Manuel des langues de spécialité
 9783110313437

Table of contents :
Manuals of Romance Linguistics......Page 5
Table des matières......Page 7
Introduction......Page 11
Le lexique......Page 61
1. Vocabulaire général, vocabulaires techniques et scientifiques et la communication professionnelle......Page 63
2. La terminologie......Page 78
3. Les termes d’emprunt dans les langues de spécialité......Page 92
4. Les noms de produits et de marques......Page 111
Textes et discours......Page 129
5. Textes et discours scientifiques......Page 131
6. Textes et discours en médecine......Page 157
7. Textes et discours en musicologie......Page 179
8. Textes et discours dans l’entreprise......Page 195
9. Textes et discours juridiques : aspects cognitifs et traductologiques......Page 215
Le sous-système de spécialité......Page 237
10. Les verbes relateurs et l’enchâssement nominal......Page 239
11. Les analytismes......Page 256
12. La confixation et les adjectifs de relation......Page 274
13. La fréquence des marques de spécialité......Page 291
14. Divergences et convergences : les marqueurs syntaxiques......Page 308
15. Divergences et convergences : les structures nominatives......Page 334
16. Les « fautes de spécialité »......Page 353
17. L’enseignement de la langue marquée......Page 369
Quelques échantillons de la diachronie......Page 391
18. La langue de spécialité dans l’Antiquité......Page 393
19. L’expression spécialisée au Moyen Âge......Page 403
20. Entre Renaissance et Lumières : les nomenclatures des sciences nouvelles......Page 423
21. Entre Renaissance et Lumières : les genres textuels de la création et de la transmission du savoir......Page 456
Index des notions......Page 482

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Manuel des langues de spécialité MRL 12

Manuals of Romance Linguistics Manuels de linguistique romane Manuali di linguistica romanza Manuales de lingüística románica

Edited by Günter Holtus and Fernando Sánchez Miret

Volume 12

Manuel des langues de spécialité Édité par Werner Forner et Britta Thörle

ISBN 978-3-11-031343-7 e-ISBN (PDF) 978-3-11-031350-5 e-ISBN (EPUB) 978-3-11-039487-0 Library of Congress Cataloging-in-Publication Data A CIP catalog record for this book has been applied for at the Library of Congress. Bibliographic information published by the Deutsche Nationalbibliothek The Deutsche Nationalbibliothek lists this publication in the Deutsche Nationalbibliografie; detailed bibliographic data are available on the Internet at http://dnb.dnb.de. © 2016 Walter de Gruyter GmbH, Berlin/Boston Cover image: ©Marco2811/fotolia Typesetting: jürgen ullrich typosatz, Nördlingen Printing and binding: CPI books GmbH, Leck ♾ Printed on acid-free paper Printed in Germany www.degruyter.com

Manuals of Romance Linguistics Les Manuals of Romance Linguistics, nouvelle collection internationale de manuels de linguistique romane (en abrégé MRL), présentent un panorama encyclopédique, à la fois synthétique et systématique, de la linguistique des langues romanes tenant compte des derniers acquis de la recherche. Prenant le relais des deux grands ouvrages de référence disponibles jusqu’alors aux éditions De Gruyter, le Dictionnaire de linguistique romane en huit volumes (Lexikon der Romanistischen Linguistik, LRL, 1988–2005) et l’Histoire des langues romanes en trois volumes (Romanische Sprachgeschichte, RSG, 2003–2008), qu’il aurait été impensable de réviser dans des délais raisonnables, les MRL se sont donnés comme objectif d’offrir une présentation actualisée et approfondie de ces vues d’ensemble, et de les compléter en y intégrant des domaines et des courants de recherche nouveaux et importants ainsi que des thèmes qui, jusqu’à présent, n’avaient encore jamais fait l’objet d’un traitement systématique. La collection des MRL a par ailleurs une structure par modules nettement plus souple que celle des anciens ouvrages de référence. 60 volumes sont prévus, qui comprennent chacun entre 15 et 30 articles environ, soit un total de 400 à 600 pages. Chacun d’entre eux présente les aspects essentiels d’un thème donné, de façon à la fois synthétique et clairement structurée. La réalisation de chaque volume séparé exigeant moins de temps que celle d’une grande encyclopédie, les MRL peuvent prendre plus aisément en considération les développements récents de la recherche. Les volumes sont conçus de manière à pouvoir être consultés indépendamment les uns des autres tout en offrant, pris ensemble, un aperçu général de tout l’éventail de la linguistique actuelle des langues romanes. Les volumes sont rédigés en différentes langues – français, italien, espagnol, anglais, voire, exceptionnellement, portugais –, chacun d’entre eux étant intégralement rédigé dans une seule langue dont le choix dépend du thème concerné. L’anglais permet de donner une dimension internationale et interdisciplinaire aux thèmes qui sont d’un intérêt plus général, dépassant le cercle des études romanes stricto sensu. La collection des MRL est divisée en deux grandes parties thématiques : 1) langues et 2) domaines. Dans la première sont présentées toutes les langues romanes (y compris les créoles), chacune d’entre elles faisant l’objet d’un volume à part entière. Les MRL accordent une attention particulière aux petites langues, aux linguae minores, qui jusqu’alors n’avaient pas été traitées de manière systématique dans le cadre de panoramas d’ensemble : on y trouvera des volumes portant sur le frioulan, le corse, le galicien ou encore le latin vulgaire, mais aussi un Manual of Judaeo-Romance Linguistics and Philology. La seconde partie comprend des présentations systématiques de toutes les sousdisciplines, traditionnelles ou nouvelles, de la linguistique romane, avec un volume séparé réservé aux questions de méthode. L’accent est mis en particulier sur des  







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Manuals of Romance Linguistics

domaines et des courants nouveaux et dynamiques qui prennent de plus en plus d’importance dans la recherche comme dans l’enseignement mais qui n’avaient pas encore été suffisamment pris en compte dans les précédents ouvrages d’ensemble – comme par exemple les Grammatical Interfaces, les recherches sur le langage des jeunes ou le langage urbain, la linguistique informatique et la neurolinguistique, les Sign Languages ou la linguistique judiciaire. Chaque volume offre un aperçu clairement structuré sur l’histoire de la recherche et ses plus récents développements dans chacun de ces domaines. Les directeurs de la collection sont fiers d’avoir pu confier l’édition des différents volumes des MRL à des spécialistes de renom international en provenance de tous les pays de langues romanes, et d’autres encore. Les éditeurs sont responsables aussi bien de la conception des volumes dont ils ont bien voulu se charger que du choix des contributeurs. On peut ainsi être assuré d’y trouver, en plus d’une présentation systématique de l’état actuel des théories et des connaissances, un grand nombre de réflexions et d’aspects novateurs. Pris dans leur ensemble, ces volumes indépendants constituent un panorama général aussi vaste qu’actuel de notre discipline, destiné aussi bien à ceux qui souhaitent s’informer seulement sur un thème particulier qu’à ceux qui cherchent à embrasser les études romanes actuelles sous tous leurs aspects. Les MRL offrent ainsi un accès nouveau et novateur à la linguistique des langues romanes, dont elles accompagnent de manière adéquate et représentative le développement continu. Günter Holtus (Lohra/Göttingen) Fernando Sánchez Miret (Salamanca) Avril 2016

Table des matières 0

Werner Forner et Britta Thörle Introduction 1

Le lexique 1

Christian Schmitt Vocabulaire général, vocabulaires techniques et scientifiques et la communication professionnelle 53

2

Teresa Cabré La terminologie

3

Jean Soubrier Les termes d’emprunt dans les langues de spécialité

4

Antje Lobin Les noms de produits et de marques

68

82

101

Textes et discours

5

Guiomar Elena Ciapuscio Textes et discours scientifiques

121

6

Cornelia Feyrer Textes et discours en médecine

147

7

Christian Koch Textes et discours en musicologie

8

Britta Thörle Textes et discours dans l’entreprise

9

Cornelia Griebel Textes et discours juridiques : aspects cognitifs et traductologiques

169

185

205

VIII

Table des matières

Le sous-système de spécialité

10

Nadiane Kreipl Les verbes relateurs et l’enchâssement nominal

11

Carolin Patzelt Les analytismes

12

Ulrike Scholz La confixation et les adjectifs de relation

13

Werner Forner La fréquence des marques de spécialité

14

Werner Forner Divergences et convergences : les marqueurs syntaxiques

298

15

Christian Schmitt Divergences et convergences : les structures nominatives

324

16

Eva Lavric Les « fautes de spécialité »

17

Werner Forner L’enseignement de la langue marquée

229

246

264

281

343

359

Quelques échantillons de la diachronie

18

Johannes Kramer La langue de spécialité dans l’Antiquité

383

19

Elmar Eggert L’expression spécialisée au Moyen Âge

393

20

Philippe Selosse Entre Renaissance et Lumières : les nomenclatures des sciences nouvelles 413 Philippe Selosse 20.1 Botanique

415

Table des matières

Alessandro Minelli 20.2 Zoologie

431

Bernadette Bensaude Vincent 20.3 Chimie 440

21

Gerda Haßler Entre Renaissance et Lumières : les genres textuels de la création et de la transmission du savoir 446

Index des notions

472

IX

Werner Forner et Britta Thörle

0 Introduction 1 Langue(s) et communication de spécialité Qu’est-ce que la langue de spécialité ? Est-ce la langue des différents métiers ? ou des disciplines technologiques ? ou encore des sciences ? Est-ce le nom de l’ensemble des nomenclatures ? Est-ce une langue dans le sens où elle est dotée d’une grammaire distincte de la langue commune respective ? Est-ce une forme de communication distincte du comportement langagier de tous les jours ? Bref, quelle est la définition de ce concept ? « Le terme de langue de spécialité – simple et bien compréhensible à première vue – n’a pas trouvé de définition valable » – c’est l’accablante déclaration qui ouvre l’introduction classique de Fluck (11976, et les nombreuses rééditions qui allaient suivre jusqu’en 1996). Si cette constatation était vraie, comment effectuer alors une analyse valable sur l’ensemble des phénomènes compris dans ce concept ? Voici la solution proposée par l’auteur : renoncer à cette idée « d’ensemble » et substituer le concept de « langue de spécialité » (au singulier) par le concept d’une multitude de « langues de spécialités » (au pluriel) ; avec autant de « langues de spécialités » qu’il y a de « spécialisations ». En effet, le livre cité porte le titre « Fachsprachen » (‘Langues de spécialité’, au pluriel). Le pluriel est la solution qui sera reprise par la grande majorité des publications en la matière1 et par la plupart des méthodologies. L’absence d’une définition valable s’explique : l’antonyme de « langue de spécialité » est « langue commune » ; ce terme, écrit encore Fluck, n’est pas non plus définissable. C’est cette construction antonymique qui a induit de nombreux auteurs à définir les traits « de spécialité » en opposition aux habitudes langagières « communes » : en effet, il y a de nettes préférences syntaxiques qui semblent caractériser chacune des « langues de spécialités », au moins dans la forme écrite. De même, les « noms des choses », tout au moins ceux des sciences exactes, obéissent à des patrons de formation qui ne se trouvent guère dans les autres nomenclatures ni dans les noms « communs ». Voilà donc des traits que les langues de spécialité ont en commun, indépendamment de la spécialisation respective. Est-il alors permis de parler d’un « sous-système de spécialité » ? Ce serait une contradictio in adiecto sans délimitation du domaine d’application de ce sous-système, bref, sans définition. Si l’on dépasse toutefois les bornes étroites de la syntaxe ou de la morphologie, et si l’on ouvre la perspective vers les divers aspects pragmatiques de la communication  



























































































1 « Fachsprachen » (pluriel) est le titre, par ex., de l’introduction de Roelcke (1999, rééd. ²2005, ³2010) ou du grand panorama encyclopédique de Hoffmann/Kalverkämper/Wiegand (1998/1999).  



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Werner Forner et Britta Thörle

spécialisée, avant tout orale, on se trouve, en effet, devant cette « multitude » de phénomènes soulignée par la forme plurielle qui exige, selon les domaines, un traitement différencié. Les éditeurs étaient donc contraints, au moment de la planification du présent manuel, de se décider entre les deux acceptions de la langue de spécialité (ou : LSP) : – ou dans le sens de « communication spécialisée » ; – ou dans le sens de « sous-système de spécialité » ; – ou dans les deux sens.  



















Nous avons choisi cette troisième alternative. Le manuel se subdivise donc en trois sections : – La « communication spécialisée » telle qu’elle se reflète soit dans le lexique, soit dans les textes et discours (les deux premières parties du livre). – Le « sous-système de spécialité » qui exige l’analyse des « marqueurs de spécialité » (la troisième partie du livre). – Il nous a semblé bon de jeter, en plus, quelques regards fugitifs sur des aspects diachroniques de l’expression spécialisée (la dernière partie du livre).  













Les paragraphes qui suivent présenteront un aperçu de la « philosophie » de ces sections et du contenu des contributions respectives.  



2 La communication spécialisée Les deux premières parties du manuel seront consacrées à l’approche pragmatique de l’étude des langues de spécialité. Sous cet angle, la langue de spécialité est considérée, d’une part, comme instrument et, d’autre part, comme résultat des activités communicatives dans des contextes sociaux : résultat parce que c’est par l’accomplissement de tâches et la résolution de « problèmes » de communication récurrents que se forgent des routines linguistiques ; instrument parce que les solutions mises au point peuvent se sédimenter en tant que patrons linguistiques et servir ensuite de ressources dans des situations communicatives semblables. L’objectif de l’approche pragmatique est, par conséquent, d’étudier le langage comme instrument d’action dans des situations sociales propres à un domaine technique, scientifique ou institutionnel déterminé (cf. par ex. Schröder 1993, XI, dans son introduction à la pragmatique des textes de spécialité). Le point de départ de cette étude est le texte de spécialité :  









« La langue de spécialité, comme la langue tout entière au reste, ce sont d’abord les textes parlés et écrits. C’est ce que les spécialistes disent et écrivent, entendent et lisent pour réaliser la communication de spécialité : entretiens, discours, conférences, débats, réunions ; et lettres,  





Introduction

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rapports, comptes rendus, analyses, procès-verbaux, documents de travail, articles, manuels, livres, publications techniques et scientifiques diverses » (Kocourek 21991, 25).  

Du point de vue pragmatique, le texte est considéré comme le signe originel (Hartmann 1968), car c’est dans le texte que l’activité verbale s’opère. Mais le texte est l’unité de base non seulement de l’étude des genres et discours spécialisés (cf. la partie 2.2 de cette introduction), mais aussi de l’étude du lexique et du style spécialisés.2 Comme il sera montré par les articles de la partie intitulée « Le lexique » (notamment ↗1 Vocabulaire général, vocabulaires techniques et scientifiques et la communication professionnelle ; ↗2 La terminologie), c’est son usage textuel qui détermine le fonctionnement d’une unité lexicale en tant que terme spécialisé. L’analyse des marques stylistiques (cf. la partie du manuel intitulée « Le sous-système de spécialité ») doit également partir du texte, car c’est dans les textes de spécialité que le style spécialisé devient manifeste.  













« C’est principalement sur la base de ces textes que l’on cherche à saisir le système libre de ressources de la langue de spécialité, à signaler sa délimitation et sa diversification, son fonctionnement, ses ressources linguistiques lexicales, syntaxiques, graphiques, ses perspectives, son appréciation, sans oublier le plan textuel lui-même » (Kocourek 21991, 25).  



Pourtant, les marques stylistiques, bien qu’elles se manifestent dans les textes, sont des techniques linguistiques autonomes qui peuvent être appliquées dans différents types de textes et qui ne dépendent pas nécessairement de la finalité de ceux-ci (cf. Schlieben-Lange 1983, 27). Au contraire, ce sont les marques stylistiques qui signalent le caractère spécialisé du texte :  

« L’usage de formes linguistiques particulières n’est pas simplement conçu comme une corrélation avec les conditions contextuelles ou encore les constellations des locuteurs prédéterminées. […] Cela signifie pour la compréhension de la communication spécialisée que l’utilisation de formes appartenant à la langue de spécialité – avant tout dans l’interaction orale – doit être également considérée sous l’aspect de la constitution, c’est-à-dire sous l’aspect de leur fonction qui est de créer un contexte professionnel dans l’interaction. Sous cette perspective, la spécialisation de la communication peut alors aussi être vue comme un produit conçu de manière locale dans le discours » (Brünner 1993, 733 ; trad. B.T.).  





À ce propos, il nous paraît utile de bien distinguer entre le caractère technique, scientifique ou institutionnel (« Fachlichkeit ») de la situation de communication et le caractère spécialisé du style linguistique employé dans cette situation (« Fachsprach 





2 Ce point de vue a été largement discuté au moment de la constitution de la linguistique du texte en Allemagne et a marqué un tournant de la recherche en langue de spécialité. L’étude de la langue de spécialité comme sous-système (variété, style, etc.) de la langue historique a été complétée par la perspective textuelle et pragmatique. Il faut souligner que pour nous ces deux perspectives ne s’excluent pas. Au contraire, elles se complètent.

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Werner Forner et Britta Thörle

lichkeit ») (cf. Kalverkämper 1983).3 Le premier (« Fachlichkeit ») est une qualité de la situation sociale et résulte, entre autres, des rôles et identités des participants à la communication, de l’objet de celle-ci, de sa finalité, des médias et systèmes sémiotiques impliqués, du contexte social et institutionnel ainsi que du contexte culturel et historique plus large dans lequel la communication se déroule. Elle ne s’exprime pas forcément dans les caractéristiques stylistiques. Le dernier (« Fachsprachlichkeit ») est un des moyens – en plus d’autres moyens comme les vêtements de travail ou les instruments techniques utilisés – aptes à indiquer le caractère spécialisé de la communication (qui peut d’ailleurs correspondre aux caractéristiques de la situation réelle ou seulement simuler de telles caractéristiques, comme c’est souvent le cas, par ex., dans la publicité, cf. Janich 1998). Pendant que la troisième partie du manuel (le sous-système de spécialité) traite de la langue de spécialité au sens étroit du terme (« Fachsprachlichkeit »), les deux premières sections exposent le fonctionnement des termes techniques et des textes dans des situations de communication spécialisées. Nous aborderons d’abord le lexique spécialisé et, en particulier, ses dimensions textuelles. Seront abordés ensuite les textes et discours en tant qu’activités verbales complexes dans les contextes techniques, scientifiques et institutionnels.  













2.1 Le lexique dans les textes et discours de spécialité Le lexique est souvent considéré comme l’élément le plus marquant de la communication spécialisée. Du point de vue du lecteur non-spécialiste, ce sont surtout les termes inconnus à la langue courante et représentant les concepts et le savoir spécialisés dont résultent les difficultés de compréhension des textes de spécialité. À ces débuts, la recherche en langue de spécialité a mis l’accent sur l’analyse du lexique (Wörter und Sachen-Forschung, Wirtschaftslinguistik) qui a été considéré comme le facteur différenciateur principal entre langue de spécialité et langue courante. Pendant que les caractéristiques syntaxiques de la langue de spécialité sont décrites en termes de réduction ou sélection par rapport au répertoire structural de la langue commune, le lexique spécialisé dépasse largement celui de la langue usuelle étant ainsi capable de saisir le monde cognitif de la spécialité dans sa complexité (cf. aussi Kocourek 21991, 41).

3 Le terme allemand Fachsprache pourrait suggérer l’idée que la notion du Fach serait l’abstraction des facteurs déterminant les conditions de communication et ainsi la qualité des textes. Pourtant, comme l’a montré Kalverkämper (1983, 143), ce serait bien en contradiction avec le principe de l’économie du langage. À part la difficulté de définir ce qu’est le Fach et de le délimiter d’autres Fächer, il serait peu sensé – aussi bien du point de vue pratique que du point de vue cognitif – de partir de l’idée qu’à chaque Fach –si petit soit-il – correspond une variété linguistique ou une forme de communication déterminée et bien délimitée.

Introduction

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Le rôle important du lexique en tant que facteur différenciateur de la langue de spécialité étant incontesté, il reste à répondre à la question beaucoup plus difficile de savoir en quoi le vocabulaire spécialisé consiste et comment il est délimité du lexique non-spécialisé. Selon une conception répandue, le lexique servant à la communication spécialisée peut être classifié de la façon suivante (Kocourek 21991, 97 ; pour des classifications comparables voir Reinart/Pöckl 2015, 63 ; Pöckl 1999, 1494) :  





Rapport à la discipline unité spécifique unidisciplinaire

unité interdisciplinaire

unité générale d’orientation scientifique (par ex. structure, facteur, paramètre)

Rapport au répertoire de la langue courante unité lexicale dont le sens et la forme sont inconnus du nonspécialiste (par ex. tétrahydronaphtaline ‘solvant’)

unité lexicale dont la forme est connue du non-spécialiste, mais pas le contenu (par ex. all. erden ‘mettre à la terre’)

Rapport à la notion unité lexicale qui est la dénomination d’une notion précise (= unité terminologique ou terme)

unité lexicale qui n’est pas la dénomination d’une notion précise (= unité nonterminologique)

Les textes de spécialité relèvent donc des unités lexicales plus ou moins spécifiques de la discipline qui se trouvent ou non en chevauchement avec la langue courante et qui sont ou non des unités terminologiques. Face à cette caractérisation du vocabulaire spécialisé et particulièrement au caractère interdisciplinaire d’une partie de celui-ci ainsi que aux intersections du lexique spécialisé et du lexique de la langue générale, il paraît difficile voire impossible de délimiter clairement le lexique de spécialité d’autres domaines lexicaux. Pour mieux comprendre ce qu’est une unité lexicale de spécialité, il faut observer son fonctionnement dans le texte de spécialité.

2.1.1 Les dimensions textuelles du lexique spécialisé Partons, pour prendre un exemple de Müller (1975, 164), du mot chaîne. Celui-ci est parfaitement connu et répandu dans la communication quotidienne (tenir un chien à la chaîne, travailler à la chaîne d’une usine, la chaîne de la bicyclette, etc.). Il s’agit d’un lexème polysémique dont la signification adéquate est actualisée par le contexte discursif (‘succession d’anneaux de métal entrelacés servant de lien’, ‘installation formée de postes successifs de travail’, ‘suite d’éléments mécaniques servant à transmettre un mouvement’, etc.). Cependant, dans les différents domaines de spécialité, chaîne en tant que terme adopte un sens particulier, à tendance

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Werner Forner et Britta Thörle

monoréférentiel :4 ‘ensemble des fils parallèles disposés dans le sens de la longueur d’un tissu’ (industrie du textile), ‘suite d’accidents de relief rattachés entre eux’ (géographie) ou bien ‘succession des éléments d’un énoncé’ (linguistique). Au sein de la discipline respective, le terme fait partie de la terminologie, c’est-à-dire de l’ensemble structuré des termes de cette discipline. Dans les terminologies, la relation entre signifiant et signifié est standardisée et biunivoque : chaque terme se réfère à un concept délimité et bien différencié des autres termes de la même spécialité et reflète avec ceux-ci la structure conceptuelle du domaine de savoir respectif (cf., par ex., Kocourek 21991, 180). Pourtant, dans la communication spécialisée, la question de savoir si une unité lexicale est utilisée en tant que terme ou non n’est décidée que dans son occurrence textuelle, car l’unité lexicale n’acquiert la valeur spécifique que dans un contexte pragmatique particulier : c’est donc l’environnement discursif du texte spécialisé qui nous fait reconnaître et comprendre chaîne en tant que terme de la spécialité respective. Cette approche communicative de la terminologie est défendue par Teresa Cabré dans ce volume (↗2 La terminologie, p. 78) qui affirme que la valeur spécifique du terme « n’est inhérente à aucune unité en soi si ce n’est qu’elle est conditionnée par l’usage. Il s’agit donc d’une valeur virtuelle qui peut se matérialiser ou pas dans chacune des unités lexicales d’une langue ». La relation étroite entre texte et terme est en outre illustrée par l’exemple de la langue du droit, étudiée par Schmitt (↗1 Vocabulaire général, vocabulaires techniques et scientifiques et la communication professionnelle) qui montre que la terminologie juridique puise dans le lexique commun (et vice-versa) de façon à ce qu’une partie importante du lexique juridique représente une « frange intermédiaire » entre vocabulaire commun et vocabulaire spécialisé. Pourtant, cela ne signifie pas que les textes juridiques soient facilement compréhensibles pour le lecteur non-spécialiste et que la signification du terme puisse être déduite du texte. Dans l’environnement discursif juridique, ces termes adoptent un sens particulier que le lecteur (spécialiste) doit déjà connaître pour comprendre correctement le texte technique. Pour que la communication réussisse, il faut donc que le lecteur active certaines connaissances spécialisées. Cela nous mène à un autre aspect du rapport entre terme et texte. Les termes sont « des unités lexicales dont le sens est défini par les spécialistes dans les textes de spécialité » (Kocourek 21991, 180). Cette définition du sens est représentée de manière condensée par le terme. Chaque occurrence d’un terme dans un texte ou discours spécialisé peut donc être remplacée par un autre (petit) texte (la définition du terme), et vice-versa, la définition d’une notion peut être remplacée par le terme correspondant.  























4 Le postulat du caractère monoréférentiel des termes spécialisés est toutefois à relativiser. L’univocité des termes est plus typique de certaines disciplines, notamment des sciences naturelles, que d’autres disciplines, comme par ex. des sciences humaines (Müller 1975, 164s.).

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Introduction

« Les termes correspondent donc à des instructions textuellement condensées ayant été confiées au récepteur ; ce dernier doit comprendre le terme, là où celui-ci apparaît dans le texte de manière « expansive » en mobilisant ses connaissances préalables […]. Chaque terme engendre donc des textes subséquents – dans la dimension paradigmatique, on pourrait dire – dont les condensations (fondées sur quelques caractéristiques déterminées) constituent le terme en question. Ceci permettrait en outre d’introduire les textes à la place du terme lui-même ce qui ne serait pourtant pas économique » (Kalverkämper 1983, 153 ; trad. B.T.).  











Ce dernier procédé, que Kalverkämper considère comme non économique, est en réalité très productif dans le discours scientifique oral, surtout dans les interactions entre interlocuteurs n’ayant pas les mêmes connaissances de la discipline (↗5 Textes et discours scientifiques). D’une part, lorsqu’il pense que son interlocuteur ne connaît pas le terme utilisé, le locuteur peut reformuler (étendre) ce terme par sa définition. D’autre part, il peut faire suivre une définition par le terme correspondant (et ainsi la réduire). Ce dernier procédé s’observe, par ex., dans des contextes de formation où il sert à introduire le terme inconnu aux étudiants. Avec Gülich/Kotschi (1996), nous pouvons donc considérer l’usage des termes en tant que procédé de constitution textuelle (« Textherstellungsverfahren ») (cf. aussi Kalverkämper 1983).  





2.1.2 La création lexicale Le lexique est le domaine le plus dynamique de la communication spécialisée. C’est dans ce domaine que les innovations techniques et scientifiques s’expriment. La création du lexique puise dans trois ressources principales : la terminologisation, la formation des mots et l’emprunt. En ce qui concerne la formation des mots, les procédés de la langue de spécialité correspondent largement à ceux disponibles dans la langue commune. Pourtant, les textes et discours spécialisés relèvent d’une claire préférence pour certains procédés particulièrement aptes à accomplir les besoins de la communication spécialisée (↗12 La confixation et les adjectifs de relation, entre autres). À la différence de la néologie dans la langue générale, souvent spontanée, la création de termes peut être soumise aux règles des organismes de normalisation dont l’objectif est l’unification et l’harmonisation de la terminologie aux niveaux national et international (cf., par ex. Reinart/Pöckl 2015, 66ss. ; Cabré 1999 , 194ss. ; Kocourek 21991, 218ss.). La création des noms de marques et de produits y constitue un cas particulier étant déterminé par les besoins publicitaires et suivant ses propres lois (↗4 Les noms de produits et de marques). Au lieu de créer un terme au moyen de la propre langue, les textes et discours spécialisés peuvent aussi avoir recours au matériel des langues étrangères. Ainsi, les mots techniques relèvent souvent des langues classiques dont elles empruntent des morphèmes. Ce procédé a mené à un nombre d’internationalismes dans les langues de spécialité entre lesquelles, toutefois, il peut y avoir des divergences subtiles aussi bien au niveau de la forme (fr. catalyseur vs. all. Katalysator) qu’aux niveaux de la  











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Werner Forner et Britta Thörle

dénotation (esp. aprobación ‘consentement à un acte juridique’ vs. all. Approbation ‘inscription à l’ordre des médecins/pharmaciens’) et de la connotation (fr. appendicite vs. all. Appendizitis) (cf. Reinart/Pöckl 2015, 81ss.). Outre les langues classiques, ce sont les langues modernes qui servent de ressource néologique. Dans certains domaines, l’anglais en tant que langue de communication internationale exerce une influence considérable (↗3 Les termes d’emprunt dans les langues de spécialité) qui, dans certains pays ou régions, comme en France ou au Québec, mais aussi au niveau international donne lieu à des activités de l’aménagement linguistique, plus ou moins couronnées de succès (Reinart 2009, 143ss.). (Sont souvent cités entre autres comme exemples du travail terminologique ordinateur, logiciel, courriel.)  

2.1.3 Les contributions de cette section du manuel Il a été souvent affirmé que c’est surtout par le lexique que les langues de spécialité se distinguent le plus visiblement de la langue courante. Comme nous l’avons indiqué plus haut, cette distinction n’est pas si évidente qu’elle le semble, surtout lorsque l’on prend en considération une « frange intermédiaire » qui relie les vocabulaires spécialisé et commun. Celle-ci comporte des noms comme facteur, fonction, rôle ou bien des verbes comme par ex. (se) produire, aboutir à, partir de qui sont parfaitement connus en français courant, mais qui adoptent un sens particulier dans les différents domaines spécialisés et dont la connaissance est une condition essentielle de la compréhension compétente des textes techniques. Christian Schmitt propose une étude de cette « frange intermédiaire » en faisant d’abord référence au Vocabulaire général d’orientation scientifique (V.G.O.S.) élaboré dans les années 1960/70 par une équipe du Centre de Recherche et d’Étude pour la Diffusion du Français (CREDIF) (cf. Phal/Beis/ Gougenheim 1971). À l’analyse critique et documentaire du V.G.O.S., Christian Schmitt ajoute l’étude diachronique de celui-ci en mettant l’accent sur l’influence mutuelle des vocabulaires commun et spécialisé. Finalement, il propose l’étude du vocabulaire juridique qui est constitué, avant tout, du vocabulaire intermédiaire. Le français juridique étant le résultat historique du discours humain sur les règles morales et le comportement légitime, le vocabulaire juridique vient le plus souvent des mots de la langue commune. Dans la communication juridique, ces mots acquièrent un sens juridique ce qui est dû, d’une part, à la fréquence d’un certain emploi dans les textes juridiques et, d’autre part, à l’évolution de la langue commune où il peut y avoir un changement sémantique pendant que la langue juridique, de par son conservatisme, garde l’usage original. À la différence du vocabulaire intermédiaire qui interfère avec le lexique général et qui est partagé par différents domaines de spécialité, la terminologie au sens étroit du terme comprend l’ensemble systématisé des termes propres à une même discipline. Chaque terme se réfère à un concept délimité et bien différencié des autres termes de la même spécialité et reflète avec ceux-ci la structure conceptuelle du  







Introduction

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domaine de savoir respectif. Tout en partant des origines de la discipline, où, par la nécessité d’établir des standards dénominatifs pour la communication technique internationale, l’on considérait les termes comme simples étiquettes à fonction désignative et dépourvus de valeurs associées à l’usage, Teresa Cabré (↗2 La terminologie) propose ensuite de concevoir la terminologie comme objet polyédrique dont l’analyse peut être abordée à partir de différentes perspectives : communicative, cognitive et linguistique, et pour cela comme un champ de connaissance interdisciplinaire. Dans sa Théorie Communicative de la Terminologie (TCT), l’auteure se situe dans la perspective linguistique. Les termes sont conçus comme unités linguistiques qui font partie des langues naturelles mais qui se distinguent des autres unités lexicales par le fait que, dans certaines circonstances communicatives, elles acquièrent une valeur spécifique qui ne leur est pas inhérente mais qui est conditionnée par l’usage dans un contexte pragmatique particulier. La contribution termine par un chapitre sur l’activité pratique de la terminologie. À l’exemple de l’élaboration de dictionnaires spécialisés, l’auteure discute des principes méthodologiques du travail terminologique. Il a été indiqué que le volume du lexique spécialisé dépasse largement celui du lexique commun. En effet, le progrès dans les domaines techniques et scientifiques crée constamment des réalités nouvelles et avec celles-ci la nécessité de les nommer. Une des possibilités de combler une lacune lexicale consiste dans l’emprunt. Pour Jean Soubrier (↗3 Les termes d’emprunt dans les langues de spécialité) les causes de l’emprunt résident dans le fait que la réalité nouvelle ou l’innovation n’existait initialement que dans son pays d’origine et que l’adoption de cette réalité étrangère s’accompagne de l’emprunt du mot. L’anglais, aujourd’hui langue de la communication internationale, est une source d’emprunts lexicaux aussi bien dans les domaines quotidiens que dans les domaines de spécialité. Jean Soubrier souligne que le taux des mots anglais dans le français est plutôt bas et même inférieur à celui dans d’autres langues européennes. Pourtant, à la différence d’autres pays, la France est marquée par une tradition d’encadrement et de normalisation linguistiques qui s’exprime dans les interventions institutionnelles et législatives (lois linguistiques, commissions ministérielles de terminologie). Dans une classification des termes d’emprunt, l’auteur distingue les emprunts de nécessité stricte (réalités inconnues dans la langue et culture d’accueil), les emprunts de « commodité » ainsi que les emprunts connotatifs qui ne répondent à aucun besoin dénotatif et dont l’emploi est motivé, avant tout, par des raisons idéologiques liées à des connotations américaines comme c’est le cas, selon l’auteur, dans le domaine des affaires. Est discuté finalement le rôle délicat du traducteur qui doit adopter une des deux attitudes possibles : refléter le plus fidèlement possible l’usage ou bien contribuer consciemment à l’enrichissement du français. Pour conclure la section du lexique en communication spécialisée, les directeurs de cet ouvrage ont décidé de prendre en considération un domaine qui, traditionnellement, n’est pas considéré comme faisant partie du vocabulaire spécialisé et qui entre  











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dans les compétences de l’onomastique plutôt que des recherches en langues de spécialité. Il s’agit des noms de produits et de marques qui jouent néanmoins un rôle important dans le monde industriel et commercial où ces éléments à fonction appellative répondent au besoin de désigner et, en même temps, de qualifier une multitude de produits. Du point de vue linguistique, Antje Lobin (↗4 Les noms de produits et de marques) décrit les noms de produits et de marques comme « catégorie intermédiaire » qui unie les qualités des noms communs et des noms propres et qui peut atteindre différents stades de lexicalisation. Sur la base d’une description linguistique minutieuse appliquée au secteur de l’alimentation, l’auteure propose une typologie multidimensionnelle des noms de produits qui rend compte des caractéristiques phonétiques, des procédés morphologiques de la formation de noms commerciaux, des « domaines donateurs » au niveau sémantique, des motifs de dénomination, du rôle des langues étrangères, des concepts clés représentés par les « mots vendeurs » ainsi que des figures rhétoriques. La contribution conclut avec une description de la création de noms en tant qu’activité professionnelle ainsi que des possibles stratégies de l’internationalisation (telles que la standardisation, la transposition, l’adaptation et la différenciation).  













2.2 Textes et discours de spécialité La communication spécialisée se déroule dans des textes et discours. C’est donc ce niveau-ci qui est le point de départ de toute recherche en langue de spécialité – soit que l’on veut étudier les marques de spécialité et leur fonction qui se déploient dans les textes, soit que l’on s’intéresse aux types et genres textuels de la communication spécialisée. Suivant l’approche pragmatique, le texte est conçu comme activité verbale complexe qui exerce des fonctions particulières propres à un domaine technique ou scientifique ainsi que social et institutionnel (↗5 Textes et discours scientifiques, p. 127s.). En effet, les fonctions des textes et discours de spécialité relèvent souvent des besoins de l’organisation sociale : faire du commerce, transmettre le savoir, régler les différends, coordonner les activités de travail, etc. Chacune de ces tâches peut être assignée à un domaine social au sein duquel se forment des traditions textuelles propres au domaine respectif (Schlieben-Lange 1983, 138).5 L’objectif de l’étude des textes et discours de spécialité consiste donc, d’une part, dans l’analyse de la façon dont ceux-ci réalisent les activités verbales complexes dans des contextes spécialisés. D’autre part, il s’agit aussi de traiter des textes et discours en tant que  





5 Toutefois, cela ne signifie pas que les tâches ou besoins communicatifs préexistent aux textes et en soient indépendants. Les tâches qu’une société se donne sont elles-mêmes constituées de façon discursive par la communication entre les membres de la société. L’organisation sociale est donc aussi le produit des activités discursives (Schlieben-Lange 1983, 138).

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parties constituantes des univers discursifs particuliers d’une discipline, profession, institution, etc. Si, dans ce manuel, on utilise à plusieurs reprises le syntagme coordonné « textes et discours », c’est pour adopter une perspective intégrative des textes spécialisés qui comprend, d’un côté, les textes écrits aussi bien qu’oraux, et qui rend compte, de l’autre, de la dimension intertextuelle de tout texte ainsi que des rapports thématiques et notionnels entre ceux-ci.  



2.2.1 Le texte de spécialité comme activité verbale complexe La question centrale de l’approche pragmatico-textuelle des langues de spécialité focalise le rapport entre les caractéristiques linguistiques du texte et sa fonction communicative. C’est par des analyses « cumulative » (Hoffmann 1987), « intégrative » (Baumann 1992 ; Schubert 2007) ou bien « pluridimensionnelle » (Baumann 2014) que l’on découvre les relations complexes entre la structure linguistique et (macro)-textuelle et les facteurs fonctionnels tels que le thème traité, le rôle et l’identité des participants à la communication, leur intention communicative, la situation (contexte institutionnel, activité en cours, contexte médiatique), etc. Les contributions de ce manuel traiteront particulièrement de textes et discours dans les domaines de la science, de la médecine, de la musicologie, de l’entreprise et de la justice. En ce qui concerne l’impact des rôles et identités des participants sur la constitution textuelle, les articles exposeront divers types de constellations asymétriques, notamment, dans les interactions entre scientifique et profane (↗5 Textes et discours scientifiques), médecin et patient (↗6 Textes et discours en médecine), musicien ou musicologue et consommateurs non-professionnels de la musique (↗7 Textes et discours en musicologie). Les asymétries entre les participants à la communication ne relèvent pas seulement des connaissances divergentes au niveau de la spécialité, mais peuvent ressortir aussi des compétences linguistiques ou de la familiarité ou non-familiarité avec les conceptualisations de la discipline ou de la culture (↗6 Textes et discours en médecine). Seront traités, en outre, le caractère institutionnel ou organisationnel des textes et discours de spécialité (↗8 Textes et discours dans l’entreprise), leurs particularités médiatiques, notamment les discours oraux (↗5 Textes et discours scientifiques ; ↗8 Textes et discours dans l’entreprise) et multimodaux (↗7 Textes et discours en musicologie ; ↗8 Textes et discours dans l’entreprise) ainsi que les facteurs cognitifs de la réception et de la production des textes de spécialité (↗9 Textes et discours juridiques : aspects cognitifs et traductologiques). Les patrons récurrents des caractéristiques linguistiques et fonctionnelles peuvent servir de base à la classification des textes de spécialité, constituant des types ou genres textuels. Les classifications des textes et discours de spécialité relèvent généralement de plusieurs niveaux d’analyse, notamment des niveaux fonctionnel (hiérar 







































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chie et séquentialisation des actes illocutoires), situationnel (communication interne/ externe, relation entre participants), sémantique/thématique et structural (cf. ↗5 Textes et discours scientifiques ; pour le résumé et la critique des modèles de Möhn/Pelka 1984 ; Gläser 1990 ; Göpferich 1995, souvent cités, voir Roelcke 2014, 166–170). Pendant que la notion de « type de texte » renvoie à une perspective plutôt théorique, la notion de « genre textuel » rend compte de la perspective des membres de la communauté de communication en adaptant les dénominations usuelles des genres dans cette communauté et en intégrant des aspects culturels et historiques (cf. Aschenberg 2003, 4).  















2.2.2 Aspects historiques et culturels des genres de spécialité Les genres textuels ou discursifs sont définis comme activités verbales complexes et reconnaissables par les membres de la communauté. Ils se sont formés dans un certain contexte sociohistorique pour répondre à des besoins communicatifs déterminés (Günthner/Knoblauch 1996). Pour comprendre leur fonctionnement discursif dans un domaine déterminé, il faut tenir compte du fait qu’un genre déterminé coexiste avec d’autres genres du même domaine et que c’est la place qu’occupe un genre dans l’univers discursif qui détermine son fonctionnement et ainsi ses caractéristiques. Pour rendre compte de ces rapports, Adamzik (2001) propose l’analyse des réseaux de genres textuels (« Textsortennetze »). Suivant une approche comparable, Ciapuscio (↗5 Textes et discours scientifiques) se sert de la métaphore de la famille de genres pour décrire les liens existant entre les genres scientifiques. En tant que « traditions discursives » (Aschenberg 2003), les genres comportent une dimension historique et culturelle : la dimension historique relève du fait que des traditions textuelles et discursives sont transmises et évoluent au cours du temps (↗21 Entre Renaissance et Lumières : les genres textuels de la création et de la transmission du savoir) ; la dimension culturelle renvoie à la communauté discursive au sein de laquelle les genres se sont créés et évoluent. Il faut souligner que ces communautés discursives ne correspondent pas nécessairement aux communautés linguistiques (de la langue française, anglaise, arabe, etc.), mais peuvent exister par-delà ces dernières. La culturalité des textes et discours de spécialité est abordée par les études en textologie contrastive qui ont fourni entre autres des analyses comparatives des notices de médicaments (Eckkrammer 1999), des bulletins météorologiques (Spillner 1983), des prescriptions légales (Spillner 2007), des rapports d’activité (Schlierer 2004), des genres textuels en linguistique (Adamzik 2001 ; cf. aussi les recueils dirigés par Drescher 2002 et Eckkrammer 2009). Les particularités culturelles des genres textuels peuvent être considérées comme le résultat des « solutions » différentes à des « problèmes communicatifs » comparables. Elles reflètent en même temps les différences culturelles concernant la fonction du genre, son contexte d’emploi, etc. (par ex. Reinart 2009, 337–357, concernant les fonctions divergentes du certificat de travail  



























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et du dossier de candidature). Lorsque l’on parle de la culturalité des textes et discours de spécialité, il faut aussi tenir compte du contact interculturel. Celui-ci, et notamment le travail traductologique, est un facteur de l’évolution des genres textuels. Dans son étude systématique des phénomènes d’hybridation, Reinart (2009, 357ss.) montre que l’application des patrons et des conventions textuels de la langue source – soit par interférence, soit par stratégie volontaire – peut provoquer des changements au sein du genre textuel dans la langue cible (voir, par ex., l’établissement international de la convention anglo-américaine du résumé ou abstract dans les articles en sciences naturelles ou bien la propagation internationale de la félicitation pour l’achat du produit au début des modes d’emploi, également d’origine angloaméricaine). Il est évident que la dimension culturelle des genres textuels est particulièrement pertinente pour le travail traductologique. Les traducteurs doivent tenir compte de la fonction et des destinataires du texte traduit dans la culture cible ainsi que des conventions textuelles de cette dernière. Cet aspect nous renvoie à la dimension cognitive des textes et discours de spécialité : leur production et réception supposent l’activation de connaissances particulières qui peuvent être spécifiques d’une communauté de parole. Le traducteur doit donc avoir des connaissances approfondies non seulement de la matière, mais aussi de la vision particulière de cette matière dans la culture d’origine. Ces connaissances permettent de comprendre correctement le texte d’origine afin de produire un texte cible apte à accomplir des fonctions communicatives pertinentes dans le contexte culturel de la culture cible. Comme il sera montré par Cornelia Griebel (↗9 Textes et discours juridiques : aspects cognitifs et traductologiques), ce défi est particulièrement important en traduction juridique.  





2.2.3 Les contributions de cette section du manuel La section « Textes et discours » commence par la contribution de Guiomar Ciapuscio qui propose une étude des textes et discours scientifiques (↗5 Textes et discours scientifiques). L’auteure conçoit la science comme une activité fondamentalement communicative qui est réalisée voire constituée par les textes. Après avoir discuté des différentes conceptualisations de la relation entre science et langage ainsi que du caractère universel ou bien social et culturel du discours scientifique, l’auteure développe une classification des textes scientifiques. Leur « scientificité » résulte des propriétés renvoyant aux dimensions de la fonction, du contenu, du contexte pragmatique ainsi que de la forme linguistique. En se référant à son groupe de recherche à Buenos Aires, l’auteure présente un modèle qui intègre les différentes dimensions afin d’établir une caractérisation globale du texte fondée sur des critères linguistiques. Passant de la perspective plutôt statique de la typologie des textes scientifiques à une perspective dynamique – perspectives qu’elle considère comme complémentaires – Guiomar Ciapuscio aborde ensuite les rapports complexes entre différents genres  









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scientifiques qui constituent ensemble des « familles » de genres. La dernière partie de cette contribution est consacrée à l’oralité scientifique, domaine jusqu’à présent négligé dans la plupart des recherches en langue scientifique. À titre d’exemple, l’auteure aborde deux problèmes spécifiques du discours oral : le travail lexical, c’està-dire la manière dont les interlocuteurs manipulent la terminologie afin d’arriver à une compréhension mutuelle, et le positionnement de l’expert par rapport au contenu de ses énoncés. Tout comme le fait Guiomar Ciapuscio pour les textes scientifiques, Cornelia Feyrer met l’accent, dans son article sur les textes et discours en médecine, sur le caractère social et culturel de la communication médicale (↗6 Textes et discours en médecine). Celle-ci est conçue par l’auteure comme « écosystème » complexe déterminé par des facteurs culturels, sociaux et pragmatiques, parmi lesquels on peut nommer, entre autres, le caractère institutionnel de la communication médicale, les connaissances spécialisées, les compétences linguistiques des participants ainsi que leurs identités sociales dans un contexte souvent multilingue et multiculturel. Ces facteurs génèrent des configurations communicatives asymétriques par rapport aux rôles, aux savoirs, aux conceptualisations, ce qui est montré à l’exemple de l’expression de la douleur, de la communication de risques et de la communication avec interprète qui représentent des défis particuliers du discours médical. Quant à la typologisation des textes médicaux, c’est surtout l’axe vertical du degré de la spécialisation qui sert de critère pour la distinction de différents types de textes (par ex. textes de la recherche scientifique, de la formation, de la pratique médicale, de la vulgarisation). Pourtant, selon l’auteure, ces classifications sont à mettre en question ou, au moins, à compléter par certains types de textes médiatisés apparus plus récemment (e-Health, santé online) qui engendrent de nouvelles formes de discours tout en transformant la relation médecin-patient. Cornelia Feyrer conclut son article par l’analyse d’un genre textuel en médecine encore peu étudié : le document de visite, une brochure publicitaire qui sert de soutien au référent pharmaceutique dans son entretien de vente avec le médecin. Christian Koch (↗7 Textes et discours en musicologie) traite des textes et discours en musicologie, jusqu’à présent encore peu étudiés en linguistique des langues romanes. L’auteur se centre sur le discours de la musicologie moderne dont les origines datent du XIXe siècle. Un problème fondamental de cette discipline scientifique consiste en la question de savoir comment la musique en tant que système sémiotique autonome peut être communiquée par des moyens linguistiques. Pour étudier cette question, Christian Koch propose d’abord une caractérisation de la langue technique de la musicologie en focalisant l’attention sur son rapport au langage commun, sur la terminologie d’origine italienne ainsi que sur le caractère multimodal de la communication musicale. Il aborde ensuite une classification des textes et discours en musicologie qui est fondée sur deux critères principaux, à savoir la constellation communicative et l’orientation intramusicale ou extramusicale. Le premier critère se réfère aux configurations de participants au discours (musicolo 















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gues, musiciens, profanes), le second aborde le sujet du discours qui est considéré comme intramusical lorsqu’il décrit la musique du point de vue formel et structural et comme extramusical s’il intègre des thèmes comme par ex. les instruments, les contextes socioculturels, les biographies des compositeurs, etc. À titre d’exemple sont analysés les éditions critiques (discours intramusical entre musicologues et musiciens), l’analyse musicale (discours intramusical entre musicologues), le traité ethnomusicologique (discours extramusical ou intramusical interdisciplinaire entre musicologues, scientifiques d’autres disciplines et profanes), le solfège dans le discours vulgarisé (discours intramusical entre musicologues/musiciens et profanes) et la répétition (discours intramusical entre musiciens). À la différence des textes et discours en médecine ou en musicologie, les textes et discours dans l’entreprise, dont traite l’article de Britta Thörle (↗8 Textes et discours dans l’entreprise), ne relèvent pas d’un domaine technique ou scientifique commun. De ce point de vue, ainsi que du point de vue des constellations sociales, les textes et discours dans l’entreprise représentent un objet de recherche extrêmement hétérogène. L’auteure les analyse en tant que textes et discours à la fois organisationnels, spécialisés et professionnels, caractérisés par les tâches de travail, la répartition des savoirs et du pouvoir au sein de l’entreprise ainsi que par les contextes technologiques et médiatiques dans lesquels la communication a lieu. Sont décrits comme propriétés de la communication au travail les schémas d’interaction qui, en tant que formats reconnaissables, servent aux membres de l’entreprise de ressources communicatives pour l’accomplissement des tâches de travail ; la formalisation et la rationalisation de la communication qui se trouvent concurrencées par des modes informels de communication ; le caractère technique des textes et discours ; le problème de la communication d’interface qui a lieu, à l’intérieur de l’entreprise, entre représentants de différentes professions et, à l’extérieur de l’entreprise, par ex. entre l’entreprise et les clients ; ainsi que le caractère plurisémiotique des interactions en contexte de travail. À la fin de cette section du manuel, Cornelia Griebel (↗9 Textes et discours juridiques : aspects cognitifs et traductologiques) propose un changement de perspective en étudiant les textes de spécialité sous l’angle cognitif. Son point de départ est le problème pratique de la traduction des textes juridiques. Son grand défi consiste en ce que le traducteur doit travailler sur des textes dont l’émetteur et le récepteur se trouvent dans différents ordres juridiques qui relèvent, pour leur part, de différents ordres sociaux et systèmes de valeurs. L’étape centrale pour mener à bien une traduction juridique est, selon l’auteure, la compréhension du texte source. Sur la base d’un modèle du traitement cognitif de l’énoncé, elle développe un modèle de compréhension de textes juridiques qui rend compte des composantes du savoir entrant en jeu lorsque le lecteur-traducteur établit un modèle mental de la situation du texte. Il s’agit notamment du savoir juridico-culturel (en particulier des connaissances des différents ordres juridiques), du savoir lexical et des cadres de connaissances juridiques (le réseau conceptuel qui s’étend autour d’un terme juridique) ainsi que  













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du savoir textuel (connaissances des conventions discursives, macrostructurales et syntaxiques ; mémorisation des schémas textuels correspondant à chaque ordre juridique).  

3 La langue de spécialité comme expression d’une fonction de spécialité 3.1 L’habit fait le moine Nous avons vu (au §1) que, selon des avis compétents, le concept même de Langue de spécialité manque de définition. Cependant, si nous soumettons à nos étudiants débutants la question de savoir laquelle des deux paraphrases suivantes – (1-a) ou (1b) – est, plutôt que l’autre, « de spécialité », il n’y a jamais de désaccord :  





(1)-a Une inflation peut arriver parce que les entrepreneurs sont obligés de payer plus cher le travail des ouvriers. -b Une inflation peut résulter d’une hausse des coûts salariaux.

Naturellement, pour les étudiants, c’est la variante (1-b) qui est – plus que l’autre – « de spécialité ». Une définition de la notion LSP (‘Langue de spécialité’) ne devrait donc pas être inaccessible ! Il est vrai que la paraphrase (1-a) réfère bien à une réalité spécialisée – la même, d’ailleurs, que le texte (1-b) ; mais on aurait du mal à placer (1a) dans la bouche d’un spécialiste, ou dans un discours dirigé à des spécialistes, ou encore dans un traité économique ; placement qui, cependant, est suggéré par le texte (1-b). Fabula docet : le contenu spécialisé ne suffit pas, à lui seul, à une définition du concept LSP ; les autres facteurs communicatifs tels le locuteur, l’interlocuteur, la situation et le moyen (écrit ou oral) doivent s’y ajouter. Mais, ce catalogue des facteurs pragmatiques de communication n’explique pas la réponse unanime de nos étudiants : ceux-ci ne disposent que des deux textes (1-a) et (1-b), textes divergents, malgré le contenu spécialisé qu’ils ont en commun. Le jugement sur le degré (supérieur ou inférieur) du caractère LSP repose, évidemment, sur les textes, ou, plus précisément, sur la différence structurale qui les sépare. Il convient donc de fixer l’attention sur les équivalences et les divergences textuelles de (1-a) versus (1-b). C’est bien l’objectif du tableau (2) : les lignes horizontales illustrent à la fois les équivalences (de contenu) et les divergences (d’expression, dues au choix structural) :  



















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(2)

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Équivalences et différences entre les deux variantes (1-a / 1-b)



(1-b)

structure

(1-a)

structure

1

inflation

nom

inflation arrive

proposition

2

résulter de

verbe

parce que

conjonction

3

hausse de X

nom

payer plus cher X

proposition

4

(X=) coûts

nom

---

5

+ adjectif

+ salariaux

6

---

(X=) travail des ouvriers

nom

entrepreneurs

sujet

.. être obligé de ..

modalité

Le tableau (2) prouve que le texte LSP (1-b) est à l’image du texte (1-a) : il en est une « projection » – au sens géométrique du terme – selon certaines « règles de projection ». Le résultat de cette « projection » est bien une mutation de l’apparence superficielle du texte : (1-b) diverge formellement de (1-a) ; mais le contenu référentiel n’en est point touché (sauf certains « aspects » qui seront analysés par la suite). C’est pourquoi il convient d’examiner les facteurs de cette mutation.  





















3.1.1 La fabrication de l’habit Que faut-il faire pour réaliser cette mutation ? Voici l’ensemble des marques LSP (règles R1 à R4) :  



(3)

Le sous-système LSP R1

Dans le texte LSP (1-b), la connexion (entre un effet et sa cause) s’exprime par un verbe, et non par une conjonction (voir N° 2 du tableau précédent). Les verbes ayant ce pouvoir connecteur seront appelés verbes relateurs. R2 Dans le texte LSP (1-b), on retrouve sous forme de noms ce qui, dans le texte (1-a), est exprimé par des propositions (voir N° 1 et 3 du tableau 2). Le sujet demandé par le verbe (par payer, en l’occurrence) ainsi que les modalités du verbe peuvent être sacrifiés (N° 6) dans la forme nominale. Il s’agit de l’enchâssement nominal. R3 L’objet direct du verbe payer (payer le travail des ouvriers) est substitué, dans le texte LSP (1a), par un terme technique : « salaire » qui lui, est « doublé » (N° 4 du tableau) par un terme sans plus-value (en effet, tout le monde sait que pour l’entrepreneur les salaires sont des coûts !), ce qui donnera, dans un premier pas : « coûts de salaire ». Cette structure doublée place le terme technique « salaire » en position épithète – position qui déclenchera une quatrième projection : l’adjectivation (voir R 4). Un « doublage » analogue peut s’appliquer aux verbes (mais pas dans l’ex. 1) ; c’est ainsi que « X prouve que + propositionx » passera à « X constitue une preuve de + nomx ». Ces doublages s’appellent analytismes (nominaux / verbaux).  







































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R4 Le substantif épithète – généré par R2 ou R3, par exemple – peut se muter, sans pertes fonctionnelles, en adjectif (N° 5 du tableau). Il s’agit d’un adjectif de relation.

Ce sont ces quatre projections qui définissent l’habit LSP ; elles ne se trouvent pas appliquées au texte spécialisé (1-a), mais bien au texte spécialisé (1-b) jugé comme étant un « texte de spécialité ». Ce texte n’est pourtant pas plus spécialisé que son confrère. Il s’ensuit que ce sont ces quatre projections (ou mutations, ou métamorphoses, ou transformations, ou règles, ou procédés, ou autres) qui confèrent au texte (1-b) son auréole « de spécialité ». L’habit fait le moine !  











3.1.2 La fonction LSP Il est vrai que l’habit de moine ne génère pas les valeurs chrétiennes de moine, tout comme le sous-système des quatre mutations (R1 à R4) n’augmente point le degré de spécialisation ; mais, il est également vrai que l’habit crée l’illusion que l’homme qui le porte possède ces divines qualités « de moine ». C’est cette illusion qui peut conférer à l’habit des fonctions stratégiques : Renart le goupil n’avait-il pas profité de ce travestissement ? Nous allons voir que ce sont des fonctions analogues qui sont dictées par l’habit LSP : la fonction de présenter le produit comme [s’il était] le résultat d’une recherche sérieuse (scientifique par exemple). C’est la fonction LSP – et non la spécialisation – qui définit ce que nous appellerons « Langue de spécialité » : il y a des « textes spécialisés » qui ne sont pas des « textes de spécialité » ; inversement, il y a des « textes de spécialité » sans contenu spécialisé, on en trouve même beaucoup, à savoir les textes publicitaires de certains domaines parmi d’autres : la noblesse du style ennoblit le produit. C’est ce fonctionnalisme – avec le sous-système LSP (R1-R4) qui en résulte – qui est la raison d’être de toute la section III du livre.  

































3.1.3 Les marques LSP : quelques annotations supplémentaires  

Les quatre marques citées (R1 à R4) peuvent bien révolutionner l’apparence du texte, mais sans en toucher le contenu référentiel. L’altération massive de surface qu’elles provoquent est due au fait que les marques LSP s’alimentent l’une l’autre. On voit, dans l’exemple (1-b), que les nominalisations des deux propositions de base sont engendrées par l’expression verbale de la causalité : R1 y « alimente » R2 ; on voit encore que le « doublage analytique » du nom salaire (en coûts de salaire) est le prérequis de l’adjectivation (salariale) : ici, R3 « alimente » R4. Les quatre marques LSP peuvent donc cumuler, produisant une foule de structures de surface qui ont pu paraître fort divergentes à certains observateurs refusant une approche analy 

















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tique.6 Une hirondelle, dit-on, ne fait pas le printemps ; un seul marquage ne fait pas un « style ». Mais, en forme cumulée, le sous-système (3) est incontournable. Soit dit en passant que les structures de surface qu’il génère sont autant de bases d’arrimage pour des structures neutres (pour des attributions de tout genre, par ex.). Certains des procédés marqueurs sont bien connus des linguistes : les noms à valeur propositionnelle (R2), ou les « constructions à verbe support » non figées (R 3b), ou les adjectifs remplaçant un nom épithète (R 4). Moins connus sont les analytismes nominaux, ce doublage de noms (R 3a) qui suit cependant le même parcours que les analytismes verbaux ; largement méconnus sont surtout les verbes relateurs (R 1), l’atout le plus voyant et le plus révolutionnaire du sous-système. Il convient donc de faire deux remarques à leur propos. Les « verbes relateurs » (R1) permettent l’expression de n’importe quelle relation circonstancielle, avant tout celle de la consécution. Curieusement, leur rôle connecteur n’a guère été observé : les verbes relateurs sont absents dans les grammaires,7 dans la plupart des travaux sur la LSP, dans la foule des monographies sur la connexion, même dans celles qui affichent une perspective onomasiologique.8 Pourtant, leur importance LSP avait été relevée tôt dans une thèse russe (S.I. Kaufman 1959) dont les résultats ont été présentés par Hoffmann (1984/1987, 211–213). Même après, la bibliographie sur ce type de connexion est restée exigüe.9 Ce vide bibliogra 























6 Hoffmann (1998, 260) souligne, en l’approuvant, la « Theoriearmut » (‘absence de théorie’) des recherches LSP, et il en loue (253) la limitation à la « description » et aux « réalités » (c’est-à-dire : à la surface). Cette limitation a pu donner naissance à l’idée que la syntaxe LSP ne peut être reconduite – « en aucun cas » (Grucza 2012, 125, 140) – à la langue commune : l’exemple (1) prouve le contraire et le sous-système (3) présente les règles de cette « reconduction ». 7 Par ex. la bonne Grammaire méthodique de Riegel/Pellat/Riou (42009, 1057s.) déclare que, dans les « textes argumentatifs », « la complexité du référent impose l’emploi de connecteurs appropriés », mais les connecteurs verbaux n’y sont pas mentionnés. C’est que les auteurs – comme les autres grammairiens – opèrent un distinguo, considérant que la relation causale condensée en proposition simple (comme celle à peine citée, d’ailleurs !), ne relèverait pas de la « syntaxe », mais de la « sémantique phrastique » – instance qui attribuerait au sujet une multitude de « rôles » dont la « cause » (cf. pp. 238s., 45). C’est entendu ; mais cette analyse ne confirme-t-elle pas le rôle connecteur de nos verbes ? Ne convient-il pas plutôt de postuler – avec Kahane/Mel’čuk (2006) – deux types de causes : une « cause agentive » vs. une « cause non-agentive » ? Cette dernière correspond à celle des verbes relateurs. 8 Je ne citerai que deux bonnes études relativement récentes : l’analyse comparative (allemand ~ anglais de l’économie) de Thielmann (2009), qui consacre un long chapitre (89–227) aux « relations causales », ne mentionne pas les connecteurs verbaux. La monumentale « évolution de l’expression de la causalité en espagnol » (depuis le Moyen-Âge jusqu’au XXe siècle) de Störl-Stroyny (1997) exclut (pp. 128 ; 606) la connexion verbale (parce qu’elle ne ferait que « nommer la cause » au lieu « d’établir un rapport causal » [!]). Il n’y a pas de doute que, sans cette exclusion, les résultats des deux analyses seraient fort différents et plus pertinents. Les connecteurs verbaux sont exclus aussi du lexique des connecteurs LEXCONN (Roze/Danlos/Muller 2010). 9 Cf. les renvois dans les articles ↗10 Les verbes relateurs et l’enchâssement nominal et ↗17 L’enseignement de la langue marquée ; on peut y ajouter, pour le portugais, E. Fischer (1998), sans oublier,  































































































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phique (ou presque) contraste avec la tradition de l’éducation rhétorique française. Le placement de la cause en position de sujet10 – conforme au concept de linéarité – fait l’objet, pendant tout le XXe siècle, des exercices de l’éternelle stylistique d’E. Legrand (11922 à 181989) (j’y reviendrai au §4.1). Il convient de préciser, toujours à propos de la connexion verbale, que l’effet connecteur est dû à une « action concertée » de deux traits sémantico-syntaxiques : ce sont le trait [+abstrait] (du nom en position de sujet) et le trait [+causatif] (inclus [+factitif]) du verbe qui concourent à générer l’interprétation causale (Cause – Conséquence). Les autres traits (nominaux ou verbaux) provoquent des significations différentes. En effet, un sujet [non-abstrait, non-animé] sera entendu comme l’instrument (de l’action exprimée par le verbe), tandis que c’est le trait nominal [+animé] qui qualifie le sujet pour le rôle de l’agent (sauf, bien-sûr, en cas d’interprétation métonymique). Ce sont, d’ailleurs, les mêmes traits nominaux qui déterminent la signification du verbe, par ex. « entraîner » combiné avec un sujet [-abstrait] signifie une [action] (‘emmener de force avec soi’, PRob. s.v.), et ce n’est que le sujet [+abstrait] qui mute ce verbe en connecteur – une sorte de « réaction chimique » qui, d’ailleurs, vaut en principe pour les verbes causatifs. Les deux « analytismes » (R 3) ne sont rien d’autre que le doublage d’un verbe ou d’un nom par un élément dont la fonction se limite à la classification ou à l’interprétation du terme doublé. Cette valeur classificatoire est normalement dictée par le contexte, l’élément classeur étant alors redondant et pouvant être supprimé sans perte référentielle. C’est ainsi que dans l’exemple cité « coûts salariaux » – issu du génitif /coûts+de+salaire/ ou /N1 de N2/ – le nom « coûts » ne fait que classer les salaires parmi les coûts, comme il fallait s’y attendre dans le contexte donné. Ce type d’assemblage /N1 de N2/ est connu des philologues sous le nom de génitif explicatif ; la relation qui lie les deux N est définie par être : /N2 est un N1/. L’usage classique est limité à certains types de N2 (noms de villes, d’époques ou de catégories juridiques, par exemple : « urbs Romae », « la ville de Paris », « le siècle des Lumières», « à titre de louage », etc.). Dans cette construction, c’est N2 (« Paris », « salaires ») qui se trouve au centre du message malgré sa dépendance syntaxique de N1. Voilà donc l’inversion de « l’ordre logique » du génie de la langue française (ou des langues romanes) – grande catastrophe pour certains puristes qui en accusent, d’ailleurs, – mais à tort – l’adjectif de relation. C’est cette structure redondante qui a fait fortune en LSP. La même structure connaît aussi un usage non-redondant qui, cependant, semble être exclu dans les textes LSP : N1 peut avoir une valeur affective (« ce fripon de valet ») ou métaphorique – en voilà une « coquine de structure », selon la diction de Gaatone (1988) !  







































































pour le français, la suggestive note de G. Gross (2006) et surtout l’analyse sémantique des verbes causatifs par Kahane/Mel’čuk (2006) qui ouvre pour les verbes relateurs une typologie et des perspectives analogues à celles présentées dans ce manuel (cf. section III). 10 Cette fonction casuelle avait brièvement intéressé, dans un cadre contrastif, L. Tesnière (1959) et A. Malblanc (1963, 242s.).  





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3.2 D’autres traits « de spécialité »  



Les spécialistes de la linguistique des « langues spécialisées » (« Fachsprachen ») diront que le catalogue de traits (R1 à R4) est loin d’être complet et qu’il existe d’autres traits légitimés par leur fréquence (cf. §3.2.1), par leur performance qualitative (§3.2.2) ou par des présomptions appréciatives (§3.2.3). Nous allons voir que ces traits découlent des procédés transformatifs à peine décrits ou, tout simplement, du dictat du référent.  







3.2.1 Traits fréquents Les textes spécialisés révéleraient : – une prédilection des troisièmes personnes (sg. ou pl.) au détriment des personnes 1–2, 4–5 ; – une nette préférence du présent au détriment des autres temps du verbe ; – un excédent de la voix passive ; – une fréquence supérieure des parties nominales (noms, adjectifs) au détriment des autres types de mots (verbes finis, parmi les autres) ; – une prépondérance de la parataxe ; etc.  











Il est vrai que si l’on veut faire confiance aux données purement quantitatives, ce catalogue est plus que justifié : une foule d’analyses fréquentielles, surtout dans les années ’80–’90, l’a démontré. C’était la fascination du calculateur qui permet la comparaison d’immenses corpus tout en présentant des résultats objectifs. Il suffisait de lui faire compter les données superficielles : les personnes – les temps – les voix du verbe (actif / passif), les types de mots (nom / adjectif / verbe / préposition, etc.), les types de proposition (principale / subordonnée). On n’a pas besoin de théorie, on n’a pas besoin d’être linguiste pour faire compter ces catégories qui sont à portée de la main. En effet, le premier qui se soit mis à compter des faits linguistiques (et culturels) fut le physicien Wilhelm Fucks (1968) dont le calculateur avait produit, depuis le début des années ’50, des résultats surprenants rien qu’en mettant en relation des données chiffrées bien simples ; par exemple la relation entre le nombre de lettres par mot, d’une part, et, de l’autre, le nombre des mots par phrase. Ces deux critères pas tellement linguistiques permettaient néanmoins de différencier avec netteté deux corpus, un corpus narratif et un corpus de textes descriptifs : dans un quadrant défini par les deux critères, ils occupent deux espaces séparés. Plutôt que d’apporter une admiration acritique à ces résultats quantitatifs basés sur des réalités banales, il convient de se demander quelles sont les raisons des préférences citées. En effet, – qui parle de choses (qu’elles soient spécialisées ou banales), a besoin de la 3e personne (sg. ou pl.) ;  











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le présent est le temps qui convient pour exprimer les faits « éternels » (les faits qui ne sont pas localisés sur l’échelle des temps), qu’il s’agisse de faits spécialisés ou non ; qui voulait celer l’agent d’une action – action spécialisée ou non –, ou encore qui voulait topicaliser le complément, profitera du passif ; les noms sont indispensables quand il s’agit de présenter des objets – ceci est vrai pour n’importe quel type de texte, également pour des textes narratifs : la fameuse scène du fiacre dans Madame Bovary de Gustave Flaubert, abonde, sur huit pages, de termes de localisation, donc nominaux ; pourtant, cette abondance nominale n’avait point convaincu les services de censure de la police impériale qu’il s’agissait d’un texte de spécialité ! On pourrait citer aussi de nombreux textes lyriques, par ex. « Liberté » de Paul Éluard, poème construit sur le modèle : « Sur N1, sur N2, … sur N65, j’écris ton nom : liberté », avec 65 syntagmes nominaux sur un seul verbe ! bien des auteurs de textes narratifs préfèrent la parataxe (par ex. dans la majeure partie de L’Étranger d’Albert Camus) ; et vice-versa, la plupart des textes spécialisés présentent bien plus de subordonnées que ce roman.  



































Bref, les préférences citées des textes spécialisés ne sont pas dues à une fonction de spécialité, mais leur emploi obéit, tout bêtement, aux conditions de toute communication. Ce sont les besoins communicatifs du référent – objets, indifférence du temps, perspective, camouflage, etc. – qui déterminent les fréquences observées ; ce n’est pas un choix stylistique de mise en texte visant à créer un « texte de spécialité ». C’est à tort que ces structures sont censées être des traits de spécialité. Laissons tomber la fréquence écrasante de la terminologie respective, critère banal : un texte médical sera fortement marqué par la terminologie médicale, un texte économique par la terminologie économique, etc. : observations objectives sans doute, mais trop attendues pour mériter une place dans la discussion.  









3.2.2 Traits qualitatifs À ces arguments fréquentiels s’ajoutent, dans la vaste littérature sur les diverses Fachsprachen, des jugements qualitatifs ; ceux-ci sont d’ailleurs antérieurs au charme technique des big data : – les verbes ont tendance, dans les textes spécialisés, à véhiculer un sémantisme réduit ; – les informations spécialisées y sont signalées par des noms ; – même les adjectifs peuvent être porteurs de sens terminologique ; – les phrases nominales tendent à présenter une énorme complexité.  











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Tout comme les observations quantitatives qui ont précédé, ces traits qualitatifs ne sont pas incorrects, mais ils résultent d’une perspective toute aussi limitée à la surface : en effet, la base de cette analyse est la différenciation en types de mots (verbes / noms / adjectifs), et, ce que nous apprenons, ce sont les prestations de ces catégories superficielles. Or, la discussion de l’exemple (1) a montré que ces catégories superficielles ne sont que le camouflage de fonctions plus profondes : – c’est ainsi que la hausse [des coûts] (de l’ex. 1) est bien un nom, mais ce nom cache le terme être/devenir/payer plus cher, donc un prédicat ; il est vrai que c’est le nom « hausse » qui véhicule le sens spécialisé, mais il le fait parce qu’il est un prédicat « masqué », contrairement aux termes nominaux de localisation dans la scène du fiacre ou dans le poème évoqués plus haut. – salariaux (ex. 1) est bien un adjectif, mais l’information véhiculée est celle du nom salaire ; la transformation adjectivale dont elle est le fruit ne change en rien le message ; le nom de salaire est – on l’a vu – le revêtement de payer le travail des employés, donc d’un prédicat travesti en nom, comme avant. – ce sont ces transformations qui sont coupables de la complexité de la phrase nominale hausse des coûts salariaux. – finalement, quant à la prétendue faiblesse sémantique du verbe, nous pouvons dire que résulter de correspond à parce que qui n’est pas plus « riche ». C’est précisément cette expression verbale du connecteur qui déclenche, d’ailleurs, la forme nominale du complément, et, en plus, celle du sujet. – encore à propos des verbes superficiels à sémantique réduite : ce diagnostic peut être dû à une deuxième source, à savoir à l’analytisme verbal (cf. R3), par ex. X constitue une preuve de Y qui correspond à X prouve que Y ; il est vrai que constitue est un verbe et que sa signification n’est pas plus riche que celle de la copule être dont il n’est que le remplaçant ; mais l’expression entière est équivalente au verbe prouver dont elle reproduit fidèlement la signification.    





























En guise de résumé, nous pouvons dire que les traits discutés dans ce paragraphe ne concernent que l’« habit » et non le « moine » (moine vrai ou faux) qui s’est revêtu de cet « habit ». En enlevant «l’habit », on découvre que les noms ne sont ni plus fréquents ni plus éloquents en LSP qu’ailleurs (parce que les nominalisations sont en réalité des verbes déguisés) et que les verbes ne sont pas plus réduits (parce que les verbes apparemment pauvres sont en réalité soit des connecteurs, soit les soutiens de verbes transposés en noms). « L’habit » ne provoque aucune perte de fond, il n’en altère que l’apparence.  



















3.2.3 Appréciations Outre ces « jugements » (quantitatifs ou qualitatifs), la littérature sur les langues de spécialité fourmille d’appréciations dictées par l’amour ou par la haine :  





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pour les détracteurs, soucieux de la pureté de la langue française de l’âge classique, la langue LSP est le « charabia des sciences » et « un jargon » ; certaines structures – telles que l’adjectif de relation – sont la « maladie du siècle », surtout si elles sont utilisées en dehors du contexte spécialisé.11 Voilà des dénigrements puristes – n’en parlons pas ! les laudateurs ne sont pas moins fréquents : la langue de spécialité serait, par rapport à la langue commune, plus concise, plus précise, plus objective, plus univoque. Il ne s’agit là que de postulats visant à l’optimisation d’un texte (par ex. dans la norme de « Fachsprache », DIN 2342, 5). Quant à la fonction communicative, la LSP serait, selon l’avis précoce de Schmidt (1969, 17), « le moyen d’une communication idéale (au niveau d’une discipline donnée) » ; et Phal (1968, 11) se demande si ce langage « n’était que le choc en retour du progrès des sciences qui nous imposerait aujourd’hui, avec une certaine vision du monde, une nouvelle façon de penser et de parler ? »  



































Examinons ces prétendues qualités ! Si la concision se traduit banalement par la longueur du texte, l’exemple (1) semble confirmer cette évaluation. Trois des règles de projection expliquent le pourquoi de cette brièveté : l’expression verbale de la connexion (R2) entraîne l’union de deux propositions de base en une seule proposition de surface ; l’enchâssement nominal (R1) permet la condensation12 d’une proposition de base en la nominalisation du seul verbe, et la suppression de tout autre élément ; l’adjectivation (R4) réduit la structure épithétique. Donc, ce sont bien trois des « règles » qui servent à la concision. – Cependant, les deux analytismes (R3) produisent l’effet contraire en introduisant un élément (nominal, verbal) purement formel qui n’est pas source d’une information référentielle ultérieure – un « blow up » qui contrebalance l’effet condensateur des autres traits. De plus, si les nominalisations sont des propositions raccourcies, elles se trouvent cependant souvent allongées par des attributions complexes. Finalement, dans les textes spécialisés, les reformulations sont fréquentes : une idée complexe se présente souvent dans les deux styles : en forme de thèse (style LSP) et, de plus, en forme discursive (style non-marqué). Bref, la concision ne semble pas présider à la production LSP ! Que faut-il entendre par précision ? et par objectivité ? Si la précision se définissait par la quantité des informations, il faudrait répliquer que celles-ci sont de force moins  

























11 « charabia »: Thérive (1933, 42), Étiemble (1966) et des dizaines d’autres; « adjectivite » : Étiemble (1966), Sauvageot (1969) et de nombreux imitateurs ; « substantivite » – critiques qui sont ironisées par Phal (1968, 11). Les lamentations que les structures LSP sont « utilisées en dehors du contexte spécialisé », montrent que la « fonction de spécialité » n’a pas été prise en compte. 12 Terme de Beneš (1973, et avant). Il montre que, pour l’allemand, la condensation (ou son acceptation) est une tendance moderne du style de spécialité ; c’est ce qui ressort d’une comparaison entre les deux éditions de l’encyclopédie Brockhaus de 1935 et de 1957.  























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nombreuses dans un texte de spécialité que dans son équivalent non-marqué ; et que ceci est dû à trois des quatre procédés LSP : la nominalisation (R1) exclut les catégories verbales (personne-temps-mode-voix) ainsi que, dans la plupart des cas, les accompagnateurs nominaux (sujet ; compléments ; etc.) ; elle présente « l’abstraction dans toute sa pureté » (³Bally 1951, 239) ou « l’objectivation » (Phal 1968, 11). Le verbe relateur (R2) de type causal ne distingue pas clairement les types de causalité (rapports causal/consécutif/conditionnel/final/concessif /corrélatif) – distinctions assurées, cependant, dans l’équivalent non-marqué, par les conjonctions respectives (parce que/si/afin que/bien que/plus-plus). Dans les constructions à verbe relateur, ces distinctions sont parfois apportées par le contexte.13 Finalement, l’adjectif de relation (R4) exprime, en les neutralisant, toutes les relations intra-propositionnelles (par ex. : action ~ agent/patient/bénéficient/circonstance), relations que la proposition, cependant, est condamnée à opposer (par ex. l’adjectif ouvrier, dans cotisation ouvrière vs. consultation ouvrière, réalise les fonctions de sujet vs. OD : les ouvriers cotisent vs. qn consulte les ouvriers). Il est donc évident que bien des informations présentes au niveau propositionnel se perdent au cours de la transformation LSP. La qualification de « précision » n’est justifiée que si les informations abandonnées lors du marquage LSP, sont sans impact sur la réalité spécialisée qui est l’objet de l’acte communicatif, donc, s’il s’agit moins d’une « perte » que d’une « libération ». C’est souvent le cas. – S’il est vrai que le sous-système LSP libère la communication des servitudes de la proposition de base, il faut cependant préciser que les nouvelles structures qu’il génère incitent à combler ces lacunes : la transformation nominale facilite l’attribution par un génitif, un adjectif, un participe ou une proposition relative, c’est-à-dire par des structures qui ne sont point des marques LSP. De plus, les deux analytismes ont la vocation de faire « gonfler » le message en lui attribuant toutes sortes d’informations (qui souvent ne font rien d’autre que préciser les informations déjà contenues dans le contexte) : l’analytisme verbal réintroduit – nous allons le voir – tous les aspects liés au monde verbal (et même bien d’autres, par ex. l’aspect initial dans procéder à l’étude de X qui remplace étudier X) ; et l’analytisme nominal pourvoit le nom source d’une étiquette normalement gratuite, par ex. « coûts » dans « coûts salariaux » (ex. 1).  





















































13 Les contextes peuvent être le temps choisi (présent vs. passé pour les rapports conditionnel vs. causal) ; le contraire nié pour exprimer la concessivité (ex. : « X entraîne Y » = « Y parce que X » : causal / « X n’empêche pas Y » = « Y malgré X » : concessif). La finalité dispose d’un verbe relateur spécifique : « viser à ». À la typologie classique, il convient d’y ajouter l’équivalence (cf. N. Kreipl 2004, 100ss., 235ss.) et surtout la corrélation (N. Kreipl 2004, 93ss., 298s.). L’interprétation corrélative, dans les constructions à verbe relateur, est, avant tout, un effet du contexte : elle résulte de noms généralisateurs (tels que « degré », « qualité », etc.) ajoutés au sujet et/ou au complément du verbe relateur (ex. : « la qualité de l’Armagnac résulte du [degré de] vieillissement » = « plus il est vieux meilleur il est », cf. Forner 1995).  























































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L’univocité est un idéal des noms de choses plutôt que des textes. Au niveau textuel, il n’en est pas question ; c’est ce qui a été montré dans le commentaire sur la prétendue précision. Pour les noms de choses, ce sont des institutions internationales qui veillent à leur univocité. Mais, à part ce contrôle, les termes techniques représentent un cas spécial : ils sont univoques non à cause de leur forme linguistique, mais à cause de la définition qui est la compagne fixe de tout terme technique. Quant à leurs formes d’expression, ils ne sont pas plus univoques que les textes. Par ex. les termes composés – les composés de deux noms (comme dans les langues germaniques, mais aussi dans les langues romanes modernes), les composés avec adjectif de relation, la composition savante (la confixation) – ils sont tous (en principe) ambigus dans le sens défini plus haut pour l’adjectif de relation. Il est vrai que cette ambiguïté n’existe pas pour le spécialiste, mais ceci n’est pas le mérite de la forme linguistique, mais bien celui de la définition qui fait partie de sa formation de spécialiste. Finalement, le mythe de la communication idéale : cette idée (de Phal 1968, Schmidt 1969, et d’autres encore) semble préluder aux conceptions cognitivistes qui deviendront, à partir de la fin des années 1980, le main stream des recherches LSP.14 C’est pourquoi les accomplissements du sous-système LSP méritent, sous cet aspect, un bref examen.  





3.2.4 Traits cognitifs La langue est bien l’instance intermédiaire qui produit et recueille tout exploit cognitif ; cette fonction véhiculaire vaut aussi et à plus forte raison pour la LSP ; celleci serait le miroir du niveau cognitif du spécialiste. L’analyse s’efforcera donc à retrouver, dans les textes, des structures cognitives propres à la (aux) science(s), en opposition, évidemment, aux structures cognitives véhiculées par la langue commune. Il convient donc de réexaminer la différence – définie par les règles R1 à R4 – sous l’aspect de leur charge cognitive.  



Un accès élémentaire à l’analyse logique est l’implication :  

A→B, ou : B←A « Si A, alors B ».  





L’implication est la connexion (souvent symbolisée par la flèche) entre deux arguments (A, B). La ressemblance avec notre exemple LSP de départ (1-b) est évidente :  

14 Baumann (2001) exalte le « cognitive turn in LSP research », pour S. Grucza (2012, 101s., 134s. et passim), la langue de spécialité est avant tout un « instrument » cognitif, sa singularité ne résiderait pas dans le contenu spécialisé, mais dans le concours aux connaissances étendues.  









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« Une hausse des coûts (A) peut ENTRAÎNER (→) une inflation (B) », ou : « Une inflation (B) peut RESULTER (←) d’une hausse des coûts salariaux (A) » :  















Les verbes relateurs (R1) sont le miroir linguistique de la flèche ; ils font ressortir la relation implicative avec bien plus de netteté que le connecteur non-marqué « parce que » de la proposition de base (1-a). Les variables A et B sont les arguments de la relation ; cette fonction d’arguments est d’autant plus nette que les variables sont plus courtes ou « condensées ». Voilà l’œuvre de l’enchâssement nominal (R2). Les implications peuvent s’enchaîner : A→B→C, etc., elles peuvent même entrer dans un cercle vicieux : A→B→C→A→(etc.). L’inflation, par exemple, peut être due à un cercle vicieux. C’est bien le sujet d’un texte de spécialité authentique discuté dans l’article ↗17 L’enseignement de la langue marquée. Dans ce texte (cf. ex. 3, p. 362), les facteurs qui ont un impact sur l’inflation, sont représentés dans un croquis circulaire par des encadrés (qui représentent les arguments), et l’impact causal y est symbolisé par 12 flèches (qui représentent les relations causales interconnectant les arguments) ; l’arrangement circulaire symbolise le cercle vicieux. Le croquis est accompagné d’un texte (cf. ↗17 L’enseignement de la langue marquée, ex. 11, p. 368) qui ne fait qu’interpréter le croquis : toutes les flèches du croquis y sont traduites par des verbes relateurs. Ce qui est important dans ce texte – comme dans bien d’autres – c’est ce jeu des causes et des effets ; s’il est vrai que certains verbes relateurs se caractérisent par un « sémantisme réduit », réduit parfois à la seule causalité / consécution, ils jouent, cependant, un rôle primordial dans la communication spécialisée : que la hausse des coûts entraîne l’inflation ou, qu’inversement, l’inflation entraîne la hausse des coûts, n’est pas sans importance ! C’est pourquoi il est indispensable d’assurer aux verbes relateurs et à l’enchâssement nominal – aux flèches et aux arguments – une place centrale soit dans l’analyse soit dans l’enseignement de la langue de spécialité. D’autant plus que, dans l’enseignement LSP, des exercices de ce type constituent, en plus de la pratique de la langue, un élément de la formation cognitive des futurs spécialistes. Un autre aspect de toute science est la catégorisation des notions ou objets qui doivent entrer dans l’analyse, en faisant la distinction entre genus proximum et differentia specifica. Si le sous-système LSP nous offre, dans l’exemple (1), « les coûts salariaux » comme expansion (selon R3) de « salaire », il s’agit bien d’une catégorisation : c’est l’invitation au lecteur – banale dans le contexte donné – de comprendre le terme de « salaire » non comme « revenu », mais comme « coût ». Et s’il est permis de considérer les « aspects » verbaux comme genus proximum de l’action exprimée par le verbe, les analytismes verbaux exercent un rôle cognitif analogue ; l’action « étudier qc. » est alors subordonnée aux notions de début / résultat dans « procéder / réaliser l’étude de qc. ». Finalement, l’abstraction : nous l’avons déjà rencontrée (§3.2.3) dans la nominalisation (R2) qui présente l’action « pure ». Un autre type d’abstraction déjà observé est la neutralisation des relations intra-propositionnelles (action ~ agent/patient/etc.) qui  





















































































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caractérisent le sémantisme de l’adjectif de relation (R4), et, en plus, celui des autres procédés de la nomination complexe : de la composition nominale, de la confixation (ou composition / dérivation savante). Passons désormais dans le champ de la nomination : les projets des XVIIe et XVIIIe siècles visant à la construction de nouvelles terminologies sont des programmes « cognitifs » par excellence : la nomenclature – postula Lavoisier (1787) – doit « rendre les idées et les faits dans leur exacte vérité […] : elle ne doit être qu’un miroir fidèle » (p. 162). Le même texte précise les informations contenues dans ce « miroir » :  























« … par le mot seul, on reconnoît sur-le-champ : quelle est la substance combustible qui entre dans la combinaison dont il est question [1] ; si cette substance combustible est combinée avec le principe acidifiant [2], et dans quelle proportion [3] ; dans quel état est cet acide [4], à quelle base il est uni [5], s’il y a saturation exacte [6] ; si c’est l’acide ou bien si c’est la base qui est en excès [7] » (p. 165).  















Un programme ambitieux ! Pas besoin de comprendre les « faits » chimiques cités, il suffit de les compter (voir les chiffres qui ont été rajoutés) : sept « idées=faits » de la science respective ! Les moyens linguistiques (re-)mis en œuvre sont le lexique antique, la composition grecque et la dérivation gréco-latine, donnant, entre autres, l’adjectif de relation et surtout la confixation (traités dans les articles ↗12 La confixation et les adjectifs de relation et ↗15 Divergences et convergences : les structures nominatives ; pour les renouveaux terminologiques des XVIIe et XVIIIe siècles voir l’article de Philippe Selosse (↗20 Entre Renaissance et Lumières : les nomenclatures des sciences nouvelles, et, ici, §4.2). Les mots et les affixes antiques peuvent subir une réinterprétation sémantique. Ces vieux principes de formation continuent d’ailleurs, de nos jours, de déterminer les terminologies scientifiques. Pour résumer ce chapitre 3.2 sur les traits LSP de surface, on peut dire que le soussystème LSP en présente la source. Qui voulait surpasser une description impressionniste pour parvenir à une description explicative, trouvera, dans l’ensemble exigu des quatre procédés LSP, la clé pour expliquer la multitude des observations qui ont été faites. Ce rayonnement vers la surface expressive constitue, naturellement, un des objectifs de chacune des contributions de la section III. Ici reste encore à éclaircir les chemins qui mènent à la découverte de ce sous-système et les preuves de son existence réelle, avant de passer (§3.4) à une brève présentation de ces contributions.  























3.3 Deux annotations épistémologiques 3.3.1 Différence ou inclusion ?  

La langue de spécialité est considérée comme variation linguistique. L’approche méthodique pratiquée ici est identique à toute analyse variationnelle, qu’il s’agisse de variation diatopique, diastratique, diaphasique ou diamésique : la langue de spécia 

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lité est un « scientific functional dialect » (Havránek 1932, 15). L’analyse d’une variation requiert toujours une comparaison entre deux types d’expression : caractères d’un dialecte par rapport à un autre, d’un « style fonctionnel » en contraste avec un autre. Or, il est bien connu que toute comparaison exige un troisième élément de comparaison, un tertium comparationis. En dialectologie, ce troisième élément est normalement un état historique que les deux formes dialectales ont en commun ; en linguostylistique, c’est une représentation du contenu que partagent les deux « styles ». En effet, ce n’est que l’identité du contenu qui « permet de parler de différence de style » (Hockett 1958, 556). L’heuristique reposera donc sur une « triade » : style A ~ style B ~ forme sous-jacente (« base »). Procédure qui permet de définir chacun des styles (A, B) par son écart de la forme de base commune (et non par le contenu ou par la spécialisation !). Les détails de cet écart seront interprétés comme marques (du style A, du style B).  

































(4)-a La triade heuristique

BASE

Variation A

Variation B

C’est cette méthode variationnelle qui a présidé, en principe, à l’analyse de l’exemple de départ : le style (1-b) par rapport au style (1-a). L’exemple (1-a) présente un style non-marqué, « neutre », en opposition au style LSP (1-b) qui est marqué par les quatre procédés connus (R1–4). Une opposition analogue peut être postulée pour définir d’autres variations, telles que le français familier, ou le français juvénile, ou la langue poétique, etc. Ces formes d’expression ont été intégrées dans le modèle élargi qui suit (4-b) sous les noms de « style X, style Y », qui sont marqués par les « règles » qui conviennent (appelées ici « Rx, Ry »). Les divergences de chacun de ces styles marqués s’expliqueront donc, dans ce modèle, par l’application du sous-système respectif. Nous en connaissons déjà les résultats pour le style LSP.  



















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(4)-b La triade heuristique généralisée

BASE

proposition de base

sous-système

styles

exemples

—–

R1–4

Rx

Ry

neutre

LSP

style X

style Y

(1-a)

(1-b)









Le modèle (4-b) est commode dans le sens que la base (abstraite15) est ici identique à l’un des styles, celui de l’exemple (1-a). Celui-ci est généré par les seules règles qui opèrent dans la base, sans l’intervention d’un sous-système ; c’est pourquoi ce cas est dit « non-marqué » ou « neutre » ou « zéro ». Je pense que pour l’analyse variationnelle, le « degré zéro » possède une importance pareille à celle qu’il a en arithmétique, car il permet d’interpréter les marques comme ajouts, les textes réels marqués comme résultats d’une « addition » et, enfin, le sous-système comme « différence » :  

















(5)





Style LSP = Sous-système LSP =



Somme : Différence :





Base plus Sous-système (R1–4) Style LSP moins Base.





C’est cette « différence » qui constitue l’objectif de la description LSP. Et c’est bien cette « différence » qui définit la « fonction LSP » que l’environnement pragmatique (parmi d’autres mobiles) a pu déclencher. Il est sans doute permis de mettre en question l’existence réelle d’un « style neutre » ; en effet, qui parle, est pratiquement toujours impliqué dans un conditionnement pragmatique (réel ou joué) qui déclenchera l’une ou l’autre des marques étant à disposition. Il faudrait trouver un locuteur « neutre » qui se refuse de jouer ce jeu. Ceci est rare. Albert Camus a créé un tel personnage, « L’Étranger ». La majeure partie de ce roman (sauf quelques passages décisifs fortement marqués) présente un héro  

























15 La base est conçue comme un système de règles non fonctionnelles. Pour qui préférerait une présentation abstraite, une foule de théories abstraites sont à disposition ; mais, une reformulation formalisée ne donnerait pas, pour l’analyse variationnelle qui seule intéresse ici, de nouveaux résultats.  

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« neutre » qui parle un « style » qui est à son image. Des cas « neutres », rares peutêtre, ne sont pas limités aux belles lettres. C’est le « style neutre » qui constitue, dans l’analyse présentée ici, la notion inverse de « style marqué », en l’occurrence de « style LSP ». Le concept inverse de LSP n’est pas la ‘langue commune’ (Allgemeinsprache ; Gesamtsprache), comme le veut une grande partie de la discussion allemande ou anglaise. Ce terme de langue commune trahit une organisation notionnelle qui diverge fondamentalement de celle suivie ici, et qui porte des fruits qui lui sont conformes. Dans l’optique d’une langue commune, la langue de spécialité serait une partie d’un tout, un sous-ensemble d’un sur-ensemble ; la relation entre le style LSP et les autres variations, le style neutre par exemple, est alors l’inclusion, non la différence. Avec l’effet que les traits LSP, qu’on vient de découvrir en les opposant au style neutre, n’auraient plus la fonction de marquer un contraste stylistique, mais seraient condamnés à jouer le même rôle que les autres constructions sans valeur oppositive. Bref, cette construction notionnelle d’un melting pot qui engloberait pêle-mêle la totalité de la réalité linguistique, – empêche de diagnostiquer les différences pertinentes, – dissimule la fonction de ces différences (en l’occurrence la « fonction LSP »), – rend aveugle devant l’homogénéité profonde de la production textuelle LSP (qui ne reproduit donc pas l’hétérogénéité des disciplines), et – ouvre directement la voie au type de classements purement fréquentiels qu’on vient de voir.  































En effet, la définition classique – répétée comme une ritournelle dans une grande partie des traités sur les langues de spécialités – prétend que la langue de spécialité se définirait par une sélection-emploi-fréquence typiques de structures mises à disposition par la « langue commune »16 et non par des structures qui lui sont propres. Cette définition oblige à considérer l’expression LSP non comme le fruit d’une addition, mais, tout au contraire, comme diminution : LSP se caractériserait par une « syntaxe réduite ».17 C’est bien la conclusion qui se déduit directement de la théorie de l’inclusion. Par contre, l’opposition que nous venons de constater entre les « styles » (par ex. LSP vs. « style neutre ») incite à donner la préférence à ce jeu de sous-systèmes qui, eux, font partie, naturellement, du sur-ensemble appelé « langue » ; cette dernière consiste d’un système de procédés non-marqueurs (la « base ») auquel peuvent s’ajouter les sous-systèmes. On a vu, en plus, que ces sous-systèmes produisent des structures de surface qui peuvent accueillir, à leur tour, les procédés non-marqués  



























16 Les critiques contre ce concept de « Gesamtsprache » sont nombreuses et pas récentes, mais elles ont rarement eu un impact sur le choix méthodologique. Un panorama de cette construction notionnelle et des conséquences qu’elle comporte est présenté dans Forner (2000b). 17 Comme témoin de cet avis assez répandu, je ne citerai qu’une voix toute récente : S. Grucza (2012, 138).  







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définis par la base ; c’est ainsi que le nom secondaire (la nominalisation d’origine verbale : R2), invite – avec le même droit que tous les noms de la langue – à toutes sortes d’attributions qui, elles, n’ont point de valeur marquante. Cette distinction (entre structures marquantes / non-marquantes) est exclue – à tort – par la conception inclusionniste. Finalement, la notion de compétence linguistique implique une compétence variationnelle ; celle-ci est l’apanage de tout locuteur, même s’il y a des variations limitées à certains groupes : tout locuteur est capable de choisir le style qui convient (à son intention) et de classer le choix stylistique de l’interlocuteur. Ce choix n’étant pas aléatoire, le concept de compétence variationnelle implique la notion de sous-systèmes.  







3.3.2 Aspects de vérification Une vérification de l’approche variationnelle est-elle faisable ? En acceptant qu’il existe entre les styles (style marqué contre style « neutre », 1-b vs. 1-a, par ex.) une opposition fonctionnelle, nous nous attendons à certaines conséquences : – les lecteurs auront des réactions divergentes à chacune des deux réalisations ; – en produisant un mix des deux styles, quelle sera la réaction de spécialistes ? – la fonction LSP produit-elle, dans les textes spécialisés, un excédent de structures LSP ?  











Nous allons voir que ces trois types de vérification sont confirmés. – La réception. Nous prévoyons que la réception d’un texte LSP sera différente de la réception d’un texte neutre à contenu identique ; et que ces réactions différentes seront conformes aux prévisions de la « fonction LSP ». Un test empirique a été effectué18 à l’aide de textes sur la psychologie cognitive présentés à deux groupes à formation académique : un groupe non spécialisé, un deuxième groupe diplômé en la matière. Les textes ont été présentés ou dans la forme originale (LSP), ou dans une paraphrase nettement plus compréhensible (qui s’approche du « style neutre »), mais jamais dans les deux versions à la fois. Les sujets avaient la tâche d’étudier ces textes (présentés dans un style ou dans l’autre) et d’apporter des jugements pour chacun des textes lus : – sur le degré de compréhensibilité subjective, – sur l’intérêt spécifique ou général de l’article, – sur le plaisir personnel de lecture, et  













18 Il s’agit d’une expérience faite par A. Deppert (1997), répétée – dans un cadre élargi – dans Deppert (2001, 215–221 etc.).  

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sur le statut présomptif de l’auteur (quatre variables depuis l’étudiant jusqu’au professeur).

Or, même pour le groupe des spécialistes, les versions paraphrasées se sont révélées plus compréhensibles que les versions originales ; quant à l’intérêt général et au plaisir de lecture, c’est également les paraphrases qui l’ont remporté ; inversement, et curieusement, les textes originaux ont inspiré, aux deux groupes, un « respect » bien plus marqué que les textes à lecture agréable ; le statut présumé augmente avec le degré d’illisibilité, et ce dans les deux groupes ! Ce contraste illustre bien « l’effet LSP » : la réalisation LSP contribue – malgré les inconvénients cités – au prestige de son auteur.  















– LSP comme norme. Nous savons que la réalisation LSP est déclenchée par l’entourage pragmatique (locuteurs-contenu-situation-moyen spécialisés) : qui se déroberait à ce dictat, gardera-t-il intact son prestige de spécialiste ? Qui dans l’usage de la langue ne respecte pas la norme, commet une « faute ». Or, il y a aussi des « fautes » en langue de spécialité. Celles-ci peuvent concerner, naturellement, le choix terminologique, avant tout dans l’expression en langue étrangère : il y a, malgré la norme institutionnalisée, des « faux amis ». Mais, il y a aussi des « fautes de langue » (qui sont perçues comme telles par les spécialistes) ; ce sont précisément les cas où l’une des quatre règles LSP n’a pas été respectée ;19 il s’agit d’écarts qui, en dehors de l’entourage « spécialisé », ne seraient pas suspects. Il y a, en plus, des erreurs de traduction, même de la part de professionnels, qui ne s’expliquent que par l’ignorance des procédés LSP, cf. Fandrich (1987, par ex.).  





























– Les fréquences. Nous nous attendons à ce que la fréquence des « structures LSP » soit significativement supérieure dans des textes spécialisés par rapport à des textes narratifs par exemple. Nous supposons que la fréquence subira des variations considérables, oui, mais non en fonction des disciplines. S’il est vrai que c’est la « fonction LSP » – correspondant à l’ambition du locuteur – qui commande l’action de procédés de spécialité, on peut imaginer leur présence aussi dans des textes non-spécialisés, dans des textes publicitaires par exemple.  







Pour vérifier ces trois hypothèses, force est de compter. Mais, ce qu’il faut compter, ce ne sont pas les émergences de surface (les noms, les verbes, etc.), mais c’est la relation entre la base et la surface : parmi les noms, il faudra compter ceux qui ont une valeur propositionnelle, parmi les verbes ceux qui ont une fonction de connecteurs, parmi les structures « analytiques » (verbo-nominales et « N de/à N ») seront comptées celles  









19 Cf. par ex. Forner (2000a) et de nombreuses publications d’Eva Lavric, cf. dans ce volume l’article ↗16 Les « fautes de spécialité » avec une ample bibliographie.

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qui correspondent à la définition des analytismes, et parmi les adjectifs ceux qui remplacent un nom épithète. De plus, ce comptage doit s’effectuer sur trois types de corpus : un corpus LSP, un corpus narratif et un corpus de textes publicitaires. Finalement, afin de vérifier le rôle des disciplines / des auteurs etc., chacun de ces trois corpus doit comporter des textes provenant de disciplines, d’auteurs et de domaines publicitaires différents. Ce type de comptage a été effectué par Ursula Wilde (1994). Les trois hypothèses de départ sont confirmées dans une mesure qui dépasse largement les seuils de la significativité statistique. Il y a plus : les textes LSP et les textes narratifs examinés occupent deux espaces nettement séparés, avec entre les deux un espace vide, un « no man’s land » pour ainsi dire – c’est comme si les auteurs littéraires du XXe siècle (ceux du corpus tout au moins) se débattaient contre ces marques LSP comme le diable dans l’eau bénite ! Cette distanciation des styles sert à la maximisation de la distinctivité ; elle s’inscrit en faux contre le postulat d’une continuité entre les deux styles. L’article ↗13 (La fréquence des marques de spécialité) expose les résultats de cette recherche.  













3.4 Coup d’œil sur les contributions de la section III Les contributions du chapitre III présentent des matériaux concernant les structures systémiques de la langue de spécialité ; d’abord celles qui sont responsables de la forme textuelle, ensuite celles qui s’emploient dans la nomination scientifique, pour terminer avec deux domaines applicatifs (fautes ; enseignement). – En détail : Nadiane Kreipl (↗10 Les verbes relateurs et l’enchâssement nominal) examine les deux procédés principaux du style de spécialité : la nominalisation (entendue comme « enchâssement » d’une proposition de base dans un constituant nominal de la proposition cible), et, avant tout, les verbes relateurs, qui assurent, dans une large mesure en LSP, l’expression de la connexion circonstancielle. Il est montré que les deux procédés – isolés ou ensemble – jouent un rôle primordial pour la condensation du texte LSP. Pour ce qui est des verbes relateurs, Kreipl distingue deux types : d’une part, ceux qui n’expriment rien que la connexion (avec ou sans modalité, avec ou sans négation) ; de l’autre, ceux qui expriment en plus l’effet causé. Exemple du type I : « La Cause X entraîne (permet/empêche) l’augmentation de Y » / et du type II : « X augmente Y ». L’auteure examine la fréquence des verbes relateurs dans deux corpus : dans des textes économiques et dans des textes narratifs ; résultat : 24% contre 2% (par rapport à l’ensemble des marqueurs de connexion mis en œuvre dans les corpus respectifs). Elle examine également les atouts – en premier lieu toutes sortes d’attribution – provenant du réservoir de la langue commune et venant s’ajouter, en vue d’une optimisation du message, aux résultats LSP. Carolin Patzelt (↗11 Les analytismes) analyse, à ce niveau de la dérivation, les deux constituants principaux – le verbe et le nom – et le sort qui les attend : les deux  













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constituants peuvent être doublés par un élément fonctionnel, ce qui donne, avec les exemples déjà présentés, un analytisme nominal (ex. : salaires → coûts de salaire) ou un analytisme verbal (ex. : prouver qc. → apporter / constituer une/des preuve/s de qc. ; aussi pour les verbes relateurs, comme : causer qc. → être la cause de qc., être à l’origine de qc.). Dans les deux cas, l’élément fonctionnel précise des « aspects » : dans le cas nominal, cela peut être n’importe quel terme hypéronymique ; dans le cas verbal, c’est toute la gamme d’« aspects verbaux » possibles : action vs. état, l’aktionsart (début / durée / résultat), la voix (actif / passif – moyen / factitif). L’ensemble de ces « aspects » correspond donc à un vaste réseau sémantique qui offre une place au verbe de départ (transformé en nom). L’analytisme verbal se distingue de deux autres constructions verbales qui ne sont pas marqueurs de LSP : d’une part, de « l’expression figée » (ex. : faire dodo = dormir) divergeant structurellement ; et, de l’autre, des périphrases verbales fréquentes dans les langues ibériques ; ces dernières expriment également l’aktionsart, mais dans une « perspective » différente. L’analytisme verbal accueille aussi des noms sans équivalent verbal (des termes techniques, par ex.) dans le but de les placer en position de prédicat. Enfin, toutes sortes d’attributions peuvent s’accoler à la partie nominale de l’analytisme verbal. Les procédés LSP jusqu’ici présentés produisent des syntagmes nominaux complexes. Or, les noms épithètes (type : N de/à N, etc.) peuvent être transformés en adjectifs de relation (coûts de salaire → coûts salariaux). Ceux-ci jouent un rôle important non seulement dans la mise en texte, mais aussi dans la nomination érudite. C’est précisément cette fonction nominative qu’ils partagent avec la composition savante, la confixation. Ces deux structures sont présentées dans l’article d’Ulrike Scholz (↗12 La confixation et les adjectifs de relation). Celles-ci présentent des similarités au niveau de leur source lexicale (lexique antique, la plupart du temps) et, aussi et surtout, par leur sémantisme qui fait abstraction de pratiquement toutes les relations intra-propositionnelles de la base : dans les deux constructions, les oppositions casuelles (par ex. agent/patient de l’action, dans le cas où le verbe primitif serait conservé sous forme nominalisée) ainsi que l’opposition action/état (si le verbe de base se trouve supprimé dans le terme de surface) sont neutralisées; et, en plus, même les noms d’appui immédiats se trouvent régulièrement supprimés, dans le cas où il y aurait d’autres noms moins immédiats (N1 + N2 + X → N1 + X : par ex. photographie = photo- + -graphie [‘enregistrement par la lumière’], mais photocopie = photo+graphie+copie, le nom intermédiaire -graphie- étant supprimé). Cette suppression (d’informations souvent importantes) n’aboutit pas au vague parce que les professionnels ont appris à combler ces lacunes. L’emploi des deux structures se limite aux sciences théoriques, en contraste avec d’autres structures nominatives (dérivation, composition) – contraste prouvé à l’aide de paires minimales. Cette limitation de l’usage confère aux deux structures une connotation de sérieux ; connotation qui se transforme aisément en arme stratégique : certains domaines publicitaires, la cosmétique en particulier, adorent ennoblir leurs produits par ce noble « parfum ».  

























































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Voilà pour les structures qui attribuent le cachet LSP aux textes, en partie aussi aux noms scientifiques. Analyse largement confirmée – nous le savons déjà, cf. §3.3.2 – par les données fréquentielles. Ces données sont résumées dans le compte rendu respectif (↗13 La fréquence des marques de spécialité). Le marquage LSP est un phénomène bien général : il n’est pas limité à des spécialisations déterminées, ni à la seule langue française, ni aux seules langues romanes ; on retrouve un marquage LSP en principe identique en anglais, en allemand, dans les langues slaves et également dans d’autres. Certes, il y a des divergences : des divergences de dosage et même des divergences structurelles. Les verbes relateurs, par ex., très fréquents en français-italien-catalan, moins en espagnol-portugais et en anglais, moins encore en allemand : un dosage différent, mais leur présence est générale, et ils sont chargés partout de la même fonction LSP. Là où les fréquences sont réduites, on vérifie cependant une tendance croissante, au moins depuis les années cinquante du dernier siècle ; ce qui témoigne d’un rapprochement entre les différentes cultures linguistiques. Par contre, l’adjectif de relation, traditionnellement peu favorisé en allemand, y accuse une croissance écrasante; et, cependant, l’allemand possède, avec la composition nominale, une construction qui fait le même service : cette concurrence n’a point arrêté la « marée » de l’adjectivation. Une « marée » pas moins importante a alluvionné, dans toutes les langues romanes, la composition nominale (N + N), traditionnellement peu présente dans le monde roman. Voilà deux rapprochements mutuels, bien plus voyants cette fois-ci. Ces cas ne sont pas isolés. Il faut retenir, cependant, qu’il s’agit là de rapprochements structuraux : la réalisation matérielle (phonétique, lexicale) de ces structures reste spécifique de la langue donnée. Peut-on expliquer ces phénomènes de rapprochement structural autrement que par le contact millénaire, entre spécialistes connaissant au moins une autre langue ? Le phénomène d’un rapprochement structural (pas matériel) est bien connu des dialectologues sous le nom de Sprachbund (‘ligue linguistique’). Le rapprochement interlangues de la LSP obéit, selon Werner Forner (↗14 Divergences et convergences : les marqueurs syntaxiques), à la même logique. Il y a bien aussi un rapprochement « matériel », discuté dans l’article de Christian Schmitt (↗15 Divergences et convergences : les structures nominatives). La langue qui, pendant bien des siècles, a joué le premier violon dans le concert européen, est le (néo-)latin ; ce rôle persiste même à l’époque actuelle où – malgré l’oubli assez général de la langue – les règles néolatines de formation des mots et bon nombre d’éléments lexicaux continuent à déterminer la création lexicale ; c’est le cas spécialement de la confixation et également de la dérivation. Dans ce champ nominatif, certains affixes néolatins ont dû avoir, dans le passé, le même « sexe appeal » qu’ont actuellement les structures LSP modernes, ce qui explique leur expansion aux dépens des structures héritées : par ex., le suffixe latinisant ‑ation l’a remporté presque complètement sur son concurrent ‑aison (mais curieusement, la forme héritée raison a résisté, sauf dans certains allomorphes : rationnel). Le nombre de suffixes et de lexèmes néolatins accueillis en français est immense, la voie de transmission étant le  















































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vocabulaire spécialisé : une invasion survenue en masse au plus tard depuis la Renaissance et qui a largement refait le français. La même invasion caractérise les autres langues romanes et aussi les langues non-romanes d’influence latine : une tendance pan-européenne. Elle mérite l’attention des linguistes, dans le cadre d’une section appelée « eurolinguistique ». Cette recherche se doit de franchir les limites mentales imposées par le concept de nation afin de mettre en lumière ce que les cultures européennes ont en commun. L’« eurolinguistique » promet une riche récolte. Des fruits appétissants, nombreux, sont présentés dans cet article. Finalement, la langue de spécialité pratiquée comme langue étrangère : y a-t-il des problèmes de traduction provoqués par le sous-système LSP ?20 Comment enseigner ce niveau de langue ? Et y-a-t-il des « fautes LSP » qui ne s’expliquent pas par le Bon Usage ? Ce sont les problèmes discutés dans les deux dernières contributions de la section III. Eva Lavric (↗16 Les « fautes de spécialité ») passe en revue une typologie de « fautes LSP » : des faux amis terminologiques (fautes lexicales ou structurales : adjectif de relation, confixation) ; des faux amis de niveau de langue ; des fautes de style de spécialité – les deux derniers types n’étant des erreurs que dans un contexte spécialisé. Lavric en déduit que le concept d’interlangue devra intégrer la différence entre langue commune et styles, en l’occurrence style de spécialité. – Quant à l’enseignement du style de spécialité, Werner Forner (↗17 L’enseignement de la langue marquée) confronte deux méthodes : d’une part, un cours de compréhension à l’aide de la linguistique du discours ; de l’autre, un cours basé sur l’entraînement à des transformations stylistiques (langue neutre > LSP). L’article montre que l’approche transformationnelle est plus efficace, même dans le cas où l’objectif se limiterait à la seule compréhension, à plus forte raison dans un cours qui vise, en plus, la compétence active et consciente, et qui prépare ainsi le terrain à des cours ultérieurs qui, eux, seront orientés vers la spécialisation respective.  











































4 La diachronie Les traits qui définissent le style de spécialité actuel ne sont pas vraiment une invention récente. Les instruments de la nomination – également ceux de la nomination savante (confixation ; adjectif de relation) – avaient déjà rendu service à la science gréco-latine. Les structures de mise en texte LSP remontent également à l’Antiquité. Rien de nouveau, donc ? Si : ceux qui sont aujourd’hui des marqueurs LSP, exclus de  





20 Nous avons vu que le sous-système LSP est en principe valable pour bien des langues, mais avec des divergences à petite échelle. Ces « petites » divergences peuvent néanmoins générer de graves erreurs de compréhension et de traduction. Celles-ci ne font pas l’objet d’un article, mais quelquesunes ont été décrites dans la littérature : pour les adjectifs de relation, voir Fandrich (1987) et Frevel (2002), pour une esquisse traductologique de l’ensemble des quatre procédés LSP cf. Forner (2000c, 219–234).  





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la narration (sauf des passages visant à évoquer une ambiance spécialisée), avaient eu longtemps la fonction plus générale de signaler un style élevé, que le texte soit spécialisé ou non. Il y a plus : le contenu spécialisé n’imposait point, jusqu’il y a deux siècles, l’absence d’ornements rhétoriques ou poétiques. Et les types de textes qui recueillirent les contenus spécialisés jusqu’au XVIIIe siècle sont aujourd’hui désuets. Quant à la nomination, les fleurs lexicales cueillies par les Lumières proviennent bien du « jardin des racines grecques » (Guiraud 1978, 53), mais cette époque a réussi à en faire un bouquet inédit, un instrument de recherche : « Le mot doit faire naître l’idée ; l’idée doit peindre le fait » (Lavoisier 1787, 162). La même ambition anima les philosophes de l’époque à proposer, à l’image du langage des mathématiques, des modèles d’une langue des sciences idéale, à savoir soit des modèles de nomination « universelle », soit des modèles d’expression.21 Assez de petites révolutions qui ont déterminé l’évolution vers la LSP moderne et qui invitent à des approfondissements – voilà le but de la section IV.  



















4.1 Le « schisme stylistique »  



Les quatre procédés (§3.1), qui aujourd’hui constituent le sous-système LSP – cet « habit » que la narration moderne se refuse d’endosser – ont subi, au cours du XIXe siècle, un changement fonctionnel : si, dans les siècles précédents, le style élevé n’avait été qu’un seul, on en constate deux depuis le début du XXe siècle, l’un pour la narration (même élégante), l’autre pour l’expression de spécialité : un grand écart ! Celui-ci est assuré par les quatre procédés (R1 à R4, cf. §3.1.1) appropriés par le discours spécialisé, mais que les narrateurs esquivent décidément. Ce comportement inverse, moderne, est clairement prouvé par l’analyse fréquentielle comparative que nous venons de citer (c.f. §3.3.3 et l’article ↗13 La fréquence des marques de spécialité). Une autre preuve de cet écart fonctionnel est donnée par la tradition française de l’éducation linguistique : les lycéens ont tous été imprégnés de l’idéal de la linéarité progressive de la proposition française, caractérisée par la succession [sujet thématique] + [verbe] + [complément rhématique]. Or, la succession [cause] + [verbe relateur] + [effet], générée par les procédés R1+R2, s’intègre parfaitement dans ce schéma linéaire – une « construction classique », selon Malblanc (1963, 242). En effet, cette construction est visée par une multitude d’exercices de style contenus dans la Mé 















21 Condillac (1775, Art d’écrire) exige, pour une future langue des sciences, l’homomorphisme : une idée distincte par proposition, et vice-versa, et la réduction de l’hypotaxe, conception qu’il met en œuvre dans son traité sur l’économique politique (1776, Le Commerce). Ce modèle n’aura cependant guère d’impact sur l’expression scientifique future (voir Kaehlbrandt 1999), en contraste avec l’éloquence érudite traditionnelle (le style condensé de Turgot 1766, Réflexions, par ex.). – Quant aux projets d’une « langue philosophique », voir par ex. la description dans Eco (1993, 225–314).  





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thode de stylistique française d’E. Legrand (51973) (de 11922 à 181989), qui a formé toutes les générations françaises du XXe siècle. La Méthode se réclame de « l’atticisme, réunion de l’élégance et de la simplicité » (p. 195). Elle invite les élèves à substituer certains éléments de surface par d’autres ; c’est ainsi que les conjonctions, les syntagmes circonstanciels, les gérondifs parmi les autres seront remplacés par des structures concurrentes parmi lesquelles figurent en foule les nominalisations (R2) et les verbes relateurs (R1). On y trouve par exemple :  











→ Ta ruine entraîne la mienne. (p. 138) → Ce conflit me fournit l’occasion de X. (p. 87) → Votre ardeur à poursuivre la gloire compromet vos intérêts. (p. 101).

(6) Parce que tu es ruiné, je le suis aussi. Dans ce conflit je trouve l’occasion de X. En poursuivant ardemment la gloire, vous compromettez vos intérêts.







Des transformations de ce genre habilitent les élèves – tous ! – à maîtriser ces structures condensatrices. C’est ce qui en explique l’excès fréquentiel (observé depuis 1959, cf. supra, §3.1.3) dans les textes spécialisés français, en contraste avec ceux dans d’autres langues : les ingénieurs, les scientifiques, les journalistes « sérieux », ils ne font que réaliser ce qu’ils ont appris au lycée. Donc, pas de miracle ! Ce qui rend perplexe, cependant, c’est l’attitude des narrateurs ; ils ont suivi les mêmes leçons que les ingénieurs, ils ont exécuté les mêmes exercices de style, ils se sentent sans doute garants du « bon style » français, et, pourtant, ils font du tout pour éviter ce type de condensation. Pourquoi cette abstinence ? Y a-t-il une autre explication que celle d’une charge fonctionnelle jugée incompatible avec la narration ? Ces faits évoquent la question de savoir depuis quand se vérifie cet état de choses. Pour répondre, il faut analyser un corpus de textes spécialisés rédigés à des époques différentes. Ce travail a été effectué par R. Kaehlbrandt (1989) à l’aide d’un corpus de textes académiques sur l’économie politique, pour la période de 1815 à 1984 ; période qui sera subdivisée en cinq tranches, chaque tranche étant représentée par des extraits de trois œuvres. L’analyse révèle la tendance générale à la réduction de l’hypotaxe au profit de structures condensatrices. Quant au style LSP actuel, il apparaît, pour la première fois, dans la tranche de 1930 ainsi que dans les deux tranches successives, tandis que les trois tranches précédentes (de 1890, 1860, 1830) présentent l’ancien standard. Certes, il faudrait corroborer cet intéressant résultat par l’analyse de textes issus d’autres disciplines, et il serait utile de faire la preuve du contraire avec des textes littéraires. Mais, même sur cette base, il semble fort probable que le schisme stylistique soit l’œuvre du XIXe siècle. En effet, jusqu’au début du XIXe siècle, la divergence fonctionnelle entre [spécialité] et [non-spécialité] n’avait aucun reflet au niveau de l’expression, les deux fonctions, écrit Schalk (²1977, 134), se trouvant réunies dans le même concept, celui de « littérature », « comme s’ils étaient deux formes de la même essence ». Le XVIIIe siècle avait déjà réhabilité la réflexion scientifique (que le siècle précédent avait considérée œuvre de « pédant », contraire à l’idéal social de la « bienséance ») ; en plus, le XIXe siècle a vu la « mise en autonomie de la littérature en tant  









































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que art » (Schlieben-Lange/Kreuzer 1983, 19) : deux mouvements centrifuges, une double émancipation (art contre science) revendiquant une distinction au niveau de l’expression ; émancipation susceptible d’expliquer le « schisme stylistique » comme réaction survenue au seuil du XXe siècle.  









4.2 Esquisse des contributions de la section IV On ne s’attendra pas, après ce qui vient d’être dit, à rencontrer, dans les périodes qui précèdent le XIXe siècle, un style de spécialité distinct du style littéraire respectif. Cette observation ne vaut pas, évidemment, pour des schémas textuels préfabriqués et applicables à des situations récurrentes telles que contrats, cens, pétitions, listes, etc. ; on en trouve depuis l’Antiquité.22 La section IV a pour objet, par contre, les moyens d’expression spécialisée non figés qui furent à la disposition des époques du passé. Johannes Kramer (↗18 La langue de spécialité dans l’Antiquité) souligne, pour l’Antiquité, l’absence d’une syntaxe de spécialité : que les contenus spécialisés soient intégrés dans des œuvres non spécialisées (littéraires ou historiographiques), ou bien qu’ils constituent des textes autonomes, ils se servent des mêmes instruments poétiques et rhétoriques que la poésie ou la prose d’art. Les genres textuels sont le poème didactique, le dialogue, la diatribe, la lettre, ou d’autres encore – genres qui nous accompagneront, d’ailleurs, jusqu’au seuil du XIXe siècle. La littérature antique ne manque pas de distinctions entre les formes d’expression : la littérature grecque pratique – jusqu’au quatrième siècle avant Jésus-Christ – une différenciation diglossique (ionien vs. attique) en accord avec le genre littéraire ; l’antiquité tardive latine (surtout Augustin) distingue trois « styles » (dictio submissa / temperata / grandis) qui correspondent à des genres de textes-de réalité-de public, mais non à la dichotomie spécialisé / non-spécialisé. Cette doctrine des trois styles sera léguée à la sensibilité littéraire italienne ; elle est à l’origine de la tripartition de la Divina Commedia de Dante, la dictio grandis continue dans la prose latine et italienne de Dante, de Boccace, et de tant d’autres. Quant au vocabulaire technique, une normalisation terminologique ne semble pas vraiment avoir existé. Les termes techniques grecs ont pénétré les textes latins sous forme de calques (traductions ou paraphrases), mais souvent aussi comme emprunts, malgré la divergence fondamentale de la formation des mots (par ex. κεφαλαλγίa /kefal+alg+ía ‘tête+douleur+suffixe’/, à côté de dolor capitis ‘mal de tête’). C’est cette divergence structurale qui fait que ces emprunts de la  

















22 Cf. pour l’Antiquité byzantine, dont les documents nous sont transmis sur papyrus, l’esquisse de Montevecchi (1988, 82s.). Pour le Moyen Âge, voir par ex. l’analyse de Koch (1988) et l’anthologie de Rockinger (11864).

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composition grecque étaient, dans les textes latins, aussi voyants qu’ils le sont aujourd’hui dans les textes scientifiques. Une seule spécialisation fait exception : les mathématiques (les applications telles la géométrie – l’astronomie – l’ingénierie inclues) ; c’est que cette langue ne fait qu’accompagner les formules ou figures qui, elles, véhiculent la charge informative. Ce type d’expression restera, pendant les siècles à venir, aussi stable que les formules, pour être recommandé, par les philosophes des XVIIe–XVIIIe siècles, comme forme prototypique de l’expression scientifique. Le Moyen Âge des savants – décrit dans l’essai d’Elmar Eggert (↗19 L’expression spécialisée au Moyen Âge) – débute avec un héritage antique : héritage d’une grande partie du savoir (imprégné de foi chrétienne), de l’organisation didactique (triviumquadrivium-artes mechanicae), de la langue (le latin dans les pays occidentaux). Le savoir antique, c’est surtout celui transporté par le néoplatonisme (depuis Plotin jusqu’à St. Augustin), couronné par l’œuvre encyclopédique d’Isidore de Séville. Jusqu’au XIIe siècle, Aristote n’est connu, en Occident, que par les traductions de Boèce. Les vrais héritiers de la culture hellénistique furent les savants arabes. Leurs œuvres en arabe recèlent des connaissances inattendues qui restèrent cependant inaccessibles jusqu’au XIIe siècle, siècle qui a vu de nombreuses traductions en latin ou en castillan. Cette nouvelle connaissance des œuvres d’Aristote engendra, au XIIIe siècle, « une révolution du monde des sciences ». En effet, le XIIIe siècle est le siècle de théories novatrices et des grandes « encyclopédies » ; il est, en plus, le siècle qui voit l’éclosion, à côté du latin, des langues vernaculaires (en partie dans des traductions latin-roman, mais aussi dans des œuvres autonomes). Dans ce renouveau dû à la traduction de textes arabes, l’académie de Tolède joue un rôle précoce et primordial : déjà depuis 1230, de nombreux textes arabes (avant tout scientifiques ou philosophiques) furent traduits en latin ; plus tard, sous le roi Alphonse X, cette initiative assuma des dimensions de grande envergure (comparable seulement à l’œuvre effectuée par l’académie hellénistique d’Alexandrie au IIe/Ier siècle avant Jésus-Christ), avec pour langue cible le castillan au lieu du latin. Pourquoi pas le latin, comme partout ailleurs ? Contrairement à tous les autres états occidentaux, où le latin était le seul « toit » linguistique, le royaume agrandi d’Alphonse avait au moins deux langues de distance : le latin et l’arabe. Ce n’était donc pas le latin qui pouvait assurer l’intercompréhension entre Castillans et Mozarabes, la langue de proximité était le seul refuge. C’est d’ailleurs également en castillan (et non en latin) qu’il fit rédiger la somme juridique de droit romain (les siete partidas, après les fueros reales). Alphonse n’avait pas le choix ! Le choix du castillan fut une mesure d’« aménagement linguistique » du royaume (de nos jours, structuralement comparable à l’émancipation planifiée de certains parlers créoles) ; avec l’effet que le castillan acquit, de bonne heure, un nouveau statut, mutant de langue de proximité en langue de proximité et de distance, précédé en cela seulement par l’occitan. Quant à l’expression « vulgaire », elle montre, dans les textes spécialisés, les traces du « toit » : les termes techniques – pas spectaculaires en latin mais qui  



















































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choquent dans une langue vernaculaire – se trouvent ou expliqués, ou remplacés par des syntagmes, ou exprimés par une création terminologique. Pour ce qui est de la forme textuelle, on remarque souvent, en plus des formules servant à exprimer des structures latines, une « finalité didactique » (répétitions, phrases courtes, etc., par ex. « on doit… » à la place du gérondif latin). Évidemment, il ne s’agit que de la langue-toit qui transparaît (le latin ou l’arabe) ; ce n’est pas une différenciation stylistique due au contenu spécialisé. Et pourtant, les langues vulgaires de l’époque ne manquaient pas de distinctions stylistiques : celle entre le monde courtois et les autres domaines, par ex. ; la vie courtoise s’exprimait non seulement par des traits stylistiques ou métriques, mais encore, dans certaines cultures, par une distinction diglossique : dans la Sicile de Frédérique II, c’était le sicilien dont l’usage écrit se limita à l’amour courtois (en opposition au latin-grec-arabe qui y opéraient sans restrictions) ; dans les états gallo-italiques, c’était l’occitan qui assuma souvent la même fonction ; et le savant roi de Castille – le même qui traita les sciences et même le droit en castillan – se servit du galaïco-portugais pour s’exprimer dans la tradition des troubadours. Les siècles qui suivent approfondiront par l’analyse la vue d’un monde ordonné, d’un « kosmos », et, en plus, – c’est là que la langue entre en jeu – ils rendront transparent cet « ordre » par la dénomination de ses éléments : le « système de la nature » (comme le dira Leibniz 1695) réclama un « système des noms » qui soit à son image, et refusa les noms populaires qui, eux, étaient à l’image du « chaos ». Cet « ordre » du monde, ce « système » se définit – depuis l’Antiquité – par deux approches, soit verticalement par une filiation hiérarchique, représentable par un arbre (« arbor Porphyrii »), soit horizontalement par des analogies qui relient les éléments, appelées « correspondances », témoins de l’omniprésence de « l’Être ».23 Ces deux approches classiques jouent, depuis la Renaissance, un rôle déterminant dans les projets « terminologiques », surtout la représentation « arborée ». Cette hiérarchisation logique fondée sur des oppositions binaires remonte bien à Aristote, mais celui-ci n’a fait que systématiser des binarismes présents depuis les premières cosmogonies.24 Dans le modèle « arboré », tout objet se définit comme « rameau » issu d’une « branche » qui, elle, provient d’une autre « branche », etc., jusqu’au « tronc » : chacune de ces « ramifications » correspond à une distinction et contribue ainsi à la définition de l’objet par genre (« branche ») et par différence spécifique (« rameau »). Tout objet du monde se définit, de ce fait, par la somme des « ramifications » ou « distinctions ». C’est ce modèle ramifié du monde qui est assumé, par la Renaissance, comme modèle nominatif, ce qui produit des noms scientifiquement parfaits, mais qui  



















































































































23 Le « ōn », « ens » dans les métaphysiques d’Aristote et des néoplatoniciens, assimilable à l’« Être Suprème » de la théologie chrétienne, cf. le traité de Thomas d’Aquin « De ente et essentia », vers 1255. 24 La genèse de Moïse par exemple présente le monde comme système d’oppositions binaires dont la hiérarchie est présentée par l’image de journées : [± visible] (1ère journée), [±terrestre] (2e journée), [±solide], [±végétal], etc.  

















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sont, d’autre part, bien peu adaptés aux besoins de la communication spécialisée, vu que ces noms risquent de se faire infiniment polynômes. La solution consista, à l’âge classique, à redéfinir les genres à l’aide de l’observation empirique des espèces (ou observation des « correspondances »), ce qui aboutit à une multiplication des genres et, du même coup, à une réduction des espèces, et par conséquent, à des noms binômiaux. C’est ce « tournant épistémique » (déduction > induction) qui sera repris et perfectionné au XVIIIe siècle par le modèle de Carl von Linné et de ses successeurs modernes. Voilà en principe le « parcours épistémique » que Philippe Selosse présente dans son introduction aux « nomenclatures des sciences nouvelles » depuis la Renaissance, et dans l’article sur la nomenclature botanique (↗20.1 Entre Renaissance et Lumières : les nomenclatures des sciences nouvelles – Botanique), opportunément illustré par les modèles consécutifs des noms des gentianacées. Les autres sciences vont suivre un « parcours » épistémique assez semblable : celui de la nomenclature zoologique, esquissée par Alessandro Minelli (↗20.2 Entre Renaissance et Lumières : les nomenclatures des sciences nouvelles – Zoologie), aboutira aux mêmes binômes genre + spécification, proposés par le même Carl von Linné. La Chimie avait connu, surtout au XVIIIe siècle, un essor spectaculaire : l’article de Bernadette Vincent Bensaude (↗20.3 Entre Renaissance et Lumières : les nomenclatures des sciences nouvelles – Chimie) en présente les traits saillants. La Nature, pourvue d’une « logique » (Condillac), invita à suivre cette logique au laboratoire ; la langue, conçue comme instrument cognitif mais imparfait, dut être perfectionnée selon les mêmes principes. La Nature n’abrite, selon Condillac, que deux types de substances : les substances simples (c’est-à-dire pas réductibles à d’autres substances) et les substances complexes (complexes par addition ou par composition). Quel atout linguistique choisir pour exprimer une « substance complexe par composition » ? Le moyen idéal serait la composition nominale ; mais cette technique de formation des mots est (fut) bien peu développée dans les langues romanes (le latin inclu). Le grec, par contre, en prodigue : la déesse de la sagesse grecque n’estelle pas caractérisée, dans le ciel homérique, par son « regard clair et perçant comme celui du hibou » ? Le terme grec de cette description mise entre guillemets est un seul mot : γλαυκϖπις (/glawk+ôp+is/ ‘hibou+œuil+suffixe’). C’est ce modèle de formation, d’ailleurs déjà présent dans les terminologies scientifiques du latin tardif et puis depuis la Renaissance, qui trouvera un gros débouché dans les nouvelles terminologies, surtout dans celle de la Chimie à partir du XVIIIe siècle. Un deuxième modèle d’expression est la composition syntagmatique – la juxtaposition de deux noms reliés soit par une préposition (N + de + N) soit par l’adjectivation (N + Adj. de relation), où l’adjectivation se signale par un suffixe. Ce suffixe – et c’est là une des astuces linguistiques majeures des nomenclateurs – sera chargé d’un signifié spécialisé. Deux exemples : en zoologie, les suffixes /+aria, +ata, etc./, innocents en latin, se voient chargés de signifiés zoologiques pour désigner deux sous-espèces des lépidoptères ; le suffixe ainsi redéfini sera accolé à une racine qui  

































































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désigne la « spécification » (voir les détails dans l’article de Binelli). La même astuce se trouve dans la terminologie chimique qui différencie par ex. entre « l’acide sulfurique » et « l’acide sulfureux » ; les deux réalités se distinguent par la saturation en oxygène ; l’expression de cette distinction chimique se fait par l’opposition entre les deux suffixes, opposition qui n’a pas été héritée mais créée (pour d’autres exemples voir l’article de Vincent Bensaude). – De telles « recharges » spécialisées affectent également les lexèmes. C’est pourquoi il fallait trouver un fond lexical susceptible de subir de telles modifications, mais sans faire dérailler la communication ; le lexique d’une langue vivante était donc inapproprié ; le lexique antique (latin, et avant tout grec), par contre, était bien le « chantier » dont les pièces furent exploitées (et continuent de l’être) pour les besoins nominatifs, comme un bloc de marbre qui deviendra, sous la main de l’artiste, une statue de Vénus. La terminologie chimique dut guider les recherches de l’avenir. En effet, les principes de composition linguistique permettaient, au niveau des signifiants, la création de plus de 300.000 termes composés, dont les substances, au niveau des signifiés, étaient encore inconnues à la fin du XVIIIe siècle, et n’allaient être découvertes qu’au siècle suivant (cf. Beretta 1999). Passant de la nomination des éléments du savoir aux formes de sa présentation textuelle, l’article de Gerda Haßler (↗21 Entre Renaissance et Lumières : les genres textuels de la création et de la transmission du savoir) passe en revue la foule des genres textuels en usage entre les XVIe et XVIIIe siècles, et désuets en partie à partir du XIXe siècle, ou même déjà à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Il faut bien se garder de considérer les habitudes de mise en texte modernes comme les seuls représentants possibles de l’esprit scientifique, et « d’excuser » les formes du passé par des prétendus objectifs didactiques ou esthétiques ou encore de vulgarisation : ni les ornements rhétoriques, ni la forme dialoguée, ni le cadre épistolaire n’étaient exclus du discours spécialisé ; leur acceptation ou leur refus sont, comme tout en matière de langues, des options purement conventionnelles. La Renaissance adopta volontiers les traditions scripturales des siècles précédents, à condition que la tradition antique ne s’y oppose pas. C’est ainsi que le dialogue resta, pour le contenu spécialisé, ce qu’il avait été dans la philosophie scolastique : le moyen d’expression favorisé. Au XIIIe siècle (et avant), la recherche, l’enseignement, l’entendement des textes tout comme les examens universitaires se basèrent sur des distinctions, voire sur des contradictions : sur l’affirmation et la réfutation d’une thèse (sur le « sic et non », selon le titre du traité d’Abélard de 1123). Le dialogue était la méthode heuristique et en même temps, une forme de texte. Le dialogue entre spécialistes est présent, d’ailleurs, aussi dans les romans courtois, où il est enchâssé dans une « histoire » ayant la fonction d’évaluer des cas de « Fin Amors ». L’amour fut bien une matière philosophique, donc de « spécialité ». Dans ces romans, les « spécialistes » de l’Amour sont souvent des allégories (choix littéraire), mais cela n’empêche que leurs discussions suivent les règles académiques de la casuistique.  































































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C’est bien ce moule textuel scholastique, déjà présent dans l’antiquité grecque et latine (juive aussi, d’ailleurs : Le livre de Job est bien un traité théologique dialogué, enchâssé dans une histoire extraordinaire), qui accueillit, aux XVIe et XVIIe siècles, des théories de tous les domaines. Le dialogue, par rapport aux genres monologiques, répartit les perspectives divergentes d’un problème sur plusieurs parlants, avec l’effet que la « vérité » ressortira pas à pas, progression qui peut faciliter la compréhension; en plus, l’opinion de l’auteur peut se cacher derrière celle d’un des participants (chose importante dans une situation de censure, celle de Galileo par exemple) ; le style peut se permettre d’être moins concis que dans les genres monologiques, sans pour autant être une contrefaçon du parlé. Au dialogue s’ajoutent d’autres genres textuels plurifonctionnels de tradition antique qui peuvent être appliqués, à côté d’autres fonctions, aussi à la communication spécialisée : ce sont des poèmes (appelés alors « poèmes didactiques », nom qui permet de les opposer aux « poèmes épiques ») ainsi que des épîtres rimées (« lettres scientifiques »). L’usage scientifique de ces genres ambivalents se raréfie dès la première moitié du XVIIIe siècle, au profit d’autres genres à fonction unique : c’est l’essai, le traité, le mémoire ; s’y ajoute, naturellement, l’Encyclopédie. Ce « bouleversement de l’architecture des genres textuels au siècle des Lumières », selon les mots de Gerda Haßler, s’explique comme une émancipation du savoir spécialisé : l’auteur savant n’est plus considéré comme étant « pédant » et le public visé n’est plus l’« honnête homme », mais la communauté des savants. Le XIXe siècle ne fait pas, dans ce livre, l’objet d’une contribution. Quelle est sa place dans l’évolution des conventions sur la langue de spécialité ? La tendance de la fin du siècle précédent, celle d’exclure les genres textuels « ambigus », se prolongera. Les trouvailles terminologiques s’avéreront, en principe, efficaces et aboutiront dans des conventions internationales : la standardisation internationale de la nomenclature chimique organique, par ex., fut l’objet, depuis 1860, d’un comité international présidé par August Kekulé. Les autres nomenclatures scientifiques ont effectué un parcours relativement analogue. Les nombreuses Académies nationales ou régionales chargées de la promotion de projets scientifiques, formeront, en 1899, l’Association internationale des Académies. Vers la fin du siècle, les sciences se trouvent établies, les structures pour une coopération internationale sont en place, même si elles subiront des modifications au début du XXe siècle, et puis de nouveau en 1919. La langue qui sert à l’expression de contenus spécialisés, restera fidèle à l’idéal classique de concision ; la langue littéraire, par contre, réagit contre le classicisme par « l’œuvre du romantisme », réduisant les idéaux classiques, ceux de « l’abstraction » et du « sens précis », et cherchant plutôt « le terme pittoresque, l’effet impressif, la couleur, la personnalité et non la norme, l’originalité bien plus que la règle » (Dauzat 1949, 293). Ce divorce entre deux attitudes (écriture littéraire / écriture scientifique) crée déjà une divergence d’expression ; celle-ci semble annoncer, avec le double mouvement émancipatoire discuté au §4.1, le « schisme stylistique » qui l’emportera au seuil du siècle successif.  







































































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5 Remerciements La conception du manuel a été élaborée dès l’automne 2012. Notre souci était d’une part de documenter les pointes de la recherche actuelle en matière de langues de spécialité, d’autre part de donner une place aux domaines moins représentés dans les manuels précédents. Naturellement, nous avons partagé les tâches : Britta Thörle a dirigé les contributions sur les aspects lexicaux et discursifs des langues de spécialité romanes (les deux premières sections du livre), Werner Forner a géré les analyses linguo-stylistiques et leurs applications ainsi que les présentations de quelques stades de l’évolution historique de l’expression spécialisée (les deux dernières sections). Au bout des travaux éditoriaux, nous tenons à exprimer nos sentiments de gratitude à ceux qui ont participé à l’entreprise. En tout premier lieu, nous remercions les auteurs, pour leurs contributions de valeur, et pour la patience avec laquelle ils ont fait suite à nos suggestions. Mareike Göbel a assuré, avec une admirable portion de patience et de compétence, depuis le début jusqu’à la fin, la gestion et le formatage des textes. Stéphane Hardy, avec sa compétence de romaniste et de lectrice de français, a assumé la tâche de corriger les maladresses de langue dans bien des contributions sauf celles évidemment venant de natifs ou qui avaient déjà été corrigées ailleurs. La coopération avec les responsables de la maison éditrice (Rédaction et Production) a été secourable et cordiale : nous remercions Mesdames Ulrike Krauß et Christine Henschel et Monsieur Wolfgang Konwitschny. Dans les textes formatés que nous avions retenus impeccables, les deux éditeurs de la série MRL – Günter Holtus et Fernando María Sánchez Miret – ont cependant réussi à détecter encore quelques irrégularités – qu’ils en soient vivement remerciés ! C’est évidemment le mérite de beaucoup si ce manuel est réussi ; s’il ne l’est pas, cela relève de notre responsabilité à nous. Finalement, à nos lecteurs nous souhaitons que le plaisir de découverte (découverte de faits nouveaux ou d’approches méthodiques jusqu’ici négligées) soit pareil à celui que nous avons nous-mêmes éprouvé en étudiant ces textes et en en préparant l’édition, dans un esprit de coopérativité, d’efficacité et de confiance mutuelle, ce qui mérite un grand merci réciproque.  







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Le lexique

Christian Schmitt

1 Vocabulaire général, vocabulaires techniques et scientifiques et la communication professionnelle Abstract : Avec le Vocabulaire général d’orientation scientifique (V.G.O.S.) le français dispose d’un outil de travail empirique et didactique qui le privilégie dans les études se rapportant aux relations des différents vocabulaires spécialisés modernes et du vocabulaire commun. Pour le domaine des langues de spécialités, cette enquête systématique possède l’importance que connaît incontestablement le français fondamental pour l’enseignement scolaire car il documente, aux niveaux qualitatif et quantitatif, quels sont les éléments qui constituent les rapports entre le fonds commun et les résultats de la morphologie lexicale technique et scientifique. Les études sur le V.G.O.S. ont contribué à élaborer une frange intermédiaire située entre le français commun et les domaines spécialisés et démontré que toute utilisation de la langue dépend de la connaissance de cette couche assez importante composée de verbes et, avant tout, de substantifs d’origine variée caractérisés par un sens particulier dans les différents secteurs ; les origines de ces éléments restent souvent méconnues (comme le prouve l’exemple latin ius1 et 2 ‘droit’ / ‘bouillie’) ; mais, qu’il s’agisse de langues spécialisées traditionnelles ou ultra-modernes et sophistiquées, elles ne peuvent pas se passer de cette frange intermédiaire constitutive.    



Keywords : l’aspect diasystématique des technolectes, la frange intermédiaire entre le commun et le domaine spécialisé, les différentes couches au niveau textuel, le cas spécial du français juridique, le V.G.O.S. comme outil didactique    

1 L’élaboration du français fondamental spécialisé La formation de nouvelles langues professionnelles de plus en plus spécifiques due à l’accroissement régulier des métiers techniques et scientifiques contribue à un élargissement constant des dictionnaires actuels. On trouve même la thèse assez prononcée que « le français moderne, plus précisément le français actuel, est caractérisé par l’imposant développement des langues de spécialités et des langues techniques (technolectes) » et que le « problème sociologique qui prime au XXe siècle est celui des langues spécialisées et des langues techniques qui sont à présent plus intéressantes à étudier que les sous-registres des différentes classes sociales » (Muller 1985, 186). On peut adopter cette vue cum grano salis car il est hors de doute que l’énorme accroissement des entrées dictionnairiques dépend à la fois des mots spécialisés et des internationalismes. Mais cette vue peut cacher un phénomène aussi important que les néologismes et les difficultés auxquelles est confronté tout élève dès la consultation de son premier  







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manuel de mathématiques : il existe à côté des termes scientifiques un vocabulaire plus ou moins général aux œuvres pédagogiques et aux études scientifiques, une sorte de koiné scientifique (Adrados 2001, 261ss.) : le Vocabulaire général d’orientation scientifique (V.G.O.S.) élaboré par une équipe de l’École normale Supérieure de Saint-Cloud, Centre de Recherche et d’Étude pour la Diffusion du Français (CREDIF) (Phal/Beis/ Gougenheim 1971) qui a présenté la première étude systématique au sujet des relations du vocabulaire commun et usuel et des différents vocabulaires spécialisés tant scientifiques que techniques, et réalisé un dépouillement de corpus approprié et suffisant au niveau quantitatif. Tout ainsi qu’il est vrai que les mots spécialisés forment l’élément constitutif et essentiel des langues de spécialités il est aussi un fait indéniable que tout mot du fonds commun peut devenir en même temps un élément constitutif des langues de spécialité (Schmitt 1974, 60ss. ; Zeidler 1980, 288ss.) ; il leur incombe, comme l’a bien documenté Rivenc (1971, 66), la double fonction de relier le vocabulaire foncièrement commun et le vocabulaire spécialisé ; ce vocabulaire de communication et expression scientifiques qui répond « à une attitude intellectuelle, à une façon générale d’envisager et de présenter les choses, c’est-à-dire d’observer, de décrire, d’analyser et de raisonner en accordant une importance particulière à certaines liaisons logiques et à la constatation de certains rapports ». Michéa (in : Phal/Beis/Gougenheim 1971, 8) constitue une sorte de « français fondamental » des textes scientifiques et techniques ; il est connu de tous les lecteurs, mais le décodage crée souvent des problèmes aux seuls connaisseurs du français commun dépourvus de compétences techniques et ne comprenant pas les contextes spécialisés. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que le V.G.O.S. ait peu ou prou les mêmes origines que le français fondamental (Zeidler 1980, 5ss.), et qu’il poursuive, par conséquent, avant tout des intérêts didactiques. Le schéma « solaire » élaboré par Rivenc qui se propose de relier le vocabulaire du français commun non marqué avec le vocabulaire spécialisé des langues techniques et scientifiques a été modifié par Muller (1985, 211) de la façon suivante (voir Figure 1). Ce « soleil » montre un vocabulaire commun ouvert qui contribue à une perpétuelle transformation des langues spéciales (A, B, C …N) qui se recoupent entre elles et s’appuient, en même temps, sur les règles grammaticales caractérisant le français commun ; si bien qu’il est justifié, cum grano salis, de proférer la thèse que les langues spécialisées ne possèdent pas de grammaire propre à elles-mêmes : ce qui les distingue de la grammaire du français commun est la fréquence de l’application de certaines structures basées toutes sur la langue commune. On peut constater, en effet, que les structures de la morphologie lexicale se correspondent sur les différents niveaux et qu’au niveau structural il n’y a pas de muraille de Chine entre les différents niveaux.  

































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Figure 1 : Français commun et français spécialisé.  

2 Aspects et fonctions textuels du V.G.O.S. On peut donc conclure avec Phal/Beis/Gougenheim que ce vocabulaire intermédiaire, qui constitue le vocabulaire de l’activité psychique et de la faculté ayant pour objet la connaissance et l’intelligence des sciences sans distinction des spécialités techniques et scientifiques, permet la compréhension des textes : l’auditeur ou le lecteur, « s’il ignore le ou les emploi(s) ‹ abstrait(s) › de noms comme facteur, fonction, milieu, rôle, etc. ou de verbes comme arriver à (une conclusion), recueillir (des observations), satisfaire à (certaines conditions), etc. et s’il n’est pas capable d’utiliser les structures lexico-syntaxiques de base, son vocabulaire de spécialité lui sera comme un poids mort dont il ne pourra rien faire » (1971, 13). S’il est vrai que satisfaire, recueillir ou arriver sont connus par tout francophone, il faut en même temps admettre que certaines langues scientifiques connaissent des usages étrangers au français commun, que ces verbes peuvent contribuer au statut de texte spécialisé par un emploi ou un sémantisme non connu du français commun tant du point de vue qualitatif que du point de vue quantitatif dans l’expression scientifique. Exempla docent : citons donc, à titre d’exemple, un petit passage d’un manuel portant sur le français scientifique et technique (Masselin/Delsol/Duchaigne 1971, vol. 2, texte 2) :  















« Les effets biologiques des radiations Particules α, particules β, rayons γ, neutrons, tels sont les quatre types de rayonnements nucléaires dangereux. Leur action fondamentale est d’ioniser les atomes, en particulier ceux des corps vivants ; ils produisent donc au point de départ une perturbation physique. Les particules chargées, α et β, sont par elles-mêmes directement ionisantes ; mais γ et neutrons le sont aussi, indirectement : les γ en transmettant leur énergie à un électron qui, éjecté, cause  







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alors des ionisations ; les neutrons rapides en bousculant des noyaux chargés qui, eux aussi, provoquent des ionisations : ils bousculent surtout dans les tissus vivants les légers noyaux d’hydrogène, extrêmement nombreux (les molécules d’eau les composent pour plus de 80 %). Ce phénomène d’ionisation produit à son tour des perturbations chimiques, par exemple les molécules d’eau sont séparées en radicaux isolés et chargés H + et OH – qui déclenchent à leur tour des réactions complexes encore imparfaitement connues. Ces modifications biochimiques provoquent à plus ou moins longue échéance (plusieurs heures, plusieurs jours, plusieurs années) des troubles du corps vivant dont certains sont comparables aux effets de la chaleur, d’autres à ceux de certains virus (leucémie) ».  







Tout spécialiste du nucléaire – français ou étranger – sait ce que signifient les termes spéciaux tels que particules α, rayons, neutrons, électrons, ionisation etc. qu’il retrouve, en général, dans toutes les langues de la Romania et dans les langues germaniques. Mais il ne comprendra pas le sens du texte sans connaissance des verbes ou expressions du français usuel qui permettent de lier les termes spéciaux en même temps que l’expression de la description objective du réel ou de l’énonciation et de la mention de la pensée logique : action, noyau, perturbation, rayonnement, tissu etc. font bel et bien partie du français commun, mais leur valeur sémantique n’est pas la même dans le texte cité ; tout francophone connaît les verbes bousculer, charger, déclencher, éjecter, produire, provoquer, transmettre, etc., mais dans l’extrait ces verbes appartiennent à une frange intermédiaire caractérisée par un sens particulier qui n’est d’ailleurs pas limité aux textes relatifs aux effets du noyau atomique et à la radioactivité. Ignorer ces noms et verbes signifie, par conséquent, ne pas comprendre le texte, alors que la connaissance insuffisante des rapports usuels entre les verbes et les noms correspondants – exemple : produire une perturbation physique – peut être interprétée comme manque de familiarité avec cette couche lexicale intermédiaire ; produire occupe une autre place (hiérarchique) dans le schéma lexical que par ex. causer, faire ou amener. Mais ce n’est pas toujours le nom qui entraîne le verbe attendu, comme l’ont observé Phal/Beis/Gougenheim (1971, 49s.) :  









« Le substantif semble être préféré au verbe chaque fois que, dans l’esprit du sujet parlant, la notion, le processus ou le résultat (‹ anonymes › par définition) l’emportent sur l’action dans laquelle l’homme se met en scène. C’est ainsi que analyse l’emporte sur analyser, accélération sur accélérer, accroissement sur accroître, combinaison sur combiner, frottement sur frotter, etc. Mais dès qu’on sort du domaine de l’expérience pour entrer dans celui de la pensée logique, c’est le verbe qui l’emporte : calculer l’emporte sur calcul, choisir sur choix, distinguer sur distinction, généraliser sur généralisation et généralité, indiquer sur indication, etc. ».  









Certes, on découvre, dans les textes scientifiques et techniques, une fréquence assez prononcée des éléments substantivés, mais le choix du verbe et du substantif dépend, en premier lieu, de la répartition entre les faits de produire un effet et la contribution des opérateurs ou acteurs. La fréquence des substantifs s’explique donc, en partie, par le fait que le chercheur essaie de rester anonyme dans le texte et que les processus sont peu susceptibles d’exercer le rôle d’actants.

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3 Analyse critique et documentaire du V.G.O.S. Les données du V.G.O.S. ont été clairement fondées et élaborées par Phal/Beis/ Gougenheim (1971) qui ont dépouillé un vaste corpus et établi les structures de ce vocabulaire intermédiaire ; leur liste alphabétique (1971, 83ss.) est toujours d’actualité et peut même servir à analyser des textes qui portent sur des domaines scientifiques alors pratiquement inconnus, comme le traitement numérique de l’information ou les fonctions des microprocesseurs. Ce qui n’a pas encore été mis en évidence est l’apport de ce vocabulaire à l’évolution du français, c’est-à-dire l’aspect diachronique de cette frange située entre le français zéro ou commun et les langues spécialisées qui ne connaissent pas seulement des interférences mais aussi des éléments constants caractérisés par une position ferme et durable. Quand on parle de deux personnes qui ont des « atomes crochus » on met en évidence les affinités humaines qui font naître l’attirance personnelle : le terme propre à la chimie ou à la physique nucléaire ou tout simplement à la philosophie des atomistes (qui existe depuis Leucippe et Démocrite) surgit dans les textes en français commun ; par la diffusion des livres d’école et peut-être également des médias ce terme originairement spécial a pu entrer dans le vocabulaire de Monsieur Tout-leMonde, indépendamment de ses sympathies pour ou antipathies contre les sciences naturelles. À l’inverse, des termes tels que fr. appui ‘action d’appuyer, de s’appuyer sur quelque chose’ (fin XIIe siècle) → servitude d’appui ‘servitude qui donne le droit d’appuyer des constructions, des poutres et solives sur le mur du voisin’ (droit) ou appel ‘action d’appeler à haute voix des personnes par leur nom afin d’assurer leur présence’ (1690) → appel des causes à l’audience ‘énumération, par l’huissier chargé du service de l’audience, des causes qui seront plaidées’ (droit) ou ‘action d’appeler sous les drapeaux’, etc. (PRob 2009, 118) n’ont pas été forgés pour servir de termes juridiques. Appel et appui ont connu plusieurs restrictions et spécialisations sémantiques qui leur ont permis de bénéficier de l’entrée dans ces domaines plus appréciés à cause d’un caractère spécifique nouvellement acquis et d’un attachement dont les contours sont marqués et dessinés avec une fermeté sémantique due à la langue des juristes aussi respectée que celle des médecins à laquelle nous devons l’adjectif susceptible ‘sensible’ (vx) qui a pris d’abord le sens de ‘qui peut éprouver, ressentir (une impression, un sentiment)’ et remplace, dans l’acception de ‘qui peut éventuellement’ (PRob 2009, 2479a), dans le discours élevé et soigné, de plus en plus l’auxiliaire pouvoir en parlant des dispositions que quelqu’un a pour faire quelque chose ou du pouvoir ou de l’état que quelqu’un a pour réaliser quelque chose. Les origines nobles de l’adjectif se retrouvent toujours (plus ou moins insensiblement) dans les sèmes qui ne sont pas marqués dans le PRob, et le locuteur natif se rend bien compte des règles d’usage. La frange intermédiaire est typique pour l’emploi de certains verbes factitifs qui permettent de remplacer un des verbes les plus fréquents du français : faire ‘réaliser hors de soi (une chose matérielle)’ (PRob 2009, 1003b–1005b), pour lequel on trouve  













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une somme extraordinaire non seulement de significations mais, avant tout, de synonymes (et antonymes), de définitions qui dépendent (souvent) de différents types de textes et de contextes (souvent indiqués plus ou moins nettement par des citations ou des exemples forgés par les auteurs eux-mêmes) ; ces synonymes d’ordre onomasiologique permettant le décodage et l’encodage suivent un certain ordre chronologique et documentent, par conséquent, la constitution et la formation du champ conceptuel de faire en portant sur les aspects les plus essentiels et mettant l’accent sur les thèmes actuels et les nouvelles acceptions et valeurs sémantiques de l’époque contemporaine. Nous ne pouvons faire mention de toutes les analogies offertes tout ainsi qu’il est impossible de faire l’inventaire de faire comme substitut d’autres verbes, des emplois spéciaux (particulièrement fréquents dans le TLF VIII, 1980, faire 1–4, 595a–610) ou des nombreuses constructions syntaxiques (Giry-Schneider 1978). Ce qui frappe l’œil est le fait que, exception faite de quelques synonymes d’origine populaire (comme établir, composer, engendrer, enfanter, proposer, durer, accomplir, changer, etc.) dont quelques-uns sont marqués comme familiers (piquer, voler, chier, pisser, s’envoyer, ficher, foutre, etc.) la grande majorité des éléments définitoires connaît des origines savantes. Ceci veut dire que le champ onomasiologique actualisé dans les définitions et analogies possède des généalogies qui ont commencé dans les domaines historiquement scientifiques et que l’usage a poussées – avec des sémantismes élargis et généralisés – vers la frange intermédiaire, vers cette bande lexicale polyfonctionnelle ouverte des deux bordures que constitue – pour la plupart des éléments lexicaux – ce que Phal/Beis/Gougenheim (1971) ont désigné le V.G.O.S. Il s’agit – à quelques exceptions près – de verbes d’origine latine entrés en français par l’enseignement ou la lecture des livres. Pour faire, le dépouillement du PRob (2009) nous offre les signes linguistiques analogiques et souvent synonymiques suivants :  



approvisionner causer confectionner construire créer cultiver débiter déféquer déterminer effectuer égaler

équivaloir établir étudier évacuer exécuter extorquer fabriquer imiter instaurer instituer maincurer

(se) multiplier obtenir opérer procréer proliférer prospecter provoquer réaliser simuler transformer uriner, etc. ;  

nous avons même renoncé à énumérer bon nombre d’éléments linguistiques qui se trouvent à l’intérieur des définitions. Inutile également d’insister sur l’apport minimal des adstrats (par ex. récolter < it.) ou superstrats (par ex. gagner < francique) ou des substrats (par ex. changer < celtique). Contrairement à faire qui crée des unités sémantiques avec un nombre illimité de compléments l’attachement de ces substituts à certains compléments reste beaucoup plus régulier et les unités sémantiques sont

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plus stables ; la situation est comparable à un groupe restreint du V.G.O.S. où, « dans le discours, [beaucoup de verbes simples] forment souvent des unités sémantiques avec certains compléments : DONNER (un résultat), EFFECTUER (un calcul), JOUER (un rôle), MENER (une parallèle), PROVOQUER (une réaction), RENDRE (possible), SUIVRE (une direction), TIRER (des conclusions) », etc. (Phal/Beis/Gougenheim 1971, 30). Les verbes de cette frange intermédiaire se caractérisent donc par la liaison avec des compléments favorisés et des combinaisons privilégiées que l’on peut à peu près pronostiquer ; tout enseignant avisé se sentira donc obligé à offrir des unités d’apprentissage dédiées à ce phénomène typique pour les langues scientifiques et techniques étant donné que les dictionnaires de langue ne suffisent pas comme le montre par ex. l’entrée « effectuer » dans le PRob (2009, 823b) :  















« EFFECTUER [efεktчe] v.tr. (1) – affectuer XVe ◊ latin médiéval effectuare, de effectus → effet ▪1 vx Mettre à effet, à exécution. « Si vous effectuez vos desseins declarés » MOLIÈRE. ▪ 2 MOD. Faire, exécuter (une opération complexe ou délicate, technique, etc.). ►accomplir, 1 faire, réaliser. Effectuer une opération, des réformes, une enquête. Effectuer un trajet. – PRONOM(PASS.) L’Inscription s’effectue en deux temps ».  







Dans une telle définition, la richesse des emplois réels n’est que très superficiellement examinée, voire à peine effleurée, et pourtant c’est cette frange intermédiaire qui permet des actes de langage réussis et compétents.

4 Les dimensions du vocabulaire intermédiaire Dans certaines disciplines la scientificité et la technicité des discours ou des textes sont constituées, avant tout, par ce vocabulaire intermédiaire. C’est le cas, par exemple, dans la langue juridique dont se servent les hommes de loi. Le terme latin pour droit, ius, iuris n., peut déjà servir d’exemple instructif : au début, la jurisprudence n’est pas une science du droit mais fait plutôt partie des connaissances humaines sur ce qui est acceptable ou permis par conformité à une convention sociale, à des règles religieuses (par ex. les préceptes du décalogue) ou morales (par ex. l’impératif catégorique de Kant). Selon la Constituante de 1789, les droits de l’homme sont considérés comme droits naturels. Ces origines sont peu connues comme le documentent les dictionnaires du latin où il y a toujours deux entrées indépendantes (même dans le TLL VII, 678–704 ; 704–706) pour ius considérées comme homonymes : ius1 ‘droit’ et ius2 ‘jus’, alors qu’il s’agit de la polysémie du mot ius ‘union’ (Schmitt 2010, 100s.) qui survit aussi comme mot populaire dans le mot français joug ‘pièce de bois qu’on met sur la tête des bœufs pour les atteler’ (< lt. IUGUM ). Il s’agit d’une base indoeuropéenne bien implantée dans de nombreuses langues (IEW 21989, vol. 1, 508) :  









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« ι ̯eu-, ι ̯eu̯ǝ-, ι ̯eu-g- ‘verbinden’ ; ι ̯ŭ-ti- ‘Verbindung’, ι ̯eugos- n. ‘Gespann’, ieug-ter- ‘Anschirrer’, ι ̯ug- ‘geschirrt, Gefährte’ ; ι ̯ugo-m n. ‘Joch’, ι ̯ug-men- ‘Paarung, Joch’, ι ̯ug-ti-s ‘Anschirren’, ι ̯ug-tó‘angespannt’ ; wohl wie 1. ι ̯eu- ‘vermengen’ aus ‘in Bewegung setzen’ entwickelt ; s. auch ι ̯eu-dhund ι ̯eu-ni-. Ai. yáuti, yuváti ‘bindet an, schirrt an’ (auch ‘vermengt’), Partiz. yutá-, yŭtí- f. ‘Verbindung’ (und ‘Mischung’), ni-yút- f. ‘Reihe, Gespann’, yūthá- m. ‘Vereinigung, Schar’, yōtra- n. ‘Strick, Seil’, yūna- n. ‘Band, Schnur’, avayava- m. ‘Glied, Teil’ ; av. yav- ‘sich womit beschäftigen’ (Präs. yavayeiti, Inf. yūto, yūta), yaona- n. ‘Beschäftigung’, yav- (yu-) Adj. ‘haltend, stehend zu jemanden’ = ai. yú- ‘Geselle, Gefährte’ (s. Bartholomae Airan. Wb. 1264f., wo auch über yáv- ‘Dauer’) ; lett. Pl. ju͂ tis ‘Gelenk’ (*Verbindung) ‘Scheideweg’, lit. jáutis m. ‘Ochs’ (‘*der vor den Wagen gespannte, jūmentum’ ; balt. schwere Wz.) ; hierher auch lett. jumis ‘Doppelfrucht, Felddämon’, jùmt ‘(Dach) decken’ (Mühlenbach-Endzelin II 177ff.). Fraglich arm. yaud ‘Verbindung’ wegen des Vokalismus (iran. Lw.?) ».  



















Comme terme de cuisine, cette racine indo-européenne ι ̯eu ‘velouter, rendre doux au toucher comme du velours, mélanger’ s’étend de l’indo-iranien jusqu’en Europe occidentale ; le sens de bouillie (‘aliment plus ou moins épais fait de lait et d’autre liquide et de farine bouillis ensemble’ ou, plus exactement, ‘unis par liant onctueux pour la préparation de diverses sauces’, donc ‘unir ce qui, normalement, ne se réunit pas’) peut servir de tertium comparationis (IEW 21989, vol. 1, 507) :  





« s-St. ι ̯ŏ(u)s-, ι ̯ūs- ‘Brühe’: ai. yūṣ (nur Nom.), yūṣá-, yuṣa- m. n. ‘Brühe’, lat. iūs, iūris ‘Brühe, Suppe’, lit. júšė (*ι ̯ūsiι ̯ā) ‘schlechte Suppe aus Sauerteig mit Wasser durchgerührt’, apr. juse ‘Fleischbrühe’, aksl. jucha (*ι ̯ousā) ‘Brühe, Suppe’, (nhd. Jauche aus dem Westslav.) ; dazu die to-Ableitung nschwed. ōst (*ι ̯ūsto), anord. ostr (sekundäres ǒ) ‘Käse’ und finn.-urnord. juusto, nschwed. dial. ūst ds. vielleicht dazu gr. ζύμη ‘Sauerteig’ (*ι ̯ūsmā oder ι ̯ūmā) und ζωμός ‘Brühe, Suppe’ (*ι ̯ō[u]smos oder *ι ̯ō[u]mos) ».  







Tout ainsi que le cuisinier ou plus spécialement la cuisinière très habile lie des éléments, des substances ou des ingrédients qui sans l’art du métier ne s’associent pas, le juriste a la tâche d’unir des personnes qui vivent en inimitié et qui sont dominées par des sentiments hostiles, d’où l’évolution sémantique jusqu’ici inconnue des latinistes et des romanistes (cf. REW 4633 ; 4610) qu’on peut justifier avec les données de Pokorny :  



« ι ̯eu̯os – etwa ‘Satzung, Fug’ ; vielleicht als ‘Verbindlichkeit’ zu 2. *ι ̯eu-, ‘verbinden’. Ai. yṓḥ n. ‘Heil !’ (nur in Verbindung mit sˊáṃ; zur Form s. Bartholomae Airan. Wb. 1234) av. yaožda-δāiti ‘macht hell, reinigt rituell’ ; lat. iūs ‘Satzung, Verordnung, Recht’ (alat. ious aus *ι ̯ou̯os, vgl. :) iūstus (alat. iovestōd) ‘gerecht’ ; jūrō, -āre ‘schwören’ (alat. wohl in iouesat Duenos-Inschr.), über jūrgō, iniūria ; pe(r)ierāre, ējerāre, dēierāre (tiefstufiges ι ̯ŭsā-) s. WH. I 732ff., EM.2 506 ff. über jŭdex ‘Richter’ s. oben S. 188, WH. I 726 ; air. huisse ‘gerecht’ (*ι ̯us-tι ̯os) » (21989, vol. 1, 507).  

























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Le fait que le vocabulaire culinaire fondamental fait partie du français commun (ou, en général, de la langue non marquée) a certainement contribué à entraver la vue des étymologistes présupposant que les termes juridiques appartiennent à la frange intermédiaire ou même au vocabulaire spécialisé assez éloigné du fonds commun. Le français juridique, cependant, n’est issu ni de l’industrialisation ni de la recherche et des domaines particuliers et spécialisés, de l’activité technique ou de la connaissance ; il présente plutôt le résultat historique du discours humain sur les règles morales et le comportement légitime et correct, sur les principes qui donnent une autorité morale considérée comme légitime. À cette conversation participent, en cas normal, tous les membres de la société ; le juriste doit communiquer avec la société entière, le droit communautaire doit être compris par Monsieur Tout-le-Monde comme le droit pénal ou criminel. Le discours se fait entre initiés ou adeptes, mais y participent également les non-initiés ou profanes qui ne connaissent ni les langues classiques ni le latin médiéval ou le néolatin. Les textes juridiques et les jugements doivent (ou plutôt devraient) être accessibles à tous les citoyens. S’il est vrai que « la langue de spécialité est constituée par les moyens linguistiques destinés à la communication professionnelle » (Stavraka 1993, 221) (trad. CS), la langue juridique se distingue des langues de spécialités classiques, telles que nous les concevons aujourd’hui (Schmitt 1992, 295ss. ; Kocourek 1982, 33ss.), par le fait qu’elle est constituée de façon qu’elle permette le discours spécial sur ce qui est permis, acceptable ou correct par conformité à une règle morale reposant sur un consensus général ou au moins sur l’accord et le consentement de la majorité. Les données historiques expliquent la position particulière du français juridique dont le vocabulaire vient le plus souvent de la langue commune et appartient, en général, à la frange intermédiaire et peut, par conséquent, être atteint et compris par des non-initiés qui ont plus de problèmes avec le caractère traditionnel de cette langue qu’avec les unités lexicales plus ou moins transparentes pour la plupart des locuteurs : c’est ainsi que, par ex., le locuteur qui dispose d’une compétence linguistique native sait que fr. rescrit possède les deux éléments re- et écrit/écrire, mais en général il ne connaît pas le sens exact de rescrit (< lt. RESCRIPTUM ) ‘réponse de l’empereur aux questions adressées par les gouverneurs des provinces, les magistrats’, ou, anciennement ‘ordonnance, décret du roi, de l’empereur’ (PRob 2009, 2211b) puisque l’herméneutique appropriée de ce genre de termes ne peut se faire qu’à partir du cotexte et du contexte. Le latin a joué, comme pour les autres langues romanes, un rôle prééminent jusqu’aux XVe/XVIe siècles, date à laquelle les magistrats et la royauté française ont commencé à favoriser de plus en plus nettement la langue nationale (Gossen 1957) ; mais il ne faut pas oublier que « le français devint la langue du droit » (Brunot 1967, vol. 2, 31s.) et que les Coutumes (cf. Baldinger 1951) sont basées en première ligne sur le français de l’Île-de-France :  























« C’était à la conclusion d’un long mouvement qui avait commencé au XIVe siècle, quand la monarchie se créa, et aussi quand le droit usuel commença à s’écrire. C’est en français que  

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l’administration parla, délibéra, écrivit, en français que furent rédigées les Coutumes. Les résultats n’ont pas été assez mis à la lumière » (Brunot 1967, vol. 2, 31).  



Encore aujourd’hui, la plupart du vocabulaire judiciaire représente des mots savants bien implantés, en même temps, dans la langue commune et doués de sens juridique marqué par la siglaison (DR.) ; exemples : fr. habile (-ité), fr. schéma et fr. objet qui disposent tous d’un sens premier non marqué :  











Tableau 1 : Vocabulaire commun et vocabulaire marqué fr. habile ‘capable, convenable, propre’ (< lt. HABILIS ‘facile à manier’)

MOD.DR. ‘qui remplit les conditions requises pour l’exercice d’un droit’

fr. objet ‘toute chose’ (< lt. scolast. OBJECTUM ‘ce qui est placé devant’)

DR. ‘matière sur laquelle portent un droit, une obligation, un contrat, une convention, une demande en justice’

fr. schéma ‘fig. géométrique’ (< lt. SCHEMA , gr. SK HÊMA ‘manière d’être, figure’)

DR.CAN. ‘proposition soumise à un concile’







Mais il y a aussi bon nombre de mots d’origine populaire qui ont pris un sens juridique par la fréquence des emplois dans les textes respectifs (ex. fruit, maintien, saillie) doués de significations secondaires marquées :  

Tableau 2 : Signification commune et signification marquée fr. fruit ‘revenu, rapport’, ‘produit de la terre, FR UCTUS ) récompense’ (< lt. FRUCTUS

DR. ‘produits que donne une chose à intervalles périodiques, sans altération ni diminution de sa substance’

fr. maintien ‘manière de se tenir, manifestant les habitudes’ (< maintenir, i. e. *MANUTENIRE )

DR. ‘maintien dans les lieux : droit reconnu à certains locataires de rester dans les locaux loués’

fr. saillie ‘action de s’élancer, mouvement soudain’ (< lt. SALIRE )

DR. ‘partie d’un immeuble faisant une avancée sur la voie publique ou sur le fonds du voisin’











Le passage du français non marqué à cette frange intermédiaire est à la fois facile et fréquent : fuite a désigné toute sorte d’action de fuir, tout mouvement de quelqu’un qui fuit. Au moment où le juriste a dû s’occuper d’un délit spécial fréquent dans la circulation des voitures, délit de fuite est devenu – plus ou moins automatiquement – un terme juridique dans le sens de ‘fuite, dont se rend coupable l’auteur d’un accident qui poursuit sciemment sa route’ (PRob 2009, 1111b). Tous les dictionnaires de langue retiennent des exemples analogiques d’entrées qui ont adopté un sens spécial ou qui sont sur le point de s’orienter vers un emploi préférentiel dans une ou plusieurs langues de spécialité. Il suffirait, par ex., que la Communauté Européenne s’occupe  

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Vocabulaire général, vocabulaires techniques

de la législation pour les gens qui ont perdu leur nationalité d’origine pour transformer heimatlos/at en terme juridique marqué (PRob 2009, 1222b). En général, les marques d’usage de plus en plus fréquentes dans les dictionnaires depuis le siècle classique (Popelar 1976) et seulement depuis le XIXe siècle « l’objet d’une codification, au demeurant pas toujours claire ni cohérente » (Glatigny 1990, 7), correspondent plutôt à la compétence linguistique du lexicographe qu’à des critères objectifs ; l’attribution d’un lexème à la large frange située entre le français commun et les secteurs hautement spécialisés est liée à des critères herméneutiques mal définis et à des jugements qu’on peut qualifier de personnels voire d’arbitraires. Il n’est donc pas surprenant que le vocabulaire d’orientation scientifique générale joue dans la grande majorité des publications actuelles un rôle plutôt marginal comme d’ailleurs aussi dans les congrès scientifiques qui sont dédiés plutôt à la « qualité de futurs produits spéciaux lexicographiques et terminologiques » (Jesenšek/Lipavic-Oštir 2012, 436) (trad. CS) qu’à des fins didactiques. Ce phénomène a contribué à une discussion peu féconde qui porte sur le statut du vocabulaire juridique ; pour Cornu, auteur d’un manuel bien connu (82007) la situation semble être claire : « D’évidence, la barrière de la langue est en effet l’obstacle auquel se heurtent ceux qui abordent le droit, ou un droit autre que le leur » (V ; Malinvaud) car on ne peut parler de droit « que dans la langue du droit, pour cette raison très simple que la plupart des institutions et des concepts juridiques n’ont pas de dénomination dans le langage courant » (ibid.). Cette vue est déjà controversée par le dictionnaire même qui commence avec abandon, abattage, abattement, abattoir, etc. et connaît des entrées comme boulangerie, bouquet, bourse, branche, etc. qui se caractérisent par un ou plusieurs sèmes dus à l’usage fait dans les textes juridiques, mais appartiennent profondément avant tout à la langue commune. Pour la plupart des entrées contenues dans le Vocabulaire juridique (Cornu 82007), l’appartenance au vocabulaire spécialisé se présente, par conséquent, comme problème sémantique ; le francophone moyen comprendra facilement la définition de boulangerie « enseigne commerciale réservée aux professionnels qui ont droit à l’appellation de boulanger (sens technique qui, pour protéger l’exercice artisanal du métier, rejoint la définition courante : action de fabriquer et de vendre du pain, et lieu de cette action) » (Cornu 82007, 121b) ; il sera même étonné de trouver le lexème dans un dictionnaire spécialisé, et il aura du mal a comprendre l’aspect juridique et la nécessité de la définition pour bru « Subst. fém. – Bas lat. BRUTES , du gotique [sic] BRUTHS (cf. all. braut : fiancée) ‘belle-fille’. Comp. gendre » (Cornu 82007, 124a). Le nucléus sémantique de bru ‘bellefille’ que le PRob qualifie de « mot vieilli ou régional » (2009, 307b) se trouve sans aucun doute dans le français commun et le caractère juridique se doit au fait que le français juridique comme d’ailleurs aussi le français ecclésiastique est marqué par la tradition textuelle et un certain conservatisme. Le manque d’éloignement du français commun amène l’auteur du dictionnaire à des formules pleines de précautions ; c’est ainsi qu’il admet, en ce qui concerne les termes de la langue française, que ce sont souvent les adjectifs de relation plutôt que les noms qui exercent des fonctions  













































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spéciales et que les limites entre le fonds commun et le vocabulaire général scientifique se caractérisent par des cas douteux, des exceptions et une certaine fragilité :  

« Si l’on entre dans l’hypothèse que le langage de droit présente des marques linguistiques suffisantes pour constituer un langage spécialisé, le postulat est que tout langage de cet ordre se développe nécessairement au sein d’une langue et donc le vocabulaire juridique français au sein de la langue française : raccordement nourricier qui n’invite pas seulement à la comparaison de ce langage spécialisé avec le langage courant ou avec d’autres langages techniques mais qui commande de respecter le génie de la langue à laquelle il appartient dans ses normes et son évolution » (Cornu 82007, VIII).  





En effet, rares restent les entrées du Vocabulaire juridique qui se distinguent nettement des mots communs et les entrées analysables par le seul spécialiste de la discipline, tels que les latinismes intuitu personae (531b), non liquet (616a), ultra vires (941b) qui peuvent être considérés comme quantité négligeable. La formation des termes juridiques connaît le chemin du français commun vers la frange intermédiaire (Schmitt 2010, 98ss.), par l’acquis de sèmes spécialement fréquents dans les textes juridiques, mais la juridicité d’un terme peut s’expliquer aussi par le fait que certains mots ont connu une évolution sémantique en français commun alors que le français juridique a retenu l’usage original dans ses textes avec des fonctions historiques inconnues des non-initiés. Et le changement de terminologisation peut également contribuer à la formation de mots juridiques, comme c’est le cas, par ex., de fr. absolution/absoudre, originairement termes de la liturgie catholique resp. du latin ecclésiastique adoptés dans le droit français, qui ont connu l’évolution sémantique de ‘effacement d’une faute par le pardon ; rémission des péchés accordée par le prêtre après la confession’ à ‘jugement qui, tout en déclarant coupable un prévenu, le renvoie de l’accusation, sa faute ne donnant lieu à l’application d’aucune sanction’ resp. de ‘remettre les péchés de (qqn)’ à ‘renvoyer de l’accusation (un coupable dont la faute n’est pas punie par la loi)’ (PRob 2009, 10s.). La formation des termes juridiques comme d’ailleurs aussi de certains moyens grammaticaux adoptés par le français commun (Klare 1958 ; Raible 1997) ne correspond pas aux règles linguistiques typiques pour la langue technique et scientifique (Kocourek 1982) ; le français juridique se définit avant tout par l’instrumentalisation de la frange intermédiaire, la généralisation et spécialisation d’un usage professionnel et la contribution perpétuelle du français commun à l’usage linguistique des juristes qui peuvent compter sur « l’immense réserve de faits juridiques, faits naturels, sociaux, économiques, politiques, etc. auxquels le Droit attache les effets de droit » (Cornu 82007, IX). Étant donné que le français des juristes ne connaît pratiquement pas de terminologie stricto sensu on peut s’attendre à ce que bien des mots de ce Vocabulaire juridique se retrouvent avec un sens plus ou moins équivalent dans d’autres langues de métiers, et qu’il n’est pas seulement commun à toutes les disciplines juridiques. On retrouve du vocabulaire juridique dans la langue économique et sociologique, souvent  











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difficilement dissociable du droit, au moins pour le sens principal que lui prêtent les sciences qui les concernent (cf. Potonnier/Potonnier 21990) ; inutile d’insister sur le fait que les données d’ordre économique ou sociologique sont souvent standardisées et par conséquent associées à des normes juridiques et ainsi pratiquement inséparables d’aspects que le juriste réclame pour sa profession qui s’occupe également, de plus en plus, et ceci aux niveaux national et européen, des faits naturels, sociaux et politico-sociaux. C’est pour cette raison qu’on a du mal à comprendre et à accepter la position de Cornu qui distingue entre la référence à un élément sémantique rationnel nécessaire et un élément qu’il qualifie de secondaire ou peu pertinent pour le juriste : « […] on retint force majeure, non ouragan […] parce que la juridicité ne leur [c’est-àdire : aux faits juridiques, C.S.] vient que si les traits de leur nature auxquels le Droit attache des effets répondent à des conditions que pose le Droit et donc à une notion juridique qui leur confère un sens au regard du Droit » (Cornu 82007, IX). Il est bien possible qu’un contrat d’assurance fasse une différence relative à la prime ou à la cotisation selon les différents cas de force majeure et qu’un juge doive définir et décider s’il y a eu un ouragan, un tornade, un typhon, un cyclone, une bourrasque, une tourmente ou un autre mouvement impétueux qui a provoqué les dommages survenus par une avarie. Le vocabulaire juridique constitue donc pour la plus grande partie une sorte de vocabulaire général d’orientation scientifique (V.G.O.S.) en ce sens qu’il occupe de nombreuses parties de la frange intermédiaire du français et qu’il dispose – comme par ex. les verbes (se) produire, (se) trouver, aboutir à, partir de, etc. (Phal/Beis/ Gougenheim 1971, 62s.) – de sèmes et constructions dans de nombreuses langues d’orientations scientifiques et/ou professionnelles. La discussion sur le statut du français juridique est due, avant tout, à cette position spéciale qu’occupent, d’une façon moins typique, d’autres sciences humaines marquées par une ouverture vers le français commun. Au fond, les vocabulaires des sciences humaines sont riches en mots qui appartiennent aux bases de l’expression scientifique (comme, par ex., facteur, angle, figure/r, etc.) et il est indispensable de maîtriser ce vocabulaire. Le français commun se trouve en échange perpétuel avec cette frange lexico-syntaxique souvent dotée de sens spécifique(s) servant à enrichir les articulations logiques dans la plupart des contextes possibles (par ex. au niveau de, à l’aide de, par rapport à, etc.). L’interpénétration du français commun et du vocabulaire d’orientation scientifique peut également contribuer – le plus souvent par la lecture mais aussi par la voie orale – à la réactivation intentionnelle de termes qui étaient sortis du français commun (Muller 1985, 74ss.), mais il est également possible que ces termes soient dus à l’échange linguistique oral. L’étranger sera certainement surpris d’entendre que bien des jeunes Français utilisent plutôt le verbe (se) désaltérer que le verbe irrégulier boire. Qui croit qu’il s’agit là d’une renaissance de La Fontaine due à l’enseignement scolaire et d’une intertextualité d’un poème du Castelthéodoricien parlant « d’un agneau [qui] se désaltérait dans le courant d’une onde pure » se trompe certainement : apprendre  















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par cœur n’est plus à la mode ni d’actualité ; il s’agit plutôt d’une reprise par la publicité : toute la France sait « qu’avec [une boisson peu française] on se désaltère le mieux… » ; d’où la réactivation inconsciente et spontanée d’un verbe un peu délaissé qui a persisté dans cette frange intermédiaire et possède l’avantage d’être plus régulier que boire.  









5 Valorisation du V.G.O.S. Avec l’élaboration du V.G.O.S. due au CREDIF qui a fait dépouiller systématiquement un vaste corpus de manuels de sciences naturelles, sciences humaines et sciences de la vie sociale le français dispose d’un outil de travail privilégié (comparable au français fondamental, base de toute pédagogie linguistique) qui doit servir de base pour l’enseignement. Ces études doivent être étendues sur tous les domaines du savoir humain ; toute actualisation et tout élargissement sont susceptibles de rendre de grands services aux professeurs des cours spéciaux – pour francophones ou étrangers – et aux étudiants désirant un accès rapide à des textes spécialisés qui restent toujours en marge de l’enseignement secondaire.  

6 Bibliographie Adrados, Francisco R. (2001), Geschichte der griechischen Sprache von den Anfängen bis heute, Tübingen/Basel, Francke. Baldinger, Kurt (1951), Die Coutumes und ihre Bedeutung für die Geschichte des französischen Wortschatzes, Zeitschrift für romanische Philologie 67, 3–48. Brunot, Ferdinand (1967), Histoire de la langue française des origines à nos jours, vol. 2, Paris, Colin. Cornu, Gérard (82007), Vocabulaire juridique, avant-propos de Philippe Malinvaud, Paris, Quadrige/ PUF. Giry-Schneider, Jacqueline (1978), Les nominations en français. L’opérateur « faire » dans le lexique, Genève, Droz. Glatigny, Michel, coordonné et présenté (1990), Les marques d’usage dans les dictionnaires (XVIIe–XVIIIe siècles), Lille, Presses Universitaires de Lille. Gossen, Carl Theodor (1957), Die Einheit der französischen Schriftsprache im 15. und 16. Jahrhundert, Zeitschrift für romanische Philologie 73, 427–459; Nachtrag, 485. Guiraud, Pierre (1968), Les mots savants, Paris, Presses Universitaires de France. IEW voir Pokorny (21989). Jesenšek, Vida/Lipavic-Oštir, Alja (2012), Lexikographie der Fachsprachen, Print- und digitale Formate, Fachwörterbücher, Datenbanken, Lexicographica 28, 429–436. Klare, Johannes (1958), Entstehung und Entwicklung der konzessiven Konjunktionen im Französischen, Berlin, Akademie-Verlag. Kocourek, Rotislav (1982), La langue française de la technique et de la science, Wiesbaden, Brandstetter. Masselin, Jacques/Delsol, Alain/Duchaigne, Robert (1971), Le français scientifique et technique, vol. 2, Paris, Larousse.  









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Muller, Bodo (1985), Le français d’aujourd’hui, Paris, Klincksieck. Phal, André/Beis, Lucette/Gougenheim, Georges (1971), Vocabulaire général d’orientation scientifique (V.G.O.S.), part du lexique commun dans l’expression scientifique, Paris, Didier. Pokorny, Julius (21989), Indogermanisches Wörterbuch, 2 vol., Bern/Stuttgart, Francke. Popelar, Inge (1976), Das Akademiewörterbuch von 1694 – das Wörterbuch des Honnête Homme ?, Tübingen, Niemeyer. Potonnier, Georges E./Potonnier, Brigitte (21990), Dictionnaire de l’économie, du droit et du commerce, Wiesbaden, Brandstetter. PRob (2009) = Le Nouveau Petit Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, texte remanié et amplifié sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, Paris, Le Robert. Raible, Wolfgang (1997), Die Bildung neuer Konjunktionen. Ein Rückblick auf die Dissertation von Johannes Klare, in : Maren Huberty/Claudia Perlick (edd.), Studia historica romanica, in honorem Johannes Klare, Bonn, Romanistischer Verlag, 41–59. REW = Wilhelm Meyer-Lübke (31935), Romanisches Etymologisches Wörterbuch, Heidelberg, Winter. Rivenc, Paul (1971), Lexique et langue parlée, in : André Rigault (ed.), La grammaire du français parlé, Paris, Hachette, 52–69. Schmitt, Christian (1974), Die Sprachlandschaften der Galloromania. Eine lexikalische Studie zum Problem der Entstehung und Charakterisierung, Bern/Frankfurt, Lang. Schmitt, Christian (1992), Español : tecnolectos, in : Günter Holtus/Michael Metzeltin/Christian Schmitt (edd.), Lexikon der Romanistischen Linguistik (LRL), vol. 6,1, Tübingen, Niemeyer, 295–327. Schmitt, Christian (2001), Wörter und Sachen, in : Günter Holtus/Michael Metzeltin/Christian Schmitt (edd.), Lexikon der Romanistischen Linguistik (LRL), vol. 1, Tübingen, Niemeyer, 235–292. Schmitt, Christian (2010), Französisches Recht, in : Roswitha Fischer (ed.), Sprache und Recht in großen europäischen Sprachen. Juristische Begriffsbildung im Spannungsfeld zwischen Fachsprachlichkeit und allgemeiner Verständlichkeit, Regensburg, Universitätsverlag, 91–115. Stavraka, Maria (1993), Sach- und Sprachnorm in der französischen Rechtssprache, Frankfurt et al., Lang. TLF (1971–1994) = Trésor de la langue française. Dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe siècle. 1789–1960, 16 vol., Paris, Klincksieck/Gallimard. TLL (1901-) = Thesaurus linguae Latinae, Leipzig et al., Teubner et al. Zeidler, Heidemarie (1980), Das « français fondamental (1er degré) ». Entstehung, linguistische Analyse und fremdsprachendidaktischer Standort, Frankfurt am Main et al., Lang.  





























Teresa Cabré

2 La terminologie Abstract : La terminologie a connu un développement systématique au cours des dernières décennies menant une réflexion profonde sur ses principes, ses fondements et ses méthodes et, par-dessus tout, obtenant la reconnaissance sociale et politique tant sur le plan national qu’international. La terminologie comme discipline dont l’objet est l’étude et la compilation des termes spécialisés est passée très récemment d’un stade amateur à un stade scientifique.    

Keywords : texte spécialisé, unité terminologique, discours de spécialité, Théorie Communicative de la Terminologie, travail terminologique    

1 Introduction La communication spécialisée thématiquement diffère de la communication générale, ou de la communication spécialisée pour d’autres causes, pour ses conditions énonciatives. Ces conditions affectent le discours et les textes tant en ce qui concerne la forme que le contenu. La connaissance spécialisée, diverse par sa thématique et par son adaptation aux caractéristiques énonciatives, possède une série de spécificités qui la rendent unique. L’une des caractéristiques les plus importantes est sa précision. Le contenu que transmettent les textes spécialisés est précis dans la mesure où il répond à des schémas établis et reconnus par un groupe d’experts. Néanmoins, ce fait ne détermine pas que le contenu sera uniforme et homogène. Un objet de savoir peut être perçu selon diverses positions et donner lieu à des explications complémentaires. Il peut même être soumis à des conceptualisations distinctes et produire des schémas de connaissance différents. Il peut également se transmettre à différents niveaux de complexité selon ses destinataires.  

2 La terminologie dans le discours de spécialité Les caractéristiques énonciatives du discours spécialisé ont été profusément décrites. Dans les trois phases du parcours communicatif (production, transmission et réception), on trouve des points pertinents qui concernent la terminologie. Quant à la production, le discours spécialisé ne peut être produit que si l’on possède une connaissance suffisante de la matière de spécialité. Cette compétence thématique, qui comprend aussi la connaissance des termes adéquats, ne s’acquiert que dans un contexte d’apprentissage, que ce soit un contexte explicite, volontaire

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et conscient, ou plutôt implicite. Dans tous les cas, il faut bien connaître la thématique pour informer sur son contenu. Il est évident que les personnes qui se sont formées en tant que spécialistes dans un contexte académique ou professionnel acquièrent une qualité d’experts ; mais, il existe aussi des groupes qui, pour leur part, ont intériorisé la structure de la matière et peuvent, grâce à des connaissances basiques, exposer leurs idées sur ce sujet ou encore traduire, avec un minimum de sécurité, des textes d’une autre langue. Ces groupes sont considérés comme semi-experts, ayant un grade inférieur à celui d’un étudiant de spécialité qui aspire à devenir un spécialiste. Cependant, quel que soit le niveau de formation, la production d’un texte spécialisé (à un niveau élevé et moyen) exige un degré de compétence inéluctable du sujet et des termes spécifiques au domaine pour s’assurer que la structure conceptuelle de ce domaine n’est pas transgressée. En ce qui concerne la réception, on peut dire qu’il est certain que n’importe qui peut être le récepteur (et non le destinataire) d’un discours spécialisé. Toutefois, ce type de discours est habituellement destiné (d’où le fait que nous parlions de destinataires et non de récepteurs) à un public qui peut discuter du thème parce que son niveau de compétence est égal à celui de l’émetteur (communication d’expert à expert), ou qui cherche à acquérir des connaissances et des savoirs spécialisés pour se convertir en spécialiste, cas dans lequel la communication s’établit entre un expert et un apprenant ou un profane ou quasi-profane à travers un discours de sensibilisation dans lequel seule la partie la plus basique de la connaissance est transmise. Le système de transmission de savoir spécialisé ne présente, en règle générale, aucune particularité en ce qui concerne le canal de transmission. Il existe en tant que discours oral et écrit dans toutes ses modalités et l’information peut être transférée numériquement, indirectement ou directement. De toute manière, les moyens concrets dont nous nous servons pour transmettre la connaissance générale ou spécialisée diffèrent entre eux, de sorte qu’ils génèrent des expectatives selon les genres discursifs écrits ou oraux auxquels ils appartiennent. On peut attendre d’une conférence académique qu’elle traite de thèmes spécialisés. On peut également attendre ceci d’une discussion relâchée au bistrot, mais l’on ne peut espérer que le contenu passe par un contrôle de précision conceptuelle. La communication spécialisée se produit donc dans le contexte d’une matrice d’éléments qui, d’un côté, lui confèrent un caractère spécialisé, et, de l’autre, nuancent l’information conformément aux circonstances communicatives. Le discours qui est produit dans ces circonstances se matérialise à son tour dans des textes considérés comme spécialisés. Les textes spécialisés, conformément à ce qui a été dit jusqu’à présent, sont donc caractérisés par des conditions de type énonciatif, mais également cognitif : la thématique dont ils traitent et la manière avec laquelle celle-ci est traitée. Le contenu d’un texte spécialisé, comme nous l’avons avancé, répond à un schéma conceptuel établi qui, selon que le sujet est plus ou moins stabilisé, peut être plus ou moins uniforme  



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selon le degré de consensus que la question a acquis et peut toujours être abordé selon différentes perspectives. Au-delà de ces conditions, les textes spécialisés se caractérisent aussi par des particularités de type linguistique. C’est à travers l’analyse du texte que nous serons à même de détecter ces caractéristiques, attenantes à deux aspects : à la sélection de ressources grammaticales et à l’agencement formel et grammatical de l’information, et, dans certains cas, à l’apparition de signes non-linguistiques ayant un caractère symbolique ou iconique. La sélection de ressources grammaticales utilisées dans les textes de spécialité n’est pas tout à fait idiosyncratique. Les spécialités s’expriment par le langage et utilisent, par conséquent, la grammaire de la langue dans laquelle elles sont exprimées. Nous parlons de langues de spécialité pour nous référer à l’ensemble virtuel de ressources que les orateurs utilisent pour construire un texte de spécialité. La sélection de l’une ou l’autre des possibilités du système grammatical affecte principalement le lexique, mais aussi, dans une moindre mesure, la morphologie et la syntaxe de la phrase et du texte, et, dans une bien moindre mesure, la phonétique (pas la phonologie) et la graphie (pas l’orthographe). La caractéristique du discours spécialisé qui se détache de ce que l’on trouve dans les manuels de discours est le lexique propre de la spécialité : la terminologie. Chaque matière de spécialité utilise des termes spécifiques qui peuvent être partagés avec d’autres spécialités ainsi qu’avec la langue générale pour représenter linguistiquement les concepts propres à la spécialité. On peut dire que plus une matière est structurée et stabilisée, plus sa terminologie est uniforme et précise. La terminologie contribue à la précision du discours, car chaque terme se réfère précisément à un concept bien délimité et différencié de ceux de la même spécialité, avec lesquels il entretient divers types de relations. Cet ensemble de concepts relatifs constitue ce qui a été nommé structure conceptuelle d’un domaine du savoir. En fait, la structure conceptuelle est le reflet de la façon dont les connaissances sont organisées dans une matière, et, c’est pourquoi, il est dit que c’est essentiellement son épistémologie. La raison de cette mise au point réside dans la nécessité de transférer des connaissances spécialisées sans ambiguïté, ce qui n’est pas toujours le cas. La terminologie contribue à la systématicité du discours spécialisé parce qu’elle est (ou tente d’être) uniforme et réduit la variation à la faveur d’une meilleure sécurité communicative. La variation lexicale (matérialisée dans la synonymie lexicale et dans d’autres types de variantes morphologiques ou syntaxiques) introduit toujours de nouvelles nuances puisque les unités du lexique, en plus d’avoir un contenu révélateur, sont connotées et, enfin, comme l’a montré la linguistique cognitive, « portent une signification » en elles-mêmes, dans le sens que la forme peut, dans de nombreux cas, véhiculer un point de vue concret sur le même concept. En plus de leur précision et de leur tendance à favoriser la systématicité, les textes spécialisés montrent aussi une plus grande tendance à la concision en comparaison  







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avec les textes non spécialisés. Les termes contribuent à cette caractéristique du fait qu’ils sont les unités qui expriment une plus grande densité cognitive par rapport à leur longueur. Une simple comparaison entre un terme et sa paraphrase peut illustrer cette caractéristique. Pour finir, on a souvent dit que les textes spécialisés, en plus d’être précis, tendent à être concis et systématiques et montrent d’autres caractéristiques comme l’impersonnalité et l’objectivité.

3 La conception de la terminologie : des signes semi-artificiels aux éléments lexicaux  

La terminologie naît comme discipline structurée dans les années trente du XXe siècle. À la base de cette discipline, on peut mentionner E. Wüster, le nom le plus représentatif, quoique non le seul, dans le contexte européen. Wüster (1979), ingénieur et entrepreneur, préoccupé par la nécessité de garantir l’efficacité et la communication univoque dans les communications internationales en lien avec la technique, était averti que l’écueil fondamental, pour obtenir ladite univocité, résidait dans les termes, puisqu’une tendance à la diversification dénominative se produisait naturellement dans toutes les langues. Pour Wüster la normalisation pouvait être une solution à cette dispersion et, convaincu de cette idée, il répandit la nécessité de convenir volontairement des standards dénominatifs, c’est-à-dire un seul terme par concept technique dans chaque langue. La normalisation terminologique continue, encore aujourd’hui, à être utile et nécessaire à la communication interlinguistique, essentiellement dans les domaines qui requièrent une grande précision. Dans ce contexte, les termes ont été conçus comme des désignations directes des concepts qu’ils représentaient, déjà au travers de leur forme linguistique ou des formes d’autres systèmes d’expression non-linguistique. En conséquence, et étant donné leur caractère désignatif, ils équivalaient à des noms propres, exempts de sens. Leur caractère d’éléments normalisés leur a été donné par des experts, et ils pouvaient être considérés comme semi-artificiels puisqu’ils étaient le fruit de décisions volontaires. En plus de leur caractère désignatif, les termes établissaient selon Wüster une relation directe avec le concept qu’ils représentaient même s’ils n’avaient pas de sens en eux-mêmes. De fait, ils étaient de simples étiquettes qui désignaient des concepts de spécialités à l’intérieur d’un schéma structuré de concepts de chaque champ thématique ou d’activité. Il est évident qu’une conception de ce type éloignait les termes de leur condition de signes linguistiques et de la terminologie des sciences du langage (en revanche pas des sciences de la communication). La terminologie s’éloignait de la lexicologie, parce que ces deux matières traitaient d’objets distincts. La lexicologie traitait des  

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unités de lexique (que, pour l’instant, nous nommerons « mots » afin de simplifier) qui étaient des signes linguistiques composés d’un signifiant et d’un signifié qui comportaient une part des langues naturelles et possédaient des valeurs pragmatiques associées. Il s’agissait donc d’unités en même temps dénominatives et connotées. Les termes, en revanche, étaient des unités purement formelles de fonction désignative, dépourvues de valeurs connotées associées à l’usage. Les contextes dans lesquels s’utilisaient les termes étaient clairement distincts selon Wüster. Pour mettre encore plus en évidence ces différences, Wüster a, en outre, affirmé que la terminologie et la linguistique étaient clairement séparées tant par leur conception des langues, que par leur vision de la manière dont ces langues évoluaient. Pour Wüster les langues étaient historiques, culturelles et sociales, alors que les langues de spécialité, dont la terminologie faisait partie, se tenaient en marge des circonstances historiques, sociales et culturelles, ou, du moins, ne considéraient pas ces aspects comme pertinents. Pour Wüster les deux matières étaient clairement distinctes du fait que la linguistique concevait le signifié comme inséparable du signifiant, tandis que les termes étaient de pures unités formelles. Pour finir, Wüster considérait que le concept que représentaient les termes était universel et indépendant des langues dans lesquelles il était projeté. En ce qui concerne l’évolution des langues, Wüster a fait valoir que les langues naturelles évoluaient spontanément, tandis que les langues spécialisées le faisaient par intervention puisque leur fonction était prescriptive. Il est évident que cet aspect était crucial dans la séparation de ces deux disciplines. Rien n’est plus éloigné des objectifs de la linguistique que la prescription. L’analyse linguistique se doit d’être descriptive et doit donner raison à l’usage réel de la langue et non aux usages décidés après intervention. Avec cet argumentaire, la linguistique n’a, pendant de nombreuses années, rien voulu savoir sur la terminologie et cette dernière s’est concentrée par dessus tout sur sa légitimation en tant que matière clairement différente, pour sa part, de la linguistique. L’éclosion d’un nouveau programme en terminologie, fruit de certaines nécessités spécifiques, fut le début d’un changement, imperceptible au départ ou tout du moins non théorisé comme tel. C’est avec l’approbation au Québec de la Charte de la langue française que s’est ouvert un nouveau panorama de travail terminologique : la terminologie au service de la promotion d’une langue, la langue française, comme langue propre et officielle d’une région dans le contexte d’un État, le Canada, constitutionnellement bilingue. La terminologie était la composante nécessaire à l’extension de l’usage du français comme langue de travail dans toutes les entreprises et organismes du Québec. De nombreux services linguistiques ont ainsi été créés dans les grandes entreprises afin de pouvoir mettre en place des activités de production terminologique avec pour finalité de mettre à disposition des citoyens la terminologie nécessaire et adéquate en français, et, ainsi, permettre d’étendre l’usage du français dans tous les domaines de la communication.  





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Il semble évident que ce nouveau concept, si éloigné de la scène dans laquelle Wüster conçut la terminologie, ne pouvait pas avoir les mêmes bases que la terminologie au service de la standardisation internationale. L’activité terminologique québécoise trouvait ses fondements dans la sociolinguistique puisque les objectifs qu’elle poursuivait étaient sociaux, et, qu’en conséquence, le schéma normalisateur n’était pas adéquat. La prise en considération des bases culturelles et des conditions sociales du français au Québec ont renouvelé le panorama de la pensée et de l’élaboration terminologiques. Ainsi naquit une nouvelle scène pour le travail terminologique : la terminologie au service de la promotion de langues en situation de minorisation ou de minorité. Cette activité a également permis de mettre en question la validité universelle de la plupart des principes sur lesquels Wüster s’était basé : la description des usages spécialisés a pu mettre en relief la variation et l’intérêt pour la communication spécialisée, au-delà du simple étiquetage, en ouvrant la terminologie à la grammaire et à la pragmatique, et, dans le même temps, comme en témoignent les années quatre-vingt-dix, à la cognition conçue sur des bases culturelles. L’approche sociolinguistique à la terminologie a connu un grand succès aujourd’hui, car l’usage officiel des langues dans leur territoire, mais aussi dans des organismes officiels, est une épreuve de la visibilité des pays dans le monde. Pour aboutir à un usage généralisé, il faut que chaque langue ait des ressources terminologiques disponibles pour rendre possible la communication dans toutes les situations communicatives et pour tous les domaines. Le travail terminologique est donc un facteur clé pour assurer la disponibilité linguistique. À côté de l’expérience terminologique du Québec, d’autres pays ont développé des infrastructures terminologiques à caractère institutionnel dans le contexte de leurs plans d’aménagement linguistique. La Catalogne en Espagne est un des pays où la terminologie est fortement structurée et gérée depuis un Centre officiel responsable de coordonner toute la production de glossaires. Une troisième scène a contribué à l’ouverture de l’activité terminologique au service de nécessités spécifiques. La prolifération d’organisations internationales à caractère économique, culturel ou coopératif a ouvert la porte à une activité énorme en termes de traduction et d’interprétation. Les professionnels de ces organismes avaient besoin d’une terminologie plurilingue pour répondre à leur activité de manière adéquate et fiable. Ce nouveau contexte a fait surgir une approche à cheval sur les deux précédentes : des termes précis étaient nécessaires pour la traduction d’une langue à l’autre, mais également appropriés aux situations distinctes de communication. La pragmatique entre ainsi en jeu dans cette nouvelle scène et, avec elle, le respect pour la variation dénominative (et non purement désignative), toujours sous un certain contrôle qui garantissait l’efficacité communicative dans les sujets de spécialité. D’autres scènes devraient encore apparaître dans le processus de reconnaissance de la terminologie comme pièce nécessaire et incontournable de la communication et de l’expression spécialisées.  





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En premier lieu, en remontant à l’une des origines les plus claires de la terminologie, il faut tenir compte des termes au service de la représentation du savoir et de sa transmission par des collectifs d’experts dans chaque domaine. Pour eux, les termes sont la représentation des concepts de leur discipline, au-delà de leur complexité. Leur désir est celui d’une relation de termes univoques et spécifiques, mais la nécessité de transmettre leur savoir à différents collectifs ayant des niveaux distincts de compétence fait qu’ils produisent un discours plus varié que celui dans lequel ils se reconnaissent. Il est question, dans le fond, de tendre à rendre la terminologie univoque, mais en acceptant que, dans sa transmission, elle perde cette univocité à la faveur de l’intelligibilité avec laquelle augmente la variabilité. En plus de cela, le degré de fréquence de la métaphore comme processus de création de termes nouveaux montre la relation intime qui existe entre la cognition située contextuellement et culturellement et le langage spécialisé. À l’intérieur de cette hésitation entre biunivocité et variation se meuvent également les documentalistes pour qui les outils documentaires doivent reprendre les usages que les experts font dans leur discours, mais, dans le même temps, les unifier, ou les faire entrer en relation, favorisant ainsi un accès à l’information approprié et efficient. La terminologie au service de la divulgation de la science, de la technique et des activités spécialisées en général ferme cette exposition de scènes communicatives dans lesquelles la terminologie joue un rôle indispensable. C’est dans ce contexte que se meuvent les journalistes spécialisés pour qui la variation n’est pas uniquement dénominative, mais fondamentalement expressive au-delà du lexique, et se manifeste au plus haut niveau. Il faut offrir au grand public un discours spécialisé intelligible et, pour ce faire, user d’un langage facile et direct sans transgresser la canonicité du savoir spécialisé. Ceci est le discours qui, dans notre conception, constitue à proprement parler la divulgation scientificotechnique.

4 Les termes, les unités communicatives, cognitives et linguistiques Depuis les années quatre-vingt-dix, le nombre d’études descriptives sur le discours de spécialité et celles plus spécifiquement centrées sur la terminologie n’a cessé d’augmenter, et ce, jusqu’à aujourd’hui. La possibilité d’analyser les termes dans leur contexte discursif réel, en utilisant, pour ce faire, des corpus textuels informatisés, a ouvert la porte à de nouvelles visions de leurs caractéristiques, fonctionnalités et usages réels. Le développement parallèle des sciences cognitives et leur projection dans le langage ont encore ajouté une plus grande richesse aux études terminologiques. Ce changement qualitatif dans l’analyse des termes a été rendu possible par le changement de perspective à travers lequel ont été observés les termes comme objets

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d’étude. Selon mon opinion, l’un des points les plus révélateurs de ce changement a été l’apparition de la légitimité des différents points de vue à partir desquels on peut aborder l’analyse des unités terminologiques. La considération dans le même temps des termes comme unités communicatives, cognitives et linguistiques (ou pour certaines sémiotiques) a permis de formuler un principe, le Principe de polyédricité, selon lequel tout objet de connaissance est par nature polyédrique, et, de ce fait, composé d’éléments, de fondements et de facettes variés. Cette polyédricité est à la base de quatre autres principes : le Principe de multiabordage, le Principe de la description située, le Principe de cohérence et le Principe de focalisation sur l’objet. Le Principe de multi-abordage, qui a été représenté graphiquement dans le modèle des portes (Cabré 2000), offre la possibilité d’aborder la description d’un objet scientifique à partir de différents points de vue ; dans le cas de la terminologie, du point de vue linguistique, du point de vue cognitif et du point de vue de la communication. Ce principe de multi-abordage repose sur un autre principe général qui s’applique à tous les objets scientifiques dont les termes ne sont pas des exceptions : le principe de polyédricité selon lequel un objet d’analyse est un ensemble de facettes interconnectées et articulées entre elles. Voyons un exemple : bitcoin est un terme nouveau qui donne nom à la monnaie virtuelle pour des échanges de type économique à travers l’Internet. Du point de vue cognitif, ce terme correspond à un concept qui fait partie d’un ensemble de types de monnaies dans le domaine de l’économie et, du point de vue social, il renvoie à une unité nouvelle utilisée par des individus concernés par les technologies et le monde virtuel. Tout en respectant la polyédricité inhérente aux termes, mais devant l’impossibilité d’en rendre compte de manière globale et simultanée, intervient un autre principe, celui de la description située selon lequel toute analyse s’effectue depuis un point d’observation déterminé. Revenant à l’exemple précédent du terme bitcoin : situer la description signifie préciser si l’analyste aborde l’étude de cette unité en tant qu’unité linguistique, c’est-à-dire comme une unité lexicale formée par composition de bit + coin avec un sens déterminé, ou bien si elle ou il se situe sur le plan conceptuel et analyse « bitcoin » comme étant un concept faisant partie d’une structure qui regroupe divers types de monnaie. Chaque analyse située suit ses propres théories et modèles, mais, entre ces théories et modèles et ceux qui en découlent, on doit respecter le Principe de noncontradiction, ou Principe de cohérence, selon lequel les modèles utilisés par la description doivent être articulés dans l’ensemble des perspectives. Par exemple, un modèle linguistique purement formel ne pourrait rendre compte de la description de bitcoin, car la relation entre terme et concept s’articule non à travers la forme linguistique, mais plutôt à travers le sens. Pour finir, le Principe de focalisation sur l’objet requiert de l’analyste qu’il spécifie, à l’intérieur de la perspective de l’analyse choisie (Principe de description située), quel  











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est le point précis ou l’étape d’activité de l’objet analysé, sur le ou laquelle est mis l’accent de l’analyse. Le terme bitcoin peut être envisagé ou bien comme une monnaie faisant partie des échanges économiques ou bien comme un objet technologique propre à l’univers virtuel. La diversité de dénominations d’un même concept peut montrer explicitement le point focalisé : si on parle de monnaie virtuelle, la dénomination souligne le fait qu’il ne s’agit pas d’une monnaie réelle ; par contre, l’usage de monnaie digitale met l’accent sur le numérique. Pour tout dire, il semble facile jusqu’ici de justifier la conception de la terminologie, en tant que champ de connaissance, comme une inter-discipline. Ou mieux, un champ de connaissance interdisciplinaire auquel participent les sciences du langage, les sciences cognitives et les sciences de la communication. Cette vision polyédrique, ainsi que la conception également polyédrique de son objet (les termes ou les unités terminologiques), a conduit à la formulation de propositions qui se complètent les unes les autres par leur situation différente, et à une théorie qui essaye de donner les principes basiques de cet objet dans sa globalité. Une des premières réactions à l’universalité et à l’exhaustivité supposée de la théorie de Wüster (Théorie générale de terminologie) est venue du groupe de sociolinguistique de l’Université de Rouen. L. Guespin, sociolinguiste associé à Marcellesi et Gardin, chercheur en discours politique (Guespin/Gardin/Marcellesi 1976), fut l’initiateur de la contestation à l’absence de facteurs sociaux dans la conception de la terminologie. La proposition de Rouen, appelée « socio-terminologie », a été développée par F. Gaudin (1993) et fait valoir que les termes, en tant qu’unités en fonctionnement dans le réel et parts des langues naturelles, sont nécessairement sociales puisqu’elles s’emploient dans des groupes sociaux et circulent dans une société. En tant qu’unités de langues, elles sont également des projections des conditions sociolinguistiques desdites langues. Sur les bases de la proposition de Rouen, signalant des simplifications et des absences dans l’étude de la terminologie jusqu’à présent, se situe la proposition de R. Temmerman (2000), focalisée sur la construction et l’analyse des concepts spécialisés. Cette proposition, dénommée « socio-terminologie cognitive », affirme que le processus de construction des concepts spécialisés n’est pas uniforme et ne se produit pas en marge des conditions réelles des langues, et, de ce fait, que la catégorisation conceptuelle est conséquence de ces dites conditions, qui, à leur tour, ne sont pas statiques dans l’espace et dans le temps, mais évoluent et changent. Plus récemment, la tentative cherchant à expliquer comment est organisée l’information spécialisée dans l’esprit a donné lieu à la proposition de P. Faber et de son équipe (Faber 2012) présentant la terminologie basée sur des frames développés sur les fondements de la théorie lexicale de L. Martín Mingorance (1998) et du projet de représentation de connaissance de Fillmore (2003) (cf. aussi FrameNet 2000–2012). La Théorie Communicative de la Terminologie (TCT), développée par T. Cabré (1992 ; 1999 ; 2003) et les membres de l’équipe IULATERM de l’Institut de Linguistique  



























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Appliquée de l’Université Pompeu Fabra de Barcelone (Lorente 1994 ; Estopà 1999 ; Freixa 2002 ; Solé 2002 ; Tebé 2005 ; Adelstein 2007 ; Suárez 2004 ; Kuguel 2010 ; Giraldo 2008 ; Quiroz 2008 ; Joan 2008 ; Seghezzi 2011 ; Kostina 2010 ; Nazar 2010 etc.), part du modèle des portes et se situe dans la porte du langage, par le fait qu’elle centre son objet d’analyse sur les unités terminologiques conçues comme les unités linguistiques qui font partie du lexique des langues naturelles. Comme nous l’expliquerons ultérieurement, ces unités activent un sens spécialisé dans un contexte pragmatique de caractéristiques déterminées. Les termes, vus depuis la porte du langage, sont des unités du lexique des langues parce qu’ils partagent formellement des caractéristiques identiques et fonctionnent, en général, dans le discours de la même manière que les unités lexicales que nous ne considérons pas comme des termes. Leur phonologie, leur morphologie et leurs possibilités syntaxiques sont identiques. Cependant, comme nous l’avons vu aussi dans le contraste entre les textes généraux et spécialisés, des tendances graphiques, morphologiques et structurelles spécifiques peuvent être observées dans la thématique de différents domaines. Ainsi, par exemple, dans le domaine de la terminologie médicale pouvons-nous observer une systématique manifeste dans la construction d’unités de formes gréco-latines qui, de plus, se répètent dans les termes de la même catégorie ou sous-catégorie linguistique. Autre exemple : du point de vue graphique, nous observons, dans les termes de la biochimie, des unités hybrides composées d’unités linguistiques et d’éléments symboliques empruntés à d’autres langues. À présent, si les termes et les unités du lexique qui ne se considèrent pas comme telles ne présentaient pas de différences, la terminologie n’aurait aucune raison de constituer un champ spécifique de connaissance puisque son objet serait déjà parfaitement décrit comme objet de l’autre matière. La question-clé à laquelle nous devons répondre est de savoir si ces unités, que nous considérons dans des circonstances terminologiques déterminées, détiennent des caractéristiques qui les particularisent, et de savoir dans quel cas se produit cette spécificité, quelles conséquences elles ont dans le discours et comment s’expliquent leur genèse et leur fonctionnement depuis l’appréhension de l’objet de la réalité et sa conceptualisation jusqu’à sa production, sa transmission et la réception du discours. Le processus de production des termes est un trajet dans lequel des opérations ou activités distinctes se succèdent : en premier lieu, à partir de l’observation des objets de la réalité et sur la base d’une sélection de caractéristiques pertinentes sur des objets distincts, nous convertissons cette virtualité en une catégorie conceptuelle qui peut être décrite comme un ensemble de caractéristiques associées à un échantillon de référence. Cette catégorie est mémorisée dans l’esprit en intégrant un réseau de connaissances tissé de concepts reliés entre eux par divers critères. Dans la communication, celui qui produit un discours spécialisé sélectionne une partie de cette connaissance et la projette dans des signes dotés de forme et de contenu. Ces signes, qui correspondent à ce que nous nommons unités terminologiques, peuvent être  





























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décrits par leur forme (la dénomination) et par leur contenu (le sens), et sont, dans le même temps, des unités qui nomment et signifient, comme le montrent clairement les unités syntagmatiques (le terme lave-vaisselle correspond à un objet usuel qui sert à laver la vaisselle). Le contenu d’une unité terminologique ne sature pas complètement l’étendue de renseignements du concept, c’est-à-dire ne correspond pas à la totalité des caractéristiques d’un concept, mais seulement à une sélection d’informations appropriée à chaque acte communicatif. C’est pourquoi nous nous référons au contenu d’un terme dans le discours comme étant son sens. La clé pour expliquer cette sélection de contenu en chaque occasion réside dans les conditions pragmatiques qui dominent la production du discours en particulier, tant en ce qui concerne le domaine thématique dans lequel l’émetteur se situe, que dans la perspective qu’il choisit pour mettre au point la connaissance. C’est pour cela que nous disons que c’est le contexte pragmatique qui est la clé qui active la valeur spécialisée de chaque unité terminologique dans un usage donné. Le sens spécialisé de chaque terme dans le fonctionnement discursif constitue une valeur associée aux unités lexicales. Cette valeur spécifique, actualisée dans un sens spécifique, n’est inhérente à aucune unité en soi si ce n’est qu’elle est conditionnée par l’usage. Il s’agit donc d’une valeur virtuelle qui peut se matérialiser ou pas dans chacune des unités lexicales d’une langue. Les processus de terminologisation (usage spécialisé d’une unité qui, jusqu’à présent, avait été utilisée sans valeur spécialisée) et de déterminologisation (une unité qui avait été utilisée avec une valeur spécialisée et se met à être employée également sans cette valeur) peuvent s’expliquer aisément par cette capacité du lexique à associer une valeur spécialisée selon les circonstances communicatives. En plus de partir de la conception de l’unité terminologique que nous venons de décrire, la Théorie Communicative de la Terminologie repose sur une série de principes parmi lesquels nous désirons en isoler deux : la nécessité d’observer les termes dans un discours réel et représentatif de sa variation communicative et l’acceptation de la variation dénominative et sémantique comme un fait naturel inhérent au langage et à la communication.  

5 Le travail terminologique : méthodologie et technologies  

Jusqu’ici, la terminologie a été présentée comme un champ de connaissances, mais, pour compléter sa description, l’activité pratique de la terminologie est un versant essentiel. Il n’est pas insignifiant de noter le fait que la pratique était antécédente à la théorisation, et que l’activité terminologique (terminographie) est née parce que des nécessités sociales qui la requièrent préexistaient et existent.

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L’activité pratique la plus importante et la plus nécessaire de la terminologie est la compilation des termes dans différents domaines de spécialité, et les ressources les plus fréquentes que la terminologie produit sont des glossaires, du vocabulaire et des banques de données. Sans conteste, l’élaboration de dictionnaires spécialisés requiert, de la part de celui qui les réalise, une formation méthodologique solide. Et ce, pour diverses raisons : En premier lieu, parce qu’elle part de certains principes qu’il faut respecter, parmi lesquels, à titre d’exemple, nous allons en citer sept : – La source naturelle des termes est le discours d’expert, et non les dictionnaires. – Le travail terminologique ne peut se confondre avec le travail de traduction. Les termes ne se traduisent pas, mais se recompilent à partir du discours d’expert. – Le travail terminologique ne coïncide pas avec le travail néologique, en ce qu’il consiste à créer, à importer ou à former de nouvelles unités, sans que cela suppose que la voie du néologisme (et, à l’intérieur de cette voie, l’emprunt à d’autres langues) soit un recours pour remplir un vide dénominatif dans une langue. – Dans la pratique d’élaboration d’un glossaire, la description est indispensable, même si ce travail devient, comme produit fini, une ressource prescriptive. – Les termes d’un domaine de spécialité doivent respecter au maximum la systématicité de ce champ en relation avec la langue dont ils sont issus. – Toute unité terminologique est une unité de forme et de contenu qui s’emploie dans un discours de spécialité. – Les termes ont toujours une source et celle-ci doit être consignée dans la note correspondante.  



En second lieu, l’élaboration de la terminologie en forme de glossaire requiert trois compétences : au sujet du thème de spécialité, au sujet des langues de travail et au sujet de la méthodologie à suivre. Sans ces trois compétences, réunies en un seul professionnel ou distribuées au sein d’une équipe, le travail ne peut se dérouler avec une garantie de qualité. D’autres compétences en termes de documentation et d’informatique peuvent venir compléter les trois compétences antérieures qui sont les basiques. En troisième lieu, le processus de travail terminologique doit suivre une série de phases consécutives qui vont de l’acquisition de documentation, de l’élaboration de la structure conceptuelle, de la création d’un corpus et de la conception d’une base de données avec une sélection adéquate des données qui doivent figurer dans chaque registre, à la correction et à l’édition, et, dans des cas spécifiques, jusqu’à la normalisation du vocabulaire. La première étape de ce processus est la définition du type de dictionnaire à élaborer tant en ce qui concerne son découpage thématique qu’en ce qui concerne les langues qui doivent en faire partie et le choix des informations (sélection et représentation) considérées comme adéquates par les destinataires en admettant qu’ils exis 

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tent. Beaucoup de ces actions peuvent être réalisées à travers l’usage de la technologie appropriée. En définitive, les conditions que le travail terminologique élaboré doit réunir répondent à deux principes clés : le Principe de qualité et le Principe d’adéquation. On ne peut atteindre la qualité que si une bonne documentation est utilisée et si elle suit la méthodologie décrite. Un travail ne sera adéquat que s’il répond réellement aux nécessités des destinataires pour lesquels il a été conçu et pour lesquels a été créé le corpus approprié, en une sélection pertinente des termes et des catégories de données qui doivent illustrer et représenter ces données de façon à permettre à ses destinataires une utilisation agréable et efficace.  

6 Bibliographie Adelstein, Andreína (2007), Unidad léxica y significado especializado : modelo de representación a partir del nombre relacional madre, Barcelona, Institut Universitari de Lingüística Aplicada, Universitat Pompeu Fabra. Cabré, M. Teresa (1992), La terminologia. La teoria, els mètodes, les aplicacions, Barcelona, Empúries. Cabré, M. Teresa (1999), La terminología. Representación y comunicación. Una teoría de base comunicativa y otros artículos, Barcelona, Institut Universitari de Lingüística Aplicada, Universitat Pompeu Fabra. Cabré, M. Teresa (2000), Terminologie et linguistique : la théorie des portes, Terminologies nouvelles. Terminologie et diversité culturelle 21, 10–15. Cabré, M. Teresa (2003), Theories of terminology. Their description, prescription and explanation, Terminology 9:2, 163–200. Cabré, M. Teresa, et al. (2010), Comparación de algunas características lingüísticas del discurso especializado frente al discurso general : el caso del discurso económico, in : Rosario Caballero/ M. Jesús Pinar (edd.), Modos y formas de la comunicación humana : Ways and Modes of Human Communication, Cuenca, Ediciones de la Universidad de Castilla-La Mancha, 453–460. Estopà, Rosa (1999), Extracció de Terminologia : elements per a la construcció d’un SEACUSE (Sistema d’Extracció Automàtica de Candidats a Unitats de Significació Especialitzada), Barcelona, Institut Universitari de Lingüística Aplicada, Universitat Pompeu Fabra. Faber, Pamela (ed.) (2012), A Cognitive Linguistics View of Terminology and Specialized Language, Berlin/Boston, De Gruyter. Fillmore, Charles J. (2003), Form and meaning in language, Stanford, Center for the Study of Language and Information. FrameNet Project [en ligne], Berkeley (California), International Computer Science Institute, 2000–2012, https://framenet.icsi.berkeley.edu/fndrupal/ (20.12.2013). Freixa, Judit (2002), La variació terminológica. Anàlisi de la variació denominativa en textos de diferent grau d’especialització de l’àrea de medi ambient, Barcelona, Departament de Filologia Catalana, Universitat de Barcelona. Gaudin, François (1993), Pour une socioterminologie. Des problèmes pratiques aux pratiques institutionnelles, Rouen, Publications de l’Université de Rouen. Giraldo, John Jairo (2008), Análisis y descripción de las siglas en el discurso especializado de genoma humano y medio ambiente, Barcelona, Institut Universitari de Lingüística Aplicada, Universitat Pompeu Fabra.  

























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Jean Soubrier

3 Les termes d’emprunt dans les langues de spécialité Abstract : L’emprunt a toujours été associé à l’histoire et au développement des langues. Il témoigne des échanges entretenus par les peuples et participe à l’élargissement du vocabulaire de chaque communauté linguistique. Dans les langues de spécialité, l’emprunt s’est souvent imposé comme la solution la plus évidente pour désigner un concept ou une notion apparu dans une culture étrangère. Après un court rappel des principales caractéristiques de l’emprunt lexical tel qu’il apparaît en français, cet article se propose d’étudier la portée de l’emprunt terminologique dans différents domaines de spécialité. Dans le contexte international d’hégémonie linguistique de l’anglais, une attention particulière sera portée à la politique d’enrichissement de la langue française, relayée par les commissions ministérielles de terminologie et de son impact sur les langues de spécialité.    

Keywords : emprunt, langue de spécialité, terminologie, anglicisme, néologisme    

1 Introduction L’édition 2015 de la Semaine de la langue française et de la Francophonie, a eu pour titre « Dis-moi dix mots … que tu accueilles » et elle a été consacrée à la capacité du français à intégrer dans son vocabulaire des mots issus d’autres langues. D’amalgame à zénitude en passant par grigri et kermesse, les dix mots sélectionnés cette année convoquent les nombreuses langues qui ont participé à la formation du français. Cette manifestation rappelle également qu’aucune langue ne peut se suffire à elle-même pour répondre aux besoins de ses locuteurs et que « l’emprunt lexical est aussi indispensable à une langue de civilisation que l’emprunt public au financement d’un état » (Le Bidois 1970, 246). La multiplication, au fil des siècles, des domaines de l’activité humaine s’est accompagnée de l’émergence d’une multitude de langues de spécialité qui ont également emprunté une part importante de leurs terminologies à d’autres langues selon des mécanismes qui doivent être envisagés dans la perspective plus vaste de l’emprunt linguistique en général et de l’emprunt lexical en particulier.  







2 Mécanismes de l’emprunt Le Dictionnaire de linguistique de Dubois donne de l’emprunt linguistique la définition suivante :  

Les termes d’emprunt dans les langues de spécialité

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« Il y a emprunt linguistique quand un parler A utilise et finit par intégrer une unité ou un trait linguistique qui existait précédemment dans un parler B (dit langue source) et que A ne possédait pas. L’unité ou le trait emprunté sont eux-mêmes appelés emprunts » (Dubois et al. 2007, 177).  





Évidemment, ainsi que le rappelait Deroy, « quand on parle d’emprunt linguistique, c’est d’abord aux mots que l’on pense » (Deroy 1956, 67), mais le phénomène ne se limite pas aux seuls éléments lexicaux. L’emprunt peut en effet porter sur les traits sémantiques, syntaxiques, morphologiques ou phonologiques d’une autre langue. Cependant, la majeure partie des emprunts est, de loin, constituée par les mots et ces mots sont autant de témoins des échanges qui se sont effectués dans l’histoire de pratiquement toutes les langues depuis leurs origines. Le français figure naturellement en très bonne place parmi les langues emprunteuses. D’un point de vue statistique, les emprunts lexicaux en français ont fait l’objet de plusieurs études, dont celle de Walter (1997, 17), qui dénombrait un peu plus de 8.000 mots d’origine étrangère dans un dictionnaire de français usuel d’environ 60.000 entrées et 4.192 mots courants d’origine étrangère parmi les 35.000 mots du Petit dictionnaire Larousse de la langue française (soit un peu moins de 13%). Les principales langues d’origine de ces emprunts sont l’anglais, l’italien, le germanique ancien, les dialectes gallo-romans, les langues celtiques, l’espagnol, le néerlandais et l’allemand. Bien d’autres langues sont également concernées par ce phénomène comme l’arabe, le turc et le persan comme le rappelle Rey (2013). L’intégration de l’emprunt dans sa langue d’accueil revêt des formes très diverses. Il peut ainsi conserver sa forme originale (matador, bravo, week-end, ersatz, paella), subir différentes adaptations qui modifient son orthographe (beefsteak devient bifsteck ou bifteck en français, football devient fútbol en espagnol), ou sa prononciation (discount [ˈdɪskaʊnt] devient [disˈkunt] en français). Enfin, il peut subir diverses modifications qui le rendent souvent indétectable dans la langue emprunteuse. En français, des mots d’aspect très familier comme redingote, paquebot ou bouledogue sont en fait d’origine anglaise (riding-coat, packet-boat, bulldog). Il arrive souvent qu’un mot d’emprunt serve de base à la formation d’autres mots dans sa langue d’accueil, selon les règles de la dérivation. Bien qu’elle ne soit pas forcément liée à une adaptation graphique ou phonique, la dérivation est en général considérée comme la marque la plus flagrante de l’intégration d’un emprunt lexical. Ce procédé, par adjonction de suffixes, permet en français la création de verbes (boycotter, interviewer, dispatcher), de noms (designeur, compétitivité, dopage), ou d’adjectifs (stressant, footballistique, budgétaire). Enfin, certains mots, parfaitement intégrés dans la langue emprunteuse, restent souvent perçus comme des mots étrangers, alors même qu’ils ne font que réintégrer leur langue d’origine. Ces emprunts d’un genre particulier sont appelés emprunts aller-retour et ils sont assez nombreux en français. Citons pour mémoire budget de l’ancien français bouge ‘sac’, puis de bougette signifiant ‘un petit sac’, ‘une bourse’. Ce mot est parti en Angleterre au XIe siècle et nous est revenu avec le sens de  





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financement annuel. Le même phénomène se retrouve avec les mots interview, tennis, sport ou bien blue-jean(s).

3 Les causes de l’emprunt Considérons maintenant les raisons qui motivent en général le phénomène de l’emprunt. Les linguistes et les lexicologues s’accordent pour déclarer que l’emprunt lexical est, dans la majorité des cas, dicté par une nécessité, un besoin : « On n’emprunte raisonnablement que ce dont on manque » (Deroy 1956, 137). Cette nécessité se fait sentir lorsqu’il s’agit de nommer dans une langue, une réalité nouvelle n’existant initialement que dans son pays d’origine. La découverte de cette réalité étrangère s’accompagne presque toujours d’un emprunt de mot qui vient combler une lacune de la langue emprunteuse. C’est ainsi que sont venus à nous des mots désignant des plantes ou des animaux inconnus. Par ex. : tomate, chocolat, cacao, abricot, pastèque, loukoum, gazelle, fennec, puma, chacal, etc. C’est également le cas des termes relatifs à l’alimentation, à l’habitat, aux modes de vie ou plus généralement à des éléments culturels étrangers. Par ex. : pizza, paella, chorizo, punch, saké, sushi, paprika, goulache, blini, bonsaï, cow-boy, sumo, matador, etc. Le besoin linguistique à l’origine de l’emprunt se fait également sentir lorsqu’une communauté linguistique possède sur les autres une supériorité marquée dans un domaine matériel ou intellectuel. Il s’établit alors un courant d’emprunts qui tend à rétablir un équilibre, en introduisant dans la langue emprunteuse, des termes correspondant à des objets ou des concepts nouveaux. Par conséquent, plus une communauté linguistique sera en avance dans un domaine donné, plus elle aura tendance à exporter les termes correspondant aux divers éléments de ce domaine. Ce principe s’est vérifié au cours de l’histoire et il est possible de repérer, dans le vocabulaire d’une langue, les influences successives des différentes nations qui ont dominé le monde. Ainsi, au Moyen-Âge, la langue arabe était le principal vecteur de connaissances scientifiques et nous lui avons emprunté des mots comme chiffre, zéro, algèbre, alcool, azimut, zénith. À la Renaissance, c’est l’italien qui s’impose comme la langue des arts (artisan, bronze, galbe…), de la musique (piano, adagio, opéra…), du spectacle (ballet, burlesque, cavalcade…), ou encore de l’économie (banque, bilan crédit, douane…). Au XVIIe siècle, le français, auréolé du prestige artistique, littéraire et scientifique de la France sous le règne de Louis XIV, s’impose comme langue diplomatique et comme langue seconde dans toutes les cours d’Europe. Depuis le début du vingtième siècle, c’est l’anglais qui a acquis le statut de première langue internationale de communication et qui est devenu le premier exportateur de mots à destination de toutes les langues du monde. Ce phénomène,  











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qui s’est accru depuis ces cinquante dernières années, découle pour l’essentiel de l’avance américaine dans les domaines techniques et scientifiques ainsi que de la puissance financière des États-Unis. Le prestige dont jouit la culture nord-américaine entraine parfois un phénomène de mode difficile à maîtriser. Nombre d’emprunts sont ainsi utilisés couramment en français alors que leurs équivalents français existent. Fervent défenseur de la langue française, Hagège (2006) dénonce avec véhémence cette pratique qui, selon lui, met en péril l’intégrité de la culture française :  

« La situation devient grave quand certains se convainquent de l’infériorité de leur propre culture. Or nous en sommes là. Dans certains milieux sensibles à la mode – la publicité, notamment, mais aussi, pardonnez-moi de vous le dire, le journalisme – on recourt aux anglicismes sans aucune raison. Pourquoi dire planning au lieu d’emploi du temps ? Coach au lieu d’entraîneur ? Lifestyle au lieu de mode de vie ? Challenge au lieu de défi ? » (Hagège 2012).  











Il semble effectivement que les francophones de France éprouvent un attrait tout particulier pour la langue anglaise au point de créer des mots de forme anglaise qui ne sont jamais utilisés dans les pays anglophones. Ces pseudo-anglicismes, ou fauxanglicismes sont des unités lexicales formées à partir d’un ou plusieurs morphèmes anglais mais qui ne figurent pas tels quels dans la langue anglaise. C’est le cas entre autres de pressing (dry cleaner’s), tennisman (tennis player), brushing (blow dry), camping-car (motor-home, ou camper). Cependant, certains trouveront la position de Hagège, dans le droit fil de la pensée d’Étiemble (1964), quelque peu excessive, car les emprunts dus à un effet de mode ne se lexicalisent pas durablement. Qui parle encore de drink, de surprise-party, de dancing ou de hit-parade ? Par ailleurs, afin de relativiser l’anglicisation de notre langue, il convient de rappeler que différentes études, menées sur des corpus très volumineux tirés de la presse écrite s’accordent à reconnaître que la proportion de mots empruntés à l’anglais et utilisés dans la langue courante depuis les années 1960, se situe entre 0,6% (Rey-Debove/Gagnon 1980 ; Forgue 1986) et 1,7% (Bogaards 2008). Après ce rappel des principaux aspects de l’emprunt lexical, il convient maintenant de s’interroger sur la portée de ce phénomène dans les langues de spécialité.  



4 Langues de spécialité La langue commune, ou langue générale est souvent définie par opposition à la langue de spécialité ou langue spécialisée. Pour Rondeau, la langue générale est constituée par « l’ensemble des mots et expressions qui, dans les contextes où ils sont employés, ne se réfèrent pas à une activité spécialisée » (Rondeau 1991, 24). L’appellation « langues de spécialité » n’est pas à proprement parler exacte puisqu’il ne s’agit pas d’une langue autonome, indépendante de la langue commune.  







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On devrait plutôt envisager une langue de spécialité comme « une langue naturelle considérée en tant que vecteur de connaissances spécialisées » (Lerat 1995, 20). Il n’y a pas, en effet, un français ou un anglais de l’électronique qui ne serait pas immédiatement identifiable comme étant du français ou de l’anglais, indépendamment de la terminologie employée. Cependant, ainsi que le rappelle Cabré (↗2 La terminologie), c’est l’utilisation d’une terminologie « qui permet de faire la différence entre la langue commune et la langue de spécialité » (1998, 147). Par conséquent, il importe de souligner que les unités linguistiques empruntées dans le cadre des langues de spécialité, ne sont pas des mots mais effectivement des termes dans la mesure où elles désignent, dans une relation bi-univoque, des concepts clairement définis au sein d’un même domaine. Les langues de spécialité se distinguent également de la langue commune par le volume considérable de termes qu’elles recèlent. Un dictionnaire de français usuel compte environ 50.000 entrées et ce chiffre s’élève à environ 100.000 entrées pour le Trésor de la langue française. La somme de toutes les entrées des domaines techniques et scientifiques se calcule en millions d’entrées qui augmentent chaque année de plusieurs milliers afin de désigner les notions et les réalités nouvelles qui apparaissent dans tous les domaines de l’activité humaine.1 Par ailleurs, le vocable « langues de spécialité » recouvre une réalité extrêmement hétérogène. Quelles similitudes peut-on trouver entre le domaine de la physique nucléaire, dont les termes ne sont compris que par les seuls spécialistes de la discipline et le domaine du commerce ou de l’économie dont une partie des termes sont familiers du grand public ? Au sein d’un même domaine ces différences existent, et il est difficile de comparer les termes médicaux utilisés en ophtalmologie, en cardiologie ou en psychiatrie. Il convient également d’ajouter que les différents domaines de spécialité ne sont pas tous concernés de la même manière par le phénomène de l’emprunt. Le domaine du droit, par exemple, est très fortement ancré dans une tradition romano-germanique. Il fonctionne de manière autonome et il est peu sensible aux termes étrangers relevant du droit coutumier anglo-saxon (Common Law), à l’exception toutefois du droit comparé et du droit international. En revanche les domaines du commerce international, de l’économie, de la gestion ou de l’informatique sont en prise directe sur l’anglais, la nouvelle lingua franca de la communication internationale.  

















1 Cf. DGLFLF (http://www.dglflf.culture.gouv.fr/).

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5 L’anglais, langue de la communication internationale Quelque soit le domaine concerné, les conditions dans lesquelles s’effectue l’emprunt terminologique sont, en de très nombreux points, identiques à celles qui régissent l’emprunt lexical. Ainsi, lorsqu’une communauté linguistique est en avance dans un domaine particulier du savoir, elle se trouve en mesure d’exporter les termes propres à ce domaine et elle est à l’origine d’un courant massif d’emprunts dans les autres langues. Mais, de tous ces courants d’emprunts enregistrés dans l’histoire récente des langues en occident, aucun n’a jamais connu une ampleur semblable à l’afflux de termes anglo-américains qui déferlent aujourd’hui sur toutes les langues de la planète. Les emprunts terminologiques à l’anglais, dans les langues de spécialité, sont indiscutablement liés à la puissance économique des États-Unis qui règnent sans partage sur le monde occidental depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. À partir de cette date, l’Amérique va s’imposer aux autres nations, comme le modèle de la réussite et de la modernité et ce sont les universités et les laboratoires américains qui vont désormais contribuer le plus massivement aux avancées scientifiques, techniques ou commerciales de la seconde moitié du XXe siècle. C’est ainsi que l’hégémonie économique américaine a engendré un impérialisme linguistique et culturel sans précédent, auquel le français, pas plus que les autres langues, ne peut échapper (Soubrier 2008, 152). Dans le sillage de la supériorité économique et technologique des États-Unis, l’anglais s’est aujourd’hui imposé comme la langue de travail de la plupart des colloques internationaux, toutes disciplines confondues, et aucun chercheur ne peut raisonnablement prétendre à une quelconque notoriété s’il ne publie pas ses travaux en anglais. Ce phénomène s’est encore amplifié avec l’apparition, en 2003, du classement de Shanghai, qui intègre, dans ses critères, les publications dans Nature et Science, deux revues scientifiques de langue anglaise. Quant aux entreprises, il n’est pas rare qu’elles tentent d’imposer à leurs salariés francophones, l’anglais comme langue unique de communication au risque de causer une sérieuse baisse de productivité, comme le rappelle Hagège (2013, 78), à propos d’une décision prise en 1999 d’imposer l’anglais pour la communication, au niveau des cadres, entre toutes les succursales de l’entreprise Renault. Il n’est donc pas surprenant de constater avec Prado (2005, 35), que « les grandes langues occidentales ne cessent de reculer dans la communication scientifique et technique, et ce au profit de l’anglais ». Laux (2010, 9) souligne aussi très justement que la situation est encore plus préoccupante dans les pays scandinaves et aux PaysBas qui connaissent « plus qu’ailleurs un phénomène de ‹ perte de domaines › […] car les disciplines scientifiques et techniques sont exclusivement enseignées en anglais, langue dans laquelle la littérature locale est désormais rédigée ».  













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6 Emprunt et encadrement linguistique Toutefois, cette situation se présente en France dans un contexte sensiblement différent dans la mesure où elle se heurte à une très forte et ancienne tradition d’encadrement et de normalisation de la langue. Depuis l’ordonnance de VillersCotterêts éditée par François Ier en 1539 qui imposa le français comme langue officielle du droit et de l’administration à la place du latin, jusqu’à la Constitution de 1958 qui reconnaît, dans un article ajouté en 1992, le français comme langue de la République en passant par la fondation de l’Académie française en 1635, la France s’est inscrite depuis des siècles dans un mouvement de centralisation linguistique. Afin de limiter la présence prépondérante de l’anglais dans la plupart des secteurs d’activité, les interventions politiques et institutionnelles se sont multipliées à partir des années 1970 pour soutenir et promouvoir le français tant en France qu’à l’étranger. Citons, entre autres, la mise en place en 1972 des commissions ministérielles de terminologie (CMT), l’obligation d’utiliser le français pour l’étiquetage des produits et pour la publicité et surtout la loi Toubon de 1994, qui impose l’utilisation de la langue française dans tous les domaines de la communication commerciale ainsi que dans tous les textes régissant les contrats de travail. À partir de 1996, un nouveau dispositif d’enrichissement terminologique s’est mis en place sous la direction de la Commission générale de terminologie et de néologie qui coordonne les travaux de dix-huit commissions spécialisées de terminologie et de néologie (CSTN) (Soubrier 2008, 148s.). On peut bien sûr douter de l’efficacité d’un tel dispositif car une langue ne se régit pas par décrets ministériels et ceci en dépit de certaines réussites terminologiques très souvent citées : ordinateur, logiciel, progiciel, cédérom, puce (électronique), V.T.T., monospace ou encore baladeur. L’anglicisation des langues de spécialité est un fait avéré mais dont l’existence ne relève pas uniquement de facteurs linguistiques.  

7 Nécessité de l’emprunt En effet si l’on se place dans une perspective terminologique, l’expression ou la traduction d’un concept scientifique ou technique est toujours possible quelle que soit la langue. Les éléments de nomination du terme en langue d’arrivée ne correspondent pas toujours aux éléments conceptuels du terme en langue source mais la relation au concept peut s’établir tout en respectant les critères de transparence et d’intégration dans la langue d’arrivée. Le terme strength of materials, du domaine de la physique, se traduit en allemand par Festigkeit et par résistance des matériaux en français. Le terme français ne dit pas exactement la même chose que l’anglais et l’allemand car il s’inscrit dans un décou-

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page différent de la réalité propre aux langues latines (Soubrier 2009, 102) mais la valeur dénotative du terme est absolument identique. Dans le domaine de l’automobile, la traduction des termes hub cap et number plate par enjoliveur et plaque d’immatriculation renvoie bien à des référents identiques dans les deux langues mais présente l’avantage d’être parfaitement intégré à la vision francophone du monde. Enfin rappelons que l’hybride gréco-latin télévision est utilisé sous une forme similaire dans le monde entier mais pas en Allemagne où on lui a préféré le calque Fernsehen. La question de la nécessité comme cause première de l’emprunt terminologique semble donc relativement contestable, ou du moins faudrait-il établir une distinction entre la nécessité stricte et la nécessité relative (Soubrier 1985) comme justification de l’emprunt.

7.1 Emprunts de nécessité stricte Les emprunts de nécessité stricte, souvent appelés emprunts dénotatifs, servent à désigner des réalités étrangères inconnues dans la langue et la culture d’accueil. Employés à l’écrit, ils peuvent parfois bénéficier de notes ou de renvois susceptibles d’éclairer le lecteur sur leur signification, par référence à un équivalent français approximatif, mais qui ne constitue en aucun cas une traduction. Ainsi lorsque l’on parle dans le domaine des affaires de Private Limited Company, on désigne une réalité du système juridico-économique britannique définie par le Company Act de 1948 et qui par définition ne possède pas de traduction. On peut éclairer le sens de ce terme en rappelant que cette forme de société a un certain nombre de points communs avec les S.A.R.L. françaises. Compte tenu de l’internationalisation des échanges commerciaux, au sein desquels les États-Unis occupent une place prépondérante, la langue des affaires enregistre une proportion non négligeable d’emprunts de nécessité stricte : Federal Reserve Board, Export Credits Guarantee Department (ECGD), Savings and Loan Association, Food and Drug Administration etc. Il en est de même pour tous les domaines qui s’inscrivent dans des réalités sociologiques, économiques ou organisationnelles différentes. Cependant, les emprunts de nécessité stricte, qui correspondent souvent avec des termes à fort contenu culturel, ne représentent qu’une infime partie des emprunts recensés dans les langues de spécialité.  

7.2 Emprunts de commodité Pour la grande majorité des emprunts, que nous qualifions d’emprunts de nécessité relative ou bien d’emprunts de commodité, il convient de mesurer la nature exacte des contraintes réelles ou supposées qui sont à l’origine du phénomène.

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7.2.1 Traductions difficiles Au nombre de ces contraintes il faut intégrer la difficulté inhérente à toute tentative de traduction. À quoi bon chercher à traduire en français un terme technique ou scientifique existant en anglais et connu de tous les spécialistes du domaine concerné ? Cette commodité s’apparente sans doute à une certaine forme de paresse. C’est précisément ce que disait Rey à propos de l’emprunt :  



« L’emprunt constitue la solution la plus évidente, la plus paresseuse, mais aussi la plus efficace internationalement, car elle neutralise partiellement les différences interlinguistiques et respecte ainsi la notion originelle, plus aisément repérée. On peut dire que l’emprunt dénomme la notion et connote son origine, ce qui explique son succès malgré tous ses inconvénients » (Rey 1979, 68).  



La traduction d’un terme, dénommant un concept nouvellement apparu, est toujours une opération extrêmement complexe. Différentes solutions sont envisagées par la presse ou les milieux professionnels mais un temps de sédimentation est nécessaire pour qu’un terme reconnu de tous puisse se fixer et s’implanter définitivement. Ainsi en sciences sociales on a vu apparaître en 1985 (à la suite de la troisième Conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes de Nairobi) le terme anglais gender mainstreaming désignant les mesures prises en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. Depuis cette date plusieurs traductions sont apparues : – approche intégrée du genre – perspective intégrée d’égalité des sexes – approche intégrée de l’égalité – intégration des questions d’égalité entre les sexes – intégration de la problématique homme-femme – intégration des politiques d’égalité hommes-femmes – intégration de la dimension de genre  

À ce jour aucune de ces traductions ne fait véritablement consensus, sans doute en raison de leur longueur. Mais dans le contexte français, marqué par un très fort encadrement linguistique, le rôle des commissions de terminologie peut être déterminant et dans le cas de gender mainstreaming, il n’est pas impossible que le terme paritarisme (publié au Journal officiel du 4 mars 2006) parvienne à s’implanter.

7.2.2 Traductions tardives Rien ne sert de lutter contre un emprunt si celui-ci est depuis longtemps intégré à la langue. L’expérience malheureuse de la traduction « officielle » du terme marketing est un exemple intéressant. Introduit en France au début des années 1950, ce terme est resté sans équivalent français pendant plus de vingt ans. Ce n’est qu’en 1974, que  



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fut proposé le néologisme français mercatique. Cette traduction, beaucoup trop tardive, n’a jamais pu s’implanter dans les milieux professionnels.

7.2.3 Traductions multiples Un autre facteur favorisant l’emploi des emprunts est lié à la multiplication des solutions de remplacement et de la confusion qui s’ensuit auprès des utilisateurs. Le terme e-mail a d’abord été traduit par mél sur le modèle de l’abréviation de téléphone en tél. Il a ensuite été précisé que ce terme n’est pas un mot plein, mais un symbole qui doit s’utiliser seulement dans les mêmes conditions que tél. Finalement c’est au français du Québec que l’on doit le néologisme courriel (abréviation de courrier électronique) mais ces tergiversations terminologiques ont sans doute assuré le maintien des emprunts e-mail, email ou mail.

7.2.4 Concision des termes anglais Un autre argument, souvent avancé pour expliquer la nécessité des emprunts, est la plus grande concision des termes anglais. L’anglais possède une très grande quantité de termes monosyllabiques et bisyllabiques et Pergnier voulait y voir une des justifications de l’emprunt :  

« La réalité est que nos contemporains francophones sont fascinés par les monosyllabes et qu’ils ne manquent jamais l’occasion de se saisir d’un monosyllabe anglais quand ils en rencontrent un sur leur chemin » (Pergnier 1989, 43).  



Dans une certaine mesure la concision des termes anglais permet sans doute d’expliquer pourquoi il demeure difficile d’implanter des équivalents français tels que syndrome d’épuisement professionnel pour burn out ou encore entraînement cardiovasculaire pour cardiotraining, mais cette remarque ne concerne pas tous les domaines. À la suite d’un travail terminologique bilingue réalisé dans le domaine de la physique des matériaux (Soubrier/Richalot 2002), nous avons constaté que l’anglais de ce domaine dispose d’une quantité importante de termes monosyllabiques, d’origine populaire, souvent empruntés au fonds le plus ancien de la langue (creep, shear, yield, stress, stiff, growth, bond…) pour exprimer des notions abstraites. Curieusement, le français n’emprunte pas ces termes, dont la concision est pourtant renforcée par un mode de composition par juxtaposition d’éléments (Soubrier 2002, 53). Le français, comme les autres langues latines, doit recourir à son arsenal prépositionnel pour permettre la lecture du terme. Moins économique sur le plan de la production, le mode prépositionnel offre cependant l’avantage de clarifier certaines ambiguïtés propres aux termes anglais (Soubrier 2005, 290–291).  

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Par ex. :  

crack-tip blunting stress corrosion crack strain ageing

= = =

émoussement du fond de fissure fissure de corrosion sous contrainte vieillissement après déformation

Pour ce qui concerne ce domaine précis de la physique, la proportion d’emprunts, calculée à partir d’un échantillon de 3.500 termes, est à peine supérieure aux emprunts à l’anglais relevés dans le français courant. En revanche, la plupart des emprunts dans les domaines scientifiques apparaît sous forme de sigles ou d’acronymes. Certains sigles résonnent en anglais de façon familière, comme SQUID (Superconducting Quantum Interference Device), SILC (Stress Induced Leakage Current) ou WAXS (Wide Angla X-Ray Scattering) et l’on comprend aisément que la motivation phonétique dans la langue d’origine ait participé à l’exportation du sigle alors même que la forme développée de ces sigles reste majoritairement en français dans la littérature : SQUID (Dispositif supraconducteur à interférence quantique), SILC (Courant de fuite induit par contrainte électrique), WAXS (Diffraction des rayons X aux grands angles). Cependant il reste à expliquer pourquoi MISFET (Metal-InsulatorSemiconductor Field Effect Transistor) est préféré en français à *TECMIS (transistor à effet de champ métal-isolant-semi-conducteur), pourquoi on dit acier ULC (Ultra Low Carbon) et non pas acier *UBC (Ultra-bas carbone) et pourquoi on parle de BMC (Bulk Molding Compound) et non pas de *PEV (préimprégné en vrac). Il semble que la nécessité de dénommer avec précision et de manière universelle des concepts nouveaux, élaborés dans les laboratoires de recherche américains, prime davantage pour les scientifiques francophones que des considérations esthétiques sur la forme étrangère des sigles et leur absence de motivation au sein de leur système linguistique d’accueil. La langue courante, en raison du phénomène de banalisation décrit par Galisson (1978), s’est emparée à son tour de ces abréviations étrangères qui restent parfaitement opaques pour le non spécialiste : si le PVC (polyvinyl chloride) désigne depuis longtemps le plastique dans les magasins de bricolage, ce sont aujourd’hui bien d’autres sigles et acronymes qui envahissent notre quotidien : écrans LCD (Liquid Cristal Display) de type TFT (Thin Film Transistor) ou autres appareils de photo équipés de capteurs CCD (Charge Coupled Device) offrant une définition de plusieurs millions de pixels (picture elements).  





8 Emprunts et langue médicale Fortement exposée à l’anglais par le biais des communications scientifiques internationales, la langue médicale est également sujette à l’anglicisation de sa terminologie. Cependant, cette anglicisation se trouve limitée par la nature même des termes médicaux, qui sont formés, en français comme dans toutes les langues occidentales, à partir d’éléments empruntés au grec et au latin (↗12 La confixation et les adjectifs de

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relation). Ce mode de formation des termes par composition savante, présente l’avantage de favoriser l’intercompréhension de la communauté scientifique puisqu’il existe des correspondances évidentes entre les langues. Ainsi le terme épicondylite construit à partir des formants :  

épi- : condyl : -ite :

‘sur’ ‘articulation’ ‘inflammation’

se traduit par epicondylitis en anglais, Epikondylitis en allemand et epicondilitis en espagnol. L’adoption du latin – une langue morte – comme langue officielle de l’anatomie internationale dans le cadre de la Terminologia anatomica en 1998 a été effectuée entre autres pour limiter toute situation d’hégémonie linguistique au cœur de ce domaine. Par ailleurs, la tradition médicale française reste profondément attachée à l’expression de concepts au moyen « d’une terminologie savante et d’une syntaxe élaborée qui sont la marque du savoir et de la compétence » (Soubrier 2000, 386). Elle s’accommode assez mal du mode de dénomination anglo-saxon qui privilégie toujours les termes concrets d’origine populaire. Par ex. : oto-rhino-laryngologiste (ear, nose and throat specialist), enarthrose (ball-and-socket joint), muscles ischio-jambiers (hamstring muscles). Il est donc assez rare que le français ne dispose pas d’un terme pouvant se substituer à l’emprunt et les anglicismes terminologiques sont plutôt la marque du jargon hospitalier. Pour Quérin (2006, 98), les seuls emprunts nécessaires sont ceux qui viennent combler une réelle lacune lexicale et qui ne peuvent être exprimés en français que par une longue périphrase. C’est le cas de drop attack, qui ne pourrait être traduit que par ‘chute brusque due au dérapage des jambes’ ou encore de flutter, qui rend parfaitement l’image d’un type d’arythmie cardiaque caractérisée par des contractions régulières et très rapides. Si les emprunts s’imposent le plus souvent à l’oral en raison de leur concision, leur pénétration est moindre au niveau des publications scientifiques. Ainsi, le terme anglais scanner, désignant un appareil de radiographie couplé à un ordinateur et qui est aujourd’hui passé dans la langue courante est très fortement concurrencé par le terme français tomodensitométrie ainsi que le montre une recherche sur les moteurs de recherche Google et Google Scholar (effectuée le 12 août 2014) : – examen au scanner = 5.480 résultats sur Google et 87 résultats sur Google Scholar – examen par scanner = 9.350 résultats sur Google et 43 résultats sur Google Scholar – examen tomodensitométrique = 19.100 résultats sur Google et 3.840 sur Google Scholar  







En revanche la langue médicale est gagnée par un nombre important d’anglicismes sémantiques, c’est-à-dire par des mots français utilisés dans un sens qu’ils ne possè-

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dent qu’en anglais. Ces anglicismes sémantiques constituent une forme de violence qui est faite à la langue et ils sont parfois à l’origine de contresens peu compatibles avec la rigueur du discours scientifique. Le plus fréquemment rencontré, dans la littérature médicale, est sans doute le verbe contrôler utilisé avec le sens de l’anglais to control (‘maîtriser’). Ainsi le contrôle glycémique (de l’anglais blood-sugar control) gagnerait à être exprimé par équilibre glycémique car en français on ne contrôle pas un diabète mais on l’équilibre. De plus le contrôle de la glycémie renvoie en français aux tests de glycémie (blood sugar testing/blood sugar monitoring) qui sont des notions bien différentes de la régulation du diabète. Il en est de même pour les expressions contrôler la tension artérielle, contrôler l’infection, contrôler la fièvre, qui seraient fort avantageusement traduites par abaisser la tension artérielle, enrayer l’infection, juguler la fièvre. À propos de l’utilisation généralisée du verbe développer, Quérin (2006, 83) rappelle à très juste titre « qu’on ne peut développer que ce qui existait déjà. On acquiert une immunité, on éprouve des problèmes de santé, on contracte une maladie, une infection… ». Sa conclusion sur les emprunts à l’anglais dans la langue médicale est assez tranchée :  







« Ils [les emprunts, J.S.] ne sont d’ailleurs pas si nombreux qu’on le pense, une fois qu’on a bien évalué les équivalents français possibles » (Quérin 2006, 98).  



9 Une position délicate pour le traducteur De manière plus générale, l’anglicisation – plus ou moins importante selon les domaines – des langues de spécialité, met indirectement le traducteur devant une situation délicate (Soubrier 2008). En effet, pour le traducteur vers le français, la question des recommandations des commissions de terminologie se pose de manière très directe et les avis à ce sujet restent très partagés. Pour les uns, le traducteur se distingue du terminologue dans la mesure où son travail sur la langue, loin d’être prescriptif ou normatif, doit au contraire refléter le plus fidèlement possible un certain usage. Dans cette perspective les questions relatives à la fidélité de la langue cible s’effacent pour prendre en compte « les réalités du marché et ce partenaire privilégié qu’est le client » (Balliu 2007, 1). D’autres, au contraire, considèrent que « la traduction n’a pas à être soumise aveuglément aux usages. Elle constituerait même un lieu de résistance aux emplois abusifs qui proviennent d’un rapport naïf à la langue » (Froeliger 2013, 124). N’est-il pas du ressort du traducteur de rappeler qu’il existe un terme français qui peut avantageusement se substituer au terme d’emprunt ? Pourquoi ne pas préférer par exemple essais aléatoires à essais randomisés, ou essai en double aveugle à double-blind test (Quérin 2006) ?  













Les termes d’emprunt dans les langues de spécialité

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Lorsque le traducteur est en mesure d’accéder à des ressources terminologiques normalisées dans différents domaines de spécialité, la solution de l’emprunt est, dans ce cas perçue comme une trahison de la langue cible que ni la fidélité au client ni la fidélité aux usages en cours dans le domaine ne peut excuser. En donnant la préférence à des termes d’emprunt, le traducteur renonce à l’avantage considérable que lui confère sa position au regard de l’enrichissement de la langue française. Si aujourd’hui, des termes comme ordinateur (computer), numérique (digital), affacturage (factoring), pontage (bypass), stimulateur (pacemaker), bilan de santé (check up), carte mère (mother board), puce (chip), rachat d’entreprise par ses salariés (leveraged management buy-out), oléoduc (oil pipeline), ont définitivement supplanté leurs dénominations originales en langue de spécialité, c’est bien sûr parce qu’ils ont été relayés sans relâche par des traducteurs soucieux de pouvoir exprimer en français des concepts nés outre Atlantique (Soubrier 2008, 161). L’exemple des pays scandinaves qui ont abandonné l’usage de leurs langues nationales dans l’enseignement des disciplines scientifiques au profit du « tout anglais » devrait inciter à la réflexion. Compte tenu du phénomène de banalisation qui touche de manière croissante de très nombreux termes issus de domaines spécialisés, on peut imaginer que le traducteur a les moyens d’exercer une influence sur la langue courante à moyen terme. L’exemple de baladeur est tout à fait significatif. Il fut proposé en remplacement de l’anglais Walkman (marque déposée de Sony) par un arrêté du 24 janvier 1983, relatif à l’enrichissement du vocabulaire de l’audiovisuel et de la publicité. À l’époque une majorité de français considérait que ce terme n’avait aucune chance de s’imposer. Aujourd’hui baladeur a totalement éclipsé Walkman même s’il est désormais associé au format de compression MP3 et en concurrence avec Ipod, une autre marque déposée.  



10 Emprunts connotatifs Nous constatons que, dans une grande majorité de cas, l’emprunt n’est pas introduit pour désigner une réalité anglo-saxonne encore mal connue ou mal acclimatée en France, mais au contraire pour exprimer un concept pour lequel notre langue possède sa propre désignation. L’emprunt, dans ces circonstances, ne répond à aucun besoin dénotatif réel. Pourquoi en effet préférer manager à directeur, know-how à savoir-faire ou encore bypass à pontage ? Manifestement, ces emprunts sont utilisés en fonction de leurs connotations américaines, ce qui ne manque pas de surprendre dans le cadre des langues de spécialité. Cette motivation connotative est, en effet, bien éloignée du système terminologique, imaginé par Wüster et l’école de Vienne, selon lequel chaque terme renvoie à un seul concept au sein d’un même domaine. Lorsque le terme est choisi davantage en fonction de ses connotations que de sa valeur référentielle objective il faut alors reconnaître que : « Le connoté prend alors le pas sur le dénoté et le terme  

   



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d’emprunt perd toute sa justification du point de vue d’un discours qui se prétend technique et mono-référentiel » (Soubrier 1985, 174). Si la valeur connotative de l’emprunt dans les domaines scientifiques et techniques reste encore discutable, elle est en revanche clairement établie dans le domaine économique et commercial (Soubrier 1985 ; 1998 ; Bondrea 2007). Dans ces domaines, l’emprunt est très souvent motivé par des raisons idéologiques, qui, derrière l’alibi d’un discours technique et universel, permettent de véhiculer un certain nombre de valeurs associées au modèle américain de la réussite économique. De ce point de vue, l’emploi de termes angloaméricains est indispensable à « l’image d’une entreprise pragmatique, pleine de succès, de crédibilité et de dynamisme » (Bondrea 2007, 58). L’emprunt du terme manager illustre parfaitement cette démarche. Ce terme est relativement neutre en anglais dans la mesure où il peut désigner indifféremment le directeur d’une multinationale, le gérant d’une station-service ou le responsable d’un restaurant. Il est préféré à ses équivalents français car il semble plus apte à désigner un dirigeant rompu aux méthodes de direction en usage aux États-Unis. Sa puissance évocatrice est souvent mise à profit afin de redonner un nouvel attrait à une réalité somme toute fort banale. C’est le cas en particulier des offres d’emploi. Par ex. : « Dans un contexte de croissance de nos marchés, nous recherchons des candidats au poste de Manager de Département, appelé chez nous chef de secteur commerce ».2 La force évocatrice de l’emprunt dans le domaine économique et commercial a également contribué à consolider l’image d’un groupe social en France, celui des cadres du commerce et de l’industrie. En effet, au début des années 1960, les dirigeants industriels français, issus de la petite bourgeoisie d’entreprise, très attachés au principe du « patronat de droit divin » auxquels on reprochait leur absence complète de formation universitaire et leur opposition à tout changement constructif, furent contraints de partager leur pouvoir avec la « nouvelle classe moyenne » dont les cadres étaient les principaux représentants. Cette ascension des cadres dans l’échelle sociale s’est accompagnée d’une référence constante à l’entreprise américaine dont l’organisation hiérarchique est résolument méritocratique et où « le pouvoir de la compétence se substitue à l’incompétence des héritiers » (Boltanski 1982, 118). Issus d’une grande école (HEC, ESSEC, etc.) ou titulaire d’un titre universitaire obtenu après 5 ans d’études supérieures, ces cadres de la finance, du commerce ou de l’industrie ont généralement complété leur formation par un stage aux États-Unis. Rompus aux techniques du management ils en ont également importé le vocabulaire. C’est donc en termes de prise de pouvoir qu’il faut aussi percevoir l’utilisation systématique de termes anglais par ces nouveaux dirigeants d’entreprise. Ainsi l’emprunt et les connotations qui lui sont associées ont-ils constitué le ciment idéologique qui a permis la structuration des cadres du commerce et de l’industrie en véritable groupe social dont  





























2 Offre d’emploi publiée par Leroy Merlin, le 12 août 2014 : http://www.keljob.com/offre/manager-dedepartement-h-f-8884361#xtor=CS1-653.  

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le discours, par références constantes au modèle américain, prônait, contre l’organisation traditionnelle, népotiste et nationaliste de la société française, l’avènement d’un nouvel ordre méritocratique, technocratique et sans frontières. Cependant, si l’emprunt a permis de consolider l’image du groupe social des cadres du commerce et de l’industrie, il n’en demeure pas moins aliénant pour ses utilisateurs qui restent prisonniers d’une terminologie qu’ils ont empruntée et qui les structure en retour. Ce dernier point n’a pas échappé aux conseillers en recrutement qui usent, dans leurs offres d’emploi, d’une quantité considérable de termes anglosaxons, donnant ainsi clairement des candidats l’image, non pas de ce qu’ils sont, mais de ce qu’ils prétendent être. La prolifération de dénominations anglo-saxonnes pourrait ainsi marquer les limites du discours de la compétence et de l’efficacité dans la mesure où ce discours se trouve récupéré par la société qu’il se proposait de convertir. Ainsi telle entreprise pourrait s’offrir à peu de frais une image jeune et dynamique vis à vis de son personnel et de la concurrence en égayant son organigramme de désignations anglo-saxonnes sans pour autant modifier en quoi que ce soit son fonctionnement interne. Les termes anglais utilisés pour décrire les offres d’emploi dans la presse pour cadres (Office Manager, Area Manager, Marketing Officer, etc.) ne cherchent-ils pas davantage à flatter la fierté professionnelle des candidats qu’à préciser l’adhésion pleine et entière de l’employeur aux principes de l’organisation américaine ? L’emprunt connotatif ne revêt-il pas parfois un aspect mensonger ? Au culte de l’Amérique, qu’Étiemble qualifiait d’ « américanolâtrie » dans son célèbre pamphlet Parlez-vous franglais ? (Étiemble 1964), il faut également associer les valeurs de jeunesse et modernité véhiculées par les termes d’emprunts. Les patins à roulettes de notre enfance ont disparu au profit des rollers, les salles de gymnastique sont devenues des fitness centers et dans l’actuel contexte de mondialisation le meeting a remplacé la réunion et le sponsoring est jugé plus attractif que le parrainage ou le mécénat. Ajoutons, à ces motivations idéologiques, des considérations bassement commerciales. Une désignation anglo-saxonne assure immédiatement la reconnaissance et la diffusion d’un produit à l’échelle internationale. Les entreprises japonaises et coréennes ne s’y sont pas trompées et commercialisent depuis longtemps déjà des produits sous des noms anglo-saxons (Sony : Cyber-shot, Playstation ; Nintendo : Game Cube, Double Screen ; Toyota : Land Cruiser ; Honda : Civic ; Canon : Powershot ; Nikon : Coolpix ; Samsung : Galaxy etc.). L’exemple asiatique a été très vite suivi et aujourd’hui on ne compte plus les produits parfaitement français qui sont vendus sous des appellations anglo-saxonnes (Renault : Scenic, Laguna, Clio limited ; Peugeot : Bipper, Partner, Boxer ; Cahiers Clairefontaine : Kover Book, Twice, 1951 Back to Basics etc., Moulinex : Masterchef Gourmet ; SEB : Friteuse Actifry Family). Cette anglomanie caractéristique du monde du commerce et de la publicité peut indirectement être à l’origine de conflits sociaux. Ainsi, en novembre 2013, en s’appuyant sur la loi Toubon, le syndicat CGT de l’entreprise Carrefour a dénoncé l’utilisation exagérée de la langue anglaise qui est faite dans cette entreprise. Parmi les  



















































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dénominations incriminées on retrouve les enseignes Carrefour Market, Carrefour City, Carrefour On Line, les produits Carrefour Home, Top Bike, Green Cut, First line, Blue Sky et le slogan publicitaire Monday, happy day. Faut-il pour autant s’alarmer de cet afflux d’anglicismes dans la langue économique et commerciale ? On manque en réalité de corpus spécialisés suffisamment volumineux pour évaluer l’évolution quantitative des anglicismes dans cette langue de spécialité. Nous avons pu établir (Soubrier 1998, 406) que sur un corpus relativement modeste composé de 1473 offres d’emploi, la proportion d’emprunts à l’anglais ne dépassait pas 0,78%, soit un emprunt tous les 128 mots. Bien que ce chiffre ne rende absolument pas compte de la situation des emprunts dans la totalité de la langue des affaires, il semble cependant établi que nous sommes encore très loin du raz de marée décrit par certains défenseurs inconditionnels de la langue française. La situation dans d’autres pays d’Europe semble bien différente. Pulcini (2002, 153) rapporte qu’en italien, les anglicismes constituent 1,4% du lexique courant mais 30% de la langue économique et commerciale. Faut-il y voir une exception terminologique française ou bien l’aboutissement des efforts déployés par le dispositif d’enrichissement de la langue française ? Cette dernière hypothèse est soutenue par Humbley (2008, 223), qui, à partir d’une étude diachronique de la réception de la néologie officielle dans le Petit Robert entre 1986 et 2007, constate que les recommandations officielles, proposées en remplacement des termes d’emprunt, sont désormais largement intégrées dans ce dictionnaire du français usuel. Au crédit de cette politique d’enrichissement de la langue il faut noter la réactivité des commissions de terminologie. Il est en effet essentiel que le terme français soit proposé le plus rapidement possible en remplacement du terme d’emprunt. C’est ainsi que le terme commerce équitable proposé en 2010 a immédiatement supplanté fair trade, et que téléchargement et pare-feu se sont imposés sans peine face à downloading et firewall. Cependant l’implantation d’un néologisme français est une opération extrêmement complexe dont la réussite dépend d’une multitude de facteurs quasiment impossibles à maîtriser. Au-delà de la prise en compte des matrices lexicogéniques de la langue d’accueil et du critère plus psychologique de la motivation, l’implantation d’un terme entraine l’adhésion aux schèmes cognitifs que le terme sollicite selon le principe d’une « négociation collective » évoquée par Gaudin (2003). Cette négociation constitue la motivation culturelle du terme en tant que signe linguistique (Soubrier 2005, 293). Le succès, maintes fois commenté, de la traduction de software par logiciel s’inscrit dans ce principe et intègre l’importance accordée à la logique et au raisonnement dans l’échelle des valeurs des Français, dont le cartésianisme les conduit à décrire leur pays par une figure géométrique, au grand étonnement des observateurs étrangers :  













« L’Hexagone et la rationalité française. Si vous regardez une carte de France, vous verrez que ce pays a vaguement la forme d’un hexagone. Cette notion d’hexagone n’a rien de vague dans la mentalité française, où non seulement elle décrit la forme physique du territoire mais où elle donne forme à la culture française » (Asselin/Mastron 2001, 13) (trad. J.S.).  



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Mais nous faisons également l’hypothèse que l’utilisation systématique de termes anglais dans les langues de spécialité n’est plus la marque de la distinction, telle qu’elle l’a été dans les années 1980. Si l’on reprend l’argument de Bourdieu « la dialectique de la distinction et de la prétention » (1979, 13) rejette impitoyablement les signes d’excellence qui se vulgarisent et en impose de nouveau. Dans un contexte de communication internationale dominée par l’anglais, à une époque où un nombre croissant de locuteurs francophones possèdent une assez bonne connaissance de cette langue, il semblerait que les termes d’emprunt aient perdu une partie de leur mystère et que par conséquent l’originalité d’un discours fondé sur une terminologie d’Outre-Atlantique se trouve quelque peu émoussée. La langue, même dans ses aspects les plus techniques, ne peut échapper au phénomène de la mode. L’anglomanie d’hier, ne va-t-elle pas, demain, céder la place à d’autres formes de création lexicale, plus structurantes symboliquement du point de vue des locuteurs ? Les termes français, dans une sorte de sursaut identitaire, ne vont-ils pas être préférés à l’anonymat d’une terminologie internationale normalisée ?  







11 Bibliographie Asselin, Gilles/Mastron, Ruth (2001), Au Contraire ! Figuring out the French, Yarmouth, Maine, Intercultural Press. Balliu, Christian (2007), Traduire, qu’est-ce à dire ?, in : Christine Pagnoulle (ed.), Actes du colloque La traduction, et après ? Éthique et professions, Liège, Université de Liège, 1–3. Bogaards, Paul (2008), On ne parle pas franglais : La langue française face à l’anglais, Bruxelles, De Boeck Duculot. Boltanski, Luc (1982), Les cadres, Paris, Éditions de Minuit. Bondrea, Emilia (2007), Le franglais et le langage managérial, in : Ana Guţu (ed.), La Francopolyphonie : Langues et identités, vol. 2, Chişinău, Université Libre Internationale de Moldova, 56–62. Bourdieu, Pierre (1979), La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit. Cabré, Maria Teresa (1998), Terminologie : théorie, méthode et applications, Les presses de l’Université d’Ottawa, Colin. Deroy, Louis (1956), L’emprunt linguistique, Paris, Les Belles Lettres. Dubois, Jean, et al. (2007), Grand dictionnaire linguistique et sciences du langage, Paris, Larousse. Étiemble, René (1964), Parlez-vous franglais ?, Paris, Gallimard. Forgue, Guy Jean, (1986), English loan words in French today, Journal of English Linguistics, 19:2, 285–294. Froeliger, Nicolas (2013), Les noces de l’analogique et du numérique, Paris, Les Belles Lettres. Galisson, Robert (1978), Recherche de lexicologie descriptive, la banalisation lexicale : Le vocabulaire du football dans la presse écrite, Paris, Nathan. Gaudin, François (2003), Socioterminologie : une approche sociolinguistique de la terminologie, Bruxelles, De Boeck Duculot. Hagège, Claude (2006), Combat pour le français : Au nom de la diversité des langues et des cultures, Paris, Jacob. Hagège, Claude (2012), Imposer sa langue, c’est imposer sa pensée, interview de Michel Feltin-Palas, http://www.lexpress.fr/culture/livre/claude-hagege-imposer-sa-langue-c-est-imposer-sa-pensee_1098440.html (03.08.2014).  















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Hagège, Claude (2013), Contre la pensée unique, Paris, Jacob. Humbley, John (2008), Emprunts, vrais et faux, dans le Petit Robert 2007, in : Jean Pruvost (ed.), Dictionnaires et mots voyageurs. Les 40 ans du Petit Robert, de Paul Robert à Alain Rey, Herblay, Éditions des Silves, 221–238. Laux, Cláudia (2010), L’Union latine et les terminologies roumano-moldaves, in : Union latine (ed.), Actele Colocviului Internaţional « Traducerea Specializată » Bucureşti, 13–14 octombrie 2005, Paris, Union latine, 9–10. Le Bidois, Robert (1970), Les mots trompeurs ou le délire verbal, Paris, Hachette. Lerat, Pierre (1995), Les langues spécialisées, Paris, PUF. Pergnier, Maurice (1989), Les anglicismes, Paris, PUF. Prado, Daniel (2005), Le contexte politique et juridique, in : John Paolillo et al. (ed.), Mesurer la diversité linguistique sur Internet, Paris, UNESCO, 35–41. Pulcini, Virginia (2002), Italian, in : Manfred Görlach (ed.), English in Europe, Oxford, Oxford University Press, 151–167. Quérin, Serge (2006), Dictionnaire des difficultés du français médical, Québec, EDISEM/MALOINE. Rey, Alain (1979), La terminologie : Noms et notions, Paris, PUF. Rey, Alain (2013), Le voyage des mots : de l’Orient arabe et persan vers la langue française, Paris, Guy Tredaniel Editeur. Rey-Debove, Josette/Gagnon, Gilberte (1980), Dictionnaire des anglicismes : Les mots anglais et américains en français, Paris, Le Robert. Rondeau, Guy (1991), Introduction à la terminologie, Québec, Morin. Soubrier, Jean (1985), Le franglais économique et commercial : ambiguïté d’une langue parallèle, thèse de doctorat, Université Lyon 2. Soubrier, Jean (1998), Néologismes et termes d’emprunt dans le français des affaires, in : André Clas/ Salah Mejri/Taïeb Baccouche (edd.), La mémoire des mots, Tunis, Éditions AUPELF-UREF, 403–418. Soubrier, Jean (2000), Les risques du métier : Tennis elbow ou épicondylite latérale ? Étude bilingue des termes associés à une activité sportive ou professionnelle dans le domaine de la traumatologie, in : André Clas et al. (edd.), La traduction : Théories et Pratique, Tunis, Publications de l’École Normale Supérieure, 373–392. Soubrier, Jean (2002), Terminologie scientifique bilingue anglais français : Convergences et divergences dénominatives, in : Actes du Colloque GLAT 2002: Langues spécialisées et besoins spécifiques, Evry, ENT, 47–57. Soubrier, Jean (2005), Transparence et opacité de l’anglais scientifique, in : Henri Béjoint/François Maniez (edd.), De la mesure dans les termes, Travaux du CRTT, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 280–295. Soubrier, Jean (2008), Les anglicismes dans les langues de spécialité : une position délicate pour le traducteur, in : Christian Balliu (ed.), Traduire : un métier d’avenir, vol. 2, Bruxelles, Les éditions du Hazard, 145–168. Soubrier, Jean (2009), Du concret à l’abstrait : Différences de conceptualisation entre l’anglais et le français dans les domaines techniques et scientifiques, in : Jörg Eschenauer (ed.), Actes du 37ème colloque de l’Union des Professeurs de Langues des Grandes Écoles, Lyon, UPLEGESS, 101–116. Soubrier, Jean/Richalot, Jérôme (2002), TermInsa, Base de données terminologiques billingue anglais-français, INSA de Lyon, http://praxinsa.insa-lyon.fr/terminsa/index.htm (03.09.2014). Walter, Henriette (1997), L’aventure des mots français venus d’ailleurs, Paris, Laffont. Walter, Henriette (2001), Honni soit qui mal y pense. L’incroyable histoire d’amour entre le français et l’anglais, Paris, Laffont.  











































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4 Les noms de produits et de marques Abstract : Les noms de produits et de marques sont omniprésents dans notre environnement linguistique. Ces dernières décennies nous assistons à une prise de conscience par rapport à cette catégorie de noms qui a longtemps été laissée pour compte. Le champ des noms de produits et de marques est un domaine disposant de propres lois et forces créatrices et présente un terrain d’investigation significatif pour la linguistique. La structure linguistique d’un nom commercial détermine dans une large mesure son impact publicitaire dans le sens que le nom peut fortement contribuer au succès d’une marque. Dans cet article nous présentons d’abord les différents éléments de la marque avant d’éclaircir le statut linguistique des noms commerciaux. Suite à ceci nous nous pencherons sur différentes classifications des noms commerciaux pour ensuite présenter une typologie détaillée. Nous concluons par les méthodes de création et les stratégies à considérer dans le cas de l’internationalisation de l’activité de l’entreprise.    

Keywords : langage publicitaire, onomastique, statut lexical, stratégie de dénomination, typologie    

1 Introduction Les noms de produits et de marques constituent une partie importante, omniprésente de notre environnement linguistique, il s’agit de créations de notre propre époque, pour ainsi dire d’un reflet de certaines conditions sociales et économiques (Lötscher ²1992, 323). Alors que les anthroponymes, les toponymes et les hydronymes disposent souvent d’étymologies qui remontent à plusieurs siècles, les noms commerciaux sont considérés comme artéfacts synchroniques, conçus en dehors de l’évolution diachronique (Kalverkämper 1978, 302). Les noms de produits et de marques, qui sont attribués à l’onomastique en raison de leur caractère partiellement propre, ont longtemps été négligés. Cependant, ces dernières décennies nous assistons à une prise de conscience par rapport à cette catégorie de noms. En ce qui concerne la littérature sur l’onomastique commerciale nous distinguons les ouvrages qui émanent de la sphère du marketing de ceux qui proviennent de la linguistique (Fèvre-Pernet 2007, 79). La plupart des travaux dans le domaine de l’onomastique commerciale traitent des aspects ou des problèmes particuliers ou se focalisent sur un seul domaine commercial (Fèvre-Pernet 2007, 83). Aussi existe-t-il des dictionnaires de noms de marques (Galisson/André 1998 ; Watin-Augouard 1997). D’un point de vue quantitatif les activités de recherche augmentent dès la deuxième moitié des années quatre-vingtdix (Eckkrammer/Thaler 2013, 18). La comparaison internationale du nombre de publications montre que l’espace italophone occupe le troisième rang derrière l’es 

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pace de langue allemande et celui de langue anglaise. Il devance de peu l’espace francophone. Environ quarante titres ont été publiés traitant les noms commerciaux de chacune de ces aires linguistiques. L’espagnol dispose d’une vingtaine de publications, le portugais d’une dizaine et le roumain finalement de moins de dix (Eckkrammer/Thaler 2013, 20). La nécessité de créer de plus en plus de noms a mené à un état d’urgence linguistique. Galliot (1955, 201) caractérise la publicité comme « grande dévoreuse de mots » ayant « d’énormes besoins en ‹ matériel linguistique ›, tant pour désigner la multitude d’appareils, produits, procédés qu’elle a mission de faire connaître, que pour les qualifier, en claironner les vertus, les imposer à la clientèle ». La création de noms nouveaux s’effectue en adoptant des mots de langues étrangères, en élevant des abréviations au rang de noms, en décomposant et recomposant des mots et des syllabes ou encore en inventant de nouvelles combinaisons sonores. Parmi toutes les catégories de noms, les dénominations de produits représentent le domaine se trouvant en plus forte expansion (Platen 1997, 11). Le champ des noms de produits et de marques représente un domaine linguistique disposant de propres lois et forces créatrices ce que Feyry (1973, 124) confirme pour le langage publicitaire dans son ensemble : « Aussi la publicité est-elle un des domaines où la création verbale est la plus dynamique, la plus libre, sans tradition ». Pour Platen, les noms de produits peuvent être considérés comme étant l’expression d’une lingua franca à motivation économique, qui malgré son caractère quasi universel paraît tout de même avoir des traits particuliers en fonction de l’aire géographique envisagée (Platen 1997, 147). Les estimations quantitatives des noms de produits et de marques sont difficiles en raison de leur caractère souvent éphémère, du haut taux de création et en raison du nombre élevé de noms non protégés en circulation (Wehking 1984, 9). Dans cet article nous considérons d’abord les différents éléments de la marque pour ensuite discuter le statut linguistique des noms de produits et de marques. Suite à ceci nous nous pencherons sur différentes classifications de noms commerciaux qui ont été établies à la base du statut d’une marque au sein de la politique de l’entreprise ou à la base de critères formels et sémantiques. Nous présenterons ensuite une typologie linguistique détaillée avant de conclure par les méthodes de création de noms et les stratégies à considérer dans le cas de l’internationalisation de l’activité de l’entreprise.  

















2 Les éléments de marque Le marquage de produits pour les faire sortir de l’anonymat et pour les distinguer de produits concurrentiels remonte à des siècles éloignés et se trouve dans toutes les civilisations évoluées. L’action de marquer des marchandises (angl. branding) est un trait caractéristique des systèmes économiques développés (Esch/Langner ³2001a, 439). La notion de « marque » peut être définie comme suit :  





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Les noms de produits et de marques

« La marque, c’est d’abord l’inscription d’une différence, le signe, le mot, la figure, l’entaille, etc., qui sert à reconnaître une chose (objet, fonction), à la distinguer d’une autre, à l’identifier » (Botton/Cegarra ²1995, 27).  



Selon Esch/Langner (³2001a, 441) ce marquage de produits comprend toutes les mesures aptes à faire sortir un produit d’un ensemble de produits analogues et permettant son attribution à une certaine marque. Il s’effectue moyennant le nom de marque, l’image de marque ainsi que l’emballage ou la conception du produit (Langner 2003, 5). À différence de cette approche, Gotta (1989, 16) réduit la notion de branding à la dénomination, négligeant ainsi les aspects visuels de la marque. La composante verbale de la marque est également soulignée par Botton/Cegarra (²1995, 33s.) :  

« La principale caractéristique de la marque, la plus couramment évoquée, est sa forme nominale. Il s’agit en effet de l’essence même du concept de marque, même si, historiquement, la marque graphique est la plus ancienne ».  



La bonne dénomination est devenue un facteur de succès stratégique, la condition sine qua non pour la marque (Latour 1992, 140). Selon Langner la relation entre les différents éléments de marque peut être illustrée à l’aide du triangle suivant :  

Illustration 1 : Le triangle du branding (Langner 2003, 27)

À titre d’exemple nous considérons les éléments qui dans leur ensemble composent la marque de jus de fruits pressade. Le nom constitue une dérivation à la base du verbe presser (v.tr. ‘exercer une pression sur’, ‘serrer de manière à extraire un liquide’, Petit Robert 2012). Au radical s’adjoint le suffixe -ade. Cette dérivation déverbale qui désigne le résultat d’une action ne figure pas dans le vocabulaire français bien qu’elle soit conforme au système linguistique. Elle se prête donc bien à la dénomination d’un jus de fruit. Le logo, de son côté, présente les éclaboussements que provoque le pressage de fruits. En créant une nouvelle marque, il est impératif de prendre en considération les interactions entre les différents éléments de marque. Les consommateurs ne perçoivent pas le nom, le logo et la conception du produit ou de son emballage de façon isolée, mais dans leur ensemble. C’est cet ensemble qui décidera du succès de la marque (Esch 2003, 157ss.). Conformément au positionnement visé, les différents éléments de marque doivent communiquer les mêmes associations (Esch/Langner ³2001b, 506).

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Illustration 2 : La marque pressade de l’entreprise française fruité entreprise (http://www.pressade.fr)

Selon Gabriel (2003, 33), les éléments linguistiques et non linguistiques d’une marque sont conçus de façon à faire appel au destinataire. Ils doivent pourvoir à ce que le consommateur perçoive le produit dénommé, qu’il se rappelle de celui-ci et, dans le meilleur des cas, qu’il l’achète. Dans le contexte des trois fonctions du signe linguistique distinguées par Bühler, notamment la fonction expressive, représentationnelle et appellative, les noms commerciaux assument en premier lieu une fonction appellative.

3 Le statut linguistique des noms commerciaux Du point de vue théorique les noms propres et les noms communs peuvent être clairement délimités les uns des autres (Hansack 2004, 57). Le nom propre désigne un seul être ou objet, ou bien une seule catégorie d’êtres ou d’objets. Il appartient donc à un référent déterminé et sert à identifier celui-ci. En revanche, le nom commun désigne tous les êtres ou objets d’une même espèce. Suivant cette démarcation seul le nom d’entreprise (la raison sociale) peut être considéré un véritable nom propre. Les noms commerciaux désignant un ou plusieurs produits ne se réfèrent pas à un objet individuel, mais à un groupe de produits ou alors à un type de produit qui peut être reproduit autant de fois que nécessaire. Ils se réfèrent donc à une classe d’objets ayant des traits caractéristiques en commun, tels que le procès de fabrication et la qualité (Platen 1997, 30). En ce qui concerne le statut lexical des noms commerciaux les opinions divergent. Les noms commerciaux sont tantôt considérés des noms propres, tantôt des noms communs, ou alors ils sont classés dans une catégorie intermédiaire. Dans ce contexte la problématique d’une démarcation stricte entre nom propre et nom commun se manifeste donc dans une mesure particulière. Le statut de ces noms a été discuté maintes fois à la base de critères tels que la référence, l’acte baptismal, le comportement lexical et le comportement syntaxique. L’argument principal auquel on fait

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Les noms de produits et de marques

appel dans le cadre de cette discussion est le fait que, à différence du nom propre prototypique, le nom de marque désigne plusieurs référents (Ronneberger-Sibold 2004, 557). La conception d’une différence de degré semble plus apte à saisir la réalité linguistique (Platen 1997, 30). En ce sens, les noms de marques peuvent être conçus comme noms unissant des qualités de noms communs ainsi que de noms propres et accomplissant des fonctions réservées à chacune des deux classes (Janich 52010, 65). Laurent (2010, 109) confirme :  

« Si nous envisageons le nom déposé en tant que tel, en combinant la force du nom propre (capacité d’individualisation) et celle du nom commun (catégorisation descriptive), le nom publicitaire, dès son apparition, est la quintessence de la signifiance ».  



Dû à la production industrielle moderne, la démarcation traditionnelle, selon laquelle on distingue les noms propres (désignant un référent déterminé) des noms communs (désignant une classe de référents ayant des traits communs), a été enrichie d’une ultérieure catégorie (Ronneberger-Sibold 2004, 558). Un effet ardemment désiré par les propriétaires de marque est celui qu’un consommateur, dans une situation d’achat ou dans une enquête, nomme instantanément le propre nom de marque. Cette notoriété peut cependant avoir pour conséquence le retour à l’anonymat. Au lieu de désigner un produit ou un groupe de produits d’un fabricant déterminé, le nom en question sera employé pour désigner quelconque produit d’une même catégorie. Un exemple d’une marque déposée qui est rentrée dans le langage courant est le nom scotch, désignant une ‘bande adhésive’. Botton/Cegarra (²1995, 147) distinguent trois stades de lexicalisation des noms de marques. Lorsque la marque n’est plus utilisée sous la forme grammaticale d’un adjectif, mais sous celle d’un nom, il s’agit de la « personnalisation », par ex. une voiture renault > une renault. Quand le nom d’une marque est utilisé pour désigner l’ensemble d’une catégorie de produits, nous parlons de « banalisation », par ex. une sucrette (‘comprimé édulcorant’). Le dernier stade est celui de la « lexicalisation ». Il s’agit de l’entrée définitive dans le dictionnaire d’un nom de marque pour dénommer toute une catégorie de produits, par ex. une rustine. Cet élément figure dans le Petit Robert (2012, 2283) comme suit : « n.f. – v. 1910 Rustines, marque déposée, de Rustin, nom d’un industriel. 1 Petite rondelle adhésive de caoutchouc qui sert à réparer une chambre à air de bicyclette ».  



















4 Approches de classification Botton/Cegarra (²1995, 56) proposent une classification des différents types de marque fondée sur leur statut et leur rôle au sein de la politique de l’organisation. Une telle analyse facilite à une entreprise et la définition d’une politique de nom de marque et le choix d’une dénomination pour un produit nouveau (Botton/Cegarra ²1995, 56).

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Selon le statut et le rôle dans la stratégie de l’entreprise les auteurs distinguent les catégories suivantes : la marque-produit, la marque-gamme, la marque-ombrelle, la marque-caution. La marque-produit est constituée par l’ensemble des signes associés à un produit spécifique. Le nom est lié de façon étroite à un seul produit (par ex. ariel ‘lessive’, badoit ‘eau minérale’, caprice des dieux ‘fromage’). Les propriétaires de ce type de marque ont pour intérêt de permettre l’association d’un nom et d’une promesse publicitaire spécifiques à chaque produit (Botton/Cegarra ²1995, 57). La marquegamme s’emploie pour désigner un ensemble de produits homogènes. Une telle gamme de produits bénéficie d’une même promesse publicitaire (par ex. findus ‘produits surgelés’). Pour désigner chaque produit il est pourtant nécessaire d’adjoindre une dénomination-produit au nom de marque (findus velouté légumes provençaux) (Botton/Cegarra ²1995, 59). Dans le cas de la marque-ombrelle le nom couvre un ensemble hétérogène de produits qui disposent chacun d’une promesse publicitaire spécifique (par ex. amora, produit de base : la moutarde, secteur de produits aujourd’hui : les condiments) (Botton/Cegarra ²1995, 62). Le terme de marque-caution sert à désigner un nom de marque sous lequel sont commercialisées plusieurs gammes complexes de produits (danone, nestlé). Ce type de marque constitue un élément fédérateur dont la fonction primordiale est celle de signature. Outre la cohésion, ce type de marque a pour principal intérêt d’assurer l’authentification de l’ensemble des produits commercialisés (Botton/Cegarra ²1995, 64ss.). D’ultérieures classifications descriptives ont été établies selon différents critères, tels que l’origine du nom ou sa nature juridique (Botton/Cegarra ²1995, 55s.). À titre d’exemple nous citons la classification de Platen (1997) qui se fonde sur la forme et celle de Gotta (1989) qui repose sur un critère sémantique. Platen (1997) consacre un ouvrage aux noms commerciaux couvrant plusieurs espaces linguistiques et différentes catégories de produits. D’un point de vue structurel il distingue trois catégories de noms (Platen 1997, 38ss.). La première catégorie regroupe les noms propres (par ex. peugeot), les mots du vocabulaire (par ex. substantif : persil ; adjectif : extrême ; adverbe : encore) et les morphèmes de langues naturelles. Le deuxième groupe englobe tous les noms pouvant être considérés comme modifications d’un nom propre ou d’un élément lexical. Nous distinguons ici les types suivants : a) les types déformés se caractérisant par une variation de son par rapport au modèle (par ex. soucoup’s > soucoupe) ou par une variation d’ordre graphique (par ex. croibleu > croix bleue ; cristaline > cristalline). Font partie de cette classe également les abréviations de bases onymiques et lexicales (par ex. p’tit dej’ > petit déjeuner). b) les dérivations à l’aide de suffixes de langues naturelles (par ex. pressade) ou de suffixes artificiels (par ex. cochonou) c) les formations composées (par ex. dermaspray) d) les formes complexes constituant une phrase (par ex. nos régions ont du talent).  



















Les noms de produits et de marques

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La dernière catégorie rassemble les noms artificiels sans signification qui peuvent être divisés en des structures plutôt compactes (par ex. omo) et des structures à tendance modulaire (par ex. SNCF > Société nationale des chemins de fer français). L’exemple d’ebly (produit : blé à cuisiner) démontre que la classification d’un nom peut s’effectuer différemment selon le territoire de vente. Alors qu’en Allemagne ce nom sera perçu comme nom artificiel, en France on y reconnaîtra l’élément lexical blé. D’un point de vue sémantique, Gotta (1989, 17s.) établit une classification à la base de la relation entre le nom et son référent. Ainsi distingue-t-il les noms descriptifs, les noms associatifs et les noms artificiels. Les noms descriptifs transmettent des informations concrètes sur le produit dénommé (par ex. mes pains à dorer). Le trait caractéristique des noms associatifs tient en ce qu’ils évoquent des associations claires chez les consommateurs et qu’ils suggèrent un rapport avec le produit en question sans nommer celui-ci (par ex. jaguar ‘automobile’). Les noms artificiels finalement constituent des mots nouveaux qui ne font pas directement référence au produit désigné. Leur structure phonétique permet pourtant d’associer un ensemble de valeurs à la marque en question (par ex. xsara ‘automobile’) (Botton/Cegarra ²1995, 89).  

5 Description linguistique et typologie La description linguistique des noms commerciaux se fonde sur les catégories suivantes : la graphie, la morphologie, la sémantique, le lexique, la rhétorique. Les questions auxquelles il s’agit de répondre sont les suivantes : Quelles sont les particularités dans la structure graphique et sonore des noms de produits et de marques ? Ces noms peuvent-ils être saisis à l’aide des notions et critères de la formation des mots traditionnelle ? Quelle en est la structure sémantique et peut-on classer ces noms par champs sémantiques ? Dans quelle mesure les créateurs de noms font-ils recours à des langues étrangères ? Quelles sont les figures de rhétorique employées ? Une telle analyse des noms commerciaux peut aboutir à une typologie contenant des modèles de formation pour la création de futurs noms. Les chercheurs sur le symbolisme des voyelles ont décelé que la perception des voyelles aiguës (i, é, è) diffère de la perception des voyelles graves (a, o, u) selon les trois variables « mouvement », « forme » et « luminosité » (Botton/Cegarra 21995, 49). La voyelle [a] évoque par exemple l’ampleur et l’ouverture alors que la voyelle [o] rend les formes rondes (Dogana 1991, 40). Les consonnes sont moins susceptibles d’interprétation que les voyelles, il est pourtant possible d’établir une relation entre les consonnes et le degré de luminosité qu’elles suggèrent. Le classement des consonnes de la plus claire à la plus obscure est le suivant : k, s, l, h, p, j, n, g, b, r, d, m (Botton/ Cegarra ²1995, 50). Dogana (1991, 37) souligne la différence entre les onomatopées et les synesthésies comme suit :  





























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« Nell’onomatopea i suoni della lingua imitano i suoni della natura, mentre nel fenomeno della sinestesia i suoni linguistici evocano qualità non sonore dei designati (come la forma, il colore, la grandezza ecc.) ».  



Nous citons à titre d’exemple les noms croc’frais, pik & croq’ et cracotte pour la première catégorie, les noms cochonou, kidiboo et lustucru pour la deuxième. Vu sous un angle formel et purement structurel, nombre de noms commerciaux peuvent être décrits à l’aide de la dérivation, de la composition et de l’abrègement. Dans le domaine de la dérivation certains suffixes sont très productifs et peuvent être adjoints à une multitude de radicaux. Bien que conformes au système linguistique, les dérivations qui en naissent ne figurent pas dans les dictionnaires et peuvent être considérés comme des créations du langage publicitaire, par ex. ethiquable, baguettine, compotine, florette. Nous trouvons également des combinaisons de plusieurs affixes, par ex. toastinette. Une catégorie de noms contient des substantifs ou adjectifs (entiers ou abrégés), des adverbes ou encore des prépositions qui entrent en combinaison avec divers autres éléments. Ceci donne naissance à de véritables séries. À la base des lexèmes mare ‘mer’ et lat(te) ‘lait’ le marché alimentaire italien nous fournit par ex. les séries suivantes : mare fresco, mare pronto, mareblu, maredelicato, alto mare, ortomare, rio mare ; bonlat, chiccolat, privolat, parmalat, pavilát. La préposition più ‘plus’ donne lieu à la série qui suit : più buono, più giorni, più gusto, piùintegrali, piùleggeri, più leggero, natura più, oropiù, ovitopiù, patapiù, polpapiù, wafer più. Pour saisir cette catégorie intermédiaire entre la dérivation et la composition, Mundt (1981, 61) introduit le terme d’« affixe dynamique ». Ces formations s’appuient sur le modèle de la confixation telle qu’elle a été définie par Kocourek (21991) dans le cadre de l’analyse du lexique technique (↖ 12 La confixation et les adjectifs de relation). Ce type de formation consiste à combiner des racines grecques et/ou latines dans le but d’obtenir des termes savants. Dans le cas présent cependant, le matériel lexical n’est que rarement autre qu’italien et les éléments auxquels s’allient les formes qui constituent des séries sont des plus variés. En conséquence, nous proposons de parler de confixation au sens large du terme. D’un point de vue fonctionnel, le cas de actimel, activia, actidrink démontre que ces formations peuvent transmettre une touche de scientificité. La popularité des mots composés dans le langage publicitaire est due au principe de l’économie linguistique. Certes, dans bien des cas la distinction entre la composition d’une part et le syntagme de l’autre est problématique. Il est pourtant important de retenir que les noms commerciaux représentent toujours une entité conceptuelle. Ils doivent transmettre le concept du produit en question et contribuer au positionnement de la marque. Les types de composés suivants peuvent être repérés : les composés lexicaux unifiés (grandlait, taillefine), les composés lexicaux à apostrophe (pulp’ orange), les composés lexicaux à trait d’union (cocotte-minute) et les composés lexicaux détachés (paysan breton, petits cœurs). Il est remarquable que les composés nominaux formés à la base d’un nom et d’un verbe, qui sont fréquents dans la langue standard, n’apparaissent que rarement dans le domaine des noms commerciaux. Pour  











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l’italien la création zuppalatte a pu être repérée. Les différents procédés de troncation permettent de réaliser des noms courts qui peuvent facilement être retenus par les consommateurs. Souvent, seule la connaissance exacte du référent permet l’analyse correcte d’un nom donné. Concernant la structure morphologique des noms commerciaux il convient de prendre en considération les noms qui ont été créés à la base de noms d’entreprise, de noms d’assortiment ou de noms de ligne préexistants. Il est ainsi possible de bénéficier du capital de marque déjà établi. Les procédés morphologiques qui s’appliquent dans le domaine de la création des noms commerciaux sont retenus dans l’aperçu suivant. Tableau 1 : La morphologie des noms commerciaux Type de formation

Exemple

dérivation :  

préfixes

super poussin

préfixoïdes

biolait

suffixes

compotine

suffixoïdes

bio manie

composition :  

composition au sens stricte du terme :  

N+N

maître coq

N+A

paysan breton

A+N

petit écolier

N+prép+N

caprice des anges

A+A

grand frais

adv+N

avant-goût

coordination

prestige & tradition

syntagme

mes pains à dorer

phrase

nos régions ont du talent

abrègement :  

apocope (rare : aphérèse, syncope)

barr’

mot-valise

apérifruits (apéri(tif) + fruits)

haplologie

biorigine (bio(logique) + origine)



sigle

abc

formations à la base de noms de marques :  

affixation

danette (danone)

composition

secret de maille (maille)

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Type de formation

Exemple

syntagme

mon premier nesquik (nesquik)

abrègement

dan’up ( danone)

mot-valise

blédicao ( blédina + cacao)

haplologie

gervillage ( gervais + village)

Au niveau sémantique de nombreux noms de marques sont créés en recourant à des noms propres. Souvent c’est le nom de famille qui sert de raison sociale (par ex. peugeot). Outre cela, la dénomination peut être composée d’un nom de personnage historique (par ex. marie-antoinette), mythologique (par ex. apollon) ou littéraire (par ex. madame bovary). D’autres noms propres sont des noms d’endroits (par ex. vichy), de fleuves (par ex. gange) et de montagnes (par ex. mont blanc) . Lorsqu’une unité lexicale se transforme en nom commercial, un sens nouveau s’ajoute au sens préexistant. Dorénavant cette unité désignera, outre les anciens référents, le produit dénommé. D’un point de vue catégoriel les noms dominent, par ex. pirates, prince, silhouette, suivis par les adjectifs, par ex. vrai, velouté, délicieux. Les verbes, les adverbes, les prépositions et les pronoms peuvent pourtant aussi faire fonction de noms de produits et de marques. Il est possible de regrouper les noms commerciaux d’après leur sémantique. Certains noms proviennent d’un même domaine de sens et constituent des champs lexicaux, tels que le terme a été défini par Trier en 1931. Un champ lexical désigne un ensemble formé par les unités lexicales d’une même catégorie syntaxique couvrant une aire de signification spécifique. À titre d’exemple nous citons la série diamant rose, diamant bleu, émeraude, rubis, saphir. Ces éléments désignent tous des pierres précieuses. Cependant, les unités d’un même champ lexical apparaissant dans les noms de produits et de marques peuvent y occuper un statut différent et endosser tantôt le rôle de déterminant tantôt celui d’élément déterminé (par ex. mémé hélène, père dodu, bonne maman, cœur de maman). S’ajoute à ce fait un ultérieur aspect qui rend difficile l’application du concept de champ lexical. Lorsqu’une unité lexicale se transforme en nom commercial, un nouveau signifié s’ajoute à celui/ceux déjà existant(s). Les unités lexicales en question sont donc soumises à une extension de sens. Dans beaucoup de cas pourtant la relation entre un nom et son signifié n’est pas perceptible, et le nom ne permet pas de déduire les qualités du produit dénommé, comme c’est le cas du nom saphir désignant des produits nutritionnels pour animaux. Ceci entrave la détermination du noyau conceptuel que l’élément partage avec les autres unités d’une aire sémantique. La notion de « champ lexical » élaborée par Trier n’est donc pas apte à saisir cette affinité, pour laquelle nous proposons le terme de « domaine donateur ». Une analyse en corpus d’environ mille noms commerciaux du secteur alimentaire italien a permis d’établir les domaines donateurs suivants (Zilg 2005, 145ss.) :  









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Tableau 2 : Les « domaines donateurs » des noms commerciaux en Italie (cf. Zilg 2005, 145ss.)  



Domaine donateur

Noms commerciaux

famille

bonne maman, mama maria, mama mia, mamma antonia il biscotto della nonna, nonna isa, nonna maria coppa del nonno fratelli beretta

religion

s. giorgio, s. pellegrino, san benedetto, san carlo, san giuliano, santa lucia, santa rosa, sant’ orsola mama maria, nonna maria, le tre marie lievito pane degli angeli, paneangeli arca di noè, bontà divina, coelsanus, kinder paradiso

tendresse

abbracci, coccole, dolcezze di campo, sorrisi mon amour, mon chéri sofficette, sofficini, sottilette, tenerelle, tenerezze, tenerino

botanique

bucaneve, giglio oro, ligustro, petali di parma, stelle alpine

exotisme

bambù, colibrì, rosa del deserto

ciel / corps célestes / astérismes

coelsanus, le nuvolette, nuvolatte, cinque stelle, pan di stelle, stella bianca, stella chips le cascine del sole, ovosole, primosole, spicchi di sole aquarius

contes / magie

kinder sorpresa faville, favole, grifo magia d’aromi, magie, notti magiche il tesoro del cuoco, tesori dell’arca, tresor

neige et glace

granigel, orogel, surgela, surgital, ghiacciolini, ghiacciomenta, glacia polare, polaretti, kinder pinguí dolceneve, fresconeve, nevelatte, tronchetto di neve, dolci fiocchi

animaux

albatros, bufflò, camoscio d’oro, colibrì, giaguaro, kinder happy hippo, kinder pinguí, le cock, lo scoiattolo, nautilus, riso gallo, zoo-doria

temps

estathé matin, ovomattino mr. day, night, notti magiche ore liete, 10e trenta

L’analyse de la relation entre le nom et son référent, soit des motifs de dénomination, fait partie intégrante de la recherche onomastique. Le nom peut transmettre des informations quant aux ingrédients du produit, à sa couleur ou à sa forme. Parfois le nom révèle ce que le produit ne contient pas, par ex. zero gluten et nature gluten free. Selon Herstatt (1985, 38) le nom de marque peut transmettre les informations suivantes :  

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– – – – –

– – –

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L’origine du produit (evian) Le fabricant (peugeot) Le type de produit (biolait) Les ingrédients (pom’potes) Les qualités du produit telles que la couleur (mes pains à dorer), la forme (carambar), la taille (minizza), le poids (500 (confection à 500g)), le goût (pulp’orange), la consistance (velouté), etc. Le bénéfice du produit (taillefine) L’utilisation du produit (la boîte à laver) Le groupe-cible (bébés futés).

La classification des noms de produits et de marques peut s’effectuer également à la base des associations qu’évoquent les noms. Cet aspect est particulièrement important pour la psychologie du marketing, étant donné le fait que les associations doivent correspondre aux besoins et aux vœux des consommateurs, auxquels le produit en question pourra remédier. Ronneberger-Sibold (2004, 572s.) propose de différencier trois catégories d’associations : les associations liées au produit dénommé (par ex. l’authenticité, la fiabilité, la précision), les associations liées au consommateur (par ex. le pouvoir, la liberté, le plaisir) et les associations liées tant au produit qu’au consommateur (par ex. la santé, la forme, la sécurité). Dans la dénomination de produits l’on recourt souvent à des langues étrangères. Dans ce contexte il peut s’agir de formes simples, telles que le nom de marque français mariposa (espagnol ‘papillon’), ou de formations complexes, dont la première ou la deuxième composante ou toutes deux sont étrangères (par ex. speedy berlingots, déli’light, cup’n joy). Parfois c’est un morphème flexionnel (par ex. amandinas) ou dérivationnel (par ex. choc-issimo) qui provient d’une langue étrangère. Nombre de substantifs et d’adjectifs apparaissent fréquemment et occupent une position clé au sein du langage publicitaire. Ces éléments peuvent être saisis à l’aide du terme de « concept clé ». Ils se présentent selon la graphie de différentes langues et proviennent parfois de plusieurs catégories grammaticales. De plus, ils peuvent être abrégés de façon différente dans les noms dans lesquels ils se présentent. Dans le secteur alimentaire ils comportent par exemple des éléments décrivant le type de produit, sa forme ou son goût (parfum). Outre cela, ils comportent des éléments suggestifs ou servant à valoriser le produit dénommé ou encore des éléments qui témoignent de l’actuelle prise de conscience par rapport à la santé et à l’environnement de la part des consommateurs. Cette catégorie des concepts clés se trouve en étroite relation avec les termes typiques destinés à favoriser les ventes qu’Arnaud (1989, 5s.) qualifie de « motsvendeurs ». Ceux-ci se caractérisent par les quatre qualités suivantes : l’intelligibilité, la simplicité, la réactivité et la propriété. Selon Arnaud (1989, 5) les mots-vendeurs sont clairs et intelligibles, les termes scientifiques et techniques ou peu courants sont donc exclus. L’évidence facilitant la compréhension et favorisant l’action, les expres 











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Les noms de produits et de marques

sions de ventes retenues sont des mots au sens naturel. Certains mots présentent toutefois le défaut d’être trop usuels, par ex. l’élément super, ce qui entraîne la perte de leur efficacité (Arnaud 1989, 5). Ainsi Arnaud (ibid.) suggère : « Par exemple pour un produit aussi banal qu’une tomate ou une pomme rouge d’été, il serait plus attrayant de les appeler pomme d’amour ou pomme de paradis ». En outre, les motsvendeurs sont réactifs, c’est-à-dire qu’ils établissent virtuellement une réaction visuelle, auditive ou émotionnelle. Arnaud (ibid., 6) affirme : « Seuls les mots jouant un rôle de catalyseur positif concourent pour le titre de vendeur ». Finalement, les motsvendeurs doivent remplir la fonction de la propriété. Ils doivent ainsi s’allier avec les produits qu’ils commentent et être adaptés à leur nature (ibid.). Une étude en corpus se basant sur les noms commerciaux du secteur alimentaire italien contient à titre d’exemple les concepts clés suivants (Zilg 2005, 181ss.) :  













Tableau 3 : Les « concepts clés » des noms commerciaux en Italie (cf. Zilg 2005, 181ss.)  



concept clé

noms commerciaux

ami

amica chips, amica verde, amici miei, natura amica, snack friends

arome

aromat, fantasie aromatiche, gran aroma, magia d’aromi

céréales

3 cereali, céréal, cereal ciok, cerealdoria, cerealicosì, cerealix, cioccocereali, grancereale, kinder cereali

crème

crema actidrink, crema belpaese, crema di yogurt, crème caramel, crème cuisine, crème olé, crempurè, kremliquirizia, cremino, cremiximo, cremolo, cremoso, cremy, deca crèm, doricrem, viva la crema !, cremeria del lattaio, la cremeria

délice

delizia, delizie di mais, agrodelizie, cidelizie, pandelizie, peperlizia, delicius, kinder délice

envie

le voglie, biovoglia, mini voglie, voglia di fragola, voglia di pasta !, ti voglio

fruit

frutta yo, fruttapec, fruit joy, big frut, crousty fruits, frùttolo, frutty, frubetto, frucchero, fruix

lait

latte milano, latte sardegna, alpilatte, fiordilatte, nevelatte, nuvolatte, zuppalatte, kinder fetta al latte, lattella, cremeria del lattaio, bonlat, chiccolat, mandorlat, privolat, parmalat, pavilát, mixmilk, rollimilk

mélange

mix carota, mix max, mixmilk, condimix, granmix, mr. mix, cremiximo, misto per spaghettata

or

oro, l’oro del mare, oro d’aspra, oro di frantoio, orogel, oropiù, oro verde, camoscio d’oro, cascina d’oro, costa d’oro, foglia d’oro, la tazza d’oro, l’isola d’oro, lingotto d’oro, polpadoro, ruota d’oro, sogni d’oro, spigadoro, coppa oro, giglio oro, limonoro, orzoro, doré

vie/vivre

vita di sangemini, vita-c, vitasnella, vitasoya, fior di vita, mivida, bio vivisano, viva la crema !, natura viva, vitessa, vitessino, vivalia, vivi vivo, vivita







yogourt

yogurtal, yogo brioss, yogo pan, yogoloso, yomo, yosoi, yo-yo, frutta yo, only yo

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Finalement, l’analyse linguistique des noms commerciaux doit prendre en considération les procédés d’expression. Nous distinguons les figures jouant sur le sens des mots, telles que la métaphore (bijou de la mer ‘poisson’) et la métonymie (la tasse de chocolat ‘chocolat chaud/froid’, cristaline ‘eau minérale’, la petite crèmerie ‘produits laitiers’), et les figures jouant sur la sonorité, tels que l’allitération (délidoux) ou la paronymie (biotiful lunch – beautiful, only yo – you) .

6 La création de noms Selon Botton/Cegarra (²1995, 15) le travail du créateur de noms de marques se situe dans un espace intermédiaire entre le travail d’un nomenclateur et le travail d’un poète. Les auteurs (Botton/Cegarra ²1995, 90) posent cinq principes clés applicables à la plupart des situations de création : – La marque doit se remarquer. – La marque doit se démarquer. – La marque ne doit pas enfermer le produit (dans une époque, dans un espace géographique, dans un positionnement). – La marque doit suggérer plutôt qu’affirmer. – La marque doit être juridiquement saine.  

Dans le domaine de la création de marque, la méthode la plus usuelle est celle des réunions de créativité comprenant cinq à dix personnes. Ces groupes sont constitués de créatifs, de membres du personnel de l’entreprise et de consommateurs (Botton/Cegarra ²1995, 105). Depuis quelques années les créateurs de noms se servent de logiciels informatiques. Botton/Cegarra (ibid., 109ss.) en nomment les atouts ainsi que les limites. Parmi les avantages figurent la rapidité, l’efficacité et la productivité avec lesquelles l’ordinateur exploite la combinatoire. L’ordinateur est en plus capable de trier et de classer le rendement de la recherche. Il est pourtant incapable de proposer de réelles innovations, que ce soit de forme ou de sens. De plus, chaque méthode combinatoire nous fournit très rapidement un nombre de combinaisons tellement élevé que l’exploitation devient difficile. Parmi les principaux logiciels de la marque figurent Nomen 7, logiciel qui, à partir d’un corpus de références, cherche à reproduire ses règles formelles implicites, Brut, instrument qui permet de combiner des syllabes de façon systématique, Combi, logiciel qui permet de créer des mots composés ou des expressions, et Quenotte, instrument qui engendre des phrases (simples et complexes) sur une structure et un vocabulaire donnés à priori (ibid., 111ss.). Sur la création à l’aide de logiciels Botton/Cegarra (ibid., 111) concluent :  

« L’informatique, aujourd’hui, est donc une aide précieuse pour le créateur de marques, à condition qu’il connaisse les logiciels et sache les choisir et les exploiter au mieux, en fonction  

Les noms de produits et de marques

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du problème posé. En pratique, leur utilisation sera le plus souvent réservée aux professionnels de la marque ».  

Dans le cadre de l’internationalisation des activités de l’entreprise quatre stratégies de dénomination se trouvent à sa disposition (Botton/Cegarra ²1995, 176s.) : – La standardisation – La transposition – L’adaptation – La différenciation  

La stratégie de « standardisation » implique l’usage du même nom dans les pays où le produit est vendu (par ex. nutella). Cette stratégie entraîne en ligne générale l’usage de termes anglais, de mots ou locutions universellement connus ou de mots inventés (Botton/Cegarra ²1995, 177). La stratégie de « transposition » signifie qu’un nom est traduit littéralement dans la langue de chaque pays (par ex. la vache qui rit, France, die lachende Kuh, Allemagne, the laughing cow, Royaume-Uni, la vaca que ríe, Espagne). L’entrepreneur aura recours à cette stratégie lorsque le contenu sémantique du nom est primordial et rend nécessaire la compréhension de la marque dans les différentes langues (ibid.). La stratégie d’« adaptation » implique l’emploi d’un nom différent qui véhicule pourtant le même concept (par ex. cajoline, France, kuschelweich, Allemagne, coccolino, Italie ; ibid.). La stratégie de « différenciation » se caractérise par l’utilisation, dans chaque pays, d’un nom différent possédant un univers d’évocation spécifique et un positionnement distinct (par ex. apérifruits, France, paradiso, Allemagne ; ibid.). Les différentes stratégies de dénomination ont chacune leur correspondant au niveau des procédés d’extension du vocabulaire. C’est ainsi que la standardisation correspond à l’internationalisme, la transposition a pour équivalent le calque, l’adaptation correspond à l’équivalence et la différenciation au néologisme. Les variantes de dénomination pour un seul et même produit font naître des isoglosses commerciales qui illustrent l’imbrication de facteurs linguistiques et culturels d’une part et économiques de l’autre (Platen 1997, 150ss.). Si un nom de marque doit s’insérer dans plusieurs langues, il convient de s’assurer que la nouvelle création ne soit pas nuisible dans une des aires linguistiques visées. Parmi les cas les plus fréquemment rencontrés Botton/Cegarra (²1995, 118) nomment des significations argotiques ou obscènes, des noms de mouvements politiques ou religieux et des mots qui possèdent le même sens mais des connotations divergentes dans différentes langues. De plus, il importe d’examiner la prononciation du mot dans chaque pays concerné.  



















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Antje Lobin

7 Conclusion Outre son importance économique et juridique le champ des noms de produits et de marques présente un terrain d’investigation significatif pour la linguistique. Grâce à leur rapport pratique et à la diversité du matériel linguistique utilisé, les noms de marques constituent un enrichissement essentiel. Selon Laurent (2010, 265) « le nom déposé est au carrefour de différentes disciplines. […] C’est donc un sujet interdisciplinaire, qui apporte autant de retombées scientifiques qu’applicatives ». Dans ce contexte, une analyse synchronique et descriptive de noms de marques peut assumer différentes fonctions. Une telle étude fournit une solide base de travail aux créateurs de noms, puisqu’elle contient des modèles de formation pour la création de futurs noms. Au niveau juridique la meilleure connaissance des mécanismes de création peut contribuer à mieux juger le degré de similitude et le risque de confusion de différents noms. Pour les consommateurs, finalement, une analyse linguistique de noms de produits et de marques peut remplir une fonction d’éclaircissement. La capacité de décoder les modèles de formation de noms facilite l’orientation du client dans le monde de la consommation. La structure linguistique d’un nom de marque détermine dans une large mesure son impact publicitaire dans le sens que le nom peut fortement contribuer au succès d’une marque. Dans ce contexte Smith (1982, 189) souligne la nécessité d’une coopération plus étroite entre la théorie linguistique et la pratique économique et juridique :  





« Nous avons besoin de linguistes en dehors des milieux universitaires. […] Le domaine de la publicité (tout comme d’autres branches professionnelles) a besoin de linguistes ou de personnes qui disposent de plus d’une intuition de la langue » (trad. A.L.).  



8 Bibliographie Arnaud, Alain (1989), Les mots-vendeurs. Selling words, Paris, La maison du dictionnaire. Botton, Marcel/Cegarra, Jean-Jack (21995), Le nom de marque. Création et stratégies de marques, Paris, McGraw-Hill. Brendler, Andrea/Brendler, Silvio (edd.) (2004), Namenarten und ihre Erforschung. Ein Lehrbuch für das Studium der Onomastik, Hamburg, Baar. Dogana, Fernando (1991), Iconismi verbali nel linguaggio della pubblicità, in : Franco Bellino et al., Il linguaggio della pubblicità, Milano, Mursia, 23–41. Eckkrammer, Eva Martha/Thaler, Verena (2013), Die Ergonymie als namenkundliche Subdisziplin. Beobachtungen zur Terminologie und zum aktuellen Forschungsstand, in : Eva Martha Eckkrammer/Verena Thaler (edd.), Kontrastive Ergonymie. Romanistische Studien zu Produkt- und Warennamen, Berlin, Frank & Timme, 7–53. Esch, Franz-Rudolf (2003), Strategie und Technik der Markenführung, München, Vahlen. Esch, Franz-Rudolf/Langner, Tobias (32001a), Branding als Grundlage zum Markenaufbau, in : FranzRudolf Esch (ed.), Moderne Markenführung. Grundlagen, innovative Ansätze, praktische Umsetzungen, Wiesbaden, Gabler, 437–450.  







Les noms de produits et de marques

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Textes et discours

Guiomar Elena Ciapuscio

5 Textes et discours scientifiques Abstract : Le présent travail est fondé sur l’idée que la science est essentiellement une activité de communication et est donc constituée et déterminée par l’instrument linguistique. Mon argument est que la scientificité d’un texte consiste en une conjonction de propriétés et de traits qui renvoient à ses différentes dimensions telles que sa fonction, son sujet, son contexte ou encore sa forme linguistico-grammaticale. Ce travail est structuré comme suit : un aperçu des travaux précédents sur les questions épistémologiques et théoriques qui ont présidé aux recherches linguistiques sur le discours scientifique est suivi d’une proposition de définition des textes scientifiques ; un choix de propositions typologiques permettant d’ordonner les textes et genres scientifiques y font suite ; la section finale est un exposé d’exemples d’analyses de l’oralité scientifique et un plaidoyer en faveur d’une intensification des recherches dans ce domaine.    







Keywords : Science et langage, typologie et genres scientifiques, oralité scientifique, traitement et qualification du lexique spécialisé, modalité    

1 Introduction Même si la rareté des recherches sur les textes scientifiques a été soulignée il y a plus de deux décennies (cf. Weinrich 1989 ; 1995 ; Schröder 1991a), il est possible d’affirmer que, pendant la période écoulée, une explosion d’intérêt linguistique s’est produite dans l’étude des caractéristiques des produits verbaux et multimodaux de la communication scientifique. Ce champ est devenu un domaine de recherche fondamental des études linguistiques et textuelles. Au cours des vingt-cinq dernières années, des chercheurs représentant différentes orientations (la linguistique textuelle, la linguistique appliquée, la linguistique fonctionnelle systémique et l’analyse du discours) ont mené à bien de très nombreuses études sur le discours scientifiqueacadémique dans différentes langues et ont beaucoup avancé dans la connaissance des caractéristiques lexico-grammaticales, textuelles et discursives de leurs différents genres. Cette explosion de l’intérêt a produit de très nombreux et divers travaux rendant impossible une analyse exhaustive de l’état des connaissances. C’est pourquoi les contenus et l’approche de ce chapitre répondent nécessairement à un processus de sélection et de condensation ardu. Bien que nous nous servions de références importantes sur des travaux réalisés à propos d’autres langues, notre champ d’observation et d’illustration empirique concerne essentiellement le contexte hispanophone. Du point de vue théorique, ce chapitre se situe dans la perspective générale de la linguistique du texte et des développements qui en résultent gardant fortement  



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l’empreinte de la tradition allemande. Le travail vise premièrement à présenter un ensemble de notions et d’antécédents sur des questions épistémologiques qui ont influencé la recherche concernant les textes scientifiques : la manière dont l’instrument linguistique a été perçu et évalué dans le champ scientifique ; la caractérisation traditionnelle des textes scientifiques et les modalités et aspects de ces mêmes textes qui ont été privilégiés. Deuxièmement, une définition possible des textes scientifiques est proposée, basée sur les approches multidimensionnelles de la linguistique. Puis sont présentés une exposition et un débat sur les modes de conceptualisation et d’organisation de l’univers des textes et des genres du discours scientifique. Pour finir, je voudrais analyser certains fragments typiques de l’oralité scientifique (entretien et conférence) pour illustrer quelques aspects choisis des textes scientifiques dans le but de plaider pour une intensification des recherches sur le discours oral dans ce domaine. Lorsque l’on parle de textes ou de discours scientifiques, on évoque un ensemble divers de pratiques et de genres communicatifs. Je préconise une vision large des textes scientifiques qui comprend différents degrés de spécialité (ou « scientificité »), différents registres communicatifs, genres discursifs et modalités de la langue (oralité et écriture). Le discours scientifique va des modalités les plus informelles (conversation au laboratoire) aux genres les plus standardisés (comme l’article de recherche) ; il s’agit d’un domaine « complexe et polymorphe » (Alcíbar 2007, 71) incluant pour de nombreux auteurs la vulgarisation scientifique : « Discourse analysts must remember that scientific discourse involves a range of genres and practices, and that popularizations are an important part of this range […] » (Myers 2003, 270). Dans mon enquête sur ce sujet, j’emploierai ci-après le syntagme « textes scientifiques » qui comprend aussi bien les variétés formelles et informelles que les modalités écrite et orale de la langue dans ce domaine.  























2 Antécédents et fondements 2.1 Science et langage Différents auteurs ont montré que le domaine scientifique a été marqué – depuis les origines de la science moderne – par une profonde méfiance quant à la capacité des langues de pouvoir exprimer fidèlement les « vrais » contenus scientifiques (par ex., Bungarten 1981b ; Kretzenbacher 1995). Ce conflit originel, qui s’est poursuivi avec des nuances et des accents différents alors que le XXe siècle était déjà bien entamé, et qui est compris dans ce que Lakoff/Johnson (1980) appellent « objectivisme », constitue un cadre qui permet de comprendre assez bien les conceptions qui ont dominé pendant longtemps non seulement dans la littérature prescriptive relative à la rédaction scientifique (Savory 1967), mais aussi dans notre discipline. La conception « classique » ou « traditionnelle » est condensée dans ce que l’on appelle le style  



















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linéaire, basé sur l’idéal de la transparence (Kretzenbacher 1995), qui est défini par des caractéristiques comme la précision, l’objectivité, la clarté, l’absence de subjectivité et de l’élément émotionnel. Toutefois, la conception classique a été remise en question, en particulier à partir des études de la sociologie de la science (et de ce qui a été appelé « le programme fort », Barnes 1977). Les recherches sur le discours scientifique comme, entre autres, celles de Bazerman (1984), Gilbert/Mulkay (1984) et Latour (1987) qui ont étudié les productions des scientifiques dans le contexte de leur travail, ont montré que le parcours conduisant de l’expérimentation à la publication scientifique n’est pas un trajet linéaire de l’observation à la description objective de faits, mais implique plutôt l’interprétation et la modification de l’information, la citation d’une bibliographie déterminée – pas toujours désintéressée – et l’imitation de modèles en vue d’obtenir l’acceptation et l’approbation (Kaplan/Grabe 1991, 208). Dans cette perspective, l’instrument linguistique (re)prend une place centrale car la rédaction de textes scientifiques est définie comme « une activité rhétorique porteuse de valeurs » (ibid., 213). Une vision modérée affirme que la science est une activité sociale insérée dans la communauté où elle se déroule, et donc soumise à des conditionnements : cette communauté partage toutefois un ensemble de valeurs – l’ethos scientifique – qui, selon Weinrich (1995), soutient la procédure scientifique de la recherche commune aux différentes disciplines. Dans différents textes, cet auteur a formulé un ensemble de réflexions remarquables dans ce domaine et a proclamé la nécessité d’une « linguistique de la science », étant donné que l’activité scientifique est une activité fondamentalement communicative (1988 ; 1989 ; 1995) orientée sur deux « commandements » : celui de la publication (Merton 1985) et celui de la réception critique. Une connaissance ne devient vraie (valable) que lorsqu’elle est communiquée à d’autres et qu’elle reçoit la légitimation – toujours provisoire – de la communauté des pairs. De là vient le caractère central de l’instrument linguistique dans le domaine scientifique et le besoin d’une discipline spécifique pour son étude. Les membres de la communauté scientifique partagent un ethos : les pratiques sont orientées vers des valeurs qui sont définies comme des aspirations à la « vérité », à savoir la vérité de référence, la vérité de protocole, la vérité de dialogue et la vérité communicative. Ces « vérités » sont liées aux étapes de la procédure scientifique : informer de manière honnête et rigoureuse sur ce que d’autres ont écrit auparavant quant au sujet faisant l’objet de la recherche ; présenter de manière complète et désintéressée son propre travail et en exposer les points forts et les points faibles, tout comme tracer un panorama précis de ce qu’il reste encore à faire en délimitant même le territoire pour les développements futurs. Je reviendrai sur cette question à la section 3. Une ligne de tension dans la discussion sur la langue scientifique porte sur le caractère universel du discours scientifique, évidemment lié à la position traditionnelle fondée sur le fait que les méthodes et les concepts de la science formeraient un système culturel secondaire exigeant des structures discursives spécifiques et indépendantes de leur réalisation linguistique (cette ligne d’argumentation est basée sur  







































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la tendance à la symbolisation au moyen de formules, de graphes et, en général, d’éléments non verbaux). La position contraire – et majoritaire – soutient que la structure et les formes génériques du discours scientifique sont conditionnées, en grande partie, par des principes dépendant de la langue et de la culture. Cette position a donné lieu à une riche tradition d’études contrastives qui étudient les différences et les similitudes des textes scientifiques de différentes langues (Clyne 1987 ; Baumann/ Kalverkämper 1992 ; Schröder 1991b ; Duszak 1997 ; Fandrych/Graefen 2002 ; Ehlich/ Steets 2003). À cette thématique est liée la question de l’anglais comme langue véhiculaire de la communication scientifique qui a été intensément discutée (Weinrich 1995 ; Kretzenbacher 2001, entre autres) et qui, au-delà de la controverse plus ou moins vive selon les disciplines, a provoqué, dans le contexte hispanophone, le développement d’études importantes sur les textes scientifiques en anglais qui se proposent de contribuer à la performance communicative en langue seconde (par ex. Castel 2010).  











2.2 Caractérisations traditionnelles des textes scientifiques Les textes scientifiques ont été considérés comme des réalisations de styles ou de variétés fonctionnelles (Havránek 1964), comme des « sous-systèmes » ou des « variantes linguistiques » (Beneš 1981), voire des « sous-langages » de la langue globale, conçus comme des « subsystems of the total language system, actualized in texts of specific spheres of communication » (Hoffmann 1987, 298) ; la sociolinguistique les a considérés, pour sa part, comme des « registres fonctionnels » (Biber 1994). Les développements de la linguistique du texte ont influencé les études sur les langues de spécialité et on a proposé des termes tels que « linguistique du texte spécialisé » ou « communication spécialisée » pour signaler la dimension multimodale des échanges dans ce domaine (Schröder 1991a). Au-delà des conceptualisations diverses – sur lesquelles je ne m’attarderai pas – il faut souligner que les premières caractérisations empiriques ont été fortement marquées par l’idéal de transparence et de style linéaire recherché par les premiers scientifiques et les néo-positivistes du Cercle de Vienne. Dans les années 1980, en particulier dans le domaine de la linguistique allemande, des études ont été entreprises sur la syntaxe de la langue scientifique, influencées, pour la plupart, par une vision idéalisée ; leur champ d’observation était exclusivement constitué de textes écrits et monologiques. Schwanzer (1981) a postulé l’existence des « universels » de la langue scientifique : la « référence stricte à l’objet, l’univocité, la clarté, l’efficacité et l’économie » (Schwanzer 1981, 215). Pour le cas de l’allemand écrit, Beneš (1981) a repéré des traits morphosyntaxiques associés à l’impersonnalité, notamment la prédominance de la troisième personne grammaticale, de la voix passive et des constructions basées sur on, la tendance à l’emploi des nominalisations, l’importance de certaines constructions syntaxiques pour la condensation conceptuelle ainsi que la fréquence relative des modes verbaux. Von Polenz  











































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(1981) a élaboré le concept marquant de désagentivation qui traduit l’omission ou le déplacement du syntagme agentif dans des phrases ayant des prédicats d’action. Les mécanismes utilisés sont l’emploi de phrases verbales passives et de structures passives basées sur on, les nominalisations et le « Subjektschub » (von Polenz 1981, 97). Bungarten (1989) a proposé une explication sociopolitique et psychologiquepsychanalytique de ces traits (des « obsessions » pour employer son expression) persistants dans les textes des scientifiques, en particulier du phénomène de désagentivation : ces formes sont-elles le résultat et l’expression linguistique et communicative de l’aliénation du scientifique ? Weinrich (1989) et, plus tard, également Kretzenbacher (1995) lient les traits stylistiques idéaux des textes scientifiques aux caractéristiques psychosociologiques de l’espèce « scientifique ». Dans un article qui éclaire le rapport entre la science, la langue et la culture scientifique, Weinrich (1989) caractérise la syntaxe des textes scientifiques (qu’il qualifie de réductionniste) avec une certaine ironie et une distance critique et présente les traits idéaux de la langue scientifique sous forme d’interdictions : « un scientifique ne dit pas je » ; « un scientifique ne raconte pas » ; « un scientifique n’emploie pas de métaphores ». Weinrich remet en question et restreint au moyen d’arguments variés la validité générale de ces interdictions et il les interprète humoristiquement comme des réactions possibles face à trois refoulements : la vanité bien connue des académiciens pourrait être un effet collatéral de l’interdiction de l’usage de je ; la tendance aux racontars et à la médisance donnerait lieu à l’interdiction du récit et la mystification connue de l’« idée géniale » serait une compensation de l’interdiction de la métaphore. La résistance à l’expression du « moi » liée au désir d’objectivité a fait l’objet de recherches précoces aussi bien en français (Loffler-Laurian 1980) que, plus tard, en espagnol (Ciapuscio 1992 ; Muñoz 1999). Dans le domaine de la sociologie de la science, Gilbert/Mulkay (1984) ont postulé que les stratégies de désagentivation et la tendance à la nominalisation font partie du répertoire empiriste qui aspire à présenter la science comme une description de faits ; Alcíbar (2007, 75) suggère que ces stratégies et tendances pourraient aussi avoir un effet d’apaisement dans des publications appartenant à un espace social où la polémique est naturelle et où la rivalité est importante. En linguistique, un nombre d’ouvrages considérable a été consacré à la relativisation et à la remise en question de l’« objectivité », très souvent purement déclarative, par l’approche de thématiques telles que le hedging, la modalité et les formes subtiles de la subjectivité, la politesse, etc. Cette remise en question se manifeste parfois par des généralisations quelque peu excessives : « Les textes académiques ne sont pas plus objectifs que d’autres textes ; ils ont une plus grande efficacité de pouvoir cacher linguistiquement la subjectivité » (Ventola 1997, 176) (trad. G.C.).  





































































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2.3 Écriture et oralité scientifiques Comme dans la recherche linguistique en général, c’est aussi la modalité écrite de la langue qui a suscité un intérêt pratiquement exclusif dans les études sur les textes scientifiques. En fait, être « écrivable » est l’une des caractéristiques générales que l’on attribue à la langue scientifique (von Polenz 1981) et elle est une conséquence de l’impératif de communication qui rend possible la validation des résultats de recherche. Cependant, il est évident que les formes orales jouent aussi un rôle central dans cette validation et dans d’autres modalités de diffusion, à savoir la discussion dans les congrès, les débats scientifiques, les entretiens, les amphithéâtres, les conversations au laboratoire. D’autre part, les pratiques scientifiques privées ainsi que la présence publique croissante des spécialistes dans les médias exige un examen plus attentif de l’oralité scientifique (plus explorée en anglais par ex. par Sager/Dungworth/McDonald 1980 et Ventola/Shalom/Thompson 2002, ou en allemand par Munsberg 1993 et Auer/Bassler 2007).  



2.4 La délimitation des textes scientifiques Eu égard au fait que l’on constate un chevauchement (voire une certaine confusion) entre texte scientifique et texte spécial, les définitions des auteurs venant de différents horizons théoriques mettent essentiellement l’accent sur la thématique « spécifique » (Petöfi 1981 ; Cabré 2002), le type d’utilisateurs (dans les deux cas, il s’agit d’« experts » pour Sager/Dungworth/McDonald 1980) ou encore les fonctions (la communication effective et efficace centrée sur le thème, Schröder 1991b). En général, dans la convergence des études textualistes et des études sur les textes à objets spécifiques, les définitions tiennent compte de facteurs relatifs à l’ensemble des dimensions textuelles et, naturellement, au contexte extralinguistique (Gläser 1993 ; Kocourek ²1991 ; Schröder 1991b ; Lundquist 1991 ; Hoffmann 1998,1 entre autres). Ehlich (1995) et puis Graefen (1997) signalent à juste titre le besoin de différencier les textes scientifiques des « textes spéciaux » (« Fachtexte »), tous deux généralement regroupés dans la littérature en un même sous-ensemble. Les textes spéciaux sont des réalisations linguistiques de la praxis communicative dans les différentes professions et champs de travail ; la langue spéciale s’entend comme un ensemble de dénominations d’une praxis professionnelle qui tend à préférer des sélections grammaticales ayant une fréquence différente de celle de la langue courante. Cependant, la science est réalisée dans des procédures d’obtention des connaissances étant socialement  



























1 Une grande partie de l’œuvre de L. Hoffmann, parue en allemand sous forme de livres, d’articles et de chapitres de livres a été traduite en catalan et publiée par l’Institut Universitari de Lingüística Aplicada de l’Université Pompeu Fabra comme « recueil d’écrits » (Hoffmann 1998).  





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reconnues qui sont, dès le début, étroitement liées aux procédures linguistiques (Bronowski 1981 ; Weinrich 1995). La langue scientifique est le « sédiment de l’élaboration des connaissances, historiquement formé, mais en même temps la forme linguistique qui façonne cette élaboration » (Ehlich 1995, 341, trad. G.C.). La communication scientifique et ses formes communicatives transcendent, du point de vue conceptuel, l’idée d’une langue spéciale. Je plaide alors pour une distinction terminologique et conceptuelle entre les textes spéciaux et les textes scientifiques. Quant à la portée de l’univers empirique couvert par le syntagme textes scientifiques, je voudrais y apporter deux précisions. Premièrement, dans cet ensemble sont inclus ce que l’on appelle les textes académiques créés et employés dans les sphères de la formation universitaire et supérieure. La délimitation par rapport à la communication publique de la science, quant à elle, s’avère plus difficile. Il y a eu traditionnellement deux positions à cet égard : d’une part, la position restreinte qui établit des clivages à partir de différents critères (les utilisateurs, tous spécialistes, ou la perspective thématique) et qui peut être comprise si l’on tient compte des besoins théoriques et méthodologiques ; d’autre part, la position ouverte qui considère que la communication scientifique comprend un espace discursif hétérogène où peuvent être incluses diverses modalités communicatives comptant la participation des non experts, comme c’est le cas pour la vulgarisation scientifique (Jacobi 1984 ; Loffler-Laurian 1983 ; Jeanneret 1994 ; Schröder 1993 ; Ciapuscio 2001 ; Beacco et al. 2002). Cette dernière situation est plus acceptable d’un point de vue empirique si l’on tient compte du grand rapprochement entre la science et la culture citoyenne qui s’est produit au cours des dernières décennies, favorisé par des facteurs de différents ordres (politiques, sociaux, liés à la croissance des médias et des technologies), ce qui rend empiriquement problématique l’établissement de limites claires (Calsamiglia 2003 ; Moirand 2006). Néanmoins, faute de place, je me bornerai dans mes considérations à la première de ces positions en me basant sur le fait que c’est la perspective de l’expert en la matière de la discipline abordée qui détermine la limite de l’ensemble des textes scientifiques. Pour spécifier le sens donné au concept de « textes scientifiques », il faut examiner les deux membres de ce syntagme. Les textes, conçus comme des produits d’activités cognitivo-communicatives, sont des objets complexes – par leur caractère multidimensionnel – et naturels (Bernárdez 1995) : ils sont caractérisés par la propriété de la textualité dont la nature est prototypique (Sandig 2000) et consiste en un ensemble de traits ou attributs concernant ses dimensions constitutives, à savoir la fonctionnalité, la situationnalité, la thématicité et la forme verbale (Heinemann/Heinemann 2002, 104). Le « texte scientifique » doit donc être défini sur la base des informations relatives à ses différentes dimensions constitutives, à savoir ses fonctions et son contenu mais aussi les paramètres de la situation (usagers, contexte communicatif, etc.) et de la structure linguistique. La « scientificité » est, par conséquent, un attribut de nature multidimensionnelle, déterminé par le contexte linguistique. Il en résulte que, dans ma perspective, les textes scientifiques doivent être principalement entendus comme des réalisations verbales complexes d’activités propres à un domaine social et institutionnel, où  





































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agissent des individus et des groupes poursuivant des objectifs liés à la création, la communication et l’application des connaissances scientifiques, c’est-à-dire produites sur la base de procédures institutionnelles et sociales établies et consensuelles (Ehlich 1995 ; Weinrich 1995). Pour répondre à ces fonctions spécifiques, des formes génériques propres ont été élaborées au cours des temps, représentant une ressource essentielle pour parvenir aux buts et objectifs suivants : un large éventail de genres, standardisés à des degrés divers, allant des genres informels et privés, comme la conversation ou la consultation sur les lieux de travail, jusqu’aux genres plus formels et publics, tels que l’article de recherche, la communication, le livre de recherche, la conférence, le débat, la thèse, l’entretien, parmi de nombreux autres.  



3 Les classifications des textes et des genres scientifiques Les textes et les genres scientifiques ont commencé à être étudiés en tant qu’unités complexes et à l’aide d’une approche intégrale à la fin des années 1980, à partir de la convergence des études textualistes et discursives et de la recherche sur le discours spécialisé. La question des classifications des textes ou des genres scientifiques était et est toujours fondamentale, étant motivée par le besoin théorique et pratique d’organisation d’un champ très varié et comprenant des degrés de spécialité divers ainsi qu’une variété de formes communicatives considérable dont l’expansion est constante. Les contributions des différentes approches peuvent être interprétées dans une perspective soit statique, soit dynamique, perspectives que je considère comme complémentaires plutôt qu’exclusives. La première perspective est liée à la « typologie textuelle », conçue comme un système de classification de textes, sur la base de traits distinctifs évidemment choisis par l’analyste. Les systèmes proposés ont été représentés sous la forme d’arborescences, de tableaux, de grilles et autres marqués par la prédominance d’une orientation verticale. Plus étudiée ces derniers temps, la deuxième perspective favorise les modèles de représentation globaux, aspirant à représenter les rapports entre les genres par des métaphores géographiques comme la « topologie » (Lemke 1999), géographico-politiques comme la « colonie » (Bhatia 2004) ou biologico-sociales comme la « famille de genres » (Bergmann/Luckmann 1995).  















3.1 La perspective statique Les premières contributions cherchant à saisir la spécificité et la diversité des genres scientifiques proviennent des orientations fonctionnalistes. Beneš (1981) a proposé un ensemble de critères pour distinguer les classes textuelles de la langue scientifique et il différencie : a) suivant le média ou canal (textes oraux et écrits) ; b) suivant la  



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modalité de traitement textuel (description, rapport, narration, explication, commentaire ainsi que leurs variations et combinaisons en classes textuelles spécifiques comme le compte-rendu, le résumé, etc.) ; c) suivant le degré de spécialité des textes et leur perspective face au récepteur qui requiert un certain style : le style du chercheur (livres et revues), le style didactique (manuels et recueils destinés aux différents niveaux éducationnels) et le style encyclopédique. Ces trois derniers « sous-styles » constitueraient le champ central de la langue scientifique. Dans le domaine de la langue française, Loffler-Laurian (1983) a reconnu la diversité conceptuelle du terme « discours scientifique » et a proposé une typologie basée sur des critères situationnels (interlocuteurs, support textuel), et linguistiques (type de définition prédominante) dont le résultat est l’établissement de niveaux de « scientificité ». La proposition, limitée aux textes écrits, présente les catégories suivantes : a) discours scientifique spécialisé, b) discours de semi-vulgarisation scientifique, c) discours de vulgarisation scientifique, d) discours scientifico-pédagogique, e) discours du type mémoire, thèse, f) discours scientifiques officiels. À partir du concept des « genres LSP » (Languages for Specific Purposes) comprenant les genres scientifiques, Gläser (1993) a proposé une approche « d’intégration » qui inclut des propriétés situationnelles (extérieures au texte) et linguistiques (propres au texte) telles que la macrostructure, les interlocuteurs, les traits stylistiques ou le traitement de la terminologie. Une constante de ses travaux est la conviction que toute typologie textuelle s’appuie sur une base pragmatique, dépendant des fins poursuivies et du profil de l’utilisateur (Gläser 1995 ; Göpferich 1995). Hoffman présente une approche typologique classique (1998) en proposant une procédure analytique qu’il appelle « cumulative ». Celle-ci consiste en deux matrices au moyen desquelles les textes peuvent être décrits et typifiés. Cette démarche présuppose la nécessité d’une distinction de niveaux entre une matrice structurale où sont inclus des facteurs tels que la macrostructure, la cohérence, la syntaxe, le lexique et les catégories grammaticales, et une matrice fonctionnelle, composée de paramètres comme les variables sociales, les intentions communicatives, la situation et l’espace communicatif. Le groupe dirigé par Parodi à Valparaíso (Chili) a contribué à la typologisation du domaine spécialisé en y différenciant les genres disciplinaires, académiques et professionnels (2007) sur la base d’études quantitatives et multifactorielles à caractère linguistique. Dans des études précédentes basées sur le modèle multidimensionnel du texte (Heinemann/Viehweger 1991 ; Heinemann 2000), notre groupe de Buenos Aires a développé une approche typologique orientée essentiellement vers l’obtention d’un modèle fondé sur la théorie textuelle en vue de l’établissement des degrés de spécialité à partir de preuves linguistiques (Ciapuscio 2003b ; Ciapuscio/Kuguel 2002). Le modèle se base sur le fait que les informations des différentes dimensions se trouvent liées par un rapport de conditionnement mutuel. La typologisation d’un texte implique la réalisation d’une étude compréhensive dans les différentes dimensions : l’intégration des traits et des valeurs résulte en une caractérisation globale du texte et une catégorisation du degré de spécialité linguistiquement fondée. Ciapuscio (2003b) en présente des  







































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fondements approfondis et une illustration basés sur une sélection de textes scientifiques ayant des degrés de spécialité divers. Voici le modèle dans ses grandes lignes :  

Tableau 1 : Reproduction de Ciapuscio (2003b, 103) Niveau fonctionnel

Niveau situationnel

Niveau sémantique

– Exprimer

– Communication interne ou externe à la discipline ou au domaine particulier.

– Thème du texte

– Contacter – Informer – Diriger – Hiérarchie fonctionnelle :  

– Structure illocutoire (fonctions prédominantes / subsidiaires / complémentaires)  

– Séquentialisation fonctionnelle

– Interne (sciences, état, religion, commerce, industrie, etc.)

Niveau formel

– Maximes de formulation de la – Attitudes thématiques classe textuelle (maximes rhétoriquesstylistiques) – Perspective à propos du thème (théorique, didactique, appliquée, – Formes linguistiques / non-linguistiques de vulgarisation, etc.)

– Externe (communication in– Aspects grammaticaux – Formes primaires / terdisciplinaire / – Ressources formes dérivées discipline – monde syntaxiques public) – Ressources lexicales – Parties textuelles (libres / standardisées) (densité et traitement – Interlocuteurs : de la terminologie par spécialiste – ex.) – Type de déploiement spécialiste thématique (descriptif, spécialiste – narratif, explicatif, semi-spécialiste argumentatif, directif) spécialiste – non-spécialiste  

semi-spécialiste – semi-spécialiste semi-spécialiste – non-spécialiste – Rapport interlocuteurs – Nombre d’interlocuteurs (monologue / dialogue / petit groupe / grand groupe) – Paramètres spatiotemporels (communication en face-à-face, presse, télévision, communication virtuelle, etc.)

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Textes et discours scientifiques

Cette typologie a été employée aussi bien dans le cadre de recherches théoricodescriptives (Gallardo 2005 ; Vargas Sierra 2005 ; Prieto Velasco 2008 ; Kuguel 2010 ; Adelstein/Ciapuscio 2006–2007; Ferrari 2012) qu’à des fins appliquées telles que la formation à la rédaction et à la compréhension dans des contextes universitaires (Adelstein/Kuguel 2004) ou la traduction de textes spécialisés (Sánchez Nieto 2006 ; Elena 2008 ; Holl 2011). Dans le domaine de la recherche par ex., les relations de conditionnement mutuel et d’ordre dynamique entre le niveau formel et le niveau sémantique de la terminologie, tous deux explicitement liés aux niveaux fonctionnel et situationnel ont commencé à faire l’objet d’études approfondies au cours des dernières années. Des travaux de recherche originaux en ont résulté ; ceux-ci ont permis d’obtenir des connaissances nouvelles concernant le rapport entre la densité et la variation dénominative ainsi que conceptuelle des termes et le degré de spécialité des textes (par ex. Domènech Bagaria 2006 ; Kuguel 2010). Le texte scientifique et sa multidimensionnalité constituent le scénario incontournable de l’étude de la variation terminologique. D’autre part, la sélection et la densité de la terminologie ainsi que son degré et son type de variation (conceptuelle et formelle) sont un indice fiable et certain du degré de scientificité ou de la spécialité du texte scientifique (Ciapuscio 2003b).  















3.2 La perspective dynamique Quant à la perspective dynamique sur les genres, elle se traduit en termes de « familles » (Bergmann/Luckmann 1995) : les genres font partie du budget communicatif d’une communauté et servent à mener à bien des tâches sociales et individuelles. Les genres du domaine scientifique jouent des rôles spécifiques dans les sous-tâches ou tâches du domaine. Dans cette approche, les genres sont conçus sur un plan double : d’une part, une structure externe dérivée du rapport entre leur action communicative et le contexte social sur laquelle ils se basent, et, d’autre part, une structure interne issue de leur fonction primaire et de leur base matérielle-linguistique (Bergmann/Luckmann 1995, 291 ; voir aussi Günthner/Knoblauch 2007). La métaphore de la famille désigne plus nettement l’existence de liens entre les genres et elle permet surtout d’exprimer l’idée que les membres de la famille ont différentes fonctions dans le cadre général actionnel qui les fait naître et leur donne un sens. Les genres de la recherche – une sous-famille des genres scientifiques – développés tout au long de l’histoire par la communauté scientifique, sont utilisés par les spécialistes pour mener à bien la procédure de recherche ; comme nous l’avons dit, cette procédure est indissociablement liée à l’instrument linguistique et elle est commune aux différentes disciplines (Weinrich 1995) ; les membres « apprentis » de la communauté scientifique doivent acquérir ces genres car ils partagent tous le but social et communicatif de la production et de la transmission des connaissances nouvelles et pertinentes dans le domaine de leurs disciplines respectives (cf. Swales 1990 ; 2004). Les liens entre les genres de la recherche s’établissent par le fait qu’ils réalisent textuellement et linguistiquement, de manière partielle ou totale,  



















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les différentes étapes de la procédure scientifique elle-même (Ciapuscio 2007a) : a) établir l’état des connaissances de la discipline ; b) présenter son propre travail de recherche ; c) discuter des résultats (sur la base de la comparaison entre a) et b)) ; d) présenter un aperçu des tâches qui restent à accomplir (Weinrich 1995). Ces phases sont orientées (ou doivent l’être) sur l’ethos de la science (cf. 1.1). Les membres de la famille des genres de la recherche sont systématiquement associés à une ou plusieurs étapes de la procédure scientifique. Celle-ci est l’« embryon » auquel renvoient tous les genres de la famille, et cet embryon se trouve entièrement développé dans l’article de recherche ou bien dans le livre, genres constituant les représentants paradigmatiques de la recherche dans les différentes disciplines. La proposition est représentée au moyen du schéma ci-après ; pour simplifier, nous avons réuni les étapes (c) et (d)2 :  















Illustration 1 : Reproduction de Ciapuscio (2007a, 413)

À la différence des genres majeurs comme l’article ou la thèse, le compte-rendu de lecture, l’exposé oral de littérature scientifique et le chapitre sur « l’état de la question » de la thèse font partie de l’étape (a), à savoir l’établissement de l’état des recherches ; l’abstract, le poster et le rapport de recherche font partie de l’étape (b) ; enfin, l’évaluation, la réplique, la conclusion de la thèse ou de l’article se réalisent lors des étapes de la discussion et de l’aperçu (c et d). Considérons, par ex., les genres réalisant l’étape (a). Les différents genres oraux et écrits qui forment cette sous-famille et dont le but commun est d’informer sur l’état des recherches d’un sujet donné sont liés entre eux par des rapports de différentes natures selon les différentes dimensions textuelles. Par exemple, l’exposé oral sur la bibliographie et le compte-rendu de lecture s’opposent dans la dimension situationnelle par les paramètres oralité/écriture ; la section « antécédents théoriques » de l’article de recherche et le chapitre sur l’état de la question d’une thèse s’opposent dans la dimension formelle par un rapport de réduction/ d’expansion sémantico-formelle ; à leur tour, ces deux genres s’opposent au comptérendu, car ils forment une partie et n’ont donc pas l’autonomie textuelle qui caractérise ce dernier. En résumé, les membres de la famille des genres de recherche sont liés  













2 G 1, G 2, G 3, etc., signifient respectivement Genre 1, Genre 2, Genre 3, etc.



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Illustration 2 : Reproduction de Ciapuscio (2007a, 412)  

par des rapports bilatéraux d’ordres différents qui concernent diverses dimensions textuelles, essentiellement les dimensions de la situation, du contenu sémantique et de la forme grammaticale. L’idée des familles génériques – à peine esquissée ici – semble appropriée pour saisir la complexité, la diversité et la spécialisation croissantes des formes textuelles employées pour la transmission des connaissances scientifiques au cours des diverses étapes du continuum communicatif (cf. Ciapuscio 2007a pour un développement plus complet). Les paragraphes suivants présentent à titre d’exemple quelques analyses sur des aspects étudiés en profondeur concernant les genres scientifiques écrits mais négligés pour ce qui est de l’oralité : d’une part, comment est introduite et « manipulée » la terminologie scientifique et, d’autre part, comment le scientifique se positionne pour présenter les contenus de ses énoncés du point de vue de la modalité.  





4 L’oralité scientifique 4.1 Le travail lexical Si la définition, la reformulation et la paraphrase du lexique spécialisé sont des phénomènes traditionnellement étudiés dans le discours scientifique écrit (LofflerLaurian 1983 ; Mortureux 1985), rares sont les études réalisées sur l’oralité scientifique, où ces opérations peuvent être étudiées « in vivo ». L’étude de l’oralité suppose une perspective procédurale, orientée vers la découverte de la manière dont les problèmes communicatifs suscités par l’inclusion des termes sont abordés et dépassés pendant l’interaction. Ce « travail lexical » (Lüdi 1991) peut être clairement observé dans l’oralité : les scientifiques et leurs interlocuteurs introduisent, expliquent et  











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commentent les unités lexicales afin de parvenir essentiellement à la compréhension. Sur la base de l’approche développée par Gülich/Kotschi (1995) sur la production orale du discours et d’autres travaux sur l’interaction entre experts et non-experts (Gülich 2003 ; Brünner/Gülich 2002), nous avons étudié les procédures de constitution textuelle menées à bien par les scientifiques lorsqu’ils présentent les résultats de leurs recherches à des interlocuteurs moins experts (entretiens privés avec des journalistes scientifiques et conférences publiques, Ciapuscio 2003a ; Ciapuscio/Kesselheim 2005 ; Ciapuscio 2007b). Le fragment ci-après d’un entretien privé avec un chercheur3 permet d’illustrer les principales activités de production discursive et les activités de reformulation, de qualification métadiscursive et d’illustration (métaphore) qui configurent un trait prototypique des textes scientifiques dans les différents niveaux de spécialité et dans les diverses modalités de la langue. Le besoin de verbaliser les faits ou événements scientifiques (où interviennent des individus, des objets, des relations et des événements du monde de la discipline en question) implique la nécessité d’introduire des terminologies qui constituent très souvent des barrières ou des problèmes de communication (« trouble source » dans l’analyse conversationnelle). Les interlocuteurs doivent agir en coopération pour résoudre ces problèmes et avancer dans la conversation ; ils disposent pour cela de « procédures » communicatives spécifiques. Dans l’entretien, le scientifique (M) dialogue avec un journaliste spécialisé (P) sur le sarcome de Kaposi qui fait l’objet de ses recherches. Cet entretien privé, en face à face, constitue la base d’un texte de vulgarisation destiné au grand public. Dans le fragment ci-dessous, le scientifique explique ses progrès et ceux de son équipe de recherche.  















(1) Entretien scientifique-journaliste scientifique4 1. M : entonces'... nuestra idea era. digamos nosotros 2. M : encontramos este on/ este nuevo oncogen del virus' que

3 Les données correspondent à la variété argentine de l’espagnol. 4 La méthode de transcription est une version simplifiée de celle développée par le groupe de recherche sur l’analyse conversationnelle de l’université de Bielefeld. Elle est basée sur l’orthographe traditionnelle et les conventions de lecture suivantes : Signe Signifié Exemple ' Courbe intonative ascendante religión' , Courbe intonative descendante sí, MAJUSCULES Emphase rÁpido CLAro NUNCA : Allongement bue:no sí: / Interruption, Correction la foc/ la fotocopia = Liaison no=htá, no, . no lo creo . .. … Pause : très courte, courte, longue (?mot) Mot supposé (?está bien) + Le commentaire est valable jusqu’au prochain signe (+) qué sé yo,+  





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3. 4. 5. 6. 7.

M : era una parte desde el punto de vista bioquímico' . es lo M : que se conoce como. receptor acoplado a proteína ge' . M : que son. digamos se.tomaron una especie: de fama M : particular en los últimos dos=tres años' por el noventa M : y seis' . porque son los famosos receptores de quemoquina

8. M : que es el correceptor del virus del sida, .. el 9. P : m: 10. M : correceptor del virus del sida' 11. P : correceptor de quemoquina+ 12. M : o sea el virus del sida tiene un receptor que 13. P : dijiste' 14. M : es el ce de cuatro . de las células te' . y los 15. P : sí 16. M : correceptores que son receptores de quemoquina, 17. P : a:+ qué es la quemoquina, 18. M : quemoquina son e:: factores . que producen: . e: la quemoquina en 19. M : sí+ (?de)células o sea que son capaces de inducir el movimiento 20. M : de células en un gradiente positivo de ese factor, o sea 21. M : si yo tengo una célula que produce quemoquinas, . y una 22. P : m: 23. M : célula. que responde a quemoquinas, la célula que responde 24. M : a quemoquinas, se va a mover en la dirección de la célula 25. M : que produce: quemoquinas, . típico' . de eso' es una 26. P : m 27. M : secreción inflamatOria en tu piel que se infEcta . 28. P : m:m: 29. M : llegan células como células tE a ver qué/ o sea serían 30. M : los primeros macrófagos que llegan a morfarse lo que se 31. M : infectó' secretan quemoquinas para que vengan la 32. P : m:: 33. M : células tE a reaccionar in situ con eso que se te 34. P : m:: 35. M : infectó, . bueno volviendo al tema de la proteínas gE' 36. P : sí sí, 37. M : entonces son receptores de quemoquina, . INteresante en 38. M : el caso de este virus. ES iguAl o muy parecido a un 39. M : receptor humAno y lo que ha sucedido es que este virus 40. M : virus durante SU evolución . ha ido pirateAndo genes 41. P : m: m:

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42. M : de los humanos y de los animales' para cumplir una 43. P : m:: claro 44. M : serie de funciones que tienen que ver con su vida . 45. P : m: 46. 47. 48. 49. 50.

M : no=no es que el virus sea malo' pero desgraciadamente . M : parte de su/ de la vida de este virus probablemente sea M : hacer cosas que son malas para la gEnte, . una de las M : cosas que hizo este virus fue piratear este receptor de . M : una quemoquina, .

Dans ce court extrait, on peut observer que c’est le scientifique (M) qui mène l’interaction. Celle-ci est centrée sur le thème de l’explication du comportement d’un oncogène du virus du sida. M définit, dénomme et donne des appréciations, tandis que la journaliste spécialisée se borne à acquiescer (remarquer les nombreux sí, sí, m:, claro) et à demander des explications. La terminologie employée par M (ici los receptores de quemoquina) soulève des problèmes de compréhension demandant un effort dans le travail lexical des interlocuteurs. Ce travail donne lieu à une longue séquence complexe d’activités de traitement de reformulation (Gülich/Kotschi 1995), qui sont en partie entamées par le scientifique lui-même mais aussi explicitement demandées par l’interlocuteur (¿qué es la quemoquina ? par ex. à la ligne 17). Le lexique spécialisé est « traité » rétrospectivement au moyen de différentes activités allant de la ligne 7 à la ligne 36 et constituant une séquence exposée de traitement reformulatif. À la ligne 36, nous observons la ratification de la compréhension de la part de P (sí,sí) qui clôt cette longue séquence de travail en collaboration. Là, le scientifique reprend le thème abordé en 1 au moyen d’un changement de sujet qui ressort de l’expression bueno volviendo al tema de las proteínas gE (ligne 35). Outre la définition et l’explication des termes, le scientifique commente des expressions et en donne son appréciation, c’est-à-dire qu’il accomplit un travail métalinguistique remarquable (ligne 2–4, este nuevo oncogen del virus’ […] desde el punto de vista bioquímico’. es lo qu/ se conoce como’. receptor acoplado a proteína ge’). Il restreint le domaine de validité (desde el punto de vista bioquímico) et marque explicitement l’opération dénotative de ces expressions par lesquelles il établit simultanément sa qualité d’expert. En effet, d’autres travaux ont démontré que les procédures de reformulation et de qualification métadiscursive servent aussi bien à assurer la compréhension (qui en est l’objectif illocutoire principal) qu’à influencer la constitution de l’identité de l’expert (qui définit, restreint et explique) et de l’interlocuteur moins expert (qui demande une explication, acquiesce, etc. Gülich 2003 ; Ciapuscio 2003a ; Ciapuscio/Kesselheim 2005). La troisième procédure illustrée par ce fragment concerne la métaphore. Pour expliquer son progrès scientifique (la découverte du comportement du virus), il emploie une procédure d’illustration métaphorique (Brünner/Gülich 2002, voir ligne 39–42), une personnification concrète qui a un effet évidemment heuristique dans la  









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tâche de la recherche : este virus ha ido « pirateando »5 genes de los humanos (…) no es que el virus sea malo pero desgraciadamente parte de su /de la vida de este virus probablemente sea hacer cosas que son malas para la gente (lignes 46–48). Différents travaux ont montré que les métaphores constituent un mécanisme essentiel dans la création et la communication de la science et qu’elles peuvent être considérées comme des jalons de la recontextualisation des connaissances scientifiques dans différents scénarios discursifs. Pour ce texte en particulier, Ciapuscio (2005) a montré comment la personnification du virus réalisée par le scientifique réapparaît dans des textes de vulgarisation ultérieurs et est approfondie dans l’adaptation destinée au profane. Très souvent étudiée comme moyen de vulgarisation scientifique (par ex., Alcíbar 1999–2000 ; Ciapuscio 2005 ; Muñoz Dagua 2010), la métaphore est un instrument incontournable dans la recherche et elle est reconnue comme l’étape fondamentale et première des grandes découvertes scientifiques.6 Kretzenbacher l’a exprimé de manière magnifique : « les tabous quant à l’emploi de métaphores en science […] sont le fruit d’un héritage idéologique des débuts de la science morderne, transmis silencieusement au fil des générations de chercheurs » (1997, 134) (trad. G.C.). L’instrument métaphorique permet, de manière fertile, de focaliser des perceptions au point de vue heuristique et a, de surcroît, la capacité de provoquer des effets spécifiques suivant les types d’auditeurs (Prelli 1989), à savoir avancer dans les connaissances et rendre possibles de nouvelles conceptualisations. En outre, en renvoyant à l’expérience quotidienne, la métaphore constitue une ressource communicative efficace pour l’exposition et l’explication de contenus scientifiques à différents auditeurs.  















4.2 La modalité et le « je » dans les conférences  



Comme indiqué en 2.2, l’attitude du locuteur et son positionnement par rapport aux contenus qu’il présente dans ses textes est un thème classique des études sur la communication scientifique. Cet aspect est lié à l’interdiction du je et à la tendance à la présentation impersonnelle visant à obtenir un consensus intersubjectif pour le texte. C’est peut-être, avec les approches théoriques les plus diverses, l’un des aspects le plus souvent abordés dans la littérature sur les textes scientifiques (Chafe 1986 ; Markanen/Schröder 1997 ; Hyland 1998), mais on y note une prédominance très  



5 Pirater : copie illégale de produits protégés par un droit de propriété intellectuelle. 6 « Lorsque Newton observa la lune et qu’il la vit comme un ballon lancé autour du monde, il commençait une métaphore gigantesque. Lorsque celle-ci a été finie, il s’agissait d’une forme calculable, c’était un algorithme (une formule qui peut être calculée). C’est le passage de la métaphore à l’algorithme – de la phrase de Blake à la formule de Newton – que toute théorie scientifique doit suivre […] » (Bronowski 1981, 75).  





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marquée pour les textes écrits (article, résumés, manuels universitaires, etc.). Dans le contexte hispanophone, la modalité épistémique a fait l’objet d’une attention soutenue, elle aussi centrée sur la production écrite (Ferrari/Gallardo 2006 ; López 2006 ; Müller 2007 ; Gutiérrez 2007 ; Ferrari 2011). De même que dans ce type de recherches, les études de linguistique de corpus (Conrad/Biber 2001) lient la modalité épistémique et ses marqueurs exclusivement à la prose académique écrite. Cependant, si les contrastes avec l’oralité de la conversation informelle sont établis, rien n’est dit par rapport à l’oralité scientifique. Comment les scientifiques se positionnent-ils quand ils exposent oralement, en face à face, les événements ou faits présentés dans leurs travaux ? Cette question a fait l’objet d’une étude d’un corpus de conférences publiques données par des scientifiques (Ciapuscio 2007c). Nous y avons étudié l’expression de la modalité épistémique et, dans cette modalité, les modes employés par le locuteur pour indiquer le degré de certitude ou de doute par rapport à la proposition qu’il fait. L’analyse des données a permis de constater le caractère central de la modalité épistémique dans ce genre et la richesse des ressources expressives employées par les spécialistes qui font appel à une gamme variée de ressources modales pour indiquer au public comment ce dernier doit interpréter leurs énoncés, c’est-àdire à quel degré de certitude ou de probabilité. Voici un exemple où un neurobiologiste explique ses résultats concernant l’apprentissage des abeilles (les marqueurs lexicaux et grammaticaux de la modalité épistémique hypothétique sont en italiques) :  









(2)

y entonces la hipótesis es.. bueno. eso quiere decir que las abejas que la siguen huelen el olor que trae y reciben azúcar.. entonces tal vez están aprendiendo:.. a su vez. las características de la flor.. en todo caso del olOr de la flor a la que hay que ir. no sólo está sabiendo adónde hay que ir. sino cómo huele la flor a la que hay que ir. esto un trabajo que se está haciendo en este momento,. así que preferiría tener las conclusiones.. antes de decir es así o no es así,

Les nombreuses données qualitatives extraites de l’analyse du corpus permettent d’affirmer que, lorsque les spécialistes présentent leurs recherches au public, ils explicitent nettement le caractère certain ou hypothétique de leurs énoncés, ce qui se traduit par un très vaste répertoire de ressources expressives. L’oralité scientifique fait appel à la plupart des ressources épistémiques identifiées dans des recherches sur les genres écrits (Gutiérrez 2007 ; Ferrari 2011 ; 2012). La modalité déclarative se manifeste par l’emploi prédominant du mode indicatif, des verbes (saber, confirmar, sostener, ver, comprobar, ser + seguro, no haber duda), des adverbes épistémiques (evidentemente, realmente, efectivamente), des adjectifs (evidente), des participes (constatado, confirmado), des syntagmes prépositionnels (en teoría), etc. La modalité hypothétique se manifeste par l’emploi prédominant d’expressions au conditionnel, au subjonctif et au futur de l’indicatif et par l’emploi de verbes épistémiques comme pensar, creer, parecer, postular, especular, mais aussi de formes informelles – peu usitées dans l’écriture académique – comme tomar con pinzas, (no) tomar al pie de la letra, marqueurs d’attitude (por ahí). On relève aussi l’emploi d’adverbes épistémiques  





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comme aparentemente, probablemente, posiblemente et d’adverbes spécifiques de la modalité orale comme quizás, tal vez, et, enfin, de noms (hipótesis, teoría, pregunta) et d’adjectifs (probable, postulado). Étant donné qu’il s’agit de l’interaction orale, les conséquences linguistiques de ce registre se manifestent aussi dans la conférence où il faut signaler l’emploi récurrent de la première personne du singulier et du pluriel dans le cadre de constructions épistémiques dont les verbes décrivent l’activité mentale du locuteur (sé, creo) et du groupe de recherche (hemos confirmado, pensamos, etc.). C’est-à-dire que la présence de la subjectivité est importante, ce qui est cohérent eu égard à l’exécution orale et à la situation de contact direct avec l’interlocuteur et forme un net contraste avec les genres écrits (voir exemple (3), ci-dessous). Outre la variété des ressources expressives de la modalité épistémique, l’analyse du corpus a permis d’identifier une procédure régulièrement mise en œuvre par les spécialistes et consistant à employer des schémas qualificateurs de la modalité. Il s’agit de séquences ayant un degré de complexité variable dans lesquelles le scientifique reprend ou signale – au moyen de différentes procédures linguistiques – une partie du texte précédent ou postérieur (que j’ai marqué d’un X) et l’« apprécie » du point de vue de sa factualité (Y). Les deux exemples qui suivent proviennent d’une conférence sur la toxicomanie :  





(3)

[Los receptores son los que van a hacer que el individuo reincida a la nicotina. Cuando uno fuma de vuelta.. yo dejé de fumar. pruebo un cigarrillo, lo que me desencadena eso. es la nicotina.. o sea que son los receptores a la nicotina]X ← [de eso no hay duda] Y

À la fin du segment, j’ai signalé en italique l’opérateur qualificatif de la modalité (Y), où le pronom eso reprend la partie du texte préalable ; l’assertion no hay duda renforce la valeur déclarative qui y est exprimée. L’opérateur modal adhère au segment valorisé et, par la coïncidence avec la valeur modale du segment qu’il modifie (également une assertion), il agit comme un élément de renforcement.  

(4) [Es que los detectores a la nicotina están en el cEntro.. en los nÚcleos del cerebro, los cuales/ en los cuales estas células se mueren. en el Alzheimer o en el Parkinson.. entonces cuando hay/ cuando estas/ estas células del cerebro tienen este receptor. cuando unen la nicotina.. se mantienen activas entonces no logran morirse (sic)] X← [esta es la teoría por ahora., o sea no lo tomen como/ como al pie de la letra. porque todavía no se sabe.. esto es lo postulado hasta ahora, lo que se vio en cuanto se trabaja en/en in vitro:.. cuando se trabaja en temas de animales. en humanos todavía no sabemos nada]Y.

Dans l’exemple 4, on peut observer un opérateur qui a une valeur différente de l’élément qu’il modifie ; il s’agit d’un nuanceur dont l’effet consiste à restreindre ou relativiser l’assertion préalable. L’opérateur instruit l’interlocuteur à propos de la réserve avec laquelle il convient d’interpréter X ; le modificateur Y est postposé et, encore une fois, il s’agit des déictiques (cf. démonstratifs esta et esto) qui réalisent la référence explicite au segment modalisé.  



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Suivant l’étude réalisée, les schémas qualificateurs de modalité incluent régulièrement différents marqueurs et structures temporelles-aspectuelles destinés à expliciter le caractère provisoire des contenus présentés : les spécialistes expriment avec clarté le fait que la science est un processus constant de postulation, de validation et d’invalidation d’hypothèses, qui permet d’avancer dans la connaissance des phénomènes et des problèmes étudiés. Les restrictions temporelles-aspectuelles de la factualité sont reflétées par l’occurrence régulière, dans les schémas qualificateurs, d’adverbes et de circonstances temporelles, de périphrases verbales duratives et progressives ; de périphrases passives d’état, etc., accompagnant des verbes ou d’autres indicateurs épistémiques (cf. (4) par ex. : es la teoría por ahora, todavía no se sabe, es lo postulado hasta ahora, en humanos todavía no sabemos nada). Les données linguistiques montrent une présence importante de l’expression subjective explicite de la part des spécialistes qui assument la responsabilité de l’évaluation modale. Nous avons pu constater une tendance claire à l’orientation des interlocuteurs sur la manière d’interpréter la factualité des énoncés eux-mêmes. Les données obtenues ont montré que, pendant la conférence, le jugement épistémique non personnel est présenté avec une assiduité remarquable (dans l’exemple 4, no se sabe, se está estudiando, lo que se vio cuando se trabaja in vitro) qui, en réalité, semble représenter la communauté des pairs dans la discipline où le locuteur inclut sa propre personne. Mais le jugement épistémique personnel est tout aussi assidu et le locuteur s’y manifeste de manière absolument nette comme le montre l’exemple suivant :  









(5)



Es más a mí lo que me interesa es desde la/o sea. mi interés. más allá de todo esto. no Es frenar la adicción sino es. nivel básico. o sea yo trabajo en ciencia básica yo quiero saber quÉ pasa en el cerebro. del adicto. yo no crEo en una droga milagrosa hoy en día que. o sea no creo que existan.

En résumé, on constate que dans la communication orale en face à face, les scientifiques déploient également un répertoire raffiné de procédures et de ressources pour préciser la portée et la validité de leurs énoncés, et que l’expression de la subjectivité du locuteur y est très fréquente.

5 En guise de conclusion Ce chapitre a tenté de mettre en évidence, selon différents points de vue, le rapport indissociable entre science et langage et l’influence décisive que les visions sur la science ont eue sur les recherches linguistiques des textes scientifiques. La collaboration interdisciplinaire de la théorie et la sociologie de la science avec la linguistique de la science ont permis d’avancer de manière concrète dans la connaissance des textes de ces domaines et de dépasser des préjugés séculaires, aussi bien dans le champ de la science que dans celui des études linguistiques sur les textes scientifiques (cf. Galán Rodríguez 2003). Si, comme nous l’avons soutenu, la science est une

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activité fondamentalement communicative (Weinrich 1995), il est évident que les approches de ses produits ne peuvent qu’être d’ordre textuel et pragmatique. Les approches multidimensionnelles de la linguistique du texte permettent de saisir les propriétés et les traits qui définissent la « scientificité » des textes dans les différents niveaux d’analyse portant sur les fonctions, le thème, la situation et la forme linguistico-textuelle. Le répertoire croissant et de plus en plus complexe des formes génériques du domaine scientifique peut être saisi, analysé et transmis aux nouvelles générations de scientifiques débutants à l’aide de démarches typologiques, notamment basées sur des métaphores puissantes comme celle de la famille de genres. Il y a encore beaucoup à faire sur ce terrain, en particulier dans le domaine des langues romanes où les recherches sur les genres scientifiques sont encore récentes et, pour l’instant, essentiellement centrées sur les genres majeurs particulièrement standardisés comme le résumé, l’article de recherche ou le manuel universitaire. Avec les condensés d’analyses présentés sous 4, nous avons voulu éclairer certains aspects paradigmatiques innovants dans l’étude des textes scientifiques, aspects peu ou pas du tout explorés dans l’oralité. Ces résultats donnés à titre d’exemple confirment, si besoin est, que les caractérisations classiques, réduites à des interdictions et tabous présentés de façon humoristique, ne sont, d’une part, que le produit idéalisé de conceptions traditionnelles sur les manières de faire de la science et, d’autre part, celui d’une approche restreinte et unilatérale du champ d’observation (genres écrits, standardisés) dérivée de ces caractérisations qui ont d’ailleurs déjà été remises en question dans le cadre des recherches sur les textes écrits. L’oralité scientifique, encore trop négligée dans ce domaine de recherche, mérite une attention toute nouvelle de la part des chercheurs qui souhaitent approfondir les procédures linguistico-discursives au service de la constitution et de la communication des connaissances scientifiques.  





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6 Textes et discours en médecine Abstract : Les domaines techniques ne sont pas des champs neutres par rapport au contexte culturel et pragmatique dans lequel ils sont intégrés ; ils sont plutôt caractérisés par les besoins communicatifs de leurs interactants. La communication médicale représente un champ de recherche et de savoir doté d’une large gamme de degrés techniques et englobant de multiples configurations interactionnelles très différenciées. C’est pourquoi les études et analyses linguistiques portant sur la communication médicale ont connu un tournant pragmatique allant de sujets d’analyse structurale, sémantico-lexicologique ou syntaxique vers une analyse pragmatico-culturelle ; dans le même temps, celles-ci mettent en jeu les instruments de la linguistique textuelle et des sciences culturelles et sociales pour réaliser une analyse investigatrice des paramètres portant sur les facteurs pertinents servant à l’analyse et à la catégorisation des discours médicaux aussi bien que des types de textes utilisés par les professionnels et les profanes impliqués, en mettant le focus de l’intérêt sur les interactants.    





Keywords : textes et discours médicaux, interculturalité et transfert culturel, contexte (socio)culturel et pragmatique, communication de risques, universalité et localisation    

1 La communication médicale dans son contexte interactionnel : un écosystème complexe Toutes nos cultures doivent, dans différents domaines de vie, d’espaces temporels, culturels et interactifs, aborder des questions de santé et ce, soit dans le domaine de la recherche et de la formation des professionnels médicaux, soit dans le domaine de la vulgarisation, de l’information et de l’interaction avec les profanes. Le champ spécialisé de la communication médicale (CM), champ de recherche et de savoir doté d’une large gamme de degrés techniques et englobant de multiples configurations interactionnelles très différenciées, se révèle, à plus d’un titre, apte à démontrer combien un domaine appartenant aux sciences naturelles est, malgré tout, déterminé par des facteurs culturels, pragmatiques et sociologiques. La médecine en tant que domaine technique n’est pas un domaine culturellement neutre. Bien que la langue anglaise soit, de nos jours, plus que jamais la lingua franca de la médecine, la localisation et l’adaptation au contexte culturel, langagier et social prédominent la standardisation et l’universalisme dès qu’une personne concrète, au sein d’une culture déterminée, entre en jeu. Pour notre espace culturel, il existe depuis l’antiquité une tradition communicative écrite et orale d’interaction et de transfert à tous

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les niveaux de la communication spécialisée mais aussi profane (pour un aperçu sur l’histoire de la CM cf. Pöckl 1990 ; Faure 2010). Les textes et configurations interactives de la médecine impliquent une coexistence de multiples genres textuels et formes discursives, un « continuum discursif » difficile à classifier, comme décrit par Montalt Resurrecció/Shuttleworth (2012, 9ss.).  





1.1 Paramètres (socio)culturels, tournant pragmatique Le savoir médical peut se manifester sous des formes de représentation tout à fait différentes, encastrées dans divers contextes sociaux et cadres interactionnels, ce qui engendre différentes formes de discours médicaux au sein du domaine technique aussi bien que dans le monde communicatif des profanes. Les structures interactionnelles impliquées, avec leur orientation technique et sociale, forgent un caléidoscope dynamique et plurilingue qui se compose de différents mondes communicatifs et textuels aux fonctions délimitées. C’est pourquoi les acteurs impliqués à la CM, y compris les traducteurs (cf. Fischbach 1998 ; Calonge Prieto 2009) et les professionnels de la communication (Schön/Schrimpf 2010), se retrouvent au centre de leur entourage professionnel dans des modes interactifs marqués d’une grande complexité. Ce sont donc les fonctions et les modèles de comportement, les interactants dans leur contexte situatif, social, technique et pragmatique, donc les facteurs de la situativité ainsi que ceux du domaine technique et toute la gamme des champs d’interactions au sein de la spécialité (communication médecin-patient, médico-pharmaceutique, de santé, des soins…) qui figurent comme paramètres de classification et de typologisation étant toujours orientés vers les besoins communicatifs du contexte pragmatique. Ce dernier comprend, à part les facteurs déterminant les formes de l’interaction médicale et la conception des rôles que les acteurs impliqués assument dans leur cadre professionnel et (socio-)culturel, des aspects issus de circonstances de migration (cf. Meyer 2010b ; cf. Menz 2013), d’éthique (cf. Meyer 2010c) et de législation médicale (cf. Schuldt 1992) ainsi que des notions comme compliance et involvement. Ceci explique le passage de l’intérêt analytique pour des approches basées sur les concepts médicaux et les genres textuels vers des approches centrées sur les participants à l’interaction et sur leurs besoins spécifiques (cf. Montalt Resurrecció/ Shuttleworth 2012, 18ss. ; Redder/Wiese 1994). Les formes discursives se forment dans des settings particuliers, assument des fonctions spécifiques et sont déterminées par des modèles, des concepts et des traditions inscrits dans un contexte spécifique. Les paramètres responsables de la genèse des différents univers discursifs au sein de la médecine sont des pratiques et schémas d’(inter)action conventionnalisés et déterminés par les interactants, par la situativité ainsi que par le degré de technicité. Les contributions en question examinent la relation des traditions discursives portant sur une langue nationale ou bien sur l’universalité langagière (paramètres unilangues, sociolinguistiques) et documen 





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tent le changement des formes orales vers les formes textualisées (cf. Pöckl 1990) et médiatisées pouvant aller jusqu’au transfert d’informations sémiotiques (par ex. la publicité pharmaceutique ; cf. Vandaele 2002).  

1.2 Discours institutionnel et spécialisé En tant que discours structuré, la CM, orientée vers des (inter)actions situées dans un contexte limité, représente un sujet important au sein de la linguistique appliquée et de l’analyse de l’interaction discursive. Comme Deppermann/Sator/Spranz-Fogasy (2012) le décrivent dans l’introduction pour leur colloque sur la CM de 2012, l’analyse de l’interaction verbale fournit des approches de recherches fondamentales quant à la communication institutionnelle (cf. Lalouschek/Menz/Wodak 1990), la communication entre les experts et les profanes (cf. Brünner 2005), la constitution de différents schémas interactifs à l’intérieur de la CM (cf. Nowak 2010) et quant aux questions de l’(inter)compréhension médicale (cf. Spranz-Fogasy 2010 ; Brünner/Gülich 2002). En fait, l’analyse des discours (scientifiques) médicaux n’est pas née au sein de la linguistique, mais provient de la médecine et de ses besoins communicatifs où, au cours des années soixante, il s’est développé un certain intérêt pour les discours entre médecin et patient de sorte que l’on a commencé à élaborer des approches typologiques des settings médicaux, certes des approches peu structurées, mais intuitives, déterminées par des faits, des expériences et des nécessités du quotidien médical. Un aperçu sur ces débuts se trouve chez Löning (2001, 1576ss.) qui distingue, selon les différents groupes de patients et selon la localité, les discours dans le contexte hospitalier tels que l’entretien de la visite, orienté soit sur le modèle biomédical, soit sur la réalisation d’une communication réussie avec le patient. Il est à remarquer que le sujet du genre dans la médecine ainsi que celui de la migration figurent déjà dans la typologisation de Löning (2001, 1584) qui discute le discours féminin et le contact avec des patients étrangers dans le contexte médical de même que la pertinence des discours ayant un but interactif déterminé tels que le discours diagnostique, le discours d’anamnèse (cf. Bührig/Meyer 2009) ou l’entretien informatif. La médecine du genre (cf. Rieder/Lohff 2004 ; Hochleitner 2008) aussi bien que la dimension de la migration mettent le focus sur une médecine individualisée et personnalisée, à la mesure du genre (cf. Menz/Lalouschek 2005) et de la provenance culturelle de l’interactant et rendent compte du fait que chaque patient doit être perçu avec ses points de référence biologiques et dans son milieu socio-culturel. Dans la communication de santé, l’on aborde désormais aussi des questions sur l’influence d’un arrièreplan migratoire sur la santé, les perspectives de vie, les attitudes socio-culturelles portant sur la santé, la maladie, la nutrition, la religion, la sexualité, la vie et la mort (cf. Pfabigan 2013, 18), donc sur les modes de comportement qui s’inscrivent dans une certaine dimension socio-culturelle dont peuvent résulter des barrières communicatives et interactives (cf. Leitner/Parrag 2013 ; cf. Lalouschek/Nowak 1989). À mention 





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ner dans ce contexte, l’étude de Nowak (2010) qui s’oriente aux buts interactifs pour systématiser l’interaction médecin-patient selon les composantes du discours en question. Comme Menz/Sator (2011, 423) l’observent, c’est le but interactif et la fonction communicative, donc la systématique des actes médicaux, évoluée historiquement, qui est, dans la plupart des analyses, décisive pour l’élaboration de critères de typologisation. Cela aboutit, dans la discussion actuelle, à la revendication d’une intégration plus importante des perspectives, des attentes et des préoccupations des patients dans leur situation spécifique, donc une orientation vers le côté patient dans le discours médical. Des analyses telles que Menz/Lalouschek/Gstettner (2008) qui ont pour objectif une optimisation du discours médecin-patient en tenant compte des perspectives des deux côtés en sont le résultat. Il s’ensuit une intégration plus approfondie de sujets complémentaires, portant sur la perception du côté patient et aboutissant à une sensibilisation pour la pertinence de sujets tels que l’émotionalisation, lors de laquelle des facteurs sociologiques et culturels déterminent l’interaction médicale. Entre-temps, l’accent porte de plus en plus sur la nécessité d’une compétence transculturelle, donc de la capacité de saisir une personne dans son mode de vie individuel – dans d’autres discours que celui du médecin-patient. C’est pourquoi, par ex. dans les sciences infirmières, l’on exige, en vue d’un contexte migratoire de plus en plus important dans les hôpitaux, une plus grande compétence transculturelle de la profession (cf. Pfabigan 2013, 18). Tout comme dans le discours médecinpatient, on revendique dans le discours infirmier une prise en considération renforcée de la situation individuelle du patient, ce qui explique pourquoi l’on s’intéresse à partir de perspectives variées à des sujets émotionnalisés, tels que la perception de la douleur.

1.3 Formes discursives, cultures de spécialisation, émotions et métaphorisation : l’exemple de l’univers discursif de la douleur  



Un des sujets principaux de l’interaction médecin-patient est la description de la douleur, un discours caractérisé par des déterminantes culturelles et sociales qui se reflètent dans la verbalisation et qui influencent aussi l’acceptabilité de certains symptômes et maladies au sein d’une société. Les conceptions impliquées sont déterminées par la compréhension culturelle et par la réalité prédominante dans une société. C’est pourquoi les types de médecine et de traitement dont une société dispose s’entendent comme un système fonctionnel d’(inter)action qui est déterminé, du point de vue conceptionnel (cf. Lalouschek 2008, 29), par les conditions socioculturelles de la communauté en question. Donc, la médecine représente un système définitoire culturel mis à la disposition d’une société. Dans son article sur la perspective médico-culturelle, Lalouschek (2008, 31ss.) montre, de façon évocatrice, que les descriptions de douleurs ainsi que la construction socio-culturelle de la description symptomatique de maladies sont liées à une appartenance culturelle. Selon Lalou-

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schek (cf. ibid.), il existe des préférences culturelles pour la sélection de symptômes (comme la crise de foie des Français) et des syndromes spécifiques à une culture (tels que el susto des Américains du Sud ; cf. Lalouschek 2008, 33) prouvés par des études de l’anthropologie culturelle et de l’éthnomédecine. Meyer (2004 ; 2010a) insiste sur le fait que les problèmes de compréhension inhérents ne concernent pas seulement les constellations plurilingues. Les expectations et attentes du patient vis-à-vis du médecin représentent tout de même des variables qui peuvent diverger selon le contexte (socio)culturel. Il est donc essentiel que le médecin comprenne que la connaissance des normes et des valeurs culturelles ainsi que de l’expression verbale en tant que constructions socio-culturelles est aussi importante dans l’interaction avec un patient étranger que la connaissance de la symptomatologie physique (cf. Barkowski 2007, 86 ; Slap 2004, 52 ; Allaoui 2005, 13). C’est pourquoi, avec l’entrée en scène des aspects (inter)culturels dans l’analyse des discours médicaux, des sujets tels que la douleur, vue d’une perspective non seulement médicale, portant sur la classification d’une symptomatologie, mais aussi culturelle, deviennent un sujet de recherche touchant aux manifestations corporelles (par ex. Hüper 22003). Les expressions (cf. Reisigl 2006) et la différenciation (cf. Sator 2009) de la douleur présentent une divergence évidente, si l’on compare la nomenclature médicale et la catégorisation des types de douleur avec les expressions de la douleur vues de la perspective du patient (cf. ibid.). Si le patient décrit par ex. une sensation de fourmis, le médecin va probablement noter paresthésie. Avec l’objectif d’élaborer les perspectives culturelles aussi bien que médicales, Lalouschek (2008, 31–33) – tout comme Ots (1994) – introduit, dans la discussion sur la pertinence de la douleur dans le discours médical, une perspective orientée vers les sciences humaines et sociales. Lalouschek part du fait que la douleur en tant que phénomène humain a une dimension historique, physiologique et culturelle et qu’il existe des syndromes avec des spécificités culturelles représentant des constructions socio-culturelles. (cf. aussi Ots 1994 ; Bischoff/Meyer 2008). Lalouschek (2008) décrit les formes et les critères de classification vus dans la perspective des différentes écoles médicales aussi bien que les dimensions socio-culturelles de la douleur. Dans les analyses des formes expressives de la verbalisation des émotions (cf. Fiehler 1990) inhérentes aux phénomènes pathologiques, la métaphorisation occupe une place prépondérante (cf. Schachtner 1999 ; Vandaele 2002 ; Delaveau 2002 ; Gordon 51996). Les métaphores en tant qu’élément constitutif de la pensée et des réflexions humaines (Bauer 2006, 1307), leur emploi à travers l’histoire de la médecine (cf. Karenberg 2005 ; Richter 2009), le langage et les facettes de picturalité sont placés au centre de l’intérêt tout comme l’importation de métaphores pour la formation de théories médicales et l’exportation de métaphores médicales dans d’autres champs techniques comme dans la langue de la politique ou de l’économie (Bauer 2006). Hegedüs-Lambert (2009) décrit la fonction émotionnelle des métaphores dans des textes ou guides donnant des conseils concernant les concepts cognitifs et émotifs évoqués et souligne le rôle déterminant des métaphores qui servent à intensifier le potentiel émotionnel d’un  

















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texte en réalisant un lien avec des expériences vécues. Les bibliographies médicales de Nowak/Spranz-Fogasy (2010) et de Spranz-Fogasy et al. (2014) comprennent toute une série de publications sur la douleur, l’émotion et l’expression métaphorique dans les discours et textes médicaux.  

1.4 La communication de risques Dans le domaine de la médecine, le champ de tension entre d’une part, la communication technique et, d’autre part, la gestion et le transfert de savoir vers l’extérieur du domaine spécialisé englobe des domaines de vie très hétérogènes. La communication de risques (CDR) constitue une communication particulièrement structurée, fortement orientée vers un groupe cible tout en ayant un but interactif spécifique et elle est substantiellement déterminée par les modèles d’orientation et les intentions (divergentes) des acteurs impliqués. En tant que forme communicative orientée vers un but interactif matériel et en tant que réflexion substantielle et sociale (cf. Abbas et al. 22005, 173), la CDR comprend l’information sur les risques et l’identification de ces derniers ainsi que la gestion et le contrôle de risques. Tout comme dans le cas de la divulgation scientifique, les aspects émotionnels y jouent un rôle indéniable (cf. Parianou 2010). Vue de la perspective de l’intérieur du domaine médical, la CDR assume des fonctions diverses parmi lesquelles figurent l’information et l’explication de risques pour la santé, le transfert de savoir, l’initiation d’un changement de comportement ou de mesures préventives aussi bien que la solution de situations conflictuelles (cf. Steffensen/Below/Merenyi 2009, 60s.). En tant qu’exemple d’un discours multilangagier, la CDR présente, dans le cadre de la CM, une interconnexion manifeste entre le monde des professionnels de santé et celui des profanes ; en outre, elle comprend des types de textes divergents et des settings discursifs multilingues et polyculturels (il suffit de penser aux divers settings dans les ambulances des hôpitaux). La négation de ce fait introduit une asymétrie supplémentaire dans la communication de santé et ses constellations interactives. S’y ajoute le fait que la rationalité culturelle est souvent contraire à la réalité technique des professionnels de santé. Ceci se révèle avant tout dans le contexte de la CM et de la CDR nécessaire dans le domaine de la santé, en particulier en ce qui concerne des types de textes tels que l’information des patients ou les notices. Du point de vue de la traduction, l’aspect du multilinguisme par rapport à la CDR et la CM est d’autant plus substantiel que la nécessité et la présence de settings multiculturels, fait souvent négligé par les acteurs impliqués. En effet, dans le contexte de la CDR, on comprend souvent par traduction la vulgarisation scientifique, et non un transfert langagier et culturel bien que les médiateurs culturels et de langue assument une tâche importante dans un contexte pragmatique ainsi que culturel et répondent à de multiples exigences sociales et éthiques en tant qu’interactants dans la CDR (cf. Feyrer 2015).  



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1.5 Le discours médecin-patient Quant au domaine interactif de la médecine ayant une multitude de constellations possibles, constituant des systèmes interconnectés, soit des systèmes de « recouplage », et comprenant toute la gamme d’interactions techniques, institutionnalisées et personnalisées jusqu’à la communication parmi les profanes, c’est surtout le domaine de l’interaction médecin-patient, donc un discours institutionnel, orienté à des desseins médicaux aussi bien que sociaux et interactifs (cf. Menz/Sator 2011, 415) qui a trouvé l’intérêt des linguistes et qui est le mieux documenté (cf. par ex. : Lalouschek/Menz/Wodak 1990 ; Ehlich 1993 ; Menz/Lalouschek/Gstettner 2008). Dans les importantes bibliographies de Nowak/Spranz-Fogasy (2010) et de SpranzFogasy et al. (2014) se trouvent maintes entrées se référant à ce type de discours médical. Le discours médecin-patient est caractérisé par la définition et la perception adoptées des concepts de santé et de maladie, par les attentes portant sur le comportement interactif du vis-à-vis, par les rôles attribués aux interactants et adoptés par ces derniers dans le contexte communicatif, un contexte généralement caractérisé par une asymétrie hiérarchique et de savoir et finalement par une certaine attitude adoptée par les interactants. D’autres facteurs constitutifs à considérer pour ce discours sont les connaissances techniques, les expériences individuelles qui déterminent la façon d’assumer un certain rôle dans l’interaction (cf. Menz/Sator 2011, 415). Souvent, il résulte des conflits interactifs, des attributions de pertinence divergentes au point que l’on distingue la voix de la médecine (« voice of medicine ») de la voix du monde (« voice of the lifeworld ») (cf. Mishler 1984). Les origines historiques des analyses discursives de la CM se trouvent surtout dans le domaine de la sociologie de la médecine (par ex. Siegrist 1982 ; Köhle/Raspe 1982), suivi d’analyses sur l’interaction dans les ambulances et de situations de consultation dans les hôpitaux (cf. Lalouschek/Menz/Wodak, 1990). Un aperçu sur l’arrière-plan historico-scientifique des analyses discursives se trouve chez Menz/ Sator (2011, 417ss.) qui soulignent l’apport des études du groupe de chercheurs autour de Gülich/Schöndienst (1999) en ce qui concerne les discours d’anamnèse et d’exploration. Menz/Sator (2011) présentent un aperçu global de l’état de la recherche et des tendances primordiales quant aux analyses du discours médecin-patient en distinguant trois champs thématiques pour aborder le sujet de l’interaction médecinpatient, à savoir, premièrement, des questions microstructurelles et des questions syntactico-sémantiques parmi lesquelles figurent, entre autres, le sujet de la métaphorisation dans le discours médical ou la description et la verbalisation des phénomènes de la douleur. S’y ajoutent, comme deuxième catégorie, des questions sur l’influence des dimensions macrostructurelles et sociales, telles que le sujet du multilinguisme (cf. Bührig/Meyer 2009) et les facteurs impliqués dans le contexte d’un arrière-plan migratoire, comme par ex. les malentendus interactifs, les tabous, les concepts différents de maladie et de santé qui dépendent de la culture de provenance de l’intéressé, ce qui vaut aussi pour les questions émanant du genre comme variable  





















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macro-sociologique (cf. Menz/Sator 2011, 421) et les rôles interactifs attribués aux genres dans une certaine culture (cf. Menz/Lalouschek 2005). S’ajoute, comme facteur macrostructurel et social dans divers settings médicaux, la nécessité de faire intervenir un interprète, donc de faire d’un discours bidirectionnalisé un discours triadique. Ces derniers facteurs sont surtout intéressants si l’on veut inclure la thématique de la pertinence de paramètres (inter)culturels, sociaux et pragmatiques dans l’analyse du discours. Parmi les sujets abordés par Menz/Sator (2011), la question de l’intégrabilité et de l’utilisabilité des recherches discursives dans la vie sociale des communautés compte comme troisième catégorie. Cette dernière revendication a engendré, au sein de la recherche discursive sur l’interaction médicale, une orientation vers des approches axées sur l’applicabilité concrète aux spécificités des discours médicaux (cf. la banque de données de Menz et al. 2008 ou la bibliographie compilée de Nowak/Spranz-Fogasy 2010 élargie par celle de Spranz-Fogasy et al. (2014) ou encore le travail initial de Nowak 2010).  



1.6 Discours multilingues et multiculturels – du système interactif binaire à la triade : les interprètes dans la CM  

La CM se réalise dans beaucoup de contextes professionnels et dans des situations d’interaction plurilingues sans que les intéressés s’en rendent compte. La médecine mondialisée vit de l’échange transdisciplinaire, mais aussi interlangagier et interculturel. Néanmoins et en dépit de la prépondérance de l’anglais comme lingua franca de la médecine, le travail interculturel fait partie du quotidien médical. Les hôpitaux et les cabinets médicaux ne sont rien d’autre que des univers multilingues, des écosystèmes complexes multilingues et multiculturels. La question de savoir si les discours médicaux professionnels évoluent vers une langue universelle est posée au sein de la communauté scientifique où l’on constate aussi une « anglicisation grandissante qui participe […] à l’universalisation de la langue » (Faure 2010, 11) ; c’est une tendance qui est certainement à déceler au niveau de la communication des professionnels, et non au niveau des discours médicaux insérés dans le contexte culturel des interactants, tel que le discours médecin-patient où il est impératif de garantir la compréhension d’autrui. Vu la multitude de settings multilingues et polyculturels dans l’interaction médicale (cf. Bührig/Meyer 2009) comme nous l’avons déjà vu grâce à l’étude de Menz/ Sator (2011), l’implication de traducteurs et d’interprètes dans le discours médical est une nécessité impérative dans maints settings du discours médical qui représente un véritable défi de communication interculturelle. Néanmoins, le facteur du multilinguisme, celui de la nécessité d’un transfert langagier et culturel, donc du rôle des traducteurs et des interprètes comme liens interculturels et transculturels, ne sont pas toujours perçus comme facteur intégral dans la CM. Toutefois, les hôpitaux, en tant qu’exemple de plurilinguisme et d’interculturalité, constituent souvent un écosys 







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tème hétérogène au sein duquel le personnel médical ne parle pas la même langue que les patients, et ceci dans un sens polysème comprenant la dimension technique de la spécialité aussi bien que la dimension de la langue, de la culture et du contexte socio-culturel. Crawford (2009) en donne un exemple avec son analyse d’un système de santé monolingue dans le cadre d’une société multilingue. Schön/Schrimpf (2010) décrivent des équipes multiculturelles et leur quotidien dans les hôpitaux en mettant le focus sur les aspects éducatifs et sur l’intégration d’approches interculturelles dans la formation des médecins. Dans un tel contexte, les médiateurs interculturels sont particulièrement appelés à s’engager et c’est pourquoi, dans le contexte de l’interaction médicale, les interprètes ad hoc et les interprètes communautaires jouent un rôle indéniable dans les établissements hospitaliers. Les hôpitaux recourent donc, dans les settings et dans les cadres administratifs différents de la communication de santé institutionnalisée, à l’emploi d’interprètes par téléphone ou par conférence vidéo (Kletečka-Pulker/Parrag s.a.), en effet à la communication via transfert audiovisuel. Toute une série d’études témoigne combien le recours à des interprètes profanes pose des problèmes au niveau médical, social, éthique, culturel et interactif – pour ne nommer que certains aspects prépondérants de la communication (Barkowski 2007 ; Allaoui 2005 ; Meyer 2004 ; Menz 2011). En fait, le champ d’action pour les interprètes et les traducteurs médicaux est un domaine hybride qui dépasse largement le cadre langagier de l’interaction. Montalt Resurrecció/Shuttleworth (2012, 26ss.) nomment, à cet égard, les différents niveaux de l’implication des traducteurs et interprètes. Ces réflexions amènent finalement à une réorientation des facteurs typologiques pertinents dans l’analyse du discours médecin-patient, vers ce que Sator (cf. Menz/ Sator 2011, 429) revendique comme une « médecine basée sur l’interaction ». Il ne suffit donc pas de se concentrer sur l’action communicative d’un des interactants impliqués. Menz/Sator (ibid.) soulignent, par conséquent, la pertinence de la coconstruction interactive de sens et de signification dans l’interaction médicale. Vu que, dans maints settings interactifs de la CM, il s’y ajoute une troisième partie, à savoir l’interprète communautaire, le cadre interactionnel s’enrichit d’un actant additif, ce qui ouvre la discussion sur le défi (cf. Köllmann 2011) et les rôles des interprètes, sur le sujet des interprètes ad hoc (cf. Bührig/Meyer 2004), la problématique du recours à des interprètes non-professionnels (cf. Uluköylü 2009) sans oublier les défis de la formation des médiateurs culturels et interprètes (cf. Allaoui 2005 ; Barkowski 2007 ; Meyer 2004 ; Pöchhacker 2009) et l’enjeu de professionnels de santé dotés d’une formation complémentaire (Meyer et al. 2010).  

















2 La médecine et ses types de texte La constitution de types de textes, tout comme l’ensemble de nos activités sociales et communicatives, est basée sur des accords et des normes culturelles, donc tout type

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de texte est caractérisé par des facteurs culturels et sociaux. C’est pourquoi Fix/ Habscheid/Klein (2001, 7ss.) souhaiteraient que la linguistique textuelle accepte le défi de décrire les types de textes de différentes cultures en tant que conglomérats complexes, marqués par leur intégration dans un contexte culturel et social, soit dans une certaine culture de communication dont ils constituent une forme de représentation et de transfert d’information et de savoir. Aussi Löning (1981 ; 1994) présente-t-elle une typologisation des discours médicaux selon les constellations et les variantes stylistiques discursives des interactants et leurs situations communicatives en distinguant verticalement les textes engendrés par la communication entre les spécialistes, entre les spécialistes et les semi-professionnels, entre les experts et les profanes ou encore entre les profanes. Pour une typologisation plus détaillée et pour une perspective critique des approches de typologisation voir Menz/Sator (2011, 422ss.) qui esquissent, à l’aide de l’exemple des discours médecin-patient, la problématique d’une typologisation des discours médicaux résidant surtout dans la diversité des caractéristiques communicatives. Parmi les types de textes médicaux, quelques-uns sont bien examinés dans la littérature, tels que les revues scientifiques (par ex. Wiese 2000 ; Ylönen 2001 ; Busch-Lauer 2001 ; Weinreich 2010), les notices de médicaments (par ex. Mentrup 1988, 181ss. ; Schuldt 1992 ; Eckkrammer 1999a pour une comparaison diachronique italien/allemand et García Izquierdo 2009 pour l’espagnol) ou les brochures d’informations pour les profanes (par ex. Eckkrammer 1999b ; García Izquierdo 2009) ainsi que le consentement informé et le protocole d’essai clinique (cf. Montalt Resurrecció/González Davies 2007, 64ss.). D’autres, tels que le document de visite (cf. Feyrer 2002 ; Ruiz Garrido et al. s.a.) ou la publicité pharmaceutique (cf. Vandaele 2002) avec sa composante sémiotique où l’illustration et le transfert visuel de messages publicitaires unifient texte, illustration et concept marketing, mériteraient encore plus d’attention. Le domaine technique médical se trouve donc juxtaposé au domaine de la vulgarisation scientifique (cf. Gülich 1999), qui est en train d’évoluer avec maints nouveaux types de textes. D’un côté, nous trouvons des textes appartenant à la communication portant sur l’intérieur du domaine, donc des textes d’un degré de spécialisation très haut comme les publications scientifiques, les articles de recherche, la documentation d’anamnèse et de consultation, la lettre médicale et l’observation, les demandes d’examen, les résumés, le rapport patient, la casuistique, de l’autre, se trouve le champ de la vulgarisation. Les analyses linguistiques et textuelles des deux domaines de référence sont caractérisées par un passage allant de sujets structurels, onomasiologiques, morphosyntaxiques, lexico-sémantiques ou stylistiques (cf. Jammal 1990) à des sujets d’analyse portant plutôt sur les questions des spécificités communicatives, soit pragmatico-culturelles (cf. Authier 1982 ; LofflerLaurian 1983). Il existe une vue historique, soit diachronique, des textes médicaux (cf. par ex. Eckkrammer 2002) ainsi qu’une vue contrastive portant sur les langues romanes (par ex. Eckkrammer 1999a), consciente du statut omniprésent de l’anglais comme lingua franca de la médecine (cf. Gablot 1978), mais tout aussi consciente de la  



















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nécessité de l’adaptation langagière et culturelle dans l’interaction localisée, forgée aux interactants dans leur contexte individuel et socio-culturel.

2.1 Textes médicaux et typologisation Si l’on souhaite distinguer différents types et sortes de textes médicaux, il faut de prime abord s’orienter aux structures inhérentes au domaine médical et au champ de la communication en matière de santé (cf. Wiese 1984 ; 2000). Outre la recherche scientifique et sa spécialisation de plus en plus différenciée, il existe les domaines de la formation et de la pratique médicale, chacun ayant des interactants et des situations interactionnelles spécifiques. Wiese (2000) propose une telle différenciation concise, susceptible de servir de modèle pour maintes analyses textuelles, en examinant les textes des revues scientifiques médicales (tels que les travaux originaux, les études et les rapports de cas cliniques), ceux de l’écriture médicale publiée et imprimée – à laquelle s’ajoute le vaste champ des publications électroniques – en les distinguant des types de textes que l’on trouve dans la pratique médicale. Cette dernière comprend des sortes de textes caractérisés par un certain degré de standardisation, comme la lettre médicale ou la lettre de consultation, le dossier du patient, la documentation de l’histoire de la maladie et de l’évolution clinique du patient et les formulaires respectifs dont la fonction est d’informer sur les expériences et les observations du quotidien médical (cf. Wiese 2000, 712). À ce groupe s’ajoute le champ des textes d’une orientation profane, donc de la vulgarisation, tels que les notices de médicaments, les guides et brochures d’information (Eckkrammer 1999b) conçus pour les patients, sans oublier tout texte destiné à la promotion de la santé publique et de l’information du patient autonome. La pertinence de tous ces types de textes pour la pratique médicale résulte du fait que l’information rigoureuse donnée au patient joue un rôle prépondérant dans la communication médecin-patient aussi bien que dans le choix des mesures diagnostiques et thérapeutiques dans le cadre des directives réglementaires à respecter (cf. Wiese 2000, 712).  

2.2 La médecine médiatisée Les textes télévisés (cf. Merscheim 1984) ou bien médiatisés (cf. Kaltenborn 2001), divulgués par Internet (cf. Merkt-Wagner 2003 ; Eckkrammer 1999b), représentent un univers communicatif additionnel qui développe de nouveaux types de textes ayant une culture discursive spécifique, souvent contradictoire à la culture textuelle des médias imprimés. La notion de communication de santé, partie intégrale des sciences de la santé établie au cours des années 70 et évoluée à un domaine scientifique comprenant les différentes formes de discours sur la santé jusqu’aux années 90 (cf. Hurrelmann/Leppin 2001, 9ss.), met en relation le domaine des sciences médicales et  

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de la communication. La télédiffusion, la télématique de santé – qui comprend tous les domaines de la communication institutionnalisée et privée entre les professionnels de santé et le public (cf. ibid., 17) – et l’e-Health remplacent, à un certain degré, l’interaction directe entre médecin et patient. L’interaction perd son caractère direct et individuel et devient ainsi un black box unidirectionnel. La communication directe entre médecin et patient, jadis axe principal de la communication de santé (cf. ibid., 14), ne couvre donc plus qu’une partie de la communication de santé. Merscheim (1984) décrit la fonction de la télédiffusion, l’impact d’un journalisme télémédiatisé (cf. Brömme 1989) ainsi que les conséquences de ce journalisme pour sa réception auprès du public et des adhérents au domaine médical. Les discours de santé se retrouvent placés dans un univers « du marketing social » (Mc Dermott, apud Hurrelmann/Leppin 2001, 15), couvrant le côté préventif, informatif, appellatif et instructif de la communication de santé qui devient un modèle d’orientation sociale. Rossmann (2010) montre à quel point la divulgation des informations de santé devient complexe. L’auteure distingue la communication de santé par Internet de la notion de e-Health (introduite vers la fin des années 90) et de celle de santé online, en soulignant que la communication de santé par Internet comprend, en fait, les possibilités d’utiliser Internet pour un échange sur des questions de santé ; ceci rend possible une communication individuelle et engendre une variété d’acteurs présentant des spécificités socio-démographiques (gain de pouvoir, cf. Zillien 2008, évaluation de médecins via Internet, cf. Kofahl/Horak 2010). Internet devient ainsi un forum additionnel du journalisme de santé, un médium central de la vulgarisation scientifique. Le www offre de nouvelles perspectives sur la communication de santé, rend possible un échange et un forum de discussion accessible à un public mondial, ce qui engendre de nouvelles formes de discours, de textualisation et de textualité dans ce domaine tout en développant une dynamique unique entrant en relation avec les types de textes préexistants (cf. Thörle 2008). Il se produit de nouvelles formes de discours et de textes de vulgarisation aptes à influencer le comportement non seulement de personnes individuelles mais aussi de groupes démographiques ayant une dimension interlangagière, translangagière et transculturelle qui mènent à un changement de perspective des profanes (cf. Hurrelmann/Leppin 2001). Il est donc indéniable qu’Internet et les nouveaux discours et formes communicatives englobant les réseaux sociaux et leurs impacts, les conférences vidéo et les interventions à distance des professionnels de santé mondialisés (cf. Mondada 2001) exercent un effet structurant et transformationnel sur le secteur de la santé, de ses discours et de ses concepts. Partant d’une approche sociologique et devant l’arrièreplan des « pattern variables » de Parson (1951), Zillien (2008, 266s.) aborde le sujet du patient informé, majeur, autonome, souverain, à même de prendre des décisions autodéterminées vis-à-vis de sa santé dans le contexte de la pertinence de la recherche Internet pour la relation médecin-patient. Les conséquences sont que la relation médecin-patient évolue d’une approche paternaliste et autoritaire vers une approche participative orientée vers le patient informé, ce qui comprend une redéfinition des  









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rôles des intéressés. Koch (2010) dédie tout un recueil à ce phénomène et souligne la nécessité de l’élaboration de structures communicatives pour le web (cf. Meggeneder/ Noack 2001).

2.3 Esquisse d’un type de texte particulier : le document de visite Les textes de publicité offrent souvent, aussi en matière technique, une bonne possibilité pour voir comment différents mondes et réalités sont projetés les uns sur les autres en intégrant une multitude de stéréotypes et d’aspects d’orientation culturelle et sociale. La publicité travaille avec l’interconnexion de réalités différentes sous forme de métaphores et de stéréotypes avec des comparaisons et des projections d’un domaine de la vie sur l’autre. Un type de texte particulier est le document de visite (DDV) (cf. Feyrer 2002; Giumelli 2013), à savoir la brochure pharmacie issue du discours entre les représentants de la pharmacie et le corps médical. Généralement, il s’agit d’un dépliant composé d’éléments publicitaires et de savoir médico-scientifique fondé sur la base duquel le référent pharmaceutique, donc le visiteur médical, construit son entretien de vente avec le médecin. Le DDV est utilisé dans les entreprises pharmaceutiques pour donner des informations sur le produit dans le but d’aider le référent de l’entreprise pharmaceutique, dans une situation de discours technique, à vendre le produit, en l’occurrence le médicament, au médecin. Ceci requiert des connaissances techniques fondamentales et un savoir médical structuré, facilement accessible dans cette situation d’entretien – tous ces éléments sont fournis par le DDV. Ces textes sont en quelque sorte une chaîne argumentative structurée, étant de quelque utilité au référent pharmaceutique, et sont, en même temps, des dépliants publicitaires pour le médecin dotés de maintes informations non-verbales, comme des illustrations publicitaires, des diagrammes informatifs, des pictogrammes et des éléments sémiotiques transportant des composantes et des implications de la communication de marque. Les textes révèlent, à part une densité d’informations, un caractère appellatif prépondérant. Par exemple, le DDV pour l’antihypertenseur Blopress (Takeda Pharma 2003), même nommé pour un prix publicitaire par la Medical Tribune (2008), met l’accent sur les stéréotypes évoqués par le personnage d’Albert Einstein : sur la page initiale figure Einstein, penché sur un jeu de stratégie. En général, les différentes séquences textuelles d’un DDV se présentent de la manière suivante : la première page comprend habituellement peu de texte, mais contient, par contre, beaucoup d’éléments visuels ; elle est la partie la plus importante pour la transmission du message publicitaire et pour la réalisation de la stratégie commerciale sélectionnée. C’est ici qu’apparaît le concept général de vente. Lorsque l’on déplie le DDV, on se trouve dans la partie présentant l’argumentation concernant le contenu scientifique, les résultats des recherches qui permettent de proposer le produit comme un nouveau médicament supérieur aux médicaments concurrents déjà disponibles sur le marché. Cette partie prend souvent la forme d’une énuméra 





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tion et présente une structure visuelle significative en couleurs et signes typographiques. La dernière partie du DDV comporte des conseils généraux d’utilisation, exclusivement destinés au médecin et non au patient, ce qui fait la spécificité de cette séquence textuelle. Elle mentionne des indications sur les éléments suivants : posologie, propriétés, indications et contre-indications, effets indésirables, mise en garde et précautions d’emploi, présentation. Ainsi, dans la variante française de l’antibiotique Biodroxil (Biochemie Austria 1995a), la stratégie publicitaire met l’accent sur une relation métaphorique étroite entre le texte et l’illustration. La première page est dominée par un grand échiquier en couleurs où une pièce – celle qui était en train de faire le premier coup –, mise en relief par la coloration et le layout, symbolise, par le slogan métaphorique Le premier coup décide, la stratégie de vente du produit. L’ensemble de la partie intérieure du dépliant est dominée par le nom du produit et le slogan de base, contenant l’argument essentiel de la stratégie de vente, mais aussi des résultats de recherches scientifiques sur le principe actif du médicament. L’illustration qui suit montre un extrait microscopique de la situation avant et après le traitement, flanquée par l’explication verbale, c’est-à-dire argumentative de ce que le médecin en tant qu’initié devrait percevoir dans l’illustration. En plus, le texte est doté de références bibliographiques qui renvoient aux études scientifiques déjà présentées à ce sujet. Après avoir donné l’argumentation de base qui plaide pour l’administration de ce médicament, le référent pharmaceutique peut commencer à s’adresser plus agressivement à son partenaire d’interaction. Des éléments publicitaires dominent dès lors le début de la partie textuelle (on s’adresse directement à l’interlocuteur avec des impératifs) pour se transformer en une seconde énumération d’arguments plaidant pour le choix de ce médicament. L’argumentation de base est mise en relation verticale par une emphase typographique. La dernière partie du texte est en fait dominée par les indications les plus importantes pour le médecin qui veut administrer le médicament en question (Feyrer 2002). L’étude contrastive des DDV se référant au même produit, mais visant des pays différents, démontre combien ces textes, à première vue universels, sont cependant déterminés par les données spécifiques du pays et du groupe cible. Cela se reflète dans une large mesure dans la réalisation visuelle des DDV qui peut différer de façon radicale en fonction du pays et de la culture cible. Ainsi, le DDV Exoderil (Biochemie Austria 1995b), un antibiotique cliniquement efficace pour les infections de la peau, se présente dans sa version destinée à l’Afrique occidentale française d’une façon bien plus dramatique que dans sa version pour l’Arabie Saoudite et le Liban. En effet, pour des raisons sociales et sociologiques, la version africaine présente des illustrations à forte intensité émotionnelle, ce qui est bien moindre dans celle dédiée à l’Arabie Saoudite et au Liban, pays économiquement bien situés. Les rédacteurs de ce DDV, dans leur conception de localisation, avaient apparemment essayé de convaincre un groupe cible dont ils savaient que ses conditions de vie étaient moins favorables que celles des groupes cibles dans des pays plus prospères. Par conséquent, une présentation beaucoup plus drastique des menaces et des risques encourus a été  

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choisie afin de persuader d’investir dans ce médicament. À cet égard s’imposent les stratégies interactionnelles de la CDR portant sur l’avertissement et mettant en œuvre l’évocation d’émotions, telles que par ex. l’angoisse, étant utilisées de manière ciblée pour conduire à une perception plus aiguë des risques. On essaie donc de passer d’une perception générale du risque à une perception subjective et individualisée en évoquant des émotions intenses ainsi que les scenes et frames adéquats. Il est intéressant de relever que ce transfert d’informations se réalise dans la plupart des cas par la voie visuelle et non par la verbalisation. Aussi les DDV, mélange de publicité, de stratégies de marketing et de faits scientifiques, constituent-ils une sorte de texte spécifique avec leur unique caractère hybride dans l’univers textuel médico-pharmaceutique. Cette forme discursive de la publicité et de l’information pharmaceutique se caractérise donc par la prépondérance d’éléments et de codes sémiotiques, spécifiques à une culture aussi bien que transculturels qui, à part les approches de standardisation, nécessitent une localisation dans l’univers discursif médical et sont, à cet égard, intéressants pour la traductologie. Quant aux limites floues entre la traduction technique et la traduction esthétique, Blaikner-Hohenwart (2007, 214) parle à juste titre de « fuzzy edges ».  



3 Résumé Autant de perspectives différentes, de personnes individuelles et de groupes d’acteurs interagissent au sein de l’univers médical devant l’arrière-plan de leur quotidien et de leur culture technique, autant de possibilités et de perspectives de classification et de typologisation existent pour différencier des types de discours au sein de l’interaction médicale. Les interactants y jouent un rôle clé, vu que ce sont les personnes impliquées avec leur perception de leur univers interactif et leur perception scientifique ou bien subjective, qui déterminent le discours technique aussi bien que les discours de la vie quotidienne – et les formes hybrides intercalées. C’est pourquoi les critères situatifs, les différents settings et les rôles des interactants se révèlent être des facteurs constitutifs pour une typologisation discursive de la CM, les constellations interactives permettant une sous-classification selon le degré de technicité, la culture communicative du domaine technique, les intérêts intentionnels et les rôles sociaux des personnes impliquées. Les domaines techniques ne manifestent pas une orientation linéaire, mais sont plutôt interconnectés avec les domaines de notre vie. Ainsi les identités sociales des interactants y jouent un rôle important et c’est pourquoi il s’agit dans la CM, comme dans toute communication, de créer une réalité commune englobant tous les interactants dans leur univers perceptif. Le but de toute CM réside, à part dans le transfert d’informations pertinentes, dans l’interaction avec le vis-à-vis dans un monde commun et dans l’utilisation d’une langue commune afin de poursuivre un but interactionnel commun. Si Schachtner (1999, 197) parle à l’égard de l’art de guérir d’un

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« art social », il est évident de considérer la CM, vue dans son contexte (socio)culturel et en intégrant le caléidoscope de ses textes, de ses discours et de ses cadres interactionnels, comme forme d’art (socio)culturel déterminée par les facteurs de transculturalité et d’interculturalité.  



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Christian Koch

7 Textes et discours en musicologie Abstract : Cet article traite de la communication en musicologie moderne vue d’une perspective linguistique. On présentera d’abord les caractères typiques de la langue technique. La partie principale sera consacrée aux types de textes et de discours. Plusieurs exemples en français, espagnol et italien illustreront les différents types : les éditions critiques, l’analyse musicale, le traité ethnomusicologique, le solfège en discours vulgarisé, la répétition musicale. Enfin, on donnera un petit aperçu de publications et d’idées pour de futures recherches en linguistique romane.    





Keywords : musicologie, musique, langue technique, texte, discours    

1 La musicologie comme objet de recherche linguistique Parmi les articles sur les textes et les discours, celui-ci, qui traite de musicologie, peut sembler bien spécial. Mais c’est précisément en cette science prétendument petite qu’il y a de nombreuses connexions à la linguistique – ne serait-ce que la proximité structurelle entre la musique et la langue (cf. Krones 2009, 1933) – ce qui peut faire de la musicologie une discipline très particulière pour l’analyse linguistique. On envisagera ici surtout le discours de la musicologie moderne.1 Celle-ci prend ses racines au XIXe siècle comme discipline essentiellement philologique qui a évolué – parallèlement à la philologie textuelle – à partir des conventions pour l’édition critique des textes musicaux, c’est-à-dire des partitions (voir 3.1). Venue des pays germanophones, la musicologie s’est aussi développée dans les universités des pays de langues romanes (cf. Stenzl 2000). À part la remise des partitions qui doit être accompagnée par des analyses musicales pour produire des éditions fiables, la musicologie moderne a une ample orientation interdisciplinaire. Dans l’interaction avec la pédagogie, la psychologie, la médecine et d’autres disciplines, les musicologues se mettent au grand défi de communiquer dans un langage commun pour rendre compréhensible leur expertise musicale aux profanes. En outre, le discours adressé aux profanes et aux amateurs joue un rôle en dehors des sciences (voir 3.4). Dans une perspective de linguistique romane, les sujets suivants semblent particulièrement intéressants : la langue italienne comme langue historique de la musique,  

1 On renoncera à la longue démarche philosophique de la théorisation de la musique qui commence avec Pythagore. Toutefois l’étude des théoriciens de langues romanes comme Gioseffo Zarlino ou JeanJacques Rousseau (cf. Keil 2007) peut intéresser aussi les linguistes.

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le français comme une des langues les plus importantes pour l’édition d’œuvres musicales, les langues ibéro-romanes en musicologie latino-américaine dont les standards diffèrent des standards européens. La musique comme objet d’analyse implique pour les linguistes la question captivante qui accompagne les musicologues en permanence : comment la musique peut-elle être communiquée par des moyens linguistiques ? La linguistique est capable de décrire les stratégies existantes, de les systématiser, de les évaluer et dans l’idéal de servir le travail de la musicologie.  



2 La langue technique de la musicologie Les stratégies pour décrire une langue technique sont diverses (cf. Pöckl 1990, 267). On définit ici la langue technique de la musicologie selon les différentes constellations communicatives (2.1), la distinction entre langue technique et langage commun (2.2) et à travers les caractéristiques lexicales et textuelles (2.3).

2.1 Les constellations communicatives des discours sur la musique En général, on peut distinguer les constellations de communication horizontales et verticales. Un exemple pour le premier type serait la communication entre les musicologues, pour le deuxième celle entre musicologues et profanes. La communication entre un musicologue et un musicien peut être considérée parfois comme horizontale, parfois comme verticale selon la professionnalité du second. À base des modèles de constellations communicatives (cf. Kalverkämper 2001, 362), on propose une typologie des constellations possibles pour parler de la musique :  

Tableau 1 : Constellations communicatives participants

situations (exemples)

1

musicologue – musicologue

discours scientifique

2

musicologue – scientifique d’une autre discipline discours scientifique interdisciplinaire

3

musicologue – musicien

recherche empirique

4

musicologue – profane

vulgarisation, recherche empirique

5

musicien – musicien

discours de travail

6

musicien – profane

concert didactique

7

profane – profane

entretien informel

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Textes et discours en musicologie

Il faut se demander s’il y a encore d’autres sous-types comme le discours entre plusieurs scientifiques d’autres disciplines. Effectivement, ceci n’est pas si rare parce qu’il y a de nombreux travaux en psychologie et ailleurs qui traitent la musique sans avoir recours à l’expertise des musicologues.2 Pourtant, on se limite à ces sept constellations pour éviter un trop grand nombre de sous-types marginaux. Les situations peuvent varier selon la forme concrète de la communication – conférence magistrale vs discussion, unidirectionnelle vs bidirectionnelle, etc. – et selon le sujet traité. Ceci est à préciser dans les chapitres suivants.

2.2 Langue technique et langage commun Les façons de parler de musique sont caractérisées par une grande diversité. Comme la musique est un médium omniprésent dans la vie quotidienne, il y a un grand spectre vertical à cause des divergences en connaissances spéciales. Beaucoup de gens qui consomment la musique uniquement comme auditeurs, parleront cependant plus ou moins souvent de la musique et se serviront d’un langage intuitivement adéquat parce qu’il est possible de remplir les lacunes lexicales à l’aide de la méthode du mapping, c’est-à-dire en faisant des transferts métaphoriques et métonymiques (cf. Grutschus 2010, 135). Par contre, les spécialistes se servent de la terminologie du solfège. Le solfège offre de nombreuses possibilités de dénomination qui permettent de parler adéquatement des aspects formels de la musique. Mais même les experts de musique ne parlent pas exclusivement de manière technique, mais ils disposent d’une vaste richesse de variétés diaphasiques. Une distinction de la langue technique et du langage commun est souvent possible en analysant la présence ou l’absence d’une terminologie technique. En principe, les deux niveaux ne s’excluent pas mutuellement, c’est-à-dire qu’une analyse musicologique peut être réalisée en grande partie avec des éléments du langage commun, par ex. s’il s’agit d’une discussion sur les émotions et les associations (cf. Gruhn 32008, 39s.) ou bien si le destinataire est amateur de musique. Mais quand il s’agit d’une description formelle d’une œuvre musicale, la professionnalité du musicologue (et du musicien) exige l’emploi de termes précis. Pour mieux distinguer les différents niveaux thématiques, il est possible d’appliquer les termes « intramusical » et « extramusical » par analogie aux termes « intralinguistique » et « extralinguistique » utilisés dans les discours linguistiques. Le discours intramusical décrit la musique d’une manière formelle et structurelle, c’est-à-dire le langage musical. Celui-ci est donc le domaine de la vaste terminologie musicale. Le discours extramusical comprend, par contre, tous les sujets qui se réfèrent à la  















2 Cf. par ex. la critique de Fricke (1993, 286ss.) contre l’abus de la musique dans les cours de langue, causé d’une interprétation erronée de la musique classique en pédagogie.

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musique : le fonctionnement des instruments musicaux, les contextes socio-culturels, les biographies des compositeurs et des musiciens, etc. (cf. Michels 192000, 12). Le discours des musicologues sur des sujets extramusicaux cause moins de difficultés de compréhension pour les profanes. Le défi est plus grand quand il s’agit des aspects intramusicaux. Veut-on par ex. analyser l’effet émotionnel des intervalles consonants et dissonants – un des sujets appréciés en psychologie (cf. Hesse 2003, 15ss.) –, outre les théories de l’harmonie tonale, on peut se servir des données de l’acoustique physique où la consonance et la dissonance peuvent être représentées graphiquement dans l’oscillogramme et calculées en chiffres (cf. Spitzer 2002, 101ss.). Toutefois, il ne faudrait pas croire qu’il y ait deux registres linguistiques clairement distinguables entre lesquels les musicologues sautent simplement selon le besoin, ils se font plutôt comprendre grâce à la proximité potentielle entre langue technique et langage commun.  

2.3 Caractéristiques de la langue technique 2.3.1 La terminologie Une partie considérable de la terminologie musicale s’est développée bien avant l’apparition de la musicologie dans la pratique des musiciens. L’Italie est le pays d’origine de la notation musicale. Pendant plusieurs siècles, ce pays a joué un rôle pivot en ce qui concerne l’édition des partitions et est par ailleurs le lieu de naissance de l’opéra. Ceci explique pourquoi la langue italienne est devenue la langue internationale de la musique. Il y a également une explication intralinguistique : en faveur de son harmonie syllabique les autres nations européennes ont toujours considéré l’italien comme la langue la plus musicale. Jusqu’à maintenant l’italien reste important dans la formation pratique des musiciens. Dans le monde entier, les futurs chanteurs d’opéra doivent s’inscrire à des cours de base d’italien pour lesquels il y a parfois des manuels spéciaux (par ex. Eckes 2001). Mais les instrumentistes aussi – même les semi-professionnels – ont besoin de connaissances rudimentaires en italien pour comprendre les instructions d’interprétation dans les partitions. Outre les indications simples de tempo comme andante ou allegro on trouve parfois des instructions plus complexes comme au début de la Sonate au clair de lune (op. 27.2) de Ludwig van Beethoven (1802) : « Si deve suonare tutto questo pezzo delicatissimamente e Senza Sordino » ou au début des Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgski (1886) : « Allegro giusto, nel modo russico ; senza allegrezza, ma poco sostenuto ». Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les instructions tellement détaillées sont plutôt exceptionnelles. En général, ces instructions complexes se comprennent littéralement, tandis que toute une série d’adjectifs italiens ont adopté un sens impropre au sein de la langue technique de la musique. Les musiciens remplacent la signification originale d’allegro (‘allègre’) par ‘rapide’ et comptent cette  



















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instruction parmi les désignations pour le tempo. Ils s’accordent à dire qu’adagio est plus lent qu’andante, mais plus rapide que lento. Aujourd’hui encore il est de règle que les partitions musicales maintiennent la terminologie complètement italienne.3 Depuis le romantisme avancé, quelques compositeurs sont passés à leur langue maternelle. Ainsi, les partitions de Richard Wagner contiennent des instructions en allemand, celles de Claude Debussy en français, etc. L’apprentissage des termes italiens est une partie constituante des cours de solfège lors de la formation pratique, à tel point que l’usage de ces termes est une routine même pour les étudiants de musicologie des premiers semestres. D’autres termes très courants chez les musiciens et musicologues ne sont pas identiques dans toutes les langues. Ce sont les dénominations des paramètres musicaux comme les noms des notes (do/ut, fa dièse, si bémol), les figures de notes et de silences (noire, croche, quart de soupir), les mesures (à trois temps, à quatre temps). Dans d’autres branches théoriques de la musicologie, la terminologie est assez complexe. L’harmonie tonale explique les relations harmonieuses entre les accords grâce à une nomenclature. Pour en donner un exemple : le mouvement tonal de do majeur à mi majeur à la mineur s’explique comme rupture entre les deux premiers accords pour faire un geste tonal à la relative de la tonique. On pourrait encore y ajouter de nombreux exemples afin de montrer que la terminologie musicale permet de désigner, de décrire et d’expliquer fonctionnellement n’importe quelle formalité dans un morceau. Ceci s’applique aussi à la nouvelle musique qui est caractérisée par des critères d’harmonie tout à fait différents et pour laquelle la terminologie a continué et continuera à évoluer. Il est pourtant évident que le renouvellement terminologique se fait au détriment de l’unité, c’est-à-dire que les nouveaux termes ne s’établissent pas toujours unanimement (cf. Störel 1998, 1336). Il en résulte une terminologie parfois hétérogène.  

2.3.2 Multimodalité et multimédialité : les citations musicales  

Un élément essentiel des textes écrits est l’intégration de notes musicales, soit des extraits de partitions en fonction de citations, soit des exemples construits pour expliquer un aspect théorique. Prenons l’exemple suivant de l’encyclopédie Larousse de la musique (Dufourcq 1957, 224) :  

« Contretemps. – (Ecrit. et Solf.) Forme rythmique dans laquelle un son est articulé sur un temps faible ou la partie faible d’un temps, mais ne se prolonge pas, comme la syncope*, sur un temps fort ou sur la partie forte d’un temps, ce temps fort ou cette partie forte du temps étant alors remplacé par un silence.  

3 Quelques termes viennent traditionnellement d’autres langues (par ex. tacet ou ad libitum).

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(Le contretemps est dit irrégulier lorsque 2 temps faibles ou 2 parties faibles de temps succèdent à 1 partie forte.) »  

La petite ligne de notes illustre ce que la langue ne peut exprimer qu’avec plus d’effort. Cela devient encore plus clair dans le commentaire suivant tiré du rapport critique sur la Suite Bergamasque de Claude Debussy (1983, 28) : « 2 sup : O note si♭2 à la 6ème double croche ; cf. cependant M 8, 67, 73 ».4 Ce commentaire explique sous forme codifiée que dans l’édition originale, la 6e double croche de la 2e mesure à la ligne supérieure est un si bémol4, mais que l’éditeur de la version actuelle a changé cette note par un la4 sur le modèle des mesures 8, 67 et 73 où le mouvement mélodique se répète. Même pour un expert, il est difficile de suivre ce raisonnement sans avoir accès à la partition pour regarder le contexte. En utilisant des extraits de la partition, l’éditeur pourrait simplement dire que la 2e mesure de la version originale  











a été corrigée par

en vue du même mouvement mélodique des mesures 8, 67 et 73. À part sa fonction illustrative, la présentation de notes a un effet psychologique positif en faveur de la lisibilité. Par contre, dans les textes pour les profanes, ils peuvent causer un effet négatif, à savoir que les lecteurs se sentent exclus parce qu’ils ne comprennent pas le système des notes musicales (cf. Störel 1998, 1338). Les formes de représentations multimédiales se proposent de compléter par des illustrations acoustiques. Grâce à la technologie de MIDI, les partitions digitales peuvent être reproduites sans interventions de musiciens. Il est bien sûr aussi possible d’intégrer des fragments d’enregistrements réels. Les nouveaux médias offrent donc de nouvelles possibilités dont profite la communication en musicologie. Mais aussi le discours oral traditionnel est marqué de la multimédialité : outre l’usage des enregistrements, beaucoup de musicologues ont l’habitude de se servir du piano ou d’autres  

4 À lire : 2e mesure, ligne supérieure : version originale, la note si♭2 à la 6e double croche ; cf. cependant la 6e double croche dans les mesures 8, 67 et 73. La numérotation de si♭2 n’est pas habituelle en français, mais correspond à l’octave du système allemand de Helmholtz. Il devrait être le si bémol4.  





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instruments pour enrichir leurs explications théoriques, ce qui peut faire de la visite d’une conférence musicologique une expérience particulière.

3 Des types de textes et de discours Dans cette partie, on présentera quelques exemples de textes et de discours sur la musique sans aucune prétention à l’exhaustivité. Pour ce qui est des critères servant à la classification des types de textes et de discours (cf. Vater 32001, 158s.), on se borne à préciser deux critères susmentionnés pour les types de textes et discours choisis – la constellation communicative et l’orientation intramusicale ou extramusicale :  





Tableau 2 : Classification des types de textes et de discours Type de texte/discours

participants

intra-/extramusical

l’édition critique

musicologues, musiciens

intramusical

l’analyse musicale

musicologues

intramusical

le traité ethnomusicologique

musicologues, scientifiques d’autres disciplines, profanes

extramusical, parfois intramusical

le solfège en discours vulgarisé musicologues/musiciens, profa- intramusical nes la répétition

musiciens

intramusical

3.1 Les éditions critiques Ainsi que les textes écrits à base de lettres alphabétiques, les partitions écrites à base de notes musicales sont sujettes aux erreurs. Comme les typographes et les copieurs des partitions ne percevaient pas toujours les concepts musicaux de ce qu’ils étaient en train d’écrire, beaucoup d’éditions anciennes sont pleines d’erreurs. Dans le travail des orchestres, il était souvent nécessaire de comparer les différentes parties avec la partition générale du chef d’orchestre. Grâce aux logiciels modernes, les parties peuvent aujourd’hui être extraites automatiquement de la partition générale si bien qu’elles contiennent moins d’erreurs. Cependant, il existe de nombreuses modifications dans les rééditions des compositeurs classiques. Il ne s’agit pas seulement de corrections des fautes d’inattention, mais souvent aussi des rectifications ou améliorations voulues. Les éditions critiques essaient d’un côté de rétablir la version originale, mais de l’autre d’intégrer les corrections à bon escient. Voici un exemple d’une édition critique d’Orphée aux Enfers de Jacques Offenbach (2000, 19) :  

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*Selon les sources, la première note de l’appogiature est un Ré.

L’appogiature sur mi et fa dièse est plus mélodique que sur ré et fa dièse. L’édition critique signale cette correction par un commentaire qui permet la reconstruction de la version originale. Dans une telle édition, un apparat critique accompagne la partition. Comme les musiciens semi-professionnels s’intéressent rarement à la lecture de cet apparat, les éditeurs préfèrent souvent les notes finales aux notes en bas de page. De cette manière, la lecture de l’apparat est peu commode, mais il y a plus d’espace pour la partition, ce qui facilite le travail des musiciens qui doivent tourner les pages en jouant. En général, les apparats critiques sont codifiées et suivent souvent les modèles philologiques des textes. Les éditions critiques font encore et toujours partie du travail des musicologues. Elles ne servent pas seulement au discours scientifique, mais elles s’appliquent aussi à la pratique pour rester fidèle à l’originale lors de l’interprétation d’une œuvre.

3.2 L’analyse musicale Il peut résulter problématique de désigner l’analyse musicale comme un type de texte homogène parce qu’il y a de nombreuses variantes fonctionnelles. Il s’agit d’expliquer linguistiquement les structures compositionnelles et les effets que celles-ci produisent. Ceci est une base essentielle du travail scientifique en musicologie. Le médium prototypique de l’analyse profonde est le texte écrit. Voici un extrait d’une analyse musicale du lied Der Tod und das Mädchen de Franz Schubert (d’Angiolini 2013, 7s.) :  

« Le chant de la Mort est contenu en deux phrases musicales symétriques, de huit mesures chacune*. La première phrase est centrée sur l’harmonie de ré mineur, alors que la mélodie – comme on l’a vue – se limite essentiellement à réitérer la tonique. Elle se conclut avec une modulation au relatif majeur. La phrase successive implique donc une montée de la tension mélodique et du plan harmonique. Cela correspond à l’adoption d’un ton impérieux (« Aie courage ! »), bien que se maintienne cette immobilité dépourvue d’émotions qui distingue le personnage. L’harmonie reviendra enfin vers la tonalité de ré, majeur cette fois-ci. « Doucement tu dormiras dans mes bras ! » : ces derniers mots laissent entrevoir, in finis, un horizon de paix et de salut. La coda pianistique sur cette tonalité majeure, de signe positif, en sera l’écho.  



   



   

* Une régularité formelle distingue la construction de la période qui est composée de 8+8 mesures. Le parcours harmonique en son entier est soumis à une symétrie spéculaire : la première phrase débute dans la tonalité de ré mineur pour parvenir au fa majeur. La deuxième part du fa majeur pour retourner vers le ré (majeur). L’articulation interne divise chaque phrase en unités égales de 4+4 mesures. Les premières quatre se divisent à leur tour en 2+2 mesures au chemin spéculaire, bien que les termes en soient inversés d’une phrase à l’autre (I-IV-IV-I / IV-I-I-IV). […] »  

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Cette analyse traite d’expliquer les effets de l’expressivité sur la base d’une description formelle exacte en rapport avec les paroles. Le déplacement de l’analyse fonctionnelle détaillée sur la note finale facilite la concentration sur les informations essentielles. L’auteur déduit des formes musicales les émotions qui se produisent et que les amateurs pourraient sentir également en écoutant le morceau. Si on ne connaît rien au solfège, on comprendra quand même les expressions concernant les émotions et les associations : « montée de la tension », « ton impérieux », « immobilité dépourvue d’émotions » et « horizon de paix et de salut ». La description formelle pourrait par contre rester cryptique pour les profanes.  

















3.3 Le traité ethnomusicologique Un thème central de la musicologie relativement jeune d’Amérique latine – en dialogue avec l’histoire et l’anthropologie – est l’exploration de la musique des peuples précolombiens et des autochtones dans les forêts. Un des précurseurs principaux de la musicologie latino-américaine est la littérature narrative.5 Comme exemples remarquables, on peut signaler les romans Los pasos perdidos (1953) de l’écrivain et musicologue cubain Alejo Carpentier et Los ríos profundos (1956) du Péruvien José María Arguedas, qui popularisent dans une langue virtuose les cultures musicales des Caraïbes et des Andes. Pour le traité ethnomusicologique voici un exemple de l’histoire de la musique équatorienne de Mario Godoy Aguirre (2005, 41ss.) :  

« Para el observador occidental el mundo sonoro andino está gobernado por múltiples sistemas de oposición : […] 2. Atracción o ahuyentadores ; […] El rondín o armónica (transculturizado), es un instrumento muy apreciado por los indígenas de los Andes, es considerado mágico, para atraer a las mujeres. Iguales características tenía el rondador de plumas de cóndor, hoy en desuso. Las dulzainas confeccionadas con huesos humanos, también en desuso, dice el pueblo que atraían a la muerte. […] Los chilchiles, sonajeros, campanas, sirven para ahuyentar a los espíritus malignos y para evocar a los espíritus del bien. Son usados por los curanderos en la ‹ limpia ›. »  











Traduction : Pour l’observateur occidental, le monde sonore andin est gouverné par de multiples systèmes d’opposition : […] 2. Attraction ou chasseurs ; […]  





5 La littérature présente un troisième niveau de parler de la musique qui n’est ni technique ni commun (cf. Brandstätter 1990, 42).

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Le « rondín » ou harmonica (transculturalisé) est un instrument très apprécié par les indigènes des Andes, il est considéré magique, pour attirer les femmes. Le « rondador » de plumes de condor [une espèce de flûte de Pan] avait des caractéristiques pareilles, aujourd’hui hors d’usage. Les dulzainas [ou dolçainas] confectionnées avec des os humains, aussi hors d’usage, attiraient la mort, comme disent les gens. […] Les « chilchils » [une espèce de grelots], les hochets, les cloches servent pour chasser les esprits malins et pour évoquer les esprits du bien. Ils sont utilisés par les guérisseurs lors du « nettoyage ».  















Au début de cet extrait, l’auteur exprime par « observador occidental » qu’il s’intéresse au dialogue avec le discours du monde occidental pour renseigner sur les particularités du monde andin. Les instruments musicaux y sont des objets d’usage courants. Du point de vue stylistique, la formulation « dice el pueblo » peut sembler spéculative et peu scientifique. Ceci est dû au fait que le discours scientifique écrit, auquel on pourrait recourir, manque souvent (cf. Koch 2013, 132s.).  







3.4 Le solfège en discours vulgarisé Les amateurs sont souvent intéressés à comprendre les œuvres musicales. Il ne s’agit pourtant pas de percevoir l’œuvre dans sa structure entière, mais d’en apprendre quelque chose qui éveille l’intérêt à l’écouter. En russe, on trouve la paire de mots слушать/slouchat’ et слышать/slychat’ (cf. Karbusicky 1986, VII) ; le premier mot signifie ‘écouter’ et le deuxième approximativement ‘percevoir en écoutant’. Le but de la communication musicologique avec les amateurs est souvent d’ouvrir la voie de l’écoute passive vers une telle perception active. Les auditeurs profitent plus des concerts classiques s’ils connaissent quelques particularités d’un morceau – par ex. une partie extraordinaire d’un instrumentiste ou une anecdote autour de la composition – afin d’écouter avec plus d’attention et d’intérêt pour retrouver ces particularités dans la présentation de l’œuvre complète. Quelques médias typiques de cette forme de communication sont la modération dans le concert, les publicités et les critiques dans la presse ainsi que les guides de concert et d’opéra sous forme de livre. Une branche spéciale pour le grand public est la didactisation et alors vulgarisation du solfège. Les enfants qui apprennent à jouer d’un instrument sont souvent confrontés à un âge précoce à des sujets complexes du solfège. L’exemple suivant du Canada montre une méthode d’adaptation pour les enfants. Il est tiré du cours en ligne L’œil qui entend, l’oreille qui voit de Luce Beaudet et Sylvie-Anne Ménard (2014) :  



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Figure 1 : La sixte napolitaine (Beaudet/Ménard 2014)  

Dans une bande dessinée, deux lapins humanoïdes – une fille et un garçon – parlent de l’harmonie tonale. Cet exemple traite de la sixte napolitaine qui selon la fille, qui veut expliquer l’harmonie tonale le plus facilement possible, déclenche des larmes quand on l’entend. Le garçon, qui veut apprendre le solfège, exige pourtant « une meilleure définition » qui suivra après d’une manière plus formelle. La forme du dialogue peut faciliter pour le lecteur l’identification avec la perspective de l’apprenant. En plus, ce cours en ligne fournit de nombreux exemples acoustiques. Si on consulte pour le même sujet dans l’encyclopédie la plus populaire de nos jours – Wikipédia –, on trouve dans la version française un texte d’environ 300 mots. Voici le début (version de novembre 2014) :  





« En harmonie tonale, l’accord de sixte napolitaine – ou plus simplement, la sixte napolitaine – désigne un type d’accord d’emprunt qui consiste en un accord parfait majeur, à l’état de premier renversement – d’où ce nom de « sixte » –, emprunté au premier degré de la tonalité majeure située un demi-ton diatonique au-dessus de la tonalité courante – par exemple, ré♭ majeur, par rapport à do majeur. Cet accord remplit souvent la fonction de sous-dominante, la note de basse de l’accord étant placée sur le quatrième degré tonal. »  







Les expressions soulignées mènent à des liens hypertextuels vers d’autres articles du solfège pour soutenir la compréhension des termes techniques. Dans cet article, il y en a au total plus de 30, une quantité qui fait penser à l’article – fameux pour ses 124 renvois – Châtelet de Paris dans l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert (cf. Blanchard/Olsen 2002, 47). Par rapport à la quantité des mots, l’article sur Wikipédia contient même plus de renvois. Il faut se demander s’il s’agit ici d’une présentation pour les scientifiques ou pour tout le monde. L’idée de l’encyclopédie devrait sûrement se baser sur la compréhensibilité pour un vaste public. Wikipédia, ce qui montre cet article, ne suit pas toujours ce principe, car les textes sont d’une grande hétérogénéité due au système complexe des auteurs.  

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3.5 La répétition musicale Les musiciens ne sont pas naturellement des musicologues. Cependant leur langue technique est en grande partie identique. Pendant les répétitions en groupe se manifeste toujours le besoin de communiquer en forme verbale. Les chefs d’orchestre, de chœur etc. doivent se servir de la langue afin que les chanteurs ou instrumentistes réalisent leurs idées dans l’interprétation. Une petite transcription d’une répétition avec Riccardo Muti (2012) nous montre quelques aspects caractéristiques de ce type de discours :6  

dunque signori (.) due co:se prima ; (.) quando faCCIAmo ((il chante le motif en battant les mains)) (-) c’è una tendenza (1.1) come (.) ogni volta (.) a rallentare_a perdere di tensione sulle crome ; (-) (cioè) (-) ((il chante la version réalisée par les musiciens)) (- - -) questo sarà piuttosto difficile perché il coro è abbastanza lontano ; e siamo VERticalmente insieme (-)

(-) bisogna che (noi cediamo) (.) più piano possibile (- - -) in modo da (- -) che voi TUtti possiate sentire la parte del coro. (-) NON crescendo prima del forte quando c’è eh ? (1.1) eh battuta trentanove, (- -) articolatissima la (- -) la: semicroma Traduction : ‘Alors messieurs, deux choses, d’abord : quand nous faisons (Il chante le motif en battant les mains), il y a une tendance… comme chaque fois à ralentir, à perdre de tension sur les croches. C’est-à-dire : (Il chante la version réalisée par les musiciens). Ceci sera plutôt difficile parce que le chœur est assez loin, et nous sommes verticalement ensemble : (En chantant et en battant les mains) « Il maledetto non ha fratelli, tom papapà. » Il faut que nous cédions, le plus piano possible, de manière que vous puissiez tous entendre la partie du chœur, sans augmenter le son avant du forte quand il y en a, hein ? Mesure 39 : bien articulée la double croche’.  















Le chef d’orchestre peut désigner n’importe quelle position dans la partition sans beaucoup d’effort en désignant la mesure (« battuta trentanove »), la partie et les notes. Dans le discours oral, il ne dispose pas seulement des termes techniques (« rallentare », « crescendo », « semicroma »), mais aussi de la possibilité de montrer ses idées grâce à sa propre voix puisque la voix humaine peut imiter la plupart des formes d’intonation et d’articulation des instruments musicaux.  















6 On utilise les conventions de transcription de GAT 2 (cf. Selting et al. 2009).  

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4 Les recherches

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L’étude des textes et des discours en musicologie ne fait pas partie des sujets établis de la linguistique romane ou générale. En musicologie, il existe par contre un vaste intérêt à discuter théoriquement sur la langue technique. Le recueil de Riethmüller (1999) et les essais de Heike (1999) offrent une vue thématique sur les relations entre langue et musique d’une vue musicologique. Schneider (1987) en offre un aperçu bibliographique, malheureusement déjà suranné (cf. Störel 1998, 1338). Il y a plusieurs monographies qui appliquent les paramètres linguistiques à la musique afin de comparer les structures et parfois d’enrichir le vocabulaire de la langue technique en musicologie : Gruhn (1978), Karbusicky (1986), Eberlein (1994), Kühl (2007), Grabócz (2009), Hörr (2009). Entre les contributions de la linguistique romane, on trouve surtout des travaux sur les particularités de la langue chantée et la relation entre paroles et musique, cf. la thèse d’Overbeck (2011) qui analyse les rapports entre langue et musique dans les livrets d’opéra italiens. Ce sujet est brièvement présenté par Lodes (22006) et traité dans plusieurs contributions des recueils de Ruwet (1972), Oroz Arizcuren (1980) et Overbeck/Heinz (2012). À niveau lexicologique, il faut mentionner la thèse de Grutschus (2009) qui analyse diachroniquement l’emploi des mots pour parler des tons en français. Nicolodi/Di Benedetto/Rossi (2013) ont publié un grand lexique terminologique à base des textes historiques de la longue culture musicale d’Italie. Ce lexique a été préparé par plusieurs travaux mineurs (par ex. Nicolodi/Trovato 1996). Jusqu’à présent, les études de linguistique romane servant à analyser la musicologie au niveau textuel sont vraiment rares. La thèse de la musicologue Brandstätter (1990) contient plusieurs analyses linguistiques de textes musicologiques en allemand. Schütte (1991) offre une vaste analyse sociolinguistique de la communication facétieuse (Scherzkommunikation) entre musiciens, aussi en allemand. Pour l’italien, il y a plus récemment les analyses conversationnelles de traduction spontanée de l’anglais en italien lors de répétitions musicales (Veronesi 2011 ; 2013 ; 2014). Les désidératas pour les futures recherches sont nombreux. On peut imaginer par ex. l’analyse profonde de la communication entre experts et profanes, des analyses contrastives entre plusieurs langues et le développement d’une typologie de textes et de discours.  



7 Cet aperçu s’entend d’une perspective surtout germanophone.



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Christian Koch

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Textes et discours en musicologie

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Christian Koch

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Britta Thörle

8 Textes et discours dans l’entreprise Abstract : Dans l’entreprise, les textes et discours, en tant que textes et discours organisationnels, jouent un rôle essentiel et constitutif en ce qu’ils contribuent à l’accomplissement des tâches de travail ainsi qu’à la constitution des rôles et identités au sein de l’entreprise et, par là, à la (re)construction de l’organisation même. Sans traiter un genre textuel ou discursif spécifique dans tous les détails, l’article aborde les traits caractéristiques des textes et discours organisationnels et au travail : patrons d’interaction, formalisation et rationalisation, caractère technique et professionnel, plurisémioticité, communication d’interface. Tout en indiquant la richesse des différentes approches à l’étude des textes et discours dans l’entreprise, l’article est particulièrement inspiré par les travaux basés sur des corpus d’interactions authentiques tels qu’ils sont notamment issus des différents courants de l’analyse des conversations et de l’analyse du discours.    



Keywords : communication dans l’organisation, langage et travail, communication technique, genres textuels et discursifs, réunion de travail    

1 Introduction Dans un manuel des langues de spécialité, les textes et discours dans l’entreprise ne représentent pas un thème évident – étant donné que ces textes et discours ne relèvent pas forcément d’une spécialité commune. Certes, le domaine de l’économie y joue un rôle important, mais, selon le secteur industriel, la communication se réfère aussi à d’autres domaines techniques et scientifiques. Cette diversité « horizontale » de la communication spécialisée dans l’entreprise se combine avec la diversité des constellations sociales et des contextes communicatifs qui résultent de la coopération entre les membres des différents services, professions et positions hiérarchiques au sein de l’entreprise ainsi qu’entre l’entreprise et ses clients et partenaires commerciaux. Les textes et discours de l’entreprise constituent donc un objet d’étude extrêmement hétérogène ce qui se reflète dans l’hétérogénéité des recherches qui – selon l’intérêt particulier de la discipline – focalisent : les caractéristiques des textes spécialisés (Fachtextlinguistik), les événements communicatifs dans l’entreprise en tant que communauté de parole (ethnographie de la communication), la constitution et l’organisation des interactions dans des contextes institutionnels (analyse des conversations), le rôle du langage dans l’organisation et l’accomplissement du travail (ergonomie), le rapport entre les caractéristiques linguistiques des textes et discours et les relations de pouvoir (analyse critique du discours), les particularités de la communication au poste de travail, souvent caractérisé par la présence d’artéfacts techniques et d’infrastructures médiatiques (Studies of Work, Workplace Studies). Dans ce qui suit,  





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Britta Thörle

nous ne chercherons pas à rendre compte de tout ce spectre de recherches réalisées sur les textes et discours dans ce domaine (pour des aperçus systématiques voir BargielaChiappini 2009 ; Mondada 2006 ; Thörle 2005). L’objectif de l’article est plutôt de décrire les traits essentiels des textes et discours dans l’entreprise en tant que communication à la fois organisationnelle, spécialisée et professionnelle qui est caractérisée par les tâches de travail, la répartition des savoirs et du pouvoir ainsi que par les contextes technologiques et médiatiques dans lesquels la communication a lieu.  



2 Le rôle du langage dans l’entreprise En tant qu’organisations, les entreprises représentent des regroupements de personnes et de moyens à des fins économiques qui se caractérisent par une structuration interne formelle, par la division et par la coordination du travail. Ces particularités ont de l’impact sur les formes de communication dans l’entreprise en ce qu’elles demandent une certaine rationalisation comme, par exemple, la régulation des voies hiérarchiques et le formatage des textes et discours. Toutefois, cette conception, qui relève d’un paradigme « normatif », ne permet qu’une compréhension incomplète des activités langagières dans l’entreprise. Celles-ci ne sont pas simplement le résultat des nécessités « objectives » qui ressortent de l’ordre organisationnel, mais doivent être considérées comme étant des ressources reconstructives par lesquelles les membres de l’entreprise interprètent, confirment, modifient et ainsi reconstruisent l’organisation. C’est donc essentiellement par des activités communicatives que l’organisation se maintient à vie (cf. Habscheid 2001). Au sein de la recherche sur la communication dans l’entreprise, différentes approches ont été proposées pour classifier le rôle des activités communicatives par rapport au fonctionnement de l’entreprise et la (re)construction permanente de l’organisation. Brünner (2000, 8) propose de distinguer, dans un premier temps, la communication se rapportant au travail (« kooperationsbezogen ») de la communication indépendante du travail (« kooperationsunabhängig »). Cette distinction correspond à celle que fait Lacoste (1995, 25) entre « parole fonctionnelle » et « parole non fonctionnelle (ou relationnelle, sociale) ». La première sert à la production et à la vente de produits et de services et, ainsi, à la réalisation des bénéfices. Elle consiste avant tout en la production et la distribution des informations ainsi qu’en la planification, la coordination et la régulation des activités. La seconde est constituée des conversations quotidiennes au travail : plaisanteries, bruits du couloir, récits d’incidents, histoires personnelles, scènes ludiques, etc. (Brünner 2000, 8s.). Dans l’histoire de l’industrialisation, la communication « homileïque » (Ehlich/Rehbein ²1980) n’a pas toujours été très estimée. Ce n’est qu’à partir des années 1930 que l’on est parvenu à la conclusion que la communication prioritairement relationnelle ou phatique a aussi un effet de soulagement et qu’elle contribue à la satisfaction des opérateurs avec leur travail, constituant aussi par cela un facteur de productivité (cf. Brünner 2000, 8s.).  































Textes et discours dans l’entreprise

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En dehors des lieux de production, il y a d’autres types d’interaction, comme les négociations et les interactions de vente pour lesquels le small talk, les thèmes personnels et les plaisanteries sont des éléments essentiels. Leur fonction consiste à établir et à maintenir le contact et la bonne relation avec le client comme base de succès au niveau économique (Brünner 2000, 9). La distinction tout à fait convaincante entre les interactions verbales qui contribuent à la production des produits et services, c’est-à-dire du langage comme travail, et les interactions plutôt relationnelles ou sociales dans le travail n’implique pas que ces dernières soient complètement indépendantes du contexte organisationnel de l’entreprise (Filliettaz/De Saint-Georges 2009, 428). C’est pour les plaisanteries, par exemple, que Dannerer (2002) montre que dans certains contextes, le droit à la plaisanterie dépend de la position sociale et hiérarchique de celui qui la fait. Quant à la parole fonctionnelle, on peut en outre distinguer la parole indépendante de la parole « subsidiaire » (Brünner 2000, 15). Dans le premier cas, il s’agit d’une activité de travail purement communicative pendant que, dans le second cas, l’activité principale est une activité non-verbale dans laquelle la part communicative joue un rôle subordonné et assistant. Les études en communication dans l’entreprise sont d’accord que ce sont le langage ainsi que d’autres formes de médiation sémiotiques qui, dans les dernières décennies, sont devenus de plus en plus importants. Cela ne vaut pas seulement pour les cadres qui font un travail majoritairement communicatif (cf. Spranz-Fogasy 2002), mais même pour les métiers dans lesquels le travail manuel et l’activité/l’engagement physique ont dominé dans le passé. C’est, en plus, l’importance croissante du secteur de service qui entraîne une augmentation du travail communicatif devenant chaque fois plus complexe (Filliettaz/De Saint-Georges 2009, 424s.). Les genres de textes et discours qui relèvent du travail communicatif sont nombreux : négociations, contrats, entretiens de vente, de service ou de réclamation, documentations techniques, séminaires de formation, etc. Le genre qui a suscité le plus d’intérêt de la part des linguistes est la réunion de travail (cf., par ex., Svennevig 2012 ; Asmuß/Svennevig 2009 ; Domke 2006 ; Müller 2006 ; Thörle 2005 ; Dannerer 1999 ; Meier 1997 ; Boden 1994 ; Schwartzman 1981). Bien qu’elles soient souvent perçues comme obligation inutile et chronophage par ceux qui doivent y participer, les réunions se considèrent essentielles pour la constitution, la continuité et le développement de l’organisation en ce sens que les informations qui constituent la base pour des actions ultérieures et qui garantissent que l’organisation « tourne » y sont préparées, prises ou bien transmises (Domke 2006 ; cf. aussi Habscheid et al. 2014, 401). Le rôle du langage dans l’entreprise ne se limite pas à l’accomplissement du travail. Il est aussi constitutif de l’entreprise en tant que communauté sociale – communauté qui élabore et soigne son image à l’intérieur comme à l’extérieur à l’aide d’un concept d’identité (corporate identity) et de textes et discours qui correspondent à cette image et qui la propagent (cf., par ex., Emmerling 2007). Si l’on passe de ce point de vue plutôt normatif de la théorie de l’organisation à la perspective ethnographique, l’entreprise peut être conçue comme monde social où le langage est un facteur important d’intégra 





























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tion (cf. De Vecchi 2010). Ce monde consiste en plusieurs groupes et milieux sociaux qui se définissent, entre autres choses, par la socialisation professionnelle, le type de travail et la position hiérarchique (cf. Müller 2006, 265). Dans l’exemple suivant, extrait d’une interview ethnographique avec une opératrice travaillant à la chaîne d’une usine qui produit des pièces pour l’industrie automobile, l’interviewée distingue plusieurs milieux sociaux dans l’usine – le monde de l’atelier et celui des bureaux :1  

Exemple (1) :  

IN: Intervieweur (locuteur non-natif du français) OP: Opératrice IN (…) il y a l’ambiance de l’atelier on peut dire qu’il est un IN peu plus agressif en total ** que dans les dans les bureaux ou IN ou dans les mifas OP ah c’est complètement différent↓ (IN : mhm) 5

OP ch=crois dans les mifa et dans les bureaux ils sont forcés de OP se contenir (IN : mhm) c’est de se de se refréner un peu (IN : OP mm) et dans le dans l'atelier euh pf #on laisse passe :r ça va K #CHANTANT

OP alle :r# c’est pas un problème hein↑ ch=crois que quelque part 10 K # OP OP OP OP 15 OP OP

euh on a entendu souvent ça↑ et voulant entendre peut-êt/ souvent oui lEs bureaux les filles dEs bureaux (IN : mhm) les filles des bureaux elles sont comme nous hein↑ (IN : oui) pourquoi il y a les filles dEs bureaux * parce qu’elles ont pas de blOUse * c’est ça la grosse différence (IN : mhm) et et oui mais elles elles se baladent en manteau elles ont pas de blouse

IN pas de blouse ou pas des (…) OP elles ont pas besoin de blOUse OP elles travaillent pas avec du prod/ des des des des produits 20 OP des matériaux euh * il y a toujours eu une ségrégation

1 Tous les exemples cités dans cet article sont issus du projet Sprachvariation in Betrieben (‘Variation linguistique dans l’entreprise’), réalisé à l’université de Mannheim (2000–2004) avec le soutien de la Deutsche Forschungsgemeinschaft (cf. aussi Müller 2006 ; Thörle 2005). Les conventions de transcription correspondent au système DIDA (cf. http://agd.ids-mannheim.de/dida.shtml) : * pause brève → plus vite | début et fin d’un énoncé simultané ** pause plus longue ← moins vite (…) énoncé incompréhensible ↑ intonation montante > plus bas (oui) énoncé présumé ↓ intonation descendante < plus haut = élisions phonétiques K commentaire : allongement d’une voyelle  



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Textes et discours dans l’entreprise

Les ateliers et les bureaux se distinguent par le type de travail qui y est accompli, mais également par des caractéristiques linguistiques et non-linguistiques qui se rapportent à celui-ci et qui peuvent devenir indicatives d’un certain milieu social : la tenue de travail (la blouse dans l’atelier) ou bien un style communicatif particulier (le ton retenu dans les bureaux, le ton agressif de l’atelier). Les différents styles communicatifs font partie du savoir partagé des membres de l’entreprise. À l’intérieur du milieu social, ils servent, d’une part, à établir la cohésion sociale entre les membres du groupe et, de l’autre, à indiquer la démarcation entre un groupe et d’autres milieux dans l’entreprise.  

3 Propriétés des textes et discours dans l’entreprise 3.1 Genres discursifs et schémas d’interaction La communication dans l’entreprise est souvent conçue comme étant plus structurée que la communication quotidienne. Ceci n’est pas forcément le seul résultat de contraintes normatives, mais ressort aussi de la pratique communicative au sein de l’entreprise. C’est par la solution de problèmes et par l’accomplissement de tâches récurrentes au travail que les membres de l’entreprise développent des patrons et schémas d’interaction qui, tout en étant variables et susceptibles de changer, font partie du « budget communicatif » de l’entreprise (« kommunikativer Haushalt », cf. Luckmann 1986). Ces formats reconnaissables constituent des ressources d’interaction verbale, des formes de « prêt à parler » (Boutet 2005, 21), qui permettent un fonctionnement économique des échanges verbaux. Pour saisir le caractère schématique des interactions dans l’entreprise, les recherches en science du langage ont recours à différents concepts parmi lesquels celui du genre discursif nous paraît particulièrement utile (cf., par ex., Angouri/Marra 2010 ; Koester 2006 ; Müller 2006). Suivant Günthner/Knoblauch (1996, 37), les genres peuvent être compris comme étant des solutions formalisées et socialement établies à des problèmes récurrents, solutions formées dans l’histoire et spécifiques d’une culture (cf. aussi Angouri/Marra 2010, 618). Les genres peuvent être décrits, d’une part, par leur structure extérieure (le milieu communicatif, la situation de communication, la relation entre les participants) et, d’autre part, par la sélection du code et des moyens linguistiques qui représentent la structure intérieure du genre (cf. Luckmann 1989). La variété des genres textuels et discursifs que l’on trouve dans le budget communicatif de l’entreprise est considérable. Müller (2006) et Koester (2006), sans vouloir proposer un inventaire complet, distinguent les genres suivants :  

















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Tableau 1 : Genres discursifs en situation de travail (cf. Müller 2006, 151s. ; Koester 2006, 24s.)  

Müller (2006)

Koester (2006)

entretiens privés

genres

discours directifs

entretiens de contact

unidirectionnels

briefings

entretiens de présentation

entretiens de service

entretiens de formation

rapports

entretiens d’évaluation

sollicitations

entretiens de planification

genres collaboratifs

prises de décision

entretiens de crise

accords

entretiens d’analyse

discussion évaluation genres nontransactionnels

small talk commérages de bureau

Le budget communicatif de l’entreprise ne constitue pourtant pas un ensemble homogène et clos de genres, mais présente de multiples intersections avec les genres existant dans d’autres types d’organisations (les réunions de travail existent aussi bien dans les services administratifs que dans les universités, les hôpitaux, les partis politiques, les associations sportives, etc.) ainsi qu’avec les genres discursifs quotidiens (les plaisanteries, les salutations, etc.). Toutefois, les genres en intersection peuvent manifester des caractéristiques spécifiques dans chacun des contextes. Dans la communication au sein de l’entreprise, ce sont particulièrement la structure de la tâche, les systèmes techniques et codes sémiotiques, les relations hiérarchiques, la répartition des rôles et la distribution des savoirs qui caractérisent les genres discursifs (Lacoste 2001, 34 ; Thörle 2005). L’extrait suivant, tiré d’une réunion dans le service de production d’une entreprise sous-traitante de l’industrie automobile, en est un exemple (cf. Müller 2006, 167ss. ; Thörle 2005, 61ss.) :  





Exemple (2) :  

CP : Coordinateur de production ME : Mécanicien CSP : Chef de service (production) A : Animateur CP2 CP2

>c’est tout ce que j’avais↑< * formation↑ *3,0* eu :h- Antoine oui les chiffres↑

CP1 (…chiffres) bloc deux↑ ** ME ? quatre cent vingt-

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Textes et discours dans l’entreprise

5

ME ? neuf mille cent six *2,0* deux cent CP1 polyme↑ * ME ? trente-trois mille zéro cinquante-trois *3,0* CSP A6

y=a qu’à continuer faut faire ça tous les jours

10 A6 ** à la réunion CP2 ouais *2,0* on a perdu une CP2 A6

demi-heure de réunion en plus *

CP2

on a perdu une demi-heure de réunion↓ *

comment↑

15 CP1 refusion bloc cinq↑ ME ? cent quarante-sept ME ? neuf cents↑ ** polyme trois cent trente-deux * ME ? deux cents↓ *2,0*

Ce type de réunion, qui a lieu tous les matins dans une salle de réunion dans l’atelier de production, sert à l’échange d’informations entre les coordinateurs de production, les techniciens et les animateurs concernés. Les participants se tiennent informés les uns les autres des quantités de pièces produites par l’équipe de nuit, des livraisons, des problèmes techniques actuels, etc. Dans l’extrait choisi, les participants sont en train d’échanger les chiffres de production. Cet échange de données est réalisé d’une façon bien rodée et économique. Il est initié, après la conclusion du point précédent de l’ordre du jour, par une brève demande du coordinateur de production (CP2) : eu:hAntoine oui les chiffres↑. Ensuite, l’échange suit toujours le même patron : – un des coordinateurs indique un secteur de production ou un produit (bloc deux, polyme, refusion bloc cinq) – la personne responsable du secteur concerné en donne les chiffres.  



Qui parle et quelle information est donnée résulte donc de la répartition des rôles et savoirs dans l’équipe qui fait partie du savoir partagé des participants (cf. aussi Halvorsen/Sarangi 2015 ; Angouri/Bargiela-Chiappini 2011).2 Les secteurs et produits sont compris dans une liste que les participants ont devant eux et qui détermine l’ordre des chiffres demandés. Les pauses après la mention des chiffres sont dues au fait que les participants notent les chiffres dans la liste. Ce schéma est parfois interrompu par de brefs commentaires (voir l. 8–14) ou bien par la discussion de  



2 Vice-versa, l’accomplissement de certaines activités lors d’une réunion est en même temps une ressource qui permet aux participants de négocier et de (re)constituer leurs rôles et identités hiérarchiques et professionnels (cf. Halvorsen/Sarangi 2015, 11 ; Thörle 2005, 219ss.).  

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problèmes nécessitant beaucoup de temps. Dans les deux cas, le schéma de l’échange peut être ré-initié, sans être de nouveau annoncé, par la seule indication du prochain élément de la liste (voir l. 15 refusion bloc cinq). C’est donc à partir d’une tâche de travail et rendant compte de la répartition des rôles et du savoir ainsi que des différents codes sémiotiques disponibles (l’échange oral, la liste écrite) que ce genre communicatif très spécialisé s’est développé au sein de l’entreprise.

3.2 Formalisation et rationalisation Une des principales particularités des textes et discours dans l’entreprise est leur caractère formel. Les entreprises sont des organisations basées sur la répartition du travail ainsi que des rôles, fonctions, positions, etc. qui – par principe – sont indépendants des individus qui les exercent ou occupent. D’après certaines théories de l’organisation, ce principe est la condition préalable de la subsistance de l’organisation. Au niveau de la communication, cela signifie que les schémas et fonctions communicatifs se reproduisent pendant que les participants de la communication sont permutables (Simon 42013, 23). Cela n’est possible qu’avec un certain degré de formalisation de la communication qui s’exprime au niveau du lexique (la terminologie interne de l’entreprise), du texte (les formulaires internes, les textes modèles, les scripts) et des organigrammes. Les voies de communication à suivre doivent garantir que la structure hiérarchique soit respectée et que les décisions soient prises par celui qui, de par sa position, a le droit de le faire (cf. aussi Simon 42013, 72).3 La standardisation des textes et discours dans l’entreprise ne sert pas seulement au maintien et à l’autonomie de l’organisation, mais aussi à l’atteinte fiable, efficace et économique des objectifs de l’entreprise. La standardisation est d’une importance particulière dans certains secteurs de l’industrie où l’univocité des textes et discours est vitale pour le personnel (par ex. les avertissements de sécurité des machines dans le secteur de production) ou pour les clients et consommateurs (par ex. la notice d’un médicament). Dans d’autres domaines, surtout dans le secteur tertiaire, la standardisation sert à la rationalisation et au contrôle des transactions de service. Ceci s’observe dans les centres d’appel. La communication avec les clients y est souvent formalisée par des scripts en forme de logiciel qui imposent à la communication la logique du système en exigeant, par exemple, la classification des requêtes et demandes individuelles selon les catégories proposées ou en prescrivant les thèmes et activités à suivre (Boutet 2005, 28 ; Lacoste 2001, 41).  

3 Toutefois, il faut tenir compte de la complexité de la prise de décisions dans des contextes organisationnels. Halvorsen/Sarangi (2015) soulignent la nature émergente des décisions au travail où interviennent de la même façon les rôles organisationnels, les rôles déterminés par l’activité ainsi que les rôles discursifs.

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Bien que la formalisation de la communication soit essentielle pour l’entreprise, la communication informelle, non-réglée ou même en contradiction avec les règles établies, joue aussi un rôle important. Il faut d’abord prendre en considération que, au niveau des voies de communication, il existe dans l’entreprise des réseaux sociaux indépendants de la structure organisationnelle et hiérarchique (amis, collègues du département dans lequel on a travaillé auparavant, membres de la famille, etc.). Ainsi, s’il y a un problème qui se pose dans une certaine phase du travail qui demande l’aide d’un autre département, il paraît parfois plus facile et efficace d’appeler celui que l’on connaît dans ce département au lieu de suivre la voie hiérarchique prévue dans l’organigramme. Il faut aussi tenir compte du fait que les procédés standardisés ne peuvent pas régler toutes les situations qui se produisent effectivement dans la vie réelle. Il est donc parfois sensé, voire même indispensable, de ne pas suivre les procédés communicatifs prescrits. Au niveau des textes, il peut arriver que la standardisation empêche la réalisation efficace d’une activité de travail, voire lui nuise (cf. Habscheid 2005 pour les interactions de service). L’exemple (3) témoigne de la difficulté de trouver un équilibre entre les orientations formelles et informelles. L’extrait est tiré de la réunion d’une équipe d’opératrices travaillant à la chaîne de l’entreprise déjà mentionnée ci-dessus. Il témoigne du fait que les membres de l’organisation sont bien conscients de cette tension entre les procédés communicatifs formels et informels (cf. aussi Thörle 2008) :  

Exemple (3) :  

OP : Opératrice PSY : Psychologue OP11

moi je sais que j'en ai eu des problèmes

OP11 |aussi chez| la préparation↑ j'ai suivi la voie OP1 |eh la vieille| OP11 hiérarchique↑ comme on dit si bien↑ mais ça n'a 5

OP11 rien donné ** |hein ** je| me suis PSY quel type |de problème-| OP11 démerdée moi-même↓ hein↑ *

Dans cette réunion, les opératrices sont invitées à prononcer des problèmes qu’elles trouvent à leur poste de travail. La réunion fait partie des outils d’amélioration de la qualité et doit servir à relever et à résoudre des problèmes dans ce secteur de la production. À plusieurs reprises pendant la réunion, les opératrices se montrent mécontentes de leur situation. Elles ont l’impression que les personnes responsables de l’équipe ne les aident pas assez vite quand il y a des problèmes. Dans ce contexte, l’opératrice OP11 oppose les procédés formels dans l’entreprise (suivre la voie hiérarchique, l. 2/4) aux solutions informelles (se démerder soi-même, l. 5/7), jugeant

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seulement ces dernières efficaces. Il est intéressant d’observer dans ce cas les moyens rhétoriques par lesquels l’opératrice exprime sa position par rapport aux deux orientations. C’est par le commentaire métalinguistique comme on dit si bien (l. 4) qu’elle se distancie de l’expression suivre la voie hiérarchique (et par cela de cette manière de procéder) en l’attribuant à autrui. Par contre, en choisissant l’expression se démerder soi-même (l. 7), qui relève d’un registre extrêmement informel, elle marque, de manière provocante, sa propre façon de procéder comme contraire à la norme (mais efficace). La tension entre communication formelle et informelle s’exprime aussi au niveau du lexique. Ceci est très bien illustré par Boutet (2001), qui, dans son analyse du jargon des opérateurs d’une usine, présente des créations lexicales ironisantes ou minimisantes pour désigner les machines, les personnes (Eagle IV- ‘i gueule fort’) ou d’autres choses faisant partie de l’environnement de travail. À la différence des expressions techniques ou officielles, ces créations expriment la perspective des opérateurs et leur conceptualisation du travail comme il se présente quotidiennement :  

« Le lexique technique ou spécialisé appartient au domaine de la prescription : il représente les façons exogènes, officielles, voire obligatoires de parler. Ceux qui énoncent, décident, créent ou se font des porte-parole de ces façons de dire sont la hiérarchie, les concepteurs, l’encadrement en interne, mais aussi, en externe, les fabricants, les fournisseurs (de machines, d’outils, de matières premières), ainsi que les offices de terminologie qui ont le pouvoir de légiférer en matière de dénominations des objets commercialisables. Face à cet univers lexical, se trouvent les verbalisations endogènes, les argots de métier, les jargons professionnels qui appartiennent au domaine du travail réel, de l’expérience singulière de chaque opérateur avec sa machine, avec l’environnement du travail » (Boutet 2001, 192s).  





Les deux univers lexicaux témoignent de deux conceptualisations du travail qui coexistent dans les entreprises et qui ont été décrites comme « travail théorique » ou « prescrit » et « travail réel ». Le premier se définit comme le travail « affiché dans les organigrammes, les règlements, les descriptifs de tâches ». Le « travail réel », par contre, est « celui qui s’accomplit au jour le jour, dans la routine ou face aux événements » (Lacoste 2001, 23).  























3.3 Caractère technique et professionnel La communication dans l’entreprise peut être étroitement liée aux processus de la production de marchandises et de services ainsi qu’aux bases matérielles et aux conditions techniques de ceux-ci. Elle peut également servir à la planification, la coordination, l’évaluation, etc. des différentes étapes du processus de la création des valeurs. Les participants, possédant normalement une formation professionnelle et étant socialisés avec celle-ci, disposent d’un savoir spécialisé des matières techniques concernées. C’est dans ce contexte que les textes et discours dans l’entreprise relèvent

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souvent de schémas d’interaction spécialisés (cf. 3.1), comportent des marques stylistiques de spécialité (cf. ↗13 La fréquence des marques de spécialité), des expressions techniques ou du jargon professionnel ainsi que des symboles et formules spécialisés non-linguistiques. Dans Thörle (2005), nous avons argumenté que la fonction de ces moyens, au moins dans les interactions orales, ne se limite pas à garantir la communication fiable et efficace entre les agents (l’identification univoque des référents grâce à la terminologie, économie des échanges par des abréviations et par la standardisation des formules et des textes, etc.). Le vocabulaire technique ainsi que le style marqué des langues de spécialité – souvent en contraste avec le langage courant – servent aux participants également de ressources pour indiquer le cadre de l’interprétation pertinent à un moment donné : la définition de l’activité en cours ainsi que des rôles et identités des participants dans celle-ci. Brünner (1993, 761ss.) donne l’exemple des interactions dans la formation dans l’industrie minière où la différence entre la terminologie « correcte » et les expressions utilisées réellement sous terre fait souvent l’objet de commentaires métalinguistiques. Ces commentaires reflètent la relation parfois conflictuelle entre les normes de la profession, que les apprentis doivent connaître pour réussir aux examens, et la pratique réelle sous terre, qui n’y correspond pas toujours, mais qui fait aussi partie de la formation. Le lexique spécialisé est utilisé, dans ce cas, pour indiquer l’orientation aux normes et pour l’opposer à des orientations « pratiques ». En outre, le lexique et les marques de spécialité ont une fonction sociale dans la mesure où les participants s’en servent pour se présenter en tant que membres compétents d’une communauté de spécialistes ou bien pour définir la relation avec l’interlocuteur comme relation asymétrique entre spécialiste et non-spécialiste. Ceci est le cas dans l’exemple suivant. Il s’agit d’un autre extrait de la réunion d’équipe mentionnée en 3.2 (cf. aussi Thörle 2008). Un technicien qui est responsable d’un certain secteur de la chaîne constitue son rôle en tant qu’expert en opposant une expression de la langue courante (poussière) à une expression plus spécifique, jugée plus précise et adéquate (particule d’étain) :  











Exemple (4) :  

PA : Technicien, préparateur méthodes (« parrain » de l’équipe) PA vous savez que la moindre particule d'étain↑ * PA peut faire un court-circuit dans le :/ sur le PA produit- * donc euh c'est difficile d'enlever

5

PA une protection↓ |on dit| poussière↓ mais on A2 oui |est-ce que/| PA PA PA PA

dit poussière euh en général↓ euh qui :/ qui est aussi euh poussière d'étain- * poussière/ pas poussière euh seulement euh comme ça- * je veux dire↓

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Dans cet extrait, le technicien explique pourquoi il n’est pas possible d’enlever une protection gênante aux postes de travail. En faisant cela, il oppose l’expression particule d’étain à l’expression courante poussière qu’il attribue implicitement aux interlocutrices (on dit, l. 4/6) et qu’il juge inadéquate. En effet, cette dernière ne contient pas l’information du type de poussière, information importante dans ce contexte technique, car c’est la poussière d’étain qui peut provoquer un court-circuit. C’est donc par le caractère de son activité – l’explication et l’instruction – ainsi que par la manière dont il utilise et commente des éléments du lexique que le technicien se présente soi-même comme expert et attribue à ses interlocutrices un rôle de nonspécialistes.

3.4 Communication d’interface Cette dernière observation concernant la répartition asymétrique des savoirs et compétences nous mène à une autre caractéristique des textes et discours dans l’entreprise. Celle-ci consiste en ce que les textes et discours dans l’entreprise relèvent souvent de la communication d’interface. Dans les classifications de la communication dans l’entreprise, on fait habituellement la différence entre communication interne et externe à l’organisation (cf., par ex., Lavric 2012b ; Winkelmann 2011). À cette distinction organisationnelle, Brünner (2000, 13) ajoute celle entre communication interne et externe à une spécialité (« fachintern », « fachextern »), c’est-à-dire la communication, d’une part, entre spécialistes d’une même profession et matière, et, de l’autre, entre représentants d’une spécialité et non-spécialistes ou bien représentants d’une autre spécialité. Sur les deux plans, le plan organisationnel et celui de la spécialité, la communication peut avoir lieu à des interfaces. À l’intérieur de l’organisation, la communication a lieu entre les différents services qui remplissent différentes fonctions dans le processus de la création des valeurs ainsi qu’entre différentes professions qui collaborent à la fabrication d’un produit en se répartissant le travail. La communication « interne » au niveau de l’organisation peut donc bien être une communication « externe » au niveau de la spécialité. La communication externe à l’organisation concerne premièrement la communication avec d’autres institutions et organisations (fournisseurs, entreprises clientes, agents des autorités régionales et de la politique, etc.) qui sont eux-mêmes des spécialistes de leurs domaines, de sorte qu’il s’agit là d’une communication interdisciplinaire. Deuxièmement, la communication externe se réalise entre les agents de l’entreprise et les clients (marketing, relations publiques, conseil-client, etc.). À tous ces niveaux, l’interaction à des interfaces est caractérisée par une certaine asymétrie des savoirs, des conceptualisations, des perspectives et des intérêts qui peuvent provoquer des malentendus ou d’autres perturbations de la communication. Dans la communication avec les clients, c’est souvent la divergence entre la perspective individuelle et « quotidienne » du client et celle de l’organisation qui mène à des  





















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problèmes (Prego Vázquez 2007 ; Fiehler/Kindt/Schnieders 1999). Les modes d’emploi sont un genre textuel à l’interface entre des ingénieurs ayant conçu le produit et des consommateurs. Les rédacteurs du mode d’emploi doivent alors servir d’intermédiaire entre la perspective des ingénieurs, qui focalise la structure et les caractéristiques techniques du produit, et celle des utilisateurs, qui sont intéressés par le maniement, c’est-à-dire le déroulement des actions qu’ils peuvent ou doivent réaliser dans la situation de l’utilisation (Brünner 2000, 14). Ces tâches exigent des compétences linguistiques et communicatives qui sont parfois sous-estimées du côté de l’organisation. Jakobs (2008, 22s.) donne l’exemple des ingénieurs qui, dans leur formation, ne sont normalement pas préparés au fait qu’une très grande partie de leur travail en entreprise consiste dans la rédaction de textes. Ne visant que la correction du texte du point de vue du contenu, les ingénieurs tendent à négliger l’adaptation du texte aux savoirs et aux besoins des destinataires ce qui peut provoquer des malentendus et le mécontentement chez ces derniers. Finalement, il faut tenir en considération que la communication dans l’entreprise peut avoir lieu à des interfaces linguistiques et culturelles. Dans la communication externe de l’entreprise, cela concerne, par exemple, les négociations commerciales avec des partenaires dans d’autres pays (cf., par ex., Fant 2006). Dans celle-ci, les représentations mentales divergentes de certaines notions telles que projet en français et Projekt en allemand (cf. Barmeyer/Demangeat 2007) ainsi que les différences culturelles concernant la conception, la perception et la gestion du temps et de l’espace, les rituels et la politesse, l’organisation de la conversation, etc. demandent aux hommes d’affaires en plus de la compétence dans leur spécialité des compétences interlinguistiques et interculturelles. Si les partenaires ne disposent pas d’une langue commune et ne peuvent mener les négociations dans une lingua franca, ils peuvent faire appel à un interprète dont la tâche est également exigeante, car il ou elle doit, en même temps, se rendre compte des aspects spécialisés du secteur industriel – sans en être spécialiste – et des aspects culturels de l’interaction (cf. aussi Apfelbaum 2005 sur l’activité de l’interprète dans les séminaires de formation en entreprise). Dans l’économie mondialisée, c’est aussi la communication interne de l’entreprise qui s’avère de plus en plus interlinguistique et interculturelle étant donné que des spécialistes de différents pays et cultures d’origine travaillent dans des équipes multilingues ou collaborent à travers des infrastructures médiatiques avec des collègues de filiales situées dans d’autres pays (Grin/Sfreddo 2010 ; Lüdi et al. 2012 ; Lavric 2012a). Cette situation a des répercussions sur la gestion des interactions de travail au cours desquelles – parfois indépendamment de la politique linguistique « officielle » – les participants (re)négocient, selon leurs besoins, l’usage des langues en s’engageant ensemble dans de petites traductions « non officielles », dans des réparations, des recherches collectives de mots, en recourant au code switching, mettant ainsi en œuvre une compétence linguistique collective (cf. aussi Markaki et al. 2013 ; De Stefani/Miecznikowski/Mondada 2000).  



















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3.5 Plurisemioticité Le caractère organisationnel des textes et discours dans l’entreprise s’exprime peutêtre de la façon la plus claire dans les écrits du travail qui servent à la préservation, à la reproduction et à l’autorisation du savoir de l’organisation (cf. Habscheid et al. 2014, 393). D’après Jakobs (2008, 22), le travail communicatif dans l’entreprise est aujourd’hui un travail majoritairement écrit qui comprend le remplissage de formulaires, la rédaction d’offres et de factures, le commentaire de documents ainsi que la rédaction de documents complexes de l’entreprise. En raison du caractère organisationnel de la communication, l’écrit entre également dans les interactions primordialement orales. Cela est le cas dans l’exemple suivant. Dans cette partie de leur réunion d’équipe (cf. 3.2 et 3.3), les opératrices établissent une liste de problèmes qu’elles ont à leurs postes de travail. Un psychologue externe de l’entreprise, qui dirige la réunion, note les problèmes formulés par les participantes. L’extrait montre que c’est cette nécessité de fixer par écrit ce qui est dit, qui a un impact non seulement sur le déroulement de l’interaction mais aussi sur le travail de formulation (Thörle 2005, 153 ; cf. aussi la liste qui structure les réunions du service de production dans l’exemple (2) ci-dessus) :  





Exemple (5) :  

PSY : Psychologue OP : Opératrice

5

PSY PSY PSY PSY PSY PSY PSY

bon↓ allez euh * je vais rajouter en bas de la liste * tous les problèmes/ * tous les problèmes/ * qui/ * tous les problèmes/ * vous notez/ * vous me donnez tous les problèmes que vous avez- * qui nuisent à votre confort- * à votre efficacité au travail- * à la qualité et cetera ↓ * dites * un petit peu : tout ça↓ *

PSY OP

allez↓ * allez-y↓

10 OP PSY OP OP OP 15 PSY

juste les tables à insertion (|moi y=a que ça| qui me) dérange↓ * la table à |comment↑| insertion me dérange parce qu’on peut pas mettre les genoux dessous- * on est très mal in|stallé|↓ |alors| c'est quoi le problème↓ * dites-

PSY OP K

moi le problème * |c'est quoi * c'est/-| * |mais sûrement les tables à #CONVERSATIONS SIMULTANÉES

OP

insertion| * elles nous servent à rien nous

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Textes et discours dans l’entreprise

20 OP PSY PSY

hein↓ tablë:s * à insertion trop basses * c'est ça↑

Après avoir été invitées par le psychologue à nommer les problèmes aux postes de travail, les opératrices exposent des problèmes que le psychologue note ensuite en bas de la liste. (Dans cette liste figurent déjà des problèmes nommés lors de la réunion précédente. Le groupe vient de discuter si – ou bien, dans quelle mesure – ces problèmes ont été résolus.) Une des opératrices indique le problème suivant : la table à insertion me dérange parce qu’on peut pas mettre les genoux dessous- * on est très mal installé (l. 10ss.). L’énoncé paraît tout à fait clair et compréhensible de telle sorte que, au premier regard, il semble étonnant que le psychologue demande une reformulation (alors c’est quoi le problème↓ * dites-moi le problème, l. 15s.). C’est lui-même qui en propose une ensuite : tablë:s * à insertion trop basses * c’est ça↑ (l. 21s.). Si l’on compare les caractéristiques de la formulation initiale du problème avec celle du psychologue, cette dernière paraît mieux se prêter à la documentation dans la liste écrite : expression condensée en un seul syntagme nominal, formulation dépersonnalisée et focalisant la perspective technique (la particularité gênante de la table, sans référence à l’individu qui l’utilise). La présence de l’écrit dans cette interaction primordialement orale a donc une influence structurante sur celle-ci : un problème est accepté comme tel au moment où les participants se sont mis d’accord sur une formulation appropriée à la documentation écrite et le problème est fixé dans la liste. Ce moment marque en même temps la conclusion du thème et la possibilité d’en initier un nouveau (le problème suivant). Si les textes et discours dans l’entreprise relèvent souvent, comme on l’a vu, de la communication en même temps orale et écrite, la classification en genres oraux et en genres écrits ne fournit qu’une vision réduite de la réalité communicative. En plus, il faut tenir compte du fait qu’au travail, d’autres codes sémiotiques, nonverbaux, entrent en jeu (Filliettaz/De Saint-Georges 2009, 427), et qu’il y a des activités pratiques où le langage ne joue qu’un rôle subordonné. Brünner (2000) parle dans ce dernier contexte de la communication « empratique ». Par ce terme (« empraktisch » en allemand), Bühler (11934/1982) se réfère à la qualité des signes linguistiques qui sont impliqués dans une activité pratique non-verbale. Boutet/ Gardin/Lacoste (1995, 25) parlent dans ce cas du « langage d’action ». Il s’agit typiquement d’une communication orale (les instructions pendant le montage, par exemple), mais il y a aussi des genres écrits qui relèvent d’un contexte empratique (les notes prises pendant une activité pratique). Le fait que la communication soit subsidiaire à une activité non-verbale a des répercussions sur l’organisation des textes et des conversations. Ainsi, dans ce contexte, une question peut être suivie, au lieu d’une réponse, d’une activité non-verbale (Lacoste 2001, 30ss.). Les activités verbales orales y sont spécialement indexicales (« tiens ici », « vas-y », « plus haut »), peu connexes et peuvent être interrompues par des pauses dues à la prééminence de  





































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l’activité pratique. Dans des textes écrits, on trouve souvent des abréviations, des listes ou des tables (Boutet 2005, 30). Si l’on parle de la plurisémioticité de la communication au travail, le facteur le plus important et qui a suscité beaucoup l’intérêt des chercheurs en Workplace Studies (cf., par ex. Heath/Luff 2000), c’est la technicisation du travail. En ce qui concerne le travail primordialement communicatif, les mesures de technicisation permettent de standardiser et de modulariser les écrits afin de produire une grande quantité de textes à des coûts limités et d’en contrôler la qualité, par exemple dans le cas des lettres circulaires modularisées et basées sur des banques de données (Jakobs 2008, 25), ou bien pour contrôler et évaluer le travail langagier des agents peu formés dans les centres d’appel (Boutet 2005, 30). La tendance à la technicisation concerne aussi la communication subsidiaire et empratique au travail. Dans le monde du travail actuel, le travail coopératif purement manuel et physique perd de l’importance par rapport à la coopération assistée par ordinateur ce qui a encore des répercussions sur le mode de la communication empratique. Dans ce type d’interaction au travail, les participants doivent interpréter et coordonner des informations provenant de divers systèmes sémiotiques. Jakobs (2008, 27) donne l’exemple d’une consultation téléphonique dans laquelle le technicien voit à l’écran le même objet que celui qui appelle. Ainsi, il devient possible d’indiquer quelque chose par des moyens déictiques bien que les interlocuteurs ne soient pas physiquement présents dans la situation. Dans la communication homme-machine, les technologies sont utilisées pour « augmenter la réalité » (Augmented Reality) en ce sens que les agents, en communiquant, reçoivent des informations qui vont au-delà de ce que cette personne est normalement capable de percevoir simultanément (des instructions auditives ainsi qu’une documentation visuelle supplémentaire fournie par des lunettes spéciales que le monteur voit apparaître au moment du montage). C’est certainement ce domaine de la communication au travail qui gagnera encore de l’importance dans le contexte du projet Industrie 4.0.  



4 Conclusion Dans cet article, nous avons décrit les textes et discours dans l’entreprise en tant que genres discursifs organisationnels. Comme tels, ils sont caractérisés, d’un côté, par les finalités de l’organisation (l’accomplissement des tâches de travail spécialisées, la répartition du pouvoir et des savoirs, la rationalisation du travail). De l’autre côté, les textes et discours peuvent être considérés comme (re)constructifs de l’organisation, car c’est dans les textes et discours que le savoir de l’organisation est créé, préservé et transmis, que les décisions sont prises et les rôles hiérarchiques ainsi que les identités professionnelles sont négociés. En nous appuyant sur des études venant de différents courants en sciences du langage, nous avons fait ressortir quelques particularités caractéristiques des textes et discours dans l’entreprise qui ont attiré l’attention des

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chercheurs dans le passé. Comme les extraits analysés l’ont montré, la communication dans l’entreprise peut être influencée par des orientations contradictoires qui peuvent donner lieu à des conflits (entre les démarches formelles et informelles, entre différentes conceptualisations du travail et différentes perspectives professionnelles ou bien entre les intérêts divergents des agents internes et externes de l’entreprise). L’analyse proposée ici n’est bien sûr pas complète (et ne peut l’être). Tout en favorisant l’oralité au dépit des écrits dans l’entreprise, nous nous sommes appuyés sur les recherches en analyse conversationnelle et en analyse du discours d’origines anglosaxonne et allemande ainsi que sur les travaux du réseau français « Langage et Travail », particulièrement productif et innovateur dans les années 1990 et 2000 en proposant une approche interdisciplinaire originale. Nous avons dû négliger la perspective didactique qui n’est pourtant pas moins intéressante et qui a été même à l’origine des travaux sur les textes et discours dans l’entreprise (cf. Winkelmann 2011). C’est par exemple dans le domaine d’ELE (Espagnol Langue Étrangère) ainsi que dans le domaine de la communication interculturelle que la perspective appliquée est particulièrement productive (pour un aperçu des approches en Espagne voir, par ex. Montolío/Ramallo 2009).  



5 Bibliographie Angouri, Jo/Bargiela-Chiappini, Francesca (2011), « So what problems bother you and you are not speeding up your work ? » Problem solving talk at work, Discourse & Communication 5:3, 209–229. Angouri, Jo/Marra, Meredith (2010), Corporate meetings as genre : a study of the role of the chair in corporate meeting talk, Text & Talk 30:6, 615–636. Apfelbaum, Birgit (2005), Der Umgang mit interkulturellen Konflikten in Gesprächen mit Dolmetscherbedarf : Beispiele aus einer deutsch-französischen Industriekooperation, in : Dominic Busch/ Hartmut Schröder (edd.), Perspektiven interkultureller Mediation : Grundlagentexte zur kommunikationswissenschaftlichen Analyse triadischer Verständigung, Frankfurt am Main, Lang, 447–463. Asmuß, Birte/Svennevig, Jan (2009), Meeting Talk. An Introduction, Journal of Business Communication 46:1, 3–22. Bargiela-Chiappini, Francesca (ed.) (2009), The Handbook of Business Discourse, Edinburgh, Edinburgh University Press. Barmeyer, Christoph/Demangeat, Isabelle (2007), Notions partagées ou malentendus interculturels ? Regards sur quelques « mots-clés » dans les coopérations managériales franco-allemandes, in : Irmtraud Behr et al. (edd.), Langue, économie, entreprise. Le travail des mots, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 371–391. Behr, Irmtraud, et al. (edd.) (2007), Langue, économie, entreprise. Le travail des mots, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle. Behr, Irmtraud, et al. (edd.) (2010), Langue, économie, entreprise. Gérer les échanges, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle. Boden, Deirdre (1994), The business of talk : Organizations in action, Cambridge, Polity Press.  

























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9 Textes et discours juridiques : aspects cognitifs et traductologiques  

Abstract : Dans beaucoup de cas, la communication juridique ne s’arrête pas à la frontière des différents ordres juridiques. C’est à cet instant que le traducteur juridique intervient. Vu la forte spécialisation et l’abstraction du discours juridique, le lien indissociable entre le langage et l’ordre juridique avec, en arrière-plan, son ordre social et son système de valeurs, et l’opacité du langage juridique, la traduction exige de vastes connaissances linguistiques, juridiques, jurilinguistiques et transculturelles. Le présent article traite du discours et de la traduction juridiques sous un angle cognitif. Dans ce contexte, l’auteur propose un modèle « cognitivo-traductologique » à partir d’un modèle général de la compréhension de l’énoncé pour y intégrer ensuite les caractéristiques inhérentes au discours juridique et les aspects de la mémorisation des connaissances spécifiques du traducteur.    





Keywords : droit, discours juridique, traduction juridique, cognition, cadres de connaissances    

1 Introduction La notion du droit et celle de la langue sont indissociablement liées l’une à l’autre. « Il n’y a pas de droit sans langue. Le droit ne s’exprime que dans la langue et ne se communique, ne s’explique et ne se développe que par la langue. […] Sans langue, le droit et les juristes resteraient sans voix » (Rüthers ³2007, 101; trad. C.G.). Dans ce contexte, la maîtrise de la langue, la pertinence de l’énoncé sont la condition sine qua non pour que le juriste puisse accomplir sa tâche originale de créer, d’appliquer et de développer le droit. Dans la même mesure, elle est la limite insurmontable de sa qualification juridique (ibid.). De l’autre côté, tout discours juridique est profondément enraciné dans l’ordre juridique dans lequel il est produit. Partant, chaque système juridique s’appuie sur des notions et institutions juridiques – tout un système linguistique spécialisé du droit – qui ne correspond que partiellement au langage d’un autre ordre juridique. La majorité des juristes œuvre dans un ordre juridique national soit unilingue soit multilingue, comme c’est le cas en Suisse, au Canada ou en Belgique. Par conséquent, leur langage, leur discours, leur pensées restent souvent délimités par les frontières nationales de leur ordre juridique (cf. Pommer 2006, 17). Et pourtant, là où la communication juridique, dans un sens le plus large du terme, ne s’arrête pas à la frontière nationale le traducteur spécia 



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lisé1 entre en jeu pour permettre la communication entre juristes et/ou profanes ou l’application du droit au-delà des limites des ordres juridiques nationaux. Dans le cadre de sa fonction de médiateur, le traducteur juridique joue un rôle primordial. Il ouvre une fenêtre sur le système de droit d’un autre pays, il permet la communication et l’application transfrontalières du droit et, par son travail, il rend transparent les intersections et les divergences entre les notions et institutions ainsi que les discours juridiques dans leur ensemble. À la différence du juriste, le traducteur juridique doit constamment faire osciller son regard entre la culture juridique de départ et la culture juridique d’arrivée.2 Dans le domaine assez jeune de la traductologie juridique (ou LTS, Legal Translation Studies, cf. un aperçu dans Prieto Ramos 2014), jusqu’à présent, la recherche s’est concentrée, en grandes lignes, sur la traduction et la traductibilité de la terminologie et la phraséologie juridiques, les aspects discursifs des textes juridiques, l’institutionnalité du discours, l’implication du droit comparé, ainsi que sur des questions didactiques et professionnelles. Dans cet article, il s’agit de contempler la tâche du traducteur juridique sous un autre angle. Nous partons de l’hypothèse que la pénétration du texte source dans toutes ses dimensions est la phase décisive du processus de traduction, la production du texte cible étant plutôt un problème de second degré, tributaire de la mobilisation des connaissances juridiques et des métaconnaissances pour le processus de traduction. Cette approche est guidée par les questions suivantes : quels sont les défis linguistiques, juridiques et contextuels majeurs ainsi que les connaissances spécifiques du traducteur juridique face à la variété textuelle, terminologique et institutionnelle de la réalité juridique dans ses langues de travail ? Comment le traducteur (de même que le juriste) doit-il mémoriser son savoir, surtout le savoir juridique caractérisé par un fort degré d’abstraction pour pouvoir le mobiliser à l’instant donné de la traduction ? Ainsi, notre approche s’appuie sur un modèle cognitif de la compréhension de textes généraux pour développer un modèle cognitivo-traductologique de la compréhension des textes juridiques.  





1 Afin de garantir une meilleure lisibilité, dans le présent article la dénomination « traducteur » s’applique aux deux sexes. 2 C’est à ce point que se croisent la traduction juridique et le droit comparé. L’intersection de la traduction et du droit comparé est un sujet étroitement lié à la thématique du présent article mais nécessite l’adoption d’une autre perspective. Une approche intéressante intégrant le droit comparé dans la formation des traducteurs juridiques est présentée par Valérie Dullion (2015).  



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Textes et discours juridiques : aspects cognitifs et traductologiques  

2 Le discours juridique et le défi du traducteur La spécificité du langage juridique se manifeste à première vue par le lexique et la phraséologie typiquement juridiques. En tant que composantes cognitives de la discipline, les termes juridiques sont les éléments constitutifs (cf. Pommer 2006, 29) des textes dans lesquels s’exprime l’ordre juridique national – qui, à son tour, s’appuie sur un système social et de valeurs unique et distinct des autres. Il n’en reste pas moins que l’ordre juridique ne se constitue pas d’un réseau de termes juridiques interreliés par des mots de la langue courante, mais qu’il est fondé sur une panoplie de textes les plus variés, ayant comme fondement commun les textes normatifs respectifs. Ainsi, selon Šarčević (1997, 229), pour le traducteur, « l’unité de traduction n’est pas le mot mais le texte ». Et elle continue : « Étant donné qu’un texte juridique tire son sens d’un seul ou de plusieurs ordres juridiques, la traduction juridique est essentiellement une traduction d’un ordre juridique dans un autre » (ibid. ; trad. C.G.).  











2.1 Le langage juridique Lorsqu’on parle du langage spécialisé juridique on ne doit pas ignorer que ce langage varie fortement selon les communicants impliqués, le but de la communication juridique et le domaine du droit. À la différence d’autres domaines de spécialité, la majeure partie des textes juridiques s’adresse à la fois à un public expert et aux non-juristes, les justiciables, sans pour autant que ces textes perdent de leur haut degré de spécialisation et d’abstraction (cf. Wiesmann 2004, 17ss.). Ainsi, le jugement d’une cour d’appel s’adresse tant à l’avocat, expert du droit, en sa fonction de représentant de son mandant, qu’au mandant lui-même, souvent profane juridique. En outre, la situation entre les communicants (experts ou profanes) se distingue souvent de la situation de communication courante, qui est bidirectionnelle, tandis que dans le domaine du droit, la communication est souvent unidirectionnelle à cause de la fonction normative de beaucoup de textes juridiques (lois, jugements, décrets, etc.) (cf. Jeand’Heur 1998, 1288). En ce qui concerne le but de la communication juridique, dans le domaine du droit, les actes linguistiques sont souvent également des actes juridiques ayant pour but d’appliquer ou de faire valoir le droit. En plus, au niveau des mots du droit, pour le non-juriste, il est souvent difficile de reconnaître les intersections entre les termes spécialisés et les mots du langage commun. Dans le domaine du droit, ces intersections n’existent pour beaucoup de termes qu’au niveau du signe linguistique, tandis que la notion juridique diffère considérablement de l’acception commune du mot. Un autre aspect clé à prendre en compte est le fait que la discipline du droit se décline en une multitude de sous-domaines avec leur terminologie et leurs caractéris-

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tiques typiques et qui sont influencés par d’autres domaines de spécialité (i. e. le langage de l’économie, de la technologie, de la médecine).3 En ce qui concerne les sous-langages juridiques, Jean Claude Gémar (1995, 116ss.) fait une distinction entre – le langage du législateur – la loi étant « le discours juridique par excellence » ; – le langage très varié de la justice ; – le langage de l’administration, régi par les principes de compréhensibilité, de précision et de simplicité (ibid., 123) ; – le langage des affaires dans le contexte du droit du commerce et de l’économie et avec une grande variété de types et de genres de textes ; – le langage du droit privé, caractérisant, d’une manière générale, les actes sous seing privé, les actes notariés, les contrats, les testaments, les polices d’assurances, etc. (ibid., 120) ; – le langage de la doctrine, le langage de la science juridique utilisé dans les discours produits par un expert et s’adressant à d’autres initiés du droit.  















À cela s’ajoute le fait que, même à l’intérieur d’un même ordre juridique, il existe, selon les langues nationales respectives, plusieurs langues juridiques, comme en Belgique, au Canada, en Suisse et aussi au Tyrol du Sud en Italie. Et même au sein des systèmes juridiques « unilingues », il est possible de distinguer la langue juridique nationale et la langue juridique supranationale (comme le français juridique de l’Union européenne) (Schmidt-König 2005, 81), qui, à leur tour, influencent le développement non seulement du droit, mais aussi du langage juridique national.  



2.2 Les textes juridiques Il va de soi que le discours du juriste ne se compose pas de mots et de termes isolés. Le travail du juriste consiste en partie en un travail sur des textes et la production de textes, comme le travail du traducteur, consiste en un travail sur plusieurs textes dont l’émetteur et le récepteur se trouvent dans différents ordres juridiques avec leurs genres de textes spécifiques.4 Reinart (2009, 188) différencie les types de textes des genres comme suit : « À la différence des genres de textes, qui ont un caractère intralingual et intraculturel, les types de textes représentent des catégories interlinguales, potentiellement universel 



3 Cf. Griebel (2013, 133ss.). Le présent article s’appuie sur cette monographie. Les références à des passages concrets de cette publication seront donc limitées au strict minimum. 4 Pour une discussion plus approfondie de la typologie et la classification des textes juridiques, cf. Kjaer (1992) ; Borja Albi (2000) ; Busse (2001) ; Heinemann (2001) ; Wiesmann (2004) ; Reinart (2009) ; Prieto Ramos (2014).  











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les » (trad. C.G.). Dans la même logique, distinguant entre des catégories supérieures transculturelles et fonctionnelles sous lesquelles peuvent être subsumées des souscatégories spécifiques à leur système juridique, Wiesmann (2004, 60) établit sa typologie des textes juridiques. Elle fait la distinction entre deux catégories de types de textes. Les types de textes de la première catégorie s’adressent à une pluralité de destinataires dans le cadre d’une communication intra- et extradisciplinaire et ont une fonction performative servant à l’application du droit par des juristes (les textes sur le plan normatif ainsi que les textes au niveau de la pratique juridique). Quant à la seconde catégorie, elle comprend les types de textes s’adressant à un public expert dans le cadre de la communication intradisciplinaire et qui ont une fonction informative, servant à parler du droit (les textes sur le plan descriptif ou de la jurisprudence). Sous ces catégories à caractère universel peuvent, à leur tour, être subsumés des genres de textes qui montrent des caractéristiques spécifiques à l’ordre juridique respectif ainsi que des variations considérables d’un système juridique à l’autre. Ainsi, l’on peut faire la distinction entre les genres de textes avec force normative (loi, ordonnance, décret, …), les genres de l’interprétation des textes législatifs (commentaire législatif, commentaire de jurisprudence, …), les genres de textes judiciaires (jugement, arrêt, dispositif, …), les genres de l’application du droit (demande, assignation, opposition ou injonction, mandat d’exécution, d’arrêt, …), les genres du domaine des contrats (contrat de droit privé, public, …), les genres du domaine des actes authentifiés ou notariés (acte notarié, inscription au registre foncier, testament, …) et les genres de la doctrine (commentaire, article scientifiques, avis de droit, manuel,…).5 Ces différents genres de textes peuvent revêtir une fonction soit performative soit informative, par ex. le genre des textes avec force normative ayant en règle générale une fonction performative. Pourtant, il est évident que cette fonction peut varier selon le destinataire du texte et selon l’usage prévu. À titre d’exemple, le commentaire législatif a, en premier lieu, une fonction informative, mais, en raison des effets des textes doctrinaux sur le développement du droit, il est investi, en même temps, d’une fonction performative. En outre, lors de la traduction d’un texte et de son transfert éventuel dans un autre ordre juridique, la fonction du texte cible peut encore changer par rapport à celle du même texte dans le cadre de son ordre juridique d’origine.  

5 Cf. un aperçu plus détaillé de la classification des genres de textes établie par Busse (2001, 669ss.) en appliquant la typologie des textes juridiques de Wiesmann dans Griebel (2013, 191ss.).

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2.3 La pluridimensionnalité de la traduction juridique La traduction spécialisée juridique se distingue des autres domaines de la traduction spécialisée (économique, technique, médicale, etc.) notamment par le fait que les textes juridiques à traduire sont profondément ancrés dans l’ordre juridique de leur pays (pour autant qu’il ne s’agisse pas du droit supranational), avec, en arrière-plan, l’ordre social et le système de valeurs spécifiques. Par conséquent, d’un pays à l’autre, ils se distinguent de manière plus ou moins prononcée par rapport au langage juridique et à leur structure. En plus, chaque langage juridique puise ses mots dans le langage courant tout en leur donnant une signification spécialisée juridique. Pourtant, ces dénominations désignant des faits ou institutions juridiques ne semblent être vêtues d’une notion commune qu’au premier regard. En réalité, il n’y que très rarement des intersections plus étendues entre les notions des termes venant de différents ordres juridiques. Ainsi, le traducteur doit disposer de vastes connaissances des ordres juridiques impliqués pour être à même de les mettre en relation et pour rendre la pensée juridique développée dans le texte source transparente et compréhensible dans sa traduction. Une difficulté ultérieure réside dans le langage et l’argumentation fortement abstraits des juristes. L’abstraction, le haut degré de spécialisation, est aux yeux du profane un des obstacles les plus saillants du discours juridique. « De fait, l’appartenance socio-professionnelle de l’émetteur à la communauté des juristes, la maîtrise du vocabulaire juridique et la pratique des activités essentielles liées à la vie du droit (législation, justice etc.) agissent puissamment dans le sens de la spécificité du langage du droit. Aux yeux du profane, ce sont les marques les plus voyantes – ou les plus aveuglantes – du discours juridique » (Cornu 32005, 209).  



Derrière tout acte juridique documenté par écrit, le traducteur doit savoir reconnaître la situation concrète et réelle. Une réalité, qui, pour lui, ne transparaît souvent que vaguement, les situations et événements du monde extrajuridique étant préparés ou retaillés par le juriste pour devenir des réalités ou faits juridiques. Ainsi, le juriste doit « décortiquer » la réalité et faire abstraction de l’événement concret afin qu’il puisse les subsumer sous des textes de loi. Dans le cas contraire, c’est-à-dire dans le cas de l’établissement de règles de droit, le législateur vise un haut degré d’abstraction et de généralisation pour permettre l’application de la règle de droit à une multitude de cas de la vie courante. Dans les deux cas de figure, le lecteur, ou le lecteur-traducteur, doit être à même d’établir le lien entre la réalité extrajuridique et l’énoncé du juriste à traduire. Tout comme le juriste, le traducteur ne peut accomplir sa mission qu’en maîtrisant sa langue, voire ses langues, et plus spécialement les langues spécialisées du droit. Mais, à la différence du juriste, la plupart des traducteurs sont issus d’une formation en traduction (généralement avec une spécialisation en traduction juridique) et en traductologie, non pas d’une formation en droit. Dans ce contexte, sa  



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compétence s’appuie en premier lieu sur ses connaissances linguistiques et traductologiques et en second lieu sur des connaissances juridiques. De surcroît – autre obstacle à franchir –, le traducteur traduit, en règle générale, vers sa langue maternelle. Sa mission de médiateur entre deux ou plusieurs systèmes juridiques l’oblige à acquérir le savoir nécessaire dans plusieurs ordres juridiques avec leur langage spécialisé respectif. Il est donc indispensable qu’il se familiarise profondément avec l’ordre juridique de départ afin de rendre ses caractéristiques étrangères transparentes pour un public soit expert soit profane dans l’ordre juridique d’arrivée. En effet, même l’expert n’est un expert que par rapport à son propre ordre juridique et probablement un profane par rapport à l’ordre juridique de départ. Dans ce contexte, l’étape centrale du processus de traduction est la compréhension du texte juridique source dans toutes ses dimensions : juridique, lexicale et textuelle. En plus de la connaissance des notions juridiques propres à l’autre ordre juridique, il doit reconnaître le type et le genre de texte avec ses conventions discursives empreintes de la culture juridique de départ. Le traducteur sera capable de produire une traduction qui remplisse la fonction souhaitée et assure la sécurité juridique dans le système juridique d’arrivée uniquement après avoir compris et interprété l’énoncé juridique tant dans sa dimension jurilinguistique, textuelle, juridique que dans le cadre extrajuridique de la vie courante.  

3 L’approche cognitive : le savoir spécifique du traducteur juridique  

Vu la base de connaissance indispensable au traducteur juridique, il est évident que la phase de compréhension représente une étape décisive du processus de traduction. En effet, cette phase requiert l’activation de vastes connaissances linguistiques et métalinguistiques, juridiques et extrajuridiques ainsi que procédurales en termes de méthode et des procédés de traduction. La modélisation de cette démarche de pénétration du texte source nécessite donc un modèle de compréhension basique emprunté des sciences cognitives et adapté à la réalité très complexe de la compréhension de textes juridiques dans le cadre du processus de traduction.

3.1 Le modèle de base de la compréhension de textes Tout d’abord, l’approche cognitive de la compréhension du texte juridique doit intégrer les conditions prédéterminées par les spécificités du discours juridique. Ensuite, elle doit tenir compte des processus de traitement cognitif du contenu des textes soit au niveau du mot, soit au niveau de la phrase et du texte dans son ensemble.

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Un modèle pouvant servir de base est le modèle du traitement cognitif de l’énoncé élaboré par Rickheit/Sichelschmidt/Strohner (2002, 112).

Figure 1 : Modèle du traitement cognitif de l’énoncé d’après Rickheit/Sichelschmidt/Strohner (2002).  

Rickheit/Weiss/Eikmeyer (2010, 64s.) postulent une approche de compréhension interactive intégrant aussi bien les approches de la linguistique cognitive strictement bottom-up que les approches top-down. Cette approche intégrative part du principe que, d’une part, le récepteur traite le message écrit ou oral en le transformant en micro- et macropropositions (bottom-up). D’autre part, avant même de commencer le processus de lecture au sens strict, il forme des présuppositions sur l’intention de l’émetteur du message. Il mobilise son savoir, c’est-à-dire ses connaissances mémorisées dans la mémoire à long-terme (top-down). À cela s’ajoute une dimension pragmatique. Pendant le processus de lecture, le récepteur construit un modèle de la situation de communication dans laquelle l’énoncé est émis (ibid.). Au sommet et à la base du modèle se trouvent les dimensions extracognitives : le monde réel en haut et le message de l’émetteur en bas du modèle. Les cases au centre du modèle représentent les processus cognitifs activés par la perception des faits et événements du monde extralinguistique d’une part et par la lecture du texte d’autre part. Les flèches sur la gauche et la droite désignent les opérations d’inférence, c’est-à-dire l’intégration de nouvelles informations en mémoire ou la mobilisation du savoir mémorisé, nécessaire pour comprendre le texte.  

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L’un des grands désavantages des modèles cognitifs de la compréhension réside dans le fait qu’ils ne distinguent pas clairement la compréhension des messages oraux et celle des énoncés écrits. Pourtant, cela s’avère important parce que – tenant compte de la dimension pragmatique de ce modèle intégratif – la situation de la communication orale se distingue de façon significative de celle d’une communication écrite.6 En ce qui concerne le traitement de l’énoncé, Rickheit/Sichelschmidt/Strohner (2002) se basent sur le modèle cyclique de la compréhension du texte de Kintsch/van Dijk (1978) et van Dijk/Kintsch (1983), qui est un modèle strictement bottom-up. Selon ce modèle, le texte est transformé dans un format de syntaxe mentale constitué de micro- et macropropositions.7 Au fil du processus de lecture, de nouvelles microstructures sont intégrées pour former des paquets d’informations macropropositionnelles qui ne contiennent que les informations importantes pour le traitement de l’énoncé. Au cours de nouvelles intégrations consécutives, les macropropositions sont complétées et transformées. Le résultat de ce traitement cyclique de l’information est une base de texte (text base) qui contient l’information centrale, le « fil rouge », du texte lu. Au cours de ces constructions macropropositionnelles, le récepteur effectue d’innombrables opérations d’inférence. Celles-ci servent d’une part à combler les « blancs » dans le texte, le non-dit, et, d’autre part, à lier les macropropositions entre elles pour construire une base de texte cohérente. En d’autres termes, le récepteur active ses préconnaissances mémorisées ou bien il relit des passages du texte déjà lus pour identifier des informations manquantes.8 Plus le sujet du texte est familier, plus le lecteur peut mobiliser son savoir mémorisé pour enrichir le message. Moins le sujet du texte est connu, plus il essaie de retrouver des informations manquantes dans le texte même. Il est évident que le succès des processus de lecture dépend des compétences linguistiques et extralinguistiques. Par contre, ce modèle nécessite une différenciation plus fine pour intégrer les aspects de la compréhension d’un texte juridique.  









6 Nous parlons ici donc des énoncés écrits et de leur traitement sémantique. La reconnaissance auditive et visuelle et le traitement lexical des mots touchent à un autre domaine de la linguistique cognitive et ne sont pas pris en compte. 7 Une microproposition est représentée sous le format suivant : DONNER (Jean, livre, Anne). Les phrases plus longues sont réparties en plusieurs micropropositions. 8 Cf. Rickheit (2008) ; Kintsch (31999 [11994]) ; Rickheit/Strohner (1999). Pour un aperçu de la discussion sur l’instant de la constitution d’inférences, cf. Griebel (2013, 109–112).  





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3.2 Le modèle adapté de la compréhension de textes

Figure 2 : Modèle adapté du traitement cognitif du texte (Griebel 2013, 120).  

Commençons par le monde extralinguistique. Notre réalité ne constitue pas un ensemble soudé et, surtout, elle est différente pour chacun d’entre nous. En effet, elle se décline en une multitude d’univers partiels et très individuels, entre autres des univers spécialisés qui font partie de la réalité d’un groupe de personnes actives dans un domaine spécifique. La base du modèle reste toujours, tout comme dans le modèle de Rickheit/Sichelschmidt/Strohner 2002; cf. Figure 1), l’énoncé, le texte à comprendre. L’énoncé se réfère, pour sa part, au monde extralinguistique de l’émetteur. Dans le cas idéal, il existe une grande intersection entre le monde de l’émetteur et celui du récepteur pour que le récepteur puisse reconstruire au mieux la situation du texte. Au centre du modèle sont représentées les composantes de la mémoire. La mémoire épisodique contient nos expériences personnelles. C’est pourquoi elle est souvent appelée « mémoire autobiographique », bien que ce terme doive être défini dans un sens très large. L’une des fonctions de cette mémoire est l’activation d’expériences personnelles mémorisées pour anticiper des événements futurs (« mental time travel », cf. Baddeley et al. 2010, 93s.), y compris les processus de lecture d’un texte. La mémoire épisodique est étroitement liée à la mémoire sémantique. Celle-ci contient notre savoir déclaratif ou factuel sous une forme schématisée. Ces représentations schématisées sont instanciées ou mises en œuvre au moment de leur activation dans un contexte concret (cf. Schwarz-Friesel ³2008, 107).  











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Notre savoir linguistique fait partie de la mémoire sémantique et est mémorisé dans une sorte de lexique mental (cf. Figure 2, lexique mental).9 Il est probable que les concepts, c’est-à-dire les caractéristiques les plus élémentaires d’une entrée du lexique mental, soient mémorisés dans un système conceptuel plus ou moins large, selon les différentes théories psycholinguistiques, et qui fait partie du lexique mental. Ce système conceptuel est lié de façon étroite à des entités de savoir encyclopédiques, c’est-à-dire des représentations schématisées plus étendues et qui s’étendent autour d’une entrée dans le lexique mental. De façon très simplifiée, le processus de l’activation se déroule comme suit : lors de l’activation d’une entité renvoyant à un objet extralinguistique concret, par ex. fauteuil, le système conceptuel contenant les caractéristiques les plus basiques de l’entrée du lexique mental (représentations des composantes prototypiques d’un fauteuil : quatre pieds, siège et dossier rembourrés, etc.) active parallèlement des entités encyclopédiques contenant un savoir plus large, par ex. sur l’usage des fauteuils, de leur production, des lieux où l’on trouve généralement des fauteuils, etc., ainsi que des représentations imagées de fauteuils prototypiques ou connus. En ce qui concerne les mots abstraits n’ayant pas de référent extralinguistique concret, par ex. religion ou foi, ceux-ci sont représentés sous forme verbale, leur degré d’abstraction ne permettant pas l’activation de représentations imagées. Ils ne peuvent être mobilisés que par l’activation d’entités encyclopédiques plus étendues entourant ces concepts. Parallèlement, des liens vers des concepts concrets et représentables sous formes d’images doivent être établis comme église, prêtre, prière, etc.10 Quant aux entités encyclopédiques, elles font partie des représentations sémantiques, et peuvent prendre la forme de modèles mentaux, définies comme des réseaux flexibles composés de concepts et de relations. Ces entités peuvent également revêtir la forme de scripts qui représentent de façon schématisée le déroulement d’un événement, comme un dîner dans un restaurant ou le déroulement d’une audience devant un tribunal.  





3.3 Le savoir juridico-culturel Retournons à la réalité extralinguistique. Afin qu’une traduction juridique remplisse sa fonction, c’est-à-dire afin que le texte cible soit précis, complet et – dans la majorité des cas – garde sa fonction juridique et afin qu’il puisse garantir la sécurité juridique dans l’ordre juridique d’arrivée, le traducteur doit tout d’abord comprendre le texte dans son intégralité juridique, jurilinguistique, textuelle et métatextuelle. En d’autres 9 Cf. Griebel (2013, 41–83) à propos de différents modèles du lexique mental (le modèle de Levelt 1993 et de Paivio 1990 [2007]) ainsi que pour la discussion sur un lexique mental bilingue. 10 Pour une description plus détaillée des entités encyclopédiques mémorisées et une modélisation du processus d’activation du savoir schématisé, cf. Griebel (2013, 52–74).

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termes, le traducteur doit être en mesure d’activer des connaissances par rapport aux valeurs fondamentales, à la structure, à l’institutionnalité et aux procédures des systèmes juridiques impliqués. Par rapport à la réalité juridique de la traduction, Wiesmann (2004, 121ss.) distingue trois catégories : 1. la traduction au sein d’un même système juridique multilingue comme celui de la Suisse, du Canada ou de la Belgique (la traduction intrasystémique – « rechtssysteminterne Übersetzung »), 2. la traduction de textes venant d’une organisation ou d’une structure supranationale ou internationale (la traduction partiellement intrasystémique – « beschränkt rechtssysteminterne Übersetzung »), 3. la traduction de textes venant d’un système juridique et qui sont traduits pour en faire usage dans un autre ordre juridique (traduction inter- ou transsystémique – « rechtssystemübergreifende Übersetzung »).  













Il va sans dire que chaque catégorie de traduction soulève des difficultés très spécifiques. Pour revenir à notre modèle, il est évident que le traducteur juridique doit disposer de vastes connaissances par rapport aux ordres juridiques impliqués.

Figure 3 : Modèle du traitement cognitif des textes juridiques : partie « connaissances sur les univers partiels ‹ ordre juridique › » (Griebel 2013, 206).  







   

Il doit être capable de traduire les concepts pour que leur contenu juridique soit communiqué dans son intégralité et pour que le lecteur – qui vit, en règle générale, dans la culture juridique d’arrivée – puisse comprendre la pensée cachée derrière la dénomination ou l’énoncé juridique. Partant, la question est de savoir comment le monde

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extralinguistique de l’ordre juridique est représenté dans la mémoire du traducteur et à quel moment du processus de compréhension ce savoir est activé. Le terme ordre juridique décrit en premier lieu le droit matériel et le droit formel, qui sont les éléments constitutifs du système juridique et qui fixent des règles pour le bon fonctionnement de la société (Wiesmann 2004, 9). Or, comme le droit matériel et formel sont fixés dans les textes de lois, le terme ordre juridique décrit un monde a priori textuel. En second lieu, ce terme fait référence à la réalité extralinguistique prenant la forme des institutions juridiques, comme le gouvernement, le parlement, les tribunaux, les juristes, les administrations, etc. En troisième lieu, il renvoie aux actes et aux faits juridiques concrets qui sont réalisés selon les règles de l’ordre juridique, par exemple conclure un contrat, payer ses achats à la caisse, prêter serment, etc. Le modèle précédent, très simple, montre que dans le monde du droit, il n’est pas possible de parler d’une réalité extralinguistique à proprement parler, c’est-à-dire dans le sens d’une réalité concrète et matérialisée. En revanche, cette réalité est, du moins en partie, un monde jurilinguistique tandis que les référents extralinguistiques passent en arrière-plan. En d’autres termes, les représentations schématisées et emmagasinées dans la mémoire sémantique ne sont souvent pas les modèles de faits extralinguistiques ou d’objets. Ils constituent du moins en partie les modèles de faits ou d’actes juridiques qui ne sont fixés que de façon verbale et qui ne se réfèrent qu’indirectement à des faits extralinguistiques ou, en d’autres termes, extrajuridiques. La réalité juridique s’étend comme un voile semi-transparent sur la vie courante. Pendant le processus de compréhension, ces deux réalités, celle du droit et celle de la vie courante, doivent être reliées. En plus, l’activation par des processus top-down des connaissances emmagasinées dans la mémoire à long terme permet au lecteur-traducteur de guider la réception du texte par la constitution de présuppositions et d’inférences et d’obtenir ainsi une meilleure compréhension du texte lu (cf. Griebel 2013, 206s.).  

3.4 Le savoir lexical et les « cadres de connaissances juridiques »  



Tandis que les représentations renvoyant à l’ordre juridique font partie des présuppositions du lecteur, donc des préconnaissances qu’il mobilise dès (voire avant) le début du processus de lecture, le lexique mental et les structures de mémoire y afférentes sont activés au moment même de la lecture. Les variations entre les langages des différents systèmes juridiques se manifestent en premier lieu par la terminologie et la phraséologie. Pour le lecteur non-juriste, elles sont la caractéristique la plus évidente, mais également la plus aveuglante du discours juridique dans la mesure où elles se réfèrent à des « cadres de connaissances juridiques » très étendus et opaques à première vue. La notion de cadres de connaissances juridiques (« juristische Wissensrahmen ») a été introduite par le linguiste Dietrich Busse (1992 ; 1999 ; 2005) pour décrire le réseau conceptuel étendu et les relations intertextuelles qui s’étendent autour d’un terme  











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juridique. Avant que le traducteur puisse décider quelle traduction ou stratégie de traduction choisir, il doit comprendre le terme juridique ou la phraséologie dans toute son extension et son intension11 et il doit connaitre sa fonction dans l’ordre juridique de départ. En effet, un des problèmes majeurs du non-juriste réside dans cette compréhension globale des termes. Contrairement aux connaissances basées sur la vie courante et la réalité concrète du non-juriste, la compréhension de l’expert est guidée par ces cadres de connaissances structurés. Ceux-ci se constituent des textes normatifs pertinents et interconnectés, des commentaires et de la jurisprudence ainsi que, dans un second temps, par leur référencement dans la vie courante. Ils se basent enfin sur les connaissances relatives à l’évolution constante de ces termes qui est le résultat de la jurisprudence, de la doctrine ou tout simplement de l’évolution de la société elle-même (comme c’est le cas pour les notions et institutions comme mariage, famille, etc.). En plus, à la différence du traducteur non-juriste, l’expert juridique possède le savoir procédural et métatextuel lui permettant de faire usage des textes respectifs, d’établir des relations intertextuelles et notamment de passer de l’abstrait au concret et vice-versa. La partie du modèle du traitement cognitif de textes juridiques se présente donc de la façon suivante :  

Figure 4 : Modèle du traitement cognitif de textes juridiques : partie « représentation du savoir jurilinguistique, institutionnel et de la réalité extrajuridique » (Griebel 2013, 232).  







11 Cf. Wiesmann (2004, 22ss.) sur la question de l’extension et de l’intension du lexique juridique.

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La conceptualisation d’un terme abstrait comme assassinat, bien que simple de prime abord, requiert l’établissement de nombreux liens avec d’autres concepts comme ceux d’arme, de préméditation (qui sont eux-mêmes souvent des termes abstraits), ou des liens avec des concepts plus concrets comme revolver, couteau, etc. Nous pouvons supposer que le lecteur mobilise, parallèlement à l’activation des concepts d’assassinat et d’arme, des concepts comme couteau, revolver, fusiller ou poignarder pour pouvoir activer des représentations plus concrètes et visualisables. En même temps, des entités de savoir encyclopédique plus étendues seront activées. Lors de la lecture d’un texte juridique, le lecteur doit donc savoir faire la différence entre le concept du langage commun et le concept juridique moyennant l’activation des cadres de connaissances juridiques. Au-delà de cet exemple assez simple, la conceptualisation de termes comme obligation ou quasi-contrat est extrêmement complexe. En outre, il semble évident que les cadres de connaissances juridiques du lecteur-traducteur sont forcément d’une étendue réduite par rapport à ceux du lecteur-juriste, mais sans doute d’une étendue transculturelle. Ensuite, le principe général de clarté et de lisibilité de la loi reste souvent bien théorique pour le non-juriste. En effet, une difficulté supplémentaire pour le nonjuriste réside dans le haut degré d’abstraction du langage juridique. Ainsi, bien que le lecteur non-expert réussisse à conceptualiser le sens commun d’un mot, par exemple du mot vol, un sens moins précis et très partiellement juridique, il risque de ne pas comprendre le concept plus abstrait et plus étendu du terme juridique. Le problème est encore plus saillant pour des termes qui se situent à des niveaux d’abstraction supérieurs, comme le terme acte bilatéral. L’effort cognitif pour opérer des conceptualisations de mots abstraits comme acte ou fait juridique est donc immense, surtout lorsqu’il s’agit de termes d’un autre ordre juridique tissant un cadre de connaissances différent que celui qui se constitue au sein du propre système juridique. Cette conceptualisation devient d’autant plus difficile au moment où il s’agit d’un terme juridique qui n’a plus aucun référent dans le monde réel, comme les termes pourvoi, comparant ou saisine. Ces termes n’ont de sens qu’au regard du droit et ils n’ont aucun emploi en dehors du vocabulaire juridique. Cornu (³2005, 67) parle de la juridicité du référent, et il écrit : « Le signifiant reste rivé à l’unique représentation intellectuelle d’une chose juridique spécifique ». Il s’agit là de constructions de l’intellect qui ne sont pas perceptibles et dont le lien avec la vie courante est rompu. Leur signifié est délimité par les cadres juridiques, qui forment des interrelations avec d’autres cadres de connaissances spécialisées.12  













12 Voir une discussion plus détaillée des représentations cognitives de la terminologie juridique et de l’abstraction du langage juridique dans Griebel (2013, 163–185 et 207–232).

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Pour revenir au modèle présenté ci-avant, si le récepteur mobilise des représentations conceptuelles schématisées pendant le processus de lecture, il est probable que ces représentations soient mobilisées sur deux plans : – au premier plan, les représentations conceptuelles de notions juridiques (avec leurs cadres de connaissances juridiques) et l’activation du savoir encyclopédique, – en arrière-plan, stimulées par les concepts juridiques, les représentations (schématisées, modèles mentaux, scripts) qui réfèrent, en dernier ressort, à des faits et événements de la vie courante.  

Dans l’idéal, le résultat consiste en la construction d’un modèle mental de la situation juridico-institutionnelle du texte lu et, parallèlement, d’un modèle de la situation extrajuridique à laquelle le texte réfère de manière explicite ou implicite.

3.5 Le savoir textuel La dernière composante incluse dans le modèle du traitement cognitif des textes juridiques concerne le savoir textuel du lecteur-traducteur. Cette composante n’est pas négligeable en ce que le travail du traducteur est un travail sur des textes dans leur intégralité. Avant que le traducteur puisse situer le texte dans son contexte extralinguistique et extrajuridique, il est indispensable qu’il élucide ses dimensions contextuelles (y compris les contextes des disciplines pour lesquelles il revêt une fonction normative ou régulatrice), institutionnelles et intertextuelles (constituant souvent de liens avec d’autres textes à fonction performative ou informative) et qu’il reconnaisse les conventions discursives, macrostructurelles et syntaxiques inhérentes aux textes juridiques. Surtout lorsqu’elles sont mobilisées au début du processus de lecture, ces connaissances textuelles permettent la constitution de présuppositions qui guident la lecture et la compréhension du texte (cf. Figure 5). Kintsch et van Dijk, dans leur théorie du traitement propositionnel du texte mentionnée ci-avant, postulent la mémorisation de schémas textuels qui, lors de la lecture de nouveaux textes du même genre, dirigent la constitution des micro- et macropropositions. Il s’agit de modèles schématisés, de modèles de textes que Heinemann (2001, 516ss.) nomme les « Textmuster ». Comme les modèles mentaux, ils contiennent des slots des espaces libres qui sont remplis au moment de l’instanciation, c’est-à-dire de l’activation du modèle déclenchée par les caractéristiques typiques du texte actuel. Ces modèles, selon Heinemann (ibid.), servent de cadres d’orientation pour la communication entre individus et se constituent successivement sur la base des expériences communicatives individuelles et des processus d’apprentissage sociaux. Pour revenir aux textes juridiques, il convient de rappeler que, par rapport à la rédaction (ou à la compréhension) de ces textes, il ne s’agit pas d’un comportement socialement conditionné et évolué, mais plutôt d’un comportement institutionnalisé qui s’est développé dans le cadre du système juridique respectif. Le lecteur-traducteur  



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Figure 5 : Modèle du traitement cognitif des textes juridiques : partie « représentation du savoir textuel » (Griebel 2013, 245).  







doit se familiariser avec cette textualisation typique de l’institution de droit et de ses conventions discursives et textuelles afin d’être à même de (cf. Griebel 2013, 237s.) : a) mobiliser un modèle mémorisé de la situation de communication institutionnelle et des communicants impliqués qui peut guider le processus de lecture ; b) mobiliser le schéma textuel évoqué par le texte actuel à traduire ; c) constituer, au cours du processus de réception, des inférences situationnelles ; d) reconnaître les conventions textuelles institutionnelles au niveau tant linguistique que structurel pour pouvoir constituer, en mémoire, une base de texte cohérente du texte à traduire ; e) intégrer les éléments de connaissance générés pendant le processus de lecture dans la mémoire pour pouvoir les transférer à l’avenir vers de nouveaux textes.  









Ainsi, dans le cas idéal, le lecteur-traducteur juridique a mémorisé les schémas textuels de textes courants dans chaque ordre juridique, comme les schémas de : – textes législatifs, – jugements, – actes notariés les plus variés, – contrats, – directives européennes.  

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Le jugement rédigé en une phrase unique est un exemple d’un genre de texte fortement complexe et typique du système judiciaire français (cf. Ballansat-Aebi 2000). Il nécessite la mobilisation de vastes connaissances linguistiques, textuelles, juridiques et métajuridiques au cours du processus de lecture : « La forme du jugement, qui fut canonisée au cours de la Révolution française et qui reste valable jusqu’à nos jours, contraint le texte – indépendamment de sa longueur – à tenir dans une seule phrase » (Krefeld 1989, 73; trad. C.G.). Le groupe de travail sur la rédaction des décisions administratives institué par le Conseil d’État se prononce dans son rapport de 2012 sur les avantages et les inconvénients de la phrase unique et la structuration des jugements par la conjonction considérant que comme suit :  







« Il apparaît en effet tout à fait adapté au syllogisme juridique, […]. Pour le lecteur, il exprime la rigueur du raisonnement et, par voie de conséquence, contribue au caractère persuasif de la solution, qui apparaît ainsi comme la seule application possible de la norme au cas d’espèce. […] Les inconvénients de cette syntaxe sont connus. Ils sont doubles : D’une part, comme il été dit plus haut, ce style de rédaction constitue, en lui-même, du fait de la multiplication des « que » et des « points-virgules » et de la longueur de la phrase qui en résulte, un obstacle à la compréhension de la décision par les personnes non habituées à la lecture des décisions de justice. Cette syntaxe est éloignée du style français courant caractérisé par des phrases relativement courtes (sujet-verbe-complément) séparées par des points et auquel le public français est habitué. […] D’autre part, la syntaxe actuelle peut constituer un obstacle à un exposé clair des motifs, surtout lorsque ceux-ci sont complexes. Lorsque les motifs nécessitent de longs développements, faisant référence à des normes nombreuses devant être interprétées et à des précédents jurisprudentiels, de sources différentes, ou lorsque l’application de la norme n’est pas univoque mais exige des précisions et nuances, la phrase unique n’apparaît pas adaptée » (Conseil d’État 2012).  











Les éléments de l’exposé des motifs introduits par « considérant » ou « attendu que » réfèrent aux faits, c’est-à-dire à la réalité extrajudiciaire, à l’appréciation juridique ou à des décisions de justice antérieures. Les arguments contraires à l’argumentation précédente sont introduits par « mais considérant que » ou « mais attendu que ». En revanche, la formule « par ces motifs » marque la fin de l’exposé des motifs de la décision et signalise le début du dispositif du jugement. Il est intéressant de constater qu’au fur de leur application conventionnalisée dans le cadre du langage judiciaire, ces conjonctions ont disparu du langage commun (cf. Krefeld 1989, 76). En même temps, elles se sont pratiquement désémantisées et ont perdu leur fonction causale de façon qu’elles confèrent à l’argument suivant le statut d’un « motif » (ibid.). Pour revenir au modèle : dès qu’elles sont connues dans leur fonction textuelle et métatextuelle, des locutions phraséologiques comme « attendu que » et « considérant que » sont mémorisées en tant de marqueurs qui signalisent le début d’un motif dans le jugement. Une fois que le lecteur-traducteur est familiarisé avec ces structures, le traitement cognitif de ces phraséologies-marqueurs s’automatise et elles  

































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deviennent des outils de pilotage permettant une meilleure compréhension du texte.13 Quant à la structure de la phrase unique, le lecteur-traducteur doit mobiliser des macrostructures du genre de texte « jugement » pour constituer de présuppositions avant de commencer le processus de lecture proprement dit. Ainsi, il sera capable de reconnaître les éléments typiques liant les parties du texte entier. Contrairement à cette structure formalisée du jugement – qui ne répond pas forcément à une nécessité juridique, mais fait plutôt preuve d’une fonction sociolectale (Krefeld 1989, 78) – Krefeld constate dans son étude que les phraséologies aussi rigoureuses de l’acte notarié revêtent une fonctionnalité fort différente en ce qu’elles sont des éléments constitutifs de l’acte (ibid., 69ss). En règle générale, l’acte notarié documente une situation de communication orale à laquelle participent les parties concernées, le notaire et, le cas échéant, des témoins. L’acte sert à la mise en forme écrite de cette opération (négotium) pour devenir un acte (instrumentum) indépendant de la situation de communication respective. Dans ce but, l’acte est rédigé à la troisième personne et sous forme d’un monologue. De surcroît, il est obligatoire de mentionner le nom, le siège de l’office du notaire instrumentant, la présence des parties, leur nom et leur domicile et de terminer par la date, les signatures et le cachet. Ainsi, les constituants métalinguistiques comme « Pardevant M. …, notaire à … soussigné… A comparu M. … demeurant à … » ; « Lecture faite, M. et Mme XXX ont signé » ; « Dont acte, sur … pages » réfèrent à des aspects situationnels de l’événement de communication. Lorsque ces caractéristiques textuelles typiques de l’acte notarié sont transposées au modèle cognitif, il est évident que le lecteur-traducteur doit être conscient que ces phraséologies techniques revêtent une fonction métalinguistique et référentielle par rapport à certaines situations de communication et actes juridiques qui ont lieu devant le notaire. Cela étant, il convient de différencier ces éléments de texte selon leur fonction. D’une part, il y a les phraséologies ou éléments de texte conventionnalisés typiques des textes juridiques (notamment judiciaires comme le jugement). Ils représentent des éléments de texte désémantisés ayant une fonction structurante et sont mémorisés en tant que composantes de schémas textuels. En tant que composantes de ces schémas, ils mobilisent plutôt des connaissances procédurales et métalinguistiques sur leur fonction de structuration et leur position dans le texte, qui est déterminée par les conventions textuelles. D’autre part, certains éléments de texte lexicalisés réfèrent à une situation extralinguistique qui a un effet constitutif sur le plan juridique et textuel. Ces éléments requièrent la constitution de vastes modèles mentaux ou de  





















13 La locution prépositionelle « vu » dans les textes des directives européennes est un autre exemple illustrant la désémantisation d’éléments de la phrase afin qu’ils acquièrent la fonction de marqueurs de structuration (cf. Griebel 2013, 240s.).  



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cadres de connaissances juridiques pour pouvoir reconnaître la situation extralinguistique qui est documentée dans le texte à traduire.

4 Conclusions Dans le cadre de la communication juridique, le traducteur joue un rôle primordial dès que la communication ne s’arrête pas à la frontière de son pays, de son ordre juridique. Cet article constitue un survol des connaissances du traducteur, en partie identiques à celles du juriste, mais également moins techniques et plus transculturelles. Pour compléter la recherche dans le domaine du discours et de la traduction juridiques, cet article explore la tâche du traducteur dans une perspective cognitive pour développer une approche cognitivo-traductologique de la compréhension de textes aussi complexes que les textes juridiques. Pour conclure, nous mettons l’accent sur un aspect essentiel du processus de lecture. La question est de savoir comment le lecteur-traducteur arrive à établir un modèle mental de la situation du texte, soit de la situation de communication. En d’autres termes, quelle est la position du lecteur-traducteur dans le processus de communication ? La majeure partie des textes juridiques s’adresse à une multitude de destinataires : juristes, qui les appliquent, et non-juristes, ou justiciables, qui leur sont soumis. En règle générale, le texte source à traduire s’adresse à des juristes et/ou à des justiciables d’un même ordre juridique national ou d’un système juridique supranational. Pour les deux groupes de destinataires, le texte peut revêtir soit une fonction performative, soit une fonction informative. Les destinataires liront donc le texte en constituant des présuppositions sur la situation de communication. Ce pré-savoir situationnel leur facilite la compréhension du texte. Or, le traducteur juridique se trouve en marge, voire en dehors de la situation de communication initiale. Il ne lit pas le texte pour son propre compte, mais pour produire des textes pour les besoins d’autrui (Reinart 2009, 495). En d’autres termes, le lecteur-traducteur doit reconstituer la situation du texte soit au niveau juridique, soit par rapport aux faits. À part les connaissances linguistiques, jurilinguistiques, juridiques, métatextuelles et procédurales, le traducteur doit disposer de connaissances métacognitives lui permettant de prendre conscience de sa position en marge de la situation de communication. Bien que cette position en marge de la communication concerne tous les traducteurs, le traducteur juridique se trouve dans une situation très particulière. En effet, étant donné les réalités superposées caractérisant les textes juridiques, il doit être capable de se mettre dans la situation de communication dans un ordre juridique, qui n’est très souvent pas le sien, et de reconnaître le monde réel derrière le texte pour ensuite transférer cette situation de communication sur deux plans dans le langage d’une autre culture juridique. Il doit en quelque sorte déchirer le voile recouvrant soit la situation juridique étrangère au lecteur, soit la situation de la vie  



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courante que le non-juriste entrevoit vaguement derrière un discours fortement institutionnalisé.

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Cornelia Griebel

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Le sous-système de spécialité

Nadiane Kreipl

10 Les verbes relateurs et l’enchâssement nominal Abstract : Les traits typiques du style de spécialité reposent sur des procédés d’élaboration : les informations sont souvent présentées en forme nominale (à côté de la forme propositionnelle), les liens logiques entre les informations sont fréquemment signalés par des connecteurs verbaux (qui font concurrence aux conjonctions-prépositions et à d’autres connecteurs habituels). Le présent article se propose d’étudier le fonctionnement syntaxique de ces deux stratégies d’élaboration, de détecter les options stylistiques qui en sont le fruit, et d’en examiner la variation par rapport à des textes narratifs. Les résultats se basent sur un double corpus de deux types de textes, économiques et narratifs.    



Keywords : syntaxe de spécialité, verbe relateur, enchâssement nominal, corpus économique, corpus narratif    

1 Introduction Tout texte – qu’il soit de spécialité ou non – est constitué d’une série de propositions (a), qui sont reliées entre elles par des relations multiples (b). Ce qui différencie les textes de spécialité des autres textes ce sont certaines préférences de réalisation de ces deux unités de base : (a) La proposition s’y trouve souvent transposée en forme nominale, ce qui permettra son intégration dans une autre proposition (« enchâssement nominal ») :  



(1) (2)





Il faut réparer le moteur. C’est coûteux. La réparation du moteur est coûteuse.

La proposition de base Il faut réparer le moteur a pris la forme la réparation du moteur. (b) Les relations – si elles sont de type circonstanciel – y sont facilement exprimées par des verbes (« verbes relateurs »). Par ex. la relation entre cause et effet peut s’exprimer par des verbes tels que résulter de ou entraîner (la cause entraîne l’effet / l’effet résulte de la cause). Le but de la présente étude est double : – un but syntaxique : quel est le mode de fonctionnement de ces constructions ? – un but variationnel : dans quelle mesure ces deux constructions divergent-elles dans deux types de textes ? Ainsi seront examinés des textes spécialisés en comparaison avec des textes narratifs.  













230

Nadiane Kreipl

Les deux buts exigent l’analyse d’un double corpus (d’environ 25.000 mots chacun, voir bibliographie) : – les textes spécialisés sont représentés par quatre articles économiques publiés dans des revues spécialisées : corpus ECO . – les textes narratifs sont représentés par trois romans contemporains : corpus NAR .  





2 Les relations Les relations interpropositionnelles sont multiples, mais il convient de distinguer deux types fondamentaux : La relation entre deux propositions de base peut être l’identité : identité entre une proposition et son « remplaçant » dans une autre proposition. Dans l’exemple initial (cf. (1)), le « remplaçant » est le pronom-sujet ce dans c’est coûteux. Le « remplaçant » n’a pas de fonction informationnelle, mais de renvoi. Toute autre relation interpropositionnelle est chargée d’un sémantisme autonome qui dépasse le contenu de chacune des propositions reliées. C’est pourquoi l’ensemble de ces relations sera appelé relations sémantiques.1 Dans l’exemple ci-dessous (3), la juxtaposition des deux propositions simples ne dévoile pas (sauf pour des raisons pragmatiques) l’une des trois interprétations possibles (3’) :  







(3) (3’)-a -b -c









Nous partons. Il pleut. Nous partons parce qu’il pleut. Nous partons s’il pleut. Nous partons bien qu’il pleuve.

Il est évident que ce sont les connecteurs qui donnent à chaque phrase un sens différent. La définition d’un énoncé est fournie par Coyaud (1970, 159) :  

« En français, l’énoncé minimum, c’est la combinaison d’un sujet et d’un prédicat ; dans le cas de verbes uniquement transitifs, le prédicat comporte un élément nominal nécessaire, dit ‹ complément d’objet direct › ».  





   

Les moyens grammaticaux pour exprimer une relation sémantique sont, en principe, les conjonctions, les adverbes conjonctifs, les prépositions, le gérondif et le participe, même zéro, comme dans l’exemple (3). Ces deux types de relation définissent le domaine d’application des deux constructions annoncées dans le titre : tandis que les relations sémantiques peuvent se réaliser par des verbes qui auront une fonction de connecteurs – ce sont les verbes de relation (ou  



1 La relation sémantique entre deux énoncés comme par ex. la cause, la concession ou la finalité est dénommée de façons différentes dans la linguistique, par ex. relation (ou rapport) logique ou connexion circonstancielle. Pour une discussion des différentes variantes de dénomination cf. Kreipl (2004, 7–9).

Les verbes relateurs et l’enchâssement nominal

231

verbes relateurs), l’enchâssement nominal est lié à la relation d’identité. Cette relation peut être originaire, elle peut aussi être générée par un verbe relateur (cf. §4.2). C’est pourquoi la nominalisation est la « compagne » préférée des verbes relateurs.  



3 La relation d’identité et l’enchâssement nominal Pour « produire » un enchâssement nominal (par ex. celui de l’exemple de départ), on exécutera une très simple « recette » (selon la diction de Forner 1998a, 35) : – Identifier le « remplaçant ». – Nominaliser la phrase précédente. – Substituer au « remplaçant » cette phrase nominalisée.  

















La nominalisation transforme le verbe en substantif qui, alors, ne comporte plus d’informations touchant au temps, au mode ou encore à la personne. Dans la description scientifique, ces informations sont souvent superflues et il est donc efficient de les éliminer. Les actants nominaux du verbe originaire peuvent également être supprimés ou – si nécessaire – être introduits par de. Il est vrai que les années 70 ont mis en cause le caractère tranformationnel de la nominalisation : en effet, dans bien des cas, ni la morphologie ni le sémantisme des mots dérivés ne sont prévisibles.2 Mais par ces arguments, le fait même de l’enchâssement dans une matrice propositionnelle n’est pas touché. Que le procédé de l’enchâssement nominal puisse se répéter au sein de la même phrase est un fait connu. La récursivité est théoriquement infinie, comme l’a montré Debyser (1972, 14) avec cet exemple (4–9) :  

(4) (5) (6) (7)

Les étudiants voulaient manifester contre le projet de réformes. Le chef de police avait aussitôt interdit cette action. Mais le ministre de l’Intérieur a levé ce verdict. Cette nouvelle a été annoncée ce matin.

La variante comprimée de (4) et (5) (La manifestation (4) fut interdite (5)) peut être enchâssée dans la phrase (6) à la place de ce verdict :  



(8)

Le ministre de l’Intérieur a levé (6) l’interdiction (5) de la manifestation (4).

Après avoir transformé (8) en une phrase passive (L’interdiction (5) de la manifestation (4) fut levée (par …) (6)), on peut remplacer cette nouvelle par cette phrase et on obtient :  

(9)

La levée (6) de l’interdiction (5) de la manifestation (4) fut annoncée [ce matin].

2 Pour une typologie rapide de ces écarts morpho-sémantiques cf. Forner (1998a, 36–41).

232

Nadiane Kreipl

Pour conclure ce paragraphe, il convient de noter le rapport entre les deux types de relation et les verbes relateurs : en exprimant une relation sémantique par un verbe relateur, la relation est transformée en relation d’identité et ceci permet que le sujet et l’objet puissent admettre un enchâssement nominal (cf. §4.2).  

4 Les relations sémantiques et les verbes relateurs 4.1 La méthode : les tests de substitution  

La question dans l’étude de corpus est d’ordre onomasiologique : comment les relations sémantiques sont-elles marquées dans les textes du corpus ? Pour découvrir toutes les relations sémantiques présentées dans le corpus, il faut analyser les contextes puisque les marqueurs ne sont pas toujours explicites ou monosémiques, comme par ex. dans la phrase suivante :  



(10)

Ils sont très contents : ils viennent d’avoir un bébé.  

Pour décider s’il s’agit d’une relation sémantique entre deux énoncés, il faut faire un test de substitution : le marqueur polysémique y est remplacé par un marqueur monosémique et typique pour la relation sémantique exprimée par le marqueur et son contexte. Dans l’article présent, les phrases polysémiques sont complétées par une phrase décrivant le résultat du test de substitution. Voici, à titre d’exemple, le résultat pour la phrase (10) :  

(10’) Ils sont très contents parce qu’ils viennent d’avoir un bébé.

Ces tests de substitution exigent une description exacte des relations sémantiques, des phrases modèles et des connecteurs monosémiques qui expriment précisément la relation (cf. Kreipl 2006, 458–466). Pour illustrer les éléments préliminaires d’un test de substitution, voici l’exemple de la description de l’équivalence de sens.3 Il s’agit d’une relation sémantique qui n’apparaît habituellement pas dans les grammaires du français, mais qui est assez fréquente dans les textes spécialisés. L’équivalence de sens Description sémantique : il s’agit d’une équivalence de sens quand deux énoncés sont présentés comme équivalents. La relation est réversible, les énoncés peuvent donc être interchangés sans modifier le sens de l’énonciation complète.  

3 La relation d’équivalence sémantique est décrite par Gülich/Kotschi (1983) ; Murat/Cartier-Bresson (1987) ; Gil (1995, 117ss., 192ss.) ; Kreipl (2004, 100–102, 303s.).

Les verbes relateurs et l’enchâssement nominal

233

Connecteurs typiques : c’est-à-dire, soit  

Phrases modèles : Le français fait partie des langues romanes, c’est-à-dire dérivées du latin. (Murat/Cartier-Bresson 1987, 6) Soixante secondes, soit une minute. (cf. Rey-Debove/Rey 1993, s.v. soit)  

4.2 Connexion d’énoncés nominalisés Les textes spécialisés se caractérisent par le style nominal, c’est-à-dire la condensation des phrases au moyen d’enchâssements nominaux permettant l’abstraction de l’agent et une progression de texte rapide (cf. Kaehlbrandt 1989, 142). Les nominalisations disposent – contrairement aux verbes dont elles sont dérivées – de la mobilité syntaxique et de la multifonctionnalité du substantif et peuvent être enrichies par des épithètes (cf. Kaehlbrandt 1989, 62). Le style nominal n’est pas forcément plus court, mais il présente les informations de façon plus abstraite et, selon Kalverkämper (cf. 2001, 378), aussi plus économique, puisque auteur et lecteur sont habitués à trouver les informations dans les substantifs. Les relations sémantiques entre les informations nominalisées sont souvent marquées par des verbes relateurs, étant donné que la plupart de ces verbes sont bivalents. Ceci veut dire que les verbes possèdent deux actants, sujet et objet, qui permettent un enchâssement nominal. Ainsi, ils peuvent lier les énoncés sous forme de substantif. Les verbes perdent donc souvent leur fonction habituelle, mais ils assument une nouvelle fonction, celle de la connexion. Forner (1989, 23) propose le schéma suivant pour illustrer la structure sémantique binôme des verbes relateurs :4

Figure 1 : Structure d’actance  

4 Le verbe lier est un des rares verbes relateurs trivalents : X lie Y à Z (si Z alors Y à cause de X), cf. Forner (1989, 28s.).  

234

Nadiane Kreipl

La phrase suivante illustre le fonctionnement typique d’un verbe relateur :  

(11)

L’augmentation du chômage résulte de l’insuffisance de la demande globale.

Le verbe relie explicitement deux énoncés nominalisés. Ces énoncés peuvent être exprimés aussi au moyen d’un mode verbal personnel : énoncé 1 : l’augmentation du chômage → le chômage augmente. énoncé 2 : l’insuffisance de la demande globale → la demande globale est insuffisante.  



Les énoncés sont connectés par le verbe résulter de qui marque la relation conséquence – cause entre les deux énoncés. Dans un mode personnel, la conjonction parce que pourrait remplacer résulter de : (11’)

Le chômage augmente parce que la demande globale est insuffisante.

4.3 Précision et monosémie Les verbes relateurs ont – en principe – l’avantage d’être précis et monosémiques – contrairement à beaucoup d’autres connecteurs comme par ex. le gérondif ou encore la conjonction quand qui peut marquer des relations temporelles, causales et conditionnelles (cf. Kreipl 2004, 55). (12) (13)

Arrête de me provoquer ! L’insuffisance de la demande globale provoque l’augmentation du chômage.  

Les exemples (12) et (13) montrent qu’en soi les verbes relateurs sont des éléments linguistiques polysémiques. Dans l’exemple (12), provoquer n’est pas utilisé dans son sens causal, mais dans le sens d’‘inciter quelqu’un par une sorte de défi à accomplir un acte violent’ (cf. Larousse, s.v. provoquer). Par contre, dans l’exemple (13), provoquer sert de connecteur et pourrait être remplacé par donc, cf. phrase (13’) :  

(13’)

La demande globale est insuffisante, donc le chômage augmente.

L’emploi d’un verbe comme connecteur nécessite un sujet de caractère abstrait ou du moins à référent inanimé s’il est concret (cf. Forner 1988, 209). Lorsque le verbe est employé comme marqueur de la relation sémantique, il devient un marqueur précis et monosémique. Exceptionnellement, on peut aussi trouver des exemples dans lesquels les verbes relateurs ne marquent pas la relation sémantique de façon monosémique. La phrase suivante permet même quatre interprétations différentes :  

235

Les verbes relateurs et l’enchâssement nominal

(14)

L’intervention optimale de l’Etat implique l’utilisation, en période de récession, d’une allocation forfaitaire, pas d’une allocation de chômage (Sneessens/Van der Linden 1994, 144). (14’) L’État intervient de façon optimale, donc il utilise … (14’’) Pour que l’intervention de l’État soit optimale, il faut utiliser … (14’’’) Si l’État intervient de façon optimale, il utilise … (14’’’’) Lorsque l’État intervient de façon optimale, il utilise …

C’est l’adjectif optimal qui donne, en plus de l’interprétation consécutive, les autres possibilités : comme on associe à un optimum un idéal et donc un but désirable, la relation peut être comprise comme finale (14’’). Le fait qu’un idéal n’est pas réaliste permet une interprétation hypothétique-conditionnelle (14’’’). Mais la phrase (14) est aussi un exemple de la possibilité fréquente d’interpréter un rapport comme une condition générale : dans l’article analysé sont présentés des modèles économiques, en conséquence les rapports de cause qui y sont décrits sont des rapports que l’on peut généraliser – et ceci permet la dernière interprétation (14’’’’).  



4.4 Les actants des verbes relateurs Les verbes relateurs relient deux actants (cf. § 4.2) qui apparaissent sous formes diverses. La nominalisation, dérivée d’un énoncé constitué d’un substantif et d’un verbe, représente le cas typique ou du moins le cas le plus facile à repérer. Si l’actant est représenté par un substantif qui ne dérive pas d’un verbe, on peut utiliser la construction il y a pour prouver le caractère d’énoncé de l’actant.  

(15)

[…] cette relation permet d’écrire : [formule mathématique] (Lebon 1994, 972).  

La relation consécutive pourrait être exprimée à l’aide d’un mode verbal personnel :  

(15’)

Il y a cette relation, donc on peut écrire : [formule mathématique]  

Ainsi, on peut prouver que l’actant correspond à un énoncé. Forner (1989, 32) donne l’exemple suivant pour ce procédé :  

(16) (16’)

Les subventions publiques ont favorisé l’aménagement des « foyers-hôtels ». Des « foyers-hôtels » ont été aménagés parce qu’il y avait des subventions publiques.  







L’actant peut être aussi un nom ou un groupe nominal qui exprime une quantité, comme par ex. le chômage, le taux de croissance, la structure du marché du travail ou la quantité de subventions. Littmann (1981, 66ss., 285, 311s.) a décrit le rôle des verbes relateurs en rapport avec ces noms de quantité. Le modèle « A dépend de B » décrit une relation de proportionnalité :  





236

Nadiane Kreipl

(17)

La quantité d’air dépend de la pression.

Cette phrase n’a, au premier abord, rien d’exceptionnel, puisque ce type de phrase se rencontre souvent dans la langue commune. Mais, si l’on transforme la phrase, on découvre deux énoncés et la fonction relationnelle du verbe :  

(17’)

Plus la pression est grande/petite, plus/moins grande est la quantité d’air.

Dans le corpus se trouve la phrase suivante :  

(18)

Les habitudes de partage de la rente entre salaire et profit ont un fort impact sur le niveau de chômage (Cahuc 1994, 166).

Le groupe verbal avoir un fort impact sur marque une relation conditionnelle, les deux actants (habitudes de partage de la rente entre salaire et profit, niveau de chômage) sont des substantifs de quantité. La transformation suivante prouve la fonction relationnelle du verbe :  

(18’)

Si les habitudes de partage de la rente entre salaire et profit ont la forme x, le niveau de chômage est y.

Cette transformation montre que l’expression verbale marque la relation de façon bien plus précise que le fait une conjonction. Celle-ci ne peut pas fournir l’information qu’il s’agit d’un impact fort. Lorsque le verbe relateur exprime un changement de quantité, il devient clair que les substantifs de quantité représentent également un énoncé dans des phrases du type suivant :  

(19) (19’)

Une augmentation de l’allocation de chômage […] diminue le salaire réel et stimule l’emploi (Sneessens/Van der Linden 1994, 153). L’allocation de chômage augmente, donc le salaire diminue et donc l’emploi est stimulé.

Les verbes relateurs peuvent avoir comme actants des propositions infinitives, voici un exemple du corpus ÉCO :  

(20)

Les espérances d’utilité intertemporelle […] permettent de calculer la valeur des rentes nettes de l’entrepreneur et du salarié à l’état stationnaire (Lebon 1994, 973). (20’) Il y a des espérances d’utilité intertemporelle, donc on peut calculer la valeur des rentes nettes de l’entrepreneur et du salarié à l’état stationnaire.

La phrase (21) montre deux autres possibilités d’actants :  

Les verbes relateurs et l’enchâssement nominal

(21)

237

« Nous supposons pour l’instant que cette subvention est financée par une hausse des impôts à la charge des consommateurs. Cela implique que le revenu des consommateurs n’est pas modifié […] » (Artus/Brunhes 1994, 198).  



Le verbe impliquer marque la relation consécutive, le sujet est un pronom et l’objet une subordonnée conjonctive introduite par que. Les auteurs du corpus utilisent une fois sur quatre un pronom à la place d’un actant dans une phrase et profitent ainsi d’un grand avantage des verbes relateurs : les pronoms permettent d’établir des relations au-delà des limites de la phrase.  

4.5 Grande variété de verbes relateurs Dans le corpus se trouvent environ 100 verbes relateurs différents, mais la liste peut être élargie par des verbes cités dans d’autres études.5 Il ne s’agit donc pas d’un nombre assez restreint d’éléments linguistiques comme c’est le cas par ex. pour les prépositions ou les conjonctions. Les verbes relateurs peuvent être catégorisés en deux groupes : les verbes relateurs simples ont uniquement la fonction de marquer la relation sémantique entre deux énoncés (cf. exemple (11)). Les verbes relateurs mixtes sont, en plus de la fonction de connexion, porteurs d’une information lexicale (cf. Forner 1989, 28) :  

(22)

L’insuffisance de la demande aggrave le chômage ; ou : le chômage est aggravé par l’insuffisance de la demande.  



Le remplacement d’un verbe relateur par une conjonction ne laisse généralement aucune marge d’interprétation : l’information lexicale est toujours exprimée par un verbe, la relation sémantique par la conjonction causale parce que :  



(22’)

Le chômage est aggravé parce que la demande est insuffisante.

On peut ajouter à ces deux catégories les verbes relateurs proportionnels. Pour donner une impression de la variété des verbes relateurs, voici une énumération qui n’en représente qu’un choix limité. Verbes relateurs simples :  

avoir pour conséquence, conduire à, créer, empêcher, engendrer, entraîner, générer, impliquer, induire, introduire, procurer, provoquer, aboutir à, permettre, donner lieu à, être le résultat de, nécessiter …

5 Des listes exhaustives de verbes relateurs du français se trouvent chez Coyaud (1970, 162s.), Jackiewicz (1998, passim) et Forner (1998a, 22ss.).

238

Nadiane Kreipl

Verbes relateurs mixtes :  

accroître, améliorer, atténuer, attirer, diminuer, encourager, faciliter, favoriser, forcer à, limiter, réduire, stimuler …

Verbes relateurs proportionnels :  

dépendre de, affecter, influencer, modifier …

4.6 Modalisation de la relation sémantique Un grand avantage des verbes relateurs est leur capacité d’être modalisés ; ils répondent ainsi à la volonté des auteurs de textes spécialisés d’établir des connexions précises. La modalisation du rapport marqué par un verbe (ici : fumer provoque des maladies graves) peut s’opérer par le moyen d’un verbe modal comme dans l’exemple (23). La phrase exprime la possibilité que la relation causale se réalise, mais que ce n’est pas nécessairement le cas. Dans les phrases exemples (24) et (25), les adverbes souvent et en général expriment la fréquence de cette relation ; cela veut dire que la relation sémantique elle-même est spécifiée.  





(23) (24) (25)

Fumer peut provoquer des maladies graves. Fumer provoque souvent des maladies graves. Fumer provoque en général des maladies graves (cf. Jackiewicz 1998, 154).

Dans les textes étudiés du corpus ÉCO , 11% de toutes les connexions verbales, c’est-àdire 39 sur 345, ont été modalisées. La spécification s’est faite à plusieurs égards : La relation peut être – spécifiée comme possible ou comme sûre : entraîner vraisemblablement, inciter sûrement. – quantifiée au plan temporel : passer toujours par (cf. (31)), agir toujours négativement sur – spécifiée comme régulière : conduire généralement à.  







Un exemple édifiant la modalisation de verbes relateurs se trouve dans un des textes narratifs. La fin des rapports sémantiques est marquée par la négation avec ne … plus et le verbe cesser de :  

(26)

Il y a un vide en elle, un vide immense, depuis l’enfance. Ce vide a cessé de provoquer en elle le vertige et l’effroi, il ne l’incite plus à la colère, ne la pousse plus à s’enfuir, enfin. Ce vide est devenu neutre (Germain 1991, 272).

Cet exemple montre d’ailleurs que l’emploi des verbes relateurs ne se limite pas aux textes spécialisés.

239

Les verbes relateurs et l’enchâssement nominal

Il est aussi possible que le verbe relateur lui-même modalise la relation sémantique, cf. l’exemple (28) avec le verbe permettre dans le paragraphe suivant.

4.7 La différenciation entre les relations sémantiques Les verbes relateurs peuvent marquer des relations sémantiques différentes à travers plusieurs moyens : la relation peut être exprimée par le verbe lui-même (provoquer marque par ex. la consécution, viser à la finalité), par le contexte et/ou l’emploi du temps et du mode, par la diathèse (la forme passive du verbe aggraver dans l’exemple (22) fait qu’un verbe relateur consécutif marque une relation causale)6 ou par la négation pour des relations concessives. 69% de toutes les relations marquées par un verbe expriment la consécution. Dans le corpus, la suite chronologique de la cause et de l’effet est mise en évidence 13 fois par l’emploi du futur :  



(27)

Une baisse de b va provoquer une augmentation de la tension sur le marché du travail réalisée (cf. Lebon 1994, 979).

Le verbe relateur employé le plus souvent dans les textes économiques et aussi narratifs est le verbe permettre. L’avantage de ce verbe est sa capacité à marquer que la relation consécutive peut se réaliser, mais que ce n’est pas forcément le cas :7 (28)

[…] la prise en considération de l’accumulation du capital permet d’étudier les conséquences des négociations sur la croissance […] (Cahuc 1994, 165). (28’) On prend l’accumulation du capital en considération, donc on peut étudier les conséquences des négociations sur la croissance.

Dans 11% des cas repérés dans le corpus ÉCO , les verbes relateurs marquent une relation proportionnelle (cf. exemple (17)) et dans 9% des cas une relation causale (cf. exemple (11)). Les relations causales marquées par des verbes correspondent d’ailleurs toujours, dans le corpus ÉCO , à la causalité factuelle.8

6 La relation consécutive et la relation causale expriment toutes les deux une relation entre cause et effet, mais sous un angle différent : la relation consécutive prend la cause comme point de départ et considère ensuite l’effet. La relation causale, comme elle est entendue dans cet article, considère d’abord l’effet et pose ensuite la question pourquoi ? Pour les différentes interprétations de la notion de la causalité cf. Nazarenko (2000, 13–49). 7 Un autre verbe relateur donnant une information modale en plus est le verbe nécessiter, qui souligne l’importance de la cause pour avoir un certain effet (x nécessite y → pour avoir x, il faut avoir y ; cf. Forner 1998a, 23s. ; Kreipl 2004, 289s.). 8 La causalité peut non seulement être interprétée dans un sens très vaste, comprenant la consécution, la condition, la concession et la finalité, mais aussi dans des sens beaucoup plus étroits : la causalité factuelle et la causalité énonciative. La causalité factuelle est représentée par excellence par la conjonction parce que qui exprime « la cause réelle, objective » (Hanse 1973, 212), la marquant « sans  















240

Nadiane Kreipl

Des cas moins fréquents sont la condition, la finalité, la concession, l'équivalence et le temps. Le temps du verbe peut jouer un rôle dans l’interprétation. La relation conditionnelle est exprimée par le verbe supposer (cf. (29)) ou par un verbe relateur au conditionnel (cf. (30)).9 (29) (30)

Cette élasticité est considérée comme indépendante de Θ et constante, ce qui suppose, par exemple, une technologie d’appariement de type Cobb-Douglas (Lebon 1994, 968). Dans l’exemple de la figure 2, une allocation de chômage b égale à w* impliquerait une baisse de l’emploi jusqu’en LT en basse conjoncture (Lebon 1994, 975).  

La finalité est exprimée par les verbes (ou locutions verbales) aboutir à, viser à, nécessiter, être indispensable à, exiger ou passer par :  

(31) (31’)

[…] une amélioration de l’emploi passe toujours par une meilleure répartition des chômeurs entre offreurs de travail et créateurs d’entreprise (Lebon 1994, 976). Pour que l’emploi s’améliore, il faut (toujours) une meilleure répartition …

Selon Forner (1998a, 63), la concession est exprimée par des verbes relateurs niés :  

(32) (32’)

L’augmentation des débouchés n’a pas entraîné une vague de vocations pour les maths (LeM DD IV 1998, 8). Bien que les débouchés aient augmenté, il n’y a pas eu de vague de vocations pour les maths.

L’équivalence sémantique, c’est-à-dire que les deux énoncés reliés ont le même sens, est marquée par les verbes correspondre à, revenir à, signifier et traduire. (33)

Les taux d’actualisation du travailleur et de l’entrepreneur sont égaux, ce qui traduit la même préférence pour le présent (cf. Lebon 1994, 971). (33’) Le travailleur et l’entrepreneur ont la même préférence pour le présent, c’est-à-dire que leurs taux d’actualisation sont égaux.

Les verbes ou locutions verbales précéder, suivre, accompagner, être antérieur à marquent des relations temporelles, par ex. :  

(34)

L’accident de Marie a précédé l’arrivée de Luc (Aslanides 2001, 182).

plus, constatant » (Sandfeld 1965, 307). La causalité énonciative, par contre, est représentée par ex. par puisque, un « connecteur argumentatif » (cf. Nazarenko 2000, 66) qui suppose « un raisonnement, une prise en considération qui permet de faire une déduction » (Hanse 1973, 213s.). Pour la différenciation entre causalité factuelle et causalité inférentielle cf. aussi Kreipl (2004, 74–82). 9 Parfois c’est le contexte qui permet une interprétation hypothétique de la relation (cf. Forner 1998a, 60s. ; Kreipl 2004, 301s.).  









Les verbes relateurs et l’enchâssement nominal

241

4.8 Flexibilité et complexité syntaxiques Les verbes relateurs offrent beaucoup de possibilités de placer des relations sémantiques dans une phrase. Ils peuvent exprimer des relations sémantiques par ex. dans une proposition relative :  

(35)

Une initiative publique en ce domaine est donc socialement bénéfique, en dépit du risque qu’elle entraîne […] (Sneessens/Van der Linden 1994, 154).

Le verbe relateur lui-même peut être nominalisé :  

(36)

L’auteur souligne également que l’amélioration du contrôle par l’administration des comportements de recherche et d’acceptation des offres d’emploi permet de réduire le risque moral et ainsi offre la possibilité d’une meilleure couverture du risque salarial dû au chômage (Sneessens/Van der Linden 1994, 151).

Dans cette phrase, l’enchâssement nominal se trouvant à la place du sujet de la proposition indirecte inclut une relation consécutive : (36’) L’administration des comportements de recherche et d’acceptation des offres d’emploi améliore le contrôle. (36’’) On administre les comportements de recherche et d’acceptation des offres d’emploi, donc on améliore le contrôle.

Cette relation consécutive est la cause des deux effets exprimés dans la même phrase (réduire le risque moral, offrir la possibilité d’une meilleure couverture du risque salarial dû au chômage) et introduits par un autre verbe relateur (permettre). Ces exemples illustrant la flexibilité syntaxique des verbes relateurs montrent aussi que des relations sémantiques marquées de manière verbale peuvent causer des problèmes de compréhension. Les structures de connexion doivent-elles donc faire l’objet de l’enseignement de la langue de spécialité ? Bien des linguistes l’ont affirmé, soit pour les verbes relateurs (Forner dès 1985 [pour l’italien]), soit pour la nominalisation (par ex. Debyser 1972 ; ↗17 L’enseignement de la langue marquée). Voici encore une voix précoce pour les verbes relateurs : « Des inventaires d’articulations logiques […] intéressent directement les étudiants étrangers peu avancés en français, mais qui doivent rapidement maîtriser ces articulations du discours […] afin de se repérer » (Coyaud 1970, 165).  







242

Nadiane Kreipl

5 La variabilité des connecteurs dans les textes spécialisés Les verbes relateurs ne sont pas les uniques connecteurs dans les textes spécialisés. Dans le corpus ÉCO , une phrase contient généralement plusieurs réalisations de relations sémantiques, par ex. :  

(37)

Une initiative publique en ce domaine est donc socialement bénéfique, en dépit du risque moral et des distorsions qu’elle entraîne […] (Sneessens/Van der Linden 1994, 154).

Les relations sont marquées dans (37) par trois marqueurs différents : la conjonction donc, la préposition en dépit de et le verbe relateur entraîner. Dans l’exemple suivant, la préposition sans permet l’enchâssement d’une relation dans la phrase nominale, la conjonction lorsque et le verbe relateur impliquer marquent les deux autres relations de la phrase :  



(38)

Lorsque l’offre de travail est verticale, on peut montrer que le contrat implique une stabilisation complète du salaire réel […] sans changement pour le niveau d’emploi […] (Sneessens/Van der Linden 1994, 139).

Kocourek (1991, 79) parle également de la complexité syntaxique :  

« […] la complexité syntaxique de la phrase technoscientifique réside surtout dans sa longueur, dans l’expansion du syntagme nominal, dans l’emploi très fréquent de constructions participiales et, aussi, de constructions incises, sans compter un répertoire varié, et parfois particulier, de coordonnants et subordonnants ».  



En somme, dans les textes du corpus ÉCO , – les phrases sont parfois complexes et difficiles à comprendre ; – une accumulation de relations sémantiques dans une seule phrase est assez fréquente ; – la gamme complète des connecteurs est nécessaire pour exprimer les relations sémantiques.  



L’étude de la fréquence des marqueurs de relations sémantiques dans les deux différents corpus montre que toute la gamme de connecteurs est utilisée dans chaque corpus et que la différence est une différence de fréquence (cf. Kreipl 2004, 267ss. ; ↗13 La fréquence des marques de spécialité) :  



Les verbes relateurs et l’enchâssement nominal

243

Tableau 2 : Fréquences des connecteurs Catégorie de marqueurs Exemples

corpus ÉC O

corpus NAR

conj. subordination

parce que, puisque, pour que, quand …

28 %

35 %

verbes relateurs

provoquer, résulter de, permettre …

24 %

2%

adverbes conjonctifs

pourtant, alors, ainsi, donc …

17 %  

12 %

prépositions

à cause de, avant, pour, malgré …

17 %

21 %















5%

7%

5%

19 %

divers

3%

1%

sans marqueur

1%

5%

gérondifs et participes conj. coordination



mais, or, car …















Les raisons pour le choix des marqueurs sont multiples : 1. Les marqueurs ont des qualités différentes et, selon la relation à exprimer et la fonction souhaitée dans le texte, l’un ou l’autre marqueur est préférable : les verbes relateurs permettent la nominalisation des énoncés, ils marquent explicitement la relation et sont très flexibles. La flexibilité syntaxique caractérise aussi les adverbes conjonctifs qui permettent une connexion d’énoncés au-delà de la limite de la phrase. Les conjonctions de subordination peuvent exprimer toutes sortes de relations sémantiques et relient directement et explicitement les énoncés. Dans ce cas, les énoncés apparaissent sous leur forme personnalisée, les phrases ne sont pas condensées et plus faciles à comprendre. 2. Dans les textes du corpus ÉCO , il existe une préférence pour les conjonctions et adverbes conjonctifs monosémiques. Les auteurs utilisent beaucoup moins les connecteurs polysémiques, comme par ex. la conjonction quand, la préposition à, le gérondif ou le participe. 3. La combinaison de diverses catégories de marqueurs permet l’expression de plusieurs relations sémantiques dans une phrase. 4. L’emploi de différents marqueurs est un atout stylistique (cf. Nazarenko 2000, 11). 5. Finalement, il existe des préférences personnelles qui influencent le choix du marqueur.  

6 Conclusion L’emploi varié et fréquent des verbes relateurs (24% de tous les marqueurs dans le corpus ÉCO ), contribue à la particularité de la langue de spécialité. Ces verbes et l’enchâssement nominal permettent la condensation des informations dans le style nominal et conviennent, grâce à leur caractère explicite, au désir des auteurs recherchant une description exacte et monosémique. Leur flexibilité syntaxique permet

244

Nadiane Kreipl

l’accumulation de relations sémantiques dans une phrase, ce qui peut contribuer à l’éventuelle complexité d’un texte spécialisé. La comparaison avec des textes narratifs montre que les verbes relateurs et l’enchâssement nominal sont rares dans le corpus NAR (2% de tous les marqueurs) et que les auteurs utilisent surtout les connecteurs « traditionnels ». En revanche, les auteurs des textes du corpus ÉCO emploient la gamme complète des connecteurs pour parvenir à leur besoin de marquer une haute quantité de relations sémantiques.  



7 Bibliographie 7.1 Publications linguistiques Aslanides, Sophie (2001), Grammaire du français. Du mot au texte, Paris, Champion. Coyaud, Maurice (1970), Les articulations logiques du français, in : CREDIF (ed.), Les langues de spécialité. Analyse linguistique et recherche pédagogique. Actes du Stage de Saint-Cloud, 23–30 Nov. 1967, Strasbourg, Aidela, 157–179. Debyser, Francis (1972), Une difficulté spécifique de la langue de presse, la nominalisation, Le français dans le monde 89, 10–15. Forner, Werner (1985), Fachsprachliche Strukturen und ihre Didaktik, in : Ulrich Nehm/Konrad Sprengel (edd.), Berufsorientierte Sprachausbildung an der Hochschule, Bochum, AKS, 204–230. Forner, Werner (1988), Fachübergreifende Fachsprachenvermittlung : Gegenstand und methodische Ansätze, in : Hartwig Kalverkämper (ed.), Fachsprachen in der Romania, Tübingen, Narr, 194–217. Forner, Werner (1989), Der Ausdruck adverbialer Relationen in französischer Fachsprache, in : Wolfgang Dahmen et al. (edd.), Technische Sprache und Technolekte in der Romania. Romanistisches Kolloquium II, Tübingen, Narr, 20–40. Forner, Werner (1998a), Fachsprachliche Aufbaugrammatik Französisch, Wilhelmsfeld, Egert. Forner, Werner (1998b), Sinnstrukturen, in : Wolfgang Dahmen et al. (edd.), Neuere Beschreibungsmethoden der Syntax romanischer Sprachen. Romanistisches Kolloquium XI, Tübingen, Narr, 447–466. Gil, Alberto (1995), Textadverbiale in den romanischen Sprachen. Eine integrale Studie zu Konnektoren und Modalisatoren im Spanischen, Französischen und Italienischen, Frankfurt, Lang. Gülich, Elisabeth/Kotschi, Thomas (1983), Les marqueurs de la reformulation paraphrastique, Cahiers de linguistique française 5, 305–351. Hanse, Joseph (1973), Car, comme, parce que, puisque, Bulletin de l’Académie royale de langue et de littérature française (de Belgique) 51, 195–222. Jackiewicz, Agata (1998), L’expression de la causalité dans les textes. Contribution au filtrage sémantique par une méthode informatique d’exploration contextuelle, Paris, http://lalic.paris-sor bonne.fr/PUBLICATIONS/THESES/Jackiewicz.pdf (03.08.2014). Kaehlbrandt, Roland (1989), Syntaktische Entwicklungen in der Fachsprache der französischen Wirtschaftswissenschaften : untersucht an der Textsorte « Lehrwerk » im Zeitraum von 1815–1984, Stuttgart, Steiner. Kalverkämper, Hartwig (2001), Fachsprachen, in : Günter Holtus/Michael Metzeltin/Christian Schmitt (edd.), Lexikon der Romanistischen Linguistik (LRL), vol. I,2 : Methodologie, Tübingen, Niemeyer, 349–408.  



























Les verbes relateurs et l’enchâssement nominal

245

Kocourek, Rotislav (1991, 11982), La langue française de la technologie et de la science, Wiesbaden, Brandstetter. Kreipl, Nadiane (2004), Der Ausdruck von Sinnrelationen in der französischen Gegenwartssprache. Eine Untersuchung am Beispiel der Wirtschafts- und Literatursprache, Wilhelmsfeld, Egert. Kreipl, Nadiane (2006), Polyseme Ausdrucksarten von Sinnrelationen am Beispiel des Französischen. Ergebnisse einer Korpusuntersuchung, in : Wolf Dietrich et al. (edd.), Lexikalische Semantik und Korpuslinguistik, Tübingen, Narr, 455–478. Larousse, disponible sur Internet : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ (08.02.2015). Littmann, Günther (1981), Fachsprachliche Syntax : Zur Theorie und Praxis syntaxbezogener Sprachvariantenforschung, Hamburg, Buske. Murat, Michel/Cartier-Bresson, Bernard (1987), « C’est-à-dire » ou la reprise interprétative, Langue française 73, 5–15. Nazarenko, Adeline (2000), La cause et son expression en français, Paris, Ophrys. Rey-Debove, Josette/Rey, Alain (edd.) (1993), Le Nouveau Petit Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert. Sandfeld, Kristian (1965, 11937), Syntaxe du français contemporain, vol. 2 : Les propositions subordonnées, Paris, Droz.  















7.2 Corpus 7.2.1 Corpus ÉCONOMIQUE ( Corpus ÉCO ) Artus, Patrick/Brunhes, Bernard (1994), Faut-il favoriser la création d’emplois tertiaires [cf. http:// www.persee.fr/doc/reco_0035-2764_1993_hos_44_1_409432] ?, Revue économique, numéro hors série : Perspectives et réflexions stratégiques à moyen terme, 193–213. Cahuc, Pierre (1994), Réglementation des négociations collectives, chômage et croissance, Recherches Économiques de Louvain 2, 163–195. Lebon, Isabelle (1994), Création d’entreprises et persistance du chômage dans un modèle d’appariement, Revue économique 4, 965–988. Sneessens, Henri R./Van der Linden, Bruno (1994), De l’optimalité des systèmes d’assurance-chômage : quelques réflexions, Recherches économiques de Louvain 2, 129–162.  





7.2.2 Corpus NARRATIF ( Corpus N AR ) Germain, Sylvie (1991), L’Enfant Méduse, Paris, Gallimard, 249–254, 261–281. Neuhoff, Éric (1997), La Petite Française, Paris, Albin Michel, 38–58, 197–225. Nothomb, Amélie (1989), Stupeur et tremblements, Paris, Albin Michel, 86–126.

Carolin Patzelt

11 Les analytismes Abstract : La contribution prétend décrire les fonctions des analytismes dans les textes de spécialité. Les analytismes sont entendus comme la dissociation analytique d’une constituante verbale (ou nominale) en deux unités : un élément fonctionnel et un élément référentiel. Proposant d’abord une définition des structures linguistiques appartenant au groupe des analytismes, l’article esquisse ensuite les fonctions textuelles remplies par les constructions en question. On se focalise avant tout sur les différences fonctionnelles entre les analytismes et d’autres constructions verbales. Concernant la possibilité d’exprimer des aspects verbaux, les analytismes sont comparés aux périphrases verbales. Ensuite, les possibilités textuelles de la partie nominale des analytismes sont examinées, tout en accentuant les possibilités spécifiques qui transforment l’analytisme en élément caractéristique des textes de spécialité.    



Keywords : analytisme, aspect verbal, constructions à verbe support, expressions figées, périphrases verbales, réduction de polysémie    

1 Introduction Un analytisme (AN) est la dissociation analytique d’une constituante (verbale ou nominale) en deux unités, une unité fonctionnelle et une unité référentielle :  

prouver Vx

→ →

constituer une preuve de1 Vf + N°x

Dans les analytismes verbaux, les termes prédicatifs (ici : preuve) sont des dérivés morphologiques d’un verbe de base (prouver). On obtient donc un élément nominal (N°) reproduisant le sens du verbe de base (Vx) ainsi qu’un élément verbal presque dépourvu de sens : le verbe fonctionnel (Vf).2 En conséquence, le sens lexical des analytismes est fourni par le deuxième élément de la construction. Du point de vue syntaxique, par contre, ce deuxième élément dépend du premier, lequel a perdu son sens lexical original et ne fait que porter les marques de personne et de nombre (cf.  



1 Les exemples discutés dans cette contribution sont donnés en français, mais représentent les structures des langues romanes en général. Si les mécanismes et / ou les fonctions d’autres langues romanes diffèrent de ceux du français, on donnera des exemples additionnels pour ces langues. 2 Aussi connu comme « verbe support ». Dans cette contribution, on préfère le terme « verbe fonctionnel » pour indiquer qu’il s’agit d’un élément qui remplit des fonctions textuelles importantes.  











247

Les analytismes

Vivès 1993, 10) ainsi que l’indication de temps et d’aspect, respectivement l’aktionsart3 du verbe :  

(1) (2)

Jean aborde une étude du projet. Jean mène une étude du projet.

Jean commence à étudier le projet. Jean est en train d’étudier le projet.

Les verbes fonctionnels des phrases (1) et (2) pourraient être remplacés par des équivalents capables de changer la valeur aspectuelle de la construction. En effet, selon Maurice Gross, la sélection de verbes fonctionnels acceptables dans un analytisme reste illimitée tant et si bien que la relation entre le sujet et la nominalisation reste invariable (cf. Gross 1981, 33). Or, comme le démontrent les exemples suivants, ce ne sont pas seulement des verbes, mais aussi des substantifs qui peuvent subir une dissociation analytique en deux unités :  

planifier qc production

→ →

faire la planification de qc activité de production

AN verbal AN nominal

Dans les deux cas, c’est le deuxième élément qui contient la signification lexicale, mais, du point de vue syntaxique, cet élément constitue alors celui qui dépend du premier élément. L’analogie entre les deux AN est évidente : le AN nominal consiste en une division d’un nom de base Nx en deux unités : – en un élément nominal portant peu de propre signification, un ‘nom fonctionnel’ (Nf) – et en un élément nominal identique à Nx, rattaché par un génitif :  







Nx



Nf + de Nx

D’habitude, ce génitif « de Nx » se transforme en adjectif si la langue dispose d’un adjectif synonyme, par ex. : activité de production → activité productive.4 Les nomina 





3 L’aspect verbal se discute dans la littérature scientifique sous des dénominations divergentes : Hamplová (1968), par ex., utilise le terme « aktionsart », tandis que Coseriu (1976) parle de « catégories aspectuelles ». Chez Fernández de Castro (1999), on trouve le terme de « sens aspectuel ». Pollak (1960, 39) résume une distinction devenue généralement acceptée : « Les aktionsarten modifient le sens lexical du verbe, tandis que l’aspect représente une catégorie nettement syntaxique ». Ainsi, « aktionsart » constitue une catégorie lexico-semantique désignant la manière dont se déroule l’action. Les sous-catégories d’aktionsart englobent typiquement la phase, la direction, le résultat, la répétition ou l’emphase d’une action. Le terme « aspect », par contre, est attribué à la morphologie. Il remonte à un terme de la slavistique où il désigne la possibilité de marquer par des structures morphologiques « chaque verbe dans chaque temps grammatical par des formes morphologiques distinctes » (Klein 1974, 77). 4 Pour un corpus d’analytismes nominaux authentiques, cf. Forner (1998, 106).  































248

Carolin Patzelt

lisations peuvent donc subir la transformation analytique et, en outre, une adjectivation :  

produire → production → activité de production → activité productive.

Les AN verbaux peuvent subir la nominalisation ; on rencontre deux types : dans la plupart des cas, les verbes fonctionnels sont simplement supprimés, générant une forme identique à la nominalisation du verbe de base : effectuer des corrections → les corrections ; faire irruption → l’irruption etc. (Forner 1998, 89). Seuls les verbes fonctionnels prendre et mettre sont eux-mêmes nominalisables : décider → prendre une décision → prise de décision. Ce résultat, étant nominal, est susceptible, à son tour, de subir une transformation analytique nominale : prise de décision → processus de prise de décision. Cette chaîne transformationnelle peut encore être élargie par une adjectivisation (de Nx → Adj) ; l’adjectivation provoque normalement, si elle est précédée de plusieurs noms (ici : processus + de prise …), une suppression du nom intermédiaire (ici : de prise) (cf. Forner 1998, 90).5 – Une longue chaîne de transformations régulières qui risque d’en camoufler l’origine : décider → prendre une décision → prise de décision → processus de prise de décision → processus décisionnel. La partie nominale du AN verbal peut, à son tour, subir une dissociation analytique : corriger → effectuer des corrections → prendre des mesures correctives. Il en va de même pour les verbes relateurs : favoriser → être favorable à → constituer un milieu favorable à. De telles combinaisons de processus transformatifs sont assez fréquentes en langue de spécialité (LSP) et font preuve de la productivité des mécanismes linguistiques décrits. Ces mécanismes seront discutés plus en détail dans les sections suivantes.  























2 Délimitation des analytismes Le terme analytisme indique donc la dissociation analytique d’une constituante verbale ou nominale en deux unités. Pourtant, il n’est pas équivalent au terme allemand Funktionsverbgefüge (‘construction à verbe support’),6 bien qu’il y ait de

5 Pour la fonction des adjectifs relationnels et les problèmes de leur traduction, cf. Frevel (2002). 6 Ci-après abrégé par FVG. Schwall (1991) définit les FVG comme des syntagmes composés d’un élément verbal et un élément nominal (éventuellement avec un complément prépositionnel). Ces syntagmes représentent une unité sémantique, remplissant des fonctions prédicatives, par ex. unter Beobachtung stehen (‘ȇtre placé sous surveillance’, cf. Schwall 1991, 173). Or, la définition des FVG ressemble beaucoup à celle des analytismes ; FVG et AN ne sont cependant pas identiques, comme on le verra par la suite. – Pour une définition et description des FVG, surtout discutés dans le cadre de la philologie allemande, cf. par ex. von Polenz (1963) ; Heringer (1968) ; Schwall (1991) ; Detges (1996).  







249

Les analytismes

fortes similarités entre les deux types de construction verbale. Le terme de Funktionsverbgefüge, FVG, fait l’objet de définitions différentes. Ainsi, par ex., Seifert (2004, 57) le définit comme prototype des constructions verbales ayant une capacité prononcée de produire « des séries de commutation avec toutes les composantes ».7 Au-delà de telles « relations libres », Seifert étend ses analyses aux dits phraséolexèmes8 ainsi qu’aux « constructions à verbe support en processus d’idiomatisation »,9 bien qu’il les délimite nettement des constructions considérées comme prototypiques, les FVG « productifs ». Cependant, beaucoup de chercheurs définissent la catégorie des constructions à verbe support d’une manière plus restreinte, et, très souvent, en excluant précisément la catégorie des FVG plus productifs, considérée comme prototypique chez des auteurs comme Seifert. Büttner (1997, 33ss.), par ex., se prononce en faveur d’une exclusion des Streckformen (‘constructions rallongées’) de la définition des constructions à verbe support. Ces constructions rallongées désignent des combinaisons d’un verbe avec une signification très ramifiée avec un nom. Il s’agit souvent d’un nom dérivé d’un verbe qui peut être rattaché comme un objet direct (par ex. entrer en relation, entrer en contact, …). Büttner critique, parmi d’autres points, le fait que les composantes verbales des constructions rallongées portent une signification très générale, permettant la commutation avec des verbes portant des significations plus spécifiques, par ex. :  



















donner effectuer ….

ü ý des explications …. þ

Ce sont cependant précisément ces constructions rallongées qui sont capables d’apporter au texte des fonctions discursives centrales, par ex. la distinction d’aktionsart : elles dérivent systématiquement d’un verbe de base et leur verbe fonctionnel peut être généralement substitué par d’autres Vf. En plus, Köhler (1984, 123ss.) réussit à prou 



Pour des approches françaises, notamment celles du « lexique-grammaire », cf. Vivès (1984) ; GirySchneider (1987) ; Gross (1989). 7 Ces constructions peuvent apparaître comme des combinaisons [verbe+objet prépositionnel] du type in Betrieb setzen (‘mettre qc en service’) etc., des combinaisons [verbe+complément d’objet direct] (Berücksichtigung finden ‘être pris en compte’) ou bien des combinaisons [verbe+sujet] (eine Durchsuchung erfolgt ‘une fouille est effectuée’). 8 Les phraséolexèmes se caractérisent par l’impossibilité de produire des séries de Vf. Un changement du verbe fonctionnel produit un changement de sens de la construction : in Frage kommen ‘entrer en ligne de compte’ (= berücksichtigt werden ‘prendre qc en considération’), contre in Frage stellen ‘mettre en doute’ (= bezweifeln ‘douter’). 9 Par ex., Maßnahmen treffen (‘prendre des mesures’) qui n’est pas dérivé d’un verbe de base *maßnehmen, etc.  













250

Carolin Patzelt

ver que ce sont les constructions rallongées10 qui représentent un trait caractéristique des textes LSP.11 Un analytisme provient en général d’un verbe de base simple, ce qui exclut les « constructions à verbe support en processus d’idiomatisation », discutées par Seifert.12 Les unités nominalisées (N°) des analytismes sont susceptibles d’admettre les déterminants courants (article, pronoms démonstratifs, …) ou d’être amplifiées par des adjectifs ou des compléments circonstanciels : réaliser une étude / des études / une étude spécifique de.13 Il faut, pourtant, exclure les expressions figées ou unités phraséologiques qui constituent un phénomène lexical et non grammatical (cf. Forner 1998, 121). Les expressions figées ne peuvent pas être amplifiées ni provenir d’un verbe de base : prendre conscience de / *prendre une conscience de / *conscienter. Et, naturellement, il ne faut pas confondre les AN avec les « enchâssements nominaux » qui obéissent à un mécanisme syntaxique totalement divergent, cf. Patzelt (2007, 30s.) ; ↗10 Les verbes relateurs et l’enchâssement nominal.  















3 L’expression de l’aktionsart Les sections suivantes abordent les fonctions textuelles des AN susceptibles d’expliquer leur haute fréquence dans les textes de spécialité. Cette troisième section traitera

10 Comme Büttner, Köhler utilise le terme construction à verbe support comme désignant uniquement des constructions idiomatiques, bien que celles-ci ne constituent pas nécessairement un trait caractéristique de la langue de spécialité, comme le démontrent des exemples comme faire dodo au lieu de dormir, etc. Bien au contraire : Köhler montre que le caractère nominal des textes de spécialité repose avant tout sur les constructions verbo-nominales libres et non pas sur les constructions dénotées communément comme constructions à verbe support. Selon Köhler, le rapport entre les FVG et des constructions verbo-nominales libres dans des textes de spécialité est de 1:8 ; ↗13 La fréquence des marques de spécialité. 11 Textes LSP = textes en langue de spécialité. Il faut distinguer entre des « textes spécialisés » et des « textes (en langue) de spécialité ». Dans les textes LSP, un ensemble de règles syntactiques, dont les analytismes font partie, constitue un microsystème particulier qui produit un style fonctionnel, attribué généralement aux textes spécialisés. Or, la différence entre le style neutre et le style LSP ne réside pas dans le contenu des textes, mais dans les opérations syntaxiques qui produisent l’impression d’un texte spécialisé (cf. Patzelt 2007, 50ss.). Au contraire du style LSP, lequel souligne le contenu scientifique d’un texte ou qui produit, au moins, l’illusion d’un contenu scientifique chez le lecteur, le style neutre se définit par l’absence d’une impression stylistique spéciale (cf. Forner 1998, 17). 12 Chez Seifert, il est question de constructions telles que Maßnahmen treffen (‘prendre des mesures’) en allemand dont il n’existe pas de verbe de base synonyme*maßnehmen (‘mesurer’). Par contre, des constructions comme in Betrieb setzen / nehmen (‘mettre en service’) proviennent d’un verbe de base correspondant, ici betreiben (‘pratiquer, soutenir’). 13 Or, la possibilité d’amplification des N° n’est pas une condition nécessaire à la définition des analytismes ; exemple : contacter → être en contact (avec); * être en contacts / être en un contact (avec).  



















251

Les analytismes

d’abord le potentiel du premier constituant, du verbe fonctionnel ; en effet, le Vf marque l’aktionsart de la construction verbale. C’est par ce trait que les analytismes s’apparentent aux périphrases verbales.14 On verra que celles-ci expriment également l’aktionsart,15 sans cependant se rattacher à un style spécifique. La quatrième section examinera les possibilités et particularités du deuxième constituant des AN (verbaux et nominaux).  

3.1 Amélioration du flux d’information Les analytismes verbaux16 sont considérés comme un élément caractéristique et particulièrement productif des textes LSP, où ils remplissent une multitude de fonctions différentes (cf. Forner 1994 ; Unverricht 1996). Une de ces fonctions est l’expression de l’aktionsart du verbe, telle que [début, résultat, …] – fonction que les AN partagent avec les périphrases verbales. Ainsi, le [début] d’une activité peut s’exprimer par les deux constructions :  

(3) (4)

Jean se met à étudier le sujet. Jean procède à l’étude du sujet.

(= périphrase verbale) (= analytisme)

Il est vrai que ces exemples expriment tous les deux un aspect verbal ingressif. En plus, les deux constructions représentent une structure analytique très semblable :  

Vf + verbe-en-état-transformé.

Cependant, la structure interne des deux types de construction manifeste aussi des différences fondamentales qui offrent des indications importantes sur leur distribution dans les différents genres textuels. Cela concerne d’une part l’expression de la dimension actionnelle, c’est-à-dire la distinction entre [dynamique] et [statique], ou bien [+/- dynamique]. Cette opposition repose sur Vx dans la périphrase verbale (5– 6), tandis que dans les analytismes (7–10), elle est dictée par le verbe fonctionnel :  

(5) (6) (7) (8)

Il est en train de travailler. [dyn.] Il est en train de dormir. [stat.] Il suffit au sous-traitant d’apporter la preuve de sa commande (…). Cela constitue la preuve de sa commande (…).

[dyn.] [stat.]

14 Pour une définition et discussion plus approfondie des périphrases verbales, cf. Dietrich (1997). La terminologie utilisée ici est celle de Coseriu (1976). 15 Ce qui vaut pour toutes les langues romanes, bien que le système des périphrases verbales soit plus complexe dans les langues ibéroromanes qu’en français ou en italien (cf. Patzelt 2007). 16 La technique des AN nominaux ne se discutera pas ici. Elle fera l’objet du §4. Pour plus de détails concernant la technique et l’application du AN nominal, cf. Forner (1994 ; 1998).  

252

Carolin Patzelt

(9) (10)

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[dyn.] [stat.]

Cette différence entre les AN et les périphrases verbales entraîne d’autres différences (discutées en détail dans Patzelt 2007), alors que les phases de l’action verbale17 (commencement/durée/résultat/répétition) s’expriment le plus souvent – et de manière plus détaillée – par des périphrases verbales. La raison de cette différence semble résider dans la répartition des fonctions entre le verbe fonctionnel et le verbe de base (entre Vf et Vx). Les périphrases verbales n’ont guère de restrictions quant à la différenciation des phases aspectuelles d’un verbe de base. Évidemment, cette grande flexibilité quant aux possibilités de combinaison est due au fait que les périphrases verbales disposent d’une distinction simple mais stricte entre les fonctions remplies par le Vf et celles remplies par le Vx. Ainsi, le contenu lexico-sémantique de Vx donne la dimension actionnelle de la construction verbale, tandis que le cadre structurel [Vf + infinitif/ gérondif/ participe] détermine la dimension du déroulement (= phase aspectuelle). Or, une construction comme commencer à / se mettre à / procéder à écrire admet des Vf divers, procurant même des variations dans une seule phase aspectuelle, (ici : le commencement de l’action), mais il est toujours question du commencement d’une action (= écrire) ; la dimension actionnelle ([+ dyn]) est déterminée par le sens lexical du verbe de base (écrire). La variation du verbe fonctionnel n’apporte donc que des distinctions, même fines, concernant la phase aspectuelle de l’action. Par contre, elle n’affecte pas la dimension actionnelle de la construction verbale complète. La séparation stricte entre la dimension actionnelle, donnée par Vx, et les phases aspectuelles, exprimées par Vf, permet donc des combinaisons libres entre Vf et Vx. Cela ne vaut pas pour les analytismes où le Vf ne sert pas seulement à exprimer ou à nuancer une phase aspectuelle, mais est, à la fois, aussi porteur de la dimension actionnelle de la construction. Ce fait conduit automatiquement à des restrictions de combinaison. Entrer en, par ex., exprime toujours une action ingressive. Par conséquent, ce Vf ne peut être combiné qu’avec des verbes remplissant le critère d’action [-ponctuel]. Un Vf comme effectuer, à son tour, exclut d’avance la combinaison avec un nom d’état ([+stat]). Ainsi, l’expression des phases aspectuelles subit plus de restrictions à l’intérieur des analytismes que des périphrases verbales. La classe des constructions d’état [-dyn], par contre, est beaucoup plus différenciée dans les analytismes que dans les périphrases verbales (cf. Patzelt 2007). Les périphrases verbales n’englobent que des constructions reflétant le verbe de base être, tandis que les analytismes sont aussi capables  



17 C’est-à-dire les catégories des dimensions de déroulement par contraste aux dimensions actionnelles.

Les analytismes

253

d’exprimer la signification des verbes de base être présent et avoir (avoir, présenter + N° etc., cf. Patzelt 2007, 122s.). Les périphrases verbales sont donc capables d’accentuer de manière détaillée une partie déterminée de l’action (« dimension de déroulement »). Les analytismes, par contre, disposent d’autres fonctions qui semblent primer et qui relèvent surtout de la distinction de la dimension actionnelle [+/-dyn]. Par la suite, on examinera ces fonctions plus en détail.  



3.1.1 Réduction de la polysémie Parmi les verbes qui peuvent, selon le contexte, exprimer tant une action qu’un état, les analytismes offrent la possibilité d’indiquer de toute évidence l’une des deux significations. Ainsi, apporter une preuve indique une action dans l’exemple (7), c’està-dire qu’il s’agit d’une construction dynamique [+dyn], tandis que constituer une preuve dans (8) indique un état [-dyn]. Il est évident que c’est le Vf qui est responsable d’une telle distinction. Or, les analytismes explicitent une distinction que les verbes de base ne peuvent indiquer que par le contexte :  

Tableau 1 : différenciation action vs. état (Forner 1998, 105) action

état

prouver apporter une preuve constituer une preuve

Les analytismes apportent donc – par la variation du verbe fonctionnel – plus de clarté au texte. Il faut indiquer que la possibilité de distinction entre action et état ne vaut pas seulement pour les verbes fonctionnels (AN verbal), mais aussi pour les noms fonctionnels (AN nominal). Le terme de montage [+dyn], par ex., peut se transformer tant en opération de montage [+dyn] qu’en phase de montage [-dyn], au gré du contexte qui peut requérir ou la signification de la réalisation d’un montage ou la place du montage dans l’arrangement du projet global (cf. Forner 1998, 105). La différenciation entre action/état/processus constitue la fonction la plus fréquente des AN. Il faut cependant mentionner d’autres fonctions. A côté de la différenciation selon le critère [+/-dyn], les analytismes sont capables de différencier des phases aspectuelles. Le verbe étudier, par ex., exprime toute la gamme possible de phases aspectuelles, dont la différenciation ne peut être effectuée que par AN (Forner 1998,109) :  

254

Carolin Patzelt

Tableau 2 : différenciation des phases aspectuelles verbe →

AN verbal

fonction

procéder à étudier →

commencement {une/des/l’/les} étude(-s)

mener réaliser

durée résultat

Comme le démontre le tableau 2, la signification au départ non différenciée du verbe de base – tant concernant la dimension actionnelle que la phase aspectuelle – peut être précisée par des analytismes. Cette fonction semble avoir une importance majeure dans le style LSP, car beaucoup de verbes simples qui constituent la base des analytismes sont polysémiques dans le sens précisé.

3.1.2 Les constructions passives et factitives On lit que les constructions passives, fréquentes dans les textes de spécialité, en représentent un trait caractéristique. Or, ce qui est représentatif du style LSP, ce sont les verbes fonctionnels passivisants du type connaître, subir, faire l’objet de + N°, qui sont d’une fréquence frappante.18 Par analogie avec les constructions de voix active déjà discutées, les analytismes passifs sont aussi capables de résoudre la polysémie des verbes de base. Ce fait est important, parce qu’il y a des langues comme le français, dans lesquelles il n’existe qu’une seule voix passive (être + participe passif).19 Cette voix passive peut signaler tant des actions que des états, ainsi que « la porte est fermée » peut signifier « qn ferme la porte » ou bien « qn l’a fermée ».20 Les analytismes passifs, par contre, permettent la différenciation entre action et état. La relation entre deux variantes peut se représenter tant comme action ou processus (= [+dyn]) que comme état (= [-dyn]) :  













(11) (12)

L’augmentation des ventes s’est réalisée (…). Les ventes ont connu une croissance (…).

= action = processus21

18 Dans les textes LSP, les analytismes en voix passive ne remplacent pas simplement des formes en voix passive neutres, mais ils semblent assumer des fonctions propres (cf. Patzelt 2007, 252). 19 Cela ne vaut pas pour l’espagnol, où on fait bien la différence entre ser + part. (action) et estar + part. (état), ni pour l’italien qui différencie entre venire + part. et essere + part. 20 Une différenciation entre action et état n’est possible que par le contexte, par ex. à travers le choix du temps grammatical ou le complément d’agent, ou aussi par le passif pronominal. 21 Phrases exemplaires citées d’après Forner (1998, 138). Sauf si indiqué autrement, les exemples de ce paragraphe sont originaires des textes authentiques constituant le corpus de Forner (1998).

255

Les analytismes

Les deux dimensions actionnelles disposent de Vf spécialisés. Les [actions] s’expriment alors par des analytismes passifs et/ou pronominaux, selon s’il convient de mentionner le complément d’agent ou non :  

(13) (13’)

La modification (du projet…) sera effectuée (par…) La modification (du projet…) s’effectuera.

= AN passif = AN pronominal

Au-delà de ces constructions, il existe aussi des constructions comme faire l’objet de + N° pour l’expression de l’action. Les processus, par contre, s’expriment par d’autres constructions comme subir + N°, connaître + N°, etc. :  

(14) (15)

Le projet de loi subira des modifications (regrettables). Les ventes ont connu une hausse/une baisse.

Dans les textes LSP, l’analytisme pronominal représente le moyen de passivation le plus fréquent, probablement à cause d’un avantage stratégique par comparaison aux constructions concurrentes (voix active, voix passive, forme pronominale) : l’analytisme pronominal permet l’élimination des deux agents nominaux, amenant une concentration sur l’action, et il transpose la différenciation des phases de l’action, en analogie avec la voix active :  



(16)

L’étude de faisabilité s’aborde / se mène / se réalise en examinant […].

La structure AN se prête également à la transformation factitive, cette diathèse inverse pour ainsi dire : les Vf mettre en/à, placer qn dans servent à transformer des bases (verbales ou même prépositionnelles) comportant être ; tandis que les bases formées avec y avoir ou avoir, relèvent de la compétence des Vf apporter, donner (ou leurs synonymes) (Forner 1998, 129ss.) :  





(17)

être évident, être en place → mettre en évidence, mettre en place il y a des changements, avoir des informations → amener des changements, fournir des informations

Grâce à la transformation factitive, ces verbes disposent de toutes les qualifications pour servir de verbes relateurs ; ou pour transposer – en guise de preuve – le même énoncé en style LSP : → « Cette transformation met à leur disposition le trait [+causatif] qui est indispensable pour exprimer la relation Cause~Effet » (pour les présupposés sémantiques des verbes relateurs, voir ↗10 Les verbes relateurs et l’enchâssement nominal).  







256

Carolin Patzelt

3.1.3 L’extension de l’espace sémantique Les analytismes ne peuvent pas seulement limiter l’espace sémantique d’un verbe de base, mais ils sont aussi capables de l’enrichir, une capacité qui concerne les verbes de changement d’état :  

contacter (action)

entrer en → établir (un) être en

[action] [processus] [état]

ü ý þ

contact (cf. Patzelt 2007, 203)

Comme le démontre l’exemple du verbe contacter, les verbes de base qui sont limités à une seule configuration de signification (dans le cas de contacter : [action + commencement]), peuvent produire des analytismes capables de différencier systématiquement tant les dimensions actionnelles qu’aspectuelles. Or, les analytismes ouvrent ici22 un vaste champ sémantique, comme le démontrent aussi les exemples (9/10) : établir/entretenir un contact (avec) indique une action [+dyn], être en contact (avec) cependant exprime un état [-dyn]. Par conséquent, les analytismes servent à amplifier systématiquement les possibilités d’expression de l’aktionsart de l’action verbale. C’est grâce au verbe fonctionnel et au contraire du verbe de base que les analytismes sont capables de préciser si la construction verbale indique un processus ou un état, ou dans quelle phase du processus se trouve l’action verbale, et, en plus, la diathèse passive ou factitive. Or, les analytismes sont capables de rendre explicite toutes les constellations de sens possibles. Cela vaut, comme démontré, tant pour la précision de champs sémantiques non différenciés par le verbe de base (limitation), que pour l’ouverture de nouveaux champs pas inclus dans le sémantisme de base. Dans le premier cas, celui d’une limitation de l’espace sémantique,23 les analytismes réduisent le caractère polysémique de leur verbe de base à une des dimensions possibles (action ou état).  



3.2 Représentation de la perspective extérieure vs. intérieure Les analytismes – on l’a vu – ont la puissance de combiner la différenciation des phases d’une action avec d’autres fonctions textuelles. Or, un analytisme comme réaliser une étude de (cf. tableau 2) précise que c’est la dimension dynamique de l’espace sémantique englobé par le verbe polysémique étudier qui est rehaussée. En même temps, on accentue une phase spécifique de l’action entière. Cette distinction de phases, cependant, diffère de manière fondamentale de la distinction de phases offerte par les périphrases verbales, comme il sera démontré par la suite.

22 Fonction de « Sésame-ouvre-toi », selon Forner (1994, 76). 23 L’espace sémantique rempli par les analytismes est discuté par ex. par Forner (1998, 108ss.).  



Les analytismes

257

À la différence des périphrases verbales, les analytismes englobent de nombreuses constructions qui n’expriment pas une phase déterminée dans le déroulement de l’action, représentant plutôt une perspective globale, extérieure sur l’action en question. Cela devient évident dans des exemples comme (18) :  

(18)

L’équipe est en train de réaliser la construction du pont.

Ni le point de départ ni le point final de l’action exprimée par les analytismes respectifs est indiqué. Il est donc impossible de déterminer une phase spécifique de l’action. Ce n’est qu’à partir d’informations additionnelles, comme le choix du temps grammatical ou le contexte, qu’on peut éclairer si l’action est contemplée avant ou après sa réalisation :  

(19) (20)

L’équipe réalisa la construction du pont. construction terminée, point de vue rétrospectif L’équipe réalisera la construction du pont. construction envisagée, point de vue prospectif

Comme les analytismes dans ces exemples n’expriment ni le commencement ni la fin d’une action, on pourrait supposer qu’ils expriment une perspective intérieure sur le déroulement de l’action, comparable à la périphrase verbale durative être en train de + INF. Les stratégies d’expansion dans (21) démontrent cependant que ce n’est pas le cas :  

(21)

Les ingénieurs étaient en train de construire le pont pendant / *en 2 ans. réalisèrent la construction du pont ?pendant / en 2 ans.24

Évidemment, les deux phrases contiennent un aspect verbal duratif, parce que sinon des combinaisons avec pendant / en ne seraient pas possibles. Cependant, les verbes téliques (ici : construire qc) perdent leur propriété télique dans la périphrase verbale être en train de + INF. Par conséquent, un complément circonstanciel par en, indiquant la télicité de l’action, n’est pas possible ici. L’analytisme formé avec le Vf réaliser, par contre, permet toujours un complément circonstanciel comme en 2 ans. Un analytisme comme réaliser + N° ne peut donc pas représenter une perspective intérieure sur l’action et son déroulement. Au lieu de cela, le déroulement de l’action est plutôt considéré d’une perspective globale, extérieure, vu dans son ensemble. De tels analytismes, qui ne rehaussent pas de phase spécifique d’une action verbale, représentent la catégorie ø (« zéro »), indiquant que le Vf n’exprime pas une  







24 Pour une discussion plus détaillée de l’exemple ainsi que d’autres phrases exemplaires, cf. Patzelt (2007, 103ss.).

258

Carolin Patzelt

phase spécifique de l’action. Une telle différenciation de phase peut cependant avoir lieu dans un deuxième temps :  

(22)

Les ingénieurs se mirent à réaliser la construction du pont. Les ingénieurs furent en train de réaliser la construction du pont. Les ingénieurs finirent de réaliser la construction du pont.

C’est précisément cette combinaison de fonctions – la combinaison d’une dimension actionnelle avec des phases aspectuelles – qui fait des analytismes un instrument très diversifié pour l’expression de l’aktionsart. Tableau 3 : Système de l’aktionsart (exemple : ‘réaliser un changement’)  

action

processus

état

commencement ‘zéro’ résultat

Partant des exemples de la catégorie aspectuelle ø, (23) et (23’/23’’), on peut construire un alignement complet de phases (cf. Patzelt 2007, 189) :  

(23)

L’entreprise décide d’aborder une étude du marché. L’entreprise effectuera cette étude de manière (…). L’entreprise réalisera l’étude quand (…).

Les phrases exemplaires en (23) représentent une succession de phases de l’action exprimée par le verbe étudier, passant de l’aspect ingressif (aborder + N°) par une construction ø jusqu’à l’aspect résultatif. Or, cette succession n’est pas identique à celle exprimée par les périphrases verbales (ingressif-duratif-résultatif). Cela devient évident par le fait que les analytismes de l’exemple (23) ne peuvent pas être remplacés par des périphrases verbales :  

(23’)

L’entreprise décide de

*commencer à étudier le marché. *être en train de l’étudier (…). ? finir de l’étudier (…).

Un contexte qui permettrait cependant la succession [commencer à + INF] – [être en train de + INF] – [finir de + INF] de périphrases verbales serait le suivant :  

(23’’) L’entreprise commencera à étudier le marché demain. Demain à cette heure on sera déjà en train de l’étudier. Quand (…), on finira de l’étudier.

Les analytismes

259

Contrairement au contexte des exemples (23)/(23’), il est ici question d’une action contemplée dans son déroulement temporel et progressif (= perspective intérieure). Il n’est pas question d’un projet envisagé (= perspective extérieure). En somme, dans les analytismes, le groupe des verbes d’action téliques est capable de former une succession complète de phases (commencement – ø – résultat), mais cette succession n’est pas comparable à celle formée par les périphrases verbales, parce que la différenciation affecte la perspective extérieure sur les actions décrites.25

4 D’autres fonctions textuelles 4.1 La fonction de bouche-trou La définition des analytismes verbaux (Vx = Vf+Nx) évoque la supposition que les noms (Nx) soient toujours des dérivés d’un verbe de base (Vx) et que chaque Vx puisse se transformer en Nx. Ceci n’est pas toujours le cas. Il y a des verbes Vx dont il n’existe pas de nom Nx correspondant, et ce déséquilibre est encore plus fréquent en sens inverse. La technique du AN verbal est souvent empêchée par des lacunes lexicales ; surtout les termes techniques présentent normalement la forme nominale sans équivalent verbal. Cette tendance nominale est encore plus accusée dans les langues romanes qu’en allemand ou en anglais. Ainsi, par ex., le verbe manager, dérivé du nom management, est peu commun en français. Et s’il existe un verbe correspondant, comme le verbe projeter du nom projet, sa signification va plus loin que la description technique du déroulement d’un procès.26 Par conséquent, si on veut placer en position de prédicat le processus d’un management ou projet, on est condamné à se servir d’un analytisme. On voit que le AN verbal assume une fonction textuelle importante, comme dans (24) :  



(24)

M. Dubois a assumé / assure le management du projet.

4.2 Les fonctions épithètes La dualité de l’AN verbal (verbe + nom) réunit les avantages stylistiques des deux classes de mots. L’élément nominal facilite l’attribution et permet des distinctions propres aux noms :  

25 Pour une discussion plus détaillée concernant l’adoption d’une perspective extérieure par les analytismes, cf. Patzelt (2007, 190ss.). 26 Projeter peut exprimer n’importe quel procès de planification, etc.

260



Carolin Patzelt

L’attribution (par un adjectif, aussi par un nom, par une proposition relative) (25) ; La possibilité de différencier le nombre (singulier/pluriel) et la détermination (article défini/indéfini) (26) :  





(25)

Il a travaillé d’une manière remarquable ~ Il a accompli un travail remarquable ( ?Il a travaillé remarquablement.) apporter une solution à/apporter des solutions à/apporter la solution à  

(26)

La productivité syntaxique du AN verbal dépend aussi de l’élément verbal Vf : – La différenciation entre les temps grammaticaux : le Vf rend (27’’) le potentiel qui est perdu par la nominalisation (27’) : – La syntaxe verbale différencie entre complément et sujet (ou entre patient et agent) – différenciation exclue en cas de nominalisation ; c’est le verbe fonctionnel (27’’ ; 28’’) qui sauve la situation :  









(27) (27’) (27’’) (28) (28’) (28’’)



M. Dupont critique ce que Jacques choisit/a choisi/choisira. M. Dupont critique le choix de Jacques. M. Dupont critique le choix que Jacques effectue/a effectué/effectuera. Jacques choisit Jacqueline (pour amie). C’est déplorable. Le choix de Jacques = Le choix de Jacqueline (… est déplorable). Le choix effectué par Jacques (… est déplorable).

Le Bon usage évite de rattacher des compléments prépositionnels directement au nom et il conseille d’insérer un verbe support ; celui-ci est identique au Vf respectif :  



(29) Jacques a choisi Jacqueline à Paris. (29’) N° incorrecte : *Le choix à Paris ; *Le choix par Jacques Le choix effectué par Jacques à Paris. (29’’) N° correcte :  





4.3 Les fonctions connectives Le style LSP se caractérise par certaines transformations (parmi lesquelles on note les AN), dont le plus important est l’expression des relations circonstancielles par des connecteurs verbaux, les verbes relateurs (↗10 Les verbes relateurs et l’enchâssement nominal). La plupart du temps, il s’agit de verbes de consécution ; et nous savons déjà que les verbes relateurs sont transformables en AN (§1), ou qu’ils peuvent être obtenus par les Vf factitifs (§3.1.2). À côté de la consécution, il y a aussi la deixis temporelle qui peut s’exprimer par des verbes relateurs. La preuve est l’exemple LSP du tableau 4 (extrait du corpus Forner 1998) : le verbe démarrer signifie l’antériorité (forme équivalente : au départ), le verbe être suivi de marque la postériorité (tout comme : ensuite). Or, le verbe démarrer du tableau 4 a subi la transformation analytique (démarrer → connaître un démarrage), avec des conséquences stylistiques qui seront exposées par la suite.  







261

Les analytismes

Tableau 4 : expression de relations circonstancielles par AN style LSP

style neutre Au départ,

Les ventes ont connu un excellent démarrage, suivi d’un écroulement total.

on a très bien vendu, ensuite, ?

[le chiffre de ventes] s’est totalement écroulé.

C’est bien le mérite des deux verbes relateurs (démarrer, être suivi de) que les deux verbes du style neutre (vendre, s’écrouler) ont pu subir l’enchâssement nominal. Ensuite, c’est le mérite de la transformation analytique, avec la forme nominale démarrage, que la postériorité a pu être exprimée par le verbe relateur être suivi de, entraînant à son tour l’option de nominaliser le verbe s’écrouler. C’est cette option qui autorise la chute du sujet, qu’il a fallu, cependant, inventer (avec un air de mauvaise conscience) pour formuler une équivalence en style neutre. En plus, la qualité « excellente » du commencement n’aurait pas pu s’exprimer par un adjectif (cf. §4.2). Finalement, c’est notre grammaire LSP qui permet de juxtaposer les deux indications de temps et d’en souligner ainsi le contraste.  



4.4 Quelques fonctions des AN nominaux Le AN nominal n’est pas aussi fréquent que le AN verbal. D’une part, le nom fonctionnel (Nf) sert de point d’orientation pour le lecteur. Or, Nf remplit avant tout une fonction explicative. D’autre part, Nf peut avoir une valeur syntaxique importante : des expressions génériques comme « toute opération de » peuvent épargner des énumérations fastidieuses de plusieurs processus individuels. Elles s’utilisent fréquemment dans les textes de spécialité. Ainsi, dans une locution comme « […] à l’exclusion de toute opération de fourniture ou de construction […] », le nom fonctionnel opération évite une énumération incommode de processus divers (par ex., « […] à l’exclusion de toute fourniture de matériel, de tout octroi de licence, de toute cession de processus de fabrication », cf. Forner 1998, 97). À l’inverse, Nf peut également souligner la multitude des opérations individuelles d’une action. Ainsi, la typologie du déroulement d’un processus de production peut se présenter comme comprenant les activités de conception : […], les activités de réalisation : […], les activités de maintenance : […], les activités discrétionnaires : […], etc. (cf. Forner 1998, 97). Dans ce cas-là, la fonction « renseignante » du nom fonctionnel activités devient particulièrement évidente, puisque ce dernier constitue le titre du paragraphe. « Activity » est un terme technique fondamental des théories modernes de gestion.  





























262

Carolin Patzelt

5 Résumé Plusieurs études ont démontré la fréquence des analytismes verbaux dans les textes LSP (cf. Köhler 1984 ; Wilde 1994 ; Patzelt 2007). L’analyse de leurs fonctions textuelles vient de révéler pourquoi il en est ainsi. On a vu que l’expression de l’aspect verbal est assurée par deux structures apparentées, par les analytismes et par les périphrases verbales. Or, ces deux structures ne se trouvent pas dans un rapport de concurrence, mais de complémentarité. En effet, les AN adoptent une perspective globale, extérieure envers les actions décrites. Une telle perspective globale est souvent exigée dans des textes spécialisés, puisqu’il y est souvent question de décrire des développements ou planifications complexes. Une deuxième tâche assurée par les analytismes – toujours en contraste avec les périphrases verbales – est la différenciation systématique des dimensions actionnelles. Ces différenciations, qui ne peuvent guère être opérées par les verbes de base, remplissent des fonctions textuelles importantes dans les textes LSP : d’une part, les verbes de base polysémiques peuvent assumer, métamorphosés en analytismes, une dimension actionnelle explicite. Inversement, un verbe de base limité à l’expression d’un seul aspect verbal, peut, par le même biais, amplifier ses dimensions aspectuelles. Il est vrai que les verbes de base se situent dans le mȇme espace sémantique que les analytismes, mais l’espace qu’ils englobent est relativement limité ou peu précis : d’une part, ils peuvent manquer de précision en exprimant des dimensions entières soit de phases aspectuelles possibles (par ex. étudier), soit de l’opposition action/état (par ex. prouver). D’autre part, leur signification peut être limitée à une seule constellation sémantique (contacter : action + commencement). Les analytismes sont susceptibles de remédier à ces états de déficience ; ils maîtrisent même la diathèse (voix active/passive, transformation factitive). Ils permettent ainsi d’axer l’attention sur n’importe quel « aspect » de l’espace sémantique verbal ; et, en plus, de focaliser – au même titre que les voix verbales – l’un ou l’autre des actants de la proposition de base.  

















6 Bibliographie Büttner, Gesa (1997), Untersuchungen zur Syntax und Semantik spanischer FVG, Berlin, Freie Universität. Coseriu, Eugenio (1976), Das romanische Verbalsystem, Tübingen, Narr. Detges, Ulrich (1996), Nominalprädikate. Eine valenztheoretische Untersuchung der französischen Funktionsverbgefüge des Paradigmas « être Präposition Nomen » und verwandter Konstruktionen, Tübingen, Niemeyer. Dietrich, Wolf (1997), Verbalperiphrasen, in : Günter Holtus/Michael Metzeltin/Christian Schmitt (edd.), Lexikon der Romanistischen Linguistik, vol. 2,1 : Latein und Romanisch. Historisch-vergleichende Grammatik der romanischen Sprachen, Tübingen, Niemeyer, 223–235. Fernández de Castro, Félix (1999), Las perífrasis verbales en el español actual, Madrid, Gredos.  









Les analytismes

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Ulrike Scholz

12 La confixation et les adjectifs de relation Abstract : Les deux techniques nominatives à présenter dans cet article sont à ranger parmi les procédés nominatifs à plus-value, conférant aux termes des connotations prestigieuses. Le prestige adhérant aux termes scientifiques issus de ces procédés a provoqué leur emploi hors du contexte scientifique, par ex. dans la publicité de certaines branches. Dans le cadre terminologique, pourtant, les deux procédés s’avèrent d’un considérable potentiel nominatif, leur emploi témoignant d’une complémentarité fonctionnelle.    

Keywords : nomination, stylistique, composition, confixation, adjectif de relation    

1 Confixation La formation de termes scientifiques se base sur les procédés morphologiques et sémantiques de la langue standard, mais les langues spécialisées se distinguent de la langue commune par la préférence de certains procédés, comme par ex. la nominalisation. Il y a pourtant une exception : la confixation, la formation de termes scientifiques à base de confixes, éléments formants empruntés aux langues mortes, surtout au grec (par ex. bio, fr. biotope, géo, fr. géologie, thermo, fr. thermogène), peut être considérée comme un procédé exclusif de la terminologie. Or, des éléments comme thermo s’avèrent productifs hors du domaine terminologique, comme en témoignent le thermoplongeur, le galon thermocollant, utilisé en couture pour figer l’ourlet, formation relativement récente d’après le Petit Robert (2011), et même le pantalon thermo. Par conséquent, l’exclusivité de ce procédé est bien en cause et sera discutée avant l’analyse de la nature de la confixation et de la contribution des confixes à l’aménagement terminologique. En traitant la confixation avec les critères de l’étude de la formation de mots (qui vise surtout la langue standard), la multitude de termes utilisés pour se référer à ce procédé est fort révélatrice : il s’agit d’un domaine fort problématique de la formation des mots, la perspective traditionnelle ayant barré la vue des lexicologues sur la spécificité des confixes qui ne sont productifs que dans certaines terminologies scientifiques. La contribution de ces unités et de ce procédé pour la formation de terminologies n’est considérée que rarement comme aspect définitoire et elle n’est guère reflétée dans la terminologie linguistique pourtant extrêmement variée : composition néolatine (Höfler 1972), recomposition (Martinet 1960), confixation (Kocourek 21991), combinatoire terminologique (Schwarze 1988), racines liées (Rainer 1993), préfixoïdes (Alvar Ezquerra 21995), intermorphèmes (Volmert 1996). En vue des attestations de thermo, bio, géo etc. dans les dictionnaires de la langue standard, on peut néanmoins maintenir la thèse du caractère exclusivement termino 











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logique de la confixation s’il y a des paires minimales, c’est-à-dire des cas où la terminologie préfère la confixation à un procédé compositionnel synonyme de la langue standard, et/ou des cas d’utilisation parodique. Ces deux types de preuves existent, elles seront exemplifiées dans le paragraphe qui suit.

1.1 La confixation comme marqueur de style de la langue de spécialité Le caractère prototypique de la confixation comme élément du discours des spécialistes, surtout dans le domaine des sciences naturelles, peut être déduit de deux phénomènes observables hors du contexte scientifique : la parodie du langage scientifique qui utilise des confixations pour des concepts banals et l’apparition de confixations dans la publicité pour suggérer aux consommateurs le caractère scientifique du message et, par conséquent, la valeur supérieure du produit en question. L’excellent manuel de Thorsten Roelcke (22005, 208–213) offre plusieurs exemples de parodie de la langue scientifique, dont une espèce de pou, dont le nom « zoologique » est Petrophaga lorioti, fait allusion soit à la nomenclature binominale de Linné en utilisant comme épithète le nom d’un grand comique allemand, soit à la pratique écologique de classifier les animaux par leurs besoins alimentaires. Les Exercices de style de Raymond Queneau en fournissent un autre exemple : dans la version « Médical » de la brève histoire qui raconte comment le narrateur, dans un autobus, rencontre un jeune homme au long cou, coiffé d’un chapeau orné d’une tresse et le revoit, un peu plus tard, en grande conversation avec un ami qui lui conseille de faire remonter le bouton supérieur de son pardessus, le beau temps se convertit en une séance d’héliothérapie ; le jeune homme, apparemment assez maigre, en gastralgique, son cou long en élongation trachéale. Une altercation entre le jeune homme et un autre passager résulte du fait « qu’un cacochyme lui pilonne son tylosis gompheux », donc du fait qu’un vieillard l’a heurté au cor au pied :  



















cac(o)- ‘mauvais, mal’ < grec κακός ‘mauvais’ ; -chyme ‘à humeurs [caractérisés par le formant initial]’ < grec χυμός ‘suc, humeur du corps’ tyl(o)- ‘callosité’ < grec τύλος ‘bosse, cal’ ; gomph(o)- ‘cheville, jointure’ < grec γόμφος ‘cheville’ (Cottez 1980).  



L’événement banal et sans implications médicales quelconques ne justifie point l’emploi des confixations, source de l’effet comique et, par le caractère incompréhensible des termes confixés, également reflet du sentiment de distance souvent éprouvé par le patient en conversation avec son médecin. La distance entre spécialistes et profanes et son reflet linguistique, ridiculisés par Queneau comme pure prétention aux dépens des spécialistes qui profitent en général d’un prestige élevé, est parfois instrumentalisée dans la publicité du domaine de la santé, de la nutrition et surtout de la cosmétique. Un petit sondage, fait à base de deux

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magazines pour femmes (Cosmopolitan, Elle), donne photovieillissement et liporéducteur, toutes deux formations hybrides de confixe et substantif qui ne figurent pas dans le TLFi et témoignent donc de la productivité de la confixation dans les domaines prétendant aux approches scientifiques. Parmi les noms de produits et de marques, on trouve Phytotraxil, PhytoSpecific, Phyto, Bioderma, Dermo-cosmétique, la formation hybride hydra-body scrub gommage corps, et les marques fort connues Biotherm et Oenobiol (d’autres exemples ↗4 Les noms de produits et de marques). Comme les noms n’ont pas de signification linguistique, l’emploi des confixes ne sert point à transmettre un sens lexical, mais à évoquer le prestige des spécialistes associés à la terminologie correspondante par les concepts exprimés par les confixes – souvent pas connus par le public visé (cf. Forner 2008, 22). Ainsi, Oenobiol témoigne d’une érudition impressionnante en joignant oeno- (‘vin, vigne’, mais aussi dans le contexte du Nouveau Testament ‘potion magique, attrait’) à -bio- ‘vie’ et au suffixe -ol qui produit des noms de corps chimiques (TLFi) suggérant au consommateur cultivé que les produits en question contiennent le distillat d’une potion magique pour une longue vie. La fonction comme marqueur de style de la langue scientifique se traduit en restrictions sociolinguistiques et pragmatiques au moment de la formation de termes scientifiques nouveaux. Ainsi, les composés du type V+S (verbe + substantif, par ex. : coupe-boulons), type d’ailleurs très productif dans les langues romanes, sont évités dans les terminologies scientifiques qui préfèrent les confixations synonymes (cf. surtout Forner 2008, 24–27, avec plusieurs exemples de diverses terminologies qui représentent des paires minimales). La terminologie espagnole de l’écologie en offre plusieurs exemples : parmi les substances employées pour éradiquer plantes ou animaux, on trouve rodenticida ‘pesticide pour extirper les rongeurs, surtout les rats’, mais pas le matarratas de l’espagnol commun (Scholz 2002, 94). Bien que le type V+S soit productif dans la formation de noms de plantes ou animaux du type matacaballos (une espèce d’araignée), matalobos ‘aconit’ ou comepiojo ‘mante religieuse’ de la nomenclature populaire, il n’apparaît pas dans la terminologie écologique. Le changement de perspective, la catégorisation de plantes et animaux d’après des critères déterminés comme la nutrition, entraîne l’emploi du confixe -fago (fr. -phage) < grec ‑φαγος (Cottez 1980) comme deuxième élément au lieu de come- : arcillófago (argile), bacteriófago, biófago, celulófago (cellulose), coprófago (excréments), dendrófago (bois), dermatófago (pellicules/écailles de la peau), detritófago (substances organiques mortes), entomófago (insectes), fitófago (plantes) etc. (Scholz 2002, 113s.). Le type V+S est particulièrement productif dans le domaine des noms d’outils comme fr. coupe-cigare, coupe-légume, coupe-ongle, coupe-papier, coupe-racine, pourtant, dans le cas des instruments chirurgicaux, les restrictions sociolinguistiques et pragmatiques entraînent le changement de coupe-X par X-o-tome : bronchotome, craniotome, cystotome, embryotome, entérotome etc. Tandis que l’emploi de -fago/ -phage dans la terminologie écologique peut être attribué non seulement aux restrictions du type sociolinguistique et pragmatique mais aussi à des restrictions sémanti 













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ques, ces dernières peuvent être exclues comme facteur déterminant le choix de la confixation X-o-tome au lieu du composé synonyme coupe-X. Néanmoins, la synonymie n’est que partielle dans la mesure où -o-tome n’est pas employé au sens figuré : le coupe-faim des profanes se convertit en l’anorexigène des pharmacologues et des médecins (Forner 1997, 92). Il est à noter que le prestige élevé est lié à la formation confixée et disparaît, comme l’a montré Forner (2008, 30), au moment de la formation d’une forme tronquée, par ex. cardio < cardiologue.  

1.2 Les confixes – éléments formants terminologiques Malgré les problèmes de définition du terme confixe, reflétés dans une terminologie extrêmement variée (quant aux développements plus récents du concept de « confixe » cf. Forner 2008, 27, note 30) et dans des opinions divergentes en ce qui concerne la classification de la confixation comme procédé dérivationnel ou compositionnel, la prise en compte de ce procédé formatif par la lexicologie de la langue standard a fait état des propriétés essentielles des confixes. À la fin d’un petit survol des critères employés pour délimiter les confixes des affixes, d’un côté, et des morphèmes de base entrant dans la composition, de l’autre, les traits caractéristiques des confixes seront intégrés dans une définition du terme.  





1.2.1 Étymologie Les confixes sont empruntés aux langues classiques, pour la plupart au grec et plus rarement au latin et ne disposent pas d’un équivalent libre et étymologiquement apparenté qui peut être considéré comme allomorphe (Scholz 2002, 67). Dans ce contexte, étymologie s’emploie dans le sens d’une étymologie lointaine, pas dans le sens d’une étymologie immédiate (cf. Pratt 1980, 45; Munske 1996, 83 ; pour l’étymologie proche ↗15 Divergences et convergences : les structures nominatives). La langue d’origine des formations configées peut être élucidée par l’étude de l’histoire de la science en question, mais elle n’est pas apparente dans les formations elles-mêmes : la terminologie de l’écologie biologique doit beaucoup de termes, même son nom, à des chercheurs allemands, mais l’origine allemande n’est pas évidente dans les équivalents romans (fr. écologie, it. ecologia, esp. ecología) ou même anglais (ecology) de l’all. Ökologie, forgé en 1866 par Ernst Haeckel (Scholz 2002, 34). La comparaison de Walter Porzig (91993, 53 [11950]) des langues classiques à une carrière que les spécialistes exploitent pour le matériel nécessaire au fur et à mesure du progrès de leur discipline, s’avère donc fort pertinente, d’autant plus que les confixes sont « travaillés », adaptés phonétiquement, morphologiquement et sémantiquement conforme aux exigences d’une discipline ou d’un chercheur déterminés.  











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« Le cas du terme microbe, forgé par Sédillot, en est un exemple : confrontés à une multitude de synonymes désignant le microorganisme, le chirurgien français cherchait une dénomination courte et facilement prononçable et consulta Littré à propos des avantages respectifs de microbe et microbie. Celui-ci lui répondit, ‹ Pour désigner les animacules je donnerai la préférence à microbe, d’abord parce que, comme vous le dites, il est plus court, puis parce qu’il réserve microbie, substantif féminin, pour la désignation de l’état de microbe › » (Guiraud 21978, 82).  





   

La créativité terminologique ne s’accorde pas nécessairement aux règles morphologiques des langues classiques (cf. Porzig 91993, 53 [11950], à propos de la généralisation du modèle compositionnel grec dominant cf. Scholz 2002, 210–212). Aux adaptations phonétiques, morphologiques et sémantiques s’ajoutent des changements fonctionnels et distributionnels : les lexèmes libres grecs ou latins, marqués diasystématiquement des manières les plus diverses, se transforment en morphèmes liés servant uniquement à la formation de termes scientifiques et marqués comme tels. Au plan sémantique, les changements liés à l’emprunt obéissent aux exigences de la terminologie en question ; au plan phonétique et morphologique, ils accomplissent l’intégration du confixe dans le système linguistique du français, de l’espagnol etc. Dans quelques cas, l’intégration phonétique peut occulter le rapport étymologique et rendre les termes scientifiques moins transparents. Le confixe espagnol bio peut apparaître soit comme premier, soit comme deuxième élément d’un terme, des formations comme biófago d’un coté, et saprobio de l’autre, sont transparents, mais l’équivalent français de ce dernier, saprobe, est plus difficile à analyser. En position finale, les confixes français perdent une partie considérable de leur substance phonique conforme à la tendance à la réduction des sons finaux, caractéristique de l’évolution phonétique du français : -bio se transforme en [-b], le rapport étymologique – et allomorphique – s’occulte. Les confixes avec s + consonne en position initiale reçoivent un e prosthétique au moment de leur intégration dans le système de l’espagnol, tout à fait conforme à la tendance observable dans le traitement d’emprunts à l’anglais, bien que le changement phonétique, lui, date du latin vulgaire. La prosthèse de e avant s + consonne initiale n’est pas forcément reflétée par la graphie (cf. Penny 22006, 305), mais les confixes espagnols escato, esclero, escoto, esteno et escio témoignent de la force de cette tendance phonétique qui a atteint les terminologies scientifiques dominées par l’écrit. Les graphies étymologiques n’abondent pas dans les terminologies scientifiques espagnoles, bien qu’elles offrent l’avantage d’une plus grande internationalisation de la communication scientifique (cf. pour le caractère international des confixes Volmert 1996 et surtout les travaux de Schmitt 1993 ; 1996a ; 1996b). Peut-être à cause des décisions de la Real Academia Española à l’égard de l’orthographe, les graphies étymologiques, comme par ex. pour ψ, ne sont guère acceptées, ayant une apparence « archaïque » incompatible avec les terminologies modernes (Scholz 2002, 199). Les développements orthographiques espagnols s’accordent avec la tendance qui peut être observée dans la majorité des langues européennes, bien que l’anglais, l’allemand et le français restent fidèles à l’orthographe étymologique traditionnelle (Munske 1996, 89).  













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1.2.2 Supplétivisme Au niveau du système linguistique, le caractère spécifique des confixes et leur origine classique se manifestent par le phénomène du supplétivisme. À la différence des racines liées, les confixes n’ont pas de rapport étymologique et allomorphique avec leur synonymes français, espagnols etc. : tandis que et fr. œil et fr. oculaire peuvent être rattachés au latin OCULUS , le confixe correspondant ophtalm(o-) est d’origine grecque. À l’étymologie différente s’ajoutent des différences fonctionnelles : œil fonctionne comme lexème libre et peut entrer dans les différents types de composés de la langue standard, ocul-, par contre, se voit limité à la fonction de base dérivationnelle et ophtalmo- comble le vide dans le domaine de la formation de composés terminologiques que ni œil ni ocul- ne peuvent accomplir.  







1.2.3 Formation de mots Ce paragraphe suit une approche plutôt contrastive : la comparaison avec les unités et les procédés disponibles pour la formation des mots dans la langue standard mettra en évidence que les confixes représentent vraiment un sous-système spécifique exclusif aux terminologies scientifiques et que le caractère prototypiquement terminologique attribué aux confixes par les locuteurs est bien justifié. L’étude de la formation des mots distingue deux types principaux : dérivation et composition – sans avoir établi, jusqu’à présent, une définition généralement acceptée des deux catégories. La classification d’un procédé déterminé s’effectue surtout d’après la nature des unités entrant dans la formation et dépend, par conséquent, de la définition de notions comme « affixe » – unité faisant partie des dérivés – et « morphème de base » – unité entrant dans la composition en se joignant à un autre morphème de base, mais qui peut également servir de base dérivationnelle en se joignant à un affixe. Or, la distinction entre morphèmes dérivationnels ou affixes et morphèmes de base est assez difficile à établir et moins nette que ne le suggère la bipartition traditionnelle. La distinction se base surtout sur un critère dérivationnel : les morphèmes de base sont des morphèmes libres, tandis que les affixes sont des morphèmes liés. D’après ce critère, les confixes comme morphèmes liés seront classifiés parmi les affixes, un terme comme esp. hidrófito devrait être considéré, par conséquent, comme formé d’un préfixe hidr- et d’un suffixe -ófito. Une telle interprétation est à peine convaincante, d’autant plus que les affixes sont limités positionnellement, ils sont ou préfixes ou suffixes ; les confixes, par contre, peuvent apparaître dans la position de préfixe comme dans la position de suffixe (cf. infra esp. fito/fr. phyte), indépendamment de la variation formelle entraînée par la flexibilité positionnelle des confixes français. Évidemment, la flexibilité positionnelle unit les confixes et les morphèmes de base.  

















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Étant donné que les deux critères, la distribution et la position, ne servent pas à trancher la question de la nature des confixes, on a utilisé d’autres critères. Au plan sémantique, affixes et morphèmes de base se distinguent par la nature de leur signification, les affixes ayant une signification relationnelle, grammaticale, tandis que la signification des morphèmes de base est lexicale. De nouveau, les confixes se comportent comme les morphèmes de base. Le critère sémantique est complémenté par le critère des classes fermées (affixes) ou ouvertes (morphèmes de base), mais, étant donné que le lexique des langues classiques ne s’enrichit plus, bien qu’il ne soit pas encore épuisé comme réservoir de formants terminologiques, ce critère est difficile à appliquer. Sont à considérer finalement deux critères concernant le potentiel des éléments pour former des mots. En général, on attribue aux affixes la capacité de former des séries, résultat de leur signification grammaticale et de leur intension réduite, capacité, par conséquent, moins accusée parmi les morphèmes de base, de signification lexicale et de grande intension. La formation de séries par confixation dépend surtout des besoins terminologiques déterminés d’une science ; elle ne s’accompagne pas d’une réduction de l’intension comparable à celle des affixes. Ainsi, le confixe filo de la terminologie écologique espagnole produit toute une série de termes d’après le modèle ‘préférant X’ (voir la liste qui suit : entre parenthèses la traduction de X), X représentant la manifestation d’un facteur écologique déterminé, ci-inclus la source alimentaire, ou un élément abiotique quelconque :  





acidófilo (milieu acide), antófilo (fleurs), barófilo (pression élevée), basófilo (milieu basique), cianófilo (couleurs bleues), criófilo (températures extrêmement basses), (e)sciófilo (exposition ombragée), fotófilo (lumière), gipsófila (sols de gypse), halófilo (sols salins), heliófilo (soleil), helófilo (eau douce), hidrófilo (eau), higrófilo (milieu humide), litófila (substrat rocheux), mesófilo (conditions environnementales moyennes), mesoxerófilo (sècheresse moyenne) ; mirmecófilo (fourmis), neutrófilo (milieu neutre), nitrófilo (azote), ombrófilo (exposition pluvieuse), orófilo (montagne), pirófila (régions arides et semi-arides sensibles aux incendies occasionnelles), potamófilo (eau douce), (p)sammófilo (susbtrat sablonneux), quionófilo (neige), selenitófila (sols de gypse), sideritófilo (exposition ferreuse) ; termitófilo (termites), termoacidófilo (temperature élevée et milieu acide), termófilo (chaleur), tropófilo (fluctuations environnementales prononcées), xerófilo (biotope sec) (cf. Scholz 2002, 118s.).  



Les confixes partagent avec les morphèmes de base la capacité de fonctionner comme base de dérivation et peuvent se combiner et avec les affixes de la langue standard et avec des affixes terminologiques. La capacité de fonctionner comme base de dérivation représente, par conséquent, un autre trait essentiel des confixes, dû aux besoins terminologiques bien qu’elle ne soit pas réalisée pour chaque confixe (cf. Schmidt 1987 ; Scholz 2002, 68). Ainsi, la terminologie écologique de l’espagnol relève un grand nombre d’adjectifs de relation (antrópico, freático, hídrico, límnico, lítico, nerítico, semático, térmico, trófico, xérico, zoótico, Scholz 2002, 255), mais également des formations en -on qui désignent les communautés d’organismes (edafon, endobenton, necton, neuston, pedon, pleuston, psammon, rhizomenon, Scholz 2002, 229) ou des  

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formes biologiques aquatiques d’après Margalef (herpon, pecton, pelon, plocon et les termes polysémiques neuston, pleuston, psammon, rizomenon, Scholz 2002, 231) et en -ium (ardium, potamium, taphrium, tiphium, xerohylium, xerothamnium, xylium, Scholz 2002, 229), ces dernières désignant également les communautés d’organismes, mais s’employant aussi pour nommer les successions écologiques (camnium, clusium, therium, tribium, xerosium, Scholz 2002, 233). Les préfixations sont également attestées (endófago, endófito, endógeno etc., Scholz 2002, 273s.). Étant donné que les confixes peuvent se joindre tant aux affixes terminologiques et populaires qu’aux mots libres (paleoclima, paleocontinente, paleobiotopo etc., Scholz 2002, 165), la confixation s’avère être un procédé extrêmement flexible pour l’enrichissement terminologique. Évidemment, les confixes ne se rangent pas dans les catégories traditionnelles d’éléments formants de la langue standard, mais constituent une catégorie distincte dont la fonction essentielle est la formation de termes scientifiques. Pour tenir compte de cette fonction, Kocourek a introduit le terme de confixation malgré quelques réserves :  

« Ni confixation ni interfixation ni formation savante ne sont pleinement satisfaisants. Confixation et interfixation suggèrent une parenté trop étroite avec affixation, et formation savante indique un sens trop large. Pour le moment, nous acceptons confixation (de trois [mo] choisir le moindre) » (Kocourek 21991, 127).  



Pourtant, le terme n’apparaît pas dans le Dictionnaire de lexicologie française (Tournier/Tournier 2009).

1.2.4 Aspects sémantiques La transformation d’un mot grec ou latin en confixe français, espagnol etc. s’accompagne de changements sémantiques plus ou moins profonds. Ils peuvent aboutir à une différence considérable entre la signification étymologique et le sens terminologique, le degré maximal de spécificité étant atteint au moment où les changements ne sont plus compréhensibles pour le locuteur cultivé et le savoir du spécialiste est indispensable à la compréhension du terme (Scholz 2002, 212). Conforme au postulat de la (bi)univocité, qui malgré les réserves des linguistes (cf. infra, 1.3) fait toujours partie des principes terminologiques, la polysémie de l’étymon classique se voit réduite afin de minimiser le risque de confixes polysémiques dans une terminologie déterminée : dans la plupart des cas, la terminologie n’emprunte le confixe qu’en un seul sens (pour quelques exceptions cf. Scholz 2002, 203). Cela n’empêche point le développement de sens terminologiques nouveaux, tous les procédés du changement sémantique étant attestés parmi les confixes. Parmi les confixes employés dans la terminologie écologique de l’espagnol, la métaphore et la métonymie s’avèrent être d’une importance particulière.  

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Métaphores anthropocentriques : adelfo ‘parent’, ceno ‘en parenté’, eco ‘maison, ménage’, fil ‘aimer’, fob ‘peur’, gam ‘mariage’, hipno ‘sommeil’, noto ‘dos’, tafo ‘obsèques’, métaphores basées sur la perception de l’espace : clin ‘incliner’, esteno ‘étroit’, euri ‘étendu’, orto ‘érigé, droit’, plagio ‘de travers’, stromo ‘étalé’ (cf. Scholz 2002, 205s.). Métonymies : anto ‘fleur’, dendro ‘arbre’, helo ‘marais’, malaco ‘mou’, masto ‘sein’, quemo ‘humidité, suc’ pour ne nommer que les métonymies basées sur la relation tout-part et part-tout (cf. Scholz 2002, 204s., pour les cas de généralisation et de spécialisation cf. ibid., 206).  





Parfois la polysémie du confixe est le résultat du développement d’un sens secondaire issu d’un procès elliptique : eco (ecosistema, ecología), micro (microorganismo) (Scholz 2002, 207s.). Bien que la plupart des confixes écologiques soient monosémiques, l’idéal de la biunivocité n’est que partiellement réalisé à cause de plusieurs cas de synonymie. La synonymie étymologique s’est réduite pour helo-limno-tipho ‘marais’, fit-dendro-xilo ‘arbre’ ou rupi-saxi ‘roche’, elle s’est maintenue, par contre, pour copro-escato ‘excrément’, crio-psicro ‘froid’, geo-edafo-pedo ‘sol’ etc. et elle s’est développée par l’emploi terminologique pour fanero-feno ‘visible’, necro-tanato ‘mort’, helo-ilio-pelo ‘boue, vase’ etc. (Scholz 2002, 203). Le réservoir des langues classiques est utilisé par les disciplines scientifiques les plus diverses, de sorte qu’un élément comme esp. -filo/fr. -phile apparait dans la terminologie de la psychiatrie et psychologie (coprophile, scatofile, nécrophile, pedophile), de la pathologie (hémophile, spasmophile), des sciences biologiques (symphile, hygrophile, acanthophile etc., cf. supra), de la chimie (amphiphile, hydrophile, lipophile, amphophile, érythrophile, sidérophile, etc.) (TLFi). Bien que le lien sémantique entre les différents emplois soit évident par rapport au sens de l’étymon, les emplois terminologiques ne sont pas relationnés entre eux, chaque terminologie montrant les adaptations sémantiques correspondant aux besoins nominatifs spécifiques. Conforme à la pratique terminologique et compte tenu du fait que le savoir du spécialiste est indispensable à la compréhension des termes ainsi formés, il est plus convaincant de traiter des éléments comme ‑phile non pas comme polysémiques (cf. l’article du TLFi) mais comme homonymes (cf. Cottez 1980), analyse bien conforme au caractère sous-systématique des confixes.  



1.2.5 Définition En résumé, les confixes peuvent être définis comme éléments liés, au sens lexical empruntés au grec ou au latin qui servent à former des termes scientifiques et ne disposent pas d’un équivalent libre dont ils représentent un allomorphe. Ils se distinguent des racines liées par le fait que celles-ci peuvent être considérées comme allomorphes d’un lexème libre. À la différence des suffixes terminologiques comme ‑ium (cf. supra, 1.2.3), les confixes se sont développés à partir de lexèmes grecs ou latins.

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1.3 La contribution de la confixation aux terminologies scientifiques Les paragraphes précédents ont montré que les confixations sont considérées comme phénomène prototypique du langage scientifique et qu’elles peuvent être caractérisées comme composantes d’un sous-système spécifique de la langue. En conclusion, ce paragraphe traitera de la question de savoir si les termes formés par confixation s’accordent avec les traits idéaux postulés par la science terminologique, en d’autres termes, si la confixation produit des termes prototypiques. La science terminologique a établi une série de principes de nomination et, malgré les réserves bien fondées des linguistes (cf. Roelcke 22005, 61–67 ; Ickler 1997, 96–98), ces principes sont toujours respectés dans la pratique de la nomination. Parmi ces principes, la motivation, c’est-à-dire la transparence morpho-sémantique, et la transparence systémique, c’est-à-dire le fait de refléter la position du terme dans le système notionnel, peuvent être réalisées par les procédés morphologiques (cf. Forner 1997, 78 ; Felber/Budin 1989, 122s.). Plus la nomination est descriptive, plus elle s’avère transparente – et longue (cf. Morgenroth 1994, 46), de sorte qu’en vue d’une communication spécialisée plus économique, les termes scientifiques ne sont que partiellement motivés parce que le spécialiste, comme l’a observé Ickler (1997, 97), qui, à cause de ses connaissances spécialisées, est le seul à comprendre un terme complètement motivé, n’en a pas besoin. Le spécialiste peut toujours – à cause de ses connaissances spécialisées – compléter mentalement ce qui n’est pas exprimé dans le terme partiellement motivé. Comme la confixation est un procédé compositionnel, les termes expriment les relations les plus diverses entre les composantes (cf. Forner 1997, 100), trait caractéristique que la confixation partage avec les adjectifs de relation et les composés résultants (cf. infra, 2.1, et les exemples de Forner 2008, 45s.). Ainsi, le confixe esp. fito représente une qualité dans fitomasa (partie de la biomasse, la matière vivante d’un écosystème, constituée par les plantes) ou fitoplancton (plancton végétal), l’objet dans fitocida (qui tue les plantes), fitosociología (domaine de la sociologie écologique qui étudie les communautés des plantes) et fitogeografía (domaine de la biogéographie qui étudie les zones de propagation des plantes), le lieu dans fitotelma (eau stagnante minuscule qui se trouve dans certaines parties des plantes, par ex. la fleur ou les aisselles). Sont attestées des formations hypéronymes avec le confixe bio ‘être vivant’ (biomasa, biocida, biogeografía) et également des formations hyponymes avec le confixe zoo ‘animal’ (zooplancton, zoomasa). L’ordre déterminant-déterminé, caractéristique de la confixation et contraire au modèle déterminatif roman, a pour résultat que la majorité des confixes apparaît en position initiale. La confixation se prête surtout à la formation de termes cohyponymes qui représentent la réalisation concrète d’un facteur déterminé qui, lui, n’est pas représenté dans le terme. Le confixe esp. fito est utilisé dans le cadre de plusieurs  

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typologies de plantes, mais aussi pour catégoriser les plantes hors de typologies déterminées (Scholz 2002, 123–128). Dans la classification de Raunkiær le confixe antérieur fait référence à la position hivernale des bourgeons : caméfitos, criptófitos, fanerófitos, geófitos, helófitos, hemicriptófitos, hidrófitos. Les plantes annuelles, les thérophytes de Raunkiær, ne disposent pas de bourgeons et passent la période hivernale en état de semence. D’autres classifications de plantes, comme celle de Ellenberg et Mueller-Dombois ou celle d’Iversen, se basent sur d’autres facteurs comme la structure (talófitos vs. cormófitos), la mobilité (hidrófitos vs. talohidrófitos), la source d’alimentation (saprófitos), la période de végétation (eclipsófitos, efemerófitos, hipnofitos), l’adaptation à la vie aquatique (anfifitos, limnofitos) ou l’humidité comme facteur environnemental (xerofitos, higrofitos). La comparaison des termes de Raunkiæer avec leurs définitions met en évidence que la confixation fournit des termes beaucoup plus concis que ne le seraient les composés équivalents : comment transformer ‘plantes aux bourgeons dormants aériens à moins de 25 cm de la surface du sol’ en composé aussi concis que fr. chamaephytes ? Malgré les avantages évidents de la confixation dans la formation de terminologies, son emploi est restreint aux domaines plutôt théoriques d’une science, les domaines d’application préférant d’autres formes d’enrichissement terminologique (Forner 1997, 106 ; 2008, 29). La terminologie écologique, formée par confixation à un degré élevé, en fournit un exemple. Parmi les différentes classifications des sols, le système le plus répandu en Europe comporte onze emprunts, surtout aux langues slaves, et une seule confixation (sapropel(o)). Cela s’explique par l’histoire de l’écologie, en l’occurrence par l’influence de l’école pédologique russe qui s’était développée suite aux conséquences catastrophiques des sécheresses extrêmes dans le Sud de la Russie en 1873 et 1875, et qui visait toujours les possibilités d’application de ses résultats dans le domaine de l’agriculture (cf. Scholz 2002, 223s.).  











2 L’adjectif de relation 2.1 Caractéristiques morphosyntaxiques et sémantosyntaxiques À la différence de l’adjectif qualificatif, l’adjectif de relation, qui exprime une relation avec le substantif qu’il accompagne (cf. infra, 2.2), ne peut guère être employé dans une fonction prédicative (esp. comunidad biótica → *la comunidad es biótica, fr. la politique économique → *la politique est économique, cf. Rainer 1993, 226) ; on ne peut pas le mettre au comparatif ou au superlatif (esp. *una comunidad muy/más/menos biótica, fr. *une politique très/plus/moins économique) et il ne peut pas apparaître en position prénominale (esp. *la biótica comunidad, fr. *l’économique politique). Les adjectifs de relation sont des adjectifs dérivés (Frevel 2002, 15) et représentent une catégorie dérivationnelle extrêmement importante ; en espagnol, cette catégorie  









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comporte plus de 30 suffixes, même plus de 60, si on y inclut les suffixes formateurs d’adjectifs ethniques (Rainer 1993, 226–230). La signification ‘relatif à’ ou ‘qui est propre à’ produit des adjectifs d’une diversité sémantique énorme, presque « chaotique » (Forner 1997, 93; cf. aussi Rainer 1993, 226). Le suffixe le plus productif de cette catégorie est esp. ’-ico, fr. -ique, d’origine savante et d’une productivité élevée dans les terminologies scientifiques et techniques et les variétés les plus soutenues de la langue standard. Le suffixe s’avère d’une grande complexité formelle (modifications vocaliques et consonantiques, effacements, consonnes de transition, interfixes, cf. Rainer 1993, 523; TLFi) et il peut se joindre à des bases les plus diverses : substantifs simples, substantifs suffixés, noms propres, noms de lieu, racines liées et confixes (Scholz 2002, 253–256, TLFi), il répond par conséquent particulièrement aux besoins nominatifs terminologiques. À cause de ses propriétés syntaxiques, l’adjectif de relation peut former des collocations avec beaucoup de substantifs (cf. infra, 2.2). Comme l’a démontré Forner à plusieurs reprises et de façon détaillée (1997, 95; 2008, 36–42), la formation d’un adjectif de relation s’accompagne de deux procès de neutralisation : la neutralisation de la dimension actionale et la neutralisation de tous les rôles sémantiques intrapropositionnels. La neutralisation de la dimension actionale, c’est-à-dire de l’opposition sémantique fondamentale entre verbes à signification statique (comme être, avoir) et ceux à signification dynamique (comme avoir lieu, faire) peut être observée en paraphrasant les composés à adjectif de relation. Le verbe de base à compléter par le locuteur peut être ou un verbe d’état/d’existence ou un verbe d’action/de changement d’état, mais l’opposition statique vs. dynamique, catégorie fondamentale du sémantisme verbal, disparaît, est neutralisée au plan compositionnel : une nevralgie cardiaque est ‘une douleur qui a lieu dans le cœur’, le terme muscle cardiaque rend compte du fait que ‘le cœur est un muscle’, artère cardiaque du fait que ‘le cœur a des artères’, chirurgie cardiaque se réfère à une ‘opération faite lors d’une maladie du cœur ou dans le cœur’ (pour d’autres exemples cf. Kocourek 21991, 90 ; Forner 1997, 94 ; 2008, 38). Sont à compléter également par les connaissances du spécialiste les relations intra-propositionnelles, les composés à adjectif de relation pouvant incorporer les relations les plus diverses entre les actants d’un verbe (↗14 Divergences et convergences : les marqueurs syntaxiques ; Rainer 1993, 227 ; Forner 1997, 93s. ; 2008, 37, pour les exemples suivants) : dans crisis petrolera la proposition de base est ‘el petróleo está en crisis’, la base dérivative de l’adjectif de relation apparaît en fonction de sujet (rôle sémantique : objectif). Pourtant, dans propiedad petrolera, qui peut être rattaché à ‘(alguien) posee petróleo’, le substantif de base apparaît en fonction d’objet (rôle sémantique : objectif). D’autres exemples : cotización obrera ‘los trabajadores cotizan’ (sujet ; agent) ; información obrera ‘(alguien) informa a los trabajadores’ (objet ; patient) ; solidaridad obrera ‘los obreros son solidarios con/entre los obreros’ (complément prépositionnel ; expérienceur). Evidemment, ni le rôle sémantique ni la fonction syntaxique du substantif de base n’apportent aucune restriction à sa transformation en adjectif de relation ; les différentes fonctions représentées au plan  









































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propositionnel, par ex. par l’ordre des mots, sont neutralisées au plan compositionnel. L’ellipse – régulière – du nom intermédiaire dans le syntagme d’origine (planification du développement industriel → planification industrielle, Forner 1997, 95 ; cf. aussi Forner 2008, 44s.) augmente encore plus la polysémie de l’adjectif de relation. À cause du caractère non spécifique de sa signification, l’interprétation correcte de l’adjectif dépend dans un degré élevé du contexte, ce qui le rend, d’après Forner (1997, 93), particulièrement adapté à l’emploi terminologique, la définition du terme et les connaissances des spécialistes fournissant le contexte et le co-texte nécessaires pour l’interprétation du terme. Or, l’imprécision sémantique inhérente de l’adjectif de relation est à première vue incompatible avec les idéaux terminologiques de termes précis et motivés. Pourtant, comme l’imprécision au niveau du système linguistique correspond à la précision contextuelle (cf. Roelcke 22005, 60–63), l’adjectif de relation se présente comme une composante terminologique polyfonctionnelle, tant au niveau textuel qu’au niveau proprement terminologique (cf. Frevel 2002, 17, 18, et surtout Forner 2008, 42–45). Au niveau textuel, l’adjectif sert à résumer un contenu expliqué auparavant et à le transférer en forme comprimée dans le texte qui suit. Au plan terminologique, l’adjectif de relation réalise son potentiel nominatif dans les composés du type substantif + adjectif de relation.  

2.2 Les composés du type substantif + adjectif de relation À cause de la diversité fonctionnelle de l’adjectif de relation, la distinction entre les composés terminologiques et les syntagmes nominaux libres peut être un problème qui se pose également pour les composés du type substantif + préposition + substantif, type compositionnel synonyme et d’une productivité similaire (cf. Scholz 2002, 335–340). D’après les positions traditionnelles, la délimitation de composés des syntagmes nominaux libres se base sur le critère de l’unité notionnelle qui se manifeste au plan syntaxique par le fait que les composés ne permettent pas toutes les transformations syntaxiques possibles pour les syntagmes libres (cf. Rainer 1993, 294 ; Scholz 2002, 341). D’après Frevel (2002, 48–51), les composés et les syntagmes libres se distinguent par leur fonction communicative, les syntagmes libres comme unités très motivées ayant une fonction descriptive (cf. aussi Forner 2008, 35s.), tandis que les formations lexicalisées, figées et démotivées ont la fonction de modifier, d’insérer le nominatum dans une catégorie déterminée. Les composés du type substantif + adjectif de relation comme les composés du type substantif + préposition + substantif sont disponibles tant pour les formations occasionnelles que pour la formation de termes techniques. Les locuteurs disposent donc d’un procédé pour la représentation linguistique de concepts nouveaux par la modification de concepts préexistants, et bien que cette création de nouveaux concepts soit intuitive ou bien inconsciente, elle peut être suivie d’un procès de consolidation syntaxique et séman 

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tique qui aboutit à la lexicalisation de la nouvelle dénomination (cf. Frevel 2002, 53). Le grand potentiel fonctionnel de l’adjectif de relation et, par conséquent, l’énorme productivité du modèle compositionnel correspondant sont le résultat de la collocabilité élevée de l’adjectif de relation. À cause de ses caractéristiques sémantosyntaxiques, l’adjectif de relation s’avère plus polysémique et plus flexible quant à la possibilité de se marier avec des substantifs que l’attribut nominal correspondant (esp. comercial vs. de comercio) (Frevel 2002, 93s.). L’adjectif de relation s’associe de préférence à des substantifs abstraits, surtout les nominalisations de verbes ou d’adjectifs, l’attribut nominal préférant les substantifs concrets. Pour ce qui est de la valence des substantifs préférés par les adjectifs de relation, Frevel (2002, 120–122) met en évidence qu’il s’agit souvent de substantifs à signification relative qui ont besoin de compléments pour pouvoir accomplir une référence claire : le niveau est toujours le niveau de quelque chose, la communauté est toujours une communauté d’individus déterminés. Une classe à part parmi les substantifs relatifs est formée par les substantifs à sémantisme réduit (Funktionsnomina d’après la terminologie de Forner, cf. Frevel 2002, 122) dont le potentiel nominatif est tellement réduit que c’est l’attribut qui assume la fonction nominative : le nominatum proprement dit, économie, est représenté par l’attribut économique dans secteur économique, et pas par secteur, substantif relatif. Il en résulte l’échange des rôles entre substantif et attribut (déterminé et déterminant au plan syntaxique), le substantif se transformant en élément qui explicite, tandis que l’attribut fonctionne comme identificateur qui établit la référence. Par conséquent, la fonction de la combinaison substantif + adjectif de relation est plutôt descriptive (esp. ámbito empresarial/agrario/jurídico, cf. Frevel 2002, 126s., 145) et textuelle (ibid., 157–159). D’après Frevel, les expressions de ce type sont majoritairement des formations ad hoc et très motivées, pouvant pourtant être lexicalisées par l’emploi répété. Dans les cas où le substantif est d’un haut potentiel nominatif, l’adjectif de relation assume la fonction de préciser le sens du substantif, de restreindre l’extension du substantif et de modifier la référence, le composé ayant une fonction de catégorisation (esp. política aduanera/ambiental/ coyuntural/demográfica, cf. Frevel 2002, 126, 146). À première vue moins soumis à des restrictions sociolinguistiques et pragmatiques que la confixation – l’étude de Frevel fait état de sa productivité dans la terminologie économique – les composés avec adjectif de relation s’avèrent pourtant restreints aux terminologies des sciences exactes, analytiques (pour les exceptions, par ex. l’anatomie, cf. Forner 1997, 98), restriction qui n’affecte pas l’emploi des composés du type substantif + préposition + substantif. Si les composés avec adjectif de relation sont attestés dans d’autres domaines, cela s’explique comme résultat d’emprunts internes motivés par un besoin dénominatif déterminé ou par des raisons stylistiques (cf. Forner 1997, 97s. ; ↗14 Divergences et convergences : les marqueurs syntaxiques).  









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2.3 La contribution terminologique de l’adjectif de relation : le cas de la terminologie écologique  

La terminologie écologique espagnole dispose d’un réservoir considérable d’adjectifs de relation, formés pour la plupart avec le suffixe ’-ico (cf. Scholz 2002, 253–259). Parmi les bases figurent les formations confixées comme les substantifs en -grafia, -metría, -logía (biogeográfico, zoogeográfico ; autoecológico, fitosociológico, ictiológico, paleoecológico ; alométrico, biométrico, ibid., 254) et les substantifs en -sis (avec changement consonantique s‑t : biocenótico (biocenosis), críptico (cripsis), fotosintético (fotosíntesis), etc., ibid., 254). Sont attestés plusieurs adjectifs de relation issus directement d’un confixe : antrópico, béntico, biótico, edáfico, fótico, freático, géico, hídrico, limético, límnico, lítico, nerítico, semático, térmico, trófico, xérico, zoótico (ibid., 255). Pourtant, la plupart des formations attestées ayant un synonyme non confixé dans la langue standard (par ex. humano, terrestre, acuático, animal), elles peuvent être considérées comme résultat de restrictions sociolinguistiques et pragmatiques (cf. supra, 1.1). La composition avec adjectif de relation s’avère être d’une productivité considérable dans la terminologie écologique (cf. Scholz 2002, 341–344). Conforme aux préférences combinatoires établies par Frevel, les adjectifs de relation se joignent aux substantifs abstraits, de signification relative : Les dénominations de différents types de bilan écologique, l’écologie visant à quantifier le budget des systèmes écologiques, sont des composés : balance energético, balance hidráulico, balance hídrico, balance hidrológico, balance térmico. Les dénominations de différents types de chaîne alimentaire, métaphore pour illustrer l’interdépendance des relations alimentaires dans un système écologique, sont également formées par composés avec adjectif de relation : cadena alimentaria, cadena predadora, cadena saprofítica, cadena trófica. L’adjectif de relation s’emploie aussi pour distinguer les différents gradients écologiques : gradiente ambiental, gradiente morfológico, gradiente térmico. Les substantifs représentent des termes écologiques et sont, par conséquent, d’un haut potentiel nominatif, mais les termes composés témoignent aussi du fait que malgré la flexibilité combinatoire des confixes (cf. supra, 1.2.3), ils ont tendance à éviter les substantifs libres. Ainsi, comunidad biótica représente un synonyme au terme confixé biocenosis et comunidad arbórea peut être analysé comme hyponyme, comunidad assumant le sens de ‘biocenosis’. Évidemment, la question se pose de savoir pourquoi un terme *dendrocenosis n’est pas attesté ou dit en d’autres termes, pourquoi la terminologie écologique préfère le composé à la confixation. La préférence du composé s’explique peut-être par la diversité fonctionnelle de l’adjectif de relation (cf. supra, 2.2) qui fournit au locuteur un procédé pour la création d’un nouveau concept, dans notre cas d’un concept subordonné, avec la possibilité de lexicalisation dépendant de l’importance du concept nouveau dans le discours scientifique. Le confixe, limité à la fonction nominative, s’avère incapable d’assumer les fonctions textuelles et identificatrices de l’adjectif de relation à cause de son caractère  















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lié. Au supplétivisme systémique des confixes s’ajoute le supplétivisme, la complémentarité communicative et nominative.

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Ulrike Scholz

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Werner Forner

13 La fréquence des marques de spécialité Abstract : Point de départ méthodologique est une analyse variationnelle, deux variantes étant définies par l’invariance du contenu référentiel revêtu, pour ainsi dire, par deux habits différents qui en altèrent l’apparence superficielle, et avec elle, la fonction communicative. L’habit de spécialité semble être tissé par quatre procédés réguliers du système – c’est la thèse qui est validée dans le texte qui suit, à l’aide d’un repérage fréquentiel de ces procédés dans trois corpus. Il en résulte que la narration et l’argumentation spécialisée du XXe siècle affichent une attitude inverse face à ces quatre régularités, ce qui semble prouver leur rôle de marqueurs de style. La publicité, cependant, adore se parer des plumes LSP, sans doute comme instrument persuasif, ce qui confirme, une autre fois, leur puissance fonctionnelle.    

Keywords : Style de spécialité, textes publicitaires, fonctions de spécialité, structures de spécialité, analyse fréquentielle    

1 Introduction La langue de spécialité1 sera conçue comme une variété linguistique : variété dans le sens qu’elle n’est qu’une parmi plusieurs possibilités d’expression du même contenu ; et que soit le locuteur, soit l’interlocuteur possèdent la capacité d’effectuer le choix entre plusieurs niveaux de langue ou d’identifier le niveau de langue choisi ; cette compétence stylistique permet même de différencier des degrés « de spécialité » – éventuellement sans comprendre les détails de l’information. C’est bien la leçon de l’exemple (1) qui propose deux textes (a, b) à contenu identique, mais à syntaxe divergente.  







(1)- a -b



L’épiderme s’amincit parce qu’il prolifère plus lentement. L’amincissement de l’épiderme provient du ralentissement de son activité proliférative.

Le premier texte (1-a) mérite déjà le prédicat « de spécialité » parce qu’il contient des termes techniques qui le qualifient de dermatologique. Mais, tout locuteur conviendra que le deuxième texte (1-b) possède une résonnance bien plus « de spécialité » que le texte (1-a). Ce jugement ne peut être dû au contenu : celui-ci est identique. Est-ce la structure syntaxique ? la multitude des formes nominales, par ex. ?  













1 Le présent article est un résumé de la recherche fréquentielle d’Ursula Wilde (1994), limité aux résultats prouvant l’existence d’un style de spécialité.

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Werner Forner

Structure de surface de (1-b) = (1-c) : [N de N V N de N + Adj.] L’ami du boulanger revient de la maison de son frère aîné.

(1)- b’ -c



Non ; parce que le texte (1-c), qui possède la même structure superficielle que celle visualisée par (1-b’), ne serait certainement pas qualifié de « texte de spécialité ». « L’effet spécialité » n’est pas dû – même si bien des ‘compteurs’ l’ont cru – à des paramètres de surface. Les deux textes synonymiques cités au départ présentent une BASE commune, consistant d’une Relation causale (R) avec deux arguments (C, E pour : Cause, Effet) (cf. schéma 2, partie gauche). La BASE est commune, mais elle a subi deux types d’élaboration divergents (cf. schéma 2, partie centrale).  













(2)

BASE et variations BASE

E

C

ü ý þ

texte (1-a)

texte (1-b)

L’épiderme s’amincit

L’amincissement de l’épiderme

R

parce que

règles

2

provient de+

il prolifère plus lentement

1

le ralentissement de || sa prolifération

1, 1

|| → son activité + de prolifération

3

|| → son activité proliférative

4

?



Le schéma (2) illustre les identités fonctionnelles : par ex. le verbe du texte (1-b), provient de, possède – dans le contexte donné – la même fonction connective que parce que dans le premier texte (1-a). Et le verbe s’amincit dans (1-a) correspond au nom amincissement. Ces divergences d’élaboration mises en évidence par le schéma (2) sont dues à des procédés réguliers qui font partie du système français (et de bien d’autres langues) : leur application est signalée dans la colonne de droite du même schéma. En voici le catalogue :  







Les règles de spécialité2 1 Nominalisation (N°) : Une proposition de BASE est transformée en forme nominale pour occuper la place d’un argument dans une autre proposition. Cette finalité syntaxique est cruciale. 2 Verbe Relateur (VR) : La relation R sera exprimée par un verbe ; celui-ci régit normalement deux arguments (sujet et complément).  







2 Convention graphique : les termes grammaticaux auront l’initiale en majuscule. – Pour plus de détails, voir les articles ↗10 Les verbes relateurs et l’enchâssement nominal, ↗11 Les analytismes et ↗12 La confixation et les adjectifs de relation.  





283

La fréquence des marques de spécialité

3

Analytisme : Soit le nom soit le verbe peuvent être doublés par un terme fonctionnel f qui n’en altère pas la signification référentielle (ce qui peut être changé, cependant, c’est ‘l’aspect’, tel que [action] vs. [état], et d’autres). Exemple d’un analytisme nominal : prolifération → activité de prolifération → f + de + N. Schéma : N Exemple d’un analytisme verbal : changer (qc.) → effectuer le/un/les/des/changement(s) (de qc.). → f + Det + [forme nominale de V]. Schéma : V Adjectivation (ou : Adjectif de relation) : Un complément du nom (de n’importe quelle provenance, même propositionnelle) sera converti en Adjectif.  

   









4





Retournant à l’exemple (1-b), on voit que les quatre règles de spécialité y sont appliquées et que, dans le seul exemple (1-b), elles le sont par six fois : c’est ce que montre le schéma (2), colonne de droite. (1-b) est donc un texte fortement marqué. Son rayonnement de spécialité est supposé être provoqué par la synergie des quatre règles de spécialité. Avec cette hypothèse, l’effet spécialité se fait quantifiable : cette impression stylistique sera d’autant plus forte que l’application des règles de spécialité sera plus massive. L’effet spécialité pourra donc être reproduit sur une échelle de spécialité. Chaque texte du corpus se verra appliquer un chiffre qui définit sa place sur l’échelle, et, en même temps, sa place relative par rapport aux autres textes. Voilà la philosophie de base de l’analyse fréquentielle de Ursula Wilde (1994). Si cette hypothèse de l’effet stylistique des quatre règles est juste, il faut s’attendre à ce que les textes qui discutent un domaine spécialisé, se trouvent placés du côté supérieur de l’échelle ; tandis que les textes narratifs se rassemblent du côté inférieur. Il faudra donc analyser deux corpus : un corpus de textes narratifs et un deuxième corpus de textes spécialisés. Si l’échelle attribuait aux deux corpus une distribution complémentaire, ce fait aura valeur de preuve. Les quatre règles de spécialité ont – à côté de leur valeur de description syntaxique – un bagage fonctionnel : elles sont – selon l’hypothèse – des indices de spécialité, et, avec cela, des indices des valeurs attribuées aux spécialités, telles que l’exactitude ou la fiabilité. Tout spécialiste est libre de renoncer à ces indices (peut-être parce que ces valeurs sont déjà garanties par sa renommée, peut-être aussi pour des raisons pédagogiques) ; et, inversement, tout non-spécialiste est libre de s’en servir pour profiter de leur écho positif. En effet, la force indexicale des règles de spécialité se convertit aisément en force persuasive : les règles pourraient jouer un rôle disons stratégique dans des discours persuasifs, dans des textes publicitaires par ex. C’est pourquoi ceux-ci sont appelés à constituer un troisième corpus.  













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Werner Forner

Voici la liste des trois corpus :3 LSP : Textes argumentatifs : Il s’agit de textes théoriques de sept domaines PR OD uits techniques, (ÉCON omie [deux auteurs : I, II], descriptions de PROD PH ON étique, HIST oire littéraire, ESTH éthéorie de la PUBL icité, AGRI culture, PHON tique cosmétique), d’un volume total de 16.650 mots.4 LIT : Textes narratifs : Des extraits de romans de 5 auteurs du XXe siècle. Total : 7.094 mots. PUB : Textes publicitaires : 177 petits textes concernant six domaines (HABI tat, USTE nsiles, soins COSM étiques, VOIT ures, ALIM ents, prestation de SERV ice). Total : 23.752 mots.  

























Les quatre règles de spécialité ont en commun que leur application ne change pas le contenu référentiel du message : la BASE reste identique ; ce qui change, c’est l’image du message. Il y a d’autres structures qui sont fréquentes dans les discours spécialisés, par ex. la voix passive ou le présent. Mais, ces structures ont un impact sémantique (vérité éternelle, perspective, etc.), leur fréquence est donc due à une BASE légèrement différente et qui peut être plus ou moins fréquente selon les matières traitées, qu’elles soient de spécialité ou non. Avant de passer aux résultats de l’analyse fréquentielle, il convient de souligner qu’il ne s’agit pas ici, évidemment, d’un comptage mécanique (qui aurait pour objet certains éléments de la surface textuelle), mais bien d’un comptage relationnel. En effet, ce qui est compté, ce sont des types de relation entre la surface et sa BASE respective (entre le signifiant et son signifié, en quelque sorte), relations exemplifiées par le schéma (2). Les données chiffrées sont donc le fruit d’un travail analytique préalable.  



2 Les fréquences des marques de spécialité Pour anticiper le résultat global : oui, dans les textes spécialisés, l’application des règles de spécialité est fréquente, tandis que les constructions alternatives y sont nettement évitées. Inversement, les auteurs littéraires modernes (ceux du corpus LIT au moins) répugnent à se servir des règles de spécialité, donnant une claire priorité aux alternatives. Entre les deux corpus (LSP versus LIT), il y a donc bien ce rapport complémentaire soupçonné. Les préférences des textes publicitaires (corpus PUB) se trouvent entre les deux, mais elles sont bien plus proches du modèle de spécialité que du modèle littéraire. – Passons maintenant aux détails !  



3 Convention graphique : les trois corpus seront notés en majuscules, les sous-corpus présenteront les quatre premières lettres en petites capitales. Les termes grammaticaux auront l’initiale en majuscule. 4 Référence bibliographique des textes des trois corpus, cf. Wilde (1994, 47–49).  

285

La fréquence des marques de spécialité

2.1 La Nominalisation (Enchâssement nominal, « N° »)  



En ce qui concerne cette première règle de spécialité, le schéma (3) montre, d’une part, la nette divergence entre les corpus LSP vs. LIT ; et, en même temps, la place intermédiaire occupée par le corpus PUB. La divergence stylistique saute aux yeux.  

(3)

La Nominalisation : la fréquence relative (extrait fac-similé de Wilde 1994, 52)  

D’autre part, le schéma (3) nous fait découvrir une remarquable dispersion à l’intérieur de chacun des trois corpus : – Dans le corpus LSP, le premier texte à gauche – l’un des deux textes économiques (ÉCON I) – a un indexe de 151, tandis que le texte LSP sur l’AGRI culture (le dernier à droite : « Lebensmittel ») se limite à 33 points : une divergence d’un facteur de 4,5 ! L’autre texte économique (ÉCON II) n’atteint, d’ailleurs, que 63 points, montrant que l’identité de la discipline n’assure point un traitement stylistique analogue. – Une dispersion massive se constate aussi dans les autres corpus : C HAN dernagor – le premier texte à gauche du corpus LIT – arrive à un indice de 30, tandis que le dernier texte – un petit extrait de L’Étranger d’A. C AMUS – ne fait que 11 points. – Finalement, parmi les textes PUBlicitaires, c’est le sous-corpus sur les ALIM ents qui, avec un indice de 19, est nettement au-dessous du panier. Inversement, la publicité COSM étique a un penchant pour les nominalisations.  













2.2 Les Verbes Relateurs (« VR »)  



Les Verbes Relateurs sont – on l’a vu – l’une des options servant à exprimer une Relation circonstancielle (causale, finale, conditionnelle, corrélative, temps-lieu, etc.). Ce choix fait muter la Relation R elle-même en proposition dont les cases nominales (sujet, compléments) seront réservées aux arguments de R (Cause – Effet, par ex.) ; lesquels assument d’ailleurs, dans la plupart des cas, la forme nominalisée, cf. infra (4-c).  



286

Werner Forner

Une deuxième option consistera à exprimer la Relation par une Conjonction (ou par une série d’équivalents : participe-gérondif-zéro), ce qui permet de conjoindre les deux arguments en en conservant la forme propositionnelle, cf. (4-a). S’y ajoute un troisième cas de figure : la Cause sera nominalisée ; c’est alors une Préposition qui exprimera la Relation, et seul l’Effet gardera sa forme propositionnelle, cf. (4-b).  





(4) La relation R : les trois options principales d’expression  

-a -b -c

Conjonction (zéro incl.) : Préposition + N° : Verbe Relateur :  







Il pleut. (C’est pourquoi) je ne viens pas. À cause de la pluie je ne viens pas. La pluie empêche ma venue (.. m’empêche de venir) ; ou : La pluie entraîne mon absence.  



Ce que nous voudrions savoir, c’est la fréquence relative de chacune de ces trois options principales. Celle-ci est illustrée par le croquis (5). Voici les résultats : – Le corpus LIT accuse un clair excédent en faveur de la forme propositionnelle des deux arguments (connexion par Conjonction 56% + par participe-gérondif-zéro 10%, en tout 66%), tandis que l’option : Préposition avec Nominalisation n’arrive qu’à 20%, et l’expression Verbale se limite à une quantité négligeable de 12%. – En LSP, au contraire, c’est le VR qui l’emporte (avec 35%), suivi de près par l’expression Prépositionnelle avec 31%, tandis que la Conjonction (etc.) n’y arrive qu’à 30%, moins que la moitié de sa présence en LIT. – Le corpus PUB ressemble à LSP, avec cependant une prépondérance Prépositionnelle (38%), avant le VR (30%) et la Conjonction (26%).  



(5)

Modes d’expression de la Relation circonstancielle

En résumé, laissant de côté l’expression Prépositionnelle (qui a déjà trouvé sa place dans les Nominalisations, §2.1), la pertinence de la divergence des deux autres choix est évidente : en LIT, l’option Conjonction est plus que cinq fois plus fréquente que les  

287

La fréquence des marques de spécialité

VR ; et inversement, la fréquence moyenne des VR en LSP est trois fois plus forte qu’en LIT. Quant à la dispersion (Wilde 1994, 57, 59, 61), les déviances ressemblent à celles du §2.1 : – En LIT, c’est de nouveau C AMUS qui dépasse les moyennes indiquées, avec, pour l’option Conjonctionnelle, 79% (devançant de 13% la moyenne !), tandis que les deux autres options y sont sous-représentées (avec 8% chacune). – En PUB, c’est de nouveau le sous-corpus ALIM ents qui présente des solutions insolites : là, c’est l’option Prépositionnelle qui déborde (60%), au détriment des VR (15%). La publicité COSM étique, à l’inverse, préfère carrément les VR, avec 44%, tandis que les deux autres options sont défavorisées (Conj. 22% / Prép. 29%). – En LSP, finalement, l’AGRI culture évite les VR (21%), en contraste avec les deux textes ÉCON omiques qui les favorisent (50 et 49%).  







Les VR sont une classe verbale énorme : ceux qui expriment la Relation Cause ~ Effet, ne se qualifient que par le trait [+causatif]. Ils se répartissent, selon leur amplitude sémantique, en trois sous-classes :  



(6) Les trois classes principales de VR -a Cette action -b Cette action -c Cette action Analyse : a entraîner b permettre c augmenter

a entraîné l’augmentation du chômage (E : le chômage a augmenté) a permis l’augmentation du chômage (E : le chômage a pu être augmenté) a augmenté – – – – – le chômage (E : le chômage a augmenté)      



R (cause ~ effet) R (cause ~ effet) + Effet possible R (cause ~ effet) + partie modifiée de l’Effet (« augmentation »)  



Voici la description des trois sous-classes des VR : (a) Le VR pur : Le verbe entraîner, par ex., se limite à l’expression de la Relation R, sans autres informations. – Le VR pur peut représenter soit la Relation Cause~Effet (C~E), comme causerengendrer-provoquer-déclencher-amener (etc.), – soit la même Relation mais avec E négatif, par ex. empêcher-éviter-bloquer (etc.), – soit l’inversion de R, c’est-à-dire la relation Effet~Cause (E~C), comme résulter de-provenir de-tenir à-être dû à-être causé par (etc.).  





(b) Le VR modal : C’est toujours la Relation C~E, mais l’Effet est modifié par le VR dans le même sens qu’une Proposition peut être modifiée par un verbe modal (pouvoir-devoir-vouloir), dans un sens soit affirmatif soit négatif. Exemples : permettre/interdire ; nécessiter/ exclure ; viser à/– (etc.).  







288

Werner Forner

(c) Le VR combiné (ou : VR mixte) : C’est le mélange de deux éléments de nature différente : d’une part, la Relation R, d’autre part, la partie essentielle de l’Effet E, précisément la partie modifiée par l’action de C. Cette modification de E peut être – soit quantitative, comme dans augmenter-accroître-renforcer / diminuer-baisser ; – soit qualitative, par ex. : améliorer-faciliter / détériorer-entraver ; – elle concerne le temps employé, par ex. : accélérer / freiner ; – souvent, c’est la visibilité (incl. l’intelligibilité) qui est mise en jeu : montrer / masquer ; naturellement, ce catalogue n’est pas exhaustif, au contraire, la réserve lexicale de cette catégorie fait légion.  



















Il est évident que les VR types (a, b) sont le miroitement assez fidèle de la BASE, vu que les trois constituantes de BASE (R, C, E) y restent nettement différenciées, et reconnaissables. Le type (c), au contraire, présente un traitement plus original des mêmes constituantes, dans la mesure où le VR combiné représente un mix de (presque) deux constituantes : un mix de R plus la partie décisive de E. Ce que nous aimerions savoir, par conséquent, c’est l’impact de cette originalité sur la distribution dans les trois corpus.  

(7)

La fréquence des trois types de VR

Le diagramme (7) montre qu’en LSP, l’emploi des VR combinés est réduit (35%) par rapport aux deux autres corpus (53%/50%), tandis que les VR purs y sont les plus fréquents : 42% en LSP, contre 21%/23% ailleurs. La somme des VR purs+modaux, en LSP, est de 66%. C’est comme si les auteurs de LSP tenaient à conserver intact le schéma de BASE et que les autres cherchaient à échapper à la monotonie de cet isomorphisme. Voici, à titre d’exemple, quelques VR combinés récurrents dans la publicité COSM étique : hydrater-protéger-stimuler-neutraliser-fortifier-prévenir. Au-delà des moyennes, l’analyse – mais non (7) – fait découvrir ici aussi des pointes remarquables : en LSP, les sous-corpus [ÉCON omie I, PHON étique] accusent, pour la somme des VR purs+modaux, 89 / 94% resp., tandis que [ÉCON omie II] ne fait que 33%. [ÉCON omie II] est un texte paru dans Le Monde Économique, donc destiné à un public cherchant – au-delà de l’information purement technique – une plus-value de type disons culturel (voir aussi les analyses fréquentielles de N. Kreipl, ↗10 Les verbes relateurs et l’enchâssement nominal).  







289

La fréquence des marques de spécialité

2.3 Les Analytismes Rappelons-nous : Les Analytismes sont définis par un doublement au niveau de l’expression qui peut être ramené (en principe) à un Verbe simple / un Nom simple, sans risque d’en altérer la signification dénotative. Le doublement s’effectue grâce à un terme fonctionnel f qui sera, dans le cas d’un Analytisme verbal, un verbe fonctionnel (verbe support) ; dans le cas d’un Analytisme nominal, ce sera un nom fonctionnel. Exemples :  







(8) Les deux Analytismes V / N simples



Analytisme

‘aspect’5

prouver 1



constituer / être une preuve

ÉTAT

prouver 2



apporter une preuve

ACTION

   

formule :

f



      

+

      

Det

+

      

[V nominalisé]

      

montage 1



phase de montage

montage 2



opération de montage

  

  

formule :

f



     

ÉTAT

  

ACTION

  

+ de + N     

  

  

On voit que le choix du terme fonctionnel peut permettre d’opposer des différences ‘aspectuelles’ (telles que [+/- action-début-résultat-passif]) ; mais ces ‘aspects’ ne constituent pas une plus-value, puisqu’ils sont présents aussi dans l’option qui choisit les ‘simples’, les ‘aspects’ étant alors imposés, en général, par le contexte. Donc, invariance du contenu. Par contre, la construction Analytique présente certains avantages stylistiques : par ex., l’attribution s’attache moins facilement à un verbe qu’à un nom (par ex. : X constitue une preuve convaincante). L’autre Analytisme, l’Analytisme nominal, engendre un complément du nom (« … de N ») qui donnera matière à la quatrième transformation de spécialité (l’Adjectivation, qui fera l’objet du §2.4). Finalement, les terminologies étant nominales de préférence, l’Analytisme verbal permet d’en faire une phrase verbale sans en violer le statut nominal ; par ex., le terme de facturation pourra entrer dans la formule procéder à la facturation. – Mise en garde : il ne faut pas confondre l’Analytisme verbal avec la locution figée, type avoir bobo équivalant à souffrir : dans le cas des Analytismes verbaux, on retrouve le verbe en forme nominalisée, et accompagnée d’un déterminant. Les textes LSP accusent-ils une préférence pour les Analytismes verbaux (comme le prédit la littérature linguistique) ? Et peut-être en plus, une préférence pour les Analytismes nominaux (ignorés par les études spécialisées) ? C’est la question à poser aux trois corpus. La réponse est illustrée par les deux diagrammes (9, 10).  



















5 Ce terme est employé ici comme toit notionnel couvrant les nuances définies par la suite.

290

Werner Forner

La moyenne LSP (la colonne titrée « Schnitt » dans le diagramme 9 : indice de 4,7) est presque le double de celle de LIT (2,5) : une divergence visiblement pertinente. PUB emploie, comme d’habitude, un langage assez proche de LSP ; avec d’ailleurs deux pointes en PUB (COSM étique et SERV ices : 5,6 et 5,4) qui dépassent même la moyenne LSP. Les deux points culminants de LSP (description de PROD uits, ÉCON omie I, avec 8,4 et 7,7) atteignent presque la double valeur de la moyenne LSP (4,7), produisant un contraste strident avec le texte ÉCON omique II publié sur Le Monde Économique qui ne fait que 1,6 points. En LIT, c’est de nouveau L’Étranger qui marche en serre-file.  











(9) La fréquence des Analytismes verbaux (Wilde 1994, 72)

Quant aux Analytismes nominaux (tels que phase/opération de montage), ceux-ci produisent un génitif (X de Y) qui se définit par « ÊTRE » : Y EST un X (Le montage EST une phase, sc. du déroulement productif / le montage EST une opération), et, en plus, par la redondance de l’élément X. Avec cette double définition, les textes LIT ignorent cette structure (cf. schéma 10).  





(10) La fréquence des Analytismes nominaux (fac-similé de Wilde 1994, 81)

La fréquence des marques de spécialité

291

Dans les deux autres corpus, cette structure redondante est attestée avec un indice moyen de 2,9 / 1,9 (LSP / PUB) ; avec une pointe exceptionnelle remportée par le texte sur la PHON étique (9,0) et une pointe remarquable pour la publicité COSM étique (3,8). Nettement en dessous de la moyenne sont de nouveau en PUB le sous-corpus ALIM ents (0,4) et, en LSP, le texte ÉCON omique II (1,6) qui contraste d’ailleurs de nouveau avec ÉCON omie I qui fait 2,8 points. La redondance spécialement des Analytismes nominaux (« X de Y ») peut avoir une fonction dans les domaines où les « Y » disposent d’une forme Adjectivale. Ceci est le cas dans les deux sous-corpus de pointe, avec, en COSM étique, par ex. les termes dermatologiques. Exemple de la PUB COSM étique : fibres capillaires, équivalant – dans le contexte donné – à cheveux. L’Adjectivation déploie une fascination énorme dans bien des domaines scientifiques, comme nous allons le voir dans le chapitre suivant. C’est là qu’on reviendra aussi sur la question de l’impact de l’Analytisme nominal sur l’Adjectivation.  













2.4 Les Adjectifs de relation En matière d’Adjectivations (celles qui produisent des Adjectifs de relation), la divergence de LSP par rapport à LIT est épatante : elle se définit par le facteur 11 !  



(11) La fréquence des Adjectivations (fac-similé de Wilde 1994, 82)

L’Adjectivation a comme point de départ une structure type [X de/à Y], qui peut être générée par trois des règles de spécialité que nous venons de passer en revue. La narration évite soit l’Adjectivation (cf. 11), soit l’Analytisme nominal qui en génère la structure de départ (cf. 10). Dans l’extrait de C AMUS , les deux structures sont absentes. Y a-t-il un rapport entre ces deux règles ? Le texte COSM étique (dans le corpus PUB, cf. 10) suggère une réponse positive : les indices y sont bien élevés pour les deux transformations (l’Adjectivation présente un indice de 12,8 ; celui des Analytismes  



292

Werner Forner

nominaux y est de 3,8). Mais cette corrélation n’est pas générale : par ex., dans le texte (LSP), le taux surélevé des Analytismes nominaux (cf. schéma 10) ne s’explique pas, évidemment, par une prédilection pareillement exagérée de la transformation Adjectivale qui ne fait que 70% de la moyenne (11). Et, inversement, l’extrait du Monde Économique, qui présente un taux d’Adjectivation surélevé, ne tire pas sa structure de départ des Analytismes nominaux qui y sont faiblement représentés. L’interdépendance entre ces deux ‘règles’ ne semble donc pas plus importante que l’interdépendance de l’ensemble du sous-système. Une grande partie des Adjectifs de relation ont des racines gréco-latines, ce qui leur confère un parfum d’érudition. L’exclusivité LSP de l’Adjectivation résulte-t-elle de ce fumet antique ? Un examen du corpus LSP (cf. Wilde 1994, 83s.) montre que les choses ne sont pas si simples : les deux textes ÉCON omiques – très marqués par l’Adjectivation – ne possèdent cependant aucun adjectif ‘antique’ ! Les racines antiques ne sont pas un apanage LSP tout court, mais elles marquent un sous-groupe, les sciences naturelles, au moins leur terminologie (↗12 La confixation et les adjectifs de relation). Finalement, Wilde (1994, 89ss.) examine aussi la Composition nominale française : celle-ci ajoute sans préposition le complément du nom, comme si c’était un adjectif : [X de Y] → [X Y], ex. relais bébé et non *relais du bébé. Cette construction n’est pas neuve, mais elle est devenue, depuis le milieu du XXe siècle, un phénomène de mode avec de nouvelles fonctions. En dehors du langage publicitaire, la Composition nominale s’est établie dans certains contextes lexicaux, tels que : espace, relais, point (« point rencontre ») (↗14 Divergences et convergences : les marqueurs syntaxiques). Les deux corpus LSP et LIT ne présentent pas de trace de la composition nominale. Mais, dans le corpus PUB (sauf de nouveau les ALIM ents), elle est fréquente ; elle fait en moyenne 23% des Adjectivations, avec des pointes dans les souscorpus HABI tat (42% des adjectivations), SERV ices (41%) et COSM étique (34%). Il y a plus : dans ces textes, la structure [X Y] n’est pas déterminée par le type lexical X, et les Y attachent aux X « des qualités qui, au fond, n’ont rien à voir avec les marchandises » (Wilde 1994, 90) :  

PHON étique































(12) moquette évasion, stores style de vie, douche liberté, solution gain de place

3 Les cumulations Une hirondelle ne fait pas le printemps, dit-on ; une seule application de spécialité ne génère pas le style de spécialité. Un effet stylistique a besoin, pour être perceptible, d’une certaine insistance quantitative. Celle-ci peut être atteinte, d’une part, par des applications successives, l’une après l’autre, comme dans la première partie de notre exemple de départ :  



La fréquence des marques de spécialité

293

(13) La cumulation successive (1-b)

BASE C

E

ü ý þ

R

règles

→ N°

L’amincissement de X

1

→ VR

provient de

2

→ N°

(+le) ralentissement de Y

1

somme

3

La cumulation peut être due, d’autre part, à la structure réappliquée : La Nominalisation peut s’appliquer de façon récursive (14-a) ; ou l’application de plusieurs règles peut s’obstiner sur le même élément (14-b) :  





(14) La cumulation structurale

Les applications de (14-a, b) sont dues à la structure respective ; c’est pourquoi Wilde parle de « cumulation structurale ». Celle-ci est significative parce qu’elle indique la complexité structurale. Ce concept de deux types de cumulations exige de remettre les trois corpus sur le banc d’essai pour déterminer la fréquence relative de une-deux-trois-quatre cumulations structurales. Le schéma qui suit se limite à signaler les moyennes :  







(15) La cumulation structurale dans les trois corpus (moyenne des indices) :  

simple

double

triple

quadruple

LSP

4,0

10,4

3,1

0,3

LIT

0,8

1,4

0,4

0,4

PUB

1,9

7,5

1,8



294

Werner Forner

(15) montre que la divergence LSP vs. LIT (cf. ligne 1 vs. 2) se définit par un facteur important et qui va grandissant : facteur 5 (avec la cumulation simple : 4,0 sur 0,8 points, cf. colonne 2), facteur 7,5 (cumulation double, cf. colonne 3), facteur 7,8 (triple). Naturellement, il y a des écarts importants : en LSP, le texte ÉCON omique I est de nouveau à la pointe du combat avec, pour la triple cumulation, un indice de 8,4 ; l’AGRI culture, au contraire, n’atteint que 0,5 points. En PUB, c’est la COSM étique qui l’emporte avec 4,2 points. En LIT, parmi les cinq extraits examinés, il y en a trois qui se limitent à une seule attestation, les deux autres n’en accusant aucune. L’autre type de cumulation, la succession, est simplement la différence entre le total des marques enregistrées et le total des cumulations structurales. Ces chiffres indiquent rien que la fréquence des applications, et non leur complexité. En voici les moyennes :  









(16) La cumulation successive dans les trois corpus (moyenne des indices) :  

LSP

65,8

LIT

19,2

PUB

56,0

Quant à la divergence LSP / LIT, le schéma (16) montre que le facteur de divergence fréquentielle est de presque 3,5. Il est évident que cette divergence fréquentielle est significative ; mais que la complexité de leurs applications (15) – avec un facteur de presque 8, comme on vient de le voir – est bien plus décisive. La somme des deux (schèmes 15 + 16) fournira pour chacun des sous-corpus un indice qui pourra être enregistré sur une échelle de spécialité ; voir schema (17) à la p. suivante. On voit que, en ce qui concerne les deux corpus LIT et LSP, leurs domaines sont non seulement complémentaires, mais encore clairement séparés : pas d’intersection, pas de limite commune ; non, il y a même une espèce de zone neutre ! C’est comme si les deux styles avaient peur – au moins les auteurs des corpus analysés – de trop s’approcher du terrain de l’autre. Une divergence non graduelle, mais radicale. Quant au corpus PUB, par contre, il s’intègre parfaitement dans la partie marquée LSP (même très marquée, dans un cas exceptionnel), sauf le sous-corpus ALIM ents qui présente un autre langage. C’est ce que résume le croquis (18).  









La fréquence des marques de spécialité

295

(17) L’échelle ‘de spécialité’ (Wilde 1994, 101)

(18) Les domaines « de spécialité »  



non marqué 10

marqué

35

60

très marqué 80

160 et plus

terrain vague

‑‑‑ LSP LIT x (AGRI)

PUB

x (COSM)

>>

296

Werner Forner

4 Les fonctionnalités linguistiques Toute langue peut déployer plusieurs fonctions conventionnelles : nous parlons du langage enfantin, de la langue de bois, de la langue archaïque, de la langue SMS, d’une fonction poétique, etc. La langue de spécialité s’intègre dans ce jeu variationnel. Chacune des variantes citées requiert, pour être perceptible comme variante, un marquage spécifique, qui peut être soit lexical, soit phonétique, soit syntaxique. Le système d’une langue n’est pas uniforme, il présente des sous-systèmes à valeur signalétique. L’étude discutée ici s’est limitée aux aspects syntaxiques. Elle a montré que la variété de spécialité existe et que son terrain est même fort bien délimité. Les limites de l’application des sous-systèmes marqueurs – de celui de spécialité par ex. – sont définies par la fonction, et non par des limites pragmatiques. La fonction de spécialité correspond à peu près à la notion ‘argumentation sérieuse’. Ce style ne se limite pas à une quelconque spécialité universitaire, ni à l’ensemble des spécialités scientifiques, ni aux locuteurs spécialisés, ni à des situations académiques, mais il s’appliquera partout où le locuteur aspire à afficher cette fonction de spécialité, dans des textes écrits de préférence. Selon les traditions, cela peuvent être certains journaux de niveau, des guides touristiques de niveau, ou – on l’a vu – des textes publicitaires. La non-application est aussi fonctionnelle : c’est le renoncement au rehaussement stylistique. Les systèmes linguistiques sont multiformes, les textes le sont aussi. Un texte académique tout comme un texte littéraire peuvent jouer avec ces petits cubes que le système met à disposition : variatio delectat ! Dans un discours scientifique, la narration pourra servir à établir le contraste entre un exemple d’une part et une analyse d’autre part qui elle sera probablement en langue de spécialité ; en littérature, des passages de spécialité peuvent servir à placer une figure du roman ou une attitude (une fonction analogue à l’emploi du dialecte dans la littérature réaliste). De telles variations intra-textuelles – qui ne sont pas exceptionnelles du tout – faussent l’analyse fréquentielle qui est condamnée à compter. Mais au moins, il convient de donner quelques renseignements à ce propos : – En publicité, l’effet spécialité fait partie de la stratégie ; c’est pourquoi l’emploi des marques respectives n’est que logique, confirmant l’approche fonctionnelle proposée. S’y ajoutent d’autres stratégies, par ex. l’effet ludique ; celui-ci explique la haute fréquence, en publicité, de procédés de la fonction poétique. – Le sous-corpus ALIM ents présente – on l’a vu – un autre langage. Le renoncement (ou presque) aux instruments de spécialité en dénonce le classement dans une banalité quotidienne. Une publicité alimentaire d’orientation écologique aurait sans aucun doute produit un autre résultat. – En LITtérature, un taux surélevé (ici chez C HAN dernagor et A RNO thy) peut être dû (et limité) au besoin de caractériser par leur langage la professionnalité de certains personnages (ex. cf. Wilde 1994, 72).  



















297

La fréquence des marques de spécialité



Albert C AMUS présente, dans L’Étranger, un homme insensible, dépourvu d’émotions (joie, douleur, haine) et qui se refuse de les simuler, un homme qui est condamné, dit l’auteur, « parce qu’il ne joue pas le jeu ». L’écriture est le reflet fidèle de cette attitude incolore. Elle se refuse, en effet, de simuler les fonctions conventionnelles : celles, par ex., qui mettent en relief la participation du locuteur (les procédés de mise en perspective propres à la langue parlée), celles qui assurent la connexion narrative (le passé simple n’y figure pas), ou aussi celles qui soulignent le sérieux de l’argumentation (LSP) – une écriture neutre et qui « ne joue pas le jeu ». Le seul acteur, selon le héros du roman, c’est « le soleil ». En effet, l’action du soleil (le meurtre) est soulignée par de fortes marques lyriques. On voit que dans ce roman, c’est l’absence presque générale de marquages qui est fonctionnelle. Ce qui confirme indirectement le fonctionnalisme exposé dans le présent article.  













Ces quelques remarques suggèrent l’idée que la dispersion sporadique mise en lumière par une analyse purement fréquentielle se réduirait sous un angle de vue plus fonctionnel.

5 Bibliographie Wilde, Ursula (1994), Fachsprachliche syntaktische Strukturen in der französischen Anzeigenwerbung, Frankfurt, Lang (avec une ample bibliographie).

Werner Forner

14 Divergences et convergences : les marqueurs syntaxiques  

Abstract : La langue de spécialité (LSP) sera considérée comme variété linguistique. Celle-ci résulte de l’action d’un ensemble de procédés de mise en texte qui sont marqueurs d’une fonction LSP. Ces procédés LSP définissent, pour le français par ex., la différence par rapport à d’autres variétés. Or, la même différence structurale constitue le style LSP de bien d’autres langues. Il est vrai que le matériel morphologique et lexical qui sert à réaliser cette différence peut diverger d’une langue à l’autre, mais les structures qui régissent ce matériel sont identiques ou tendent à l’être. Identité structurale qui sous-tend les divergences matérielles : c’est un phénomène que la linguistique de contact enregistre sous le terme de ligue linguistique. Ce terme convient-il aux convergences LSP de nos langues ? C’est la question qui sera discutée dans le présent article.    





Keywords : différence variationnelle, fonction LSP, sous-système LSP, ligue linguistique, tendances convergentes    

1 La différence La communication est variable : pour exprimer un contenu donné, la langue nous offre des modèles d’expression fort divergents. Le contenu (le référent) est identique, l’expression diverge – c’est la définition du concept de variation linguistique. Ce mariage entre divergence et identité (identité référentielle vs. divergence superficielle) sera illustrée par le couple d’exemples qui suit :  



(1)-a Il n’y a pas de charbon en Italie. C’est pourquoi il est nécessaire d’exploiter d’autres sources d’énergie. -b L’absence de couches carbonifères en Italie impose l’exploitation d’autres ressources énergétiques.

Il est évident que dans ces deux textes – malgré la divergence superficielle – la réalité visée est identique. Et, il n’est pas moins évident que la réalisation (a) ne serait guère satisfaisante si elle se trouvait dans un discours de spécialité, tandis que la réalisation (b) y conviendrait parfaitement. C’est pourquoi nous sommes en droit de définir (1-b) – mais non (1-a) – comme la variante de spécialité (variante LSP). La fonction des deux textes est donc fort différente et fort bien perçue. Quelle est la raison de cette différence de perception fonctionnelle ? Ce n’est pas le contenu, évidemment, puisqu’il est identique. Ce qui déclenche notre réaction ne peut être autre chose que la surface – il n’y a pas d’autre candidat. Il convient donc de comparer les deux réalisations superficielles avec le but d’en définir les différences.  

299

Divergences et convergences : les marqueurs syntaxiques  

Toute comparaison – les épistémologues l’ont prêché dès l’antiquité – exige un troisième élément de la comparaison, un élément que les deux parties ont en commun, et qui servira de BASE . Dans notre cas, c’est le contenu (le contenu exprimé). Or, les deux textes parlent d’une situation et d’une action (« exploiter ») ; deux FAITS ( F1, F2) qui sont reliés par une RELATION ((R R ) causale (relation de Cause à Effet). C’est cette BASE tripartite (F1, F2, R) qui permet une définition énumérative des différences entre (1-a) et (1-b) :  







(2)

La différence

BASE FAIT 1

FAIT 2

(1-a)

ü ï ï ý þ

(1-b)

il n’y a pas

charbon R

Nr.

absence

1

couches +

2

+ carbonifères

3

c’est pourquoi + nécessaire

impose

4

exploiter

exploitation

5

.. d’énergie

.. énergétique

6

Le schéma (2) définit les différences visibles à la surface. On voit qu’elles sont nombreuses : la colonne de droite atteste bien 6 modifications ! Nous allons examiner plus tard (§3) si ces divergences correspondent à des procédés réguliers qui seraient alors susceptibles d’expliquer cette faculté toute humaine de variation. Ensuite (§§4ss.) sera discutée la question annoncée dans le titre, à savoir si des différences syntaxiques analogues sont attestées dans d’autres langues et si elles sont au service de la même fonction variationnelle. Mais, avant d’attaquer cette question fondamentale, il convient de préciser la nature et le rôle des fonctions (§2).  



2 Une différence chargée de fonctions Le locuteur est condamné à choisir parmi les variantes de sa langue : par ex., s’il sent le besoin de se présenter comme spécialiste, il choisira la variante LSP (1-b) ; s’il préfère cacher sa qualification, il optera pour une variante plus proche de (1-a). Le choix d’une variante est déterminé par de nombreux facteurs (les deux interlocuteurs, le contenu, la situation, le moyen, etc.), la détermination n’étant pas mécanique mais optionnelle. En effet, le locuteur peut opter pour plusieurs rôles à l’intérieur de chacun de ces facteurs : soit en ce qui concerne sa propre personne (par ex. : le rôle du jeune, ou du narrateur, ou du spécialiste), ou de même celle de l’interlocuteur, ou en ce qui concerne le contenu (contenu fictif, ou de spécialité, ou  







300

Werner Forner

banal, ou autre chose), ou encore en ce qui concerne la situation (situation de passetemps, interrogatoire, information de spécialité, .), ou bien la forme écrite ou orale. Une multitude de rôles ! La communication est un jeu de rôles multiples ! Le rôle choisi peut copier ou camoufler la réalité : que le locuteur soit réellement spécialiste, que ce soit vraiment une situation de spécialité, que le contenu exige effectivement des connaissances spécialisées, ou encore que le locuteur fasse semblant : Le résultat expressif sera identique, ce sera la variante de spécialité dans les deux cas (pourvu que le locuteur maîtrise cette variante de sa langue). Plutôt qu’un miroir pragmatique, l’expression est un miroir fonctionnel ; elle reflète la fonction dont le locuteur a décidé d’imprégner son message : une fonction colloquiale, ou de jeunesse, une fonction poétique, etc., ou bien, justement, une fonction de spécialité. Cette fonctionnalité suscite le soupçon que la variante LSP puisse servir des domaines qui ne sont pas vraiment « de spécialité », mais qui croient pouvoir tirer profit d’un habit LSP : ceci peut être le cas – selon les cultures linguistiques – pour des journaux « sérieux » qui espèrent augmenter leur rayonnement « sérieux » ; ou pour des guides touristiques « sérieux » qui espèrent souligner leur « sérieux » par une langue « sérieuse » ; ou même pour des papillons de propagande politique ; ou surtout pour les textes publicitaires qui ont tendance à « ennoblir » leurs produits par la prestigieuse « noblesse » des attributs de la science (tels que la fiabilité, la sécurité, l’exactitude, l’assiduité, la rigueur, etc.). L’inverse est vrai aussi : un spécialiste qui traite sa propre spécialité dans une ambiance spécialisée peut néanmoins avoir le goût de renoncer à afficher ces mérites « de spécialité », soit par pudeur, soit parce que sa célébrité de spécialiste est si affirmée qu’une mise en relief stylistique lui paraît superflue ou déplacée. Finalement, il est fréquent que le discours spécialisé alterne des passages LSP avec des passages non-marqués, par ex. pour souligner l’alternance thèses ~ exemples ou simplement pour le plaisir de reformuler. Tous ces comportements ont été observés, quelques exemples seront présentés au §7. Cet usage fonctionnel de la variante LSP – loin de contredire la thèse – constitue au contraire une confirmation du diagnostic d’une fonction LSP étroitement liée à la « différence » présentée dans le tableau (2), même si la fonction LSP peut ne pas coïncider avec la spécialité réelle.  

































































3 Une différence générée par des procédés réguliers La mise en texte LSP (1-b) n’est pas assurée, en premier lieu, par des astuces lexicales, mais par quatre procédés syntaxiques. Convention : la lettre initiale des noms de ces procédés sera écrite en majuscule.  

1 – Le procédé le plus spectaculaire est celui illustré par le N° 4 du schéma (2) : on voit que la connexion entre deux propositions (la RELATION R entre deux FAITs  

301

Divergences et convergences : les marqueurs syntaxiques  

F) y est assurée ni par une conjonction ni par une préposition, mais par un verbe, par imposer, un Verbe de Relation (ou Verbe Relateur) VR : un verbe qui, associé à un sujet [+abstrait], signifie la Relation Cause-Effet-nécessaire (↗10 Les verbes relateurs et l’enchâssement nominal). On aurait pu prendre aussi un VR qui n’exprime rien que la Relation causale (Cause ~ Effet, C~E – sans « nécessaire »), tel que entraîner (3-a) (ou aussi déclencher – causer – engendrer – avoir pour conséquence, et beaucoup d’autres), ou éventuellement, en inversant la RELATION R en Relation Effet-Cause (E~C), des VR tels que résulter de (3-b) (ou : découler de, provenir de, relever de, tenir à, être dû à, etc.) :  









(3)-a C~E : L’absence de couches carbonifères entraîne la nécessité d’une exploitation … -b E~C : La nécessité d’une exploitation … résulte de l’absence de couches carbonifères.    

Le français dispose d’un grand réservoir de verbes exprimant une Relation circonstancielle R telle que la causalité. Le réservoir en est presque infini si l’on considère les Verbes qui combinent la Relation R avec l’Effet causé (type : la Cause {augmente/diminue, améliore/ détériore, accélère/freine} l’Effet = l’Effet {est plus / moins grand, meilleur/pire, plus/moins rapide} par l’action de la Cause). Fait curieux : les grammaires et même les monographies traitant la syntaxe de la connexion recèlent ce réservoir ; et les méthodes d’apprentissage LSP ne le révèlent pas (↗17 L’enseignement de la langue marquée) ! 2 – Les Verbes Relateurs VR ont la puissance de tous les verbes, celle de régir une structure propositionnelle avec un sujet et un complément. Le sujet et l’objet sont les cases nominales qui accueillent les deux arguments des VR (Cause ; Effet, par ex.), normalement en forme nominalisée. Ce qui déclenche une autre transformation fondamentale : en effet, les propositions se travestissent en forme nominale. C’est ainsi que – pour revenir à l’exemple initial, cf. schéma (2) – le verbe de FAIT 2 « exploiter » se réalisera en sa forme nominale, « exploitation », tandis que « ne pas y avoir » (FAIT 1) se transformera en « absence ». Ces Nominalisations (N°) occuperont la place qui, autrement, serait définie par un remplaçant tel que ce fait, cela dans : « Il n’y a pas de . ; ce fait / cela impose … » qui passera à : « L’absence de … impose … ».  





























   













Deux autres stratégies de mise en texte contribuent à marquer la variante LSP : 3 – Les constituants (les verbes, les noms) présents à ce stade de la dérivation, ont tendance à être doublés par un élément fonctionnel redondant (redondant dans le sens de : prévisible dans le contexte donné) et de subir eux-mêmes une petite métamorphose : le verbe de base passera à sa forme nominalisée, le nom de base se fera génitif ou, éventuellement, adjectif (cf. infra stratégie 4). Ce double procédé syntaxique s’appelle Analytisme (Analytisme Nominal ou Verbal : AN, AV) (↗11 Les analytismes). Dans les deux cas, le contenu reste à la charge du constituant de base métamorphosé, tandis que les fonctions grammaticales  







302

Werner Forner

seront déléguées à l’élément fonctionnel. Les fonctions grammaticales sont : [statique] / [dynamique] dans les deux cas (AN et AV), cf. les exemples qui suivent ; s’y ajoutent, dans AN, des orientations multiples ; dans AV, par contre, ce sont les informations grammaticales propres à la classe de V : temps-« aspect »-diathèse.1 L’effet des deux Analytismes est donc une redistribution des charges communicatives. Leur rôle de marqueurs LSP est garanti par l’analyse fréquentielle (↗13 La fréquence des marques de spécialité). 3a – AN : dans notre texte LSP, le nom de charbon (en sa qualité de source d’énergie) est doublé par un nom sous-entendu : charbon passera à couche (+ de charbon). 3b – AV : le même doublage affecte souvent les verbes (mais pas dans l’exemple discuté ici). Au lieu de prouver, par ex., on trouvera ou constituer une preuve [+statique] ou apporter une preuve [+dynamique]; ou au lieu du VR influencer, il y aura exercer une influence ou faire exercer une influence [diathèse factitive], ou subir une influence [diathèse passive/moyenne]. Le verbe simple de base sera donc exprimé par sa forme nominale (avec le déterminant !), sans cependant abandonner sa fonction prédicative ; et le verbe fonctionnel (ou verbe support) qui l’accompagne prendra en charge les informations morphologiques. C’est ce moule qui accueille volontiers des noms qui ne connaissent pas d’équivalent verbal, les termes techniques par ex. 4 – Les noms épithètes (Y dans des syntagmes type [X de Y], [X à Y], etc.) ont tendance à être mutés en forme adjectivale (Adjectif de Relation) (AdjR) – à condition, bien sûr, que le réservoir lexical dispose d’une forme adjectivale à signifié identique. C’est ainsi que ressources d’énergie passe à ressources énergétiques, et couche (+ de charbon) devient couche carbonifère (↗12 La confixation et les adjectifs de relation).  























Le tout constitue donc une petite grammaire syntaxique, qui génère la différence de surface déjà observée, sans cependant modifier le contenu référentiel. Voici, pour résumer, le catalogue des procédés systémiques :  

1 Les noms établis des AV sont : construction à verbe support ou, en allemand, Funktionsverbgefüge. Ces termes ont deux inconvénients : ils occultent le parallélisme avec les AN (qui n’ont d’ailleurs guère été observés) ; et ils n’excluent pas l’indétermination du nom prédicatif (faire dodo n’est pas un AV de dormir, c’est une expression figée qui n’a d’ailleurs point la fonction de marqueur LSP). Pour les AV français ou allemands, la liste des publications est énorme ; ces recherches avaient abouti en 1991, à un projet binational visant un lexique-grammaire bilingue électronique des AV ; on en trouve une description, trois articles modèles, et une bibliographie essentielle dans Kubczak/Costantino (1998) ; les preuves syntaxiques permettant le diagnostic des AV et leur entrée dans ce dictionnaire sont présentées par Bresson (1995). Quant aux AV espagnols, Bustos Plaza (2005, 219–227) dresse une liste essentielle (qui exclut cependant les substituts « élégants » tels que realizar au lieu de hacer) des combinaciones verbonominales trouvées dans son corpus ; et en plus (pp. 19–76), un catalogue analytique détaillé des contributions linguistiques aux AV des langues allemand-anglais-français-espagnol.  



















303

Divergences et convergences : les marqueurs syntaxiques  

(4) Le sous-système de spécialité 1– 2–

Les Verbes Relateurs VR : la connexion circonstancielle R sera exprimée par un VR. L’enchâssement nominal N° : une proposition F sera intégrée en forme nominale dans une proposition-matrice. Analytismes (Nominaux, Verbaux) AN, AV : les verbes et les noms peuvent se doubler d’un élément purement fonctionnel. Adjectif de Relation AdjR : les noms épithètes peuvent s’adjectiver.  



3–



4–



Voilà la panoplie complète des procédés qui définissent l’écriture de n’importe quelle spécialité, mais pas celle, par ex., de la narration du XXe siècle. Pour ces deux types de textes, le taux de fréquence oscille, selon le procédé LSP mesuré, entre le facteur 3 et le facteur 8 (cf. Wilde 1994 ; ↗13 La fréquence des marques de spécialité). Ce qui exclut tout doute concernant la pertinence de ce sous-système différenciateur : soussystème qui, dans les textes scientifiques ou spécialisés, est privilégié dans la même mesure qu’il est esquivé par les narrateurs.  





4 Une différence inter-langues Le sous-système (4) marque une fonction de spécialité, elle s’applique à toute spécialité, elle n’est pas limitée à une spécialité seule : les biologistes, les linguistes, les économistes surtout – ils puisent tous à pleines mains dans le même réservoir. Le sous-système LSP franchit non seulement les bornes disciplinaires, mais encore les limites entre les langues, au moins romanes. C’est ce que montre une petite série de traductions de notre exemple LSP de départ (1-b). Cependant, l’exemple italien (5) n’est point une traduction, mais bien le texte authentique extrait d’un manuel scolaire de géographie destiné à des élèves de première (classe 11) du lycée italien (Cornaglia/Lavagna 1977). La visée pédagogique du livre n’a pas porté à bannir ce style de spécialité ; au contraire, ce style semble constituer (à l’époque) un objectif secondaire : l’éducation linguistique à côté de l’enseignement de la chose. En effet, le manuel fait alterner les passages LSP avec des passages non marqués. Voici l’original italien (correspondant à (1-b)) accompagné de l’équivalent non marqué (correspondant à (1-a)) :  









(5)



Le texte authentique :  

« La mancanza di giacimenti carboniferi in Italia impone lo sfruttamento di altre fonti energetiche. »  



(5’) L’équivalent non marqué :  

Il carbone in Italia non c’è. Perciò è necessario sfruttare altre fonti d’energia.

304

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Naturellement, on peut répéter, pour l’italien, le jeu diagnostique déjà opéré avant (cf. 2) :  

(6) La différence (pour l’italien) BASE FAIT 1

ü ï ï ý R þ

FAIT 2

(5’)

(5)

Nr. – nom

non c’è

mancanza

1 – N°

giacimenti +

2 – AN

carbone

3 – AdjR

+ carboniferi

perciò + necessario

impone

4 – VR

sfruttare

sfruttamento

5 – N°

.. fonti d’energia

.. f. energetiche

6 – AdjR

Le jeu est identique, évidemment, au schéma (2) : les 6 différences (cf. colonne de droite) sont identiques à celles repérées en français, leur définition est identique (cf. §3), le sous-système syntaxique à postuler pour le texte LSP italien (5) ne diffère en rien du sous-système (4) postulé pour le français. Finalement, la fonction n’est pas distincte. L’identité syntaxique et fonctionnelle est valable aussi pour d’autres langues romanes : c’est bien ce que montre la traduction en catalan et en espagnol :2  



(7)

CAT : ESP :  





La manca de jaciments carbonífers imposa l’explotació d’altres fonts energètiques. La ausencia de yacimientos carboníferos impone la explotación de otras fuentes energéticas.

Toutes ces réalisations LSP peuvent être réunies dans la casuistique différentielle connue :  

(8) La différence (pour les langues romanes) :  

fr.

F1

absence

mancanza

manca

ausencia

1 – N°

couches +

giacimenti +

jaciments

yacimientos

2 – AN

carbonifères

carboniferi

carbonífers

carboníferos

3 – AdjR

F2

ü ï ï ýR þ

it.

cat.

esp.

Nr. – nom

BASE

impose

impone

imposa

impone

4 – VR

exploitation

sfruttamento

explotació

explotación

5 – N°

+ énergétique

+ energetiche

+ energèt.

+ energét.

6 – AdjR

2 Traductions effectuées par Eva Balada-Rosa, de l’Université de Siegen.

Divergences et convergences : les marqueurs syntaxiques  

305

Ce que le schéma (8) montre, c’est l’identité structurale, malgré de petites divergences matérielles : – Les divergences matérielles touchent le lexique (mancanza vs. absence, couches vs. yacimientos [mais cf. fr. : gisements], sfruttamento vs. explotación), la morphologie dérivationnelle (dérivation suffixale vs. zéro : mancanza vs. manca), la flexion (pluriel en ‑s / en -i,-e), la phonétique (-ión vs. -ione vs. -ió vs. [-jõ], etc.). – Sont identiques, par contre, les structures qui permettent la réalisation de la variante LSP (la réalisation de R par un VR, la réalisation nominale des arguments, l’insertion d’un nom ‘de support’, l’adjectivation).  





Ce qui prouve : les principes de la réalisation LSP ne sont pas spécifiques d’une langue donnée (parmi les langues romanes), mais les spécificités matérielles de chacune des langues sont conservées : unité structurale malgré diversité matérielle.  



5 Une ligue linguistique ?  

Des langues fort différentes, mais comportant des constructions non héritées à structure identique – voilà la définition d’un type de convergence aréale appelée ligue linguistique (ou union linguistique, Sprachbund). Dans ce cadre-là, les différences matérielles sont dues à l’héritage génétique ; les identités structurales, au contraire, sont l’œuvre d’un contact millénaire. L’union linguistique la mieux connue est celle des Balkans. Les Balkans abritent des langues génétiquement fort différentes, le grec, l’albanais, le slave de type bulgare, le roman de type roumain, et pendant cinq siècles, une variété balkanique du turc. Or, ces langues ont un nombre de structures en commun. Je me limiterai à quatre exemples : – CAS : Le système casuel accuse une fusion des deux cas hérités datif et génitif ; – INF : L’infinitif hérité est substitué par la forme conjuguée précédée d’une particule ; – FUT : La fonction du futur est assurée par une autre particule suivie du verbe conjugué ; – ART : L’article défini suit le nom.  

















Ce que les langues balkaniques ont en commun, c’est la structure (particule + verbe ; identité datif = génitif ; position), non la réalisation matérielle ; celle-ci se fait avec les matériaux propres à chacune de ces langues : la particule FUT par ex. diverge matériellement d’une langue à l’autre ; mais, c’est partout une particule qui exprime la notion de futur. C’est ce qu’illustre le schéma qui suit :  











306

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(9) Exemple : l’Union linguistique balkanique  

fonct°

grec

albanais

bulgare

aroumain

traduction

CAS

‑‑‑

marísə

na maríja

mariej

de=à Marie

INF

na + subj.

tə + subj.

da+prés.

sə+prés.

(je veux) + INF

FUT

θa + subj.

do + subj.

ʒe+prés.

va+subj.

(je di+)rai

ART

‑‑‑

burr+ə /+i

məʒ+Ø/+ət

bərbát+Ø/+ul

homme/l’homme

Divergence matérielle, évidemment, mais identité des structures cataloguées ; des structures qui contrastent avec la disposition génétique de chacune de ces langues ; des structures qui sont le fruit d’un contact persistant et du polyglottisme d’une partie importante de ces peuples, en premier lieu sans doute des bergers transhumants. Pour revenir à nos moutons : la variante LSP de chacune de nos langues romanes accuse – on l’a vu – une union structurale : peut-on comparer ce cas d’union aux phénomènes de la ligue balkanique ? Il y a des points en commun : tout d’abord, l’identité structurale ; ensuite, le contact et le polyglottisme millénaires de nos spécialistes qui voyageaient et qui maîtrisaient / qui maîtrisent plusieurs langues, au moins le latin (avant 1950) / au moins l’anglais (après 1950). Mais, d’autre part, il s’agit là de langues fortement apparentées, d’une famille linguistique ; et quant à l’âge des structures à fonction LSP, elles ne sont certainement pas nées à une époque récente ; et, finalement, il s’agit d’une identité qui ne concerne qu’un niveau de langue (le style LSP, pas la langue entière). Ce qui semble interdire toute comparaison. Cependant, si ces structures sont héritage antique, leur charge fonctionnelle ne l’est point : la différenciation « stylistique » entre une langue élaborée narrative d’une part et une langue élaborée « de spécialité » – ce « schisme stylistique » (Forner 2006, 1917–1920) – est moderne : Il est lié sans doute au procès d’émancipation des deux types d’élaboration au cours des XVIIIe–XIXe siècles : les Belles Lettres s’envolaient vers leur ‘Parnasse’ à la recherche de l’« Art » ; les sciences – les théories – les techniques préféraient rester attachées, comme Prométhée, à leurs bases empiriques, et le sérieux de leur réflexion commençait à paraître incompatible avec toute approche esthétique. Les projets rationalistes d’établir une langue idéale des sciences s’éteignaient au début du XIXe siècle, le modèle de Condillac (1776), par ex., bien concrétisé, d’une langue de l’économie s’enlisait. La présence du soussystème LSP n’est attestée, pour des textes économiques au moins, qu’à partir du XXe siècle (cf. Kaehlbrandt 1989). Même si bien des détails de cette évolution attendent encore leur découverte, on est en droit d’affirmer ceci : la syntaxe de spécialité moderne s’est servie de structures pas nouvelles pour les charger d’une fonctionnalité nouvelle. Avec cet aspect fonctionnel, on approche quand-même du phénomène de Ligue. En effet, le « schisme stylistique » avec sa réinterprétation fonctionnelle a eu lieu  

















































307

Divergences et convergences : les marqueurs syntaxiques  

partout, sans faire halte aux limites des cultures linguistiques ; et cela en peu de temps, et simultanément : certainement un fruit de l’intensif contact inter-langues. Jusqu’ici, la discussion s’est limitée aux phénomènes de la même famille linguistique. Le contact inter-langues s’est-il arrêté aux frontières entre les familles linguistiques ?  





6 Quelques évolutions convergentes en cours Reprenons notre exemple de départ (1-b ; 5) et ajoutons aux traductions déjà vues la traduction allemande :  



(10)-a -b

Das Fehlen von Kohlevorkommen erfordert die Ausbeutung alternativer Energiequellen. (Style neutre :) Kohle gibt es nicht. Daher ist es nötig, alternative Energiequellen auszubeuten.  

L’habituelle recherche de la différence donnera le tableau suivant :  

(11) La différence pour l’allemand, en contraste avec l’évidence romane (cf. (8)) :  

BASE

all.

all. : Nr.–nom

it.

Nr. – nom

F1

Fehlen

1 – N°

mancanza

1 – N°

Vorkommen

2 – AN

giacimenti +

2 – AN

Kohle+Vork.

3 COMPOSITION

carboniferi

3 – AdjR

erfordert

4 – VR

impone

4 – VR

Ausbeutung

5 – N°

sfruttamento

5 – N°

Energie+Quellen

(COMPOSITION)

+energetiche

6 – AdjR

F2

ü ï ï ýR þ

Le tableau montre que la plupart des procédés LSP œuvrent aussi en allemand : il y a bien les deux mécanismes fondamentaux, le Verbe Relateur VR avec l’Enchâssement Nominal N°, l’Analytisme Nominal AN y est aussi présent.3 Ce qui semble faire défaut, dans le texte allemand, c’est l’Adjectif de Relation AdjR qui est remplacé ici par la Composition Nominale. Celle-ci est l’apanage des langues germaniques, sans cependant y constituer une marque LSP, puisqu’elle est présente à tout niveau de langue (cf.  

3 L’Analytisme Verbal AV ne figure pas dans l’exemple choisi ; mais il est bien présent dans les deux familles linguistiques (et ailleurs). En étudiant ce procédé dans une perspective contrastive (projets de programme de traduction automatique : EUROTRA, cf. par ex. Caroli 1995 ; ou de dictionnaire bilingue : Bresson 1995), on risque d’en voir surtout les divergences matérielles. Mais l’astuce structurale, esquissée au §3 – la séparation du contenu et des fonctions grammaticales –, et la fonction de marqueur, sont identiques dans les deux familles linguistiques.  







308

Werner Forner

« Energie+Quellen » en (10-b)). Une traduction anglaise aurait présenté, d’ailleurs, des résultats analogues. Nous allons voir de suite que ces équivalences / divergences entre nos familles linguistiques sont des observations superficielles, vu que l’allemand fait des VR un usage réduit mais en voie d’expansion (§6.1), vu aussi que ni la Composition Nominale (cf. §6.2), ni l’Adjectif de Relation (cf. §6.3) ne sont exclus dans l’autre famille linguistique.  



6.1 Les Verbes Relateurs en allemand / anglais Commençons par les Verbes Relateurs VR : leur emploi dans les textes spécialisés allemands est, traditionnellement, bien moins fréquent qu’en français ou en italien ; et même en anglais leur fréquence est inférieure, au moins encore dans les années 1950, à celle observée pour des textes français. C’est un des résultats de la première enquête comparative en matière LSP, une thèse de doctorat de Moscou de 1959,4 qui avait déterminé – à partir de deux types de textes : l’un en « style technique », l’autre en « style artistique » – pour chacune des langues allemand-anglais-français, la fréquence d’un sous-groupe de VR (sont exclus les VR combinés type : améliorer, diminuer, cf. §3.1).5 Kaufman indique en plus, pour chaque texte, le nombre des « prédicats verbaux » ; ce qui permet de calculer, pour chaque langue, la fréquence relative des VR par rapport au total des verbes dans chacun des deux types de textes. Résultats : pour les textes « techniques », l’allemand accuse un taux de VR inférieur à la moitié du taux français ;6 l’anglais « technique » se trouve au milieu. Dans les textes « artistiques », par contre, les VR atteignent une portion sensiblement inférieure, et cela dans les trois langues sous examen :  









































(12) La fréquence des VR en dehors du monde roman dans les années 1950 allemand

anglais

français

textes « techniques »

3%

5,6 %

7,4 %

textes « artistiques »

0,5 %

0,4 %

0,2 %





















4 Kaufman, S.I. (1959 ; 1966), résumé par Hoffmann (1987, 209–213). Le tchèque, qui est aussi de la partie, ne figure pas dans le tableau cité de Hoffmann. 5 L’analyse de Kaufman (avec les mêmes restrictions) à été appliquée à un corpus technique espagnol, cf. Cartagena/Hetz (2012, 231). 6 Si en français LSP, l’expression verbale de la causalité est bien plus importante qu’en allemand, ceci ne confirme point le mythe selon lequel « le français baigne dans la causalité » (Malblanc ²1963, 89) : il ne s’agit que d’un choix préférentiel parmi les atouts permettant l’expression du contenu causal qui lui, ne dépend ni du style ni de la langue.  









309

Divergences et convergences : les marqueurs syntaxiques  

La divergence (‘verticale’, dans (12)) entre les deux types de textes, qui saute aux yeux, et que nous avions déjà observée en français, constitue une preuve convaincante de la charge fonctionnelle des VR aussi en allemand et en anglais, même si leur ‘chiffre d’affaires’ fut, dans les années 1950, moins poussé qu’en français : c’est la différence qui compte, et celle-ci est identique. Il n’y a pas eu – à mon savoir – d’autres enquêtes fréquentielles de grande envergure concernant les VR allemands. C’est que le rôle marqueur des VR n’est pas entré dans la conscience commune des spécialistes ; peut-être aussi parce que la détermination fréquentielle en est moins automatique que celle d’autres paramètres. Il serait intéressant, pourtant, de disposer, pour l’allemand, d’une enquête qui couvre les soixante dernières années. Mes impressions personnelles me portent à croire que cette enquête prouverait une augmentation considérable des VR allemands dans des textes scientifiques et techniques et aussi dans la presse sérieuse. Le procès de convergence fonctionnelle, déjà bien net il y a un demi siècle, semble se compléter ante oculos.  

6.2 La Composition Nominale en français (C°N) La Composition Nominale – la juxtaposition immédiate de deux noms [N – N] – est présente dans les langues romanes depuis l’antiquité (cf. latin homo faber), mais en quantité fort réduite avant le XIXe siècle. La norme romane traditionnelle exige une préposition entre les deux noms, par ex. salle d’attente [N de N], et en proscrit le contact immédiat type espace attente [N – N]. C’est le deuxième après-guerre surtout qui a vu, du type [N – N], une explosion quantitative et fonctionnelle, et ceci dans toutes les langues romanes. Il convient d’adopter la distinction entre deux types de composition [N – N] : les deux noms peuvent être dans un rapport de coordination ou de subordination. Le plat appelé moules frites, par ex., consiste de l’addition des deux composantes, des moules accompagnées de frites ; moules frites est donc un composé copulatif (ou d’addition), en contraste avec un composé déterminatif comme espace attente par ex., où le deuxième élément détermine le premier par le rapport qui le définit, ici par la finalité. La même dualité (copulatif / déterminatif) caractérise la C°N germanique ; avec la différence, cependant, que les allemands mettent la charrue devant le bœuf (dans l’optique romane), le déterminant précédant le déterminé : Warte+Saal (‘attente+salle’). Or, ce sont les composés à fonction copulative qui sont traditionnellement acceptés en français, et qui ont même atteint les honneurs de la terminologie officielle (cf. infra 13–1). L’usage terminologique ne date pas d’hier : le XIXe siècle avait choisi ce modèle pour les noms nouveaux exigés par les multiples inventions techniques. En effet, les descriptions des brevets, depuis 1791, fourmillent du type copulatif de la C°N : Darmesteter (1877, 147–156) en a dressé un impressionnant catalogue analytique. Ce  











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type de dénomination peu commun était à l’image de la nouveauté des produits dénommés. Par contre, la fonction déterminative a contrarié bien des puristes, jusqu’à nos jours, mais en vain. Les composés déterminatifs sont entrés en masse dans le système français au cours du dernier après-guerre, par le biais d’un nombre restreint d’éléments lexicaux qui refusent la préposition de, soit en position post-nominale, par ex. -clé, -pilote, -phare (13–2), soit en position initiale tels que espace, relais, point (dans le sens d’endroit), et d’autres encore (cf. 13–3) : on continue bien à dire salle d’attente [N de N], mais en substituant salle par espace, cela donnera espace attente [N – N], pour désigner le même local ; de même, si le point mathématique continue à exiger la compagnie de de (dans « point d’Archimède » : [N de N]), le point-endroit, par contre, exige son absence (« point argent ; point rencontre » : [N – N]). Dans ces positions, les composés ont pu acquérir un halo de cosmopolitisme et de pep. Celui-ci a été mis à profit dans le langage publicitaire (cf. 13–4) et colloquial, et semble l’avoir emporté au moment actuel. Cette connotation moderne de pep contraste avec la fonction présente encore dans un récent passé (disparue aujourd’hui), celle d’exprimer des « monstres et curiosités ».7  





















(13) Quelques composés [N – N] -1 -2 -3 -4

(termes techniques :)

ingénieur-conseil, relation coût-délai, prix contrat longue-durée (AFNOR 1992) (contrainte lexicale :) mot-clé, science-pilote, produit-phare. (contrainte lexicale :) espace attente, point rencontre, relais bébé. stores _ style de vie, douche _ liberté, solution _ gain de place (Wilde (publicité :) 1994,90)  

   



Il convient de souligner que ce qui différencie la Composition romane [N – N] par rapport à la même structure germanique, n’est pas une sélection spéciale des types de détermination : les nombreux rapports sémantiques attestés entre les deux noms sont les mêmes dans les deux familles linguistiques (cf. Pöll 2007) ; ces rapports sont identiques aux déterminations casuelles intra-propositionnelles, tels que agent, patient, ou instrumental, ou les autres ;8 on peut affirmer, en effet, avec Darmesteter (1875, 4), que « la composition est une proposition en raccourci ». Si la différence entre nos langues par rapport à la C°N n’est pas sémantique, elle est cependant fonctionnelle : la C°N romane n’est pas stylistiquement neutre (comme  











7 Dans la diction de Noailly (1990, 80). – Dans le langage populaire du début du XXeècle (cf. Bauche 1920), les attestations sont pour la plupart irrespectueuses, et d’ailleurs tombées en désuétude. La construction [N – N] avait connu d’autres fonctions au cours de l’histoire de la langue française, même lyriques, cf. Noailly (1990). 8 Les C°N sont donc polysémiques (pas vagues), et leur polysémie s’explique par voie dérivationnelle. La même analyse vaut pour les Adjectifs Relationnels. Pour plus de détails, cf. §6.3.

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Divergences et convergences : les marqueurs syntaxiques  

la même structure de l’anglais / allemand) ; elle est – sauf le type copulatif, cf. (13–1) – employée avec le but de garnir (de pep ou de quoi que ce soit) le message, elle continue à être évitée dans les messages qui ne cherchent pas cet effet : le titre découvert dans un journal-boulevard, « L’été paix » ne serait pas – selon Noailly (1990, 77) – admis dans un journal sérieux. C’est ce mordant fonctionnel qui constitue, aujourd’hui encore, le trait essentiel de la C°N romane. Certes, ce n’est pas vraiment un mordant LSP. Mais l’essor de cette construction semble témoigner de la rapidité que l’expansion d’une fonction peut atteindre, du volume lexical qu’elle peut transporter et de l’étendue qu’elle peut couvrir ; c’est qu’en effet, le même phénomène se vérifie dans toutes les langues romanes,9 et c’est partout la fusion en un seul mot.10 C’est de nouveau une évolution qui se déploie devant nos yeux et qui contribue à réduire les divergences entre nos langues. En réalité, cet essor – si moderne pour certains – repose sur un solide socle posé au XIXe siècle : les nombreux produits de mode imitant à l’époque la fashion anglaise reçurent des noms miroitant la provenance d’outre-Manche, pas matériellement, mais par la structure, naturellement en corrigeant la direction de la détermination. Or, les catalogues-prospectus-annonces-affiches du XIXe siècle abondent en dénominations où les rapports de dépendance ne sont pas exprimés, par ex. : « Costume _ percale à volant, garni _ camaieux, avec application _ broderie » (au lieu de : Costume en percale à volant, garni de camaieux, avec application en broderie). C’est de nouveau Darmesteter (1877, 156–161) qui a dépouillé, de ces textes spécialisés, une liste de ces « ellipses d’une préposition ». Lesquelles sont limitées, d’ailleurs (ibid., 158 n. 1), à la nomination : les parties descriptives des mêmes sources, par contre, évitant « l’ellipse », présentent le type « garni de camaieux ». Darmesteter (1877, 158, 160, 161 n. 1) insiste d’ailleurs, malgré l’évidence pragmatique, sur le caractère indigène de cette structure (parce que l’ordre des mots diverge – mais l’ordre inversé fait partie des équivalences inter-langues). Et il prédit (ibid., 161  







































9 En espagnol, cette tendance moderne s’est greffée sur nombre de composés établis : Bustos Gisbert (1986, 409–418) en a documenté presque 300, trouvés dans des ouvrages linguistiques. Bien des termes modernes ont été repérés par Nord (1983, 320–390), Becker (2003, 208–252), cf. Rainer (1993, 246–261). Un domaine privilégié est le commerce, selon Rainer (1993, 259) ; les appareils ménagers, par ex., accusent une fréquence élevée de noms composés : le type bien traditionnel [V N] n’y représente que 7,3 % du total des composés, les composés avec adjectif sont de 37,2 % ; le groupe le plus fort sont, avec 55,5%, les composés de deux noms y inclus, avec 19,6%, le type [N – N], cf. Herwartz (2002, 261) ; s’y ajoutent les composés « cumulés » avec 3–4 noms. Pour l’italien actuel, voir Grossmann/Rainer (2004) avec par ex. Bisetto (2004), et Adamo/Della Valle (2005) ; pour les futuristes italiens, d’ailleurs, [N – N] avait symbolisé leur idéal esthétique de rapidité. Pour le portugais (brésilien), voir Sandmann (1989). 10 C’est bien le diagnostic que les autres langues romanes permettent d’affirmer : la plupart des composés y portent un seul accent, le pluriel n’y est normalement marqué qu’une fois ; en plus, en espagnol, bien des composés établis sont reliés par un interfixe /+i+/ généralisé à partir des composés adjectivaux, par ex. ajipuerro ‘poireau’ : Bustos Gisbert (1986, 183–207).  



























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et 266) que ce type de composition déterminative « peut rendre de grands services à la terminologie des arts, de l’industrie, de l’administration … » – nous revoilà au centre d’une série de spécialisations ! Et Darmesteter de continuer : « … et il faut y voir un heureux enrichissement de la langue ».  











6.3 L’adjectif de relation en allemand L’Adjectif Relationnel (AdjR) existe aussi en allemand et en anglais. Et comme en français, il y joue un rôle marqueur de LSP. Mais l’usage n’est pas identique. L’AdjR se trouve, dans les deux langues, dans un rapport concurrentiel11 avec les composés (C°N et Composés syntagmatiques). En effet, les deux constructions partagent deux choses : – elles réalisent la même BASE, c’est le substantif épithète, d’une origine quelconque ; – elles possèdent la même polysémie déterminative : pour les deux, les rapports possibles avec le head noun sont les mêmes que ceux qui opèrent au sein de la proposition (sujet, compléments divers, rapports circonstanciels, etc.) ; avec la différence qu’au niveau de la proposition, les rapports sont explicitement marqués, tandis que soit l’AdjR soit la C°N renoncent au marquage : les deux sont la neutralisation des oppositions présentes au niveau de la proposition ; ils sont bien porteurs de ces diverses relations, mais sans les opposer ; c’est cette charge sémantique qui leur a valu le nom d’Adjectifs de Relation. La fonction copulative du nom épithète (cf. §6.2), cependant, est exclue pour l’AdjR.  













Cette parenté (sémantique et dérivationnelle) entre les deux réalisations – entre la C°N et l’AdjR – vaut pour les deux familles linguistiques. La polysémie12 due à la confusion des relations casuelles est montrée par le schéma qui suit, à l’exemple du nom / de l’adjectif ouvrier. Le tableau montre en plus que l’équivalent adjectival est exclu dans la traduction allemande – pourquoi ? Est-ce par défaut lexical, le nom allemand ne connaissant pas de dérivé adjectival ? Ce cas trivial de contraste ne serait pas rare : les lacunes lexicales de nos langues n’ont pas une distribution identique.  





11 Sur l’équivalence des deux structures, très controversée, voir Bartning (1980, chap. 6). Leur polyvalence sémantique s’explique par voie dérivationnelle, cf. Forner (2000, 177–185 ; 2008a, 36–45, pour le français / l’espagnol, respectivement). 12 La polysémie est bien plus complexe, mais toujours liée à la dérivation ; pour plus de détails, cf. Forner (1998, 155–170). La définition de ‘la’ signification de ces adjectifs par la paraphrase ‘qui concerne X’ n’est qu’une commode solution des lexicographes qui a pu suggérer l’idée d’une signification « vague ». En réalité, la signification d’un AdjR dans un contexte donné est toujours précise, mais elle est rarement la seule possible.  









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Divergences et convergences : les marqueurs syntaxiques  

(14) Neutralisation des oppositions propositionnelles rapport

français

allemand

N1~N2

AdjR

Composition

AdjR

C°N

sujet

cotisation ouvrière

cot° de l’ouvrier

‑‑‑

Arbeitnehmer+beitrag

OD

consultation ouvrière

cons° des ouvriers

‑‑‑

Arbeitnehmer+befragung

circonst.

législation ouvrière

lég° pour les ouvriers

‑‑‑

Arbeitnehmer+gesetze

Proposition les ouvriers cotisent / qn. consulte les ouvriers / qn. légifère pour les ouvriers.

La BASE propositionnelle (dernière ligne du schéma) montre que la même réalisation – que ce soit l’AdjR ou la C°N – exprime trois rapports syntaxiques divergents. Un autre type de contraste est illustré par le tableau (15) : l’adjectif correspondant à soleil existe dans les deux langues. Mais, le choix entre nos deux structures obéit à des restrictions divergentes :  



(15) Restrictions (I) français

allemand

AdjR

Comp°

AdjR

Comp°

1

chaleur solaire

chaleur du soleil

* Solar+wärme

Sonnen+wärme

2

énergie solaire

* énergie du soleil

Solar+energie

Sonnen+energie

Les deux chiffres (colonne de gauche) signalent deux contextes divergents : un nom quotidien (chaleur, 1) contre un terme technique (énergie, 2). Dans le contexte quotidien, les deux constructions sont admissibles en français, avec une nuance précisée par Bally (³1950, 97) : « solaire est plus technique ». L’allemand, cependant, refuse cet adjectif « technique » dans un contexte non-technique. Inversement, le contexte technique (2) exige en français le terme adjectival, tandis que l’allemand ne craint pas la C°N même dans un contexte spécialisé. Cette différence est généralisable : en allemand, les AdjR – ceux qui se nourrissent du lexique antique, cf. infra – sont réservés aux termes spécialisés ; lesquels n’y excluent pas strictement les noms de la langue commune. Il y a une troisième divergence d’usage, c’est le poids informatif (ou dénominatif) des head nouns ; c’est ce poids qui détermine le choix entre les deux structures concurrentielles : les constructions adjectivales (Nx-AdjR, espagnoles, en l’occurrence) ont tendance à être rendues, dans les traductions allemandes, par la composition (N – Nx), si le nom de départ Nx porte un dosage relativement « fort » de l’information ; dans le cas contraire, avec les noms « faibles », les traducteurs allemands montrent un net penchant pour la solution adjectivale (AdjR – Nx), cf. Frevel (2002, 162, et passim). A titre d’exemple, voici deux paires minimales :  

































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(16) Restrictions II militär+ische Angelegenheiten, militär+ische Organisation / Militär+arzt, Militär+pass (‘affaires, organisation / médecin, passeport + de l’armée’)

Les noms « faibles » sont en grande partie les noms [abstraits] ou [relatifs], surtout les classeurs13 tels que niveau, cadre, groupe, bref ceux qui pour être informatifs, exigent une information supplémentaire. Par contre sont « forts » les noms qui sont autosuffisants. Les trois noms du tableau (14) (cotisation, consultation, législation) sont « forts » ; la forme adjectivale, même si elle existait,14 a peu de chance de se marier à ces termes. Le mariage d’un nom « faible » avec un AdjR porte à un déséquilibre « logique » – dans l’optique de ceux qui chargent de « logique » les classes de mots : déséquilibre entre le nom (auquel le Bon Dieu a attribué le « poids » principal du syntagme mais qui ne l’a pas), et l’adjectif (qui devrait être soumis au service du nom mais qui ne l’est pas). Le premier à avoir critiqué notre couple [N-AdjR] pour cette raison catégoriale, est Rodolfo Lenz (1925, 125) : le terme espagnol red ferrocarrilera (‘réseau ferroviaire’) pervertit, dit-il, cette logique naturelle, parce que c’est l’adjectif, au lieu du substantif, qui y porte la « substance ». Lenz ne réalise pas, d’ailleurs, que ce n’est pas la faute de la transformation Adjectivale (Nx → AdjRx), mais bien celle de l’application de l’Analytisme Nominal (Nx → N de Nx). Lenz se plaint en plus que l’AdjR ne reste pas limité aux discours spécialisés, mais qu’il pullule aussi chez les diaristas. Les deux critiques se retrouvent chez bien des puristes, parmi lesquels quelques-uns n’hésitent pas à stigmatiser les AdjR comme pathologiques : « la maladie du siècle, l’adjectivite ».15 Les puristes allemands se plaignent aussi de cette expression adjectivale, surtout des formations indigènes, et cela depuis le début du XXe siècle.16 Il y a donc des restrictions d’usage qui diffèrent d’une langue à l’autre. Mais le procédé de l’Adjectivation et sa fonction « de spécialité » ne sont pas / ne sont plus limités aux langues romanes.  













































13 Curieusement, cette définition de « faiblesse » correspond aux éléments support qui, dans le cadre des Analytismes Nominaux, sont rajoutés aux noms ; en plus, les prédicats nominalisés (N°) sont par définition [+abstraits] (mais pas toujours « faibles »). Ce qui nourrit le soupçon que l’accueil restreint des AdjR, pourrait être dû, à l’origine, à une limitation aux éléments générés par les procédés du soussystème LSP postulé en (4). 14 Une enquête montrerait sans doute qu’une majorité d’Allemands ignorent l’adjectif arbeit+nehmer +isch qui est cependant attesté par Internet, presque toujours en position prédicative, ou combiné avec des noms abstraits ou « dummies » tels que « Seite » (« côté ouvrier »). 15 Cf. Le Bidois (1964, 7s.) ; Étiemble (1966, 7). « Adjectivite » – ce terme a fait fortune : l’Internet en présente plus de 1.000 attestations. Il a même acquis l’honneur de citation dans le Petit Robert qui se sert de ce mot pour illustrer la prolifération du suffixoïde savant /+ite/. 16 Cf. la liste dressée par Frevel/Knobloch (2006, 151ss.).  





























Divergences et convergences : les marqueurs syntaxiques  

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Une prévision d’il y a un siècle mérite d’être mentionnée : selon Dornseiff (1921, 195), les Adjectifs de Relation seraient contraires à l’esprit de la langue allemande (« systemwidrig »), tandis que les adjectifs qualificatifs serait conformes au système. Il observe que quelques AdjR se seraient déjà convertis en adjectifs qualificatifs, par ex. fürstlich (‘princier’) dans : fürstliche Domäne contre fürstliches Mahl (‘excellent dîner’). Il présage qu’à la longue, le système forcera tous les AdjR allemands à suivre cet exemple. Cependant, la réalité allait présenter l’évolution inverse : bien des adjectifs qualificatifs se sont conformés au modèle des AdjR (Schäublin 1972, 88). S’y ajoute une multitude – environ 1.400 selon le même auteur – de formations nouvelles permettant le double emploi. Il s’agit là de néologismes surtout à l’aide des suffixes /+isch, +lich/, attachés à des bases indigènes (même à des bases complexes, cf. 17) ; donc, une réédition de la tradition qui employait cependant des matériaux antiques (racines grecques ou latines). Cette nouvelle génération d’AdjR peut remplir des fonctions terminologiques, elle peut même occuper une place prédicative ou adverbiale (17) :  













(17)

behörd+liche Untersuchung, fahrer+isches Geschick / der standort+polit+isch richtige Weg (‘examen par les service publics, habileté de conducteur, la procédure correcte du point de vue de la politique locale’) (trad. WF)

Le nombre de ces nouvelles formations dépasse aujourd’hui celle des adjectifs qualificatifs, la fréquence est désormais « une marée », « leur présence aussi dans la communication publique est expansive à un haut degré » (Frevel/Knobloch 2006, 153 ; trad. W.F.). Cette « marée » de l’Adjectivation en allemand est d’autant plus remarquable qu’elle ne s’explique pas par un besoin systémique ou communicatif : en effet, pour exprimer un syntagme avec deux noms, l’allemand dispose de la C°N. Inversement, la composition [N – N] ne fait pas défaut dans les langues romanes, vu que celles-ci disposent soit de la « composition » avec préposition ([N de N], par ex.), soit de l’AdjR. La double « marée » – celle de la C°N dans les langues romanes et celle de l’AdjR en dehors des langues romanes – si elle n’obéit pas à un besoin, à quelle force peut-elle bien être due si ce n’est pas au contact ?  

























7 Quelques divergences fonctionnelles Nous avons vu au §2 que la petite différence syntaxique qui sert de marque LSP est « chargée de fonctions », et que l’usage de ces fonctions est « optionnel ». En effet, la fonction LSP a pu être élargie à certains types de presse, à certains types de guides touristiques, au langage publicitaire, etc. Cette option est en partie individuelle, elle est surtout conventionnelle : une option qui est possible dans une culture linguistique peut ne pas être admissible dans une autre culture, bien que celle-ci se serve de la même différence syntaxique pour marquer les textes spécialisés. Dans ce cas, ce n’est  









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pas la différence syntaxique qui définit la divergence entre ces deux cultures ; ce qui diverge n’est que l’expansion fonctionnelle de la différence. Je passerai très rapidement en revue quelques-unes de ces divergences fonctionnelles. En France comme en Italie, le marquage LSP est conçu comme apanage « naturel » de la presse sérieuse (par ex. Le Monde ; Il Corriere della Sera [jusqu’aux années 1980]). La presse espagnole et portugaise, cependant, ne suivent guère ces exemples, même pas El País dont le programme, pourtant, impose le modèle du Monde. La presse anglaise refuse ce style, et les reproductions des extraits du Monde, fidèlement traduits, « provoquent un choc » (« seem alien »17) chez le lecteur anglais, selon la linguiste anglaise Sanders (1994, 102), et elle continue : cependant, le même style « serait bien acceptable par ex. dans un discours politique anglais ». La citation montre que cette différence entre les deux cultures journalistiques n’est pas due à une différence entre deux sous-systèmes, mais bien à une différence entre deux conceptions à propos de l’applicabilité du même sous-système. En France même, les Guides Verts ont changé de style : jusqu’à la fin du siècle, l’outfit LSP était strictement observé. Puis, la série a changé de couleur – de taille – de langue : le style LSP a été mitigé. Est-ce un changement linguistique ? Pas du tout : c’est un changement marketing visant à augmenter la demande. Les tracts de propagande marxiste de la fin des années 1960, dont la mission était de convaincre le peuple (les ouvriers-paysans) et moins les intellectuels, se servaient volontiers, en Italie surtout, du style LSP, sans doute moins pour se faire comprendre que pour souligner le caractère « scientifique » de la théorie marxiste. Les textes qui en résultaient – comme l’ironise Violi (1977, 40)18 – « présentent des difficultés de décodification qui frôlent l’incompréhensibilité totale ». Quant au succès auprès des ouvriers, les votes que cette stratégie stylistique avait rapportés, n’étaient point le fruit du contenu, mais du respect inspiré par « l’incompréhensibilité totale ». Un calcul stratégique assez analogue pousse les agences publicitaires à revêtir leurs messages par l’habit prestigieux qu’est le style LSP, avec une fréquence des structures LSP qui fait concurrence aux textes de spécialité (Wilde 1994 ; ↗13 La fréquence des marques de spécialité). La publicité s’enrichit en plus d’autres emprunts stylistiques – des aspects ludique et poétique – qui sont souvent plus voyants et qui sont aptes à mitiger ou à cacher les structures LSP.19  











































17 Les extraits traduits du Monde « demonstrate how alien this style seems in a British newspaper. […] This register – which might arguably be acceptable in a political speech in English – does not seem appropriate in a journalistic context » (trad. française dans le texte : W.F.). Dans Le Monde, cependant, l’expression verbale de la consécution « joue un rôle de premier plan », selon Nazarenko (2000, 144). 18 C’est à propos du journal de l’extrême gauche Potere operaio que Violi (1977, 40) écrit – avec une parfaite imitation de ce style – qu’il « presenta difficoltà di decodifica che rasentano l’incomprensibilità totale » (trad. dans le texte : W.F.). C’était, en Italie, la langue de la sinistra (‘de la gauche’), qui reçut le nom de sinistrese. 19 L’analyse LSP d’un texte publicitaire espagnol est présentée dans Forner (2009).  















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Si le prestige du style LSP contribue à son extension fonctionnelle, l’inverse peut être vrai aussi. L’auteur d’un texte spécialisé a la liberté d’opter contre la dictée pragmatique. Ou même de « jouer » avec les deux options. Par ex., Frits Bolkestein, fameux homme politique néerlandais et puis commissaire européen jusqu’en 2004, présente en 2004 une directive européenne très controversée qui porte son nom. La directive veut convaincre par une série de micro-analyses économiques où l’auteur fait alterner les arguments et les résumés respectifs. Les arguments sont rédigés dans un style neutre qui rappelle d’ailleurs les propositions faites jadis par Condillac (une « idée » = une proposition) ; les résumés, par contre, qui se lisent comme des principes, sont rédigés en style LSP. Tout le texte est constitué de ce ping-pong entre des arguments (A) et les principes (P) qui en découlent ; j’en donne ici le début du « match » :  















(18) Directive Bolkestein : l’alternance stylistique  

P

« Le développement du commerce entraîne la croissance économique.

A

Lorsque j’ai le choix entre plusieurs fournisseurs, celui à qui j’achète le produit ou



le service qui m’intéresse est celui qui présente le plus d’avantages : à mon avis il est  

moins cher, ou offre plus de qualité, ou un meilleur délai, etc. P

La concurrence entre fournisseurs est donc avantageuse pour les consommateurs.

A

En achetant mon produit ou … »  

Cette alternance entre deux styles n’est pas fortuite : c’est un jeu de deux fonctions langagières.20 Ce qui confirme le fonctionnalisme décrit : les petites différences des parties P sont chargées d’une fonction (appelée ici « principe ») et le manque de ces petites différences dans les parties A signale l’absence de cette fonction (mais pas l’absence d’un contenu spécialisé).  







8 Conclusion L’objectif du présent article était d’examiner si le style de spécialité est propriété individuelle de chacune des langues discutées, ou si ce style franchit les frontières linguistiques. Le terme de style ou de variation désigne un type de réalisation (T1) qui se trouve, au sein de la même langue, en concurrence avec au moins un autre type de réalisation (T2) pour signifier la même chose.21 Cette définition inspire une double 20 Ce texte et d’autres exemples d’alternance stylistique sont analysés (visant la didactique d’un cours universitaire) dans Forner (2008b, 219–228). 21 « On ne peut parler de différence de style que si le signifié est identique », selon Hockett (1958, 556), par ex. (trad. W.F.).  



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opérationnalisation : l’objet de la recherche sera la différence entre T1 et T2, l’objectif seront les procédés linguistiques qui la génèrent. Ces procédés formalisent en plus la compétence variationnelle qui permet aux locuteurs de réaliser / de reconnaître les deux styles. Or, cette différence se définit par un ensemble de quatre transformations régulières – rassemblées dans (4) ; celles-ci déclenchent soit la réalisation LSP, soit la fonction LSP. Dans un premier temps, nous avons vu que les quatre procédés font le même travail dans toute langue romane. Dans un deuxième temps, quittant le jardin romanistique pour des champs du voisinage, nous y avons cueilli les mêmes fleurs ; les mêmes fleurs dans un sens structural (non matériel). Ceci à deux exceptions près : – La connexion verbale accuse, en allemand et en anglais, une fréquence clairement réduite. – L’accolade de deux noms, qui dans la tradition romane est résolue soit par l’adjectivation, soit par un syntagme prépositionnel, est rendue dans les langues germaniques, la plupart du temps, par la composition nominale.  







Les langues germaniques accusent donc traditionnellement un déficit en matière du Verbe Relateur et de l’Adjectif Relationnel ; tandis qu’inversement, la spécialité germanique qu’est la Composition Nominale, est évitée par la tradition romane. Ces lacunes relatives sont en train de se combler : – L’usage des Verbes Relateurs semble augmenté, dans les langues germaniques, depuis les années 1950, dans les textes spécialisés (y inclus en Allemagne dans la presse sérieuse). – Toutes les langues romanes ont été inondées, depuis les années 1950, par la Composition Nominale ; une première marée avait atteint la France au XIXe siècle. – L’Adjectif Relationnel, faiblement attesté encore au début du XXe siècle en Allemagne, a connu une « marée », qui se doit surtout à une tendance désenchaînée vers de nouvelles formations basées sur des racines indigènes.  









Ces trois tendances modernes ont sensiblement réduit les divergences structurales entre les marqueurs LSP des deux familles linguistiques. Même si nos langues font de ces structures un usage en partie différent, on ne peut néanmoins pas en nier l’identité structurale. C’est pourquoi le terme de ligue linguistique me semble apte à décrire la variation de spécialité de nos langues, plus précisément la distance qui définit, dans nos langues, le style marqué LSP par rapport à un style ‘neutre’ (ou ‘style zéro’, nonmarqué). Il s’agit, au départ, d’une ligue limitée à un niveau de langue, mais cette limitation n’est pas éternelle ; en effet, les indices d’une expansion – fonctionnelle, au départ – sont nombreux, et une grande partie du lexique se révèle depuis longtemps bouleversé, ↗15 Divergences et convergences : les structures nominatives.  



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9 Postscriptum Le terme de ligue linguistique a été appliqué ici aux « marqueurs syntaxiques », en accord avec le titre. Il peut paraître encore plus adéquat pour les structures nominatives, spécialement les terminologies. Mais, dans le domaine des terminologies, l’unité va de soi, puisque c’est des institutions nationales et internationales qui veillent à la compatibilité des néologies terminologiques, soit au niveau du signifié, soit au niveau de l’expression. Le mètre (et le système décimal), adopté par la France le 7 avril 1795 comme mesure de longueur officielle, a depuis conquis le monde entier (avec les exceptions que l’on connaît). Mais la conquête s’est faite à travers les institutions politiques qui avaient le droit et la puissance de l’imposer, et non par le contact comme celui entre les bergers des Balkans. De même, si la révolution terminologique de la chimie du XVIIIe siècle français (↗20.3 Entre Renaissance et Lumières : les nomenclatures des sciences nouvelles – Chimie) est devenue et reste universelle, c’est essentiellement l’œuvre d’une institution internationale22 qui, depuis 1919, veille à sa stricte observation. Ce réglage institutionnel des dénominations n’est sans doute pas la même chose que le contact, et il paraîtrait banal d’insister sur ce type d’identité. Cependant, même ce domaine nominatif bien réglé, connaît un jeu fonctionnel assez analogue à celui des structures discursives : il y a une distinction fonctionnelle (cf. infra : 1) entre deux statuts de termes ; et il y a un jeu fonctionnel (cf. infra : 2) qui contribue à l’expansion de certains types de constructions : 1. La composition « grecque » (la Confixation) s’oppose à une formation bien romane (Composés Verbe-Complément, type porte-manteau). Par ex., le paysan bourguignon qui veut mesurer le degré d’alcool de son vin, se servira de son pèse-vin ; l’œnologue, par contre, dont la compétence est garantie par un D.N.O. (Diplôme national d’œnologue) acquis dans une des cinq facultés d’œnologie, fera la même chose, mais son instrument portera le nom d’œnomètre. Des paires minimales de ce type – pèse-vin vs. œnomètre ; Composés Verbe-Complément vs. Confixation – font légion ; et elles reflètent toujours la même opposition entre fait pratique vs. fait académique ou théorique. Voilà une opposition entre deux statuts23 ([+ / – théorie]), qui n’est dictée par aucune des institutions terminologiques, et qui n’est d’ailleurs point limitée à la seule langue française. 2. La Confixation s’emploie volontiers pour conférer à l’objet dénommé un prestige « académique ». Or, le nom de la chose est la meilleure publicité, dit-on. C’est pourquoi la formation configée est un modèle extrêmement fréquent dans la dénomination de marques. Naturellement, là, il ne s’agit pas de faire de la  

































22 L’IUPAC (Union internationale de chimie pure et appliquée, non-gouvernementale), qui est membre – avec une trentaine d’autres Unions – du Conseil international pour la Science (ICSU), cf. Wikipedia, s.v. 23 Les Adjectifs de Relation à racines antiques signalent un statut relativement analogue ; cf. §6.3 ; pour les deux structures et leur charge fonctionnelle ↗12 La confixation et les adjectifs de relation.  



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philologie : les racines peuvent bien ne pas être antiques, elles peuvent être indigènes, hybrides, souvent anglaises,24 elles peuvent être des créations fantaisistes, pourvu que ces noms donnent l’apparence configée. « L’apparence configée » signifie : deux ou plusieurs éléments lexicaux liés par une voyelle (normalement par -o- ou par -i-), alignés dans l’ordre « grec » déterminant-déterminé. Le marché alimentaire (italien) abonde d’exemples : actimel, choco-crunch, condipasta, pavilat,25 qui n’ont de la confixation que l’apparence, mais c’est cette apparence qui est considérée avoir la puissance connotative requise pour ennoblir le produit : pavilat est un lait (en ital. : latte) produit à Pavia, tout bêtement ; en voici la formule : /Pav(ia)+i+lat(te)/. Ce type de formation, délié du cordon antique, est devenu un modèle de nomination, marqué, mais sans limitation lexicale. C’est bien l’état des choses même en français, qui connaît des néologies telles que placopâtre, riziculture (basées sur les mots bien français plaque, plâtre, riz, culture), formes dont la « créativité » est d’ailleurs accueillie avec bienveillance par le Petit Robert.26  

























L’expansion de cette formation « érudite » vers des domaines qui ne le sont pas du tout, est due à sa fonction ennoblissante. Cette logique ne date pas d’hier. Darmesteter (1877, 247) s’en plaint déjà : « il n’est petit négociant, il n’est petit fabricant qui ne combine ces éléments de quelque façon originale qui brave audacieusement les lois du grec et celles du français ». Cette logique s’est frayé le passage dans toutes les langues du monde occidental et ailleurs (↗15 Divergences et convergences : les structures nominatives). Le phénomène d’expansion lexicale n’est donc pas différent de l’expansion stylistique déjà observée : les deux domaines – le discours comme le vocabulaire – abritent des résultats de procédés ennoblissants qui invitent à des expansions. Celles-ci peu 















24 La tendance ‘hybride’ ne fait pas halte devant la science, la médecine en l’occurrence : l’action urologique de mesurer le débit urinaire s’appelle partout « uroflowmétrie », avec au milieu l’élément anglais flow. Celui-ci n’était pas tolérable dans un milieu anglophobe : le terme a dû être rebaptisé, en français officiel, donnant « débitmétrie mictionnelle », qui n’évite d’ailleurs pas l’hybridité. 25 Les exemples sont extraits de Zilg (2006, 113ss.), ↗4 Les noms de produits et de marques, et – pour la confixation et ses effets connotatifs – ↗12 La confixation et les adjectifs de relation ; cf. aussi les listes dans van Hoorebeeck (1997, 73–103). Les racines vraiment antiques, par contre, sont rassemblées dans le dictionnaire de Cottez (1988). 26 « … Cette composition des mots reste ‚savante’ dans la mesure où l’ordre des mots est inversé par rapport à la désignation ordinaire (placoplâtre : plâtre en plaques …). (…) De plus, l’adjonction du o ou du i de liaison produit en fait un nouvel élément : placo- (…). On voit comment, partie de règles très contraignantes, la composition des mots s’est libérée au profit de la néologie. Il n’est plus possible aujourd’hui de dire que la morphologie lexicale du français est une entrave à la créativité (…). » (ReyDebove/Rey 2007, XVIs.) – Serait-ce la déclaration de la fin de la servitude déplorée par Martinet (1974, 29, et avant) : « Les Français n’osent plus parler leur langue (…), on les a dressés à obéir, (…) : ils n’osent pas forger un mot composé, utiliser un suffixe de dérivation, procéder à des combinations inattendues » ?  





























Divergences et convergences : les marqueurs syntaxiques  

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vent faire muter le système des connotations et le système (morphologique) de la langue. Le phénomène est bien connu en linguistique géographique : quand il y a contact d’une langue à prestige et d’une langue sans prestige, c’est la langue prestigieuse qui l’emportera. Le contact de styles donne des résultats analogues.  

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15 Divergences et convergences : les structures nominatives  

Abstract : Le problème de l’eurolinguistique est d’une actualité toujours croissante dans toutes les langues romanes. Ce phénomène est dû, d’un côté, à l’emprunt linguistique et aux nombreux internationalismes, et, de l’autre, à l’action des règles pour l’enrichissement lexical et la formation des mots qui suivent d’ordinaire, depuis la Renaissance, les lignes directrices de l’euromorphologie gréco-latine. L’auteur analyse le caractère technoscientifique des formations qui correspondent aux exigences de l’intellectualisation du vocabulaire, aux nécessités sémantiques et communicatives modernes et montre, en même temps, l’importance et l’expansion systématique du modèle néolatin qui a fini par occuper, peu ou prou, tous les paradigmes linguistiques des langues modernes et contribue sans cesse à des rapprochements morphologiques, lexicaux, voire syntaxiques substantiels bien documentés par les dictionnaires de langue (qui oublient, cependant, de nous informer sur les voies qui provoquent ces conformités).    

Keywords : Eurolinguistique/euromorphologie, technicismes/mots scientifiques, néolatin(‑ismes), relatinisation, convergence germano-romane    

1 L’eurolinguistique : essor d’une nouvelle discipline  

Depuis une vingtaine d’années, les lexicographes s’occupent de plus en plus de la convergence des langues de spécialités au niveau européen ; pour le français, une équipe de recherche bretonne a élaboré le Vocabulaire économique et commercial en six langues (E.R.L.A. 1992) qui documente que l’anglais, l’allemand, le français, l’espagnol, le portugais et l’italien se servent, peu ou prou, des mêmes bases lexicales pour la terminologie du monde économique et commercial et que la formation des mots est plus ou moins identique même en dehors des familles traditionnelles indoeuropéennes (cf. aussi Schmitt 1993a). Cette thèse est également approfondie par une entreprise britannique (C.E. 1992), et le Europäisches Wörterbuch (Goursau/Goursau 1991) a confirmé une autre fois le bien-fondé de cette idée en montrant que les six langues analysées préfèrent en général la « solution plurilingue » pour la plupart des champs conceptuels. Même les puristes les plus acharnés commencent à renoncer à la lutte contre le principe de la convergence dû au fait que le néolatinisme est la base de l’Europe centrale et occidentale et optent, en général, contre la solution monolingue ouvrant ainsi la voie à une nouvelle didactique des langues (le système EuroComRom). Pour la didactique, Klein/Reissner (2002) ont documenté « que la restriction de la formation linguistique en Europe, à l’enseignement traditionnel d’une seule langue  







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ne correspond plus aux exigences du temps, surtout en ce qui concerne la seconde et toutes les autres langues étrangères » (trad. C.S.), et que, par conséquent, « EuroComRom ne prête pas seulement l’accès à une autre langue mais fonctionne aussi comme porte d’entrée qui permet simultanément l’accès à tous les idiomes d’une famille de langues : synergie pour l’EuroCompréhension romane, germanique ou slave » (trad. C.S.) (quatrième de couverture). Les adaptations et traductions du Dictionnaire des industries (CILF 1986) qui se réfèrent à l’allemand et à l’espagnol (ICYT/CSIC 1990 ; Schmitt 1993b) confirment cette observation expliquée au niveau historique, par Klein/Stegmann (32000) qui mettent en évidence l’importance de la culture commune, la colonisation romaine, les contacts permanents entre les différents groupes linguistiques, les affinités structurales des langues et des traditions grammaticales communes (cf. aussi Clavería Nadal 1991, pour l’espagnol). Dans cette description étiologique manquent deux aspects importants : la religion commune, c’est-à-dire les influences dues au christianisme, et la tradition universitaire, phénomène central pour la formation des langues scientifiques et techniques, toutes issues et constamment nourries par le latin médiéval et plus spécialement par le néolatin (Wolff 1971 ; Fuhrmann 2001 ; Stotz 1996–2004). Le latin n’a pas seulement fourni (avec le gréco-latin) la plupart des mots internationaux (Braun/Schäder/Volmert 1990 ; Munske/Kirkness 1996), mais aussi contribué à ce que j’appelle l’européisation des langues, sans égard à leur origine ou appartenance à des familles de langues, comme c’est le cas, par ex., de vitamina qui se trouve dans toutes les langues européennes (Schmitt 2012a). Les structures des vocabulaires scientifiques et techniques sont caractérisées par des affinités de plus en plus conformes (Cottez 41986), le plus souvent des gréco-latinismes (Stefenelli 1983 ; Schmitt 1995 ; 2007) qui contribuent, dans les langues romanes, fréquemment à une relatinisation du vocabulaire et de la morphologie (Gougenheim 1959 ; Raible 1996) ; et la satire d’Étiemble qui a provoqué l’hilarité d’une génération de lecteurs (1966) ne peut plus évoquer le rire puisque bien des exemples critiqués font partie intégrante de la communication professionnelle d’aujourd’hui. Même pour les cas les plus actuels qui ne connaissent pas encore de standardisation au niveau européen, comme, par ex. la grippe aviaire, les langues européennes ne connaissent qu’un seul principe en vigueur : la formation de désignations conformément aux règles de l’e u r o m o r p h o l o g i e (Feig 2005), procédure de base pour la communication scientifique et technique et pour la création de mots nouveaux dans les universités (Schmitt 1996a) depuis la Renaissance (Schmitt 2011a ; 2011b).  































2 Problèmes définitoires et explications exemplaires La philologie romane commence au moment où les chercheurs érudits découvrent les « lois phonétiques » et comprennent qu’il faut distinguer entre mots et formations héréditaires et emprunts savants ; ce groupe de mots savants ne suit pas l’évolution  





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régulière des langues romanes mais reste, phonétiquement et morphologiquement, plus proche du latin : dans une langue qui perd le -t- intervocalique, mûr/e « qui a atteint son plein développement » représente donc une forme héréditaire alors que maturité « état de ce qui a atteint son plein développement » constitue une forme dite savante (prise par voie directe du latin des botanistes). La distinction entre formes héréditaires et formes savantes existe dès les premières grammaires des langues romanes (Diez 1836) et est également respectée par les dictionnaires étymologiques en ce sens que ces ouvrages ne retiennent pratiquement que les formes héréditaires considérées comme enfants légitimes, alors que les formes savantes, traités d’enfants naturels, ne sont pas reconnues conformes au droit de succession (Schmitt 2004). Cette conception est à l’origine de la distinction entre l’histoire interne et l’histoire externe des langues et des vocabulaires romans (Blumenthal 2003) implicitement présente dans les dictionnaires étymologiques depuis Diez (51887) ; elle a trouvé sa continuation dans le FEW (1922–2005) bien que von Wartburg traite – plutôt d’une forme marginale – la plupart des mots savants qui, pour lui, semblent ne pas mériter l’attention de l’étymologiste. Pour natura ‘Geburt’ le FEW (VII, 45 b) retient la totalité des formes héréditaires (I), c’est-à-dire même trois attestations en trois villages francoprovençaux :  













« Ollon ñ ü r a f. ‘vagin de la vache, etc.’, Houches n ṓ r a, Magl. ñ œ r ə » ;  



pour les formes savantes (II), il y a des lacunes évidentes : d’un côté, la description analogique pour fr. natur- reste peu exacte, voire laconique, et de l’autre on cherche en vain nature morte, naturisme, naturiste, naturopathe, naturopathie, etc. ; même le commentaire étymologique montre une nette préférence des formes héréditaires aux dépens des formes savantes rangées sous (II) :  







« Lt. NATURA NAT URA (< NASC NAS CII ) avait développé un sémantisme riche. Au niveau physique, il désignait les organes qui participent à la naissance, donc les membres génitaux, spécialement des animaux. Dans ce seul sens concret il s’est maintenu en francoprovençal (v. supra) et dans les Grisons occidentaux (ueng. nadüra, etc.). Ensuite natura désignait le cours naturel des choses en tant que loi naturelle, le caractère individuel et général des êtres tant dans le domaine corporel que spirituel, l’espèce, la totalité de l’univers avec tous ses phénomènes. I1 est fort probable que ces sens spéciaux de natura aient été empruntés par le français au latin médiéval des philosophes. L’emprunt des trois premiers sens s’est fait assez tôt puisqu’il y a de nombreuses attestations dès le XIIe siècle » (VII, 48a) (trad. C.S.).  





Cette bipartition entre « linguistique interne » (I) et « linguistique externe » (II) due à Ferdinand de Saussure ([1916] 1968, 424) ne suffit pas pour expliquer la provenance et la formation de la plupart des technicismes et mots scientifiques des langues de spécialités modernes. C’est déjà Blumenthal qui se pose la question de savoir  







« s’il ne faut pas partir de l’existence d’un domaine intermédiaire situé entre les niveaux purement internes et externes pour lequel la question n’est pas d’actualité et dans lequel il y a  

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entrecroisement entre les faits intérieurs de la langue et les aspects culturels et sociologiques. La préhistoire de ce domaine peut être déduite et restituée par différentes spéculations de la Néophilologie ldéalistique (Idealistische Neuphilologie) concernant l’influence de nouvelles formes de la pensée sur le changement linguistique […], mais aussi par certaines réflexions de Walther von Wartburg qui ont été interprétées comme plaidoyer en faveur de la thèse d’effets et échanges mutuels entre l’esprit du temps (Zeitgeist) et le système de la langue » (2003, 43a) (trad. C.S.).  

Nous irons encore plus loin en accentuant que la plupart des mots empruntés du français sont mal classés dans le Robert qui utilise des critères nationalistes pour la typologie des terminologies scientifiques (Schmitt 2013). Un seul exemple suffira pour documenter que les abréviations lat., du lat/de lat., lat.vulg./lat.pop. se répartissent pêle-mêle dans le PRob (2009) : avocat ‘personne inscrite à un barreau’ (< lt. ADVOCATUS ), avoine ‘céréale’ (< latin AVENA ) et avoir ‘être en possession’ (< du latin HABERE ) documentent un désordre total de classification historique et montrent l’absence d’une utilisation cohérente des sigles diachroniques et généalogiques : – pour advocat s’impose la classification de latinisme (scil. du latin) – avoine et avoir sont tous les deux des mots populaires (scil. latin) – la distinction du Robert entre « latin » et « du latin » ne fait aucun sens.  











Pour nature morte (1752), naturisme (1778), naturiste (1821), naturopathe (1972) et naturopathie (1972) le Robert (2009) postule une origine française sans se demander s’il peut exclure un emprunt au néolatin ou à d’autres langues romanes ou nonromanes ou même s’il ne faut pas expliquer, par ex., naturopathie soit par analogie à des formations comparables comme psychopathia/psychopathicus documentés en néolatin, spécialement en latin médical, comme le prouvent les titres de deux thèses de doctorat (Helfer 31991, 43b) : – Giov. NOALE, De dotibus et officiis parabolanorum qui operam cum psychopathiis detentis accomodant, Diss. Padua 1835 – Const. GADESCHY, De psychopathiis, Diss. med. Halle-Wittenberg 1844  

C’est avant tout dans le domaine des langues de spécialités modernes qu’on trouve un chemin intermédiaire entre les mots héréditaires et les mots savants : la formation de mots nouveaux par des créateurs cultivés à l’aide d’éléments latins (ou grecs) conformément aux règles du latin classique, médiéval ou moderne. Cette formation connaît la plus haute productivité à l’époque actuelle et se doit au fait que la langue de la recherche scientifique a été le latin, au moins jusqu’à la fin du XVIIe siècle et que le changement de langue(s) de publication s’est fait à petits pas. Les chercheurs qui se servaient d’abord du latin dans leurs textes scientifiques continuaient le modèle du latin pour créer les concepts qui leur semblaient indispensables. Pour parler de la culture de la vigne, Cicéron se servit du syntagme cultura vitium (fin. 4, 38) ; du point de vue typologique ce syntagme se trouve encore dans la thèse de doctorat d’Andrea Bacci, déposée en 1596, à Rome : De naturali vinorum historia, mais vitium cultura tout  





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comme vinorum historia ne sont pas lexicalisables et ne représentent pas la forme d’une unité lexicale marquée par un certain degré d’abstraction. Ce caractère technoscientifique se trouve dans une création faite en Allemagne, en 1679, qui se retrouve dans une dissertation alsacienne quelques années plus tard : viticultura ‘culture de la vigne’ : – Friedrich Calenus, Vitis ac viticulturae ortus, Diss. phil. Iéna 1679 – Franc. Ign. Roettel, De vitis cultura Molshemensi et Mutzingensi, Diss. med. Strasbourg 1770,  



retenues et enregistrées par Helfer (31991, 613) qui montrent que deux principes essentiels des langues de spécialités sont l’abstraction et la rationalisation ou, comme l’a formulé Kocourek (1982, 29 s.), l’intellectualisation : « L’expression d’intellectualisation […] nous semble assez bien suggérer les étapes entre l’état du savoir spontané et celui du savoir complètement contrôlé », car elle se manifeste « dans les tendances, parfois opposées, qui visent, sur divers plans de la langue, la précision sémantique, la systématisation notionnelle, la neutralité émotive, et l’économie formelle et sémantique ». Inutile d’insister sur le fait que la base viticultur- a été comprise et intégrée dans toutes les langues romanes et que cette formation néolatine a profité de l’analogie avec des formations latines retenues par Georges (81988, 1793) qui existent comme mots d’emprunts dans de nombreuses langues européennes :  











cultura, ae, f. (colo), die Pflege, Abwartung, I) im engern Sinne, die Pflege, Abwartung des Ackers usw., die Bearbeitung, Bebauung, Bestellung, der Anbau, die Kultur, 1) im allg. : agelli, agri cultura, Cic. : vitis cultura, Cic. – im Plur., agri culturae, Lucr. 5,1446. – meton., der Anbau, hortorum cultura, Hieron. epist. 52,12: Plur., regio distincta culturis, durch Kulturen, Saatfelder, Salv. de gub. die 7,2. – 2) prägn., das Kulturverfahren, der Landbau, die Landwirtschaft im weitesten Sinne, Varro, Quint. u. Hor. : im Plur. von den einzelnen Teilen der Landwirtschaft, Col. 11,1,30 u. 11,2,3. – II) im weiteren Sinne : 1) die physische und geistige Pflege, Abwartung,  







a) die physische, dah. Kleider-putz, Commodian. instr. 2,17,22. – b) die geistige Pflege, Ausbildung, animi, Cic. Tusc. 2, 13 : absol. = sittl. Veredelung, Hor. ep. 1,1,40. – 2) die tätige Pflege übh., a) einer Gottheit, die geistige Verehrung, Anbetung, der Kultus (S. Bünem. Lact. 2, 16,9), Min. Fel. 23,12 : c. tana, Tert. apol. 16 : dei unici pia et religiosa c., Lact. 5,7,2 : Plur., ritus sacrorum et culturae, Lact. epit. 23,1 : omnium culturarum sacerdotium, Lampr. Heliog. 3,5 : cultu-rae impiae, Sulp. Sev. chron. 1,51,4 : templorum culturae, Commodian. instr. 1,35,19. – b) die huldigende Verehrung, die jmdm. dargebrachte Huldigung, potentis amici, Hor. ep. 1,18,86.  



















Quoi de plus naturel que la création de nlt. viticultura / all. Vitikultur / fr. viticulture, etc. d’après le modèle déjà classique que présente lt. agri cultura / agricultura ! Les spécialistes ont l’habitude d’utiliser de telles formations et ils sont fiers de disposer de désignations qui ont le goût de l’expertise, qui font supposer des connaissances approfondies dans un domaine déterminé et restreint : À Tocane en Dordogne, par ex., on trouve un héliciculteur qui s’occupe de l’héliciculture : Ces deux termes font chic, sont prestigieux et correspondent parfaitement aux règles communicatives des  







329

Divergences et convergences : les structures nominatives  

langues de spécialités où l’on n’apprécierait pas « personne qui pratique l’élevage des escargots » et moins encore « élevage des escargots destinés à l’alimentation », incompatibles avec l’économie linguistique et la désignation des noms de métiers ; toute personne vivant à la campagne et s’occupant des travaux des champs préfère, comme nom de métier, agriculteur / agricultrice à paysan, les formes issues du néolatin possédant beaucoup plus de prestige professionnel que les mots hérités du latin populaire, depuis la Renaissance (Zwanenburg 1992). (Les modèles de la formation savante et leur prestige fonctionnel font l’objet des articles ↗12 La confixation et les adjectifs de relation ; ↗14 Divergences et convergences : les marqueurs syntaxiques). L’exemple agri- et -culture montre de toute évidence qu’il existe, avant tout dans le domaine des langues de spécialités, une troisième catégorie de mots forgés dans une ou plusieurs langues modernes selon les lois morphologiques du néolatin par des chercheurs qui peuvent connaître le latin, comme c’est le cas d’Isaac Newton qui a créé centrifuge et centripète (classés comme latinismes dans le PRob 2009) ou, tout simplement, dominer les règles de la morphologie scientifique et technique du latin médiéval décrites et élaborées par Stotz (1996–2004 ; spécialement tome 2) et du néolatin des sciences techniques et des sciences humaines. En principe, il y a deux procédés possibles (Stotz 2002, vol. 1, 37ss.) : les créateurs de mots nouveaux peuvent relatiniser des mots populaires et les rendre à une ou plusieurs langues vernaculaires (Schmitt 2010) ou bien créer des termes nouveaux selon les règles du (néo-)latin sans recours au fonds du latin classique (ou médiéval). Le procédé de la relatinisation a déjà trouvé une première description par Gougenheim (1959), le second, qui est beaucoup plus important et domine la formation des mots dans les langues de spécialités modernes de toutes les langues romanes, de l’anglais et de l’allemand (Schmitt 1996a ; 1996b ; 1996c), en accord parfait avec la tradition universitaire occidentale (Schmitt 2011a), reste encore à être analysé. Les études ne peuvent que difficilement avancer à cause d’une situation précaire de la lexicographie néolatine à peine commencée ; le manque d’études sur le lexique et la formation des mots dans les textes néolatins a amené les chercheurs à considérer, indépendamment de leur origine et histoire, tous les mots non héréditaires comme latinismes ou grécolatinismes (Reinheimer Rîpeanu 2004a ; 2004b) tandis que les dérivés de ces formations sont attribués, en général, à la formation interne des langues respectives (cf. Schmitt 2004). Dans cette vue, fr. entomologie ‘partie de la zoologie qui traite des insectes’, création en néolatin suédois par Linné (cf. Schmitt 2012b, 378), est considéré comme grécolatinisme (PRob 2009, 887b) et entomologiste constitue, dans une conception assez nationaliste, une formation purement française (PRob 2009, 887b) sans que cela soit prouvé. Il y a encore mieux : Pour le PRob (2009, 1364a), fr. intuitif ‘qui est le résultat d’une intuition’ (1480) représente une dérivation du radical intuition ‘forme de connaissance immédiate qui ne recourt pas au raisonnement’ (1542), et fr. bactériologie ‘partie de la microbiologie’ (PRob 2009, 205b), attesté depuis 1888, est considéré  



































330

Christian Schmitt

comme terme créé par la recherche française alors que nlt. bacteriologia ‘id.’ est attesté en néolatin suédois depuis le 18e siècle (Uppsala 1727 ; cf. Schmitt 2012b, 378). Avec une certaine conséquence, bactériocine (1953), bactériologique (1888), bactériologiste (1891), bactériophage (1918) et bactériostatique (1945) sont interprétés comme formations françaises à base d’éléments savants (PRob 2009, 205b) sans que la provenance des termes techniques soit analysée de près ou qu’on se demande si la création suédoise est entrée par intermédiaire ou directement des laboratoires nordiques dans les locaux scientifiques en France.  

3 L’impact de l’euromorphologie lexicale sur les langues de spécialité Les dictionnaires français et la linguistique appliquée ne sont toujours pas prêts à reconnaître la nécessité d’une « Eurolinguistik » (Hinrichs 2010) et d’une « Euromorphologie » (Schmitt 1993a ; 1996a) qui ne s’occupe pas seulement de l’« etimologia remota » mais également de l’ « etimologia proxima » des termes scientifiques et techniques et explique les voies de transfert d’une langue dans une autre ou d’une langue dans le « village global », comme c’est le cas, par ex., de la relatinisation que constitue fr. crétin/isme (Schmitt 2008), de vitamin-, forme issue du latin polonais (Schmitt 2012a) ou de morphologie, création de Goethe (PRob 2009, 1637a), et tant d’autres termes et mots dont l’histoire est restée inconnue jusqu’à nos jours. Le phénomène de l’européisation (esp. europeización, Schmitt 1996b ; it. europeizzazione, Schmitt 2014) qui contribue à une convergence lexicale, sémantique, morphologique, phonétique et syntaxique (Schmitt 2004) de langues et de groupes de langues généalogiquement distinctes est une apparence dominante des langues modernes en contact et se manifeste avant tout dans le domaine des sciences qui exigent, en général, un nom propre à tout concept. Ce sont les locuteurs cultivés qui savent se servir des possibilités qu’offrent les morphèmes doctes disposant d’une sémantique claire et précise adaptée aux exigences du monde moderne et qui « connaissent une nouvelle orientation très poussée dans les sciences humaines […] englobant une vue totale des langues et des peuples de l’Europe en correspondance avec la modification économique et l’évolution politique européenne » (Ureland 2000, 427) (trad. C.S.) ; c’est eux, avant tout, qui se servent principalement des riches possibilités (Volmert 1996) de ce qu’on peut appeler le superstrat culturel commun des peuples européens, qu’ils fassent partie ou non de l’ancien Empire romain. Cette évolution est irréversible et doit être respectée dans l’enseignement primaire et secondaire. Michel MatieuColas, dans un article du Figaro (11-03-2008), a raison de postuler un effort continu et d’accentuer qu’il est indispensable que le collège, puis le lycée et finalement l’université prennent le relais et que l’apprentissage de ces éléments essentiels doit être progressif et réparti sur toute la scolarité pour améliorer le discours scientifique :  



































331

Divergences et convergences : les structures nominatives  

« Je voudrais insister, en particulier, sur l’acquisition du vocabulaire, en apportant mon témoignage d’universitaire. À la lecture de certaines copies, il est permis d’hésiter entre le rire et la stupeur. Le rire, quand on demande aux étudiants la définition de certains mots : hexagone, « triangle qui a beaucoup de côtes » ; hémicycle, « vélo à une roue » ; polygame, « qui associe plusieurs jeux » ; omnipotent, « qui a tous ses membres » (le contraire de impotent ?). Et si la gérontologie devient, aux yeux de certains, « la science des fossiles » ou « l’étude des dinosaures », il ne faut y voir, de leur part, nulle marque d’irrespect …, mais simplement une confusion avec la paléontologie ».  





































Certes, cette série réunit des exemples peu cohérents : hexagone (lt. HEXAGONUS ‘polygone à six angles’) est déjà latin alors que gérontologie représente une formation du néolatin allemand (1705 ; cf. Schmitt 2010, 163s.), mais il y a un trait commun entre toutes ces formations : elles correspondent à la morphologie latine que les chercheurs ont intériorisée, et ces règles constituent les principes de l’eurolinguistique qui est en vigueur dans les langues spécialisées et a su pénétrer aussi dans la langue commune où super, extra, ultra etc. connaissent un usage général, comme aussi, par ex., en italien où ils ont la fonction de « prefissi e suffissi con valore elativo (super-, extra-, ultra- etc.) ormai presenti anche nella lingua d’uso » (Serianni/Trifone 1993–1994, vol. 2, 607) et sont traités dans la catégorie des ‘latinismes connotatifs’ (latinismi connotativi), originairement partie de la terminologie scientifique. Actuellement les eurolexèmes comprennent plus d’un tiers des entrées du PRob (2009), mais outre les formes réelles il y a un potentiel quasi illimité de formes virtuelles : à côté de gérontologie, le Robert a enregistré gérontocratie, gérontologue et gérontophilie, mais qui oserait dire que des formes (jusqu’alors virtuelles) telles que gérontocrate, gérontophobe, gérontomane, gérontomanie, gérontologique, gérontocide etc. (dans le texte d’un chercheur francophone) soient à exclure ? Comme l’a documenté Höfler, ‑(o)mane/‑(o)manie, très productifs depuis le XVIe siècle, connaissent un potentiel extrêmement riche (1972), et les formations à l’aide des préfixes super-, méga-, maxi- etc. peuvent être caractérisées comme une quantité pratiquement illimitée, tant en français commun que dans les langues de spécialités d’où sortent la plupart des internationalismes formés à l’aide de morphèmes gréco-latins (Volmert 1996, 219ss.). Ce dynamisme dû à l’eurolinguistique n’est pas évalué à sa juste valeur par les traités de formation de mots qui n’ont pas reconnu non plus que cet inventaire plurilingue garantit « l’amélioration des possibilités d’expression lexicales » (Stefenelli 1992, 205) (trad. C.S.) et remplace, pour ainsi dire, la performance énorme prêtée par la langue latine jusqu’au XVIIe siècle dans le discours universitaire et dans la communication scientifique transnationale. À l’époque actuelle, la productivité eurolinguistique connaît une telle vigueur qu’elle est devenue une concurrence sérieuse, voire un « danger » pour la morphologie héréditaire ; cette performance se doit, avant tout, au fait que bien des langues scientifiques et spéciales possèdent un prestige extraordinaire et que les langues nationales européennes préfèrent le « ricorso come ad elementi latini e greci per fondare sia il lessico colto europeo sia i moderni vocabolari tecnico-scientifici » (Dardano 1988, 51).  





























332

Christian Schmitt

On sait que le résultat de la formation populaire du suffixe latin -ationem est, en français, depuis le moyen âge le morphème -aison alors que l’euromorphème (également contenu dans les latinismes) est français -ation (Schmitt 1988) : ‑aison (exemples : venaison, saison, raison, fenaison, etc.) a survécu dans la langue commune et connaît une très faible productivité alors que le morphème -ation (exemples : prestation, méditation, liquidation, ration, etc.) qui se trouve également en espagnol, anglais, allemand etc. (Schmitt 1996b ; 1996d) se caractérise par une expansion due avant tout aux langues de spécialités et à l’euromorphologie (Schmitt 1996a). L’analyse exhaustive du DDM (31964) nous donne la distribution suivante (valable cum grano salis pour le XXe siècle) :  









Tableau 1 : La rivalité entre ‑aison (morphème hérité) et ‑ation (euromorphème) -aison

XIe

XIIe

XIIIe

XIVe

XVe

XVIe

XVIIe

XVIIIe

XIXe

XXe

attestations

(1)

7

3

5

2

4

4

3

9

2

e

-ation

XI

XII

attestations

1

72

e

e

e

XIII

XIV

97

191

e

e

XV

XVI

83

102

XVII 42

e

e

e

XVIII

XIX

XXe

102

181

125

siècle

siècle

La relation entre tré- et trans- (< lt. TRANS ‘par-delà, au-delà de’) est encore plus défavorable pour la forme héréditaire, le DDM (31964) n’enregistrant que quatre « survivants » populaires : tressaillir (1080), trépasser (XIIe), tréfonds (XIIIe), tressauter (vers 1370), alors que le PRob (2009) a retenu pour le seul XXe siècle transamazonien (milieu XXe), transaminase (1964), transcender (1960), transcodeur (1960), transconteneur (1975), transcriptase (1975), transcultural (milieu XXe), transdisciplinaire (1974), transducteur (1943), transduction (1941), transfrontalier (1977), transgène (1981), transgenèse (1985), translittérer (1950), transmodulation (1934), transmutant (1949), transnational (1920), transphrastique (1970), transpirant (1932), transplant (1956), transplanté (1967), transpopulaire (1954), transposon (1984), transsexualisme (1956), transsexualité (1960), transsexuel (1965), transsonique (1947), transsudat (1933), transuranien (1940) et transvestisme (milieu XXe). Grâce à l’importance des langues spécialisées et de la convergence eurolinguistique, trans- a complètement évincé l’ancien rival tré- qu’on ne peut rencontrer que sous forme de morphème bloqué (pas/trépas ‘décès, mort’). Cette victoire de l’euromorphème pouvait être prévue pour plusieurs raisons : – d’un côté, toutes les langues européennes connaissent soit des emprunts soit des mots formés d’après les règles néolatines ou eurolinguistiques – en français (-aison) et en espagnol (-azón) les morphèmes héréditaires manquent de productivité, en italien la polymorphie (tra-, trans-, tra-, trapp-) entrave la formation de mots nouveaux – le profil sémantique de l’euromorphème trans- est plus clair et mieux structuré que celui des formes héréditaires, dans toutes les langues romanes.  







Divergences et convergences : les structures nominatives  

333

Plus ou moins insensiblement, l’euromorphologie contribue donc à une transformation profonde des systèmes préfixaux et suffixaux. La formation des érudits qui se servent des règles virtuelles du latin, donc des règles en vigueur en néolatin, contribue donc à un changement, une différenciation et à un développement importants de la formation des mots ; la modification du système due à cette force évolutive atteint les bases non seulement du français scientifique et technique mais également les racines du français commun. Tous les euromorphèmes se caractérisent par une progression énorme et constante, comme le documente le dépouillement systématique du DDM (31964). Le morphème -abilis/-ibilis peut servir d’exemple pour démontrer à quel point un suffixe du latin ancien et classique a pu reprendre force surtout grâce à son emploi dans les textes latins médiévaux :  



« Le suffixe -bilis était encore productif dans le latin du moyen-âge et de la Renaissance, spécialement dans les terminaisons -abilis et -ibilis. (C’est également valable pour les langues romanes, cf. it. -evole, ensuite it. ‑abile / -ibile, esp. -able /-ible, fr. -able). Comme à l’époque classique (cf. terribilis, docibilis, etc) on a créé des dérivations sur -ibilis. Nous devons nocibilis au latin des chrétiens ; s’y joignent miscibilis, admiscibilis et permiscibilis (‘qui peut être mélangé’), apparabilis ‘qui se montre clairement aux yeux, visible’, augibilis ‘qui est capable de (faire) croitre’ […]. Adimplebilis ‘rempli’ ne peut pas servir de contre-exemple : comme dans le dérivé antique implebilis (et [in]explebilis), -e-n’appartient pas à la terminaison, mais à la racine. Lt. exhibilis ‘qui peut être montré’ (au lieu de -hebilis) constitue une haplologie » (Stotz 2000, vol. 2, 351s.) (trad. C.S.).  









Ce morphème a connu une haute productivité en français médiéval (Meyer-Lübke/Piel ²1966, 106ss.) et contribué à l’intégration de mots populaires en latin médiéval comme l’a observé judicieusement Peter Stotz (2000, vol. 2, 352) :  



« Il n’est que conséquent qu’au moyen-âge certains verbes d’origine non-latine aient servi de base à des dérivés sur -bilis, comme par ex. infeodibilis ‘qui peut appartenir à l’ordre politique et social fondé sur l’institution du fief’ […] ou geldabilis ‘sujet aux impôts fonciers’ » (trad. C.S.).  



L’analyse exhaustive du DDM (31964) qui ne vaut certainement pas pour l’évolution au XXe siècle nous fournit le croquis évolutif suivant :  

Tableau 2 : La productivité des euromorphèmes ‑able et ‑ible suffixe

XIe

XIIe

XIIIe

XIVe

XVe

XVIe

XVIIe

XVIIIe

XIXe

XXe

siècle

-able

1

26

30

33

25

26

15

33

36

2

formations

1

1

4

1

3

3

4

4

0

formations

-ible

Le dynamisme est encore plus énergique quand il s’agit de morphèmes dus au néolatin entrés avec une force irréductible à l’aide de l’usage fait dans les textes scientifiques écrits en langue populaire depuis le XVIIe siècle :  

334

Christian Schmitt

Tableau 3 : La productivité des euromorphèmes anti-, in- et -iste XIVe

XVe

XVIe

XVIIe XVIIIe XIXe

XXe

siècle

anti‘contre’

1

1

0

1

6

6

4

formations

in-

20

34

33

32

71

42

2

formations

1

1

16

26

40

87

16

formations

morphème

XIe

XIIe

XIIIe

‘négatif’ -iste

1

‘qui fait’

Le latinisme romaniste ‘spécialiste du droit romain’ (XIIe siècle) faisant bande à part, on peut conclure que la formation néolatine ou plutôt eurolinguistique commence à l’époque de la Renaissance avec l’abandon du latin comme langue d’enseignement dans les facultés en France. Les règles de formation de termes spéciaux latins ont été transférées à la langue française par des savants doués de connaissances des règles du néolatin pour lesquels il importait peu si fr. atomiste (XVIIe) correspondait à une forme néolatine atomista ou botaniste à botanista ou dentiste (1727) à dentista (1807) ; ce qui comptait pour eux était le fait que ces formations correspondaient aux règles néolatines connues et comprises en Europe entière et intériorisées et, par conséquent, appliquées par les universitaires et les chercheurs. La même progression quantitative respectivement qualitative se manifeste aussi pour les suffixes/suffixoïdes qui proviennent des langues de spécialités :  





Tableau 4 : La progression des euromorphèmes spécialisés -al

-ectasie

-isme

-phonie

-algie

-esthésie

-iste

-phyte

-ane

-ène

-iose

-plastie

-ande/-ende

-fère

-ium

-pode

-ase

-flore

-lithe

-ptère

-asque

-forme

-logue/logie

-rostre

-ate/(i)at

-fuge

-mancie

-rragie

-cèle

-gène/-genie/-èse

-mane/manie

-scope/scopie

-céphale

-gone/gonie

-mètre/métrie

-sphère

-cide

-gramme

-morphe/morphie

-stasie

-cole

-graphe/graphie

-nome/nomie

-stat

-corne

-iaque

-oïde

-technie

-crate/cratie

-ide

-ome

-thèque

-culteur

-idé

-pare

-thérapie

Divergences et convergences : les structures nominatives  

-culture

-ie

-pathie

-(ec)tomie

-ème/émie

-if

-pède

-trope

-ent

-ifier

-phage/phagie

-type

-escent

-ile

-phil/philie

-typie

-ète

-in/e

-phobe/phobie

-urie

-esque

-ique

-phone

-vore

335

Ils sont tous documentés dans le DDM (31964) ; Thiele atteste encore d’autres suffixes/ suffixoïdes (1987) dans sa formation des mots qui suit, comme l’étude de Guilbert (1975), des principes sémantiques et structuraux mais ne traite pas spécialement la position des langues scientifiques et techniques. Pour les préfixes et préfixoïdes, moins retenus dans les dictionnaires historiques, le DDM (31964) offre l’inventaire suivant :  



Tableau 5 : Les morphèmes spécialisés du DDM a-

dé-

inter-

ré-

au-

dis-

per-

sub-

co-

ex-

pré-

trans-

contre-

in-

pro-

Ce relevé dû avant tout aux langues de spécialités modernes peut être substantiellement amplifié par Thiele (1987) et Guilbert (1975) qui ont mis l’accent sur l’évolution actuelle et énumèrent des éléments tels que auto-, électro-, gastro-, gyro-, hydro-, mini-, midi-, maxi-, micro-, méga-, amphi-, circum-, hyper-, super-, extra- etc., qu’on peut facilement traduire et transférer d’une langue européenne à une autre. On peut constater que la majorité de ces éléments sont d’origine grecque et adoptés en latin d’où ils ont été transférés à une ou plusieurs langues romanes. L’emprunt au grec, lingua remota, facilite la distinction entre mots et formations populaires et héréditaires et mots savants, scientifiques et techniques et rend plus facile la communication transnationale, surtout au niveau européen. Somme toute, on peut donc accepter le jugement de Thiele pour qui la « productivité de la préfixation pour la formation des mots est nettement inférieure à celle de la suffixation. La préfixation est toutefois, dans la langue moderne, un procédé pour obtenir un nombre important de mots nouveaux » (1987, 60).  



4 Analyse d’un exemple instructif : fr. morphologie  



Compte tenu de la situation lexicographique du latin médiéval et surtout du latin/ grécolatin moderne, il est souvent difficile de prouver l’origine certaine d’un euromor-

336

Christian Schmitt

phème ou d’un européisme/internationalisme. Comme les datations premières sont peu fiables (aussi bien pour les mots et formations latins que pour les mots européens des différentes langues romanes et non romanes), les dictionnaires offrent bien des contradictions basées, en général, sur des préjugés et des concepts nationalistes. Dans bien des cas, il est difficile sinon impossible de constater avec sécurité si un terme a existé en latin avant sa première attestation dans une langue romane ou autre langue véhiculaire ou s’il s’agit d’une formation selon les règles de l’eurolinguistique, c’est-àdire s’il s’agit d’une formation faite par les spécialistes dans une langue romane qui a été transférée, plus tard, dans le latin moderne. Il suffit d’analyser la famille de morphologie pour documenter la vaste gamme d’interprétation et explications possibles. Pour les lexicographes français, morphologia est une création de Johann Wolfgang von Goethe (1790), adoptée en 1822 en français, « avec le grec morphé ‘forme’ (→morph[o]-) et logia ‘théorie’ (→-logie) » (PRob 2009, 1637a), mais il ne s’agit pas d’une créatio ex nihilo puisque Diefenbach (1997 [1857], 369) a déjà lemmatisé nlt. morphea ‘groß grintt’ pour « primis saeculi 15 annis », avec morphoseon ‘Gestaltveränderung’, également du XVe siècle, et morpheaticus (XVIe siècle) ; ces formes ne sont pas encore attestées pour le latin médiéval (cf. Niermeyer/van de Kieft 22002), mais pour le néolatin Egger (1991/1998) a retenu, sans indication des sources, les formes morphologia/morphologicus qui pourraient bien être interprétées comme latinisations des mots savants all. Morphologie/fr. morphologie et morphologisch/morphologique. Ces données justifient l’esquisse suivante :  













Figure 1 : all. Morphologie et sa famille française  

Il y a un désaccord évident en ce qui concerne l’interprétation de fr. morphologique, morphologiste et morphologiquement, entre le PRob et le TLF que nous ne discuterons  

Divergences et convergences : les structures nominatives  

337

pas. Mais il nous semble indispensable de respecter encore – à côté du GRob (11985/22001, 4, 1655ss.) et du OED (21989, 9, 1093s.) – les différentes indications dans la lexicographie française, anglaise et allemande (cf. Schmitt 2010, 146s.) pour élaborer un croquis basé avant tout sur les datations premières et les structures lexicosémantiques (cf. Ayerbe Linares 2001 ; Braun 1990) qui peut contribuer à documenter que l’interdépendance des langues est sujette à de nombreux facteurs et se trouve souvent dans la dépendance d’autorités peu importantes pour la linguistique, telles la situation lexicographique des différentes langues, la vue nationaliste, les concepts politiques et les traditions nationales. Pour morpholog-, cette vue nous permet de dessiner le croquis suivant :  



Figure 2 : all. Morphologie et sa famille anglaise  

On reconnaît facilement que pour le vocabulaire scientifique et technique les interdépendances sont toujours probatoirement définitives ou – vues les carences de disciplines hostiles à la linguistique, comme par ex. le latin médiéval et moderne – définitivement probatoires : Il suffit donc souvent d’une nouvelle datation première pour bouleverser une généalogie comme c’était le cas, par ex., pour fr. gérontologie/ all. Gerontologie (Schmitt 1996c, 171 ; 2007, 28s.), tout comme la sémantique peut entraîner un changement complet de l’interprétation usuelle (Schmitt 2010, 163). Tout cas mérite une analyse exhaustive, il faut analyser chaque mot « européen » (d’origine grécolatine ou autre, comme, par ex., fr. avarie [< ar.] ou loterie [< néerl.]) à fond et épuiser la matière en accord avec l’état de la science car chaque morphème, chaque mot possède sa propre histoire dans chaque langue ; les voies de communications et  













338

Christian Schmitt

d’échanges sont de nature si différente qu’une systématisation mécanique reste inadmissible.

5 Résultats et perspectives Le latin n’est plus à la mode dans l’enseignement en France et dans d’autres pays « latins », mais les langues de spécialités ne peuvent pas s’en passer, la formation des mots vit de la force de cette langue morte, la communication scientifique transnationale est impensable sans l’existence du gréco-latin. Tout chercheur en possède au moins des connaissances virtuelles, car il est peu probable qu’une chercheuse/un chercheur en sciences naturelles lise les ouvrages latins de Celsius ou de Newton. Pour l’eurolinguistique ce fait signifie que les formes et créations lexicales retenues par Helfer (31991) ne possèdent plus l’importance connue jusqu’au XIXe siècle et qu’en général c’est le latin virtuel qui contribue à l’enrichissement des langues de spécialités. Ce latin virtuel est appris avec la lecture de textes en langues vernaculaires ; le lecteur s’approprie les règles par l’analyse des textes et mots français, allemands, anglais ou autres et comprendra vite que -cole signifie ‘cultiver, habiter’, -fère ‘qui porte’, -vore ‘avaler, manger’, -algie ‘douleur’, chrom(e/o)- ‘couleur’ et -archie/-archia ‘degré extrême ; prééminence’, etc. et, après une certaine expérience par lectures et conversations scientifiques, sera capable d’utiliser ce système de communication pour amplifier activement la terminologie de sa science. Cette progression terminologique peut être visualisée par le croquis suivant (qui englobe la possibilité peu pratiquée d’une (re-)lecture des textes historiques latins) :  









Figure 3 : Évolution (très probable) du français scientifique  

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Divergences et convergences : les structures nominatives  

Il est hors de doute que non seulement les francophones érudits participent, avec leur gréco-latin virtuel, à la création de termes nouveaux mais aussi la communauté scientifique internationale comme c’était le cas de morphologie, gérontologie, avarie etc. et que ce domaine hautement productif figure comme patrimoine international dominé par les rapports qui peuvent exister entre les communautés de chercheurs et les échanges entre plusieurs nations. L’existence de l’eurolinguistique est une des conséquences de la cohérence culturelle et humaine du monde de demain qui suit ce modèle évolutif, elle ne remplacera pas la linguistique monolingue, mais vu son importance et l’envergure toujours plus étendue l’enseignement des langues ne pourra plus se faire sans attention spéciale et égard privilégié à la force évolutive principale de la communication contemporaine qu’est l’européisation des langues.

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16 Les « fautes de spécialité »  



Abstract : L’étude des « fautes de spécialité » se situe au croisement de l’analyse d’erreurs et des études sur l’interlangue d’une part et des études sur les langues de spécialité de l’autre. L’enseignement des langues de spécialité, qui s’adresse souvent à des apprenants adultes dotés d’une notable conscience linguistique, peut profiter des fonctions thérapeutique et prophylactique de l’analyse d’erreurs ; la linguistique s’intéressera à sa fonction heuristique, qui révèle tant les processus d’apprentissage que les divergences subtiles qui existent entre les langues. En outre, à côté des langues du répertoire des apprenants (L1, L2, L3,…), des sous-codes entrent en jeu et leurs normes spécifiques décident de ce qui est « faux » ou « non approprié » : « fautes terminologiques » (propres à une seule discipline), « fautes de style de spécialité » (communes à toutes les spécialités), et au milieu, « fautes de la couche moyenne » (moyens linguistiques typiques d’un faisceau de disciplines).    





























Keywords : analyse d’erreurs, interlangue, faux amis, terminologie, style de spécialité    

1 Introduction L’étude des « fautes de spécialité » se situe au croisement de deux courants de recherche, celui de l’analyse d’erreurs1 et des études sur l’interlangue d’une part et celui des langues de spécialité, plus précisément de l’enseignement des langues de spécialité, de l’autre. Mise à part son utilité didactique, elle est susceptible également de contribuer à la réflexion sur la nature des langues/du style de spécialité. Mais entrons tout de suite dans le vif du sujet : par rapport aux fautes tout court, les « fautes de spécialité » ont ceci de particulier qu’elles s’inscrivent non seulement dans le continuum interlinguistique qui va de la L1 à la L2 – ou dans le polygone formé par une compétence plurilingue en L1, L2, L3… Ln – mais également, à l’intérieur de chacun de ces systèmes linguistiques, dans la dimension supplémentaire langage général – langue/style de spécialité. Nous aurons donc à la place de L1 : L1G et L1S (et si l’on tient compte des différentes spécialités existantes, L1G, L1Sa, L1Sb, L1Sc, etc.), et de même dans chacune des langues étrangères concernées : L2G versus L2S (voire L2G versus L2Sa, L2Sb, L2Sc, etc.), L3G versus L3S, etc.2 Les interférences et confusions sont donc susceptibles de se produire dans un espace  













1 Nous employons les termes de « faute » et d’« erreur » comme des synonymes. 2 Et ceci n’est pas forcément tout, puisqu’à l’intérieur de chacun de ces sous-codes, il faut compter en outre avec la variation diatopique, diastratique et diaphasique.  







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nettement plus complexe, tout comme d’ailleurs les possibilités de transfert réussi se multiplient à leur tour. Dans l’action didactique, il convient de tirer profit de cette complexité, qui comprend des parallélismes intéressants, par ex. lorsqu’on attire l’attention des étudiants sur les marques spécifiques du « style de spécialité », qui se ressemblent considérablement d’une langue à l’autre (et qu’ils ne dominent pas forcément dans leur langue maternelle…).3 Et dans la recherche, il faut classer les difficultés et les erreurs d’après toutes les dimensions de cet espace. En voici trois exemples : – Lorsque l’allemand Wählen Sie die Vorwahl ! est traduit par Composez le scrutin éliminatoire ! au lieu de l’indicatif (ce qui peut arriver facilement si l’apprenant ne regarde pas les indications stylistiques du dictionnaire), c’est une confusion entre la langue de spécialité de la politique et celle des télécommunications. Quoiqu’il ne s’agisse pas d’une interférence à proprement parler, la L1 y est pourtant pour quelque chose, puisqu’on est en présence de ce que nous appelons une « structure divergente » : un mot polysémique de la L1 correspond à deux mots différents en L2, l’un appartenant à L2Sa et l’autre à L2Sb. – Le mot allemand Höhe et l’adjectif correspondant hoch n’ont pas un équivalent français, mais plusieurs : hoch correspond en général à haut, et c’est là le mot que les apprenants connaissent et emploient (à tout bout de champ) ; or lorsqu’il s’agit de chiffres, de sommes et de valeurs, donc très souvent dans le langage économique, il faut traduire hoch par élevé (les dépenses / les impôts sont trop élevé(e)s…). Pour ce qui est du substantif Höhe, le langage général le traduit par hauteur ; mais deux langues de spécialité ont des variantes spécifiques : le montant pour les sommes d’argent en langage économique, et l’altitude pour les montagnes et les lieux dans le langage de la géographie. Ce qui peut donner des interférences L2G > L2Sa (la hauteur d’une somme), mais aussi L2Sb > L2Sa (l’altitude des dépenses). La difficulté de base s’explique là encore par une structure divergente. – L’apprenant qui écrit il y a moins d’exportations et pour ça il y a plus de chômage a produit une phrase correcte en langage général,4 mais qui ne correspond pas aux habitudes et conventions du « style de spécialité », tel qu’il a été décrit par Forner 1998 (et avant, dès 1985). En réalité, même une variante plus « recherchée » de cet  





























3 Le volet que nous venons d’ouvrir a l’air d’être bien spécifique des langues de spécialité ; or il ne l’est pas forcément, puisqu’on devrait tomber sur des problèmes similaires pour tous les sous-codes, toutes les variétés de langue, qu’elles soient diastratiques, diatopiques ou diaphasiques (par ex., lorsqu’un étudiant qui a appris la L2 « dans la rue » ne domine pas les stratégies lexicales et textuelles de l’écrit formel). Il faut en conclure que l’analyse d’erreurs gagnerait à se doubler d’une analyse d’erreurs rapportée aux sous-codes, aux variétés linguistiques, et que l’analyse des « fautes de spécialité » pourrait en être le premier élément. 4 Mise à part la conjonction pour ça, nettement orale, qu’il conviendrait de remplacer à l’écrit par c’est pourquoi, pour cette raison.  









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Les « fautes de spécialité »  



énoncé, par ex. les exportations ont diminué, c’est pourquoi le chômage a augmenté n’est pas ce à quoi on s’attend dans un texte de spécialité économique. Ce n’est qu’en passant la phrase à travers les cribles décrits par Forner, c’est-à-dire en y appliquant certains procédés linguistiques de spécialité, que l’on obtient un énoncé approprié du point de vue stylistique : (1) nominalisation des éléments verbaux : le déclin des exportations … l’augmentation du chômage ; (2) remplacement de la conjonction par un verbe de relation : le déclin des exportations a conduit à une augmentation du chômage.  







2 Analyse d’erreurs / étude de l’interlangue (historique) Laissons pour un peu plus tard les commentaires sur le « style de spécialité », et penchons-nous d’abord sur les termes qui, dans ce petit prélude, sont propres à l’analyse d’erreurs (interférence, structure divergente, …) ; il est temps de présenter ce courant de manière plus approfondie.5 L’analyse d’erreurs, qui s’est vite élargie à l’étude de l’interlangue, a connu son heure de gloire dans les années 70, 80 et 90 du siècle dernier, les ouvrages de référence ayant paru dans les années 90 (Vogel 1990 ; James 1990 ; Selinker 19926 ; et surtout James 1998). Elle est tombée depuis dans une désuétude qu’elle ne mérite pas, vu son utilité didactique indéniable et l’input intéressant qu’elle peut apporter aux recherches cognitives (structure du lexique mental plurilingue). Les divers historiques (par ex. dans Fernández 1997 ; Marquilló Larruy 2003 ; Acosta-Lugo 2003) rappellent que l’analyse d’erreurs s’est développée comme une réaction à l’analyse contrastive, qui dans sa forme première (« hypothèse forte ») prétendait expliquer toutes les erreurs et difficultés des apprenants par l’influence de leur langue maternelle. Les concepts les plus connus introduits à cette époque sont celui d’« interférence » (inférence négative) et de « transfert » (inférence positive) (voir Rattunde 1977). L’hypothèse forte n’ayant pu être vérifiée, on s’est tourné vers l’étude des productions concrètes des apprenants et de leurs erreurs effectives, ce qui a fait découvrir les vertus de l’erreur et sa valeur heuristique (cf. Corder 1967). L’erreur permet en effet à l’apprenant de tester ses hypothèses sur la langue cible, alors qu’elle révèle à l’enseignant les difficultés de ses élèves et groupes d’élèves et permet aux chercheurs de mieux cerner les différences qui existent entre les langues ainsi que les processus d’acquisition/apprentissage d’une langue étrangère.  





























5 Comme le contexte dans le présent ouvrage approfondit considérablement l’aspect langues/style de spécialité, on s’attardera un peu plus dans cet article sur l’aspect erreur/interlangue. 6 Ce livre vient d’être re-publié en 2013 chez Routledge.

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Des critiques sont pourtant apparues du côté des recherches cognitives, car l’analyse d’erreurs au sens restreint ne prenait en compte que les productions fautives des apprenants, laissant de côté tout l’aspect apprentissage réussi et production correcte. C’est ce qui a conduit à élargir l’objet d’étude pour englober la totalité de l’« interlangue »,7 c’est-à-dire de la langue de l’apprenant.8 L’interlangue est un système transitoire, situé entre la langue de départ et la langue cible, mais régulier et dynamique. Elle suit des régularités qui correspondent aux théories que l’apprenant s’est forgées sur la structure de la langue cible. L’évolution de l’interlangue dans le courant de l’apprentissage est dictée par les structures des deux langues en présence, mais aussi par des mécanismes cognitifs typiques ; c’est pourquoi elle n’est pas idiosyncrasique, mais se ressemble d’un apprenant à l’autre, surtout s’ils partagent la même langue maternelle.9 L’interlangue est d’autre part variable et dynamique, non seulement à travers les progrès de l’apprentissage, mais aussi lorsque la proportion d’erreurs et de réussites pour un phénomène x dépend du type d’exercice, du temps de réflexion, de la fatigue etc. Pienemann (1998) et Hinger (2001) décrivent le processus d’apprentissage d’une règle grammaticale comme s’effectuant en plusieurs phases, qui correspondent à des pourcentages de plus en plus élevés de réussites. La règle compte comme ayant été apprise lorsque les réussites atteignent 100%.10 Remarquons pour terminer que la vision de l’interlangue a elle aussi été dépassée, notamment par des approches qui prennent en compte beaucoup plus que la langue cible et la langue maternelle : les recherches actuelles sur les langues tierces et sur le plurilinguisme s’efforcent de décrire le répertoire plurilingue de l’individu dans sa totalité, ainsi que les interactions de tout type qui se produisent dans le cadre de ce répertoire : transferts réussis, interférences, alternances codiques, etc. (voir par ex. Bono 2008).  









7 Le terme d’« interlangue » (interlanguage) a été forgé par Selinker (1972). On trouve aussi les dénominations système transitoire, système approximatif, système intermédiaire, dialecte idiosyncrasique, grammaire intériorisée, et en allemand, Lernersprache (langue de l’apprenant). 8 Ce qui conduit à des intitulés du type « Les erreurs et non-erreurs des apprenants dans le domaine x » (cf. Barros Díez 2006). 9 Voir l’article de Lavric (2002), intitulé « Heureusement que les apprenants font et refont toujours les mêmes fautes ! ». Fernández (1997) compare l’évolution de l’interlangue de quatre groupes différents (langue cible : espagnol, langues maternelles : allemand, français, arabe, japonais) ; elle constate une grande homogénéité à l’intérieur de chaque groupe, mais aussi jusqu’à un certain point entre les quatre groupes étudiés. 10 Ces observations longitudinales contredisent la fameuse distinction introduite par Corder (1967) entre mistake (« faute de performance ») et error (« faute de compétence »). La faute de performance serait due à une inattention momentanée, la faute de compétence à l’ignorance d’une règle. Or, la connaissance d’une règle ne garantit nullement son application à 100%. Pour une classification beaucoup plus différenciée, voir Knapp-Potthoff (1987, 215s.), qui adopte la perspective de l’apprenant pour distinguer, par ex., des « fautes qu’on aurait pu corriger soi-même », des « fautes que les autres n’ont pas vues », des « fautes qui sont presque inévitables », des « fautes qu’on a évitées par hasard », des « fautes qu’on ne devrait plus faire », etc.  









   





































Les « fautes de spécialité »  



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3 Analyse d’erreurs des langues de spécialité Dans ce contexte, une analyse d’erreurs centrée sur les langues et les discours de spécialité peut d’une part s’enrichir à travers les nouvelles tendances de recherche que l’on vient de décrire, et de l’autre apporter des impulsions nouvelles à l’analyse des parlers plurilingues, à travers une perspective nouvelle – par ex. pour la classification des fautes – et l’inclusion d’apprenants non conventionnels, très souvent adultes et hautement spécialisés. Il convient en effet de remarquer que l’analyse d’erreurs et l’étude de l’interlangue ont un rôle spécial à jouer dans l’enseignement des langues de spécialité, car les apprenants y sont souvent adultes (étudiants, professionnels) et plurilingues (disposant donc déjà d’amples expériences d’apprentissage des langues étrangères), si bien qu’il apparaît prometteur d’employer une méthodologie qui s’appuie sur leurs facultés cognitives : une approche contrastive explicite, un travail sur la conscience linguistique (« language awareness ») et sur les passerelles et synergies possibles à l’intérieur de leur répertoire linguistique. Par ailleurs, dans cet enseignement des langues de spécialité, les connaissances linguistiques sont intimement liées aux connaissances professionnelles. Celles-ci peuvent être présentes à différents degrés, puisqu’on peut enseigner, par ex., le langage économique ou technique à des étudiants en début d’études ou à des manageurs ou techniciens confirmés – ce qui signifie qu’on enseignera soit en même temps les expressions et les contenus, soit uniquement des expressions nouvelles pour des contenus qui leur sont familiers.11 Dans une telle conception de l’enseignement, l’analyse d’erreurs et l’étude de l’interlangue ont une triple (voire quadruple) fonction à remplir :12 – la première fonction est thérapeutique : la pratique de l’enseignant de noter les erreurs de ses élèves et d’en faire collection pour les commenter ensuite dans le cours et proposer des exercices appropriés, est à la base de toute activité d’analyse d’erreurs. Celle-ci restera d’abord confinée à un groupe bien précis, voire à un élève particulier ; mais au fur et à mesure que l’expérience du professeur augmente, il saura prévoir les fautes les plus fréquentes – les erreurs récurrentes – et adapter son matériel didactique, passant ainsi à la deuxième fonction de l’analyse d’erreurs,  











11 Dans le premier cas, on tombera sur un type d’erreurs caractéristique, dû à un manque de connaissances spécialisées, comme la confusion en langage économique de revenu et recettes (et en italien, reddito et entrate). Les apprenants débutants en économie ont tendance à surgénéraliser le premier terme, qui est pourtant l’hyponyme, alors que le deuxième, l’hypéronyme, leur est moins familier et que, de toute façon, ils ne font pas encore bien la différence entre les deux concepts. 12 Ces fonctions sont présentes aussi dans l’enseignement des langues tout court ; mais elles s’imposent encore plus sous les conditions spéciales de la didactique des langues de spécialité qui viennent d’être décrites.  

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la fonction prophylactique : connaissant les aires de difficulté et les pièges très concrets de son domaine, l’enseignant pourra être amené à écrire un polycopié (comme par ex. Weidacher 1990) ou un manuel spécifique (comme Lavric/Pichler 1998/2010), destiné à empêcher les erreurs avant même qu’elles ne se produisent. Ceci est d’autant plus important en didactique des langues de spécialité que les manuels n’abondent pas et que l’enseignant doit de toute façon bricoler lui-même son matériel. La troisième fonction n’entrera en compte que si l’enseignant est en même temps chercheur en linguistique contrastive : c’est la fonction heuristique, car les erreurs des apprenants sont susceptibles d’attirer l’attention sur des points précis de divergence entre les langues, points qu’une simple comparaison systématique n’aurait pas mis en évidence. Les collections d’erreurs par lesquelles tout commence peuvent donc conduire à des recherches originales et inattendues sur des points précis des langues de spécialité en question.  



Pour terminer, mentionnons une quatrième fonction, à ne pas prendre complètement au sérieux : c’est la fonction psychohygiénique, car face au fait que les erreurs se reproduisent et se répètent à peu près égales au fil des années et des décennies, un travail conscient et scientifique sur l’interlangue évitera peut-être à l’enseignantchercheur de s’aigrir, voire de désespérer…  

4 Identification, classification et explication des « fautes de spécialité »  



Pour remplir les fonctions que l’on vient de décrire, l’analyse d’erreurs se propose les tâches concrètes d’identifier les fautes, de les classer et de les expliquer.13 L’identification des fautes est liée étroitement à la question de la norme, car la faute (ou l’erreur, puisque nous employons ces deux termes comme des synonymes) est définie comme un écart par rapport à une norme qui doit être définie dans toute situation d’enseignement, un écart susceptible d’être corrigé par une forme/un énoncé plus conforme à cette norme. Dans l’enseignement d’une langue étrangère, la norme est constituée par les usages linguistiques des locuteurs natifs dans les situations correspondantes ; dans l’enseignement d’une langue de spécialité, on se référera non seulement aux natifs, mais encore aux natifs experts dans le domaine en question (puisqu’une langue de spécialité peut être définie comme la langue utilisée  

13 On pourrait ajouter : préparer une réponse didactique ; voir ci-dessus, les réflexions sur la spécificité de l’enseignement des langues de spécialité et le rôle privilégié qu’y jouent la conscience linguistique et une approche contrastive explicite.  



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Les « fautes de spécialité »  



par les experts d’un domaine et accessible aux profanes uniquement à travers un processus d’apprentissage, d’initiation à la spécialité). On a déjà illustré le fait que la norme du discours de spécialité diverge de celle du langage général et qu’un énoncé bien formé selon les règles du discours « normal » peut être perçu comme fautif ou du moins inapproprié à l’intérieur d’un discours de spécialité. La classification des erreurs se fait en général d’après les grands chapitres de la linguistique, erreurs phonétiques/phonologiques, erreurs morphologiques, syntaxiques, sémantiques, pragmatiques.14 Or, une telle classification ne peut donner qu’une grille très grossière, une première vue d’ensemble dont l’utilité didactique est pour le moins douteuse. Pour l’enseignement des langues de spécialité, nous avons proposé, dès 1994 (et de nouveau en 1998), une classification des « fautes de spécialité » basée sur le degré de spécialité de l’élément concerné. L’explication des fautes est liée étroitement à leur classification, puisqu’une stratégie certainement intéressante et prometteuse pour l’enseignement consiste à classer les fautes d’après le type de difficulté auquel elles se rapportent. Il convient en effet de distinguer deux types d’explications possibles des erreurs, deux types de causes qui d’habitude se conjuguent : les causes psychologiques liées aux conditions de production et à l’état d’esprit de l’apprenant (fatigue, manque de temps, manque d’attention, manque de motivation…) et les causes linguistiques qui font que les erreurs dues à la fatigue etc. concernent tel élément linguistique et non pas tel autre ; c’est ce dernier aspect uniquement qui nous intéresse ici, car c’est sous cet angle précisément que les interlangues des apprenants individuels convergent, qu’on aura donc des fautes récurrentes qui signaleront des aires de difficulté constantes pour tel ou tel groupe d’apprenants (germanophones, débutants…). C’est là une approche que l’on retrouve dans les différentes collections de « faux amis et pièges » à l’usage des apprenants de langues (sans spécialité).15 Les groupes qui en résultent (« barbarismes », « faux amis », « structures divergentes », etc.) sont parfaitement adaptés à l’enseignement et leur ensemble constitue une description détaillée des structures inter- et intralinguistiques rapportées aux processus d’apprentissage.  



























14 Avec une distinction supplémentaire en erreurs de compréhension versus erreurs de production (mais on ne tient compte d’habitude que de ces dernières, les premières étant difficiles à relever). 15 Par ex., Wotjak (1984), Labarre/Bossuyt (1988), Vanderperren (1994/2001), Wagner/Cheval (1997), pour n’en citer que quelques-uns. Dans le domaine des « fautes de spécialité », une approche par types de difficultés se retrouve déjà dans Weidacher (1990) (pour l’anglais économique), et dans nombre de nos publications sur les pièges du langage économique, par ex. Fischer/Lavric (2003), ainsi que dans notre manuel Lavric/Pichler (1998/2010).  



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5 Le degré de spécialité et le type de difficulté Nous combinerons ici, pour la classification des fautes de spécialité, l’approche « degré de spécialité » et l’approche « type de difficulté », en ce sens que la première nous fournira la grille générale, et la deuxième, les sous-classes à décrire et à illustrer. L’approche d’après le degré de spécialité présuppose une vision « prototypique » des langues de spécialité, avec des degrés d’appartenance et des limites floues à la place de frontières claires tracées avec précision. Nous esquisserons donc ci-dessous les grandes lignes d’une telle vision, qui se recoupe d’ailleurs à bien des égards avec celle préconisée depuis des décennies par Werner Forner, éditeur du présent volume.  











5.1 Fautes terminologiques Au cœur du langage de spécialité se trouve ce qui a pu être considéré comme son unique caractéristique, et qui est certainement sa caractéristique la plus saillante par rapport au langage général : il s’agit bien évidemment de la terminologie, des moyens de nomination caractéristiques d’une spécialité bien déterminée. Englobant tous les concepts dont se compose le savoir de la spécialité en question, la terminologie est l’essentiel de ce que le profane doit apprendre lorsqu’il cherche à s’initier. La terminologie est un lexique, et les « fautes de spécialité » qui le concernent sont des fautes lexicales de tout type – morphologiques, syntaxiques (constructions, prépositions), sémantiques. Nous en donnerons ici une série d’exemples, tous tirés du langage économique français, et qui seront classés d’après notre second critère, le type de difficulté intra- ou interlinguistique auquel ils correspondent : – Les barbarismes sont des mots que l’apprenant crée, très souvent inspiré par la langue maternelle ou par une autre langue, mais qui n’existent pas dans la langue cible : il peut s’agir d’inventions de toutes pièces, comme solver pour résoudre ou expecter pour s’attendre à, ou de problèmes micro-morphologiques comme les investitions (investissements), un exporteur (exportateur), la conjuncture (conjoncture) et en italien, gli importi/gli exporti (le importazioni/le esportazioni). – Les faux amis sont des mots de la L2 qui ont un équivalent morphologique dans la L1 (ou dans une autre langue), mais où le sens n’est pas le même, c’est-à-dire que le mot ne signifie pas ce que l’on pourrait croire. L’exemple le plus connu dans le langage économique français, c’est la filiale qui n’est pas l’équivalent de la Filiale allemande :  











– die Filiale

– die Tochtergesellschaft

– la succursale, l’agence

– la filiale

Les « fautes de spécialité »  





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Une interférence possible de l’anglais concerne le terme la monnaie, qui n’est pas l’équivalent de Geld, (fr. argent, angl. money), mais de Währung (la monnaie d’un pays) ou de Kleingeld (la petite monnaie). Un faux ami issu du français même (qui déclenche donc des fautes intralinguistiques, des surgénéralisations16), c’est le verbe effectuer. Les apprenants raisonnent en effet par analogie avec l’expression nominale les causes et les effets, pour penser qu’effectuer correspond à bewirken (fr. produire, provoquer), alors qu’il doit être traduit par durchführen. Plus importantes encore que les faux amis, les structures divergentes17 exigent de l’apprenant qu’il restructure ses concepts et qu’il se familiarise avec des distinctions complètement nouvelles, car la L1 possède un terme polysémique là où la langue cible a deux termes bien distincts. Les étudiants dans ce cas ont tendance à surgénéraliser l’un des deux termes, celui qui leur est plus familier, et les fautes qui en résultent sont à la fois des interférences de la langue maternelle et des surgénéralisations à l’intérieur de la langue cible. Il y a des exemples qui sont relativement simples, comme le couple balance et bilan, tous deux équivalents à l’allemand Bilanz, mais le premier en économie politique et le deuxième en économie d’entreprise (cf. la balance commerciale, mais les actifs du bilan). Une distinction plus subtile correspond aux équivalents français de l’allemand Entwicklung :  









– die Entwicklung

– le développement





– l’évolution

Un développement correspond toujours à une amplification, une croissance, ils est donc toujours positif, alors qu’une évolution correspond à un changement dans un sens qui n’est pas prédéfini. Il est donc possible de parler d’une évolution positive ou négative, mais les apprenants qui écrivent un développement négatif font une ‘contradictio in adjecto’, et ceux qui parlent d’un développement positif commettent un pléonasme. Proches des structures divergentes, les structures pseudo-divergentes devraient en réalité être plus faciles à apprendre, car la langue maternelle et la

16 La surgénéralisation (ou hypercorrection) est un type d’erreur intralinguale, qui se produit dans des phases d’apprentissage qui correspondent déjà à la domination de certaines règles de la langue cible. Les règles connues sont appliquées aussi à des cas où elles ne devraient pas s’appliquer, en premier lieu aux exceptions. C’est ce qui se produit par ex. en français lorsque les apprenants conjuguent vous disez et vous faisez sur le modèle des verbes réguliers, ou lorsqu’ils emploient l’auxiliaire avoir avec les verbes pronominaux (il s’a assis). 17 Voir ci-dessus, dans l’introduction, les exemples de Vorwahl et de hoch/Höhe.

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langue cible font dans ce cas la même distinction. Seulement, celle-ci n’est pas perçue par les apprenants, qui confondent deux termes qu’ils pourraient distinguer facilement si seulement ils apprenaient leur traduction exacte. L’exemple type en est le couple français les employés / les salariés (it. gli impiegati / i salariati), que les étudiants débutants ont tendance à confondre, peut-être aussi parce qu’ils ne sont pas conscients de la différence de sens.18 – die Beschäftigten

– die Angestellten

– les salariés

– les employés

– i salariati

– gli impiegati

On l’aura compris à travers les exemples, toutes ces « fautes de spécialité » ne sont « de spécialité » que par la nature de l’élément concerné, qui est un élément terminologique. Par ailleurs, tous les types que l’on vient d’illustrer se retrouvent tels quels (avec d’autres exemples, bien évidemment) dans les collections de difficultés et pièges du langage général citées en note 15. Il existe cependant, au niveau du lexique, des « fautes de spécialité » qui sont plus « de spécialité » que les autres, car elles sont liées aux moyens de formation des mots caractéristiques des terminologies. C’est à nouveau Werner Forner (2000 ; 2006) qui a attiré l’attention sur ces moyens de nomination et sur les types de fautes bien particulières qui en découlent : – la confixation (voir Forner 2006, 1915s.) c’est-à-dire la formation « savante » de termes à travers des éléments latins ou grecs (mono-, techno-, étymo- ; -logue, -crate, -mètre, -nome). Pour les sources d’erreurs, Forner donne l’exemple du couple photosynthèse et photocopie : la première composante, photo-, signifie tout simplement ‘lumière’ dans le premier terme, dans le second elle est une abréviation de photographie, donc du moyen, de l’instrument à travers lequel s’effectue la -copie qui constitue le déterminé. Malgré la récurrence des confixes, il n’y a donc pas de régularité, les rôles syntaxiques ne s’expriment pas, le résultat n’est pas transparent pour l’apprenant et le décodage ne peut pas s’effectuer à travers une routine. – Il en est de même des adjectifs de relation (voir Forner 2000, 354), très utilisés dans les composés nominaux terminologiques français (balance commerciale, crise financière, croissance démographique…), et de leur équivalent allemand, la composition (Handelsbilanz, Finanzkrise, Bevölkerungswachstum) :19 tous ces pro 



























   



18 Voir aussi le couple français le revenu / les recettes (it. il reddito / le entrate) comenté dans la note 11. On retrouve d’ailleurs un problème similaire avec le couple français en plus et de plus, en italien in piú et per di piú, dont les équivalents respectifs allemands sont zusätzlich et außerdem. (Dans le premier cas, on ajoute un élément, dans le deuxième, un argument.) Cependant, ceci n’est plus la terminologie, mais plutôt le « langage spécialisé général », voir ci-dessous. 19 On sait qu’entre le français (les langues romanes) et l’allemand, l’ordre des éléments est inversé (déterminé – déterminant dans les langues romanes, déterminant – déterminé dans les composés  





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Les « fautes de spécialité »  



cédés qui contribuent à l’économie linguistique, à la brièveté de l’expression, nuisent en même temps à la transparence, puisque les rôles syntaxiques des composants ne sont pas exprimés et peuvent varier considérablement d’un terme à l’autre. Forner (2000, 354) cite l’exemple paradoxal, mais assez caractéristique, des roues à denture (terminologie technique) : lorsque deux roues s’insèrent l’une dans l’autre, la roue extérieure s’appelle en effet roue intérieure, et la roue intérieure, roue extérieure. Cela s’explique par le fait que le terme roue intérieure est une forme abrégée de roue à denture intérieure, tandis que roue extérieure signifie en réalité roue à denture extérieure. L’adjectif de relation se rapporte donc à strictement parler à un élément qui a été omis, et non au déterminé nominal roue, seul visible à la surface du texte. D’un autre côté, des fautes intralinguales sont susceptibles de se produire par surgénéralisation des mécanismes de nomination que l’on vient de décrire : par ex., en italien, on trouve dans les travaux des étudiants *il deficit bilanziario au lieu de il deficit di bilancio, *la crisi budgetaria au lieu de la crisi di bilancio, *il mercato lavorativo au lieu de il mercato del lavoro. C’est-à-dire que les apprenants ont bien saisi le procédé de nomination qui se sert des adjectifs de relation, mais qu’ils l’appliquent aussi à des cas où la langue, pour une raison ou pour une autre, choisit le procédé concurrent « nom + complément du nom ». C’est là un cas typique d’hypercorrection – et un type d’erreurs que l’on pourrait considérer comme pardonnable.  









5.2 Fautes de la « couche moyenne »  



Si nous avons commencé par la terminologie pour illustrer les « fautes de spécialité », nous ne nous y arrêterons pas. Il existe en effet des moyens linguistiques non terminologiques, mais qui, par leur fréquence et leur fonction, sont caractéristiques de certaines langues de spécialité – certaines au pluriel, car plusieurs spécialités se rejoignent très souvent dans leur préférence pour certains domaines sémantiques. Nous appelons ces phénomènes la « couche moyenne » des langues de spécialité : ainsi, les expressions dénotant l’augmentation et la diminution de valeurs (statistiques) (le PIB s’est accru de 3%, on a vu les ventes chuter considérablement…, cf. Lavric/Weidacher 1998) sont caractéristiques du langage économique, mais elles se retrouvent également en sociologie et en démographie. Et les discours qui décrivent les classements et palmarès (la France se retrouve en 3e position, Samsung est le leader incontesté du marché des portables…, cf. Lavric/Weidacher 2015), relient le langage économique et le langage sportif – avec toute une série de métaphores  









allemands), voir les exemples ci-dessus. Ceci peut donner lieu à des erreurs du type la finance crise, la vie assurance, dans les premières phases de l’apprentissage.

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sportives typiques (le maillot jaune des dépenses, Paris en tête de peloton…) qui sont reprises dans d’autres domaines. Il en est de même des expressions de la cause et de l’effet (entraîner, faire chuter, influencer, éviter, avoir un impact sur…) qui se retrouvent en grand nombre non seulement dans le langage économique, mais aussi dans les langues des sciences naturelles et dans les langages techniques. Tous ces champs sémantiques ne sont pas la propriété exclusive d’une spécialité particulière, comme le serait la terminologie, mais leur richesse et leur fréquence dans les textes de certaines disciplines justifient leur inclusion dans ce que l’on pourrait appeler les moyens d’expression typiques de certains faisceaux de spécialités. Nous pensons qu’on ne peut décrire – et encore moins enseigner – les langues de spécialité sans tenir compte de ces préférences. Et celles-ci fondent, bien évidemment, une classe de « fautes de spécialité de la couche moyenne », dont voici quelques exemples :  





(1) (2)

(3)

le PIB par tête se diminue (diminue), le chômage s’augmente (augmente), surtout la part des femmes qui sont médecins est accrue (s’est accrue) cette action provoquerait à une situation grave (provoquerait une…), quelques pays rendrent dépendant leur action de… (font dépendre leur action de…), cette demande laisse naître des conflicts (fait naître des conflits) une milliarde (un milliard), un mille (mille), une quatrième des salariés (le quart), chaque dizaine Autrichien (un Autrichien sur dix), nombreux de mille cadres (plusieurs milliers de)

5.3 Fautes de style de spécialité Nous arrivons enfin au troisième type de « fautes de spécialité », celles qui se rapportent à ce que l’on pourrait appeler le « style de spécialité » : on a tout d’abord des moyens linguistiques comme les conjonctions, les énumérations, les renvois métatextuels, voir les fautes suivantes :  











(4) d’une part – de l’autre part (au lieu de : de l’autre), de l’autre côté (au lieu de : d’un autre côté), premièrement… ensuite… dernièrement (au lieu de : d’abord… ensuite… enfin), voyez làhaut (au lieu de : voir ci-dessus), comme déjà dit… (au lieu de : nous venons de voir que…)  







Mais le « style de spécialité » constitue surtout le domaine de prédilection de Werner Forner, et c’est lui en effet qui a décrit (à l’exemple du français) les procédés linguistiques qui contribuent à donner à un texte un « air de spécialité » (voir Forner 1985 et surtout 1998). Remarquons dès l’abord un certain paradoxe lié à ces moyenslà, car ils correspondent à ce que l’on pourrait appeler le « langage spécialisé général ». C’est-à-dire qu’ils n’appartiennent pas à une certaine spécialité ou à un ensemble de spécialités, mais bien au langage de spécialité dans le sens le plus général du terme. Voici la liste des procédés décrits par Forner pour transformer un texte « normal » en un texte de spécialité (cf. Forner 1985, 206–207), liste que nous illus 















Les « fautes de spécialité »  



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trerons au fur et à mesure par des exemples de « fautes de style de spécialité » (assorties chacune de leur correction) : – le clivage nominal, par lequel un substantif simple, porteur de sens, se transforme en une structure du type substantif (de sens très général) + adjectif de relation spécifiant ; c’est l’adjectif de relation qui transporte le sens du substantif simple initial :  









(5)



I svedesi fanno investizioni20 per le fusioni, perché i paesi del nor di Europa possiedono la metà delle foreste clivage nominal + adjectivisation → del patrimonio forestale

le clivage verbal, qui transforme un verbe simple, porteur de sens, en une locution verbale composée d’un verbe ayant un sens très général, combiné à un nom ou groupe nominal objet qui reprend le sens concret et spécifique du verbe initial :  

(6) Queste aziende all’estero investono già adesso tanto per essere competitive clivage verbal → effettuano grandi investimenti



Le clivage verbal est un cas particulier de nominalisation ; cette nominalisation constitue le troisième procédé hautement caractéristique du style de spécialité. À travers elle, des propositions entières se transforment en syntagmes nominaux (la bourse est instable > l’instabilité boursière, les ventes ont fortement augmenté > la forte augmentation des ventes ; la crise persistera encore plusieurs années > la persistance de la crise dans les années à venir…), qui sont utilisés comme des modules pour construire des phrases lourdement chargées de sens ; la nominalisation est donc avant tout un procédé de compression, de condensation des contenus. Les modules nominaux obtenus par compression servent surtout d’arguments à des verbes de relation, c’est-à-dire à des verbes qui remplacent des conjonctions (résulter de, empêcher, conduire à, précéder, signifier, être dû à, expliquer, impliquer, comporter…), si bien que les phrases composées se transforment en phrases simples écrites en style nominal. Nous en avons vu un exemple ci-dessus, lorsque nous avons transformé l’énoncé il y a moins d’exportations et pour ça il y a plus de chômage en le déclin des exportations a conduit à une augmentation du chômage. La nominalisation combinée aux verbes de relation constitue le procédé le plus complexe et le plus important de cette liste, que nous illustrerons encore par deux  







20 Les exemples que nous présentons, étant authentiques, comportent bien évidemment plus d’erreurs que celles qui nous intéressent à un certain point de l’argumentation. Nous soulignons les fautes pertinentes pour un certain phénomène et ne commenterons pas les autres.

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exemples de « fautes de spécialité » (avec leurs corrections) tirés du langage économique italien :  





(7)

Il dollaro è calato e a causa di questo si importa di più dagli U.S.A. nominalisations + verbe de relation : → il calo del dollaro comporta un aumento delle importazioni dagli U.S.A. (8) Ci sono molti svantaggi per i paesi che non partecipano al mercato interno : ci sono le dogane che continuano di esistere, ci sono meno investimenti, perché l’Austria è meno attrattiva per investori domestici. nominalisations + verbe de relation : → lo svantaggio per i paesi che non partecipano al mercato interno consiste nella permanenza delle dogane e nel calo degli investimenti  





Le « style de spécialité » dans le sens que l’on vient de décrire ne correspond pas, loin de là, à la totalité des discours de spécialité, puisqu’il existe également des textes de spécialité informels (par ex., les forums de discussion spécialisés sur internet) ainsi que tous les genres discursifs oraux, dont un certain nombre, pour les discours de l’entreprise, ont été décrits par Thörle (2005). Mais le « style de spécialité » de Forner est un registre caractéristique d’une multitude de types de textes, il décrit à peu près tout ce qui est texte de spécialité écrit et formel, fût-ce dans la presse, dans la science ou dans la divulgation. Il caractérise donc un certain type de textes très répandu qui a été qualifié de « descriptif-argumentatif », et que se distingue très clairement, à travers la fréquence des procédés de « spécialisation », d’autres types de textes qui ne sont pas « de spécialité », par ex. les textes narratifs (voir Wilde 1994, 101, citée d’après Forner 2000, 334s.). Les procédés en question méritent donc d’être enseignés, et les « fautes de spécialité » de ce type méritent d’être prises en compte et d’être prises au sérieux.  























6 Conclusion Nous espérons avoir montré qu’une analyse d’erreurs des langues de spécialité ouvre des pistes nouvelles et prometteuses tant pour l’enseignement des langues de spécialité que pour les disciplines qui la coiffent : l’étude de l’interlangue et celle des langues et discours de spécialité. Nous aimerions terminer cette contribution par une métaphore qui nous semble décrire avec exactitude la structure des langues de spécialité : celle du paysage de montagnes où des pics de spécificité extrême, correspondant à des terminologies très pointues, émergeraient de larges plateaux communs à plusieurs disciplines (la « couche moyenne »), situés à leur tour sur un continent entier de « style de spécialité » – le tout venant se fondre, à des niveaux encore plus bas, dans une plaque tectonique de langage général non spécialisé.  











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Les « fautes de spécialité »  



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Werner Forner

17 L’enseignement de la langue marquée Abstract : L’objectif de la méthode LSP présentée ici n’est pas l’oral mais l’écrit, pas la communication mais la production / compréhension de textes marqués, pas l’expression spontanée mais la conscience des marqueurs de spécialité. Ainsi sont présentés des extraits d’exercices visant non seulement la pratique langagière mais encore la compétence analytique des étudiants. Un texte fortement marqué – sa réception et sa production – permettra de tester la productivité relative de cette approche cognitive par rapport à la méthode habituelle basée sur la structuration du texte. Il sera argumenté que les objectifs du cours répondent à une partie des besoins langagiers des entreprises déclarés dans de nombreuses enquêtes.    

Keywords : langue de spécialité générale, marqueurs LSP, didactique cognitive, compréhension spécialisée, besoins langagiers des entreprises    

1 Introduction 1.1 Un cours de Langue de Spécialité générale ?  

La Langue de spécialité générale (en langue française, par ex.) peut-elle être l’objet d’un cours universitaire ? « Générale » dans le sens que les objectifs soient indépendants de la matière étudiée ? Cela fut, en Allemagne, un des postulats de la Conférence des Recteurs Universitaires (HRK 1991) – postulat supprimé dans les rééditions du programme. Cependant, la valeur au moins pratique de cette suggestion est évidente : dans une séquence de plusieurs cours de Langue de spécialité, le premier niveau pourrait être offert sans regard à la spécialisation des étudiants, et seulement les niveaux supérieurs se définiraient par une orientation spécifique. Cette idée était cependant incompatible avec le main stream des chercheurs allemands de l’époque. La discipline linguistique appelée langues de spécialité (LSP) avait débuté avec l’analyse terminologique, c’est-à-dire l’analyse des noms de choses spécialisées ; celle-ci a dû s’appuyer, naturellement, sur la connaissance des choses. Lorsque la même discipline se mettait à englober aussi les textes de spécialité, grand nombre de spécialistes – surtout dans les pays germano- et anglophones – étaient restés fidèles à la tradition pragmatique du premier moment : la LSP continuait donc à se définir non par un sous-système du Code, mais par l’entourage pragmatique du Code : par les interlocuteurs spécialisés, le contenu spécialisé, les situations spécialisées. Dans ce cadre théorique, toute spécialisation était considérée comme productrice d’une LSP différente ; et inversement, les divergences entre les LSP se devaient d’être imputées à des différences d’ordre pragmatique. Le corollaire était la « Langue  















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Werner Forner

Commune »1 – un toit notionnel couvrant toutes les particularités de toutes les variantes. Dans cette constellation notionnelle, les particularités LSP ne pouvaient être autre chose qu’une partie de la totalité rassemblée sous ce toit commun ; la syntaxe devait être une « restricted grammar ».2 La circularité des arguments a bien été l’objet de quelques voix critiques3 qui, cependant, n’ont pas provoqué de tournant décisif dans les études LSP allemandes. L’alternative (consacrée d’ailleurs par toute linguistique variationnelle, par la dialectologie par ex.) est une approche contrastive : la comparaison de textes marqués avec des variétés non-marquées, par ex. avec des textes narratifs. Ce n’est que par cette démarche que l’on a une chance de découvrir les traits différenciateurs. On en trouve à foison. Ces traits se regroupent dans quatre types qui s’alimentent mutuellement, c’est-à-dire, l’output du trait (n) peut servir d’input du trait (n+1). Un seul passage marqué peut ainsi être le fruit d’applications multiples. La relevance didactique de cette approche analytique réside dans le fait que les marquages, surtout les applications multiples, peuvent bloquer la compréhension (et à plus forte raison également la production) de textes LSP. Le remède consiste à débloquer les apprenants par la maîtrise des structures marquantes. C’est bien l’objectif du cours (Forner 1998) dont l’essentiel sera brièvement présenté par la suite. La méthode se dirige à des étudiants de n’importe quelle spécialisation (économie, ingénierie, chimie, linguistique, etc.), étudiants possédant un bon niveau moyen de français, et capables de réaliser à peu près la variante non-marquée. Avant la fin du cours (après 20 heures), ils sauront transformer – en appliquant la mécanique des procédés marqueurs – un texte non-marqué en son équivalent marqué, et vice-versa. Cette démarche est particulièrement importante pour les étudiants anglophones et germanophones, parce que dans ces langues, la marque LSP principale – l’expression verbale de la connexion – est bien moins fréquente qu’en français ou en italien. La méthode fait partie, depuis 1990, du cursus d’étudiants en ingénierie de l’université de Siegen (génie mécanique avec spécialité projets internationaux) ; les étudiants débutants maîtrisent le français commun. Ce cursus prévoit, pour la langue de spécialité française, 8 cours (8 fois 30 h). Le cours sur la langue LSP écrite constitue le cours initial de cette séquence. La méthode vise la compétence passive (une compréhension accélérée) et active (mise en texte) ; ces fruits seront présentés (§4) à l’aide d’un texte économique fortement marqué, traitant « Les mécanismes de l’inflation ». Le même texte avait fait l’objet – il y a longtemps – d’une bonne analyse didactique selon les leçons de la linguistique du  



















1 « Gemeinsprache », ou « Gesamtsprache » : cf. Hoffmann (1998a). 2 Hoffmann (1998b, avec une anthologie de citations pp. 191ss.). 3 Une critique précoce de la circularité du couple notionnel de « Gemeinsprache ~ Fachsprache (LSP) », et du « consensus » qui nierait l’existence d’un sous-système syntaxique, se trouve chez von Hahn (1983, 111s.), reprise ailleurs. Déjà Littmann (1979 ; 1981, 41–45 et partout) plaide pour une syntaxe LSP désenchaînée de la seule surface.  





















361

L’enseignement de la langue marquée

discours, préconisant une approche divergente. C’est pourquoi ce texte est en mesure de mettre en évidence la différence méthodologique. Les paragraphes qui précèdent et qui suivent cette présentation contrastive illustrent les procédés méthodologiques du cours : la transformation textuelle et la prise de conscience structurale.  

2 Textes et savoirs 2.1 Les marques de spécialité comme objectif didactique La langue marquée est un terme relationnel : elle se définit par rapport à une alternative non-marquée au contenu identique. Exemple :  



(1)

Les deux variantes et leur BASE

variante non-marquée Si

BASE

variante marquée

les prix augmentent,

FAIT I

Une hausse des prix



RELATION

entraîne les salaires augmentent.

FAIT II

l’augmentation des salaires.

(Remarque : « FAIT » sert de passe-partout exprimant une action, un événement ou un état.)  





Le contenu identique des deux expressions alternatives peut être représenté, pour des besoins descriptifs tout comme explicatifs, par une BASE commune – une structure INTERFACE – qui en permet la dérivation par des procédés réguliers. Voici les procédés réguliers qui déterminent la forme des deux variantes dans l’exemple (1) :  

(2)

Les mécanismes de mise en texte

BASE FAIT I RELATION FAIT II

procédés non-marqueurs

procédés marqueurs

forme propositionnelle

forme nominale

CONJONCTION

VERBE

forme propositionnelle

forme nominale

Dans cette optique, la langue marquée est la somme de { BASE + procédés marqueurs }, tandis que la variante non-marquée sera la { BASE + procédés non-marqueurs }. Le texte concret – sa production et sa réception – sera considéré comme fruit de ce mécanisme. Le but du cours sera celui d’habiliter les étudiants à reconnaître ces procédés dans un texte, et à les mettre à profit soit pour la reconstruction du contenu de la BASE (compréhension), soit partant de la BASE, à les utiliser pour la mise en texte (production). Les procédés marqueurs exemplifiés (cf. 2) sont l’expression nominale (pour les  







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Werner Forner

FAITs) et l’expression verbale (pour la RELATION). Ce sont ces deux procédés qui règlent l’organisation textuelle. Il s’y ajoute deux autres marques de spécialité – les analytismes et les adjectifs de relation. Ces marques s’appliquent à un étage inférieur, non aux textes, mais aux syntagmes (verbaux ou nominaux). Convention : Les termes métalinguistiques tels que Nominalisation, Analytisme seront marqués par l’initiale majuscule.  

2.2 L’isomorphisme entre la BASE et le savoir spécialisé Il est banal de le dire : la BASE reproduit un modèle commun à toute communication, spécialisée ou non ; que ce soit la logique, ou l’ingénierie, ou la physique, ou la médecine, etc. Il s’agit, dans toutes les disciplines, de mettre en RELATION deux ou plusieurs états/événements/actions (FAITS). Pour illustrer la valeur pratique de ce modèle, je me servirai d’un schéma explicatif de l’inflation. C’est précisément ce schéma qui accompagne notre texte (cf. §4) dans l’édition originale. Pour le spécialiste, le schéma est éloquent : il donne les mêmes informations que le texte ; le texte n’a pratiquement plus que la fonction d’illustrer et de commenter le schéma. C’est pourquoi le schéma modélise le concept de compréhension spécialisée ; celle-ci diverge de la compréhension non spécialisée qui est moins sélective. La compréhension spécialisée sélectionnera les mécanismes représentés ici par les flèches – par conséquent, une méthode de lecture spécialisée se doit de viser avant tout les mécanismes définis dans le texte et dans le schéma.  









(3)

Schéma : les mécanismes de l’inflation (schéma extrait du texte, cf. §4)  

363

L’enseignement de la langue marquée

On reconnaît immédiatement l’analogie du schéma avec la BASE : les flèches représentent des RELATIONs causales ; les encadrés symbolisent les FAITS (en y ajoutant un élément verbal, impliqué dans la notion d’inflation, tel que augmentation de). En effet, le schéma (3) peut aisément être converti en BASE textuelle ; c’est ce qui sera fait – à titre d’exemple – avec le fragment gauche du cycle, qui ne fait d’ailleurs qu’élargir l’exemple initial (1). Évidemment, la BASE est – à l’égal du schéma – une représentation du savoir spécialisé.  





(4)-a

BASE : les mécanismes … (extrait du schéma (3)) (C / E = Cause / Effet)  

FAITS

RELATIONS

1

les prix augmentent

2

les taux de salaire augmentent

3

les coûts augmentent

4=1

les prix augmentent

}

C~E

}

C~E

}

C~E

-b L’ordre peut être inversé ; les FAITs seront alors liés par des RELATIONs Effet ~ Cause :  



FAITS





RELATIONS

4=1

les prix augmentent

3

les coûts augmentent

2

les taux de salaires augmentent

}

E~C

}

E~C

À ce point, il ne reste plus qu’à découvrir l’expression de ces RELATIONs (causation / consécution).

3 Les « mécanismes » linguistiques  



3.1 Les verbes relateurs I Nous les connaissons déjà, les mécanismes marqueurs de spécialité (cf. (2)) : c’est avant tout l’expression verbale de la RELATION, et ensuite, l’expression nominale des deux FAITS. Le premier marqueur ouvre – comme tous les verbes – deux cases nominales où les arguments de la RELATION (C, E) pourront s’implanter sous forme nominalisée. Plus concrètement, nous avons déjà fait la connaissance du Verbe-Connecteur entraîner (ex. 1 : Une hausse des prix peut entraîner l’augmentation des salaires) qui exprime la première RELATION C~E (cf. (4-a)). En altérant ce « mécanisme » (CAUSE entraîne EFFET), nous arriverons à une typologie des Verbes Relateurs : en effet, l’ordre des FAITS peut s’inverser (C-E → E-C)  











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Werner Forner

(cf. (4-b)) ; cette RELATION inversée s’exprimera par résulter de : L’augmentation des salaires peut résulter d’une hausse des prix. Si la conséquence n’est pas automatique, mais possible, on emploiera permettre ; si elle est nécessaire, ce sera exiger. Ces deux verbes ajoutent à l’EFFET une nuance qui, dans un style non-marqué, serait exprimée par un verbe modal : par pouvoir, devoir, vouloir, etc. Les verbes entraîner, résulter de, au contraire, n’impliquent pas cette notion modale, ils n’expriment rien que la relation. Cette différence définit deux types de Verbes Relateurs :  







(5)

Typologie I Verbes Relateurs Purs : Ce sont ceux qui n’expriment rien que la Relation :

1





C~E : entraîner, causer, engendrer, provoquer, déclencher, amener, mener [qn] à, pousser [qn] à, … ; être la cause / la source de, être à l’origine de, donner naissance à … Effet négatif : empêcher, bloquer E~C : résulter de, découler de, provenir de, relever de, réagir sur, tenir à, être dû à, être causé par, …  







2

Verbes Relateurs Modaux : Ils ajoutent à E (Effet) une modalité type : pouvoir-devoir-vouloir.  



permettre (+de+INF), déterminer, imposer, exiger, requérir, viser à, chercher à, … Effet négatif : interdire, exclure, rendre impossible, …  

Le cours LSP présente des exercices visant à sensibiliser les étudiants soit à la réalisation des mécanismes de mise en texte soit à la conscience de ces opérations. Tâche à accomplir par l’étudiant : des mini-textes en style non-marqué seront convertis en textes LSP (cf. infra (6)) à l’aide de Verbes Relateurs et de la Nominalisation. Avant de procéder à la reformulation, les étudiants sont invités à un moment de réflexion : s’agit-il d’une Relation pure (P) ou modale (M) ? Si modale, quelle modalité ?  







(6) Exercice (réflexion suivie d’exécution) :  

1



texte départ

réflexion

texte cible

Si

M:

« .. la planification …



le gestionnaire planifie sérieusement,

On fixera un délai dans les activités ;  

alors,, il y aura un délai dans le projet global.

permet d’éviter des erreurs coûteuses. »

il pourra éviter des erreurs coûteuses. 2



pouvoir



P:  

C~E

« Un délai dans les activités  

entraînera un délai dans le projet global »  

Les textes cibles sont toujours des extraits authentiques prouvant la réalité de la transformation.

L’enseignement de la langue marquée

365

3.2 L’enchâssement nominal Une proposition peut occuper l’une des cases nominales d’une autre proposition, exemple :  

(7)

Nominalisation d’une proposition I II

Les étudiants voulaient manifester contre le projet de réformes. Le chef de police avait aussitôt interdit [cette action = I]. → Le chef de police a interdit [la manifestation (des étudiants contre …)].

On voit que le rapport entre les deux propositions (I, II) qui déclenche l’implantation nominale est un rapport d’Identité entre la proposition I et la constituante nominale de II cette action ; en effet, il s’agit d’une pro-forme qui remplace la proposition I. C’est cette fonction de remplaçant qui autorise la prise de possession de cette case nominale par la proposition I, mais – naturellement (puisqu’il s’agit d’une case nominale) – en forme nominalisée. Il est vrai que la Nominalisation se heurte à certains écueils d’ordre morphologique-sémantique-lexical (qui ont donné lieu à des discussions acharnées dans les années 1970) – écueils qui exigent quelques mises en garde – mais le procédé syntaxique est universel. La Nominalisation qui accompagne les Verbes Relateurs est du même acabit, bien qu’il s’agisse d’un autre type de Relation : avec les Verbes Relateurs, il s’agit d’une Relation circonstancielle (de consécution, par ex.),4 tandis que la Nominalisation obéit à une relation d’identité (ou d’équivalence). Mais les Verbes Relateurs ont la puissance de muter la Relation circonstancielle en Relation d’équivalence, comme on peut montrer à l’aide de l’exemple de départ (1) :  





(8) Les deux Relations I II

Les prix augmentent [Cela = I] entraîne l’augmentation des salaires. → L’augmentation des prix entraîne l’augmentation des salaires.

Ce jeu d’implantation nominale peut être itéré, donnant lieu à une divergence sensible entre la BASE et sa réalisation LSP ; la divergence s’accentue encore par la labilité des accompagnateurs nominaux du Verbe (sujet ; compléments ; etc.) ; lesquels, s’ils sont obligatoires avec la forme verbale du Verbe, ne le sont plus avec sa forme nominale. C’est ce que montre la suite de l’exemple (7), suggéré par F. Debyser (1972) :  











4 La typologie des Relations circonstancielles fait partie du cours, surtout la « famille » de causalité qui englobe les catégories grammaticales de causal-consécutif-conditionnel-final, aussi la catégorie de corrélation, fréquente en LSP, mais qui manque dans la plupart des grammaires. Sur l’expression de la corrélation à l’aide de Verbes Relateurs cf. Forner (1995).  



366

Werner Forner

(9) La nominalisation récursive I, II comme (7) III Mais le ministre de l’Intérieur a levé [ce verdict = II]. IV [Cette nouvelle = III] a été annoncée ce matin. → La levée (III) de l’interdiction (II) de la manifestation (I) fut annoncée (IV).

3.3 Les Verbes Relateurs Combinés À côté des deux types de Verbes Relateurs déjà présentés – qui ont en commun de laisser intactes les trois constituantes de BASE (FI + R + FII) – il existe un troisième type qui combine la RELATION R et l’essentiel de FAIT II. Le point de départ sera la variante marquée de l’exemple (1) :  

(10) Typologie II. Le Verbe Relateur Combiné BASE

V. Relateur Pur

FAIT I

V. Relateur Combiné

Une hausse des prix

RELATION

entraîne

FAIT II

Une hausse des prix

}

l’augmentation des salaires.

augmente les salaires.

Ce qui est intégré dans le Verbe Relateur Combiné, c’est – dans l’exemple (10) – le changement quantitatif de l’EFFET – changement engendré par la CAUSE ; cette fonction est servie par les verbes augmenter, accroître, agrandir, renforcer, et par beaucoup d’autres encore. Mais les changements dus à la CAUSE peuvent être aussi qualitatifs, par ex. X améliore Y (= Y est meilleur à cause de X), ou encore ils peuvent concerner le facteur temps : X accélère Y (= Y est plus rapide à cause de X) ; ou encore ils peuvent être cognitifs : X montre Y (= Y est visible / évident à cause de X). Ce sont les catégories les plus fréquentes. Tout comme les Verbes Relateurs Purs, les Relateurs Combinés peuvent être soit positifs (c’est le cas de tous les exemples cités), soit négatifs : diminuer – détériorer – freiner – masquer, respectivement. Et finalement, il y a les Verbes neutres ; ce sont ceux qui ne sont ni positifs ni négatifs, ni quantitatifs ni autre chose ; ils indiquent seulement que X a provoqué un changement dans Y; ex. : X modifie – influence – a un impact sur Y. Le nombre des verbes capables de jouer ce rôle Combiné est immense : il suffit qu’un verbe soit [+causatif] et en compagnie d’un sujet qui soit [+abstrait] pour qu’il indique la Relation de CAUSE à EFFET (cf. Forner 1989). Les étudiants sont entraînés, avec ce matériel, à effectuer les transformations de type (6). Mais avant de procéder à la transformation, ils sont tenus à déclarer et à justifier le type de catégorie verbale qui convient (par ex. quantité positive, qualité  

















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L’enseignement de la langue marquée

négative, neutre, etc.). Je crois que cette composante cognitive, c’est-à-dire la « planification » avant l’« exécution », est aussi importante que la réalisation même : elle garantit pour l’avenir une application autonome. D’ailleurs, nos futurs ingénieurs se sont révélés plus poussés vers les analyses « logiques » que leurs collègues philologues. Et, finalement, le but du cours n’est pas vraiment la communication spécialisée ; celle-ci est un objectif important qui caractérise tous les autres cours de langue compris dans le curriculum. Le but du présent cours est l’architecture marquée de textes spécialisés écrits. Et voilà déjà tout le bagage LSP qui est présupposé pour une lecture de spécialiste, lecture du texte qui suit, et également pour une production à partir d’une paraphrase non-marquée du même texte. Je crois d’ailleurs que les compétences requises – la compréhension écrite, la production écrite et la cognition – sont interdépendantes et qu’elles servent d’appui l’une à l’autre. Si bien que même la seule compréhension est mieux servie par une méthode qui vise les trois compétences.  















4 L’enseignement de textes marqués 4.1 Compréhension : une approche par le sous-système marqueur  

Après une vingtaine d’heures de cours, les étudiants disposeront des atouts lexicaux (une cinquantaine de Verbes Relateurs), des ressources morphologiques (les bases de la dérivation nominale), des procédés syntaxiques et surtout de la logique qui déterminent les textes LSP : ce sont ces atouts qui les aideront à « déterrer », dans n’importe quel texte LSP, le savoir du spécialiste, tel qu’il a été modélisé ici dans le schéma (3). Il suffira de découvrir dans un texte, par ex. le verbe entraîner (avec en position de sujet le dérivé d’un verbe ou d’un adjectif), pour savoir que cela correspond à une flèche de gauche à droite (C → E) ; de manière analogue, résulter de trahira la causalité inverse (E ← C). Il y a plus : un nom dérivé en position de sujet (ou un autre nom [+ abstrait]) signale la proximité probable d’un Verbe Relateur. On voit que la méthode proposée sert à filtrer un texte spécialisé.  









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Werner Forner

(11) Le Texte : compréhension  

Mécanismes élémentaires de l’inflation (= titre) I Mécanismes internes (= sous-titre) 1

Ce sont ceux qui ne font pas appel aux influences des économies étrangères. Deux théories principales : inflation par la demande, inflation par les coûts.  

5

L’inflation par la demande peut provenir soit d’un excès de la demande par rapport aux capacités de production, soit plus simplement d’une croissance rapide de la demande. La hausse des prix découle alors du comportement des entrepreneurs qui peuvent augmenter leurs gains sans risque de perdre leurs parts du marché.

L’inflation par les coûts la plus fréquemment citée est celle due aux coûts salariaux. Ici encore il s’agit pour les entreprises de sauvegarder leur profit : La hausse des prix ne modifiera pas fortement les conditions de la concurrence dans la mesure où les charges salariales évoluent 10 assez uniformément pour tous les secteurs. (…)  

À cette étape, il faut constater que ces deux mécanismes sont totalement enchevêtrés : en effet, l’augmentation des salaires réagit sur la demande, et réciproquement ; l’augmentation des prix entraîne des revendications pour relever les taux de salaire ; la croissance de la demande pousse à l’investissement, dont le volume accroît en retour la demande ; le développement 15 autonome des profits entraîne des investissements ultérieurs ; enfin le mouvement des prix influence la demande. (…)  









G. Olive (1976, 6s.), cité d’après Lehmann (1980, 66).  

Évidemment, ce texte fourmille de Verbes Relateurs (mis en relief par WF) : à une exception près (« dans la mesure où », ligne 9), toutes les Relations circonstancielles sont exprimées par des connecteurs verbaux. Et tous ces Verbes sont connus de nos étudiants (sauf faire appel à, ligne 1, dont la signification est facile à expliquer). C’est pourquoi la compréhension globale semble être presque aussi immédiate que celle du schéma (3) (qui accompagne le texte original, mais pas nécessairement le texte présenté aux étudiants). Les connecteurs étant connus, il se pose encore la question de savoir si les arguments de ces Relations sont tout aussi compréhensibles ? Je fais suivre une liste des arguments qui accompagnent leurs Verbes Relateurs :  













(12) Les Relateurs et leurs Arguments (« > » = C-E / « < » = E-C)  

C, E ligne







Verbes Relateurs

Arguments

1


pousser à

croissance – investissement

14

>

accroître

volume – demande

15

>

entraîner

développement – investissements

16

>

influencer

mouvement – demande

Il est certain que les arguments ne posent aucun problème : la compréhension globale est donc garantie. Elle l’est par le seul texte – sans le concours du schéma (3) – et par la seule compétence linguistique du lecteur. Certains détails qui resteront encore obscurs à cette première lecture rapide pourront être facilement intégrés. Un problème embarrassant pour le lecteur étranger peut provenir de l’expression française de la quantification, non seulement pour les dérivés tels que excès, croissance (dérivés des verbes excéder sur, croître), mais encore pour les structures de la quantification qui divergent dans des langues non-romanes.5 La connaissance des procédés réguliers LSP décharge la complexité des textes spécialisés. La vingtaine d’heures de préparation serait une fatigue disproportionnée si elle visait à la compréhension du seul texte (11) ; mais nos ingénieurs devront digérer des textes semblables pendant toute leur vie, et les malentendus dus au marquage6 coûteront cher : les éviter grâce à une formation systématique est un investissement lucratif.  







4.2 Compréhension : une approche inspirée par la linguistique du discours  

Le même texte avait fait l’objet d’une analyse didactique par Denis Lehmann (1979 et 1980), du Centre de Recherche et d’Étude pour la Diffusion du Français (CREDIF,

5 Un exemple – mais qui n’est pas présent dans ce texte – est la polysémie de « de » (type excès DE la demande contre excès DE 2% – en all. : « … um 2% »). La quantification mérite un cours à part. Celui-ci doit se fonder – au moins pour les apprenants de langue non-romane – sur une analyse contrastive, par ex. Forner (2011). 6 Qui a dirigé des cours de traduction spécialisée connaît les menus traquenards de structures marquées lorsque celles-ci n’admettent pas une traduction mot-à-mot. Au moins, ces cas-là (même s’ils ne sont pas de règle) requièrent au traducteur des structures qui divergent de l’original, mais dont le choix n’est pas arbitraire ; c’est la méthode (réduction à la BASE) qui suggère des solutions. Pour une application traductologique de cette méthode, cf. Forner (2000).  











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École Normale Supérieure de Saint-Cloud), Centre qui a produit un output impressionnant d’œuvres linguistiques sur les LSP françaises. Comme le modèle recommandé ici, Lehmann veut éviter les lectures « linéaires », le déchiffrage mot à mot, puisque de trop nombreux écueils lexicaux risqueraient alors de bloquer la compréhension de l’ensemble. Sa méthode, cependant, diverge de celle qu’on vient de voir : Lehmann (1980, 61) (aussi Lehmann et al., 1979, 12–17) préconise des « repérages thématiques autour de ‹ mots-clés › », il pense aux termes fréquents dans le texte tels que mécanismes, inflation. Il conseille, en outre, la collecte des notions économiques – en profitant ici du schéma (3) : demande, hausse des prix, profit, investissement, coûts, salaires, etc. L’instrument le plus important, selon M. Lehmann, est la structure du texte. Celleci est visible par les dispositions typographiques (titres, paragraphes, schémas, énumérations, etc.). Elle l’est aussi par des signaux linguistiques : par les éléments anaphoriques et surtout par les articulateurs logiques :  











   







(13) Les articulateurs logiques du texte (11), selon Lehmann (1980, 61)  

soit – soit (ligne 4s.), alors (ligne 7), ici encore (10), à cette étape (14), en effet (15).

En effet, Lehmann propose de faire apprendre l’ensemble de ces mots – il n’est pas de taille négligeable – qui peuvent avoir un effet sur la structuration du texte. Voilà les « moyens » à disposition du maître pour mener à bien le déchiffrement du texte par les élèves. Lehmann réserve au maître un rôle très directeur : c’est lui qui a la tâche de faire découvrir aux étudiants la structure du texte (grâce aux moyens à peine esquissés) et d’activer, à l’aide du schéma, le savoir économiste que certains des étudiants possèdent déjà et de leur faire repérer dans le texte les passages respectifs. D’autres passages peuvent être mis en lumière par le biais de questions astucieuses, des réflexions qu’ils suscitent dans le groupe, et des confirmations données par le maître. Ce type de conseils est partagé par la plupart des ouvrages didactiques ; inutile d’en dresser la liste. Nul doute que les étudiants n’apprennent de cette façon beaucoup de choses utiles : conscience linguistique, stratégies de résolution de problème, etc. Mais estce là le chemin le plus économique pour découvrir un texte ? Comment l’étudiant isolé viendra-t-il à bout de ce texte s’il est livré à lui-même et que nul maître ne se trouve auprès de lui pour lui confirmer ses hypothèses ? Que faire si la construction du sens n’est pas assurée par la présence d’un schéma ? Et plus important encore : est-il permis de présumer que l’étudiant aura compris – avec la structure du texte et les éléments du contenu – le jeu des rapports entre ces éléments, « l’enchevêtrement » des diverses relations qui constituent l’intérêt du spécialiste ? M. Lehmann n’ignore pas du tout l’effet de la connexion verbale. En effet, au sein de son Institut, les « verbes outils de la consécution » avaient défini un projet de  





























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dictionnaire spécialisé7 (qui n’a pu être mené à bout parce que, malgré ses mérites, le CRÉDIF fut supprimé en 1996) ; mais des analyses détaillées8 des Verbes de Relation figurent déjà dans le premier des deux volumineux Dictionnaires Contextuels du Français, celui de la Géologie (DCFG, sous la direction de Descamps 1976–1977). Le fait est que M. Lehmann et son équipe refusent de profiter des Verbes Relateurs comme « repères ». Pourquoi ? « … pour les apprenants, c’est la mise en relation de deux faits économiques (hausse des coûts, hausse des salaires, par ex.) qui leur permettra d’inférer cette relation » (Lehmann/Moirand 1980, 192). C’est les « faits économiques » qui comptent, la « relation » est considérée secondaire, donc susceptible d’inférence et, par conséquent, ne concerne que la pratique de la langue,9 et non la compréhension. Mais, en ce qui concerne les « faits économiques » cités dans l’exemple donné, leurs rôles (Cause ou Effet) sont-ils si clairement distribués ? La « hausse des coûts » est-elle l’effet ? Ou la cause ? Il faut admettre, cependant, que – dans le modèle cognitif favorisé ici – ce qui qualifie les Verbes Relateurs comme « repères » idéaux, c’est qu’ils sont connus grâce au cours qui a précédé, et que, par conséquent, ils sont reconnaissables par les lecteurs ainsi instruits. En plus, ils sont des « repères » extrêmement pratiques parce qu’ils sont toujours accompagnés de leur Cause et de leur Conséquence : en les « repérant » tous, on possède tout (ou presque) l’enchaînement logique du texte. La même chose ne peut pas se dire des « articulateurs logiques » :  























































« Une étude de la seule image du texte ne permet pas d’inférer un sens de ces simples données iconiques. Un repérage reposant sur l’architecture formelle du document (articulateurs et anaphores par exemple) ne permet pas non plus de dégager une quelconque interprétation du texte. Il y a nécessairement combinaison des différentes pratiques sur un même texte, sans qu’il y ait pour autant de démarche identique d’un document à l’autre : le choix et l’entrelacement des pratiques dépend de la forme et du référent du texte ainsi que des conditions de production » (Lehmann/Moirand 1980, 192).  





D’ailleurs, dans les cours électroniques visant l’auto-apprentissage de la lecture de textes spécialisés, LECTICIEL, série qui sera dirigée par M. Lehmann, celui-ci se concentrera beaucoup plus qu’avant sur les « faits » de la discipline respective, c’est 





7 Un des articles, celui de permettre, sera publié par Martins-Baltar (1994), montrant que le sémantisme des Verbes de la consécution est épineux (sans le recours aux équivalences non-marquées). L’analyse réduite présentée ici et dans le cours est cependant suffisante pour l’objectif didactique visé. 8 Cf. dans DCFG, la typologie de la Consécution par ex. dans les entrées « amener 3 », « entraîner III » et surtout « (être) dû à » (plus de 3 pages grand format), « provoquer » ; « déterminer 3 » ; « augmenter », etc. ; mais la liste n’est pas complète (déclencher, exiger, par ex., n’y figurent pas). Cf. aussi le long article sur « l’étiquette » Consecution dans l’annexe partie II, pp. 1444–1449 ; ainsi que, dans la partie IV – qui contient les « Tableaux alphabétiques regroupant les entrées par étiquette, et qui a été rédigé par D. Lehmann – le « Tableau 8 : Consécution », pp. 1580–1581. 9 Les auteurs ne refusent d’ailleurs pas d’intercaler un exercice pratique sur les verbes de relation, cf. Lehmann et al. (1980, 63, 112, 192).  





















































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à-dire sur les aspects lexicaux et terminologiques. La linguistique (du discours) – tout en demeurant « d’une importance décisive » – est placée en arrière-plan, parce que « cette composante n’est pas celle des questions qu’il est le plus utile ni le plus efficace de poser en premier lieu » (Lehmann 1993, 202).  







4.3 La production du texte La production et la réception de textes requièrent les mêmes aptitudes mentales ; ce n’est que l’ordre des prestations mentales qui est inversé. En effet, dans le cas de notre texte, la production signifie que la Relation R (C-E) sera réalisée en forme Verbale (V + CE nominalisés) ; c’est la réception qui prendra cette réalisation comme point de départ, et il suffira d’y reconnaître les arguments liés par la Relation R. Il est vrai que cette faculté d’inversion nécessite quelques exercices, mais les éléments requis par les deux opérations sont identiques. C’est pourquoi leur isolement méthodique me semble inefficace. Les exercices pratiques qui mènent à la production ont déjà été exemplifiés (§3.1, exemple (6)) : il s’agit de transformer des paraphrases dans leurs équivalents LSP, sous l’égide des règles LSP. Or, pour produire un texte LSP partant du contenu du texte (11), il suffira de soumettre aux étudiants une paraphrase de ce texte, avec la tâche d’en faire une transformation LSP. Il y aura quelques petits problèmes d’ordre lexical. Pour les éviter, il convient de faire précéder un exercice (exercice de définition, par ex.) ; cela peut se faire à l’aide d’une grille à choix multiples :  







(14) Exercice de définitions 1

la demande

a

ce que l’industrie est capable de produire

2

la capacité de

b

le prix que les entrepreneurs sont obligés de payer

3

les salaires

c

ce que l’entrepreneur gagne.

4

le profit

d

la quantité des marchandises demandées par le client

5

X supérieur à Y

e

X coûte plus cher

6

le prix de X

f

X est plus grand que Y

production

pour le travail des ouvriers.

augmente Solutions :  

1=d

« La demande, c’est la quantité des marchandises demandées par le client. »  



2=a

« La capacité de production est ce que l’industrie est capable de produire. »

3=b

4=e





5=f

6 = e (etc.)

373

L’enseignement de la langue marquée

La paraphrase du texte est de forme non-marquée (cf. (15), colonne de gauche), malgré le contenu spécialisé : un spécialiste n’aurait jamais l’idée de s’exprimer dans un style pareil. C’est un exemple de ce qu’on a droit d’appeler une « faute LSP » (↗16 Les « fautes de spécialité »). Le devoir des étudiants est donc non seulement un exercice de transformation, mais encore de correction. Les lignes à transformer / corriger sont marquées en italiques. J’ajoute à droite d’abord les résultats venus des étudiants (« transformation I »), ensuite (« II ») des solutions qui dépassent ce niveau « élémentaire ».  





















(15) Paraphrase du texte (voir texte (11), lignes 3ss.) et sa « correction »  



Paraphrase 1a



transformation I

Une inflation peut

=

venir du fait que

être due à

le nombre des marchandises

une demande

transformation II

demandées par les clients est plus grand que

supérieure aux

ce que l’industrie est capable de

capacités de

produire. 1b

production.

Dans ce cas-là,

=

qui amène

les entrepreneurs sont libres d’-

=

les entrepreneurs à

exiger des prix plus élevés,

augmenter les prix

parce qu’ils ne risquent pas de

sans risque de

perdre leurs parts du marché. 2a

=

Une inflation peut

=

arriver parce que

résulter d’-

les entrepreneurs sont obligés

---

de payer plus cher le travail

une augmentation

une hausse des

des salaires.

coûts salariaux

des ouvriers 2b

perte.

=

qui

ce que les ouvriers produisent

Dans ce cas-là,

la production

augmente

doit être vendu plus cher. (etc.)

est plus coûteuse.

le prix de production.

À ce stade de l’enseignement, les étudiants savent manœuvrer le jeu des relations avec leurs arguments et ils maîtrisent l’expression LSP de ces constituantes. Ils ont, en plus, acquis la conscience que des expressions (présentes dans la « paraphrase », colonne de gauche)10 telles que « X peut arriver parce que. », ou « X peut venir du fait que … » sont bien trop « banales » pour être admissibles dans un texte spécialisé. La  















10 C’est d’ailleurs ce style que les mêmes étudiants auraient employé avant le début du cours !  

374

Werner Forner

transformation I leur réussit en peu de temps : les étudiants sont capables de bâtir leur petit palais si on leur met à disposition les briques. À ce point, je pourrais clore la présentation de cette méthode d’apprentissage des mécanismes LSP s’il ne manquait pas les deux autres marques. Elles sont présentes, dans le texte authentique (11), aussi dans (15) dans la transformation II, sous forme de « coûts salariaux ».  





5 L’enseignement des deux autres marques 5.1 Les faits linguistiques Cherchons d’abord les équivalences ! Les coûts salariaux sont équivalents d’abord à coûts de salaire, et encore – la paraphrase (15) l’a montré – à salaires. La première des deux équivalences est facile à formaliser :  



(16) Adjectivation ; règle :  



N1 prép. N2 → N1 Adj.2 « L’attribut nominal peut prendre la forme adjectivale de signification identique (restriction : pourvu que cet adjectif existe) »  





L’autre équivalence (coûts de salaires = salaires) trahit un doublement Analytique. Notre texte parle de salaires sous l’aspect de leur rôle dans l’équilibre des finances : en effet, les salaires sont des coûts ou des charges qui exercent une influence sur le cercle vicieux illustré par le schéma (3). Tout le monde le sait, inutile au fond de le préciser, mais on le dit / on l’écrit quand-même, quand il s’agit de produire un texte LSP, sans souci, d’ailleurs, de l’économie du texte. On analyse donc le terme de « salaire » en deux éléments lexicaux : le premier élément étant l’Aspect, le second terme porte tout le poids de l’information, malgré sa position formelle d’Attribut nominal qui semble (mais à tort) suggérer une fonction sémantique secondaire. Dans ces constructions, l’Attribut est donc l’élément principal, le nom est un élément fonctionnel, le rapport entre les deux éléments est défini par « ÊTRE » : les salaires SONT des coûts, les salaires SONT des charges.  













(17) Analytisme nominal : règle  

NX → f de NX

(« f » = nom fonctionnel, nom support) « Tout nom peut s’accrocher à un nom fonctionnel »    





Les verbes des textes LSP ont tendance à être victimes d’un doublement assez analogue : une auto-description d’un bureau d’études, par ex., évitera le verbe étudier. Au  

L’enseignement de la langue marquée

375

lieu d’écrire : « Notre bureau étudie le coût et les avantages d’une implantation au Brésil », on trouvera bien plutôt, selon l’Aspect qu’on veut attribuer à la propre action (« Aspects » dans (18) : 1 inchoatif / 2 résultat/ 3 durée/ 4 zéro) :  













(18) Exemples d’analytismes verbaux :  

le coût …

étudie (VX)

Notre bureau →

aspect aborde / procède à

1

réalise / établit Notre bureau mène

2 {une/des/l’/les}

le coût …

étude(s) de+

effectue

3 4

analyse :  

sujet

f

dét

complément

N°X

(19) Analytisme verbal : règle  

VX → f de dét N°X (« f » = verbe fonctionnel, verbe support) « Tout verbe X peut être doublé par un verbe fonctionnel ; le verbe X subit alors une mutation en forme nominale, et s’accompagne d’un dét(erminant) ».11    







D’autres « Aspects » (ce terme est ici un mot-valise !) sont : action/état (aussi dans les analytismes nominaux), en plus : progressif, factitif, passif dynamique / passif statique / moyen. L’ensemble constitue un système assez complexe qui ne peut pas être présenté ici (↗11 Les analytismes (verbaux, nominaux)). Il est important de souligner que les deux analytismes sont fréquents dans les textes LSP et rares dans les textes narratifs par exemple.  













5.2 Les exercices Il s’agit, comme avant (cf. (6)), d’exercices de transformation : les paraphrases (de textes authentiques) doivent être reconverties. La transformation est, comme avant, encore précédée d’une prise de conscience : les étudiants doivent justifier leur décision. Par ex., dans les petits textes (20, 21), ils doivent d’abord décider sur l’Aspect qui  



11 Sans le déterminant, il s’agit d’une locution verbale : faire dodo n’est point un analytisme de dormir !  



376

Werner Forner

est infiltré par le contexte, avant de procéder à la réalisation ; tandis que dans (22), ils sont tenus à se décider pour l’un des passifs.  

(20) Exercice sur les Analytismes verbaux aspect :  

L’implantation dans les pays à bas salaires risque d’engendrer de nombreux désavantages ; c’est donc une décision risquée qui n’est justifiée que sous réserve d’avoir étudié le coût et les avantages de cette implantation.  

→ résultat

→ « … sous réserve d’avoir réalisé l’étude du coût et … »  



(21) Exercice sur les Analytismes nominaux aspect :  

« (–) ce type de marketing traduit un choix quant à la façon de considérer  



→ état

la concurrence (…)» → « … les situations concurrentielles » …  



(22) Transformation passive à l’aide d’Analytismes verbaux Tâche : Placez les expressions soulignées en position de sujet !  

aspect :





→ passif

Il n’y a pas de réglementation spécifique concernant les contrats

dynamique

d’ingénierie-conseil. →

« Les contrats d’ingénierie-conseil ne font pas l’objet d’une  

réglementation spécifique. »  

Les exercices de transformation possèdent, d’une part, une fonction de panneau indicateur : ils indiquent, avec le concours des règles, le chemin à poursuivre pour produire un texte LSP. Ils ont, d’autre part, une valeur explicative : le recours à l’équivalence non-marquée définit le sémantisme des constructions LSP. Ceci est vrai aussi et surtout pour les Adjectifs de relation dont nous venons de connaître le fonctionnement (cf. (16)). Leur sémantisme peut paraître quelquefois compliqué, un diagnostic fréquent (mais erroné) veut que ces Adjectifs soient vagues. En réalité, il s’agit d’un sémantisme précis mais multiple : l’Adjectif de relation reproduit fidèlement la multitude des fonctions sémanto-syntaxiques qui lient, au niveau de la proposition, les « accompagnateurs » nominaux à leur verbe (↗12 La confixation et les adjectifs de relation). Le seul sujet, par ex., peut représenter soit l’auteur de l’action signalée par le verbe, ou la cause, ou l’endroit, ou le temps, ou encore d’autres fonctions. La fonction présente dans la BASE propositionnelle reste stable lors de la transformation Adjectivale ; avec la différence qu’au niveau de la proposition, les différences fonctionnelles sont formellement signalées (l’opposition auteur / victime est exprimée par l’opposition sujet / complément), tandis qu’au niveau  











L’enseignement de la langue marquée

377

de l’Adjectivation, aucun signal ne trahit la fonction. L’Adjectif de relation est le melting pot de la proposition ; il neutralise les oppositions présentes dans la BASE. La même analyse (à une exception près) vaut d’ailleurs aussi pour les Compositions nominales (des langues germaniques, également romanes).  

(23) Stabilité fonctionnelle de l’adjectif de relation Fonction

Proposition

Adjectivation

V ~ sujet / agent

les ouvriers cotisent …

la cotisation

    

ouvrière

V ~ OD

/ expérient

qn consulte les ouvriers

la consultation ouvrière

V ~ OI

/ bénéfactif

(V + au profit des ouvriers)

la législation

     

      

   

ouvrière

L’Adjectif est identique dans les trois exemples : ouvrier. Mais, dans les trois contextes, cet adjectif a trois fonctions distinctes, qui, cependant, ne sont pas signalées ; elles sont identiques aux fonctions présentes dans les trois propositions. C’est l’équivalence qui permet le diagnostic correct. Le sémantisme des Adjectifs de relation est compliqué aussi pour d’autres raisons, parmi lesquelles la suppression régulière d’éléments porteurs de sens, dont le sens survit malgré la suppression. Exemple : l’OPEP est « l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole ». Ces pays sont appelés « pays pétroliers » : le terme du milieu, « Exportateurs », n’y figure pas, mais continue à signifier in absentia, puisque les « pays pétroliers » ne sont pas des pays qui possèdent / qui produisent du pétrole, mais qui l’exportent. Ce mécanisme qualifie l’adjectif de relation pour une fonction nominative (en plus de sa fonction discursive). Recette : que l’on prenne, dans une expression nominale longue qui peut servir de définition, le premier et le dernier élément, et ce sera le terme – trois exemples d’exercices :  

























(24) Un « assemblage » pétrolier  



discours

nom

L’approvisionnement en pétrole est en crise

la crise pétrolière

Le choc causé par le renchérissement des produits de pétrole

le choc pétrolier

La flotte des navires destinés au transport du pétrole

la flotte pétrolière

6 En guise de conclusion À la fin du cours, les étudiants maîtrisent les quatre procédés marqueurs de spécialité : ils sont capables de transposer un texte non-marqué en son équivalent marqué, et vice-versa, en mettant en œuvre deux capacités : la conscience des structures concer 



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Werner Forner

nées (soit les structures susceptibles de transformation, soit les structures LSP) et la réalisation transformative. Cette maîtrise se vérifie, chaque année, par un contrôle final où les échecs sont rares. À plus forte raison, les étudiants sont qualifiés, par la méthode, à extraire, d’un texte marqué, les informations pertinentes. Après ce cours relativement théorique, les étudiants-ingénieurs suivront 7 autres cours de français de spécialité, surtout oral, où ils auront occasion de retrouver et de pratiquer les marques LSP. La fin de cette séquence sera marquée par un mémoire écrit en français qui confirme, dans la plupart des cas, la maîtrise LSP aussi dans ce contexte plus libéral. Ce type de maîtrise est faisable dans l’espace d’un semestre, parce que les procédés marqueurs sont réguliers en ce qui concerne leur fonctionnement syntaxique, même si les niveaux inférieurs (morphologie, lexique) peuvent réserver des surprises : la transformation stylistique pourrait être effectuée par un calculateur. Ce type de maîtrise répond-il aux besoins des entrepreneurs ? De nombreuses enquêtes ont montré (au niveau des cadres) que, dans les moyennes entreprises, le besoin de connaisseurs de langues étrangères (au delà de l’anglais) continue de croître, que les compétences requises concernent en tout premier lieu la communication orale y compris les conventions communicatives. Quant à la langue étrangère écrite, qui nous intéresse ici, la rédaction et la compréhension de textes compliqués tout comme la traduction sont exigées. Ce qui est requis – pour les cadres – ce n’est pas en premier lieu le lexique spécialisé, mais plutôt une sorte de « langage courant ».12 Voilà pour les besoins. L’offre en personnel polyglotte n’est cependant point à la hauteur des exigences.13 Les mesures mises en œuvre par la politique (allemande, par ex.) pendant le dernier demi-siècle n’ont pas empêché une croissance sensible de ce besoin. Les critères d’évaluation sont résumés par les enquêtes de l’Institut de l’économie allemande (IW 2004, 37) :14 les compétences linguistiques des cadres doivent être « solides, susceptibles d’approfondissement, aptes à effectuer le management et la négociation ». Je crois que la formation à l’écrit présentée ici obéit à ces critères et aux besoins esquissés.  













12 Pour les cadres, 84,8% des entreprises attribuent une grande / très grande importance à la maîtrise de ce qui est appelé « Umgangssprache » (« langage courant ») ; pour le personnel technique, ce ne sont que 37,4%. Ce qui est appelé « Fachsprache » (« langue technique, lexique spécialisé ») reçoit l’appréciation inverse (Weiss 1992, 109). 13 L’enquête de Weiss (1992, 118) atteste pour les trois quarts des cadres allemands l’incapacité de négocier dans une langue étrangère. 14 Pour un panorama des diverses enquêtes menées en Allemagne et des conséquences politiques et didactiques cf. Forner (2006).  

















379

L’enseignement de la langue marquée

7 Bibliographie DCFG = Descamps, Jean-Luc, et al. (1976–1977), Dictionnaire Contextuel de Français pour la Géologie. Essai de classement d’un concordancier de français scientifique et étude critique, 2 vol., CREDIF, Paris, Didier. Debyser, Francis (1972), Une difficulté spécifique de la langue de presse, la nominalisation, Le français dans le monde 89, 10–15. Forner, Werner (1989), Der Ausdruck adverbialer Relationen in fachsprachlichem Stil, in : Wolfgang Dahmen et al. (edd.), Technische Sprache und Technolekte in der Romania, Romanistisches Kolloquium 2, Tübingen, Narr, 20–40. Forner, Werner (1995), La causalité corrélative en français de spécialité, in : Michel Martins-Baltar (ed.), La locution en discours, Cahiers du français contemporain 2, 175–195. Forner, Werner (1998), Fachsprachliche Aufbaugrammatik Französisch. Mit praktischen Übungen, Wilhelmsfeld, Egert. Forner, Werner (2000), Stilkontrast – Sprachkontrast – Übersetzung, in : Werner Forner (ed.), Fachsprachliche Kontraste, oder : Die unmögliche Kunst des Übersetzens. Akten des SISIB-Kolloquiums vom 11.–12. Juni 1999, Frankfurt am Main, Lang, 209–234. Forner, Werner (2006), Zum Sprachbedarf in Handel und Industrie, in : Werner Forner/Stefan Habscheid (edd.), Sprachliche und fachliche Kompetenzen : Zwei Seiten eines Blattes ? 20 Jahre Siegener Institut für Sprachen im Beruf, Frankfurt am Main, Lang, 25–47. Forner, Werner (2011), Syntax der Quantifikation Französisch–Deutsch, in : Wolfgang Dahmen et al. (edd.), Die romanischen Sprachen als Wissenschaftssprachen, Romanistisches Kolloquium XXIV, Tübingen, Narr, 237–273. Hoffmann, Lothar (1998a), Fachsprachen und Gemeinsprache, in : Lothar Hoffmann/Hartwig Kalverkämper/Herbert Ernst Wiegand (edd.), Fachsprachen. Languages for Special Purposes. Ein internationales Handbuch zur Fachsprachenforschung und Terminologiewissenschaft (HSK 14), vol. 1, Berlin/New York, de Gruyter, 157–168. Hoffmann, Lothar (1998b), Fachsprachen als Subsprachen, in : Lothar Hoffmann/Hartwig Kalverkämper/Herbert Ernst Wiegand (edd.), Fachsprachen. Languages for Special Purposes. Ein internationales Handbuch zur Fachsprachenforschung und Terminologiewissenschaft (HSK 14), vol. 1, Berlin/New York, de Gruyter, 189–199. HRK (1991), Richtlinien für den Erwerb eines Zertifikats « Fachsprache » (résolution adoptée le 01.07.1991 par la Conférence des Recteurs Universitaires HRK). IW (2004) = Römer, Christoph, et al., Vorsprung durch Fremdsprachentraining. Ergebnisse einer Unternehmensbefragung, Köln, Institut der Deutschen Wirtschaft. LECTICIEL = Denis Lehmann/Charles de Margerie/Arnaud Pelfrene (edd.) (1993, 11991), LECTICIEL, 4 vol., 12 disquettes, St. Cloud, ENS. Lehmann, Denis (1980), Les étapes majeurs d’une élaboration. Le matériel : quelques illustrations, in : Denis Lehmann et al. (edd.), Lecture fonctionnelle de textes de spécialité, Paris, Didier, 31–68. Lehmann, Denis (1993), Objectifs spécifiques en langue étrangère. Les programmes en question, Paris, Hachette. Lehmann, Denis/Moirand, Sophie (1980), Pratiques de lecture, in : Denis Lehmann et al. (edd.), Lecture fonctionnelle de textes de spécialité, Paris, Didier, 129–192. Lehmann, Denis, et al. (edd.) (1979), Lire en français les sciences économiques et sociales. Matériel d’accès à la compréhension de l’écrit pour spécialistes non francophones, Fiches pédagogiques, Paris, Didier. Littmann, Günter (1979), Zur Syntax der Fachsprachen und anderer Sprachvarianten. Methodenprobleme in der empirischen Sprachforschung, Fachsprache 1–2, 50–68.  



















































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Werner Forner

Littmann, Günter (1981), Fachsprachliche Syntax. Zur Theorie und Praxis syntaxbezogener Sprachvariantenforschung, Hamburg, Buske. Martins-Baltar, Michel (1994), Permettre : Forme simple, emplois complexes. (Contextes technoscientifiques, dictionnaires), Cahiers du français contemporain 1, 307–328. Olive, Gaston (1976), L’inflation : de quoi parlons-nous ?, Dossiers Économie et Statistique 77 (avril), Paris, Insee. von Hahn, Walter (1983), Fachkommunikation. Entwicklung – Linguistische Konzepte – betriebliche Beispiele, Berlin/New York, de Gruyter. Weiss, Reinhold (1992), Fremdsprachen in der Wirtschaft : Bedarf und Qualifizierung, in : Wolfgang Kramer/Reinhold Weiss (edd.), Fremdsprachen in der Wirtschaft, Köln, Deutsches Institut, 77–177.  







Quelques échantillons de la diachronie

Johannes Kramer

18 La langue de spécialité dans l’Antiquité Abstract : Le discours sur des contenus spécialisés ne se distingue pas, dans l’Antiquité, par une forme propre : les textes spécialisés ne sont pas marqués par des préférences syntaxiques ni par des genres textuels spécifiques ; au contraire, ils se trouvent intégrés dans des textes narratifs, avec un style qui est compris par un public cultivé sans préparation spécialisée, et qui n’évite point les ornements rhétoriques de la haute littérature. Les termes techniques des textes latins sont en général empruntés au grec, dont ils reflètent souvent une morphologie étrangère au système latin. L’objectif des textes spécialisés semble être moins une information spécialisée qu’une approche didactique. Font exception les sciences exactes où les textes ne font qu’accompagner le formalisme.    





Keywords : style des traités antiques, moyens de description, fonction didactique, types de textes spécialisés, genres littéraires antiques    

1 Existe-t-il une « langue de spécialité » dans l’Antiquité ?  





Dans les différents enseignements sur les genres littéraires antiques, il n’y a aucune place pour quelque chose que nous pourrions qualifier de langue de spécialité, même si on y trouve, bien entendu, des descriptions spécialisées. Il est vrai que toute société, de tout temps, est forcée de mettre à dispositon des moyens linguistiques pour décrire des réalités qui ne sont pas habituelles et qui exigent une compétence particulière, une spécialisation. Mais il n’est pas moins évident qu’un texte exposant un contenu spécialisé ou technique, n’est pas nécessairement, eo ipso facto, un texte de spécialité ; en fait, tant que le contenu technique se traduit uniquement par l’utilisation du vocabulaire spécifique, on n’a pas le droit de parler d’un texte de spécialité. C’est pouquoi il convient, tout d’abord, de déterminer ce qui constitue, de nos jours, un texte de spécialité, avant de poser la question de savoir si l’Antiquité avait connu un style analogue. Toute langue dispose de différents styles fonctionnels selon qu’il s’agit, par exemple, d’une conversation, d’un texte littéraire ou de la présentation d’une situation technique. Le choix d’une de ces variantes stylistiques par le locuteur dépend de ses propres intentions, si bien que le même fait peut être présenté dans des variantes différentes. Le système linguistique sous-jacent n’en est pas touché, mais cette notion de système implique des sous-systèmes, la coexistence fonctionnelle de plusieurs variantes ; et dans la communication actuelle, un des sous-systèmes est la langue de spécialité ; celle-ci se distingue des autres sous-systèmes. Mais il est bien évident  





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Johannes Kramer

(puisque le contenu peut être constant dans les différentes réalisations) que ce n’est pas le contenu du message qui définit l’un ou l’autre des sous-systèmes, mais bien l’intention stylistique qui se trahit par certains traits différentiateurs. Quels sont alors les traits qui définissent, dans la communication actuelle, le sous-système appelé langue de spécialité ? Il s’agit – selon l’analyse de Forner (1998, 4) – de « seulement quatre stratégies qui génèrent les différences de la langue de spécialité par rapport aux autres styles ». La fréquence de ces stratégies joue, naturellement, un rôle déterminant : le spécialiste peut s’exprimer de manière plus ou moins technique , et il a même la liberté de renoncer à toutes les stratégies « de spécialité » ; dans ce cas-là, son texte sera un texte spécialisé, mais non un texte de spécialité. En d’autres termes : il convient d’apporter une distinction méthodique entre un classement pragmatique (interlocuteurs–contenu–situation spécialisés) et un classement linguistique (stratégies de mise en texte). Voici les quatre stratégies qui marquent la langue de spécialité du XXe siècle (et qui viennent s’ajouter, bien entendu, aux règles non-marquées de l’usage linguistique) : 1) la nominalisation, c’est-à-dire un habillement nominal (non verbal) d’une proposition de base, habillement qui en permettra l’intégration dans une proposition-matrice ; 2) les verbes de relation qui expriment la relation causale (par ex. : « la cause entraîne l’effet » / « l’effet résulte de la cause » ; ↗10 Les verbes relateurs et l’enchâssement nominal). 3) la scission des verbes ou des noms en deux éléments, dont l’un véhicule la signification référentielle, tandis que l’autre peut y ajouter une précision « aspectuelle » (par ex. aborder / réaliser l’étude de X = étudier X + « aspects » initial / résultatif ; ou : activité de production / phase de production = production + « aspects » action / état ; ↗11 Les analytismes) ; 4) l’adjectivation des noms adnominaux (par ex. : activité productive = activité de production ; ↗12 La confixation et les adjectifs de relation).  

























































Lorsque ces quatre stratégies sont massivement utilisées, on peut parler de l’emploi du sous-système « de spécialité », qui fait à son tour partie du système linguistique général. Sur le plan historique, ce système de marques n’existe que depuis la fin du XIXe siècle. Avant, les contenus techniques étaient exprimés sous forme de prose nonmarquée – et parfois même en forme « poétique » (depuis les philosophes présocratiques comme Empédocle, Lucrèce, jusqu’au XVIIIe siècle au moins, ↗21 Entre Renaissance et Lumières : les genres textuels de la création et de la transmission du savoir). Diverses formes d’expression dont disposait l’Antiquité ont pu ainsi être utilisées, sur le plan pragmatique, pour la présentation de réalités techniques, mais sur le plan variationnel, il n’y avait aucune distinction fonctionnelle entre un style typiquement « technique » et un style typiquement « non technique » ; il n’y avait aucune forme  



















La langue de spécialité dans l’Antiquité

385

discursive spécialisée aux contenus « techniques ». Ce qui a existé dans le monde antique, c’est une terminologie technique – souvent complexe, mais son utilisation n’était pas liée à un style déterminé. En d’autres termes : la nomination disposait des atouts pour exprimer les réalités techniques ; le discours n’en avait point : les termes techniques se nichaient dans des types de discours « discrets ». Ce n’est qu’au passage du XIXe au XXe siècle que le discours théorique ou scientifique s’émancipera du discours aux prétentions artistiques, et vice-versa, et qu’une élaboration linguistique « de spécialité » (qui se servira des quatre stratégies précitées) sera mise en œuvre pour assurer la distinction entre ces deux types de prose. Ce « schisme stylistique » (Forner 2008, 48) entame la nouvelle ère de langues de spécialité.  





















2 Moyens antiques marquant des réalités spécialisées On ne peut donc pas prétendre à trouver une langue de spécialité au sens moderne pendant les périodes précédentes et notamment dans l’Antiquité. Cependant, des réalités techniques ont, bien évidemment, été exprimées ; mais ce n’était pas au moyen d’une forme linguistique spécialisée, utilisée par des professionnels pour des objectifs spécialisés et destinée aux spécialistes. Ce qui fut utilisé pour véhiculer le contenu technique, ce sont les mêmes procédures stylistiques que celles qui garantissent également la littérarité du discours littéraire. Il convient de distinguer deux cas de figure : il y a, d’une part, des traités autonomes, qui assument d’ailleurs normalement une intention didactique ; j’y reviendrai. Et il y a, d’autre part, des discours techniques qui se trouvent intégrés dans la littérature, qui peut être un récit historique. On peut citer, par exemple, la description de la construction du Temple et du Palais de Salomon intégré dans l’Ancien Testament (1er livre des Rois 6–7, v. 2ème livre des Chroniques 3–4), ou l’histoire d’Hérodote sur la construction du pont de bateaux sur l’Hellespont (7, 36), ou encore la présentation de la construction du pont sur le Rhin dans le Bellum Gallicum de César (4, 17–18). En ce qui concerne la forme linguistique de ces extraits techniques, on peut dire brièvement ce qui suit : les descriptions de la construction du Temple et du Palais de Salomon représentent un des rares exemples d’une expression technique hébreu. Les textes proviennent probablement du VIe siècle avant J.-C., avant l’exil à Babylone, mais ils reprennent les instructions de construction du bureau d’architecture royal du Xe siècle avant J.-C. (Noth 1968, 106). Les formulations nominales sont au premier plan, alors que les expressions verbales sont très stéréotypées (ibid., 103s.). Le plus frappant est, avant tout, le grand nombre de ἅπαξ λεγόμενα, de termes techniques qu’on ne trouve pas ailleurs dans la Bible hébraïque, pour la bonne raison qu’il n’y a pas d’autres textes architecturaux (Kramer 1989, 295). La technicité est liée, avant  









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tout, au vocabulaire spécial. Dans les traductions antiques, c’est-à-dire dans la Septante et la Vulgate, cette technicité due au vocabulaire se réduit, de sorte que le caractère narratif de la construction du Temple ressort au premier plan avant l’exactitude de la description (ibid., 296). La description d’Hérodote du pont de bateaux sur l’Hellespont laisse identifier l’installation entière, mais elle n’est pas une base pour une reconstruction. Hérodote n’avait certainement aucune formation d’ingénieur et ne savait véhiculer qu’un tableau général, et non une présentation permettant une reconstruction précise (Stein 1969, 48–51). Sur le plan linguistique, Hérodote cherche à s’en sortir avec des expressions que tout Grec familiarisé avec la marine connaît, sans utiliser des expressions techniques. La syntaxe n’offre pas de traits particuliers s’écartant du style normal de l’historiographie. La description du pont sur le Rhin présentée par César offre une structure spéciale comparée à la description de faits historiques et belliqueux, et cette structure semble être conçue par César lui-même (Kraner/Dittenberger/Meusel 1968, 315). Sur la base de sa description, on a réussi à reconstruire le pont (Saatmann/Juengst/Thielscher 1938–1939 ; Gilles 1969 ; Mensching 1981). « A Cesare interessava evidentemente l’effetto spettacolare, sia per intimorire i nemici come per soddisfare la sua ambizione di imprese straordinarie, che gli avrebbero sempre più legato l’esercito e riempito d’entusiamo il popolo a Roma » (Garzetti 2007, 1040). César évite des termes techniques que seuls les spécialistes peuvent comprendre (Pascucci 1973, 498) : « Lo scrittore si fa uno scrupolo di risparmiare l’intrusione di termini della lingua artigianale e l’evidenza del manufatto balza fuori, per cosi dire, della limpidezza impeccabile del dettato » (ibid., 496). Sur le plan stylistique, la description de la construction du pont correspond aux autres « parti narrative impersonali, obiettive, redatte nel tono burocratico delle informazioni ufficiali » (ibid., 502), pour lesquels César était connu à juste titre – récits de guerre peu spectaculaires et d’autant plus efficaces dans le style d’un ouvrage historique objectif. La quintessence est claire : même les extraits qui véhiculent au fond des informations très techniques ne sont précisément pas maintenus, chez de bons stylistes, dans une forme qui se distingue du style des autres extraits. À côté de ces extraits dans des livres d’histoire, il y a aussi de petites œuvres autonomes, à savoir le livre de Xénophon sur l’économie (οἰκονομικός) et sur l’équitation (περὶ ἱππικῆς, ἱππαρχικός) ou de nombreux extraits médicaux parus sous le nom d’Hippocrate et sous celui de Galien. Tous ces traités se portent vers un public non spécialisé d’une bonne culture générale, ils ne sont pas rédigés pour les spécialistes qui étaient tenus en basse estime par les intellectuels contemporains.  



















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3 Caractère didactique des écrits techniques La particularité la plus frappante des textes antiques abordant des réalités techniques est leur caractère systématiquement didactique : les auteurs tiennent à transmettre, en premier lieu, les bases de connaissances professionnelles à un public de lecteurs non spécialisés ; les spécialistes en tant que lecteurs sont visés, au mieux, en second lieu. La littérature technique rejoint ainsi les écrits destinés à l’éducation standard qui représente l’enseignement général – ἐγκύκλιος παιδεία. Sur le plan social, la réputation d’un spécialiste – d’un βάναυσος – au sens strict était très faible, et Aristote met expressément en garde contre la revalorisation politique de cette situation (pol. 1378a, 29–34). Même si les représentants de l’élite intellectuelle possèdent des connaissances spécialisées, c’est uniquement sur le plan théorique : il est seulement question de présenter de multiples informations à l’aide des mots, et il ne s’agit pas de pouvoir les appliquer – ce n’est pas la tâche de l’élite à laquelle les textes s’adressent. La connaissance canonique selon laquelle un homme libre (liberalis, ἐλευθέριος) était digne, était abordée dans le contexte des septem artes liberales (ἑπτὰ ἐλευθέριοι τέχναι), regroupés, dans l’Antiquité tardive, en un triplé linguistique pour débutants, trivium (grammaire, rhétorique, dialectique), et en un quatuor pour avancés, quadrivium (arithmétique, géométrie, astronomie, musique). Ce modèle avait déjà été élaboré par Isocrate (436–338 avant J.-C.) comme une propédeutique philosophique, mais c’est seulement par Martianus Capella (Ve siècle après J.-C.) qu’il a été canonisé et introduit dans le contexte scolaire après le IXe siècle (Schneider 1999, 274) ; Augustin l’a repris dans le canon de l’éducation chrétienne (doctr. Christ. 1, 2 = PL 34, 19 : « omnis doctrina vel rerum [= trivium] vel signorum [= quadrivium] est »). Le « sacrae scripturae sermo humilis » (Auerbach 1967, 21), qui devait familiariser des gens peu instruits avec la nouvelle religion chrétienne, a été utilisé par Augustin pour élaborer une stylistique « chrétienne » : le style simple (dictio submissa) est destiné à la transmission du contenu réel, le style moyen (dictio temperata) sert à persuader et le style élevé (dictio grandis) fait appel aux activités personnelles (doctr. Christ. 4, 39–44 = PL 34, 107–110), et la considération des capacités linguistiques du public est une ligne directrice importante (doctr. Christ. 4, 56–58 = PL 34, 117). Augustin tire des exemples de la Bible pour illustrer ces niveaux stylistiques et il les a utilisés lui-même dans ses nombreux ouvrages (par exemple, dictio submissa : dans les sermons ; dictio temperata : dans les commentaires aux livres de la Bible ; dictio grandis : dans les Confessions autobiographiques, v. Hiltbrunner 1999, 2284). Si l’on peut dire, un langage théologique qui s’adresse aux indocti est présent dans les dictiones submissae (sermons) d’Augustin et aussi dans ses dictiones temperatae (interprétations bibliques), mais il ne peut absolument pas être considéré comme une langue de spécialité au sens où nous l’entendons : il s’efforce, bien au contraire, à vêtir le contenu théologique sans formes techniques particulières dans un langage courant sans prétention. La dictio grandis d’Augustin que l’ancien professeur de rhétorique utilise dans ses Confessiones s’appuie sur le style de Cicéron dans ses  





































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ouvrages philosophiques (Hiltbrunner 1999, 2284) ; ce moyen d’expression complexe n’est certainement pas une langue technique de la théologie. Les traités médicaux, par contre, peuvent être qualifiés de littérature spécialisée au sens où nous l’entendons. Jutta Kollesch (1999, 2271) a identifié que, dans l’Antiquité, il n’y avait aucun langage technique compréhensible uniquement pour le spécialiste : en effet, le vocabulaire habituel utilisé devait correspondre tant aux profanes qu’aux médecins ; il n’y avait pas de lexèmes techniques concrets, et les mots avaient souvent des significations différentes en fonction du contexte (ἀρτηρία ‘trachée’ ou ‘artère’, νεῦρον ‘tendon’, ‘bande’ ou ‘nerf’). Cependant, il n’y avait pas de forme textuelle spéciale pour les ouvrages médicaux. Eu égard à la dépendance de la médecine romaine de la médecine grecque, il y avait, dès le début, plus de grécismes que dans des textes non spécialisés, mais on cherchait toutefois à recourir aux calques (κεφαλαλγία = dolor capitis ‘mal de tête’) ou aux paraphrases latines (σιαγονῖται μύες = musculi qui buccas colligunt ‘muscle maxillaire’), dans l’intérêt d’une compréhension générale (Kollesch 1999, 2276). D’autres domaines techniques, l’agriculture par exemple, pouvaient à peine prendre la forme d’une certaine technicité, car la continuation du fonctionnement habituel (mos maiorum) était beaucoup plus importante que l’émergence de nouvelles méthodes culturales : les connaissances agricoles sont en principe celles de tous les jours (Niehoff-Panagiotidis 1999, 2294), et Cicéron considérait le vaste manuel de Magon le Carthaginois, traduit en latin, comme inutile, car tout le monde savait déjà ce qu’il y avait à faire dans les champs et à la ferme (de or. 1, 249). Dans ce contexte, il n’y a pas lieu de penser à une technicité linguistique développée. Comme presque toutes les observations antiques sur des réalités techniques ont un caractère didactique, on les regroupe la plupart du temps sous le terme d’« ouvrages de référence », même si ce n’est pas un terme antique. Ces ouvrages de référence paraissent dans une forme poétique ou prosaïque. Les « poèmes didactiques » sont une forme particulière de l’épopée dont ils relèvent sur le plan de la métrique, de la langue et du style, alors que le contenu est un exposé d’enseignement cohérent sur un sujet scientifique au sens large ; le genre devait toujours se loger entre la poéticité et la didactivité, mais la Muse principale est, dans tous cas, Calliope, c’est-à-dire la Muse de la poésie. Les ouvrages prosaïques doivent tout d’abord être classés plutôt parmi les études historiques, pour lesquelles la Muse Clio est compétente, ensuite, ils doivent être qualifiés, au sens large, d’ouvrages philosophiques ; c’est le cas, par exemple, des dialogues (διάλογοι), des exposés d’enseignement (διατριβαί), des ouvrages d’introduction (εἰσαγωγαί), des ouvrages publicitaires (προτρεπτικοί), des notes de cours (ὑπομνήματα) et même des lettres (ἐπιστολαί). Ce qui est important aussi, c’est la distinction entre les ouvrages destinés au grand public (ἐξωτερικὰ συγγράμματα ou ἐξωτερικοὶ λόγοι), par exemple, dialogues de Platon et dialogues (perdus) d’Aristote, et d’autres ouvrages adressés à un public spécialisé (ἐσωτερικὰ συγγράμματα ou ἐσωτερικοὶ λόγοι), par exemple, ouvrages scolaires (conservés) d’Aristote.  



















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Le choix des genres était influencé avant tout par des considérations du public. La forme de dialogue construite de façon littéraire, présente par exemple dans les dialogues socratiques de Platon, mais aussi dans l’ouvrage compétitif beaucoup moins approfondi de Xénophon, s’adressait à un public instruit, les ouvrages d’introduction (Porphyrios) étaient destinés à un public profane, les ouvrages publicitaires (Aristote, Clément d’Alexandrie, Jamblique) servaient à la propagation d’une certaine vision philosophique, les notes de cours étaient destinées aux membres des écoles philosophiques et étaient populaires surtout chez les stoïciens, mais elles ont aussi propagé les enseignements d’Epictète dans les notes des Arrians et avaient une certaine conjoncture dans la théologie chrétienne (Origène, Didyme l’Aveugle), et, enfin, les lettres intégraient des principes philosophiques dans la vie quotidienne des célébrités. Spécialement en grec, au lieu d’un style de spécialité, il y a eu certains dialectes qui étaient attribués aux différents genres littéraires. Le langage épique était axé sur la forme de langue dans laquelle sont écrits les poèmes d’Homère Iliade et Odyssée, c’est-à-dire essentiellement une forme précoce de l’ionien avec des éléments provenant d’autres dialectes ; c’est en même temps la forme linguistique de la poésie didactique. La langue de l’écriture historique et ensuite de la prose descriptive est d’abord l’ionien (par exemple les écrits médicinaux), comme déjà mentionné plus haut. Depuis Thucydide, la langue attique s’est imposée dans l’historiographie, et, avec un certain recul dans le temps, la prose technique attique émerge également. Des textes techniques provenant d’Italie du Sud, rédigés en dorique natif (Archimède), représentent une évolution particulière. Des réalités techniques influencent la vie quotidienne aussi dans l’Antiquité, mais dans une moindre mesure que ce n’est le cas aujourd’hui. Cela se manifeste en particulier en médecine, mais aussi en astronomie qui ne se distinguait pas de l’astrologie, et en mathématiques (calculs, mesures, poids, valeur monétaire, géométrie, etc.). Le langage particulier de la science littéraire, de la grammaire et de la rhétorique est pratiquement omniprésent, car ces domaines sont abordés dans une grande partie des ouvrages transmis. Les textes qui ont rapport aux spécialités se peuvent servir de tous les moyens rhétoriques de la prose d’art antique, donc parallélismes des membres de la phrase, clausules rythmiques, assonances etc. Les régularités rhétoriques valaient intégralement dans les descriptions spécialisées.  

4 Vocabulaire technique Dans l’Antiquité, la technicité se révèle, avant tout, dans la formation des mots, sinon les textes techniques suivaient les conventions de la prose littéraire. Dans le domaine médical, Galien de Pergamon (129–200 après J.-C.) s’étonna de l’irrégularité (ἀνωμαλία) de la formation des noms de maladies (meth. med. 2, 2 = 81–82 Kühn), car ni le

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choix des suffixes ni celui des bases lexicales obéissait à une norme rationnelle : les termes se réfèrent soit à la partie du corps concernée (ἰσχίας ‘sciatique, douleur à la hanche’ se référant à ἰσχίον ‘hanche’, νεφρῖτις ‘maladie rénale’ à νεφρός ‘rein’), soit au symptôme (ἀγρυπνία ‘insomnie’), soit aux deux à la fois (κεφαλαλγία ‘mal de tête’ pour κεφαλή ‘tête’ plus ἄλγος ‘douleur’), soit à la cause de la maladie (μελαγχολία ‘mélancolie’ pour μέλας ‘noir’ et χολή ‘bile’), soit à des comparaisons avec des réalités non médicales (καρκῖνος ‘cancer’) ou, plus rarement, au premier guérisseur de la maladie ou à une figure de premier plan qui a souffert de la maladie. Ces noms de fantaisie furent vagues dans le sens qu’il désignèrent parfaitement plusieurs maladies ; ils seront réemployés avec une signification moderne normée et bien définie (Wiese 1984, 49s.). Pour l’Antiquité, il convient de rappeler qu’une terminologisation n’a pas eu lieu : ἰσχίας ne désigne pas seulement ‘sciatique’ mais aussi, de façon plus générale, ‘arthrite’, et le terme est même utilisé pour ‘aubépine’. Les désignations latines sont, pour la plupart, des emprunts grecs, qu’il s’agisse d’une traduction (insomnia, dolor capitis, cancer) ou – plus souvent – du mot étranger (ischias, nephritis, agrypnia, melancholia). Ce qui est frappant dans ces emprunts en latin, c’est que la technique de nomination correspond au caractère linguistique du grec, se traduisant souvent par élément verbal + nom (φερέοικος ‘portant une maison ; tortue’), nom + élément verbal (οἰκοφόρος ‘portant une maison’) et composition nominale (κεφαλαλγία). Le latin avait du mal avec ces compositions : c’est surtout la juxtaposition nom+nom et l’ordre grec (déterminant-déterminé) qui contrariait la sensibilité latine qui privilégiait les compositions nominales du type nominatif-génitif (dolor capitis). Quant aux compositions avec un élément verbal, on rencontre, dès le début, tant le type nom-verbe agricola ‘opérateur agricole, agriculteur’ (liste des mots : Bork 1990, 292–297) que le type verbe-nom (bien plus rare en latin, mais largement présent dans les langues romanes) flexanimus ‘penchant, touchant les cœurs’ (dans la liste de Bork 1990, 241–243, ne figurent que 39 références, parmi lesquelles seuls 4 sont relativement courantes, 24 autres n’apparaissent qu’une fois). Une existence plus que marginale ! Bork (1990, 387) a réussi à établir, de la tradition du type verbe-nom, une chaîne ininterrompue partant de la langue indo-européenne en passant par le grec pour arriver au latin (tardif) et aux documents médiévaux romans. Sont connus également en latin les adjectifs de relation à fonction nominative ; en effet, on peut former des adjectifs d’appartenance à partir de la plupart des substantifs pour remplacer le génitif d’appartenance (Schwyzer 1950, 176–178 ; Hofmann/Szantyr 1965, 156s.) ; cependant, leur emploi n’est absolument pas lié à une fonction technique. On sait que ces formations empruntées au grec seront la base, au XVIIIe siècle, de la création de terminologies scientifiques (Forner 2006, 1916) ; mais cette élaboration d’une norme terminologique n’est pas le mérite de l’Antiquité : la matière brute pour la création d’une terminologique scientifique existait, mais ce n’est qu’à partir du XVIIIe siècle qu’elle a été mise à profit (↗20 Entre Renaissance et Lumières : les nomenclatures des sciences nouvelles).  





























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5 Une langue standardisée Un cas spécial est constitué par les textes mathématiques. Ceux-ci diffèrent des autres études spécialisées par le fait qu’ils ne poursuivent pas de buts didactiques, mais se dirigent exclusivement à un public spécialisé. Aulu-Gelle (1, 9, 6) relate que les adeptes des mathématiques devaient garder le silence pendant deux ans, sans poser de questions même s’il n’avaient rien compris, et que seulement après cette période ils avaient le droit de discuter les problèmes scientifiques entre les initiés. Les textes mathématiques traitent des problèmes de l’arithmétique théorique, de l’algébra et de la géométrie. La tradition a conservé une bonne partie des écrits fondamentaux des mathématiciens ; ils ont été toujours très difficiles à comprendre pour les non-initiés. C’est que ces textes servent en premier lieu à expliquer et à interpréter les formules mathématiques et les figures géométriques ; c’est-à-dire que c’est le formalisme mathématique (et non le texte) qui assume la fonction informative et que la fonction de la langue se réduit à accompagner la formule et à l’illustrer. C’est ainsi qu’Euclide présente une figure géométrique accompagnée d’une explication pour répondre par exemple au problème de partager un ségment de droite A–B en deux parties égales (1, 10). Euclide érige un triangle équilatéral sur la droite avec le point culminant Γ ; la droite verticale qui part de Γ atteint la droite A–B dans son centre Δ. Dans cette explication, c’est le dessin géométrique qui est la réponse proprement dite, la réalisation linguistique n’ayant qu’une fonction auxiliaire. „Deductive mathematical treatises discussed a small range of objects (e. g. points, lines, circles) in a highly standardized idiom“ (Jones 2009, 343).  









6 Bibliographie Adams, James N. (2003), Bilingualism and the Latin Language, Cambridge, Cambridge University Press. Auerbach, Erich (1967), Gesammelte Aufsätze zur romanischen Philologie, Bern/München, Francke. Bork, Hans Dieter (1990), Die lateinisch-romanischen Zusammensetzungen Nomen + Verb und der Ursprung der romanischen Verb-Ergänzung-Komposita, Bonn, Romanistischer Verlag. Forner, Werner (1998), Fachsprachliche Aufbaugrammatik Französisch. Mit praktischen Übungen, Wilhelmsfeld, Egert. Forner, Werner (2006), Prinzipien der Funktionalstilistik (Artikel 170), in : Gerhard Ernst et al. (edd.), Romanische Sprachgeschichte, vol. 2, Berlin/New York, de Gruyter, 1907–1923. Forner, Werner (2008), Rocinante über « nombres altos y significativos » in aktuellen Diskurswelten, in : Wolfgang Dahmen et al., Zur Bedeutung der Namenkunde für die Romanistik (Romanistisches Kolloquium XXII), Tübingen, Narr, 13–58. Garzetti, Albino (2007), Commento al Bellum Gallicum, in : Gaio Giulio Cesare, Opera omnia, Milano, Mondadori, 957–1160. Gilles, Robert C. (1969), How Caesar bridged the Rhine, Classical Journal 64, 359–365. Hiltbrunner, Otto (1999), Theologie und ihre Fachsprache im Altertum : eine Übersicht, in : Lothar Hoffmann et al. (edd.), Fachsprachen, vol. 2, Berlin/New York, de Gruyter, 2277–2286  























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Hofmann, Johann Baptist/Szantyr, Anton (1965), Lateinische Syntax und Stilistik, München, Beck. Jones, Alexander (2009), Mathematics, Science, and Medicine in the Papyri, in : Roger S. Bagnall (ed.), The Oxford Handbook of Papyrology, Oxford, Oxford University Press, 338–357. Kollesch, Jutta (1999), Medizin und ihre Fachsprache im Altertum : eine Übersicht, in : Lothar Hoffmann et al. (edd.), Fachsprachen, vol. 2, Berlin/New York, de Gruyter, 2270–2277. Kramer, Johannes (1989), Templum Salomonis. Technische Sprache im Bibeltext (1 [= 3] Rg 6, 1–10), in antiken und französischen Übersetzungen, in : Wolfgang Dahmen et al. (edd.), Technische Sprache und Technolekte in der Romania (= Romanistisches Kolloquium II), Tübingen, Narr, 278–299. Kraner, Friedrich/Dittenberger, Wilhelm/Meusel, Heinrich (1968), C. Iulii Caesaris Commentarii de bello Gallico, vol. 1, Berlin/Dublin, Weidmann. Mensching, Eckart (1981), Die Koblenzer Rheinbrücke, P. Pomponius Secundus und der Brückenbau an Rhein und Mosel, Bonner Jahrbücher 181, 325–354. Niehoff-Panagiotidis, Johannes (1999), Landwirtschaft und ihre Fachsprache im Altertum : eine Übersicht, in : Lothar Hoffmann et al. (edd.), Fachsprachen, vol. 2, Berlin/New York, de Gruyter, 2292–2304. Noth, Martin (1968), Biblischer Kommentar zum Alten Testament IX 1 : Könige, Neukirchen-Vluyn, Neukirchener Verlag. Pascucci, Giovanni (1973), Interpretazione linguistica e stilistica del Cesare autentico, in : Hildegard Temporini (ed.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt I 3, Berlin/New York, de Gruyter, 488–522. Saatmann, Karl/Juengst, Emil/Thielscher, Paul (1938–1939), Caesars Rheinbrücke, Bonner Jahrbücher 153/154, 83–208. Schneider, Jakob Hans Josef (1999), Artes liberales, in : Der Neue Pauly 13, 274–278. Schwyzer, Eduard (1950), Griechische Grammatik, vol. 2 : Syntax und syntaktische Stilistik, München, Beck. Stein, Heinrich (1969), Herodotos. Vierter Band, Buch VII, Dublin/Zürich, Weidmann. Wiese, Ingrid (1984), Fachsprache der Medizin : eine linguistische Analyse, Leipzig, Enzyklopädie.  









































Note : Les textes des auteurs grecs et latins sont cités selon la tradition de la philologie classique : nom de l’auteur, œuvre, si nécessaire, livre, chapitre, paragraphe. Dans quelques cas spécifiques sont indiqués la page et le nom de l’éditeur.  

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19 L’expression spécialisée au Moyen Âge Abstract : Les langues spécialisées se forment selon les conceptions des disciplines spécialisées prépondérantes à chaque époque. Le plurilinguisme du Moyen Âge s’y reflète de sorte que les langages spécialisés des langues vulgaires en plein essor viennent s’ajouter aux langages spécialisés en latin et finissent par les remplacer partiellement. Les principaux domaines de spécialisation médiévale sont les sept arts libéraux et les arts mécaniques à une terminologie propre. Plusieurs écrits en témoignent, notamment les descriptions sur la nature, appelées de nos jours les encyclopédies médiévales, mais aussi des traités de médecine, de droit, de mathématique en latin ou dans d’autres langues d’érudition de l’époque comme l’arabe. Les traductions de ces œuvres, de plus en plus nombreuses, sont d’une grande importance pour la création des langages spécialisés des langues romanes.    

Keywords : discipline, sept arts libéraux, arts mécaniques, traduction, encyclopédie médiévale, arabisme    

1 Introduction Les langues de spécialité utilisées au Moyen Âge sont totalement différentes de celles de l’époque moderne. Pour arriver à en comprendre les caractéristiques, il est d’abord nécessaire de fournir une approche théorique de leur statut, puis d’en faire une description générale dans leur contexte et, finalement, de les illustrer d’une manière spécifique. (Notons que cette méthode ne peut pas s’appliquer au roumain, dont les documents écrits sont ultérieurs). Comme il est impossible, dans cet article, de retracer l’histoire des langues de spécialité des différentes matières, par ex. celle de la médecine ou des mathématiques, nous nous limiterons à esquisser certaines caractéristiques générales des langues de spécialité et de leurs domaines. Nous ne pourrons pas non plus expliquer la diffusion de tous les termes techniques et du langage scientifique, car ceci nécessiterait la description du système éducatif des différentes régions à des époques différentes pour reconnaître l’usage de la langue de spécialité, ce qui nous est également impossible dans ce cadre donné.

1.1 Délimitation théorique de la spécialisation Afin de caractériser les langues de spécialité d’une certaine époque, il faut les présenter en rapport avec les domaines auxquels elles se réfèrent et avec les situations de communication dans lesquelles elles sont employées. Les langues de spécialité se réfèrent généralement aux champs d’activité qui dépassent les activités exercées par

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une grande part de la population, mais c’est surtout la manière de parler des activités spécialisées qui constitue la langue de spécialité, non le domaine spécifique luimême. La langue de spécialité repose donc sur un savoir supplémentaire partagé par un groupe d’« experts ». La spécialisation des activités fait naître un langage spécial qui sert à en parler et cette finalité requiert un langage spécifique du groupe d’experts qui en parlent à un niveau très élevé (Kalverkämper 1997, 31ss.). Dans ce domaine, on distingue la communication entre les membres d’un groupe d’experts en la matière et celle qui a lieu entre l’expert et les non-experts (ou non-initiés) en la matière. Il faut donc toujours différencier le niveau du savoir sur les matières (la spécialisation) de celui du savoir sur le langage employé à en parler (la langue de spécialité). L’action humaine se répartit dans des domaines ou champs d’activités qui exigent d’agir selon leur finalité inhérente. Les différents domaines se délimitent donc par l’activité orientée vers un but et non par des actions sans finalité (comme au temps du loisir). Chaque domaine d’activité spécialisée se distingue des autres par la compétence spécifique requise et repose donc sur la compétence (et le cas échéant la qualification) nécessaire pour agir dans ce domaine, c’est-à-dire pour réaliser la finalité propre à ce domaine. Ces domaines deviennent des activités professionnelles, la professionnalité étant une compétence acquise et applicable ; elle est une caractéristique fondamentale du domaine spécialisé et la base de la langue de spécialité de ce domaine.  





1.2 La langue de spécialité historique La division entre différents domaines spécialisés dépendant du contexte socioculturel et historique, elle change avec le temps. La délimitation peut donc être modifiée. Par ex. la musique et les mathématiques étaient considérées au Moyen Âge comme deux aspects d’une même discipline, tandis qu’on estime aujourd’hui qu’il s’agit de deux matières bien distinctes. Il en résulte que, pour l’étude des langues de spécialité, on ne peut pas appliquer les concepts modernes des différentes disciplines (Röntgen 2006, 2226), mais qu’il est nécessaire, au contraire, de prendre en compte la façon dont chaque époque classe les réalités sociales et techniques, en l’occurrence le classement fait au Moyen Âge. Si l’on veut déterminer la date d’apparition des langues de spécialité, on peut partir de l’idée générale qu’il y a toujours eu des activités spécialisées et le besoin d’en parler. D’un côté, le degré de spécialisation des activités peut varier et, du moins théoriquement, on peut envisager des sociétés dans lesquelles il serait assez réduit et d’autres qui feraient preuve d’un degré de spécialisation plus élevé : un pôle théorique extrême serait une société dont tous les membres accompliraient plus ou moins les mêmes travaux assez généraux et fondamentaux ; l’autre pôle serait une société très complexe connaissant une division minutieuse du travail : les experts seraient donc responsables d’un domaine très restreint et fortement différencié requérant une  





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spécialisation extrême. Cela entraînera des langues de spécialité plus ou moins développées, selon le cas. Pour saisir l’évolution des langues de spécialité, il est donc nécessaire de faire une délimitation du domaine des sciences et techniques valables pour toutes les époques et d’établir une classification des domaines spécialisés (Röntgen 2006, 2226). De l’autre côté, pour tracer un historique des langues de spécialité, il faut, outre la recherche des caractéristiques des sociétés médiévales, une prise en compte de la situation plurilingue en constant changement. À propos du Moyen Âge, il faut se demander depuis quand les gens ont recours à des langues vernaculaires qui remplissent les fonctions des langues de spécialité. En effet, depuis l’Antiquité, c’était le latin qui jouait ce rôle. C’est vers la fin du Moyen Âge que les langues dites populaires s’émancipent de plus en plus et deviennent des langues de distance traitant les domaines techniques et scientifiques. Ce procédé consistant à rendre le langage spécialisé compréhensible pour le peuple s’appelle vulgarisation, d’après le terme italien volgarizzazione (Folena 1991, 39 ; en espagnol romanceamiento ou romancemiento selon Dworkin 2002, 425). Il implique surtout la traduction d’ouvrages des langues classiques en langues vulgaires, mais aussi la création de nouveaux termes spécialisés, repérables dans les traités sur les domaines du savoir. Ce procédé va audelà d’une « simple » traduction littéraire ; il implique l’interprétation et la modification, y compris des ajouts, changements et omissions de certains passages afin de rendre compréhensible le contenu de l’œuvre (Carballo Fernández 2013, 8). Par conséquent, il faut identifier les activités les plus spécialisées des différentes époques et rechercher le langage lié à ces activités. Non seulement les sciences, mais aussi les activités de première nécessité comme l’agriculture ou l’artisanat requièrent des termes spécifiques dans les situations de communication spécialisée dans ces domaines. L’évolution des domaines de spécialisation, grâce au développement des idées et au progrès technique (sans vouloir postuler une vision téléologique de cette évolution), fait surgir de nouveaux termes et modèles langagiers. Historiquement, ceux-ci peuvent être identifiés principalement dans les textes qui transmettent le savoir spécifique. Par conséquent, l’étude des textes liés à des domaines du savoir s’avère indispensable pour décrire les traits qui délimitent ce langage, principalement au niveau de la morphosyntaxe et du lexique, mais on peut encore déplorer le manque de bases textuelles assurées dans des éditions satisfaisantes. La terminologie moderne (Gabriel 2006, 2238–2240) essaie de relier étroitement les termes aux choses désignées. La spécialisation des domaines donne le jour à des concepts qui se veulent identiques, universels et indépendants des différentes cultures ; c’est là la condition et l’idéal de toute compétence spécialisée. Comme déjà les concepts des choses diffèrent, en général, dans différentes cultures, la comparaison est difficile. L’objectif du langage spécialisé est également une terminologie cohérente, bien structurée et reflétant l’ordre des différenciations au niveau des objets. Pourtant, les termes se trouvent toujours au niveau de la langue et peuvent avoir des significations différentes, malgré l’effort des terminologues de les éliminer, parce que  









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tous les mots sont dotés, dès leur usage dans la communauté linguistique, de l’imaginaire des gens, comme le désigne Depecker (2012, 5). C’est pourquoi la terminologie du langage spécialisé s’éloigne des caractéristiques des langues naturelles, dont les niveaux de la chose, du concept et du mot s’organisent, habituellement, d’une manière autonome et différente. Néanmoins, il est possible de comparer une terminologie respective dans plusieurs langues si l’on garde à l’esprit l’implication culturelle et linguistique.

2 La société au Moyen Âge en Europe 2.1 La situation sociale La société du Moyen Âge est différente de celle des temps modernes et soumise à une grande évolution au long des siècles. La différenciation des couches professionnelles et sociales dérive de l’image perpétuée de l’ordre de la société, surtout celle des trois états. Même si les désignations des trois couches varient, elles donnent une idée de la constitution de la société : on parle de la couche inférieure des « paysans » (en latin agricolae ou obtemperantes ut plebei homini, ‘ceux qui obéissent comme les gens simples’), de celle des « guerriers » (agonistae ou operantes ut milites ‘ceux qui travaillent comme les combattants’), et enfin de celle des « orateurs » (clerici ou imperantes ut principes ‘ceux qui ordonnent comme les princes’). Comme il n’y avait pas de mobilité sociale, la position dans la société était innée et il s’agissait seulement de justifier cette tripartition par un besoin d’éthique des ordres et des professions (Boehm 1988, 146s.). Les activités des différents ordres revenaient aux membres de l’ordre respectif et n’étaient pas destinées aux membres d’un autre ordre. L’ordre social par naissance déterminait l’ordre social par profession. Ce n’est qu’au fur et à mesure que surgit la vocation à une occupation principale, la profession qui était plus qu’un métier. Mais on ne pouvait connaître d’ascension que par l’éducation et la vertu. Cela veut dire qu’à partir du XIIe siècle, l’érudition devint une exigence des couches dirigeantes. Et la quête du savoir se justifiait par la théologie : la société partageait la certitude que l’ensemble des vérités existantes dans l’Église avait été révélé par Jésus-Christ. Par conséquent, il fallait que l’homme progresse dans cette voie de la connaissance pour atteindre les vérités et un grand savoir, ce qui menait à l’étude du monde. Les vérités étaient éternelles et se transmettaient d’une génération à l’autre. Cette idée de la translatio studii était fondamentale pour la conception des disciplines scientifiques. Elle se basait sur la conception de la translatio imperii, celle du passage des grands empires historiques d’une ère à une autre, comme dans un enchaînement déterminé par le destin.  





















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2.2 La situation du plurilinguisme Pendant la domination des Francs jusqu’au IXe siècle, la direction politico-militaire de la Gaule fut exercée par la noblesse germanique en langue vulgaire. Ainsi s’opposaient deux traditions différentes : les traditions germaniques sans écriture qui imposaient des formes sociales et morales, surtout le droit coutumier germanique, et les traditions romaines du monde chrétien qui émanaient des cultures scripturalisées de la Méditerranée (Rome, l’hellénisme, le judaïsme). La latinité se maintint dans l’Église et dans le clergé, sous l’influence de l’écriture et des cultures écrites de l’administration romaine. Le savoir de l’Antiquité gréco-latine était conservé dans des textes écrits en latin. La principale langue des sciences était le latin, qui a maintenu son rôle prépondérant jusqu’à la fin de la Renaissance (dans certains domaines scientifiques même jusqu’au XIXe et XXe siècle). Le latin assurait l’intercompréhension et l’échange des idées et des biens au-delà des frontières politiques ou linguistiques et donc une diffusion dans l’ensemble du monde latinisé (Flinzner 2006, 2214) ; cette langue de distance, le latin, « demeure une langue vivante car il sait s’adapter aux besoins de la science du temps et doit y exprimer toutes les nouveautés, [mais il] se prive des enrichissements des langues vulgaires en plein essor, et éloigne les intellectuels de la masse laïque, de ses problèmes, de sa psychologie » (Le Goff 2003, 132). C’est donc l’irruption des langues vernaculaires dans le monde savant qui marque le monde des sciences (Ducos 2012, 11). Faute d’une connaissance suffisante du latin, certains érudits du Haut Moyen Âge n’étaient plus en mesure de lire les traités et les livres en langue classique, et étaient de ce fait réduits à puiser dans les sources en langue maternelle. Cela a mené à une grande demande de littérature spécialisée dans les différents domaines, c’est-à-dire de traductions vulgarisantes. Le traducteur savant Nicole Oresme reconnut, au XIVe siècle, le rôle important de la langue vernaculaire pour les sciences, parce qu’elle était la langue maternelle même des grands érudits de son époque : « translater telz livres et baillier en françois les arts et les sciences est un labeur moult proffitable, car c’est un langage noble et commun a genz de grant engin et de bonne prudence » (citation dans Monfrin 1963, 175). C’est la raison pour laquelle il fallait doter les arts et les sciences de termes en français, une tâche qu’il a remplie dans une large mesure à travers ses traductions d’ouvrages non seulement philosophiques et théologiques. Or, le Haut Moyen Âge est marqué, ce qui est nouveau, par la coexistence de plusieurs langues. Même les cours de langue latine sont donnés, pour les débutants, en langue vulgaire ; des grammaires ou manuels de langue latine sont également rédigés, dès le XIIIe siècle, en partie en langue vulgaire (v. l’exemple du manuel en forme de poème de la Bataille des VII arts d’Henri d’Andeli ou le Donait françois, rédigé vers 1400 en Angleterre, Heinimann 1987, 4ss.). On dispose déjà d’une terminologie grammaticale en français ou en italien, ainsi qu’en occitan, avec les deux manuels de description de la grammaire et de la langue poétique en langue provençale du XIIIe siècle, le Donat proensal et les Razos de trobar. Ces textes contiennent  



















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parfois des formes hybrides qui sont difficilement attribuables au latin ou à la langue provençale, ce qui montre la coexistence des langues, mais encore le manque de tradition d’utiliser les mots populaires à l’écrit. Pour résumer, la situation linguistique au Moyen Âge est caractérisée par la présence et l’influence réciproque des langues érudites (grec, latin) et vulgaires, donc principalement par un bilinguisme, amplifié par l’influence d’autres langues vernaculaires comme l’italien ou l’espagnol. Une influence importante s’ajoute : celle de la culture arabe qui constitue une source importante pour le savoir médiéval, dans les traductions latines des textes spécialisés en arabe.  

2.3 L’université et les sept arts libéraux Le lieu où l’on discute des sciences est l’université, cette institution médiévale qui se développe à partir du XIIIe siècle. L’université médiévale se compose de quatre Facultés, celle des Arts comme base sur laquelle s’érigent les trois Facultés supérieures de Droit Canonique, Médecine et Théologie : elles se constituent en groupes de maîtres et d’étudiants d’origine commune, les nations (Le Goff 2003, 82). La fondation des universités fait naître des Facultés de théologie : la pratique de la théologie scolastique met l’accent sur la dialectique, ce qui influence la Faculté des Arts. C’est ainsi que la dialectique devient une méthode universelle dans toutes les disciplines. La compilation était la méthode consistant à s’appuyer sur les bases établies des textes originaux qu’il fallait répéter dans les nouvelles rédactions (cf. Lebsanft 2011, 16ss.), comme l’indique la métaphore des nains sur les épaules des géants. Les matières enseignées à l’université s’organisent autour des disciplines qui s’établissent au Moyen Âge ; ce sont les arts libéraux qui – dans la conception de l’époque – contribuent à former l’idéal de l’homme libre, divisés en trivium et quadrivium. C’est le savoir des anciens qui est transmis dans ces arts libéraux destinés à forger l’homme cultivé, le litterarius, exempt du travail pratique. De caractère propédeutique, les arts libéraux étaient des disciplines préparatoires aux connaissances plus élevées, la philosophie et la théologie. Ce sont d’abord, pour le trivium, les disciplines de la langue, la grammaire, la dialectique et la rhétorique, aussi appelées les sciences des mots (voces), par opposition aux sciences des choses, les disciplines des calculs : ces disciplines du quadrivium, appelées aussi artes reales, reposent sur les matières du nombre, de l’espace, des sphères célestes et de l’harmonie : l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie, la musique. Brunetto Latini définit le trivium comme suit :  









« ke l’on oevre de sa bouche et de sa langue et sont en .iij. manieres sor qui sunt establies .iij. sciences : gramatique, dialetique et rettorique. Dont la premiere est gramatique ki est fondement et porte et entree des autres sciences ; ki nos ensegne a parler et escrire et lire a droit, sans vice de barbarisme ou de solercisme. La seconde est dyaletike, ki nous ensegne prover nos dis et nos paroles par tele raison et par teus argumens ki donnent foi as paroles ke nous avons dites si k’eles  





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samblent voires et provables a estre voires. La tierce science est retorique, cele noble science ki nous ensegne trover et ordener et dire paroles bonnes et bieles et plaines de sentences selon ce ke la nature requiert » (cité selon Glorieux 1971, 19).  

La préparation aux études des choses passe donc par le trivium, l’étude des paroles, parce qu’elle est la base nécessaire pour rendre l’érudit capable d’exprimer des idées précises et de convaincre les autres par ses paroles. La finalité des sept disciplines est déjà décrite par le conseiller de Charlemagne, Alcuin : « L’esprit s’illumine par le quadrivium ; son expression, élégante, raisonneuse, ornée, est fournie par le trivium » (citation dans Glorieux 1971, 15). Loin d’être figés, les arts libéraux se manifestent différemment et subissent une évolution. On trouve une autre classification des disciplines de l’érudition fondamentale chez Hugues de Saint-Victor (XIIe siècle), qui distingue 21 disciplines regroupées en trois catégories : la science théorique, la science pratique (ou mécanique) et la science logique, qui traitent respectivement la théologie, la physique et la mathématique. Au début, les étudiants devaient consacrer sept à huit ans à l’étude des arts libéraux, mais l’étude finit par se concentrer sur deux à trois ans, à l’âge de 15 ans à peu près (Glorieux 1971, 17). La connaissance des œuvres d’Aristote nouvellement traduites (surtout à partir de documents arabes, eux-mêmes des traductions de textes grecs) au XIe et XIIe siècles, de ses commentateurs et des autres traités des philosophes arabes et juifs fournit de nouveaux matériaux d’étude et des objets d’enseignement et de recherche. Ceci est valable en particulier pour les écrits cosmologiques, métaphysiques et moraux d’Aristote. Le canon des disciplines se trouve alors entièrement renouvelé, de sorte que surgissent les sciences naturelles et physiques (Glorieux 1971, 16). Les traductions de l’arabe et du grec se multiplient, l’introduction d’un grand nombre de latinismes, grécismes et arabismes, aussi syntaxiques, en est la conséquence pour les langues vulgaires de spécialité (cf. Galmés de Fuentes ²1996 ; Alfonso Vega 1998). Le développement des études montre donc un déclin de la lecture des Belles-Lettres, une influence grandissante de l’attitude dialectique et un essor de la philosophie d’Aristote. Cette découverte des livres d’Aristote sur la nature et d’autres textes scientifiques grecs et arabes peut être jugée comme une révolution du monde des sciences (Giovanardi 2006, 2197) qui mène à la naissance des sciences exactes. Outre les disciplines de l’enseignement universitaire, il existait également les activités jugées plus basses, les arts mécaniques (artes mechanicae) ou les disciplines manuelles, exercées autrefois par les esclaves, puis par les serfs. En latin, il s’agissait des domaines suivants : lanificium, armatura, navigatio, agricultura, venatio, medicina, theatrica (Glorieux 1971, 13), qui désignent donc la fabrication d’étoffes, celle des armes et des armures, la navigation, l’agriculture, la chasse, la médecine et la représentation théâtrale. Cet éventail de domaines de spécialisation est loin d’être complet ; d’autres domaines étaient – pour n’en citer que quelques-uns – la belligé 























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rance, la connaissance des provinces (la géographie), le commerce, l’artisanat, l’élevage d’animaux, la sylviculture, l’horticulture, les plantes médicinales, etc.

3 Les sources du langage spécialisé : les textes sur les disciplines  



Le savoir médiéval puise dans le savoir de l’Antiquité transmis dans certains ouvrages latins, car c’est en latin que se forment et se développent les langues de spécialité jusqu’au XIIe/XIIIe siècle. Les collections du savoir de l’Antiquité sont, entre autres, les ouvrages de politique, philosophie, physique et poétique d’Aristote, la Historia naturalis (Histoire naturelle) de Pline l’Ancien (23–79 après J.-C.) et le De artibus (Sur les Arts) de Aulus Cornelius Celsus (25 avant–50 après J.-C.). Au IVe siècle, c’est le De mirabilibus mundi (Sur les merveilles du monde) de Caius Julius Solinus et l’Hexaméron de Saint Ambroise de Milan qui reprennent les domaines du savoir ; même si l’ouvrage de Solin n’est plus conservé, il était beaucoup lu au Moyen Âge. La réception postérieure se réalise par les compilations du savoir tel que l’ouvrage de Solin ou encore les deux livres des Institutions de Cassiodore (Institutiones divinarum litterarum et Institutiones saecularium litterarum) du VIe siècle. Mais le plus important et le premier à signaler est le livre du savoir sur le monde composé par l’évêque de Séville Isidore au VIIe siècle et appelé Etymologiarum sive originum libri XX, plus connu sous la désignation des Étymologies. Dans cet ouvrage en latin, on trouve une synthèse du savoir de toutes les disciplines de l’époque, divisée en 20 livres traitant des domaines aussi divers que la grammaire, la médecine, les lois, Dieu et les anges, la zoologie, l’architecture ou les jeux. On parle de la première encyclopédie médiévale, bien que le terme n’existât pas encore. Cet ouvrage jouit d’une grande et longue réception ; il fut diffusé partout en Europe et lu jusqu’à la Renaissance, parce qu’il répondait parfaitement aux attentes du public savant (Flinzner 2006, 2213s.). Un certain nombre d’autres collections du savoir sont rédigées, regroupées parmi les encyclopédies médiévales, qui transmettent et amplifient le savoir antique tout en compilant et en modifiant les sources : le De natura rerum (Sur la nature des choses) du moine anglais Bède le Vénérable (VIIIe siècle) et le De rerum naturis (De la nature des choses) de l’évêque de Mayence Raban Maur (IXe siècle). Ces ouvrages – et une vingtaine d’autres encyclopédies qui suivront – adoptent les domaines du savoir tout en les adaptant pour les besoins de l’époque dans une perspective médiévale chrétienne : ils christianisent le contenu en hiérarchisant les éléments décrits selon leur cosmovision théologique (cf. aussi Fuertes Herreros 1995). Honoré d’Autun (XIIe siècle) reprend le mouvement encyclopédiste dans son Imago Mundi (Image du Monde) et, à côté de Hugues de Saint-Victor qui traite dans son manuel d‘enseignement appelé Didascalicon (~1130) aussi les arts mécaniques (Beyer de Ryke 2004, 476), prépare ainsi le terrain pour les grandes encyclopédies du  







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XIIIe siècle, le siècle encyclopédique (Ribémont 1999). Il s’agit des œuvres De proprietatibus rerum (~1235) du franciscain Barthélemy l’Anglais, de l’ouvrage encore plus complexe du dominicain Thomas de Cantimpré connu sous le titre de Liber de natura rerum (~1240) et de l’œuvre monumentale en quatre parties de Vincent de Beauvais, le Speculum maius (~1250). Elles servent à instruire le petit clergé sans connaissances approfondies de latin pour lui permettre une compréhension des textes bibliques et de l’histoire ecclésiastique et contemporaine dont il a besoin pour ses homélies. Ces encyclopédies naturelles sont des textes fondamentaux qui présentent une description de tous les aspects du monde et, par conséquent, également de la langue de spécialité de l’époque ; et ce d’abord en latin, puis, grâce aux traductions en langues vulgaires, en français, en espagnol et en italien. Par ex. l’encyclopédie de Barthélémy l’Anglais, qui est l’ouvrage de réception le plus ample et le plus long, connaît, partant de plus de 200 manuscrits latins, plusieurs traductions dans les langues vulgaires de 1300 à 1600, en italien, en français, en provençal, en anglais, en néerlandais et en espagnol, avec des traductions partielles aussi en allemand ; de plus, on recense plus de 50 éditions imprimées entre 1470 et 1609 (Meyer 2000, 244– 261). L’usage de la langue vulgaire dans les premiers textes ou traductions ne veut en aucun cas dire qu’il y avait déjà un langage de spécialité développé, mais plutôt que ce langage se trouvait dans sa phase d’émergence, comportant de nombreuses créations et formations innovatrices dont seulement une partie s’est imposée postérieurement. C’est la phase de la création de néologismes en langue vulgaire qui mène parfois à l’existence de plusieurs synonymes pour un concept.  





3.1 Textes originaux et traductions en langue vulgaire En général, la langue de spécialité émane de genres textuels qui sont liés à la communication spécialisée. Ce sont les listes de termes techniques, les recettes, les bestiaires et lapidaires, les traités scholastiques, les traités de médecine (Mensching 1994), les encyclopédies et les poèmes didactiques (Dardano 1994, 520ss.). Au début des langues vulgaires, il y a très peu de textes originaux contenant des éléments caractéristiques des langues de spécialité (Giovanardi 2006, 2197), mais les listes comportant des mots et traductions peuvent être considérées dans certains cas comme des listes terminologiques. Déjà aux IXe et Xe siècles, des textes de caractère religieux recourent à la langue vulgaire, comme c’est le cas de la Séquence de Sainte-Eulalie et de la Vie de Saint-Léger ou d’autres extraits hagiographiques, mais la plupart des textes restent attachés à la tradition de l’écrire en latin. Les Bestiaires et les Lapidaires du XIIe et XIIIe siècle comptent parmi les documents les plus anciens qui contiennent des éléments linguistiques de spécialité en langue vulgaire, celle de l’histoire des sciences naturelles. Il

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s’agit d’une transmission poétique du savoir documentée par ces documents. Ce n’est qu’au XIIIe siècle que les langues vulgaires servent de langue d’érudition et qu’elles sont choisies par plusieurs savants de l’époque : la première traduction de la De coniuratione Catalinae de Salluste se réalise en français dans la compilation anonyme des Faits des Romains (~1213/1214) (Rouzies (2007, 223) y voit la « préhistoire de la traduction française en prose »). Le texte Mappemonde de Pierre sur la géographie du monde est rédigé en 1218 en vers français. D’autres rapports de voyages sont écrits par des pèlerins ou des voyageurs au XIIIe et XIVe siècle. Les traités sur différents domaines du savoir commencent à fleurir : la description anatomique Le régime du corps est rédigée en français en 1256/1257 par Aldobrandino da Siena (Flinzner 2006, 2215) et est donc un des textes de médecine les plus anciens qui s’adressent à un public non instruit (communication expert – non-expert). L’ouvrage L’Introductoire d’Astronomie, daté de 1270, est censé être le traité astronomique le plus ancien qui ait été rédigé en français. C’est de la même année que date également le traité le plus ancien sur l’agriculture, la Seneschaucie, en version anglonormande. S’y ajoutent des documents en langue vulgaire sur l’alchimie ou sur l’anatomie. Brunetto Latini écrit son Livres dou Trésor (~1267) en ancien français (avec des traits picards), mais se sert aussi de l’italien pour ses ouvrages de la Rettorica et du Tresoretto (Heinimann 1987, 60ss., 70ss.). En 1282, Ristoro d’Arezzo est le premier savant à choisir l’italien pour son encyclopédie médiévale, la Composizione del mondo. Pour la médecine, c’est la traduction en italien, au XIVe siècle, de la Chirurgia, œuvre en latin de Guillaume de Salicet de 1275, qui est diffusée plus largement que la version latine (Giovanardi 2006, 2198 ; cf. aussi Sánchez González 2010). À peu près en même temps, le philosophe et théologien Raymond Lulle écrit entre 1272 et 1315 au moins 200 traités sur toutes les disciplines, mais il emploie, pour les plus importants, la langue vulgaire, le catalan médiéval. Il traite la grammaire, la géométrie, les mathématiques, l’astronomie, la médecine, et dans son encyclopédie, son œuvre majeure intitulée L’Arbre de ciència, il décrit toutes les disciplines comme dans un manuel, partant d’une vision philosophique (Röntgen 2006, 2227). Ces exemples de textes historiographiques, encyclopédiques ou rhétoriques documentent des néologismes et des structures morphosyntaxiques du langage spécialisé respectif.  









3.2 Les traductions Le monde intellectuel du Moyen Âge prend connaissance des réflexions d’Euclide sur les mathématiques, des traités de Ptolémée sur l’astronomie et redécouvre la physique, logique et éthique d’Aristote. Les traductions en langue vulgaire sont dorénavant plus nombreuses que les textes originaux, par ex. le poème en dialecte lorrain Image du Monde de Gauthier de Metz reprend l’encyclopédie Imago Mundi d’Honoré d’Autun. Pour le XIVe siècle, il faut signaler aussi la traduction des Aphorismes d’Hippocrate en français (~1365) par Martin de Saint-Gille et les manuels sur la

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médecine de Henri de Mondeville et de Guy de Chauliac qui sont traduits en français et en espagnol (Flinzner 2006, 2214s.). C’est au relais des musulmans arabes que l’on doit le transfert du savoir sur les techniques et les sciences naturelles, ce qui se répercute dans beaucoup d’arabismes dans les langages de spécialités, surtout du catalan et de l’espagnol. L’école de traducteurs de Tolède en apporte beaucoup. Il s’agit d’un mouvement de traduction de textes d’origine hébreuse et arabe, déjà dès le XIIe siècle sous l’archevêque Raymond de Tolède, repris par le roi castillan Alphonse le Sage au milieu du XIIIe siècle, désireux de s’emparer du savoir de cultures passées ou étrangères. Au Xe siècle, le philosophe persan Al-Farabi commente et transmet les livres philosophiques de Platon, qui, grâce aux traductions, sont redécouverts en Occident. Le renouveau de la médecine au Moyen Âge ne passe pas seulement par la réception des écrits d’Hippocrate et de Galien, datant de l’Antiquité et nouvellement traduits : ce renouveau est dû aussi à la traduction des livres du médecin et philosophe Rhazès et de l’œuvre du grand philosophe médiéval Avicenne (Ibn Sinna), tous les deux persans ayant vécu aux IXe et XIe siècles et ayant exercé une grande influence sur le savoir. Le philosophe Averroès (Ibn Rochd) du XIIe siècle, originaire de Cordoue, est également d’une importance remarquable pour les sciences universitaires parce qu’il commente, en arabe, les pensées philosophiques d’Aristote et devient assez célèbre en Occident grâce à ses commentaires judicieux. À la même époque, le rabbin et médecin juif Maïmonide, également né à Cordoue, traite en hébreu et en arabe presque tous les domaines, de la philosophie et du droit juif en passant par la médecine jusqu’à la théologie ; son œuvre est beaucoup lue et commentée par les intellectuels du Moyen Âge. L’algèbre a été introduite par la traduction d’un des écrits du savant Muhammed Ibn Musa, originaire de l’antique Khorezm au Moyen Orient, dont est tirée sa désignation usuelle Al Khwarizmi qui a donné lieu au mot algorithme. Léonard Fibonacci, dit de Pise, introduit les chiffres arabes (la numération indoarabe) au début du XIIIe siècle. Cet échange entre les cultures chrétienne, arabe et juive a enrichi le langage littéraire et la prose scientifique des langues vulgaires. Un grand nombre de traités qui se basent sur une traduction de l’arabe sont attribués à cette École de Tolède : les Libros de saber de astronomía et les Judizios de las estrellas qui traitent l’astronomie, le Libro del ajedrez, dados y tablas qui décrit les jeux de société pratiqués à la Cour, comme les échecs ou les jeux de dés, mais aussi la collection de contes persans Calila y Dimna. L’existence de plusieurs termes techniques désignant la chasse et l’apprivoisement des animaux, des faucons, des chevaux et des chiens (cetrería, altanería, montería halconería, albeitería) fait preuve de la popularité de ce domaine ; mais il y a aussi beaucoup de traités sur les armes et la chevalerie, les pierres précieuses, et l’astronomie, domaines sur lesquels se penchaient les nobles et les savants à l’université (Röntgen 2006, 2228 ; cf. pour les arabismes médicaux Serrano Niza 2005 ; Vázquez de Benito 2005). À côté des textes pragmatiques, les traductions ont contribué à former les langues littéraires romanes (cf. Albrecht 1995).  









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En même temps, plusieurs textes originaux sont rédigés sous l’ordre d’Alphonse le Sage, comme la base juridique appelée Las Siete Partidas, les œuvres historiographiques de la General Estoria et la Estoria de España ou encore les poèmes sur la Vierge en galaïco-portugais connus sous Las Cantigas de Santa María. Une liste non définitive des sources pour les traducteurs (quatre textes grecs, 13 textes latins de l’antiquité et 18 textes latins du début du Moyen Âge) a été établie par Saquero Suárez-Somonte (2010, 193s.). La vulgarisation des textes classiques permettait la réception par un plus grand nombre de personnes instruites, au-delà du cercle assez restreint des savants du haut clergé maîtrisant le latin, et elle fournissait des modèles pour la littérature pragmatique émergente en langue vulgaire (Giovanardi 2006, 2198). On voit également apparaître des traditions de textes en langues vulgaires qui n’existaient pas auparavant en latin : celles des traités sur les mathématiques. Leurs auteurs sont des commerçants italiens qui développent de nouvelles formes de calcul, utilisant les chiffres arabes au lieu des romains. On voit donc naître, à partir des Libri d’abaco, des essais pratiques d’arithmétique, faisant concurrence aux traités d’algorisme dans le débat à l’université (cf. Franci/Toti Rigatelli 1989).  

4 Les langues de spécialité au Moyen Âge Même si l’on ne peut pas encore délimiter clairement les textes scientifiques des textes littéraires, les langues de spécialité diffèrent de la langue commune. D’emblée, les langues vernaculaires sont des langues communes qui ne pénètrent que lentement, au fur et à mesure, les domaines du savoir où ils adoptent et créent une certaine terminologie. Mais il n’y a pas encore de terminologie unifiée, qui se formera dans un processus ultérieur, et on ne peut pas parler d’une langue de spécialité médiévale comparable à celle du XIXe ou XXe siècle, mais il y a des constructions syntaxiques et des listes de termes techniques qui se développent. C’est surtout au XVe siècle que beaucoup de traités sont rédigés dans une spécialisation et forment, de la sorte, un inventaire de la langue de spécialité, en plein épanouissement à l’époque.

4.1 Le langage spécialisé de la grammaire dans l’histoire La langue de spécialité n’était pas thématisée au Moyen Âge, mais il y avait une discussion sur le statut de la langue (les mots) et ses conceptions articulée dans la querelle du nominalisme : le problème de la nomination des choses était ancré dans la conscience au Moyen Âge, tel que le montrent les écrits par ex. de Guillaume d’Ockham qui constate que les mots et les concepts trompent. Il s’oppose au nominalisme qui suppose une existence réelle à des choses qui sont désignées par un mot. Il  

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reconnaît donc que les mots se trouvent à un niveau différent des choses réelles et des concepts (Depecker 2012, 2s.). La grammaire médiévale se compose de quatre branches nommées en latin : orthographia, prosodia, etimologia, dyasynthetica. Ces disciplines ne correspondent pas aux sections linguistiques modernes qu’évoquent ces quatre dénominations. Le domaine de l’« orthographia » désigne l’étude des sons phonétiques, l’articulation physiologique des sons et leurs caractéristiques (aussi phonologiques) en partant des lettres comme représentantes des sons. La « prosodia » comprend l’énonciation dans le discours : l’accentuation, les pauses et leurs signes dans le texte, c’est-à-dire les signes de ponctuation. L’« etimologia » correspond plutôt à la morphologie actuelle, parce qu’elle décrit la déclinaison, la conjugaison, la formation des mots et la sémantique. La « dyasynthetica » décrit les relations syntaxiques du régime et de l’accord aussi bien que les rôles syntaxiques dans la phrase, et juge des tournures fausses, des solécismes (Glorieux 1971, 19). La terminologie grammaticale évolue en latin jusqu’au XIIIe siècle, et elle constitue partiellement la base qui permettra la formation de la terminologie grammaticale en français (Heinimann 1987, 2ss.) et en espagnol, qui se base également sur les modèles de la grammaire latine (Gärtner 2003).  





















4.2 Caractéristiques internes des langues spécialisées Les traits caractéristiques de la langue de spécialité des langues romanes concernent surtout le lexique (les terminologies naissantes) et la morphosyntaxe : les structures impersonnelles, la voix passive et les constructions réflexives, mais aussi l’organisation textuelle.  

4.2.1 Lexique Plusieurs concepts s’avèrent difficiles à rendre dans les langues romanes par les traducteurs ou les auteurs de textes de spécialité, raison pour laquelle ces concepts sont souvent désignés par une paraphrase ou une circonlocution, par ex. genz a pie, los de caballo pour désigner les piétons ou les chevaliers (Polzin-Haumann 2011, 39). Dans certains cas, le mot latin est repris dans les langues romanes et peut constituer le début d’un emprunt si le mot se répand et continue à être employé ; dans beaucoup de cas, il s’agit de formes uniques qui se trouvent dans une ou deux traductions et qui n’ont pas trouvé de suite. Ces latinismes, à la forme inconnue, et surtout au sens inconnu du public ne disposant pas de connaissances (solides) du latin, devaient être expliqués, ce qui se faisait par une explication introduite par c’est à dire, cela signifie, que es, que nos nonbramos, que en nuestro vulgar quiere dezir (Osthus 2009, 37). Cette explication ne s’étend pas seulement sur le sens du terme, mais donne aussi une  

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justification de la raison pour laquelle ce mot est appelé de telle manière, et fournit ainsi des commentaires métalinguistiques. Lors de la description du monde dans les traités, il faut dénommer les phénomènes et les accidents, si possible d’une manière cohérente pour les éléments parallèles. La liste des hyponymes par ex. des maladies devait être établie ; certains recouraient à des emprunts des langues classiques, d’autres voulaient créer des dénominations en langues vulgaires et construisaient alors des syntagmes ou des composés syntagmatiques. C’est ainsi que l’on trouve dans des textes médicaux italiens le substantif male suivi d’une spécification de la cause ou d’une localisation : male della pietra ‘calcul rénal’, male dal fianco ‘colique’, male di scesa ‘catarrhe’, mal di San Lazzaro ‘lèpre’, male di San Giovanni ‘épilepsie’ (Dardano 1994, 510). La reprise d’un mot du langage commun dans un contexte spécifique peut lui conférer un sens spécial nouveau : le mot breuvage ne signifie plus seulement liquide mélangé, mais une boisson médicale destinée à la cure d’une maladie dans le sens de potion, qui est le latinisme sur la base du latin potio ‘médicament liquide’ (Osthus 2009, 33). Dans d’autres cas, les traducteurs ont recours à une réduplication synonymique qui peut être le couple formé d’un latinisme et d’une formation populaire (Polzin-Haumann 2011, 38–40). Les synonymes peuvent être d’origines diverses, du grec, de l’arabe, du latin et de la langue vulgaire, parfois des formes hybrides. La finalité communicative des synonymes dans les textes est celle d’illustrer les différentes significations d’un concept par l’association des formes avec d’autres mots et concepts, parce que les auteurs aspirent à une grande variété de connotations. En cas de lacune terminologique en langue vulgaire, la désignation d’un concept peut s’effectuer, outre par l’emprunt d’un néologisme, par un hypéronyme de la langue commune ou par un hyponyme. On observe aussi la variation médiévale dans les textes de spécialité qui font preuve de plusieurs variantes formelles, par ex. les formes lasena, lasina, lenzena pour désigner l’aisselle.  





4.2.2 Morphosyntaxe et syntaxe Des séries dérivationnelles se terminant par ‑ità ou ‑ité se retrouvent dans les mots utilisés dans de nombreux textes, ce qui fait progresser la structuration du lexique médiéval (Giovanardi 2006, 2198, cite aussi les suffixés en ‑ivo indiquant des interventions thérapeutiques). Les auteurs poursuivent, dans leurs manuels, une finalité didactique très claire qui les pousse à employer des moyens rhétoriques comme la répétition, des oppositions, des énumérations, des phrases claires et courtes, des mises en relief observables dans les textes. De plus, la communication spécialisée se caractérise par un certain type de constructions morphosyntaxiques, celles d’un style plutôt personnel et celles d’un langage spécialisé distancié (impersonnel).

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Des constructions syntaxiques du latin qui n’étaient plus compréhensibles par le public, comme les syntagmes de l’ablatif absolu ou des gérondifs latins, devaient être remplacées, ce qui se faisait souvent par les phrases subordonnées qui indiquent clairement l’acteur, l’action, le bénéficiaire, les modalités de l’action à travers les verbes auxiliaires etc. Le langage de spécialité avait donc besoin de beaucoup de conjonctions, de toute la gamme du paradigme verbal, d’adverbes et de constructions hypotaxiques. La traduction florentine de la Meteorologica d’Aristote, par ex., brille par des grécismes, des gloses explicatives, la progression thématique linéaire et un style remarquablement élaboré en syntaxe avec des connexions hypotaxiques. L’impersonnalité comme trait caractéristique du langage scientifique est rendue dans les langues vulgaires, par ex. en français, par le syntagme explicite l’en doit + inf. (ancienne orthographe de on doit) et en espagnol par la construction impersonnelle es de + inf. (Polzin-Haumann 2011, 41s.). La voix passive et les verbes infinis, que sont les gérondifs, participes et infinitifs, se transforment systématiquement en formes personnelles dans les versions romanes (Kabatek 2001, 118). De l’autre côté, les textes de spécialité présentent des instructions adressées directement au public, par ex. des impératifs, et l’emploi de métaphores est plus fréquent dans certains types de textes de spécialité.  

4.2.3 Organisation textuelle L’organisation des textes et la structuration du savoir sont déterminées par la tradition discursive, par ex. des textes juridiques qui imposent un certain ordre (cf. sur les traditions juridiques espagnols, Kabatek 2001 ; García Cornejo 2013). Quelques particularités de l’organisation textuelle sont caractéristiques des textes médiévaux : on y trouve régulièrement des marques textuelles indiquant le début et la fin du texte ou le résumé d’un chapitre (Flinzner 2006, 2220s.). Cela montre l’usage délibéré de marques pour structurer le texte.  



4.3 Études exemplaires Un grand nombre d’aspects divers de la diffusion du savoir scientifique sont traités dans les différents actes du colloque international sur l’histoire des langages de spécialité ibéro-romans : Brumme (1998 ; 2001), Alsina et al. (2004), Eckkrammer (2009). Michaud-Quantin (1970) analyse le latin de spécialité dans le vocabulaire philosophique du Moyen Âge, un domaine qui est de nouveau étudié dans les contributions du recueil de Weijers (2010). Bertrand (2005) explore les néologismes du vocabulaire religieux et politique dans les traductions de Charles V au XIVe siècle. L’histoire du langage religieux en français est présentée, de manière résumée, chez Buridant (2006). Le développement du langage de spécialité du droit et de l’adminis 





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tration en français et en occitan médiévaux est présenté chez Becker (2006, 2123– 2129). D’une perspective interdisciplinaire, les articles du recueil de Jenkins/Bertrand (2007) décrivent les problèmes de la traduction de plusieurs genres textuels de l’anglais et du français et renseignent ainsi sur la formation des différents langages de spécialité. Les contributions du recueil de Galderisi/Pignatelli (2007) sont centrées sur les traductions vers le moyen français. Les contributions de Köhler/Mensching (2013) et de Zwink (2013) dans le recueil de Sergo/Wienen/Atayan (2013) se penchent sur les terminologies au Moyen Âge. Les modèles du latin pour l’élaboration de l’espagnol médiéval sont étudiés dans les articles de Castillo Lluch/López Izquierdo (2010). Bossong (1979) analyse comment sont adoptées les structures syntaxiques de l’arabe dans l’espagnol médiéval pour enrichir les possibilités d’expression de la langue scientifique. Une première analyse résumée du langage spécialisé des mathématiques, de la médecine et de certains autres domaines des XVe et XVIe siècles est faite par Giovanardi (2006, 2199–2202), et plus en détail chez Ribémont (1999). Les procédés d’adoption et d’adaptation de structures latines dans la traduction en italien sont analysés, à l’exemple du traité philosophique De consolatione philosophiae, de manière systématique chez Albesano (2003 ; 2006). La formation de la terminologie, particulièrement dans les composés sémantiques, dans la traduction à partir de textes encyclopédiques est décrite chez Eggert (2011, 165–172). Polzin-Haumann (2011, 38–44) décrit le problème de la différenciation sémantique des mots synonymes ou quasi-synonymes pour les traducteurs.  



5 Conclusion Les langues de spécialité du Moyen Âge sont diverses, parce qu’il faut distinguer les langues de distance comme l’arabe et le latin, bien développées et traditionnellement employées pour la communication de spécialité, des langues de proximité, c’est-àdire des langues vulgaires qui sont de plus en plus utilisées pour la communication spécialisée, d’abord dans les traductions de textes savants et, de manière croissante, dans des textes originaux pour décrire un domaine spécifique. Les disciplines de spécialisation se forment, se subdivisent et se délimitent de plus en plus au cours des siècles, ce qui rend la classification des matières assez difficile. Au début de la formation des traditions d’écriture en langue vulgaire, la délimitation du langage commun et du langage spécialisé n’est pas encore claire. Les langues de spécialité elles-mêmes se forment dans l’usage toujours croissant des langues vulgaires dans ces textes, où sont créés et ainsi proposés un grand nombre d’unités lexicales ou de modèles morphosyntaxiques pour rendre le contenu spécialisé. L’imprimerie qui se développe au XVe siècle fait augmenter non seulement le nombre de lecteurs de textes, mais aussi le nombre des textes publiés. Plus la diffusion des textes augmente, plus le langage doit faire preuve d’une certaine

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compréhensibilité et, par conséquent, d’une certaine homogénéisation, mais ce processus d’unification du langage de spécialité ne fait que commencer. Les caractéristiques linguistiques des textes spécialisés des langues romanes se sont développées au cours des siècles, leur origine se trouvant dans les textes médiévaux : depuis cette époque, on assiste aux processus progressifs de la normativisation et de la formation de terminologies, de conceptions de plus en plus déterminées, tendant vers une monoréférentialité pour éviter l’ambiguïté, et permettant une diversification plus grande de genres textuels et de degrés de spécialisation.  

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20 Entre Renaissance et Lumières : les nomenclatures des sciences nouvelles  

Abstract : À travers l’analyse des travaux de Bauhin, Gesner, Ray, Guyton de Morveau, Lavoisier et Linné, ce chapitre traite généralement des raisons épistémiques qui, en botanique, zoologie et chimie, ont fait passer des modèles nomenclaturaux des XVIe– XVIIe siècles (populaires, officinaux, tinctoriaux, naturalistes…) aux modèles scientifiques des Lumières, toujours en vigueur actuellement. Sont étudiées en particulier les spécificités de ces modèles et leur cohérence systématique, tant externe – en relation au système de classification ou à la théorie que reflète la nomenclature – qu’interne, au sens où la nomenclature se manifeste comme une construction linguistique homogène : utilisation des seules langues mortes (latin et grec) ; structuration simple (binôme ou monôme) ; distinctions catégorielles (dénomination vs. diagnose et description ; nomenclature valide vs. synonymie) ; conceptualisation claire par une morphologie sériée (affixes différenciés et stables) et une sémantique prédictible.    













Keywords : nomenclature, classification, système, nom binômial, diagnose, définition, logique, usage    



Introduction Toute nomenclature est en relation avec le mode d’appréhension des objets qu’elle dénomme et avec l’époque qui détermine et configure cette appréhension. Une nomenclature ne saurait donc être réduite à une liste de noms ni être conçue comme un simple outil d’étiquetage d’un réel qui, lui, resterait stable : une nomenclature est un outil de formalisation ou de mise en mot d’un mode de conceptualisation particulier. L’évolution des nomenclatures scientifiques, du XVIe au XVIIIe siècle, est donc scandée par trois épistémès (Renaissance, Âge Classique et Lumières) qui ont déterminé leurs propres rapports à la langue et aux realia étudiés (plantes, animaux ou substances chimiques) – autrement dit, l’évolution de ces nomenclatures est celle des modes de catégorisation qu’elles ont successivement reflétés en langue. Considérées sous l’angle des dénominations qui les constituent, les nomenclatures scientifiques évoluent suivant un parcours que l’on peut brièvement résumer ainsi : – du XVIe siècle, où la dénomination signifie l’essence de la chose et constitue un polynôme de structure variable (binaire, ternaire, quaternaire, etc.) ; – aux XVIIe–XVIIIe siècles, où la dénomination représente l’idée qu’on se fait de la chose et/ou de son essence et constitue un polynôme de structure binaire (Genre + Différence) appelé à devenir un binôme ;  









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jusqu’aux prémices du XIXe siècle, où la dénomination ne fait plus que désigner la chose.

Considérées en tant qu’ensembles de dénominations, ces mêmes nomenclatures constituent au XVIe siècle des systèmes, en tant que « touts structurés dont chaque partie tire sa valeur de la confrontation et de la corrélation à une autre ». Ces systèmes sont ceux d’une langue naturelle mais de plus en plus construits, selon des concepts (description, définition) et des principes structuraux (lexicaux, morphologiques, sémantiques) récurrents quoique diversement appliqués. À partir du XVIIe siècle, ces nomenclatures sont progressivement reconfigurées selon une méthode qui conduit à une langue plus scientifique, c’est-à-dire artificielle et systématique, leur nature systématique résidant alors dans un « tout homogène structuré par des principes appliqués sans faille ». Le génie linnéen, étendu et diffusé dans la nomenclature lavoisienne, réside dans l’accomplissement de cette reconfiguration, qui se caractérise par l’amoindrissement de la fonction de miroir de la nature et par l’extension nouvelle d’un double principe d’économie mémorielle d’une part, et de reflet d’un système théorique (biologique ou chimique) d’autre part. En réalisant des nomenclatures systématiques, le XVIIIe siècle a élaboré des modèles aptes à devenir universels, mais dont l’universalité même a fini par occulter ou empêcher la compréhension des modèles nomenclaturaux antérieurs, qualifiés de populaires ou pré-scientifiques par l’historiographie. C’est sur ces modèles et leur évolution jusqu’à une forme moderne que portent les études ci-dessous.  







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20.1 Botanique La botanique, confrontée à des milliers de plantes différentes, a élaboré une nomenclature très structurée dès le XVIe siècle. Nous présentons ci-dessous les modèles nomenclaturaux qui se sont succédés durant trois siècles jusqu’à celui de Linné, qui est pour l’essentiel l’héritage de la tradition de la Renaissance mais que les Lumières ont déformé, donnant ainsi naissance aux bases de la nomenclature « linnéenne » en usage aujourd’hui.  



1 La nomenclature des plantes à la Renaissance La Renaissance ne conçoit pas les plantes au sein d’une discipline autonome, mais à travers la pratique utilitaire de la Res Herbaria, propre aux médecins et apothicaires, et dans un cadre religieux de « philosophie de la nature », qui impose de rendre hommage à la puissance de Dieu en observant l’infinie diversité de sa Création.  



1.1 Dénomination, définition et description Dans ce cadre épistémique où il importe de cerner l’essence des plantes pour les utiliser officinalement et de les discerner pour rendre compte de la diversité créée, les médecins naturalistes (Caspar Bauhin, Charles de L’Escluse, Andrea Cesalpino, …) reprennent l’appareil conceptuel logique d’Aristote qu’ils appliquent et adaptent à l’étude des plantes : « la division est la seule méthode possible pour éviter de rien omettre dans l’essence » (Aristote 1995, 217). Les plantes sont donc appréhendées dans une perspective de définition, exempte de volonté de classification, où genres et espèces logiques se succèdent comme simples étapes de délimitation des essences, cernées à partir de « différences » successives. Soit par ex., en terminologie logique, le « genre suprême » Gentiana, qu’on étudiera seulement en partie ici (voir à la page suivante, Figure 1 ; les crochets […] signalent les divisions non développées). Ce genre se subdivise en deux espèces, l’une plus grande (major), l’autre plus petite (minor). La plus petite se conçoit à son tour comme un genre (inférieur) dans la mesure où elle se subdivise en espèces selon une différence de milieu (alpina ‘des montagnes’, pratensis ‘des prés’ et palustris ‘des marais’). Récursivement, l’espèce des montagnes est un genre, en tant qu’elle se subdivise en espèces différenciées par l’époque de floraison (printemps ou été) ; celle du printemps (verna) est aussi un genre subdivisible en espèces selon la largeur ou l’étroitesse des feuilles (latifolia vs. angustifolia) ; enfin, au terme de la division, celle à feuilles étroites se subdivise en espèces « ultimes » opposées par la taille (major vs. minor).  

























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Figure 1 : Schématisation de la division logique du genre Gentiana (d’après Bauhin 1623, 187)  

C’est la définition résultant de cette division logique qui permet alors d’énoncer l’organisation de la Création divine, par les différences, jusqu’à l’essence de la plante elle-même, car « la définition est un discours qui exprime [l’essence] de la chose » (Aristote 1997, 10). C’est ainsi que l’énoncé Gentiana minor alpina verna angustifolia major est une définition qui récapitule toute la procédure de division qui structure le monde, du premier mot (Gentiana) qui énonce le genre suprême de rattachement, au dernier mot (major) qui est l’épithète définitoire de l’espèce ultime considérée : langue et réalité s’entremêlent, comme chez Aristote, la langue disant le monde qui se reflète en elle. La nomenclature des médecins naturalistes prend rapidement la forme polynômiale de ces définitions, dont l’étendue et la structure varient selon le nombre d’étapes de division logique. Si l’espèce ultime est délimitée lors d’une seule division, on la dénomme simplement par un binôme (Gentiana major) ; si elle est déterminée au terme de deux niveaux de division, on peut la dénommer par un trinôme (Gentiana minor alpina)… et ainsi de suite : à définition au terme de cinq étapes de division, dénomination de forme hexanômiale (Gentiana minor alpina verna angustifolia major), etc. Face à la lourdeur de ce récapitulatif, la nomenclature logique autorise, en pratique, des mesures d’économie mémorielle, qui se traduisent – par ex. pour la dernière occurrence – soit par la suffixation diminutive (Gentiana minor sera remplacé par Gentianella), soit par l’omission de qualificatifs relatifs aux étapes intermédiaires donnés comme implicites (par ex. angustifolia) : Gentianella alpina verna major. À l’image de la langue courante, qui possède des dénominations simples polysémiques pouvant désigner tout autant le genre que l’espèce, l’épithète définitoire peut même  













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être omise pour une espèce fréquente ou majeure, cette absence fonctionnant alors comme un zéro, marqueur du statut prototypique de l’espèce considérée : ainsi la Gentiana major sera dite Gentiana. Si la dénomination peut être réduite, elle peut aussi être augmentée, car les espèces ne sont « ultimes » qu’à un instant donné de la connaissance : si on venait à découvrir une différence au sein de la Gentiana minor alpina verna angustifolia major (l’une à fleurs jaunes, l’autre à fleurs bleues), on pourrait très bien former deux nouvelles dénominations la Gentiana minor alpina verna angustifolia major lutea et la Gentiana minor alpina verna angustifolia major caerulea. La méthode dénominative logique est donc parfaitement compatible et avec la pratique courante de la langue (monômes), et avec la finalité théorique religieuse qui est de rendre compte de la diversité végétale (polynômes) : la définition délimite l’essence, sans limites dans la récursivité de la procédure logique – elle définit indéfiniment, à l’image d’une Création supposée infinie. Précisons enfin que la définition retient les notes essentielles d’une plante en procédant par sélection au sein d’une description qui, au sens aristotélicien, comprend tout ce qui est essentiel et accidentel – ainsi de telle description phrastique d’un champignon, dont la dénomination est dérivée par réduction syntaxique et conversion nominale :  











Ab his porro omnibus, prorsus diversus est is fungus, quem […] omnium mimimum esse existimo : nam vix semuncium altus, Autumno plerumque nullo petiolo fultus, ligneis tabellis pulvinos et areolas in hortis ab invicem segregantibus adnascitur, cineracei vel exalbidi coloris. ‘Mais il est tout à fait différent de tous ceux-ci, ce champignon que […] je crois être le plus petit de tous : car il est à peine haut d’un demi-pouce et il naît le plus souvent en automne, sans être soutenu par un petit pied, sur les planches de bois séparant les uns des autres les plates bandes et les carreaux dans les jardins ; sa couleur est d’un blanc cendré’ (description de L’Escluse 1601, CC LXXXVII ).  

Fungus minimus ligneis tabellis areolarum hortorum adnascens. ‘Champignon le plus petit poussant sur les planches de bois des carreaux des jardins’ (dénomination de Bauhin 1623, 374).

1.2 Dénomination, éponymie et synonymie La nomenclature logique obtenue comporte de nombreux termes relatifs (‘à feuilles larges’ s’entend relativement à ‘à feuilles étroites’ et réciproquement) ou comparatifs (‘plus grande’ s’entend d’une plante comparée à une autre, elle-même ‘plus petite’ que celle qui lui est comparée). Ce faisant, on voit combien les dénominations sont conçues dans une procédure mutuelle de délimitation : rendre hommage à la Création divine implique non seulement de définir l’essence d’une espèce en soi mais aussi de la mettre simultanément en relation avec d’autres, car « les plantes se correspondent universellement et particulièrement à travers la variété et l’immensité » (Lobel/Pena 1571, Operis argumentum).  





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Cette théorie des correspondances, au cœur de l’épistémè du XVIe siècle (Foucault 1966), explique qu’une certaine nomenclature de la langue courante soit facilement intégrée dans la nomenclature logique – qu’il s’agisse de la numération ordinale qui s’inscrit dans une série (type Gentiana prima, Gentiana altera / secunda…) ou de la négation qui présuppose un positif (Sparganium non ramosum vs. Sparganium ramosum). Mais les correspondances expliquent aussi le caractère fréquemment éponymique de la nomenclature : une plante donnée peut participer secondairement à d’autres Formes de plantes et, par éponymie platonicienne, porter secondairement le nom de ces dernières. Cette participation des espèces à des Formes secondaires est omniprésente dans la nomenclature et se réalise de différentes manières (soulignées ciaprès) : – par un syntagme comparatif au génitif ou au datif, complément de nom (Gentianella alpina aestiva centaureae minoris foliis, Chamaedrys alpina flore Cisti) ou d’adjectif (Valeriana alpina Nardo celticae similis) ; – par un adjectif bahuvrīhi : Caryophyllus saxatilis Ericaefolius ramosus repens ; – par divers suffixes : -oides (Gramen Typhoides), -aceus (Gramen Avenaceum), -atus (Gramen Caryophyllatum), -inus (Gramen spica Secalina), etc.1  











La nomenclature éponyme reflète non seulement un monde formé comme un tout en correspondances multiples mais aussi un monde ordonné selon un gradient de typicalité : – dans l’énumération linéaire des espèces d’un genre. Les plantes qui n’actualisent que la Forme principale sont en tête de leur genre, tandis que celles qui actualisent d’autres Formes se trouvent à sa fin. Ainsi la Valeriana alpina prima ouvre le genre Valeriana alpina, tandis que Valeriana alpina Nardo celticae similis clôt l’énoncé de ce genre. Le fait de placer en dernier les plantes actualisant une autre Forme permet en outre une transition continue au genre suivant. Ainsi la Valeriana alpina Nardo celticae similis, placée à la fin du genre suprême VALERIANA, amorce le genre NARDUS qui vient ensuite ; – dans l’ordination des propriétés d’une plante. La pleine actualisation d’une Forme donne à une plante le nom de cette Forme, en tête de la dénomination spécifique et au nominatif, l’essence étant ainsi cernée totalement du point de vue du genre : Nardus celtica altera [Nard celtique autre]. Dans le cas où l’observateur ne peut déterminer la Forme principale de rattachement, l’actualisation incomplète d’une Forme donne aussi à une plante le nom de cette Forme, en tête de la dénomination spécifique mais au datif pour en marquer le caractère secon 





1 Respectivement : Gentianelle alpine d’été à feuilles de Petite Centaurée ; Petit-Chêne alpin à fleur de Ciste ; Valériane alpine semblable au Nard celtique ; Œillet saxatile ericifolié (à feuilles de Bruyère) rameux rampant ; Gramen à caractères de Massette, d’Avoine, d’Œillet, à épi de Seigle.  









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daire : incident à un syntagme au nominatif dont le noyau nominal est elliptique (planta / herba), le nom au datif signale que, génériquement parlant, l’essence est cernée partiellement selon un mode de similitude ou d’affinité (« plante / herbe affine de / semblable à »). Ainsi, l’espèce Nardo celticae similis inodora [(Plante) inodore semblable au Nard celtique], bien qu’elle n’actualise pas de manière accomplie le genre Nardus celtica, est rattachée à ce genre à la fin duquel elle est placée.  







Dans ce dernier cas, le nom populaire peut être rappelé (au nominatif) mais avec un statut purement pratique et secondaire qui le fait placer en fin de dénomination : il est alors simple synonyme du syntagme au nominatif, sans être aucunement déterminant pour le rattachement à une Forme générique. Ainsi en est-il des noms populaires « Éléphant » et « Circée » dans les dénominations de plantes qui, respectivement, actualisent partiellement les genres SCORDIUM et SOLANUM à la fin desquels elles sont placées : Scordio affinis, Elephas [(Plante) affine du Scordium, Éléphant], Solanifolia Circaea dicta major [(Herbe) Solanifoliée (à feuilles de Solanum) dite Circée, majeure]. Un tel fonctionnement, qui établit la cohérence de rattachement en fonction de l’éponymie générique et au mépris de la nomenclature populaire (reléguée en seconde place), constitue les prémices d’une nomenclature scientifique. Et c’est parce qu’elle est comprise dans un cadre aristotélicien que cette structuration scientifique intègre également la synonymie au sein des dénominations, comme dans le cas de Scordio affinis [planta], Elephas. Pour Aristote en effet, deux espèces sont synonymes au sens où elles partagent le nom et la définition de leur genre : cheval et bœuf sont synonymes au sein du genre Animal en ce qu’ils sont chacun un Animal, spécifié par une différence ; de la même façon, les espèces Gentianella alpina verna major et Gentianella alpina verna minor sont synonymes, relativement à leur genre Gentiana minor alpina verna ; et comme cheval et bœuf, des plantes hétéronymes telles que Sampsuchus, Marum et Majorana peuvent être rattachées à un même genre (SAMPSUCHUS), ce qui n’est pas une preuve d’irrégularité ou d’a-scientificité (Cain 1994) mais le fruit d’une conception en termes de correspondances, qui fait de la synonymie une composante de la nomenclature…  

















2 La nomenclature des plantes à l’Âge Classique Le XVII e siècle se caractérise par une disciplinarisation qui a abouti, dès les années 1600, à la constitution d’un discours spécialisé sur les plantes : la « Botanique ». L’Âge Classique apporte ainsi des changements épistémiques majeurs par rapport à la Renaissance – dont relèvent les philosophies de Gassendi, Descartes, Locke ou Leibniz et qu’incarnent les travaux de botanistes comme John Ray, Joseph Pitton de Tournefort et August Rivinus. Ces conditions épistémiques affectent la nomenclature,  





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laquelle ne change guère formellement mais subit en profondeur une reconfiguration de sa structure et de son rapport à d’autres concepts (description, définition, synonymie, éponymie, polysémie, prototypie).

2.1 Dénomination et description : statut de l’ontologie  

L’ontologie voit sa place se réduire au XVIIe siècle du fait de la « théorie des idées », selon laquelle les essences en soi sont intelligibles par Dieu mais non par l’homme, qui n’en a que des représentations – les idées – dont la véracité réside dans leur « clarté » et leur conformité aux choses. Ainsi, pour les plantes, ne pouvons-nous au mieux que les discerner grâce à un « expédient » – signe divin imprimé par Dieu « à chacune des espèces, qui doit nous servir de guide pour les ranger à leur place naturelle » (Tournefort 1694, 20) – ou grâce à un « faisceau d’attributs communs » (Ray 1686) – qui, mêlant essentiel et accidentel, est garant d’un juste discernement. Face aux essences inintelligibles, la division logique continue d’apparaître comme la seule méthode offrant en pratique une juste répartition et une représentation conforme des plantes sous leurs signes ou caractères : « on réalise une définition parfaite à partir du Genre prochain et de la Différence essentielle » (Ray 21703, Praecognitu). Il en découle une dénomination toujours conçue comme définition : « Les noms dont on se sert pour désigner chaque espèce sont comme autant de définitions dans lesquelles on exprime d’abord le genre et l’on y fait entrer ensuite la différence » (Tournefort 1694, 37). Mais la définition, idée simple et nominale, se doit d’être brève pour être claire, comme le rappellent les citations précédentes : il faut éviter « les dénominations prolixes » (Rivin 1690, 11) qui tendent à la description, idée complexe et phrastique, longue et confuse, qui mêle essentiel et accidentel, sans visée explicite à discerner les essences : « il faut mettre une très grande différence entre nommer les plantes et les décrire » (Tournefort 1694, 38). L’Âge Classique condamne donc les dénominations qui se font jour comme :  













































M EESEMBRIANTHEMUM SEMBRIANTHEMUM Africanum, frutescens, minus erectum, triangularibus foliis, viridibus, cornuum taurinorum in modum inflexis, fructu turbinato, parvo, pentagono, lignescente, flore albo. ‘Mesembryanthème d’Afrique, buissonneux, peu érigé, à feuilles triangulaires, vertes, recourbées en forme de cornes de taureau, à fruit turbiné, petit, pentagone, lignescent, à fleur blanche’ (cité par Tournefort 1700, 64).

2.2 Dénomination et signification : statut de la langue  

La théorie des idées, qui repose sur les oppositions simple / complexe, distinct (clair) / confus (obscur), vrai / faux, s’accompagne d’un mode de connaissance empirique. La procédure descendante à partir de catégories préconstruites complexes qu’on divise est abandonnée au profit de l’observation, qui appréhende des idées simples lesquel 

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les, selon une procédure ascendante, construisent des idées de plus en plus complexes, dont la véracité et la clarté résident dans le fait qu’elles ont un ancrage dans un départ simple. Ainsi, « établir les genres des plantes n’est précisément que découvrir ce que plusieurs plantes ont de commun entre elles, et attacher cette idée générale à un nom qui leur soit commun » (Tournefort 1694, 14). Cette clarté et cette simplicité vont de pair avec la brièveté classique : il faut « multiplier les genres autant qu’il se pourra ; parce qu’alors on aura moins d’espèces à renfermer sous le même genre » (Tournefort 1694, 38) – le genre devient une réalité tout à la fois arbitraire, puisque adaptée à l’esprit humain, et fondée, en tant que conforme à la réalité des choses, puisque garantie par la représentation idéelle et l’observation empirique. Un changement fort s’opère, avec le passage du logique au pré-biologique (Drouin 2008, 24) : le Genre devient la base empirique de l’attention des botanistes, alors que l’Espèce ultime était l’aboutissement de la division logique ; le Genre devient ainsi une idée qui se stabilise, se fixe, entre celle d’espèce et celle de classe – et n’est plus ce concept dynamique et récursif des genres prochains ou intermédiaires, reconduit à chaque nouvelle étape de la division logique. En lien à cette conception du genre et dans le cadre de la théorie des idées, il est préconisé d’ôter au nom sa valeur ontologique et de se tourner vers une langue tout à la fois arbitraire et représentante, c’est-à-dire dépourvue de signification essentielle préalablement mais capable de signifier ensuite par association du nom à l’idée du caractère de la plante (lequel caractère reste lui-même un « expédient » ou un « faisceau d’attributs » conforme à la réalité de la plante, sans pour autant en donner à entendre l’essence) :  

























« l’on ne devrait employer dans cette science que des noms qui d’eux-mêmes n’ont aucune signification […] On n’aurait alors qu’une idée nette du caractère qu’exprimerait chacun de ces noms : c’est-à-dire que l’on se souviendrait seulement que par un tel nom on entend un genre de plante, dont le caractère consiste dans la structure particulière de certaines parties » (Tournefort 1694, 14, 16).  





2.3 Dénomination et définition logique : statut de la nomenclature  

Dans ce cadre de clarté et de brièveté qui réduit la division logique à une méthode d’exposition du savoir et la langue à un pur moyen de représentation, la nomenclature est profondément modifiée. Les genres lointains ou suprêmes sont effacés et le polynôme est réduit à une structure binaire Genre prochain (une unité lexicale) + Différence (une ou plusieurs unités lexicales). Une plante anciennement dénommée Gentianella alpina verna angustifolia major sera donc (i) soit abrégée en Gentianella angustifolia major ; (ii) soit maintenue comme telle mais lue comme le résultat d’une division unique qui, au sein du genre prochain Gentianella, distingue une espèce par le faisceau de caractères alpina verna angustifolia major. La Figure 2 montre combien le changement est profond :  







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Figure 2 : Restructuration de la nomenclature logique au XVIIe siècle  

Là où il y avait 5 noms génériques relativement à 5 divisions chez Bauhin au XVIe siècle, un Tournefort ne lit plus qu’un nom générique et une seule différence spécifique au XVIIe siècle. La dénomination abrégée ne représente plus, alors, que l’idée qu’on se fait de la chose elle-même et non de la chose prise dans un réseau de correspondances. Il est donc cohérent que les genres et espèces intermédiaires ne soient plus lisibles en creux dans les dénominations : l’objectif n’est plus de refléter, à travers la définition, le rapport de telle espèce aux autres de son genre suprême – il s’agit seulement de donner les caractères (angustifolia major) qui forment « l’expédient » ou « le faisceau d’attributs », pris comme un tout non divisible, qui permettent d’avoir une idée de la plante et de la reconnaître en soi.  









2.4 Dénomination et éponymie : statut du système  

Puisque le réseau de correspondances n’a plus d’intérêt au sein de la nomenclature, on récuse les dénominations polysémiques – telle la dénomination Gentiana qui désigne à la fois le genre et l’espèce prototypique. Et, surtout, on rejette les dénominations qualifiées d’« affines », « hétéroclites » ou « bâtardes », au motif qu’elles reviennent à confondre les idées génériques et à ne pas tenter de distinguer l’idée du nouveau genre auquel appartient la plante difficile à classer – d’où la fin de dénominations comme Pruno sylvestri affinis Canadensis [Arbre affine du Prunier sauvage, du Canada] remplacée chez Tournefort (1700, 618) par une Spiraea Hyperici folio non crenato [Spirée à feuille de Millepertuis, non crénelée] qui fait émerger le nouveau genre Spiraea. Dans cet attachement à la juste et claire dénomination générique, on retrouve, en fait, l’esprit de « système » qui apparaît à la fin du siècle. Selon les botanistes, les  















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plantes peuvent être « rangées » à partir de certains caractères (i) tirés des organes de la génération, fleurs et fruits (principe de suffisance) ; (ii) fournis par Dieu au titre d’expédients ou de faisceau d’attributs et donc conformes à la réalité (principe de nonarbitrarité) ; (iii) envisagés sous le rapport du nombre, i. e. présence / absence, simplicité / complexité, quantité de parties ou caractères de tel organe, etc. (principe géométrique) ; (iv) et traités selon un mode de convenance ou de différence, qui permet de traiter l’intégralité de la diversité des plantes conformément à la réalité (principe des semblables et des contraires). Ce système d’organisation des plantes, analogue et conforme au « système de la nature » (Leibniz 1695), fonctionne selon des règles cartésiennes touchant aussi bien aux plantes (« Règle V. Il faut veiller à ce que les plantes apparentées et congénères ne soient pas séparées, et que les dissemblables et étrangères, c’est-à-dire d’un genre différent, ne soient pas rassemblées » – Ray 21703, Regulae in Methodo) qu’aux noms des plantes : « Tous les genres qui diffèrent par la fleur ou la semence doivent être désignés par des noms tout aussi différents. Par la loi des contraires, tous les genres qui s’accordent par la fleur ou la semence, doivent être appelés d’un nom tout aussi identique » (Rivinus 1690, 9). Si la nomenclature du XVIe siècle tolérait, dans une perspective synonymique aristotélicienne, qu’un genre coiffe des dénominations commençant par le nom Sampsuchus, Marum et Majorana (voir supra, fin de la section 1.2), le XVIIe siècle, lui, établit une homogénéisation systématique des plantes et de leurs noms : il y aura d’un côté un genre Majorana, regroupant des plantes dont toutes les dénominations commencent par Majorana ; et un genre Thymbra, regroupant les plantes antérieurement nommées Sampsuchus ou Marum, et désormais toutes dénommées à l’aide du nom générique initial Thymbra. Ainsi, le système et la nomenclature, qui reposent en apparence sur une méthode de division logique, ont abouti à une nomenclature logique dépouillée en grande partie de ses caractéristiques antérieures : valeur ontologique supplantée par une dimension mi-pratique, mi-réelle (conformité à l’essence de la plante garantie par la clarté de la représentation) ; structuration binaire et brève ; rejet de l’éponymie et de la polysémie ; mise à l’écart de la synonymie ; distinction radicale du nom (définitoire) d’avec la phrase (descriptive). Il ne reste aux Lumières qu’à parachever le tournant épistémique.  









































3 La nomenclature des plantes pendant les Lumières Au gré de ses découvertes et de ses explorations toujours plus nombreuses, le siècle des Lumières prétend s’intéresser à la Nature en soi, hors de tout présupposé linguistique ou conceptuel. Au-delà de cet empirisme affirmé, les Lumières reconduisent pourtant le cadre épistémique antérieur – arrière-plan de la division logique, théorie des idées – mais en lui imprimant une marque particulière qui produira, à la fin du XVIIIe siècle, le bouleversement qui conduit aux codes de nomenclature botanique en usage au XXIe siècle.

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3.1 La théorie d’ensemble de Linné : nature, système, nomenclature  

La théorie de Linné,2 souvent donnée comme résumé de la pensée des Lumières en matière de botanique, ressortit en réalité à l’appareil épistémique du siècle précédent, tout en le transcendant par une formalisation nouvelle et par une synthèse très claire des débats antérieurs. Cet appareil conceptuel repose sur une triple distinction graduée, dont le cadre général se retrouve chez les philosophes (Condillac, Rousseau) et les botanistes (Adanson, Lamarck à ses débuts) : (i) classer les plantes est soit « arbitraire » et « synoptique », au sens linnéen de ce qui est opéré par la division logique à seules fins de distinction générale ; soit « approprié » – conforme à la réalité en ce que les essences (variétés, espèces, genres, ordres et classes) sont respectées – et « systématique » – opéré par un système humain de classification (§§153–155) ; soit approprié et « méthodique », i. e. coïncidant avec la méthode suivie par la nature dans son système (§77) ; (ii) connaître une plante repose sur un caractère soit « factice » et synoptique ; soit « naturel » et descriptif (§326) ; soit « essentiel » et définitoire (§§186–190) ; (iii) nommer spécifiquement une plante est soit « synoptique », à visée de juste distinction des espèces ; soit « essentiel », à visée de définition de l’essence des espèces (§§257, 291). En amont de ce mode de dénomination « légitime » se trouve la description naturelle des espèces qui, conformément à la logique ancienne, continue d’être un mélange des caractères accidentels (factices) et essentiels (§§189–191) à partir desquels une sélection permet de construire les noms essentiels (§258), et que Linné distingue toujours clairement de la nomenclature, porteuse de la différence (§291). Enfin, en marge de l’ensemble, Linné propose une dénomination « illégitime », dite « triviale » en ce qu’elle ressortit à la langue du peuple et non à celle de la nature (§257) – voir infra.  





































































Le dispositif conceptuel précédent est récursif, au fur et à mesure de l’amélioration des connaissances, et dynamique au sens où chaque étape est le « succédané » de la suivante (Selosse 2011) : (i) dans un état primitif de savoir, classer, caractériser et nommer se font synoptiquement ; (ii) dans un état plus avancé, les caractères naturels permettent de classer systématiquement mais non pas de nommer autrement que synoptiquement ; (iii) dans un stade ultime, on peut non seulement classer chaque espèce en lui assignant méthodiquement sa place naturelle (§§160, 193) mais aussi la nommer essentiellement à raison du caractère « singulier qui est propre à elle seule »  













2 Dans cette partie, toutes les références à des paragraphes (§) sont extraites de la Philosophia Botanica de Linné (11751).

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(§290). Ce stade où la connaissance des hommes et l’être de la Nature se recouvrent n’est cependant possible qu’une fois toutes les espèces de végétaux connues. Dans la perspective linnéenne, le savoir sur les plantes au XVIIIe siècle ne peut se situer qu’au niveau médian : le système sexuel, conforme à la nature, n’est pas la nature ; les noms spécifiques ne sont, dans le meilleur des cas, que semi-essentiels ; seuls les noms génériques peuvent être déjà perçus dans leur essence. Dans ce cadre théorique, la nomenclature de Linné se présente donc sous une double forme, comme l’illustre la neuvième espèce de Gentiane listée dans le Systema naturae de 11753 (voir Figure 3). À la suite du nom générique en majuscules (Gentiana) se trouvent : (i) en romains minuscules, le nom spécifique légitime (corolla quinquefida infundibuliformi caulem excedente, foliis radicalibus confertis majoribus) ; (ii) dans la marge (gauche), en italiques minuscules, le nom spécifique illégitime (verna).  











GENTIANA verna.

9. GENTIANA corolla quinquefida infundibuliformi caulem excedente, foliis radicalibus confertis majoribus.

GENTIANE printanière. 9. GENTIANE à corolle à cinq pétales en forme d’entonnoir dépassant la tige, à feuilles basales en rosette plus grandes. Figure 3 : La nomenclature linnéenne au XVIIIe siècle (Linné ³1753, 228)  



3.2 La nomenclature légitime, fruit de l’esprit de système Pour Linné, la nomenclature authentique (genuina) se partage donc entre deux noms de type polynômial : le synoptique, formé de douze mots au plus – c’est le nom de neuf mots de la Figure 3 ; et l’essentiel, formé de un à deux mots – et qui, dans le même exemple, prendrait la forme foliis confertis. Le premier est légitime mais par défaut, car ne pouvant représenter le caractère essentiel ; le second est tout aussi légitime mais « optimal », en tant que résultant de l’aboutissement des recherches botaniques. L’essence d’une plante étant désormais signifiée par le seul « nom spécifique essentiel », le « nom spécifique synoptique » n’a donc plus la valeur ontologique des dénominations anciennes : sa légitimité ne réside plus que dans sa capacité à correctement « distinguer » (dignoscere) les espèces pour en assurer une représentation conforme, et ce, selon un mode d’opposition logique et dichotomique des caractères – comme pour les Gentianes à corolle à 4 vs. 5 pétales, puis à corolle en forme de cloche ou en forme d’entonnoir, etc. Les botanistes de la Renaissance  

























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distinguaient les plantes pour définir leurs essences par des noms définitoires, tandis que ceux des Lumières, Linné en tête, décrivent les plantes en distinguant leurs espèces par des noms qui ne tiennent ni de la description ni de la définition. La nomenclature a ainsi subi un double déplacement : non seulement la dénomination longue n’est plus une définition mais une distinction, mais c’est à une dénomination courte – alors hors de portée dans l’état du savoir – qu’est conférée la dimension strictement définitoire : le nom spécifique essentiel. Pour Linné, seule compte cette nomenclature polynômiale, qu’elle soit synoptique, semi-essentielle ou essentielle, et c’est pour elle qu’il va définir un ensemble de près de 100 aphorismes, constituant autant de règles dont la finalité est d’assurer une représentation claire des idées associées au genre et à l’espèce. Ces règles sont empreintes de l’épistémè classique, à commencer par la brièveté qui veut taire les noms des catégories supérieures au genre, ce qui revient à limiter l’appellation au genre prochain et à la différence comme au XVIIe siècle : « Tous les noms sont dans leur énonciation même soit Muets, comme ceux de la Classe et de l’Ordre, soit Sonores, comme le Générique, le Spécifique et le Variétal » (§212). Parmi ces nombreuses règles,3 on en retiendra quelques-unes, exemplaires, qui tranchent sur les modèles des siècles antérieurs et qui traduisent une véritable systématisation de la langue nomenclaturale : (i) la langue est épurée des figures rhétoriques, qui non seulement obscurcissent la représentation de la nature mais surtout y introduisent une représentation humaine arbitraire. Linné (§§296, 302) critique donc, dans la nomenclature ancienne, l’usage de la périphrase (molli lanugine pubescens ‘se couvrant de poils formant une laine douce’ pour villosus ‘velu’) ; de la synecdoque du tout pour la partie (folio argenteo ‘à feuille argentée’ au lieu de folio subtus albo ‘à feuille argentée sur le dessous’) et du singulier pour le pluriel (flore luteo ‘à fleur jaune’ au lieu de floribus luteis ‘à fleurs jaunes’) ; de la métaphore (gentilis ‘noble’ pour odoratissima ‘très odorante’) ; de l’ironie (sterilis ‘stérile’ pour mas ‘mâle’), etc. La mise à l’écart du style (encore défendue par Buffon) est le départ absolu entre littérature et science, entre langue et nomenclature – exit la vision de la Renaissance qui entremêlait langue de l’homme et langue de la nature, dans une correspondance entre microcosme et macrocosme ; (ii) la structuration binaire systématique exclut les dénominations du type Nardo celticae similis inodora d’où le nom générique est absent ou réduit à un hyperonyme vague et elliptique comme planta ou herba (§286). L’appartenance générique ne peut plus être signifiée par un nom au datif, elle doit être systématiquement fixée, explicite, en tête et au nominatif – la vision réaliste l’emporte ainsi,  



















3 Sur ces règles linnéennes ↗20.2 Entre Renaissance et Lumières : les nomenclatures des sciences nouvelles – Zoologie, section « Origine et contenu sémantique des noms linnéens ».  



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car à la différence du XVIe siècle, la nomenclature ne peut alors plus refléter une simple hypothèse sur le rattachement à un genre ; la structuration binaire impose une distinction des idées spécifique et générique au sein de la nomenclature : une ancienne dénomination comme Gentianella doit donc être remplacée par Gentiana parva qui dissocie nettement le nom générique de l’épithète spécifique (§287). Se trouve ainsi occulté le fait que, dans l’ancienne nomenclature logique, Gentianella constituait un genre, i. e. le départ d’une nouvelle division en espèces ; le caractère distinct et non confus des idées condamne les dénominations du XVIe s. telles que Cistus mas foliis Chamaedrys (‘Ciste mâle à feuilles de Chamaedrys’) et Chamaedrys alpina flore Cisti (‘Chamaedrys des alpes à fleur de Ciste’) où chaque genre est défini par l’autre ou suppose la connaissance « innée » de l’autre (§261). Les noms spécifiques suffixés en -oides (type Platanoides ‘à caractère de Platane’), comparatifs (type major) ou négatifs (type non ramosus) sont écartés pour les mêmes raisons (§§261 ; 262, 297 ; 298). Toute la théorie éponymique des correspondances des anciens médecins naturalistes est ainsi effacée ; la clarté et la stabilité des idées, en particulier du genre, conduit au rejet de l’hétéronymie, telle celle de ce genre comprenant des noms commençant, respectivement, par Stoechas, Chrysocome, Helichrysum et Gnaphalium (§284) : le nom générique ne doit être que le seul Stoechas. Ainsi la synonymie sort-elle définitivement du champ de la nomenclature – et loin de ne reprendre que Tournefort à cet égard, Linné construit tout un modèle de traitement de la synonymie, dans un chapitre à part (§§318–324) ; la conformité des idées à la représentation de l’essence des plantes écarte tous les caractères désormais considérés comme accidentels dans le savoir botanique des Lumières : tout ce qui ressortit à une quelconque numération humaine (type prima, secunda…), au lieu de pousse (type alpina ou bavarica ‘bavaroise’) ou à l’époque de floraison (type verna), est donc banni de la nomenclature par Linné (§§258, 264, 265).  

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(vi)



3.3 La nomenclature illégitime, incarnation de l’esprit pratique La nomenclature illégitime est celle des noms spécifiques « triviaux » marginaux comme verna (Figure 3) – lesquels, associés au nom générique, constituent ce que l’historiographie appelle nomenclature binômiale : Gentiana verna. Linné formalise et systématise ainsi un modèle structurel populaire bref, dont les termes sont empruntés à des dénominations passées, au gré de leur ancienneté ou de leur fréquence d’usage (voir Figure 4). Mais Linné ne mentionne ce modèle qu’en passant (§257–258), sans insister sur cette innovation ni la traiter en soi, car une telle nomenclature est sans importance ontologique à ses yeux – et donc hors du champ de la « philosophie botanique » – et sans légitimité, dépourvue qu’elle est de « lois » de composition : tout  





















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mot pris de « n’importe où » convient, l’important étant uniquement qu’il soit bref et « commode » à mémoriser en regard des longs noms spécifiques, et bien associé en pratique à l’idée de l’espèce qu’il désigne. Tout ce qui a été rejeté précédemment de la nomenclature légitime est alors acceptable ici au titre de simple étiquette invariante. Le nom trivial peut ainsi signifier un caractère, quel qu’il soit (saison – verna –, lieu de pousse – bavarica – ou morphologie – ciliata ‘ciliée’), voire renvoyer à un autre genre, soit par un adjectif suffixé (asclepiadea ‘à caractère d’Asclépiade’), soit directement par un nom propre apposé et hétéronyme (Centaurium, ‘(Gentiane) PetiteCentaurée’). C’est un coup fatal porté définitivement à l’éponymie de la Renaissance, la référence à un autre genre dans une dénomination n’étant plus comprise que comme un nom vide de sens. D’une manière générale, le fait que l’épithète spécifique définitoire de la dénomination ancienne ne réapparaisse dans la nomenclature triviale que comme une épithète distinctive pratique parmi d’autres, contribue à brouiller encore plus la compréhension du système nomenclatural antérieur.  







Dénominations spécifiques des XVIe–XVIIe siècle Gentiana asclepiadis folio Gentianella alpina verna major Gentiana elegantissima bavarica Gentiana angustifolia autumnalis minor, floribus ad latera pilosis Centaurium minus palustre ramosissimum, flore purpureo Centaurium aureum perfoliatum

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Noms triviaux de Linné Gentiana asclepiadea Gentiana verna Gentiana bavarica Gentiana ciliata Gentiana Centaurium Gentiana perfoliata

Figure 4 : De la nomenclature définitoire du XVIe siècle à la nomenclature triviale du XVIIIe siècle  



Ainsi, le modèle linnéen poursuit l’esprit de système déjà présent chez Rivin ou Tournefort sans modifier radicalement la forme de la nomenclature (les noms légitimes restent des polynômes) mais en y apportant des changements subtils : la nomenclature est structurée en un ensemble systématique ; sa nature essentielle apparaît de moins en moins accessible ; enfin, la brièveté nominale s’impose, soit comme modèle à atteindre (cas du nom spécifique essentiel trinominal), soit comme modèle pratique (cas du nom trivial binominal), quoique donné sans importance philosophique ni scientifique.  





4 Conclusion : vers la nomenclature « linnéenne » moderne  





La fin des Lumières et le début du XIXe siècle modifieront radicalement la répartition de ces données : (i) le départ s’accentue entre la langue, discours sur les « choses », et la nature, objet réel du savoir sur les choses : « [la nomenclature] est une partie essentielle de la science, ce n’est pas la science elle-même » (Lamarck/Poiret, an IV, 498) ;  













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Botanique

« lorsque l’élève saura le nom, qu’il se garde de croire savoir la chose » (Lamarck/Candolle 31805, IX ) ; (ii) la distinction des catégories « grammaticales » du nom et de la phrase, entamée au XVIIe siècle, est parachevée. Les définitions de la Renaissance et les noms spécifiques de Linné sont assimilés à des phrases, qui ne relèvent pas de la nomenclature, système de noms – ils sont donc relégués au rang d’énoncés discursifs visant toujours à « distinguer » les plantes les unes des autres, mais d’un point de vue purement pratique et descriptif : ainsi naît le concept de diagnose (diagnosis, Jussieu 1789), toujours en usage aujourd’hui ; (iii) la nomenclature est alors conçue comme composée de noms au sens grammatical, c’est-à-dire de syntagmes nominaux brefs pouvant prétendre au rang de dénominations, et de noms qui ne doivent être que de simples étiquettes vides de sens servant à la désignation des choses. C’est la catégorie des « noms triviaux » qui répond à ces deux exigences (brièveté catégorielle et fonction désignative) et c’est elle que la communauté linguistique va retenir, en lui appliquant cependant une grande partie de la systématicité des règles nomenclaturales que Linné avait élaborées pour une tout autre catégorie – celle de ses noms spécifiques légitimes devenus diagnoses.  























Ainsi, ce n’est pas Linné qui a véritablement créé la nomenclature binominale aujourd’hui universellement reçue, légitimée et codifiée dans les « codes internationaux de nomenclature botanique ». C’est tout à la fois l’aboutissement d’une longue évolution et un changement radical d’épistémè, plus réaliste et « linguistique » :  









« Ces noms triviaux sont, à proprement parler, de véritables noms spécifiques ; et il eût été à désirer que leur auteur, qui alors peut-être n’en sentait pas tout à fait l’importance, les eût choisis avec un peu plus de soin. Néanmoins la grande commodité de cette nouvelle invention, et son utilité confirmée par l’usage, l’ont fait presque généralement adopter. » (Lamarck [1802], ²1825, I, 98).  







5 Bibliographie Aristote (1995), Organon. IV. Seconds analytiques, ed. Jean Tricot, Paris, Vrin. Aristote (1997), Organon. V. Les Topiques, ed. Jean Tricot, Paris, Vrin. Bauhin, Caspar (11623), Pinax Theatri Botanici, Basileae, Sumptibus et typis Ludovicis Regis. Cain, Arthur James (1994), Rank and sequences in Caspar Bauhin’s « Pinax », Botanical Journal of the Linnean Society 114, 311–356. Drouin, Jean-Marc (2008), Tournefort (1656–1708) : un botaniste cartésien ? in : Daniel Prat et al. (edd.), Peut-on classer le vivant ? Linné et la systématique aujourd’hui, Paris, Belin, 23–29. Foucault, Michel (1966), Les mots et les choses, Paris, Gallimard. Jussieu, Antoine-Laurent de (1789), Genera Plantarum secundum Ordines Naturales disposita, Parisiis, Hérissant et Barrois.  









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Philippe Selosse

L’Escluse, Charles de (1601), Rariorum Plantarum Historia, Antwerpiae, Ex Officina Plantiniana, apud Joannem Moretum. Lamarck, Jean-Baptiste Monet de (21825), Histoire Naturelle des Végétaux classés par Familles, Paris, Verdière (11802). Lamarck, Jean-Baptiste Monet de/Candolle, Augustin Pyramus de (31805), Flore Française, Paris, Agasse. Lamarck, Jean-Baptiste Monet de/Poiret, Jean (an IV), Encyclopédie méthodique botanique, vol. IV, Paris, Agasse. Leibniz, Gottfried Wilhelm (1695, [1994]), Système nouveau de la nature, ed. Christiane Frémont, Paris, GF-Flammarion. Linné, Carl von (11751), Philosophia Botanica, Stockholmiae, apud Godofr. Kiesewetter. Linné, Carl von (11753), Species Plantarum, Holmiae, impensis Laurentii Salvii. Lobel, Mathias de/Pena, Pierre (1571), Stirpium Adversaria Nova, Londini, prelum Thomae Purfoetii. Ray, John (1686), Historia Plantarum, vol. 1, Londini, typis Mariae Clark, prostant apud Henricum Faithorne. Ray, John (21703), Methodus Plantarum, Londini, impensis Samuelis Smith & Benjamini Walford typographorum Regiae societatis. Rivinus, August Quirinus (1690), Introductio Generalis in Rem Herbariam, Lipsiae, typis Christoph. Guntheri. Selosse, Philippe (2011), From theory of ideas to theory of succedaneum : The Linnaean botanical nomenclature(s) as « a point of view on the world », in : Britt-Louise Gunnarsson (ed.), Languages of Science in the Eighteenth Century, Berlin/Boston, de Gruyter, 157–168. Tournefort, Joseph Pitton de (1694), Elemens de Botanique ou Méthode pour Connaître les Plantes, vol. 1, Paris, Imprimerie Royale. Tournefort, Joseph Pitton de (1700), Institutiones Rei Herbariae, vol. 1, Parisiis, e Typographia regia.  

















Alessandro Minelli

20.2 Zoologie En zoologie,1 il y a au moins deux domaines dans lesquels la nomenclature a remarquablement évolué dans la période qui court de la Renaissance au XVIIIe siècle. Nous porterons donc ici notre attention sur les noms d’espèces et de genres d’animaux, car c’est durant la période couverte par cet article que leur évolution linguistique, de la tradition du XVIe siècle à la pratique moderne, a été amplement menée à bien par Linné. Par contre, nous laisserons de côté la révolution linguistique de la terminologie des parties anatomiques, qui était encore dans un état rudimentaire à l’époque de Linné et qui, pour se faire, devra encore attendre au moins la naissance de l’anatomie comparée, dans les premières décennies du XIXe siècle. Toutefois, avant d’en venir précisément aux noms de genre et d’espèce, nous évoquerons la contribution particulière de Petrus Artedi (dans un ouvrage posthume de 1738 édité par son ami Carl Linné), qui fixe la terminologie morphologique à utiliser dans la description des poissons. Pas moins de 46 pages de la Philosophia ichthyologica d’Artedi sont consacrées à des définitions commentées des parties des poissons (externes comme internes), dont voici un exemple parmi d’autres :  

Pinna eſt pars è corpore Piſcium prominens ſeu propendens, ex membrana, oſſiculis vel duris vel cartilagineis, ſeu radiis, fulcitâ, conſtans. ‘La nageoire est la partie saillante ou pendante du corps des Poissons, consistant en une membrane soutenue par de petits os, ou rayons, durs ou cartilagineux.’

1 Nommer les espèces d’animaux : l’innovation encyclopédique de Gesner  

Durant l’essentiel de la période couverte par cet article, la grande majorité des ouvrages zoologiques étaient écrits en latin et c’est donc en latin que se trouvent les noms des animaux décrits dans cette littérature scientifique. Les auteurs étaient cependant confrontés à deux problèmes. D’un côté, de multiples noms étaient souvent disponibles pour un même animal, en particulier dans le cas des vertébrés d’Europe. Ces noms étaient latins ou grecs ou appartenaient à plusieurs langues modernes, formant des occurrences d’une langue orale ou d’un dialecte, ou constituant en quelque sorte des noms techniques d’abord utilisés par des auteurs antérieurs dans leurs ouvrages savants. À l’instar des efforts déployés par les botanistes de leur époque, plusieurs zoologues consacrèrent beaucoup d’énergie à établir des listes

1 Traduction de l’anglais par Philippe Selosse.

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de synonymes et à publier des dictionnaires plurilingues des noms d’espèces. D’un autre côté, le progrès des investigations et des collectes, à la fois en Europe et dans les continents récemment découverts, attira l’attention des naturalistes sur un nombre vite croissant d’espèces précédemment inconnues, pour lesquelles on disposait très rarement d’un nom, dans quelque langue au monde que ce soit. La nomenclature se devait alors de croître de manière co-extensive pour les désigner. Dans une certaine mesure, de nombreux noms d’animaux des auteurs prélinnéens ont quelque ressemblance avec la nomenclature linnéenne (et courante), en ce qu’ils comportent un terme « générique » suivi d’une qualification « spécifique » – mais cela ne doit pas être interprété comme signifiant que ces auteurs avaient une conception précise des catégories du genre et de l’espèce. Dans le cas des animaux les plus connus, un mot simple était jugé suffisant comme nom d’espèce. Relativement à leurs connaissances, il n’y avait pour ces auteurs qu’un seul leo (‘lion’), un seul caballus (‘cheval’), un seul struthio (‘autruche’). Pour ces espèces, une nomenclature uninominale semblait donc adéquate. Les choses devinrent différentes quand, pour une sorte donnée, il apparut qu’il existait deux « espèces » ou plus – et c’est à ce niveau que nous trouvons, à partir du XVIe siècle, une nomenclature qui ouvre petit à petit la voie à la révolution linnéenne. Pendant quelque temps, en tout cas, les dénominations furent beaucoup moins formelles, standardisées et informatives que nous ne pourrions attendre qu’elles le soient. À titre d’exemple, voici ci-dessous les noms donnés par Gesner (1560, s.v.) aux quatre espèces de torpille et aux quatorze espèces de raie communes dont il avait connaissance :  













TORPEDINIS (Oculatæ vel maculoſæ) ſpecies prima a nobis poſita eſt ea, cuius maculas efficiunt circuli albo nigroque diſtincti : quorum medium oculi pupillam, maculæ totæ oculos planè referunt, Rondeletius.2 [La première espèce de TORPILLE (Ocellée ou tachetée) que nous plaçons ici est celle dont des cercles distincts de blanc et de noir dessinent des taches, le milieu des cercles rappelant exactement la pupille de l’œil, et l’ensemble des taches, des yeux – Rondelet.] TORPEDINIS Oculatæ vel maculoſæ ſpecies altera [Deuxième espèce de TORPILLE Ocellée ou tachetée] TORPEDO tertia, non oculata, ſed maculosa tamen [Troisième TORPILLE, non ocellée mais cependant tachetée] TORPEDO quarta, non maculoſa [Quatrième TORPILLE, non tachetée] RAIA læuis, Λειόβατος [RAIE lisse, Λειόβατος] RAIA læuis ſecunda [RAIE lisse deuxième] RAIÆ læuis ſpecies tertia, quam […] Raiam oxyrhynchum (minorem) appello [Troisième espèce de RAIE lisse, que […] j’appelle Raie à bec pointu (petite)]  

2 Rondeletius ou Rondeletus est le nom latinisé sous lequel est mieux connu le professeur de médecine de Montpellier Guillaume Rondelet (1507–1566), auteur de deux livres à succès sur les animaux aquatiques d’abord publiés sous les titres De piscibus marinis, libri XVIII, in quibus veræ piscium effigies expressæ sunt (1554) et Universæ aquatilium historiæ pars altera, cum veris ipsorum imaginibus (1555), tous deux à Lyon chez Macé Bonhomme.

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Zoologie

RAIÆ læuis oxyrhynchi ſpecies altera [Autre espèce de RAIE lisse à bec pointu] RAIA læuis oculata Rondeletij [RAIE lisse ocellée de Rondelet] RAIA Asterias (id est, ſtellaris) & ipſa læuis [RAIE Astériale (c’est-à-dire stellaire), elle aussi lisse] RAIA Oculata aſpera Rondeletij [RAIE Ocellée scabre de Rondelet] RAIA Stellaris aſpera Rondeletij [RAIE Étoilée scabre de Rondelet] RAIA Clauata Rondeletio dicta [RAIE dite Hérissée par Rondelet] RAIÆ Clauatæ ſpecies altera Rondeletio [Autre espèce de RAIE Hérissée selon Rondelet] RAIA Spinosa Rondeletij [RAIE Épineuse de Rondelet] RAIA Aspera [RAIE Scabre] RAIA Fullonica Rondeletij [RAIE Bouclée de Rondelet] RAIA Asperrima Rondeletij [RAIE Très scabre de Rondelet]

Dans quelques cas, Gesner a nommé les espèces au sein d’un genre en utilisant des termes descriptifs dont l’usage est réglé par un critère uniforme et explicitement annoncé : par ex., lorsqu’il utilise phaeopus, chloropus, erythropus (‘à patte sombre / verte / rouge’), etc. pour différentes espèces de Gallinulae (Poule d’eau), il explique que « presque toutes sont dénommées à partir de la couleur des pattes » (omnes fere à crurum colore denominamus) – « presque toutes » (omnes fere), en effet, car il appelle une autre espèce hypoleucon (‘blanc dessous’) « d’après son dessous blanc » (à partis inferioris albedine), et deux autres erythram & ochram (‘rouge et ocre’) « d’après la couleur de tout leur corps » (à totius corporis colore, Gesner 1555).  

















2 De l’afflux des polynômes et du premier usage des binômes De nombreuses caractéristiques de la nomenclature zoologique de Gesner étaient encore bien vivaces aux alentours de 1707, lors de la naissance de Linné. Trois ans plus tard (1710) paraissait l’ouvrage posthume de John Ray sur les insectes, qui comprend un grand nombre de noms et de descriptions dus à son ancien élève Francis Willoughby. L’ancrage des travaux scientifiques de l’époque dans les langues mortes se manifeste dans cet ouvrage par l’introduction de mots grecs (écrits en caractères grecs) dans le corps de phrases par ailleurs écrites en latin. C’est le cas par ex. lorsque Ray divise les insectes en « άποδα and Pedata » (sans pattes et à pattes), « ces derniers pouvant être divisés selon leur nombre de pattes en 1. Hexapodes, 2. Octapodes, 3. À quatorze pattes et 4. Polypodes » (Hæc pro numero Pedum dividi poſſunt in 1. Hexapoda, 2. Octapoda, 3. Τεσσαρεσκαιδεκάποδα et 4. Πολύποδα). Comme nous l’avons observé précédemment chez Gesner, les noms latins sont ici des monômes pour les espèces les plus communes, et des binômes ou des polynômes dans les autres cas, le nom anglais étant ajouté, lorsqu’il est disponible. En voici quelques exemples :  













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Monômes : Cimex. The Wall-Louse ; Ricinus, The Tick ; Pulex, The Flea. Binômes : Pediculus vulgaris. The common Louse ; Pediculus ferus ſeu inguinalis, The CrabLouse.3 Polynômes : Araneus cinereus mollis ſive lanuginoſus, cui in alvo obliquè virgata macula latiuſcula nigricans [Araignée cendrée duveteuse ou laineuse, qui a sur le ventre une tache oblique qui noircit ses flancs]  











La précision du détail morphologique est parfois si poussée, dans les noms polynômiaux, qu’elle donne au nom le caractère d’une diagnose complète – mais ce n’est pas toujours vrai. Il y a, par ex., onze « Mouches en forme de Punaise » (Muscae Cimiciformes), qui ne sont distinguées que par des numéros (1, 2…, 11), à l’exception de la troisième, qui est « lourdement odorante » (graviter olens) et de la dixième, qui est « la plus petite de toutes » (minima omnium). Dans l’Ichthyologia (1738) d’Artedi, on reconnaît beaucoup des poissons nommés, décrits et illustrés dans les traités du XVIe siècle. Ainsi, par ex., quelques-unes des Raies de Gesner énumérées ci-dessus se retrouvent ici comme des espèces distinctes du genre Raja – mais leurs noms sont généralement étendus pour former de brèves diagnoses – voir Tableau 1.  











Tableau 1 : Nomenclature comparée d’espèces de Raie

diagnoses chez Linné (101758)

Noms chez Linné (101758)

(Les 4 « espèces » de TORPEDO)

Raja tota lævis

Raja torpedo

RAIÆ læuis oxyrhynchi ſpecies altera

Raja varia, tuberculis decem aculeatis in medio dorſi

Raja oxyrhinchus [sic]

RAIA læuis oculata Rondeletij

Raja dorso ventreque glabris, aculeis Raja miraletus ad oculos, ternoque eorum ordine in cauda

Noms chez Gesner (1560)





Noms chez Artedi (1738) =

RAIA clauata Rondeletio dicta +

Raja aculeata, dentibus tuberculoſis, Raja clauata RAIÆ clauatæ ſpecies altera Rondeletio cartilagine tranſverſa in ventre RAIA fullonica Rondeletij

Raja toto dorso aculeato, duplici ordine aculeorum in cauda, ſimplicique ad oculos4

Raja fullonica

3 Respectivement, Punaise, Tique, Puce, Pou commun et Pou du pubis. 4 Respectivement, pour les noms d’Artedi : Raie totalement lisse ; Raie à dix petites pointes au milieu du dos ; Raie à dos et ventre glabres, à aiguillons près des yeux, en triple rangée sur la queue ; Raie à aiguillons, à dents renflées, à cartilage en travers du ventre ; Raie à dos entièrement pourvu d’aiguillons, à double rangée d’aiguillons sur la queue et simple près des yeux. Pour les noms de Linné : Raietorpille, Raie à bec pointu, Raie miraillée, Raie hérissée et Raie bouclée.  











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Zoologie

Les noms d’Artedi ont été copiés textuellement par Linné dans son Systema Naturae, mais en changeant leur signification. Dans la 10e édition de cet ouvrage encyclopédique, Linné a appliqué, pour la première fois, l’utilisation de binômes dans le Règne animal (Regnum Animale) : chaque espèce se voit pourvue d’un « nom trivial », généralement court et euphonique, qui était principalement destiné à un rôle de soutien mnémotechnique (voir Cain 1958), quand on l’utilisait joint au nom du genre dans lequel l’espèce était classée. Ainsi sapiens était le nom trivial linnéen pour notre espèce, laquelle, étant classée dans le genre Homo, pouvait recevoir le nom binômial Homo sapiens. De la même façon, le lion, le tigre, le léopard, le chat et le lynx devinrent respectivement Felis leo, Felis tigris, Felis pardus, Felis catus et Felis lynx. Cependant, les vieux polynômes ne disparurent pas : Linné conserva ces phrases latines, non plus comme des dénominations mais plutôt comme de brèves diagnoses des traits les plus saillants des espèces. Dans le cas des poissons, la source de beaucoup de ces diagnoses est facile à trouver dans les pages d’Artedi (voir tableau 1) ; les noms triviaux qui leur étaient substitués étaient tantôt « extraits » des vieux polynômes, lorsqu’il y en avait de disponibles, tantôt créés de toutes pièces par Linné. Quoi qu’il en soit, il y eut alors des centaines et des centaines d’espèces jusqu’alors non décrites pour lesquelles Linné dut créer ex nihilo tout à la fois le nom trivial et la phrase diagnostique.  













3 Origine et contenu sémantique des noms linnéens Les noms d’animaux de Linné se répartissent en cinq groupes principaux (Minelli/ Tubbs 2005) :  

1.

noms d’origine classique, i. e. latins ou grecs, tels que trouvés dans les sources les plus anciennes dont disposait Linné, mais obtenus en plus grande quantité à travers les compilations encyclopédiques des auteurs de la Renaissance, tels que Gesner et Aldrovandi, qu’à travers une fréquentation directe des textes classiques. Exemples : Castor, Strix, Coluber, Rana, Silurus, Cimex, Sphex, Musca, Cancer, Helix (Castor, Chouette, Couleuvre, Grenouille, Silure, Punaise, Guêpe, Mouche, Crabe, Escargot) ; noms d’origine latine plus tardive (latin post-classique ou médiéval), très souvent ceux qui sont les bases de noms vernaculaires modernes, tels que Catus, Catulus (Chat, Chaton) ; noms vernaculaires modernes latinisés, comme Alca (issu de l’allemand Alk ‘Pingouin’) ; noms néologiques formés à partir de racines latines ou grecques, comme Gymnotus, Cyclopterus (Anguille électrique, Lumpe) ; noms vernaculaires modernes directement introduits dans la nomenclature scientifique sans aucune forme de latinisation, comme le nom suédois Bjoerkna donné par Linné à une espèce de Cyprinus (Carpe).  





2.



3. 4.





5.

Linné essaya d’éviter les mots vernaculaires, tout au moins pour les noms génériques. Dans l’article 229 de sa Philosophia Botanica (Linné 1751), il écrit que « Les noms génériques qui n’ont pas de racine en langue grecque ou latine doivent être rejetés » (Nomina generica, quae ex graeca vel latina lingua radicem non habent, rejicienda  



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sunt). C’est un critère très différent qu’adopta Adanson dans son ouvrage sur les coquillages du Sénégal (1757) ; pour lui, les nouveaux noms scientifiques  

« seront d’autant meilleurs qu’ils seront moins significatifs, moins relatifs à d’autres noms, ou à des choses connues ; parce que l’idée ne se fixant qu’à un seul objet, le saisit beaucoup plus nettement que lorsqu’elle se lie avec d’autres objets qui y ont du rapport. Ils doivent être courts & dans le goût de la langue dans laquelle on écrit. C’est aussi la méthode que j’ai suivie : J’ai tâché de n’en prendre que de doux, & sur-tout de les faire les plus courts qu’il a été possible, en suivant les règles des terminaisons françoises & le génie de notre langue ».5  







Une des conséquences de la pluralité de sources de la nomenclature scientifique est la coexistence de noms qui sont sémantiquement équivalents mais différents linguistiquement ou orthographiquement et qui, par conséquent, peuvent être appliqués à des animaux différents. Un exemple en est la paire equus et caballus, le premier étant couramment utilisé comme nom générique, tandis que l’autre est utilisé comme épithète spécifique. Il en va de même pour oniscus et asellus, la forme grecque étant utilisée comme nom générique, tandis que la forme latine a trouvé de multiples applications dans deux groupes différents de crustacés isopodes, une fois comme épithète spécifique, une autre fois comme nom générique. Dans la dixième édition de son Systema Naturae (1758) où, comme nous l’avons dit, il adopte pour la première fois la nomenclature binômiale pour les animaux, Linné utilise 312 noms de genres et 4374 noms d’espèces. Du fait de la diversité des sources d’où il a dérivé tous ces noms, nous ne pouvons pas attendre d’eux qu’ils soient systématiquement porteurs d’une information spécifique. À la base, comme nous l’avons vu, les noms triviaux sont de simples étiquettes mémorielles mais Linné, dans plusieurs cas, est parvenu à leur attacher une véritable masse d’informations supplémentaires. Le rôle sémantique le plus élémentaire des noms triviaux est celui de descripteur adjectival de forme, de couleur ou de taille (rotundata ‘ronde’, rufus ‘roux’, minutus ‘petit, menu’) ou de spécifieur, au génitif, d’une relation parasitaire à un hôte (Pediculus suis ‘Pou du cochon’, Papilio brassicæ ‘Papillon du chou’). Linné est cependant souvent allé bien au-delà de telles configurations. C’est ainsi qu’en nommant des espèces dans certains genres d’insectes, Linné a introduit des solutions mnémotechniques visant à faciliter l’association du nom trivial avec le nom du genre. Par ex., au sein du genre de Guêpe Ichneumon, il a nommé de nombreuses espèces de la section scutello thoraci concolore (‘à l’écusson de la même couleur que le thorax’), avec des noms triviaux se terminant uniformément par le

5 C’est sans doute en partie à cause du caractère tardif de l’adoption des règles internationales de nomenclature, en partie à cause des millions de noms qu’ils avaient éventuellement besoin d’introduire, que les zoologues ont accepté la règle selon laquelle « un nom peut être un mot latin, dérivé du latin, du grec ou d’une autre langue (même si elle n’a pas d’alphabet), ou être formé à partir d’un tel mot. Il peut aussi consister en une suite arbitraire de lettres, du moment qu’il forme un mot lisible » (ICZN 41999, art. 11.3).  



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suffixe -ator – par ex. comitator, peregrinator, coruscator, venator, moderator – tandis que ceux des espèces de la section scutello albido (‘à l’écusson blanchâtre’), au sein du même genre, sont identifiés par le suffixe -orius – par ex. raptorius, saturatorius. Mais Linné a lui-même introduit des exceptions à sa règle des suffixes uniformes au sein d’un genre ou d’une section sub-générique. C’est le cas dans la section scutello thoraci concolore du genre Ichneumon, où quelques épithètes sont dérivées du nom de l’espèce hôte de ces guêpes parasites, par ex. Ichneumon Turionellæ et Ichneumon Strobilellæ, qui font respectivement référence à la Phalæna (Tinea) Turionella et à la Phalæna (Tinea) Strobilella. Les efforts de Linné sont plus détaillés et rencontrent peut-être plus de succès dans le cas des noms de papillons diurnes et nocturnes. Il divise les papillons diurnes (espèces du genre Papilio) en six phalanges, dont quatre sont ensuite subdivisées en deux cohortes chacune : Equites (Trojani, Achivi), Heliconii, Danai (Candidi, Festivi), Nymphales (Gemmati, Phalerati), Plebeji (Rurales, Urbicolæ) et Barbari. Comme le suggère déjà ce schéma d’ensemble, beaucoup des noms triviaux utilisés par Linné pour ces espèces de Papilio sont tirés de la mythologie grecque, ainsi :  



Equites Trojani (Chevaliers troyens) : Priamus, Hector, Paris, Aeneas, etc. Equites Achivi (Chevaliers grecs) : Menelaus, Ulysses, Agamemnon, Ajax, Diomedes, Nestor, etc., sans oublier Helena ! Heliconii (Héliconiens) : Apollo et l’ensemble des neuf Muses Danai Candidi (Danaïdes blancs) : Glaucippe, Damone, etc. Danai Festivi (Danaïdes gracieux) : Enceladus, Hyperantus, etc. Nymphales Gemmati (Nymphes gemmées) : Io, Aegeria, Feronia, Galathea, etc. Nymphales Phalerati (Nymphes phalérées) : Antiopa, Atalanta, Cytherea Plebeji Rurales (Plébéiens ruraux) : Cupido, Marsyas, Argus, etc. Plebeji Urbicolæ (Plébéiens urbains) : Proteus, Phidias, Polycletus, etc. Barbari (Barbares) : Jason, Telamon, Cepheus, etc.  





















À une époque où les personnes lettrées étaient censées être familières des langues et des littératures de l’Antiquité, cet ensemble de noms était sans conteste mnémotechnique. Mais Linné n’a pas été toujours cohérent en adoptant une telle méthode nomenclaturale. D’une certaine manière, la cause en est sûrement le manque de noms adéquats auquel il fut rapidement confronté, au regard du grand nombre d’espèces vivant dans les parties du monde (y compris l’Europe du Sud) où la faune native en papillons est sensiblement voire incomparablement plus diverse que celle de la patrie de Linné (la Suède). Cependant, lorsqu’il dut s’écarter du schéma de dénomination fondé sur la mythologie grecque, Linné créa des noms triviaux d’espèces de Papilio selon un mode semblable à celui des Turionellæ et Strobilellæ appliqué à deux espèces d’Ichneumon. En l’occurrence, il choisit de nommer les espèces de papillon d’après la plante servant de nourriture à leurs chenilles (ou d’après la plante la plus fréquemment consommée, à ce qu’il en savait alors). De manière conséquente, on trouve au sein des Danai Candidi des espèces nommées anacardii (de l’Anacardier), cratægi (de l’Aubépine), brassicæ (du Chou), etc., tout comme on a un cardui (du Chardon) parmi les

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Nymphales Gemmati ; des populi (du Peuplier) et urticæ (de l’Ortie) parmi les Nymphales Phalerati ; des betulæ (du Bouleau), pruni (du Prunier) et rubi (de la Ronce) parmi les Plebeji Rurales ; ou enfin un malvæ (de la Mauve) parmi les Plebeji Urbicolæ. En outre, les Nymphales Phalerati incluent aussi un couple d’espèces nommées d’après une particularité chromatique (c-aureum ‘à tache dorée [en forme de lettre] C’, c-album ‘à tache blanche [en forme de lettre] C’) et trois espèces simplement appelées similis, assimilis et dissimilis (‘semblable’, ‘assez semblable’, ‘dissemblable’) – qualificatifs qui ne sont pas très différents des numéraux (tertius, quartus, etc.) si fréquents dans les anciens polynômes. Linné a essentiellement suivi les mêmes critères pour dénommer le petit nombre d’espèces du genre Sphinx, dans lequel nous trouvons les sphinx lugubres Atropos, Alecto, Tisiphone et Megaera, au côté d’espèces nommées d’après les plantes dont se nourrissent leurs chenilles (populi, tiliæ, nerii, vitis, resp. du Peuplier, du Tilleul, du Laurier-Rose, de la Vigne), tandis que d’autres encore reçoivent des noms descriptifs comme ocellata (‘ocellé’). Dans tous ces cas, Linné ne pouvait fournir, à l’aide d’un seul mot, un renseignement sur deux sortes d’informations, i. e. taxinomiques (relatives à la classification dans un genre déterminé) et biologiques (relatives à l’espèce parasitée), bien que cela se soit révélé possible dans d’autres genres. Cette capacité à communiquer une double information avec un nom formé d’un mot unique a en effet été magnifiquement exploitée par Linné dans plusieurs sections du genre très étendu Phalæna, dans lequel il a classé la majorité des Lépidoptères. Certes, cette fonction des noms triviaux ne s’observe pas dans les sous-genres appelés Bombyx et Noctua où, comme on pouvait s’y attendre après le cas du genre Papilio, on trouve des dieux nocturnes et des corps célestes, comme Hesperus et Luna, mais aussi Strix et Atlas, au côté d’espèces nommées d’après les plantes mangées par leurs larves (par ex. pruni, pini, quercus, festucæ – du Prunier, du Pin, du Chêne, de la Fétuque) ou d’après les marques caractéristiques de leurs ailes (gamma, tau, jota, psi, exclamationis, interrogationis). En revanche, pour les autres sous-genres et sections du genre Phalæna, Linné a adopté des noms triviaux aux suffixes caractéristiques :  









-aria pour les Geometræ pectinatæ, alis posticis subangulatis ; -ata pour les Geometræ seticornes, alis angulatis ; -ana pour les Tortrices ; -alis pour les Pyrales ; -ella pour les Tineæ ; -dactyla pour les Alucitæ.  









Il est intéressant que, à côté de l’appartenance à un sous-genre ou une section déterminés, Linné ait été capable d’associer à ces épithètes d’autres sortes d’informations. Très souvent, cette information tient à la couleur ou au motif chromatique des ailes de ces Lépidoptères – par ex. lactearia, melanaria, macularia ; viridata, notata, atrata ; viridana, fuscana ; purpuralis, glaucinalis ; fuscella (‘laiteuse’, ‘noire’, ‘tachée’ ;  









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Zoologie

‘verte’, ‘marquée’, ‘noir sombre’ ; ‘verte’, ‘brun sombre’ ; ‘pourpre’, ‘glauque’ ; ‘brun sombre’) ; dans quelques exemples, cette information porte sur un trait morphologique (proboscidalis, rostralis, forficalis – resp. ‘en forme de trompe, de rostre, de ciseaux’). Mais, par comparaison, les noms créés d’après la plante dont se nourrissent les larves sont bien plus nombreux, par ex. sambucaria, prunaria, betularia (du Sureau, du Prunier, du Bouleau) ; populata, chaenopodiata, prunata (du Peuplier, du Chénopode, du Prunier) ; rosana, xylosteana, piceana (du Rosier, du Chèvrefeuille, de l’Épicéa) ; padella, euonymella, salicella (du Merisier, du Fusain, du Saule). Curieusement, dans le cas des Tortrices, Linné a préféré nommer les espèces d’après le nom de famille de ses élèves (Forskåleana, Loeflingiana, Rolandriana, Solandriana) ou d’autres naturalistes suédois (Branderiana, Bergmanniana, Holmiana) ; de même, il a dénommé certains Tineæ d’après le nom de célèbres entomologistes étrangers (Swammerdamella, DeGeerella, Lyonnetella). Les zoologues ne tarderont pas à reconnaître le caractère pratique et utile de la nomenclature de Linné, dont l’usage devient universel avant même la fin du XVIIIe siècle.  















4 Bibliographie Adanson, Michel (1757), Histoire naturelle du Sénégal : coquillages : avec la relation abrégée d’un voyage fait en ce pays, pendant les années 1749, 50, 51, 52 & 53, Paris, Bauche. Artedi, Petrus (1738), Ichthyologia sive opera omnia de piscibus… posthuma vindicavit, recognovit, coaptavit & edidit Carolus Linnaeus, Lugduni Batavorum, apud Conradum Wishoff. Cain, Arthur James (1958), Logic and memory in Linnaeus’ system of taxonomy, Proceedings of the Linnean Society of London 169, 144–163. Gesner, Conrad (1555), Historiae animalium liber tertius qui est de avium natura, Tiguri, apud Christoph. Froschoverum. Gesner, Conrad (1560), Nomenclator aquatilium animantium. Icones animalium aquatilium in mari & dulcibus aquis degentium, plusquàm Dcc. cum nomenclaturis singulorum Latinis, Gręcis, Italicis, Hispanicis, Gallicis, Germanicis, Anglicis, alij’sq; interdum, per certos ordines digestae, Tiguri, apud Christoph. Froschoverum. ICZN = International Commission on Zoological Nomenclature (41999), International code of zoological nomenclature, London, The International Trust for Zoological Nomenclature. Linné, Carl von (1751), Philosophia botanica, in qua explicantur fundamenta botanica, cum definitionibus partium, exemplis terminorum, observationibus rariorum, adjectis figuris aeneis, Stockholmiae, apud Godofr. Kiesewetter. Linné, Carl von (101758), Systema Naturae per regna tria Naturae secundum classes, ordines, genera, species, cum characteribus, differentiis, synonymis, locis. Tomus I, Holmiae, apud Laurentium Salvium. Minelli, Alessandro/Tubbs, Philip K. (2005), Reciprocal loan between vernacular and scientific names of animals, in : Alessandro Minelli/Gherardo Ortalli/Glauco Sanga (edd.), Animal names, Venezia, Istituto Veneto di Scienze Lettere ed Arti, 481–490. Ray, John (1710), Historia insectorum ; opus posthumum. Cui subjungitur appendix de scarabaeis Britannicus auctore M. Lister, London, Churchill.  









Bernadette Bensaude Vincent

20.3 Chimie Foie d’antimoine, huile de vitriol, beurre de Diane, safran de Mars, cristaux de lune, fleurs de bismuth, sel de seignette, poudre d’Algoroth, sel de la sagesse… tous ces noms hérités des multiples cultures qui ont façonné la tradition alchimique, ont perdu toute signification à nos yeux. La langue des anciens chimistes est pour nous une langue morte, étrangère. Trace d’un passé à jamais révolu, elle rend difficile l’accès au monde qu’elle exprime. La nomenclature aurait-elle le pouvoir de transmuter le savoir et d’engloutir un univers de pensée ?  

1 En découdre avec les usages ?  

Au pays des chimistes, les dénominations sont toujours une préoccupation qui suscite un état presque chronique d’insatisfaction. On peut même dire que l’attitude critique à l’égard des termes en usage fait partie intégrante de la discipline. Dès l’instauration de cours de chimie, au début du XVIIe siècle, on trouve des critiques sur les noms des substances qui parfois mettent en cause les principes de dénomination. La conception cartésienne des qualités sensibles, reprise par Nicolas Lemery, cohabite mal avec des noms de substances évoquant la couleur, l’odeur, la saveur. Toutefois, même si la composition apparaît, dès le XVIIe siècle, comme principe pertinent pour forger des noms, elle ne permet pas de changer les dénominations en usage, tant elle demeure incertaine. En un temps où chacun préparait soi-même ses produits à partir des matières premières, les résultats obtenus n’étaient pas assez stabilisés pour permettre des distinctions tranchées de vocabulaire. Au cours du XVIIIe siècle, en revanche, quand des méthodes d’analyse plus uniformes permettent d’obtenir des produits plus purs, mieux individualisés et mieux connus, le mécontentement des chimistes à l’égard des noms se transforme en un véritable malaise. Ils ne peuvent plus supporter qu’un même nom désigne des substances différentes, ou qu’inversement, une seule et même substance puisse avoir une douzaine de noms différents. Réformer la langue forgée par les multiples praticiens de la chimie, maîtres verriers, teinturiers, métallurgistes, droguistes, rôdée par des siècles d’usage, ne s’impose pas pour autant comme une nécessité. Gabriel François Venel, auteur de l’article Chymie de l’Encyclopédie de Diderot, souligne le lien indissociable entre le chimiste et l’artisan et tire fierté de cette dualité : « La chimie a dans son corps la double langue, la populaire et la scientifique » (Venel 1753, 418b). Entre l’académie et les ateliers, point de barrière. On emploie les mêmes termes en déployant les mêmes talents d’artiste. Alors que Venel valorise la langue d’usage, d’autres chimistes aspirent à plus de systématicité. Ainsi, Louis Bernard Guyton de Morveau, avocat au Parlement de Dijon  





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et membre actif de l’Académie de cette ville, estime dans le supplément de l’Encyclopédie (Guyton 1777) que le vocabulaire technique doit s’écarter autant que possible des usages familiers pour éviter de fausses ressemblances. Il conseille d’emprunter les racines à une langue morte plutôt qu’aux langues vulgaires. Pierre-Joseph Macquer prône également la rupture par souci d’en découdre avec la tradition alchimique discréditée. En France, où la chimie jouit d’un grand prestige auprès du public, débarrasser la langue de cette ascendance jugée honteuse est un puissant motif pour réformer le langage.

2 Pressions de systématisation Les premières dénominations systématiques concernent les sels. Depuis le début du siècle, les chimistes ont développé une théorie cohérente des sels et commencé à les classer en sels moyens, sels doubles, triples etc. Ayant introduit le terme générique de « base » pour désigner tous les alcalis, et défini les sels comme les produits de la réaction d’un acide sur une base, Guillaume-François Rouelle distingue les sels neutres, acides ou basiques, suivant la proportion des réactants. Cette classification fournit une base pour forger des noms systématiques. Une nomenclature binomiale, à la manière de Linné, devient possible : « alcali fixe vitriolé » se substitue à « sel admirable de Glauber » et vitriol devient un nom générique spécifié par sa base métallique : vitriol d’or ou vitriol d’argent… La pression de systématisation s’accroît à cause des nouvelles substances qui attendent d’être nommées. Aux sept métaux traditionnels les chimistes suédois ajoutent une dizaine de métaux nouveaux qu’ils nomment d’après la mythologie nordique (vanadium, cobalt, nickel, titane, tungstène…). Alors qu’on admit longtemps un seul air, élémentaire, à partir des années 1760, les chimistes isolent et caractérisent quelques dizaines d’airs différents, qui sont dégagés ou absorbés par les réactions chimiques. Pour les nommer, ils choisissent d’évoquer leur composition ou une propriété caractéristique : par ex. « air fixé » pour l’air contenu dans les solides ou « air inflammable » pour celui qui brûle facilement. Mais voilà qu’en 1775 on donne trois noms différents à un même gaz baptisé « feuerluft » par le Suédois Scheele, « dephlogisticated air » par Joseph Priestley, et « air vital » par Lavoisier. La difficulté devient d’autant plus sensible que s’ébauche une communauté européenne de chimistes, fortement soudée par des pratiques et des problèmes communs pour qui systématiser la langue devient un problème urgent à résoudre. Tandis que s’intensifie la communication entre les chimistes de tous pays et que se développent un peu partout en Europe des cours publics de chimie, la nomenclature forgée par les usages devient de plus en plus gênante. Une même substance peut être désignée par dix ou quinze noms différents, suivant les auteurs. Par ex., notre sulfate de potassium pouvait se nommer panacea duplicata, panacea holsatica, arcanum duplicatum, sal duplicatum, arcanum holsteiniense, tartarus vitriolus, nitrum vitriolatum, sal polychres 







































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tum Glaser et enfin vitriolatum potassinatum, selon l’expression introduite par Bergman.

3 Un projet global Guyton de Morveau prend les devants. Dans un Mémoire sur les dénominations chimiques (1782) il forge des noms indiquant la composition. Quand celle-ci est incertaine, il préfère un nom arbitraire plutôt qu’un faux sens. Pour la fabrication des néologismes, contrairement à Linné, Guyton refuse le latin et choisit le grec.1 Il prône des noms courts, adaptés à chaque idiome national et francise le grec. Bien que Guyton ne distingue pas rigoureusement les corps simples des composés et ne tente rien pour inclure la multitude des gaz récemment identifiés, son mémoire, largement diffusé, connaît un vif succès. La langue étant pour lui affaire de convention, un instrument d’échanges, il est prêt à négocier la nouvelle pour parvenir à un accord international. Par un matin de février 1787, il débarque à Paris avec son mémoire sous le bras et tombe en pleine querelle sur la nature de l’eau et l’existence du phlogistique. Après quelques mois dans cette ambiance de controverse, Guyton renonce au phlogistique pour devenir l’un des plus fervents disciples de Lavoisier et partage son projet de nomenclature avec les antiphlogisticiens. Grâce à un travail d’équipe, ils retravaillent le projet initial et la Méthode de nomenclature est publiée à l’Académie en avril 1787, avec deux dictionnaires de synonymes : l’un, partant des noms anciens pour donner les équivalents nouveaux, facilitera la transition ; l’autre, partant des noms nouveaux pour donner les équivalents anciens, offre l’inventaire complet de la chimie moderne et lui confère une vocation universelle grâce à une traduction latine. À tout cela s’ajoute un nouveau système de symboles. Guyton expose le corps de la réforme mais Lavoisier en présente la philosophie. Contrairement à Guyton, il ne considère pas le langage comme une convention et veut faire de la nomenclature un « miroir fidèle » de la nature. Lavoisier s’inspire explicitement de La Logique de l’Abbé Étienne Bonnot de Condillac. Ce patronage philosophique rehausse l’ambition de la réforme. Pour Condillac, en effet, le langage est un outil de savoir qui structure et organise l’information acquise par les sens. « Les langues, commente Lavoisier, n’ont pas seulement pour objet, comme on le croit communément, d’exprimer par des signes, des idées & des images, ce sont de plus de véritables méthodes analytiques, à l’aide desquelles nous procédons du connu à l’inconnu » (Guyton et al. 1964, 65). Si, comme le prétend Condillac (1780) « l’art de raisonner se réduit à une langue bien faite »,  

















1 Cette préférence semble liée à l’engagement très ferme de Guyton de Morveau contre les Jésuites (qui enseignaient en latin) et participe d’une « latinophobie » assez générale vers la fin du XVIIIe siècle.  



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alors refaire la langue, c’est refaire la science. Lavoisier présente la nomenclature comme une méthode qui permet de construire le nom des substances encore à découvrir. Alors qu’on ne sait pas effectivement de quoi sont faits tous les corps naturels, on peut conjecturer, en s’inspirant de Condillac, qu’ils sont faits par composition ou addition, du simple au complexe. Cette logique « naturelle », sera celle de la nomenclature. Suivant l’ordre analytique, la nomenclature réformée propose donc des noms simples pour les substances simples et des noms composés pour les substances composées. Les substances simples sont définies non comme des composants universels de tous les corps mais comme des substances indécomposées étant donné les moyens actuels d’analyse. Elles sont 56 en 1787 et ne sont déjà plus que 33 en 1789 quand Lavoisier publie son Traité élémentaire de chimie. La dénomination des substances simples doit indiquer leur propriété la plus importante (par ex. hydrogène pour le gaz générateur d’eau) et la dénomination des substances composées doit indiquer leur composition avec un nom générique qui indique à quelle classe elle appartient (acide, bases, sels) suivi d’un adjectif qui indique l’élément associé au principe générique (par ex., acide tartrique). Le suffixe de l’adjectif précise quelle est la proportion d’oxygène dans ce composé : en -eux et -iques pour les acides et en -ites et -ates pour les sels. Ainsi les noms des corps simples, terminus des analyses concrètes effectuées par le chimiste, sont comme l’alphabet qui permet de former de nouveaux mots par assemblage de ces lettres. « Miroir fidèle », la nomenclature est bien l’image inversée des opérations effectuées en laboratoire. Toutefois les principes généraux ne sont pas toujours respectés dans le détail de la nomenclature. Déjà, la distribution des substances simples en cinq classes n’obéit pas à un critère uniforme. Tantôt on fait appel au critère de simplicité (classe 1 : « Des substances qui se rapprochent le plus de l’état de simplicité ») ; tantôt à la nature du composé formé (classe 2 : « Bases acidifiables ou principes des radicaux acides ») ; tantôt aux propriétés des substances simples (classe 3 : « Substances métalliques » ; classe 4 : « Terres » ; classe 5 : « Alcalis »). Le même défaut d’homogénéité règne dans le détail de chaque classe : par ex., dans la première, on substitue le mot « calorique » au mot usuel « chaleur » pour bien distinguer le principe matériel de la sensation qu’il cause, mais on n’a pas les mêmes exigences avec le mot « lumière ». Si pour les gaz hydrogène et oxygène on retient comme essentielle la propriété de former certains corps composés, on aurait dû opter pour « alkaligène » au lieu d’« azote ». Ce terme signifiant « impropre à la vie animale » est en fait symétrique de l’expression « air vital » qui a été sacrifiée au profit d’un terme diffusant la théorie lavoisienne des acides. Enfin, la règle fondamentale de nomenclature des substances composées par un nom composé n’est pas toujours respectée. On a gardé des noms anciens pour les substances familières – comme l’ammoniaque, la potasse, la soude. Si ces noms d’usage restent l’exception dans le règne minéral, ils deviennent la règle générale dans la chimie végétale et la chimie animale : là demeurent des huiles, des savons et des noms simples et usuels pour des composés : sucre, gluten, amidon, résine. Bref, la  

















































































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volonté de former une langue qui soit miroir fidèle de la nature a dû céder à quelques compromis avec les usages en vigueur.

4 Une arme de guerre De fait, plus que la nature, c’est la théorie de Lavoisier que reflètent les noms systématiques. Le mot phlogistique est rayé de la langue, l’oxygène est ainsi nommé parce que Lavoisier estime qu’il est générateur d’acide, ce qui est âprement contesté au sein même de l’école lavoisienne ; sa conception des gaz impose la présence du calorique dans les premières lignes de la nouvelle nomenclature. Prendre pour acquis ce qui est en débat, sceller dans les mots, destinés à durer, une théorie à peine naissante et âprement controversée, c’était un coup d’éclat, un pari à haut risque. Pari osé mais gagné. Parce qu’elle répond à un souhait collectif, la Méthode de nomenclature publiée en 1787 est rapidement adoptée, malgré la controverse que déclenche la théorie antiphlogistique par toute l’Europe. Ainsi cette nomenclature introduit-elle une double rupture dans l’espace social et dans l’histoire de la discipline. Dans l’espace social, elle installe une distance entre la langue académique et la langue des apothicaires, verriers, teinturiers et manufacturiers. Par ex., le « blanc de plomb » et le « bleu de Prusse » utilisés par les teinturiers deviennent, respectivement, « oxyde de plomb » et « prussiate de fer ». Ce divorce qui met fin au règne de la « double langue » populaire et scientifique dont les Encyclopédistes tiraient quelque fierté, a créé une situation de subordination de la pharmacie et des arts chimiques à l’égard de la science chimique. Dans l’histoire de la chimie, cette réforme éliminant les noms chargés d’histoire, de géographie, d’odeurs et de couleurs des substances familières aux chimistes depuis des siècles, rejette dans les oubliettes tout le riche passé de la chimie des Lumières qui devient bientôt inintelligible. Lavoisier peut d’autant plus aisément être considéré comme le fondateur de la chimie moderne qu’on ne comprend plus la langue des chimistes d’avant la réforme de 1787. Toutefois le principe du « miroir fidèle » n’a pas toujours été rigoureusement appliqué dans la suite. Quelques années à peine après la mort de Lavoisier, Humphry Davy (1778–1829) a établi que certaines substances – l’acide chlorhydrique par ex. –, présentent des propriétés acides caractéristiques, alors que l’oxygène n’entre pas dans leur composition. Dès lors, on aurait dû en toute rigueur renommer l’oxygène. Mais l’usage a prévalu et maintenu une dénomination qui véhicule des idées fausses, comme les noms que la réforme a voulu bannir. Les composés isolés et identifiés dans les premières décennies du XIXe siècle ont ramené les figures mythologiques (morphine vient de Morphée, dieu du sommeil) ou les origines géographiques (benzène vient de la résine d’un arbre de Java dénommé Styrax benzoin) ; quant aux éléments nouveaux, ils reflètent pour certains – le gallium, le germanium, le scandium, le polonium – la montée des nationalismes au cours du XIXe siècle plus que la nature.  











   















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Malgré les exceptions, il reste que le principe général des noms indiquant la nature et proportion des éléments constituant les corps composés, repris dans les formules brutes qui ont été par la suite construites sur la base de cette nomenclature, est un outil très puissant pour identifier et mémoriser les centaines et bientôt les milliers et millions de substances chimiques.

5 Bibliographie Bensaude Vincent, Bernadette (1993), Lavoisier : Mémoires d’une révolution, Paris, Flammarion. Beretta, Marco (1993), The Enlightenment of Matter. The Definition of Chemistry from Agricola to Lavoisier, USA, History of Science Publications. Condillac, Étienne Bonnot de (1780), La logique ou l’art de penser, Paris, Delalain. Crosland, Maurice P. (1962, 21972), Historical Studies in the Language of Chemistry, Cambridge, Mass., Harvard University Press. Dagognet, François (1969), Tableaux et langages de la chimie, Paris, Vrin. Guyton de Morveau, Louis Bernard (1777), Hépar, in : Denis Diderot et Jean Baptiste le Rond d’Alembert (edd.), Supplément à l’Encyclopédie, vol. 3, Paris, Panckoucke, 347–348. Guyton de Morveau, Louis Bernard (1782), Mémoire sur les dénominations chymiques, la nécessité d’en perfectionner le système et les règles pour y parvenir, Observations sur la Physique, sur l’histoire naturelle et sur les arts, 19 Mai 1782, 370–382. Également publié sous forme de brochure à Dijon, 1782. Guyton de Morveau, Louis-Bernard, et al. (1994 [1787]), Méthode de nomenclature chimique, Paris, Éditions du Seuil. Venel, Gabriel François (1753), Chymie, in : Denis Diderot et Jean Baptiste le Rond d’Alembert (edd.), Encyclopédie, vol. 3, Paris, Briasson et al., 408–437.  















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21 Entre Renaissance et Lumières : les genres textuels de la création et de la transmission du savoir  

Abstract : Les genres textuels de la création et de la transmission du savoir ont subi des changements entre la Renaissance et les Lumières. Les genres textuels se distinguent par leurs destinateurs et leurs destinataires, par l’usage du latin ou de la langue vernaculaire, par leur forme dialogique ou monologique. À l’époque de la Renaissance, on a redécouvert le dialogue sur des matières scientifiques qui était approprié à transmettre du savoir à un public suffisamment instruit. La conversation dans les salons nobles et bourgeois pouvait fournir des exemples, cependant le dialogue écrit n’est pas une contrefaçon de l’oralité, mais est empreint de la conception du texte par l’auteur. À partir de la moitié du XVIIIe siècle, les lecteurs préfèrent des genres comme l’essai, le traité, le mémoire et l’encyclopédie. Ce bouleversement de l’architecture des genres textuels est lié au changement du statut social du public des textes savants et scientifiques.    

Keywords : genres textuels, traité, dialogue, mémoire, poème didactique, entretiens, lettre scientifique    

1 Des textes spécialisés du XVIe au XVIIIe siècle L’invention de l’imprimerie, au XVe siècle, avait changé les conditions de la création et de la diffusion du savoir. Les entités traditionnelles de la transmission du savoir qu’étaient les monastères, les cours, les universités et les corps de métier étaient privées de leur privilège de transfert. Les imprimeries commencèrent à publier des opuscules qui contenaient des instructions et des doctrines simplifiées et qui s’adressaient à un public plus large. Dans les domaines les plus représentés, la médecine et l’histoire naturelle, la théologie et le droit, des écrits traduits au XVIe siècle s’adressaient à une gamme très large de destinataires : aux hommes chrétiens, aux souverains, à la jeunesse étudiante, aux amateurs de ces domaines du savoir souvent appelés arts, mais aussi aux chirurgiens débutants et aux médecins et pharmaciens pratiquants (Eichler 1996, 273 ; sur la différenciation des genres textuels en médecine cf. Pethes/Richter 2008). Cet élargissement du public des textes spécialisés entraîna l’introduction de nouveaux éléments dans ces textes (Albrecht/Baum 1992). Pour garantir leur compréhension, il fallait que les textes soient cohérents, et possèdent aussi bien les caractéristiques de l’expansion que celles de la compression. En ce qui concerne la cohérence, on commençait à introduire des liens entre les chapitres, des moyens  



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Entre Renaissance et Lumières

anaphoriques et cataphoriques de l’interdépendance du texte, des tables des matières et des mises en relation entre le texte et l’image. Ces moyens n’étaient pas obligatoires auparavant et leur introduction est un choix des auteurs divulgateurs du XVIe siècle. L’expansion du texte signifie surtout l’explication des concepts utilisés, car l’auteur ne pouvait pas se fier à la connaissance du latin ni aux connaissances de la matière traitée chez son public. On trouve, par conséquent, beaucoup de passages étymologisants dans ces traités, surtout dans des textes écrits dans des langues qui ne sont pas dérivées du latin et qui ont plus de difficultés à intégrer des mots étrangers. Ainsi un des compilateurs les plus connus du XVIe siècle, Walther Hermann Ryff (Gualtherus Hermenius Rivius, env. 1500–1548) définit le mot chirurgia par la composition de deux mots, le premier désignant la main (chir) et le deuxième l’action (urgia) (cf. Eichler 1996, 274) :  

« So vil das woertlin Chirurgia betrifft / mag solches nach seiner sprach / nemlich der Griechischen zungen verteutschet werden / ein handwirckung. Dann das woertlin Chir, bedeutet ein hand / und Vrgia ein wirckung / solche beide zusamen geschlagen / geben das woertlin handwirckung / daraus zuuerstehn / daß diese kunst leret vnnd vnderweiset / wie man recht und geschicklich in menschlichem coerper wircken sol mit der handt / mag in kurtzem also schrifftlich oder mündtlich gedeutet werden / also Chirurgia ein solche kunst sei / dardurch man mit der handt künstlich wirken moege in menschlichem coerper / alles so dem selbigen verletztlich / zuuertreiben » (Ryff 1559, Ia).  



Quant au petit mot Chirurgia, il peut être traduit en allemand de sa langue, c’est-à-dire du grec, par handwirckung (activité de la main). Car le petit mot Chir signifie main, et Urgia action, les deux ensemble donnent le mot handwirckung (activité de la main) ; de cela il faut entendre que cet art enseigne et instruit comment on peut agir bien et adroitement avec la main dans le corps humain. On peut interpréter, à l’écrit et à l’oral, que chirurgia est un art par lequel on agit dans le corps humain, on lui extirpe [le mal] en le blessant.

Pendant la Renaissance, les ouvrages qui s’adressaient à un public spécialisé étaient rédigés en latin (cf. Fallope 1606 ; Riolan 1638–1641 ; Ettmüller 1685). L’œuvre de Michael Ettmüller (1644–1683) est typique par sa structure ; avant de commencer les Institutiones medicae, plusieurs textes préliminaires sont intégrées : dans l’édition de 1736, une préface dédiée au premier médecin du roi de Prusse Jean-Jacques Manget (1652–1742), un hommage au médecin et botaniste Georg Franck (1644–1704), un éloge aux hommes célèbres auxquels il devait beaucoup, une préface au lecteur, un extrait des actes sur la publication, des remerciements à des hommes illustres et décorés, une lettre de son fils. L’œuvre est ainsi enchâssée dans plusieurs documents qui donnent des informations sur son origine et sa motivation. Dans les ouvrages en langues vernaculaires, destinés à un plus grand public, cet enchâssement sera modifié, mais maintenu. Les articles sur les différentes maladies sont tous structurés de la même manière : les causes de la maladie (causae), la diagnose (diagnosis), les projections pour l’avenir (prognosis) et le traitement (cura). Dans la partie sur la chirurgie (Praxeos Medicas Liber VI. Chirurgia Medica), cette répartition est toujours observée. Il y a de longues descriptions du traitement des tumeurs, des blessures, des luxations et  









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fractures. Le livre est écrit de manière à pouvoir servir de manuel pour des médecins qui sont confrontés à ces maladies dans leur pratique professionnelle. La langue médicale du latin a été traduite dans la langue vernaculaire du e XV siècle et elle s’est développée de manière autonome au XVIe et au XVIIe siècle. Pour les traités de l’urine, par ex., celui de Theophilos Protospatharios (IXe/Xe siècle), écrit en grec et intégré dans sa traduction latine (De urinis) dans l’anthologie Articella, était utilisé dans les universités européennes pour l’étude de la médecine. De plus, la traduction latine du Liber de urinis d’Isaac Israeli (840–940), rédigé à l’origine en arabe, était très répandue. Il y avait des traités sur l’urine abrégés qui servirent de base pour des traductions dans des langues vernaculaires. La traduction en ancien français a été analysée par Zaun (2009, Ms Bruxelles 5876). Dans cette traduction, les caractéristiques de l’urine liquide, des sédiments et d’autres parties sont nettement distinguées. Il y a cependant une homonymie bizarre : le mot siège est utilisé pour la traduction du mot latin sedes pour désigner le lieu du flegme, mais aussi pour traduire sedimen. Évidemment le latinisme sédiment n’était pas encore en usage (Zaun 2009, 170). Le premier traité médical rédigé en français parut en 1558, il s’agit du dialogue didactique L’ordre et régime qu’on doit garder et tenir en la cure des fièvres de Sébastien Colin. Le dialogue est introduit comme un entretien entre un profane (Énoch) et un expert (Élie). Énoch s’adresse au savant Élie parce qu’un ami souffre de la fièvre. À la question de celui-ci sur la façon dont il le sait, il répond qu’on peut le reconnaître en examinant l’urine. Après cette réponse, le savant propose de réunir tout ce qu’on sait sur le sujet ‘l’urine et la fièvre’. À partir de ce moment, le texte perd sa structure dialogique et ressemble à un traité sur le sujet mentionné. Il semble que l’introduction dialogique soit nécessaire pour démontrer la pertinence du sujet et pour attirer l’attention du public non spécialisé. Bien qu’il soit écrit en français la terminologie grecque et latine continue à être utilisée (Zaun 2009, 171s.). Pour le public strictement spécialisé, les textes de la fin du XVIIIe siècle pouvaient renoncer à l’enchâssement dans un contexte narratif ou épistolaire. Il y avait des journaux spécialisés qui publiaient des articles sur des questions restreintes, suivant une argumentation stricte. Parfois ces articles étaient publiés séparément après leur première publication dans un journal. C’était surtout le cas quand les professions concernées représentaient un public assez nombreux ayant besoin d’informations scientifiques. Ainsi, l’ouvrage du chirurgien en chef du grand Hospice d’Humanité de Paris Pierre-Joseph Desault (1738–1795), publié d’abord dans le Journal de Chirurgie, fut republié et augmenté par le biologiste et physiologiste Marie François Xavier Bichat (1771–1802) sous le titre Traité des maladies des voies urinaires (1798). Après un Discours préliminaire, dans lequel il souligne les grands progrès faits par la chirurgie dans ce domaine au cours du XVIIIe siècle, il donne le texte sans autres pièces introductives, disant que le fond de ce nouvel ouvrage revient à Desault, mais que les formes appartiennent à Bichat (Desault 1798, IX). Le texte de l’ouvrage commence tout de suite par une introduction à la polémique :  



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« Les auteurs ne sont pas d’accord sur la définition du diabétès : quelques uns ont donné ce nom à toute évacuation extraordinaire d’urine. Mais on ne peut dire, selon la remarque de Celse, qu’il existe un diabétès, que lorsque la quantité d’urine évacuée égale au moins la masse totale des liquides que l’on a pris, et qu’il y a dérangement dans la santé. On a encore appellé diabétès cet écoulement abondant d’urine, qui survient après un accès d’affection spasmodique, celui qui a lieu dans une maladie aiguë et inflammatoire : mais n’est-ce pas abuser des mots et confondre les symptômes avec les maladies ? » (Desault 1798, 1).  









Le texte est structuré en parties et chapitres et les paragraphes sont numérotés. Les titres des paragraphes résument brièvement le contenu et permettent ainsi une lecture rapide et sélective (par ex. § I. Diabétès produit par l’altération des humeurs, Desault 1798, 3 ; § II. Du Diabétès produit par l’affection des reins, Desault 1798, 9) et les termes utilisés ne sont pas expliqués. Il s’agit évidemment d’un texte écrit pour des spécialistes instruits et connaisseurs de la matière. Les ouvrages destinés aux spécialistes avaient changé de langue et de forme entre la Renaissance et les Lumières. Mais il y avait aussi des ouvrages qui s’adressaient à un public plus large qui, dans le cas de la médecine, comprenait tous les gens qui savaient lire et qui étaient intéressés par la conservation de leur santé. Dans ce domaine, il s’agissait de matières qui ne contrevenaient pas au sentiment de bienséance des honnêtes gens et les auteurs pouvaient satisfaire l’intérêt de leurs lecteurs en utilisant un langage courant. Prenons pour exemple un traité de la première moitié du XVIIe siècle, le Traité de la conservation de santé, par un bon régime et légitime usage des choses requises pour bien et sainement vivre (1632) de Guy Patin (1601–1672), médecin et homme de lettres qui, en tant que scientifique, n’a pas réalisé d’œuvre remarquable, mais a fait beaucoup de bruit par ses vives polémiques en faveur des Anciens contre les partisans des découvertes modernes. Il faisait plaisir aux honnêtes gens qui le recevaient à dîner et le payaient en contrepartie de la joie que leur causait sa verve sarcastique. Après une Epistola dedicatoria au médecin du Roi Louis XIII et une Préface au lecteur, Patin donne une Table de matières structurée sur un seul plan : I. De l’Air, II. Du manger, III. Du boire, IV. Du sommeil et de la veille, V. Du mouvement & de l’exercice, VI. Du repos, VII. De l’euacuation des excremens, VIII. De l’action venerienne, ou euacuation de la semence, IX. De la purgation menstruelle des femmes, X. De euacuation des excremens du ventre, de l’vrine & de la sueur, XI. Des passions de l’âme, XII. Conclusion de cet œuvre. Patin décrit l’effet positif et négatif de l’air et des aliments. Il se réfère à des autorités de l’Antiquité et il ne donne pas de conseils immédiats à ses lecteurs, mais leur laisse tirer des conséquences pour leur comportement. Ainsi, il décrit les propriétés des aliments en les liant à des assertions faites par des Anciens :  





























« Touchant l’aliment qui est tiré des plantes, on en peut dire en general, qu’il nourrit beaucoup moins que celuy qui est tiré des animaux, & qu’il contient plus d’excrement que de nourriture, pourueu que l’on en excepte le bled, l’orge, & les autres especes desquelles se fait le pain, lequel,  

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selon Galien, nourrit amplement & copieusement. Ce que toutefois il faut entendre seulement de celuy qui se fait de bon bled, & bien plein : car en celuy qui est fait autrement, il y a plus d’excrement, à cause du son, qui y abonde, que de bonne nourriture. Secondement, il faut qu’il soit bien pur, qu’il n’aye gueres de son, bien leué, bien pestry, & cuit d’vne chaleur modérée. Et c’est de tel pain duquel parle Galien, & Alexandre d’Aphrodisée en ses Problemes, quand il dit, que le pain sur toutes viandes nourrit beaucoup […]. Aristote mesme l’a ainsi entendu au Probleme 13. sect. 21 quand il dit que jamais les hommes ne se dégousteront du pain, à cause que le bled a esté donné à l’homme pour vne viande particulière, qui nourissoit beaucoup » (Patin 1632, 11s.).  



Patin donne aussi des conseils pour la préparation de certains aliments et il décrit l’effet de certaines préparations, par ex. le premier bouillon de lentilles lâcherait le ventre, le second le serrerait (Patin 1632, 14). Les recettes de cuisine remontent aux consignes médicales du Moyen Âge et peuvent être considérées comme une des sortes de textes spécialisés les plus anciennes (Liebman Parrinello 1996, 293). Jusqu’ici, nous avons mentionné des textes spécialisés en médecine produits dans des situations bien différentes et qui s’adressaient à des destinataires différents. Les ouvrages de Fallope, Riolan et Ettmüller étaient rédigés en latin pour un public qui comprenait cette langue et qui attendait des informations scientifiques pour pouvoir mieux exercer sa profession. Les volumes de Desault/Bichat étaient écrits en français, mais le texte n’était pas compréhensible pour des non-médecins qui n’en comprenaient ni les termes ni la structure. Cet ouvrage est conçu pour des médecins pratiquants qui pouvaient le consulter pour s’informer sur les symptômes d’une maladie ou sur son traitement. Le traité de Patin, de son côté, répondait au besoin de tous ceux qui savaient lire et qui voulaient conserver leur santé.

2 Différents genres textuels de la création et de la transmission du savoir Pour une typologie des genres textuels de la création et de la transmission du savoir, il faut tenir compte des six éléments élaborés par Jakobson (1979) : (1) le destinateur, celui qui produit le message, (2) le destinataire, celui à qui le message est destiné, (3) le message, ce que l’on dit, le texte, (4) le contexte, ce dont on parle (on l’appelle aussi « référent »), (5) le code, l’ensemble de conventions permettant de produire des messages (par ex. code linguistique, des planches, code mathématique etc.), (6) le contact, ce qui permet le passage du message du destinateur au destinataire (par ex. la voix, la lettre, le dialogue simulé etc.). La détermination de ces six éléments permet de caractériser les différents textes spécialisés dans la création et la transmission du savoir. En général, on peut distinguer entre des discours spécialisés et des discours de vulgarisation. Dans un discours spécialisé, le destinateur et les destinataires sont des spécialistes de la matière. Ils peuvent avoir l’objectif de produire ou de discuter un  





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savoir nouveau, ou bien, quand il y a un degré différent d’initiation à la science, d’enseigner quelque chose à des étudiants déjà suffisamment instruits. Le message doit observer les règles de l’argumentation et il peut utiliser des termes d’une langue étrangère, ou, le cas échéant, une autre langue considérée comme plus susceptible de formuler le contenu scientifique. Le contexte dépend du sujet à traiter et il est variable. Le code est normalement linguistique, mais il est possible d’intégrer des graphiques, des statistiques, des formules, des symboles, des images, des cartes géographiques etc. Le contact s’établit par la langue écrite, par ex. par des livres, des revues spécialisées, des manuels, des recueils terminologiques. Les contacts oraux (conférences, dialogues et entretiens réels) de l’époque ne sont plus observables pour nous. Dans le discours de vulgarisation, le destinateur peut être un savant, mais aussi un homme de lettres, un journaliste ou quelqu’un qui est suffisamment instruit pour développer un sujet. Le but du destinateur n’est pas l’enrichissement du savoir humain, mais sa transmission. Le destinataire est un grand public d’un niveau général élevé, tout d’abord surtout les nobles et honnêtes gens qui n’exerçaient pas d’activités professionnelles, mais plus tard, aussi des bourgeois instruits. Le message devait instruire, mais aussi divertir ; par conséquent l’usage de formulations trop lourdes et de termes peu connus était exclu. Le code était forcément la langue vernaculaire, peut-être soutenue par des dessins et des planches. Le contact était écrit, on communiquait par des livres, des traités et des revues imprimées, mais aussi oral, par ex. dans les entretiens dans les salons. Ces formes orales de la transmission du savoir ont laissé des traces dans des genres textuels comme les dialogues, les entretiens et les lettres. Dans la communication sur des matières spécialisées, plusieurs genres de textes étaient établis : par ex. des préfaces, des réflexions, des dissertations, des traités et des discours. À côté d’eux des lettres, des apologies et des défenses correspondaient plus au goût de l’honnête homme et du bourgeois instruit. La réduction du système des genres classiques donnait de l’espace à beaucoup de genres mineurs qui étaient appréciés par les beaux esprits, ce qui correspond à l’estimation que « le goût classique l’emporte dans les grands genres, le goût précieux dans les petits genres » (Bray 1948, 227 ; cf. Kalverkämper 1996, 696). Kalverkämper a relevé tous les titres qui donnent une indication sur le genre du texte et sur des sujets spécialisés, c’est-à-dire des sujets scientifiques, théoriques, artisanaux-pratiques ou sociologiques, dans la bibliographie d’Alexandre Cioranescu (1969a et 1969b). Il donne la liste suivante pour les années de 1650 jusqu’à 1750 dans laquelle les éléments des titres qui renvoient à un genre textuel spécialisé et leurs fréquences sont corrélés (Kalverkämper 1996, 697) :  











Lettre Histoire Traité Discours

env. 1.350 plus que 900 env. 650 presque 620

Abrégé Défense Description Entretiens

env. 200 env. 200 env. 190 env. 170

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Réponse(s) Réflexion(s) Dissertation Mémoire Remarque Relation Explication Instruction

env. 540 env. 400 env. 360 env. 320 env. 290 env. 260 env. 230 env. 210

Essai Examen Observation(s) Méthode Art Réfutation Éclaircissement Dialogue

env. 160 env. 160 env. 130 env. 110 env. 100 env. 100 env. 100 env. 95

Dans le classement de ces genres de textes, Kalverkämper (1996, 699) utilise plusieurs critères que nous reprenons ici d’une manière modifiée : A : dialogique (entretien, discours, dialogue, réfutation, défense, lettre, réponse) B : narratif-historique (mémoire, histoire, relation, récit, cf. Duché-Gavet 2011) C : analytique (description, remarque, examen, observations, éclaircissement) D : synthétique (traité, dissertation, essai, recueil) E : théorique (raisonnement, réflexion) F : pratique (instruction, abrégé, méthode, art)  













Les genres de textes du groupe A sont orientés vers un destinataire ou ils présupposent la discussion d’un texte déjà existant auquel ils répondent (réponse), soit de manière affirmative (défense) ou négative (réfutation). Vers la fin du XVIIe siècle, ces textes qui présentaient leurs sujets d’une manière colloquiale, dialogique et souvent divertissante étaient largement acceptés, mais l’intérêt qu’ils exerçaient s’amenuisa jusqu’à la moitié du XVIIIe siècle. Dans ce processus, des textes narratifs-historiques prenaient le dessus sur des formes dialogiques de la présentation du savoir. Avec le renforcement du traitement de l’histoire naturelle et de la philosophie au siècle des Lumières, à côté des textes narratifs-historiques, les textes analytiques et synthétiques devenaient plus importants. La constitution de la science et de la vérité est dialogique sous plusieurs aspects (Schlieben-Lange 1989, 1). L’usage du dialogue s’impose si les sujets traités sont controversés. C’est toujours le cas quand des affirmations évidentes sont problématisées. Il est important de diviser le problème en questions particulières, d’expliquer les différences d’opinion et d’essayer d’atteindre un consensus dans l’argumentation. Dans le dialogue, la multiperspectivité est maintenue et les personnages impliqués peuvent se référer à leurs perspectives. Du dialogue entre deux perspectives, une synthèse apparaît qui est plus que la somme des opinions exposées. La constitution dialogique du savoir permet de reprendre la discussion sous de nouvelles conditions ou face à de nouvelles données. Par conséquent, le processus de la constitution du savoir est ouvert. À ces genres textuels qui servent à la création et à la transmission du savoir, il faut ajouter le poème didactique (cf. Hayois 1842 ; Siegrist 1974). La poésie didactique a une longue tradition qui remonte à l’Antiquité, par ex. Les travaux et les jours et la Théogonie d’Hésiode (VIIIe siècle av. J.-C.), les poèmes philosophiques des Présocrati 

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ques (du milieu du siècle VIIe av. J.-C. jusqu’au IVe siècle av. J.-C), les Vers d’Or attribués à Pythagore (env. 580 av. J.-C. – env. 495 av. J.-C.), De natura rerum de Lucrèce (Ier siècle av. J.-C.) ou le poème astronomique les Phénomènes d’Ovide (43 av. J.-C. – 17 ou 18 ap. J-C). Dans ces poèmes, la forme poétique ne servait pas à l’expression de l’imagination et des sentiments, forme à laquelle elle fut réduite à partir du Romantisme. Dans l’Antiquité, le vers était considéré comme un instrument idéal pour fixer des doctrines dans la mémoire. Sa concision et son rythme le qualifiaient pour faciliter l’apprentissage par cœur dans les écoles. Le genre resta présent dans les littératures du Moyen Âge et il fut repris dans des textes en langues vernaculaires jusqu’au XVIIIe siècle. Dans la littérature de l’époque moderne, la visée artistique se superpose à sa fonction didactique. On peut considérer l’Épître sur la philosophie de Newton et le Discours sur l’homme de Voltaire (1694–1778) comme exemples tardifs du poème didactique. Le poème didactique réapparaît plus tard, soit avec une fonction nettement artistique, soit dans la littérature destinée à l’enfance et à la jeunesse.  



3 Le dialogue et autres genres textuels de la Renaissance et le choix de la langue vernaculaire Des dialogues apparaissaient déjà dans l’antiquité comme une forme d’art littéraire démise de ses fonctions quotidiennes. Les dialogues de Platon et de Socrate étaient des textes spécialisés dans lesquels des problèmes philosophiques étaient traités d’une manière scientifique, cohérente et vérifiable. Au Moyen Âge, des contenus spécialisés étaient présentés sous forme de dialogues didactiques. À la Renaissance, les dialogues des humanistes servaient à l’échange d’opinions sur des sujets théologiques, éthiques, philosophiques ou de sciences naturelles. À l’époque de la Réforme et de la Contre-Réforme, les dialogues polémiques sur des questions spécialisées en théologie représentaient la plus haute culture littéraire. Jusqu’au début du XVIIIe siècle, le genre du dialogue jouait d’un grand prestige et était choisi pour le traitement de beaucoup de problèmes philosophiques, littéraires et esthétiques, mais aussi pour des sujets d’histoire naturelle et notamment de l’astronomie. Dans les dialogues en sciences naturelles, on peut discerner trois fonctions : la dispute sur des questions litigieuses qui sert à clarifier les points de vue, le discours polémique, le discours pour la défense de valeurs et de convictions (cf. Hoppe 1989 ; Kalverkämper 1996, 705 ; Vian Herrero 2010 ; Hempfer/Pfeiffer 2002). Déjà à la fin du Moyen Âge, Nicolas de Cues (1401–1464) formule une réserve quant à la validité des autorités comme Platon, Aristote, Cicéron jusqu’à Albert le Grand (env. 1200–1280) dans son dialogue sur le jeu de boule (Dialogus de ludo globi, 1463). Il demande s’il est possible de parvenir à partir d’une boule réelle à l’idée de la rondeur ou, autrement formulé, s’il y a une progression à partir du monde physique des phénomènes et des jugements humains (la doxa platonicienne) vers le monde du  







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savoir comme le vrai dans son identité avec soi même (l’episteme de la noumena) (Föcking 2002, 6). Nicolas de Cues avance dans sa conclusion qu’on ne peut pas déduire la rondeur en soi d’une chose ronde parce qu’il y aura toujours des objets plus ronds que celle-ci :  

« Nam cum unum rotundum sit perfectius alio in rotundidate, numquam reperitur rotundum, quod sit ipsa rotunditas, seu quod non possit dari magis rotundum. Et haec regula est universaliter vera, quoniam in omnibus recipientibus maius aut minus non devenitur ad maximum aut minimum simpliciter, quo maius aut minus esse non possint. […] Ideo nullum corpus potest esse rotundum, quin possit esse rotundius » (Cusanus 1998, 11).  



Même si une chose ronde est plus parfaitement ronde qu’une autre, il n’y pas de chose ronde qui soit la rondeur elle-même ou pour laquelle il n’y ait pas une chose plus ronde. Cette règle est universellement vraie, parce que dans le cas de toutes les choses qui admettent une augmentation ou une minoration, nous ne pouvons pas arriver à un maximum ou un minimum absolu, qui ne puisse pas avoir plus ou moins cette qualité.[…] C’est pourquoi il ne peut pas y avoir de corps rond qui ne puisse pas être plus rond.

L’idée absolue est donc éternelle et indivisible, tandis que ses manifestations sont toujours imparfaites. Par conséquent, il n’y a pas de transition entre le monde physique et le monde de la cognition des idées absolues. Le savoir humain est un savoir des phénomènes physiques, il est multiple par la diversité des hommes qui cherchent la sapience. La relativité des connaissances acquises par les sensations ne permettra jamais d’atteindre la vérité absolue. Cette relation entre la vérité cachée et introuvable et la pluralisation des expériences donne une justification de l’épistémologie de la Renaissance. L’usage large du dialogue-paradoxe dans la Renaissance indique les problèmes posés par le fondement biblique de la vérité. Ainsi, dans le Liber de ludo aleae (1526) et le Encomium Neronis (1562) de Gerolamo Cardano (1501–1576), le dialogue ludique met en scène une notion de vérité pluralisée (Hartung 2002, 39). La forme dialogique était aussi présente dans l’enseignement. L’université du Moyen Âge avait suivi le principe studium in lectione et disputatione consistit. La disputatio était un dialogue polémique selon certaines règles sur un problème, subdivisé en plusieurs sous-problèmes. Pendant la Renaissance, on renouait avec la tradition de l’antiquité et, en même temps une nouvelle tradition apparut, celle des catéchismes. Ceux-ci ne servent pas à la production de connaissances, mais à l’interrogation sur un savoir cru indiscutable. La forme dialogique s’exprime déjà dans les dénominations Dialogo et Entretiens d’ouvrages importants de l’époque considérée. Le dialogue et la lettre étaient les sortes de textes les plus utilisées par les humanistes, mais la théorie poétique ne les estimait pas beaucoup. Ils ne sont pas mentionnés dans le grand poème didactique L’Art Poétique (1674) de Nicolas Boileau-Despréaux (1636–1711). Les Dialoghi/Diálogos/ Dialogues et les Entretiens ne sont pas comptés parmi les genres majeurs du XVIIe siècle. Les dialogues et les lettres qui permettent une référence immédiate à la vie sont

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considérés comme des genres mineurs et, en tant que tels, ils sont subordonnés aux genres majeurs que sont, par ex., l’idylle, l’élégie, l’ode, le sonnet et la satire (Kalverkämper 1996, 695). La réception des dialogues dépend largement de la consistance historique de l’échange fictionnel. Un dialogue simulé entre deux personnages réels, peut-être même connus par le lecteur, demande un autre genre de réception qu’un dialogue entre personnages définis par leur rôle dans le texte qui se déroule hors d’un temps et lieu concrets. Alors que les dialogues de Lucian sont nettement fictionnels vu l’usage de personnages non réels, Platon et Cicéron avaient utilisé des personnages historiques (Cox 1992, 10–13). Les dialogues du XVIe siècle partagent les caractéristiques des dialogues cicéroniens entre des interlocuteurs d’une couche sociale très élevée, l’observation précise du contexte historique et la bienséance. Le prototype du dialogue de la Renaissance italienne, Il Libro del Cortegiano (1528) de Baldassare Castiglione (1478–1529), suit le modèle du dialogue De oratore de Cicéron. Pour traiter des caractéristiques et du comportement parfait des courtisans, Castiglione ne choisit pas un traité, mais la forme dialogique dans laquelle il fait apparaître Pietro Bembo (1470–1547), Ludovico Canossa (1475–1532), Bernardo da Bibbiena (1470–1520), Gasparo Pallavicino (1486–1511) et beaucoup d’autres personnages du début du XVIe siècle. Tandis qu’en Italie l’usage de personnages historiques dans des dialogues est dominant, en France, en Espagne, en Allemagne et en Angleterre la majorité des auteurs suivaient le modèle de Lucian et inventaient leurs personnages. Cox (1992, 23) voit une explication de cette particularité des dialogues italiens dans l’existence de la tradition néo-latine des humanistes, initiée par les Dialogi ad Petrum Paulum Histrum (1401) de Leonardo Bruni (1370–1444). Le Cortegiano de Castiglione et La civil conversazione (1574) de Stefano Guazzo (1530–1593) sont devenus les manuels de mœurs qui avaient le plus d’influence en Europe. L’art de la conversation décrit dans ces manuels n’était pas seulement un jeu d’esprit, mais la théorie de la conversation représente le savoir professionnel d’une classe noble qui a perdu son pouvoir politique et dès lors n’a plus qu’une fonction purement représentative (Cox 1992, 24). Au début de la Renaissance, la littérature scientifique était déterminée par l’attachement aux Anciens, ce qui s’exprimait par des extraits et des commentaires. La pensée scolastique utilisait le latin, langue qui était cultivée et utilisée aussi par les humanistes de la Renaissance. Le latin représentait une barrière entre les sciences et les non savants jusqu’au moment où des profanes commencèrent à contester le privilège du savoir. Dans les cours, il y avait des entretiens philosophiques, dans la littérature vulgarisatrice en langues vernaculaires, des sujets scientifiques et des questions philosophiques étaient traités. Le dialogue, le genre moderne de la Renaissance (literarische Modeform der Renaissance, Olschki 1922, 318) était aussi utilisé pour l’exposition de sujets scientifiques. La discussion des questions scientifiques et philosophiques en forme de dialo-

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gues était courante jusqu’à la fin du temps césarien, elle fut remplacée plus tard par le traité. Le dialogue était redevenu important lors de l’époque de la scolastique lorsqu’Anselme de Canterbury (1033–1109) avait écrit ses dialogues. Les catéchismes, les poèmes-disputes, les poèmes didactiques, les disputations scolaires et les prédits indirectement dialogiques furent le point de départ pour la rénovation du genre. La lettre scientifique a joué un rôle important : la lettre stylisée en langues vernaculaires, ajustée aux épîtres antiques et humanistes, apparut dans les années vingt du XVIe siècle. Jusque-là, la lettre en langues vernaculaires était une chose privée de la famille ou des affaires. En dehors de Tommaso Campanella (1568–1639) qui utilisait la lettre dans ses publications, les philosophes de la nature en faisaient un usage minime. Il y avait des lettres ouvertes à une personne simulée qui s’alignaient sur la lettre littéraire et gardaient ses caractéristiques, comme le style soigné, des citations ornementales, des expressions d’hommage, des renvois à des personnages anciens et modernes (cf. Doglio 2000). L’usage du latin faisait échouer des tentatives d’émancipation, des penseurs et des chercheurs suivaient instinctivement des pensées vieillies ou étrangères à euxmêmes. Des traductions de textes spécialisés s’adressaient à un public d’amateurs des sciences qui ne maniait pas le latin de manière suffisante. Pour les amateurs de philosophie, la traduction italienne des œuvres de Diogenes Laertius parut au XVe siècle (El libro de la Vita de’ Philosophi, 1480) pour les médicastres, il y avait la traduction de la chirurgie de Guglielmo Saliceto de Piacenza, et en 1480, parut un traité médical traduit de l’arabe en latin, puis traduit par Zucchero Bencivenni du latin dans la langue maladroite du quatorzième siècle. Tandis que la langue des sciences était exclusivement le latin, les belles lettres pouvaient se servir des langues vernaculaires. L’usage du latin créait l’unité de la formation dans la Renaissance européenne, mais pas l’unité de la culture. Quand Galileo Galilei (1564–1641) avait publié ses écrits italiens, Johannes Kepler (1571– 1630) se plaignit de ce crimen laesae humanitatis (Olschki 1922, 71) qui menaçait, selon lui, la discussion scientifique entre savants de plusieurs pays. Un siècle plus tard, après la confusion créée par l’usage des langues vernaculaires, Gottfried Wilhelm Leibniz (1646–1716) proclama la nécessité du rétablissement du latin en tant que langue mondiale des savants ou de sa substitution par une langue artificielle. Au milieu du XVIIIe siècle, le président de l’Académie des sciences de Berlin Pierre Louis Moreau de Maupertuis (1698–1759) avait proposé la fondation d’une ville où l’on ne parlerait que la langue latine, ce qui avait provoqué la moquerie de Voltaire. À l’époque de la Renaissance, l’usage de la langue latine découlait des nécessités des sciences naturelles et des mathématiques. Ce qui rend compréhensible aujourd’hui un ouvrage dans ces sciences est l’usage de formules et de signes. Au XVIe siècle, on ne connaissait pas les signes des opérations arithmétiques les plus simples, des racines et des puissances étaient dénommées arbitrairement. Les signes n’étaient pas encore fixés, c’est pourquoi il n’y avait pas de formules. Il n’y avait que des règles et des instructions, c’est-à-dire des formations linguistiques qu’il ne fallait pas déchif 



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frer, mais lire. Dans cette situation, l’usage d’une langue commune à tous les savants était utile. On peut donc constater une situation de bilinguisme dans les écrits scientifiques de la Renaissance. Tandis que les savants utilisaient le latin pour être compris par la communauté scientifique, les langues vernaculaires servaient à la transmission du savoir à un grand public. En général, le style choisi par les auteurs des dialogues n’exigeait pas trop des lecteurs, il incluait les amateurs sans se limiter aux spécialistes. Ils introduisaient des personnages dans les dialogues avec lesquels le public pouvait s’identifier. Les fonctions de l’instruire et du divertir se réunissent dans les dialogues.

4 Le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde de Galileo Galilei – un dialogue littéraire sur un sujet scientifique Le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde (en italien Dialogo sopra i due massimi sistemi del mondo tolemaico e copernicano) est un ouvrage dont la publication en 1632 eut un retentissement particulier en Europe, du fait du procès de l’église catholique qui fut intenté à Galilée en 1632 et 1633, pour cet ouvrage qui contrevenait aux interdictions des écrits favorables à l’héliocentrisme. Cet ouvrage est d’une importance éminente pour les lettres et pour l’astronomie, pour les premières par son rang en tant qu’œuvre littéraire, pour la deuxième par sa valeur dans l’histoire des sciences. Dans la préface Al discreto lettore Galilée justifie la forme du dialogue :  

« Ho poi pensato tornare molto a proposito lo spiegare questi concetti in forma di dialogo, che, per non esser ristretto alla rigorosa osservanza delle leggi matematiche, porge campo ancora a digressioni, tal ora non meno curiose del principale argomento » (Galilei 1970, 8).  



La forme du dialogue permit à Galilée d’exprimer un contenu novateur, tout en observant l’interdiction de l’inquisition qui avait interdit à Galilée de défendre la vision copernicienne du monde. Galilée apparaît dans son porte-parole, le personnage d’un des interlocuteurs du dialogue, notamment le savant florentin Signore Filippo Salviati, dénommé Accademico Linceo, membre de l’Academia dei Lincei dont Galilée était membre. Celui-ci était un personnage historique comme l’autre interlocuteur, l’amateur des sciences Signore Giovan Francesco Sagredo. Galilée redonne vie à ces personnages morts de la peste, il y ajoute un péripatéticien fixé en Aristote, nommé Simplicio, qui joue le rôle d’un contrepoids scientifique et poétique. Le dialogue écrit n’est pas une contrefaçon de l’oralité, mais sa simulation est empreinte de la régie du texte. Dans le Dialogue de Galilée, les fonctions de la production et de la vulgarisation du savoir ne sont pas encore séparées. Dans ce texte, Galilée élabore sa doctrine sur la marée qui représente pour lui un argument irréfutable pour

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l’image copernicienne du monde. Il la développe d’une manière socratique et fait participer le lecteur à ce processus cognitif (Wagner 2003, 36). Galilée avait introduit des dessins, des listes, des calculs et des tableaux dans son texte en oralité simulée, créant ainsi une interaction entre l’oral représenté par l’écrit et l’image. Le texte de Galilei ne décrit pas seulement l’image, mais il donne aussi une justification des signes non verbaux utilisés pour des raisons argumentatives, illustratives et déictiques :  

« (Salviati :) E per più facile intelligenza piglieremo carta e penna, che già veggio qui per simili occorrenze apparecchiate, e ne faremo un poco di figura. E primo noteremo questi due punti A, B, e tirate dall’uno all’altro le linee curve ACB, ADB e la retta AB, vi domando qual di esse nella mente vostra è quella che determina la distanza tra i termini A, B, e perché » (Galilei 1970, 11).  





Le dessin, présenté déjà achevé sur papier, est décrit dans le processus de sa construction qui peut être suivi par l’interaction du dessin et du texte. Galilée utilise aussi des calculs plus compliqués qui ne se justifient pas par la spontanéité du dialogue. Par un tour d’artifice il fait passer un calcul sur la gravitation comme une réponse à une demande de quelque chose de beau :  

« SAGR. Di grazia, caro Signor, non mi defraudate di questo calculo esatto, perché bisogna che sia cosa bellissima. SALV. Tale è veramente. Però avendo (come ho detto) con diligente esperienza osservato come un tal mobile passa, cadendo, l’altezza di 100 braccia in 5 secondi d’ora, diremo : Se 100 braccia si passano in 5 secondi, braccia 588 000 000 (che tante sono 56 semidiametri della Terra) in quanti secondi si passeranno ? La regola per quest’operazione è che si multiplichi il terzo numero per il quadrato del secondo ; ne viene 14 700 000 000, il quale si deve dividere per il primo, cioè per 100, e la radice quadrata del quoziente, che è 12 124, è il numero cercato, cioè 12 124 minuti secondi d’ora, che sono ore 3, minuti primi 22 e 4 secondi.  







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SAGR. Ho veduta l’operazione, ma non intendo niente della ragione del cosí operare, né mi par tempo adesso di domandarla » (Galilei 1970, 126).  

La réponse de Sagredo permet au lecteur une interprétation rassurante : il peut s’identifier avec la non-compréhension de ce calcul. En même temps elle donne lieu à une reprise de l’argumentation avec des arguments en variables et sans chiffres qui est introduite et se termine par l’affirmation de sa facilité :  



« SALV. Anzi ve la voglio dire, ancorché non la ricerchiate, perché è assai facile. Segniamo questi tre numeri con le lettere A primo, B secondo, C terzo ; A, C sono i numeri de gli spazii, B è ’l’numero del tempo : si cerca il quarto numero, pur del tempo. E perché noi sappiamo, che qual proporzione ha lo spazio A allo spazio C, tale deve avere il quadrato del tempo B al quadrato del tempo che si cerca, però, per la regola aurea, si multiplicherà il numero C per il quadrato del numero B, ed il prodotto si dividerà per il numero A, ed il quoziente sarà il quadrato del numero, che si cerca, e la sua radice quadrata sarà l’istesso numero cercato. Or vedete come è facile da intendersi » (Galilei 1970, 127).  







Des phrases phatiques comme cette dernière (« Alors vous voyez comme c’est facile à comprendre ») sont nombreuses dans le Dialogue de Galilée. Elles servent à organiser l’interaction entre le destinateur et le destinataire et elles adoucissent la lourdeur des longues expositions scientifiques et monologiques. Ainsi, Galilée réussit à donner un certain trait colloquial à son dialogue, même si le style scientifique, nouvellement élaboré en langue vernaculaire, domine nettement.  



5 La vulgarisation du savoir astronomique dans les Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle Dans un ouvrage de transmission de connaissances astronomiques, paru 54 ans plus tard, les Entretiens sur la pluralité des mondes (1686) de Bernard le Bovier de Fontenelle (1657–1757), la légèreté de la conversation est beaucoup plus dominante. Cette œuvre de vulgarisation scientifique, connut un vif succès. Pendant les cent ans de la vie de Fontenelle, l’ouvrage a connu 33 éditions et il fut traduit dans beaucoup de langues, entre autres en anglais, allemand, italien, russe, hollandais, grec, espagnol. L’intention de Fontenelle dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes était différente de celle de Galilée. Il n’était pas un scientifique qui voulait présenter des processus de recherche dirigés par une méthode, mais il voulait traiter des connaissances existantes d’une manière créatrice et spéculative, sans les faire avancer. Son public était celui des salons nobles ou bourgeois. La forme dialoguée des Entretiens dépend du thème scientifique et de la visée vulgarisatrice de l’ouvrage (Mortureux 1989, 82). Le texte comprend successivement

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une Préface qui présente la suite comme une « fiction », une Lettre, qui introduit le récit des « Conversations » annoncées dans le titre du livre, cinq « Soirs », ainsi nommés « parce qu’effectivement nous n’eumes de ces Entretiens que les soirs ». Ces Entretiens s’échangent entre la « Marquise » et l’énonciateur qui écrit « je » tout au long du texte, de la Préface aux Conversations en passant par la Lettre. Cet énonciateur se présente comme confondu avec l’auteur. Il reste anonyme et en effet, l’ouvrage est paru sous l’anonymat, ce qui a provoqué diverses interprétations. Cependant, les journaux de l’époque qui saluent sa parution désignent Fontenelle comme son auteur. L’énonciateur est censé écrire à un ami, qualifié lui-même de « Philosophe », le récit de ses conversations avec cette Marquise, propriétaire du parc. Cette relation enchâsse le récit des Conversations dans la Lettre. Il ne s’agit donc pas d’un dialogue entre deux personnes, mais d’une conversation devant un tiers, le destinataire de la Lettre, témoin muet, mais non absent des conversations ainsi relatées. Dans la préface, Fontenelle décrit son intention d’écrire un texte sur un sujet savant, mais qui n’ait pas les traits « secs » d’un texte spécialisé, qui soit lisible pour un gentilhomme, mais assez sérieux pour un savant :  

































« J’ai voulu traiter la Philosophie d’une manière qui ne fût point Philosophique ; j’ai tâché de l’amener à un point, où elle ne fût ni trop seche pour les Gens du monde, ni trop badine pour les Sçavants » (Fontenelle 1984 [1686], XLIV).  





Dans le texte de Fontenelle, le moi du narrateur est présent dans les dialogues comme interlocuteur. Déjà au début du Premier soir, c’est-à-dire du premier chapitre du dialogue, il raconte les circonstances de l’évènement :  

« Nous allâmes donc un Soir après souper nous promener dans le Parc. Il faisait un frais délicieux, qui nous récompensait d’une journée fort chaude que nous avions essuyée. La Lune étoit levée il y avoit peut-être une heure, et ses rayons qui ne venoient à nous qu’entre les branches des Arbres, faisoient un agréable mélange d’un blanc fort vif, avec tout ce verd qui paroissoit noir […] » (1984 [1686], 13).  



Tandis que les dialogues oraux sont toujours liés à une situation, l’oralité simulée des dialogues littéraires doit utiliser d’autres moyens pour assurer la compréhension. Fontenelle introduit ses entretiens avec la description du parc où ils ont lieu et il évoque la connaissance des lecteurs de situations semblables en proposant un dessin dans le sable qui, par plaisanterie, est refusé parce qu’il serait trop scientifique pour l’endroit :  

« […] et comme la Terre fait son Cercle en un an autour du Soleil, je vois le Soleil en l’espace d’une année répondre successivement à diverses Etoiles Fixes qui composent un Cercle. Ce Cercle s’appelle le Zodiaque. Voulés-vous que je vous fasse ici une figure sur le sable ? Non, réponditelle je m’en passerai bien, et puis cela donneroit à mon Parc un air sçavant, que je ne veux pas qu’il ait » (Fontenelle 1984 [1686], 33).  





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Le centre déictique du dialogue oral est réintroduit par l’usage de métaphores et de comparaisons avec le monde observable. Cette demonstratio ad oculos permet de la clarté et elle aide, par l’analogie, à comprendre des processus non observables (cf. Kalverkämper 1996, 727). Ainsi, par ex., Fontenelle décrit le mouvement de la terre en le comparant avec celui d’une boule :  

« Avés-vous remarqué, lui répondis-je, qu’une boule qui rouleroit sur cette allée auroit deux mouvemens ? elle iroit vers le bout de l’allée, et en même tems elle tourneroit plusieurs fois sur elle-même, en sorte que la partie de cette boule qui est en haut, descendroit en bas, et que celle d’en bas monteroit en haut. La Terre fait la même chose. Dans le tems qu’elle avance sur le Cercle qu’elle décrit en un an autour du Soleil, elle tourne sur elle-même en vingt-quatre heures » (Fontenelle 1984 [1686], 33).  





Des dessins véritablement réalisés contreviendraient au style de ce texte des Lumières, tandis que dans la Renaissance, ils étaient un élément indispensable du dialogue scientifique. La technicité d’un texte peut être définie par son contenu, c’est-à-dire la transmission de connaissances précises, du savoir des relations entre des éléments et par l’appartenance à une profession ou à un secteur d’activités. Il y a deux grandes orientations qui se superposent sur la classification en matières : les activités pratiques et artisanales et les activités théoriques et scientifiques. Bien que dans le genre des entretiens, les limites entre la technicité et la conversation soient diffluentes, il y a au moins trois caractéristiques du texte qui permettent de le compter parmi les textes spécialisés (cf. Kalverkämper 1989, 38s.) : (1) Les questions posées par la Marquise à Fontenelle qui dominent le déroulement du texte. Elles signalent très nettement une différence de savoir entre le savant et l’amatrice des sciences :  





« Qu’appelés-vous tous ces Mondes ? » (Fontenelle 1984 [1686], 61). « La Philosophie est devenuë bien méchanique ? » (Fontenelle 1984 [1686], 156). « Le Soleil est au centre de l’Univers, et là il est immobile, après lui, qu’est-ce qui suit ? » (Fontenelle 1984 [1686], 356).  

















(2) La thématique qui demande des connaissances approfondies en philosophie, astronomie ou physique :  

« Toute la Philosophie n’est fondée que sur deux choses » (Fontenelle 1984 [1686], 102). « Que la terre est une planète qui tourne sur elle-même, et autour du soleil » (Fontenelle 1984 [1686], 2). « Matière de Physique » (Fontenelle 1984 [1686], 91).  











(3) La situation didactique impose une séparation entre le « technique » et le « non technique ». L’enseignement et l’apprentissage sont liés à la volonté de rendre l’ignorant savant :  









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« Donnez-la [votre folie]-moi » (Fontenelle 1984 [1686], 74). « Apprenez-moi vos Étoiles » (Fontenelle 1984 [1686], 82). « Une personne comme elle, qui ne savait rien en matière de Physique » (Fontenelle 1984 [1686], 177).  











Ce traitement de sujets spécialisés n’empêche pas l’introduction de dialogues se déroulant le soir qui ressemblent à la conversation entre honnêtes gens (des pas d’Amants ; chiffres gravés sur l’écorce des arbres ; vos Adorateurs ; cf. Fontenelle 1984 [1686], 457). La Marquise déduit de sa situation parallèle à une vie pastorale à la campagne (Fontenelle 1984 [1686], 216) le désir enthousiaste que je tienne à l’Astronomie (Fontenelle 1984 [1686], 212). Le dialogue sur des questions pas trop spécialisées était une réalité dans les salons du XVIIe et du début du XVIIIe siècle qui s’était développée dans la conversation soignée et qui pouvait fournir des modèles au dialogue spécialisé écrit. Le savoir et les connaissances spéciales étaient empreints par le milieu de l’honnête homme et de l’honnête femme, du galant homme et du gentilhomme. L’idéal de l’uomo universale qui s’exprimait dans le Libro del Cortegiano de Castiglione impliquait un savoir pas trop spécialisé et utile pour la vie à la cour. Ce concept de l’universalité des connaissances était repris en France dans les manuels de conversation, entre autres ceux de Nicolas Faret (1596–1646), du Chevalier de Méré (1607–1684) et de Madeleine de Scudéry (1607–1701) (cf. Kalverkämper 1996, 706). Selon la maxime du moraliste La Rochefoucauld (1613–1680), un honnête homme sait tout et ne se pique de rien, ce qui mène à une science mondaine ou science du monde. Le monologue spécialisé, des questions des amateurs et l’instruction par des experts, la joie de vivre face au monde et de la nature se côtoient dans des dialogues, tels que celui de Galilée dans un port ou de Fontenelle dans un jardin. Les deux dialogues de Galilée et de Fontenelle ont plusieurs caractéristiques communes. Deux positions se confrontent dans ces dialogues. Chez Galilée, c’est la vision ptolémaïque du monde selon laquelle la terre est le centre du monde et la vision pythagorique, appelée aujourd’hui copernicienne qui voit le soleil comme centre autour duquel tournent les planètes. Fontenelle présente Descartes et Newton comme deux antagonistes et discute leurs positions en philosophie et histoire naturelle, tout en présentant le premier comme représentant de l’opinion traditionnelle toujours dominante et le deuxième comme novateur. La confrontation de ces deux positions fait attendre, à côté d’informations académiques, un affrontement et une argumentation qui considèrent les arguments des deux côtés d’une manière logique et cohérente. L’auteur du dialogue peut introduire un narrateur qui s’entremet entre la situation racontée et la situation du lecteur, ce narrateur donne des informations et oriente le lecteur. Le rôle de ce narrateur médiateur peut être rempli le cas échéant par l’auteur lui-même. Les dialogues écrits se distinguent par plusieurs caractéristiques de la conversation dans les salons. Leur contenu est cohérent et ils ne confrontent pas des  





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opinions qui se rencontrent par hasard. Ils montrent une interaction entre deux ou plusieurs perspectives qui correspondent souvent à des différences de niveaux des connaissances. Ils suivent une conception qui tient compte aussi bien du contenu que de l’interaction et qui peut intégrer des éléments de l’oralité représentée. Mais cette conception par l’auteur qui met en scène des personnages et leur attribue des rôles était une des raisons qui, au XVIIIe siècle, les mettait plutôt dans le rayon des belles lettres que dans celui des sciences. Dans les textes spécialisés, il s’agit de choses qui sont réelles en tant que telles et qui n’émanent pas de l’esprit créateur littéraire. De plus, elles sont souvent soumises à l’action humaine.

6 Le poème didactique : reprise et refonctionnalisation d’un genre textuel  

La reprise du genre textuel du poème didactique est imprégnée par la volonté de créer une œuvre littéraire qui ait en même temps la capacité d’enseigner. Henri Patin décrit ce changement de fonction du poème didactique dès 1848 :  

« Il en va de cette poésie comme d’autres genres. Il y a une épopée essentiellement merveilleuse, qui naît partout aux âges primitifs, non-seulement du besoin de fixer la tradition, mais du premier mouvement de l’imagination en présence des scènes toutes nouvelles de la nature et de la société, lesquelles semblent autant de merveilles. Il y en a une autre, dont les auteurs, longtemps après, au milieu du raffinement social, cherchent par un effort savant, rarement heureux, à se replacer dans une situation devenue impossible, à retrouver l’inspiration naïve des premiers âges. Telle est l’épopée de Virgile, bien belle, mais autrement que celle d’Homère » (Patin 1848, 715).  



Les premiers poèmes didactiques, en ce qui concerne certains sujets, étaient instructifs pour les hommes, tandis qu’à l’époque moderne, les auteurs ont produit des textes qui ne veulent rien enseigner à personne. Leurs leçons, toutes fictives, sont un prétexte aux jeux de l’imagination. Boileau, un grand représentant du poème didactique de l’époque moderne, se réfère aux auteurs de la première poésie didactique, en les prenant comme modèles :  

« Hésiode à son tour, par d’utiles leçons, Des champs trop paresseux vint hâter les moissons. En mille écrits fameux la sagesse tracée Fut à l’aide des vers aux mortels annoncée » (Boileau, L’Art poétique, chant IV).  



Il n’a jamais été interdit de traiter des questions techniques dans un poème, mais par là même, les frontières de ce genre sont très mobiles et il empiète sans cesse sur les genres voisins. De plus, ces genres voisins lui empruntent ses fonctions. La poésie didactique présente plusieurs sous-genres qui ont connu un certain succès dans la première moitié du XVIe siècle. Il y a le blason dans lequel on loue

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certaines qualités, on dépeint les mérites ou les démérites d’une personne ou d’un objet, ce qui donnait parfois au texte une teinte très prononcée de vive et grossière satire. Ce genre est représenté, par ex., dans les œuvres de Guillaume Coquillart (1452–1510) et de Roger de Collerye (1468–1536). Le genre pratiqué par la Pléiade était l’hymne. Dans ce genre viennent se fondre toutes les catégories poétiques. Les hymnes de Pierre de Ronsard (1524–1585), par ex., sont d’un caractère mixte, sans lyrisme et tantôt purement didactique, tantôt traversé de souffles épiques. Ce mélange est attesté dans un certain nombre de pièces, comme l’Hymne de Bacus, l’Hymne du Ciel, ou l’Hymne des Daimons. Ronsard emprunte ses sujets à la mythologie ; mais il traite aussi de problèmes moraux et religieux, et met parfois au jour des préoccupations d’archéologue (Lote 1991, 4). Les vers gnomiques, qui expriment en vers précis et dans un style élégant et naturel les vérités morales les plus importantes, étaient un genre qui se répandait avec une certaine prédilection. Guy Du Faur de Pibrac (1529–1584) a ainsi écrit un quatrain de décasyllabes à rimes embrassées, exemple utilisé par Lote (1991, 5) :  



« A bien parler, ce que l’homme on appelle, C’est un rayon de la divinité, C’est un atome esclos de l’unité, C’est un degout de la source éternelle ».  



Au XVIIe siècle, on enseignait beaucoup en vers et on décrivait des phénomènes de cette manière. Le didactisme s’est exprimé dans un grand nombre de poèmes, qui ont préparé l’immense floraison du XVIIIe. À l’âge classique, la fonction artistique et littéraire dominait déjà largement la visée didactique. C’est de la poésie didactique que relèvent le Siècle de Louis le Grand (1687) de Charles Perrault (1628–1703), La Gloire du Val de Grâce (1669) de Molière (1622–1673), et le Poème du Quinquina (1682) de Jean de La Fontaine (1621–1695). Presque toutes ces pièces sont écrites en alexandrins à rimes plates, comme on peut le voir dans le début du Siècle de Louis le Grand, où Perrault prône l’équivalence de la modernité à l’antiquité :  

« La belle antiquité fut toujours vénérable ; Mais je ne crus jamais qu’elle fût adorable. Je vois les anciens, sans plier les genoux ; Ils sont grands, il est vrai, mais hommes comme nous ; Et l’on peut comparer, sans craindre d’Être injuste, Le siècle de Louis au beau siècle d’Auguste » (Perrault, Le Siècle de Louis le Grand, vv. 1–6).  











Cependant La Fontaine a employé des rimes mêlées et a coupé de vers libres ses tirades d’alexandrins. Les termes techniques y abondent, comme dans la plupart des ouvrages semblables. Dans le texte suivant, nous les avons mis en italiques :  

« Deux portes sont au cœur; chacune a sa valvule. Le sang, source de vie, est par l’une introduit ; L’autre huissière permet qu’il sorte et qu’il circule,  



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Des veines sans cesser aux artères conduit. Quand le cœur l’a reçu, la chaleur naturelle En forme ces esprits qu’animaux on appelle. Ainsi qu’en un creuset il est raréfié. Le plus pur, le plus vif, le mieux qualifié. En atomes extrait quitte la masse entière, S’exhale, et sort enfin par le reste attiré » (La Fontaine, Quinquina, vv. 137–146).  



La doctrine classique se trouve aussi exposée dans un poème didactique, l’Art poétique (1674) de Boileau. Il s’agit d’un poème de onze cents alexandrins classiques (chaque vers est donc composé de deux hémistiches de six syllabes), découpé en quatre chants. Dans ce poème, l’auteur utilise un ton injonctif, accentué par des verbes à l’impératif qui mettent en évidence sa conception d’une poésie qui doit suivre les règles qu’il veut transmettre. « N’offrez point un sujet d’incidents trop chargé. […] Soyez vif et pressé dans vos narrations ; Soyez riche et pompeux dans vos descriptions. […] N’y présentez jamais de basse circonstance. N’imitez pas ce fou qui, décrivant les mers, […] Donnez à votre ouvrage une juste étendue. […] N’allez pas dès l’abord, sur Pégase monté » (Boileau, L’Art Poétique, Chant III).  





Au siècle des Lumières, le genre du poème didactique était utilisé pour le traitement de problèmes philosophiques, moraux et scientifiques. La forme de ces poèmes et leur structure argumentative étaient très élaborées. Il ne s’agissait pas simplement d’enseigner quelque chose à un public, mais on développait dans ces textes des opinions, des polémiques et des appels. Voltaire était un des protagonistes du poème didactique du XVIIIe. Dans son poème didactique Le Mondain (1736), il reprend son éloge de l’intérêt et de la civilisation, en s’opposant à François Fénelon (1651–1715), auteur des Aventures de Télémaque (1699), et par avance à Rousseau. Voltaire fait l’apologie des biens matériels et des passions, il fait alterner l’éloge du luxe et des besoins nouveaux avec l’idée de progrès et la critique du passé. Voltaire est un des premiers vulgarisateurs des idées d’Isaac Newton (1643–1727). Il publia son Épître sur la philosophie de Newton (1736), un éloge de cette philosophie et en même temps un poème qui exprime la beauté astronomique et la poésie cosmique des astres. Dans son Poème sur le désastre de Lisbonne, rédigé dés qu’il apprit la nouvelle du tremblement de terre qui détruisit toute la ville basse de Lisbonne en 1755, faisant 40.000 victimes, Voltaire décrit sous une forme poétique ses sentiments personnels face à un évènement qui le touche et témoigne de sa pitié pour les victimes de la catastrophe. Dans ce long poème pathétique en alexandrins, il déploie aussi une polémique qu’il annonce explicitement dans le sous-titre du poème : « Examen de cet axiome : Tout est bien », il argumente contre l’optimisme, la philosophie de Leibniz :  









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« O malheureux mortels ! ô terre déplorable ! O de tous les mortels assemblage effroyable ! D’inutiles douleurs éternel entretien : Philosophes trompés qui criez, ‹ Tout est bien › […] Direz-vous : ‹ C’est l’effet des éternelles lois Qui d’un Dieu libre et bon nécessitent le choix ?› Direz-vous, en voyant cet amas de victimes : ‹ Dieu s’est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes ?› Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants Sur le sein maternel écrasés et sanglants ? » (Voltaire, Désastre de Lisbonne)  





























Les poèmes didactiques du XVIIIe siècle n’étaient pas un simple aide mémoire, mais leur rôle didactique se mêlait à leur fonction argumentative et polémique et les caractéristiques artistiques y tenaient une large place. Chez quelques auteurs, comme nous l’avons vu à l’exemple de Voltaire, les poèmes didactiques pouvaient se rapprocher de la poésie satirique.

7 Le bouleversement de l’architecture des genres textuels au siècle des Lumières : avènement de l’essai, du traité, du mémoire, de l’encyclopédie  

Le changement de la valeur des genres dialogiques lié au bouleversement de l’architecture des genres textuels qui avait mené à l’insignifiance du dialogue et de l’entretien avait certainement à voir avec la réduction de l’importance des salons comme lieux de l’échange dialogique sur des sujets plus ou moins spécialisés. Dans ce processus, la réputation du savant, décrié avant comme pédant, augmenta et de nouveaux lieux de production, de conservation et de médiation du savoir se développèrent (cf. Kalverkämper 1996, 706). L’essai, le traité et le mémoire étaient des genres de textes qui promettaient le traitement exhaustif d’une question, à la hauteur des connaissances de l’époque. Le traité est un ouvrage qui suit un plan rigoureux et analytique, qui donne une synthèse du savoir disponible et qui peut apporter de l’innovation. Au XVIIIe siècle, il y avait des traités dans tous les domaines des sciences (cf. Rameau 1722 ; Mazière 1727 ; Pyraux 1751 ; Lafosse 1772 ; Brisson 1797). Un essai est un ouvrage regroupant des réflexions diverses ou traitant un sujet qu’il ne prétend pas épuiser. Il propose une réflexion nouvelle, confronte des opinions et expose surtout un point de vue personnel sur un thème dans quelque domaine que ce soit. Le mot essai se trouve dans des titres en sciences naturelles (Peyssonnel 1726 ; Hardy 1758), médecine (Bordenave 1787), arts et métiers (Richardson 1728 ; Carnot 1786), mais il est utilisé surtout pour désigner des ouvrages sur des questions philosophiques (Condillac 1746) ou des sciences de l’homme (Bonnet 1755 ; Copineau 1774).  













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Un mémoire est un exposé écrit sur un sujet scientifique précis, souvent universitaire ou annoncé par une académie (Dodart 1703 ; Rémond de Sainte-Albine 1731 ; Larcher 1775 ; Leroy 1776 ; Itard 1801). La dénomination mémoire était aussi utilisée pour des réponses aux questions des Académies européennes pour des concours. Ces questions pouvaient porter sur des sujets d’une grande importance pour la philosophie ou la théorie de la société des Lumières. Des exemples très connus sont les concours de l’Académie de Dijon de 1754 sur la question Quelle est l’origine de l’inégalité parmi les hommes et si elle est autorisée par la loi naturelle dont Rousseau a remporté le prix et celui de l’Académie de Berlin en 1771 où la réponse de Herder à la question comment une langue pourrait-elle naître parmi des hommes qui n’en avaient pas auparavant ; et comment pourrait-elle atteindre sa perfection et son élaboration actuelles fut couronnée de succès. Il y avait aussi des concours sur des questions pratiques, par ex. sur l’agriculture (Müller 1975). Les mémoires soumis à ces concours étaient anonymes et ils ne suivaient pas de règles. Parfois, ils ne mentionnaient pas l’ouvrage qu’ils citaient largement et, souvent, le style était plus narratif qu’argumentatif. C’était différent dans les mémoires publiés dans des journaux scientifiques qui étaient créés pour répondre au besoin d’information sur le développement des sciences et sur les dernières discussions en philosophie (cf. Sgard 1992). Le Journal des savants, par ex., fondé en 1665, annonce dans son avertissement que son dessein est de « faire savoir ce qui se passe de nouveau dans la Republique des lettres » (JS 1665, [1]), de rendre compte des principaux ouvrages imprimés en Europe, de publier des notices nécrologiques sur les hommes célèbres par leurs ouvrages, de faire connaître les nouvelles découvertes dans les arts et les sciences, y compris les expériences de physique et de chimie, les inventions utiles que peuvent fournir les mathématiques, les observations célestes et météorologiques, les découvertes anatomiques, d’examiner les décisions juridiques des tribunaux laïcs, ecclésiastiques et universitaires, et enfin de rapporter tout ce qui était susceptible d’intéresser les gens de lettres ou les « sçavans ». Au XVIIIe siècle, la production de livres et des journaux qui s’adressaient aux gens cultivés impliquait aussi un intérêt économique (cf. Darnton 1979 ; Berger 2001 ; Schneider 2013 ; Yeo 2001). L’Encyclopédie (Diderot/d’Alembert 1751–1780), la plus grande entreprise du siècle, remonte à une initiative de l’éditeur Le Breton qui avait voulu publier simplement une traduction française de la Cyclopaedia (1728) en deux volumes de l’anglais Ephraim Chambers. Au résultat de cette aventure éditoriale parurent 17 volumes de textes et 11 volumes de planches. L’œuvre avait 8.000 souscripteurs, la plupart des nobles et des fonctionnaires de la cour. Les auteurs des articles restaient, dans leur majorité, dans leur domaine de spécialité : Jacques-François Blondel (1705–1774) dans l’architecture, François Quesnay (1694– 1774) s’occupait de l’économie, Antoine-Gaspard Boucher d’Argis (1708–1780) du droit, César Chesneau Dumarsais (1676–1756) de la grammaire, Jean-Jacques Rousseau (1712–1778) de la musique. Mais il y avait aussi un exemple de pluridisciplinarité : Le chevalier Louis de Jaucourt (1704–1779) a écrit 17.000 articles pour un total de 68.000.  

































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Dans le discours préliminaire de l’Encyclopédie, Jean-Baptiste Le Rond d’Alembert (1717–1783) expose un « Système figuré des connaissances humaines » sous forme d’un arbre généalogique, subdivisé par les trois facultés de l’entendement humain : mémoire, raison, imagination. Basé sur la philosophie de Diderot, Condillac et Rousseau, ce discours donne l’idée que l’homme possède la capacité, par sa propre intelligence et analyse, de modifier les conditions de la vie humaine. L’originalité de l’Encyclopédie consiste aussi dans l’implication des métiers artisanaux qui se trouvent ainsi valorisés. Il n’existait que peu d’ouvrages de référence sur lesquels on pût se baser pour la description des arts et des métiers, à l’exception de la collection Description des arts et métiers, faites ou approuvées par Messieurs de l’Académie royale des sciences (cf. Dumas/Tresse 1954) dont Diderot et d’Alembert avaient intégré quelques planches dans l’Encyclopédie. À la fin du dix-huitième siècle, la dominance des genres dialogiques était dépassée et le genre monologique, argumentatif ou sommaire, avait pris le dessus sur les dialogues, les entretiens, les défenses et les réfutations. Le destinataire des textes spécialisés avait changé : ce n’étaient plus à l’honnête homme ou l’honnête femme auquel on s’adressait en premier lieu, mais à des savants, des scientifiques et des gens illustres curieux de connaître les nouveaux développements en philosophie, sciences et techniques.  







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Index des notions accidentel 417, 420, 424, 427 adjectif de relation (AdjR) 17, 18, 20, 24, 25, 26, 28, 35, 36, 37, 43, 63, 248, 264, 270, 273, 274–278, 283, 291–304, 307, 308, 310, 312–315, 318, 352, 353, 355, 362, 376, 377, 384, 390 adjectivation : cf. adjectif de relation AdjR : cf. adjectif de relation affixe 28, 36, 108, 109, 246, 247, 248, 250, 252, 253, 255, 260, 261, 262, 267, 269, 270, 271, 302, 303, 304, 307, 375, 413 aktionsart 35, 247, 249, 250, 251, 256, 258 ambigu 26, 45, 70, 91, 409 AN : cf. analytisme analyse contrastive 345, 369 analyse conversationnelle 134, 201 analyse d’erreurs 343, 344, 345, 346, 348, 356 analytisme nominal 19, 25, 35, 283, 289, 291, 301, 307, 314, 355, 374, analytisme verbal 23, 25, 35, 247, 248, 251, 253, 254, 259, 260, 261, 283, 301, 302, 303, 307, 355 anaphore 370, 371, 447 anglicisme 82, 85, 93, 94, 98 arabisme 393, 399, 403 argumentation spécialisée 281 articulateur logique 370, 371 arts libéraux 393, 398, 399 arts mécaniques 393, 399, 400 aspect (sc. verbal) 17, 25, 27, 35, 140, 246–258, 262, 283, 289, 302, 374–376, 384 association 103, 106, 107, 112, 171, 177, 190, 406, 421, 436 assonance 389 barbarisme 349, 350, 398 barrière 63, 134, 149, 440, 455, base (sc. dérivationnelle) 18, 19, 24, 25, 27, 29– 35, 229, 230, 246–256, 259, 262, 269, 275, 282, 284, 288, 293, 299, 301, 302–307, 312, 313, 361–369, 376, 377, 384 besoins langagiers 359 binôme 43, 266, 413, 427, 436, 416, 433, 434, 435, 441 biunivoque 6, 74, 272 branding 102, 103 budget communicatif 131, 189, 190

C°N : cf. composition nominale cadre de connaissances 219 cause (rôle sémantique) 17–20, 25, 27, 229– 242, 255, 282, 285–287, 299, 301, 308, 363–367, 371, 376, 384, 406 causatif 20, 255, 287, 363, 366 centralisation linguistique 88 choix (sc. stylistique) (ou : option) 16, 22, 32, 33, 44, 229, 261, 267, 281, 285–289, 299, 300, 313, 315, 317, 369, 383, 389 circonstancielle (sc. relation) 19, 34, 39, 229, 230, 250, 257, 260, 261, 285, 286, 301, 303, 312, 365, 368 clarté 123, 124, 140, 219, 253, 420, 421, 423, 427, 461 classification 5, 9, 11, 12, 13, 14, 20, 101, 102, 105, 106, 107, 112, 128, 148, 151, 161, 175, 186, 192, 196, 199, 208, 209, 265, 267, 269, 274, 327, 346, 347, 348, 349, 350, 395, 399, 408, 413, 415, 424, 438, 441, 461 clausule rhythmique 389 clivage : cf. analytisme cognitif 4, 9, 11, 13, 15, 26, 27, 28, 32, 43, 69, 70, 71, 73, 74, 75, 76, 98, 127, 151, 205, 206, 207, 211, 212, 213, 214, 216, 218, 219, 220, 221, 222, 223, 224, 345, 346, 347, 359, 366, 367, 371, 454, 458 commission de terminologie 9, 82, 88, 90, 94, 98 communication d’interface 15, 185, 196 communication de risques 14, 147, 152 communication de santé 149, 152, 155, 157, 158 communication médicale 14, 147 communication spécialisée 2, 3, 4, 5, 6, 7, 9, 10, 27, 43, 45, 68, 69, 73, 124, 148, 185, 273, 362, 367 communication transnationale 331, 335, 338 compétence analytique 359 compétence stylistique : cf. compétence variationnelle compétence variationnelle 32, 281, 318 composé copulatif 309 composé déterminatif 309 composé syntagmatique 43, 312, 406 composition (autre que C°N) 26, 28, 35, 41, 43, 44, 75, 91, 93, 108, 109, 176, 178, 264, 265, 267, 268, 269, 273, 275, 276, 277, 278,

Index des notions

307, 310, 312, 313, 315, 319, 320, 352, 390, 427, 440, 441, 442, 443, 444, 447 composition nominale (C°N) 26, 28, 36, 43, 292, 307–315, 318, 377, 390 compréhension spécialisée 359, 362 concept (sc. terminologique) 6, 8, 10, 15, 16, 31, 32, 63, 69–79, 84, 88, 90, 92, 93, 95, 108, 110, 113, 115, 215–220, 266, 276, 278, 345, 350, 351, 401, 405, 406, 415, 424 concessif (rôle sémantique) 25, 230, 239, 240 concision 24, 45, 70, 71, 91, 93, 157, 274, 453 condensation 6, 7, 19, 24, 27, 34, 38, 39, 121, 122, 124, 141, 199, 233, 243, 355 condition (rôle sémantique) 25, 234–240, 285, 365 confixation (ou : composition savante) 26, 28, 35, 36, 37, 41, 43, 93, 108, 264–275, 277, 278, 279, 319, 320, 352, 390, 442 connexion (sc. circonstancielle) 17, 19, 20, 23, 24, 26, 27, 33, 34, 229, 230, 232–244, 260, 282, 286, 300–303, 318, 360, 363, 364, 368, 370, 407 connotation 8, 9, 35, 70, 72, 90, 95, 96, 97, 115, 264, 310, 320, 321, 331, 406 conscience (sc. stylistique) 37, 347, 359, 361, 364, 370, 373, 377 consécution (rôle sémantique) 19, 25, 27, 43, 79, 213, 235, 237, 239, 241, 260, 316, 363, 365, 370, 371 construction à verbe support 248, 250, 302 construction factitive 254 construction passive 254 construction rallongée 249, 250 contact (sc. inter-langues) 36, 298, 305–307, 315, 319, 321, 325, 330 contenu spécialisé 16, 18, 26, 38, 42, 44, 317, 359, 373, 383, 408 continuité (sc. entre les styles) 34, 187 contrat 40, 88, 187, 208, 209, 217, 219, 221 corrélation (rôle sémantique) (ou : proportionnalité) 25, 235, 237, 238, 239, 285, 365 correspondances (sc. théorie des c.) 418, 419, 422, 426, 427 création (sc. de noms) 7, 10, 36, 42, 44, 74, 83, 99, 101, 102, 107–116, 194, 320, 325, 328– 339, 390, 395, 401 degré de spécialité (ou : degré LSP) 129, 131, 349, 350

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dénomination 5, 9, 10, 12, 42, 63, 71–79, 93–98, 101–112, 115, 126, 131, 171, 173, 210, 216, 268, 277, 278, 310–313, 319, 405, 406, 413–429, 432–439, 440–444 dérivation (sc. syntaxique) 28, 34, 235, 301–303, 312, 320, 361 désagentivation 125 déterminologisation 78 diagnose (sc. nomenclaturale) 413, 429, 434, 435 dialogue (genre textuel) 40, 44, 45, 388, 389, 446, 448, 450–462, 466, 468 diaphasique 28, 171, 343, 344 diathèse 239, 255, 256, 262, 302 diatribe (διατριβη) 40, 388 didactique cognitive 359 différence (sc. variationnelle) 16, 17, 20, 21, 26, 28–31, 37, 40, 42, 250, 281–289, 298–310, 313, 314, 315–318, 360–364, 383, 384 dimension actionnelle 251, 252, 253, 254, 258, 262 discours de spécialité 4, 10, 11, 12, 13, 68, 74, 79, 298, 347, 349, 356 discours juridique 205, 206, 207, 208, 210, 211, 217 discours médecin-patient 150, 153, 154, 155, 156 discours médical 14, 150, 151, 153, 154 discours organisationnel 185 discours spécialisé 3, 6, 7, 10, 38, 44, 68, 69, 70, 74, 77, 128, 284, 300, 314, 419, 450 dissertation 328, 451, 452 divulgation 74, 152, 158, 356, 447 document de visite 14, 156, 159 écart (sc. variationnel) 29, 33, 38, 231, 294, 348, 386, 437 échelle de spécialité (ou : échelle LSP) 283, 294, 295 économie mémorielle : cf. méthode mnémotechnique effet (rôle sémantique) 17, 27, 34, 38, 229, 239, 241, 255, 282, 285–288, 299, 301, 351, 354, 363–366, 371, 384 effet spécialité (ou : effet LSP) 33, 282, 283, 292, 296 élaboration (sc. stylistique) 93, 229, 282, 306, 385, 407, 408, 465, 467 élément fonctionnel 35, 246, 301, 302, 374

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Index des notions

emprunt 7, 8, 9, 40, 77, 79, 82–99, 264–274, 277, 316, 324–335, 383, 390, 405, 406, 427, 441, 463 emprunt de commodité 89 emprunt de nécessité 9, 89 emprunt terminologique 82, 87, 89 enchaînement logique 27, 371 enchâssement nominal 17, 24, 27, 34, 229–244, 250, 261, 285, 303, 307, 365, 384 encyclopédie médiévale 393, 400, 402 énoncé 6, 14, 15, 133, 138, 140, 199, 205, 210–216, 230–243, 255, 345, 348, 349, 355 enseignement des langues de spécialité 27, 241, 359–378 entretien (genre textuel) 451–455, 459–461, 466, 468 entretien de vente 14, 159, 187 épistémè 43, 138, 139, 140, 413, 415, 418, 419, 423, 424, 426, 429, 454 épistémologie 28, 70, 121, 122, 299, 454 épître (ou : lettre) (genre textuel) 45, 388, 446–457, 460, 465, 467 éponymie 417, 418, 419, 420, 422, 423, 428 équivalence (sc. textuelle) 16, 17, 23, 25, 35, 232, 240, 247, 286, 302, 303, 308–312, 360, 371–377 espace sémantique 256, 262 espèce : cf. genre/espèces ethnographie 185, 187, 188 ethos 123, 132 étymologie 61, 101, 267–272, 326, 330, 400, 405, 447 EuroComRom 324 eurolexème 331 eurolinguistique 37, 324, 331, 332, 334, 336, 338, 339 euromorphologie 324, 330, 332, 333, 334 européisation 325, 330, 336, 339 expert 14, 68–74, 79, 126, 127, 134, 136, 149, 156, 171, 174, 181, 195, 196, 207–211, 218, 219, 348, 349, 394, 402, 448, 462 expression figée 35, 302, 246, 250 expression spécialisée 2, 40, 46, 73, 393 factitif 20, 35, 57, 254, 255, 256, 260, 262, 302, 375 factuel 139, 140, 214, 239, 240 faute de spécialité (ou : faute LSP) 33, 37, 343, 344, 348–356, 373

fautes terminologiques 343, 350 faux amis 33, 37, 343, 349, 350, 351 final (rôle sémantique) 25, 230, 235, 239, 240, 309, 365 fonction de spécialité (ou : fonction LSP) 16, 18, 22, 24, 30, 31, 32, 33, 36, 281, 296, 298, 300, 303, 306, 315, 318 fonction didactique 383, 453 fonction LSP : cf. fonction de spécialité fonction poétique 296, 300 formation (sc. des mots) 1, 7, 10, 28, 36, 40, 43, 64, 83, 93, 106–112, 116, 264–278, 315, 318–320, 324–338, 352, 389, 390, 401, 405, 408, 409 formation hybride 266 français zéro 57 frange intermédiaire 6, 8, 53, 56–66 fréquence (sc. de structures) 21–24, 31–39, 54, 108, 124, 126, 140, 232, 240–243, 248, 250, 253–262, 281–297, 300–303, 308–319, 360, 365, 366, 375, 384, 407 genre (ou : type) (sc. de texte) : cf. typologie 3, 10–14, 40, 44, 45, 69, 121, 122, 128–133, 138–141, 148, 155–158, 169, 175–180, 185–192, 197–200, 208–211, 220–223, 251, 356, 383, 384, 388, 389, 401, 407, 408, 446–468 genre/espèces (analyse en ~) 42, 43, 415–443 goût de l’expertise 328 grécisme 388, 399, 407 grécolatin virtuel (gréco-latin virtuel) 339 grécolatin(-isme) 329, 335, 337 hypercorrection 351, 353 hypéronyme 35, 273, 347, 406, 426 hyponyme 273, 278, 347, 406 inclusion 28, 31, 32, 133, 347, 354 indice de spécialité 283 inférence 212, 213, 217, 221, 345, 371 informel 15, 122, 128, 138, 170, 193, 194, 201, 356 intellectualisation 324, 328 interaction 3, 7, 11, 15, 103, 133–139, 147–162, 185–200, 346, 458, 459, 463 intercompréhension 41, 93, 397 interculturalité 13, 147, 154, 155, 162, 197, 201 interdépendance 278, 292, 337, 447

Index des notions

interface : cf. communication d’interface interférence 13, 57, 92, 343, 344, 345, 346, 351 interlangue 36, 37, 71, 90, 197, 208, 343–350, 356 intermorphème 264 internationalisme 7, 53, 115, 324, 325, 331, 336 langue commune 1, 4, 7, 8, 19, 24, 26, 31, 34, 37, 54, 61, 62, 63, 85, 86, 161, 197, 236, 264, 313, 331, 332, 404, 406, 457 langue de spécialité générale 359 langue juridique 8, 59, 61, 208 langue philosophique (ou : langue universelle) 38, 154 s langue standard 108, 264, 265, 267, 269, 270, 271, 275, 278, 391 langue universelle : cf. langue philosophique langues en contact : cf. contact latinisme 64, 327, 329, 331, 332, 334, 399, 405, 406, 448 lecture de spécialiste 367 Lernersprache (langue de l’apprenant) 346 lettre : cf. épître lexicalisation 10, 85, 105, 223, 276, 277, 278, 328 lexicologie 71, 147, 181, 267, 271 lexique mental plurilingue 345 ligue linguistique (ou : union linguistique, Sprachbund) 36, 59, 298, 305, 306, 318, 319 linéaire 20, 123, 124, 1661, 370, 407, 418 linéarité progressive 38 lingua remota 335 linguistique du discours 37, 369 linguostylistique 29 : cf. variation liste terminologique 401 LSP : langue de spécialité marque (sc. LSP) 2, 3, 10, 17–38, 54, 57–63, 195, 223, 232–244, 250, 265–268, 281–296, 298–320, 329, 344–378, 383, 384 mécanisme (sc. transformationnel) 125, 246, 248, 250, 307, 353, 360–364, 374, 377 média 4, 11, 14, 15, 57, 126–128, 157, 158, 186 mémoire (le ~) 45, 129, 378, 442, 446, 452, 466, 467 métaphore 20, 74, 114, 125, 128, 134–137, 141, 150–153, 159, 160, 171, 271, 272, 278, 353, 356, 407, 426, 461

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méthode mnémotechnique (ou : économie mémorielle) 414, 416, 435, 436, 437 métonymie 20, 114, 171, 271, 272 mise en texte 22, 35, 37, 44, 298, 300, 301, 360, 361, 364, 384 modalité (sc. verbale) 17, 34, 125, 287, 364 monôme 413, 417, 433, 434 monosémie 232, 234, 243, 272 mot international : cf. internationalisme mot savant 62, 325, 326, 327, 335, 336 mot scientifique 324, 326 mot spécialisé 53, 54 motivation (sc. lexicale) 10, 92, 95, 97, 98, 102, 111, 273, 438 N° : cf. nominalisation narration 21, 22, 33, 34, 38, 39, 129, 130, 177, 229, 230, 238, 239, 244, 245, 281, 283, 284, 281, 296, 297, 303, 306, 356, 360, 375, 383, 386, 448, 452, 465, 467 négociation 98, 187, 197, 239, 378 néolatin 36, 61, 264, 324, 325, 327, 328, 329, 330, 331, 332, 333, 334, 336 néologisme 7, 8, 53, 79, 82, 88, 91, 98, 115, 315, 319, 320, 401, 402, 406, 407, 435, 442 neutralisation 25, 27, 35, 90, 275, 276, 288, 312, 313, 377 neutre (sc. style, langue n.) 19, 29–32, 37, 250, 254, 261, 297, 307, 310, 317, 318 niveau de langue 37, 281, 306, 307, 318 nom commercial 10, 101, 102, 104, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 113, 114 nom de base 247, 301 nom de fantaisie : cf. nom trivial nom de marque 7, 101, 103, 105, 106, 109, 110, 111, 112, 114, 115, 116 nom de produit 7, 10, 101, 102, 107, 110, 112, 116, 266 nom fonctionnel 247, 253, 261, 374 nom systématique 441, 444 nom trivial (ou : nom de fantaisie) 390, 424, 428, 429, 435, 436, 437, 438 nomenclature 1, 28, 43, 45, 151, 173, 265, 266, 413–445 nominalisation (N°) 17, 18, 23–27, 32–35, 39, 124, 125, 231–235, 241, 243, 247–250, 253–261, 264, 277, 282, 285, 286, 289, 293, 301–304, 307, 314, 345, 355, 356, 362–366, 372, 375, 384

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Index des notions

nomination 28, 34–38, 42, 44, 88, 264, 267, 272–279, 311, 318–320, 325–350, 352, 353, 377, 385, 390, 404 nomination érudite (ou : n. savante) 35, 37 normalisation 7, 9, 40, 71, 79, 88 notion 4, 5, 6, 11, 12, 16, 27, 31, 32, 56, 65, 82, 86, 90, 91, 94, 98, 102, 103, 107, 110, 122, 148, 157, 158, 197, 205–220, 239, 269, 273, 276, 289, 296, 305, 328, 360, 363, 364, 370, 383, 454 objectivité 21–25, 56, 63, 71, 95, 123, 125, 186, 239 onomasiologie 19, 58, 156, 232 onomastique 10, 101, 111 opposition 1, 26, 29, 31, 32, 35, 42, 44, 85, 132, 193, 195, 251, 262, 275, 312, 313, 319, 376, 377, 406, 415, 420 option : cf. choix oralité 2, 3, 7, 14, 16, 65, 69, 93, 121, 122, 126, 132–141, 147, 149, 174, 180, 192, 195, 198–201, 212, 213, 223, 300, 344, 359, 378, 431, 446, 447, 451, 457–463 ordre (sc. des mots) 20, 273, 276, 311, 320, 352, 390 organisation textuelle 362, 405, 407 paire minimale 35, 265, 266, 313, 319 parallélisme 302, 344, 389 paraphrase 16, 32, 33, 40, 71, 133, 312, 367, 372–375, 388, 405 passivation 21, 22, 35, 124, 125, 140, 231, 239, 254–256, 262, 284, 289, 302, 375, 376, 405, 407 perception fonctionnelle 298 périphrase verbale 35, 140, 246, 251, 257, 252, 253, 256, 258, 259, 262 persuasif 222, 281, 283 phase aspectuelle 252, 253, 254, 258, 262 phraséolexème 249 phraséologie juridique 206 plurisémioticité 15, 185, 198, 200 poème didactique 40, 45, 388, 446, 452–454, 463–466 polynôme 43, 413, 417, 421, 428, 433, 434, 435, 438 polysémie 5, 59, 155, 232, 234, 243, 246, 253– 262, 271, 272, 276, 277, 310, 312, 344, 351, 369, 416, 420, 422, 423

pragmatique 1, 2, 3, 6, 9, 10, 13, 14, 16, 30, 33, 72, 73, 77, 78, 96, 129, 141, 147, 148, 152–156, 212, 213, 230, 266, 277, 278, 296, 300, 311, 317, 349, 359, 384, 403, 404 précision 24–26, 45, 68–73, 92, 112, 123, 171, 195, 208, 215, 219, 222, 234, 238, 256, 262, 276, 312, 328, 330, 350, 376, 384, 432, 434 préfixe 109, 264, 269, 271, 331, 333, 335 prestige 33, 84, 85, 109, 264–267, 300, 316–321, 328, 329, 331, 453 procédé (sc. transformatif) 7, 10, 18, 19, 21, 25, 28–35, 37, 38, 83, 109, 114, 229, 231, 235, 264–273, 276, 278, 281, 282, 296, 297, 298–303, 307, 314, 318, 320, 335, 345, 353–356, 360–362, 365, 367, 369, 377, 378 production (sc. de textes) 11, 13, 24, 31, 68, 69, 77, 78, 91, 134, 138, 206, 208, 346, 349, 359–361, 367, 372 pro-forme (ou : remplaçant) 230, 231, 301, 365 proportionnalité : cf. corrélation proposition de base 18, 24, 25, 27, 30, 34, 229, 230, 262, 275, 282, 384 prose d’art 40, 389 publicitaire (sc. langue ~) 4, 18, 33, 34, 88, 95, 97, 98, 101, 102, 108, 112, 116, 159, 160, 264, 265, 281–292, 296, 300, 310, 315, 316, 319, 388, 389 Quadrivium 41, 387, 398, 399 rapport (sc. inter-propositionnel) 19, 25, 230, 235, 238, 365, 370 réalisation LSP 33, 36, 229, 298, 305, 313, 317, 318, 364, 365, 372, 378, 391 réception (sc. de textes) 11, 13, 32, 68, 69, 77, 98, 123, 158, 212, 217, 221, 359, 361, 372 récursivité 231, 293, 366, 415, 417, 421, 424 référent (ou : contenu) 6, 17–24, 65, 89, 95, 96, 104–111, 195, 219, 220, 223, 234, 246, 277, 281–284, 298, 302, 384, 409, 450 reformulation 7, 24, 30, 133, 134, 136, 199, 300, 364 registre 53, 79, 122, 124, 139, 172, 194, 356 règle de spécialité (ou : règle LSP) 17, 18, 19, 24, 26, 29, 30, 33, 250, 282, 372, 283–285, 291–293, 362, 372, 374–376, 384 relatinisation 324, 325, 329, 330 relation circonstancielle 19, 260, 261, 285, 286, 301, 365, 368

Index des notions

répertoire plurilingue 346 restricted grammar (ou : syntaxe réduite) 31, 360 réunion de travail 185, 187, 190 rhétorique 10, 20, 38, 40, 44, 107, 123, 130, 194, 383, 387, 389, 398, 402, 406, 426 rôle (sc. sémantique) 19, 20, 27, 34, 275, 436, 277, 302, 309, 312, 352, 353, 366, 371 schisme stylistique 38, 39, 40, 45, 306, 385 sociolinguistique 73, 76, 124, 148, 181, 266, 277, 278 solfège 15, 169, 171, 173, 175, 177, 178, 179 sous-système (sc. de spécialité, LSP) 1–4, 17–19, 25–32, 37, 38, 124, 227, 269, 272, 273, 292, 296, 298, 303, 304, 316, 359, 360, 367, 383, 384 spécialiste 2, 4, 5, 6, 16, 26, 27, 32, 33, 36, 44, 56, 64, 69, 86, 90, 92, 126, 127, 130, 131, 138, 140, 156, 171, 195–197, 265–276, 283, 299, 300, 306, 309, 328, 334, 336, 360, 362, 367, 370, 373, 384–388, 449, 450, 457 Sprachbund : cf. ligue linguistique standard, standardisation 6, 10, 39, 45, 65, 71, 73, 108, 115, 122, 128, 130, 141, 147, 157, 161, 170, 192–195, 200, 264, 269–271, 278, 325, 387, 391, 432 statut 33, 41, 55, 63, 65, 84, 101–106, 110, 156, 289, 319, 393, 404, 417–422, 446 stratégie 10, 13, 101, 102, 106, 115, 116, 125, 159, 160, 161, 170, 218, 229, 257, 296, 301, 316, 344, 349, 370, 384, 385 structure de spécialité (ou : structure LSP) 24, 32, 33, 36, 316, 378 structure interface 361 style de spécialité (ou : style LSP) 24, 29–31, 34, 37–40, 229, 250, 254, 255, 260, 261, 281, 292, 298, 303, 306, 317, 343–345, 354–356, 389 style élevé 38, 387 style fonctionnel 29, 250, 383 style marqué 29, 31, 32, 195, 318, 364 supplétion 269, 276 surface 17–24, 28, 31, 33, 35, 39, 59, 274, 281, 284, 298–302, 308, 353, 360 synonymie 58, 70, 247, 250, 255, 266–272, 276, 278, 282, 343, 348, 401, 406, 408, 413, 417–423, 427, 432, 442

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syntaxe réduite : cf. restricted grammar système (sc. de la nomenclature/de la nature) 413, 414, 422, 423, 424, 425, 428, 429, 442 système linguistique 92, 103, 108, 205, 268, 269, 276, 296, 343, 383, 384 taxinomie 438 technolecte 53 technicisme : cf. terme technique temporel 130, 140, 147, 234, 236, 238, 240, 259, 260 terme juridique 15, 62, 63, 217–218, 219 terme spécialisé 3, 6, 56, 68, 207, 313, 334, 395 terme technique 17, 26, 90, 261, 313, 324, 326 terminologie 5–9, 14, 22, 28, 33, 37, 40–45, 63, 64, 68–80, 82, 86–99, 127–136, 171–173, 181, 192, 194, 195, 206, 207, 219, 264–278, 289, 292, 309, 312, 315, 319, 324, 327, 331, 338, 343, 350–356, 360, 372, 385, 390, 393, 395–397, 401, 404–408, 416, 431, 448, 451 terminologisation 7, 64, 390 texte de spécialité (ou : texte LSP) 2, 5, 11, 17, 18, 22, 25, 27, 32, 34, 37, 70, 282, 285, 300–304, 345, 354, 356, 367, 372–376, 383, 384 texte narratif 22, 33, 34, 229, 230, 238, 244, 283, 284, 352, 356, 360, 360, 375, 383, 448 texte spécialisé 6, 10, 11, 18, 24, 37, 55, 68, 69, 124, 244, 250, 313, 317, 367, 373, 384, 460 traduction spécialisée 205, 210, 369 traductologie juridique 13, 15, 205, 206, 207, 210, 215, 224 traité 15, 16, 38, 42, 44, 45, 169, 175, 177, 402, 408, 443, 446, 448–450, 452, 455, 456, 466 transfert (ou : transmission) (sc. du savoir) 69, 131, 133, 147, 149, 152–156, 161, 209, 330, 403, 446, 450–452, 457 transformation (sc. stylistique) 18, 21, 23, 25, 37, 39, 236, 248, 255, 260–262, 275, 276, 289–301, 314, 318, 364 transformation (exercice didactique) 361, 364, 366, 372–376, 378 transmission du savoir : cf. transfert transparence 42, 61, 88, 123, 124, 206, 210, 211, 217, 268, 273, 352, 353 travail terminologique 8, 9, 68, 72, 73, 78–80, 91

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Index des notions

trivial : cf. nom trivial trivium 387, 398, 399 type (sc. de textes) : cf. genre (de textes), typologie typologie de textes 13, 101, 102, 107, 121, 128–131, 181, 208, 209, 450 union (sc. linguistique) : cf. ligue linguistique universel 13, 38, 72, 73, 92, 96, 102, 123, 124, 154, 160, 208, 209, 319, 365, 395, 398, 414, 429, 439, 442, 443, 454 univocité 6, 24, 26, 71, 74, 86, 124, 192, 195, 222, 271, 272 usage 3, 6–9, 20, 33, 35, 37, 42, 44, 45, 55, 57, 58, 63, 64, 72–80, 94–96, 115, 125, 127, 173, 197, 209, 260, 300, 308, 309, 312–318, 331, 333, 348, 349, 384, 393, 396, 401, 407, 415, 423, 426, 427, 429, 433, 439, 440–444, 446, 448–452, 454–457, 461 variante de spécialité : cf. variété variation (sc. linguistique) 28–33, 70, 73, 74, 78, 131, 188, 217, 229, 252, 253, 281, 282, 296, 298, 299, 317, 318, 343, 360, 384 variété (ou : variante) (sc. linguistique) 3, 4, 122, 124, 134, 171, 189, 206, 208, 230, 231, 275, 281, 296–301, 305, 306, 344, 360, 361, 366, 383

verbe de base 35, 246–249, 250, 252–254, 256, 259, 262, 275, 301 verbe factitif 57 verbe fonctionnel 246–254, 256, 260, 289, 302, 375 verbe relateur (VR) 17, 19, 20, 25, 27, 34, 35, 36 38, 39, 229, 231–242, 261, 282, 286–288, 293, 301–309, 318, 366, 367, 384 verbe relateur combiné (ou : mixte) 237, 238, 366 verbe relateur modal 364, 366 verbe relateur pur (ou : simple) 237, 364 verbe support 19, 246, 248, 249, 250, 260, 289, 302, 375 vernaculaire (sc. langue) 41, 42, 239, 338, 395, 397, 398, 404, 435, 446, 447, 448, 451, 453, 455, 456, 457, 459 vocabulaire commun 6, 8, 53, 54, 62 vocabulaire des sciences humaines 65 vocabulaire scientifique 325, 337 vocabulaire spécialisé 5, 6, 8, 9, 37, 53, 54, 61, 63 vocabulaire technique 40, 53, 195, 389, 441 VR : cf. verbe relateur vulgarisation 14, 44, 122, 127, 129, 130, 134, 137, 147, 152, 156–158, 170, 395, 404, 450, 451, 457, 459