdotal tridentin hérité. Pour Yann Raison du Cleuziou, on peut même lire en termes de genre et de classe toute l’évolution de la vie sacerdotale française en fonction de l’expérience des prêtres ouvriers : Jusque dans les années 1940, le renoncement au monde est la voie privilégiée pour s’emplir de Dieu. Les prêtres sont des hommes à part, d’un genre particulier, par leur appartenance sexuelle et par les nécessités de l’identité ascétique. La renonciation au monde et à la sexualité est la condition d’un accès privilégié à Dieu. Le désir d’une partie des séminaristes d’assumer une condition masculine ordinaire se situe au croisement de toutes les attentes, qui

20 P. Airiau, « De Trente aux Trente Glorieuses », dans ce volume. 21 Ibid. 22 C. Suaud et N. Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers : une double fidélité mise à l’épreuve, 1944-1969, Paris, Karthala, 2004.

L’écRAn DES PRêTRES-ouvRIERS ?

travaillent les élites cléricales et les militants catholiques des années 1940 aux années 196023. L’historiographie semble donc avoir intériorisé l’idée qui a inspiré toute une pastorale : il y aurait une coupure entre les milieux populaires masculins et l’état de vie sacerdotal que seul le passage au travail salarié et, pour les plus devanciers, le concubinage permettaient d’abolir. Néanmoins, cette modélisation, aussi pertinente et éclairante à son échelle soit-elle, néglige peut-être que, pour une partie du monde catholique, même populaire, il n’existe pas forcément une distance infranchissable entre le monde des hommes et le monde des prêtres, surtout s’ils sont militants et aumôniers d’Action catholique.

La convergence possible entre un militantisme laïque ouvrier et une masculinité d’engagement catholique La perméabilité entre masculinité sacerdotale et masculinité ouvrière est plus visible si on prend en compte l’importance de la culture « militante » très vivace dans les milieux populaires de la France des Trente Glorieuses. C’est l’engagement qui établit un pont entre sacerdoce et monde ouvrier. Il n’y a pas beaucoup de différence entre une vie militante pour la classe ouvrière et l’engagement pour l’Église catholique dans les modèles de masculinité offerts aux jeunes garçons de la JOC. Disparu subitement dans un accident de voiture en 1969, alors qu’il était président de la JOC depuis un an, Michel Moreaine voit sa vie déclinée en bande dessinée par le mouvement. Les illustrations suivantes tirées de ce document procèdent d’une pédagogie de l’exemple. Elle est courante à la JOC comme dans d’autres mouvements catholiques. L’espoir de diffuser un modèle aux jeunes garçons de l’organisation en utilisant un médium adapté à leur âge est évident. Cela s’inscrit dans une série de stratégies pour diffuser à « la masse » des mo­ dèles d’engagement et de masculinité en conformité avec la doctrine de l’Église catholique. L’héroïsme militant est ici présenté à travers les grandes étapes de la vie de Michel avec laquelle un adolescent peut s’identifier : l’enfance dans une famille ouvrière, la fin des études et la découverte difficile du monde du travail, les premiers pas dans le militantisme, etc. Au cours de l’histoire, on retrouve le héros dans la création d’un foyer de jeunes travailleurs ou dans l’organisation de meetings de soutien aux militants catholiques brésiliens victimes de la dictature des généraux. Dans ces vignettes, les codes de la masculinité populaire ne sont pas vraiment en opposition avec celles des prêtres. Le militantisme laïque ressemble même, à

23 Y. Raison du Cleuziou, « Y. Raison du Cleuziou, « Devenir homme parmi les hommes. Révolution ascétique et redéfinition de la virilité sacerdotale au milieu du xxe siècle », in M. Bréjon de Lavergnée et M. Della Sudda (dir.), Genre et christianisme…, op. cit., p. 229-250.

363

364

 

AnThony fAvIER

 

Figs 1a–1b. Extraits de la bande-dessinée « Au service des jeunes travailleurs : Michel Moreaine », après 1969, sans auteur, Archives départementales des Hauts-de-Seine, 44 J 745.

certains égards, à la masculinité sacerdotale. Le jeune homme se sent ici appelé à accomplir une forme de vocation dans la JOC (« je crois que par elle, c’est le Sei­ gneur qui m’appelle pour me mettre au service des jeunes travailleurs »). L’obla­ tion de soi pour les autres et la justice est très soulignée. Ce militant, comme le prêtre, n’a pas de vie privée ou, du moins, on ignore tout de sa vie amoureuse et affective dans le récit illustré. Sa famille est plutôt le monde des camarades du syn­ dicat ou de l’atelier. D’ailleurs, dans les bulles, les femmes sont quasi inexistantes à l’exception de celles qui portent sur la famille et l’enfance. Entre un prêtre et un militant, à l’exception du monde de la liturgie, de l’ascèse spirituel ou de la posture d’enseignement, il y a encore beaucoup d’homologies. C’est justement le critère du contrôle de soi dans la vie affective et sexuelle qui est souvent utilisé pour dresser le constat d’une distance entre les masculinités sacerdotale et populaire. Cela d’autant plus mobilisé que l’on estime que, la moitié des prêtres condamnés en 1954 environ, ont quitté le sacerdoce pour se marier et avoir une famille24. Or l’appel à la tempérance sexuelle des garçons est un des traits significatifs de la valorisation d’une masculinité catholique dans les supports de la JOC. Les « faits de vie » sont de courtes vignettes proposées à la lecture dans les bulletins des mouvements. Glanés au sein des groupes de paroles appelées « révision de vie » par les responsables, ils sont le moyen de faire passer la « ligne » du mouvement toujours à travers une pédagogie de l’exemple. En

24 C. Suaud et N. Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers, op. cit.

L’écRAn DES PRêTRES-ouvRIERS ?

1959, concernant le flirt et le mariage, on peut découvrir le fait de vie suivant. Il rapporte la façon dont se positionne un militant responsable de groupe face aux propos de ses camarades sur le flirt et les filles : Jeannot est récemment rentré de l’armée où il était engagé dans la marine. Il n’hésite pas à le proclamer : « Les filles sont toutes des g… » Souvent, le lundi matin, Alain me dit : « Samedi, en sortant du bal, j’ai conduit ma petite à l’hôtel ne pouvant l’amener chez moi à cause de mes parents ». Je ne suis pas d’accord avec leur comportement parce que militant et chrétien. J’ai essayé de faire réfléchir Alain sur son attitude, sans grand résultat d’ailleurs. Pour lui, c’est normal, faut en profiter, il n’y a pas de mal. Mon boulot consiste à leur faire découvrir le vrai amour, celui du Christ25. Le jociste « parce que militant et chrétien » est ici appelé à se tenir à distance du commerce affectif et sexuel des jeunes de son âge. L’historien du salariat populaire Xavier Vigna souligne toutefois qu’il a toujours existé un « rigorisme ouvrier26 ». Ce dernier peut-être encore plus renforcé au sein des forces organisées du « mouvement ouvrier » ou bien des groupes idéologiques situés à gauche politiquement27. Si, à l’atelier, la masculinité passe par l’affichage d’un rapport décomplexé, souvent de manière verbale et sur un mode grivois, à la sexualité, il s’agit surtout d’une « une culture d’opposition » à la supposée pudibonderie bourgeoise. Mais, dans d’autres contextes, c’est aussi la bourgeoisie qui est vue comme ayant un rapport pathologique au sexe ou voulant pervertir la supposée pureté des milieux populaires28. Dans un mouvement comme la JOC joue enfin peut-être un dernier facteur : la valorisation proprement catholique de la « continence » au nom d’exigences spirituelles. Claude Langlois a bien montré comment l’éthique sexuelle catholique repose, pour les laïcs en couple comme pour les prêtres, par une valorisation symétrique d’une morale du contrôle de soi29. Dans certaines circonstances, elle a même pu être réappropriée comme le marqueur positif et paradoxal d’une masculinité catholique30. Il n’est donc pas étonnant de retrouver la JOC comme un mouvement engagé dans des campagnes de « moralisation » du bal dans les années 1950, d’appel à la tempérance quant à la pratique du flirt dans les années 1960 et prendre position, en 1968, en faveur de l’encyclique Humanae Vitae (qui interdit le recours aux contraceptifs chimiques aux couples catholiques mariés)31.

« Les Filles, comment les aimons-nous ? », La Militante, 90 (1959). X. Vigna, Histoire des ouvriers en France au xxe siècle, Paris, Perrin, 2012, p. 105. T. Bouchet, Les Fruits défendus : socialismes et sensualité du xixe siècle à nos jours, Paris, Stock, 2014. X. Vigna, Histoire des ouvriers…, op. cit. C. Langlois, Le Crime d’Onan : le discours catholique sur la limitation des naissances, 1816-1930, Paris, Les Belles lettres, 2005. 30 C. E. Harrison, « Zouave stories : gender, catholic spirituality, and French responses to the Roman question », The Journal of Modern History, 79 (2007), p. 274-305. 31 A. Favier, « Les Jeunes catholiques de la Jeunesse ouvrière chrétienne face à la “révolution sexuelle” des années 1970 en France », Vingtième siècle, 134 (2017), p. 101-113.

25 26 27 28 29

365

366

AnThony fAvIER

La JOC offre donc l’exemple d’une possible convergence entre masculinité populaire et masculinité catholique sans que le prêtre ne constitue forcément un repoussoir ou un contre-modèle. Bien plus, la masculinité sacerdotale peut-être valorisée mais sur un registre toutefois assez différent de ce qui se fait dans le mouvement des prêtres ouvriers.

Une masculinité catholique d’engagement mettant à distance le modèle du prêtre-ouvrier Dans le bulletin jociste Équipe ouvrière à destination des militants, un article de 1971 présente ainsi les vocations : Le Christ appelle chacun d’entre nous à une tâche précise et irremplaçable dans l’avancée de son peuple. Pour certains, ils seront militants ouvriers, mariés ou célibataires ; pour d’autres, ils se consacreront davantage à l’apostolat. D’autres encore seront appelés à être prêtres pour donner une dimension nouvelle à tout ce qui se vit dans le monde ouvrier32. La valorisation du sacerdoce montre ici la relative continuité qui s’établit dans un mouvement comme la JOC malgré la « crise catholique » (1965-1978) qui éclate en France. Ce moment de contestation du catholicisme français s’est en effet caractérisé, entre autres, par la remise en cause du sacerdoce notamment au­ tour du groupe « Echanges et Dialogues 33 ». Lors des consultations de l’épiscopat sur le ministère ordonné en 1969, la JOC a pu faire part de son enthousiasme sur la recréation du diaconat permanent et les difficultés du célibat pour les prêtres, qui cristallisait alors le plus les tensions. Cependant le loyalisme à l’égard de l’institution a toujours prévalu et sont toujours aménagés, dans les bulletins du mouvement, des articles ou des encarts sur les vocations à l’instar de celui présenté ici. En réalité, dès l’entre-deux-guerres, les aumôniers jocistes, relayés par les évêques, ont compté sur les mouvements d’Action catholique spécialisée pour pal­ lier des vocations qui s’essoufflaient dans les diocèses. Après le concile Vatican II, la réorganisation du cursus pour devenir prêtre aboutit en France à la création d’un parcours spécifique de premier cycle pour les jeunes hommes au travail. En 1972, les GFO (groupes de formation ouvrière) permettent à des jeunes gens intéressés par la vocation de se former durant des weekends, tout en poursuivant leurs activités professionnelles, et ainsi approfondir leur discernement. Une en­ quête interne à la JOC de 1978 rapporte ainsi que 23 permanents jocistes en 1974 et 15 permanents en 1976 (sur une quarantaine) sont inscrits en GFO34.

32 « Jeunes du monde ouvrier et sacerdoce », Équipe ouvrière, 209 (1971). 33 D. Pelletier, La Crise catholique : religion, société, politique (1965-1978), Paris, Payot, 2001. 34 D’après le document « l’Appel au ministère presbytéral » présenté à la Session nationale 1978 de la JOC et conservé aux Archives départementales des Hauts-de-Seine (Nanterre) à la côte 44 J 1427.

L’écRAn DES PRêTRES-ouvRIERS ?

Si cela ne signifie pas qu’ils vont devenir prêtres, cela témoigne toutefois du nombre important de jeunes engagés nationalement à la JOC qui s’interrogent parallèlement sur la possibilité d’une vocation sacerdotale. Dans l’au-delà de la crise catholique des années 1970, marquée par le départ de nombreux prêtres, un certain nombre de militants choisissent donc de s’engager au sein du GFO. Cela montre qu’il existe des espaces d’engagement catholique, même dans les milieux populaires, qui continuent de valoriser un état de vie sacerdotal. Ce dernier est conçu comme une voie d’accomplissement masculine spécifique sans se réduire à une masculinité populaire militante. Plus qu’une tendance au rapprochement, jusqu’à l’assimilation, entre la mas­ culinité sacerdotale et la masculinité ouvrière, sur le modèle des prêtre ouvriers, les cadres de la JOC valorisent plutôt une masculinité catholique d’engagement au sein de la « mission ouvrière » pensée comme commune aux prêtres et aux laïcs. Mais ils cherchent toujours à préserver la spécificité de chaque état de vie. Dans cette configuration de discours, l’appel à l’engagement des laïcs et des prêtres est « nivelé » dans une sorte de modèle égalitaire de vie où chacun apporte sa particularité. « Bâtir l’Église en classe ouvrière » ou « être solidaire de l’édification de l’Église dans la classe ouvrière » sont des expressions courantes dans les articles des bulletins jocistes abordant ces thématiques. Cette littérature vocationnelle dessine un engagement dans une cause supérieure commune qui préserve l’autonomie du laïcat. L’héroïsme d’un prêtre-ouvrier, capable, par son sacerdoce vécu sur un mode virtuose, de porter l’engagement missionnaire a toujours été en effet regardé avec circonspection, si ce n’est négativement, par les responsables jocistes. Ils lui préfèrent nettement un discours plus consensuel sur la complémentarité des états de vie. À l’origine de ces conceptions, on trouve assurément le père Georges Guérin (1891-1972) qui a organisé la JOC-F en France. Ce dernier a gardé un poids important dans la vie des mouvements même après son départ de l’aumô­ nerie nationale en 1950. Georges Guérin était en effet plutôt critique devant la poussée du modèle du prêtre-ouvrier dans le catholicisme français à partir des années 1940. Et dans ses différents écrits d’après-guerre, il maintient toujours cette ligne, notamment dans la lettre aux aumôniers, les sessions qu’il organise et sa correspondance. Voici ce qu’il écrit à propos des prêtres-ouvriers dans un entretien de 1958 : Au lieu de voir [après-guerre] la nécessité accrue d’un laïcat organisé, omniprésent, fortement engagé dans la vie profane et dans la vie ecclésiale, à cause [d’une] erreur de perspective, bon nombre de prêtres (et parmi les plus généreux) se mirent à douter de tout ce qui s’était fait avant-guerre, à penser que tout cela était dépassé. Cette rumeur court le pays et les séminaires. Elle détourne, un certain temps, des jeunes prêtres d’étudier l’Action catholique « qui est l’Ancien Testament ». On prône le témoignage direct, la parole du Christ annoncée telle quelle, c’est l’époque des chemins de Croix sur les

367

368

AnThony fAvIER

boulevards et le début du faux romantisme dont on auréolait déjà les prêtres ouvriers35. À l’action missionnaire des prêtres ouvriers d’après-guerre « sur les boule­ vards », le premier aumônier national de la JOC oppose l’engagement renforcé d’un laïcat formé. Austère dans sa vie, vêtu d’une soutane, attaché aux dévotions traditionnelles (bréviaire, récitation du chapelet), présent chaque été à Lourdes, tutoyant les garçons et vouvoyant les filles, Georges Guérin « performait » dans sa propre vie une masculinité sacerdotale des plus traditionnelles36. Il voulait faire confiance aux laïcs pour accomplir leur engagement sur le terrain séculier et semblait assez peu sensible aux discours qui reprochaient aux prêtres leur manque de proximité avec la masculinité populaire sur le plan privé ou en termes de comportement. Georges Guérin pensait sûrement que, par une attitude correcte ne passant pas nécessairement par le travail salarié ou l’abandon du costume sacer­ dotal, on pouvait abolir la distance psychologique ou sociale qui existait entre les jeunes gens et les prêtres. Il était également sensible au fait que le sacerdoce au travail s’exerçait au détriment du laïc militant à qui le prêtre ouvrier prenait ce qui faisait sa spécificité (l’action dans les réalités temporelles) pour l’ajouter à ce dont il avait déjà le monopole dans l’institution (la formation, les études, le droit d’exercer la liturgie). C’est ce constat, très attentif à ce qu’a apporté l’Action catholique spécialisée au laïcat dans l’entre-deux-guerres, qui explique la mise à distance par les aumôniers jocistes, en général, et l’abbé Guérin, en particulier, de l’expérience des prêtres et religieux au travail. Au pôle des prêtres-ouvriers, on peut donc opposer, dans la France des Trente Glorieuses, un autre pôle, également aux contacts des milieux populaires, mais sensible à la défense d’un sacerdoce conçu de manière plus traditionnelle. Pour certains hommes catholiques, même au contact des milieux ouvriers, être prêtre avec tout ce que cela induit, n’était pas forcément vécu comme un frein à son action pastorale. En utilisant les mots de la sociologie, on peut écrire que la mas­ culinité sacerdotale, loin d’être « dominée » par la masculinité « hégémonique » de la société laïque (et celle des ouvriers en particulier qui disposent de la force physique), est aussi « complice », donc enviable pour de jeunes gens, dans le sens où elle peut conforter l’autorité des prêtres dans l’Église et sur la communauté37. 35 Retranscription d’un entretien réalisé en 1958 et conservé dans le Fonds Guérin du Centre national des Archives de l’Église de France (CNAEF) à la côte 53 CO 127. 36 P. Pierrard, Georges Guérin : une vie pour la JOC, Paris, L’Atelier, 1997. 37 En effet, si on utilise les outils d’analyse issus de la sociologie des masculinités telle que l’a élaborée R. Connel, Masculinities, Berkeley, University California Press, 2005. L’historiographie de langue française a été tentée d’assimiler très vite le masculin sacerdotal à un masculin « subordonné » peut-être pour le xixe siècle. Or la sociologue australienne se donne comme but d’identifier, dans chaque période historique ou chaque société, une « masculinité hégémonique ». Cette dernière est définie comme une « configuration des pratiques de genre […] qui garantit la position dominante des hommes et la subordination des femmes » (p. 77). À partir de cette forme dominante de masculinité, Connel identifie également différentes formes de masculinités « connexes ». Ces dernières peuvent être « complices » lorsque des hommes participent ou légitiment la masculinité

L’écRAn DES PRêTRES-ouvRIERS ?

Il n’est d’ailleurs pas dit que les prêtres ouvriers aient perdu la liaison avec une institution perçue comme trop riche et puissante qu’ils dénonçaient en passant au travail malgré leur discours d’enfouissement au plus près des réalités populaires. Bien au contraire, ils l’ont reconfiguré dans une forme d’avant-garde estimée dans une partie de l’Église et auréolée d’un fort prestige dans la société surtout après la condamnation. De même, pour des jeunes gens comme les militants JOC, à l’instar de ce qui se vit sûrement dans le scoutisme, dans d’autres mouvements de jeunesse38 ou bien encore dans l’expérience post-conciliaire des prêtres fidei donum vers des pays en développement, les prêtres restent des modèles d’accom­ plissement personnel car d’autorité et de leadership. Ils sont loin d’être vus comme ayant seulement une masculinité diminuée ou en crise même s’ils se confortent au modèle plus traditionnel « tridentino-sulpicien » type Abbé Guérin. Devenir prêtre pour être aumônier d’Action catholique, cela peut également signifier acquérir une carrière enviable pour un jeune catholique issu d’un milieu populaire de l’entre-deux-guerres et d’après-guerres. Cela consiste à être au contact de la jeunesse, des défis de son temps et peut également apporter le sentiment de se situer dans l’aile marchante du catholicisme. *** Dans cet article, nous avons voulu évaluer la pertinence de l’analyse historique dominante du devenir de la masculinité sacerdotale des années 1930 à nos jours en France. Celle-ci a surtout été établie à partir de l’expérience, somme toute minoritaire, des prêtres-ouvriers ou des religieux au travail. Pour des raisons didactiques ou théoriques, si ce n’est un peu idéologiques, les analyses sont parfois tentées de souligner fortement l’opposition entre masculinités laïque et sacerdotale notamment en se cristallisant sur les liens du prêtre à l’Église à travers les dévotions, la liturgie, la paroisse et ses œuvres ; le critère de la continence de l’existence d’une famille ; et, enfin, du travail salarié. Différents éléments que l’expérience des prêtres-ouvriers est venue remettre en cause. Une étude de cas à partir d’un mouvement d’Action catholique spécialisée comme la JOC permet de nuancer cette mise en récit. Il existe des homologies entre les masculinités ouvrière et sacerdotale. Au sein même du mouvement ouvrier, il peut s’établir une proximité entre la culture catholique et l’idéal d’engagement au sein d’organisa­ tions syndicales ou autres. Enfin, la masculinité ouvrière n’a pas toujours été vécue comme un défi à celle des prêtres catholiques. Il a existé des poches de résistance d’une masculinité sacerdotale conçue plus traditionnellement au mouvement de

hégémonique, sans toutefois en bénéficier ou la réaliser pleinement. Les masculinités peuvent être également « subordonnées » lorsqu’elles sont culturellement exclues de la masculinité hégémonique en tant que figure repoussoir. Enfin, il existerait des masculinités « marginalisées » car soumises à l’emprise de la masculinité hégémonique. 38 C. Melebeck, « Le prêtre-éducateur, un homme engagé ? Les motivations des aumôniers scouts et guides en Belgique francophone (1945-1960) », intervention aux journées d’études Qu’est-ce qu’un homme chrétien ? Masculinités et engagements, Paris (Labex EHNE), 12 juin 2018.

369

370

AnThony fAvIER

sécularisation voulue pour des raisons de reconquête missionnaire. Pour certains hommes, même au contact des milieux populaires, être prêtre, avec tout ce que cela induisait, n’était pas forcément vécu comme un frein à leur action pastorale. Même si le modèle du prêtre aumônier catholique entre également en crise, notamment sur le plan vocationnel, dans l’au-delà des années 1960, on ne peut pas, c’est du moins ce que nous avons voulu démontrer, analyser le devenir du masculin sacerdotal à partir de l’histoire seule des prêtres au travail.

jOSSELIn TRICOU 

Priestly masculinity in French cinema (1944-2014)

For half a century, Catholicism has been undergoing a process of exculturation in France1. That is to say, since the 1950s and 1960s, there has been an unravelling of the tie between Catholic culture and the civilization it helped to shape for centuries2. Given the significant decline in the number of priests, it is reasonable to imagine that a majority of the population have never met one. But the figure of the priest remains available and activable in the collective imaginary. Indeed, President Nicolas Sarkozy mobilized this figure, and even ranked priests above primary-school teachers, in his famous speech at the Lateran Palace in Rome in 2007. No less tellingly, the figure of the priest still has currency in French media culture3, as was evidenced in “mainstream” film in May 2014. Two films were released in cinemas that month that offered two apparently opposing visions of priests. Philippe de Chauveron’s comedy Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu? presents an effeminate priest (played by Loïc Legendre) who socializes exclusively with women, giggles incessantly instead of laughing heartily like “a real man”, sings in a high-pitched voice, and shops compulsively on the Internet for clothes – or vestments, to be more exact. He is the embodiment of the “sacristy queen”, to invoke an expression used in certain ecclesiastical circles. Natalie Saracco’s drama La mante religieuse, for its part, presents a version of the priest that is ultimately untenable, even though the director is an avowed Catholic convert and her film is in many respects an apologia. Despite wearing a Roman collar – the “priest’s condom”, as some “progressive” Catholics call it – actor Marc Ruchmann portrays a hypervirile heterosexual man (a sporty type, with three-day stubble and a leather jacket); when he reluctantly discovers that he is both desiring and desired, he falls into a despair that leads to a fatal (and possibly suicidal)

1 This chapter is a translation and adaptation of the article originally published in French : J. Tricou, « Le prêtre imag(in)é, une émasculation symbolique du clergé dans le cinéma français ? », Genre en série, 4 (2016), p. 34-57. 2 D. Hervieu-Léger, Catholicisme, la fin d’un monde, Paris, Bayard, 2003. My translation. 3 Cf. É. Maigret et É. Macé, Penser les médiacultures. Nouvelles pratiques et nouvelles approches de la représenation du monde, Paris, Armand Colin, 2005. Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 371-392. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131609

372

JoSSELIn TRIcou

motorbike accident. Excessive feminization vs hypervirility, non-acceptance of homosexuality vs a mushrooming and hypertrophied heterosexuality? In either case, the priest is reduced to individual failings related to the atypicality of gender and sexuality that the priestly ideal represents. As with the figure of the Islamist terrorist in post-9/11 American rhetoric4, the attribution of gender and/or sexual deviance to the figure of the priest in mainstream culture is part of a process of othering, and casts suspicion on clerical bodies. This attribution no doubt also, and by contrast, contributes to the disciplining of male bodies, and indirectly constitutes a good barometer of hegemonic masculinity or current “normaleness”. Has the last half century witnessed a trend towards the symbolic emasculation of Catholic clergy in social representations? By symbolic emasculation, I mean – not without awareness that I am ironically invoking a masculinist concept – a process of symbolic disqualification: an otherization of clerical masculinity as society represents it to itself within the cultural space of masculinities, and at the same time a demotion of individuals who embody that clerical masculinity within the intra-masculine social hierarchy of gender. That is the hypothesis that this contribution will seek to test by exploring how French cinema has thematized the masculinity of priests since the post-war period. To do this, I will draw on an analysis of the formal characteristics of a corpus of 119 films, all of which include at least one Catholic priest among their principal characters, secondary characters or background settings. This contribution is thus fully in line with the cultural studies approach, the objective of which is to “reveal the effect of reconfigurations of social relations on culture, as well as the cultural manifestations of change […]. The question, then, is about the ways in which a representation becomes dominant after an ide­ ological struggle and conflicts over definitions. To uncover this process, Cultural Studies [studies] representations by attempting to detect in them the traces of such social conflicts5”.

Theoretical and methodological approach in this chapter Since the pioneering work of the Frankfurt School, the analysis of media cultures has generally been problematized in terms of the media’s influence on society, and sometimes of the mutual influence between the two6. The more modest approach taken here is to see French cinema as charting the evolution of social representations of Catholic priests in terms of masculinity within French

4 J. K. Puar, Terrorist Assemblages: Homonationalism in Queer Times, Durham, Duke University Press, 2007. 5 M. Cervulle et N. Quemener, Cultural studies : théories et méthodes, Paris, Armand Colin, 2015, p. 7-8. My translation. 6 M. Lallet, Il était une fois… le genre. Le féminin dans les séries animées françaises, 1re éd., Bry-surMarne, Institut National de l’Audiovisuel, 2014.

PRIESTLy MAScuLInITy In fREnch cInEMA (1944-2014)

society, even though cinema cannot constitute a pure reflection of that social evolution, due to filters and distortions such as censorship or directors’ upbring­ ings. The term “French cinema” here refers metonymically to all French feature films released in cinemas in France since the end of the Second World War. The latter marks both the start of a new phase in the Church’s loss of influence over French society, and the revival of the film industry with the creation of the French National Centre for Cinematography and the Moving Image and the launch of the Cannes Film Festival in 1946. The year 1945 therefore appeared to be a relevant date to delimit the start of the corpus. But it was difficult to identify all the films with priest characters released in cinema since that date. Since the website cinefiches.fr provides a list of films containing “representatives of religion” by country of origin, we used this list as a point of departure to build our corpus, cross-referencing it with other lists available on allocine.fr and Wikipedia (see the appendix for a list of the films used). The use of the word “masculinity” here refers to Connell’s conceptualization, which defines masculinities as “configurations of practice structured by gender relations7”. This poses a double question: the description of these configurations, which are by definition composite and moving; and gender hierarchies, which are created and reconfigured both among themselves and among the individuals who embody them, in this case on screen8. In order to produce a chronological analysis of the forms of priests’ masculin­ ities in cinema, and to analyse their proximities or ruptures of form and hence of meaning, I had to arrange the films and characters in order, and therefore to subsume them under more general categories. To construct these categories, I adopted the approach of “methodological essentialism”, as Mélanie Lallet calls it in her study of the staging of gender order in children’s animated films. She writes: “If we have taken up the two traditional categories of ‘feminine’ and ‘masculine’, it is not because we believe in their inviolability, but because the field itself assigns one or other of these labels to the characters. Their use here arises from a strategic essentialism that aims to empirically evaluate the place accorded to femininity, without assuming that what falls into this category is obvious or natural9.” I constructed my descriptive categories (see box below) in the same way; consequently, a gesture seen on screen, such as a kiss on the mouth given to

7 R. Connell, Masculinities, 2nd ed., Berkeley, University of California Press, 2005, p. 44. 8 As for the description of the expressive and performative dimensions of masculinities staged in the cinema, it has been known since Umberto Eco and Suart Hall that all media-cultural works are open, that is, ambivalent as to the meaning to be attributed to their formal characteristics, since signification is the object of constant negotiations between senders and receivers, and sometimes even of oppositional readings. However, no staging –in terms of either form or meaning- can produce an infinite number of interpretations. Cf. U. Eco, Œuvre ouverte, Paris, Le Seuil, 1965 ; S. Hall, « Encoding / decoding », in Centre for Contemporary Cultural Studies (ed.), Culture, Media, Language. Working Papers in Cultural Studies, 1972-79, London, Hutchinson, 1973, p. 128-138; U. Eco, Interprétation et surinterprétation, Paris, Presses universitaires de France, 2001. 9 M. Lallet, Il était une fois… le genre…, op. cit.

373

374

JoSSELIn TRIcou

a woman, transforms the priest character into a “species10”, in this case a practising heterosexual. But if categorization seems easy with sexual practices shown explic­ itly on screen, it is less so when it comes to classifying the modes of authority deployed or the bodily hexis of characters. To give an example: from the point of view of the latter, we categorized the priest mentioned in the introduction, from the film Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu?, as “mannered”. This choice is not neutral: in a heteronormative context, according to the chain that links sex (body-anatomy), sexuality (body-desire) and gender (body-appearance), it refers to effeminacy and possibly homosexuality. But does this choice depend solely on the researcher’s situated reading, or as some would say, his or her subjectivity? Certainly not. After all, one of the characters in the film says of this priest to a third person “He is always very gay!”, with all the comic force of a sentence that seems to be uttered naively but is marked by a double entendre that no one today could miss. And although there is always a risk of forcing interpretations, those interpretations will at least have the coherence that comes from the same researcher having examined all the films. From this point of departure, how can we identify, in the continuous flow of films production, recurring configurations that are possibly discordant although contemporaneous? How to register developments, despite their imbrication? How to identify the appearance of new configurations, the continuation of old ones, and the disappearance of others? To do this, I conducted an iterative analysis of what I considered to be a field of priestly masculinities in cinema. Through the hierarchical classification of major components on the basis of an analysis of multiple correspondences – a method popularized by Bourdieu in sociology11 – I was able to identify, over three successive periods, ideal-typical configurations that were as homogeneous as possible, by removing certain details that could be considered “noise”, and I evaluated their evolution in the field. To delimit the three periods, I focused on the works’ strictly internal and formal criteria. Thus I decided to start the second period in 1964, with the first explicit portrayal of a priest’s sexuality on film; during the whole of the first period, priests were represented as strictly asexual –on a factual level, that is, as showing no visible sexual attraction. The return in 1984 of a typical figure from the first period (the mystical priest, coinciding with the decline of lowbrow comedies with priest protagonists, which were typical of the second period) seemed to us to correspond to a significant break that marked the beginning of the third period.

10 M. Foucault, Histoire de la sexualité, t. 1 : La Volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1994. 11 Cf. Fr. Lebaron et B. Le Roux, La méthodologie de Pierre Bourdieu en action. Pratiques culturelles et espace social et statistiques, Malakoff, Dunod, 2015.

PRIESTLy MAScuLInITy In fREnch cInEMA (1944-2014)

Coding the films

In the majority of the films in our corpus, only one priest appears. But for films where several priests appear, we have coded each character (except in the few cases where we encounter a homogeneous group of priests with purely background narrative status). Thus, for each film and/or character, we compiled and coded the following information on an Excel spreadsheet: -

film title; year of cinema release; genre (comedy, drama, history, erotica, experimental film, documentary); type of priest represented (parish priest, monk, missionary, bishop); priest’s narrative status (main character, secondary character, background character); clothing worn by the priest (cassock or soutane, Anglican-style clerical collar and black jacket, civilian clothing); functions performed by the priest (worship, support, social work, education, Resistance); mode of authority or charisma attributed to the priest (mystical, intellectual, benevolent, paternalistic, seductive, sadistic, depressive); priest’s bodily hexis (virile, mannered, baby-faced, plump); desire expressed or deployed by the priest (hetero-resistant, hetero-practising, homo-practising, paedophile); presence in the film of characters who dress up as priests (yes, no).

Three remarks on the coding

Although the category “homo-resistant” was considered as a theoretical possi­ bility, it made no empirical appearance: no priest in any film explicitly expressed attraction to another man before struggling against and resisting that desire. The coding of bodily hexis was the result of progressive familiarization with the whole corpus and the progressive osmosis that is essential to any researcher’s practice. It draws a posteriori distinctions between actors’ physical and performa­ tive choices, classified according to a double opposition: “virile” vs “mannered”, and “baby-faced” vs “plump”. I am well aware that these are not usually thought of as categories of analysis; rather, they are categories of practice. This is why, both to construct them and to grasp their meaning, we relied as much as possible on intradiegetic12 elements, when the latter existed. Nevertheless, although in the

12 In narratology, the term “extradiegetic” is used to describe a sound, character, phrase or framing that structures the form of the story or scene but is not part of the action from the characters’ point of view. Conversely, “intradiegetic” refers to any element that is part of the action from the characters’ point of view.

375

376

JoSSELIn TRIcou

past the “mannered” body sometimes denoted popular perceptions of “rational” or aristocratic masculinities, its use in cinema today is more likely to denote effeminacy, and even the “camp” popularized in France by the film La cage aux folles (1978), whereas a virile body often denotes vigour, control of the emotions, and authority in the context of a wholly “masculine” world. In the other distinc­ tion, the emphasis on a “baby-faced” body denotes the fragility of childhood, whereas a “plump” body evokes security and stability, which from our perspective signals not only a healthy appetite but also a clerical institution that is increasingly bourgeois, in contradiction with the ideal of poverty and missionary zeal. Whether they are explicitly historical films or narratives set during period when they were made, I treat the whole filmography in the same way. Choices about the representation of the past are choices made in the present. Geometric analysis of the data

All of the data were then subjected to a multiple correspondence analysis (MCA) and a hierarchical clustering on principal components (HCPC). These two inductive methods of data-mining are forms of geometric analysis. An HCPC makes it possible to create a hierarchical classification of individuals by grouping them into the most homogeneous classes possible (from the most central to the most peripheral), and to identify typical profiles of individuals. Individuals or groups of individuals can then be characterized by the modalities of the variables. HCPC is mainly used when individuals are described by a set of quantitative variables, but classification can also be performed on qualitative variables. To do this, it is sufficient to reduce them to quantitative data by carrying out HCPC on the results of an MCA. The latter method makes it possible to retrieve the coordinates of individuals on all or some of the factorial axes and then perform HCPC on them. This also makes it possible to treat information contained in these axes as “noise”. Nevertheless, the analysis of the evolution of priests’ masculinity on film can­ not be reduced to a succession of simple “pan shots” describing and hierarchizing all the configurations of practice that are co-present via the geometric analysis of my data. It is also a question of resituating them in relation to hierarchical gender relations. That is why we tried to identify what I call the “trials of masculinity” in which our characters are engaged, and to analyse their outcomes. I took the notion of “trial” from pragmatic sociology, where it corresponds to a “moment of uncertainty and indeterminacy during which, in the flow of the action, the forces present are revealed, followed by operations of agreement (legitimate or forced) regarding the classifications and attributions of the states of beings, thus regulating the moment of uncertainty13”. To speak here about a trial of masculinity is simply to recognize that the stakes of certain trials include, among other

13 M. Nachi, Introduction à la sociologie pragmatique, Paris, Armand Colin, 2006, p. 57.

PRIESTLy MAScuLInITy In fREnch cInEMA (1944-2014)

things, the acquisition or maintenance of a position within the gender order, and especially within the group of men, which is itself hierarchized. We can show this by zooming in on the following micro-sequence, which also suggests that agreeing the framework of a trial is itself a trial when one of the protagonists is a priest and the other a layman: Don Camillo14 arrives at the house of his principal frenemy, the senator and former Communist mayor of the village where Camillo was priest before his appointment to the Roman Curia. He has a bone to pick with the mayor. Peppone (sitting at his table, typing and not getting up): Ah… Monsignor! Don Camillo (standing behind him): This isn’t about Monsignor!… I’m here to talk to you man to man…. Peppone (still sitting, turning around, with an ironic smile on his face): But we can talk priest to man, right? Don Camillo, Monsignor (1961) For each period, I therefore first present a “pan shot” view of the configura­ tions observed, from the most central to the most marginal, and then “zoom in” on typical films or significant sequences to better reveal how their configurations are developed in and by trials of masculinity.

1945-1964: the virilized priest Thirty-two priests appear as characters in French cinema between 1945 and 1964; all are sexually abstinent, and all wear the soutane, apart from three expriests. In these respects, and as a first approximation, the image of the priest on film is fairly homogeneous and conforms to the priestly ideal. But four differenti­ ated configurations of practice subtly appear. Two of these are central and form a majority; two are in a minority, but they are important because they relate to the protagonists of films that enjoyed some success. Pan shot across the period

Configuration 1 (ten characters): the “good priest” of median age, with benevolent, virile charisma, whose social function is emphasized, the main character in biopics, but secondarily in comedy serials such as Don Camillo. Configuration 2 (sixteen characters): “the man of note”, often a bishop, paternalistic and plump, in a supportive position and with background narrative status, mainly in dramas.

14 The film summaries that appear here as quotations have all been compiled by the author of this chapter.

377

378

JoSSELIn TRIcou

Configuration 3 (three characters): the “passionate man”, a young priest who contrasts with his elders, the main character in dramas because of his charisma. This configuration includes the protagonists of the films Journal d’un curé de campagne (Bresson 1951), Le défroqué ( Joannon 1954) and Léon Morin, prêtre (Melville 1961). All three succeed in converting atheists. Configuration 4 (three characters): the “ex-priest”, in civilian clothes, endowed with intellectual charisma. In all three cases, their atheist-oriented rationalism is highlighted as the reason for their leaving the Church. During the period of post-war reconstruction in France, when the French film industry is still weak and overshadowed by American films, seventeen featurelength films have a Catholic priest as their main character. Half of these are biopics, a genre popularized by Hollywood after the Wall Street crash of 1929 to “boost the nation15”. In this respect, the biopic takes up an ecclesiastical tradition: the hagiography of saints with the aim of edifying the faithful16. Indeed, Monsieur Vincent (Cloche 1947) and Le sorcier du ciel (Blistène 1949), both of which won awards (the former achieved more than seven million box office admissions17), are fully hagiographic biopics. Monsieur Vincent tells the story of the 17th-century priest Saint Vincent de Paul, an emblematic figure in the French School of Spirituality (Deville 1995); Le sorcier du ciel tells the story of the curate of Ars, Saint Jean-Marie Vianney, the 19th-century model of the “good priest18”. It is surprising to note the narrative parallels between the openings of these two films: in both cases, the priest is on his way to the new village where he has been posted, and where he is not expected. He even receives a rather hostile welcome from the villagers: anticlerical remarks are made to the curate of Ars (Georges Rollin); stones are thrown at “Monsieur” Vincent (Pierre Fresnay). Each priest then finds himself facing a trial of virility to win acceptance by the men of the village. For the curate of Ars, who arrives in the middle of a civil wedding, this trial means having to drink some wine and amazing the hostile crowd by criticizing its quality. For Monsieur Vincent the trial is a multiple one, since he must first win the people’s esteem by attending the bedside of a village woman supposedly suffering from the plague, organizing her funeral and making the coffin himself, and then he must win the esteem of the local nobility by healing of the lord of the manor. During each trial, the women are revealed to be discreetly assisting the priest’s victory over the other men. In both films, the 15 R. Fontanel, Certains biopics proposent une passionnante dimension politique, L’Express, May 21, 2013 [online]. URL: https://www.lexpress.fr/culture/cinema/remi-fontanel-certainsbiopics-proposent-une-passionnante-dimension-politique_1248186.html (consulted on July 20, 2015). My translation. 16 Cf. A. Kleinberg, Histoires de saints. Leur rôle dans la formation de l’Occident, transl. M. Méron, Paris, Gallimard, 2005. 17 All of the box office figures cited in this article are from the website JPs Box-Office, since 1998 [online]. URL: jpbox-office.com (accessed June, 12 2015). 18 Cf. N. Lemaître (ed.), Histoire des curés, Paris, Fayard, 2002.

PRIESTLy MAScuLInITy In fREnch cInEMA (1944-2014)

priest presents himself as a “peasant”, and thus as being from the milieu he has to convert, and therefore capable of common sense and manual skills. In Monsieur Vincent’s case, he can even bring into play an extended repertoire of skills in order to match himself to the social class of his interlocutor: he can become a carpenter when he is with the poor man who occupies the presbytery, and a surgeon when he is with the lord of the manor. He even goes so far as to boast of his wartime exploits, thereby thwarting his interlocutors’ implicit or explicit prejudices that a non-violent priest must incapable of anything other than prayer in the face of adversity: “You think you’re going to heal me with your Latin?” the local lord asks Monsieur Vincent ironically as he lies in bed. Then, in response to his account of his warlike exploits against Barbary pirates: “What did you fight with? Your rosary?” Monsieur Vincent responds calmly and authoritatively, and forbids his patient to drink wine. Taken aback by their conversation, the lord concludes: “Funny priest you are!… A gravedigger surgeon.” In both films, the village church is being used as a storeroom before the priest arrives. The priest begins by restoring it to order. This is perhaps a symbol of the reconstruction of post-war France, and certainly of the Church’s reconquest of “France, land of mission?”, to cite the title of a 1943 bestseller by Fathers Henri Godin and Yvan Daniel, two chaplains with the Young Christian Workers. The debates that were raging within the Catholic Church at the time when these films were produced made a significant impact on their content, even though the stories are set during much earlier periods. Thus it is surprising to see Monsieur Vincent – and even more so the curate of Ars, who became an icon of Sulpician art19 – incorporating the characteristics of the worker priest, a rising figure in French Catholicism after the war: the emphasis on social work rather than religious work, the development of a missionary rhetoric about the reconquest of the people through proximity to the poor (“my brothers and my masters”, Monsieur Vincent as calls them), the insistence on social justice, the critique of charity, and a rediscovered “virility of faith” (following Unamuno) that convinces the priests to make daring forays beyond the boundaries established by the priestly ideal20. Just like a worker priest settling in a working-class neighbourhood, Monsieur Vincent renounces the “splendour” of the presbytery and takes a room in a working-class house, without revealing that he is a priest. This move also produces a misunderstanding: the landlady sends her daughter to ply the tenant with her charms, telling her: “Go on, he’s rich as well as cheerful!” But the daughter just stands there, embarrassed by his lack of response. He ends up sharing a room 19 “The Sulpician style […] encompasses in the same appellation very different styles, periods and authors grouped together in the same pejorative denomination which favours copying, reproduction in large series, to the economy of works to the often-exacerbated mawkish sentimentality”; B. Foucard, art. “Saint Sulpice (Art)”, in Encyclopédie Universalis [online]. URL: http://www.universalis.fr/encyclopedie/art-saint-sulpice/ (consulted on July 20, 2015). My translation. 20 “Virility of faith” that Morin will also demand from his parishioners, inviting them from the pulpit to sing “with more virility!”.

379

380

JoSSELIn TRIcou

with a poor man. They talk during the night as we hear their increasingly noisy neighbours, as one would in low-income housing where noise travels and there is little privacy. This is an opportunity to evoke the ills of the working class, which anachronistically resemble those of the working classes of the 19th and 20th centuries, even though we are supposedly in the midst of a pre-capitalist pe­ riod: conflicts between bosses and workers, unemployment, alcoholism, domestic violence –all effects of pauperization. Monsieur Vincent’s interlocutor concludes: “You’d never know it from the churches, eh?” And to counteract any miserabilism, he adds: “It’s good for the rich to feel some emotion.” In short, until the mid-1960s, it is the virile priest –a benevolent, commonsense man of action, often a man of the people, who wants to win people back in the face of growing atheism – who is principally imag(in)ed by French cinema. But if he achieves victory in trials of virility that principally involve other men, he does so as a man of “unworldly” asceticism: neither violent nor sexualized, he is always a man apart. Thus he is fully aligned with the 11th century’s Gregorian Re­ forms, which imposed celibacy on the Roman Catholic clergy and forbade them to bear arms. The priests in the Don Camillo series (first episode, Duvivier 1952), starring Fernandel, in the field of comedy, and Léon Morin, prêtre (1961), starring Jean-Paul Belmondo, in the field of drama, depart only slightly from this dominant and central image within French cinema. But they do inflect it somewhat. These two figures retain all the external attributes of the clergy of the period described above. In particular, they wear the soutane, whereas in real life the worker priests of the day tend to abandon it: by becoming “the priest in overalls, who arrives at the factory every morning, and whose appearance shows no distinction from his fellow workers or the people in his neighbourhood21”, the worker priest brings about a real shift in the social order as well as the gender order in terms of representation. If Don Camillo and Léon Morin also tend towards a “holy” priestly virility, they nevertheless come close to working-class masculinity in two respects: a penchant for fighting in Don Camillo, who is nonetheless devoid of sexual desire; and sexual attractiveness to women – conscious or unconscious – in Morin, who is nonetheless excluded from the war, like the women but unlike the other men of his age in the film. In Morin’s case, the priest’s increased virilization through his proximity with working-class masculinity is fully in line with the missionary approach of worker priests. At the end of the film, Morin explicitly cites the work of Fathers Godin and Daniel to justify his new assignment. The female protagonist of the film, Barny (Emmanuelle Riva), who at first goes to confession to “have a go at” the priest, is surprised by his unexpected reaction; she remarks that “he has the ways and manners of an activist”, and nicknames him “citizen priest, comrade curate”. But her connection to him is also relational, linked to the gaze of others. If Barny allows herself to be seduced, it is because she gradually realizes that Morin is a

21 É. Poulat, “La condamnation des prêtres-ouvriers”, L’Histoire, 10 (mars 1979), p. 18.

PRIESTLy MAScuLInITy In fREnch cInEMA (1944-2014)

man, and she is helped in this by the deconsecrating gaze of the other women who work with her: “Now that Arlette had said it, I realized that Morin was indeed handsome.” A little while before, Barny tells him: “Me, me, I love a girl!” Far from shocking the priest, this confession gives rise to a discussion that recontextualizes her homoerotic attraction within a heteronormative framework disrupted by the war (i.e. because of the absence of men of the right age to fall in love with her); but above all, the exchange seems to reveal that the contract that puts the priest off-limits for seduction is no longer self-evident, and the priest must explicitly invoked it: Morin: Of course, all the men of your age are gone! She: But you, you are a man of my age! Morin: It’s not the same for me, it’s different! The sacred protection of the man-priest is cracking, opening the way for new trials of virility to be inflicted on the priest in his relationships with women. Although the most bigoted of the workers, a friend of Barny’s, can declare: “I wouldn’t be able to forget that he’s a holy fella”, she also adds: “But for Marion, there’s no difference, no sacrilege.” The dam(man)age is done. And the film makes its audience hesitate. Whose fault is it? When Morin chops wood for Barny, is he performing an act of charity, or is he taking up the position of the man of the house? While a spiritualizing and heroic reading of the priest’s stoical attitude in the face of his protégée’s love is always possible, there is also a relevant sexualizing reading that is much less to the glory of the priesthood, and which even the director himself ironically proposed in retrospect. In an interview some thirty years later, Jean-Pierre Melville said: “The main idea was to show this priestly seducer who liked to turn girls on and didn’t screw them” (Nogueira and Melville 1996)22. The virile priest that Melville puts on screen can indeed be seen and read as a quasi-sadistic seducer who has found in the priesthood an opportunity to constantly test his own capacity for heterosexual seduction without ever accepting the risks of commitment –and worse, to cause suffering at little cost to himself, since he can always justify his seductions in the name of his evangelizing mission by trying to redirect the desire he elicits towards God: “If only you would make appeal to God as you make appeal to men. That’s prayer!” exclaims Morin, withdrawing after his interlocutor has finally tried to grab and kiss him, but not without first having invited the petrified woman to make confession, that very evening… with himself as her confessor. Thus cracks appear in the image of the “good priest” who either experiences no sexual temptation or resists it for the good of his flock: what should be given as a spiritual offering becomes instead an attention-seeking strategy.

22 See also the reading of the character in the program “Personne ne bouge”, broadcast on Arte on May 24, 2015, section “Archétype Top”.

381

382

JoSSELIn TRIcou

1964-1984: The priest whose sexual identity is suspect Of the forty-two priestly characters who appeared in cinema between 1964 and 1984, half express and/or enact sexual desires. A breakdown of clerical masculinity can be seen here. Indeed, no fewer than six configurations of practice can be distinguished. Pan shot across the period

Configuration 1 (ten characters): the anachronistic “country priest”, a comic character, with paternalistic charisma; Configuration 2 (six characters): the “bawdy monk”, a character in lowbrow movies, erotic films or swashbuckling comedies; Configuration 3 (twelve characters): the “predator”, young and virile, but sadistic or seductive and assumed to be hetero-practising, including some urban priests who wear the clerical collar and jacket; Configuration 4 (eight characters): the “man of note”, often a bishop, paternalistic and plump, in a supportive position and with background narrative status, mainly in dramas; Configuration 5 (three characters): the “Resistance priest” of the Second World War, with benevolent charisma; Configuration 6 (three characters): the “paedophile mentor”, a priest in an educational position, explicitly tempted by paedophilia. In addition, ten films out of thirty-eight show non-priest characters dressing up as priests, compared with only three out of twenty-nine during the previous period, and two out of fifty-two in the next period; and there are at least three other films from the period that deploy the same device without including any actual priests as characters. This seems to be indicative of the representation of priesthood as performative rather than “ontological”, in contrast to Catholic discourse. In the mid-1960s, the global Catholic Church was immersed in the Second Vatican Council. In French society, this is a period of challenges to a bourgeoisie for whom “Catholicism is the backdrop”, as a leading theologian of the 1960s and 1970s, Edward Schillebeeckx, put it. It is also a period of what is conventionally termed “sexual revolutions”. The period is thus marked by social critiques of the ecclesiastical apparatus, which is considered to be complicit in all forms of domination, and by the casting of suspicion on the priestly ideal of chastity, from both within and outside of Catholicism. In the arena of comedy, the soutane-wearing country priest at the centre of village life remains the central figure within the field of clerical masculinities

PRIESTLy MAScuLInITy In fREnch cInEMA (1944-2014)

on film, even though he is in decline as a social reality during this period. In effect, this anachronistic figure is mainly used for secondary or background roles in historical comedies, especially in lowbrow or “erotic” films. Sometimes he is nevertheless in a leading role, as in Les joyeux lurons (Gérard 1972). Even in this case, the priest appears to be a no less stereotypical character, and in particular is discomfited by trials of virility: his extreme paternalism does not generate the respect due to his status, but instead seems to signify his demotion. This is evidenced in the contrast between the following two imag(in)ed trials, which are separated by twenty years: In Mon curé chez les riches! (Diamant-Berge 1952), at the end of the film, Father Pellegrin (Yves Deniaud) restores the village to order after its disturbance by the marital difficulties of a nouveau riche man whose wife ran off with the son of a local bigwig. We come to the summing up: Priest’s maid: Ah, men… They’re not worth much! Bigwig’s son: And women? Priest’s maid: Even less! Bigwig’s son: So what’s left? Priest’s maid: Priests! In Les joyeux lurons (1972), the priest Paccard (Paul Préboist) appears as a foolish man who is subject to the orders of his servant rather than vice versa; the servant despairs at the thought of becoming an old maid. The arrival of three crooks dressed up as priests alters the situation, because the servant falls in love with one of them; however, when she realizes the subterfuge, rather than hold it against them, she exclaims aloud in delight: “The three sent by Monsignor, they’re not priests! They’re gangsters… but then… Father Larivière… he’s a man?… He’s a man! He’s a man!” And she runs off to find him. The case of the “bawdy” monk resembles that of the foolish country priest. In most instances, his atypical gender is a pretext for farce of a more or less risqué or dramatic nature. Dressing up as a priest or monk also serves as a springboard for action in a number of these comedies, and thus also gives rise to farcical situations. Finally, although transgressions of celibacy are suggested or sometimes shown, if still rather timidly, the political questioning of ecclesiastical celibacy ultimately remains limited. We find this formulated very clearly in the two “experimental” films identified towards the end of this period: La vocation suspendue (Ruiz 1977) and Ballade de la féconductrice (Boutonnat 1979). The former explicitly raises the question of the Church’s “matriarchal” role in a “virilist world”; the latter raises the question of the Church’s castrating role –it features a priest using a pair of scissors to castrate one of his musicians who gets an erection during Mass. Thus suspicion and subversion are invoked more surely and less obliquely in this genre.

383

384

JoSSELIn TRIcou

In drama, film-makers no longer hesitate to defy old-fashioned censorship by adapting literary classics that show clerical hypocrisy regarding the taboo on sexuality. La religieuse (Rivette 1967), an adaptation of Denis Diderot’s novel, is considered by some to be the ancestor of the “nunsploitation” subgenre in film23. It is in this film that we see the first explicit representation of a sexual act perpetrated by a priest: an attempt by the convent chaplain to rape a nun, both characters having been reluctantly forced into their respective religious voca­ tions. The film encountered difficulties with censorship following pressure from a Catholic movement backed by the State24. It was not so much the attempted rape that was seen as grounds for censorship, but the fear that references to the Mother Superior’s homosexuality might stigmatize nuns. Nevertheless, the attempted rape scene was cut from a recent film adaptation of the same novel (Nicloux 2012). In reality, suspicions regarding priests’ sexuality began earlier, even though things were only suggested and not shown. This is the case with Les amitiés particulières (Delannoy 1964) and Mais ne nous délivrez pas du mal (Séria 1970), two works of social criticism that also experienced difficulties with censorship on release. In these two films, the priest is portrayed as a mentor or chaplain in a single-sex boarding school, at a time when the clergy is losing its hold on Catholic educational institutions due to a lack of vocations and the massification of schools under the secular State25. Two repertoires of action predominate: preaching, an exhortation to purity, which is shown as no longer having any sway over individuals –as evidenced by the polite but amused reactions at Sunday Mass in the 1970 film; and confession, presented as an attempt to exert control over the private lives of the faithful. Although the priest is presented as affable, he appears intrusive in the eyes of the characters under his authority – children – and, above all, is now imag(in)ed as a desiring body, marked by a fundamental ambiguity as to his desires concerning them. This is testified by two confessional scenes, both similar in terms of narrative framework. In both cases, the priest’s body emits corporeal signs of disorder as he listens to the penitent’s account, and even signs of sexual enjoyment by proxy as he asks further questions about the pleasure the penitent supposedly felt while observing the illicit relations she or he describes. In one scene, Anne, a mischievous boarder, confesses to having seen two of the nuns who maintain the school kiss each other on the mouth; in the other, the young Georges de Sarre, who has just arrived at the school, admits to having read a love poem exchanged between two fellow pupils who suffer from the notorious ill of “special friendship”. Through these accounts of illicit sexual or romantic relations, the priest is revealed to be a sensual man, but also a sadist, since he immediately

23 See Sens critique, since 2011 [online]. URL: https://www.senscritique.com/liste/Nunsploitation/ 60351 (consulted on July 20, 2015); on the representation of nuns in cinema, see L. Pettinaroli, “Les religieuses au cinéma : quelques pistes de réflexion”, Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires, numéro spécial, 2012 [online]. URL: https://journals.openedition.org/cerri/1081. 24 V. Vignaux, Suzanne Simonin ou La Religieuse : Jacques Rivette, Liège, Éditions du Céfal, 2004. 25 B. Poucet, L’enseignement privé en France, 1re éd., Paris, Presses universitaires de France, 2012.

PRIESTLy MAScuLInITy In fREnch cInEMA (1944-2014)

reprimands the girl or boy who provides him with this sensual pleasure. One child, Alexandre, who is punished after being caught writing a love poem to the protagonist Georges de Sarre, says: “What’s between Georges and me, it’s nobody else’s business. After all, these men, we’re the ones who pay them, they’re angry because we don’t tell them about it, they’re jealous! That’s all.” When he is banned from communion by the school supervisor, whose paedophile tendencies are heavily suggested, Alexandre threatens the cleric that he will write to the pope to complain. While the system of the “total institution26” still functions as it did before, its “beneficiaries” are no longer in a position of holy terror in relation to the “guardians of the temple”; rather, they are customers with rights. But Georges has to pretend that he no longer loves his young friend, under pressure from an old priest who claims to have himself fallen in love with the boy in question as a “spiritual son”. When this stratagem pushes the “son” to suicide, the old priest says: “I had never understood what a father could feel… a father! [Eyes full of pain]. Yes, a father, that is what it’s like [eyes closed].” Although he is with Georges, to whom he has just revealed the sad news, everything suggests that the old clergyman is talking to himself, as if he is making the tardy and retrospective discovery that his title of “father” is merely usurped, not a real experience. This paternal experience, which is denied to priests, is explicitly interrogated in the film Prêtres interdits (La Patellière 1973). Although the plot begins during the time of the Popular Front in a still rural France, the storyline actually alludes to the period of the film’s production: the 1970s, which historian Denis Pelletier retrospectively describes as a period of “Catholic crisis”, marked in particular by strong demands for the liberalization of the requirement of celibacy, and by the departure of large numbers of priests and nuns who wished to marry. But the film interrogates much more than just the requirement of celibacy. The storyline features two priests stationed in the same rural parish: Fathers Rastraud (Robert Hossein) and Ancely (Claude Piéplu). The former falls in love with a girl and very soon becomes the father of a little boy, whom he refuses to abandon. He is then “expelled”. The latter is politically engaged and participates in the Resistance, against the advice of his bishop, who likewise expels him. The trajectories of these two priests ultimately stage an illicit reclaiming of two dimensions of hegemonic masculinity that are denied to priests: marriage and fatherhood, and also political and military commitment. Moreover, if Rastraud appears to be a hypervirile priest (he is muscular, rides a motorbike, plays sports, and when not in his soutane goes around wearing a leather jacket), the rather mannered Ancely seems all the more effeminate by comparison. Is there an implication that he has remained a priest because he is homosexual and therefore not attracted to marriage? This question is not posed explicitly in the film: it is a non-text, or perhaps a subtext: Ancely has an outburst 26 E. Goffman, Asylums: Essays on the Social Situation of Mental Patients and Other Inmates, New York, Anchor Books, 1961.

385

386

JoSSELIn TRIcou

against Rastraud when the latter suddenly falls in love, and when Rastraud replies “you talk like a jealous woman”, does this not confirm our suspicions? The question is worth asking, because the mass departures of priests for heterosexual marriage during the 1970s must undoubtedly have increased the proportion of homosexual priests among those who remained because of the clergy’s social function as a closet27. Ancely may be the silent representative of this unspeakable story: at the end of the film we see him in a flashforward to the 1970s, as a bishop receiving his umpteenth request from a young priest who wants to leave the Church to get married. A silent representative, because French cinema seems far too timid to present a priest who is explicitly attracted to men. The only case identified, across all three periods, is to be found at the very end of a particularly heteronormative erotic comedy: La chatte sur un doigt brûlant (Chardon 1975), where the mannered but real priest is seen as repulsive by local villagers, unlike the handsome and virile crook who usurps his job and his soutane during the film. Although the usurper takes the opportunity to seduce all the women in the village, at the same time he “liberates” the sexuality of their husbands… including the man we see leaving on the real priest’s arm. The period 1964-1984 is thus a period when the imag(in)ed priest is essen­ tially unable to maintain his own celibacy, which hides a burgeoning heterosexual­ ity. On a more general level, the priestly ideal is shattered: it is now relegated to obsolete folklore.

1984-2014: The return of the “good priest”, the advent of the “anti-hero” priest, and the particular centrality of the “sacristy queen” Among the fifty-four priest characters who appear on screen between 1984 and 2014, there are five configurations, including one – the “good priest” (con­ figuration 5) – that disappeared during the previous period and now makes a return, albeit as the most peripheral form, and two new configurations that are numerically important and central, the “sacristy queen” and the “anti-hero” (configurations 2 and 3). Pan shot across the period

Configuration 1 (ten characters): “the man of note”, a priest or often a bishop, paternalistic and plump, in a supportive position and with background narrative status, mainly in dramas;

27 J. Tricou, “Recreating ‘moles’: Managing homosexual priests’ silence in an era of gay marriage”, Sociologie, 9/2 ( July 2018), p. 131-150 ; id., “De quoi la réception catholique de ‘Sodoma’ est-elle le symptôme ?”, Golias Hebdo, 12e année, no 567 (14 mars 2019), p. 5-8.

PRIESTLy MAScuLInITy In fREnch cInEMA (1944-2014)

Configuration 2 (nineteen characters): “the sacristy queen”, a young priest with a mannered bodily hexis, with a purely religious function and background narrative status, mainly in comedies; Configuration 3 (twelve characters): “the anti-hero”, an old depressive priest, dressed in “civilian” clothes, hetero-practising, main character especially in comedies; Configuration 4 (eight characters): the “predator”, a young virile priest, sadistic or seductive and assumed to be hetero-practising, often a soutanewearing character in historical films during this period (this figure appeared during the previous period); Configuration 5 (eight characters): “the good priest”, a benevolent and virile priest, whose social function is primarily emphasized, the main character in biopics but also in documentaries during this period (this figure disappeared during the previous period). Two appearances of popes on film (not computable in the MCAs) should be noted: Pius XII in Amen (Costa-Gavras 2002), and the brief appearance of an unnamed pope in Thérèse (Alain Cavalier 1986). By the mid-1980s, the run of quintessentially French comedies with priests as protagonists has definitively come to an end28. With Thérèse (Cavalier 1986) and Sous le soleil de Satan (Pialat 1987), French cinema begins again to treat Catholicism as something serious or even “transcendental”, far beyond the figure of the priest himself. The mystical and supernatural dimensions of religion are reinterrogated and imaged after a long period of criticism focused on its “worldly”, institutional and political aspects. Is this some kind of reaction against the pre­ vious period? Indeed, the figure of the “good priest” also reappears in cinema at this point, in the same configuration as during the period 1945-1964. This figure can be found in the biopics Le complot (Holland 1987), Hiver 54. L’abbé Pierre (Amar 1989), L’homme au masque d’or (Duret 1990), Des hommes et des dieux (Beauvois 2010), and also Au revoir, les enfants (Malle 1987) and Amen (Costa-Gavras 2002), although the latter two are not strictly biopics, despite sharing certain similarities with the genre. In the same way, the figure of the monk gains depth compared with the previous period, this time with no hint of bawdiness. Doubtless even more exotic than the parish priest in a society marked by a “new spirit of capitalism29” that idolizes mobility, permanent innovation and hyperconnectivity, the figure of the monk is the subject of two feature-length documentaries released in cinemas during this period. The tone of these films 28 The two last films in the series Mon curé chez…, Mon curé chez les nudistes (1982) and Mon curé chez les Thaïlandaises (1983), are very low-budget films. On these two films, see the programme Escale à Nanarland, 80 ( July 2013) [online]. URL: http://www.allocine.fr/video/video-19536448/ consulted on July 20, 2015. 29 L. Boltanski et E. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 2011.

387

388

JoSSELIn TRIcou

is laudatory, and more contemplative than explanatory or justificatory of an unconventional way of life. Cut off from the world and a priori “useless”, monastic life appears in these films as an antidote to hypermodernity. Nevertheless, across the period as a whole, the film priest loses his consistency and, in particular, his authority over other men. Even in dramas where there is no question of making him the object of farce or critique, his voice seems to fade. This is shown by two examples of trials of virility (one extradiegetic and the other intradiegetic), selected from among others: Saint-Jean is a government minister. He makes a series of journeys until he has a car accident from which he emerges unscathed but his chauffeur dies. At the latter’s funeral, during the priest’s sermon, the minister silently recites to himself the eulogy that has been prepared by his staff but which Josepha, the chauffeur’s widow, does not want. The director allows us to hear the beginning of the sermon, but the camera quickly turns to the minister sitting in the front pew, who ends up mouthing the words of his speech in such a way that his voice substitutes that of the priest on the soundtrack. Camille Claudel, interned in a psychiatric hospital by her family after the tragedy of her break-up with Rodin, calls for her brother Paul. Before he goes to Camille’s bedside, Paul meets with a priest. The spectator no doubt assumes that he is going to ask the priest for advice as to whether or not Camille should be retained in the asylum. However, throughout their meeting, which takes the form of a walk where the priest is forced to follow Paul Claudel, who is always walking ahead of him, there is never any mention of Camille. Paul presents his mystical ideas as a new convert in an endless flow of logorrhoea. The priest can only listen with a slight smile, nod and say thank you –thanks that Paul Claudel barely heeds, as he has already left. Exercice de l’Etat (Schoeller 2011) Camille Claudel 1915 (Dumont 2013) In both cases, the priest’s speech has lost all weight of authority. Either it is no longer listened to by the character Claudel, or it is pushed out of the mise en scène by the director Pierre Schoeller. Although the priest is less represented in positions of authority, an interesting and unprecedented figure emerges in French cinema: the rather old parish priest marked by a “weariness of the Self30” (Ehrenberg 1998), who finds himself opposed to the hegemonic ideal of masculinity in a neoliberal context dominated by the figures of the young hero, the sportsman, the entrepreneur, the golden boy and the self-made man31. This is the “loser” priest, ineffective, sometimes curmudgeonly or even angry, disillusioned and depressive about questions of faith – an anti-hero in the era of managerialism and ecclesiastical marketing 30 A. Ehrenberg, La fatigue d’être soi. Dépression et société, Paris, Odile Jacob, 1998. 31 A. Ehrenberg, Le culte de la performance, Paris, Calmann-Lévy, 1991.

PRIESTLy MAScuLInITy In fREnch cInEMA (1944-2014)

that was then opening up within French Catholicism32 – but neither an idiot nor a yes-man, as Paul Préboist would have portrayed him during the previous period. This new configuration of priestly masculinity develops gradually during this period, notably through four films: Le gaffeur (Pénard 1985), Lise et André (Dercourt 2000), Pièce montée (Granier-Deferre 2009) and Ceci est mon corps (Soubeyrand 2014). In Pièce montée, the priest, played by Jean-Pierre Marielle, appears bad-tempered and annoyed by his bourgeois congregation. He turns out to be in love. In Ceci est mon corps, the priest Gabin (played by the director) appears somewhat lost in his ministry. Wanting to save his own faith, he goes on a therapy course where he meets the lesbian Marlene, through whom he discovers the unsuspected world of alternative and artistic Paris. This figure is not unrelated to that of the pope in the Italian film Habemus papam (Moretti 2011), played by the French actor Michel Piccoli, whose impotence is summed up in the refrain “I can’t!” Even at the very moment when he is being presented on the balcony of St Peter’s in Rome, and despite all the character’s good intentions, this refrain jams the well-oiled wheels of the institution and undermines its pomp. “I’m not the leader you need”, he tells the world. This configuration is the only one in which the priest appears in “civilian” clothes (i.e. with no distinctive signs of his clerical status), as if the role for which religious clothing is the metonym is henceforth uninhabitable, whereas hitherto he has almost never appeared without his soutane or even his beret, contrary to real life! Thus we realize that the imaginary is sometimes more persistent than reality, and we can ponder its power: is this permanence of the soutane on film a reason why many young priests today are reclaiming it33, whereas their predecessors abandoned it in the 1960s-1970s?34 Above all, the period 1984-2014 sees the emergence of the stereotypical mannered priest, reduced at best to the role of provider of religious goods, and 32 Cf. J. Tricou, “Le catholicisme d’identité contre la mixité”, in F. Dupuis-Déri, Chr. Bard and M. Blais (ed.), Antiféminismes et masculinismes d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Presses Universitaires de France, 2019, p. 271-298. 33 Cf. C. Béraud, “Prêtres de la génération Jean-Paul II : recomposition de l’idéal sacerdotal et accomplissement de soi”, Archives de Sciences sociales des religions, 133 (2006), p. 45-66 ; J. Tricou, “‘Ici, c’est viril !’ Ethnographie d’une communauté cléricale récente qui veut former des hommes avant de former des prêtres”, in B. Dumons and F. Gugelot (ed.), Catholicisme et Identité. Regards Croisés Sur le Catholicisme Français Contemporain, Paris, Karthala, 2017, p. 101-117. 34 If we consider cinema a social technology for imposing norms, and above all as a “technology of gender” (as defined by T. de Lauretis, in Technologies of Gender: Essays on Theory, Film, and Fiction, Bloomington, Indiana University Press, 1987), it should be noted that this makes the soutane an “actant” (as defined by B. Latour, in “Esquisse d’un parlement des choses”, Ecologie politique, 10 [1994]) in its own right, no less so than the ecclesial institution itself: as we see with the phenomenon of laymen dressing up as priests, the number of cases of which explodes during the second period of the corpus (three cases in the first period, compared with fifteen in the second period, and two in the last), in cinema it is indeed the soutane that makes the priest. In this respect, the film Le missionnaire (Delattre, 2009) marks a climax: a layman ( Jean-Marie Bigard) starts to wears a soutane and is forced to play the role of the priest, but he does it so well that he begins to taste the joys of priesthood, to such an extent that he appears to be more of a true priest in the pastoral sense than his brother (David Strajmayster), the “official” priest who lent him the soutane.

389

390

JoSSELIn TRIcou

to a more or less background narrative function. This configuration is exempli­ fied, at either end of this period, in the successful comedies La vie est un long fleuve tranquille (Chatiliez 1988), which achieved some four million box office admissions, and Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? (2014), with more than twelve million admissions. Having already described the priest in the latter film in detail in the introduction to this chapter, I will not dwell on it here. What does the emergence of this stereotype mean? The priest imag(in)ed by French cinema now appears to be predominantly “feminoid35”: in terms of gender it refers to effeminacy, which in terms of sexuality refers in turn to homosexuality. The figure of the priest is thus culturally constructed as a subordinate masculinity in Connell’s sense, that is, a configuration of practices whose exclusion provides a basis on which to build heteronorms and “real men”. Tamagne has shown that homophobic caricatures and satirical portrayals of certain groups have historically served to symbolically disqualify their members or the institutions they represent, particularly in the early 20th century. She points out that homophobic caricatures occur in contexts of greater homosexual visibility, and mainly in two forms: social satire and political criticism. In the latter case, “the homophobic accusation is often a means as well as an end. A means, because it is not necessary for a certain personality to be homosexual for suspicion to hang over them; an end, when the news reveals a scandal that then serves as a basis for a slander campaign36.” However, in the case of the Church, these two lines seem to constantly intersect: on the one hand, homophobic caricatures of the clergy are regularly reactivated throughout history, peaking at the time of the Reformation in order to discredit priests; on the other hand, it seems that such caricatures are also based on the condemnation of real scandals, and indeed the Church leaves itself open to this, since the great disorder of the ecclesial closet regularly forces the doors open from inside, spilling all kinds of dirty linen onto the smooth flagstones of the nave. While this configuration is central and constitutes a majority during this period, it remains superficial in terms of content. None of the films that deploy this configuration use it to give their characters more psychological or social depth, or to further explore – at the risk of having to deconstruct it – the contemporary stereotype that effectively links camp or the mannered to male homosexuality. Only the film Ridicule (Leconte 1996) turns this stereotype upside down. It features a clergyman in the court of Louis XIV, the well-named Father Vilecourt (Bernard Giraudeau), who is very mannered but who is also presented in a heterosexual relationship, since mannered behaviour in the past could denote the popular perception of “rational” or aristocratic masculinities.

35 M.-H./S. Bourcier, “Les petits chevaux de Troie : Wittig entre modernisme, matérialisme et politique”, in B. Auclerc and Y. Chevalier (ed.), Lire Monique Wittig aujourd’hui, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2012, p. 127-144. 36 F. Tamagne, “Caricatures homophobes et stéréotypes de genre en France et en Allemagne : la presse satirique, de 1900 au milieu des années 1930. Abstract”, Le Temps des médias, 1 (2003), p. 42-53.

PRIESTLy MAScuLInITy In fREnch cInEMA (1944-2014)

French cinema in the period 1984-2014 does not really address sensitive issues of gender and sexuality that would interrogate the masculinity of priests in public debate and in doing so would restore narrative depth to the figure of priests on film. Among these issues, homosexuality and paedophilia are addressed head-on in the cinema of some other countries, however. Thus, several films deal with the experience of homosexuality among priests whose closeted lives are shaken by the liberalization of gay marriage. Films such as the American Mass Appeal ( Jordan 1984), the British Priests (Bird 1994), the Canadian Lilies – les feluettes (Greyson 1996) and the Peruvian No se lo digas a nadie (Lombardi 1998), which are all already quite old, or the more recent Polish film W imię… (2013), present images and words about this central taboo within the Catholic clergy, going well beyond the mere allusions found in French cinema. The issue of paedophilia, the scandal about which reached a global peak during this period37, is also discussed in many foreign films, but not in French films. Certainly, the figure of the paedophile priest is regularly presented in the latest films by director Jean-Pierre Mocky. But these remain discreet, and furthermore, their treatment of the paedophile priest in a purely ironic mode is superficial. In contrast, we can only begin to list the very many foreign films that take this phenomenon as their central topic during the period 1984-2014: the Canadian film Les garçons de Saint-Vincent (Smith 1992), the Spanish film La mala educación (Almodóvar 2003), the American films Deliver Us from Evil (Derrickson 2006) and Doubt (Shanley 2008), the Mexican films Agnus Dei (Sánchez 2010) and Obediencia perfecta (Urquiza 2014), the Chilean film El club (Larraín 2014), and the Croat film Svećenikova djeca (Bresan 2014)38. Finally, the long-standing issues of marriage for priests and women’s access to the priesthood remain unaddressed in French cinema. It must be said that the calls within Catholicism for either of these saw a clear decline in France over this period (on the ordination of women39; on marriage for priests40), for want of people willing to fight for them: the post-1968 period and the subsequent reconsolidation of the Church led both to numerous quiet departures and to a “silent schism”, as Jacques Duquesne puts it, among those who remained in the Church in spite of everything. Moreover, French cinema does not interrogate relatively more consensual phenomena within the field of Catholicism, such as the “silent revolution” that

37 Cf. C. Lalo et J. Tricou, “Crise de la pédophilie dans l’Église catholique : une confrontation de scripts sexuels”, Revue d’Éthique et de Théologie morale, 292 (23 novembre 2016), p. 11-21 ; O. Bobineau, J. Merlet and C. Lalo, Le sacré incestueux : les prêtres pédophiles, Paris, Desclée De Brouwer, 2017. 38 The English movie Release (Flaxstone and Martin, 2009) is interesting in this respect, because it relates the love stories in prison of a gay priest who was convicted of paedophilia, witnessing a confusion between both of them. 39 Cf. S. Rousseau, “Femmes-prêtres : histoire d’une revendication”, in C. Béraud, F. Gugelot and I. Saint-Martin (ed.), Catholicisme en tensions, Paris, Éditions de l’EHESS, 2012, p. 229-239. 40 Cf. M. Sevegrand, Vers une Église sans prêtres. La crise du clergé séculier en France (1945-1978), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004.

391

392

JoSSELIn TRIcou

the Church has been undergoing for the past twenty years, described by Béraud in terms of a redistribution of tasks among priests, laypeople and permanent deacons –the latter a new role fulfilled by men who are married but ordained, a kind of hybrid between layman and clergyman41. Similarly, it does not deal with the emergence of new priestly figures, such as those imported from the former colonies – priests of colour who have arrived to bolster the ageing white European clergy – and so-called late vocations, especially of widowed fathers. And yet these are realities that mark the landscape of contemporary Catholicism. Here again, these phenomena do not seem to have entirely escaped the notice of foreign cinema. Thus, in the American fantasy film The Priest (Stewart 2011), where the priesthood is accessible to women but celibacy remains the rule, and also in the Irish-British realist thriller Calvary (McDonagh 2014), the protagonists were fathers before the entered the priesthood, although they seem be true to their vows of celibacy during the action of the film. Certainly, one reason for the greater cinematic coverage of these issues in these countries is that they have experienced a much less profound exculturation of Christianity than France42, whereby – and this is not a paradox – their criticisms of Christianity are now more acute, and more in touch with its living reality.

Conclusion In half a century, the figure of the priest in film has undergone a veritable sym­ bolic “emasculation”. While from 1945 to 1964 the “virilized priest” predominates in French cinema – that is, a set of configurations that highlight the priest as a virile and beneficent figure, the main character in the noble genre of drama – from 1964 to 1984 the priest becomes instead a secondary or background character for the most part, an object of derision or suspicion as to his sexuality, and mainly a comical figure. The suspicion primarily revolves around a heterosexuality that cannot be contained. Finally, from 1984 to 2014, three figures stand out clearly: the virilized priest, whose return is a reaction against the previous period of suspi­ cion; the new figure of the depressive priest, anti-hero of hypermodernity; and finally, the increasing appearance of the mannered priest reduced to a secondary or background and religious role. These last two configurations sanction both the otherization of the priestly figure and the subordination of priestly masculinity to other forms of masculinity that are more valued in cinematographic representa­ tions.

41 C. Béraud, Prêtres, diacres, laïcs. Révolution silencieuse dans le catholicisme français, Paris, Presses universitaires de France, 2007. 42 A. Perez-Agote (ed.), Portraits du catholicisme : une comparaison européenne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012.

jEAn-pASCAL gAy, SILVIA mOSTACCIO ET jOSSELIn TRICOU 

Conclusions

Au terme de ce volume, il nous semble utile d’essayer de tirer un bilan de ce faisceau d’études sur les masculinités sacerdotales. Notre objet en les rassemblant a été d’essayer de faire un inventaire des recherches déjà conduites en ce domaine, à un moment historiographique où il nous semble que le prisme du genre est devenu inévitable pour l’histoire du clergé catholique, et où en retour une histoire des masculinités sacerdotales, semble nécessaire pour préciser le contour des masculinités chrétiennes que toute une série d’études permettent désormais de dessiner. Bien sûr, le prisme du genre apparaît premièrement dans toute sa désormais habituelle heuristicité comme outil pour penser les dynamiques sociales qui structurent les clergés comme groupe, comme groupe remplissant des fonctions sociales et religieuses, mais aussi comme ensemble d’individus insérés dans des rapports institutionnels de pouvoir. Plusieurs études de ce volume revisitent ainsi des dossiers anciens à cette aune, et permettent de les éclairer sous un jour nouveau. Tangi Cavalin montre ainsi comme la crise des prêtres-ouvriers est travaillée par plusieurs enjeux autour de la masculinité, notamment par rapport à l’insertion dans le monde ouvrier, l’évolution de leur culture politique mais aussi le maintien du lien avec le groupe clérical, en particulier avec la hiérarchie. Ces enjeux se jouent aussi sur le terrain du genre. Ainsi l’inéluctabilité de la crise passe entre-autre par la construction d’une forme de masculinité clivée qui ne parvient pas à réconcilier masculinité sacerdotale et masculinité ouvrière. Sarah Dumortier montre ainsi comme la sexualité cléricale – abordée souvent sous l’angle de la délinquance et du rapport aux normes – ne fait scandale que par rapport à une configuration de tensions entre masculinité cléricale et masculinité des communautés dont le prêtre est le pasteur. Éloignés dans le temps et dans l’espace, des dossiers tels que ceux qu’on vient d’évoquer ne font que confirmer la nature profondément relationnelle du genre : c’est justement en étudiant les interactions entre différents groupes d’hommes que les affinités, les différences et les incompatibilités entre régimes genrés s’imposent en devenant autant de clés d’interprétation.

Masculinités sacerdotales, éd. par Jean-Pascal GAy, Silvia MOSTACCIO et Josselin TRICOU, Turnhout, Brepols, 2022 (Bibliothèque de la Revue d’histoire ecclésiastique, 111), p. 393-398. 10.1484/M.BRHE-EB.5.131610

394

JEAn-PAScAL GAy, SILvIA MoSTAccIo ET JoSSELIn TRIcou

En outre, les configurations et croyances religieuses n’apparaissent pas simple­ ment comme des contextes mais bien des lieux et des vecteurs par lesquelles les positions, les rôles de genre sont travaillés, parfois renforcés, parfois renégociés. Mita Choudhury montre ainsi, à propos de l’affaire Girard-Cadière comment la croyance vient renforcer l’hégémonie : la croyance dans le caractère sacré du sacerdoce, mais aussi la sainteté du prêtre et sa supériorité, s’avèrent extrêmement puissants pour créer un espace où l’abus devient possible, de même que le silence des victimes. La montée de l’anticléricalisme à l’époque moderne (Le Gall), puis à l’époque contemporaine en lien avec la sécularisation (van Osselaer), accompagne une polarisation des masculinités sacerdotales entre deux extrêmes : un excès de masculinité se traduisant dans une hypersexualité, et un déficit de masculinité assimilé à l’efféminement. Une des hypothèses qui émerge clairement de la rencontre des articles de Tom Bervoets et de Michelle Armstrong-Partida, est que la question du célibat, souvent perçue comme centrale dans l’évolution du rapport des clergés non seulement à la sexualité, mais aussi à la masculinité en ce qu’il crée une distance avec une performance essentielle de la masculinité hégémonique, est aussi clairement une question qui se joue dans un ordre social. La bataille pour le célibat est aussi une bataille pour l’affirmation du monopole des « clercs » formés dans les universités sur les bénéfices, y compris les bénéfices ruraux. Cette affirmation met en cause un modèle social et économique de vie sacerdotale, et cette mise en cause non seulement a des effets importants pour l’histoire des masculinités sacerdotales sur le long terme, mais en réalité elle se joue à proprement parler sur le terrain même du genre. Ce n’est pas seulement l’intersection entre religion et genre qui devient aussi pertinente d’un point de vue analytique, ce sont les lieux et les terrains où une performance de genre et une performance croyante s’articulent concrètement qui apparaissent particulièrement révélateurs. Le corps du prêtre l’est d’autant plus que la performance religieuse qui est la sienne est, dans le rite mais pas seulement dans le rite, une performance ad extra. Ici les enjeux religieux peuvent intervenir de manière relativement orthogonale par rapport aux enjeux de masculinité dans les sociétés dans lesquelles les prêtres s’inscrivent : les logiques religieuses qui travaillent le sacerdoce peuvent être contradictoires avec les logiques de genre qui travaillent la masculinité sacerdotale. Brendan Röder montre ainsi très effi­ cacement comment, à l’époque moderne, les traitements intellectuels souvent conjoints des cas de l’hermaphrodite et de l’eunuque ne conduisent pas dans l’administration des dispenses accordées pour défaut de masculinité à une pra­ tique homogène : si ceux auxquels manquent une partie de l’appareil génital masculin en raison d’une mutilation obtiennent assez largement les dispenses nécessaires, cela ne vaut pas pour les individus sur lesquels pèsent une suspicion d’intersexualité et de dangereuse proximité au féminin. Parmi les raisons qui facilitent l’octroi de ce genre de dispenses, il y a le fait que les mutilations génitales ne sont pas visibles et que l’économie visuelle de la performance rituelle semble largement primer pour les congrégations qui administrent les dispenses. L’ambi­ guïté de genre est ici plus situationnelle qu’essentielle, et n’est perçue comme telle

concLuSIonS

que de manière très conditionnée. Dans une logique analogue, la relation entre stigmatisées et directeurs, étudiée par Tine van Osselaer, est caractérisée par une grande variété de rapports et une grande instabilité. Cette instabilité a largement à voir avec la manière dont la croyance dans l’autorité de la mystique évolue. Le vêtement liturgique de l’âge moderne, étudié ici par Ralph Dekoninck et Caroline Heering, malgré son décalage avec la mode masculine de son temps et son lien avec les cultures matérielles féminines, n’apparaît pas non plus du tout comme un marqueur de féminisation, mais bien au contraire comme un objet venant soutenir une performance masculine, en puisant dans un registre à la fois sacral et institutionnel, qui vient d’une certaine manière limiter le soupçon pouvant porter sur la masculinité du prêtre, bien plus que la mettre en évidence. En même temps, et c’est ici qu’une tension se réinstaure, ces lieux où se manifestent des logiques divergentes sont aussi ceux où performance religieuse et performance de masculinité, peuvent en fonction des enjeux propres à chaque champ, devenir difficilement conciliables, d’une manière qui peut être visible tant pour les clercs que pour leurs publics. La divergence de logique entre perfor­ mance religieuse et performance masculine ne se réduit pas nécessairement à un simple écart, elle peut devenir une contradiction que les acteurs doivent affronter, au prix de reconfigurations majeures. C’est ici bien sûr aussi que la diachronie importe. Ainsi, dans le cas du catholicisme, la distinction fermement réaffirmée à l’âge confessionnel entre clercs et laïcs apparaît comme potentiellement contra­ dictoire par rapport au régime moderne de genre. La puissance d’incarnation masculine de l’habit liturgique repose précisément sur cette séparation dans le même temps où c’est aussi cette séparation, tout autant que l’affirmation comme tels de publics féminins laïcs, qui conduit à installer un doute sur la pleine appartenance des clercs au monde masculin. Cette contradiction se manifeste d’ailleurs dans l’hétérogénéité des configurations du masculin et du rituel des différents côtés de la frontière confessionnelle. On pourrait formuler l’hypothèse que ce n’est pas seulement la différence d’économie rituelle entre protestantisme et catholicisme qui se retranscrit dans des configurations de relations de genre différentes en raison de représentations communes de genre. C’est aussi, en effet, le problème de la conciliation de ces représentations avec l’affirmation caractéristique de l’âge confessionnel des autorités sociales dans et à travers le religieux, tant en catholicisme qu’en protestantisme, qui est un des éléments qui conduit à des réponses radicalement divergentes en termes rituels. Face au problème complexe de l’affirmation de l’autorité verticale du prêtre ou du pasteur, et de la distance sociale grandissante entre ces derniers et le peuple paroissial, la nécessité conjointe d’affirmer une masculinité à la fois séparée mais sémantisant une autorité, conduit à des solutions rituelles divergentes. En même temps, dans le christianisme latin de la fin du Moyen Âge et du temps des réformes, la mise à part du clergé d’un point de vue social, notamment par le biais de l’affirmation des savoirs, rejoignant leur mise à part rituelle, vient se heurter à ses propres effets sur le terrain du genre. La solution catholique – quoique fragile – est dans l’exaltation d’autres aspects de la masculinité hégémonique, notamment à travers

395

396

JEAn-PAScAL GAy, SILvIA MoSTAccIo ET JoSSELIn TRIcou

l’héroïsation des vertus ou le savoir. La solution protestante est une remise en cause du célibat qui vient empêcher le doute sur l’appartenance du clerc au monde masculin. Il ne s’agit bien sûr pas ici d’affirmer qu’il y a là l’élément le plus central dans la construction de cette divergence, mais de noter que le genre ne fonctionne pas simplement comme un espace dans lequel se retranscriraient des dynamiques se jouant prioritairement dans l’ordre de la doctrine : il y contribue bien directement. C’est bien l’ecclesia comme fait, et comme réalité imaginée et performée par les acteurs – non réductible aux sociétés dans lesquelles elle se déploie ainsi qu’à sa propre dimension institutionnelle – qui est l’espace de cette interaction dynamique entre religion et genre. Ces exemples signalent aussi des questions essentielles et conjointes de chro­ nologie et de rapport à l’hégémonie. Si tout d’abord une chronologie transparaît, c’est en raison de cette interaction entre genre et religion dans l’ecclesia ainsi que de l’évolution de la relation entre Église et société. Au fur et à mesure que le religieux et le social se déboitent, l’Église apparaît de moins en moins comme un espace susceptible de déterminer les normes de genre ou de permettre des configurations de genre fortement différenciées en fonction des statuts ecclésiaux. Alessandro Serra montre ainsi comment le laboratoire salésien est lieu où le modèle de masculinité sacerdotale construit dans la congrégation fonctionne finalement peu dans la pratique éducative, qui apparaît plutôt en catholicisme comme un lieu d’acceptation et de promotion de la masculinité qui émerge en lien avec l’état-nation en Italie. Au xixe siècle, le prêtre qui échappe à un ordre de genre de plus en plus rigide, à la fois cristallise les inquiétudes mais demeure conforme, quand la force de l’institution ne suffit plus à qualifier d’autres critères de masculinité. Il est aussi un lieu miroir sur lequel se construit une réflexion sur la masculinité idéale manifestée dans la conjonction de la paternité, de l’autorité et de la propriété (Caroline Muller). Le cas des prêtres-ouvriers (Tangi Cavallin) comme celui des prêtres fidei donum (Caroline Sappia) signale la difficulté de concilier la distance de plus en plus affirmée à l’époque contemporaine entre masculinité sacerdotale et masculinité hégémonique. Paul Airiau signale aussi comment l’intransigeantisme contemporain en catholicisme n’est pas sans lien avec cette tension, et a pu à un moment et pour une partie du clergé, constituer une des manières de la gérer, mais aussi une voie fragile au fur et à mesure que le militantisme catholique masculin trouve ses modèles de plus en plus dans un militantisme des laïcs qui influence les représentations et les idéologiques cléricales. Cette chronologie est aussi une chronologie des configurations hégémo­ niques. Le religieux joue un rôle essentiel dans la complexité des configurations hégémoniques modernes. Les logiques de domination sociale et culturelle à l’œuvre dans la promotion médiévale et moderne du célibat, créent un espace pour une masculinité sacerdotale à distance de la masculinité hégémonique carac­ téristique du laïcat. Mais cette distance n’exclut pas une dimension hégémonique propre thématisée dans une théologie des vertus cléricales et manifestée dans des figures de sainteté, dans de l’hexis corporelle ou dans l’habit clérical par exemple.

concLuSIonS

À l’inverse la configuration contemporaine semble caractérisée par un régime plus univoque de masculinité hégémonique. C’est bien sûr lié à la manière dont le sacerdoce délocalise en catholicisme la masculinité, comme configuration de la pratique de genre, organisées par rapport à la sphère reproductive. En même temps cette capacité à distendre le lien entre masculinité et reproduction n’est pas uniforme, elle s’érode au rythme de la déprise religieuse tant par rapport aux institutions que par rapport aux normes sociales. Ainsi, l’opposition entre père de famille et prêtre au xixe siècle, explorée par Caroline Muller exprime bien, la transition post-révolutionnaire entre deux régimes d’articulation des masculinités sacerdotales et laïques. De même, les formes contemporaines de requalification sociale et pastorale des prêtres sur le terrain de la masculinité signalent le carac­ tère plus univoque de la masculinité hégémonique à laquelle des masculinités sacerdotales se réordonnent. Au fur et à mesure que cette univocité s’impose, les masculinités sacerdotales sont de plus en plus lisibles comme des masculinités complices ou subordonnées. Les études rassemblées dans ce volume – en fonction des intérêts des contri­ butrices et contributeurs – ne couvrent bien sûr pas l’ensemble des entrées possibles pour une histoire des masculinités sacerdotales. Elles nous semblent cependant, dans les champs qu’elles couvrent et laissent de côté, laisser entrevoir des enjeux de l’étude croisée du religieux et du genre. D’une certaine manière des aspects assez centraux de l’étude du religieux sont en partie laissés de côté dans ce volume, et notamment les évolutions du croire. Le rapport entre masculinité et sacralité du prêtre, en particulier dans le contexte liturgique, est resté en dehors du champ de nos investigations. De ce point de vue, une comparaison avec les masculinités pastorales et sacerdotales dans les autres confessions et groupements chrétiens serait certainement particulièrement éclairante. Il en va de même pour les évolutions dans les différentes parties du monde : un catholicisme mondialisé exige des relectures ne se limitant pas à la seule Europe, mais susceptibles de montrer le jeu des genres en lien avec les différentes réalités socio-culturelles et religieuses. D’une certaine manière, de même, certains aspects centraux des masculinités sont finalement peu évoqués ici, notamment celui de l’appartenance des clercs au monde masculin. C’est pourtant cette question qui est au cœur de reconfigurations de la relation entre clercs et laïcs. En outre, si le rôle des prêtres comme éducateurs à la masculinité est évoqué dans le volume, celui des lieux d’inculcations de la masculinité sacerdotale et du lien entre cette dernière et construction des habitus cléricaux est relativement laissée de côté. De même, si la relation pastorale aux femmes est évoquée à plusieurs endroits dans le volume, celle pourtant largement étudiée du rapport entre prêtre et religieuses y est plus marginale. La différenciation en fonction des appartenances institutionnelles – par exemple dans les différents ordres religieux entre lesquels, comme Josselin Tri­ cou l’a montré à propos de la France contemporaine, peuvent exister de grandes différences d’« agenrement » – reste aussi un point aveugle de ce volume. Ces absences pointent non seulement vers la manière dont historiographie du clergé et historiographie des masculinités demeurent dissociées à ce jour, mais aussi sur

397

398

JEAn-PAScAL GAy, SILvIA MoSTAccIo ET JoSSELIn TRIcou

une forme de prudence des chercheuses et chercheurs lorsqu’ils commencent à travailler à l’intersection du genre et du religieux. La relecture de l’histoire des objets les plus centraux du système religieux chrétien au prisme de l’histoire du genre demeure un travail à conduire. C’est certainement le même réflexe de prudence qui explique l’angle sous lequel sont abordées les sexualités cléricales dans ce volume. Si les pratiques sexuelles du clergé sont étudiées dans le rapport au temps long des réformes à partir Moyen Âge tardif, c’est bien le rapport à une sexualité hétérosexuelle qui est à l’agenda historien pour le moment. Pourtant, la sur-représentation d’hommes d’orientation sexuelle non-hétérosexuelle dans les clergés séculier et régulier est un fait structurant de l’histoire des clergés, en particulier depuis l’affirmation du célibat sacerdotal dans l’Église latine. Les variations de ce fait de structure n’ont cependant jusqu’à présent fait l’objet d’aucune enquête proprement historique. Il y a pourtant des raisons de penser qu’il se joue sur un temps plus long que le contemporain, et qu’il est aussi essentiel à la fois pour les sociabilités et les spiritualités cléricales mais aussi pour le rapport entre clercs et laïcs. Cette absence cependant ne relève pas simplement de la prudence, elle nous renvoie aussi à la manière dont l’historiographie du clergé a longtemps joué un rôle central dans la construction du regard catholique sur le clergé et notamment sur les sexualités cléricales. Engager l’outil du genre dans l’histoire du clergé, c’est aussi évidement accepter potentiellement des révisions historiographiques majeures. Celles-ci sont encore à venir. L’ampleur du travail pour relire l’histoire du clergé au prisme de l’histoire des masculinités est évidente. Au terme de ce volume, il nous paraît aussi important de signaler ce qui ad­ vient quand des historiens du religieux se saisissent de l’outil du genre et lorsque des historiens du genre se saisissent du prisme de la croyance. Les approches de ces différents textes sont loin d’être homogènes, non seulement dans leur rapport aux théorisations de l’étude des masculinités, mais plus largement même dans leurs conclusions. La conceptualisation même de la masculinité peut apparaître à certains auteurs comme anachronique et prendre le risque de réintroduire une forme d’essentialisation que l’histoire du genre essaie pourtant de mettre à distance. L’affirmation d’une divergence non conflictuelle de la masculinité sacerdotale par rapport aux autres masculinités peut apparaître comme une mise à distance de l’hégémonie en tant que structure de domination tant dans le champ religieux que sur le terrain du genre. Ces tensions historiographiques sont nécessaires et certainement même bénéfiques ; elles sont en tous cas le prix de l’acculturation de l’outil du genre à l’histoire sociale des clergés. Qu’elles soient présentes dans ce volume, dit aussi la valeur de cet outil et son heureuse inévitabilité pour penser les sciences sociales du religieux. Même si beaucoup d’efforts ont déjà été accomplis dans ce sens, il est beaucoup moins certain que l’inévitabilité de la prise en compte du religieux pour comprendre le genre, en particulier d’un point de vue historique, soit aussi acquise.