Marguerite Bourgeoys et la Congrégation de Notre Dame, 1665-1670 9780773575509

This sequel to the early biography charts the establishment of a radically innovative religious community of uncloistere

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Marguerite Bourgeoys et la Congrégation de Notre Dame, 1665-1670
 9780773575509

Table of contents :
Table Des Matières
Remerciements
Introduction
1 Un nouvelle société prend forme, 1665–1670
2 L'approbation royale, 1670–1672
3 Partout où la charité ou la nécessité avaient besoin de secours, 1672–1679
4 Le dernier voyage en France, 1679–1680
5 Retour à l'étable, 1680–1684
6 Les exigences d'un nouvel évêque, 1684–1689
7 Les années sombres, 1689–1694
8 La question de la règle, 1694–1698
9 Partir en paix, 1698–1700
Appendice. L'iconographie de Marguerite Bourgeoys
Abréviations
Notes
Bibliographie
Index
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m arguer ite bourgeoys et l a congr égation de notr e-da me, 665–700

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marguerite bourgeoys et la congrégation de notre-dame, 665–700

Patricia Simpson

Traduit de l’anglais par Albert Beaudry

McGill-Queen’s University Press Montreal & Kingston · London · Ithaca

© McGill-Queen’s University Press 2007 isbn 978-0-7735-3274-8 Dépôt légal, 4e trimestre 2007 Bibliothèque nationale du Québec Imprimé au Canada sur papier non acide qui ne provient pas de forêts anciennes (100 % matériel post-consommation), non blanchi au chlore. La traduction de cet ouvrage a été rendue possible grâce à une aide financière du Conseil des Arts du Canada. Translation of this work was made possible by a grant from the Canada Council. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (padié ) pour nos activités d’édition. Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication.

catalogage avant publication de bibliothèque et archives canada Simpson, Patricia, 1937– Marguerite Bourgeoys et la Congrégation de Notre-Dame, 1665–1700 / Patricia Simpson ; traduction par Albert Beaudry. Traduction de: Marguerite Bourgeoys and the Congregation of Notre-Dame, 1665–1700. Comprend des références bibliographiques et un index. isbn 978-0-7735-3274-8 1. Bourgeoys, Marguerite, sainte, 1620–1700. 2. Congrégation de Notre-Dame – Histoire. 3. Montréal (Québec) – Religion – 17e siècle. 4. Religieuses – Québec (Province) – Biographies. 5. Saints chrétiens – Québec (Province) – Biographies. i. Beaudry, Albert ii. Title. bX4700.b76S54214 2007

271’.97

C2007-903945-6

Composé en 10.6/13 Sabon avec Trajan Pro et Weiss Maquette et composition par zijn digital

table des matières

Remerciements

vii

Introduction 1

Un nouvelle société prend forme, 1665–1670 2

3

3

L’approbation royale, 1670–1672

11

30

Partout où la charité ou la nécessité avaient besoin de secours, 1672–1679 49 4

Le dernier voyage en France, 1679–1680 5

6

Retour à l’étable, 1680–1684

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Les exigences d’un nouvel évêque, 1684–1689 7 8

Les années sombres, 1689–1694

142

La question de la règle, 1694–1698 9

Partir en paix, 1698–1700

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Appendice. L’iconographie de Marguerite Bourgeoys Abréviations 243 Notes

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Bibliographie Index

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remerciements

L’auteure souhaite exprimer sa gratitude à Joyce Roberts, qui l’a aidée dans la recherche et sur le plan technique et qui a relu le manuscrit en ne ménageant ni les encouragements ni les conseils aux diverses étapes de l’élaboration du livre; à Danielle Dubois, pour ses suggestions à la relecture du texte; à Rachel Gaudreau, pour son aide dans la préparation des illustrations; à Florence Bertrand, Raymonde Sylvain, Rolland Litalien et Marc Lacasse, de Montréal, et à Marie Marchand, Pierre Lafontaine et Jeanne d’Arc Boissoneault, de Québec, pour l’aide apportée dans la consultation des archives; à Elizabeth Hulse pour son assistance inappréciable sur le plan rédactionnel; et aux membres de l’administration générale de la Congrégation de Notre-Dame de Montréal pour la constance de leur confiance et de leur soutien.

Petit coffret en vélin ayant appartenu à Marguerite Bourgeoys, peut-être celui qui contenait ses papiers et objets personnels et qui resta accidentellement à Québec au début de son deuxième voyage en France en 1670–72. Il a dû continuer de servir dans la Congrégation après la mort de la fondatrice car la serrure et la poignée ont été remplacées au dix-huitième siècle. (Photo : Bernard Dubois; Musée MargueriteBourgeoys.)

Marguerite a commencé en 1655 à projeter l’érection d’une chapelle de pèlerinage dédiée à la Sainte Vierge. Après de nombreux retards, la chapelle, première église en pierres construite à Montréal, fut terminée en 1678 et placée sous le vocable de Notre-Damede-Bon-Secours. Elle fut détruite par un incendie en 1754 et la chapelle actuelle fut érigée au-dessus des fondations originales en 1771. À partir de renseignements puisés dans des documents historiques et de récentes découvertes archéologiques, cette image élaborée par ordinateur représente la chapelle telle qu’on aurait pu la voir dans son cadre naturel autour de 1680. (Reconstitution historique virtuelle : Omar Bakat, GR A PH Architecture Inc.; Musée Marguerite-Bourgeoys.)

Fondations de la chapelle de 1678 mises au jour lors de fouilles archéologiques exécutées sous la chapelle actuelle en 1996–97. Cette photographie des fondations de l’abside permet d’apercevoir les trous laissés par les pieux lorsqu’on a prolongé la palissade de bois qui ceinturait la ville pour englober le faubourg Bonsecours, et que l’abside fut intégrée aux fortifications. (Photo : Rachel Gaudreau; Musée Marguerite-Bourgeoys.)

Statuette en chêne de la Vierge à l’Enfant donnée à Marguerite Bourgeoys par le baron de Fancamp en 1672 pour la chapelle de pèlerinage qu’elle avait entrepris de faire construire à Montréal. Déjà centenaire au moment du don, la statuette a survécu à un incendie et à un vol, et elle est maintenant conservée à la chapelle Notre-Dame-deBon-Secours à Montréal. (Photo : Rachel Gaudreau; Musée Marguerite Bourgeoys.)

Plaque commémorative en plomb placée sous la première pierre des fondations de la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, le 30 juin 1675.

Gravure en laiton à l’effigie de la Vierge à l’Enfant, décrite dans les documents comme « une médaille de la Sainte Vierge, en cuivre » et déposée avec la plaque commémorative en 1675.

Ces deux objets ont été mis au jour en 1945 lorsqu’un mur de la crypte de la chapelle actuelle fut percé pour aménager une sortie de secours. Ils avaient été récupérés à la suite de l’incendie de 1754 et joints à la plaque commémorative de la chapelle de 1771. (Photos : Pierre Fauteux; Ville de Montréal.)

Bénitier en terre cuite émaillée, l’un des rares artéfacts mis au jour lors des fouilles archéologiques réalisées sous la chapelle NotreDame-de-Bon-Secours en 1996–97. Les objets de piété de ce genre étaient importants au dix-septième siècle : la règle rédigée par M gr de Saint-Vallier précisait que chaque sœur devait avoir un bénitier dans sa chambre. On voit que celui-ci a subi une réparation. (Photo : Pierre Fauteux; collection du ministère de la Culture et des Communications du Québec; Ville de Montréal.)

La Maison Saint-Gabriel. Marguerite Bourgeoys reçut un premier terrain à la Pointe-Saint-Charles en 1662. La propriété s’agrandit au fil des années, et la ferme qu’on y exploita contribua à soutenir l’œuvre de la Congrégation jusque dans les premières décennies du vingtième siècle. Un musée y rappelle aujourd’hui le travail accompli par la Congrégation auprès des premières immigrantes à Montréal. (Photo : Pierre Guzzo.)

Tour en pierre sur le terrain du Grand Séminaire, rue Sherbrooke à Montréal. Tout ce qui reste aujourd’hui de la mission de la Montagne fondée par les Sulpiciens en 1676, ce sont deux tours en pierre qui faisaient partie des fortifications érigées dans les années 1680. Les sœurs de la Congrégation enseignaient dans l’une de ces tours et demeuraient dans l’autre. (Photo : Abla Monsour.)

Représentation de l’Enfant Jésus connue à la Congrégation de Notre-Dame comme « L’Enfant Jésus de Marie Barbier ». Marie Barbier, première Montréalaise entrée dans la Congrégation et qui sera choisie pour succéder à Marguerite Bourgeoys comme supérieure, avait une immense dévotion pour l’Enfant Jésus; on dit qu’elle conservait son image au-dessus du four où elle cuisait le pain. Edward O. Korany, qui a restauré le tableau en 1966, estime peu probable que la peinture ait été l’œuvre de Marie Barbier ou de Pierre Le Ber. Il a pu constater qu’elle avait été exposée à des fortes températures et qu’il y avait de la suie dans les fissures, ce qui laisse supposer qu’elle a survécu à un ou plusieurs incendies à la Congrégation, ainsi qu’au four de Marie Barbier. (Photo : Bernard Dubois; Musée MargueriteBourgeoys.)

Tableau de la Sainte Famille, artiste inconnu. La toile, à l’évidence importée de France, a été donnée à Marguerite Bourgeoys par Gabriel Souart, premier curé de Montréal, à l’époque de la fondation da la Confrérie de la Sainte-Famille, en 1663. (Photo : Norman Rajotte; Musée Marguerite-Bourgeoys.)

Pale brodée par la recluse Jeanne Le Ber. Celle-ci consacrait ses journées à la prière, à la confection de vêtements pour les pauvres et à la création de nappes d’autel et de vêtements liturgiques admirablement brodés. (Collection Maison Saint-Gabriel.)

Plaque de cuivre apposée par François Dollier de Casson pour indiquer la sépulture de Marguerite Bourgeoys dans la première église paroissiale de Montréal. La plaque souligne ce qui caractérisait la communauté qu’elle a fondée : parce que ses membres n’étaient pas cloîtrés, elles pouvaient aller enseigner aux filles « tant dans la ville qu’à la campagne ».

Avers et revers d’un reliquaire qui témoigne du sort réservé aux écrits de Marguerite Bourgeoys. Ce reliquaire dut être fabriqué après l’incendie de la maison mère de la Congrégation en 1768 et avant les années 1830, quand Étienne-Michel Faillon fit cesser cette pratique et s’efforça de récupérer les fragments de ses écrits qui avaient été distribués comme reliques. Le reliquaire contient les cendres de son cœur, comme l’indique le texte : « Cendres du cœur de la vénérable Sr Marguerite Bourgeois ». Sur le revers, on lit : « Ecriture de la vénérable Sœur Marguerite Bourgeois », autour d’un fragment de papier portant les mots « St gabriel » de la main de Marguerite Bourgeoys. (Photos : Bernard Dubois; Musée Marguerite-Bourgeoys.)

Copie autographe d’une prière composée par Marguerite Bourgeoys et portant la date du 4 juillet 1693. S’adressant à « Dieu éternel et tout-puissant », elle demande pour la Congrégation non pas la richesse, les honneurs ou les plaisirs de ce monde mais la grâce d’accomplir fidèlement la volonté de Dieu à l’exemple de Jésus et de sa mère. Elle demande ensuite le salut éternel de tous les membres de la Congrégation, présents et à venir, et des personnes qui les aident à progresser sur le chemin de la perfection. Il s’agit du seul texte un peu long, écrit de la main de la fondatrice, qui soit encore en la possession de la Congrégation de NotreDame. (Photo : Murielle Boisvert; Congrégation de Notre-Dame.)

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m arguer ite bourgeoys et l a congr égation de notr e-da me, 665–700

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introduction

Ce second volume reprend la vie de Marguerite Bourgeoys en l’an 1665, point tournant dans l’histoire de Montréal et de la NouvelleFrance. Cette année-là voit en effet le départ de Paul de Chomedey de Maisonneuve, premier gouverneur de Montréal et défenseur de la petite colonie pendant ses premières années d’existence, au cours desquelles elle a été si souvent menacée de disparaître. L’année 1665 marque aussi l’arrivé du régiment de Carignan-Salières, venu contrer la menace que les Iroquois font peser sur la NouvelleFrance. L’envoi de cette force militaire dans le Nouveau Monde traduit chez les ministres du roi de France une nouvelle attitude à l’égard des colonies nord-américaines, un intérêt qui entraînera des changements considérables dans toute la Nouvelle-France mais plus particulièrement pour la frêle colonie missionnaire de Ville-Marie, sur l’île de Montréal. Ces changements affecteront profondément la vie de Marguerite Bourgeoys, arrivée là douze ans plus tôt. Marguerite avait quitté sa ville natale de Troyes en 1653 pour se rendre à Montréal à l’invitation de Maisonneuve, originaire comme elle de la province de Champagne. La fondation de Montréal procédait du grand mouvement de renouveau spirituel qui marqua le catholicisme français au dix-septième siècle et qui a touché des hommes et des femmes de toutes les classes de la société. La colonie implantée sur l’île au confluent du fleuve Saint-Laurent et de la rivière des Outaouais avait pour but l’évangélisation des peuples autochtones du Nouveau Monde. Cet objectif, on comptait l’atteindre, au moins en partie, en donnant l’exemple d’une communauté chrétienne qui rappellerait l’Église primitive. Les plans des fondateurs prévoyaient l’établissement dans la colonie d’un hôpital

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marguerite bourgeoys et la congrégation

et d’une école. L’hôpital avait déjà été ouvert par Jeanne Mance, première infirmière et administratrice hospitalière de Montréal, qui avait participé à la direction et au financement de l’expédition de fondation. Marguerite Bourgeoys, quant à elle, aurait pour rôle à Montréal d’enseigner aux enfants français et autochtones. Au moment de partir pour le Canada, elle avait trente-trois ans et déjà plusieurs années d’expérience comme enseignante et comme administratrice. De 1653 à 1658, Marguerite fut dans l’incapacité de remplir sa mission première, l’ouverture d’une école. Pendant cette période, elle passait de maison en maison apprendre aux femmes à lire et à écrire, prenait soin du premier nouveau-né à survivre à Ville-Marie et allait aider Jeanne Mance à l’hôpital; elle tenait aussi la maison du gouverneur du fort, où elle résidait, et rendait toutes sortes de services à la petite population assiégée. Elle arriva à convaincre les Montréalais d’ériger une chapelle de pèlerinage sur les rives du Saint-Laurent, à proximité du fort. C’est l’époque où elle noue des liens d’amitié durables non seulement avec les chefs de la colonie mais aussi avec les colons ordinaires. En 1658, il y a enfin assez d’enfants ayant survécu pour qu’on puisse ouvrir une école. En janvier, on fait don à Marguerite Bourgeoys d’un édifice en pierres sur la commune près du fleuve, structure qui avait déjà servi d’étable. Elle fait installer une cheminée, mobilise les enfants pour éliminer les traces des anciens occupants et inaugure la première école de Montréal, le 30 avril 1658. Plus tard, la même année, elle retourne en France recruter des compagnes pour l’aider dans son travail. Celles qui se joignent à elle élisent domicile dans l’étable-école où, en plus d’enseigner aux enfants, elles offrent un foyer provisoire à des jeunes femmes parties de France dans l’espoir de trouver un bon mari outre Atlantique. Au départ, les futures fiancées étaient recrutées par la Société de Notre-Dame de Montréal. Plus tard, elles seront envoyées par l’État; ces femmes sont connues sous le nom de filles du roi. Pendant ce temps, au moins une des premières compagnes de Marguerite entreprend de visiter d’autres postes de la colonie pour donner l’instruction religieuse aux enfants. Les circonstances exigent que Marguerite et ses compagnes enseignent aux garçons comme aux filles, même si tel n’était pas l’usage à l’époque. Marguerite Bourgeoys et Montréal, 1640-1665 raconte l’histoire de ces premières années, période de danger constant pour toute la Nouvelle-

Introduction

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France mais surtout dans l’île de Montréal, avant-poste occidental de la colonie française. Pendant toute cette première période, Ville-Marie conserve son caractère missionnaire même si les affrontements entre Français et Iroquois mettent continuellement en péril l’existence de l’établissement et rendent pratiquement impossible la réalisation de sa mission. Cette période se termine avec le départ du premier gouverneur de Montréal, événement qui résulte au moins en partie de la rivalité qui persistait entre Québec et Montréal depuis la fondation de Ville-Marie et qui a parfois contribué à aggraver les difficultés de ces premières années. Le départ de Maisonneuve coïncide avec l’arrivée du régiment de Carignan-Salières, renforts que lui-même et tant d’autres dirigeants de la colonie avaient longtemps demandés en vain. Le régiment transforma de bien des façons la vie en NouvelleFrance. En mettant un terme à la menace iroquoise, au moins pour un temps, ses membres accrurent la sécurité de la colonie et agrandirent le territoire sur lequel elle pouvait se déployer. Les nombreux soldats qui choisirent de rester au pays à la fin de leur service, ceux en particulier qui se marièrent et fondèrent une famille, insufflèrent un regain d’énergie indispensable à la population européenne. Mais ni ces soldats ni les femmes envoyées par le roi entre 1663 et 1673 ne venaient au Canada dans un esprit missionnaire. Quels qu’aient pu être les motifs qui avaient inspiré les colons qu’on avait recrutés à l’origine pour Montréal, cette nouvelle population arrivait, comme devaient le faire par la suite la grande majorité des autres immigrants en Amérique du Nord, en quête de meilleures conditions de vie. Les autorités françaises qui l’avaient recrutée s’intéressaient beaucoup plus à l’économie de la colonie et à la prospérité de la métropole qu’à des entreprises missionnaires, et leurs politiques le montrent bien. Si les politiques de l’État français allaient finir par étouffer le rêve d’une communauté chrétienne sur l’île de Montréal, elles auraient également une influence considérable sur la réalisation d’un autre rêve qui avait poussé Marguerite Bourgeoys à partir pour le Canada : établir une communauté religieuse de femmes qui, contrairement aux communautés traditionnelles à l’époque, ne seraient pas enfermées derrière la grille d’un cloître mais vivraient parmi les « petites gens » et comme les colons ordinaires. En 1640, treize ans avant son départ pour le Canada, alors qu’elle avait à peine vingt

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marguerite bourgeoys et la congrégation

ans, Marguerite a eu une expérience spirituelle où elle s’est « trouvée touchée » par la grâce. En réponse, dit-elle, « je me suis donnée à Dieu ». Après avoir vu contrecarrés ses efforts pour entrer dans une communauté contemplative traditionnelle, elle devient membre d’un groupe externe, mouvement apostolique établi et dirigé par la Congrégation cloîtrée de Notre-Dame qu’avaient fondée Pierre Fourier et Alix Le Clerc. Fourier lui-même fut un pionnier de la pédagogie pour les enfants des familles ordinaires et démunies. Marguerite finira par devenir la préfète de ce groupe de femmes; elles travaillaient parmi les pauvres de Troyes, dont les enfants ne pouvaient fréquenter l’école administrée par le couvent. Sous sa direction, le groupe en vint à compter jusqu’à 400 membres. Au même moment, avec deux autres jeunes femmes, elle tentait de lancer un nouveau genre de communauté religieuse qui aurait pour modèle Marie, la mère de Jésus. Marie, estimait Marguerite, avait œuvré avec les apôtres et les autres disciples, hommes et femmes, dans l’Église primitive. Cette communauté n’était pas cloîtrée mais travaillait pour les gens ordinaires, avec eux et parmi eux. L’idée qu’une communauté religieuse féminine pût vivre à l’extérieur du cloître était évidemment très controversée au dixseptième siècle. Le premier essai de Marguerite échoua quand l’une de ses compagnes mourut et que l’autre se maria. En acceptant de partir seule pour la Nouvelle-France, elle pouvait sembler renoncer au rêve d’une communauté comme celle-là. Mais son directeur spirituel l’encouragea en lui disant que « ce que Dieu n’avait pas voulu en France, il le voudrait peut-être à Montréal ». Une communauté non cloîtrée, la Congrégation de Notre-Dame de Montréal, vit effectivement le jour et ces pages racontent comment elle se développa entre 1665 et 1700, l’année de la mort de Marguerite Bourgeoys. Elles décrivent aussi les circonstances géographiques, économiques et religieuses qui ont rendu possible la Congrégation. Un facteur décisif pour la croissance et la survie de la communauté aura été le fait qu’elle fut créée dans le Nouveau Monde, au sein d’une société de pionniers. Et qu’elle fut fondée à Montréal, où les Sulpiciens détenaient l’autorité civile et religieuse. Ni Mgr de Laval, premier évêque de Québec, ni son successeur Mgr de Saint-Vallier ne surent comprendre l’idée qu’avait Marguerite d’une communauté de femmes non cloîtrées. Néanmoins, étant donné les problèmes de leur immense diocèse à la population clairsemée, ils comptaient sur les services des sœurs de la Congrégation.

Introduction

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Seules des femmes qui pouvaient voyager, seules des femmes qui pouvaient même loger chez l’habitant, étaient en mesure de porter l’instruction religieuse jusque dans les petits établissements reculés. C’est la raison pour laquelle Laval et Saint-Vallier tolérèrent et encouragèrent même un mode de vie dans lequel ils ne voyaient qu’une solution de fortune à des problèmes temporaires. Alors que les évêques se montraient circonspects à l’égard de la petite communauté de Montréal, les dirigeants civils, eux, ne tarissaient pas d’éloges, comme en témoignent les rapports qu’ils envoyaient à leurs supérieurs en France. Ils voyaient dans la Congrégation un groupe de femmes qui subvenaient à leurs propres besoins et qui, loin d’être un fardeau financier pour l’État, offraient l’éducation gratuite aux filles de la colonie. Les sœurs encourageaient les nouvelles arrivantes et enseignaient des techniques de survie à celles qui étaient mal préparées à affronter les rudes conditions qui les attendaient en Nouvelle-France. Non seulement dispensaientelles l’enseignement moral et religieux mais elles apprenaient aux gens à gagner leur vie. Cela devait leur assurer au moins le soutien moral sinon l’appui concret des hauts fonctionnaires responsables de la vie économique de la colonie. La survie de la Congrégation doit aussi beaucoup à l’encouragement des Sulpiciens, qui remplacèrent les missionnaires jésuites à Montréal en 1657. Ils ne formaient pas un ordre religieux mais une société de prêtres, fondée à Paris par Jean-Jacques Olier, l’un des principaux dirigeants de la Société de Notre-Dame qui avait organisé la fondation de Montréal. En 1663, les Sulpiciens devinrent seigneurs de l’île en assumant la dette de la Société de Notre-Dame. Si quelques-uns d’entre eux allaient causer à Marguerite d’immenses souffrances pendant les dix dernières années de sa vie, dans l’ensemble ils offrirent à la Congrégation un appui indéfectible sans lequel celle-ci n’aurait pu passer le cap de son premier siècle. La Congrégation de Notre-Dame de Montréal obtint la reconnaissance civile sous la forme de lettres patentes octroyées par Louis XIV en 1671. En 1698, moins de deux ans avant la mort de la fondatrice, la communauté accepta une règle rédigée par Mgr de Saint-Vallier, alors évêque de Québec, et prononça pour la première fois des vœux publics. La reconnaissance officielle accordée par l’Église donnait au groupe plus de sécurité. Mais on peut se demander dans quelle mesure il lui aura fallu sacrifier la vision originelle de Marguerite pour arracher l’approbation ecclésiastique.

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marguerite bourgeoys et la congrégation

La première source d’information au sujet de ces années de la vie de Marguerite Bourgeoys se trouve, bien sûr, dans le recueil de textes divers publié sous le titre Les écrits de Mère Bourgeoys1 . Plusieurs biographes anciens nous ont aussi été utiles. Charles de Glandelet, le premier d’entre eux, a connu Marguerite pendant une bonne partie de la période qui nous intéresse puisqu’il est arrivé au Canada en 1675. Il a encore mieux connu Marie Barbier, qui fut la première Montréalaise à entrer dans la Congrégation et qui a succédé à Marguerite Bourgeoys à la tête de la communauté en 1693. Le texte inédit qu’il a rédigé sur la vie spirituelle de Marie Barbier éclaire la fondation des premières missions de la Congrégation dans la région de Québec. La biographie de Michel-François Ransonet, publiée en 1728, apporte peu de nouveaux renseignements mais illustre le processus de développement de la légende. La biographie publiée par Étienne Faillon en 1853 et ses autres œuvres sur l’histoire de Montréal, écrites alors que l’auteur avait accès à toutes les archives sulpiciennes à Paris comme à Montréal, sont extrêmement précieuses pour qui veut étudier cette période. Le travail d’un de ses confrères sulpiciens du dix-huitième siècle a été moins bien reçu : en 1942, Albert Jamet se montrera particulièrement méfiant à l’endroit d’Étienne Montgolfier, qui avait entrepris de raconter la vie de Marguerite Bourgeoys vers 1770. Sans doute y a-t-il des inexactitudes et des fautes d’interprétation dans son travail, mais Montgolfier savait l’importance de retourner aux sources et il a dû se servir de documents écrits qui ont disparu depuis2 . Il avait encore accès à une tradition orale considérable. Quand il est arrivé à Montréal en 1751, il était encore possible de parler à des sœurs qui avaient connu personnellement Marguerite Bourgeoys et qui avaient vécu avec elle. Lydia Longley, qui mourut en 1758, Madeleine d’Ailleboust, décédée en 1759, et Madeleine Chesnay La Garenne, disparue en 1760, étaient toutes entrées dans la Congrégation avant la mort de la fondatrice. Même si l’œuvre de Montgolfier doit être utilisée avec prudence, elle continue d’avoir une certaine valeur, en particulier lorsqu’elle est la seule source dont nous disposions sur certains événements. Mais les documents les plus importants pour comprendre la dernière décennie de la vie de Marguerite Bourgeoys restent sans contredit les lettres de Louis Tronson, supérieur des Sulpiciens à Paris de 1678 à 1700. Pendant ces longues années où il dirigea l’institut, il demanda à son secrétaire de recopier toutes ses lettres dans de grands cahiers annotés pour en faciliter la consultation.

Introduction

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Ces lettres, modèles souvent de modération, de sagesse et de tact, sont si détaillées qu’on arrive habituellement à déduire le contenu des missives auxquelles elles répondent. Elles représentent notre principale source sur la crise provoquée dans la Congrégation par une « visionnaire » dans les années 1690 et sur la réaction de la communauté à la règle que lui a présentée Mgr de Saint-Vallier en 1694. La perte des registres et archives de la Congrégation dans les incendies de 1683, 1768 et 1893 signifie que la plus grande partie de son histoire doit être reconstituée à partir d’autres documents civils et religieux. Les archivistes de la Congrégation et les personnes engagées pour les aider ont consacré de grands efforts à le faire, spécialement sœur Sainte-Henriette, auteure d’une monumentale histoire de la Congrégation en neuf volumes, publiée au début du vingtième siècle. Dans la seconde moitié du siècle, Mary Eileen Scott a poursuivi la recherche de documents concernant la Congrégation dans les fonds d’archives français et canadiens. Pour la période que couvre ce livre, ces documents comprennent les registres des naissances, des mariages et des décès à la paroisse Notre-Dame de Montréal ainsi que les comptes de la fabrique et les procès-verbaux de l’assemblée des marguilliers. Ils comprennent aussi des actes de vente et d’échange de propriétés, des contrats de mariage, des testaments et des documents reliés à des disputes civiles dans ce qui était une société très portée sur le litige, rédigés par Bénigne Basset et Claude Maugue, son successeur au greffe du tribunal. Il y a même des enquêtes sur des morts accidentelles ou suspectes et des témoignages en cour criminelle qui éclairent des événements survenus à l’époque des débuts de la Congrégation. Les rapports envoyés au ministère de la Marine par les gouverneurs et les intendants de la Nouvelle-France contiennent plusieurs descriptions louangeuses du travail de la Congrégation. On trouve aussi des détails utiles dans les recensements réalisés au Canada dans les années 1666, 1667 et 1681. Les registres de deux autres communautés religieuses canadiennes du dix-septième siècle sont également utiles. D’abord, les annales des Hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Montréal, où fut commencée en 1697 l’Histoire simple et véritable de sœur Marie Morin. Peut-être n’y a-t-il personne à l’extérieur de la Congrégation de Notre-Dame qui ait connu la communauté de plus près que sœur Morin, qui s’était liée d’amitié avec les premières sœurs de la Congrégation. Ensuite, les Annales de l’Hôtel-Dieu de Québec :

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marguerite bourgeoys et la congrégation

les religieuses de là-bas semblent avoir entretenu des rapports chaleureux avec les membres de la Congrégation. En fin de compte, force est d’admettre toutefois qu’une grande partie de l’histoire de la Congrégation ne peut nous être divulguée par les sources documentaires. La vie, par exemple, des sœurs qui n’ont jamais exercé de fonctions d’autorité ni signé de documents juridiques ou dont le nom n’apparaît pas dans un litige n’a jamais laissé de traces, sauf peut-être pour leur baptême et leur inhumation. Quand je puise à ce qui fut tradition orale dans la Congrégation ou dans d’autres sources, je m’efforce de le spécifier. Une grande partie de ce qui reste des écrits de Marguerite Bourgeoys a été rédigé pendant les années difficiles de la fin de sa vie et reflète les conflits intérieurs et les angoisses de cette période. Faute de lire dans ce contexte les propos qu’elle tient alors, ceuxci risquent de jeter une ombre sur les années antérieures et sur le visage d’une Marguerite plus jeune et plus heureuse. Pourtant, les observations de certains de ses contemporains, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Congrégation, indiquent bien que sa douceur, sa bonté et sa joie – qui comptaient parmi les traits les plus frappants de sa personnalité et qui faisaient que les gens se sentaient attirés par elle – ont persisté jusqu’à la fin. Les trente-cinq années décrites dans ce livre ont été, pour Marguerite Bourgeoys, des années de dur labeur et de lutte, de difficultés et de contradictions et parfois même de catastrophe. Ce furent aussi des années de recommencements, de courage, d’espérance, qui jetèrent des fondations sur lesquelles d’autres générations allaient construire. À la fin de Marguerite Bourgeoys et Montréal, je lance l’idée que Marguerite Bourgeoys a transféré à la Congrégation ce qui avait été le dessein original des fondateurs de Montréal : « Ah! mes chères Sœurs, faisons renaître, au moins parmi nous, le vrai esprit de cordialité et d’amour qui faisait la gloire et le bonheur du premier christianisme. » Au milieu de tous les problèmes qui l’ont affligée pendant les dix dernières années de sa vie, dans un pays déchiré par un conflit sans merci, elle eut la consolation de voir des femmes de toutes les parties en guerre – des Françaises, des Canadiennes, des Iroquoises et des Anglaises – vivre et travailler ensemble dans la Congrégation. Sa vie démontre qu’elle n’a jamais vacillé dans sa conviction que l’éducation peut changer l’individu et la société, que l’ennemi, c’est l’ignorance, et qu’en aidant les gens à comprendre on peut les amener à connaître la réconciliation et la paix.

chapitre premier

une nouvelle société prend forme 665 – 670 Je me vis contrainte, sur l’instance de mes Sœurs, de faire bâtir, à l’autre bout de la terre qui servait d’emplacement, environ cent pieds de long, en y comprenant le logement des hommes et des pensionnaires1.

En 1665, Montréal avait assisté à ce qui devait être le dernier départ de Paul Chomedey de Maisonneuve, son fondateur et premier gouverneur. Il l’avait défendue contre les Iroquois mais aussi, dès son arrivée au Canada en 1641, face à l’incompréhension, à l’hostilité parfois, des autorités de Québec. Marguerite Bourgeoys perdait le compatriote qui l’avait d’abord convaincue de venir à Ville-Marie et qui était devenu un confident et un grand ami. La ville naissante ne jouirait plus jamais, sous le régime français, de la quasi-autonomie administrative qu’elle avait connue, à certains moments du moins, pendant les premières décennies de son histoire, même si elle allait continuer d’avoir son propre gouverneur en attendant d’être intégrée à l’administration générale de la colonie. Marguerite, elle, ne pouvait que déplorer de voir partir Maisonneuve dans des circonstances que ses défenseurs jugeaient injustes et ignominieuses2 , mais il fallait passer outre, saisir les occasions et répondre aux besoins suscités par l’évolution de la situation non seulement à Montréal mais dans toute la Nouvelle-France; or, celle-ci était sur le point de vivre des changements dramatiques. À l’automne 1665, Marguerite Bourgeoys a quarante-cinq ans. Douze ans plus tôt, elle a couru le risque de quitter son chez-soi

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et l’une des plus vieilles villes de France pour aller enseigner dans un établissement minuscule qu’on venait de fonder sur une île du Saint-Laurent et dont la survie était, au mieux, précaire. Il lui avait été difficile d’accepter l’invitation de Maisonneuve : fallait-il abandonner son travail auprès des pauvres de Troyes, où elle réussissait si bien, pour s’engager dans un projet dont les perspectives d’avenir étaient encore obscures? Marguerite entreprit pourtant ce long et difficile voyage sans autre bagage qu’un petit baluchon. C’est qu’elle en était sûre : si Dieu voulait qu’elle participe au projet missionnaire qu’aspirait à être Ville-Marie, Dieu pourvoirait. Même si elle avait dû partir pour le Nouveau Monde sans personne pour travailler avec elle, Marguerite Bourgeoys nourrissait l’espoir de faire un jour partie d’une nouvelle sorte de communauté religieuse féminine. Une communauté qui ne serait pas cloîtrée, suivant ce que Marguerite tenait pour l’exemple de Marie, la mère de Jésus, et des autres femmes disciples de l’Église primitive. Entre-temps, la voyageuse se révélait remarquablement douée pour l’amitié, capable de susciter une vie communautaire dans chaque groupe où elle s’insérait : sur un navire frappé par la maladie, dans le magasin de Montréal à Québec ou à l’intérieur du fortin assiégé de Ville-Marie. Elle exhorterait un jour les membres de la communauté qu’elle allait fonder à cultiver toutes sortes d’habiletés pour mieux se rendre utiles aux autres. Elle en donnait elle-même l’exemple. En 1665, Marguerite a maintenant trois compagnes qui font communauté avec elle et qui l’aident de diverses façons dans les nombreuses tâches qu’impose la vie d’un établissement de pionniers. La plus vieille s’appelle Catherine Crolo; elle a un an de plus que Marguerite et leur amitié remonte à l’époque où elles travaillaient toutes deux auprès des pauvres de Troyes. D’après Sœur Morin, Catherine était dure à la tâche et se chargeait des gros travaux de la communauté car elle se voyait « comme la servante de toutes et l’âne de la maison3 ». Marie Raisin et Anne Hiou, l’une et l’autre à la fin de la vingtaine, enseignent aux enfants et aux femmes de VilleMarie et desservent peut-être aussi d’autres postes. Toutes les trois se sont liées par un contrat civil à vivre en communauté et à enseigner aux enfants des colons français et des familles autochtones. La Congrégation est encore logée dans l’édifice de pierres qu’on appelle toujours « l’étable-école » à cause de sa première vocation. Le jour, on habite le bas et on y fait la classe mais les résidantes

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dorment à l’étage, dans l’ancien colombier. En 1662, Marguerite a aussi acheté, pas très loin, une petite maison où elle a commencé, l’année suivante, d’accueillir les filles du roi. En plus d’enseigner aux enfants qui viennent à l’école, les sœurs « travaill[ent] jour et nuit » à coudre et à fabriquer des vêtements « afin de n’être à charge à personne et de gagner leur vie4 ». Le dimanche, elles réunissent aussi les femmes d’âge adulte pour des exercices de piété et un enseignement religieux. Même si la liberté de voyager et de circuler parmi les gens était un aspect essentiel de l’idée qu’avait Marguerite Bourgeoys d’une vie religieuse non cloîtrée, il lui importait tout autant de pouvoir recevoir et héberger. La maison de la Congrégation, comme on appelle déjà l’ancienne étable, n’est pas seulement une école. Depuis ce jour de 1653 où elle a commencé à prendre soin de la jeune Marie Dumesnil, Marguerite s’occupe des jeunes femmes qui viennent en Nouvelle-France dans l’espoir de s’y marier et de s’y établir. En 1663, elle s’est rendue à pied jusqu’au fleuve pour accueillir les premières filles du roi arrivées à Montréal; la maison de la Sainte Vierge, insistait-elle, doit être ouverte à toutes les femmes. Il y en a sûrement quelques-unes qui vivent avec la Congrégation à l’automne de 1665 : sur les onze qui débarquent en 1665, quatre se marient en novembre, une en décembre, deux en janvier, trois en mars et une autre doit attendre jusqu’en juillet. En plus des femmes qui vivaient avec la Congrégation en attendant de se trouver un mari, les sœurs avaient aussi la charge de jeunes enfants, pour différentes raisons. Et il arrivait fréquemment que leur maison serve de lieu public : on y signait les contrats de mariage en présence d’un grand nombre de témoins et d’invités, on y veillait les morts la nuit précédant l’enterrement. S’il y avait beaucoup de monde et beaucoup de travail à l’étableécole, il y avait aussi beaucoup de joie : le franc rire qui naît du compagnonnage au sein d’un groupe confronté à des circonstances difficiles. Il est certain que la personnalité de Marguerite Bourgeoys contribuait largement à animer et à inspirer ce groupe, à lui donner sa cohésion, son esprit de corps. En 1663, ses compagnes avaient été consternées de la voir résolue à vivre avec les filles du roi dans la petite maison qu’elle avait aménagée pour elles. Leur réaction venait peut-être davantage de ce qu’elles la perdaient dans la grande maison que de la peur de lui voir assumer de plus lourdes responsabilités.

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À cette époque, la situation de Montréal fait que le petit groupe doit encore retirer l’échelle extérieure après être monté dormir à l’étage. Cela ne peut que lui rappeler constamment le danger auquel il est toujours exposé, le risque d’une attaque des Iroquois. Mais en 1665, cette menace va bientôt être écartée pour une bonne vingtaine d’années. En effet, impressionné par la richesse que les Hollandais et les Anglais réussissent à tirer de leurs colonies, Colbert, le puissant ministre du roi de France, a décidé de les imiter. C’est dans ce but qu’en 1663 on retire la Nouvelle-France à la Compagnie des Cent-Associés pour créer la Compagnie des Indes occidentales. Pour servir les ambitions économiques de Colbert, les renforts demandés depuis des années par les gouverneurs, les Jésuites et Mgr de Laval sont finalement envoyés afin d’étouffer une fois pour toutes la menace iroquoise. À l’automne 1665, Montréal est certainement au fait des grands événements survenus à Québec au cours des derniers mois. Le 26 février 1664, Alexandre de Prouville de Tracy, militaire d’expérience et de grande réputation, s’était embarqué en direction des possessions françaises du Nouveau Monde avec le titre imposant de commandant en chef des forces françaises en Amérique sur terre et sur mer. Après avoir fait escale aux Antilles, il est arrivé à Québec avec un contingent de quatre compagnies, le 30 juin 1665, au vif soulagement et pour la plus grande joie de toute la NouvelleFrance. Le régiment d’infanterie de Carignan-Salières, qui s’est déjà battu en Hongrie contre les Turcs, a été envoyé au complet en Nouvelle-France pour la campagne contre les Iroquois; quatre compagnies sont arrivées avant Tracy, huit le rejoignent en août, et huit autres en septembre – en tout, plus de 1200 hommes. Face à un tel déploiement de force, l’enthousiasme des colons assiégés rend l’événement inoubliable. Si l’idée d’éradiquer la menace iroquoise n’avait pas suffi à les impressionner, la pompe et le cérémonial qui entourent l’arrivée de Tracy et chacune de ses apparitions publiques ne vont pas manquer de le faire. Les cloches sonnent à toute volée tandis que le vice-roi est officiellement accueilli par Mgr de Laval, revêtu de ses vêtements pontificaux et entouré de tout son clergé. Tracy entre dans l’esprit de l’affaire, refuse le coussin qu’on lui offre et s’agenouille directement sur le plancher pour le chant du Te Deum, même si on le sait malade et miné par la fièvre. Partout où il va, il est précédé de quatre pages et d’une escorte de vingt-quatre gardes portant les couleurs du roi;

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six laquais le suivent. Il est entouré par de nombreux officiers richement vêtus et flanqué de son aide de camp, le chevalier Alexandre de Chaumont5. L’arrivée du régiment à Québec ne présentait pas que des avantages pour la population de la Nouvelle-France. Parce que les bateaux étaient trop chargés d’hommes et de bagages, écrit Marie de l’Incarnation à son fils, ils n’ont pas apporté à la population locale les provisions qui devaient leur venir de la mère patrie : « Nous en serons très incommodées, mais il faut un peu pâtir avec les autres6. » Une épidémie qui éclata chez les nouveaux arrivants eut aussi de graves conséquences. Les hommes étaient restés en bonne santé pendant la plus grande partie de la traversée mais les choses changèrent peu avant l’arrivée. Les sœurs de l’Hôtel-Dieu de Québec durent se dépenser jusqu’à l’épuisement pour s’occuper du grand nombre de patients qui exigeaient maintenant des soins, et il fallut transformer l’église paroissiale en annexe provisoire de l’hôpital. Quand l’église fut pleine, certains patients durent être transportés dans les maisons des environs. Mais dans les jours qui suivirent immédiatement son arrivée, le régiment fit aux autorités et aux communautés religieuses de Québec l’effet d’une grâce sans mélange. Marie de l’Incarnation voyait une armée débordant « de foi et de courage » prendre conscience qu’elle était venue mener une « guerre sainte où il ne s’agit que de la gloire de Dieu, et du salut des âmes7 ». La conversion au catholicisme de plusieurs soldats huguenots semblait confirmer la piété des nouveaux renforts. L’épidémie qui frappait le régiment et son arrivée tardive dans l’année l’empêchèrent d’entreprendre immédiatement une campagne en territoire iroquois, mais les travaux qu’on fit exécuter aux hommes les auront mis en contact avec Montréal. Ils commencèrent à construire une série de forts le long du Richelieu et du lac Champlain pour protéger l’avance des troupes au moment de la campagne. Alarmées par la nouvelle de ces développements, certaines tribus iroquoises tentèrent, par l’entremise de Garakontié, chef des Onnontagués, de conclure la paix avec les Français et de démontrer, du même coup, qu’elles comprenaient elles aussi l’importance des rites et des cérémonies8. Ces tractations n’aboutirent pas mais eurent tout de suite au moins un effet positif pour Montréal : un échange de prisonniers entraîna la libération de Charles Le Moyne, un de ses principaux habitants, que les Iroquois avaient capturé l’été précédent.

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En janvier 1666, Daniel de Rémy de Courcelle, nouveau gouverneur de la Nouvelle-France, arrivé en septembre de l’année précédente, mène une expédition en territoire iroquois dans ce qui est aujourd’hui le nord de l’État de New York. C’est un fiasco. Ni les soldats ni leurs commandants n’ont l’expérience du combat au Canada, et les officiers ne sont guère disposés à recevoir de conseils des colons; ce ne sera pas la dernière fois que les Canadiens subiront ce genre de frustration dans leurs rapports avec des supérieurs européens. Faillon suggère que Tracy aurait pu tirer grand profit des conseils de Maisonneuve, qu’il s’était plutôt empressé de bannir en France9. Le désastre n’est pas dû à quelque affrontement avec des bandes iroquoises – il n’y en eut aucun – mais aux rigueurs de l’hiver canadien auquel les soldats français ne sont nullement préparés. Impatient, le gouverneur de Courcelle est parti sans attendre ses alliés Algonquins qui ne servaient pas seulement de guides mais qui approvisionnaient l’armée française avec le produit de leur chasse. Des soldats meurent de faim, d’autres de froid, et le groupe entier s’égare au point de devoir demander secours à l’établissement anglo-hollandais de Corlaer (aujourd’hui Schenectady). Les restes de l’armée française rentrent à Québec le 17 mars. Futile à bien des égards, cette expédition impressionne néanmoins les Iroquois car elle a pénétré loin dans leur territoire, si bien qu’ils participent aux négociations de paix l’été suivant. Mais les Français restent inquiets de l’attitude des Onneiouts et des Mohawks. Début septembre 1666, on prend la décision d’envoyer une grande expédition en territoire iroquois. Quelque 300 hommes participent à l’entreprise, dont 110 membres de la milice de Montréal sous le commandement de Charles Le Moyne, et 100 alliés hurons et algonquins. François Dollier de Casson, futur seigneur de Montréal et auteur de sa première histoire, vient d’arriver en Nouvelle-France et il est l’un des quatre aumôniers qui accompagnent l’armée. La troupe atteint quatre villages mohawks, mais ceux-ci sont déserts car les Iroquois évitent de livrer bataille quand l’issue du combat est déjà scellée. Les Français incendient les villages avant de se remettre en route pour Québec, où ils arrivent le 5 novembre. Même s’il n’y a pas eu d’engagement et que l’expédition n’a entraîné aucune défaite décisive pour les Mohawks, elle a atteint son objectif immédiat. En juillet 1667, les Cinq Nations font la paix avec les Français et leurs alliés hurons et algonquins. Certes, les relations entre les Français et les Cinq Nations ne resteront pas toujours au

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beau fixe, mais jamais plus la Nouvelle-France ne courra le risque d’être anéantie par les Iroquois. La même année voit le retour de l’Acadie à la France par le traité de Breda. La menace militaire que représentaient les Iroquois et les Anglais s’atténue; on peut désormais consacrer plus d’attention et d’énergie aux problèmes économiques de la Nouvelle-France. Ces problèmes relevaient de la compétence de Jean Talon, arrivé à Québec à la fin de l’été 1665 pour occuper la charge d’intendant. Dans la réforme administrative imposée par Colbert, l’intendant avait de larges pouvoirs : responsable du gouvernement civil de la colonie, il surveillait l’administration de la justice et la gestion financière, y compris le développement de l’économie. Il devait aussi entretenir l’armée et coordonner les travaux de fortification. Talon avait joué un rôle important dans la décision d’envoyer un corps expéditionnaire en territoire iroquois. Une fois la paix conclue, il pourrait se consacrer davantage aux projets économiques de Colbert pour la colonie10. Pendant le mandat de Talon, les immigrants affluèrent en Nouvelle-France à un rythme sans précédent : jusqu’à 500 hommes par année venaient s’ajouter à la population de la colonie. Même si le régiment de Carignan n’avait été envoyé en garnison que pour une période de dix-huit mois, 400 de ses survivants décidèrent de rester quand les autres rentrèrent en France, en 1668. Les autorités de la métropole désiraient voir ces hommes s’établir et fonder des familles au lieu de courir les bois, attirés par les gains faciles que procurait la traite des fourrures. C’est dans cette perspective qu’on envoya chaque année dans la colonie quelque 150 jeunes femmes nubiles. L’expérience de Marguerite et de sa Congrégation auprès des immigrantes françaises allait s’avérer précieuse : on accueillait les nouvelles venues et on les aidait à s’acclimater11, mais on continuait aussi de fournir des services à toutes ces familles nées d’une immigration accrue et de politiques gouvernementales qui favorisaient les mariages précoces et les familles nombreuses12 . Le service le plus important rendu par la Congrégation était bien sûr celui pour lequel Marguerite avait d’abord traversé l’océan et recruté ses premières compagnes : l’éducation gratuite des enfants de la colonie. Le fait que les autorités civiles ne voyaient pas la Congrégation comme une communauté religieuse, parce qu’elles la jaugeaient à l’aune des communautés traditionnelles à l’époque, était plus un

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avantage qu’un inconvénient. Colbert était hostile aux Jésuites alors même que ceux-ci auraient pu appuyer la mise en œuvre de certains de ses plans, car ils n’aimaient pas plus que lui voir les colons se faire coureurs de bois : ils estimaient en effet que la présence en forêt de ces hommes, pressés souvent de se libérer des contraintes de la civilisation, constituait un obstacle à l’évangélisation des autochtones. De manière générale, les administrateurs de la colonie voyaient dans les communautés religieuses traditionnelles un fardeau économique plutôt qu’un atout pour la collectivité. La fraternité laïque de Marguerite avait déjà fait la preuve qu’elle pouvait subvenir à ses propres besoins et financer son œuvre. Sa liberté de mouvement était aussi un avantage au moment où l’on fondait de nouveaux établissements. Et parce qu’elle n’avait pas encore obtenu la reconnaissance canonique, l’État n’aurait pas à venir à son secours si le petit groupe connaissait des problèmes financiers. Tout cela gagnait à la Congrégation la sympathie des autorités civiles, en Nouvelle-France comme dans la métropole. Malgré le départ de Maisonneuve, Marguerite Bourgeoys aura partagé l’espoir et les attentes qu’inspiraient à la population de la Nouvelle-France les nouvelles politiques royales. Pour la première fois depuis son arrivée en 1653, la paix permettait de tendre la main à la population autochtone. Les femmes qui allaient arriver en nombre croissant jusqu’en 1673 auraient besoin d’hébergement, de conseils et de formation technique pour apprendre à survivre dans leur nouveau milieu. Les enfants qui naîtraient des unions qu’elles contracteraient viendraient peupler l’école. Mais à ce moment précis, pourtant riche de promesses et de défis, la petite Congrégation de Marguerite subit une lourde perte : Marie Raisin entra au couvent des Ursulines de Québec13. Marguerite Bourgeoys avait recruté quatre compagnes en France en 1659. L’une d’elles, Edmée Chastel, avait quitté le groupe en 1661 pour devenir servante et dame de compagnie de Barbe de Boullogne, veuve de Louis d’Ailleboust, et toutes deux étaient allées vivre à Québec. Et voilà que Marie Raisin, candidate d’avenir, plus jeune, la deuxième des trois compagnes que Marguerite avait recrutées dans son Troyes natal, semblait perdue pour le groupe. Marguerite ne put sans doute pas s’empêcher de repenser à sa première tentative de vie religieuse non cloîtrée en Champagne, une vingtaine d’années plus tôt, et à l’échec qu’elle avait connu avec le mariage de l’une de ses compagnes et le décès de l’autre. Cette

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fois-ci, la situation se compliquait car il fallait assumer les nombreuses responsabilités qu’elle-même et ses compagnes avaient déjà acceptées à Ville-Marie. Marie Raisin était née à Troyes en avril 1636; Marguerite Bourgeoys n’avait encore que seize ans, sa mère vivait toujours et la « conversion » de 1640 était encore à venir. Comme Marguerite, Marie fut baptisée à l’église de Saint-Jean-au-Marché et, puisqu’elles ne vivaient pas très loin l’une de l’autre, il est presque certain que les deux familles se connaissaient. Il est tout à fait possible que Marguerite ait connu Marie au berceau avant d’avoir fait la connaissance de Catherine Crolo, probablement dans la communauté externe de la Congrégation de Notre-Dame de Troyes. Certains indices donnent à penser que Marguerite avait une grande confiance en Marie Raisin. Le premier recensement systématique en Nouvelle-France fut décrété par Jean Talon peu après son arrivée. Effectué dans les premiers mois de 1666, il indique que Marie Raisin enseignait alors à Trois-Rivières. Il s’agit là de la première preuve documentaire attestant la pratique dans la Congrégation de Notre-Dame de ce qu’on appelait alors les « missions ambulantes ». Avant même que la Congrégation eut commencé à ouvrir des missions permanentes en dehors de Ville-Marie, ses membres se rendaient dans d’autres postes, où il n’y avait pas encore d’école, pour préparer les jeunes à leur première communion. Marcel Trudel estime que, dans la région de Trois-Rivières, le recensement s’est fait entre la mi-janvier et la mi-avril14. C’est en juillet que Marie Raisin se présenta au couvent des Ursulines à Québec. À l’époque, Marie avait trente ans et elle était à Montréal depuis sept ans. La vie à l’école de Ville-Marie avait été exigeante, fébrile et sûrement épuisante. Le métier d’enseignante itinérante aura été tout cela et plus encore. Si Marie était à Trois-Rivières à la fin de l’hiver ou au début du printemps, elle y aura passé tout l’hiver ou alors elle aura dû faire le voyage en hiver. Quelle que soit la saison, le voyage durait plusieurs jours et il aura fallu, la nuit, camper sur la rive du Saint-Laurent ou se faire héberger dans une habitation rencontrée en chemin. Une fois arrivée à Trois-Rivières, elle aura dû, comme le feront plus tard les autres sœurs lors de missions semblables, vivre dans la maison déjà surpeuplée d’une famille du lieu. Outre les rigueurs du voyage et les conditions de vie difficiles qu’il fallait accepter sur place, Marie Raisin dut composer avec une autre privation, l’absence d’une compagne15. Elle venait d’un milieu

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cultivé, une famille de musiciens et d’acteurs. Entourée à longueur de jour, elle aura trouvé bien peu de gens avec qui échanger. Consciente du problème, Marguerite enverrait plus tard ses filles deux par deux dans les missions, et advenant que ce fût impossible, les sœurs seraient généralement accompagnées par une jeune femme d’une confrérie qu’elles avaient organisée. Il ne faut peut-être pas s’étonner que Marie Raisin se soit mise à aspirer à la paix et à la fraternité du cloître. Le départ de Marie traduit peut-être aussi ses doutes et ses incertitudes à propos de la forme de vie religieuse radicalement différente dont la Congrégation faisait l’essai à Montréal. À près de quatre siècles de distance, on oublie facilement ce que pouvait avoir d’étrange et d’inédit au dix-septième siècle l’idée d’une vie religieuse féminine non cloîtrée. Sur place, à Montréal, Sœur Marie Morin, qui était pratiquement la voisine de la Congrégation de Marguerite, pouvait l’apprécier depuis son cloître mais rien n’indique que ç’ait aussi été le cas dans la vieille capitale. Pour plusieurs siècles encore dans l’Église catholique, la vie au cloître allait continuer d’être jugée supérieure aux autres formes de vie religieuse. Marguerite Bourgeoys elle-même n’est jamais mentionnée dans la correspondance volumineuse de Marie de l’Incarnation. Quand il y est question de la Congrégation, des « filles séculières » comme on les appelle, on a l’impression d’un bouche-trou que les Ursulines iront remplacer à Montréal dès que les conditions le permettront16. Il faut beaucoup de conviction intérieure pour persévérer en l’absence de soutien social. Curieusement, les mois de silence au cloître semblent justement avoir procuré cette assurance à Marie Raisin car, comme le rapporte Marie Morin, elle comprit que le cloître n’était pas la volonté de Dieu sur elle et, à la mi-novembre, elle entreprit dans le froid de rentrer à Montréal « pour être réunie à ses sœurs à la Congrégation ». Son retour allait réjouir non seulement les sœurs de la Congrégation mais aussi leurs voisines de l’hôpital car elle était accompagnée de Catherine Denis qui, incapable de payer la dot à l’Hôtel-Dieu de Québec, entrait au noviciat des Hospitalières de Saint-Joseph à Montréal17. Il devenait maintenant de plus en plus évident pour les compagnes de Marguerite Bourgeoys que l’étable-école, avec sa seule et unique pièce divisée au rez-de-chaussée et son pigeonnier aménagé à l’étage, ne suffisait plus aux besoins croissants de la petite communauté. Même avec l’ajout de l’édifice adjacent, que Marguerite avait

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acheté en 1662 et dans lequel elle avait d’abord accueilli les filles du roi en 1663, le groupe manquait d’espace pour vivre, pour travailler et pour loger une maisonnée disparate et grandissante. En 1663, il y avait à Montréal environ 70 filles et garçons entre cinq et douze ans, et donc autant d’élèves potentiels car l’école des garçons n’ouvrirait pas avant 1668. Mais en juillet 1666, on comptait 129 enfants, dont 58 filles, et leur nombre était destiné à augmenter rapidement car il y avait déjà 170 enfants de moins de cinq ans, dont 92 filles18. Les filles du roi continuaient d’arriver tous les ans19, et même si elles étaient moins nombreuses certaines années (1664, 1666, 1669), il y en avait parfois un peu plus – les onze déjà mentionnées pour 1665, par exemple, et les treize de 166820. En 1663, Marguerite avait entrepris de les accueillir à la maison, à leur arrivée à Montréal, parce que c’était « pour les familles » et parce qu’elle croyait que « la maison de la Sainte Vierge » devait être ouverte à toutes les femmes. Certaines des jeunes femmes qui arrivèrent au cours de la décennie suivante avaient déjà des parents à Montréal, chez qui elles purent résider, mais c’était là l’exception; tout indique que d’autres ont continué de loger à la Congrégation jusqu’à leur mariage et que leur séjour a pu se prolonger. Même si quelques-unes se marièrent deux ou trois mois après leur arrivée, d’autres eurent besoin de plus de temps pour trouver un conjoint convenable et s’engager. Les cinq femmes identifiées au recensement de 1667 comme « filles à marier habitant avec les filles de la Congrégation » avaient dû toutes arriver l’année précédente. L’une d’entre elles devait se marier à la fin de mai 1667, deux en novembre 1667, une quatrième en février 1668 et la cinquième seulement en mars 167021. Le retour en Nouvelle-France du supérieur des Sulpiciens, Gabriel Thubières de Lévy de Queylus, en 1668, contribua à réduire la pression sur la Congrégation car il ouvrit une école pour garçons et en confia la charge à l’abbé Gabriel Souart 22 . Mais quand il se lança avec enthousiasme dans le projet d’instruire les enfants potawatomis qui avaient été prisonniers des Iroquois, il donna un peu plus de travail à Marguerite et à ses compagnes. Les Sulpiciens se chargèrent des garçons mais les filles vinrent vivre à la Congrégation. Dollier de Casson, dans sa chronique de l’année 1670–71, mentionne « deux filles chez les Sœurs de la Congrégation, où elles ont appris la langue française et ont été élevées à l’européenne, en sorte

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que la grande, qui a été la dernière baptisée, est en état de se marier avec un Français23 ». Besoin croissant d’espace, donc, pour l’école et pour l’hébergement des femmes immigrantes et autochtones, mais la Congrégation devait aussi loger ses ouvriers et elle subissait de plus en plus de pressions pour ouvrir un pensionnat, car certaines familles de Montréal et des environs ne voulaient pas imposer à leurs filles un voyage long et difficile jusqu’au couvent des Ursulines à Québec. Pour les familles de la campagne voisine, le pensionnat était un endroit où leurs filles pouvaient passer quelques mois pour préparer leur première communion. Si ce pensionnat se trouvait à Montréal, les dépenses seraient moins élevées pour les parents, qui payaient d’ordinaire en nature. On ne peut guère s’étonner de voir les compagnes de Marguerite souligner l’urgence de construire une demeure plus vaste. Ce qui est déroutant, en revanche, compte tenu du tempérament pratique de Marguerite et de la place qu’elle faisait habituellement au bon sens quand elle avait une décision à prendre, c’est sa réticence. Or, ce malaise face à la construction d’une maison plus grande ne devait pas s’estomper même une fois l’édifice achevé. Ce qui peut expliquer son hésitation, c’est l’engagement qu’elle avait pris de mener une vie de pauvreté. Pour elle, cela voulait dire vivre comme avaient vécu le Christ et Marie, sa mère : La très Sainte Vierge, dont nous sommes les filles, a embrassé une étroite pauvreté et retranché tout ce qui n’était pas absolument nécessaire aux vivres, aux habits, aux linges et autres choses; ce que Notre-Seigneur a confirmé par la pauvreté de sa naissance, n’ayant point permis qu’il se soit trouvé, pour Le loger, une maison mais une étable, et pour berceau, une crèche, et de la paille pour se coucher. Dans tout le cours de sa vie, Il n’a pas eu où se reposer; Il est mort nu sur la croix et sa première instruction, sur la montagne, est celle-ci : « Bienheureux sont les pauvres d’esprit 24. »

Même si Marguerite admettait que c’est « l’esprit et le cœur qui sont pauvres », l’ancienne étable où étaient nées son œuvre et sa Congrégation avait à ses yeux une grande force symbolique. Elle évoquait le lieu, disait-elle, où « la Sainte Vierge a reçu, avec même affection, les rois et les bergers25 ». En dépit des limites de l’étable, elle trouva très difficile de l’abandonner.

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Et Marguerite ne s’inquiétait pas seulement de la vie de Jésus et de Marie quand ils étaient sur la terre; elle voyait la vie de Jésus se continuer parmi les colons autour d’elle : des hommes, des femmes et des enfants qui vivaient certainement, à cette époquelà, une pauvreté matérielle considérable. Partager la pauvreté de Jésus, c’était partager leur pauvreté à eux. Toute sa vie, Marguerite insistera pour que les conditions de vie dans la Congrégation ne soient pas meilleures que celles des colons ordinaires. Ce que la Congrégation possédait de meilleur devait être réservé aux pauvres : « Les draps que l’on pouvait avoir étaient pour prêter aux pauvres femmes, dans leurs besoins26. » Elle reconnaissait en ces femmes la personne du Christ. Il y avait encore une autre raison qui dissuadait Marguerite d’entreprendre à ce moment-là la construction d’une nouvelle maison. En 1655, elle avait décidé de faire ériger une chapelle de pèlerinage dédiée à la Sainte Vierge sous le vocable de Notre-Dame-de-BonSecours. La majorité de la population clairsemée de Montréal avait participé au projet, depuis le gouverneur jusqu’aux plus pauvres des colons pour qui Marguerite avait fait de la couture en échange de leur travail. Les travaux avaient été suspendus quand les missionnaires jésuites avaient été remplacés par les Sulpiciens en 165727. Lorsque Marguerite revint avec ses premières compagnes de son voyage de 1658–59, elle eut la douleur de constater que les matériaux de construction rassemblés pour la chapelle avaient disparu. Il est évident que l’érection de cette chapelle revêtait pour elle une importance extrême. Ce n’était pas un projet qu’elle avait entrepris pour s’occuper en attendant qu’il y ait suffisamment d’enfants assez grands pour ouvrir une école. Les pèlerinages étaient à l’époque une pratique de dévotion importante, le symbole de la route de la vie, une façon de faire prier non seulement l’esprit et le cœur mais tout son être. Or il semble que, tout comme sa décision d’aller vivre dans la maison Charly avec les filles du roi en 1663, la chapelle soit devenue une source de conflit entre Marguerite et ses compagnes. De toute évidence, ces dernières estimaient que les ressources du groupe devaient servir à construire des locaux plus adéquats pour ellesmêmes et pour l’œuvre plutôt qu’à élever une chapelle de pèlerinage. Marguerite découvrait encore une fois le prix à payer pour vivre en communauté : « Je ne me croyais plus libre pour faire bâtir

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cette chapelle. » Cette fois, elle capitula : « Je me vis contrainte, sur l’instance de mes Sœurs, de faire bâtir, à l’autre bout de la terre qui servait d’emplacement, environ cent pieds de long, en y comprenant le logement des hommes et des pensionnaires. Tout cela était d’une grande dépense. » Puis elle ajoute : « Mais quand je me trouvais en peine, je m’adressais à la très Saint Vierge et lui promettais que je lui ferais bâtir sa chapelle; et aussitôt, je trouvais ce qui m’était nécessaire, et cela, par plusieurs fois28. » En plus d’entreprendre la construction de ce qu’on allait appeler la « grand maison », Marguerite Bourgeoys mettait au point des moyens de financer l’œuvre de la Congrégation et peut-être aussi d’aider à loger sa maisonnée en expansion. Depuis 1662, elle était propriétaire à Pointe-Saint-Charles : deux concessions obtenues de Maisonneuve et un autre terrain acheté d’Urbain Boudreau. Son intention en acquérant ces terres était d’y établir une ferme qui ferait vivre la Congrégation et son œuvre. Pour cela, il fallait défricher et ensemencer. Conformément aux usages de l’époque, la terre serait cultivée par des hommes engagés, des donnés (qui donnaient leurs services à une communauté religieuse en échange de la garantie d’un soutien permanent) ou par suite d’une entente avec les colons voisins. Il est peu probable qu’il y ait eu une demeure sur cette propriété avant 1668. En septembre de cette année-là, Marguerite acheta un lopin de terre contigu, faisant deux arpents de largeur, à François Le Ber et Jeanne Testard, son épouse. Il y avait sur ce terrain une maison et des bâtiments29, et c’est là que s’établit Sœur Catherine Crolo. Elle allait gérer la ferme jusqu’à l’incendie de la maison en 1693. Il est possible, voire même probable, que tout en continuant de résider avec ses compagnes dans ce qui est aujourd’hui le VieuxMontréal, Catherine ait fait l’aller-retour pour superviser les travaux à la ferme à compter de 1662, « en canot, l’été, à pied au printemps et en automne, en raquettes, l’hiver30 ». La ferme comprenait alors soixante-sept arpents et demi. Marguerite allait continuer toute sa vie d’agrandir la terre, et la ferme sera une source importante de revenus pour la Congrégation et son œuvre jusqu’au début du vingtième siècle. La maison de ferme a-t-elle aussi servi à héberger des filles du roi jusqu’à ce qu’elles se trouvent un mari? Même s’il n’y a pas encore de preuve documentaire qui permette de répondre à cette question, des arguments convaincants incitent à le croire. D’abord, il

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y a l’existence d’une tradition orale prolongée et persistante. Cette tradition s’appuie sur des faits connus : l’accueil des filles du roi par Marguerite Bourgeoys et ses compagnes; le problème grandissant d’encombrement à l’étable-école (la nouvelle maison ne sera pas terminée avant 1672); le grand nombre de filles du roi qui arrivèrent en 1668 et en 1670. Il y avait une autre excellente raison pour loger les nouvelles venues à la ferme. Marguerite Bourgeoys ne voulait pas seulement offrir un logis temporaire à ces femmes mais les préparer au rôle qu’elles devraient jouer comme épouses et mères de familles de pionniers. Les deux tiers environ des filles du roi étaient nées en ville. Dans les années 1669, 1670 et 1671, un grand nombre de recrues provenaient de l’Hôpital général de Paris et elles étaient parties pour la Nouvelle-France afin d’échapper à la pauvreté et à la misère. Plusieurs n’avaient ni la force ni le savoir-faire ni les ressources pour affronter le milieu dur et exigeant où elles venaient d’arriver. À tel point d’ailleurs que Talon se plaignit et insista pour que les contingents soient formés de jeunes femmes de la campagne et non de citadines31. Quelques semaines dans une ferme en activité auront donné aux recrues qui arrivaient des institutions de Paris et de Rouen un minimum de préparation. Leur présence à la ferme de la Congrégation aura permis à Catherine Crolo de les initier à quelques-unes des techniques dont dépendraient bientôt leur subsistance et celle de leurs enfants. Le fait que les premières sœurs de la Congrégation étaient elles-mêmes des citadines avant d’émigrer en Nouvelle-France aura sans doute stimulé leur empathie et leur compréhension pour les nouvelles arrivantes. Cependant, la Congrégation de Notre-Dame de Montréal n’avait toujours pas d’existence juridique. Le temps était venu de corriger cette situation. Et si les choses changèrent, ce fut en bonne partie grâce aux autorités civiles. Les critères qu’appliquait Talon pour évaluer les groupes religieux à l’œuvre dans la colonie transparaissent dans son « Mémoire sur l’état présent du Canada » (1667). Quand il traite des ecclésiastiques du pays, il est particulièrement enthousiaste à propos des Sulpiciens – ils étaient douze à ce moment-là – qui « ne sont à charge ny au roy ny au pays à cause du bien qu’ils transportent en Canada, et que d’ailleurs ils ne causent pas aux colons la peine d’esprit qu’ils ressentent par la conduite des autres ... Ces Ecclésiastiques subsistent de leur revenu. » S’il juge les Ursulines de Québec « utiles », il continue en disant que les sœurs hospitalières à Québec et à Montréal sont « plus utiles

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encore » parce qu’elles nourrissent et qu’elles soignent les malades et les blessés32 . Le travail accompli par la Congrégation auprès des simples colons de Montréal et le fait que le groupe se subvenait à lui-même ne pouvaient manquer de plaire à l’intendant. Marguerite Bourgeoys avait assimilé les principes et les valeurs pédagogiques de Pierre Fourier et d’Alix Le Clerc en travaillant avec la Congrégation de Notre-Dame de Troyes. Cet idéal pédagogique se fondait sur la conviction que l’instruction devait permettre aux pauvres de gagner un revenu décent. Dès ses origines, par conséquent, la Congrégation de Notre-Dame de Montréal ne s’est pas seulement consacrée à l’instruction morale et religieuse des colons mais elle a cherché à leur communiquer le savoir-faire qui leur permettrait de se subvenir à eux-mêmes et d’être utiles à la société. En 1667, Courcelle et Talon firent une tournée officielle à Montréal et l’intendant prit soin d’en visiter chacune des maisons. Le 9 octobre, l’assemblée générale des colons appuya à l’unanimité la demande de lettres patentes présentée par la Congrégation33. Si les dirigeants de la société civile étaient sympathiques à la Congrégation, les autorités ecclésiastiques, tant à Montréal qu’à Québec, étaient plus ambivalentes. Depuis son retour en NouvelleFrance comme supérieur des Sulpiciens, en 1668, M. de Queylus avait eu des rapports étonnamment harmonieux avec Mgr de Laval ainsi d’ailleurs qu’avec l’ensemble des dirigeants de la colonie. Comme lors de son séjour précédent au Canada, M. de Queylus témoignait une grande sympathie aux communautés religieuses de Québec. Il avait l’intention de fonder un hospice pour les Indiens malades à Montréal et de le confier aux Religieuses hospitalières de Saint-Augustin, de Québec, qu’il n’était pas parvenu à faire s’établir à Montréal en 165834. Il regardait aussi les Ursulines d’un œil favorable. Le 25 septembre 1670, Marie de l’Incarnation écrivait à l’archevêque de Tours : « L’on a eu quelque dessein de nous établir à Mont-Réal; mais l’affaire a été retardée pour quelque temps; et Monsieur l’Abbé de Quellus qui en est le Seigneur spirituel et temporel pour Messieurs de Saint Sulpice, nous promet sa protection lorsque les choses seront en état. Nous ne sommes pas marries de ce retardement, parce que nous ne sommes pas encore assez fortes pour entreprendre un établissement de cette conséquence. Monseigneur notre digne Prélat, qui ne fait rien qu’avec prudence, est aussi de ce sentiment35. »

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Si s’était concrétisé ce projet d’installer à Montréal les communautés de Québec, quelles auraient été les conséquences pour les Hospitalières de Saint-Joseph à l’Hôtel-Dieu et pour la Congrégation de Notre-Dame à Montréal? Nul ne le saura jamais. L’abbé de Queylus dut rentrer en France régler des affaires de famille et ne revint jamais au Canada. Les Sulpiciens qui avaient passé le plus de temps à Montréal – Gabriel Souart, le premier curé et l’ami des communautés de Montréal depuis le début, et Gilles Pérot, qui l’avait remplacé comme curé en 1666 – ne partageaient peutêtre pas l’avis de leur supérieur. Dollier de Casson, qui succéda à Queylus comme supérieur, semble être devenu l’ami et le confident de Jeanne Mance. Leur amitié pourrait même avoir commencé avant que Jeanne Mance ait collaboré avec M. Souart pour faire parvenir des provisions à la garnison affamée du Fort SainteAnne, quand Dollier y était aumônier au début de 1667. Comme en témoigne son Histoire du Montréal, Dollier était profondément sympathique aux fondateurs de Montréal et très conscient des tensions entre Montréal et Québec. Dans une lettre aux Ursulines de Tours, écrite vers la fin de 1671, Marie de l’Incarnation observait que « Messieurs de saint Sulpice, qui en ont la conduite, n’y veulent que des Filles Séculières, qui aient la liberté de sortir, pour aller çà et là, afin de solliciter et d’aider le prochain36. » On donnait depuis longtemps à la Congrégation le nom de « Filles séculières » pour la distinguer des « religieuses », membres d’un ordre ou d’une congrégation cloîtrée. Si Mgr de Laval espérait encore voir les Ursulines s’installer à Montréal et y absorber la Congrégation, cela ne l’empêcha pas de donner à celle-ci une marque importante d’approbation. Il était à Montréal, en mai 1669, pour discuter entre autres choses de la construction de l’église paroissiale. Lors de cette visite, il accorda à Marguerite Bourgeoys et à ses compagnes la permission d’enseigner dans tout son diocèse, qui comprenait à l’époque l’ensemble de la Nouvelle-France37. Même s’il s’écoulera encore un bon moment avant que la Congrégation établisse des missions à l’extérieur de Montréal, cette permission rendait la chose possible et autorisait l’existence de missions ambulantes. Que l’évêque ait été ou non ouvert à de nouvelles formes de vie religieuse pour les femmes, il avait parfaitement conscience de la nécessité de répandre l’instruction religieuse dans les petits postes qui s’ouvraient

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à travers son immense diocèse, besoin auquel n’auraient pu répondre des moniales cloîtrées. Quoi que l’avenir ait pu réserver, la situation du moment exigeait la présence des Filles séculières. C’est donc en comptant sur l’appui sans réserve des autorités civiles et sur un certain niveau d’approbation ecclésiastique que Marguerite Bourgeoys s’apprête à entreprendre un autre voyage en France. Elle veut avant tout obtenir les lettres patentes qui conféreront à la Congrégation une existence juridique, mais elle va aussi chercher de nouvelles recrues pour sa communauté. La population de Montréal a plus que doublé dans la deuxième moitié des années 1660 et maintenant, avec la permission de Mgr de Laval, c’est toute la Nouvelle-France qui s’ouvre à l’action de la Congrégation. Elle s’empresse donc de dresser la liste des biens de la Congrégation et d’obtenir un document notarié attestant qu’ils sont le fruit du travail de celles qui collaborent avec elle à sa mission éducatrice et des aumônes reçues pour soutenir cette œuvre. La liste est vérifiée par l’économe du séminaire et comprend l’étable-école, la maison Charly, la ferme de Pointe-Saint-Charles et soixante arpents (environ 20 ha) de terrain boisé dans la montagne38. Ce document lui servira en France à démontrer que la Congrégation subvient à ses propres besoins mais il a surtout pour but de protéger l’organisme, advenant la mort de Marguerite, contre des réclamations touchant sa succession. Confrontée à la maladie et à la mort lors de ses traversées précédentes, elle a bien conscience qu’elle pourrait ne pas survivre à celle-ci. L’idée de son départ dut sérieusement inquiéter ses compagnes. À la pensée du navire infesté de maladies sur lequel elles étaient venues en Nouvelle-France39, elles aussi durent se représenter les périls du voyage et envisager la possibilité de ne plus revoir leur fondatrice. Il faudrait encore une vingtaine d’années avant que la Congrégation se résolve à prendre pour supérieure quelqu’un d’autre que Marguerite Bourgeoys. Ses compagnes n’avaient pas accepté de la voir s’éloigner à quelques centaines de mètres de la maison principale pour aller vivre avec les filles du roi, en 1663. Comment le groupe allait-il supporter une absence d’au moins un an et qui, en l’occurrence, en durerait deux? Puisque Catherine Crolo vivait maintenant à la ferme, Marie Raisin et Anne Hiou restaient seules avec les pensionnaires et les élèves de la maison principale de Montréal. Néanmoins, en dépit de toutes les difficultés et de tous les soucis, elles acceptaient le risque que représentait ce voyage et

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en laissaient l’issue entre les mains de Dieu. Pendant l’absence de Marguerite, Marie Raisin assuma le rôle de supérieure. C’est donc à elle qu’il revenait de superviser les travaux de construction de la nouvelle maison, dont l’intérieur n’était toujours pas terminé. Marguerite règle encore une chose avant de partir : elle prend des dispositions pour protéger le site de la chapelle de pèlerinage qu’elle est toujours résolue à faire bâtir. Se rappelant la disparition de tous les matériaux de construction rassemblés à cette fin avant son voyage précédent en France, elle craint peut-être de trouver, à son retour, l’emplacement lui-même utilisé à autre chose. Elle dit avoir érigé une « petite charpente » sur le site avant son départ, et Marie Morin évoque « un petit bâtiment de bois ». L’endroit était déjà à cette époque un lieu de pèlerinage pour les personnes pieuses, et Marguerite n’allait pas l’oublier pendant son absence40.

chapitre deux

l’approbation royale 670 – 672 Je me trouvai dans la nécessité de faire un second voyage en France, en 1670 ... pour aller chercher des sœurs et avoir en même temps des lettres d’établissement1.

Munie de ce qu’elle appelle « beaucoup de certificats tant du Séminaire que de Québec et de Montréal2 », Marguerite Bourgeoys part pour la métropole à l’été de 1670. Les documents qu’elle apporte expriment l’approbation et l’appui du gouverneur, de l’intendant et des colons de Montréal ainsi que de l’évêque et du curé. On sait à quelle date Marguerite est partie de Montréal en 1658 mais on l’ignore pour ce voyage-ci. A son précédent départ, elle n’avait pas quitté Montréal avant la fin septembre mais, cette fois, elle est probablement déjà à Québec à la mi-août3. Dès le début du voyage, elle rencontre des difficultés; pour les affronter, elle obtient toutefois une aide qu’elle aurait qualifiée de providentielle. Elle tombe malade entre Montréal et Québec, ou peut-être était-elle déjà souffrante avant de se mettre en route. Toujours aussi discrète, elle dit avoir été « un peu indisposée », mais cette « légère » maladie va l’obliger à passer plusieurs jours à l’hôpital. Elle ne s’y sera pas trouvée complètement seule car elle aura rencontré à l’Hôtel-Dieu de Québec plusieurs personnes qu’elle connaissait bien : Edmée Chastel, la recrue de 1659 qui avait changé d’idée à propos de la Congrégation, Barbe de Boullogne avec laquelle elle avait travaillé pour lancer la confrérie de la Sainte-Famille à Montréal, et les hospitalières que l’Abbé de Queylus avait essayé de faire venir à Montréal et qui s’étaient occupées de l’école pendant l’absence de

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Marguerite en 1658–59. Son séjour à l’hôpital aura sans doute favorisé les relations chaleureuses qui semblent s’être développées entre la Congrégation de Montréal et les hospitalières de Québec. Tout comme la date de son départ de Montréal, on ignore quel jour Marguerite Bourgeoys s’embarque pour la France. La biographie de Jamet la fait partir à la fin d’octobre et arriver en France début décembre, mais la lettre de Maisonneuve à l’appui de sa demande de lettres patentes, document que Jamet n’a pas vu, indique qu’elle est déjà à Paris en octobre 1670 4. Avant de se mettre en route, Marguerite veut faire bénir son voyage : elle demande la bénédiction de Dieu (« je suis allée à la bénédiction du SaintSacrement ») et celle des hommes (« et j’ai demandé la bénédiction de l’évêque »). Elle en aura besoin pour un voyage qui ne lui épargnera ni les soucis ni l’inconfort. La première nuit à bord, avant que le vaisseau n’ait quitté le port, Marguerite découvre que sa boîte n’a pas été chargée. Cette boîte contient ses papiers, des vêtements de rechange et la couverture dont elle doit se servir pendant le voyage. Cette boîte aurait dû être portée à bord par le serviteur de François de Salignac de La MotheFénelon, prêtre sulpicien qui rentre aussi en France5. La nuit se passe et, le lendemain matin, l’abbé de Fénelon essaie de payer quelqu’un pour qu’il retourne au port chercher la boîte. Mais comme le navire est sur le point de mettre à la voile, personne ne veut courir ce risque. La façon dont Marguerite décrit sa situation indique que ce contretemps aura des répercussions sur les arrangements financiers qu’elle a pris pour le voyage : « Me voilà embarquée. Je n’avais pas dix sols; et seule de mon sexe; mais deux prêtres. Je me range sur des étoupes, sur un rouleau de corde. » Elle conclut : « Et nous ne fûmes que trente et un jours6. » L’absence d’autres femmes à bord signifie qu’elle n’a personne avec qui partager un peu d’espace ou à qui emprunter peut-être des sous-vêtements. Elle se confectionne une chemise avec de la toile qu’on lui a donnée pour se faire une paillasse. Ce vêtement, elle ne le met pas à bord, faute d’intimité peut-être ou parce qu’elle le réserve pour son arrivée en France; mais la chemise est égarée au moment du débarquement. En dépit de tout ce qui lui manque, Marguerite se réjouit probablement de n’avoir pas à soigner de malades et de mourants pendant ce voyage comme lors de ses deux traversées de la France vers le Canada. Ce qui l’inquiète bien plus que la perte de sa pauvre garde-robe, ce sont les papiers, les précieux documents qu’elle a rassemblés à l’appui de sa demande de lettres patentes. Avant de quitter Québec,

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cependant, elle parvient à faire parvenir un message à Zacharie Dupuy, major de Montréal et ami de la Congrégation, dont elle a appris qu’il était dans la capitale. Elle lui demande de faire suivre les documents par le prochain navire et d’envoyer le reste de ses effets à Montréal. Elle avait bien dit lors de son premier départ que « si c’est la volonté de Dieu », il n’y a pas besoin de possessions; cette conviction est sévèrement mise à l’épreuve. Elle n’a même plus le petit baluchon avec lequel elle s’était embarquée pour le Canada. Mais Dieu et Zacharie Dupuy honorent sa confiance. Les documents partent probablement par le bateau suivant, puisqu’elle les a certainement en main en arrivant à Paris. Quant à la boîte, une petite valise en cuir de veau dont on pense qu’il s’agit bien de l’article en question, elle appartient toujours à la Congrégation de Notre-Dame et on peut la voir au Musée Marguerite-Bourgeoys. Le fait qu’on ait remplacé la serrure et la poignée au dix-huitième siècle indique qu’elle a continué de servir bien après sa traversée avortée de 1670. Marguerite débarque à La Rochelle. Une fois rendue là, écrirat-elle plus tard, elle emprunte 50 livres de l’abbé de Fénelon. Il lui faut tout de suite verser 45 livres 10 sols pour la voiture jusqu’à Paris – cette notation précise suggère qu’elle avait sous la main des registres financiers au moment de rédiger ses souvenirs. « J’arrive à Paris sans argent, sans hardes et sans connaissances », dit-elle. Cette déclaration n’est vraie qu’en partie et représente une exagération inhabituelle sous sa plume. (Tout ce récit de voyage dans les écrits de Marguerite a clairement pour but de souligner la nécessité de s’en remettre exclusivement à l’aide de Dieu. Il a peut-être même été rédigé à un moment où les sœurs de la Congrégation ou celles qui exerçaient l’autorité dans la communauté cherchaient des formes plus tangibles de sécurité.) Même sans argent et sans vêtements, Marguerite ne manque certainement ni de connaissances ni même d’amis dans la capitale, comme le montre bien la suite de son récit. Elle arrive à Paris « le soir, fort tard », dit-elle, et se rend tout de suite au séminaire Saint-Sulpice où on lui donne l’adresse d’une femme qui habite dans les environs et chez qui elle peut passer la nuit. Le petit déjeuner n’est pas compris, apparemment, si bien qu’en allant porter une lettre aux sœurs de l’abbé Pérot, curé de Montréal, elle apprécie grandement le repas qu’on lui sert. Cet incident et d’autres allusions à des lettres de Montréal indiquent qu’elle

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les a reçues avec ses autres papiers avant de quitter La Rochelle pour Paris. Maintenant que le jour est levé, elle peut retourner à Saint-Sulpice. Voici, de la main de Marguerite, la suite des événements: Le matin, je vais à Saint-Sulpice et je suis Notre-Seigneur qu’on portait à des malades. On passe devant le Prémontré où j’entre pour faire mes dévotions et où je me confesse ... Ensuite, je vais au Séminaire donner quelques lettres et savoir où je pourrais trouver Monsieur de Maisonneuve. Comme j’attendais sur la porte, j’entends un prêtre qui disait : « On me mande donner 100 livres à une fille que je ne connais point. » Et entendant nommer le nom, je dis : « C’est à moi. » Monsieur Pérot, le jeune, confirma la vérité. Tout de ce pas, je suis ce monsieur qui demeurait en la rue Princesse. Il me donne 100 livres. Je lui fais une quittance double7.

Ce passage des mémoires de Marguerite illustre à la perfection certains traits de sa personnalité dont la combinaison peut sembler paradoxale. On entend parler à la fois la mystique et la femme d’affaires. Elle reçoit à l’improviste ce qui pourrait sembler un cadeau miraculeux, et elle signe un reçu ... en deux exemplaires! Une fois libérée de ses soucis financiers immédiats, Marguerite part à la recherche de Paul de Chomedey de Maisonneuve qu’elle n’a pas vu depuis cinq ans. La suite du texte laisse entendre qu’elle a eu un peu de mal à le retracer dans un quartier de la ville qu’elle connaît mal : « Je fais en sorte de trouver Monsieur de Maisonneuve qui était logé sur le fossé de Saint-Victor, proche les Pères de la Doctrine Chrétienne. » La journée a été bien remplie et le soir tombe quand elle arrive là-bas. Son récit suggère qu’elle a vécu là un moment qui restera gravé à jamais dans sa mémoire : « En frappant à sa porte, il descend, car il logeait au second et troisième étages avec Louis Frin, et m’ouvre la porte avec une joie très grande. » On en sait un peu plus sur la vie du sieur de Maisonneuve après son retour en France que pour les années qui ont précédé son arrivée au Canada, mais pas beaucoup. Il est resté à Paris au lieu de rentrer dans sa Champagne natale. Certains ont suggéré qu’il voulait ainsi éviter de se laisser entraîner dans les disputes familiales qui avaient déjà coûté la vie à sa sœur et à son beau-frère et que cette attitude aurait même pu jouer un rôle dans sa première décision de partir pour la Nouvelle-France8. Mais d’autres raisons

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pourraient aussi expliquer qu’il soit resté dans la capitale. Quand il rentre en France, il espère sans doute encore pouvoir retourner à Montréal, dont il demeure le gouverneur en titre, au moins aux yeux des Sulpiciens, jusqu’à la nomination de François-Marie Perrot en 1669. Même une fois évanoui le dernier espoir de retour à Montréal, Paris, et surtout le séminaire des Sulpiciens, reste l’endroit où obtenir des nouvelles du petit établissement. Le testament du sieur de Maisonneuve, rédigé la veille de sa mort, prouve que jusqu’à son dernier jour, Montréal a occupé la première place dans sa pensée et dans son cœur. Le récit que fait Marguerite Bourgeoys de leur rencontre le montre empressé à offrir l’hospitalité aux visiteurs montréalais. On apprend que, quelques jours avant qu’elle n’arrive, il a fait aménager une petite pièce dont le mobilier comprend ce qu’elle appelle « une cabane à la façon du Canada », c’est-à-dire un lit fermé de volets, pour recevoir les personnes qui pourraient venir de Montréal9. Marie Morin rapporte le témoignage d’un Montréalais en vue qui était allé à Paris et qui avait été très impressionné de voir l’ancien gouverneur faire fi du protocole et aller lui-même leur acheter une bouteille de vin10. Ces deux descriptions attestent la vie très modeste que menait l’ancien gouverneur de Montréal. Dans sa biographie de Marguerite Bourgeoys, Jamet recourt à l’inventaire dressé au moment du décès de Maisonneuve pour imaginer ce qu’elle aura vu en entrant dans ses appartements : des meubles vieux et élimés, un gros coffre recouvert de cuir noir, six petites chaises aux sièges mal rembourrés, une table vermoulue, quelques tapisseries. Quant au bureau de M. de Maisonneuve, il comprend un pupitre et une bibliothèque de près d’une quarantaine d’ouvrages, dont les œuvres de saint François de Sales, le plus humain des auteurs spirituels du dixseptième siècle, et une histoire en trois volumes de Rome, de l’Angleterre, des Flandres et de la France. L’inventaire signale encore une statue de la Vierge à l’Enfant en terre cuite, « façon marbre ». Jamet les imagine tous deux : ils regardent les objets qui les entourent en se remémorant les années pendant lesquelles Marguerite a entretenu le logis du gouverneur dans le fort de Montréal11. Marguerite Bourgeoys aura eu beaucoup de choses à raconter à son vieil ami, qui devait attendre avec impatience des nouvelles du petit établissement dont il avait dirigé la fondation et la première croissance. Leur entretien aura été de ceux qui ne sont possibles que lorsqu’on se sent en confiance, sûr d’être compris, uni par des

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années d’expérience partagée. Sans aucun doute, des choses se sont dites là qu’on ne lirait jamais dans les rapports officiels. Peut-être même les deux amis ont-ils pu retrouver leur rire d’autrefois. Maisonneuve va désormais mettre tous ses efforts à aider Marguerite à atteindre le premier objectif qu’elle s’est fixé pour ce voyage en France, l’obtention de lettres patentes pour la Congrégation. Dès le départ, il est en mesure de lui offrir une aide financière tout à fait inattendue. La description que fait Marguerite des événements qui ont marqué son arrivée à Paris est un peu déroutante, sans doute parce qu’il ne nous reste que des fragments de ses écrits. « Il y avait, je ne me souviens pas combien d’années, commencet-elle, que j’avais prêté à un jeune garçon 120 livres et Monsieur de Maisonneuve, 12 livres, à la prière de Monsieur de Galinier. Et ce jeune garçon m’avait fait une promesse que j’envoie à Monsieur Blondel, pour nous en faire payer. Monsieur Blondel meurt et on me mande que la promesse était perdue. Je ne pensais plus à cela12 . » Après avoir raconté son arrivée chez Maisonneuve, elle reprend : « À quelques jours de là, comme il me montrait quelque chose en son cabinet, il met sa main sur une planche et en rapporte la promesse de ce jeune homme. Je fais tenir les 50 livres que j’avais empruntées à La Rochelle. Monsieur – de je ne sais pas le nom – écrit des Lettres Patentes et n’en voulut rien prendre. Je cherche le jeune homme pour lui faire reconnaître sa promesse. Je trouve sa mère, qui était veuve, qui me dit que son fils13... » La fin de ce texte n’a jamais été retrouvée, peut-être parce qu’on a distribué comme reliques des pages manuscrites de Marguerite ou à cause d’un des nombreux incendies à la Congrégation; la page manquait déjà lorsque Montgolfier écrivit La vie de la vénérable sœur Marguerite Bourgeois dans le dernier quart du dix-huitième siècle. L’espoir de recouvrer la dette semble mince au moment où le récit s’interrompt, mais le contexte général suggère plutôt que Marguerite a pu trouver de quoi subvenir à ses besoins même après être arrivée à Paris sans argent, sans vêtements ou sans relations. Montgolfier dit que le jeune homme se présenta à elle un beau jour et lui remit l’argent en mains propres après l’avoir suivie dans la rue sans savoir qui elle était. Faillon explique que Montgolfier rapportait là une tradition orale. Marguerite elle-même est censée avoir dit qu’elle déambulait un jour dans une rue de Paris lorsqu’elle entendit un monsieur courir après elle pour lui demander si elle connaissait une femme du Canada appelée Marguerite Bourgeoys.

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Quand elle se fut présentée, il tenta de lui remettre une somme d’argent qu’elle refusa absolument de prendre parce qu’elle ignorait la raison d’une telle générosité. Elle fut rassurée, cependant, quand on lui apprit qu’il s’agissait du remboursement du montant qu’elle lui avait prêté à Ville-Marie14. Nous n’avons aucun renseignement direct sur ce que fait Marguerite au cours des semaines suivantes. Lorsqu’elle est l’hôte de M. de Maisonneuve, elle va sans doute, selon son habitude, prier à l’église voisine de Saint-Étienne-du-Mont. Elle y aura admiré une remarquable série de verrières dont le chef-d’œuvre représente le pressoir mystique. L’interprétation, beaucoup plus élaborée, diffère de celle qu’elle avait appris à goûter à la cathédrale de Troyes. Mais en la contemplant, elle a pu continuer de réfléchir au rôle de l’éducatrice chrétienne : recueillir les gouttes du sang du Christ qui se perdent à cause de l’ignorance des gens15. Peut-être espère-t-elle régler ses affaires assez tôt pour rentrer au Canada à l’été mais la bureaucratie, comme toujours, travaille lentement. Finalement, en mai 1671, plus de six mois après l’arrivée de Marguerite en France, Louis XIV signe les lettres patentes qui, pour la première fois, accordent à la Congrégation de Notre-Dame de Montréal la reconnaissance juridique officielle. Les représentations fictives de la vie de Marguerite Bourgeoys, les pièces de théâtre notamment, comportent toujours une scène où Marguerite se retrouve à la cour en quête de ses lettres patentes. Comment ne pas jouer, en effet, sur le contraste entre le faste ostentatoire de l’entourage du Roi-Soleil et la modestie discrète de la voyageuse? Mais la réalité est probablement beaucoup moins spectaculaire car Marguerite avait à traiter avec Colbert, le ministre du roi, plutôt qu’avec le roi en personne, et d’ailleurs la voie avait été ouverte pour ses tractations avec le ministre. Le mémoire de Talon sur le Canada, adressé à Colbert en date du 10 novembre 1670, contient le passage que voici : Je ne dois pas oublier de vous faire connoistre que Mons. L’Abbé de Queylus donne une forte application à réformer son clergé, à augmenter la Colonie de Montréal, et à fournir aux missions des sujets qui s’en acquittent dignement et utilement pour le Roy par les découvertes qu’ils font. Il pousse son zèle plus avant par le soin qu’il va prendre de retirer les enfants des Sauvages qui tombent en captivité dans les mains des Iroquois pour les faire eslever, les garçons dans son séminaire, et les filles chez des personnes de mesme sexe qui forment à Montréal une Espèce de congré-

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gation pour enseigner à la jeunesse avec les lettres et l’escriture les petits ouvrages de main16 .

Colbert lui-même écrit en marge de ce paragraphe : « Il faut s’employer à cet établissement. » L’abbé de Queylus a pu, dans le passé, causer des problèmes à Marguerite Bourgeoys, mais il est certain qu’à ce moment-ci on le tient en si haute estime à la cour que le fait d’être associée à lui et aux Sulpiciens devient un avantage pour la Congrégation. Les Sulpiciens et leur supérieur, Alexandre de Bretonvilliers, auront aidé à l’obtention des lettres patentes à chaque étape de la démarche, allant même jusqu’à trouver quelqu’un pour faire gratuitement le travail de cléricature, comme nous l’avons vu. L’homme qui rédigea les lettres patentes – service important car il fallait écrire et copier ces documents à la main – et dont Marguerite n’arrivait plus à se rappeler le nom a été identifié par Faillon comme étant M. de Sérancourt. Faillon affirme qu’il fera la même chose pour le séminaire six ans plus tard, ne demandant que des prières en échange de son travail17. En traitant avec Colbert, Marguerite avait affaire à un autre Champenois et même à un parent éloigné, car Édouard Colbert, lointain cousin du ministre, avait été le parrain de son frère Édouard en 162818. Les intérêts profanes des autorités civiles ressortent tant des documents déposés à l’appui de la demande de lettres patentes que de la formulation des lettres patentes elles-mêmes. Ce n’était pas un secret pour les conseillers de Marguerite : la réussite matérielle de la Congrégation revêt la plus haute importance pour des administrateurs qui paraissent s’être intéressés davantage aux explorations « utiles » des missionnaires qu’à leurs entreprises spirituelles. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir la lettre d’appui fournie par Maisonneuve. Il vaut la peine de citer ce texte car, signé l’aprèsmidi du 22 novembre 1670, il constitue la première notice biographique connue sur Marguerite Bourgeoys. Le document notarié use d’un langage juridique et n’utilise pratiquement aucune ponctuation, conformément à l’usage. Maisonneuve commence par se présenter comme l’ancien gouverneur de l’île de Montréal en Nouvelle-France avant d’évoquer les circonstances du recrutement de 1653. Puis il continue : Marguerite Bourgeois, fille natifve de la ville de Troyes en Champagne, demeurant en icelle rue du Chaudron aagée pour lors de trente trois ans,

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désireuse de contribuer de tout son possible à l’establissement de la foy dans ledit pays de la Nouvelle France et particulièrement pour l’instruction des jeunes enfants dudit pays seroit allée trouver ledit sieur de Maisonneuve à Nantes en Bretagne, lieu de l’assemblée dudit secours et se seroit embarquée dans le mesme navire ou estoit ledit sieur de Maisonneufve pour passer en la Nouvelle France, ce qu’elle auroit fait en randant pendant le voyage tous les services de charité possibles à tous ceux qui estoient dans le navire ... ladite Bourgeois estant arrivée en ladite Isle de Montréal se seroit employée avec tout le zèle possible, non seulement à l’instruction de la jeunesse mais de plus à touttes les œuvres de charité et de piété qui se sont rencontrées en touttes sortes d’occasions pour le bien public en considération desquelles choses cy-dessus et pour luy donner moyen de continuer dans ces mesmes employs, il luy auroit donné diverses concessions de terres, lesquelles ladite Bourgeois auroit fait desfricher à ses despens et fait bastir une métairie et l’aurait fournie des bestiaux nécessaires et de plus auroit à ses despens fait bastir deux corps de logis pour le logement des filles proche le port et hospital St Joseph de Villemarie en ladite Isle de Montréal ... pour travailler à l’augmentation dudit establissement ladite Bourgeois auroit fait un voyage en France en l’année 1658 où elle se seroit associé trois filles avec lesquelles elle seroit retournée dans ledit pays pour y continuer les mesmes fonctions qu’elle auroit exécuté avec zèle et charité jusques en la présente année qu’il a esté jugé à propos pour le bien dudit pays que ladite Bourgeois passast en France pour faire en sorte d’avoir augmentation de filles pour sa communauté et pour faire en sorte d’avoir des lettres patentes de Sa Majesté pour son dernier establissement ... ladite Bourgeois estant arrivée en cette ville pour ce subjet au mois d’octobre dernier, luy auroit communiqué les certificats qu’elle auroit pour certifier de Monsieur l’Évesque de Petrée, de Monsieur de Courcelles, lieutenant-général de Sa Majesté audit pays et de Monsieur Talon, Intendant pour saditte majesté au mesme pays avec le résultat de l’assemblée des habitans de ladite Isle de Montréal et le certificat du curé du mesme lieu de Montréal19.

Les lettres patentes elles-mêmes sont signées et datées à Dunkerque, en Flandre, car le roi y fait une tournée d’inspection militaire en vue de la guerre contre la Hollande, qui éclatera avant le retour de Marguerite au Canada. Le document reprend beaucoup le libellé du témoignage de Maisonneuve, avec quelques ajouts et quelques précisions. Il indique que Marguerite Bourgeoys est établie sur l’île de Montréal avec quelques autres femmes qui vivent avec

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elle en communauté et exercent la fonction de maîtresses d’école « en montrant gratuitement aux jeunes filles tous les métiers qui les rendent capables de gagner leur vie ». Avec l’aide de la Providence, leur travail a été couronné de succès, de sorte que « la dite exposante ni ses associées ne sont aucunement à charge au pays, ayant fait bâtir à leurs dépens, dans l’île de Montréal, deux corps de logis propres à leur dessein, et fait défricher plusieurs concessions de terre, bâtir une métairie garnie de toutes les choses nécessaires ». À la solliciteuse, à ses associées et à celles qui leur succéderont, le roi promet son appui pour que leur projet puisse s’étendre et se fortifier partout où on jugera qu’il sert la gloire de Dieu et le bien du pays. Les lettres patentes concluent : Nous avons approuvé, confirmé, autorisé, approuvons, confirmons, et autorisons par ces présentes, signées de notre main, l’établissement de la dite Congrégation de Notre-Dame dans la dite île de Montréal en la Nouvelle France, pour l’instruction des jeunes filles dans la piété, pour les rendre capables de la pratique et exercice des vertus chrétiennes et morales, selon leur état; sous la juridiction de l’ordinaire, sans qu’elles y puissent être troublées, sous quelque prétexte que ce soit. Donné à Dunkerque, au mois de mai, l’an de grâce mil six cent soixanteonze, et de notre règne le vingt-huitième. Louis20 .

La Congrégation de Notre-Dame de Montréal est désormais une personne morale au sens de la loi, et Marguerite Bourgeoys a atteint le principal objectif de son voyage. Mais elle n’est pas encore prête à rentrer à Montréal. Elle a d’autres affaires à régler avant de se chercher une place sur un navire à destination du Canada. Le 20 juin 1671, elle enregistre les lettres patentes au Parlement de Paris. (Faillon dit que Colbert voulait que cela se fasse à Paris avant que les lettres soient présentées à Québec « afin qu’elles ne puissent rencontrer aucun obstacle dans cette dernière cour21 ».) Le 26 juin, elle signe un document qui confie à Maisonneuve la responsabilité des affaires financières de la Congrégation en France et lui donne « pouvoir et puissance d’agir en cette ville de Paris et ailleurs partout où besoin sera en toutes les affaires de ladite Congrégation et communauté de filles ». Il devait continuer de remplir cette fonction jusqu’à sa mort. Maisonneuve se rend alors à Troyes, où il délègue certains de ses pouvoirs au chanoine Charles Le Bey, chez qui il semble avoir demeuré. Dans un acte notarié signé le 16 juillet,

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Le Bey reçoit dans le diocèse de Troyes le pouvoir d’accepter au nom de la Congrégation « touttes donnations, legs testamentaires et autres choses générallement quelconques qui ont esté ou pourront être faictes en faveur desdites filles de la Congrégation 22 ». Au cours des mois suivants, Marguerite elle-même se rend à Troyes. Sur place, elle prend contact avec les familles et les amies des femmes de la Congrégation de Montréal, pour leur donner des nouvelles et pour pouvoir en rapporter au Canada. Elle peut maintenant concentrer son attention sur l’autre objet de son voyage, celui qui semble avoir eu à ses yeux encore plus d’importance que la question juridique. Elle est venue chercher d’autres femmes prêtes à se consacrer à l’éducation des enfants de la Nouvelle-France dans une communauté féminine non cloîtrée. Déjà dans le passé, lorsqu’elle s’est mise en quête de nouveaux membres pour la Congrégation, c’est dans sa ville natale qu’elle a compté en trouver. C’est de là que viennent, en fait, trois des quatre femmes qui l’ont accompagnée à Montréal en 1659. Une fois encore, elle connaîtra du succès à Troyes sauf que, cette fois, elle n’ira pas chercher ses nouvelles recrues chez les membres de la congrégation externe à laquelle elle a appartenu mais dans sa propre famille. À cause peut-être du déclin économique de Troyes au dixseptième siècle et de la faible espérance de vie à l’époque, Marguerite n’aura retrouvé dans sa ville natale qu’une petite partie de sa famille immédiate. Sur ses douze frères et sœurs, six sont certainement décédés avant son premier départ pour le Canada : l’enfant mort-né enterré en 1617; Jeanne, Thomas et Nicolas, qui sont morts avant leur mère, elle-même décédée en 1638; et Anne, morte subitement en janvier 1643. Marie, la plus proche de Marguerite par l’âge, est morte quelque part entre juin 1655 et mars 1659. Claude, l’aîné de la famille, était déjà allé s’établir à Sens avant le décès de sa mère. Sirette, la deuxième, avait déménagé à Sens avec son mari, qui était marchand, imprimeur, libraire et relieur, avant 1642. On ne sait pas si l’un ou l’autre est toujours vivant en 1671, mais Claude a eu au moins six enfants et Sirette, quinze. Jérôme, le deuxième frère le plus âgé de Marguerite, est chirurgien : il a pratiqué à Évreux en 1645 puis dans le village voisin de Bailleul. De lui non plus, il n’y a aucune trace après la naissance d’un enfant vers 1656. Édouard, né en 1628, est peut-être resté à Troyes; c’est lui qui a choisi de recevoir les matériaux et les outils de son père quand l’héritage fut partagé au moment du décès d’Abraham Bourgeoys

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en 1651. Des deux plus jeunes, à qui Marguerite a cédé sa part de la succession en 1659, Pierre est certainement encore vivant. Il a suivi son frère aîné à Évreux où il est devenu l’organiste de la cathédrale, poste qu’il occupera encore à sa mort, le 28 mars 1689. De la plus jeune sœur de Marguerite, Madeleine, on ne sait rien après le 31 août 1663, date à laquelle elle a racheté la part d’héritage de son frère Pierre23. Il reste néanmoins à Troyes trois nièces de Marguerite Bourgeoys, filles de sa sœur Marie qui a épousé Orson Sémilliard. Il s’agit de Marguerite, baptisée le 29 novembre 1652, juste avant le premier départ de sa tante pour le Canada, de Louise, baptisée le 24 février 1654, et de Catherine, baptisée le 2 juin 165524. L’aînée se rappelle peut-être avoir vu sa tante lors de son voyage de 1658–59. Marguerite reste-t-elle dans sa famille ou demeure-t-elle, comme lors de son voyage précédent, dans la Congrégation de NotreDame de Troyes? (Le départ du Canada de M. de Maisonneuve aura dissipé le rêve qu’entretenait cette communauté de s’établir à Montréal, mais Louise de Chomedey est toujours là pour accueillir Marguerite.) Quelles que soient les circonstances dans lesquelles Marguerite Bourgeoys reprend contact avec la famille de sa sœur décédée, elle présente sûrement du Canada une vision qui éveille l’enthousiasme. Ses nièces en sont marquées : toutes trois décident de l’accompagner à Montréal. Marguerite Sommillard (c’est ainsi que les trois sœurs épelleront toujours leur nom au Canada) semble avoir eu l’intention, dès son départ de Troyes, de devenir membre de la Congrégation de NotreDame de Montréal. À dix-neuf ans, elle a presque l’âge qu’avait sa tante au moment où elle s’est « convertie », en 1640, et où elle a décidé de se donner à Dieu. Louise, la deuxième, a dix-sept ans en 1671 et semble être partie pour la Nouvelle-France dans l’intention de se marier. Catherine, la plus jeune, n’a que seize ans. Marguerite Bourgeoys laisse entendre que Catherine aussi est partie pour le Canada pour se marier25. Si c’est le cas, elle a changé d’idée une fois arrivée car, comme sa sœur aînée, elle devient membre de la Congrégation. Au départ, cependant, un seul nouveau membre de la Congrégation a été recruté à Troyes. On ne sait pas pourquoi ces trois jeunes femmes ont décidé de partir ensemble pour le nouveau monde. Leur père vit toujours, comme l’atteste le contrat de mariage de Louise, signé à Montréal à l’été de 1674. Peutêtre sont-elles animées de cet esprit d’aventure qui avait caractérisé

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les Champenois et qui est si évident chez leur tante. Le fait que Marguerite encourage ses propres nièces à faire le voyage laisse deviner la confiance en l’avenir qui se fait jour chez les habitants de la Nouvelle-France. Outre Marguerite Sommillard, cinq autres jeunes femmes signent des contrats avec Marguerite. On présume que ces contrats ressemblent à celui qu’a signé Edmée Chastel en 1659, où elle s’engageait à vivre en communauté et à enseigner aux enfants des colons français et des autochtones. Élisabeth de la Bertache, que Marguerite nomme en premier quand elle énumère les membres de ce nouveau groupe, vient de Dijon et a trente-huit ans en 1672. Même si elle exercera brièvement les fonctions d’économe et d’adjointe à la supérieure, elle consacrera la plus grande partie de sa longue vie – elle vivra jusqu’en 1710 – à l’enseignement dans les écoles. Geneviève du Rosoy, environ vingt-neuf ans en 1672, Madeleine Constantin, vingt-six ans, et Perrette Laurent de Beaune, dix-neuf ans, viennent toutes de Paris. Quant à Claude Durant, on ne sait pas d’où elle est originaire; en fait, il n’y a presque aucun renseignement à son sujet dans les registres de la Congrégation, quoiqu’elle ait atteint l’âge de quatre-vingts ans en 172326. Mgr de Laval est lui aussi en France à ce moment, car il est arrivé à Paris à l’automne de 1671 pour voir à l’établissement de son diocèse. Il est encore évêque in partibus de Pétrée et vicaire apostolique en Nouvelle-France puisque Québec ne forme pas encore un diocèse. Avant de partir pour la côte avec ses nouvelles compagnes, Marguerite les présente à l’évêque et sollicite sa bénédiction : « Monseigneur de Laval ... [les a] agréées et reçues en cérémonie, dans la chapelle du Séminaire des Missions étrangères où il logeait27. » Le groupe est enfin prêt à partir pour le Canada. Les écrits qui nous restent de Marguerite Bourgeoys ne nous disent rien des événements de 1672. Les détails que nous avons sur son voyage de retour avec ses compagnes nous viennent de Montgolfier dans sa Vie de la vénérable sœur Marguerite Bourgeoys, écrit dans le dernier quart du dix-huitième siècle, soit pratiquement un siècle après les faits. Une bonne partie de ce qu’il raconte se fonde sur la tradition orale. Mais la mémoire peut jouer de mauvais tours aux personnes les mieux intentionnées, et la situation se complique ici parce qu’on prête à Marguerite un comportement conforme au modèle de sainteté reçu à l’époque. Son sens de l’humour et son ironie échappaient parfois aux gens qui rapportaient ses propos.

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Par ailleurs, Montgolfier n’était pas toujours au fait des conditions qui prévalaient à Montréal un siècle plus tôt. Cependant, le récit qu’il fait de la traversée de 1672 contient des détails si précis qu’on doit supposer qu’il a disposé d’une source écrite disparue depuis. Parfois même, ses erreurs de perspective nous convainquent de la véracité de l’ensemble du récit28. D’après Montgolfier, Marguerite est maintenant accompagnée de onze femmes, six pour la Congrégation et les autres en quête d’un mari à Montréal. Elles quittent Paris juste après Pâques, qui en 1672 tombait le 17 avril, jour du cinquante-deuxième anniversaire de Marguerite. La première étape de leur voyage, tout comme la dernière, se fait par voie fluviale, encore qu’il soit difficile de sousestimer le contraste entre leur départ de Paris sur la Seine polluée et encombrée et le cadre majestueux du Saint-Laurent à leur arrivée à Montréal. Elles ne se rendent ni à Nantes ni à La Rochelle, d’où était partie Marguerite lors de ses voyages précédents, mais plus au nord, au Havre, qui prend de plus en plus d’importance en tant que siège de la Compagnie des Indes occidentales. Un incident que Montgolfier situe à Paris avant leur départ semble plutôt s’être produit alors qu’elles se rendent en bateau jusqu’à la côte, mais les documents qui s’y rapportent confirment dans l’ensemble l’itinéraire et le calendrier qu’il propose. Il s’agit de la visite au baron de Fancamp. Leur traversée de la Normandie fait passer les voyageuses à proximité du prieuré de Notre-Dame de Saulseuse, près de Vernon : c’est là que s’est retiré Pierre Chevrier, baron de Fancamp. Quatorze ans se sont écoulés depuis la mort de Jérôme le Royer de la Dauversière et près de dix ans depuis la dissolution de la Société de Notre-Dame de Montréal, mais quelques-uns au moins de ses anciens membres continuent de s’intéresser à l’établissement qu’ils ont fondé. Les actes officiels qui mentionnent les seigneurs de Montréal entre 1640 et 1663 nomment Pierre Chevrier avant Jérôme le Royer, ce qui indique un rang social plus élevé. Proche collaborateur de La Dauversière et son grand ami, Chevrier a fourni le quart des fonds qui ont servi à la première expédition, celle de la fondation de Ville-Marie. Il a continué à veiller généreusement au bien-être de l’établissement et a peut-être envisagé d’aller lui-même vivre à Montréal. Comme ses deux sœurs sont entrées au couvent et que ses trois frères l’ont précédé dans la mort sans laisser d’héritiers, il peut disposer à sa guise de toute la fortune considérable

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de sa famille. (Il a lui-même été ordonné prêtre quelque part entre 1654 et 1659.) Au printemps 1672, il a soixante-quatre ans et vit retiré au prieuré de Notre-Dame de Saulseuse, dans ce qui est aujourd’hui le diocèse d’Évreux. Marguerite ne précise pas à quel moment elle a vu le baron de Fancamp et aucun des documents reliés à sa visite n’indique où ils ont été signés. Même si des biographes postérieurs ont suivi Montgolfier qui affirme que leur rencontre se serait déroulée à Paris, les recherches plus récentes de Guy Oury indiquent plutôt qu’elle eut lieu au prieuré en Normandie alors que le groupe se dirigeait vers la côte29. Au cours de l’entretien, le baron remet à Marguerite un cadeau, témoignage tangible de l’estime qu’il continue de porter à Montréal. C’est une statuette de la Vierge à l’Enfant, sculptée dans le chêne de Montaigu, en Belgique. Elle a survécu aux incendies et aux vols, et on peut toujours l’observer à la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, dans le Vieux-Montréal. Au moment d’expliquer ce qui a poussé le baron à présenter cette statuette à Marguerite, les sources anciennes ne concordent pas. D’après l’Histoire de la Congrégation, il lui aurait offert de payer son voyage de retour au Canada mais elle lui demanda plutôt un cadeau pour la chapelle de pèlerinage qu’elle avait toujours l’intention de faire construire à Montréal en l’honneur de Notre-Dame. Le baron aurait parcouru en vain toute la ville de Paris à la recherche d’une statue qui convienne. Et tout à coup lui tomba entre les mains la statue miraculeuse30. Il est pratiquement certain que Marguerite avait déjà pris contact avec le baron avant qu’il ne lui présente l’objet car l’acte de donation de la statue, signé le 30 avril 1672, indique qu’il connaissait au moins depuis deux semaines son projet de chapelle à Montréal. Cet acte et le témoignage des premiers donateurs nous transmettent l’histoire de la petite statue. Le baron assura que la statuette lui avait été donnée par Denys et Louis Le Prestre qui étaient, comme lui, d’anciens membres de la Société de Notre-Dame de Montréal. Les deux frères attestèrent qu’ils souhaitaient promouvoir la dévotion à la Vierge Marie à Montréal et qu’à cette fin ils offraient une statue qui provenait de leur propre chapelle domestique. Ils croyaient, sur le témoignage de leur mère, morte à plus de quatre-vingts ans, que la statuette était vénérée depuis déjà presque un siècle. L’objet fut remis entre les mains du baron de Fancamp dans la soirée du Vendredi saint 15 avril 1672. Pendant la nuit, celui-ci ressentit les premiers

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symptômes d’une maladie grave dont une épidémie faisait rage à l’époque. Il pria devant la petite image de la Vierge à l’Enfant, en demandant d’être guéri et en s’engageant à faire tout ce qu’il pourrait en faveur de l’érection de la chapelle à Montréal, à commencer par un don de trente pistoles pour les travaux. Tout de suite, il commença à se sentir mieux sans avoir pris aucun médicament. Quand il remit la statue entre les mains de Marguerite Bourgeoys, le 30 avril, il lui donna également une attestation signée de ce qu’il estimait avoir été sa propre guérison miraculeuse31. Marguerite a-t-elle fait d’autres visites en traversant la Normandie? Un petit détour l’aurait conduite à Évreux où deux de ses frères s’étaient établis. Jérôme Bourgeoys, de deux ans son aîné à peine, pourrait fort bien avoir été encore vivant. Lors de son précédent retour en France, Marguerite s’était désistée de sa part d’héritage en faveur du plus jeune de ses frères et de la plus jeune de ses sœurs, Pierre et Madeleine. Pierre vivait certainement à Évreux à l’époque et, comme Marguerite, il s’intéressait à l’éducation des pauvres. Il appartenait à un groupe appelé la Communauté des Enfants du Saint-Esprit, organisme de bienfaisance formé d’un prêtre, qui agissait comme précepteur et aumônier, et de quelques éducateurs. La communauté avait pour but d’accueillir à la maison de l’Hermitage douze enfants pauvres à qui on assurait la nourriture, le logement et l’instruction32 . Le frère et la sœur se sont-ils vus, cette fois-ci? Les écrits de Marguerite n’en disent rien, comme ils ne disent pratiquement rien d’autre sur sa famille et les rapports qu’elle avait avec ses proches et, dans ce cas-ci, on n’a découvert aucun document juridique susceptible de nous éclairer. Les problèmes commencent pour Marguerite et son groupe de femmes lorsqu’elles arrivent à Rouen. Elles y sont retenues un bon mois parce que le navire sur lequel elles sont censées voyager n’est pas encore équipé. Le séjour prolongé et imprévu dans cette ville grève lourdement leurs ressources financières. Montgolfier rapporte une anecdote à ce propos. Il raconte que celle qui tenait la bourse commune, Madeleine Senécal, serait allée trouver Marguerite pour lui dire : « Ma sœur, nous n’avons plus rien que pour cette semaine, que ferons-nous après? – Vous vous défiez bien de la Providence, lui aurait répondu “froidement” Marguerite. – Mais en attendant, répliqua l’autre en badinant, il faut pourtant que nous dînions. » Dom Jamet avait beaucoup de peine à croire à l’incident rapporté par Montgolfier car il ne reconnaissait pas Marguerite dans cette

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apparente dureté. Mais peut-être avons-nous ici l’exemple d’une situation où le ton et l’esprit d’une remarque ont été trahis par la transmission. Marguerite Bourgeoys avait été populaire dans son groupe de jeunes amies pour sa gaieté et son esprit, et sa famille avait cru à une plaisanterie quand elle annonça son intention de partir pour le Canada. Plus tard, elle était capable de rire et de plaisanter avec Maisonneuve et l’abbé Souart pendant les « terribles » commencements de Montréal. L’humour de la réplique de sa jeune interlocutrice montre bien que celle-ci voyait qu’on la taquinait. Marguerite a dû faire parvenir un message à Paris pour aviser du retard car du secours arrive en la personne de Louis Frin, le domestique de Maisonneuve, ce qui indique que l’ancien gouverneur s’acquitte de ses responsabilités et voit aux affaires de la Congrégation en France. Frin apporte la promesse d’une allocation de 200 livres pour chacune des voyageuses plus une allocation quotidienne de 11 sols 6 deniers pour leur nourriture jusqu’à leur arrivée à Québec33. Faillon croyait que cet argent était fourni par Colbert, qui s’intéressait à la réussite de la Congrégation. Le groupe peut aussi s’être adjoint une autre femme à ce moment-là. Même si on ne trouve aucune allusion à cet événement chez Montgolfier, l’Histoire de la Congrégation affirme que Catherine Boni, qui faisait certainement partie de la Congrégation en 1676, était originaire de Rouen et s’était jointe au groupe lors du séjour dans cette ville34. Les femmes reprennent le fleuve pour la dernière étape de leur voyage avant leur embarquement pour le Canada et passent deux semaines au Havre à surveiller les derniers préparatifs. Elles font aussi un pèlerinage au sanctuaire marial voisin de Notre-Damedes-Neiges. Enfin, le temps est jugé propice et le navire prend la mer avec au total quarante-cinq passagers, dont l’abbé François Le Febvre, prêtre sulpicien qui se rend lui aussi à Montréal. D’après Montgolfier, le départ se fait le 2 juillet, fête de la Visitation de Marie à sa cousine Élisabeth, et l’arrivée à Québec le 14 août, veille de la fête de l’Assomption. Pendant le voyage, il n’y eut pas de maladie à bord. Assurément, si les dates fournies par Montgolfier sont exactes35, les voyageurs auront joui de conditions météo exceptionnellement favorables. Louis de Buade de Frontenac, qui venait remplacer de Courcelle comme gouverneur de la Nouvelle-France, parti de La Rochelle le 18 juin 1672, n’arriva à Québec qu’au début de l’automne.

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Pendant les deux années d’absence de Marguerite, une époque s’était achevée à Québec : M me de La Peltrie était morte le 16 novembre 1671 et Marie de l’Incarnation, le 30 avril 1672. Marguerite vécut un moment ingrat lorsqu’un « insensé » (l’opinion du chroniqueur, pas celle de Marguerite) vint lui annoncer que « la communauté de Montréal était en décadence et la maison prête à tomber ». Elle aurait répondu : « Dieu soit béni! Mais Celui qui la fera tomber pourra bien la faire relever, quand il Lui plaira36. » Quoi qu’elle ait pu penser de ce rapport, elle devait avoir grand hâte de rentrer à Montréal et de retrouver sa petite communauté. Le retour de Marguerite à Montréal était un événement important. Montgolfier affirme qu’elle trouva les sœurs dans une extrême pauvreté et relate une anecdote qui, comme la précédente à propos du manque de ressources à Rouen, doit sans doute être relue en ayant à l’esprit le sens de l’humour de Marguerite. Il dit qu’elle demanda à Geneviève du Rosoy, une des nouvelles venues, de préparer un repas pour le groupe, tâche qui représentait une sorte de défi puisqu’il semble qu’il n’y avait plus dans la maison qu’un peu de pain et un petit morceau de lard. Nous avons droit à un autre échange de réparties. « Que voulez-vous que je prépare? Je ne vois rien dans la maison, de dire Geneviève – Pourquoi vous défiez-vous de la Providence37? » répond Marguerite. Tout s’arrange quand un voisin se présente avec un don de nourriture qui permet de faire dîner toutes celles qui viennent d’arriver. Après quinze années de vie à Montréal, Marguerite avait prévu la réaction des colons à l’arrivée d’un voyageur porteur de nouvelles du vieux pays ou même seulement de Québec. Pour ce qui est de la situation matérielle de la Congrégation, Dollier de Casson, qui se trouve effectivement à Montréal ces années-là et dont l’Histoire débute à l’époque du retour de Marguerite, dresse un tableau différent38 : « Ce que j’admire ici dedans, est que ces filles, étant sans biens, soient si désintéressées qu’elles veuillent instruire gratis & faire beaucoup d’autre chose de cette manière & que néanmoins, par la bénédiction que Dieu verse sur le travail de leurs mains, elles aient, sans avoir été à charge à personne, plusieurs maisons & terres en valeur dans l’île du Montréal. » On ne sera pas venu voir Marguerite seulement pour recevoir des nouvelles; après deux ans, il y avait aussi beaucoup de choses dont

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il fallait l’informer. Certaines consternantes : Dominique Galinier, l’un des premiers Sulpiciens arrivés à Montréal en 1657, était mort subitement dans le jardin du séminaire, l’automne précédent; la santé de Jeanne Mance ne cessait de décliner. Mais il y avait aussi beaucoup de bonnes nouvelles, prometteuses pour l’avenir. On avait posé les fondations d’une église paroissiale, le 30 juin 1672; Jeanne Mance avait scellé la dernière pierre. L’aimable et compétent François Dollier de Casson, avec sa grande énergie, sa vitalité et ses dons de leader, était maintenant supérieur des Sulpiciens de Montréal. Avec l’aide de Bénigne Basset, notaire et arpenteur, il avait commencé à dessiner le tracé des premières rues de Montréal : Saint-Joseph, Saint-Paul, Saint-Charles, Saint-François, du Calvaire, Saint-Lambert, Saint-Gabriel et Notre-Dame. La plupart de ces rues existent encore aujourd’hui dans le Vieux-Montréal. Fortes de leur charte et plus riches en talents et en effectifs, Marguerite Bourgeoys et sa Congrégation étaient prêtes à jouer leur rôle dans la construction d’un nouveau Montréal. Et elles étaient disposées à regarder plus loin que Montréal à l’heure où de nouveaux établissements commençaient à pousser sur les rives du Saint-Laurent.

chapitre trois

partout où la charité ou la nécessité avaient besoin de secours 672 – 679 La Sainte Vierge n’a point été cloîtrée, mais elle a gardé la solitude intérieure partout. Elle n’a jamais refusé de se trouver où la charité ou la nécessité avaient besoin de secours ... Nous irons dans les lieux que Monseigneur aura jugé à propos pour l’instruction des filles et tenir les écoles1.

Marguerite Bourgeoys a maintenant passé près de vingt ans à Montréal. La prochaine décennie sera pour sa Congrégation une période de transformation. Sur le plan géographique, elle élargira ses horizons en établissant ses premières résidences permanentes à l’extérieur de l’enceinte de Ville-Marie. Par ailleurs, ses effectifs vont rajeunir et se diversifier. Les six nouvelles venues qui ont accompagné Marguerite à son retour de France en 1672 forment le dernier groupe important de recrues européennes. Dans quelques années à peine, la Congrégation admettra des femmes nées en Amérique du Nord. À la fin des années 1670, on voit se dessiner la forme que prendra la Congrégation de l’avenir. L’arrivée des recrues de 1672 faisait plus que doubler la taille de la Congrégation. Quelque réticence qu’ait pu éprouver Marguerite à l’idée de construire la nouvelle maison – et on verra que, dix ans plus tard, ces réticences l’habitaient toujours – ce fut un immense soulagement pour sa communauté et sa maisonnée agrandies que d’emménager dans des locaux plus vastes et plus pratiques. On estime que le nouveau bâtiment s’étendait de l’étable-école de 1658 à l’ancienne maison Charly de 1662, à environ 200 pieds (65 m) de la rive. Avec l’arrivée de l’hiver, on aura vite apprécié le fait d’avoir tout le monde sous le même toit. Une fois la communauté logée de

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manière adéquate, Marguerite se sera sentie autorisée à relancer le projet qu’elle avait en tête depuis sa deuxième année à Montréal. Après tant de difficultés et de retards, elle allait réaliser un rêve qui ne devait qu’à sa patience et à sa détermination d’être toujours en marche : la construction de la chapelle de pèlerinage consacrée à Notre-Dame. L’importance que l’érection de cette chapelle continuait d’avoir pour Marguerite nous rappelle dans quel contexte il faut situer toutes ses autres activités. Même si elle ne ménageait aucun effort pour aider les colons à gagner leur pain quotidien, elle prenait au sérieux les paroles du Christ au désert : « L’homme ne vit pas seulement de pain. » Au milieu des difficultés de la vie de tous les jours, la chapelle et le pèlerinage qui les y conduirait parleraient aux Montréalais d’une réalité plus large. Marie Morin rapporte que Marguerite fit reprendre les travaux pour la chapelle « aussitôt qu’elle fut de retour de son voyage2 ». La statuette en bois, don du baron de Fancamp, passa son premier hiver à Montréal dans la maison de la Congrégation. Le 8 juin 1673, jour de l’octave de la Fête-Dieu, la statuette fut installée en grande cérémonie dans le petit oratoire de bois que Marguerite avait fait élever avant son départ pour la France en 1670. Cet été-là, cependant, l’emplacement qu’elle avait choisi pour la chapelle fut remis en question. Mgr de Laval était, bien sûr, encore en France. Dans une lettre en date du 24 août, Jean Dudouyt, son vicaire général, approuvait en principe l’idée de construire près de Montréal une chapelle de pèlerinage afin de promouvoir la dévotion à Marie. Mais ayant consulté Claude Pijart, le missionnaire jésuite avec lequel Marguerite avait commencé la chapelle, il avait appris que le site était tout proche de l’établissement. Dudouyt se demandait s’il ne vaudrait pas mieux élever le sanctuaire un peu plus loin, mais il laissait aux autorités de Montréal le soin d’en décider. Les Montréalais ne vivaient plus sous la menace aiguë du danger qu’ils connaissaient quand on avait entrepris les travaux pour la chapelle et, effectivement, il leur aurait été possible de s’éloigner davantage de l’enceinte sans mettre leur vie en danger. A-t-on sérieusement envisagé à Montréal le choix d’un autre site? Nous l’ignorons. Tous les documents contemporains indiquent que la chapelle fut construite sur l’emplacement choisi par Marguerite Bourgeoys près de vingt ans plus tôt, un promontoire sur la rive du Saint-Laurent qui surplombait le fleuve dans les deux directions et qui aurait attiré des groupes autochtones à des époques antérieures3.

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Dans une lettre à Marguerite Bourgeoys du 4 novembre 1674, Henri de Bernières, qui avait remplacé Dudouyt au poste de vicaire général, approuva le choix de l’Assomption de Marie comme fête titulaire de la chapelle. Après vêpres, le 29 juin 1675, on se rendit en procession planter une croix à l’endroit choisi et commencer les préparatifs pour la construction. Le lendemain, l’abbé Gabriel Souart, escorté d’une autre procession, alla poser la première pierre au nom du baron de Fancamp4. Les travaux furent financés par la Congrégation de Notre-Dame et par les fonds donnés par le baron de Fancamp, que Marguerite Bourgeoys avait placés. En une occasion au moins, la Congrégation fut appelée à offrir plus qu’un appui financier ou moral, comme l’illustre la seule anecdote qui nous soit parvenue au sujet de la construction de la chapelle. C’est Marguerite Bourgeoys qui a rédigé cette note sur les démêlés de sa nièce Marguerite Sommillard avec un ouvrier en grogne : Quand on maçonnait les marches de la porte, nous avions un engagé qui ne voulait point aller servir les maçons. Ma Sœur Sommillard avait alors, dans la tête, un abcès qui la faisait beaucoup souffrir, jusqu’à l’empêcher de se baisser et à l’obliger même de se mettre à genoux lorsqu’elle voulait balayer sa chambre. Néanmoins, elle alla incontinent au travail et servit les maçons, environ deux ou trois heures, avec la force d’un homme, et comme sans faire réflexion à son état. Or il est à remarquer que, depuis ce moment, elle cessa pendant un an entier d’éprouver aucune douleur à la tête.

Et Marguerite d’ajouter : « Il se faisait plusieurs merveilles par les prières que l’on faisait dans cette chapelle5. » La levée de sa réserve habituelle quant aux « signes et merveilles » souligne bien l’amour de Marguerite pour sa petite chapelle. La Congrégation n’aurait pas de chapelle privée avant plusieurs années encore et, une fois terminée en 1678, Notre-Dame-de-Bon-Secours devint une sorte de chapelle conventuelle pour les sœurs qui allaient y faire chanter une grand-messe le jour de la Visitation, fête patronale de la communauté. Marguerite affirme que c’est toujours là qu’elles ont renouvelé leurs promesses6. Les Sulpiciens aussi soutenaient l’entreprise. Dollier de Casson remit à la chapelle l’argent versé pour toutes les messes qui y furent célébrées pendant les trois premières années. La remarque de Marguerite Bourgeoys voulant qu’il y en eut plus de mille, « quoiqu’il y eût alors peu de prêtres et

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peu de monde à Montréal », laisse supposer qu’on y aurait célébré la messe presque tous les jours7. Bien sûr, il se passait beaucoup d’autres choses à Montréal ces années-là, dans la Congrégation et dans la vie de Marguerite Bourgeoys. Comme toujours depuis le moment de son arrivée à Ville-Marie, Marguerite participait de près à la vie de son milieu, avec sa ronde de naissances, de mariages et de décès. C’est d’ailleurs la mort qui la toucha à deux reprises à l’été de 1673. Dans un cas, il s’agissait de l’un des personnages les plus éminents de Montréal, et sa disparition marquait la fin d’une existence riche d’expériences et de réalisations; dans l’autre, c’était une enfant dont on ne se souviendrait probablement plus aujourd’hui n’eût été la façon dont elle est morte. Le premier décès était celui de Jeanne Mance, cofondatrice de Montréal, fondatrice et administratrice de l’Hôtel-Dieu, dont le navire était arrivé à Québec en 1641, avant même celui qui transportait Maisonneuve. Le second avait emporté une petite fille de cinq ans du nom de Catherine André. Marie-Claire Daveluy décrit la période entre le départ de Maisonneuve à l’automne de 1665 et la mort de Jeanne Mance en juin 1673 comme un temps de noirceur dans la vie de cette femme à qui Montréal devait tant. « Quelle tristesse, écrit-elle, de ne pouvoir jamais se réjouir d’un cœur léger de la prospérité actuelle de Montréal et de la Nouvelle-France! Tout était devenu calme, rempli de ces beaux labeurs que la paix rend possibles8. » La tristesse de ces années-là avait une double cause. Jeanne était maintenant dans la soixantaine et souffrait de problèmes de santé qui lui causaient de grandes douleurs et la clouaient au lit pendant des mois. Pire encore était la souffrance morale provoquée par « le blâme persistant » de Mgr de Laval « touchant cette malheureuse question des 22 000 livres dont elle avait un jour disposé pour le bien commun de Ville-Marie ». C’était une somme destinée au départ à l’hôpital et qu’elle avait mise à la disposition de Maisonneuve afin qu’il aille chercher la « grande recrue » qui devait sauver Montréal de l’extinction ou de l’abandon en 1653. La mauvaise santé de Jeanne Mance ne l’empêchait pas de continuer d’administrer l’hôpital ou de s’intéresser à ce qui se passait à Montréal. Dès l’arrivée de Dollier de Casson, elle semble bien s’entendre avec lui et on la voit se soucier de faire parvenir des provisions au Fort Ste-Anne en 1666. Son amitié avec l’abbé lui donne la chance exceptionnelle de transmettre à la postérité le récit

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des origines et de la première histoire de Montréal, de son point de vue à elle. Lorsque Dollier décide d’écrire l’histoire de Montréal au bénéfice de ses confrères en France, elle peut lui confier ses souvenirs. Marie Morin parle de Jeanne Mance comme d’une femme éloquente. Alors que Maisonneuve est parti et qu’elle-même est victime de malentendus voire de calomnies, elle aura trouvé quelque réconfort à voir consignée pour l’avenir sa propre version des faits. En 1669, arrivent de France les religieuses venues préparer les sœurs de l’Hôtel-Dieu à leurs vœux solennels ou perpétuels. On la demande encore comme marraine mais, à un baptême célébré le 17 janvier de cette année-là, elle prie la jeune Cécile Closse, âgée de huit ans, d’aller la remplacer parce qu’elle est incapable de se lever9. Comme elle sentait ses forces diminuer et qu’elle voulait laisser ses affaires en ordre, Jeanne Mance rédigea ses dernières volontés et son testament le 3 juin 1669. Elle demanda que ses biens soient divisés également entre les sœurs hospitalières et les pauvres de l’hôpital, et choisit Mgr de Laval pour exécuteur. Le document stipule qu’immédiatement après son décès on mettrait les scellés sur son appartement et que l’évêque prendrait possession de tous les papiers concernant ses affaires personnelles et celles de l’hôpital. Pour Daveluy, en désignant Mgr de Laval comme son exécuteur, Jeanne reconnaissait la « rigoureuse probité » de l’évêque. C’est sans doute vrai. Mais ce qui lui importait tout autant, comme le signale encore Daveluy, c’était de protéger l’hôpital et d’assurer la transition administrative après son décès. Il peut y avoir eu un autre motif : il n’aurait été que normal, sur le plan humain, que Jeanne Mance veuille aussi laisser à l’évêque une dernière preuve de sa propre intégrité et « rigoureuse probité ». Plus tard dans l’année 1669, Jeanne Mance reprit des forces, mais Marguerite Bourgeoys se sera sûrement demandé, au moment de partir pour la France en 1670, si elle allait jamais revoir cette femme avec qui elle avait partagé les dures épreuves des premières années de Montréal. En février 1672, étant donné que Mgr de Laval se trouvait en France sans qu’on pût prévoir quand il reviendrait, Jeanne ajouta un codicille à son testament pour nommer Gabriel Souart, ancien curé de Montréal, exécuteur à la place de l’évêque. En juin 1672, elle trouva pourtant la force de participer à la pose de la pierre angulaire de l’église paroissiale. Il se peut que, lorsque Marguerite Bourgeoys rentra de France, plus tard cet été-là, Jeanne

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Mance ait été l’un des voisins qui firent parvenir de la nourriture pour le premier dîner de la Congrégation. Les deux femmes se rencontrèrent certainement pour que Marguerite donne à Jeanne les nouvelles de France et peut-être aussi des messages de Maisonneuve et de ses autres amis et connaissances là-bas. La dernière intervention publique connue de Jeanne Mance eut lieu le 19 septembre 1672, quand elle fut marraine pour la quarante et unième et dernière fois au Canada. En mai 1673, elle était grabataire et Daveluy imagine Marguerite Bourgeoys, sœur Catherine Macé et Jeanne Groissard, une vieille amie, se relayant à son chevet pendant ses derniers jours. Le 27 mai, elle put discuter avec l’abbé Souart des dispositions à prendre immédiatement après sa mort et dicter d’autres codicilles à son testament10. Elle laissait maintenant 100 livres pour la construction de l’église paroissiale, qui était en cours, et 100 livres pour un tabernacle dans cette église afin d’y conserver le Saint Sacrement. Daveluy se demande si, au moment de faire ces legs, l’esprit de Jeanne ne s’est pas reporté à ce matin de mai 1642 où elle avait préparé l’autel pour la première messe célébrée à Ville-Marie. Jeanne Mance laissait aussi une somme de 200 livres à « Sœur Marguerite Bourgeois et à sa Communauté en reconnaissance des bons services qu’elle et ses autres Sœurs ont rendus, les priant toutes de prier Dieu pour elle et de l’offrir à Notre Seigneur ». Angélique de Sailly, une filleule âgée de douze ans dont Jeanne prenait soin en l’absence de sa mère partie en France (le père était mort en 1668), était remise « entre les mains de sœur Marguerite Bourgeois ... en lui demandant de prendre soin d’elle » jusqu’au retour de sa mère, qu’on attendait d’ici la fin de l’année. Jeanne Mance mourut à dix heures du soir, dans la nuit du dimanche 18 juin 1673, et la tradition veut que Marguerite Bourgeoys ait été à son chevet pour lui fermer les yeux. Elle avait soixante-six ans. Un mois plus tard exactement, le mercredi 19 juillet, vers sept heures du soir, une mère éplorée frappait à la porte de la Congrégation et demandait Marguerite Bourgeoys. Elle s’appelait Françoise Nadereau; Marguerite la connaissait depuis un certain temps. Françoise, agée d’environ vingt-neuf ans à l’époque, avait connu la violence et la douleur. En septembre 1658, elle avait épousé Michel Louvard dit Desjardins, membre de la recrue avec laquelle Marguerite était elle-même arrivée à Montréal en 1653. Il était meunier et son terrain jouxtait celui qu’avait acheté Marguerite Bourgeoys11. Quoi qu’il en soit, le 23 juin 1662, il fut abattu et assassiné sur les marches de sa propre maison. Le registre

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d’inhumation indique qu’on croyait qu’il avait été tué par des membres du clan du Loup, qui étaient très nombreux dans la région à l’époque. Il semble qu’aucun enfant ne soit né de cette union. En mai de l’année suivante, la jeune veuve épousait Michel André, dit Saint-Michel. Leur premier enfant mourut à l’âge d’environ dixhuit mois mais, à l’été 1673, le couple avait quatre enfants agés de un à sept ans. C’est pour la deuxième, Catherine, qui avait cinq ans et demi, que Françoise accourait maintenant : la petite était morte, disait la mère, victime d’un terrible accident. L’histoire et ses suites nous sont divulguées dans les actes judiciaires de l’époque. Catherine était morte étranglée, et sa mère raconta à Marguerite Bourgeoys que l’accident venait de ce qu’elle avait enfermé l’enfant dans un réduit de la grange ou de l’étable pour la punir d’avoir désobéi. La porte ne fermait pas bien et la petite s’était étranglée en essayant de se glisser sous la porte. Marguerite suggéra d’avertir d’abord le curé et les autorités religieuses et elle accompagna la mère en larmes dans cette démarche. On leur dit qu’il fallait aussi alerter les autorités judiciaires et Marguerite accompagna Françoise encore une fois. Sur le chemin du retour, toutefois, la mère fit un aveu à Marguerite. « Je ne vous ai pas dit la Vérité. Il faut que je vous la dise. Je n’avais pas mis l’enfant dans le cabinet mais dans une barrique sur laquelle j’avais mis un bout de madrier et une poche dans laquelle il y a un minot et demi de farine. » En essayant de sortir, Catherine avait passé la tête entre le madrier et le bord du tonneau et s’était étranglée12 . Le fait que la mère ait altéré les faits peut facilement s’expliquer par la panique et la peur d’être accusée d’avoir tué l’enfant délibérément ou par négligence. Pareille frayeur n’a rien d’étonnant : la torture était autorisée quand on soupçonnait un crime et les sentences imposées pour les délits graves, et même moins graves, pouvaient être horribles. Toutefois, les changements apportés à sa déposition risquaient justement d’exposer la mère aux soupçons qu’elle appréhendait et les autorités commencèrent à se demander si ce n’était pas « par emportement de colère ou par quelque haine secrète » qu’elle avait causé la mort de son enfant. Marguerite Bourgeoys soutint Françoise Nadereau dans cette terrible épreuve et, grâce à son témoignage et à celui des voisins, elle parvint à convaincre les autorités que la mort de Catherine était bien accidentelle. La personnalité de la petite victime ressort clairement des dossiers du tribunal. Elle était éveillée, imprudente et espiègle, souvent impossible à contrôler – les actes disent « incorrigible » – mais ses

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parents l’adoraient. (Comme son père n’apparaît jamais dans les actes du tribunal, il faut supposer qu’il était absent.) La mère, avec deux enfants plus jeunes et tous les travaux d’une maison de pionnier, avait pris l’habitude de « l’emprisonner » dans la barrique quand elle se montrait particulièrement difficile. C’était devenu une sorte de jeu, et Catherine était fière de montrer aux enfants du voisinage comment elle pouvait s’échapper de la barrique et même parfois y retourner. Selon le témoignage d’une voisine, la veille de l’accident, lorsque Catherine avait été placée dans la barrique, elle avait appelé le fils des voisins pour qu’il vienne la libérer, ou alors elle sortirait toute seule, sur quoi elle s’était évadée de la barrique pour aller cueillir des fraises. Le matin de l’accident tragique, d’après le fils de la voisine, âgé de onze ans, Catherine avait déjà été punie pour avoir lancé de l’eau et des cendres à son petit frère, mais elle était parvenue à se libérer en moins d’une demi-heure en dépit du poids déposé sur le tonneau. Dans l’après-midi, elle avait désobéi de nouveau et s’était retrouvée dans la barrique. Comme elle ne venait pas souper, sa mère était allée la chercher pour découvrir que, cette fois, Catherine n’avait pas réussi à s’extraire de sa prison. Coincée entre le rebord métallique du tonneau et le madrier lesté, elle ne pouvait ni respirer ni appeler à l’aide. Sa mère avait déposé son corps sur la paille et tenté de lui souffler dans la bouche et dans les oreilles « en pleurant et se lamentant, en disant : que vais-je faire, mon Dieu, j’aimerais mieux être morte ». Elle avait demandé l’aide des voisins mais il était trop tard. C’est alors qu’elle était allée trouver Marguerite Bourgeoys. Le témoignage entendu convainquit les autorités que la mort de l’enfant n’était pas délibérée et l’incident, du moins son volet judiciaire, fut clos. Ce récit jette un peu de lumière sur les rapports entre Marguerite Bourgeoys et les colons ordinaires de Montréal. Une femme qui ne savait plus à qui s’adresser avait pu se confier à elle, lui avouer la vérité et trouver non seulement une oreille sympathique mais quelqu’un qui pouvait la conseiller et la défendre. À la fin de 1673, les propriétés foncières de la Congrégation de Notre-Dame s’accrurent sensiblement. Le 12 novembre, Zacharie Dupuy et son épouse, Jeanne Groissard, firent don de toutes leurs propriétés, à l’exception de leur maison de ville, aux « Filles de la Congrégation ». Ils n’avaient pas d’enfant et désiraient « se tirer des embarras du monde et se donner à Dieu ». En retour, la Congrégation acceptait de prendre soin d’eux pour le reste de leur vie.

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Dupuy avait succédé à Lambert Closse comme major de la ville, ou adjoint du gouverneur, en 1662, et il avait agi comme gouverneur intérimaire lors du départ de Maisonneuve en 1665. En 1672, il avait reçu un fief de 320 arpents (environ 11 ha) au Sault SaintLouis, domaine auquel il donna le nom de Verdun, d’après le pays d’où il était originaire en France. Une autre concession de terres le fit entrer en possession d’une série d’îles en face de Verdun, dont l’île aux Hérons. Il semble qu’il avait aussi des terres dans le fief du Bon-Pasteur, sur l’île Jésus. Le cortège funèbre de Dupuy partit de la maison de la Congrégation le 1er juillet 1676. Sa femme rentra en France, où Marguerite accepta de lui verser une pension de 100 livres par année. Un événement plus heureux et porteur d’espoir, ces annéeslà, fut le mariage à l’été de 1674 de Louise Sommillard, nièce de Marguerite, à François Fortin. Louise avait pris presque deux ans pour trouver ou se choisir un mari et elle avait maintenant vingt ans. Son fiancé, que le contrat de mariage décrit comme un colon venu de Bretagne, était de presque neuf ans son aîné. Ses sœurs Marguerite et Catherine, et Marguerite Bourgeoys, « sa tante maternelle Supérieure des filles de la Congrégation établie à Montréal », furent présentes à la signature du contrat de mariage, le 8 juillet (en la « Maison neufve » de la Congrégation), comme au mariage le lendemain13. Le premier enfant de Louise, une fille nommée Marie-Catherine, fut baptisé le 24 mars 1675. La marraine était la sœur de Louise, Catherine. Le fait que Catherine soit inscrite au baptistaire comme « fille de soi », expression qui signifie qu’elle était célibataire et autonome, semble indiquer qu’elle n’avait pas encore décidé d’entrer dans la Congrégation. Avec la naissance d’autres enfants dans la famille Sommillard-Fortin, Marguerite Bourgeoys put voir des descendants de sa propre famille grandir dans le Nouveau Monde14. Même si Montréal ne connut pas d’attaques iroquoises pendant cette période, la petite ville n’était pas à l’abri des conflits. En tant que filles de paroisse, Marguerite Bourgeoys et ses compagnes auront été présentes, avec le reste de la population de Montréal, à la grand-messe de Pâques 1674, lorsque des questions âprement disputées éclatèrent au grand jour de manière dramatique. Dollier de Casson était à l’hôpital, gravement malade. Il avait souffert d’hypothermie après être tombé dans l’eau glacée du Saint-Laurent et, comme cela semble souvent le cas à l’époque, le traitement

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médical avait aggravé son état au lieu de l’améliorer. Le célébrant était l’abbé Pérot, curé, et le prédicateur ce même abbé de Fénelon qui s’était embarqué à Québec avec Marguerite en 1670. À mesure que se développait le sermon, certaines remarques du prédicateur sur les devoirs des chrétiens en autorité purent être interprétées comme une charge contre Frontenac, gouverneur de la NouvelleFrance. Parmi les personnes qui assistaient à la messe se trouvait René-Robert Cavelier de La Salle, partisan et allié de Frontenac. Le fait qu’il ait assisté à la messe « à l’arrière, près de la porte » laisse entendre que sa présence n’était pas due à l’intensité de sa ferveur religieuse. Pendant le sermon, il quitta sa place et entreprit d’interrompre la messe par des pitreries. On imagine facilement de quoi il aura été question à table, ce dimanche-là, à Montréal. La convalescence de Dollier de Casson n’aura guère été favorisée par le fait que Jean Cavelier de La Salle, frère de René-Robert et Sulpicien, se soit précipité à son chevet tout de suite après la messe pour l’informer de l’incident. Les autres Sulpiciens furent consternés par ces événements et très inquiets des suites qu’ils pourraient avoir15. Le sermon de Fénelon réagissait en fait aux manœuvres de Frontenac touchant la traite des fourrures. Comme gouverneur, Frontenac était responsable des affaires militaires de la NouvelleFrance et c’est l’intendant qui supervisait les questions civiles. Mais Jean Talon était rentré en France immédiatement après l’arrivée de Frontenac et aucun suppléant n’avait été désigné, de sorte que Frontenac avait eu tendance à assumer les pouvoirs de l’intendant en plus de ceux du gouverneur. Il n’avait pas tardé à mesurer les possibilités qu’offrait le commerce des fourrures venues de l’Ouest. En 1673, il avait fait construire un poste de traite sur le lac Ontario, à l’embouchure de la rivière Cataracoui, là où se dresse aujourd’hui Kingston. Il le fit sans en informer Colbert, plus intéressé à consolider la colonie sur les rives du Saint-Laurent qu’à promouvoir l’expansion vers l’ouest. Son geste lui valut l’opposition des éléments les plus prospères de la population, les marchands de la NouvelleFrance, qui craignaient de voir ce nouveau poste de traite accaparer à leur détriment une partie du commerce des fourrures. Il causa aussi de graves problèmes aux simples colons de Montréal, qui furent soumis à la corvée et contraints de passer une partie de l’été à construire le fort Cataracoui ou à y transporter de l’équipement. L’ingérence de Frontenac dans le commerce des fourrures l’opposait aussi au gouverneur de Montréal, François-Marie Perrot;

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celui-ci avait établi son propre poste de traite illégal sur une île à l’ouest de Montréal, île qui porte toujours son nom. Lorsque Perrot tenta de mousser et d’organiser la résistance, Frontenac le fit arrêter, et l’abbé de Fénelon vint à la rescousse de Perrot en faisant circuler une pétition à sa défense. C’était là le contexte du sermon de Pâques. Par la suite, le conflit continua de s’envenimer et, finalement, le roi lui-même dut trancher. Telle était la situation lorsque Mgr de Laval rentra à l’automne de 1675 après une absence de quatre ans. Son départ pour la France, à l’automne de 1671, n’était pas sans rappeler celui de Maisonneuve en 1651. À l’époque, Maisonneuve avait décidé qu’il lui fallait soit trouver un nombre important de nouvelles recrues soit renoncer à l’idée d’une colonie missionnaire à Montréal; Mgr de Laval, lui, était décidé à ne revenir en Nouvelle-France que lorsque Québec serait devenu siège épiscopal. Au moment où il avait été consacré évêque en 1658, l’archevêque de Rouen avait encore juridiction sur la Nouvelle-France. Laval était devenu évêque de Pétrée in partibus et vicaire général de Nouvelle-France. Louis XIV l’avait assuré qu’il serait nommé évêque du futur diocèse de Québec et avait sollicité du pape l’érection du diocèse, en 1662, mais le projet subit un contretemps imprévu lorsque à la suite d’un incident diplomatique, en août de la même année, les relations se refroidirent entre le roi et Rome16. Louis xiv exigea alors que le nouveau diocèse soit rattaché à celui de Rouen. À Rome, la Congrégation pour la propagation de la foi, après avoir laissé entendre que le moment était venu d’ériger le diocèse, commença par mettre la question à l’étude avant de donner l’impression d’ignorer complètement l’affaire. Entre-temps, Mgr de Laval écrivait lettre sur lettre pour expliquer la difficulté de sa position. Parce qu’il n’y avait pas d’ordinaire en Nouvelle-France, c’est-à-dire d’évêque dont l’autorité fût incontestable et qui exerçât son pouvoir ex officio, la Compagnie des Indes occidentales s’apprêtait à envoyer des prêtres, à ouvrir des paroisses et à y nommer des curés. En outre, les colons contestaient à Laval le droit de prélever la dîme. Lorsque Rome reprit l’étude de la création du diocèse, en 1666, le roi exigea qu’il fût érigé conformément aux privilèges de l’Église gallicane. En juin 1668, Rome envoya à Paris un projet de bulle. Le texte fut examiné et retourné, mais restait toujours la question du rattachement du diocèse de Québec à l’archidiocèse de Rouen. L’année suivante, l’affaire prenait un tour nouveau et

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plutôt comique : Mgr de Laval écrivait à Rome qu’il était disposé à accepter le rattachement à Rouen au moment même où Louis XIV et Colbert décidaient de renoncer à cette clause. Tout semblait maintenant pouvoir avancer rondement, mais il restait un dernier obstacle. Même s’il descendait de l’une des plus vieilles et plus nobles familles de France, François de Montmorency de Laval n’avait pas de fortune personnelle et la création d’un évêché était une opération dispendieuse. Il écrivit à Rome pour demander que les bulles lui soient envoyées gratuitement, puis se rendit à Paris pour faire progresser le dossier. Il ne réussit pas à obtenir ses bulles gratuitement mais Rome accepta d’en réduire le prix. Tout cela prenait du temps et les bulles ne furent finalement expédiées qu’en octobre 1674. En septembre de l’année suivante, l’évêque rentrait à Québec, devenu siège d’un diocèse. De nombreux changements étaient survenus en son absence, notamment l’arrivée d’un gouverneur qui voyait dans la vente d’alcool aux autochtones une nécessité économique en vue de l’expansion du commerce des fourrures. L’évêque aurait besoin de toute l’autorité dont il venait d’être investi pour affronter les conflits qui allaient éclater. Ses premiers efforts, à son retour, visèrent à mettre sur pied son administration. Mais dès l’ouverture de la navigation, au printemps suivant, il entreprit de visiter les églises locales de son vaste diocèse pour juger en personne de la situation. En mai 1676, sa tournée le conduisait à Montréal où, début juin, il fit sa visite officielle à la Congrégation. L’Histoire de la Congrégation suggère qu’à cette occasion, Catherine Boni et Catherine Sommillard, la nièce de Marguerite, furent admises officiellement dans la Congrégation comme candidates. L’évêque semble avoir été impressionné par ce qu’il vit des ressources et du travail de la petite communauté et s’en être souvenu en visitant d’autres postes et villages. En août, de retour à Québec, il publia la première approbation canonique de la Congrégation de Notre-Dame de Montréal. Le texte évoque la permission qu’il avait accordée à la Congrégation le 20 mai 1669 mais, cette fois, l’autorisation a tout le poids que pouvait lui conférer celui qui était maintenant évêque de Québec. Laval parle de ce qu’il a observé chez « notre très chère fille Marguerite Bourgeoys et les filles qui se sont unies avec elle, vivant en communauté dans l’île de Montréal17 ». Il rappelle « qu’elles se sont employées gratuitement depuis plusieurs années, sous notre bon plaisir, à faire les fonctions de Maîtresses d’école, élevant les

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petites filles dans la crainte de Dieu et l’exercice des vertus chrétiennes, leur apprenant à lire, à écrire, et les autres choses dont elles sont capables ». Comme dans les témoignages préparés en appui à la demande de lettres patentes et comme dans les lettres patentes elles-mêmes, l’évêque souligne que, tout en enseignant gratuitement, la Congrégation subvient à ses propres besoins : les membres de la Congrégation se sont assez développés pour vivre des fermes et revenus de leurs propriétés et du travail de leurs mains « sans être un fardeau pour personne ». Elles s’offrent à remplir les « fonctions de maîtresses d’école sur l’île de Montréal ainsi qu’en d’autres lieux qui seront arrangés à cette fin et qui pourront faire vivre une maîtresse d’école, là où nous-même ou nos successeurs le jugerons à propos pour le bien de l’Église ». Pour conférer au groupe force et stabilité, l’évêque est heureux de l’approuver et de le confirmer, « leur permettant de vivre en communauté en qualité de filles séculières de la Congrégation Notre-Dame ». D’autres affirmations contenues dans ce document indiquent clairement les motifs qui poussent l’évêque à approuver ce qui est encore une forme nouvelle de vie consacrée féminine : Nous, après avoir mûrement considéré toutes choses, sachant qu’un des plus grands biens que nous puissions procurer à notre Église, et le moyen le plus efficace pour conserver et augmenter la piété dans les familles chrétiennes, est l’instruction et la bonne éducation des enfants; connaissant d’ailleurs la bénédiction que Notre-Seigneur a donnée jusqu’à présent à la dite sœur Bourgeoys et à ses compagnes, voulant favoriser leur zèle et contribuer de tout notre pouvoir à leur pieux dessein, Nous avons agréé l’établissement de la dite sœur Bourgeoys et des filles qui se sont unies avec elle, ou qui y seront admises à l’avenir, leur permettant de vivre en communauté en qualité de filles séculières de la Congrégation NotreDame, observant les règlements que nous leur prescrirons ci-après, et de continuer les fonctions de Maîtresses d’école, tant dans l’île de Montréal qu’aux autres lieux où Nous et nos successeurs jugerons à propos de les envoyer.

Il termine en soulignant qu’il n’approuve pas une forme de « vie religieuse », entendons cloîtrée, pour le présent ou pour l’avenir, « ce qui serait contre notre intention et la fin que nous nous sommes proposée, de subvenir par ce moyen à l’instruction des enfants des paroisses de la campagne ». Quelles que soient les réserves que

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Mgr de Laval ait pu avoir au sujet des filles séculières, elles avaient été balayées par la conscience qu’il avait des besoins de son immense diocèse et par l’efficacité avec laquelle y répondait la Congrégation. L’approbation de l’évêque signifiait que même si les membres de la Congrégation ne pouvaient pas prononcer de vœux solennels ou publics, les sœurs pourraient vivre en communauté et enseigner, que leur groupe pourrait se développer et qu’elles pourraient s’établir à plusieurs autres endroits d’un diocèse qui allait de la baie d’Hudson au golfe du Mexique. Jusqu’en 1676, les seules résidences permanentes des sœurs de la Congrégation étaient la maison située dans ce qui est aujourd’hui le Vieux-Montréal et la ferme de Pointe-Saint-Charles. Cette annéelà, elles ont ouvert leurs premières missions à l’extérieur de ce périmètre. La première nouvelle mission – c’est le terme qu’on emploie habituellement pour désigner un endroit où vont travailler les sœurs à l’extérieur de la maison mère – fut établie en un lieu qui revêtait pour Marguerite Bourgeoys une signification toute particulière. Il s’agit du village autochtone qu’on a appelé la mission de la Montagne, près de l’endroit où Maisonneuve et les premiers colons avaient érigé une croix, le 6 janvier 1643, en action de grâces pour avoir échappé à une inondation. C’est là que, peu après son arrivée en 1653, Marguerite elle-même avait retrouvé l’image envoyée par la Congrégation de Notre-Dame de Troyes et qu’elle s’était sentie confirmée dans sa propre vocation à Montréal18. À la demande de certains Iroquois du lac Ontario, les Sulpiciens avaient ouvert une mission à Kenté (aujourd’hui Trenton) dès 1667 et entrepris, à compter de cette date, de travailler parmi les autochtones à différents endroits. Comme d’autres missionnaires, ils en étaient cependant venus à la conclusion que les missions itinérantes donnaient peu de fruits durables et qu’il serait préférable d’établir une mission permanente où l’on pourrait enseigner aux autochtones à mener une vie sédentaire comme les Européens. Les Jésuites avaient ouvert une mission du genre à La Prairie de la Madeleine, près de Montréal, en 1670. Le site choisi pour la mission sulpicienne était un terrain qu’on avait réservé à la coupe du bois de chauffage et autour duquel vivaient déjà quelques familles huronnes. Une partie du terrain avait fait partie d’un lot accordé par Maisonneuve à Marguerite Bourgeoys, et qu’elle avait ensuite troqué à l’Hôtel-Dieu et aux Sulpiciens contre le terrain dans le Vieux-Montréal.

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Le site de la mission de la Montagne est facile à reconnaître dans le Montréal d’aujourd’hui à cause de la présence de deux tours en pierres sur le terrain du Grand Séminaire, rue Sherbrooke Ouest, près de l’avenue Atwater. Ces tours datent cependant de la fin du dix-septième siècle; en 1676, lorsque les deux premières sœurs de la Congrégation – d’après la tradition de la Congrégation, il s’agissait d’Anne Meyrand et de Catherine Boni – sont allées enseigner aux petites autochtones, les conditions de vie étaient beaucoup plus primitives. D’après l’Histoire de la Congrégation, « elles furent d’abord très mal logées; leur cabane, faite d’écorce comme celle des sauvages, était ce qu’il peut y avoir de plus pauvre et de plus rustique. On faisait le feu au milieu de la cabane, et la fumée s’échappait par une ouverture pratiquée dans le toit, et qu’on devait boucher avec un morceau d’écorce quand le temps était mauvais19. » L’année suivante, l’établissement s’agrandit quand on ferma la mission de Kenté et que sa population déménagea à la Montagne. Un prêtre sulpicien, Guillaume Bailly, vint aussi s’y établir. La décision de fixer la nouvelle mission à quelque distance de la ville visait bien entendu à soustraire le plus possible ses résidents aux maux du commerce de l’eau-de-vie. La vente d’eau-de-vie aux autochtones était devenue la principale source de conflit entre les autorités civiles et religieuses. Dans leurs efforts pour faire changer la loi, les missionnaires et les chefs autochtones faisaient valoir que la vente d’alcool avait un effet dégradant et démoralisant sur la société indigène. D’autant plus qu’en faisant boire les autochtones, il était beaucoup plus facile de les duper au moment de leur acheter leurs fourrures. Mais les marchands et les autorités civiles avec qui ils avaient partie liée affirmaient que ce commerce était une nécessité économique pour la Nouvelle-France étant donné que les Anglais et les Hollandais s’y adonnaient déjà. Le conflit était âpre, et on dit que Jean Talon fit revenir les Récollets en Nouvelle-France pour servir la politique du gouvernement et miner l’influence de Mgr de Laval et des Jésuites. Une ordonnance de novembre 1668 autorisait la vente d’alcool aux autochtones mais à ceux-ci interdisait de s’enivrer et les sanctionnait s’ils le faisaient, une partie de l’amende étant versée au dénonciateur. Frontenac permit à tous les colons établis de vendre chez eux de l’alcool aux autochtones. Il était interdit d’apporter de l’alcool en forêt pour commercer dans les villages autochtones, mais il était difficile de faire respecter ce

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règlement. Il faudrait éventuellement relocaliser la mission de la Montagne encore plus loin de Ville-Marie. Mais au début, on fondait de grands espoirs sur la mission, qui devint une activité importante pour Marguerite Bourgeoys et sa communauté. Montgolfier écrit (après la guerre de Sept Ans) : « C’est en considération des grands biens qui en revenaient à l’état et à la Religion, et en compensation des dépenses que la Sœur Bourgeois et sa communauté faisaient pour cette espèce de bonne œuvre, que le Roi de France, en 1676, attribua à la communauté des Sœurs, sur l’état de son domaine en Canada, une pension de deux ou trois mille livres, régulièrement payée depuis ce tempslà jusqu’en l’année 1756, qu’elle fut entièrement supprimée à l’occasion de la dernière guerre20. » Cette pension était le résultat de visites faites à la mission par des fonctionnaires coloniaux favorablement impressionnés par le travail qu’on y accomplissait. En 1683, Jacques de Meulles, qui avait remplacé Talon comme intendant, écrivait à propos des jeunes filles autochtones à la mission : « Deux filles de la Congrégation ... ont soin de leur enseigner leur croyance, de les faire chanter à l’église, de leur apprendre à lire, à écrire, à parler français et tout ce qui convient aux filles. Si Sa Majesté voulait accorder un petit fonds de 5 ou 600 livres pour les sauvagesses de la Montagne, on pourrait leur apprendre à faire des bas à l’aiguille ou du point de France. Elles sont naturellement très adroites21. » Montgolfier attire aussi l’attention sur un avantage encore plus important, d’ordre non matériel, qu’apporta à la Congrégation la mission de la Montagne : l’accroissement du nombre de ses membres par l’inclusion de femmes autochtones. « La Sœur Bourgeois, observe-t-il, ne cessa jamais d’entretenir dans cette mission plusieurs filles Sauvages, pour les former à la vertu, et les mettre en état de l’inspirer à leurs compagnes. Elle en entretenait pareillement plusieurs parmi les pensionnaires de Ville-Marie, dont quelquesunes (on en compte au moins deux) s’étant attachées à la Congrégation, se rendirent dans la suite très utiles dans la Mission 22 . » Les deux femmes dont parle ici Montgolfier sont Marie-Thérèse Gannensagouas et Marie-Barbe Atontinon. On connaît mieux les antécédents de Marie-Thérèse que ceux de Marie-Barbe, et son histoire est fascinante. Elle avait pour grandpère François Thoronhiongo, un Huron baptisé par Jean de Brébeuf. Même s’il fut plus tard réduit en esclavage par les Iroquois dans

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le village de Tsonnontouan, il persévéra dans la foi chrétienne. Après l’arrivée de Tracy et la paix avec les Iroquois, il alla vivre au village autochtone où serait établie la mission de la Montagne. Il joua un rôle important à la mission jusqu’à sa mort en 1690 – à l’âge de 100 ans, dit-on – et il jouissait d’une grande réputation de piété et de charité. L’avaient accompagné son fils marié et sa famille ainsi qu’une petite-fille, Gannensagouas. Celle-ci fut adoptée par le gouverneur général de Courcelle avant son départ pour la métropole en 1672, et reçut au baptême le prénom de la reine, MarieThérèse. On confia l’enfant aux soins de Marguerite Bourgeoys et de la Congrégation. Même si l’Histoire de la Congrégation et François Vachon de Belmont 23 imaginent que Marie-Thérèse fut instruite à la mission de la Montagne, le texte de Montgolfier et les dates en cause suggèrent plutôt que la protégée du gouverneur fut élevée dans la maison de la Congrégation à Ville-Marie. Le don de 1000 livres que lui avait laissé le gouverneur était censé lui servir de dot au moment de son mariage. Placée par Marguerite Bourgeoys, la somme avait triplé de valeur en dix ans : encore un exemple du sens des affaires de Marguerite. En 1679, toutefois, Marie-Thérèse choisit d’entrer dans la Congrégation, au lieu de se marier, et elle alla éventuellement enseigner à la mission de la Montagne. La même année, une autre autochtone, Marie-Barbe Atontinon d’Onotais, entrait elle aussi dans la communauté. D’après les registres de la Congrégation, elle était Iroquoise, née en 1656 au village d’Onontagué et arrivée à la mission de la Montagne en 1676 à l’âge de vingt ans. Trois ans plus tard, elle était admise comme candidate à la Congrégation. Par suite de la destruction d’un grand nombre de documents de la Congrégation datant de cette période, on ne sait rien de son travail dans la communauté, encore que Montgolfier semble suggérer qu’elle a enseigné, elle aussi, à la mission de la Montagne. La Montagne ne fut pas la seule nouvelle mission ouverte par la Congrégation en 1676; on en fonda une autre à Champlain. L’Histoire de la Congrégation en donne pour preuve un document de cette année-là signé de la main de Marguerite Bourgeoys « pour moi-même et pour les autres sœurs de notre Congrégation qui sont à Champlain et ailleurs24 ». Marie Raisin fut la première enseignante nommée à cette première mission stable en dehors de l’île de Montréal. La faible distance entre Champlain et Trois-Rivières en faisait un prolongement des missions itinérantes que Marie Raisin

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avait entreprises dans la région peu après son arrivée au Canada en 1659. On ne connaît pas l’identité de sa compagne à l’époque et le recensement de 1681 ne retient que le nom de Marie Raisin. Il fallut abandonner cette mission en 1683 parce que la région était trop pauvre pour la soutenir mais elle serait rétablie en 1697. Les chroniques de la région soulignent le respect et l’affection qu’on avait pour Marie Raisin. Comme elles parlent de la douleur qu’on y a ressentie à la nouvelle de sa mort en 1691, elle était peut-être restée en contact avec la population locale. Si Marguerite Bourgeoys pouvait voir la vie prospérer dans certains domaines, il y en avait d’autres où elle marquait un repli. Les navires venus de France, au printemps de 1677, apportaient une nouvelle qui dut la toucher profondément. Au mois de septembre précédent, trop tard pour que l’information pût traverser l’Atlantique cette année-là, Paul de Chomedey de Maisonneuve était mort à Paris, à l’âge de soixante-quatre ans. Sans doute Marguerite puisa-t-elle quelque réconfort dans sa foi et sa conviction que « la vie n’est pas détruite mais transformée ». Mais elle dut également éprouver la tristesse qui est le lot commun de l’humanité lorsque l’âge fait disparaître ceux et celles qui ont partagé notre vie de plus près et que le monde devient plus solitaire, plus mélancolique. Du trio de Champenois qui jouèrent un rôle décisif dans la fondation de Montréal, elle seule restait. Au moment de sa mort, l’ancien gouverneur vivait toujours dans la petite maison que lui louaient les Pères de la Doctrine chrétienne et où Marguerite lui avait rendu visite. Son serviteur, Louis Frin, était toujours à ses côtés. La mort de Maisonneuve eut des répercussions d’ordre matériel pour la Congrégation de Notre-Dame. Le 6 septembre 1675, il avait officiellement investi Philippe de Turmenyes de la procuration que lui avait donnée Marguerite Bourgeoys en 1671. Ce transfert de responsabilités suggère une détérioration de l’état de santé de l’ancien gouverneur. Turmenyes, qui semble avoir été le meilleur ami de Maisonneuve, était désigné comme exécuteur de ses dernières volontés. Le testament fut signé à 21h30, la veille de la mort de l’ancien gouverneur. Le premier legs, et le plus important, était un don de 2000 livres à « la congrégation Notre Dame de Montréal en la Nouvelle France dont Marguerite Bourgeois est supérieure ». Le testament comprend aussi un legs de 1000 livres aux hospitalières de Montréal et à la « Congrégation de la Ville de Troyes », où la sœur et la nièce de Maisonneuve étaient religieuses. Il semble que

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l’ancien gouverneur n’ait jamais perdu le goût de la musique : un luth figure à l’inventaire dressé après sa mort, et un legs de 200 livres est destiné à Robert Caron, maître joueur de luth. Les documents décrivant l’apposition des scellés et la procédure d’inventaire font état de l’apparition soudaine de Marie Bouvot et de ses objections. La nièce mariée de Maisonneuve était déçue des dispositions du testament à son endroit et décidée à le contester en plaidant l’abus d’influence25. Elle et sa sœur, religieuse à la Congrégation de NotreDame de Troyes, étaient les filles de la sœur de Maisonneuve, Jacqueline. L’incident suggère que, même après deux meurtres, la famille continuait de se passionner pour la dispute et les procès d’héritage. Soit que Marie Bouvot ait renoncé à sa démarche, soit qu’elle ait échoué, Turmenyes demeura exécuteur et continua d’exercer la procuration pour la Congrégation de Notre-Dame de Montréal en France26. Entre-temps, à Montréal, en vertu d’une décision prise longtemps auparavant, Maisonneuve faisait un dernier don à Ville-Marie, une cloche pour la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours. Marguerite Bourgeoys nota que « la fonte de cette cloche, qui pèse un peu moins de cent livres, est d’un canon cassé que j’avais obtenu de Monsieur de Maisonneuve. Monsieur Souart en a payé la façon 27. » Ce canon fondu évoque, dans la Bible, les épées dont on fait des socs de charrue et les lances devenues faucilles; ce mémorial sied particulièrement au premier gouverneur de Montréal qui avait tant recherché la paix pour la petite colonie qu’il avait fondée. L’année 1678 vit s’ouvrir une autre mission de la Congrégation à Montréal, cette fois à la pointe orientale de l’île. L’établissement de la Pointe-aux-Trembles avait commencé après que l’arrivée du régiment de Carignan-Salières eut paru garantir un peu plus de sécurité et de stabilité. Au début, les Sulpiciens allaient y célébrer la messe dans la maison de l’un ou l’autre colon, mais on y érigea finalement une chapelle qui fut consacrée le 13 mars 1678. Deux sœurs de la Congrégation y furent envoyées pour enseigner aux enfants et elles s’établirent dans une maison qu’on leur prêta à proximité de l’église. Si la Congrégation pouvait se permettre de lancer ces nouvelles missions, c’est que le nombre de ses membres allait croissant du fait qu’elle recrutait sur place et non plus en Europe. Outre les deux jeunes autochtones déjà citées, deux sœurs nées à Québec en 1658 et en 1660, Ursule et Marguerite Gariépy, finirent par entrer dans la

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Congrégation à Montréal. Comme elles avaient grandi à ChâteauRicher, où leur famille s’était établie, elles avaient dû connaître la communauté comme pensionnaires à l’école de Montréal ou grâces aux missions itinérantes. C’est seulement après elles que firent leur entrée dans la Congrégation les premières Montréalaises, dont plusieurs descendaient des tout premiers colons de Montréal. La première Montréalaise connue à être entrée dans la Congrégation est Marie Barbier, la plus jeune des filles de Gilbert Barbier, menuisier établi à Montréal dès l’été de 1642 et qui avait aidé Marguerite à redresser la croix sur la montagne, peu après son arrivée en 1653. Marie confierait plus tard à Charles de Glandelet, son directeur spirituel, que ses parents n’étaient pas très favorables à son entrée dans la Congrégation « à cause du manque de moyens ». Ce témoignage indique que Marguerite Bourgeoys avait de la difficulté à faire appliquer ses principes au sujet de la dot 28. Pour elle, l’absence de dot ne devait jamais empêcher une candidate d’entrer à la Congrégation : « Je conservais toujours ce que nous croyions faire à Troyes, qu’il pût y avoir quelque asile pour des filles qui ont toutes les qualités et qui, faute de biens, ne peuvent être religieuses29. » Dans le cas de Marie Barbier, ses parents acceptèrent, lorsqu’elle entra en communauté, que soit versée à leur mort une dot de 300 livres prise sur leur succession. Ils devaient aussi livrer dix minots de blé chaque année pour les quatre prochaines années. Le contrat de Marie Barbier, contrairement aux ententes signées antérieurement par des femmes qui entraient dans la Congrégation, ne portait pas seulement sur le fait de vivre en communauté et d’enseigner. Selon la formulation qui apparaît de nouveau dans le contrat de Françoise Le Moyne en 1680, il est dit de Marie Barbier qu’elle entend « se consacrer au service de Dieu et de la Sainte Vierge en la Congrégation des filles de Notre-Dame de Montréal »; un document de 1684 dit que Marie « s’est consacrée au service de Dieu sous la protection de la Très-Sainte Vierge30 ». Ces textes doivent refléter les promesses que les membres prononçaient en entrant dans la Congrégation à cette époque. Les contrats faits par certains des hommes qui devenaient « donnés », ou frères de la Congrégation, à la même période contiennent des expressions semblables – ils se donnent au service de Dieu et de la Sainte Vierge – mais le mot « consacrer » n’apparaît pas dans les formules qu’ils signent31. Marie Barbier confia plus tard à son directeur spirituel que son frère Nicolas l’aida à convaincre ses parents de la laisser

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entrer dans la Congrégation. On a parfois supposé qu’il avait offert une aide financière mais la chose n’apparaît pas clairement dans la documentation. Les plus grosses objections vinrent peut-être de la mère qui, moins de vingt ans auparavant, avait empêché la sœur aînée de Marie, Adrienne, de devenir la première Canadienne à entrer chez les Hospitalières à Montréal32 . On trouve dans ces documents un autre indice que la Congrégation adoptait certains traits plus officiels propres à une communauté religieuse. Les remarques faites par Marie Barbier à Charles de Glandelet de même que le contrat d’admission de Françoise Le Moyne indiquent clairement qu’à cette époque il y avait pour les candidates à la Congrégation une sorte de rite de vêture au début de leur période de probation et, par conséquent, que les sœurs portaient un habit. On ne sait pas quand débuta cet usage, pas plus qu’on n’a de description détaillée de l’habit de ces années-là. La plus ancienne représentation dont on dispose est le portrait de Marguerite Bourgeoys par Le Ber, exécuté au moment de sa mort en 1700. Il y a deux textes à propos du vêtement des sœurs dans les écrits de Marguerite Bourgeoys, et tous les deux ont une intention édifiante. Comparant le vêtement des sœurs à celui de la Sainte Vierge, Marguerite écrit : Son habit était une longue robe blanche simplement mise, une ceinture et un voile sur la tête. Sa robe nous marque sa pureté; sa ceinture, le soin de ne rien échapper pour s’acquitter des devoirs de charité; le voile, pour ne point paraître au monde que par nécessité. Les Sœurs ont une longue robe noire, pour qu’elles se souviennent qu’elles sont venues au monde, noircies du péché originel; une ceinture de laine, pour se souvenir de réprimer leurs passions; et la coiffe de laine marque qu’elles ont quitté tout ce qui pouvait leur plaire au monde33.

Toutefois, Marguerite observe ailleurs : Il me semble ... que c’est une grande faiblesse de vouloir être distinguées d’avec les personnes du monde, par quelque habillement ou quelque marque visible. Quand on a quitté le monde, on a dû en perdre les idées et tout l’entretien, sans se soucier de tout l’extérieur; mais que l’on nous distingue par nos emplois, par la bonne éducation des enfants, par les bonnes instructions qu’on leur donne, par l’édification du prochain, par

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la modestie chrétienne, par le détachement de toutes choses, par l’amour de la parole de Dieu et de la vertu. Ce n’est pas par les habits que l’on connaît les hommes, mais par leurs œuvres34.

L’éditrice des Écrits de Marguerite Bourgeoys fut troublée par l’apparente opposition entre ces deux passages, mais peut-être la contradiction n’est-elle pas aussi grande qu’elle paraît à première vue. Le premier passage est une réflexion pieuse, conventionnelle à l’époque, sur un habit qui est devenu un fait établi. Dans le second, Marguerite exprime spontanément une conviction personnelle. Derrière ce deuxième texte, on retrouve sa méfiance profonde à l’égard de la piété ostentatoire et son insistance pour que les membres de la Congrégation ne recherchent ni les honneurs ni les traitements de faveur qui les distingueraient des gens ordinaires. Il ne s’agit pas du rejet de tout uniforme. En fait, comme le confirment de nombreux inventaires de l’époque, le type de robe qui fut le premier habit des membres de la Congrégation était si semblable à celui des femmes autour d’elles – moins les bijoux, les rubans de couleur, les volants et fanfreluches que portaient leurs contemporaines dans les grandes occasions – que les sœurs ne se seraient fait remarquer que par l’absence de ces ornements. Au plus tard dans les années 1690 elles portèrent la simple croix d’argent qu’on peut voir sur le portrait de Marguerite Bourgeoys par Le Ber35. Pour le reste, le vêtement était semblable à celui de leurs voisines, simple, pratique, quotidien36. Marie Morin écrit en 1698 : « Elles ont aussi un habit noir par-dessus et gris dessous, qui est fort modeste et qui les distingue du monde37 ». Comme Marie Barbier, la jeune femme qui entra ensuite dans la Congrégation avait aussi un lien avec les débuts des Hospitalières à Montréal. Marie Denis, qui venait de Québec où elle avait étudié chez les Ursulines, était la sœur cadette de Catherine Denis, deuxième Canadienne à entrer chez les Hospitalières de SaintJoseph à Montréal. Marie Denis fut suivie à la Congrégation par Madeleine Bourbault, qui était née à Charlesbourg, puis par une seconde Montréalaise, Marie Charly, fille de Marie Dumesnil, la très jeune fille à marier qu’on avait confiée à Marguerite lors de son premier voyage au Canada. Elle fut suivie par Françoise Le Moyne, fille de Mathurine Godé, la plus jeune du petit groupe de colons qui fondèrent Montréal en 1642, et de Jacques Le Moyne, membre de ce qui était en train de devenir l’une des familles les plus en vue

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de Montréal. Une autre candidate, Thérèse Rémy, née en France en 1661, avait été amenée au Canada par son oncle, Pierre Rémy, prêtre de Saint-Sulpice et supérieur ecclésiastique de la Congrégation à l’époque. Vint enfin Catherine Charly, sœur cadette de Marie. Marguerite Bourgeoys connaissait certaines de ces femmes depuis leur tendre enfance et les avait préparées à leur première communion. Elles choisirent d’entrer dans la Congrégation, même si la fondatrice ne leur promettait que « pauvreté et simplicité38 », parce qu’elle leur avait communiqué quelque chose de ce qui l’inspirait elle-même : l’idée que l’éducation chrétienne des filles contribuait à faire en sorte que le Christ ne soit pas mort en vain; l’idée qu’elles avaient un rôle vital à jouer dans la construction de leur église et de leur société. Des indices nous montrent que la vie dans la Congrégation pouvait représenter un défi pour certaines de ces jeunes candidates. Marie Barbier confierait à Glandelet plusieurs années plus tard : Je ne peux pas comprendre comment, étant jeune et faible comme j’étais, je pouvais faire tout l’ouvrage que j’ai fait pendant cinq années de suite. J’avais soin de deux vaches, dont je tirais le lait et faisais le beurre; je les menais le matin et les allais quérir le soir près de demi-lieue loin, étant, lorsque je passais dans la ville avec mes vaches, la risée de ceux qui m’avaient connue dans le monde. Je portais quelquefois le blé à mon cou au moulin, et en rapportais de même la farine. Je boulangeais seule ... Je faisais l’école et faisais trois fournées de pain par jour en été, les deux et trois fois la semaine. Les jours que je ne boulangeais pas, je blutais. Je me levais deux ou trois heures avant la communauté afin d’avoir fait une fournée auparavant huit heures qui est le temps où l’on disait la messe des écolières39.

Certaines de ces premières sœurs canadiennes allaient mourir jeunes mais d’autres assureraient la survie de la Congrégation après la mort de la fondatrice et la soutiendraient jusqu’au milieu du siècle suivant. La liste des femmes entrées dans la Congrégation et l’ordre de leur admission est tirée du recensement de 1681. Le « rang » dans la Congrégation de Notre-Dame et l’attribution d’un numéro dans la communauté ont toujours dépendu de la date de profession religieuse et, à l’intérieur d’un groupe de novices qui faisaient profession ensemble, de l’âge chronologique. Le même principe semble avoir

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présidé à la compilation de la liste du recensement. Jamet signale que cette liste ne comprend que les premières entrées canadiennes connues et que, comme les Hospitalières, la Congrégation pourrait avoir eu antérieurement d’autres candidates qui ne seraient pas restées. Cette interprétation peut s’appuyer sur quelques éléments de preuve. Dans un document notarié de 1676 portant sur une dispute au sujet de veaux, Marie Touchard est désignée comme « fille de la Congrégation40 ». Le 5 février 1679, pourtant, elle épouse Jean Caillou-Baron. Puisqu’il était devenu « donné » de la Congrégation l’année précédente, il semble qu’un attachement se soit développé entre eux pendant qu’il travaillait pour la Congrégation. Le couple semble avoir gardé de bonnes relations avec la communauté, et leur fille Gabrielle allait plus tard en devenir membre41. Même s’il était beaucoup plus facile à cette époque de quitter la Congrégation que ce ne le serait à la fin du siècle, il peut s’agir d’un cas isolé. Toutes les sœurs énumérées au recensement de 1681 sont demeurées dans la Congrégation42 . Et pourtant, en dépit de tous les signes d’expansion et de vie nouvelle, de croissance et d’espérance autour d’elle, Marguerite Bourgeoys elle-même était loin d’être tranquille. À tel point qu’elle décida de faire un autre voyage en France. Cette traversée, pour autant que nous le sachions, n’a comporté ni les dangers ni les épreuves des voyages précédents. Il n’y eut ni épidémie ni bagage perdu, ni malades à soigner ni corps d’enfants à immerger. Mais ce voyage semble avoir été le plus décevant de tous ceux que Marguerite entreprit et il se solda par un échec apparent. Il préfigure la période de graves souffrances morales qu’elle aurait à traverser à la fin de la décennie suivante.

chapitre quatre

le dernier voyage en france 679 – 680 En 1680, Madame Perrot avait besoin d’aller en France. Je m’offre à elle, avec le consentement de nos Sœurs; mais c’étaient plus mes peines d’esprit qui me faisaient entreprendre ce voyage que le prétexte de nos Règles et de Monseigneur de Laval qui était pour lors à Paris, dont je me servais1.

L’évolution de la situation faisait qu’il était maintenant souhaitable, certains auraient même dit urgent, pour Marguerite Bourgeoys et ses compagnes de rédiger une règle de vie et de la faire approuver par les autorités ecclésiastiques. Les membres de la Congrégation se liaient à la communauté par contrat civil et, si l’on en juge par certaines références dans les écrits de Marguerite Bourgeoys et par les discussions qui allaient se dérouler avec Mgr de Saint-Vallier dans les années 1690, également par des « promesses » faites au moment où les sœurs étaient officiellement reçues dans la Congrégation. Si l’une ou l’autre sœur prononçait des vœux privés, comme l’avait fait Marguerite Bourgeoys en 1643, elle en déterminait la teneur avec son directeur spirituel. Les membres de la Congrégation semblent avoir suivi la règle élaborée par Antoine Gendret pour la petite communauté expérimentale que Marguerite Bourgeoys et deux compagnes avaient tenté d’établir à Troyes dans les années 1640, en la modifiant et en l’adaptant à leur situation à Montréal. Sans doute tout n’était-il pas encore mis par écrit dans cette règle de vie. Certaines convictions et certaines pratiques se seraient développées à l’usage et se seraient transmises simplement au fil du quotidien. Mais avec l’expansion géographique de la Congrégation et l’entrée dans ses rangs de jeunes Canadiennes, certaines questions se

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posaient de façon pressante. Comment assurer et préserver l’unité lorsque des membres vivaient à une certaine distance du reste de la communauté? Quelle formation fallait-il donner à celles qui entraient dans la Congrégation? Montgolfier dit que, pour la première Congrégation, Marguerite était elle-même « la règle vivante, et un modèle de la plus sublime perfection 2». Mais la force de la personnalité de Marguerite et la règle fixée à Troyes par le Père Gendret près de quarante ans auparavant ne suffisaient plus pour une communauté en croissance et en expansion. Marguerite voyait dans la Vierge Marie, la mère du Christ, le modèle par excellence du disciple chrétien et elle soulignait avec insistance que « l’amour de Dieu et du prochain renferme toute la loi3 »; mais toutes les nouvelles venues à la Congrégation ne possédaient pas les dons spirituels de la fondatrice ou la capacité qu’elle avait d’insuffler une dimension spirituelle au train-train quotidien. Par ailleurs, même si les jeunes Canadiennes qui entraient maintenant dans la Congrégation étaient prêtes à affronter l’insécurité qu’avaient acceptée Marguerite et ses premières compagnes, leurs familles voulaient les voir plus solidement établies. Une structure plus officielle et une approbation plus claire de leur style de vie devenaient chaque jour plus nécessaires. Pourtant, comme Marguerite le dit sans ambages, la règle n’était pas son premier souci lors de son dernier voyage en France, en 1679–80. Même si en Europe Marguerite a effectivement demandé conseil au sujet d’une règle pour la Congrégation, elle indique bien, les deux fois où elle parle de cet événement dans ses écrits, qu’en ce qui la concerne les consultations sur la règle n’étaient pas l’objet principal de son voyage. Outre les propos cités en exergue au présent chapitre, elle confie : « En 1680, je retourne en France sous prétexte de nos Règles, mais c’était pour une très grande peine de voir que toutes choses n’étaient pas comme je voulais4. » Quelles étaient la nature et la cause des peines auxquelles elle fait ici allusion? Sa réticence caractéristique à expliquer ce qu’elle ressent nous contraint à ne formuler là-dessus que des hypothèses à partir du contexte général, d’autres passages de ses écrits et de la suite des événements dans la Congrégation. En 1680, Montréal n’était plus la frêle colonie sous la menace constante du péril iroquois où elle avait débarqué en 1653. L’île était maintenant gouvernée par un homme qui exploitait les colons, harcelait quiconque osait contester son autorité et menait

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sa propre opération clandestine de commerce des fourrures depuis une île au confluent du Saint-Laurent et de la rivière des Outaouais, où il interceptait les chargements de fourrures des autochtones. François-Marie Perrot avait obtenu des Sulpiciens d’être nommé gouverneur de Montréal grâce à l’influence de Jean Talon dont il avait épousé la nièce. Il se pourvut ensuite d’une nomination royale dont il usa pour ignorer ou défier l’autorité seigneuriale. Le tonus moral de la colonie s’était dégradé, lui aussi. Quelle tristesse dut éprouver Marguerite Bourgeoys, en cette journée de la fin août 1679, quand elle fut appelée à témoigner avec Élisabeth de la Bertache, la sœur responsable du pensionnat, au procès d’un homme accusé d’avoir agressé sexuellement ses petites filles. Cet homme n’était pas un nouveau venu mais un membre de la grande recrue avec laquelle Marguerite elle-même était arrivée en 1653, un homme qui avait servi dans la milice de Notre-Dame à l’époque de M. de Maisonneuve5. Mais Marguerite avait des motifs plus immédiats de doute et d’anxiété. Elle vivait les premières étapes d’un processus que doivent traverser toutes les nouvelles communautés si elles sont appelées à durer. Il s’agit du processus d’institutionnalisation qui rend les intuitions fondatrices plus accessibles à des candidats qui ne peuvent atteindre au même degré d’héroïsme. Dans le cas de la Congrégation, la situation se compliquait du fait qu’à l’exemple de quelques rares autres groupes en France, elle était radicalement différente des communautés féminines traditionnelles. Celles-ci étaient toutes recluses ou cloîtrées, même celles qui se vouaient à l’enseignement ou au soin des malades. Marguerite était profondément attachée aux mêmes valeurs que les communautés cloîtrées : elle rejetait le désir des richesses, des honneurs ou des récompenses; elle croyait que la vie doit être imprégnée d’esprit de prière. Mais elle était convaincue que ces valeurs pouvaient se vivre dans le monde, au service de la grande communauté chrétienne. Les premières compagnes de Marguerite étaient des Françaises comme elle. En s’engageant envers la Congrégation, elles vivaient une rupture radicale avec leur famille et avec leur passé. Quand des Canadiennes entrèrent dans la communauté, la situation changea. Même s’il leur fallait quitter Montréal pour aller en mission, le pays ne pouvait leur être aussi étranger qu’il l’avait été pour celles qui avaient quitté la France. Et si elles restaient à Montréal, elles habitaient, dans certains cas, juste à côté de leur famille. Marguerite voulait que ses

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compagnes soient engagées dans la vie de la société ambiante mais non sans un certain détachement. La chose pouvait devenir plus difficile pour les nouveaux membres que leur sang et des intérêts familiaux liaient à cette société. Il est évident dans les écrits de Marguerite que la vertu de pauvreté était extrêmement importante à ses yeux. Sa pratique dans la Congrégation semble avoir été l’une des principales sources de conflit et d’incompréhension entre Marguerite et les sœurs, comme l’indiquait déjà sa réticence à faire construire la grande maison qui devait remplacer l’étable-école. Peut-être, d’une certaine façon, ce conflit en reflétait-il un autre, intérieur celui-là, chez Marguerite. Certains passages de ses écrits montrent qu’elle connaissait et qu’elle comprenait les arguments qu’on pouvait opposer à l’idéal qu’elle s’efforçait de pratiquer et de proposer à sa communauté. À propos de la mortification, par exemple : « Mon expérience m’apprend que les aises du corps se prennent avec facilité, à quoi la nature s’accommode quelquefois avec quelques petits scrupules qui se passent en un moment, spécialement quand on s’y sent obligé par quelques paroles qui nous flattent ... notre pauvre nature ne dit jamais : C’est assez ... Mais on trouve aisément nécessaire ce qui nous plaît6. » Traitant de la différence entre prudence humaine et prudence divine, elle remarque comme il est facile de justifier l’acquisition de biens et d’avantages matériels qu’on juge nécessaires au bien-être des membres de la communauté et au succès de son œuvre : « La prudence humaine dit qu’il faut servir Dieu, mais qu’Il veut bien que l’on se réserve quelque bien pour sa vieillesse et ses maladies, que l’on ait son nécessaire, que l’on se porte mieux d’être bien nourri, qu’on prie mieux quand on est à son aise, que le coucher durement peut bien engendrer des infirmités, que le souffrir les mépris fait souvent bien du tort et donne trop de liberté de faire des péchés7. » Marguerite Bourgeoys croyait que la pauvreté est d’abord et avant tout une attitude de l’esprit et du cœur : le détachement des choses matérielles. Cependant, elle croyait aussi que dans la Congrégation cette attitude spirituelle devait avoir des conséquences matérielles concrètes, que les sœurs devaient vivre dans une grande simplicité en n’usant des biens de ce monde que dans la mesure où ils étaient nécessaires à leur vie et à leur travail. Pour elle, la pauvreté était la conséquence et la preuve d’une absolue confiance en Dieu, de la conviction que « Dieu ne manque point au besoin de

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ceux qui le servent avec fidélité8 ». Elle était convaincue que l’action de Dieu pouvait seule rendre efficace et fructueux le travail de la Congrégation et que cette intervention était directement reliée au détachement des possessions matérielles. On trouve dans ses écrits un passage où elle compare le collège des apôtres à la Congrégation, mais seulement comme on comparerait « une étoile qui est au firmament et un brin de neige qui tombe en forme d’étoile et qui se fond à la moindre chaleur ». Puis elle continue : « Les apôtres vont sans bourse ni double robe. Les filles de la Congrégation vont faire l’école sans aucune assurance de leur vie et le moins de hardes qu’elles peuvent. Les apôtres se sont confiés en Dieu [qui] les a nourris où il n’y avait point de vivres. Les filles de la Congrégation laissent le soin de leurs besoins entre les mains de la très Sainte Vierge et elles ne manquent jamais du nécessaire. » Les apôtres, dit-elle, « étaient des hommes ordinaires et que le monde tenait pour rien », mais « ils furent envoyés au nom de Notre-Seigneur et ils ont fait des merveilles9 ». Pour Marguerite Bourgeoys, la pratique de la pauvreté était essentielle pour marcher à la suite du Christ qu’elle reconnaissait chez les pauvres au milieu desquels elle vivait. Le fait de partager leur condition découlait nécessairement du projet de mener une existence pleinement chrétienne. Un aspect de la vie de la Congrégation devait lui causer une peine immense après sa démission comme supérieure : le fait que la communauté n’était plus capable de partager le pain de ses serviteurs, geste qui avait pour elle une portée sacramentelle. « Un grand temps, on [fait] du pain comme celui qu’on vend chez les boulangers et du bis pour les hommes, et [pour] toute la communauté, du blanc; et auparavant, on faisait le pain tout de même10. » Si Marguerite Bourgeoys n’avait pas été aussi douée, si sa Congrégation n’avait pas attiré d’autres femmes douées et dures à la tâche, les problèmes liés à la pratique de la pauvreté ne se seraient jamais posés. Les sœurs n’auraient eu d’autre choix que de vivre dans la misère. Paradoxalement, les qualités qui leur valaient les éloges des autorités civiles et qui garantissaient la survie matérielle de la Congrégation engendrèrent précisément les conditions qui semblaient à Marguerite menacer les idéaux spirituels qui l’avaient inspirée. Sans doute ne cherchait-elle pas dans une règle la réponse aux difficultés qu’elle affrontait. Elle savait qu’on ne peut décréter les attitudes de l’esprit et du cœur. Mais en voyant la Congrégation

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s’écarter de l’idéal qui s’était formé en elle plus de trente ans auparavant, elle se sentait responsable. Comme lorsqu’elle avait décidé d’aller vivre avec les filles du roi en 1663, elle estimait qu’elle n’arrivait pas à se faire comprendre des sœurs. Certains indices donnent à penser qu’à cette époque Marguerite Bourgeoys croyait son leadership ébranlé au sein de la communauté. Dans le recueil de ses écrits, le texte que voici suit immédiatement le passage qui décrit ses difficultés avec les sœurs au temps de l’arrivée des filles du roi et celui qui évoque le conflit au sujet de la construction de la grande maison : Environ 1677 ou 78, il fut besoin d’envoyer une fille sur une terre, pour en avoir soin, avec une autre plus jeune. Monsieur notre Supérieur dit : « Je n’enverrais pas cette fille que vous envoyez. » Je ne réponds point, mais je dis à nos Sœurs qu’on ne pouvait faire autrement et je passe outre. Nos Sœurs souhaitaient de la recevoir Sœur, mais cela ne se pouvait pas et j’en avais dit la raison à Monseigneur et à Monsieur Souart. Cela fit bien du trouble entre nos Sœurs et je crois que, dès ce temps-là, nos Sœurs avaient perdu la confiance en moi, et moi, la liberté de leur parler11.

Ce passage semble décrire les prodromes d’une crise qui éclatera dans les années 1690. Il indique certainement que Marguerite Bourgeoys commençait à s’interroger sur son efficacité comme supérieure et que la contestation de son autorité vint d’abord des sœurs recrutées en France puisque à cette date, si elle est exacte, les Canadiennes n’auraient pas encore pu en prendre l’initiative. Le fait que Marguerite Bourgeoys dise avoir obtenu la permission des sœurs, cette fois-ci, pour faire un voyage en France est un autre signe de ce que la vie dans la Congrégation devenait plus structurée. Avant son départ, il fallut choisir quelqu’un pour agir comme supérieure en son absence ou même, comme le suggère Montgolfier, pour la remplacer de manière permanente. C’est ici qu’il insère un épisode relaté par Glandelet dans sa biographie de Marguerite Bourgeoys. Glandelet écrit : « La Sœur Bourgeoys a dit aussi que la Communauté fit une fois élection, et toutes d’un commun accord, non point par scrutin, mais toutes ensemble, dans leurs assemblées, firent choix de la très Sainte Vierge pour leur première Supérieure, leur institutrice, leur Fondatrice et leur bonne Mère. » L’événement est cité par les deux biographes pour montrer à quel point les sœurs s’étaient approprié l’idée de Marguerite pour

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qui Marie était la patronne, la fondatrice et la première supérieure de la Congrégation12 . Voilà sans doute une interprétation valable de ce qui s’est passé. Mais c’est aussi la preuve qu’il ne s’était pas manifesté au sein du groupe d’autre leader que Marguerite. Il n’en fallait pas moins choisir une supérieure temporaire. L’Histoire de la Congrégation rapporte que Geneviève du Rosoy fut élue assistante (et donc supérieure intérimaire en l’absence de Marguerite), qu’Anne Hiou continua d’être responsable des nouvelles venues à la Congrégation, qu’Élisabeth de la Bertache prit la direction de l’école à la place de Geneviève du Rosoy et que Marguerite Sommillard devint économe13. Si ce récit est exact, le gouvernement de la Congrégation avait déjà pris la forme qu’il allait conserver pendant de nombreuses années. Montgolfier ajoute que c’est à ce moment-là que Marguerite composa une prière à la Sainte Vierge que Glandelet cite tout de suite après avoir raconté l’élection de Marie comme supérieure. Après s’être adressée à Marie en utilisant les titres mentionnés ci-dessus, la prière formule deux demandes. Pour cette vie, elle sollicite « les lumières et les grâces du Saint-Esprit, afin de pouvoir travailler à la bonne éducation des filles et des écolières dont nous sommes chargées par notre profession ». Et elle se termine en demandant que toutes les femmes qui font alors partie de la Congrégation, toutes celles qui en feront un jour partie et toutes les personnes qui contribueront à leur progrès spirituel « soient du nombre des élus14 ». On ne connaît pas la date à laquelle Marguerite quitta Montréal pour la première étape de son voyage, mais ce fut peu après avoir signé les documents pour admettre Marie Barbier à sa période de probation dans la Congrégation, le 11 août 1679. Il est possible que Marguerite ait dû attendre assez longtemps à Québec avant d’obtenir un passage. Elle était certainement encore là en novembre, comme en font foi deux lettres d’elle. La première, en date du 5 novembre, est adressé à l’abbé Rémy, supérieur ecclésiastique de la Congrégation à Montréal. Après avoir traité de menues affaires courantes et de commissions qui lui ont été confiées, Marguerite écrit : « Je remercie Dieu des bons soins que Monseigneur notre Évêque prend de notre petite Communauté et de toutes les personnes qu’il inspire pour notre règlement15 ». C’est probablement cette phrase qui a incité Montgolfier à conclure, à tort, que Marguerite avait vu Mgr de Laval à Québec avant de partir et que l’évêque avec qui elle aurait des difficultés en

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France serait le successeur de Mgr de Laval. Comme ce dernier se trouvait déjà à Paris à cette date, les propos de Marguerite signifient seulement qu’il avait recommandé aux ecclésiastiques avec qui elle eut à traiter avant de s’embarquer de se montrer sympathiques à la Congrégation. En effet, comme lors de son voyage précédent, Marguerite apportait en France les témoignages de différents administrateurs coloniaux, et la lettre décrit les difficultés qu’elle rencontra au moment de solliciter ceux qu’elle obtint à Québec, contretemps qui font ressortir la mesquinerie et les embûches de la politique coloniale. Le seul fait de montrer à Frontenac l’attestation qu’elle avait reçue du procureur général « a bien fâché Monsieur le Comte disant que le Procureur général ne pouvait pas donner de certificats de ces matières-là ». Le Père Claude Dablon, supérieur des Jésuites de Nouvelle-France, qui aurait voulu l’aider, lui dit craindre qu’une lettre signée de lui fasse plus de tort que de bien, ce qui indique l’attitude de la cour à l’égard des Jésuites à cette époque. En signalant qu’elle a montré au comte de Frontenac les témoignages déjà reçus, Marguerite nous aide à comprendre pourquoi les attestations qu’on lui a données se ressemblent tellement sur le fond comme dans la forme. Cette ressemblance ne vient pas seulement de ce que le signataire savait ce qui était le plus susceptible d’impressionner les autorités en France, mais aussi de ce qu’il pouvait prendre pour modèle ce qu’un autre avait écrit. Comme les documents qu’elle avait obtenus pour appuyer sa demande de lettres patentes, ces nouvelles attestations soulignent que la Congrégation subvient à ses propres besoins et que ses membres enseignent gratuitement et ne sont un fardeau pour personne. Les sœurs n’instruisent pas seulement leurs élèves dans la doctrine chrétienne mais leur apprennent la lecture, l’écriture et l’arithmétique ainsi que divers arts manuels qui leur permettront de gagner leur vie. On trouve aussi quelques éléments nouveaux. Jacques Duchesneau avait noté en 1678 que les sœurs étendaient leurs activités dans divers établissements tant français qu’amérindiens. On mentionne le pensionnat et on vante en particulier le travail accompli à la mission de la Montagne. Les allusions au bon usage fait des sommes déjà allouées par le roi suggèrent qu’on espère obtenir d’autres subventions pour soutenir le travail de la Congrégation. La conclusion de la lettre illustre encore une fois l’incertitude des dates de départ, tant du côté canadien qu’à partir de la France. « Je

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suis allée ce matin avec Madame Perrot au navire, écrit Marguerite, pour le transport de nos effets, croyant que l’on devait s’embarquer demain; mais on nous a dit que ce ne serait que mardi. On pourrait bien encore reculer, en sorte que je ne puis pas vous dire le jour du départ. » Il est heureux qu’elle se soit sentie capable d’ajouter : « ce sera quand il plaira à Dieu », car elle était toujours à Québec le 11 novembre, comme en fait foi une autre lettre à l’abbé Rémy16. Dans ces conditions, elle ne sera arrivée en France que très tard dans l’année. On pourra sans doute mesurer la souplesse de Marguerite en constatant qu’elle eut pour compagne, lors de cette traversée, Madeleine Laguide Meynier, nièce de Jean Talon et épouse du personnage douteux qui était alors gouverneur de Montréal; on est loin de Jeanne Mance qui l’avait accompagnée pour son voyage de 1658. Les deux Montréalaises se séparérent à La Rochelle, où Marguerite n’eut rien de plus pressé que de chercher du secours pour ce qu’elle dit avoir été la principale raison de son voyage, sa détresse spirituelle. Comme toujours, son laconisme ne nous apprend rien de la nature de la peine dont elle souffrait ou du conseil qui lui fut donné : « Je parle à un Capucin qui me remit mon esprit en peu de temps17. » Est-ce le souvenir du réconfort qu’elle avait trouvé dans une église des Capucins à Nantes, en 1653, qui la dirigea une fois encore vers cette communauté franciscaine? Ici non plus, aucun indice. Marguerite aura connu les Capucins à Troyes car ils étaient présents depuis 1610 dans le quartier de Croncels, à l’intérieur des limites de sa paroisse natale de Saint-Jean-au-Marché18. Sauf quand elle donne une date (« nous arrivâmes à Montréal le jour [de la] Saint-Michel »), les saints que mentionne Marguerite dans les écrits qui nous sont parvenus sont exclusivement ceux qui sont associés à la vie de Jésus dans le Nouveau Testament ou dans les textes apocryphes sur Marie. Il n’y a qu’une exception et il s’agit de François d’Assise. En parlant des privations que doit être disposée à endurer une sœur de la Congrégation, elle demande pour la forme : « Blâme-t-on saint François d’avoir fait aller ses religieux nu-pieds19? » Elle se sentait évidemment une grande affinité avec l’esprit de simplicité et de pauvreté qui caractérise la communauté des Capucins. Dans la France du début du dix-septième siècle, leurs églises étaient devenues des lieux de prière recherchés par nombre de dévots qu’attiraient à la fois la propreté ambiante, la présence de fleurs sur l’autel et la simplicité des chants et des célébrations. Aller

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consulter des frères capucins ne pouvait que confirmer Marguerite dans ses propres convictions en matière de pauvreté évangélique. Quand elle se résolut finalement à démissionner comme supérieure de la Congrégation, dans les années 1690, elle confia « avoir promis à Dieu, par plusieurs fois, que je ne quitterais pas la charge où Il m’avait mise, pour toutes ces peines que j’en pourrais ressentir20 ». Peut-être l’appui et l’encouragement qu’elle avait reçus de ce Capucin anonyme l’avaient-ils aidée à faire cette promesse. Peut-être, au contraire, l’avaient-ils convaincue de présenter sa démission et de tenir des élections à son retour à Montréal. Elle ne nous en laisse rien soupçonner. Après avoir trouvé un peu de réconfort sur le plan spirituel, Marguerite Bourgeoys se sentait libre de se consacrer aux affaires qu’elle était venue traiter en France. Son premier problème était de se rendre à Paris car, tout comme à ses voyages précédents, elle avait très peu d’argent, la vie économique à Montréal n’étant pas fondée sur le numéraire. « On me conseille de prendre le carrosse à cause de la sorte de gens qui étaient avec les rouliers », note-t-elle. Le carrosse était au-dessus de ses moyens mais, comme lors de ses autres voyages, elle fut l’objet d’une générosité où elle aura vu une attention providentielle de Dieu. Un groupe d’hommes venus de Nouvelle-France, dont le missionnaire jésuite Jacques Frémin et deux autres prêtres, lui offrirent une place dans une voiture qu’ils avaient louée à meilleur marché. « Je couchais, par leur faveur, pour peu de chose », dit-elle. Mais elle ne voulait surtout pas abuser de leur hospitalité. Même si ces messieurs l’invitent à partager leur repas, elle refuse. Chaque jour, « je portais ce que j’avais de reste de mon souper et je ne sortais pas du carrosse, que pour le gîte ». Les membres du groupe devaient se lever très tôt, par ces sombres matins d’hiver, pour que chacun des prêtres puisse célébrer la messe avant de poursuivre la route. Marguerite avait presque soixante ans et elle n’avait plus la résistance dont elle avait fait preuve à ses traversées précédentes. Pas étonnant qu’en entrant finalement à Paris elle se trouva, comme elle dit, « un peu malade21 ». Mais, encore une fois, elle se décrit entourée d’amitié et de bonté. À son arrivée dans la capitale, Marguerite se rendit d’abord chez Mlle de Bellevue, cousine de Jeanne Mance chez qui elle était restée avant son départ au Canada en 1653. Philippe de Turmenyes, ami et exécuteur testamentaire de Maisonneuve, s’était vu confier de nouveau les affaires temporelles de la Congrégation en France en

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septembre 1677, après que la nouvelle de la mort de Maisonneuve fut arrivée à Montréal. Quand il apprit que Marguerite Bourgeoys était à Paris, il envoya un serviteur et une chaise pour la prendre. « Il fait apprêter une chambre et m’a fait traiter comme si j’eus été sa sœur, de dire Marguerite; où je fus jusqu’au rétablissement de ma santé22 . » Elle alla ensuite loger chez une nouvelle communauté religieuse, les Filles de la Croix, près de la rue Saint-Antoine. Bon endroit pour une convalescence : même si le couvent se trouvait au cœur de la ville, le domaine occupé par la communauté comprenait plusieurs édifices avec des jardins et des cours intérieures. Marguerite avait certainement repris ses activités le 1er février 1680 car, ce jour-là, elle déposa un document commercial chez un notaire de Paris23. L’une des premières choses qu’elle fit après s’être remise, c’est de rendre visite à Mgr de Laval, mais la réaction de l’évêque en la voyant à Paris la stupéfia et provoqua des difficultés qu’elle n’avait pas prévues : « Je vas pour saluer Monseigneur de Laval qui me dit que j’avais mal fait de faire le voyage pour nos Règles, qu’il ne trouvait pas à propos que je ramenasse des filles24. » Il était malheureux mais peut-être pas si étonnant que Marguerite Bourgeoys reçoive aussi peu d’encouragements de son évêque car elle était allée le trouver à un bien mauvais moment. Laval avait quitté Québec dans la deuxième semaine de novembre 1678. (L’un des derniers gestes qu’il avait posés avant de s’embarquer concernait la Congrégation : il avait signé l’acte rattachant la chapelle de NotreDame-de-Bon-Secours à la paroisse Notre-Dame de Montréal.) Les circonstances qui l’obligeaient à faire la traversée n’avaient rien de bien réjouissant; et les événements survenus depuis son arrivée ne pouvaient guère le rasséréner. Il se retrouvait du mauvais côté dans des disputes où se jouait, croyait-il, tout l’avenir de l’Église en Nouvelle-France. Juste avant le retour de Mgr de Laval dans son diocèse en 1675, le roi avait réorganisé le Conseil souverain à Québec. Le gouverneur, l’évêque et l’intendant en étaient membres ex officio, et l’intendant présidait. Il devait y avoir sept autres conseillers nommés à vie par le roi. Ces dispositions avaient pour but de prévenir le genre de conflits qu’avait provoqués Frontenac par de flagrants abus de pouvoir pendant ses trois premières années en Nouvelle-France. Elles n’eurent pas tout le succès escompté. L’évêque avait aussi découvert, de retour à Québec, que Talon avait fait venir les Récollets dans son diocèse, présumément pour

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miner l’influence de l’évêque et des Jésuites. Sur les deux grandes questions qui opposaient les autorités civiles et religieuses, le commerce de l’alcool et la création des paroisses et la dîme, les Récollets appuyaient les autorités civiles. On les a accusés d’avoir été jusqu’à répandre en France la rumeur que les Jésuites s’opposaient au commerce de l’eau-de-vie uniquement pour protéger leur propre monopole sur ce produit. Mgr de Laval avait envoyé l’abbé Jean Dudouyt défendre l’Église canadienne à la cour. L’évêque avait obtenu une opinion des théologiens de la Sorbonne faisant de l’offre ou de la vente d’alcool à un autochtone en quantité suffisante pour l’enivrer un péché réservé, c’est-à-dire un péché pour lequel l’évêque seul peut accorder l’absolution. Ses adversaires s’étaient tournés vers les théologiens de l’université de Toulouse pour obtenir une opinion contraire : l’évêque de Québec ne pouvait faire de la vente d’alcool un péché mortel, encore moins un péché réservé. Dans l’espoir de régler le conflit, le roi demanda à Frontenac de convoquer vingt des principaux notables du Canada afin qu’ils donnent un avis sur le commerce de l’alcool. Mais comme le plus grand nombre d’entre eux pratiquaient déjà ce négoce, leur opinion était facile à prévoir : lors d’une réunion tenue le 28 octobre 1678, la majorité se prononça en faveur de la libéralisation complète de la vente d’alcool. Une exception notable parmi les cinq colons qui s’opposèrent à la majorité : Jacques Le Ber, de Montréal, tenu pour l’homme le plus riche de Nouvelle-France, et dont les enfants auraient plus tard des liens importants avec la Congrégation de Notre-Dame. C’est à ce moment qu’en dépit de sa santé défaillante, Mgr de Laval avait résolu d’aller lui-même en France pour tenter d’exposer l’affaire au roi. Sur place, il dut se rendre à l’évidence : tous ses efforts ne donnaient que bien peu de résultats. On n’aboutit qu’à un compromis très insatisfaisant. Le 24 mai 1679, le roi publiait une ordonnance qui interdisait le commerce de l’alcool à l’extérieur des établissements français. Cela voulait dire que les commerçants ne pouvaient transporter d’alcool dans les villages autochtones. En retour, Laval promettait au roi de redéfinir le péché réservé en fonction de l’ordonnance. Telle n’était certainement pas la décision que l’évêque attendait et préparait depuis vingt ans en Nouvelle-France. Mais conscient que la politique est l’art du possible, il ne pouvait que l’accepter puisque c’était ce qu’il pouvait obtenir de mieux.

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L’évêque n’allait pas avoir plus de succès dans l’autre dossier cher à son cœur. En 1663, Mgr de Laval avait obtenu l’approbation royale pour fonder le Séminaire de Québec. Cette institution allait bien sûr assurer l’éducation et la formation des jeunes prêtres mais elle devait être beaucoup plus. Avec le séminaire, Mgr de Laval voulait inaugurer un système qui répondrait aux besoins de la NouvelleFrance et dont il pensait qu’il permettrait d’éliminer les nombreux maux reliés au régime des bénéfices ecclésiastiques en vigueur sur le vieux continent. Le séminaire serait une communauté de prêtres séculiers qu’on pourrait envoyer, selon les besoins, servir dans les paroisses ou remplir d’autres fonctions, et qu’il serait possible de muter. La dîme serait versée au séminaire et non aux paroisses, et ce serait le séminaire qui pourvoirait aux besoins de ses prêtres « dans la maladie et dans la santé ». Les membres du séminaire mettraient en commun tous leurs biens et leurs propriétés. Ce projet-là aussi fut remis en question pendant l’hiver 1678–79, critiqué et attaqué violemment. On accusa l’évêque d’être opposé à la création de paroisses. En fait, avant de devenir ordinaire du diocèse en 1675, il n’avait pas le pouvoir d’en instituer et, par la suite, il était limité par les faibles ressources de la plupart des régions, qui l’empêchaient d’ériger des paroisses d’une taille suffisante pour faire vivre un curé. Néanmoins, en dépit des protestations de l’évêque, le roi signa en mai 1679 un édit stipulant que, dans le diocèse de Québec, la dîme irait au curé de la paroisse et que les curés seraient inamovibles. Cette décision, comme l’ordonnance sur le commerce de l’alcool, brisait le cœur de l’évêque. En fait, sa façon d’accepter ces défaites, ses efforts pour continuer de faire tout ce qu’il pouvait pour l’Église en Nouvelle-France malgré la trahison et l’échec, font mesurer l’injustice de l’image reçue d’un Mgr de Laval querelleur et intransigeant dans ses tractations avec les autorités civiles25. C’est donc à un homme triste et découragé que Marguerite rendait visite au début de 1680. Dans ce contexte, il ne faut sans doute pas se surprendre qu’en la voyant, l’évêque ne se soit pas empressé d’ajouter à ses autres problèmes la présence à Ville-Marie d’une congrégation non traditionnelle. En racontant son entrevue avec Mgr de Laval, Marguerite ajoute : « Après avoir parlé à Monseigneur, je vas trouver Madame de Miramion pour la prier de me servir en [cette] rencontre26. »

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Ce qui donne à penser qu’en dépit d’un accueil moins qu’encourageant, l’évêque s’était laissé fléchir, suffisamment du moins pour lui offrir un recours. Pareille réaction serait d’ailleurs tout à fait conforme à ses rapports antérieurs avec les communautés religieuses de Nouvelle-France : un rejet plutôt brusque, suivi d’un soudain assouplissement. Ainsi, par exemple, après avoir d’abord menacé de renvoyer chez elles les Hospitalières de Saint-Joseph, non seulement l’évêque les avait-t-il autorisées à s’établir à Montréal mais il leur avait même envoyé leur première postulante canadienne. Il se peut aussi que ce soient les Sulpiciens ou même les Filles de la Croix qui aient suggéré à Marguerite de rencontrer une personne dont l’opinion pourrait influencer Mgr de Laval. M me de Miramion était l’une des fondatrices de la communauté des Filles de Sainte-Geneviève, communément appelées « Miramionnes », et jouissait d’un grand respect dans les milieux ecclésiastiques français. Ces contacts avec les Filles de la Croix et les Filles de Sainte-Geneviève revêtaient une grande importance pour Marguerite Bourgeoys dans la poursuite du second objectif avoué de sa visite en France, car l’une et l’autre de ces nouvelles communautés féminines non cloîtrées étaient parvenues à obtenir l’approbation canonique de leur mode de vie. Ce sont sans doute les Sulpiciens qui ont présenté Marguerite Bourgeoys aux Filles de la Croix, chez qui elle vécut pendant son séjour à Paris. Ses écrits indiquent que le séminaire des Sulpiciens était généralement l’un des premiers endroits qu’elle visitait en arrivant à Paris, et Jean-Jacques Olier et d’autres Sulpiciens avaient été étroitement associés aux Filles de la Croix quand celles-ci s’étaient installées à Paris. Lors du passage de Marguerite, leur maison se trouvait tout près de la rue Saint-Antoine, grande artère parallèle à la Seine, qui prolongeait la rue de Rivoli jusqu’à la Bastille. Marguerite Bourgeoys connaissait déjà ce quartier car la maison des Jésuites où elle était allée demander conseil avant de partir pour le Canada, la première fois, se trouvait tout à côté. Si, pendant son séjour, elle suivit les offices à l’église jésuite de Saint-Louis, toute proche, qui était le lieu de culte favori du roi Louis XIV, elle y aura vu réunie une bonne partie du Paris nanti et élégant. Les contacts de Marguerite Bourgeoys avec les Filles de la Croix et les Filles de Sainte-Geneviève à Paris en 1680 nous rappellent que, si unique à bien des égards qu’ait été sa congrégation, elle n’en était pas moins profondément enracinée dans l’Église de sa France natale. L’établissement des Ursulines et des Hospitalières à Québec,

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la fondation de l’Hôtel-Dieu à Montréal, le financement de la grande recrue de 1653 qui amena Marguerite Bourgeoys à Montréal – tout cela était dans une large mesure l’œuvre de ces femmes pieuses qui jouèrent un si grand rôle dans la renaissance catholique du dix-septième siècle français. Bien au fait des œuvres qu’avaient soutenues ces milieux dans le Nouveau Monde, Marguerite avait maintenant l’occasion, après vingt-sept ans d’absence, d’apprendre ce qui s’était vécu entre-temps dans la mère patrie. De ces deux communautés françaises, ce sont surtout les Filles de la Croix qui semblent avoir particulièrement impressionné Marguerite Bourgeoys. Certes, dans leurs buts et dans leur mode de vie, les deux groupes avaient beaucoup en commun. La Congrégation des Filles de la Croix fut la première communauté féminine non cloîtrée à obtenir ses lettres patentes, mais elle n’y arriva qu’au terme d’un pénible combat dont elle sortit sensiblement transformée. À cause des difficultés qui marquèrent les années de fondation de cette communauté, sa première histoire a été consignée de manière assez précise. Ces événements sont bien différents de ceux qui ont entouré les origines de la congrégation de Marguerite. Mais les tentatives faites par cette communauté pour éduquer les femmes et le contenu de l’instruction religieuse qu’elle donnait jettent une lumière unique sur le travail de la Congrégation de Notre-Dame de Montréal. La Congrégation des Filles de la Croix est née dans la petite ville de Roye, dans le diocèse d’Amiens, en Picardie, au milieu des années 1620, en réaction à la « conduite scandaleuse » (une autre époque parlerait d’agressions sexuelles répétées) d’un enseignant de l’école locale qui était ouverte aux filles comme aux garçons. Le vicaire général du diocèse, Christophe Bellot, décida qu’afin de prévenir pareils incidents, les filles auraient leur propre école où l’enseignement serait donné par des femmes. Il eut d’abord de la difficulté à recruter des institutrices compétentes mais l’un des curés de la ville, Pierre Guérin, lui suggéra certaines candidates parmi ses jeunes dirigées. On en choisit quatre : Françoise Vallet, Marie Samier, et Charlotte et Anne de Lancy. Ces femmes dans la vingtaine étaient apparentées. On convoqua l’assemblée des notables de la ville, assemblée qui comprenait des femmes et des représentants des parents, et le groupe d’enseignantes fut approuvé. On leur trouva une maison où elles emménagèrent le 4 août 1625. Elles vivaient selon une règle rédigée pour elles par Bellot et Guérin,

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le premier s’attachant aux questions matérielles et le second à la dimension spirituelle de leur vie. Les modèles invoqués pour décrire l’esprit des Filles de la Croix, le travail qu’elles assumaient, leur façon de financer leur œuvre et le costume qu’elles adoptèrent présentent de nombreuses ressemblances avec la congrégation de Marguerite à Montréal. Celleci avait trouvé dans le Nouveau Testament des modèles pour des religieuses dans l’Église : la bienheureuse Vierge Marie, et Marthe et Marie, les sœurs de Lazare. Sous la direction du Père Gendret, elle en était venue à voir en Marie, la mère de Jésus, le modèle à proposer à des femmes non cloîtrées, et en Marthe et Marie les modèles pour les moniales. Les Filles de la Croix se voyaient combinant les rôles de Marthe et de Marie, l’action et la contemplation. Comme les sœurs de la Congrégation, elles donnaient l’instruction religieuse aux filles du peuple et leur enseignaient la lecture, l’écriture et des arts manuels. Les quatre femmes à l’origine des Filles de la Croix ne provenaient pas de familles riches. Elles ne pouvaient fonder leur groupe sur des dots généreuses et devaient donc gagner leur vie. Elles le faisaient par des travaux de couture et de buanderie, sans être à la charge de personne. Comme les femmes de la Congrégation à ses débuts, elles virent qu’elles pouvaient y arriver en travaillant jusque tard dans la nuit. Le costume qu’elles adoptèrent « pour ne pas se faire remarquer », même s’il n’est pas absolument identique, rappelle les premières illustrations de l’habit porté par Marguerite Bourgeoys et ses compagnes : robe noire, mouchoir de cou en pointe et petite croix de bois sur la poitrine. Elles y ajoutaient un bonnet noué de trois rubans, dont l’un portait une croix imprimée, et un chapelet à la ceinture27. On ne connaît pas les détails de la règle d’Antoine Gendret, que suivaient Marguerite Bourgeoys et la première Congrégation; et les documents qui nous sont parvenus ne nous donnent pas une idée précise de l’horaire quotidien. Il est donc d’autant plus intéressant d’examiner la règle des Filles de la Croix, puisque les deux communautés avaient probablement des traits communs, encore que le fait pour la Congrégation de Montréal d’avoir toujours partagé sa résidence avec d’autres femmes et des enfants l’aura empêchée de vivre certains aspects de la règle. Chaque jour, il y avait deux méditations d’une demi-heure, une le matin et une le soir, ainsi que deux examens et deux périodes de lecture spirituelle. Les sœurs assistaient à la messe tous les jours et recevaient la communion, suivant l’usage du temps, les dimanches, les jours fériés et les jeudis

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qui ne précédaient ni ne suivaient un jour de fête. Elles allaient à confesse le samedi et la veille des jours de fête. Elles suivaient tous les offices à la paroisse. Chaque matin, elles ouvraient l’école après une heure de travail en silence. La première activité de la journée était de conduire les enfants à la messe. De retour à l’école, elles enseignaient de neuf heures à onze heures du matin. Il y avait lecture à table le midi puis classe d’écriture jusqu’à deux heures. Les heures de classe commençaient et se terminaient par des prières auxquelles participaient les élèves. Après souper, les enseignantes avaient une demi-heure de récréation, suivie de deux heures de travail. Venaient ensuite les prières et les exercices de dévotion du soir, et le couvre-feu du « grand silence ». Le dimanche, après les exercices du matin à l’église, les sœurs accueillaient chez elles les grandes filles et les femmes de la paroisse pour l’instruction religieuse et la conversation spirituelle28. La congrégation des Filles de la Croix ne tarda pas à avoir des problèmes. L’existence d’un groupe de femmes aussi novateur ne pouvait que susciter la controverse et les attaques vinrent de deux côtés. Le maître d’école en disgrâce et ses partisans lancèrent une série de rumeurs monstrueuses au sujet des enseignantes et de leur école. Plus sérieusement, le prévôt de Roye, qui n’avait pas pris part aux consultations pour la création de l’école, la déclara illégale : son existence faisait affront à l’autorité royale. Pris de frayeur, le vicaire général Bellot faillit saborder tout le projet. Il y eut cependant une réconciliation qui aboutit à la signature d’un document par les doyens, les chanoines et le chapitre de l’église Saint-Florent de Roye ainsi que par le prévôt et les échevins de la ville, le 27 juillet 1627. L’entente autorisait les quatre femmes à être maîtresses d’école pour des personnes de leur sexe. Elle leur permettait en outre de demander cinq sous par personne par mois pour des classes de religion, de lecture et d’écriture tandis que le prix pour les cours de couture serait négocié directement par les personnes concernées. Le document offre quelques indications sur la teneur de l’instruction religieuse donnée à l’époque : les élèves devaient apprendre à réciter le Notre Père, le symbole des apôtres, les commandements de Dieu et de l’Église « selon leur capacité29 ». On peut supposer qu’une bonne partie des classes d’instruction religieuse se sera passée à interpréter, expliquer et mémoriser ces textes. L’opposition au groupe était loin cependant de s’avouer vaincue. Pierre Guérin et deux autres prêtres associés à la congrégation furent accusés d’illuminisme. Cette hérésie, plaidaient leurs adversaires,

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était diffusée par les maîtresses d’école qui avaient la témérité de prêcher et même d’offrir de la direction spirituelle, fonction réservée au clergé. La controverse déchirait la petite ville et devint si violente que les Filles de la Croix envoyèrent deux des leurs exposer leur cas à la faculté de théologie de la Sorbonne. Le mémoire qu’elles déposèrent est un document remarquable30. Il résume le contenu de l’instruction religieuse donnée par « un certain nombre de filles vivant ensemble en grande union, paix et tranquillité ». Avec simplicité, voire avec naïveté, il décrit leur méthode pédagogique et tente de répondre aux accusations portées contre elles, éclairant du même coup la vie des femmes qu’elles s’efforçaient d’instruire. Pour démontrer l’orthodoxie du groupe, le mémoire rend compte de l’enseignement qu’il donne d’une manière beaucoup plus détaillée que ne le fait l’approbation citée précédemment. Aux prières déjà mentionnées, il ajoute le Je vous salue Marie et le chapelet, et indique explicitement que les prières et le catéchisme doivent être expliqués de manière que les élèves puissent « entendre le sens des articles ». Parmi les articles qui reçoivent une mention particulière, il y a la Trinité, la fin pour laquelle l’humanité a été créée, les sacrements, les vertus théologales et les devoirs de la justice chrétienne. Il faut enseigner aux femmes et aux filles à « vivre en vraies chrétiennes », au lieu de n’être chrétiennes que de nom, et à pratiquer les œuvres de miséricorde temporelles et spirituelles. Le tout, insiste le document, devant être parfaitement conforme à l’enseignement officiel de l’Église catholique, apostolique et romaine. L’argumentation développée dans le mémoire montre que c’est l’enseignement donné aux femmes plus que la classe aux petites filles qui était surtout contesté, car c’est d’abord le travail des sœurs auprès des femmes d’âge adulte que le document cherche à expliquer et à justifier. Les sœurs expliquent que parce qu’elles sont pauvres, elles doivent travailler de leurs mains pour gagner leur vie. C’est pourquoi il y a dans leur maison un va-et-vient de femmes, souvent très ignorantes, pauvres servantes de la ville et des villages environnants. Elles décrivent ensuite leur façon d’éveiller doucement l’intérêt de ces femmes pour l’instruction religieuse, « sans leur faire honte », et de leur présenter cet enseignement d’une manière simple et familière. On peut deviner une des accusations formulées contre leur travail en voyant le mémoire souligner que les sœurs enseignent toujours aux femmes l’importance d’obéir à leurs

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supérieurs. Les sœurs expliquent ensuite comment elles traitent les femmes plus fortunées et plus mondaines qui viennent chez elles par affaire : « Celles-là on les aborde, leur parlant de ce qu’elles aiment le mieux », puis doucement, et sans qu’elles le remarquent, on en vient à parler de la vanité des plaisirs du monde en regard de l’éternité. Dans les derniers paragraphes du mémoire, les Filles de la Croix répondent à l’accusation qu’on leur a faite de s’arroger une prérogative cléricale, et ce passage offre un tableau saisissant des problèmes que vivent certaines des femmes qu’elles rencontrent. Mais quelquefois il arrive que de pauvres servantes, qui ne peuvent sortir de la maison que chargées d’un ou deux enfants, leurs maîtresses les envoient quelquefois à la prédication ou au catéchisme avec ces enfants. Elles, sachant que cela ne fait qu’incommoder, et que les prédicateurs disent d’ordinaire qu’il vaut mieux n’y pas aller, elles pensent en ellesmêmes où elles iront pour ne pas perdre leur temps qu’elles ont si rarement; sachant qu’il y a toujours quelqu’une des Filles des susdites, qui garde la maison, elles y vont au lieu d’aller se promener, pensant qu’elles pourront là plutôt apprendre quelque chose qu’ailleurs. Cette Fille qui est occupée à dire l’office de la Sainte Vierge ou le chapelet, ou à quelque lecture pieuse, demande à cette pauvre servante si elle ne pourrait pas revenir à une autre heure; elle, lui disant que non, ou que quand elle sortirait elle ne serait qu’à tourner dans les rues avec ses enfants, alors il semble que la charité presse celle-ci de quitter son exercice d’oraison pour condescendre à la requête et nécessité de cette pauvre servante, lui apprenant ce qui est nécessaire de savoir en ce peu de temps qu’elle a. D’autres pauvres, scrupuleuses, ne pouvant parler toujours à leurs confesseurs, comme elles voudraient bien, étant pourtant suffisamment instruites des points nécessaires, s’en viennent pour dissiper et s’éclaircir de mille petites bagatelles qui leur brouillent l’esprit, de quoi s’étant éclaircies, elles demeurent paisibles et tranquilles en leur âme. Voyez, s’il vous plaît, si cela est hors du devoir de telles personnes, qui vous supplient de leur dire charitablement si elles doivent cesser ou continuer, car elles ne veulent ni ne croient rechercher en tout cela que la plus grande gloire de Dieu et le plus grand bien des âmes.

Le mémoire fut reçu favorablement par les dix-sept docteurs de la Sorbonne. Dans un document signé le 26 novembre 1630, ils certifièrent « n’y avoir rien trouvé qui ne soit bon, utile, digne d’être

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reçu, approuvé et autorisé par les pasteurs et magistrats du lieu où demeurent les Filles y mentionnées ». Par contre, Pierre Guérin et Claude Bucquet, deux prêtres qui avaient beaucoup fait pour l’établissement des Filles de la Croix, eurent moins de chance. Les deux hommes furent dénoncés comme hérétiques et le cardinal de Richelieu les fit arrêter et juger. Emprisonnés à Paris, ils auraient pu être trouvés coupables si leur procès n’avait comporté un interrogatoire dirigé par Vincent de Paul. Après les questions des commissaires royaux, les deux accusés lui furent remis et il les proclama innocents des accusations portées contre eux et aptes à reprendre leur ministère. Cet incident fit découvrir les Filles de la Croix non seulement à Vincent de Paul mais aussi à d’autres figures influentes de la capitale, qui devaient bientôt jouer un rôle déterminant pour leur avenir. Malgré toutes les différences, on remarque plusieurs ressemblances évidentes entre les Filles de la Croix et la Congrégation de Montréal : les unes et les autres s’intéressent à l’éducation des gens ordinaires; les unes et les autres s’efforcent de rejoindre les femmes qui ne sont plus d’âge scolaire; les unes et les autres soutiennent leur œuvre et gagnent leur subsistance par le travail de leurs mains. « Quand les sœurs sont en voyage où il faut coucher dehors, disait Marguerite à sa communauté, elles doivent choisir la maison des pauvres, où elles doivent être d’un grand exemple et y faire toujours quelque familière instruction31. » Cette recommandation rappelle les efforts des Filles de la Croix pour saisir toutes les occasions de donner un enseignement simple et familier aux femmes avec lesquelles elles entraient en contact dans le cadre de leur travail. On ne peut cependant ignorer des différences importantes. Les arguments développés par les Filles de la Croix dans leur mémoire portent presque exclusivement sur l’instruction religieuse; l’enseignement de la lecture, de l’écriture et d’autres « petits arts » n’est mentionné qu’en passant. Dans les documents déjà cités, en appui aux demandes de la Congrégation, le fait pour celle-ci d’enseigner aux pauvres des techniques qui leur permettent de gagner leur vie est au contraire un thème dominant. Et cette différence ne tient pas uniquement à ce que le mémoire des Filles de la Croix s’adressait aux autorités religieuses alors que le dossier de la Congrégation était remis aux pouvoirs civils. Dans la Congrégation, l’accent mis sur l’enseignement aux pauvres remontait à Pierre Fourier, qui avait été poussé vers l’éducation en constatant l’immense pauvreté qui

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régnait dans sa paroisse. En comparant les origines des deux communautés, on est aussi amené à se dire qu’avec ses dangers et ses conditions de vie pénibles, Montréal restait à l’écart des disputes et des jalousies du vieux pays : les menaces et les dangers constants n’alimentaient pas ce genre de rivalités. L’approbation de 1630 ne fut qu’une étape dans l’histoire des Filles de la Croix, qui devait connaître un développement inattendu. L’une de celles qui étaient allées à Paris présenter le mémoire à la Sorbonne était Marie Samier, le deuxième membre du quatuor originel. Elle resta dans la capitale pour traiter les affaires de la communauté et retint l’attention de diverses personnalités influentes, dont la plus importante était Marie L’Huillier, M me de Villeneuve. Née dans la noblesse de robe en 1597, Marie L’Huillier avait été mariée à l’âge de quinze ans à Claude Marcel, seigneur de Villeneuve et conseiller du roi; elle lui avait donné deux filles avant qu’il meure en 1621, la laissant bien nantie. Connue de François de Sales et de Vincent de Paul, elle faisait partie de ce large cercle d’aristocrates françaises du dix-septième siècle qui eurent une grande influence sur quelques-uns des principaux leaders religieux de leur temps tout en fondant et en dotant de nouvelles communautés ainsi que la branche française de quelques congrégations plus anciennes32 . M me de Villeneuve fut responsable de l’établissement à Paris des Visitandines avec sa sœur Hélène-Angélique, laquelle entra dans la communauté. À titre de fondatrice et de bienfaitrice, elle avait le privilège de résider au couvent avec ses deux filles. Lorsque les Filles de la Croix attirèrent son attention, le mariage de sa seconde fille venait de la libérer de certaines responsabilités familiales. M me de Villeneuve s’était déjà beaucoup intéressée à l’éducation des pauvres. Il était très difficile d’ouvrir des écoles à Paris à cause du nombre et de la complexité des règlements civils et religieux et des prérogatives des corporations d’enseignants, notamment des maîtres qui enseignaient à écrire. Elle décida donc d’ouvrir des écoles à la campagne en embauchant des maîtres à Paris mais ne fut pas satisfaite de cette approche. Elle voyait de plus en plus la nécessité d’une communauté, tant pour obtenir l’autorisation d’enseigner que pour donner de la stabilité au projet, et d’une communauté dont les membres ne seraient pas confinés au monastère. L’apparition dans sa vie des Filles de la Croix lui parut un événement providentiel car elles semblaient faites sur mesure pour réaliser le dessein

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qu’elle avait en tête. Devant le refus qu’essuya la demande qu’elle fit à la communauté d’envoyer à Paris plusieurs autres de ses membres, elle s’adressa à Pierre Guérin. Il lui envoya Charlotte de Lancy, qui lui paraissait la plus intelligente et la plus pieuse des membres de la nouvelle association. Les autres continuaient de refuser de monter à Paris et Marie Samier entra à la Visitation, mais Charlotte de Lancy et M me de Villeneuve jetèrent les plans d’une nouvelle société dont les membres se lieraient par des promesses et travailleraient ensemble pour le salut des âmes au sein d’une communauté régulière. En 1636, les Filles de la Croix furent chassées de Roye par une incursion espagnole dans le cadre de la guerre de Trente Ans. Avec l’aide de M me de Villeneuve, elles trouvèrent refuge à BrieCompte-Robert, en région parisienne. Leur œuvre y connut un tel succès que lorsque les Espagnols se retirèrent en 1639, Roye et Brie se les disputèrent. M me de Villeneuve décida que les sœurs resteraient à Brie mais qu’elle-même pourrait se permettre d’en prendre quelques-unes pour les envoyer ailleurs. Comme elle avait l’intention de former sa propre communauté avec les Filles de la Croix, M me de Villeneuve rédigea pour elles une règle. Celle-ci s’inspirait de la règle élaborée par François de Sales pour les Sœurs de la Visitation, à l’époque où elles avaient toujours l’intention de n’être pas cloîtrées. En 1640, M me de Villeneuve obtenait de Jean François de Gondi, archevêque de Paris, l’autorisation d’établir « une communauté de Filles et de veuves qui ne fussent ni religieuses, ni séculières, mais qui eussent la vertu des unes et l’honnête liberté des autres pour travailler à la sanctification du prochain, autant qu’à leur avancement dans la perfection33 ». Elles allaient se consacrer à l’éducation des personnes de leur sexe et allier des vœux à l’état séculier. La même année, M me de Villeneuve sélectionnait le noyau de sa communauté parmi les Filles de la Croix qui se trouvaient à Brie. En faisait partie le trio restant du groupe qui avait fondé la communauté à Roye en 1625. En 1641, leur bienfaitrice les installait dans une maison située à Vaugirard, juste à l’extérieur de Paris et, en août de la même année, elle-même prononçait des vœux de chasteté et d’obéissance. (La pauvreté suivrait, quand elle aurait mis la dernière main aux arrangements financiers pour la communauté.) Mais quand elle invita ses compagnes à prononcer leurs vœux à leur tour, une scission éclata au sein de la communauté des Filles de la Croix. Parmi

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celles qui refusèrent de prononcer des vœux se trouvait Françoise Vallet. Le groupe originel, à Roye, n’employait pas le mot « supérieure » mais désignait la personne qui remplissait cette fonction du nom de « première »; or Françoise Vallet était la première. À Vaugirard, elle était la supérieure du groupe. Plutôt que de prononcer des vœux, elle préféra partir et rentrer à Roye. À compter de ce moment, la communauté dirigée par M me de Villeneuve à Vaugirard, et plus tard à Paris, resta séparée des Filles de la Croix de Roye et de Brie, même si toutes portaient le même nom, ce qui devait poser quelques problèmes lorsque le groupe de M me de Villeneuve obtint ses lettres patentes34. Ce qui se fit en 1642, avec l’aide de la duchesse d’Aiguillon, nièce de Richelieu, mais les lettres patentes ne furent enregistrées au Parlement de Paris qu’en septembre 1646. Ce long délai fut provoqué par une enquête sur les ressources qui permettraient à la communauté de subvenir à ses besoins et sur les difficultés financières reliées à l’acquisition d’une vaste propriété, partie d’un ancien domaine royal, tout près de la rue Saint-Antoine, à proximité du couvent de la Visitation. L’année suivante, l’endroit devenait leur séminaire (au sens de semoir ou de pépinière) où seraient formés les membres de la communauté et où elles pourraient instruire des externes et diriger un pensionnat, préparer des enseignantes, recevoir des retraitantes et même accepter comme pensionnaires des dames laïques qui souhaitaient mener une vie de simplicité et de recueillement sans faire partie d’une communauté. C’est aussi de là que les sœurs partiraient enseigner dans les diverses paroisses. Les Filles de la Croix allaient demeurer en ce lieu et y poursuivre leur œuvre jusqu’à ce que la Révolution les en chasse35. C’est dans cette maison que fut reçue Marguerite Bourgeoys en 1680, trente ans après la mort de M me de Villeneuve. Ce que Marguerite apprit de toute cette histoire quand elle fut l’hôte de la communauté, on l’ignore, et on ne sait pas non plus en quoi cette expérience a pu affecter sa perception du rôle des riches bienfaitrices ou des risques de division dans une communauté. Ce qu’elle entendit lui aura bien sûr été présenté du point de vue de la fondation de Paris, et non pas de celles qui refusèrent de suivre M me de Villeneuve, mais Marguerite Bourgeoys aura su lire entre les lignes. Le rôle joué par M me de Villeneuve dans l’histoire des Filles de la Croix éclaire la portée du jugement de Marie Morin

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quand elle affirme que tout ce qu’a fait Marguerite est d’autant plus remarquable qu’elle était « fille sans nessance et sans bien, animée de l’amour de Dieu et du zelle de sa gloire36 ». L’autre personne que Marguerite Bourgeoys dit avoir consultée au sujet de la règle, c’est M me de Miramion; la phrase où elle en parle laisse entendre qu’elle avait emporté une version écrite de la règle de la Congrégation. M me de Miramion, dit-elle, « demande permission à Monsieur de Rodes, son Supérieur, et ensuite à Monseigneur de Laval, pour retrancher et ajouter à nos Règles ce qu’elle trouverait à propos, mais elle ne pouvait pas donner du mécontentement à Monseigneur37 ». Celle dont parle Marguerite était née Marie Bonneau de Rubelle en novembre 1629. Elle était l’une des cadettes du cercle de dévotes auquel appartenait aussi M me de Villeneuve et leurs vies présentent plusieurs points communs. Toutes deux étaient nées dans la noblesse de robe, toutes deux contractèrent à un très jeune âge des mariages arrangés et toutes deux devinrent veuves rapidement. Jean-Jacques de Beauharnais de Miramion mourut en novembre 1645, moins de sept mois après leur mariage; son épouse donna naissance à une fille au mois de mars suivant. Contrairement à M me de Villeneuve, elle est réputée avoir aimé son jeune mari et avoir cruellement souffert de sa disparition. Elle résista aux tentatives que l’on fit pour lui organiser un second mariage et aux avances d’un comte qui la fit enlever et conduire dans son château. Sa famille accepta finalement sa décision de ne pas se remarier et la jeune veuve put se consacrer à diverses bonnes œuvres, visiter les hôpitaux et les prisons en tant que Dame de Charité de Vincent de Paul, créer un orphelinat et travailler auprès des jeunes délinquantes. Le mariage de sa fille en 1660 lui permit de se donner encore davantage à ses œuvres de charité et, comme M me de Villeneuve, elle se chargea d’une communauté fondée précédemment, mais elle le fit dans des circonstances bien différentes de celles qui avaient amené M me de Villeneuve à prendre le contrôle des Filles de la Croix. La communauté de M me de Miramion, les Filles de SainteGeneviève, avait été fondée en 1636 dans la paroisse Saint-Nicolasdu-Chardonnet à Paris. C’est là qu’Adrien Bourdoise, un des chefs de file du mouvement visant à réformer le clergé français et à offrir aux laïcs une éducation chrétienne en s’appuyant sur la paroisse, avait ouvert un séminaire modèle pour former les jeunes prêtres. Quand une certaine Mlle Blosset fut contrainte par la maladie de

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renoncer à la vie religieuse à l’abbaye de Montmartre et vint résider dans la paroisse, Bourdoise devint son directeur spirituel. Sous son influence, elle fonda une communauté vouée à l’éducation des petites filles et à l’entretien de l’église paroissiale. Mlle Blosset mourut en 1642 mais les trois ou quatre femmes de sa communauté continuèrent son œuvre. Elles demandèrent une règle à Bourdoise en 1650 et obtinrent leurs lettres patentes en 1661. À cette date, Bourdoise était mort et la communauté d’une dizaine de membres connaissait de graves problèmes financiers. Leur directeur était maintenant Hippolyte Féret, curé de la paroisse. Il était aussi le supérieur ecclésiastique d’un groupe analogue qui résidait dans les environs, la Communauté de la Sainte-Famille, dont M me de Miramion était la protectrice. À l’époque, celle-ci se préparait à devenir membre de la Communauté de la SainteFamille et elle était disposée à accepter la suggestion de Féret, qui voulait réunir les deux groupes. La nouvelle communauté prit le nom et le statut officiel des Filles de Sainte-Geneviève, mais, dépendait du soutien financier de M me de Miramion. Les deux groupes emménagèrent dans une maison, Quai de Tournelles, et c’est là que Marguerite Bourgeoys les aura visités. M me de Miramion et sa communauté étaient hautement respectées, et la bienfaitrice fut souvent appelée à faire office de médiatrice lorsque survenaient des crises chez d’autres petites communautés. L’observation de Marguerite citée plus haut indique clairement que M me de Miramion a effectivement formulé des suggestions à propos de la règle de la Congrégation mais, dans les discussions sur la règle qui eurent lieu dans les années 1690, les sœurs de la Congrégation font référence à l’exemple des Filles de la Croix plutôt qu’à celui des Miramionnes, comme on appelait communément la seconde communauté. On n’a rien découvert qui prouve que Marguerite se soit rendue à Troyes pendant son séjour en France, et on a généralement supposé qu’elle n’y est pas allée puisque Mgr de Laval lui avait défendu de ramener des recrues pour la Congrégation. Cependant, le 13 novembre 1680, trois mois environ après son retour à Montréal, Marguerite Bourgeoys était témoin lors de la signature du contrat de mariage entre Pierre Chantreux (ou Chantereaux), bedeau de la paroisse, et Marie Cordier, dont le lieu de naissance est donné comme étant Troyes en Champagne. Le registre paroissial indique que la mariée est « venue nouvellement de France38 ». Comme les

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parents de Marie Cordier s’étaient mariés en 1652 dans la paroisse natale de Marguerite, Saint-Jean-au-Marché, il se pourrait bien qu’elle les ait connus avant son premier départ pour Montréal39. Le témoignage de ces registres évoque certainement la possibilité que Marguerite ait eu quelque contact avec sa ville natale et même qu’elle s’y soit rendue. Une lettre rédigée par la supérieure de la Congrégation de Notre-Dame de Troyes après la mort de Marguerite affirme qu’elle était toujours demeurée en contact avec cette communauté. Pierre Bourgeoys, le frère cadet de Marguerite, vivait toujours à Évreux, mais le chemin du retour à La Rochelle ne l’aurait pas conduite à proximité de cette petite ville. Même si elle ne pouvait pas emmener de nouvelles recrues pour la Congrégation, Marguerite n’était pas seule pour rentrer à Montréal. Comme lors de ses autres voyages, on lui avait confié plusieurs femmes recrutées pour épouser des colons40. Elle reçut en outre une mission plus délicate : Mais le Père Charles m’avait parlé de présentement de la Sœur Chauson qu’il me donnait pour une fille d’une rare vertu, que j’avais acceptée. Je pense que je la conduirai comme les autres filles, pour se marier. Et je dis au Père Charles qu’il fallait qu’elle quittât son habit d’hôpital, ses sabots et sa cornette. Ce qu’il trouva bon. Mais au lieu d’un habit simple, elle acheta un habit de soie avec la suite et me dit que le Père Charles l’avait trouvé bon. Et Monsieur ... me donna, pour la conduire, de quoi je lui ai rendu bon compte. Mais voyant qu’à La Rochelle, elle augmentait toujours son ajustement, j’avertis son confesseur, lequel n’y put mettre remède non plus que moi41.

On ne sait pas ce qu’il advint de cette jeune femme. Son nom n’apparaît pas dans la région de Montréal au recensement de 1681; et il n’y a aucune indication non plus qu’elle se soit mariée à Montréal ou qu’elle ait jamais été dans l’une ou l’autre des communautés féminines de Montréal, quoiqu’une « sœur Chozon » ait été impliquée dans une dispute au sujet de la location d’une maison en octobre 168742 . Une autre personne qui a presque certainement accompagné Marguerite pour rentrer à Montréal est une vieille connaissance. Elle écrit en effet : « J’avais une lettre de nos Sœurs pour engager le frère Louis, comme il se voit par son contrat. Il nous a accompagnées jusqu’à Montréal43. » Il s’agit de Louis Frin, qui était le domestique de Paul de Chomedey de Maisonneuve

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quand elle lui rendit visite en 1671–72; il était resté auprès de son maître jusqu’à la fin et partait maintenant pour Montréal comme « donné » ou serviteur de la Congrégation. C’est sans doute lors de ce voyage que se produisit un incident que Montgolfier dit être raconté dans une section des écrits de Marguerite qui a disparu depuis. La guerre avait éclaté entre l’Angleterre et la France et, pour la cinquième fois, les Anglais étaient maîtres de l’Acadie. Le bateau sur lequel voyageaient Marguerite et les autres passagers n’était pas armé et l’apparition soudaine à l’horizon de quatre navires ennemis lourdement armés provoqua la panique chez l’équipage français. On supplia Marguerite et ses compagnons de se mettre en prière. Les femmes, cependant, étaient beaucoup trop effrayées pour le faire car elles étaient convaincues qu’elles ne pourraient échapper à la captivité. Éplorées, elles demandaient à Marguerite ce qui allait advenir d’elles. « Si nous sommes prises, aurait-elle répondu, nous irons en Angleterre ou en Hollande, où nous trouverons Dieu comme partout ailleurs44. » Ses paroles eurent un effet apaisant et un prêtre se prépara à dire la messe car on était dimanche. Deux heures plus tard, les navires anglais avaient disparu et tout le monde entonna un Te Deum. Le capitaine fut si reconnaissant à Marguerite d’avoir ainsi contribué à calmer l’hystérie qu’il l’invita à prendre ses repas à sa table. Elle déclina l’invitation, mais quand il lui fit néanmoins envoyer de la nourriture, elle la partagea avec des passagers démunis45. Le reste du voyage semble s’être déroulé sans autre incident. L’Histoire de la Congrégation et les biographes de Marguerite Bourgeoys suggèrent qu’elle tenait ce dernier voyage en France pour un échec. Évidemment, elle aura été décontenancée par l’attitude de Mgr de Laval et déçue de ne pouvoir ramener de nouvelles sœurs pour collaborer à l’œuvre croissante de la Congrégation. Il y a aussi d’autres facteurs à considérer. Marguerite avait maintenant plus de soixante ans et elle n’était plus en bonne santé. Il manquait à ce voyage au pays natal l’élan d’espérance et d’enthousiasme des deux voyages précédents et il fut aussi beaucoup plus solitaire. Elle n’eut pas la consolation de revoir de vieux amis, comme Maisonneuve. En fait, leur absence des lieux où elle les avait vus pour la dernière fois dut lui rendre leur disparition encore plus sensible. Par contre, elle avait réalisé ce qu’elle s’était fixé comme objectif principal: elle avait trouvé la direction spirituelle et la paix qu’elle était venue chercher. Même s’il ne semble pas que le dossier

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de la règle ait beaucoup progressé, son séjour lui aura donné l’occasion d’étudier et de discuter les problèmes vécus par deux communautés semblables à la sienne. Cette dernière visite dans la mère patrie devait avoir deux conséquences dont Marguerite Bourgeoys n’aura pas eu conscience à l’époque mais qui furent très importantes pour l’avenir de la Congrégation. La première, c’est que comme elle ne ramenait pas de recrues françaises, il devenait de plus en plus probable que celle qui la remplacerait à la tête de la Congrégation serait une Canadienne. La seconde, c’est que ce séjour à Paris permit à Louis Tronson de faire sa connaissance et de développer à son endroit ce que Faillon appelle « une estime singulière », dont ses lettres offriraient sous peu « des témoignages très remarquables46 ». L’abbé Tronson était devenu supérieur de Saint-Sulpice en juillet 1678 et il le resterait jusqu’à sa mort, en février 1700, quelques semaines après celle de Marguerite Bourgeoys. Le soutien qu’il lui apporterait pendant la dernière décennie de leur vie serait déterminant pour le bien-être de Marguerite et pour la survie de la Congrégation de Notre-Dame.

chapitre cinq

retour à l’étable 680 – 684 En 1683, la maison a été brûlée et, pour la rebâtir, nous avons fait un écrit par lequel nous avons promis à Dieu que nous ne demandions ce rétablissement que pour être plus fidèles que nous n’avions été par le passé et nous avons signé. Pour moi, j’étais plus joyeuse que triste de cet incendie à cause du sujet pour quoi elle avait été bâtie1.

Cette fois encore, ni la date du départ de Marguerite de La Rochelle en 1680 ni celle de son arrivée à Montréal ne nous sont connues. Mais il faut qu’elle ait été de retour pour le 15 août car ce jourlà, fête de l’Assomption de Marie, Marie Barbier fit ses promesses comme sœur de la Congrégation de Notre-Dame. On ne sait pas non plus quel accueil les sœurs ont réservé à Marguerite. En voyant qu’il n’y avait pas de nouvelles recrues pour aider à l’œuvre et que n’avait pas progressé l’approbation de la règle qui aurait procuré à la communauté un peu de stabilité, en apprenant les problèmes avec Mgr de Laval, ont-elles pensé que l’échec du voyage était attribuable à Marguerite? Est-ce là un des facteurs qui lui auraient fait percevoir une baisse de confiance en son leadership? Aucun document qui nous est parvenu de cette époque ne nous permet de répondre avec certitude à ces questions. Comme d’habitude, cependant, une fois rentrée à Montréal, Marguerite n’aura pas eu grand temps pour soupirer car il fallait composer avec de nouvelles demandes de services. La Congrégation entrait dans une décennie de forte expansion : entre 1680 et 1689, six nouvelles missions seraient établies et la communauté s’étendrait de Montréal à la région de Québec et peut-être aussi loin que Port-Royal en Acadie.

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La première de ces nouvelles missions fut ouverte à Lachine en 1680, peu après que Marguerite fut rentrée de France. C’est par dérision que Lachine avait reçu le nom qu’elle porte encore aujourd’hui. Située près des rapides à l’ouest du premier établissement sur l’île de Montréal, la localité s’était d’abord appelée Côte Saint-Sulpice. Elle avait été concédée à René-Robert Cavelier de La Salle en 1667 dans l’espoir qu’il y établisse un avant-poste pour Montréal. Mais au début de 1669, ne conservant que sa maison comme magasin pour la traite des fourrures, Cavelier de La Salle remit une partie de sa seigneurie et vendit le reste pour financer ses expéditions en quête d’un passage fluvial vers la mer du Sud et donc d’une route vers la Chine2 . Quand il rentra bredouille, cet automne-là, la Côte Saint-Sulpice reçut le sobriquet de « La Chine ». Le développement des services religieux et pédagogiques aux colons établis à cet endroit suivit une évolution semblable à ce qu’on a vu à Pointe-aux-Trembles. Les missionnaires sulpiciens ont célébré la messe chez l’habitant jusqu’à ce qu’on construise une chapelle. Lors de sa visite pastorale de 1676, Mgr de Laval érigea Lachine en paroisse où fut nommé le Sulpicien Pierre Rémy à la fin de 1680. On avait bâti un presbytère que personne n’avait occupé car les curés précédents avaient toujours résidé à la mission voisine de Gentilly. L’abbé Rémy fit rénover cet édifice pour en faire une école et une résidence pour les sœurs de la Congrégation. « Par ce moyen, écrit-il, les habitants espèrent avoir pour leurs filles une école qui ne saurait jamais être mieux faite que par les sœurs de la Congrégation, tant pour la bonne éducation qu’elles donnent avec bénédiction partout où elles sont établies, que pour les autres secours spirituels qu’elles rendent, particulièrement pour les ornements des autels et la décoration des églises. » Il ajouta qu’un autre avantage pour la paroisse tiendrait à ce que les sœurs de la Congrégation ne demandaient rien à personne, ni aux particuliers ni aux fabriques, et qu’elles vivaient de leur propre travail et des secours que la Providence leur accorde3. On dit que Marguerite Bourgeoys a fondé cette mission, mais il faut comprendre qu’elle a autorisé son établissement, et non qu’elle soit allée y vivre et y enseigner. Elle s’est certainement rendue visiter Lachine avant d’accepter d’y envoyer des sœurs et elle aura continué de rendre visite aux sœurs envoyées en mission à cet endroit. D’après l’Histoire de la Congrégation, la première d’entre elles fut la plus jeune de ses nièces, Catherine Sommillard. Avec l’ouverture

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de cette mission après celle de Pointe-aux-Trembles, la Congrégation était maintenant présente dans les avant-postes est et ouest de l’île de Montréal, positions dangereuses comme allaient le confirmer les événements de la fin de la décennie. Au cours du printemps et de l’été suivant, Mgr de Laval, malade, entreprit une dernière tournée de son immense diocèse. Il quitta Québec fin mai, se déplaçant d’établissement en établissement pour y célébrer le sacrement de confirmation, et arriva à Montréal le 19 juin. Après être allé passer quelques jours chez les Jésuites à La Prairie, il rentra à Ville-Marie pour célébrer une messe pontificale en la fête des saints Pierre et Paul. Il demeura à Montréal jusque vers le 9 ou le 10 juillet, ce qui lui permit de faire la visite officielle de l’Hôtel-Dieu et de la Congrégation. Il avait déjà approuvé, bien sûr, l’ouverture de la nouvelle mission à Lachine. Ici encore, nous ne savons rien de ce qui s’est passé entre lui et Marguerite Bourgeoys lors de cette première rencontre depuis leur malheureuse entrevue à Paris, ou de l’impact qu’eut la visite de l’évêque sur la Congrégation. À la fin de l’été, la Congrégation dut affronter une nouvelle épreuve : pour la première fois, un de ses membres mourait. On peut avoir une idée de la santé et de la vigueur des premières sœurs, compte tenu de l’espérance de vie à l’époque, en songeant que la communauté a existé pendant vingt-deux ans sans avoir un seul décès. Le 5 septembre, Madeleine Constantin, une des femmes qui étaient venues de France avec Marguerite en 1672, fut inhumée dans une église paroissiale encore en construction. Le registre, signé par Marguerite Bourgeoys et Geneviève du Rosoy, ne donne ni son âge ni la cause du décès, mais l’Histoire de la Congrégation dit qu’à ce moment-là, cette Parisienne avait trente-cinq ans4. En 1681, un recensement général fut réalisé en Nouvelle-France à la demande de l’intendant Duchesneau. La population de l’île de Montréal s’élèvait à 1418 habitants; la ville elle-même comptait 140 familles et 547 personnes. Le recensement nous donne une liste de membres de la Congrégation. La communauté a dix-neuf membres à Montréal : la doyenne est Catherine Crolo, âgée de soixante-trois ans5, et la plus jeune Catherine Charly, qui n’a que seize ans. Onze sœurs sont Françaises et huit sont nées au Canada. Marie Raisin se trouve à Champlain et les noms des deux sœurs autochtones ne figurent pas au recensement. La communauté est jeune : seules Marguerite Bourgeoys et Catherine Crolo sont dans la soixantaine;

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trois sœurs sont au début de la quarantaine, trois dans la trentaine, six dans la vingtaine et cinq n’ont pas vingt ans. En ce qui concerne les trois dont les noms sont absents, Marie Raisin a un peu plus de quarante ans et, si les dates de naissance données par l’Histoire de la Congrégation sont bien exactes, Marie-Barbe Atontinon est dans la vingtaine et Marie-Thérèse Gannensagouas encore adolescente. On trouve à la Congrégation trois groupes de sœurs apparentées entre elles : les nièces de Marguerite, les deux sœurs Gariépy et les deux sœurs Charly. Le recensement nous fournit aussi des renseignements sur le pensionnat. Les huit jeunes filles qui y résident ont de six à douze ans. La liste des noms indique que la mission éducatrice de la Congrégation ne s’adresse plus seulement aux « petites gens » de la colonie. Même si les externes et celles qui se préparent à leur première communion dans les paroisses forment la majorité des élèves, les pensionnaires de 1681 proviennent d’une autre classe. Leurs pères comprennent un avocat et un juge, un capitaine de vaisseau, un officier de l’armée, le seigneur de Varennes, un marchand de Lachine et un membre de la petite noblesse6. À ce stade, la Congrégation possède 150 arpents de terres cultivées, vingt-deux têtes de bétail, cinq chevaux et vingt moutons. Le nombre de chevaux possédés par la Congrégation est inhabituellement élevé pour la Nouvelle-France : le séminaire de Québec n’en avait que deux, comme les Ursulines de Québec. Les Hospitalières n’en avaient ni à Québec ni à Montréal. Les chevaux de la Congrégation servaient-ils pour les voyages, ou étaient-ils prêtés ou loués aux voisines de l’Hôtel-Dieu ou à d’autres fermes? Pour les travaux agricoles et pour le soin des chevaux, la Congrégation engage treize serviteurs, dont sans doute plusieurs « donnés », appelés frères. Même si ces hommes constituaient une ressource importante pour la communauté, ils pouvaient aussi causer des problèmes. En tête de la liste, on trouve le nom de Thomas Monier, qui semble avoir eu des rapports difficiles avec la Congrégation. Le 23 octobre 1682, Marguerite Bourgeoys lui confia une lettre pour Dollier de Casson, qui se trouvait à Québec en attendant de s’embarquer pour la France. Elle écrit dans cette lettre : « Voilà le frère Thomas à qui nous avons donné le congé, mais qui a bien de la peine de cette sortie. Il croit qu’il y pourra rentrer, mais il faudrait qu’il parût manifestement que ce serait la volonté de Dieu et nous ne demandons pas de miracles7. » Une réconciliation dut se produire car,

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dans un testament fait le 14 juillet 16848, Monier laissait la moitié de ses biens aux sœurs de la Congrégation. Des testaments ultérieurs, signés les 28 août 16939 et 25 juin 169910, réduisirent considérablement la part de la succession revenant à la Congrégation mais contenaient toujours un legs pour la chapelle Notre-Damede-Bon-Secours. À deux reprises en 1681, la Congrégation fut impliquée dans des procédures judiciaires concernant ses serviteurs. Le 17 janvier, vers la fin de l’après-midi, Marguerite Sommillard, alors économe de la Congrégation, envoya le domestique Barthélémy Lemaistre de la maison de Montréal à Catherine Crolo à la ferme de PointeSaint-Charles pour lui dire de déplacer les chevaux parce qu’il y avait risque d’inondation. En chemin, Lemaistre rencontra Robert Cavelier qui le mit en garde contre l’état de la glace mais il répondit qu’il était léger et qu’il pourrait se rendre en sécurité sans que la glace cède sous son poids. On ne le revit jamais vivant. On multiplia les recherches. Marguerite Bourgeoys elle-même partit pour Pointe-Saint-Charles à sept heures du matin, c’est-à-dire à l’aube en cette saison, accompagnée de Françoise Le Moyne. On s’informa jusqu’à Lachine si quelqu’un avait aperçu l’ouvrier, mais aucun témoin ne se manifesta. On le déclara « disparu » et une enquête tenta d’établir s’il s’était sauvé ou s’il avait été assassiné. Il avait eu des démêlés avec la justice en 1679 quand il avait été embauché par Antoine Primot11, mais les sœurs de la Congrégation lui reconnaissaient un excellent tempérament. En conséquence, on présuma qu’il s’était noyé. Cette conclusion fut confirmée au début d’avril quand le corps fut découvert et ramené à Montréal pour y être inhumé12 . Un problème d’un autre ordre se posa à propos de Louis Fontaine, qui s’était donné corps et biens à la Congrégation le 13 février 1681. Marguerite Bourgeoys devait connaître Fontaine depuis longtemps car « le petit Louis », comme on l’appelait, avait fait partie de la grande recrue de 1653 avec laquelle elle-même était venue à Montréal. Il mourut dans la maison de la Congrégation une semaine après avoir fait sa donation. Or il s’avéra qu’il avait précédemment signé des contrats par lesquels il cédait sa terre et sa maison à son filleul, Louis Pichard, fils d’un autre membre de la grande recrue décédé en 1658, et ses biens meubles à la paroisse à condition que les deux légataires acquittent ses dettes en puisant dans sa succession. Marguerite Bourgeoys, avec l’autorisation des sœurs et des autorités ecclésiastiques, renonça à revendiquer la moindre part de

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la succession en disant qu’on avait accueilli Fontaine par charité. Il semble bien, en effet, qu’un homme malade, n’ayant ni femme ni enfants, avait cherché quelqu’un pour s’occuper de lui dans ses derniers jours et peut-être aussi pour s’assurer un meilleur accueil dans l’au-delà. En renonçant à revendiquer quoi que ce soit de l’héritage, Marguerite mettait en pratique l’un de ses principes fondamentaux en matière de relations humaines, sa façon en fait d’appliquer le Sermon sur la Montagne dans une société portée sur la chicane : « Dieu ne se contente pas que l’on conserve l’amour que l’on doit à son prochain, mais que l’on conserve le prochain dans l’amour qu’il nous doit porter. Il faut donc donner le manteau à qui veut avoir la robe, plutôt que de plaider ... Dans les difficultés qui arrivent, il se trouve assez de personnes charitables pour les accorder sans aller en justice13. » Cet événement et d’autres où des actes de donation furent modifiés ou résiliés indiquent qu’il aurait été imprudent de faire trop confiance à ces documents tant qu’ils n’avaient pas été scellés définitivement par la mort du donné et le règlement de sa succession. Le mois de septembre 1681 provoqua une autre perte pour la Congrégation et Marguerite dut de nouveau aller témoigner à une enquête. Jean Brod, qui travaillait à la ferme de Pointe-SaintCharles, se noya un soir au coucher du soleil quand versa le canot dans lequel il traversait le plan d’eau en face de la concession. Son jeune compagnon survécut en s’accrochant à l’embarcation renversée. Il était d’usage lors d’une enquête de poser des questions sur la personnalité du défunt afin de s’assurer que la mort était bien le résultat d’un accident et non d’un acte criminel. Marguerite déclara que Brod était un homme très pacifique qu’elle avait engagé à La Rochelle un an auparavant, qu’il était un bon travailleur dont la communauté était très satisfaite, qu’il avait un bon comportement et qu’il n’était pas enclin à se quereller. On autorisa donc l’inhumation chrétienne14. Un fait ressort clairement des documents juridiques impliquant la Congrégation au début des années 1680 : c’est qu’en dépit des doutes qu’elle allait formuler une dizaine d’années plus tard, Marguerite Bourgeoys était sans conteste à la tête de la communauté. C’est elle qui avait le dernier mot; les ententes conclues en son absence devaient être confirmées par elle à son retour. C’est elle qui s’était rendue à pied à la Pointe-Saint-Charles, à l’aube d’un

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matin d’hiver, quand un engagé fut porté disparu. Et c’est elle qui pouvait convaincre ses compagnes et le supérieur ecclésiastique d’agir avec générosité au moment d’acquérir des biens matériels. En 1682, arriva une nouvelle qui dut remonter le moral des habitants de Montréal. Frontenac était rappelé en France et on avait décidé de relever Perrot de ses fonctions de gouverneur de Montréal. On dut espérer que ces changements apporteraient un peu de paix à l’administration de la colonie, qu’ils mettraient un terme aux pratiques abusives de ces deux dirigeants et qu’ils amélioreraient l’économie. Pour ceux qui se souciaient du bien-être moral de l’établissement, il y avait lieu d’espérer que les grandes foires de la fourrure tenues à Montréal chaque année deviendraient l’occasion d’évangéliser les autochtones, comme l’avaient souhaité les fondateurs de Ville-Marie, au lieu de dégénérer en beuveries comme elles le faisaient. Il est aussi possible que ce soit en 1682, en dépit de l’interdiction de Mgr de Laval en 1680, que d’autres Françaises entrèrent à la Congrégation; il s’agit d’Anne Meyrand, de Louise Richard et de Marguerite Tardy. L’Histoire de la Congrégation suppose, puisqu’il n’y a pas l’ombre d’un doute qu’elles étaient dans la communauté dans les années 1680, que les deux premières avaient dû faire partie de la recrue de 1672. Mais leurs noms ne figurent pas au recensement de 1681 et Jamet a sans doute raison de penser qu’elles ont été amenées à Montréal par le Sulpicien Étienne Guyotte quand il est rentré de son séjour en France en 1682, et que Mgr de Laval les a autorisées à entrer dans la Congrégation15. Si c’est bien le cas, ç’aura été le moyen de contourner l’interdiction que l’évêque avait imposée à Marguerite en 1680. L’entrée de l’une au moins de ces femmes ne devait pas avoir que des avantages pour la Congrégation. L’année 1683 fut difficile pour la Congrégation car elle commença dans le deuil et se termina par une catastrophe qui faillit enterrer le rêve de Marguerite d’une communauté de femmes inspirées par la vie non cloîtrée de la Vierge Marie. Ce fut d’abord la mort d’un second membre de la communauté : Marie Charly, l’une des jeunes Canadiennes les plus prometteuses. Marie était un peu comme la petite-fille de Marguerite Bourgeoys. Sa mère, Marie Dumesnil, avait été la première « fille à marier » qu’on avait confiée, encore toute jeune, à Marguerite lors de son premier voyage en Nouvelle-France. Entrée dans la Congrégation en 1679, après

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sa sœur cadette Catherine, Marie Charly fut inhumée le 25 avril 1683, à trois mois de son vingt-et-unième anniversaire. Même si, à l’époque, on était habitué à voir mourir de jeunes personnes, et si forte qu’ait pu être la foi des sœurs en la réalité de la vie éternelle, ce décès ne pouvait qu’être une dure épreuve pour un groupe qui se dépensait pour répondre aux demandes qu’on lui adressait et à qui on interdisait de se recruter en France. Il y aurait bien pire. Malgré la perte de Marie Charly, la Congrégation continuait de rayonner et ouvrit encore une nouvelle mission en 1683. Faillon explique que, cette année-là, la communauté ouvrit une école à la mission autochtone des jésuites du Sault-Saint-Louis (aujourd’hui Kahnawake) et il en donne pour preuve une lettre tirée des archives de la Marine. L’école, ajoute-t-il, n’eut qu’une très courte existence et l’expérience ne fut guère encourageante16. C’est au Sault-SaintLouis que Kateri Tekakwitha, jeune femme d’ascendance algonquine et mohawk, avait vécu ses derniers jours et était morte en 1680, à l’âge de vingt-quatre ans. Kateri, première Nord-américaine d’origine autochtone à être déclarée vénérable, avait pratiqué le christianisme d’une manière exemplaire en dépit de graves persécutions. À l’été 1678, elle avait visité Montréal où, d’après une source contemporaine, « elle vit pour la première fois des religieuses; elle fut si charmée de leur piété et de leur modestie, qu’elle s’informa curieusement de la manière dont vivaient ces saintes filles et des vertus qu’elles pratiquaient17 ». Pendant les siècles suivants, les débats n’ont pas manqué quant à l’identité des femmes qui l’avaient impressionnée à ce point. Son biographe Henri Béchard est convaincu qu’il s’agissait des sœurs de l’Hôtel-Dieu, mais il est tentant de croire qu’elle ait aussi pu être attirée par la Congrégation en y voyant Marie-Thérèse Gannensagouas. À la fin de 1683 survint le plus grave désastre matériel à avoir frappé la Congrégation pendant son premier siècle d’existence. Dans la nuit du 6 au 7 décembre, un incendie rasa la grande maison de la communauté à Montréal. Le sinistre éclata de manière si brutale qu’on ne put rien sauver de ce que contenait l’édifice, soit non seulement le mobilier, les vêtements et la literie ainsi que les livres et les fournitures scolaires, objets rares et dispendieux qu’il fallait faire venir de France, mais encore toutes les provisions qu’on avait faites pour l’hiver. Tous les documents et les registres de la communauté furent également détruits. Pire encore, deux des sœurs furent incapables de s’échapper et périrent dans les flammes : Geneviève

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du Rosoy, assistante supérieure, et Marguerite Sommillard, l’aînée des nièces de Marguerite Bourgeoys, qui avait été élue économe en 1679. Certains historiens devaient suggérer plus tard qu’elles étaient mortes en voulant s’acquitter des responsabilités attachées à leurs fonctions, en veillant à ce que toutes les autres évacuent l’édifice et en essayant peut-être de sauver des biens ou des objets importants pour la Congrégation. L’Histoire de la Congrégation affirme qu’au moment de l’incendie, Marguerite Bourgeoys avait décidé de démissionner en tant que supérieure et que des élections devaient se tenir le lendemain. Les deux sœurs qui ont perdu la vie cette nuit-là sont censées avoir été les principales candidates à sa succession. Il n’y a aucune mention de pareil projet d’élections dans les écrits qui nous restent de Marguerite Bourgeoys ou dans les biographies de Glandelet ou de Ransonet. La source la plus ancienne à ce sujet est Montgolfier, qui écrit : Cependant elle ne perdait pas de vue le projet d’abdiquer entièrement cette place d’honneur. Elle ne fut pas plutôt de retour de France à Ville-Marie, en 1684 [sic], qu’elle renouvela les sollicitations qu’elle avait faites avant son départ, pour qu’on nommât une nouvelle Supérieure en sa place; et elle le faisait avec tant d’insistance qu’on était prêt à condescendre à ses empressements. On avait déjà fait une assemblée à ce sujet, dans laquelle cependant on n’avait pu rien conclure de décisif, les suffrages s’étant trouvés partagés entre deux sujets, excellents à la vérité, mais que Dieu n’avait pas choisis pour cet emploi. C’étaient les sœurs Geneviève Rosoy et Marguerite Sommillard : mais comme on était sur le point de faire l’Élection dans les formes, et de choisir pour Supérieure une des deux proposées, arriva le grand incendie dont nous avons parlé ailleurs et dans lequel l’une et l’autre périrent dans les flammes; et l’affaire des élections en demeura là pour longtemps18 .

En vertu des fonctions qui étaient les leurs, les deux femmes auraient été des candidates naturelles pour succéder à Marguerite si quelque chose lui était arrivé. Si ce que prétend Montgolfier est exact et si elle envisageait de démissionner, l’incendie aura fait avorter son projet. Il devenait impensable que Marguerite renonce à ses responsabilités dans des circonstances aussi tragiques. Un peu plus de dix années après, en février 1695, l’Hôtel-Dieu de Montréal fut, lui aussi, rasé par les flammes en pleine nuit; Marie

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Morin a laissé un récit très vivant de l’événement et de ses conséquences. Il n’existe malheureusement pas de compte rendu semblable de l’incendie de la Congrégation, mais tout laisse croire que certains aspects de la catastrophe se seront répétés : difficulté de réveiller tout le monde au milieu d’une nuit d’hiver, évacuation précipitée de l’édifice en flammes, souci de sauver les personnes dont on a la charge – les malades dans le cas de l’Hôtel-Dieu, les pensionnaires à la Congrégation. Marguerite Bourgeoys ne nous a rien laissé sur ce qu’elle a vécu cette nuit-là mais ses sentiments ont dû être ceux qu’exprime Marie Morin, qui était supérieure de l’HôtelDieu quand il fut détruit par un sinistre analogue : « Vous pouvez ... juger en quelle disposition intérieure nous étions toutes, particulièrement celles qui sont les plus chargées de la maison comme la supérieure et les premières officières de nous voir à un moment près de tout perdre ce que le Seigneur nous avait donné, d’être sur le pavé dénuées de tout ... Oh! que ces moments furent douloureux. Il faut l’avoir ressenti pour le croire19. » Il n’y aurait aucune perte de vie à l’Hôtel-Dieu. Dans le cas de la Congrégation, la lugubre recherche des corps des deux femmes qui avaient péri dut précéder les fouilles pour retrouver ce qui pouvait être récupéré. Parce qu’il n’y a rien dans les registres de la paroisse qui atteste l’inhumation de l’une ou l’autre des deux sœurs, l’auteure de l’Histoire de la Congrégation conclut qu’on n’a jamais retrouvé les corps. Dans la notice qu’elle rédige sur la vie de Catherine Sommillard, elle songe : « Qui pourrait dire toutes les larmes que versa pauvre Sœur Catherine près des décombres fumants qui avaient enseveli l’objet de sa plus légitime affection? Qui pourrait calculer ses soupirs et ses gémissements à l’idée qu’il ne lui restait rien de cette sœur chérie ... pas un objet qui lui eût appartenu, ou qu’elle eût touché ... pas un cheveu, pas un ossement ... rien, rien, qu’elle pût envoyer à leurs parents et amis d’outre-mer pour les consoler d’une si terrible épreuve20. » Les propos de Marguerite Bourgeoys sur les sentiments que provoqua chez elle l’incendie ont été consignés longtemps après les faits, pendant une période particulièrement sombre et difficile de sa propre vie. Elle indique dans ses écrits que pendant les dix dernières années de sa vie au moins, elle a cru que les sinistres qui frappèrent la communauté étaient reliés à des fautes d’ordre moral de la part de la Congrégation, à des manques de charité et de confiance en Dieu notamment. Pour elle, rechercher la sécurité dans les biens

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matériels, c’était rejeter l’abandon à Dieu, où elle voyait la seule garantie de succès pour l’œuvre de la Congrégation. C’est pourquoi elle n’était pas sereine au moment d’entreprendre la construction de la maison qui gisait maintenant en ruines; elle l’avait fait sous la pression de ses compagnes : « Et sans consulter Dieu ni, comme je crois, le Supérieur [ecclésiastique], je dis que nous bâtirions et cela, avec quelque peine de nos Sœurs21. » C’est dans ce contexte qu’il faut lire la remarque déconcertante où elle se dit « plus joyeuse que triste » de l’incendie de la maison « à cause du sujet pour quoi elle avait été bâtie ». Même si les exagérations de cette sorte ne manquent pas dans la littérature religieuse de l’époque, celle-ci détonne sous la plume généralement sobre de Marguerite Bourgeoys et paraît même choquante et inhumaine si on pense aux deux décès survenus. Cette déclaration a causé bien des soucis à ses biographes. Ni Glandelet ni Faillon n’en parlent. Ransonet écrit : « La mort de ces deux filles fut un coup bien sensible pour la Sœur Bourgeois : mais l’embrasement de la maison ne l’affligea guère22 . » Jamet voit dans ses propos l’écho des problèmes que connut Marguerite pendant les dix dernières années de sa vie plutôt que le reflet fidèle de ce qu’elle a ressenti à l’époque23. Et en dépit de ce qu’elle dira dans les années 1690, elle s’employa tout de suite à reconstruire, à une plus grande échelle, pour répondre aux besoins sans cesse croissants de la communauté. Au lendemain de la tragédie, les sœurs de la Congrégation allèrent rester chez leurs voisines de l’Hôtel-Dieu. Après une première journée consacrée à recevoir les condoléances et à préparer les funérailles24, Marguerite Bourgeoys n’eut guère le loisir de s’abandonner à sa peine. Elle dut, au contraire, consacrer tous ses soins à la survie de la communauté et de son œuvre. La vieille étable-école où avait commencé la Congrégation était toujours debout, comme quelques autres bâtiments peut-être. En outre, il y avait la ferme de la Pointe-Saint-Charles et, bien sûr, les terrains de la communauté. L’une des premières tâches de Marguerite fut de dresser la liste de ces biens et de voir à ce que soient reconstitués les contrats et titres de propriété. Dès le 3 février 1684, elle se présentait au séminaire de Montréal pour amorcer ces démarches et, le 23, on avait rédigé la « grosse de tous les contracts » concernant la Congrégation, reprenant par le détail tous les contrats déposés antérieurement à l’exception de ceux qui ne relevaient pas de l’autorité du seigneur

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de Montréal25. Jamet fait remarquer que Marguerite se sera probablement procuré ce sommaire, plutôt que la copie in extenso de chacun des contrats, pour réduire les droits de chancellerie, ce qui témoigne de la pénurie provoquée par l’incendie. Lorsque la nouvelle de la destruction de la maison de la Congrégation parvint à Québec, Mgr de Laval écrivit à Dollier de Casson le 12 janvier : « Nous sommes sensiblement touchés de l’incendie arrivé à nos bonnes Filles de la Congrégation, mais particulièrement de la perte des sœurs Geneviève et Marguerite, consumées dans l’incendie. C’étaient des fruits mûrs pour le ciel, mais qui étaient bien nécessaires à cette communauté. Les jugements des hommes sont bien différents de ceux de Dieu; c’est pourquoi il faut adorer les secrets de sa Providence et s’y soumettre. J’écris un mot bien à la hâte à la bonne sœur Marguerite Bourgeoys26. » La lettre de l’évêque ne nous est pas parvenue mais Montgolfier nous dit que l’évêque était convaincu que la seule solution pour la Congrégation consistait à s’unir aux Ursulines de Québec. Cet auteur confond parfois Mgr de Laval et son successeur Mgr de Saint-Vallier, et il est bien possible qu’une partie de ce qu’il rapporte ici concerne des tentatives faites ultérieurement par le deuxième évêque de Québec pour fusionner la Congrégation et les Ursulines. En même temps, il est tout à fait plausible, dans la conjoncture désespérée causée par l’incendie, que Mgr de Laval ait vu dans une telle union la solution aux immenses pertes matérielles subies par la Congrégation. Si, de fait, Mgr de Laval a fait pression sur Marguerite Bourgeoys pour qu’elle accepte de voir la Congrégation s’unir aux Ursulines, geste qui aurait signifié la fin de la communauté la plus jeune, la plus novatrice et la plus vulnérable, il se sera heurté à une forte résistance. Quels qu’aient été les doutes qui ont assailli Marguerite dans la dernière partie de sa vie, il y a une chose dont elle a toujours été convaincue. Elle n’a jamais douté d’avoir été appelée par Dieu pour faire naître une communauté de femmes non cloîtrées qui se déplaceraient librement pour enseigner aux enfants des « petites gens », des pauvres travailleurs parmi lesquels elles vivaient et dont les filles pourraient entrer dans la communauté. Le récit de Montgolfier à ce propos se fonde clairement sur une source écrite qui a disparu depuis; qu’elle se rapporte aux conséquences de l’incendie ou aux événements des années 1690, elle expose de manière limpide la façon dont Marguerite Bourgeoys voyait sa Congrégation.

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La Sœur Bourgeois ... lui [Laval] représenta avec beaucoup de force et de respect que le bien qu’elle se proposait de faire avec ses filles dans le Diocèse, n’était pas compatible avec les règles d’un autre institut, et surtout d’une communauté cloîtrée : que ce serait détruire entièrement les vues, dont elle se sentait inspirée, et qu’elle croyait venir de Dieu même, parce qu’elles avaient déjà été approuvées par les Supérieurs légitimes, et que la très Sainte Vierge, à qui elle et toute sa Congrégation étaient très spécialement consacrées, avait souvent donné des marques non équivoques que cet établissement lui était très agréable; qu’outre les vues générales de l’instruction des jeunes filles, elle en avait de particulières pour la perfection et le salut de plusieurs Vierges Chrétiennes qui, sans le secours de cet institut, ne trouveraient pas le moyen de se donner entièrement à Dieu. Car, disait-elle, il se trouve souvent dans toutes les conditions du monde, des filles recommandables par leur vertu et par leurs talents mais qui, peu favorisées des biens de la fortune, n’ont pas le moyen de faire vœu de pauvreté; que son intention était d’ouvrir à ces sortes de personnes la porte de la Congrégation; et qu’elle faisait si peu de cas des richesses qu’elle irait prendre sur ses épaules (c’était sa façon de s’exprimer) une fille qui n’ayant pas même de quoi se vêtir, aurait d’ailleurs une bonne volonté et une vraie vocation 27.

Si elle dut alors se battre pour qu’on n’impose pas le cloître à sa communauté, Marguerite aura pu compter sur l’appui des autorités civiles. Le gouverneur et l’intendant envoyaient tous les deux au ministère de la Marine des rapports enthousiastes sur le travail de la Congrégation, où ils soulignaient les avantages liés au fait que la communauté n’était pas cloîtrée28. Par ailleurs, quelles qu’aient été à l’époque les vues de Mgr de Laval sur la Congrégation, son attention était retenue ailleurs. Après sa tournée pastorale de 1681, il était tombé gravement malade, au point qu’on avait craint pour sa vie. Même s’il s’était rétabli, sa santé restait fragile et il avait décidé qu’un diocèse aussi vaste avait besoin d’un évêque plus jeune et plus vigoureux. Il prit le temps de régler certaines affaires puis, à l’automne 1684, il partit pour la France présenter sa démission au roi, ce qu’il fit en janvier 1685. Paradoxalement, les circonstances matérielles difficiles dans lesquelles se retrouvait Marguerite réveillèrent son espérance, son énergie, son enthousiasme et son assurance. On retrouva la femme qui avait quitté Troyes en 1653 avec quelques effets personnels dans

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un petit baluchon et la conviction que si elle était appelée à Montréal, Dieu pourvoirait; celle qui avait pris une étable abandonnée, sale et glacée pour en faire une école et le berceau de sa Congrégation. Elle avait su convaincre des femmes de quitter leur pays natal pour enseigner aux enfants du Nouveau Monde même si elle n’avait à leur offrir que du pain et de la soupe, un dur labeur et de graves dangers. Elle avait constaté que Dieu pourvoyait à ses besoins lorsqu’elle s’était trouvée contrainte de partir pour la France sans pouvoir compter sur les quelques articles qu’elle avait prévu prendre avec elle. Elle s’était toujours méfiée de la prospérité pour la Congrégation car cela pouvait engendrer la tentation de compter sur les biens matériels au lieu de s’en remettre à Dieu. Marguerite Bourgeoys croyait vraiment que c’est quand on n’a rien que le secours de Dieu est le plus assuré et le plus efficace. Vivre dans la pauvreté et l’humilité, c’était pour elle « porter les livrées du Chef que je dois suivre, car plus je le suivrai, plus Il me protégera; et plus je ferai sa volonté, plus il me témoignera son amour29 ». C’est ainsi qu’à l’âge de soixante-quatre ans, après que se fut un peu atténué le choc initial de l’incendie qui avait laissé la Congrégation presque dans la misère, Marguerite Bourgeoys mit tout son cœur à reconstruire. Ce fut pour elle, en un certain sens, un second printemps. Il fallait passer outre aux doutes intérieurs et aux difficultés qui l’avaient troublée. C’est peut-être à cette expérience qu’elle pensait quand elle dit que l’incendie l’avait rendue plus joyeuse que triste. Glandelet observe : « Son courage ... n’en fut point abattu; elle l’avait grand, généreux et à l’épreuve de tous les accidents de fortune. » Et il ajoute : « Elle ne fut pas longtemps sans ressentir les effets [de sa confiance]. La divine Providence lui donna les moyens de bâtir une maison encore plus grande et plus régulière que la première30. » Le nouvel édifice devait abriter la Congrégation jusqu’en 1768 quand il fut, lui aussi, rasé par les flammes31. La communauté avait acheté d’autres terrains, contigus à sa propriété originale, et la nouvelle maison allait être située plus haut que celle qu’elle remplaçait, sur un terrain au nord de la rue Saint-Paul et immédiatement à l’est de la propriété de l’Hôtel-Dieu; la Congrégation ne quitterait pas ce site avant le début du vingtième siècle32 . D’après l’Aveu et dénombrement de 1731, la propriété, qui suivait la rue Saint-Jean-Baptiste de Saint-Paul jusqu’à Notre-Dame, faisait 240 pieds de large rue Notre-Dame sur 397 pieds de long rue Saint-Jean-Baptiste33.

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Au centre du lot s’élevait l’édifice qui abriterait l’externat et le pensionnat, le logement des sœurs et des aspirantes à la communauté ainsi que des lieux d’entreposage et une résidence pour les pensionnaires permanentes – des dames qui choisissaient de passer le reste de leur vie avec la Congrégation sans devenir membres de la communauté. Marie Morin en parle comme d’une maison « grande, spacieuse et des mieux bâties de la ville34 ». Les Annales de l’Hôtel-Dieu de Québec contiennent un passage sur la reconstruction de la maison de la Congrégation en 1684. En 1695, Mgr de Saint-Vallier, successeur de Mgr de Laval, pressait les Hospitalières de Québec de reconstruire leur maison, qui était devenue trop petite et avait un urgent besoin de réparations. Comme elles hésitaient, faute de ressources financières, « Monseigneur l’Évêque ... nous citait l’exemple de la Sœur Bourgeois qui n’avait pour tout argent que quarante sols, quand elle commença sa Maison, et qui par sa grande confiance en Dieu a élevé avec le secours de la Providence une des plus belles Communautés du Canada35 ». Ce n’est d’ailleurs pas là le seul témoignage de l’admiration de Mgr de Saint-Vallier pour la façon dont Marguerite Bourgeoys avait réussi à reconstruire en partant de rien. Au terme de la première visite de son diocèse, voici comment il rapporte sa visite à Montréal et aux sœurs de la Congrégation : C’est une merveille qu’elles aient pu subsister après l’accident qui leur arriva il y a trois ou quatre ans : toute leur maison fut brûlée en une nuit; elles ne sauvèrent ni les meubles, ni leurs habits, trop heureuses de se sauver elles-mêmes; encore y en eut-il deux d’entre elles qui furent enveloppées dans les flammes. Le courage de celles qui échappèrent les soutint dans leur extrême pauvreté; et quoiqu’elles fussent plus de trente, la divine Providence pourvut à leurs pressantes nécessités. Il semble même que cette calamité n’ait servi qu’à les rendre plus vertueuses et plus utiles au prochain; car il n’y a point de bien qu’elles n’aient entrepris depuis ce temps-là36 .

Évidemment, la Providence qui préserva la Congrégation devait se servir de moyens humains. Glandelet, dans le passage déjà cité, parle d’amis en France. On ne sait pas qui ils étaient, et l’aide qu’ils auront apportée aura mis plusieurs mois à arriver car la nouvelle de la catastrophe ne sera parvenue en France que l’été suivant. Quand l’abbé Tronson entendit parler de l’incendie, il exprima l’espoir que

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la cour fournirait quelque secours, et ses propos furent rapportés au ministre de la Marine : « Les sœurs de la Congrégation, qui font de grands biens à toute la colonie sous la conduite de la sœur Bourgeoys furent incendiées l’an passé, où elles perdirent tout; il serait nécessaire qu’elles se rétablissent; mais elles n’ont pas le premier sol37. » Mais la seule subvention de la cour dont on ait gardé trace est la somme habituelle de 500 livres pour la mission de la Montagne. On ne peut qu’en conclure que la cote de crédit de Marguerite Bourgeoys et de sa Congrégation devait être très bonne, et deviner le gros travail et les sacrifices qui leur permirent de tout recommencer dans l’étable, au printemps de cette année-là.

chapitre six

les exigences d’un nouvel évêque 684 – 689 Les apôtres ont été dans tous les quartiers du monde. Les filles de la Congrégation sont prêtes d’aller dans tous les lieux de ce pays où elles seront envoyées1.

Pendant que la Congrégation s’attaquait à la crise provoquée par l’incendie et ses suites, un nouveau problème, très ancien en réalité, pesait sur la Nouvelle-France. Le retour à l’étable ne fut pas la seule circonstance à rappeler aux compagnes de Marguerite la fin des années 1650 et le début des années 1660. Avec l’arrivée du régiment de Carignan-Salières en 1665, Montréal avait été libérée de la peur constante des attaques iroquoises mais la situation était en train d’évoluer. Comme les Anglais s’étaient établis sur la baie d’Hudson au nord et qu’ils contrôlaient le fleuve Hudson au sud, les Français, encouragés d’ailleurs par Frontenac, avaient poussé vers l’ouest. Ce faisant, ils étaient entrés en conflit direct avec l’expansionnisme des Iroquois. Ceux-ci, après avoir soumis les Mohicans et les Andastes en 1676, s’en étaient pris à d’autres alliés des Français comme les Illinois et les Miamis. En définitive, c’étaient les Français euxmêmes qu’ils espéraient chasser de la vallée du Saint-Laurent. À leur arrivée en 1684, le nouveau gouverneur, Joseph-Antoine Le Febvre de La Barre, et le nouvel intendant, Jacques de Meulles, mesurèrent la gravité de la conjoncture mais leurs appels répétés à la cour pour demander des hommes et des munitions n’eurent guère plus d’écho que ceux de leurs prédécesseurs, vingt-cinq

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ans plus tôt. Comme Montréal était le point de départ de toutes les expéditions pour négocier avec les Iroquois ou pour les combattre, ses habitants avaient parfaitement conscience de la situation. À la Congrégation, on disposait d’une information de première main. Charles Le Moyne, partie à toutes les négociations à cause de son expertise et du prestige dont il jouissait chez les Iroquois, était étroitement lié à la Congrégation : deux de ses nièces y étaient depuis que Marguerite Le Moyne avait rejoint sa sœur Françoise. En août 1685, un autre nouveau gouverneur débarquait à Québec. C’était Jacques-René de Brisay, marquis de Denonville, qu’on a décrit comme « le premier gouverneur à s’intéresser à l’état de la société canadienne et à vouloir apporter des réformes2 ». À Versailles, on avait enfin pris conscience de la situation en NouvelleFrance et on était parvenu à signer la paix coup sur coup avec l’Espagne et avec le Saint Empire romain germanique; c’est ce qui permit au roi d’envoyer au Canada un homme de grande qualité. Son arrivée avec des renforts réveilla l’espoir dans la colonie. Pendant les quatre années de son mandat, il allait travailler avec énergie, intelligence et intégrité à asseoir la sécurité de la colonie et le bien-être matériel et moral de sa population. À bord du navire qui amenait le nouveau gouverneur voyageait aussi Jean-Baptiste de La Croix de Chevrières de Saint-Vallier, qui devait succéder à Mgr de Laval. À cause des tensions entre le roi et le pape, l’abbé de Saint-Vallier n’avait pas encore reçu les bulles qui lui permettraient d’être consacré évêque; il fut donc nommé vicaire général. Lui aussi fit une excellente impression à son arrivée. L’évêché de Québec n’était pas un poste susceptible de servir les ambitions mondaines des ecclésiastiques français et, comme Mgr de Laval qui l’avait choisi personnellement pour lui succéder, le nouveau vicaire général était un homme ascétique, pieux et dévoué. Il avait également une forte personnalité; attaché à ses idées, il montrait peu d’intérêt ou de patience à l’égard des opinions ou des conseils des autres. Ce trait de caractère allait bientôt lui aliéner son prédécesseur et finirait par dresser contre lui presque tous les responsables et toutes les institutions religieuses de son nouveau diocèse. Au début, cependant, c’est son énergie, son enthousiasme, son zèle et son endurance qui impressionnèrent ses nouveaux diocésains. Lors de son arrivée au Canada, Saint-Vallier n’avait pas encore trente-deux ans; il était né en novembre 1653, peut-être le jour même où Marguerite Bourgeoys avait pour la première fois

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foulé le sol de l’île de Montréal. Dès le printemps suivant son arrivée et sans même attendre la disparition des glaces, il entreprit de visiter son vaste diocèse sans se laisser intimider par l’effort physique, le froid ou la chaleur, par les moustiques ou le manque de nourriture ou de repos. Sa tournée l’amena évidemment à Montréal et dans les maisons de la Congrégation, ainsi que dans les paroisses où les sœurs étaient allées enseigner la religion et préparer les jeunes à leur première communion. Ce qu’il vit l’impressionna. Dans son rapport de 1688 sur l’état de l’église en NouvelleFrance, après avoir exprimé son admiration pour la façon dont la Congrégation s’était remise de l’incendie, Saint-Vallier observe : De cette maison sont sorties plusieurs maîtresses d’école qui se sont répandues en divers endroits de la colonie, où elles font des catéchismes aux enfants, et des conférences très touchantes et très utiles aux autres personnes de leur sexe qui sont plus avancées en âge. Outre les petites écoles qu’elles tiennent chez elles pour les jeunes filles de Montréal, outre les pensionnaires françaises et sauvages qu’elles élèvent dans une grande piété, elles ont établi une maison qu’elles appellent « La Providence », dont elles ont la conduite, et où elles instruisent plus de vingt grandes filles qu’elles forment à tous les ouvrages de leur sexe, pour les mettre en état de gagner leur vie dans le service3.

La tradition voulant que La Providence ait été située à la ferme de Pointe-Saint-Charles est très solidement implantée dans la Congrégation de Notre-Dame, où on voit l’école comme un prolongement du travail accompli par la communauté auprès des filles du roi. L’Histoire de la Congrégation écrit à ce propos : Outre les exercices spirituels de la congrégation externe, notre Mère procura de plus aux jeunes filles du pays un nouveau moyen de persévérer dans la vertu; ce fut de leur apprendre d’honnêtes états, qui les missent à même de subsister du produit de leur travail. Dans ce dessein, elle établit un ouvroir, appelé La Providence, où les grandes filles étaient instruites et formées par ses soins; elle fournit pour cet usage une maison située vers la Pointe-Saint-Charles, et désigna sœur Crolo pour apprendre à ces filles à travailler. On commençait et on finissait la journée par la prière; durant l’ouvrage, on chantait de pieux cantiques. Le catéchisme se faisait trois fois la semaine. On donnait le dîner gratuitement à toutes, et le souper aux plus pauvres 4.

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Il y a cependant quelque difficulté à identifier La Providence à la ferme de Pointe-Saint-Charles. Faillon écrit : Outre les exercices spirituels de la Congrégation externe, la sœur Bourgeoys procura de plus aux jeunes filles de la classe indigente un nouveau moyen de persévérer dans la vertu : ce fut de leur apprendre d’honnêtes états, qui les missent à même de subsister du produit de leur travail. Dans ce dessein, elle établit un ouvroir appelé la Providence, où plus de vingt grandes filles étaient instruites et formées par ses soins. Elle fournit pour cet usage une maison située près de celle de la Congrégation, et désigna quelques sœurs pour apprendre à ces filles à travailler. Le séminaire se chargeait de l’entretien de plusieurs d’entre elles, et donnait de plus chaque semaine une certaine quantité de pain pour les nourrir5.

L’opinion de Faillon, qui croit que l’atelier se trouvait dans une maison de Ville-Marie plutôt qu’à la Pointe-Saint-Charles, s’appuie sur une déclaration de sœur Marie Morin. Cette dernière écrit qu’au lendemain de l’incendie qui ravagea l’Hôtel-Dieu en 1695, les patients de l’hôpital furent transportés dans ce qui était « la vieille maison de la Providence où Monsieur Guyotte, curé de Ville-Marie, assurait l’entretien de plusieurs femmes démunies afin qu’on les instruise et qu’on leur apprenne à gagner leur vie ». Elle ajoute que c’étaient les « Congréganistes » – le mot habituellement employé pour désigner les membres de la Congrégation de NotreDame – qui s’occupaient de ces femmes6. Il est évident que l’édifice dont elle parle se trouve à l’intérieur de l’enceinte de Ville-Marie. Il y a aussi certaines références déconcertantes aux « filles de la Providence » dans les lettres de Tronson, pendant la crise dont nous discuterons au prochain chapitre. Où qu’elle se doit donnée, la formation offerte aux femmes qui n’étaient plus en âge d’aller à l’école, pour leur apprendre un métier qui leur permette de se tirer d’affaire, constituait un aspect important du travail de la Congrégation de Notre-Dame au dix-septième siècle et allait le demeurer par la suite. La chose revêtait une très grande importance aux yeux de Marguerite, comme d’ailleurs pour Pierre Fourier dont les idées lui étaient parvenues par l’entremise de la Congrégation de Notre-Dame de Troyes plus de quarante ans auparavant. Sa propre expérience lui avait permis de vérifier les idées de Fourier : il est essentiel que les personnes qui instruisent les pauvres leur donnent les moyens de subvenir à leurs propres

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besoins et à ceux de leur famille. Le vicaire général de Saint-Vallier n’était pas le seul à être impressionné par le travail qui se faisait à La Providence car, dans une dépêche au ministère de la Marine, l’intendant lui-même écrivait : « J’ai trouvé à Villemarie, en l’île de Montréal, un établissement des sœurs de la Congrégation sous la conduite de la sœur Bourgeoys, qui fait de grands biens à toute la colonie; et en outre un établissement de filles de la Providence qui travaillent toutes ensemble. Elles pourront commencer quelque manufacture de ce côté-là, si vous avez la bonté de leur faire quelque gratification7. » L’enthousiasme du vicaire général pour ce qu’il avait vu du travail de Marguerite devait entraîner l’ouverture l’année suivant de deux missions de la Congrégation dans la région de Québec, ce qui indique que la reconstruction de la maison de Montréal n’absorbait pas toutes les ressources et les énergies de la communauté. La première de ces missions se trouverait sur l’île d’Orléans, qu’on appelait alors l’île Saint-Laurent, l’endroit précisément où Ville-Marie aurait été fondée en 1642 si le gouverneur Charles Huault de Montmagny était parvenu à convaincre Maisonneuve de modifier ses plans. Marguerite envoya deux sœurs y ouvrir une école, pour répondre à l’invitation pressante de François Lamy, curé de la paroisse Sainte-Famille en l’île, invitation appuyée par le vicaire général. La doyenne, Anne Meyrand, avait vingt-six ans; née en France, elle n’était au pays que depuis 1682. Elle avait pour compagne la Canadienne Marie Barbier, qui n’avait que vingt-deux ans. Marie Barbier allait prendre Charles de Glandelet pour directeur spirituel et entretenir avec lui, au fil des années, une longue correspondance qu’il a en grande partie conservée. Il s’ensuit qu’on en sait plus sur l’expérience de Marie Barbier que sur celle de toute autre sœur de la Congrégation au dixseptième siècle, à l’exception de Marguerite Bourgeoys elle-même8. À partir de ses échanges avec Marie Barbier, Glandelet offre une description haute en couleur des difficultés qu’il fallut surmonter pour établir cette première mission de la Congrégation dans la région de Québec. Le récit que fait Marie Barbier des événements qui entourèrent son départ pour la nouvelle mission suggère qu’il existait alors dans la Congrégation un degré élevé de démocratie voire même d’autonomie personnelle. Ce qu’elle confie à Glandelet de son voyage et des premiers jours passés à Sainte-Famille révèle une personnalité étonnamment différente de celle de Marguerite Bourgeoys, à qui

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elle succéderait comme supérieure de la Congrégation. En 1685, Marie Barbier avait été nommée pour enseigner à la mission de la Montagne. D’après son témoignage, les délibérations qui menèrent à sa nomination suggèrent qu’une discussion à laquelle participaient tous les membres de la Congrégation précédait l’envoi d’une sœur en mission. Elle raconte à Glandelet que, quelques jours avant son départ, Étienne Guyotte, alors curé de Montréal, lui avait demandé qui elle verrait accompagner Anne Meyrand pour ouvrir la nouvelle mission sur l’île Saint-Laurent. Elle lui répondit qu’elle estimait être elle-même la mieux en mesure d’y aller; il la taquina sur l’idée qu’elle s’était faite et mit un terme à leur échange en affirmant que l’élue serait Madeleine Bourbault. Marie Barbier, elle, insistait pour dire qu’elle irait à la nouvelle mission, mais on l’envoya plutôt à la mission de la Montagne. Rendue là, elle découvrit que la sœur qui était déjà sur place s’était donné beaucoup de mal pour préparer son arrivée et faire en sorte qu’elle se sente la bienvenue. La hutte où elle devait dormir était propre et ornée d’images de l’Enfant Jésus, pour qui on savait que Marie avait une grande dévotion, et elle fut accueillie avec joie par celle qui allait être sa compagne. C’est à ce point de son récit que ressort le contraste entre Marie Barbier et Marguerite Bourgeoys. Lorsque Marguerite Bourgeoys relate ses voyages, elle manifeste toujours beaucoup de gratitude pour la délicatesse et la bonté dont elle est l’objet : en 1670, de Maisonneuve était venu l’accueillir à la porte et lui avait donné la chambre d’invité qu’il avait fait préparer pour les visiteurs de Montréal; en 1680, de Turmenyes lui avait fait envoyer une chaise et l’avait traitée comme sa sœur. Marie Barbier, elle, n’est pas spécialement heureuse des efforts de sa compagne : « Je regardais de tout côté, le cœur outré de douleur, sans rien dire sinon à Dieu, à qui je fis cette courte prière : “Mon Dieu, ce n’est pas là le lieu que vous m’avez destiné. J’y suis trop bien, voulezvous me perdre et rendre inutile le sang que vous avez répandu pour moi? Ô plutôt mourir que d’être si à mon aise9!” » En l’occurrence, Marie Barbier n’eut pas à passer plus d’une nuit d’indignation à la mission de la Montagne. La communauté de Montréal n’ayant pu en arriver à un consensus sur la sœur qui devrait accompagner Anne Meyrand à l’île d’Orléans, il fallut tenir un vote secret pour dénouer l’impasse. Le choix s’arrêta sur Marie Barbier – à l’unanimité, dit-elle – et on envoya Anne Meyrand la

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chercher à la mission de la Montagne. Quand Marie annonça la nouvelle à l’autre sœur à la mission de la Montagne, celle-ci la pressa de refuser. Marie, cependant, décida d’obéir. Le voyage en novembre jusqu’à l’île d’Orléans fut extrêmement pénible. Marguerite Bourgeoys avait voyagé sur un voilier de Québec à Montréal en novembre, peu après son arrivée en 1653, mais elle n’a pas laissé un mot pour s’en plaindre. Marie Barbier, encouragée par son directeur spirituel, a beaucoup plus à dire, et quand elle fait allusion aux personnes qu’elle rencontre en chemin, on ne perçoit ni la tolérance ni la compassion de Marguerite Bourgeoys. Je ne pensais point à ce qui nous manquait pour le temporel; il faisait froid comme en hiver, et nous n’avions qu’une couverte pour nous deux qui ne valait presque rien, très peu de linge, point de hardes que ce qui pouvait nous couvrir fort légèrement; pour moi, je n’avais qu’une demirobe, et le reste à proportion. Nous pensâmes geler dans le voyage que nous fîmes à la Saint-Martin. J’étais parfaitement contente de ce que je commençais à souffrir. À notre arrivée à Québec, nous ne manquâmes pas d’humiliations. On nous demanda où étaient nos lits et notre équipage : c’était un petit paquet que nous portions fort à l’aise; on se moqua de nous et de toute manière, nous fûmes humiliées. Les uns disaient que nous mourions de faim chez nous et qu’on nous envoyait chercher à nous marier, spécialement moi qui étais jeune.

Quand les deux sœurs arrivent finalement à destination, les choses ne s’améliorent pas : « Nous allâmes ainsi à l’Île Saint-Laurent, je pensai mourir le jour que j’y arrivai. Le froid nous ayant saisies, nous croyions être gelées. J’en aurais eu de la joie pour mon particulier, je consolais ma compagne qui était à demi-morte10. » Il est difficile de savoir pourquoi les deux femmes étaient si mal préparées au voyage. Il est vrai que Marguerite voulait que les sœurs suivent l’exemple des apôtres, à qui on avait dit : « N’emportez rien pour la route, ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent; n’ayez pas chacun une tunique de rechange11. » Mais elle ne pouvait ignorer que le climat du Canada en novembre n’a rien à voir avec celui de la Méditerranée et que si les sœurs mouraient réellement de froid ou devenaient malades en route, elles ne pourraient pas travailler comme maîtresses d’école. Dans ses instructions aux sœurs sur la pauvreté et le détachement, Marguerite souligne avant tout qu’elles

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doivent se satisfaire de ce qu’on leur donne, sans se plaindre, mais elle ajoute que « chacune reçoit tout ce dont elle a besoin ». Quand elle condamne le luxe, elle ne semble pas demander le genre d’épreuves et de privations qu’on retrouve dans le récit de Marie Barbier. Marguerite Bourgeoys écrit : « Il faut donc, et nous le devons tant à notre propre perfection qu’à l’édification publique que, soit dans la communauté, soit dans les missions, les logements soient à la vérité chauds, propres et commodes; que les meubles soient bien arrangés, les habits propres et décents, la nourriture saine et de bonne qualité; mais le tout, sans enjolivement, affectation ou recherche12 . » Ont-elles été surprises par un brusque changement du temps, une chute brutale de température? Marie Barbier s’adonnait à de sévères pénitences, et son directeur spirituel devait la retenir, mais ses plaintes semblent indiquer que ce n’est pas ce dont il s’agit ici. Il est possible qu’à l’âge de vingt-deux ans, Marie Barbier ait quitté pour la première fois l’île de Montréal. Elle n’avait ni la maturité, ni le raffinement, ni l’expérience de Marguerite Bourgeoys quand celle-ci entreprit son voyage vers le Nouveau Monde; et elle n’avait pas le même tempérament, pas la même vision du monde et surtout pas, peut-être, le même sens de l’humour. Aussi certains aspects de son expérience lui parurent-ils très difficiles. Les deux sœurs n’avaient pas de résidence à elles et demeuraient chez une veuve avec sa famille nombreuse et ses serviteurs dans une maison proche de l’église. Alors que Marguerite Bourgeoys ne parle jamais des problèmes que peut poser le fait de naviguer en mer en partageant un espace restreint avec un groupe de femmes disparates, de vivre dans un entrepôt avec les convalescents de la recrue de 1653, ou de voir dans son logis la maison de la Vierge ouverte à toutes les femmes, Marie étouffait faute d’espace : « Comme je n’avais point encore sorti parmi le monde, je me trouvai comme dans un enfer, me voyant obligée d’être continuellement avec des hommes et des femmes, et de manger pêle-mêle avec eux. Nous revenions le plus souvent de l’église (qui était à plus d’un demi-quart de lieue de la maison où nous demeurions) toutes mouillées et comme des glaçons, sans oser nous chauffer à cause du monde et, sans une protection particulière de Dieu, nous aurions dû mourir de froid13. » C’est bien d’ailleurs ce qui faillit lui arriver. Revenant de la messe par un jour de grand froid et de poudrerie, et incapable de voir où elle allait, Marie tomba dans un fossé plein de neige.

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Je ne pouvais ... m’en retirer et ma compagne était bien loin devant moi, qui n’en pouvait plus. La neige me couvrait de plus en plus, et je n’avais plus de force. Je priai le Saint Enfant Jésus de m’aider s’il voulait prolonger ma vie pour sa gloire et [que je fisse] pénitence de mes crimes. J’étais toute enfoncée dans la neige, et il ne paraissait que l’extrémité de ma tête sur laquelle était ma coiffe. Sa couleur noire fit croire à quelques personnes du voisinage que c’était une de leurs bêtes qui était tombée dans ce fossé. Ils y accoururent promptement, et m’en retirant, ils me laissèrent au pied du fossé d’où j’eus bien de la peine à me rendre à la maison14.

Cette anecdote donne à penser que ce n’était pas tous les habitants de l’endroit qui appréciaient l’arrivée des maîtresses d’école, et elle tend à confirmer les plaintes du clergé et du nouveau gouverneur quant à l’absence de normes morales civilisées chez une partie de la population de la colonie. On aurait pu croire que les privations subies par Marie Barbier allaient abréger sa vie mais il n’en fut rien. Quoique atteinte d’un cancer du sein au début de la trentaine, elle survécut à ce qui fut probablement la première opération d’un cancer au Canada, en 1700, et ne s’éteignit qu’en 1739, peu après son soixante-seizième anniversaire. Sa compagne, Anne Meyrand, par contre, devait mourir en 1691 à l’âge de trentedeux ans. Glandelet rapporte une autre anecdote au sujet de ce premier hiver sur l’île d’Orléans et son récit illustre encore une fois à quel point Marie Barbier pouvait manquer de l’ingéniosité et du sens pratique de Marguerite Bourgeoys. Un jour, un incendie se déclara dans la maison où logeaient les deux sœurs et tout le monde s’empressa d’essayer d’éteindre les flammes ou de sauver ce que contenait la maison – tout le monde, sauf Marie Barbier. Elle se jeta à genoux devant une statue de cire de l’Enfant Jésus. Quand Anne Meyrand et la veuve propriétaire de la maison lui firent des remontrances, elle leur reprocha leur peu de foi, les assurant que ce serait l’Enfant Jésus qui éteindrait le feu. Comme l’incendie gagnait en intensité, elle s’apprêtait à jeter la statuette dans les flammes lorsque le feu s’éteignit tout à coup. Le récit de Glandelet suggère que c’était là le résultat des prières de Marie Barbier15. Elle, en tout cas, en était convaincue. Malgré toutes ces aventures, ou peut-être même à cause d’elles, les sœurs avaient de plus en plus d’influence sur la jeunesse, en particulier sur les membres de l’association qu’elles mirent sur

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pied pour les jeunes filles. D’après Glandelet, jeunes gens et jeunes filles avaient des mœurs très libres et dissipées, ce qui était aussi l’opinion du gouverneur Denonville. Cependant, même si les deux missionnaires eurent à « essuyer bien des railleries et des contradictions ... elles attirèrent peu à peu ces âmes à l’amour et à la pratique d’une vie chrétienne où elles les engagèrent heureusement par des manières douces, fortes et insinuantes, et surtout par des instructions et des conférences qu’elles leur faisaient aux jours de Fêtes et de Dimanches, en les assemblant dans une maison, avant le service divin de la paroisse, où elles les conduisaient ensuite toutes ensemble rangées d’ordre, et deux à deux16 ». Glandelet ajoute que, depuis lors, plusieurs de ces jeunes filles s’étaient consacrées à Dieu dans la Congrégation. De fait, il y aura cinq femmes de la paroisse Sainte-Famille parmi les sœurs de la Congrégation qui prononceront les premiers vœux publics faits par la communauté en 1698. Ces personnes auraient eu entre neuf et dix-sept ans au moment où fut créée la première mission de la Congrégation sur l’île d’Orléans17. Marie Barbier ne passa que ce premier hiver à Sainte-Famille (elle y retournerait plus tard). Au printemps, dit Glandelet, on l’appela à Québec pour fonder une autre nouvelle mission. L’abbé de Saint-Vallier voulait avoir à Québec une institution comme La Providence qu’il avait tant admirée à Montréal l’été précédent. Les circonstances dans lesquelles s’ouvrit cette première mission de la Congrégation à Québec sont vraiment très obscures. Dans quelle mesure Marguerite Bourgeoys, le supérieur ecclésiastique et le reste de la Congrégation à Montréal furent-ils consultés? Les sources du dix-septième siècle ne nous disent rien de plus que ce que nous trouvons chez Glandelet. Ransonet, qui travaille avec du matériel que lui ont fourni les sœurs de la Congrégation dans le deuxième quart du dix-huitième siècle, rattache à cet événement l’un des récits traditionnels les plus persistants au sujet de Marguerite Bourgeoys, récit qui avait évidemment frappé l’imagination populaire et dont l’intérêt ne se démentait pas. En 1686, étant à Montréal, elle apprit que M. de Québec désirait qu’elle vînt exécuter dans la ville épiscopale un projet qu’il avait conçu pour élever chrétiennement de pauvres filles. Elle part aussitôt et fait à pied la plus grande partie de soixante lieues tantôt dans les glaces sur lesquelles

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elle se traînait à genoux, tantôt dans l’eau et tantôt dans les neiges. Le terme de son voyage ne fut pas le terme de ses fatigues. Rendue à Québec, elle fut nourrie par charité et ce qu’on lui donnait ne suffisait pas pour la soutenir. Cependant elle fit elle seule ce qui se présenta à faire de plus rude et de plus pénible, comme de porter de la basse ville à la haute les meubles et les ustensiles nécessaires à un ménage. Il y eut plus : car après avoir employé à ces laborieux exercices les quatre premiers jours de la semaine sainte, elle passa la nuit entière du jeudi au vendredi à genoux et immobile devant le Saint Sacrement18 .

Qu’y a-t-il de vrai dans ce récit? Si certains éléments de l’histoire, comme d’autres affirmations qui émaillent la biographie de Ransonet, semblent relever de l’enjolivement légendaire caractéristique des années qui ont suivi la mort de Marguerite, d’autres correspondent à des faits connus. Saint-Vallier quitta Québec pour l’Acadie le 17 avril qui était, cette année-là, le mercredi de Pâques. Pour pouvoir rencontrer le vicaire général avant son départ, Marguerite aurait donc dû arriver à Québec au plus tard pendant la Semaine sainte, à une période de l’année où le voyage était particulièrement difficile. Faillon et l’Histoire de la Congrégation ne pensent pas que Marguerite se soit rendue en personne à Québec à ce moment-là; ils croient plutôt que Saint-Vallier avait abordé la question avec elle lors de sa visite à Montréal, l’été précédent, et poursuivi l’échange par lettre. Jamet, par contre, y voit le premier de quatre voyages faits par Marguerite à Québec en lien avec l’établissement de missions dans la région. Il pense cependant que le voyage faisait suite à des discussions amorcées l’été précédent, que Marguerite n’était arrivée à Québec qu’après le départ de SaintVallier et qu’elle y était restée plusieurs mois afin de le voir à son retour en septembre. Jusqu’à présent, aucune preuve documentaire n’a permis de confirmer sa présence à Québec ou à Montréal cet été-là. Il est certain que l’établissement à Québec d’une mission de la Congrégation de Notre-Dame de Montréal aura été un sujet d’inquiétude pour Marguerite Bourgeoys. Il semble d’après le récit de Glandelet que le départ de Marie Barbier de l’île d’Orléans ait été un événement que ni les missionnaires ni la communauté n’avaient prévu quand les deux sœurs partirent de Montréal. Ce nouveau développement laissait Marie Barbier et Anne Meyrand seules dans leurs postes respectifs. Peut-être, comme plusieurs autres personnes

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qui étaient venues en contact avec le nouveau vicaire général, avant ou après son arrivée au Canada, Marguerite Bourgeoys avaitelle appris à connaître le personnage et s’était-elle inquiétée de la manière dont il disposait de ses sœurs. Déjà les rapports qui parvenaient à Mgr de Laval, à Paris, sonnaient l’alarme à propos du successeur qu’il s’était choisi. Tout en reconnaissant le zèle, l’enthousiasme, l’austérité et la générosité de Saint-Vallier, ils s’accordaient à voir en lui un homme dangereux à croiser. Glandelet écrit à son sujet qu’il « commence par des paroles douces, et des manières flatteuses et caressantes; mais aussitôt qu’on lui contredit il fait paraître les indignations et les emportements qui laissent l’esprit et le cœur serré contre lui19 ». En réponse à certaines difficultés qu’ils avaient mentionnées dans leur correspondance, les prêtres du Séminaire de Québec reçurent de leurs confrères à Paris une analyse du caractère de Saint-Vallier qui ne manque pas de finesse. Étant donné le rôle que l’évêque jouera dans le reste de la vie de Marguerite Bourgeoys, il vaut la peine de citer ce texte au complet. Il serait impossible de prévoir le détail des petites difficultés qui pourront naître entre lui et vous, mais il nous semble après y avoir pensé devant Dieu que le seul moyen de les trancher toutes ou du moins de les adoucir extrêmement, c’est de faire tous vos efforts dans l’esprit de Dieu pour lui gagner le cœur. Il a l’esprit si vif et si prompt qu’il ne faut pas espérer, comme vous l’avez remarqué vous-mêmes, Messieurs, dans toutes vos lettres, qu’on puisse l’arrêter à quelque chose de fixe par le pur raisonnement; on peut bien lui faire entendre raison dans le moment, mais un instant après il l’oublie, son feu naturel l’emporte et les vues de zèle achèvent de le faire rentrer dans ses premiers sentiments. Il vaudrait donc bien mieux, selon ce que nous croyons, donner d’abord dans son sens, sans lui résister à la première proposition qu’il fera des choses et ensuite il faut doucement lui montrer les inconvénients qu’on y trouve, lui témoignant néanmoins qu’il en sera ce qu’il voudra, car nous avons éprouvé ici par cette manière que, s’il y a une voie de le faire rentrer au sentiment des autres, c’est uniquement celle-là. S’il est une fois persuadé qu’on l’aime et qu’on a de la complaisance pour lui, il s’accoutume par après à ménager ceux qui le ménageront et vous aurez la consolation avec le temps de voir que de lui-même il se relâchera des points qu’il aura voulu le plus fortement. Il est plus expédient même de souffrir quelquefois les suites fâcheuses de ce qu’il aura exigé avec trop de force, que d’aigrir son esprit

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contre nous, car quoique par vertu il combatte sa peine, il est à craindre qu’il ne demeure toujours habituellement indisposé contre ceux qui la lui ont faite, au lieu que quand il aura le cœur libre, dégagé et ouvert à votre égard, il goûtera beaucoup mieux tout ce que vous lui direz20 .

Vu le caractère ombrageux de Saint-Vallier et la vulnérabilité de la Congrégation, il est possible, voire même probable, que Marguerite Bourgeoys ait jugé nécessaire d’aller traiter avec lui en personne. Elle peut aussi avoir pensé que la jeune Marie Barbier, dépourvue d’expérience, de sens pratique et de raffinement, aurait besoin d’aide pour mettre sur pied une nouvelle mission, si loin de Montréal. Et surtout, après trente-trois ans au Canada, Marguerite Bourgeoys devait avoir parfaitement conscience des pièges politiques qui vous guettaient à Québec et de la nécessité d’éviter de s’aliéner les communautés religieuses qui y étaient déjà établies. C’était une chose pour la Congrégation d’accepter d’aller travailler dans des villages où il n’y avait pas d’autres enseignantes; c’était bien autre chose d’aller s’établir dans la capitale. Faire les rives du Saint-Laurent à la saison du dégel ou transporter des meubles de la Basse-Ville à la Haute-Ville, si elle l’a fait, restait peu de chose à comparer au défi diplomatique qu’il lui fallait relever. Si elle a passé la nuit du Vendredi saint devant le saint sacrement, sa prière aurait pu demander des moyens de « conserver le prochain dans l’amour qu’il nous doit porter ». Il se peut aussi qu’il y ait eu un autre problème à résoudre avec l’abbé de Saint-Vallier. Le récit que fait celui-ci de son voyage en Acadie au printemps et à l’été de 1686 contient un passage qui continue d’abasourdir la Congrégation de Notre-Dame. Il écrit lorsqu’il arrive à Port-Royal (aujourd’hui Annapolis Royal, en NouvelleÉcosse) : « J’ai reconnu avec plaisir qu’une bonne Sœur que j’avais envoyée devant moi de Québec en ce lieu-là, y avait déjà fait beaucoup de bien pour les femmes et pour les filles; sa maison sera désormais le rendez-vous des unes et des autres; elle apprendra à lire, à écrire, et à travailler à quelques-unes; elle pourra prendre des pensionnaires, et en trouver dans leur nombre qui seront capables de lui succéder, et peut-être même de faire une petite pépinière de Maîtresses d’école pour répandre dans le pays21. » La Congrégation de Notre-Dame n’a aucun document ni aucune trace de tradition orale reliée à l’établissement d’une mission à Port-Royal. S’il s’agit bien ici d’une allusion à un membre de la

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Congrégation de Notre-Dame de Montréal, qui fut la sœur envoyée à Port-Royal? Quand est-elle arrivée à Québec et à quel moment en est-elle repartie? Était-elle l’une des sœurs venues de France ou était-elle née au Canada? Quelle a été la réaction de la Congrégation face à cette nomination? Que lui est-il arrivé et qu’est-il advenu de sa mission? Ce qu’on sait, en revanche, c’est que Saint-Vallier était parfaitement capable d’envoyer des sœurs de la Congrégation en Acadie sans l’accord de la communauté, car c’est exactement ce qu’il devait faire quelque trente ans plus tard. En 1727, il envoya à Louisbourg Marguerite Roy dite de la Conception, seule et contre la volonté de la Congrégation. Plus tard, après la mort de Saint-Vallier, la Congrégation enverra d’autres sœurs dans cette forteresse, où elles vivront les deux sièges qu’elle dut subir. Les dernières de ces sœurs, qui étaient toutes nées au Canada, furent déportées en France par les autorités britanniques après la chute de Louisbourg en 1758. L’une d’entre elles mourut pendant le voyage et les autres sont mortes en France sans pouvoir rentrer au Canada 22 . Que Marguerite ait vu l’abbé de Saint-Vallier avant ou après sa tournée en Acadie, elle dut en arriver à une entente avec lui. À l’hiver 1686–87, Catherine Charly alla rejoindre Marie Barbier à Québec, et les deux furent installées dans une maison avec une cour et un jardin, dans la Haute-Ville. Cette maison leur avait été achetée par l’abbé de Saint-Vallier le 13 novembre, soit moins d’une semaine avant son départ pour la France23. Thérèse Rémy avait remplacé Marie Barbier à l’île d’Orléans, de sorte qu’Anne Meyrand n’y était plus seule. Le nouvel établissement de Québec, appelé « la Providence de la Sainte-Famille », même s’il s’inspirait de La Providence de Montréal, était d’une tout autre nature. Au lieu d’un ouvroir destiné à des femmes qui n’étaient plus d’âge scolaire, c’était un pensionnat qui donnait le cours primaire et devait recevoir des élèves trop pauvres pour aller au pensionnat voisin des Ursulines. D’après une série de règles établies par Saint-Vallier au début de 1689, l’institution devait accueillir des filles de onze à douze ans qui feraient leur première communion dans l’année. La plupart, d’après ce qu’on prévoyait, ne resteraient pas à l’école plus d’un an. Celles à qui leurs parents ne pouvaient assurer le nécessaire devaient néanmoins verser trente livres « pour éviter les difficultés qui pourraient surgir s’il fallait leur acheter certaines choses, la maison ne pouvant assumer la dépense24 ». En plus de l’instruction

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religieuse, les filles recevaient d’autres cours de niveau élémentaire et une formation à des travaux manuels « propres à leur sexe ». C’est à cette époque que Marie Barbier rencontra Charles de Glandelet. Il devint bientôt son directeur spirituel et commença à recevoir ses confidences et à entretenir la correspondance qui compose l’essentiel du manuscrit qu’on a déjà cité. L’abbé Glandelet se trouvait au Canada depuis 1675 et il avait été nommé chanoine de la cathédrale et premier théologien du chapitre par Mgr de Laval en 1684. Il consacre plusieurs pages de son œuvre aux expériences de Marie à « la Providence de la Sainte-Famille » mais ce qui l’intéresse le plus, ce sont les guérisons apparemment miraculeuses et les multiplications de nourriture qui accompagnaient ses prières à l’Enfant Jésus ainsi que les efforts de sa dirigée pour détourner les jeunes filles de la vanité dans leur vêtement 25. Aussi trouve-t-il peu de choses à dire de l’éducation donnée aux filles. On lit néanmoins entre les lignes de son récit la difficulté d’arriver à nourrir toute la maisonnée, de trouver assez « de pain et de viande et d’huile et de vinaigre », notamment dans les jours qui précèdent chaque année l’arrivée des premiers navires de France, et la panique lorsque l’inondation menace le grain entreposé dans le grenier; on devine aussi qu’il ne s’agit pas seulement d’enseigner aux filles et de les nourrir, mais d’en prendre soin lorsqu’elles tombent malades, à une époque où la rougeole et la fièvre risquent de provoquer une épidémie mortelle. Glandelet estime que Marie Barbier savait gagner la confiance des filles et que celles-ci lui faisaient part des problèmes dont elles ne pouvaient s’ouvrir à personne d’autre. Leur présence dans la capitale permit aussi aux deux sœurs de la Congrégation d’organiser pour les grandes filles les activités dominicales habituelles26. Marguerite Bourgeoys était de nouveau à Québec au début de l’automne 1687 pour traiter des affaires concernant la mission de l’île d’Orléans. Cette fois-ci, elle aura pu voyager sur le fleuve, comme elle avait coutume de le faire. En septembre, elle était présente à la signature de divers contrats qui remettaient aux sœurs une maison proche de l’église, où elles pourraient demeurer et tenir une école. C’était un cadeau du curé de la paroisse, le père Lamy, qui les installa sur une terre où l’on avait d’abord pensé construire le presbytère27. Mais au moment où cette mission recevait des assises plus solides et où les conditions de vie devenaient plus faciles pour les sœurs, la communauté de Montréal subit une dure épreuve

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avec la mort de deux sœurs canadiennes, Françoise Le Moyne, âgée de vingt-cinq ans, qui fut inhumée le 26 septembre, et deux jours plus tard Marie Denis, âgée de vingt-huit ans28. Que la nouvelle de la mort des deux jeunes femmes ait rejoint Marguerite à Québec ou qu’elle l’ait attendue à son retour à Montréal, la fondatrice fut profondément affectée par ces deux décès, comme ses écrits ultérieurs le montrent. Ces événements venaient alimenter une tristesse qui ira en s’accentuant au fil de la décennie. Mais sur le coup, encore une fois, elle n’eut pas le temps de se laisser aller à son deuil car les demandes à la Congrégation affluèrent encore. Lorsque l’abbé de Saint-Vallier arriva en France, le jour de l’An 1687, les rapports sur l’impression qu’il avait faite au Canada l’avaient précédé. Leur teneur incita Mgr de Laval à prier son successeur de retirer sa candidature à l’ordination épiscopale. Insulté, Saint-Vallier refusa et, comme il avait l’appui du roi qui craignait de voir se multiplier les dissensions au sein de l’Église de NouvelleFrance, c’est Mgr de Laval qui se vit interdire de rentrer à Québec même si le vieil évêque tenait à retourner y mourir. En dépit des sentiments d’admiration qu’il avait exprimés à l’endroit de la Congrégation de Notre-Dame, on dit que Saint-Vallier était favorable à une mesure qui aurait causé un tort immense, peut-être irréparable, à la jeune communauté. Il comptait faire venir à Montréal les Sœurs de la Visitation, qui formaient en France une communauté enseignante cloîtrée29. Heureusement pour les membres de la Congrégation, elles avaient en Louis Tronson un ami influent et plein de tact. Quand le supérieur des Sulpiciens eut vent de ce plan, il écrivit à Dollier de Casson à Montréal. Je crains fort que, pour vouloir faire faire trop de bien avec trop d’empressement, on ne gâte bien des choses. Je dis ceci au sujet de l’établissement des religieuses de la visitation de Sainte-Marie, qu’on propose d’établir dans l’île de Montréal; car je ne sais si cette nouvelle communauté ne ferait point tort à celles des filles de la Congrégation, qui y sont déjà établies, et qui font bien. Ce nouvel établissement affaiblirait assurément celui de la sœur Bourgeoys. Aussi, bien loin que je puisse entrer dans ce dessein, je suis très convaincu qu’on ne doit point y penser.

Et il ajoute : « Il ne faut rien faire sur cela sans consulter Mgr l’évêque de Québec l’ancien, et je m’assure que vous le trouverez dans ces mêmes sentiments30. »

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La remarque de Tronson implique que Mgr de Laval regardait la Congrégation d’un œil beaucoup plus favorable qu’on l’a parfois supposé et montre aussi combien les relations avaient pu évoluer entre Mgr de Laval et les Sulpiciens depuis l’époque du conflit avec l’abbé de Queylus. Dans la même lettre, Tronson rend hommage au vieil évêque : « Vous connaissez sa piété, son désintéressement, sa prudence et ses lumières; il sait ce que c’est que le pays; il connaît mieux que personne l’état de son Église. » Et plus loin : « Depuis que j’ai écrit l’article ci-dessus, j’ai parlé à Mgr l’évêque de Québec et à M. de Saint-Vallier de l’établissement des religieuses de la visitation dans Montréal, et ils conviennent tous deux qu’il ne faut point y penser. Les inconvénients m’y paraissent si grands, que je m’étonne que l’on ait pu écouter cette pensée. » La Congrégation vivait de son propre travail et des frais de pension modestes, généralement en nature, demandés aux filles du pensionnat pour soutenir l’enseignement offert aux enfants des colons ordinaires. Une fois encore, le danger était écarté de voir cette œuvre minée par la concurrence d’une communauté cloîtrée, même si les Ursulines de Québec continueront jusqu’à la fin du siècle d’aspirer à ouvrir un établissement à Montréal. Le conflit entre l’Église gallicane et la papauté n’était toujours pas réglé mais le fait que Québec était un diocèse missionnaire, et un diocèse très pauvre, permit à Saint-Vallier d’obtenir finalement les bulles l’autorisant à se faire consacrer évêque de Québec31. La cérémonie se déroula le 25 janvier 1688 en l’église Saint-Sulpice de Paris. Le nouvel évêque, dans un élan de générosité ou peut-être par crainte, s’il ne le faisait pas, de voir toute la colonie se dresser contre lui, persuada immédiatement le roi d’autoriser Mgr de Laval, appelé désormais « Monsieur l’ancien », à retourner au Canada32 . Mgr de Laval se prévalut de cette permission avec tant d’empressement qu’il était déjà à Québec le 3 juin, alors que Mgr de SaintVallier n’y entrerait que le 31 juillet. Étant donné les différences d’opinion, d’attitude et de personnalité entre les deux hommes, il était inévitable que l’Église canadienne entre dans une autre période de conflit interne. Marguerite Bourgeoys retourna elle-même à Québec à l’été 1688. On ignore la raison de son voyage, en un moment où le fleuve était redevenu dangereux. Jamet estime probable qu’elle soit venue voir le nouvel évêque, rencontre nécessaire s’il se montrait déjà enclin à disposer des membres de sa Congrégation sans consulter le groupe

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et sans obtenir le consentement de la supérieure. Elle avait déjà vu Mgr de Laval car il s’était rendu à Montréal quelques jours à peine après être débarqué à Québec33. On aimerait bien savoir ce qui se dit du nouvel évêque lors des entretiens entre Mgr de Laval et Marguerite Bourgeoys ou les conseillers sulpiciens de cette dernière. Son voyage à Québec aura aussi été motivé par le souci qu’elle avait des jeunes sœurs chargées des nouvelles missions, loin du foyer de la Congrégation et de l’appui du reste de la communauté. La source qui nous confirme la présence de Marguerite à Québec laisse aussi entendre que ses inquiétudes n’étaient pas sans fondements. D’après Glandelet, Marie Barbier était constamment affligée de douleurs physiques et morales. Chaque année, ses souffrances atteignaient un paroxysme autour de la fête de l’Assomption de Marie, le 15 août, jour anniversaire de son entrée dans la Congrégation. En 1688, elle tomba gravement malade environ six jours avant la fête. Une nuit, pendant sa maladie, elle eut, au dire de Glandelet, un rêve ou une vision qu’elle n’a jamais pu oublier, sur l’état intérieur de quelques personnes dont la mauvaise conduite, qui ne fut que trop reconnue depuis, a vérifié ce qui en avait été manifesté à la S[œur]. Elle en fut si tourmentée que, n’en pouvant plus, elle fut contrainte d’appeler la Sœur qui était avec elle [Catherine Charly]; celle-ci réveilla pareillement la Sœur Bourgeoys Supérieure, qui était pour lors à Québec, auprès d’elles et, toutes deux étant accourues à son lit, elle leur dit dans une agitation extraordinaire, qui la leur fit paraître comme transportée hors d’elle-même : « Ces personnes se perdent, ces personnes se perdent. Ô qu’il faut veiller avec une grande attention sur des filles comme nous, qui sommes exposées et qui pouvons tomber entre les mains de semblables gens34. »

Il est difficile de savoir dans quelle mesure Marie Barbier restait marquée, sur le plan affectif et psychologique, par une tentative de viol dont elle fut victime avant d’avoir fait sa première communion. Elle était dans un lit fermé et repoussa son agresseur en mettant toutes ses forces à bloquer les portes du lit et en priant pour obtenir un surcroît d’énergie, force, dit-elle à Glandelet, qui lui fut accordée en réponse à sa prière. Mary Eileen Scott compare la conduite de Marie Barbier lors de cet incident à celle de Marguerite Bourgeoys en présence d’un compatriote importun en 165335, pour illustrer une fois encore la différence entre les deux femmes. Mais c’est un

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peu injuste : Marguerite était une femme mûre et sûre d’elle-même au moment de l’incident sur la route de Nantes, alors que Marie venait d’entrer dans l’adolescence, âge beaucoup plus vulnérable, au moment de la tentative d’agression36. Qu’aura pensé des rêves de Marie Barbier une Marguerite Bourgeoys toujours si sobre, si prudente, si réticente face aux allégations d’expérience visionnaire? Qu’aurait-elle pu dire alors que l’abbé Glandelet, lui, théologien et directeur spirituel de Marie, avait une réaction manifestement favorable? Il y avait d’autres problèmes à affronter. Comme lors de sa visite à Québec l’année précédente, de mauvaises nouvelles lui étaient arrivées ou l’attendaient à son retour à Montréal : Madeleine Bourbault, une des premières Canadiennes à entrer dans la Congrégation, était décédée le 27 septembre 1688 à l’âge de vingt-six ans. Son décès portait à sept le nombre de sœurs mortes depuis 1681, et plus de la moitié d’entre elles étaient de jeunes membres d’origine canadienne. Étant donné la taille de la Congrégation à l’époque, ces pertes représentaient presque vingt pour cent de la communauté. Mais ce n’étaient pas seulement les nouvelles missions qui monopolisaient l’attention de Marguerite Bourgeoys pendant ces annéeslà. Il y eut aussi toutes sortes de rebondissements dans les années 1680 à la mission de la Montagne. Le premier missionnaire sulpicien à y travailler avait été Guillaume Bailly mais sa peur de la sorcellerie – dont il attribuait la pratique aux autochtones – avait amené l’abbé Tronson à envoyer François Vachon de Belmont le remplacer en 1680. Même si Vachon de Belmont n’était pas encore ordonné prêtre à son arrivée au Canada, certaines circonstances, en plus de ses qualités d’intelligence et de caractère, en faisaient un excellent choix. Il avait déjà eu à composer avec une affaire de sorcellerie dans le faubourg Saint-Germain, à Paris37. Il avait aussi accès à la fortune de sa famille, que sa mère mettait à sa disposition. Comme les Sulpiciens subissaient encore les retombées financières de la perte de l’héritage de leur ancien supérieur, l’abbé Bretonvilliers, il importait que les hommes qu’on envoyait au Canada soient en mesure de subvenir à leurs propres besoins et de soutenir l’œuvre de la société38. Belmont était un homme très cultivé et qui aimait tout particulièrement la musique. Peu après son arrivée, il érigea une chapelle consacrée à Notre-Dame-des-Neiges puis une maison pour les prêtres. Au cours des années suivantes, il réaménagea la disposition

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des cabanes dans le village, dessina un cimetière, planta de la vigne et installa même une fontaine. À bien des égards, la mission ressemblait aux « réductions » instituées par les Jésuites en Amérique latine. Au départ, elle fut protégée par une palissade et des tours en bois mais, vers 1685, on construisit des fortifications en pierre. Deux des quatre tours en forme de poivrières qui se dressaient aux angles de la fortification se trouvent toujours à l’entrée du domaine du Grand Séminaire de Montréal. Les sœurs de la Congrégation de Notre-Dame ont enseigné dans l’une et vécu dans l’autre. La mission de la Montagne retenait l’attention des administrateurs coloniaux parce que la cour était intéressée à franciser les peuples autochtones. Les Français furent d’abord très optimistes : ils croyaient qu’il serait facile de christianiser les autochtones et de les civiliser à la française, et que le croisement avec les Français allait donner naissance à un peuple vigoureux, bien adapté au climat de la Nouvelle-France. Les missionnaires, les Récollets d’abord puis les Jésuites, eurent tôt fait de découvrir les obstacles immenses, insurmontables, qui s’opposaient à ce projet et ils en vinrent à dissocier évangélisation et francisation. Mais la politique royale continuait de viser à la francisation des autochtones par l’éducation et la sédentarisation. L’un des obstacles les plus profonds naissait du conflit entre les objectifs commerciaux et les aspirations missionnaires : la traite des fourrures ne favorisait pas seulement le commerce de l’eau-de-vie, elle encourageait aussi le nomadisme chez les alliés des Français. Un autre obstacle tenait à l’influence corruptrice de plusieurs colons français. Voilà justement les difficultés que cherchait à contourner un projet comme celui de la mission de la Montagne. Les éloges ne manquent donc pas dans une lettre de l’intendant de Meulles au ministre à Paris, en novembre 1683. Il écrit : À une lieue de Montréal, Messieurs du Séminaire ont une Mission de Sauvages, dans la Montagne, qui est fort bien inventée et fort utile. Il y a quelques ecclésiastiques qui en ont un soin très particulier, leur méthode pour instruire ces petits sauvages est fort bonne. Ils ont fait deux classes, dans l’une il n’y a que des garçons et dans l’autre des filles. Ils ont soin d’apprendre aux garçons leur croyance, de les faire chanter à l’église en latin, à lire, à écrire, et à parler français; de même, ils les instruisent à tourner le bois. Il y a deux filles de la Congrégation qui ont le même soin de la seconde classe et de leur apprendre tout ce qui convient aux filles39.

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De Meulles continue d’encenser la Congrégation dans l’espoir d’obtenir pour elle davantage de subventions royales : Vous ne sauriez croire, Monseigneur, combien ces filles de la Congrégation font de bien en Canada. Elles instruisent toutes les jeunes filles de tous côtés dans la dernière perfection. Il y en a deux pour les habitations de Champlain et Batiscan, deux au Sault-de-la-Magdelaine dont je viens de parler qui apprennent aux petites sauvagesses à vivre à notre manière, le reste est à Montréal au nombre de huit ou dix. Si on en pouvait disperser en beaucoup d’habitations, elles feraient un bien infini. Cette sorte de vie est tout à fait à estimer, et vaut bien mieux que si elles étaient renfermées; elles sont d’une sagesse exemplaire et sont en état d’aller partout et par ce moyen d’instruire toutes les filles qui auraient demeuré toute leur vie dans une très grande ignorance.

Enfin, il relève quelque chose qui est un fruit de l’expérience des premiers missionnaires : Rien n’est plus inutile que de mettre les sauvagesses aux Ursulines parce que l’austérité dont elles font profession n’accommode nullement un esprit sauvage; aussi est-il vrai qu’aussitôt que ces sauvagesses sont sorties de chez ces religieuses, elles passent d’une extrémité à une autre. Si Sa Majesté voulait accorder un petit fonds de cinq ou six cents livres pour les sauvagesses de la Montagne de Montréal, on pourrait leur apprendre à faire des bas à l’aiguille ou du point de France. Elles sont naturellement très adroites, on les mettrait en état de gagner quelque chose et s’en servir pour s’habiller à la française, de supprimer leurs couvertures qui leur laissent les jambes et presque la moitié du corps nu.

De Meulles termine en suggérant que ces habits à la française pourraient jouer le rôle des prix qu’on remettait dans les collèges de France, pour encourager les filles à étudier avec plus d’ardeur. Un épisode désagréable, l’été suivant, reflète peut-être une réaction maladroite et mal éclairée à des rapports comme celui-là. De Meulles rapporte, à l’automne suivant, que six femmes avaient été envoyées de France pour apprendre aux autochtones de la mission de la Montagne à coudre, à tricoter et à faire de la dentelle. Il les décrit comme « six misérables servantes » ramassées dans les rues de La Rochelle et qu’ « on aurait fort souhaité faire repasser en France n’étant pas de bonne réputation40 ». Marguerite Bourgeoys

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et l’abbé Souart sont venus rencontrer les nouvelles venues et n’ont guère été impressionnés : « Ils m’ont dit qu’ils ne voulaient point s’en charger de crainte qu’elles ne corrompissent toute la communauté et aussi les filles sauvages que Messieurs de Saint-Sulpice élèvent dans une grande piété et dévotion ». L’intendant explique qu’il fut contraint de les renvoyer et ajoute qu’il faut des femmes en Nouvelle-France mais qu’elles doivent être « prudes, âgées et fort habiles » alors que celles-là étaient « jeunes, vicieuses et fort ignorantes ». L’incident fait ressortir ce que les missionnaires voyaient comme l’un des principaux obstacles à l’évangélisation des autochtones : la présence de tant de colons français qui n’étaient catholiques que de nom et dont le comportement était bien éloigné de l’idéal chrétien proposé par les missionnaires. L’arrivée d’un groupe de prostituées à la mission de la Montagne ne fut cependant ni le seul ni le principal problème que dut affronter Marguerite Bourgeoys dans son projet d’évangélisation des filles autochtones. Elle aussi semble s’être demandé si la politique de francisation des autochtones était bien avisée et efficace, encore qu’elle semble s’interroger davantage sur l’opportunité de les accueillir au pensionnat que sur le fait de travailler avec les filles à la mission. On n’a trouvé par écrit aucune formulation de ses doutes mais on en a une preuve indirecte dans une des lettres de l’abbé Tronson à l’abbé Belmont, qui lui, en tout cas, était complètement d’accord avec la politique de la cour41. On ne voit pas bien comment les réticences de Marguerite ont pu parvenir au supérieur des Sulpiciens, peut-être par l’entremise d’un tiers ou par une lettre qu’elle lui aurait envoyée, mais elle semble avoir reçu l’appui de Jacques Le Ber. En 1686, Tronson écrit : « L’opinion de M. Le Ber ne serait pas partagée ici et sa proposition ne serait pas approuvée à la cour. Car ils veulent que les Indiennes soient francisées aussi bien que les Indiens. Or ceci ne peut se faire qu’en les envoyant à l’école et comme pensionnaires. Il me semble qu’en ne les prenant pas si jeunes, en ne les gardant pas si longtemps et en ne les enrégimentant pas autant, nous remédierons aux principaux inconvénients, et Sœur Bourgeoys ne craindra plus si elle entend vos raisons qui me semblent très bonnes42 . » En 1685, Denonville, alors gouverneur, avait ajouté sa voix à toutes celles qui disaient cette politique vouée à l’échec. Mais, comme l’indique la lettre de Tronson, la cour ne changeait pas d’idée.

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En 1689, Mgr de Saint-Vallier engagea la Congrégation dans un autre de ses nouveaux projets : la création de l’Hôpital général de Québec. Des établissements de ce genre étaient apparus en France au milieu du dix-septième siècle. On retrouve parmi leurs fondateurs les mêmes groupes et les mêmes associations qui ont participé à la fondation de Montréal43. Le premier « hôpital général » fut établi à Paris en 1656 pour répondre à l’augmentation du nombre de mendiants provoquée par les guerres de religion et par la Fronde. Les institutions plus anciennes, les hôpitaux du genre de l’HôtelDieu de Québec et de celui de Montréal, accueillaient des malades qui allaient se rétablir ou mourir en peu de temps. Les nouvelles institutions étaient destinées aux personnes qui avaient besoin de soins de longue durée. Elles hébergèrent bientôt des orphelins de moins de quinze ans et des orphelines de moins de treize ans, les personnes âgées, les épileptiques, les aveugles, les malades mentaux et les personnes atteintes de maladies incurables. Dans la première partie du dix-septième siècle, l’âge moyen des colons et leur petit nombre rendaient superflu ce genre d’établissement. Mais, en 1681, Mgr de Laval, le gouverneur de Frontenac et l’intendant Duchesneau présentèrent ensemble au roi une demande de lettres patentes pour un « hôpital général » à Québec : « Nous certifions que depuis cinq ou six ans grand nombre de familles surchargées d’enfants sont tombées dans une extrême pauvreté avec beaucoup de vieillards qui ne sont plus en état de pouvoir gagner leur vie et de pauvres veuves avec quantité d’enfants qui tous sont contraints de se retirer à Québec pour y vivre d’aumônes qu’ils demandent de porte en porte44. » Comme il ne venait d’argent ni de la cour ni de bienfaiteurs privés en France, on recourut jusqu’en 1688 à des ordonnances publiques interdisant le vagabondage et la mendicité, au lieu de fonder l’hôpital général attendu. Cette annéelà, une ordonnance du Conseil souverain créa des bureaux des pauvres à Québec, Trois-Rivières et Montréal. Ils avaient pour but de veiller à ce que personne ne meure de faim, d’essayer de trouver du travail à ceux qui étaient en état de travailler et de faire cesser la pratique de la mendicité, surtout en groupe. Mgr de Saint-Vallier n’en continua pas moins de travailler à mettre sur pied un hôpital général à Québec et, en 1689, il décidait d’utiliser pour ce faire à la fois la maison donnée à la Congrégation pour « la Providence de la Sainte-Famille » et les sœurs de la

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Congrégation elles-mêmes. Évidemment, le fait d’enseigner un métier aux femmes pour leur permettre de gagner leur vie rejoignait la fin pour laquelle la Congrégation avait été établie et pour laquelle elle avait été approuvée tant par l’octroi de lettres patentes que par la sanction de Mgr de Laval. Mais voilà que l’évêque confiait aux sœurs un certain nombre de vieillards. Il prit aussi sur lui de renvoyer Marie Barbier à l’île d’Orléans et de la remplacer par Anne Meyrand. La nouvelle de ces événements ne pouvait que troubler Marguerite Bourgeoys et le reste de la Congrégation à Montréal. Cependant, les problèmes internes de la Congrégation allaient être éclipsés par la politique internationale. En Angleterre, la « glorieuse révolution » de 1688 avait déposé le roi Jacques II pour le remplacer par sa fille Marie, épouse de Guillaume d’Orange, ennemi invétéré de la France. Les colonies de la France et de l’Angleterre en Amérique du Nord et leurs alliés autochtones allaient se trouver entraînés dans le conflit qui s’ensuivit. À Montréal, la guerre commença vraiment dans la nuit du 4 au 5 août 1689, lorsque sous le couvert d’une forte grêle, une troupe de quelque quinze cents Iroquois traversèrent le lac Saint-Louis et débarquèrent sur l’île de Montréal en échappant à la surveillance des sentinelles. À l’aube, ils attaquèrent l’établissement de Lachine, dont les habitants furent réveillés par des cris de guerre qu’ils n’avaient plus entendus depuis fort longtemps. Des hommes, des femmes et des enfants furent massacrés, leurs maisons et leurs étables furent incendiées. D’autres colons furent emmenés en captivité. Combien? Différents chiffres ont été donnés. Les premiers récits étaient le fait de survivants terrifiés et en état de choc : ils sont naturellement confus et incohérents. On estime aujourd’hui à 24 le nombre des victimes, le jour même de l’attaque, et on pense que de 70 à 90 personnes ont été faites prisonnières. De celles-là, 42 ne sont jamais revenues. 56 des 77 maisons du village avaient été détruites. Le massacre touchait Marguerite personnellement. Il y avait maintenant neuf ans que les sœurs de la Congrégation enseignaient à Lachine et sa nièce, Catherine Sommillard, y était certainement en mission en 1689. L’Histoire de la Congrégation rapporte ce qui suit : « Sœur Catherine Soumillard ... était là quand cet endroit fut saccagé par les Iroquois, qui brûlèrent les maisons, massacrèrent une partie des habitants, et emmenèrent les autres en captivité. Les sœurs, dont la maison se trouvait dans l’enceinte du fort,

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ne souffrirent aucune insulte de la part des sauvages; et, après le massacre, Sœur Soumillard conduisit ses élèves à Ville-Marie45. » Les enfants qui furent hébergés à la maison de la Congrégation de Montréal étaient aussi bien les pensionnaires que ceux dont les parents avaient été tués ou faits prisonniers. Parmi les femmes capturées ou tuées à Lachine, trois étaient venues à Montréal comme filles du roi à l’époque où Marguerite offrait un gîte temporaire aux nouvelles venues : Marie Roy était arrivée en 1665, Marie Lebrun en 1667 et Charlotte Roussel en 1668. Charlotte Roussel disparut en captivité tandis que Marie Roy et Marie Lebrun moururent le jour du massacre, cette dernière avec son mari et neuf de leurs dix enfants46. Pendant les semaines qui suivirent, des petits groupes de guerriers iroquois continuèrent de ravager la région. Lorsque, en septembre, une troupe d’éclaireurs français surprit l’un de ces groupes au lac des Deux-Montagnes, le sort réservé aux prisonniers iroquois fut le présage d’événements à venir. Les trois prisonniers furent lentement brûlés vifs par les autochtones de la mission en présence d’une foule de colons sur la Place Royale, à Montréal. L’historien canadien W.J. Eccles suggère que le spectacle des souffrances des trois captifs aura fait réaliser aux témoins ce qu’avaient dû endurer leurs compatriotes en captivité et ce qui les attendait eux-mêmes s’ils tombaient aux mains des Iroquois. C’est pourquoi, expliquet-il, « dans cette guerre, il n’y avait pas de quartier, et une seule tactique s’imposait : l’attaque soudaine par embuscade et une retraite rapide si l’ennemi était trop nombreux, le combat à mort si la fuite était impossible. Tout pour éviter d’être capturé vivant47. » Bien des choses avaient changé à Montréal depuis ce jour de 1657 où une mère et sa fille s’étaient présentées au fort avec de la nourriture en signe de réconciliation avec les Iroquois qui avaient tué leurs époux et leur serviteur. Le Montréal dans lequel Marguerite Bourgeoys allait passer les dix dernières années de sa vie était loin de correspondre au projet qui avait inspiré le dévouement et l’espérance de ses fondateurs, cinquante ans plus tôt.

chapitre sept

les années sombres 689 – 694 En 1689 et 1690, j’ai été avertie de mon état de damnation éternelle qui m’a mise beaucoup en peine, plus que je ne le peux dire. Ce qui m’a rendue triste et moins sociable et n’avoir [je n’avais] personne à consulter1.

En novembre 1689, Marguerite Bourgeoys était à quelques mois d’avoir soixante-dix ans. Près de cinquante ans s’étaient écoulés depuis ce dimanche d’octobre, à Troyes, où elle avait eu l’inspiration, comme elle dit, de se donner à Dieu. Près de trente-sept ans s’étaient passés depuis qu’elle avait décidé d’accepter l’invitation qu’on lui faisait de venir enseigner aux enfants de Ville-Marie. Arrivée seule avec un baluchon pour tout bagage, elle avait édifié une communauté autonome de femmes qui offraient l’enseignement religieux et le cours élémentaire non seulement dans l’île de Montréal mais dans plusieurs autres villages le long du Saint-Laurent. Dans les années 1680, la Congrégation, qui s’était d’abord recrutée en France, attirait des femmes nées au Canada, autochtones et canadiennes. Mais les années 1680 furent des années difficiles. Après l’incendie de 1683, la Congrégation dut se reconstruire presque au complet. Elle vit disparaître huit de ses membres, qui avaient toutes moins de quarante ans et dont la plus jeune en avait à peine vingt. La communauté se trouvait maintenant sous l’autorité d’un évêque beaucoup plus impétueux et imprévisible que ne pouvait l’être Mgr de Laval, et les fondations de Québec connaissaient beaucoup de difficultés. Les personnes dont Marguerite avait été très proche

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à Montréal, à l’époque de la fondation, Jeanne Mance et Paul Chomedey de Maisonneuve, n’étaient plus. Gabriel Souart, premier curé de Montréal, qui avait partagé leurs rires pendant les « années terribles » et qui était toujours resté un ami fidèle, était rentré en France, probablement en 16882 . Claude Pijart, le missionnaire jésuite avec qui elle travailla à son arrivée à Ville-Marie, était mort à Québec à la fin de 1683. Il était donc assez normal qu’au moment d’entrer dans la dernière décennie du siècle, Marguerite connaisse la fatigue, la solitude et la tristesse. À la souffrance liée à la diminution des forces qu’entraîne l’âge, à la douleur de devoir lâcher prise, s’ajoutait toutefois une angoisse qui n’était guère prévisible. Les années 1690 – les quatre premières du moins – seraient les plus âpres et les plus exigeantes de la vie de Marguerite Bourgeoys. Le récit qu’elle en fait, comme tous les passages de ses mémoires qui traitent de ce qu’elle ressent, est un modèle de réserve et de discrétion. Le 3 ou 4 novembre [1689], la nuit, une Sœur, qui était restée au foyer, [me dit que] une sœur morte depuis plus de seize mois et [lui avait dit] : « Je suis envoyée de la part de Dieu. Dites à la Supérieure de la Congrégation qu’elle est en état de péché mortel, à cause d’une Sœur qu’elle lui nomma, etc. Le 3 ou 4 janvier [1690], cette morte apparaît derechef et dit : « Cette Supérieure n’a pas encore fait ce qu’elle doit faire. C’est la dernière fois que je l’avertis, car je vais en paradis. » Cette Sœur me vint dire cela l’après-dîner3.

Ainsi commença une série d’événements qui allaient entraîner de graves conflits dans les trois communautés religieuses de Montréal : chez les Sulpiciens, à la Congrégation de Notre-Dame et à l’Hôtel-Dieu. Étant donné le rôle que jouaient ces communautés dans la société de l’époque, de profondes divisions s’ensuivirent dans l’ensemble de la société montréalaise car les trois groupes étaient responsables de sa structure administrative, civile et religieuse, et assuraient les services de santé et d’éducation. Ce n’est pas un hasard si l’incident survenait moins de quatre mois après le massacre de Lachine car il était étroitement relié au retour du climat de terreur. Dans ses écrits, Marguerite Bourgeoys ne nomme pas la sœur qui a lancé contre elle ces accusations mais d’autres documents

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nous révèlent son identité. Il s’agit de Marguerite Tardy4 dont on ne sait pratiquement rien avant ces événements sinon qu’elle était née à Aille-Villiers, près de Saint-Loup en Bourgogne, en 1657, et qu’elle avait donc trente-deux ans à l’époque : légèrement plus vieille que les premières Montréalaises à être entrées dans la Congrégation, elle était plus jeune que les sœurs françaises recrutées en 1672. Si Jamet a raison de supposer qu’elle accompagnait Étienne Guyotte lors de son retour au Canada en 1682, il pouvait y avoir sept ans qu’elle était dans la Congrégation. Quant à la messagère, censément venue du purgatoire, c’était probablement Madeleine Bourbault, morte en septembre 1688. L’auteure de l’Histoire de la Congrégation suggère qu’une répétition de l’apparition était devenue nécessaire en janvier 1690 parce que Marguerite Bourgeoys n’avait pas assez réagi à l’annonce de la première visite. La conjecture est très plausible. Même si elle vivait à une époque où l’existence de signes surnaturels était largement acceptée et où de telles expériences provoquaient l’admiration, Marguerite ne semble pas avoir partagé l’enthousiasme général pour ce genre de manifestations. Au grand regret de ses premiers biographes, elle se montrait à la fois réservée et prudente par rapport aux expériences de ce genre qu’elle aurait eues car, disait-elle, elle se méfiait des illusions. Au début de son séjour à Montréal, elle avait fait preuve de la même prudence face à des histoires comme celle de la tête coupée de Jean de Saint-Père qui aurait continué de parler à ses meurtriers5. Vu le climat de l’époque et après une vie qui l’avait mise en contact avec toutes sortes de gens, Marguerite Bourgeoys avait déjà rencontré sa part de rêveurs et de visionnaires, mais aucun sans doute qui lui ait transmis des messages personnels de l’au-delà. Les propos de sœur Tardy auraient pu ne pas avoir de suites sans l’appui qu’elle reçut de trois Sulpiciens importants de Montréal et le fait que l’attaque contre Marguerite Bourgeoys relevait d’un plan beaucoup plus vaste visant à réformer les communautés religieuses de Montréal. Marguerite Tardy prétendait avoir reçu de Dieu une inspiration spéciale à cet effet : il fallait renouer avec les idéaux qui avaient donné naissance à Montréal. Son projet s’enracinait dans sa dévotion à la Sainte Famille de Nazareth, qui avait inspiré à Jérôme de La Dauversière et à la Société de Montréal l’établissement de la colonie cinquante ans plus tôt. Il s’agissait de regrouper en une seule communauté et sous l’autorité d’un seul supérieur

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les trois instituts qui existaient alors à Montréal : les Sulpiciens représentant Jésus, la Congrégation de Notre-Dame, Marie, et les Hospitalières de Saint-Joseph, le père adoptif de Jésus. À ce groupe pourraient s’ajouter les instituteurs rattachés aux Sulpiciens et les frères Charon, qui venaient d’arriver pour ouvrir l’Hôpital général de Montréal. Les tenants de cette idée semblent avoir cru que la création de la nouvelle communauté les obligeait à éliminer les supérieurs des vieilles communautés qu’on allait remplacer : Dollier de Casson au séminaire, Marguerite Bourgeoys à la Congrégation et Catherine Macé à l’Hôtel-Dieu. Leur campagne de dénigrement connut beaucoup de succès : avant la fin de l’affaire, Marguerite Bourgeoys et Catherine Macé auraient démissionné et Dollier de Casson, durement ébranlé, ne serait encore à son poste que parce que son supérieur à Paris le lui avait demandé instamment. Si le projet de réforme de sœur Tardy rencontra certains appuis à la Congrégation et à l’Hôtel-Dieu, le soutien le plus influent lui vint de trois prêtres sulpiciens qui étaient tous convaincus de l’authenticité de ses visions et de sa vocation de réformatrice. C’étaient Guillaume Bailly, Étienne Guyotte et, le plus important des trois, Joseph de La Colombière. Sans l’ardeur de ces hommes, les visions de sœur Tardy n’auraient pas fait grand bruit. Peut-être n’auraientelles même jamais eu lieu. Dans la biographie de Marguerite Bourgeoys qu’il a fait paraître en 1943, et qui contient le premier récit détaillé de la crise, Jamet avance l’opinion que toute cette affaire trouve son origine non pas à la Congrégation mais au séminaire de Montréal. La source de presque tout ce que nous connaissons aujourd’hui de cette histoire se trouve dans la correspondance de Louis Tronson, et le supérieur des Sulpiciens lui-même ne semble pas avoir su où elle avait pris naissance, encore qu’il juge les trois prêtres responsables de l’ampleur qu’elle avait prise. Le premier des trois à être arrivé au Canada est Guillaume Bailly, qui était déjà à Montréal en 16666. Dès le début et pendant tout son séjour au Canada, il fut très proche de la Congrégation de NotreDame comme confesseur et supérieur ecclésiastique puis, de 1676 à 1680, comme directeur de la mission de la Montagne. Homme fervent et cultivé, il était doué pour les langues, atout précieux pour le travail missionnaire. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui faisaient regretter à Tronson d’avoir à le déplacer et à le remplacer par François Vachon de Belmont en 16807. Son obsession pour la sorcellerie, qui amena son éloignement de la mission, est déjà un signe

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de la fascination qu’exerçait sur lui le paranormal. L’abbé Bailly fut d’abord nommé supérieur ecclésiastique de la Congrégation de Notre-Dame pour remplacer provisoirement Claude Trouvé, qui avait dû rentrer en France pour des affaires de famille. Une lettre de Louis Tronson à Marguerite Bourgeoys, en date du 22 juin 1682, laisse supposer qu’elle n’était pas heureuse de cet expédient. La réponse que lui envoie Tronson paraît indiquer qu’elle avait grand hâte de voir revenir Trouvé8. En 1689, Bailly était le confesseur de la Congrégation et il semble bien qu’il n’avait rien perdu de sa fascination pour le préternaturel. Les règles et usages de l’époque autorisaient un niveau élevé d’interaction entre le confesseur et ses pénitentes. On se confessait plus souvent qu’on ne recevait la communion; le droit canonique imposait aux religieuses au moins une confession par semaine mais elles pouvaient recevoir le sacrement aussi souvent qu’elles le souhaitaient. La règle accepté par la Congrégation en 1698 préciserait qu’en dehors de circonstances exceptionnelles les sœurs ne devaient pas rester plus d’une demi-heure au confessionnal, ce qui indique bien que certaines avaient tendance à prolonger le temps qu’elles y passaient. Le deuxième Sulpicien du trio était Étienne Guyotte, né entre 1639 et 1644 et arrivé au Canada en 1675. L’année suivante, il était responsable de la construction de la première église à Lachine. Guyotte n’était guère enclin à la conciliation et au compromis : quand Mgr de Laval frappa d’interdit François Lenoir dit Rolland, impliqué dans le commerce de l’alcool, Guyotte lui défendit de participer aux prières publiques. Lorsque Rolland se présenta à la messe, Guyotte ordonna au bedeau de l’expulser. On poussa probablement un soupir de soulagement dans la population et chez certains de ses confrères sulpiciens quand Guyotte fut rappelé en France, en 1678. Mais il était bien décidé à revenir et, de fait, il était de retour à Montréal à l’été de 1682. Guyotte avait passé les années précédentes dans son diocèse natal de Besançon, d’où étaient originaires Marguerite Tardy et Anne Meyrand. S’il les a effectivement recrutées pour Montréal à cette époque, alors Marguerite Tardy était déjà sa protégée avant d’arriver au Canada. En 1682, Guyotte devint curé de la paroisse de Montréal, poste qu’il occupa jusqu’à son rappel en France en 1693. En 1687, il était nommé supérieur ecclésiastique de la Congrégation de Notre-Dame. Si Marguerite Tardy a voyagé à bord du navire qui ramenait Guyotte au Canada en 1682, elle aura peut-être fait la connaissance

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du dernier et du plus important des membres de ce qu’on a appelé le triumvirat sulpicien, Joseph de La Colombière, qui se joignit à la communauté sulpicienne de Montréal cet été-là. La Colombière était entré dans la Société de Saint-Sulpice en 1675, à l’âge de vingt-quatre ans, après avoir pratiqué le droit pendant quelques années. Il était le plus jeune de six enfants dont l’aîné, Claude, était Jésuite. Dans les années 1670, Claude de La Colombière était devenu le directeur spirituel de Marguerite-Marie Alacoque, sœur de la Visitation, dont les révélations sur le Sacré-Cœur de Jésus devaient inspirer un mouvement de dévotion qui pendant près de trois siècles allait profondément influencer l’Église catholique. Tant le Jésuite que sa pénitente devaient recevoir l’approbation officielle de l’Église catholique : Marguerite-Marie fut canonisée en 1920 et Claude béatifié en 1929. Dès son entrée chez les Sulpiciens, Joseph de La Colombière avait grandement impressionné Louis Tronson, qui admirait ses qualités et entretenait les plus grands espoirs à son sujet. C’est ainsi qu’à l’âge de trente et un ans, La Colombière fut envoyé au Canada dans la perspective de succéder à Dollier de Casson comme supérieur de la mission de Montréal. À son arrivée à Montréal, il était porteur d’une lettre qui informait Dollier qu’aux yeux de Tronson, le nouveau venu devrait être son bras droit et éventuellement le remplacer : « Il a de l’esprit, beaucoup de jugement et de conduite9. » Deux ans plus tard, Tronson écrivait à Dollier de Casson : « Personne n’est plus propre pour suppléer votre absence et pour vous succéder que M. de La Colombière. Il est jeune mais il est prudent; et j’espère que vous vivrez assez long temps afin qu’il ait le loisir d’acquérir l’expérience qui lui est nécessaire10. » Même si les événements ultérieurs semblent l’avoir pris complètement par surprise, Tronson avait perçu chez ses prêtres certains traits de personnalité qui allaient alimenter la crise. Dans la même lettre à Dollier de Casson, il ajoute : M. Guyotte a ses peines et ses croix : comme il est fidèle, il s’y sanctifiera. Vous faites bien de le réjouir autant que vous pouvez, et d’empêcher qu’il ne dise aux autres ses sentiments quand il est en mauvaise humeur; car il pourrait quelquefois les mettre en tentation. Ce que vous dites, qu’il ne trouve rien de bien fait, vient souvent d’un grand zèle qui lui ferait souhaiter de voir toutes choses réglées de la manière qu’il les conçoit.

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Le même jour, Tronson écrivait à La Colombière lui-même : Dans les commencements vous ne devez presque penser qu’à la douceur et à la condescendance, jusqu’à ce que, les esprits et les cœurs étant gagnés, ils fassent par amour ce que vous n’obtiendrez jamais d’eux par la rigueur. Il faut se faire aimer et gagner la confiance des personnes, si l’on veut en obtenir ce qu’on désire. Dieu vous a donné pour cela une manière d’agir douce, ouverte, cordiale. Il faut vous bien laisser entre ses mains, afin qu’il s’en serve, aussi bien que de vos autres talents, pour sa plus grande gloire et pour l’accomplissement de ses desseins sur vous; si vous faites des fautes, j’aime beaucoup mieux que vous les fassiez par un excès de douceur que par une trop grande sévérité.

Le jeune Joseph de La Colombière semble avoir suscité à Montréal une admiration, voire une adulation, universelle. Il se chargea apparemment de la direction spirituelle du séminaire (il avait été nommé directeur spirituel des prêtres) en laissant les questions d’ordre pratique à Dollier de Casson, qui était occupé à dresser les plans d’un canal pour contourner les rapides de Lachine, projet qu’il jugeait extrêmement important pour la prospérité économique de Montréal. Sur les listes du séminaire à l’époque, le nom de La Colombière figure tout de suite après celui de Dollier de Casson et avant celui de prêtres plus âgés et arrivés au pays depuis bien plus longtemps. On lui avait confié le soin de restaurer la Confrérie de la Sainte-Famille, qu’on avait beaucoup négligée depuis sa création dans les années 1660. Il était confesseur des sœurs de la Congrégation et de l’Hôtel-Dieu, et très demandé comme prédicateur mais, très tôt, un grave problème semble s’être posé. Ses partisans et luimême n’auraient pas été disposés à attendre la mort de Dollier de Casson qui n’était, après tout, que de quinze ans son aîné et n’avait pas encore cinquante ans. Avant la première visite de Saint-Vallier à Montréal, en 1685, Tronson avait écrit aux prêtres du séminaire pour leur recommander de faire bonne impression et de se montrer discrets au sujet des problèmes internes de la maison. Au lieu de cela, certains auraient divulgué à l’évêque « leurs plus secrètes dispositions ». Ils s’unirent à lui pour critiquer Dollier de Casson dont ils déploraient la modération. C’est ainsi que débuta une campagne de dénigrement du supérieur11. Chez qui est née l’idée de la nouvelle communauté? Faillon en attribue l’origine à Marguerite Tardy mais il observe aussi que la

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campagne visant à préparer la voie en éliminant les supérieurs était déjà en marche bien avant les révélations de novembre 1689. Dom Jamet tend à voir en sœur Tardy un instrument entre les mains des trois prêtres, surtout de La Colombière. Peut-être le quatuor luimême n’aurait-il pas su dire d’où était venue l’idée. Il est certain que les mois qui suivirent le massacre de Lachine, alors que se poursuivaient les attaques des Iroquois, furent le moment idéal pour évoquer du haut de la chaire la colère de Dieu contre un peuple coupable et l’urgent besoin d’une réforme. De là à chercher de nouveaux leaders, plus rigoureux, à qui Dieu inspirait un retour à l’ère visionnaire dans laquelle Montréal avait été fondée, il n’y avait qu’un pas. Sœur Tardy et le triumvirat eurent bientôt des disciples dans les trois communautés religieuses et chez les laïcs pieux de Montréal. Ceux-ci n’avaient pas besoin d’être bien nombreux. Un noyau restreint de personnes sûres de leur bon droit et persuadées de l’authenticité des révélations privées que Dieu leur accorde peut suffire à susciter un grand mouvement de réforme ou du moins à perturber complètement la vie d’une collectivité, selon le point de vue. Les déclarations de sœur Tardy devinrent de plus en plus extravagantes : plusieurs âmes du purgatoire lui confiaient des révélations, les unes directement, les autres sous la forme de lettres qu’on lui laissait trouver. Elle prétendait être en mesure de percer les dispositions intérieures des gens, en particulier au moment où les fidèles s’approchaient de la sainte table pour communier. Le groupe demanda l’excommunication du gouverneur de Frontenac, qui avait été renommé en avril 1689, et la mise sous interdit de la Nouvelle-France. Sœur Tardy déclara qu’il n’y avait dans toute la colonie que quatre-vingts personnes qui n’étaient pas sacrilèges. Et sans doute a-t-elle dévoilé à Marguerite Bourgeoys bien d’autres choses qui n’ont pas été consignées. Il semble bien que Marguerite n’ait pas été la seule personne à recevoir de sœur Tardy des augures de catastrophe et de damnation, mais elle était probablement la seule à devoir vivre avec la messagère, à prendre le repas en sa compagnie avant de recevoir d’elle ses communications surnaturelles. Sœur Tardy atteignait Marguerite Bourgeoys à l’endroit où celle-ci était le plus vulnérable : sa crainte que les fautes et les faiblesses qu’elle observait dans la Congrégation ne soient dues à son échec comme supérieure. En outre, elle était attristée à cette époque par la nouvelle que Catherine Joussette, l’une des premières Montréalaises à entrer dans la Congrégation,

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une jeune femme de vingt-quatre ans à peine, venait de mourir à Sainte-Famille dans l’île d’Orléans, le 20 janvier 1690. Quoi que Marguerite ait pu penser des révélations de sœur Tardy, les autorités spirituelles qui l’entouraient étaient non seulement convaincues de leur authenticité mais encourageaient activement la voyante. Il n’y avait personne, elle le dit bien, à qui elle pouvait s’adresser pour demander conseil. On trouve dans ses écrits ce qu’on croit être le fragment d’une lettre écrite à Glandelet l’année suivante. Elle commence par ces mots : « L’on m’a fait connaître que j’étais en état de damnation éternelle, ce que je n’ai pas eu de peine à croire, voyant combien j’ai eu de négligence pour les devoirs de mon emploi; j’en demande de tout mon cœur pardon à Dieu et m’offre à Lui pour faire de moi ce qu’il Lui plaira, pour le temps et pour l’éternité. J’ai considéré, depuis, qu’il semble que sa divine Majesté veut détruire cette petite communauté, dont je n’ai point de peine, sinon que c’est à cause de mes infidélités. Voilà, depuis environ dix ans, neuf Sœurs de mortes12 . » Il semble que les décès au sein de la communauté, dont elle n’avait pas eu le temps de vivre le deuil, l’aient sérieusement ébranlée. Sa lettre mentionne qu’elle avait passé quatre mois sans recevoir la communion et qu’elle ne s’était approchée de nouveau du sacrement que parce que son confesseur le lui avait ordonné. On a peine à comprendre comment Marguerite Bourgeoys put continuer dans ces conditions de voir chaque jour aux affaires de la communauté, mais tout indique que c’est bien ce qu’elle fit. Et les personnes avec qui elle traitait à l’extérieur ne semblent pas avoir senti la profonde désolation qu’elle traversait. La lettre citée plus haut fait soupçonner d’où lui venait cette force constante : « Je n’ai pourtant jamais douté de la miséricorde de Dieu et j’espérerai en Lui, quand je me verrais un pied dans les enfers ... J’ai encore une autre ressource, que le bon Dieu veut bien m’accorder, qui est le secours de la très Sainte Vierge; car si je suis l’objet de la miséricorde de Dieu, je suis en même temps la preuve du secours de la très Sainte Vierge. » À l’été de 1690, Mgr de Saint-Vallier visita Montréal, mais Marguerite Bourgeoys ne trouva certainement aucune aide de ce côté. En fait, il fut très favorablement impressionné par La Colombière et semble avoir été disposé à appuyer l’idée de la nouvelle communauté. Marguerite demanda à l’évêque la permission de démissionner : « Par quelques marques, et dans ces temps fâcheux, je

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trouve que mes Sœurs avaient perdu la confiance qu’elles avaient en moi, et moi, la liberté de leur parler. Et comme Monseigneur est venu à Ville-Marie, je lui ai demandé la grâce d’élire une Supérieure en lui marquant mes raisons de cette élection13. » L’évêque n’entreprit ni de la rassurer ni de la consoler et, quand il quitta Montréal pour rentrer à Québec, La Colombière faisait partie de sa suite. Entre-temps, la guerre continuait. Les incursions qui se poursuivaient aux frontières de leurs établissements poussèrent les colonies anglaises, en janvier 1690, à lancer une attaque massive par terre et par mer contre le Canada. Une troupe de miliciens de New York, de la Nouvelle-Angleterre et du Maryland devait opérer sa jonction avec les Iroquois pour lancer l’assaut contre Montréal pendant qu’une flotte partie de Boston attaquerait Québec. Mal organisée et minée par une épidémie de vérole, la campagne contre Montréal échoua. Frontenac, venu à Montréal pour l’affronter, put rentrer à Québec et concentrer ses forces sur la défense victorieuse de la capitale. C’est là qu’il lança à l’envoyé de l’amiral William Phips l’une des répliques les plus célèbres de l’histoire de la Nouvelle-France : « Dites à votre général que je lui répondrai par la bouche de mes canons. » Les Anglais se retirèrent après quelques engagements sans conviction et, lors des grandes célébrations qui suivirent, c’est La Colombière qui eut l’honneur de prononcer le sermon de circonstance. Dans sa biographie de Marguerite Bourgeoys, Jamet retrace l’ascension triomphale de La Colombière : « Il rentrait à Montréal auréolé d’un succès qui en ferait le personnage ecclésiastique le plus considérable de la cité. En fait, ce serait lui, maintenant, le véritable chef du Séminaire et des communautés religieuses, où, avec ses lieutenants, sa prophétesse et les correspondants de l’autre monde, il pourrait enfin faire triompher ses idées et sa personne14. » La situation inquiétait tellement François Vachon de Belmont qu’il s’arracha aux travaux de la mission de la Montagne pour écrire, coup sur coup, les 31 octobre, 10 et 12 novembre, trois longues lettres à Louis Tronson. Ces missives auraient pu n’arriver à Paris que l’été suivant mais, cette année-là, les navires furent retardés à Québec par le mauvais temps et les lettres parvinrent dans la capitale française avant la fin de l’année. Les lettres de Belmont, et quelques autres qu’il reçut de Montréal, donnèrent au supérieur des Sulpiciens une idée précise de ce qui était en train de se tramer. Consterné par ce qu’il apprenait, Tronson réagit vivement et

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résolument pour remédier à la situation. Mais sa réponse ne pouvait arriver à Montréal que l’été suivant. Marguerite Bourgeoys trouva le moyen de passer à travers cet hiver terrible en continuant de préparer sa démission et de chercher quelqu’un qui puisse assumer la direction de la Congrégation dans ces circonstances difficiles. L’Histoire de la Congrégation, qui suit en cela Glandelet, suggère que la personne envisagée pour ce poste était Anne Meyrand et que c’est pour cette raison qu’en mai 1691, elle revint de Québec à Montréal en compagnie de Marie Barbier. À certains égards, ce choix paraît curieux. Les premières compagnes de Marguerite n’étaient plus très jeunes ni en bonne santé, mais il y avait dans la recrue de 1672 et chez les premières Canadiennes des administratrices d’expérience. Anne Meyrand faisait partie de la Congrégation depuis moins de dix ans et en avait passé six à l’extérieur de Montréal. Était-elle une candidate de compromis? Comme Marguerite Tardy, elle pouvait être une protégée d’Étienne Guyotte, plus acceptable par conséquent à la faction Tardy. Par ailleurs, elle paraît s’être bien acquittée de ses fonctions à l’île d’Orléans et à Québec et pourrait avoir été plus acceptable au reste de la communauté que Marguerite Tardy elle-même. Quoi qu’il en soit, la chose ne devait pas se faire : Anne Meyrand rentra à Montréal en mauvaise santé et mourut le 2 septembre 1691, à l’âge de trente-deux ans. Dans l’intervalle, cependant, les lettres de Louis Tronson étaient arrivées au séminaire de Montréal. Le supérieur ne mâchait pas ses mots en réponse aux communications dont Jamet affirme qu’elles l’avaient plus étonné que n’aurait fait « la foudre tombant en plein hiver par une journée de soleil » dans sa chambre d’Issy. Sa première lettre, écrite en code à « Monsieur Dollier de Casson et M. de Belmont seuls », commence ainsi : « Les lettres que j’ai reçues cette année m’apprennent les folles visions, les ridicules prophéties et les desseins extravagants de M. Bailly et de M. de La Colombière et de leur fille spirituelle et mystique égarée ... Je ne les aurais jamais crus capables d’entrer dans de si évidentes aberrations. » Il expose ensuite son évaluation de la situation et énumère clairement et brièvement les mesures à prendre. Je suis donc persuadé 1. que ces personnes sont trompées par leurs fausses visions; 2. que vous ne devez faire nul état, ni rien faire, ni rien croire de tout ce qu’ils disent sur de si misérables fondements; 3. que l’union

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des communautés est impraticable, et que le dessein d’une troisième est encore plus ridicule; 4. qu’on ne peut rien faire de mieux pour M. de La Colombière que de le renvoyer en France, et que ce serait achever ici certainement de le perdre que de le laisser plus longtemps en Canada; 5. qu’il me paraît fort surprenant qu’on ait ôté à M. Dollier le confessionnal et la sainte messe une fois la semaine; j’aurais souhaité qu’on m’en eût mandé la raison pour me donner lieu de m’expliquer davantage; 6. que M. Dollier doit continuer d’agir comme par le passé, sans penser à se décharger de la supériorité; car, quoi qu’en disent les « personnes tentées », un autre ne ferait pas si bien que lui15.

Le cinquième et le sixième point montrent bien que Marguerite Bourgeoys n’était pas la seule supérieure que le groupe avait dans sa mire. Tronson exprime sa confiance envers le supérieur du séminaire de Montréal dans une autre lettre adressée en mars à un Sulpicien arrivé au Canada en 1688 : « M. Bailly ni M. de La Colombière ne vous donneront pas de si bons avis ni de si sûrs pour la conscience, quelque spirituels qu’ils paraissent, que vous en donnera M. Dollier, et je suis bien aise que vous vous confessiez à lui16. » Nulle part dans ces documents il n’est question de l’attaque lancée contre Marguerite Bourgeoys. Mais une longue lettre adressée à Belmont en réponse, semble-t-il, à une série de questions posées dans ses lettres à Tronson, trace un tableau assez détaillé de l’ensemble de l’affaire. On y lit notamment que « l’excommunication de M. de Frontenac et l’interdit auraient fait un tort que l’on n’aurait peut-être jamais réparé ... Qu’il n’y ait en Canada que 80 personnes hors du sacrilège, c’est un paradoxe qu’il fallait faire dire à une personne de l’autre monde pour le rendre croyable. Pour la sœur Tardy, quand elle dit qu’elle connaît l’état de ceux qui vont à la communion, je dis que l’on fait très mal de la croire, et que, à mon avis, on ferait bien de la regarder comme une visionnaire. » On devine une pointe d’humour dans la voix de Tronson quand il ajoute qu’il faudrait un grand nombre d’âmes du purgatoire pour rendre crédibles pareilles visions et qu’il parle de lettres qui prétendent venir de l’au-delà : « Personne n’imaginerait que les lettres puissent venir d’un soldat au lieu d’être l’œuvre des auteurs de la comédie ... Si M. Certain avait parlé, il se serait mieux exprimé. » Il juge que le projet de la nouvelle communauté, qui semblait même prévoir un habit de diverses couleurs, est « la production d’une tête

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creuse et d’une imagination échauffée ». Amèrement déçu de son ancien protégé, qui était originaire du Dauphiné, Tronson joue sur le titre traditionnel de l’héritier de la couronne de France quand il écrit : « Je n’ai garde de dire, Adieu le Dauphiné en Canada ... Pour la brebis égarée, l’air du pays lui sera nécessaire, car je ne crois pas qu’il y ait d’autre remède. Il faut espérer qu’elle se guérira avec le temps. C’était un bon sujet, un bon esprit, un bon cœur; mais je crains que trop de mortification ou une application trop forte n’ait épuisé sa tête17. » La Colombière ne fut pas le seul à recevoir une lettre qui le rappelait en France. Bailly en reçut une aussi : Un plus long séjour en Canada ne vous serait pas utile et pourrait faire tort à plusieurs. Car, comme vous n’avez plus de confiance ni d’estime pour votre évêque et pour M. Dollier; que je vois même, par vos expressions, que vous en avez conçu un grand mépris; vous ne pourriez plus que suivre votre propre esprit et vous exposer à de fréquentes illusions, n’ayant plus l’obéissance pour règle de votre conduite. Vous n’avez donc qu’à vous disposer à revenir cet automne; et si, avant votre départ, vous pouviez réduire la sœur visionnaire à la voie commune et à ne plus s’amuser à ses visions, vous lui feriez une grande charité18 .

Il y a, parmi les réponses que donne Tronson aux questions de Vachon de Belmont, une autre déclaration qui concerne Marguerite Bourgeoys au moins indirectement et qui reste assez mystérieuse. La voici : « La conduite de M. Bailly à l’égard de la nièce de la Supérieure de la Congrégation paraît bien extraordinaire. » Non seulement n’avons-nous aucun indice sur ce qu’a été ce comportement – quoique pour mériter une mention parmi les points soulevés par Vachon de Belmont, il doit avoir été remarquable – mais rien ne nous dit non plus laquelle des nièces encore vivantes de Marguerite est ici en cause. Catherine était dans la maison de Montréal depuis le massacre de Lachine mais Louise, sa nièce mariée, était aussi à Montréal à l’été 1690, juste avant que la lettre ne soit écrite. Louise, son mari François Fortin et leur famille avaient vécu à Rivière-des-Prairies au moins depuis 1687. Cette région fut le théâtre d’une forte activité iroquoise dans les mois qui suivirent le massacre de Lachine. En 1690, le mari de Louise mourut. Parce qu’on a perdu les registres paroissiaux de l’époque, on ne connaît ni la cause ni la date exacte de son décès mais il est possible qu’il ait

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été tué dans une embuscade. Le 25 juillet, un enfant de trois ans du couple Fortin fut enterré à la paroisse Notre-Dame, ce qui indique peut-être que Louise était venue chez sa tante et sa sœur à Montréal19. En novembre de la même année, elle épousa Jean-Baptiste Fleuricour, et le contrat par lequel celui-ci s’engageait à adopter les sept enfants de son épouse indique que son premier mari était décédé plusieurs mois auparavant 20. La Colombière dut partir pour la France tout de suite après avoir reçu la lettre de l’abbé Tronson, car Mgr de Saint-Vallier et lui étaient tous les deux à Paris à la mi-juillet. L’abbé Bailly et sœur Tardy partirent également pour la France à l’été, pleins d’enthousiasme, convaincus qu’on leur donnerait raison et qu’il suffisait que Tronson rencontre sœur Tardy pour se convaincre de l’authenticité de son expérience mystique. En février 1692, Tronson écrivait à Dollier de Casson et à Belmont pour leur dire qu’après avoir refusé d’être nommé ailleurs qu’à Montréal, La Colombière avait quitté les Sulpiciens et s’était retiré au Séminaire des Missions étrangères. « Voilà le fruit de ses belles et chimériques visions », notait-il avec tristesse. On racontait que Mgr de Saint-Vallier voulait ramener La Colombière avec lui au Canada. Tronson avait tenté de l’en dissuader mais craignait, avec raison, de n’y être pas arrivé. La lettre de Tronson donne aussi des nouvelles des deux autres voyageurs venus de Montréal. « La sœur Tardy est allée en son pays. Je ne sais si ce sera pour longtemps : Dieu veuille qu’elle y demeure. Son directeur parle peu et ne s’explique pas. Il n’y a personne ici en qui il ait confiance21. » Tronson réitère ses assurances aux deux prêtres avant d’ajouter : « Il faut que la Supérieure de la Congrégation se rassure aussi bien que vous; que vous travailliez en paix comme autrefois; que vous mainteniez l’ordre et la subordination qui doit être dans la maison; et que vous soyez sûrs que, lorsque Dieu demandera quelque chose de vous, il vous le fera connaître par les voies ordinaires, sans avoir recours aux gens de l’autre monde ... La foi et les règles communes que l’Église nous donne nous suffisent. » L’insistance que met Tronson à rassurer les deux prêtres indique bien que Marguerite Bourgeoys n’avait pas été seule à voir sa confiance ébranlée par cette affaire. Un incident concernant Marguerite Bourgeoys a été consigné pendant cet été 1691. Les affrontements continuaient dans la région de Montréal et, le 11 août, une escarmouche avec les Anglais se produisit près de La Prairie. Les Français réussirent à repousser

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l’ennemi mais non sans subir des pertes. Parmi les morts se trouvait Nicolas Barbier, le frère de Marie, qui l’avait aidée à entrer dans la Congrégation. Comme l’indiquent les registres de la paroisse NotreDame à la date du 11 août, « Nicolas Barbier, Louis Ducharme, Pierre Cabassier ont été tués par les Anglais au combat de La Prairie de la Magdelaine dans le bois où les corps sont demeurés22 ». Deux jours plus tard, on enterrait une autre victime. Il s’agissait de Jean-Vincent Le Ber du Chesne, troisième fils de Jacques Le Ber, qu’on avait ramené mortellement blessé à la maison de son père. Marguerite Bourgeoys se rendit à la maison pour laver le corps et le préparer pour la sépulture. Elle était accompagnée de Marie Barbier, et non de l’une des sœurs Le Moyne, cousines germaines du défunt dans la Congrégation. Peut-être Marie Barbier trouvait-elle quelque réconfort à rendre ce service dont elle n’avait pu s’acquitter pour son frère. Peut-être sa présence reflète-t-elle le rôle de plus en plus important qu’elle jouait dans la Congrégation aux côtés de Marguerite Bourgeoys. Il y avait quelques années que l’épouse de Jacques Le Ber était décédée et leur fille unique, Jeanne, s’était sentie appelée à une vocation qui provoquait autour d’elle l’étonnement et le désarroi. L’héritière avait choisi de mener une vie d’anachorète ou de recluse, même si elle vivait encore à cette époque dans la maison de son père. Elle avait appris la mort de son frère et quitta sa chambre pour donner aux deux femmes ce dont elles avaient besoin pour apprêter le corps, mais elle n’adressa la parole ni aux deux visiteuses ni à son père23. Si Marguerite Bourgeoys croyait toujours que les décès dans la Congrégation étaient dus à ses propres manquements, son deuil s’alourdit encore à l’automne. Le décès d’Anne Meyrand devait être suivi de deux autres au sein de la petite communauté. Le 5 octobre, Marguerite Bourgeoys perdait l’une de ses premières compagnes, Marie Raisin, dont la famille avait été voisine de la sienne à Troyes. Marie Raisin avait été le premier membre de la Congrégation à faire des missions itinérantes. Marguerite lui avait confié la communauté et la construction de la nouvelle maison lors de son voyage en France en 1670–72. A cinquante-cinq ans, Marie Raisin avait seize ans de moins que Marguerite, mais trente-trois années de mission au Canada l’avaient usée. Avant la fin de l’année 1691, la Congrégation vit encore disparaître une de ses deux sœurs autochtones, Marie-Barbe Atontinon, qui avait été baptisée à la mission de la Montagne. Ensuite, écrit Marguerite Bourgeoys, elle

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« était à la maison pour être en communauté. Elle y a été reçue et prit l’habit et fit les promesses comme on les faisait pour lors24. » Marie-Barbe avait environ trente-cinq ans quand elle mourut, le 29 novembre. Il y avait maintenant deux ans que Marguerite Tardy avait pour la première fois transmis à Marguerite Bourgeoys ses messages de l’au-delà mais l’affaire était loin d’être terminée. Elle et ses partisans comptaient toujours des disciples à Montréal et les lettres de Tronson continuent de faire état des démarches faites en France pour obtenir son retour à Montréal 25. Cependant, les visites des âmes du purgatoire, les nombreux décès et la guerre qui faisait rage n’étaient pas les seules épreuves qui accablaient la Congrégation à l’automne 1691. De graves difficultés se posaient à la mission de Québec, où Ursule Gariépy avait remplacé Anne Meyrand. La maison donnée par Mgr de Saint-Vallier ne suffisait plus pour les usages auxquels on l’employait. En outre, étant située dans la Haute-Ville où les Ursulines avaient déjà une école, elle convenait mal au travail principal de la Congrégation, l’éducation des enfants des familles pauvres. La plupart de celles-ci vivaient dans la BasseVille où il n’y avait pas d’école, et les enfants ne pouvaient monter dans la Haute-Ville en hiver. L’acte de cession donnait à la Congrégation le droit de vendre la maison achetée par Mgr de Saint-Vallier à condition que le produit de la vente soit utilisé à l’œuvre à laquelle elle était destinée. C’est pourquoi, au cours de l’automne 1691, on prit des dispositions pour vendre la maison de la Haute-Ville et en acheter une autre dans la Basse-Ville. Malheureusement, les sœurs qui firent ces transactions à Québec n’avaient pas le sens des affaires de leur supérieure. Marguerite Bourgeoys explique : La maison de Québec, donnée par Monseigneur de Saint-Vallier, avait été achetée 3500 livres en principal et nos Sœurs l’ont vendue, avec l’agrément du Séminaire, 2500 livres et 10 livres pour les épingles [frais coutumiers payés par l’acheteur à la signature du contrat]; en tout, 2510 livres dont l’acheteur a payé 1000 livres en passant le contrat. Et l’on avait acheté, le mois d’octobre 1691, de Descareaux, 2300 livres en principal; et pour les frais, les lods et ventes et rentes, 215 livres qui font en tout 2515 livres dont il a le reçu. Les 1000 livres reçues de la maison vendue ... et le vendeur devait recevoir son second paiement plus tôt que l’acheteur ne devait payer; ce qui était assez mal concerté26 .

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La situation était tellement grave que, d’après une tradition orale à l’intérieur de la Congrégation, rapportée par Montgolfier, les sœurs et leurs élèves, chassées de l’une et l’autre maison, durent passer l’hiver de 1691–92 dans une étable27. Marguerite Bourgeoys parle de logements plutôt que d’une étable mais les conditions semblent avoir étés assez misérables : « Nos Sœurs avaient encore deux logements à payer de 40 écus chacun : un, où elles n’avaient pu demeurer, dont le Séminaire de Québec en a payé 20 écus, et celui où elles étaient logées, qu’elles acquittent par quelques pensionnaires et quelques louages de la maison de Descareaux. Elles étaient si mal logées, qu’elles sortaient de misère quand elles en sont sorties28. » Encore une fois, Marguerite Bourgeoys entreprit l’épreuve d’un voyage le long du Saint-Laurent au début du printemps; elle arriva à Québec le 8 mai. Cette fois, elle ne s’exposa pas seulement aux intempéries mais aux dangers d’un pays en guerre, et elle ne devait pas trouver grand-chose pour la réconforter à son arrivée. Ce devait être son dernier voyage dans la capitale. À cause de la complexité des problèmes qui l’y attendaient, ce fut sans doute aussi le séjour le plus long de tous ceux qu’elle fit dans la région puisqu’elle y était encore le 8 septembre suivant. À son arrivée, Marguerite découvrit que les sœurs avaient été traînées devant le tribunal et devant l’intendant, que l’acheteur de la première maison avait refusé d’anticiper son paiement et que le vendeur de la seconde refusait de reporter le terme de la dette. Mais les sœurs avaient trouvé un détail technique dont elles comptaient se prévaloir pour retarder le paiement : « On s’avise qu’il avait vendu franc et quitte, et quant à faire d’argent, il fallait afficher, à la porte de l’église, un billet pour savoir si personne ne s’opposerait à cette vente. » Mais la manœuvre ne donna rien car « il ne se trouva point d’obstacle ». On suggéra pourtant aux sœurs d’autres moyens dilatoires, si bien que le vendeur se mit en colère et déclara « qu’il ne pardonnerait jamais le tort qu’on lui faisait ». Marguerite et les sœurs ne furent plus d’accord sur la conduite à suivre. Cellesci étaient disposées à continuer d’essayer de retarder le paiement mais Marguerite ne voulait pas en entendre parler. « Je crois que cela est injuste », dit-elle. Les sœurs ne voulaient pas qu’elle s’en mêle mais, explique-t-elle, « je me trouve coupable, car il faut que je consente pour nos Sœurs29 ». Elle estimait que la colère du vendeur était justifiée dans les circonstances et que le temps était venu

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de mettre en pratique l’une de ses convictions les plus profondes : « Dieu ne se contente pas que l’on conserve l’amour que l’on doit à son prochain, mais que l’on conserve le prochain dans l’amour qu’il nous doit porter30. » Toute la question était bien dûr de savoir comment y arriver. Marguerite essaya d’emprunter mais tout ce qu’on lui offrait ne faisait que 300 livres pour un mois et il lui en fallait 1500 jusqu’au 26 juillet. À bout de ressources, elle se rendit à la chapelle des Jésuites où, songeant peut-être à la promesse que Marie lui avait faite quarante ans plus tôt, « Va, je ne t’abandonnerai point », elle fit la seule prière qu’elle arriva à formuler : « Sainte Vierge, je n’en peux plus », à quoi elle ajouta un Ave. Le récit qu’elle fait de ce qui se produisit ensuite fait écho à sa description des événements survenus à Paris, où elle avait débarqué sans le sou en 1672. En sortant, [à] la porte, je trouve une personne à qui je n’avais nullement pensé, qui me demande comment allait notre affaire et qu’[elle] pouvait me prêter 1000 livres argent de France, dont nous ne paierions point de rente et qui, peut-être, vous demeureront, selon nos affaires de France. N’en parlez à personne, vous pourrez vous en servir. Tout cela est bon, mais [nous] faisons une promesse payable à sa volonté; et sans retourner à la maison, je mande nos Sœurs. Nous lui faisons une promesse payable à sa volonté; nous recevons les mille livres, argent de France, en louis d’or, nos Sœurs Ursule [Gariépy], [Catherine] Saint-Ange et moi. Je trouve ce vendeur et sa femme, dans la rue, doux comme des agneaux 31.

Le bienfaiteur anonyme n’eut pas la même chance. Ses affaires en France tournèrent court et il fut contraint de se faire rembourser son prêt dès l’année suivante. Mais ce n’est pas encore la fin des affaires dont Marguerite eut à s’occuper à Québec. Il n’y avait pas que les modalités de paiement qui posaient problème pour la maison Descareaux. Marguerite estimait que l’édifice répondait mal aux besoins de la Congrégation. Elle portait un lourd fardeau sur le plan affectif et continuait d’exhorter les sœurs à vivre plus simplement, mais ses démarches dans les circonstances montrent qu’elle avait confiance en l’avenir de la Congrégation et qu’elle se souciait du bien-être physique de ses membres. Elles prouvent aussi qu’à soixante-douze ans, elle n’avait rien perdu de son sens pratique. Elle fit appel au père

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Glandelet et à François Hazeur, marchand et commerçant de Québec qui était très généreux envers les communautés religieuses, « pour trouver une place, en la ville basse » afin d’y établir l’école et de répondre aussi aux autres besoins de la Congrégation. « Monsieur Hazeur m’offre deux logements à choisir. Nous achetons celui de la plate-forme qui servait de magasin, 1500 livres, car il fallait assurer l’argent de la maison de Monseigneur vendue et loger nos Sœurs. Et ma plus grande intention était d’avoir un lieu de retraite à Québec, tant pour celles qui sont et pourront être en mission dans tous les quartiers des environs de Québec, que pour celles qui y vont et viennent de Montréal. » Les conditions de cette vente étaient si généreuses que Marguerite signa un document qui accordait à Hazeur d’ « avoir part à ce qui se pourrait faire de bien dans notre maison32 ». L’heureux règlement de ces difficultés, Marguerite estimait le devoir à « la Providence de Dieu et [au] secours de la Sainte Vierge ». En août, Mgr de Saint-Vallier était de retour à Québec, accompagné, en dépit de toutes les objections de Louis Tronson, de Joseph de La Colombière. « Au retour de France, note Marguerite Bourgeoys, Monseigneur a trouvé mauvais d’avoir donné sa maison pour si peu, quoique ce fût par l’agrément du Séminaire qu’on avait acheté cette maison de Descareaux33. » L’approbation du séminaire n’aura guère impressionné l’évêque à cette date. Depuis qu’il avait exigé sa réorganisation complète à l’automne 1688, l’évêque et le séminaire étaient engagés dans une dispute de plus en plus acrimonieuse, ce qui avait amené Mgr de Laval à chercher refuge à Cap Tourmente. Saint-Vallier s’était rendu en France en 1691 pour faire trancher ce litige. La décision rendue lui était presque entièrement favorable et il faisait un retour triomphal, bien décidé à faire voir « qui était l’évêque ». Il s’ensuivit une année terrible de querelles ecclésiastiques, si pénible en fait qu’en décembre Joseph de La Colombière lui-même écrivait des lettres où il demandait, pour sauver l’Église canadienne, le rappel de Saint-Vallier. Toute cette controverse aurait dû détourner de Montréal l’attention de La Colombière, mais la correspondance de Tronson indique qu’il continuait d’espérer et même de préparer le retour de Marguerite Tardy au Canada. Pendant l’été 1692, Marguerite Bourgeoys reçut de l’abbé Tronson la réponse à une lettre qu’elle lui avait écrite l’année précédente. Voici ce qu’il lui recommandait :

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Je souhaite que les esprits de toutes vos bonnes filles soient calmes; que les sujets de peine que l’on vous a donnés soient dissipés, et que, toutes rentrant dans la voie commune de l’obéissance, vous puissiez voir la sainte paix, que Jésus-Christ vous a méritée par sa mort, bien établie dans votre maison. Je ne crois pas que la sœur Tardy y retourne, ni que M. Bailly et M. de Lacolombière remontent à Montréal. Quelque saintes que soient ces trois personnes, et quelque service qu’en eût pu retirer votre maison, vous ne devez point regretter leur absence et vous en saurez mieux les raisons sur les lieux, que je ne pourrais vous les mander34.

Faillon a cru que cette lettre supposait que Marguerite Bourgeoys avait demandé le retour des exilés. Si cette interprétation était juste, encore qu’elle ne s’impose pas à la lecture de ce qu’écrit Tronson, il faudrait en conclure qu’elle était profondément démoralisée et qu’elle avait besoin de tout le soutien que pouvait lui procurer le supérieur des Sulpiciens. En fait, les mots qu’il lui adresse semblent plutôt la rassurer en lui promettant qu’aucune des personnes en question ne reviendra à Montréal35. On trouve une confirmation de ce que Marguerite est restée à Québec cet été-là dans les comptes du cordonnier du séminaire, qui lui a réparé gratuitement une paire de chaussures le 13 août; on a voulu y voir la preuve de la fameuse « marche » à Québec. Jamet croit que c’est probablement à cette date qu’a été fondée la mission de Château-Richer. Marguerite a certainement visité la mission de la Sainte-Famille à l’île d’Orléans et un document qu’elle y a signé, le 8 septembre, est la dernière trace de sa présence dans la région avant son retour à Montréal36. Elle semble être partie peu après, et avant que ne se produisent des changements importants à l’Hôpital général. Mgr de Saint-Vallier était rentré de France muni non seulement d’un jugement favorable dans sa dispute avec le séminaire mais aussi de lettres patentes pour l’Hôpital général. Afin de loger cette institution, il acheta en septembre le monastère des Récollets sur la petite rivière Saint-François. Les Annales de l’Hôpital général, dont la rédaction débuta en 1706, relatent le déménagement dans les nouveaux locaux. « Ce fut le 30 octobre de cette année 1692 qu’ils furent conduits par la sœur de Sainte-Ursule, Congréganiste, et Madame Denis qui en prenaient pour leur soin37. » Il s’agit d’Ursule Gariépy, mais la Congrégation n’allait pas continuer très longtemps ce travail qui allait être pris en charge, non sans quelque

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protestation, par les Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec au début de 1693. Il ne s’agissait certainement pas d’une œuvre facile à concilier avec la fin pour laquelle la Congrégation avait été fondée. En fait, si on avait respecté exactement les lettres patentes accordées à l’hôpital en 1692, l’institution n’aurait guère pu s’accorder à l’esprit d’une communauté religieuse quelle qu’elle soit, car le document royal décrit bien plus une prison qu’une œuvre charitable. Mais Mgr de Saint-Vallier ne s’était jamais fait scrupule de passer par-dessus les objectifs d’autrui lorsqu’ils ne concordaient pas avec les siens, et les Annales de l’Hôtel-Dieu de Québec indiquent que l’évêque entendait « faire sortir » la Congrégation de l’œuvre. Il est possible que Marguerite ait réussi à le convaincre que les sœurs de la Congrégation seraient mieux employées à ouvrir des écoles dans le diocèse, mais leur départ de l’Hôpital général ne s’est peut-être pas négocié entièrement à l’amiable. De retour à Montréal, Marguerite Bourgeoys continua à diriger les affaires de la communauté et à accueillir de nouveaux membres dans la Congrégation. Parmi celles entrées en 1692, il y avait Catherine et Marguerite Trottier, deux sœurs de Batiscan avec de profondes racines en Nouvelle-France, étant par leur mère les petites-nièces de Pierre Boucher, premier gouverneur de TroisRivières. Catherine mourrait en 1701, à vingt-sept ans à peine, mais Marguerite lui survivrait quarante-trois ans et deviendrait, en 1722, la cinquième supérieure de la Congrégation. Marguerite Trottier nous a transmis un souvenir tendre et touchant de Marguerite Bourgeoys dans un récit dont la conclusion pittoresque porte la marque authentique de la fondatrice. « Quand on donnait l’habit ou la coiffe dans les réceptions et les professions, notre vénérée Mère Bourgeoys répétait souvent, pendant qu’on ôtait aux Sœurs leurs habits du monde, et qu’on les revêtait de ceux de la religion : Mes chères sœurs, soyez toujours humbles et pauvres. Quand je pris l’habit avec ma sœur Catherine, elle était encore supérieure et elle nous dit en nous mettant la main sur la tête : Conservez toute votre vie les bas sentiments que Dieu vous donne de vousmêmes! Soyez toujours petites, rabaissées comme les choux et les citrouilles38. » Quand les deux soeurs eurent prononcé leurs promesses en 1694, Marguerite Trottier fut envoyée à Château-Richer tandis que Catherine, de santé plus délicate, resta à Montréal. Le fait qu’elle n’était plus supérieure n’empêcha pas Marguerite Bourgeoys

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d’intervenir quand elle constata la tristesse des deux jeunes femmes à l’idée d’être séparées. Le souvenir qu’a conservé Marguerite Trottier des efforts de Marguerite Bourgeoys pour la consoler évoque l’image du pressoir mystique de la grande verrière de la cathédrale de Troyes, qui avait inspiré la fondatrice tant d’années auparavant. Notre vénérée Mère Bourgeoys remarquant combien j’étais peinée et affligée eut la bonté de me parler pour m’encourager à bien faire cette démarche, qui me coûtait beaucoup; elle me dit : Pensez, ma chère enfant, qu’allant en mission vous serez assez heureuse en retirant les enfants de l’ignorance, de ramasser les gouttes du sang de Notre-Seigneur qui se perdent. Ces paroles me firent une impression si vive que, dans le moment, je ne ressentis plus rien de cette grande peine; elles m’ont souvent excitée à bien m’acquitter de mes obligations auprès des enfants, et je ne puis dire combien j’en ai reçu de force quand je me trouvais dans mon emploi39.

L’incident suggère que Marguerite Bourgeoys n’était ni aussi coupée des sœurs ni si dépourvue d’influence qu’elle pouvait le croire à l’époque. Il y avait d’autres nouveaux venus à la maison de la Congrégation de Montréal en 1692. Le 25 janvier de cette année-là, les Abénaquis, alliés des Français, lancèrent une attaque contre l’établissement anglais de York dans un raid qui ressemblait beaucoup à celui des Iroquois à Lachine en 1689. Comme ce serait fréquemment le cas, certains survivants furent amenés à Montréal pour qu’on en tire une rançon. Parmi ceux-ci se trouvaient Mary Rishworth, veuve de William Sayward, et ses deux filles Mary Genevieve et Esther. La mère avait environ trente-deux ans, les deux filles onze et sept ans. La famille alla vivre avec la Congrégation. Elles apprirent bientôt le français et, en décembre 1693, la mère fut reçue dans l’Église catholique. La famille choisit éventuellement de ne pas être rapatriée et Mary devint sœur de la Congrégation, dans laquelle elle mourut en 1717, tandis que sa sœur cadette épousa un marchand de Montréal et fut témoin de la conquête de la NouvelleFrance avant de s’éteindre en 1770. Ces années-là, il y eut d’autres décès à la Congrégation. Le 4 septembre 1692, Marie-Anne-Françoise Charly, la plus jeune des filles de Marie Dumesnil, mourut trois mois avant son dix-septième anniversaire. La nouvelle attendait probablement Marguerite

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Bourgeoys à son retour de Québec, cette année-là. Le 1er février 1693, une autre jeune Canadienne, Françoise Létourneau, devint la première personne à être enterrée dans l’église de la Sainte-Famille à l’île d’Orléans. Puis, le 19 mars, Marguerite dut fermer les yeux d’une autre de ses premières compagnes, Anne Hiou, qui mourait, comme Marie Raisin, à l’âge de cinquante-cinq ans. Sa disparition aura sans doute été pour Marguerite un autre rappel de sa propre mortalité et lui aura fait éprouver l’urgence d’assurer l’avenir de la Congrégation. Des recrues de 1658, il ne restait plus que Catherine Crolo. Ces morts furent suivies par une autre catastrophe matérielle, l’incendie de la ferme de Pointe-Saint-Charles, dont Marguerite écrit qu’il eut lieu « environ trois mois avant l’élection40 ». Même si cet été-là vit partir le troisième membre du triumvirat sulpicien, quand Étienne Guyotte fut rappelé en France41, Marguerite Bourgeoys restait plongée dans la nuit spirituelle. Mgr de Saint-Vallier vint à Montréal à la fin de l’été 1693; lors de ce séjour, il accepta sa démission et convoqua une élection pour la remplacer. D’après Glandelet, l’élection eut lieu le 5 septembre. Pour Marguerite Bourgeoys, il ne s’agissait pas de se décharger paisiblement des responsabilités de sa charge en tirant une certaine satisfaction du travail accompli. Au contraire, elle se sentait déchirée et doutait des motifs qui l’animaient : « Je ne dis pas [à l’évêque] la forte réflexion que j’avais eue, d’avoir promis à Dieu de ne point quitter pour toutes les peines que je pourrais avoir; mais la crainte que j’aurais aimé les charges me fit passer outre42 . » Sur un plan moins personnel et plus objectif, le fiasco qu’elle avait dû régler à Québec l’année précédente lui inspirait peut-être quelques doutes : y avait-il une sœur qui était prête à se charger des affaires de la Congrégation tant sur le plan pratique que moral? Par ailleurs, l’idée qu’elle pouvait encore être nécessaire à la Congrégation lui faisait espérer que « Dieu me donnerait quelque temps de vie et que je pourrais m’entretenir avec la nouvelle Supérieure de tout ce que l’expérience m’avait fait connaître depuis plus de quarante ans43 ». D’après elle, on lui avait dit qu’elle pourrait se contenter de nommer une nouvelle supérieure, mais elle choisit plutôt de demander à l’évêque de convoquer une élection. Ce qui ne signifie pas qu’elle n’ait pas eu son mot à dire dans le choix de son successeur. « Je tâche de faire que ce fut ma Sœur Barbier », écrit-elle, puis elle ajoute : « mais aussitôt qu’elle fut élue, il se répandit une joie dans la maison44. » Elle ne précise pas combien de scrutins

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furent nécessaires pour arriver à ce résultat. Et on ne sait pas non plus s’il y avait une ou plusieurs autres candidates. Les autres conseillères élues furent Catherine Charly, assistante, Marguerite Le Moyne, maîtresse de formation, et Marguerite Gariépy, économe. On créa un cinquième poste au conseil pour Marguerite Bourgeoys elle-même : elle serait « admonitrice ». Marguerite Gariépy, l’aînée du nouveau conseil, avait trente-trois ans, Marie Barbier en avait trente, Marguerite Le Moyne vingt-neuf et Catherine Charly vingtsept. Elles étaient toutes canadiennes. Dans sa biographie de Marguerite Bourgeoys, Jamet s’étonne de ce que l’élection ait laissé de côté toutes les sœurs françaises, puisque certains membres de la recrue de 1672 vivaient encore et avaient déjà exercé des responsabilités dans la Congrégation. Il suppose que les machinations de Saint-Vallier peuvent avoir influencé cette élection, que l’évêque aura cru les jeunes Canadiennes plus faciles à manipuler que les sœurs françaises, plus anciennes dans la communauté45. Si c’est le cas, il en aura essuyé une lourde déception, comme le montrent ses rapports avec la Congrégation dès l’année suivante. En 1693, les Canadiennes formaient la majorité de la congrégation et, la même année, les sœurs de l’Hôtel-Dieu allaient aussi élire leur première supérieure canadienne en la personne de Marie Morin. Ce qui est peut-être plus difficile à comprendre que l’élection d’une Canadienne, c’est l’appui de Marguerite Bourgeoys à Marie Barbier. La suite de l’histoire montre que les véritables leaders en émergence dans la Congrégation de Notre-Dame, à cette époque, étaient Marguerite Le Moyne et, dans une moindre mesure, Catherine Charly dit Saint-Ange. Marie Barbier ne fit qu’un mandat comme supérieure même si elle eut toujours des appuis dans la Congrégation et occupa des postes moins importants au sein de plusieurs conseils. Marguerite Le Moyne, qui devait lui succéder comme supérieure, fut élue quatre fois à ce poste, et Catherine Charly deux fois. Dans le choix de celle qui devait succéder à Marguerite Bourgeoys, l’âge a certainement joué un rôle. La Congrégation aurait bientôt une règle voulant que la supérieure ait au moins trente ans, l’assistante et la maîtresse de formation au moins vingt-cinq. Cette exigence correspondait aux normes d’autres communautés, comme les Filles de la Croix et les Filles de Sainte-Geneviève. Marie Barbier était alors la seule Montréalaise à voir atteint l’âge de trente ans.

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Les notes de Glandelet sur la vie de Marie Barbier décrivent une personnalité, une perspective et une spiritualité bien différentes de celles de Marguerite Bourgeoys. On a déjà signalé la naïveté de Marie. Rien dans les lettres et les conversations citées par Glandelet ne semble indiquer qu’elle ait compris ou réagi à l’inspiration fondamentale de Marguerite : l’imitation de Marie, première disciple du Seigneur, engagée avec les apôtres dans l’édification de l’Église primitive. Alors que Marguerite Bourgeoys pouvait traiter facilement avec toutes sortes de personnes, trouver toujours quelque bon côté à admirer chez elles et excuser celles chez qui il était plus difficile d’en découvrir, Marie, au moins d’après le portrait qu’en trace Glandelet, était mal à l’aise avec les gens car elle avait tendance à voir en eux le mal et le péché, la menace de la damnation. À un certain moment, dit-il, Marie eut le secret désir d’aller en mission à Champlain « pour être seule avec Dieu seul46 ». S’agit-il encore d’aller dans le monde recueillir les gouttes du sang du Christ qui se perdent à cause de l’ignorance des gens? Aucun des propos attribués à Marie Barbier n’évoque ce que disait Marguerite Bourgeoys de l’enseignement : « C’est l’emploi propre pour attirer les grâces de Dieu, s’il est fait avec pureté d’intention, sans distinction de pauvres ou de riches, de parents et amis, ou de personnes étrangères, jolies ou laides, douces ou grondeuses, les regardant toutes comme des gouttes du sang de Notre-Seigneur. Quand il faut user de correction, l’on doit beaucoup se modérer et avoir Dieu présent47. » Glandelet reprend en détail un rapport que lui remit Marie Barbier vers la fin du siècle sur sa façon de faire à l’égard des vœux que les sœurs prononçaient à l’époque. À propos du quatrième vœu, qui portait sur l’instruction à donner aux jeunes filles, elle lui dit « qu’elle avait toujours eu un grand penchant et un désir très particulier de contribuer au salut des âmes; qu’actuellement elle avait laissé à regret en partant de Ville-Marie les congréganistes externes dont elle avait soin, et qui étaient au nombre de plus de soixante, que ces filles la craignaient et l’aimaient tout ensemble, qu’elle ne leur pardonnait rien et en faisait ce qu’elle voulait48. » Des passages déjà cités le montrent clairement, Marie Barbier s’infligeait de nombreuses pénitences mais n’hésitait pas à se plaindre à Glandelet des épreuves non voulues que lui imposaient ses voyages et son mode de vie. En cela aussi, elle se distingue de Marguerite Bourgeoys. Quand Glandelet rédigea son mémoire sur

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la vie et les vertus de la fondatrice, il fut incapable de rapporter quoi que ce soit qui ressemblât aux pratiques qu’il attribue à Marie Barbier. Il explique que si Marguerite ne s’épargnait pas les pénitences que lui autorisait son directeur spirituel, là n’était pas pour elle le plus important. C’était plutôt souffrir par élection et avec amour les incommodités qui accompagnent toujours, [ce qui] suffirait bien pour la faire passer pour une fille pénitente, austère et mortifiée. C’est, en effet, une espèce de mortification très pénible que de refuser sans cesse à son corps, les petits soulagements qui se trouvent dans le boire et dans le manger, dans le vêtir, dans le dormir, dans le chauffer, et dans plusieurs autres choses dont les pauvres et les nécessiteux sont contraints de se passer. La Sœur Bourgeoys se considérant comme une pauvre fille, n’usait de ces choses que très pauvrement, retranchant en toute occasion ce qui ne lui apparaissait pas absolument nécessaire pour le soutien de la vie49 ...

Comme Marguerite Tardy, Marie Barbier avait des visions, ou ce que Glandelet appelle « une sorte de vision ». Si bien, ajoute-t-il, qu’on la regarda avec suspicion lorsqu’elle retourna à Montréal en 1691, au plus grave de l’affaire Tardy. Les commentaires du biographe montrent bien que les prétentions de sœur Tardy, si elles lui valaient des partisans, se heurtaient à une forte résistance chez d’autres membres de la Congrégation. Un bruit qui avait couru dans la communauté que la S. [Marie Barbier] avait eu des visions dans les missions de Québec joint à quelques rapports peu avantageux qu’on avait faits de sa conduite l’avaient rendue suspecte à ses sœurs et à d’autres. Lorsqu’elle y fut retournée, on l’appliqua aux plus vils exercices de la maison, pensant l’humilier par là, mais l’on se trompait car on ne pouvait lui faire un plus grand plaisir, comme il parut bientôt après aux unes et aux autres, qui changèrent incontinent d’opinion et convertirent le blâme qu’elles lui auraient donné et l’éloignement qu’elles auraient témoigné à son égard en des sentiments d’estime et de confiance50 ...

Dans une communauté divisée, Marguerite Bourgeoys recherchait une conciliatrice pour lui succéder. Elle espérait peut-être avoir trouvé en Marie Barbier la personne capable de rapprocher les deux parties dans l’affaire Tardy et de guérir éventuellement

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les divisions. Son désir le plus vif pour la communauté restait ce qu’il avait toujours été : « Nous devons ... être parfaitement unies ensemble dans la Congrégation, car, sans cette union, il n’y a point de communauté. Mais il faut surtout que cette union soit des esprits et des cœurs, par rapport au même esprit de grâce qui doit nous animer, comme est celui de la simplicité, petitesse, pauvreté, dégagement de toutes choses et d’abandon à Dieu qui nous doit faire tendre toutes à un même bien. Et sans cette union, il est impossible qu’une communauté soit parfaite et tranquille51. » Marie Barbier devait aussi avoir des qualités personnelles qui lui gagnaient l’affection des autres et leur inspiraient confiance mais Glandelet a du mal à nous les faire comprendre. Il cite une lettre écrite par sœur Ursule Gariépy en 1706, où elle dit de Marie Barbier : « Je ne puis assez vous dire ... combien j’estime une grande grâce de Notre Seigneur pour notre maison de nous l’avoir conservée. Il me semble qu’elle en fait l’âme. C’est un exemple de ferveur et de toutes les vertus, et un trésor qui n’est guère connu52 . » Malgré le scepticisme qu’éveillent les éloges que Glandelet fait pleuvoir sur sa dirigée, une autre source témoigne avec force de l’influence de Marie Barbier sur ses sœurs. En 1700, Marie Barbier subit à l’Hôtel-Dieu de Québec une opération pour un cancer. Les sœurs de l’hôpital obtinrent la permission de l’accueillir dans leur cloître et l’annaliste nota ce qui suit : Dès le petit printemps de l’année 1700, la chère Sœur Marie Barbier de l’Assomption, Congréganiste, descendit de Montréal pour se faire guérir chez nous d’un cancer qu’elle avait au sein. Elle avait déjà demeuré quatre mois dans notre Communauté en 1698, où on la traita pour ce même mal, qui, étant depuis considérablement augmenté, l’obligea d’y revenir, et après quelques préparations, Monsieur Sarrazin, aussi habile chirurgien que savant médecin, lui fit très heureusement l’opération le 29e de mai; c’était le seul remède qui pouvait l’empêcher de mourir. Nous eûmes un fort grand soin d’elle : tout le temps que dura sa maladie, elle coucha dans une de nos infirmeries, et toutes les religieuses de cette maison, qui connaissaient déjà la vertu de cette pieuse fille, s’édifiaient beaucoup de sa conversation et s’empressaient de lui faire compagnie et de lui rendre service pour profiter de ses saints entretiens. Elle s’en retourna l’automne à Montréal, parfaitement guérie, très satisfaite de nous et pleine de reconnaissance, d’estime et d’amitié pour notre Communauté où elle a été aussi toujours depuis fort chérie et considérée53.

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Marie Barbier charmait les personnes qui se pressaient à son chevet dans les jours suivant immédiatement l’ablation d’une tumeur au sein sans anesthésie et sans les analgésiques de la médecine moderne : leur admiration n’avait rien de factice. Même chez Glandelet, quoique indirectement, on trouve aussi un indice de ce qu’en dépit de son apparente obsession pour les mortifications physiques, les valeurs religieuses les plus profondes de Marie se trouvaient ailleurs. Elle confia à son directeur un rêve qu’elle avait eu quand elle était très malade. Elle y avait vu sa mère, morte depuis quelques années, que son ange gardien faisait sortir du purgatoire pour la conduire au ciel. Comme on demandait à sa mère comment il se faisait qu’elle était si rapidement admise au paradis, elle répondit que c’était à cause de sa charité envers les pauvres et pour avoir même accepté les moqueries que provoquaient ses bonnes œuvres. Marie vit ensuite sa belle-sœur, qui venait de mourir en couches et qui était prête, elle aussi, à entrer au paradis parce qu’elle avait pris soin de sa belle-mère pendant sa dernière maladie54. La primauté accordée à la charité rapproche Marie des valeurs proposées par Marguerite Bourgeoys beaucoup plus que son obsession pour les pénitences corporelles. Un autre facteur peut aussi expliquer que Marguerite ait choisi Marie Barbier pour lui succéder. Pendant les dernières années de sa vie, Marguerite fut préoccupée par la pratique de la pauvreté dans la Congrégation ou plutôt par ce qui lui semblait le déclin de cette pratique et l’abandon de la vie simple qui avait marqué les débuts de la communauté. Là-dessus, elle aura trouvé une alliée en Marie Barbier car, dans l’une des rares allusions à Marguerite Bourgeoys dans tout ce qu’elle dit ou écrit à Glandelet, elle exprime le regret « de voir qu’on avait les choses trop propres et en abondance en comparaison du temps passé ». Et lorsqu’on lui avait fait le reproche « qu’elle voulait être et faire comme la Sœur Bourgeois », elle avait répondu « qu’elle aurait bien voulu lui ressembler55 ». Enfin, Marguerite Bourgeoys ne serait pas la première fondatrice à mal choisir son successeur. Des études récentes ont montré que des leaders exceptionnellement doués et efficaces ont souvent tendance à faire des choix comme celui-là parce qu’ils ont trop conscience de leurs propres limites56. Ils recherchent chez leur successeur non pas les qualités qu’ils possèdent eux-mêmes mais plutôt celles qui leur font défaut. Sœur Tardy et ses partisans avaient accusé Marguerite Bourgeoys de laxisme. En plus de pratiquer une grande ascèse

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personnelle, Marie Barbier était sévère dans ses rapports avec autrui et avait apparemment sa propre ligne de communication avec l’autre monde, autant de qualités dont on avait déploré l’absence chez Marguerite. Les années suivantes furent difficiles pour tout le monde, à commencer par Marie Barbier. Marguerite Bourgeoys, pour sa part, allait trouver très pénible de renoncer à exercer l’autorité et ses rapports avec le nouveau conseil seraient bien différents de ce qu’elle avait prévu. L’abandon de sa charge ne devait pas calmer tout de suite l’oppression spirituelle dont elle souffrait depuis maintenant près de quatre ans. Les ténèbres finiraient pourtant par se dissiper. Elle dirait de cette expérience de désolation qu’elle avait duré cinquante mois; elle en serait libérée dans le courant de l’année 1694, « aussi subitement qu’une clarté renfermée à qui l’on ouvre une fenêtre; je ne peux m’expliquer autrement57 ». Glandelet a conservé la description qu’elle donnait de sa libération : « Le calme succédant à l’orage et à la tempête, elle se trouva depuis dans une grande présence et tranquillité d’esprit, et Notre-Seigneur voulant la dédommager des pertes apparentes qu’elle croyait avoir faites dans ce temps de ténèbres et d’horreur, versa dans son âme une abondance de lumières et de consolations, dont elle était tout étonnée, comme elle l’a témoigné plusieurs fois à la personne de confiance dont on a parlé58. » La fin de cette nuit spirituelle semble correspondre à peu près exactement à la nécessité qu’elle éprouva de réagir à une nouvelle crise pour la Congrégation. Au printemps de 1694, Mgr de SaintVallier vint encore une fois à Montréal. Il arrivait chargé d’un cadeau spécial pour la Congrégation, une règle qu’il avait préparée lui-même pour la communauté. La lecture de ce document plongea les sœurs dans la consternation car elles y virent une tentative pour détruire leur identité et leur mode de vie de communauté non cloîtrée d’enseignantes séculières. Comme au lendemain de l’incendie de 1683, Marguerite Bourgeoys semble avoir été en mesure de puiser au fond d’elle-même la force et le courage de défendre la Congrégation. Ce serait le dernier grand combat de sa vie.

chapitre huit

la question de la règle 694 – 698 La facilité de vous écrire que vous me témoignâtes, l’an passé, me donne la liberté de vous faire savoir les motifs qui ont porté à faire l’établissement de la Congrégation à Montréal. Et comme j’apprends que vous avez la charité de travailler aux règlements qui y doivent servir, je passe sur la répugnance pour vous faire savoir ces motifs et fins, ce que vous jugerez à propos qui soit couché sur cette Règle1.

Les élections de 1693, l’abandon de l’autorité et même la disparition de son sentiment de séparation d’avec Dieu ne sont pas le dernier mot des combats – intérieurs et extérieurs – que dut livrer Marguerite Bourgeoys pendant les dix dernières années de sa vie. Elle ne semble pas avoir pressenti qu’elle vivrait difficilement la perte du pouvoir. Même relevée de sa charge, elle s’attendait, comme tant d’autres habitués à l’exercice de l’autorité, à être consultée par la nouvelle supérieure et à voir le nouveau conseil suivre ses avis. Elle eut tôt fait de découvrir que ce ne serait pas le cas. « L’élection faite, je me vis dénuée de tout et n’avoir pas la liberté de regarder nos Sœurs, et n’avoir pas liberté de dire une parole ... Le changement de Supérieure ne me donnait pas le pouvoir d’y avoir confiance ... On m’avait élue admonitrice, mais je n’ai eu aucune marque de l’exercer ... On ne me demande point d’avis, ni je n’en donne point et je n’ai vue sur quoi que ce soit. Il faut demeurer dans mes peines2 . » Marguerite se sentait toujours responsable de la Congrégation qu’elle avait fondée; elle n’avait plus le pouvoir d’exercer cette responsabilité et pourtant, dit-elle, « personne n’avait [comme moi] le fond de connaissance de cette Communauté3 ». D’après Glandelet, la situation n’était pas plus facile pour Marie Barbier, la nouvelle supérieure, quoiqu’elle ait donné un tableau

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plus dramatique et pittoresque de ses souffrances que Marguerite Bourgeoys se soit jamais permis de le faire. Glandelet continuait de diriger Marie par correspondance depuis Québec. « Il serait difficile, se rappelle-t-il, d’exprimer les états pénibles et angoissés qu’elle a éprouvés pendant le temps qu’elle fut chargée de la conduite de la congrégation ... souffrant souvent d’épouvantables agonies, des impressions vives de tous les vices, des tentations horribles de désespoir qui la faisaient gémir, pleurer et crier sans pouvoir s’en empêcher, et qui la mirent un long temps dans une interdiction de plusieurs de ses fonctions et une impuissance même à s’approcher de la Communion4. » Si Marguerite Bourgeoys ne pouvait se confier à Marie Barbier, la réciproque n’était pas moins vraie car Marie se sentait « privée de toutes sortes d’appuis et de secours divins et humains ». Pendant ces années-là, elle s’adonna à la pratique de plusieurs formes extrêmes de mortification physique; elle verrait plus tard dans l’une de ces pratiques, le fait de porter à même la peau une croix hérissée de pointes, la cause de son cancer. Comme elle avait décidé de ne prendre pour directeur spirituel aucun des prêtres de Montréal, Catherine Charly, son assistante, écrivit à Glandelet, à Québec, pour lui lancer un appel désespéré. Il répondit en interdisant à Marie d’entreprendre toute forme de pénitence qui ne lui serait pas ordonnée par son confesseur. Or la Congrégation se trouvait alors plongée dans une situation qui exigeait un leadership fort et uni. Depuis son retour de France en 1692, la détermination avec laquelle Mgr de Saint-Vallier entendait imposer son autorité dans son diocèse avait provoqué des conflits non seulement avec les autorités civiles, en la personne de Frontenac et de Louis-Hector de Callière, gouverneur de Montréal, et de quelques officiers supérieurs de l’armée de la colonie, mais aussi avec le chapitre de la cathédrale, le séminaire, les Récollets, les Jésuites et les religieuses de l’Hôtel-Dieu de Québec. L’évêque n’avait pas toujours tort dans ces différents litiges, évidemment, mais la manière qu’il avait de faire connaître son opinion et d’essayer de l’imposer était généralement susceptible d’éveiller cette impression. Il n’avait toujours pas appris qu’il vaut mieux éviter de se mettre à dos trop de monde en même temps. En 1694, c’était au tour de la Congrégation de s’aliéner ses bonnes grâces. Il semble bien que Marguerite Bourgeoys n’était ni si inactive ni si dépourvue d’influence au sein de la Congrégation que ses propos

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cités plus haut le donneraient à entendre. L’un des dossiers qu’elle espérait voir réglés avant sa mort avait trait à l’approbation ecclésiastique de la règle de la Congrégation. L’Histoire de la Congrégation affirme qu’elle « craignait qu’en donnant les règlements après sa mort, on ne changeât le but et l’esprit de son institut5 ». Elle sollicita donc l’aide du confesseur sulpicien de la Congrégation, Antoine-Aimable de Valens, pour consigner sous une forme canoniquement acceptable la règle que pratiquait alors la communauté. Cette règle avait sans doute pour base celle qu’Antoine Gendret, à Troyes, avait soumise aux théologiens de la Sorbonne cinquante ans plus tôt, avec les adaptations rendues nécessaires par les conditions de vie en Nouvelle-France. On y avait également apporté des modifications en s’inspirant des règles que Marguerite Bourgeoys avait pu consulter en 1680 6. L’abbé de Valens hésitait beaucoup à se lancer dans ce projet car il estimait qu’il débordait le champ de ses compétences. En mars 1694, l’abbé Tronson écrivit à ce sujet à Marguerite Bourgeoys ainsi qu’à Dollier de Casson et à Valens lui-même. L’Histoire de la Congrégation suggère que c’est pour tourner les efforts de Marguerite et des Sulpiciens que Mgr de SaintVallier exigea un exemplaire de la règle et des pratiques en vigueur dans la Congrégation lors de son séjour à Montréal au moment de l’élection de 1693. L’abbé de Valens lui en fit préparer une copie. Lorsque l’évêque revint à Montréal à l’été 1694, il présenta à la Congrégation une règle qu’il avait lui-même rédigée pour les sœurs. Intitulé « Constitutions pour les Sœurs de la Congrégation de Nostre Dame de Ville-Marie », le document contient une formule de profession et dix-huit « constitutions » qui entrent parfois dans le menu détail7. Même s’il s’y trouve certains éléments qui reflètent clairement ce qui doit avoir été la pratique de la Congrégation à l’époque – par exemple, la place de la chapelle de Notre-Damede-Bon-Secours dans les cérémonies communautaires – les sœurs de la Congrégation retrouvaient peu de traces de leur règle et de leurs coutumes dans le texte qu’on leur présentait. Il fallut bien en donner lecture à voix haute devant la communauté rassemblée, et il n’est pas difficile d’imaginer les réactions d’indignation qu’il aura provoquées. Jamet tient l’évêque responsable de la nature éclectique de la nouvelle règle proposée à la Congrégation mais il se peut que des éléments empruntés aux règles de la Congrégation de Notre-Dame de Fourier et à celles des Filles de la Croix se soient frayé un chemin jusque dans la règle vécue en pratique par la

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Congrégation. L’évêque avait ajouté de nombreux éléments tirés des règles de communautés cloîtrées et surtout, pensaient les sœurs, de celles des Ursulines de Québec dont il croyait qu’elles finiraient par absorber la Congrégation. Les membres de la Congrégation virent dans ce document une menace à leur identité fondamentale, mais les sœurs savaient déjà qu’elles auraient à composer avec un évêque impulsif et imprévisible, qui avait le pouvoir de détruire leur communauté. Elles n’osèrent pas rejeter la règle purement et simplement; elles demandèrent plutôt un peu de temps pour l’étudier. Cette réaction n’allait pas suffire à leur concilier l’évêque. Celui-ci escomptait une soumission immédiate et reconnaissante. Peut-être croyait-il même faire à la communauté une merveilleuse surprise. La résistance le mit en furie. Son humeur ne fut pas radoucie par l’éruption de l’un de ces conflits de préséance si fréquents dans l’histoire de la NouvelleFrance. En 1692, l’évêque n’avait pas seulement autorisé le retour des Jésuites à Montréal, il y avait établi les Récollets. L’évêque et le gouverneur de Montréal s’enferrèrent dans une querelle de préséance à la chapelle des Récollets, qui eut pour effet de frapper d’interdit la chapelle en question. Les relations entre l’évêque et la Congrégation s’étaient déjà envenimées à la suite de la décision de la communauté de fermer l’école de métiers pour jeunes filles, connue sous le nom de La Providence. Les sœurs invoquaient des raisons financières pour justifier la fermeture mais il est possible que l’œuvre ait été victime, elle aussi, de l’affaire Tardy, car le nom d’Étienne Guyotte était étroitement associé à l’époque à celui d’une institution de ce genre8. Le retrait décidé par le nouveau conseil avait été pour Marguerite Bourgeoys une amère leçon sur les conséquences de la perte du pouvoir. Comme l’explique Glandelet, Le dénuement où elle se trouvait des choses lui donnait une si grande confiance en Dieu qu’elle ne doutait pas de son assistance dans les choses mêmes qui paraissaient les plus désespérées : ainsi, la maison de la Providence, dont les sœurs avaient soin à Ville-Marie et dans laquelle les personnes du dehors entretenaient de pauvres filles par charité, ayant été abolie en 1694, parce que les charités vinrent à cesser et que la congrégation ne pouvait plus fournir aucun de ses sujets, on fut contraint d’abandonner cette maison et de renvoyer les filles. La Sœur Bourgeoys s’offrit à la soutenir, sans autre raison, dit-elle, que l’appui de la Providence de Dieu, mais on ne jugea pas à propos d’accepter son offre9.

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Il ne fait pas de doute que ce fut là l’une des occasions où Marguerite Bourgeoys eut le sentiment que sa nomination au conseil de la Congrégation était en grande partie affaire de politesse. Curieusement, la décision prise à l’encontre de ses objections vigoureuses eut pour conséquence de l’obliger à jouer de nouveau un rôle central. La réaction de Mgr de Saint-Vallier à la fermeture de la Providence commença par des injures et des menaces, mais ce ne fut pas tout. Il eut recours à une méthode qu’il avait peut-être déjà employée pour envoyer cette sœur inconnue à Port-Royal et dont il allait user de nouveau le jour où il enverrait une sœur de la Congrégation à Louisbourg. Le nouveau conseil écrivait l’année suivante à l’abbé Tronson : Il nous a dit que nous étions des entêtées, que nous voulions faire les dames; il nous a même menacées de nous empêcher de recevoir des pensionnaires et des prétendantes. Il a voulu détacher quelques sœurs de l’engagement qu’elles ont pris avec notre Congrégation, leur disant qu’elles n’auraient plus de rapport avec la communauté, mais avec lui seulement; c’est ce qu’il déclara expressément à l’une des plus anciennes, qu’il voulait retirer tout à fait de l’état de sœur de la Congrégation pour la mettre dans la maison de Providence, contre le sentiment de toute la communauté10 .

Heureusement pour la Congrégation, l’écho des nombreuses querelles auxquelles l’évêque se trouvait mêlé était parvenu en France à l’automne de 1694 et il fut rappelé dans la métropole pour rendre des comptes. Il ne pourrait rentrer dans son diocèse qu’à l’été 1697. Cette absence donna à la Congrégation le temps de souffler et de solliciter l’aide et l’intercession de Louis Tronson. La correspondance entre l’abbé Tronson et la Congrégation est des plus précieuses car elle éclaire les façons de faire de la Congrégation avant cette époque; ce sont des renseignements qui auraient disparu si n’avait survécu que la règle donnée par Mgr de Saint-Vallier, sous la forme qu’elle avait en 1694 ou dans la version qui fut acceptée par la Congrégation en 1698. Les sœurs de la Congrégation et leurs conseillers sulpiciens à Montréal n’étaient pas seuls à souhaiter voir Tronson examiner la nouvelle règle. À son arrivée à Paris, Mgr de Saint-Vallier demanda avec insistance au supérieur des Sulpiciens de procéder à cet examen même si Tronson, dont la vue à l’époque était gravement affectée, souhaitait déléguer ce travail à son adjoint, l’abbé

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François Lechassier. Louis Tronson devint donc l’intermédiaire entre l’évêque et la Congrégation. Le premier conseil qu’il donna aux sœurs fut d’examiner le document article par article, et d’expliquer précisément ce qu’elles jugeaient inacceptable et pourquoi. On comprendra qu’au début les sœurs aient éprouvé quelque difficulté à articuler leurs objections à cette règle. Par où commencer face à un document dont tout l’esprit paraissait contraire à celui de leur communauté? En regard de ce dilemme fondamental, les différents articles, prescriptions et prohibitions pris un à un semblaient de peu d’importance. Elles finirent par formuler leurs objections comme elles purent sous la forme de lettres écrites par Marguerite Bourgeoys à Louis Tronson et d’une série de « remontrances » que l’abbé de Valens aida à mettre par écrit et qui furent signées par le conseil de la Congrégation de Notre-Dame11. Le front uni présenté par les sœurs de la Congrégation, leur détermination à résister à l’imposition de cette règle permet de tirer certaines conclusions. On voit que la jeune communauté avait un sens aigu de son identité et le courage voulu pour la défendre, et que l’influence de Marguerite Bourgeoys restait beaucoup plus forte qu’elle-même ne le pensait. On devine aussi que l’initiative de Mgr de Saint-Vallier avait contribué, sans qu’il en eût conscience, à colmater les brèches qui pouvaient subsister suite à l’affaire Tardy. Il n’y a rien comme une menace de l’extérieur pour souder un groupe. Fondamentalement, le conflit autour de la règle entre Mgr de Saint-Vallier et la Congrégation portait sur le cloître. Les sœurs de la Congrégation étaient convaincues qu’il était essentiel pour leur communauté de n’être pas cloîtrée; l’évêque y voyait une situation provisoire. On lui a reproché de manquer de cohérence en se permettant, d’une part, de disposer librement de la Congrégation pour différents projets dans son diocèse, projets que les sœurs n’auraient pas pu accepter si elles avaient été cloîtrées, tout en essayant, d’autre part, de leur imposer le cloître. Cette contradiction apparente est cependant facile à expliquer. L’évêque voyait en la Congrégation un groupe de femmes très utiles mais il croyait que cette utilité ne tenait qu’à l’époque et au milieu. Il pensait qu’avec le temps, des conditions plus stables prévaudraient en Nouvelle-France, qu’on n’aurait plus besoin alors d’une communauté non cloîtrée et que la Congrégation pourrait se fondre dans une communauté religieuse traditionnelle. Ainsi donc, la première et la principale objection à cette règle, au moins de la part de Marguerite Bourgeoys elle-même, portait

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moins sur ce qu’elle contenait que sur ce qu’elle ne contenait pas. Nulle part dans les constitutions de 1694 on ne trouve le moindre indice d’une compréhension de l’inspiration fondamentale qui avait conduit à la fondation de la Congrégation et déterminé sa nature. Nulle part on n’y mentionne le modèle le plus important proposé par Marguerite Bourgeoys à sa communauté : le rôle de la Vierge Marie et des autres femmes disciples au sein de la première Église chrétienne. Le plaidoyer de Marguerite en faveur de la Congrégation est contenu dans deux lettres à Louis Tronson qui nous sont parvenues et qui ont été publiées avec ses écrits : il est clair qu’elle espérait les voir incorporées à la règle, au moins en partie. Ses lettres à Tronson ne s’ouvrent pas par des énoncés de principe abstraits; elles sont solidement enracinées dans l’histoire – son histoire personnelle et celle de Montréal. Marguerite commence par indiquer que la lettre a pour but d’informer Tronson des « motifs qui ont porté à faire l’établissement de la Congrégation à Montréal » et elle fait bien entendre qu’elle lui fournit du matériel qu’il serait « à propos » de « coucher sur cette Règle12 ». Le texte qui vient ensuite, rédigé au milieu de la dernière décennie de la vie de Marguerite Bourgeoys, n’est rien d’autre que le résumé et l’interprétation qu’elle fait des événements de sa vie. Elle commence par évoquer la « forte touche » de la grâce qu’elle a connue en regardant une statue de la Sainte Vierge, le dimanche du Rosaire 1640, « qui m’a semblé depuis être la première année que l’on est venu à Montréal ». Elle relie encore ce moment de grâce à la fondation de Montréal en ajoutant : « En ce même temps, la sœur de Monsieur de Maisonneuve ... donna une image à son frère où il était écrit, en lettres d’or : Sainte Mère de Dieu, pure Vierge au cœur loyal, gardez-nous une place en votre Montréal. » Elle décrit son entrée dans la fraternité apostolique laïque rattachée à la Congrégation cloîtrée de Notre-Dame de Troyes, où elle apprit que la communauté espérait un jour aller à Montréal : « Je promis d’être de la bande. » Elle traite ensuite de la première tentative qu’elle fit de fonder à Troyes un nouveau genre de communauté. Ensuite, Monsieur Jendret me voulut bien prendre sous sa direction et me dit, un jour, que Notre-Seigneur avait laissé trois états de filles pour suivre et servir l’Église; que celui de sainte Madeleine était rempli par les Carmélites et autres recluses, et celui de sainte Marthe par les Religieuses cloîtrées qui servent le prochain; mais que celui de la vie voyagère de la

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Sainte Vierge, qu’il fallait honorer, ne l’était et que, sans voile ni guimpe, l’on serait vraiment religieuse. Ce qui m’était bien agréable, car j’avais pitié des filles qui, faute de biens, ne pouvaient s’établir au service de Dieu. Il dresse des règles avec Monsieur le Théologal de Troyes, qu’ils firent agréer à la Sorbonne, à Paris. L’on nous met trois filles ensemble pour éprouver, mais cela ne réussit pas.

Provisoirement, il avait fallu mettre le rêve de côté. Puis vint le moment où sa propre histoire et celle de Montréal s’étaient rejointes. De Maisonneuve revint à Troyes en 1652; il refusa les offres pressantes de sa sœur et de ses compagnes qui voulaient l’accompagner à Montréal et accepta plutôt la présence de Marguerite « et pas une seule compagne ». Monsieur Gendret l’encouragea à y aller en l’assurant que « ce que Dieu n’avait pas voulu à Troyes, Il le voudrait peut-être à Montréal ». Les doutes qui pouvaient lui rester furent dissipés par la Sainte Vierge elle-même : « Un matin, bien éveillée, je vois devant moi une grande femme habillée de blanc, qui me dit : Va, je ne t’abandonnerai point. Et je connus que c’était la Sainte Vierge quoique je ne visse point son visage; ce qui m’assura pour le voyage. Je dis en moi-même : Si c’est la volonté de Dieu, je n’ai besoin d’aucune chose. » Cette partie du récit se termine par l’arrivée de Marguerite à Montréal : elle trouve l’image envoyée par la sœur de Maisonneuve et elle comprend que, depuis le début, la place qu’on avait prié la Vierge de réserver à Montréal l’avait été pour elle. La suite du texte, au lieu de définir ce que la Congrégation ne devrait pas être, c’est-à-dire, cloîtrée, décrit ce que les sœurs devraient être. Elles doivent être ce que Marguerite appelle des « filles de paroisse », dont la vie liturgique ne devrait pas être vécue en marge de celle de l’ensemble de l’Église dans une chapelle privée, mais avec les fidèles et au milieu d’eux, à l’église paroissiale. Elles auront pour directeurs spirituels des prêtres séculiers – à Montréal, des Sulpiciens. Leur lien à la paroisse se prolonge après leur mort puisque c’est à l’église paroissiale qu’elles auront leur lieu de sépulture. Marguerite insiste pour dire que toutes les sœurs de la Congrégation doivent être égales. La deuxième constitution de Mgr de Saint-Vallier, « concernant les personnes qui peuvent être reçues dans la Congrégation », distinguait trois catégories de membres, la troisième comprenant les pensionnaires permanentes, appelées

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« sœurs associées », qui n’auraient pas droit de vote dans la Congrégation. Pour ce qui est des deux autres catégories, la première regroupait les membres qui étaient en mesure de travailler comme enseignantes et la seconde, les sœurs qui feraient les travaux manuels communautaires. Les sœurs de ces deux catégories auraient le droit de voter aux élections de la Congrégation, mais seules les premières pourraient assumer les fonctions d’autorité. Marguerite s’objecte à cette disposition dans les termes les plus énergiques : « Que dans la maison, les Sœurs soient égales, en sorte que la Supérieure, après sa démission, peut être cuisinière, ou autre emploi où elle sera trouvée propre; et la cuisinière, Supérieure, ou être, toute sa vie, aux gros ouvrages. Tout cela pour imiter la vie et les vertus de la Sainte Vierge. » En insistant de la sorte sur l’égalité entre les sœurs, Marguerite Bourgeoys concevait la Congrégation tout autrement que les deux communautés dont elle avait étudié les règles en France en 1680; en effet, tant les Filles de la Croix que les Filles de Sainte-Geneviève prévoyaient une classe de sœurs « converses13 ». Pour traiter de la règle de 1694 dans sa biographie de Marguerite Bourgeoys, Étienne Faillon compose de manière très convaincante une défense de la Congrégation à partir des écrits de Marguerite Bourgeoys en réunissant, comme l’a fait Montgolfier avant lui, des réponses figurant à différents endroits des écrits à une série de questions dont il croit qu’elles furent celles posées par l’évêque. Voici d’abord les questions, telle que formulées par Marguerite : On nous demande pourquoi nous aimons mieux être vagabondes14 que d’être cloîtrées, le cloître étant la conservation des personnes de notre sexe. Pourquoi nous ne faisons pas des vœux solennels qui portent à une grande perfection et portent les filles à embrasser la religion? Que nous aimons mieux être filles de paroisse que d’être en notre particulier où nous n’aurions pas les sujétions qu’il faut avoir à la paroisse? Que nous faisons des missions qui nous mettent en hasard de bien souffrir et même d’être prises, tuées ou brûlées par les sauvages? Que nous espérons d’être toujours conduites par les Séminaires? Pourquoi nous ne prenons pas un protecteur et la Règle dans des fondateurs de l’Église15?

À la première question, Marguerite répond : « La Sainte Vierge n’a jamais été cloîtrée. Elle a bien été retirée dans sa solitude intérieure, mais elle ne s’est jamais exemptée d’aucun voyage où il y

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eut quelque bien à faire ou quelque œuvre de charité à exercer. Nous voudrions la suivre en quelque chose. » Faillon fait ressortir la portée et la profondeur de cette réponse en la rapprochant d’autres passages des écrits de Marguerite Bourgeoys qui traduisent sa vision de manière limpide : la Congrégation continue au Canada et à Montréal, en particulier, la mission des Apôtres, de la Vierge Marie et des autres disciples, hommes et femmes, au sein de la première Église. Marguerite écrit : L’état que nous embrassons, en nous engageant dans cette communauté sans clôture, est l’état même de la sainte Vierge, notre institutrice, notre mère et notre souveraine. Ayant reçu de Dieu le domaine de ce pays, conformément aux prières qui lui ont été adressées par les personnes qui y sont venues les premières, elle a eu dessein de faire instruire les petites filles en bonnes chrétiennes, pour qu’elles fussent ensuite de bonnes mères de famille. Pour cela, elle a choisi les pauvres filles de la Congrégation, sans esprit, sans conduite, sans talents et sans bien; comme Notre-Seigneur, pour instruire tout le monde de sa doctrine et de son évangile, avait choisi des hommes grossiers et peu estimés du monde. Diverses marques montrent, en effet, que la sainte Vierge a agréé qu’il y eût une troupe de filles qui s’assemblassent dans l’île de Montréal, pour honorer la vie qu’elle a menée dans le monde; de plus, qu’il y aurait un séminaire qui serait sous sa protection; qu’enfin on y bâtirait une église sous son nom, et une ville sous le titre de Villemarie. Tout cela a été accompli16 ... Si donc la sainte Vierge nous favorise tant que de nous donner quelque petit rang au nombre de ses servantes, ne devons-nous pas employer toutes nos forces, notre industrie, notre vie même, pour contribuer en quelque chose à l’instruction des filles ... ? Car, après la résurrection de Notre-Seigneur, elle a contribué par ses soins à établir l’Église et à la fortifier. Elle a instruit les premiers chrétiens en tout ce qu’elle a trouvé d’occasions de faire connaître et aimer Notre-Seigneur, n’ayant jamais refusé de se trouver là où la charité ou la nécessité réclamaient son secours17.

Les réponses de Marguerite aux questions portant sur le séminaire et sur la paroisse naissent, elles aussi, de sa perception de la vie de la première communauté chrétienne. « Les séminaires nous représentent le collège des apôtres ... L’église de paroisse nous représente le Cénacle où la Sainte Vierge a présidé, comme une reine gouverne ses états durant la minorité de son petit dauphin; car ses apôtres n’étaient pas encore capables de conduire l’Église.

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Et la Sainte Vierge l’a soutenue depuis la mort de son Fils jusque à la descente du Saint-Esprit18. » Aux questions sur les fondateurs et les patrons, elle répond par une autre : « Pouvons-nous avoir une plus grande protectrice que Celle qui a été comme une tige de la pureté dans laquelle Dieu avait créé le monde et hors du péché originel? Et n’étant qu’une créature, le Père éternel lui a confié la sacro-sainte Humanité de son Verbe, pour être nourri et élevé dans sa vie humaine19. » Il y a d’ailleurs une section des écrits de Marguerite Bourgeoys qui aurait fort bien pu faire partie de la règle : Cette communauté est établie pour honorer le troisième état des filles que Notre-Seigneur Jésus-Christ a laissées sur la terre, après sa résurrection, qui sont : sainte Marthe, sainte Madeleine et la Sainte Vierge. Et on voit que l’état de sainte Marthe est rempli par les religieuses cloîtrées qui s’emploient au soulagement des malades et autres soulagements du prochain. Celui de sainte Madeleine, par les filles recluses, pénitentes et austères, et qui n’ont point de commerce avec le prochain et ne s’appliquent qu’à la contemplation. Mais que la vie que la Sainte Vierge a menée, tout le temps qu’elle a été sur la terre, doit avoir ses imitatrices. C’est donc elle que nous regardons comme Institutrice de cette petite troupe de filles qui, quoiqu’elles vivent en communauté, ne sont point cloîtrées afin d’être envoyées dans les lieux que les personnes qui nous conduisent trouveront à propos, pour l’instruction des filles20 .

Les sœurs de la Congrégation durent se rendre compte qu’étant donné la personnalité et l’humeur de Mgr de Saint-Vallier, il était hors de question de faire reprendre le travail. Elles tentèrent donc de formuler des objections précises sur des points particuliers du projet de constitutions, comme Tronson le leur avait recommandé. Ces objections furent rédigées par le conseil et signées par chacun de ses membres, y compris Marguerite Bourgeoys. Les références que font ces « remontrances » aux pratiques reçues dans les nouvelles communautés non cloîtrées en France montrent que Marguerite Bourgeoys a participé à leur élaboration. Il devait être plutôt démoralisant d’avoir à discuter des détails sans importance qui se retrouvaient dans ces constitutions, pour une croyante qui était convaincue que « les Constitutions sont Notre-Seigneur JésusChrist qui, étant descendu du ciel, s’est fait homme pour faire connaître au genre humain, et par exemples, et par paroles, jusque à

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mourir sur une croix, les moyens d’accomplir les commandements de Dieu qui portent : “Tu aimeras Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes puissances, et à Lui seul, tu rendra tes adorations.” Et avec ce commandement est ajouté : “Et ton prochain comme toi-même et tu ne feras à personne ce que tu ne voudras pas t’être fait, et tu lui feras ce que tu voudras t’être fait21.” » D’entrée de jeu, le mémoire préparé par la Congrégation indique clairement que les sœurs étaient convaincues qu’on essayait de leur imposer la règle des Ursulines comme première étape vers leur absorption par la communauté plus ancienne. Monseigneur l’évêque, voulant favoriser la prétention que les Révérendes Mères Ursulines de Québec ont déclaré avoir de s’établir à Ville-Marie, où elles ont pour cet effet depuis peu arrêté un emplacement, et voyant bien l’inutilité d’une seconde communauté pour l’instruction des filles en ce lieu, nous a parlé plusieurs fois de nous unir et confondre avec lesdites Mères Ursulines, qui nous ont aussi témoigné elles-mêmes leur désir. C’est à quoi nous avons toujours déclaré à Monseigneur ne pouvoir consentir, attendu que nous n’avons pas fait dessein, en nous mettant à la Congrégation, d’embrasser la vie dont les Ursulines font profession. Cependant, Monseigneur nous veut donner des règles et constitutions qui tendent, pour la plupart, à nous rendre religieuses. Il nous a fait entendre que nous devions vivre sous la règle de quelque saint fondateur d’ordre, et a mis en tête desdites constitutions la règle de Saint Augustin, qui se trouve imprimée au commencement des constitutions des Révérendes Mères Ursulines, et nous enjoint en termes formels d’observer ladite règle. Nous ne croyons pas que cette règle convienne à notre institut, quoique nous en puissions tirer plusieurs bonnes choses; puisqu’elle est expressément donnée à des religieuses, et que nous sommes établies en qualité de filles séculières de la Congrégation Notre-Dame, sans que nous puissions à l’avenir prétendre de passer à la vie religieuse22 .

Le dernier point est un argument de poids, auquel les sœurs de la Congrégation feront de nouveau appel : toutes les autorisations reçues jusque-là, que ce soit de Mgr de Laval ou du roi de France, avaient pour objet une communauté de femmes séculières et non une communauté religieuse traditionnelle. De fait, l’autorisation donnée précédemment par Mgr de Laval interdisait expressément de transformer la Congrégation en une communauté de ce type23.

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La crainte que l’évêque veuille utiliser ces constitutions pour abolir leur identité de femmes séculières inspire l’objection formulée par les sœurs au troisième article de la troisième constitution, qui traite de l’obéissance. On y lit ceci : « Les sœurs regarderont comme leur obligation la plus essentielle d’obéir à toutes les personnes qui leur tiennent la place de Notre-Seigneur sur la terre, elles seront entièrement soumises à l’autorité, juridiction, correction, gouvernement et visite de Monseigneur l’Évêque auquel elles rendront une parfaite obéissance comme à leur unique et premier supérieur, par lequel elles doivent connaître la volonté de Dieu dans toutes les occasions où il jugera à propos de s’en expliquer. » Cette crainte de se voir imposer le cloître inspire aussi l’objection des sœurs à la terminologie employée dans les constitutions : elles préfèrent les termes « candidate », « probation » et « réception » à « postulante », « noviciat » et « profession », dans lesquels elles reconnaissent le vocabulaire du cloître. Jusque-là elles ont fait des « promesses », qui les liaient aussi longtemps qu’elles restaient dans la Congrégation. Les constitutions leur proposent de « promettre solennellement » d’observer la pauvreté, la chasteté et l’obéissance et d’enseigner aux personnes de leur sexe, promesses dont seul l’évêque pourra les libérer. Les sœurs se demandent s’il y a une différence entre des promesses solennelles et des vœux solennels, et proposent plutôt des vœux simples, qui les lieraient « pour le temps qu’on voudra demeurer dans l’état de sœur de la Congrégation ». Après six ans de réception, une sœur pourrait faire un vœu de stabilité, non pas au sens monastique du terme mais pour s’engager à rester toute sa vie dans la Congrégation. « Au reste, écrivent-elles, nous vous prions de régler tellement les choses que nous ayons toujours la liberté d’ouvrir la porte de notre petite Congrégation à celles qui voudraient sortir, ou qu’on jugerait à propos de congédier; nous ne voulons point de prison chez nous, ni d’autres chaînes que celles du pur amour24. » Dans le même esprit, elles soulèvent des objections contre l’existence de l’article neuf de la dixième constitution, intitulé « Concernant le cloître ». Les sœurs s’objectent au mot « cloître » lui-même, comme à certaines des dispositions placées sous ce titre, comme celle qui leur prescrit de ne jamais parler à quelqu’un dans la rue. (Marguerite Bourgeoys a-t-elle songé que, si elle avait été liée par cette disposition, elle n’aurait pu échapper aux difficultés financières

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qui la gênaient à Paris en 1670 ou à Québec en 1692?) La communauté trouve irréalistes pour un groupe comme le leur certaines dispositions de l’article sur le silence. Quelles qu’aient pu être ses pratiques personnelles, Marie Barbier, à titre de supérieure, est la première à signer ce document qui affirme qu’en tant que femmes séculières, les sœurs ne doivent être obligées à aucune pénitence particulière en dehors de celles que prescrit l’Église en général, à moins d’avoir obtenu l’avis et l’autorisation de leur directeur. Parmi les autres objections formulées par les sœurs, il en est une où la voix de Marguerite Bourgeoys est facile à reconnaître : Monseigneur veut que nous exigions une dot de deux mille livres. Nous prions Sa Grandeur qu’elle veuille bien nous laisser la liberté que nous avons eue jusqu’à présent de recevoir chez nous les filles qui se présentent, sans exiger de dot de leur part. Il est vrai que notre Congrégation est pauvre; mais nous avons lieu d’espérer, par l’expérience du passé, que cette pauvreté nous attirera les bénédictions de Dieu. Nous vivons de notre industrie, avec les gratifications que Sa Majesté a la bonté de nous accorder, sans être à charge à personne. Si nous prenons une dot par obligation, cela éloignera de notre institut des sujets très capables et finira par détruire notre établissement 25.

Tandis que se poursuivent toutes ces discussions d’une importance vitale pour la Congrégation et que l’abbé Tronson fait de son mieux pour intercéder en sa faveur en France, la vie, bien sûr, suit son cours à Montréal. À la détresse provoquée par la poursuite de la guerre s’ajoute un nouveau désastre à l’intérieur des murs de la ville. Dans la nuit du 24 au 25 février 1695, l’Hôtel-Dieu est rasé par les flammes. Dans cette institution, l’affaire de sœur Tardy avait entraîné la démission de sœur Catherine Macé et l’élection comme supérieure de Marie Morin, qui avait été la première postulante canadienne à entrer chez les Hospitalières, en 1662. Sœur Morin venait de terminer un mandat très exigeant comme économe de la communauté. Les Hospitalières ne s’étaient jamais remises, sur le plan financier, de la perte, à l’époque de la mort de Jérôme de La Dauversière, des fonds que leur avait donnés M me de Bullion pour leur fondation. C’est avec beaucoup de difficulté et au prix de sacrifices considérables qu’elles avaient réussi à reconstruire, au début des années 1690, un édifice devenu vétuste. Le nouvel hôpital avait été inauguré trois mois avant l’incendie.

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Sœur Morin nous a laissé un compte-rendu détaillé et saisissant des événements de cette nuit-là : la difficulté de donner l’alarme et d’éveiller les résidants de l’hôpital, le bruit et la confusion, les tentatives pour sauver ce qu’on pouvait emporter et l’arracher d’abord à l’incendie puis aux pillards26. Elle décrit la frustration de ne pouvoir obtenir l’aide qui aurait peut-être permis de sauver au moins le nouvel édifice, car le feu s’était déclaré dans la chapelle, rattachée à la vieille construction. Il y eut des moments comiques, comme lorsque des pillards s’empressèrent de consommer ce qu’ils croyaient être de grands vins ou des sirops médicamentés et qui étaient en fait des laxatifs. Il y eut des moments spectaculaire, comme lorsque Dollier de Casson, suivi par tout son clergé et une grande partie de la population, arriva avec le saint sacrement et qu’au même instant le vent tourna, écartant ainsi la menace d’une conflagration qui aurait détruit les édifices environnants. L’un des passages les plus émouvants reste pourtant le récit que fait sœur Morin de ses propres faits et gestes : « La supérieure fit son possible pour engager quelques-unes de ces personnes, les priant même avec instance, de monter sur la maison pour couper le chemin au feu pour sauver une partie, ce qui aurait pu se faire par des charpentiers, mais il ne s’en trouva aucun là et nul autre ne voulut s’y risquer, ce qui lui fit connaître que Dieu les voulait faire passer par le feu toutes. Et se jetant à genoux, elle lui fit le sacrifice de ce cher monastère qui lui avait coûté tant de peines et de soins à le bâtir et qui n’était achevé que depuis quatre mois27. » Sœur Morin affirme que cet incendie fut le plus important qu’on eût connu jusque-là au Canada car le couvent faisait 190 pieds de longueur sur 32 pieds de profondeur et quatre étages de hauteur, et l’hôpital et la chapelle 200 pieds de longueur. On dit qu’on put apercevoir la lueur du sinistre d’aussi loin que Sorel et aussi de La Prairie, Longueuil, Boucherville et Pointe-aux-Trembles. Le point du jour trouva les sœurs et leurs malades rassemblés dans ce qui restait de leur jardin, quelques-uns n’ayant ni chaussures ni vêtements adéquats. Tandis que les flammes commençaient à s’éteindre, un prêtre vint leur dire qu’une salle du séminaire était mise à la disposition des malades et que les religieuses pourraient trouver refuge à la maison de la Congrégation. Dès que ce fut possible, l’économe et la pharmacienne allèrent sauver ce qu’elles pouvaient des ruines de l’édifice, en particulier ce qui restait du contenu de la pharmacie.

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Les sœurs de l’Hôtel-Dieu restèrent plusieurs mois à la Congrégation. Elles occupaient l’espace qui servait habituellement aux pensionnaires, deux salles de taille moyenne à l’étage avec un grenier au-dessus, plus trois petites cellules dans le dortoir des sœurs pour la supérieure, l’assistante et l’économe. Marie Morin, qui devait s’attaquer à l’immense défi de reconstruire l’hôpital et le couvent, dut trouver un appui sympathique chez Marguerite Bourgeoys, qui avait eu à affronter une épreuve semblable moins de douze ans auparavant. Ces quelques mois auront encore renforcé le respect et l’affection de sœur Morin pour Marguerite Bourgeoys qui ressort clairement dans les Annales; peut-être cette période aura-t-elle même donné aux deux femmes l’occasion d’évoquer et d’échanger quelques-unes des anecdotes sur les débuts de Montréal qu’on retrouve dans l’œuvre de sœur Morin. La présence des Hospitalières dans sa maison à un moment où les fondements de la Congrégation occupaient toutes les pensées de Marguerite rendit possible un événement qu’elle décrira à l’abbé Tronson comme l’un des « signes » venus confirmer l’idée première de la Congrégation. « Quand la fille de Monsieur Le Ber est entrée dans notre maison, écrit-elle, où les Hospitalières sont depuis leur incendie, j’ai eu une grande joie de voir les trois états de filles ramassés dans la maison de la Sainte Vierge28. » La référence à « la fille de Monsieur Le Ber » indique de nouveaux développements à la Congrégation et signale l’arrivée de l’une des figures spirituelles les plus insolites de la Nouvelle-France. Jeanne Le Ber était née à Montréal en janvier 1662, fille unique de Jacques Le Ber et de Jeanne Le Moyne, et donc membre de deux des familles les plus riches et les plus influentes en NouvelleFrance. Un frère l’avait précédée et quatre la suivraient. Elle eut pour parrain Paul de Chomedey de Maisonneuve et pour marraine Jeanne Mance, dont elle reçut le prénom. Le premier biographe de Jeanne Le Ber fut François Vachon de Belmont. Comme celui-ci n’est arrivé à Montréal qu’en 1680, il dépend de deux sources pour documenter la jeunesse de Jeanne, les souvenirs de Marie Morin et ceux des religieuses du couvent des Ursulines de Québec, où Jeanne Le Ber fit ses études. La maison que partageaient les familles de Jacques Le Ber et de son beau-frère Charles Le Moyne était voisine de la propriété de l’Hôtel-Dieu, où la petite Jeanne se rendait souvent, au grand plaisir des religieuses dont elle égayait la récréation. Une anecdote montre qu’à l’âge de cinq ou six ans, Jeanne avait un

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esprit éveillé et l’habitude de prier. « Un jour qu’on parlait de la fuite de Notre Seigneur en Égypte, elle s’écria : bon Jésus, pourquoi n’avez-vous pas fait mourir Hérode, qui était si méchant, plutôt que de donner la peine à votre sainte Mère et à saint Joseph de vous porter si loin 29? » La « peine » signifie bien sûr la douleur, la tristesse, sentiments que Jeanne elle-même ferait vivre un jour à ses parents. Jeanne aura sans doute fréquenté avec ses cousines l’école de la Congrégation car elle semble s’être liée d’amitié avec les sœurs Charly. Il est curieux que personne à la Congrégation ne semble avoir fourni à l’abbé de Belmont de souvenirs sur l’enfance de Jeanne; après tout, Marguerite Le Moyne, cousine germaine de Jeanne, vivait encore au moment où il rédigeait son ouvrage. En 1674, à l’âge de douze ans, Jeanne fut envoyée à Québec, au pensionnat des Ursulines. Elle y connaissait déjà quelqu’un : sa tante Marie Le Ber avait vécu chez les Le Ber à Montréal depuis le moment de son arrivée en Nouvelle-France en 1666 jusqu’en 1668, quand elle entra chez les Ursulines à Québec, où elle fit profession en 167030. Les parents de Jeanne semblent avoir été très indulgents envers elle : ils chargèrent l’un de leurs amis dans la capitale de veiller à ce que leur fille ne manque de rien et de lui procurer quelques gâteries. Les affaires de la famille Le Ber étaient déjà prospères et ces années passées dans la capitale ne donneraient pas seulement à Jeanne une éducation correspondant à son statut social : elles seraient aussi l’occasion de se faire des amies et des relations parmi ses consœurs du pensionnat. On a avancé que son sérieux, sa maturité et son esprit religieux avaient éveillé chez ses institutrices l’espoir qu’elle entrerait un jour dans leur communauté. Si ce fut le cas, elles auront aussi réalisé que les parents devaient avoir d’autres ambitions pour cette jeune fille qui allait devenir l’une des héritières les plus en vue de la Nouvelle-France. Entre autres arts et techniques, les Ursulines enseignaient aux jeunes filles la broderie, dont elles avaient apporté de France les points et les modèles. On raconte que Jeanne dépassa bientôt ses formatrices et les exemples de son travail qui subsistent aujourd’hui semblent le confirmer. Qu’apprit-elle d’autre durant ces années-là? Outre les connaissances de base dans les matières profanes, outre l’instruction et la formation religieuse habituelle, où trouva-t-elle l’inspiration pour l’extraordinaire odyssée spirituelle qu’elle allait entreprendre? Même son premier biographe, qui l’a connue et lui a posé la question, ne peut répondre.

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Lorsque Jeanne rentra à Montréal en 1677, sa vie sociale ne fut pas ce que ses parents avaient espéré. Sa mère était certainement une personne pieuse mais elle devait se faire une joie de planifier les débuts en société de sa seule fille. On dit que Jeanne était jolie, enjouée, charmante. Même si elle ne l’avait pas été, son statut social lui aurait assuré une grande popularité. Mais Jeanne choisit plutôt d’observer une règle de vie semblable à celle qu’elle avait connue au pensionnat, axée sur la messe quotidienne et des périodes régulières de prière et de travail. Certaines de ses pratiques rappellent la vie des saints qui avaient essayé avant elle de concilier l’ascèse chrétienne et une condition privilégiée : comme Thomas More, qui portait la haire sous ses habits de chancelier d’Angleterre, Jeanne redoublait ses pénitences lorsqu’elle portait les vêtements à la mode qui plaisaient à sa mère. Elle se sentait de plus en plus rebutée par ce qui lui paraissait vanité mondaine. Son biographe raconte qu’elle fut également très fortement impressionnée à la vue du cadavre d’une de ses compagnes, morte jeune. La tradition veut que cette compagne ait été Marie Charly, de la Congrégation, née comme Jeanne en 1662. Si c’est bien d’elle qu’il s’agit, son décès ne survint qu’au printemps 1682 et Jeanne s’était déjà engagée, à cette date, dans le mode de vie qu’elle avait choisi. Il semble que le point tournant fut une demande en mariage : Jeanne fit comprendre clairement qu’elle entendait écarter non seulement le prétendant en question mais tous les autres. On imagine aisément la discussion avec ses parents, leurs arguments, leur incrédulité peut-être, face à la décision qu’elle comptait prendre. Jeanne dut se montrer aussi résolue que persuasive. En 1680, à l’âge de dix-huit ans, elle obtint l’autorisation de son confesseur, le Sulpicien François Séguenot, et à travers lui celle de ses parents, d’essayer de mener le genre de vie qui l’attirait. Comme sainte Catherine de Sienne au quatorzième siècle, elle se fit recluse dans la maison de ses parents. On a parfois suggéré que la décision de Jeanne Le Ber de se faire recluse, mode de vie exceptionnel à toutes les époques et pratiquement inconnu dans la France du dix-septième siècle, s’explique par l’absence de communautés contemplatives en Nouvelle-France. Même si les Ursulines et les religieuses hospitalières de Québec et de Montréal étaient cloîtrées, elles ne se vouaient pas exclusivement à la contemplation. Cependant, Jeanne avait les contacts et les moyens qu’il fallait – son père lui donna une dot de 50 000 écus

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– pour entrer dans une communauté contemplative en France, et il y avait des gens dans son entourage pour lui parler des Carmélites, des Clarisses et d’autres congrégations semblables. Belmont écrit que Jeanne soulevait deux objections à l’idée d’entrer dans une communauté religieuse. D’abord, elle ne voulait pas faire vœu de pauvreté car cela lui aurait enlevé « le moyen d’assister les pauvres et surtout de pourvoir à l’éducation des petites filles à quoi elle se sentait un merveilleux attrait et qu’au contraire la libre disposition de ses biens lui donnerait le moyen de contribuer à beaucoup de bonnes œuvres ». Deuxièmement, poursuit son biographe, elle aspirait à une vie de silence et de solitude que la communauté rend impossible. « Elle considéra ... qu’encore que le cloître sépare les religieuses des conversations mondaines il ne les dispense pourtant pas de l’administration des charges de la communauté et l’engagerait à une infinité de soucis et de discours, enfin que l’obéissance ne la dispenserait point des conversations inévitables et régulières qui doivent être entre les sœurs d’une même communauté, ces engagements donc ne contentant point l’attrait qu’elle avait pour la solitude, le silence exact et l’attachement continuel à la présence de Dieu31. » Pour commencer, Jeanne Le Ber reçut l’autorisation de faire vœu de réclusion pour une période de cinq ans. Ses parents auront pensé qu’avant la fin de cette période leur fille se serait fatiguée d’un mode de vie aussi étrange. De fait, la mort de sa mère, deux ans plus tard, lui aurait certainement fourni un motif plausible pour être dispensée du reste des cinq années. Mais elle résista à toutes les pressions exercées pour qu’elle abandonne sa réclusion et pour lui faire tenir la maison de son père, et elle resta fidèle à la règle de vie que lui avait préparée son directeur. Si elle avait déjà adopté le programme qu’elle suivrait plus tard, sa journée commençait par une heure de prière à quatre heures du matin et par la première messe du jour à cinq heures, puis elle alternait les périodes d’oraison mentale, de prière vocale, de lecture spirituelle et de travail manuel. Ce travail était voué au service du Christ présent dans l’Eucharistie par la confection de vêtements liturgiques d’une broderie exquise et d’autres objets utilisés dans les chapelles et les églises. Il était également voué au Christ présent chez les pauvres par la fabrication de vêtements destinés à leur être distribués. Au début, la réclusion n’était pas complète. Jeanne assistait à la messe à la chapelle de l’Hôtel-Dieu puis, une fois terminée la construction en 1683, à l’église paroissiale. Elle fut marraine à deux reprises en 1681. Elle

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continuait, au moins à l’occasion, de rendre visite à sœur Catherine Macé pour converser avec elle. Si la mort d’une compagne qui l’a profondément touchée fut bien celle de Marie Charly, les deux sont peut-être restées liées d’amitié pendant les premières années. Pendant ce temps, l’abbé Séguenot venait chaque semaine depuis sa mission de Pointe-aux-Trembles entendre la confession de Jeanne, lui prodiguer conseils et instructions avant de lui recommander, après quelques années, de limiter ses visites à l’église paroissiale et de modifier sa règle de vie. Comme les autres Sulpiciens qui étaient en contact avec elle, il épiait le moindre signe de déséquilibre mental ou affectif. Ce qu’ils voyaient les convainquirent d’autoriser Jeanne à prononcer des vœux perpétuels de chasteté et de solitude en la fête de saint Jean-Baptiste, le 24 juin 1685. Dans sa chambre à la maison de son père, Jeanne aura entendu parler du massacre de Lachine en 1689 et des premiers incidents de la guerre qui coûta la vie à son frère Jean-Vincent en 1692, quand elle sortit pour aider Marguerite Bourgeoys, venue préparer le corps pour l’enterrement. De là aussi, elle aura été témoin de l’incendie qui détruisit l’Hôtel-Dieu. (En dépit de l’ascèse stricte qu’elle s’imposait, c’est un produit de luxe qu’elle envoya le lendemain aux patients de l’hôpital : quatre pots de confiture32 . Son père, pour sa part, allait faire l’un des dons les plus importants pour la reconstruction de l’hôpital.) À un moment donné, Anne Barrois, la fille d’Anne Le Ber, cousine germaine de Jeanne, devint son intermédiaire, la seule personne admise à entrer dans sa chambre pour lui porter ce dont elle avait besoin et prendre ce qu’il fallait retirer. C’est peut-être par elle que Jeanne apprit que la Congrégation désirait une chapelle plus grande. Les premiers biographes de Jeanne disent qu’elle avait trois grandes dévotions : le Christ au saint sacrement, Marie sa mère et les anges. La plus importante était la première mais jusque-là, Jeanne n’avait pu orienter sa prière qu’en se fiant à la lueur de la lampe du sanctuaire de l’église, qu’elle apercevait depuis sa fenêtre et qui signalait la présence au tabernacle de l’hostie consacrée. L’idée lui vint alors de financer la construction d’une chapelle pour la Congrégation en y attachant une condition : qu’on édifie en annexe à cette chapelle un logement où elle pourrait vivre en recluse, toute proche du sanctuaire et du tabernacle. Les arrangements furent pris, la chapelle et le logement terminés en août 1695.

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Montgolfier fait remonter à 1692 l’idée d’ériger sur le terrain de la Congrégation une grande chapelle où on pourrait célébrer la messe et conserver le saint sacrement. Si la date est exacte, ce serait à l’époque où Marguerite Bourgeoys était encore supérieure. D’une certaine façon, il semble curieux qu’on ait projeté et construit cette chapelle justement dans les années où les sœurs de la Congrégation luttaient pour demeurer « filles de paroisse ». De fait, la nouvelle chapelle ne remplaça pas l’église paroissiale dans la vie de la Congrégation. Marie Morin écrit, en 1697, que les sœurs de la Congrégation « assistent toujours au service divin de la paroisse quoiqu’elles aient une église dans leur cour que leur a fait bâtir Mademoiselle Jeanne Le Ber33 ». Cependant, la chapelle aménagée à l’intérieur de leur édifice, où elles se réunissaient pour la prière en commun, était devenue trop petite; sœur Morin explique qu’elle ne pouvait convenir pour une cérémonie de prise d’habit des hospitalières pendant leur séjour à la Congrégation : il fallut recourir à la nouvelle chapelle, qui n’était pas encore terminée34. D’ailleurs, dans les années 1690, la Congrégation comptait dans ses rangs pour la première fois des personnes âgées : Marguerite Bourgeoys et Catherine Crolo; il y avait aussi des sœurs moins avancées en âge mais dont les épreuves de la vie missionnaire avaient gravement altéré la santé. Une chapelle sur leur terrain leur permettrait d’assister à la messe tous les jours, même par mauvais temps, et d’aller prier devant le saint sacrement, pratique qui devait occuper une grande place dans la piété catholique jusqu’à ce que le deuxième concile du Vatican ne recentre la dévotion eucharistique. Le 4 août 1695, Jeanne Le Ber signa un contrat notarié avec la Congrégation de Notre-Dame. On y précisait qu’elle avait déjà avancé la somme de 4000 livres, l’essentiel du prix de la construction sur le terrain de la communauté d’une chapelle avec un petit logement à l’arrière où Jeanne pourrait vivre « dans la réclusion aussi longtemps que Dieu lui donnera la persévérance ». Le document prévoyait ensuite le paiement de sa pension et faisait en sorte qu’Anne Barrois puisse, elle aussi, vivre à la Congrégation aussi longtemps que l’arrangement conviendrait aux deux cousines35. Outre la signature de Jeanne Le Ber, l’acte porte celles de Dollier de Casson, à titre de vicaire général de Mgr de Saint-Vallier, et de Marie Barbier, Catherine Charly et Marguerite Gariépy, au nom de la Congrégation36. Le lendemain, après vêpres, dans le cadre d’une

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cérémonie religieuse qui attira la plus grande partie de la population de Montréal, Jeanne entra dans ses nouveaux quartiers. Elle y resterait jusqu’à sa mort en octobre 1714. Au calendrier liturgique, c’était la fête de Notre-Dame des Neiges, jour anniversaire du baptême de la première petite Iroquoise, Marie-des-Neiges, en 1658, une date importante pour Marguerite Bourgeoys. Le 6 août 1695, fête de la Transfiguration du Christ, une grand-messe fut célébrée pour la première fois dans la nouvelle chapelle de la Congrégation. Dorénavant, la messe y serait célébrée tous les jours. Même dans le Montréal du dix-septième siècle, qui conservait le souvenir de ses origines mystiques, le mode de vie de Jeanne Le Ber paraissait si extraordinaire que ses premiers biographes se sont sentis obligés d’expliquer et de justifier son choix, ce qu’ils ne jugeaient pas nécessaire pour parler de Marie de l’Incarnation, de Jeanne Mance ou de Marguerite Bourgeoys. Au fil des siècles, sa vie a continué de susciter fascination ou révulsion37. Même en dehors des milieux qui ne peuvent voir dans sa vie qu’une aberration psychologique, même chez ceux et celles qui partagent sa foi, on formule des critiques. Bien sûr, des gestes comme celui de Jeanne Le Ber ont soulevé des questions depuis que Marie, sœur de Lazare, « prenant une livre de parfum de vrai nard, très coûteux, en oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux, et la maison s’emplit de la senteur du parfum », ce qui poussa Judas à demander : « Pourquoi n’a-t-on pas vendu ce parfum trois cents deniers, pour les donner aux pauvres38? » Deux objections reviennent souvent à propos de Jeanne le Ber : elle n’a pas renoncé à ses biens et elle a gardé une servante en la personne de sa cousine Anne Barrois. Sur le premier point, on peut répondre que Jeanne voyait sa fortune comme une fiducie dont elle était responsable, et qu’elle s’en est toujours servie pour les autres plutôt que pour elle-même. On a jugé que le vêtement qu’elle portait quand elle est morte ne convenait pas pour l’enterrer. Quant à Anne Barrois, elle faisait bien plus office d’intermédiaire entre la recluse et le monde extérieur que de servante au sens habituel du mot. On a aussi dit de Jeanne Le Ber qu’elle « semblait assez fière de son appartenance à un rang social élevé, et [qu’] il lui faisait toujours plaisir de voir ses qualités et ses talents mis en évidence39 ». Il est difficile de trouver des témoignages contemporains pour appuyer cette affirmation. Certains gestes extravagants qu’elle

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posa à l’église dans sa jeunesse se sont arrêtés sur un mot de son confesseur. La cérémonie théâtrale marquant son entrée dans son logement à la Congrégation est bien plus typique de son temps que la sobriété résolue de Marguerite Bourgeoys, qui fuyait l’ostentation. D’ailleurs, ce ne fut pas Jeanne qui prépara cette cérémonie mais Dollier de Casson. Comme on l’a souligné, c’était transformer un geste de piété privée en un acte de culte public40. Le choix de Jeanne était ainsi assumé par toute la communauté chrétienne dont elle faisait partie. Et son silence est sans doute la réponse la plus convaincante qui soit au reproche qu’on lui fait d’avoir recherché l’admiration ou d’y avoir pris plaisir. Au début du récit qu’il fait de sa vie, l’abbé de Belmont signale sa principale difficulté : généralement, dit-il, quand on traite de la vie d’une sainte personne, on peut s’inspirer de ce qu’elle a dit ou de ce que les autres ont observé à son sujet. Mais par où commencer pour quelqu’un qui a observé un silence perpétuel et qui a vécu dans la solitude? Jeanne Le Ber n’a jamais essayé de se justifier sauf pour répondre à des personnes en autorité. Les seules explications qu’on ait consignées, elle les aurait données à l’occasion de la visite de deux colons américains, probablement en 1698 : Deux Anglais ayant témoigné à Monseigneur de Saint-Vallier le désir qu’ils avaient de la voir dans sa solitude, il voulut bien lui-même les y conduire. Ils furent extraordinairement surpris de la voir dans un si petit appartement. L’un d’eux, qui était ministre, lui demanda pourquoi elle se gênait tant puisqu’elle aurait pu vivre dans le monde avec toutes ses aises et commodité (car il connaissait sa famille). Elle lui répondit que c’était une pierre d’aimant qui l’avait attirée et séparée de toutes choses. Elle ouvrit sa fenêtre par où elle recevait la sainte communion et, se prosternant en regardant l’autel, « Voilà, lui dit-elle, ma pierre d’aimant; c’est Notre Seigneur qui est véritablement et réellement dans le très saint sacrement », lui parlant de cet auguste mystère avec tant de zèle et de ferveur qu’il en parut surpris, et l’on a su qu’étant retourné dans son pays, il en parlait souvent comme d’une chose qui lui avait fait une grande impression, n’ayant, disait-il, rien vu dans le pays de plus extraordinaire41.

Jeanne Le Ber a choisi le silence non seulement de son vivant mais pour toujours : si elle n’a rien dit à ses contemporains, elle n’a rien laissé non plus aux générations suivantes. Seuls ses ossements

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continuent de parler pour elle : l’usure des os des genoux témoigne de toutes les heures qu’elle a passées agenouillée en prière, ses dents portent la trace des nombreux fils qu’elles ont tranchés. L’autre preuve tangible qui nous reste de Jeanne, ce sont des nappes d’autel et des vêtements liturgiques d’une beauté extraordinaire. L’un de ses biographes modernes signale que même si elle s’est coupée complètement de la beauté du monde extérieur, elle l’a reproduite dans l’exiguïté de sa cellule à travers la luxuriance de feuillages et de fleurs aux couleurs vives qu’elle a créés pour orner les autels de Nouvelle-France42 . Ces œuvres montrent que la recluse était aussi une artiste. Il est évident que la motivation de Jeanne Le Ber différait de celle de Marguerite Bourgeoys. Comme Marguerite, Jeanne croyait imiter la Bienheureuse Vierge Marie, mais c’était à la vie intérieure de Marie, à sa vie de prière et de contemplation, qu’elle se consacrait. Pour Marguerite, au contraire, Marie vivait en relation avec autrui : elle avait réagi à l’Annonciation en se hâtant d’aller rendre visite à sa cousine Élisabeth, assisté aux noces de Cana parce que les mariés « étaient pauvres et qu’il y avait du bien à faire », travaillé et enseigné avec les Apôtres dans l’Église primitive. En fait, comme l’indique bien l’allusion qu’elle fait à la présence des trois états de vie dans la maison de la Congrégation, Marguerite Bourgeoys voyait en Jeanne Le Ber une émule de Marie-Madeleine plutôt que de la mère de Jésus. À propos de l’entrée de Jeanne Le Ber dans son logement à la Congrégation, Marguerite écrit : « J’ai été bien réjouie le jour que Mademoiselle le Ber est entrée dans cette maison, en qualité de solitaire. Ce fut le 5e d’août 1695, un vendredi, vers les cinq heures du soir. Elle fut conduite par Monsieur Dollier, grand vicaire du diocèse et Supérieur au Séminaire, qui la harangua et l’exhorta à la persévérance, en la chambre faite à ce dessein, dans la chapelle hors le corps de la maison ... comme dans la grotte Sainte Madeleine, d’où elle ne sort point et ne parle à personne43. » Une autre différence frappante entre les deux femmes a trait à leurs rapports avec leur famille. Marguerite Bourgeoys avait écrit : « J’ai eu la consolation de prendre soin de mon père dans sa dernière maladie. » Qu’a-t-elle pensé de la façon dont Jeanne Le Ber traitait ses parents? Jeanne qui refusa d’aller au chevet de sa mère mourante même si, à cette époque, elle vivait encore chez

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ses parents; et qui n’est pas non plus allée rendre visite à son père pendant sa dernière maladie. Quand son frère fut tué, elle ne quitta sa réclusion que pour fournir les vêtements nécessaires à l’enterrement, sans avoir pour son père une parole de sympathie. Ses premiers biographes soulignent qu’il s’agissait là pour elle de sacrifices exigeants et qu’elle croyait faire plus pour sa famille par sa prière que par les propos qu’elle aurait pu échanger avec les siens, mais c’est peut-être là le côté le plus difficile à admirer chez Jeanne Le Ber. Ce comportement correspond pourtant à certaine doctrine particulièrement austère de la théologie du temps et pourrait même avoir été encouragé par son directeur afin de mieux éprouver sa vocation de recluse. Marguerite Bourgeoys avait déjà envisagé d’entrer dans une communauté contemplative et elle voyait dans la prière à la fois l’inspiration et le soutien de toute activité apostolique. Elle estimait qu’une sœur de la Congrégation devait rester constamment « en la présence de Dieu », que « les sœurs doivent demander, par de ferventes prières, les grâces nécessaires pour réussir dans leurs emplois aux instructions des filles », que « les sœurs, avant que d’être appliquées aux instructions et aux écoles, doivent se préparer par la prière44 ». Il est certain qu’elle se réjouissait de la présence constante de la prière de Jeanne au cœur de la communauté45. Une prière que composa Marguerite en 1698 exprime sa reconnaissance pour la présence du saint sacrement dans la chapelle de la Congrégation; elle y voit le travail de la Congrégation comme une réponse à cette faveur insigne selon une métaphore inspirée du tissage. « Nous mettant toutes en la compagnie de cette divine Mère et en celle des neuf chœurs des anges, nous ramassant toutes comme autant de petits filets mis ensemble et bien unis, tâchons, en reconnaissance des bienfaits de Dieu et avec le secours de sa grâce, l’intercession de la Sainte Vierge et des saints anges, de remplir les obligations de notre état dans l’éducation des enfants46. » Marguerite était convaincue de sa propre vocation, ce qui lui permettait de mieux accepter les vocations différentes de la sienne puisqu’elle ne se sentait pas menacée par elles. Par ailleurs, Jeanne ne lui semblait pas poser le genre de danger que d’autres patronages lui faisaient appréhender. Même si Jeanne fut l’une des grandes bienfaitrices de la Congrégation de Notre-Dame, elle ne semble pas avoir jamais tenté d’en influencer la vie interne.

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En novembre 1695, les sœurs de l’Hôtel-Dieu purent enfin quitter la maison de la Congrégation et rentrer dans leurs propres locaux. Les travaux de reconstruction avaient été stimulés par une visite de Frontenac, qui prévoyait qu’il faudrait un hôpital pour traiter les victimes de la guerre. Avant le départ, les deux communautés signèrent une « alliance spirituelle », rédigée par Marguerite Bourgeoys, pour s’engager à « nous support[er] dans les peines que nous pourrons ressentir et dans les sujets que nous pourrons avoir de ne pas persévérer dans cette union47 ». Il est compréhensible que Marie Morin n’ait pas saisi qu’en parlant des trois états de vie religieuse féminine dans l’Église, Marguerite Bourgeoys assimilait les hospitalières à Marthe et Jeanne Le Ber à Marie-Madeleine. Après avoir décrit la vie de Jeanne Le Ber dans le logement rattaché à la chapelle qu’elle avait construite pour la Congrégation, sœur Morin observe : « Ce qui fait dire à la sœur Bourgeoys que la prédiction de son confesseur est arrivée, cette fille honorant la vie de la très sainte Vierge contemplative et retirée du monde, ses filles sa vie conversante avec le prochain pour gagner des âmes à Dieu et nous sa vie laborieuse en servant les malades48. » Il y eut trois décès reliés à la Congrégation en 1695. En mars, Edmée Chastel mourut à l’Hôtel-Dieu de Québec. Elle n’était restée que très peu de temps dans la Congrégation mais, comme Marguerite et Catherine Crolo, elle avait grandi à Troyes et avait vécu la terrible traversée de 1659 et les premiers jours de la communauté dans l’étable-école. La nouvelle de la mort de Marguerite Tardy en France, en septembre, ne parvint sans doute pas à Montréal avant l’année suivante49. Elle mettait finalement un terme à l’idée d’une communauté réformée et unifiée à Montréal. Plus proche et plus émouvante fut la disparition, le 25 novembre, de Marie-Thérèse Gannensagouas. Elle n’avait pas trente ans mais elle avait passé la plus grande partie de sa vie à la Congrégation, comme élève d’abord puis comme sœur et comme enseignante à la mission de la Montagne. Le grand-père de Marie-Thérèse était décédé en 1690 à la mission en odeur de sainteté, si bien que son corps d’abord enterré au cimetière avait été exhumé et enseveli à l’intérieur de l’église de la mission. On enterra à ses côtés le corps de Marie-Thérèse. Plus tard l’abbé de Belmont leur rendrait hommage à tous les deux en ajoutant leurs noms au texte qu’il composerait en l’honneur de Jeanne Le Ber et de Marguerite Bourgeoys50. Mais

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si certains visages disparaissaient dans la Congrégation, d’autres venaient prendre leur place. La guerre se poursuivait et d’autres prisonniers des colonies américaines, comme les Sayward, étaient amenés à Montréal. Souvent, on les achetait ou on payait leur rançon aux indigènes qui les avaient capturés pour les faire travailler dans les maisons privées ou dans les fermes en attendant de pouvoir négocier un échange de prisonniers. Si la plupart des hommes captifs considéraient cette situation comme une forme d’esclavage, l’expérience et l’attitude de certaines femmes étaient bien différentes. Parmi les prisonniers qui arrivèrent à Montréal en 1694 se trouvait une jeune femme de vingt ans appelée Lydia Longley51. Le grand-père de Lydia faisait partie d’un groupe de Puritains qui avaient quitté l’Angleterre pour s’établir à Groton, près de Boston, vers 1650. Lydia avait sans doute perdu sa mère, Lydia Pease, encore toute jeune. Sa mère adoptive, Deliverance Crisp, donna naissance à cinq autres enfants. Le raid d’un parti d’Abénaquis Penobshcot sur la ferme des Longley survint à l’été de 1694. La tradition orale veut que William Longley, qui n’était pas armé, ait été attiré dans son champ parce que ses vaches se dispersaient et qu’on l’ait tué sur place. Le parti de guerre semble ensuite avoir attaqué la maison et avoir assassiné brutalement Deliverance et trois des enfants52 . Lydia, son demi-frère John, âgé de douze ans, et sa demi-sœur Betty, âgée de quatre ans, furent emmenés en captivité, avec d’autres prisonniers capturés au cours de la journée, dont plusieurs autres enfants. Si Lydia a confié à quelqu’un les horreurs du voyage qui suivit, son récit n’a pas été conservé. En route, elle perdit sa demi-sœur et fut séparée de son demi-frère : Betty mourut ou, plus probablement, fut tuée, peutêtre pour s’être mise à pleurer quand on lui ordonna de transporter quelque chose; quant à John, il fut emmené dans une autre direction53. Finalement, Lydia arriva à Montréal où elle fut rachetée par Jacques Le Ber, qui la prit dans sa maison. Que pouvait penser cette jeune femme du monde où elle se retrouvait, si différent par la langue, la religion et la culture de celui qu’elle avait quitté? Elle aura retrouvé, bien sûr, quelques anglophones à Montréal. Plusieurs prisonniers américains travaillaient déjà pour Jacques Le Ber. À la Congrégation, il y avait les Sayward, qui pouvaient facilement comprendre ce que vivait Lydia et sympathiser avec elle. Certains Français de Montréal connaissaient sans

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doute quelques mots d’anglais à cause de leurs contacts commerciaux, à commencer peut-être par Jacques Le Ber lui-même. Lydia, avec la formation et l’expérience acquise à la ferme de son père, sut certainement se rendre utile car il n’y avait plus eu de maîtresse de maison chez les Le Ber depuis la mort de Jeanne Le Moyne, plus de dix ans auparavant. Habituée à la simplicité et à la sobriété de l’Église congrégationaliste à laquelle appartenait sa famille, elle aura trouvé plutôt exotique le catholicisme français de Montréal. À l’époque de l’arrivée de Lydia, Jeanne Le Ber vivait sa dernière année de solitude dans la maison de son père. Lydia fut sans doute témoin de son départ pour le logement rattaché à la chapelle de la Congrégation de Notre-Dame, au mois d’août suivant. Les récits de la vie de Lydia qui se sont transmis à la Congrégation suggèrent que l’admiration qu’elle éprouvait pour la recluse joua un rôle décisif dans les choix qu’elle fit par la suite. C’est possible, et il est certain que Jeanne s’est intéressée au cas de Lydia. Mais il est tout aussi vraisemblable que celle-ci ait été influencée par ses contacts avec les Sayward et par les visites qu’elle leur faisait à la maison de la Congrégation. Comme les Sayward, Lydia exprima le désir de devenir catholique. Elle fut reçue dans l’Église catholique le 24 avril 1696, c’est-à-dire qu’elle abjura l’hérésie et reçut de nouveau le baptême, comme cela se faisait à l’époque. Les registres de la paroisse indiquent que Lydia demeurait à la maison de la Congrégation depuis un mois au moment de son baptême, et l’Histoire de la Congrégation précise que c’est le 24 mars 1696 qu’elle avait été confiée à Marguerite Bourgeoys pour être instruite dans la foi catholique54. Par permission spéciale de Dollier de Casson, le baptême de Lydia fut célébré non pas à l’église paroissiale mais à la chapelle de la Congrégation de sorte que Jeanne Le Ber pût y assister depuis sa cellule. On ajouta à ses prénoms celui de Madeleine, du nom de sa marraine Madeleine Dupont, épouse de Paul Le Moyne de Maricourt. Lydia eut pour parrain Jacques Le Ber qui, cette année-là, avait acheté du roi ses lettres de noblesse. C’est probablement quelques mois plus tard que Lydia entra dans la Congrégation de Notre-Dame. Elle et Mary Sayward devenaient ainsi les premières femmes d’ascendance anglaise à entrer à la Congrégation, si bien que la petite communauté comptait déjà dans ses rangs des Françaises, des autochtones et des Nord-américaines d’origine française et anglaise55.

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Dans l’étude qu’il a publiée récemment sur la différence d’attitude entre les Puritains et les Puritaines qui ont vécu prisonniers à Montréal, William Foster compare la réaction de Lydia à celle de John Gillet, qui se montra absolument intraitable comme ouvrier agricole à la ferme de la Congrégation. Les hommes trouvaient extraordinairement répugnant d’être employés par des femmes. Les femmes, elles, découvraient une société où elles pouvaient jouer un rôle plus actif sur le plan religieux. Pour Foster, les caractéristiques qui attiraient les femmes à la Congrégation étaient justement celles qui répugnaient aux hommes. Il observe : Chez Lydia Madeleine [Longley], le fait pour la Congrégation d’être une communauté catholique de femmes célibataires, actives et professionnelles éveillait des sentiments opposés à ceux qu’éprouvait Gillet. L’attrait du catholicisme pour les Puritaines mérite d’être souligné. La dévotion particulière de la communauté à la vie voyagère de Marie donnait à la présence divine un aspect proprement féminin. En faisant de Marie une mère et un guide, la communauté offrait un modèle de relations familiales entre mères, sœurs ou filles. Il est évident que la composante familiale attirait fortement des femmes dont la première famille avait été détruite ou disloquée de façon irrévocable56 .

Plusieurs autres femmes enlevées lors de raids contre des établissements des colonies anglaises finirent par entrer dans des communautés religieuses en Nouvelle-France à la fin du dix-septième siècle et dans les premières années du dix-huitième, lorsque la guerre de Succession d’Espagne mit fin à la courte trêve du tournant du siècle57. Pendant ce temps, Mgr de Saint-Vallier était toujours en France, où Louis Tronson continuait de lui offrir des conseils et d’intercéder auprès de lui à propos de la règle de la Congrégation. Quand les navires partirent pour la Nouvelle-France au printemps de 1697, ils apportaient une version révisée de la règle de 1694. Dans une lettre à Dollier de Casson, en date du 21 avril 1697, l’abbé Tronson écrit : Je vous envoie les règlements que Mgr de Québec avait faits pour les filles de la Congrégation, et que vous trouverez bien adoucis. Il me semble que, dans l’état où ils sont, il y a certains articles qui ne leur doivent faire présentement nulle peine. Pour les autres, Mgr de Québec croit avoir de

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bonnes raisons pour les laisser comme ils sont. Si les bonnes sœurs y ont encore quelque peine, elles pourront lui exposer elles-mêmes les raisons qu’elles ont d’y souhaiter quelque adoucissement. Comme mes incommodités ne me permettent pas de leur faire réponse, vous m’obligerez de le leur témoigner, et en leur faisant voir les mémoires que je vous envoie, assurez particulièrement la sœur Bourgeoys et la supérieure, que leur intérêt me sera toujours en grande recommandation 58 .

Le mémoire auquel la lettre fait référence contient les réponses de Tronson aux différentes objections soulevées par la Congrégation. L’arrivée de la règle révisée laissait présager le retour en NouvelleFrance de Mgr de Saint-Vallier lui-même. Toutes les pressions qui s’exercèrent sur lui n’ayant pu le contraindre à démissionner de son siège, l’évêque de Québec obtint finalement du roi la permission de rentrer dans son diocèse en 1697. Il avait promis d’agir avec « prudence », et les premiers mois qui suivirent son retour à Québec furent effectivement une période de tranquillité. Malgré l’importance que lui accorde la lettre qu’on vient de citer, où Tronson la nomme avant la supérieure Marie Barbier, Marguerite Bourgeoys continuait de se sentir isolée et inutile. Elle n’avait rien à faire qu’un peu de couture, dit-elle, et prenait ses repas avec Catherine Crolo, qui n’était plus capable d’aller au réfectoire : « Et fort rarement j’allais à l’église, car la messe se disait proche la communauté; et je [ne] sortais, ni ne parlais à aucune de mes Sœurs; tout cela, comme on disait, à cause de mon grand âge59. » À un moment qu’elle situe précisément dans « la nuit du 4 au 5 juillet 1697 », elle résolut d’agir, quitte à être jetée à la mer comme Jonas. Elle consulta deux Supliciens qui lui conseillèrent de parler à sa supérieure. Elle écrivit donc un billet à Marie Barbier, mais sentit que « mes paroles n’ont point d’onction ». Alors, continue-t-elle, « je me suis servie de ma plume dans l’espérance que, en faisant mon possible, la miséricorde de Dieu me délivrerait du châtiment que mon peu de fidélité méritait ». Ce qu’elle écrivit, comme dans les lettres sur la règle qu’elle avait envoyées à l’abbé Tronson, est foncièrement autobiographique. On lui avait demandé, quand elle avait exprimé ses inquiétudes au sujet de la Congrégation, « de quoi je me mettais en peine, que je ne répondrais de rien à ce sujet ». L’histoire de sa vie, croyait-elle, expliquait pourquoi elle était convaincue d’avoir à « rendre compte de cette

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Communauté à Dieu ». Elle conclut : « Et je crois que, si on veut conserver et augmenter les grâces de Dieu sur cette Communauté et attirer la bénédiction sur l’éducation des enfants, qui sans cela ne profiteront point, il faut se résoudre à détruire tout ce qui est contraire aux lois et commandements de l’amour de Dieu et du prochain, dans cette Communauté, et faire passer la sagesse divine [avant] la prudence. » Il reste encore quelques notes d’une retraite que Marguerite fit en mars 1698, quand elle espérait « la grâce d’entrer encore une fois dans ce premier appel à Son service, qu’il m’a si généreusement adressé ». Elle ajoute, ce qui ne manque pas d’étonner compte tenu de son âge : « Cette quatrième année [depuis sa démission comme supérieure?], je parle d’aller en France. » Elle ne donne aucun indice des raisons qui la poussent à faire ce voyage : est-elle en quête de direction spirituelle loin de la Nouvelle-France, comme en 1680, ou souhaite-t-elle plutôt discuter en personne de la règle de la communauté? On ne s’étonne pas de la voir ajouter que ce projet « ne réussit pas60 ». Glandelet cite abondamment la correspondance qu’il a échangée avec Marie Barbier dans les derniers mois de 1697 et les premiers mois de 1698. Ces passages montrent clairement que Marie dépendait beaucoup de lui pour ses orientations, ses encouragements et ses conseils : elle l’admirait au moins autant qu’il l’admirait, elle. On ne trouve aucun passage qui traite de ce qui se passait à la Congrégation ou de l’affaire de la règle. Il s’agit plutôt des problèmes spirituels de Marie et de sa santé qui décline, car on évoque maintenant le spectre du cancer. Bien sûr, c’est Glandelet qui a choisi les extraits qu’il cite, mais en voyant ces lettres on ne peut s’empêcher de se demander où se trouvait véritablement l’autorité dans la Congrégation à ce moment-là – même si Marie Barbier déclare à Glandelet : « Quoique je sois à l’Infirmerie, cela ne m’empêche pas de m’acquitter de mes obligations particulières, comme de parler à mes Sœurs, de faire le chapitre, et autres choses. Je suis à l’oraison le matin : en tout ce que je peux, je suis la Communauté61. » Au printemps de 1698, l’abbé Charles de Glandelet vint à Montréal en tant que vicaire général pour présenter aux sœurs, en compagnie du confesseur de la communauté, l’abbé de Valens, la version révisée de la règle de 1694. Il précédait l’évêque de quelques jours et il était porteur d’une lettre pastorale à « nos chères filles

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en Notre-Seigneur, les sœurs de la Congrégation de la communauté de Ville-Marie », signée par Mgr de Saint-Vallier le 1er juin 1698. La lettre rappelle aux sœurs que la règle et les quatre vœux qu’elles doivent prononcer sont autant de moyens de vivre dans l’amour de Dieu, comme les pénitences et corrections que leur impose la règle. Elle se termine sur ces mots : « Nous vous exhortons donc, par les entrailles de la charité de Jésus-Christ, par le cœur tendre et maternel de la très Sainte Vierge, dont vous vous dites les filles et dont vous vous proposez d’imiter les vertus, par l’amour que vous devez avoir pour votre propre salut, d’observer inviolablement ces règlements que nous vous avons donnés. Nous déclarons expressément que notre intention est que vous ne souffriez pas que rien soit fait contre et à leur préjudice; ni que, sous quelque prétexte que ce soit, on y ajoute, ou l’on en retranche rien, sans notre permission ou celle de nos successeurs62 . » L’évêque lui-même arriva à Montréal peu après et alla loger au séminaire; le 14 juin, il signait un document qui donnait 1000 livres pour soutenir la mission de la Congrégation à Québec. À compter du 20 juin, Saint-Vallier tint plusieurs réunions avec la Congrégation au sujet de la règle. Marguerite Bourgeoys, qui était maintenant entrée dans sa soixante-dix-neuvième année, joua un rôle important lors de ces rencontres et des cérémonies qui suivirent. Glandelet observe : « Sœur Barbier, très malade alors, était merveilleusement soutenue et secondée par les vénérables anciennes, mais principalement par la Sœur Bourgeoys elle-même, qui fut présente à tout, quoique depuis longtemps son humilité lui eût fait renoncer au premier rang63. » L’opposition exprimée par les sœurs et l’intervention de l’abbé Tronson avaient permis d’en arriver à un compromis sur certains articles de la version antérieure de la règle. Même si la nouvelle version n’était certainement pas ce que la Congrégation avait espéré au départ, l’évêque estimait sûrement s’être montré remarquablement généreux et raisonnable. Compte tenu de la mentalité du temps, il avait probablement raison. Mgr de SaintVallier était convaincu de la nécessité du travail accompli par la Congrégation mais il ne pouvait tenir que pour provisoire le mode de vie qui le rendait possible. Dans la version révisée, une partie de la terminologie qui inquiétait la Congrégation a disparu. Le nouveau document porte le titre de « Règlement commun64 » plutôt que « Constitutions », et les dix-huit constitutions de 1694 avec

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leurs subdivisions sont devenues trente-quatre chapitres. Les références à saint Augustin ont été supprimées mais la base de la règle augustinienne demeure. Le mot « solennel », qui faisait craindre aux sœurs de devenir des moniales, et par conséquent cloîtrées, a disparu, tout comme le mot « cloître » lui-même. Les sœurs sont appelées à faire des vœux simples plutôt que des promesses solennelles, et le vœu spécial d’obéissance à l’évêque a disparu. Les pensionnaires permanentes ne sont plus regardées comme une troisième catégorie de membres de la Congrégation. Certaines dispositions de la règle antérieure sont passées dans le Coutumier, texte moins contraignant que les Constitutions et plus facile à modifier. Certaines autres dispositions, comme celles qui portaient sur le silence, ont été atténuées, mais pas autant que les sœurs l’avaient demandé. À plusieurs endroits, on a ajouté les mots « si possible ». Mais qu’en est-il des principales inquiétudes formulées par Marguerite Bourgeoys elle-même? Elle aura surtout été déçue de ne retrouver dans la règle aucune allusion à l’inspiration qui avait présidé à la fondation de la Congrégation. Nécessairement, dans une règle imposée par un évêque qui continuait de voir dans l’absence de cloître à la Congrégation une mesure provisoire liée au cadre de vie des pionniers, et non un élément essentiel, il n’y a aucune référence à la « vie voyagère de Marie ». Dans le premier chapitre, qui traite de la fin pour laquelle a été fondée la Congrégation, il est question de « l’aide, de la faveur et de la protection de Marie », mais on n’évoque nullement l’idée que la vie non cloîtrée de la Congrégation a pour modèle « la vie de Marie quand elle était sur terre ». La Visitation de Marie n’est mentionnée qu’à titre de fête patronale de la Congrégation et jamais il n’est question de la présence de Marie et des autres femmes disciples dans l’Église primitive. Marguerite avait exprimé avec force le désir, révolutionnaire à bien des égards, que toutes les sœurs de la Congrégation soient mises sur le même pied. Son souhait ne s’est pas réalisé. On maintient la division de la communauté en deux groupes, et seuls les membres du premier seront éligibles aux postes de responsabilité. Pour ce qui est de la dot obligatoire, Tronson lui-même avait écrit dans son mémoire : « Il ne faut pas recourir aux miracles, et on doit agir avec prudence pour le soutien d’une communauté qui ne peut se soutenir par le seul travail des mains dans le temps où nous sommes, avec tous les emplois qu’elle embrasse pour l’instruction

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et la charité du prochain65. » On a supprimé dans les constitutions toute référence à la pension que doivent payer les novices, et on laisse une certaine latitude au sujet de la dot. Marguerite Bourgeoys et sa communauté savaient que l’abbé Tronson avait fait tout ce qu’il pouvait pour faire modifier la règle, et elles ne souhaitaient sûrement pas voir se répéter les scènes, les menaces et les injures de 1694. La plupart des sœurs ont dû décider qu’elles pouvaient s’accommoder de cette règle – la plupart mais pas toutes. Trois quittèrent la Congrégation en juin 1698. Il s’agit de Marie Aubuchon, fille d’un marchand de Montréal, et de Marie Genest et Catherine Rochon à l’Île d’Orléans. Les deux dernières avaient sans doute été parmi les premières élèves de Marie Barbier. Toutes trois étaient au milieu ou à la fin de la vingtaine et leur départ représentait une perte considérable pour la communauté66. Marguerite Bourgeoys fut de celles qui signèrent les documents qui les libéraient de leurs engagements envers la Congrégation, documents où on ne trouve pas la moindre allusion aux raisons de leur départ. Il est possible, bien sûr, que ces départs se soient produits au même moment parce que l’évêque était sur place pour les délier de leurs promesses, mais il ne semble pas que la présence de l’évêque ait été nécessaire lors des départs précédents. Il est plus probable que leur décision ait eu quelque chose à voir avec le refus de la nouvelle règle67. Le 24 juin 1698, vingt-quatre membres de la Congrégation signaient à Montréal l’acceptation de la règle : « Nous acceptons avec toute sorte de respect et de soumission les règlements cidessus, qui nous ont été donnés par Monseigneur l’Illustrissime et Révérendissime évêque de Québec. Après les avoir lus et examinés plusieurs fois, nous les avons jugés très propres pour le bien de notre communauté, et sommes dans la résolution de les pratiquer avec toute l’exactitude possible68. » Marie Barbier, en tant que supérieure, signa la première, ajoutant même à son nom civil son nom de religion, « de l’Assomption », choix qu’elle avait fait parce que la fête de l’Assomption de la Sainte Vierge avait une grande importance pour elle. Une ligne plus bas apparaissent les signatures de Catherine Charly dit Saint-Ange, qui a signé « Soeur St-Ange, assistante », et de Marguerite Bourgeoys, qui a signé comme elle le faisait toujours sans rien ajouter. Ce n’est qu’après avoir signé le document confirmant qu’elles prononceraient des vœux simples le lendemain que les sœurs prirent des noms de religion. Celles qui

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ont signé l’acceptation de la règle, le 24 juin 1698, ne forment pas la liste complète des membres de la Congrégation à cette époque. Les six sœurs en mission dans la région de Québec ne signèrent que le 4 août. À Montréal, Catherine Crolo, Perrette Laurent de Beaune et Catherine Sommillard, la nièce de Marguerite Bourgeoys, ne signèrent pas non plus, probablement parce qu’elles étaient trop malades pour quitter l’infirmerie. Le 25 juin 1698, les sœurs de la Congrégation prononcèrent des vœux publics : pauvreté, chasteté, obéissance et instruction des petites filles. L’évêque présida la cérémonie qui se déroula dans la chapelle de la Congrégation. Après la communion, chacune des sœurs s’avança jusqu’aux marches de l’autel avec un cierge allumé et prononça ses vœux clairement et distinctement. Marguerite Bourgeoys était au quatrième rang de la procession, après Marie Barbier, Catherine Charly et Marguerite Le Moyne. Les sœurs conservaient leur nom de baptême et y ajoutaient le nom d’un saint ou d’un mystère religieux. Marguerite Bourgeoys devint Marguerite du Saint-Sacrement. On aurait pu penser qu’elle choisirait un nom ou un mystère marial, mais il faut se rappeler que la dévotion à Marie était étroitement liée dans son esprit à la dévotion à l’Eucharistie : « [Marie] n’étant qu’une créature, le Père éternel lui a confié la sacro-sainte Humanité de son Verbe, pour être nourri et élevé dans sa vie humaine. Nous pouvons encore admirer son bonheur, tous les jours, à la sainte messe et à la sainte communion, en adorant Notre-Seigneur sur nos autels, en pensant qu’elle a contribué à la matière de ce Corps sacré que nous recevons pour la nourriture de nos âmes69. » Marguerite Bourgeoys avait consacré les années passées à Montréal à construire le corps mystique du Christ, l’Église. À cette étape de sa vie, elle avait aussi le sentiment que sa propre vie, comme le Christ au tabernacle, était dorénavant une vie cachée de prière70. Le 26 juin, la communauté entrait en retraite pour se préparer à prononcer, le 2 juillet, fête de la Visitation, le vœu de stabilité qui rendrait perpétuels les quatre vœux que ses membres avaient déjà faits. Pendant la retraite, les sœurs procédèrent aussi aux premières élections depuis celles qui avaient suivi la démission de Marguerite Bourgeoys en 1693. Marie Barbier ne fut pas réélue supérieure mais demeura assistante; la Congrégation passait maintenant entre les mains fermes et compétentes de Marguerite Le Moyne. Héritière de l’un des noms les plus illustres de l’histoire de la Nouvelle-France,

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elle descendait aussi par sa mère de la seule famille présente à la fondation de Ville-Marie en 1642. Cette femme de trente-quatre ans aurait désormais la responsabilité de faire en sorte que la nouvelle règle de la Congrégation de Notre-Dame ne vienne pas miner son identité fondamentale.

chapitre neuf

partir en paix 698 – 700 Notre bon Dieu me fait la grâce que tous les désirs que je sens se terminent doucement1.

Marguerite Bourgeoys approchait de son quatre-vingtième anniversaire et la vie se retirait doucement. Ce n’était pas seulement une décennie mais un siècle qui allait se terminer. Le traité de Ryswick, signé le 1er octobre 1697, avait mis un terme au conflit entre les puissances européennes, au moins pour un temps. Frontenac, toujours gouverneur même s’il n’avait que deux ans de moins que Marguerite, vit l’avènement de la paix en Europe mais mourut à la fin de 1698. Marguerite non plus n’allait pas voir la première année du nouveau siècle, qui allait être celle de la Grande Paix avec les tribus autochtones. Le traité qui allait mettre fin aux dévastations des dix années précédentes ne serait signé à Montréal qu’en 1701. Mais l’apaisement des hostilités dut apporter un sentiment de soulagement. Presque tout le monde à la Congrégation avait été touché par ce conflit d’une façon ou d’une autre. Marie Barbier y avait perdu deux frères; Catherine Charly, un beau-frère; Marguerite Le Moyne, plusieurs cousins; Lydia Longley, presque toute sa famille; Mary Sayward, son père; et Jeanne Le Ber, deux de ses frères. Bien des choses s’étaient terminées à la Congrégation, mais ces années avaient aussi suscité de nouveaux commencements : l’approbation canonique et l’entrée en fonction d’une nouvelle équipe

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dirigeante. Marie Barbier, de toute évidence, comptait encore des appuis dans la communauté, car elle fut élue assistante, poste qui lui convenait peut-être mieux que celui de supérieure si, comme elle le confia à Glandelet, elle avait bien le don d’inciter les sœurs à se confier et savait les consoler et les encourager2 . Le risque de frictions entre l’ancienne équipe et la nouvelle diminua lorsque sa santé obligea Marie Barbier à partir pour Québec, en septembre, et à y passer tout l’hiver 1698–99. Catherine Charly avait été élue maîtresse des novices et il semble qu’elle et Marguerite Le Moyne collaboraient bien. L’ensemble complexe, voire paradoxal, de traits et de dons qui caractérisaient Marguerite Bourgeoys a souvent été souligné. En vraie fille de sa Champagne natale, terre de poètes et de marchands, elle alliait les qualités de Marie et celles de Marthe, à la fois mystique et femme d’affaires. Il se peut que les deux personnes qui lui succédèrent, Marie Barbier et Marguerite Le Moyne, aient chacune incarné plus particulièrement un aspect de la combinaison qui avait trouvé son équilibre chez la fondatrice. Marguerite Le Moyne, qui allait guider la Congrégation pendant une bonne partie des années qui restaient au régime français, venait d’une famille prospère de commerçants. Sa demi-sœur, Agathe de Saint-Père, qui n’était pas une Le Moyne, devint l’un des entrepreneurs les plus importants de la colonie. Mais les habiletés pratiques que Marguerite partageait sûrement avec le reste de sa famille ont dû s’allier à d’autres qualités. Autrement, on ne lui aurait pas confié, alors qu’elle était encore toute jeune, la formation des personnes qui entraient dans la Congrégation. Rien n’indique cependant qu’elle ait partagé les prétentions sociales qui ont poussé Agathe de Saint-Père à empêcher le mariage de son demi-frère, un Le Moyne plus jeune, avec une fiancée qu’elle ne jugeait pas socialement acceptable. Lorsque mourut Marguerite Bourgeoys, c’est d’abord son humilité que Marguerite Le Moyne recommanda à la Congrégation. Si jamais c’était aussi la vertu dont elle sentait qu’elle lui manquait le plus, elle en aura au moins reconnu l’importance. Tout de suite après son élection, Marguerite Le Moyne écrivit à l’abbé Tronson pour le remercier de s’être entremis au sujet de la règle et pour obtenir l’assurance que les Sulpiciens continueraient de diriger la Congrégation. Elle dut exprimer quelque inquiétude quant à ses propres aptitudes face aux responsabilités qui étaient maintenant les siennes car, en mars 1699, son correspondant lui

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répondit : « Vous voilà supérieure ... Comme vous l’êtes par une légitime élection et par obéissance, il y a tout sujet d’espérer que vous ne gâterez rien. Notre-Seigneur vous assistera; et pourvu que vous lui soyez fidèle, tout ira bien. Vous ne devez point craindre que nos messieurs cessent de vous rendre les services qu’ils vous ont rendus jusqu’à présent, tant que vous servirez bien Dieu et qu’ils vous seront utiles. Je suis bien aise que vous soyez toutes contentes d’eux; ils me paraissent l’être aussi de vous autres3. » Tronson terminait en priant sa correspondante de le rappeler au bon souvenir de Marguerite Bourgeoys. Que les membres de la Congrégation en aient eu conscience ou non, l’abbé Tronson intervint encore d’une autre façon pour la protéger à ce moment-là. Les Ursulines de Québec en avaient appelé directement à lui pour faire approuver une fondation de leur communauté à Montréal. La réponse de Tronson fut rédigée en même temps que sa lettre à Marguerite Le Moyne. En référence à une lettre que les Ursulines lui avaient envoyée au mois d’octobre précédent, il dit : « Pour vous parler avec sincérité, je vous dirai que des personnes qui connaissent le pays ont peine à croire que deux communautés de filles, qui ont les mêmes emplois, ne soient point trop pour Ville-Marie. Tout ce que je puis faire, c’est d’écrire cette année à nos messieurs pour être éclairci là-dessus ... Il ne s’agit que de bien connaître la volonté de Dieu, de peur que, comme il arrive quelquefois, en voulant trop multiplier le bien et le trop étendre, on ne l’affaiblisse et on ne le diminue4. » Ce fut là l’un des derniers services que Louis Tronson rendit à la Congrégation de Notre-Dame. Comme Marguerite Bourgeoys, il allait s’éteindre avec le siècle car il mourut, lui aussi, pendant l’hiver 1699–17005. Marguerite Le Moyne aurait besoin de tous les encouragements qu’elle pouvait recevoir car, presque tout de suite, la Congrégation dut affronter une nouvelle épreuve. La dotation de Mgr de SaintVallier pour les missions de la Congrégation à Québec semble avoir été faite en vue de projets qui n’avaient pas été divulgués au moment du don. L’évêque paraît avoir eu l’intention de diviser la Congrégation de manière que les sœurs en mission dans la région de Québec forment un groupe complètement séparé de celui des sœurs de la région de Montréal6. Chaque groupe aurait sa supérieure et son noviciat. Évidemment, l’évêque comptait pouvoir contrôler de plus près le groupe de Québec. Intéressés, des citoyens de Québec étaient

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disposés à agrandir la maison de la Congrégation et à fournir aux sœurs un revenu pour les aider à vivre. Jamet pense que, pour ce plan, l’évêque avait l’appui du curé de la paroisse Sainte-Famille de l’île d’Orléans, François Lamy. Si l’évêque était arrivé à ses fins, la Congrégation aurait pu connaître un sort analogue à celui des Filles de la Croix, lorsque M me de Villeneuve en prit le contrôle. D’après l’Histoire de la Congrégation, l’évêque demanda à un de ses prêtres de lui rédiger un mémoire sur la façon de réaliser ce projet. Le prêtre, sans doute Charles de Glandelet, connaissait très bien les Sœurs de la Congrégation, car le mémoire décrit ce que serait appelée à faire chacune de celles qui travaillaient déjà dans la région de Québec. Il propose que Marie Barbier soit nommée supérieure de la région de Québec, puisqu’elle est déjà dans la ville pour y subir des traitements. Il suggère aussi de lui donner Ursule Gariépy pour assistante et de nommer Marguerite Gariépy maîtresse des novices. (Il semble que ces postes pouvaient être comblés par nomination plutôt que par élection.) En plus de la maison de Québec, la communauté comprendrait les missions de SainteFamille sur l’île d’Orléans, de Château-Richer et de Champlain, une ancienne mission qu’on avait fermée mais qui serait bientôt rouverte. Outre les sœurs déjà en mission dans la région, trois autres seraient envoyées de Montréal, portant ainsi à douze les membres de la nouvelle communauté. « Pourvu qu’on ait l’agrément de la communauté de Ville-Marie, écrit l’auteur du mémoire, il sera aisé de faire consentir les sœurs de Québec, qui sont toutes disposées à sacrifier l’inclination naturelle qu’elles auraient à cet égard. C’est ce qu’elles m’ont dit lorsque je leur ai fait entendre qu’on prétendait agir de concert avec les sœurs, et qu’elles ne devaient pas craindre de se voir désunies d’esprit et de cœur de celles de Ville-Marie. Cependant, les sœurs qui sont ici sentiront de la peine à quitter leur première communauté pour passer à celle de Québec7. » Il est impossible de savoir aujourd’hui dans quelle mesure Glandelet, si c’est bien lui qui a rédigé le mémoire, a su évaluer les sentiments des sœurs de Québec. Loin de Montréal et soumises aux pressions de leur évêque, celles-ci ont pu juger prudent de ne pas exprimer avec plus de force leur opposition à ce plan. Il n’est pas certain non plus que soit justifiée l’assurance de Glandelet quant à son influence sur Marie Barbier. Il se montre toutefois bien conscient de ce qui pourrait être la source de l’opposition la plus importante.

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« Quoique les raisons que j’avance soient plausibles, explique-t-il, je doute que la sœur du Saint-Esprit [Marguerite Le Moyne], qui gouverne l’esprit de la plupart des filles de la Congrégation, surtout des jeunes, qui sont ses élèves, et qui font le plus grand nombre, y consente volontiers. Elles feront probablement difficulté de convenir que la communauté de Québec doive être indépendante de celle de Ville-Marie8. » Vers la fin du mémoire, il est question de Marguerite Bourgeoys. L’auteur dit qu’il a envoyé une page à Catherine Charly après l’avoir montrée aux sœurs de Québec, puis il ajoute : « J’ai cru le devoir faire après la réponse que j’ai faite à la S. Bourgeois dans laquelle je n’avois fait qu’ébaucher les raisons qui sont contenues au document écrit. Votre Grandeur jugera s’il est à propos de leur faire paraître qu’elle en est informée » On voit que Marguerite Bourgeoys avait entendu parler du plan et qu’elle avait soulevé des objections. Il est curieux que la page ait été envoyée à Catherine Charly plutôt qu’à Marguerite Le Moyne, qui était la supérieure. S’agissait-il de diviser pour régner? Il est heureux pour la Congrégation que les deux femmes aient fait si bonne équipe. Jusqu’où serait allé l’évêque pour diviser la Congrégation, avec ou sans l’accord de la communauté? Nul ne le saura jamais. La paix des premiers mois suivant son retour au Canada fut rompue par une dispute avec les Jésuites, qui obligea Saint-Vallier à retourner en France en 1700. Il ne pourrait rentrer dans son diocèse que treize années plus tard, dont cinq passées en Angleterre comme otage après sa capture en haute mer pendant la guerre de Succession d’Espagne. À Montréal, une autre sœur née en France, Perrette Laurent de Beaune, membre de la recrue de 1672, mourut le 30 octobre 1698 à l’âge de quarante-cinq ans. Puis, en février 1699, Marguerite Bourgeoys perdit la dernière des compagnes avec qui elle avait fondé la Congrégation en 1659. Marguerite et Catherine Crolo avaient pratiquement le même âge et leur amitié remontait à l’époque de la congrégation externe de Troyes, plus de soixante ans auparavant. Sœur Crolo était la seule à Montréal à avoir connu la jeune Marguerite et à partager tant de souvenirs avec elle. Elle avait dirigé la ferme de Pointe-Saint-Charles jusqu’à l’incendie de 1693. Marie Morin écrivait à son sujet en 1697 : « C’était une fille infatigable pour le travail, se regardant comme la servante de toutes et l’âne de la maison. Elle vit encore aujourd’hui, âgée de plus de 80 ans,

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en grande odeur de vertu9. » Catherine Crolo avait pris pour nom de religion Catherine de Saint-Joseph, choisissant pour patron le saint qui avait pourvu aux besoins matériels de la sainte famille de Nazareth. Le registre de la paroisse indique que ses funérailles eurent lieu le 28 février 1699, « témoins tout le clergé et un grand concours de peuple ». Sa mort ne pourra qu’avoir accentué la solitude de cette période où Marguerite vivait « si humble et rabaissée qu’elle inspire l’amour de l’humilité seulement à la voir10 ». Elle fut suivie, le 16 août, par le décès, à quarante-quatre ans à peine, de Catherine Sommillard, la plus jeune des trois nièces qui étaient venues à Montréal avec Marguerite Bourgeoys en 1672. Elle avait rempli les fonctions d’économe de la communauté et elle avait fondé la mission de Lachine, mais elle devait déjà être malade au moment de l’acceptation de la règle, l’année précédente, puisqu’elle n’était pas au nombre des signataires. L’Histoire de la Congrégation cite une observation faite à l’époque : « La vie pénible des sœurs missionnaires altérait bientôt leur santé, et les obligeait de retourner à leur communauté de Ville-Marie au bout de quelques années de travail11. » Les funérailles de Catherine, le lendemain de sa mort, obsèques auxquelles participèrent de nouveau « tout le clergé et un grand concours de peuple », donnèrent peut-être à Marguerite l’occasion de revoir Louise, sa dernière nièce encore vivante, ainsi que sa famille. D’après les lettres écrites en janvier et février 1700, Marguerite Bourgeoys ne présentait aucun signe avant-coureur de sa mort imminente, même si elle avait été gravement malade l’année précédente. Ses facultés mentales n’étaient aucunement atteintes. Il n’est guère vraisemblable, par contre, que la mort de ces deux femmes ne l’ait pas affectée. Elle dut se réjouir de voir terminée la ferme de Pointe-Saint-Charles, qu’on avait entrepris de reconstruire en 1698. Elle célébra un dernier Noël à Montréal, peut-être en se remémorant d’autres Noëls, comme les personnes âgées ont tendance à le faire. Quarante-sept ans plus tôt, dans le fort de Ville-Marie, elle avait fêté son premier Noël à Montréal avec la jeune Marie Dumesnil, première des filles à marier confiées à ses soins. Marie avait fini par donner trois filles à la Congrégation12 . L’une d’elles était morte à l’âge de vingt ans, une deuxième à l’âge de seize ans et voilà que la vie de la troisième paraissait menacée. Dans la nuit du 31 décembre 1699 au 1er janvier 1700, on éveilla la communauté parce qu’on croyait que la maîtresse des novices, Catherine Charly,

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était mourante. Elle n’avait que trente-trois ans. La personne qui éveilla Marguerite Bourgeoys cette nuit-là, d’après une lettre écrite peu après la mort de la fondatrice, l’aurait entendue soupirer : « Ah! mon Dieu! Que ne me prenez-vous plutôt que cette pauvre Sœur qui peut encore servir cette pauvre maison, et moi qui suis inutile et qui ne sers à rien13! » Cet incident, joint au fait qu’à compter de ce moment Marguerite Bourgeoys tomba malade et que son état ne cessa de s’aggraver tandis que Catherine Charly commençait de se rétablir, fit se répandre dans la Congrégation l’idée que l’aînée avait offert sa vie pour la plus jeune. La dernière maladie de Marguerite Bourgeoys dura douze jours, pendant lesquels elle fut affligée de grandes douleurs14. Dans une lettre écrite aux sœurs en mission à l’extérieur de Ville-Marie le jour du décès de la fondatrice, Marguerite Le Moyne raconte : « Elle a souffert depuis le premier jour de l’an au soir que le mal l’a prise, des douleurs presque continuelles, mais si violentes que, quoiqu’elle les endurât avec une patience admirable, elle ne pouvait s’empêcher de crier15. » L’Histoire de la Congrégation ajoute un commentaire qui nous rappelle les limites de la pratique de la médecine à l’époque : « Elle recevait sans réplique tout ce qu’il plaisait au médecin de lui ordonner, ou aux sœurs qui la servaient de lui présenter, pour son soulagement, malgré la répugnance qu’elle y avait, et l’expérience qu’ils ne servaient qu’à la faire souffrir de plus en plus16. » Une sœur de la Congrégation, restée anonyme, a écrit tout de suite après la mort de Marguerite Bourgeoys : « Nous avons vu en notre très chère Mère, la Sœur Bourgeoys, la vérité du dire ordinaire que telle vie, telle mort17. » Il est certain, d’après les lettres qui décrivent ses derniers jours et ses dernières heures, qu’elle montrait toujours les qualités qui avaient caractérisé sa vie antérieure. On retrouve l’architecte et la conceptrice : « Entre autres avis que notre Mère donna à ses sœurs pendant sa maladie, elle leur recommanda de profiter des ouvertures que la Providence pourrait leur offrir pour reconstruire sur un plan plus vaste les salles destinées aux sœurs, aux pensionnaires et aux externes, dont le nombre s’était accru considérablement depuis la construction de la nouvelle maison où elles demeuraient alors18. » Elle continuait d’être attentive aux sentiments et aux difficultés des personnes qui l’entouraient : « Une de nos sœurs nous a assuré que deux jours avant la mort de notre chère défunte, elle se trouvait si fatiguée et si saisie d’un grand mal

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de cœur en la remuant, qu’elle fut contrainte de prier une autre Sœur de prendre sa place; la malade s’en étant aperçu lui dit que cela passerait bientôt. En effet, cette sœur étant ranimée tout d’un coup, elle reprit son exercice, son mal de cœur passa et elle ne sentit plus depuis l’odeur qui l’avait fait tomber en défaillance19. » Mais surtout, il y a des signes en ces derniers jours de sa vie qui montrent que les épreuves et les déceptions de la dernière décennie n’avaient pas eu raison du tempérament allègre de la jeune fille qui avait été si populaire parmi les jeunes femmes de Troyes, de la jeune femme qui pouvait éclater de rire avec de Maisonneuve et l’abbé Souart aux « jours terribles » où Ville-Marie devait livrer un dur combat pour subsister. Elle taquinait les sœurs en leur disant qu’elles la soignaient si bien qu’elles semblaient ne pas vouloir qu’elle aille au ciel. Et elle chantait : « Malgré l’ardeur de la fièvre qui ne l’a point laissée et les grandes douleurs qu’elle a souffertes jusqu’à la mort, elle a souhaité qu’on lui chantât des cantiques, et ellemême a chanté jusqu’à la veille de sa mort20. » Après les doutes et les angoisses des dix dernières années, ces derniers jours lui redonnaient la paix. Le mot qui revient le plus souvent dans les textes qui racontent la fin de sa vie est le mot « doucement »; il n’y a aucune trace de la crainte d’être rejetée par Dieu, qui lui avait causé une telle inquiétude au moment de l’affaire Tardy. Qu’on retienne ou non l’hypothèse qu’elle ait offert sa vie pour Catherine Charly, les mots qui ont donné naissance à cette idée montrent que Marguerite était prête à remettre la Congrégation de Notre-Dame entre les mains des plus jeunes et, ultimement, entre celles de Dieu. Enfin, au matin du 12 janvier 1700, elle mourut « très doucement » après une dernière agonie de trois heures. Plus tard ce jour-là, Marguerite Le Moyne écrivit : « Elle est morte, mes chères Sœurs, comme elle a vécu, c’est-à-dire en aimant Dieu de tout son cœur et en témoignant une joie extrême d’aller se réunir à son Créateur21. » Comme le voulait la coutume à l’époque, les funérailles et l’enterrement de Marguerite Bourgeoys eurent lieu le lendemain. Avant qu’elle ne s’en aille tout à fait, cependant, Marguerite Le Moyne demanda à son cousin Pierre Le Ber de peindre une image de la fondatrice. À l’instar de sa sœur Jeanne, le plus jeune fils de Jacques Le Ber était pieux et avait des talents d’artiste22 . Pierre Le Ber avait probablement étudié les arts à Québec et, comme l’atteste l’inventaire de ses biens lors de son décès en 1707, il consacrait à l’art la plus grande partie de son temps. Le récit de l’exécution du portrait

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de Marguerite Bourgeoys illustre le ton des histoires qui commencèrent à se répandre tout de suite après la mort de la fondatrice. Monsieur Le Ber, le fils, ayant été prié de tirer le portrait de notre chère Mère, un peu après qu’elle fût morte, il vint chez nous à cet effet, après avoir communié pour elle à notre chapelle; mais il se trouva si incommodé d’un mal de tête qui lui prit, qu’il lui fut impossible de l’entreprendre. Une de nos Sœurs lui donna un peu de cheveux de notre Mère défunte, qu’il mit sous sa perruque, et en même temps, il se sentit si soulagé qu’il se mit à l’œuvre avec une facilité que lui et ceux qui le regardaient ne purent s’empêcher d’admirer. Le même, continuant de porter les cheveux de notre Mère, croit avoir échappé par ce moyen, deux jours après, à un danger évident de se blesser très grièvement d’une chute qu’il fit, où naturellement parlant, il devait avoir la tête cassée23.

Sans être une œuvre dans le grand style de l’époque, le tableau de Pierre Le Ber a toujours eu une grande valeur aux yeux de la Congrégation. Mais il fut recouvert par un portrait retouché au dix-neuvième siècle et on ne l’a retrouvé que dans la seconde moitié du vingtième siècle, période où l’on pouvait mieux apprécier ses qualités. Au moment de la restauration de l’œuvre de Pierre Le Ber, un observateur a relevé ce qui suit : Toutes les qualités humaines que nous savons avoir appartenu à la fondatrice : une intelligence supérieure, du sens pratique, un mélange de grande fermeté et d’inépuisable bonté, de la simplicité et même, me semble-t-il, un vague désabusement compréhensif, apparaissent dans l’œuvre magnifique de Le Ber. Malgré la gaucherie du rendu, les mains aux longs doigts ont aussi leur éloquence, et il n’est pas jusqu’à l’austérité de la couleur des vêtements qui n’ajoute à la qualité de l’ouvrage. On comprend en voyant cet admirable portrait comme Marguerite Bourgeoys fut grande et on aperçoit la raison de l’amour et de la vénération de toute la ville pour celle qui a tant contribué à sa fondation et à son essor 24.

Le soir de son décès, le corps de Marguerite Bourgeoys fut exposé dans la chapelle de la Congrégation pour que les Montréalais puissent venir lui rendre un dernier hommage. « [Ils] y faisaient toucher leurs chapelets et leurs livres et demandaient avec empressement quelque chose qui lui eût appartenu 25. » Depuis sa cellule, Jeanne Le Ber veilla le corps pendant la nuit. L’Histoire de la Congrégation

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rapporte qu’un désaccord surgit entre les sœurs de la Congrégation et la paroisse au sujet du lieu de la sépulture de Marguerite. Le différend fut réglé lorsque Dollier de Casson, toujours prêt à jouer les conciliateurs, proposa un compromis : le corps serait enterré à l’église paroissiale dans la chapelle de l’Enfant-Jésus tandis que resterait à la Congrégation le cœur de Marguerite, qu’on allait extraire avant l’enterrement comme c’était l’usage pour les personnes qui avaient une réputation de sainteté. Même si le désir des sœurs d’avoir dans leur propre chapelle le tombeau de leur fondatrice est parfaitement compréhensible, la chose aurait été contraire à la volonté explicite de Marguerite, qui souhaitait que les sœurs de la Congrégation soient enterrées dans l’église paroissiale26. Le fait d’être ensevelie dans l’église paroissiale répondait à son désir de rester « fille de paroisse » jusqu’à la fin et même au-delà. Les funérailles se déroulèrent le samedi 13 janvier. C’est Dollier de Casson qui présida et prononça l’homélie. Glandelet cite la lettre d’un prêtre qui avait assisté aux funérailles : « La Sœur Bourgeoys mourut hier matin, son corps est à la paroisse et son cœur à la Congrégation. Il n’y a jamais eu tant de prêtres, ni de religieux dans l’église de Montréal, qu’il y en avait ce matin aux obsèques de cette bonne fille. Messieurs nos Gouverneurs général et particulier y ont assisté, grand concours de peuple, etc. Si les Saints se canonisaient comme autrefois, par la voix du peuple et du clergé, on dirait demain la messe de Sainte Marguerite du Canada27. » La croyance en la sainteté de la femme qui venait de mourir s’exprime clairement et avec force dans les lettres de condoléance reçues à la Congrégation dans les semaines suivant la mort de la fondatrice. « On ne peut s’empêcher de convenir que Dieu ne l’ait traitée comme une de ses plus chères et de ses plus fidèles servantes », écrit Mgr de Saint-Vallier. Le supérieur des Jésuites fait observer : « Je ne croi[s] pas qu’elle ait besoin de nos suffrages ... Et je ne crois pas avoir jamais vu de fille aussi vertueuse qu’elle. » La supérieure de l’Hôtel-Dieu de Québec, où Marguerite avait logé lors de ses voyages dans la capitale, assure la Congrégation de sa sympathie pour la perte d’une personne « qui vous était aussi chère dans la vie et qui est maintenant vénérée dans la mort ». Elle ajoute : « Nous n’avons pas manqué de rendre nos devoirs à votre chère et très précieuse défunte ... quoique je ne croie pas qu’elle ait besoin de nos prières. »

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La plupart des lettres relèvent les qualités que leurs auteurs admiraient chez Marguerite Bourgeoys. Il est souvent question de son humilité et de son détachement, de sa foi et de sa complète confiance en la providence de Dieu. On parle aussi de sa « grandeur d’âme », de « la grâce [qu’elle avait] d’avoir un cœur généreux, toujours disposé à entreprendre des tâches difficiles ». Le supérieur des Jésuites note : « Au reste, je l’estime heureuse de ce qu’elle est morte, pleine de jours et de mérites, après avoir conservé son jugement, sa ferveur et ses autres vertus jusqu’au dernier soupir. » Mgr de SaintVallier ajoute une réflexion toute personnelle quand il écrit : Dans les vertus où je voudrais l’imiter, il y en a une qui me fait plus d’impression que les autres, dont je reconnais avoir plus de besoin, qui est sa vie cachée et recueillie qu’elle a menée depuis sa démission qu’elle a faite de son emploi de Supérieure. Que cette grâce est précieuse pour ceux qui gouvernent les autres! Je la regarde comme une des marques des plus assurées de prédestination, lorsque Notre-Seigneur veut bien accorder un intervalle entre la vie et la mort pour leur donner moyen de réparer les fautes qu’elles ont pu faire dans le gouvernement des autres28 .

La partie la plus solennelle de la période de deuil se conclut le 11 février, trentième jour après la mort de Marguerite, par la célébration d’une messe pour ce qu’on appelait alors « le service du trentième jour ». Jusque-là, le récipient de plomb qui contenait son cœur avait été accessible à la population de Montréal pour qu’elle puisse le vénérer. Une des sœurs nota : « Je crois qu’on a apporté tous les chapelets de la ville, des livres d’heures, des crucifix, pour les faire toucher à son cœur; et si l’on eût voulu donner, par petits morceaux, le linge que nous avons trempé de son sang, nous n’en aurions plus29. » Ce jour-là, le cœur fut déposé dans une niche aménagée spécialement dans le mur du sanctuaire de la chapelle de la Congrégation, niche qui fut recouverte d’une plaque de cuivre. On plaça juste au-dessus le portrait de Le Ber. C’est l’abbé François Vachon de Belmont qui présidait et il prononça un sermon sur le texte de la première épître de Paul aux Corinthiens (1 Co 11, 1) : « Prenez-moi pour modèle; mon modèle à moi, c’est le Christ. » Il choisit de développer trois qualités de Marguerite Bourgeoys qui étaient le fruit de son union au Christ et qu’il invitait les sœurs de la Congrégation à imiter.

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La première est « l’amour de la croix », sa façon d’accepter la souffrance. Il situe dans ce contexte un événement qui s’est produit pendant les premières années que lui-même avait vécues à Montréal, l’incendie de 1683 qui a entraîné la mort de deux sœurs et une période de pauvreté et de grandes difficultés. Il fait ensuite une brève allusion à l’affaire Tardy et à ses retombées : « Les peines et les travaux de l’esprit ont succédé à ceux du corps; et, comme elle les a endurés avec une douceur, une égalité et une patience parfaite, ils ont véritablement contribué à la rendre vile à ses propres yeux, mais très grande à ceux de Dieu et des anges. L’obéissance qu’elle a rendue, non seulement à ses supérieurs, mais même à ses propres filles, est une leçon d’humilité pratique plus persuasive que n’auraient pu l’être tous ses discours30. » Au moment de développer la deuxième caractéristique de Marguerite, le zèle pour le salut des âmes, Belmont fait montre d’une compréhension du mode de vie de la Congrégation qui aurait sûrement réconforté Marguerite Bourgeoys si elle avait pu entendre l’orateur. Il parle de l’inspiration de la Sainte Vierge, qui a incité Marguerite à affronter courageusement les dangers d’une traversée de l’océan pour aller instruire les jeunes filles et ouvrir des écoles, et du fruit de son œuvre parmi les femmes et les familles du Canada. Puis il s’adresse à la Congrégation rassemblée : Vous êtes vous-mêmes, mes sœurs, les plus beaux fruits de son zèle qui vous a enfantés à Jésus Christ. C’est son zèle qui lui a fait rassembler cette compagnie d’amazones chrétiennes pour combattre le démon, et le combattre, non dans le retranchement de la clôture, mais au milieu du monde. C’est pour cela, mes sœurs, qu’elle vous a instituées filles séculières de paroisse, pour être comme la portion la plus précieuse du troupeau, la bonne odeur de Jésus-Christ, odeur médicinale qui corrige l’air empesté du monde. Elle a prétendu que la présence de Dieu vous servît en tout lieu d’un inaccessible retranchement; et, comme dit l’Écriture, d’une clôture de feu; et qu’armées de la sorte, vous allassiez, comme des tabernacles vivants sous lesquels Jésus Christ est caché, pour conquérir le monde, en travaillant par l’éducation à lui gagner les cœurs des enfants, et en édifiant les grandes personnes par vos exemples31.

La dernière caractéristique que développe Belmont, c’est le courage de Marguerite. Encore une fois, son sermon manifeste une grande connaissance des premières années de la vie de Marguerite

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Bourgeoys, de l’acte de foi qu’elle a fait en partant seule pour le Nouveau Monde sans rien d’autre qu’un très petit bagage et l’espoir que ce que Dieu n’avait pas permis à Troyes, il l’accorderait peutêtre à Montréal. Belmont sait aussi qu’elle a comparé la Congrégation aux apôtres. Quand je dis son courage, je dis sa confiance et sa foi. Cette véritable fille d’Abraham sort de son pays, sans connaître celui où elle va; elle se jette entre les bras de Dieu qui l’appelle; elle est ferme dans sa confiance, et croit qu’il pourra faire sortir de son néant une grande et nombreuse famille. De là la magnanimité avec laquelle elle a envisagé les périls de la mer, ceux de la guerre, et entrepris avec une constance invincible les œuvres que vous voyez accomplies par elle avec un si glorieux succès. Les apôtres, sans éloquence, sans la prudence du monde, ont fait ce que les richesses, l’autorité et la puissance n’auraient pu exécuter, Dieu se plaisant à confondre ainsi la sagesse humaine, en choisissant les instruments les plus faibles pour renverser ce qu’il y a de plus fort. Mes sœurs, le bras de Dieu n’est pas raccourci. Il en fera autant par vous, qu’il appelle à marcher sur les traces des saints apôtres, à la suite de votre admirable institutrice32 .

Dans l’année qui suivit ce sermon, François Dollier de Casson mourut à Montréal et c’est l’abbé de Belmont qui lui succéda comme supérieur du séminaire et seigneur de Montréal, poste qui avait d’abord été destiné à Joseph de La Colombière. Il ne fait aucun doute que cette succession contribua largement à la survie de la Congrégation de Notre-Dame. Car la Congrégation survécut pour devenir dans l’Église catholique l’une des plus anciennes communautés de femmes non cloîtrées dont l’histoire n’ait pas connu d’interruption. Les Filles de la Croix et les Filles de Sainte-Geneviève furent touts deux supprimées à l’époque de la Révolution française, sort qui fut épargné à la Congrégation de Notre-Dame parce que le Canada était passé sous le régime britannique en 1763. Les premières années du dix-huitième siècle apportèrent leur lot d’épidémies, telle la petite vérole qui emporta six sœurs en l’espace de deux mois en 1702. Le siècle vit aussi d’autres guerres, de graves difficultés économiques et éventuellement la Conquête et le début d’un nouveau régime. En dépit de tous ces problèmes, la Congrégation continua de voir augmenter ses effectifs au point de devenir, et de loin, la communauté religieuse féminine la plus nombreuse en Nouvelle-France.

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Malgré les tendances qui avaient consterné Marguerite Bourgeoys dans les dix dernières années de sa vie, la Congrégation demeura attachée non seulement à l’éducation des femmes mais plus particulièrement à l’éducation des femmes pauvres. Parmi les nombreux témoignages qui attestent ce fait, on trouve celui du Jésuite PierreFrançois-Xavier de Charlevoix, qui observa le travail de la Congrégation lors de sa visite au Canada en 1721 et qui devait rédiger ce qui suit à propos de Montréal : Il commençait à s’y former une ville dont la fondation fut marquée par un établissement qui fait aujourd’hui l’un des plus beaux ornements de la Nouvelle-France. Elle le doit à Marguerite Bourgeoys, cette sainte fille qui, plusieurs années auparavant, avait suivi M. de Maisonneuve en Canada. Sans autre ressource que son courage et sa confiance en Dieu, elle entreprit de procurer à toutes les jeunes personnes de son sexe, quelque pauvres et quelque abandonnées qu’elles fussent, une éducation que n’ont point dans les Royaumes plus policés beaucoup de filles même de condition, et elle y a réussi au point qu’on voit toujours avec un nouvel étonnement des femmes, jusque dans le sein de l’indigence et de la misère, parfaitement instruites de leur religion, qui n’ignorent rien de ce qu’elles doivent savoir pour s’occuper utilement dans leurs familles et qui, par leurs manières, leur façon de s’exprimer et leur politesse, ne le cèdent point à celles qui parmi nous ont été élevées avec plus de soin. C’est la justice que rendent aux Filles de la Congrégation tous ceux qui ont fait quelque séjour en Canada33.

À propos de la dot, la Congrégation fut aussi fidèle au projet de Marguerite Bourgeoys qu’on lui permit de l’être. En février 1722, Mgr de Saint-Vallier fixa la dot des personnes qui entraient dans la Congrégation à 2000 livres. Cette mesure était conforme à la politique royale car le roi, plus tard cette année-là, émit une ordonnance visant à décourager l’entrée dans les congrégations religieuses en fixant la dot à 5000 livres. En dépit de cette exigence, les supérieures purent solliciter et obtenir une dispense de l’évêque pour les personnes qu’elles présentaient comme des candidates acceptables. On les avertit toutefois qu’elles risquaient de perdre le droit d’exiger une dot si elles y renonçaient trop souvent34. Les années qui précédèrent et qui suivirent immédiatement la Conquête furent difficiles pour la Congrégation, comme pour la majorité de la population de la Nouvelle-France, et les problèmes

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furent encore alourdis par la perte de la maison de Montréal et de tous ses biens dans un incendie qui détruisit un secteur important de la ville en 1768. Mais la communauté reconstruisit, comme Marguerite Bourgeoys l’avait fait en 1684. Lors des décennies suivantes, les sœurs commencèrent à accueillir dans leurs écoles des enfants d’origine écossaise, irlandaise et anglaise, et elles en vinrent bientôt à admettre des novices anglophones, surtout d’ascendance écossaise et irlandaise. En 1843, l’évêque de Montréal révoqua une ordonnance imposée à la Congrégation sous le régime français et qui l’obligeait à ne pas dépasser quatre-vingts membres. Par la suite, les effectifs de la Congrégation continuèrent d’augmenter jusqu’à atteindre près de 4000 sœurs dans le troisième quart du vingtième siècle35. Sur le plan géographique, la communauté s’est répandue dans d’autres régions du Canada et aux États-Unis au dixneuvième siècle, puis au Japon, en Amérique latine et en Afrique au vingtième, pendant qu’on voyait des sœurs de la Congrégation s’établir à Troyes, ville natale de Marguerite Bourgeoys, et dans les localités environnantes. À mesure que changeait le rôle des femmes dans la société, l’éducation que leur offrait la Congrégation a évolué, elle aussi. Au vingtième siècle, la communauté s’est engagée très activement dans l’enseignement post-secondaire. Lorsqu’elle a ouvert la première institution de niveau collégial pour filles au Québec, on lui a donné le nom de la fondatrice, Marguerite Bourgeoys. Avec la croissance de l’éducation mixte, le collège a accueilli des étudiants des deux sexes, comme l’étable-école des débuts. À l’aube du vingt et unième siècle, les nouveaux membres de la communauté proviennent surtout des pays d’Amérique latine ou du Cameroun, régions où les conditions ressemblent davantage à celles qui ont caractérisé la fondation de la Congrégation. En 1984, pour la première fois, les Constitutions et règles de la Congrégation ont incorporé au moins une partie des sources d’inspiration que Marguerite Bourgeoys aurait voulu lire dans la règle originale : La fondation de l’Institut remonte aux origines de Ville-Marie, aujourd’hui Montréal. Sainte Marguerite Bourgeoys (1620–1700), venue de France au Canada en 1653, crut répondre à un appel de Dieu en réunissant autour d’elle un groupe de femmes à qui elle proposait d’honorer la vie de la Sainte Vierge. Elle et ses compagnes considéraient la Mère de Jésus, dans le mystère de sa Visitation, comme le type même de la vie apostolique

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féminine : elles imiteraient la vie « voyagère » de Marie dans un engagement en éducation ... Notre fondatrice nous invite à imiter « la vie que la Sainte Vierge a menée tout le temps qu’elle a été sur la terre ». C’est pourquoi, spécialement dans le mystère de la Visitation et dans la vie de Marie au milieu des Apôtres, au sein de la première communauté chrétienne, nous aimons ... puiser un stimulant spirituel et apostolique36 .

Marguerite Bourgeoys a été canonisée par le pape Jean-Paul II le 31 octobre 1982. Depuis cette date, plusieurs paroisses et plusieurs écoles ont reçu son nom au Canada et aux États-Unis. Elle n’est pas oubliée non plus dans la ville à la naissance de laquelle elle a consacré sa vie. L’île de Montréal a connu de nombreuses transformations depuis que Marguerite Bourgeoys a accosté sur ses rives en novembre 1653. Mais à l’ombre des gratte-ciel, plusieurs rues, un parc et une commission scolaire portent son nom, et sa statue se dresse près de l’hôtel de ville. Comme il convient, cette statue n’est pas une œuvre écrasante mais un personnage grandeur nature, accompagné de deux figures d’enfants, une petite fille et un petit garçon vêtus à la moderne qui marchent, comme elle, vers l’avenir. Le groupe peut être approché par les passants, comme elle a voulu l’être toute sa vie. Il est toujours possible de localiser l’emplacement de l’étable-école où Marguerite Bourgeoys a entrepris son œuvre d’éducation et de s’y rendre en suivant des rues qui portent toujours le nom qu’elles avaient quand elle circulait dans le Vieux-Montréal. Le jardin de ce qui reste de la ferme de Pointe-Saint-Charles offre une oasis de verdure au cœur du centre-ville. La chapelle qu’elle a fondée sur les rives du Saint-Laurent est devenue à la fois l’église des marins et le berceau de la communauté catholique anglophone de Montréal au dix-neuvième siècle. Comme elle l’avait souhaité, la chapelle offre toujours à ceux et celles qui y pénètrent un havre de paix dans un monde aussi turbulent, à sa façon, que le siècle mouvementé et stimulant qui fut le sien.

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l’iconographie de marguerite bourgeoys

Marguerite Bourgeoys n’a jamais posé de son vivant mais diverses tentatives ont été faites, pratiquement dès le moment de son décès, pour fixer son image, la première étant le tableau de Pierre Le Ber, peint alors qu’elle était dans son cercueil1 (ill. 1). Depuis lors, nombre d’artistes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Congrégation, ont entrepris de lui prêter un visage, des traits, une apparence, par le dessin, la gravure, la sculpture. La plupart ont essayé d’être fidèles à l’histoire du dix-septième siècle, aux traditions de la Congrégation, aux documents et aux récits transmis et au travail de leurs prédécesseurs. À chaque génération, les artistes ont aussi tenté de refléter fidèlement le langage et la spiritualité de leur époque pour faire voir à leurs contemporains le visage de Marguerite Bourgeoys. Deux représentations furent produites dans le premier quart du dixhuitième siècle : le portrait de Le Ber, en janvier 1700, et un dessin ou une miniature commandée par les Sulpiciens de Montréal et envoyée à leurs confrères de Paris vers 1722. Cette miniature a disparu mais elle a servi de modèle à une gravure de Charles-Louis Simonneau destinée à illustrer une biographie de Marguerite Bourgeoys (ill. 2). Même si cette gravure présente son sujet sous les traits d’une jeune femme sereine, elle ressemble au portrait de Le Ber, notamment pour le haut du visage et la coiffe. Toutes les représentations du dix-neuvième siècle dérivent de la gravure de Simonneau. Une toile attribuée à Antoine Plamondon et donnée à la Congrégation en 1851 (ill. 3) et la gravure de Massard pour la page frontispice de la biographie d’Étienne-Michel Faillon en 1853 (ill. 4) le montrent clairement. Au dix-huitième et au dix-neuvième siècle, l’art religieux se veut édifiant, austère et si respectueux de la tradition que les artistes se copient d’une génération à l’autre. Ils s’efforcent d’évoquer la profondeur de Marguerite, l’authenticité de sa prière et la portée de son engagement,

1 Portrait de Marguerite Bourgeoys par Pierre Le Ber. (Musée Marguerite-Bourgeoys.)

2 Gravure de Charles-Louis Simonneau d’après une miniature envoyée à Paris vers 1722. (Bibliothèque et Archives Canada, C-008986.)

3 Peinture attribuée à Antoine Plamondon et offerte à la Congrégation en 1852. (Musée Marguerite-Bourgeoys.)

4 Gravure de Massard (probablement Jean-Marie-Raphaël-Léopold Massard) pour le frontispice de la biographie de Marguerite Bourgeoys publiée par Étienne-Michel Faillon en 1853.

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et leurs œuvres ont un caractère sacré qui ne se retrouve pas toujours chez leurs successeurs. Mais le danger de coller ainsi à des modèles plus anciens, c’est que l’image devienne fixe, statique, distante. La page frontispice ne fut pas le seul travail exécuté par Massard pour la biographie de Faillon. L’ouvrage en deux volumes compte plusieurs gravures qui illustrent divers événements de la vie de Marguerite Bourgeoys et de l’histoire de la Congrégation. Avec le temps, on a ajouté d’autres personnages au portrait de la fondatrice. Ce sont très souvent des enfants, d’ascendance autochtone et européenne, comme dans la toile peinte en 1904 par une artiste de la Congrégation à l’occasion du cinquantième anniversaire de Villa Maria à Montréal (ill. 5). Dans le tableau d’Ozias Leduc, réalisé en 1909 pour la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, on aperçoit quelques sœurs de la Congrégation derrière Marguerite (ill. 6). Dans la première moitié du vingtième siècle, des artistes de la Congrégation ont produit toute une série de tableaux illustrant la vie de leur fondatrice, qui ont donné un ensemble de toiles pour les grands corridors de la maison mère de la Congrégation en 1950, année où Marguerite Bourgeoys fut béatifiée par le pape Pie XII (ill. 7). La béatification, dernière étape officielle avant la canonisation, a inspiré bon nombre de nouvelles œuvres d’art représentant Marguerite Bourgeoys. Pour évoquer l’honneur que l’Église vient de lui accorder, elle est représentée « en gloire » : l’artiste vise ici à illustrer le sens de l’événement plutôt qu’à produire un portrait réaliste du sujet. La plus frappante de ces œuvres est la grande toile exécutée par le peintre italien Georges Szoldatics pour le mur qui dominait l’autel latéral gauche de la chapelle de la maison mère de la Congrégation; elle fut dévoilée le matin de la béatification, même si elle avait été terminée avant cette date (ill. 8 et 9). La statue que Sylvie Daoust a sculptée à la même époque pour la basilique Notre-Dame de Montréal (ill. 10), évoque le recueillement et la sérénité de la gravure du dix-huitième siècle, et l’effigie produite en 1952 par M.J. Guardo pour la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours est, elle aussi, la représentation idéalisée d’une jeune femme (ill. 11). Moins de dix ans plus tard, toutefois, l’évolution de l’Église et de la société allait transformer la façon de représenter Marguerite Bourgeoys. Au milieu du dix-neuvième siècle, quelqu’un a repeint le portrait de Le Ber; on ignore qui et dans quelles circonstances. On attribue souvent le geste à l’influence de Faillon, qui entreprit sa biographie de Marguerite Bourgeoys dans les années 1830 et qui ne cachait pas son mépris pour l’œuvre de Le Ber. Assurément, le nouveau portrait d’une femme d’âge moyen au visage agréable (ill. 12) ne ressemble guère au tableau primitif

5 Marguerite Bourgeoys et les enfants, toile de sœur Saint-René (Elmina Lachance), 1904. Utilisée par les postes canadiennes en 1975 pour commémorer le 275e anniversaire de la mort de Marguerite Bourgeoys. (Musée Marguerite-Bourgeoys.)

6 Peinture d’Ozias Leduc, 1909. (Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, Montréal.) © Succession d’Ozias Leduc / SODR AC 2006

7 Marguerite Bourgeoys participant à la construction de la chapelle NotreDame-de-Bon-Secours. Œuvre tirée d’une série de toiles peintes par des artistes de la Congrégation en 1950.

8 Marguerite Bourgeoys en gloire, tableau de Georges Szoldatics pour la chapelle de la maison mère de la Congrégation de Notre-Dame.

9 Chapelle de la maison mère de la Congrégation, au 3040, rue Sherbrooke Ouest, en 1950. Les tableaux ont depuis été retirés de la chapelle, qui abrite aujourd’hui la bibliothèque du collège Dawson.

10 Sculpture de Sylvie Daoust à la basilique Notre-Dame de Montréal.

11 Représentation en plâtre de Marguerite Bourgeoys par M.J. Guardo, à la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours de 1952 à 2005, actuellement dans la collection du Musée Marguerite-Bourgeoys.

12 Copie de la peinture connue sous le nom de pseudo–Le Ber, réalisée par Jori Smith-Palardy avant qu’on retire les retouches ajoutées au dix-neuvième siècle et qu’on procède à la restauration du tableau original.

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mais rude et puissant de Le Ber. Avec le temps, le souvenir du tableau original de Le Ber s’effaça complètement et, plus ou moins officiellement, on tint pour son œuvre la peinture qui la recouvrait. Mais au début des années 19602 , des artistes à l’intérieur de la Congrégation remirent en question cette attribution à cause du style du tableau et des signes évidents de retouche; certaines sœurs plus âgées se rappelaient même avoir elles-mêmes été témoins de semblables retouches. En 1962, on consulta Jean Palardy, spécialiste réputé des antiquités canadiennes. Il devait confirmer ces soupçons : ce qu’on voyait sur la toile ne pouvait être l’œuvre de Pierre Le Ber et il émit l’hypothèse que l’œuvre se trouvât toujours sous la couche de surpeint et qu’il fût possible de la récupérer. On prit la décision d’explorer cette possibilité et, en 1963, sœur Mary Eileen Scott alla porter la toile à Edward O. Korany, de l’International Institute for Conservation de New York, un expert qui avait plus de quarante ans d’expérience dans ce genre de travail. Avant d’entreprendre le travail de restauration, on prit soin de photographier la toile, et une copie du surpeint, qu’on appellerait désormais le pseudo-Le Ber, fut commandée à l’artiste montréalaise Jori Smith-Palardy. Le restaurateur découvrit que le tableau original avait été repeint à deux reprises et fréquemment retouché; il était collé à une feuille de carton, elle-même fixée à un panneau d’aggloméré. En radiographiant la peinture, on put établir l’existence d’un autre portrait sous les deux surpeints. On pouvait entrevoir des mains qui priaient au lieu d’étre repliées, une courbe différente aux épaules et un peu du visage (ill. 13, 14 et 15). Mais des couches de plomb blanc, imperméables aux rayons X, empêchaient de savoir si tout le visage était intact. Sœur Sainte-Marie-Consolatrice, alors supérieure générale de la Congrégation, accepta de courir le risque que comportait la restauration, et Korany entreprit son laborieux travail : il fallait jusqu’à deux heures pour nettoyer un pouce carré d’une toile qui mesurait dix-neuf pouces sur vingt-quatre. On n’avait rien dit au restaurateur de la vie de la personne dont il récupérait le portrait, sinon qu’il s’agissait d’un personnage religieux du dix-septième siècle. Quand on lui a demandé sa première réaction devant le visage qu’il avait mis au jour, il n’eut qu’un seul mot : « compassion ». L’œuvre de Pierre Le Ber refaisait surface à une époque où non seulement on pouvait mieux apprécier son style mais aussi où sa façon d’interpréter son sujet correspondait davantage à la façon de voir la sainteté. Le deuxième concile du Vatican s’était ouvert en 1962 et allait se poursuivre jusqu’en décembre 1965. Ses délibérations et ses décrets allaient entraîner des changements considérables dans la vie, la piété et la pratique

13, 14, 15 Photographies prises à différentes étapes de la restauration du portrait de Marguerite Bourgeoys par Le Ber. (Musée Marguerite-Bourgeoys.)

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16 Hommage à Marguerite Bourgeoys, sculpture de Jules Lasalle pour la Place Marguerite-Bourgeoys, 1988. (Photo : Carmen Riffou.)

religieuse. Le concile pressa instamment les communautés religieuses de revenir à leurs sources et de ressaisir l’esprit authentique de leurs fondateurs et fondatrices. Au cours des décennies qui suivirent, on mit de plus en plus l’accent sur les liens entre religion et lutte pour la justice sociale. Dans le cas de Marguerite, la sainteté n’est pas affaire d’austérité ou de visions mais de présence aux gens ordinaires de Montréal au dixseptième siècle, à qui elle témoignait une compassion constante et envers qui elle se dévouait pour éduquer les pauvres. Le portrait de Le Ber n’est pas celui d’une sainte idéalisée qui goûterait déjà la vision béatifique mais celui d’une femme âgée dont le visage porte la marque d’une grande souffrance. Au début du nouveau millénaire, la réaction à la maladie visible et à la mort du pape Jean-Paul II , au printemps 2005, suggère que le public moderne ne craint pas de se faire rappeler ses limites et sa mortalité.

L’iconographie de Marguerite Bourgeoys

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Détail de la sculpture de Marguerite Bourgeoys par Lasalle.

L’œuvre de Le Ber interpelle une époque où bien des gens estiment qu’une œuvre d’art religieux est là moins pour fournir des réponses que pour poser des questions et souvent pour témoigner de l’absence de certitude. Dans les œuvres créées après la canonisation, cependant, Marguerite est souvent représentée en action. On en a un exemple typique dans l’ensemble statuaire conçu par Jules Lasalle et érigé en 1988 Place Marguerite-Bourgeoys, immédiatement à l’ouest de l’Hôtel de Ville, dans le Vieux-Montréal. Une Marguerite Bourgeoys grandeur nature invite et encourage deux enfants vêtus à la moderne à marcher vers l’avenir (ill. 16 et 17). Dans un pastel réalisé par Victoire Roy en 1992 pour commémorer le 350e anniversaire de la fondation de Montréal, Marguerite lutte contre

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En partance, pastel de Victoire Roy, 1992. (Musée Marguerite-Bourgeoys.)

le vent dans un paysage de neige, pressée de se rendre là « où la charité nous appelle » (ill. 18). Le 24 avril 2005, les restes de Marguerite Bourgeoys ont quitté la maison mère de la Congrégation de Notre-Dame pour la chapelle NotreDame-de-Bon-Secours dans le Vieux-Montréal. Ils y ont été déposés sous l’autel latéral gauche, où se trouvait auparavant l’œuvre de Guardo. Le seul motif décoratif qui orne aujourd’hui la dalle de marbre blanc du tombeau de Marguerite Bourgeoys est la plaque de cuivre commandée par François Dollier de Casson en 1700 pour indiquer le lieu de sa sépulture. Les nombreuses représentations de Marguerite Bourgeoys nous parlent autant des gens qui les ont conçues et de l’époque à laquelle ils ont vécu que de Marguerite elle-même. Les observer, c’est voir non seulement l’évolution des styles et de l’esthétique mais aussi le déplacement des priorités et des valeurs.

abréviations

ACND AJM AMMB ASQ BAC BN CM B DBC

D deC ÉM B HCND HSV R A PQ R HA F

RND SCHEC

Archives de la Congrégation de Notre-Dame de Montréal Archives judiciaires de Montréal Archives du Musée Marguerite-Bourgeoys Archives du Séminaire de Québec Bibliothèque et Archives Canada Bibliothèque nationale (Paris) Courrier Marguerite-Bourgeoys Dictionnaire biographique du Canada Dollier de Casson, Histoire du Montréal Les écrits de Mère Bourgeoys Sœur Sainte-Henriette, Histoire de la Congrégation de Notre-Dame Marie Morin, Histoire simple et véritable (édition Legendre) Rapport de l’archiviste de la province de Québec Revue d’histoire de l’Amérique française Registres de la paroisse Notre-Dame de Montréal Société canadienne d’histoire de l’Église catholique (rapports)

notes

introduction 1 Pour une histoire de la transmission de ce qu’on appelle les « écrits autographes », voir Les écrits de Marguerite Bourgeoys, p. xiii–xvi. Pour une présentation des biographies de Marguerite Bourgeoys, voir Simpson, Marguerite Bourgeoys et Montréal, 1640–1665, p. 7–10. 2 Des fragments écrits de la main de Marguerite Bourgeoys continuaient d’être distribués comme reliques jusqu’à ce que Faillon mette un terme à cette pratique et cherche à récupérer puis à reconstituer ce qu’il est parvenu à retrouver. Une relique, acquise par le Musée Marguerite-Bourgeoys, contient des cendres de son cœur avec, à l’appui, un petit échantillon de son écriture portant les mots « Saint Gabriel ». Cette relique a dû être confectionnée après l’incendie de 1768 qui réduisit en cendres le cœur embaumé.

chapitre premier 1 Les écrits de Mère Bourgeoys, p. 172 2 Voir Patricia Simpson, Marguerite Bourgeoys et Montréal, 1640– 1665, p. 198–201. 3 HSV, p. 75. 4 HSV, p. 74–75. 5 Juchereau et Duplessis, Les annales de l’Hôtel-Dieu de Québec, p. 144–145. 6 Marie de l’Incarnation, Correspondance, p. 755. 7 Idem. 8 Pour souligner des passages importants de son discours, Garakontié marquait une pause et des cadeaux cérémoniels étaient déposés aux

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pieds de Tracy. Voir Faillon, Histoire de la colonie française au Canada, vol. 3, p. 127–128. Ibid., p. 130. Ces plans visaient à rendre les colonies françaises autosuffisantes, capables de subvenir à leurs besoins en nourriture, logement et vêtements, de produire des denrées d’exportation de valeur tangible et d’offrir un marché aux produits manufacturiers de la métropole. Talon tenta de développer une économie diversifiée – la précarité d’une dépendance exclusive envers la traite des fourrures n’était que trop évidente – d’où ses efforts pour encourager l’industrie du bois, les pêches et les mines. On envisageait un triangle commercial regroupant la France et ses colonies de la Nouvelle-France et des Antilles. Talon voulait que ces jeunes femmes se marient le plus tôt possible après leur arrivée. Dans ce but, on adopta une ordonnance à l’effet qu’une fois leur bateau arrivé, aucun célibataire n’aurait le droit de chasser, de pêcher ou de pratiquer la traite des fourrures jusqu’à ce que toutes les filles du roi se fussent mariées. Les tentatives contemporaines pour freiner le déclin démographique du Québec paraissent bien timides en regard des politiques de l’époque. L’État versait une subvention spéciale aux hommes qui se mariaient avant leur vingt et unième anniversaire de naissance et aux femmes qui avaient moins de dix-sept ans; les parents des jeunes qui ne respectaient pas cette échéance étaient passibles d’une amende. Les parents de famille nombreuse étaient récompensés : ceux qui avaient dix enfants légitimes vivants, dont aucun n’était entré dans les ordres, recevaient une pension annuelle de 300 livres; ceux qui en avaient douze avaient droit à 400 livres par année. (Eccles, Canada under Louis XIV, p. 48.) HCND , I , p. 91; HSV, p. 156. Le départ de Marie Raisin entraîna une perte financière pour la Congrégation. En plus de la somme que son père lui avait consentie au moment de son départ pour Montréal, elle hérita de son frère Nicolas quand il mourut en 1687, et son exécuteur testamentaire plaça le produit pour la Congrégation, à qui Marie l’avait cédé par acte notarié (AJM , Basset, 30 juin 1688). Marguerite Bourgeoys a écrit qu’en 1659 Edmé Raisin « lui donne mille livres pour son voyage et ses hardes, dont je ne voulus prendre que trois cents livres et je lui laisse le reste dont je n’avais pas besoin. Mais tous les ans, il nous donnait 35 livres pour les 700 livres et, après sa mort, son fils a continué. Et [à] la mort de ce fils, avocat au parlement, outre ces legs, nous avons eu une rente de trois cents livres pour les 6000 livres. » (ÉM B , p. 62.) Trudel, La population du Canada en 1666, p. 41.

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15 Les dernières études démographiques sur le clergé et les communautés religieuses au Canada sous le régime français montrent que l’espérance de vie des membres de la Congrégation de Notre-Dame, quoique plus grande que celle des Sœurs hospitalières, était plus courte que celle des Ursulines. Alors que l’espérance de vie moindre des hospitalières est attribuable au fait qu’elles étaient exposées aux maladies de leurs patients, Louis Pelletier suggère que celle des sœurs de la Congrégation est due au fait que « ne demeurant pas en communauté, elles se dévouent à l’éducation des enfants un peu partout dans la colonie. Elles vivent ainsi dans des conditions parfois difficiles au détriment de leur santé. » (Pelletier, Le clergé en Nouvelle-France, p. 97–98.) 16 À son fils, le 24 septembre 1654 (Marie de l’Incarnation, Correspondance, p. 546). C’est la première fois qu’elle mentionne des plans pour aller à Montréal même si Marguerite Bourgeoys y attend déjà que ses premiers élèves soient en âge d’aller à l’école et même si la communauté cloîtrée de la Congrégation de Notre-Dame de Troyes a toujours l’espoir, semble-t-il, de se rendre à Ville-Marie. On trouve aussi une référence dans une lettre à Mère Cécile de St-Joseph, le 1er octobre 1669 (p. 853), et dans une lettre à une Ursuline de Tours, en septembre–novembre 1671 (p. 936). La chronique des Ursulines raconte comme suit l’entrée de Marie Raisin en 1666 : « La mesme année au mois de Juillet Sr Marie Raisin de la Congrégation n[ot]re dame entra en cette maison dans le dessein destre R[eligieu]se madame n[ot]re très honorée fondatrice la dottait son Entrée fit grand bruit cependant après quelques mois despreuve elle se dégousta de la R[eligi]on et se détermina delle mesme à sortir ce quelle exécuta au mois d’octobre suivant. » (Archives des Ursulines de Québec, Ancien récit [1666] p. 27, lignes 15–20.) L’ « ancien récit » est un document reconstitué de mémoire par Sœur Anne Bourdon, dite de SainteAgnès, à la suite d’un incendie au monastère des Ursulines de Québec en 1686. 17 HSV, p. 132–133. 18 D’après les chiffres fournis dans Trudel, La population du Canada en 1666, p. 274–315. 19 Pour de plus amples renseignements sur l’accueil des filles du roi par Marguerite Bourgeoys en 1663, voir Simpson, Marguerite Bourgeoys et Montréal, p. 183–186. Dans Orphelines en France, pionnières au Canada, Yves Landry se sert du Registre de la population du Québec ancien ainsi que d’autres études antérieures pour fournir une mine de renseignements à propos de ces femmes qui reçurent une forme d’aide de l’État pour faire la traversée, se marier et s’établir en NouvelleFrance entre 1663 et 1673. A la fin du chapitre qui examine les familles engendrées par les filles du roi, il ajoute encore un argument

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à ceux qu’avaient formulés les recherches antérieures contre l’idée que ces femmes étaient des prostituées : leur grande fécondité (p. 222). Les Écrits de Mère Bourgeoys contiennent un énoncé selon lequel les femmes accueillies sur la rive par Marguerite Bourgeoys en 1663 étaient au nombre de dix-sept (ÉM B , p. 257), mais les recherches les plus récentes publiées par Yves Landry indiquent qu’il faudrait lire sept et non dix-sept. Si on a inscrit des chiffres au lieu de mots, un trait a pu facilement être ajouté au moment où l’on a procédé à la transcription des écrits. Il s’agit de Marguerite de Nevelet, qui était de la paroisse SainteMadeleine de Troyes, où s’étaient mariés les parents de Marguerite Bourgeoys, et qui avait environ vingt-trois ans à son arrivée à Montréal. Il est donc possible que Marguerite Bourgeoys ou l’un des autres membres du groupe l’ait connue, elle ou sa famille. Marguerite de Nevelet, dont le père est identifié comme bourgeois, épousa Abraham Bouat, habitant, marguillier, aubergiste, bourgeois et marchand, et leur couple eut huit enfants. Elle passa les onze dernières années de sa vie comme pensionnaire à la Congrégation, où elle mourut en 1720. Dans son étude sur les filles du roi, Landry suggère qu’elles appartenaient à trois catégories : celles qui étaient recrutées et transportées au Canada aux frais du roi, celles qui se présentaient au port d’embarquement et qui étaient intégrées au contingent du roi et celles qui n’étaient ni recrutées par le roi ni transportées à ses frais mais dont l’établissement entre 1663 et 1673 fut sans doute facilité par l’administration coloniale (Orphelines en France, pionnières au Canada, p. 24–25). Marguerite de Nevelet appartenait probablement au troisième groupe. Sur les raisons de son absence, voir Simpson, Marguerite Bourgeoys et Montréal, p. 172. DdeC, p. 339. Ces filles s’identifièrent tellement aux Français que lorsque la mère de la plus jeune voulut la reprendre, la petite s’arracha à l’emprise de sa mère pour courir se jeter dans les bras d’une sœur de la Congrégation. L’édition qu’a donnée Trudel de Dollier de Casson relève que, le 22 novembre 1672, Pierre Hogue épousa MarieMadeleine-Catherine Nachita, une autochtone de seize ans qui avait été baptisée le 2 juillet 1672, et qu’une Marie, dont l’origine n’est pas précisée, fut baptisée le 22 juillet 1672 en ayant pour parrain le gouverneur de Courcelle (p. 290n6). ÉM B , p. 150. Ibid., p. 113. Ibid., p. 247. Voir Simpson, Marguerite Bourgeoys et Montréal, p. 126–127, 135– 136, 170. Pour la date à laquelle débuta la construction de la chapelle, voir Simpson et Pothier, Notre-Dame-de-Bon-Secours, p. 35–36.

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28 ÉM B , p. 172. 29 AJM , Basset, « Vente par François Le Ber et Jeanne Testard sa femme aux filles de la Congrégation avec une quittance des lods et Vente par Monsr. Galinier du 24e 7bre 1668 ». Le prix était de 1258 livres, 132 sols et 9 deniers, dont une partie avait déjà été payée en marchandises, notamment des peaux de castor. 30 Chicoine, La métairie de Marguerite Bourgeoys, p. 17. 31 Landry, Orphelines en France, pionnières au Canada, p. 62. Au moins neuf des filles du roi qui arrivèrent à Montréal en 1670 venaient de Paris. 32 R A PQ, 1930–31, p. 64–65. 33 HCND, vol. I , p. 97–98. 34 Voir Simpson, Marguerite Bourgeoys et Montréal, p. 140–141, 147– 148. 35 Marie de l’Incarnation, Correspondance, p. 894–895. 36 Ibid., p. 936. 37 Faillon, Vie de la sœur Bourgeoys, p. 208. Référence est faite à ce document par le greffier qui enregistra les lettres patentes de la Congrégation de Notre-Dame au parlement de Paris, quoiqu’il donne la date de 1667 au lieu de 1669. Mgr de Laval y fait lui-même référence quand il donne son approbation à la Congrégation en 1676, et il cite la date du 20 mai 1669 (Mandements, vol. 1, p. 99). 38 AJM , Basset, « Reconnaissance de Marguerite Bourgeoys à ses compagnes », 14 mai 1669. Voir aussi HCND, vol. I , p. 101–103. Le boisé sera plus tard échangé pour un terrain en ville et deviendra le site du village autochtone dans la montagne. 39 Voir Simpson, Marguerite Bourgeoys et Montréal, p. 164–166. 40 ÉM B , p. 174; HSV, p. 73.

chapitre deux 1 ÉM B , p. 172. 2 Ibid., p. 63. La phrase précédente a été déplacée : elle renvoie très clairement au troisième voyage en France. Comme elle ne cadre pas avec le texte qui suit, il s’agit probablement d’une erreur de la part d’une compilatrice ou d’une copiste plutôt que d’une erreur de Marguerite elle-même, comme Faillon le suggère. 3 L’enregistrement des lettres patentes à Paris inscrit la date des documents à l’appui de la demande. La date notée pour la lettre de Talon est celle du 17 août 1670; or l’intendant n’est rentré à Québec d’un voyage en France que le 18 août. Est-ce une erreur de copiste pour le 27 août? 4 Le Blant, « Les derniers jours de Maisonneuve », p. 277.

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5 Demi-frère du célèbre archevêque de Cambrai, il était arrivé au Canada en 1667 alors qu’il n’était pas encore prêtre. Après avoir été ordonné par Mgr de Laval en 1668, il fut l’un des fondateurs de la mission de Kenté (Quinte) sur le lac Ontario. Il revint au Canada mais dut bientôt en repartir après s’être aliéné les autorités civiles en 1674, et il mourut en 1679 à l’âge de trente-huit ans. Il a donné son nom aux chutes Fénelon sur la rivière Trent, en Ontario. 6 ÉM B , p. 64. 7 Ibid., p. 65–67. Ce paiement est probablement celui auquel Marguerite fait allusion quand elle écrit : « Comme j’étais à Québec, un prêtre du Séminaire à qui nous avions fait de l’ouvrage et fourni quelque chose, sans que je susse combien il pouvait devoir, me mande en quoi je voulais qu’il payât mes Sœurs. Je lui mande que, si j’avais cela à Paris, cela me pourrait servir. Et je ne pense plus à cela, nous allions faire voile. » (ÉM B , p. 64–65) 8 Desrosiers, Paul de Chomedey, p. 302. 9 ÉM B , p. 67. Le meuble auquel Marguerite fait allusion devait causer toutes sortes de problèmes à ses biographes des dix-huitième et dixneuvième siècles. Montgolfier pensait qu’il s’agissait d’une tente à l’indienne qu’on aurait érigée dans un angle du jardin. Dom Jamet est parvenu à identifier l’objet correctement à partir d’autres références du dix-septième siècle. 10 HSV, p. 71. 11 Jamet, Marguerite Bourgeoys, vol. I , p. 366. 12 ÉM B , p. 65. 13 ÉM B , p. 68. 14 Montgolfier, Vie de la vénérable sœur Marguerite Bourgeois, p. 107; Faillon, Vie de la sœur Bourgeoys, vol. 1, p. 217–218. 15 Voir Simpson, Marguerite Bourgeoys et Montréal, p. 56–57, 67. 16 R A PQ, 1930–31, p. 125. 17 Faillon, Vie de la sœur Bourgeoys, vol. 1, p. 219, note. 18 Niel, Marguerite Bourgeoys et sa famille, p. [22]. 19 Le Blant, « Les derniers jours de Maisonneuve », p. 276–278. 20 Une copie originale des lettres patentes appartenant à la Congrégation est demeurée aux archives de la Congrégation jusqu’en 1922, quand elle fut prêtée à un parent d’une conseillère et jamais retournée. Il y a une autre copie contemporaine, aux Archives de la Marine à Paris. La citation est tirée d’une transcription moderne dans HCND, vol. 1, p. 113–115. 21 Faillon, Vie de la sœur Bourgeoys, p. 219. 22 Niel, Marguerite Bourgeoys et sa famille, p. [24]. 23 Ces renseignements sur la famille de Marguerite Bourgeoys ont été colligés par Lucienne Plante et publiés dans une série d’articles dans

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le Courrier Marguerite-Bourgeoys, sous le titre « La famille de Marguerite Bourgeoys ». L’auteure conclut : « Il y aurait encore des recherches à effectuer dans les Archives de Troyes, de Paris, d’Évreux et de Sens pour retrouver de nouveaux renseignements sur la famille de Marguerite Bourgeoys. » Registres de Saint-Jean-au-Marché. ÉM B , p. 68, à moins qu’on ait confondu ici les noms de Louise et de Catherine. HCND , vol. 1, p. 340–341, 343; vol. 2, p. 179–181; vol. 3, p. 147–148; vol. 4, p. 357. ÉM B , p. 172–173. Montgolfier a pris certaines libertés en donnant un contexte aux fragments avec lesquels il travaillait, au point de recréer des conversations de son cru. Les erreurs s’expliquent parfois par son ignorance de ce qu’était la vie en Nouvelle-France un siècle plus tôt. Il ne sait pas, par exemple, que Louis Frin était le domestique de Maisonneuve. Il imagine alors qu’il s’agit de quelqu’un que Marguerite voulait engager pour enseigner aux garçons, afin de remplacer un jeune homme qu’elle avait embauché dans ce but et qui était décédé. On semble avoir oublié que Marguerite et ses compagnes avaient enseigné aux garçons comme aux filles. Voir Montgolfier, Vie de la vénérable sœur Marguerite Bourgeois, p. 108. Oury, « Pierre Chevrier, baron de Fancamp », p. 34. Cet article contient toute la recherche la plus récente sur le baron de Fancamp. HCND , vol. 1, p. 313. Pour plus de renseignements sur l’histoire du chêne de Montaigu, voir Huet, « De Montaigu à Ville-Marie », p. 22–24. L’acte original de cession par les frères Le Prestre se trouve aux Archives nationales du Canada. Cet acte et l’attestation de sa guérison par le baron de Fancamp sont cités in extenso dans les Archives de la paroisse Notre-Dame de Montréal, « Registres des délibérations de la fabrique de la Paroisse de Notre-Dame de Ville-Marie », à la date du 29 juin 1675. Marie-Claire Daveluy résume tout ce qu’on sait des Le Prestre dans La Société de Notre-Dame de Montréal, p. 234–240. Plante, « La famille de Marguerite Bourgeoys », p. 26. Montgolfier, Vie de la vénérable sœur Marguerite Bourgeois, p. 108– 109. On n’a aucune autre trace de Madeleine Senécal. Cependant, une femme appelée Marguerite de Senne a contracté mariage avec Julien Hautboys le 22 septembre 1672. Ce contrat fut dissous le 12 octobre et, le lendemain, elle signa un contrat avec Jean Senécal (AJM , Basset). Les deux se marièrent deux jours plus tard, mais le registre des mariages porte pour la mariée le nom de Catherine de Sennes (RND ). Il est bien possible qu’au moment où Montgolfier rapporte les

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événements, on l’ait connue sous le patronyme de son mari, et la confusion sur son prénom semble avoir débuté très tôt. Jamet s’objectait fermement à l’emploi dans ce récit du terme « froidement ». Il jugeait qu’il correspondait bien plus à une conception excessive et inhumaine de la sainteté qu’à tout ce que nous pouvons savoir par ailleurs de Marguerite Bourgeoys. On ne sait pas avec certitude d’où est originaire Catherine Boni. Elle n’est pas l’une des six recrues dont Marguerite dit qu’elles ont été reçues par Mgr de Laval à Paris. Par contre, elle faisait partie de la Congrégation en 1676 alors qu’elle travaillait à la mission autochtone du Mont-Royal. Comme Montgolfier décrit Marguerite accompagnée de onze femmes quand elle se dirige vers Rouen et que, d’après Dollier de Casson, elle est arrivée à Montréal avec douze ou treize compagnes, on en a conclu que Catherine était originaire de Rouen et qu’elle s’était jointe au groupe dans cette ville sans avoir nécessairement l’intention d’entrer dans la Congrégation. On dit aussi qu’elle aurait été orientée vers le Canada par les Messieurs de Saint-Sulpice de Paris. Même son âge reste incertain : le recensement de 1681 lui donne trente-neuf ans tandis que les registres, au moment de son décès en avril 1712, lui en donnent soixante-quinze. Pour une autre hypothèse au sujet de ses antécédents, voir plus loin la note 7 du chapitre 6. Le principal problème au sujet de la date d’arrivée tient à ce que les lettres patentes que Marguerite Bourgeoys apportait de France n’ont été enregistrées à Québec que le 17 octobre 1672. Pourquoi ce long délai? Et puisqu’il est très peu probable que Marguerite soit restée à Québec plus de deux mois, qui aurait présenté les documents pour les faire enregistrer? Montgolfier situe aussi durant ce voyage une menace d’attaque par des navires ennemis et l’éditrice des ÉM B accepte cette date, mais je préfère suivre Faillon, qui situe cet incident en 1680. ÉM B , p. 252. Montgolfier, La vie de la vénérable sœur Marguerite Bourgeois, p. 111. « ... & que cette bonne Sœur, en dernier lieu, vienne de faire comme elle a fait, un voyage de France ... [où] elle obtint ses expéditions de la Cour et est revenue avec douze ou treize filles ». DdeC, p. 191–193.

chapitre trois 1 ÉM B , p. 111, 138. 2 HSV, p. 73. 3 La chapelle du dix-septième siècle a été rasée par un incendie en 1754 et la chapelle actuelle a été construite au même endroit en 1772, mais

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sur des fondations différentes. Le site de la chapelle Notre-Dame-deBon-Secours est le plus ancien à Montréal à avoir conservé sa vocation originale. Les fouilles archéologiques effectuées en 1997 ont permis de découvrir les fondations de la chapelle du dix-septième siècle ainsi que les traces du violent incendie qui la détruisit. Elles ont aussi mis au jour une utilisation antérieure du site par les autochtones. On déposa sous la pierre une plaque de plomb portant une inscription ainsi qu’une gravure en métal de la Sainte Vierge. Ces objets furent retrouvés au lendemain de l’incendie de 1754 et encastrés dans les fondations de la chapelle du dix-huitième siècle. Ils furent redécouverts en 1945 quand on perça le mur central de la crypte sous l’abside pour aménager une sortie sur la rue de la Commune; on peut maintenant les voir au Musée Marguerite-Bourgeoys. ÉM B , p. 173–174. Ibid., p. 240; voir aussi HSV, p. 74. ÉM B , p. 174. En novembre 1678, avec la permission de Mgr de Laval, la chapelle fut cédée à la paroisse Notre-Dame, à laquelle elle serait annexée « à perpétuité ». Le document de cession, qui fait état de la somme de 2400 livres fournie par la Congrégation de Notre-Dame pour la construction de la chapelle, signale que les sœurs de la Congrégation continueront à l’avenir d’entretenir la chapelle comme elles l’ont fait dans le passé (Archives de la paroisse Notre-Dame de Montréal, « Registres des délibérations de la paroisse de Ville-Marie », 6 novembre 1678). Daveluy, Jeanne Mance, p. 223. La mère de Cécile était Élisabeth Moyen. Jeanne Mance est toujours restée proche des deux sœurs Moyen, qui lui avaient été confiées après que leurs parents eurent été tués lors d’une attaque autochtone. Ces codicilles comprennent notamment l’autorisation de retirer son cœur, ce qui fut fait quelques heures après son décès. Le terrain se trouvait entre ce qui est maintenant la rue William et le boulevard René-Lévesque, un peu à l’est de ce qui est aujourd’hui l’avenue Atwater. Marguerite Bourgeoys possédait un terrain adjacent au nord. AJM , « L’affaire de l’enfant d’André Michel-St-Michel », 20–21 juillet 1673. AJM , Basset, 8 juillet 1674. Louise Sommillard et François Fortin vivaient à Pointe-aux-Trembles au moment du baptême de leur fille Françoise en février 1679, et à Rivière-des-Prairies lorsque Joseph fut baptisé en novembre 1687. Le récit le plus complet de toute l’affaire se trouve dans Faillon, Histoire de la colonie française en Canada, vol. 3, p. 496–513. L’affaire de la Garde corse, le 20 août 1662.

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notes des pages 60 à 69

17 Mandements, lettres et circulaires des évêques de Québec, vol. 1, p. 99–100. 18 Voir Simpson, Marguerite Bourgeoys et Montréal, p. 125–126. 19 HCND, vol. 1, p. 265–266. Anne Meyrand n’était pas encore au Canada. 20 Montgolfier, Vie de la vénérable sœur Marguerite Bourgeois, p. 117. 21 Maurault, Le fort des Messieurs, p. 14. 22 Montgolfier, Vie de la vénérable sœur Marguerite Bourgeois, p. 116. 23 HCND, vol. 2, p. 137; Vachon de Belmont, « Éloges », p. 188. 24 HCND, vol. 1, p. 289. 25 Elle devait recevoir 160 livres ainsi qu’un petit revenu relié à d’autres arrangements de famille. 26 On peut trouver le testament et les détails de l’inventaire dans Le Blant, « Les derniers jours de Maisonneuve et Philippe de Turmenyes », p. 278–280, 269–272. 27 ÉM B , p. 174. 28 Cette question allait continuer de poser un problème à la Congrégation, comme on le verra par les débats entourant la règle adoptée par la Congrégation en 1698. Un siècle plus tard, Montgolfier écrira : « Quoique ce fût l’intention de la Sœur Bourgeois de recevoir gratuitement les Sœurs dans la Congrégation, il y eut dans la suite une déclaration du Roi qui les obligeait à exiger une dot au moins de 2000 livres; quoiqu’il leur ait été libre, depuis ce temps-là, de se relâcher sur cet article, en tout ou en partie, selon leur prudence, et eu égard aux circonstances du temps et des personnes. » (Vie de la vénérable sœur Marguerite Bourgeois, p. 124.) 29 ÉM B , p. 240. 30 AJM , Maugue, « Réception de Marie Barbier en la congrégation », 11 août 1679; AJM , Maugue, « Réception de Françoise Lemoyne à la congrégation », 24 mars 1680. (Même s’il avait été accepté par le conseil en son absence, Marguerite Bourgeoys eut à signer ce deuxième document à son retour de France.) En 1684, les parents de Marie Barbier lui cédèrent 100 livres et un terrain avec une petite maison de bois sur la rue Notre-Dame près de l’hôpital, biens qui devaient lui revenir après leur mort. (AJM , Basset, « Donation entre vifs par Gilbert Barbier et Catherine de la Vaux sa femme en faveur de Marie Barbe leur fille », 20 décembre 1684.) 31 Par exemple, AJM , Maugue, « Donation de personne et biens de Jean Caillou de Baron aux Sœurs de la Congrégation », 20 mars 1678; AJM , Maugue, « Donation de personne et de biens de Louis Fontaine à la Congrégation », 13 février 1678. 32 Voir Simpson, Marguerite Bourgeoys et Montréal, p. 178.

notes des pages 69 à 72

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33 Cette description correspond jusqu’à un certain point à celle que donne Ransonet dans la première biographie de Marguerite Bourgeoys qui ait été publiée, quoique les tissus semblent avoir pris du volume : « L’habit des sœurs est très simple. La robe est de serge noire, descend jusqu’aux talons, est toute fermée sur le devant et n’a point d’arrangement dans les plis. La ceinture est de laine noire et fait deux tours. Le tablier est d’une étamine noire. » Après avoir décrit le mouchoir de cou et la cornette, il ajoute : « La coiffe de dessus est d’étamine à voiles et elle a une aune et un quart de long. Cet habillement modeste cache une croix d’argent que les sœurs portent sur la poitrine. » (La vie de la sœur Marguerite Bourgeoys, p. 68–69.) 34 ÉM B , p. 110. 35 Glandelet affirme que lorsqu’elle fut supérieure, Marie Barbier ne portait « aucune autre croix d’argent que celle que portaient ses Sœurs » même si on insistait pour lui donner quelque chose de plus impressionnant. (A SQ, « Recueil », p. 184.) 36 La règle acceptée par la Congrégation en 1698 décrit l’habit en détail jusqu’à spécifier quel sous-vêtement il fallait porter en dessous. La robe de laine noire qui descend jusqu’aux talons à plis lâches, ceinte deux fois à la poitrine par une ceinture tissée, le mouchoir et la coiffe de toile de lin blanche et la coiffe de dessus noire décrite dans la règle acceptée en 1698 sont restés, avec de légères modifications, l’habit porté par la communauté jusque dans les années 1960. L’avènement de l’amidon en 1835 devait donner beaucoup plus de volume à la coiffe et, plus tard, les évêques imposèrent aux sœurs de faire un voile de la partie noire de leur coiffe. Si cet habit et ceux des autres instituts religieux ont fini par devenir si différents des vêtements portés par les autres femmes, notamment en Europe et en Amérique du Nord, c’est que leur forme s’est fixée tandis que la mode féminine évoluait. Il y a au moins une des communautés fondées au dix-septième siècle qui avait prévu le problème : sa règle dit en effet que « la façon et l’étoffe des habits qui serait à conserver pour la Communauté n’est point prescrite, parce que la façon de s’habiller la plus modeste et la plus simple, et même l’étoffe devient quelquefois tellement hors d’usage, que celles qui la voudraient garder dans la suite des temps paraîtraient singulières et passeraient même pour ridicules ». (Constitutions de la communauté des Filles de Ste-Geneviève, p. 82.) 37 HSV, p. 75. 38 ÉM B , p. 252. 39 A SQ, Glandelet, Recueil, p. 17–19. 40 AJM , Basset, « Déclaration de Sœur Marie Touchard à la reqte de Fiacre du Charme », 18 novembre 1676.

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notes des pages 72 à 79 HCND ,

vol. 5, p. 242–247; Sévigny, « Histoire de la Congrégation de Notre-Dame à Laprairie », p. 5. 42 En 1708, les sœurs de la Congrégation de Notre-Dame se font interdire de prononcer des vœux par Jérôme Phélypeaux de Pontchartrain, alors ministre de la Marine. Dans le cadre des démarches qu’elle entreprend pour faire lever cette interdiction, Catherine Charly, la supérieure, sollicite l’intervention de M me de Maintenon dans une lettre où on trouve le passage suivant : « Notre communauté ... est sur le point de se voir dépourvue de sujets, soit par l’éloignement des filles qui seront détournées par là d’y entrer, comme l’expérience l’a déjà fait voir, soit par l’inconstance et le découragement de celles qui y seront entrées, et qui, se voyant libres d’en sortir, croiront pouvoir sans scrupule se servir de leur liberté, comme il est arrivé autrefois, avant que nous fissions des vœux. » (HCND, vol. 3, p. 131.)

chapitre quatre 1 ÉM B , p. 69. 2 Montgolfier, Vie de la vénérable sœur Marguerite Bourgeois, p. 117. 3 ÉM B , p. 82. 4 Ibid., p. 252. 5 Jean Valliquet dit Laverdure commença à agresser les plus jeunes de ses filles après la mort de sa femme. Quand elles s’ouvrirent de ce qui se passait au curé de la paroisse, celui-ci les plaça au pensionnat de la Congrégation. Au procès de Valliquet à Montréal, Élisabeth de la Bertache dut témoigner sur ce que les petites lui avaient dit, et Marguerite Bourgeoys se porter garante de son témoignage. Valliquet fut condamné à mort et envoyé à Québec mais là, la sentence fut considérablement atténuée. Pour un compte rendu des procédures, voir Boyer, Les crimes et les châtiments au Canada français, p. 22, 257, 330, 331. 6 ÉM B , p. 73. Dans ce contexte, il me semble que les paroles « qui nous flattent » doivent être entendues comme des paroles apaisantes, rassurantes, qui endorment la conscience. 7 ÉM B , p. 140. 8 Ibid., p. 151. 9 Ibid., p. 125–127. 10 Ibid., p. 255. 11 Ibid., p. 258. 12 Glandelet, La vie de la sœur Marguerite Bourgeoys, p. 90; Montgolfier, Vie de la vénérable sœur Marguerite Bourgeois, p. 148.

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13 HCND, vol. 1, p. 146–147. 14 Glandelet, La vie de la sœur Marguerite Bourgeoys, p. 93–94. 15 ÉM B , p. 29. 16 La version de cette lettre que cite HCND, vol. 1, p. 150–151, est plus longue que ce qu’on trouve dans Faillon, Vie de la sœur Bourgeoys, p. 255–256. Dans la première, Marguerite semble être allée consulter les Ursulines sur la direction du pensionnat et avoir décidé de suivre leur exemple en ne laissant pas sortir les pensionnaires. 17 ÉM B , p. 69. 18 Roserot, Troyes : Son histoire, ses monuments des origines à 1790, p. 110. 19 ÉM B , p. 22. 20 ÉM B , p. 254. Voir aussi : « la pensée d’avoir tant de fois réitéré des promesses de fidélité que j’avais promises à Dieu de ne point quitter que par son ordre » (ÉM B , p. 241). 21 Ibid., p. 70. 22 Idem. 23 Le Blant, « Les derniers jours de Maisonneuve », p. 273. 24 ÉM B , p. 70–71. 25 Dans une lettre à Mary Eileen Scott, en date du 24 août 1959, le professeur W.J. Eccles écrivait : « J’ai tendance à penser que Laval n’était pas le dévot tyrannique qu’on nous représente. Les historiens anticléricaux en ont fait une sorte d’ogre mais, non sans quelque étonnement, je découvre que les faits nous montrent un homme raisonnable, quoique d’une forte trempe, et lorsqu’il a tenu son bout, je dois convenir qu’il avait raison, comme dans l’affaire de l’eau-de-vie » (AMMB ). 26 ÉM B , p. 71–72. 27 Voir Salinis, Madame de Villeneuve, p. 276–277, qui cite un manuscrit tiré des Archives de Roye. 28 Ibid., p. 374–375, citant P. de Beauvais, « Histoire de l’établissement et des progrès de la Congrégation des Filles de la Croix » (manuscrit). 29 Ibid., p. 280–281, citant un manuscrit des Archives de Roye, l’ « Approbation du 27 juillet 1627 ». 30 Ibid. Salinis cite intégralement le document et la réponse des docteurs de la Sorbonne, p. 284–289. 31 ÉM B , p. 115. 32 M me Acarie, qui établit les Carmélites en France, et M me Sainte-Beuve, qui y établit les Ursulines, étaient toutes deux parentes de M me de Villeneuve. La duchesse d’Aiguillon, nièce du cardinal de Richelieu, qui dota l’Hôtel-Dieu de Québec, faisait aussi partie du groupe.

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33 Salinis, Madame de Villeneuve, p. 315, citant la « Vie abrégée de Mme de Villeneuve, etc. » (manuscrit). 34 M me de Villeneuve finit par obtenir l’usage exclusif du nom. (Ibid., p. 417.) 35 En août 1790, quand elles reçurent la visite des commissaires de la municipalité, la communauté de Paris comptait 20 sœurs de chœur et 10 sœurs domestiques. Il y avait au pensionnat 23 élèves payantes et 120 externes à l’école gratuite, dont 80 qui apprenaient la lecture, l’écriture et l’arithmétique, et 40 qui étudiaient les rudiments du catéchisme. Les commissaires approuvèrent ce qu’ils virent. Mais en 1791, l’arrivée dans la paroisse d’un prêtre constitutionnel et des troubles qui éclatèrent dans le quartier amenèrent la communauté à se disperser. (Ville de Paris, Commission municipale du Vieux Paris, p. 253.) 36 HSV, p. 75. 37 ÉM B , p. 71–72. Une biographie, Madame de Miramion : sa vie et ses œuvres charitables, fut publiée par un de ses descendants, R. Bonneau-Avenant, en 1874. 38 AJM , Maugue, « Contrat de mariage de Pierre Chantereau ... et Marie Cordier », 13 novembre 1680; RND , 18 novembre 1680. 39 Le registre est déchiré mais il établit que Nicolas Cordier épousa une Marie, dont le nom de famille est difficile à déchiffrer, en février 1652. Les parents de Marie Cordier sont désignés dans son contrat de mariage sous les noms de Nicolas Cordier et de Marie Paujet. 40 Faillon, Vie de la sœur Bourgeoys, vol. 2, p. 263. 41 ÉM B , p. 71. L’identité du « Père Charles » à qui Marguerite fait ici référence n’a jamais pu être établie. 42 AJM , Bailly, 25 octobre 1687. Marguerite Bourgeoys évite généralement de donner le nom d’une personne dont elle ne parlerait pas en bien, surtout si cette personne pouvait être connue de ses lectrices. 43 ÉM B , p. 71. Puisque le nom de Frin n’apparaît pas au recensement de 1663, il semble que Maisonneuve l’ait engagé après son retour en France en 1665 et que Marguerite l’ait rencontré pour la première fois en 1670. Le recensement de 1681 lui donne quarante ans. Des registres ultérieurs indiquent qu’elle a engagé au moins un autre domestique. 44 ÉM B , p. 69. 45 Montgolfier, Vie de la vénérable sœur Marguerite Bourgeois, p. 120; Faillon, Vie de la sœur Bourgeoys, vol. 1, p. 263–264. Comme le signale Faillon, il est difficile de situer cet événement en 1672 étant donné qu’à cette date la France et l’Angleterre n’étaient pas en guerre. 46 Faillon, Vie de la sœur Bourgeoys, vol. 2, p. 262.

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chapitre cinq 1 ÉM B , p. 253. 2 Céline Dupré, « Cavelier de La Salle, René-Robert », DBC , vol. 1, p. 172. 3 Cité dans HCND, vol. 1, p. 278–279. 4 Ibid., vol. 1, p. 340–341. 5 On l’appelle Catherine Grolleau et on lui prête soixante et onze ans, mais il semble s’agir là de la seule grave inexactitude, établie en fonction d’autres sources, en ce qui concerne la Congrégation. 6 Pour de plus amples renseignements sur la situation de la famille de ces filles, leurs ancêtres et la vie qui sera la leur, voir HCND, vol. 1, p. 175–186. 7 ÉM B , p. 155. 8 AJM , Basset, « Testament de Thomas Mounier ». 9 AJM , Antoine Adhémar, « Testament de Thomas Mousnier ». 10 AJM , Basset, « Testament de Thomas Monié ». 11 AJM , « Plainte d’Antoine Primot et sa femme contre Barthélémy Lemaistre », avril–juin 1679. 12 HCND, vol. 2, p. 183–184; Chicoine, La métairie de Marguerite Bourgeoys, p. 22–24. Les ACND contiennent un compte rendu de l’enquête instruite par Migeon de Branssat. 13 ÉM B , p. 244–245; AJM , Maugue, « Accord entre la Soeur Bourgeois et Louis Pichard », 2 juin 1681. L’accord illustre aussi la façon bien particulière dont Marguerite Bourgeoys savait marier la charité, le détachement et le bon sens. Il n’y aura aucune tentative pour réclamer le respect de son contrat, signé plus tard, et les termes des contrats antérieurs seront respectés. La valeur des biens meubles de Fontaine est consignée avec soin. Par contre, Marguerite est indemnisée pour les dépenses qu’elle a faites, notamment l’ensemencement de la terre de Fontaine et ses frais de notaire. Une partie du montant de la succession sert à effacer la dette de la paroisse envers la Congrégation pour la buanderie de la sacristie. 14 Le compte rendu de l’enquête porte la date erronée du 29 juin 1681 (AJM , Maugue), mais le registre d’inhumation signé par Marguerite Bourgeoys et Marguerite Sommillard donne le 28 septembre (RND ). 15 Jamet, Marguerite Bourgeoys, vol. 2, p. 590. L’hypothèse se fonde sur le fait qu’elles étaient originaires de la même région de France que Guyotte lui-même. 16 Faillon, Vie de la sœur Bourgeoys, vol. 1, p. 286–287. 17 Le Jésuite Pierre Cholenec cité dans Béchard, Kaia’tano:ron Kateri Tekakwitha, p. 112.

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18 Montgolfier, La vie de la vénérable sœur Marguerite Bourgeois, p. 149. 19 HSV, p. 239. 20 HCND, vol. 2, p. 188. 21 ÉM B , p. 258. 22 Ransonet, La vie de la sœur Marguerite Bourgeoys, p. 76. 23 Jamet, Marguerite Bourgeoys, vol. 2, p. 591. 24 L’absence de certificat d’inhumation dans les registres de la paroisse ne prouve pas de manière certaine qu’on n’a pas retrouvé les corps parce qu’il y a d’autres cas où l’inhumation n’a pas été enregistrée alors qu’elle est établie par d’autres sources. Cependant, qu’on ait ou non retrouvé les corps, il y aura sans doute eu un service religieux. 25 AJM , Maugue, « Grosse de tous les contrats qui sont en dépôt dans le greffe et tabellionnage de Claude Maugue, concernant les Sœurs de la Congrégation », 23 septembre 1684. Au nombre des propriétés qui se sont ajoutées à la liste depuis celle qu’avait dressée Marguerite Bourgeoys en 1669, au moment de partir chercher les lettres patentes, il y a la donation considérable faite par Zacharie Dupuy et son épouse quand ils se sont donnés à la Congrégation en 1673 ainsi qu’une maison et une terre qui formaient la dot de Marie et de Catherine Charly. Avec la maison pour enseigner aux jeunes filles autochtones à la mission de la Montagne, il y avait un arpent de terre pour nourrir une vache, aussi longtemps que les sœurs continueraient d’enseigner à cet endroit. Les propriétés exclues sont l’île aux Hérons et le fief du Bon-Pasteur sur l’île Jésus. La concession sur l’île Jésus (aujourd’hui la ville de Laval), qui faisait partie de la donation Dupuy, fut égarée dans la confusion des procédures lorsque Mgr de Laval et les Jésuites échangèrent l’île d’Orléans pour l’île Jésus. 26 Cité dans HCND, vol. 1, p. 204–205. 27 Montgolfier, La vie de la vénérable sœur Marguerite Bourgeois, p. 123–124. 28 Archives de la Marine, M. de Meulles à M. de Seignelay, 4 novembre 1683; cité dans Faillon, Vie de la sœur Bourgeoys, vol. 1, p. 309. 29 ÉM B , p. 181. 30 Glandelet, Vie de la sœur Marguerite Bourgois, p. 82–83. 31 Le vingtième siècle sera le seul, dans l’histoire de la Congrégation, où sa maison mère ne sera pas détruite par un incendie. Une nouvelle maison mère, connue sous le nom de « maison mère de la Montagne », fut construite près de Villa Maria en 1883, à l’époque où les anciennes communautés se voyaient repoussées hors du VieuxMontréal par l’expansion du quartier des affaires. Elle sera complètement détruite par le feu en 1893 et la communauté retourna dans le Vieux-Montréal jusqu’en 1908, quand on construisit une maison

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mère rue Sherbrooke, dans Westmount. Cet édifice abrite aujourd’hui le Collège Dawson. Le terrain fut exproprié par la ville de Montréal et la maison mère de la Congrégation fut démolie en 1912 pour permettre le prolongement de la rue Saint-Laurent jusqu’au fleuve. En avril 1913, une sœur de la Congrégation se rendit sur le chantier de la démolition pour demander à l’entrepreneur s’il avait trouvé des objets anciens. « Nous avons trouvé quelque chose dans les fondations, répondit-il ... Un ouvrier a trouvé une médaille de Notre-Dame du Saint Rosaire, portant la date très bien visible de 1692 ... Nous avons trouvé de plus deux haches, [des] marteaux et un sabre. » (AMMB , « Annales de l’école Bonsecours »; voir aussi Simpson et Pothier, Notre-Dame-de-Bon-Secours, p. 125–127). L’île de Montréal en 1731, p. 31. HSV, p. 75. Juchereau et Duplessis, Les annales de l’Hôtel-Dieu de Québec, p. 281. Saint-Vallier, Estat présent de l’Église ... dans la Nouvelle France, p. 64–65, cité dans Faillon, Vie de la sœur Bourgeoys, vol. 1, p. 355. Lettre à Dollier de Casson, 7 août 1684, citée dans Faillon, Vie de la sœur Bourgeoys, vol. 1, p. 351–352.

chapitre six 1 ÉM B , p. 126. 2 Eccles, « Brisay de Denonville, Jacques-René de », DBC , vol. 2, p. 104. 3 HCND, vol. 1, p. 211. 4 Ibid., p. 327–328. Émilia Chicoine signale que la Providence qui soutenait cet atelier agissait souvent par l’entremise des Sulpiciens, dont les archives indiquent qu’ils venaient en aide financièrement à plusieurs des femmes en plus de fournir chaque semaine une certaine quantité de pain. (La métairie de Marguerite Bourgeoys, p. 39) 5 Faillon, Vie de la sœur Bourgeoys, vol. 1, p. 186. 6 HSV, p. 250. 7 Cité dans Faillon, Vie de la sœur Bourgeoys, vol. 1, p. 187. Faillon attribue la lettre au gouverneur mais il faut plutôt l’attribuer à l’intendant. La formulation dans cette lettre qui réfère à la Congrégation – « et en outre un établissement de filles de la Providence » – et les autres références inexplicables à ce groupe dans les documents de l’époque ont amené Elizabeth Rapley à soulever une question d’interprétation. Se peut-il que de temps à autre se soient joints à Marguerite Bourgeoys des membres d’une autre nouvelle communauté de femmes

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séculières? Catherine Boni, que l’Histoire de la Congrégation associe au recrutement de 1672, y est décrite comme originaire de Rouen, où Marguerite l’aurait rencontrée, et présentée comme ayant été « fille de la Providence » avant d’entrer dans la Congrégation. Les Sœurs du Saint-Enfant-Jésus, communément appelées Dames de Saint-Maur, ont été fondées à Rouen en 1660 sous le nom de Sœurs de la Providence. La communauté croit qu’un ou plusieurs de ses membres sont partis pour le Nouveau Monde mais elle ne connaît ni leur nom ni leur destination (Rapley, « La Providence »). Il y a là une possibilité qui mérite d’être étudiée. Voir ci-dessous le texte de la citation de la note 39. Il faut toutefois se rappeler que tout nous vient d’une seule et unique source, Glandelet, qui a choisi ce qu’il veut bien citer des lettres de Marie Barbier et dont le point de vue affecte le portrait qu’il trace de sa dirigée. Dans le cas de Marguerite, nous disposons de commentaires formulés par un grand nombre de ses contemporains. ASQ , Glandelet, « Recueil », p. 34. Ibid., p. 36–37. Luc 9, 3. ÉM B , p. 152. ASQ , Glandelet, « Recueil », p. 38. Ibid., p. 40–41. Ibid., p. 45–46. Ibid., p. 47–48. Les sœurs qui ont fait leur profession publique en 1698 sont MarieMadeleine Asselin, Marie Gagnon, Catherine Jahan Laviolette, Marie-Louise Létourneau et Marie Prémont. En outre, deux des trois sœurs qui quittèrent la Congrégation à ce moment-là venaient aussi de la paroisse Sainte-Famille. Il s’agit de Marie Genest et de Catherine Rochon. Ransonet, La vie de la sœur Marguerite Bourgeoys, p. 99–100. Si l’incident s’est bien produit à cette date, la source la plus évidente pour ce récit est Marie Barbier, qui aurait été à Québec au moment de l’arrivée de Marguerite Bourgeoys. Montgolfier répète le passage presque tel qu’il l’a trouvé dans Ransonet mais le rattache à un voyage ultérieur à Québec (p. 128), comme le fait aussi Faillon. Jamet refuse de croire à cette histoire et ne l’inclut pas dans sa biographie sous prétexte qu’elle ne se trouvait pas dans la Vie de Glandelet. L’omission de Glandelet pouvait évidemment venir de ce qu’à son époque, et compte tenu du traitement qu’il fait de son sujet, la chose pouvait ne pas sembler si extraordinaire. Cité dans Noël Bélanger, « Glandelet, Charles de », DBC , vol. 2, p. 256.

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20 « Lettre de MM. Brisacier et Dudouyt, 11 juin 1687 », citée dans Ours, Monseigneur de Saint-Vallier et ses pauvres, p. 47. 21 Saint-Vallier, Estat présent de l’Église ... dans la Nouvelle France, p. 41. 22 HCND, vol. 3, p. 348–355; vol. 4, p. 90–101, 201–205, 368–369. 23 Archives de l’Archevêché de Québec, Registre A , p. 512–513. Jamet croyait que Saint-Vallier avait probablement loué la maison un peu plus tôt dans l’année. 24 Archives de l’Archevêché de Québec, Registre des insinuations ecclésiastiques, vol. A , p. 279–280, 15 mars 1689. 25 Marie Barbier parvint à convaincre les filles de La Providence de remplacer leurs coiffes en taffetas par des coiffes plus simples en lin, et l’usage se répandit par la suite sur l’île d’Orléans. Il est difficile de mesurer la gravité du problème que pouvait poser à l’époque la vanité du costume féminin. 26 Glandelet et Marie Barbier prennent tous deux grand soin d’éviter de parler de miracles pour décrire ces événements ou de les attribuer aux moyens dont se servait parfois Marie, comme de placer une statue de l’Enfant Jésus dans le grenier ou de faire cuire un petit pain spécial pour une malade. On les attribue à la foi de Marie, foi sans réserve, foi d’enfant, et Glandelet cite à l’appui l’épître de Jacques. 27 Marguerite Bourgeoys a copié de sa main l’un de ces contrats et la copie existe toujours. 28 Le RND note le même jour l’inhumation d’Agathe Pacau Chapacou, âgée de vingt-deux ans, qu’on identifie comme une « fille de la Providence ». HCND la compte comme une sœur de la Congrégation. Madeleine Cadieux, qui fut inhumée le 16 janvier 1693, est aussi décrite comme une « fille de la Providence » dans RND mais les lettres « CND » ont été inscrites sous son nom dans la marge gauche du registre. Émilia Chicoine a étudié la question de l’identité des « filles de la Providence » dans une annexe à La métairie de Marguerite Bourgeoys. Elle pense qu’elles peuvent avoir été membres du groupe externe de la Congrégation de Notre-Dame, qui vivait en communauté, et relève une allusion dans les lettres de Tronson qui évoque la possibilité qu’elles aient été associées à une tentative de l’abbé Guyotte pour former une communauté (p. 279). 29 D’après l’Histoire de la Congrégation de Notre-Dame, l’idée en serait venue à l’abbé de Saint-Vallier lors d’une visite qu’il fit au couvent de la Visitation d’Annecy en août 1687 (vol. 1, p. 215–216). Cependant, on trouve déjà une référence à ce projet dans des lettres de Tronson en date du 20 mai 1687, et il semble alors répondre à une démarche faite par François Séguenot, prêtre sulpicien à la Pointe-aux-Trembles, démarche qui a dû être faite l’automne précédent.

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30 Lettre de Tronson à Dollier de Casson, 20 mai 1687, citée dans Faillon, Vie de la sœur Bourgeoys, vol. 1, p. 372–373. La lettre a été abrégée dans la version publiée des lettres de Tronson et ce passage a été omis. On trouve une version sur microfilm dans bac , MG 17, A 7.1. Dans une lettre à l’abbé François Le Febvre, du 5 avril 1677, avant sa première rencontre avec Marguerite Bourgeoys, Tronson s’était montré plus ouvert au désir d’une « religieuse de Paris » d’ouvrir à Montréal un couvent de sa communauté. 31 La dispute portait sur le droit du roi de percevoir les revenus d’un diocèse entre la mort d’un évêque et l’enregistrement du blason de son successeur. En l’occurrence, Mgr de Laval ne présenta sa démission que la veille de la consécration de Saint-Vallier. 32 Gosselin, Vie de Monseigneur de Laval, vol. 2, p. 378. 33 Juchereau et Duplessis, Les annales de l’Hôtel-Dieu de Québec, p. 232. 34 ASQ , Glandelet, « Recueil », p. 29–30. 35 Voir Simpson, Marguerite Bourgeoys et Montréal, p. 64–65. 36 On trouve le récit dans ASQ , Glandelet, « Recueil », p. 5. 37 On ne connaît pas les détails mais, d’après Jacques Boulenger, la sorcellerie et la magie étaient fort à la mode dans le Paris des années 1670 et le scandale a même éclaboussé certains cercles de la cour (The Seventeenth Century in France, p. 191–192). 38 Tronson l’a recommandé à Dollier de Casson dans une lettre du 20 mars 1680 (Correspondance, vol. 2, p. 1919–193). Voir aussi Maurault, Le Fort des Messieurs, p. 6. 39 bAC , C 11A , vol. 6, p. 316–318, 4 novembre 1683. 40 bAC , C 11A , vol. 6, fol. 401v, 12 octobre 1684. 41 La critique qu’il fait des Jésuites pour avoir échoué à mettre en œuvre cette politique provoqua, à un moment donné, un conflit important dans la colonie (Harel, « Le domaine du Fort de la Montagne », p. 17). 42 bAC , MG 17, A 7.1, 25 mars 1686. 43 Notamment la Compagnie du Saint-Sacrement. Madame de Bullion, qui avait doté l’Hôtel-Dieu de Montréal en 1650, établit l’Hôpital de la Charité de Notre-Dame des convalescents, rue du Bac, à Paris, pour ceux qui quittaient l’Hôtel-Dieu « sans forces, sans ressources et sans emploi » (Oury, Monseigneur de Saint-Vallier et ses pauvres, p. 20, citant Bernard Violle, Paris, son Église et ses églises, p. 391). 44 Oury, Monseigneur de Saint-Vallier et ses pauvres, p. 32, citant les Archives de l’Archevêché de Québec, vol. 2, p. 301. 45 HCND, vol. 2, p. 188. Une bonne partie de cette histoire est consignée dans une poursuite déposée contre Marguerite Bourgeoys par Jean

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Quenet, touchant le paiement de la pension de sa fille (AJM , Registre du bailliage de Montréal, 2, 9 janvier 1691, fol. 128). 46 Landry, Orphelines en France, pionnières au Canada, p. 334, 366, 368. 47 Eccles, Canada under Louis XIV, p. 166.

chapitre sept 1 ÉM B , p. 253. 2 Glandelet cite une lettre envoyée à Marguerite Bourgeoys par Philippe de Turmenyes en 1691. Après avoir parlé de la guerre qui faisait rage, de Turmenyes écrit : « Monsieur Souart ... me disait encore chez moi quelques jours avant sa mort, qu’il avait tant de confiance en Dieu et aux prières de la bonne sœur Bourgeoys, qu’il appelait la petite Sainte Geneviève du Canada, qu’il n’arriverait aucun mal considérable au pays, ni à notre sainte religion. Je ne vous dis ceci [que] ... pour vous faire connaître les dernières paroles et les sentiments d’estime et d’affection de ce saint homme. » (Vie de Sœur Marguerite Bourgeoys, p. 158.) 3 ÉM B , p. 258–259. Le texte indique, par erreur, 1690. 4 HCND, vol. 2, p. 131, l’appelle Marie Tardy mais elle-même a toujours signé Marguerite Tardy. 5 Jean de Saint-Père avait été tué par les Iroquois en 1657. Voir Simpson, Marguerite Bourgeoys et Montréal, p. 123–124. 6 On ignore le lieu et la date de sa naissance. 7 Tronson, Correspondance, vol. 2, p. 187. 8 HCND, vol. 2, p. 186. Trouvé ne devait jamais revenir à Montréal. 9 Tronson, Correspondance, vol. 2, p. 238. 10 Pour cette lettre, en date du 20 avril 1684, et une autre à La Colombière écrite le même jour et citée plus loin, voir ibid., p. 267–270. 11 Faillon, Vie de la sœur Bourgeoys, vol. 1, p. 379–385. 12 ÉM B , p. 183. Elle dit aussi avoir écrit au père Pierre Chaumonot, missionnaire jésuite qu’elle a connu à son arrivée à Montréal. Il avait maintenant soixante-dix-neuf ans et vivait à la mission huronne de Lorette. 13 ÉM B , p. 241. 14 Jamet, Marguerite Bourgeoys, vol. 2, p. 651. 15 Tronson, Correspondance, vol. 2, p. 309. Il s’agit là d’une version abrégée de la lettre et la numérotation des décisions a été modifiée. Le sixième point de la version publiée correspond au septième point de la lettre originale.

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16 À Monsieur de Chaigneau, le 22 mars 1691, dans Tronson, Correspondance, vol. 2, p. 307. Cette lettre répond, elle aussi, à des questions qu’avait posées le correspondant au sujet des visions. 17 On trouve une version abrégée de cette lettre, en date du 2 mars 1691, dans ibid., p. 301–302. 18 Ibid., p. 303. 19 L’entrée au registre RND , portant la signature d’E. Guyotte, se lit comme suit : « Le 25 juillet a été enterré un enfant de Fortin âgé d’environ 3 ans et un enfant de Boismenu de la Rivière des Prairies âgé de 6 mois. » 20 AJM , « Contrat de mariage Fleuricour et Soumillard sa femme ». Le contrat fut signé le 8 novembre 1690 sous seing privé. Il fut transféré le 12 juillet 1698 et copié le 17 mars 1699. 21 Tronson, Correspondance, vol. 2, p. 311. 22 HCND, vol. 1, p. 362–363, identifie une certaine Madeleine Cadieux, dont l’acte de sépulture apparaît au régistre RND au 16 janvier 1693, comme fille de Pierre Cabassier. Les lettres CND figurent sous son nom et elle est qualifiée de « fille de la providence ». 23 Cet incident a d’abord été rapporté dans les Archives de Saint-Sulpice (Paris), Montgolfier, « La vie de la vénérable sœur Jeanne Le Ber », p. 183–184. 24 ÉM B , p. 49. 25 En février 1693, Tronson écrit encore à Dollier de Casson : « On a écrit à M. Turménie de fournir pour le retour de la sœur Tardy en Canada tout ce qui lui serait nécessaire. Vous voyez par là que les anciennes idées ne sont pas tout à fait effacées. » Correspondance, vol. 2, p. 322. 26 ÉM B , p. 272–273. 27 Montgolfier, La vie de la vénérable sœur Marguerite Bourgeois, p. 129. Montgolfier parle d’une lettre que Marguerite Bourgeoys était censée avoir écrite pour féliciter les sœurs de ce qu’elles revivaient les conditions de la première Congrégation, mais le propos semble plutôt l’écho de ce que dit Marguerite des événements après son arrivée à Québec le printemps suivant. 28 ÉM B , p. 276. 29 Ibid., p. 273–274. 30 Ibid., p. 244. 31 Ibid., p. 274–275. 32 Ibid., p. 276–277. Lorsque surgirent plus tard des difficultés pour faire les paiements, elles furent résolues grâce à l’héritage de Marie Raisin. 33 Ibid., p. 276.

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34 Lettre du 4 mars 1692, citée dans Faillon, Vie de la sœur Bourgeoys, vol. 1, p. 391–392. 35 L’Histoire de la Congrégation de Notre-Dame, qui inscrit la mort de Marguerite Tardy comme la dix-septième à survenir dans la communauté et la première sous le supériorat de Marie Barbier, conclut en ces termes le récit de sa vie : « Nous avons bien la confiance que cette pauvre sœur a reçu un jugement de miséricorde; car son motif était plus illusoire que coupable, et sa faute n’a servi qu’à procurer une plus grande gloire à Dieu par les mérites immenses qu’elle a fait acquérir à notre Vénérable Mère. L’une et l’autre, après avoir été séparées de corps, divisées de sentiments, mais toujours unies dans la charité de Notre-Seigneur, sont maintenant, nous l’espérons, réunies dans le royaume des prédestinés. Là, notre Vénérable Mère, resplendissante de gloire, et considérant ce que lui ont valu ses cinquante mois de crucifiement intérieur, regarde sa sœur avec délices et lui fait entendre ces mots : Felix culpa! Ô heureuse faute!!! » (vol. 2, p. 133–134). 36 Ce document vise à assurer la sécurité d’un nombre indéterminé de femmes parmi un groupe de données qu’on désigne comme les « Sœurs qui ont été reçues à la robe grise » (ÉM B , p. 159). 37 Cité par Oury, Monseigneur de Saint-Vallier et ses pauvres, p. 73. 38 HCND, vol. 4, p. 85. 39 Ibid., p. 85–86. 40 ÉM B , p. 255. Voir aussi Chicoine, La métairie de Marguerite Bourgeoys, p. 25. 41 Un groupe de paroissiens fit campagne pour le faire revenir. Ils allèrent trouver l’évêque et Dollier de Casson, et Jacques Le Ber fit parvenir à Tronson une pétition de quarante signatures pour appuyer la demande. La réponse de Tronson à Dollier de Casson, le 7 avril 1694, est citée dans Faillon, Vie de la sœur Bourgeoys, p. 392–393. 42 ÉM B , p. 259. 43 Ibid., p. 254. 44 Ibid., p. 259. 45 Jamet, Marguerite Bourgeoys, vol. 2, p. 738. 46 ASQ , Glandelet, « Recueil », p. 197. 47 ÉM B , p. 284. 48 ASQ , Glandelet, « Recueil », p. 186. 49 Glandelet, Vie de Sœur Marguerite Bourgeoys, p. 117–118. Glandelet ne peut rapporter qu’un seul geste de pénitence extraordinaire accompli par Marguerite Bourgeoys : « Elle avait sur sa tête un bonnet tout garni d’épingles des deux côtés, de huit doigts de largeur et d’un doigt d’épaisseur » (p. 120). Et même dans ce cas, il fait état d’un ouïdire et non d’un témoignage direct. L’intérêt de Glandelet pour les

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pénitences accomplies par ses dirigées ressort clairement de ses écrits sur Marie Barbier. Le fait qu’il ait si peu de choses à dire de Marguerite Bourgeoys rend très suspecte la liste de pénitences et de mortifications qui apparaît dans la biographie de Ransonet en 1728 : qu’elle avait toujours une poudre de mauvais goût qu’elle mêlait à ses aliments pour en altérer la saveur, qu’elle ne s’asseyait jamais confortablement au réfectoire, que jamais elle n’approchait du feu si froid qu’il puisse faire, et ainsi de suite. La coiffe dont parle Glandelet devient chez Ransonet « un bonnet hérissé d’épingles en dedans » (La vie de la sœur marguerite Bourgeois, p. 114–116). ASQ , Glandelet, « Recueil », p. 84. Marguerite Le Moyne semble avoir été à la tête de l’opposition à sœur Tardy et à ses visions, et la source des difficultés que connut Marie Barbier à son retour à Montréal. ÉM B , p. 107–108. ASQ , Glandelet, « Recueil », p. 210. Juchereau et Duplessis, Les annales de l’Hôtel-Dieu de Québec, p. 295. ASQ , Glandelet, « Recueil », p. 162. Ibid., p. 194. Pitcher, Artists, Craftsmen and Technocrats, p. 96–99. ÉM B , p. 241. Glandelet, La vie de la sœur Marguerite Bourgeoys, p. 90.

chapitre huit 1 2 3 4 5 6

Lettre à M. Tronson, 1695, dans ÉM B , p. 203. ÉM B , p. 254, 242. Ibid., p. 242. ASQ , Glandelet, « Recueil », p. 85. HCND , vol. 2, p. 55. Les commentaires de Montgolfier sur les premiers efforts de formulation d’une règle, efforts interrompus par la démission de Mgr de Laval, ne sont guère éclairants car ils apparaissent dans une section de sa Vie de la vénérable sœur Bourgeois (p. 117–121) qui confond et les dates et les interventions de Laval et de Saint-Vallier. 7 Un manuscrit intitulé « Minutes des Règles des Sœurs de la Congrégation Notre-Dame établies à Ville-Marie » se trouve aux Archives de l’archevêché de Québec. Il comprend le texte des « Constitutions » de 1694 corrigé et annoté par Louis Tronson (81 CD , SS. de la Congrégation de Notre-Dame, vol. I : I ). Une copie non corrigée des « Constitutions » se trouve aux Archives du Séminaire de Québec au

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Musée de la civilisation du Québec (SME 12.2.4/22). Les textes cités ici sont tirés de ce second manuscrit. Outre le passage déjà cité de l’HSV, on trouve plusieurs références à cette période dans les lettres de Louis Tronson. À l’abbé Trouvé, il écrit : « Je ne sais pas ce que c’est que la communauté de la Providence que M. Guyotte veut établir pour de pauvres petites filles. » Le 14 mars 1693, il écrit à Dollier de Casson : « Je ne sais quelles sont les vues de M. Guyotte sur ses filles de la Providence », et au même, un peu plus tard la même année : « Je ne sais de quelle utilité sont les filles de la Providence ... Je m’imagine que ces filles sont celles qui sont sous la conduite de M. Guyotte. » Le 7 avril 1694, il écrit à Dollier de Casson : « Vous ne m’avez pas répondu sur ce que c’est que les filles de la Providence auxquelles on dit qu’on donne quinze livres de pain par semaine au Séminaire » (bAC , MG 17, a 7.1). L’hypothèse d’Émilia Chicoine au sujet d’une tentative par l’abbé Guyotte de fonder une communauté laisse plusieurs questions sans réponse quant aux relations entre une telle communauté et la Congrégation de Notre-Dame et son œuvre (La métairie de Marguerite Bourgeoys, p. 279–280). Le 16 février 1691, Guyotte cédait à Marguerite Tardy une maison sur la rue Notre-Dame, voisine du terrain de la Congrégation. Elle renonça à ce don l’année suivante, alors qu’elle était déjà retournée en France (AJM , Adhémar, « Renonciation faite par la sœur Tardy à la donation que M. Guyotte lui avait faite, passée devant L. Mussot, notaire de Besançon », 2 avril 1692). S’agit-il de la maison où les patients de l’hôpital trouvèrent refuge après l’incendie de l’Hôtel-Dieu? Voir aussi les questions posées ci-dessus au chapitre 6, note 7. Glandelet, Le vray esprit de l’institut des sœurs séculières de la Congrégation de Notre-Dame, p. 67. HCND , vol. 2, p. 73–74. On croit qu’il s’agissait de sœur Catherine Crolo, la première de toutes les compagnes de Marguerite Bourgeoys. Si c’est le cas, l’évêque n’a pas fait preuve du meilleur jugement en approchant quelqu’un dont la loyauté remontait aussi loin. Il existe deux versions de ces « remontrances », dont l’une est plus détaillée que l’autre. La version la plus longue est citée par Faillon, qui indique comme source les ACND. Ce document est également cité dans HCND, vol. 2, p. 68–85. Cependant, le seul document qui se trouve aujourd’hui aux ACND est une copie de la version plus brève, dont l’original se trouve aux Archives de Saint-Sulpice, à Paris (2B /01). Il semblerait que le document plus court soit une copie révisée et condensée du premier, qui fut envoyée à l’abbé Tronson et sur laquelle il a noté ses réponses aux objections soulevées par la Congrégation.

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12 Le texte intégral de la lettre est publié dans ÉM B , p. 203–208. 13 Marguerite insiste à nouveau sur l’égalité entre les sœurs dans une autre lettre à Louis Tronson, en date du 30 octobre 1695 (ÉM B , p. 221–222). Elle écrit ailleurs : « Les Règles étaient autrefois de n’avoir jamais de converses et j’ai fait une grande faute, quand j’ai dit à Monseigneur de Québec qu’on ne pourrait pas s’en passer à l’avenir; mais c’est bien contre la pauvreté. Il faut que toutes les Sœurs soient égales et employées chacune à ce qu’elles seront propres; que la Supérieure puisse être cuisinière et la cuisinière, Supérieure, si elles en sont capables. » (ÉM B , p. 247.) 14 Le terme que Marguerite choisit à dessein a bien une connotation négative et avait probablement été dirigé contre la communauté par dérision. 15 ÉM B , p. 81–82. 16 Faillon insère ici un commentaire qui est exact mais qui ne se trouve pas dans les Écrits : « La Congrégation a pris naissance dans ce pays, et il me semble qu’elle est la première communauté qui s’y soit formée. Les autres étaient déjà formées en France avant de venir en Canada. » Il ajoute que « les premières filles de la Congrégation y sont même venues sans aucun dessein de communauté », énoncé qui n’est vrai que si l’on prend le terme « communauté » pour désigner exclusivement le type de communauté cloîtrée déjà existant. Les propres paroles de Marguerite et le contrat d’Edmée Chastel, une de ses premières compagnes, montrent qu’on envisageait dès le départ une certaine forme de communauté. Voir Simpson, Marguerite Bourgeoys et Montréal, p. 153–157. 17 Faillon, Vie de la sœur Bourgeoys, p. 2–4. 18 ÉM B , p. 83. 19 Ibid., p. 84–85. 20 Ibid., p. 136. 21 Ibid., p. 131–132. 22 HCND, vol. 2, p. 68–69. 23 La Congrégation avait raison de prétendre que cette règle n’était pas conforme à ses lettres patentes. En 1708, on signala au ministre de la Marine, Phélypeaux de Pontchartrain, que les sœurs de la Congrégation de Notre-Dame prononçaient des vœux. Il interdit cette pratique comme contraire aux lettres patentes accordées par Louis XIV à Marguerite Bourgeoys. Pour essayer de faire lever cette interdiction, Catherine Charly, alors supérieure, fut contrainte d’en appeler jusqu’à M me de Maintenon. L’incident venait de ce que le gouverneur et l’intendant de la Nouvelle-France tenaient à s’assurer que la Congrégation ne devienne pas une communauté cloîtrée. Il n’y eut par la suite aucune autre tentative pour imposer le cloître à la communauté. (HCND, vol. 3, p. 108–138.)

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24 HCND, vol. 2, p. 71–72. 25 Ibid., p. 76. 26 Dans les jours qui suivirent l’incendie, on fit avec tact la tournée des maisons environnantes pour « chercher ce qu’on y avait porté pour le sauver du feu » (HSV, p. 252). 27 HSV, p. 242. 28 ÉM B , p. 207. 29 Vachon de Belmont, « Éloges », p. 149. 30 Située immédiatement au sud de Montréal, l’île Saint-Paul fut divisée en trois fiefs et concédée à Jacques Le Ber, Claude Robutel de SaintAndré et Jean de la Vigne en 1664. Ce dernier remit sa part à Marie Le Ber, qui la donna à son tour à son frère Jacques. L’île devint la propriété de la Congrégation au dix-huitième siècle car elle faisait partie de l’héritage de Jeanne Le Ber. La Congrégation devait conserver dans l’île une ferme ainsi qu’une maison de repos et de retraite pour les sœurs jusque dans les années 1950, quand le projet de construction du pont Champlain força la vente de l’île, connue aujourd’hui sous le nom d’île des Sœurs. 31 Vachon de Belmont, « Éloges », p. 152. 32 HSV, p. 246. 33 Ibid., p. 76. 34 Ibid., p. 254. 35 Anne Barrois entrera dans la Congrégation en 1702, pourvue d’une dot généreuse par le testament de Jacques Le Ber parce que sa propre branche de la famille « était peu avantagée du côté de la fortune ». Elle vécut jusqu’à l’âge de quatre-vingt-onze ans, fut témoin de la conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques et mourut peu après l’incendie qui ravagea la maison mère de la Congrégation en 1768 (HCND, vol. 4, p. 218–223). 36 AJM , Maugue, Basset, « Conventions entre Madlle Jeanne le Ber et les sœurs de la Congrégation de Villemarie », 4 août 1695. 37 Une exposition consacrée à Jeanne Le Ber au Musée Saint-Gabriel en 1995 a inspiré à Lise Bissonnette un éditorial du Devoir : elle voit en Jeanne « le noyau serré des élites économiques et religieuses » de Ville-Marie. 38 Jean, 12, 3–5. 39 C.J. Jaenen, « Le Ber, Jeanne », DBC , vol. 2, p. 391. 40 Dion, « La recluse de Montréal », p. 41. 41 Vachon de Belmont, « Éloges », p. 159–160. 42 Langlois, Blanche orchidée : Jeanne Le Ber, p. 98–100. Langlois suggère qu’elle a aussi introduit dans ses motifs une végétation « surnaturelle ». 43 ÉM B , p. 199–200. 44 Ibid., p. 139, 112, 114.

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45 Quand la communauté s’était retirée pour la nuit, Jeanne quittait son appartement pour aller prier dans la chapelle. Tous les jours, à minuit, elle priait pendant une heure ou deux. En 1696, elle signa avec la Congrégation un contrat pour assurer l’adoration permanente du Saint-Sacrement dans la chapelle du matin jusqu’à la prière du soir. (AJM , Adhémar, « Contrat de l’Adoration du Saint Sacrement », 10 octobre 1696). 46 ÉM B , p. 293. 47 Ibid., p. 228. 48 HSV, p. 76. 49 Tronson écrivait à Belmont en avril 1697 : « La mort de la sœur Tardy doit avoir bien détrompé M. de La Colombière, et je ne m’étonne pas qu’il soit à présent changé » (Correspondance, vol. 2, p. 361). 50 Vachon de Belmont, « Éloges », p. 187–189. Cette section est intitulée « Bref récit des actions édifiantes de deux excellentes chrétiennes iroquoises mortes en odeur d’une grande vertu et de celles d’un saint vieillard huron ». La deuxième Iroquoise dont il est question est Kateri Tekakwitha. Le troisième personnage est François Thoronhiongo, le grand-père de Marie-Thérèse. Belmont donne un exemple de l’efficacité des prières du vieil homme. Avec les années, François Thoronhiongo était devenu aveugle et il était conduit tous les jours à l’église par son petit-fils, un enfant né après que son père fut retourné en pays amérindien. Thoronhiongo priait tous les jours pour son fils qui avait refusé le baptême et n’avait pas voulu rester à la mission. En mars 1690, le petit-fils, jeune homme maintenant, participa à une escarmouche contre un groupe de Tsonnontouans; il en captura un qu’il ramena à la mission comme esclave. Le prisonnier fut reconnu par la mère du jeune guerrier et par d’autres anciens de la mission : c’était le père du jeune homme, le fils de Thoronhiongo, qui avait abandonné son épouse avant la naissance de leur fils. Il y eut une grande réconciliation et le fils prodigue de Thoronhiongo fut baptisé du vivant de celui-ci, qui mourut peu après. 51 Le récit le plus récent et le plus complet de l’histoire de Lydia se trouve dans The Captors’ Narrative, de William Foster, qui étudie l’expérience des prisonniers des colonies américaines en Nouvelle-France. 52 Foster pense que la famille aura opposé une certaine résistance car le pillage était censé être le premier objectif de ce raid, et Deliverance et ses enfants représentaient une excellente occasion de rançon (The Captors’ Narrative, p. 22). 53 John devint le serviteur d’un des chefs abénaquis et commença à s’entraîner comme guerrier. On l’obligea à retourner à Groton en 1698 et à s’intégrer à la vie de la petite ville. Il s’y est marié et a fondé une famille (Foster, The Captors’ Narrative, p. 54).

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HCND , vol. 4, p. 406. L’inscription du baptême de Lydia au RND donne le nom de sa mère adoptive plutôt que celui de sa mère naturelle. En tant que converties du protestantisme, ni Lydia Longley ni Mary Sayward n’auraient été admises chez les Filles de la Croix, qui avaient hébergé Marguerite à Paris. Leur règle interdisait spécifiquement d’admettre des hérétiques converties : « On prendra garde particulièrement de ne recevoir aucune fille ou femme veuve qui ait été dans l’hérésie, l’expérience ayant fait voir que bien qu’elles soient vraiment converties, et que le venin de l’hérésie soit entièrement hors de leurs cœurs, il reste toutefois ordinairement quelque chose dans l’extérieur de leurs actions, ou dans leur manière de parler, qui peut faire impression sur les esprits plus faibles et apporter quelque préjudice à la pureté et à la fermeté de leur foi. » (BN , « Constitutions de la Congrégation des Sœurs de la Croix », 8). Foster, The Captors’ Narrative, p. 52–53. Après sa profession, on envoya Mary Sayward travailler à la mission amérindienne du Sault-au-Récollet. Elle y était en contact non seulement avec les captifs qui venaient d’arriver mais aussi avec des personnes enlevées dans leur enfance et gardées par les autochtones qui les avaient capturées dans l’espoir de les assimiler. C’était le cas, notamment, d’Élisabeth (Abigail) Nims et de Josiah Rising, capturés lors du raid sur Deerfield en 1702, alors qu’elle avait environ trois ans et lui à peu près dix. L’un et l’autre devaient refuser d’être libérés contre rançon et de retourner vivre avec ce qui restait de leur famille. Ils se sont épousés, ont bien réussi et ont donné naissance à une nombreuse progéniture qui porta le nom de Raizenne. (Elle avait reçu le nom amérindien de Touatogoach, et lui celui de Shoentakouani.) Un de leurs fils devint prêtre et deux de leurs filles sont entrées dans la Congrégation. On a une idée de la réussite financière de la famille si l’on songe que le père offrit 2000 livres de dot lorsque Marie, la plus jeune des filles, entra dans la communauté. Sous le nom de sœur Saint-Ignace, Marie Raizenne devait devenir la treizième supérieure de la Congrégation, en 1778. Tronson, Correspondance, vol. 2, p. 360. ÉM B , p. 233–243. Ibid., p. 231–232. ASQ , Glandelet, « Recueil », p. 169–170. HCND , vol. 2, p. 122–123. Cité dans Ibid., p. 126. AMMB , « Règlemens commun pour les Sœurs séculières de la Congrégation de Nôtre Dame de Villemarie ». HCND , vol. 2, p. 82.

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66 Toutes trois finirent par se marier : Marie Aubuchon en septembre 1698, Catherine Rochon en août 1699 et Marie Genest en 1710. 67 Dans le cas de Marie Aubuchon tout au moins, la décision semble avoir été assez soudaine car, le 22 avril 1694, un contrat avait été signé entre la Congrégation et son tuteur au sujet de sa dot (AJM , Maugue, « Convention entre Le Sieur Adhémar au nom de tuteur de Marie Aubuchon et La Congrégation »). 68 HCND, vol. 2, p. 127. 69 ÉM B , p. 84–85. 70 La tradition dans la Congrégation de Notre-Dame voulant que Catherine Charly dit Saint-Ange ait pris le nom « du SaintSacrement » en l’honneur de Marguerite Bourgeoys après la mort de celle-ci (HCND, vol. 3, p. 106) est démentie par les signatures au bas des documents attestant les vœux simples et le vœu de stabilité prononcés par les sœurs. Sur chacun, Catherine Charly a signé tout de suite avant Marguerite Bourgeoys sous le nom de « Catherine du Saint-Sacrement ».

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ÉM B , p. 193; fragment d’une lettre écrite probablement à la fin de 1694. ASQ , Glandelet, « Recueil », p. 10. Citée dans HCND, vol. 2, p. 167. Ibid., p. 169. Le 26 février 1700. Mgr de Saint-Vallier avait déjà divisé les sœurs hospitalières de Québec en les amenant à prendre la responsabilité de l’Hôpital général. Jamet estime que l’évêque voulait toujours créer à partir de la Congrégation une communauté qui fût la sienne (Marguerite Bourgeoys, vol. 2, p. 770–774). HCND , vol. 2, p. 171. Ibid., p. 171–172. Pendant plus de deux siècles, la Congrégation insistera pour que les aspirantes soient toutes formées dans un même noviciat à Montréal. Cette exigence était perçue comme essentielle pour assurer l’unité d’un groupe dont les sœurs seraient ensuite dispersées en différentes missions. La situation a changé quand la communauté a ouvert une mission au Japon dans les années 1930 et qu’elle a commencé d’accueillir des candidates japonaises. En 1955, des noviciats ont été ouverts dans la région de Québec, à Beauport, et aux ÉtatsUnis. Il n’y a plus aujourd’hui de noviciat commun.

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9 HSV, p. 75. 10 Ibid., p. 75–76. 11 HCND, vol. 2, p. 189. 12 Une quatrième fille, Élisabeth, dont le mari, Joseph de Montenon, avait été tué par les Iroquois en 1690, entra dans la Congrégation en 1700. Un seul de ses enfants, un garçon du nom d’André-Joseph, semble avoir atteint l’âge adulte. Il fut ordonné prêtre en 1713, six mois après la mort de sa mère, lorsque Mgr de Saint-Vallier rentra de captivité. 13 Glandelet, La vie de la sœur Marguerite Bourgeoys, p. 144. 14 Il est possible que Catherine ait souffert d’une de ces maladies que les documents de l’époque qualifient de « fièvres malignes ». Avant la découverte des antibiotiques, ces affections entraînaient souvent la mort et si Marguerite Bourgeoys a contracté la même maladie à son âge avancé, il est plus que vraisemblable qu’elle en est morte. 15 Glandelet, La vie de la sœur Marguerite Bourgeoys, p. 143. 16 HCND, vol. 2, p. 191–192. Cet ouvrage affirme même qu’elle cherchait à se mortifier davantage en adoptant des postures inconfortables, jusqu’à ce que l’infirmière l’empêche de le faire. 17 Glandelet, La vie de la sœur Marguerite Bourgeoys, p. 144. 18 HCND, vol. 2, p. 192. 19 Glandelet, La vie de la sœur Marguerite Bourgeoys, p. 147. 20 Ibid., p. 193. 21 Ibid., p. 143. 22 Également comme sa sœur, Pierre Le Ber était profondément lié à une communauté religieuse sans en être membre. Avec François Charon de La Barre, Jean-Vincent Le Ber Du Chesne et Jean Fredin, il avait participé à la fondation des Frères hospitaliers de la Croix et de SaintJoseph, communément appelés les « Frères Charon », qui ouvrirent l’Hôpital général de Montréal en 1694. 23 Tiré d’une lettre écrite par une des sœurs trois semaines après la mort de Marguerite Bourgeoys et citée dans Glandelet, La vie de la sœur Marguerite Bourgeoys, p. 148. 24 Bazin, « Le vrai visage de Marguerite Bourgeoys, p. 16. 25 Glandelet, La vie de la sœur Marguerite Bourgeoys, p. 147. 26 En 1767, les restes de Marguerite Bourgeoys furent en fait retirés de l’église paroissiale et transférés dans la chapelle de la Congrégation. Au fil des siècles qui se sont écoulés depuis sa mort, ces restes ont continué la « vie voyagère » qu’elle avait pratiquée de son vivant, suivant la Congrégation du Vieux-Montréal à la maison mère de la Montagne puis à deux autres maisons mères situées à Westmount. En 2005, ils furent ramenés dans le Vieux-Montréal à la chapelle Notre-Dame-

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de-Bon-Secours, qu’elle avait fondée et où les premiers membres de la Congrégation célébraient leur fête patronale et renouvelaient les promesses qu’elles avaient faites à Dieu. Glandelet, La vie de la sœur Marguerite Bourgeoys, p. 145. LouisHector de Callière était maintenant gouverneur de la NouvelleFrance et Philippe de Rigaud de Vaudreuil, gouverneur de Montréal. Glandelet (p. 150–155) cite encore des extraits des lettres de condoléances adressées à la Congrégation par Mgr de Saint-Vallier et Mgr de Laval; par Louis Ango Des Maizerets, supérieur du séminaire de Québec; par Martin Bouvart, supérieur des Jésuites; par Mariedu-Sacré-Cœur-de-Marie (Fiquenal), supérieure de l’Hôtel-Dieu de Québec, par Gabrielle de l’Annonciation (Denis), supérieure de l’Hôpital général de Québec; et par M me Champigny, épouse de l’intendant; ainsi que par Marie-Paule de Blaigny, supérieure de la Congrégation de Notre-Dame à Troyes. Certaines sont citées plus bas. Ibid., p. 150. HCND , vol., 2, p. 210. Ibid., p. 202. Ibid., p. 203–204. Ibid., p. 205. Charlevoix, Histoire générale de la Nouvelle-France, livre 8, p. 94–95. HCND , vol. 3, p. 326. Le nombre le plus élevé de membres inscrits à la Congrégation a été de 3809 à l’automne 1965. À l’automne 2004, la communauté comptait 1395 sœurs, 5 novices et 6 candidates. Sœurs de la Congrégation de Notre-Dame de Montréal, Constitutions et règles, p. 13–15.

appendice 1 Je tiens à exprimer ma reconnaissance à Danielle Dubois pour avoir généreusement partagé ses connaissances en histoire de l’art avec moi et pour la finesse de son intuition. 2 A AMB , M. Eileen Scott (sœur Ste-Miriam-du-Temple), « Report on the Cleaning and Restoration of the Portrait of Blessed Marguerite Bourgeoys by Edward O. Korany », 1964. Ce document contient la correspondance entre sœur Scott et le restaurateur.

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archives de l’archevêché de québec Registre a Registre des insinuations ecclésiastiques

Archives de la Congrégation de Notre-Dame de Montréal (ACND) À cause des incendies qui ont détruit la maison mère de la Congrégation de Notre-Dame en 1768 et en 1893, les Archives contiennent peu de documents originaux du dix-septième siècle. Elles ont toutefois des copies certifiées de la plupart des documents connus relatifs à la vie de Marguerite Bourgeoys et aux débuts de sa Congrégation. « Constitutions pour les Sœurs de la Congrégation de nostre dame de Ville Marie » « Copie des Constitutions composées et présentées par Mgr de SaintVallier avec les corrections faites par M. Tronson et formant les règlements acceptés en 1698 »

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Archives du Musée Marguerite-Bourgeoys (AMMB) Correspondance entre M. Eileen Scott, C.N.D., et Edward Korany Correspondance entre M. Eileen Scott, C.N.D., et Alfred Morin Divers articles, essais et notes non publiés de M. Eileen Scott, C.N.D. Alfred Morin, « Antoine Gendret. George Proffit, Marie Nicolas Desguerrois »; « Les frères de Marguerite Bourgeoys à Évreux » « Règlemens Commun pour les Sœurs Séculières De la Congrégation de Nôtre Dame de Villemarie »

Archives de la Paroisse Notre-Dame de Montréal Registres de l’église Notre-Dame de Montréal Un fac-similé des parties les plus anciennes des registres des baptêmes, des mariages et des sépultures a été publié par la Société des Dix en 1961 sous le titre Premier registre de l’église Notre-Dame de Montréal. Ce texte reproduit les entrées de 1642 à 1681. Les originaux sont conservés aux Archives de la Paroisse Notre-Dame à Montréal. « Registres des délibérations de la fabrique de la Paroisse de Notre-Dame de Ville-Marie » (commençant en 1657) « Comptes rendus par les marguilliers » (commençant en 1658)

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Abénaquis, 163 Acadie, 17, 101, 129, 130 Aiguillon. Voir Vignerot Ailleboust, Madeleine d’, 8 Alacoque, Marguerite-Marie, 147 Andastes, 117 André, Catherine, 52, 54–56 André, Michel, dit Saint-Michel, 54 Atontinon, Marie-Barbe, 64, 104, 156–157 Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec, 9, 26; offrent l’hospitalité à Marguerite Bourgeoys, 30; se lient d’amitié avec Marie Barbier et lui prodiguent des soins, 168–169; divisées par Mgr de Saint-Vallier pour assumer l’administration de l’Hôpital général, 274n6 Bailly, Guillaume, 63, 135; participe à l’affaire Tardy, 145–146, 152–153 Barbier, Adrienne, 69 Barbier, Gilbert, 68–69 Barbier, Marie, 68–69, 71, 101, 152, 156, 204–205, 263n26; à la mission de la Montagne, 121–

122; à l’île d’Orléans, 123–126; caractère et personnalité, 122, 124–125; problèmes physiques et psychologiques, 134–135; réalise la première fondation à Québec, 126; élue supérieure, 164; opérée pour le cancer, 168–169; ses problèmes comme supérieure, 171–172, 200–201; considérée comme supérieure possible à Québec advenant une division de la Congrégation, 210 Barbier, Nicolas, 68, 156 Barrois, Anne, 190, 191, 192, 271n35 Basset, Bénigne, 9, 48 Beaune, Perrette Laurent de, 42, 205 Bellevue. Voir Dolebeau Bellot, Christophe, 87, 89 Bernières, Henri de, 51 Bertache, Élisabeth de la, 42, 75, 79 Boni, Catherine, 46, 60, 63, 252n34 Bonneau de Rubelle, Marie (M me de Miramion), consultée par Marguerite Bourgeoys au sujet de la règle, 96

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Boudreau, Urbain, 24 Boullogne, Marie-Barbe de, 18 Bourbault, Madeleine, 70, 122, 133; dans l’affaire Tardy, 144 Bourdoise, Adrien, 96–97 Bourgeoys, Abraham, 40 Bourgeoys, Anne, 40 Bourgeoys, Claude, 40 Bourgeoys, Édouard, 37, 40 Bourgeoys, Jeanne, 40 Bourgeoys, Jérôme, 40, 45 Bourgeoys, Madeleine, 40, 45 Bourgeoys, Marguerite : sa vie avant 1665, 3–6, 11–13, 177–178; l’idée d’une forme nouvelle de communauté religieuse féminine s’inspirant de la vie de Marie, 5–6, 177–181; sources pour l’étude de ~, 8–10; attitude à l’égard des biens matériels dans la Congrégation, 22, 76–77, 113–114, 123–124; réticence à l’idée de construire une maison plus grande, 22–23; préparation de son deuxième voyage, 28–29; se rend en France et obtient les lettres patentes pour la Congrégation, 30–39; à Troyes en quête de nouvelles recrues pour la Congrégation, 40–42; rend visite au baron de Fancamp et reçoit une statuette pour la chapelle Notre-Damede-Bon-Secours, 43–45; reprend les travaux pour la chapelle à son retour à Montréal, 50; aide une mère qui a causé accidentellement la mort de son enfant, 54–56; attitude au sujet du port de l’habit religieux, 69–70; dernier voyage en France, 73–82, 97–100; attitude au sujet de

l’ascèse et de la mortification, 76, 167; estime que son leadership est remis en question, 78, 101; fait face à la possibilité d’une attaque ennemie en mer, 99; attitude en affaires, 105– 106, 157–160; réaction à l’incendie de 1683, 110–114; se serait rendue à pied jusqu’à Québec, 126–127; objection à la politique de francisation des autochtones, 138; se voit reprocher son laxisme par Marguerite Tardy, 142–144; démissionne comme supérieure, 164; difficultés de ses dernières années, 171, 200–201; réaction à la règle de 1694, 176–181; propos sur la prière, 195; participe activement aux discussions qui mènent à l’acceptation de la règle de 1698, 202–204; choix d’un nom de religion, 205; dernière maladie et décès, 212–216; hommages et éloges funèbres, 216–219; canonisation, 222; tombeau, 275n26. Voir aussi Chomedey de Maisonneuve; Congrégation de Notre-Dame de Montréal; Tardy Bourgeoys, Marie, 40–41 Bourgeoys, Nicolas, 40 Bourgeoys, Pierre, 40–41, 45, 98 Bourgeoys, Sirette, 40 Bourgeoys, Thomas, 40 Bouvot, Marie, 67 Breda, traité de, 17 Bretonvilliers, Alexandre Le Rageois de, 37, 135 Brisay de Denonville, JacquesRené de, 118, 126, 138 Brod, Jean, 106

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Buade de Frontenac et de Palluau, Louis de, 46; impliqué dans le commerce des fourrures, 58; attitude face au commerce de l’eau-de-vie, 63; rédige un témoignage pour la Congrégation, 80; est rappelé en France, 107; revient et repousse l’attaque de Phips, 151; est attaqué dans l’affaire Tardy, 153; décès, 207 Bucquet, Claude, 92 bureaux des pauvres, 139 Cabassier, Pierre, 156 Caillou-Baron, Jean, 72 Caillou-Baron, Marie-Gabrielle, 72 Callière, Louis-Hector de, 172, 276n27 Capucins, 81 Carignan-Salières, régiment de, 3, 5; arrivée au Canada et campagnes, 14–17 Cataracoui, 58 Cavelier, Robert, 105 Cavelier de La Salle, Jean, 58 Cavelier de La Salle, René-Robert, 58, 102 Champlain (mission), 65 Chantreux, Pierre, 97 Charlevoix, Pierre-François-Xavier de, 220 Charly, Catherine, 71, 103, 130, 134, 204, 205, 207–208; élue assistante, 165; intervient auprès de Glandelet pour Marie Barbier, 172; gravement malade, 212–213; nom de religion, 274n70 Charly, Élisabeth, 275n12 Charly, Marie, 70, 107, 108 Charly, Marie-Anne-Françoise, 163

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Charon, Frères. Voir Frères hospitaliers de la Croix Charon de La Barre, François, 275n22 Chastel, Edmée, 18, 30, 42, 196 Château-Richer, 68, 161 Chaumonot, Pierre-Joseph-Marie, 265n12 Chaumont, Alexandre, 15 Chauson, Sœur, 98 Chauvigny, Marie-Madeleine de (M me de La Peltrie), 47 Chesnay La Garenne, Madeleine, 8 Chevrier, Pierre, baron de Fancamp, 43–45, 50–51 Chomedey, Louise de, 41 Chomedey de Maisonneuve, Paul, 3, 11, 24, 31; offre l’hospitalité à Marguerite Bourgeoys à Paris, 33–36; appuie sa demande de lettres patentes, 37–38; nommé agent d’affaires de la Congrégation en France, 39; envoie Louis Frin avec de l’argent, 46; mort et dispositions testamentaires, 66–67; don pour la chapelle de pèlerinage de Montréal, 67 Colbert, Jean-Baptiste, 14, 36; attitude à l’égard des communautés religieuses, 18 Communauté de la Sainte-Famille, 97 Communauté des Enfants du Saint-Esprit, 45 Compagnie des Cent-Associés, 14 Compagnie des Indes occidentales, 14; se prépare à envoyer un prêtre et à fonder des paroisses en Nouvelle France, 59

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Congrégation de Notre-Dame (Troyes), 6, 19, 26, 40, 66–67, 98 Congrégation de Notre-Dame de Montréal : attitude des autorités religieuses à l’égard de la ~, 6–7, 27, 60–62, 119, 175; enthousiasme des autorités civiles, 7, 36–37, 113, 136–137; appui des Sulpiciens, 6, 7, 27, 132– 133, 151–155, 175–176, 184, 199–200; perte des registres et archives, 9; membres et activités avant 1665, 12–13; missions ambulantes, 19, 27; pensionnat, 22, 104; conflit autour de la construction d’une maison plus spacieuse, 23–24; l’assemblée générale des colons appuie la demande de lettres patentes, 26; Mgr de Laval l’autorise à enseigner dans tout son diocèse, 27; propriétés en 1669, 28; obtient ses lettres patentes, 36; les lettres patentes font état de son activité, 38–39; deuxième recrutement en France, 41–42, 46; description de la nouvelle maison, 49; acquiert le fief de Verdun et l’île aux Hérons, 57; première approbation canonique, 60–62; commence à travailler à la mission de la Montagne, 62–63; établit une mission permanente à Champlain, 65; accepte des sœurs autochtones, 64–65; ouvre une mission à Pointe-auxTrembles, 67; reçoit ses premières candidates canadiennes, 67–71; attitude à l’égard de la dot, 68; l’habit, 69–70; règle primitive, 73–74; élection de la

Vierge Marie comme supérieure, 78–79; fonde une mission à Lachine, 102; premier décès, 103; renseignements sur la Congrégation dans le recensement de 1681, 103–104; problèmes relatifs aux employés de sexe masculin, 104–106; ouverture d’une mission au SaultSaint-Louis, 108; l’incendie de 1683 et ses retombées, 108–114; description de la nouvelle maison mère, 114–115; première visite de Mgr de Saint-Vallier, 119; La Providence, 119–120; l’éducation des pauvres, 120, 220; la démocratie à l’époque des débuts de la Congrégation, 121; ouverture d’une mission à Sainte-Famille de l’île d’Orléans, 121, 123–126; conditions dans les premières missions, 124–125; travail auprès des jeunes filles qui ne sont plus d’âge scolaire, 125–126; ouverture de La Providence de la Sainte-Famille (Québec), 126; problèmes reliés aux missions de Québec, 127, 157–160; mission possible à Port-Royal, 129–130; débuts de l’Hôpital général à Québec, 139–140; l’affaire Tardy, 143–157; ouverture possible d’une mission à Château-Richer, 161; élection pour remplacer Marguerite Bourgeoys, 164–165; Mgr de Saint-Vallier présente une règle à la communauté, 173; réaction de la Congrégation, 173–184; accueil des religieuses hospitalières après l’incendie de l’Hôtel–Dieu, 186; Jeanne Le Ber fait construire une cha-

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pelle pour la Congrégation et y entre en réclusion, 191–194; premières sœurs anglophones dans la communauté, 198; changements apportés à la règle de 1694, 202–204; départs de la Congrégation, 204; acceptation de la règle révisée, premiers vœux publics, 204–206; Marguerite Le Moyne élue supérieure, 208; projet de diviser la Congrégation, 209–211; la Congrégation au dix-huitième siècle, 219–221; expansion aux dix-neuvième et vingtième siècles, 221 Conseil souverain, 83 Constantin, Madeleine, 42, 103 Cordier, Marie, 97 Côte Saint-Sulpice. Voir Lachine Courcelle. Voir Rémy de Courcelle Crolo, Catherine, 12, 19, 103, 105, 164; prend la responsabilité de la ferme, 24; hommage de Marie Morin, 211; décès, 211 Dablon, Claude, 80 Denis, Catherine, 20, 70 Denis, Marie, 70, 132 Denonville. Voir Brisay Dolebeau, Annette (de Bellevue) Dollier de Casson, François, 16, 51, 57–58, 145–147; sympathie pour les premiers Montréalais et amitié avec Jeanne Mance, 27, 52; devient supérieur, dessine les premières rues de Montréal, entreprend d’écrire son histoire, 47–48; attaqué dans l’affaire Tardy, 145; intervention après la mort de Marguerite Bourgeoys, 216; décès, 219

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dot. Voir Bourgeoys, Marguerite; Congrégation de Notre-Dame de Montréal Ducharme, Louis, 156 Duchesneau de la Doussinière et d’Ambault, Jacques, 80, 103 Dudouyt, Jean, 50, 84 Dumesnil, Marie, 13, 70, 107, 163, 212 Dupuy, Zacharie, 32; fait don de sa propriété à la Congrégation, 56–57 Durant, Claude, 42 école pour garçons, 21 étable-école, 12–13; ne répond plus aux besoins de la Congrégation, 20–22; retour à l’~, 111 Faillon, Étienne-Michel, 8 Fancamp. Voir Chevrier Fénelon. Voir Salignac Féret, Hippolyte, 97 Filles de la Croix, 83, 219; histoire, 86–95; comparées à la Congrégation, 88, 92–93 Filles de Sainte-Geneviève, 86, 96, 219 filles du roi, 13, 21, 24–25 Filles séculières. Voir Congrégation de Notre-Dame de Montréal Fleuricour, Jean-Baptiste, 155 Fontaine, Louis, 105–106 Fortin, François, 57, 154 Fourier, Pierre, 6, 26, 92, 120 François d’Assise, 81 Fredin, Jean, 275n22 Frémin, Jacques, 82 Frère Thomas. Voir Monier Frères hospitaliers de la Croix et de Saint-Joseph, 145, 275n22 Frin, Louis, 33, 46, 66, 98, 251n28

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Frontenac. Voir Buade Galinier, Dominique, 35, 48 Gannensagouas, Marie-Thérèse, 64–65, 104, 196 Garakontié, 15 Gariépy, Marguerite, 67; élue économe, 165, 210 Gendret, Antoine, 73, 88 Genest, Marie, 204 Gillet, John, 199 Glandelet, Charles de, 8, 121; devient le directeur spirituel de Marie Barbier, 131; présente à la Congrégation la règle révisée, 201 Godé, Mathurine, 70 Gondi, François de, 94 Groissard, Jeanne, 54, 56–57 Guérin, Pierre, 87, 89, 92 Guyotte, Étienne, 107, 122; implication dans l’affaire Tardy, 144–164 Hazeur, François, 160 Hiou, Anne, 12, 28, 79, 164 Hôpital général : nature de l’~, 139–140; à Québec, 139–141, 161; à Montréal, 145. Voir aussi Frères hospitaliers; Augustines Hospitalières de Saint-Joseph, 20; l’hôpital est détruit par un incendie, 184–186; accueillent la Congrégation après l’incendie de 1683, 111; sont accueillies à la Congrégation après l’incendie de l’Hôtel-Dieu, 186; reconstruisent, 196; alliance spirituelle avec la Congrégation, 186. Voir aussi Macé; Morin île aux Hérons, 57

île d’Orléans. Voir Barbier, Marie; Lamy île Jésus : fief du Bon-Pasteur, 57 incendies à Montréal : à l’HôtelDieu, 110, 184–186; à la Maison mère de la Congrégation, 108–110, 260n31; à la PointeSaint-Charles, 164 Illinois, 117 Iroquois, 11, 14, 15–16, 117–118, 140–141. Voir aussi Atontinon; Gannensagouas; Mohawks Jésuites, 14, 80, 174. Voir aussi Chaumonot; Dablon; Frémin; La Colombière, Claude de; Pijart Joussette, Catherine, 149 La Barre, Joseph-Antoine Le Febvre de, 117 Lachine : établissement et fondation de la mission de la Congrégation, 102; massacre, 140–141 La Colombière, Claude de, 147 La Colombière, Joseph de : origines et antécédents, 145–147; attitudes favorables à son endroit, 147; implication dans l’affaire Tardy, 147–151; rappelé en France, quitte les Sulpiciens, 155; revient au Canada avec Mgr de Saint-Vallier, 160 La Croix de Chevrières de SaintVallier, Jean-Baptiste de : arrivée au Canada, 118; difficultés relatives à sa consécration, 118; caractère et personnalité, 128; première tournée de son diocèse, 119; dispose de manière arbitraire des sœurs de la Congrégation, 126, 127, 129;

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impliqué dans de nombreux conflits, 132, 160, 172; associe la Congrégation à la création d’un hôpital général à Québec, 139–140; rôle dans l’affaire Tardy, 150; accepte la démission de Marguerite Bourgeoys et préside l’élection tenue pour la remplacer, 164; présente une règle à la Congrégation en 1694, 170; envoie une version révisée de la règle en 1697, préside son acceptation ainsi que les premiers vœux publics et les nouvelles élections en 1698, 199–205; tente de diviser la Congrégation, 209–211 Lamy, François, 121, 131, 210 Lancy, Anne de, 87 La Peltrie. Voir Chauvigny Laval, François de Montmorency, 6, 14, 84–85, 103, 160; autorise la Congrégation à enseigner dans tout son diocèse, 27–28; reçoit les nouvelles recrues à la Congrégation, 42; s’efforce de faire ériger un diocèse à Québec, 59–60; émet la première approbation canonique de la Congrégation, 60–62; impliqué dans les démêlés à la cour au sujet du commerce de l’eau-devie, de la création des paroisses et de la dîme, 83–85; rabroue Marguerite Bourgeoys à son arrivée en France en 1680, 83; fait une dernière tournée de son diocèse, 103; réaction à l’incendie à la Congrégation, 112–113; rentre de France, 132–133 Le Ber, François, 24 Le Ber, Jacques : vote contre la légalisation du commerce de

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l’eau-de-vie, 84; s’oppose à la politique de francisation des autochtones, 138; fait une contribution généreuse pour la reconstruction de l’Hôtel-Dieu, 190; rachète Lydia Longley, 197 Le Ber, Jeanne, 156, 207; enfance et jeunesse, 186–188; recluse chez ses parents, 189–191; fait construire une chapelle pour la Congrégation, où elle vit dans un logement annexe, 191–194; attitude de Marguerite Bourgeoys à son égard, 194– 195; est témoin du baptême de Lydia Longley, 198 Le Ber, Marie, 187 Le Ber, Pierre : peint le portrait de Marguerite Bourgeoys, 214– 215. Voir aussi Frères hospitaliers; « portrait authentique » de Marguerite Bourgeoys Le Ber du Chesne, Jean-Vincent, 156 Le Bey, Charles, 39 Lebrun, Marie, 141 Le Clerc, Alix, 6, 26 Le Febvre, François, 46 Lemaistre, Barthélémy, 105 Le Moyne, Charles, 15, 16, 118 Le Moyne, Françoise, 68, 69, 70, 105, 118, 132 Le Moyne, Jacques, 70 Le Moyne, Marguerite, 118; élue maîtresse de formation, 165; élue supérieure, 205; antécédents et caractère, 208; vue comme un obstacle au projet de diviser la Congrégation, 211; lettre annonçant la mort de Marguerite Bourgeoys, 213, 214 Lenoir, François, dit Rolland, 146 Le Prestre, Denys, 44

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Le Prestre, Louis, 44 Le Royer de La Dauversière, Jérôme, 43, 144 Lechassier, François, 176 Létourneau, Françoise, 164 L’Huillier, Hélène-Angélique, 93 L’Huillier, Marie, M me de Villeneuve, 93–95 Longley, Betty, 197 Longley, John, 197 Longley, Lydia, 8, 197–199, 207 Longley, William, 197 Louisbourg : lieu d’une mission de la Congrégation, 130 Louvard, Michel, dit Desjardins, 54 Macé, Catherine, 54, 145, 184, 190 Maisonneuve. Voir Chomedey de Maisonneuve Mance, Jeanne, 4, 27, 48; ses derniers jours, sa mort et les dispositions de son testament, 52–54 Marie de l’Incarnation : sur le régiment de Carignan-Salières, 15; souhaite venir à Montréal, 26; décès, 47. Voir aussi Ursulines Maugue, Claude, 9 Meulles, Jacques de, 64, 117; loue le travail de la Congrégation à la mission de la Montagne, 136–137 Meynier. Voir Perrot, Madeleine Laguide Meynier Meyrand, Anne : erronément présentée comme l’une des fondatrices de la mission de la Montagne, 63n19; arrivée, 107; à l’île d’Orléans, 121–125, 127; rentre à Montréal et

pourrait succéder à Marguerite Bourgeoys, 152; décès, 152 Miamis, 117 Miramion. Voir Bonneau de Rubelle mission de la Montagne : établissement, 62–64; premières sœurs autochtones, 64–65 subventions, 116; problèmes, 135–138; éloge de la ~, 136–137. Voir aussi Atontinon; Bailly; Barbier, Marie; Gannensagouas; de Meulles; Thoronhiongo; Vachon de Belmont missions ambulantes. Voir Congrégation de Notre-Dame de Montréal Mohawks : campagne contre les ~, 16 Mohicans, 117 Monier, Thomas, 104 Montgolfier, Étienne, 8, 35, 42–46 Montmagny, Charles Huault de, 121 Morin, Marie, 9, 95, 184, 191, 211; sur l’incendie de l’HôtelDieu, 110, 185; sur les trois états de la vie religieuse féminine, 196 Nadereau, Françoise, 54–55 Nims, Élisabeth (Abigail), 273n57 Notre-Dame-de-Bon-Secours (chapelle), 105, 222; origine, 23; source de conflit dans la Congrégation, 23–24; construction de l’oratoire en bois, 29; origines de la statuette, 44–45; érection de l’édifice en pierre, 50–51; affection de Marguerite Bourgeoys pour la chapelle, 51; rôle dans les célébrations de la Congrégation, 51, 173; première cloche, 67; rattachée à

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la paroisse, 83; aujourd’hui lieu de la sépulture de Marguerite Bourgeoys, 275n26 Notre-Dame de Saulseuse (prieuré), 43–44 Notre-Dame-des-Neiges (Le Havre), 46 Olier, Jean-Jacques, 7, 86 Onnontagués. Voir Garakontié Onneiouts, 16 Pérot, Gilles, 27, 32, 33, 57 Perrot, François-Marie, 34, 58–59, 107; conduite comme gouverneur de Montréal, 75–76 Perrot, Madeleine Laguide Meynier : compagne de voyage de Marguerite Bourgeoys en 1680, 81 Pichard, Louis, 105 Pijart, Claude, 50, 143 Pointe-aux-Trembles, 67 Pointe-Saint-Charles, 24–25, 164, 211. Voir aussi Crolo; Providence, La (Montréal) Port-Royal : lieu possible d’une mission de la Congrégation, 129 « portrait authentique » de Marguerite Bourgeoys, 214– 215, 217, 223, 228, 237, 240– 242. Voir aussi Le Ber, Pierre Potawatomis (enfants), 21 pressoir mystique, 36, 163 Primot, Antoine, 105 Prouville de Tracy, Alexandre de : arrivée à Québec, 14–17 Providence, La (Montréal), 119–120; questions sur l’emplacement, 119–120; 261n7; fermeture, 174 Providence de la Sainte-Famille, La (Québec), 123, 130, 139–140

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pseudo-Le Ber (portrait de Marguerite Bourgeoys), 228, 237 Queylus. Voir Thubières de Lévy de Queylus Raisin, Marie, 12, 103–104; famille, premier travail dans les missions ambulantes, départ pour les Ursulines et retour à Montréal, 18–20; remplace Marguerite Bourgeoys pendant son absence, 28–29; fonde la mission de Champlain, 65; décès, 156; contribution financière à la Congrégation, 246n13 Raizenne, Marie, 273n57 Ransonet, Michel-François, 8, 126, 267n49 recensements : 1666, 19; 1681, 103–104 Récollets, 63, 83, 172 règle. Voir Congrégation de Notre-Dame de Montréal; La Croix de Chevrières de SaintVallier Rémy, Pierre, 71, 79, 102 Rémy, Thérèse, 71, 130 Rémy de Courcelle, Daniel de, 16, 46, 65 Richard, Louise, 107 Rishworth, Mary, 163 Rising, Josiah, 273n57 Rochon, Catherine, 204 Rosoy, Geneviève du, 42, 47, 103; élue assistante et agit comme supérieure en l’absence de Marguerite Bourgeoys en 1680, 79; périt dans l’incendie la veille du jour où elle pourrait être élue supérieure, 108–110 Roussel, Charlotte, 141

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Roy, Marguerite (sœur de la Conception), 130 Roy, Marie, 141 Ryswick, traité de, 207 Sailly, Angélique de, 54 Sainte-Henriette, sœur, 9 Saint-Étienne-du-Mont, église, 36 Saint-Père, Agathe de, 208 Saint-Père, Jean de, 144 Saint-Vallier. Voir La Croix de Chevrières de Saint-Vallier Salignac de La Mothe-Fénelon, François de, 31–32, 58–59 Samier, Marie, 87 Sarrazin, Michel, 168 Sault-Saint-Louis, 108 Sayward, Esther, 163 Sayward, Mary, 163, 208 Sayward, William, 163 Scott, Mary Eileen, 9, 134 Séguenot, François, 188, 190 Sémillard, Orson, 41. Voir aussi Sommillard Séminaire de Québec, 85 Sénécal, Madeleine, 45 Sérancourt, M. de, 37 serviteurs de la Congrégation, 51, 68, 104. Voir aussi Brod, Frin, Gillet, Lemaistre, Monier Société de Notre-Dame de Montréal, 7, 43, 44 Sommillard, Catherine, 41, 57, 60, 154; fonde la mission de la Congrégation à Lachine, 102; perd sa sœur dans l’incendie de 1683, 110; ramène des enfants à Montréal après le massacre de Lachine, 141; décès, 212 Sommillard, Louise, 41, 212; mariage et premier enfant, 57; décès de son premier mari et remariage, 154

Sommillard, Marguerite, 41, 105; aide à la construction de la chapelle Notre-Dame-deBon-Secours, 51; économe, 79; succéderait probablement à Marguerite Bourgeois comme supérieure mais périt dans l’incendie à la veille de l’élection projetée, 109–110 Sorbonne : opinion des théologiens sur la moralité du commerce de l’eau-de-vie, 84 Souart, Gabriel, 27, 138, 143; assume la responsabilité de l’école des garçons, 21; dépose la première pierre de la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours et paye pour faire fondre la cloche, 51, 67; agit comme exécuteur testamentaire pour Jeanne Mance, 53–54; rend hommage à Marguerite Bourgeoys, 265n2 Sulpiciens, 6,7, 34, 37, 51, 146. Voir aussi Bailly; Dollier de Casson; Galinier; Guyotte; La Colombière, Joseph de; Pérot; Rémy, Pierre; Séguenot; Souart; Thubières de Lévy de Queylus; Tronson; Trouvé; Vachon de Belmont; Valens Talon, Jean : réalisations comme intendant, 17; plaintes au sujet de l’origine urbaine des filles du roi, 25; attitude à l’égard des communautés religieuses, 25–26; appui à la Congrégation, 26, 36; fait revenir les Récollets au Canada, 63 Tardy, Marguerite : arrivée à Montréal, 107, 144; commence à divulguer ses visions, 143–144; gagne l’appui de trois

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Sulpiciens importants, 145–149; envisage la réforme et la fusion de trois communautés religieuses de Montréal; retourne en France, 144–145; commentaire de sœur Sainte-Henriette, 267n35 Tekakwitha, Kateri, 108 Testard, Jeanne, 24 Thoronhiongo, François, 64, 196, 272n50 Thubières de Lévy de Queylus, Gabriel, 21, 26–27, 36–37 Touchard, Marie, 72 Toulouse, université de : opinion sur la moralité du commerce de l’eau-de-vie, 84 Tracy. Voir Prouville de Tracy Tronson, Louis, 8; rencontre Marguerite Bourgeoys, 100; réagit à l’incendie à la Congrégation 115–116; empêche l’établissement de communautés enseignantes cloîtrées à Montréal, 132, 209; intervient dans l’affaire Tardy, 151–155, 157; agit comme conseiller dans la révision de la règle de 1694, 175, 181, 184, 199; décès, 209 Trottier, Catherine, 162–163 Trottier, Marguerite, 162–163 Trouvé, Claude, 146 Troyes, 39–41, 97–98

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Turmenyes, Philippe de : commence à agir pour la Congrégation en France, devient l’exécuteur testamentaire de la succession de Maisonneuve, 66–67; reçoit Marguerite Bourgeoys à Paris en 1680, est confirmé comme agent d’affaires de la Congrégation en France, 82–83 Ursulines, 18–20, 137, 182, 209, 247n16. Voir aussi Marie de l’Incarnation Vachon de Belmont, François, 135; son travail à la mission de la Montagne, 135; avertit Tronson de l’affaire Tardy, 151; prédication sur Marguerite Bourgeoys, 217–219 Valens, Antoine-Aimable de, 173, 201 Vallet, Françoise, 87, 95 Valliquet, Jean, dit Laverdure, 256n5 Vignerot, Marie-Madeleine de, duchesse d’Aiguillon, 95 Ville-Marie, 3, 5 Vincent de Paul, 92, 93, 96 Visitation (Sœurs de la) : projet d’établissement à Montréal, 132