Manuel de traductologie 3110313529, 9783110313529

This manual aims to present an overview of the research on translation studies carried out in Romance-speaking countries

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Manuel de traductologie
 3110313529, 9783110313529

Table of contents :
Manuals of Romance Linguistics
Table des matières
0. Introduction
Aspects généraux
1. Traduire, traduction, traducteur, traductologie, interprétation, interprète etc.Un aperçu historique de la terminologie en usage dans les langues romanes
2. Réflexions sur la traduction dans les pays latins de Leonardo Bruni (1420) à José Ortega y Gasset (1937)Un aperçu de la préhistoire de la traductologie romane
3. La traductologie dans les principaux pays de langue romaneVue d’ensemble
4. Les théories de l’interprétation dans les principaux pays de langue romane
5. La comparaison de traductions et de « textes parallèles » comme méthode heuristique en traductologie
6 Les instruments de travail du traducteur et de l’interprète dans le domaine des langues romanes
Linguistique et procédés de traduction
7. Linguistique contrastive et traduction dans les pays de langue romane
8. Phonétique, phonologie et traduction ou: Quand le signifiant devient signifié
9. La prosodie: un facteur négligé en linguistique comme en traductologie
10. Morphologie et syntaxe de la phrase simple: le traducteur face aux pièges de la grammaire
11. La diathèse verbale (voix active, passive, pronominale etc.) comme problème de traduction
12. Constructions « impersonnelles » vs constructions « personnelles » comme problème de traduction
13. La formation des mots comme problème de traduction
14. Le traducteur face aux expressions figées
15. Lexique et traduction: aspects généraux
16. Les « faux amis »: théories et typologie
17. Français, italien: deux langues romanes face aux « particules modales » de l’allemand
18. Les différents modèles de la sémantique lexicale et leur intérêt pour la théorie et la pratique de la traduction
Sciences du langage et traduction
19. Présuppositions et actes de langage dans le domaine des langues romanes
20. Énonciation et traduction
21. Linguistique textuelle et traduction: aspects généraux
22. Connexité, cohésion, cohérence: la « grammaire de texte » dans les langues romanes
23. Les différentes formes du discours rapporté comme problème de traduction
24. Thème / propos et la progression thématique
25. Contexte et situation: les « entours » du texte écrit
26. Genres littéraires et traditions discursives dans les langues romanes
27. L’analyse structurale du récit: « narratologie » et traduction
28. La variation linguistique comme problème de traduction
29. Terminologie et langues spécialisées dans les pays de langue romane
30. Différences de culture et traduction: l’intraduisibilité culturelle
Aspects historiques
31. Interpretatio, imitatio, aemulatio: formes et fonctions de la traduction « libre » dans le domaine des langues romanes
32. L’apport des traducteurs à la « relatinisation » des langues romanes
33. « Extraduction » et « intraduction »: les flux de traduction dans le monde latin
Aspects pratiques
34. La formation des traducteurs et des interprètes dans les pays de langue romane
35. Doublage et sous-titrage de films dans la Romania
36. Aspects juridiques de la traduction dans les pays latins
37 La traduction automatique et assistée par ordinateur dans les pays de langue romane
Index des noms
Index des sujets

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Manuel de traductologie MRL 5

Manuals of Romance Linguistics Manuels de linguistique romane Manuali di linguistica romanza Manuales de lingüística románica

Edited by Günter Holtus and Fernando Sánchez Miret

Volume 5

Manuel de traductologie Édité par Jörn Albrecht et René Métrich

ISBN 978-3-11-031352-9 e-ISBN (PDF) 978-3-11-031355-0 e-ISBN (EPUB) 978-3-11-039488-7 Library of Congress Cataloging-in-Publication Data A CIP catalog record for this book has been applied for at the Library of Congress. Bibliographic information published by the Deutsche Nationalbibliothek The Deutsche Nationalbibliothek lists this publication in the Deutsche Nationalbibliografie; detailed bibliographic data are available in the Internet at http://dnb.dnb.de. © 2016 Walter de Gruyter GmbH, Berlin/Boston Cover image: © Marco2811/fotolia Typesetting: jürgen ullrich typosatz, Nördlingen Printing and binding: CPI books GmbH, Leck ♾ Printed on acid-free paper Printed in Germany www.degruyter.com

Manuals of Romance Linguistics Les Manuals of Romance Linguistics, nouvelle collection internationale de manuels de linguistique romane (en abrégé MRL), présentent un panorama encyclopédique, à la fois synthétique et systématique, de la linguistique des langues romanes tenant compte des derniers acquis de la recherche. Prenant le relais des deux grands ouvrages de référence disponibles jusqu’alors aux éditions De Gruyter, le Dictionnaire de linguistique romane en huit volumes (Lexikon der Romanistischen Linguistik, LRL, 1988–2005) et l’Histoire des langues romanes en trois volumes (Romanische Sprachgeschichte, RSG, 2003–2008), qu’il aurait été impensable de réviser dans des délais raisonnables, les MRL se sont donné comme objectif d’offrir une présentation actualisée et approfondie de ces vues d’ensemble, et de les compléter en y intégrant des domaines et des courants de recherche nouveaux et importants ainsi que des thèmes qui, jusqu’à présent, n’avaient encore jamais fait l’objet d’un traitement systématique. La collection des MRL a par ailleurs une structure par modules nettement plus souple que celle des anciens ouvrages de référence. 60 volumes sont prévus, qui comprennent chacun entre 15 et 30 articles environ, soit un total de 400 à 600 pages. Chacun d’entre eux présente les aspects essentiels d’un thème donné, de façon à la fois synthétique et clairement structurée. La réalisation de chaque volume séparé exigeant moins de temps que celle d’une grande encyclopédie, les MRL peuvent prendre plus aisément en considération les développements récents de la recherche. Les volumes sont conçus de manière à pouvoir être consultés indépendamment les uns des autres tout en offrant, pris ensemble, un aperçu général de tout l’éventail de la linguistique actuelle des langues romanes. Les volumes sont rédigés en différentes langues – français, italien, espagnol, anglais, voire, exceptionnellement, portugais –, chacun d’entre eux étant intégralement rédigé dans une seule langue dont le choix dépend du thème concerné. L’anglais permet de donner une dimension internationale et interdisciplinaire aux thèmes qui sont d’un intérêt plus général, dépassant le cercle des études romanes stricto sensu. La collection des MRL est divisée en deux grandes parties thématiques : 1) langues et 2) domaines. Dans la première sont présentées toutes les langues romanes (y compris les créoles), chacune d’entre elles faisant l’objet d’un volume à part entière. Les MRL accordent une attention particulière aux petites langues, aux linguae minores, qui jusqu’alors n’avaient pas été traitées de manière systématique dans le cadre de panoramas d’ensemble : on y trouvera des volumes portant sur le frioulan, le corse, le galicien ou encore le latin vulgaire, mais aussi un Manual of Judaeo-Romance Linguistics and Philology. La seconde partie comprend des présentations systématiques de toutes les sousdisciplines, traditionnelles ou nouvelles, de la linguistique romane, avec un volume séparé réservé aux questions de méthode. L’accent est mis en particulier sur des  







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Manuals of Romance Linguistics

domaines et des courants nouveaux et dynamiques qui prennent de plus en plus d’importance dans la recherche comme dans l’enseignement mais qui n’avaient pas encore été suffisamment pris en compte dans les précédents ouvrages d’ensemble – comme par exemple les Grammatical Interfaces, les recherches sur le langage des jeunes ou le langage urbain, la linguistique informatique et la neurolinguistique, les Sign Languages ou la linguistique judiciaire. Chaque volume offre un aperçu clairement structuré sur l’histoire de la recherche et ses plus récents développements dans chacun de ces domaines. Les directeurs de la collection sont fiers d’avoir pu confier l’édition des différents volumes des MRL à des spécialistes de renom international en provenance de tous les pays de langues romanes, et d’autres encore. Les éditeurs sont responsables aussi bien de la conception des volumes dont ils ont bien voulu se charger que du choix des contributeurs. On peut ainsi être assuré d’y trouver, en plus d’une présentation systématique de l’état actuel des théories et des connaissances, un grand nombre de réflexions et d’aspects novateurs. Pris dans leur ensemble, ces volumes indépendants constituent un panorama général aussi vaste qu’actuel de notre discipline, destiné aussi bien à ceux qui souhaitent s’informer seulement sur un thème particulier qu’à ceux qui cherchent à embrasser les études romanes actuelles sous tous leurs aspects. Les MRL offrent ainsi un accès nouveau et novateur à la linguistique des langues romanes, dont elles accompagnent de manière adéquate et représentative le développement continu. Günter Holtus (Lohra/Göttingen) Fernando Sánchez Miret (Salamanca) Juin 2016

Table des matières

0

Jörn Albrecht et René Métrich Introduction 1

Aspects généraux

1

2

Wolfgang Pöckl Traduire, traduction, traducteur, traductologie, interprétation, interprète etc. Un aperçu historique de la terminologie en usage dans les langues romanes 11 Jörn Albrecht Réflexions sur la traduction dans les pays latins de Leonardo Bruni (1420) à José Ortega y Gasset (1937) Un aperçu de la préhistoire de la traductologie romane 28

3

Jörn Albrecht et René Métrich La traductologie dans les principaux pays de langue romane Vue d’ensemble 46

4

Martin Will Les théories de l’interprétation dans les principaux pays de langue romane 84

5

Yvon Keromnes La comparaison de traductions et de « textes parallèles » comme méthode heuristique en traductologie 99

6

Isabelle Lux Les instruments de travail du traducteur et de l’interprète dans le domaine des langues romanes 118





Linguistique et procédés de traduction 7

Nelson Cartagena † Linguistique contrastive et traduction dans les pays de langue romane

129

VIII

8

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Table des matières

Sandra Lhafi Phonétique, phonologie et traduction ou : Quand le signifiant devient signifié 168  

Melanie Scheid La prosodie : un facteur négligé en linguistique comme en traductologie  

184

Gerda Haßler 10 Morphologie et syntaxe de la phrase simple : le traducteur face aux pièges de la grammaire 208  

Waltraud Weidenbusch 11 La diathèse verbale (voix active, passive, pronominale etc.) comme problème de traduction 231 Anna-Maria De Cesare et Giovanna Brianti 12 Constructions « impersonnelles » vs constructions « personnelles » comme problème de traduction 256  





Anne Weber 13 La formation des mots comme problème de traduction Annette Sabban 14 Le traducteur face aux expressions figées Maria Hegner 15 Lexique et traduction : aspects généraux  

Maurice Kauffer 16 Les « faux amis » : théories et typologie  



275

295

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333

René Métrich et Wilma Heinrich 17 Français, italien : deux langues romanes face aux « particules modales » de l’allemand 349  





Jörn Albrecht et René Métrich 18 Les différents modèles de la sémantique lexicale et leur intérêt pour la théorie et la pratique de la traduction 374

IX

Table des matières

Sciences du langage et traduction Mirja Hanke, Daniele Moretti et Laura Sergo 19 Présuppositions et actes de langage dans le domaine des langues romanes 397 Vahram Atayan 20 Énonciation et traduction

414

Isabelle Lux 21 Linguistique textuelle et traduction : aspects généraux

438



Michael Schreiber 22 Connexité, cohésion, cohérence : la « grammaire de texte » dans les langues romanes 460  

Caroline Pernot 23 Les différentes formes du discours rapporté comme problème de traduction 474 Sandra Lhafi 24 Thème / propos et la progression thématique

491

Heidi Aschenberg 25 Contexte et situation : les « entours » du texte écrit  

503

Raymund Wilhelm 26 Genres littéraires et traditions discursives dans les langues romanes Katrin Zuschlag 27 L’analyse structurale du récit : « narratologie » et traduction Anke Grutschus 28 La variation linguistique comme problème de traduction

523

550

573

Marc Van Campenhoudt 29 Terminologie et langues spécialisées dans les pays de langue romane Françoise Hammer et Heinz-Helmut Lüger 30 Différences de culture et traduction : l’intraduisibilité culturelle

617

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X

Table des matières

Aspects historiques Michael Schreiber 31 Interpretatio, imitatio, aemulatio : formes et fonctions de la traduction « libre » dans le domaine des langues romanes 641  



Jörn Albrecht 32 L’apport des traducteurs à la « relatinisation » des langues romanes  





657

Iris Plack 33 « Extraduction » et « intraduction » : les flux de traduction dans le monde latin 671  









Aspects pratiques Ramona Schröpf 34 La formation des traducteurs et des interprètes dans les pays de langue romane 691 Iris Plack et Sylvia Reinart 35 Doublage et sous-titrage de films dans la Romania Anna Körkel 36 Aspects juridiques de la traduction dans les pays latins

714

739

Thierry Grass 37 La traduction automatique et assistée par ordinateur dans les pays de langue romane 751 Index des noms

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Index des sujets

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Jörn Albrecht et René Métrich*

0 Introduction On n’est jamais tenu d’écrire un livre, disait Bergson. L’aphorisme vaut également pour les recueils, et singulièrement pour ceux qui traitent de sujets largement battus et rebattus. La traductologie dans son acception la plus large comme discipline qui étudie les processus de toute nature, linguistiques, cognitifs, psychologiques, communicatifs etc. à l’œuvre dans et autour de l’opération de traduction a fait l’objet depuis trois ou quatre décennies d’un nombre tout à fait considérable de publications. Si la plupart sont par la force des choses ponctuelles, centrées sur un aspect particulier, parfois très circonscrit, de la traduction, il existe aussi des ouvrages de synthèse, comme le monumental Übersetzung / Translation / Traduction de Kittel et al. (2004 ; 2007 ; 2011), en trois volumes et 350 articles, qui entre 2004 et 2011, s’est efforcé de donner une vue d’ensemble, la plus large possible, d’un domaine dont la multiplicité des facettes constitue quasiment un défi à la description.  





Il nous faut donc justifier notre projet, le « positionner », comme l’on dit en marketing. On dira d’abord, en quelques mots, ce que l’ouvrage n’est pas avant d’expliquer ce qu’il est ou du moins devrait être selon notre intention d’éditeurs. Tout d’abord et malgré le titre de la série dans le cadre de laquelle il paraît, il n’est ni ne saurait être un manuel au sens français du terme, une introduction aux problèmes généraux de la traduction, qu’elle fût destinée aux étudiants de langue ou aux professionnels désireux de fonder leur pratique sur des réflexions plus théoriques. Il en existe suffisamment par ailleurs, de tous niveaux et de toutes envergures.1 Pas davantage ne s’agit-il d’un traité. Le caractère collectif de l’ouvrage l’interdit, qui entraîne inévitablement une diversité d’approches et de points de vue limitant de fait toute systématicité. Le thème général de la collection dans laquelle il prend place l’interdit tout autant, qui impose de cibler plus spécialement les aspects pertinents pour les langues romanes. De façon plus positive, c’est d’aperçu que l’on pourrait parler, à condition d’appliquer le terme non pas à l’ensemble de l’ouvrage mais à chacune des contributions qu’il contient. La place relativement modeste impartie à chaque auteur[e] pour traiter des sujets présentant parfois de multiples facettes et une grande complexité ne leur permettait guère, en effet, d’aller bien au-delà de ce que l’on appelle un aperçu, ce qui fait que l’ouvrage dans sa globalité peut être caractérisé comme un ensemble – organisé – d’aperçus sur la traductologie des langues romanes.  



* René Métrich est membre de l’ATILF / CNRS & Université de Lorraine (UMR 7118). 1 Pour ne citer que quelques exemples : Mounin (1963), Ladmiral (1979), García Yebra (21984), Osimo (2001), Hurtado Albir (22004), Giles (2005) ou, plus récemment, Guidère (22011).  

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Jörn Albrecht et René Métrich

Une grande liberté ayant par ailleurs été laissée aux auteur[e]s pour traiter le sujet qui leur a été confié sous l’angle qui leur paraissait le plus intéressant, selon l’approche qui leur paraissait la plus adéquate et en lui donnant l’éclairage qui leur paraissait le plus révélateur, le risque existait que cet ensemble d’aperçus n’apparût quelque peu décousu. Nous avons tenté d’y parer en définissant et délimitant aussi précisément que nécessaire un certain nombre de domaines et de sujets qui nous semblaient pertinents à la fois d’un point de vue traductologique général et du point de vue des langues romanes, ou tout au moins de telle ou telle d’entre elles – ce qui explique aussi que nous n’ayons pas exclu a priori la mise en contraste avec des langues non romanes, en l’occurrence l’anglais ou l’allemand. Avant de présenter plus avant le contenu de l’ouvrage, il nous faut, en ces temps où domine encore une traductologie hors langue (comme on parle d’agriculture hors sol), justifier la place assez considérable – près du tiers des 37 articles – que nous avons accordée aux aspects purement linguistiques de la problématique de la traduction. Au plan théorique le plus général, nous nous inscrivons en faux contre la célèbre assertion d’Edmond Cary (1986, 4)2 selon lequel « La traduction littéraire n’est pas une opération linguistique, c’est une opération littéraire ».3 Nous pensons au contraire que, littéraire ou non littéraire, elle est toujours, par le fait même qu’elle met en jeu deux langues (éventuellement plus) d’abord une opération linguistique, même si, de toute évidence, elle n’est pas que cela. Comme le dit la traductologue Judith Macheiner alias Monika Doherty (1995, 345, traduit par nous) : « Comme objet scientifique, la traduction (écrite ou orale) ne se limite certes pas à l’objet ‹ langue ›, mais on ne peut tout simplement pas contester qu’elle ait toujours aussi [mis en valeur par nous] à voir avec la langue, et pas de façon accessoire ».4 Il s’ensuit que l’étude de la traduction implique la prise en compte des caractéristiques propres aux langues en présence. Celles-ci, en leur fondement, peuvent être résumées par la célèbre sentence de Roman Jakobson : « Langages differ essentially in what they must convey and not in what they may convey » (Jakobson 1959, 236) comme par le titre moins connu de l’ouvrage de Mario Wandruszka, Sprachen – vergleichbar und unvergleichlich (littéralement : les langues – comparables et incomparables à la  





















2 Ce petit ouvrage rassemble huit cours radiophoniques donnés en 1958 par Edmond Cary tragiquement décédé dans l’accident d’avion au sommet du Mont-Blanc en 1966. 3 Cette citation célèbre et sans cesse reprise fait apparaître Edmond Cary comme une sorte d’antilinguiste primaire. À la fin de l’ouvrage cité, sa position est cependant plus nuancée, même s’il maintient l’idée du primat du littéraire : « La traduction littéraire relève de la littérature, la traduction poétique de la poésie, le doublage du cinéma et ainsi de suite, sans que, pour autant, le linguiste puisse se désintéresser d’aucun de ces genres. L’étude linguistique reste toujours un préalable [les italiques sont de nous], jamais une explication exhaustive de la nature profonde de l’opération » (1986, 86–87 [1958]). 4 Texte original : « Der Gegenstand einer Wissenschaft vom Übersetzen, das Übersetzen und das Dolmetschen, läßt sich zwar nicht auf den Gegenstand Sprache reduzieren, aber daß er immer auch etwas mit Sprache zu tun hat, und keinesfalls nur so nebenher, läßt sich nun einmal nicht bestreiten ».  











Introduction

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fois), qui ne fait au fond que reprendre l’idée déjà exprimée par Schleiermacher de l’incommensurabilité des langues. C’est cette réalité première et incontournable qui se trouve, selon nous, à la base de la traductologie comme discipline scientifique, même si celle-ci, de toute évidence, ne s’y réduit pas. Loin de récuser les approches dites fonctionnalistes ou les théories du scope, nous pensons simplement – et d’une certaine manière « tout bêtement » – qu’on ne peut ignorer délibérément les caractéristiques du matériau employé pour produire des textes… et des traductions. Pour utiliser une autre image : la maison ne se limite certes pas à ses fondations, mais sans fondations, point de maison qui tienne ! De cette position doctrinale – mais non doctrinaire – découle non seulement la place accordée à la dimension linguistique en général, mais aussi la prise en compte, pour ne pas dire en considération, de ce que l’on appelait naguère, peut-être maladroitement, les procédés ou techniques de traduction, lesquels, contrairement à ce qu’on a cru, mais conformément à la notion de stylistique comparée5 sous le signe de laquelle ils ont été créés, relèvent au fond bien plus de la mise en œuvre de la langue dans la production textuelle que d’une linguistique contrastive limitée à la comparaison des langues-systèmes en jeu. L’intérêt d’une sensibilisation aux aspects « techniques » de la traduction nous paraît double. D’une part, il s’agit de mettre en garde contre les multiples pièges tendus au traducteur par les différences entre les systèmes linguistiques en jeu. Ce n’est pas tant aux traductions erronées induites par exemple par les faux amis lexicaux (it. cantina rendu par fr. cantine alors que l’équivalent correct est cave) ou par les différences d’emploi d’une même catégorie grammaticale (fr. à l’épreuve des balles traduit par esp. a *la prueba de balas, alors que l’article n’a pas à être rendu) que nous pensons ici : on les trouve dans nombre de manuels d’initiation à la traduction relatifs à des couples de langues donnés et ils relèvent à nos yeux de la linguistique contrastive ainsi que de la didactique des langues. Ce sont des cas plus complexes que nous avons à l’esprit, ceux où les structures de la langue source invitent à produire en langue cible une traduction correcte du point de vue de la langue mais fausse du point de vue du sens.  



















5 Le terme semble avoir été créé par Jean-Paul Vinay dans un article de Meta en 1957 (cf. références bibliographiques). Quelques années après paraissait la Stylistique comparée du français et de l’anglais, écrite en collaboration avec Jean Darbelnet, et dont le succès fut immense, malgré les objections voire le dédain des traducteurs professionnels. La même année Alfred Malblanc remania selon le modèle de Vinay et Darbelnet un ouvrage consacré à la comparaison du français et de l’allemand qu’il avait fait paraître en 1944 et qui parut dès lors sous le titre de Stylistique comparée du français et de l’allemand. Très apprécié des étudiants, l’ouvrage fut en revanche souvent vilipendé par les universitaires. En 1983 Louis Truffaut publia Problèmes linguistiques de traduction : allemand-français. Guide de l’étudiant et du praticien, dont l’approche était à la fois plus souple et plus rigoureuse que celle de Malblanc. Pour une réflexion sur la notion de stylistique comparée, on consultera avec profit une série d’articles de Maurice Rouleau accessibles en ligne à (ou à partir de) l’adresse : https://rouleaum.wordpress. com/2013/10/04/stylist-comparee-4-def-de-stylistique-comparee/ (25.09.2015).  



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Si, comme le postule Jean-Marie Zemb (1978, 19), toutes les langues ont à leur disposition pour exprimer le monde et communiquer avec autrui les quatre mêmes catégories de signes que sont les morphèmes, les lexèmes, les taxèmes et les prosodèmes, chacune en use à sa guise, en répartissant l’information à sa manière, que ce soit d’une catégorie à l’autre ou à l’intérieur d’une même catégorie.6 La valeur de ces signes n’étant pas la même selon la langue-système à laquelle ils appartiennent, la vigilance du traducteur peut facilement être prise en défaut. Un énoncé italien aussi simple que Caterina è arrivata semble devoir être rendu par Catherine est arrivée, alors que l’ordre des mots qu’il présente correspond en fait à une mise en relief du sujet que l’on rendra plus justement en français par C’est Catherine qui est arrivée, le premier énoncé français correspondant à l’italien È arrivata Caterina.7 La syntaxe de l’italien incite ici à produire un énoncé français parfaitement correct du point de vue de la syntaxe, mais qui n’en constitue pas moins un faux-sens du point de vue de la traduction. Si les apprentis traducteurs sont particulièrement exposés à ce type de pièges, on aurait tort de croire que les traducteurs chevronnés en sont préservés, l’examen attentif de n’importe quelle traduction publiée, fût-ce sous la plume de traducteurs prestigieux, le montrerait aisément. C’est ainsi, pour ne donner qu’un seul exemple, que trois au moins des traducteurs de La Métamorphose (Die Verwandlung) de Kafka, à savoir Alexandre Vialatte (1955), Jean-Jacques Briu (1988) et Bernard Lortholary (1988), ont traduit par un passé simple à valeur ponctuelle un prétérit allemand qui, figurant dans le contexte de wenn (quand), ne pouvait qu’avoir une valeur itérative : Er lag auf seinem panzerartig harten Rücken und sah, wenn er den Kopf ein wenig hob, seinen gewölbten […] Bauch […] (Traduction de Lortholary : Il était sur le dos, un dos aussi dur qu’une cuirasse, et, en relevant un peu la tête, il vit, bombé […] son abdomen […]). Or, la subordonnée en wenn contenant le verbe heben (lever) décrit nécessairement une action répétitive, ce qui a pour conséquence que la vision de l’abdomen l’est aussi et que la traduction proposée, qui la présente comme un fait nouveau et unique, ne peut qu’être erronée. L’autre intérêt des « techniques de traduction » est qu’en proposant des cheminements possibles pour aller de la langue source à la langue cible, elles constituent une stratégie de recherche de solutions utile lorsque la seule intuition ne suffit pas à trouver spontanément une traduction satisfaisante. Si toutes les langues romanes disposent, par exemple, de suffixes quantificateurs (fr. un/une quadragénaire, it. un/ una quarantenne, esp. un hombre/una mujer cuarentón/cuarentona), ils n’y ont pas la même distribution ni les mêmes emplois et peuvent fonctionner, selon le cas, comme  









6 Ainsi la différence d’information exprimée en français par l’opposition imparfait/passé simple doitelle parfois être prise en charge en allemand par une opposition casuelle : Il tombait / tomba entre deux parois de terre verticales = Er fiel zwischen zwei senkrechten Erdwänden/senkrechte Erdwände. 7 Sur ces questions, on consultera avec profit l’ouvrage édité par Monika Doherty (ed.), Sprachspezifische Aspekte der Informationsverteilung, Berlin 1999, dont le titre très parlant peut se traduire par ‘Les aspects spécifiquement linguistiques de la répartition de l’information’.  

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Introduction

diminutifs, augmentatifs, péjoratifs, mélioratifs etc., toutes fonctions qu’il faut parfois « passer en revue » avant de risquer une traduction… qu’on ira au besoin chercher du côté des tournures paraphrastiques (it. è lontanuccio / fr. il y a du chemin à faire). Autre exemple, plus complexe : l’adjectif fr. petit peut fonctionner comme diminutif hypocoristique (où il ne dit rien sur la taille réelle de l’objet qualifié) ou comme complément à fonction distinctive (où il s’oppose à grand). Il s’ensuit que sa traduction correcte en italien nécessitera d’interroger un contexte éventuellement assez large pour savoir laquelle des deux fonctions est ici à l’œuvre : D’abord je vais me construire une petite maison – avec valeur hypocoristique : Prima voglio costruirmi una casetta (diminutif) – avec valeur distinctive : Prima voglio costruirmi una casa piccola [, poi…] (adjectif)  



















Après cet exposé des motifs un peu long mais nécessaire compte tenu des orientations générales de la traductologie depuis quelques décennies, il est temps d’exposer brièvement la structure de l’ouvrage. Ce dernier est divisé en cinq sections intitulées respectivement Aspects généraux, Linguistique et procédés de traduction, Sciences du langage et traduction, Aspects historiques et Aspects pratiques. La première section traite, comme son titre l’indique, de sujets relevant d’une sorte de propédeutique de la traduction, depuis les différents termes utilisés de l’Antiquité à nos jours pour désigner la traduction et l’interprétation jusqu’aux outils du traducteur et de l’interprète en passant par deux vues d’ensemble, l’une historique (↗2 Réflexions sur la traduction dans les pays latins de Leonardo Bruni (1420) à José Ortega y Gasset (1937)), l’autre contemporaine (↗3 La traductologie dans les principaux pays de langue romane. Vue d’ensemble) sur la traductologie dans les pays de langue romane. L’article 4 (↗4 Les théories de l’interprétation dans les principaux pays de langue romane), consacré à la traduction orale, sort un peu du cadre ; il nous paraissait nécessaire, dans un ouvrage centré sur la traduction écrite, de donner au moins un aperçu général des théories élaborées dans la Romania en matière d’interprétation. La deuxième section, qui regroupe à elle seule un tiers des articles, est dédiée, comme on l’a expliqué plus haut, à la « technique de la traduction ». Elle est axée sur les aspects proprement linguistiques de la traduction et plus spécialement sur les difficultés liées à tel ou tel couple ou tel ou tel type de langues. Le point de vue adopté n’est pas tant celui de la linguistique contrastive, qui suppose toujours une certaine caractérisation des langues en présence, laquelle relève in fine de la typologie, que celui d’une grammaire contrastive entendue non pas au sens étroit qu’il a encore souvent dans les pays de langue romane, mais en un sens large, où il dépasse la morphologie et la morphosyntaxe pour aller de la phonologie à la syntaxe de la période en passant par le lexique et la sémantique. La troisième section, qui comprend le même nombre d’articles que la précédente, élargit la perspective. Il ne s’agit plus d’en rester au niveau de la langue-système, de ses caractéristiques et contraintes, mais de prendre en compte tout ce qui relève de sa  











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Jörn Albrecht et René Métrich

mise en œuvre et de son utilisation aux fins les plus diverses dans des contextes variables par des êtres humains appartenant éventuellement à des cultures différentes. Cet élargissement relativement récent (quelques décennies) de l’éventail des problématiques est perçu aujourd’hui comme une innovation, alors que d’un point de vue historique il constitue plutôt un retour aux sources. Ce que l’on regroupe en français sous le vocable sciences du langage correspond en effet assez précisément à ce que dont traitait la rhétorique classique et celle-ci a quelques siècles de plus que la « grammaire » qui a précédé la linguistique au sens étroit. Depuis son déclin au XVIIIe siècle, cette discipline n’est plus connue que de quelques spécialistes. Le profane n’en a conservé qu’une vague idée, et encore, de quelques aspects seulement : notamment l’elocutio (art du style) et ici plus particulièrement l’ornatus (ornement) avec ses moyens stylistiques, figures et tropes. En termes très généraux, on peut dire qu’il est question dans cette section de la langue « en acte » (↗19 Présuppositions et actes de langage dans le domaine des langues romanes ; ↗20 Énonciation et traduction), de la variabilité, commandée par divers facteurs, des langues en elles-mêmes (↗28 La variation linguistique comme problème de traduction), de la dépendance de la compréhension des énoncés vis-àvis de leur environnement (↗25 Contexte et situation : les « entours » du texte écrit), des productions langagières d’une certaine ampleur (textes, discours), qui comportent des régularités d’un autre ordre que celles de la langue au sens étroit du mot (↗21 Linguistique textuelle et traduction : aspects généraux ; ↗22 Connexité, cohésion, cohérence : la « grammaire de texte » dans les langues romanes ; ↗24 Thème / propos et la progression thématique), de l’emploi de moyens linguistiques à des fins stylistiques, notamment dans la littérature (↗23 Les différentes formes du discours rapporté comme problème de traduction ; ↗26 Genres littéraires et traditions discursives dans les langues romanes ; ↗27 L’analyse structurale du récit. « Narratologie » et traduction), de la langue comme instrument scientifique où elle devient « langue de spécialité » créée et normée conventionnellement par les moyens de la langue commune (↗29 Terminologie et langues spécialisées dans les pays de langue romane) et enfin de l’immersion de toute langue dans le monde auquel appartiennent ses locuteurs, autrement dit dans une culture (↗30 Différences de culture et traduction : l’intraduisibilité culturelle). C’est à dessein que la quatrième section, consacrée aux aspects historiques, n’a reçu qu’une extension modeste, la dimension historique n’ayant pas à jouer un rôle déterminant dans un ouvrage de ce type. Il a cependant paru utile, voire nécessaire, pour parachever le tour d’horizon que propose ce volume, d’une part de retracer, au cours de l’histoire, la façon dont la notion de traduction stricto sensu s’était formée et délimitée par rapport à d’autres formes de médiation linguistique (↗31 Interpretatio, imitatio, aemulatio : formes et fonctions de la traduction « libre » dans le domaine des langues romanes), de souligner d’autre part la contribution historique des traducteurs à la constitution des langues romanes modernes (↗32 L’apport des traducteurs à la « relatinisation » des langues romanes) et d’évoquer pour finir l’importance des flux  



















































































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Introduction

de traduction entre les différentes langues romanes au cours des temps (↗33 « Extraduction » et « intraduction » : les flux de traduction dans le monde latin). En matière de traduction, un ouvrage proposant une vue kaléidoscopique, même quelque peu théorisante, ne peut se dispenser d’évoquer aussi quelques aspects pratiques. C’est l’objet de la cinquième et dernière section. Elle informe tour à tour sur la formation des traducteurs dans les pays de langue romane (↗34 La formation de traducteurs et d’interprètes dans les pays de langue romane), sur la synchronisation et le sous-titrage des films (↗35 Doublage et sous-titrage de films dans la Romania), sur le délicat sujet du droit de la traduction et des traducteurs (↗36 Aspects juridiques de la traduction dans les pays latins) et enfin sur la problématique de la traduction automatique et de la traduction assistée par ordinateur (↗37 La traduction automatique et assistée par ordinateur dans les pays de langue romane).  



















Références bibliographiques  

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Aspects généraux

Wolfgang Pöckl

1 Traduire, traduction, traducteur, traductologie, interprétation, interprète etc. Un aperçu historique de la terminologie en usage dans les langues romanes Abstract : Jusqu’à présent, ni les grands ouvrages encyclopédiques consacrés à la traduction, ni les manuels destinés aux étudiants n’ont appelé l’attention sur l’histoire (pourtant assez mouvementée) des mots à l’aide desquels on a désigné, au cours des siècles, l’activité traduisante, les traducteurs et les traductions. Le latin et le Moyen Âge disposent d’une série de verbes (plus ou moins) synonymes pour désigner l’acte de traduire. L’humaniste italien Leonardo Bruni introduit le néologisme latin traducere, qui est repris par les langues modernes et finit par s’imposer comme élément central du champ sémantique. Peu à peu, on commence à distinguer la traduction (écrite) de l’interprétation (orale), mais cette différenciation est loin d’être faite systématiquement. À partir de la deuxième moitié du XXe siècle se forme – parallèlement à l’établissement de la discipline universitaire appelée traductologie – une terminologie savante.    

Keywords : traduire, interpréter, étymologie(s), traduction horizontale, traduction verticale, traductologie    

0 Remarques préliminaires Pendant longtemps, l’orgueil des nations européennes a découragé les philologues de se vouer à l’étude approfondie des traductions et de montrer à quel point les langues et les littératures respectives reposent sur les fondements jetés par les textes tirés d’autres cultures.1 Depuis quelques décennies, cependant, l’histoire des traductions est devenue un domaine de prédilection de la recherche. Parmi les nations de langues romanes, les Espagnols ont été les premiers à étudier le sujet de manière systématique (Ruiz Casanova 2000 ; Lafarga/Pegenaute 2004). Une grande équipe française est en train d’éclipser les synthèses espagnoles par la publication d’une monumentale Histoire des traductions en langue française en quatre tomes (Chevrel/Masson 2012–).  

1 Les littératures de l’Antiquité ont souvent bénéficié d’un statut privilégié ; cf., par rapport à la littérature française, le grand ouvrage (d’inspiration positiviste) de Bellanger (1903).  

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Mais ni les ouvrages consacrés à l’histoire des traductions, ni les manuels destinés aux (futurs) traducteurs, ni les nombreuses introductions à la discipline ne réservent une place à l’histoire des termes principaux qui ont constitué, au cours des siècles, le champ sémantique de l’activité traduisante et de ses agents. Même observation à propos des grandes encyclopédies (par ex. Kittel et al. 2004/2007/2011 ; Baker 2009 ; Gambier/van Doorslaer 2010–2013) aspirant à faire le point sur la matière. Seule la terminologie moderne, qui s’est forgée parallèlement à l’émergence de la discipline universitaire elle-même, semble attirer, çà et là, l’attention des chercheurs spécialisés (cf. chapitre 4).  





1 Antiquité Les linguistes d’aujourd’hui, fussent-ils partisans des théories les plus résolument modernes, n’ignorent pas que les sources de la réflexion linguistique auxquelles il faut retourner de temps en temps se trouvent dans l’Antiquité, notamment dans la philosophie grecque. En est-il de même en ce qui concerne les traductologues ? On hésitera à répondre sans réserve par l’affirmative. Les Grecs, étant en contact pacifique ou belligérant avec les civilisations qui les entouraient, éprouvaient indéniablement le besoin de traduction orale, donc d’interprétation. Mais la diversité linguistique n’était pas au centre de leurs préoccupations philosophiques. Les Romains, eux, s’emparèrent des acquis culturels et intellectuels des Grecs par plusieurs voies, dont la traduction. Mais on se gardera de croire que le concept moderne est compatible avec la notion que les Romains avaient de l’activité traduisante. Alors que les langues romanes d’aujourd’hui sont généralement pourvues d’une famille de mots centrée autour d’un verbe signifiant ‘traduire’ qui, lui, est sémantiquement sans équivoque,2 la situation dans les langues classiques est tout autre. Si on trouve en grec un petit nombre de mots qui ont, dans des contextes précis, le sens de ‘traduire’, le latin connaît une pléthore de quasi-synonymes. On est donc en présence d’une polymorphie lexicale à première vue déconcertante. Les essais de systématisation de la terminologie n’ont guère fourni de résultats convaincants. Plusieurs chercheurs ont cependant succombé à la tentation de considérer l’emploi individuel de vocables par un traducteur comme l’usage représentatif de son époque, ce qui est une démarche qui mène à des généralisations abusives. Il n’y a pas d’hyperonyme qui engloberait les nombreux éléments du champ sémantique. D’autre part, force est de constater qu’aucun des verbes n’a comme acception principale le sens de ‘traduire’. En général, la signification ‘traduire’ s’ajoute au sens plus concret des mots en question. Ce genre de métaphorisation semble pourtant être plus répandu, car on peut  

2 On ne peut pas affirmer la même chose à propos de la traduction orale : toutes les langues romanes ont recours au type lexical « interpréter », qui est cependant polysémique.  





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l’observer de façon analogue dans d’autres langues et dans d’autres contextes historiques. En se basant sur les listes de vocables établies par Folena (1991, 81) et Seele (1995, 91s.), on peut distinguer trois catégories de métaphores :  

‘expliquer, rendre clair’ : interpretari, explicare, reddere, exprimere ‘(re)tourner’ : vertere, convertere, mutare ‘transporter’ : transferre (postclassique), translatare (bas latin)

1) 2) 3)







S’y ajoutent deux verbes qui sont spécifiques de la pratique littéraire des Romains et qui manquent d’équivalents dans d’autres cultures : imitari et aemulari. Afin de mieux comprendre les causes des différences lexicales dans ce domaine entre l’Antiquité et le monde moderne, il faut tenir compte du statut de la traduction dans le système éducatif et culturel des Romains. On sait que la traduction avait d’abord sa place dans le cadre de l’instruction grammaticale et rhétorique. Les humanistes européens des premiers siècles des temps modernes ont conservé grosso modo cette tradition (cf. Norton 1984), qui n’est abandonnée définitivement qu’à l’époque des Lumières. Les libertés qu’on concédait aux hommes de lettres dépendaient du caractère du texte. Albrecht (2010, 493) a décrit de manière admirablement concise les différentes formes et fonctions de la traduction. Dans le contexte pédagogique la situation se présente de la manière suivante : En ce qui concerne la traduction stricto sensu, il faut d’abord distinguer entre deux domaines qui correspondaient à des degrés consécutifs dans le système de l’enseignement : a) Au premier degré, c’est-à-dire dans le cadre de l’enseignement de la grammaire (ars recte loquendi), la pratique de la traduction était soumise à un littéralisme servile. b) Au second degré, c’est-à-dire dans le cadre de l’enseignement de la rhétorique (ars bene dicendi), la manière de traduire dépendait du genre de texte à traduire :  













α) Dans la traduction des historici (équivalent moderne, grosso modo, des textes informatifs) une fidélité non seulement par rapport à l’invention, mais aussi par rapport à la disposition et à l’élocution était de mise ;  

β) Dans la traduction des rhetores et des poetae (équivalent moderne : les textes expressifs) le traducteur devait seulement rester fidèle à l’invention ; par contre, il pouvait prendre des libertés plus ou moins grandes vis-à-vis de la disposition et surtout vis-à-vis de l’élocution (tropes, figures de mots et figures de pensées).  



En dehors du contexte pédagogique, la fonction de la traduction consiste à contribuer à l’enrichissement intellectuel et littéraire de la culture cible (c’est la fonction principale que l’homme moderne attribue à la traduction, vu que la traduction comme exercice linguistique a presque complètement disparu des programmes scolaires) et à l’élaboration linguistique (facteur considéré comme essentiel de nos jours pour les langues moins répandues). Rappelons au passage qu’à Rome le concept de propriété

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intellectuelle telle qu’il est compris en Europe depuis quelques siècles est pratiquement inexistant. Les « vrais » traducteurs se consacraient donc à des genres de traductions qu’on distinguait selon le degré de liberté – et qu’on désignait par des termes différents, selon l’approche choisie :  





« Par interpretatio on entendait une reformulation relativement proche du texte source (avec une certaine marge de liberté) ; il s’agit de la traduction proprement dite. […] L’imitatio, qu’on rencontre surtout dans le domaine de la poésie, était une œuvre nouvelle qui s’inspire d’un texte source (équivalent moderne : traduction libre). L’aemulatio était le terme technique pour une pratique littéraire qui part d’un texte modèle avec le but de le surpasser, de ‹ faire mieux › […] » (Albrecht 2010, 494).  











Un des rares éléments de notre champ sémantique richement doté qui ait survécu et qui est toujours en usage (bien que son acception se soit rétrécie) est la famille de mots interpres / interpretari / interpretatio (le deuxième étant lat. transferre < gr. μεταφέρειν dont l’histoire est cependant plus complexe). Son étymologie est incertaine ; ce qui est sûr, c’est que le signifiant est d’origine latine (d’aucuns prétendent qu’il remonte à INTER PARTES ‘intermédiaire’, d’autres présument que le deuxième élément est un réflexe de PRETIUM ‘prix’, comme le voulait Isidore de Séville). Il est d’autant plus étonnant que la structure sémantique de la famille de mots interpres / interpretari soit, à en croire les dictionnaires bilingues, plus ou moins identique à celle du grec ἑρμηνεύς / ἑρμηνεύω. Étant donné que l’interpres, en tant qu’auteur de interpretationes, s’éloigne moins des textes sources que les écrivains et les poètes, qui pratiquent l’imitatio ou l’aemulatio, l’adjectif fidus ‘fidèle’ est associé au substantif (par ex. dans les célèbres vers 133/ 4 de De arte poetica d’Horace : « Nec verbum verbo curabis reddere fidus / Interpres ») et peut donc être considéré presque comme un « adjectif de nature ». Notons par ailleurs que nous avons rarement l’occasion de comparer les traductions dont il est question dans les sources latines car dans l’immense majorité des cas, le texte de la langue de départ ou le texte de la langue d’arrivée se trouve être perdu. Il est donc souvent difficile de dire dans quelle mesure les témoignages et les commentaires sont conformes aux traductions.  











2 Moyen Âge C’est au cours du Moyen Âge que la plupart des variétés (et futures langues) romanes s’émancipent du latin. Ce processus est documenté notamment par des textes vernaculaires. Très souvent, ces manifestations écrites sont, surtout dans les premières phases de l’élaboration linguistique, des textes qui reposent sur des modèles allophones (en premier lieu latins). Les linguistes parlent généralement de traductions, ils désignent par ce terme tout ce qui n’est pas considéré comme « original ». La gamme des traductions va de la glose et de la version interlinéaire jusqu’à l’adaptation et la  



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paraphrase. Quand on se réfère à la situation médiévale, la notion de traduction est donc beaucoup plus vaste et plus vague qu’aujourd’hui. Tout comme l’Antiquité, le Moyen Âge ne connaît pas de concept homogène de la traduction. Au niveau théorique, on ne trouve guère de réflexion inédite ; la plupart des traducteurs se contentent d’évoquer les citations canoniques (souvent mal comprises, cf. Albrecht 2010) de Cicéron, d’Horace, de saint Jérôme ou de Boèce (considéré comme un auteur chrétien), qui ne dépassent pas le cadre de la dichotomie traduction mot-à-mot / littérale vs. traduction libre. Seuls quelques esprits indépendants, tels que Dante, réfléchissent, par exemple, à la question de la « traductibilité » (cf. citation infra). L’omniprésence et le prestige des textes latins empêchent la solution de continuité non seulement dans le domaine de la réflexion théorique mais aussi en ce qui concerne les expressions désignant l’acte de traduire et le champ sémantique correspondant. Ne sont pas repris, pour des raisons évidentes, les verbes aemulari et imitari car la seule idée de « surpasser » un texte latin (en élégance stylistique, en clarté etc.) était inconcevable à l’époque. Un texte traduit en langue vulgaire ne pouvait avoir pour but que de rendre accessibles des connaissances formulées dans la langue de l’érudition mais jugées également utiles aux « illettrés », c’est-à-dire à ceux qui ignoraient le latin. Les langues vernaculaires, elles, n’étaient pas encore considérées comme de véritables concurrentes. Les termes, forgés au XXe siècle, de « traduction verticale » (langue de culture / de prestige / codifiée vers une langue vulgaire – ou vice-versa) et « traduction horizontale » (traduction entre langues considérées comme d’égale valeur, par ex. arabe classique – latin, catalan – français) nous aident à comprendre certaines attitudes des traducteurs exprimées dans les paratextes (prologues, dédicaces) ou à l’intérieur de l’œuvre traduite. L’examen des passages où il est question de l’acte de traduire fournit des résultats assez similaires pour les différentes langues romanes qui disposent d’un corpus représentatif de traductions : le français, l’italien et l’espagnol (qu’on devrait plus justement appeler castillan jusqu’à la fin du Moyen Âge). Notons d’abord que les expressions principales appartiennent presque toutes à la catégorie des verbes, les nomina agentis et nomina actionis étant plutôt rares ; autrement dit, on ne trouve guère de familles de mots complètes. La seule exception constitue, dans les trois langues citées, l’élément lexical qui remonte au verbe latin transferre et qui a donné les formes « régularisées » fr. translater, it. tra(n)slatare, esp. trasladar. Classés du point de vue sémantique, les verbes forment des groupes analogues à ceux que nous avons déjà trouvés en latin : le premier groupe contient l’idée de ‘transporter’ (fr. translater, transposer), le deuxième correspond au latin vertere (fr. turner, trestorner), tandis que le troisième, de loin le plus riche en variantes, se compose de verbes dérivés du nom de la langue cible (fr. enromanchier, esp. romançear, it. volgarizzare) ou de locutions du type fr. metre / traire / faire / espondre … en romanz ; it. mettere / recare / ridurre / riducere in volgare (où romanz, romance, volgare signifient naturellement « langue vulgaire », en général par opposition à « latin »).  



















































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Cette profusion de vocables et expressions (pour le français, cf. notamment Baehr 1981 et Buridant 1983, pour le castillan, Rubio Tovar 2011) occupant un champ sémantique relativement restreint invite à y mettre de l’ordre. On a du mal à croire qu’il s’agit de véritables synonymes. Nombreux sont les critères imaginables qui pourraient déterminer l’emploi de différents éléments : (a) les langues impliquées (traduction horizontale et verticale), (b) la méthode de traduction (littérale vs. libre), (c) le genre de texte (didactique, littéraire), (d) le degré d’autorité de l’auteur (tel que l’établit Vincent de Beauvais dans son ouvrage encyclopédique Speculum maius : (1) Bible, (2) pères et docteurs de l’Église, (3) auteurs chrétiens jugés savants mais non canonisés, (4) grands auteurs païens de l’Antiquité ; cf. Lusignan 1986, 131). Mais aucune des tentatives de systématiser l’abondance lexicale n’a abouti à des résultats satisfaisants, ce qui n’empêche pas les spécialistes d’être victimes d’un optimisme forcé. On peut souscrire à toutes les observations formulées par Folena (1991, 82) à la fin de son admirable étude consacrée à la terminologie des traducteurs médiévaux, à une exception près ; il semble risqué de soutenir, au niveau de la langue (au sens saussurien), l’existence de « traits distinctifs » vraiment significatifs dans ce champ lexical :  













« […] l’abbondanza di sinonimi e di locuzioni sinonimiche, con tratti distintivi e connotazioni semantiche molteplici, che complica il già complesso quadro terminologico ereditato dall’antichità latina, indica la scarsa elaborazione concettuale del tradurre nel Medioevo, la prevalente concezione didattica e strumentale e la molteplicità dei punti di vista nel considerare la prassi della traduzione, fondamentale nell’esperienza culturale, religiosa e letteraria romanza, come in quella germanica e slava, tanto nei suoi aspetti contenutistici quanto in quelli formale ».  



Mettons à l’épreuve l’une de ses thèses. Il croit pouvoir distinguer, par rapport au français, « il tecnico e scolastico translater » (Folena 1991, 17) du type (en)romanchier qu’il considère comme populaire et réservé à la traduction versifiée. Mais un passage cité régulièrement dans ce contexte parce qu’il accumule les synonymes, à savoir l’épilogue de l’Esope de Marie de France, dément l’hypothèse de manière flagrante. Le verbe translater apparaît deux fois de suite, mais sans les moindres connotations scolastiques ou techniques, tandis que enromanchier est absent du texte, bien que la version de Marie elle-même soit rédigée en vers :  





« Pur amur le cunte Willalme, Le plus vaillant de cest reialme, M’entremis de cest livre faire E de l’engleis en romanz traire. Esope apelë um cest livre, Kil translata e fist escrivre, Del griu en latin le turna. Li reis Alvrez, ki mult l’ama, Le translata puis en engleis, Et jeo l’ai rimé en franceis,  

Traduire, traduction, traducteur, traductologie, interprétation, interprète etc.

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Si cum jol truvai, proprement » (v. 9–19) (cité d’après l’édition de Warnke 1962, 46 ; mes italiques).  





Doté de connaissances étendues en la matière et d’une vision réaliste de la situation, Santoyo (2008) démontre la richesse lexicale dont dispose l’espagnol du XVe siècle dans le domaine du métalangage relatif à l’acte de traduire. Un seul auteur – en l’occurrence Alonso de Madrigal, appelé el Tostado (1410–1455) – emploie toute une série de synonymes :  

« El trasvase interlingüístico se plasma nada menos que en seis formas verbales sinónimas, que el autor utiliza de modo indistinto [mes italiques, W.P.]: trasladar de / en, interpretar de / en, mudar de / en, sacar de / a, tornar de /en, volver en » (Santoyo 2008, 68).  



Mais el Tostado est loin d’avoir exploité toute la gamme des synonymes courants à l’époque. Dans les textes de ses contemporains, Santoyo (2008, 71) relève aussi vulgarizar, romanzar, reducir en, traspasar de / a, pasar (de latín en nuestra lengua), poner en, transponer en, convertir de / a. Rubio Tovar (2011) ajoute d’autres verbes qui ont, dans certains contextes, l’acception de ‘traduire’ : esponer, glosar, tra(n)sferir, transportar, traer a, trocar. Et plusieurs hommes de lettres qui dirigent leur regard vers l’Italie commencent alors à se servir du néologisme traducir (cf. chapitre 3). Le grand nombre de synonymes s’explique aussi par le fait que certains auteurstraducteurs ont recours à une terminologie plus ou moins personnelle. Un bon exemple en est la prédilection de Dante pour le verbe transmutare (et le substantif correspondant transmutazione), utilisé à plusieurs reprises dans le célèbre passage du Convivio (I, 7, 14sq., cf. aussi Albrecht (↗2 Réflexions sur la traduction dans les pays latins de Leonardo Bruni (1420) à José Ortega y Gasset (1937)) où le grand poète soutient la thèse de l’intraduisibilité des textes versifiés, « lointain souvenir probablement d’un lieu commun de la théorie littéraire du monde arabe » (Pöckl 1998, 722) :  







« E però sappia ciascuno che nulla cosa per legame musaico armonizzata si può de la sua loquela in altra transmutare sanza rompere tutta sua dolcezza e armonia. E questa è la cagione per che Omero non si mutò di greco in latino come l’altre scritture che avemo da loro. E questa è la cagione per che li versi del Salterio sono sanza dolcezza di musica e d’armonia ; ché essi furono transmutati d’ebreo in greco e di greco in latino, e ne la prima transmutazione tutta quella dolcezza venne meno » (mes italiques).  





L’innovation terminologique de Dante ne s’est pas imposée, mais un siècle plus tard la création d’un compatriote a eu tant de fortune qu’aujourd’hui toute la Romania a recours au « même » mot (en ce sens que les formes remontent toutes au même étymon). Le contact des Européens avec les civilisations du Proche-Orient fait naître un type spécial de médiateur culturel, qui est désigné par un mot « migrateur » d’origine orientale. Dans une première phase, ce mot est emprunté à l’arabe au XIIe siècle dans  







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le contexte des croisades. Résultat d’un contact linguistique exclusivement oral, le mot apparaît dans les langues d’accueil à différents moments sous les formes les plus variées : par exemple it. turcimanno, dragomanno ; fr. druguemant, drogeman, trucheman (v. la liste de toutes les formes documentées dans FEW, XIX, s.v. tarğumān ; aujourd’hui : truchement) ; esp. trujamán, trujimán ; cat. trutximà. Les mots, fixés orthographiquement au cours des siècles, font partie du lexique actuel des langues romanes citées ; leur sens s’est cependant généralement élargi (cf., par ex., la gamme des significations et les nombreux dérivés de it. turcimanno dans le dictionnaire de Battaglia, s.v.). Un autre type d’emprunt du même étymon s’est établi suite à la création par la Sublime Porte d’une fonction officielle destinée à assurer les relations politiques entre l’Empire ottoman et l’Occident. Le titre des détenteurs de cette fonction présente un aspect beaucoup plus homogène dans les langues européennes : it. dragomanno, fr. drogman (ou, plus rarement, dragoman), esp. dragomán etc. (détails dans Pöckl 2015).  



















3 Les temps modernes et la fortune de traducere 3.1 Latin humaniste Le 5 septembre 1400, l’humaniste italien Leonardo Aretino Bruni (1374 ?–1444) se sert, dans une lettre écrite en latin, du verbe traducere pour désigner l’activité traduisante. En latin classique, ce mot existe, mais avec des acceptions différentes.3 C’est pourquoi d’aucuns sont d’avis que Bruni aurait mal compris le passage d’Aulu Gelle qui lui a suggéré ce néologisme sémantique. D’autres, notamment Wolf (1971) et Folena (1991), sont convaincus que Bruni a agi par calcul et avec l’intention de créer un nouveau terme afin de se distancier en tant que traducteur des pratiques médiévales. « Io non credo », écrit Folena (1991, 72),  





« che il Bruni abbia capito male : aveva bisogno di un vocabolo nuovo, non consunto come transferre, dove l’operazione di trapianto d’una in altra lingua si manifestasse con maggior energia e plasticità : e traduco non solo era piú dinamico di transfero, ma rispetto al suo piú vulgato predecessore conteneva […] anche il tratto della ‹ individualità › o della causatività soggettiva […], sottolineando insieme l’originalità, l’impiego personale e la ‹ proprietà letteraria › di questa operazione sempre meno anonima ».  















3 L’acception principale est ‘transporter’ (nombreuses occurrences, par ex., dans De bello Gallico de César : « Quod multitudinem Germanorum in Galliam traducat ») ; mais le mot signifie aussi ‘exposer au blâme’, cf. le début de l’Evangile selon Matthieu (Mt 1, 19) : « Ioseph autem vir eius [= Mariae] cum esset iustus, et nollet eam traducere : voluit occulte dimittere eam ».  















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Traduire, traduction, traducteur, traductologie, interprétation, interprète etc.

Il est sans aucun doute vrai que le néologisme doit sa fortune à Leonardo Bruni – et non, par exemple, à Notker de Saint Gall (env. 950–1022), premier traducteur allemand d’importance, qui se sert, quatre siècles avant l’humaniste italien, de traducere dans l’acception « moderne » du mot quand il fait mention de projets de traduction qu’on lui a proposé de réaliser : « […] rogatus et metrice quaedam scripta in hanc eandem linguam traducere » (apud Sonderegger 1987, 17 ; mes italiques). Mais il serait faux de penser que le succès du terme nouveau ait été aussi immédiat et éclatant que Folena (1991, 71) veut nous le faire croire en parlant, non sans emphase, de la « reductio ad unum tecnica e teoretica di tutta la così varia terminologia sinonimica di tradizione classica e medievale che si compie nell’Europa moderna col nuovo corso di traducere ». Les humanistes contemporains de Bruni sont majoritairement d’observance conservatrice et s’en tiennent plus ou moins strictement au vocabulaire cicéronien. La propagation de traducere, surtout au-delà des frontières de l’Italie, a lieu presque exclusivement grâce à la diffusion des œuvres de Bruni (Wolf 1971) ou dans le contexte d’une dispute que l’on pourrait qualifier de querelle des Anciens et des Modernes. Ainsi, l’évêque espagnol Alonso de Cartagena critique vivement la manière extravagante dont Bruni a traduit Aristote et accuse le traducteur de ne pas suffisamment posséder les langues classiques, mais il reprend le néologisme (sous la forme du participe parfait du verbe et du nomen acti) dans une lettre écrite à un ami : « Aristotelis Ethicorum libros Latinos facere nuper institui, non quia prius traducti non essent, sed quia traducti erant, ut barbari magis quam Latini effecti viderentur. Constat enim illius traductionis auctorem […] neque Graecas neque Latinas literas satis sciuisse » (cit. d’après Birkenmajer 1922, 157 ; mes italiques). Mais, en règle générale, l’usage de traducere dans les milieux latinisants reste plutôt rare. Quant aux langues romanes, la situation est quelque peu différente. Le nouveau terme, une fois introduit, gagne en fréquence et finit par s’imposer, au cours d’une période plus ou moins longue, comme élément central du champ sémantique, sans pour autant faire disparaître définitivement tous les concurrents.  























3.2 Italien En italien, le contexte de la première attestation (vers 1420) de la famille de mots est symptomatique de l’accueil du néologisme. « Direttamente al Bruni, sia pure per via polemica, sono legate le prime precoci e significative testimonianze italiane di tradurre, traduzione, traduttore, presenti tutte insieme in un opuscolo o pamphlet antiumanistico di ser Domenico da Prato » (Folena 1991, 75). S’il est vrai, d’une part, que le verbe et ses dérivés s’établissent assez promptement dans l’usage, on n’oubliera pas que l’italien a conservé, jusqu’aujourd’hui, une expression spéciale pour un certain type de traduction qui, dans un dictionnaire moderne, est défini de la façon suivante : « Se il testo di partenza è il latino o il greco e quello d’arrivo un volgare  







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romanzo, cioè una delle lingue derivate dal latino nei primi secoli della loro storia, quando erano appunto considerate lingue del volgo, abbiamo un volgarizzamento » (Zingarelli 122014, s.v. traduzione). À côté de volgarizzamento (polysémique, tout comme traduction, parce que à la fois nomen actionis et nomen acti), la famille de mots comprend aussi le verbe volgarizzare et les substantifs volgarizzatore et volgarizzazione. Peu à peu, la famille de tradurre s’élargit. Au début du XVIIIe siècle apparaissent (in)traducibile, (in)traducibilità, les négations précédant les formes positives d’environ trois décennies. Le participe présent traducente est devenu un substantif qui signifie ‘équivalent’. Récemment la famille de mots s’est enrichie de l’adjectif de relation traduttivo et du substantif traduttese (correspondant à l’anglais translationese). (À propos de traduttologia etc., cf. chapitre 4). Dans aucune des langues romanes, la famille de mots en question n’a autant de membres qu’en italien. Mais la richesse lexicale se manifeste aussi au niveau du champ sémantique. Un dictionnaire de synonymes (Pittano 1989) n’indique pas moins de six verbes qui peuvent remplacer tradurre – du moins dans certains contextes : volgere, trasportare, rendere, traslatare (ant.), voltare, interpretare.  



3.3 Espagnol Hors de l’Italie, le castillan est la première langue à accueillir le mot nouveau. Cet avantage chronologique sur les autres langues romanes s’explique par les étroites relations culturelles qui s’établissent très tôt entre l’Italie et l’Espagne (Gómez Moreno 1994). Au cours des années 40 du XVe siècle, plusieurs écrivains introduisent plus ou moins simultanément le verbe traduzir et les dérivés correspondants (Santoyo 2008, 67) : Juan de Mena, traducteur de l’Iliade (à partir de la version latine ; Omero romançado), passe quelque temps à Rome et à Florence et semble avoir été en contact direct avec Leonardo Bruni (décédé en 1444) ; Pedro Díaz de Toledo traduit la version brunienne d’un dialogue de Platon vers le castillan, y compris la dédicace (adressée au Pape Innocent VII) contenant plusieurs occurrences de traducere. On hésitera à déterminer si le mot espagnol est emprunté au latin ou à l’italien ; comme dans beaucoup d’autres cas analogues, nous sommes en présence d’une étymologie multiple. Un siècle plus tard, le néologisme ne s’est pas encore vraiment imposé au détriment de ses rivaux, à en juger par les titres (parfois assez longs) imprimés sur les frontispices de traductions publiées. Traduzir reste un verbe parmi d’autres (dont les plus fréquents sont trasladar, sacar, volver, romançar) (cf. Pöckl 1996–1997, 12). Au début du XVIIe siècle, traducir et tradución figurent comme entrées dans le célèbre dictionnaire de Covarrubias (1611) ; tradutor y est présent dans l’article tradución. Notons que l’auteur du vocabulaire fait une différence entre tradución et versión, cette dernière étant définie comme une traduction libre (« no conforme a la letra pero segun  











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el sentido » ; la même distinction se fera d’ailleurs au XVIIIe siècle en France dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, cf. Lambert 1996). Le Diccionario de Autoridades paraphrase TRADUCCIÓN (RAE 1737, s.v.) par « versión de un escrito, volviendole de un Idioma en otro », non sans ajouter, cependant, une deuxième entrée TRADUCCIÓN en caractères plus petits : « Por extension se toma por el sentido o inteligencia, que dan à algun texto, ò escrito los Intérpretes, ò Glossadores ». Une troisième entrée se réfère à TRADUCCIÓN como « figura Rhetórica que se usa repitiendo una misma palabra en diversos sentidos » (acception toujours présente dans les dictionnaires modernes, parfois avec renvoi à poliptoton). De nos jours, la famille de mots qui s’est formée à partir de traducir – traducción, traductor, (in)traducible, (in)traducibilidad – domine souverainement le champ sémantique dont la structure est très semblable à celle des homologues dans les autres langues romanes. Par souci d’exhaustivité, on ajoutera qu’en espagnol moderne la direction de la traduction est indiquée par des adjectifs : traducción directa (= vers la langue du pays), traducción inversa (= vers la langue étrangère), traducción indirecta étant cependant une traduction « de segunda mano ». Le lexique du champ sémantique, autrefois caractérisé par une grande richesse synonymique, s’est considérablement appauvri, notamment dans le domaine des verbes, comme le constate Santoyo (2008, 73) :  

























« Busco en el mejor de los diccionarios de sinónimos los equivalentes actuales de traducir y únicamente hallo tres : interpretar, verter y trasladar, pero el primero de ellos ha quedado especializado en la traducción oral o interpretación, por lo que tan sólo nos queda verter y trasladar ; romanzar se nos antoja por demás obsoleto ; volver y convertir podría seguir utilizándose, pero a riesgo de arriesgar en exceso la naturalidad expresiva del castellano de hoy ».  











3.4 Français Par rapport à l’Espagne ou à l’Allemagne, c’est avec un retard considérable que la France accueille les acquis de l’humanisme italien. La Guerre de Cent Ans et ses séquelles empêchent les intellectuels de diriger leur regard vers les pays méditerranéens. L’histoire du mot qui est au centre de cet article reflète bien le décalage culturel. La première documentation en France de la forme latine date de 1490 (cf. Wolf 1971). Le verbe français traduire se trouve pour la première fois dans un texte de 1480, mais dans une acception juridique qui ne nous concerne pas ici. Les indications étymologiques fournies dans la plupart des dictionnaires induisent donc en erreur car elles ne considèrent que le signifiant. Traduire ayant le sens de ‘faire passer d’une langue dans une autre’ apparaît seulement en 1520 dans un texte appelé Dialogue tres elegant intitule le Peregrin […] traduict de vulgaire italien en langue francoyse par maistre Francoys Dassy (cf. Trésor, s.v.). Le substantif traduction ‘action de traduire d’une langue dans une autre’ est, de même que traducteur, documenté pour la première fois dans la version française du roman Amadis parue en 1540 (Trésor, s.vv.).

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La même année, Étienne Dolet fait paraître à Lyon son petit manifeste La maniere de bien traduire d’une langue en autre, dont la deuxième phrase réunit tous les membres de la nouvelle famille de mots : « En premier lieu, il fault que le traducteur entende parfaictement le sens et matiere de l’autheur qu’il traduict ; car par ceste intelligence il ne sera jamais obscur en sa traduction » (Dolet 1540, s.p.). On peut constater qu’en France le nouveau mot et ses dérivés se propagent plus vite qu’ailleurs et finissent par écarter les concurrents. Le seul verbe qui peut remplacer (pour des raisons stylistiques) traduire, sans en être un véritable synonyme, est rendre. Il faut cependant signaler qu’à des moments donnés de l’histoire on évite le terme traduction dans des contextes déterminés. Ainsi les traducteurs français du XVIIIe siècle traduisent indifféremment des langues classiques, de l’italien, de l’espagnol ou de l’anglais, mais les œuvres littéraires d’origine allemande sont souvent déclarées « imitées » (par ex. : Histoire d’Agathon […]. Imité de l’Allemand de M. Wieland ; cf. Graeber 1990, 182). Les éléments lexicaux du français contemporain qui se sont formés autour de traduire présentent de nombreuses analogies avec les langues-sœurs commentées précédemment. L’adjectif de relation prend la forme (prévisible) traductionnel. L’adjectif qualificatif intraduisible, qui remonte à l’époque classique (Bouhours 1687), a, de même que traduisible, (in)traduisibilité, des doublets plus modernes : (in)traductible, (in)traductibilité (cf. Trésor, s.vv.). Dans le domaine de la pédagogie de la traduction, le français a créé plusieurs termes dont quelques-uns ont été repris par d’autres langues. Depuis longtemps, on distingue le thème « Traduction dans une langue qui n’est pas la langue dominante de l’étudiant, effectuée à des fins d’exercice ou d’évaluation » (Delisle/Lee-Jahnke/Cormier 1999, 82) – d’où l’expression fort en thème – et la version « Traduction dans la langue dominante de l’étudiant effectuée à des fins d’exercice ou d’évaluation et qui sert, entre autres, à vérifier les connaissances passives de la langue de départ et les aptitudes à la rédaction dans la langue d’arrivée » (ibid., 94). Plus récemment, on a forgé aussi, par exemple, les termes surtraduction et sous-traduction (désignant des fautes de traduction concernant le degré d’explicitation). Le terme retraduction risque de prêter à confusion. Il peut désigner la traduction d’un texte qui a lui-même été traduit d’une autre langue ou la nouvelle version d’un texte qui a déjà été traduit antérieurement. Le problème d’ambiguïté se pose de façon analogue dans les autres langues romanes. Par rétrotraduction, appelée aussi traduction inversée, on entend la traduction d’un texte traduit vers la langue d’origine.  



























3.5 Roumain La romanité sud-est-européenne est caractérisée par un certain nombre de particularités. Contrairement aux langues romanes occidentales et à l’italien, le roumain n’est influencé directement ni par le latin médiéval ni par le néolatin des humanistes. Au

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moment de son apparition comme langue écrite, au XVIe siècle, le vocabulaire est fortement marqué par les langues des Balkans. Le champ sémantique étudié dans cet article en est un bon exemple. Le roumain ancien connaît deux verbes pour exprimer l’idée de ‘traduire’ (aussi au sens d’interpréter) : a tălmăci et a tâlcui (ancienne orthographe tîlcui). Ces deux verbes continuent de figurer dans les dictionnaires modernes. Le premier est d’origine orientale et se trouve dans nombre de langues slaves, mais également en hongrois (tolmács) ou en allemand (dolmetschen, Dolmetscher) (cf. Ciorǎnescu 2007, s.v.). Autour du verbe s’est formée la famille de mots complète : tălmaci et tălmăcitor/-oare, expliqués de façon identique par ‘traducător, interpret ; tâlcuitor, comentator’ ; tălmăcire ‘acţiunea de a (se) tălmăci şi rezultatul ei ; operă tradusă’. Le verbe a tâlcui, emprunt au slave TLŬKOVATI , a généré, en parfaite analogie, tâlcuire et tâlcuitor/-oare (cf. Ciorănescu 2007, s.v. TILC ). Mais les locuteurs du XXIe siècle semblent considérer toutes ces formes comme obsolètes4 et n’utilisent que le mot d’origine latine/romane a traduce, qui est en usage depuis le XIXe siècle (Ciorǎnescu 2007, s.v. TRADUCE ). Parallèlement au français et à l’italien, le roumain moderne connaît le nom d’agent (au masculin et au féminin) traducător / traducătoare, le verbe substantivé traducţie (signifiant l’action de traduire et le résultat de l’action) de même que l’adjectif (in)traductibil (cf. DEX, s.vv.). Comme dans les grandes langues romanes qui ont servi de modèle au roumain, tout ce qui se réfère à la traduction orale est désigné par la famille de a interpreta. Ce qui frappe, cependant, c’est que le dictionnaire de néologismes de référence (Marcu 2008) incorpore plusieurs dérivés de a interpreta (interpret, interpretare, interpretariat) et toute la famille de a traduce.  









3.6 Langues romanes moins répandues Les langues romanes moins répandues et périphériques présentent parfois des idiosyncrasies lexicales. Ainsi, certains parlers du sarde, langue non standardisée, connaissent, à côté de la famille de mots qui s’est formée autour du verbe tradúchere / traduíre (substantifs : traduisciòne / tradussiòne / tradutziòne ; traduttore), une deuxième famille, qui remonte à *VOLVITARE / *VOLTARE , forme conjecturale du latin vulgaire (REW 9446) et qui est représentée dans le dictionnaire bilingue sarde – italien d’Espa (1999) par les entrées suivantes (dans l’ordre alphabétique) : bortada = ‘traduzione, versione, volgarizzamento’ ; ex. : « sa bortada in sardu nugoresu de su Banzéliu de Nostru Sennore Zesu Cristu » ; bortadu/bortáu = ‘tradotto, volgarizzato’ ; ex. : « su Banzéliu de santu Luca bortáu in sardu nugoresu […] » ; bortadura = ‘traduzione, parafrasi’ ; bortare = (entre autres acceptions) ‘tradurre’.  



























4 Enquête personnelle de l’auteur de cet article effectuée auprès d’une douzaine de locuteurs natifs roumains.

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En frioulan, on trouve des éléments épars de même origine. Le Grant Dizionari Bilengâl Talian-Furlan (Centri Friûl Lenghe 2011) cite le verbe voltâ (« a àn voltât une conte dal inglês par furlan » ; « voltâ dal cinês ») et le dérivé voltabil (= it. traducibile). Le substantif italien traduzione est paraphrasé par « il voltâ un test orâl o scrit di une lenghe a di une altre, e il test che al resulte dal voltâ », mais les formes usuelles dans ce champ sémantique semblent être celles qui sont analogues à l’italien standard (tradusi, tradutôr, traduzion, intradusibilitât etc.). Le ladin dolomitique (ladin dolomitan) est très riche en synonymes dans le domaine qui nous occupe. Le dictionnaire bilingue allemand – ladin (Forni 2002) offre toute une gamme d’équivalents pour all. übersetzen : « 1 fé na traduzion. 2 ciancé […]. 3 tradujer […]. 4 translaté. 5 repurté […]. 6 (dolmetschen) fé da nterpret. » Pour « traduire un livre de l’allemand vers le ladin » on dirait, toujours d’après Forni, « fé na traduzion de n liber / ciancé n liber dal tudësch tl ladin. » L’entrée Übersetzer(-in) est rendue par « 1 (Dolmetscher) tradutëur […]. 2 translatëur […]. 3 ciancer […]. 4 nterpret […]. 5 tulmac […]. » L’élément qui frappe le plus dans cette liste et qui requiert une explication étymologique est sans aucun doute ciancé/ciancer. Le mot est d’origine turque (< SIMSAR ‘intermédiaire’, ‘courtier’, cf. it. sensale, allemand d’Autriche Sensal) et fut transmis par le vénitien sansèr (cf. Kramer 1989, 145–147). Le romanche, variété du rhétoroman parlée en Suisse, connaît, d’après le témoignage de Bezzola/Tönjachen (1944), le verbe vertir (à côté de tradüer et translatar). On voit donc que le néologisme humaniste traducere a eu incontestablement beaucoup de succès mais que la reductio ad unum dont parle Folena ne s’est pas réalisée radicalement, vu que dans les langues romanes se sont conservés un certain nombre de synonymes.  































4 Nouveaux horizons Après la deuxième guerre mondiale, le domaine de la traduction a connu deux évolutions cruciales. La conviction de pouvoir remplacer dans l’avenir le traducteur humain par des dispositifs techniques a fait naître la traductique (terme correspondant à l’anglais translation technology) et a engendré la polysémie de traductrice, mot qui désigne désormais aussi, avec ou sans spécification, la machine à traduire (rarement au masculin) (cf. Trésor, s.v.). La traduction automatique (expression reprise dans les langues romanes : par ex. esp. traducción automática, roum. traducere automată, etc.) s’étant révélée, à quelques exceptions près, une illusion, les experts se concentrent aujourd’hui plutôt sur les méthodes pour optimiser la traduction assistée par ordinateur (formes analogues dans les langues romanes ; par ex. esp. traducción asistida por computadora ; roum. traducere asistată de calculator ; cf. Delisle/Lee-Jahnke/Cormier 2005, s.vv. ; it. traduzione assistita da computer, cf. Delisle/Lee-Jahnke/Cormier 2002, s.v.).  









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La deuxième innovation est de portée plus générale encore. L’étude de la traduction, en tant qu’analyse non seulement de procédés linguistiques mais aussi de processus cognitifs, s’est établie comme discipline universitaire à part entière, à laquelle on a donné, en français, le nom de traductologie. Le néologisme doit son existence à deux chercheurs qui l’ont introduit, indépendamment l’un de l’autre, en 1972 : le Canadien Brian Harris et le Français Jean-René Ladmiral (cf. Harris 2011, 16s.). D’autres tentatives pour désigner la nouvelle branche de la recherche – telles que traductiologie ou translatique – n’ont pas eu de succès (Harris 2011, 16), et aucune des langues romanes n’a fini par prendre comme modèle le terme anglais translatology ; elles se sont toutes ralliées à la forme française. Le besoin de disposer d’un mot pour cette spécialité ne s’est pas seulement imposé dans les langues qui assurent la communication scientifique à un niveau international (it. traduttologia, esp. traductología), mais également dans les milieux de locuteurs de langues minoritaires (cf. par ex. frioulan tradutologjie). Le terme se prête facilement à la dérivation (fr. traductologique, it. traduttologico, etc.) de même qu’à la confixation (traductosophie, traductothérapie, mots créés par Jean-René Ladmiral).  





5 Conclusion et perspective En guise de résumé, on peut observer que le profil sémantique de traduire / traduction et de ses correspondants dans les autres langues romanes s’est notablement rétréci au cours des siècles, excluant d’une part les gloses ou les versions interlinéaires, d’autre part les adaptations et les imitations etc. (cf. Albrecht 1973, 50 ; Schreiber 1993 ; 1999). Mais en même temps, force est de constater, surtout dans le contexte du cultural turn, que le sens du terme s’est métaphorisé et appliqué à des situations interculturelles où il n’est même pas question de textes (au sens traditionnel de ce mot qui, lui, est également devenu victime d’une métaphorisation).  



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2 Réflexions sur la traduction dans les pays latins de Leonardo Bruni (1420) à José Ortega y Gasset (1937) Un aperçu de la préhistoire de la traductologie romane Abstract : Bien avant la naissance d’une traductologie proprement dite, quelques philosophes, philologues et écrivains se sont penchés sur les problèmes théoriques de la traduction. Il va sans dire que les réflexions de ces traductologues avant la lettre n’ont pas été sans influence sur la traductologie moderne. Le chapitre qu’on va lire présentera, dans l’ordre chronologique, quelques auteurs qui ont particulièrement marqué les idées sur la traduction dans les pays latins : Leonardo Bruni, Juan Luis Vives, Étienne Dolet, Joachim Du Bellay, Nicolas Perrot d’Ablancourt, Pierre-Daniel Huet, Mme de Staël, Giacomo Leopardi, Benedetto Croce et José Ortega y Gasset.    



Keywords : Histoire de la traduction, terminologie de la traduction dans les pays latins, les « belles infidèles » et ses adversaires    





0 Remarques préliminaires Si le présent « manuel » de traductologie vise fondamentalement à rendre compte de l’état actuel de l’art dans les pays de langues romanes, il ne saurait cependant se dispenser totalement d’un coup d’œil rétrospectif, ne serait-ce qu’en raison des traces laissées par une tradition séculaire de réflexion traductologique jusque dans les travaux les plus récents. Il ne s’agit certes pas de retracer ici en détail l’histoire des théories de la traduction dans la Romania, mais plus simplement de présenter quelques « échantillons » de traités qui ont particulièrement influencé les théories et pratiques de la traduction postérieures. On ne tentera pas davantage de délimiter rigoureusement le monde « latin » et le monde « roman », les auteurs antiques restant constamment présents et de nombreux traités de traductologie ayant été rédigés en latin jusqu’au début de l’époque moderne.  















1 Moyen Âge, Renaissance et Humanisme Chez les auteurs du Moyen Âge, les réflexions traductologiques se trouvent presque exclusivement dans les avant-propos de traductions authentiques ou d’ouvrages se présentant comme tels. On y trouve évoqués à la manière des lieux communs toujours

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les mêmes points : le but et la finalité de la traduction ainsi que le public visé (ce qu’en termes modernes on appellerait le skopos de la traduction) ; la peine que s’est donnée le traducteur (ou la traductrice, car il y en eut quelques-unes dès le Moyen Âge) et l’assurance d’avoir fidèlement (scrupuleusement) rendu le contenu : « M’en irai outre par la letre / Sans riens oster et sans riens metre » est-il ainsi indiqué dans le prologue d’une chronique de la Vie de Philippe Auguste. Il convient toutefois de préciser que cette promesse de n’avoir rien retranché ni rien ajouté, qui réapparaît sans cesse comme un stéréotype, a d’abord une fonction littéraire, en ce qu’elle sert à garantir l’authenticité du texte, qui était dans les conceptions littéraires du Moyen Âge d’une importance capitale. Chez Dante aussi les réflexions traductologiques apparaissent dans un contexte littéraire. Dans le Convivio (Le Banquet), son traité de littérature resté inachevé, Dante, envisageant la question des rapports entre le latin et la langue vulgaire (volgare), postule et proclame (que chacun sache) pour l’œuvre littéraire l’unité indissociable de la forme et du contenu, dont le corollaire le plus important est l’intraduisibilité :  













« E però sappia ciascuno che nulla cosa per legame musaico armonizzata [aucune chose harmonisée par le lien des Muses] si può de la sua loquela in altra transmutare sanza rompere tutta la sua dolcezza e armonia » (Convivio I, 7).  



1.1 Leonardo Bruni (Aretino), De interpretatione recta (1420) Dans ce traité, lui aussi resté inachevé, du célèbre humaniste toscan la traduction n’est plus envisagée en rapport avec d’autres questions mais pour elle-même. La définition de la traduction donnée au début n’est guère originale et rappelle quelque peu la fameuse réponse du Bachelierus à une question de l’examinateur dans le troisième intermède du Malade imaginaire :  

« Dico igitur omnem interpretationis vim in eo consistere, ut, quod in altera lingua scriptum sit, in altera recte traducatur » (Bruni 1928, 11420, 83). ‘J’affirme donc que l’essence de toute traduction consiste en ceci, que tout ce qui est écrit dans une langue soit traduit correctement dans une autre’.  



Immédiatement après on trouve une idée un peu plus originale, selon laquelle il ne suffit pas de parfaitement connaître la langue source et la langue cible, mais qu’il est également indispensable de savoir parfaitement s’exprimer dans cette dernière. Il y a de parfaits connaisseurs de la peinture, est-il noté, qui sont incapables de peindre. Le plus remarquable dans le traité de Bruni est cependant sa terminologie. Dès la définition qui ouvre le traité apparaît le verbe traducere, qui n’est attesté en latin classique que dans le sens concret de ‘faire passer [une embarcation…] d’une rive à l’autre’ (plus de précisions sous ↗1 Traduire, traduction, traducteur, traductologie, interprétation, interprète etc. Un aperçu historique de la terminologie en usage dans  

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les langues romanes), et non dans celui de ‘traduire’. Certains auteurs ont défendu l’idée que Bruni aurait délibérément recouru à ce néologisme sémantique pour mettre en valeur une conception nouvelle de la traduction. On peut leur opposer ne serait-ce déjà que le titre de son écrit, où il emploie le terme habituel d’interpretatio. Le latin classique connaissait de nombreuses expressions pour ‘traduire’. On en trouve toute une série dans le traité de Bruni, par ex. interpretari, reddere (‘rendre’) ou convertere, sans oublier transferre, verbe, dont le participe translatum a fourni la base de la terminologie romane au Moyen Âge, laquelle subsiste aujourd’hui encore en anglais : translater, translation, translateur ; traslatare, traslazione, traslatore etc. Bruni emploie les mots latins sans opérer de distinguo ; comme auteur formé à la rhétorique, il sacrifie au principe du variatio delectat. La généralisation de la nouvelle terminologie à pratiquement l’Europe entière n’intervient que plus tard. (cf. infra 1.3).  

1.2 Juan Luis Vives, Versiones seu interpretationes (1532) L’humaniste valencien, qui a longtemps vécu dans les Flandres et y est mort, a ajouté à la fin de son ouvrage de rhétorique De ratione dicendi un bref chapitre consacré à la théorie de la traduction. Il n’y avait là rien d’inhabituel, car la traduction avait parfaitement sa place dans le système de la rhétorique. Lui aussi utilise déjà le terme de traductio. C’est de la tradition rhétorique que vient le lien qu’il établit entre stratégie de traduction et typologie des textes, lien qui joue aussi un grand rôle dans la traductologie contemporaine :  

« Versio est a lingua in linguam verborum traductio sensu servato ; harum in quibusdam solus spectatur sensus, in aliis sola phrasis, et dictio […] Tertium genus est, ubi et res et verba ponderantur, scilicet, ubi vires et gratiam sensis adferunt verba, eaque vel singula, vel coniuncta, vel ipsa universa oratione … » (Vives 1993, 11532, 232s.). ‘La traduction est la conversion des formulations d’une langue vers une autre avec conservation du sens. Pour certaines d’entre elles, seul le sens est pris en compte, pour d’autres, c’est la seule formulation […] Il existe un troisième type de traduction, où l’on considère aussi bien les idées que les paroles, c’est-à-dire où les mots et les idées confèrent force et grâce soit à une expression singulière, soit à la phrase, soit à l’œuvre toute entière’.  





Aux différents types de texte correspondent différentes stratégies de traduction. Ainsi, dans le cas de textes où seul le sens (contenu) importe, il est jugé licite de laisser à l’occasion tomber un mot ou d’en ajouter un lorsque cela permet une meilleure compréhension du texte. De même n’est-il pas recommandé de reprendre telles quelles les tropes et les figures, notamment lorsqu’il s’agit d’expressions idiomatiques propres à une langue : « nec sunt figurae et schemata linguae unius in alteram exprimenda, multo minus quae sunt ex idiomate » (ibid.). Ce qui ne vaut évidemment pas pour les textes où c’est la forme langagière qui importe avant tout. Les noms propres, est-il précisé, ne doivent pas être traduits : ainsi ne faut-il pas rendre Platon  







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par « le large » (πλατύϛ) ni Aristote par « le meilleur but » (ἂριστος+ τέλος). Puis est exprimée une idée qui réapparaît toujours, à l’occasion, dans l’histoire de la traductologie (cf. infra 2.2) et selon laquelle il est préférable, pour les passages « obscurs », de s’en tenir à un mot à mot strict plutôt que de chercher à les « élucider » :  



















« sunt versiones quaedam sensorum, in quibus exactissime sunt consideranda etiam verba, ut ea interim, fieri si possit, ad numeres, velut in locis difficillimis, et ad intelligendum perobscuris … » (ibid., 234)  



Le traducteur est par ailleurs réputé avoir besoin non seulement de connaissances linguistiques mais aussi et surtout de connaissances dans la matière traitée, les erreurs de traduction relevant pour partie de la langue et pour partie des choses : « fiunt vero falsae interpretationes vel linguarum ignorantia, vel materiae, qua de agitur … » (ibid., cf. également Coseriu 1971).  





1.3 Étienne Dolet, De la manière de bien traduire d’une langue en aultre (1540) Né à Orléans, l’humaniste français, sur les origines duquel on ne sait rien de certain (ce qui a nourri bien des légendes sur son ascendance), a eu lors de ses études à Padoue des contacts avec des cercles résolument « libres penseurs ». Cette expérience allait lui être fatale, puisqu’il fut étranglé et brûlé avec ses écrits en place publique à Paris le jour de son trente-septième anniversaire pour hérésie et profession d’athéisme. Beaucoup d’historiens de la traduction pensent que c’est la « mauvaise » traduction (car niant l’immortalité de l’âme) d’un passage célèbre du pseudo-dialogue platonicien Axiochos qui fut la cause de sa condamnation. Même si les raisons de son exécution ont sans doute été plus générales (ses convictions l’avaient déjà conduit en prison auparavant), celle invoquée par les historiographes sied bien à un théoricien de la traduction. Le traité de Dolet se compose de cinq règles qui tiennent sur trois pages de texte imprimé. Comme chez Vives, il était à l’origine conçu comme une partie d’un ouvrage plus largement consacré à la rhétorique. Dolet y expose les idées des humanistes défenseurs des langues vernaculaires de façon plus systématique et plus objective que Luther dans sa Lettre ouverte sur l’art de traduire (Sendbrief vom Dolmetschen), écrite à la même époque. Le traducteur doit selon lui : 1. parfaitement comprendre « le sens et la matière de l’autheur qu’il traduict » ; 2. maîtriser parfaitement les deux langues de travail ; 3. refuser la méthode du mot-à-mot et veiller à ne pas laisser transparaître dans le texte cible les particularités de la langue source ; 4. éviter les néologismes et les emprunts pour s’en tenir au contraire à « l’usaige commun » de la langue cible tout en s’efforçant 5. de conserver les « nombres oratoires » du texte source. Il est possible que Dolet ait eu connaissance, durant son séjour à Padoue, de l’écrit de Bruni évoqué plus haut. Il fait un usage cohérent des termes nouveaux,  





























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traduire, traduction et traducteur, et passe en France non seulement pour le père de la traductologie française, mais aussi pour le créateur de la terminologie moderne – un peu à tort, celle-ci étant un peu plus ancienne, puisqu’on la trouve entre autres également chez Clément Marot et Robert Estienne (cf. Briamonte 1982 ; Horguelin 1981, 56s. ; Ballard 1995, 105–118 ; Vermeer 2000, 242–245).

1.4 Joachim Du Bellay, Deffence et illustration de la langue francoyse (1549) De Quintilien jusqu’au XVIIIe siècle inclus, la traduction a toujours joué un rôle important aux yeux des rhétoriciens et des adeptes du beau langage. La version, ou traduction dans sa propre langue, passait pour l’un des moyens les plus importants d’éducation à l’expression et d’enrichissement de sa propre langue. Dans le plus célèbre des traités de langue, la Défense et illustration de la langue française, dont des pans entiers ne sont qu’une traduction littérale (inavouée) du Dialogo delle lingue de Sperone Speroni (1535), dans lequel lingua toscana a été systématiquement remplacé par langue francoise, Du Bellay revient sur cette idée reçue pour la contester. Dans le chap. V, Que les Traductions ne sont suffisantes pour donner perfection à la Langue Francoyse, il assure que celui qui veut enrichir sa propre langue et sa propre culture en recourant à l’Antiquité doit commencer par acquérir la culture antique et se donner la maîtrise des deux langues classiques, la traduction n’y suffisant point à elle seule :  

« Ie ne croyray iamais qu’on puisse bien apprendre tout cela des Traducteurs, pource qu’il est impossible de le rendre auecques la mesme grace, dont l’Autheur en a usé : d’autant que chaque Langue a ie ne scay quoi propre seulement à elle, dont si vous efforcez exprimer le Naïf en une autre Langue, observant la loy de traduyre, qui est n’espacier point hors les Limites de l’Aucteur, votre Diction sera contrainte, froide, et de mauvaise grace » (Du Bellay 1892, 11549, chap. V, 64s.).  





La libre adaptation de textes classiques peut, pour Du Bellay, avoir plus d’effets que la traduction au sens strict, la citation reproduite ci-dessus montrant toutefois qu’il en a une conception extrêmement étroite. Celle-ci ne vaut cependant pas pour les textes à caractère technique ou scientifique, pour lesquels le travail des fidèles traducteurs (une réminiscence du fidus interpres d’Horace ; cf. infra 2.2) reste tout à fait utile :  



« Quand aux autres parties de Littérature, et rond de Sciences, que les Grecz ont nommé Encyclopedie. I’en ay touché au commencement une partie, de ce, que m’en semble : c’est que l’industrie des fidèles Traducteurs est en cest endroict fort utile, et necessaire … » (ibid., chap. X, 85s.).  





Tout aussi remarquable est le fait que Du Bellay prend position contre la « traduction par des voies détournées ou à l’aide d’un intermédiaire » (Ballard 1995, 121) :  





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« Mais que diray-ie d’aucuns, vrayment mieux dignes d’estre appelés Traditeurs [traitres], que Traducteurs ? […] qui, pour acqerir le nom de scavans, traduysent à credit les Langues, dont iamais ilz n’on entendu les premiers elementz, comme l’Hébraïque, et la Grecqe … » (ibid., chap. VI, 67).  





Sans doute ces remarques sont-elles dirigées contre Clément Marot, qui avait réalisé sans savoir l’hébreu une traduction des Psaumes qui eut un certain succès. Sa connaissance du latin n’étant elle-même pas fameuse, on suppose qu’il a travaillé sur une version française qu’il a mise en vers. La citation montre au passage que l’adage italien traduttore traditore doit être bien plus ancien que certains ne le pensent (cf. Norton 1974 ; Ballard 1995, 119–122).

2 Les belles infidèles et leurs détracteurs Par « belles infidèles » on entend une série de traductions très orientées vers le texte cible et qui, pour cette raison, subordonnaient l’idéal de « fidélité » à une formulation en langue cible aussi élégante que possible et répondant aux attentes du public des lecteurs. L’expression remonte à une boutade du grammairien Gilles Ménage, qui avait déclaré que telle traduction de son ami Perrot d’Ablancourt lui rappelait une femme qu’il avait aimée « et qui était belle mais infidèle ». La conception traductologique des belles infidèles a son origine en France, mais elle a rapidement essaimé dans toute l’Europe. On peut considérer que son précurseur est Jacques Amyot (1513–1593), dont la traduction des biographies comparées de Plutarque, Vies parallèles, a fourni le modèle. Les représentants de ce courant n’ont, contrairement à leurs détracteurs, pas laissé de traités théoriques de traduction. Ils exposaient leurs convictions en la matière dans les préfaces et les postfaces de leurs traductions. Après une première heure de gloire au XVIIe siècle, ce courant traductologique connut une éclipse de plusieurs décennies avant de revenir sur le devant de la scène au XVIIIe siècle (cf. Zuber 1995, 11968 ; Ballard 1995, chap. IV ; Balliu 2002, chap. IV).  











2.1 Nicolas Perrot d’Ablancourt (1606–1664), Préfaces et notes (1637–1654) Perrot d’Ablancourt, membre de la petite noblesse de Champagne, passe pour être le chef de file de ce courant de traduction que l’on désigne universellement par l’expression métonymique les belles infidèles. Contrairement à certains de ses disciples, il avait une solide formation historique et philologique. Il aurait eu la compétence, si telle avait été son intention, de produire des « laides fidèles », comme cela avait été très largement le cas dans la génération précédente. Sa familiarité avec la tradition philologique rigoureuse se manifeste à travers les notes de marges et de bas de pages,  



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dans lesquelles il fait état des « libertés » qu’il prend avec l’original et les commente. Dans la préface de sa traduction des Annales de Tacite, il exprime une idée dont on trouvera de multiples variantes dans des écrits postérieurs, à savoir que c’est justement grâce aux écarts dans le détail que l’on peut le mieux rester « fidèle » à l’ensemble :  









« … il faut à tous coups changer d’air et de visage, si l’on ne veut faire un corps monstrueux […] Il faut donc prendre garde qu’on ne fasse perdre la grâce à son Auteur par trop de scrupule, et que de peur de luy manquer de foy en quelque chose, on ne luy soit infidèle en tout » (cit. d’après Balliu 2002, 94).  



À la suite de quoi il fait une distinction qui paraît très moderne : la distinction entre une traduction « lisible » destinée à un public large et la traduction « scolaire » à finalité didactique. Constamment il faut, selon lui, garder à l’esprit que  









« … on fait un travail qui doit tenir lieu de l’original, et qu’on ne travaille pas pour faire entendre aux jeunes gens Le Grec ou le Latin » (ibid., 96).  



C’est dans une lettre à Valentin Conrart, le premier secrétaire de l’Académie française, que Perrot d’Ablancourt expose de la façon la plus détaillée sa méthode de traduction. Cette lettre a été publiée en préface de sa traduction des œuvres de Lucien (Lucien de Samosata). Il y justifie les altérations parfois importantes qu’il fait subir au texte source :  

« Comme la plupart des choses qui sont ici ne sont que des gentillesses et des railleries, qui sont diverses dans toutes les langues, on n’en pouvait faire de traduction régulière […] L’auteur allègue à tous propos des vers d’Homère qui seraient maintenant des pédanteries, sans parler de vieilles fables trop rebattues, de proverbes, d’exemples et de comparaisons surannées qui feraient à présent un effet tout contraire à son dessein […] Je ne m’attache donc pas toujours aux paroles ni aux pensées de cet auteur ; et, demeurant dans son but, j’agence les choses à notre air et à notre façon. Les divers temps veulent non-seulement des paroles, mais des pensées différentes ; et les ambassadeurs ont coutume de s’habiller à la mode du pays où on les envoie, de peur d’être ridicules à ceux à qui ils tâchent de plaire » (cité d’après Horguelin 1981, 94).  







Une lecture rapide suffit pour se rendre compte que ce que fait Perrot d’Ablancourt n’est pas si inhabituel. Simplement, la traduction « philologiquement correcte » s’étant imposée au moins dans les étages supérieurs des institutions culturelles, nous n’appellerions plus cette façon de faire traduction mais adaptation. Perrot lui-même assure dans la suite du passage restitué ci-dessus que ce n’est pas là « proprement de la traduction », mais que dès l’Antiquité on a traduit ainsi. Le commentaire ironique d’un historien de la traduction montre a contrario à quel point la traduction « philologiquement exacte » s’est imposée vers la fin du XIXe siècle jusqu’en France, le pays d’origine des belles infidèles. Il y est écrit à propos des pratiques traductologiques des siècles passés :  













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« S’il [le traducteur] part ‹du› principe que son unique […] devoir est de rendre accessible à la masse ce qui n’était accessible qu’au petit nombre, il se condamne inévitablement à mettre le plaisir des lecteurs au dessus de tous les autres. On devra donc […] supprimer pour le lecteur la fatigue et l’effort. On coupera, aussi souvent que la chose paraîtra nécessaire, tout ce qui sera de nature, soit à choquer ses idées, soit à contrarier ses sentiments, soit à étonner ses habitudes sociales et sa manière de vivre. On évitera, en un mot, de le dépayser. En toute occasion on se souviendra qu’il habite Paris, non Rome ni Athènes ; qu’il est né fidèle sujet du roi très chrétien, non citoyen d’une République aristocratique et païenne … » (Bellanger 1892, 251).  





2.2 Pierre-Daniel Huet, De optimo genere interpretandi (1683, 11661) Pierre-Daniel Huet (1630–1721), que le critique littéraire Sainte-Beuve considérait comme « la plume la plus savante de l’Europe, l’homme de la plus vaste lecture qui fut jamais » (cf. DeLater 2002, 5), était précepteur du Dauphin et un temps évêque d’Avranches dans sa Normandie natale. Il n’est aujourd’hui connu d’un public plus large que celui des spécialistes que par son étude De l’origine des romans (1678), placée comme une sorte d’introduction en tête des Œuvres complètes de Mme de Lafayette. Seuls les historiens de la traduction connaissent son ouvrage De optimo genere interpretandi, écrit, selon une longue tradition, sous la forme d’un dialogue. Il s’y présente comme partisan de la traduction « savante » et détracteur résolu des belles infidèles :  









« … aliud est enim, ut acute distinguis, ornate scribere, aliud accurate interpretari » (I, 5s. ; cité d’après DeLater 2002, 138). ‘… c’est en effet, comme tu le distingues d’une façon perspicace, une chose que d’écrire d’une façon ornée, et une autre que de traduire avec soin…’.  



Huet discute trois textes antiques invoqués jusque dans un passé très récent par les défenseurs de la traduction « libre » pour justifier leur position (cf. Albrecht 2010, 487s.) : le De optimo genere oratorum de Cicéron (qui d’après des recherches récentes n’est d’ailleurs peut-être pas de lui), un extrait de l’Epistula ad Pisones d’Horace, plus connu sous le nom d’Ars poetica (postérieur à 20 av. J.-C.) et un passage de la Lettre à Pammachius (396 ap. J.-C.) de Saint Jérôme, dans laquelle ce dernier invoque les deux textes précédents pour justifier sa méthode de traduction, que ses adversaires ont jugé « trop libre ». Huet montre que Saint Jérôme avait besoin de répondants pour se justifier, ce qui l’a conduit à citer les vers d’Horace en les sortant de leur contexte :  













« Quum igitur de interpretandi ratione dissereret apud Pammachium, ad animum continuo succurrit Horatianus ille versus, qui a superioribus disjunctus in Hieronymi sententiam facile detorquetor » (cité d’après DeLater 2002, 162). ‘C’est pourquoi, quand il exposait une méthode de traduction à Pammachius, il lui vint tout de suite à l’esprit ce vers d’Horace, qui, isolé des vers précédents, se prêtait facilement à une interprétation dans le sens de Jérôme’.  



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Quelque temps avant Huet, déjà, Paul Pelisson, qui était plutôt un partisan des belles infidèles, avait pressenti que le sens des vers :  

« Nec verbum verbo curabis reddere fidus / interpres » (v. 133s.). ‘Et tu feras mieux de ne pas tout rendre mot pour mot, comme un fidèle traducteur’.  





certes syntaxiquement ambigus mais parfaitement univoques à la lumière du contexte, avait peut-être été faussé, fût-ce dans une louable intention, et qu’il fallait comprendre non pas « Tu ne rendras pas tout mot pour mot comme un fidèle traducteur », mais « Comme un fidèle traducteur, tu ne rendras pas tout mot pour mot ».  







« Cette erreur est venue peut-être de quelques excellents hommes de notre temps qui […] mirent ces vers au devant de leur traduction, non par erreur, à mon avis, mais à dessein, détournant un peu (comme il est quelquefois permis) ce passage de sa signification naturelle » (cité d’après Zuber 21995, 143).  



Huet est en revanche bien plus rigoureux. Il montre que dans le passage sans cesse cité de De optimo genere interpretandi, Cicéron n’a nullement érigé la traduction « libre » en principe, mais qu’il s’est simplement justifié d’avoir dans un cas particulier et à des fins particulières procédé non comme un traducteur (ut interpres) mais comme un orateur (ut orator) (cf. DeLater 2002, 156). Quant aux vers d’Horace, Huet pense qu’après Saint Jérôme ils ont été l’objet d’un total malentendu de la part de la plupart des auteurs. Si Horace recommande au jeune poète de traiter des sujets connus en toute liberté et non de façon servile « à la manière d’un traducteur », il s’ensuit que le traducteur était à ses yeux tenu à la « fidélité » :  













« Cujus loci [les vers d’Horace] ea mens est, in materiam ab aliis jam occupatam, & publici juris, non ita esse involandum, ut verbum pro verbo reddatur, quasi fidi interpretis officium exequatur poeta ; […]. Illud ergo, ex Horatii sententia, fidi interpretis munus est, verbum verbo diligenter referre » (cf. DeLater 2002, 156).  





Dans son étude « Un curioso error en la historia de la traducción », Valentín García Yebra montre entre autres que les philologues espagnols étaient arrivés à la même conclusion bien avant Huet. Autour de 1603, Gregorio Morillo commente ainsi le fameux passage d’Horace :  





« Algunos romancistas dicen que Horacio dio más anchura a este camino [de la traducción], y que el intérprete no está obligado palabra por palabra, tomando aquel verso del arte poética […] Y engáñanse, que antes Horacio estrecha más esta ley, y aquel verso trae dependencia desde arriba, Publica materies privati iuris, etc., donde dice que el que de un argumento de historia muy sabida y común, que otro haya escrito, quisiese escribir y hacer suyo el trabajo, que no lo traduzca palabra por palabra (como debiera hacer un fiel intérpete) … » (Gregorio Morillo, vers 1603, cité d’après García Yebra 1994, 63 ; cf. Albrecht 2010, 496).  





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Sous l’angle de la théorie de la traduction, il y a dans l’ouvrage de Huet un autre aspect au moins aussi important que sa discussion des auteurs antiques : il s’agit de ses conseils quant à la façon de traiter, en tant que traducteur, les passages « obscurs » ou plurivoques de l’original. Alors que la majorité de ses contemporains considère que le traducteur doit rendre ces passages clairs et univoques, Causabon, le porte-parole de Huet dans le dialogue, défend le point de vue exactement opposé :  







« C ASAUBON : Verbum ambigue dictum est, & et duplicem admittit explicationem, cur in alteram illud trahis, vacuam alteram relinquis ? Cur sententiae partem lectori largiris, hunc altera defraudas ; tuamque secutus opinionem, nullum conjecturae aut privati judicii locum huic relinquis ? Certe res in medio posita ut erat, ita debuit consistere, & verbum anceps ancipiti verbo reddi, ipsaque sententiae ambiguitas representari » (cité d’après DeLater 2002, 146). ‘[Supposons qu’] un mot soit utilisé de façon équivoque et puisse être compris de deux façons. Pourquoi l’orientes-tu dans une direction en ignorant l’autre comme vide (fausse) ? Pourquoi gratifies-tu le lecteur d’une partie de la proposition et le prives-tu de l’autre ? Et lui refuses-tu, après qu’il a suivi ton point de vue, l’occasion de formuler ses propres hypothèses et de se faire sa propre opinion ? Assurément, ce qui est laissé en suspens [par l’auteur] doit être laissé tel quel [par le traducteur] ; un mot équivoque doit être rendu par un mot équivoque et l’équivocité de la proposition doit être semblablement exprimée’.  



















Tout traducteur expérimenté sait qu’il est bien plus aisé de réduire les ambiguïtés du texte source que de les conserver.

3 Du romanticisme à l’historicisme : la naissance de la traduction « philologiquement exacte »  





Vers la fin du XVIIIe siècle apparaît un courant opposé aux belles infidèles. Il a son origine en Allemagne : « La théorie allemande de la traduction se construit consciemment contre les traductions ‹ à la française › », note Antoine Berman (1984, 62), peutêtre de façon quelque peu excessive.  





   

3.1 Germaine Necker, dite Mme de Staël, De l’esprit des traductions (1821, 11816) C’est Mme de Staël, la géniale vulgarisatrice des idées philosophiques et scientifiques de son temps principalement connue pour son ouvrage De l’Allemagne, qui a attiré l’attention de l’Europe sur le mouvement allemand de réaction à la méthode de traduction dominante consistant à acclimater le texte source au public cible et à l’« embellir » au besoin. Dans un écrit publié d’abord, pour des raisons de relations personnelles, en traduction italienne dans la Biblioteca Italiana et plus tard seulement dans sa version originale dans ses Œuvres complètes, elle évoque l’époque où le latin  



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était la langue littéraire de l’Europe, époque où les traductions n’avaient peu ou prou pas lieu d’être. Suivant une tradition qui remonte à Dante, elle affirme que la véritable poésie ne peut naître que dans la langue maternelle, qu’il s’ensuit donc que seul le recours à des traductions permet de faire la connaissance de la production littéraire authentique et vivante d’autres peuples. La traduction est à ses yeux un moyen incontournable pour accéder à des mondes étrangers et enrichir sa propre langue. Mais pour atteindre cet objectif, la méthode française de traduction lui semble totalement inadéquate :  

« Mais, pour tirer de ce travail [i.e. de la traduction] un véritable avantage, il ne faut pas, comme les Français, donner sa propre couleur à tout ce qu’on traduit ; quand même on devrait par là changer en or tout ce que l’on touche, il n’en résulterait pas moins que l’on ne pourrait pas s’en nourrir ; on n’y trouverait pas des aliments nouveaux pour sa pensée, et l’on reverrait toujours le même visage avec des parures à peine différentes » (cité d’après D’hulst 1990, 87).  







Au cours du siècle de nombreux traducteurs français ont, eux aussi, pris leur distance par rapport à cette pratique. À commencer par Chateaubriand, qui s’excuse dans la préface à sa traduction de Paradise Lost (1836) de Milton d’avoir commis une entorse à la syntaxe d’un verbe français pour rester plus près de l’image employée par l’auteur. La traduction de Shakespeare par François-Victor Hugo (1859–1872) est tout sauf une belle infidèle et la traduction de l’Iliade par Leconte de Lisle (1866) ne le cède en rien, pour ce qui est des « effets de distanciation », à la traduction allemande bien plus ancienne de Johann Hinrich Voss (cf. Albrecht 2012, 742–744 ; 766–770).  



3.2 Giacomo Leopardi, Lo « Zibaldone » (1817–1828, publié en 1898)  



Giacomo Leopardi (1798–1837), peut-être le plus grand poète italien du XIXe siècle, a durant de longues années consigné les pensées qui accompagnaient son travail d’écriture dans un carnet connu sous le nom de Zibaldone (‘salmigondis, fatras, bric à brac’). On y trouve dans les passages les plus divers des réflexions sur la traduction qui, même rassemblées, ne constituent en rien un traité cohérent de traductologie. Leopardi plaide pour une voie moyenne entre l’acclimatation systématique et la distanciation radicale :  

« La perfezione della traduzione consiste in questo, che l’autore tradotto, non sia, per esempio, greco in italiano, greco o francese in tedesco, ma tale in italiano o in tedesco, quale è in greco o in francese » (Zibaldone, 2154).1  



1 Les citations sont extraites de l’édition de Flora (= Leopardi 1953) ; les numéros de page renvoient à la pagination du manuscrit, indiquée dans toute bonne édition de l’œuvre, ce qui permet la consultation des citations dans d’autres éditions.  

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Cela paraît convaincant mais n’est pas si facile à illustrer d’exemples. À un autre endroit se trouve un développement sur la théorie des signes d’allure étonnement moderne, dans lequel Leopardi se révèle être un herméneuticien de la vieille école philologique (Zibaldone, 967s.). Certes, la traduction n’est pour lui (comme pour Schleiermacher et l’herméneutique « philosophique » postérieure) rien d’autre qu’un processus de compréhension et d’interprétation « dans des conditions plus difficiles », mais à l’instar de l’herméneutique classique issue de la rhétorique, Leopardi s’appuie sur les seules relations « objectives » entre signes et non sur la relation « subjective » entre les signes et l’interprétant. Le problème de la traduction est alors – bien plus que dans d’autres théories – renvoyé un peu « naïvement » au niveau de chacune des langues en jeu. Les Français se contentent de traduire comme le leur prescrit leur langue :  





















« Ora la facoltà di adattarsi alle forme straniere essendo tenuissima e minima nella lingua francese, pochissimo si può stendere la facoltà di sentire e gustare le lingue straniere, in coloro che adoperano la francese » (Zibaldone, 964).  



Ce qui explique qu’ils n’aient pas de « vraies » traductions mais seulement des restitutions en langue cible des contenus de langue source :  





« I francesi […] non hanno traduzione veruna, ma quasi relazioni del contenuto nelle opere straniere ; ovvero originali composte de’ pensieri altrui » (Zibaldone, 320).  





Leopardi était, comme beaucoup d’Italiens de son temps (il suffit de penser à Alfieri), relativement francophobe, mais il savait le français et connaissait la littérature française. Ses déclarations accablantes sur l’Allemagne, en revanche, ne se nourrissent d’aucune connaissance concrète, elles ne sont interprétables que comme réaction à la description positive qu’a faite Mme de Staël des travaux de traduction allemands. La « vraie » traduction se tient selon lui à égale distance de l’« acclimatation » à la française et de la « distanciation » à l’allemande :  













« … l’esatezza non importa la fedeltà ec. Ed un’altra lingua perde il suo carattere e muore nella vostra, quando la vostra nel riceverla, perde il carattere proprio … » (Zibaldone, 1949).  



La langue allemande était pour Leopardi comme une pâte informe susceptible d’épouser les formes des autres langues, caractéristique qui ne méritait aucune considération :  

« … le traduzioni di quel genere che i tedeschi vantano, meritano poca lode. Esse dimostrano, che la lingua tedesca, come una cera o una pasta informe e tenera, è disposta a ricevere tutte le figure e tutte le impronte che se le vogliono dare. Applicate le forme di una lingua straniera qualunque, e di un autore qualunque. La lingua tedesca le riceve, e la traduzione è fatta » (Zibaldone, 2856s.).  



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Le « juste milieu » ne pouvait être atteint – comment en douter ? – que par l’italien :  







« … il pregio della lingua italiana consiste in ciò che la sua indole, senza perdersi, si può adattare a ogni sorta di stili. Il qual pregio non ha il tedesco, che ha la stessa adattabilità e forse maggiore, non però conservando il suo proprio carattere » (Zibaldone, 1947).  



Si l’on fait abstraction du recours, typique de l’époque, aux stéréotypes nationaux dans l’argumentation de Leopardi, celle-ci peut être résumée par une « bonne vieille » maxime allemande souvent moquée par les « translatologues » d’aujourd’hui pour son robuste bon sens : « so treu wie möglich, so frei wie nötig » (fidèle autant que possible, libre autant que nécessaire).  













4 Benedetto Croce, Estetica (1902) ou La négation de la possibilité de la traduction dérivée de l’idéalisme L’ouvrage, dans lequel le philosophe italien Benedetto Croce ne s’exprime que de façon très concise sur la traduction et dont le titre complet est Estetica come scienza dell’espressione e linguistica generale, n’a suscité en dehors de ses disciples le plus souvent que des haussements d’épaule. Il faut s’être enfoncé loin dans sa « philosophie de l’esprit » pour parvenir à comprendre que le langage et l’art n’étaient pour lui qu’une manifestation unitaire de la forme de l’esprit immanent au monde dans sa phase théorique et que l’esthétique et la linguistique générale ne constituent de ce fait qu’une seule et même discipline (cf. De Mauro 1954). On ne peut ici que tenter de restituer dans son ensemble l’argumentation de Croce contre la possibilité de la traduction. Tout énoncé, toute expression artistique ou langagière est individuelle au sens le plus strict et ne peut par conséquent faire l’objet d’aucune classification générale ni d’aucune reproduction. (Exprimé dans les termes du linguaggio delle scuole, du langage de l’école, il s’agit d’une espèce (specie) qui ne peut fonctionner comme genre (genere), ajoute-t-il avec mépris, commettant ainsi une bévue au plan logique : si l’espèce constitue assurément le niveau inférieur de la hiérarchie des catégories logiques traditionnelles, elle n’a pas le statut d’individu mais celui de classe d’individus). Il s’ensuit l’impossibilité de toute traduction. La forme et le fond d’un énoncé constituent une unité indissociable, il est impossible d’en détacher un « contenu » et de laisser à une autre forme le soin de l’exprimer :  











« Un corollario di ciò [du fait que chaque expression est quelque chose d’individuel] è l’impossibilità delle traduzioni, in quanto abbiano la pretesa di effettuare il travasamento di un espressione in un’altra, come di un liquido da un vaso in un altro di diversa forma. Noi possiamo elaborare logicamente ciò che prima abbiamo elaborato solo in forma estetica : ma non possiamo, ciò che ha avuto già la sua forma estetica, ridurre ad altra forma, anche estetica » (Croce 1902, 71).  





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Cela étant, il existe des ressemblances entre divers énoncés, lesquelles ne se laissent pas saisir avec les moyens de la logique traditionnelle, mais (comme plus tard chez Wittgenstein) seulement par la perception intuitive d’un « air de famille » (aria di famiglia). Ce sont des ressemblances de ce type qui ouvre à la traduction une « possibilité relative » (possibilità relativa) :  









« E in questa somiglianza é la possibilità relativa delle traduzioni : non quanto riproduzione (che sarebbe vano tentare) della medesima espressione originale, ma in quanto produzione di un’espressione somigliante, più o meno prossima ad essa. La traduzione buona è approssimazione, che ha valore originale e può star da sé » (Croce 1902, 76).  





Il apparaît ici que le type de traduction que Croce répute impossible n’a encore jamais été tenu pour possible par quiconque a quelques notions de traduction. La traduzione buona au sens de Croce est exactement ce que l’on entend généralement par « traduction ».  



5 José Ortega y Gasset, Miseria y esplendor de la traducción (1937) Le relativisme culturel dans la théorie de la traduction L’essai célèbre du philosophe espagnol Ortega y Gasset rappelle par son style informel un ouvrage d’histoire de la traduction tout aussi célèbre paru peu de temps après : Sous l’invocation de Saint Jérôme (1946), du traducteur français Valéry Larbaud. Ortega coule sa théorie de la traduction dans une conversation mi-réelle mi-fictive qu’il prétend avoir eue avec quelques savants français du Collège de France. Derrière le ton léger, teinté d’ironie de la causerie se cachent des vues théoriques profondes sur la traduction et sur la langue. Traduire est pour Ortega la quintessence même de toute aspiration humaine, une tentative d’atteindre un but utopique, et ce, non pas bien que nous le sachions utopique mais justement parce que nous le savons tel. Cela commence par des choses superficielles. Tout auteur véritable viole, ou mieux transgresse les règles de sa langue. Le traducteur, de tempérament plus timide, n’ose que rarement le suivre sur ce terrain par peur de la critique :  



« Escribir bien consiste en hacer continuamente pequeñas erosiones a la gramática, al uso establecido, a la norma vigente de la lengua. […] Ahora bien ; el traductor suele ser un personaje apocado. Por timidez ha escogido tal ocupación, la mínima. Se encuentra ante el enorme aparato policíaco que son la gramática y el uso mostrenco. ¿ Qué hará con el texto rebelde ? » (Ortega y Gasset 1951, 434).  









Si les herméneuticiens concevaient à la suite de Schleiermacher la traduction comme une forme de l’interprétation dans des conditions plus difficiles (cf. supra), Ortega fait

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un pas de plus en arrière. Pour lui, la simple tentative d’exprimer ses pensées à l’aide d’une langue relève déjà de l’illusion ; à plus forte raison en est-il ainsi pour la tentative de traduire les pensées d’un autre :  



« Digamos, pues, que el hombre, cuando se pone a hablar lo hace porque cree que va a poder decir lo que piensa. Pues bien ; esto es ilusorio. El lenguaje no da para tanto. Dice, poco más o menos, una parte de lo que pensamos y pone una valla infranqueable a la transfusión del resto » (ibid., 441s.).  





Les langues ne disent pas tout ce que l’on pourrait dire, car seul le renoncement à tout dire permet de dire quelque chose. Il s’ensuit une difficulté fondamentale pour la traduction, la langue cible nous obligeant souvent à dire ce que le texte source tait :  

« … constantemente, al hablar o escribir renunciamos a decir muchas cosas porque la lengua no nos lo permite. […] Un ser que no fuera capaz de renunciar a decir muchas cosas, sería incapaz de hablar. Y cada lengua es una ecuación diferente entre manifestaciones y silencios. Cada pueblo calla unas cosas para poder decir otras. Porque todo sería indecible. De aquí la enorme dificultad de la traducción : en ella se trata de decir en un idioma precisamente lo que este idioma tiende a silenciar » (ibid., 443s.).  





Ortega a une bonne connaissance de la linguistique contemporaine et se révèle être un représentant « éclairé » – et non pas radical – d’une conception que l’on appellera plus tard le « relativisme linguistique ».  







« El indoeuropeo creyó que la más importante diferencia entre las « cosas » era el sexo, y dió a todo objeto, un poco indecentemente, una calificación sexual. […] No sólo hablamos en una lengua determinada, sino que pensamos deslizándonos intelectualmente por carriles preestablecidos a los cuales nos adscribe nuestro destino verbal » (ibid., 1951, 447).  







Tout cela mériterait des explications complémentaires qui ne peuvent être fournies dans le présent cadre. Le relativisme culturel plein d’esprit d’Ortega prête le plus le flanc à la critique lorsqu’il aborde le modeste niveau des considérations lexicologiques, quand il affirme par exemple que l’esp. bosque et l’all. Wald sont deux réalités totalement différentes bien que le dictionnaire les donne comme équivalents :  

« Formadas las lenguas en paisajes diferentes y en vista de experencias distintas, es natural su incongruencia. Es falso, por ejemplo, suponer que el español llama bosque a lo mismo que el alemán llama Wald, y sin embargo, el diccionario nos dice que significa bosque … » (ibid., 436).  



Eh bien non, ce n’est pas ce que dit un bon dictionnaire. Dans un dictionnaire espagnol-allemand de qualité, l’utilisateur trouvera sous bosque : Wald, Busch, Gehölz, Hain (en français il trouvera : bois, forêt) et comprendra immédiatement, s’il a appris à utiliser les dictionnaires, qu’il ne doit ni ne peut poser simplement que bosque égale Wald (ou bois).  



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6 Bilan Pour dresser un bilan, il convient de tenir compte de deux aspects : l’histoire de la théorie de la traduction en général et celle de la forme particulière qu’elle a prise dans la Romania.  

6.1 L’histoire de la théorie de la traduction en général D’abord une précision terminologique : l’expression « théorie de la traduction » signifie dans sa phase pré-scientifique avant tout « réflexion sur la pratique de la traduction ». Contrairement à ce que prétendent certains auteurs, on ne décèle sur ce point aucune évolution linéaire qui irait par exemple d’un « mot-à-mot primordial » à une idiomaticité parfaite qui n’attacherait aucune importance à la lettre du texte source. Le « mot-à-mot primordial » n’a pu exister, à la rigueur, que dans les temps ayant immédiatement suivi l’apparition de l’écriture sous l’effet d’un choc culturel dont parle encore Platon. Dans l’antiquité romaine, tout était déjà présent : l’interpretatio ou traduction au sens étroit, l’imitatio ou imitation libre, l’aemulatio ou adaptation « augmentative ». Laquelle des conceptions possibles de la traduction apparaît dans un pays donné et à un moment donné sur le devant de la scène, cela ne peut pas s’expliquer mais seulement se constater. Le phénomène relève de la contingence historique. Les théoriciens de la traduction qui croient que leurs principes résultent de déductions strictement rationnelles ne se rendent pas compte, souvent, qu’ils ne font rien d’autre qu’expliciter les représentations qu’ils ont « intériorisées » en vertu de leur appartenance à une culture donnée.  



























6.2 Les caractéristiques de la théorie et de la pratique de la traduction dans la Romania Pour des raisons purement linguistiques, les théoriciens de la traduction des pays de la Romania sont, au moins jusqu’au début de l’époque moderne, davantage sous l’emprise de l’héritage latin et des traditions dérivées de la rhétorique romaine que ceux d’autres espaces culturels. Cela vaut surtout pour la pratique réfléchie de la traduction au sens étroit (↗32 L’apport des traducteurs à la « relatinisation » des langues romanes). Alors que la traduction joue ailleurs et jusqu’au début de l’époque moderne un grand rôle comme auxiliaire dans le développement des langues nationales, c’est un autre aspect qui est mis au devant de la scène dans les pays de la Romania : la traduction comme éducation des capacités d’expression du traducteur. À partir du XVIIe siècle, la France exerce en quelque sorte le rôle de magister elegantiarum dans l’espace de la Romania. Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle qu’émergent en Italie et en Espagne des courants d’opposition. D’importantes et  







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anciennes contributions espagnoles ont longtemps été ignorées (cf. García Yebra 1994 ; Cartagena 2003). Malgré de nombreux contre-exemples (dont certains ont été mentionnés plus haut : Chateaubriand, François-Victor Hugo, Leconte de Lisle), la conception de la traduction « acclimatante » (ou « rapprochante », selon le mot de Meschonnic) est davantage valorisée en France (et dans une moindre mesure dans d’autres pays de langues romanes) que par exemple dans l’espace linguistique germanique.  









7 Références bibliographiques 7.1 Littérature primaire Dante Alighieri (vers 1305), Convivio, in : Dante Alighieri, Tutte le Opere, ed. Luigi Blasucci, Firenze, Sansoni, 1965, 111–199. Leonardo Bruni Aretino (vers 1420), De interpretatione recta, in : Hans Baron (ed.), Leonardo Bruni Aretino. Humanistisch-philosophische Schriften. Mit einer Chronologie seiner Werke und Briefe. Leipzig/Berlin, Teubner 1928, 81–96. Juan Luis Vives (1532), De ratione dicendi, cap. XII : Versiones seu Interpretationes, in : Juan Luis Vives, De ratione dicendi lateinisch/deutsch, Marburg, Hitzeroth 1993, 232–237. Sperone Speroni (1535), Dialogo delle lingue, München, Fink, 1975. Étienne Dolet (1540), La manière de bien traduire d’une langue en aultre, ed. Nino Briamonte, in : Annali della Facoltà di Lingue e Letterature Straniere di Ca’ Foscari 11:1–2 (1982), 22–25. Joachim Du Bellay (1892), Deffence et illustration de la langue francoyse (1549), ed. Émile Person, Paris, Cerf. Pierre-Daniel Huet, De optimo genere interpretandi 1683 ; 11661, in : DeLater (2002; cf. infra); texte latin, 137–172. Germaine Necker, dite Mme de Staël (1821, 11816), De l’esprit des traductions, in : Œuvres complètes publiées par son fils, tome XVII, Paris, 387–396. Giacomo Leopardi (1817–1828, publié en 1898), Lo « Zibaldone », in : Tutte le Opere, ed. F. Flora, vol. 3–4, Milano, Mondadori, 1953. Benedetto Croce (1902), Estetica come scienza dell’espressione e linguistica generale, Milano/Palermo/Napoli, Remo Sandron. José Ortega y Gasset (1937), Miseria y esplendor de la traducción, in : Obras Completas, tomo V (1933–1941), segunda edición, Madrid.  

























7.2 Littérature secondaire Albrecht, Jörn (2010), Cicéron, Horace, Saint-Jérôme, Pierre-Daniel Huet et la traduction « libre ». Histoire d’un malentendu millénaire, in : Maria Iliescu/Heidi Siller-Runggaldier/Paul Danler (edd.), Actes du XXVe CILPR Congrès International de Linguistique et de Philologie Romanes, vol. 1 : Section 3 : Traductologie romane et historique, Berlin/New York, De Gruyter, 487–498. Albrecht, Jörn (2012) (avec la collaboration d’Iris Plack), Métamorphoses du Panthéon littéraire, in : Yves Chevrel/Lieven D’hulst/Christine Lombez (edd.), Histoire des traductions en langue française, XIXe siècle, 1815–1914, Grasse, Verdier, 727–809.  















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Baehr, Rudolf (1981), Rolle und Bild der Übersetzung im Spiegel literarischer Texte des 12. und 13. Jahrhunderts in Frankreich, in : Wolfgang Pöckl (ed.), Europäische Mehrsprachigkeit. Festschrift zum 70. Geburtstag von Mario Wandruszka, Tübingen, Niemeyer, 328–348. Ballard, Michel (1995), De Cicéron à Benjamin. Traducteurs, traductions, réflexions, Lille, Presses Universitaires de Lille. Balliu, Christian (2002), Les traducteurs transparents. La traduction en France à l’époque classique, Bruxelles, Les Éditions du Hazard. Bellanger, Justin (1892), Histoire de la traduction en France. Auteurs grecs et latins, Paris, Thorin. Berman, Antoine (1984), L’épreuve de l’étranger. Culture et traduction dans l’Allemagne romantique, Paris, Gallimard. Briamonte, Nino (1982), « La manière de bien traduire d’une langue en aultre » d’Étienne Dolet, Annali della Facoltà di Lingue e Letterature Straniere di Ca’ Foscari 11:1–2, 15–27. Cartagena, Nelson (2003), Alonso de Madrigal (1400 ?–1455) y Étienne Dolet (1508–1546), teóricos de la traducción. La tragedia de la hoguera y la soledad de la meseta castellana, in : Mario Rodríguez/Pedro Lastra (edd.), Félix Martínez Bonati. Homenaje, Concepción, Editorial de l’Universidad de Concepción, 37–50. Coseriu, Eugenio (1971), Das Problem des Übersetzens bei Juan Luis Vives, in : Karl-Richard Bausch/ Hans-Martin Gauger (edd.), Interlinguistica. Sprachvergleich und Übersetzen. Festschrift zum 60. Geburtstag von Mario Wandruszka, Tübingen, Niemeyer, 571–582. DeLater, James Albert (2002), Translation theory in the age of Louis XIV. The 1683 « De optimo genere interpretandi » of Pierre-Daniel Huet (1630–1721), Manchester/Northhampton, MA, St. Jerome Publishing. De Mauro, Tullio (1954), Origine e sviluppo della linguistica crociana, Giornale critico della filosofia italiana 15, 376–391. D’hulst, Lieven (1990), Cent ans de théorie française de la traduction. De Batteux à Littré (1748–1847), Lille, Presses Universitaires de Lille. García Yebra, Valentín (1994), Un curioso error en la historia de la traducción, in : Valentín García Yebra, Traducción : Historia y Teoría, Madrid, Gredos, 48–64. Horguelin, Paul A. (1981), Anthologie de la manière de traduire. Domaine français, Montréal, linguatech. Larbaud, Valéry (1997, 11946), Sous l’invocation de Saint Jérôme, Paris, Gallimard. Norton, Glyn P. (1974), Translation theory in Renaissance France. Étienne Dolet and the rhetorical tradition, Renaissance and Reformation 10, 1–13. Vega, Miguel Ángel (1994), Textos clásicos de teoría de la traducción, Madrid, Cátedra. Vermeer, Hans J. (2000), Das Übersetzen in Renaissance und Humanismus. 15. und 16. Jahrhundert, vol. 1 : Westeuropa, Heidelberg, TEXTconTEXT. Zuber, Roger (1995, 11968), Les « belles infidèles » et la formation du goût classique, postface d’Emmanuel Bury, Paris, Michel.  





































Jörn Albrecht et René Métrich*

3 La traductologie dans les principaux pays de langue romane Vue d’ensemble** Abstract : La présente contribution propose une vue d’ensemble, relativement succincte, articulée en trois volets consacrés successivement 1) aux rapports entre traductologie et linguistique, 2) aux théories et modèles de la traduction susceptibles de prétendre à une certaine originalité et 3) aux types de traduction prédominant dans certains secteurs comme l’enseignement, la traduction spécialisée ou le marché du livre.    

Keywords : traductologie, linguistique, sciences du langage, théories et modèles de la traduction, types de traduction    

1 Les rapports entre traductologie et linguistique Le Manuel de Traductologie s’inscrit dans la série des Manuals of Romance Linguistics. Bien que ni les éditeurs du volume, ni la plus grande partie des contributeurs ne soient d’avis que la discipline dont il traite puisse être réduite à la langue et la linguistique, les rapports entre traductologie et linguistique dans le domaine de la recherche et de l’enseignement dans les différents pays de langue romane doivent constituer l’objet d’une étude critique propre. Personne ne saurait nier que la dimension linguistique de la discipline occupe une position centrale. Cela vaut particulièrement pour la linguistique textuelle (↗21 Linguistique textuelle et traduction : aspects généraux ; ↗22 Connexité, cohésion, cohérence : la « grammaire de texte » dans les langues romanes) et pour les différentes formes de la pragmatique linguistique (↗19 Présuppositions et actes de langage dans le domaine des langues romanes ; ↗20 Énonciation et traduction), domaines qui figurent dans ce volume sous la rubrique sciences du langage (c.-à-d. linguistique au sens large), mais qui pour certains traductologues ne font pas partie de la linguistique (cf. par ex. Bastin 2004, 157). Compte tenu, toutefois, de l’absence d’ouvrages de référence ou même d’études réellement représentatives, l’histoire des relations entre la linguistique et la traductologie de l’après-guerre à nos jours ne pourra être esquissée que de façon plus ou  



















* René Métrich est membre de l’ATILF / CNRS & Université de Lorraine (UMR 7118). ** Avec la collaboration de Frank Harslem, Karl Gerhard Hempel, Rebecca Netzel et Tinka Reichmann.

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moins « impressionniste » et relativement peu argumentée. On peut d’ailleurs se demander si les deux disciplines ont vraiment entretenu des relations, au sens d’un véritable dialogue, fût-il vif, houleux ou infructueux et marqué du sceau de la rivalité. Le cas de la France, où l’opposition entre linguistes et traductologues fut particulièrement vive, sera examiné d’abord et plus longuement, tandis que les autres pays devront se contenter de quelques remarques complémentaires. Pour ce qui est de la France, donc, ce qui frappe d’emblée, c’est l’affirmation forte et maintes fois répétée, tant par les praticiens de la traduction que plus tard par les traductologues, que la traduction relevait de la littérature (Cary 1985), de la communication (Ladmiral 1979) ou de la culture (Meschonnic 1999), mais ne concernait en rien la linguistique. Du côté des linguistes, en retour, l’attitude dominante était de considérer que la problématique de la traduction s’inscrit toute entière dans le cadre de la linguistique appliquée (cf. Ton That Thien 1988). Les relations entre les deux disciplines étaient donc marquées par une ignorance réciproque, au double sens de « ne pas connaître » et « ne pas vouloir prendre en considération » les spécificités l’une de l’autre. Même Georges Mounin, qui fut pourtant à la fois fin traducteur et linguiste d’envergure, ne sut pas instaurer un véritable dialogue entre les deux parties de luimême : le traducteur réfléchissant sur son art (cf. Les belles infidèles) et le linguiste soucieux de faire entrer la traduction dans le champ scientifique de la linguistique (cf. Les problèmes théoriques de la traduction). Pergnier (2004, 18s.) note que les deux approches qu’il adopte dans ses deux œuvres majeures ne se rejoignent nulle part et que jamais il ne tenta d’en réaliser la synthèse.1 Pour comprendre l’hostilité générale des traductologues à l’égard de la linguistique, il faut d’abord la resituer dans son contexte historique. Si la réflexion sur la traduction est – de Cicéron à Benjamin en passant par Saint-Jérôme, Luther, Schleiermacher et bien d’autres – aussi ancienne et constante que sa pratique, ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que, le développement exponentiel de la traduction tant littéraire que technique et la professionnalisation des praticiens aidant, la nécessité se fit sentir de constituer cette réflexion en une discipline à part entière. Or c’était aussi l’époque de la linguistique triomphante qui, vue de l’extérieur, paraissait vouloir étendre son hégémonie à tout ce qui touchait de près ou de loin à la langue : la didactique des langues se pratiquait alors sous l’appellation linguistique appliquée, tandis que ce qui ne s’appelait pas encore traductologie était volontiers confondu avec la linguistique contrastive. Il est remarquable, à cet égard que les premières tentatives de théorisation de l’opération de traduction furent l’œuvre de linguistes, au premier rang desquels on trouve, outre Georges Mounin (1963), cité plus haut, Eugène A. Nida (1964) et John C. Catford (1965).  



















1 Bien qu’il fût sans doute conscient du fossé qui les séparait, comme le suggère la note de la page 272 des Problèmes théoriques.

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Comme on ne se pose qu’en s’opposant, il était inévitable que la traductologie, pour se constituer en discipline autonome, fût amenée à contester la linguistique, et ce, dès les années soixante-dix. Mais il faut aussi se rendre compte avec Pergnier (2004) qu’au-delà du légitime désir d’émancipation et des inévitables rivalités de statut ou querelles de territoire, les malentendus entre les deux disciplines étaient inscrits dans leur nature même, la linguistique se situant, dans la célèbre dichotomie saussurienne, plutôt du côté de la langue, du code, du système, alors que la traductologie ne pouvait, de par son objet même, que se situer du côté de la parole, du message, de la mise en œuvre du système. La première cherchait à établir des lois générales, la seconde à dégager les paramètres conditionnant l’acte, toujours singulier, de traduction. Sans doute cette opposition est-elle, à bien y regarder, trop radicale, et les trois linguistes cités ont-ils accordé aux facteurs pragmatiques et culturels une place bien plus grande dans leur réflexion que leurs détracteurs n’ont bien voulu l’admettre,2 il reste que les différences entre les deux disciplines existent bel et bien, qu’elles sont patentes et qu’elles incitent a priori plus à les opposer qu’à les rapprocher. La prise en compte par la linguistique du versant parole de la dichotomie et sa diversification en linguistique énonciative, pragmatique et textuelle n’y changea rien : le rejet de la linguistique par les traductologues était consommé et semblait d’autant moins devoir être remis en question que la diversification était nettement moins perceptible dans le domaine de la linguistique contrastive. Mais si la traductologie s’est constituée en ignorant, voire en combattant délibérément et ostensiblement la linguistique, même étendue aux textes et aux faits de communication, la linguistique, de son côté, toute occupée à se redéfinir et à explorer les nouveaux champs, s’est ellemême assez largement détournée de la traductologie, du moins à un niveau théorique ou général,3 quand elle ne s’est pas cantonnée à des problématiques strictement contrastives (au sens de la comparaison des langues-systèmes).  

2 Tout un chapitre de l’ouvrage de Mounin (1963) est consacré à la dimension culturelle de la traduction. On y lit aux pages 233s. que « la linguistique américaine a raison sur un point, le point de départ : le contenu de la sémantique d’une langue, c’est l’ethnographie de la communauté qui parle cette langue. Et ce nouveau truisme […] est, lui aussi, productif dans une théorie de la traduction, parce qu’il ouvre une voie d’accès, très mal explorée jusqu’ici, vers les significations ». Cf. aussi l’hommage rendu à Mounin par Cordonnier (2002, 39) pour sa prise en compte des aspects culturels de la traduction. 3 Larose (1992 [11989], 34) note que Mounin lui-même n’accorde aucune place à la traduction dans ses Clefs pour la linguistique (1968) ou ses Clefs pour la sémantique (1972) et que « la traduction, considérée comme fait linguistique sui generis, est toujours absente des grands manuels de linguistique générale ». Si le diagnostic reste grosso modo valable, il convient de relever la position radicalement différente de Rastier (2011, 29) déclarant : « Le problème de la traduction nous paraît à présent trop précieux et trop central pour la linguistique pour que la traductologie devienne désormais une discipline indépendante : une telle évolution serait sans doute dommageable, tant pour les études sur la traduction que pour le reste de la linguistique générale et comparée ».  

















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Cela étant, il serait excessif de prétendre que la linguistique s’est complètement retirée du champ de la traduction dans les cinquante dernières années. Si elle n’a pas fait de la traduction l’un de ses centres d’intérêt majeurs, si notamment elle n’a guère cherché à approfondir les réflexions développées par Mounin (1963) dans Les problèmes théoriques de la traduction, ni même à les reprendre éventuellement sur de nouvelles bases après le compte rendu féroce qu’en a fait Ruwet4 (1964), il y a toujours eu, notamment depuis les années 90, des linguistes pour s’intéresser de près à la traduction, que ce soit de façon ponctuelle et concrète ou plus générale et à un niveau plus théorique. Sans viser l’exhaustivité, on peut citer ici les ouvrages, recueils ou études de traductologie de Chevalier/Delport (1995), Ballard/El Kaladi (2003), Guillemin-Flescher (2003), Peeters (2005), sans oublier le numéro 40, fasc. 1 de la revue La Linguistique (2004), ni les publications plus récentes de Milliaressi (2009 et 2011), dans lesquelles une large place est accordée à l’approche linguistique, laquelle montre à son tour qu’elle échappe désormais largement au reproche qui lui était fait d’une vision strictement langagière de la problématique de la traduction. À cela s’ajoutent les ouvrages à visée didactique qui accordent une certaine place à des considérations qu’on peut appeler « linguistiques » dans la mesure où elles visent à sensibiliser l’étudiant aux difficultés de traduction liées aux différences entre les langues-systèmes en présence. On peut les répartir en deux catégories : les manuels de préparation au thème et/ou à la version universitaires et les ouvrages plus généraux et plus ambitieux d’initiation aux problèmes ou à la problématique de la traduction. Les premiers, de loin les plus nombreux, présentent une grande diversité de facture : certains se contentent de brefs commentaires sur des points de langue réputés poser problème ; d’autres traitent de façon plus systématique les difficultés liées aux structures linguistiques, morphologiques, syntaxiques ou lexicales, des langues concernées. Parmi ces derniers, on peut citer Schanen/Hombourg (1980) et Marcq (1997) pour le couple français/allemand, Baffi/Esposito (2001), Livi (2010) faisant suite à Bareil/Castro/Toppan (2000) et Marietti/Genevois (2010 [11990]) pour le couple français/italien et Villanueva (2001), Rajaud/Brunetti (2005 [11992]) et Romera Rozas (2005 [12003]) pour le couple français/espagnol, ces derniers nettement plus élaborés que les précédents. Mais c’est, comme on pouvait s’y attendre, pour le couple français/anglais que l’on trouve à la fois le plus grand nombre de manuels de traduction et les plus satisfaisants du point de vue traductologique, en ce qu’ils combinent, à des degrés certes variables selon les auteurs et les objectifs affichés (initiation à la traduction, préparation à des concours etc.), des considérations linguistiques, textuelles ou contextuelles et situationnelles. Outre l’ouvrage pionnier de Gouadec (1974), on peut citer ici celui de Claude et Jean Demanuelli  











4 Peut-être la férocité inouïe de ce compte rendu, dû – c’est à souligner – à un linguiste de renom et non pas à un traductologue, a-t-elle eu un effet dissuasif, mais il faut reconnaître aussi que s’intéresser à la traduction ou à la traductologie était, à l’époque, assez mal considéré dans les milieux linguistiques.

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(1991) et celui de Joly/O’Kelly (1993), auxquels on peut ajouter ceux, plus spécifiques, axés sur les concours de l’enseignement secondaire, de Khalifa/Fryd/Paillard (1998) et plus récemment de Simonin/Dupont/Pickford (2011) et surtout de Szlamowicz (2011), où la dimension linguistique de la problématique (la confrontation de deux langues) est habilement combinée à sa dimension textuelle (l’interprétation critique du texte) selon une méthodologie appliquée systématiquement à toute une série de textes. Quant à la seconde catégorie d’ouvrages, où l’on trouve, bien moins nombreux, ceux situés dans la lignée de la Stylistique comparée du français et de l’anglais de Vinay/Darbelnet (1963) et de la Stylistique comparée du français et de l’allemand de Malblanc (1966),5 il n’en existe aucun en France pour le couple français/espagnol, un seul pour le couple français/italien, celui de Scavée/Intravaia (1979), et pas plus de deux pour le couple français/allemand,6 le remarquable manuel de Truffaut (1983) et celui, bien plus modeste, mais néanmoins intéressant, de Pérennec (1993). De nouveau et sans surprise, on en trouve davantage pour le couple français/anglais, avec notamment le manuel de Chuquet/Paillard (1989), partiellement inspiré de l’ouvrage à visée scientifique (et non pédagogique) de Guillemin-Flescher (1981), celui de Delisle (1993), spécifiquement axé sur la formation des traducteurs professionnels, et ceux, nombreux, de Ballard (1987 ; 2003 ; 2004 ; 2007), avec une mention toute particulière pour les ouvrages de 2003 et 2004, qui forment un tout très complet où la problématique de la traduction est envisagée sous tous ses aspects, tant linguistiques que pragmatiques ou culturels. Enfin, mentionnons pour finir l’ouvrage d’initiation très équilibré et d’excellente facture de Lenzen (2012) consacré à la triade français/ allemand/anglais et destiné aux étudiants de la filière LEA (Langues étrangères appliquées) qu’il vise à sensibiliser à toutes les dimensions de l’opération de traduction en accordant aux facteurs linguistiques une place importante mais non exclusive. Qu’en est-il aujourd’hui, en France, des relations entre linguistique et traductologie ? Si l’on regarde du côté des écoles et instituts de traduction (et d’interprétariat), qui se sont multipliés depuis plusieurs décennies, il faut bien reconnaître que la linguistique n’y a toujours pas droit de cité sous quelque forme que ce soit et même à dose « homéopathique ». Quand le mot linguistique apparaît dans le libellé des cursus – ce qui est du reste rare –, c’est soit dans le sens banal de langue (comme à l’ISIT, où les « enseignements linguistiques » renvoient entre autres à l’expression orale et à l’expression écrite en langue B), soit en référence à la notion de code/système telle qu’elle était envisagée dans la linguistique des années 60 (comme à l’ESIT, où l’on revendique d’aborder la traduction « non pas comme un exercice de transposition  



















5 L’ouvrage de Malblanc date originellement de 1944, mais il a été remanié ensuite selon le modèle de celui de Vinay et Darbelnet. 6 Du moins si l’on ne retient, conformément à l’objet de cet article, que les ouvrages en langue française.

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linguistique mais comme un acte de communication portant sur le sens »7). Les exceptions sont rarissimes, la plus notable étant peut-être l’ITIRI, où existe un cours de 12 h de « linguistique appliquée à la traduction » qui propose « une description des concepts linguistiques intéressant la problématique traductionnelle », d’où l’on peut conclure que l’institut accorde un certain intérêt à l’approche linguistique de la traduction. Il faut aussi mentionner le Master Professionnel Spécialité Métiers de la traduction : allemand de l’Université Michel de Montaigne Bordeaux-III, qui prévoit un cours de « linguistique contrastive et références culturelles », le Master Langues étrangères et outils modernes de la traduction de l’Université de Lorraine (Site de Metz, ex-Université Paul Verlaine), où une attention particulière est accordée en M2 aux « aspects théoriques de la formation (traductologie, linguistique formelle) » ou encore le Master Études anglophones : Traduction littéraire de l’Université Paris DiderotParis-VII, dans le cadre duquel est proposé une « Réflexion sur les concepts et problématiques linguistiques ». Tout cela représente peu de choses par rapport à la bonne trentaine d’institutions proposant une formation générale ou particulière à la traduction professionnelle. Cela étant, si la linguistique reste très largement ignorée des programmes de formation des traducteurs et interprètes, l’atmosphère n’est plus chargée d’autant d’animosité. Ainsi Ladmiral, qui vilipendait en 1979 le « terrorisme » de la linguistique (1979, 161) reconnaît-il en 2004 : « S’il est vrai que la traduction n’est pas qu’une affaire de linguistique, on ne peut pas dire qu’elle n’est pas du tout l’affaire des linguistes » (Ladmiral 2004, 28). Même tonalité chez Oustinoff (2009 [12003]) qui, après avoir insisté sur le caractère littéraire de l’opération de traduction, admet que : « Quelles que soient les langues en présence, on ne saurait faire l’impasse sur les apports de la linguistique en matière de traduction » (Oustinoff 2009, 55). Et si Gile (2005) rappelle dans son ouvrage au caractère de traité l’opposition large et persistante des professionnels de la traduction à la linguistique en présentant leurs arguments comme plutôt fondés, il admet néanmoins que « la sensibilisation des étudiants à certaines différences linguistico-culturelles entre leurs langues de travail n’est pas sans intérêt » (Gile 2005, 198) et va jusqu’à penser à la page 247 que l’on redécouvrira peut-être « dans un proche avenir les avantages d’une linguistique plus descriptive et pourquoi pas contrastive qui puisse fournir des outils d’analyse et de catégorisation susceptibles d’aider à mieux cerner les problèmes que rencontrent les traducteurs […] lors de l’analyse du texte de départ et lors de la reformulation du texte d’arrivée ». La hache de guerre serait-elle définitivement enterrée et les deux disciplines prêtes à collaborer ? C’est en tout cas le point de vue de Léona Van Vaerenbergh (2005, 20), selon laquelle « […] la relation entre linguistique et traductologie est devenue une relation de bons voisins qui s’estiment et qui s’enrichissent l’un l’autre ».  





























































7 Cf. ESIT_brochure-traduction-2014-2015.pdf téléchargeable sur le site : http://www.univ-paris3.fr/ presentation-de-l-ecole-51064.kjsp.  

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L’auteure attribue ce fait à une double évolution : de la linguistique, d’une part, qui s’intéresse bien plus que naguère au texte et aux réalités extérieures au système linguistique ; de la traductologie de l’autre, qui peut de plus en plus montrer que sa propre recherche contribue aussi à la recherche linguistique (Van Vaerenbergh 2005, 21). Personne ne s’en plaindra.  



Tournons-nous maintenant vers d’autres pays de langue romane, à commencer par l’Espagne. Il existe dans ce pays une longue tradition de réflexion théorique sur les problèmes de la traduction. Une « traductologie » proprement dite, en revanche, n’a fait son apparition qu’à une époque relativement tardive. S’il est vrai que cette nouvelle discipline a pris ces dernières décennies un essor considérable dans les pays hispanophones, elle y a été adoptée ‘à l’état mûr’ de pays comme la France, les États Unis ou l’Allemagne, ce qui fait qu’elle n’a jamais éprouvé le besoin de s’émanciper ostensiblement de la linguistique. Il n’empêche que la philologie classique a fourni, elle aussi, des contributions importantes aux études sur la traduction. L’ouvrage magistral de Valentín García Yebra sur Teoría y práctica de la traducción (21984), riche en exemples pris dans plusieurs langues européennes et basés sur les catégories de la grammaire traditionnelle, en fournit une preuve particulièrement éclatante. Les désignations de quelques facultés appartenant à plusieurs universités espagnoles démontrent à elles seules, que la traductologie s’est installée comme discipline autonome : Facultad de Traducción e Interpretación, Facultad de Traducción y Documentación etc. (↗34 La formation des traducteurs et des interprètes dans les pays de langue romane). Les pays hispanophones d’Amérique latine se montrent, eux, généralement plus conservateurs ; le rapport de la traduction aves les sciences humaines en général et avec la linguistique appliquée en particulier est plus étroit (cf. Scharlau 2002). En Espagne, les termes traductología, estudios de traducción et teoría de la traducción sont employés plus ou moins comme synonymes ; seuls ceux, qui veulent insister sur l’autonomie de la discipline, préfèrent le terme de traductología. Selon Amparo Hurtado Albir, auteure d’une œuvre de référence pour le domaine hispanophone (dont l’index des notions ne contient ni linguistique contrastive ni linguistique appliquée ou linguistique textuelle), la traductologie a acquis, à partir des années 1980, le statut d’une discipline autonome « Aunque algunos autores prefieren situarla en el marco de la lingüística aplicada y otros no, se puede decir que en lo que sí que hay acuerdo es en considerar que la disciplina tiene una entidad propria … ». Une désignation comme lingüística aplicada a la traducción, selon elle, ne peut servir à désigner la discipline entière mais seulement « aquellos enfoques más escorados hacia la lingüística » (cf. Hurtado Albir 22004, 133–136). Néanmoins, le bon sens pratique de la maison d’édition a décidé de publier l’ouvrage dans la section Lingüística.  



















En ce qui concerne l’espace lusophone, on note que le Brésil semble plus actif que le Portugal, du moins dans le domaine de la recherche (cf. Wolf 1997). Les universités de Lisbonne et de Porto proposent des cursus intitulés Licenciatura em Línguas,

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Literaturas e Culturas, Mestrado em Tradução e Serviços Linguísticos ou Licenciatura em Línguas Aplicadas, ce qui suggère que les liens entre la philologie (et spécialement la linguistique) et la traduction ne sont pas entièrement coupés. Les rapports les plus étroits existent entre la traduction et certaines sous-disciplines linguistiques comme la linguistique du texte (cf. Azenha Jr. 2008), les langues de spécialités et la terminologie (Tagnin 2012) et la lexicographie (Zavaglia 2006). Les titres de quelques revues importantes – même si celles-ci publient aujourd’hui de préférence des articles de tendance « poststructuraliste » ou « déconstructiviste » – rappellent le « bon vieux temps » où la traduction était considérée comme fille de la philologie et sœur de la linguistique : Cadernos de Literatura e Tradução ; Tradução e Terminologia (Université de São Paolo) ; Trabalhos de Linguística Aplicada (Universidade de Campinas, São Paolo).  

















L’Italie à présent. « La traduzione, ed è principio ormai ovvio in traduttologia, non avviene tra sistemi, bensì tra testi » (Eco 2003, 37). Par cette lapalissade, le célèbre sémiologue et écrivain Umberto Eco semble se placer au rang de ceux qui contestent la compétence de la linguistique en matière de traduction. C’est une apparence trompeuse. Eco est pleinement conscient du fait que quand bien même on ne traduit que des éléments linguistiques in actu, c’est-à-dire faisant partie d’un énoncé, il est tout de même indispensable au traducteur d’avoir une bonne connaissance de leurs fonctions virtuelles, qui sont à la base de la naissance d’un signifié textuel. Eco ne se réclame que rarement de la linguistique comme discipline, mais les exemples qu’il donne sont souvent les mêmes que ceux qu’on citerait dans un travail de linguistique contrastive. Pour des raisons dont il sera question plus loin, l’Italie a été longtemps hostile aux théories en matière de traduction comme à tout formalisme en matière de linguistique. Un représentant de la traduction littéraire parle même du « demone della teoria » (Lavieri 2007, titre du chap. 2). Le rapport entre langue(s), linguistique et traduction, qui semble évident au profane, l’est beaucoup moins pour les adeptes de la traduttologia italiana (le terme a été probablement calqué sur le terme français) : les nombreux ouvrages que Bruno Osimo a consacré à cette discipline sont tous munis de glossaires relativement détaillés ; nulle part on ne rencontre des termes comme linguistica applicata, linguistica contrastiva ou linguistica del testo ; en revanche, la terminologie de la linguistique y est parfaitement présente : accento ; anacoluto ; anafora ; apocope ; articolo ; aspetto ; calco ; collocazione ; connotazione ; contesto vs co-testo ; et même des termes hjelmsléviens comme piano dell’espressione vs piano del contenuto figurent dans l’un des index. On ne peut pas se défaire de l’impression que les liens entre linguistique et traductologie, qui se manifestent pourtant clairement dans les désignations des cursus de certains instituts universitaires, comme Mediazione linguistica interculturale (Bologna-Forlì) ou Communicazione Interlinguistica Applicata (Trieste, ↗34 La formation des traducteurs et des interprètes dans les pays de langue romane), sont parfois pudiquement occultés dans les travaux des traductologues. Enrico Arcaini (21986) et Marcello Soffritti (2006), tous deux représentants d’un  







































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courant qui s’appuie sur la linguistique contrastive, font exception à la règle. Le cas de Benvenuto Terracini mérite une attention particulière. Bien que linguiste de formation, Terracini est prêt à voir les implications extralinguistiques de la traduction (cf. infra, 2). Néanmoins, il se révèle, peut-être malgré lui, favorable à une approche « linguistique » lato sensu en observant judicieusement que celui qui apprend à l’âge adulte une autre langue et commence à s’exprimer dans plusieurs langues acquiert automatiquement une certaine compétence métalinguistique en faisant une distinction entre le monde extralinguistique et les langues : « Il possedere il sentimento differenziale di due parlate presuppone infatti l’aver acquistato un sentore dell’autonomia del linguaggio, distinto da quella realtà che esso esprime o significa ; all’innocenza di una concessione magica del linguaggio subentra un barlume di coscienza del suo valore formale » (Terracini 1983, 22).  













Et pour finir la Roumanie. Pour des raisons historiques bien connues, ce pays est resté longtemps à l’écart du développement rapide d’une nouvelle discipline comme la traductologie. Parmi les 42 membres que la Conférence internationale permanente d’instituts universitaires de traducteurs et interprètes (CIUTI) compte actuellement, il n’y a encore aucun institut universitaire roumain. En revanche, la Roumanie dispose d’une riche tradition dans les domaines de la linguistique du texte et de la linguistique contrastive ; une partie des travaux mentionnés dans ↗7 La linguistique contrastive et la traduction dans les pays de langue romane peuvent être considérés, jusqu’à un certain degré, également comme des contributions à la traductologie avant la lettre. Une contribution au sens strict du terme a été apportée par la république de Moldavie : Ana Guţu, plus connue comme « femme politique » engagée qu’en tant que professeure de philologie française à l’Université de Chişinău, a publié une Introduction à la traductologie française (2008) qui, par son seul titre, trahit déjà que tout ce qui se passe en matière de recherches sur la traduction dans les pays de langue roumaine dépend étroitement de l’espace francophone. Dans une version provisoire et abrégée, disponible sur Internet, de son livre à l’intention des étudiants en traduction, elle affirme que « la traduction est organiquement liée aux autres disciplines et sciences, linguistique, histoire, psychologie, philosophie, civilisation, art, politique, informatique, médecine, droit, économie etc. » (Guţu 2007, 12) et propose une division de la totalité des ouvrages sur la traduction en deux classes : 1° Les ouvrages qui attribuent à la traduction une origine strictement linguistique ; 2° les ouvrages dont les auteurs bâtissent leurs théories de la traduction sur le principe interprétatif, communicationnel, textuel, qui suppose une approche pluri-aspectuelle dans l’étude de la traduction » (Guţu 2007, 15). Cette proposition de catégorisation révèle clairement une conception très étroite de la linguistique, commune à tous ceux qui veulent minimiser son rôle en matière de traduction. Peut-on vraiment exclure l’aspect « interprétatif, communicationnel » et « textuel » du domaine de la linguistique (cf. supra) ? La linguistique appliquée à la traduction ne se limite pas à de simples opérations de transcodage. « Le domaine de  

































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la linguistique est beaucoup plus vaste », souligne Charles Bouton dans son petit livre sur La linguistique appliquée. Ce domaine « englobe tous les problèmes complexes de la signification, en fonction de l’économie même du système linguistique des langues considérées, en l’occurrence toutes les langues du monde, des relations entre langue et milieu et la relation bien plus complexe entre langue et pensée, langue et représentation du monde » (Bouton 1979, 65s.).  





2 Théories et modèles de la traduction dans les principaux pays de langue romane Pendant des siècles, les auteurs de réflexions théoriques sur la traduction – à commencer par Étienne Dolet, qui a apporté une contribution décisive à la propagation des termes traduire, traduction, traducteur en France (↗2 Réflexions sur la traduction dans les pays latins de Leonardo Bruni (1420) à José Ortega y Gasset (1937)) – partaient de la pratique traduisante pour arriver à la théorie traductologique. Après l’émergence de la traductologie8 sur la scène des sciences humaines, le chemin mène assez souvent dans la direction opposée : de la théorie traductologique à la pratique traduisante (cf. Ladmiral 2004, 30). Le terme de théorie sera entendu ici dans un sens très général, proche du sens des mots correspondants en grec et latin, c’est-àdire « contemplation, considération, recherche spéculative ». Les théories de la traduction se distinguent nettement de celles qui ont cours dans le domaine des sciences de la nature, qui sont plutôt des hypothèses. Dans ce qui va suivre, nous ne tiendrons compte que des pays de langue romane, en nous limitant aux travaux relativement récents qui peuvent prétendre à une certaine originalité. Pour mieux cerner les particularités des différentes théories et rendre leur comparaison plus aisée, une attention particulière sera consacrée à certains traits, qui, pris dans leur ensemble, nous serviront de « grille d’analyse » :  















La traduction est elle considérée en tant que produit (point de vue statique) ou en tant que procès (point de vue dynamique) ? Quel est le rapport entre la « technique de la traduction » et la « stratégie de la traduction » ? (Les deux expressions sont prises ici dans un sens précis légèrement différent de leur sens courant, la première désignant la maîtrise par le traducteur des difficultés qui résultent des contraintes imposées par la langue source et la langue cible, la seconde renvoyant aux  















8 L’introduction du terme est généralement attribuée à Jean-René Ladmiral. Michel Ballard affirme pourtant, que ce fut Brian Harris qui proposa en 1972 les termes traductologie et translatology pour la « science de la traduction ». (cf. Ladmiral 1981, 375–380 ; 2004, 27 ; Ballard 2004, 51, n. 1). Selon d’autres sources, ce terme aurait été utilisé pour la première fois en 1968 par les chercheurs belges P. Goffin, P. Hurbin et J.-M. Van der Merschen.  















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décisions prises par le traducteur en fonction des fins qu’il poursuit (skopoi) et du public auquel sa traduction est destinée.) La notion d’ « équivalence » est-elle prise en considération directement ou indirectement sous forme d’expressions affines comme fidélité ou approximation ? Les différentes formes d’équivalence (virtuelle vs actuelle, globale vs ponctuelle etc.) sont-elles clairement distinguées ? L’aspect herméneutique de la traduction : quelle est la conception que les auteurs des différentes théories se font des sources du sens ? Le sens résulte-t-il essentiellement du texte même, de façon intersubjectivement connaissable ? Ou doit-on considérer son origine plutôt comme extérieure au texte, dans « l’intention de l’auteur » ou dans « l’acte de compréhension du récepteur » ? Quel rapport de primauté existe-t-il entre le texte source et le texte cible ? Faut-il préserver à tout prix toutes les particularités du texte source, même au détriment de la « lisibilité » du texte cible, ou faut-il au contraire privilégier l’acceptabilité du texte cible par rapport à la « fidélité » au texte source ? Selon les cas, on parlera avec Meschonnic de traduction « éloignante » (laquelle vise à éviter des « pertes ») ou de traduction « rapprochante » (laquelle promet d’apporter des « gains »). La traduction est-elle associée explicitement aux caractéristiques propres du texte écrit qui le distinguent de l’énoncé oral ? La traduction est-elle expressément délimitée par rapport à des opérations sémiotiques affines comme l’imitation, l’adaptation, la parodie etc. (↗31 Interpretatio, imitatio, aemulatio : formes et fonctions de la traduction « libre » dans le domaine des langues romanes) ?  







































































À cela s’ajoutent quelques points d’intérêt plutôt pratique, qui seront pris en considération au fil de l’exposé, par ex. :  



l’attention accordée ou non aux aspects didactiques : enseignement de la traduction, fonction de la traduction dans l’enseignement des langues étrangères etc. ; la présence ou non de schémas graphiques qui modélisent en quelque sorte la traduction, soit du point de vue statique, soit du point de vue dynamique ; les renvois explicites aux « sciences du langage » comme la linguistique textuelle ou la pragmatique linguistique.  













Commençons par la France où – comme nous l’avons vu au chapitre précédent – la discussion sur les possibilités et les limites d’une théorisation de la traduction a été particulièrement vive. La Stylistique comparée du français et de l’anglais de Jean-Paul Vinay et Jean Darbelnet (1963) et la Stylistique comparée du français et de l’allemand de Alfred Malblanc (21963 ; 31966) se trouvent au début d’une longue série d’études sur la traduction. Le sous-titre de l’ouvrage de Malblanc Essai de représentation linguistique et Étude de traduction montre clairement le caractère bicéphale de ce courant, qui s’inspire en partie de la conception de la « stylistique » d’un Charles Bally. Ce type de stylistique est tributaire jusqu’à un certain degré de la longue tradition de la « grammaire générale » (grammatica universalis). L’idée sous-jacente de cette conception est celle d’un recours à une langue étalon, c’est-à-dire à une langue « neutre », « normale » qui reste « en profondeur » et dont les langues historiques réelles présenteraient des « écarts » caractéristiques « à la surface ». La compa 





























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raison se fait en recourant à cette langue neutre virtuelle. Les prétendus « procédés de traduction » (emprunt, calque, traduction littérale, transposition, modulation, équivalence, adaptation) représentent – du moins pour ce qui est des exemples donnés par Malblanc – un curieux mélange de vrais procédés de traduction et de purs constats de linguistique comparative. Il n’est sûrement pas sans intérêt de constater que le français dit tiroir là où l’allemand dit Schublade (renvoi à deux mouvements de direction opposée) et que le français prévient d’un danger de mort là ou l’allemand voit la vie en danger (Lebensgefahr) ; ces expressions étant toutefois complètement lexicalisées, on ne peut guère y voir des exemples de « procédé de traduction » : pour le traducteur, il ne s’agit que d’équivalences « prêtes à l’emploi ». Le procédé appelé « équivalence » en stylistique comparée mérite, lui, une attention particulière. Tandis que des traductologues comme Ladmiral l’associent à une approche exclusivement linguistique de la traduction, ce terme, dans l’acception spécifique de la stylistique comparée, marque plutôt un relâchement des contraintes langagières imposées au traducteur : dans le cas de l’équivalence, c’est la « situation » qui sert de point de comparaison ; il s’agit donc d’une catégorie « pragmatique » qui incite le traducteur à s’éloigner dans toute la mesure du possible de la forme linguistique du texte source. Georges Mounin (de son vrai nom Louis Leboucher) a témoigné de ses expériences de traducteur dans Les belles infidèles (1955). Après ce début sur la scène d’une traductologie avant la lettre, il s’est converti à la théorie, à une théorisation dans le sillage de la « linguistique fonctionnelle » d’André Martinet, ce qui lui a valu des critiques sévères de la part de Nicolas Ruwet (cf. supra), adepte du générativisme naissant, un courant linguistique beaucoup plus enclin à voir ce qui est commun à toutes les langues et cultures, que le structuralisme européen, qui met l’accent sur les différences. Avec les Problèmes théoriques de la traduction (1963), une thèse de Doctorat d’État, qui est « moins une théorie scientifique de la traduction qu’un discours apologétique sur ce sujet » (Larose 11989, 33), la traductologie française commence à prendre forme, bien que le terme lui-même n’eût pas encore cours à l’époque. En se référant à Uriel Weinreich, Mounin voit dans la traduction une forme de contact entre les langues, et il déduit de ce fait que « les problèmes théoriques posés par la légitimité ou illégitimité de l’opération traduisante […] ne peuvent être éclairés en premier lieu que dans le cadre de la science linguistique » (Mounin 1963, 17). Il ne prétend pourtant pas que l’opération elle-même est de caractère exclusivement linguistique. En appliquant notre « grille d’analyse », exposée plus haut, au livre de Mounin, on peut constater qu’il s’agit d’une analyse faite d’un point de vue statique ; que la « technique de la traduction » n’est que rarement complétée par des aspects « stratégiques » et que la notion d’équivalence n’est prise en considération que de façon ponctuelle, c’est-à-dire à l’égard d’éléments isolés du texte. L’aspect herméneutique manque presque complètement et les problèmes spécifiques de la communication scripturale sont également passés sous silence. Comme Mounin se réclame de la définition de Nida selon laquelle la traduction « consiste à produire dans la langue d’arrivée l’équivalent naturel le plus proche du message de la langue de  



























































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départ, d’abord quant à la signification, puis quant au style » (1963, 278), on peut le considérer comme « cibliste » modéré. Bien que beaucoup d’aspects qu’on aurait cherchés dans des études plus récentes y fassent défaut, le livre de Mounin reste une œuvre de référence nullement « dépassée » dans sa totalité. La conclusion, notamment, contient des observations qui méritent d’être prolongées et approfondies : l’ « inertie » de la langue (i.e. « le fait que la langue change moins vite que l’expérience du monde », 273) ;9 le propos tout à fait original de « faire la statistique des échecs traductionnels pour un texte donné, pour une paire de langues données » (autrement dit l’intraduisibilité comme notion statistique, 274) ; l’idée, enfin, que la différence entre les diverses langues et cultures, qui rend ardu le travail des traducteurs, est continuellement réduite par ce travail même, 276s.). En ce qui concerne l’aspect didactique, on retiendra que c’est justement le prétendu défenseur d’une approche strictement linguistique de la traduction qui plaide pour une bonne connaissance de la civilisation comme condition préalable d’un travail effectif du traducteur (236). Son volume Linguistique et traduction (Mounin 1976) réunit d’ailleurs des articles sur des aspects divers de la traduction parus entre 1957 et 1974). Maurice Pergnier ne fait pas partie des traductologues français les plus connus ; dans les ouvrages de traductologie, il est assez souvent cité dans un contexte particulier, mais ses idées sur la traduction sont rarement exposées de façon cohérente. Il est vrai que la traduction est pour lui un champ de travail parmi beaucoup d’autres. Sa Thèse d’État, soutenue en 1976, porte le titre quelque peu surprenant Les fondements sociolinguistiques de la traduction (Pergnier 1980).10 Nous y reviendrons plus loin. De formation plutôt littéraire que linguistique, l’auteur s’exprime d’une manière inaccoutumée pour celui qui est habitué au jargon technique des linguistes. Il se propose de choisir la méthode inductive et met ses lecteurs en garde contre « les sables mouvants de la théorisation gratuite » (Pergnier 1980, 25). Bien qu’il distingue clairement entre les aspects statique et dynamique de la traduction (ibid., 2s.), il adopte un point de vue que l’on peut qualifier de statique dans la mesure où il ne s’intéresse pas à « ce qui se passe dans la tête des traducteurs »,11 autrement dit au processus du traduire en tant que tel. Étant donné que « le sens d’un énoncé est étroitement solidaire des conditions de son émission » (ibid., 50), le traducteur, selon lui, ne peut pas se limiter à un « décodage » du texte à traduire, car « la compréhension d’un énoncé nécessite en effet que tous les termes en soient référés correctement aux éléments de la situation qui lui a donné naissance et lui confère son sens » (ibid.,  



















































9 Il s’agit de l’aspect complémentaire de ce que Hegel appelait la Voreiligkeit der Sprache, la ‘précipitation de la langue’, c’est-à-dire le fait que la langue « précède » les étapes du développement de l’esprit. 10 Disponible sous forme d’un texte dactylographié et polycopié, qui contient des corrections manuscrites. 11 Pour reprendre – en français – le titre de l’ouvrage de Hans P. Krings (1986), Was in den Köpfen von Übersetzern vorgeht, Eine empirische Untersuchung zur Struktur des Übersetzungsprozesses, Tübingen, Narr.  





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57). Cela ne veut pas dire que les bases purement « langagières » du sens peuvent être complètement écartées : « On pourra bien sûr dire aussi que, si la traduction ne porte pas sur la langue, elle porte néanmoins sur de la langue. ‹ Ce › qu’on traduit (…) est bien formulé en français, en anglais, en allemand etc. … et le résultat de la traduction sera bien une formulation en anglais, en français, en allemand etc. … c’est-à-dire que la langue intervient en tant que telle » (ibid., 29). « Technique » et « stratégie » de la traduction sont donc pour Pergnier deux aspects complémentaires. La notion d’« équivalence » est prise en compte sous la forme de la distinction sans doute importante entre équivalence de signification (= équivalence virtuelle, « de langue ») et équivalence de désignation (= équivalence actuelle, « de message »), mais les différents types d’équivalence de traduction ne sont guère évoqués. Si l’éloignement temporel ou culturel entre le texte source et le texte cible est considérable, le risque d’erreur lors du passage de l’équivalence de signification à l’équivalence de désignation est grand : « On peut légitimement se demander si beaucoup d’images étrangement poétiques rencontrées dans des traductions d’auteurs de l’antiquité ou d’auteurs orientaux ne sont pas tout simplement des idiotismes ou des clichés mal traduits » (Pergnier 1980, 325s.). Maurice Pergnier est loin de proposer une approche strictement herméneutique de la traduction, mais en ce qui concerne les « sources du sens », il dépasse tout de même les conceptions de ses prédécesseurs : le sens, nous l’avons vu ci-dessus, résulte pour lui de l’énoncé et des conditions de son émission. Cela implique – et cette observation paraît particulièrement importante – que le statut du traducteur n’est pas celui du destinataire du message original ; le traducteur, « en réémettant le message […] engendre une nouvelle situation d’émission et ré-énonce en fonction, non seulement d’une autre langue, mais aussi en fonction de nouvelles données situationnelles » (Pergnier 1980, 59). Ni « sourcier » ni « cibliste », Pergnier effleure le problème dans le contexte de la question du « pourquoi » de la traduction : la traduction au service de la didactique des langues étant plutôt une « opération sur les langues » qu’une « opération de langage », comme la « vraie » traduction, la question de savoir si l’on doit privilégier la langue source ou la langue cible se pose surtout dans le contexte de la didactique des langues. On trouve chez Pergnier quelques schémas graphiques (Pergnier 1980, 58, 60) qui modélisent le processus de la traduction, mais aucune tentative pour délimiter la traduction proprement dite par rapport à l’imitation, l’adaptation etc. Un renvoi aux « sciences du langage » se trouve pourtant déjà dans le titre de l’ouvrage, où il est question de sociolinguistique. Curieusement, l’auteur n’explique que dans la deuxième moitié de son livre comment le titre doit être interprété : « C’est donc à une autre branche de la linguistique que nous devons nous adresser pour interroger notre objet : non plus celle qui traite des langues comme systèmes immanents de signifiants et de signifiés, mais celle qui considère ces mêmes systèmes dans leur existence historique et sociologique, dans leur rapport avec les sujets parlants dans la communication, et qui traite des conditions de l’échange linguistique » (ibid., 289).  

























































































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Jean-René Ladmiral est, pour ainsi dire, un traductologue « pur sang » et un spécialiste de la philosophie allemande. Cependant, il ne s’est pas contenté de penser la traduction, il l’a également pratiquée (en traduisant par ex. Kant, Nietzsche, Freud, Adorno, Habermas), ce qui l’incite parfois à se moquer de certains collègues « traducto-logues » à cause de leur « manque de familiarité avec la pratique » (Ladmiral 1981, 394). Auteur d’innombrables articles, il doit pourtant sa renommée à son livre Traduire : théorèmes pour la traduction (Ladmiral 1979), réédité, augmenté d’une nouvelle préface, en 1994 puis en 2004. Le titre vaut programme : l’ouvrage consiste en l’exposé argumenté de quelques théorèmes relatifs à la traduction. Intimidé par les exigences épistémologiques d’une linguistique hautement formalisée, qui dominait à l’époque, l’auteur réagit avec agressivité en dénonçant ce qu’il appelle « un véritable terrorisme ‹ linguisticiste › et ‹ théoriciste › » (ibid., 161). Il n’est donc pas étonnant que, pour la traduction aussi, il renonce d’emblée à toute théorisation rigoureuse :  























   



« Il ne s’agit pas pour nous de proposer une théorie, et encore moins la théorie, la vraie et ‹ scientifique ›, mais de la théorie pour la traduction : des théorèmes pluriels et juxtaposés, isolés et lacunaires, auxquels il manque l’harmonisation d’un discours totalisant et formalisateur » (Ladmiral 1979, 213).  









Sa personnalité de chercheur serait incomplètement caractérisée si l’on ne faisait allusion à sa verve polémique, qui vise parfois ouvertement à « épater le bourgeois », que ce soit par une élégance quelque peu archaïsante (« il m’est apparu qu’il convenait que j’intervinsse en français ; il s’ensuivrait que je prisse le risque de l’improvisation » (cf. Ladmiral 1999, 33), ou par des néologismes et des expressions imagées délibérément choquants ; ainsi parle-t-il, pour ne donner qu’un seul exemple, d’un travail « traductothérapeutique » qui se fait […] pour lever les « complexes » du traducteur comme la castration symbolique (quand même) d’écriture… (Ladmiral 1996, 33). Il lui arrive de se présenter, à l’instar de Mounin, comme marxiste authentique : « La véritable traduction est un acte de communication, économiquement déterminé par les conditions de production du traducteur » (Ladmiral 1979, 13) ; mais quand l’humeur espiègle s’empare de lui, il recourt au « renversement du génitif », figure rhétorique chère aux soixante-huitards et plus tard aux post-structuralistes. Ainsi voit-il les « rapports entre traduction et psychanalyse […] pour ainsi dire balisé par les deux pôles de l’antimétabole : traduction de la psychanalyse et psychanalyse de la traduction » (Ladmiral 1996, 32). À l’opposé de quelques traductologues de la première heure, Jean-René Ladmiral ne néglige pas l’aspect dynamique de la traduction, mais en même temps il voit clairement les problèmes épistémologiques qui se posent en l’occurrence : « S’agissant d’analyser les processus mentaux à l’œuvre quand un individu traduit, le problème méthodologique est celui de l’accès aux données » (Ladmiral 1996, 29). À maintes reprises il affirme que tout ce que nous appelons « technique de la traduction » ne fait pas partie de la « vraie » traductologie : « S’agissant de la traductologie, qui nous occupe ici, l’accent mis sur la linguistique contrastive reviendrait à  























































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n’y voir qu’un problème de langues – ce que n’est qu’accessoirement la traduction » (Ladmiral 2004, 32). Le terme même de « technique de la traduction » est rejeté. Les linguistes n’ayant généralement pas la pratique de la traduction, ils produisent un discours inadéquat à la pratique des traducteurs : « C’est aussi pourquoi […] on ne saurait parler en toute rigueur de ‹ technique de traduction › » (Ladmiral 1979, 18). Le domaine propre de la traductologie est, selon lui, la « stratégie de la traduction » :  











   







« Le métier de traducteur consiste à choisir le moindre mal ; il doit distinguer ce qui est essentiel de ce qui est accessoire. Ses choix de traduction seront orientés par un choix fondamental concernant la finalité de la traduction, concernant le public-cible, le niveau de culture et de familiarité qu’on lui suppose avec l’auteur traduit et avec sa langue-culture originale » (ibid., 19).  







C’est ainsi qu’on pourra traduire en français le terme grec πόλις par la Cité pour un public de culture classique et par l’État, quand on vise des lecteurs moins familiarisés avec l’antiquité (cf. Ladmiral 1981, 394s.) La notion d’« équivalence » est traitée par notre auteur avec un certain mépris : « Un tel concept d’‹ équivalence › apparaît bien problématique […] Dans la pratique, on pourra lui substituer l’idée d’approximation … » (Ladmiral 1981, 393). Il semble évident, que le terme d’équivalence est pris ici dans le sens d’« invariance ». Du point de vue de celle-ci, l’équivalence est nécessairement une forme d’approximation. Jean-René Ladmiral ne se range sûrement pas aux côtés de ceux qui, selon une formule heureuse de Marc de Launay, font « fi de l’auteur comme du lecteur » du texte (Launay 2006, 36); ses réflexions d’ordre herméneutique restent pourtant assez générales, ce qui a l’avantage que personne ne saurait les récuser : « La traduction est une méta-communication qui passe nécessairement par la médiation de la subjectivité du traducteur, qui fait dès lors figure d’interprète, à tous les sens du mot » (Ladmiral 1979, 232). En revanche, sur le rapport entre texte cible et texte source, on lui doit une contribution particulièrement détaillée à la discussion. Au moyen des termes sourcier et cibliste, forgés par lui, il distingue deux catégories de traducteurs, ceux qui accordent la priorité à la restitution du plus grand nombre possible d’informations du texte source et ceux qui jugent plus important de restituer ces informations en fonction des caractéristiques ou besoins du public auquel est destinée la traduction (cf. Ladmiral 1986). Les « limites extérieures » de la traduction sont nettement indiquées : « … l’emprunt, le calque et le mot à mot ne sont pas encore de la traduction, et l’adaptation n’est déjà plus une traduction » (Ladmiral 1979, 20). Les Théorèmes pour la traduction contiennent des observations judicieuses (et critiques) sur la traduction en tant qu’institution pédagogique – un sujet souvent négligé par les traductologues (chap. 2). Last but not least, il faut ajouter que l’auteur apparaît beaucoup moins hostile à l’approche linguistique de la traduction si l’on tient compte de la distinction « spécifiquement française » qu’il fait entre linguistique et sciences du langage (à laquelle correspondent les sections II et III du présent volume). Il évoque à cet égard un élargissement de la linguistique « aux dimensions des sciences du langage, où dès lors la traductologie a sa place … » (Ladmiral 1996, 30).  















































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Quelques mots encore sur certains chercheurs français qui, sans passer pour des traductologues stricto sensu dans l’opinion commune, ont néanmoins apporté des contributions importantes au problème de la traduction. Michel Ballard est surtout connu comme historien de la traduction. Son livre De Cicéron à Benjamin (Ballard 1995) propose l’un des meilleurs aperçus actuels de l’histoire de la traduction dans le monde occidental. Mais l’auteur s’est également fait remarquer par de nombreux travaux de traductologie proprement dite, notamment d’ordre didactique. La « théorisation » de la traduction est pour lui une « structuration de l’action du traducteur » (Ballard 2004, 51). Il se montre peu enclin à la spéculation « gratuite » : « La traductologie que je pratique est fondée sur l’observation des textes traduits et de leurs originaux, parce que je suis persuadé qu’une science (…) doit reposer sur l’observation du réel » (ibid., 52). Avec sa conception de la « triple nature » de la traduction – matérielle, spirituelle, sociolinguistique – il cherche à se positionner au « juste milieu » entre la philologie traditionnelle et la traductologie spéculative, c’est-à-dire à tenir compte de l’aspect technique, stratégique et herméneutique de la traduction (cf. Ballard 2004, 52s.). Tout en admettant qu’on ne peut pas réduire la traductologie à une forme de linguistique appliquée, il rappelle à la raison tous ceux qui – comme Jean-René Ladmiral (peutêtre dans un accès de fougue) – prétendent que la traduction n’est qu’accessoirement un problème de langues (cf. supra) :  



























« La traduction, en son cœur, est une opération complexe qui fait intervenir l’herméneutique, la paraphrase interlinguistique, la réécriture et le jugement ; on ne peut certes la réduire à un simple acte linguistique mais on ne peut écarter le fait fondamental qu’elle existe parce que les langues diffèrent et que le traducteur doit gérer un transfert dans cette situation de différence, à cause de ce donné et avec ce donné » (ibid., 65).  





« La traductologie : la réflexion de la traduction sur elle-même à partir de sa nature d’expérience » (Berman 1985, 39). Avec cette phrase, qui est plutôt une explication qu’une définition stricto sensu, Antoine Berman, « éminence grise » de la traductologie française, mort trop jeune pour laisser des traces persistantes dans la mémoire collective actuelle, s’est fait connaître comme traducteur arrivant à la réflexion en quelque sorte « malgré lui » : c’est la traduction qu’il pratique à partir de l’espagnol, de l’anglais et de l’allemand qui réfléchit « sur elle-même », le traducteur n’y est pour rien. Bien qu’il ait fait ses expériences professionnelles dans les domaines de la traductique et de la terminologie technique, il prend ses distances envers la traductologie dite « scientifique » :  

























« Il pouvait exister (et il existe) une traductologie scientifique, objective, positive, débouchant sur des ‹ méthodologies › ; il pouvait exister aussi, sur un mode discursif, mais non proprement théorique, une traductologie ‹ essayistique › et même, à son extrémité, ‹ spéculative ›. […] Par trajectoire, penchant et tempérament, j’ai opté pour une traductologie ‹ essayistique › » (Berman, Rapport de synthèse [d’un projet d’habilitation], manuscrit non publié, cité dans Kuhn 2007, 18, n. 23).  



   













   

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Son œuvre principale, L’épreuve de l’étranger. Culture et traduction dans l’Allemagne romantique (Berman 1984) a été perçue par le public comme une contribution importante et originale à l’histoire de la traduction. À y regarder de plus près, une telle caractérisation se révèle insuffisante. Berman, tout en relatant les idées sur la traduction de Herder, Goethe, A.W. Schlegel, Schleiermacher,12 Humboldt et Hölderlin, s’applique en fait à développer une « éthique de la traduction » (ibid., 17). Il paraît obsédé par le double antagonisme entre trahison et fidélité d’une part et fidélité au sens et fidélité à la lettre de l’autre. La fidélité (ainsi que la fedeltà des Italiens ou la fidelidad des Espagnols) est le pendant subjectif et prescriptif de l’équivalence, notion objective et purement descriptive. Il y a là peut-être un vague souvenir du fidus interpres d’Horace (↗2 Réflexions sur la traduction dans les pays latins de Leonardo Bruni (1420) à José Ortega y Gasset (1937)), resté plus vivant dans le monde latin qu’ailleurs. Par « fidélité à la lettre » Berman entend tout à fait autre chose qu’un « mot à mot » banal ; la lettre comprend tout ce qui caractérise un texte au-delà du sens qu’il semble transmettre, tout ce qui met le lecteur « à l’épreuve de l’étranger » : « J’appelle mauvaise traduction la traduction qui, généralement sous couvert de transmissibilité, opère une négation systématique de l’étrangeté de l’œuvre étrangère » (ibid., 17). Linguiste, poète et traducteur de la Bible, Henri Meschonnic, qui n’était pourtant pas dépourvu d’esprit de géométrie, penchait plutôt du côté de l’esprit de finesse. La première partie de sa Poétique du traduire (1999) porte le titre « La pratique, c’est la théorie », et elle commence par un chapitre intitulé : « Poétique du traduire, non traductologie ». L’auteur n’aurait sans doute guère apprécié de se retrouver dans un article consacré à la traductologie. Presque toute son œuvre se présente comme une sorte d’assemblage raffiné d’écriture poétique, de traduction et d’essai ; on y trouve des interventions dans des disciplines apparemment aussi disparates que la critique littéraire, la lexicographie (Meschonnic a collaboré à la rédaction du Dictionnaire du Français Contemporain), la linguistique, la philosophie et l’historiographie. Ce n’est sûrement pas par hasard qu’il a mis en exergue de la Poétique du traduire la cinquième règle d’Étienne Dolet (↗2 Réflexions sur la traduction dans les pays latins de Leonardo Bruni (1420) à José Ortega y Gasset (1937)), où il est question des « nombres oratoires » (numerus) de la rhétorique classique. Au centre d’intérêt de ses travaux sur la traduction se trouve la notion de « rythme », un concept bien plus large chez Meschonnic que dans son acception commune, le rythme étant lié pour lui à l’éthique et à la poétique du traduire (cf. Guidère 22010, 54s., 99). Émile Benveniste, dont Meschonnic se réclame volontiers, dans la mesure où « il a été le premier à […] reconnaître et à […] analyser l’inscription grammaticale de celui qui dit je dans le discours » (1999, 12) a tracé l’histoire du mot ῥυθμός dans  





















































12 Nous lui devons une traduction française du célèbre traité de Schleiermacher : « Des différentes méthodes du traduire ».  





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un bref article – un petit chef-d’œuvre de lexicologie historique (Benveniste 1966). Mais tandis que Benveniste montre consciencieusement, à l’aide d’exemples tirés de textes grecs, que ῥυθμός (ou la variante ionienne ῥυσμός) signifiait à l’origine « l’arrangement caractéristique des parties dans un tout », la « disposition proportionnée », Meschonnic ne laisse entrevoir qu’ex negativo ce qu’il entend par rythme, en donnant des exemples de traductions qu’il qualifie comme mauvaises en raison de leur trahison du rythme, par ex. une traduction d’Italo Calvino par deux traducteurs français réputés :  









« Naturellement, le lecteur de la traduction n’en sait rien [du rythme perdu]. Et ne sait même pas qu’il ne sait pas. La traduction n’est pas faite pour dénoncer le traducteur. Mais pour le cacher. Le lecteur, sauf celui des éditions bilingues, ne lit ce que ce qu’on lui donne à lire. Il lit du sens. Le sens y est. Mais quelque chose du rythme n’y est plus, qui pouvait y être » (Meschonnic 1999, 220).  



Il est presque superflu d’ajouter qu’avec ses polémiques acerbes contre nombre de ses collègues, Meschonnic ne s’est pas fait beaucoup d’amis : ainsi la Bible de Jérusalem, œuvre collective d’un groupe d’érudits réputés, est-elle qualifiée de version « la plus insidieusement mauvaise » (Meschonnic 1973, 418) et Jacques Derrida, dont il sera question plus loin, est-il expédié par une remarque sarcastique : « C’est en surfaisant que Derrida défait » (Meschonnic 1975, 473). Théologien protestant, traducteur de Husserl, connaisseur de l’herméneutique de Schleiermacher, compagnon critique du structuralisme, dont il a apprécié les méthodes analytiques tout en récusant les implications philosophiques, Paul Ricœur se soustrait à tout classement dans l’un ou l’autre des camps d’intellectuels de son époque. Il a toujours préféré le rôle de médiateur à celui de représentant décidé d’un certain mouvement. On ne peut sans doute pas le considérer comme un traductologue, mais il est intervenu à plusieurs reprises dans le débat sur les problèmes de la traduction ; trois de ses conférences ont été réunies dans un petit volume, qui a paru un an avant sa mort (Ricœur 2004). Son séjour aux États Unis a laissé des traces dans ses travaux ; quant au problème de « l’union inséparable du sens et de la sonorité, du signifié et du signifiant » (ibid., 12), il se montre influencé par les idées de Quine ; il admet qu’il n’y a pas de moyen sûr de savoir si le « sens » du texte original est resté « le même » dans sa traduction :  































« Le dilemme fidélité/trahison se pose comme dilemme pratique parce qu’il n’existe pas de critère absolu de ce qui serait la bonne traduction. Ce critère absolu serait le même sens, écrit quelque part, au-dessus et entre le texte d’origine et le texte d’arrivée. Ce troisième texte serait porteur du sens identique supposé circuler du premier au second. D’où le paradoxe, dissimulé sous le dilemme pratique entre fidélité et trahison : une bonne traduction ne peut viser qu’à une équivalence présumée, non fondée dans une identité de sens démontrable, une équivalence sans identité » (Ricœur 2004, 60 ; cf. également p. 39).  









Nous sortons de ce dilemme par une certaine confiance – naïve, mais nécessaire – en la possibilité de comprendre un énoncé et de pouvoir faire la preuve de cette compré-

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hension en l’expliquant par un autre qui a « le même sens », et cela pas seulement dans deux langues différentes mais également à l’intérieur de la nôtre (traduction « interne » selon Ricœur) :  









« … il est toujours possible de dire la même chose autrement. C’est ce que nous faisons quand nous définissons un mot par un autre du même lexique, comme font tous les dictionnaires. […] Mais c’est aussi ce que nous faisons quand nous reformulons un argument qui n’a pas été compris. […] Or, dire la même chose autrement – autrement dit – c’est ce que faisait tout à l’heure le traducteur de langue étrangère » (Ricœur 2004, 45).  



Dans la pratique, le problème du doute sur la compréhension du sens est surmonté – graduellement, mais jamais définitivement – par un travail incessant, qui se manifeste dans des commentaires critiques et, au-delà de la frontière linguistique, dans les retraductions :  

« J’ouvre ici une parenthèse, parlant de retraduction par le lecteur, je touche au problème plus général de la retraduction incessante des grandes œuvres, des grands classiques de la culture mondiale … Il faut peut-être même dire que c’est dans la retraduction qu’on observe le mieux la pulsion de traduction entretenue par l’insatisfaction à l’égard des traductions existantes » (Ricœur 2004, 14s.).  



L’équivalence, qui garantit la « bonne » traduction, ne se révèle souvent pas comme but que les traducteurs s’appliquent à atteindre mais plutôt comme fruit de leur travail : « En fait, la parenté culturelle dissimule la nature véritable de l’équivalence, qui est plutôt produite par la traduction que présumée par elle » (Ricœur 2004, 63). Notons pour conclure, que Paul Ricœur n’a jamais négligé le côté éthique de la traduction ; le recours permanent à la dichotomie fidélité vs trahison en témoigne :  













« Il me semble, en effet, que la traduction ne pose pas seulement un travail intellectuel, théorique ou pratique, mais un problème éthique. Amener le lecteur à l’auteur, amener l’auteur au lecteur, au risque de servir et de trahir deux maîtres, c’est pratiquer ce que j’aime appeler l’hospitalité langagière » (Ricœur 2004, 42 s.).  



Pour conclure la partie consacrée à la France, encore quelques remarques sur l’argument « traduction et déconstruction » :  





« YHWH exige et interdit à la fois, dans son geste déconstructeur, qu’on entende son nom propre dans la langue, il mande et rature la traduction, il voue à la traduction impossible et nécessaire » (Derrida 1980, 179).  



Nos lecteurs auront compris, qu’un auteur qui décrypte et explique les gestes « déconstructeurs » de Yahweh dépasse un peu le cadre d’un modeste manuel de traductologie. Pourtant, nous ne pouvons pas nous passer de parler brièvement de lui, car Jacques Derrida, sans être « traductologue », a eu une influence considérable sur la théorie de la traduction non seulement en France mais également dans d’autres pays de langue romane.  







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Le terme de déconstruction a été forgé comme équivalent de la Destruktion [des überlieferten Bestandes der antiken Ontologie] chez Heidegger.13 Le terme a eu une fortune qui l’a porté bien loin au-delà de ses modestes origines ; il se dérobe à toute définition, comme John R. Searle l’a remarqué dans sa célèbre recension du livre On Deconstruction par Jonathan Culler :  





« Je suis convaincu que si l’on demandait à la plupart de ceux qui pratiquent la déconstruction d’en donner une définition, non seulement ils se montreraient incapables d’en proposer une, mais ils verraient dans cette requête proprement dite une expression du ‹ logocentrisme › que la déconstruction a précisément pour ambition de déconstruire ».14  







Impossible de suivre ici de près le débat sur le pour et le contre de la « déconstruction ». Dans le contexte qui nous intéresse ici, il suffit de noter que pour les déconstructionnistes il n’y a pas d’énoncé doué d’un sens univoque et intersubjectivement démontrable : « … ce que nous tenons pour un langage pourvu de sens peut être réduit à un jeu libre de signifiants, voire au processus infini à la faveur duquel les textes se greffent les uns aux autres » (Searle 1992, 9). Le rapport avec la critique de l’écriture par Platon dans Phèdre est évident et Derrida lui-même le souligne ; c’est en effet surtout le texte écrit, qui pose des problèmes d’interprétation :  













« … quand une fois il a été écrit, chaque discours va rouler de droite et de gauche et passe indifféremment auprès de ceux qui s’y connaissent, comme auprès de ceux dont ce n’est point l’affaire ; de plus, il ne sait pas quels sont ceux à qui il doit ou non s’adresser. Que par ailleurs s’élèvent à son sujet des voix discordantes et qu’il soit injustement injurié, il a toujours besoin du secours de son père ; car il n’est capable ni de se défendre ni de se tirer d’affaire tout seul » (Phèdre, 275d–e).  







Que le texte écrit, qui, à l’opposé de l’énoncé oral, se trouve nécessairement privé des indices des conditions extérieures de son énonciation, soit susceptible d’interprétations multiples et puisse être mal compris par ceux qui se croient concernés sans l’être, c’est un fait qu’aucun « logocentriste » ne saurait nier. Mais quelles conclusions tirer de cet état de choses ? Les déconstructionnistes font de nécessité vertu. Ils se précipitent avec un plaisir candide sur toutes les traductions « aberrantes » (presque toujours ponctuelles) que des traducteurs réputés ont pu commettre, en insinuant que si « tout est possible » tout doit être légitime. Pourquoi ne pas rendre le titre du célèbre essai Die Aufgabe des Übersetzers de Walter Benjamin par « L’abandon du traducteur » au lieu de « La tâche du traducteur » comme font les logocentristes (cf. Paul de  





















13 Sein und Zeit. Tübingen 192006 [1927], 22. François Vezin traduit par « La désobstruction de l’histoire de l’ontologie ». 14 Searle (1992, 7s. ; trad. fr. par Jean-Pierre Cometti). L’original anglais a paru 1983 dans la New York Review of Books.  





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Man 1997 [1983], 192) ? La polysémie du mot allemand Aufgabe rend une telle traduction possible. N’est-il pas évident que le traducteur doit abandonner son projet vis-àvis de tant de difficultés qu’il rencontre ? S’il y a un apport utile du déconstructionnisme à la théorie des textes (et, indirectement, à la traduction), il consiste dans l’idée que le texte littéraire possède, jusqu’à un certain degré, une existence autonome, mais non indépendante d’autres textes, ce qui veut dire qu’on ne peut pas réduire son sens à une présumée « intention de l’auteur » ni le comprendre sans recourir à d’autres textes. En conclure que n’importe quelle interprétation est permise pourvu qu’elle soit brillamment exposée est une aberration et, pour le traducteur, une invitation au « n’importe quoi ». Viser le sens, même si l’on ne peut s’en approcher qu’asymptotiquement sans jamais l’atteindre, reste envers et contre tout un objectif légitime.  









Comme la France, l’Espagne dispose d’une longue tradition de réflexion sur le problème de la traduction (↗2 Réflexions sur la traduction dans les pays latins de Leonardo Bruni (1420) à José Ortega y Gasset (1937)). Elle est cependant peu connue, même des traductologues espagnols. Dans la brève partie historique de la volumineuse Introducción a la traductología de Amparo Hurtado Albir – ouvrage qui a de nombreux mérites – on lit qu’Horace se serait prononcé en faveur de la traduction « libre » :  







« La linea ciceroniana es seguida por Horacio, quien en la Epistola ad Pisones […] afirma que no hay que traducir palabra por palabra e introduce el término fiel en el debate […] » (22004, 105).  



S’il est vrai qu’Horace fut (probablement) le premier à évoquer la notion de « fidélité », l’auteure se trompe (comme beaucoup de commentateurs avant elle, y compris Saint Jérôme) sur l’interprétation du célèbre vers de l’espistola ad Pisones (« art poétique ») d’Horace : nec verbo verbum curabis reddere fidus/interpres… Au commencement du XVIIe siècle, Gregorio Morillo, un philologue espagnol, a affirmé qu’une telle interprétation ne tient pas compte du contexte amont :  











« Algunos romancistas dicen que Horacio dio más anchura a este camino [de la traducción] y que el intérprete no está obligado palabra por palabra […] Y engáñanse, que antes Horacio estrecha más la ley, y aquel verso trae dependencia de arriba […] » (Morillo, cité d’après García Yebra 1994, 63 ; cf. également Albrecht 2010).  





En effet, Horace recommande aux jeunes auteurs de faire leurs débuts sur la scène littéraire en présentant une version personnelle d’un sujet bien connu et en évitant de suivre leur modèle mot par mot comme ferait un fidèle interprète. Cela implique qu’il est lui-même convaincu qu’un traducteur doit procéder de la sorte. Valentín García Yebra, dont il sera question maintenant, a pris ce passage dans une belle anthologie de Julio-César Santoyo (1987), citée mais non lue attentivement par Hurtado Albir, et il parle à juste titre d’un Curioso error en la historia de la traducción à ce propos. Bien que ses travaux soient apparus relativement tard sur le marché du livre, García Yebra

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fait partie des traductologues « de la première génération », qui s’en tiennent d’abord aux faits linguistiques et ont une conception très étroite de la traduction, laquelle n’est pas sans rappeler celle de « l’homme de la rue ».  







« La regla de oro para toda traducción es, a mi juicio, decir todo lo que dice el original, no decir nada que el original no diga, y decirlo todo con la corrección y naturalidad que permita la lengua a la que se traduce » (García Yebra 21984, vol. I, 43).  



À l’instar des auteurs des différentes « Stylistiques comparées », García Yebra illustre les problèmes linguistiques de la traduction à l’aide d’exemples pris dans les traductions d’œuvres bien connues, et assez souvent il recourt aux exemples donnés par Mario Wandruszka dans son opus magnum (1969, cf. supra). Mais à l’opposé de celuici, il n’accepte pas toujours inconditionnellement les solutions que proposent les traducteurs professionnels :  





« Pero, al aprovechar los ejemplos reunidos por Wandruszka, no me he limitado a transcribirlos. En primer lugar, los utilizo con frecuencia para fines distintos de los buscados por él. Y, sobre todo, rectifico a veces y comento traducciones españolas que Wandruszka parece admitir sin reparo » (García Yebra 21984, vol. I, 15s.).  



La plupart des problèmes chers aux traductologues modernes ne jouent qu’un rôle marginal dans les œuvres de García Yebra (l’aspect cognitif, l’aspect herméneutique, le rapport entre « technique » et « stratégie de la traduction », les opérations sémiotiques affines comme l’imitation, l’adaptation, la parodie etc.) mais on ne saurait le qualifier de défenseur d’une position exclusivement « linguistique » dans le domaine de la traduction : en tant que traductologue et traducteur, il sait très bien qu’il ne suffit pas de savoir les langues pour savoir traduire :  















« No se puede traducir […] sin comprender sus textos escritos como un lector nativo competente. Pero esta competencia […] tampoco basta. Es necesario también, y sobre todo, el dominio de la lengua a la que se traduce […]. Esta doble capacidad, comprensiva y expresiva, supone un conocimiento profundo del léxico, de la morfología y de la sintaxis de ambas lenguas ; supone familiaridad con las culturas que se reflejan en ellas, gran acopio de conocimientos generales extralingüísticos y, para determinados tipos de traducción, cierto dominio del tema considerado o descrito en el texto » (García Yebra 21984, vol. I, 19).  





En ce qui concerne la traductologie « moderne », qui s’intéresse beaucoup plus à la stratégie qu’à la technique de la traduction et qui traite de questions et problèmes absents dans l’œuvre de García Yebra, elle s’impose dans les pays hispanophones (et lusophones) avec un certain retard par rapport à l’Europe centrale et à l’Europe de l’Ouest, mais avec d’autant plus d’assurance. Comme il est impossible de donner un aperçu complet des activités traductologiques en Espagne, nous nous limiterons à quelques aspects qui nous paraissent particulièrement importants. L’introduction de Hurtado Albir – un peu éclectique mais précisément pour cette raison très riche en informations − nous servira de « fil rouge ».  







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À côté de Teoría de la traducción y Traductología, les termes actuellement les plus usuels, on trouve un certain nombre de termes concurrents comme Lingüística aplicada a la traducción, Ciencia de la traducción, Translatología, Estudios sobre la traducción, Estudios de la traducción, Translémica (Hurtado Albir 22004, 133). Le dernier terme, forgé selon toute apparence par Julio-César Santoyo (1986 [1983]), est un acquis exclusivement espagnol et mérite une attention particulière. La première introduction à la discipline en langue espagnole est née aux États Unis, la Introducción a la traductología de Gerardo Vázquez-Ayora (1977). L’auteur réserve le terme de traductología à l’approche linguistique de la traduction. Certains auteurs emploient le terme tradumática (cf. fr. traductique) pour les recherches dans le domaine de la traduction automatique. La notion d’équivalence joue un rôle important dans la traductologie espagnole, et, contrairement à la France et surtout à l’Allemagne, où le terme de Treue est aujourd’hui presque systématiquement l’objet de moqueries ou de sarcasmes, l’équivalence est considérée par les traductologues espagnols comme héritière légitime de la « fidélité » des théories classiques :  







« Históricamente, el término fidelidad en traducción se ha solido identificar con sujeción al texto original (traducción literal) y opuesto a libertad (traducción libre); ahora bien […] no debería ser así, ya que, estrictamente hablando, fidelidad expresa únicamente la existencia de un vínculo entre un texto original y su traducción, pero no la naturaleza de ese vínculo […] » (Hurtado Albir 2 2004, 202).  





Notre auteure s’applique à libérer l’ancienne notion de ses connotations prescriptives et d’en faire un concept purement descriptif. Mais elle admet qu’aujourd’hui d’autres concepts ont pris la place de la notion traditionnelle :  

« En la corta andadura, la Traductología ha ido acuñando una serie de conceptos […] que han ido desplazando a la que ha sido la noción clave a lo largo de la historia : la noción de fidelidad. Estas nociones son : la equivalencia traductora, la invariable traductora, la unidad de traducción, el método traductor, las técnicas de traducción, las estrategias traductoras, los problemas de traducción y los errores de traducción » (Hurtado Albir 22004, 201).  







Cette affirmation est un peu sujette à caution : la seule notion qui a, si l’on veut, « remplacé » (desplazado) celle de « fidélité », c’est l’equivalencia traductora, l’équivalence en matière de traduction ; les autres notions se trouvent, certes, dans un certain rapport notionnel avec la « fidélité en traduction », mais elles ne la « remplacent » pas. La question mérite un petit excursus terminologique. Comme il a été mentionné plus haut, Santoyo a forgé les termes translema et translémica (« au-delà du lemme »), que son élève Rosa Rabadán définit de la façon suivante :  

























« T RANSLEMA : 1. […] Unidad mínima de equivalencia interlingüística, susceptible de permutación funcional y no reducible a unidades menores sin pérdida de su condición de equivalencia.  



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2. Unidad bitextual, de cualquier tipo o nivel, constituida por un mismo contenido y dos manifestaciones formales diferenciadas pero solidarias, y cuya existencia depende de la relación global de equivalencia subyacente a cada binomio textual TO-TM. T RANSL RANS LÉMIC ÉMICA A : […] Disciplina que se ocupa, en un marco abstracto y metodológico propio, de explicar, predecir y dar cobertura teórica sistemática, a la vez que coherente, a los fenómenos y procesos de traducción. Su noción central es la equivalencia translémica y su unidad el translema » (Rabadán 1991, 300).  





À quelques détails près, le translema correspond à l’unité de traduction de Vinay/ Darbelnet : « … le plus petit segment de l’énoncé dont la cohésion de signes est telle qu’ils ne doivent pas être traduits séparément » (repris par Malblanc 21963, 13) et la translémica correspond plus ou moins exactement à ce que nous entendons par « technique de la traduction », une technique qui dépend toutefois étroitement du plan traductologique supérieur, c’est-à-dire de la stratégie de traduction. Beaucoup de traductologues, et pas seulement en Espagne, ne distinguent pas entre équivalence virtuelle, au niveau de la langue et de la signification, et équivalence actuelle, au niveau de l’énoncé et de la désignation. Un dictionnaire bilingue ne contient que des équivalents virtuels ; il ne donne pas, comme on dit souvent à tort, des « traductions », mais des « propositions de traduction », que le traducteur peut accepter ou refuser. La translémica est la recherche systématique d’équivalents complexes « actuels » pour des segments textuels ; et il va de soi que le traducteur, dans sa recherche, ne s’oriente pas uniquement aux ressources que lui offrent ses deux langues de travail sans tenir compte des caractéristiques du texte qu’il traduit et des fins qu’il veut atteindre par sa traduction. Le succès, la gloire, l’argent, Giacometti s’en foutait – El éxito, la gloria, el dinero, le importaban un comino a Giacometti (cf. García Yebra 21984 II, 562), c’est un binomio textual acceptable dans un cas donné, mais on peut imaginer d’autres cas dans lesquels la même solution serait exclue. Une dernière observation s’impose : à l’opposé des traductologues germanophones, qui inscrivent leur discipline dans le cadre des humanités, leurs homologues espagnols ont plutôt tendance à élever la traductología au rang de science « exacte ». Un indice caractéristique en est l’emploi fréquent de termes comme predecir (cf. supra) ou predicción, qui promettent des résultats « sûrs ». Hurtado Albir fournit également des informations sur les travaux traductologiques en langue catalane et portugaise. Les pays lusophones, particulièrement le Brésil, se distinguent par une multitude d’études dans le domaine de la traduction dans sa dimension institutionnelle, en tant que branche d’activité, moins par des approches théoriques originales. Les contributions strictement techniques sont souvent rédigées en anglais ; c’est le cas, par ex., des deux suivantes choisies parmi des dizaines d’autres : « Corpus-driven terminology in Brazil » (Tagnin 2012) ou « Text Linguistics and Translation : Redefining the concept of ‹ cultural mark › » (Azenha Jr. 2008). Le « Call for Papers » par lequel la revue Mutatis Mutandis a invité récemment traducteurs et chercheurs à envoyer des contributions sur des problèmes de traduc 





















































   

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tion dans le contexte brésilien offre à sa manière une vue d’ensemble de la traductologie au Brésil :  

« Les études de traduction au Brésil ont fait preuve, dans les dernières décennies, d’une production bibliographique considérable, de caractère théorique, de réflexion, et des traductions. La recherche en traductologie a un caractère transdisciplinaire avec des contributions provenant de l’Anthropologie, La Critique Génétique, l’Histoire Sociale et Politique, la Sociologie, entres autres disciplines. Cela correspond à une volonté de positionner la littérature traduite à l’intérieur du polysystème de la littérature nationale, octroyant aux traductions un caractère d’auteur » (http:// calenda.org/272441?utm_source=lettre).  



Ce qui vaut pour les pays hispanophones vaut également pour l’espace lusophone : On constate une certaine contradiction – au moins implicite – entre l’aspiration à élever la traductologie au rang de discipline autonome et la mise en valeur de sa « transdisciplinarité ». Une première idée de l’histoire des réflexions théoriques sur la traduction provenant d’Italie a été donnée dans l’article ↗2 Réflexions sur la traduction dans les pays latins de Leonardo Bruni (1420) à José Ortega y Gasset (1937). On trouvera des informations plus complètes (mais toujours succinctes) chez Duranti, « Italian tradition » (1998) ou dans la Storia della traduzione de Bruno Osimo (2002). Dans les anthologies des essais théoriques sur la traduction en Occident, les penseurs italiens ne sont que faiblement représentés (cf. Pöckl/Pögl 2007, 1373). Dans le domaine des humanités, l’Italie a longtemps constitué un monde « à part », qui se suffisait à lui-même. Depuis la distinction introduite par Giambattista Vico entre un mondo naturale et un mondo civile (delle nazioni) au XVIIIe siècle, les humanités ont pu mieux conserver leur prestige qu’ailleurs ; elles ont moins souffert de la suprématie croissante des sciences naturelles que dans d’autres pays européens. Les approches strictement techniques de la traduction ont fait leur apparition en Italie avec un certain retard. L’ouvrage de Charles Bally Linguistique générale et linguistique française (avec une note introductive de Cesare Segre présentant les idées principales de la linguistique contrastive au public italien) n’a été traduit qu’en 1963, soit près de trente ans après la parution de la première édition. La Stylistique comparée de l’italien et du français, mentionnée ci-dessus, ouvrage tout à fait « épigonal », a trouvé peu de résonnance. Les travaux d’Enrico Arcaini et de Marcello Soffritti, qui abordent les problèmes « concrets » de la traduction du point de vue d’une linguistique techniquement élaborée, sont restés en dehors du mainstream de la traduttologia italiana ; Eco ne cite même pas leurs noms dans son livre sur la traduction mentionné ci-dessus (cf. Arcaini 21986 ; Soffritti 2006). Les langues de spécialité et la terminologie ont également été un peu négligées ; le recueil de travaux réunis par Margherita Ulrych réserve cependant une section à ce domaine (Ulrych 1997, section VII). Beaucoup d’historiens voient la raison de cette « exception italienne » dans l’influence qu’a exercée Benedetto Croce durant des décennies sur la vie intellectuelle de son pays :  





































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« The delay in the development of translation studies in Italy is probably due to the negative attitude of influential thinkers like Benedetto Croce (1866–1952) who, following Dante, dismissed translation as a logically impossible task […] » (Duranti 1998, 481).  



Le prestige énorme de l’« idéalisme » tout à fait particulier du philosophe napolitain n’a pas seulement freiné considérablement la propagation du structuralisme linguistique en Italie ; il a également entravé le développement d’une « science de la traduction », réclamée expressément, mais beaucoup plus tard, par Franco Buffoni (2007 b) dans son essai Per una scienza della traduzione. Pour Croce, l’art et le langage étaient des manifestations inséparables d’une des quatre formes que peut assumer l’esprit : la forme théorico-intuitive. Esthétique et linguistique n’étaient pour lui qu’une seule discipline. Tullio De Mauro, représentant d’une génération de linguistes beaucoup moins « idéalistes », a qualifié cette conception de « bomba piena di esplosiva follia » (De Mauro 1954, 376). Chaque énoncé dépassant les formules stéréotypées de la vie quotidienne était pour Croce une forme de « poésie », la manifestation d’un acte créateur unique. L’idée de vouloir répéter un tel acte par les moyens d’une autre langue lui paraissait vaine :  



























« I singoli fatti espressivi sono altrettanti individui, l’uno non ragguagliabile con l’altro, se non nella comune qualità di espressione. Per adoperare il linguaggio delle scuole, l’espressione è una specie che non può fungere a sua volta da genere. Variano le impressioni ossia i contenuti : ogni contenuto è diverso da ogni altro, perché niente si ripete nella vita ; al variare continuo dei contenuti corrisponde la varietà irriducibile delle forme espressive, sintesi estetiche delle impressioni » (Croce 1990 [1902], 86).  







En ce qui concerne les énoncés « pratiques » de la communication quotidienne et surtout les textes scientifiques, Croce se montre moins pessimiste ; il admet qu’une equivalenza dei segni, uniquement au plan du contenu, est tout à fait possible (Bschleipfer/Schwarze 2011, 1955s.). Parmi les linguistes, Benvenuto Terracini joue un rôle tout à fait particulier dans la réflexion sur le problème de la traduction. Représentant de l’école italienne de dialectologie et de géographie linguistique, la « neolinguistica », il est tout autre chose qu’un spécialiste en la matière. Il est pourtant intervenu trois fois dans le débat traductologique, et ses trois conférences ont été réunies, après sa mort, dans un petit volume qu’on ne devrait pas passer sous silence (Terracini 1983). Loin d’ennuyer son public avec des détails techniques, il se présente plutôt comme un « honnête homme » avec une immense culture générale et de vastes connaissances littéraires. Pour décrire la tension entre l’équivalence virtuelle déterminée par les différences entre les cultures et les langues respectives et l’équivalence actuelle « établie » chaque fois par le traducteur, il a trouvé une formule originale : « grammaire du traducteur » versus « langue du traducteur » :  





























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« Infatti chi ha prospettato con la dovuta ampiezza il problema della traduzione l’ha considerata come il prodotto tipico dell’antinomia che corre tra l’universalismo della cultura e il particolarismo della concreta forma di cultura che si elabora in ciascuna lingua storicamente prodotta. Quella rigida opposizione di ambienti culturali che è condizione necessaria del tradurre, si riverbera dunque in una infinita serie di opposizioni formali che il traduttore deve superare nell’atto stesso in cui stabilisce le sue equivalenze di contenuto. Se l’insieme di queste può dirsi la grammatica del traduttore, il superare ciascuna di quelle opposizioni costituirà un lavoro che a buon diritto potremo chiamare la lingua del traduttore » (ibid., 40s.).  



Si l’Italie se montre peu active en matière de théories et de modèles de traduction en général, elle excelle en revanche dans le domaine de la traduction littéraire et dans celui d’une histoire de la traduction qui reflète en même temps l’histoire des idées. Ce n’est pas par hasard que le second livre de Georges Mounin sur la traduction – beaucoup moins technique que Théories et modèles – a d’abord paru en langue italienne : Teoria e storia della traduzione (1965). La version allemande a été traduite à partir de l’italien. La traduction littéraire est un terrain glissant où des opinions contraires s’affrontent. Franco Fortini voit dans la traduction une activité littéraire sui generis et s’applique à ce qu’on reconnaisse au texte traduit une valeur littéraire propre ; pour le poète lui-même, traduire est « un metodo economico per assumere un’identità diversa dalla propria ». Où Croce parlait de « la nostalgia dell’originale », évoquée par sa traduction, Fortini découvre un aspect positif dans la distance entre texte original et texte traduit : une « tensione tra la memoria dell’originale e l’apprensione del nuovo originale ossia della traduzione » (Fortini 1973, 60). À son avis, les opérations sémiotiques affines comme « l’imitazione, la parodia, il rifacimento » ont droit de cité à l’intérieur de la production littéraire. Les limites entre « écriture » et « traduction » sont estompées. Emilio Mattioli et Franco Buffoni adoptent à l’égard des différentes formes de la traduction littéraire une attitude qui paraît, du moins à première vue, contradictoire. D’une part, comme éditeurs de la prestigieuse revue Testo a fronte, dont le nom vaut programme, ils ont encouragé la propagation d’éditions bilingues de textes importants, des éditions dans lesquelles le texte traduit n’a qu’une fonction ancillaire, puisqu’il sert en premier lieu à faciliter la compréhension du texte original imprimé sur la page « en regard » (cf. infra, 3). D’autre part, ils plaident pour une conception extrêmement « libre » de la traduction, une approche « phénoménologique », qui proscrit toute théorisation a priori : est considéré comme traduction tout texte qui se déclare tel. Les limites entre traduction et réception d’œuvres étrangères sont intentionnellement brouillées (cf. Buffoni 2005 ; 2007a ; Mattioli 1993). Les deux théoriciens se montrent profondément influencés par Henri Meschonnic et l’importance que celui-ci accorde au « rythme » (cf. supra ; Buffoni/Mattioli 2002). Il va sans dire que le livre sur la traduction du célèbre écrivain Umberto Eco a eu un retentissement plus grand que les travaux des traductologues en titre. Dire quasi la stessa cosa, « dire presque la même chose », est un titre ironique, qui correspond à la  

























































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conception naïve de la traduction du grand public : traduire, c’est dire la même chose dans une autre langue. L’auteur se fait un malin plaisir de « démonter » son titre dès les premières lignes du livre :  







« […] abbiamo molti problemi a stabilire che cosa significhi ‹ dire la stessa cosa ›, e non lo sappiamo bene per tutte le operazioni che chiamiamo parafrasi, definizione, spiegazione, riformulazione, per non parlare delle pretese sostituzioni sinonimiche. In secondo luogo perché, davanti a un testo da tradurre, non sappiamo quale sia la cosa. Infine, in certi casi, è persino dubbio che cosa voglia dire dire » (Eco 2003, 9).  







L’idée centrale du livre est celle de la traduction comme négociation. À l’instar de son compatriote Carlo Goldoni, Eco se sert de l’image du servitore di due padroni ; le traducteur, au service du texte original et du texte traduit, doit négocier un compromis acceptable pour les deux partis. Cette conception, séduisante à première vue mais un peu simpliste, n’a pas trouvé grâce aux yeux des traductologues italiens. Buffoni parle, plein de mépris, d’une « stolida, risibile e piuttosto volgare ‹ negoziazione › » (2007a, 17). La Roumanie, pour finir, a connu une riche production de traductions à partir du XIXe siècle ; beaucoup de traducteurs, plus ou moins polyglottes, ont traduit à partir de plusieurs langues européennes. La théorie de la traduction en est cependant restée au stade des réflexions personnelles des traducteurs sur leur travail :  





   





« Translation theory remains closely connected with practice in Romania. Most of the literature on translation is published by professional translators or teachers of translation » (Kohn 1998, 539).  



Dans le domaine de la traduction littéraire, l’aspect de la réception du texte traduit par ses lecteurs joue un rôle important. Dans son Orizontul traducerii Gelu Ionescu s’oriente vers « l’esthétique de la réception » de l’école de Constance (Schippel 2011, 2121).  



3 Les types de traduction privilégiés dans les différents pays de langue romane Pendant des siècles la traduction a assumé une tâche ancillaire à l’intérieur du système de la rhétorique classique qui occupait une position dominante dans l’enseignement, notamment dans les pays de langue romane. Le thème s’insérait dans le cadre de l’enseignement de la grammaire, de l’ars recte loquendi ; c’était un moyen de contrôler les connaissances linguistiques élémentaires des étudiants. Comme le thème ne joue qu’un rôle très modeste dans le domaine de la traduction professionnelle actuelle, nous n’en tiendrons plus compte ici. En revanche, la version était considérée comme moyen d’améliorer et d’enrichir la faculté d’expression de l’élève dans sa langue maternelle. En traduisant des textes prestigieux des langues classiques, celui-ci était obligé de trouver des moyens linguistiques pour l’expression de  

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faits et d’idées qu’il n’aurait probablement jamais exprimés spontanément. La version était donc au service de la rhétorique proprement dite, de l’ars bene dicendi, son but étant l’élégance stylistique, le texte « bien écrit ». Cependant, avec l’élargissement de l’enseignement public à de nouvelles couches de la population au cours du XIXe siècle, la version fut chargée d’une autre fonction, au moins partiellement en contradiction avec la première : elle devint moyen de contrôle de la compréhension exacte du texte par l’étudiant. Dans le monde de l’enseignement, c’est cette seconde fonction qui occupe aujourd’hui le premier rang dans la hiérarchie des exigences posées à l’élève : élégance stylistique oui, mais jamais au dépens de la « fidélité ». Dans le monde de la traduction professionnelle, c’est moins simple ; nous assistons au cours de l’histoire à un mouvement de balancier entre ces deux exigences en partie contradictoires. Au temps des « belles infidèles », c’était la première qui prévalait, l’élégance stylistique qui importait ; on s’intéressait moins à l’Iliade en tant que telle qu’à l’Iliade d’un certain traducteur, connu également comme écrivain raffiné (cf. Mounin 1955 ; Zuber 1995 [1968] ; Balliu 2002). Avec le Romantisme et l’Historicisme montant, le balancier revint vers le côté opposé. Pour donner une idée du changement de climat, il suffit de rappeler les deux versions du monologue d’Hamlet que Voltaire réalisa en 1734 et en 1761. La première est une paraphrase élégante, qui laisse à peine entrevoir l’original, tandis que la seconde est extrêmement littérale, proche du mot à mot (cf. Stackelberg 1988). Dans sa traduction du Paradise lost de Milton, Chateaubriand est allé encore plus loin. Il commet une faute de français pour rester le plus proche possible de l’original :  

























« Many a row of starry lamps …/ Yielded light / As from a sky Plusieurs rangs de lampes étoilées …émanent la lumière comme un firmament »  



Ce qui frappe c’est la façon dont il commente dans une note la faute de grammaire commise :  

« Or je sais qu’émaner en français n’est pas un verbe actif [i.e. transitif] ; un firmament n’émane pas de la lumière, la lumière émane d’un firmament ; mais traduisez ainsi, que devient l’image ? Du moins le lecteur pénètre ici dans le génie de la langue anglaise ; il apprend la différence qui existe entre les régimes des verbes dans cette langue et dans la nôtre » (cité dans Steiner 1975, 316s. ; cf. également Berman 1985, 109–125).  













La tradition des « belles infidèles » n’est cependant pas morte, du moins en ce qui concerne l’aspect purement linguistique de cette façon de traduire. Dans les années 1950 parut un roman qui, dans un style hautement pathétique et parfois un peu maniéré, évoquait la lente destruction d’une formation aérienne allemande au combat contre les avions de chasse anglais : Die sterbende Jagd, L’agonie de la chasse. Quelques exemples suffisent à montrer que le traducteur français en a fait un livre qui doit fasciner le lecteur par le suspens créé par les faits relatés, sans le gêner par des caprices stylistiques « difficiles à digérer » :  











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« Geräuschvolles Wiedersehen entstand (Gaiser 1953, 25) [De bruyantes retrouvailles eurent lieu.] Ils manifestaient bruyamment leur joie de se revoir.  

Wie in jeder Nacht fanden Überfliegungen statt, meist durch Minenflugzeuge, kommend und gehend (168) [Comme chaque nuit, des survols eurent lieu, le plus souvent des avions poseurs de mines qui allaient et venaient.] Comme presque chaque nuit, des avions ennemis survolaient le secteur, pour la plupart des poseurs de mines allant exécuter des missions ou regagnant leurs bases. Eine Schlechtwetterfront war durchgezogen, und jetzt mit der Rückseite breitete sich eine Bläue über die Landschaft. (186) [Un front de mauvais temps était passé, et maintenant, derrière lui le bleu se répandait sur le paysage.] Une masse de nuages compacts venait de traverser le ciel, et maintenant, derrière elle, un grand morceau d’azur se déployait au-dessus du paysage. »  

Dans les hautes sphères de l’activité culturelle, les choses se présentent d’une façon tout à fait différente ; les traducteurs français de Heidegger ne s’appliquent généralement pas à épargner au lecteur français « l’épreuve de l’étranger ». Nous nous contentons d’un seul exemple :  







« Wir nennen das im Besorgen begegnende Seiende das Zeug. Im Umgang sind vorfindlich Schreibzeug, Nähzeug, Werk-, Fahr-, Meßzeug. […] Ein Zeug ‹ ist › strenggenommen nie. Zum Sein von Zeug gehört je immer ein Zeugganzes, darin es dieses Zeug sein kann, das es ist. Zeug ist wesenhaft ‹ etwas, um zu … › » (Heidegger 192006 [1927], 68).  







   

« L’étant se rencontrant dans la préoccupation, appelons-le l’util. Dans le commerce avec l’étant au sein du monde se rencontrent des utils pour écrire, des utils pour coudre, des outils [sic !] des utils de transport, des utils de mesure […] Un util n’« est » en toute rigueur jamais. A être de l’util appartient toujours chaque fois un utillage à l’intérieur duquel cet util peut être ce qu’il est » (Heidegger/Vezin 1986, 104).15  









Une certaine réserve vis-à-vis de traductions particulièrement « éloignantes » se montre même chez des traductologues français, qui, théoriquement, devraient être à l’abri de « l’épreuve de l’étranger » : Ricœur qualifie la version de la Bible de Chouraqui de « rugueuse », mais il la cite tout de même (Ricœur 2004, 35) ; Maurice Pergnier, en revanche, est plus sévère ; il parle de la « servilité, volontaire ou inconsciente, aux structures de la langue de départ qui […] aboutit au galimatias (dont un exemple récent nous est offert par la Bible de Chouraqui) » (Pergnier 1989, XXII).  





















15 Traduction de François Vezin. Cette traduction peut être critiquée à maint égard, même si l’on accepte la tournure extrêmement « éloignante ».  



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La traductologie dans les principaux pays de langue romane

Quant à la célèbre alternative posée par Schleiermacher : « Ou bien le traducteur laisse l’écrivain le plus tranquille possible et fait que le lecteur aille à sa rencontre » (traduction « éloignante » selon la terminologie de Meschonnic), « ou bien il laisse le lecteur le plus tranquille possible et fait que l’écrivain aille à sa rencontre » (Schleiermacher 1999, 49).16 (traduction « rapprochante » selon Meschonnic), la pratique des traducteurs et les préférences du public changent selon les époques et selon les genres littéraires : toute traduction « libre » n’est pas forcément « rapprochante » et les traductions « littérales » (ou qui se veulent « proches de l’original ») ne sont pas nécessairement « éloignantes ». On peut, comme par ex. Jacques Amyot, traduire « de façon philologiquement exacte » (selon les possibilités de l’époque) et tout de même chercher à « ne pas dépayser » le lecteur. Dans ses Vies parallèles, traduites de Plutarque, au chapitre dédié à Numa Pompilius, les « vestales » deviennent d’abord des « religieuses vestales » et puis tout simplement des « religieuses », et presque tout l’inventaire d’offices et d’institutions du monde gréco-latin est remplacé par les équivalents approximatifs de la France du XVIe siècle :  





























































« Vous trouverez dans son antiquité à lui [i.e. à Amyot] des sergents, des prévosts, des syndics, des baillis, le clergé, les gens d’église, des religieuses, des sacristains et des marguilliers » (Bellanger 1903, 12).  



En revanche, beaucoup plus tard, au XIXe siècle, à l’apogée de l’historicisme, Leconte de Lisle donne une Iliade (1866) qui a tout pour rebuter le lecteur habitué aux versions du XVIIIe siècle :  

« De même que, le foudroyant Zeus ayant dissipé les nuées noires au faîte d’une grande montagne, tout apparaît soudainement, les cavernes […] et qu’une immense sérénité se répand dans l’Aithèr ; de même les Danaens […] » (Iliade, chant XVI, vers 298s.).  





Georges Mounin situe Leconte Delisle à l’extrême limite de la thèse romantique [de la traduction], affirmant qu’il a donné à la France « quelle traduzioni integrali che sono alla punta estrema della tesi romantica » (Mounin 1965, 56). À y regarder de plus près, il s’agit moins d’une conception vraiment nouvelle de la traduction que d’un procédé aussi spectaculaire que superficiel, qui consiste à laisser une certaine quantité d’expressions dans la langue originale pour donner un peu de couleur locale. C’est précisément ce procédé qui prévaut aujourd’hui dans la traduction de la littérature « grand public » jusques et y compris aux « romans de gare », tant en France que dans les autres pays de langue romane – et ailleurs. Cette tendance n’a pas sa source dans une conception spécifique de la traduction, elle n’est qu’un effet de la mondialisation : en parlant dans un roman français de clotted cream, public school, tortellini alla panna, carabiniere, semana santa ou Hefeweizen, on flatte le lecteur qui a beaucoup voyagé et « tout vu ».  















16 Schleiermacher 1813, traduction d’Antoine Berman, Paris 1999, 49.



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La situation actuelle en Espagne, Portugal, Italie et Roumanie ne se distingue pas beaucoup de celle de la France ; les différences importantes concernent plutôt le passé. L’époque des « belles infidèles » au sens large du terme a duré plus longtemps dans ces pays qu’en France, où, à l’instar de l’Allemagne, on assiste à l’essor d’une science philologique qui encourage la production de traductions « historiquement exactes ». Pour tous ces pays, le français reste longtemps une « langue de référence » ; les grands textes des littératures anglaise et allemande sont souvent traduits à partir de versions françaises ; les traductions « de seconde main » y sont bien plus fréquentes qu’en France (cf. par ex. Plack 2015). L’Espagne et la Roumanie ont connu des périodes de censure sévère, ce qui a donné lieu à la naissance de traductions « mutilées » qui mériteraient un examen particulier. Pour la petite communauté linguistique des locuteurs du catalan, la traduction des œuvres importantes des grandes littératures en langue catalane a été et continue à être un moyen de consolider sa propre identité linguistique et culturelle (Mallafré 2011). Nous devons probablement à un docte jésuite espagnol l’élaboration d’un type de traduction qui joue un rôle important en linguistique : la traduction « morphème par morphème » (rank bound translation on morphemic level). Lorenzo Hervás y Panduro, en donnant des exemples des langues indigènes de l’Amérique latine, ne traduit pas le « sens » d’un énoncé, mais « ce que la langue dit vraiment », donc pas quiero comer « je veux manger », mais mi comer quiero « je veux mon manger ». Cette technique a été reprise par Wilhelm von Humboldt et, après lui, par beaucoup de linguistes travaillant sur des langues « exotiques » (cf. Coseriu 1978).  



















































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Martin Will

4 Les théories de l’interprétation dans les principaux pays de langue romane Abstract : La dernière décennie du siècle passé a vu les sciences de l’interprétation s’émanciper par rapport à celles de la traduction. Il s’agit donc d’une discipline encore jeune, appelée à évoluer de manière dynamique. D’où l’intérêt de documenter son état et son évolution. Depuis les débuts, toute une série d’études scientométriques ont été menées à cette fin. Mais rares sont celles qui considèrent cette discipline dans son ensemble et la replacent dans un contexte international afin de déceler d’éventuelles tendances et particularités nationales. Face à cette problématique, la présente étude s’efforcera de présenter un aperçu du développement de la recherche en sciences de l’interprétation dans les principaux pays de langue romane. Ce faisant, elle s’appuiera sur le travail pionnier de Pöchhacker (1995 et 2000), qu’elle essayera d’actualiser pour les pays en question afin d’en dégager quelques aspects particuliers.    

Keywords : théories de l’interprétation, sciences de l’interprétation, étude scientométrique, pays de langue romane, CIUTI    

1 Introduction Dans la littérature spécialisée, l’émergence des sciences de l’interprétation en tant que discipline indépendante est communément située dans la période entre le colloque international sur la formation des interprètes à Trieste en 1986 et la conférence internationale sur l’interprétation de conférence à Turku en 1994 (cf. en outre Pöchhacker (2000, 75); Pöchhacker/Shlesinger (2002, 3); Riccardi (2002, 15); Gile (22009, 54)). Pöchhacker/Shlesinger (2002, 3) font même référence à l’automne 1992, période à laquelle le terme de « sciences de l’interprétation » (interpreting studies) aurait été utilisé pour la première fois dans ce sens face à un public plus large. Durant cette période, l’interprétation trouve sa place en tant que « field of study in its own right » (Pöchhacker/Shlesinger (2002, 3)) et délimite son territoire par rapport aux sciences de la traduction, qui l’avaient longtemps considérée comme une variante, comme une sorte de « forme orale de la traduction ».1 Cependant, cette conception ne prenait pas en compte – ou pas suffisamment – les caractéristiques constitutives de l’interprétation. Ainsi, l’interprétation repose sur la nécessité de  











1 Holmes (1988, 74) la considère par ex. comme faisant partie des medium restricted translation theories.

Les théories de l’interprétation dans les principaux pays de langue romane

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comprendre immédiatement un texte oral qui n’est présenté qu’une seule fois, ce qui repose sur certains préalables cognitifs (cf. Will 2000 ; 2009). Le fait que l’interprétation fasse partie d’un processus de communication en est un autre exemple. Ces particularités sont aujourd’hui largement acceptées par les spécialistes, de sorte que les sciences de la traduction et les sciences de l’interprétation sont considérées comme des disciplines voisines mais bien distinctes et de valeur égale, regroupées toutes les deux sous le terme générique de traductologie (Translationswissenschaft) introduit par Otto Kade et l’école de Leipzig. Pour répondre à ce nouveau statut, la nouvelle discipline mise dès le départ sur l’amélioration du niveau scientifique et académique dans ses propres travaux de recherche. Elle tente de mettre en place ses propres méthodes et procédures d’analyse tout en recherchant une approche interdisciplinaire, en particulier avec les sciences cognitives. En même temps, elle souligne la nécessité «… by academic and extraacademic bodies to promote interpretation research and train interpretation researchers » (cf. Gambier/Gile/Taylor 1997, 7). Peu de temps après apparaissent les premières études scientométriques de Pöchhacker (1995 ; 2000). Avec quelques 1 150 titres publiés entre 1989 et 1997, collectés au niveau mondial et concernant toutes les formes d’interprétation, ces études comptent toujours parmi les analyses les plus complètes du genre. Ces premières données quantitatives donnent encore l’image d’une discipline assez fermée. Elle est dominée par quelques scientifiques exceptionnellement productifs dans certains « centres de production » (établissements d’enseignement supérieur de traduction et d’interprétation), alors que la grande majorité des auteurs ne publie qu’une seule fois. Les résultats de l’enquête font ressortir en outre que :2  















– –

Trois des dix domaines d’interprétation concernent 66% des publications, à savoir l’interprétation simultanée, l’interprétation de conférence et l’interprétation générale, catégories qui d’ailleurs se recoupent considérablement. Parmi les 13 sujets abordés, ceux consacrés à l’enseignement/la didactique représentent à eux seuls 4% des publications. La part des monographies (livres et thèses de doctorat) constitue 8% du volume total des publications, celle des thèses un peu moins de 1,8%.

Bien que ces résultats semblent plutôt décevants, il faut les resituer dans le contexte de l’époque, c’est-à-dire à un moment où la nouvelle discipline était encore dans sa phase initiale. Il était alors compréhensible qu’elle se concentre sur quelques aspects fondamentaux et sujets bien précis. En fait, dès cette époque, le nombre des nouvelles thèses de doctorat était constant et le nombre des publications en progression, tout comme l’intégration de la nouvelle discipline au niveau international.

2 Une présentation exhaustive des données se trouve dans Pöchhacker (2000, 83ss.).

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C’est sur cette base que se développent, dès la fin des années 1990, de nouveaux domaines de recherche. Gile (22009, 54s.) se réfère ici notamment aux sciences cognitives (mémoire et traitement de l’information), à la neurophysiologie (latéralisation des processus du cerveau), à la pratique professionnelle (recherche de la qualité, interprétation dans les médias/pour la télévision, stress) et à la sociologie (interprétation communautaire). De plus, la théorie de l’interprétation s’établit dans les curriculums universitaires de formation des interprètes. Ce qui fait des sciences de l’interprétation une discipline « à facettes multiples » et contribue à son « succès » (Pöchhacker 2010, 84 et 93). Mais quels sont les changements intervenus depuis la fin du premier inventaire réalisé par Pöchhacker (enquête qui n’a plus été actualisée sous cette forme depuis) et aujourd’hui ? Et comment se présente l’état actuel des sciences de l’interprétation ? Quelles sont les tendances et quels sont les courants nationaux et internationaux face au développement de la recherche ? Telle est la problématique évoquée dans la présente étude. Dans le cadre de la thématique de cet ouvrage, ces questions seront abordées pour les (principaux) pays et régions de langue romane, dans le but de donner un aperçu des théories de l’interprétation (i.e. des travaux de recherche en matière des sciences de l’interprétation) qui ont cours dans leurs centres universitaires de formation et de recherche. À cette fin, une étude scientométrique récente a été menée, qui s’inspire par sa forme et par son contenu des travaux de Pöchhacker (1995 ; 2000). Dans une première partie, on abordera l’objet, la structure et l’approche de cette enquête et dans une seconde partie la présentation et la discussion des résultats par rapport à la problématique exposée ci-dessus. L’étude se terminera par un résumé et une évaluation critique des résultats.  















2 Objet, structure et approche 2.1 Objet de l’enquête Cette enquête est basée sur un corpus de 379 publications individuelles rédigées par 64 auteurs ou collectifs d’auteurs et publiées dans la période 2000–2013. Elle repose sur une analyse des sites web de tous les instituts membres de la CIUTI3 situés dans des pays ou régions de langue romane. Au moment de la collecte des données (du 2 au 12 décembre 2013), cela représente 12 institutions situées dans six pays ou régions

3 Fondée en 1960, la CIUTI (Conférence internationale permanente d’Instituts universitaires de traducteurs et interprétes) est l’association internationale la plus ancienne et la plus prestigieuse des instituts universitaires de traduction et d’interprétation. Elle compte actuellement 42 membres, parmi eux tous les instituts de recherche et d’enseignement de renom.

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différents : la France, le Québec, l’Italie, la Suisse Romande, l’Espagne et la Wallonie ainsi que la région de Bruxelles. Ainsi, les noms des personnels scientifiques et enseignants en exercice au moment de la collecte et mentionnés sur les sites internet de ces 12 institutions ont été saisis aussi bien pour la filière de traduction que pour celle de l’interprétation. Puis, les publications afférentes ont été collectées, soit via les pages dédiées au personnel, soit via les bibliothèques en ligne des instituts et universités concernés. Dans plusieurs cas, il a également fallu avoir recours à des sites extra-universitaires. Toutefois, seules les publications effectivement parues entre janvier 2000 et la fin de la collecte des données ont été retenues. Il s’agit uniquement de travaux originaux avec une référence claire à l’interprétation, et pour lesquels une certaine compétence technique et indépendance scientifique peuvent être supposées. Ont donc été exclus de la collecte les affiches, les traductions d’ouvrages parus dans une autre langue, les œuvres éditées, les préfaces ainsi que les travaux de fin d’études (diplômes ou masters). Sur la base de ces critères, la collecte n’a abouti à aucun résultat pour quatre instituts. Il s’agit du Département de linguistique et de traduction de l’Université de Montréal, de l’Institut Libre Marie Haps (ILMH) de Bruxelles, de la Haute École Léonard de Vinci de Bruxelles et de l’Institut Supérieur de Traducteurs et Interprètes (ISTI) également de Bruxelles. Pour deux autres établissements, l’IIE de Mons et le DTI de Madrid, la disponibilité des données s’est avérée précaire, de sorte que les résultats, bien que répertoriés dans l’enquête, ne seront pas commentés spécifiquement.4 Restent en tout cinq pays ou régions pour un total de neuf instituts :  



– –

France (2) : École Supérieure d’Interprètes et Traducteurs – ESIT (Paris) ; Institut de Management et de Communication Interculturel – ISIT (Paris). Italie (3) : Scuola di Lingue e Letterature, Traduzione e interpretazione dell’Università di Bologna, sede di Forlì – SLLTI (Forlì) ; Facoltà di Interpretariato e Traduzione, Libera Università San Pio V – FIT (Roma) ; Sezione di Studi di Lingue Moderne per Interpreti e Traduttori Università di Trieste – SSLMIT (Trieste) ; Suisse Romande (1) : Faculté de Traduction et d’Interprétation de l’Université de Genève – FTI (Genève). Espagne (2) : Facultad de Ciencias Sociales y Humanas, Departamento de Traducción e Interpretación, Universidad Pontificia Comillas – DTI (Madrid) ; Facultad de Traducción e Interpretación, Universidad de Granada – FTI (Granada). Belgique – Wallonie et Région de Bruxelles (1) : Faculté de Traduction et d’Interprétation, École d’Interprètes Internationaux de l’Université de Mons- Hainaut – EII (Mons).  











– –











4 En ce qui concerne la problématique d’accès aux données via la présence web des instituts, voir aussi le chapitre 5.

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Martin Will

2.2 Conception de l’étude Toutes les publications mentionnées sur les sites web des instituts et correspondant aux critères mentionnées ci-dessus ont été saisies dans une base de données relationnelle, avec les variables suivantes :  

– – – – –

Pays, dénomination (acronyme) et siège de l’institut universitaire. Nom de l’auteur (des auteurs), titre de la publication, nom de l’éditeur et l’année de publication. Langue et type de publication (article, monographie, thèse de doctorat). Domaine d’interprétation et sujet de la publication. URL de la page d’accueil de l’Institut, l’URL de la page web contenant les données bibliographiques ainsi que la date et l’heure de création de l’enregistrement.

Sur la base de cette structuration, trois questions centrales ont été abordées : elles concernent le contenu (3.1) et le type (3.2) de la publication enregistrée ainsi que l’activité de recherche et de publication des auteurs et des institutions au niveau individuel (3.3). Le contenu des publications est déterminé en fonction d’une analyse sémantique du titre, complétée si nécessaire (et si possible) par des informations contextuelles supplémentaires, tels que des mots-clés et/ou un résumé (abstract) :  







Le domaine d’interprétation est classé selon neuf catégories, en fonction du mode de l’interprétation (simultanée ou consécutive) et de son contexte (interprétation de conférence, interprétation judiciaire, interprétation de liaison, interprétation pour les médias et interprétation en langue des signes) (cf. Pöchhacker 2000, 84ss.). Les publications ne pouvant être affectées à aucune de ces catégories sont classées dans la rubrique interprétation générale, tandis que les travaux qui traitent à la fois de la traduction et de l’interprétation sont repris dans la catégorie interprétation et traduction. Le classement des publications par sujet repose quant à lui sur quatre grands groupes issus d’une subdivision des domaines de recherche (Pöchhacker 2004, 111ss.) et complétés par la rubrique « aspects méthodologiques et scientifiques ». De ces cinq grandes catégories (dont les sous-groupes sont ici repris à titre d’information), les deux premières sont plutôt orientées vers l’exercice de l’interprétation, tandis que les trois autres sont plutôt rattachées à l’analyse de certains phénomènes : – Pratique et aspects professionnels, avec les sous-groupes : histoire, situation, normes, compétence, technologie, conditions de travail (ecology) et sociologie. – Formation et didactique, avec les sous-groupes : programme d’enseignement, qualifications et conditions d’aptitude, enseignement, évaluation et formation continue. – Processus, avec les sous-groupes : bilinguisme, simultanéité, compréhension, mémoire production, variables d’entrée et stratégies. – Produit et performance, avec les sous-groupes : discours, correspondance entre texte source et texte cible, effet, rôle et qualité. – Aspects méthodologiques et scientifiques.  















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Les théories de l’interprétation dans les principaux pays de langue romane

Pour évaluer le type de publications, deux critères ont été utilisés. Le premier est relatif au statut de la publication : s’agit-il d’une publication non-autonome – « article » dans un recueil, une revue scientifique ou des actes de conférence – ou d’une publication autonome sous forme de livre (« monographie » ou « thèse de doctorat », le nombre de ces dernières étant considéré comme un indicateur de l’évolution et de l’intégration des jeunes scientifiques dans la recherche). Le deuxième critère retenu a été celui de la langue dans laquelle la publication a été faite. En dernier lieu, l’activité individuelle de publication des auteurs a été évaluée et rattachée à leurs instituts universitaires d’appartenance pour quantifier l’importance des différents centres de recherche. Le point de départ étant les 379 publications individuelles saisies qui se composaient de 360 travaux avec un seul auteur, 14 avec deux auteurs, trois avec trois et deux avec quatre auteurs. Pour les publications à plusieurs auteurs, une répartition quantitative a été effectuée : la moitié dans le cas de deux auteurs, un tiers dans le cas de trois etc., tout en arrondissant le résultat obtenu vers le haut ou vers le bas.  

















3 Résultats de l’enquête 3.1 Contenu des publications S’agissant de l’aspect central de la présente étude, trois extractions de données ont été réalisées :  

– – –

Domaine d’interprétation par pays (tab. 1), Sujet par pays (tab. 2) et Sujet par domaine d’interprétation (pour l’ensemble des pays – fig. 1).  

Tab. 1 : Publications 2000–2013 par domaine d’interprétation et pays Domaine d’interprétation

Belgique

Interprétation générale Interprétation et traduction

1

Espagne

France

14

24

72

22

132

6

26

11

2

46

4

23

Interprétation en langue des signes

Italie Suisse

Total

1

18

Interprétation judicaire

1

1

10

12

Interprétation de liaison

5

1

25

31

Interprétation de conférence

2

3

24

14

Interprétation consécutive

1

1

6

1

Interprétation pour les médias

1

1

17

5

24

Interprétation simultanée

4

4

34

11

53

35

88

202

50

379

Total

4

6

49 9

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Martin Will

En examinant de plus près le tableau 1, on peut, du point de vue quantitatif, distinguer quatre groupes. La catégorie de loin la plus importante est celle de l’interprétation générale. Avec 132 ouvrages, elle représente à elle seule 34,8% de l’ensemble des publications et reste pratiquement partout en tête en ce qui concerne le nombre des publications. Dans un deuxième groupe, on trouve l’interprétation simultanée et l’interprétation de conférence (53 et 49 publications, soit 14% et 12,9% du total), suivies par le domaine interprétation et traduction (46 travaux, soit 12,15%). En troisième position, clairement distancée, mais avec un nombre toujours important de publications, se situe l’interprétation de liaison (31 publications, soit 8,2%, mais dont la grande majorité traite des aspects sociaux typiques pour l’interprétation communautaire), l’interprétation pour les médias et l’interprétation en langage des signes (24 et 23 ouvrages, soit 6,3% et 6,1%). Dans le dernier groupe finalement, on trouve l’interprétation judiciaire (12 publications, soit 3,2%) et l’interprétation consécutive (9 travaux, soit 2,4%). Si l’on regarde les pays, on constate que plus de la moitié des publications proviennent d’Italie5 (202, soit 53,8%), qui se situe pratiquement partout en tête, parfois avec une majorité écrasante de 80% des publications – sauf pour l’interprétation et la traduction et l’interprétation de conférence, où c’est la France qui présente le plus grand nombre de publications (respectivement 56,5% et 49%). Tab. 2 : Publications 2000–2013 par sujet et par pays Sujet Formation et didactique

Belgique

Espagne

France

Italie

Suisse

Total

3

14

24

49

23

113

4

41

31

4

80

9

12

77

9

107

1

3

30

5

40

7

8

15

9

39

35

88

202

50

379

Aspects méthodologiques et scientifiques Pratique et aspects professionnels Produit et performance

1

Processus Total

4

L’analyse par sujet et par pays (tab. 2) fait apparaître trois groupes quantitatifs. Le groupe le plus important est constitué par les sujets formation et didactique (113 publications = 29,9%) et pratique et aspects professionnels (107 ouvrages = 28,2%). Avec 80 publications (21,1%), le sujet aspects méthodologiques et scientifiques occupe la deuxième place. Le dernier et plus petit groupe se réfère aux thèmes produit et performance (40 travaux soit 10,6%) et processus (39 publications soit 10,3%).

5 Pays certes représenté par trois instituts, mais dont la production individuelle reste en moyenne largement supérieure à celle des autres pays. Voir aussi chapitre 5.

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Fig. 1 : Publications 2000–2013 par domaine d’interprétation et sujet (tous les pays)  

Une vue d’ensemble de tous les pays regroupant domaine d’interprétation et sujet (fig. 1) permet d’affiner l’analyse du contenu des publications. Ici, la combinaison des catégories interprétation générale et formation et didactique se révèle être la plus courante (57 ouvrages = 15,1%). Assez loin derrière, on trouve un groupe avec cinq combinaisons : interprétation générale et aspects méthodologiques et scientifiques (7,1%) ; interprétation générale et pratique et aspects professionnels (6,9%) ; interprétation simultanée avec processus (5,8%) ; interprétation pour les médias et pratique et aspects professionnels (5,3%) ainsi que interprétation de conférence et aspects méthodologiques et scientifiques (également 5,3%). Dans un troisième groupe se situent les combinaisons suivantes : interprétation générale et produit et performance (4,2%) ; interprétation et traduction et aspects méthodologiques et scientifiques (même score) ; interprétation et traduction et formation et didactique ; interprétation en langue des signes et pratique et aspects professionnels ainsi que interprétation de liaison avec produit et performances (chacune à peu près à 4%). Le reste des combinaisons se situe bien en dessous de 4% et ne sera donc pas abordé.  















3.2 Type de publications Le graphique (fig. 2) montre, à première vue, l’importance écrasante des publications non-indépendantes (« articles ») avec 361 ouvrages (soit 96,2%), et celle de l’anglais comme principale langue de publication (216 travaux, soit 57,1%). Ce n’est qu’en Espagne que l’espagnol arrive en première place avec une part de 71%. Cependant, les langues dites nationales arrivent en deuxième position dans tous les pays – sauf pour la  





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Martin Will

Suisse Romande, où l’allemand devance le français et cela, en l’absence totale de l’italien. Dix-huit travaux ont été publiés sous forme de monographie, dont cinq constituent des thèses de doctorat. Ces publications sont réparties sur trois pays, mais c’est en Italie que le nombre de monographies est le plus important (8, soit 44,4%).

Fig. 2 : Types de publications par pays et par langue 2000–2013  

3.3 Activité de publication au niveau des auteurs et des instituts de formation et de recherche Le graphique ci-dessous (fig. 3) permet de visualiser la productivité de 47 auteurs individuels issus de la collecte des données et représentés chacun par une colonne indiquant le nombre de publications. Le résultat est très hétérogène : le meilleur score – et de très loin – est de 64 publications ; ce résultat impressionnant (équivalent à cinq publications en moyenne par an) revient à Daniel Gile (ESIT-Paris). Par rapport à Gile, l’activité de publication de Russo (26) et Mack (18) à Forlì, de Sandrelli (23) à Rome, de Kellet (23), Riccardi (22), Falbo (18) et Viezzi (14) à Trieste, de Moser-Mercer (17) à Genève, et de Martín (13) à Grenade est nettement inférieure, mais toujours importante (en moyenne au moins une publication par an). Toutefois, le nombre d’auteurs n’ayant publié qu’une seule fois est élevé (13 au total).  





Les théories de l’interprétation dans les principaux pays de langue romane

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Fig. 3 : Nombre de publications par auteur, institution et pays 2000 à 2013  

4 Discussion En ce qui concerne le contenu des publications (tab. 1, tab. 2, fig. 1), la prédominance des domaines « classiques » (interprétation de conférence, interprétation simultanée, interprétation générale) est évidente. Elle se reflète dans la littérature de tous les pays et régions de langue romane tout particulièrement en relation avec les sujets de formation et didactique et pratique et aspects professionnels. Ce même constat avait déjà été dressé dans l’étude de Pöchhacker (1995 ; 2000). Cette situation pourrait s’expliquer par le fait qu’il s’agit là de contenus et compétences clés en matière de formation des interprètes et donc en principe plus attrayantes pour beaucoup d’auteurs (qui sont par ailleurs souvent des interprètes actifs). Curieusement, cet argument ne vaut pas pour l’interprétation consécutive qui, certes, jouit aussi d’une grande importance dans l’enseignement de l’interprétation, mais dont le nombre de publications est particulièrement faible. Cependant, l’importance réelle de l’interprétation consécutive a diminué de façon spectaculaire au cours de la dernière décennie ; elle ne constitue plus qu’une petite partie du marché professionnel, ce qui expliquerait le faible taux de publication de 2,4% sur la période observée qui s’élevait encore à 7,1% chez Pöchhacker (1995 ; 2000).6 La tendance inverse, par contre, est à noter pour le domaine de l’interprétation de liaison. Alors que cette catégorie représentait seulement 4,5% des publications chez Pöchhacker (1995 ; 2000), ce taux est maintenant de 8,2%. Or, la grande majorité de ces travaux (24 sur 31, soit 77,5%) est liée aux aspects sociaux et éthiques de la migration et donc relative à l’interprétation communautaire. Qui plus est, cette littérature est presque exclusivement issue d’Espagne et d’Italie (tous instituts confondus) et  















6 Notons que le sort de la traduction à vue est encore plus drastique : alors que ce domaine d’interprétation existait encore chez Pöchhacker (1995 ; 2000), il a tout simplement disparu dans la présente étude faute de publications afférentes.  



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Martin Will

a trait fondamentalement à deux sujets : formation et didactique et pratique et aspects professionnels. On peut en déduire que cette évolution est liée à la situation particulière de ces pays, très sollicités par les flux de migration. Un taux de publication plus élevé est aussi à noter pour le domaine de l’interprétation pour les médias. Avec 6,3%, ce taux est sensiblement plus élevé que dans l’étude de Pöchhacker (2,29%). Or, le développement du paysage audiovisuel au cours des dernières décennies, avec une gamme toujours plus large de chaînes et de formats, a aussi contribué au développement du marché de l’interprétation (cf. Will 2013). Il est donc tout à fait logique que cette évolution se soit traduite par un nombre croissant de publications. Il est aussi intéressant de constater que seules la Suisse et surtout l’Italie ont contribué de manière significative à cette tendance. D’ailleurs tous les instituts italiens y sont représentés, de sorte qu’on peut considérer que la composante nationale joue un rôle prédominant en raison du paysage médiatique extrêmement complexe en Italie. Quant aux sujets étudiés, il a déjà été question de l’importance absolue de la didactique et de la pratique de la profession : en effet, 58,1% des ouvrages saisis en font partie, avec une distribution locale et nationale relativement homogène. Comme cette thématique représente, pour ainsi dire, le travail quotidien en matière de formation, et comme tous les centres de recherche sont en même temps des instituts universitaires d’enseignement, ce résultat semble tout à fait logique. Cependant, on ne peut que spéculer sur les raisons expliquant la répartition des trois autres sujets de l’étude. Face à ces phénomènes plutôt complexes, un effort de recherche plus important que pour les autres sujets « empiriques » semble être nécessaire, impliquant aussi un savoir approfondi dans d’autres disciplines comme la psychologie, la recherche sur le cerveau ou en matière de méthodologie scientifique. L’intérêt personnel des chercheurs en question pourrait être un autre facteur expliquant cet état de fait. Ainsi, la thématique des aspects méthodologiques et scientifiques est présente dans presque 20% des ouvrages saisis, mais l’activité de publication se concentre sur deux pays seulement : la France et l’Italie. Or, 40 des 41 travaux français sur cette thématique proviennent d’un seul auteur – Daniel Gile (ce qui correspond aux 2/3 de son activité totale de publication). En Italie par contre, une telle concentration n’existe pas. On observe une situation comparable avec Cynthia Kellett Bidoli (SSLMIT Trieste), qui fournit 18 des 23 publications traitant de l’interprétation en langue des signes – tous auteurs confondus. En même temps, ces 18 ouvrages constituent environ 80% de sa production totale saisie. En ce qui concerne le type de publications (fig. 2), la forte proportion de travaux en langue anglaise (57,1%) reste dans les limites de Pöchhacker (1995 ; 2000) (55,7%). Il en est de même pour l’importance quantitative des publications en langue française (12,4% contre 14,5% chez Pöchhacker). Une baisse sensible est par contre à noter pour ce qui est des ouvrages en allemand : alors que chez Pöchhacker (1995 ; 2000), ils atteignaient encore un taux de 11,5%, ils ne sont plus que de 5% à présent. En revanche, l’espagnol atteint 9,5% en étant représenté dans trois pays ; l’italien obtient  



















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Les théories de l’interprétation dans les principaux pays de langue romane

même 13,7%, mais uniquement en raison de la forte production nationale qui repose, rappelons-le, sur trois instituts dans l’enquête. Alors que la proportion des monographies (livres sans les thèses de doctorat) se trouve avec 3,4% bien en dessous des résultats de Pöchhacker (1995 ; 2000) (7%), une relative stabilité est à constater pour les thèses (1,3% dans cette étude contre 1,7% chez Pöchhacker). Dans la réalité, ce pourcentage correspond à cinq doctorats et signifie que cinq auteurs (issus, en l’occurrence, de quatre institutions dans trois pays) ont rejoint les rangs des chercheurs confirmés dans leurs instituts respectifs. Si l’on considère que seules trois autres thèses relatives aux sciences de l’interprétation ont été achevées pendant la période observée (tous instituts universitaires confondus), il est permis de se demander, si cette évolution correspond vraiment aux attentes de la conférence de Turku citées plus en amont. Cette question se pose aussi au vu de la grande disparité dans l’activité de publication individuelle (fig. 3) : alors que 13 auteurs sur 47 (27%) n’ont présenté qu’une seule publication au cours de la période d’enquête (7,1% de la production totale), les dix auteurs les plus actifs (21,2% de l’ensemble) ont publié 250 des 379 ouvrages saisis (66% de la production totale). Ce sont eux finalement qui contribuent à l’importance d’un centre de recherche et à son influence dans le monde des sciences de l’interprétation (tout en sachant que ce n’est naturellement pas seulement la quantité mais aussi la qualité des publications qu’il faut prendre en compte). Avec 98 publications et 13 auteurs (dont quatre avec plus de 13 travaux) la SSLMIT de Trieste occupe la première place. Elle est suivie par l’ESIT de Paris avec 69 ouvrages. Cependant, elle n’est représentée que par trois chercheurs, dont un seul – Daniel Gile – s’adjuge avec 64 publications 93,5% de la production totale. Daniel Gile a certainement influencé les sciences de l’interprétation comme aucun autre chercheur. Au vu de ces chiffres, il est actuellement le seul chercheur d’importance à représenter son institut dans le paysage scientifique. Ainsi, seules la SSLTI de Forlì (59 publications, cinq auteurs, dont deux avec plus de 13 publications) et la FTI de Genève (42 ouvrages, également cinq auteurs dont deux présentant plus de 13 publications) peuvent être considérées, après Trieste, comme des centres de recherche d’envergure.  





5 Conclusions Les principaux résultats de cette étude limitée aux pays et régions de langue romane semblent indiquer une certaine continuité par rapport à la situation observée par Pöchhacker (1995 ; 2000) lors de la « naissance » des sciences de l’interprétation. On note en particulier que :  











Les domaines « classiques » de l’interprétation autour de l’interprétation de conférence restent dominants.  



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Martin Will

– – –



La didactique et la pratique professionnelle constituent les principaux sujets abordés dans les publications. L’anglais est de loin la première langue de publication. La promotion et l’intégration de jeunes scientifiques dans les centres de recherche et de formation ainsi que le développement d’une productivité de publication soutenue et homogène sont encore insuffisants. L’Italie – avec en particulier la SSLMIT de Trieste – constitue le principal centre de recherche en matière de sciences de l’interprétation dans les pays observés.

Par ailleurs, on observe aussi un certain nombre de spécificités nationales et locales : en Italie, l’importance de l’interprétation de liaison/communautaire et tout particulièrement l’importance de l’interprétation pour les médias ; en Espagne, l’importance de l’interprétation communautaire ainsi que l’espagnol comme langue principale de publication. Cependant, ces résultats ne devraient pas être considérés comme des réalités certaines, mais plutôt comme des lignes de tendance, à approfondir ultérieurement. Et cela pour plusieurs raisons : D’une part, parce que la présente étude ne porte que sur une partie des pays et régions de langue romane et ne concerne que les instituts membres actuels de la CIUTI. Par conséquent, les résultats décrits ci-dessus représentent dans un premier temps la situation au sein de ces instituts et ce n’est que dans un deuxième temps qu’ils peuvent (ou pourraient) s’appliquer au niveau national, voire international. Certes, les institutions examinées sont reconnues comme établissements d’importance, voire de premier rang ; elles ne constituent toutefois qu’une partie du paysage de la recherche dans les sciences de l’interprétation. Soulignons, qu’une saisie complète de tous les instituts universitaires dans les pays concernés aurait dépassé le cadre de cet article. D’autre part, il ne faut pas oublier que la présente étude est un travail scientométrique. Certes, ce genre d’enquêtes (d’ailleurs souvent utilisé dans le domaine des sciences de l’interprétation7) est reconnu comme instrument valide pour mesurer un effort scientifique dans une discipline donné à l’aide de publications concrètes (cf. Umstätter (2004, 237). Néanmoins, il s’agit d’une approche essentiellement quantitative, qui ne laisse pas ou très peu de place aux aspects qualitatifs. En raison de la faible quantité de données – situation assez typique dans les sciences de l’interprétation – des valeurs extrêmes peuvent facilement conduire à des distorsions importantes, comme le souligne Gile (2000). Cela a d’ailleurs été mis en évidence par la présente étude, qui, ne l’oublions pas, ne comprend que 379 publications. La troisième et dernière raison concerne l’objet même de l’enquête, les sites web des institutions analysées, qui présentaient des différences qualitatives considérables.  







7 Cf. Ahrens (2012), qui cite un grand nombre d’exemples.

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Les théories de l’interprétation dans les principaux pays de langue romane

Ainsi, certains sites d’instituts ne contenaient aucune information sur leur personnel ni sur les ouvrages publiés. Il était par conséquent impossible de les inclure dans l’enquête, à moins de trouver ces informations ailleurs. Pour les instituts de Mons (EII) et de Madrid (DTI), quelques informations partielles ont ainsi été rassemblées en passant par d’autres sites universitaires, voire extra-universitaires. Le même problème s’est posé pour ce qui est de la présence web de l’ESIT, où, faute de pages dédiées au personnel et à ses publications, il a fallu chercher les informations nécessaires sur la base d’un simple organigramme. Pour les instituts de Grenade et de Genève, c’est l’autre extrême qui a posé problème : les informations étaient réparties sur plusieurs URL, ce qui a rendu l’analyse particulièrement complexe. Il était donc utopique de présenter ici une collecte des données complète et précise, même s’il existe des sites web « modèle » à la fois complets et conviviaux, comme celui de l’institut de Trieste.8 Ce qui semble confirmer une fois de plus que les sciences de l’interprétation se trouvent assurément sur la bonne voie, même s’il y a encore du chemin à parcourir.  





6 Références bibliographiques Ahrens, Barbara (2012), Praxis, Didaktik und Qualität – Eine dolmetschwissenschaftliche Reise von Heidelberg nach Köln, in : Barbara Ahrens/Michaela Aibl-Mikasa/Claudia Sasse (edd.), Dolmetschqualität in Praxis, Lehre und Forschung, Tübingen, Narr, 3–18. Gambier, Yves/Gile, Daniel/Taylor, Christopher (1997), Foreword, in : Yves Gambier/Daniel Gile/ Christopher Taylor (edd.), Conference Interpreting : Current Trends in Research. Proceedings of the International Conference on “Interpreting” : What Do We Know and How ? (Turku, August 25–27, 1994), Amsterdam/Philadelphia, Benjamins, 1–7. Gile, Daniel (2000), The History of Research into Conference Interpreting : a Scientometric Approach, Target 12/2, 297–321. Version utilisée trouvée sur internet, http://www.cirinandgile.com/ 2000histarget.doc (01.12.2013). Gile, Daniel (22009), Conference interpreting, historical and cognitive perspectives, in : Mona Baker/ Gabriela Saldanha (edd.), Routledge encyclopedia of translation studies, London/New York, Routledge, 51–56. Holmes, James (1988, 11972), The Name and Nature of Translation Studies, in : James Holmes (ed.), Translated ! Papers on Literary Translation and Translation Studies, Amsterdam, Rodopi, 67–80. Pöchhacker, Franz (1995), Writings and research on interpreting. A bibliographic analysis, The interpreters’ Newsletter 6, 17–31. Pöchhacker, Franz (2000), Dolmetschen. Konzeptuelle Grundlagen und deskriptive Untersuchungen, Tübingen, Stauffenburg. Pöchhacker, Franz (2004), Introducing Interpreting Studies, London/New York, Routledge. Pöchhacker, Franz (2010), Entwicklungslinien der Dolmetschwissenschaft, in : Nadja Grbić et al., Translationskultur revisited. Festschrift für Erich Prunč, Tübingen, Stauffenburg, 84–97. Pöchhacker, Franz/Shlesinger, Miriam (2002), Introduction, in : Franz Pöchhacker/Miriam Shlesinger (edd.), The interpreting studies reader, London/New York, Routledge, 1–12.  





















8 http://www.sslmit.units.it/DOC (date de consultation : 11.12.2013).  



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Martin Will

Riccardi, Alessandra (2002), Interpreting research. Descriptive aspects and methodological proposals, in : Giuliana Garzone/Maurizio Viezzi (edd.), Interpreting in the 21st Century, Amsterdam/ Philadelphia, Benjamins, 15–27. Umstätter, Walther (2004), Szientometrische Verfahren, in : Rainer Kuhlen/Thomas Seeger/Dieter Strauch (edd.), Grundlagen der praktischen Information und Dokumentation, vol. 1, München, Saur, 237–243. Wadensjö, Cecilia (22009), Community Interpreting, in : Mona Baker/Gabriela Saldanha (edd.), Routledge encyclopedia of translation studies, London/New York, Routledge, 43–48. Will, Martin (2000), Bemerkungen zum Computereinsatz beim Simultandolmetschen, in : Sylvia Kalina/Silke Buhl/Heidrun Gerzymisch-Arbogast (edd.), Dolmetschen : Theorie – Praxis – Didaktik mit ausgewählten Beiträgen der Saarbrücker Symposien, St. Ingbert, Röhrig, 125–135. Will, Martin (2009), Dolmetschorientierte Terminologiearbeit. Modell und Methode, Tübingen, Narr. Will, Martin (2013), Mediendolmetschen als eigenständiges Berufsbild : Spezifische Kriterien und ihre Berücksichtigung in der Praxis, Scientific Bulletin of the Politechnical University of Timişoara ; Transaction on modern languages 12/1–2, 43–60.  

















Yvon Keromnes*

5 La comparaison de traductions et de « textes parallèles » comme méthode heuristique en traductologie  



Abstract : Après avoir évoqué l’évolution de la réflexion traductologique qui a conduit à s’intéresser à des traductions effectivement publiées, nous nous interrogeons ici sur les enjeux et méthodes de comparaison entre texte original et traduction(s). L’examen de phénomènes linguistiques particuliers dans différentes traductions d’un même texte, ou dans la traduction de différents textes, s’avèrent fructueux aussi bien pour la compréhension de ce qui distingue ou réunit deux systèmes linguistiques que pour celle des opérations de traduction. Cette compréhension peut éventuellement permettre une approche évaluative des traductions. Mais l’extension des études de traduction sur corpus informatisés ainsi que l’usage de logiciels spécialisés (alignement, analyse lexicale etc.) changent considérablement les méthodes et objectifs de la traductologie, il s’agit alors souvent d’étudier l’existence de « normes » de traduction, ou changements systématiques observables chez différents traducteurs vers une même langue. Il semble cependant que ces outils modernes ne fassent pas nécessairement disparaître l’intérêt d’études très fines sur corpus de taille réduite.    





Keywords : approche descriptive, approche évaluative, corpus, informatique, « normes » de traduction    





0 Introduction Que peut-on découvrir en comparant des expressions linguistiques dans une langue et leur(s) traduction(s) dans une ou plusieurs autres langues ? Dans quelles conditions ? Par quelles méthodes ? Quels objectifs peut-on se fixer, quelles sont les erreurs à éviter, ou les limites des différentes démarches envisageables ? C’est à cet ensemble de questions que nous allons nous efforcer de répondre dans les pages qui suivent. Précisons tout d’abord qu’il sera essentiellement question de traduction littéraire, ce qui nécessite quelques explications. En effet, outre la traduction des textes sacrés, la théorie de la traduction depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, depuis Cicéron, Horace et Saint Jérôme jusqu’à Schleiermacher et Benjamin, s’est principalement intéressée à celle de la littérature. Cet intérêt découle assurément de la valeur culturelle accordée à la littérature. En revanche, comme le note Holmes (1988, 81) et  







* Yvon Keromnes est membre de l’ATILF / CNRS & Université de Lorraine (UMR 7118).

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malgré le développement de la littérature comparée, la relation entre un texte littéraire et sa ou ses traductions a été jusqu’à présent extrêmement peu – et mal – étudiée ;1 récemment, ce sont particulièrement des linguistes qui se sont penchés sur ces relations, mais ceux-ci n’échappent pas non plus aux critiques de l’auteur, qui leur reproche une démarche souvent « simpliste et naïve ».2 Nous verrons que ces reproches ne sont pas nécessairement justifiés.  





1 De la traduction unique à la traduction plurielle Même si, de façon générale, la qualité d’une traduction littéraire semble aujourd’hui encore souvent jugée exclusivement sur le texte traduit, et ceci, même lorsque le travail du traducteur n’est pas, comme c’est souvent le cas, tout simplement passé sous silence,3 un recours à la comparaison est indispensable dès lors qu’il s’agit de considérer la traduction comme un objet d’étude ou d’enseignement. Une traduction met en vis-à-vis deux textes, un texte source (TS) et un texte cible (TC), et avec eux, deux systèmes linguistiques, une langue source (LS) et une langue cible (LC). Donc, si l’on admet que cette dimension certes non unique, mais malgré tout fondamentale de l’opération de traduction est de nature linguistique, on comprend aisément que la linguistique contrastive ait pu jouer un rôle majeur dans le développement de la traductologie. De ce point de vue, dans le domaine francophone, les travaux publiés sous le nom de « stylistique comparée » par Vinay/Darbelnet (1958) pour la paire de langues anglais-français, et par Malblanc (1968) pour la paire allemand-français constituent une référence incontournable.4 Fondée sur une linguistique structuraliste inspirée en particulier par les travaux de Bally et son idée d’une stylistique de la langue (1909), la stylistique comparée propose une série de procédés  



1 « For all their prime importance in the history of European literature, translations have by and large been ignored as bastard brats beneath the recognition (let alone concern) of truly serious scholars ». 2 « Yet the result of their thinking, too, would seem to be in large part simplistic and naïve, at least when applied to highly complex entities of the kind that ‹ literary texts › tend to be ». Notons cependant que la référence la plus récente à la linguistique dans cet ouvrage de Holmes est un article de Nida datant de 1969, presque vingt ans plus tôt. 3 Un exemple tout à fait significatif à ce propos : le 18 novembre 2013, l’actrice Carole Bouquet est sur France-Culture à l’émission La Grande Table pour parler avec Caroline Broué d’une lecture publique qu’elle donne des poèmes de M. Tsvetaeva. Pendant les vingt minutes que dure l’entretien, pas une seule fois il ne sera question de traduction. Des extraits sont pourtant lus, et on parle des particularités de « la langue hachée de Tsvetaeva » (dans laquelle l’auditeur connaissant un peu de russe aura surtout reconnu les caractéristiques de la langue source, en particulier l’absence de déterminants, et donc un choix de traduction conférant au texte cible un certain exotisme) exactement comme si la poétesse russe avait écrit directement en français. 4 La spécificité des phénomènes observés à chaque paire de langue étudiée est une caractéristique essentielle de la stylistique comparée.  



















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de traduction classés à la fois par ordre de difficulté et par l’ampleur de l’écart introduit entre les éléments linguistiques dans la langue de départ et leur traduction dans la langue d’arrivée. À un extrême, et comme une sorte de degré zéro de la traduction, le procédé le plus aisé et le plus « fidèle » consiste à avoir recours à un emprunt, c’est-à-dire en fait à ne pas traduire ; à l’autre extrême, l’adaptation fait correspondre la dénotation d’un concept équivalent par des moyens linguistiques différents. Ainsi, l’exclamation la vache ! pour qualifier une personne en français peut être traduite en allemand par das Schwein ! (Malblanc 1968, 35) et inversement. Parmi les qualités de cette approche, on peut noter l’attention portée à une langue authentique et idiomatique : ancrés dans la réalité du bilinguisme canadien, Vinay/Darbelnet partent de l’observation des divergences manifestées sur les panneaux routiers en français et en anglais, men at work correspondant par exemple à attention travaux, divergences qui indiquent des habitudes linguistiques différentes. Ils comparent les expressions en LS et LC en ayant recours à la fois à des exemples fabriqués et à des traductions publiées, et Malblanc fait quant à lui particulièrement appel, dans des exemples attrayants, à des traductions publiées d’œuvres littéraires connues (par ex. Hesse, Hoffmann, Th. Mann pour l’allemand, Camus, Daudet, Flaubert pour le français). Selon les termes de Stolze (62011, 70), la stylistique comparée constitue la première tentative de décrire et catégoriser de façon exhaustive le comportement du traducteur. Mais cette démarche présente aussi un certain nombre de points critiquables, les deux principaux concernant les choix méthodologiques : le premier est que l’on ne fait jamais correspondre à une expression dans la langue de départ qu’une unique expression dans la langue d’arrivée, et le second qu’il s’agit à chaque fois d’exemples très brefs, mots ou syntagmes pour l’essentiel, et ne dépassant guère la longueur d’une phrase. Du premier point, faut-il déduire qu’il n’existe qu’une « bonne » façon de traduire d’une langue source dans une langue cible ? À ce propos, dans la préface de leur ouvrage, Vinay/Darbelnet (1958, 24) sont parfaitement explicites :  























« Il est permis de supposer que si nous connaissions mieux les méthodes qui gouvernent le passage d’une langue à l’autre, nous arriverions dans un nombre toujours plus grand de cas à des solutions uniques ».  



Cette notion de traduction unique sera sévèrement critiquée par Lortholary dans son introduction à un manuel de traduction (Demet/Lortholary 1975), qui lui oppose une conception paraphrastique,5 tant pour ce qui concerne le TS que le TC ; c’est en concevant le TS comme une suite de choix par rapport à un ensemble de possibilités dans la LS que le traducteur peut ajuster au mieux ses propres choix parmi les  

5 Cette conception paraphrastique rappelle celle de la traduction proposée par Jakobson (11959), qui regroupait sous cette notion la traduction intralinguistique (reformulation), la traduction interlinguistique (traduction stricto sensu) et la traduction intersémiotique.

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possibilités offertes par la LC. Le fait qu’il existe souvent pour un TS une pluralité de traductions parfaitement recevables est aujourd’hui une idée largement acceptée. La brièveté des exemples a pour inconvénient d’empêcher toute analyse du rôle joué par le contexte6 dans les choix lexicaux et grammaticaux (marques de temps ou aspect, constructions syntaxiques, etc.). Il en résulte dans de nombreux cas une impossibilité d’estimer la pertinence véritable de l’équivalence proposée comparée à d’autres solutions possibles. D’un point de vue théorique, on peut aussi se demander aujourd’hui ce qu’il reste des procédés décrits par la stylistique comparée ; au terme d’une analyse critique, Chuquet/Paillard (1989, 9s.) n’en conservent que deux :  



« Si la notion de procédé de traduction est effectivement d’une grande utilité lorsque l’on aborde les problèmes de traduction, il convient néanmoins d’en restreindre la portée, pour deux raisons : – un grand nombre de ces procédés renvoient à une problématique grammaticale ou lexicale beaucoup plus générale ; – la classification même des procédés de traduction présente une certaine hétérogénéité : l’emprunt et le calque sont rarement des procédés de traduction à proprement parler, mais se trouvent généralement intégrés au lexique ; l’équivalence n’est pas autre chose qu’une modulation lexicalisée, bien illustrée notamment dans la correspondance entre les proverbes d’une langue à l’autre ; quant à l’adaptation, il paraît difficile de l’isoler en tant que procédé de traduction, dans la mesure où elle fait entrer en jeu des facteurs socio-culturels et subjectifs autant que linguistiques. Nous réserverons donc le terme de procédés de traduction aux deux procédés décrits par Vinay et Darbelnet qui occupent une position centrale dans toute démarche de traduction : la transposition (changement de catégorie syntaxique) et la modulation (changement de point de vue) ».  

















En ce qui concerne la transposition, le cas prototypique est sans doute ce que les auteurs appellent « chassé-croisé » : dans l’exemple bien connu to swim across a river / traverser une rivière à la nage, de l’anglais au français, le verbe devient un groupe adverbial, circonstant de manière, alors que la préposition devient verbe, et inversement du français à l’anglais, le procédé étant directionnel.7 Quant à la modulation, elle concerne essentiellement le lexique, comme on le voit dans le passage entre Lebensgefahr en allemand et danger de mort en français, ou entre shallow en anglais  









6 Nous employons ici le terme de contexte dans son double sens de contexte linguistique (parfois appelé co-texte) et de contexte situationnel (↗25 Contexte et situation : les « entours » du texte écrit). Dans un texte de fiction, le second découle du premier, ce qui ne veut pas dire que la représentation mentale d’une situation ne joue pas un rôle spécifique dans les choix lexicaux et grammaticaux relevant de sa représentation linguistique. 7 C’est à partir de l’analyse de ce type de phénomènes que Talmy (2000) établit une opposition typologique entre les langues exprimant les propriétés sémantiques fondamentales, principalement aspecto-temporelles, d’un événement par un verbe, et les langues exprimant ces mêmes propriétés par des moyens annexes (par ex. préfixes et particules verbales). Le premier type de langue, nommé « verb-framed », comprend les langues romanes, le second, nommé « satellite-framed », comprend la plupart des autres langues indo-européennes, mais aussi les langues finno-ougriennes et le mandarin.  















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et peu profond en français, mais le terme de procédé nous semble malgré tout approprié, puisque le réflexe de passer par l’antonyme permettra régulièrement au traducteur de trouver une solution. Malgré les limites évoquées, la stylistique comparée reste une référence pour les travaux de linguistique contrastive centrés sur la traduction, ainsi que pour la didactique de la traduction, où elle s’avère particulièrement utile dans les micro-analyses. Mais il est rapidement apparu nécessaire d’étendre les comparaisons source-cible, sinon à des textes entiers, au moins à des passages étendus.

2 Vers une comparaison extensive des traductions Si l’angliciste Michel Ballard fait partie des personnes ayant le plus contribué au développement de la réflexion traductologique sur des bases linguistiques en France, engageant en particulier un dialogue critique avec les travaux de Vinay/Darbelnet, il n’a pas lui-même exploité la comparaison systématique de textes sources et de textes cibles, alors que l’absence de prise en compte d’un contexte élargi constituait pourtant déjà l’une des limites principales de la stylistique comparée. En revanche, le domaine angliciste a vu paraître de nombreux travaux dans cette approche, en particulier parmi les disciples de la Théorie des Opérations Énonciatives (TOE) d’Antoine Culioli.8 En premier lieu, il faut citer l’immense travail de Jacqueline GuilleminFlescher (1981) comparant la grammaire de l’anglais et du français, plus précisément les questions d’agencement et d’actualisation des procès, de détermination aspectuelle, d’agencement syntaxique, de détermination et de modalité. Dès l’avantpropos, l’auteur se réfère à Vinay/Darbelnet, pour indiquer un certain nombre de recoupements, mais aussi pour s’en distinguer. Les différences concernent à la fois les positions et le degré de technicité théoriques, mais aussi le fait qu’il s’agisse d’un véritable travail de corpus : ce travail, dans lequel l’auteur allie un très grand sens de la langue à la maîtrise d’un appareil théorique très sophistiqué, est en effet élaboré à partir d’un corpus principal constitué du roman de Flaubert Madame Bovary et, pour l’essentiel, de deux des cinq traductions en anglais de ce roman dépouillées par l’auteur. Dans la pratique, Guillemin-Flescher reconnaît (ibid., ix) que « l’usage systématique de cinq traductions constituait un appareil trop lourd ». L’auteur justifie le choix d’un roman (ibid., viii) par le fait que son travail concerne essentiellement l’écrit, et par sa volonté de travailler de façon extensive :  







8 Cf. Fuchs/Le Goffic (1992) pour une présentation synthétique de cette théorie linguistique mettant au centre de son étude l’activité du sujet parlant (énonciateur) appréhendée à travers les traces que révèlent les marqueurs structurant ses énoncés. L’inspiration majeure de cette théorie est la distinction faite par Benveniste (1966, 237–250) entre un plan du discours dans lequel la présence de l’énonciateur est sensible, et un plan du récit dans lequel « les événements semblent se raconter eux-mêmes ». Le concept principal de la TOE est celui de repérage.  



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« Il me semblait intéressant de travailler sur un texte d’une certaine longueur qui a sa propre cohérence, ceci afin tout d’abord de déceler les phénomènes récurrents, de les situer dans un réseau contextuel élargi, et d’en appréhender toutes les variations ».  





Guillemin-Flescher écarte donc toute considération sur la spécificité de la traduction littéraire, remarquant (1981, viii) que « la langue littéraire est simplement une modalité particulière de [l’activité langagière] ». Les conclusions de cette recherche sont donc censées s’appliquer à l’anglais et au français en général. Du point de vue méthodologique, la démarche a d’abord été empirique (Guillemin-Flescher 1981, x), l’auteur a « procédé à un relevé très minutieux des différences linguistiques qui apparaissent entre notre texte et les traductions, presque sans a priori théorique ».9 Les divergences constatées ont été soumises au jugement de locuteurs de langue maternelle, ce qui a permis d’élaborer des hypothèses, ensuite testées sur de nouveaux exemples. Pour donner plus de poids à la démonstration, le corpus est complété par des exemples tirés d’autres œuvres ainsi que de textes nonlittéraires et de leur traduction, du français vers l’anglais et de l’anglais vers le français, même si la grande majorité des exemples va dans le sens français-anglais. Le résultat de ce travail est un ouvrage extrêmement technique de 550 pages, d’un abord quelque peu difficile malgré un glossaire de plus de cent pages, mais dont le grand nombre de micro-analyses extrêmement fines, et portant parfois sur des paragraphes entiers, en font un ouvrage du plus grand intérêt auquel nous n’avons pas la place ici de rendre justice. Cent quinze pages de tableaux récapitulatifs facilitent le survol des principaux points théoriques. En début d’ouvrage (Guillemin-Flescher 1981, 13), deux schémas contrastifs sont proposés pour une première évaluation des différences entre l’anglais et le français :  









« Voyons tout d’abord, comment se présente la configuration générale d’un enchaînement de procès dans les deux langues. Il suffit de prendre un paragraphe dans notre corpus, avec la traduction en regard, pour en faire ressortir les traits saillants ».  



Le premier paragraphe comparé, extrait de Madame Bovary, fait apparaître dix imparfaits en français pour dix-huit prétérits en anglais, avec soit des ajouts de formes verbales sans correspondant dans le texte source, soit des transformations de formes non verbales ou de formes participiales en formes verbales finies. L’auteur en déduit une tendance à une plus grande actualisation de l’anglais par rapport au français. Un deuxième paragraphe est présenté pour vérification. Il s’agit d’un extrait de La Peste de Camus et de sa traduction, et la comparaison du texte français et de sa traduction

9 Malgré cette ouverture revendiquée, il est possible que les options théoriques de départ aient malgré tout influé sur le choix du corpus principal : la linguistique énonciative étant particulièrement apte à décrire les phénomènes liés au point de vue, un roman de Flaubert, avec en particulier son grand usage du style indirect libre, constitue dans ce cadre théorique un objet d’étude particulièrement intéressant.  

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en anglais fait apparaître les mêmes caractéristiques. Ces premières observations préfigurent en partie la conclusion générale de l’ouvrage, qui oppose deux « attitudes énonciatives » de l’anglais et du français, celle de « constat », correspondant à des termes repères en relation de non-repérage par rapport au plan de l’énonciation, et celle de « commentaire », opération secondaire qui présuppose une première opération de détermination, et dont les éléments de reprise sont au contraire repérés par rapport au plan de l’énonciation. Et cette attitude énonciative des deux langues s’inverse entre le récit et le discours (Guillemin-Flescher 1981, 294) :  













« Il semblerait donc qu’en français on commente dans le récit des situations posées antérieurement ou non-déterminées pour le co-énonciateur alors que dans le discours on définit des situations qui sont déjà déterminées situationnellement. Inversement, en anglais, dans le récit, on détermine pour le co-énonciateur tous les éléments qui jouent un rôle dans le domaine référentiel, dans le discours seuls les éléments qui ne sont pas définis situationnellement ou les situations qui peuvent être assertées sans recours à un co-énonciateur ».  



L’ensemble de la méthode et les objectifs visés par ce travail pionnier des comparaisons linguistiques de traductions nécessitent cependant quelques remarques. En premier lieu, si on comprend fort bien que le désir de rapporter le texte littéraire au langage en général et de ne tenir compte que des phénomènes linguistiques généralisables correspondent à une volonté de scientificité, il nous semble qu’il aurait malgré tout fallu s’interroger sur ce qui constitue la spécificité d’un texte littéraire narratif et de sa traduction, surtout dans la mesure où il s’agit d’observer des phénomènes linguistiques récurrents. Il est relativement évident, par exemple, que le choix des formes verbales répond à des normes particulières dans ce type de texte, qui font que l’extension des observations au système tout entier ne va pas de soi. Plus précisément, la nature des passages observés doit être prise en compte : les deux paragraphes choisis pour les premiers schémas contrastifs sont des passages descriptifs, sans que cette caractéristique soit prise en considération dans son effet sur l’emploi de formes verbales ou les équivalences possibles entre formes verbales et formes non verbales ; l’enchaînement des procès mentionné est donc uniquement linguistique, et non temporel. Fonctionnellement, la description s’oppose sur ce point à la narration, et constitue dans un texte narratif un arrière-plan, ce qui n’est pas sans incidence dans le choix des formes verbales du TS ni du TC. Ensuite, même si l’on met de côté ces spécificités fonctionnelles des formes verbales, dès lors qu’il s’agit de mettre en évidence des tendances, la dimension quantitative ne peut être écartée ; il aurait sans doute fallu au minimum comparer deux corpus principaux de taille équivalente, l’un du français à l’anglais, et l’autre de l’anglais au français. Or, les traductions du français vers l’anglais constituent dans cet ouvrage la plus grande part des exemples. Et finalement, on ne peut pas simplement poser comme allant de soi le fait que des tendances observées dans des textes traduits soient les tendances de la langue à laquelle ils appartiennent : certains théoriciens de la traduction vont en effet jusqu’à dénier aux textes traduits toute représentativité pour la LC, et cette méfiance est  







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partagée par des linguistes.10 Il serait donc nécessaire de compléter une telle étude en ayant recours à un corpus comparable à celui des TC en anglais et constitué de textes originaux en anglais. Constatant un manque d’idiomaticité dans une traduction produite par un étudiant (Guillemin-Flescher 1981, vii) en dépit d’un respect de la grammaire traditionnelle de l’anglais, et cherchant une réponse linguistique à ce qui lui apparaît comme un problème, Guillemin-Flescher poursuit deux objectifs à la fois, qui ne sont sans doute pas entièrement compatibles : celui d’expliciter la démarche du traducteur travaillant sur un texte particulier, et celui de caractériser les deux langues mises en relation par la traduction dans ce cas. D’un point de vue méthodologique, il faut sans doute choisir entre ces tendances, particularisante et généralisante.  

3 Linguistique, traduction et corpus Travaillant dans la lignée de Guillemin-Flescher, Chuquet (1994) étudie les emplois du présent dans des textes narratifs réels ou de fiction, en anglais et en français. Son sujet d’étude est donc bien plus restreint que le précédent, et cependant, elle note en conclusion (1994, 229) que « la forme verbale du présent est loin de nous avoir livré tous ses secrets ». Les questions de temps et d’aspect, il est vrai, sont souvent épineuses, et elles le sont particulièrement en ce qui concerne le présent ; la perspective contrastive et traductologique ne fait que renforcer ces difficultés. D’où son interrogation à partir d’un constat paradoxal (Chuquet 1994, 2) :  







« En effet, dans deux langues aussi proches l’une de l’autre que le français et l’anglais, on pouvait penser que deux formes aussi apparentées que le présent français et le présent simple anglais donneraient lieu à des emplois relativement similaires : on verra, d’ailleurs, que les descriptions sommaires du présent historique proposées dans les grammaires de l’une et l’autre langue ne permettent guère de les différencier. Mais comment concilier cette apparente similarité avec l’affirmation, maintes fois rencontrée chez les linguistes, selon laquelle le présent historique s’emploie beaucoup moins souvent en anglais qu’en français,11 ou avec le point de vue adopté  



10 Cf. par exemple l’hypothèse du « troisième code » proposée par Frawley (1984), qui soutient qu’entre la LS (qu’il nomme Matrix code) et la LC (Target code), la traduction constitue un troisième système linguistique qui participe des deux premiers. Du côté linguistique, Baker (1993, 234) note que dans le projet Network of European Reference Corpora, financé par l’Union Européenne, de nombreux linguistes excluent explicitement les traductions de leur corpus. L’auteur de la présente contribution s’est lui-même vu reprocher par les éditeurs d’un ouvrage de linguistique auquel il collaborait de ne pas employer des exemples d’anglais « authentique » parce qu’il s’agissait de textes traduits. Il nous semble curieux de considérer a priori des textes produits par des anglophones comme « non authentiques » du seul fait qu’il s’agit de traductions. 11 Curieusement, Chuquet, qui cite à l’appui de son propos Comrie et Fleischman, spécialistes des formes verbales, mentionne aussi Bellos, qu’elle semble considérer comme un linguiste, et qui est en  











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par de nombreux enseignants ou manuels de traduction, qui conseillent, de façon plus ou moins impérative, de traduire un présent historique français par un prétérit anglais ? ».  



Pour répondre à cette question, Chuquet constitue un corpus de textes narratifs, pratiquement tous contemporains, associés à leurs traductions, et relevant de deux catégories distinctes, celle du récit de faits réels (reportages, textes historiques, biographies) et celle du récit de fiction (l’hypothèse de départ pour l’auteur est qu’il s’agit là de l’opposition pertinente pour rendre compte des différences d’emploi de ce temps en français et en anglais). Comme chez Guillemin-Flescher, la majorité des traductions vont dans le sens français-anglais, ce que l’auteur justifie (Chuquet 1994, 6) :  



« en raison d’une part de la plus grande fréquence globale du présent historique en français, si l’on prend en compte les deux types de récits (véridique et de fiction), d’autre part du caractère plus problématique de la traduction [du présent] vers l’anglais ».  



Outre ces associations TS-TC, le corpus comprend également des passages de narration au présent comparables en anglais et en français, mais non traduits, ceci pour permettre d’étudier les conditions d’emploi de cette forme indépendamment de la question de la traduction. Enfin, comme Guillemin-Flescher, elle soumet différents énoncés originaux, traductions et traductions modifiées à des locuteurs anglophones pour vérifier ses hypothèses. Conformément à la démarche culiolienne qui postule pour chaque marqueur une même valeur sémantique abstraite sous-jacente à la variété de ses emplois (et parfois à travers différentes catégories grammaticales), Chuquet (1994, 8) rejette les étiquettes de présent « dramatique », « de reportage », « scénique », « synoptique », etc. avec lesquelles on sous-catégorise le présent de narration, pour s’efforcer de décrire le fonctionnement global de ce qu’elle appelle un présent « aoristique », c’est-à-dire en décrochage par rapport à la situation d’énonciation et appréhendé globalement. Le constat, attesté par des exemples multiples et variés, est que l’emploi de ce présent aoristique est plus aisé en français qu’en anglais, et en particulier dans le récit d’événements attestés. Une partie des explications sur ces différences de fonctionnement est à chercher dans les systèmes verbaux respectifs : le français marque principalement des oppositions temporelles là où l’anglais marque des oppositions aspectuelles. Ainsi l’anglais possède-t-il deux formes de présent, l’une simple et l’autre aspectuellement marquée (aspect ouvert). De cette différence découle peut-être une prédilection du repérage par déixis en français et du repérage par anaphore en anglais. C’est en tout cas un constat déjà fait par Guillemin-Flescher (1981), et cette idée reprise par Chuquet constitue une hypothèse centrale dans son ouvrage : le présent sera donc construit par défaut comme déictique en français (renvoyant à  

























fait spécialiste de littérature, et avant tout le traducteur en anglais de Perec (et également de Gary, Kadare et Vargas).

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l’« actuel ») alors qu’en anglais, le présent non marqué (présent simple) sera construit par défaut comme anaphorique. Mais comment expliquer les contraintes particulières pesant sur le récit de faits attestés en anglais ? Pourquoi l’exemple suivant, une phrase extraite du journal Le Monde (1991), est-il impossible en anglais ?  







« Franck Capra naît en Sicile, le 18 mai 1897, au village de Bisaquino ».  



Dans cet exemple, en effet, on aurait obligatoirement en anglais le prétérit « was born ». L’explication proposée par Chuquet est que le décrochage aoristique par rapport à la situation d’énonciation peut se faire sélectivement sur la personne (décrochage subjectif : « picture a scene… », « imaginez une scène… ») ou sur le temps (décrochage temporel) ou sur les deux à la fois, et que dans le cas de l’anglais, un premier décrochage subjectif permettra le décrochage temporel dans un second temps ou bien, dans le cas d’un récit se donnant comme historique à la troisième personne, une absence de décrochage subjectif pourra être palliée par la présence d’une chronologie révolue préconstruite (décrochage temporel « imposé »). Le récit à la première personne du présent de narration fait l’objet d’une attention particulière à cause de sa position charnière entre récit présenté comme avéré et récit de fiction. Et sur ce point, Chuquet s’oppose à Hamburger (1957) pour qui ce type de récit est hors de la fiction : pour Chuquet en effet (1994, 82), cette combinaison de la première personne et du présent « tend à fictionnaliser le récit » par une dissociation entre la première personne sujet et l’énonciateur (décrochage subjectif) et par l’absence d’ancrage temporel objectif dans le passé (décrochage temporel). Le français pour sa part ne semble pas avoir besoin de ce décrochage global pour l’utilisation du présent de narration, ce qui lui permet une alternance des formes de passé et de présent dans le récit tout à fait caractéristique, et qui « apparaît de la façon la plus frappante dans les récits d’événements attestés dans la presse » (Chuquet 1994, 209) :  





























« L’année dernière, alors que la Grèce s’engluait dans la boue des scandales politico-financiers qui conduiront à la chute des socialistes, M. Caramanlis compare son pays à un ‹ immense asile de fous ›» (Le Monde 1990).  







Ici encore, avec un décrochage purement temporel, non subjectif, dans un récit avéré, le présent de narration n’est pas possible en anglais, et le futur pas davantage. Ces analyses d’exemples attestés systématiquement rassemblés, qui portent également sur la syntaxe, contribuent assurément à une meilleure compréhension des divergences d’emploi entre l’anglais et le français de formes par ailleurs très comparables. L’intérêt de l’étude d’un phénomène linguistique particulier grâce à l’exploitation d’un corpus parallèle relativement étendu et varié (et complété, rappelons-le, par des fragments de textes comparables et le recours à des informateurs) est ici parfaitement illustré.

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4 La critique de traduction Si les démarches précédentes, sans exclure les jugements, correspondent à une approche essentiellement descriptive, restreignant leur objet d’étude à des phénomènes purement linguistiques, l’autre grande approche dans les études de traductions est évaluative. Certes, cette deuxième approche est fondamentale dans la traduction professionnelle non littéraire (médias, publicité, sciences et techniques), où l’on se préoccupe d’évaluer la « qualité du produit »,12 mais elle existe également pour la traduction littéraire, où elle prend le plus souvent une forme négative : on y constate tout simplement que la traduction n’est pas le texte source, et qu’il y a donc perte et trahison. Berman (1991) s’est élevé contre cette vision entropique de la traduction, avant de se livrer lui-même à une critique sévère de traductions de John Donne (Berman 1995). Hewson (2011), qui indique que son but n’est pas d’abord de juger des traductions, propose également une approche évaluative ; celle-ci entend comparer le potentiel interprétatif du texte cible à celui (supposé) du texte source. Avec cette dimension interprétative, qui comporte une part de subjectivité assumée,13 il s’agit d’estimer dans quelle mesure le lecteur du texte cible peut ou non faire une interprétation de ce texte comparable à celle du lecteur du texte source. Cette approche est illustrée par l’étude comparative de traductions de deux romans du XIXe siècle, l’un écrit en anglais (Emma, de Jane Austen), l’autre en français (Madame Bovary, de Gustave Flaubert). L’aboutissement de ce travail est le classement de chaque traduction étudiée dans l’une des quatre catégories suivantes, selon le degré de divergence de son potentiel interprétatif comparé au texte source : similarité divergente (traduction optimale14), divergence relative, divergence radicale et adaptation. Suivant une procédure en six étapes (ibid., 24), depuis la collecte de données préliminaires (par ex. des informations sur le traducteur, des ouvrages critiques sur le texte source), travail préparatoire important qui permet de choisir des passages représentatifs,15 en passant par l’analyse des passages ciblés (microanalyses, au niveau d’expressions, et mésoanalyses, au niveau des passages entiers) mettant en évidence des effets de  









12 Des modèles de ce type d’évaluation sont présentés par exemple chez Reiß (1971) et House (1977) ; ces modèles, qui présupposent en particulier une distinction fond/forme, semblent difficilement applicables à des textes littéraires, dans lesquels ces deux notions sont généralement liées. 13 Notons que cette subjectivité ne mène absolument pas au relativisme, puisque les éléments constitutifs du cadre critique sont explicites, que Hewson intègre dans cette approche les études critiques de référence sur les textes sources, et que l’interprétation y est à la fois fondée, argumentée et ouverte. 14 Que la traduction soit optimale n’exclut pas la divergence : puisque la traduction est un travail de réécriture, le texte cible est nécessairement différent. 15 Par cette démarche « top-down » qui part d’une prise en compte globale de l’œuvre pour poser des critères explicites d’évaluation de passages choisis, Hewson se distingue de la plupart des études critiques de traductions, qui partent souvent de microanalyses sans critères prédéfinis pour proposer une évaluation globale (généralement négative) de la traduction.  







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traduction, jusqu’à une caractérisation provisoire de la nature de la traduction (niveau de macroanalyse), testée sur de nouveaux passages. Parmi les traductions les plus éloignées du texte source, Hewson distingue ce qu’il appelle les traductions ontologiques (traductions caractérisées par ex. par un embellissement du texte, et dans lesquelles le traducteur entend montrer qu’il existe en tant qu’écrivain) et les traductions idéologiques (dans lesquelles le traducteur, sans doute persuadé de posséder la bonne interprétation du texte, fait des choix qui orientent le lecteur vers celleci, à l’exclusion d’autres interprétations possibles). Parmi les caractéristiques principales de Madame Bovary, Hewson mentionne en particulier l’absence de voix narrative perceptible et la façon dont les dialogues caractérisent les personnages… Pour le roman de Jane Austen, parmi les caractéristiques retenues figurent les voix distinctes des personnages et les glissements de perspective au cours de la narration, ainsi que l’usage du style indirect libre (SIL), en particulier lorsqu’il correspond au point de vue d’Emma, dont certains indices conduisent le lecteur attentif à remarquer qu’elle se trompe régulièrement en analysant ses propres motivations comme celles des autres. Les passages à analyser sont choisis en fonction de ces caractéristiques. C’est au niveau des microanalyses et mésoanalyses que les outils linguistiques sont mis à profit. Les effets de traduction constatés au premier niveau d’analyse portent sur la syntaxe, les choix lexicaux, grammaticaux, et stylistiques. Pour Hewson (2011, 59), contrairement à l’opinion exprimée en particulier par Vinay/Darbelnet, le calque syntaxique, lorsqu’il est possible, n’est pas nécessairement le meilleur choix. Ainsi, dans le passage suivant du roman de Flaubert et sa traduction :  

« Souvent, lorsque Charles était sorti, elle allait prendre dans l’armoire, entre les plis du linge où elle l’avait laissé, le porte-cigares en soie verte ». « Often, while Charles was away, she used to go to the cupboard and take out, from between the folded linen where she had left it, the green silk cigar-case ».  







Hewson estime que la position de l’objet direct the green silk cigar-case ailleurs qu’à sa place canonique immédiatement après le verbe take out en fait un choix syntaxique plus marqué que celui du texte source. Les choix grammaticaux concernant essentiellement les marques de temps, d’aspect et de modalité contribuent de façon importante à l’établissement d’un point de vue. Parmi les caractéristiques stylistiques,16 systématiquement étudiées dans chaque passage, Hewson retient par exemple la répétition et le cliché. De la première, il note (2011, 76) qu’elle est systématiquement évitée en traduction, et tout spécialement en français, ce qu’il illustre d’un extrait 16 Propriétés définies (ibid., 75) avec Boase-Beier comme les aspects linguistiques considérés par l’auditeur, le lecteur, le traducteur et le locuteur comme résultant d’un choix, et étudiés par Hewson, dans les textes cibles, en termes d’impact comparé au choix dans le texte source et à d’autres choix possibles dans la langue cible.

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La comparaison de traductions et de « textes parallèles »  



d’Emma et d’une traduction française, dans laquelle la répétition du mot little disparaît totalement :  

« She had a little beauty and a little accomplishment, but so little judgment that she thought herself coming with superior knowledge of the world … ». « Plutôt jolie, elle était aussi relativement experte dans tous les arts d’agrément mais n’avait point le moindre bon sens … ».  







Dans ce passage au SIL, Hewson montre comment la répétition dans le texte source, commençant par une tournure concessive accordant à la personne jugée quelques qualités, ne fait que préparer avec ironie la sévérité du jugement final ; et comment cette ironie a disparu de la traduction. Le cliché est particulièrement important chez Flaubert, qui l’utilise dans les dialogues pour ridiculiser ses personnages (2011, 77). C’est la réplique de Rodolphe à Emma « Ah ! la belle nuit ! », rendue par un traducteur avec « What a lovely night ! », platitude tout à fait comparable, mais par un autre traducteur par « How beautiful the night is », version qui, comme le remarque Hewson, est authentiquement poétique, et de ce fait inappropriée. Combinés à l’échelle d’un passage entier, ces effets de traduction sont observés par Hewson dans deux domaines, celui de la voix et celui de l’interprétation. Les effets au niveau des mésoanalyses sont, dans le premier domaine, l’accrétion (ajouts rendant le narrateur ou un personnage plus bavard, par ex.), la réduction et la déformation (en particulier par des changements d’aspect ou de modalité) ; dans le second domaine, ce sont la contraction (du potentiel interprétatif, par la résolution d’ambiguïté, la disparition d’indices…), l’expansion ou la transformation. Comparés à l’échelle d’une trentaine de passages, ces effets au niveau intermédiaire laissent apparaître des récurrences et une cohérence des pratiques de traduction qui permettent de postuler une catégorisation globale pour chacune d’elle. Reconnaissant les limites de son approche évaluative, l’auteur (2011, 257) défend l’idée que la critique de traductions constitue le seul moyen possible de mesurer et de comprendre l’impact de choix de traduction. C’est par exemple l’absence d’une telle critique qui fait qu’une traduction du roman de Jane Austen par P. et E. de Saint Second, publiée chez Plon en 1933 puis chez Christian Bourgois en 1979, agrémentée d’une préface et de notes de Jacques Roubaud et d’une introduction d’une spécialiste de l’auteur, est très largement achetée par les bibliothèques universitaires pour les étudiants de littérature comparée, alors qu’il s’agit au mieux d’une adaptation, dans laquelle les 160.000 mots du texte source sont réduits à 90.00017 dans le texte cible ! Ceci explique peut-être en partie pourquoi Jane Austen reste aussi méconnue et mésestimée en France.  







   

   











17 Ceci alors que l’association française des traducteurs littéraires ATLF (www.atlf.org) estime normal un coefficient de foisonnement de 10% de l’anglais au français.

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5 Les corpus informatisés : de la linguistique à la traductologie  

L’utilisation de corpus informatisés a considérablement changé certains aspects de la linguistique, au point que Leech (1992, 106) a pu par exemple parler d’une « nouvelle façon de réfléchir au langage ». Il s’agit donc bien d’un changement radical des pratiques, rendu possible par une technologie capable de traiter rapidement et systématiquement un très grand nombre d’informations.18 Ces possibilités apportent deux garanties importantes de scientificité, la reproductibilité des observations et la possibilité de falsifier des hypothèses. En effet, si l’on ne peut guère être surpris que des exemples choisis par un linguiste aillent dans le sens de sa théorie, un travail sur corpus permet à tout chercheur y ayant accès de chercher d’éventuels contreexemples. Et si on peut faire remonter la linguistique de corpus au moins aux premiers travaux des structuralistes américains Bloomfield, puis Harris, qui établissent les bases méthodologiques (nécessité d’assurer l’homogénéité, la synchronie et la représentativité d’un corpus), c’est aujourd’hui plutôt Sinclair19 (1991 ; 1996) que l’on cite comme figure fondatrice,20 le fait qu’un corpus soit informatisé semblant aller de soi.21 Pour ce qui est de la traductologie, et en particulier dans le domaine francophone, l’évolution est beaucoup plus lente. Il est par exemple symptomatique que dans un ouvrage récent consacré aux corpus en linguistique et traductologie (Ballard/Pineira-Tresmontant 2007), la réflexion sur la spécificité des corpus informatisés ne soit pas majoritaire.22 Les raisons de ce retard sont complexes. On peut mentionner, du côté de la linguistique de corpus, un relatif désintérêt pour la traduction. Comme le note Olohan (2004, 13), passant en revue plusieurs ouvrages consacrés  





18 De ce point de vue, on distinguera utilement entre une approche dite « corpus-driven », dans laquelle le dispositif informatique joue lui-même un rôle heuristique, et l’approche « corpus-based », dans laquelle ce dispositif ne sert qu’à fournir plus aisément des exemples (Biber/Conrad/Reppen 1998 ; Biber 2009). 19 C’est à Sinclair que l’on doit l’élaboration du corpus COBUILD (Bank of English), dont est issue une série de dictionnaires de l’anglais. 20 Il est vrai qu’il s’agit, avec la linguistique de corpus des années 80, d’un retour de l’empirisme, en opposition catégorique à l’un des principes essentiels de la linguistique chomskyenne, selon laquelle l’introspection du linguiste constituerait la seule base appropriée à une analyse du langage (Aston/ Burnard 1998, 13). Élève de Harris, Chomsky avait en élaborant sa propre théorie explicitement posé l’inutilité des corpus. 21 Ainsi Kruger/Wallmach/Munday (2011, 1) définissent-ils la notion de corpus comme « un ensemble de textes sous forme électronique permettant des requêtes rapides grâce à des logiciels conçus spécifiquement pour l’analyse de traits linguistiques ou autres ». (C’est nous qui soulignons). 22 Par exemple Gallagher (2007, 200), qui travaille sur les deux types de corpus, ne semble pas vraiment faire de différence quand il s’efforce de « démontrer que les études sur corpus – sans ou avec ordinateur – sont susceptibles de faciliter le déroulement du processus traductif ainsi que l’enseignement de la traduction et la critique des traductions littéraires ».  

















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à cette discipline, la traduction y est vraiment le parent pauvre ; et lorsqu’elle est mentionnée par des linguistes de corpus, c’est parfois dans des termes qui traduisent une profonde ignorance.23 Olohan (2004, 22) mentionne aussi comme explication la nécessité de prendre en compte le contexte dans les études de traduction, ce qui rend insuffisante une approche strictement quantitative. Enfin, la linguistique de corpus est une méthode, et non une théorie : les résultats d’une étude de corpus peuvent être analysés dans différents cadres théoriques. C’est donc à la traductologie qu’il revient d’en développer un pour ses propres besoins. Du côté de la traductologie justement, on peut considérer que c’est avec Baker (1993) que la réflexion a été amorcée. Observant le développement de la linguistique de corpus, l’auteur s’interroge sur l’implication de ce développement pour sa propre discipline. Son point de départ théorique est une approche descriptive inspirée de Toury (1978 ; 1980) et de son idée de normes, c’est-à-dire d’un comportement tendanciel des traducteurs dont les effets seraient statistiquement observables dans les textes traduits.24 Une conséquence directe de cette conception est que l’étude de traductions ne peut porter sur des textes particuliers, mais nécessairement sur un ensemble de textes. Et cet ensemble, idéalement, doit être de très grande taille. Baker (1993, 241) remarque par exemple à propos de l’étude de Vanderauwera (1985) portant sur une cinquantaine de romans traduits du néerlandais vers l’anglais que « c’est un très petit corpus ». Pour l’auteur, le but de telles études sur des corpus de grande taille doit être de montrer l’existence d’universaux traductionnels (ibid., 243), sous la forme des normes déjà évoquées. Dans Baker (1995), elle développe plus avant sa méthodologie, définissant un certain nombre de notions désormais centrales dans les études de traduction sur corpus électroniques ; en particulier, elle distingue les corpus parallèles, multilingues et comparables. Les premiers, qui comprennent des TS en langue A et leur(s) traduction(s) en langue B, demandent un système d’alignement performant pour être utiles.25 Pour l’auteur, de tels corpus sont appelés à devenir un outil indispensable à la formation des traducteurs. Les corpus multilingues comprennent des ensembles monolingues d’au moins deux langues, construits selon des critères similaires (langue générale / langue de spécialité, oral / écrit, genre de texte…), et permettent d’étudier des phénomènes linguistiques « dans leur environnement naturel », éliminant ainsi d’éventuelles interférences dues à la traduction, et  























23 Oakes/McEnery (2000, 1) définissent par exemple un corpus parallèle bilingue en tant que corpus « comprenant les mêmes échantillons de textes dans chacune des deux langues, chaque échantillon de texte [dans une langue] étant la traduction de l’autre ». 24 Toury (1995, 259–279) présente ces normes sous forme de lois (probabilistes), la « loi de standardisation » (les textes traduits ont tendance à être linguistiquement plus conservateurs et moins créatifs que les TS), et la « loi d’interférence » (les textes traduits importent inévitablement un certain nombre de caractéristiques linguistiques des TS et LS, la LC y résistant plus ou moins). 25 Pour des explications techniques sur les méthodes d’alignement automatique, cf. Habert/Nazarenko/Salem (1997, 138ss.).  











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permettent par exemple aussi, au niveau lexical, de dégager des équivalences contextuelles pour des lexèmes polysémiques. Enfin, les corpus comparables constituent une sorte de croisement entre les deux types de corpus précédents : ils comprennent deux sous-ensembles dans la même langue, élaborés selon des critères similaires, l’un des ensembles comprenant des textes originaux, l’autre des textes qui sont la traduction de textes d’une autre langue. Pour l’auteur, qui est à l’origine de ce type d’études,26 les corpus comparables permettent de déplacer le champ de la recherche traductologique pour ne plus comparer LS et LC ni TS et TC, mais dans une même langue, les productions linguistiques originales et les traductions. Le but est de mettre en évidence les universaux de la traduction, dont l’ensemble constitue le « troisième code » évoqué précédemment. Cette idée est encore développée dans Baker (1998) et illustrée par deux exemples de l’emploi du mot « pes »27 dans la traduction d’un roman équatorien en anglais : « Dόnde estáis, pes ? » traduit par « Where are you, pes ? » et « Dos o tres veces he sido capataz, pes » par « Pes, I have been a foreman a few times ». L’auteur nous dit que dans le premier cas, la traduction respecte la syntaxe de l’équatorien, et dans le second celle de l’anglais, mais que ce compromis lexico-syntaxique qui participe des deux langues LS et LC fait que « [d]ans les deux cas, nous sommes en présence du ‹ troisième code › dont parlait Frawley ». On remarquera pourtant que la syntaxe du premier exemple est aussi celle de l’anglais (les mots du discours ne sont pas nécessairement assignés à une place fixe, et « pes » se rend aussi bien par « then » que par « well ») : « Where are you, then ? ». Tout ce que l’on constate, c’est un modeste emprunt lexical, procédé bien connu, destiné ici à donner au texte traduit un certain pittoresque. Il n’a aucun caractère contraignant et ne sera pas observé dans toutes les traductions. Le qualificatif de « troisième code » est donc en l’occurrence assurément excessif. D’un point de vue général, on remarquera d’une part que cette approche traductologique par corpus annonce dès le début ce qu’elle va trouver dans ces études (les universaux de la traduction), ce qui n’est peut-être pas la meilleure attitude dans une démarche heuristique, mais que d’autre part elle semble rester longtemps essentiellement programmatique :  

































































« En plus de corroborer l’hypothèse du ‹ troisième code ›, cette méthodologie servira à comprendre les contraintes, les pressions et les motivations qui influencent spécifiquement l’acte traductionnel et sous-tendent cette forme unique de communication » (Baker 1998, 480).  







26 Baker a mis en place le TEC (Translational English Corpus), hébergé par l’Université de Manchester, et destiné à l’étude des spécificités de l’anglais traduit. Sa terminologie s’est imposée (cf. McEnery 2003, 450), même si une certaine confusion terminologique perdure : certains chercheurs parlent de corpus parallèles au sens où Baker parle de corpus comparables (Wang/Qin 2010), et d’autres parlent de corpus comparables au sens où elle parle de corpus multilingues (Munday 2011). 27 Mot du discours, variante de l’espagnol pues, que l’on peut traduire en français par eh bien ou alors.  

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C’est encore ce qu’écrit l’auteur dans son article de 1998. La réalité des fameux universaux n’est donc peut-être pas si facile à mettre en évidence. Certaines études poursuivies dans ce sens apportent même plutôt des éléments contradictoires28 (Wang/Qin 2010). Évidemment, ceci ne remet pas en cause l’utilité des corpus électroniques, qui est manifestement appelée à se développer. Parmi les objets de recherche qui paraissent les plus prometteurs, on trouve tous les phénomènes liés à l’idiomaticité des langues, par exemple les associations lexicales (collocations), grammaticales (colligations), ou encore leur association éventuelle en combinaison avec des connotations positives ou négatives (certains linguistes parlent de « prosodie sémantique »29) ; en effet, de tels phénomènes, qui sont déterminants pour l’effet produit par la traduction, étaient naguère jugés de l’ordre de l’ineffable. On pouvait alors penser que la traduction, pratique purement intuitive liée à un « sens de la langue » plus ou moins inné, ne pouvait véritablement s’enseigner. Aujourd’hui, il est tout à fait possible d’appréhender ces phénomènes grâce à des logiciels tels que AntConc ou WordSmith par exemple. La taille des corpus d’étude est cependant cruciale lorsque l’on étudie des phénomènes censés être représentatifs à l’échelle de la langue. Et l’élaboration de grands corpus demande beaucoup de temps et d’énergie,30 elle ne se justifie que dans le cadre de grands projets de recherche collectifs. En revanche, nous avons vu l’intérêt traductologique d’études portant sur des textes spécifiques, c’est pourquoi nous pensons comme Malmkjær (1998, 539) et Johansson (1991, 305s.), qu’elle cite, que les corpus informatisés de petite taille, particulièrement lorsqu’ils permettent de comparer plusieurs traductions, ont encore leur place dans la recherche : ils se prêtent en effet à des études qualitatives31 qui complémentent utilement les analyses quantitatives sur grands corpus ; le format électronique permet alors de repérer systématiquement les convergences ou divergences intéressantes entre les traductions. Quoi qu’il en soit, ce domaine est en pleine expansion, et aussi bien pour ce qui concerne ses méthodes, ses objets de recherche et sa théorie, on peut s’attendre à le voir considérablement évoluer.  















28 Alors que la plupart des études sur les universaux traductionnels portent sur l’anglais, dans une étude du chinois traduit de l’anglais, Wang/Qin montrent que contrairement aux hypothèses sur ces universaux, le chinois de traduction présente une plus grande richesse lexicale (type/token ratio) et des phrases plus longues que le chinois d’origine dans un corpus comparable. 29 Cf. Munday (2011) pour une étude comparative de la prosodie sémantique de termes équivalents en anglais et en espagnol. 30 En particulier, si on souhaite enrichir le corpus d’annotations pour pouvoir faire des requêtes complexes. Sur les détails techniques d’une annotation de corpus par balises XML, cf. Zanettin (2011). 31 Pour la présentation d’une analyse de la traduction des formes verbales dans une nouvelle de Kafka dans différentes traductions publiées en français et en anglais, cf. Keromnes (2007).

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6 Les instruments de travail du traducteur et de l’interprète dans le domaine des langues romanes Abstract : La présente contribution est consacrée aux outils de la traduction. On donnera d’abord une rapide vue d’ensemble sur les outils traditionnels tels que les dictionnaires ou les encyclopédies tout en esquissant une définition de la notion de dictionnaire de traduction. Les outils informatiques modernes feront l’objet d’une présentation plus précise : outre les aspects généraux, on évoquera la gestion terminologique informatisée, les systèmes à mémoire de traduction et la traduction assistée par ordinateur (T.A.O.) dans ses rapports avec la traduction automatique. On n’oubliera pas, pour finir, le travail sur corpus, qui, relevant de la linguistique du texte, prend une importance de plus en plus grande tant dans la réflexion théorique que dans les pratiques traductologiques.    



Keywords : dictionnaires, gestion de la terminologie, mémoire de traduction, traduction automatique, corpus    

0 Introduction L’objet de la présente contribution est de donner un aperçu des divers outils qu’utilise le traducteur au cours de son travail. Vu la multitude d’outils disponibles aujourd’hui, l’aperçu se limitera aux types d’outils, de façon que le lecteur intéressé puisse, le cas échéant, disposer des mots-clés nécessaires à la recherche d’un outil précis dans une catégorie donnée. Dans le cadre de cette vue d’ensemble, il ne sera pas possible de mentionner des outils particuliers, on indiquera cependant où trouver les informations relatives aux outils d’un groupe déterminé. Les traducteurs ont besoin d’outils pour tirer le meilleur profit des aides à la traduction que sont les glossaires terminologiques, les textes parallèles et les traductions déjà réalisées. Pour les problèmes terminologiques, ils disposent par exemple de bases de données terminologiques, de dictionnaires, de glossaires etc. Les textes parallèles peuvent désormais être archivés sur support électronique et sont parfois disponibles sous forme de corpus alignés. Il existe de même des possibilités d’archivage, à des fins de réutilisation, de textes déjà traduits (cf. Commission Européenne 2009, 2s.). Les interprètes utilisent les mêmes instruments que les traducteurs. Les moyens électroniques mobiles ont pour eux une importance croissante dans la mesure où ils permettent le recours à des bases de données, des logiciels ou l’internet au cours même de leurs interventions. Pour la traduction simultanée, les équipes d’interprètes

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Les instruments de travail du traducteur et de l’interprète

ont en outre besoin de cabines techniquement très performantes. On trouvera sur le site de l’Association internationale des interprètes de conférences (AIIC) des informations importantes sur les normes ISO applicables aux cabines d’interprétation fixes et mobiles et à leur équipement optimal (cf. Sources Internet 1 et 2). Précisons à cet égard que les moniteurs équipant certaines cabines sont d’une utilité plus douteuse lorsqu’ils sont installés non pour compléter mais pour remplacer la perception directe de l’orateur par le traducteur. Il n’est guère possible, dans de telles conditions, de produire une traduction simultanée satisfaisante (cf. Sources Internet 3 et 4). Outre les trois types d’aides à la traduction cités plus haut, les outils de médiation linguistique peuvent également être regroupés selon le support sur lequel ils sont disponibles : support papier traditionnel ou support électronique moderne, simple ordinateur ou Internet. C’est la raison pour laquelle on parle de traduction assistée par ordinateur. Il convient cependant de ne pas la confondre avec la traduction automatique, qui ne relève pas de la présente contribution. On trouvera dans Castrillón Cardona/Patiño García/Plested Álvarez (2005, 345ss.) un bref résumé de l’évolution conjointe de la traduction assistée par ordinateur et de la traduction automatique. Les outils traditionnels d’aide à la traduction sont principalement cantonnés à la terminologie. Les moyens électroniques ont permis de mettre au service de la traduction les acquis de la linguistique textuelle. Si l’on fait abstraction des dictionnaires de traduction, les outils traditionnels ne sont pas des instruments spécifiques de la traduction mais des moyens généraux destinés à permettre le bon usage de la langue et (dans une moindre mesure) la production de textes dans la langue maternelle et la langue étrangère (cf. Albrecht 22013, 64).  

1 Les outils traditionnels Font partie de cette catégorie les différents types de dictionnaires « papier », dont beaucoup existent désormais aussi sous forme électronique sur CD-Rom ou DVD ou « en ligne » sur Internet. Il convient ici de distinguer d’abord les dictionnaires bi- ou multilingues des dictionnaires unilingues (aussi appelés monolingues). Les premiers sont des dictionnaires d’équivalences. Comme ils ne comportent ni définitions, ni explications, ni contextualisations, les indications qu’ils fournissent doivent se comprendre comme des propositions de traduction qui demandent à être validées par exemple par une vérification dans le sens inverse – de l’équivalent proposé vers le mot à l’origine de la recherche – ou la consultation d’un dictionnaire unilingue. Il existe un type de dictionnaires particulièrement utiles pour la traduction, c’est celui qui traite des difficultés lexicales spécifiques de deux langues, l’une par rapport à l’autre, par exemple des « faux-amis » (cf. Albrecht 22013, 60s.). Parmi les seconds, les unilingues, on peut distinguer ceux qui se signalent par un grand nombre d’entrées – ils servent principalement à la compréhension des textes –  











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et ceux qui comportent un grand nombre d’exemples et sont, eux, plutôt destinés à la production de textes. Sont particulièrement utiles à la traduction les trois types de dictionnaires suivants : (a) les dictionnaires diachroniques, qui renseignent sur les états de langue du passé et les néologismes, (b) les dictionnaires traitant des dialectes, régionalismes, sociolectes ou registres de langue, et (c) les dictionnaires syntagmatiques qui informent sur la construction des mots et leurs collocations dans la phrase et le texte (cf. Albrecht 22013, 62ss.). Ces dictionnaires sont généralement sémasiologiques, c’est-à-dire qu’ils partent des formes des mots, présentés dans l’ordre alphabétique, pour conduire à leur sens. Mais il en existe aussi de type onomasiologique, qui regroupent le vocabulaire selon des « centres d’intérêt » extralinguistiques ou selon des champs notionnels. Pour des raisons de commodité d’utilisation, ces regroupements sont accompagnés d’un index alphabétique qui facilite la consultation. On peut ranger dans cette catégorie les dictionnaires de synonymes, car le mot vedette y indique le sens ou le concept de base autour duquel les synonymes sont regroupés. Les dictionnaires onomasiologiques aident le traducteur dans sa recherche du mot juste dans la phase de production de la traduction (cf. Albrecht 22013, 68s.). Mais d’autres dictionnaires sont, eux aussi, utiles au traducteur : (a) les dictionnaires en images (all. Bildwörterbücher), dans lesquels des objets du monde extérieur ou des mécanismes et appareillages plus ou moins complexes sont représentés à l’aide de dessins et de schémas (cf. Albrecht 22013, 67s.) ; (b) les dictionnaires de locutions, d’idiomatismes, de proverbes et de citations, qui apportent une aide précieuse dans le vaste domaine des expressions figées et du « discours répété » (cf. Albrecht 22013, 70ss.) ; (c) les dictionnaires et les glossaires spécialisés, indispensables à la maîtrise des problèmes posés par les vocabulaires techniques, même s’ils doivent parfois être complétés par la consultation de la littérature spécialisée correspondante dans la langue cible (cf. Albrecht 22013, 72s.). C’est dans ce domaine surtout que le traducteur profite aujourd’hui des acquis de l’internet, qui permet une recherche plus rapide et à meilleur coût de textes parallèles dans une discipline donnée. À noter toutefois que les diverses disciplines et les différents domaines techniques y sont très inégalement représentés, ce qui fait que la consultation des ouvrages « papier » est loin d’être devenue inutile. Tout aussi utile, du reste, est le recours aux encyclopédies de toutes sortes, ainsi qu’à des ouvrages tels que (a) les biographies nationales et générales, qui donnent sur certaines personnalités des informations d’arrière-plan qui ont une certaine importance dans un contexte donné sans être toutefois connues de tous, (b) les bibliographies relatives aux traductions, qui permettent de rechercher les traductions existantes d’un même texte, ainsi que (c) les dictionnaires d’abréviations (cf. Albrecht 22013, 74s.). Il ne faut pas oublier, non plus, les ouvrages de référence du domaine grammatical et stylistique. Relèvent de cette catégorie non seulement les nombreuses grammaires, monolingues ou contrastives, destinées aux natifs ou aux apprenants de langue  

























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étrangère, mais aussi les dictionnaires grammaticaux, les dictionnaires stylistiques ou les dictionnaires des difficultés de la langue (nombreuses références dans Albrecht 22013, 66s.). Les grammaires spécifiquement centrées sur la pratique de la traduction n’existent qu’à l’état embryonnaire, même si les fondements théoriques pour de tels ouvrages ont fait l’objet de quelques réflexions (cf. Lux 2014). Il convient, enfin, pour clore ce chapitre, d’évoquer la problématique d’élaboration des dictionnaires spécialisés de traduction, dont on trouvera une présentation plus détaillée dans Morini (2007, 150s.) et Cahuzac (1989, 133ss.). Le principe théorique de ces dictionnaires repose sur le fait que les signifiés de deux langues ne sont généralement pas dans une relation bi-univoque. Tandis que dans une langue un lexème donné peut s’employer dans plusieurs contextes, les mêmes contextes obligent, dans l’autre langue, à recourir à des lexèmes différents. Et vice-versa. Ou bien il existe dans une langue des mots/lexèmes qui, désignant des réalités culturelles spécifiques à cette langue, n’ont pas de correspondants dans l’autre langue (cf. Cahuzac 1989, 135s.). Les dictionnaires bilingues proposent certes pour un lexème de la langue source plusieurs correspondants dans la langue cible, mais ils ne sont le plus souvent pas véritablement synonymes. Le choix de l’équivalent adéquat parmi la liste proposée suppose la prise en compte du contexte dans lequel il doit être inséré. Le traducteur a donc besoin d’informations sur l’emploi du lexème en contexte. La conception de dictionnaires spécialisés intégrant ces informations a suscité un certain nombre de réflexions théoriques, par exemple chez Morini (2007, 151), qui renvoie à l’approche de Mary Snell-Hornby (1996) ainsi qu’à son propre article (Morini 2006), ou chez Cahuzac (1989, 137ss.), qui expose sa propre solution au problème. Dans la pratique, cependant, il n’existe que très peu d’ouvrages que l’on puisse réellement qualifier de dictionnaires de traduction. Ainsi Albrecht (22013, 64) ne cite-t-il que trois dictionnaires de collocations spécialement conçus pour les besoins de la traduction.

2 Les outils électroniques La plupart des outils traditionnels de la traduction sont aujourd’hui disponibles sur support électronique ou sur Internet. Le recours à la version électronique de ces ouvrages, grâce à laquelle la recherche peut se faire « en quelques clics » et avec un minimum d’informations préalables, entraîne un gain de temps considérable, le traducteur n’ayant plus à feuilleter de façon plus ou moins aléatoire dans des ouvrages « papier » qu’il lui faut d’abord prendre sur les rayons de sa bibliothèque ! À cela s’ajoute que les options de recherche sont bien plus diverses et variées avec les supports électroniques, du fait notamment qu’il est généralement possible de faire des recherches « plein texte » (cf. Morini 2007, 133ss. ; on y trouvera aussi un aperçu des principaux chemins d’accès sur Internet ainsi que des informations sur les principales instructions relatives aux moteurs de recherche en ligne).  















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Une liste d’outils électroniques importants pour les langues romanes est proposée dans l’annexe de Castrillón Cardona/Patiño García/Plested Álvarez (2005). L’article lui-même examine de plus près divers dictionnaires en ligne, banques de données et thésaurus (cf. ibid., 351ss.). Une sélection d’outils avec de nombreux liens est également proposée sur le site de l’Université de Sorbonne Nouvelle – Paris 3 (cf. Source Internet 5). On y donne en outre des informations et des conseils aux étudiants pour une navigation adéquate et efficace. Il ne faut pas oublier, en effet, que si Internet constitue de fait une gigantesque archive, cette archive est parfaitement anarchique et les informations qu’on y trouve sont parfois difficiles à vérifier (cf. Morini 2007, 138). On trouvera par ailleurs une brève description des ressources électroniques utilisées à la Direction Générale de la Traduction de la Commission Européenne dans la brochure Outils d’aide à la traduction et cycle de travail éditée en 2009 par le Bureau Communication et Information de la C.E. Elle peut être commandée en ligne à la Librairie de l’U.E. (EU-Bookshop) ou téléchargée gratuitement au format PDF en anglais, en français et en allemand. La brochure présente de façon plus détaillée le projet Euramis, qui court depuis 1995 et dont l’élément central est un système à mémoire de traductions alimenté par tous les traducteurs qui y sont connectés et auquel sont reliés tous les outils électroniques utilisés à la Direction Générale de la Traduction. Les unités engrangées par ce système sont des segments de phrase. On en compte actuellement plus de 205 millions dans toutes les langues de travail de l’Union (cf. Commission Européenne 2009, 10). Parmi les ressources disponibles sur support électronique, quelques-unes n’ont pas de correspondant sous la forme « papier » traditionnelle. Leurs principes de fonctionnement ne seront décrits que succinctement.  





2.1 La gestion électronique de la terminologie La gestion de la terminologie consiste à constituer et tenir à jour des glossaires relatifs à des problématiques et des thématiques complexes. Ces glossaires peuvent être monoou multilingues (cf. Morini 2007, 147). Ils sont une manière de structurer les informations relatives à un domaine donné (cf. Castrillón Cardona/Patiño García/Plested Álvarez 2005, 348). À la différence des glossaires « papier » traditionnels, dont la forme de listing ne peut être modifiée, la gestion électronique de la terminologie permet une grande flexibilité dans la structuration des contenus et facilite par là-même la recherche de l’information. Divers programmes de gestion terminologique existent, mais il est possible aussi, dès lors que l’on a un peu l’habitude du maniement des bases de données, de s’en fabriquer en fonction de ses besoins personnels (cf. Albrecht 22013, 75). On trouvera dans Castrillón Cardona/Patiño García/Plested Álvarez (2005, 348 et l’annexe) une liste de ressources en ligne et notamment de glossaires spécifiques relatifs à la gestion de la terminologie.  



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2.2 Les mémoires de traduction Les systèmes à mémoire de traduction (angl. Translation Memory System) ou mémoires de traduction sont, eux aussi, fondamentalement des bases de données. Mais ce qu’ils rassemblent, ce ne sont pas des termes isolés accompagnés de leurs correspondants en langue cible ou de définitions et d’explications, ce sont des segments de phrases et des extraits de textes issus de traductions déjà réalisées et accompagnés des segments originaux correspondants. On y trouve aussi des segments extraits de textes parallèles. Ces systèmes sont des outils particulièrement efficaces pour le traitement de textes fortement standardisés (cf. Albrecht 22013, 76). Les programmes travaillent en interaction et sont en mesure de reconnaître dans un texte les éléments et les segments déposés dans le système sous une forme identique ou analogue et d’en proposer plusieurs équivalents en langue cible, parmi lesquels le traducteur choisit en adaptant le cas échéant la traduction obtenue. Le processus de traduction peut alors se dérouler selon le schéma « recherche – proposition – choix – (et éventuellement) adaptation » répété pour chaque segment. De nombreux systèmes sont cependant dotés d’une fonction qui assure le remplacement automatique de tous les segments en un seul balayage, total ou partiel, dans la mémoire, ce qui permet au traducteur de procéder aux adaptations sur l’ébauche de traduction prise dans son ensemble. L’utilisation du programme entraîne ainsi un gain de temps supplémentaire. À l’inverse, l’alimentation du système en données en coûte. Mais ici aussi, il existe souvent, à côté de la procédure manuelle, où le traducteur choisit lui-même les segments à déposer, une procédure automatique, que le traducteur doit cependant contrôler pour éviter le dépôt dans la base de segments inutilisables (cf. Morini 2007, 148s.). On trouvera une vue d’ensemble des systèmes à mémoire de traduction les plus courants ainsi que des informations sur leur utilisation dans un article en ligne de Barbara Cordova sur La Mémoire de Traduction : un Outil de Traduction Assistée par Ordinateur dans les archives du site Translationdirectory.1 Nombre de systèmes à mémoire de traduction parmi les plus anciens se voient reprocher d’une part que leur approche phrastique ne permet pas la prise en compte du contexte dans lequel les segments sont appelés à être insérés, et d’autre part que le système entraîne un recyclage permanent des segments archivés – l’une et l’autre caractéristiques ne pouvant que nuire à la qualité de la traduction. C’est notamment la cohérence stylistique sur l’ensemble du texte qui peut être atteinte, mais la cohérence terminologique peut en souffrir aussi. Les systèmes de dernière génération tentent de répondre à ces problèmes en offrant au traducteur l’accès à des textes entiers et à des informations contextuelles dans les deux langues concernées (cf. Frérot 2010, 3).  





1 http://www.translationdirectory.com/article313.htm (12.12.2013).

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2.3 La traduction automatique La traduction automatique comprise comme système totalement automatique de traduction sans intervention humaine en est toujours au berceau et la qualité des traductions obtenues par les systèmes actuels reste douteuse (↗37 La traduction automatique et assistée par ordinateur dans les pays de langue romane). Des résultats réellement acceptables ne sont atteints qu’avec des textes très fortement standardisés comme les modes d’emploi ou les bulletins météorologiques. Le principe de fonctionnement repose, comme pour les systèmes à mémoire de traduction, sur la recherche dans une banque de données d’un équivalent pour chacun des segments du texte source préalablement intégré au système sous forme électronique. Les systèmes de traduction automatique opèrent cependant avec des unités plus petites que les mémoires de traduction, le plus souvent au niveau du lexème. C’est ce qui explique leur manque de fiabilité, à quoi s’ajoute l’inaptitude des systèmes à prendre en compte les aspects co- et contextuels. Cela étant, les systèmes de traduction automatique peuvent rendre des services dans la mesure où on les utilise comme systèmes de traduction assistée et que l’on fait réviser les traductions ainsi produites par un traducteur humain (cf. Morini 2007, 149s.). L’output des systèmes de traduction automatique peut par ailleurs être amélioré par l’élargissement de la mémoire propre aux systèmes (cf. Castrillón Cardona/ Patiño García/Plested Álvarez 2005, 349 ; l’ouvrage comporte une vue d’ensemble des systèmes de traductions disponibles en lignes).  

2.4 Les corpus Une évolution relativement récente a permis à la traductologie théorique et pratique de tirer profit des procédures développées par la linguistique des corpus (cf. aussi Keromnes ↗5 La comparaison de traductions et de « textes parallèles » comme méthode heuristique en traductologie). L’élaboration de vastes corpus de textes relatifs à un domaine donné permet l’accès à des informations co- et contextuelles indispensables à une traduction adéquate. Le recours aux corpus reste cependant assez peu répandu parmi les praticiens de la traduction, ce qui tient sans doute au caractère chronophage de leur élaboration – collecte et traitement préalable des textes pour les rendre utilisables – en comparaison des systèmes de gestion terminologique et des mémoires de traduction (cf. Frérot 2010, 4s.). Il faut convertir et annoter les textes et rassembler toutes les métadonnées les concernant (cf. Disanto 2009, 66s.). C’est la condition sine qua non pour les rendre utilisables et permettre par exemple l’établissement de « concordances » à l’aide de programmes spécialisés précisément appelés « concordanciers ». Ces programmes sont capables d’établir pour l’ensemble d’un corpus la liste de tous les co-textes où apparaît un lexème donné (cf. Frérot 2010, 6 ; on y trouvera aussi les références de quelques concordanciers disponibles sur Internet  













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et téléchargeables ou utilisables en ligne.). Mais on manque encore de systèmes d’annotations et de programmes spécialement conçus pour les besoins scientifiques et pratiques de la traduction (cf. Disanto 2009, 69s., 89). Au moins les systèmes à mémoire de traduction les plus récents opèrent-ils déjà sur la base de corpus (cf. Frérot 2010, 9s.), ce qui devrait contribuer à mettre les avantages des corpus plus largement à disposition des praticiens de la traduction.

3 Remarques finales Cette vue d’ensemble sur les différents types d’outils à disposition du traducteur ne visait pas à l’exhaustivité. Les outils électroniques, notamment, évoluent si rapidement que la description de tel ou tel d’entre eux serait rapidement dépassée. Les sites des associations professionnelles de traducteurs et d’interprètes offrent une information plus stable dans le temps et la plupart d’entre eux renseignent le visiteur aussi bien sur les outils traditionnels qui ont fait leur preuve que sur les outils les plus modernes. Une stabilité analogue dans le temps peut sans doute être reconnue à la banque de données terminologique de l’Union Européenne IATE. Elle est accessible gratuitement sous l’url http://iate.europa.eu. D’une façon plus générale, on peut compter parmi les outils d’aide à la traduction les nombreux forums de traducteurs existant sur Internet. On peut non seulement en consulter les archives à la recherche de solutions à des problèmes particuliers, mais aussi faire appel à l’aide des participants et participer soi-même aux discussions. En lieu et place de la multitude des possibilités offertes par Internet, on ne nommera ici que les deux adresses url suivantes : http://www.proz.com/forum/ et http://forum. wordreference.com/. On trouvera par ailleurs une liste très détaillée d’outils en tous genres sous l’adresse url http://www.profession-traducteur.net et des listes spécifiques de dictionnaires et de glossaires en ligne (avec des liens vers d’autres sites) sous http://www.lai. com/glossaries.html, sous http://lipas.uwasa.fi/comm/termino/collect/index.html et sous http://www.onelook.com (cf. Morini 2007, 135).  

Traduction René Métrich

4 Références bibliographiques 4.1 Imprimées Albrecht, Jörn (22013), Übersetzung und Linguistik, Tübingen, Narr. Cahuzac, Philippe (1989), Traduction et Lexicographie. Problèmes théoriques et pratiques des dictionnaires de traduction, in : Jean Canavaggio/Bernard Darbord (edd.), La Traduction. Actes du  

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XXIIIe Congrès de la Société des Hispanistes français (Caen, 13–15 mars 1987), Caen, Centre de Recherches en Langues, Littératures et Civilisations du Monde Ibérique et de l’Italie, 133–146. Castrillón Cardona, Elvira Rosa/Patiño García, Pedro/Plested Álvarez, María Cecilia (2005), La Informática al servicio de la Traducción, Revista Lenguaje 33, 343–358 (téléchargement en PDF : http://bibliotecadigital.univalle.edu.co/xmlui/handle/10893/2756). Commission Européenne (Direction générale de la traduction, Unité « Communication et information ») (2009), Outils d’aide à la traduction et cycle de travail, Bruxelles (téléchargement en PDF : http://bookshop.europa.eu/fr/outils-d-aide-la-traduction-et-cycle-de-travail-pbHC8108467/) (Brochure PDF également disponible en allemand et en anglais). Disanto, Giulia A. (2009), Korpusbasierte Translationswissenschaft. Eine Untersuchung am Beispiel des JRC-Acquis Parallelkorpus Deutsch-Italienisch, trans-kom 2/1, 63–91. Frérot, Cécile (2010), Outils d’aide à la traduction : pour une intégration des corpus et des outils d’analyse de corpus dans l’enseignement de la traduction et la formation des traducteurs, in : Les Cahiers du GEPE 2, Outils de traduction – outils du traducteur ? (téléchargement en PDF : http://www.cahiersdugepe.fr./index1164.php). Lux, Isabelle (2014), Grundlegung einer Übersetzungsgrammatik. Theoretische und methodische Konzeption mit einer praktischen Erprobung anhand der Analyse von Packungsbeilagen aus Deutschland, Spanien, Großbritannien und Russland, Heidelberg, Univ., Diss. Morini, Massimiliano (2006), Il dizionario del traduttore. Un sogno che si realizza ?, in : Félix San Vicente (ed.), Lessicografia bilingue e traduzione. Metodi, strumenti, approcci attuali, Monza, Polimetrica, 165–179. Morini, Massimiliano (2007), La Traduzione. Teorie. Strumenti. Pratiche, Milano, Sironi. Snell-Hornby, Mary (1996), The Translator’s Dictionary – An Academic Dream ?, in : Mary Snell-Hornby (ed.), Translation und Text, Wien, WUV, 90–96.  

























4.2 En ligne Source 1 : http://aiic.net/node/54/equipment-systems-standards/lang/1 (10.12.2013). Source 2 : http://aiic.net/node/55/iso-standards-for-booths/lang/1 (10.12.2013). Source 3 : http://aiic.net/node/57/technical-guides/lang/1 (10.12.2013). Source 4 : http://aiic.net/node/58/designing-conference-facilities/lang/1 (10.12.2013). Source 5 : http://www.univ-paris3.fr/outils-d-aide-a-la-traduction-tract-59867.kjsp (11.12.2013). Source 6 : http://www.translationdirectory.com/article313.htm (12.12.2013).  

   







Linguistique et procédés de traduction

Nelson Cartagena †

7 Linguistique contrastive et traduction dans les pays de langue romane Abstract : La présente contribution se fixe un double objectif : d’un point de vue général, elle vise, tout en restant concise, à brosser un tableau aussi complet que possible des principaux problèmes de la linguistique contrastive dans ses divers aspects, morphologiques, syntaxiques, lexicaux ou même phonétiques/phonologiques ; d’un point de vue plus particulier, elle souhaite rendre compte, de façon sinon exhaustive, du moins assez détaillée, de la multitude d’études publiées dans ce domaine dans les différents pays de langue romane.    





Keywords : linguistique contrastive, stylistique comparée, comparaison de traductions, équivalence traductologique, équivalence statistique    

1 Introduction Sur le développement de la linguistique contrastive (désormais LC), son objet, ses buts, ses fondements théoriques et ses méthodes, on consultera Cartagena (2001). La présente contribution se limitera à l’exposé des notions fondamentales de la LC, avec un double objectif : a) donner un aperçu des principaux thèmes développés par l’analyse contrastive, et b) justifier la sélection bibliographique relative aux différents pays de la Romania. La LC consiste en une comparaison de langues en synchronie, sa tâche est de décrire les concordances et les discordances existant entre des langues particulières. La description des faits de langue à comparer précédant logiquement leur confrontation, la LC prend nécessairement appui sur les résultats de la linguistique descriptive. À cet égard, on peut affirmer que la LC ne possède aucune valeur méthodologique propre, les méthodes de description et d’interprétation des faits de langue devant être fixées avant la mise en contraste. Les structures étudiées doivent donc être d’abord identifiées pour chacune des langues en jeu et être dégagées selon les mêmes procédés. La nature de l’appareil descriptif utilisé est en soi indifférente ; toutes les approches sont par principe possibles – l’approche traditionnelle comme l’approche structurellefonctionnelle, l’approche générative-transformationnelle ou les approches pragmatiques ou textuelles plus récentes – pourvu qu’elles soient adoptées pour chacune des langues à comparer. Mais les résultats dépendent bien sûr considérablement du choix du modèle de description, de sorte que l’on peut affirmer d’un point de vue théorique et méthodologique que la structure même d’une langue ou du moins certaines de ses sous-structures se laissent mieux appréhender par tel ou tel modèle de description.  



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La LC et la linguistique comparée du XIXe siècle se distinguent par leur objet d’étude autant que par la perspective adoptée. En LC, le chercheur confronte des langues quelconques selon ses intérêts et ses objectifs. La linguistique comparée traditionnelle n’examine, quant à elle, que des langues apparentées. La première reste une discipline synchronique, tandis que la seconde remonte le cours de l’évolution historique des langues retenues pour tenter de reconstruire leur base commune, autrement dit la langue primitive dont elles sont issues. Cette perspective diachronique-génétique entraîne une focalisation sur les concordances, tandis que le caractère synchronique et l’histoire interne de la LC ont conduit cette dernière à privilégier les discordances. À mesure même que les disciplines issues du comparatisme, comme la romanistique, la germanistique ou la slavistique, abandonnent la perspective génétique-diachronique au profit d’une approche descriptive et systémique, elles fusionnent avec les domaines correspondants de la LC. La LC et la linguistique typologique étudiant l’une comme l’autre les concordances et les discordances entre les langues, elles visent toutes deux à établir le degré de parenté formelle entre ces langues. Il ne faut cependant pas perdre de vue que la prise en compte du type linguistique dans l’analyse contrastive est conditionnée par la perspective synchronique, alors que la typologie traditionnelle se veut plutôt « achronique », dans la mesure où elle a pour objectif d’établir et de caractériser des « classes de langues » comme par ex. les langues isolantes, agglutinantes ou flexionnelles. La stylistique comparée est définie par Vinay/Darbelnet (21969, 32) comme une caractérisation de langues particulières par le moyen d’une comparaison : « [La stylistique comparative externe ou stylistique comparée] s’attache à reconnaître les démarches de deux langues en les opposant l’une à l’autre ». Mario Wandruszka, le principal représentant de ce courant, souligne ici le rôle de la traduction : « Toute comparaison de langues repose sur la traduction. Tout dictionnaire bilingue n’est rien d’autre qu’un condensé, un précipité de traduction ; toute grammaire contrastive n’est que de la traduction concentrée et systématisée »1 et propose pour cette discipline le nom de « Interlinguistik ». L’émergence et l’importance grandissante d’une traductologie indépendante ces dernières décennies rendent indispensable sa délimitation d’avec la LC. À la différence de cette dernière, la traductologie est une science de la parole, en ce qu’elle porte d’abord sur les sens en discours. Mais les traductions échappent par ailleurs à la seule emprise de la LC, en ce qu’elles peuvent être étudiées comme partie intégrante de la culture cible. On trouvera des exemples, des précisions et des réflexions  

























1 « Auf Übersetzung beruht jeder Sprachvergleich. Jedes zweisprachige Wörterbuch ist ja nichts anderes als kristallisierte, kondensierte Übersetzung, jede zweisprachige Grammatik ist konzentrierte, systematisierte Übersetzung » (Wandruszka 1971, 10).  



La linguistique contrastive et traduction dans les pays de langue romane

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complémentaires sur les deux disciplines dans Cartagena (2001, 688s.), Schmitt (1991b) et Albrecht (2009).

2 Domaines linguistiques et « tertium comparationis » (TC) en analyse contrastive (AC)  



Si la LC a son origine dans la grammaire contrastive, le recours à la méthode contrastive a rapidement montré qu’une limitation à la dimension grammaticale de la langue ne se justifiait aucunement. La comparaison entre deux ou plusieurs langues peut parfaitement être conduite à tous les niveaux, phonétique, lexical, grammatical et textuel, comme le suggère fortement le fait que les correspondances entre langues s’établissent fréquemment entre unités appartenant à différents niveaux. Ainsi en estil par exemple des particules modales de l’allemand, dont les fonctions et les effets sont volontiers rendus dans les langues romanes, notamment à l’oral, par des moyens prosodiques ou lexicaux. La comparaison interlinguale suppose la définition d’un tertium comparationis (TC), c’est-à-dire d’un système de référence qui permette la comparaison d’un même point de vue et en garantisse ainsi la cohérence. Il n’est, à l’évidence, pas possible de recourir à un système de référence unique pour toutes les dimensions de la langue, phonétique, syntaxique, lexicale, textuelle ou pragmatique. Il est donc non seulement utile mais indispensable de définir un TC spécifique à chacun de ces domaines. C’est ce TC que l’on appelle communément l’équivalence. Les TC les plus fréquemment proposés par les contrastivistes pour l’analyse contrastive sont : Dans le domaine phonétique : les correspondances dans le domaine de la substance phonique. La phonétique articulatoire utilise pour ce faire l’alphabet phonétique international (API), la phonétique acoustique la théorie des traits distinctifs (ou mérisme, cf. Benveniste), qui opère sur la base de douze oppositions (Jakobson/ Halle 1962, 484ss.) : vocalique/non vocalique, consonantique/non consonantique, compact/diffus, tendu/lâche, voisé/non voisé, nasal/oral, discontinu/continu, strident/mat, bloqué/non bloqué, grave/aigu, bémolisé/non bémolisé, diésé/non diésé.2 Dans le domaine lexical, le TC n’est autre que la réalité extralinguistique structurée par la langue. L’analyse componentielle est parvenue dans une large mesure à définir les unités lexicales comme des faisceaux de traits distinctifs minimaux, comme par ex. ‘animé’, ‘humain’, ‘liquide’ etc. On sait qu’un petit nombre de traits (dix-sept) suffit pour décrire 100.000 unités d’une langue particulière et que chaque langue ne  





2 Original en anglais : vocalic/non vocalic, consonatal/non consonantal, compact/diffuse, tense/lax, voiced/voiceless, nasalized/non nasalized, discontinuous/continuous, strident/mellow, checked/unchecked, grave/acute, flat/non flat, sharp/non sharp.  

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possède qu’une partie de l’ensemble fini de ces traits. C’est sur cette base que la théorie des champs lexicaux conduit son analyse contrastive. La sémantique du prototype postule en revanche que les sens correspondent plutôt à des opérations de catégorisation naturelle hiérarchisée. À cet égard, Kleiber (1993, 83ss.) pose trois niveaux de profondeur différente : le niveau de base, celui des désignations courantes des objets et états de choses correspondant au prototype (par ex. arbre, chien), un niveau superordonné, qui est celui des concepts génériques (par ex. plante, animal) et un niveau subordonné, où l’on trouve les genres correspondant aux lexèmes de base (chêne, peuplier, tilleul ; dogue, épagneul, caniche nain).3 Dans le domaine de la grammaire, le TC repose sur des critères à la fois formels et sémantiques. Prendre la ressemblance formelle des structures de surface, par ex. l’ordre des mots, les paradigmes flexionnels ou les schémas de composition des lexèmes, comme point de référence suppose évidemment l’existence de catégories analogues dans les langues mises en contraste. Les postuler par erreur peut conduire à des résultats trompeurs. Quand le TC est d’ordre sémantique, ce sont des structures de surface formellement différentes qui sont présumées avoir le même sens. La structure complexe, multidimensionnelle du sens linguistique et les diverses conceptions que l’on s’en fait conduisent à des différences de formulation telles que équivalence sémantico-syntaxique, équivalence de structure profonde, équivalence de désignation (Cartagena 2001, 694–696), qui ne concernent toutefois que le sens référentiel, ce que Bühler appelait la Darstellungsfunktion, la fonction de représentation [du monde]. Au niveau du texte, le TC concerne d’autres dimensions du sens et touche également aux aspects quantitatifs de l’acte d’énonciation. Ce qu’on appelle « équivalence sémantique » renvoie (selon le cas) à l’équivalence pragmatique, l’équivalence contextuelle ou l’équivalence traductologique. En linguistique contrastive du texte, les mécanismes créateurs de cohérence, la typologie des textes, les connecteurs et les marqueurs discursifs constituent des objets d’étude particulièrement riches. La pragmatique contrastive se concentre, elle, sur l’analyse comparée des conversations et celle des comportements communicatifs des locuteurs. Quand existe entre des textes de langues différentes, quelles que soient leurs différences au plan de la structure superficielle, une équivalence à la fois référentielle, pragmatique et textuelle, on dit qu’ils sont traductologiquement équivalents. Ce critère est souvent donné comme le TC de la LC, comme le montrent les citations suivantes :  











3 La question de savoir si « genre », « espèce » et « sous-espèce » sont pris au sens scientifique n’a aucune importance ici.  











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« One way of presenting the syntactic differences between languages is what may be called a ‹translation‑paradigm›. A grammatical category from language A is listed opposite all the categories in language B by which it may be translated. Whenever possible, the grammatical and contextual criteria governing the choice of one translation rather than another are listed in notes to the paradigm » (Levenston 1965, 221).  



« To etablish that [these systems of deictics] are comparable we first need to show their contextual equivalence ; this can be done most simply by reference to translation » (Halliday/McIntosh/ Strevens 1964, 115).  





Selon l’objectif visé par la LC, le TC doit être évalué différemment. Si l’analyse contrastive se situe au plan grammatical, la comparaison de traduction ne peut qu’avoir une valeur heuristique. Les correspondances établies à ce niveau doivent être validées sur la base du critère d’équivalence semantico-syntaxique déjà évoqué. Il est en outre indispensable de procéder à des mises en contraste complémentaires par exemple par recours à des tests de commutation à l’intérieur de chaque langue, dans la mesure où les corpus de textes traduits ne garantissent pas la description exhaustive des similitudes et des différences interlinguales. Mais si l’analyse contrastive n’est conduite qu’aux plans pragmatique et textuel, l’équivalence traductologique se révèle être un paramètre d’une grande utilité, même s’il ne faut pas se dissimuler que son application reste limitée au plan de la parole et qu’elle ne saurait permettre à elle seule le dénombrement de toutes les possibilités de correspondance entre deux langues. L’analyse contrastive des langues comme systèmes permet de dégager des similitudes et des différences structurelles et fonctionnelles. Mais la comparaison des systèmes doit être complétée par une analyse contrastive quantitative au plan du discours, dans la mesure où les mêmes structures peuvent se différencier parfois considérablement par leur fréquence d’emploi (cf. la voix passive en français et en allemand). Krzeszowski (1984, 306, 310) va jusqu’à proposer un TC spécifique, l’équivalence statistique (« statistical equivalence ») :  





« […] the relation of statistical equivalence, i.e. a relation based on the assumption, that the […] [compared] texts contain certain similar elements which can be counted and that the results of these computations are comparable », « Systematic CAs [contrastive anylysis] alone cannot yield practically useful results but must be amplified by quantitative CAs which investigate relative frequencies of equivalent phenomena ».  







Ainsi, la reprise anaphorique d’un nom déjà mentionné par un pronom personnel en fonction sujet est un procédé grammatical et textuel, qui existe aussi bien en allemand que dans les langues ibéroromanes. Mais les propriétés morphosyntaxiques et sémantiques particulières de l’actant sujet dans ces langues font que la fréquence de la pronominalisation y est extrêmement différente. L’allemand y recourt très régulièrement, tandis que les langues ibéroromanes en font un usage beaucoup plus restreint, et variable selon les propriétés sémantiques ([± animé]) du substituande. Voir par ex. « Ich will dir meine Uhr schenken, siehe da…, sie ist aus Silber und das Werk ist  

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gut » (H. Hesse, Demian, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1982, 23) / « Toma, te regalo mi reloj… es de plata y la maquinaria es buena » (trad. esp., Demian, Madrid, Alianza, 1986, 23) / « Olhe só, eu lhe dou êste relógio … é de prata e a máquina está boa » (trad. port. Demian, Rio de Janeiro, Civilização Brasileira, 1965, 16). L’équivalence globale entre texte source et texte cible ne peut être posée que si la différence de fréquence observée dans la langue au plan du discours est conservée au niveau des textes. Pour terminer, il faut noter que si l’essor considérable de la LC a conduit cette dernière à élargir considérablement l’éventail de ses objectifs, elle n’en a pas pour autant perdu ses fonctions premières d’aide à la traduction et d’outil de prévision, d’analyse et de correction des fautes dans l’enseignement des langues étrangères.  











3 La LC dans le domaine du français La première grammaire contrastive approfondie et détaillée a été réalisée dans le département de linguistique contrastive de l’Institut de la langue allemande (Institut für deutsche Sprache) de Mannheim dans le cadre d’un projet porté par la section culturelle du ministère allemand des Affaires étrangères. Elle concernait l’allemand et le français (Zemb et al. 1984, 11978). On trouvera dans Albrecht (2011) une analyse pénétrante de cette grammaire comparée et de la conception zembienne de la contrastivité. D’autres études comparées de portée générale méritent d’être citées : les Éléments de grammaire contrastive. Domaine franҫais-roumain de Cristea (1977), la grammaire contrastive franco-polonaise de Gniadek (1979) ou le Sprachvergleich Deutsch-Französisch de Blumenthal (21997), dans lequel l’auteur, en s’appuyant sur des exemples de traduction, compare les deux langues tant au point de vue grammatical et lexical que pragmatique et textuel. Hormis ces quelques études générales, on ne trouve que des études particulières de dimensions variables. Elles font l’objet ci-après d’un classement thématique et d’une courte présentation. Les domaines retenus sont la phonologie, la morphosyntaxe, la sémantique lexicale, la pragmatique et le niveau du texte. Il ne sera évidemment pas procédé, dans chacun de ces domaines, à une caractérisation génétique ou typologique du français au sein de la Romania. On trouvera un excellent résumé de ces questions dans Neumann-Holzschuh (1998, 807ss.). S’il est vrai que la LC traditionnelle s’est intéressée dès ses débuts à la dimension phonologique des langues, force est d’admettre que cette dimension ne joue en traduction qu’un rôle relativement secondaire (rimes, onomatopées etc.). Les travaux de phonétique et phonologie contrastive ne seront donc pris en compte que dans quelques cas spécifiques où ils présentent un rapport manifeste avec des problèmes de traduction. Dans le domaine morphosyntaxique, il faut mentionner en premier lieu des travaux à caractère général contrastant le français avec d’autres langues romanes : Giurescu (1975) sur la composition des mots et Wandruszka (1966b) sur les suffixes de  





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quantification. D’autres travaux portent sur des couples de langues : Gauger (1971) et Staib (1988) respectivement sur la formation des mots et les composés génériques en français et en espagnol ; Bossong (1981) et Wolf (1990) sur la composition nominale en langue de spécialité allemand-français, Schmitt (1993b) sur les affixes collectifs ; Unterhuber (1988) sur la composition nominale par opposition à la suffixation en français et en anglais ; Kaiser (1992) sur les pronoms personnels clitiques en français et en portugais, examinés d’un point de vue partiellement synchronique ; enfin Heger (1963 ; 1966) sur la terminologie des systèmes de conjugaison et la conjugaison objective en français et en espagnol. Parmi les études contrastives consacrées à trois langues, on doit mentionner Schmitt (1997) sur la formation des diminutifs en espagnol et en allemand, d’une part, en espagnol et en français de l’autre ; Barth (1961) sur la fréquence et valeur des partis orationes en français, en anglais et en espagnol ; Klöden (1993) sur les prépositions en français, en italien et en espagnol et Windisch (1995) sur la composition nominale en allemand, en français et en espagnol. La syntaxe du verbe n’a pas été en reste. Celle (1978) compare celle du verbe français et du verbe portugais ; Albrecht (1993) traite de la voix, la réflexivité, la médialité et l’ergativité en anglais, français, italien et espagnol ; Chevalier (1978) se limite à la voix en français et en espagnol, tandis que Karasch (1982) et Polzin (1996) se concentrent sur le passif. Confais (1990) compare l’aspect, le mode et le temps en allemand et en français, Dubsky (1961) et Sacker (1983) étudient les différences d’aspect en allemand et en français pour le premier ; en français, italien, russe et allemand pour le second. La catégorie du temps est examinée selon divers points de vue : Wandruszka (1966a) et Eggs (1993) traitent des temps du passé respectivement en français comparé à d’autres langues romanes et dans le couple espagnol-français ; Barrera Vidal (1971) examine la traduction en français du « pretérito indefinido » et du « pretérito perfecto » de l’espagnol ; Schiller (1993) confronte l’imparfait du français à l’imperfetto de l’italien ; Schifko (1967) compare l’usage du subjonctif en français et en espagnol ; Chevalier (1969) s’intéresse à l’emploi de l’infinitif en français et en espagnol, Pfister (1987) aux phrases impersonnelles en français, en anglais, en allemand et en espagnol, Bausch (1964) traite la transposition des periphrases verbales en français, anglais, allemand et espagnol, tandis que Schmitt-Jensen (1989) décrit la position relative du sujet et de l’objet en français et en italien ; Marinescu (1973a) étudie les particules pré- et postverbales en français et en roumain et Drăghicescu (1973) les formes verbales en ‑ant et ‑ind dans respectivement les mêmes langues. Dans le domaine non verbal il convient de mentionner les analyses contrastives suivantes : Lamíquiz (1967) sur l’emploi du démonstratif en espagnol et en français, Hoffmann (1967) sur l’emploi de l’article en espagnol, français, allemand et anglais, J. Lüdtke (1978) sur la nominalisation prédicative en français, catalan et espagnol, Cristea (1973 ; 1974 ; 1977 ; 1990) respectivement sur les « verbes symétriques », l’emploi du datif possessif, les relations entre cas, possession et instrument, l’ellipse et la négation en français et en roumain ; sur le même couple de langues, Cuniţă (1973a ; 1973b ; 1973c) sur les adverbes de temps, Cuniţă (1990) sur les augmentatifs et  































































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Marinescu (1973b ; 1977) sur les pronoms personnels. À quoi il faut ajouter : Delbecque (1990) sur la place de l’adjectif en français et en espagnol ; Price (1990) sur la syntaxe des constructions comparatives et Kamm (1993) sur les déterminants du substantif en français et en allemand ; Krenn (1993) sur les correspondants allemands du français en et de l’italien ne ; Schiller (1995) sur la syntaxe des présentatifs et Blumenthal (1983) sur la syntaxe des textes ordinaires et spécialisés en allemand et en français. Pour une bonne introduction à l’analyse contrastive du lexique, on consultera l’article de Langenbacher-Liebgott (1995) sur la définition du mot dans la lexicographie française et espagnole. La plupart des études dans ce domaine sont consacrées à la comparaison de lexèmes et de champs lexicaux particuliers. On y trouve par exemple les travaux de Rösner (1993) sur kommen et gehen (venir et aller), de Hammer (1993) sur les expressions binaires figées, de Schepping (1982) sur les verbes de vision, de Dupuy-Engelhardt (1993) sur la désignation des sons, de Henschelmann (1993) sur les mots abstraits du français, de Schmitt (1995a) sur la nomenclature des concepts fondamentaux de la construction et de Reinart (1993) sur le lexique spécialisé en français et en allemand, tandis que les études de Koch (1993) et Schmidt-Radefeldt (1997) sont consacrées respectivement à la traduction de fr. aller et venir en espagnol, aux équivalents de l’allemand haben (‘avoir’) et sein (‘être’) en français, italien et espagnol et à ceux de l’allemand schon, noch et erst en espagnol, portugais et français. Pour ce qui concerne la sémantique structurale, il faut signaler les travaux de Geckeler (1971 ; 1993) sur le champ lexical ‘jung’ / ‘alt’ / ‘neu’ (‘jeune’ / ‘vieux’ / ‘nouveau’) en allemand, espagnol et français ainsi que sur diverses structures lexicales en espagnol, italien et français. L’ouvrage de Schwarze (1985) informe abondamment sur son projet de dictionnaire contrastif allemand-français des champs lexicaux qui devait constituer le couronnement de la sémantique structurale. Dans le domaine de l’analyse contrastive des textes et de la pragmatique comparative, on trouve toute une série d’études consacrées à deux ou plusieurs langues, par ex. :  

















français-espagnol : Hajdú (1969) sur l’expression de la direction ; Dabrowska (1973) sur la question directe ; Lamiroy (1983) sur l’emploi de l’infinitif des verbes de mouvement ; Ocampo (1993) sur l’introduction de nouveaux narrateurs ; français-allemand : Weydt (1969) sur les équivalents des particules modales de l’allemand, pour une première approche, et surtout Métrich/Faucher (2009), véritable outil d’aide à la traduction des particules discursives de cette langue ; Schmitt (1990) sur la traduction d’expressions figées tirées de la Bible et Schreiber (1999) sur les proformes dans la langue parlée ; français-italien : Boer (1987) sur l’ordre des mots ; Fourment-Berni Canani (1989) sur la « fonction dramatique » du datif clitique et Werner (1992) sur les possessifs dans la langue parlée ; français-anglais : Cornish (1986) sur les relations anaphoriques dans les deux langues dans une perspective discursive ; français-catalan : Verdaguer (1976) sur la comparaison de 133 textes relevant de la littérature de divertissement ;  









































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allemand-français-portugais : Schemann (1982) sur les équivalents fonctionnels des particules modales de l’allemand ; allemand-français-espagnol : Schmitt (1993a) sur l’analyse de traductions d’un point de vue didactique allemand-français et allemand-espagnol ; Zimmermann (1993) sur les variétés de la langue des jeunes et Schmitt (1995b) sur distance et proximité dans la comparaison de traductions ; français-italien-espagnol : Koch/Oesterreicher (1990) sur la langue parlée dans la Romania et Koch (1995) sur la métataxe actancielle dans le lexique verbal ; français-espagnol-portugais : Blanche-Benveniste (1990) sur l’emploi normatif et non normatif des pronoms relatifs ; espagnol-italien-français : Carlsson (1969) sur les constructions du type « C’est le meilleur livre qu’il ait jamais écrit » ; espagnol-catalan-français : Camprubi (1988a) sur les syntagmes prépositionnels à référence temporelle ; français-italien-espagnol-roumain : Thun (1986) sur l’emploi des pronoms personnels référant à des choses et Stein (1993) sur le discours rapporté indirect ; catalan-espagnol-français-allemand : Knauer (1993) sur divers aspects de la langue parlée informelle ; allemand-anglais-français-italien-espagnol : Kalverkämper (1992) sur la spécialisation dans l’agir et le parler ; allemand-espagnol-français-italien-portugais : Gil (1997) sur la métataxe dans l’expression du mouvement.  





























































Le caractère contrastif de la grammaire comparée de Zemb et al. (1984, 11978) ayant parfois été mis en doute – au point que Neumann-Holzschuh (1998, 833) va jusqu’à affirmer que l’analyse véritablement contrastive fait défaut –, une nouvelle tentative dans cette direction paraît souhaitable, qui serait fondée sur le plus grand nombre possible d’études particulières, qu’elles soient d’orientation contrastive (centrées sur la langue) ou traductologiques (centrées sur les textes et les techniques de traduction appropriées).  

4 La LC dans le domaine de l’espagnol Une deuxième grammaire contrastive d’envergure a été réalisée dans le même cadre que celle de Zemb et al. (1984, 11978). Elle concerne le couple de langues allemandespagnol (Cartagena/Gauger 1989). Elle a fait l’objet de discussions dans Hernández Sacristán (1990), Rall (1990), et de comptes rendus dans Schmitt (1991a), De Bruyne (1990), López García (1991) et Marcos Marín (1993). Il existe par ailleurs des études ponctuelles de dimensions variables concernant le système phonologique, la morphosyntaxe, la sémantique lexicale, ainsi que le niveau du texte et la pragmatique. Le travail de Criado de Val (1954) constitue, quant à lui, une excellente contribution à la typologie des langues, mais ne correspond pas aux normes de la linguistique contrastive au sens étroit.  

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Aucun des nombreux travaux de phonétique et de phonologie contrastives dont nous avons connaissance ne présente un rapport avec la traduction. Nous les passerons donc sous silence. Dans le domaine de la morphosyntaxe, une nette préférence est accordée aux questions de syntaxe au détriment des thématiques plus morphologiques. On y trouve cependant une série de travaux, par ex. de Saporta (1956) sur les systèmes morphématiques de l’anglais et de l’espagnol, de Zimmer (1992) sur la morphologie verbale en espagnol, italien et français, de Gauger (1971) sur la formation des mots en français et en espagnol, de Staib (1988) sur les composés génériques du français et de l’espagnol, de Monjour (1995) sur la formation des mots en espagnol et en portugais, de Ettinger (1987a) sur la formation des diminutifs et des augmentatifs en italien, portugais, espagnol et roumain, de Schmitt (1997) sur la formation des diminutifs dans les couples de langues espagnol/allemand et espagnol/français et de Giurescu (1975) sur la formation des mots dans la Romania. On peut assimiler à cette catégorie de travaux ceux de Heger (1963 ; 1966) sur la terminologie du système de conjugaison et la conjugaison objective en français et en espagnol, de même que Barth (1961) sur la fréquence et la valeur des « parties du discours » en français, anglais et espagnol. Dans le domaine proprement syntaxique, ce sont les études consacrées aux catégories verbales qui dominent. Parmi les études traitant de deux langues, on trouve :  











le couple français/espagnol dans le travail de Eggs (1993) sur les temps du passé, de Barrera Vidal (1971) sur la traduction du « pretérito indefinido » et du « pretérito perfecto », de Chevalier (1969 ; 1978) sur l’infinitif et la catégorie de la voix, de Dubsky (1961) sur l’aspect et de Schifko (1967) sur le subjonctif ; les couples espagnol/allemand et espagnol/anglais respectivement dans l’étude de Cartagena (1984 ; 1992a) sur l’imparfait et les formes du futur et celles de Bolinger (1970) sur les types de modalité et de Mansilla-García (1973) sur le subjonctif ; et pour finir, le couple espagnol/roumain dans les contributions de Sădeanu (1972 ; 1976) sur le prétérit et le parfait d’une part, sur temps et concordance d’autre part, et de Dumitrescu (1970 ; 1971) sur l’infinitif et les périphrases verbales.  























Il existe par ailleurs des études mettant en jeu trois langues ou plus :  

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l’anglais, l’italien et l’espagnol dans celle de Marchand (1955) sur l’aspect ; l’allemand, le portugais et l’espagnol dans celle de Gärtner (1993) sur le passif ; le français, l’anglais, l’allemand et l’espagnol dans celle de Bausch (1964) sur les périphrases verbales ; l’allemand, l’anglais, le français, l’italien et l’espagnol dans celle d’Albrecht (1993) sur la voix pronominale au sens large ; les langues romanes dans celle de Dauses (1981) sur l’opposition imparfait/parfait.  











Relèvent également de cette section l’étude contrastive de Goldin (1972) sur les objets indirects en espagnol et en anglais, celle de Meier (1954/1955) sur l’infinitif conjugué du portugais et l’infinitif personnel de l’espagnol ainsi que celles de Cartagena (1983 ;  

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1984 ; 1988 ; 1994 ; 1997) sur la flexion et la position des pronoms personnels dans la phrase, la base sémantique et pragmatique des correspondances de l’imparfait espagnol en allemand, le rôle du trait [± animé] dans la pronominalisation, et la forme et la fonction du nucleus verbal dans les textes spécialisés de l’espagnol et de l’allemand. Sur d’autres points relevant de la syntaxe, les études contrastives mettent en jeu deux ou trois langues. On mentionnera :  









pour le couple espagnol/français : Lamíquiz (1967) sur le pronom déictique ; Price (1990) sur les propositions comparatives ; et Delbecque (1990) sur la position de l’adjectif ; pour le couple espagnol/italien : Preiss (1996) sur les connecteurs de conséquence ; pour le couple espagnol/roumain : Sădeanu (1973) sur les pronoms relatifs ; Copceag/ Escudero (1966) sur la différence entre ser et estar (le même sujet est traité par H. Lüdtke 1997 pour le couple espagnol/portugais) ; ainsi que Dumitrescu (1974 ; 1975) sur la négation des adjectifs et les difficultés de traduction de certains éléments des subordonnées dans le couple roumain/espagnol.  





– –

















Pour les études portant sur trois langues, on citera :  



pour la triade français/espagnol/portugais : Blanche-Benveniste (1990) sur l’emploi normatif et non normatif des pronoms relatifs ; pour la triade français/catalan/espagnol : Lüdtke (1978) sur la nominalisation prédicative par suffixation et Camprubi (1988a) sur les syntagmes prépositionnels à désigné temporel ; pour la triade français/italien/espagnol : Klöden (1993) sur les prépositions ; pour la triade allemand/espagnol/anglais : Laca (1993) sur l’opposition article défini/article indéfini/article zéro ; pour la triade allemand/français/espagnol : Windisch (1995) sur les difficultés de traduction de certains composés nominaux allemands ; à quoi on peut ajouter l’étude contrastive de Hoffmann (1967) sur l’emploi de l’article et portant, elle, sur quatre langues : l’espagnol, le français, l’allemand et l’anglais.  









– –



















Pour ce qui est du lexique, étudié dans la perspective de la sémantique structurale pour lui-même ou dans le cadre du texte, il faut citer Geckeler (1971 ; 1993) respectivement sur le champ lexical ‘jung-alt-neu’ (‘jeune-vieux-nouveau’) en allemand, espagnol et français et sur une sélection de structures lexicales en espagnol, italien et français. Parmi les études qui mettent en jeu trois langues ou plus, on mentionnera aussi Nagel (1972) sur la traduction de all. dumm et verrückt dans les langues ibéroromanes, Endruschat (2002) sur les italianismes en portugais et en espagnol, SchmidtRadefeldt (1997) sur la traduction de all. schon, noch, erst en espagnol, portugais et français, et Koch (1993) sur les correspondances de all. haben et sein en français, italien et espagnol. D’autres études particulières, relatives, elles, au couple allemand/ espagnol sont à mentionner : Carazo-Ziegler (1996) et Ide (1996) sur les équivalents de l’allemand bloß et vielleicht ; Wotjak (1997) sur les verbes de mouvement ; Cartagena (1992b) et Schweickard (1993) sur les noms propres ; Schlösser (1996) sur les hispanismes en allemand, Klöden (1996) sur gallicismes en espagnol, Gil (2002a) sur l’opposition port. é que/esp. es que emphatiques.  











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On lira par ailleurs avec grand profit le travail fondamental de LangenbacherLiebgott (1995) sur la définition du mot en français et en espagnol. Les langues de spécialités ont elles aussi fait l’objet d’études contrastives. Il convient de citer ici l’étude de Elwert (1989) sur les différences dans la terminologie des technologies modernes en allemand et en espagnol, celle de Schnitzer (1996) sur les anglicismes dans la langue de l’économie en espagnol et en catalan ainsi que celle de Cartagena (2000) sur l’élaboration du vocabulaire de base de l’art dramatique en allemand et en espagnol. Pour ce qui est de la lexicographie bilingue, la grande accessibilité des nombreux dictionnaires généraux ou spécialisés dispense de les énumérer ici. On évoquera néanmoins un type particulier de dictionnaires spécialisés, celui directement issu de traductions d’ouvrages originaux. On pense ici à la série Grijalbo-Referencia de Barcelone, dont les Diccionarios de Química, Biología, Economía, etc. ont été élaborés de cette façon. Le Diccionario de Valencias Verbales Alemán-Español, ouvrage pionnier de Rall/Rall/Zorrilla (1980), peut être rattaché à ce groupe.  

Au niveau textuel et pragmatique, on trouve une série d’études contrastives particulières traitant aussi de deux ou de plusieurs langues :  



l’allemand et l’espagnol dans Beerbom (1992) sur les particules modales comme problème de traduction, Emsel (1993) sur les structures et modèles de la formation des mots et Piñel (1993) sur la caractérisation linguistique de la femme dans les proverbes ; l’anglais et l’espagnol dans Bolinger (1954) sur l’emphase prosodique et l’ordre des mots, Delattre (1962) sur l’intonation dans la phrase assertive et Teskey (1976) sur thème et rhème ; le français et l’espagnol dans Dabrowska (1973) sur l’interrogative directe, Hajdú (1969) sur l’expression de la direction dans la langue contemporaine, Lamiroy (1983) sur l’infinitif des verbes de mouvement, et Ocampo (1993) sur l’introduction de nouveaux énonciateurs ; l’espagnol, le catalan et le portugais dans Gil (2002b) sur les phrases factives dans les langues ibéro-romanes ; l’allemand, le français et l’espagnol dans Schmitt (1993a ; 1995b) respectivement sur la comparaison de traductions comme instrument didactique et sur la langue formelle et la langue informelle dans la comparaison de traductions ; et dans Zimmermann (1993) sur la comparaison de la langue parlée de la jeunesse ; le portugais, l’espagnol et l’allemand dans Schmidt-Radefeldt (1993) sur les marqueurs discursifs et interactifs ; le portugais, le français et l’espagnol dans Blanche-Benveniste (1990) sur usages normatifs et non normatifs des relatives. le français, l’italien et l’espagnol dans Koch/Oesterreicher (1990) sur la langue parlée et Koch (1995) sur des problèmes de métataxe dans le lexique verbal ; le français, l’espagnol, l’italien et le roumain dans Stein (1993) sur le discours rapporté indirect et dans Thun (1986) sur l’emploi des pronoms personnels pour la désignation de choses ; l’anglais, l’allemand, l’espagnol et le portugais dans Rudolph (1996) sur les relations causatives et adversatives ; le catalan, l’espagnol, le français et l’allemand dans Knauer (1993) sur des aspects de la langue informelle ;  

























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l’allemand, l’espagnol, le français, l’italien et le portugais dans Gil (1997) sur la métataxe dans l’expression du mouvement ; l’allemand, l’anglais, le français, l’italien et l’espagnol dans Kalverkämper (1992) sur la spécialisation du vocabulaire dans la langue parlée.  



L’énumération des études particulières à laquelle il vient d’être procédé montre que les analyses contrastives ne prennent en compte que l’espagnol de la péninsule ibérique, ce qui correspond à l’attitude habituelle de la LC, qui tend à laisser de côté les variations dialectales et diatopiques d’une langue-système donnée.

5 La LC dans le domaine du roumain Le centre le plus important d’études contrastives relatives au roumain est l’Institut de la langue allemande de Mannheim. C’est là qu’ont été élaborés les ouvrages pionniers que sont le dictionnaire valenciel allemand-roumain (Valenzlexikon deutsch-rumänisch) de Engel/Savin (1983) et la grammaire de dépendance contrastive allemand-roumain (Kontrastive Grammatik deutsch-rumänisch de Engel et al., 1993). La perspective adoptée dans les deux ouvrages, qui privilégie le sens allemand → roumain, s’explique par la préexistence de nombreuses descriptions dépendentielles de l’allemand. Les articles du dictionnaire valenciel contiennent pour chaque verbe allemand les principales informations relatives à sa conjugaison et sa structure actancielle (SA) (Satzbauplan). On y trouve : les actants, par ex. O (= actant nominatif), 1 (= actant accusatif), 4 (= actant prépositionnel), 5 (= actant locatif), 6 (= actant directionnel), les restrictions sémantiques (RS) auxquelles ils sont soumis, par ex. HUM (= humain), OBJ (= objet matériel, dénombrable), INST (= institution humaine), INTELL (objet intellectuel, idée), ZOOL (= animé, non humain), AKT (= procès), STAT (= propriété, état), LOK (= spatial) ainsi qu’un exemple explicitateur. La traduction du verbe allemand en roumain est proposée avec la même description dépendantielle. Quant à la grammaire contrastive mentionnée plus haut, elle se présente comme un manuel pour les enseignants et les apprenants. Aucune place n’est accordée à la phonétique-phonologie, les auteurs se contentant d’un simple renvoi (op. cit. 9) au travail de Gregor-Chiriţă (1991) censé compenser le manque. Les différents chapitres traitent de la phrase, du verbe, du domaine nominal, des particules, des constructions facultatives (négation, coordination, apposition) ainsi que des domaines soumis à une normalisation sévère. La dimension textuelle est également présente avec des chapitres consacrés aux actes de langage, aux connexions dans le texte, à la structure du texte et à la typologie des textes. Le tertium comparationis utilisé est toujours l’équivalence traductionnelle, l’équivalence exigée par la traduction. La plupart des études contrastives relatives au roumain le compare à l’anglais, au français, au russe, à l’espagnol et à l’allemand. On les trouvera ci-après classées par domaine.  





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Dans celui de la phonétique et de la phonologie, on trouve surtout des études de phonétique corrective qui n’ont aucun rapport avec les problèmes de la traduction et n’ont donc pas lieu d’être mentionnées ici. L’anglais reste la principale langue de comparaison dans le domaine morphosyntaxique. Belchiţă (1972) traite des différences dans la structure des règles morphophonémiques des deux langues, tandis que Funeriu/Pepelea (1976) en établissent l’influence sur la prosodie. Chiţoran (1982) compare la fonction grammaticale des traits prosodiques dans les deux langues. Giurescu (1975), en revanche, ne se réfère pas à l’anglais mais compare la formation des mots dans la Romania. Dans une perspective générative, on trouve les études de Petrovanu (1971) et Vântu (1972), Zdrenghea (1975), Poenaru (1974) et Petrovanu (1972) consacrées respectivement aux différences dans les règles régissant le recours à la nominalisation, à la complémentation, à l’adjectif en position post-verbale et à certaines formes du possessif. Le couple roumain-anglais domine également dans l’étude contrastive du système verbal, où il convient de citer les études de Vişan-Neumann (1972) et de Tamaş/Tamaş (1976) sur les constructions réfléchies, de Mihăilă (1976) sur I’impératif, de Duţescu (1972) sur le passif, de Zdrenghea (1972 ; 1976), Petrovanu (1974), Preda/Spǎriosu (1972) et Bârǎ (1974b) sur les temps verbaux, de Bârǎ (1972 ; 1974a ; 1976) sur les verbes modaux, de Panǎ/Petrovanu 1972) sur les verbes à deux objets non prépositionnels, de Tomoşoiu (1974) sur les particules post-verbales, de Peculea (1976) sur les relations entre le verbe et ses déterminants et de Trofin (1972) sur les subordonnées introduites par les pronoms relatifs cine et care en roumain et who et which en anglais. Vasiliu (1974 ; 1976) se consacre aux morphèmes interrogatifs dans les deux langues, tandis que Lupaş/Roceric (1974) et Vasiliu (1976) traitent de la négation, Duţescu/Spăriosu (1974) de l’adverbialisation et Leviţchi (1971) de l’article. La morphosyntaxe fait également l’objet d’études contrastives avec d’autres langues, notamment avec le français, l’espagnol, le russe, l’allemand et l’italien. Le français est choisi comme langue cible par Drăghicescu (1973 ; 1976), VlăduţCuniţă (1974) informe sur certains aspects du domaine verbal. Marinescu (1973a ; 1973b ; 1977) et Vişan (1974) étudient le pronom, Cristea (1974) l’emploi du datif possessif et Cuniţă (1973b) ainsi que Vlăduţ-Cuniţă (1973) les fonctions des adverbes de temps. Dans Cristea (1977), ce sont les formes et relations casuelles ainsi que les relations spatiales, temporelles, possessives et instrumentales qui font l’objet des analyses et dans Cristea (1973 ; 1990) respectivement les « verbes symétriques » et la négation et l’ellipse. Cuniţă (1990) compare, pour sa part, les augmentatifs dans les deux langues. Sădeanu (1973) compare les pronoms relatifs roumains cine, care avec l’espagnol quien sur la base de son propre modèle de LC. Dumitrescu (1974) s’intéresse à la négation des adjectifs dans les deux langues. Sǎdeanu (1972 ; 1976) et Dumitrescu (1971 ; 1975) décrivent certaines différences dans les systèmes verbaux. Ettinger (1987a) compare la formation des diminutifs et augmentatifs avec celle de l’italien, du portugais et de l’espagnol.  

























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Chelemen (1953), Zacrodonet (1956) et Fodor (1974) montrent, exemples à l’appui, les avantages didactiques d’une analyse contrastive du roumain et du russe. Georghiu (1965) décrit les difficultés de traduction du parfait roumain en russe et Frai (1974) le quantificateur collectif dans les deux langues. Colbert/Savin (1964) dressent un état des similitudes et différences entre le participe présent allemand et le gérondif roumain. Thun (1984) décrit la fonction et la fréquence des Existimatoren (= particules modales et/ou interactives) de l’allemand et du roumain. Bărbulescu/Maneca (1973) élaborent une représentation du prétérit en roumain et en italien, tandis que Haase (1995) propose une analyse contrastive de l’infinitif fléchi en portugais et en roumain en y incluant les dialectes de l’Italie méridionale. Dans le domaine du lexique, les langues de comparaison dominantes sont l’anglais et le français. Les études visent le plus souvent à établir des correspondances entre le roumain et une série d’autres langues dans la perspective de la réalisation de dictionnaires bilingues. On trouvera dans Belchiţă Hartular (1978, 515–518) un excellent résumé d’études lexicologiques pour les couples de langues roumain-anglais et roumain-français. Engel et al. (1993, 125) contient une énumération détaillée d’études ponctuelles allemand-roumain menées dans le département de linguistique contrastive de l’Institut de la langue allemande de Mannheim, dont la plupart ont été intégrées à la grammaire contrastive et au dictionnaire valenciel mentionnés plus haut. Dans le domaine de la linguistique du texte, le roumain est mis en contraste avec le français, l’espagnol et l’italien dans Thun (1986), consacré à l’emploi des pronoms personnels pour la désignation d’objets et dans Stein (1993), traitant du discours rapporté indirect.  

6 La LC dans le domaine de l’italien Les contributions déjà anciennes de Agard/Di Pietro (1965a ; 1965b) sur les structures phonologiques et grammaticales comparées de l’anglais et de l’italien restent l’étude contrastive la plus complète de l’italien par rapport à une autre langue. Dans la mesure où d’après Albrecht (1998, 790) il n’existe à ce jour pour l’italien aucune description contrastive d’ensemble comme celle de Zemb et al. (1984, 11978) pour le couple allemand-français ou celle de Cartagena/Gauger (1989) pour le couple allemand-espagnol, on ne peut se départir du sentiment, toujours selon Albrecht (1998, 791), que l’époque n’est décidément pas favorable aux études contrastives d’envergure reposant sur des bases théoriques solides et prenant en compte l’ensemble du système linguistique. Il est un fait que la LC produit actuellement surtout des études ponctuelles plus ou moins exhaustives. Les principales seront évoquées et classées ciaprès selon les structures ou fonctions étudiées.  





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Au plan des signifiants, les études comparatives se sont concentrées sur la phonologie et l’orthographe. Comme elles concernent plutôt la didactique des langues que la traductologie, elles ne seront pas mentionnées ici. Albrecht (1998, 794ss.) propose sur la base de matériaux relevant de la grammaire traditionnelle une vue d’ensemble extrêmement utile des principales caractéristiques morphosyntaxiques de l’italien par rapport aux autres langues européennes. On trouvera par ailleurs dans les travaux de typologie contrastive de Bechert/Bernini/ Buridant (1990) et de linguistique romane comparée de Guillet/La Fauci (1984), de Arcaini et al. (1989) et de Koch/Krefeld (1991) de précieuses contributions relatives à la syntaxe de l’italien. La grammaire de dépendance ne s’est guère intéressée à l’italien d’un point de vue contrastif, si l’on excepte le précieux ouvrage de Blumenthal/Rovere (1993) sur la valence dans les langues de spécialité, en allemand et en italien, particulièrement destiné à l’usage des traducteurs. Dans les années 80, dominées par la grammaire générative, une importante polémique voit le jour en Italie sur une question théorique. Rizzi (1982) attire l’attention sur une entorse caractérisée de l’italien au principe chomskyien de « sousjacence », entorse discutée également par Cinque (1987) et Fanselow/Felix (1987, 132– 139). La question est celle de la validité universelle du principe de mobilité réduite des syntagmes à l’intérieur de la phrase, dont Rizzi affirme qu’il vaut certes pour l’anglais et l’allemand mais nullement pour l’italien. Il s’ensuivrait la possibilité, en italien, de faire des relatives l’objet d’une question indirecte, ce qui ne serait possible ni en anglais ni en allemand : It. Tuo fratello a cui mi domando che storie abbiano raccontate era molto preoccupato / Dt. *Dein Bruder, von dem ich mich frage, welche Geschichte man ihm erzählt hatte, war sehr besorgt / Eng. * Your brother, whom I ask me what story was told to him, was very worried. Les travaux contrastifs purement descriptifs sont relativement peu nombreux dans le domaine syntaxique. On en mentionnera quelques-uns, opposant d’abord l’italien à une seule autre langue :  











l’allemand, dans le travail de Blumenthal (1982) sur les modèles de phrase (Satzmuster), celui de Milan (1985) sur le passif (les constructions participiales avec essere/venire et werden/sein), celui de Gislimberti (1989) sur une sélection de problèmes de syntaxe et de sémantique, celui de Soffritti (1990) sur la compacité de la structure prédicative de l’allemand comme problème de traduction en italien ou encore de Lieber (1995), qui illustre les fondements théoriques de l’analyse contrastive en prenant appui sur le futuro nel passato, le subjonctif et les verbes modaux ; le français dans les travaux de Schmitt-Jensen (1989) sur la répartition (position respective) dans la phrase du sujet et du prédicat, de Fourment-Berni Canani (1989) sur la fonction pragmatique des datifs clitiques, de Schiller (1993) sur les différences de fonction entre imparfait et imperfetto et de Schiller (1995) sur les différences syntaxiques entre les présentatifs du type de il y a, c’è etc. ; l’espagnol dans l’étude de Preiss (1996) sur les connecteurs de conséquence ;  









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l’anglais dans le travail de Ceriana (1982) sur la subordination dans le groupe nominal et Bressan (1987) sur les moyens grammaticaux dont dispose l’italien pour rendre l’accent de phrase anglais.

À quoi on peut ajouter des travaux où l’italien est confronté à deux voire trois autres langues :  

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le français et l’allemand dans Pfister (1987) sur les constructions impersonnelles ; le portugais et l’espagnol dans Zimmer (1992) sur la morphologie verbale ; le français et l’espagnol dans Arcaini/Favretti (1982) sur un projet contrastif relatif à ces trois langues, dans Lamiroy (1984) sur le comportement syntaxique des constructions infinitives et des subordonnées objet, et enfin dans Klöden (1993) sur la comparaison en synchronie des prépositions ; le portugais et le roumain dans Haase (1995) sur l’infinitif fléchi ; le français et l’anglais dans Pfister (1987) sur la catégorie de l’impersonnel et dans Bernini/ Ramat (1992) sur la négation dans les langues d’Europe ; le français, l’anglais et l’espagnol dans l’étude de Galetto (1991) sur « essere » en emploi absolu et dans la diathèse verbale ; le français, le russe et l’allemand dans Sacker (1983) sur l’expression verbale de l’aspect et du résultatif ; le français, l’espagnol et l’allemand dans Körner (1988) sur le redoublement pronominal du type a me mi (piace) et la rigidité de l’ordre SVO, ainsi que dans Koch (1993) sur la traduction dans les langues romanes de haben et sein et dans Krenn (1993) sur les correspondants allemands du fr. en et de l’it. ne ; le français, l’espagnol, l’anglais et l’allemand dans Albrecht (1993) sur la réflexivité, la médialité et l’ergativité ; les langues romanes en général dans Dauses (1981) sur l’opposition imparfait/parfait ; les langues romanes (principalement le français et l’espagnol) et les langues germaniques (principalement l’allemand) dans Buridant (1990) sur l’infinitif et Manzelli (1990) sur les déterminants possessifs du nom.  





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Dans le domaine de la formation des mots, les études comparatives sont principalement diachroniques. Il existe cependant quelques précieuses études synchroniques. Celle de Giurescu (1975) porte sur la formation des mots dans la Romania, celle d’Ettinger (1987a) est consacrée aux diminutifs et aux augmentatifs en italien, portugais, espagnol et roumain, tandis que Doleschal (1990) compare les noms féminins dérivés par suffixe de l’allemand et de l’italien ; Vogel (1990), enfin, attire l’attention sur l’adaptation aux règles de composition de l’italien des composés empruntés à l’anglais. Coseriu (42007, 26ss.) explique à juste titre que le « discours substitué » fonctionne de façon différente selon les langues. Exemples : A : Das solltest du unbedingt tun ! B. Habe ich schon ! La reprise par l’auxiliaire en allemand est également possible en portugais : A. Tens visto ? (Hast du gesehen ?) B. Tenho ! (Hab ich) En italien et en roumain, une telle reprise n’est pas possible, la reprise se faisant à l’aide du participe du verbe principal :  

























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A. Dovresti fare questo e quello. (Du solltest dieses und jenes tun.) B. Già fatto. (Schon getan, bzw. Habe ich schon.) Les « phrasillons » (Tesnière) ou « mots-phrases » comme ja, nein, doch (oui, non, si) constituent un cas particulier, qui d’un côté reprennent des phrases entières, mais impliquent de l’autre une prise de position par rapport au contenu repris : A. Hast du das getan ? (Tu l’as fait ?) B. Ja ! (au lieu de Ich habe das getan) (Oui ! = Je l’ai fait). On sait que le paradigme des mots-phrases n’est pas le même en allemand et en français et dans les autres langues romanes. En français, on a affaire à une structuration tripartite analogue à celle de l’allemand, alors que les autres langues romanes ont une structuration bipartite. Mais si l’on prenait en compte les formes concurrentes telles que genau !/keineswegs en allemand, tout à fait ! / pas du tout ! en français ou assolutamente ! / per niente ! en italien, absolutamente / de ningún modo en espagnol, le tableau serait loin d’être aussi net. La perspective contrastive est malheureusement rarement adoptée en linguistique du texte, surtout dans l’acception spécifique de grammaire du texte, où l’on a plutôt tendance à travailler sur une seule langue et à un niveau général. On compte cependant quelques heureuses exceptions : Carlsson (1969), qui compare un type de subjonctif en espagnol, en français et en italien ; Thun (1986), qui analyse le problème de l’emploi du pronom personnel pour des choses en français, italien, espagnol et roumain ; Boer (1987), qui compare l’ordre des mots en français et en italien ; ou Gislimberti (1988), qui, examinant les relations entre cohérence et cohésion textuelles en allemand et en italien dans les commentaires de presse, arrive à la conclusion que les coesori sont davantage employés en italien qu’en allemand (alors qu’une certaine tradition française – cf. Malblanc (21968, 253) – considère leur emploi comme « typiquement allemand »). Notons par ailleurs Koch/Oesterreicher (1990), qui mettent en lumière les différences dans la langue parlée en français, italien et espagnol ; Werner (1992), qui étudie les possessifs dans le discours en français et en italien ; Stein (1993), qui examine le discours rapporté indirect dans les langues romanes (français, espagnol, italien, roumain) et en allemand. Denschlag (1995) analyse pour sa part diverses formes d’interview dans des quotidiens portugais et italiens, tandis que Gil (1997) compare la traduction en italien, espagnol, français et portugais d’expressions allemandes exprimant la direction, traduction dont « l’équivalence sémantique » implique le recours à des structures différentes. De même Koch (1995) examine-t-il des problèmes de traduction liés à la métataxe actancielle en français, en italien et en espagnol. On terminera ce chapitre par un aperçu sur les études contrastives en sémantique lexicale. Bien qu’en principe intéressée par les relations généalogiques, la sémantique lexicale romane diachronique touche inévitablement à la linguistique contrastive synchronique, puisqu’il lui faut décrire aussi, comme elle, la situation actuelle, à laquelle ont abouti les évolutions antérieures. Aussi trouve-t-on d’intéressantes analyses contrastives de l’italien dans Renzi (1985) et Stefenelli (1992).  















































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Du fait de son caractère monolingue et de son orientation systémique, la sémantique structurale n’a guère de résultats à faire valoir dans le domaine contrastif. Geckeler (1971) constitue cependant une exception précieuse avec son analyse du champ lexical ‘alt-jung-neu’ (‘vieux-jeune-nouveau’) en espagnol, italien et français. Koch (1993) compare les verbes ‘haben’ et ‘sein’ en allemand, français, italien et espagnol. La description des italianismes en espagnol et en portugais dans Endruschat (2002) concerne non seulement le lexique mais également des faits de morphosyntaxe. L’analyse statistique du vocabulaire au plan du discours réalisée par Maneca (1972) a produit des résultats remarquables pour l’étude contrastive de l’italien et du roumain. Les résultats de Ernst (1979) confirment par ailleurs le grand intérêt que peuvent présenter les dictionnaires de fréquence pour la comparaison des langues, par exemple pour l’étude comparée de la fréquence de certains éléments syntaxiques et la signification du ratio type/token en italien et en français. Elwert (1989) décrit des divergences entre l’espagnol et l’italien dans la terminologie des techniques et technologies modernes, tandis que Kalverkämper (1992) examine dans le travail déjà mentionné (supra, 3) le degré de technicité / de spécialisation dans le discours et l’action en allemand, anglais, français, italien et espagnol. La lexicographie bi- ou multilingue est particulièrement productive dans ce domaine. Pour l’italien, il faut mentionner ici les dictionnaires allemand-italien de Storni (1975), italien-allemand de Milan/Sünkel (1990) et italien-français de Boch (1988) ainsi que la présentation critique des dictionnaires italien-allemand dans Marello (1987) et les propositions pour un nouveau type de dictionnaire de traduction allemand-italien dans Pöhl (1990).

7 La LC dans le domaine du portugais L’analyse contrastive du portugais avec d’autres langues n’a produit que des études ponctuelles, rassemblées ci-après selon les domaines dont elles relèvent. Dans celui de la phonologie, on ne tiendra compte que des études de Almeida/da Silva (1977) et Schmidt-Radefeldt (1998) dont les observations strictement phonologiques sont intégrées dans une comparaison plus globale. Dans le domaine de la morphosyntaxe, on ne citera que quelques études, à titre d’exemples. Giurescu (1975) analyse la formation des mots dans l’ensemble des langues de la Romania. Monjour (1995) décrit les points communs et les différences de la formation des mots dans le couple espagnol-portugais. Azevedo do Campo/ Schmidt-Radefeldt (1995a, b) propose une comparaison de la composition nominale et de la structure du syntagme nominal en portugais et en allemand. Silva-Brummel (1987) examine les difficultés de traduction du préfixe allemand Ur-/ur- en portugais. Wandruszka (1966b) traite, lui, des suffixes quantificateurs-qualifiants dans les lan-

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gues romanes et germaniques. Ettinger (1987a) étudie la formation des diminutifs et augmentatifs dans quatre langues romanes : l’italien, le portugais, l’espagnol et le roumain. Harden (1997) se limite, sur le même sujet, au portugais et à l’allemand. Le même couple de langues est choisi par Sousa-Möckel (1997) pour l’étude des contructions possessives, par Thun (1997) pour l’analyse de la distribution des pronoms personnels et réfléchis (Il travaille pour lui/Il ne faut pas penser qu’à soi/Il la pressait contre lui/soi) et par Kaiser (1992) pour l’analyse synchronique et diachronique des pronoms personnels clitiques. Les travaux contrastifs purement descriptifs dans le domaine verbal ne confrontent généralement le portugais qu’à une seule autre langue. Il s’agit :  





de l’allemand pour les études suivantes : Rodrigues (1981) sur le passif ; Azevedo do Campo (1982 ; 1987), sur les relations dialectiques entre temps, aspect et mode ; Koller (1982), sur le pronom sujet ; Cartagena (1990 ; 1992c), sur la traduction du pronom impersonnel sujet man et la pronominalisation du sujet dans une perspective morphosyntaxique, textuelle et traductologique ; Johnen (1992), sur la sémantique et la syntaxe des verbes modaux ; Matias (1997), sur les équivalents de l’imperfeito et du perfeito ; Woll (1976), sur les combinaisons et la traduction des préfixes verbaux allemands ; enfin Ettinger (1997), sur le même sujet ; de l’espagnol dans le cas de H. Lüdtke (1997) sur l’opposition ser/estar ; de l’anglais dans celui de Azevedo (1942) sur les phrases passives ; du roumain dans celui de Crişan (1979) sur la catégorie des verbes causatifs et inchoatifs et enfin du français dans l’étude de Celle (1978) sur le système verbal. L’étude de Dauses (1981) sur l’opposition parfait/imparfait prenant en compte, elle, l’ensemble des langues romanes.  





























Quant aux études mettant en jeu trois langues, elles se répartissent en deux groupes ne contenant qu’un représentant :  

a) b)

L’italien, l’espagnol et le portugais avec l’étude de Zimmer (1992) sur la morphologie verbale. L’allemand, l’espagnol et le portugais avec celle de Gärtner (1993) sur le passif.  



Dans le domaine de la sémantique lexicale, on distinguera le point de vue lexicologique et le point de vue lexicographique. Sous le premier méritent d’être cités : les travaux de Nagel (1972) sur la relation entre dumm (‘bête’) et verrückt (‘fou’) en allemand et leurs correspondants en espagnol, catalan et portugais ; ceux de Koller (1989 ; 1997) respectivement sur l’opposition all. nicht / port. não et sur l’emploi des noms propres dans les deux langues et celui de Hammermüller (1997) sur les termes d’adresse employés dans les deux langues à l’égard d’une femme indépendamment de son état civil (célibataire ou mariée). On peut y ajouter les études de Vilela (1997) et Hundt (1997) respectivement sur les verbes de perception et sur la phraséologie en portugais et en allemand ; celle de Schmidt-Radefeldt (1997) sur l’all. schon, noch, erst et leurs correspondants en espagnol, portugais et français ; celle de Endruschat (2002) sur les italianismes en espagnol et en portugais et, pour finir, celle de Schmidt-Radefeldt (1980) sur les expressions idiomatiques en allemand et portugais.  











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Pour ce qui est du second, on citera d’abord, en raison de leur portée théorique générale, les remarques critiques de Ettinger (1987b) sur les dictionnaires bilingues portugais-allemand et son analyse (Ettinger 1991) des dictionnaires bilingues portugais. On ajoutera l’ouvrage pionnier de Schemann et al. (2002) sur les phraséologismes dans le couple portugais-allemand. À Leiste/Döll/Domingos (1988) on doit un dictionnaire des faux-amis allemand-portugais/ portugais-allemand, que l’on peut utilement compléter par l’essai de Hundertmark-Santos Martins (1995) sur les fauxamis (« Die falschen Freunde. Os falsos amigos »). Dans le domaine des dictionnaires spécialisés, il convient de citer le dictionnaire de médecine vétérinaire allemandportugais/portugais-allemand de Platzer (1996) ainsi que les études de Metzeltin (1994) sur le vocabulaire de la botanique et le glossaire allemand-portugais sur la pollution de l’environnement à l’échelle mondiale de Schieferdecker (1981). Dans le domaine du texte, il faut rappeler d’abord les développements de Coseriu (42007, 26ss.) sur les différences existant entre les langues dans leur traitement du niveau transphrastique. Il est regrettable que les travaux en grammaire du texte n’adoptent que rarement la perspective contrastive. On trouve cependant quelques études confrontant deux ou plusieurs langues, par ex. :  











le portugais et l’allemand dans l’étude de Franco (1997) sur quelques aspects de la langue parlée ou celle de Johnen (1995) sur la pragmatique du port. ‑inho ; le portugais et l’espagnol dans les travaux de Gil (2002a) sur la grammaticalisation et la focalisation par é que en portugais et par es que et ser emphatique en espagnol ou du même (2002b) sur la grammaire et la pragmatique des phrases factives ; le portugais et l’italien dans Denschlag (1995) sur les interviews dans la presse ; le portugais, l’espagnol et l’allemand dans Schmidt-Radefeldt (1993) sur les particules discursives et interactives ; le français, l’espagnol et le portugais dans Blanche-Benveniste (1990) sur l’emploi normatif et non normatif des pronoms relatifs ; l’anglais, l’allemand, l’espagnol et le portugais dans Rudolph (1996) sur les relations adversatives et concessives dans le discours ; et enfin l’allemand, l’espagnol, le français, l’italien et le portugais dans Gil (1997) sur la problématique de la traduction de l’expression du mouvement.  





– –















Schmidt-Radefeldt (1998, 869) considère que les études contrastives ponctuelles existantes constituent une bonne base pour élaborer, à l’instar d’autres langues mises en contraste avec l’allemand (l’espagnol, le français, le japonais), une monographie comparée d’envergure de l’allemand et du portugais. Avec son texte sur la conception d’une grammaire comparée allemand-portugais fondée sur la notion de communication (Schmidt-Radefeldt 2003), il a d’ailleurs lui-même déjà fait un pas important dans cette direction.

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8 La LC dans le domaine du catalan Pour la bonne compréhension de l’évolution historique originale du catalan et de la problématique de ses contacts permanents avec l’espagnol, on consultera l’excellent ouvrage de Colón (1989). Malgré sa perspective principalement historique et sociolinguistique, cet ouvrage comporte un très précieux chapitre contrastif (Colón 1989, 59– 205) sur le lexique de chacune des deux langues. Badia Margarit (1965) et Jordana (31980) ne sont pas en soi des grammaires contrastives mais pointent dans cette direction. De nombreuses observations contrastives sur le catalan et l’espagnol figurent aussi dans Badia Margarit (1962). Des études ponctuelles véritablement contrastives impliquant le catalan ne se trouvent qu’à partir des années 70 et en nombre plus réduit que pour les autres langues romanes. On les mentionnera ci-après en les classant selon les domaines dont elles relèvent : phonétique-phonologie, morphosyntaxe, lexique et texte. Dans le domaine phonétique, il n’existe aucun travail qui pourrait intéresser les traductologues. Dans le domaine de la morphologie contrastive traditionnelle, il convient de citer López García (1979 ; 1981) respectivement sur les périphrases participiales grammaticalisées et sur la flexion des pronoms personnels en espagnol, catalan et portugais, ainsi que Alsina/Bel (1986) sur les pronoms personnels de l’espagnol et du catalan. Pour ce qui est de la syntaxe, on mentionnera les études suivantes :  







Lüdtke (1978) sur la nominalisation prédicative avec suffixe en français, espagnol et catalan ; Falk (1979) sur l’emploi de ser et estar dans les phrases attributives avec adjectif en espagnol et catalan ; Blasco Ferrer (1983), dont l’approche est génétique et typologique, mais qui rassemble de précieux matériaux contrastifs en français, espagnol et catalan ; Tió Casacuberta (1983) sur le système temporel dans le couple catalan-allemand ; Camprubi (1988b) sur la construction prépositionnelle des verbes et adjectifs en catalan et en allemand ; enfin Farràs/García (1993) sur la morphosyntaxe comparée du catalan et de l’espagnol.  









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Dans le domaine lexical, on citera :  



Nagel (1972) sur les correspondants de l’all. dumm et verrückt en espagnol, catalan et portugais ; Navarro (1986) sur la paronymie interlinguale dans le couple allemand-catalan ; et Schnitzer (1996) sur les anglicismes dans la langue économique en espagnol et en catalan.  

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Au niveau textuel et pragmatique, on trouve les travaux suivants :  



Verdaguer (1976) comparant des textes à fonction de divertissement en catalan et en français ;  

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Payrató (1985) sur des interférences entre le catalan et l’espagnol ; Camprubi (1988a) sur les syntagmes prépositionnels à référent temporel en espagnol, catalan et français ; Knauer (1993) sur des aspects de la langue informelle en catalan, espagnol, français et allemand, et pour finir Gil (2002b) sur la grammaire et la pragmatique des phrases factives en espagnol, catalan et portugais.  



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Traduction et adaptation Jörn Albrecht et René Métrich

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Sandra Lhafi

8 Phonétique, phonologie et traduction ou : Quand le signifiant devient signifié  

Abstract : Si les traductologues et les linguistes ont souvent débattu du problème de la notion d’« équivalence » en traduction en se focalisant essentiellement sur des aspects sémantiques, ils s’accordent sur la difficulté particulière que soulèvent les textes qui érigent les signifiants et leur agencement en principe absolu. Dans ces derniers, ce sont en premier lieu les signifiants qui créent de la signifiance, ce qui assigne à la fonction référentielle du langage (Jakobson) un statut souvent inférieur à celui de la fonction poétique. Lorsque les correspondances entre les sonorités du texte (assonances, allitérations, rimes…) établissent un sémantisme supplémentaire apte même à « désémantiser » parfois les signifiés, lorsque les interjections, les onomatopées mais aussi les jeux de mots tels que les paronymies deviennent constitutives de « l’image acoustique » (Nord 2009) d’un texte, la traduction devient d’autant plus difficile qu’elle devra également prendre en compte les critères de fréquence et d’idiomaticité des différents phénomènes au sein des systèmes langagiers concernés. Les difficultés liées à la matérialité du langage se retrouvent dans de nombreux domaines tels que dans l’audiovisuel, par exemple, où la synchronisation du son et de l’image doit intégrer des questions phonétiques. Le présent article offre un aperçu général des problèmes liés à la traduction de textes dans lesquels les signifiants acquièrent un statut primordial, tout en esquissant certaines solutions linguistiques.    













Keywords : sémantisation du signifiant, désémantisation du signifié, onomatopées, synchronisation et doublage, paronymies et traduction    

1 Remarques préliminaires « […] la traduction implique deux messages équivalents dans deux codes différents. L’équivalence dans la différence est le problème cardinal du langage et le principal objet de la linguistique » (Jakobson 1971, 80).  



Les approches linguistiques de la traduction telles que celle proposée par Jakobson dans son célèbre article cité ci-dessus dans sa traduction française évoquent les problèmes d’équivalence tout en proposant des solutions linguistiques pour montrer la traduisibilité des contenus (cf. supra : « messages » ou aussi Leonard Bloomfield, cité dans Mounin 1963, 213 : « […] pour ce qui est de la dénotation, quoi que ce soit qui peut être dit dans une langue donnée peut sans aucun doute être dit dans une autre ») d’une  











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Phonétique, phonologie et traduction ou : Quand le signifiant devient signifié  

langue à l’autre (cf. aussi Mounin 1955). Quant à la traduisibilité des textes poétiques, les linguistes capitulent et parlent plus généralement de « transposition » :  





« En poésie, les équations verbales sont promues au rang de principe constructif du texte. […] les phonèmes et leurs composants (les traits distinctifs) […] sont confrontés, juxtaposés, mis en relation de contiguïté selon le principe de similarité et de contraste, et véhiculent ainsi une signification propre. La similitude phonologique est sentie comme une parenté sémantique. […] la poésie, par définition, est intraduisible » (Jakobson 1971, 86).  



Le problème fondamental des textes poétiques est l’élargissement de la signifiance à l’axe syntagmatique et aux enchaînements phonétiques : au sein des « textes expressifs » (Katharina Reiß, cité dans : Lombez 2003, 226), « où l’expressif prend le pas sur le descriptif et où ‹ l’exigence cardinale est l’obtention du même effet esthétique ›» (ibid.), les signifiants et leur agencement sont érigés en principe absolu de la construction textuelle. Or, cette exception concédée aux textes fortement poétiques peut être élargie à tout type de traduction où les signifiants créent eux-mêmes de la signifiance. Là où les dimensions phonétique et phonologique acquièrent une importance majeure, il ne s’agit plus de traduire des messages d’une langue à l’autre, mais de prendre en compte tous les aspects phonologiques et phonétiques jouant un rôle dans la constitution du texte source et devant être transportés dans le texte cible. Le problème s’étend ainsi à tout type de texte (parlé ou écrit) qui octroie à la fonction poétique du langage un statut équivalent sinon supérieur à la fonction référentielle (dans la terminologie de Jakobson) – ce qui englobe des domaines aussi divers que les œuvres littéraires jouant (partiellement) sur les sonorités, ou que la synchronisation des films, où la difficulté principale réside dans la nécessité de créer une traduction simulant l’authenticité entre l’image et le son, ce qui implique une réflexion particulièrement minutieuse sur les aspects phonologiques et phonétiques concernés. Les approches linguistiques de la traduction, se concentrant essentiellement sur les types de textes à fonction référentielle prédominante, n’évoquent que marginalement le rôle de la phonologie et de la phonétique en traduction, les textes centrés sur la fonction poétique étant relégués aux sciences littéraires (cf. à ce propos Mounin 1963, 13s., qui cite le traducteur Edmond Cary : « La traduction littéraire n’est pas […] une opération linguistique, c’est une opération littéraire […]. Pour traduire les poètes, il faut savoir se montrer poète »). Cependant, malgré la marginalité apparente, critiquée entre autres par Albrecht (2013, 97), les problèmes posés par les phénomènes suprasegmentaux ne cessent d’attirer les linguistes et les traductologues (cf. par ex. ibid., 91). Christiane Nord (cf. 2009) intègre dans son schéma circulaire les éléments « suprasegmentaux », tout en soulignant la difficulté de saisir la sonorité d’un texte, celle-ci étant toujours liée à sa réception. L’originalité de sa description est l’assignation d’une sonorité propre à tout type de texte (cf. ibid., 135). Elle parle d’« image acoustique » inhérente au texte, qui fera l’objet d’interprétations différentes car variables selon les récepteurs respectifs (ibid., 138s.). La difficulté pour la traduction réside dans le fait que l’image acoustique varie en fonction des communautés linguistiques  



























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et exige du traducteur une interprétation adéquate du texte source ainsi qu’une traduction équivalente au sein de la langue cible (ibid., 140). Koller (2011, 255ss.) évoque les éléments suprasegmentaux au sein des problèmes d’« équivalence esthético-formelle » (« formal-ästhetische Äquivalenz » ; ibid., 219).  









2 Les textes littéraires 2.1 L’originalité des textes littéraires et les problèmes de traduction qui en découlent Koller (2011, 45) évoque la difficulté particulière que présente la traduction de textes hautement littéraires, lesquels, de par leur hétérogénéité constitutive, permettent, selon Eugenio Coseriu, l’actualisation simultanée des différentes fonctions langagières décrites par Jakobson en jouant particulièrement sur la forme et son potentiel esthétique : « Alle formal-ästhetischen, oft spezifisch einzelsprachlichen Möglichkeiten können ausgenutzt werden : Reim, Alliteration, Sprachspiel, metrische Formen, Rhythmus », ibid. (‘ Tous les moyens esthétiques d’ordre formel, souvent spécifiques d’une langue particulière, peuvent être utilisés : la rime, l’allitération, le jeu de mots, le schéma métrique, le rythme ’). Lorsque la fonction poétique s’allie à la fonction référentielle, sans répartition égale des forces, lorsque les équivalences esthéticoformelles passent au premier plan (cf. ibid., 255s.), le traducteur se voit confronté à des problèmes de traduction majeurs.  













2.2 Quand l’arbitraire du signe se voit réduit : la sémantisation des signifiants  

Quand l’enchaînement phonétique n’est plus simple « porteur » de sens, il se produit une « sémantisation des signifiants » qui, à leur tour, créent du sens et s’allient à la fonction conventionnelle du signe linguistique (fonction référentielle) pour engendrer un sémantisme supplémentaire (cf. Albrecht 2013, 94 : « [wenn es] um eine Kombination der konventionellen Zeichenfunktion mit der ikastischen [geht] »), la traduction devenant d’autant plus difficile que, contrairement aux concepts, l’inventaire phonématique de chaque langue est par essence unique et non reproductible. Poussée à l’extrême, cette pratique peut même mener à ce qu’Albrecht (ibid., 95) nomme la « désémantisation du signifié » : « Wenn die Ausdrucksebene die Aussage des Textes nicht mehr unterstreicht, sondern sie statt dessen in den Hintergrund drängt, da die semantisierte Signifikantenebene übertrieben massiv eingesetzt wurde, spricht man von einer Desemantisierung der Inhaltsebene » (‘ On parle de désémantisation du signifié quand le sens du texte n’est plus souligné au plan de l’expression mais au contraire repoussé à l’arrière-plan en raison d’une sémantisation excessive du plan du signifiant ’).  



























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3 Assonances, allitérations, rimes et symbolisme phonétique Les parentés phonétiques permettent de rapprocher des domaines sémantiques a priori éloignés : l’« utilisation consciente de correspondances sonores » (cf. « bewußte Verwendung von Lautkorrespondenzen », Albrecht 2013, 95), telles que les assonances, les allitérations et les rimes, permettent de créer des relations sémantiques originales, qui poseront des problèmes en traduction. En guise d’exemple, nous commenterons les vers suivants extraits de l’exercice de style « Alexandrins », de Raymond Queneau et de ses traductions allemande et espagnole :  















« […] Comme je retournais direction rive gauche De nouveau j’aperçus ce personnage moche […] » (Queneau 2012a, 70).  



« Doch kaum zurückgekehrt zur Rive gauche, schon erblickte ich von neu’m die häßliche Person, […] » (Queneau 2007, 51).  



« […] Al cabo de dos horas y en la misma jornada Me lo vuelvo a encontrar, del azar por jugada. […] » (Queneau 2012b, 84).  



Compte tenu de l’individualité des systèmes langagiers respectifs, la traduction des rimes s’avère particulièrement difficile : le maintien des traits phonétiques mis en présence au niveau de la rime, des associations qu’ils évoquent en soi mais aussi des rapprochements sémantiques qu’ils incitent (gauche-moche) représente un véritable défi pour le traducteur.  

4 Les interjections On distingue habituellement (cf. par ex. Cuenca 2006) les interjections primaires des interjections secondaires : « Primary interjections are simple vocal units, sometimes very close to nonverbal devices », « Secondary interjections are words or phrases which have undergone a semantic change by pragmaticization of meaning and syntactic reanalysis, in other words, they are grammaticalized elements » (ibid., 21) ; les interjections secondaires sont donc le fruit d’un processus de grammaticalisation (par ex. Flûte !), alors que les primaires sont des enchaînements phonétiques sans signifié identifiable. Seules ces dernières, appelées également « representative inter 















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jections » (Cuenca 2006) ou, en partie, « onomatopoetic interjections » (Matamala 2009, 488) seront retenues ici. S’ajoute à cela un problème d’ordre pragmatique : les interjections, de langue à langue, sont utilisées différemment, et ce, tout aussi bien sur le plan contextuel que sur le plan fréquentiel (« […] the main problem for translation is the existence of identical or similar forms cross-linguistically whose conditions of use and frequency may not coincide », Cuenca 2006, 21 ; cf. aussi Albrecht 2013, 93). Il s’ensuit qu’il ne semble pas toujours judicieux de traduire toute « interjection source » par une « interjection cible » : « Needless to say, an interjection is not always adequately rendered by another interjection in the target language, since each language has its own mechanisms » (Matamala 2009, 495). Nous illustrerons le problème de la (non) traduisibilité des interjections à l’aide des trois extraits des Exercices de Style suivants, présentant la triple difficulté de contenir à la fois des interjections primaires et secondaires, tout en reposant entièrement sur l’accumulation d’interjections, ce qui rend leur traduction incontournable (c’est nous qui soulignons) : (1) Psst ! heu ! ah ! oh ! hum ! ah ! ouf ! eh ! tiens ! oh ! peuh ! pouah ! ouïe ! hou ! aïe ! eh ! hein ! heu ! pfuitt ! Tiens ! eh ! peuh ! oh ! heu ! bon ! (Queneau 2012a, 157)  















































































(2) ¡Pst ! ¡eh ! ¡ah ! ¡oh ! ¡hum ! ¡ajá ! ¡uf ! ¡anda ! ¡caramba ! ¡córcholis ! ¡pchs ! ¡puaf ! ¡ay ! ¡au ! ¡uy ! ¡eh ! ¡ojo ! ¡epa ! ¡zas ! ¡Mira ! ¡eh ! ¡bah ! ¡oh ! ¡ah ! ¡bueno ! (Queneau 2012b, 158)  

















































(3) Pst ! he ! ah ! oh ! hm ! ah ! uff ! eh ! nanu ! oh ! bah ! puh ! hui ! uh ! ei ! na ! he ! pah ! Nanu ! eh ! bah ! oh ! eh ! naja ! (Queneau 2007, 152)  















































La confrontation du texte source français et de ses traductions espagnole et allemande est particulièrement révélatrice des problèmes de traduction suscités par l’utilisation « massive » d’interjections : d’une part, les interjections sont respectivement porteuses d’un certain symbolisme au sein du système langagier dont elles sont issues (cf. par ex. « oh ! » pour signifier la surprise) ; d’autre part, leur concaténation suggère de nouvelles correspondances qui, de par la nature de l’interjection, passent par les associations phonétiques. Il semble quasiment impossible de traduire chaque interjection avec toutes les connotations qu’elle transporte en tant que forme symbolique de la langue dont elle est issue, tout en reproduisant l’enchaînement phonétique constitutif du texte original. Ainsi, eh : anda n’ont plus aucune parenté phonétique (cf. voyelles [a] vs [e], mais aussi monosyllabisme vs bisyllabisme), ce que viennent encore souligner les deux interjections suivantes (tiens : caramba et oh : córcholis) : au monosyllabisme français est substitué un trisyllabisme espagnol, córcholis reproduisant néanmoins la voyelle [o] du texte-source. En allemand, le nanu  







   











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(pour tiens) n’a plus aucune parenté phonétique avec l’original, alors que les autres interjections sont beaucoup plus proches du français. Ce petit exemple illustre bien l’impossibilité de traduire une interjection utilisée « en puissance » : comment reproduire le phonétisme de l’interjection tout en maintenant un degré d’intégration et un effet pragmatique similaires ?  







5 Les onomatopées et leur traduction Selon Grevisse/Goosse (2011, 222, §200), « [l]es onomatopées sont des mots censés reproduire des bruits », reproduction « approximative », comme en témoignent les réalisations dans les différentes langues. « Ainsi le cri du canard […] est rendu en français par couin couin1 (couan couan, cancan), […] en allemand par gack gack (gick gack, pack pack, quack quack), en roumain par mac mac, en italien par qua qua, […] en catalan par mech mech » (ibid.). Compte tenu de l’hétérogénéité des exemples cités en guise d’illustration, il convient de souligner l’acception large privilégiée par Grevisse/Goosse : en effet, alors que coin coin ou cocorico, imitant le cri des animaux respectifs, représentent des onomatopées au sens strict, cancan n’imite plus mais désigne le cri du canard, tout en reléguant le caractère onomatopéique à la genèse du mot. Cette origine onomatopéique demeure cependant latente, ce qui peut être exploité à des fins littéraires : dans un tel cas, où le signifiant reprendrait le dessus sur le signifié, le défi de traduction serait de taille. Dans les onomatopées proprement dites, l’arbitraire du signe se voit certes réduit : de par sa nature iconique, l’onomatopée ne peut postuler entièrement au statut de signe linguistique dans la terminologie de Saussure (quel serait le signifié ?). Il s’agit bien plus d’une reproduction imitative d’un son extralinguistique ; (cf. Bierbach 2007, 357). Une onomatopée peut cependant passer d’un statut iconique à un statut symbolique si son interprétation acquiert un degré de stabilisation relativement élevé (cf. ibid., 361). La traduction des onomatopées « établies » pose un moindre problème que celle des onomatopées à forte valeur iconique, ces dernières nécessitant une interprétation au cas par cas. Cependant, « [l]es sons d’objet, qui imitent les bruits de la nature, ne sont pas des données sensorielles qui se sonorisent spontanément ; on a affaire en fait à une création linguistique qui imite la réalité en se soumettant aux règles de la langue commune » (Sierra Soriano 1999, 585) ; il s’agit donc de « […] productions imitatives […] fortement conventionalisées et reconstituées à travers le filtre phonologique propre à chaque langue » (Riegel/Pellat/Rioul 2009, 922). En d’autres termes : « les  









































1 La 15e édition du Bon Usage (Grevisse/Goosse 2011) maintient cette onomatopée quelque peu originale aux dépens de coin-coin, largement plus répandue et plus « idiomatique » au sein du français hexagonal (cf. par ex. larousse.fr sous coin-coin).  



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images vocales n’ont de signification que dans la mesure où on est initié. » (Sauvageot, cité dans Sierra Soriano 1999, 585). Quels en sont les enjeux pour le champ de la traduction ? La réponse sera différente selon le type de texte à traduire, selon la fonction langagière prédominante au sein du texte à traduire, et selon le type d’onomatopée (iconique/imitative ou symbolique). La traduction des onomatopées implique tout d’abord une (re)connaissance de leur statut au sein d’un système langagier donné, i. e. « […] il faut connaître par suite de quelle convention telle séquence de son a tel ou tel sens plus ou moins déterminé » (Sauvageot 1964, 180, cité dans Sierra Soriano 1999, 594). La reconnaissance du degré d’assimilation d’une onomatopée implique une maîtrise profonde des langues source et cible (cf. Lombez 2003, 227) : l’on distinguera les « onomatopées mimétiques » des « onomatopées symboliques », ces dernières jouant sur les associations sonores (cf. ibid., 229). Un autre aspect influençant la (non)traduction d’une onomatopée est l’existence d’une onomatopée équivalente dans la langue cible. L’intégration des onomatopées dans les langues concernées joue également un rôle important. Ainsi, il serait peu judicieux de traduire une onomatopée extrêmement courante dans la langue source par une onomatopée extrêmement originale dans la langue cible. L’absence d’une onomatopée comparable dans les deux langues peut justifier l’emprunt (cf. Ylä-Outinen 2009, 17–21). En soi, une onomatopée n’est pas intraduisible. Les choses se compliquent cependant lorsque les onomatopées sont à la fois originales et constitutives d’un texte donné comme dans l’exemple suivant extrait des Exercices de Style de Raymond Queneau (c’est nous qui soulignons) :  





















« Sur la plate-forme, pla pla pla, d’un autobus, teuff teuff teuff, de la ligne S (pour qui sont ces serpents qui sifflent sur), il était environ midi, ding din don, […] » (Queneau 2012a, 58).  



« En la plataforma, plas, plas, plas, de un autobús, tuf, tuf, tuf, de la línea S (en el silencio sólo se escuchaba un susurro de abejas que sonaba), […] a eso del medio ding-dong-ding día, […] » (Queneau, 2012b, 74).  



« Es war um die Mittagszeit, bimbambum, bimbambum, auf der Plattform, pla pla pla, eines Autobusses, töff töff töff, der Linie S (der sicher seine Serpentinen sucht) » (Queneau 2007, 39).  



Nous avons alors affaire à une difficulté plurielle : d’une part, l’arbitraire du signe étant réduit (cf. 2.2), le traducteur doit comprendre la relation évoquée entre un son langagier et son pendant « naturel », mais aussi tenir compte du contexte phonologique qui « sursémantise » les signifiants en créant des connotations supplémentaires par l’intermédiaire de la dimension phonétique (par ex. plate-forme vs pla pla pla ; S → ces serpents sifflent sur ; midi ding din don, …). La traduction espagnole (cf. abejas !) souligne la difficulté majeure à maintenir une équivalence sur tous les plans à la fois. La traduction allemande sacrifie les correspondances sonores au profit d’une imitation du sens (cf. bim bam bum qui ne correspond plus aussi directement avec  















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Mittagszeit – seules les allitérations en [i] et [a] évoquent vaguement la correspondance sonore de l’original). Les exemples ci-dessus témoignent également de l’assimilation phonologique qu’impliquent les onomatopées (cf. supra) : tuf tuf tuf est le fruit d’une assimilation au système phonologique espagnol ; alors que l’onomatopée ding dong ding (au lieu de din don) est à mettre sur le compte d’une influence étrangère, les syllabes choisies n’étant pas conformes au système phonologique espagnol (cf. aussi à ce propos Sierra Soriano 1999, 586). Une autre difficulté survient lorsque les correspondances phonétiques créées par l’agencement de plusieurs onomatopées évoquent d’autres signes linguistiques pourvus de signifiés – phénomène que l’on retrouve par exemple au sein des bandes dessinées. Dans ces cas-là, la traduction dépasse la traduction de l’onomatopée et bascule vers la transposition ou la recréation de l’effet comique :  





« Onomatopoeien werden häufig mit dem Hinweis unübersetzt gelassen, sie seien aufgrund ihres lautnachahmenden Charakters ohnehin international verständlich […] und müssten daher nicht übersetzt werden. […] [Jedoch] können [Onomatopoien] auch über ihre Geräuschfunktion hinaus Informationen transportieren, die in entsprechenden Zusammenhängen als komisch empfunden werden » (Kaindl 2008, 134). ‘ Il est fréquent que les onomatopées ne soient pas traduites au motif qu’elles seraient universellement compréhensibles du fait de leur caractère imitatif de bruits naturels […] et que leur traduction serait donc inutile. Il arrive [cependant] que [les onomatopées], par-delà leur fonction d’imitation de bruits, véhiculent des informations perçues comme comiques dans les contextes correspondants. ’  







L’exemple donné par l’auteur est le suivant : dans Astérix et Latraviata : « tchac ! tchic ! tchraac ! » (évoquant Jacques Chirac) a été traduit par « Josch Kahh » (évoquant Joschka Fischer) (ibid., 134s.). Le traducteur a opté pour une reproduction de l’effet comique, tout en acceptant la perte de l’équivalence de l’intégration des onomatopées au sein des systèmes respectifs (Josch et Kahh n’étant point des onomatopées typiques de l’allemand).  



   











6 La synchronisation La synchronisation est décrite par certains comme un exercice de « traduction totale » (cf. Mounin 1967, 144).  





6.1 Le mouvement des lèvres Les dimensions phonétiques et phonologiques ne sont d’utilité qu’au sein de ce que Fodor (1976) et ses successeurs (par ex. Herbst 1994, 38–50) appellent la « synchronisation qualitative ». En effet, selon les plans cinématographiques, l’articulation des  



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sons (cf. aussi Albrecht 2013, 96) posera des problèmes plus ou moins grands au traducteur : ainsi, une articulation particulièrement marquée (par ex., sur scène, en gros plan, avec maquillage fort de la bouche « féminine ») d’une voyelle extrêmement ouverte ou fermée peut poser de sérieux problèmes quand les langues source et cible présentent des structures phonologiques sensiblement divergentes, par exemple pour un appart vs un piso vs eine Wohnung. Dans de tels cas, le traducteur devra choisir entre authenticité et sémantisme. Selon Herbst (1994, 40ss.), la synchronisation doit tenir compte des sons potentiellement problématiques tout en considérant leur contexte d’emploi et leur réalisation concrète : en effet, une description « abstraite » des traits phonologiques ne correspondrait pas à la réalité des textes (oraux ou écrits). Ainsi, une voyelle qualitativement ouverte telle que le /a/ peut être soumise à une prononciation plus ou moins marquée, selon différents critères qui entrent en ligne de compte : une phrase susurrée ou criée, associée à un débit lent ou rapide et à un allongement ou non des sons concernés mènera à un résultat sensiblement différent. Il semble donc peu convaincant d’assigner des critères de difficultés systématiques à tel ou tel phonème ; bien au contraire, il s’agit de prendre en compte la dimension phonétique au niveau de la parole, en analysant au cas par cas les allophones produits au sein du complexe textuel, incluant toutes les autres dimensions linguistiques et paralinguistiques existantes. Selon Herbst (ibid., 41), seules les articulations « extrêmes » (i. e. particulièrement marquées), souvent renforcées par un allongement des sons produits posent réellement problème dans le domaine de la synchronisation (cf. [apa : : : : : : :rt] vs [apart], [pi : : : : : : :so] vs. [piso]). Au niveau consonantique, ce sont les bilabiales et les labiodentales qui sont sources de problèmes potentiels (cf. Herbst 1994, 43). Là encore, les problèmes ne sont ni absolus ni systématiques mais relatifs au marquage de l’articulation, à la position de la caméra, etc. Herbst (ibid., 49) souligne, par ailleurs, qu’en matière de synchronisation une équivalence approximative suffit souvent à masquer le processus de traduction. En effet, la synchronisation qualitative semble permettre un certain jeu. Les facteurs décisifs seront plutôt le degré d’ouverture de la bouche lors de la prononciation des sons concernés ainsi que l’accentuation des syllabes au sein desquelles ces derniers apparaissent. Un degré d’ouverture élevé associé à une position en syllabe accentuée mène à un accroissement de la difficulté pour le traducteur (ibid.). À cette difficulté s’ajoute encore le problème de la synchronisation des gestes et des paroles prononcées, qui est davantage un problème d’ordre culturel : en effet, une mimique et une gestuelle particulièrement austères paraîtront peu naturelles dans une traduction vers l’italien par exemple – phénomène auquel fait allusion, entre autres, Balázs (cité dans Fodor 1976, 15) :  





















             

             





« The public to-day understands not only the meaning of the spoken word but also the soundgesture that goes whith it […] and can hear in it the parallel to gesture and facial expression. A  

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thus sophisticated public immediately feels the contradiction between […] French facial expression and an English voice subsequently dubbed on to it ».  

Une fois de plus, il n’existe pas de solution « passe-partout » ; bien au contraire, le traducteur décidera au cas par cas du statut respectif des différentes dimensions.  





6.2 Les associations entraînées par la dimension phonologique Dans l’audiovisuel, un autre aspect pourra poser problème : la dimension phonétique, qui peut toutefois servir de guide à l’interprétation. Comme le souligne Oittinen (2008, 85),  

« [a] sound […] may contradict with the verbal and visual information or corroborate the story. For example, if a giant speaks in a loud booming voice, s/he is believable and creates a frightening atmosphere ; if the same giant speaks in a high-pitched or squeaking voice, s/he becomes comical and less frightening ».  





L’interaction des aspects visuels et phonétiques peut produire des effets divergents (cf. comique, ironie, …) ou convergents (confirmation des attentes du spectateur), dont il faudra tenir compte en traduction.

6.3 Les accents : traduction vs non-traduction  

La décision de traduire ou non un accent donné dépendra de la fonction de celui-ci au sein du texte source (cf. Zimmer 1981, 24) et de la longueur du passage concerné (cf. ibid., 21) : si, au sein d’un texte, l’accent est utilisé systématiquement pour caractériser des personnages ou s’il est lui-même thématisé en tant que tel, il ne s’agit plus d’un détail négligeable dont la non-prise en compte entraînerait une légère modification de l’« ambiance » mais d’une réelle difficulté, étant donné que le trait phonétique est sémantisé et que sa non-traduction entraîne une perte d’une partie essentielle du texte source, alors qu’une mauvaise traduction va de pair avec une déformation du contenu originel (cf. par ex. Reinart 2004, 100, qui parle de la « Relevanz der Merkmale », i. e. de l’importance des traits concernés). Dans l’audiovisuel, un problème supplémentaire vient s’adjoindre aux aspects évoqués ci-dessus : le timbre de la voix est souvent intimement lié aux personnages et à leur caractérisation. Le choix d’un timbre inadéquat dans la traduction peut contribuer à un affaiblissement supplémentaire de l’œuvre traduite, voire à sa déformation (cf. Reinart 2004, 100). S’ajoute à cela l’aspect culturel, en ce sens que les associations liées à un timbre donné seront différentes d’une culture à l’autre. Il est important de souligner que, comme pour toute traduction, il n’est guère possible de remplir toutes les exigences phonétiques et phonologiques tout en repro 













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duisant de façon aussi fidèle les autres aspects (linguistiques et paralinguistiques tels que les mimiques et les gestes). Encore une fois, il s’agira de hiérarchiser les différents niveaux d’invariance. Comme pour toute traduction, une équivalence totale qui équivaudrait à une invariance totale de toutes les dimensions concernées, n’est guère réalisable. Il conviendra donc de mesurer l’importance des traits phonétiques et phonologiques par rapport aux autres aspects présents.

7 Les jeux de mots – paronomases / paronymies « La paronymie peut être définie comme une homonymie incomplète entre deux mots qui ne se distinguent que par une partie minime de leur signifiant : collusion/collision, conjoncture/conjecture […]. Elle est à l’origine de confusions, de lapsus, mais aussi de jeux de mots : Qui se ressemble s’assemble – À mesure que le temps s’enfuit, le souvenir s’enfouit » (Riegel/Pellat/Rioul 2009, 925).  







La paronymie, qui à travers des parentés phonétiques insinue des parentés sémantiques, fait partie des jeux de mots particulièrement intéressants en matière de traduction. La traduction des jeux de mots est délicate car ces derniers reposent sur une manipulation des signifiants, eux-mêmes porteurs de signifiés (cf. Koller 2011, 261). Comme le souligne Mejri (2010, 35ss.), dans de tels cas, le traducteur n’a pas d’autre choix que la transposition, qui sera plus ou moins libre selon les langues confrontées :  

« […] – C’est pas votre sœur ? – C’est son nom Sasseur, Marlène Sasseur. – J’pouvais pas savoir moi, elle me dit : ‹ C’est Marlène, sa sœur. ›» vs « […] – ¿ Y no es su hermana ? – No, se llama Sermana, Marlène Sermana. – Ouh, y ¿cómo quería que lo supiera ? Me ha dicho ‹ soy Marlène su hermana ›, ¡ es muy fácil confundirse ! » (cf. Mogorrón Huerta 2010, 82s.).  























   

Dans cet exemple, la version espagnole diffère de l’original, en ce sens que l’homonymie n’est plus entièrement donnée mais ne s’obtient que par le biais de l’imagination d’une prononciation particulièrement « relâchée » de Su hermana ([sermana]). Selon le type de jeu de mots, le traducteur devra opter pour telle ou telle stratégie : ainsi, la transformation de « Plus on est de fous, plus on rit » en « Plus on a des poux, plus on cuit » (cf. Mejri 2010, 33) est difficilement traduisible vers l’espagnol si l’on essaie de maintenir le jeu au niveau des signifiants et des signifiés qui provoquent l’effet comique (comp. la traduction littérale « Cuantos más locos haya, más se reirá » vs « Cuantos más piojos se tenga, más se cocerá » où la paronomase disparaît ; « cuanto más, mejor » – l’équivalent idiomatique reproduisant le signifié du proverbe originel – ne permet pas de déformation maintenant l’écho du texte-source. Le traducteur n’a que la possibilité de recréer un jeu de mots (par ex. « cuanto más, peor », qui produirait un effet comique sans se fixer sur le signifié, ‘poux’). Un cas extrême est illustré par les jeux de mots autonomisant de telle sorte les signifiants que le jeu de mots ne passe plus que par les signifiants et a pour consé 































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quence la création de nouveaux signifiants, inexistants dans la langue concernée et donc sans signifiés préétablis (cf. Mejri 2010, 33 : « […] c’est la manipulation du signifiant qui substitue à l’arbitraire du signe linguistique un autre arbitraire, celui qui est créé à partir de ce qu’on pourrait considérer comme le degré zéro de l’écriture, une nouvelle considération qui sollicite l’interprétant pour qu’il découvre la logique de l’auteur »). Mejri (ibid.) cite à ce propos R. Queneau et l’exercice « Contrepèterie », dont nous ne reprendrons que les premiers mots, en y ajoutant les traductions allemande et espagnole dont nous disposons :  













« Un mour vers jidi, […] » (Queneau 2012a, 141). « Una mañano de verana, […] » (Queneau 2012b, 146). « Eines Mages tegen Gittag […] » (Queneau 2007, 134).  











Aucune des deux traductions n’a reproduit le jeu de mots de l’original (cf. Étienne, cité dans Zimmer 1981, 44 : « Une contrepèterie est une phrase d’apparence anodine qu’un lapsus convenablement choisi peut rendre agréablement déplacée ») : la traduction espagnole reporte le jeu de mots sur les voyelles créant une dissonance grammaticale inexistante dans le texte source (comp. « Una vañana de merano »). Dans le texte allemand, la préposition gegen a subi également une modification, ce qui n’est pas conforme au principe de l’original, dans lequel les prépositions, les articles, etc. restent « intactes » (comp. « Eines Mages gegen Tittag »). Soulignons encore une fois avec Koller (2011, 265s.) que le jeu de mots sera d’autant plus difficile à traduire qu’il occupera une fonction importante au sein du type de texte concerné (par ex. dans un texte littéraire mais aussi dans le domaine de la publicité).  





















8 Conclusion Ainsi, la linguistique permet de décrire plus amplement les problèmes de traduction causés par les dimensions phonétiques et phonologiques et à argumenter en faveur d’une traduction ou d’une autre. Cependant, la plus grande difficulté à laquelle se heurtera le traducteur sera la mise en présence de différentes valeurs dont il conviendra de juger l’importance respective, tel que le souligne par exemple Koller (2011, 269). La hiérarchisation des aspects à traduire aura l’avantage de permettre une justification solide des choix opérés par le traducteur. Qu’il s’agisse de jeux de mots, de rimes, d’onomatopées ou autres, il n’existera pas de traduction « parfaite » en ce sens que tout choix ira de pair avec le privilège d’un ou plusieurs aspects au détriment d’un autre. L’équivalence parfaite est d’autant plus irréalisable qu’elle ne concerne pas un élément isolé mais un élément parmi d’autres au sein d’un texte à la constitution duquel chaque élément participe. Il reste à souhaiter – dans le sillage de Albrecht (2013, 88) – que se multiplient les études contrastives détaillées pour permettre, par le biais de la confrontation des procédés de traduction choisis dans les différents cas  



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esquissés ci-dessus, d’affiner la description tout en fournissant de précieux outils pour la pratique de la traduction, car :  

« Aucune théorie n’a jamais rien gagné à nier les faits qui la gênent, au contraire. Si une théorie de la traduction doit s’avérer possible, ce ne sera qu’en comprenant, qu’en analysant, et si possible en intégrant ces faits qui semblent lui barrer la route […] » (Mounin 1963, 272s.).  



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Melanie Scheid

9 La prosodie : un facteur négligé en linguistique comme en traductologie  

Abstract : La présente contribution a pour objet de présenter la situation actuelle de la recherche en prosodie, en l’examinant du point de vue linguistique d’une part, traductologique de l’autre. Cette situation étant loin d’être satisfaisante, l’accent sera mis sur les principaux desiderata que présente encore la recherche dans ce domaine. La classification des paramètres prosodiques du français, de l’italien et de l’allemand mettra d’abord en lumière le foisonnement terminologique qui y règne. Une attention particulière sera ensuite accordée à la notion d’ambiguïté, qui sera discutée sous un angle nouveau dans la deuxième partie. Dans la troisième partie, on donnera, sur la base des recherches linguistiques menées en prosodie, un aperçu des problèmes que celle-ci pose à la traduction, que ce soit dans la phase de décodage (compréhension) ou dans celle de l’encodage (reformulation). On regrettera pour finir que la prosodie soit si peu prise en compte dans la recherche en traductologie malgré le rôle crucial qu’elle joue dans l’opération de traduction, orale comme écrite.    

Keywords : Prosodie, paramètres prosodiques, ambiguïté et graphie, prosodie et traductologie    

0 Introduction L’étude de la prosodie a longtemps été négligée, tant dans l’espace roman que dans les espaces germanique et anglo-saxon ; elle n’a commencé à véritablement prendre son essor qu’à la fin des années 80 voire 90 lorsqu’apparurent de nouvelles techniques d’enregistrement et d’analyse. Aujourd’hui encore la prosodie n’est pas considérée comme une discipline à part entière mais plutôt comme une branche de la phonétique/phonologie. C’est principalement dans les instituts de phonétique, où en sont réunies les conditions matérielles et techniques, qu’a lieu la recherche sur les phénomènes d’ordre prosodique. Élément-clé de la recherche en L2 (acquisition d’une langue étrangère), située à l’interface de la syntaxe, de la sémantique et de la structure informationnelle, paramètre incontournable de la psycholinguistique ainsi que de la linguistique cognitive ou informatique, la prosodie se voit aujourd’hui reconnue une importance bien plus considérable qu’il y a seulement 20 ans. De nombreuses approches nouvelles, de multiples conférences et workshops témoignent de sa montée en puissance, du moins dans le domaine de la  

La prosodie : un facteur négligé en linguistique comme en traductologie  

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linguistique.1 L’examen des faits prosodiques demeure néanmoins problématique : outre qu’ils relèvent d’une interdisciplinarité complexe, les insuffisances persistantes des procédés d’enregistrement et d’analyse conduisent (entre autres) aux difficultés terminologiques bien connues, qui font elles-mêmes obstacle à la scientificité des débats. Il ne sera pas possible, dans cette contribution, de démêler l’écheveau complexe de la recherche en prosodie. Mais le but serait atteint si la contribution pouvait apporter quelques lumières sur le sujet en donnant un bref aperçu de la recherche passée et en faisant état des problèmes et des difficultés qui demeurent. On commencera par définir la prosodie telle qu’elle est comprise aujourd’hui, en précisant les fonctions qu’elle exerce et les caractéristiques qui lui sont attribuées. Pour ce faire, il sera nécessaire d’évoquer ses liens avec les disciplines voisines relevant de la linguistique. À ce jour et malgré l’existence d’un certain nombre de points communs entre les langues, la recherche en prosodie ne permet pas de conclure à l’existence d’une « prosodie universelle ». On prendra donc plus particulièrement en compte les caractéristiques et particularités du français et de l’italien ainsi que, par contraste avec ces deux langues romanes, celles de l’allemand. Ce faisant, on accordera une attention particulière aux aspects dont le traitement est incontournable au regard des disciplines voisines. On évoquera également la notion d’ambiguïté, d’usage courant dans la recherche, mais néanmoins problématique. La première partie de cette contribution servira à la fois d’introduction générale à la recherche en prosodie et d’état des lieux de la recherche actuelle ; elle constituera en outre la base indispensable à la discussion, dans la deuxième partie, de la question de l’ambiguïté comme de celle, dans la troisième partie, de savoir dans quelle mesure la prosodie est un facteur négligé par la recherche en traductologie. Pour une bonne compréhension, les exemples seront tirés des trois langues ici examinées et présentés de façon contrastive. Plutôt qu’un véritable bilan, la conclusion ouvrira quelques perspectives tout en faisant quelques suggestions pour de nouvelles recherches.  







1 Qu’est-ce que la prosodie ?  

Malgré les progrès accomplis ces dernières années, il n’est guère possible de donner ici une réponse claire et simple à cette question. La diversité terminologique (prosodie vs. faits suprasegmentaux vs. intonation au sens large ou étroit), la circularité des définitions, la difficulté à hiérarchiser les caractéristiques prosodiques ainsi que le

1 Les sites web des instituts de phonétique (p.ex. Laboratoire de Linguistique Formelle UMR 7110 CNRS et Université Paris-Diderot, Phonetik Köln de l’Université de Cologne, Institut für Maschinelle Sprachverarbeitung à Stuttgart, Institute of Cognitive Sciences and Technologies à Padoue, le Max Planck Institute for Psycholinguistics à Nijgemen, etc.) sont à cet égard révélateurs.

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caractère universel de l’intonation en tant que telle (toutes les langues sont concernées), mais particulier des intonations concrètes (chaque langue a la/les sienne[s]) font obstacle à l’élaboration d’une définition à valeur universelle. (cf. Peters 2014, 4 ; Scheid 2008, 34–39 ; Günther 1999, 2). On s’abstiendra ici de se livrer à une discussion terminologique pour se focaliser sur la définition, les caractéristiques et les fonctions de la prosodie dans ce qu’elles ont de pertinent pour la présente contribution.2  



1.1 Les fondements théoriques actuels Depuis le début des recherches en la matière, la prosodie s’est vue attribuer de nombreuses caractéristiques ou particularités. Aujourd’hui, on range généralement sous la notion de prosodie héritée des Grecs (cf. προσοδία ‘le chant qui accompagne’) tous les traits [sonores] d’une langue qui dépassent le niveau du phonème ou du son (cf. Selting 1995, 1 ; Rabanus 2001, 5 ; Bergmann 2013, 77). Il n’est cependant pas possible d’en donner une définition valable pour toutes les langues. L’une des plus larges est celle que propose Bußmann (42008, s.v. Prosodie) :  





« Prosodie. Ensemble des traits phoniques d’une langue tels que → l’Accentuation, → l’Intonation, → la Quantité, → la Pause. La p. concerne généralement des unités supérieures au → Phonème. On y range également l’étude du → Débit et du → Rythme de la parole »3 (trad. légèrement modifiée par R.M.).  











L’hétérogénéité des pratiques terminologiques a conduit de nombreux auteurs à opérer des regroupements selon le point de vue adopté (cf. Selting 1995 ; Rabanus 2001 ; Ahrens 2004) : les termes de durée, intensité et fréquence fondamentale relèvent ainsi de la phonétique acoustique ; les corrélats du point de vue auditif-perceptif en sont la longueur, le volume sonore et la hauteur, eux-mêmes marqués par les traits prosodiques que sont l’accent, le rythme, la pause (joncture), l’intonation et la quantité (cf. Institut für Deutsche Sprache ; Rabanus 2001, 6).4  









2 La question terminologique est discutée en détail dans Scheid (2008) ; pour d’autres références bibliographiques, voir Avanzi (2011, 19). 3 Outre les traits purement linguistiques, on range aussi dans le domaine de la prosodie des phénomènes para- ou extralinguistiques qui renseignent sur les émotions du locuteur ou ses données personnelles telles que l’âge ou le sexe. Ces éléments ne seront ici pris en compte que dans la mesure où ils jouent un rôle sémantique important. 4 Cf. le site web de l’Institut für Deutsche Sprache à Mannheim (http://www1.ids-mannheim.de) (29.01.2015).  

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La prosodie : un facteur négligé en linguistique comme en traductologie  

Tab. 1 : Aperçu des caractéristiques prosodiques  

Paramètres acoustiques

Durée (s)

Intensité (dB)

Fréquence fondamentale (Hz)

Corrélats auditifs-perceptifs

Longueur

Volume

Hauteur

Traits prosodiques

Rythme Quantité Pause (Joncture)

Accent

Intonation

Contrairement à ce que suggère ce tableau, des traits tels que l’accent ou l’intonation ne coïncident pas exactement avec tel ou tel paramètre physique ou corrélat auditif. L’intonation n’est pas réalisée par la seule modulation de hauteur. Accentuation et pause jouent un rôle décisif dans la formation des groupes intonatoires. L’accentuation est, quant à elle, produite selon les langues par un allongement de la voyelle (accent de longueur), une augmentation de l’intensité (accent tonique ou d’intensité) ou une modulation particulière de la hauteur (Rabanus 2001 ; Pustka 2011, 130–144 ; Bergmann 2013, 78–82). Dans la mesure où l’on veut analyser leurs fonctions aux plans grammatical, sémantique, pragmatique etc., les traits prosodiques ne peuvent être étudiés en les séparant strictement les uns des autres. Même les jonctures (pauses dans la suite sonore) ne peuvent être correctement interprétées sans tenir compte de l’intonation. Le sens de certaines unités intonatoires peut à son tour varier selon l’accentuation de certaines syllabes. Selon Bergmann (2013, 81), l’accentuation est en effet « une fonction abstraite qui demande à être réalisée au plan phonique ». La question de savoir si cette réalisation phonique débouche sur une mise en relief susceptible d’influer sur le sémantisme, la structure informationnelle ou la syntaxe de la proposition dépend pour partie de l’ensemble des moyens dont une langue dispose pour marquer la mise en relief (cf. Bergmann 2013, 82). À cela s’ajoute que la question n’est toujours pas tranchée de savoir si l’un des trois niveaux linguistiques, prosodie, syntaxe et structure informationnelle détermine les deux autres – et lequel – ou si l’on a affaire à un système complexe d’interactions dans lequel une modification à un niveau donné entraîne automatiquement des modifications dans les deux autres. Pour ce qui est des rapports entre syntaxe et intonation, trois approches ont été distinguées, selon que « […] intonation is associated to the syntactic structure in a (i) strict, (ii) independent, or (iii) conditional way » (Rossi 2000, 21). La première approche, qui postule l’homomorphisme des deux niveaux, n’a plus de partisans aujourd’hui. La seconde pose en principe que les prosodèmes (ou morphèmes prosodiques) ont une valeur exclusivement pragmatique. La troisième, pour laquelle plaide Rossi, défend l’idée d’une interaction des différents facteurs (d’ordre par ex. pragmatique, syntaxique ou phonotaxique) (cf. Rossi 2000, 21ss.). Quoi qu’il en soit de ces approches, une chose est certaine : la prosodie a jusqu’ici toujours été considérée comme un domaine périphérique, comme un « module sup 

















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plémentaire » s’ajoutant aux modules morphosyntaxiques – et par ailleurs comme une sous-discipline de la phonétique/phonologie (cf. Albrecht/Scheid 2013, 188). Nonobstant la complexité des interactions et l’impossibilité de dissocier strictement les choses, on distinguera ici trois traits pour en donner un aperçu en tenant compte de leurs corrélations avec d’autres traits ainsi que de leurs fonctions, le tout étant illustré par des exemples tirés du français, de l’italien et de l’allemand.  

1.1.1 L’accent L’accent (cf. latin ad-cantus), au sens phonétique du mot, sert à la mise en relief sonore ou accentuation d’une unité langagière, notamment de la syllabe, par rapport à une autre. Il est donc toujours relatif à son entourage et sa réalisation phonique varie d’une langue à l’autre.5 Les travaux sur l’accent présentent deux caractéristiques essentielles. La première est de postuler une classification des accents selon des critères de portée d’une part (accent de mot, de groupe, de phrase etc.), fonctionnels de l’autre (accents phonologiques, d’insistance ou d’intensité). La seconde est de distinguer les accents selon leur mode de réalisation phonique, par exemple le pitch accent ou accent tonal, obtenu par modulation de la hauteur, ou le stress accent ou accent tonique, qui résulte d’une combinaison des trois paramètres prosodiques que sont la longueur, l’intensité et la hauteur. Aucune délimitation précise selon l’accent et la langue n’a été entreprise à ce jour. En français, on postule que les accents sont obtenus par la combinaison d’une modulation de hauteur avec un allongement de la syllabe ou de la voyelle. La romaniste Pustka (2011, 131) part du principe qu’en allemand, c’est l’intensité qui « joue un rôle considérable », alors que des chercheurs en germanistique considèrent que dans cette langue aussi, il existe de purs accents de hauteur ainsi que des accents plus complexes issus d’une combinaison de la modulation de hauteur avec l’allongement vocalique et l’augmentation de l’intensité (cf. Peters 2014, 6). La pluralité des accents et les possibles corrélations entre quantité, intensité et hauteur dans les langues ici prises en compte montrent à elles seules que les diverses conceptions de l’accent ne peuvent s’appliquer universellement à l’ensemble des langues (cf. Bergmann 2013, 82). Il existe néanmoins une base commune pour l’étude de l’accentuation : c’est la syllabe. Elle est considérée comme le domaine de prédilection de la prosodie et son existence dans les langues ici examinées ne sera pas discutée. C’est à partir de la syllabe (accentuée) et des syllabes attenantes que les changements prosodiques liés à l’entourage (qui sont exactement ce que l’on appelle  





5 L’accentuation des langues à tons, comme le mandarin ou celle de langues à accent mélodique, comme le lituanien ou le croate, voire certaines variétés d’allemand, ne sont pas prises en compte ici, la contribution se limitant exclusivement aux versions standard du français, de l’allemand et de l’italien.

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l’accentuation) peuvent être le plus aisément détectés. Sur ce point non plus, les éléments constitutifs de la complexité prosodique n’ont, à ce jour, pas été clairement identifiés et catégorisés. La forme prosodique d’une syllabe et des syllabes attenantes (cf. supra) – ainsi que de leur structure syllabique – peut varier selon la langue à laquelle elle appartient, selon sa topologie, sa portée et sa fonction. D’un point de vue contrastif, on observe principalement les particularités suivantes : la structure syllabique des syllabes accentuées passe pour plus complexe et plus longue en allemand qu’elle ne l’est en italien pour les syllabes de quelque type que ce soit, celles-ci étant généralement de longueur égale. À cela s’ajoute qu’il n’y a pas, en italien, de réduction vocalique, toutes les syllabes étant pourvues de voyelles pleines, alors que l’amuïssement (passage de la voyelle au schwa) des syllabes non accentuées est caractéristique de l’allemand (Moroni 2013, 84). En français, dans un énoncé neutre, l’accent tombe sur la dernière syllabe dotée d’une voyelle pleine, syllabe qui se trouve alors nettement allongée par rapport aux autres. Cet accent final sert principalement à marquer la fin des syntagmes, il s’agit donc d’un accent démarcatif (Pustka 2011, 130–134).6 Tandis qu’en français l’accent ne sert donc pratiquement qu’à la démarcation et n’est que rarement le signe d’une mise en valeur sémantique, l’allemand et l’italien présentent une particularité jusqu’ici négligée par la traductologie bien qu’elle puisse être source de notables difficultés de traduction : la focalisation par l’accentuation. À côté des accents topologiques fixes, il existe dans ces deux langues la possibilité de placer des accents à des fins de marquage prosodique et de modification sémantique. Pour l’italien, cela vaut principalement au niveau lexical, en ce sens que l’on n’a pas affaire au même morphème selon la place de l’accent, ce qui fait que ce dernier y assume une fonction à la fois lexicale et grammaticale (cf. Sorianello 2006, 21, qui ne parle cependant que de fonction grammaticale).  



GRAvita

vs.

graviTÀ7

1ère pers. sing. prés. ind. de gravitare vs. ‘gravité’ PERdono

vs.

perDOno

vs.

3ème pers. plur. prés. ind. de perdere (perdre) (passé simple) de perdonare (pardonner)

perdoNÓ8 vs. ‘[le] pardon’ vs. 3e pers. Sing. passato remoto

6 À titre anecdotique, on peut citer le cas de la journaliste de France 2 Martine Laroche-Joubert, dont les allongements de syllabe/voyelle sous accent de fin de syntagme ou de phrase sont presque caricaturaux. 7 La syllabe accentuée est écrite en majuscules. 8 Ex. cf. Sorianello (2006, 21).

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En allemand, l’accentuation sert entre autres à distinguer le focus de l’arrière-plan. L’accent focal, comme on l’appelle, peut ainsi produire un effet contrastif ou marquer une rectification :  

(Marie hat eine Katze.) Nein, Marie hat ein KaNINchen.

[(Marie a un chat.) Non, Marie a un lapin.9]

La lecture intérieure ou à voix haute de cet exemple montre que l’accent n’est pas le seul responsable de la focalisation. À l’accent de mot qui frappe la syllabe -nins’ajoute, de même qu’aux syllabes environnantes, une modulation de hauteur différente de celle qui accompagne la réalisation d’une proposition neutre. Ce que le native speaker appréhende de manière intuitive, pose problème à l’apprenant de langue étrangère, notamment lorsque les variantes accentuée et non accentuée de la phrase sont structurellement identiques, comme dans l’exemple suivant :  

Marie hat nur EIN Kaninchen. Marie n’a qu’UN lapin / qu’un SEUL lapin. (et non pas plusieurs)

vs. vs.

Marie hat nur ein KaNINchen. Marie n’a qu’un lapin. (et pas d’autres animaux domestiques)

Le point crucial est ici que des différences d’accentuation ou d’intonation vont de pair (cf. infra) avec des différences de sens ou de lecture. Nous verrons dans la deuxième partie de cette contribution dans quelle mesure ce phénomène pose, tant à la traduction et à l’interprétation qu’à la recherche en linguistique, des problèmes qui ne sont pas toujours identifiés comme de nature prosodique. Le tableau suivant donne un aperçu de la diversité des accentuations possibles et de leurs réalisations, même s’il ne peut en aucun cas prétendre à l’exhaustivité :  

Tab. 2 : Les différents accents du français, de l’italien et de l’allemand  

Français

Italien

Allemand

Critères de portée Critères fonctionnels

Accent de groupe Accent de phrase

Accent contrastif Accento lessicale

Accent de mot Accent de phrase Accent contrastif/ Accent focal Accent emphatique

Position

Fixe (oxyton) Peut ‘remonter’ dans de rares cas

Fixe ou libre

Fixe (niveau du mot) Libre (niveau du syntagme)

9 Notons que dans ce cas la première syllabe de « lapin » reçoit une accentuation au moins égale sinon plus forte que la seconde et le mot est produit avec une intonation particulière, difficile à décrire intuitivement mais en tout cas différente de celle dont il serait accompagné dans un contexte simplement informatif et non rectificatif.  



La prosodie : un facteur négligé en linguistique comme en traductologie  

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Français

Italien

Allemand

Réalisation articulatoire des syllabes accentuées

Modulation de hauteur Allongement vocalique

Allongement vocalique

Pitch accent (hauteur) Combinaison entre allongement vocalique, augmentation de l‘intensité et modulation de hauteur

Structure syllabique

Souvent C+V Longueur à peu près équivalente de toutes les syllabes

Souvent C+V, pas Syllabes accentuées de différences souvent plus complexes structurelles entre et plus longues que les syllabes accentuées syllabes attenantes (non et non accentuées accentuées)

Fonctions

Délimitation/ Démarcation10

Fonction lexicale (funzione lessicale morfologica) Fonction grammaticale (marquage du temps)

Focalisation Mise en contraste Structuration en thème/ rhème Expression de l‘emphase Désambiguïsation (?)

La question de savoir si la mise en relief d’une syllabe produit des effets – et lesquels – aux plans syntaxique, sémantique ou pragmatique de la phrase ou si ce sont ces derniers qui déterminent les possibilités d’accentuation dépend des moyens et des possibilités de chaque langue. De nombreuses tentatives ont été faites pour déterminer l’enchaînement des causes et des effets, mais aucun résultat définitif n’a été atteint à ce jour (cf. Korth 2014). On retiendra cependant que si toutes les langues recourent à la mise en relief, celle-ci n’est pas toujours réalisée par les seuls moyens prosodiques.

1.1.2 Le rythme En prosodie, le rythme est l’ordonnancement de la durée des sons, c’est-à-dire de la longueur des voyelles et des syllabes, des pauses et de leurs intervalles. À ce niveau aussi, une interaction semble exister entre les différents paramètres prosodiques. On a vu qu’une accentuation donnée pouvait se répercuter sur la structure syllabique ou que certains accents, comme l’accent final du français, tendaient à produire un

10 Bien que l’on ne reconnaisse habituellement à l’accent en français qu’une fonction démarcative, force est de constater que l’on peut, dans cette langue, mettre deux éléments en contraste/opposition par le jeu d’une prosodie qui inclut une accentuation forte : Je t’avais dit d’en prendre DEUX, pas UN ! ; – Ah, ce restaurant, on y avait bien mangé l’été dernier. – Mais non, c’était en HIVER ! ; Pierre ne savait pas et Marie ne VOUlait pas savoir.  

   

   

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allongement de la syllabe. L’allemand se distingue par ses syllabes accentuées (fortes) et ses syllabes non accentuées (faibles, atones). L’italien semble avoir, du fait de sa structure syllabique, un rythme différent de celui de l’allemand ou du français. C’est ce que suggère l’hypothèse d’isochronie de Pike (1947) et Abercrombie (1967), selon laquelle le français et l’italien font partie des langues qui comptent les syllabes, alors que l’allemand et l’anglais comptent les accents, ce qui se manifesterait par un intervalle à peu près constant entre les accents pour ces dernières et entre les syllabes pour les premières ; à quoi s’ajoute le fait que l’italien connaît une accentuation libre (cf. supra) à côté de l’accento lessicale fixe. On suppose par ailleurs que les langues tendent naturellement à une sorte d’ ‘eurythmie’ (« eurythmicity », Rossi 2000, 22) qui induit des phénomènes propres à chaque langue, comme par exemple le radoppiamento sintattico (redoublement syntaxique) en italien (cf. Bergmann 2013, 70 ; Krämer 2009, 219) ou la réduction vocalique ou syllabique en allemand et en anglais (Pustka 2011, 138).  









1.1.3 L’intonation Aujourd’hui encore, le terme d’intonation est parfois utilisé comme synonyme de prosodie. Dans ce chapitre il sera pris au sens étroit, où il désigne « la hauteur [des sons] dans ce qu’elle a de pertinent pour la communication » incluant « la durée et la sonie (ou bruyance) » (Peters 2014, 4). Il s’ensuit que l’interprétation de l’intonation ne peut se faire, tout comme l’étude des autres faits prosodiques, qu’en tenant compte des interactions avec ces derniers (par ex. l’accentuation et le rythme). Par intonation on entend généralement, dans toutes les langues naturelles, une réalité effectivement perçue manifestée sur le plan acoustique par la « variation distinctive de la fréquence fondamentale » (Günther 1999, 62), autrement dit par le déroulement de la courbe f0 mesurée en hertz. Outre des fonctions syntaxiques, sémantiques, pragmatiques ou dia- et sociolectales, l’intonation peut assumer des fonctions paralinguistiques. Nous nous bornerons ici à évoquer les trois premiers types de fonctions, celles relatives à la syntaxe, au sémantisme et à la structure informationnelle de la phrase. Les trois langues retenues font partie des langues à intonation, autrement dit des langues qui n’ont pas de tons lexicaux mais uniquement des tons mélodiques, lesquels sont constitutifs des contours intonatifs. Le sens de ces derniers n’a d’ailleurs guère été étudié, alors même que la bonne compréhension de l’intonation joue un rôle primordial dans la communication comme dans la traduction et l’interprétation. Jusqu’ici la recherche ne s’est donné comme objectif que l’établissement de ce que l’on a appelé des « grammaires de l’intonation », dont le rôle serait d’établir un lien entre des contours intonatifs récurrents et leurs fonctions (cf. Moroni 2013, 86). L’exemple suivant de Paul Passy (1890) est un peu rudimentaire et pas très clair dans le détail. Il est cependant assez pertinent pour illustrer le rôle de l’intonation dans l’interprétation des énoncés :  

















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Oui \ _Oui \ ‾Oui / Oui / (intonation fortement montante) Oui \/ Oui /\ _Oui /\/

[C’est mon avis]. [J’affirme cela]. [C’est vrai ?] [Pas possible !] [C’est possible, mais j’en doute]. [Bien sûr !] [Sans doute, au premier abord : mais…]11  



L’énonciation du mot-phrase (ou phrasillon, cf. Tesnière 1959, 94ss.) « oui », en soi toujours le même, reçoit différentes interprétations liées aux différents contours intonatifs avec lesquels il est produit. En d’autres termes et pour faire court : un locuteur ne peut être compris que s’il respecte les règles intonatoires de la langue dans laquelle il s’exprime. Si l’étude des contours intonatifs d’un énoncé réduit à un simple mot est relativement aisée, celle d’unités intonatoires plus longues est bien plus complexe, sans parler de celle de textes entiers.12 Des progrès dans la recherche en intonation ont été enregistrés notamment depuis l’apparition de nouveaux systèmes de transcription, parmi lesquels s’est imposé le système ToBi (Tone and Break Indices) développé sur la base du modèle autosegmental-métrique de Pierrehumbert (1980). Ce système, créé pour l’étude de l’anglais américain moyen (Mainstream American), peut être adapté à l’étude de toute autre langue. Si des systèmes d’annotation fondés sur le système ToBi ont effectivement été développés pour l’allemand et l’italien (pour GToBI cf. Grice/Baumann 2002 et pour ToBIT cf. Avesani 1995), il n’en va pas de même pour le français, où il n’en existe toujours pas (cf. Pustka 2011, 141).13 Il n’est pas possible d’exposer ici l’ensemble des résultats auxquels a abouti la recherche sur l’intonation. On retiendra cependant que les trois langues examinées se distinguent l’une de l’autre tant par leurs parcours intonatoires que par les sens qui leur sont corrélés, ce qui peut conduire à des difficultés importantes dans la pratique de la traduction et de l’interprétation (cf. Scheid 2008), comme nous le montrerons sur une sélection d’exemples dans la section 3.  









1.2 Conclusion intermédiaire Les développements antérieurs montrent clairement que les faits prosodiques ont fait l’objet de toute une série de travaux utilisant des approches et des terminologies

11 Cf. Passy (1890, 60). Les signes ‾_ / \ indiquent respectivement un parcours intonatif égal, montant et descendant. 12 Cf. l’étude de Matthias Heinz relative à l’italien. 13 Les évolutions des différents systèmes de transcription ne sont pas prises en compte dans cette contribution. On en trouvera un aperçu pour le français dans Delais-Roussarie/Yoo (2011).  

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différentes. On manque cependant de synthèses contrastives transversales qui mettraient un peu d’ordre dans la pluralité des résultats et le foisonnement terminologique. L’une des raisons de ce « désordre » pourrait être la forte interaction, signalée plus haut, qui existe entre des éléments divers situés à des niveaux différents relevant des « grandes dimensions » de la langue que sont (pour ne citer que les principales) la pragmatique, la syntaxe et la sémantique, dont on sait qu’on ne peut les envisager elles-mêmes qu’en interaction les unes avec les autres. À un niveau inférieur, quand il s’agit de décrire les faits prosodiques au plan phonétique et phonologique, il apparaît que même les phénomènes les plus simples et les plus limités ne peuvent être étudiés indépendamment les uns des autres. On a eu beau essayer d’analyser un phénomène comme l’intonation indépendamment des autres phénomènes prosodiques, sa délimitation claire et précise s’est avérée impossible. Ainsi Peters (2014, 5), qui range dans l’intonation le contour intonatif et le découpage en groupes prosodiques mais en exclut l’accentuation, doit-il reconnaître :  











« L’accentuation n’en joue pas moins un rôle capital dans l’intonation, car c’est elle qui détermine le point d’ancrage, dans le groupe intonatoire, du contour intonatif qui le caractérise ».  



En conséquence de quoi il pose, dans son ouvrage introductif à « L’intonation », trois accents différents, typiques de l’allemand : l’accent de mot, l’accent syntaxique et l’accent phonologique (ce dernier étant compris comme « forme de mise en relief », Peters 2014, 6). La question mériterait examen de savoir s’il ne serait pas judicieux de proposer une nouvelle approche dans le cadre d’une recherche prosodique unifiée qui abandonnerait l’examen isolé des phénomènes prosodiques pris un à un au profit d’une vision globale unitaire de l’ensemble des faits prosodiques. Les questions sémantiques pourraient ainsi être examinées non pas simplement sous l’aspect de l’intonation mais sous celui de la prosodie dans sa globalité.  









2 Le phénomène de l’ambiguïté – un problème de graphie ?  

La prosodie concerne a priori la langue orale et non la langue écrite. Des faits relevant de la prosodie n’en ont pas moins une traduction écrite. C’est ainsi qu’en français, par exemple, les syntagmes ou groupes fonctionnels sont fréquemment délimités par des virgules. Dans les trois langues ici prises en compte la ponctuation signale que les phrases déclaratives ou interrogatives sont produites avec des courbes mélodiques différentes. Mais on a vu sur des exemples examinés plus haut que l’intonation qui accompagne un certain type de phrase n’est pas toujours la même, une interrogative pouvant par exemple être affectée d’un contour intonatif descendant. Le point d’inter-

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rogation n’a donc pas toujours la même valeur. Les représentations graphiques de la prosodie sont extrêmement lacunaires et loin de pouvoir restituer la multitude des modulations possibles de l’intonation et de l’accentuation – et donc de pouvoir baliser les multiples lectures qu’elles induisent. Tandis que le français et l’allemand ne marquent pas graphiquement l’accent de mot, l’italien le marque au moins partiellement (et l’espagnol systématiquement) par des signes diacritiques idoines (ital. cf. 1.1.1 PERdono vs. perDOno vs. perdoNÓ ; esp. cambio vs. cambió). Peters part du principe que « l’intonation n’a pas de traduction écrite en allemand » (Peters 2014, 9). Même si des tentatives ont été faites d’intégrer des traits prosodiques comme la pause ou les accents principal et secondaire dans des systèmes de transcription (par ex. dans la transcription phonétique « étroite » de l’Alphabet phonétique international), aucun d’eux n’est actuellement en mesure de rendre compte de façon satisfaisante de l’ensemble des particularités de la langue orale. Les progrès technologiques ont certes permis l’élaboration de logiciels d’analyse tels que Praat (cf. Boersma/Weenink 2015) qui sont capables de donner une représentation numérique des variations de hauteur, de l’accentuation et de la durée. Concomitamment sont apparus de nouveaux systèmes de transcription tels que ToBi ou IVTS (Intonational Variation Transcription System) etc. Il reste que « [f]orce est de constater qu’ils sont loin de faire l’unanimité » (Delais-Roussarie/Yoo 2011, 33). Si donc même les systèmes de transcription les plus « sophistiqués » ne parviennent à résoudre un problème aussi complexe, comme le résoudrait-on avec les moyens plus rudimentaires de l’écriture ? Il est d’ailleurs douteux que la graphie d’une langue ait pour objet de réaliser une transcription fidèle de sa phonétique et de sa prosodie. Pour les systèmes d’écriture, la précision de la représentation des faits prosodiques importe bien moins que la commodité d’utilisation au quotidien. Point n’est besoin d’un examen scientifique pour reconnaître que lors du décodage comme de l’encodage des textes écrits nous utilisons notre système d’écriture – en clair : nous écrivons et lisons – de façon telle que les informations que nous voulons transmettre soient effectivement comprises. La condition en est la capacité à lire « correctement » le texte, intérieurement ou à voix haute, autrement dit à en faire la « bonne » lecture. Cette capacité, il nous faut l’acquérir lors de l’apprentissage de la lecture en raison même des insuffisances prosodiques de notre système d’écriture. En même temps, ce dernier nous suggère que « les systèmes intonatoires ont une structure simple » (Peters 2014, 8). Cette simplicité subsiste-t-elle quand il s’agit de décrire la langue parlée ? On peut en douter, car :  





































« [n]otre conscience linguistique est dominée par la langue écrite et nos catégories d’analyse et de description ont été développées à partir de l’écrit, ce qui constitue un obstacle majeur à l’appréhension adéquate de la langue orale » (Fiehler et al. 2004, 25).  





Les conséquences que ce décalage peut entraîner pour l’analyse linguistique vont apparaître clairement dans le développement qui suit. Lorsque, comme il est d’usage dans la recherche linguistique, on analyse deux énoncés lexicalement et structurellement identiques qui présentent néanmoins deux lectures différentes liées à des

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accentuations différentes, on suppose que c’est la prosodie, autrement dit les différences de contours intonatifs, d’accentuation, de joncture etc. qui permet la « désambiguïsation » des énoncés. Que l’on se rappelle ici l’exemple des « oui » produits avec des contours intonatifs différents (1.1.3) ou que l’on songe à l’exemple allemand suivant, noté intentionnellement sans marquage graphique :  









(Soit l’énoncé suivant apparaissant dans une conversation. Enrico est le coiffeur de Sabine :)  

1a) Sabine geht heute noch zu Enrico.

[Entre autres activités, Sabine ira aujourd’hui chez Enrico.] [Sabine continue d’aller chez Enrico, elle lui est restée fidèle.]

1b) Sabine geht heute noch zu Enrico.

Description prosodique : Dans la version 1a), le sommet accentuel de l’énoncé serait placé sur la syllabe -RI- de EnRIco ; dans la version 1b), il serait placé sur la première syllabe de HEUte. Les contours intonatifs seraient par ailleurs différents : montantdescendant pour 1a), en forme de cloche pour 1b).14 Cet exemple appelle plusieurs observations qui conduisent à penser que le cas de figure qu’il illustre ne relève pas, en réalité, de la désambiguïsation : 1. Dans la communication orale, le locuteur produit d’emblée et automatiquement son énoncé avec l’accentuation adéquate. Cela signifie que la prosodie est partie intégrante de la langue naturelle, laquelle exclut toute ambiguïté dès lors que ses règles internes sont respectées. L’ambiguïté, en fait, n’existe pas dans la communication orale réelle. Et si la description scientifique accorde une place – et quelle place ! – à cette notion, à l’œuvre dans quantité de travaux (cf. Musan 2010 ; Korth 2014 ; Baumann/Rathcke 2013 ; Hirschberg/Avesani 2000 etc.), c’est uniquement sous l’influence, quasi occulte, pourrait-on dire, de notre système d’écriture, qui ne prend que très peu, voire pas du tout en compte la dimension prosodique de la langue. L’une des causes pourrait en être le fait que la « socialisation linguistique » est fortement liée à l’acquisition de l’écriture :  





















‘L’affirmation selon laquelle les systèmes intonatifs ont une structure simple semble être en contradiction avec les difficultés auxquelles nous nous heurtons pour donner des contours intonatifs une description systématique. La façon dont nous avons été socialisés par le langage fait qu’il nous est souvent difficile de comprendre par analyse les phénomènes langagiers qui ne reposent pas sur le son. En grammaire, nous acquérons par l’apprentissage même de l’écriture une compréhension pré-théorique des notions de son, syllabe, mot et phrase. La lecture et l’écriture nous donnent ensuite accès à ces unités en les rendant ‹ visibles › et ‹ saisissables ›, même si la graphématique moderne nous apprend que la correspondance entre unités phoniques et unités graphiques est loin d’être toujours univoque, les systèmes d’écriture étant partiellement autonomes, autrement dit indépendants des sons (Fuhrhop & Peters 2013). […] Pour cette raison,  







14 Le parcours intonatif en forme de cloche est lui aussi montant-descendant, mais il s’applique à tout un segment de phrase et non pas simplement à une syllabe.

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une approche théorique propre et une formation particulière à la perception et à la représentation des parcours mélodiques sont nécessaires pour être en mesure d’appréhender les phénomènes intonatoires de façon analytique’ (Peters 2014, 8s.).15

L’utilité de la « formation particulière » qu’évoque Peters ne se limite pas, à notre avis, à la recherche linguistique. Car indépendamment de la discussion théorique sur la « désambiguïsation » (ou mieux : la ‹ distinction prosodique ›), des problèmes sont susceptibles d’apparaître dans la pratique vu que, comme le note justement Musan (2010, 44), « le sens des phrases n’est pas déterminé par leur seul matériau lexical ». Un énoncé parfaitement bien formé du point de vue du lexique, de la syntaxe ou de la structure informationnelle, peut parfaitement être mal compris si les règles de l’intonation n’ont pas été correctement appliquées (v. exemple). Cela peut par exemple se produire chez des apprenants de L2 ou même chez des interprètes professionnels dans les situations extrêmes d’interprétation simultanée (cf. Scheid 2008 ; Ahrens 2004). 2. Nous avons vu au paragraphe 1.1.1 que l’accentuation sert, au moins pour l’allemand, à opposer focus et arrière-plan, clivage qui a son importance pour l’étude de la structure informationnelle de l’énoncé. Il existe donc une tendance à accentuer ce qui est nouveau et à laisser le connu inaccentué, ou du moins à ne l’affecter que d’accentuations secondaires. Selon la place que reçoit alors l’accent et la manière dont il est réalisé phonétiquement, sa portée change et avec elle le sens de l’énoncé. Les accents descendants peuvent en outre signaler des réponses alternatives (cf. l’exemple plus haut Marie hat ein KaNINchen/Marie a un lapin16/C’est un laPIN que Marie a [pas un chat]). La focalisation modifie par ailleurs l’ordre des mots, l’élément focalisé se trouvant habituellement dans la partie droite du Mittelfeld ou plage centrale délimitée par la parenthèse verbale (cf. Musan 2010, 52ss.). Les moyens prosodiques sont donc loin de ne jouer qu’un rôle ancillaire ou de n’être que banale 





















15 Texte original : « Die Behauptung, Intonationssysteme seien einfach aufgebaut, scheint im Widerspruch zu den Schwierigkeiten zu stehen, die uns die systematische Beschreibung von Intonationskonturen bereitet. Tatsächlich fällt es uns aufgrund unserer sprachlichen Sozialisation gewöhnlich schwer, sprachliche Phänomene, die nicht lautbasiert sind, analytisch zu erfassen. Im Bereich der lautbasierten Grammatik erwerben wir im Zuge des Schrifterwerbs in den ersten Schuljahren vortheoretische Begriffe von Lauten, Silben, Wörtern und Sätzen. Ferner eröffnet uns das Lesen und Schreiben einen visuellen und motorischen Zugang zu solchen Einheiten, es macht Laute, Silben, Wörter und Sätze für uns ‹ sichtbar › und ‹ begreifbar ›, auch wenn uns die moderne Graphematik lehrt, dass lautliche Einheiten keineswegs immer eindeutige Entsprechungen im Bereich der Schrift haben und Schreibsysteme teilweise autonom, also lautunabhängig organisiert sind (Fuhrhop & Peters 2013). […] Es bedarf deshalb eines eigenen theoretischen Zugriffs und einer besonderen Schulung im Bereich der Wahrnehmung und Repräsentation von Tonhöhenverläufen, um intonatorische Phänomene auch analytisch zu erfassen » (Peters 2014, 8s.). 16 On a évoqué dans la note 9 l’accentuation particulière du mot « lapin » dans cet énoncé. Une autre traduction possible de la phrase allemande serait, si le contexte y invite, la phrase clivée avec forte mise en valeur du même mot : [Mais non,] c’est un laPIN qu’elle a ! (Dans un tel contexte, le prénom ne serait sans doute pas repris tel quel mais par un pronom.)  

























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ment « supra-segmentaux ». On a le sentiment, au contraire, qu’ils sont en interaction constante avec la structure informationnelle et le sémantisme de l’énoncé, d’où il ressort qu’il faut les étudier en les situant au même plan que ces derniers. 3. Revenons in fine sur la question de la graphie et imaginons que notre système d’écriture ne soit pas alphabétique mais syllabique et prenne en compte les phénomènes prosodiques tels que l’accentuation : deux énoncés dotés des mêmes formes lexicales agencées de la même façon ne nous apparaîtraient plus comme structurellement identiques en raison même de la notation du parcours intonatif différent de chacun.17 Par ailleurs, les accents perdraient leur fonction de désambiguïsation, puisque des mots comme PERdono, perDOno et perdoNÓ ou UMfahren et umFAHren ne seraient plus perçus comme des suites semblables de lettres ou de phonèmes, mais comme des suites de syllabes accentuées et inaccentuées constituant donc des lexèmes indépendants. Selon cette analyse, les accents ne serviraient ni à la focalisation ni à la désambiguïsation, ils ne seraient ni plus ni moins que la forme apparente de ce que le locuteur veut et peut transmettre dans un contexte linguistique donné. Si l’on considère qu’en allemand, c’est le scopus qui détermine l’ordre assez variable des mots (cf. Musan 2010, 67), on pourrait dire qu’il influence le placement et la réalisation de l’accent. Fondamentalement, on pourrait également poser que « les modifications de l’ordre des mots ne sont souvent pas faites seulement pour elles-mêmes, mais sont au fond la conséquence du recours à des moyens prosodiques […] » (Musan 2010, 76). On constaterait alors peut-être que les faits prosodiques ne sont pas de simples aides à la désambiguïsation, mais une composante à part entière de la langue, même si, malgré ses nombreuses fonctions, elle ne jouit – malheureusement – que d’un statut médiocre dans la recherche linguistique.  











3 La prosodie dans la traductologie Les paragraphes précédents montrent clairement que les phénomènes prosodiques posent, en langue parlée comme en langue écrite, de redoutables problèmes tant dans la recherche linguistique que dans la communication quotidienne. Traduction et interprétation relèvent toutes deux de situations de communication dans lesquelles s’ajoute à l’émetteur et au récepteur la position du médiateur, en l’occurrence du traducteur ou de l’interprète. Il y aurait donc lieu de reconnaître à la recherche en prosodie un rôle éminent dans l’étude de la « translation », d’autant qu’il s’agit d’une activité qui concerne à la fois le décodage et l’encodage des textes.18 Ce n’est pourtant  



17 Comme c’est déjà le cas, au moins partiellement, lorsque deux énoncés ne diffèrent que par le placement d’une virgule, laquelle constitue en français l’un des (rares) moyens d’inscription de la prosodie dans le système d’écriture. 18 Au paragraphe consacré à la structure informationnelle, on a montré brièvement que la répartition des informations connues ou nouvelles présente une forte corrélation avec la focalisation et le

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pas le cas, malgré quelques études isolées sur la traduction simultanée, lesquelles s’intéressent cependant davantage à la qualité de l’élocution qu’à l’aspect sémantique de la prosodie, par exemple dans l’expression de l’ironie par l’intonation (cf. Scheid 2008 ; Ahrens 2004 ; Collados-Aís 2011 etc.). Le constat est toujours le même : malgré « une évidente pertinence pour la pratique » (Ahrens 2014), la prosodie reste, ici aussi, un « facteur sous-estimé du processus d’interprétation » (Ahrens 2014). Elle est par ailleurs aussi le parent pauvre de la traductologie. Il n’existe à ce jour aucun ouvrage de traductologie dans lequel les facteurs prosodiques seraient pris en compte dans l’exposé des problématiques et des stratégies de la traduction. Seule exception : un chapitre de Übersetzung und Linguistik (Traduction et linguistique) d’Albrecht (22013). On montrera dans la suite que les phénomènes prosodiques sont, d’un côté, à l’origine de complications dans certains couples de langues et qu’ils peuvent d’un autre côté contribuer à la réussite du processus de traduction.  















3.1 Les structures prosodiques problématiques Les problèmes de traduction d’origine prosodique sont, comme les autres problèmes de traduction, liés aux langues en présence. Même si des différences importantes existent entre les accents, l’intonation, la structure syllabique etc. du français et de l’italien (cf. tab. 2), il est probable que les problèmes de traduction liés à la prosodie sont moins nombreux et/ou de nature différente de ce qu’ils sont pour le couple français-allemand. Pour une meilleure contrastivité, c’est dans ce couple de langues appartenant à des familles différentes que seront puisés les exemples. Dans un énoncé elliptique comme celui de l’exemple suivant de Lötscher (1983, 3), le contexte décide de la structure syntaxique d’une proposition. Dans les deux cas (2a et 2b), Peter reste le sujet, alors que Katrin, dans la proposition elliptique, change de fonction : dans 2a) Katrin est l’objet alors qu’elle est le sujet dans 2b). La raison de ce changement réside dans la position différente du sommet accentuel de l’énoncé complet :  



2a) Zuerst hat Peter AN na angerufen, dann Katrin. (Katrin = objet) Peter a d’abord appelé Anna, puis Katrin. C’est Anna que Peter a appelée d’abord, avant d’appeler Katrin. 2b) Zuerst hat PE ter Anna angerufen, dann Katrin. (Katrin = sujet) D’abord c’est Peter qui a appelé Anna, puis Katrin.

placement des accents. On en trouvera dans Musan (2010) une description des effets au niveau du texte.

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Le traducteur se heurte ici à plusieurs difficultés : en l’absence de contexte situationnel, la connaissance du monde (cf. Musan 2010) n’est ici d’aucun secours pour assurer la bonne compréhension de l’énoncé. Si la situation n’a pas été précisée dans le contexte amont, le traducteur ne peut qu’espérer que le contexte aval lui livrera les éléments nécessaires à la résolution de ce problème prosodique. À cette difficulté sémantique s’ajoute le problème de la traduction, lié, lui, à la structure des langues : comment transposer correctement en français ce qui a été exprimé en allemand, autrement dit, comment savoir si « Katrin » représente l’objet ou le sujet dans l’énoncé elliptique ? Et plus généralement : quels sont les moyens dont dispose la langue cible, en l’occurrence le français, pour transmettre l’information structurelle réalisée dans l’exemple ci-dessus par l’accentuation ? L’une des conditions nécessaires – parmi bien d’autres, bien sûr, ayant trait au lexique, à la syntaxe, aux types de textes (cf. Henschelmann 1999) ou aux aspects culturels – est la connaissance et le repérage des structures prosodiques des langues en présence. En règle générale, l’auteur rédige son texte en utilisant une certaine « prosodie intérieure » sans même en être toujours conscient. Ce phénomène, dont la pertinence est évidente dans l’interprétation (au moment où la « prosodie intérieure » devient « extérieure » par sa simple réalisation phonétique), joue également un rôle crucial dans la traduction. Il y aurait lieu d’en tirer les conséquences non seulement pour les étudiants en traductologie, mais aussi pour les traducteurs professionnels, qui n’ont jusqu’ici guère été sensibilisés à l’importance de la prosodie. Le rapport entre langue A et langue B a également son importance. Les apprenants de l’allemand L2 ont sans doute des difficultés à identifier les particularités prosodiques de cette langue. Or des observations faites lors d’exercices de traduction ont montré que même les native speakers ne sont souvent pas en mesure de reproduire oralement un texte dans leur langue avec la prosodie adéquate, ce qui conduit à des interprétations erronées et par voie de conséquence à des traductions fautives. Mais les exercices de traduction spontanée montrent également qu’il arrive souvent que ni les structures prosodiques de la langue source ni celles de la langue cible ne soient reconnues, et ce, quelle que soit la langue A et la langue B. Les raisons pourraient en être le manque de formation et d’entraînement à l’analyse et la production des textes. Dans les exemples évoqués ici, les étudiants germanophones, après avoir reçu les explications relatives aux deux lectures possibles, optèrent pour une traduction par mise en relief au moyen d’une phrase clivée, procédé couramment utilisé en français, qui permet de rendre les éléments accentués en allemand d’une façon au moins grammaticalement correcte :  

























2b’) C’est d’abord Peter qui a appelé Anna, et après (c’est) Katrin.

La traduction suivante aurait été plus idiomatique :  

2b’’) Anna a d’abord reçu un coup de fil de Peter, puis de Katrin.



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Les difficultés à représenter adéquatement les accents de phrase à l’écrit se retrouvent quand il s’agit de représenter les contours intonatifs ou les jonctures. Dans l’exemple suivant, on a affaire à une seule et même phrase au plan syntaxique mais pas au plan prosodique :  

3a) Sie verkleidet sich NICHT, um AUFzufallen. (sondern aus anderen Gründen) L*H H*L Ce n’est pas pour se faire remarquer qu’elle se déguise. (mais pour d’autres raisons) [Elle se déguise.] 3b) Sie verkleidet sich NICHT, um AUFzufallen. (unter all den Kostümierten) H*L H*L Elle ne se déguise pas [joncture] [,] pour se faire remarquer. (à un bal costumé) [Elle ne se déguise pas.]

Les insuffisances du traitement lexicographique de la dimension prosodique des mots constituent un autre problème à ne pas négliger dans la pratique de la traduction. L’analyse de quelques dictionnaires mono- et bilingues a montré, par exemple, que l’accentuation des particules19 de l’allemand, si tant est qu’elle soit évoquée, y fait l’objet d’indications souvent erronées (cf. Albrecht/Scheid 2013). Dans la mesure où ces particules jouent un rôle dans la reconnaissance de la structure informationnelle des énoncés (cf. Macheiner 22004, 115–131), cela ne peut que favoriser les malentendus et les traductions fautives. Qu’une particule comme doch soit accentuée ou non a des conséquences pour le sémantisme de l’énoncé où elle apparaît. L’exemple suivant extrait du dictionnaire Pons en ligne (Pons-Online-Wörterbuch), dans lequel la prononciation d’énoncés entiers est proposée en modèle à l’usager, servira à illustrer brièvement la problématique. Ce dispositif tout à fait intéressant en théorie trouve vite ses limites dans la pratique. Dans les phrases exemples suivantes, l’accentuation affectant la particule doch (ou un élément de son contexte) est fautive :  

4a) *jetzt komm doch ENDlich (correct : jetzt KOMM doch endlich !) Tu vas venir, à la fin !  





4b) *du weißt DOCH wie es ist (correct : du WEIßT doch wie es ist !) Tu sais bien ce qu’il en est ! (= ne fais pas comme si tu ne savais pas)  





19 Il s’agit d’un ensemble assez nombreux de mots souvent brefs, comme par exemple auch, denn, doch, eigentlich, schon, wohl etc. qui ont en allemand une valeur « modale » ou plus largement « pragmatique ». Le français en possède aussi, mais en nombre bien plus réduit, par exemple déjà dans Comment s’appelle-t-il déjà ?  









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4c) * wäre es DOCH schon endlich Sommer ! (correct : wäre es doch schon ENDlich Sommer.) Si seulement c’était enfin l’été ! (= j’en ai marre de cet hiver qui n’en finit pas)  





4d) *nehmen Sie sich DOCH bitte ! (correct : NEHmen Sie sich doch bitte !) Allez-y, servez-vous ou (plus vif) Mais servez-vous donc !  







4e) *du kommst doch morgen ? (correct : du KOMMST doch morgen ? (avec intonation montante) Tu viens demain, n’est-ce pas ?20  







Un usager sans compétences particulières en matière de particules ne reçoit pas, ici, l’information dont il a besoin pour décoder et réencoder correctement le texte à traduire.

3.2 Les stratégies Les cas évoqués ci-dessus illustrent l’importance de la prosodie en traduction. Dans la pratique quotidienne de la didactique de la traduction, on constate cependant que les étudiants n’ont guère conscience des structures prosodiques et informationnelles des langues en présence et ne perçoivent pas les possibilités et les contraintes qui en découlent pour la traduction. Des formules embarrassées telles que « Ça ne sonne pas très bien » ou « Ça sonne mieux comme ça » constituent souvent les seuls arguments pour ou contre telle ou telle solution. Pour remédier à cet état de choses, il faudrait d’abord que la traductologie comme discipline scientifique prenne mieux en compte les résultats de la recherche linguistique, notamment relative aux langues particulières : romanistique, germanistique, slavistique etc. La connaissance précise des traits prosodiques et de leurs interactions avec les autres plans de la langue (syntaxe, sémantique, pragmatique…) ne peut avoir que des effets bénéfiques sur la compétence en décodage et encodage des textes. La traductologie doit en tirer profit et intégrer la dimension prosodique dans la didactique de la traduction, car :  











‘[c]e n’est qu’en prenant conscience des différences et similarités structurelles entre les langues que le processus de traduction, qui dans un premier temps se déroule de façon purement intuitive, peut être contrôlé et recevoir un fondement scientifique. L’analyse linguistique permet,

20 L’extrait du dictionnaire en ligne sur www.pons.eu date de l’année 2013 (cf. Albrecht/Scheid 2013). Une vérification récente du même site a révélé la correction des insuffisances prosodiques. Apparemment, on a choisi d’autres exemples munis d’une accentuation correcte.

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en didactique de la traduction, de pointer avec précision et de corriger les erreurs et les insuffisances des traductions écrites ou orales’ (Albrecht/Scheid 2014).21

L’amélioration des compétences traductologiques passe par une sensibilisation des étudiants à la prosodie, afin qu’ils acquièrent d’une part la capacité à repérer les faits qui en relèvent et à les traiter en conséquence, et qu’ils disposent d’autre part d’une terminologie scientifique qui les mette en mesure d’étayer leurs propositions de traduction par une argumentation appropriée. La « lecture à voix haute » évoquée au chapitre 2 a, elle aussi, un rôle à jouer. La méthode a fait ses preuves en didactique. Lire correctement à voix haute tout un passage d’un texte à traduire permet généralement de mieux en comprendre la syntaxe, le sens et la structure informationnelle. Parallèlement, la lecture à voix haute de la traduction permet de s’assurer de sa cohérence textuelle. Une formation aussi précoce que possible en la matière devrait « conduire à des résultats plus satisfaisants et d’une plus grande technicité » (cf. Albrecht/Scheid 2014).  







4 Conclusion La présente contribution a mis en lumière trois carences de la recherche en prosodie. Au premier chapitre, la présentation et l’explicitation des caractéristiques et fonctions de la prosodie a montré qu’elle était un phénomène d’une grande complexité qui conditionne fortement la communication humaine. Il est apparu que les différents paramètres prosodiques ne peuvent guère être étudiés isolément les uns des autres. Mais l’analyse des exemples a montré que les interactions entre ces paramètres sont d’une complexité telle qu’elles n’ont pu, à ce jour, faire l’objet d’une étude globale, fût-elle monolingue ou contrastive. Pour le dire avec les mots des spécialistes en prosodie Julia Hirschberg et Cinzia Avesani et (2000, 94s.) :  

« While much has been proposed for the role of prosodic phenomena as contributing additional information essential for the processing of syntactic and semantic constructions, our findings suggest that this role is not a simple one ».22  



La seconde carence réside dans l’insuffisante prise en compte de la terminologie dans les discussions théoriques. On a tenté, pour en contester la validité, de discuter le

21 « Erst durch das Bewusstmachen sprachstruktureller Unterschiede und Gemeinsamkeiten lassen sich zunächst rein intuitiv ablaufende Translationsprozesse wissenschaftlich überprüfen und begründen. Anhand einer linguistischen Analyse können in der Translationsdidaktik Mängel in Übersetzungen und Verdolmetschungen genau aufgezeigt und im Anschluss verbessert werden » (Albrecht/ Scheid 2014). 22 Le gras est de moi (M.S.).  



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terme d’ambiguïté et la fonction, communément admise dans la recherche en prosodie, de désambiguïsation. Mais la discussion n’est pas close, l’analyse demandant à être poussée plus avant. À la question de savoir si l’approche « modulaire » doit être conservée ou rejetée il ne peut être répondu ici avec certitude. Elle appelle, elle aussi, d’autres analyses, d’autres discussions. Quant à la troisième carence, elle est dans l’absence de prise en compte des caractéristiques prosodiques des langues de travail dans l’opération même de traduction, absence dont les conséquences dommageables sont apparues à travers les exemples donnés. La remédiation à cette situation est dans l’interaction et la collaboration entre les disciplines concernées, la linguistique des langues particulières d’une part, la traductologie de l’autre. La première possède un important potentiel de recherche, la seconde pourrait prendre en charge la dimension contrastive, ce qui aurait à son tour des effets bénéfiques pour la didactique et la pratique de la traduction. Au total, les résultats actuels de la recherche permettent de conclure que la prosodie n’est en rien périphérique, que ce soit du point de vue linguistique ou du point de vue traductologique. D’autres études devraient analyser plus avant la complexité des phénomènes qu’elle recouvre et leurs interactions avec les faits étudiés par d’autres sciences du langage. Le rôle de la prosodie dans la communication apparaîtrait avec plus de force et son statut, en linguistique comme en traductologie, s’en trouverait sans doute renforcé.  



Traduction René Métrich

5 Références bibliographiques Abercrombie, David (1967), Elements of general phonetics, Edinburgh, Edinburgh University Press. Ahrens, Barbara (2004), Prosodie beim Simultandolmetschen, Frankfurt am Main, Lang. Ahrens, Barbara (2014), Dolmetschwissenschaftliche Forschung. Prosodie als Untersuchungsgegenstand, Vortrag im Rahmen der fächerübergreifenden Ringvorlesung « Aktuelle Fragen der Sprachund Übersetzungswissenschaft », Institut für Übersetzen und Dolmetschen, Ruprecht-Karls-Universität Heidelberg, am 3.7.2014. Albrecht, Jörn (22013), Übersetzung und Linguistik, Tübingen, Narr. Albrecht, Jörn/Scheid, Melanie (2013), Prosodie und Partikeln, in : Eva Breindl/Annette Klosa (edd.), Funktionswörterbuchforschung. Zur lexikographischen Darstellung von Partikeln, Konnektoren, Präpositionen und anderen Funktionswörtern, Hildesheim, Olms, 185–207. Albrecht, Jörn/Scheid, Melanie (2014), Der Beitrag der Linguistik zur Translationswissenschaft, -didaktik und -praxis am Beispiel der Prosodieforschung, Vortrag auf der 2. Internationalen Konferenz TRANSLATA II « Translation Studies & Translation Practice », Wien, 30. Oktober–1. November 2014. Auer, Peter (ed.) (2013), Sprachwissenschaft. Grammatik – Interaktion – Kognition, Stuttgart, Wetzler. Avanzi, Mathieu (ed.) (2011), La prosodie française. Regards croisés sur la prosodie du français – des données à la modélisation, Journal of French Language Studies 21:1 Special Issue, Cambridge, Cambridge University Press, 1–110.  













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10 Morphologie et syntaxe de la phrase simple : le traducteur face aux pièges de la grammaire  

Abstract : En traduction, l’étude des structures morphologiques et syntaxiques de la langue source comme de la langue cible reste incontournable, parce qu’elles ne véhiculent pas toujours les mêmes valeurs sémantiques ou pragmatiques. Dans cet article, nous analyserons quelques-unes de ces différences, et nous le ferons à trois niveaux : (1) celui de la détermination, qui rend le nom capable de remplir un rôle dans la phrase, (2) celui des catégories verbales, qui sont importantes pour la traduction au niveau de la prédication, (3) et celui de la structuration de l’information, qui dispose de différents moyens dans les langues respectives. Les exemples utilisés seront surtout issus des langues romanes les plus étudiées (français, espagnol, italien et portugais) et de l’allemand. Pour montrer la traduction de certaines structures, nous utiliserons aussi des exemples pris dans d’autres langues.    



Keywords : linguistique contrastive, détermination, aspect verbal, modes d’action, structure informationnelle    

1 Le problème de la traduction de phénomènes morphologiques et syntaxiques Dans les années soixante et soixante-dix du XXe siècle, l’étude de la morphologie et de la syntaxe dans le contexte de la traduction avait pris son essor. D’une part, ce développement était dû aux espoirs que la linguistique générative nourrissait quant à la traduction automatique (cf. Garvin 1963 ; Tosh 1965 ; Vauquois/Veillon/Veyrunes 1966 ; Sgall 1973), d’autre part l’importance de ces études découlait de la volonté d’améliorer la formation des traducteurs et des interprètes. Suite à l’augmentation de la demande en traducteurs consécutive à l’accroissement des échanges internationaux, les études linguistiques appliquées à ce domaine s’intensifièrent. Les structures morphologiques et syntaxiques furent étudiées de façon contrastive, car cela était considéré comme utile pour les traducteurs et leur formation (Kade 1968 ; Albrecht 1981 ; Hannay 1989 ; Srpová 1989). Après une prise de conscience des limites de la traduction automatique, les publications sur la syntaxe et la morphologie ainsi que leurs relations avec la traduction sont devenues moins fréquentes, mais concentrées sur des questions spécifiques (cf. par ex. Amtrup 2003 ; Mel’čuk/Wanner 2008 ; Wu/ Matsuzaki/Tsujii 2010). On constate une poursuite des études contrastives sur la  

















Le traducteur face aux pièges de la grammaire

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syntaxe et la morphologie qui essaient de répondre à la question de savoir dans quelle mesure la traduction de tel ou tel phénomène syntaxique ou morphologique est possible (Henschelmann 1999 ; Wong 2006 ; Eriksson 1993 ; Vaerenbergh 1994 ; Bachschmidt 2001–2002 ; Dinçkan 2002 ; Péteri 2007 ; Fohlin 2008 ; Albrecht 2013, 12005 ; Oven 2010), mais en linguistique romane le nombre de ces études a fortement diminué dans notre siècle. Ce fait peut s’expliquer par trois raisons. La première est que le « tournant culturel » (cultural turn) de la traductologie a eu pour conséquence une diminution de l’intérêt porté aux faits morphologiques et syntaxiques. La seconde est une prise de conscience plus nette de ce qu’on ne traduit pas une unité morphologique ou syntaxique mais une unité de sens. La troisième enfin est que les circonstances culturelles et sociales peuvent être différentes dans la langue cible de ce qu’elles sont dans la langue source, ce qui oblige à en tenir compte dans la traduction. Cela étant, l’étude des structures morphologiques et syntaxiques de la langue source comme de la langue cible reste incontournable, ne serait-ce que parce qu’elles ne véhiculent pas toujours – loin de là – les mêmes valeurs sémantiques ou pragmatiques. Pour le traducteur, il est essentiel de bien les connaître s’il ne veut pas tomber (trop souvent) dans les pièges qu’elles lui tendent. Dans cet article, nous analyserons quelques-uns de ces pièges, et nous le ferons à trois niveaux : (1) celui de la détermination, qui rend le nom capable de remplir un rôle dans la phrase, (2) celui des catégories verbales, qui sont importantes pour la traduction au niveau de la prédication, (3) et celui de la structuration de l’information, qui dispose de différents moyens dans les langues respectives. Les exemples utilisés seront surtout issus des langues romanes les plus étudiées (français, espagnol, italien et portugais) et de l’allemand. Pour montrer la traduction de certaines structures, nous utiliserons aussi des exemples pris dans d’autres langues.  























2 La détermination et ses pièges pour la traduction Pour découvrir les problèmes posés par la traduction dans le domaine de la détermination, il faut en passer par l’étude contrastive des systèmes de déterminants en question. Schreiber (2006, 73) souligne la différence entre la linguistique contrastive en tant que branche de la linguistique dédiée à la comparaison synchronique de deux langues et la traductologie orientée vers un couple de langues. Cette dernière répondrait selon lui à la question de savoir quels procédés de traduction seraient susceptibles d’être utilisés. La traductologie s’intéresse donc surtout aux solutions possibles, sans être prescriptive, car on peut aussi traiter d’une manière descriptive des solutions choisies par les traducteurs. Cette façon de voir ne prend en compte que les effets pratiques de la traductologie, tandis que l’approche de la linguistique contrastive paraît être circulaire. Elle méconnaît la comparaison de deux ou plusieurs langues à partir d’un critère onomasiologique qui permet bien de délimiter le cadre des traductions possibles.

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Gerda Haßler

Quant aux déterminants, on peut partir de leur définition en tant que mots qui doivent nécessairement accompagner un nom commun pour constituer un groupe nominal bien formé dans la phrase de base. On obtient par substitution mutuelle le paradigme des termes susceptibles d’occuper la position de déterminant (Riegel/ Pellat/Rioul 1994, 151). La liste de ces termes comprend plusieurs espèces : articles définis (le, la, les) et indéfinis (un, une, des), démonstratifs (ce, cet, cette, ces), possessifs (mon, ta, ses), numéraux (deux, vingt), numéraux indéfinis (plusieurs, certains), interrogatifs, exclamatifs, relatifs (cf. Schreiber 2006, 20). Le déterminant minimal est l’article, en ce sens que les autres déterminants ajoutent une information supplémentaire (Grevisse 1986, 901). Le déterminant permet aussi le transfert du terme, simple ou complexe, qui le suit dans la catégorie du nom : Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. Entre les langues romanes – et davantage encore entre les autres langues de l’aire européenne – il y a dans l’usage des déterminants plusieurs différences susceptibles de poser des problèmes au traducteur.  



2.1 Langues sans articles vs. langues avec articles Lorsque la langue source est dépourvue d’articles, il est nécessaire de tenir compte des autres procédés de détermination dont dispose la langue pour résoudre le problème du choix de l’article défini ou indéfini dans la langue cible. Pour traduire du latin vers le français, par exemple, il faut décider si le substantif désigne un objet ou un individu concret (l’ami de ma sœur) ou n’importe quel représentant d’une classe (un arbre). Cependant, l’usage générique d’un nom exige aussi l’article défini. Dans la phrase suivante, il ne s’agit pas d’une barbe concrète ni d’un philosophe concret, mais d’un apophtegme généralisant : Barba non facit philosophum ‘La barbe ne fait pas le philosophe (l’habit ne fait pas le moine)’. Dans les traductions française et espagnole d’Anna Karénine de Tolstoï, les traducteurs se sont presque toujours décidés en faveur de l’usage de l’article défini, ce qui rend le texte plus déterminé que l’original. À la première page, Tolstoï écrit à propos de familles heureuses et malheureuses en général pour arriver à la description d’une famille concrète. Les procédés décrits peuvent être interprétés soit pour un cas spécial, soit pour la vie familiale en général, ce qui est rendu possible par l’absence d’article dans la langue russe. Dans les traductions française et espagnole, l’usage de l’article défini spécifie le contenu comme valant pour une famille particulière :  



« Все счастливые семьи похожи друг на друга, каждая несчастливая семья несчастлива по-своему. […] Жена не выходила из своих комнат, мужа третий день не было дома. Дети бегали по всему дому как потерянные; […] » (Tolstoj 1958, 7).  



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« Toutes les familles heureuses se ressemblent. Chaque famille malheureuse, au contraire, l’est à sa façon. […] La maîtresse de la maison ne sortait plus de sa chambre ; le mari était absent depuis trois jours ; les enfants erraient d’une pièce à l’autre comme des abandonnés […] » (Tolstoï/ Maurois 1972, 17).  







« Todas las familias dichosas se parecen, y las desgraciadas, lo son cada una a su manera. […] La esposa no salía de sus habitaciones. El marido no entraba allí en todo el día. Los niños, abandonados, correteaban por las estancias » (Tolstói/Sureda/Santiago 1997, 9).  



Dans ce cas, les traducteurs n’avaient pas le choix, car l’usage de l’article indéfini aurait nettement généralisé les énoncés, ce qui aurait trahi l’intention de l’auteur. Il n’existe pas d’autre solution que l’article défini ou indéfini, alors que dans une langue sans articles, il est possible de faire glisser le sens entre le général et un exemple particulier. Dans la traduction française, l’article indéfini est utilisé dans des phrases dans lesquelles l’auteur avait utilisé des éléments qui donnent une information supplémentaire sur l’indétermination, comme des adjectifs numéraux indéfinis (какие-то) ou la postposition d’un adjectif (человек правдивый). Dans un cas, le traducteur espagnol a utilisé l’adjectif numéral indéfini, dans le deuxième il a utilisé la forme sans article, qui correspond à l’article indéfini du pluriel. Dans tous ces cas, il s’agit d’éléments rhématiques qui apportent une information nouvelle. :  

« […] и какие-то маленькие графинчики и они же женщины » (Tolstoj 1958, 8). « Et il y avait sur cette table de petites garafes qui étaient des femmes … » (Tolstoï/Maurois 1972, 18). « Y había en las mesas unas garafas muy chiquitas… que eran mujeres » (Tolstói/Sureda/Santiago 1997, 10).  











« Степан Аркадьич был человек правдивый в отношениик себесамому » (Tolstoj 1958, 9). « Stépan Arkadiévitch était un homme sincère envers lui-même » (Tolstoï/Maurois 1972, 20).  







Dans cette dernière phrase, le traducteur espagnol a transformé l’attribut du sujet en un groupe adjectival : Esteban Arkadievich era sincero para sí y no se forjaba ilusiones (Tolstói/Sureda/Santiago 1997, 11). Les traducteurs suivent les conventions des langues cibles dans la traduction de groupes nominaux indéterminés qui ont une fonction descriptive dans le texte. Dans l’exemple suivant, l’article indéfini est utilisé dans la traduction française, tandis qu’en espagnol, on trouve un groupe prépositionnel, sans article et mis en italiques :  



« Потом добрая и несколько жалкая улыбка показалась на его красивом лице » (Tolstoj 1958, 12). « Puis un sourire lent et un peu triste parut sur son charmant visage » (Tolstoï/Maurois 1972, 22).  







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« El príncipe tardó un instante en hablar y, con sonrisa de amargura y meneando tristemente la cabeza, preguntó : […] » (Tolstói/Sureda/Santiago 1997, 14).  





Bien sûr, ces exemples illustrent les solutions subjectives des traducteurs dans le processus créateur de la traduction, mais ils révèlent quelques problèmes qui apparaissent dans la traduction de langues sans articles. L’article défini est utilisé dans tous les cas où c’est possible, ainsi le texte reçoit un caractère surdéterminé. Les déterminants qui donnent des indications explicites de l’indéfini sont traduits par les articles indéfinis, souvent sans utiliser de marqueurs supplémentaires, comme les numéraux indéfinis. Des groupes nominaux indéfinis subissent souvent des transformations dans la traduction qui les intègrent dans une autre structure syntaxique.

2.2 Position de l’article avant ou après le nom et différences dans les informations supplémentaires Quand on regarde l’ensemble des langues romanes, on trouve l’article avant ou après le nom et des différences dans les informations supplémentaires. La langue roumaine est la seule langue romane qui place les articles définis collés à la fin du mot (studentul bun ‘le bon élève’, studentului bun ‘du bon élève’), bien qu’ils aient la même origine que ceux des autres langues romanes. Elle suit en cela l’usage de certaines langues balkaniques, le bulgare et l’albanais. Pour les noms masculins, le roumain utilise l’article -l avec la voyelle de liaison -u- : studentul ‘l’étudiant’, banul ‘l’argent’. Pour les noms sg. en -ă (en général féminins), on utilise -a qui remplace le -ă : casa ‘la maison’. Pour les noms à voyelle accentuée, il y a un ‑u- de liaison : steaua ‘l’étoile’. Les articles définis roumains se déclinent aussi. En outre, il y a en roumain des déterminants qui n’existent pas en français : par exemple, les articles possessifsgénitivaux qui sont utilisés devant les noms et les pronoms au génitif et représentent l’objet possédé, avec lequel ils s’accordent : Câinele este al domnului. ‘Le chien est au monsieur’. Pantofii mei sunt aici, ai domnului sunt acolo. ‘Mes chaussures sont ici, celles du monsieur sont là’. Il y a aussi les articles démonstratifs, qui sont utilisés dans les syntagmes nom + épithète, quand le nom a l’article défini (prosopul cel mic ‘la petite serviette’), pour construire le superlatif relatif (prietena cea mai bună ou cea mai bună prietenă ‘la meilleure amie’) ou pour substantiver un adjectif (cei leneşi ‘les paresseux’, cele mari ‘les grandes’) (cf. Gancz 2006).  









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2.3 La combinaison du déterminant minimal avec une indication supplémentaire Nous avons évoqué précédemment les déterminants minimaux, qui n’indiquent que le genre, le nombre et éventuellement le cas, et qui servent à établir des relations anaphoriques et cataphoriques dans un texte. Mais il existe aussi des déterminants qui, au-delà de cette fonction, véhiculent des informations supplémentaires en spécifiant, par exemple, si le nom renvoie à une entité massive ou comptable ou si celle-ci est saisie de manière singulière ou plurielle, partitive ou globale. Sémantiquement, les déterminants participent à l’actualisation du groupe nominal : « ils assurent son passage de la langue dans le discours, tout en formant avec lui des expressions référentielles qui désignent des occurrences particulières de la notion attachée lexicalement au nom » (Riegel/Pellat/Rioul 1994, 152). Dans la plupart des langues, les déterminants définis, c’est-à-dire l’article défini (la, le, les), le déterminant démonstratif (ce, cette, ces) et le déterminant possessif (mon, ton, son …) ne peuvent pas se combiner et sont exclus de certaines positions syntaxiques (*le ton livre, *un manuel est ce livre). Cependant, il y a des langues, comme l’italien et le portugais, dans lesquelles un article défini peut être suivi d’un déterminant possessif. Schwarze (1988, 33) compte ces déterminants possessifs parmi les Postartikel, une catégorie de formes qui se posent entre l’article et le nom : Non conosco la sua voce (Renzi 1991, 621), O meu nome é Rebeca. Les déterminants possessifs servent à l’établissement de liens déictiques ou anaphoriques. Le déterminant de la première personne du singulier se réfère au locuteur, celui de la deuxième au destinataire etc., mais ils indiquent en plus qu’il y a une relation d’appartenance entre le référent mentionné par son rapport déictique et l’objet désigné par le nom. Les terminaisons signalent le genre et le nombre et servent à établir une congruence avec la tête du syntagme nominal. Dans l’établissement de cette congruence, on peut constater une divergence par rapport à l’allemand qui a la même congruence en nombre, genre (et cas) entre le nom et le déterminant possessif, la racine du possessif dépendant toutefois du possesseur (cf. Schwarze 1988, 31) :  









Giovanni vende la sua bicicletta. Giovanni verkauft sein Fahrrad. Maria vende la sua bicicletta. Maria verkauft ihr Fahrrad.

Avec la non différenciation selon le genre du possesseur, il y a un certain vague dans les langues romanes qu’on ne peut pas maintenir en allemand : Juan conoce a Ana y ha vendido su bicicleta. Juan kennt Anna und er hat sein / ihr ? Fahrrad verkauft. Pour la direction inverse de la traduction, la possibilité d’ajouter la préposition de avec un pronom pour préciser le genre existe. Même s’il s’agit de deux substantifs du même genre, on peut lever l’ambiguïté. Dans la phrase portugaise José, Pedro levou o seu  







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chapéu, le déterminant possessif seu n’explique pas clairement qui possède le chapeau, José ou Pedro, bien que l’ordre des mots rende plus probable que ce soit José. Pour préciser que c’est Pedro qui possède le chapeau, le locuteur pourrait ajouter dele : José, Pedro levou o seu chapéu dele (Bechara 2001, 181s.).  

2.4 Usage d’un déterminant démonstratif au lieu de l’article défini La valeur déterminante des articles peut être liée à des traits spécifiques dans les différentes langues. L’article défini a en allemand une valeur fortement déictique et il peut remplacer, en langue parlée, le déterminant démonstratif quand on l’accentue : DAS Buch habe ich schon gelesen, das andere noch nicht.1 Il serait très étrange de traduire cette phrase par ?LE livre, je l’ai déjà lu, l’autre pas encore. L’article défini français a une valeur généralisante, tandis que sa signification déictique est plus faible qu’en allemand. Pour traduire la phrase allemande mentionnée, il faut donc utiliser le déterminant démonstratif : CE livre, je l’ai déjà lu, l’autre pas encore. On pourrait mentionner beaucoup d’exemples de traductions littéraires dans lesquels les traducteurs ont choisi cette solution. Limitons-nous à la phrase suivante de la Métamorphose (1915) de Franz Kafka :  





« Aber durch das kleine Gespräch waren die anderen Familienmitglieder darauf aufmerksam geworden, daß Gregor wider Erwarten noch zu Hause war, […] » (Kafka 1983, 115).  



« Mais ce petit échange de propos avait signalé aux autres membres de la famille que Gregor, contre toute attente, était encore à la maison, […] » (Kafka 1988, 27).  



Dans la traduction de textes français en allemand, les déterminants démonstratifs sont souvent surreprésentés, mais il arrive que la force déictique des déterminants allemands paraisse trop importante. Dans l’exemple suivant, le traducteur a utilisé l’article défini, qui suffit pour remplir la fonction cataphorique :  

« Faut-il rappeler cette autre circonstance, non moins décisive peut-être, qu’est ma rupture d’avec Rachel ? » (Tournier 1975, 17).  





« Muß ich auch noch den anderen, vielleicht nicht minder entscheidenden Umstand erwähnen : meinen Bruch mit Rachel ? » (Tournier/Waller 1989, 12).  







Parmi les problèmes morphologiques et syntaxiques qui concernent la traduction du groupe nominal, nous n’avons choisi que ceux qui sont liés à la détermination. En réalité, toutes les catégories morphologiques peuvent mener à des problèmes de traduction s’il y a des disparités entre la langue de départ et la langue cible. Ainsi, il y

1 Weinrich (2003, 440s.) considère l’article défini accentué comme un déterminant démonstratif.

Le traducteur face aux pièges de la grammaire

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a des substantifs en français qui permettent la formation du pluriel, tandis qu’en allemand ces mots n’existent qu’au singulier. Dans ce cas, il est important d’interpréter la fonction du pluriel dans l’original. Exprime-t-il, par exemple, une répétition ou une intensification ? Selon la réponse à cette question, on traduira le pluriel les neiges par un des mots composés die Schneefälle ou die Schneemassen, les silences sera traduit pas die Momente des Schweigens ou das eisige Schweigen (cf. Schreiber 2006, 80 ; Henschelmann 1999, 32–35). Pour la traduction des langues romanes en allemand, il faut tenir compte de la multitude des pluralia tantum dans ces langues qu’il n’y a pas en allemand. Surtout des formes qui expriment un duel demandent des circonlocutions, tels que zwei Brillen – it. due paia di ochiali (Reumuth/Winkelmann 1989, 39).  



3 Les catégories verbales dans le contexte de la traduction Les catégories verbales qui s’expriment par le verbe conjugué sont la personne, le nombre, le temps, le mode, l’aspect et la diathèse. Tandis que certaines de ces catégories ne posent que rarement de problème pour la traduction, l’aspect est un piège pour la traduction entre l’allemand et les langues romanes. Dans ce contexte, nous entendons par aspectualité une fonction sémantique qui représente l’action exprimée par le verbe soit comme limitée par le début et la fin (perfectif) soit comme prise dans son déroulement et regardée de l’intérieur (imperfectif) (Verkuyl 1993, XI). Coseriu (1976, 13) a remarqué que des significations aspectuelles n’apparaissent pas forcément au même niveau du système verbal. Elles peuvent être liées à la signification lexicale d’un verbe, apparaître obligatoirement avec un certain temps verbal ou bien être exprimées par un système de périphrases. L’aspectualité est une catégorie fonctionnelle dans laquelle entrent aussi des moyens linguistiques pris dans un sens dérivé ou des combinaisons de plusieurs moyens linguistiques.

3.1 Le piège de la simplification La complexité des catégories fonctionnelles du verbe dans les langues romanes s’avère problématique pour la traduction. Il n’est pas possible d’établir des correspondances directes entre certains temps allemands, anglais, français et espagnols, comme a tenté de le faire García Yebra (1997, 147) :  

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Gerda Haßler

allemand

anglais

français

espagnol

Präsens

Present Present continuous

Présent

Presente (Presente continuo)

Präteritum

Simple Past Past continuous

Imparfait Passé simple

Imperfecto (Imperfecto continuo) Pret. perf. simple (Pret. perf. simple cont.)

Perfekt

Present perfect

Passé composé

Pret. perf. compuesto (Pret. perf. comp. contin.)

Plusquamperfekt

Past perfect Past perfect continuous

Plus-que-parfait Passé antérieur

Pluscuamperfecto Pluscuamperf. continuo Pretérito anterior

Si un traducteur se fiait à ce tableau, il méconnaîtrait entre autres l’absence de l’aspect dans la langue allemande : le Präteritum et le Perfekt n’entrent pas en opposition aspectuelle, mais ils sont opposés, dans la majorité de leurs emplois, par des traits stylistiques et diatopiques. La correspondance entre le passé simple et le pretérito perfecto simple existe aux niveaux aspectuel et temporel, mais si on en restait là, on méconnaîtrait leur valeur diaphasique qui détermine les différences fondamentales dans l’usage.  

3.2 Le schéma d’incidence Dans les phrases suivantes, deux formes verbales sont utilisées et une différence aspectuelle est établie. Le premier verbe exprime l’action de lire qui était en cours, le deuxième l’action ponctuelle de l’arrivée. Mon frère lisait le journal quand je suis arrivé. Mi hermano leía el periódico cuando llegué. Mio fratello leggeva il giornale quando sono arrivato.

En allemand, il n’y a pas de possibilité d’exprimer la différence d’aspectualité par la flexion du verbe. On pourrait traduire ces deux verbes soit par le prétérit (Präteritum) soit par le parfait (Perfekt), qui ne sont pas marqués aspectuellement, en se fiant au mode d’action (Aktionsart, cf. Vendler 1957) : le verbe lire implique par sa signification lexicale une certaine durée du processus, arriver est terminatif et renvoie à l’action dans sa totalité :  



Mein Bruder las die Zeitung, als ich ankam. Mein Bruder hat die Zeitung gelesen, als ich angekommen bin.

Le traducteur face aux pièges de la grammaire

217

Le marquage de l’aspectualité par la catégorie lexicale du mode d’action est présent dans les langues romanes comme en allemand. Cependant l’usage des formes conjuguées aspectuellement marquées est obligatoire dans les langues romanes et on ne peut pas les remplacer l’une par l’autre :  

*Mon frère a lu le journal quand j’arrivais.

Le marquage de l’aspectualité est plus fort dans les langues romanes, qui disposent, à côté des modes d’action, des formes verbales aspectuellement marquées. En allemand, on peut suppléer à ce manque par des adverbes ou par un groupe prépositionnel (Mein Bruder las gerade die Zeitung, als ich ankam. Mein Bruder las die Zeitung, als ich plötzlich ankam. Mein Bruder war beim Lesen der Zeitung, als ich ankam.), mais la traduction de chaque imparfait par gerade ou le groupe prépositionnel beim+infinitif et de chaque passé composé avec plötzlich serait gênant dans un texte plus long. Le traducteur tomberait dans un piège s’il s’en tenait aux formes temporelles en rendant l’imparfait par un prétérit et le passé composé par un parfait, lui aussi composé :  

Mein Bruder las die Zeitung, als ich angekommen bin.

La différence entre ces deux formes verbales n’est pas aspectuelle, mais diatopique et diaphasique. La forme composée est préférée dans la langue parlée et elle est généralisée dans l’usage en Allemagne méridionale, tandis que le prétérit est largement utilisé dans la langue écrite. Il y a des cas où le marquage de l’aspectualité est obligatoire en allemand. La traduction de l’imparfait enlaçait de la phrase suivante par umarmte serait comprise, à cause du mode d’action de umarmen, comme une action ponctuelle ; pour rendre l’action durative, il faut recourir à la périphrase umarmt hielt (Blumenthal 1997, 63) :  



« Elle trouva son père qui enlaçait Mlle Protat ».  



« Da fand sie ihren Vater, wie er Fräulein Protat umarmt hielt ».  



3.3 Traduction entre langues avec et sans marquage de l’aspect verbal Quand on traduit de la langue allemande, dont le système verbal ne connaît pas d’opposition aspectuelle, dans une langue romane, il faut ajouter des informations sur le déroulement des procès si celles-ci sont obligatoires. Roman Jakobson a décrit ce problème de la manière suivante :  

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Gerda Haßler

« If some grammatical category is absent in a given language, its meaning may be translated into this language by lexical means. […] It is more difficult to remain faithful to the original when we translate into a language provided with a certain grammatical category from a language devoid of such a category. […] As Boas neatly observed, the grammatical pattern of a language (as opposed to its lexical stock) determines those aspects of each experience that must be expressed in the given language. […] In order to translate accurately the English sentence ‹ I hired a worker ›, a Russian needs supplementary information, whether this action was completed or not and whether the worker was a man or a woman […] Languages differ essentially in what they must convey and not in what they may convey » (Jakobson 1959, 236).  







Parfois, une certaine sur-spécification, entraînée par le système verbal, est nécessaire dans les langues romanes. C’est visible au début de la traduction française de la Verwandlung / Métamorphose de Franz Kafka (cf. Haßler 2001b). Dans ce texte, un seul évènement raconté de façon holistique se détache de la description du milieu petit bourgeois : la métamorphose de Gregor Samsa en un insecte. Il s’ensuit une transformation lente de la famille, qui a comme résultat que Gregor en est expulsé. Quand on compare les premières lignes en allemand et en français, on constate que dans le texte allemand tous les verbes sont au prétérit, tandis que dans le texte français, les verbes qui désignent l’expérience de la métamorphose par Gregor se trouvent au passé simple :  







« Als Gregor Samsa eines Morgens aus unruhigen Träumen erwachte, fand er sich in seinem Bett zu einem ungeheuren Ungeziefer verwandelt. Er lag auf seinem panzerartig harten Rücken und sah, wenn er den Kopf ein wenig hob, einen gewölbten, braunen, von bogenförmigen Versteifungen geteilten Bauch, auf dessen Höhe sich die Bettdecke, zum gänzlichen Niedergleiten bereit, kaum noch erhalten konnte. Seine vielen, im Vergleich zu seinem sonstigen Umfang kläglich dünnen Beine flimmerten ihm hilflos vor den Augen » (Kafka 1983, 112).  



« En se réveillant un matin après des rêves agités, Gregor Samsa se retrouva, dans son lit, métamorphosé en un monstrueux insecte. Il était sur le dos, un dos aussi dur qu’une carapace, et, en relevant un peu la tête, il vit, bombé, brun, cloisonné par des arceaux plus rigides, son abdomen sur le haut duquel la couverture, prête à glisser tout à fait, ne tenait plus qu’à peine. Ses nombreuses pattes, lamentablement grêles par comparaison avec la corpulence qu’il avait par ailleurs, grouillaient désespérément sous ses yeux » (Kafka/Lortholary 1988, 23).  



La construction ‘fand er sich zu einem ungeheuren Ungeziefer verwandelt’ est rendue en français par l’expression ‘se retrouva métamorphosé en un monstrueux insecte’. Si les deux verbes finden / retrouver coïncident dans leur mode d’action, ils présentent une différence dans l’aspectualité. Le verbe allemand suggère que Gregor perçoit le processus de sa transformation, tandis que le verbe français met l’accent sur le processus global et son résultat. La sur-spécification devient encore plus claire dans la traduction des verbes lag et sah : Il était sur le dos marque un état duratif, tandis que le passé simple de il vit marque la survenue d’un événement nouveau, en l’occurrence la prise de conscience soudaine de la métamorphose physique dans toute sa portée. Cette traduction contredit la suite du texte qui ne désigne pas un évènement  





Le traducteur face aux pièges de la grammaire

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ponctuel. Dans ce cas, le traducteur paraît être tombé dans le piège de l’absence d’aspect en allemand. Keromnes (2000) a traité de la traduction des formes verbales de l’allemand vers l’anglais et le français à travers l’exemple de la Métamorphose de Kafka et quatre traductions de cette nouvelle. Il repose sur l’hypothèse d’une importance particulière des formes verbales dans les textes narratifs. Après la répartition des formes verbales représentées dans une base de données, il a étudié la relation d’équivalence entre les formes verbales du texte allemand et les traductions en anglais et en français, et en particulier les variations dont cette relation est susceptible. C’est notamment l’usage sans variation de verbes sémantiquement peu complexes au prétérit qui est un trait caractéristique du mode de narration chez Kafka qui ne peut pas être maintenu dans la traduction française. Dans l’exemple suivant, la continuité des trois prétérits disparaît au profit de deux passés simples interrompus par un imparfait : l’homophonie des trois prétérits est dissolue en deux passés simples et un imparfait posé entre les deux :  



« Gregors Blick richtete sich dann zum Fenster, und das trübe Wetter – man hörte Regentropfen auf das Fensterblech aufschlagen – machte ihn ganz melancholisch » (Kafka 1983, 112).  



« Le regard de Gregor se tourna ensuite vers la fenêtre, et le temps maussade – on entendait les gouttes de pluie frapper le rebord de zinc – le rendit tout mélancolique » (Kafka/Lortholary 1988, 23).  



Dans ce cas, il ne s’agit certainement pas d’une décision fortuite du traducteur. L’usage constant de l’imparfait exprimerait une itération des processus en question, le passé simple dans la phrase parenthétique désignerait la perception soudaine de la pluie. En allemand les relations contextuelles, les préférences d’interprétation basées sur la connaissance du monde et quelques repères lexicaux comme dann suffisent pour le marquage convenable du déroulement des actions. La plus grande différenciation des formes verbales romanes dans le domaine de l’aspectualité exige, par contre, l’usage d’une forme spécifique qui soit en contraste avec une autre. Les exemples de contraste aspectuel non marqué dans l’original, mais imposé par le système grammatical du français, sont nombreux dans la traduction de Kafka. Ce qui est particulièrement intéressant dans l’exemple suivant, c’est le maintien de l’expression lexicale de l’itérativité (hundertmal / cent fois) et, en même temps, l’indication du bornage gauche et droite de la série d’actions par le passé simple du verbe modal (dut). Celui-ci marque une conclusion, utilisant le registre verbal, tandis que dans le texte allemand lui correspond la particule wohl.  



« Mit welcher Kraft er sich auch auf die rechte Seite warf, immer wieder schaukelte er in die Rückenlage zurück. Er versuchte es wohl hundertmal, schloß die Augen, um die zappelnden Beine nicht sehen zu müssen, und ließ erst ab, als er in der Seite einen noch nie gefühlten, leichten, dumpfen Schmerz zu fühlen begann » (Kafka 1983, 113).  



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Gerda Haßler

« Quelque énergie qu’il mît à se jeter sur le côté droit, il tanguait et retombait à chaque fois sur le dos. Il dut bien l’essayer cent fois, fermant les yeux pour ne pas s’imposer le spectacle de ses pattes en train de gigoter, et il ne renonça que lorsqu’il commença à sentir sur le flanc une petite douleur sourde qu’il n’avait jamais éprouvée » (Kafka/Lortholary 1988, 24).  



Dans l’exemple suivant, l’accumulation de compléments circonstanciels désignant un déroulement lent et prudent de toutes les actions permet, sur la base de l’indifférenciation aspectuelle, une lecture processuelle. Dans la traduction, celle-ci est abandonnée au profit de l’expression nette de la suite des actions ponctuelles :  

« Er versuchte es daher, zuerst den Oberkörper aus dem Bett zu bekommen, und drehte vorsichtig den Kopf dem Bettrand zu. Dies gelang auch leicht, und trotz ihrer Breite und Schwere folgte schließlich die Körpermasse langsam der Wendung des Kopfes » (Kafka 1983, 116).  



« Il essaya donc de commencer par extraire du lit le haut de son corps, et il tourna prudemment la tête vers le bord. Cela marcha d’ailleurs sans difficulté, et finalement la masse de son corps, en dépit de sa largeur et de son poids, suivit lentement la rotation de la tête » (Kafka/Lortholary 1988, 28s.).  



L’ordonnancement chronologique des actions, qui se fait par des adverbes dans le texte allemand (zuerst, schließlich), se fait ici en français par des moyens périphrastiques (commencer par extraire).

3.4 Surdétermination et compensation Des observations faites jusqu’ici nous pouvons conclure que, s’il y a plus de différenciation grammaticale dans la langue cible que dans la langue de départ, le traducteur peut être contraint de procéder à une sur-spécification dans le but de restreindre les possibilités d’interprétation. De l’autre côté, quand il y a moins de différenciation grammaticale dans la langue cible, le traducteur doit recourir à d’autres moyens. Dans le cas de l’aspectualité, ce sont surtout des moyens lexicaux, mais aussi la détermination et l’ordre des mots. Voyons un exemple de cette réduction de différenciation aspectuelle dans la traduction du début de Los misterios de Madrid ‘Les secrets de Madrid’ de Antonio Muñoz Molina à l’allemand (cf. Haßler 2001a) :  

« Daban las once de la noche en el reloj de la plaza del General Orduña, ahora de Andalucía, cuando Lorencito Quesada, corresponsal en nuestra ciudad de Singladura, el diario de la provincia, se detuvo ante la puerta de la sacristía del Salvador, en un callejón a espaldas de la plaza Vázquez de Molina, sin atreverse a golpear el llamador, aunque había luz dentro y sabía que lo estaban esperando » (Muñoz Molina 1992, 7).  



« Genau elf Uhr schlug es gerade an der Plaza del General Orduña, der heutigen Plaza de Andalucía, als Lorenzito Quesada, der in unserer Stadt ansässige Korrespondent des Provinzblatts Singladura., in einer Gasse hinter der Plaza Vázquez de Molina vor der Tür der Sakristei der Erlöserkirche stehenblieb und sich nicht traute, den Türklopfer zu betätigen, obwohl drinnen Licht war und er wußte, daß man ihn erwartete » (Muñoz Molina/Hofmann 1995, 9).  



Le traducteur face aux pièges de la grammaire

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Au début du texte espagnol, on trouve un exemple typique d’un schéma d’incidence : la sonnerie de l’horloge est présentée à l’imparfait (imperfecto) et une deuxième action, ponctuelle et perfective, est mise au pretérito perfecto simple (se detuvo ‘il s’arrêta’). En allemand, cette différenciation est absente dans les formes verbales, le fait qu’une action est en train de se passer est exprimé par des moyens lexicaux, par exemple le mode d’action (erwartete) et non par la périphrase aspectuelle (estaban esperando). Malgré le recours aux moyens lexicaux en allemand, l’emploi constant du prétérit en allemand donne l’impression d’une certaine indécision. L’horloge sonnaitelle toujours quand Quesada s’est arrêté ? Est-ce quand elle s’est arrêtée qu’il n’a pas osé frapper à la porte ? La lumière était-elle allumée auparavant ? Quatre formes verbales du texte espagnol (imperfecto, perfecto simple, infinitif avec une préposition, la périphrase aspectuelle estar+gérondif) sont réduites à une seule (prétérit). L’extrême réduction du nombre des formes verbales est partiellement compensé par des moyens lexicaux : l’adverbe gerade, le mode d’action (erwarten) qui, à vrai dire, mène à une autre signification que celle de la périphrase durative den Türklopfer betätigen (‘actionner le marteau’) au lieu du verbe simple klopfen (‘frapper’), l’ordre des mots Genau elf Uhr schlug es gerade (au lieu de Es schlug gerade elf Uhr). Bien que la structure du système temporel-aspectuel soit semblable dans toutes les langues romanes, il y a quelques disparités entre l’emploi usuel des parfaits simple et composé. Un pretérito perfecto simple espagnol peut être représenté par un passé composé pour parler ou écrire d’une manière plus courante :  











Mi hermano leía cuando llegué. Mon frère lisait le journal quand je suis arrivé.

Une autre différence fondamentale entre l’allemand et les langues romanes concerne l’expression de l’aspectualité et de la temporalité par des périphrases verbales. Dans quelques cas, il y a des parallélismes (Schreiber 2006, 81), mais dans la traduction allemande, le recours à une périphrase formellement correspondante changerait la structure et le sens de la phrase. Sich bei der Ankunft / beim Ankommen nicht verspäten signifie que quelqu’un a déjà commencé un voyage et qu’il arrivera – peut-être parce qu’il n’y a pas de raisons qui l’en empêchent – à l’heure dite, tandis que la périphrase française exprime que quelqu’un devrait arriver bientôt :  





Ils ne tarderont pas à arriver. Non tarderanno a venire. No tardarán en llegar. Sie werden bald ankommen.

La traduction des périphrases plus grammaticalisées s’avère plus difficile encore. Quant à la périphrase espagnole estar+gérondif (cf. Laca 1998), qui est la plus grammaticalisée, elle est largement utilisée pour traduire l’aspect imperfectif des langues aspectuelles. Nous entendons par langues aspectuelles des langues dont les

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Gerda Haßler

verbes se trouvent systématiquement corrélés selon l’aspect perfectif et imperfectif. La comparaison des traductions d’Anna Karénine a montré que seul l’espagnol utilise la périphrase pour dénommer une action en cours, tandis que le français a toujours recours à l’imparfait et que l’allemand utilise le prétérit, éliminant la dimension aspectuelle :  

« Когда Ана вошла в комнату, Долли сидела в маленькой гостиной с белоголовым пухлым мальчиком уж теперь похожим на отца и слушала его урок из французского чтения » (Tolstoj 1958, 78).  



« Quand Anna sonna, Dolly était assise, dans le petit salon, en compagnie d’un gros bébé qui avec sa chevelure blonde ressemblait déjà à son père. Elle lui donnait une leçon de français » (Tolstoï/Maurois 1972, 96).  



« Cuando Ana entró en el saloncito, Dolly estaba tomando la lección de Francés a un niño gordito, con la cabeza rubia, el vivo retrato de su padre » (Tolstói/Sureda/Santiago 1997, 90).  



« Anna traf Dolly in einem kleinen Wohnzimmer an, wo sie ihrem semmelblonden, pausbäckigen Söhnchen, das schon jetzt dem Vater sehr ähnlich war, seine französische Leseübung abhörte » (Tolstoi/Asemissen 1969, 94).  



La construction dans la phrase précédente correspond au schéma d’incidence, pour lequel, en russe, le contraste entre le verbe perfectif (войти) et les verbes imperfectifs (сидеть, слушать) suffit. L’imperfectivité se trouve soulignée davantage en espagnol par la périphrase estar+gérondif, l’auxiliaire à l’imparfait renforce la vision intérieure de l’action. Le traducteur français se sert de l’interaction entre l’imparfait et le passé simple et dissout la phrase, en changeant le sens et établissant une contradiction. En allemand, l’entrée dans la chambre n’est que présupposée, le premier verbe est antreffen (‘trouver qn’), qui est proche de la signification perfective par son caractère télique. Le manque de traits aspectuels est alors compensé par la signification lexicale.

3.5 Autres problèmes posés par le verbe Une autre catégorie verbale qui peut poser problème en traduction est la diathèse. Selon Blumenthal, la phrase française exprime un degré plus élevé d’activité que la phrase allemande (Blumenthal 1997, 17). L’organisation des rôles sémantiques dévolus aux actants par rapport au procès, autrement dit la diathèse (cf. Gaatone 1998 ; Sinner/Veldre 2005), est différente dans les langues romanes et en allemand. La traduction littérale n’est pas possible lorsque le verbe offre plusieurs constructions dont l’une est manifestement un cas marqué par rapport à l’autre. On peut alors adopter une description en termes de diathèses différentes, même si la « construction » ou voix est identique (Muller 2005). C’est le cas dans :  







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Le traducteur face aux pièges de la grammaire

Jean / la pierre a cassé la vitre. La vitre a cassé.  



Si l’on excepte des locutions passives comme être bien vu, chaque verbe peut apparaître comme noyau d’une phrase active. Le nombre des verbes qui peuvent être passivés est, en revanche, relativement restreint. Ainsi, des deux verbes avec la forme peser seul le transitif est passivable :  

Le boucher pèse la viande. La viande est pesée par le boucher. Le boucher pèse cent kilos. *Cent kilos sont pesés par le boucher.

Les verbes de mouvement peuvent poser problème quant il s’agit de rendre en même temps la direction et une spécification du mouvement. Il est facile de compenser la disparité entre d’une part les verbes allemands composés d’une indication de la direction et du verbe signifiant ‘aller’ (hinausgehen, hinübergehen) et d’autre part les verbes simples en langues romanes, qui désignent la direction et le mouvement en un seul mot : er geht hinaus, il sort, esce, sale. Mais quand il s’agit de tenir compte de deux traits, une ‘modalité du mouvement’ et la ‘direction’, il faut se décider et ajouter un élément indiquant la direction, et un ajout pour le mode du mouvement dans les langues romanes : sie tanzt hinaus, elle sort en dansant, esce con passo di danza, sale como bailando (Wandruszka 1969, 460). Ce qui peut être exprimé par un verbe et ce qui doit être ajouté par des compléments circonstanciels est différent selon les langues. L’exemple suivant a été repris plusieurs fois depuis la Stylistique comparée du français et de l’anglais de Vinay/Darbelnet (1958 ; cf. Pergnier 1993 ; Haßler 2001a) : l’énoncé anglais he swam across the river est interprétable pour un destinataire français dans le transcodage il nageait à travers la rivière parce qu’il est conforme aux règles de la morphosyntaxe française. Le résultat du transcodage n’est pourtant pas un équivalent de l’énoncé anglais parce que le destinataire français l’interpréterait d’une manière différente. L’équivalent de he swam across the river serait il traversait la rivière (à la nage), en fait ‘à la nage’ représenterait une surdétermination, parce que la signification prototypique de traverser dans le contexte de lexèmes qui dénotent l’eau est ‘nager’, sans autres indications de moyens et de voix. Quand nous regardons de plus près le résultat du transcodage, les doutes quant à son équivalence se multiplient. Est-ce qu’il correspond vraiment au potentiel morphosyntaxique de l’énoncé anglais ? Déjà la transposition du pronom n’échange pas seulement des signifiants : he se trouve en opposition paradigmatique avec she et it, tandis que le pronom il n’est opposé qu’à elle. Cela veut dire que he ne peut désigner qu’un être masculin, tandis que il peut être utilisé aussi pour un animal ou un objet. Swam n’est pas non plus équivalent à nageait : comme prétérit simple, il n’entre en opposition temporelle qu’avec le présent, tandis qu’en français il faut tenir compte de l’opposition aspectuelle au  















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Gerda Haßler

passé simple : Il traversait la rivière / Il traversa la rivière. Enfin à travers ne peut pas être vu comme équivalent de across parce que la locution française fonctionne exclusivement comme préposition, tandis que across est facilement imaginable sans nom à sa droite, c’est-à-dire qu’il peut faire partie du groupe verbal. Swam across et nageait à travers ne sont donc ni par leur potentiel syntaxique ni par leur sémantique des équivalents.  

4 La structuration de l’information : un piège pour le traducteur  

Au niveau de l’organisation grammaticale, des énoncés qui ont le même contenu sémantique peuvent présenter une forme différente, que ce soit en termes de réalisation prosodique, d’ordre des mots, de type de construction ou de marquage des constituants. Les contenus sont « empaquetés » d’une manière spécifique pour les rendre plus compréhensibles aux destinataires et plus adéquats à la situation d’énonciation. Cet « empaquetage » de l’information est appelé structure informationnelle et il se sert de procédés différents selon les langues considérées. On a proposé plusieurs descriptions des phénomènes relevant de la structure informationnelle (Lambrecht 1994 ; Marandin 2005). Chacune articule une ou plusieurs des trois dimensions suivantes :  











(1)

La répartition du contenu de l’énoncé en deux parties selon qu’il est ancré dans le contexte (thème) ou qu’il est ajouté au contexte (rhème) : A : Wohin fährt Christian morgen ? B : Christian fährt morgen nach Berlin. A : Où va Christian demain ? B : Christian va à Berlin demain.  







(2)



La relation prédicative (commentaire) entre un prédicat et un prédicatum (sujet logique, topic) : A : Ich bleibe morgen zu Hause, und was macht Christian ? B : Christian fährt morgen nach BERLIN. A : Je resterai chez moi demain, et Christian qu’est-ce qu’il fera ? B : Christian, il ira à Berlin demain.  









(3)









Le fait (appelé contraste) que l’interprétation d’un constituant déclenche une présupposition selon laquelle il appartient à un ensemble d’alternatives (focus) : A : Wer fährt morgen nach Berlin ? B : CHRISTIAN fährt morgen nach Berlin, ou : nach Berlin fährt morgen Christian. A : Qui va à Berlin demain ? B : C’est Christian qui ira à Berlin demain. A : Wie reist Christian nach Berlin ? B : Christian FÄHRT morgen nach Berlin. A : Comment Christian se rend-il à Berlin ? B : Christian va en voiture.  



























Comme on peut le voir dans les exemples, le marquage de la partie rhématique se fait souvent par la prosodie de la phrase, substituée dans le texte écrit, certes d’une manière insuffisante, par des majuscules dans le mot qui porte l’accent. Les exemples montrent aussi des différences fondamentales entre l’allemand et le français, surtout dans le marquage du focus.

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Le traducteur face aux pièges de la grammaire

S’il n’y a pas d’autres indicateurs à l’oral et naturellement dans le texte écrit, c’est le dernier mot qui est accentué et qui, de cette manière, est reconnu comme partie du rhème de l’énoncé. Pour l’espagnol, cela peut s’illustrer par le tableau suivant (cf. Gutiérrez Ordóñez 1997, 22) :  

información conocida (enunciados informativos)

El coche lo compró ayer

información nueva

información conocida (preguntas)

¿Quién

compró el coche ayer ?  

el vecino

compró el vecino el coche ?

¿Cuándo El vecino compró el coche



ayer

compró el vecino ayer ?

¿Qué El vecino compró ayer



el coche

hizo el vecino ayer ?

¿Qué



Ayer el vecino

compró el coche

Ayer

el vecino compró el coche

sucedió ayer ?

¿Qué



Quand le sujet de la phrase est le rhème de l’énoncé, il est possible, en espagnol, de le mettre à la fin et de reprendre l’objet par le pronom (El coche lo compró ayer el vecino). Cette manière de marquer le sujet comme rhème n’est pas possible en français où on utilise surtout le clivage de la phrase : C’est le voisin qui a acheté la voiture hier. La mise en relief par c’est … qui ou, pour le complément d’objet, c’est … que peut être considérée comme une forme grammaticalisée de focalisation en français, ou, pour ainsi dire, un morphème en deux parties. Bien que la base initiale de sa grammaticalisation soit une phrase clivée qui existe aussi dans d’autres langues (Fischer 2009), il est impossible ou au moins maladroit de la traduire en allemand par cette structure, qui est bizarre dans cette fonction, surtout dans des langes flexionnelles qui ont d’autres moyens pour marquer le focus (?Es ist der Nachbar, der das Auto gestern gekauft hat pour Das Auto hat gestern der Nachbar gekauft). La mise en relief française peut être reconstruite dans des langues qui ont un ordre des mots plus libre par divers moyens. En allemand, le transcodage de la mise en relief semble maladroit, on utilise plutôt la simple inversion, soulignée par l’accent et l’intonation en langue parlée. En italien, par contre, cette construction est tout à fait naturelle (Must 1972, 211 ; Schreiber 2006, 95), mais très marquée :  





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Gerda Haßler

Mais c’est toi que j’ai choisi. Ma sei tu che ho scelto. Aber dich habe ich erwählt.

Souvent, on utilise en allemand des marqueurs de focus qui sont des éléments lexicaux qui ne sont pas spécialisés dans cette fonction, mais qui permettent d’accentuer la partie la plus importante d’un énoncé : Gerade dich habe ich ausgewählt. Dans les langues romanes, sauf en français, on utilise l’antéposition pour focaliser sans ambiguïté, mais c’est une structure syntaxique ressentie comme très lourde :  



El decano es quien ha convocado junta para el lunes. / C’est le doyen qui a convoqué l’assemblée pour lundi. Junta es lo que ha convocado el decano para el lunes. C’est une assemblée que le doyen a convoqué pour lundi. El lunes es para cuando ha convocado junta el decano. C’est pour lundi que le doyen a convoqué l’assemblée.

En français, par contre, le clivage par c’est… qui / que est la structure normale par laquelle on focalise. Pour accentuer le focus, dans les langues romanes, on peut utiliser des phrases introductives :  





Ce qui est important pour moi, c’est que ce soit confortable. Lo que necesito es un coche. O que é preciso para abrir uma empresa são habilidades e conhecimentos.

En allemand, la façon la plus adéquate de tenir compte de ce genre de focalisation est l’ordre des mots qui met le complément d’objet en première place : Ein Auto brauche ich. C’est une façon de faire rendue possible par le système des cas morphologiques. Dans quelques langues romanes, la focalisation peut se faire par antéposition. En espagnol, par exemple, elle se réalise en langue parlée avec l’accent sur l’élément antéposé et sans reprise par un pronom (¡El PIAno Ø tocará Juan !), tandis que l’élément topicalisé doit être repris par un pronom anaphorique (El piano lo tocará Juan). Reichmann (2005, 83s.) a constaté que la langue portugaise connaît trois types de clivages qui peuvent être utiles pour topicaliser ou focaliser des éléments de la phrase :  





(1) (2) (3)

la phrase clivée : Foi O QUEIJO [phrasepseudo-rel que o corvo comeu] la phrase pseudo-clivée : [phraserel O que o corvo comeu] foi O QUEIJO la phrase pseudo-clivée invertie : O QUEIJO foi o que o corvo comeu.  





Ces types de clivage sont théoriquement possibles en allemand – (1) phrase clivée : Es ist Fritz, der das Klassenbuch beschmiert hat ; (2) phrase pseudo-clivée : Der das Klassenbuch beschmiert hat, ist Fritz ; (3) phrase pseudo-clivée invertie : Fritz ist es, der das Klassenbuch beschmiert hat –, mais elles ne correspondent pas à la norme  









Le traducteur face aux pièges de la grammaire

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(Reichmann 2005, 158). Comme la locution figée dans la phrase avec é que focalise la question entière, on renonce en allemand à un marqueur explicite du focus (Reichmann 2005, 160) :  

« Que é que há com a Bibi ? […] Vai se divorciar outra vez ? » « Was ist los mit Bibi ? […] Wird sie sich noch einmal scheiden lassen ? »  















L’exemple suivant montre que la phrase pseudo-clivée invertie peut indiquer un contraste, dans ce cas entre deux frères dont l’un attaque le premier. En allemand, la phrase pseudo-clivée, qui serait stylistiquement très lourde, ne donnerait pas de solution adéquate (Toribio war es, der zuerst angriff) (Reichmann 2005, 162). Le traducteur compte sur l’expérience prosodique du lecteur en mettant l’élément focalisé en tête de phrase. Dans la langue parlée, il porterait l’accent :  

« Os dois irmãos ficaram por um instante frente a frente negaceando. Rodrigo era um pouco mais alto que Toríbio, mas muito menos corpulento e musculoso. Defrontaram-se por alguns segundos como dois galos de briga. Foi Toríbio quem investiu primeiro » (Veríssimo 2000, 78).  



« Die beiden Brüder standen sich einen Augenblick herausfordernd gegenüber. Rodrigo war etwas größer als Toribio, aber viel schmächtiger und weniger muskulös. Sekundenlang maßen sie sich wie zwei Kampfhähne. Toribio griff zuerst an » (Veríssimo 1987, 93).  



Dans les langues romanes qui n’ont pas de pronom sujet obligatoire, il est possible de mettre le sujet après le verbe, ce qui peut être problématique pour la traduction en allemand qui ne permet pas de mettre le verbe en première place. On peut éviter ce problème en mettant un adverbe ou un marqueur discursif au début de la phrase (Schreiber 2002, 425) :  

« Arrivarono gli altri. – Nun kamen auch die anderen ».  



Comme nous l’avons vu, les structures qui réalisent l’« empaquetage » sont spécifiques aux langues respectives. Elles peuvent ne pas exister dans une langue ou n’être pas directement ressenties comme une forme spécialisée pour remplir cette fonction. Le traducteur doit reconnaître les fonctions des moyens grammaticaux dans la langue de départ et chercher des équivalents dans la langue cible. L’équivalence ne se définit pas par la correspondance morphologique, mais par la réalisation de la même fonction.  



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Gerda Haßler

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Waltraud Weidenbusch

11 La diathèse verbale (voix active, passive, pronominale etc.) comme problème de traduction Abstract : Contrairement aux langues germaniques, la plupart des langues romanes possèdent à côté des diathèses active et passive une troisième diathèse, que la tradition nomme, selon les auteurs, construction pronominale passive ou construction pronominale impersonnelle, et que Wehr (1995) propose d’appeler la « SE-diathèse ». L’allemand, qui ne connaît pas cette diathèse, se sert volontiers, pour la traduire, du pronom indéfini man ou de l’explétif es. Le français possède à la fois la « SE-diathèse » et le pronom on, correspondant à man, ainsi que le pronom sujet apparent il, correspondant à es. De ces différences aux niveaux du système et de la norme découlent divers problèmes de traduction qui seront examinés dans cette contribution.    









Keywords : SE-diathèse, pseudo-réfléchis, ergatif, inaccusatif, décausatif    

0 Introduction Aborder le sujet de la diathèse, c’est se heurter d’emblée à quantité de problèmes, théoriques et terminologiques. Il ne sera pas possible, ici, de les résoudre ni même de les présenter tous. Notre démarche se déroulera en cinq étapes. La première consistera à dresser une liste des constructions généralement considérées comme relevant de la diathèse ; la deuxième fera état des principaux problèmes théoriques ; la troisième proposera des définitions opératoires dans notre contexte, c’est-à-dire utiles pour les langues traitées dans cette contribution – le français, l’italien, l’espagnol, l’allemand et l’anglais – à défaut d’être applicables, nous en sommes consciente, à toutes les langues ; la quatrième étape sera consacrée à la comparaison des langues mentionnées aux plans du système, de la norme et de la parole ;1 à la dernière étape, enfin, seront présentées des études comparatives menées, précisément, du point de vue de la parole.  











1 Pour les notions de système, norme, parole cf. Coseriu (1988, 293–302).

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1 Les constructions relevant de la diathèse Sous l’appellation « diathèse verbale », les linguistes rangent en général les constructions suivantes :2  





1.1 Le passif personnel et le passif périphrastique (1) Paul est battu (par Jean) (Riegel/Pellat/Rioul 31997, 258). Paolo è stato battuto (da Pietro). Pablo fue golpeado (por Pedro). Paul wurde (von Peter) geschlagen. Paul has been beaten (by Peter).

1.2 Les constructions contenant l’élément se / si3 Dans ce qui suit, nous ne retiendrons que les types les plus pertinents et qui ont été le plus fréquemment traités dans les grammaires. Nous prendrons comme point de départ l’italien, l’espagnol et le français. Les grammaires auxquelles nous avons emprunté ces dénominations (cf. Riegel/Pellat/Rioul 31997, 258, 449) répartissent généralement ces constructions entre d’un côté les verbes pronominaux (cf. 1.2.1)4 et de l’autre les constructions pronominales passives et impersonnelles (cf. 1.2.2).5

1.2.1 Les verbes pronominaux Les verbes pronominaux ont trois types d’emploi : – l’emploi réfléchi : (2) il se lave les mains, si lava le mani, se lava las manos, er wäscht sich die Hände, mais : he washes his hands,  



2 Nous avons choisi les dénominations les plus répandues. 3 La classification la plus complète des constructions dans lesquelles apparaît un élément appelé pronom réfléchi se trouve dans le travail de Geniušienė (1987). Wehr (1995, 57–101 ; 1998, 130–135) a présenté cette classification et l’a appliquée aux langues romanes en la modifiant. 4 Albrecht (1997, 454–455) distingue entre les constructions moyennes ou médiales (les constructions réfléchies et réciproques) et les constructions pseudo-réflexives. Dans celles-ci, le pronom se ne représente pas un argument ou un actant (Albrecht 2015), par ex. il se fâche. 5 En anglais, il n’existe pas de forme correspondante qui remplisse toutes ces fonctions : They wash themselves (réfléchi). They love each other (réciproque). It is said (impersonnelle). You see the stars. One can see the stars (« passivante »).  







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La diathèse verbale comme problème de traduction

– l’emploi réciproque : (3) ils s’aiment, si amano, se quieren, sie lieben sich, mais : they love each other – l’emploi lexicalisé :6 (4) s’ennuyer, annoiarsi, arrepentirse, sich schämen, to pride oneself (cf. Albrecht 1997, 459 ; 2015), mais : to be / feel ashamed.  









1.2.2 Les constructions pronominales passives ou impersonnelles avec se / si Un deuxième type de constructions, qui fait partie des « Pseudoreflexiva » (Albrecht 1997, 454–455)7 peut être divisé en deux sous-groupes souvent traités sous la dénomination de si passivante et si impersonale dans les grammaires italiennes (cf. Salvi/ Vanelli 2004, 115).8  



– se / si impersonnel : (5) Si dice, se dice, mais : on dit, man sagt, it is said9 – se / si passif (6) si vedono le stelle (la construction correspondrait en fr. à *se voient les étoiles), se ven las estrellas, mais : on voit les étoiles, man sieht die Sterne, you can see the stars.  



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1.2.3 La construction appelée ergative, inaccusative ou décausative

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Il s’agit de constructions dans lesquelles le sujet correspond au patient et l’agent est absent :  

(7) la porte s’ouvre, la porta si apre, la puerta se abre, die Tür öffnet sich, mais : the door opens.  

6 Il s’agit des Reflexiva tantum d’Albrecht (2015, 451). 7 Nous ne traiterons pas le type casser/se casser. 8 De même en espagnol, où la Real Academia Española (2009, 3091) se sert d’une terminologie analogue : impersonales reflejas et pasivas reflejas. 9 Cette construction existe aussi en français mais elle est plus rare qu’en espagnol ou en italien (Wehr 1998, 51). Riegel/Pellat/Rioul (31997, 258) l’appellent construction pronominale dite « passive », par ex. : « Le vin d’Alsace se boit jeune » (Riegel/Pellat/Rioul 31997, 442), « Beaucoup de disques se sont vendus » (Riegel/Pellat/Rioul 31997, 450), « La vengeance est un plat qui se mange froid » (Albrecht 1997, 454). Certaines s’emploient pour exprimer des vérités générales, « des habitudes limitées dans le temps » ou des valeurs modales (Riegel/Pellat/Rioul 31997, 259). Wehr (1998, 134) parle de passif modal dans l’exemple : « Le vin se boit froid. Der Wein soll kalt getrunken werden ». Cf. aussi les exemples suivants : « Il s’est vendu beaucoup de disques » (Riegel/Pellat/Rioul 31997, 450) et « il se boit beaucoup de vin en France » (Wehr 1998, 51). 10 Cf. par ex. Albrecht (1997, 454). 11 Cf. par ex. Salvi/Vanelli (2004, 56–61). 12 Cf. par ex. Wehr (1995, 66–71).  





































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1.2.4 Les autres constructions à sens passif

Les grammaires et les études linguistiques mentionnent souvent d’autres constructions impliquant un sens passif. À cette catégorie appartiennent en français des verbes tels que se faire, se laisser, se voir, s’entendre etc. + infinitif14 ainsi que des verbes et locutions verbales comme subir, faire l’objet de. On y trouve également les adjectifs en ‑able / ‑ible, les substantifs nominalisés de verbes transitifs directs (assassinat) et les couples noms d’agent / noms de patient comme employeur / employé, vainqueur / vaincu, électeur / élu (Riegel/Pellat/Rioul 31997, 442–444).15 Ce sujet ne sera toutefois pas approfondi ici.

2 Les principaux problèmes théoriques Le premier problème qui se pose au niveau théorique est celui de la définition de la diathèse, sur lequel se greffe par ailleurs la question terminologique : diathèse ou voix ? Vient ensuite la question de savoir combien de diathèses – ou de voix – il convient de distinguer. Si l’existence d’un « actif » et d’un « passif » ne fait guère l’objet de controverses, celle d’une troisième diathèse, comme par exemple le moyen en grec, est âprement discutée. Correspond-elle aux verbes pronominaux, qui se construisent avec un pronom souvent qualifié de réfléchi ? Ou bien les langues romanes possèdent-elles une autre diathèse, qui ne correspondrait pas au moyen grec et se construirait avec si en italien et se en français et en espagnol ? Corollairement se pose le problème du statut de si (it.) et de se (fr. et esp.) : s’agit-il dans chaque langue d’un élément unique doté d’un seul signifié au plan du système qui produit différents effets de sens selon les contextes où il est employé (option polysémique) ou faut-il admettre plusieurs morphèmes si ou se au plan du système, dotés chacun d’un signifié propre (option homonymique) ? Enfin, les constructions dites ergatives ou décausatives contenant l’élément si / se appartiennent-elles, elles aussi, à cette troisième diathèse ?  























13 Les études de Karasch (1982) et de Polzin-Haumann (1998) incluent ces constructions. 14 On peut utiliser ces verbes pour faire de l’objet direct ou indirect de la construction active le sujet de la construction équivalent au passif (Riegel/Pellat/Rioul 31997, 442). Avec ces auxiliaires pronominaux il est possible de faire d’un objet indirect le sujet et donc le topic d’une phrase : « Il s’est vu offrir / […] attribuer / refuser, etc. » (Riegel/Pellat/Rioul 31997, 443). Ce qui correspond à un passif périphrastique en anglais « I was given this book by my father » (Riegel/Pellat/Rioul 31997, 443). 15 Vera-Morales (21997, 316) mentionne verse + participe. Cf. pour l’italien, Salvi (22008, 107–108) ; et pour l’allemand, DUDEN (41984, 112, 183–185, 490–491).  









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La diathèse verbale comme problème de traduction

2.1 Définition de la diathèse Comme il est impossible, dans un article qui ne vise à donner qu’un aperçu des choses, de présenter et de discuter les différentes définitions dont la diathèse fait l’objet, nous ferons dans ce qui suit un choix théorique qui nous permettra de comparer les langues étudiées en renvoyant par des indications bibliographiques à d’autres approches. Par diathèse nous entendrons « eine Verbalkategorie, deren Glieder […] dem Sprecher ermöglichen, einen Sachverhalt in unterschiedl[icher] Sicht und unterschiedl[icher] sprachl[icher] Struktur auszudrücken », ‘une catégorie verbale dont les éléments […] permettent au locuteur d’exprimer un état de choses selon des perspectives et à l’aide de structures linguistiques différentes’ (Glück 42010, 233, notre traduction).16 Cette catégorie est souvent appelée voix dans les grammaires françaises, genus verbi dans les grammaires allemandes. Dorénavant, nous emploierons les termes de voix, vox ou genus verbi pour nous référer à la forme et nous réserverons le terme de diathèse à la « perspective exprimée ».17 La diathèse concerne le rapport entre les niveaux morphologique, syntaxique, sémantique et pragmatique et la nature du référent (Wehr 1995, 78–101), ce qui veut dire qu’il faut tenir compte du rôle sémantique (agent, patient, expérient, etc.), de la fonction syntaxique (sujet, objet direct etc.), du topic de la phrase (le référent dont on parle et à propos duquel on veut dire  







16 Il existe d’autres interprétations de la fonction du passif : suppression de l’agent (Salvi 22008, 110– 111), réduction de la valence du verbe (Salvi/Vanelli 2004, 67–69), rhématisation de l’agent et thématisation de l’objet direct de la construction active (Salvi/Vanelli 2004, 72 ; Salvi 22008, 111). Sur ces points, cf. les critiques de Wehr (1995, 12–16). En grammaire générative, la construction passive est définie comme une construction dérivée (Gabriel/Müller 22013, 75–76). 17 Albrecht a montré l’intérêt d’une telle distinction : « Es wäre wünschenswert, diesen Terminus für die onomasiologisch-übereinzelsprachliche Sichtweise zu reservieren, d.h. im Sinne von ‹ Verhältnis zwischen dem vom Verb mitgeteilten Geschehen und den Teilnehmern am Geschehen › zu gebrauchen. Vox könnte dann als semasiologischer Terminus für Fälle gebraucht werden, in denen dieses Verhältnis speziell durch Verbalmorpheme bezeichnet wird. Deutsche Sätze wie Paul ärgert Peter, Paul schläft und Der Schnee schmilzt würden sich somit hinsichtlich ihrer Diathese, nicht hinsichtlich der vox oder des genus verbi unterscheiden. Der Satz Paul ärgert sich unterschiede sich von Paul ärgert Peter sowohl hinsichtlich der Diathese als auch hinsichtlich des genus verbi » (Albrecht 1997, 458 note 9, cf. aussi Albrecht 2015, 448). – ‘Il serait souhaitable de réserver ce terme pour la perspective onomasiologique transversale aux langues particulières, autrement dit de l’employer au sens de ‹ rapport entre le procès exprimé par le verbe et les participants au procès ›. Vox pourrait alors être utilisé comme terme sémasiologique pour tous les cas où ce rapport est marqué spécifiquement par des morphèmes verbaux. Des phrases allemandes telles que Paul ärgert Peter (Paul énerve Pierre), Paul schläft (Paul dort) et Der Schnee schmilzt (La neige fond) se distingueraient alors l’une de l’autre du point de vue de leur diathèse et non du point de vue de la vox (voix) ou du genus verbi. La phrase Paul ärgert sich (Paul s’énerve) se différencierait de Paul ärgert Peter tant du point de vue de la diathèse que de celui du genus verbi’. Une telle distinction terminologique avait déjà été proposée par Geniušienė (1987), qui n’avait cependant pas donné de définitions précises (cf. Wehr 1995, 57–59).  





















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quelque chose) et de la voix du verbe (active ou non active). On aboutit alors aux définitions suivantes : – Diathèse active : le sujet correspond à l’agent et il est le topic. La morphologie du verbe correspond à la voix active. – Diathèse passive : le sujet correspond au patient, qui est le topic. La morphologie du verbe ne correspond pas à la voix active (Wehr 1995, 37, 97). La fonction de la diathèse passive est donc d’attribuer la fonction de topic au patient (cf. Wehr 1995, 14, 37).

2.2 Combien de diathèses existe-t-il ?  

Dans le paragraphe précédent, nous avons défini la diathèse en général et les deux sous-classes incontestées, l’actif et le passif, qui, dans les langues retenues ici, possèdent deux voix distinctes. Se pose à présent la question de savoir s’il existe dans ces langues une troisième diathèse et dans l’affirmative, laquelle. Les formes qui pourraient constituer cette troisième diathèse sont celles présentées sous 1.2.1 et 1.2.2. En ce qui concerne les exemples sous 1.2.1, un rapprochement est effectivement opéré, dans les grammaires et les études linguistiques, entre les verbes pronominaux en construction réfléchie ou réciproque et le moyen (cf. Albrecht 1997, 454–455)18 qui, en grec, possédait une forme verbale propre à côté des voix passive et active. Le moyen grec est donc une diathèse à laquelle correspond une forme verbale, c’est-àdire une voix. La diathèse moyenne est caractérisée par le fait que le sujet est affecté par l’action exprimée par le prédicat (Mendikoetxea 1999b, 1636). C’est le cas, en effet, dans les constructions réfléchies (je me lave) et réciproques (ils s’aiment). Ces deux constructions sont-elles pour autant la preuve de l’existence de la diathèse moyenne dans les langues romanes ? Deux difficultés se présentent : d’une part, nous n’avons pas comme en grec une correspondance entre une forme verbale et un signifié ; d’autre part, la présence du pronom appelé réfléchi dans ces constructions ne relève pas de la morphologie verbale au sens strict.19 Ces deux difficultés nous paraissent suffisantes pour considérer que dans les langues romanes, du moins celles examinées ici, il n’existe pas de diathèse moyenne.  





18 Ce rapprochement se trouve aussi dans les dictionnaires linguistiques, où le moyen ou médio-passif est défini comme « construction de voix moyenne proche du passif qui, dans les langues européennes relativement jeunes, a été remplacée par […] les pronoms réfléchis » (« passivähnl[iche] Mittelkonstruktion, die in jüngeren europ[äischen] Sprachen durch […] Reflexiva ersetzt ist », Glück 42010, 233). Cf. pour le français, Karasch (1982, 158), Zribi-Hertz (1982) ; pour l’espagnol, Real Academia Española (2009, 3101), Mendikoetxea (1999b, 1639) et pour l’italien, Arcaini/Galetto (1990). 19 Cf. Wehr (1995, 48) pour les langues romanes en général.  









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Mais alors, à quelle catégorie verbale affecter les constructions réfléchies, réciproques et lexicalisées ? La grammaire Duden (DUDEN 41984, 107–112) traite la construction réfléchie (reflexive Konstruktion) comme les constructions transitive et intransitive. Les trois constructions en cause sont liées à la sémantique du verbe et ne constituent pas une diathèse. C’est la raison pour laquelle dans ce qui suit nous n’examinerons pas les constructions pronominales.20 En revanche, les constructions avec se / si énumérées sous 1.2.2 sont pertinentes dans notre contexte. Ce qui les distingue des exemples sous 1.2.1, c’est le fait que se / si sont invariables. Tandis que dans les constructions pronominales, c’est-à-dire réfléchies, réciproques ou lexicalisées,21 se / si ne sont qu’une forme d’un paradigme (Oesterreicher 1992, 244), à savoir la troisième personne du singulier ou du pluriel ou la forme employée avec l’infinitif, dans les constructions de 1.2.2, si / se ne s’inscrivant pas dans un paradigme de formes variables. Ils ne possèdent qu’une forme et ils ne constituent pas un argument du verbe (Albrecht 1997, 455). Dans ces constructions, se / si impliquent un référent de nature +humain et –spécifique sans l’exprimer d’une façon explicite au niveau syntaxique (Wehr 1998, 129 note 7). Nous suivrons Wehr (1995, 49–101 ; 1998), qui a démontré qu’il s’agit d’une troisième diathèse. Nous l’appellerons selon la proposition de Wehr (1995) SE-diathèse.22 C’est une troisième diathèse, qui existe dans toutes les langues romanes à l’exception des variétés rhétoromanes du surselvan et dans la vallée des dolomites (Wehr 1995, 56 ; 1998, 136–140). En ce qui concerne la distinction effectuée dans les grammaires entre si / se impersonnels et si / se passifs, Wehr (1995, 43–46) est d’avis que ces dénominations sont erronées et qu’il n’est pas justifié de les distinguer dans la mesure où les formes s’emploient toutes deux pour exprimer un agent humain non spécifique (Wehr 1998, 128). Le faire, c’est projeter une distinction qui existe dans des langues où l’on a deux constructions différentes du point de vue de la forme sur des langues où cette distinction formelle n’existe pas. Le premier cas de figure est représenté par l’alle 









20 Cf. Wehr (1995, 48), qui exclut de la diathèse les verbes et constructions réfléchis, réciproques, lexicalisés, ergatives (arrivare /la porta si apre). 21 Salvi (22008, 115) distingue quant à l’emploi des constructions avec si en italien « un uso proprio e degli usi derivati ». Le linguiste considère les constructions réfléchies et réciproques comme des emplois réflexifs au sens propre et subdivise les constructions dérivées en deux sous-types : les emplois lexicalisés et l’emploi de si impersonnel et si « passivante ». Les emplois lexicalisés regroupent à leur tour deux sous-groupes. Le premier est constitué par les verbes qui ne possèdent qu’une construction avec si sans que le si ait une fonction sémantique (pentirsi). Le deuxième est formé par les emplois intransitifs de verbes ergatifs tels que capovolgersi. Albrecht (1997, 459) parle d’un phénomène lexical en ce qui concerne les reflexiva tantum. Wehr (1998, 129) reconnaît aussi dans la porte s’ouvre une lexicalisation de s’ouvrir par rapport à ouvrir. 22 L’existence de cette troisième voix est un point controversé. Albrecht (1997, 461) admet son existence pour les langues romanes du sud. Siller-Runggaldier (1998, 61) doute qu’on puisse traiter les constructions avec se impersonnel dans le domaine de la diathèse de la même façon que les voix active et passive parce que les premières ne possèdent pas de sujet au contraire des secondes.  







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mand Man verkauft Bücher, construction dite impersonnelle car associant le pronom impersonnel man à la forme verbale active verkauft opposée à Es wird getanzt, construction dite passive car associant l’auxiliaire wird et le participe II getanzt ; cf. Albrecht (1997, 458, 461) ;23 le deuxième cas de figure étant illustré par l’italien Si vendono libri /I libri si vendono bene, où l’on retrouve deux fois la même forme si vendono. Les constructions I libri si vendono bene / Los libros se venden bien / Les livres se vendent bien sont traitées dans les grammaires au chapitre des constructions pronominales passives.24 Selon Geniušienė (1987, 230), elles constituent un autre type de constructions avec se / si. Nous les traiterons sous la SE-diathèse car elles contiennent comme les deux autres constructions un agent humain non spécifique (Wehr 1998, 128 ; 1995, 55, 60, 62). Dans les langues romanes, nous disposons donc de trois voix qui correspondent à trois points de vue différents : – la diathèse active : le sujet correspond à l’agent et il est le topic. La morphologie du verbe correspond à la voix active ; – la diathèse passive : le sujet correspond au patient, qui est le topic. La morphologie du verbe ne correspond pas à la voix active ; – la SE-diathèse : la position sujet n’est pas remplie. La morphologie du verbe ne correspond pas à la voix active. La fonction de cette diathèse est de présenter un référent qui est un agent humain non spécifique (Wehr 1995, 37, 97).  













2.3 Les constructions ergatives, inaccusatives ou décausatives

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Avant de passer au niveau de la norme et de la parole, il faut encore aborder le problème des constructions dites ergatives (Albrecht 1997, 457), qui sont également formées avec si / se : La porte s’ouvre. La porta si apre. La puerta se abre. Die Tür öffnet sich (mais : The door opens). S’agit-il d’un cas de SE-diathèse ? Albrecht (1997, 460) établit un  





23 En allemand, il existe aussi une construction semblable à celle du français : Die Bücher verkaufen sich gut. Albrecht (1997, 457, 459, 465) ne veut pas exclure que ces constructions se soient développées sous l’influence du français. 24 Cf. « Le vin d’Alsace se boit jeune » (Riegel/Pellat/Rioul 31997, 258), « Beaucoup de disques se sont vendus » (Riegel/Pellat/Rioul 31997, 450 ; Salvi 22008, 122), « Ce livre se vend bien » ‘Dieses Buch verkauft sich gut’ / ‘Dieses Buch wird gut verkauft’ (Dethloff/Wagner 2002, 335). 25 Pour une distinction entre constructions réfléchies et inaccusatives, cf. Mendikoetxea (1999a, 1592–1593). Elle distingue les constructions inaccusatives et réfléchies par les tests suivants : – Constructions inaccusatives : La puerta se abrió {por sí sola/ *a sí misma}. El barco hundió {por sí solo/*por sí mismo}. – Constructions réfléchies : Juan se odia {a sí mismo *a sí solo}. María se plagió {a sí misma/* a sí sola}. Cf. pour l’italien Salvi/Vanelli (2004, 75–76).  















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parallèle entre ces constructions et la diathèse au motif que dans ces constructions le sujet ne correspond pas à l’agent, ce qui est aussi le cas pour le passif périphrastique. L’objet direct de la construction active est devenu sujet.26 Schmitz (2012, 46) rapproche également les constructions ergatives, qu’elle appelle inaccusatives, des constructions passives parce que dans les deux cas les sujets correspondent aux objets de la construction active (La maison est construite. La porte s’ouvre). Pour ce qui est des verbes comme arriver, qu’elle présente comme « inaccusatifs», elle suppose que leur « inaccusativité » constitue un phénomène situé au niveau du lexique (Schmitz 2012, 47–48). Le traitement de l’ergativité des verbes conduit à distinguer trois cas différents : d’une part, les verbes toujours ergatifs, comme arriver, reconnaissables à leurs caractéristiques morphologiques spécifiques ;27 d’autre part, les verbes qui ne font qu’admettre une construction ergative, ce deuxième groupe étant lui-même subdivisé en deux sous-groupes se distinguant par leur morphologie, active dans un cas (La soupe cuit), pronominale dans l’autre (La porte s’ouvre. La porta si apre. I rami si spezzano.). Les éléments se / si font ici partie de la construction, qui est aussi appelée décausative (Geniušienė 1987, 98 ; Wehr 1998, 128). Du point de vue sémasiologique, la question se poserait de savoir s’il existe un rapport entre ces constructions et les autres emplois de se / si. Wehr (1998, 142–146), par contre, en se basant sur Geniušienė (1987), a montré qu’il existe des différences entre le passif périphrastique et les décausatifs. Ainsi la construction décausative ne suppose-t-elle pas d’agent (Le bruit se répand vite, cf. Wehr 1998, 143), alors que les constructions avec se / si (Ce vin se boit froid, Wehr 1998, 143) impliquent un sujet de type +humain, –spécifique, qui est un agent, mais n’est pas exprimé (Wehr 1998, 129 note 7). Dans les constructions décausatives (Pierre ouvre la porte. La porte s’ouvre. Le vent casse les branches. Les branches se cassent), en revanche, cet agent, le premier référent, se trouve éliminé (Wehr 1998, 143–144) : *La porte s’ouvre par Jean.28 De plus, le rôle sémantique dans les deux constructions est différent : pour les décausatifs, il s’agit d’un acteur,29 pour les constructions avec se / si d’un patient.  



















26 Selon Salvi/Vanelli (2004, 58), les constructions avec le passif périphrastique et celles avec le si passif sont des constructions inaccusatives. Ce qui ne semble possible que si le sujet est placé après le verbe dans les constructions avec passif périphrastique (ibid., 68), suivant la définition d’inaccusativité donné par les auteurs eux-mêmes (ibid., 56). 27 Cf. pour les caractéristiques syntaxiques des verbes et constructions inaccusatives en italien Salvi/ Vanelli (2004, 56–61). Pour l’espagnol, Mendikoetxea (1999a, 1592–1593, 1626) propose des tests sémantiques ; cf. aussi Real Academia Española (2009, 3053, 3055). 28 Pour l’espagnol, cf. 3.3. 29 Wehr emploie le terme « Actor » (que nous rendons par « acteur ») pour désigner la fonction prototypique de l’argument unique d’un prédicat monovalent (« prototypische Funktion des einzigen Arguments einstelliger Prädikate ») (1998, 131 note 15 ; cf. Wehr 1995, 85). Oesterreicher (1992, 252) distingue différents types d’agents non prototypiques.  

















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Les constructions décausatives appartiennent donc à la diathèse active (Wehr 1998, 142).30 Il s’agit de formations (Wehr 1995, 129) qui sont intégrées dans les lexiques des langues. Elles existent en français (La porte s’ouvre), en italien (Si apre la porta), en espagnol (La puerta se abre) et en allemand (Die Tür öffnet sich). L’anglais en est dépourvu, mais peut recourir dans ces cas à la diathèse active (The door opens)31 ou passive (The door is opened). En raison des emplois très divers de se et si, des ambiguïtés peuvent se présenter hors contexte. Ainsi la phrase In casa nostra, la sera si accendono le luci a-t-elle trois lectures possibles : une lecture passive (‘les lumières sont allumées’), une lecture impersonnelle, c’est-à-dire dans notre terminologie de SE-diathèse (‘on allume les lumières’) et une lecture ergative (‘les lumières s’allument’) (Albrecht 1997, 461). Seules les deux premières relèvent du domaine de la diathèse. L’ambiguïté est levée par l’emploi de la phrase dans un contexte.

2.4 Les éléments se / si Les linguistes se sont posés maintes fois la question de savoir s’il existe un morphème si / se qui possède un signifié unitaire sous lequel les emplois peuvent être subsumés. Aujourd’hui l’opinion dominante est que ce n’est pas le cas. Les constructions avec si / se sont trop hétérogènes pour que l’on puisse leur attribuer un signifié unique dont dériveraient les différents effets de sens (Albrecht 1997, 466). Nous distinguerons donc entre le pronom si / se qui fait partie du paradigme des pronoms réfléchis et le morphème verbal SE. Pour la distinction typographique entre le pronom et le morphème verbal, nous employons les majuscules et la forme latine (cf. Wehr 1998, 135).

3 Le système et la norme Les observations antérieures montrent qu’au niveau du système les langues examinées ici diffèrent quant au nombre des diathèses. L’italien, l’espagnol et le français en possèdent trois, réalisées par trois voix différentes – l’actif, le passif et la SE-diathèse –, tandis que l’allemand et l’anglais ne disposent que de deux voix, à savoir l’actif et le passif. À la place de la SE-diathèse, utilisée pour exprimer un référent humain non spécifique, l’allemand possède une construction avec le pronom impersonnel man comme sujet et le verbe à la voix active (man tanzt) ainsi qu’une construc 



30 Riegel/Pellat/Rioul (31997, 228) qualifient les verbes comme cuire et casser (« Elle cuit le rôti / Le rôti cuit. Le vent casse les branches / Les branches cassent ») de « symétriques » ou « neutres » et les caractérisent comme « diathétiquement neutres ». 31 Cf. Wehr (1995, 37–38). Albrecht (1997, 460) propose cette traduction dans le cas de Die Tür öffnet sich leicht, auch ohne Brechstange dans un sens impersonnel.  















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tion avec un sujet grammatical es sans référent accompagné de la voix passive (Es wird getanzt) (cf. infra, 3.3).

3.1 Les verbes passivables Les cinq langues retenues admettent la diathèse passive lorsque le verbe est transitif direct (Riegel/Pellat/Rioul 31997, 254).32 L’anglais est toutefois la seule langue qui admet un objet indirect comme sujet de la phrase passive : « My father gave me this book. / I was given this book by my father » (Riegel/Pellat/Rioul 31997, 443). En français, la construction avec il permet « la passivation de certains verbes transitifs indirects (Il sera répondu à chaque lettre) et même intransitifs (il n’a pas été ri / toussé une seule fois pendant la projection) » (Riegel/Pellat/Rioul 31997, 436).  







3.2 Le passif périphrastique Les cinq langues possèdent un passif périphrastique construit à l’aide d’une forme verbale du verbe « être » et du participe passé (être, essere, ser, sein, to be). Ce n’est qu’en allemand, italien, espagnol et anglais que les grammaires mentionnent deux formes de passifs périphrastiques, l’une appelée passif statique ou passif « état » (Zustandspassiv), et l’autre passif dynamique ou passif « action » ou encore passif « processuel » (Vorgangspassiv) (Neumann-Holzschuh 1998, 819, 822).33 Les deux passifs se distinguent au niveau formel par l’emploi du verbe auxiliaire sein, essere, estar et to be pour le premier et du verbe auxiliaire werden, venire, ser et to get34 pour le second. Du point de vue sémantique, la différence entre les deux passifs réside dans le fait que les formes avec sein, essere, estar et to be soulignent le résultat de l’action, tandis que les verbes werden, venire, ser et to get mettent l’accent sur son déroulement. En français, par contre, il n’existe qu’une construction passive périphrastique avec  















32 Riegel/Pellat/Rioul (31997, 435) ne mentionnent que de rares exceptions, telles que avoir et les verbes transitifs indirects obéir, désobéir et pardonner, par ex. :« Ils ont été pardonnés » (Dethloff/ Wagner 2002, 344). Mais ce sont des archaïsmes. Toutes les périphrases du passif admettent comme complément d’agent le sujet de la phrase active correspondante. Cf. aussi, pour le français, Dethloff/ Wagner (2002, 336–337) ; Riegel/Pellat/Rioul (31997, 442–443) ; pour l’italien, Salvi/Vanelli (2004, 68, 71) ; et pour l’espagnol, Real Academia Española (2009, 3089). 33 Neumann-Holzschuh (1998, 819, 822) y ajoute aussi le portugais. Cf. pour l’espagnol, Vera-Morales (21997, 315, 318) et De Bruyne (1993, 537), pour l’anglais, Quirk (232010, 160–162). 34 Tandis que l’allemand et l’italien se servent d’un verbe de mouvement qui contient un aspect dynamique dans son signifié, l’espagnol a recours à la distinction sémantique entre les deux verbes ser et estar. Cette distinction n’existe pas en allemand ni en italien, et ser n’implique pas un aspect dynamique dans son signifié. L’anglais utilise to be (Biber et al. 42004, 475), un verbe statique. La fréquence de la construction avec to get est faible (Biber et al. 42004, 476).  















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l’auxiliaire être et il faut, pour exprimer le déroulement de l’action, recourir à la construction avec on et la voix active. Die Tür ist offen/ Die Tür wird geöffnet La porta è aperta / La porta viene aperta La puerta está abierta / la puerta es abierta The door is open / The door is opened Die Tür wird abgeschlossen / On ferme la porte Die Tür ist abgeschlossen / La porte est fermée (Dethloff / Wagner 2002, 330)

En allemand, pratiquement tous les verbes admettent le passif statique (Zustandspassiv) sein + participe passé et le passif dynamique (Vorgangspassiv) werden + participe passé. En italien par contre, l’emploi du participe passé venire pour exprimer des procès ou des états durables n’existe que dans les temps simples, c’est-à-dire les formes verbales non-composées (Milan 1985, 288). En allemand, c’est l’auxiliaire werden qui est le plus fréquent. Le rapport entre werden et sein est de 3 à 1, tandis qu’en italien c’est essere qui domine largement venire avec un rapport de 4 contre 1 (Milan 1985, 288). Cela est dû au fait que essere peut aussi bien exprimer des procès que des résultats, comme le français être ou l’anglais to be (Milan 1985, 294). Salvi/ Vanelli (2004, 69) observent que la phrase La porta è chiusa n’est qu’une construction passive à lecture dynamique. Dans la lecture statique chiusa est un adjectif et non un participe. Il s’agit d’une construction attributive. En espagnol, le choix entre les deux auxiliaires, ser pour le passif dynamique et estar pour le passif statique, se fait selon les temps verbaux. Ser s’emploie à l’indefinido, au futur, au passé composé, au plus-que-parfait et avec l’infinitif pour exprimer le passif dynamique (Vera-Morales 21997, 316). Estar, en revanche, s’utilise avec les temps imperfectifs et implique le résultat d’une action ; il marque donc le passif statique : « La iglesia ha sido ocupada → la iglesia está ocupada » (Vera-Morales 21997, 318). En français, où le passif n’est formé qu’avec l’auxiliaire être, la distinction entre état et procès est liée aux effets de sens des temps verbaux : l’imparfait correspondant au passif statique (état) et le passé simple au passif dynamique (action). Le présent souligne quant à lui l’état (« Les carottes sont cuites ») (Karasch 1982, 397 ; Riegel/ Pellat/Rioul 31997, 437–438 ; Neumann-Holzschuh 1998, 822). Il existe en outre une différence selon l’aspect du verbe. Avec les verbes perfectifs dans les temps noncomposés un effet de sens résultatif est possible (« Les carottes sont cuites ») et avec les verbes imperfectifs un effet de sens processuel (passif dynamique) (« Le coupable est activement recherché ») (Riegel/Pellat/Rioul 31997, 437–438).35 Si l’agent est exprimé dans la phrase, il y aura une lecture dynamique : « Le repas est servi. » / « Le repas [est] servi par un traiteur » (cf. Dethloff/Wagner 2002, 346) et « La voiture est  





























35 Cf. aussi Dethloff/Wagner (2002, 330–331).









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lavée» / « La voiture est toujours lavée par mon fils » (ibid., 331). Dans le deuxième cas, un adverbe de durée est ajouté (ibid., 330–331). L’espagnol admet un pronom d’objet indirect dans la phrase passive (Le fueron robadas dos maletas), mais la tournure est jugée maladroite (Vera-Morales 21997, 315). En anglais, la différence entre l’expression d’un état et d’un procès se fait à l’aide de deux constructions distinctes : The door is open. ‘La porte est ouverte’/ The door is opened (by Mary). ‘La porte est ouverte (par Marie)’. La première contient le verbe is en tant que verbe copulatif et l’adjectif comme attribut du sujet. La seconde correspond à la diathèse passive. L’existence d’un passif statique est controversée parce que l’on peut analyser des constructions telles que La porte est fermée / La porta è chiusa / La puerta está cerrada comme des emplois copulatifs des verbes être / essere / estar avec un adjectif en fonction d’attribut du sujet (Salvi/Vanelli 2004, 69).  



3.3 Les pronoms se / si / on / il / man / es

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C’est dans ce domaine que les langues examinées se différencient le plus. Il s’agit des possibilités fournies par les systèmes pour exprimer un agent humain non spécifique. D’un côté, il y a l’espagnol et l’italien, qui possèdent la SE-diathèse, de l’autre l’allemand, qui ne la possède pas37 et emploie le pronom impersonnel man accompagné de la diathèse active ou le pronom explétif es avec la diathèse passive. Le français se situe entre ces deux extrêmes car il possède et la SE-diathèse et les constructions avec le pronom impersonnel on accompagné de la diathèse active, et en plus une construction avec un sujet apparent il. Il a donc des points communs avec l’allemand : le fait d’employer un pronom impersonnel (man = on38) et le fait d’employer un pronom explétif (es = il)39 (« Il a été volé une moto et deux bicyclettes / Es wurden zwei Motorräder und ein Fahrrad gestohlen », Dethloff/Wagner 2002, 328, et « En une semaine il a été publié plus de dix grammaires françaises », Riegel/Pellat/Rioul 31997, 449). Cette ressemblance s’explique par le fait que le français comme l’allemand, en tant que langues NON-DROP, ont besoin d’un élément, en l’occurrence il ou es, à la place du sujet syntactique (Albrecht 1997, 465). Ce n’est pas le cas de l’italien et de l’espagnol, qui ne possèdent pas de construction à sujet apparent. Mais le français partage néanmoins avec l’espagnol et l’italien l’existence de la SE-diathèse, comme  









36 L’italien, l’espagnol (Pottier/Darbord/Charaudeau 32000, 253–256) et le français (Riegel/Pellat/ Rioul 31997, 447–452) possèdent aussi des constructions impersonnelles autres que la SE-diathèse (Neumann-Holzschuh (1998, 823). 37 Il y a pourtant des exceptions à cette affirmation, cf. ci-dessous. 38 Neumann-Holzschuh (1998, 819) en donne une explication étymologique. Le on ‘man’ se serait développé sous l’influence de l’allemand. 39 Sur la fréquence de ce type de constructions en français, cf. Riegel/Pellat/Rioul (31997, 450).

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nous l’avons vu au chapitre 2.2. En outre, la construction avec il peut se combiner avec la SE-diathèse : « Il s’est vendu beaucoup de disques » et « Jamais il ne s’est vu de tels changements en si peu de temps. [Mme de Sévigné] » (Riegel/Pellat/Rioul 31997, 450). Riegel/Pellat/Rioul (ibid.) soulignent que le pronom il ne possède pas de référent. Par ailleurs, ces constructions permettent de laisser l’objet indirect à sa place canonique tout en mentionnant l’agent : « Il n’a pas été accédé à votre demande (par le directeur) » (ibid.). Les auteurs ajoutent que cette construction se rencontre surtout dans le style administratif (ibid.). Il nous manque encore des études plus approfondies sur les conditions d’emploi de ces constructions alternatives du français. Ce qui est en revanche établi, c’est que l’emploi de la SE-diathèse connaît plus de restrictions en français qu’en espagnol ou en italien (Albrecht 1997, 465 : *ici se parle français / si parla francese, se habla español). À la SE-diathèse correspond souvent en français la construction avec on (Neumann-Holzschuh 1998, 822). C’est pourquoi Oesterreicher (1992, 241) rapproche la valeur du pronom on de celle de l’élément se. Ne connaissant pas les constructions impersonnelles avec on / man ou il / es, l’espagnol et l’italien subissent moins de restrictions dans l’emploi de la SE-diathèse. Celle-ci est possible aussi avec les verbes intransitifs : Si dorme bene. Se duerme bien. En espagnol et en italien se pose la question de savoir si les constructions sans accord (Si vede le stelle « Aquí se vende […] libros de viejo », Vera-Morales 21997, 415) correspondent bien à la norme.40 Vera-Morales (21997, 415) les juge déviantes, même si elle admet qu’on les emploie beaucoup en Amérique latine et dans la publicité. De Bruyne (1993, 253) les considère comme correctes en raison de la fréquence de leur emploi. Pottier/Darbord/Charaudeau (32000, 254), se fondant sur l’Académie, recommandent l’accord : « En esta época no se venden muchas casas ». Dans la nouvelle grammaire de la Real Academia Española (2009, 3097) les deux constructions sont admises si l’objet est une chose : Se {firmarán~firmará} los acuerdos en los próximos dias.41 En italien, si mangia le mele, par contre, n’est « normal » que dans certaines variétés d’italien. La construction sans accord entre le verbe et l’objet direct est exclue du standard (Salvi/Vanelli 2004, 75 ; Salvi 22008, 116).42 En espagnol, on trouve des exemples de constructions avec se dans lesquelles l’agent est exprimé, par exemple La proposición se rechazó por todo el mundo (cf. De Bruyne 1993, 425). Cette construction est exclue en français, en italien et en portugais (Neumann-Holzschuh 1998, 822). Dans les grammaires, ces constructions sont sou 







































40 En allemand, ces constructions exigent l’accord du verbe : « das Buch liest sich leicht », « die Bücher lesen sich leicht » (Vera-Morales 21997, 415). 41 Dans cette grammaire (Real Academia Española 2009, 3097), la construction avec accord correspond à une construction pronominale passive, tandis que la construction sans accord représente une construction pronominale impersonnelle. Dans notre terminologie, les deux appartiennent à la SEdiathèse. 42 Cf. pour des informations plus détaillées, Wehr (1995, 185–196).  









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vent ignorées ou critiquées (Vera-Morales 21997, 317 ; cf. Cartagena/Gauger 1989, 418). La Real Academia Española (2009, 3090) admet cette construction seulement dans la variété juridique « El problema de la califacción se solucionó por el fontanero », notamment si l’agent est au pluriel ou s’il s’agit d’un singulier générique (la gente). Dans le langage juridique et d’autres variétés officielles, le complément peut être introduit par por parte de (Real Academia Española 2009, 3090). Ces constructions constituent aussi un problème du point de vue théorique dans la mesure où la SEdiathèse suppose un agent humain non spécifique. Pourtant dans Se firmó la paz por los embajadores (Wehr 1998, 139–140), los embajadores sont des agents bien spécifiés. Oesterreicher (1992, 250–254) propose une gradation entre des agents prototypiques et des agents non prototypiques. Le problème de ces constructions constitue un point qui demande à être approfondi (Wehr 1998, 140). En italien, il est possible de mentionner l’agent seulement en utilisant la locution prépositive da parte di : Da parte dell’opposizione si vorrebbe maggior trasparenza nelle decisioni governative (Salvi/Vanelli 2004, 73). L’allemand ne possède pas de SE-diathèse. Dans cette langue, ce sont les constructions avec man et la voix active (Man tanzt) ou avec es et la voix passive (Es wird getanzt) (Dethloff/Wagner 2002, 333) qui sont employées pour exprimer un agent humain non spécifique. Il faut cependant observer qu’on peut trouver des énoncés dont la construction s’apparente à la SE-diathèse, par exemple : Die Bücher verkaufen sich gut. Albrecht (1997, 458, 465 ; 2015) n’exclut pas une influence du français ou des langues romanes. Cette construction reste toutefois très marginale, en ce sens qu’elle ne concerne qu’un petit nombre de verbes. En français, l’agent humain non spécifique s’exprime souvent avec le pronom on et la voix active : « On ramasse les feuilles mortes à la pelle » (Riegel/Pellat/Rioul 31997, 258) et « On a vendu beaucoup de disques » (Riegel/Pellat/Rioul 31997, 450) ou plus rarement, et plutôt dans un discours quelque peu « administratif », avec il et voix passive : En une semaine il a été publié plus de dix grammaires françaises (Riegel/ Pellat/Rioul 31997, 449).  

























4 Le niveau de la parole et la traduction 4.1 Fréquence de la diathèse passive Passons à présent au niveau de la parole, autrement dit, in fine, du texte ou du discours. C’est à ce niveau que se situe la traduction. On examinera ici l’emploi des différentes constructions présentées au chapitre 1, dans les cinq langues retenues, en les comparant les unes aux autres. Dans ce domaine, il existe des études comparatives et des études qui analysent en outre – ou exclusivement – la distribution des différentes constructions dans une seule langue. Ces études peuvent être quantitatives et/ou qualitatives ou avoir des visées théoriques. On trouve des indications sur l’usage et la  



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fréquence des voix et des diathèses aussi bien dans les ouvrages de stylistique comparée, de grammaire contrastive ou de comparaison plus large des langues que dans les grammaires d’une langue L2 ou les traités de traduction. Au niveau du discours, c’est la fréquence d’emploi des diathèses actives et passives dans les différentes langues qui est souvent examinée. C’est la raison pour laquelle il faut attirer l’attention sur deux problèmes méthodologiques avant de présenter les résultats des études entreprises dans ce domaine. Le premier est que les études plus anciennes ne se fondent pas sur des analyses quantitatives proprement dites. Le second tient au fait qu’à l’origine on travaillait surtout avec des traductions, alors qu’aujourd’hui on y ajoute volontiers l’étude de textes parallèles. Il s’agit là de textes écrits directement par des locuteurs L1 – ce ne sont donc pas des traductions – et appartenant au même type de textes. Ils permettent de pallier un biais bien connu en traductologie, qui est que les choix faits par le traducteur dans la langue cible peuvent être plus ou moins fortement influencés par la langue de départ. C’est ce qui ressort d’une étude de Polzin-Haumann (1998). Étudiant un corpus journalistique français et allemand, la linguiste a constaté que dans les textes originaux en français, il se trouvait moins d’adjectifs en -able que dans des traductions françaises de textes journalistiques allemands (Polzin-Haumann 1998, 362–363). Cela montre la nécessité de ne pas comparer les traductions aux seuls textes de départ, mais de les comparer aussi à des textes parallèles. Dès la naissance de la stylistique comparée avec Bally (1909, I, 24–25), qui compare l’allemand et le français, apparaît l’idée selon laquelle la diathèse passive est plus souvent utilisée en allemand qu’en français (Strohmeyer 1910, 21, 300 ; Malblanc 1968, 230 ; Dethloff/Wagner 2002, 334 ; Blumenthal 21997, 20). Les linguistes ont toujours affirmé que le français préfère la diathèse active et exprime plus souvent les états des choses d’une façon active (Malblanc 1968, 230–233, 237 ; Blumenthal 21997, 17–18 ; Albrecht 1998, 797). Cette affirmation se trouve également dans des travaux qui comparent d’autres langues romanes avec l’allemand (cf. pour l’italien Milan 1985, 289 ; Albrecht 1998, 797 ; pour l’espagnol Cartagena/Gauger 1989, 418 ; De Bruyne 1993, 42443). À partir des années 80, des études quantitatives ont été menées pour vérifier si ces affirmations basées sur l’intuition correspondent à la réalité.44 Ces études confirment la thèse selon laquelle les langues romanes utilisent moins souvent le passif périphrastique. Karasch (1982), par exemple, analyse 28 000 constructions verbales  





















43 Cf. l’affirmation suivante de De Bruyne (1993, 424) : « Selon une opinion assez répandue, la construction passive ne se rencontre pas souvent en espagnol et elle y est en tout cas plus rare que dans d’autres langues » (« daß einer recht verbreiteten Einschätzung zufolge diese Konstruktion [das Passiv] im Spanischen nicht sehr häufig vorkommen soll und daß sie auf jeden Fall seltener sei als in anderen Sprachen »). 44 Krassin (1994, 65–72) donne un résumé des études menées sur la diathèse passive en français et des constructions apparentées jusqu’au début des années 90.  









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dans douze textes originaux français et quatorze allemands ainsi que leurs traductions respectives. Ses résultats font apparaître une fréquence plus élevée des constructions passives en allemand : 32,48% de constructions passives en allemand contre 25,19% en français et 57,67% constructions actives en allemand contre 64,21% en français (Karasch 1982, 374–375, 399). Mais Krassin (1994, 71) admet les constatations de Karasch (1982, 375) selon lesquelles on ne peut guère affirmer que le passif soit rare en français. Il constate en prenant comme base le corpus français de Karasch (1982) un taux de 14% de formes de passif périphrastique, voire même de 26% de constructions passives et alternatives par rapport à 74% constructions actives. Une analyse contrastive des passifs périphrastiques en werden / sein et venire / essere en allemand et en italien est fournie par Milan (1985). Le corpus est constitué uniquement de textes écrits (Milan 1985, 53) relevant de cinq types différents, à savoir : textes littéraires, essais de critique sociale, littérature populaire, textes scientifiques et textes journalistiques (Milan 1985, 55). Milan constate sommairement que les passifs périphrastiques en allemand représentent un taux de 8% de toutes les formes verbales dans les textes dont 6% avec werden et 2% avec sein contre 5% en italien dont 4% avec essere et 1% avec venire (Milan 1985, 289). Cette étude confirme pour les formes périphrastiques une fréquence plus élevée en allemand par rapport à l’italien. Mais aujourd’hui les linguistes font remarquer que le taux d’emploi du passif périphrastique varie selon les types de textes. Les textes scientifiques et certains types de textes journalistiques contiennent, même en français, un grand nombre de passifs périphrastiques (Krassin 1994, 66 ; Karasch 1982, 399 ; Dethloff/Wagner 2002, 334).45 Milan fournit des données sur la répartition selon les types de textes en allemand et en italien. Il montre que c’est dans les textes scientifiques que le pourcentage de formes de passif périphrastique est le plus élevé dans les deux langues : 46,2% en allemand et 50,2% en italien. On voit que pour ce type de textes le nombre de formes périphrastiques passives est plus élevé en italien qu’en allemand. En deuxième position viennent les textes journalistiques, avec 28,7% de passifs périphrastiques en allemand et 23,8% en italien (Milan 1985, 296).46 Cela étant, il convient de noter que l’emploi du passif périphrastique est beaucoup moins fréquent à l’oral qu’à l’écrit. Krassin (1994, 71) compare les résultats de l’étude de Greidanus (1990, 77–78) portant sur 18 644 formes verbales relevées dans le Corpus d’Orléans (corpus de langue parlée) avec les résultats de Karasch (1982). Krassin (1994, 72) en déduit que le passif est 8,75 fois plus fréquent à l’écrit qu’à l’oral.47  









45 Cf. Oldenburg (2000, 105), qui range la fréquence du passif dans les textes journalistiques entre celle de la littérature et celle des textes scientifiques avec la fréquence la plus élevée. Pour l’emploi dans la presse et les médias, cf. Dethloff/Wagner (2002, 343). Pour la comparaison anglais/français, cf. également Vinay/Darbelnet (1977). 46 Cf. pour l’anglais Biber et al. (42004, 476–477, 937). 47 Cf. pour l’espagnol : « Il est peut-être possible de résumer la situation de la façon suivante : si la construction ‹ ser + participio pasado › se rencontre aujourd’hui assez fréquemment, principalement  











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Concernant les deux langues germaniques, l’anglais et l’allemand, il a été soutenu que l’anglais utilise plus souvent le passif que l’allemand. Cette thèse a été examinée – et infirmée – par Oldenburg (2000, 104–115), qui a comparé la fréquence des formes passives et des périphrases du passif dans trois romans allemands et trois romans anglais : les romans allemands contenaient 3,8% de constructions passives alors que les romans anglais n’en contenaient que 3,5% (ibid., 322). Oldenburg a en outre comparé les traductions respectives. Dans les traductions de l’allemand vers l’anglais, elle a constaté une augmentation du nombre des passifs dynamiques (Vorgangspassiv) dans les traductions par rapport aux originaux, ce qui viendrait en appui de la thèse d’une plus grande fréquence du passif en anglais (ibid., 323). Les résultats de l’analyse qualitative montre toutefois que plusieurs facteurs déterminent le choix du traducteur quand il ne reprend pas la « même » forme de passif que celle de l’original. Ces facteurs relèvent des divergences existant à plusieurs niveaux entre la langue de départ et la langue d’arrivée : niveau morphologique, niveau syntaxique (ordre des mots), niveau syntactico-sémantique (rapport entre fonction syntaxique et rôle sémantique) ou niveau pragmatique (perspective communicative). Elles concernent donc aussi bien les différences de construction des verbes que les différences dans la structuration de l’information ou l’existence de différentes normes stylistiques dans les langues respectives (ibid., 326).  











4.2 La SE-diathèse L’italien et l’espagnol sont les deux langues romanes de notre étude qui, dans le domaine de la diathèse, se ressemblent le plus. Sansò (2006), qui s’inscrit dans le courant de l’interprétation de la fonction du passif comme une défocalisation de l’agent, étudie un corpus constitué par le roman Il nome della rosa di Umberto Eco48 et ses traductions vers l’espagnol, le polonais, le danois et le grec moderne. Dans une étude antérieure, il a étudié l’allemand au lieu du grec moderne (Sansò 2003, 29), là aussi sur la base d’un corpus écrit. Sansò (2006, 233) veut montrer qu’il existe une relation entre le type de défocalisation de l’agent, qui représente son tertium comparationis, et l’emploi d’une construction passive ou impersonnelle. Il s’agit d’une analyse quantitative et qualitative qui s’appuie sur la théorie des types de situation de Kemmer (1993, 7). Trois éléments sont importants pour la caractérisation de la situation : l’agent, le patient et l’événement. Le degré de focalisation et d’individuation du patient  

dans la presse, son emploi est moins perceptible dans la langue parlée » (« Vielleicht läßt sich die Situation wie folgt zusammenfassen : man trifft gegenwärtig vor allem in der Presse die Konstruktion ‹ ser + participio pasado › recht häufig an; in der gesprochenen Sprache ist ihr Gebrauch weniger wahrnehmbar », De Bruyne 1993, 425, note). Vera-Morales (21997, 316) déclare qu’à l’oral les locuteurs évitent l’emploi de la diathèse passive si l’agent n’est pas mentionné. 48 Dans ce texte, on trouve environ 1100 constructions passives et impersonnelles (Sansò 2006, 236).  











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et de l’agent et le degré d’élaboration de l’événement exercent une influence sur la construction choisie (Sansò 2006, 237–245). Il en résulte trois cas de figure : 1) patientoriented process, 2) bare happening et 3) agentless generic event (Sansò 2006, 245). Le premier cas implique une focalisation du patient (Sansò 2006, 238–240). Dans le deuxième, c’est l’événement lui-même qui constitue le centre d’intérêt, aucun participant n’étant focalisé (Sansò 2006, 240–242). Le troisième cas met en jeu un agent humain mais générique : Le livre se vend bien et Cela ne se dit pas (Sansò 2006, 242– 243). Sansò constate que l’italien et l’espagnol possèdent certes les mêmes constructions, mais s’en servent différemment. En italien, les patient-oriented processes sont toujours codés avec le passif périphrastique et les agentless generic events toujours avec la SE-diathèse ; les bare happenings se répartissent, quant à eux, sur les deux constructions, seule la SE-diathèse étant toutefois possible lorsque le verbe est intransitif. En espagnol, par contre, les patient-oriented processes peuvent être exprimés soit à l’aide du passif périphrastique soit à l’aide de la SE-diathèse, dont l’emploi augmente aujourd’hui. La SE-diathèse est utilisée pour exprimer les bare happenings et pour la plupart des agentless generic events (Sansò 2006, 245–254). Sansò étudie les constructions suivantes : 1) le passif périphrastique, 2) le moyen, qui n’existe qu’en grec moderne, 3) les constructions appelées « middle constructions », c’est-à-dire la SE-diathèse (se/ si passive se/ si impersonnel), 4) les constructions impersonnelles avec voix passive (impersonal passives) du type es wird getanzt, 5) les phrases avec man (manclauses) et 6) les constructions avec un pronom personnel vague, que le linguiste appelle « vague-you » ou « vague-they constructions », qui sont très rares et ne se trouvent que dans le corpus du grec moderne (Sansò 2006, 235). Fernández (2007) présente une étude qualitative et quantitative de la diathèse passive en espagnol basée sur un corpus. Elle adopte une perspective fonctionnelle et cognitive. L’étude porte sur les constructions passives périphrastiques, personnelles et impersonnelles, ainsi que sur d’autres constructions impersonnelles avec uno, avec tú / vos, la troisième personne du pluriel et l’antéposition de l’objet direct (Fernández 2007, 9–15, 107). Le corpus est constitué de treize textes appartenant aux genres journalistique, argumentatif, oral et narratif de l’Espagne et de l’Amérique latine des années quatre-vingt. Il est extrait du corpus ARTHUS (Archivo de Textos Hispánicos de la Universidad de Santiago) et a été soumis à une analyse syntaxique jointe à la Base de Datos Sintácticos del Español Actual de la même université. Fernández y a ajouté un treizième texte, une édition d’un journal latino-américain. Le corpus étudié contient à peu près 800.000 mots (Fernández 2007, 104–107). Au plan quantitatif, la linguiste constate que les constructions pronominales passives dominent dans tous les textes argumentatifs (60,6%), journalistiques (54,7%), narratifs (36,3%) et oraux (28,25%) (Fernández 2007, 107). Le passif périphrastique se rencontre surtout dans les textes journalistiques (27,6%). La construction impersonnelle de troisième personne du pluriel est en deuxième position dans les autres genres : argumentatif (16,1%), narratif (26,4%) et oral 24,0%. Dans ce dernier, la construction est suivie de très près de la construction impersonnelle avec tú / vos (20,9%) (Fernández 2007, 107).  





































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Deux études comparatives possèdent une orientation plutôt théorique : celle de Maier (1995) et celle de Schmitz (2012). Maier (1995) présente une étude contrastive de l’espagnol et de l’allemand sur la base de la grammaire relationnelle, ce qui implique une définition universelle du passif. Cette définition permet de traiter tout ensemble les constructions du passif périphrastique (El coche fue vendido. Das Auto wurde verkauft) (Maier 1995, 380), les constructions pronominales passives (Los coches se vendieron (bien). Die Autos verkauften sich gut) (Maier 1995, 380), les constructions avec sujet apparent (Es wurde getanzt) (Maier 1995, 380), inexistantes en espagnol, et les constructions pronominales impersonnelles (Se vende (bien) en este [sic !] esquina. Se matirizó a los cristianos. Se compone paraguas. An dieser Ecke verkauft es sich gut) (Maier 1995, 380). Les deux langues sont comparées au niveau du système et à celui de la norme selon une approche à la fois descriptive, théorique et didactique, l’analyse n’étant pas fondée sur un corpus et ne prenant pas en compte l’aspect quantitatif. Maier (1995, 255–302) tire de ses comparaisons des conclusions essentiellement didactiques. L’étude de Schmitz (2012) se situe, quant à elle, dans le cadre de la grammaire générative et suit une orientation lexicale. Le but principal est l’analyse de l’espagnol dans la perspective synchronique et diachronique.  



4.3 Propositions de traduction Au regard des constatations des chapitres précédents, la question se pose de savoir quelles conséquences en découlent concrètement pour la traduction d’un texte. Comme les analyses quantitatives le soulignent, le traducteur doit tout d’abord déterminer de quel type de texte il s’agit et c’est en fonction de cela qu’il doit faire ses choix. Dans les grammaires et les manuels, on trouve des conseils ou des indications souvent très généraux que nous reporterons ci-dessous en les regroupant selon les langues comparées. Des informations plus précises nécessiteraient des études plus approfondies.

4.3.1 Français / allemand L’idée selon laquelle le français remplace volontiers les constructions passives de l’allemand par des constructions actives, notamment par celle constituée du pronom on associé à la diathèse active, est très répandue.49 Le français, du moins dans le code 49 « En français, il existe une tendance forte à remplacer les constructions passives par des constructions alternatives. C’est particulièrement le cas dans la langue parlée » (« Im Französischen besteht eine ausgeprägte Tendenz, die Passivkonstruktionen durch Alternativkonstruktionen zu ersetzen. Dies ist insbesondere im gesprochenen Französischen der Fall », Dethloff/Wagner 2002, 334). « La construc 









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parlé, favorise l’emploi de on quand le sujet est humain et non spécifique et que l’agent reste inexprimé (Neumann-Holzschuh 1998, 822), par exemple : « Es wurde beschlossen, die Treibstoffpreise deutlich anzuheben » / « On a décidé d’augmenter sensiblement le prix des carburants » et « Es wurde viel über diese Angelegenheit gesprochen » / « On a beaucoup parlé de cette affaire » (Dethloff/Wagner 2002, 334– 335). Dans le deuxième exemple, il n’y a qu’un sujet apparent : es. Dethloff/Wagner (ibid., 334) justifient cette constatation par le fait qu’en français, il n’existe pas de possibilité de distinguer le passif statique (Zustandspassiv) du passif dynamique (Vorgangspassiv) à l’aide de l’auxiliaire comme en allemand. On choisit donc la construction active avec on pour rendre le passif dynamique (Vorgangspassiv). Il faut également tenir compte du fait que selon les calculs de Krassin (1994, 6) le nombre de phrases passives avec mention de l’agent ne s’élève qu’à 25–30% à l’écrit et descend même à 7,8–12% à l’oral. Sur la traduction des constructions en man en français, nous ne disposons pas d’étude, mais il y a lieu de supposer qu’elles ne posent pas de problèmes et que l’emploi de on est le plus répandu. Une autre possibilité de traduire une construction passive allemande est constituée par la SE-diathèse : « Dieser Name wird gebraucht – Ce nom s’emploie » (Malblanc 1968, 230) et « Ces marchandises se sont vendues cher […] / Diese Waren sind teuer verkauft worden » (Malblanc 1968, 232). La SE-diathèse française se rend en allemand selon le cas par man ou wir, ou par le passif : « La tour se voit de la côte », « Cela se dit », « Le saumon se mange froid » (Malblanc 1968, 233). Les constructions allemandes avec es, du type Es wurde getanzt, se traduisent en français soit par on (« On se mit à danser » (Malblanc 1968, 257), et Es wurde gearbeitet / On travailla (Malblanc 1968, 230)), soit par la SE-diathèse, s’il s’agit d’une signification collective : « le brochet se mange froid » (Malblanc 1968, 259). Il en résulte que les constructions avec es en allemand sont plus fréquentes que les constructions avec il en français. Du point de vue formel, il et es se ressemblent en tant que sujets apparents. Puisque on exprime un agent humain non spécifique, tandis que es n’est qu’un élément remplissant la fonction syntaxique de sujet sans se référer à aucun agent, les constructions avec on possèdent un degré d’activité plus élevé que celles avec es. Blumenthal (21997, 18) en conclut que le français préfère la construction active.  























































tion impersonnelle avec on […] passe pour être le substitut par excellence du passif en français moderne » (« Die unpersönliche Konstruktion mit on […] gilt als der Passiv‹ ersatz › im modernen Französisch », Söll/Hausmann 31985, 130). Cf. aussi Krassin (1994, 65).  









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4.3.2 Espagnol / allemand Le passif périphrastique allemand avec werden se traduit en espagnol par diverses constructions, selon les restrictions grammaticales, syntaxiques ou stylistiques qui pèsent sur elles. Les possibilités sont les suivantes : le passif périphrastique avec ser, des constructions impersonnelles : la SE-diathèse dite se-impersonnelle ou la troisième personne du pluriel, et la voix active (Cartagena/Gauger 1989, 420). La façon la plus commode de traduire en espagnol le passif allemand est selon Vera-Morales (21997, 317) la SE-diathèse.50 Cartagena/Gauger (1989, 417–424) distinguent entre les constructions passives avec indication de l’agent et celles sans indication de l’agent. Dans le premier cas, Cartagena/Gauger (1989, 417–418) conseillent de rendre les passifs périphrastiques allemands avec werden en espagnol de préférence avec la diathèse active.51 Dans le deuxième cas, c’est-à-dire quand l’agent n’est pas exprimé, l’action ou le procès se trouve au premier plan. Il s’agit d’une construction impersonnelle et/ou intransitive (Cartagena/Gauger 1989, 419). Si le sujet de la phrase passive est inanimé, on emploie en espagnol la SE-Diathèse ou une des autres constructions avec sujet indéfini ;52 s’il est animé, on peut également utiliser la SEdiathèse, mais il faut alors éviter l’ambiguïté avec les constructions pronominales (Cartagena/Gauger 1989, 419). De même, Vera-Morales (21997, 316) conseille-t-il d’éviter la construction passive à l’oral et d’utiliser une construction active, en l’occurrence soit une phrase segmentée, soit la troisième personne de pluriel, par exemple Cuentan que en Nueva York trabajó de limpiabotas (Vera-Morales 21997, 316). Les constructions allemandes sans sujet ou avec sujet apparent telles que Ihm wurde geholfen / Es wurde ihm geholfen peuvent être traduites de deux ou trois manières. Si le verbe est transitif en espagnol, on peut utiliser la forme passive périphrastique (Él fue ayudado), la SE-diathèse (Se lo ayudó) ou une construction impersonnelle active (Lo ayudaron). Si le verbe espagnol est intransitif, la diathèse passive est exclue : « Von den Jugendlichen wurde viel getanzt. Los jóvenes bailaron mucho. Es wurde viel getanzt. Bailaron mucho. Se bailó mucho » (Cartagena/Gauger 1989, 421). Quant à la construction avec man en allemand, De Bruyne (1993, 253) propose de la traduire par la troisième personne du pluriel. Cartagena/Gauger (1989, 422) examinent aussi la traduction de l’espagnol vers l’allemand. Ils indiquent qu’en général le passif périphrastique avec ser se rend par le  











50 Par ex. Esa asignatura no se enseña en ninguna escuela (Vera-Morales 21997, 317). 51 « Pour éviter toute infraction aux normes stylistiques de l’espagnol, on peut même recommander de rendre dans cette langue, de façon générale, toute construction passive allemande en werden par une construction active » (« Als stilistische Faustregel kann man sogar empfehlen, jede deutsche werden-Passiv-Konstruktion in aller Regel durch eine Aktivkonstruktion in [sic] Spanische zu übertragen, um jeden stilistischen Normverstoß auszuschalten ») (Cartagena/Gauger 1989, 418). 52 Par ex. Se cumplieron todos los objetivos fijados, Esa asignatura no se enseña en ninguna escuela (Vera-Morales 21997, 317).  







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passif périphrastique avec werden. Mais ils ajoutent – sans donner d’indications plus précises – que le passif périphrastique avec ser est parfois traduit par la diathèse active. Si l’agent n’est pas mentionné et que l’énoncé est impersonnel, c’est le passif périphrastique avec werden qui est le plus employé ; si la construction est intransitive, c’est le pronom impersonnel man accompagné de la voix active qui prend le relais. La SE-diathèse dite se-passif est rendue soit par le passif périphrastique avec werden soit avec la voix active.  





4.3.3 Français /espagnol Le cas le plus intéressant est ici la traduction du on français, car là où le français se sert du pronom on, les langues du sud de la Romania emploient volontiers la SEdiathèse (Neumann-Holzschuh 1998, 822).53 Pottier/Darbord/Charaudeau (32000) se sont penchés sur la question de savoir comment on peut traduire vers l’espagnol le pronom indéfini on. En espagnol, il existe outre la SE-diathèse d’autres possibilités pour exprimer la personne indéterminée et elles peuvent toutes correspondre à la construction avec on en français. Ces constructions sont la troisième personne du pluriel ainsi que les formes uno / una et tú / usted.54 Pottier/Darbord/Charaudeau (32000, 253–256) en expliquent l’usage en invoquant « la vision de l’événement », « la vision de la personne-agent » et« la vision du sujet parlant » (Pottier/Darbord/Charaudeau 32000, 253). Dans notre contexte, nous nous concentrerons sur les cas où on se traduit par la SE-diathèse. Les conditions pour l’emploi de la SE-diathèse apparaissent dans la citation suivante : « L’événement est une généralité, la personne-agent représente plusieurs individus considérés collectivement, le sujet parlant peut en faire partie (mais non nécessairement) […] Cuando se es joven no se sabe, cuando se es viejo no se puede » (Pottier/ Darbord/Charaudeau 32000, 254).  

















5 Conclusion Après ce bref aperçu, il est évident que nous manquons encore d’études approfondies comparant l’emploi des diathèses dans les langues étudiées en tenant compte des types de textes et en se basant sur des corpus plus vastes.

53 Schmitz (2012, 215) arrive à une conclusion surprenante. Elle affirme qu’en français on se sert plus de la SE-diathèse qu’en italien, langue dans laquelle elle s’emploie plus qu’en espagnol. Mais ses résultats ne se fondent que sur une base de données très limitée. 54 Pour les correspondances entre man et la troisième personne du pluriel, uno / una et tú cf. VeraMorales (21997, 413–414, 419–420) et De Bruyne (1993, 205, 254–256).

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Waltraud Weidenbusch

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La diathèse verbale comme problème de traduction

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Anna-Maria De Cesare et Giovanna Brianti

12 Constructions « impersonnelles » vs constructions « personnelles » comme problème de traduction  







Abstract : Cette étude contrastive décrit les principales caractéristiques des constructions impersonnelles dans les langues romanes (français, italien, espagnol et, dans une moindre mesure, portugais), en prêtant une attention particulière aux problèmes de traduction qu’engendrent les similitudes et les différences entre ces langues. Après une brève description des constructions impersonnelles construites avec un verbe conjugué (1.1), l’analyse se concentre sur les constructions impersonnelles basées sur une forme non conjuguée du verbe (1.2), comprenant les constructions impersonnelles infinitives (2), gérondives (3), et participiales (avec participe présent et passé ; 4–5). Le but de cette contribution consiste aussi à fournir un compte rendu détaillé des ressources bibliographiques disponibles sur les constructions impersonnelles dans les différentes langues romanes (grammaires spécialisées, études contrastives, manuels de traduction etc.).    



Keywords : constructions impersonnelles, infinitif, gérondif, participes (présent et passé), langues romanes    

1 Brève caractérisation des constructions impersonnelles On appelle constructions ou phrases impersonnelles les structures qui n’ont pas de « vrai » sujet, à savoir qui n’ont pas de sujet personnel, doté de contenu référentiel. Le terme impersonnel (it. impersonale, esp. impersonal, port. impessoal) se définit donc tout d’abord en négatif et inclut, contrairement à la variante dite personnelle (1), toutes les constructions non personnelles, dont quelques exemples sont fournis en (2). En fonction de la construction, le sujet peut être vague, indéfini, générique (2a–b) et / ou ne pas être exprimé (2c) :  











(1)

Ici je mange beaucoup.

(2)

a. Ici on mange beaucoup. b. Ici il faut beaucoup manger. c. Ici je mange [sujet nul] en écoutant de la musique.  



Constructions « impersonnelles » vs constructions « personnelles »

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Comme on peut le voir à partir des exemples proposés en (2), l’adjectif impersonnel est employé dans deux contextes syntaxiques différents. Il s’applique en premier lieu à une série de constructions basées sur un verbe conjugué (2a–b) et en second lieu à des constructions basées sur un verbe non conjugué (2c).

1.1 Constructions impersonnelles basées sur un verbe conjugué 1.1.1 Caractérisation générale dans les langues romanes Dans le domaine des constructions impersonnelles basées sur un verbe conjugué, l’adjectif impersonnel1 ne recouvre pas les mêmes phénomènes dans les langues romanes (cf. Metzeltin 2010, § 19 ; Sériot/Berrendonner 2000 pour ce qui est des langues romanes ; Scurtu 2010 pour ce qui est du français et du roumain, avec des considérations aussi sur l’italien et l’espagnol). Une première différence importante entre les langues romanes concerne la nécessité d’exprimer le sujet grammatical. Les langues romanes dites « à sujet nul », comme l’italien, l’espagnol, le portugais, le catalan et le roumain, emploient des constructions impersonnelles dans lesquelles le sujet n’est pas exprimé (on parle alors de sujet nul). Le français, qui diffère en ce point des autres langues romanes, doit nécessairement exprimer le sujet (cf. Riegel/Pellat/ Rioul 42009, 250). C’est pourquoi on trouve dans les constructions impersonnelles de cette langue un sujet postiche, dit explétif, qui coïncide généralement avec il (il pleut, il faut téléphoner), mais qui peut aussi être exprimé par les formes ce et ça (à ce sujet, cf. Maillard 1994 ; Peteghem 2004 ; Gardes Tamine 52010). Cette différence typologique fondamentale peut être illustrée par les exemples suivants (repris de Metzeltin 2010, 63, auquel on renvoie pour une illustration plus riche), comportant un verbe météorologique :  

















(3)

fr. Il pleut. / it. Piove. / esp. Llueve. / port. Chove. / roum. Plouă.  

Dans la bibliographie, on distingue parfois les verbes impersonnels proprement dits, comme les verbes météorologiques, qui dans les langues romanes ne peuvent être employés que dans des constructions impersonnelles, des verbes « accidentellement » impersonnels ou pseudo-impersonnels, qui connaissent aussi un emploi personnel (cf. l’exemple du verbe manger en (1) et (2) ; sur cet aspect, nous renvoyons par exemple à Bartra et al. 1998 et Scurtu 2010).  









1 Étant donné que les verbes impersonnels ne s’emploient souvent qu’à une personne (la 3e pers. sing.), on les appelle parfois aussi verbes unipersonnels (cf. Metzeltin 2010, 60 ; Gardes Tamine 52010, 119).  

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1.1.2 Le cas du français Dans la tradition grammaticale française, le terme impersonnel renvoie généralement aux constructions dont le sujet se manifeste sous forme de pronom neutre de la 3e pers. sing., à savoir il (cf. Dubois et al. 2012, v. « impersonnel » ; Willems 1985). Dans ces constructions, il peut correspondre au sujet grammatical d’un verbe météorologique et entre dans une construction du type « il V » (cf. (3)). Quand on parle des constructions impersonnelles du français, on pense cependant plutôt à des structures comme (4a), du type « il VS », dans lesquelles le pronom explétif il est substitué au « vrai » sujet de la structure de phrase, qui est à son tour déplacé après le verbe. La phrase (4a) est une construction impersonnelle issue de la construction personnelle donnée en (4b) ; en (4a), le syntagme verbal est arrivé a pour sujet apparent un pronom « impersonnel », il, et pour sujet réel le syntagme nominal un malheur, placé après le syntagme verbal :  



























(4) a. Il est arrivé un malheur. b. Un malheur est arrivé.  

À la forme active, ce type de construction impersonnelle n’admet que des verbes intransitifs (ex. (4)). Les verbes transitifs ne peuvent y figurer qu’au passif, comme en (5), où l’on notera l’absence d’accord entre le sujet « réel » (des centaines de livres) et le verbe principal (est emprunté) :  





(5)

Il est emprunté chaque jour des centaines de livres dans cette bibliothèque (ex. de Gardes Tamine 52010, 120).

La construction impersonnelle « il VS » est éminemment française (cf. Willems 1993), en ce sens qu’elle n’a pas d’équivalent dans les autres langues romanes. On la traduit, par exemple en italien, par une forme verbale personnelle conjuguée du type « VS », comme en (6) (Barone 2005, 117) :  











(6) fr. Il est venu des médecins de l’extérieur et du personnel sanitaire (Camus, La Peste). Trad. it. Da fuori sono venuti dei medici e del personale sanitario (ex. de Barone 2005, 117).  

Le français emploie d’autres constructions impersonnelles, dont les structures introduites par on, qui coïncident dans les autres langues romanes notamment avec le pronom si / se (sur ce point, nous renvoyons au volume de Brunet 1994 relatif à l’italien si et à ses équivalents français) :  



(7)

fr. On chante. / it. Si canta. / esp. Se canta. / roum. Se cântă (cf. Metzeltin 2010, 53 ; Scurtu 2010).  



La non équivalence entre les constructions impersonnelles introduites par on en français et celles introduites par si / se dans les autres langues romanes pose des problèmes de traduction. Pour ce qui est de la traduction de l’impersonnel on vers l’italien, on recourt soit au si impersonnel, comme en (8), au si passivante (9) ou

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Constructions « impersonnelles » vs constructions « personnelles »

encore à une phrase passive, comme pour l’exemple (10) (cf. Rossetti Stenta 1981 ; Barone 2005 ; Jonasson 2008) :  





(8) fr. Nous entendîmes le canon. On se battait près de Meaux (Radiguet, Le Diable au corps). Trad. it. Sentimmo il cannone. Si combatteva presso Meaux (ex. de Barone 2005, 126).  

(9) fr. – Pourquoi diable a-t-on des escaliers, quand on a des fenêtres pareilles ? (Dumas, Le Comte de Monte-Cristo). Trad. it. – E perché diavolo si fa uso di scale quando si hanno simili finestre ? (ex. de Barone 2005, 127).  



(10) fr. Je demandai la maison du chirurgien, on me l’indiqua […] (Sade, Les Infortunes de la Vertu). Trad. it. Chiesi della casa del chirurgo, mi venne indicata […] (ex. de Barone 2005, 130).  

1.1.3 Le cas de l’italien Dans la tradition grammaticale italienne, le terme impersonale désigne généralement un éventail plus large de constructions (cf. Benucci 1998 ; Cennamo 2011), basées notamment sur l’emploi de (i) un verbe météorologique (comme piove, nevica, grandina etc., pouvant se construire aussi avec le verbe support fare : fa caldo etc.) ; (ii) un verbe du type bisognare, sembrare, bastare (bisogna fare qualcosa ; mi sembra di volare ; mi basta che tu venga) ; (iii) une structure existentielle ou présentative (c’è molta gente ; ci sono molte persone) ; (iv) une structure qui s’ouvre par le pronom atone si que l’on appelle impersonnel (si dice, si giunge etc. ; cf. Serianni 2012, XI § 95) ; (v) une structure qui s’ouvre par la 3e pers. plur., dont le sujet est indéterminé ou générique (lodano il re) ; (vi) une structure qui s’ouvre par un pronom indéfini qui fonctionne comme sujet générique, en particulier uno (cf. Serianni 2012, VII § 152b). Des différences importantes entre l’italien et le français sont décrites par Arcaini (2000) – cf. le § 15.2.2 relatif aux propositions subjectives, qui inclut des observations intéressantes sur la classe des constructions impersonnelles mentionnées au point (ii) – ; Alloa/Navilli de Scotta/Pedrotti (2008, 103–106) illustrent les différences entre l’italien et l’espagnol (argentin), notamment en ce qui concerne l’emploi de l’auxiliaire dans les constructions impersonnelles. Pour ce qui est de la traduction de l’italien en français, Barone (2005, 139) distingue la traduction de constructions impersonnelles du type Succede / Capita par Ça arrive et celles suivies par un complément comme Succede che si perda il treno avec Il arrive qu’on rate le train dans un registre standard ou Ça arrive qu’on rate le train dans un registre familier.  































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1.1.4 Les autres langues romanes Pour ce qui est de l’espagnol, du catalan et du portugais, une description des constructions impersonnelles basées sur un verbe conjugué est proposée par Bartra et al. (1998), qui mentionnent également certaines différences importantes entre ces trois langues.  

1.2 Constructions impersonnelles basées sur un verbe non conjugué 1.2.1 Caractérisation générale dans les langues romanes Dans le domaine des verbes non conjugués (non finis), le terme impersonnel se réfère aux modes verbaux qui ne comportent pas de flexion indiquant la personne, c’est-àdire qui ne renvoient pas à une personne déterminée (dans une perspective romane, cf. Metzeltin 2010, 140 ; en ce qui concerne les différences entre l’italien et le français, nous renvoyons à Arcaini 2000, 245–261). Il s’agit de l’infinitif, des participes (passé et présent) et du gérondif.2 Ces modes verbaux peuvent être employés dans deux types de propositions (cf. Arcaini 2000, 245–261 ; Ferrari/Zampese 2000, 166–172) : les propositions complétives (ou argumentales), qui occupent généralement la fonction de sujet ou de complément d’objet, et les propositions adverbiales (non-argumentales ou circonstancielles). Les modes verbaux non finis se trouvent le plus souvent dans des propositions subordonnées. Les modes verbaux impersonnels se distinguent des modes personnels, à savoir de l’indicatif, du subjonctif, du conditionnel, de l’optatif et de l’impératif, qui comportent, eux, une flexion indiquant notamment la personne. Suivant la norme des variétés romanes standard, en règle très générale, le sujet implicite d’une proposition non finie coïncide avec celui de la proposition principale (sur cette question en français et en italien, cf. Egerland/Sandberg 2006). Dans la plupart des cas, on a donc affaire à des constructions possédant un sujet personnel (cf. (2c)). Une autre grande différence entre les modes impersonnels et personnels des verbes concerne le contenu véhiculé par les propositions dans lesquelles ils figurent, notamment la codification des relations sémantiques et textuelles qu’elles entretiennent avec le contexte. La différence vaut principalement pour les cas où les modes impersonnels et personnels font partie d’une proposition subordonnée. Comme on le verra de manière plus détaillée au cours de la discussion qui suit, les modes imper 





2 On ne fait évidemment pas référence ici au gerundio assoluto, qui contient toujours un sujet explicite (cf. Schwarze 2009, 166 ; Egerland 2011a ; De Roberto 2011). Ce sujet suit la forme gérondive et, par définition, ne correspond pas à celui de la principale : Non essendo io il proprietario, le autorità non potranno ritenermi responsabile (ex. de Schwarze 2009, 166).  





Constructions « impersonnelles » vs constructions « personnelles »

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sonnels sont sémantiquement plus pauvres. Les relations qu’ils expriment, notamment dans le domaine logique et argumentatif (cause, but / finalité, concession, condition etc.), dépendent par conséquent beaucoup plus étroitement du cotexte (à savoir du discours qui précède et qui suit) et de la situation communicative dans lesquels ils s’inscrivent. De ce fait, ce sont des données relatives à la distribution de la proposition impersonnelle par rapport à la proposition personnelle, au contenu de la proposition personnelle, au contexte plus large et, plus généralement, à nos connaissances du monde qui permettent de déterminer la valeur de la proposition basée sur un mode impersonnel (cf. Metzeltin 2010, 141s., pour des exemples en français, italien, espagnol, portugais et roumain). Les propositions basées sur un mode personnel du verbe indiquent en revanche de manière plus transparente la nature de la relation qui s’instaure avec le contexte (sur ces questions, cf. Riegel/Pellat/Rioul 42009, 851, pour le français et Ferrari/Zampese 2000 pour l’italien). Ceci s’explique principalement par le fait que les propositions personnelles subordonnées sont introduites par des connecteurs logiques (comme étant donné / dato che / dado che etc.).  



1.2.2 Constructions impersonnelles non finies dans les langues romanes Les constructions impersonnelles basées sur l’emploi d’un verbe non conjugué sont attestées dans toutes les langues romanes. Ci-dessous des exemples du français, de l’italien, de l’espagnol et du portugais, tout d’abord avec une proposition comportant un verbe à l’infinitif, ensuite au gérondif, enfin au participe passé. I. Constructions impersonnelles infinitives vs constructions personnelles finies (ex., parfois adaptés, de Metzeltin 2010, 140s.) :  



(11) fr. Je passerai une année en France pour perfectionner mon français (vs Je veux perfectionner mon français et par conséquent je passerai une année en France).  

(12) it. Piero sarebbe stato imprudente ad agire in questo modo (vs Se Piero avesse agito in questo modo sarebbe stato imprudente). (13) esp. De venir Pedro, salimos (vs Si viene Pedro salimos). (14) port. Vim aqui para me dares un conselho (vs Vim aqui para que me dês um conselho).

II. Constructions impersonnelles gérondives vs constructions personnelles finies (ex. de Metzeltin 2010, 141s.) :  

(15) fr. Le vin se bonifie en vieillissant (vs Quand le vin vieillit, il se bonifie).  

(16) it. Parla balbettando (vs Quando parla balbetta). (17) esp. Cerrando la puerta, nadie podrá entrar (vs Si cerramos la puerta nadie podrá entrar).

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Anna-Maria De Cesare et Giovanna Brianti

(18) port. Sendo ele um traidor, recembem-no em sociedade (vs Posto que ele seja um traidor, recebem-no em sociedade).

III. Constructions impersonnelles participiales (participe passé) (ex. de Metzeltin 2010, 142) vs constructions personnelles finies :  

(19) fr. Le chat parti, les souris dansent (vs Les souris dansent quand le chat est parti).  

(20) it. Arrivato a fianco della colonna vide qualcosa di più strano (Manzoni) (vs Vide qualcosa di più strano quando arrivò a fianco della colonna). (21) esp. Inclinado sobre un artilugio de alambres colocaba clavos (Aldecoa) (Colocaba clavos mientras estaba inclinado sobre un artilugio de alambres). (22) port. Acabada a festa, retiraram-se os músicos (Depois que a festa acabou, retiraram-se os músicos).

Dans les chapitres qui suivent, nous proposerons une description détaillée de chacun des trois groupes mentionnés aux points I–III, en indiquant tout d’abord les principales divergences entre les systèmes linguistiques romans. Les langues romanes n’emploient en effet pas exactement les mêmes formes de propositions impersonnelles non finies ; de plus, il existe des divergences – parfois fines, parfois macroscopiques – quant à leur fréquence d’emploi, à leurs fonctions discursives et à leur distribution textuelle. Nos réflexions porteront en premier lieu sur le français, l’italien et l’espagnol. Dans un second temps, nous fournirons des indications quant à la traduction des constructions impersonnelles non finies. Ces indications concernent les diverses constructions employées dans les langues romanes (encore une fois principalement en français, italien et espagnol), notamment le choix entre (i) un type de construction impersonnelle non finie plutôt qu’un autre ; (ii) une construction impersonnelle non finie et une construction personnelle finie ; (iii) une construction impersonnelle non finie et d’autres traductions (syntagme prépositionnel, etc.). Nous décrirons en premier lieu les constructions impersonnelles infinitives, ensuite les constructions basées sur l’emploi du gérondif et du participe présent, et pour finir les constructions participiales introduites par le participe passé.  





2 Les constructions impersonnelles infinitives 2.1 Brève caractérisation et repères bibliographiques Comme on l’a vu plus haut (cf. ex. (11)–(14)), les constructions impersonnelles basées sur l’infinitif existent dans toutes les langues romanes (cf. Metzeltin 2010 ; pour le fr., cf. Wilmet 1997, §§ 361–364 ; pour l’it., cf. Skytte 1991 ; Skytte/Salvi/Manzini 1991 ; Ferrari/Zampese 2000, 166–168 ; Salvi/Vanelli 2004, 227–244 ; pour l’esp., cf. Hernanz  















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Constructions « impersonnelles » vs constructions « personnelles »

1999, 2304–2332 ; Real Academia Española 2009, 1991–1996 et 2025–2031). Il y a toutefois des différences importantes entre ces langues quant à (i) la forme de ces constructions (présence / absence et nature d’une éventuelle préposition avant l’infinitif : cf. Casalicchio 2013, notamment le chap. 4.3, sur le portugais et l’italien ; pour le binôme italien-français, cf. Arcaini 2000, 184–187, 190, 245–249 ; possibilité d’employer une proposition infinitive dans certaines configurations syntaxiques marquées), et (ii) la nature des relations sémantiques et logiques qu’elles permettent d’exprimer : temporalité, causalité, finalité etc. (pour l’italien, cf. Ferrari/Zampese 2000, 167).  













2.2 Problèmes de traduction liés à l’emploi de l’infinitif dans les langues romanes Un premier point qui pose des problèmes de traduction concerne la présence ou l’absence d’une préposition avant l’infinitif (cf. Merger/Sini 1995, 81–91). On trouve en effet des cas dans lesquels deux langues romanes emploient la même préposition (23), des cas dans lesquels une langue romane emploie une préposition là où une autre n’en emploie pas (24) et des cas dans lesquels deux langues romanes n’emploient pas la même préposition (25) :  

(23) it. Gli hanno proibito di bere il suo aperitivo quotidiano. fr. On lui a défendu de boire son pernod quotidien (ex. de Arcaini 2000, 187).  

(24) it. Sono andato a comprare il giornale. fr. Je suis allé acheter le journal (ex. adapté de Arcaini 2000, 206).  

(25) it. Ho cercato di fargli piacere. fr. J’ai cherché à lui faire plaisir.  

Un décalage au niveau de l’emploi de la préposition peut être observé notamment dans les contextes dans lesquels l’infinitif est utilisé pour exprimer une relation de finalité (de but), comme en (24). En italien, une proposition finale qui suit directement un verbe de mouvement est introduite par une préposition (a). Cela n’est par contre pas admis en français ; pour marquer la modalité finale, le français peut recourir à un autre type d’introducteur (pour) :  



(26) it. Sono andato dal giornalaio per comprare il giornale. fr. Je suis allé au kiosque pour acheter le journal (ex. de Arcaini 2000, 206).  

Un autre point qui peut poser des problèmes de traduction concerne les cas dans lesquels la proposition infinitive entretient une relation temporelle avec la proposition principale, en particulier les cas où la principale exprime une relation temporelle de postériorité. L’italien met en œuvre dans ce cas une série de constructions impersonnelles qui, au niveau formel, n’ont pas toujours les mêmes équivalents en français (cf.

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Arcaini 2000, 200). Il s’agit de constructions basées sur l’infinitif précédé d’une préposition (da, con, in), qui sont traduites en français par une construction personnelle finie ou un syntagme prépositionnel :  

(27) it. Nell’uscire dalla macchina venne investito da un motorino. fr. Il sortait (juste) de sa voiture, quand il fut happé par un cyclomoteur (ex. de Arcaini 2000, 200).  



(28) it. Il mondo si trasformò con l’apparire dell’uomo sulla terra. fr. Le monde fut transformé lors de l’apparition de l’homme sur la terre (ex. de Arcaini 2000, 200).  



Un dernier point problématique pour la traduction concerne les propositions impersonnelles infinitives qui figurent dans des structures syntaxiques particulières, comme les phrases clivées. Dans le domaine roman, les clivées dites implicites, construites avec une subordonnée non finie, et caractéristiques des registres formels, sont possibles seulement en italien (cf. le premier exemple du point (29)) et en portugais (cf. Metzeltin 2010, 109–119). Dans les autres langues romanes, on emploie des clivées basées sur une subordonnée finie (les problèmes de traduction liés aux clivées sont décrits par Wandruszka 1969 notamment pour le français, l’italien et l’espagnol ; en ce qui concerne la traduction italien-français, on renvoie à Schöpp 2005 et Brianti 2014) :  





(29) it. Sei stato tu a chiamarmi. fr. C’est toi qui m’as appelé (ex. de Arcaini 2000, 179). esp. Eres tú el que me ha llamado.  



3 Les constructions impersonnelles gérondives 3.1 Brève caractérisation et repères bibliographiques Les termes gérondif, employé en français, et gerundio, en italien et en espagnol, ne se réfèrent pas au même phénomène grammatical (Halmøy 2003a, 11).3 Le gérondif français correspond à une forme verbale invariable se terminant par -ant (ou -issant), toujours précédée du marqueur en (en dormant, en grandissant etc.).4 Le gerundio italien  

3 Un terme plus général employé pour se référer au gérondif est converbe (cf. Haspelmath/König 1995). 4 Le statut du gérondif français est toutefois controversé (cf. la discussion chez Halmøy 2003a, notamment le chap. IV). Selon certains, le gérondif est une variante du participe présent précédé de la préposition en (Le Goffic 1993, 37). Selon d’autres, le gérondif et le participe présent sont deux formes distinctes, tant au niveau de la forme que des fonctions (cf. Halmøy 2003a, 153, et la discussion aux  



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et espagnol correspond en revanche à une forme verbale non finie invariable se terminant en -ndo. Plus précisément, le gerundio italien se termine par les formes -ando (verbes de la 1e conj.) ou -endo (verbes de la 2e et 3e conj.) et le gerundio de l’espagnol par -ando (1e conj.) ou -iendo (autres conj.). Les exemples suivants illustrent les différences formelles entre le français d’une part, l’italien et l’espagnol de l’autre :  

(30) fr. Il est sorti en claquant la porte. it. È uscito sbattendo la porta. esp. Salió tirando la puerta (ex. de Halmøy 2003a, 18).  



La structure « en V-ant » possède une fonction adverbiale et figure parmi les compléments circonstanciels les plus usités du français, tant à l’écrit qu’à l’oral (Halmøy 2003a, 3). Parmi les travaux consacrés à cette structure, on peut citer le numéro 149 de la revue trimestrielle Langages dédié au gérondif et au participe présent, ainsi que les études de Béguelin (1994) et de Halmøy (cf. 2003a/b/c). Selon Halmøy (2003a, 3) le gérondif « constitue indéniablement une originalité du français, n’ayant d’équivalent formel et fonctionnel exact ni en latin, ni dans les autres langues romanes », ce qui pose évidemment des problèmes de traduction (cf. Halmøy 2003a). Sur le gérondif italien, il existe de nombreux travaux. Nous renvoyons tout d’abord aux descriptions proposées dans les ouvrages de référence sur la langue italienne (Lonzi 1991 ; Serianni 2012, XI §§ 421–425 ; Schwarze 2009, § 2.6.3 ; Egerland 2011a). Des observations plus détaillées se trouvent notamment dans les travaux de Pusch (1980), qui propose une analyse sémantique fine de la construction italienne et s’intéresse à ses équivalences en allemand ; il faut ajouter Skytte (1991), Solarino (1996), Mengozzi (1998), Zanola (1998), Manzotti (2013 [2002]) (sur la négation des subordonnées gérondives), Veland (2003) et Zampese (2004), qui donne une description du gérondif tenant compte de critères distributifs et informationnels. Sur les différences entre l’emploi du gérondif et du participe présent en italien en français, cf. en revanche Arcaini (2000, § 16.5) et Barone (2005, chap. IV). Sur le gerundio de l’espagnol, on peut renvoyer notamment à Díaz Bautista (1986) et Verhaert (2008). Quant à l’emploi du gérondif dans les langues romanes, Lýer (1934) reste un ouvrage de référence, tandis que Ramat/Da Milano (2011) et Casalicchio (2013) constituent deux travaux fondamentaux sur la question. Le gérondif / gerundio est employé le plus souvent en fonction adverbiale. On distingue généralement deux cas (pour l’italien, cf. Lonzi 1991 ; pour l’italien et l’espagnol, cf. Casalicchio sous presse) : un gérondif / gerundio de prédicat (31) et un gérondif / gerundio de phrase (32) :  



































(31) it. Maria disinfetta l’acqua bollendola. esp. María desinfecta el agua hirviéndola.

pp. 59–61). Selon cette thèse, la préposition en du gérondif est un morphème obligatoire (cf. Riegel/ Pellat/Rioul 42009, 592).  

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(32) it. Non avendo i libri, non posso studiare. esp. No teniendo los libros, no puedo estudiar (ex. de Casalicchio sous presse).

Si dans les grandes lignes le gérondif français et le gerundio italien et espagnol se ressemblent, il y a toutefois des différences non négligeables entre ces trois formes. Prenons l’un des cas les plus fréquents, à savoir celui dans lequel le gérondif français exprime une relation temporelle. Dans ce cas, les équivalents italiens peuvent aussi contenir une proposition personnelle (ouverte par quando), alors que l’espagnol s’appuie soit sur le gerundio, soit sur une proposition personnelle, soit encore sur un syntagme prépositionnel avec un infinitif substantivé (les exemples suivants sont de Halmøy 2003a, 15–17) :  

(33) fr. N’oubliez pas de fermer la fenêtre en partant. it. Non dimenticare di chiudere la finestra quando uscite. esp. No se olviden de cerrar la ventana cuando se vayan / al irse.  

(34) fr. En sortant du cinéma, elle a glissé sur une peau de banane. it. Uscendo dal cinema è scivolata su una buccia di banana. esp. Saliendo del cine se resbaló en una cáscara de banano. / Al salir del cine, ella se resbaló en una cáscara de banano.  

3.2 Problèmes de traduction liés à l’emploi du gérondif dans les langues romanes Les problèmes de traduction liés à l’emploi du gérondif sont multiples. On se limitera ici à quelques observations générales (et nous renvoyons, en ce qui concerne la traduction de l’italien vers le français, aux travaux de Halmøy 2003a, 14s. ; 2003c ; Barone 2005, 265–272 ; pour la traduction du français vers l’italien et l’espagnol, aux travaux de Halmøy 2003a, 15–21 ; Barone 2005, 252–262 ; pour la traduction du français vers l’espagnol, à Andújar Moreno 1998 ; 2010). Contrairement au français et à l’espagnol, en italien le gerundio peut aussi être employé en fonction de phrase coordonnée (sur ce deuxième emploi, cf. en particulier Lonzi 1991, 588–592). Ce cas de figure appartient au registre soutenu de la langue et se traduit en français soit par une proposition finie ouverte par une conjonction exprimant de manière transparente la relation qui s’établit avec le contexte (Halmøy 2003a, 15), comme en (35), soit par le participe présent (36). En (35) et (36) le gérondif français est exclu, car la proposition qui le contient en italien n’exprime pas une action concomitante de celle de la proposition principale ; l’action véhiculée par la proposition gérondive est postérieure à celle qu’exprime la principale (Barone 2005, 268). Des remarques similaires sont valables également pour l’espagnol. La traduction espagnole de la structure italienne proposée en (37) est considérée comme incorrecte (cf. Casalicchio 2015, dont nous reprenons les exemples) :  

















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(35) it. Franco ha mangiato cogli amici, andando poi al cinema (ex. de Pusch 1980, 20). fr. Franco a dîné avec des amis, puis il est allé au cinéma (Halmøy 2003a, 15).  



(36) it. Partirono all’alba, arrivando solo a tarda sera. fr. Ils partirent à l’aube, arrivant seulement tard dans la soirée.  

(37) it. Visse qui un anno, trasferendosi poi a Roma. esp. ??Vivió aquí unos años, marchándose dos años más tarde a Madrid.

Le gerundio italien se traduit en français par le participe présent aussi dans les contextes qui contiennent une négation :  

(38) it. Ma intanto essa, rossa, si volse a me e disse ch’era rientrata da pochi istanti non avendo trovato la zia in casa (Svevo, La coscienza di Zeno). Trad. fr. Mais déjà Adeline s’était tournée vers moi, rougissante, pour me dire qu’elle venait de rentrer, n’ayant pas trouvé sa tante chez elle (ex. de Barone 2005, 269).  

Le français préfère encore une fois une construction finie dans les cas où l’italien emploie un gerundio qui exprime une relation de causalité (Lonzi 1991, 584). Cette relation est associée au gerundio surtout quand il occupe une position préverbale et se place en tête de phrase (Zampese 2004). Il est toutefois aussi possible de le trouver en position postverbale (comme en (39)). Dans ce cas, le français emploie une construction ouverte par un introducteur qui exprime de manière transparente la relation qui s’établit entre la subordonnée et la principale (l’exemple suivant avec la traduction française est repris de Barone 2005, 266) :  

(39) it. Omero non ha affatto bisogno di metempsicosi, non essendo mai morto e avendo continuato attraverso i millenni a vivere e a comporre (Calvino, Se una notte d’inverno un viaggiatore). Trad. fr. ‘ Homère n’a nul besoin de la métempsychose, puisqu’il n’est jamais mort et qu’à travers les millénaires il a continué à vivre et à composer. ’    



Dernier exemple : précédé de anche ou de pur, le gerundio italien prend une valeur concessive. Le français emploie dans ces cas « même si + subordonnée finie », « tout + gérondif » (cf. Halmøy 1990 ; 2003a, chap. VIII) ou encore « même + participe présent » :  





















(40) it. Anche ammettendo che la richiesta dei cinque milioni era inevitabile, è pur sempre colpa tua se non gli ho risposto con un bel no, tondo tondo (Moravia, Io e lui). Trad. fr. Même si nous admettons que ce chantage était inévitable, moi je ne lui ai pas dit non, et c’est ta faute (ex. de Barone 2005, 266s.).  

(41) it. Non sono certo che, pur volendo, potresti finire di correggere tutti i compiti. fr. Je ne suis pas sûr que, même si tu voulais, tu arriverais à corriger toutes les copies (ex. de Arcaini 2000, 253).  

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(42) it. Pur scrivendo, ascoltava attentamente il rapporto. fr. Tout en écrivant, il écoutait mon rapport avec beaucoup d’attention (ex. de Arcaini 2000, 212).  

(43) it. Pur soffrendo, non si lamentava mai. fr. Même souffrant, il ne se lamentait jamais (ex. de Halmøy 2003a, 15).  



Sur ce dernier point, on remarquera que les constructions détachées formées avec tout + gérondif en français se traduisent de plusieurs manières en espagnol (propositions subordonnées finies introduites par al tiempo que / a la vez que ou emploi du gerundio ; cf. Andújar Moreno 1998 ; 2010).  



(44) fr. La méfiance […] a été générée par l’accusation que l’Irak détiendrait des armes de destruction massive. D’autant que Washington a refusé, jusqu’à présent, de fournir la moindre preuve non seulement aux membres du Conseil de sécurité mais aussi aux inspecteurs en désarmement de l’ONU, tout en déclinant l’invitation de Bagdad de mener sa propre enquête en dépêchant des spécialistes de la CIA. Trad. esp. […] cuando se acusó a Irak de poseer armas de destrucción masiva la desconfianza fue general. Más aún, teniendo en cuenta que Washington se ha negado hasta ahora a suministrar la menor prueba, no sólo a los miembros del Consejo de Seguridad, sino tampoco a los inspectores de armas de la ONU, a la vez que no aceptaba la invitación de Bagdad para realizar su propia investigación enviando especialistas de la CIA (ex. de Andújar Moreno 2010, 49).  

4 Les constructions impersonnelles basées sur le participe présent 4.1 Brève caractérisation et repères bibliographiques En français, le participe présent se forme avec un radical verbal (V-) suivi de la désinence -ant (« V-ant » : parlant, chantant, aidant), comme l’illustre l’exemple suivant, tiré de Halmøy (2003a, 4) :  









(45) Sortant du cinéma, Émile a rencontré Léa.

Au niveau formel, le participe présent diffère du gérondif par l’absence de la préposition en (cf. § 3.1). Outre cette différence morphosyntaxique évidente, les deux formes se distinguent d’un point de vue stylistique et distributionnel. Contrairement au gérondif, le participe présent s’emploie dans un nombre plus restreint de registres. Il est en effet le plus souvent réservé à des registres soutenus et se trouve typiquement dans les textes littéraires (Halmøy 2003a, 5). Sur le versant syntaxique, les contextes dans lesquels seul le participe présent est possible sont décrits par Halmøy (2003a, 153–161). Il s’agit en premier lieu des cas dans lesquels le participe présent est  





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employé comme attribut de l’objet ou comme attribut libre (cf. encore une fois Halmøy 2003a, 4s., dont nous reprenons les exemples) :  



(46) Je la revois descendant / *en descendant l’escalier (attribut de l’objet). (47) Parlant / *en parlant mal la langue, il n’arrivait pas à se faire comprendre (attribut libre).

Le participe présent italien se forme avec la racine du verbe (V-) et la désinence -nte (avec la voyelle a pour la 1e conj. et e pour les autres : amante, vedente, dicente). En italien contemporain, le participe présent est employé surtout comme adjectif (assente, circostante, morente, presente) ou substantif (dirigente, conoscente, parente, vedente etc. ; cf. Benincà/Cinque 1991 ; Egerland 2011b). Le participe présent est à analyser comme verbe quand il est issu d’un verbe transitif et est accompagné d’un complément qui a la forme d’un syntagme nominal, notamment en fonction de complément d’objet direct (48a) ; on est également en présence d’une forme verbale quand le participe présent est accompagné d’un pronom clitique (cf. si de (49)). On est en revanche en présence d’un adjectif quand le participe présent est suivi d’un complément prépositionnel (48b) :  













(48) a. una signora amante la musica (p. présent) b. una signora amante della musica (adjectif)  

(49) Rumore di un uccello grande levantesi ogni tanto a volo con alto frastuono d’ali (Buzzati, Il segreto del Bosco Vecchio ; ex. de Egerland 2011b).  

En italien, l’emploi verbal du participe présent est limité aux verbes qui désignent une propriété permanente (vs spécifique ; cf. Benincà/Cinque 1991, 605s.). Le participe présent à valeur verbale est sémantiquement équivalent à une phrase relative (restrictive ou appositive : cf. Benincà/Cinque 1991, 609 pour des exemples). Contrairement au français, le participe présent verbal italien et espagnol a été remplacé en grande partie par le gerundio (cf. Lýer 1934 ; Casalicchio 2013) :  







(50) it. Piangeva *invocante / invocando l’aiuto di qualcuno (ex. de Ferrari/Zampese 2000, 171). fr. Il/Elle pleurait invoquant l’aide de quelqu’un. esp. Lloraba pidiendo que alguien le ayudase.  

En italien, le participe présent verbal survit encore dans des contextes latinisants et dans les textes qui privilégient les formes recherchées et précieuses, comme par exemple les textes juridiques et bureaucratiques (Benincà/Cinque 1991, 604, pour des exemples).

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4.2 Problèmes de traduction liés à l’emploi du participe présent dans les langues romanes Contrairement aux autres langues romanes, en français le participe présent est encore relativement courant (dans les registres soutenus). Lorsqu’il fonctionne comme attribut du sujet, le participe présent se traduit le plus souvent en italien par une subordonnée relative, plus rarement par une forme adjectivale dérivée d’un participe présent (Barone 2005, 234) :  

(51) fr. Il entendit le bruit d’un verrou. C’était une petite porte communiquant sans doute à une cellule voisine, qui se fermait en dehors (Hugo, Notre-Dame de Paris). Trad. it. Udì il rumore di un catenaccio. Era un usciolo che comunicava certamente con una stanza vicina, il quale veniva chiuso dal di fuori (ex. de Barone 2005, 234).  

Lorsque le participe présent est l’attribut d’un verbe de perception, en italien on recourt souvent à un infinitif (Barone 2005, 236s. ; Casalicchio 2013) :  





(52) fr. Les deux mains appuyées aux barreaux du portail, je me vois épiant avec anxiété quelqu’un qui va descendre la grand’rue (Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes). Trad. it. Mi vedo spiare con ansia, le mani appoggiate alle sbarre del cancello, qualcuno che sta per spuntare dalla strada maestra (ex. de Barone 2005, 237).  

Tout comme l’italien, l’espagnol tend à éviter le participe présent. L’exemple suivant, tiré d’un texte original en italien, montre que l’espagnol préfère dans ce cas l’emploi d’une phrase relative (les traductions du participe présent français en espagnol sont décrites par Andújar Moreno 1998 ; 2010) :  



(53) it. In almeno un caso, riguardante cellule animali, si è scoperto… Trad. esp. Al menos en uno de los casos que conciernen a las células animales, se ha descubierto… (ex. de Alloa/Navilli de Scotta/Pedrotti 2008, 110).

5 Les constructions impersonnelles basées sur le participe passé Faute de place, on se limitera ici à quelques observations générales sur les constructions impersonnelles introduites par un participe passé. En français, le participe passé employé sans auxiliaire prend une valeur adjectivale et peut être paraphrasé par une relative (cf. Le Goffic 1993, § 334 ; Riegel/Pellat/Rioul 42009, 593–596). Pour un traitement approfondi des subordonnées ouvertes par le participe passé en italien, cf. Bertuccelli Papi (1991) et Egerland (2011b). Des observations sur les différences entre l’italien et le français se trouvent encore une fois chez Arcaini 2000 (§ 16.6). En traduction française, le participe passé italien peut être exprimé par une forme équivalente ou alors être substitué par une  







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proposition coordonnée, subordonnée ou encore par un participe présent (Barone 2005, 205–207) :  

(54) it. Passate le vacanze […] al mare, Luca tornò in città con la sensazione che non stava bene e si sarebbe presto ammalato. (Moravia, La disubbidienza) Trad. fr. Lorsque Luca revint en ville, après avoir passé les vacances […] au bord de la mer, il avait la sensation de ne pas être bien et de couver une maladie (ex. de Barone 2005, 205).  

6 Remarques conclusives Là où plusieurs traductions d’une construction impersonnelle basée sur un verbe non conjugué – à savoir un verbe à l’infinitif, au gérondif ou au participe présent ou passé – sont possibles, le choix de la variante la plus appropriée dépend essentiellement du type de texte qu’il s’agit de traduire et du contexte dans lequel le texte d’origine est produit. Encore une fois, faute de place, les réflexions qui précèdent n’ont pas pu tenir compte de manière systématique des paramètres textuels et pragmatiques qui conditionnent la traduction d’une construction impersonnelle non finie d’une langue romane à l’autre. À ce propos, le lecteur intéressé pourra consulter par exemple les premiers chapitres du travail de Andújar Moreno (1998).  



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13 La formation des mots comme problème de traduction Abstract : Jusqu’à présent, la formation des mots n’a guère été prise en compte dans le domaine de la traductologie, et inversement, la traduction n’a-t-elle généralement pas droit de cité dans la littérature sur la formation des mots. Pourtant, la possibilité d’exprimer un même contenu soit par les moyens de la syntaxe, soit par la formation des mots rend cette dernière tout à fait importante pour le travail quotidien des traducteurs. Le présent article traitera surtout du français et de l’italien, mais aussi, quoique dans une moindre mesure, de l’espagnol et du portugais. L’allemand sera pris en compte pour pouvoir confronter des systèmes typologiquement différents. Dans la première partie, nous éclairerons les principes de base de la formation des mots dans une perspective synchronique contrastive ; ces considérations serviront de base pour la deuxième partie, dans laquelle il sera question de la formation des mots comme problème de traduction au sens propre, qu’il s’agisse de l’allemand comparé à une (ou plusieurs) langue(s) romane(s), ou qu’il s’agisse des langues romanes entre elles.    



Keywords : formation des mots, composition, dérivation, abrègement, occasionalisme    

1 Introduction En règle générale, la formation des mots n’est guère mentionnée dans les ouvrages de traductologie, bien qu’elle puisse poser de grands problèmes aux traducteurs dans leur travail quotidien. Pareillement, la traduction n’est normalement pas traitée dans la littérature sur la formation des mots. Pourtant, ce sujet est tout à fait important pour la traduction vu la possibilité d’exprimer un même contenu soit par les moyens de la syntaxe, soit par la formation des mots (cf. Albrecht 22013, 107). Dans la présente contribution, il sera surtout question du français et de l’italien et, pour pouvoir confronter des systèmes typologiquement différents, de l’allemand. Néanmoins, l’espagnol et le portugais seront autant que possible également pris en considération, tandis que l’anglais ne sera mentionné que dans un but comparatif. Dans un premier temps, nous aborderons la formation des mots dans une perspective synchronique contrastive pour éclairer les principes de base ainsi que les similitudes et différences entre différentes langues romanes et, pour certains phénomènes seulement, l’allemand. Dans un second temps, il sera question de la formation des mots comme problème de traduction proprement dit.

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2 La formation des mots : principes de base et controverses  

La formation des mots dans les langues romanes a été traitée de façon systématique par Meyer-Lübke (1894), puis par Lüdtke (2005). Outre ces études générales, il existe différentes analyses diachroniques de la formation des mots dans les langues particulières qui mentionnent d’autres langues romanes à titre de comparaison (cf. Lüdtke 2005, 3). Par ailleurs, on compte parmi les études synchroniques entre autres Thiele (31993), U. Wandruszka (1976) et Haensch/Lallemand-Rietkötter (1972) pour le français, Dardano (1978) et Grossmann/Rainer (2004) pour l’italien, Miranda (1994), Rainer (1993) et Cartagena/Gauger (1989, dans leur grammaire contrastive) pour l’espagnol ; Gauger (1971) s’occupe de l’espagnol et du français, mais se limite à une analyse contrastive de certains suffixes et préfixes et de la composition en général. Lüdtke (2005, 4) déplore que pour certaines langues romanes, notamment le portugais, il n’y ait pas, à ce jour, de traité détaillé sur la formation des mots. Cependant, il existe la thèse de doctorat de Sandmann (1986) qui étudie le portugais brésilien et tente d’identifier les mécanismes productifs de l’époque. La formation des mots peut être définie comme le domaine d’une langue dans lequel des mots déjà existants sont transmis ou dans lequel des mots nouveaux sont créés sur la base de procédés spécifiques (cf. Lüdtke 2004, 232). Elle est traditionnellement décrite du point de vue de la forme : les résultats, c’est-à-dire les mots déjà existants d’une langue quelconque, sont analysés par rapport aux mécanismes de formation – tradition que Lüdtke (ibid.) critique en proposant pour sa part une approche du côté du contenu.1 La définition des procédés de base fait émerger les premières difficultés : tandis que la définition de la préfixation ainsi que celle de la suffixation semblent être plus ou moins claires, la définition de la composition est sujette à discussion (v. infra). Il n’est souvent pas aisé d’établir les mécanismes précis qui se cachent sous l’appellation « formation des mots ». Pour les besoins de la présente contribution, conçue dans une perspective traductologique, nous préférerons ici une acception plutôt large, comme la préconise aussi Albrecht (22013, 107).2  











1 Lüdtke (2004, 236) souligne en outre la nécessité de faire la différence entre les systèmes populaires de formation des mots des langues romanes individuelles et les systèmes latin et grec que les langues romanes ont empruntés en partie. 2 Il faut néanmoins ajouter une restriction par rapport aux mécanismes décrits par Albrecht (22013, 107s.) : outre la dérivation et la composition, Albrecht mentionne la modification, qui, dans la tradition de Dokulil (1968, 209), désigne l’ajout d’un trait sémantique à un mot, de façon qu’il résulte une opposition privative entre le mot original et le mot modifié (par ex. all. Haus → Häuschen, qui reste une maison, mais avec un trait spécifique) (pour plus d’informations cf. Lüdtke 2005, 313–386). Ainsi, la modification consiste dans un changement sémantique, indépendamment du mécanisme formel qui  

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La formation des mots comme problème de traduction

2.1 Dérivation Dans les langues romanes, la dérivation joue un rôle capital, tandis que dans d’autres langues, notamment l’allemand, c’est la composition qui l’emporte. Généralement, on fait la différence entre suffixation, préfixation, parasynthèse, dérivation régressive et – si l’on la considère comme un cas de dérivation – conversion.

2.1.1 Suffixation La suffixation est le mécanisme central de la dérivation dans les langues romanes ; il arrive même que les deux termes soient utilisés comme synonymes. Il s’agit là, comme on sait, de l’adjonction d’un suffixe à une base, le plus souvent avec changement de la catégorie grammaticale, par exemple port. belo (adjectif) → bel-eza (substantif) (Sandmann 1986, 12), mais pas nécessairement : les suffixes peuvent aussi créer un mot appartenant à la même catégorie grammaticale (mais bien sûr à une autre catégorie dénominative), comme port. matriz → matriz-aria (cf. Sandmann 1986, 12), it. giardino → giardiniere (Dardano 1978, 83). Un lexème (ou plus précisément un thème) créé par dérivation peut de son côté être la base d’une suffixation : fr. centre → centr-al → central-is(-er) → centralis-ation (ex. de Schpak-Dolt 32010, 86). Miranda (1994, 102s.) propose une différenciation entre les « sufijos apreciativos » (suffixes diminutifs, augmentatifs ou péjoratifs), qui modifient le signifié du mot de base exprimant une évaluation quelconque, et les « sufijos no apreciativos » (quasi tout le reste) ; les premiers seront discutés comme un problème de traduction tout particulier (cf. infra 3.4.2).  

















2.1.2 Préfixation3 La préfixation désigne l’adjonction d’un préfixe à une base (adjectivale, nominale ou verbale). Dans les langues étudiées ici, un préfixe ne peut pas changer la catégorie grammaticale du mot de base et peut être considéré comme le déterminant du mot complexe qui résulte (cf. Sandmann 1986, 12). Dans la littérature, les préfixes sont présentés soit regroupés selon la base à laquelle ils s’adjoignent (par ex. Schpak-Dolt 32010 ; Thiele 31993, qui, à un deuxième niveau, les rassemble d’après le contenu), soit selon la valeur sémantique du change 

l’exprime ; elle ne sera donc pas prise en considération dans la suite, où il ne sera question que des mécanismes formels. 3 Certains chercheurs considèrent la préfixation comme faisant partie de la composition (cf. les explications chez Miranda 1994, 54, et Sandmann 1986, 14s., qui, eux, comptent la préfixation parmi les mécanismes de dérivation).  

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ment qu’ils produisent (par ex. Grossmann/Rainer 2004 ; Dardano 1978 ; Miranda 1994), ou encore selon l’ordre alphabétique (par ex. Sandmann 1986). Puisque le mécanisme lui-même semble peu controversé, nous nous limiterons ici à donner quelques exemples de la négation avec le préfixe le plus productif in- (et ses variantes il-, im- et ir- en français et en italien ou bien im- et i- en espagnol et en portugais) ou autres préfixes, par exemple fr. in-attendu, mé-content (Thiele 31993,122s.), it. impossibile, s-contento (Dardano 1978, 127), esp. i-legal, des-confiar (Miranda 1994, 80ss.), port. in-comum, a-ético (Sandmann 1986, 26, 16).  





2.1.3 Parasynthèse Si à un mot existant sont ajoutés en même temps un préfixe et un suffixe (qui peut aussi être un « suffixe zéro », cf. infra), on parle de parasynthèse (terme introduit par Darmesteter 21894, 96) ; pour identifier un mot de ce type, il faut vérifier qu’il n’existe ni préfixation ni suffixation comme formation intermédiaire : pour le mot fr. dé-rat-is (-er), il n’existe ni la forme intermédiaire fr. *ratiser ni fr. *dérat (cf. Schpak-Dolt 32010, 129),4 comme dans les cas it. profondo → ap-profond-(ire) (Dardano 1978, 35), esp. alma → des-alma-do (Miranda 1994, 69) et port. verde → es-verd-(ear) (Sandmann 1986, 129). Cependant, certains chercheurs rejettent l’idée de la parasynthèse comme mécanisme à part entière (pour un abrégé critique, cf. Rainer 1993, 70ss.).  













2.1.4 Dérivation régressive et conversion Les deux mécanismes regroupés dans ce paragraphe sont souvent réunis dans la dérivation (cf. par ex. Sandmann 1986 ; Miranda 1994), mais parfois considérés comme ne faisant pas partie de la dérivation au sens strict (cf. par ex. Thiele 31993, surtout 23ss.). La dérivation régressive (appelée en italien retroformazione) est la formation d’un nouveau mot par suppression d’un suffixe, aussi interprétée comme dérivation avec un « suffixe négatif » (cf. Erben 52006, 39ss.), par exemple fr. appel, qui est apparu dans la langue après le verbe correspondant fr. appel-er (ex. de Thiele 31993, 24s.).5 Toutefois, ce procédé ne peut être identifié que dans une approche diachronique et  









4 Souvent, négligeant la possibilité d’un suffixe zéro et sans faire de distinction entre la flexion et la formation des mots, le suffixe de l’infinitif a été considéré comme relevant de ce procédé (déjà chez Darmesteter 21894, 96ss., puis chez de nombreux autres, comme nous le rappelle Schpak-Dolt 32010, 129). 5 Il faut souligner que cet exemple est valable seulement si l’on considère le suffixe de l’infinitif comme faisant partie de la morphologie dérivationnelle (et non pas de la morphologie flexionnelle).

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n’est normalement pas compté parmi les mécanismes productifs (cf. Thiele 31993, 23ss.), qui sont le centre d’intérêt du présent article. Si un mot est transféré dans une autre catégorie grammaticale sans changement formel, on parle de conversion (aussi appelée dérivation implicite ou impropre). Ce mécanisme est souvent considéré comme faisant partie de la dérivation, plus exactement comme une suffixation avec un « suffixe zéro » (d’après Marchand 1966, 293ss.). Mécanisme productif en français quand il s’agit d’adjectifs et adverbes, la conversion est souvent utilisée, en allemand, pour créer un substantif à partir d’un verbe ; en français, par contre, la conversion d’infinitifs avait cours à des époques anciennes, mais les mots créés ainsi ont été sujets à des changements sémantiques considérables, comme fr. le lever ‘cérémonie matinale à la cour de Versailles’ (cf. Sokol 22007, 123).  







2.2 Composition La composition a fait l’objet de nombreuses recherches linguistiques, portant les unes sur des questions de définition, les autres sur une comparaison du français et de l’allemand, langue dans laquelle la composition (nominale) est sans aucun doute le processus le plus important pour former de nouveaux mots (cf. Elsen 2009, 58). La première question est celle de savoir quels mécanismes sont impliqués dans la composition, qui est généralement décrite comme « le processus qui réunit deux ou plusieurs unités indépendantes » (Giurescu 1975, 31).6 Dans ce contexte, un problème essentiel est la distinction souvent difficile entre les composés et les syntagmes, qui « ne sont parfois séparés que par de très fines nuances » (Bally 41965, 98 ; cf. pour l’italien Dardano 1978, 143). Les critères proposés pour les distinguer se situent à la limite du contenu et de la forme et sont basés souvent sur la conception générale selon laquelle « le composé [fait] sur l’esprit l’impression d’une idée simple » (Bréal 1897, 174), qu’il se rapporte donc à un seul référent extralinguistique (cf. Gauger 1971, 146).7  













6 Gross (1996, 30s.) met en avant qu’il existe aussi des groupes nominaux dont un élément, bien qu’étant morphologiquement autonome, du point de vue syntaxique fonctionne comme suppléant d’un suffixe indicateur de genre, par exemple fr. femme dans fr. un médecin femme ; donc, d’après lui, toutes les suites de deux substantifs dans un groupe nominal ne sont pas des noms composés, et des analyses plus profondes sont nécessaires pour identifier la composition. 7 Noailly (1990, 17) donne l’exemple de fr. oiseau-mouche pour lequel il y existe le synonyme fr. colibri, ce qui souligne qu’il s’agit dans ce cas-là d’une seule unité lexicale, au contraire de ce qu’elle appelle les ‘groupes N1N2’ qui unissent en eux « deux idées qui servent conjointement à définir un objet donné – comme dans tout groupe nominal complexe » (Noailly 1990, 19) (cf. aussi l’exemple esp. máquina de lavar = lavadora). Pour une critique de certaines approches traditionnelles et une discussion des différents types de composition d’après le degré de figement, cf. Gross (1996, notamment 42ss. pour les degrés de figement ; 53ss. pour les constructions ‘N de N’, cf. infra 2.2.2 ; 49ss. pour les structures ‘nom + adjectif’, cf. infra 2.2.3).  

















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Une différenciation importante pour toutes les langues en question ici est celle entre les composés endocentriques, dont le noyau peut représenter toute la construction, comme fr. assurance-vie (ex. de Haensch/Lallemand-Rietkötter 1972, 60), et les composés exocentriques, aussi appelés composés possessifs, qui désignent une entité qui ne peut pas être représentée par un des éléments constitutifs, comme fr. tue-chien (cf. Thiele 31993, 25). En raison du nombre quasi illimité de constructions possibles, nous nous bornerons dans cette partie à évoquer les problèmes centraux liés à chacun des mécanismes.  



2.2.1 Constructions asyndétiques du type fr. chou-fleur / it. cavolfiore  

Pour ce type de constructions, il y a, en principe, trois possibilités orthographiques, lesquelles sont parfois considérées comme un indice du degré de lexicalisation (cf. von Langen-Keffenbrinck 1995, 216 ; Thiele 31993, 72) : les deux noms sont soit simplement juxtaposés (par ex. fr. appareil photo), soit ils sont réunis par un trait d’union (par ex. fr. wagon-couchettes), soit ils sont écrits en un seul mot (par ex. fr. gentilhomme) (exemples extraits de Haensch/Lallemand-Rietkötter 1972, 56ss.) ; cependant, les deux premières variantes sont rejetées par certains auteurs, qui n’acceptent pour les composés que l’écriture en un seul mot (cf. Czerwenka 2009, 26). Un type de composés doit être ici mentionné à part : il s’agit de la structure « V + N », composée d’un verbe (3e pers. indic. prés.) et, le plus souvent, d’un nom (sing. ou plur.), d’autres catégories grammaticales étant possibles aussi, par exemple l’adverbe dans fr. passe-partout (cf. Thiele 31993, 71ss.). Les composés de ce type sont normalement considérés comme exocentriques (cf. Sokol 22007, 121)8 et sont tous masculins (cf. Haensch/Lallemand-Rietkötter 1972, 65). Cartagena/Gauger (1989, 97) et Schpak-Dolt (32010, 139) les comptent parmi les mécanismes les plus productifs de l’espagnol et du français. Par ailleurs, on note qu’ils ont relativement souvent été empruntés à l’allemand, comme fr./all. garderobe/Garderobe (cf. Albrecht 22013, 107).  























2.2.2 Constructions syndétiques du type fr. temps d’attente / it. tempo d’attesa  

Comme nous le rappelle Rohrer (21977, 29), ces formes à prépositions, comme fr. pot à lait, sont traditionnellement considérées tantôt comme des composés (chez Bally 41965), tantôt comme des groupes syntaxiques « normaux » (chez Darmesteter 21894). Pour faire la différence entre les composés du type it. ferro da stiro et les syntagmes libres, Dardano (1978, 144ss.) propose les trois critères suivants : (1) stabilité de la  







8 Pour une critique de cette conception, cf. Coseriu (1977).

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relation entre signifiant et signifié, (2) stabilité de la formation, (3) emploi courant. On voit bien qu’un certain degré de lexicalisation est une condition cruciale pour l’identification des mots composés : ils représentent une seule unité morphologique et syntaxique dont les constituants ne peuvent être ni séparés, ni échangés, ni déterminés individuellement (cf. U. Wandruszka 1976, 100 ; des critères plus détaillés pour identifier les composés se trouvent chez Thiele 31993, 25s., et Giurescu 1975, 45ss. ; pour une discussion détaillée des différents critères par rapport à l’espagnol, cf. Czerwenka 2009, 26–40). Un accord sur le statut de ces formations n’a pas encore été trouvé, mais comme elles sont des équivalents standards de mots composés allemands ou anglais (cf. Albrecht 22013, 108), il semble justifié, pour les fins de la traductologie, de les intégrer dans nos considérations.  







2.2.3 Structures « nom + adjectif » du type fr. examen final / it. esame finale  





Les exemples de ce type sont, eux aussi, souvent exclus de la catégorie des mots composés des langues romanes : ainsi, Wunderli (1989, 90s.) les considère-t-il, de même que les constructions syndétiques, comme des « phraséologismes » parce qu’il leur manque un plan de construction spécifique. U. Wandruszka (1972, 144) souligne qu’en français, les structures de ce type sont beaucoup plus fréquentes et fonctionnellement plus diversifiées que les constructions asyndétiques, et Albrecht (22013, 108) les considère comme des équivalents standards de composés allemands.  







2.2.4 Composition savante Dans les langues romanes, la composition savante (appelée aussi recomposition d’après Martinet 11960, 135, lequel a cependant modifié la dénomination en confixation dans l’édition de 1980, 135) est souvent traitée comme un mécanisme différent des autres. Il s’agit de la réunion d’éléments d’origine latine ou grecque entre eux ou avec des éléments populaires (cf. Sokol 22007, 122) : fr. bureau-crate (Thiele 31993, 76), it. antropo-fago (Dardano 1978, 145), esp. pluvio-métrico (Miranda 1994, 64). Comme le nom le suggère, ce mécanisme est souvent considéré comme faisant partie de la composition parce que, même si les constituants n’existent pas sous la forme de morphèmes libres, les relations syntagmatiques sont les mêmes que dans les composés réguliers (cf. Thiele 31993, 25 et 71). Par ailleurs, Dardano (1978, 145), incluant dans sa composizione allogena aussi des éléments d’autres langues étrangères, souligne que le locuteur peut sans problème identifier et comprendre les constituants individuels. D’un autre côté, le fait que ces éléments ne sont pas des morphèmes libres autorise à considérer ces constructions comme des cas de dérivation, d’autant plus que l’ordre des constituants ne correspond pas non plus à l’ordre normal (cf.  



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U. Wandruszka 1976, 106). Gross (1996, 10) tient compte de la problématique en désignant de telles structures comme « intermédiaires entre dérivation et composition ».  





2.2.5 Remarques conclusives sur la composition Même si dans les langues romanes, la composition est traditionnellement considérée comme jouant un rôle presque insignifiant, certains chercheurs constatent que l’importance de ce mécanisme, et surtout des constructions asyndétiques, augmente de plus en plus (cf. pour l’italien von Langen-Keffenbrinck 1995, 224 ; pour le français Rohrer 21977, 200, qui admet néanmoins la productivité limitée de la composition). Angele (1992, 195) soutient qu’en espagnol aussi la composition nominale, dans le sens restreint des constructions asyndétiques, ne représente qu’un phénomène marginal. De plus, elle remarque que ce sont surtout les linguistes allemands qui s’intéressent à la composition dans les langues romanes et qui la conçoivent dans un sens plus large (cf. Angele 1992, 102s.). Ainsi, le rôle de plus en plus important de la composition, surtout dans le langage technique et autres variétés linguistiques, est le plus souvent constaté par les chercheurs qui y incluent les constructions syndétiques (cf. pour le français Thiele 31993, 67, et déjà Grieve-Schumacher 1960, 24). En ce qui concerne la comparaison avec l’allemand, on peut constater que les formes mentionnées aux paragraphes 2.2.1 à 2.2.3 ont comme équivalent un simple composé nominal : all. Blumenkohl, all. Wartezeit et all. Abschlussprüfung respectivement. Le premier type étant plutôt rare dans les langues romanes, Blaikner-Hohenwart (1983, 395) conclut qu’un mécanisme tout à fait normal en allemand n’y a guère d’équivalent formel.  



2.3 Procédés d’abrègement Les procédés d’abrègement ne sont souvent pas considérés comme relevant de la formation des mots au sens propre parce qu’il ne s’agit que de donner une nouvelle forme à un mot déjà existant, de créer une variante diaphasique (cf. Grossmann/ Rainer 2004, 561 ; Sokol 22007, 119).9 Nous les mentionnons tout de même par souci d’exhaustivité et aussi parce qu’il en sera question lors de la discussion des problèmes de traduction proprement dits.10  

9 C’est aussi le cas par exemple chez Miranda (1994), qui les considère comme relevant de la lexicologie, au contraire de la dérivation et de la composition, qu’il réunit dans la morphologie lexicale. 10 Au contraire des mécanismes discutés ici, l’abréviation est un phénomène purement orthographique : des lettres d’un mot ou d’une expression sont retranchés sans que la prononciation soit changée (cf. Thiele 31993, 104s. ; pour l’espagnol cf. Rainer 1993, 705).  



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2.3.1 Siglaison et acronymie Un sigle est un abrègement composé des lettres initiales d’un groupe de mots (cf. Grossmann/Rainer 2004, 558). De nombreux auteurs les différencient des acronymes, dont on n’épèle pas les lettres individuelles mais qui sont prononcés comme un mot entier, par exemple fr. Organisation du traité de l’Atlantique Nord → OTAN (prononcé [otã] ou [otan]) (cf. Thiele 31993, 104) ; souvent, un des constituants d’un acronyme est représenté par plus d’une seule lettre, par exemple esp. Red Nacional de Ferrocarriles Españoles → RENFE (cf. Rainer 1993, 706). On note, au moins en italien, une forte tendance à écrire (tous) les sigles comme des mots ordinaires, c’est-à-dire avec une seule majuscule au début ou même tout en minuscules, par exemple it. Usa (cf. Grossmann/Rainer 2004, 559).  



2.3.2 Apocope et aphérèse Lors de la troncation, les mots originaux sont raccourcis de façon qu’il n’en reste que le début (apocope) ou (plus rarement) la fin (aphérèse) : fr. télé(vision), (auto)bus (Thiele 31993, 99s.), esp. foto(grafía) (Miranda 1994, 165), it. frigo(rifero) (Grossmann/ Rainer 2004, 561). Ce mécanisme est encore plus productif en français que dans les autres langues romanes, où il relève plutôt de la langue parlée et/ou d’un registre familier, comme esp. Consti(tución), (mu)chacha (cf. Rainer 1993, 697 et 700). Il est aussi possible d’abréger les noms propres, par exemple port. ((Se)Bas)Tião (Sandmann 1986, 190). Certains abrègements (surtout ceux d’origine latine ou grecque) sont entrés dans la langue écrite, et la forme originale est devenue rare voire obsolète, comme fr. photo(graphie) ou vélo(cipède) (cf. Thiele 31993, 99).  





3 Un problème de traduction particulier La mention de la formation des mots comme problème de traduction est plutôt rare dans la littérature et, même si le domaine est pris en compte, les informations données sont en règle générale plutôt vagues : Schreiber (2006, 84) se limite à constater que la traduction de mots composés allemands dans les langues romanes n’est souvent possible que par une périphrase, tandis que M. Wandruszka (1974, 320) décrit la traduction de composés nominaux allemands comme un problème souvent insurmontable parce que, d’après lui, il n’est pas possible d’exprimer, dans les langues romanes, même par toute une phrase, tout ce qui est compris dans une telle structure allemande. Vu qu’il n’y a pas encore d’analyse exhaustive de tous les problèmes de traduction liés à la formation des mots, la présente contribution se limitera à présenter les résultats de quelques études portant sur des aspects choisis et à aborder quelques aspects nouveaux qui nous semblent intéressants dans ce contexte.  



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Lors de la traduction, il est important de se rendre compte de la différence entre les possibilités qu’un idiome offre au niveau de la langue et les réalisations au niveau de la parole permises par la norme, c’est-à-dire la productivité des mécanismes théoriquement possibles (cf. Lipka 1968, 131). D’un côté, cela concerne les langues romanes en confrontation avec les langues germaniques, mais d’un autre côté aussi les langues romanes entre elles qui, malgré leurs mécanismes et moyens similaires, présentent de nettes différences dans la réalité linguistique.

3.1 Le contexte culturel Bien naturellement, il faut toujours tenir compte du contexte culturel, qui peut rendre absolument inacceptable dans un texte cible un élément linguistique dont l’équivalent formel était tout à fait acceptable dans le texte de départ. Ainsi, des formations qui ne se trouvent pas dans le dictionnaire sont souvent inacceptables pour la plupart des Français alors qu’elles peuvent être tout à fait acceptables pour des locuteurs italiens, anglais ou allemands (cf. Albrecht 22013, 110). Ainsi, même si les mécanismes au niveau de la langue sont semblables, la créativité lexicale en français est plutôt restreinte :  

« L’inconscient linguistique des francophones est actuellement hostile aux néologismes. Nous sommes conservateurs, nous n’avons pas le réflexe de créer des mots nouveaux, cela ne nous amuse pas, et quand nous le faisons, c’est avec crainte et tremblement, avec le sentiment d’être sacrilège » (Corbeil 1971, 136).  



Et l’attitude des Français ne semble pas avoir changé au cours des dernières décennies : ainsi, Lüdtke (2005, 109) constate qu’à cause de ce purisme national, il y a plus de paraphrases en français que dans les autres langues romanes. Il arrive en outre que le contenu traduit aussi bien que les formulations et le niveau de langue utilisés par l’auteur de l’original soient plus difficiles à accepter dans la culture cible : ainsi peut-il être nécessaire de s’abstenir d’une traduction littérale pour ne pas choquer les destinataires par un langage trop explicite et de se rabattre sur un calque ou toute autre modification ne trahissant pas le texte source (cf. Gil 2008, 76).  



3.2 Classification générale Comme le constate Albrecht (22013, 109), il y a trois aspects généraux intéressants dans le contexte de la traduction et de la formation des mots : (1) les différences interlinguistiques au niveau des systèmes vs. au niveau des réalisations, (2) les mauvaises interprétations ainsi que (3) la transparence et la motivation. (1) Parfois, la reproduction d’un mot complexe n’est pas possible et le traducteur doit se rabattre sur une périphrase ; souvent, des solutions standards existent, qui  





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peuvent être recherchées dans les dictionnaires (qui cependant n’offrent généralement pas de formulations utilisables pour le texte à traduire) ou, plus souvent, dans les glossaires techniques, par exemple all. eine verkehrsarme Linie ~ fr. une ligne à faible trafic (cf. Albrecht 22013, 110s.). (2) Il peut arriver qu’un mot complexe soit mal compris, soit par exemple à cause d’une isomorphie ou une homonymie, soit à cause d’une ressemblance (formelle) entre mots morphologiquement complexes faisant partie de la langue standard ou bien d’une variété, comme all. fohlen (‘pouliner’, standard) vs. all. büffeln (‘piocher’, fam.)11 (cf. Albrecht 22013, 112ss.). (3) Le troisième aspect à mentionner est la motivation morphologique et la transparence : souvent, les formations allemandes sont plus ou moins compréhensibles du premier coup, tandis que les mots simples d’origine grecque ou latine du français ne le sont pas : ainsi, all. Tag-und-Nacht-Gleiche peut s’expliquer par la signification des constituants tandis que fr. équinoxes est opaque (cf. Albrecht 22013, 115). Ce fait peut aussi influencer l’intégration textuelle d’un mot complexe, vu qu’en allemand, les constituants peuvent être utilisés séparément et ainsi lier différentes parties d’un texte (cf. Albrecht 22013, 115s.). Après cette classification générale, qui n’est cependant qu’une vue d’ensemble non spécifique, nous pouvons aborder les problèmes particuliers et typiques de certaines paires de langues.  











3.3 Allemand – langues romanes Dans cette partie, il sera question des problèmes qui se posent lors de la traduction de l’allemand vers une langue romane et vice versa. En l’occurrence, la paire allemandfrançais est sans doute celle qui a été le plus étudiée, notamment pour identifier les équivalents français de composés (nominaux) allemands.

3.3.1 L’ordre des constituants L’ordre des constituants du composé, qui est en allemand l’inverse de ce qu’il est dans les langues romanes (all. Lichtjahr ~ esp. año luz ; Rainer 1993, 246), est une difficulté parfois mise en avant, mais qui n’est réelle qu’au niveau débutant. Comme le souligne Sandmann (1986, 15), les composés d’après un modèle étranger, comme port. motosserra (d’après all. Motorsäge), sont toujours un phénomène marginal, malgré leur  

11 Cet exemple a tout de même quelque chose de logique : all. Fohlen désigne un jeune dès le moment de la naissance ; en revanche, all. Büffel (‘buffle’) désigne un animal adulte, donc l’idée de la ‘parturition en cours’ est exclue.  



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nombre croissant. « En l’absence de repères préalables, on comprend toujours spontanément que le terme déterminé vient en premier, suivi par celui qui le détermine » (Noailly 1990, 24), et normalement, l’ordre des constituants dans les langues romanes correspond à celui dans le syntagme équivalent (cf. Gauger 1971, 153, pour le français ; Cartagena/Gauger 1989, 107, pour l’espagnol).  





3.3.2 Correspondance composé allemand – dérivé roman Une différence structurelle notable entre l’allemand et les langues romanes se manifeste dans la correspondance fréquente voire systématique entre composition dans la première et suffixation dans les secondes. Sandmann (1986, 44) observe que les listes de correspondances établies pour le couple français-allemand peuvent aussi bien être étendues au portugais : all. Feuer-wehr-mann ~ fr. pomp-ier ~ port. bomb-eiro ; all. Schlaf-saal ~ fr. dort-oir ~ port. dormi-tório. Et ce n’est pas tout, car les listes peuvent également être étendues à l’italien et à l’espagnol (it. pomp-iere, dormi-torio ; esp. bomb-ero, dormi-torio). Cependant, pas de règle sans exception : all. Aschen-becher se traduit par fr. cendr-ier, port. cinz-eiro, esp. cenic-ero, mais it. porta-cenere.  













3.3.3 Noms composés allemands Windisch (1995) analyse les traductions françaises et espagnoles de composés allemands du type « thème verbal + nom » (all. Bind-faden) (à ne pas confondre avec le type roman mentionné supra, 2.2.1). Après une classification sémantique des formations allemandes (cf. Windisch 1995, 399–405), il identifie quatre types de traduction : (1) mot simple (all. Bind-faden ~ fr. ficelle ~ esp. hilo) (fr. 22,9%, esp. 15%), (2) dérivation (all. Gieß-kanne ~ fr. arros-oir ~ esp. rega-dera) (fr. 14,5%, esp. 23,2%), (3) mot composé (dans une acception large du terme) (all. Schreib-maschine ~ fr. machine à écrire ~ esp. máquina de escribir)12 (fr. 56,5%, esp. 56,7%) et (4) paraphrase/occasionalisme (all. ohne jeden Schummel-versuch ~ fr. sans chercher à tricher ~ esp. sin tratar de hacer trampa) (fr. 3%, esp. 2,9%) (cf. Windisch 1995, 405s., 420). Le chercheur constate des imprécisions lors du choix d’un mot simple ainsi que, lors de récurrences, l’omission du déterminé ou l’utilisation de synonymes (cf. Windisch 1995, 407s., 418s.). Il conclut qu’il y a nombre de solutions possibles et de tendances, mais pas de relation directe avec la fonction de la formation originale (cf. Windisch 1995, 422s.).  





























12 Le type français ‘N à N’ est admis par Rohrer (21977, 52) comme l’équivalent standard des composés nominaux allemands du type discuté dans ce paragraphe.  



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Des études détaillées sur la traduction de noms composés allemands ont été menées par Wolf (1990) pour le français et Angele (1992, notamment 90–99) pour l’espagnol.

3.3.4 Adjectifs composés allemands Lipka (1968) se concentre sur les adjectifs composés de l’allemand et leur traduction en français, partant de la structure « N + Adj » pour faire la différence entre deux types qu’il désigne à l’aide d’exemples : le type all. grasgrün (pour les couleurs et les intensifications ; rôle sémantique mineur du premier constituant) et le type all. kugelsicher (autres adjectifs ; rôle sémantique décisif du premier constituant). Pour les couleurs, le français connaît aussi un type de composé (fr. jaune paille ; pour plus d’exemples, cf. Rohrer 21977, 164s.), mais on utilise également des structures du type fr. couleur de … ou bien du type « Adj prép N » (fr. bleu de cobalt) ou finalement la simple addition d’un nom comme élément de comparaison sans explicitation de la couleur (fr. des foulards cerise) (cf. Lipka 1968, 135–138) ; pour les intensifications, il n’y a pas la possibilité de former un composé, mais l’on peut ajouter à l’adjectif soit un préfixe, comme fr. super-, hyper-, etc., qui ont tous un domaine d’application spécifique, soit un adverbe (par ex. fr. vachement), soit encore, dans certaines expressions figées, un infinitif (fr. drôle à mourir) ; de plus, il y a la possibilité d’insérer une comparaison, comme fr. beau comme le jour (cf. Lipka 1968, 138– 140). Pour le type all. kugelsicher, il y a les possibilités suivantes :13 (1) adjectif ou groupe syntaxique simple sans représentation du substantif déterminant allemand (la signification est normalement clarifiée par le contexte, par. ex. all. wasser-/luftdicht ~ fr. étanche) ; (2) adjectif simple (souvent « mot savant ») ou dérivé avec reproduction précise du contenu sémantique (all. blutarm ~ fr. anémique ;14 all. bemerkenswert ~ fr. remarquable) ; (3) groupe syntaxique périphrastique ressenti comme constituant une unité (~ all. abgabefrei ~ fr. non taxé) ; (4) groupe syntaxique périphrastique avec reproduction des deux constituants allemands avec différents degrés de complexité (de all. kugelsicher ~ fr. à l’épreuve des balles jusqu’à all. betriebssicher ~ fr. offrant une entière sécurité de service) (cf. Lipka 1968, 140–143).15  





































































13 À première vue, les préfixes fr. anti-, para- semblent être possibles ; cependant, à y regarder de plus près, la correspondance sémantique avec les composés allemands en question est minime (cf. Lipka 1968, 140s.). 14 Il faut ajouter que nombre d’adjectifs d’origine latine ou grecque existent en allemand aussi, mais souvent dans un contexte spécifique voire spécialisé, comme dans cet exemple, all. anämisch (jargon médical). 15 Dans Schmitt (1991) sont étudiés les équivalents français d’adjectifs avec all. -schwer ; là aussi, les solutions trouvées sont extrêmement diverses (cf. Schmitt 1991, 74s.) et le chercheur souligne que le  





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Cette étude montre bien comment un mécanisme standard de l’allemand révèle une « lacune » (terme utilisé par Lipka 1968) du français – et il y a bien des indices que cela vaut aussi pour les autres langues romanes (par ex. it. verde erba au contraire de it. a prova di proiettile outre it. antiproiettile, esp. verde hierba au contraire de esp. a prueba de bala outre esp. antibalas).  



3.3.5 « Affixoidbildungen » – un phénomène allemand ?  





Dans la philologie allemande, les « affixoïdes » sont définis comme des morphèmes issus de mots indépendants fréquemment utilisés comme éléments de composés et prenant de ce fait une signification plus générale et plus abstraite qui les transforme en éléments non autonomes, alors perçus comme morphèmes liés, ainsi par exemple les « préfixoïdes » intensifiants all. Riesen-, Affen-, stink- et les « suffixoïdes » all. -gut, -werk, -voll (cf. Bußmann 42008, 12).16 Ce phénomène existe aussi, quoique à un degré moindre, dans les langues romanes, qu’il s’agisse de préfixoïdes comme dans port. sem-numero, sem-teto ou de suffixoïdes comme port. peça-chave, questão-chave (Sandmann 1986, 147s. et 137) ou it. viaggio-lampo, matrimonio-lampo, posto-chiave, questione-chiave (ces derniers normalement écrits sans trait d’union), fr. position clef, mot clef et ferme pilote, industrie pilote (exemples de Giurescu 1975, 33). Pour les besoins de la traductologie, Schmitt (1998) analyse quelques textes littéraires et leurs traductions pour identifier les équivalents français de certains préfixoïdes intensifiants allemands. En résumé, l’équivalence des préfixoïdes négatifs est souvent établie par des adjectifs porteurs d’une connotation semblable, fréquemment superlative (par ex. all. Höllenschmerz ~ fr. atroces douleurs), parfois aussi par des composés (par ex. all. Bleigewicht ~ fr. poids de plomb) (cf. Schmitt 1998, 442). Pour les préfixoïdes positifs, l’auteur identifie trois équivalents possibles : le composé, la paraphrase ou l’expression idiomatique – bien que parfois, la traduction puisse comporter une autre connotation que l’original, comme all. Affengeduld ~ fr. patience d’ange (cf. Schmitt 1998, 443s.).  





















traducteur doit se rendre compte des possibilités productives de l’allemand comme langue cible (cf. Schmitt 1991, 76). 16 Dans la littérature romane, par contre, certains chercheurs appliquent le même terme aux éléments d’origine grecque ou latine, traités ici sous le titre de composition savante (cf. supra 2.2.4), qui permettent une interprétation soit comme composition, soit comme dérivation (cf. Miranda 1994, 55ss. ; Haensch/Lallemand-Rietkötter 1972, 45ss. et 54s.).  

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3.3.6 Dérivation à partir d’un abrègement Ce qui peut poser un problème dans le contexte des abrègements, c’est la possibilité dans les langues romanes de former des dérivés à partir d’abrègements, par exemple fr. vélo tout terrain → V.T.T. → vétét-iste, ONU → onu-sien (cf. autres exemples chez Thiele 31993, 103s. ; Haensch/Lallemand-Rietkötter 1972, 72s.). Ce genre de dérivation est aussi possible dans les autres langues romanes, par exemple esp. Confederación Nacional del Trabajo → CNT → cenet-ista (Miranda 1994, 172), port. Partido do Movimento Democrático Brasileiro → PMDB → pemedeb-ista (Sandmann 1986, 191s.), it. Comunione e Liberazione → CL → ciell-ini, tandis qu’en allemand, une telle formation ne serait guère possible, les abrègements restant inchangés lors de la dérivation, par exemple dt. CDU-ler. Ces formations typiques des langues romanes demandent donc beaucoup d’attention lors de la traduction en allemand : outre qu’il faut déjà les repérer et les comprendre, les procédés de formation des mots sont si différents en allemand qu’une imitation du mécanisme à l’œuvre ici dans les langues romanes semble exclue, ce qui oblige souvent à recourir à une explicitation voire à une périphrase.  





3.4 Langues romanes entre elles Dans cette partie seront évoqués des problèmes qui se posent lors de la traduction d’une langue romane vers une autre.17

3.4.1 Emprunt – formation populaire Lors de la traduction d’une langue romane dans une autre, des interférences sont possibles si un emprunt s’oppose à une formation populaire : l’italien et le français ont emprunté du lat. legem ferre les verbes fr. légiférer et it. legiferare, tandis qu’en espagnol le verbe nouveau esp. legislar a été créé par dérivation régressive par rapport à esp. legislador et legislación (ceux-ci empruntés du latin) (cf. Lüdtke 2004, 234).  



3.4.2 « Sufijos apreciativos »  



Nous avons déjà parlé des « sufijos apreciativos » (cf. supra 2.1.1), qui jouent un rôle majeur dans les langues romanes du sud (espagnol, italien, portugais), mais qui  



17 Encore faut-il signaler que certains de ces problèmes se posent aussi quand il s’agit d’une traduction allemand-langue romane (les exemples suivront).

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posent un grand problème pour les traducteurs français, allemands et anglais (au point que M. Wandruszka 1969 leur dédie tout un chapitre, 85–98). Il y a certes un groupe de suffixes appréciatifs en français aussi (cf. Thiele 31993, 53ss.), mais ceux-ci ne sont plus guère productifs et ne sont pas d’une utilisation aussi aisée (cf. M. Wandruszka 1969, 93). Ce qui rend ces suffixes particulièrement difficiles, c’est d’un côté leur polysémie presque systématique et de l’autre côté le fait que, malgré leur ressemblance formelle, ces suffixes ne sont pas utilisés de la même façon ni dans les mêmes contextes dans les différentes langues (cf. M. Wandruszka 1969, 87 et passim) : ainsi, fr. chat-on est un diminutif tandis que it. gatt-one désigne un chat exceptionnellement grand (et/ou gros), le diminutif étant it. gatt-ino ; esp. rat-ón (‘souris’), formellement semblable, est un dérivé lexicalisé de esp. rata (‘rat’), tandis que port. cachorr-ão est un grand chien, et ainsi de suite. De nouveau, nous pouvons trouver ici des composés comme équivalents allemands : fr. sœur-ette ~ all. Schwester-herz (outre les dérivés Schwester-lein/-chen), esp. dormi-l-ón ~ all. Schlaf-mütze ; et avec l’exemple de M. Wandruzka (1969, 87) it. omaccione (de it. om-accio ← uomo) ~ all. Mords-kerl, nous abordons encore une fois le domaine des affixoïdes (cf. supra 3.3.5).  



















3.4.3 Abrègements divergents Outre les différences entre les langues romanes et les langues germaniques, comme fr./it./esp./port. ONU vs. angl./all. UNO, il existe aussi des disparités entre les diverses langues romanes et parfois même à l’intérieur d’une seule langue : tandis que le français et l’espagnol utilisent l’acronyme roman fr./esp. sida, la variante anglaise est plus répandue en italien (it. aids ; en allemand aussi, d’ailleurs) ; en portugais, en revanche, les deux sont employés, le roman étant plus répandu au Portugal, l’anglais au Brésil.  





3.4.4 Les faux amis dans la formation des mots Comme le souligne Pöckl (2007, 127), le problème des faux amis, qui concerne normalement les mots entiers, peut aussi jouer un rôle dans le contexte de la formation des mots. Pöckl se réfère, à titre d’exemple, à une étude conduite en 1989 par Rainer du préfixe (ou élément de composition savante, cf. supra 2.2.4) neo-, qui peut avoir des acceptions diverses dans les différentes langues romanes (et germaniques), comme par exemple ‘reprise de qqch’ (fr. néo-classicisme), ‘dernière phase de qqch’ (fr. néo-latin). La palette la plus large est celle de l’italien, où neo- peut en outre signifier ‘récent’/‘depuis peu de temps’, par exemple it. neo-eletto – une fonction qui actuellement se répand aussi dans la langue allemande : all. Neo-profi (cf. Pöckl 2007, 130s.). Cf. également it. neo-nato, esp. neo-nato au contraire de fr. nouveau-né, all.  







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Neu-geborenes, port. recém-nascido ; néanmoins, la question des emprunts (cf. supra 3.4.1) pourrait également jouer un rôle ici (sur les faux amis, cf. aussi ↗16 Les « faux amis » : théories et typologie).  







3.5 Les occasionalismes Il est admis depuis longtemps qu’on ne traduit pas les mots, mais les textes. Toutefois, les mots choisis font partie du style d’un auteur, qui devra naturellement être rendu. Et si l’auteur est d’avis que le vocabulaire à sa disposition n’est pas suffisant pour ses fins et décide de créer des mots nouveaux, il sera sans aucun doute nécessaire de rendre ce choix d’une manière ou d’une autre (pour la fonction stylistique des formations de mots, cf. Handler 2009 ). Windisch (1995, 419) souligne ainsi la difficulté de traduire correctement les occasionalismes et la nécessité de parvenir à une équivalence formelle (au sens de Koller 72004, 252–266).18 Toutefois, dans le contexte de la formation des mots, il nous semble important de souligner aussi l’importance de l’équivalence connotative (cf. Koller 72004, 240–247). Souvent, l’auteur d’un texte aide le lecteur, et donc le traducteur, à prendre conscience de l’existence d’un néologisme « en explicitant […] le caractère de nouveauté […] par une marque énonciative quelconque » (Marcellesi 1974, 98). Ainsi, les occasionalismes deviennent « remarquables », et le contexte fournit les informations pour les interpréter correctement, même si la formation est en théorie polysémique (cf. Motsch 1981, 100). Les occasionalismes sont d’ailleurs normalement (plus ou moins) transparents : l’effet d’opacité causé par la lexicalisation est exclu pour les mots nouveaux (cf. Motsch 1981, 98). Il ne reste donc des problèmes potentiels pointés par Albrecht (22013, 109) (cf. supra 3.2) que la différence des systèmes, les mauvaises interprétations et le manque de transparence étant pratiquement exclus. La traduction des occasionalismes est étudiée par Schüler (2006), qui prend en compte l’aspect formel et l’aspect sémantique des mots nouveaux, tous deux pouvant, lors de la traduction, être l’objet de pertes, de gains ou de modifications (cf. Schüler 2006, 63). En se fondant sur de nombreux exemples, l’auteur identifie cinq mécanismes de traduction : emprunt, reproduction, création nouvelle, omission et rajout avec différentes combinaisons possibles (cf. Schüler 2006, 64–66). Une autre étude se limite à analyser le côté formel de traductions littéraires, concluant que, au moins sur un corpus limité, l’hypothèse des équivalents standards au sens d’Albrecht (22013, 108) – « X prép Y » et « nom + adjectif » – se confirme dans 66% des solutions françaises et 56% des italiennes (cf. Weber s.p.).  



















18 Windisch (1995, 419) parle encore d’équivalence expressive, terme utilisé dans l’édition originale de Koller (1979, 187).

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4 Conclusions Il va de soi qu’il y a bien des différences non seulement entre les langues romanes et les langues germaniques, mais aussi entre les langues romanes elles-mêmes. Pour la traduction, il semble crucial de se rendre compte de ces différences, mais surtout des possibilités qu’offre la langue cible : l’idée de certains chercheurs qu’une structure quelconque puisse être intraduisible est certainement excessive et ne tient pas compte de la réalité linguistique (comme le démontre d’ailleurs de manière impressionnante Irmen 1977 en se fondant sur l’équivalence entre all. Mengenlehre et esp. teoría de los conjuntos). Grâce à une profonde connaissance des mécanismes avec toutes les limitations établies et les libertés garanties par les normes, les traducteurs peuvent sans aucun doute résoudre les problèmes liés à la formation des mots et trouver des solutions adéquates.  

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La formation des mots comme problème de traduction

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Annette Sabban

14 Le traducteur face aux expressions figées Abstract : L’article traite des défis que représentent, pour la traduction, les expressions polylexicales dites « figées ». L’accent est mis sur les phrasèmes à fonction référentielle, dont les idiomes, et les phrasèmes à fonction communicative ou formules pragmatiques. Partant de l’idée, généralement admise, que la traduction consiste essentiellement à rechercher des équivalents de discours et non « de langue », l’article montre que la recherche d’une traduction adéquate pour un texte donné varie selon une multitude de paramètres, à savoir la méthode globale de traduction adoptée (« rapprochante » ou « éloignante »), le type d’unité en question (idiome à deux niveaux de signification, formule de routine etc.), la signification et la fonction de l’expression dans le texte source, son emploi (non marqué ou marqué), les moyens disponibles en langue cible ainsi que la fonction du texte envisagée – le tout étant soumis à la décision du traducteur quant aux aspects du texte source qu’il considère pertinents pour être communiqués dans et par le texte cible. Les limites des taxinomies traditionnelles en linguistique contrastive pour la traduction sont mises en évidence tout en soulignant la pertinence des analyses plus récentes en linguistique de corpus, et ceci grâce aux recherches plus pointues sur les régularités d’usage des expressions figées. L’article souligne également l’importance de la forme de l’expression au sens large du terme, y compris une image ou une métaphore, souvent culturellement marquée. La forme peut être mise en valeur ou manipulée dans un but précis dans le texte source, ce qui présente un défi particulier pour le traducteur.    

















Keywords : expression figée, idiome, formule pragmatique, faux ami, modification    

1 La problématique 1.1 Le figement lexical : diversité des phénomènes  

Le figement lexical est une caractéristique fondamentale des langues. La notion de figement renvoie au fait qu’il existe, dans l’usage, des « groupements usuels » de mots (Ch. Bally), aujourd’hui généralement appelés « collocations ». Mais il renvoie aussi au fait qu’il existe, dans le lexique, des expressions polylexicales figées, appelées traditionnellement « locutions », mais englobant aussi d’autres types d’expressions, d’étendue et de caractère divers. L’ensemble de ces expressions, caractérisées par des rapports syntagmatiques ou combinatoires privilégiés, voire figés, entre leurs composants, constitue le domaine de la phraséologie ; elles font l’objet de la branche de la linguistique du même nom.  













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Annette Sabban

Étant donné que la phraséologie d’une langue fait partie de ses modes d’expression usuels et de ce qu’il y a de plus caractéristique dans une langue, il n’est pas étonnant que le figement lexical « oppose une résistance à la traduction » (Durieux 2008, 324) et que les phénomènes correspondants soient considérés comme particulièrement difficiles ou impossibles à traduire (cf. Corpas Pastor 2000, 483, 498). Or, souvent, de telles assertions ne portent implicitement que sur le groupe des idiomes, objet d’étude longtemps privilégié et généralement considéré comme central en phraséologie. Mais les idiomes ne constituent qu’un sous-groupe des expressions figées (abrév. : EF), ou phrasèmes, et des phénomènes apparentés. On peut distinguer trois groupes principaux d’EF, selon les trois dimensions de la sémiotique (cf. la classification de base proposée par Burger 52015, 31s.) :  







1) Les phrasèmes à fonction référentielle Ce sont généralement des syntagmes désignant des objets, des actions ou des qualités, dont –

les idiomes, caractérisés par un double niveau de signification, à savoir littéral et idiomatique, ou plus généralement phraséologique, ce dernier s’étendant soit à l’ensemble soit à une partie de la séquence (pédaler dans la semoule ; dormir à poings fermés) ; les comparaisons stéréotypées (bête comme ses pieds) ; etc.  

– –





Le figement peut dépasser le syntagme pour s’étendre à une phrase entière (C’est là que gît le lièvre !). Les phrases génériques constituent le groupe des proverbes, adages et dictons (Il n’y a pas de roses sans épines. Mieux vaut tard que jamais).  

2) Les phrasèmes à fonction communicative Ce sont des formules servant à accomplir des routines communicatives, des tâches standard, caractéristiques d’une communauté linguistique et culturelle (cf. Lüger 2007, 445), aussi appelées phrasèmes ou formules « pragmatiques ». On peut en distinguer trois groupes principaux (voir aussi chap. 3) :  





– – –

les formules de routine au sens étroit du terme (Il n’y a pas de quoi) ; les formules discursives (La parole est à M. / Mme X ; en un mot) ; les formules de commentaire et autres formules expressives (Tu parles !).  











3) Les phrasèmes à fonction structurelle Ils servent à établir des relations grammaticales à l’intérieur de la langue : de manière à (ce que) ; la question de savoir si ….  





La présente contribution portera essentiellement sur les catégories 1 et 2, généralement considérées comme centrales (voir chap. 1 à 4), les proverbes et d’autres « formes sentencieuses » (Anscombre 2008) n’étant pas traités de manière approfondie. Si l’on adopte une conception plus large de la phraséologie, il faut en outre  



Le traducteur face aux expressions figées

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inclure des phénomènes tels que citations historiques, slogans publicitaires connus, titres de romans, de films, de chansons, etc. Ces derniers font partie du savoir culturel d’une communauté et jouent un rôle important dans certains domaines et types d’emploi, renvoyant à l’original parfois par simple allusion. De ce fait, ils posent des problèmes particuliers pour la traduction (voir chap. 5).  

1.2 Les défis pour la traduction Par « traduction » nous entendons la traduction d’un texte (écrit), et non la traduction d’une EF dans un dictionnaire bilingue. La relation entre les deux cas constitue un problème à traiter à part. En effet, il a été observé à plusieurs reprises, dans des études de traduction comparée, que les équivalents proposés par le dictionnaire ne sont pas forcément des équivalents adéquats pour le texte en question (cf. Sabban 2010, 195s.). Les difficultés de traduction varient selon la méthode globale de traduction adoptée, le type d’unité, l’emploi (non marqué – marqué), la signification et la fonction de l’EF dans le texte source, les moyens disponibles en langue cible ainsi que la fonction du texte envisagée.  



1) Dans le cas des phrasèmes référentiels, et plus précisément des idiomes, les difficultés relèvent de leur complexité à tous les niveaux : sémantique, syntaxique, textuel et pragmatique. Ainsi, le sémantisme des idiomes présente souvent des différences subtiles par rapport à d’autres expressions (comparez, par ex., prendre ses jambes à son cou avec partir précipitamment). Les explications dans les dictionnaires s’avèrent souvent réductrices à cet égard, comme le montrent des études portant sur des idiomes individuels et leur emploi dans des contextes multiples (cf. Kühn 2012 pour all. jdm. in die Arme laufen). Les subtilités sémantiques portent sur la dénotation, mais également sur la connotation, en particulier dans le cas des expressions imagées. Fait partie de la connotation, outre une évaluation péjorative ou méliorative de la part du locuteur, (1) ce qui est parfois nommé « expressivité » ainsi que (2) l’évocation d’un savoir culturel, comme par exemple un geste conventionnel, parfois même d’une époque passée (jeter / relever le gant), ou les règles de la corrida, qui sont à la base de maints idiomes espagnols (cf. Sierra Soriano 2008). Il peut également y avoir certaines implications, propres à l’idiome concerné. Ainsi, selon Assam (2008, 47), esp. coger el toro por los cuernos (cf. fr. prendre le taureau par les cornes) implique que la situation dont on parle est instable et risquée. De telles implications sont étroitement liées aux normes d’usage d’une EF, qui s’appliquent également à la gamme de ses contextes thématiques. Le contexte, lui, peut avoir des conséquences sémantiques, ne serait-ce que sous la forme d’une focalisation de certains aspects sémantiques (Dobrovol’skij 2000, 182). Ce sont précisément ces nuances langagières et, plus généralement, la modulation du sens selon le contexte (cf. Nida 1997) qui sont pertinentes pour la recherche d’une traduction adéquate (voir aussi 2.2).  











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Pourtant, il y a lieu de souligner que, contrairement à l’opinion répandue, cette complexité ne vaut pas pour tous les idiomes. Qui plus est, la totalité des nuances, des connotations et des valeurs « en surplus » que l’on observe dans des contextes variés d’une même EF ne se manifeste pas forcément dans chacun de ses emplois. Mieux vaut les considérer comme des valeurs potentielles qui ne sont activées que dans certains contextes et par le récepteur (Burger 52015, 77 ; Sabban 2010, 194), leur déploiement dépendant aussi du type de texte (cf. Koller 2007, 609). Parler d’une perte inévitable lors de la traduction des idiomes ne semble donc pas toujours justifié. De plus, il ne faut pas oublier que l’on ne traduit pas des expressions isolées mais contextualisées, voire des textes entiers, ce qui offre des possibilités de compensation pour une perte éventuelle. Un autre défi pour la traduction des idiomes réside dans le fait qu’ils se prêtent à une modification, les procédés principaux étant : (1) l’exploitation, dans le texte, de leur double niveau de signification, (2) la modification de la formulation. Les procédés doivent être reconnus par le récepteur pour que le message et l’effet souhaité soient réalisés. Les modifications sont particulièrement fréquentes dans certains types de texte et peuvent en constituer un trait essentiel (voir chap. 5).  









2) Dans le cas des formules pragmatiques, les difficultés pour la traduction varient selon le type de formule concerné, les principaux obstacles pour la traduction étant  



l’existence de routines et d’actes de langage spécifiques dans les cultures concernées ou la réalisation linguistique divergente de routines comparables ; le caractère polyvalent de certaines formules, allant de pair avec un haut degré de dépendance du contexte.  



Très souvent, il n’existe donc pas d’équivalent standard en langue cible, et la simple technique de la substitution, ici aussi, est vouée à l’échec. De plus, il peut y avoir des normes culturelles concernant la nature et la fréquence de certaines formules « tolérées », par exemple dans le cas des formules expressives (voir chap. 3).  





1.3 Les expressions figées dans les étapes de la traduction Les différentes étapes du processus de traduction présentent des problèmes particuliers pour la traduction des EF. 1) Au niveau de la compréhension et de l’interprétation du texte source, étape fondamentale dans tout processus de traduction (cf. par ex. Torrent-Lenzen 2011, 214), il faut identifier l’EF en tant que telle, ce qui ne va pas de soi. Les registres du parlé, en particulier, peuvent constituer un obstacle à l’identification (Albrecht 22013, 120, par ex. le type n’était pas tombé de la dernière pluie). Il en va de même pour les variétés régionales. Ainsi, dans les romans de l’auteur péruvien Vargas Llosa, certains idiomes

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n’ont pas été reconnus par le traducteur, qui les a traités comme des séquences libres et les a traduits littéralement (Segura García 2005 ; par ex. bailar con su propio pañuelo, ‘payer soi-même l’addition ; gagner sa vie’ ; tocar violín, ‘se dit d’une personne qui accompagne une autre sans être concernée’). Un défi particulier se présente lorsqu’il s’agit d’un texte ancien (Papageorgiou 2008, à propos de La Celestina, de 1499, traduite pour le théâtre contemporain). L’intérêt linguistique est différent lorsque la traduction a été réalisée à une autre époque (Huttar 1998 ; Barsanti Vigo 2008, à propos des proverbes dans El Quijote dans la traduction de Ludwig Tieck). Il faut également identifier l’EF lorsque celle-ci n’est pas présente sous sa forme standard. Ensuite, il faut bien saisir le sens et la fonction de l’EF dans le texte, tâche parfois difficile, vu la complexité et la polyvalence des EF exposées en 1.2. Ce faisant, il faut éviter les pièges des faux amis (voir 2.1). Dans le cas d’un usage marqué, tel un emploi intentionnellement ambigu, il faut en comprendre les modalités d’emploi et la fonction dans le texte concerné (voir 5.).  







2) Au niveau de la rédaction du texte cible, il faut insister sur le fait que la traduction « ne consiste pas à rechercher des correspondances de langue mais des équivalences de discours » (Durieux 2004, 100 ; cf. aussi Corpas Pastor 2000, 489–492). Dans le cas des EF, cela signifie – entre autres – qu’il ne faut pas forcément traduire une EF en langue source par une EF en langue cible, mais que l’on peut aussi la paraphraser (technique de la transposition), on peut reporter la réalisation d’un effet, par exemple humoristique, à un moment ultérieur dans le texte, ou même l’omettre délibérément. Ce qui importe, c’est la décision du traducteur quant aux aspects du texte qu’il considère pertinents pour être communiqués dans et par le texte cible, vu l’ensemble des circonstances (pour cette définition générale de la traduction, cf. Albrecht 2000, 512). Contrairement à une attitude fréquente – surtout à l’extérieur de la traductologie –, il ne suffit pas de considérer les moyens linguistiques en eux-mêmes, ni dans leur contexte. En effet, « l’ensemble des circonstances » englobe la totalité du message interprétée par le traducteur, les modes et moyens d’expression ainsi que la tâche envisagée par le traducteur ou qui lui est assignée pour la rédaction du texte cible, et ce pour un destinataire donné. La décision porte aussi sur la méthode globale de traduction : orientée vers la langue et culture cible (méthode rapprochante ; angl. domesticating ; all. Einbürgerung) ou vers la langue et culture source (méthode éloignante ; angl. foreignizing ; all. Verfremdung). Cette dernière peut conduire à rendre une EF par une traduction littérale (voir 4., calque). Font également partie des « circonstances » les moyens disponibles en langue cible. Plus précisément, ce sont les moyens dont dispose le traducteur et auxquels il peut accéder. On est alors au seuil de la compétence du traducteur, qui comprend également le dépassement créatif des moyens standard, lorsque le texte l’exige, par exemple dans le cas d’un emploi ludique d’une EF.  

























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2 Les phrasèmes à fonction référentielle : types d’équivalents linguistiques et équivalents de discours  

Les notions d’« équivalence » et de « traduction » sont utilisées en linguistique comme en traductologie. Pourtant, il faut distinguer les équivalents proposés en linguistique contrastive et les équivalents adéquats pour un texte donné. Ces derniers sont appelés équivalents de traduction (cf. Hyvärinen 2004) ou de discours (Durieux 2004), équivalents communicativement adéquats (cf. Glenk 2009) ou fonctionnellement adéquats (cf. Dobrovol’skij 2000). Dans les années 1970 et 1980, le problème de la traduction, du point de vue de la linguistique, était souvent ramené à la définition d’équivalents au niveau du « système », présentés sous la forme de paires d’expressions hors contexte. Les types d’équivalents et leur utilité pour la traduction sont esquissés en 2.1. Les développements en linguistique du corpus ont énormément élargi les possibilités de recherches empiriques sur le co-texte sémantico-syntaxique et le contexte thématique typiques d’une EF. L’emploi d’une EF dans le texte à traduire constitue un cas particulier des régularités observables. Ceci concorde bien avec la définition des équivalents « fonctionnellement adéquats » comme lexèmes en L1 et L2 qui peuvent être utilisés dans les mêmes situations (cf. Dobrovol’skij 2000, 169).  















2.1 Les taxinomies en linguistique contrastive La linguistique contrastive traditionnelle classifiait des paires d’EF en L1 et L2, en particulier les idiomes et les proverbes, selon le type d’équivalence, le tertium comparationis étant l’« identité » du sens phraséologique ou proverbial (c’est-à-dire du « connoté » selon le modèle sémiotique du signe linguistique à double niveau). Celuici, dans la plupart des cas, se limitait au sens dénotatif, à l’exclusion d’autres aspects sémantiques ou pragmatiques. Des sous-catégories étaient établies en comparant la « forme » ou « structure » des expressions au sens large (c’est-à-dire du « connotant » selon le modèle sémiotique), l’image en faisant partie dans le cas des expressions imagées. On trouve aussi la situation inverse : une « forme » similaire, mais un sens phraséologique ou proverbial divergent. C’est là le cas des faux amis. Un des premiers à élaborer une taxinomie bilingue des termes idiomatiques, sur l’exemple du couple français – roumain, a été Negreanu (1975). Pour les différents types de classification, voir l’aperçu présenté par Mellado Blanco (2007) ; pour des langues non romanes, voir Korhonen (2007, 575–584) et Koller (2007, 605s.). Les approches cognitives proposent de tenir compte, dans la comparaison des EF, des métaphores conceptuelles selon le modèle de Lakoff/Johnson (voir par ex. Dobrovol’skij (2000) pour des EF dans le couple russe – allemand). Ponterotto (2010) fournit  



























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une taxinomie de ce genre pour le couple italien – anglais, tout en soulignant les limites de cette approche. Malgré des cadres théoriques différents, la définition de types d’équivalence se résume aux quatre catégories ci-dessous :  

1) Équivalence parfaite ou presque parfaite Dans ce cas, les EF contiennent des lexèmes identiques ou quasi-identiques dans les deux langues :  

fr. avoir une mémoire d’éléphant – esp. tener una memoria de elefante – roum. a avea o memorie de elefant ; esp. romperse la cabeza – cat. trencar-se el cap,  



permettant toutefois des variations au niveau de la morpho-syntaxe, de l’ordre des mots, etc. :  

fr. s’habiller de pied en cap – roum. a se îmbrăca din cap până-n picioare (litt. ‘…de cap en pieds’).  

2) Équivalence partielle Dans ce cas, les EF disposent d’un sens phraséologique ou proverbial quasi-identique, malgré des différences au niveau des composants lexicaux. Ceci implique que l’image sous-jacente éventuelle est différente en L1 et L2, et cela à des degrés divers. Les images peuvent cependant renvoyer à un concept commun, plus abstrait, comme dans fr. tomber comme un cheveu sur la soupe – roum. a cădea ca musca în lapte (litt. ‘tomber comme une mouche dans le lait’) ; fr. mettre la charrue avant les bœufs – esp. empezar la casa por el tejado (litt. ‘commencer la maison par le toit’), la locution « poner el carro delante de los bueyes », équivalent parfait, étant également possible. Sont également partiellement équivalentes des EF imagées en L1 et non imagées en L2, comme dans angl. Every cloud has a silver lining. – esp. No hay mal que por bien no venga (Corpas Pastor 1999, 93). Pour une différenciation plus poussée, il faut introduire un plus grand nombre de critères : au niveau de la structure des expressions comparées ou de leur emploi (connotation, registre, fréquence dans différents types de texte) ou bien au niveau des variantes diatopiques. Ces dernières ne figurent pas toujours dans le dictionnaire, et les études disponibles ne portent que sur un nombre très restreint d’EF : voir Dawes (2003) pour des phrasèmes du français du Canada comparés au français de France ; voir Segura García (2005) pour les variantes d’un seul phrasème dans des pays de l’Amérique latine, fonctionnant selon le modèle gastar pólvora en + ‘oiseau régional’, ainsi : gastar pólvora en chimango(s), par exemple en Argentine, mais gastar pólvora en gallinazos, par exemple en Bolivie. La pertinence des types d’équivalence 1 et 2 pour la traduction est limitée. Une équivalence d’ordre dénotatif et structurel ou une similitude de métaphores conceptuelles sous-jacentes, postulées par le linguiste, ne garantissent pas la traduction  

















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adéquate dans les cas concrets, bien que la tentation soit grande de traduire une EF par une expression la plus proche possible de l’original. Durieux, dans l’analyse d’un corpus de textes traduits portant sur fr. mettre la main sur et angl. put a hand on sth. / sb., équivalents parfaits selon les catégories proposées, constate que la traduction mot à mot « serait fautive dans tous les cas » pour traduire les occurrences de son corpus (2008, 330). Cacchiani (2009, 39) arrive à une conclusion similaire à propos de la traduction de collocations intensificatrices de l’anglais (par ex. exquisitely exotic) vers l’italien. Pourtant, la pertinence directe des études comparatives est régulièrement affirmée ou sous-entendue par les auteurs (cf. de Gioia 2008, qui propose une comparaison trilingue de constructions à fonction adverbiale, français du Québec – français de France – italien, en excluant toute référence au registre de langue ; cf. aussi Ponterotto 2010, 354). La technique de la simple substitution d’une EF en L1 par une EF « correspondante » en L2 ne fonctionne souvent pas, car malgré une quasi-identité des niveaux littéral (ou imagé) et phraséologique, il peut toujours y avoir des différences sémantiques, ou encore des différences textuelles ou pragmatiques. En procédant par simple substitution, le traducteur risque la sous-traduction (cf. Corpas Pastor 2000, 503), la production d’une expression peu usuelle, ou même un faux sens. En d’autres termes, des expressions qui, à première vue, semblent être des équivalents parfaits peuvent en fin de compte être des faux amis (voir ci-dessous). Mais il n’apparaît pas justifié non plus de contester l’importance des études contrastives de ce genre dans leur totalité en réduisant la différence entre équivalents linguistiques et équivalents de discours à la dichotomie entre « langue » et « parole », comme c’est parfois le cas. La contribution des études linguistiques dépend des paramètres considérés dans la comparaison. Dans ce contexte, les objectifs de la recherche et les méthodes disponibles ont beaucoup changé dans les dernières décennies (voir 2.2). Il importe aussi de souligner que les typologies présupposent un usage « non marqué » des EF. De plus, elles ne se réfèrent qu’au deuxième niveau de signification (sens phraséologique). Une pertinence éventuelle du premier niveau (littéral) pour augmenter la cohésion du texte ou pour adapter l’expression au thème ou au lieu n’est pas prise en compte. Le premier niveau de signification est particulièrement important pour la traduction dès lorsqu’il est un élément constitutif du texte (c’est-àdire dans un usage « marqué ») et que le traducteur décide de rendre l’emploi de l’EF de manière analogue dans le texte cible. Ainsi, dans le dialogue suivant, l’image d’une EF est reprise par l’interlocuteur et développée de façon créative pour l’intensifier. L’absence d’un « équivalent parfait » dans la langue cible, ici l’italien, nécessite une démarche particulière (exemple pris dans Ponterotto 2010, 363s.) :  





































– –

I’m going to give him a piece of my mind (‘Je lui dirai que je suis furieux contre lui.’). By the looks of you, that’s going to be a very big piece.

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Gliene dirò quattro (litt. ‘Je lui dirai quatre.’). Dallo stato in cui sei, sembrerebbe più come otto (litt. ‘Dans ton état, on dirait plutôt huit.’).

La traduction proposée a recours à un « équivalent partiel », à base littérale différente, mais permettant une intensification analogue et une construction comparable du dialogue, qui préserve la force de la métaphore originale.  



3) Équivalence zéro Dans le cas d’une équivalence zéro, il n’existe pas d’unité phraséologique en L2 qui soit sémantiquement comparable. L’équivalence zéro au niveau des expressions polylexicales correspond aux « lacunes » au niveau des lexèmes simples. Pour la traduction, les lacunes phraséologiques ne constituent pas forcément un problème : une EF en L1 peut bel et bien être rendue par une paraphrase en L2 ou par un seul mot. Ceci vaut surtout pour un usage non marqué et pour une traduction qui vise avant tout à rendre le contenu référentiel, sans tenir compte des moyens d’expression employés.  





4) Pseudo-équivalence : les faux amis Les faux amis constituent une source d’interférence et peuvent entraîner une interprétation erronée du texte source et, par conséquent, une rédaction fautive du texte cible. Dans le lexique en général, on en distingue deux types principaux : les faux amis formels et les faux amis sémantiques (cf. Albrecht 22013, 134). En phraséologie, les faux amis formels disposent d’un sens équivalent en L1 et L2, mais se distinguent par la forme au sens étroit du terme, par exemple par des éléments morpho-syntaxiques : fr. jeter l’argent par les fenêtres (pluriel) – all. das Geld zum Fenster (singulier) hinauswerfen (Ettinger 2012, 360). Les faux amis sémantiques, par contre, disposent d’une suite de mots similaire, ce qui fait penser que leurs sens aussi se recouvrent. Mais ce ne sont que des pseudoéquivalents : angl. to have one’s wires crossed ne correspond pas à esp. tener los cables cruzados, mais plutôt à sufrir un malentendido (Corpas Pastor 1999, 94) ; fr. mener qn par le bout du nez ne correspond pas à all. jdn. an der Nase herumführen, que l’on pourrait, à son tour, rendre par mener qn en bateau ; jouer un tour à qn (Ettinger 2012, 360s.). Segura García (2005) relève des faux amis dans la traduction de certains romans de Vargas Llosa en portugais et en allemand, dus à des EF comme hablar por los codos ou ser la quinta rueda del coche. Mais les différences sont relatives. Comme le montre Ettinger (2012, 361), il y a des faux amis présumés dont les sens se rapprochent dans certains contextes – preuve, une fois de plus, de la relation étroite entre sens et contexte. On peut donc retenir que dans le cas des faux amis, la linguistique fournit des « mises en garde » qui sont d’une pertinence immédiate pour la traduction. Il faut pourtant dire que le nombre des faux amis est limité – du moins si l’on s’en tient aux quelques critères mentionnés ci-dessus. Mais il y a aussi des faux amis au niveau de  



















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l’usage. Ce sont des EF qui semblent être des « équivalents parfaits », mais dont le registre ou les contextes thématiques privilégiés sont différents dans les deux langues (voir 2.2). La distinction entre « vrais » et « faux » amis dépend donc du nombre de critères pris en compte. Face à ce genre d’exemples, il faut se demander s’il existe une équivalence parfaite entre deux EF de langues différentes.  











2.2 Normes d’usage et équivalents de discours Les régularités d’usage des EF, comme on l’a signalé précédemment, jouent un rôle déterminant dans la recherche de solutions adéquates en traduction. Cela vaut pour un usage non marqué d’une EF ainsi que pour une traduction « rapprochante », qui s’oriente vers les normes d’usage de la langue cible (cf. aussi la notion de « dynamic equivalence » de Nida). Trouver des équivalents de discours nécessite donc la prise en compte des régularités d’emploi au niveau du co-texte linguistique et du contexte thématique ou situationnel (cf. aussi la notion des « types of context », Nida 1997, 270s.). Les recherches de corpus font ressortir les paramètres suivants, pertinents pour la traduction :  













1) Les caractéristiques combinatoires, le contexte thématique et le niveau de langue. Les caractéristiques combinatoires d’une EF concernent surtout le sémantisme de ses actants (externes) typiques. Ainsi, les analyses de Gehweiler (2006, 425) montrent qu’en anglais, sth. is going to the dogs (‘se détériorer’) se dit le plus souvent d’un PAYS . Par contre, les actants de l’all. jmd. / etw. geht vor die Hunde – équivalent à première vue parfait – sont plus variés : à part des PAYS , ce sont également des PERSONNES , des INSTITUTIONS et aussi des VALEURS qui peuvent être concernées. De plus, il y a des différences de registre (ibid., 430s.). Voir aussi Dobrovol’skij (2000, 180–182) pour des exemples en allemand – russe – anglais. Les contextes thématiques typiques d’une EF sont en partie liés aux caractéristiques combinatoires, l’ensemble des contextes thématiques constituant la distribution typique d’une EF dans une langue donnée. L’étude de Sabban (2010, 197) montre que dans un seul des types de contextes représentés dans son corpus de textes traduits, all. am Ball bleiben peut être rendue par fr. se tenir au courant, tournure qui d’ailleurs n’est pas proposée comme équivalent dans les dictionnaires bilingues standard. Les niveaux de langue sont mis en évidence comme facteurs différenciateurs par Ettinger (2012). Il analyse l’emploi d’EF français – allemand basées sur l’image de l’ÉPONGE (fr. on passe l’éponge ; passer l’éponge sur qc ; all. Schwamm drüber !). Les EF diffèrent sur le plan formel, et leurs sens ne se recouvrent qu’en partie. L’essentiel ici est que les EF se distinguent aussi par leur registre. Ce n’est que lorsque toutes les conditions d’usage sont identiques que l’on peut parler d’équivalents parfaits strictu sensu. Évidemment, c’est un cas rare (cf. aussi Dobrovol’skij 2000, 169).  















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2) Type de discours et domaines d’emploi. Des locutions – et plus généralement des suites de mots – peuvent être spécifiques pour un certain domaine ou type de discours. Ainsi, all. jdm. in die Arme laufen figure de préférence dans des articles de journaux sur un délit criminel (Kühn 2012). Les textes de spécialité ont aussi leur propre prédilection de formulation : voir Tryuk (2000) pour des collocations dans les textes de contrats internationaux en français qui ne pourraient pas être rendues littéralement en portugais, bien que les collocations soient courantes, mais dans un autre domaine.  

3) Prédilections de formulation d’une langue. En plus des spécificités d’expression individuelle, il faut également, dans la traduction, tenir compte de certaines prédilections de formulation caractéristiques des langues en question. L’étude onomasiologique menée par François (2000) et accompagnée d’un test de production montre que, du moins dans le domaine de l’affectivité, « l’allemand se distingue du français par un usage beaucoup plus fréquent du mode d’expression phraséologique » (p. 150), en l’occurrence par un usage plus fréquent de constructions à verbe support (par ex. jdm. (großes) Vergnügen bereiten).  





Les facteurs (1) à (3) jouent un rôle important dans la rédaction de tout texte et, par conséquent, dans la traduction. Si l’on n’en tient pas compte, on risque de produire un texte peu naturel. Mais il existe aussi, parmi les EF, un grand nombre d’expressions pour lesquelles on ne peut pas formuler de règles et qui doivent être décrites minutieusement : voir à cet égard l’ouvrage de référence de Kotschi/Detges/Cortès (2009), qui rassemble un vaste nombre d’exemples en contexte, modelés sur la construction du type être + Prép + N. Y figurent des constructions à verbe support (être / entrer en délire) et des syntagmes de même construction, mais complètement figés, voire des idiomes (mettre qn en boîte). Une traduction allemande est proposée pour chaque occurrence.  





3 Formules pragmatiques et traduction Comme indiqué précédemment, on peut distinguer trois groupes de formules pragmatiques (pour une autre classification voir Lüger 2007) :  

1) Les formules de routine au sens étroit du terme. Elles servent à accomplir des actes de langage dans certains types d’interaction, y compris dans un cadre institutionnel. Les formules, de caractère conventionnel et hautement prévisibles, jouent un rôle important pour l’établissement, le maintien ou la régulation des relations sociales (par ex. les formules d’excuse et de réaction stéréotypée : – Pardon. – Il n’y a pas de quoi.).  







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2) Les formules discursives. Elles ont en général une valeur métacommunicative et servent à réguler le déroulement du discours, par exemple en attribuant les rôles de locuteur ou d’interlocuteur (La parole est à M. / Mme X) ou en structurant le texte ou l’entretien (Revenons-en à la question de… ; en un mot).  







3) Les formules de commentaire et autres formules expressives. Les formules de commentaire servent à réagir, le plus souvent dans un dialogue, aux propos de l’interlocuteur et à formuler une évaluation ou un commentaire (Tu parles [qu’il était au courant] ! (Métrich 2011, 335)). D’autres formules expressives servent à communiquer des réactions d’ordre plutôt affectif, comme la surprise, l’étonnement ou la joie, mais aussi le mécontentement, le mépris ou la colère. Les formules du groupe (3) ont en commun de relever de la fonction expressive du langage (K. Bühler) en révélant différents types de réaction du locuteur à propos d’un contenu communiqué.  





Les formules pragmatiques sont souvent polyvalentes. Ainsi l’expression Bon voyage ! sert-elle à exprimer un souhait et en même temps à dire au revoir. Des formules servant à se renseigner sur la santé etc. peuvent évoluer en formules d’accueil dont le sens littéral passe à l’arrière-plan (pour l’espagnol voir Sosa Mayor 2006, 203–212). La tâche du traducteur qui veut produire un texte cible à fonctions analogues consiste à chercher des expressions qui soient fonctionnellement comparables et appropriées au contexte – en d’autres termes, des équivalents au niveau pragmatique. On manque encore d’analyses approfondies, en linguistique contrastive ou en pragmatique interculturelle, susceptibles de servir de guide pour la traduction. L’étude empirique et comparative espagnol – allemand de Sosa Mayor (2006, 358– 398) portant sur des formules de routine (type 1) constitue une exception, la perspective de la traduction n’étant pas abordée de manière explicite. C’est précisément ce que font un certain nombre d’études qui comparent le texte source, le plus souvent littéraire, avec des traductions publiées. Ainsi Gläser (1999) analyse-t-elle différents types de formules pragmatiques dans les dialogues du récit Was bleibt de Christa Wolf et les traductions française et anglaise (Ce qui reste / What remains).  





Plusieurs études portent sur des types précis de formules et leurs traductions :  

– Groupe 1). Bonsignori/Bruti/Masi (2011) mettent en évidence les difficultés pour la traduction (de l’anglais vers l’italien) des formules de salutation et d’adieu dans le domaine de la traduction audiovisuelle, en particulier de la synchronisation. L’analyse se base sur les transcriptions des dialogues dans les deux langues et sur un corpus parallèle de films italiens. Des difficultés peuvent surgir dans la traduction de formules apparemment simples. Ainsi, angl. hello peut-être utilisé dans un plus grand nombre de circonstances que it. ciao, ce dernier étant exclu lorsque la distance sociale entre les interlocuteurs est plus marquée. Angl. good night correspond à ital. buonanotte ou à buonasera, selon l’heure de la journée et la fonction de la formule. Angl.  

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good afternoon est beaucoup plus usuel que son équivalent littéral, it. buon pomeriggio. Le caractère de formule est plus marqué pour angl. take care que pour des formulations comparables en langue cible. Des traductions inadéquates de ce type de formules influent sur l’idée que le spectateur se fait des personnages et des relations entre eux. – Groupe 2). Bertrand (2004b) compare des formules et des constructions similaires, comme c’est (tout / beaucoup) dire, c’est dire que, etc. dans des textes écrits (journaux, textes littéraires) et leur traduction allemande. Les formules étudiées ont deux fonctions : elles marquent la fin d’un développement en suggérant qu’il n’y a rien à ajouter (valeur conclusive) ou bien elles servent à introduire une suite. Les traductions sont par conséquent différentes.  







– Groupe 3). Ici aussi, il existe des études comparatives basées sur des corpus de textes français, le plus souvent littéraires, et leur traduction en allemand. Ainsi, Bertrand (2004a) analyse la formule À la bonne heure ! indiquant l’approbation, la satisfaction du locuteur en réaction à la situation ou au contexte. Métrich (2011) fait une étude détaillée de la formule Tu parles !, qui peut exprimer deux attitudes contradictoires, la contestation ou l’approbation. L’analyse tient compte des différentes configurations syntaxiques (par ex. suivie d’un nom ou d’une subordonnée : Tu parles d’une bagnole ! Tu parles qu’il était au courant !), de la prosodie ainsi que des conditions d’emploi de la formule. Voir aussi les formules dialogiques similaires analysées par Scurtu (2008) pour le couple français – roumain, par exemple la question rhétorique fr. À qui le dites-vous ? – roum. Mie îmi spui ? (p. 215) servant à spécifier la conformité des points de vue du locuteur et de son allocutaire. Dans la plupart des cas, ce type de formule n’est pas traduit par une formule mais par d’autres moyens linguistiques disponibles en langue cible. À titre d’exemple, on peut citer la traduction que propose Torrent-Lenzen (2011) dans une étude sur les formules avec le verbe esp. decir (‘dire’), analysées comme polyphonie « figée » : esp. Ese tío está loco, a mí que no me digan. – all. Für mich ist der Typ eindeutig verrückt (Torrent-Lenzen 2011, 231 ; ‘Il est fou, tu n’as pas besoin de me le dire’). De plus, il peut y avoir des normes différentes quant à la nature et la fréquence de certaines formules « tolérées », ce qui relève des différences des normes de l’interaction, donc du culturel. Ainsi, Greenall (2011) montre que l’emploi fréquent de jurons dans un roman de l’auteur anglo-irlandais Roddy Doyle serait beaucoup moins acceptable pour un public norvégien. La réception a des conséquences pour la traduction du roman ainsi que pour le sous-titrage des dialogues dans l’adaptation du roman à l’écran.  































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4 Calques et traduction « éloignante »  



Un calque phraséologique consiste à traduire mot à mot une unité polylexicale ou une formule. La traduction comme procédé est donc inscrite dans la formation même d’un calque. Normalement, un calque aboutit à une nouvelle formulation, non usuelle en langue cible. Elle peut éventuellement entrer dans le lexique comme emprunt lexical, ou néologisme, processus aussi connu d’un autre type de contexte, celui des langues en contact : les calques phraséologiques du portugais, par exemple, sont un trait caractéristique de l’espagnol des îles Canaries (Benchik 2008). Mais on trouve aussi un emploi élargi du terme « calque » : lorsque la traduction mot à mot s’applique à une EF similaire dans les deux langues, ce sont plutôt les conditions d’emploi d’une EF en L1 qui sont transférées à une EF similaire en L2, étendant ainsi la gamme de ses emplois ou en modifiant les acceptions.  







1) Dans la traduction d’un texte, les calques peuvent apparaître de manière non intentionnelle, les conditions propices étant une ressemblance entre des EF en L1 et L2 ainsi qu’une tendance quasi naturelle qui consiste à préférer, parmi une gamme de possibilités, l’expression dont la forme ressemble le plus à l’expression en langue source (cf. Corpas Pastor 2000, 510). Ce cas se rapproche de celui des faux amis (voir cidessus). Coffey (2009) montre l’apparition de nouvelles EF (ainsi que de nouveaux mots composés) à travers la traduction, plus particulièrement la traduction audiovisuelle, de l’anglais vers l’italien. Dans ce domaine, les traductions françaises servent souvent de traduction relais, le français ayant à son tour emprunté des expressions de l’anglais en les calquant. C’est aussi dans le contexte des médias que Fiedler (2010) met en évidence la formation de néologismes phraséologiques due à la traduction de l’anglais vers l’allemand. 2) Mais les calques peuvent également être créés intentionnellement dans un but précis. Ils peuvent être mis au service d’une traduction « éloignante » qui vise à rendre les particularités de la langue source. Ce mode de traduction fait ressortir les différences linguistiques et culturelles. Il tient compte non seulement du contenu référentiel mais aussi « de la manière dont le texte rapporte l’information » (El Qasem 2004, 71), y compris les modes de conceptualisation et la réalisation de certaines tâches communicatives en langue source. Les procédés correspondants permettent aussi de respecter le contexte culturel du texte source et de le rendre présent à l’esprit du lecteur. Ainsi, dans un roman d’Isabel Allende qui se déroule au Chili, l’EF trabajar como un burro ‘travailler beaucoup’ (litt. : ‘travailler comme un âne’, basé sur l’ÂNE , bête de somme) a été traduit littéralement en allemand par wie ein Esel schuften, et non par l’EF usuelle wie ein Pferd arbeiten / schuften (litt. ‘travailler comme un cheval’). L’image de la langue source a été gardée, le sens phraséologique de ‘travailler beaucoup’ étant signalé par le verbe schuften et le contexte. Selon une hypothèse  













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proposée en linguistique cognitive (Dobrovol’skij 2000, 174), une similarité des métaphores conceptuelles sous-jacentes en L1 et L2 peut également contribuer à la compréhension d’une métaphore occasionnelle, empruntée au texte source. Assam (2008) discute les possibilités d’une traduction « éloignante » de formules pragmatiques, de l’arabe vers l’espagnol. Un cas apparenté, mais légèrement différent, est le suivant : dans les dialogues, l’auteur prête à ses personnages des formulations qui imitent une autre langue, par le moyen du calque, suggérant ainsi que les personnages parlent en fait une autre langue que celle de l’œuvre. Ceci nécessiterait une démarche analogue dans la traduction avec un potentiel évocateur similaire (Sabban 2010, 204s.). Transmettre le culturel à travers le calque a aussi ses limites. Ainsi, certaines EF arabes d’origine coranique risquent de perdre leurs connotations religieuses pour le lecteur français ou de ne pas être comprises du tout, lorsqu’elles sont traduites littéralement (cf. A. Mejri 2009). Dans le cas d’un calque intentionnel, la forme de l’expression, par exemple le niveau littéral d’un idiome, est mise en valeur dans le texte cible, ce qui n’est pas forcément le cas dans le texte source. Dans la section suivante, il sera question d’exemples où la forme des EF est mise en valeur ou manipulée dans le texte source même, constituant un défi particulier pour la traduction.  







5 Usage « marqué » dans le texte source – et traduction  



Dans l’usage « marqué » d’une EF, la forme de l’expression importe autant que le sens et devient, pour ainsi dire, partie intégrante de la totalité du message (cf. Hyvärinen 2004, 205). Cet usage est caractéristique de textes visant à produire certains effets par le choix voulu des moyens d’expression ou leur manipulation créative, comme dans le discours rhétorique, la publicité, certains textes littéraires, la bande dessinée, les plaisanteries, etc. Ici, la dichotomie entre traduction « rapprochante » et « éloignante » ne s’applique pas, car l’emploi des EF dans le texte source constitue déjà une déviation par rapport aux normes d’usage. Il ne peut s’agir que d’essayer d’atteindre un effet similaire, par exemple par la transposition de certains éléments de la forme, c’est-à-dire par un emploi analogue des moyens linguistiques. Ce type d’usage met particulièrement en évidence que la forme et le sens sont intimement liés dans la langue, ce qui signifie aussi que l’activité de la traduction « est irréductible à la déverbalisation, couramment invoquée pour en rendre compte » (S. Mejri 2008, 245). Il y a lieu d’ajouter que ce type d’usage s’applique souvent à des expressions figées à la périphérie de la phraséologie comme les citations de toutes sortes (voir 1.1).  

















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Peuvent être distingués deux types de procédés discursifs (pour plus de détails, voir Sabban 2007) :  

1) L’exploitation de la forme de l’expression La « forme » de l’expression au sens large, sa formulation, reste intacte, mais elle subit l’une des deux « modifications » suivantes :  









(a) L’exploitation du double niveau de signification L’EF est à prendre au sens phraséologique, mais le niveau littéral, refoulé à l’arrièreplan dans un usage non marqué (idiomes, proverbes métaphoriques), se voit mis en relief par le contexte, qui peut être aussi un dessin ou une photo. Le littéral vient alors s’ajouter à l’expression par évocation. On trouve aussi le procédé inverse : la formulation doit être prise au pied de la lettre, mais elle évoque une EF et son sens phraséologique, sans que celui-ci entre en relation de cohérence avec le texte à proprement parler. Ainsi, le texte invite le lecteur à un jeu intellectuel, à faire « comme si » une autre lecture était pertinente. Parfois aussi, les deux lectures doivent être prises en compte pour rendre le texte cohérent dans l’acte interprétatif (accumulation de sens). Ces procédés peuvent avoir un effet purement humoristique, mais ils peuvent également transmettre un message sérieux. Pour réaliser une fonction équivalente ou obtenir un effet similaire dans le texte cible, il peut suffire d’utiliser des EF dont l’image appartient à un domaine source voisin (cf. van Lawick 2007, 294 à propos de la traduction de somatismes dans l’œuvre de Bertolt Brecht en catalan et en espagnol).  





(b) L’accumulation d’expressions à images similaires Des EF à image identique ou similaire reviennent à plusieurs reprises, créant une isotopie à l’intérieur du texte dont l’effet dépend de la sémantique des expressions, du thème et aussi du type de texte. Ce procédé joue un rôle important par exemple dans le roman Der Maulkorb (fr. La muselière) de Heinrich Spoerl (cf. Hyvärinen 2004). Comme le titre l’indique, la muselière, et ce au sens figuré (‘interdiction de la parole’ ; cf. fr. museler qn), est centrale dans le texte, qui traite de la liberté de parole. L’image est reprise tout au long du texte, à l’instar d’un leitmotiv ; elle revient aussi sous la forme de certains idiomes (par ex. all. jdm. einen Maulkorb anlegen, ‘empêcher qn de s’exprimer’). Pour transmettre le procédé et ses effets dans la traduction, l’idéal serait de se servir d’une métaphore similaire. Lorsque la langue cible n’en dispose pas, le traducteur peut créer une métaphore occasionnelle au moyen du calque (voir 4) et essayer d’établir une isotopie analogue à l’intérieur de l’œuvre, transposant ainsi un aspect de la texture formelle du texte.  







2) La modification de la forme de l’expression (détournement) Le procédé consiste à modifier la formulation d’une EF par substitution, ajout d’un mot ou inversion de l’ordre des mots. Souvent, le terme de remplacement ou le terme

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rajouté sert à replacer l’énoncé dans le texte ou contexte ou bien à établir un lien avec une image accompagnante. Peuvent s’y ajouter des éléments esthétiques comme l’allitération ou l’homophonie des mots. Ainsi, dans Astérix, la formulation fort comme le forum, modelée sur fort comme un turc / Samson « replace l’énoncé dans le contexte romain et produit une allitération » (Delesse 2001, 169). La reconnaissance de l’original ainsi « détourné » est essentielle pour la compréhension de la totalité du message. Le but peut être de faire rire le lecteur, mais aussi de tourner en ridicule, voire de critiquer une expression connue et l’attitude qu’elle implique. Sancho Cremades (2008, 192), dans son analyse de la modification des formules sentencieuses dans Astérix et leurs traductions en catalan, cite l’exemple d’un proverbe glorifiant la vie militaire mais détourné pour caricaturer le militaire romain : À vaincre sans péril, on évite des ennuis, modelé sur le célèbre vers de Corneille À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire (Le Cid, acte II, scène 2). Ce type d’usage fait particulièrement appel au savoir linguistique et culturel du traducteur. L’analyse de Delesse (2001) portant sur le détournement d’EF de toutes sortes dans Astérix et Tintin et leur traduction en anglais, fait apparaître – entre autres – les procédés suivants : – le traducteur garde l’expression, connue aussi en langue cible, et son mode d’emploi dans le texte source, de façon à obtenir un effet similaire : fr. Pour Rome la direction importe peu, car tous les chemins y mènent. – angl. If you wish to go to Rome, the direction is immaterial, since all roads lead there (Astérix Gladiateur, cité d’après Delesse 2001, 172). Le proverbe Tous les chemins mènent à Rome est ici pris au pied de la lettre et utilisé comme argument, ce qui engendre un non-sens comique. – le traducteur change d’expression et modifie, le cas échéant, le contenu pour créer un effet similaire, comme dans : fr. Vous me dressez déjà les cheveux sur la tête, c’est un bon début … – angl. I’ve got cold feet already – that’s a good start (Astérix Gladiateur, cité d’après Delesse 2001, 175). Ici, le mot feet joue sur l’homophonie avec feat (cf. a feat of arms), utilisé précédemment. Il arrive que les solutions du traducteur soient même plus efficaces et que les traducteurs aient su « faire preuve d’autant d’originalité et d’inventivité que les auteurs eux-mêmes » (Delesse 2001, 180).  































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Abstract : Cette contribution traite du lexique par rapport à la traduction sous les aspects suivants : lexique primaire et secondaire, caractéristiques lexicales des langues particulières, phénomène des faux amis, différents types d’équivalents, procédés de traduction, traduction des lexèmes renvoyant à des faits naturels et culturels (« realia »), des noms propres et du lexique spécialisé. La conclusion donnera un aperçu d’autres aspects généraux, qui ne font, habituellement, pas l’objet de description dans les manuels et indiquera quelques perspectives de recherche.    







Keywords : lexicologie contrastive, procédés de traduction, faux amis, noms propres, lexique spécialisé    

1 Introduction : notions fondamentales  

« Am deutlichsten erfahren wir die Diskrepanz zwischen der eigenen und der fremden Sprache im lexikalischen Bereich » [‘C’est dans le domaine du lexique que nous nous apercevons le plus clairement de la différence entre notre langue maternelle et une langue étrangère’] (Doherty 1997, 110). Les différences lexicales apparaissent avec évidence aussi lors de la traduction et dans la comparaison de deux ou de plusieurs langues. Le lexique d’une langue est l’objet principal de la lexicologie. La lexicologie comprend l’étude du sens et de la signification des mots (sémantique lexicale),1 des structures du vocabulaire et des relations lexicales d’une langue particulière. Dans sa théorie du signe linguistique (publiée à titre posthume en 1916), Ferdinand de Saussure définit le signe comme bilatéral, à savoir comme constitué, à l’image des deux côtés d’une feuille de papier, d’une « face » formelle (le signifiant ou image acoustique) et d’une « face » conceptuelle (le signifié ou concept). Les relations sémantiques principales sont la polysémie (un signifiant, plusieurs signifiés qui ont une relation étymologique ou métonymique, par exemple fr. école qui comprend l’institution, le bâtiment, les cours, etc.), l’homonymie (même pluralité de signifiés, mais sans relation entre eux, par ex. louer1 ‘exprimer son admiration, son estime’ – louer2 ‘donner ou prendre à loyer’), la synonymie (un même signifié, plusieurs signifiants,  













1 La distinction entre sens et signification remonte au philosophe, logicien et mathématicien allemand Gottlob Frege qui, dans son essai Über Sinn und Bedeutung [‘Du sens et de la signification’] (1892), définit le sens comme les significations potentielles/virtuelles d’un lexème (= son contenu/concept) et la signification comme sa signification actuelle (= référentielle) dans un contexte particulier. – La sémantique lexicale désigne l’étude du sens au niveau du lexème, opposé par exemple à la sémantique syntaxique, qui traite, elle, du sens au niveau de la phrase.  



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par ex. fr. voiture – bagnole),2 la super-/subordination (hypéronymie/hyponymie, par ex. fr. chien – caniche) et les différentes relations antonymiques (scalaire, par ex. fr. beau – laid avec des dégradés comme jolie, très/assez beau, etc., complémentaire, par ex. fr. vivant – mort, conversif ou réciproque, par ex. fr. acheter – vendre et directif, par ex. fr. monter – descendre). Alors que la sémantique s’occupe exclusivement du sens et de la signification des mots, c’est-à-dire du « concept » selon F. de Saussure, la lexicologie traite du signifiant et du signifié des mots, et la lexicographie de la description et de la classification de lexèmes dans les différents types de dictionnaires. La notion de mot est cependant problématique, particulièrement dans l’étude des langues romanes. Dans celles-ci, les ‘mots’ ne correspondent souvent pas à une unité graphique, mais à plusieurs, cf. fr. machine à coudre ou s’en aller, esp. máquina de coser ou it. macchina da cucire. C’est pourquoi le linguiste préfère parler de lexies ou d’unités lexico-sémantiques. Les exemples cités montrent qu’il y a un lien étroit entre la lexicologie et la formation de mots. On distingue par conséquent le lexique primaire, les lexèmes simples ou simplexes, et le lexique secondaire, qui désigne les produits de formation de mots (dérivations, compositions). Par ailleurs, il y a aussi un lien entre la lexicologie et la phraséologie, des collocations comme fr. mettre la table, établir une liaison, etc. étant un argument pour prendre en compte, dans une certaine mesure, la phraséologie dans la lexicologie.3 La lexicologie contrastive, pertinente pour la traduction, doit traiter du lexique primaire et secondaire en même temps, puisque la relation entre ceux-ci s’avère différente selon les langues, cf. le lien étroit entre fr. voler – voleur – vol et le manque d’un tel lien dans les séries esp. robar/ hurtar – ladrón – hurto et it. rubare – ladro – furto (Albrecht 22013, 131). En général, ces séries se forment moins souvent de manière associée dans les langues romanes et en anglais que, par exemple, en allemand, langue fortement transparente en ce qui concerne la formation des mots (cette transparence résultant entre autre de la traduction par calque assez cohérente de termes latins). L’exemple souvent cité en sont les désignations médicales dans les langues romanes, cf. fr. œil – ophtalmie – oculiste/ ophtalmologiste ou esp. ojo – oculista – oftalmólogo. On parle alors de dissociation des familles de mots, causée par la co-existence d’une forme héréditaire et d’une forme érudite empruntée tardivement (cf. par ex. fr. oreille – auriculaire, tête – céphalique). Suite à de telles observations, la langue française s’est vue attribuer un caractère abstrait dès le début des études contrastives, notamment par Bally (1965, 11932), mais entretemps, cette thèse a été relativisée ; aujourd’hui, elle est plus ou moins dépassée (cf. Albrecht 1970 ; 1995 ; 22013, 144s. ; Blumenthal 21997). La lexicologie contrastive comme discipline centrale de la linguistique appliquée a ses origines dans la stylis 















































2 Il existe rarement de synonymie totale, le cas normal étant une synonymie approximative. Comme l’exemple l’indique, il y a souvent au moins des différences connotatives ou diaphasiques. 3 La formation de mots et la phraséologie dans leur rapport à la traduction font l’objet, de manière plus détaillée, des articles ↗13 La formation de mots comme problème de traduction ; ↗14 Le traducteur face aux expressions figées.  

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tique comparée des années 1960 (Malblanc 2007, 11961 ; Bally 1965, 11932 ; Vinay/ Darbelnet 1968, 11958). D’abord bilatérale (c’est-à-dire entre deux langues), elle a été élargie à une comparaison linguistique multilatérale par Mario Wandruszka et son « interlinguistique » dans les années 70.  







2 Le phénomène des faux amis Les faux amis (it. falsi amici, esp. falsos amigos ou falsos gemelos, angl. false friends ou deceptive cognates) sont des lexèmes qui ont la même forme ou une forme similaire dans deux ou plusieurs langues de sorte que l’on est amené à croire qu’ils ont également la même signification (Wandruszka 1977, 53). On parle alors d’interférences, le locuteur « transférant » les structures de sa langue maternelle sur celles de la langue étrangère. Les faux amis ont leur origine dans divers facteurs intra- et extralinguistiques. Wandruszka (1977 ; 1978) cite comme causes la polysémie (plusieurs signifiés pour une seule forme, par ex. lat. sensus), la polymorphie (plusieurs formes pour un seul signifié, par ex. lat. sensibilis, sensitivus, sensualis, sensatus, etc.) et l’homonymie (coïncidence de formes par hasard). Parfois, l’explication relève du système de la langue (par ex. esp. ancho ‘large’ puisque esp. largo a pris la signification ‘long’, cf. Wandruszka 1977, 56 ; il s’agit donc d’un déplacement structurel) ou de considérations culturelles (fr. brave, esp. bravo ‘sauvage ; impétueux’, it. bravo, all. brav ‘sage ; obéissant’, angl. brave ‘courageux’ ; it. morbido ‘mou’, morboso ‘morbide’), mais le plus souvent, Wandruszka attribue ce phénomène aux hasards de l’histoire. Les faux amis apparaissent entre différentes langues (= faux amis interlinguaux) ou au sein d’une même langue (= faux amis intralinguaux) et à tous les niveaux structurels (phonologie, morphologie, syntaxe, phraséologie, etc.), mais c’est au plan lexical qu’ils se manifestent avec le plus d’évidence. D’un point de vue typologique, on peut distinguer, en simplifiant, des faux amis formels et conceptuels, ces derniers pouvant être partiels ou complets (Albrecht 22013, 134ss.). En voici quelques exemples : pour les faux amis formels : fr. fresque – it. affresco ou fr. nature – esp. naturaleza ; pour les faux amis conceptuels partiels esp. guardarropa – fr. la garde-robe/le vestiaire, it. i dati – fr. les dates/les données ; pour les faux amis conceptuels complets : esp. carta ‘lettre’ – fr. carte, it. cantina ‘cave’ – fr. cantine. La notion de faux amis culturels, introduite par Große (1998 ; cf. Reinart 2009, 148), est controversée. L’exemple fameux en est la public school britannique, qui est, comme on sait, une école privée. Pour les faux amis intralinguaux, il faut mentionner les « terrible twins » de l’anglais tels que classic – classical ou historic – historical (cf. Albrecht 22013, 136) ou fr. originel – original. L’emprunt aussi joue un rôle dans la formation des faux amis : souvent, il ne porte que sur une seule acception (cf. all. Figur ‘silhouette’), laquelle est parfois ancienne (cf. all. Chaussee ‘route’ ; fr. smoking ‘dinner jacket’ < angl. smoking (jacket) ; angl. alley ‘ruelle’ vs. fr. allée). On trouve même des emprunts avec changement complet de sens, comme all. ordinär ‘vulgaire’ vs. fr. ordinaire ‘habituel’. Pour ce  











































































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qui est de l’anglais, on constate que cette langue préserve souvent le sens originel des emprunts latins ou grecs, cf. par exemple angl. physician ‘médecin’ et non ‘physicien’ ou angl. actually ‘en fait’ et non ‘actuellement’ (Wandruszka 1978, 214, 220, passim). L’espagnol comporte, lui aussi, un certain nombre de particularités sémantiques par rapport aux autres langues, telles que ilusión ‘illusion’, mais aussi ‘joie’, gracia ‘grace’, mais aussi ‘esprit’, novedad ‘nouveauté’, mais aussi ‘incident’, genio ‘génie’, mais aussi ‘entêtement’ (cf. Cartagena/Gauger 1989 ; Gauger 1999). Un autre aspect des faux amis est la création de pseudo-emprunts tels que les pseudo-anglicismes fr./esp. footing, fr. pressing ‘cleaner’s’, etc. ou les pseudo-italianismes all. picco bello ‘très propre, tipptopp’, Leporello ‘sorte de dépliant’). Enfin, il faut prêter attention aux aspects stylistiques (ou connotatifs) des lexèmes comme fr. hâbleur ‘qui parle orgueilleusement comme un espagnol’ (vs. esp. hablar) ‘parler’, ou son équivalent esp. parlar ‘hablar como un francés’ (vs. fr. parler). Le traducteur traduisant de plusieurs langues romanes et de l’anglais doit également veiller à ne pas confondre it. primo – esp. primero ou esp. invitación, angl. invitation, mais it. invito (et non *invitazione). En ce qui concerne l’anglais et le français, parents proches quant au lexique, mentionnons encore les emprunts aller-retour (ou ré-emprunts) qui sont assez fréquents, comme fr. sport < angl. sport < anc. fr. desporte (cf. esp. deporte). Dans la recherche sur les faux amis, il y a principalement deux aspects controversés : d’une part, la question de savoir si les faux amis doivent toujours être étymologiquement apparentés ou s’il existe aussi des paronymes (homonymes) interlinguaux tels que it. stufa ‘poêle’ et all. Stufe ‘marche’ et d’autre part, celle de savoir s’il existe de « bons amis », autrement dit des emprunts dont le sens coïncide exactement avec celui de la langue d’origine – souvent, il y a des différences subtiles comme entre it. venire et esp. venir, ce dernier signifiant exclusivement un mouvement vers la première personne, autrement dit le locuteur (cf. Albrecht 22013, 133s.). Pöckl (2007) pose par ailleurs la question de savoir si les faux amis peuvent devenir de vrais amis à travers la traduction. Dans les traductions historiques, les faux amis étaient un piège encore plus grand pour les traducteurs – ceux qui tendaient à traduire littéralement employaient parfois un cognat (équivalent formel) même si celui-ci n’avait pas ou plus exactement la même signification (par ex. angl. flour ‘farine’ – fr. fleur, cf. fr. fleur de farine ; angl. muscles ‘moules’ – fr. muscles ; exemples tirés de la traduction française du rapport sur la Virginie de Thomas Harriot, 1590, cf. Hegner 2013, 384s.). Aujourd’hui, il y a des dictionnaires et de nombreuses listes de faux amis, y compris dans des manuels scolaires, mais le moyen le plus sûr de ne pas tomber dans le piège est de développer une sensibilité à ce qui pourrait être un faux ami et de se méfier même des bons amis.  









































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3 La structuration du lexique des langues particulières Le lexique de différentes langues est toujours structuré différemment. Le contenu sémantique d’un lexème n’est donc pratiquement jamais entièrement identique à celui du lexème correspondant d’une autre langue. Ainsi, la structuration de fr. bois, bosquet, forêt, etc. ne correspond pas exactement à celle d’esp. bosque, monte, selva, etc. Un autre exemple très connu en est la désignation des couleurs (illustration 1). Le linguiste et médiéviste allemand Jost Trier introduisit la notion de « Wortfeld » [champ lexical] dans son écrit Der deutsche Wortschatz im Sinnbezirk des Verstandes (1931), qui reste aujourd’hui encore un concept utile pour la linguistique contrastive (cf. par ex. les diverses études de Dietmar Osthus au sujet de la comparaison des champs lexicaux).  







Illustration 1 : Structuration des désignations de couleurs et du champ lexical ‘forêt’ (Hjelmslev 1968, 71).  

Les différences de structuration du lexique de deux langues ont pour conséquence que du point de vue de chacune il existe dans l’autre des différenciations manquantes ou au contraire superflues. Ainsi, la langue espagnole distingue strictement entre ser ‘être [état permanent]’ et estar ‘être [état temporaire]’, alors que la même opposition est bien moins forte entre it. essere et stare. La distinction entre fr. fleuve et rivière n’existe ni en italien, ni en espagnol, ce qui peut constituer un piège pour la traduction d’it. fiume ou d’esp. río vers le français. Si on traduit, à l’inverse, fr. enfants vers l’italien et l’espagnol, il faut vérifier s’il s’agit de bambini/niños ‘enfants en général’ ou de figli/hijos ‘propres enfants’. Semblablement, aux formes espagnoles équivalentes à fr. sommeil – it. sonno et à fr. rêve/songe – it. sogno ne correspond qu’une forme en espagnol : sueño. Il en résulte les différents types d’équivalents (cf. chap. 4 plus bas). D’un point de vue plus général, on note dans les langues romanes ainsi qu’en anglais une forte tendance à utiliser des verbes généraux à grande extension  











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tels que fr. mettre, donner, faire, it. mettere/porre, esp. meter/poner, angl. put, make, do avec un complément, donc des procédures syntagmatiques, tandis qu’en allemand, par exemple, il existe des verbes spécifiques plus précis tels que setzen, stellen, legen. Ainsi, fr. mettre la table se traduit en allemand par den Tisch decken, fr. mettre un chapeau par all. einen Hut aufsetzen, fr. mettre les chaussures par all. die Schuhe anziehen, etc. Dans le contexte des verbes de position, d’état ou de mouvement, il faut alors préciser par exemple all. stehen par fr. se tenir debout, all. liegen par fr. être couché, etc. (cf. Albrecht 22013, 142ss.). Il nous semble que cette tendance à employer des verbes généraux fonctionnels augmentés de compléments est particulièrement prononcée en français, cf. par exemple fr. faire semblant de – it. fingere ou fr. prendre/ faire une photo – it. fotografare, etc. Nous nous trouvons donc ici dans un champ proche de la phraséologie (usage de la bonne collocation).  



















4 Les différents types d’équivalents et procédés de traduction Précisons tout d’abord que le terme équivalent signifie d’une façon générale ‘de la même valeur’ et non pas ‘égal’ ou ‘identique’. On peut distinguer différents types d’équivalence, tels que par exemple l’équivalence dénotative et connotative.4 Quant à l’équivalence dénotative (qui seule nous paraît importante dans le contexte de cette contribution), il revient à la traductologie de décrire les relations d’équivalence potentielles (= équivalents au niveau du système linguistique) et d’indiquer les facteurs textuels qui déterminent le choix d’un équivalent particulier dans un cas concret de traduction (= équivalent contextuel) ; cf. Koller (82011, 230). Cependant, la situation s’avère plus délicate quand il n’existe pas d’équivalent dans le système de la langue cible. Koller (82011, 230ss.) distingue au niveau de l’équivalence dénotative cinq cas de figure : 1. l’équivalence un-à-un comme angl. scanner, esp. escáner, it. scanner, 2. l’équivalence un-à-plusieurs, 3. l’équivalence plusieurs-à-un, 4. l’équivalence un-à-zéro et 5. l’équivalence un-à-partie. Les équivalences un-à-plusieurs et plusieurs-à-un correspondent aux différenciations manquantes ou superflues mentionnées plus haut (chap. 3). Quand il n’y a pas d’équivalent, on a à faire à une lacune dans le système lexical de la langue cible. C’est souvent le cas dans le contexte des particularités culturelles d’un pays (cf. chap. 5) telles que angl./fr. ale ‘bière anglaise  



























4 Le terme dénotatif se réfère à la signification objective de base d’un lexème, le terme connotatif aux associations que celui-ci peut avoir dans certains contextes, par exemple. fr. lune ‘astre lumineux qui éclaire la terre pendant la nuit’ (dénotatif), mais ‘romantique’ (= connotatif) dans quelques situations. L’équivalence dénotative considère donc les équivalents sous un aspect référentiel, l’équivalence connotative sous un aspect stylistique, par exemple, sous la valeur expressive d’un lexème. Pour les différents types d’équivalence, cf. Koller (82011, chap. II.3.4–II.3.7).  







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sans amertume’ ou fr. belge/suisse bourgmestre ‘premier magistrat des villes (= maire) en Belgique et en Suisse’ ou dans le contexte de nouvelles inventions et de nouveaux développements techniques tels que par exemple l’angl. smartphone ‘ordiphone’ (terme officiel inusité). Pour traduire ces termes, il y a principalement cinq possibilités : 1. l’emprunt du terme, tel quel (cf. fr. scanner) ou avec modification phonologique, graphologique ou morphologique (cf. fr. scanneur). Généralement, les anglicismes intégraux sont plus facilement adoptés en italien qu’en français ou en espagnol, où la tendance à l’adaptation ou au remplacement du lexème est plus grande (cf. par ex. it. slide – fr. diaporama, it. computer – esp. ordenador, etc.) ; 2. le calque : l’expression de la langue de départ est traduite élément par élément, cf. angl. bomb carpet – fr. tapis de bombe ou angl. sky-scraper – fr. gratte-ciel, it. grattacielo, esp. rascacielos ; 3. une expression de signification similaire existant déjà dans la langue cible, c’est-àdire l’équivalent le plus proche, par exemple angl. public relations, all. Öffentlichkeitsarbeit ; 4. la paraphrase, explicative ou définitoire, par exemple angl. runner – fr. un produit qui se vend rapidement, angl. pump-and-runner – fr. une personne qui fait le plein et s’en va sans payer. Cela peut se faire dans des notes. Mais si l’expression de la langue de départ est employée souvent ou si lui est accordé un statut de terme technique, la paraphrase s’avère trop lourde et il faut alors recourir à l’un des procédés 1–3. Cela étant, la paraphrase reste souvent le seul moyen d’introduire une nouvelle expression de manière précise, compréhensible et agréable pour le lecteur. Une combinaison avec le procédé n°3 est recommandée lorsque l’expression de la langue cible pourrait s’entendre dans le sens conventionnel, peut-être imprécis ou différent, et non pas dans la signification de la langue de départ, cf. par exemple l’expression chomskyienne angl./fr. performance dans le sens linguistique (cf. Koller 82011, 235s.) ; 5. l’adaptation : la stylistique comparée la définit comme le remplacement d’une expression décrivant des faits particuliers par une expression décrivant des faits de fonction ou d’importance comparables. Ainsi, le vers du Notre Père « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour » pourrait-il être adapté pour la culture inuit sous la forme « Donne-nous aujourd’hui notre poisson de ce jour » (Albrecht 22013, 33). Il s’agit en l’occurrence d’une adaptation culturelle (= traduction adaptative), qui peut être non seulement souhaitable, mais même nécessaire dans certains cas (adaptations ponctuelles, Koller 82011, 238). Les belles infidèles des XVIIe et XVIIIe siècles sont un exemple fameux de traduction adaptative dans l’histoire de la traduction littéraire. Elles adaptaient fortement les mœurs et les façons de faire au goût classique français et allaient parfois jusqu’à déplacer l’action et les lieux d’action en France. En ce qui concerne l’équivalence un-à-partie, on peut ajouter à l’exemple de la désignation des couleurs mentionné ci-dessus (chap. 3) celui des lexèmes réputés intraduisibles, comme fr. esprit, raffinement, nuance, etc. Au lieu de lexèmes intraduisibles, il vaudrait mieux parler de lexies qui se traduisent rarement par un seul lexème ou, selon le contexte, par des lexèmes tout à fait différents (cf. Albrecht 22013, 131ss.). Dans un tel cas, le traducteur peut choisir un équivalent partiel et expliquer la notion  



































































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de la langue de départ dans une note (cf. Koller 82011, 239ss.). Wandruszka (1961 ; 21973 ; 21998) décrit d’une façon vivante et plaisante les connotations spécifiques de telles lexies. Cela nous rapproche de l’équivalence connotative, dont les valeurs associatives ne peuvent souvent être transmises que par des commentaires. (Sur l’équivalence connotative, cf. Koller 82011, 243ss.). Il existe d’autres typologies de l’équivalence, par exemple celles de Arntz/Picht/Mayer (62009, 154s.), qui distinguent 1. l’équivalence dénotative complète, par exemple angl. pay-as-you-pollute principle – fr. principe « pollueur-payeur », 2. le chevauchement dénotatif, par exemple angl. civil servant – fr. fonctionnaire (= équivalents partiels), 3. l’inclusion d’une désignation de la langue cible dans la désignation de la langue de départ ou inversement, par exemple fr. direction – esp. dirección ‘direction’/‘adresse’ (= équivalents partiels), 4. l’absence de chevauchement dénotatif, par exemple all. Akademiker ‘diplômé de l’enseignement supérieur’ vs. fr. académicien/esp. académico ‘membre d’une académie’ (= faux amis). Pour Arntz/Picht/Mayer (62009, 156s.), les principaux procédés de traduction en terminologie sont 1. l’emprunt ou le calque, par exemple angl. joint venture > fr./it./esp. joint venture, port. empreendimento conjunto ; 2. la création d’un terme dans la langue cible, qui est fréquente dans les langues fortement aménagées ou planifiées, par exemple fr. matériel et logiciel, cat. maquinari et programari (pour angl. hardware et software) ; 3. la création d’un équivalent explicatif, par exemple angl. brinkmanship ‘art of advancing to the very brink of war, but not engaging in it’ – fr. stratégie du risque calculé.  















































5 Faits naturels et culturels (« realia »)  



Les expressions qui désignent, dans une langue donnée, les faits culturels propres à la communauté qui parle cette langue fonctionnent comme les représentants de l’identité culturelle de la communauté, qu’elle soit régionale ou nationale, politique ou ethnique. Elles s’attachent de ce fait des connotations particulières, qui donnent au texte sa couleur locale. C’est pourquoi elles sont, selon Markstein (22006, 288), diamétralement opposées au terme, qui se caractérise par sa définition exacte et son emploi international. Les faits naturels et culturels comprennent non seulement des objets d’une culture matérielle ou immatérielle (par ex. le bourgmestre belge ou suisse), mais aussi des abréviations, des titres, jours de fête ou même des formules d’adresse et de clôture. Le traitement des faits naturels et culturels exige alors une grande compétence (inter-)culturelle. Leur signification se révèle cependant souvent par le contexte linguistique (co-texte, cf. Catford 61980, 31) ou la situation extralinguistique (contexte) dans lesquels ils sont utilisés. La traduction dépend de la signification ou de la fonction du fait naturel ou culturel dans le texte cible et des connaissances supposées des lecteurs. Ainsi, un fait naturel ou culturel peu important pour le texte peut-il se traduire par un lexème généralisant neutre (par ex. un hyperonyme), mais si, à l’inverse, il a de l’importance ou si les destinataires de la traduction sont

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peu instruits du sujet du texte ou de la culture de départ, il faut leur donner plus d’explications, par exemple sous forme de commentaires. Les procédés les plus fréquents sont 1. l’emprunt de citation, par exemple fr. pizza ; moins souvent, les abréviations se décodent et se recodent en un autre sigle ou acronyme, par exemple angl. UNO ; NATO, fr. ONU ; OTAN ; 2. le calque ou la traduction partielle, par exemple fr. le Troisième Reich < all. Drittes Reich ; 3. la formation analogique, par exemple fr. Ministère public ou Parquet ‘magistrature debout’ – esp. Fiscalía (General) ou Ministerio Fiscal ou son équivalent direct Ministerio Público ; la substitution par un lexème général est possible selon la précision que le contexte exige, par exemple angl. kilt – fr. kilt ou jupe écossaise ou bien l’explication exhaustive :  





























« Le kilt ou ‹ Highland dress › d’un Écossais date du 16ème siècle et était autrefois constitué d’une seule pièce d’étoffe. Au 17ème siècle, on en fit deux vêtements séparés : le ‹ kilt › et le ‹ plaid ›. C’est aussi de cette époque que date le ‹ sporran › (une bourse attachée à la ceinture). Ce n’est qu’au 18ème siècle que les différents ‹ tartans › (motifs écossais) furent créés pour des familles ou des clans spécifiques. Pour des occasions particulières ou des mariages, beaucoup d’hommes portent encore le ‹ kilt › de nos jours » (, s.v. kilt) ;  

































4. la traduction commentative (précisant, par ex., le courant politique de journaux nationaux, comme ceux du temps de Stendhal, le Constitutionnel et la Quotidienne, vers l’italien : il Constitutionnel libero et la Quotidienne reale ; cf. Levý 1969, 98). Le choix des procédés de traduction est aussi conditionné par la proximité ou la distance entre la culture de la langue de départ et celle de la langue cible (cf. Markstein 22006, 290s.). Dans des traductions historiques des XVIe et XVIIe siècles, faute de dictionnaires bilingues surtout au XVIe siècle, les traducteurs s’aidaient par l’emploi de paraphrases (pour la traduction anglais-français par ex. angl. malt, fr. orge mouillée), d’hyperonymes en cas de doute ou de moindre importance du signifiant (par ex. angl. hurtleberries – fr. [et] autres fruicts, angl. doughishe bread – fr. paste), de calques (par ex. angl. houshold bread – fr. pain de ménage) ou d’équivalents de la langue cible (par ex. angl. spoonemeate – fr. brouët ; angl. dominions – fr. seigneuries). On observe parfois des surtraductions, par exemple angl. walnuts, fr. les grosses noix ou noix de noyer pour traduire l’élément angl. wal- ‘roman, gallois’, fr. noix signifiant déjà ‘walnut’ en l’absence de spécification (les exemples sont tirés de la traduction française du rapport sur la Virginie de Thomas Harriot, 1590, cf. Hegner 2013, 376s. ; pour les surtraductions, cf. Hegner 2012, 197s.).  

































6 Traduction de noms propres La traduction des noms propres obéit aux règles générales de la traduction : s’il existe un équivalent dans la langue cible, c’est lui que l’on emploie. S’il n’y en a pas, on recourt à l’emprunt, tel quel ou adapté à la langue cible. Les noms de personnes, notamment les prénoms, se traduisaient autrefois par leur forme dans la langue cible  

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ou leur forme latine (cf. par ex. Back 32002 ; Kalverkämper 1996 ; pour des exemples concrets de l’histoire de la traduction anglais-français, cf. Hegner 2012). Aujourd’hui, ils sont généralement maintenus dans leur forme originale. Quant aux langues employant un système d’écriture différent, la transcription, par exemple, en caractères romains, peut se faire dans différentes variantes graphiques, cf. par exemple fr. Tchekhov ou Tchékhov, tandis que la translittération scientifique du cyrillique est Čechov.5 Les noms propres historiques doivent être vérifiés dans la littérature spécifique, par exemple fr./angl. Charlemagne – all. Karl der Große, etc.6 Les dictionnaires bilingues proposent souvent en annexe des listes d’équivalents des noms d’États, de villes, paysages, montagnes, etc. Quand les noms propres impliquent des connaissances culturelles spécifiques, il faut expliquer celles-ci sous forme de commentaire, par exemple dans des notes, puisque le savoir encyclopédique n’est pas le même dans les différentes cultures. Ainsi, l’énoncé « Bonn n’est pas Weimar » exige des explications supplémentaires (Bonn, ancienne capitale de la BRD ; Weimar, centre littéraire du classicisme allemand de Goethe et Schiller et quelques années capitale, cf. Weimarer Republik). Parfois, une traduction partielle est suffisante, par exemple Cathédrale Archangelski pour rus. Archangelski sobor, parfois, il vaut mieux traduire élément par élément (Cathédrale Archange), le cas échéant avec un commentaire (Cathédrale de l’Archange Michel). Le degré d’explicitation de la traduction dépendra des connaissances supposées du lecteur cible et du degré d’étrangeté (par ex. de la couleur locale) que le traducteur veut conserver dans le texte cible (Berman 1984, chap. 10). Plus délicats sont les noms expressifs ou imaginaires (parfois appelés aptonymes7). Il va de soi que, pour ceux-ci, le meilleur procédé consiste à trouver un équivalent dans la langue cible ou d’en créer un, par exemple dans la traduction littéraire pour le personnage « poor Nongtongpaw » de Charles Dibdin (fr. Je vous n’entends pas) ou pour Herr Kannitverstan de Hebel de même sens (cf. Kelletat 22006, 297). En ce qui concerne de telles connotations, il faut faire attention aux associations que le nom d’un produit peut produire à l’étranger. Ainsi la Mitsubishi Pajero a-t-ele été rebaptisée Montero dans les pays hispanophones, le nom commun pajero signigiant ‘branleur’ en espagnol vulgaire. Parmi les noms de marque, on rencontre (comme ailleurs) des pseudo-formations, par exemple le pseudo-italianisme picanto dans KIA Picanto. Les noms propres peuvent, à leur tour, former la base de dérivations, cf. fr. daltonien  



























5 La transcription consiste à rendre un son (phonème/phone) par un graphème ou un groupe de graphèmes, elle est alors basée sur la prononciation. La translittération, par contre, consiste à substituer à chaque graphème d’un système d’écriture un graphème ou un groupe de graphèmes d’un autre système, souvent à l’aide de signes diacritiques ; ainsi, une ré-translittération exacte est possible. Comme l’exemple l’indique, la lettre russe ч se transcrit tch, mais se translittère č en français. 6 Ce qui suit s’inspire de Kelletat (22006). 7 Aptonyme est un québécisme désignant un nom de famille d’une personne qui est étroitement lié à son métier ou à ses occupations (Office québécois de la langue française, Le grand dictionnaire terminologique, s.v. aptonyme, n.m. (2002), ).  



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(< John Dalton) ou fr. énarque (< ENA) ; il s’agit alors de déonomastiques. Enfin, les noms propres peuvent jouer un rôle dans les systèmes terminologiques d’un domaine spécifique (cf. chap. 7). Les noms d’organisations internationales demandent une attention particulière pour ne pas confondre, dans l’urgence de la traduction, par exemple le Conseil de l’Europe, le Conseil Européen et le Conseil de l’Union européenne dans une traduction rapidement faite. Les acronymes sont rendus comme indiqué cidessus (chap. 5) par leurs équivalents dans la langue cible (angl./all. UNO – fr./esp./ sp. ONU ; angl./all. NATO – fr./esp./it. OTAN). La terminologie européenne se trouve sur le site de la banque de données multilingue IATE (Inter-Active Terminology for Europe, ).  



















7 Le lexique spécialisé et la traduction Dans les langues romanes, les lexies spécialisées se forment généralement à l’aide de composés pluri-lexématiques en ajoutant successivement des distinctions de plus en plus fines, par exemple fr. carte de capture, carte de capture vidéo, carte de capture vidéo digitale, etc., tandis que les langues germaniques, surtout l’allemand, tendent à synthétiser ces éléments dans des mots composés comme all. Videoerfassungsk a r t e ‘c a r t e de capture vidéo’. Dans les langues romanes, l’élément de base, le déterminé, se trouve au début de l’unité, dans les langues germaniques à la fin, de sorte que la spécification se fait respectivement de gauche à droite et de droite à gauche. Les lexies pluri-lexématiques romanes ont un caractère syntagmatique, tandis que les lexies germaniques sont plus compactes grâce à la synthétisation du terme, souvent dans une seule unité graphique. En raison de cette plus grande complexité formelle, les langues romanes ont tendance, par souci d’économie, à réduire les formations à élément prépositionnel à des formations asyndétiques comme fr. ruban de coton > ruban coton ou à des formes à adjectif relationnel comme fr. système des nerfs > système nerveux (cf. Stolze 32013, 130ss.). Les formations à élément prépositionnel représentent donc souvent une première étape sur le chemin de l’expression descriptive à l’expression dénominative (Albrecht 22013, 282). Si les éléments prépositionnels sont maintenus, les rapports sémantiques parmi les éléments sont plus transparents, cf. par exemple fr. ruban de coton de type standard vs. ruban coton standard, ou, dans la comparaison contrastive bilingue, fr. moteur à faible course – all. Kurzhubmotor ou it. profili per i giunti di dilatazione – all. Dehnungsfugenprofile. Les équivalents romans sont alors plus explicites (ou moins explicites, cf. all. Kurbelgehäuse – it. basamento) que les termes allemands, qui ont, en général, un niveau moyen d’explicitation (Albrecht 22013, 282s.). Ces différences se montrent aussi clairement dans le WLWF (Wörterbuch zur Lexikographie und Wörterbuchforschung [Dictionnaire de la lexicographie et de la recherche dictionnairique]), qui indique les équivalents des lemmes en neuf langues, parmi lesquelles les principales langues romanes (fr., it., esp., port.). Même si en terminologie prévaut l’idéal de la monosémie, selon lequel à un signifiant  















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ne doit correspondre qu’un signifié, la majorité des phénomènes de la langue commune traités jusqu’ici apparaissent aussi dans les langues de spécialité. On y trouve des synonymes (cf. fr. lessivage, lixiviation, éluviation ; angl. leaching, eluviation, cf. Albrecht 22013, 285), des polysèmes, des faux amis, des champs lexicaux différemment structurés (voir l’illustration 2), des formations à verbe fonctionnel de grande extension et différentes métaphores qui sont à la base d’une formation lexicale spécialisée (par ex. angl. foot-and-mouth disease – fr. fièvre aphteuse).  









Illustration 2 : Structuration différente des désignations de soupapes (Reinart 2009, 147).  

Pour illustrer les différentes structurations des lexies, nous mentionnerons la fréquente existence d’équivalents un-à-plusieurs, comme par exemple la distinction entre angl. bolt ‘vis à écrou’ et screw ‘vis sans écrou’ ou celle entre fr. allumeur (partie inférieure de l’allumage) et distributeur (partie supérieure de l’allumage) ou bien celle entre all. schweißen ‘souder’ et löten ‘souder, braser’ vs. fr. souder et it. saldare, où les termes fr. braser et it. brasare fonctionnent comme des hyponymes de souder/saldare (Albrecht 22013, 383). Pour les formations à verbe peu spécifique, mentionnons par exemple angl. remove the sparkplugs, remove dipstick, remove decklid, etc. (vs. all. Zündkerzen h e r a u s d r e h e n , Ölmessstab h e r a u s z i e h e n , Heckklappe a u s b a u e n , etc. ; cf. Reinart 2009, 121). Pareillement, les métaphores, qui sont très fréquentes dans les langues spécialisées, reflètent différentes images, comme par exemple dans la construction mécanique, où, en français, les métaphores anatomiques sont assez fréquentes (mamelle, corps de pompe, téton, etc. ; Reinart 2009, 129). De même, les associations que produisent fr. serpentin – angl. worm-pipe ou fr. frein à sabot – angl. shoe-brake ne sont pas les mêmes. Les métaphorisations fr. p i e d de bielle et all. Pleuelk o p f litt. ‘tête de bielle’ et fr. t ê t e de bielle et all. Pleuelf u ß litt. ‘pied de bielle’ sont même diamétralement opposées et constituent de redoutables faux amis (Albrecht 22013, 282). D’autres faux amis se rencontrent parmi les termes constitués de noms propres. Ceux-ci peuvent être structurés différemment au plan morphologique (par ex. des inventions ou des découvertes comme angl. Basedow’s disease – fr. maladie de Basedow), avoir différents noms (all. Litfaßsäule – fr. colonne Morris, surtout à Paris d’après l’éditeur anglais Gabriel Morris), représenter différents concepts (all. Bunsenb r e n n e r – fr. b e c Bunsen), comporter différents degrés d’explicitation (angl.  

























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Davy lamp – it. lampada (di sicurezza) di Davy), ou ne pas utiliser de nom propre (angl. Colorado beetle – fr. doryphore – port. besouro-da-batata ; all. Litfaßsäule – fr. colonne d’affiches ou d’affichage outre colonne Morris). Quelques lexies à noms propres sont même difficiles à reconnaître comme telles, comme par exemple all. Blaugas (non pas ‘*gaz bleu’, mais ‘gaz développé par Blau’) – fr. gaz cyanogène. Les terminologies à noms propres nous révèlent beaucoup sur leurs origines et leurs contextes culturels (traditions, écoles nationales de penser, etc.), tout comme le font les faits culturels (cf. chap. 5). L’emprunt ou l’assimilation de noms propres est alors aussi une question de spécificité culturelle (Reinart 2009, 134). Comme les exemples donnés ci-dessus l’indiquent, il y a parfois des synonymes explicatifs en plus du terme à nom propre et même des variantes régionales, par exemple angl. Allen screw, appelée clé Allen en français, clef Inbus en Suisse romande et que l’on explicite parfois en clé pour vis à six pans creux si l’interlocuteur ne connaît pas le terme. Le choix de la variante est donc, jusqu’à un certain point, laissé à l’appréciation du traducteur en fonction du contexte du mot et du public auquel est destinée la traduction. De nouveaux termes ou des termes très spécifiques se développent constamment, de sorte qu’il est souvent difficile de les trouver dans les dictionnaires bilingues et qu’il vaut mieux les chercher dans des textes parallèles.8 Quand il faut créer un nouveau terme, le traducteur n’est pas entièrement libre, mais doit observer les bases de la normalisation terminologique, en Allemagne, par exemple celles du DIN (Deutsches Institut für Normung [‘Institut allemand pour la normalisation’]), en France celles de l’AFNOR (Association française de normalisation), les deux étant membres nationaux de l’ISO (International Standardizing Organization) : un terme doit s’adapter facilement au système existant de la langue, il faut tenir compte des dimensions internationales des termes, les termes doivent être clairs, simples, transparents, faciles à prononcer et aptes à la dérivation (cf. DIN 2330, ).  















8 Conclusion D’autres aspects généraux de la traduction touchent à la sémantique structurale vs. la sémantique cognitive (Albrecht 22013, 147ss.), l’‘équivalence transmise’, l’enchaînement (angl. linking)9 et la traduction de particules et de marqueurs de discours. La notion d’« équivalence consacrée [par l’usage, la tradition] » (de l’all. ‘tradierte Äquivalenz’) implique que des termes particuliers se traduisent et retraduisent selon  



8 Les textes parallèles sont des textes thématiquement identiques et d’une fonction communicative comparable, mais écrits indépendamment par des locuteurs maternels compétents dans la culture cible (Göpferich 2006, 184). 9 L’enchaînement concerne la relation des contenus lexicaux et de la syntaxe, c’est-à-dire les rôles sémantiques que des énoncés ou des collocations impliquent, le cas échéant contrastés à ceux d’une autre langue (cf. Albrecht 22013, 153ss.).  

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une équivalence une fois établie sans s’adapter aux nouveaux développements lexicaux. Ces « équivalences consacrées » ont un caractère normatif (Albrecht 22013, 152 ; Albrecht/Plack 2012, 17). L’« équivalence consacrée » apparaît comme cas spécifique de l’équivalence lexicale (ibid.). Il faut cependant se rendre compte du fait que les dictionnaires bilingues n’offrent que des « équivalences virtuelles », c’est-à-dire des équivalents parmi lesquels le traducteur doit choisir celui qui convient dans le contexte donné. De plus, les langues d’un même espace culturel exercent une influence les unes sur les autres et développent ainsi des significations similaires et des équivalences lexicales communes. En Europe, les langues sont surtout influencées par l’anglais et l’emploi d’éléments gréco-latins (cf. Keipert 2010 ; Schmitt 1996 ; 2000). Ce fait se reflète dans la recherche lexicologique de la discipline récente (et parfois controversée) de l’euro-linguistique (Pfandl 2010 ; Hinrichs 2010).10 Pour beaucoup des aspects discutés dans cette contribution, le traducteur dispose d’outils spécifiques : des dictionnaires bilingues consacrés par exemple aux faux amis, aux particules, aux technolectes ; des dictionnaires monolingues à visée diachronique, diastratique ou diaphasique ; des dictionnaires de noms propres bi- et monolingues ; des dictionnaires syntagmatiques (valences de verbes, collocations, etc.) ; des dictionnaires onomasiologiques, á structure non alphabétique, mais conceptuelle ; des dictionnaires synonymiques, qui en sont une sous-catégorie ; des outils électroniques (cf. Austermühl/Einhäuser/Kornelius 1998), comme les banques de données, etc. (cf. Albrecht 22013, 60ss.). Les déonomastiques sont une lacune dans la recherche dictionnairique. Pour l’italien, il existe le Deonomasticon Italicum de Schweickard (2002–) ; un projet semblable pour l’espagnol est prévu par Reinhardt (2010). En ce qui concerne la représentation des lexèmes dans les dictionnaires généraux, on observe une certaine hétérogénéité : curieusement, bon nombre de lexèmes spécialisés se trouve dans le plus grand dictionnaire monolingue de la langue française, le TLF(i) (Trésor de la langue française (informatisé)), mais les lexies plurilexématiques y sont souvent négligées (Albrecht 22013, 275 ; Albrecht 1999, 1696ss. ; Hegner 2012, 207s. ; 2013, 271, 402, 407). De même, les termes à constituant onomastique ne sont souvent pas enregistrés dans les dictionnaires (Reinart 2009, 151). Ces derniers sont également lacunaires en ce qui concerne l’évolution diachronique des lexies spécialisées, la terminologie étant principalement une discipline à orientation synchronique (Reinart 2009, 139). Les aspects diachroniques sont intéressants pour la linguistique contrastive et la traductologie dans la mesure où la relation entre le  



































   











10 L’euro-linguistique comme discipline linguistique est une création de la slavistique allemande ; le terme a été forgé par Norbert Reiter en 1991. Elle se propose d’étudier d’un point de vue contrastif le plus grand nombre possible de langues européennes en les traitant sous les aspects les plus divers, historique, sociologique, politique et systémique, tout en tenant compte de la communication interculturelle et de la traduction.  

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signifiant et le concept ne se développe pas toujours de la même façon dans les différentes langues (Reinart 2009, 140). Le rapport entre lexique et traduction est en fin de compte un champ qui offre de multiples perspectives de recherche scientifique.

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Maurice Kauffer*

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Abstract : Cet article présente les principales propriétés des faux amis ainsi que les problèmes théoriques et pratiques qu’ils soulèvent. Après avoir examiné le terme de faux ami et avoir fait un état de la recherche, il se consacre à une analyse critique des critères de définition et à une typologie des faux amis. Les exemples proviennent de plusieurs langues européennes et plus particulièrement du français et de l’allemand.    

Keywords : faux ami, dictionnaire, typologie, forme, sens, interférence    

0 Introduction Nous ferons ici le point sur les principales caractéristiques des « faux amis » mais surtout sur les difficultés qu’ils soulèvent et qui peuvent en faire de « vrais ennemis » pour les linguistes, les traducteurs et les apprenants en langues étrangères. Après avoir fait l’état de la recherche dans ce domaine, nous nous attaquerons à la définition des faux amis puis à leur typologie. Mais tout d’abord il convient de se pencher sur cet étrange terme de « faux ami » et d’en examiner la fausseté apparente …  













1 Le terme de « faux ami »  





Le terme de « faux ami » n’est à vrai dire pas très ancien mais a déjà connu une histoire mouvementée. Apparu sans doute la première fois dans l’ouvrage de Koessler/Derocquigny destiné aux traducteurs, Les faux amis ou les pièges du vocabulaire anglais. Conseils aux traducteurs (1928), il a assez rapidement fait florès dans la littérature consacrée à la traduction, à la didactique des langues et au lexique. Il a été repris dans de nombreuses langues, soit tel quel, soit traduit, par exemple en espagnol « falsos amigos », en italien « falsi amici »,1 mais aussi en russe, polonais, tchèque, bulgare selon Lipczuk (1991, 405). Pour l’allemand, « faux amis » et « falsche Freunde » sont utilisés tous les deux, le premier se maintenant particulièrement bien.2 En anglais, les termes les plus fréquents sont « false friends », « false cognates » et  



























* Maurice Kauffer est membre de l’ATILF / CNRS & Université de Lorraine (UMR 7118). 1 D’après Albrecht (2005, 133); Haschka (1989); Kroschewski (2000); Reiner (1983, 66). 2 Ainsi on trouve « faux amis » dans les titres allemands des articles et publications de Haensch (1956–1957), Klein (1968), Haschka (1989), Reiner (1989), Kühnel (1990), Ettinger (1994), Große (1998) etc.  



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également « deceptive cognates ». On trouvera un bon historique du terme « faux ami » et de ses équivalents dans Lipczuk (1991, 405s.) et Kroschewski (2000), mais surtout dans Reiner (1983, 66s.) et Haschka (1989, 149s.). Ces deux derniers auteurs constatent en outre que le phénomène des faux amis a été traité bien avant l’ouvrage fondateur de Koessler/Derocquigny, sous des appellations assez diverses et souvent avec une définition plus large que celle des faux amis au sens strict.3 Haschka (1989, 149) remarque ainsi qu’il existe des recueils de faux amis depuis plusieurs siècles, même s’ils ne sont pas désignés par ce terme. Reiner (1983) inventorie les nombreux recueils qui regroupent erreurs, mots trompeurs et « pièges du vocabulaire », parus en France et en Allemagne dès le XVIIIe siècle, puis tout au long du XIXe et du XXe, en particulier les collections de germanismes, gallicismes et autres fautes fréquentes en français et en allemand dues aux interférences entre les deux langues et aux particularités lexicales propres à chaque langue (cf. Gorbahn-Orme/Hausmann 1991, 2884). Certes, le terme de « faux ami » ‒ et ses équivalents dans d’autres langues ‒ s’est imposé et est devenu extrêmement courant. Mais il a fait également l’objet de nombreuses critiques.4 Les reproches qui lui sont adressés sont de plusieurs natures. C’est tout d’abord le fait que ce n’est pas un terme très scientifique, c’est-à-dire précisément défini en tant que concept linguistique. Le caractère métaphorique de « faux ami » ne facilite d’ailleurs pas la précision de sa définition. Ce terme a eu en outre de nombreuses acceptions fort différentes dans les recueils et articles à ce sujet. Un autre reproche de fond est dû au fait que l’existence de faux amis postule celle de vrais amis, à savoir de mots qui ont à la fois une forme et un sens très proche, voire identique dans deux langues, comme « house » (angl.) et « Haus » (all.) au sens de ‘maison’.5 Or l’existence de ces « vrais amis » peut être contestée si l’on ne croit pas à l’existence d’une équivalence parfaite entre mots de différentes langues (ainsi Lipczuk 1991, 405 ; Reiner 1983, 72). Il y a donc eu de nombreuses tentatives de remplacer le terme de « faux ami » par un autre, plus précis et moins équivoque. Les suivantes sont particulièrement intéressantes. Reiner (1983, 76) avance la notion de « pénidentème » qui exclut certains types de faux amis, mais qui à vrai dire ne s’en différencie pas nettement.6 Lipczuk (1991, 406s.), après avoir listé les termes voisins de celui de « faux ami », plaide pour celui, très proche, de « tautonyme ».7 Mais c’est Kroschewski (2000, 14s.) qui non seulement recense et analyse les différentes appellations pouvant  



















































3 Ceci pose bien sûr le problème crucial de la définition des faux amis, sur lequel nous revenons dans notre troisième partie. 4 À commencer par Boillot (1930), mais aussi par la suite Lipczuk (1991, 406) et Kroschewski (2000, 9). 5 En particulier Boillot (1930, 7), cité par Reiner (1983, 71). 6 Reiner entend par « pénidentèmes » des mots de deux langues différentes qui ont une ressemblance de forme reposant sur un lien étymologique et également une divergence de sens plus ou moins importante. N’en font pas partie les « pseudo faux amis » (cf. infra 3.3), ni les faux amis syntaxiques. 7 Les « tautonymes » de Lipczuk ont à la fois une ressemblance formelle, une divergence de sens et un risque d’interférence, mais pas forcément une origine étymologique commune.  











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remplacer celle de « faux ami » et de « vrai ami » mais aussi les discute et en synthétise les critères définitoires.  







2 État de la recherche Dans quels domaines de recherche trouve-t-on habituellement des publications sur les faux amis ? La plupart du temps en traductologie, en didactique de la traduction et en didactique des langues secondes. La plupart des ouvrages sur la traduction et ses problèmes, du moins dans une perspective linguistique, abordent ce sujet par quelques remarques, voire un chapitre complet. C’est le cas de Koller (62001, 224 et 229) dans son chapitre sur l’équivalence, d’Albrecht qui l’effleure lorsqu’il parle de linguistique contrastive (2004, 256s.) mais qui y consacre un chapitre dans son ouvrage Übersetzung und Linguistik (2005, 133–138). On lira aussi le chapitre qui leur est consacré par Chuquet/Paillard (1987, 224–229), ainsi que les remarques de KupschLosereit (2004, 544s.) dans le cadre de sa présentation de l’interférence en linguistique et les observations de Lewandowska-Tomaszczyk (2004, 460s.) quand elle analyse les problèmes lexicaux de la traduction. Mais ce sont surtout les recueils, voire les dictionnaires de faux amis qui constituent le gros de la troupe des publications. Il n’est bien sûr pas possible de les présenter tous car il en existe un nombre considérable, nous nous bornerons donc à donner des exemples d’ouvrages de qualité qui concernent le français. Les plus nombreux sont relatifs aux faux amis du français et de l’anglais, avec bien sûr l’ouvrage fondateur de Koessler/Derocquigny (1928 et les éditions suivantes, par ex. Koessler 61975), mais aussi Thorin (1984), Labarre/Bossuyt (1988), Petton (1995) et Van Roey/Granger/Swallow (31998). Les faux amis du français et de l’allemand ont été collectés à différentes périodes, entre autres par Reinheimer (1952), Haensch (1956– 1957), Klein (1968), Kühnel (1987), Reiner (1989) et l’excellent Vanderperren (22001). Pour le couple français/italien, on consultera Dupont (1965), Boch (1988) et Mouchon (2001) et pour le français et l’espagnol, ce sont Dupont (1961), González Marimón (1982) et Cantera Ortiz de Urbina/Ramón Trives/Heras Díez (1998) qui se signalent.8 On trouvera de nombreuses autres références de dictionnaires de faux amis dans la belle bibliographie de Gorbahn-Orme/Hausmann (1991) et celle on line de Bunčić/ Lipczuk, bien ordonnée et complète jusqu’en 2006 avec plus de 700 références.9 Les faux amis intralingues du français sont par exemple examinés par Colignon/Berthier (1985) et Voirol (1990). La qualité des recueils et dictionnaires bilingues de faux amis  

8 Fort intéressant est aussi le dictionnaire allemand/espagnol de Wotjak/Herrmann (1984). 9 Remarquons à ce propos qu’il n’y a quasiment pas de dictionnaires de faux amis dignes de ce nom sur Internet. À consulter cependant les deux dictionnaires on line de Lassure, à savoir le Dictionnaire anglais-français des faux-amis techniques et le Dictionnaire anglais-français des faux-amis non techniques.  



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est très variable et l’on est souvent déçu de ne pas y trouver les faux amis recherchés ou des informations plus précises sur leur emploi. Les critères de qualité10 que l’on aimerait rencontrer plus souvent dans ces ouvrages sont à notre avis les suivants. Tout d’abord l’existence d’une introduction qui définisse quels sont les faux amis retenus et comment ils sont classés est indispensable, tout comme un index qui permette de les retrouver facilement s’ils ne sont pas classés par ordre alphabétique.11 Les faux amis retenus devraient l’être sur la base de leur fréquence d’erreur, donc de leur « dangerosité » linguistique pour l’utilisateur, et ne devraient pas être obsolètes, comme on le constate dans certains dictionnaires où les faux amis sont parfois simplement repris à partir des dictionnaires précédemment parus.12 De nombreux dictionnaires n’indiquent pas non plus pour quels utilisateurs ils sont élaborés, voire ne se posent même pas cette question. Enfin pour ce qui est de la microstructure, chaque article de dictionnaire devrait comprendre une traduction de qualité du faux ami, une explication claire du problème de sens et/ou de forme qui fait du mot-vedette un faux ami, une indication du registre de langue et bien sûr au moins un exemple en contexte de ce faux ami.13 Les publications relatives aux faux amis comprennent assez peu d’ouvrages et articles théoriques, que ce soit en linguistique ou en sémantique. Il y a tout d’abord une série de recueils de faux amis qui ne sont certes pas exhaustifs mais qui présentent une approche théorique plus marquée que ceux que nous venons de mentionner, sans cependant se situer toujours dans un cadre théorique précis. Il s’agit par exemple de Haensch (1956–1957), Kühnel (1987) et Reiner (1989), qui allient un dictionnaire et une réflexion sur les types de faux amis français-allemand. Svobodova (1982) en fait de même pour le français et le tchèque et Petton (1995) pour le français et l’anglais. D’autres auteurs mènent une réflexion de fond sur la définition des faux amis, en général doublée d’une typologie de ces derniers plus ou moins développée. Haschka (1989) et Reiner (1983) réanalysent les différentes définitions des faux amis et font de nouvelles propositions, Kiss (2002) réfléchit sur la notion de faux amis et leur classement, Wandruszka (1977) relie même la notion de faux ami avec celle du jeu du hasard et de la nécessité dans la langue. D’autres analyses se concentrent plus sur la typologie des faux amis : Breitkreuz (1991), Breitkreuz/Wiegand (1989), Gauger (1982 ; 1989), Gottlieb (1984), ainsi que Chamizo Domínguez/Nerlich (2002) sur la base  









10 Voir aussi la réflexion de Gorbahn-Orme/Hausmann (1991) à ce sujet, même si leurs critères et propositions concrètes ne sont pas toujours spécifiques aux dictionnaires de faux amis mais concernent les dictionnaires bilingues en général. 11 Boch (1988) est exemplaire pour le nombre et la qualité des index et listes de faux amis de toutes natures. 12 Dupont (1961, 10) constate ainsi que « bon nombre de faux amis se sont assurés la complicité du dictionnaire ». 13 Le dictionnaire des faux amis français/allemand de Vanderperren (22001) remplit, lui, une bonne partie de ces critères.  



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de la sémantique cognitive. Lipczuk (1991) élargit la classification au problème des internationalismes et mène une analyse sémantique intéressante, comme Milan (1989) et Wotjak (1984), ainsi que Jorge Chaparro (2012), qui centre son examen des faux amis sur le problème de la polysémie. Ettinger (1994) applique la notion de faux ami aux unités phraséologiques. Enfin, on peut mentionner des monographies et articles qui englobent dans leur réflexion un grand nombre de dimensions théoriques des faux amis. Il s’agit de Koessler (61975) mais aussi de Kroschewski (2000) et Petersen (1990) dans une perspective surtout didactique. On constatera finalement que ce sont les années 1980 et 1990 qui ont constitué l’apogée des publications et des dictionnaires sur les faux amis, avec en particulier un grand nombre d’articles de fond en langue allemande, que ce soit sur les faux amis en anglais, français ou espagnol. Ces dernières années ont connu un certain reflux quant au nombre d’ouvrages et d’articles sur les faux amis à proprement parler, d’autres thématiques connexes s’installant peu à peu, comme les internationalismes et les problèmes d’interférence linguistique.

3 Définition La discussion sur le terme de « faux amis » dans notre première partie nous a montré qu’il est nécessaire de définir ces derniers plus précisément. Ce n’est pas là une mince affaire et pour cela nous proposerons tout d’abord une définition communément adoptée dans la recherche actuelle, même si elle n’est pas la seule. Ensuite nous en discuterons les critères. On entend ordinairement par faux amis des mots de deux langues ayant une grande ressemblance de forme mais des sens différents, ce qui est source de confusion et donc d’erreur pour le locuteur. Par exemple « état » (fr.) et « Etat » (all.) ‘budget’. Gorbahn-Orme/Hausmann (1991, 2882) sont du même avis :  















« False Friends (…) are words in two different languages which are graphically or phonetically very similar but have different meanings and can therefore be easily confused by foreign language learners ».  



Cette définition est partagée par la plupart des auteurs de recueils et dictionnaires récents de faux amis14 ainsi que par de nombreux linguistes et traductologues15 qui s’intéressent à ce problème. Examinons à présent les critères de cette définition (en italiques ci-dessus), qui peuvent varier considérablement et donc mener à d’autres définitions, bien différentes, des faux amis. 14 Par ex. Boch (1988, III); Chuquet/Paillard (1987, 224); Labarre/Bossuyt (1988, 5); Vanderperren (22001, 7). 15 Par ex. Chamizo Domínguez/Nerlich (2002, 1833); Gauger (1982, 78); Haschka (1989, 148); Koller (2001, 224); Kupsch-Losereit (2004, 544); Lipczuk (1991, 407); Glück (1993, 182).  

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3.1 Premier critère : les faux amis peuvent être des mots16 mais aussi bien sûr des expressions, qui sont effectivement prises en compte par un certain nombre de recueils de faux amis. Ces expressions peuvent être des phraséologismes, c’est-à-dire des expressions figées avec un sens non compositionnel. Ainsi « suer sang et eau » (fr.) vs. « Blut und Wasser schwitzen » (all.) ‘avoir une peur bleue’ sont des « faux amis phraséologiques17 ». Mais il y a hélas peu d’analyses sur ce type de faux amis, sauf celles d’Ettinger (1994) et Klein (1972) pour les phraséologismes du français et de l’allemand et les remarques de Chamizo Domínguez/Nerlich (2002, 1845) pour les expressions françaises.    













3.2 Deuxième critère : il ne s’agit pas non plus forcément de deux langues seulement. Certes, la très grande majorité des recueils de faux amis est relative à un « couple » de langues donné (français/italien, allemand/espagnol etc.) et il y a très peu de recueils ou dictionnaires multilingues avec plus de deux langues.18 Et pourtant les faux amis entre les différentes langues romanes posent des problèmes redoutables : par exemple les verbes « garder » (fr.) vs. « guardare » (ital.) ‘regarder’ vs. « guardar » (esp.) ‘garder, ranger’ (cf. Albrecht 2005, 137).19 Cela montre que les faux amis de deux langues résultent souvent d’emprunts à une troisième langue. Dans son examen des faux amis en français et en hongrois, Kiss (2002, 46) montre ainsi qu’une première possibilité est que cette troisième langue « sert de ‘donneuse’ à chacune des langues examinées » : c’est le cas du grec et du latin auquel par exemple le français et le hongrois empruntent tous deux ‒ même si c’est de façon bien différente ‒, ce qui entraîne des faux amis en français et en hongrois.20 L’autre possibilité est que cette troisième langue « se place entre les deux langues comme intermédiaire » (Kiss 2002, 47), par exemple l’allemand par l’intermédiaire duquel le hongrois emprunte au français, ce qui entraîne une autre série de faux amis. Une autre catégorie de faux amis est constituée de ceux qui sont propres à une seule langue. Par exemple, Colignon/Berthier (1985) ou Voirol (1990) collectent les faux amis du français, comme « blanchiment » vs. « blanchissage » vs. « blanchissement » ou bien « populaire » vs. « populeux » vs. « populiste » ou encore « chair » vs.  

   



























































16 Nous sommes bien conscients que la notion de mot n’est en fait pas très précise, mais pour des raisons de place nous ne discuterons pas ce point dans le présent article. 17 Les choses ne sont cependant pas si simples, car l’expression allemande peut aussi avoir parfois le même sens que la française (cf. DUW, article Blut). Dans ce cas, ce ne sont plus des faux amis. 18 Une exception notable est le dictionnaire multilingue de Hill (1982). 19 Gauger (1982, 84s.) souligne également qu’il y a énormément de faux amis entre les langues romanes, particulièrement entre l’espagnol et l’italien et entre l’espagnol, le portugais et le catalan. Le problème est de savoir si la probabilité d’erreur est plus importante pour des mots de famille de langues différentes (français/anglais par ex.) que pour la même famille de langues, par ex. les langues romanes. 20 Selon Kiss (2002, 46s.), « le grec ‹climax› (‘échelle, gradation’) a trois sens en hongrois et deux en français dont un seul est commun (…) ».  



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« chaire » vs. « cher ». On voit bien d’après ces exemples qu’il s’agit ici de phénomènes variés : des homonymes (dernier exemple), des paronymes21 (deuxième exemple) ou des mots en partie synonymiques (premier exemple). Mais ce type de recueils de faux amis intralingues a tendance à englober par extension toutes les fautes de langues les plus variées possible, y compris les « impropriétés, confusions, contresens, paronymes, pléonasmes » (Voirol, sous-titre). Koessler (61975, 12) détaille aussi les faux amis dans la communication intralingue : ils résultent de la variation sémantique des mots, que ce soit dans l’espace (français régional par ex.) ou dans le temps avec des mots de différentes périodes.  















3.3 Troisième critère : la ressemblance voire l’identité de forme des faux amis. Elle pose plusieurs problèmes de définition. Tout d’abord, elle implique que l’on pourra avoir des faux amis dont la forme sera identique en quelque sorte par hasard ou par coïncidence, c’est-à-dire sans qu’il y ait aucun point commun de sens entre eux, par exemple « coin » (fr.) et « coin » (angl.) ‘pièce de monnaie’, ou « axe » (fr.) et « axe » (angl.) ‘hache’ (cf. Chuquet/Paillard 1987, 225). Leur sens étant très différent et leur contexte d’utilisation également, le risque d’erreur inhérent aux faux amis est nettement plus faible, peut-on alors encore les considérer comme des faux amis ? Autre problème : cette définition inclura aussi, si l’on prend l’exemple des faux amis français et allemands, « ces mots bizarres de fabrication allemande mais d’allure résolument française » (cf. Vanderperren 22001, 7 ; cf. Kühnel 1987, 6), c’est-à-dire des mots allemands qui paraissent français mais qui n’existent pas en français et qui sont également source de confusion : « Blamage » (all.) ‘honte, discrédit’, « illoyal » (all.) ‘déloyal’. Ce phénomène existe bien entendu dans d’autres langues, un cas bien connu étant les « pseudoanglicismes » dans les langues européennes (Albrecht 2005, 137), comme « happy end » (fr.) et « Happyend » (all.) ‘fin heureuse’ alors qu’en anglais c’est « happy ending » qui a ce sens. Le lecteur attentif aura remarqué que nous avons en fait choisi une définition large des faux amis, mais elle se justifie par l’utilité qu’elle présente pour les utilisateurs de recueils et dictionnaires de faux amis. Le problème le plus délicat reste cependant la définition de la « ressemblance de forme » de ces faux amis. On peut certes encore comprendre ce qu’est une identité de forme,22 à condition bien sûr de préciser si cette identité inclut ou non l’orthographe, la prononciation, l’accentuation, le genre grammatical etc. Mais que signifie une « ressemblance » de forme, c’est-àdire une identité partielle de forme ? Comment en dégager des critères rigoureux ? À partir de quand deux mots se « ressemblent »-ils ou ne se « ressemblent »-ils plus ? La plupart du temps, cette ressemblance n’est pas définie, ni même évoquée et est du  

















































































21 Par « paronymes » nous entendons, comme Dubois et al. (1994, 349) « des mots ou des suites de mots de sens différent, mais de forme relativement voisine ». 22 D’où la belle appellation de « mot-sosie » à la place de « faux ami » pour Petton (1995) et Bouscaren/Davous (1977).  

















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domaine de l’intuition dans les dictionnaires de faux amis. Une réflexion plus approfondie à ce sujet se trouve dans Milan (1989, 392s.) et surtout dans Kroschewski (2000, 33s.) qui se penche de façon assez convaincante sur les degrés et critères de cette ressemblance. 3.4 Ceci nous amène directement au quatrième critère : le fait que les faux amis sont source de confusion et donc d’erreur par leurs utilisateurs. C’est un critère qui cette fois intéresse spécifiquement la didactique des langues et de la traduction, et il est particulièrement important car il justifie l’existence des nombreux manuels et recueils de faux amis destinés à aider les élèves et étudiants de langues à ne pas tomber dans ces pièges lexicaux. D’ailleurs, une foule d’appellations voisines de celle de faux amis, certaines assez pittoresques, filent en quelque sorte la métaphore de la traîtrise.23 En français, on trouve par exemple des « faux-frères » (Vanderperren 22001, 5 ; Voirol 1990, page de garde), des « faux cousins » (Voirol, 1990, page de garde), « des mots qui nous trahissent (Colignon/Berthier 1985, 3), des « pièges insidieux » (Vanderperren 22001, 5), et des mots faisant preuve de différents degrés de « perfidie » (Dupont 1961, 10). Pour Petton (1995, 7) et Gorbahn-Orme/Hausmann (1991, 2883), la fréquence d’erreur potentielle des utilisateurs de faux amis est un critère essentiel pour arriver à un traitement lexicographique satisfaisant des faux amis. Petersen (1990, 10) prend même comme point de départ de la définition des faux amis un inventaire des erreurs dans le processus d’apprentissage des apprenants de langue et base toute son étude des faux amis sur l’analyse et la classification des phénomènes d’erreur. À dire vrai, les publications récentes intègrent maintenant plus souvent la dimension didactique et psycholinguistique des faux amis. C’est le cas de Kiss (2002, 44s.) qui définit les faux amis comme un phénomène où le locuteur se livre à de « fausses analogies » en traduisant et où il crée une interférence de champs sémantiques entre la langue de départ et celle d’arrivée. Cette approche des faux amis basée sur la didactique des langues a également permis d’établir que le phénomène des faux amis est essentiellement individuel. En effet, selon Kiss (2002, 43), « les faux amis n’existent pas a priori dans la langue (…) : c’est la connaissance linguistique inégale du locuteur bilingue qui les produit ».24 Remarquons pour finir que le fait de prendre une fréquence d’erreur élevée comme critère de sélection des faux amis conduit par extension à y inclure les « gallicismes », « hispanismes », « italianismes », « germanismes » etc., qui ne sont pas forcément des faux amis. Ce sont en effet des mots, mais surtout des expressions et constructions, qui sont particuliers à une langue et qui sont  

















































23 Chamizo Domínguez/Nerlich (2002, 1837) examinent les stratégies pragmatiques utilisant les faux amis et remarquent que ces derniers ne sont pas seulement des pièges mais aussi des occasions positives qu’exploitent des auteurs pour jouer avec la langue ou faire preuve d’humour. 24 Voir aussi Gauger (1982, 79) ainsi que Kupsch-Losereit (2004, 545) qui déclare, à juste titre, que les faux amis n’existent pas objectivement entre deux langues, mais par rapport à une personne et à une situation.

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donc sujets à interférences lorsqu’il s’agit de les traduire dans une autre langue, mais sans qu’il y ait forcément de ressemblance de forme avec leur équivalent dans la langue d’arrivée, comme c’est le cas pour les faux amis.25 3.5 Cinquième critère : les faux amis se caractérisent également par une différence de sens entre eux, celle-ci pouvant être très diverse. Cette différence de sens est bien sûr plus souvent source d’erreurs si les faux amis se trouvent dans le même champ sémantique. Wandruszka (1977, 54) le montre en observant que « caldo » (it.) ‘chaud’ peut être facilement confondu avec « kalt » (all.) ‘froid’ justement parce que les deux adjectifs servent à désigner des températures. Il est également important que les faux amis apparaissent dans un contexte comparable pour qu’on puisse les considérer véritablement comme des faux amis, à savoir des mots susceptibles d’être confondus (Kupsch-Losereit 2004, 544). Nous reviendrons aux aspects sémantiques dans notre typologie des faux amis, mais remarquons d’ores et déjà que les différences de sens définitoires entre faux amis n’ont pas souvent été analysées de façon convaincante. Wotjak (1984) l’aborde et Lipczuk (1991, 410) s’y attaque résolument en définissant cinq grandes relations sémantiques entre les faux amis : exclusivité, inclusion, équipollence, opposition et exclusion.26 Une question complémentaire est celle d’inclure parmi les faux amis les mots qui, inversement à la définition que nous avons posée d’entrée, ont une certaine ressemblance de forme mais le même sens, par exemple « amiral » (fr.) et « Admiral » (all.) ‘amiral’. C’est à vrai dire le choix de la plupart des recueils de faux amis, motivé par le fait que ces mots sont évidemment des chausse-trapes redoutables, car la différence de forme, parfois minime, risque de passer inaperçue et être donc source d’erreur.  





















3.6 Sixième critère : c’est cette fois-ci un critère de nature diachronique, et il peut s’ajouter aux critères précédents. Dans ce cas, on compterait aussi parmi les faux amis des « mots de même étymologie et de forme semblable mais ayant des sens partiellement ou totalement différents ».27 La ressemblance de forme est donc due dans ce cas à l’origine commune des faux amis. Par exemple, venant du latin « largus », on a « large » (fr.) vs. « largo » (esp.) ‘long, grand’ vs. « large » (angl.) ‘grand, étendu’. Les mots de même origine deviennent des faux amis car leur sens évolue différemment dans chaque langue. Ce critère est cependant de moins en moins utilisé dans les  





















25 Pour Klein (1968, 5s.) il s’agit de « transposition naïve » de structures verbales et nominales dans la langue d’arrivée. 26 Il s’agit respectivement de : « Privativität », « Inklusion », « Äquipollenz », « Kontrarität », « Exklusion ». 27 Selon Cuq (2003, 101). On trouve des définitions comparables dans Van Roey/Granger/Swallow (31998, XVI), Reiner (1983, 76) et Galisson/Coste (1976, 217), qui reprennent Koessler/Derocquigny (1928), ainsi que dans la typologie récente de Jorge Chaparro (2012).  

























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définitions récentes, après avoir été la norme à une certaine époque, après la parution de l’ouvrage de Koessler/Derocquigny (1928). Le critère diachronique reste en revanche important si l’on définit les faux amis diachroniques à l’intérieur d’une même langue. Koller (2001, 224) oppose ainsi les mots ayant un sens différent à différentes époques comme « Arbeit » (all.) ‘travail’ et « arebeit » (moyen haut-allemand) ‘labeur, travail pénible’. D’ailleurs les faux amis évoluent aussi dans le temps et Kühnel (1987, 8) observe que certains mots qui étaient faux amis ne le sont plus par la suite.  







4 Typologie Une typologie des faux amis – même sommaire, comme ce sera le cas ici – partira bien sûr de la définition posée dans la partie précédente, ainsi que des six critères discutés ci-dessus, surtout ceux concernant la forme et le sens des faux amis.28 Dans le cadre du présent ouvrage sur la traduction, nous nous concentrerons non pas sur les faux amis « intralinguaux » c’est-à-dire à l’intérieur d’une même langue, mais sur les faux amis « interlinguaux », entre les langues, et nous présenterons surtout des exemples de faux amis français et allemands.  







4.1 La première catégorie est constituée par les faux amis traditionnels qu’on peut appeler « faux amis de sens », à savoir des mots ou expressions qui ont une forme identique, ou proche, mais des sens plus ou moins différents, cette différence étant évidemment source d’erreur pour le locuteur. ‒ Soit ce sont des « faux amis complets » quand leur sens est très différent, voire sans point commun de sens dans la plupart ou même dans l’ensemble des contextes d’utilisation. Il s’agit de toutes sortes de mots : des substantifs comme « baiser » (fr.) vs. « Baiser » (all.) ‘meringue’ ou « burro » (ital.) ‘beurre’ vs. « burro » (esp.) ‘âne’, des verbes comme « fournir » (fr.) vs. « furnieren » (all.) ‘(contre)plaquer, en menuiserie’, ou des adjectifs comme « léger » (fr.) vs. « leger » (all.) ‘décontracté, superficiel’. Ce sont parfois des faux amis dont la ressemblance de forme est pure coïncidence :29 « hâte » (fr.) vs. « hate » (angl.) ‘haine’,30 ou bien « auge » (fr.) vs. « Auge » (all.) ‘œil’. ‒ Soit ce sont des « faux amis partiels » avec un recouvrement partiel des aires sémantiques des deux faux amis, c’est-à-dire des sens qui coïncident seulement en partie.31 La différence de sens peut alors être de différente nature. Ce peut être une  











































































28 Nous rappelons (cf. la discussion du quatrième critère en 3.4) que la fréquence d’erreur du locuteur utilisant les faux amis est aussi un critère définitoire essentiel de ces derniers. 29 D’où l’appellation « chance false friends » de Chamizo Domínguez/Nerlich (2002). 30 De tels faux amis à l’intérieur d’une même langue seraient des homonymes. 31 La délimitation entre faux amis « complets » et faux amis « partiels » n’est en fait pas toujours aisée, car le point commun de sens peut être fort éloigné.  











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différence de dénotation : par exemple « Professor » (all.) ‘professeur d’université’ et « professeur » (fr.) où le mot français peut avoir le même sens qu’en allemand mais en plus d’autres sens. C’est l’inverse pour « thé » (fr.) opposé à « Tee » (all.), ce dernier signifiant ‘thé’ mais aussi ‘tisane, infusion’.32 En espagnol, « reparar » peut avoir le sens de ‘réparer’, comme pour le verbe français « réparer », mais aussi celui de ‘remarquer’. La différence sémantique peut même se combiner avec une dimension diatopique : « Funktionär » (all.) ‘permanent, officiel d’une organisation’ n’a pas le même sens que « fonctionnaire » (fr.) ‘employé d’une administration publique’, sauf en Suisse allemande où c’est le cas (cf. DUW, article « Funktionär »). Cette différence de sens peut tenir aussi à la connotation ou au registre de langue : « Visage » (all.) est en général familier (‘mine, air’) et parfois en plus négatif (‘gueule, tronche’), tandis que le mot français « visage » n’est ni l’un ni l’autre. De même « généreux » (fr.) et « generös » (all.) ont le même sens mais l’adjectif allemand est d’un niveau de langue plus élevé. La différence est aussi parfois de nature pragmatique : « Appendizitis » (all.) a le même sens que « appendicite » (fr.) mais pas le même emploi car il sera utilisé dans un contexte professionnel, voire spécialisé, contrairement à son équivalent en langue standard, « Blinddarmentzündung » (cf. Kupsch-Losereit 2004, 545). La différence de sens se double parfois d’une différence de classe grammaticale : « tentative » (fr.) est un substantif mais « tentative » (angl.) un adjectif au sens (entre autres) de ‘timide’ (exemple cité par Petton 1995, 12). Parfois, c’est seulement dans un emploi métaphorique que les mots deviennent des faux amis : « chameau » (fr.) et « Kamel » (all.) sont synonymes quand ils désignent un animal mais pas quand il s’agit d’une personne : le mot français désigne une ‘personne méchante, désagréable’ (Robert), mais « Kamel » une personne stupide.33 ‒ Soit nous avons affaire à des « pseudo-Xismes », autrement dit des « pseudogallicismes », « pseudoitalianismes » etc., c’est-à-dire des mots paraissant être des emprunts au français, à l’italien etc., mais qui en fait n’existent pas dans la langue d’origine. Nous avons déjà évoqué en 3.3 les exemples allemands « Blamage » ‘honte, discrédit’ et « illoyal » ‘déloyal’, qui ne sont en fait pas des emprunts au français. Mais il y en a bien d’autres : « Hasardeur » (all.) ‘risque-tout’, « Baronesse » (all.) ‘fille de baron’ etc. Pour ce type de faux ami, il y a souvent deux phénomènes : d’une part un point commun de sens avec un mot de la langue d’origine (en l’occurrence le français) et d’autre part le fait que le faux ami allemand est dérivé à l’aide d’un suffixe ou d’un préfixe d’origine française. Par exemple, « Blamage » est sémantiquement proche de « blâmer », et il en est dérivé grâce au suffixe « ‑age ». Il en est de même pour le  





















































































































































32 Cela nous montre ‒ et c’est là un point important ‒ que chaque « couple » de faux amis doit être considéré en tenant compte de la direction de traduction. 33 Démonstration de Chamizo Domínguez/Nerlich (2002, 1839) qui s’intéressent également dans leur article aux relations entre d’une part les faux amis et de l’autre les métonymies et euphémismes. Voir aussi à ce sujet Chuquet/Paillard (1987, 226–227).  



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préfixe « il- » de « illoyal » et les suffixes « -eur » de « Hasardeur » ou « -esse » de « Baronesse ».34 Pour les faux amis de sens, en particulier les faux amis partiels, il peut y avoir une origine étymologique commune entre les deux faux amis, due le plus souvent à une troisième langue comme le latin ou le grec (cf. les parties 3.2 et 3.6 ci-dessus). Cette origine commune peut entraîner soit des sens très proches pour les faux amis, soit des sens différents avec un ou plusieurs points communs de sens entre les deux mots. Il y a donc de nombreux cas de figure35 de relations sémantiques entre ces faux amis, mais nous n’en donnerons que deux exemples ici. Il s’agit d’une part de mots français ayant changé de sens en français, mais dont le sens ancien s’est conservé en allemand, les deux sens étant néanmoins restés relativement proches : par ex. « Chaussee » (all.) ‘route départementale’ vs. « chaussée » (fr.) ‘partie principale et médiane d’une voie publique’ (Robert).36 D’autre part, on a des emprunts au français qui ont changé de sens lors de leur passage en allemand, par exemple « partout » (all.) ‘à tout prix’.  





































4.2 La deuxième catégorie regroupe les « faux amis de forme », à savoir des mots dont le sens est très proche, voire identique, mais dont la forme apparemment très proche diffère quand même sur un ou plusieurs points.37 Cette divergence peut être de nature orthographique, comme pour « Admiral » (all.) ‘amiral’ vs. « amiral » (fr.) ou bien « parabole » (fr.) vs. « Parabel » (all.) ‘parabole’, ou encore « Aggression » (all.)38 ‘agression, agressivité’ vs. « agression » (fr.). Les différences orthographique et phonétique (y compris l’accent lexical) peuvent se superposer, comme c’est le cas dans ces derniers exemples. Pour « Etikett » (all.) vs « étiquette » (fr.) ou bien « Resümee » (all.) ‘résumé, bilan’ vs. « résumé » (fr.) ou encore « Komitee » (all.) et « comité » (fr.), seule l’orthographe diffère.39 La divergence est aussi parfois relative à d’autres caractéristiques morpho-syntaxiques. La différence de structure lexicale des faux amis, par exemple l’existence de suffixes différents, est très fréquente, avec des sens très proches : « catastrophique » (fr.) vs. « katastrophal » (all.) ou « chirurgien » (fr.) vs. « Chirurg » (all.) ou encore « civil » (fr.) vs. « Zivilist » (all.) ‘le civil’. La différence de genre grammatical des  















































































34 Ce sont les « exogene Suffixe » de Fleischer/Barz (42012, 239). 35 Une analyse sémantique de détail de ces différents cas de figure est encore à faire. 36 Voir aussi l’introduction de Klein (1968). 37 Certaines analyses définissent également les « vrais amis », à savoir les mots qui ont à la fois une forme très proche et un sens très proche. Kroschewski (2000) et Svobodova (1982) en font une analyse critique fort intéressante. 38 Cette ressemblance de forme et de sens est également souvent due à une origine étymologique commune, ainsi « aggressio » (latin) pour « Aggression » (all.) et « agression » (fr.) et « parabola » (lat.) < « parabolê » (grec) pour « Parabel » (all.) et « parabole » (fr.). 39 Ainsi que le genre grammatical car « Etikett », « Resümee » et « Komitee » sont de genre neutre, alors que leurs homologues français sont masculins.  















































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substantifs est également un piège redoutable : « groupe » (fr.) est masculin mais « Gruppe » (all.) féminin, tout comme « geste » (fr.) et « Geste » (all.) ou encore « mark » (fr.) et « Mark » (all.), mais « alarme » (fr.) est féminin, contrairement à « Alarm » (all.) de genre masculin.40  

































5 Perspectives conclusives En conclusion, nous dégagerons quelques perspectives sur les faux amis. Nous avons remarqué que l’existence de très nombreux recueils et dictionnaires de faux amis répond à un besoin important et récurrent de ceux qui sont confrontés à la traduction, qu’ils soient linguistes, traducteurs ou étudiants en langues. Mais pour que les faux amis ne soient pas de vrais ennemis, il s’agit de mieux en appréhender les ressorts complexes. Établir une nouvelle typologie des faux amis, comme il en existe déjà beaucoup, n’a guère d’intérêt, mais il s’agit plutôt de l’asseoir sur des bases théoriques plus solides. À cet effet, les analyses de fond dans le domaine des faux amis, encore relativement peu nombreuses, devraient donc se diriger vers les directions suivantes. D’une part, la sémantique lexicale contrastive et en particulier la représentation des fausses analogies sémantiques qui sont à la base des faux amis. D’autre part, l’analyse des ressemblances de forme et des « interférences matérielles » (Kupsch-Losereit 2004, 544) entre les faux amis, surtout ceux des langues romanes, devrait être affinée. Une autre direction de recherche est l’étude des emprunts et des « internationalismes »,41 qui devrait aussi permettre de progresser dans ce domaine. Par ailleurs, nous l’avons vu à plusieurs reprises, il convient pour les faux amis non seulement de procéder à une analyse lexicale mais d’y intégrer aussi une dimension contextuelle et pragmatique. Et pour finir, c’est bien sûr une approche centrée sur la psycholinguistique et la didactique des langues étrangères qui permettra de mieux comprendre les types d’erreur et les causes de ces erreurs et donc d’apprivoiser les faux amis pour en faire de faux ennemis…  













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40 Ces exemples montrent bien que les différences structurelles et grammaticales peuvent se superposer avec celles de nature purement orthographique. 41 Par « internationalismes » nous entendons les mots de forme et de sens très voisins dans un nombre important (à savoir supérieur à trois) de langues de familles différentes : voir à ce sujet Lerat (1988) ; Turska (2009) ; Braun/Schaeder/Volmert (1990).  









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René Métrich* et Wilma Heinrich

17 Français, italien : deux langues romanes face aux « particules modales » de l’allemand  





Abstract : La contribution propose un tour d’horizon sur la question de savoir comment le sens véhiculé par les « particules modales » de l’allemand (Abtönungspartikeln, Modalpartikeln), sous-ensemble particulier de marqueurs discursifs réputé spécifique de cette langue, est rendu en français et en italien, deux langues romanes qui en sont peu pourvues, sinon exemptes. Face à la thèse de l’intraduisibilité, qui hante encore bien des esprits, on montrera que nos langues sont bel et bien en mesure de rendre, dans des conditions semblables à celles qui président à toute traduction, les fonctions exprimées ou les effets produits en contexte par les particules modales, dès lors qu’ils paraissent pertinents du point de vue de la langue cible. La fréquence de la non traduction montrera en retour que tel n’est pas toujours le cas, ce qui nous conduira à suggérer que la sentence de Jakobson sur le fait que la différence entre les langues réside principalement dans ce qu’elles doivent exprimer mérite d’être étendue à leur dimension pragmatique.    





Keywords : particules (modales), marqueurs discursifs, intraduisibilité, équivalence, non traduction    

1 Les « particules modales » de l’allemand  



L’expression particules modales est la traduction la plus usuelle, en français (ital. : particelle modali) de ce que Weydt, leur « inventeur » contemporain,1 avait nommé Abtönungspartikeln (Weydt 1969) et qui fut rebaptisé Modalpartikeln par la majorité des linguistes germanophones (Weydt 1977 ; Helbig 1988). Elle désigne un ensemble de mots très employés en allemand, dont l’effectif va d’une quinzaine à plus de trente éléments, selon la définition plus ou moins large que l’on en donne (cf. tableau dans Métrich 1993, 20s.). Parmi les plus fréquents (et les plus étudiés), on trouve par  







* René Métrich est membre de l’ATILF / CNRS & Université de Lorraine (UMR 7118). 1 La première étude d’ensemble contemporaine est en réalité celle de Krivonosov (1963), mais elle est restée confidentielle jusqu’à l’engouement suscité par la thèse de Weydt. Au XVIIIe siècle déjà le grammairien allemand Johann Carl Wezel avait attiré l’attention sur ces éléments qu’il jugeait spécifiques de sa langue.  

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René Métrich et Wilma Heinrich

exemple auch, denn, ja, doch ou wohl dans les exemples suivants2 (les traductions en fr. et ital. ne prétendant pas être les seules possibles) :  





– – –

A : Er hat Schwierigkeiten in Deutsch. B : Ist ja auch keine leichte Sprache. A : Il a des difficultés en allemand. B : Faut dire que c’est pas une langue facile. A : Ha difficoltà in tedesco. B : Non è poi una lingua facile.

– – –

Du bist doch kein Kind mehr ! / Mach dich doch nicht lächerlich ! Tu n’es tout de même plus un enfant ! / Allons, ne sois pas ridicule ! Non sei mica più un bambino ! / Ma non renderti ridicolo !

– – –

Aha, das wusst’ ich ja gar nicht ! / Das wusst’ ich doch nicht ! Ah tiens, je ne le savais [Ø] pas ! / Mais je ne le savais pas ! Ma non lo sapevo ! / Mica lo sapevo !

































Ces particules sont censées avoir, selon les auteurs, au niveau de l’énoncé ou du texte et souvent concurremment, des fonctions et/ou des effets multiples que Waltereit (2006, 2) résume en les regroupant (avec renvois bibliographiques) sous trois grandes fonctions :3  



elles touchent à la relation entre l’énoncé et le contexte situationnel (Franck 1980 ; Coseriu 1988 ; Koch/Oesterreicher 1990 ; Fischer 2000 ; Hentschel/Weydt 32003), elles modifient l’acte de parole/l’acte langagier (all. Sprechakt) (Koch/Oesterreicher 1990 ; Jacobs 1991) et elles révèlent l’attitude du locuteur par rapport à ce qu’il dit (Weydt 1969 ; Meibauer 1994 ; Autenrieth 2002).  

















Cette caractérisation sémantico-pragmatique et les quelques exemples donnés cidessus suggèrent fortement que les particules modales appartiennent à cette « galaxie » d’éléments que, sous l’influence de la linguistique anglo-américaine, on a pris l’habitude, depuis deux décennies, d’appeler les marqueurs discursifs ou marqueurs de discours4 (angl. discourse markers, ital. segnali discorsivi) et que Bazzanella (2006, 449) caractérise comme suit :  





2 Pour d’autres exemples simples avec traduction française, cf. Blumenthal (21997, 94) ; avec traduction italienne, cf. Helling (1983), Masi (1996). 3 Notons toutefois qu’il n’y a pas unanimité sur leur fonction « profonde » : Ickler (1994) et Pérennec (2002) les voient comme fondamentalement interactives. 4 La terminologie est foisonnante pour désigner des groupes d’éléments dont le périmètre est luimême très élastique : mots de la dialectique (Darbelnet 1970, 101), mots du discours (Ducrot et al. 1980), connecteurs pragmatiques (Reboul/Moeschler 1998, 77), particules énonciatives (Fernandez 1994), particules interactives (Pérennec 2002, 72), marqueurs d’énonciation (Machado 2010, 167s.) etc. pour le français ; connettore (Brighetti/Licari 1987), connettivi testuali (Berretta 1984), connettivi (Bazzanella 1985), connettivi pragmatici (Masi 1996), marcatori pragmatici (Stame 1988), marcatori discorsivi  













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[they] do not affect the truth conditions of an utterance, and do not add anything to the propositional content of an utterance ; they are related to the speech situation ; they serve to indicate the mood of a sentence, and to express attitudes and emotions ; they are multifunctional, operating on several levels simultaneously.  

– – –





C’est assurément le cas, si, comme on a tendance à le faire, on accueille dans cet ensemble peu ou prou tous les éléments (et séquences figées) qui ne relèvent pas de ce que Bally appelait le dictum mais de ce qu’il subsumait sous le modus (cf. Bally 21944, 11932, 36s.), c’est-à-dire, selon les aspects envisagés, de l’énonciation en tant que telle, des stratégies argumentatives, de l’organisation du texte, des attitudes et jugements du locuteur, de la gestion de la conversation etc., c’est-à-dire, en fin de compte de l’activité langagière prise en tant que telle et dans toutes ses dimensions. (Pour le français, on peut consulter la typologie de Dostie (2004, 40–48) ou celle, aux fondements théoriques et principes classificateurs très différents, de Paillard/Ngân (2012) ; pour l’italien, Bazzanella (2001) ; pour l’allemand, Helbig (1988, 11–79), Helbig/Helbig (1990, 11–71) et surtout Pérennec (2002) ; et pour une vue générale élargie à d’autres langues, Fernandez (1994)).5 Toutefois, si leurs fonctions pragmatiques et discursives justifient le rapprochement, force est de reconnaître que les particules modales possèdent des propriétés qui les distinguent des autres marqueurs discursifs au point que certains auteurs en ont tiré argument pour refuser de les y intégrer (cf. Waltereit 2006, 7). On note en particulier :  







– –

la portée toujours phrastique (alors que celle des marqueurs discursifs peut varier) l’intégration syntaxique et prosodique à la phrase (alors que les marqueurs discursifs peuvent être détachés et le sont d’ailleurs le plus souvent) la position fixe au sein de la phrase (alors que les marqueurs discursifs sont mobiles) l’impossibilité de constituer un énoncé à elles seules (alors que beaucoup de marqueurs discursifs le peuvent).

– –

Par ailleurs, tous les auteurs qui traitent des marqueurs discursifs, quelles que soient les langues concernées, notent que le domaine constitue une sorte de « jungle » (Fischer 2006, 1), tant par la diversité formelle des éléments et séquences concernés que par celle de leurs fonctions – pragmatiques, discursives, argumentatives, évaluatives, interactives etc. – ou celle des approches utilisées pour les étudier (sur ce dernier point, cf. notamment Fischer 2006, 8s. ; Paillard/Ngân 2012, 9s.). Il faut être lucide : le terme de marqueurs discursifs/de discours par lequel on désigne désormais l’ensemble de ces éléments, pour commode qu’il soit en ce qu’il évite de devoir définir des sous-ensembles aux contours difficiles à tracer, crée en réalité une unité factice,  







(Contento 1994) pour l’italien. On trouvera des listes d’appellations allemandes, anglaises, françaises ou italiennes dans Weydt (2006, 205), Dostie (2004, 40) ou Bazzanella (2001, 43s.). 5 Pour une simple initiation en français aux particules modales de l’allemand, on peut utiliser Fernandez-Bravo/Rubenach (1995).  

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le seul point commun à tous ces éléments étant de n’exercer leurs effets ni au plan grammatical ni à celui du contenu propositionnel. Il s’agit en fait, comme l’avait remarqué Darbelnet (1970, 101), d’une troisième catégorie d’éléments, qu’il appelait « mots et locutions de la dialectique » et plaçait à côté des « mots outils [de la grammaire] » et des « mots pleins [du lexique] ».6 Mais alors, traiter d’un point de vue contrastif et traductologique de l’ensemble des éléments appartenant à cette troisième catégorie est-il plus sensé que de vouloir étudier globalement – qui aurait cette idée ? – la traduction des « mots outils » ou celle des « mots pleins » ? Les éléments appartenant à ces catégories ont des caractéristiques et des fonctions par trop différentes, et il en va de même pour ceux qui relèvent de la troisième : quoi de commun, par exemple, à part justement la non appartenance au dictum, entre les opérateurs de reformulation étudiés par Rossari (1994) dans une perspective contrastive franco-italienne et les éléments, allemands, français ou italiens, figurant dans les exemples donnés plus haut ? Et partant, quoi de commun dans la problématique traductologique de ces deux types d’éléments ? Il nous a donc paru plus raisonnable de nous en tenir au groupe des particules modales, réputé d’une part relativement homogène (Waltereit 2006, 64), d’autre part très spécifique de l’allemand7 (Weydt 1969 ; Wierzbicka 2004, 212) et donc de nature à poser des problèmes de traduction pour des langues romanes comme le français et l’italien, qui passent pour en être dépourvues. L’étude des particules modales a d’ailleurs été placée dès l’origine sous le signe d’une certaine contrastivité (Weydt 1969) et l’approche contrastive a donné lieu depuis à une multitude d’études, logiquement presque toujours dans le sens allemand → autre langue.8 Notre contribution s’efforcera donc de donner un aperçu, pour le français et l’italien, de plusieurs décennies de contrastivité dans ce domaine, en essayant de sérier les différents aspects de la problématique de la traduction de ces éléments.9  































6 Pour le français, on pourra se faire une idée de la diversité des marqueurs discursifs en consultant les revues Langue française, n°154/2007 et Langages n°184/2011 ou Anscombre/Donaire/Haillet (2013) ; pour l’italien, on pourra consulter par exemple Landone (2009) ou Khachaturyan (2011). 7 Notons toutefois que ce type d’éléments existe aussi en néerlandais ou en grec, alors que l’anglais est réputé aussi pauvre en la matière que les langues romanes. 8 Pour une bibliographie déjà ancienne mais qui prend en compte les études contrastives, cf. Weydt/ Ehlers (1987). Une brève recherche sur Internet, en tapant par exemple Modalpartikeln kontrastiv, donne le sentiment qu’il n’y a pratiquement pas une langue, notamment en Europe, dont on n’ait pas étudié la façon dont on y traduisait les particules modales de l’allemand. Notons que même en prenant en compte l’ensemble des marqueurs discursifs, il n’existe pas d’études contrastives dans le sens fr./all. (si l’on excepte les brèves descriptions lexicographiques de Métrich 1985, 1986–1989) et très peu dans le sens it./all. : celles de Heiss (2008) sur magari et de Soffritti (2008) sur mica méritent d’autant plus d’être signalées qu’elles ont été réalisées sur la base d’un corpus original de dialogues de films. 9 Nous ne tiendrons donc pas compte d’études telles que celles parues dans Langue française n°154 ou Langages n° 184, qui traitent des marqueurs discursifs en général et d’un point de vue contrastif interne aux langues romanes. Les études contrastives de marqueurs discursifs dans les langues romanes se développent certes depuis quelques années (cf. notamment Rossari 1994 ; Khachaturyan 2013 ; Borre 







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2 Existe-t-il des particules modales en français et en italien ?  

En allemand, la catégorie des particules modales a été définie et délimitée par application de toute une batterie de critères d’ordre prosodique, morphologique, syntaxique ou sémantico-pragmatique du reste pas toujours formulés de façon très rigoureuse.10 On en trouvera une énumération par exemple dans Helbig (1988, 32–37) ou dans Waltereit (2006, 1s.). Ces critères sont pour la plupart inutilisables pour répondre à la question de ce chapitre, soit parce qu’ils sont applicables à pratiquement tous les mots et séquences ne relevant pas du dictum, soit parce qu’ils ne sont opérationnels que dans le cadre des structures syntaxiques de la langue allemande.11 Seules les propriétés évoquées plus haut au chap. 1 paraissent de nature à permettre une définition opératoire « translangue » de la catégorie.12 L’application de ces critères au français et à l’italien permet de dégager un tout petit nombre d’éléments qui ont toutes les caractéristiques fondamentales des particules modales allemandes, à savoir la portée phrastique, l’intégration syntaxique et prosodique, la non mobilité dans la phrase et le fait de ne pas pouvoir constituer seuls un énoncé. Il s’agit, pour le français, de bien, déjà, donc, mais, toujours, voir et pour l’italien de pure, poi, mica, magari, mai13 dans les emplois du type de ceux illustrés ciaprès (limités à trois pour des raisons de place) :  







Fr. :  

– On achève bien les chevaux. / Tu as bien été sage ? – Laissez-le donc tranquille. / Tu ne peux donc pas te taire cinq minutes ? – Essayons toujours, on verra bien. / On peut toujours lui poser la question.  







guero Zuloaga/Gómez-Jordana Ferary (sous-presse) ; ou les colloques d’Oslo 2008, Tübingen 2009 et Madrid 2010), mais on reste, au moment de la rédaction de cette contribution (2015), loin du formidable mouvement d’études contrastives auquel ont donné lieu les particules modales de l’allemand, assez peu nombreuses et encore peu structurées. 10 Il s’agit souvent plutôt de propriétés plus ou moins prototypiques que de conditions nécessaires et/ ou suffisantes pour l’appartenance au groupe. L’atonie est, par exemple un critère, mais on admet que certaines particules soient accentuées. De même la première position (devant le verbe) dans la phrase déclarative (à verbe en deuxième position) leur est-elle en principe interdite, mais l’une ou l’autre (eigentlich, immerhin) y sont admises. 11 C’est le cas par exemple du critère phare : l’impossibilité pour les particules modales – sauf exception, cf. la note précédente – d’occuper la première position syntaxique devant la forme conjuguée du verbe dans la déclarative : Er ist eben alt. (Que veux-tu, il est vieux /Cosa vuoi farci, è vecchio) → *Eben ist er alt. 12 Weydt (2006, 206) pose les particules comme catégorie linguistique transversale aux langues particulières, mais les propriétés qu’il lui attribue ne paraissent guère pouvoir fonctionner comme critères de définition opératoires. 13 Sur d’autres bases, Burkhardt (1985, 274) considère que l’italien ne possède que deux « Abtönungspartikeln » (terme originel pour « particules modales »), à savoir ma et poi, auxquelles Radtke (1985, 294–296) ajoute magari ainsi que, de façon plus périphérique, des formes verbales telles que figurati.  













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Ital. :  

– Non posso mica pensare a tutto. (Je ne peux pas penser à tout !) – Che cosa ho fatto poi di tanto grave ? (Qu’est-ce que j’ai donc fait de si grave ?) – Chi sarà mai? (Qui veux-tu que ce soit ?)  











L’affirmation de l’inexistence des particules modales en français et en italien se trouve donc à la fois infirmée – puisqu’il y en a bien quelques-unes – et confirmée – puisqu’il y en a très peu, et que, de surcroît, elles ne sont pas perçues intuitivement comme constituant un groupe distinct. Cela étant, en renonçant à certains critères pour se concentrer sur celui de la portée phrastique, dont Waltereit (2006, 7) fait la pierre angulaire de la définition des particules modales par opposition aux marqueurs discursifs, d’autres éléments pourraient venir augmenter l’effectif, par exemple décemment, décidément, au juste, au moins ou quand même en français ou allora, infatti, proprio, comunque, dunque en italien, éléments dont on voit bien intuitivement qu’ils s’inscrivent dans l’une au moins des trois fonctions mentionnées au chap. 1 :  



– Tu ne peux décemment pas lui faire ça. – Il n’a décidément pas de chance ! – Faut quand même pas exagérer !

Fr. :  







Ital. :  



– E allora rimani a casa ! (Eh bien, t’as qu’à rester à la maison !) – Non avevo infatti la più pallida idea di cosa mi aspettava. (Je n’avais pas la moindre idée de ce qui m’attendait !) – Non mi interessa proprio ! (Ça ne m’intéresse pas le moins du monde !)  













Il reste que si l’effectif augmente, l’hétérogénéité du groupe augmente aussi, ce qui est sans doute la raison pour laquelle les particules modales réellement existantes du français et de l’italien ne peuvent guère être constituées en véritable catégorie. Toutefois, si l’on fait abstraction de cette question de la catégorie et que l’on se contente d’envisager les particules modales comme un groupe aux contours flous d’éléments (ou de séquences figées) exerçant des fonctions pragmatiques/énonciatives plus ou moins bien définies, comme celles évoquées plus haut, force sera d’admettre que ces éléments existent en français ou en italien tout autant qu’en allemand : après tout, au juste, enfin, en tout cas, forcément, justement, quand même etc. / dopotutto, a dire il vero, in fondo, di sicuro, per forza, proprio, pur sempre etc.14  

14 En français, certains éléments ont fait l’objet d’un nombre plus ou moins élevé d’études le plus souvent non contrastives et plutôt centrées sur les connecteurs (cf. par ex. au début des années 80 les numéros 1 à 5 – et au-delà – des Cahiers de linguistique française de l’Université de Genève), et plus récemment Paillard/Ngân (2012) ou Anscombre/Donaire/Haillet (2013). En italien, ces éléments ont été plus volontiers contrastés avec l’allemand, même si c’est l’allemand qui a servi de point de départ à la comparaison (cf. par ex. Held 1983 ; Buzzo Margari 1997 ; Catalani 2004).  



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3 Les particules modales sont-elles traduisibles ?  

Il est arrivé que des doutes soient exprimés du côté allemand quant à la possibilité de « bien rendre » les sens véhiculés par les particules modales, du moins par certaines d’entre elles (cf. Blumenthal 21997, 94–97, pour la traduction en français). De fait, la comparaison d’énoncés allemands et de leurs traductions en français ou en italien donne souvent le sentiment d’un décalage analysable en termes de nuances perdues ou au contraire ajoutées.15 C’est sans doute Burkhardt (1995) qui a poussé le scepticisme le plus loin dans une étude très détaillée et bien argumentée consacrée à la traduction des particules en anglais, français et italien dans une pièce de théâtre autrichienne. Son argumentation, toutefois, ne convainc pas vraiment, tant elle semble situer fondamentalement l’opération de traduction au niveau de la langue comme système et non à celui du discours, du texte. À la base de son raisonnement, il y a ainsi l’affirmation selon laquelle l’existence de signes équivalents dans la langue cible est une condition de la traduction.16 Bien que courante et en apparence « évidente », cette affirmation nous semble fausse ou à tout le moins excessive : il n’est pas nécessaire que deux signes de deux langues se recouvrent strictement du point de vue du sens ou, en l’occurrence, de la fonction (pragmatique) pour pouvoir fonctionner en contexte comme équivalents l’un de l’autre. C’est ce que montrent les deux exemples suivants, librement inspirés le premier d’une série humoristique, le second d’un texte littéraire :  













Sohn : Papa, guck mal, der sieht aus wie ein Franzos ! Vater : Ja, das ist auch einer ! Le fils : Regarde, papa, on dirait un Français ! Le père : Mais c’en est un ! Il figlio : Guarda, papà, sembra un francese ! Il padre : Ma lo è !  







– –

















15 Pour illustrer le phénomène de façon convaincante, il faudrait analyser quelques exemples en tenant compte des variantes de traduction et montrer que dans le contexte et la situation donnés aucune ne restitue pleinement et sans le gauchir de quelque manière le « sens » de la particule allemande. La place manquant pour nous livrer à cet exercice, nous renvoyons à Blumenthal (21997, 94–97) pour une liste d’exemples simples et, pour l’examen de traductions uniques ou concurrentes de textes principalement mais non exclusivement littéraires, à Métrich (1999, 17–32) pour des traductions de Kafka en français, à Burkhardt (1995, 188–197) pour une traduction de Hofmannsthal vers le français et l’italien, à Masi (1996) pour des traductions en italien de Dürrenmatt, Brecht et Christiane F. et Ortu (1998) pour la traduction en italien d’un roman pour la jeunesse de Michael Ende. Dans le sens français-allemand, on ne trouve guère que Cullmann (1997), qui a examiné des traductions des drames de Ionesco et dans le sens italien-allemand, Buzzo Margari (1997), qui a travaillé sur des traductions de récits de Rodari. 16 « Das Vorhandensein äquivalenter Zeichen […] ist Bedingung der Übersetzbarkeit » (Burkhardt 1995, 176).  









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– – –

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Er hatte ihr ein paar Blumen gekauft. Was kostete das schon? Il lui avait acheté quelques fleurs. Qu’est-ce que ça coûtait, après tout ? Le aveva comprato due fiori. Che vuoi che gli sia costato ?  



Dans le premier exemple, auch d’un côté, mais et ma de l’autre, ont dans leurs énoncés respectifs des fonctions bien différentes : le premier marque une concordance entre deux contenus (l’impression du fils et la réalité), tandis que les deux autres marquent une opposition entre deux dires, le second venant rectifier le premier. Il en va de même dans le deuxième, où schon donne à la question une valeur rhétorique17 impliquant une réponse négative (nichts, nicht viel/rien, pas grand-chose), tandis qu’après tout a pour fonction première de présenter la question comme une justification du fait relaté dans la déclarative, la valeur rhétorique de la question n’étant qu’une conséquence de cette fonction.18 Il en va mutatis mutandis de même pour l’italien. Dans un cas comme dans l’autre, la différence de fonction des éléments impliqués n’empêche pas les énoncés français et italiens d’être perçus comme d’excellentes traductions des énoncés allemands. C’est qu’en réalité, on ne traduit pas des mots ni même des phrases isolés mais des énoncés véhiculant des sens et des effets associés de toute nature, lesquels varient selon les contenus en jeu et les contextes plus larges dans lesquels ils apparaissent. (Sur la notion de contexte, ↗25 Contexte et situation : les « entours » du texte écrit). Au fond, c’est la question de la notion d’équivalence qui est ici posée. Si on la comprend, comme c’est encore souvent le cas, au moins implicitement, comme synonyme d’identité, on n’aura aucun mal à démontrer que les particules modales sont en fait intraduisibles – mais la démonstration vaudra, compte tenu de l’irrationalité (au sens mathématique) fondamentale des langues (Schleiermacher 1999, 38s.), pour tous les signes de la langue. Une telle position, qu’il faut bien qualifier de dogmatique, ne permet pas d’aller plus avant. L’équivalence ne peut raisonnablement être conçue que dans l’altérité,19 qu’elle présuppose par définition même : si A « vaut la même chose » que B, c’est que A n’est pas identique à B, mais différent (cf. Albrecht 2009, 395–398 ; 22013, 33–35). L’équivalence doit donc être vue non comme une grandeur statique liée aux unités de la langue, mais comme une notion souple dont le contenu concret ne peut être que relatif au texte dans son ensemble, incluant aussi bien ses constituants linguistiques, leur contenu, forme, fonction etc., que le contexte communicationnel,  















17 Employée dans une question partielle, cette particule a toujours pour effet de la rendre rhétorique, c’est-à-dire d’impliquer une réponse négative : rien, nulle part, personne… 18 Une véritable question peut difficilement fonctionner comme justification, il faut donc que la question soit rhétorique. 19 D’où le joli titre d’un article de Jean-Marie Zemb (1972) : « Le même et l’autre ».  







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culturel etc. dans lequel il s’inscrit.20 N’existant qu’au niveau du texte, l’équivalence est nécessairement liée au contexte (Albrecht 2009, 398) ; c’est faire fausse route que de vouloir la rechercher et l’évaluer dans la seule comparaison des unités de la langue comme système. À cet égard, il nous paraît difficile de partager le point de vue de Blumenthal, qui considère qu’il est pratiquement impossible de donner de la particule ruhig (et de quelques autres) une traduction vraiment adéquate (21997, 94s.). L’effet « apaisant » qu’il attribue à juste titre à la particule n’est effectivement pas rendu dans l’exemple hors contexte qu’il donne (Komm ruhig näher/Approche donc ! Vieni pur avanti), mais rien n’empêche a priori de le rendre adéquatement dès lors que l’énoncé est inséré dans un contexte particulier et que l’on peut mesurer l’effet « apaisant » in situ : Ne t’inquiète pas, approche ! Tu peux approcher, tu sais ! Approche, va ! (avec à chaque fois l’intonation appropriée). Il en va de même en italien, où l’on pourrait, selon le contexte d’énonciation proposer les variantes Tranquillo/Su/Forza, vieni avanti ! Toute la question est de savoir si et dans quelle mesure la « valeur » que l’on perçoit dans le mot comme signe de la langue est pertinente dans le contexte particulier de l’énoncé où il apparaît et dans quelle mesure il est pertinent de la restituer explicitement dans la traduction (sur le critère de pertinence, cf. Tatilon 1986). Ces considérations sur la traduisibilité fondamentale des particules modales ne signifient évidemment pas qu’il soit toujours aisé de les traduire ni que l’équivalence soit toujours donnée au même niveau ou au même degré. Dans les cas les plus favorables, la particule allemande et l’équivalent français ou italien ont effectivement la même fonction, par exemple de « renforcement » dans l’exemple suivant :  

































– –

Lassen Sie ihn doch in Ruhe ! (‘renforcement de l’injonction’) Laissez-le donc tranquille ! / Ma lo lasci in pace !

– –

Das ist eben so ! (‘invitation à accepter une situation jugée irrémédiable’) C’est comme ça, que veux-tu ! / Le cose stanno così, che ci vuoi fare !

– –

Ich habe einfach keine Lust ! (‘clore le débat’) J’ai pas envie, un point c’est tout ! / Non mi va, basta !















Dans d’autres, on perçoit, du moins hors contexte, un décalage plus ou moins important, souvent vers une plus grande explicitation :  



Hast du auch abgeschlossen ? (‘s’assurer de la réalité d’un fait qui conditionne la suite’)  

20 Pour une analyse plus précise de la notion d’équivalence dans le domaine des particules modales (appelées « Abtönungspartikeln » par l’auteure), voir Heinrich (1996, 28–34).  



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T’as bien fermé ? / T’as fermé, au moins ? (Au moins ajoute une nuance de soupçon qui n’est pas nécessairement présente dans l’énoncé allemand, mais qui peut l’être.) Hai chiuso, eh? (‘s’assurer du fait, sans plus’)  



Aber das wusste ich doch nicht ! (‘renforcement de l’affirmation’) Mais puisque je ne le savais pas ! (Puisque renvoie à une argumentation sous jacente de type « alors cesse de m’attribuer la responsabilité de ce qui s’est produit etc. ») Ma proprio non lo sapevo ! (‘simple renforcement’)  









– – –



Was hast du denn ? (‘simple ancrage de la question dans la situation’) Qu’est-ce que tu as ? / Qu’est-ce que tu as, dis ? / Mais qu’est-ce que tu as ? (Dis et mais marquent un « rapprochement » ou une « agressivité » qui ne sont exprimées en allemand que par l’intonation.) Che cosa hai ? / Dimmi, che c’è? / Ma cos’è che hai ? (Même remarque)  





















La place manque pour discuter de ces décalages en détail,21 mais on peut dire qu’ils n’existent souvent que dans les traductions proposées hors contexte.22 Et s’ils existent aussi dans les traductions en contexte, c’est au même titre que pour n’importe quelle séquence textuelle, puisqu’on sait bien que traduire n’est pas reproduire à l’identique et ne va pas sans pertes et gains.23

4 Multitude et diversité formelle des équivalents Dès lors que l’équivalence s’établit au niveau du texte et non à celui de la langue se pose le problème du repérage concret de ce qui, dans l’énoncé cible, peut être considéré comme l’équivalent de la particule modale de l’énoncé source. Si l’intuition est ici incontournable, il paraît nécessaire de la doter d’une sorte de garde-fou contre

21 Pour plus d’exemples et de détails, on peut consulter Métrich (1997a, all.-fr.) ou Hölker (1993, ital.all.). 22 Encore qu’on puisse se demander si le « hors contexte » existe vraiment, car devant un énoncé apparemment dépourvu de contexte, la tendance naturelle est d’en rétablir un spontanément, sans même en avoir conscience, ne serait-ce que pour pouvoir comprendre l’énoncé. Dans le cas d’un énoncé comportant une particule modale, il n’est pas étonnant que le sens propre dont dérive son sens modal (ruhig = tranquille, calme/tranquillo, calmo) puisse influencer subrepticement l’insertion contextuelle inconsciente. 23 Comme le montre l’expérience de traduction en chaîne réalisée par Jean-Marie Zemb (1984, 752s.), qui a fait traduire par des traducteurs non prévenus un texte original, puis retraduire sa traduction dans la langue de départ et ainsi de suite : au bout de trois allers et retours, les écarts entre le texte de départ et le texte d’arrivée dans la même langue apparaissent avec évidence.  







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les évidences trompeuses ou les aléas de la subjectivité. Ce garde-fou peut être fourni par la procédure consistant à comparer la traduction de l’énoncé avec particule avec la traduction que l’on obtiendrait si la particule n’était pas présente, la différence entre les deux traductions pouvant alors être considérée comme ce qui correspond aux effets induits par la particule :  

– – –

Er hat es eben nicht verstanden. / Er hat es nicht verstanden. Il n’a pas compris, que veux-tu. / Il n’a pas compris. Non l’ha capito. Che ci vuoi fare ? / Non l’ha capito.

– – –

Komm doch mit uns ! / Komm mit uns ! Allez, viens avec nous ! / Viens avec nous ! Dai, vieni con noi ! / Vieni con noi !

– – –

Was riskiert er schon? / Was riskiert er ? Qu’est-ce qu’il risque ? (intonation « rhétorique ») / Qu’est-ce qu’il risque ?24 Cos’è che rischia ? / Cosa rischia ?





























Du point de vue de la traduction, la caractéristique principale des particules modales de l’allemand est assurément leur extraordinaire sensibilité au contexte, qui n’est du reste que le corollaire de leur relative vacuité sémantique.25 Leurs fonctions sont si générales qu’elles ne prennent de valeurs précises et ne produisent d’effets pragmatiques concrets qu’en interaction avec le contexte où elles figurent.26 Et ce contexte doit être compris dans toutes ses dimensions, linguistiques comme non linguistiques : type syntaxique de phrase, type illocutif d’énoncé, acte de langage réalisé, contenu sémantique en jeu, intentions attribuables au locuteur etc. etc. Comme il n’existe généralement pas, du côté français ou italien, d’éléments susceptibles d’être employés dans les mêmes « gammes » de contextes en y produisant les mêmes effets, ces langues n’ont d’autre possibilité que de recourir à tout un ensemble (ouvert) d’éléments de nature et de forme très différentes. Ainsi en français, on a pu relever pour auch et doch, particules très employées en allemand, respectivement plus d’une  





24 L’effet induit par la particule allemande, à savoir le caractère rhétorique de la question, est en français pris en charge par l’intonation. Il n’y a aucune raison de ne pas la considérer comme un équivalent possible. 25 Non seulement elles ne désignent rien, mais il est même souvent difficile de leur associer une idée ou une valeur générale, si ce n’est par référence implicite à un contexte obvie. 26 Ainsi la fonction d’insistance qu’exerce doch dans toutes les impératives sera-t-elle comprise en termes d’amabilité ou d’agressivité selon le contexte, ce qui entraînera des traductions différentes : Kommen Sie doch rein ! Entrez donc ! Entri pure ! vs Hör doch auf ! Arrête, à la fin ! Ma/Basta, smettila !  













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vingtaine et près d’une cinquantaine d’équivalents différents ;27 en italien (où il n’y a guère de relevés pour auch) plus d’une dizaine pour denn, particule elle aussi très employée, et plus d’une trentaine pour doch : L’échantillon suivant d’équivalents de doch donne un aperçu de leur hétérogénéité formelle :  





– Français : (équiv. fréquents) : bien ; donc ; mais ; n’est-ce pas ; pourtant ; puisque ; quand même/tout de même ; (équiv. occasionnels) : allez ! ; allons ! ; alors que ; à la fin ! ; au moins ; car [enfin] ; déjà ; décidément ; effectivement ; faut toujours que ; figure-toi que ; hein ? ; j’espère ; ne me dis/dites pas que ; non ? ; n’avoir qu’à + infinitif. ; ne voilà-t-il pas que ; pour être/avoir + part. présent ; seulement ; très bien ; tu sais/vous savez bien que ; quand on sait que ; subord. participiale / relative ; tu te rends compte ; tu as vu comme… ; quoi ! ; voir ; voyons ! ; vu que ; interrogative rhétorique ; reprise anaphorique etc. (cf. Métrich 1997a, 338). – Italien : ma ; poi ; certo ; sempre ; comunque ; sapere ; e ; un pò ; nevvero ; però ; macchè ; forse ; piuttosto ; alla fine… davvero ; dunque ; già ; anche ; e sì che ; vuol sempre dire ; expression emphatique ; conditionnel ; question rhétorique négative ; pure ; verbo + bene ; proprio ; di sicuro ; su ; dai ; tu (pronom personnel) ; magari ; no ; vero ; mica ; in fondo ; eppur (cf. Helling 1983, 23–30 ; Masi 1996, 110 ; Ortu 1998, 71).  



















































































































On y trouve, comme on le voit, toutes sortes de moyens aussi bien morpho-syntaxiques que lexicaux, prosodiques ou discursifs : divers types d’adverbes, des conjonctions, des verbes, des interjections, des phrases matrices, des subordonnées, des constructions figées, l’intonation, l’anaphore etc. etc. Et s’il est vrai que la majorité des équivalents ont une fréquence faible, le total de leurs occurrences représente une proportion importante des occurrences de la particule, souvent entre le tiers et plus de la moitié. (Pour une vue d’ensemble, cf. Métrich 1997a, 337–341 ; Heinrich 2009, 140) ; pour l’examen détaillé des emplois de doch et de ses traductions en français, cf. Métrich (1993, 217–351) ou Feyrer (1998, 125–277) et en italien, cf. Masi (1996, 61–110). La grande sensibilité des particules modales au contexte fait par ailleurs que les facteurs dont dépendent les multiples possibilités de traduction sont eux-mêmes très divers et situés à tous les niveaux de ce contexte, des caractéristiques linguistiques du co-texte aux paramètres pragmatiques du contexte d’énonciation. Comme il n’est pas possible de les énumérer tous, on fera abstraction des facteurs d’ordre morphosyntaxique (type de phrase ou de construction, présence ou non de la négation etc.) pour ne retenir que trois facteurs d’ordre sémantique, illustrés par des emplois de la même particule doch :28  









27 Sur la base de corpus comportant toujours plus d’une centaine et souvent plusieurs centaines d’exemples. 28 Tous les auteurs qui ont étudié doch semblent d’accord pour lui attribuer dans tous ses emplois comme particule modale une seule et même fonction générale à deux composantes : un contenu est  

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– le type illocutif de l’énoncé d’accueil : en énoncé déclaratif, par exemple, où doch marque le caractère connu ou, plus généralement, « acquis » du fait relaté en l’opposant à l’hypothèse contraire prêtée à l’interlocuteur ou suggérée par le contexte (description plus précise dans Helbig 1988, 111 ; Métrich 1993, 259s.), les équivalents français sont fréquemment mais, pourtant, quand même, [tu sais] bien, voyons…, les équivalents italiens souvent ma, lo sai, sai (bene), proprio, mica…. En énoncé interrogatif, où doch marque la même chose mais dans le cadre d’une question qui devient de ce fait demande de confirmation, les équivalents sont en revanche respectivement n’est-ce pas ?, non ?, hein ?, au moins, quand même… en français et no ? vero ? nevvero ?, poi en italien : – Er will doch nicht. / Tu sais bien qu’il ne veut pas. / Sai bene che non vuole. – Aber nein, Sie stören mich doch nicht ! / Mais non, vous ne me dérangez pas ! / Ma no, mica mi disturbi ! – Du kommst doch heute Abend ? / Tu viendras ce soir, non? / Tu vieni stasera, vero ?  

































– l’acte de langage concrètement réalisé : quand une impérative comportant doch exprime un ordre, on trouve souvent donc ou la non traduction en français, su, dai, et e en italien ; si elle exprime un reproche ou une admonestation, on trouvera volontiers allons ou voyons en français, ma ou e en italien ; et si elle exprime une supplique, on aura souvent allez en français, un simple jeu d’intonation en italien : – Treten Sie doch näher ! / Approchez-vous donc ! / Su, avanti ! – Mach dich doch nicht lächerlich ! / Allons/Voyons, ne sois pas ridicule ! / E/Ma cerca di non renderti ridicolo ! – Tu mir doch den Gefallen ! / Allez, fais-moi plaisir ! / Su, fammi il favore !  





















– les connotations véhiculées : dans une injonction connotée comme « aimable », doch sera fréquemment rendue par donc en français, pure en italien ; si en revanche elle s’accompagne d’agacement, on trouvera volontiers à la fin en français et ma ou basta en italien (bien sûr avec les intonations adéquates) : – Greifen Sie doch zu ! / Servez-vous donc ! / Si serva pure ! – Hör doch auf ! / Arrête, à la fin ! / Ma/Basta, smettila !  















On n’a pu donner là qu’un trop bref aperçu. Si l’on fait abstraction de Albrecht (1976 ; 1977), qui a le premier tenté d’établir une sorte d’algorithme des diverses traductions d’une particule, en l’occurrence eigentlich, il n’existe guère d’études visant à systématiser les facteurs susceptibles de conditionner le choix de tel ou tel équivalent en français ou en italien. Pour se faire néanmoins une idée de la diversité de ces facteurs (comme d’ailleurs de la grande variété des équivalents), on peut consulter Métrich/Faucher/ Courdier (1992–2002) ou Métrich/Faucher (2009), respectivement les versions française  

donné comme « connu/évident/acquis » dans un contexte où ce caractère semble remis en question aux yeux du locuteur (cf. Burkhardt 1995, 177).  



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et allemande du seul dictionnaire bilingue de grande ampleur existant à ce jour dans le domaine des particules modales et autres marqueurs discursifs ou pragmatiques.29 L’effet produit par une seule et même particule dans un seul et même contexte pouvant lui-même comporter plusieurs facettes, il y a lieu de penser qu’un même emploi peut souvent déboucher sur des traductions différentes selon les traducteurs. C’est ce que suggère en tout cas une étude menée sur plusieurs traductions de la Métamorphose de Kafka (cf. Métrich 1999, 17–32), mais il en faudrait bien d’autres, poussant l’analyse plus avant.

5 La non traduction ou équivalence « zéro »  



Si les particules modales peuvent être traduites en français et en italien de multiples manières, force est de reconnaître que très souvent, elles ne sont pas traduites du tout, comme l’avait observé Weydt (1969) pour le français dès ses premiers travaux sur les particules. Confirmé par l’examen de corpus d’exemples relativement importants issus de multiples sources (Métrich 1997b) aussi bien que par des études plus ciblées sur la traduction d’une ou de quelques particules dans une ou plusieurs œuvres (Burkhardt 1995, 181 ; Métrich 1999, 11 ; Schoonjans/Lauwers 2010, 119ss. ; Schoonjans 2013, 77s. ; Masi 1996 ; Ortu 1998, 67s.), ce phénomène n’a cependant guère été analysé plus avant. La notion même de non traduction (ou équivalence « zéro ») n’a guère été précisée, notamment par rapport à la possibilité qu’ont nos langues de rendre par les moyens de la prosodie ou de la syntaxe les effets produits par les particules en allemand. Il nous semble que dans ce cas, les particules doivent être considérées comme traduites et partant les moyens prosodiques ou syntaxiques mis en œuvre comme des équivalents au même titre que les moyens lexicaux utilisés par ailleurs.30 Cette conception restrictive de la non traduction a l’avantage de rendre les résultats des comptages d’autant plus significatifs. Cette précision donnée, on peut tenter d’évaluer l’ampleur du phénomène. Pour le français, l’examen conduit dans les deux sens, allemand-français et françaisallemand,31 dans Métrich (1997b) a montré que toutes les particules sont affectées par  











29 Il existe un dictionnaire allemand-anglais (cf. König/Stark/Requardt 1990) en un volume de 275 pages de structure plus simple et ne proposant que des exemples construits, bien qu’inspirés de la vie de tous les jours. 30 Concrètement, schon dans Was riskiert er schon ? sera considérée comme traduite en français par l’intonation particulière de Que risque-t-il ? (ou de Qu’est-ce qu’il risque ?) et en italien par la structure même de l’énoncé Cos’è che rischia ? (alors que Cosa rischia ? ne peut être compris que comme véritable question). En revanche, noch sera considérée comme non traduite dans Eine Schwalbe macht noch keinen Sommer. /Une hirondelle ne fait pas le printemps. /Una rondine non fa primavera. 31 La prise en compte du sens français-allemand, autrement dit du cas de figure où une particule est « ajoutée » dans l’énoncé cible allemand alors que rien ne l’appelle dans l’énoncé source français, permet d’affermir les résultats. En effet, si l’on peut toujours attribuer la non traduction d’une particule  













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la non traduction – comme l’indiquent aussi les relevés effectués par Blumenthal (21997, 95) –, mais que certaines le sont bien plus que d’autres. Il s’agit plus particulièrement de auch, bloß, denn, doch, eben, ja, [ein]mal, etwa, nur, schon et wohl, dont le tiers des occurrences au moins, parfois la moitié ou plus – jusqu’à plus de 70% pour denn, [ein]mal et ja – ne sont pas traduites. En italien, où les comptages portent sur des corpus beaucoup plus réduits, on note les mêmes tendances : Masi (1996, 111ss.) relève plus de non traductions que de traductions pour denn (22/18),32 doch (123/75), eben (12/11), ja (132/26), schon (10/3) et wohl (20/11). Ortu (1998, 67s.) observe que sur 371 occurrences de 14 particules modales examinées dans un célèbre roman pour la jeunesse seules 118 (soit 32%) sont traduites d’une façon ou d’une autre dans la version italienne. S’il est relativement aisé de repérer les particules souvent non traduites, il est bien plus difficile de déterminer de façon claire et fiable les fonctions concernées, tant elles sont complexes et fluctuantes selon les contextes. Blumenthal (21997, 98) observe que quatre des particules les moins souvent traduites en français, à savoir denn, doch, ja et mal, sont « hörerbezogen » (littéralement « centrées sur l’allocuté »), en ce sens que leur emploi est motivé par le souci d’établir implicitement un lien particulier avec l’allocuté. Mais ne peut-on dire cela de l’ensemble des particules si l’on note, comme Weydt (2006, 206–208) l’a fait sur la base d’un sondage, que la suppression des particules dans un dialogue le fait ressentir comme peu naturel, sec, froid, voire hostile ? Certains auteurs considèrent du reste que les particules modales de l’allemand sont par nature « interactionnelles » en ce sens qu’elles permettent au locuteur d’intégrer l’interlocuteur dans son discours (cf. Ickler, 1994, 377s. ; Pérennec 2002, 72s.) De façon (un peu) plus précise, on peut noter (Métrich 1997b, 162–166) que la non traduction concerne volontiers :  



















a) des particules comme doch et ja dans des emplois où elles font référence aux croyances, savoirs ou opinions de l’allocuté sans être porteuses d’autres connotations (surprise, agacement…) : – Es war ja vorauszusehen. / C’était à prévoir. / Era prevedibile. – Fahr nicht so schnell, wir haben doch Zeit. / Ne roule pas si vite, on a le temps. / Non correre, c’è tempo !  



à la négligence du traducteur, il paraît plus difficile de le mettre en cause s’il « ajoute » une particule dans sa traduction. Cela ne peut se faire par mégarde mais seulement en vertu d’une sorte de « pression » de la langue elle-même ou de l’usage. La comparaison a montré une grande concordance entre les cas de non traduction de l’allemand vers le français et d’ajout du français vers l’allemand, raison pour laquelle nous ne distinguons pas les deux cas de figure dans le développement qui suit. 32 Pour tous les éléments cités, le premier chiffre est celui des non traductions, le second celui des traductions.  







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b) des particules comme denn, eigentlich et etwa employées dans des interrogatives, dans lesquelles, par delà leurs différences, elles marquent l’ancrage de la question dans la situation ambiante, là encore sans y ajouter de connotations particulières : – (À un gamin qui vient d’arriver mais ne dit rien :) Was willst du denn ? / Qu’est-ce que tu veux ? Che cosa vuoi ? – Ist dir etwa schlecht ? / Tu n’es pas bien ? / Non stai bene ?  













c) des particules comme auch, denn ou nämlich quand elles marquent une continuité entre l’énoncé antérieur et l’énoncé où elle figure : – Ich will es tun und werde es auch tun. / Je veux le faire et je le ferai. / Lo voglio fare e lo farò. – Und so kam es denn, dass er eines Tages… / Et c’est ainsi qu’un jour … / E così successe che un giorno….  

d) la particule noch quand elle sert à mettre l’énoncé (son contenu) en perspective, notamment d’un point de vue temporel : – Eine Schwalbe macht noch keinen Sommer (été). / Das ist nichts für dich, du bist noch zu jung. – Une hirondelle ne fait pas le printemps. / C’est pas pour toi, tu es (encore) trop jeune. – Una rondine non fa primavera. / Non fa per te, sei (ancora) troppo giovane.  

Mais il ne s’agit là que d’hypothèses que seule une comparaison systématique sur corpus des cas attestés de traduction et de non traduction ainsi que la recherche d’autres facteurs susceptibles de jouer un rôle dans la non traduction permettrait de préciser et d’étayer. Parmi ces facteurs potentiels (qu’il conviendrait d’examiner de plus près), on peut mentionner outre les contraintes syntaxiques, les normes discursives, la persistance du sens originel et les connotations propres au français ou à l’italien. Un exemple sur chacun de ces points :  

a) Les contraintes syntaxiques : Si certaines particules allemandes peuvent apparaître dans certaines subordonnées, les informations modales qu’elles véhiculent sont parfois « gommées » dans les subordonnées correspondantes du français : – Hilf ihm doch ! → Er bat ihn, ihm doch zu helfen. – Donne-lui donc un coup de main ! → Il le pria de lui donner un coup de main. – Su, aiutalo ! → Lo pregò di aiutarlo.  













Mais l’italien semble sur ce point moins restrictif que le français : – Warum kommt sie denn nicht ? → Ich verstehe nicht, warum sie denn nicht kommt.  



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– –





Pourquoi donc ne vient-elle pas ? → Je ne comprends pas pourquoi elle ne vient pas. Perché mai non viene ? → Non capisco perché mai non viene.  

b) Les normes discursives : Il existe une nouvelle de l’écrivain allemand Wolfgang Borchert, dont le titre, Nachts schlafen die Ratten doch, se présente comme extrait d’un dialogue dans lequel le locuteur tente de calmer la peur d’un enfant. Une traduction « fidèle » en serait par exemple : Mais voyons, la nuit, ils dorment, les rats. Il est sûr que cette traduction ne serait absolument pas adéquate en tant que titre de la nouvelle.33 Mais elle nous paraîtrait tout à fait justifiée dans un dialogue : – Ich will nicht nach Hause, wegen der Ratten. – [Aber] nachts schlafen die Ratten doch ! – Je ne veux pas rentrer, à cause des rats. – Mais voyons, la nuit, ils dorment, les rats. – Non voglio tornare a casa, per i topi. – Ma di notte i topi dormono / Di notte i topi dormono, ti dico.34  











C’est donc le statut discursif de la séquence comme titre qui fait ici pencher en faveur de la non traduction de doch,35 du moins en français : La nuit, les rats dorment.  

c) La persistance du sens originel (i.e. le degré de grammaticalisation) : L’hypothèse nous semble plausible que la grande fréquence de la non traduction de denn en interrogative, aussi bien en français qu’en italien (Kommst du denn auch ? / Tu viens aussi ? / Vieni anche tu ?) s’explique au moins partiellement par le fait que ses équivalents courants donc (fr.) et dunque (ital.) auraient pour « inconvénient » de suggérer, conformément à leur sens originel, que la question est logiquement inférée du contexte, ce qui est une information bien plus précise que celle que donne denn, qui marque seulement que la question est appelée par la situation. Autrement dit, le contenu sémantique plus spécifique ou si l’on préfère le degré d’abstraction et donc de grammaticalisation moindre de donc et dunque par rapport à denn pourrait expliquer qu’ils ne peuvent « couvrir » qu’une partie des emplois de la particule alle 















33 Comme l’avait souligné Weydt dans une conférence faite à l’Université de Nancy II, mais sans faire le lien avec le statut discursif de la séquence. 34 C’est la traduction proposée dans Wolfgang Borchert, Opere (trad. di Roberto Rizzo), Parma, Guanda, 1969. Surprenante comme traduction de titre, elle paraît tout à fait acceptable comme réplique dans le dialogue. 35 La traduction commerciale de la nouvelle (Mais les rats dorment la nuit) tente de restituer l’adversativité de doch par mais, ce qui paraît acceptable, mais elle pèche par la position rhématique qu’elle donne à la nuit, alors que nachts est manifestement thématique dans la phrase allemande. Il faudrait au minimum une virgule après le verbe.  

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mande.36 Les emplois non couverts pourraient certes en principe être pris en charge par les autres équivalents potentiels que sont ça, et, mais, au fait etc. en français ou e…poi, ma, ma forse, ma allora, pure etc. en italien, mais ceux-ci ont eux-mêmes, au moins partiellement liées à leur sens originel, des contraintes d’emploi plus fortes et en tout cas différentes de celles qui pèsent sur denn, ce qui ne les rend utilisables que dans une gamme plus restreinte de contextes. (Pour plus de détails et avec des exemples de traduction de denn et eigentlich d’une part, de eben et ses synonymes d’autre part, cf. Schoonjans/Lauwers 2010 et Schoonjans 2013). d) Les connotations induites par une éventuelle traduction : Blumenthal (21997, 97) évoque un bel exemple de non traduction (en français) due au souci d’éviter des connotations parasites. Invité à dîner à l’Élysée, le chancelier Kohl s’était justifié auprès de journalistes allemands d’avoir laissé dans son assiette des carottes al dente qu’il jugeait insuffisamment cuites en disant : Ich bin doch kein Kaninchen, ce que Le Monde du 12.12.1996 avait traduit par Je ne suis pas un lapin, en ne restituant pas le double effet, d’évidence et d’opposition, produit par la particule doch.37 La traduction de la particule était tout à fait possible, mais elle aurait induit une connotation de reproche voire d’indignation qui n’existe pas nécessairement dans l’énoncé allemand (tout dépendant du ton sur lequel il est produit) et qui aurait sans doute été gênante d’un point de vue diplomatique : Je ne suis pas un lapin, tout de même ! Pour terminer ce bref aperçu des causes de la non traduction – qui reste un domaine largement inexploré, alors même que le phénomène est reconnu sinon illustré dans toutes les études contrastives allemand-français/italien –, il faut enfin évoquer, ne serait-ce que d’un mot, l’équation personnelle des traducteurs, incluant leur stratégie de traduction. L’analyse comparée de cinq traductions de Die Verwandlung (La Métamorphose) de Kafka a en effet montré que le taux de non traduction variait assez considérablement d’un traducteur à l’autre, en gros de moins d’un tiers des occurrences à légèrement plus de la moitié, chiffres qui cachent d’ailleurs de grandes disparités selon la particule considérée (cf. Métrich 1999, 11).38  







36 On est là dans la « dialectique » de la compréhension et de l’extension au sens logique. 37 On peut gloser ce double effet par « je ne suis pas un lapin, contrairement à ce qu’ils ont l’air de croire ». 38 Voir aussi l’étude de Feyrer (2001, 291–313) sur l’explicitation et l’implicitation comme stratégies concurrentes pour la traduction des effets interactifs et argumentatifs des particules modales de l’allemand.  







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6 En guise de conclusion Face à l’allemand, qui a développé en langue une catégorie spécifique d’outils destinés à « situer l’énoncé/l’énonciation dans le contexte du discours »39 (Hentschel/Weydt 32003, 313), le français et l’italien n’ont assurément rien de semblable à opposer. Si les causes de cet état de fait ne peuvent être évoquées ici, ne fût-ce que d’un mot,40 force est cependant de constater que nos langues ne sont aucunement démunies pour « rendre » les effets produits par les particules modales de l’allemand – dès lors, bien sûr, que l’on ne professe pas une conception de l’équivalence qui en fait un simple synonyme de l’identité et que l’on accepte d’en tirer la conséquence principale, qui est que toute traduction n’est que la résultante d’une subtile « dialectique » de « plus » et de « moins », de pertes et de gains. Mais force est aussi de constater que nos langues renoncent – ou plus exactement : que dans nos langues, on renonce – assez fréquemment à « rendre » les fonctions et les effets des particules allemandes. Tout se passe comme si certaines des spécifications du dire plus ou moins systématiquement « explicitées » en allemand, étaient plus volontiers laissées dans l’ombre en français ou en italien. On est ainsi inéluctablement amené à se rappeler la célèbre sentence de Roman Jakobson (1959, 236) : « languages differ essentially in what they must convey and not in what they may convey ». Sans doute le grand linguiste avait-il à l’esprit les dimensions morphosyntaxique et lexicale des langues. Mais on ne voit pas bien pourquoi il serait interdit de l’étendre à la dimension pragmatique, aux normes régissant l’usage de la langue, la manière de communiquer dans l’une ou dans l’autre. Une autre piste mériterait d’être suivie : celle des « relations » entre les particules modales de l’allemand et ce que Gülich (1970) a appelé les Gliederungssignale (litt. les signaux de structuration) et que l’on a depuis versé dans le vaste ensemble des marqueurs discursifs. Ces éléments et séquences figées tels que ben, bien, bon, dis, dis donc, eh bien, écoute[z] , hein, quoi, remarque, tu comprends, tu sais, tiens/tenez etc. en français ou eh, beh, toh, dai, sai, allora, dunque, pure, poi, già, figurati, vero ?, non ti dico en italien ont donné lieu depuis, surtout pour le français, bien moins pour l’italien, à un grand nombre d’études, qui ont mis en lumière leur rôle dans la structuration et la régulation de la conversation : établissement et maintien du contact, gestion des tours de parole, reprises et reformulations, ponctuation des énonciations etc. etc.  













































39 Les auteurs disent : « das Gesagte im Kontext der Rede zu situieren ». 40 Abraham (1991) lie l’abondance des particules modales en allemand à la structure SOV de la phrase allemande, qui dégage une plage centrale peu structurée dans laquelle elles ont, selon Macheiner (2004), de par leur non mobilité une fonction de délimitation du rhème par rapport au thème. Faucher (1998) voit les choses dans une perspective plus textuelle, arguant que les contours très marqués de la phrase allemande en font une sorte d’île qui oblige à lancer des « ponts » vers les autres phrases pour que le texte advienne.  









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Très différents quant à leurs caractéristiques morphosyntaxiques et leurs fonctions dans l’énoncé, ces deux types d’éléments, particules modales et Gliederungssignale, semblent se rejoindre au moins partiellement quant à leurs effets dans le discours et la communication. Plus précisément, on voit bien que par-delà leur fonction structurante et régulatrice, les unités du deuxième groupe véhiculent inévitablement des informations qui relèvent des fonctions dévolues en allemand aux particules modales (cf. chap. 1).41 Plus globalement, Weydt (2006, 205–208) observe que les particules modales exercent indirectement une influence sur l’ensemble du texte en lui donnant une tonalité plus naturelle, plus chaude, plus amicale (« natürlicher, wärmer, freundlicher ») que le même texte sans les particules. N’en va-t-il pas de même des éléments de l’autre groupe et notamment de ceux dont la forme verbale (écoute/écoutez, tu sais/vous savez…) marque à elle seule le souci (conscient ou non) d’établir une forme de proximité avec l’allocuté ? Par ailleurs, il a été observé dans Métrich (2001, 233s.)42 une curieuse « double asymétrie » entre les particules modales et les Gliederungssignale en allemand et en français : d’une part, une fréquence inverse des deux types d’éléments dans les versions allemandes et françaises des textes examinés (150/71 en all., 40/159 en fr.), d’autre part, une proportion de 50% de non traduction des Gliederungssignale, qui n’est pas sans rappeler la non traduction des particules modales de l’allemand en français.43 Mais il faudrait bien d’autres études comparatives de la traduction de ces deux types d’éléments pour parvenir à des conclusions fiables quant à leur éventuelle complémentarité en allemand et dans nos langues. Pour le moment, elles manquent autant pour le français que pour l’italien.  













7 Références bibliographiques Abraham, Werner (1991), Introduction, in : Werner Abraham (ed.), Discourse Particles, Amsterdam/ Philadelphia, Benjamins, 1–10. Albrecht, Jörn (1976), Les équivalents de l’allemand « eigentlich » dans les dictionnaires bilingues et dans la réalité de l’usage, Cahiers de lexicologie 28:1, 60–73. Albrecht, Jörn (1977), Wie übersetzt man eigentlich « eigentlich »?, in : Harald Weydt (ed.), Aspekte der Modalpartikeln. Studien zur deutschen Abtönung, Tübingen, Niemeyer, 19–37. Albrecht, Jörn (2009), Kontrastive Sprachwissenschaft und Übersetzungswissenschaft. Unterschiede und Gemeinsamkeiten, in : Claudio Di Meola et al. (edd.), Perspektiven Drei, Akten der 3. Tagung  















41 Radtke (1985) note que les Gliederungssignale peuvent produire des effets de nuancement (« abtönend ») semblables à ceux des particules modales. 42 Étude consacrée à la traduction en allemand des « mots du discours » – parmi lesquels de très nombreux « Gliederungssignale » – employés dans les albums humoristiques Les Frustrés de Claire Bretécher. 43 La non traduction de nombreux éléments de ce type dans Les Frustrés avait déjà été observée par Blumenthal (21997, 93).  











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Jörn Albrecht et René Métrich*

18 Les différents modèles de la sémantique lexicale et leur intérêt pour la théorie et la pratique de la traduction Abstract : Partant des diverses façons d’appréhender la notion de « sens », dont nous aurons d’abord rappelé le statut d’instance intermédiaire entre le support signifiant et la réalité désignée, nous présenterons les différents modèles de la sémantique lexicale en nous limitant à leurs principes essentiels. Nous évoquerons ensuite la puissance et les limites de ces différents modèles dans le traitement de quelques problèmes fondamentaux pour la traduction : problème de la désignation (niveaux d’abstraction, multiplicité des désignations possibles…), problème des différences de structuration du contenu dans les langues particulières, problème de la polysémie et des stéréotypes. Pour finir, nous nous efforcerons de déterminer, sans le minimiser ni le surévaluer, l’intérêt de la sémantique lexicale – et de la linguistique en général pour la traduction, sa pratique et son enseignement.    







Keywords : sémantique lexicale, sémantique « structurale » (componentielle), sémantique du prototype, sémantique du stéréotype, enseignement de la traduction    





0 Remarque préliminaire Il va de soi qu’il n’est pas possible de traiter à fond en une vingtaine de pages un sujet aussi vaste et ardu que celui de la sémantique lexicale. Nous sommes donc obligés de nous limiter à un bref aperçu. Si l’article qu’on va lire peut prétendre à quelque originalité, celle-ci concernera avant tout le rapport des différents modèles de la sémantique lexicale avec les problèmes théoriques et pratiques de la traduction.

1 Le statut du « sens » dans une théorie générale du signe  



Depuis l’Antiquité, le modèle « naïf » de la signification à deux composantes (aliquid stat pro aliquo) s’est trouvé remplacé par un modèle à trois composantes, dans lequel une « instance intermédiaire », communément appelée « signification/sens », est introduite entre le support perceptible du signe (signifiant) et l’objet ou l’état de choses à  









* René Métrich est membre de l’ATILF / CNRS & Université de Lorraine (UMR 7118).



Les différents modèles de la sémantique lexicale

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désigner : voces significant res mediantibus conceptis, pour reprendre la formulation des scolastiques. La Trinité chrétienne ou la dialectique de Hegel sont deux des manifestations les plus lourdes de conséquences de ce modèle triadique de la signification.1 Les modèles triadiques sont légion en sémiotique, ce n’est pas le lieu de les énumérer ici. Celui que nous présentons ci-après a l’avantage d’opérer avec des termes assez largement neutres d’un point de vue théorique :  



1.1 Des raisons de poser comme nécessaire l’existence d’une « instance intermédiaire »  



Il existe toute une série de raisons qui plaident pour l’introduction dans le modèle du signe linguistique d’une « instance intermédiaire » entre le support signifiant perceptible par les sens et les objets et états de choses à dénommer.  



1.1.1 Le sens renvoie à des universaux (concepts généraux) Un mot quelconque renvoie non pas à un objet ou un état de choses particuliers mais à une classe d’objets et/ou d’états de choses. Son sens est alors l’instance qui détermine ce qui peut être désigné à l’aide de ce mot. Il s’ensuit que les mots catégorisent par le fait même qu’ils signifient. S’il n’en allait pas ainsi, chaque objet ou état de choses particuliers, par ex. chaque arbre d’une forêt donnée, se trouverait affecté d’un nom qui lui serait propre. Cette catégorisation initiale du monde, de la réalité extralinguistique par la langue ordinaire est l’une des opérations fondamentales de l’esprit humain.

1 Le rapprochement a été fait aussi bien par Hegel (cf. 1970, vol. 10, 30–32) que par Peirce (1986, vol. 1, 144).

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Jörn Albrecht et René Métrich

1.1.2 Le sens est lié aux langues particulières Si à chaque mot d’une langue correspondait un objet ou état de choses clairement définis, les communautés relevant de langues différentes auraient à faire à des mondes objectivement différents. Là où, pour les Français il existe un ciel, pour les Allemands un Himmel, les Anglais se trouveraient face à deux réalités : un heaven et un sky. Inversement, si les objets étaient définis a priori et indépendamment des langues, les correspondances entre les mots de deux langues distinctes seraient toutes biunivoques, les lexiques de deux langues seraient en relation bijective. Il paraît plus raisonnable de poser un seul et même monde objectif et de postuler que ce monde est catégorisé de façon différente par les différentes langues. Ce que le français catégorise comme fleur donne lieu à deux sous-catégories en allemand, Blume/Blüte, alors qu’à l’inverse la catégorie Straße de l’allemand est subdivisée en rue/route en français. On pourrait ainsi multiplier les exemples tant pour les objets que pour les actions ou les états de choses, qualités etc. : Fluss → fleuve/rivière ; mur → Mauer/Wand ; mitnehmen → emmener/emporter ; souder → löten/schweißen ; long → lang/weit ; étroit → schmal/ eng ; seulement → erst/nur… Il faudra revenir sur cet argument dans le chapitre consacré à la sémantique du prototype.  















1.1.3 Le sens peut renvoyer à des objets ou états de choses non réels Par des mots comme dragon, fée, griffon ou licorne, les langues, en l’occurrence le français, désignent des objets dont nous savons ou pensons qu’ils n’existent que dans notre imagination, mais dont nous pouvons néanmoins parler comme s’ils existaient dans la réalité. Cela signifie que les mots ne catégorisent pas seulement le réel, mais qu’ils peuvent dans une certaine mesure le créer. Cet aspect des choses est souvent négligé dans les théories sémantiques.

1.2 Des diverses façons d’interpréter la notion de « sens »  



Le statut du sens comme « instance intermédiaire » a fait l’objet de conceptions variables selon les points de vue adoptés. La typologie qui suit n’est qu’indicative et ne correspond à aucune théorie particulière.  



1.2.1 Le point de vue « ontologique »  



Dans la mesure où les mots représentent des classes d’objets et d’états de choses, une interprétation ontologique de la notion de sens paraît couler de source. Nous supposons connues les diverses positions défendues dans la fameuse « querelle des univer 

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Les différents modèles de la sémantique lexicale

saux » et ne les mentionnons ici qu’en rapport avec les modèles de la sémantique lexicale discutés plus loin : universaux ante res → « idéalisme » (Platon) ; universaux in rebus → « conceptualisme » (sémantique structurale) : universaux post res → « nominalisme » (sémantique du prototype). L’interprétation moderne la plus approfondie de ce problème des universaux a été proposée par Wolfgang Stegmüller (1965, 11957). La notion d’arbitraire du signe joue un rôle principalement par rapport au point 1.1.2. Elle est constitutive de la sémantique structurale mais problématique pour la sémantique du prototype (voir infra).  

















1.2.2 Le point de vue « psychologique »  



Pour Aristote, les sens (significations) étaient des παθήματα τῆς ψυχῆς, des « affections de l’âme ». Ce qu’il entendait par là n’étaient manifestement pas des « représentations », mais plutôt des impressions reçues passivement. Aucun des modèles courants de la signification ne peut se passer complètement d’une composante psychologique, le lien avec la conception moderne de la « cognition » restant à cet égard très problématique. Au moins fait-on aujourd’hui, en sémantique, clairement la différence entre approches « psychologistes » et « cognitivistes ». Dans Une histoire du sens (2008), P. Larrivée distingue ainsi quatre paradigmes : le paradigme psychologiste, le paradigme structuraliste, le paradigme de l‘énonciation et le paradigme cognitiviste (en particulier les représentants de la « sémantique générative », Lakoff, Langacker, McCawley, Fillmore etc.).  



























1.2.3 Le point de vue « logique »  



Sous l’angle logique, la relation de proportionnalité inverse existant entre l’étendue du sens et son contenu (extension vs intension/compréhension) a été tôt perçue. Plus le nombre de traits sémantiques dont se compose un sens est réduit, plus la classe des objets et états de choses qu’il dénote est étendue, et inversement. L’ensemble des tables est un sous-ensemble de l’ensemble des meubles ; inversement les traits sémantiques nécessaires pour définir « meuble » sont-ils un sous-ensemble de ceux dont on a besoin pour définir « table ». Le sens de la prédication change selon qu’il est pris en extension ou en intension.  







La neige est blanche – en extension : la neige fait partie de la classe des objets blancs ; – en intension : le blanc fait partie des propriétés de la neige.    







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Ceci est une table – en extension : L’objet que je désigne appartient à la classe des tables ; – en intension : La propriété d’être une table appartient à cet objet.  









Les exemples montrent que dans la vie courante nous pensons plutôt en intension. Le rapport entre extension et intension est l’une des difficultés majeures de la sémantique du prototype comme de la sémantique du stéréotype. Pour cette raison, certains sémanticiens contemporains doutent du bien-fondé d’une analyse du sens linguistique à l’aide des catégories de la logique : « My guess is that we have a folk theory of categorization itself. It says that things come in well-defined kinds, that the kinds are characterized by shared properties, and that there is one right taxonomy of the kinds » (Lakoff 1987, 121). On voit que Lakoff considère que le système traditionnel de catégorisation logiciste, avec sa relation réciproque entre extension et intension, correspond à une conviction indéracinablement ancrée dans les esprits.  





1.2.4 Le point de vue « pragmatique »  



Qu’il existe un rapport entre l’emploi « correct » d’un mot et son sens est une évidence manifeste. Le fr. usage peut d’ailleurs dans certains cas être rendu par l’allemand Bedeutung. Wittgenstein a exprimé ce rapport de façon particulièrement radicale dans ses Investigations philosophiques (Philosophischen Untersuchungen) :  







« Pour une large classe de cas où l’on use du mot ‹ signification › – sinon pour tous les cas de son usage – on peut expliquer ce mot de la façon suivante : la signification d’un mot est son usage dans le langage » (Wittgenstein 1961, §43, 135).  









La formulation est plus obscure encore au niveau « métalinguistique » :  





« La signification du mot est ce qu’explique l’explication de la signification. C’est-à-dire si vous voulez comprendre l’usage du mot ‹ signification ›, voyez donc ce que l’on nomme ‹ explication de la signification › » (ibid., § 560, 281).  



   







Il est impossible d’entamer ici une discussion un tant soit peu sérieuse du « cas » Wittgenstein. Sa formulation, qui identifie le sens à l’emploi, paraît en tout cas excessive. On peut néanmoins retenir, provisoirement, que le sens d’un mot et son emploi sont en corrélation. Le concept wittgensteinien d’« air de famille », souvent cité et rarement explicité, est pour sa part tout aussi problématique (cf. infra).  







2 Les différents modèles de la sémantique lexicale L’approche de la sémantique « cognitive », qui se proposait de remplacer la sémantique structurale, n’est pas aussi nouvelle qu’on le prétend. Les scolastiques (et après  



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Les différents modèles de la sémantique lexicale

eux les logiciens néothomistes) faisaient tout à fait la différence entre une conception « cognitive » et une conception « logique » du sens. La perception était pour eux un préalable à la formation du concept (conceptualisation) : « Ce quelque chose, que nos sens perçoivent blanc, froid, léger, est un premier sujet : de ce premier sujet la neige est un prédicat. La neige devient ensuite le sujet d’un prédicat ultérieur, la propriété de fondre au soleil » (Mercier 71922, 92). La représentation comme résultat de la perception (percept) est la matière première à partir de laquelle se constitue le concept. C’est à ce niveau que se situe la philosophie anglo-saxonne des XVIIe et XVIIIe siècles (Locke, Berkeley etc.), qui rejette expressément le passage au niveau du « concept ». La question de savoir si le « cognitivisme » moderne est une résurgence du « psychologisme » classique, comme nous le supposons ici, demanderait à être examinée de plus près.  



























2.1 La sémantique « structurale » ou « componentielle » ou encore « différentielle »  











Paradoxalement, Hermann Paul, qui fut rudement critiqué par Ferdinand de Saussure, partageait tout à fait les hypothèses fondamentales de la sémantique structurale, comme le montre la citation suivante, extraite de son dictionnaire :  

« Il est à noter qu’à l’emploi de h[aben] (avoir) correspond dans une large mesure celui de bekommen (recevoir) et de behalten (conserver), qui se comportent par rapport à h[aben] comme werden (devenir) par rapport à bleiben (rester) et sein (être) ».  



« Zu beachten ist, daß der Verwendung von h[aben] weitgehend die von bekommen (kriegen) und behalten entspricht, die sich zu h[aben] verhalten wie werden und bleiben zu sein » (Deutsches Wörterbuch, s.v. haben) ».  





Il pose donc la proportion tout à fait « structuraliste » :  







bekommen (kriegen) : haben : behalten ≈ werden : sein : bleiben recevoir : avoir : conserver ≈ devenir : être : rester  















que l’on peut schématiquement représenter comme suit :  

Relation

émergence

existence

persistance

bekommen/recevoir

haben/avoir

behalten/conserver

werden/devenir

sein/être

bleiben/rester

Il est souvent arrivé à l’un de nous [J. Albrecht] de reproduire partiellement au tableau devant ses étudiants ce schéma dérivé de l’article du dictionnaire [de Hermann Paul], schéma parfaitement transposable dans diverses langues. Pratiquement tous les étudiants ont su le compléter sans difficulté. C’est un argument en faveur de l’exis 

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Jörn Albrecht et René Métrich

tence, dans l’esprit humain, des fameux « traits différentiels », avec lesquels, notonsle, opéraient déjà les logiciens du Moyen Âge, comme il ressort de leur conception de la définition : definitio fit per genus proximum et differentiam specificam. L’appartenance au genre y représente la condition nécessaire, tandis que l’existence d’une propriété qui différencie l’entité à définir de toutes les autres appartenant au même genre en constitue la condition suffisante. Contre ce modèle des conditions nécessaires et suffisantes, les tenants de la sémantique cognitive font valoir que dans la réalité de l’usage de la langue les catégories n’ont pas de frontières parfaitement nettes.  





2.2 La sémantique du prototype comme « prototype » de la « sémantique cognitive »  







C’est le modèle « classique » de la sémantique du prototype, profondément modifié depuis, qui fait l’objet des réflexions présentées ici, parce qu’il se prête mieux à une présentation contrastive que les modèles modifiés qui ont suivi. Ce modèle, présenté dans tous les ouvrages d’initiation, sera supposé connu et on se contentera donc d’un bref rappel des points essentiels, inspiré de l’ouvrage de G. Kleiber (1990, 51) :  









prototype : le meilleur exemplaire ou la meilleure instance, le meilleur représentant ou l’instance centrale d’une catégorie  

oiseau : meilleurs exemplaires : moineau, rouge-gorge exemplaire moins bon : autruche exemplaires marginaux : kiwi, pingouin  







Principes de catégorisation dans le cadre de la sémantique du prototype : 1 La catégorie a une structure interne prototypique ; 2 Le degré de représentativité d’un exemplaire correspond à son degré d’appartenance à la catégorie ; 3 Les frontières des catégories ou des concepts sont floues ; 4 Les membres d’une catégorie ne présentent pas des propriétés communes à tous les membres ; c’est un « air de famille » qui justifie le regroupement ; 5 L’appartenance à une catégorie s’effectue sur la base du degré de similarité avec le prototype ; 6 Elle ne s’opère pas de façon analytique, mais de façon globale.  





Il n’est pas possible, ici, de discuter ces principes point par point. Le troisième, tout à fait fondamental, mérite cependant qu’on s’y arrête pour faire état d’une objection sérieuse que l’on pourrait présenter du point de vue de la sémantique structurale. Elle consiste à poser que le flou attribué aux catégories ou aux concepts est en fait celui des réalités elles-mêmes. Les limites entre deux concepts ou catégories sont parfaitement nettes, le flou résulte simplement des difficultés que les locuteurs éprouvent à choisir le « bon » concept, la « bonne » catégorie pour désigner la réalité qui se présente à eux dans toute sa complexité. La distinction conceptuelle entre jour et nuit  







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Les différents modèles de la sémantique lexicale

est parfaitement claire, de même que celle entre jeune et vieux, petit et grand. Ce qui pose problème, c’est l’affectation de l’objet de la réalité extralinguistique à telle ou telle catégorie. Pour reprendre un exemple souvent utilisé, les frontières du concept de tasse sont parfaitement nettes, ce qui peut faire hésiter les locuteurs à lui affecter tel ou tel objet qui répond à la définition, c’est la forme inhabituelle voire « excentrique » qu’il a éventuellement.  



2.2.1 La « sémantique de la compréhension » de Fillmore  



À l’origine de cette approche il y a Marvin Minsky, qui voulait, dans le cadre de la recherche en Intelligence Artificielle, développer un modèle pour des bases de connaissances qui devaient permettre à un calculateur de comprendre des énoncés insérés dans des « scènes de la vie quotidienne » (frames), et ce, en recourant à des informations non explicitées verbalement car tenues [comme dans la vie quotidienne] pour connues ou évidentes. L’idée de Fillmore était d’opposer à la sémantique logiciste vériconditionnelle libre de toute pragmatique une sémantique à contenu pragmatique opérant non pas avec les valeurs de vérité (vrai/faux) mais avec des catégories telles que « adéquat » ou « non adéquat ». Le cadre (frame) se comprend comme une sorte de prototype non pas au niveau du mot, mais à celui de l’énoncé ou du texte :  













« In U-semantics, the linguistic forms are words and texts ; the contexts include richly describable backgrounds, perspectives, orientations, ongoing activities, etc. ; and the intuitive judgements are the data of understanding » (Fillmore 1985, 230).  



« A frame is invoked when the interpreter, in trying to make sense of a text segment, is able to assign it an interpretation by situating its content in a pattern that is known independently of the text. A frame is evoked by the text if some linguistic form or pattern is conventionally associated with the frame in question » (ibid., 232).  



La négation (contestation) d’un énoncé aussi simple que Katrin ist geizig / Katrin est pingre sera ainsi différente selon que le locuteur accepte ou non le « cadre » dans lequel se situe l’échange :  





Geldausgeben für andere / Dépenser pour autrui :

(–) geizig / pingre

(+) großzügig /généreux

(+) sparsam / économe

(–) verschwenderisch / dépensier



Geldausgeben für sich selbst / Dépenser pour soi :  

Katrin ist nicht geizig, sie ist (sogar) recht großzügig / Katrin n’est pas pingre, elle est même assez généreuse : négation à l’intérieur du cadre, l’acceptant (frame accepting)  

Katrin ist nicht geizig, sie ist (nur) sparsam. / Katrin n’est pas pingre, elle est simplement économe : négation externe au cadre, le refusant (frame rejecting)  

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2.3 La sémantique des stéréotypes Dans son Essay Concerning Human Understanding John Locke donne un exemple que l’on retrouvera bien plus tard, dans le cadre d’une argumentation analogue, dans The Meaning of Meaning de Hilary Putnam :  

« A child having taken notice of nothing in the metal he hears called gold but the bright shining yellow colour, he applies the word ‹ gold › only to his own idea of that colour […] Another that hath better observed adds to shining yellow great weight ; and then the sound ‹ gold ›, when he uses it, stands for a complex idea of a shining and very weighty substance. Another adds to those qualities fusibility ; and then the word ‹ gold › signifies to him a body, bright, yellow, fusible and very heavy. Another adds malleability. Each of these uses equally the word gold, when they have occasion to express the idea which they have applied it to ; but it is evident that each can apply it only to his own idea ; nor can make it stand as a sign of such a complex idea as he has not » (Locke 1975, 11690, III, 2, 3).  

















Putnam recourt largement aux mêmes exemples et à la même argumentation sans toutefois citer Locke. Le rapprochement est souvent fait entre sa notion de « stéréotype » et celle de « prototype » esquissée plus haut. Elle est cependant incompatible avec la notion de sens telle qu’elle est prise par la plupart des représentants de la sémantique lexicale : « On peut tourner et retourner les choses comme on veut, les sens ne sont tout simplement pas dans la tête. » (« Man kann’s drehen und wenden, wie man will, Bedeutungen sind einfach nicht im Kopf ! », Putnam 21990, 37). Les sens ne sont pas des « contenus de conscience » explicitables du point de vue du locuteur/ auditeur : « Un stéréotype est une configuration de propriétés dans laquelle figurent des valeurs par défaut » (Schwarze 2001, 31). Le concept « philosophique » de stéréotype ne correspond de ce fait aucunement aux diverses variantes de ce concept que proposent les différentes écoles ou tendances de la sémantique lexicale. La confusion terminologique et conceptuelle est grande dans ce domaine. Pour s’en tenir à la conception de Putnam, on observera que pour lui, il n’existe pas de correspondance stricte entre l’extension et l’intension d’un lexème, comme c’est le cas dans la sémantique structurale. Le stéréotype est pour lui un corrélat variable selon le locuteur ou le groupe de locuteurs d’une « extension » qui n’est connue que du spécialiste et ne peut pas être établie par les « jeux de langage » à la Wittgenstein. Ce modèle ne nous paraît applicable à la langue ordinaire que de façon très limitée, à savoir au domaine déjà évoqué par Locke des taxinomies populaires, lesquelles sont finalement assez proches des taxinomies scientifiques, en ce qu’elles établissent fréquemment des correspondances fixes entre le signifiant et l’objet désigné sans passer par l’intermédiaire d’un concept.  















   























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Les différents modèles de la sémantique lexicale

3 Puissance et limites des différents modèles 3.1 Le problème de l’abstraction : « échelles conceptuelles » vs. « dimension verticale »  









C’est toujours quand on argumente du point de vue du locuteur/auditeur ou au niveau du discours et non à celui du système que l’approche dans une certaine mesure logiciste de la sémantique « structurale » est perçue comme insuffisante.  



3.1.1 Difficultés dans le traitement « cognitif » des concepts généraux  



« … universality, so far as I can comprehend, [does not consist] in the absolute, positive nature or conception of any thing, but in the relation it bears to the particulars signified or represented by it : by virtue whereof it is that things, names or notions, being in their own nature particular, are rendered universal » (Berkeley 1998, 11710, 96).  





« Whereas, in truth, there is no such thing as one precise and definite signification annexed to any general name, they all signifying indifferently a great number of particular ideas » (ibid., 98).  



« For, when we nicely reflect upon them, we shall find that general ideas are fictions and contrivances of the mind, that carry difficulties with them, and do not so easily offer themselves as we are apt to imagine. For example, does it not require some pains and skill to form the general idea of a triangle (which is yet none of the most abstract, comprehensive, and difficult), for it must be neither oblique nor rectangle, neither equilateral, equicrural, nor scalenon, but all and non of these at once. In effect, it is something imperfect, that cannot exist ; an idea wherein some parts of several and inconsistent ideas are put together » (Locke 1975, 11690, IV, 7, 9).  



Ces citations montrent clairement que les grands représentants anglo-saxons de l’empirisme n’accordent pas aux concepts universaux d’existence mentale dans la conscience des locuteurs. Du fait que l’on ne peut pas se représenter l’idée d’un triangle (ce qui vaut également pour les noms abstraits les plus ordinaires de la langue courante, comme fruit, animal ou meuble) Locke conclut que les concepts généraux sont des illusions. Les représentants de la sémantique cognitive ont recours à une argumentation analogue quoique plus subtile. Les représentants de la sémantique logiciste maintiennent, eux, qu’un « concept » ne peut jamais être strictement articulé à un contenu représentatif identifiable. Le traitement que les sémanticiens du prototype réservent à ce qu’on appelle la « dimension verticale » ne nous paraît à cet égard pas exempt de contradictions. D’un point de vue pratique, ce modèle se révèle néanmoins éclairant – plutôt dans le domaine de la linguistique du texte ou de l’analyse du discours et de la stylistique, toutefois, que dans celui de la sémantique lexicale stricto sensu. (La même chose vaut pour les semantics of understanding de Fillmore). Mais tout cela, encore une fois, ne peut être qu’évoqué très succinctement ici.  







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3.1.2 Des avantages du traitement des niveaux d’abstraction en relation avec les situations de communication Les exemples qui illustrent ci-dessous ce que la sémantique du prototype appelle la « dimension verticale » montrent que le choix du niveau d’abstraction par le locuteur dépend d’une part de la situation de communication et d’autre part des règles gouvernant la cohésion du texte (par ex. la reprise anaphorique par un hyperonyme) :  





Niveau superordonné Niveau de base Niveau subordonné

animal chien caniche

fruit pomme reine des reinettes

meuble chaise chaise pliante

Emploi habituel

Emploi moins habituel

Je peux avoir la pomme ? Qu’est-ce qu’il court vite, ce chien ! Regarde l’oiseau sur le toit !

le fruit / la reine des reinettes ? cet animal / ce caniche ! l’animal / la corneille mantelée

Doucement, il y a un animal qui vient de traverser la route ! Dans l’obscurité, on distinguait un meuble haut dans le recoin. Caroline a apporté son instrument (Les présents savent qu’elle joue du violon). Regarde un peu les mésanges sur le balcon, elles sont de plus en plus effrontées. Dégage de mon fauteuil, c’est ma place ! Regarde un peu ce caniche tondu, l’allure qu’il a ! Regarde le chêne, là ! C’est pas un arbre magnifique ? Regarde l’arbre, là ! C’est pas une belle plante ?  

?

Cela étant, les facteurs susceptibles de conditionner le choix du niveau d’abstraction adéquat sont si divers qu’il ne paraît guère possible de prévoir ce choix avec certitude. Parmi ces facteurs, on peut au moins mentionner le niveau de connaissances du locuteur dans le domaine considéré, ainsi d’ailleurs que celui qu’il prête à l’interlocuteur. Si l’emploi de « corneille mantelée » paraît inhabituel, c’est que la plupart des gens, même quand ils en connaissent les noms, ne savent guère différencier la corneille (mantelée ou non), du freux ou du choucas, pour ne pas parler du chocard. Ils emploient volontiers le mot « corbeau » en le prenant comme terme collectif. Si l’oiseau sur le toit fait partie des espèces familières que peu ou prou tout le monde est capable d’identifier, pigeon, merle, mésange ou cigogne, nul doute que c’est le terme spécifique (subordonné) qui sera choisi, sauf, bien sûr, si l’on veut attirer l’attention de quelqu’un, un enfant par ex., dont on suppose qu’il ne le connaît pas : « Regarde l’oiseau sur le toit. C’est un merle, tu vois, il est tout noir etc. ». Hormis ce cas, le terme de base « oiseau » ne sera choisi que si l’oiseau en question fait partie de ceux qu’on ne sait guère identifier : fauvette, pipit, tarin des aulnes etc.  



















385

Les différents modèles de la sémantique lexicale

La même remarque s’applique au cas de « chêne/arbre », tandis que celui de « plante » semble assez différent, en ce sens qu’il renvoie à une opposition entre usage scientifique et usage courant. Si scientifiquement parlant, l’arbre est bien une plante, l’usage courant de ce terme en limite l’extension à des végétaux plus petits et autrement structurés : arbres et buissons en sont exclus, de même que le bananier, assimilé à un arbre alors qu’il n’est qu’une herbe pour les botanistes.  









3.1.3 De la multiplicité des désignations possibles À un niveau plus abstrait, la sémantique structurale, du moins dans la version qu’en a élaboré Eugenio Coseriu, présente un avantage évident et indéniable : celui de concevoir les sens non comme des « représentations » des objets ou des états de choses mais comme des classificateurs (cf. entre autres Coseriu 2000, passim). Un serveur et un client mécontent peuvent désigner le même objet par deux mots de sens tout à fait différent, par ex. ragoût de boeuf vs. tambouille infâme ou bifteck vs. semelle.  





3.2 Le problème des différences de structuration du contenu dans les langues particulières 3.2.1 Du point de vue de la « sémantique structurale »  



Pour la sémantique structurale, les différences de structuration des langues particulières sont un postulat de base et ne constituent donc pas un problème. C’est précisément ce par quoi elle se distingue de la logique classique. Cela ne peut être montré ici que par quelques exemples bien connus :  

all. Vorstellung/Darstellung (angl. representation) all. erst/nur (angl. only ; fr. seulement, ne… que) all. bedauern/bereuen (fr. regretter) fr. bois/forêt (all. Wald) fr. secret/mystère (all. Geheimnis) mais : geheimnisvoll (mystérieux) vs. geheimnistuerisch (cachotier)  



   



La comparaison de synonymes apparents appartenant à deux langues relativement proches l’une de l’autre montre que dans le lexique de l’une existe des distinctions que l’autre laisse dans l’implicite du contexte et n’exprime qu’en cas de besoin : Vorstellung ‘pour soi-même’ / Darstellung ‘pour autrui’ ; erst ‘avec dimension temporelle’ / nur ‘sans dimension temporelle’ (cf. « sie wiegt erst 45 Kilo » / « sie wiegt nur 45 Kilo » : elle ne pèse que 45 kilos (avec erst, le poids est donné comme transitoire, il est appelé à augmenter, par ex. avec l’âge ou la taille de la personne) ; secret ‘à ne pas divulguer à autrui’ / mystère ‘inexplicable pour moi-même’ etc. etc.  















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Jörn Albrecht et René Métrich

3.2.2 Du point de vue de la « sémantique du prototype »  



Pour la sémantique du prototype, dont l’argumentation est (au moins implicitement) universaliste, la différence manifeste de la structuration lexicale du sens dans les différentes langues est une difficulté majeure, qu’elle ne thématise que rarement : « Do all people use the same conceptual system ? If so, what is that system ? If not, exactly what is there that is common to the way all human beings think ? », se demande Lakoff (1987, xi) comme « en passant ». Les éditeurs d’un volume sur la sémantique cognitive ont mieux perçu le problème :  

















« … sur le terrain de la cognition, la problématique de la diversité des langues est restée, de fait, assez largement occultée : paradoxalement, les disciplines majeures reconnues dans le champ des sciences cognitives et travaillant sur le langage (neurosciences, psychologie, intelligence artificielle …) abordent le plus souvent la faculté de langage à travers une seule langue » (Fuchs/ Robert 1997, 1).  





Existe-t-il un prototype universel pour Vorstellung, erst ou Geheimnis ? Toujours est-il que l’hypothèse de prototypes spécifiques aux langues particulières retirerait beaucoup de sa force à cette approche : de phénomène ayant sa source dans la cognition on passerait à un phénomène médiatisé par la langue, les différences avec l’approche particularisante de la sémantique structurale seraient estompées.  



3.2.3 Du point de vue de la « sémantique des stéréotypes »  



Le problème y est encore bien moins souvent évoqué. Dans le meilleur des cas, on reconnaît qu’il existe des « stéréotypes » d’origine linguistique et/ou culturelle. C’est le cas, par ex., dans le modèle des « stéréotypes linguistiques et cognitifs pertinents pour la traduction » de Zybatow, lequel, il est vrai, ne s’accorde pas avec le modèle de Putnam : « Les stéréotypes cognitifs sont certes des grandeurs cognitives, mais cela ne les empêche pas d’être conditionnés par la langue et de servir de toile de fond aux formulations langagières » (Zybatow 2002, 72).  













3.3 Le problème de la polysémie Dans bien des cas, le problème de la polysémie se laisse plus aisément traiter dans le cadre de la sémantique du prototype que dans celui de la sémantique structurale. Pour cette dernière, en effet, l’hypothèse des « champs lexicaux » structurés constitue un problème très délicat pour le traitement des lexèmes polysémiques (cf. Timmermann 2007, cap. IV). Les « Spezialbedeutungen », c’est-à-dire les acceptions spécifiques de mots comme correspondance ou refuge, ne peuvent guère être prises en compte dans le cadre des champs lexicaux où les sens primaires ont trouvé place.  









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Les différents modèles de la sémantique lexicale

correspondance 1. « rapport de conformité » « Übereinstimmung » ; → 2. entretenir une correspondance : Briefwechsel, Korrespondenz ; → ferroviaire « Anschluss »  















refuge : 1. Zuflucht ; → 2. de montagne « Schutzhütte » ; 3 → sur le côté d’une route ou autoroute « Nothaltebucht »  













La sémantique du prototype se fonde sur le modèle du « sens fondamental » et des acceptions dérivées par métaphorisation ou métonymie issu de la rhétorique antique (cf. par ex. Pörings/Schmitz 22003, 36ss.). Elle rencontre par ailleurs des difficultés quand il s’agit de trancher la vieille question de la polysémie et de l’homonymie : les emplois de l’allemand weit dans « ein weites Hemd » (‘ une chemise large ’) et dans « eine weite Reise » (‘ un voyage à longue distance ’) relèvent-ils ainsi de l’une ou de l’autre ?  

























3.4 La sémantique des stéréotypes et la traduction spécialisée Dans sa pratique, la traduction spécialisée rappelle dans certains cas le modèle de Putnam. Il n’est pas rare, en effet, que le traducteur utilise des termes qu’il ne comprend pas vraiment comme des « désignateurs figés » en se reposant sur le savoir de l’expert. Lorsque ce n’est pas l’extension des termes qui importe mais les stéréotypes qui leurs sont liés, on pourrait parler d’équivalence dynamique (dynamic equivalence) au sens de Nida (1964, 159). Si un traducteur décidait de traduire la demande du Notre Père « panem nostrum quotidianum da nobis hodie » (Luc 11,3) pour les Inuits par « Donne-nous aujourd’hui notre poisson du jour », il pourrait se justifier en arguant que même si les extensions des lexèmes pain et poisson ne se recoupent aucunement, il n’en demeure pas moins que les stéréotypes associés « nourriture de base, nourriture assurant la survie » concordent largement.  















4 De l’intérêt de la sémantique lexicale pour la pratique et l’enseignement de la traduction 4.1 Linguistique et traduction La question de l’intérêt que peut présenter la sémantique lexicale pour la pratique et l’enseignement de la traduction ressortit d’abord à celle, plus fondamentale, des relations, voire du statut l’une par rapport à l’autre, de la linguistique et de la traductologie. Le débat est loin d’être tranché. La place manquant pour le retracer ici, ne fût-ce que dans les grandes lignes, on se contentera de le résumer très grossièrement pour les dernières décennies (↗ 3 La traductologie dans les principaux pays de langue romane. Vue d’ensemble, chap. 1). Après une période (années 60 et 70) où la  

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linguistique triomphante a cru pouvoir réduire l’étude de la traduction à la linguistique contrastive des langues comprises comme systèmes, voire seulement comme codes, l’émergence puis la généralisation du paradigme de la communication ont conduit à l’attitude inverse, consistant à dénier à la linguistique toute pertinence dans l’analyse de l’opération de traduction. Ce fut tout particulièrement le cas des tenants de la théorie du skopos, apparue – et toujours bien implantée – outre-Rhin (cf. entre autres Vermeer 1978 ; Reiß/Vermeer 1984 ; Vermeer 1996). Entre ces attitudes extrêmes, des positions intermédiaires ont été défendues, reconnaissant la linguistique comme l’un des fondements, parmi d’autres, de la traductologie (Ladmiral 2009, 29– 32 ; 2011a, 45ss. ; 2011b, 33–36) ou la positionnant comme une incontournable discipline auxiliaire de cette dernière (Albrecht 22013, 88–160). Récemment, la première position, qui fait de l’étude de la traduction une partie intégrante de la linguistique, a été « revisitée » par Rastier (2011)2 d’une façon telle que la traductologie n’est plus conçue comme une sous-discipline de la linguistique mais au contraire comme située en son cœur :  













« Le problème de la traduction nous paraît à présent trop précieux et trop central pour la linguistique pour que la traductologie devienne désormais une discipline indépendante : une telle évolution serait sans doute dommageable, tant pour les études sur la traduction que pour le reste de la linguistique générale et comparée » (Rastier 2011, 29).  





4.2 Utilité pratique de la linguistique et plus précisément de la sémantique lexicale Il faut ici d’abord écarter un malentendu qui apparaît presque inévitablement quand il est question des relations entre théorie et pratique ou plus précisément entre disciplines relevant de la connaissance (linguistique, traductologie…) et disciplines relevant de l’action (pratique et enseignement de la traduction…). Ce malentendu consiste à poser le problème en termes d’application des premières aux secondes, que ce soit pour affirmer ou refuser la relation de dépendance dans laquelle les secondes sont ainsi placées par rapport aux premières. On peut, de toute évidence, apprendre la natation (pratique) et y exceller sans rien connaître à la mécanique des fluides (théorie). Cela ne signifie cependant pas, l’expérience du sport de haute compétition l’a montré, que cette dernière ne puisse rien apporter à la première, simplement elle n’a pas été inventée pour cela. Les bénéfices qu’une discipline pratique peut tirer d’une discipline théorique ne sont en fait rien d’autre que des « effets collatéraux »  



2 L’article contient (pp. 29–37) une critique en règle très argumentée des approches communicative (théorie du skopos) et cognitive (postulation d’un sens indépendant des langues et donc les transcendant).  

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Les différents modèles de la sémantique lexicale

des connaissances élaborées par cette dernière. Il n’y a donc lieu, en définitive, ni d’inféoder la pratique à la théorie, ni de justifier la théorie par la pratique. Cela étant posé, l’intérêt pratique de la linguistique, et plus particulièrement de la sémantique lexicale, pour la traduction et son enseignement peut être affirmé sur au moins trois points :  



en fournissant un cadre explicatif et un métalangage communs, elle permet d’une part d’éviter ou tout au moins de limiter l’impressionnisme et le subjectivisme dans la discussion des propositions de traduction. Ce faisant, elle permet la prise de recul, le passage du niveau du fait particulier à celui d’une réflexion plus générale et catégorisante, appliquant ainsi à la traduction le conseil que donnait naguère Bachelard au professeur de sciences « d’aller sans cesse de la table d’expériences au tableau noir pour extraire aussi vite que possible l’abstrait du concret [, ce qui lui permettra de revenir] à l’expérience mieux outillé pour dégager les caractères organiques au phénomène » (1957, 40) ; en affinant et en approfondissant la connaissance des structures lexicales des langues (maternelle/étrangère) en présence, elle aide d’autre part à éviter les interférences de l’une à l’autre, lesquelles résultent aussi bien a) du fait que la langue étrangère est toujours plus ou moins appréhendée à partir de la langue maternelle3 que b) du fait que le texte cible risque toujours de se voir au moins partiellement imposer les structures (lexicales aussi bien que grammaticales) du texte source à partir et au travers duquel il est construit ; en exerçant l’esprit du traducteur, notamment débutant, à la comparaison intra- et interlinguale des mots et à la saisie de leur sens à travers leurs différences tant au plan du système qu’à celui de leur emploi en contexte, elle favorise, enfin, l’acquisition de stratégies de recherche de solutions de traduction notamment dans les cas où les solutions ne s’imposent pas d’emblée à l’esprit.  







À bien y regarder, ces trois points sont plus imbriqués qu’il n’y paraît, ce qui justifie de ne pas les illustrer ici séparément.

4.3 Contrastivité et sémantique lexicale Le fait lexical fondamental, qui conditionne aussi bien la traduction que l’enseignement des langues, est, on le sait, l’absence de correspondances biunivoques entre les langues. À un mot d’une langue peuvent en correspondre (et en correspondent de fait presque toujours) plusieurs dans l’autre langue et réciproquement. Cette relation de « plusieurs à plusieurs » (« many to many ») n’est au fond que la face visible et concrète de ce que le philosophe et théologien allemand Friedrich Schleiermacher, l’un des fondateurs de la traductologie moderne, appelait (au sens mathématique du terme) l’irrationalité des langues (1838, 212).  







3 Ce qui fait que le linguiste et didacticien W. Butzkamm (1980 ; 1989) juge illusoire voire contreproductif d’ignorer délibérément la langue maternelle et prône de s’en faire une alliée, notamment par le recours à des exercices ciblés de traduction dans le cadre d’une méthode bilinguale.  





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Ce fait a diverses causes, comme :  

– l’homonymie :  

fr. baie → all. Bucht/Beere/[vitrée] Panoramafenster all. Bucht → fr. baie/golfe fr. homme → all. Mensch/Mann all. Mann → fr. homme/mari fr. grosse dame/somme/voiture → all. dicke [Dame]/hohe [Summe]/schweres [Auto] all. schweres Auto/Paket/Jahr → grosse [voiture]/[paquet]lourd/[année] difficile).







– la polysémie :  





– les collocations :  



Mais la plus complexe de ces causes, et la plus difficile à explorer, est sans aucun doute celle qui réside dans les différences du nombre et de la spécificité des traits constituant le sens des lexèmes censés se correspondre d’une langue à l’autre : là où le trait [qui se jette dans la mer] est facultatif dans l’all. Fluss, il est, comme on sait, obligatoire dans fleuve et interdit dans rivière. Là où le français rattraper peut s’employer indifféremment avec trois types d’objets, il faudra en allemand recourir à trois verbes différents :  





– rattraper un retard : aufholen [combler l’espace temporel entre le point où l’on est et celui où l’on devrait être] – rattraper une personne/voiture : einholen [rejoindre le mobile qui précède] – rattraper une leçon/un travail : nachholen [faire en t1 ce qui aurait dû être fait en t0]  











C’est cette réalité que Jakobson a parfaitement saisie naguère dans sa célèbre sentence : « […] languages differ essentially in what they must convey and not in what they may convey » (1959, 236). C’est aussi elle qui constitue la principale difficulté pour le traducteur en l’obligeant à trouver dans le contexte les critères d’un choix de nature différente selon deux cas de figure. Quand à un mot source correspondent deux ou plusieurs mots cibles (fr. mur → all. Mauer/Wand), le problème du traducteur est de repérer dans le contexte le trait spécifique qui « manque » au mot source. Dans le cas de figure inverse, autrement dit quand le mot cible ne restitue pas par lui-même tel trait spécifique du mot source choisi en opposition à un autre, la question se pose au traducteur de savoir si le trait spécifique est déjà contenu dans le contexte cible et, dans la négative, s’il est pertinent de l’expliciter ou s’il peut le négliger (sur la notion d’information pertinente, cf. Tatilon 1986). Ainsi pour les verbes allemands löten/ schweißen, qui ont en français le même correspondant souder, convient-il de se demander s’il est pertinent ou non, dans le contexte de leur emploi, de restituer d’une manière ou d’une autre l’information relative au mode de soudure qu’ils véhiculent (‘soudure avec alliage’/’soudure autogène’). Dans un cas de figure comme dans l’autre, nul doute que la sémantique structurale (componentielle) est plus à même d’apporter une aide au traducteur que les autres modèles, puisque l’idée que le sens est dans la différence lui est consubstantielle. Cela étant, il serait illusoire d’en attendre trop du point de vue contrastif. Dans  











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Les différents modèles de la sémantique lexicale

un article au titre on ne peut plus clair, « Von der Unmöglichkeit der kontrastiven Lexikologie » (De l’impossibilité de la lexicologie contrastive), Hausmann (1995) a montré que l’inscription des sens et des équivalences dans la dépendance des contextes et l’infinité de ces derniers interdisaient d’aller bien loin dans l’analyse contrastive des lexiques. De fait, les tentatives faites dans ce domaine (cf. Schwarze 1985) sont restées relativement « sans lendemain » et n’ont en tout cas pas abouti à des descriptions contrastives des lexiques autres que les traditionnels (et toujours utiles) dictionnaires bilingues. Il n’est pas sûr, toutefois, qu’il faille s’en décourager, l’intérêt de la démarche résidant davantage dans la formation de la « raison traduisante » et le développement de stratégies de recherche de solutions que dans le recours à des analyses toutes faites. S’il est un métier où les outils, si performants soient-ils, ne remplaceront jamais la réflexion personnelle sur les langues et les textes, c’est bien celui de traducteur.  













5 En conclusion Nous espérons avoir montré – ou du moins fait entrevoir – que les modèles de sémantique lexicale présentés ici ne sont pas, du point de vue de la traduction, véritablement antagonistes, ni même concurrents, mais plutôt complémentaires. Les tenants de chaque modèle poursuivent des objectifs différents et se combattent principalement parce que chaque camp juge illégitimes les buts visés par l’autre camp. La sémantique structurale étudie la structure des langues particulières comprises comme « faits sociaux objectifs ». La sémantique du prototype tente de décrire les difficultés qu’éprouve le locuteur dans l’usage aussi bien actif (production) que passif (compréhension) de la langue à « s’y retrouver » dans le dédale de ses structures. La sémantique des stéréotypes d’observance stricte repose sur la généralisation à notre sens abusive d’une forme d’utilisation de la langue que l’on observe effectivement souvent dans la pratique : le recours à des désignateurs rigides. Cela consiste à utiliser dans des énoncés sémantiquement et syntaxiquement bien formés des mots dont la signification comme unités du système de la langue n’est pas véritablement investie dans le sens de l’énoncé, comme lorsque quelqu’un affirme que « les mesures effectuées permettent de calculer le rendement en profondeur » sans avoir une idée précise de ce que peut signifier rendement en profondeur. On note cependant l’existence de subtiles nuances, négligées aussi bien par Locke que par Putnam. Tout un chacun est capable d’expliquer qu’il a investi son argent en or sans savoir ce qu’est véritablement l’or. Il ne recourra pas, dans ce cas, à l’expression abstraite métal précieux. Il est en revanche plus difficile d’imaginer que l’on désigne un objet par le mot orme, si l’on n’est pas absolument convaincu qu’il s’agit bien d’un orme ; on parlera alors plutôt d’un arbre. Mais comment tirer profit de tout cela pour la traduction ? À un niveau tout à fait élémentaire – et c’est le seul qui nous importe ici – par le biais de la lexicographie. Cette science appliquée a toujours été le lieu d’un éclectisme fécond, où le souci de la  

















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Jörn Albrecht et René Métrich

« pureté théorique » s’efface devant l’utilité pratique. Les résultats intéressants de la lexicologie spécialisée ne sont que trop rarement pris en compte dans nos dictionnaires, qu’ils soient « sur papier » ou électroniques, bilingues ou monolingues. Il n’en allait pas de même à l’époque de Hermann Paul.  







6 Références bibliographiques Albrecht, Jörn (1994), Hermann Paul, ein Strukturalist « ante litteram »?, in : Richard Baum et al. (edd.), Lingua et traditio. Geschichte der Sprachwissenschaft und der neueren Philologien, Festschrift für Hans Helmut Christmann, Tübingen, Narr, 393–408. Albrecht, Jörn (1997), Fünf Thesen zur « kognitiven Semantik », in : Ulrich Hoinkes/Wolf Dietrich (edd.), Kaleidoskop der Lexikalischen Semantik, Tübingen, Narr, 19–30. Albrecht, Jörn (2002), Das Wort im Europäischen Strukturalismus, in : D. Alan Cruse et al. (edd.), Lexikologie. Ein internationales Handbuch zur Natur und Struktur von Wörtern und Wortschätzen, vol. 1, Berlin/New York, de Gruyter, 144–153. Albrecht, Jörn (22013, 12005), Übersetzung und Linguistik, Tübingen, Narr. Bachelard, Gaston (1957), La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin. Berkeley, George (1998, 11710), A Treatise Concerning the Principles of Human Knowledge, ed. Jonathan Dancy, Oxford, Oxford University Press. Butzkamm, Wolfgang (1980), Praxis und Theorie der bilingualen Methode, Heidelberg, Quelle & Meyer. Butzkamm, Wolfgang (1989), Psycholinguistik des Fremdsprachenunterrichts, Tübingen, Francke. Coseriu, Eugenio (2000), Structural semantics and « cognitive » semantics, Logos and Language 1, 19–42. Coseriu, Eugenio (2003), Geschichte der Sprachphilosophie. Von den Anfängen bis Rousseau, neu bearbeitet und erweitert von Jörn Albrecht, Tübingen, Francke. Fillmore, Charles (1985), Frames and the Semantics of Understanding, Quaderni di Semantica 6 (2), 222–254. Fuchs, Catherine/Robert, Stéphane (edd.) (1997), Diversité des langues et représentations cognitives, Gap/Paris, Ophrys. Hausmann, Franz Josef (1995), Von der Unmöglichkeit der kontrastiven Lexikologie, in : Peder H. Kromann/Anne Lise Kjær (edd.), Von der Allgegenwart der Lexikologie. Kontrastive Lexikologie als Vorstufe zur zweisprachigen Lexikographie, Akten des internationalen Werkstattgesprächs zur kontrastiven Lexikologie in Kopenhagen (29.-30.10.1994), Tübingen, Niemeyer, 19–23. Hegel, Georg Wilhelm Friedrich (1970), Werke in zwanzig Bänden, vol. 10 : Enzyklopädie der philosophischen Wissenschaften, Dritter Teil : Die Philosophie des Geistes, Frankfurt am Main, Suhrkamp. Jakobson, Roman (1959), On Linguistic Aspects of Translations, in : Reuben Arthur Brower (ed.), On Translation, Cambridge/Mass., Harvard University Press, 232–239. Kleiber, Georges (1990), La sémantique du prototype. Catégories et sens lexical, Paris, P.U.F. Ladmiral, Jean-René (2009), La traduction : de la linguistique à la philosophie…, in : Tatiana Milliaressi (ed.), La traduction : philosophie, linguistique et didactique, Villeneuve d’Ascq, Éditions du Conseil scientifique de l’Université Charles de Gaulle – Lille 3, 29–32. Ladmiral, Jean-René (2011a), La traduction : entre la linguistique et l’esthétique littéraire, in : Tatiana Milliaressi (ed.), De la linguistique à la traductologie. Interpréter/Traduire, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 45–52. Ladmiral, Jean-René (2011b), Approche méta-théorique, in : Christian Berner/Tatiana Milliaressi (edd.), La traduction : philosophie et tradition, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 23–40.  

























































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Les différents modèles de la sémantique lexicale

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Sciences du langage et traduction

Mirja Hanke, Daniele Moretti et Laura Sergo

19 Présuppositions et actes de langage dans le domaine des langues romanes Abstract : Actes de langage et présupposition seront d’abord abordés d’un point de vue théorique, ces deux domaines de la pragmatique ayant été pris en compte d’une manière différente par la linguistique contrastive et la traductologie. La deuxième partie portera sur les approches thématiques les plus significatives. Les études sont nombreuses dans le domaine des actes de langage concernant notamment les stratégies de la politesse comparées (par ex. par Gudrun Held) dans les langues romanes et germaniques, mais plus lacunaires dans d’autres secteurs, comme la traduction multimédia, l’interprétation ou la traduction littéraire et théâtrale. Dans le domaine de la présupposition, en revanche, on ne trouve que très peu d’études relatives à ses implications contrastives ou traductologiques.    

Keywords : actes de langage, présuppositions, politesse, traduction littéraire, traduction audiovisuelle    

1 Introduction Notre contribution a pour but de présenter des recherches relatives à la traduction dans le domaine des actes de langage et des présuppositions. Après un bref aperçu des approches théoriques, nous discuterons quelques études portant d’une part sur les rapports entre ces deux champs de la pragmatique et la traduction et d’autre part sur les perspectives qui en résultent pour la recherche traductologique dans les langues romanes.

2 Théorie 2.1 Actes de langage On fait généralement commencer l’histoire de la pragmatique moderne avec les œuvres des philosophes du langage Austin (1962), Searle (1979) et Grice (1967 ; 1989). Selon ces auteurs, la communication n’a pas primairement pour fonction de décrire le monde mais de produire des modifications de la réalité. Prenant leurs distances tant vis-à-vis du structuralisme que du générativisme, qui se concentraient prioritairement voire exclusivement sur les structures linguistiques au détriment de leur emploi dans la communication, ils ont élaboré la notion d’acte de langage, à partir de laquelle s’est  

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Mirja Hanke, Daniele Moretti et Laura Sergo

constitué le champ de la pragmatique, dont nous allons donner ci-dessous une présentation simplifiée. Dans ses conférences publiées sous le titre How to do Things with Words (1962), Austin remet en cause le postulat du caractère exclusivement descriptif du langage et établit la distinction entre les énoncés constatifs, qui décrivent des événements et peuvent être vrais ou faux, et les énoncés performatifs, qui sont destinés à modifier la réalité (Ducrot/Schaeffer 21995, 781), ne décrivent rien et ne peuvent donc être ni vrais ni faux (Moeschler/Reboul 1994, 35; Albrecht 22013, 211). Le critère d’évaluation des performatifs est celui de la réussite : il y a réussite lorsqu’est respectée une certaine « procédure, reconnue par convention, dotée par convention d’un certain effet et comprenant l’énoncé de certains mots, par de certaines personnes dans de certaines circonstances » (Slakta 1974, 93), ce qui n’implique donc pas que l’acte ait été vraiment réalisé. Se rendant compte par la suite que les constatifs aussi possèdent une valeur d’action – une affirmation est aussi une action (Ducrot/Schaeffer 21995, 782) –, Austin (1962) construit une théorie générale des actes de langage qui se veut applicable à tous les énoncés et propose une distinction entre trois actes que l’on accomplirait simultanément lorsqu’on dit quelque chose : 1) un acte locutoire, consistant à produire une suite de sons ayant un sens dans une langue donnée, 2) un acte illocutoire, consistant à faire quelque chose – ordonner, interroger, promettre, refuser etc. – et 3) un acte perlocutoire, consistant à produire des effets – pas forcément recherchés – sur l’interlocuteur ou la situation de communication (Moeschler/Reboul 1994, 42). Parmi ces actes, c’est l’acte illocutoire qui se trouve au centre de la théorie : dans l’énonciation, au contenu propositionnel d’un énoncé s’ajoute la composante appelée force illocutoire, qui donne à l’énoncé sa valeur d’acte (Kerbrat-Orecchioni 2001, 16). Quand il n’y a pas de correspondance biunivoque entre une réalisation linguistique et un acte, « quand dire, c’est faire une chose sous les apparences d’une autre » (ibid., 33), on parle d’acte de langage indirect. Les fonctions qu’un acte illocutoire peut assumer peuvent être signalées par des verbes performatifs. La taxinomie proposée par Austin (Moeschler/Reboul 1994, 44) comprend les actes verdictifs, essentiellement juridiques, comme acquitter, condamner, prononcer, décréter, classer, évaluer, etc. ; les actes exercitifs, correspondant au jugement que l’on porte sur ce qui devrait être fait, comme commander, ordonner, léguer, pardonner, etc. ; les actes promissifs, qui obligent le locuteur à adopter une certaine attitude ou à effectuer une certaine action comme promettre, faire vœu de, garantir, jurer de etc.; les actes comportatifs, qui impliquent une attitude ou une réaction face à la conduite ou à la situation des autres, comme s’excuser, remercier, déplorer, critiquer, etc.; et les actes expositifs, comme affirmer, nier, postuler, remarquer, etc., qui relèvent de la fonction métalinguistique : ce sont des actes du locuteur relatifs à sa propre activité discursive (Vernant 2011, 8). Searle (1979) perfectionnera la théorie des actes de langage de Austin et proposera une nouvelle classification basée sur des critères comme le but de l’acte illocutoire, la  



























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direction de la relation d’ajustement entre les mots et le monde, l’attitude d’un locuteur lorsqu’il accomplit un acte illocutoire ou la force avec laquelle le but illocutoire est présenté (Moeschler/Reboul 1994, 50). On fera donc la distinction entre actes représentatifs, dans lesquels le locuteur s’engage sur la vérité de la proposition exprimée ; actes directifs, en vertu desquels le locuteur cherche à faire faire quelque chose par l’interlocuteur ; actes promissifs, dont le but illocutoire est d’obliger le locuteur à accomplir certain(s) acte(s) ; actes expressifs, qui expriment l’état psychologique par rapport à l’état de chose spécifié dans le contenu propositionnel (félicitations, remerciements, etc.) ; et enfin actes déclaratifs, dans lesquels l’accomplissement de l’acte de langage crée une réalité qui correspond à son contenu propositionnel (baptiser, excommunier, licencier, etc.) (Moeschler/Reboul 1994, 52). La théorie des actes de langage joue un rôle important dans la linguistique contrastive et dans la traductologie : l’analyse des actes dans les langues source et cible permet aux traducteurs d’en reconnaître le type et d’interpréter donc correctement les énoncés du texte original afin de choisir les moyens linguistiques équivalents dans la langue cible (Albrecht 22013, 215).  













2.2 Présuppositions Comme le soulignent Moeschler/Reboul (1994, 201), à partir des années soixante-dix, la question de la présupposition a conduit à une multitude de travaux en sémantique et en pragmatique, lesquels ont exploré les approches les plus variées. Pour une vue d’ensemble, on peut se reporter à l’ouvrage de Levinson (1983), qui reprend de façon synthétique toutes les théories disponibles à l’époque. Parmi les nombreux chercheurs qui ont consacré des études au phénomène des présuppositions dans le domaine francophone, un rôle important revient à Ducrot (1972), qui offre une approche complètement différente de celle de ses prédécesseurs. Après quelques tentatives de description des présuppositions dans une perspective logiciste (c’est-à-dire pour décrire la valeur de vérité des propositions, par ex. Frege 1892 ; Russell 1905) – lesquelles ne seront pas traitées ici vu que cela demanderait une discussion approfondie qui sortirait du cadre de cette contribution –, un autre point de vue fut adopté par le philosophe britannique Strawson, qui a considéré la présupposition comme une « relation pragmatique entre énoncés » (Moeschler/Reboul 1994, 210). À partir de cette vision, deux approches différentes se sont développées : celle de Stalnaker (1974) et van der Auwera (1981), qui perçoivent les présuppositions comme des croyances ou conditions qui font partie d’un ensemble de situations possibles partagé par le locuteur et son partenaire de communication (Stalnaker 1974, 48) ; et celle de Ducrot, qui considère, lui, les présuppositions comme d’importantes conditions de cohésion du discours (Ducrot 1972 ; Moeschler/Reboul 1994, 218s.). La constatation à la base de la théorie de Stalnaker est que la communication a généralement lieu sur un fond de croyances et de faits considérés comme  











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acquis par les acteurs impliqués. Un acte de présupposition équivaut à effectuer un choix linguistique qui présume que les destinataires sont au courant de certaines conditions dans un certain contexte. Selon Ducrot, en revanche, il y a deux interprétations possibles du concept de présupposition : suivant la première, la présupposition correspond à l’ensemble des conditions nécessaires à l’emploi normal des énoncés ; suivant la seconde, les présuppositions sont des éléments du contexte de l’énonciation. Les deux possibilités peuvent être considérées parallèlement et la divergence entre elles dérive de la priorité assignée aux deux perspectives. L’approche de Ducrot essaie de réconcilier ces positions en sauvegardant la nature sémantique des propositions sans négliger l’élément pragmatique de l’énonciation. En supposant que toute illocution corresponde aussi à un acte de présupposition, Ducrot propose d’analyser les énoncés en distinguant deux types de contenu : le « posé », objet de l’assertion en tant que telle, et le « présupposé » donné comme acquis et non contestable. En effet, comme le soulignent Moeschler/Reboul (1994, 216), la terminologie utilisée par Ducrot correspond aux termes utilisés par les linguistes de la tradition anglo-saxonne d’assertion et de présupposition. On peut illustrer cette notion de présupposition par l’exemple suivant, que nous reprenons de Moeschler/Reboul (1994, 216) :  















« C a cessé de fumer » dont le contenu posé sera : « C ne fume pas actuellement » et le contenu présupposé : « C fumait auparavant ».  















La fonction discursive de la présupposition est révélée par l’observation du rôle du contenu présupposé dans le contexte du discours : en premier lieu, dans l’échange question-réponse, les présuppositions sont partagées, c’est-à-dire conservées, par toutes les deux ; en deuxième lieu, les présuppositions servent à créer une cohérence à l’intérieur du discours parce que, en se répétant d’énoncé à énoncé, elles fixent une certaine « redondance » qui permet la compréhension tout en faisant progresser l’enchaînement argumentatif (par ex. Ducrot 1968, 48). Les présupposés ne font donc pas partie du discours au niveau informationnel, mais ils en constituent le cadre (Moeschler/Reboul 1994, 219). Se fondant sur la description des fonctions des présuppositions élaborée par Ducrot (1972), Kerbrat-Orecchioni (1986, 25) a proposé une définition de la notion de présupposition qui se prête, par sa clarté, à servir de conclusion à notre aperçu sur l’approche pragmatique du problème : « [Les présuppositions sont] toutes les informations qui, sans être ouvertement posées, sont cependant automatiquement entraînées par la formulation de l’énoncé, dans lequel elles se trouvent intrinsèquement inscrites, quelle que soit la spécificité du cadre énonciatif ».  















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Présuppositions et actes de langage dans le domaine des langues romanes

3 Approche thématique Dans les chapitres suivants, nous présenterons les recherches portant sur les rapports entre actes de langage et présupposition d’une part, et traductologie ou linguistique contrastive de l’autre. Il faut cependant noter le manque de travaux relatifs aux relations entre présuppositions et traductologie ou linguistique contrastive. L’étude de Fawcett (1998) constitue une exception. Dans sa tentative d’identifier le rapport entre présupposition et traduction, Fawcett met en évidence les problèmes qui se posent quand le texte à traduire inclut des références déictiques à ‘nous’ comme dans les expressions « Notre attitude en tant que Français » (1998, 120) qui présupposent une implication que le lecteur de langue cible pourrait ne pas connaître. Le problème des présuppositions est donc lié au fait que celles-ci sont une stratégie d’économie de la langue, par laquelle un locuteur peut faire appel à des images parfois typiques du système culturel et encyclopédique de la langue source. Même si le traducteur partage le présupposé, il faut se demander si les destinataires sont eux aussi capables de repérer les informations nécessaires pour le processus de reconstruction du sens dans leur propre horizon culturel. Si cela n’est pas le cas, le traducteur doit se poser la question de la stratégie à adopter. Il est évident qu’il n’y a pas de solution standard et que, comme l’a souligné Reiss (1971, 79), cela dépend notamment de la typologie des textes et des destinataires. De plus, le traducteur doit être conscient des présuppositions qui existent dans la culture cible et de la manière dont elles pourraient influencer de façon proactive la traduction (Fawcett 1998, 122). Pour ce qui concerne le domaine des actes de langage, la plupart des études portent sur des secteurs spécifiques, comme par ex. la politesse, la textologie contrastive, la traduction littéraire et théâtrale, le sous-titrage et la synchronisation. Nous nous concentrerons sur les relations entre langues romanes, mais nous ferons aussi référence à d’autres langues comme l’anglais et l’allemand. Les travaux d’orientation contrastive nous aideront à compléter la vue d’ensemble, vu l’apport fondamental de cette discipline à la traductologie.  



3.1 Politesse La majorité des travaux de type contrastif ou traductologique portant sur les actes de langage concerne les stratégies linguistiques de la politesse. La politesse dans les interactions verbales devient un thème de recherche à la fin des années 70 grâce aux travaux de Lakoff (1973), de Leech (1983) et surtout de Brown/Levinson (1978 ; 1987). Dans leur optique, la plupart des actes de langage que l’on accomplit dans la vie quotidienne sont potentiellement « menaçants » pour les interlocuteurs (KerbratOrecchioni 2002, 3). Il s’agira donc d’identifier des normes ayant pour but de régler non seulement le langage « entre les hommes voulant avoir le meilleur commerce  







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possible entre eux » mais aussi leur comportement (Brunon 2000, 2), puisque ce n’est pas le contenu propositionnel qui peut être défini comme poli ou impoli et que son effet dépend de la force illocutoire avec laquelle il est exprimé (Thaler 2011, 63). Brown et Levinson ont élaboré une des théories les plus exhaustives, basée sur le concept de face introduit par Goffman en 1967 et défini comme l’image ou la « façade » que chacun donne de soi et offre au public (Goffman 1967, 4). Le modèle proposé par Brown et Levinson part des notions de face positive et négative, c’est-àdire « the want of every member that his wants be desirable to at least some others » et « the want of every ‹ competent adult member › that his action be unimpeded by others » (1987, 62). La politesse – on parle de politesse positive et négative – en tant que face work est un ensemble de procédés qui ont pour but d’éviter les actes menaçants pour la face (FTAs face-threatening acts) – tels que les ordres, conseils, intimidations, critiques etc., mais aussi les excuses et les compliments – en fonction du désir de garder les faces (face want) et de « permettre une gestion harmonieuse de la relation interpersonnelle » (Kerbrat-Orecchioni 1996, 94). Tout en reconnaissant que le système d’analyse de Brown et Levinson est très productif, Kerbrat-Orecchioni en mentionne aussi les faiblesses et en particulier le fait de refléter « une conception excessivement pessimiste, et même ‹ paranoïde ›, de l’interaction et des interactants » (Kasper 1990, 194, cité dans Kerbrat-Orecchioni 2002, 3). S’il est vrai qu’en général les stratégies de politesse ont pour but de préserver la face des interactants, il y a aussi, comme on vient de le dire, des actes de langage valorisants pour cette face comme le remerciement, le vœu, le compliment, etc. c’està-dire des actes « flatteurs » pour la face positive du destinataire (Kerbrat-Orecchioni 2002, 4). Selon Kerbrat-Orecchioni (ibid.), il est nécessaire d’ajouter au modèle théorique « une place pour ces actes qui sont en quelque sorte le pendant positif des FTAs » qu’elle propose d’appeler FFA (Face Flattering Acts). Les accusations d’ethnocentrisme faites au modèle de Brown et Levinson sont réfutées par Kerbrat-Orecchioni car « dans toutes les sociétés humaines, on constate l’existence de procédés de politesse qui permettent de maintenir entre les interactants un minimum d’harmonie » (ibid., 1), même si « la conception de face et de territoire ne sont pas conceptualisées partout de la même manière » (ibid., 7) et que les stratégies de politesse auxquelles on recourt sont différentes. Avant d’examiner les recherches de type contrastif ou traductologique dans le domaine spécifique de la politesse, il faut citer ici une étude, en quelque sorte anticipatrice, de Jörn Albrecht. Dans son essai de 1971, Albrecht analyse dans une perspective pragmatique les appellatifs français du type « Monsieur ! » ou « Madame ! » (présents aussi dans d’autres langues romanes) employés dans des actes tels que les salutations, les requêtes, les demandes et les appels dirigés vers des personnes inconnues. Ces appellatifs, utilisables pour tous ces actes dans les langues romanes, n’ayant pas d’équivalent en allemand, les traducteurs sont obligés de choisir des solutions chaque fois différentes selon le contexte.  















































   

   



Présuppositions et actes de langage dans le domaine des langues romanes

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Le modèle de Brown et Levinson est le point de départ des recherches sur la politesse de Gudrun Held, à qui l’on doit de nombreux travaux contrastifs publiés à partir de 1988 (Held 1988 ; 1994 ; 2003). Dans son importante étude de 1995, l’auteur propose une approche empirique qui, au moyen d’un questionnaire soumis à des interviewés à qui l’on demande de produire des réactions appropriées à la situation et de justifier leur choix, permet d’identifier et d’analyser les formes de politesse typiques des systèmes français, italien et allemand dans la réalisation du même acte de langage, en l’occurrence d’une requête. Les réponses au questionnaire montrent que malgré la diversité des langues examinées, il y a plus d’analogies que de différences dans la réalisation des actes de politesse (Held 1995). L’efficacité de cette méthode empirique est confirmée par Held dans sa révision critique de la recherche contrastive dans le champ de la politesse (Held 2011, 53). En partant d’une approche culturologique, Bonacchi (2013) propose pour l’italien, l’allemand et le polonais une analyse comparée des systèmes de communication verbale et non-verbale typiques d’une part des situations de politesse dont le but est de garder l’équilibre rituel entre interactants, et d’autre part des situations d’impolitesse dans lesquelles sont employées des stratégies visant à compromettre cet équilibre. Les résultats permettent d’éclairer des aspects interculturels mais aussi de fournir des instruments à la glottodidactique. Parmi les actes de langage employés dans la réalisation des stratégies de politesse, l’échange de compliments occupe une place importante et a fait l’objet de quelques études de type contrastif. En tant que stratégie de politesse positive (Probst 2003, 212), le compliment peut être défini comme « toute assertion évaluative positive, portant sur une qualité ou une propriété de l’allocutaire ou sur une qualité ou propriété d’une personne plus ou moins étroitement liée à l’allocutaire » (KerbratOrecchioni 1987, 5) et réalisée selon certains « patterns » (ibid., 3) caractérisés dans chaque culture par des particularités syntaxiques et sémantiques qui lui sont propres, leur valeur dans le discours, leur fonction et leur fréquence (Probst 2003, 215). Nous citerons ici deux études concernant les couples de langues allemand-français et allemand-italien. La première est celle de Julia Probst (2003), qui propose une approche empirique pour l’analyse du rôle des facteurs cités ci-dessus dans la production de compliments effectuée par des interviewés français et allemands. Les résultats montrent des analogies très remarquables entre les deux langues, ce qui s’explique, selon l’auteur, par l’affinité culturelle entre le monde germanophone et francophone (ibid., 221). La seconde est due à Miriam Ravetto (2012 ; 2013) qui étudie, elle aussi, l’influence de la culture et de la langue dans la production des séquences de compliments. Son analyse conversationnelle de séquences compliment-réponse chez des locuteurs italophones et germanophones montre qu’en général les interviewés germanophones attribuent plus d’importance à la vérité du contenu des compliments tandis que les italophones ont tendance à interpréter les compliments comme une requête d’information sur l’objet évalué positivement. Ces résultats montrent l’importance des compétences pragmatiques, qui peuvent être intégrées dans la didactique des langues  













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étrangères et de la traduction. Pour ce qui concerne ce dernier domaine, on citera Aline Willems (2014), qui critique l’absence de formules de politesse typiques de la langue utilisée dans des situations de distance communicative, c’est-à-dire, d’après la théorie développée par Koch/Oesterreicher (1985 ; 1990), quand les interlocuteurs ne se connaissent pas ou peu et communiquent d’une manière officielle, dans certains manuels scolaires allemands destinés aux élèves d’espagnol même de niveau avancé, ce qui comporte un manque de sensibilisation des élèves envers ces variétés linguistiquement marquées.  

3.2 Textologie et traduction Il existe un autre domaine dans lequel la traductologie s’appuie sur des considérations d’orientation pragmatique, c’est celui de la textologie contrastive. À partir de la notion de fonction textuelle, les chercheurs ont comparé certains genres textuels dans des langues différentes et ont analysé les moyens linguistiques qui sont utilisés pour exprimer les actes linguistiques à la base de ces fonctions. À titre d’exemple, on présentera ici les conclusions du travail de Michael Schreiber (2004), qui a comparé les actes linguistiques dans trois langues germaniques (l’anglais, l’allemand et le néerlandais) et, parallèlement, dans trois langues romanes (le français, l’italien et l’espagnol) pour montrer les différences entre l’allemand et les cinq autres langues. Il constate entre autres que les actes assertifs (ou représentatifs) qui se réfèrent, comme dans l’exemple ci-dessous, au futur immédiat, exprimés dans les langues germaniques avec le présent simple, sont traduits au futur dans les trois langues romanes prises en considération. « Danach kann der Bürstenaufsatz nicht mehr durch die Vibration gelockert werden. Ainsi, la brossette ne pourra pas se dévisser. Ello hará imposible que el cabezal del cepillo se suelte debido a la vibración. In questo modo la testina non potrà staccarsi per effetto delle vibrazioni » (Philips) (Schreiber 2004, 53).  



Une comparaison entre traductions peut offrir en outre des possibilités d’optimisation pour la didactique de cette matière. Dans le cas des actes directifs, Schreiber remarque que les formules déontiques allemandes du type « ist zu + infinitif » ne sont pas toujours univoques, ce qui peut causer de problèmes de traduction.1  



1 Comme dans l’exemple suivant, dans lequel les traducteurs ont utilisé les modaux « deber » en espagnol et « pouvoir » (dans sa forme négative) pour la version française (Schreiber 2004, 54) : « Das Auswechseln des Netzkabels und alle sonstigen Reparaturen sind nur vom autorisierten Melitta Kundendienst durchzuführen / La reposición del cable de alimentación y cualquier reparación necesaria deben ser realizadas por los servicios técnicos autorizados por Melitta. / Le cordon d’alimentation ne peut être remplacé que par un professionnel auquel il faut s’adresser pour toute réparation ».  













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Dans le même contexte, les instructions et les actes d’interdiction exprimés par le verbe modal « sollen » peuvent avoir une nuance de conseil donné à titre indicatif, tandis que dans les traductions française et italienne, on choisit de préférence l’infinitif à valeur impérative (Schreiber 2004, 54) :  





« Bei der Verarbeitung sollte eine haushaltsübliche Menge nicht überschritten werden und sich danach eine Einschaltpause anschließen. Ne pas faire fonctionner pour des quantités supérieures à celles d’un usage ménager ; faire une pause lorsque l’opération est terminée. Non superare la normale quantità per uso domestico nella lavorazione e farla seguire da un intervallo d’inserzione ».  





C’est sur ce même sujet que porte l’étude de Serra Borneto (1996), qui analyse la réalisation linguistique des actes de langage à partir d’un corpus de modes d’emploi italiens et allemands et parvient au résultat que, même si les structures et les mécanismes linguistiques à disposition dans les deux langues sont comparables, l’italien est caractérisé par un degré de standardisation moindre que l’allemand, tant pour ce qui concerne le niveau des actes exprimés que pour les aspects de la configuration des textes. Les travaux de Eckkrammer/Hödl/Pöckl (1999) se placent dans le contexte de la textologie ; ils sont consacrés à l’analyse des actes directifs dans deux genres textuels différents : les livres de cuisine et les notices des médicaments. Du point de vue diachronique, le constat tout à fait intéressant de Hödl (1999) est que, si l’allemand et l’anglais conservent, pour exprimer les actes directifs dans les recettes culinaires, l’infinitif et l’impératif, en français, c’est la 2e personne du pluriel de l’impératif qui constitue jusqu’aux années 70 du siècle dernier la forme la plus fréquente, avant d’être remplacée par l’infinitif dans les années 80. La même tendance a été enregistrée dans les livres de cuisine espagnols : si la forme infinitive était très peu courante jusqu’aux années 70, dans les années 90 la moitié des verbes contenus dans les recettes espagnoles était à l’infinitif. Pour ce qui est des notices de médicaments, en comparant les expressions directives des langues romanes avec celles de l’allemand, Eckkrammer (1999) remarque que les notices italiennes sont caractérisées par une profusion de termes spécialisés, qui n’est guère compatible avec le principe d’intelligibilité des informations pour les utilisateurs finaux. Eckkrammer explique ce phénomène par le souci (des firmes/des rédacteurs de notices) d’inspirer confiance aux patients, ce qui aurait l’effet inverse sur un public allemand.  





3.3 Traduction littéraire et théâtrale Parmi les recherches portant sur les actes de langage dans le domaine de la traduction littéraire et théâtrale, il faut citer encore une fois celles sur les stratégies

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de politesse dont on vient de parler et qui font l’objet de plusieurs études. Nous nous bornerons toutefois à en citer deux : celle de Hickey (2000), qui analyse des extraits de Therapy, roman de David Lodge contenant des expressions de politesse négative typiques de la culture britannique, ainsi que leur version espagnole ; et celle de Lorés Sanz (1998), consacrée à l’adaptation d’un texte théâtral, à savoir la pièce Cat on a hot tin roof de Tennessee Williams et sa traduction en espagnol (La gata sobre el tejado de zinc caliente). Ces études ont pour but de décrire la spécificité culturelle des menaces à la face et les stratégies de compensation adoptées dans les traductions. Les auteurs parviennent à la conclusion que, dans leur travail de transfert, les traducteurs doivent tenir compte des attentes du public de la culture cible concernant les réalisations linguistiques d’actes de politesse, lesquels sont le reflet des traditions culturelles et ne correspondent donc pas nécessairement à celles du texte source. Le texte dramatique n’est pas la simple reproduction d’un dialogue authentique mais plutôt la représentation artistique d’un tel dialogue « guidé en sous-main par des considérations d’efficacité dramatique » (Ducrot/Schaeffer 21995, 747). Dans le théâtre, les lois du dialogue sont certes appliquées ou imitées, mais aussi transformées dans leurs caractéristiques fonctionnelles et esthétiques, puisqu’il ne faut pas oublier la fonction esthétique de la langue dans ce domaine, comme en littérature. Le résultat est un dialogue non authentique qui suit des stratégies particulières (Blaikner-Hohenwart 2001b, 229). Dans ses travaux sur la traduction pour le théâtre, Gabriele BlaiknerHohenwart (2001a ; 2001b) analyse un choix de versions allemandes des comédies de Molière en s’appuyant sur la conception de Invarianzforderung (Albrecht 1990 ; 2005 ; Schreiber 1993) et sur la classification des méthodes et des procédés du transfert interlingual élaborée par Michael Schreiber (1993). Le maintien de l’efficacité dramatique étant, dans la traduction pour la scène, l’Invarianzforderung du rang le plus élevé, il s’agira de garder, dans le cas de Molière, les éléments de type pragmatique appellatifs qui caractérisent ses textes et, parmi eux, les actes de langage représentés par les dialogues, qui correspondent au niveau extra-textuel à des normes sociales (Blaikner-Hohenwart 2001b, 231). C’est aussi sur la traduction théâtrale que portent deux études de Gudrun Held (1983) et de Cornelia Feyrer (2003). Held (1983, 317) analyse la relation entre les actes de langage et l’emploi des mots du discours allemands mal, doch, schon, halt/eben, nur, bloß, ja, utilisés pour renforcer ou atténuer les actes directifs dans des textes de théâtre, et les stratégies employées pour rendre en italien, langue moins riche en mots du discours, les effets pragmatiques correspondants. Feyrer (2003) examine le rôle des expressions modalisantes, en particulier des mots de discours allemands et de leurs correspondants en français. Le transfert de ces éléments modalisants de l’allemand en français est un défi pour les traducteurs, en particulier dans la traduction littéraire puisque, dans les textes littéraires, l’emploi de ces modalisateurs est conditionné non seulement par des facteurs textuels et pragmatiques liés aux normes spécifiques de chaque langue, mais aussi par l’intention de l’auteur.  













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3.4 Traduction audiovisuelle : doublage et sous-titrage  

Comme la traduction de l’opéra, du théâtre, des livres illustrés, de la BD, etc., la traduction audiovisuelle mêle différents systèmes sémiotiques (Gambier 2008, 1056). Les problèmes fondamentaux de ce type de transfert concernent donc aussi bien « la relation entre sons et parole, la relation entre langue(s) étrangère(s) et langue d’arrivée, et […] la relation entre code oral et code écrit » (Gambier 2004, 1), que la relation entre les éléments dialogue, film et public (Gottlieb 2001, 171). Parmi les divers types de traduction audiovisuelle, nous nous bornerons à présenter quelques recherches concernant des aspects pragmatiques dans les domaines du doublage et du soustitrage. Le doublage et le sous-titrage ont pour fonction commune de permettre aux spectateurs de suivre un film dont ils ne maîtrisent pas la langue originale (Reinart 2004, 74). Le doublage est une forme de traduction « qui doit à la fois préserver la transmission du sens de l’original (intrigue, caractérisation des personnages) et faciliter le travail du spectateur » (Brisset 2010, 63), lui fournir une sorte de covert translation (House 1997). Le texte source et le texte cible sont destinés à la diffusion orale comme le texte dramatique : « les accidents de langage » (Ducrot/Schaeffer 21995, 747), typiques de la conversation, mais aussi d’autres facteurs de type diatopique et diaphasique ainsi que des éléments non verbaux ont ici une fonction pragmatique et communicative bien déterminée, qui n’est pas toujours la même dans les communautés linguistiques de départ et d’arrivée (Gambier 2008, 1054). Le sous-titrage est une forme d’adaptation (Schreiber 1993, 305) complexe dans laquelle on passe d’un code oral à un code écrit avec le risque d’une perte d’information due à la nécessité de résumer et d’abréger le texte pour en assurer ou faciliter la réception par les spectateurs qui doivent lire le texte sur l’écran. Parmi les éléments qui subissent des modifications ou qui sont tout simplement éliminés dans ce processus de compression, on trouve surtout les caractéristiques du discours oral, comme les redondances, les reformulations, les hésitations, les répétitions, les phrases incomplètes, les anacoluthes etc., les mots du discours, et aussi les gros mots qui sont souvent omis, édulcorés ou remplacés par des expressions neutres, ce qui entraîne une sorte de « Purifizierung » (ibid., 275). La dimension pragmatique joue donc un rôle important dans le domaine du doublage et du sous-titrage, qui, dans les dernières décennies, ont fait l’objet de nombreuses études de type linguistique et traductologique (comme par ex. dans le volume de Heiss/Bollettieri Bosinelli 1996, cf. aussi Plack/Reinart ↗35 Doublage et sous-titrage de films dans la Romania). Le doublage en italien du film Mujeres al borde de un ataque de nervios (Donne sull’orlo di una crisi di nervi) de Pedro Almodóvar est analysé par Capanaga/Navarro/ Rodrigo (1996). Le film est caractérisé par l’emploi non conventionnel ou ironique d’éléments comme les pronoms allocutifs ainsi que par des moyens d’expression des émotions tels que les diminutifs et les dysphémismes, dont la fonction communicative est de créer une collision entre la situation et l’expression linguistique et de produire de cette manière des effets comiques. Dans le doublage, par contre, on a adapté  

















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l’expression linguistique à la situation en éliminant ce contraste : le résultat est donc une atténuation de l’effet parodique et comique. Blini/Matte Bon (1996) analysent les stratégies utilisées quand on passe du texte oral au texte écrit dans le sous-titrage italien des films en langue espagnole, en particulier l’élimination de redondances et d’éléments supposés non indispensables pour la compréhension de l’intrigue, comme les marqueurs du discours et les connecteurs dont le rôle pragmatique est cependant important pour la réception du texte. Il en résulte que les solutions proposées pour le sous-titrage sont souvent inadéquates, surtout du point de vue pragmatique. Les auteurs soulignent qu’il faudrait en revanche mettre au premier plan l’aspect illocutoire du texte avec le but de reproduire – après avoir analysé les éléments pragmalinguistiques du texte source – les actes linguistiques de l’original dans la langue cible. La fonction pragmatique des pronoms allocutifs dans des contextes de politesse et les problèmes de leur transfert dans la langue cible sont l’objet d’autres recherches traductologiques et contrastives : on citera ici l’étude de Bruti (2006) portant sur les allocutifs anglais et leur correspondants dans les sous-titres italiens ainsi que l’étude de Villacampa Bueno (2005) portant sur le sous-titrage et le doublage françaisespagnol, deux langues qui possèdent des formes analogues du point de vue morphosyntaxique (« tu/vous » et « tú/usted ») mais dont les domaines d’utilisation ne coïncident pas toujours. L’emploi d’un allocutif inadéquat à la situation de communication pourra conduire à un manque de crédibilité de la situation dans le texte cible.  











3.5 Interprétation Les recherches sur les aspects pragmatiques (actes de langages, présuppositions) de l’interprétation ne sont pas nombreuses et portent principalement sur les stratégies de politesse chez les interprètes, surtout non professionnels. Un premier exemple de ce type d’études nous est livré par le travail de Krüger (1997) qui examine les stratégies de politesse dans les situations d’interprétation de liaison,2 qu’elle appelle « interprétation bilatérale ». En partant du fait que, dans toute situation de communication face-à-face, le tact et la politesse « sociale » (réglée par les normes et conventions sociales) jouent un rôle-clé, l’auteur constate que la présence de l’interprète (non professionnel) dans les situations soumises à l’interprétation de liaison augmente la distance entre les locuteurs, et que, de plus, les stratégies de politesse subissent un processus de médiation et de filtrage par l’interprète lui-même, qui, du fait qu’il possède lui aussi une face, cherche à la sauvegarder.  







2 L’interprétation de liaison est une technique employée lors de rencontres en petit comité, au cours de négociations ou d’entretiens en tout genre, dans laquelle l’interprète reproduit le dialogue phrase par phrase ou par petites sections.

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Krüger identifie en outre un aspect intéressant, surtout du point de vue de la didactique de l’interprétation, à savoir les différences d’usage des formules d’appel non seulement entre l’allemand et l’espagnol ibérique, mais aussi entre ce dernier et l’espagnol de l’Amérique Latine (Sie, tu, vos). Knapp-Potthoff (1992) arrive aux mêmes conclusions pour le couple allemand-anglais dans son analyse de la communication réalisée par la médiation d’interprètes non-professionnels. Le comportement de ces derniers (ISM Interprétation en milieu social) pendant des situations de consultation médicale est aussi au centre du travail de Merlini/Falbo (2011). Sur la base des considérations théoriques de Brown/Levinson (1978 ; 1987) aussi bien que de KerbratOrecchioni (1992 ; 2005), les auteurs analysent les situations d’interprétation (anglaisitalien-français) selon trois points de vue : le face-work, le turn taking et le footing, c’est-à-dire « le changement dans l’attitude que nous prenons à l’égard de nousmêmes et des autres présents […] » (Goffman 1987, 138). Dans ce contexte, l’interprète reproduit pas à pas les stratégies de politesse utilisées par le médecin, mais modifie la force illocutoire des énoncés en soulignant ou signalant en même temps ne pas être l’auteur de l’énonciation, et ce pour préserver sa face lorsque le médecin modifie son attitude envers le patient.  









4 Conclusion Le but de notre contribution était de présenter un choix de recherches représentatives portant sur l’interrelation entre traductologie et linguistique contrastive d’un côté, et pragmatique de l’autre, en particulier par rapport aux actes de langages et aux présuppositions. Dans le domaine des actes de langage, cette interrelation a produit un nombre assez considérable de travaux, parmi lesquels les études sur les stratégies de politesse jouent un rôle prééminent. Y sont également représentés des secteurs encore un peu négligés, comme la traduction multimédia, l’interprétation, la traduction littéraire et théâtrale. On n’y trouve en revanche que très peu d’études concernant la relation entre présuppositions et traductologie/linguistique contrastive. Ces résultats nous ont donc permis de repérer certaines lacunes, que des recherches futures devraient combler. Nous pensons en particulier à une exploration plus profonde de la relation entre actes de langage dans les domaines de l’interprétation et de la traduction multimédia et littéraire/théâtrale. Pour ce qui concerne en particulier les recherches sur les présuppositions, il nous semble qu’on pourrait aboutir à des résultats intéressants, surtout dans le domaine de l’interprétation (simultanée, consécutive et de liaison, etc…), mais aussi dans la traduction multimédia. Dans cette optique, nous considérons cette contribution comme une invitation à approfondir les recherches dans les domaines négligés jusqu’ici, en y incluant aussi les implications didactiques pour la formation des nouvelles générations de traducteurs et d’interprètes.

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20 Énonciation et traduction Abstract : Dans la présente contribution, nous essayerons de discuter le rapport entre les phénomènes énonciatifs et la traduction. Nous aborderons d’abord les idées de base et le champ d’études de la linguistique énonciative en nous concentrant en particulier sur trois approches : autonymie, dialogisme et polyphonie linguistique. Ensuite, nous parlerons plus en détail des problèmes de traduction liés à deux phénomènes énonciatifs : l’argumentation et le discours rapporté. En prenant en compte entre autres les idées de Ducrot et d’Anscombre sur l’argumentation dans la langue, nous présenterons une série d’études pertinentes qui analysent la structuration et le marquage de l’argumentation dans les textes traduits ainsi que dans la critique de traduction. Pour le discours rapporté, enfin, nous donnerons un bref aperçu des travaux portant sur la traduction du discours direct et du discours indirect et finalement du discours indirect libre, un sujet majeur de la linguistique énonciative et de la traductologie.    





Keywords : linguistique énonciative, dialogisme, polyphonie, argumentation et traduction, discours rapporté dans la traduction    

1 Introduction Dans cette contribution, nous essayerons de présenter la recherche actuelle concernant la traduction des phénomènes énonciatifs. Bien évidemment, comme c’est le cas pour toute notion générique, il va d’abord se poser le problème de la délimitation du champ. Depuis les travaux précurseurs de Bally (cf. Chiss 1985 ; 1986), le dialogisme bakhtinien et surtout les Problèmes de linguistique générale de Benveniste (1976), la perspective énonciative appliquée à l’analyse des phénomènes langagiers connaît, dans le domaine francophone, un succès considérable, comparable peut-être aux changements paradigmatiques qu’ont expérimentés les sciences du langage avec l’apparition de la linguistique pragmatique et de la linguistique cognitive. Ceci s’explique sans doute par la simplicité et le caractère générique de l’idée de base de la linguistique énonciative, consistant à faire la distinction entre ce qui est dit ou décrit par la langue dans les énoncés et les moyens linguistiques qui font référence d’une façon ou d’une autre à (la situation de) l’énonciation, laquelle serait, comme disait Benveniste (1970, 12), « la mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation » ou, selon Ducrot, « l’événement historique, constitué par le fait qu’un énoncé a été produit » (1995a, 603). Or, la description informelle que nous venons de fournir – référence à la situation de l’énonciation par des moyens linguistiques – n’est pas, bien sûr, suffisamment précise ni en ce qui concerne la notion d’énonciation (il y  









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a au moins deux interprétations possibles de ce terme : production réelle, matérielle d’un énoncé ou présentation d’un événement langagier réel ou virtuel comme produit par un certain énonciateur dans une certaine situation) ni en ce qui concerne la situation de l’énonciation qui peut comporter des éléments d’espace et de temps, des participants, une certaine perspective et tout ce qui peut être associé à tout cela par contiguïté. Il en résulte que peuvent être considérés comme relevant de l’énonciation des phénomènes très différents comme, entre autres, les déictiques, les temps et modes verbaux, le lexique expressif ou évaluatif, les interjections, les modalités, les adverbes d’énonciation, le discours rapporté, la mise en relief, l’argumentation, la polyphonie (qui, elle aussi, témoigne du même flou productif que l’énonciation), etc. On voit ici une certaine analogie avec la notion de pragmatique, définie dans la tradition morrisienne comme la relation entre les signes et leurs usagers, ce qui peut être compris comme toute partie de sens ne pouvant être interprétée qu’en considérant les participants à la communication ou par contiguïté comme une théorie des actes de langage réalisés dans l’interaction ou même dans un sens très vaste comme tout emploi de la langue spécifiquement lié à une certaine catégorie d’interlocuteurs, en arrivant ainsi dans le champ de la variété et de la sociolinguistique. En outre, on comprendra facilement les difficultés de délimitation entre énonciation et pragmatique, ce qui s’explique par le lien de ces approches avec l’objectif commun d’analyser des phénomènes ascriptifs (cf. Perrin 2010).1 Vu l’ampleur du champ et l’espace limité disponible pour notre présentation, un choix s’impose. Après un très bref aperçu de l’histoire de la notion et de quelques approches importantes dans ce domaine, nous discuterons un peu plus en détail deux champs spécifiques qui relèvent de l’énonciation : l’argumentation, dont la réalisation linguistique implique la caractérisation des énonciations dans leur fonctionnement au sein de l’organisation textuelle, et le discours rapporté, qui fait partie sans aucun doute du noyau prototypique du champ de phénomènes énonciatifs. Toujours par manque de place, nous ne mentionnerons – brièvement – que quelques ouvrages de référence pour chaque champ, choisis parmi beaucoup d’autres (un choix évidemment toujours contestable) et nous discuterons les analyses qui prennent explicitement en considération ces phénomènes dans le contexte de la traduction, en nous concentrant sur les travaux où au moins une langue romane est prise en considération. Ce faisant, nous essayerons d’identifier quelques ouvrages parmi les plus importants pouvant constituer une bibliographie de base pour le champ en question.  



1 Les approches ascriptivistes contestent le statut primordial de la description du monde (réel ou virtuel) en tant que fonction de la langue et considèrent comme fondamentales les fonctions de l’ordre pragmatique (comme dans la théorie des actes de langage), énonciatif ou textuel (comme dans la pragmatique intégrée de Ducrot et Anscombre).

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2 Énonciation : les idées de base, le champ d’études et quelques cadres théoriques  

Nous avons déjà mentionné le rôle des travaux de Bally (1932, 31ss.) avec sa distinction entre modus et dictum, entre sujet modal et sujet parlant et l’accentuation de l’importance de l’affectif dans la langue ainsi que la notion de dialogisme de Bakhtine dans le développement de la vision énonciative de la langue. Mais c’est évidemment Benveniste (1976 ; 1970) qui a influencé le plus le développement des études sur l’énonciation en proposant toute une série d’analyses spécifiques des phénomènes langagiers liés à l’énonciation, lesquelles comportaient de très importantes considérations sur les déictiques, sur la distinction entre le discours et le récit en tant que plans d’énonciation et sur la délocutivité. Les théories linguistiques qui se réclament de quelque façon de cette tradition ont rencontré beaucoup de succès dans la linguistique francophone. En ne prenant en considération que les travaux qui se réclament des théories du dialogisme dans la tradition de Bres/Nowakowska, de la polyphonie linguistique de Ducrot, Anscombre, Nølke etc. et de l’autonymie de Rey-Debove et Authier-Revuz, nous trouvons dans les seules années 2002–2013 pas moins de 11 numéros spéciaux de revues linguistiques consacrés à ces thématiques (Langue française 161–164, Langage 149 et Cahiers de praxématique 41, 43, 45, 49, 56, 57). En ce qui concerne les ouvrages monographiques et collectifs, on pourrait citer parmi beaucoup d’autres : Authier-Revuz/Doury/Reboul-Touré (2002) ; Nølke/Fløttum/Norén (2004) ; Bres et al. (2005) ; Perrin (2006) ; Birkelund/Mosegaard Hansen/Norén (2008) ; Kratschmer/Birkelund/Therkelsen (2009) ; Dendale/Coltier (2011) ; Birkelund/Nølke (2012) ; Bres et al. (2012) ; Gévaudan/Atayan/Detges (2013). Nous allons caractériser maintenant ces trois groupes d’approches en matière de phénomènes énonciatifs. L’autonymie, dont l’étude s’est développée dans le sillage des travaux de ReyDebove (1978 entre autres), dont les idées ont été reprises surtout par Authier-Revuz (cf. par ex. 1995), est considérée comme une dimension universelle de la langue (Authier-Revuz 2002, 67). Il est facile de trouver, en effet, dans toute langue naturelle des éléments métalinguistiques qui permettent de faire référence par la langue à l’emploi de la langue. Dans ce vaste champ, on considère comme autonymique surtout le fait de prendre directement des signes linguistiques comme objet de communication (Authier-Revuz 2002, 68). La réflexivité autonymique peut se manifester sous deux formes différentes qu’Authier-Revuz (2002, 71s.) appelle autonymie ou mention simple d’un signe et connotation ou modalisation autonymique. Dans ce dernier cas, on retrouve dans un même énoncé l’emploi « ordinaire » d’un signe et un commentaire plus ou moins explicite de cet emploi. En bref, l’autonymie simple commente le signe en tant qu’élément de la langue, la connotation autonymique commente d’une façon méta-énonciative le dire, donc l’emploi des signes dans la parole. Du point de vue linguistique et traductologique, c’est surtout la connotation  





























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autonymique qui présente à nos yeux un intérêt particulier. Les langues naturelles fournissent un vaste éventail de formes lexicales et structurelles qui permettent cette forme de référence à l’énonciation dans la parole. À ce sujet, Authier-Revuz (2002, 87ss.) propose la distinction entre le dialogisme interdiscursif, qui présente les mots comme empruntés à une autre instance générique ou spécifique (par ex. : X, pour parler de manière vulgaire, pédante…, X, pour reprendre le mot de…), et le dialogisme interlocutif, par lequel l’emploi des mots est de quelque façon relativisé : ils sont présentés comme une sorte de proposition à l’interlocuteur (par ex. X, si vous voulez ; X, si vous voyez ce que je veux dire). Sémantiquement les faits autonymiques peuvent fournir un commentaire sur l’adéquation de la désignation (X, au sens strict, X, ou plutôt Y) ou sur l’interprétation précise des signes (X, au sens p).2 Évidemment, ces procédés sont d’une importance cruciale dans la traduction, car ils donnent, d’un côté, une instruction précise concernant le sens à verbaliser dans une autre langue mais introduisent, de l’autre, une dimension métalinguistique dans le texte, ce qui peut occasionner assez systématiquement des problèmes de traduction dans le cas de non correspondance entre les deux langues en question. Jacques Bres et Alexandra Nowakowska ont développé depuis plus de 15 ans la théorie du dialogisme en prenant explicitement les travaux de Bakhtine comme point de départ. Au cœur de cette vision se trouve l’idée que le sens linguistique s’actualise toujours dans une relation à d’autres sens, que tout énoncé interagit avec d’autres énoncés précédents ou suivants et que chaque discours est orienté vers d’autres discours (Bres/Nowakowska 2006, 22s.). La notion générale de dialogisme se manifeste sous des formes différentes, parmi lesquelles ces auteurs distinguent (ibid., 24ss.) : le dialogisme constitutif (où l’identité et l’individualité du sujet du discours sont elles-mêmes des phénomènes discursifs), le dialogisme interdiscursif (au sens de la réactivité constitutive de chaque produit linguistique, même écrit et monologique, à des discours précédents concernant le même sujet), le dialogisme interlocutif, qui s’oriente vers l’interlocuteur prévu et enfin le dialogisme intralocutif/autodialogique, qui correspond à la relation entres les énoncés provenant de la même instance énonciative. On notera, d’un côté, les ressemblances entre les dialogismes interdiscursif et interlocutif et la vision théorique d’Authier-Revuz (qui établit entre autres la distinction entre l’hétérogénéité constitutive du discours et l’hétérogénéité montrée dans le discours, 1984, 106) et, de l’autre, l’analogie entre le dialogisme intralocutif et la polyphonie ducrotienne, surtout en ce qui concerne la distinction entre les instances de locuteur (v. infra). L’énoncé dialogique3 est considéré comme une structure constituée par deux énoncés dont l’un, l’enchâssant, « répond » à l’autre, énonciativement enchâssé, privé normalement de l’actualisation situative et déictique et pré 









2 Les exemples sont empruntés à Authier-Revuz (2002). 3 Dans la tradition francophone, la distinction entre dialogique au sens d’interaction énonciative/ polyphonique en général et dialogal au sens de relatif à un dialogue réel est désormais bien établie.

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senté d’une façon plus ou moins ouverte. Parmi les phénomènes analysés sur la base de la théorie du dialogisme, nous trouvons des manifestations lexico-sémantiques, comme le choix de désignation et l’autonymie, mais aussi et surtout grammaticales au sens large (la négation, la confirmation, la concession, la présupposition, l’interrogation, la comparaison, la phrase clivée etc.) ainsi que discursives comme l’ironie, la reprise-écho, le discours rapporté (cf. la liste détaillée dans Dendale/Coltier 2006, 287). La théorie de la polyphonie linguistique dans la tradition ducrotienne se situe dans le cadre de la linguistique énonciative en se réclamant de l’ascriptivisme en tant que position de base : le sens descriptif de l’emploi de la langue est considéré comme secondaire (cf. Perrin 2010, 71ss.). Le sens d’un énoncé est défini à partir de l’énonciation :  



« Interpréter un énoncé, c’est y lire une description de son énonciation, autrement dit, le sens d’un énoncé est une certaine image de son énonciation, image qui n’est pas l’objet d’un acte d’assertion, d’affirmation, mais qui est, selon l’expression des philosophes anglais du langage, ‹ montrée › » (Ducrot 1980, 30).  



   

Les deux éléments-clés de cette approche théorique sont l’interprétation argumentative de la sémantique et la théorie de la polyphonie linguistique. La notion d’argumentation dans la langue, présentée en détail dans Anscombre/Ducrot (1983),4 signifie une réinterprétation de l’idée de sens d’un énoncé : celui-ci est déterminé, pour Ducrot et Anscombre, par les possibilités et impossibilités des enchaînements discursifs – indépendamment de la description d’un élément du monde réel ou virtuel. C’est donc dans ces termes-là que l’image de l’énonciation constitue le sens d’un énoncé : l’apparition d’un énoncé est vue comme permettant ou interdisant certains enchaînements argumentatifs, ce qui correspond à sa contribution à la cohérence du discours. Dans les développements récents de la théorie (cf. par ex. Carel/Ducrot 1999 ; Ducrot 2002), Ducrot et Carel proposent une extension de la description argumentative au lexique sous forme d’argumentations externes et internes associées à chaque mot. La notion de polyphonie permet d’introduire une dimension récursive dans la définition énonciative du sens. Dans cette vision théorique, l’énonciation est considérée comme une mise en scène réalisée par le locuteur qui fait parler plusieurs voix superposées, des énonciateurs, et prend position par rapport aux points de vue, objets sémantiques construits par les énonciateurs. Au-delà de cette figure du locuteur « en tant que tel », dont le seul trait est justement d’être représenté par l’énoncé comme l’origine de l’énonciation (en cela il est parfois différent du sujet parlant en tant qu’instance qui produit matériellement l’énoncé), Ducrot introduit un type spécial d’énonciateur, le « locuteur en tant qu’être du monde », auquel sont attribués les points de vue du locuteur préalables au discours, entre autres tout ce qui est formulé par ou dit sur un  













4 Une grande partie des idées centrales se trouvent déjà dans Ducrot (1972) et Ducrot et al. (1980).  

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je ou nous explicite (cf. aussi la discussion dans Nølke 2005). En outre, la fonction d’énonciateur peut être assumée par d’autres images discursives, dont l’interlocuteur, des tiers spécifiés ou non spécifiés, l’énonciateur générique (on) etc. Ainsi, dans Pierre n’est pas là, le point de vue actualisé polyphoniquement Pierre est là, dont le locuteur se distancie, n’est attribué spécifiquement à aucune instance. Par contre, dans Il semble que Pierre est là, c’est le locuteur en tant qu’être du monde qui est responsable du point de vue Pierre est là.5 Dans Il paraît que Pierre est là, le point de vue est attribué à un tiers spécifique (mais non spécifié). Les notions de base de la théorie – énonciateur, point de vue, attitude du locuteur en tant que tel par rapport aux points de vue – font donc l’objet des discussions qui ont conduit à la différenciation du champ théorique et à la création de ses versions particulières (cf. Dendale/Coltier 2006 pour une comparaison du dialogisme et de deux versions de la polyphonie, celle « classique » de Ducrot et la Scapoline de Nølke et de ses collègues scandinaves, qui ont proposé une formalisation détaillée de la théorie, ainsi que Anscombre 2009 ; Dendale/Coltier 2005 ; Haillet 2008). Quant au champ des phénomènes étudiés dans ce cadre théorique, il ressemble en partie à celui du dialogisme. La structure interne du champ peut être classifiée entre autres selon les critères suivants (Atayan/Gévaudan en préparation) : 1. polyphonie microstructurelle ou macrostructurelle : il s’agit de savoir si on peut (et doit) considérer comme polyphoniques les relations qui vont au-delà d’un seul énoncé (c’est le choix de Nølke/Fløttum/Norén 2004 ainsi que de Ducrot lui-même dans sa description de 1984, 229s., cf. Atayan 2009a pour la position opposée). 2. La polyphonie peut être produite par un élément dit, donc propositionnellement et prédicativement accessible (Françoise dit que Pierre est malade) ou exprimée par une expression « montrée » (Pierre est soi-disant malade), dans lequel la dimension polyphonique ne peut être ni niée ni remise en question (cf. la discussion des expressions à sens montré dans Nølke/Fløttum/Norén 2004, 70ss.). 3. La polyphonie peut être un produit de la langue (comme dans le cas de la négation) ou déclenchée par le contexte (comme par ex. dans le cas du discours indirect libre). 4. Certains phénomènes comme le discours rapporté sont polyphoniques au niveau intuitif, d’autres, comme la négation ou la présupposition, le sont seulement dans le cadre de la théorie. 5. On peut enfin distinguer entre la situation où deux énonciations de fait se produisent (par ex. discours rapporté) et la présence de deux points de vue d’énonciateurs dans l’énoncé, qui ne sont pas nécessairement attribuables aux locuteurs spécifiques, comme dans le cas de la négation. Les phénomènes décrits dans la théorie de la polyphonie linguistique et dans la recherche sur le dialogisme (cf. Dendal/Coltier 2006) sont évidemment très intéressants du point de vue traductologique, puisqu’ils sont omniprésents dans les langues.  



















5 Le locuteur en tant que tel peut parfaitement aussi se distancier du point de vue du locuteur en tant qu’être du monde, comme par exemple dans le cas de la particule allemande doch. L’exclamation « Peter ist DOCH da » est souvent interprétable au sens de « Contrairement à ce que j’avais pensé, Pierre est là ».  







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De plus, il est possible d’interpréter la traduction elle-même comme un phénomène particulier d’énonciation ou plutôt de ré-énonciation (comme dans l’œuvre de Folkart 1991). Tricás Preckler (1991, 517ss.) propose de considérer la traduction comme un jeu polyphonique dont elle définit trois modalités possibles. La première correspond à la situation où le traducteur, malgré les différences considérables entre les situations énonciatives du texte original et de la traduction assume l’univers discursif de l’original comme le sien, par exemple en préservant dans la traduction les références culturelles spécifiques du texte original. La deuxième modalité correspond à l’adaptation, donc à une transposition du texte vers le monde énonciatif de la langue-cible. Enfin, la troisième modalité se manifeste lorsque les situations énonciatives sont plus ou moins identiques dans les deux langues (par ex. dans les textes techniques ou scientifiques). Pourtant, les études générales dédiées à la relation entre énonciation/ polyphonie/dialogisme et traduction sont, sauf erreur de notre part, plutôt rares, ce qui s’explique probablement par l’ampleur et la relative hétérogénéité du champ en question. Par contre, certains phénomènes énonciatifs particuliers sont assez bien étudiés. Nous avons choisi de présenter ici la recherche concernant l’argumentation et le discours rapporté. Ce choix s’explique non seulement par l’existence d’une quantité considérable d’analyses pertinentes dans ces domaines, mais aussi par les différences du statut énonciatif dans les deux cas. Le côté énonciatif de l’argumentation consiste en une auto-caractérisation par le locuteur de sa propre énonciation dans sa fonction argumentative, tandis que le côté énonciatif des différentes formes du discours rapporté est directement évident, étant donné qu’il s’agit dans ce cas systématiquement d’un dédoublement énonciatif plus ou moins explicite.

3 Argumentation et traduction 3.1 Argumentation : choix définitoires  

Avant d’analyser le rapport entre argumentation et traduction, il faut évidemment préciser deux points : d’abord, qu’entendons-nous par argumentation et, ensuite, en quoi l’argumentation serait-elle un phénomène énonciatif ? Nous prendrons en considération ici deux acceptions de la notion d’argumentation dans la recherche des dernières décennies : celle, plutôt classique, selon laquelle l’argumentation est un procédé communicatif et discursif dont le but consiste à persuader l’auditoire et dans lequel on fonde par une logique plus ou moins informelle les thèses en question à partir de certaines propositions (arguments) considérées ou présentées comme non contestées dans le contexte. L’étude de l’argumentation dans ce sens-là peut donc se concentrer sur les structures logico-linguistiques, sur la sémantique des arguments, sur les lieux communs sur lesquels se base l’argumentation, etc. (cf. par ex. Eggs 1994 et les ouvrages qui y sont cités). Dans Ducrot (2004), ce type d’argumentation est caractérisé comme argumentation rhétorique, que l’auteur distingue de l’argumenta 





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tion linguistique, laquelle correspondrait à la capacité générale des signes linguistiques et des énoncés d’ouvrir ou de fermer des possibilités d’enchaînement dans le contexte, indépendamment d’une éventuelle fonction persuasive, définition qui couvre évidemment un champ beaucoup plus vaste que l’argumentation rhétorique. Or, les deux acceptions de la notion sont susceptibles de manifester une dimension énonciative. Dans la vision théorique de Ducrot, ce lien est immédiat : si le sens d’un énoncé n’est rien d’autre que l’image de son énonciation et, si « il est constitutif du sens d’énoncé de prétendre orienter la suite du dialogue » (Anscombre/Ducrot 1983, 30), il est assez évident que l’argumentation linguistique se trouve au cœur même de l’énonciation, toute énonciation étant concernée, en principe, par ce phénomène. Pour l’argumentation rhétorique, la dimension énonciative est aussi claire. Tout comme l’attribution d’une valeur illocutoire à l’énonciation d’un énoncé la caractérise pragmatiquement, l’attribution d’une fonction argumentative – argument, thèse/ conclusion etc. – signifie une caractérisation actionnelle de l’énonciation qui concerne dans ce cas sa fonction textuelle (au lieu de la fonction pragmatique pour l’acte de langage). L’importante différence entre ces deux types d’argumentation découle du fait que, l’argumentation linguistique étant un phénomène global, la langue ne prévoit pas de marquage spécifique de l’orientation argumentative des énoncés, bien qu’on trouve des marqueurs qui peuvent la modifier. Il n’y a pas de marqueur spécifique qui permette de comprendre l’énoncé « Je suis malade » comme orienté vers les conclusions « Je ne vais pas sortir », « Il faut que j’aille voir le médecin » etc. Par contre, peu dans « Il a peu travaillé » marque le changement de l’orientation argumentative de l’énoncé « Il a travaillé » en excluant les conclusions de type « Il va réussir » et en permettant « Il ne va pas être admis à l’examen ». Par contre, l’argumentation rhétorique est souvent marquée par des mots du discours/des connecteurs argumentatifs, comme donc, alors etc. (pour la thèse/conclusion), car, comme, puisque etc. (pour l’argument), et surtout, d’ailleurs etc. (pour un deuxième argument co-orienté) (cf. Ducrot et al. 1980 ; Anscombre/Ducrot 1983 ; Atayan 2006). L’argumentation peut donc être structurée et marquée à deux niveaux différents, les fonctions principales de l’argumentation rhétorique (argument, thèse/conclusion, arguments coordonnés, contre-argument) se trouvant remplies sur la base de l’argumentation linguistique (c’est-à-dire de l’orientation argumentative) des énoncés. Certaines fonctions secondaires (renforcement, atténuation, inversion, suggestion d’incontestabilité, cf. Atayan 2009b) touchent par contre l’argumentation linguistique des énoncés et modifient les possibilités de leur emploi dans l’argumentation rhétorique. Les deux types de marquage argumentatif peuvent évidemment jouer un rôle dans la traduction. Dans notre discussion, nous allons nous concentrer sur les marqueurs de l’argumentation dans la traduction, sur les stratégies de traduction de la structure argumentative et sur l’argumentation en tant que paramètre pour une critique de traduction.  







































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3.2 L’argumentation linguistique, l’argumentation rhétorique et la traduction Nous discuterons d’abord les cas dans lesquels l’argumentation linguistique d’un énoncé, qui correspond à sa capacité à constituer des enchaînements discursifs, est modifiée dans le contexte ou par certains marqueurs. Nous avons défini dans Atayan (2006 ; 2009b) – en prenant bien sûr en considération tout une série de travaux précurseurs – quatre types de modifications du potentiel argumentatif, que nous allons illustrer par des exemples construits simples. L’argumentation inhérente à un énoncé de base, par exemple « Pierre a travaillé pour cet examen », peut être renforcée (« Pierre a beaucoup travaillé pour cet examen »), atténuée sans inversion de l’orientation argumentative (« Pierre a quand même un peu travaillé pour cet examen »), inversée (« Pierre a travaillé très peu pour cet examen ») ou aussi accompagnée d’une suggestion d’incontestabilité de l’argument (comme par ex. dans une question rhétorique « Pierre n’a-t-il pas travaillé pour cet examen ? »). Certains opérateurs permettant de telles modifications ont été pris en considération aussi dans le contexte de traduction. C’est ainsi que, pour le couple français-espagnol et sous l’étiquette de l’organisation énonciative, Tordesillas (1991) discute entre autres de la traduction de la négation, qui est évidemment un inverseur argumentatif. En faisant référence explicitement à l’idée d’orientation argumentative de Ducrot, elle souligne aussi que l’introduction des marqueurs argumentatifs, par exemple d’opposition, peut créer dans certains contextes des interprétations qui n’étaient pas prévues dans l’original (ibid., 508ss.). En termes ducrotiens, on pourrait dire que les marqueurs d’argumentation rhétorique peuvent modifier les enchaînements suggérés indirectement par les argumentations linguistiques des énoncés. López Fanego analyse l’atténuation et le renforcement expressifs entre autres dans les traductions de Descartes en espagnol et illustre la tendance à renforcer l’argumentation par des ajouts de marqueurs (1991, 474ss.) comme par exemple : « principes adoptés » → « principios … universalmente adoptados », « S. Paul nous dit » → « Dice San Pablo, y con razón » etc. De l’autre côté, on trouve dans les traductions aussi des cas d’atténuation (477ss.), procédé pour lequel toute une série de mécanismes, liés souvent à une sorte d’inactualisation, par exemple par un conditionnel, semblent être disponibles dans la langue. Dans Atayan (2009a) et Atayan/Moretti (2013), nous avons aussi identifié l’inactualité, la suggestion de normalité ou de caractère peu surprenant d’un état de choses et la réduction graduelle comme principaux mécanismes d’atténuation argumentative. Un phénomène particulièrement intéressant est constitué par l’ambiguïté possible entre l’atténuation et l’inversion argumentative.6 Ainsi, « une autonomie limitée » peut être interprétée comme co-orientée à « une autonomie » tout court – dans la lecture non restrictive de limité (cf. Ducrot 1995b) – ou « une autonomie insuffisante » – dans la  























































6 Ce phénomène est analysé en détail dans Ducrot (1995b).



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lecture restrictive (cf. la possibilité de deux séquences : « L’autonomie limitée de la région permet un développement durable » vs. « L’autonomie limitée de la région ne permet pas un développement durable »). Les séquences avec atténuateur sont souvent modifiées dans la traduction. Nous avons en particulier constaté pour l’atténuation graduelle l’application de trois stratégies :7 (a) L’explicitation de la structure sémantique/informationnelle entre la lecture restrictive/rhématique ou non d’un attribut. Ainsi, dans le syntagme « l’autonomie limitée sur certaines parties du territoire », limitée peut avoir hors contexte l’effet d’atténuation ou d’inversion de l’orientation argumentative. Évidemment, le choix entre l’atténuation simple et l’inversion est souvent déterminé par le contexte, comme dans le cas en question :  

















« Quant à M. Yasser Arafat, il prenait un pari risqué. Certes, il obtenait la reconnaissance formelle de l’OLP en tant que représentant du peuple palestinien, et implicitement des aspirations nationales qu’elle incarnait, le retour des fedayin sur leur terre natale, ainsi que l’autonomie limitée sur certaines parties du territoire ».  





Ici, seule l’interprétation atténuante semble être acceptable. Dans la traduction (« una limitata autonomia su alcune porzioni di territorio ») le syntagme en question n’est plus ambigu, l’attribut antéposé ne pouvant pas être restrictif ou rhématisé, et donc produire l’effet d’inversion en italien. (b) La neutralisation de la modification argumentative par élimination du marqueur d’atténuation : « Ces gars [=les talibans] n’étaient pas les pires, des jeunes gens un peu fougueux, mais… » → « the Taliban were not considered the worst : they were young and [Ø] hot-headed, but… ») ou par le passage d’un atténuateur en fonction d’inversion vers la négation : « calme ruralité, peu imaginable dans les grandes agglomérations » → « quieta ruralità, inimmaginabile nei grandi centri della costa », (c) Le renforcement du marqueur même : « Elle a peu à voir avec ces tournois de preux chevaliers » → « Tiene muy poco que ver con los torneos de caballeros ». En ce qui concerne la structuration de l’argumentation rhétorique, donc le marquage des fonctions principales dans l’argumentation, une quantité importante de travaux sur les connecteurs argumentatifs a été réalisée dans les dernières décennies en linguistique contrastive et en traductologie (nous n’allons signaler que quelques exemples de ces derniers). Tricás Preckler (entre autres 1987 ; 1990) et Rey Vanin/Tricás Preckler (2006) analysent dans une perspective contrastive et traductologique (français-espagnol) différents marqueurs argumentatifs et concessifs. Tricás Preckler (1987) fait la distinction entre trois types de connecteurs : ceux qui relient un énoncé à un contenu non linguistique situationnel (comme par ex. donc ou alors initiaux dans un texte8), ceux qui relient deux énoncés en leur attribuant une fonction argumentative  







































7 Les exemples suivants sont repris de Atayan/Moretti (2013). 8 Cf. aussi Tricás Preckler (1995) pour une analyse détaillée des traductions d’alors en espagnol.

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spécifique (or, surtout, en revanche, c’est-à-dire des marqueurs structurant l’argumentation ou la contre-argumentation) et ceux qui relient un énoncé à un segment de texte précédent (bref, au total, en somme, c’est-à-dire surtout des connecteurs reformulatifs). Elle constate d’un côté la polysémie des connecteurs qui peuvent appartenir en fonction du contexte à des types différents mais aussi le fait que les distributions ne sont pas toujours les mêmes en espagnol et en français, si bien que le traducteur doit identifier avec précision la fonction dans l’original pour faire le choix approprié du connecteur dans la langue-cible. Tricás Preckler (1990) analyse d’une façon plus détaillée les connecteurs concessifs français dans la traduction espagnole. Elle constate la tendance des traducteurs espagnols à choisir parmi un nombre très limité de connecteurs (dont surtout pero, aunque, sin embargo) par rapport à la diversité des connecteurs dans les originaux français. Certains emplois exclamatifs peuvent notamment causer des difficultés de traduction (« Quand même ! »). Les divergences quant aux modes du verbe demandés par les différents connecteurs peuvent poser problème, surtout quand le français ne prévoit que le subjonctif (bien que) tandis qu’en espagnol une différence sémantique et énonciative se manifeste en fonction du mode (aunque + Ind. vs Subj.). Rey Vanin/Tricás Preckler (2006) font d’abord une distinction entre les argumentations causales et les argumentations concessives et constatent ensuite la diversité des possibilités de marquage de ces relations en français et en espagnol. Il peut être réalisé par le contenu sémantique des lexèmes (cause, provoquer), ce qui correspond au métalangage naturel de l’argumentation présent dans chaque langue naturelle, par certaines prépositions/syntagmes prépositionnels (par, grâce à, malgré), des formes verbales (par ex. gérondif) et par des connecteurs spécialisés (car, étant donné que, bien que) (2006, 245ss.). Pour la causalité, Rey Vanin/Tricás Preckler analysent la cause simple (qui relie deux états de choses dans une relation de cause à effet), la justification (qui présente les raisons de l’énonciation et correspond à l’argumentation rhétorique) et la cause graduelle (qui ajoute un élément comparatif à la justification comme dans d’autant plus que et correspond souvent à l’argumentation coordonnée, cf. Atayan 2006, 207ss.). Du côté de la concession, elles discutent les concessifs simples (comportant deux arguments anti-orientés l’un par rapport à l’autre), les concessifs restrictifs (encore que) et les concessifs complexes, dont les extensionnels (par ex. où que P, Q), les scalaires (si forte que soit P, Q) et les hypothétiques (même si).9 L’analyse des traductions permet d’identifier un grand éventail de possibilités de traduction en espagnol, avec, toutefois, des différences considérables en fonction du type de concession (cf. ibid., 274). Andújar Moreno (2009) analyse la traduction des argumentations dans les éditoriaux du Monde Diplomatique en espagnol et en catalan. Au-delà des considérations sur la structure générale des séquences argumentatives et certains moyens rhétoriques classiques (questions rhétoriques, argumentations par autorité et par exemple),  

   

9 L’effet argumentatif des concessifs complexes est souvent le renforcement de l’argumentation dans la phrase principale.

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elle étudie la traduction du connecteur car (rendu en espagnol entre autres par ya que, porque et como et en catalan par ja que et perquè, mais parfois aussi omis, surtout dans la position initiale d’un paragraphe) et la stratégie emphatique d’autonomisation de segments syntaxiques subordonnés au début ou à la fin d’une phrase par les moyens de ponctuation (points ou deux-points). Bien que les procédés littéraux soient majoritaires dans les traductions, l’auteur constate aussi des cas de neutralisation des éléments rhétorico-argumentatifs. Nombreuses sont enfin les études dédiées aux marqueurs spécifiques. Rey (1999) analyse le marqueur or dans la traduction spécialisée vers l’espagnol. La spécificité de or consiste en ce qu’il peut introduire soit un élément anti-orienté, un contreargument, soit un argument supplémentaire co-orienté, soit la prémisse générale dans un syllogisme entièrement verbalisé. Dans les textes scientifiques or marque souvent une invalidation (absolue ou partielle) de certains éléments de l’argumentation. L’introduction d’un argument anti-orienté semble causer les plus grands problèmes aux traducteurs. Ici, l’ancrage temporel de l’état de choses marqué par or influence aussi la traduction. L’analyse des préférences identifiées permet aussi une comparaison des fonctions de or et ahora bien en espagnol. La traduction des connecteurs argumentatifs réalisés par des séquences clivées (c’est pour cela que) entre l’espagnol, le français et l’allemand est analysée dans Wienen (2006), qui démontre aussi le rôle de la structure informationnelle et son interaction avec la dimension textuelle/argumentative. Schröpf (2009) étudie les séquences de connecteurs en français (et en plus, mais en plus, et pourtant, mais pourtant) et en espagnol (y además, pero además, y sin embargo, pero sin embargo) dans la traduction vers l’allemand. Sergo (2012a) étudie le marqueur italien ovvero dans ses traductions en allemand et comme traduction depuis l’allemand. Les emplois analysés relèvent du domaine de la reformulation paraphrastique et non-paraphrastique. Dans la traduction vers l’italien, le choix du marqueur semble être conditionné plutôt par des considérations stylistiques, tandis que dans la traduction vers l’allemand la tendance va surtout vers une explicitation de la fonction sémantique. Dans Atayan/Sergo (2013), le même marqueur est analysé dans la traduction français-italien de textes politiques spécialisés. Dans les contextes paraphrastiques, nous avons constaté chez les traducteurs italiens la tendance à employer ovvero pour traduire c’est-à-dire et soit, tandis que, dans les cas de reformulation non-paraphrastique, c’est le marqueur d’argument co-orienté et plus fort voire qui est le plus souvent à l’origine d’ovvero. Wienen/Atayan (2013) et Atayan/Wienen (sous presse) analysent les constructions appelées souvent inferential cleft qui correspondent en français à c’est que en fonction d’introducteur d’un élément argumentatif. Le premier article analyse les traductions du Cours de linguistique générale de Saussure en allemand, anglais, arménien, italien, espagnol et russe. Nous avons pu constater trois stratégies différentes de traduction des marqueurs : (a) Traduction littérale au sens strict (très fréquente en espagnol : es que) ou au sens large, par des constructions introduites par un nom générique au lieu du pronom  





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démonstratif (surtout en italien : il fatto è che ou aussi en arménien bann ajn e vor10 et russe : delo v tom, chto11), (b) Traduction par un marqueur causal, c’est-à-dire un terme méta-causal (surtout en allemand : das kommt daher/davon, dass et en arménien : patcharn ajn e vor12) ou un connecteur (en anglais : because ou en allemand : weil), (c) Omission du marqueur (souvent en anglais, mais aussi en italien et en russe). Dans Atayan/Wienen (sous presse), les mêmes marqueurs sont analysés dans des textes politiques (Le monde diplomatique et Europarl) pour la traduction du français vers l’anglais, l’allemand, l’espagnol et l’italien. À la différence des traductions de Saussure, nous trouvons ici une nette préférence pour les marqueurs causaux, souvent dans des contextes conditionnels (si X, c’est que Y). Toujours dans le contexte de la traduction spécialisée (des textes d’archéologie), Sergo (2009) analyse le marqueur argumentatif italien infatti. Dans la traduction allemand-italien, c’est surtout le marqueur denn qui est traduit par infatti. Par contre, dans la traduction vers l’allemand denn n’est guère employé pour infatti, les solutions fréquentes sont plutôt nämlich et tatsächlich, ce qui s’explique surtout par la liberté positionnelle de ces marqueurs qui manque dans le cas de denn. Ces résultats sont confirmés généralement dans Sergo (2012b), où le marqueur est analysé dans la traduction littéraire, mais on constate en outre dans une série d’exemples qu’infatti est ajouté dans la traduction italienne sans motif évident dicté par l’original. Dans une perspective méthodologique plus générale, Nølke (1995 ; 2007) propose l’utilisation de traductions comme outil empirique pour l’analyse contrastive des connecteurs. L’idée de base est de partir d’un connecteur dans une langue donnée, d’identifier toutes les traductions vers une autre langue retrouvables dans un corpus, puis de reproduire ce procédé pour les traductions identifiées en allant cette fois vers la langue de départ etc., ce qui permet de constituer un réseau contrastif de connecteurs parfois partiellement synonymes, dont les particularités sémantiques et pragmatiques peuvent ensuite être analysées en détail. En ce qui concerne les stratégies générales de traduction de l’argumentation à un niveau plus global, on peut constater trois possibilités de base : la structure et le marquage d’une argumentation complexe peuvent être gardés dans la traduction, la structure peut être conservée avec un marquage différent et enfin la structure même de l’argumentation peut être modifiée. Dans Atayan (2007), ces possibilités ont été analysées en détail sur la base des traductions d’articles du Monde diplomatique vers l’allemand et l’italien. Dans le cas de modification de marquage, nous avons identifié des cas d’explicitation, mais aussi d’implicitation, due surtout à l’omission du marqueur dans la traduction. La structure argumentative peut elle aussi être modifiée, par  





















10 Littéralement : ‘la chose est celle que’. 11 Littéralement : ‘l’affaire est dans ce que’. 12 Littéralement : ‘la cause est celle que’.      

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exemple dans une transformation d’une argumentation coordonnée en une argumentation subordonnée, où un argument est à son tour justifié par un autre argument. L’analyse détaillée des structures argumentatives permet aussi de les utiliser comme un paramètre partiel d’équivalence dans la traduction, qui peut être évaluée aussi dans le cadre d’une critique de traduction. Ainsi, Williams (2001 ; cf. aussi 2009) propose d’analyser la qualité de la traduction en fonction de la mise en oeuvre de la structure argumentative définie à la manière de Toulmin et applique son modèle à la traduction anglais-français. Atayan (2010, 79ss.) propose une approche semblable en intégrant une représentation toulminienne dans le modèle de critique de traduction et présente l’analyse d’un texte intégral d’un article du Monde diplomatique et de ses traductions vers l’allemand et l’italien.  

4 Discours rapportés et traduction Dans ce chapitre, nous présenterons la recherche sur un phénomène qui fait partie du cœur même du domaine énonciatif, le discours rapporté (↗23 Les différentes formes du discours rapporté comme problème de traduction). Nous parlons ici de discours rapporté au sens large, en y intégrant aussi, au-delà de la reprise des paroles effectivement produites par une autre instance énonciative, les phénomènes de pensée rapportée (cf. par ex. Gallagher 2001, 237 ; Kurt 2002, 496) et de perception (cf. par ex. Guillemin-Flescher 1984 ; Johnson 2011, 63). Cette décision est liée au fait que, notamment dans la tradition de recherche sur le discours indirect libre (désormais DIL), ces deux types de phénomènes sont systématiquement considérés comme faisant intégralement partie du champ d’études (cf. par ex. Ravn Jørgensen 2002). Nous partons de la distinction désormais classique entre trois catégories majeures : discours direct, discours indirect et DIL (cf. Bally 1912 ; Rosier 1999 ; Jansson 2006, 12ss.). Les trois types de discours prévoient une instance à l’origine de ce qui est rapporté et une autre qui rapporte (cf. Jansson 2006, 10, pour les désignations utilisées pour les deux instances). Le discours direct correspond à une reprise (prétendument) identique ou fidèle du discours initial signalée par un verbe du dire au sens large dans une structure paratactique. Le discours indirect est par contre réalisé dans une structure hypotactique avec un verbe du dire et un introducteur subordonnant. Ce discours impose toute une série de transformations dans le champ déictique et illocutoire (temps, modes, actes de langage, lieux, personnes). Le DIL est caractérisé par la présence d’indices et d’éléments de l’énonciation initiale (réelle ou présumée) et de la reprise. Pour reprendre les termes d’Authier (1979, 212), le discours direct correspond à une citation plus ou moins fidèle, le discours indirect à une espèce de traduction, le DIL à la connotation autonymique. En ce qui concerne la traduction, nous discuterons d’abord de quelques travaux sur le discours indirect et/ou direct pour nous concentrer ensuite sur le DIL.  









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4.1 Discours indirect et discours direct En ce qui concerne les formes du discours direct et indirect, il est facile de voir le rôle des systèmes linguistiques, par exemple l’existence ou non de formes citatives spécialisées (comme le Konjunktiv I en allemand) ou le système des temps et des modes. À côté de ces facteurs, au niveau de la langue, certains phénomènes liés à la tradition discursive peuvent eux aussi jouer un rôle, comme par exemple le conditionnel dit journalistique dans les langues romanes. Pour des raisons de place, nous ne mentionnerons ici qu’un exemple pour chacun de ces deux champs. Au niveau de la structure lexicale, une question d’importance est l’emploi des verbes du dire dans le contexte du discours indirect. Une série d’études rassemblées par Delesse traite ce problème surtout dans des textes littéraires. Ainsi, Delesse analyse la structure X is said/reported to en anglais et constate qu’elle se trouve souvent à mi-chemin entre discours rapporté et modalité épistémique. Les marques spécialisées de citation (guillemets) ainsi que la mention explicite de l’agent dans le contexte permettent souvent de désambiguïser l’interprétation (2006, 66ss.). En ce qui concerne la traduction, cette tournure est souvent employée pour rendre en anglais les structures impersonnelles du français. Dans la traduction vers le français, ce sont le conditionnel, les structures impersonnelles et des verbes avec un sémantisme apte à exprimer le même sens, comme avoir la réputation de, qui sont choisis de préférence (Delesse 2006, 70ss.). Loock constate la fréquence, en anglais, des discours indirects intégrés à une relative appositive, introduits souvent par un verbe du dire (par ex. he said), lesquels posent un problème de traduction vers le français (2006, 88ss.), la seule solution réellement idiomatique étant l’introduction d’une explicitation de la source dans une incise. Richet analyse l’interaction entre les interjections ainsi que les mots du discours et les verbes du dire dans le contexte du discours rapporté. Il constate que le verbe say employé avec un énoncé contenant une interjection est rendu en français parfois littéralement par dire, mais on trouve aussi en tant qu’équivalent dans les deux sens de traduction souvent le verbe faire (« Oh ! fit Castel » → « ‘There,’ Castel said »), ou aussi des cas de simplification par élimination du verbe du dire (2006, 100ss.). En plus, le « sens » d’une interjection, surtout si elle est d’un usage répandu, comme Ah ! en français, peut être précisé par le choix d’un verbe du dire sémantiquement plus riche que dire/faire comme par exemple soupirer. Poncharal (2003 ; 2006, 133ss.) constate aussi la tendance à choisir pour say un verbe non-neutre en français. Muller (2006, 146ss.) confirme cette observation en présentant toute une série d’exemples dans lesquels les verbes neutres en anglais sont rendus en français par des verbes qui désignent explicitement un acte de langage (supplier, répondre) ou fournissent une information sur la structure du dialogue en question (commencer, interrompre) ou enfin donnent des indications paraverbales (balbutier). Par contre, on trouve dans la traduction vers l’anglais une préférence pour les solutions littérales (Muller 2006, 158ss.). Nita, finalement, analyse les introducteurs du discours direct en anglais, français et roumain, cette fois dans des textes journa 















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listiques. Ses résultats confirment les tendances décrites par les autres auteurs : dans la traduction français-anglais, on constate souvent un effacement sémantique, donc le choix d’un verbe générique (say) pour un verbe sémantiquement plus spécifique (regretter, ironiser, jeter, se demander) (2006, 176ss.). Dans certains cas, cet appauvrissement est compensé par l’ajout des modificateurs précisant le sens (s’étonne → surprisingly … says). Corollairement, dans la traduction anglais-français (Nita 2006, 184ss.), des verbes sémantiquement plus riches sont souvent préférés, parfois même accompagnés de certains moyens d’amplification stylistico-rhétorique (says Hove → et Hove de conclure, said → se prit à rêver). Enfin, dans la traduction roumain-français la tendance va vers la traduction littérale ou un aplatissement sémantique (ibid., 190ss.). En ce qui concerne le conditionnel journalistique, un phénomène circonscrit dans un cadre discursif spécifique, on trouve toute une série d’études concernant surtout le français, que nous ne pourrons pas traiter faute de place. La traduction de cet outil énonciatif a été analysée entre autres par Merle (2001) pour le couple français-anglais et par Celle (entre autres 2004 ; 2006) pour le français, l’anglais et l’allemand. Nous nous limiterons à présenter les résultats de ce dernier ouvrage. Celle analyse le conditionnel journalistique en tant que marqueur de non-prise en charge d’un contenu – sans que celui-ci ait nécessairement son origine dans une assertion préalable (2006, 84ss.). La non-prise en charge le rend semblable au Konjunktiv I et à l’emploi citatif du verbe modal sollen en allemand, tandis qu’un pareil outil manque en anglais. Les marqueurs adverbiaux et modaux sont plutôt rares dans la traduction ; par contre le conditionnel journalistique est souvent rendu en anglais par une assertion simple, surtout si l’origine de l’énonciation initiale est explicitée.  





4.2 Discours indirect libre Le DIL est peut-être le phénomène énonciatif le plus souvent étudié dans la tradition de la linguistique énonciative. Nous discuterons les indices linguistiques de ce phénomène, pour présenter ensuite les stratégies et les procédés typiques de sa traduction et enfin quelques analyses spécifiques concernant des couples de langues différents. Nous ne pourrons bien sûr pas présenter ici la riche bibliographie existante et devrons nous limiter à la présentation des seuls ouvrages concernant la traduction. Un vaste choix de publications pertinentes peut être trouvé dans Kurt (1999), qui cite au-delà des sources romanophones, aussi des travaux en allemand, anglais et russe, et dans Jansson (2006), qui prend en compte entre autres les études sur le DIL faites par les romanistes scandinaves (dont Jonasson, Nølke et Olsen). Le DIL étant un phénomène discursif, la première question d’importance pour chaque analyse est de toute évidence de savoir quels sont les facteurs ou les indices qui permettent son identification en contexte. Ainsi, Jansson (2006, 32) présente la liste suivante des indices possibles des limites du DIL et donc des positions de son

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ouverture et de sa clôture dans le texte : alinéa, changement entre les formes du discours rapporté, verbes, syntagmes nominaux, gestes et situations qui dénotent un acte langagier ou mental (dont perception13), connecteurs, incises. En tant qu’indices intérieurs sont mentionnés : pronoms personnels sans antécédent textuel ou alignés sur ceux du narrateur, syntagmes nominaux remplaçant pronoms et noms propres, pronoms dans des positions où l’on attendrait plutôt un syntagme nominal, certains choix de temps verbaux, d’adverbes de temps et de lieu, de signes typographiques (point d’exclamation, point d’interrogation, tiret, etc.), marques d’hésitations, éléments expressifs, ordre des mots marqué, connecteurs et contagion stylistique.14 Le marquage du DIL est donc réalisé par les éléments qui font référence à la personne, au temps et à la deixis (donc la situation énonciative) et par les éléments discordants au niveau discursif et stylistique, qui seraient incompatibles avec le texte du narrateur (Jansson 2006, 60). Kurt identifie quelques indices du DIL fréquents en russe et qui peuvent créer certains problèmes de traduction en français ou en allemand, dont notamment certaines tournures avec une valence non-remplie, indicateurs de la structuration de l’espace, marqueurs aspectuels ou aussi verbes dont l’usage prévoit en contexte un observateur. En ce qui concerne la traduction du DIL, Taivalkoski-Shilov (2003, cité dans Jansson 2006, 59) discute une série de facteurs qui influencent le processus, dont notamment les différences de système entre deux langues, surtout de temps et d’aspect, l’existence ou non des formes du discours mixte, comme DIL dans la langue cible, les conditions de travail et les décisions du traducteur. Jansson (2006, 250ss.) identifie les possibles résultats de la traduction du DIL dans le couple françaissuédois. Celui-ci peut être rendu par un DIL, discours direct ou indirect, par des formes mixtes entre ces types de discours, omis, éliminé avec son contexte entier, ou encore transformé en un discours narratif. Kurt (1999), qui travaille sur la traduction entre le français et le russe, cherche à établir des corrélations entre les facteurs qui déclenchent l’interprétation d’une séquence en tant que DIL et les stratégies de traduction. Ainsi, les combinaisons d’indicateurs temporaux (temps verbal + adverbe de temps) sont souvent un moyen d’introduire deux niveaux d’énonciation (Kurt 1999, 623ss.). Dans la traduction vers le français dans le contexte de contemporanéité, on constate la tendance à rendre plus homogène la structure temporelle, par contre les contrastes sont renforcés lors du passage vers le russe (il s’agit surtout de l’interaction entre l’imparfait et le présent). Le nombre inférieur de temps du passé en russe est un facteur systémique qui peut causer des difficultés. Les effets de perception semblent poser certains problèmes aux traducteurs français (cf. aussi Kurt 2001). Enfin, Kurt formule aussi quelques recommandations explicites pour les traducteurs (1999, 637ss.). Outre ces ouvrages détaillés se basant sur de grands corpus, toute une  



13 Cf. Guillemin-Flescher (1984) pour une discussion des repères de la perception dans le texte. 14 Cf. aussi Banfield (1995).

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série d’études analysent la traduction du DIL et du discours rapporté en général. Sans pouvoir entrer dans le détail de tous ces travaux, nous les signalons brièvement en fournissant une liste qui, évidemment, est loin d’être exhaustive. Le couple français-anglais a été traité ci-dessus, mais il faut encore mentionner l’ouvrage de Poncharal (2003), qui fournit un cadre détaillé d’analyse pour le DIL en anglais et en français, ainsi que les considérations, très citées dans la recherche, de Guillemin-Flescher (11981, 432ss.). Au-delà du travail de Jansson (2006), la traduction du discours rapporté et surtout du DIL dans le couple français-suédois est discutée dans plusieurs travaux de Jonasson, dont (2001) sur le point de vue narratif et (2004) sur le discours rapporté dans Une vie de Maupassant. Sullet-Nylander (2006) analyse la traduction des verbes attributifs de paroles rapportées entre ces deux langues. Gallagher (2001) présente quelques analyses du DIL en anglais, français, allemand et latin pour identifier les particularités de chaque langue (ici, le français et l’anglais semblent manifester certaines ressemblances tout comme le latin et l’allemand). Kronning (2010) étudie la prise en charge épistémique dans la traduction de l’italien (Natalia Ginzburg) vers le français et l’espagnol et fournit quelques observations sur la structuration temporelle du discours indirect et du DIL. Johnson (2010 ; 2011) analyse la construction des points de vue par les déictiques et par les verbes parere/ sembrare dans la traduction de l’italien vers l’anglais (Grazia Deledda). Alsina (2008 ; 2011) discute la traduction du DIL vers l’espagnol et le catalan dans les romans de Jane Austin. Zaro Vera (2006) analyse les problèmes de traduction en espagnol du DIL dans le roman anglais classique. Breslauer (1995), enfin, fournit une analyse générale des formes du discours rapporté et de leur traduction en allemand et italien. Généralement, la traduction du discours indirect libre semble être fortement influencée par les facteurs liés à la structure des langues mais aussi aux éléments pragmatiques (la norme d’usage, la culture etc.) (cf. Jansson 2006, 58).  



5 Perspectives de recherche Vu les restrictions imposées par le cadre d’un article synthétique, nous n’avons pu discuter qu’une partie très limitée du champ des phénomènes énonciatifs, mais sommes tout de même en mesure de constater leur pertinence et leur importance pour la traduction et la traductologie. En ce qui concerne les perspectives de la recherche dans ce champ, nous estimons que, d’une part, ce sera l’étude sur les grands corpus automatisés qui va permettre d’élargir nos connaissances sur les possibilités et les difficultés de la traduction (par ex. en constituant des réseaux contrastifs de connecteurs pour les marqueurs avec des fonctions différentes et pour les couples de langues qui n’ont pas encore été étudiés en détail). De l’autre, le travail d’identification et de délimitation précise du champ énonciatif est loin d’être accompli. Les aspects énonciatifs sont souvent identifiés aussi dans des classes de signes linguistiques moins susceptibles de manifester un côté dialogique ou polyphonique. Ainsi, nous avons

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proposé dans Atayan (sous presse) une analyse des adverbes de succession immédiate (comme tout de suite et immédiatement en français, sofort en allemand et subito en italien) selon laquelle, dans la situation dialogique, leur usage fournit une instruction concernant le temps dans la perspective de l’agent d’action décrite et pas du locuteur. C’est pour cela que l’emploi de ces adverbes dans les phrases à la troisième personne du présent de l’indicatif utilisé au sens de futur immédiat est difficile ou déclenche une interprétation différente avec un déplacement déictique si la perspective de l’agent n’est pas accessible. Dans la situation où Pierre est parti et n’a pas appelé sa femme, la phrase : « Non ti preoccupare, vedrai ti chiamerà subito » / « Mach dir keine Sorgen, er ruft dich sofort an » est interprétée par les germanophones et les italophones au sens de « dès qu’il en aura la possibilité », donc à partir de l’origo de l’agent, tandis que l’interprétation « d’un moment à l’autre », donc dans l’origo du locuteur, semble très difficile, voire exclue. Les francophones interrogés fournissent des réponses divergentes en ce qui concerne la phrase « Ne te fais pas de soucis, il va t’appeler tout de suite » : dans ce contexte, certains expriment une nette préférence pour l’une ou l’autre interprétation, d’autres acceptent les deux. De même, l’emploi de ces adverbes semble impossible dans des contextes non-actionnels (« *Attention ! Ce livre va tomber tout de suite ! » / « *Fai attenzione ! Quel libro cade subito ! » / « *Pass auf ! Das Buch fällt sofort runter ! »15), dans lesquels une origo d’agent ne peut évidemment pas être construite. On voit donc que les énoncés avec ces adverbes semblent être attribués polyphoniquement à l’image discursive d’un tiers qui correspond à l’agent de l’action décrite. Il serait intéressant d’analyser si ces dimensions énonciatives créent des problèmes de traduction, surtout lorsque la structure du champ de ces adverbes n’est pas la même dans les langues en question (cf. par ex. l’existence de l’adverbe gleich en allemand, qui est clairement lié à la déixis du locuteur et semble ne pas avoir d’équivalents en français ou italien).  

























   

















   



   

6 Références bibliographiques Alsina, Victòria (2008), El tratamiento del discurso indirecto libre en las traducciones españolas y catalana de « Mansfield Park » de Jane Austen, in : Jenny Brumme/Hildegard Resinger (edd.), La oralidad fingida. Obras literarias. Descripción y traducción, Frankfurt am Main/Madrid, Vervuert/Iberoamericana, 69–85. Alsina, Victòria (2011), Translating Free Indirect Discourse : Two Spanish Versions of Jane Austen’s « Persuasion », New Voices in Translation Studies 7/1, 1–18, http://www.iatis.org/images/ stories/publications/new-voices/Issue7-2011/article-alsina-2011.pdf (20.02.2014). Andújar Moreno, Gemma (2009), Traducir la argumentación en editoriales de la prensa : de las estrategias argumentativas a las técnicas traductoras, Revista Hermenus 11, 51–80.  













15 De telles phrases redeviennent possibles dans les contextes explicitement ou implicitement anaphoriques, p. ex. : « Si tu le poses comme ça, ce livre va tomber tout de suite ».  





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Abstract : L’objet de cette contribution est le rapport entre linguistique du texte et traduction. On en décrira l’évolution dans une perspective historique, en établissant les points communs, les convergences et les points de contacts entre les deux disciplines et en montrant où et comment elles s’inspirent et se complètent mutuellement. Au cœur du propos se trouve la question de l’intérêt de la linguistique du texte pour l’étude de la traduction. La contribution repose entre autres sur des études traductologiques récentes dans la Romania qui s’intéressent explicitement aux relations entre les deux disciplines. Ces études soulignent tout particulièrement la pertinence de la linguistique du texte sur trois points : la question de l’équivalence comme relation entre le texte traduit et l’original, la typologie des textes du point de vue traductologique et la description des compétences de traduction. Il y est fait référence à deux types de linguistique textuelle dont la différence sera explicitée dans le cours de l’article.    



Keywords : linguistique du texte, traduction, équivalence, typologie des textes, compétence de traduction    

0 Introduction La présente contribution a pour objet le rôle de la linguistique du texte en traductologie dans la Romania. La perspective inverse, à savoir l’intérêt de la traductologie pour la linguistique n’a ici qu’une importance secondaire. Au cœur de notre article se trouvent des considérations théoriques et méthodologiques relatives à l’interface des deux domaines. C’est la raison pour laquelle les travaux pris en compte seront principalement ceux qui s’intéressent à la même problématique. Toute une série d’autres travaux empiriques sur la traduction dans une perspective textuelle devront en revanche être laissés de côté par manque de place.

1 Une évolution commune Les débuts de la traductologie remontent aux années 50 du XXe siècle et ont été inspirés par la linguistique contrastive/comparée (cf. Tomaszkiewicz 2003, 41). Dans leur majorité, les travaux traductologiques de l’époque sont à la recherche d’équivalents fonctionnels entre les formes de deux langues (cf. ibid.). Jusqu’au milieu des années 60, les théoriciens de la traduction n’avaient pas ou peu conscience de la

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Linguistique textuelle et traduction : aspects généraux  

dimension textuelle de la traduction (cf. Morini 2007, 78). Sans doute faut-il en chercher les raisons dans la pratique et la didactique de la traduction, la « preocupación del traductor » (Neubert 1992, 13) au travail étant principalement d’ordre grammatical, lexical et stylistique. C’est ce qui explique que longtemps l’étude de la traduction a été comprise comme une branche de la linguistique contrastive traditionnelle et son objet défini comme la recherche de correspondances potentielles entre les composants et les sous-systèmes de deux langues différentes (cf. Neubert 1992, 13). La naissance de la linguistique du texte dans les années 70 constitue un tournant pour l’étude scientifique de la traduction (cf. Neubert 1992, 13 ; Ciapuscio 2012, 90 ; Nikula 2000, 844). Le texte comme unité linguistique émerge désormais à la conscience des spécialistes de la traduction (cf. Nikula 2000, 844) et l’approche phrastique évolue vers une prise en compte du texte dans son ensemble (cf. Neubert 1992, 13). Cela entraîne un changement de point de vue sur la notion d’adéquation d’une traduction (cf. ibid.). Les observations des spécialistes – Morini mentionne ici en particulier Katharina Reiss – montrent que la distinction traditionnelle entre traduction littéraire et traduction technique ne suffit pas à fonder une théorie de la traduction précise et rationnelle (cf. Morini 2007, 78). Parallèlement à cette analyse critique des modèles de traduction, l’idée se développe et se propage chez les traductologues germanophones de la finalité (all. Skopos) des textes. Les réflexions sur la typologie et la catégorisation des textes, qui agitent aussi bien la linguistique du texte que la recherche sur la traduction, conduisent à se reposer la question des raisons pour lesquelles on traduit un texte et donc aussi celle des diverses façons de le traduire (cf. Morini 2007, 78). La traduction n’est plus perçue comme une affaire purement linguistique, sont désormais mises en avant ses dimensions sociale et culturelle. Ce tournant théorique se reflète dans la terminologie : le couple « langue de départ/langue d’arrivée » se voit remplacé par le couple « message de départ/message d’arrivée » (Tomaszkiewicz 2003, 42). À la fin des années 70 des liens apparaissent entre la traduction et la textologie contrastive du fait que les questions de typologie du discours et des textes jouent un rôle essentiel dans les deux domaines. Désormais les travaux de traductologie intègrent la problématique de la détermination des types de textes ainsi que celle des catégories discursives comme fondement de la compréhension et de la production des textes. Les critères de classification restent cependant hétérogènes et il arrive que les mêmes termes renvoient, selon les approches, à des concepts différents (cf. Tomaszkiewicz 2003, 42). En linguistique du texte comme en traductologie, deux démarches s’opposent quant à l’élaboration d’une typologie des textes : l’une se veut immanente au texte et tente de fonder une typologie sur des critères purement linguistiques, l’autre recherche des critères extérieurs au texte, autrement dit des critères pragmatiques et communicationnels (cf. Elena García 2000, 1022). Les deux démarches correspondent à deux approches radicalement différentes. La première est descriptive, empirique et induc 



















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tive. Opérant sur des textes concrets, elle cherche à en déterminer les caractéristiques fondamentales pour en dégager une théorie permettant leur affectation à telle ou telle catégorie. Cette façon de procéder est censée donner à la typologie une base empirique solide afin d’éviter les contradictions fréquemment constatées entre la théorie et la réalité des textes. Cette dernière remarque vise l’autre approche, qui conçoit, d’un point de vue théorique, les typologies comme des systèmes purement déductifs de classification des textes sur la base de définitions a priori (cf. Ciapuscio 2012, 90 ; qui mentionne le recul, voire la disparition de la seconde approche vers le milieu des années 80). Le tournant cognitif des années 80 apporte un nouveau changement du regard porté sur le texte – et donc la traduction. L’approche cognitive-communicationnelle dirige son attention sur les processus de production et de compréhension des textes. Le texte comme produit fini passe à l’arrière-plan. Les textes sont désormais conçus comme des actes complexes de communication visant la réalisation de certains objectifs. Deux types d’approches sont ici en concurrence : les approches pragmatiques, qui se fondent sur la théorie des actes de parole et prennent comme point de départ les actes de parole individuels ; et les approches actionnelles, qui prennent comme point de départ l’ensemble du texte pour le rattacher à un cadre actionnel plus général. L’objet d’étude n’est plus, désormais, le texte en et pour lui-même, mais son utilisation dans certaines situations sociales. À la question de la fonction communicative des textes s’ajoute maintenant celle de ses fonctions sociales. L’approche cognitive conçoit les textes d’abord comme des processus psychiques, en tant que ces processus sont à la base de toute activité humaine. L’agir dans et à travers le texte repose sur diverses opérations cognitives réalisées par le producteur du texte comme par celui qui le lit et l’interprète, tous deux activant divers ensembles de savoirs et de compétences : savoirs encyclopédiques (connaissance du monde), savoirs linguistiques (grammaire et lexique) et textuels, connaissance des situations, compétences interactionnelles… (cf. Ciapuscio 2012, 90s.). Dans certains travaux récents, on observe un nouveau changement de perspective, consistant dans la combinaison de diverses approches. Elle permet d’appréhender les structures et dynamiques internes du texte en liaison avec leur valeur communicative et la finalité de la traduction dans la culture cible (cf. Ulrych 2006, 9). De façon générale, on constate aussi bien en linguistique textuelle qu’en traductologie un grand dynamisme de la recherche sur les textes de spécialité. Fondamentalement on peut dire que les deux disciplines partagent le même intérêt pour toute une série de thématiques, même si elles le font en partie dans des perspectives différentes.  







2 Le lien entre linguistique du texte et traduction Linguistique du texte et traductologie sont complémentaires au plan méthodologique : l’une comme l’autre opèrent sur la base de comparaisons de traductions et de  

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textes parallèles. L’interdépendance entre les deux ne s’en trouve que plus nettement marquée. La linguistique textuelle compare les textes en recourant à des traductions, tandis qu’à l’inverse l’analyse de textes parallèles permet de dégager des informations utiles à la traductologie (cf. Tomaszkiewicz 2003, 42). Relevant d’abord de la linguistique textuelle, l’analyse des textes et la typologie des textes jouent un rôle particulier, l’une au niveau des textes pris isolément, l’autre à celui des classes de textes (cf. Neubert 1992, 19). La fonction centrale de la traduction consiste à transférer le contenu sémantique d’un texte source en un nouveau texte produit dans une autre langue. Ce contenu ne peut être établi sur la base des seuls facteurs linguistiques, des facteurs extralinguistiques y jouent aussi un rôle. C’est pourquoi les acquis de la linguistique du texte dans ses différentes variantes (cf. infra) sont utiles au traducteur pour l’appréhension et la reformulation du « message » à transférer (cf. Tricás Preckler 1987, 132). La traduction peut ainsi s’appuyer sur la théorie du texte dès lors qu’il est question de la dimension pragmatique du discours et des relations entre la structure du texte et le contexte situationnel (cf. ibid., 149). Selon que la traduction est conçue comme produit ou comme processus, diverses approches textologiques sont envisageables. Du point de vue du produit, la mise en contraste de l’original et de la traduction permet d’en étudier comparativement des aspects formels et fonctionnels, ce qui rend possible l’évaluation de la qualité d’une traduction (cf. Ulrych 2006, 10), par exemple du point de vue de l’exactitude (cf. Nazri Doust 2000, 70). Un jugement qualitatif s’appuyant sur des critères textologiques clairs est moins subjectif et plus rationnel (cf. ibid.). À quoi s’ajoute que ces critères permettent de décrire et d’expliquer les stratégies de traduction. En retour, la comparaison de textes appliquée à la traduction offre la possibilité d’identifier des problématiques spécifiques à des textes particuliers et de les repérer dans des situations analogues pour développer des stratégies de traduction similaires (cf. Ulrych 2006, 10). Cette question des stratégies de traduction est étroitement liée à la vision de la traduction comme processus dont la maîtrise suppose l’acquisition de certaines compétences. Les connaissances en linguistique du texte peuvent ici contribuer à traduire de façon plus objective, plus systématique et moins intuitive. La bonne connaissance des principes de fonctionnement de la cohérence textuelle et la prise en compte du caractère signifiant de la structuration du texte original dans la recherche du sens de ce texte sont ici des compétences traductologiques tout à fait centrales (cf. Nazri Doust 2000, 4). La confrontation théorique avec la linguistique textuelle permet ainsi à la traductologie de définir et d’étudier des compétences importantes pour la pratique et la didactique de la traduction (cf. Ciapuscio 2012, 87). Il arrive cependant que la pertinence des approches textuelles pour la traduction se heurte à des limites. C’est notamment le cas lorsque texte original et traduction poursuivent des objectifs différents (cf. Tomaszkiewicz 2003, 52). D’une façon générale, la perspective textuelle empruntée à la linguistique du texte aide à dépasser la controverse opposant la traduction « littérale » à la traduction  







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« libre » dans la mesure où les stratégies respectives résultent du texte pris dans son ensemble et sont adaptées à ses caractéristiques. Il en résulte que le type de discours en jeu et le but visé par le traducteur sont l’un comme l’autre des facteurs déterminants pour le choix de la stratégie de traduction (cf. Tricás Preckler 1987, 152).  



3 Diverses conceptions de la linguistique du texte L’examen des travaux portant l’étiquette « linguistique du texte (ou textuelle) » donne une image bien hétérogène de ce domaine de recherche. Eugenio Coseriu fait remarquer dans son introduction à la linguistique textuelle qu’il convient de distinguer d’abord entre une « linguistique textuelle au sens propre » et une « grammaire du texte » aussi appelée grammaire ou analyse « transphrastique ». Sont pour lui objet de la première les « textes à un niveau linguistique autonome antérieur aux distinctions opérées par les différentes langues »,1 tandis que la seconde a pour objet le « texte comme niveau de structuration propre à chaque langue particulière » (Coseriu 42007, 1980, 34).2 Jörn Albrecht observe dans sa préface à cet ouvrage que ces deux formes de linguistique textuelle ne sont pas dans un rapport d’antériorité/postériorité mais qu’il s’agit, dans l’esprit de Coseriu, de deux disciplines distinctes aux visées différentes (cf. Albrecht 42007, XIII). Coseriu refuse l’idée d’un troisième type de linguistique textuelle, celui d’une linguistique « à partir du texte » qui poserait que les normes de production du texte pourraient être décrites en relation avec les structures d’une langue particulière. Il justifie son point de vue par la différence entre la compétence linguistique générale manifestée dans une langue particulière, la compétence langagière universelle et la compétence textuelle (cf. Coseriu 42007, 38). Les deux formes de linguistique textuelle posées par Coseriu sont l’une comme l’autre incontournables pour la traductologie, aucune des deux ne pouvant saisir à elle seule la totalité du processus de traduction. Il est donc important d’articuler les résultats de la grammaire contrastive avec les études sur d’autres plans textuels (cf. Elena 2006, 145). C’est la condition sine qua non pour rendre compte de la nature textuelle de l’opération de traduction. Ce qui unit la traduction et la linguistique du texte, c’est le fait que la nature du texte ne peut être adéquatement expliquée sur la base des seules catégories linguistiques (i.e. de la langue comme système). C’est pourquoi on ne peut décrire la complexité de l’opération de traduction sans tenir compte des multiples facettes de la structuration du texte dans le processus de communication (cf. Neubert 1992, 20). Dans les travaux mentionnés ici les deux types  



























1 « … Texte auf einer autonomen Ebene des Sprachlichen vor jeder Unterscheidung bestimmter Sprachen ». 2 « … Text als Ebene der einzelsprachlichen Strukturierung ».  







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de linguistique du texte sont pris en compte selon les aspects en jeu, ce qui ne fait que souligner l’importance de l’un comme de l’autre pour la traduction.

4 Diverses conceptions du texte La distinction entre deux types de linguistique du texte aux objets d’étude différents va de pair avec l’existence de diverses conceptions et définitions du texte. Cette réalité se reflète aussi dans l’éventail des travaux de traductologie examinés ici. Du point de vue de la traduction, le texte peut être vu en gros comme l’expression d’un problème, et c’est ce problème qu’il s’agit de résoudre en lui appliquant toutes sortes de procédures différentes, historiquement variables et parfois complexes (cf. Elena García 2000, 1021). Sous l’angle de sa production, le texte peut être appréhendé selon un modèle séquentiel. Il est alors perçu comme « ensemble structuré de séquences » dont l’agencement et les frontières sont fixées par son auteur (Huyn-Armanet/ Pineira-Tresmontant 1989, 237). Un modèle séquentiel de production de ce type présente l’avantage de pouvoir s’appliquer à divers types de textes, y compris à des textes hétérogènes (cf. ibid., 238 ; Holl 2011, 218). Mais les conceptions divergent quant à la nature des séquences dont se compose le texte dans son ensemble. L’une d’elles s’inspire de l’informatique. Il s’agit d’une conception linéaire qui définit les séquences sur la base de l’écrit. Elles correspondent aux énoncés tels que les délimite la ponctuation. Entre les signes qui composent ces énoncés existent des relations non seulement linéaires mais également hiérarchiques, raison pour laquelle le lexique et la syntaxe doivent toujours être examinés dans leurs interactions (cf. Huyn-Armanet/ Pineira-Tresmontant 1989, 238s.). Dans une autre façon de voir, on se focalise moins sur les mécanismes internes aux séquences et l’on conçoit plutôt le texte comme un enchaînement de séquences constituant un ensemble cohérent. Les séquences sont vues comme formant l’ossature du texte et elles constituent en tant que telles la base de l’interprétation du texte (cf. Nazri Doust 2000, 69s.). Dans cette perspective, le processus de traduction doit prendre en compte tout à la fois le texte comme totalité et l’interdépendance de ses éléments constitutifs (cf. Tricás Preckler 1987, 152). Une convergence entre les deux perspectives est posée dans Holl (2011). Sur la base d’un modèle à plusieurs niveaux, Holl constate qu’au plan thématique, agencement interne et agencement externe des contenus se rejoignent. Les textes sont structurés en sections constituées de séquences (cf. ibid., 218). Les séquences peuvent être distinguées à l’aide de schémas logiques d’organisation. Ces schémas se reflètent à la surface du texte par le recours à certaines techniques discursives et l’emploi de moyens linguistiques et extralinguistiques spécifiques (cf. ibid., 219s.). De façon analogue à Elena (2006), Holl distingue avec Roulet (1991 ; 2000) quatre types de séquences : narratif, descriptif, expositif et instructionnel. À l’intérieur de chaque section s’élabore alors, par le jeu des divers types de séquences, de leur agencement  









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et de leurs relations, une dimension selon le cas argumentative ou poétique (cf. Holl 2011, 221). Les deux approches séquentielles ont en commun de ne plus poser le problème de la traduction des unités textuelles en termes de différences des systèmes linguistiques, mais de prendre comme point de départ leur insertion dans le texte pour s’interroger sur leur fonction textuelle. Le texte devient ainsi l’unité de traduction maximale, point de vue qui fait aujourd’hui l’unanimité parmi les courants récents de la traductologie (cf. Nikula 2000, 845). Leurs modèles textuels sont en revanche variables. À côté de la vision du texte comme énoncé, qui vient d’être décrite, on rencontre aussi d’autres conceptions, dans lesquelles le texte est vu comme unité de communication (Prencipe 2006 ; Munteanu Colán/Marrero Pulido 1994), comme signe de communication (Tricás Preckler 1987), comme action de communication (Ciapuscio 2012) ou plus généralement comme phénomène dynamique (Di Sabato/Di Martino 2011 ; Holl 2011). Dans certaines recherches, on pose un modèle à plusieurs niveaux, afin de pouvoir observer de façon plus différenciée les rapports entre les fonctions linguistiques et les fonctions extralinguistiques du texte et en tirer les conclusions pour la traduction (Prencipe 2006 ; Holl 2011 ; Ciapuscio 2012 ; Tricás Preckler 1987). Les différents modèles ont en commun de prendre en compte la complexité du texte, son insertion dans un contexte pragmatique et situationnel ainsi que les effets qui en résultent en retour sur sa structuration. Les différences entre les divers modèles de texte découlent, elles, de l’angle sous lequel la traduction est abordée : comme produit ou comme processus. En lien avec cette distinction se pose la question des types de fonctions textuelles qu’il convient de prendre en compte lors de la traduction. Dans les travaux traductologiques retenus ici on distingue trois orientations principales et deux orientations que l’on peut qualifier de mixtes. L’une d’elles, centrée sur la relation ‹émetteur-destinataire›, voit davantage la traduction comme processus. Elle situe les fonctions externes du texte dans le contexte communicationnel de l’interaction entre locuteur et destinataire. Le texte est conçu comme une interaction entre l’auteur et le lecteur et doit donc être évalué par rapport à ce processus de communication. Ce sont les intentions spécifiques au texte qu’il convient de repérer (cf. Tricás Preckler 1987, 134). La notion de « sens textuel » inclut, en une acception élargie au niveau de la macrostructure, le contexte et la situation de communication en tant que constituant le cadre de l’acte de communication (cf. ibid., 149). La fonction globale du texte est déterminée par les intentions de l’auteur et les attentes du destinataire. Dans la traduction comprise comme type particulier de production textuelle, le traducteur joue le double rôle de destinataire et de locuteur. De cet acte de médiation peuvent résulter des variations dans les fonctions du texte source et du texte cible (cf. Elena García 2000, 1026). Une autre orientation, centrée sur la finalité du texte, adopte le même schéma mais se focalise plus sur le contexte social général de la communication que sur la  

















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communication particulière entre l’auteur et le lecteur. Il s’ensuit que c’est la traduction comme produit qui est ici mise en avant. Dans cette approche, les textes sont vus comme des actions de communication visant à atteindre certains objectifs. On recherche le cadre général de l’action pour montrer comment les textes sont utilisés dans certains contextes sociaux et en déduire que leurs fonctions ne sont pas seulement communicatives mais aussi sociales (cf. Ciapuscio 2012, 91). Ce sont donc moins les intentions du producteur du texte ou les attentes du lecteur qui intéressent ici que l’ensemble du contexte dans lequel s’inscrit le texte comme action (cf. Holl 2011, 214). Liée à cette approche, il y a l’idée du texte comme représentant d’un groupe de textes dotés des mêmes caractéristiques et exerçant les mêmes fonctions dans des contextes d’action analogues. Dans le cadre d’une conception de la traduction qui la voit comme un produit, les deux orientations évoquées peuvent se combiner en une troisième : la question des fonctions du texte inclut alors aussi bien les attentes du lecteur que les visées communicatives de l’auteur (cf. Tomaszkiewicz 2003, 46). La quatrième orientation, centrée sur le texte, correspond, elle aussi, à une conception de la traduction comme produit. Dans cette perspective, les fonctions textuelles externes dérivent des fonctions internes, constitutives du sens. Cette approche vise à approfondir l’étude du lien existant entre la représentation sémantique, le contenu du texte et son sens, dans le but de saisir l’essence même du texte (cf. Prencipe 2006, 171). Dans cette optique, tous les éléments linguistiques du texte peuvent être porteurs de signification (cf. Menin 1996, 182). Cette quatrième orientation, centrée sur le texte, peut se combiner avec la seconde, centrée sur sa finalité, pour en produire une cinquième, dans laquelle le texte est également vu comme produit. Cette approche emprunte à l’orientation centrée sur le texte l’idée d’une analogie fonctionnelle entre texte source et texte cible et à l’orientation centrée sur la finalité la prise en compte du contexte d’action dans son ensemble. Ce contexte fournit les schémas d’action qui permettent la résolution des problèmes dans des situations analogues et détermine les critères de textualité qui ont cours dans une communauté donnée. Les normes qui conditionnent les critères de textualité pouvant être différentes dans le texte source et sa traduction, il peut se révéler indispensable de modifier dans la traduction les structures internes de l’original (cf. Neubert 1992, 15). La concordance des fonctions textuelles externes de l’original et de la traduction s’accompagne alors d’une discordance des fonctions textuelles internes.  

5 Traduction et équivalence Dans ce chapitre, il sera question du rôle que peut jouer la linguistique textuelle dans la détermination des niveaux textuels adéquats pour établir des relations d’équivalence entre un texte original et sa traduction. Il ne sera cependant pas possible

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d’exposer ici la thématique dans toute son ampleur. Parmi les études prises en compte, Morini (2007) propose une vue d’ensemble à caractère historique sur l’évolution de la traductologie et les avatars de la recherche du niveau auquel il convient de situer l’équivalence. Les travaux retenus ici ont pour point commun de prendre la notion de traduction dans son sens interlingual (d’une langue A vers une langue B) et non pas intralingual (reformulation dans la même langue) ou intersémiotique (d’un système de signes à un autre). Un autre point commun est qu’ils considèrent tous que la traduction a pour fonction de restituer le sens de l’original. Les divergences apparaissent lorsqu’il s’agit de déterminer l’indispensable tertium comparationis : selon l’approche textuelle retenue dans les diverses études, il n’est pas situé aux mêmes niveaux textuels ou tout au moins pas de la même manière. Il en résulte que les explications données sur la façon dont le sens de l’original se manifeste dans la traduction divergent, elles aussi. Dans une perspective transphrastique, le sens de l’original à restituer dans la traduction est assimilé à son contenu. Tricás Preckler (1987) postule ainsi que c’est le sens (« significado ») qui doit être rendu dans ses dimensions aussi bien linguistique qu’extra-linguistique (ibid., 132). Le sémantisme global du texte original pris dans son ensemble est accessible au traducteur à travers un processus qui n’est pas linéaire mais « a base de avances y retrocesos » (cf. ibid., 134) et qui se joue simultanément aux niveaux micro- et macro-textuels du texte (cf. ibid., 141). Le texte traduit doit avoir, selon Tricás Preckler, la même organisation interne que l’original. Des écarts sont cependant possibles au plan des signifiants. La restitution concerne le contenu (« contenido »), ce qui interdit de faire des catégories grammaticales de l’original les points de référence. Le sens d’un énoncé ne résulte pas seulement des éléments dont il est constitué. C’est au contraire le texte dans son ensemble qui permet d’accéder à une compréhension pleine et entière de ses énoncés particuliers (cf. ibid., 144). Outre le contenu, tout texte possède aussi, en tant que « signe linguistique », une signification (« significación ») dans le processus de communication. Cette signification se trouve modifiée dès que le texte est sorti du contexte concret de communication. Il s’ensuit qu’elle ne peut être restituée, lors de la traduction, qu’au prix d’une adaptation de tous les présupposés, de toutes les intentions de communication et de toutes les connotations culturelles (cf. ibid., 148). Au plan de l’expression du sémantisme du texte on peut ainsi distinguer deux types de contenu pertinents du point de vue traductologique : la signification textuelle (« significato testuale ») d’une part, le sens du texte comme objet de traduction de l’autre (cf. Prencipe 2006, 170). La traduction évolue dès lors entre deux pôles : d’une part, elle conserve le sens de l’original, de l’autre, elle s’insère, en tant que texte nouveau, dans un contexte nouveau et dans un cadre anthropologique et culturel lui aussi nouveau (cf. Menin 1996, 9). La traduction revêt ainsi un double aspect, qui repose sur le fait que le traducteur est à la fois récepteur du message contenu dans le texte source et producteur du texte cible (cf. Prencipe 2006, 94). Selon le point de vue textuel adopté pour  





























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une étude traductologique, le focus se déplace de l’un vers l’autre. Dans la conception « transphrastique » de la linguistique du texte, c’est l’aspect de la « réception », fondée sur le texte source, qui est mis en avant, alors que dans la conception de la « linguistique du texte au sens propre » (cf. supra), c’est l’aspect de la « production » et l’ancrage du texte dans la communauté de la langue cible qui se trouve privilégié. Si l’on admet avec Prencipe (2006) quatre types de sens – « significato lessicale, significato testuale, senso testuale, senso dinamico » –, on peut distinguer deux niveaux de sémantisme : celui du sens linguistique et celui du sens extra-linguistique (ibid., 170). Dans la conception « transphrastique », c’est le premier niveau qui se trouve sur le devant de la scène, dans l’autre conception, c’est le deuxième niveau. Il s’ensuit que la réflexion sur la traduction ne peut en aucun cas se passer d’une théorie du sens. Cela résulte du caractère double du sémantisme du signe – désignation et sens/signification – ainsi que de la question de savoir à quel niveau il convient, en traduction, de situer l’invariance :  



























« Da una parte, infatti, il significato è chiamato in causa come controparte del significante o forma di quell’unità che è il segno linguistico, nella determinazione dell’oggetto del tradurre ; dall’altra costituisce, ad almeno uno dei suoi livelli come si intende mostrare, l’invariante tra l’oggetto di partenza e l’oggetto d’arrivo di un processo traduttivo » (Prencipe 2006, 45).  





Les travaux pris en compte ici partent tous du principe qu’on ne peut parler de traduction que lorsqu’il existe entre l’original et le texte qui en dérive (la « traduction ») une certaine relation d’équivalence – même si tous les auteurs ne recourent pas à cette notion, comme par exemple Menin (1996, 185), qui parle de « meccanismi analogici ». Les avis divergent cependant sur la question de savoir à quel(s) niveau(x) textuel(s) situer l’équivalence. Les travaux fondés sur la « linguistique du texte au sens propre » selon Coseriu refusent de prendre en compte le niveau du « sens textuel » au motif que situer l’équivalence à ce niveau supposerait que la traduction peut être adaptée à toutes les situations de communication dans lesquelles l’original peut apparaître. Pour cette raison, c’est la fonction de l’original et de la traduction dans leurs contextes respectifs qui est considérée comme déterminante pour l’établissement de relations d’équivalence (cf. Prencipe 2006, 149, 153). Certaines approches, comme celle de la théorie fonctionnelle de la traduction/translation, envisagent aussi les changements de fonction entre texte source et texte cible et mettent en avant, ce faisant, les fonctions de ce dernier (cf. Morini 2007, 84). Les travaux s’appuyant sur la conception « transphrastique » de la linguistique du texte prennent, eux, également en compte le niveau du « sens textuel » (cf. Elena/ de Kock 2006, Introducción). Macro- et microstructure du texte s’en trouvent davantage mis sur le devant de la scène. Les moyens de la cohésion textuelle, le « cheminement » du texte et sa structure générale constituent dans cette perspective les points d’ancrage des relations d’équivalence, sans que pour autant le « sens textuel » de l’original cesse d’être considéré comme l’invariant suprême. Cependant, même les études opérant sur ces bases ne renoncent pas à tenir compte du contexte dans leur  































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recherche des niveaux d’équivalence adéquats (cf. Nazri Doust 2000, 70). De leur point de vue, le but de la traduction est de parvenir à « un comportamiento verbal equivalente » (Tricás Preckler 1987, 136). Au niveau lexical, le traducteur peut toutefois être amené à restructurer et réorganiser les choses (cf. ibid.). Ce ne sont donc pas les syntagmes en eux-mêmes mais les fonctions textuelles internes qui, dans cette perspective, servent de point de référence à la recherche de l’équivalence. Cela étant, même si, conformément à la double dimension communicative de la traduction, l’accent est, au plan théorique, mis tantôt sur l’aspect « réception » tantôt sur l’aspect « production », il n’en reste pas moins que les deux aspects ne peuvent être séparés dans le processus concret de traduction. Dans la pratique, c’est toujours le traducteur qui décide quels éléments doivent rester invariants à quels niveaux pour que le texte cible puisse autant que possible être considéré comme équivalent au texte source. C’est lui qui choisit les normes et modèles culturels auxquels il accorde la priorité : ceux de la communauté linguistique dont relève le texte source ou ceux de la communauté linguistique du texte cible – ou un mélange des deux (cf. Di Sabato/Di Martino 2011, 55). Dans la mesure où ces choix sont toujours individuels et liés à des situations particulières, deux traductions d’un même texte source ne sont jamais rigoureusement identiques. C’est le processus de traduction lui-même qui veut cela, puisque la compréhension du texte source peut varier d’un traducteur à l’autre tout autant que la production du texte cible selon la créativité du traducteur (cf. Munteanu Colán/ Marrero Pulido 1994, 214s.). Du point de vue de la traduction comme produit s’ajoute le fait que les textes sont des produits historiquement déterminés et non reproductibles. Cela vaut autant pour le rapport entre original et traduction que pour les diverses traductions d’un même original. Aussi est-il vain d’attendre une hypothétique égalité entre original et traduction, puisque seule la partie généralisable et spécifiable du sens peut être « transportée » dans le texte cible. Au fond, le rapport entre original et traduction est marqué du sceau de la diversité et de la différence et seule peut être atteinte une relation d’équi-valence (Menin 1996, 189s.). Morini (2007, 85) observe que la notion d’équivalence possède un double aspect, linguistique et fonctionnel. Il rappelle que dans leur Grundlegung einer allgemeinen Translationstheorie (« Fondements d’une théorie générale de la traduction »), Katharina Reiss et Hans Vermeer partent du principe que le texte traduit peut dévier de l’original du point de vue fonctionnel. Cela équivaut pour Morini à jeter par-dessus bord la notion d’équivalence comme principe normatif de l’opération de traduction. Dès lors, l’équivalence n’est plus qu’un cas particulier (certes fréquent) de la relation entre original et traduction. Du point de vue de la théorie fonctionnaliste la qualité principalement visée par la traduction ne serait plus l’équivalence avec l’original mais son adéquation à elle-même. Le texte source constituerait alors une « offre d’informations » sur la base de laquelle le traducteur élabore une nouvelle « offre d’informations ». La question de la fidélité se trouverait dès lors reléguée à l’arrière-plan. Dans la théorie fonctionnaliste – ou théorie du skopos – de Reiss/Vermeer, la relation de  























   



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fidélité entre original et traduction ne serait plus qu’un cas particulier de skopos et de même l’équivalence un cas particulier d’adéquation (cf. Morini 2007, 85s.). Neubert (1992) parle, lui aussi, de l’adéquation comme but de la traduction. Elle suppose pour lui que le texte cible remplisse les exigences pragmatiques avec la même adéquation que le texte source, dès lors que celui-ci fonctionne effectivement de façon adéquate dans la communauté de la langue source. L’adéquation est ici conçue en lien avec l’équivalence comme la relation sémantique existant entre l’original et la traduction : « La adecuación se relaciona con la equivalencia en el sentido que de la primera depende de que se persiga la segunda » (ibid., 21). Ulrych (2006) et Di Sabato/Di Martino (2011) posent, quant à eux, la notion d’acceptabilité d’une traduction. L’original doit selon eux être traduit de façon telle que le texte qui en résulte corresponde aux critères d’acceptabilité des lecteurs (Di Sabato/Di Martino 2011, 55), c’est-à-dire qu’il soit acceptable dans la culture cible tant du point de vue formel que pragmatique (Ulrych 2006, 10).  





6 La classification des textes La linguistique du texte et la traductologie ont en commun de rechercher les possibilités de catégoriser les textes. Les deux disciplines ont l’habitude de répartir les textes selon les notions de types et de sortes (cf. Nikula 2000, 844s.). Mais selon l’approche typologique ou théorique adoptée, la distinction n’est pas toujours faite entre les deux notions et quand elle l’est, ce n’est pas nécessairement de la même manière (cf. Di Sabato/Di Martino 2011, 45). Ici aussi les différences se font sentir au plan méthodologique entre l’approche du texte comme « produit » et l’approche du texte comme « acte de communication ». La première approche conduit à une détermination a posteriori des types de textes sur la base de certains signes linguistiques, alors que la seconde postule que dans des sociétés différentes des tâches communicatives similaires sont accomplies à l’aide de discours semblables, ce qui permet la définition a priori d’une typologie. Les deux démarches se recoupent en fait souvent, ce qui entraîne une relative hétérogénéité des catégorisations (cf. Tomaszkiewicz 2003, 42s.). L’hétérogénéité méthodologique des diverses approches a pour conséquence qu’il n’existe pas, à ce jour, de modèle typologique permettant de distinguer de façon satisfaisante les textes littéraires des textes non littéraires (cf. Nikula 2000, 845). La classification des textes est utile à la traductologie à plusieurs égards. Ainsi les études portant sur une classe de textes dans plusieurs langues peuvent-elles apporter leur contribution à la détermination du niveau textuel auquel il convient de rechercher l’équivalence lors de la traduction. Holl (2011), par exemple, propose un modèle à plusieurs niveaux qui permet une description qualitative détaillée d’ensembles de sortes de textes. Des corpus de textes relevant de la même sorte peuvent être comparés dans différentes langues à différents niveaux textuels fonctionnant comme tertium  







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comparationis (cf. ibid., 211). Reiss/Vermeer (1984) avaient déjà souhaité, dans leur Grundlegung einer allgemeinen Translationstheorie, la réalisation d’études comparatives systématiques de textes dans le but d’établir des types de conventions textuelles valables pour une même classe de textes dans la langue source comme dans la langue cible. Sur cette base il serait alors possible d’établir des relations d’équivalence applicables au processus de traduction (cf. Elena García 2000, 1026). Les textes concrets sont toujours les représentants soit d’une catégorie, soit d’une classe de textes (cf. Ciapuscio 2012, 91). C’est la raison pour laquelle un texte peut servir de modèle pour la traduction de textes similaires. Pour pouvoir établir des analogies et des parentés, il apparaît utile de prendre en compte la façon dont des textes similaires ont été traduits. Des problèmes apparus lors de la traduction d’un texte particulier peuvent fréquemment être transposés à tous les textes relevant de la même catégorie, car les types de problèmes qui se présentent dans un texte particulier ne sont jamais qu’un exemple particulier d’un problème affectant toute la catégorie (cf. Neubert 1992, 14). L’analyse contrastive systématique de textes parallèles permet de dresser une liste d’invariants caractéristiques d’une même catégorie de textes. On peut en outre dégager les différences existant entre ces invariants selon les communautés linguistiques et culturelles concernées. Il devient alors possible de déterminer les formes figées telles que les idiomatismes, les routines communicatives et les modèles textuels stéréotypés (cf. Tomaszkiewicz 2003, 43–45). Sur la base de ces résultats, il est alors possible d’élaborer des stratégies planifiables de traduction. L’utilité s’en fait sentir notamment pour la didactique de la traduction dans la mesure où la connaissance de schémas applicables à tous les textes d’une même catégorie ne peut qu’en faciliter la traduction (cf. Elena García 2000, 1032).

6.1 Les types de textes On a jusqu’ici évoqué les aspects généraux de la classification des textes (dans ses rapports avec la traduction) sans différencier les concepts utilisés concrètement pour distinguer différentes classes de textes. C’est ce à quoi seront consacrés le présent paragraphe et le suivant. Di Sabato/Di Martino (2011, 40ss.) examinent dans le détail la notion de type de texte, telle qu’elle est majoritairement – mais non uniformément – utilisée. Fondamentalement, les types de textes sont conçus comme des macro-catégories. Ils font référence à la rhétorique classique et permettent de distinguer les textes selon leur objectif communicationnel dominant (scopo ‹ Skopos › ; ibid., 40). Les auteures observent que les désignations de ces catégories peuvent varier tout autant que leur périmètre en fonction du cadre théorique dans lequel elles sont définies. Du point de vue de la traduction, la notion de types de textes sert, selon elles, principalement à établir des traits communs importants entre des textes de contenu différent relevant  



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de langues différentes. Le type de texte résulte de la finalité d’un événement communicatif et trouve sa réalisation concrète dans les sortes de textes (« genere ») plus ou moins standardisés. La forme concrète d’un type de texte se réalise ainsi selon divers schémas textuels en relation étroite avec le contexte d’emploi sur la base de l’agencement linguistique aussi bien que des conditions culturelles, sociales et pragmatiques.  



6.2 Les sortes de textes La notion de sorte de texte fait, elle, référence au champ conceptuel dont relève le texte (cf. Di Sabato/Di Martino 2011, 35). Les sortes de textes peuvent être considérées comme des regroupements de textes opérés sur la base de propriétés, de qualités ou de caractéristiques relatives à la constitution même des textes et qui les distingue des autres (cf. Ciapuscio 2012, 91s.). Le regroupement des textes en sortes de textes est le résultat du comportement langagier des membres d’une communauté linguistique. Il s’agit donc d’une classification empirique dont les diverses divisions correspondent à une sorte de cristallisation de savoirs de la communauté linguistique relativement à la division en question. Les sortes de textes peuvent être subdivisées en sous-groupes correspondant à des variantes thématiques d’une seule et même sorte, ainsi par exemple la sorte de texte « lettre » se subdivisant en diverses « sortes » de lettres (cf. Holl 2011, 205). On trouve dans la communication spécialisée – ou professionnelle – des sortes de textes hautement standardisés, aujourd’hui bien connus grâce à des études fondées sur de vastes corpus. La standardisation résulte d’un consensus s’établissant avec le temps au sein d’une communauté linguistique sur les caractéristiques que doit posséder un texte pour être perçu comme un représentant acceptable de la sorte de textes en question (cf. Di Sabato/Di Martino 2011, 48). Ce sont ces « constantes de standardisation » (« costanti di genere », ibid., 49) qu’il s’agit de reconnaître et prendre en compte lors de la traduction (cf. ibid., 49). La différence entre type et sorte de texte apparaît clairement à travers les relations dans lesquelles peut entrer un texte concret. Elle apparaît notamment lorsqu’on détermine pour un texte donné aussi bien le type que la sorte dont il relève. Sa relation à un type de texte est liée à sa constitution et aux critères internes au dit texte. Sa relation à une sorte de texte dépend en revanche de critères externes qui déterminent sa place dans la classification conditionnée par la culture de la communauté linguistique dont relève le texte (cf. Di Sabato/Di Martino 2011, 45). Le type de texte correspond à des structures profondes universelles, la sorte de texte correspond, elle, à des réalisations de surface. Les sortes de textes sont variables et s’ajustent au skopos pragmatique et à la norme, tandis que les types de textes sont par principe universels (cf. ibid., 49). Alors qu’un type de texte est l’expression d’une certaine fonction communicative (ou pragmatique), c’est-à-dire en fin de compte rhétorique, une sorte de texte combine  















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toujours plusieurs types pour poursuivre un objectif donné (Di Sabato/Di Martino 2011, 44). Les notions de « sorte de texte » et de « type de texte » sont donc liées par une relation de complémentarité. Une sorte de texte peut combiner plusieurs types de texte et inversement (cf. Holl 2011, 208). Il n’existe donc pas de relation hiérarchique entre les deux (cf. Coseriu 42007, 157).  







6.3 Les conditions d’une typologie des textes orientée traduction D’une façon générale, on peut dire que du point de vue traductologique la notion de sorte de texte est moins problématique que celle de type de texte, qui suscite de vives discussions et controverses dans toute une série de travaux théoriques sur la traduction. La question souvent débattue est celle des conditions auxquelles doit satisfaire une typologie des textes qui se veut axée sur la traduction. Mais le problème n’est pas toujours posé de façon explicite. Dans les analyses traductologiques empiriques, c’est souvent indirectement par l’application qui en est faite que se manifeste l’approche typologique implicitement adoptée. Il existe cependant des travaux qui discutent en détail les divers modèles typologiques qui s’offrent à la traductologie (cf. sur ce point notamment Elena García 2000 ; 2006). Morini (2007) et Elena (2006) examinent en détail la première (historiquement) des typologies orientées traduction. Due à Reiss (1971 ; 1976), elle est fondée sur le modèle dit Organonmodell de Bühler. Ce dernier prend comme point de départ les trois fonctions communicatives fondamentales que sont la fonction représentative, la fonction expressive et la fonction appellative (cf. Morini 2007, 80). Partant de là, Reiss distingue les trois types de textes, informatif, expressif et appellatif. Sa typologie ne visait toutefois pas à fournir une aide concrète pour l’étude du processus de traduction, elle était plutôt conçue comme un outil d’évaluation de traductions déjà réalisées (cf. Elena 2006, 146). Le même modèle de Bühler se retrouve à la base des Fondements d’une théorie de la translation (titre original : Grundlegung einer allgemeinen Translationstheorie). Reiss/Vermeer (1984) prennent comme point de départ les trois orientations différentes du texte, selon qu’il est centré sur l’émetteur, le récepteur ou le message. Sur cette base, les auteurs développent un modèle typologique à trois branches, distinguant le texte informatif, le texte expressif et le texte opératif (cf. Elena García 2000, 1022). Elena s’interroge toutefois sur le caractère réellement opératoire de ce modèle, vu les connaissances qu’il suppose en matière d’organisation du texte. Ce savoir ne peut, selon Elena, être élaboré en raison du caractère trop imprécis du modèle (cf. ibid.). Morini lui voit cependant des avantages : le modèle ouvrirait la possibilité de faire le lien entre type de texte et sorte de texte tout en prenant en compte l’existence de textes appartenant à des catégories intermédiaires. La distinction entre sortes simples et sortes complexes de texte présenterait par ailleurs une réelle utilité pour la résolution d’un problème central. Ce problème réside dans le fait qu’il n’est pas possible de trouver des règles conventionnelles pour des textes aussi complexes et  







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polymorphes que le roman ou le poème épique, ce qui interdit d’en dériver des règles d’équivalence pour la traduction (cf. Morini 2007, 81s.). Elena García (2000) fait état des développements auxquels ont donné lieu d’autres modèles typologiques orientés traduction. On y trouve une présentation du modèle de Koller (21982), qui résulte de l’application de cinq critères de textualité, une description de la tentative de Brinker (1992) de combiner l’analyse de la structure du texte et celle de sa fonction, ainsi qu’un exposé de l’approche séquentielle de Werlich (21979), qui se fonde sur le lien existant entre la forme du texte et les processus cognitifs de catégorisation. Le modèle de Gülich/Raible (1977) est lui aussi évoqué. Il repose sur une double hypothèse, l’une étant que les textes se composent d’unités de sens qui ont une fonction précise dans le texte global et l’autre que toute classe de textes est caractérisée par certaines parties de texte manifestant un agencement et des combinaisons spécifiques. Elena note une approche similaire chez Adam (1991 ; 1992), qui pose des types d’énonciation présentant une organisation prototypique de séquences (cf. Elena García 2000, 1022–1025). L’approche séquentielle est jugée utilisable pour la traduction par Elena (2006) parce qu’elle permet de décrire l’hétérogénéité des textes avec des moyens relativement simples. Les typologies fondées sur cette approche offrent de bonnes possibilités de venir à bout d’une difficulté importante : celle qui tient dans le fait qu’une typologie textuelle se doit d’un côté d’être homogène, rigoureuse, cohérente et exhaustive et que de l’autre elle se trouve face à un nombre infini de classes de textes également déterminés par des paramètres extralinguistiques et socioculturels et de ce fait difficiles à saisir à l’aide de critères de classification homogènes (cf. ibid., 151– 153). Pris isolément, les types de séquences doivent être compris comme des concepts abstraits, prototypiques, tandis que dans la réalisation concrète du texte, c’est le concept de classe de textes (par ex. l’appartenance d’un texte à une sorte de texte donnée) qui doit être pris en considération dans la réalisation concrète du texte. La classe dont relève le texte influence le choix du type dominant de séquences, la structuration interne de celles-ci, leurs possibilités combinatoires ainsi que les caractéristiques linguistiques propres au type de séquences. Plusieurs types de séquences peuvent se superposer, se recouper ou s’imbriquer dans un même texte, ce qui fait que l’inventaire, la définition et la désignation des types de séquences varie selon les auteurs (cf. ibid., 153–155). Dans la perspective de la didactique de la traduction, Elena préconise d’étudier les processus cognitifs sous-jacents à l’utilisation concrète des séquences prototypiques propres à une communauté linguistique. Elle est également partisane d’une linguistique séquentielle comparative qui montrerait sur la base de corpus de textes concrets le fonctionnement de certains types de textes ou de séquences dans différentes langues en faisant apparaître les points communs et les différences (cf. ibid., 155). Qu’un modèle typologique soit de type séquentialiste ou non, pour pouvoir livrer des résultats utiles pour la traduction, il doit être multidimensionnel. Il ne peut se contenter d’énumérer des propriétés particulières prises isolément, il doit prendre en  



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compte le fait que le texte est un tout. Un modèle ainsi conçu permet l’examen systématique des caractéristiques du texte à différents niveaux et leur combinaison en systèmes (cf. Ciapuscio 2012, 96). Méthodologiquement, un modèle typologique efficace se doit de combiner des approches inductives, déductives et analogiques. Cela permet de dépasser les approches généralisantes des typologies purement fonctionalistes et de préciser la manière de recueillir les données pour la traduction (cf. Elena García 2000, 1032).

6.4 Les schémas textuels Un courant récent de la typologie des textes a introduit au plan théorique et méthodologique une distinction entre classes de textes et schémas textuels. Les classes de textes sont définies comme des réalisations textuelles comportant des propriétés prototypiques dans les différentes dimensions du texte, tandis que les schémas textuels représentent les connaissances schématiques des locuteurs relativement aux classes de textes. Cette distinction entre les phénomènes relevant de la cognition, qui reposent sur l’expérience générale de l’esprit, et les productions linguistiques sous forme de textes permet une description et une explication plus adéquate de ce qu’est un texte (cf. Ciapuscio 2012, 92). Les schémas textuels, qui sont des schémas cognitifs généraux relatifs aux structures textuelles et aux formulations linguistiques, sont élaborés par le locuteur à travers l’expérience qu’il fait de la communication dans la communauté linguistique où il est plongé. Ces schémas lui servent de points de référence pour produire ou comprendre un texte (cf. ibid.). Comme l’acquisition des schémas textuels dépend de l’expérience communicationnelle de chaque individu, c’est-à-dire de la quantité et diversité des classes de textes dont il fait l’apprentissage à travers cette expérience, la compétence de chacun en matière de schémas textuels varie considérablement, tant au plan quantitatif que qualitatif, parmi les locuteurs d’une même communauté linguistique (cf. ibid., 95). Les stéréotypes textuels permettent aux acteurs de la communication de prévoir l’inventaire des composantes d’un texte et les règles séquentielles qui s’appliquent à elles. Les composantes sont souvent identifiables grâce à une série de formulations figées. Il s’ensuit que la créativité individuelle joue un rôle mineur dans la traduction de ce genre de textes. Tomaszkiewicz (2003, 52) parle de « cases vides » que le locuteur remplit de contenus plus ou moins préformés. Il est à noter que des différences culturelles peuvent exister entre les schémas textuels (cf. ibid.). Le fait d’être spécifiques à une culture ne les empêche pas de pouvoir être transposés dans d’autres cultures (cf. ibid., 51).  



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6.5 L’intertextualité La problématique d’appartenance des textes à des groupes est très liée à celle de l’intertextualité. Le mot renvoie à un concept très large et aux multiples facettes, dans lequel de nombreux éléments jouent un rôle, parmi lesquels les connaissances épistémiques et encyclopédiques des locuteurs, le phénomène de l’interdiscursivité ainsi que les frames (cadres). Les éléments relevant de l’intertextualité constituent pour la traduction un véritable défi dans la mesure où l’intertextualité de l’original ne peut pas toujours être transposée dans le texte cible. Il faut alors compenser les manques en recourant à des moyens externes (cf. Munteanu Colán/Marrero Pulido 1994, 211). Le fondement théorique du concept est dans le constat patent que tout discours comporte des reprises de discours antérieurs. Ce phénomène résulte du fait que la connaissance textuelle acquise à partir de textes antérieurs est réinjectée dans de nouveaux textes où elle constitue de nouveaux réseaux intertextuels (cf. ibid., 216). Le lecteur du texte active ses connaissances encyclopédiques dès lors qu’il y trouve des allusions ou des renvois à d’autres textes. Ces évocations d’autres textes peuvent être implicites ou au contraire explicites, par exemple lorsque le titre d’un ouvrage auquel il est fait référence se trouve nommé ou lorsque des passages d’autres ouvrages sont cités. La compétence intertextuelle du lecteur lui permet de situer le texte, de l’intégrer dans son frame, son « cadre cognitif », et ainsi de mieux le comprendre (cf. ibid., 217–219). Le savoir en jeu dans les frames est d’ordre encyclopédique et d’ordre sémantique. Il englobe les savoirs courants qui permettent de comprendre une situation comme activité, comme suite d’événements ou comme état. Le savoir relevant du frame n’est mobilisé que lorsqu’il s’agit d’interpréter une situation nouvelle. Un frame est donc une sorte de texte virtuel et partant une forme de relation interdiscursive implicite (cf. ibid., 219s.). Le contexte dans lequel le lecteur mobilise son savoir encyclopédique pour reconnaître et comprendre une situation joue un rôle important pour distinguer entre frame et intertextualité au sens étroit. Les relations intertextuelles permettent de situer un texte dans un contexte extralinguistique beaucoup plus large que ne le permet la référence à un frame, qui n’autorise l’interprétation que dans le cadre d’un certain concept (cf. ibid., 220). En traduction, la difficulté de la transposition d’éléments relevant de l’intertextualité réside dans le fait que l’original s’adresse à un public monolingue dans une culture qui n’est pas nécessairement familière d’autres réalités culturelles et ne dispose pas de la même compétence interculturelle que d’autres publics. Les éléments d’interculturalité qui facilitent la compréhension aux lecteurs de la communauté linguistique et culturelle source peuvent déstabiliser les lecteurs de la culture cible, notamment lorsqu’il s’agit de rapports établis avec des cultures et des mondes très spécifiques (cf. Munteanu Colán/Marrero Pulido 1994, 223).  



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7 Les exigences posées au traducteur L’étude de la traduction sous l’angle de la linguistique du texte permet de subdiviser la compétence générale de traduction attendue du traducteur en compétences et savoir-faire particuliers. Cela permet à la didactique de la traduction de développer des stratégies de transmission de ces compétences partielles. Sur la base des réflexions présentées plus haut on peut en distinguer plusieurs. Par exemple, la compétence intertextuelle : le traducteur doit la posséder pour pouvoir transposer le plus largement possible des aspects d’intertextualité du texte source dans le texte cible (cf. Munteanu Colán/Marrero Pulido 1994, 211). Le rôle du traducteur consiste à évaluer le savoir intertextuel de ses lecteurs pour, le cas échéant, renoncer à restituer certains éléments d’intertextualité en compensant les pertes par des moyens externes au texte, par exemple des notes et des commentaires (cf. ibid., 223). Une autre compétence partielle exigible du traducteur est qu’il ait une certaine aptitude à percevoir intuitivement des modèles de textes relevant de cultures différentes (cf. Tomaszkiewicz 2003, 46). La question se pose à lui de déterminer comment il va intégrer son savoir relatif aux modèles de textes au processus de traduction. Il doit savoir jusqu’où il peut adapter le texte source au modèle textuel de la langue cible et il doit élaborer des stratégies de traduction des textes pour lesquels il n’existe encore aucun modèle textuel stable. Il doit savoir traiter le problème des lacunes d’information qui résultent du fait que le modèle textuel de la culture cible exige des renseignements que le texte source ne livre pas – et bien sûr aussi le problème inverse (cf. ibid., 51). Mais en outre, il doit être en mesure de reconnaître dans le texte original les écarts éventuels par rapport au schéma textuel type. C’est le seul moyen pour lui de maintenir l’équilibre entre la mobilisation d’expressions et de schémas standard et le recours à des moyens spécifiques de production textuelle susceptibles de produire chez le lecteur cible le même effet que l’original sur le lecteur source. Pour y parvenir le traducteur doit disposer – troisième compétence – d’une sorte de savoir générique incluant des connaissances socioculturelles spécifiques. Ce savoir concerne tant la situation de communication que les fonctions et le thème du texte original et balise le terrain lors du choix des moyens linguistiques appropriés. Il s’agit d’une compétence prototypique qui, tout en comportant des zones d’indétermination, inclut aussi bien des connaissances relatives aux caractéristiques prototypiques attendues d’une sorte de textes donnée que le potentiel de créativité nécessaire à la traduction de l’original comme texte particulier aux effets spécifiques (cf. Ciapuscio 2012, 96). Les avis divergent sur l’importance des connaissances relatives aux types et aux sortes de textes pour la compétence de traduction. Di Sabato/Di Martino (2011) pensent, par exemple, que le traducteur ne doit pas nécessairement être capable de nommer le type de texte, car il s’agit là d’une catégorie universelle. Il est possible,  

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selon eux, de reconnaître l’appartenance d’un texte à un certain type de façon automatique. C’est donc instinctivement que le traducteur parviendrait de la typologie du texte à la stratégie de traduction qui s’impose (cf. ibid., 41). Les auteurs accordent une plus grande importance à la connaissance des sortes de textes, qui devrait inclure des connaissances précises sur la réalisation concrète des sortes de textes dans les différentes communautés linguistiques. Le traducteur doit tenir compte du fait que les sortes de textes sont soumis à des changements constants conditionnés par l’évolution des besoins de la communication sous l’effet du déplacement des frontières géographiques, sociales, linguistico-culturelles, professionnelles et techniques (cf. ibid., 51). Devant un texte particulier le traducteur doit être capable – dernière compétence évoquée – de discerner la stratégie qu’il convient d’adopter face aux différents niveaux du texte pour parvenir à établir des relations d’équivalence avec l’original au niveau du texte tout entier (cf. Neubert 1992, 18). En résumé, on retiendra de la compétence de traduction vue sous l’angle de la linguistique textuelle qu’elle doit comporter des compétences résultant d’une approche du texte comme unité ultime de traduction ainsi que des compétences prenant en compte l’appartenance des textes à des ensembles. La mobilisation de la compétence de traduction conduit à l’application de diverses stratégies sur la base desquelles plusieurs techniques de traduction peuvent être distinguées. Lorsque c’est la fonction pragmatique de la traduction qui est mise en avant, les techniques à distinguer sont la traduction littérale, la traduction philologique et l’adaptation (cf. Neubert 1992, 22). Elles sont axées sur le processus de traduction. On peut en distinguer quatre autres, centrées sur les publics cibles et conditionnées par la finalité traductologique. La première correspond à un double groupe cible, dans la mesure où l’intérêt pour le texte des lecteurs source et des lecteurs cible se recoupe. La seconde vise à satisfaire en premier lieu les besoins communicationnels des lecteurs de la langue source. La troisième est une variante de la deuxième. Elle concerne des textes qui sont d’une part fortement ancrés dans les traditions de communication du public de la langue source, mais présentent d’autre part un intérêt pour l’ensemble de l’humanité, et donc aussi pour le public de la langue cible. La quatrième, quant à elle, s’adresse prioritairement aux lecteurs de la langue cible. Le texte source ne sert ici que de modèle ou d’ébauche pour des textes cibles conçus pour s’intégrer parfaitement dans l’univers textuel de la communauté linguistique cible (cf. ibid.). Cette classification des traductions sur la base de diverses modalités de traduction fait apparaître que c’est une composante importante de la compétence de traduction vue sous l’angle de la linguistique textuelle que de manier les compétences partielles avec souplesse pour parvenir à une traduction adéquate. Traduction René Métrich

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22 Connexité, cohésion, cohérence : la « grammaire de texte » dans les langues romanes  





Abstract : La grammaire de texte étudie les relations transphrastiques à plusieurs niveaux : syntaxique, sémantique et pragmatique. Parmi la multitude de termes proposés pour désigner ces relations, on peut citer la cohésion et la cohérence (dans différentes acceptions) et, plus récemment, la connexité. Le présent article décrit quelques formes et constructions aptes à établir des relations transphrastiques (présentées dans l’ordre des formes les plus implicites aux formes les plus explicites) : les ellipses contextuelles et les sujets zéro, les pronoms et autres proformes, les articles et autres déterminants, les reprises lexicales et les reformulations. La diversité des langues abordées (le français, l’espagnol, l’italien, l’allemand et l’anglais) a pour ambition d’illustrer, d’une part, les différences entre les langues romanes et d’autres langues, et d’autre part, les différences intra-romanes.    





Keywords : cohérence, cohésion, connexité, grammaire de texte, transphrastique    

1 Aspects théoriques et terminologiques La « grammaire de(s) texte(s) » ou « grammaire textuelle » (cf. par ex., Combettes 21988 ; Moirand 1990) part de la prémisse que les règles grammaticales d’une langue peuvent dépasser les limites de la phrase. Aussi, certains auteurs parlent-ils d’une grammaire « transphrastique » (cf. Coseriu 31994, 205ss. ; Stati 1990 ; plus critique : Andorno 2003, 21ss.). Plusieurs termes et concepts servent à décrire les relations transphrastiques à l’intérieur d’un texte. Nous citerons quatre approches :  





















a)

Quelques auteurs utilisent le terme de cohérence comme hyperonyme des relations transphrastiques, en le précisant, le cas échéant, par des adjectifs. Ainsi, Lundquist (1980, 54ss.) distingue plusieurs types de cohérence textuelle, à savoir, la cohérence thématique, la cohérence sémantique et la cohérence pragmatique. Conte (1988a, 79s.), en revanche, distingue la « cohérence a parte obiecti », inhérente au texte, de la « cohérence a parte subiecti », construite par l’interprète du texte. D’autres auteurs utilisent un terme distinct pour désigner chaque relation. La distinction la plus courante est la dichotomie cohésion/cohérence. Ici, le terme cohésion, introduit par Halliday/Hasan (1976), désigne des relations explicites, marquées par des signes spécifiques (les « moyens cohésifs »), tandis que la cohérence ne concerne que les relations implicites (cf. Beaugrande/Dressler 1981, 5). En outre, plusieurs propositions sont basées sur des trichotomies. Bronckart et al. (1985, 55) appliquent le terme cohérence aux relations thématiques et ils introduisent les termes  







b)



c)





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Connexité, cohésion, cohérence : la « grammaire de texte » dans les langues romanes  

d)





connexité, pour désigner la structure propositionnelle du texte, et modalisation, pour certaines relations pragmatiques. Une autre distinction tripartite, proposée par Hatakeyama/ Petöfi/Sözer (1989) et modifiée par Schreiber (1999, 17), utilise la connexité pour caractériser les relations établies par des moyens morphosyntaxiques, la cohésion, pour le niveau sémantique et la cohérence, pour le niveau pragmatique. La dernière approche part d’une classification graduelle de la continuité thématique (angl. topic continuity). Selon le typologue Givón, il existe une corrélation entre la continuité thématique et l’extension matérielle d’un signe linguistique : « The more disruptive, surprising, discontinuous or hard to process a topic is, the more coding material must be assigned to it » (Givón 1983, 18). Sur la base d’une comparaison de langues typologiquement différentes, Givón (ibid.) a proposé l’échelle suivante :  







« more continous/accessible topics zero anaphora unstressed/bound pronouns […] stressed/independent pronouns full NP’s more discontinous/inaccessible topics »  



Au niveau des relations intratextuelles, cette échelle correspond à une distinction entre plusieurs degrés d’« explicitation ». Les chapitres suivants s’inspirent de cette distinction, en partant de l’ellipse (« anaphore zéro ») pour aller vers des moyens de plus en plus explicites. En traductologie, le degré d’explicitation cohésive a fait l’objet d’une hypothèse controversée : l’« explicitation hypothesis » (cf. Blum-Kulka 1986), selon laquelle les textes issus d’une traduction présenteraient un degré d’explicitation plus élevé que les textes directement écrits dans la même langue. Cette tendance des traductions à l’explicitation a été discutée dans le cadre des recherches sur les « universaux » de la traduction (cf. Laviosa 2009, 308). On peut se poser la question de savoir si les recherches sur la traduction de ou vers les langues romanes confirment cette hypothèse universaliste ou si la traduction des différents moyens cohésifs dépend plutôt de la paire de langues que des tendances « universelles » de la traduction. Dans le présent article, outre trois langues romanes (le français, l’espagnol et l’italien), les analyses citées tiendront également compte de deux langues germaniques (l’allemand et l’anglais) comme langues de contraste. À défaut de pouvoir traiter de manière exhaustive des moyens transphrastiques énumérés dans la littérature – articles et autres déterminants, connecteurs, ellipses, hyperonymes, marqueurs du discours, modalisateurs, paraphrases, particules modales, pronoms et autres proformes, répétitions, synonymes, temps et aspects, thèmepropos etc. (cf., entre autres, Beaugrande/Dressler 1981 ; Conte 1988b ; Halliday/ Hasan 1976 ; Lundquist 1990 ; Perona 2000) –, le présent article propose, à titre d’exemple, une analyse des formes suivantes : ellipses et sujets zéro, pronoms et autres proformes, articles et autres déterminants, reprises lexicales, reformulations. Pour les particules modales, connecteurs et marqueurs du discours, ↗18 Les différents modèles de la sémantique lexicale et leur intérêt pour la théorie et la pratique de  





































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la traduction ; pour temps et aspect, cf., entre autres, ↗23 Les différentes formes du discours rapporté comme problème de traduction ; pour thème et propos, ↗24 Thème / propos et la progression thématique.  





2 Ellipses et sujets zéro Comme d’autres notions de la linguistique textuelle, le terme d’ellipse provient de la rhétorique classique où il désigne la « suppression de mots qui seraient nécessaires à la plénitude de la construction » (Dupriez 1984, 173). Une telle définition implique une structure canonique de la phrase (cf. Raible 1985, 208s.) et une « relation d’équivalence approximative » entre l’ellipse et la construction « complète » (cf. Tamba-Mecz 1983, 152). Du point de vue de la linguistique moderne, on peut distinguer plusieurs types d’ellipse, notamment l’ellipse situationnelle (Bally 41965, 85), qui peut être interprétée à l’aide de la situation extralinguistique, et l’ellipse contextuelle (Isačenko 1965), dont l’interprétation dépend du contexte linguistique. C’est ce dernier type qu’étudie la grammaire de texte. La formation d’une ellipse contextuelle obéit d’une part à des règles générales, non liées à une langue donnée, et à des règles spécifiques d’autre part. Un exemple de règle générale : On peut supprimer des éléments thématiques, mentionnés dans le texte (cf. Wittmers 1970, 44), une fonction principale de l’ellipse étant celle d’isoler des éléments rhématiques (cf. Cherchi 1978, 124). Les règles spécifiques, elles, sont liées à une langue donnée (cf. Brucart 1999a, pour l’espagnol ; Marello 1984, pour l’italien ; Schreiber 2002, pour le français et l’allemand). En guise d’illustration, citons une ellipse typique dans la langue parlée allemande : l’ellipse du premier constituant de la phrase principale. L’exemple suivant, tiré du roman Berlin Alexanderplatz de Döblin, contient deux ellipses contextuelles du sujet (ici marquée par le signe Ø) qui ont été traduites par des pronoms démonstratifs (ça et ce), en français :  





















« ‹ Er redt vom Frankfurter Topfmarkt. […] › ‹ Ø Schadt nicht, Ø istn guter Mann, er weiß, was er will. ›    







– Il parle de la foire aux pots à Francfort […] – Mais, ça fait rien, c’est un brave homme qui sait ce qu’il veut » (Schreiber 1999, 178).    



En français moderne, si l’omission du pronom personnel sujet est possible dans certains contextes (cf. Grevisse 121986, 338s.), elle reste moins courante qu’en allemand parlé (cf. Schreiber 1999, 178s.). En espagnol et en italien, la situation est différente, car ces deux langues sont des langues dites « pro-drop ». L’expression du sujet étant facultative dans ces langues, y compris dans la langue écrite, nous parlerons de sujet zéro au lieu d’ellipse (cf. Cordin/Calabrese 22001, 551s.). Dans la traduction d’une langue « pro-drop » vers une  







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langue « non pro-drop », comme l’anglais, l’allemand ou le français, le traducteur doit expliciter le sujet à l’aide du contexte, comme dans l’exemple suivant, tiré de la traduction allemande d’un texte espagnol :  





« Una nueva etapa de prosperidad se abrió a raíz de la guerra de secesión…, pero Ø duró poco. Eine neue Etappe der Prosperität hub infolge des Sezessionskrieges an…, doch sie dauerte nur kurze Zeit » (Cartagena/Gauger 1989, vol. 1, 454).  





D’un point de vue morphosyntaxique, la forme verbale espagnole duró pourrait se référer à una nueva etapa de prosperidad ou à la guerra de secesión. Au niveau de la progression thématique, l’affinité du sujet zéro avec la progression à thème constant rend la première option plus vraisemblable (pour marquer un changement de sujet, l’auteur du texte espagnol aurait pu employer une proforme explicite, par ex., un pronom démonstratif). En allemand, le pronom personnel féminin sie implique une désambiguïsation morphosyntaxique, car il exclut la reprise du syntagme nominal masculin des Sezessionskrieges.

3 Pronoms et autres proformes Le terme de pronom, bien établi dans la grammaire traditionnelle, a été critiqué par F. Brunot dans sa grammaire onomasiologique intitulée La pensée et la langue :  



« Le mot pronom, comme il a été employé, donne des idées fausses. On l’a appliqué à des mots qui remplacent tout autre chose que des noms. Ils représentent des adjectifs : belle, elle l’est […] ; des verbes : allez-y, il le faut […] ; des idées entières : elle défit sa chevelure, et cela avec la simplicité d’une enfant […]. Il faudrait donc distinguer des pronoms, des proadjectifs, des proverbes, des prophrases. Pour éviter ces mots équivoques ou barbares, nous dirons représentants […] » (Brunot 1922, 173).  











Bloomfield (1933, 247) a proposé substitut (angl. substitute) pour désigner les formes que Brunot appelle représentants. Le terme de substitut a été repris par des linguistes du français (cf., par ex., Dubois 1965, 91). La linguistique textuelle allemande utilise proforme (all. Pro-Form ou Proform) (cf. Steinitz 1974 ; Braunmüller 1977), un terme également employé par des linguistes de langues romanes (cf., entre autres, Cristea 1973, 4 ; Andorno 2003, 45). Bernárdez définit les proformes (esp. proformas) comme « elementos lingüísticos cuya función es la de servir de sustituto a un elemento léxico en el mismo texto » (Bernárdez 1982, 105). Cette fonction intratextuelle est appelée anaphore, pour la reprise textuelle (cf., par ex., Kleiber 1994), et cataphore, pour le renvoi au contexte suivant (cf. Kęsik 1989). Comme hyperonyme des deux procédés, on peut employer les termes substitution (Harweg 1968, 20) ou diaphore (Maillard 1974). Quant à l’extension de la classe des proformes, il convient de distinguer deux approches : au sens strict, cette classe est formée par des mots grammaticaux dont la  









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fonction principale est la substitution. Par exemple, les pronoms personnels de la troisième personne, les pronoms démonstratifs ainsi que d’autres pronoms et certains adverbes anaphoriques. Selon cette approche, les proformes sont plus courtes et moins informatives que les expressions qu’elles remplacent (cf. Poitou 1996, 127). Dans un sens plus large, la classe des proformes englobe aussi bien les ellipses contextuelles que les reprises lexicales (cf. Schreiber 1999, 154ss. ; Ferrari 2011). Pour illustrer les nombreuses spécificités linguistiques concernant les pronoms, nous avons choisi deux cas de figure : la construction « ce + pronom relatif » et les pronoms adverbiaux. La construction « ce + pronom relatif » est un procédé anaphorique très fréquent en français. Bien qu’il s’agisse originellement d’un procédé de subordination, nombreux sont les textes écrits dans lesquels l’auteur met une ponctuation forte devant le démonstratif, ce qui montre qu’il a interprété la construction comme une anaphore transphrastique (cf. Grevisse 121986, 1070s.). En allemand, les constructions équivalentes (was ou wo- + relative) sont interprétées normalement comme des procédés de subordination (cf. Koeppel 1993, 122ss.). Dans les traductions de ou vers l’allemand, ce qui ou ce que correspondent souvent à un pronom démonstratif sujet (cf. Grünbeck 1976, 269), comme dans l’exemple suivant, d’un roman de Jakob Arjouni :  













« ‹ […] Auch wenn er ein schlimmer Mensch geworden war. › ‹ Das soll heißen ? ›    









[…] Et pourtant, il était devenu exécrable. – Ce qui signifie ? » (Schreiber 1999, 430).  

L’espagnol et l’italien connaissent des constructions comparables au français (cf. Brucart 1999b, 417ss. ; Cinque 22001, 480s.) Les pronoms adverbiaux (all. Pronominaladverbien) posent des problèmes de traduction d’autant plus grands que l’inventaire de ces formes dans les différentes langues romanes et germaniques présente des différences considérables (cf. Albrecht 22013, 124 ; Schreiber 2013). On peut distinguer trois groupes :  

1. 2. 3.

En allemand (comme d’ailleurs en néerlandais), l’inventaire est très détaillé et il révèle que les adverbes da-, hier- et wo- se combinent avec de nombreuses prépositions. En français et en italien, l’inventaire est très restreint : fr. y et en, it. ci/vi et ne. En anglais et en espagnol (comme en portugais), cette catégorie n’existe pas.  



La traduction des pronoms adverbiaux allemands se fait par des procédés très variés. En voilà un exemple tiré d’un discours auprès du Parlement européen :  

« Ich denke, wir haben damit den Startschuss gegeben für mehr Lebensmittelsicherheit in der Europäischen Union. Je pense que nous avons ainsi donné le coup de départ pour une sécurité des denrées alimentaires accrue au sein de l’Union européenne.  

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Creo que con ello hemos dado el pistoletazo de salida para lograr una mayor seguridad en los alimentos en la Unión Europea. Credo che in tal modo sia stato dato il segnale di partenza verso una maggiore sicurezza alimentare nell’Unione europea. I believe that, with this report, we have fired the starting signal for the enhancement of food safety in the European Union » (Schreiber 2013, 193).  

Dans la traduction française du passage ci-dessus, le pronom adverbial allemand a été rendu par un adverbe anaphorique, en espagnol par une combinaison de préposition et pronom, en italien et en anglais par un syntagme prépositionnel. Dans bien d’autres traductions, on ne trouve pas d’équivalent explicite pour les pronoms adverbiaux allemands (cf. Albrecht 22013, 125 ; Schreiber 2013). Les procédés de traduction varient donc de l’implicitation maximale (équivalent zéro) à l’explicitation maximale (syntagme prépositionnel). Toutefois, on ne saurait en déduire une « règle » simple.  





4 Articles et autres déterminants Selon Weinrich, la fonction primaire des articles est une fonction textuelle : l’article indéfini est, pour lui, cataphorique, et l’article défini anaphorique (cf. Weinrich 1969, pour l’allemand, et Weinrich 1974, pour le français). Certes, ces définitions semblent excessives, parce qu’elles négligent les autres fonctions des articles (cf. Coseriu 31994, 303), mais l’intérêt des articles et autres déterminants pour la grammaire textuelle reste indéniable. Si l’utilisation anaphorique de l’article défini en est sans doute une fonction importante (cf. Leonetti 1999, 796ss., pour l’espagnol ; Renzi 22001, 397s., pour l’italien), celui-ci est en concurrence avec d’autres déterminants dans cette fonction. En français, le déterminant démonstratif s’utilise, par exemple, pour la « reprise immédiate » d’un nom si ce nom est le seul antécédent possible :  









« Il y a un dictionnaire sur la table. Ce (*le) dictionnaire… Il y a un dictionnaire et un roman sur la table. Le (*ce) dictionnaire… » (cf. Milner 1982, 25).  



Selon Maingueneau (1994, 150), l’usage de l’article défini dans les exemples du premier type n’est pas complètement exclu, mais « moins naturel » (voir aussi Lavric 2001, 887, qui parle d’une différence d’acceptabilité). Pour l’italien et l’espagnol, on a décrit des restrictions similaires (cf. Conte 1996 ; Leonetti 1999, 801). En allemand, où l’origine déictique de l’article défini est plus présente qu’en français, ces restrictions ne semblent pas exister (cf. Schreiber 1999, 304). Quelques traductions étudiées révèlent de nombreux cas d’exemple où un article défini allemand correspond à un déterminant démonstratif français (cf. Grünbeck 1976, 243ss.), comme dans la citation suivante :  







« Je porte une robe de soie naturelle, elle est usée, presque transparente. Cette robe est sans manches.  

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Ich trage ein Kleid aus Rohseide, es ist abgenutzt, beinahe durchsichtig. Das Kleid ist ärmellos » (Kamm 1993, 317).  

D’autres problèmes de traduction proviennent des écarts dans l’inventaire morphologique de certains déterminants. Ceci est valable pour le déterminant possessif qui connaît, en allemand et dans d’autres langues germaniques, une distinction que les langues romanes ne font pas : la distinction entre un « possesseur » masculin et féminin (cf. all. sein vs. ihr). Dans l’exemple suivant, de Madame Bovary, la traduction allemande comporte une désambiguïsation selon le « possesseur » désigné :  











« Oh ! Rodolphe !… fit lentement la jeune femme en se penchant sur son épaule. Le drap de sa robe s’accrochait au velours de l’habit. ‹ Ach, Rodolphe… ! › flüsterte die junge Frau und lehnte sich an seine Schulter. Das Tuch ihres Kleides lag dicht am Samt seines Rockes » (Schreiber 1999, 255).  









Une telle désambiguïsation requiert souvent des connaissances encyclopédiques, ce qui est à l’origine des difficultés notoires dans le contexte de la traduction automatique (cf. Hauenschild 1988).

5 Reprises lexicales Dans le chapitre précédent, on a traité de l’usage des déterminants anaphoriques. Le présent chapitre est consacré à l’usage des lexèmes correspondants. La préférence pour un type de reprise lexicale donné dépend, entre autres, du registre. Ainsi, dans la langue parlée spontanée, on observe, en règle générale, beaucoup de répétitions, le locuteur ayant peu de temps pour préparer une variation lexicale élaborée (cf. Koch/ Oesterreicher 22011, 106ss. ; Schreiber 1999, 480). La langue de spécialité constitue un autre registre ayant une certaine propension à la répétition lexicale. En effet, pour garantir une précision maximale, il est conseillé de répéter les termes techniques au lieu de les varier (cf. Albrecht 1995b, 130 ; Pöckl 1990, 269 ; Sobrero 1993, 246). Pourtant, la réalité des textes présente de nombreuses exceptions à cette norme prescriptive (cf. Schreiber 2000). Rega (2004, 97) cite l’exemple suivant, extrait d’un mode d’emploi :  





« Die Kombinationsdüse ermöglicht die Saugarbeit auf Teppichen jeder Art sowie auf Glattböden, ohne dass die Düse gewechselt werden muss. The carpet and floor nozzle makes it possible to vacuum carpets and uncarpeted floors without having to change the nozzle. Ce suceur combiné permet d’aspirer sur les tapis, moquettes, ainsi que sur des sols lisses sans qu’il soit nécessaire de changer d’accessoire. Con questo accessorio è possibile operare su superfici lisce, su tappeti e moquette di ogni tipo ».  



Dans les versions allemande et anglaise, on trouve une répétition du terme technique précis, tandis que les textes français et italien comportent un hyperonyme, qui est

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stylistiquement « meilleur », mais moins facile à interpréter pour le lecteur. Selon Hempel (2006, 246), de tels traits de style soutenu ne sont pas rares dans les modes d’emploi italiens. Dans la langue écrite non spécialisée, les hyperonymes sont un moyen communément utilisé pour éviter les répétitions lexicales. Selon Cornish (1986, 20) les hyperonymes se prêtent mieux à l’emploi anaphorique que les synonymes, car l’hyponymie est, comme l’anaphore, une relation asymétrique tandis que la synonymie est symétrique. Même dans les textes journalistiques, où la synonymie est assez courante, les hyperonymes anaphoriques sont beaucoup plus fréquents que les synonymes anaphoriques (cf. Schröder 1984, 207s.). Néanmoins, tous les hyperonymes ne sont pas adaptés à l’usage anaphorique. Steinitz (1974, 256) cite l’exemple suivant :  





« Über die Straße rannte ein Dackel. Der Hund / *das Säugetier / das Tier kam keifend auf mich zu ».  



Ce qui est intéressant ici, c’est que la reprise par le « genre prochain » et par un nom très général ne pose pas de problème, tandis qu’un terme de zoologie, situé entre les deux, est exclu de cet emploi. Si on croit à la thèse selon laquelle le français est une langue « abstraite », cette langue devrait avoir une préférence pour l’emploi des hyperonymes d’un niveau très général. Pourtant, comme le montre Albrecht (1995a, 29ss.), cette tendance valable pour le français classique ne l’est plus pour le français contemporain. Un autre type de reprise lexicale que nous souhaitons mentionner brièvement est l’anaphore associative (Schnedecker et al. 1994). Ce type d’anaphore est basé sur une relation de « contiguïté » (cf. Harweg 1968, 184 ; Schreiber 1999, 291), par exemple partie-tout ou cause-effet. Il est exprimé par un syntagme nominal défini, comme dans l’exemple suivant :  















« Nous arrivâmes dans un village. L’église était fermée » (Kleiber 1990, 156).  



Toutefois, cet exemple ne fonctionne que dans le cas d’un petit village qui n’a qu’une seule église. En revanche, la traduction vers la langue d’une culture où un village prototypique a plusieurs églises ou n’a pas d’église du tout pourrait poser problème (cf. Coseriu 1992, 102s.). Enfin, une reprise lexicale peut se faire à l’aide d’un procédé de la formation des mots. Dans ce domaine, il existe des différences entre l’allemand, d’une part, et les langues romanes, d’autre part. Une différence notoire est la grande productivité des mots composés allemands (cf. Wildgen 1982, pour une analyse dans le cadre de la linguistique textuelle). Il existe d’autres procédés, par exemple les nominalisations (cf. Lüdtke 1978, et, pour l’usage anaphorique, Moirand 1975), qui sont aussi productifs dans les langues romanes. Mais là aussi, l’allemand connaît des procédés anaphoriques très spécifiques. Par exemple la nominalisation d’un adjectif qui indique l’âge de la personne désignée :  

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« Hans Müller kam herein. Der 44-jährige sagte : […] » (Coseriu 31994, 216).  





Ce procédé, très fréquent dans le style journalistique, est une anaphore « à valeur additionnelle » telle que définie par Maillard (1974, 57s.), c’est-à-dire une anaphore qui ajoute une information au texte. En français, on peut certes avoir recours, dans le même contexte, à des formes lexicalisées, comme le quadragénaire (Schreiber 1999, 297), mais il n’existe pas de procédé productif équivalent.  



6 Reformulations Le terme de reformulation est utilisé comme hyperonyme de plusieurs procédés complexes de la reprise textuelle, notamment dans la langue parlée. Bazzanella (22001, 248) en distingue trois sous-catégories principales : la paraphrase, la correction et l’exemplification. En fonction de la longueur de la reformulation, Gülich/ Kotschi (1987, 39ss.) distinguent trois types : la variation (sans changement d’extension), l’expansion et la réduction. Souvent, une reformulation est introduite par un marqueur de reformulation, comme all. das heißt, esp. es decir, fr. c’est-à-dire ou it. cioè (cf. Martín Zorraquino/ Portolés Lázaro 1999, 4121ss., pour l’espagnol ; Rossari 1994, pour le français et l’italien ; Tiitula 1993, 175ss., pour l’allemand). Parmi ces marqueurs, plusieurs sont polyvalents. Le marqueur c’est-à-dire, par exemple, n’introduit pas seulement des paraphrases, mais aussi des corrections ou des précisions, comme dans l’exemple suivant :  







« Le directeur est malade, c’est-à-dire il a prolongé ses vacances » (Rossari 1994, 14).  



De telles précisions sont d’ailleurs assez fréquentes dans l’interprétation simultanée (cf. Riccardi 1999). Même si l’inventaire des marqueurs dans les différentes langues présente quelques similitudes, la traduction littérale n’est pas toujours la meilleure solution. Voici les conclusions d’une analyse contrastive des « phrasèmes de la paraphrase et du transphrasage (switching) » en français et en allemand :  





« (1) Traduction du phrasème allemand ‹ mit anderen Worten › : En français, ce phrasème se rend le plus souvent par une expression avec ‹ terme › (‹ en d’autres termes ›) ou bien par la forme ‹ autrement dit ›. En même temps, on peut observer que les phrasèmes avec ‹ mot › dans ce sens là sont plutôt rares […].  



   

















(2) Traduction du phrasème français ‹ autrement dit › : Une traduction par l’expression allemande ‹ anders gesagt › est possible, mais selon les contextes, nous en avons trouvé encore d’autres réalisations : ‹ mit anderen Worten ›, ‹ besser gesagt ›, ‹ anders ausgedrückt ›… » (Bastian/Hammer 1997, 237s.).  

   





















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Dans une étude contrastive de la reformulation en espagnol et en italien, Flores Acuña (2009) cite des cas où un marqueur paraphrastique espagnol correspond à un marqueur non paraphrastique italien, comme dans l’exemple suivant, tiré d’un texte de Susanna Tamaro et de sa traduction espagnole :  

« Quando due persone si incontrano e si piacciono cominciano a inviarsi dei piccoli ormoni di cui non ricordo il nome, questi ormoni entrano del naso e salgono fino al cervello e lì, in qualche meandro segreto, scatenano la tempesta dell’amore. I sentimenti, insomma, concludeva l’articolo, non sono nient’altro che delle invisibili puzze. Cuando dos personas se encuentran y se gustan empiezan a enviarse unas pequeñas hormonas cuyo nombre no recuerdo ; esas hormonas entran por la nariz para subir hasta el cerebro y allí, en algún secreto meandro, desatan la tempestad del amor. En otras palabras, concluía el artículo, los sentimientos no son otra cosa que invisibles hedores » (Flores Acuña 2009, 133).  





Polyvalent, le marqueur paraphrastique en otras palabras sert ici de marqueur conclusif, comme insomma en italien (cf. Flores Acuña 2009, 132) En outre, il existe aussi des reformulations sans marqueur explicite (cf. Jordan 1997, 65 ; Schreiber 1999, 476ss.). Mais, celles-ci présentent moins de spécificités linguistiques et, par conséquent, moins de problèmes de traduction.  

7 Conclusion Les spécificités transphrastiques des langues romanes et germaniques citées ci-dessus ne sont pas faciles à résumer. En ce qui concerne l’ellipse et le sujet zéro, on connaît la différence typologique entre les langues « pro-drop », d’une part (par ex., l’espagnol et l’italien), et les langues « non pro-drop », de l’autre (par ex., l’allemand, l’anglais et le français). Néanmoins, on observe aussi des différences dans l’emploi de l’ellipse entre l’allemand et le français. Pour ce qui est des proformes, l’allemand connaît, entre autres, un large inventaire de pronoms adverbiaux qui peuvent poser des problèmes considérables dans les traductions de l’allemand vers une langue romane ou vers l’anglais. Si les différences dans l’inventaire des déterminants sont moins grandes, on peut quand même constater des écarts dans l’usage de certaines formes ; par exemple, l’article déterminé allemand correspond souvent à un déterminant démonstratif français. L’utilisation des reprises lexicales, en revanche, présente quelques tendances générales, comme l’illustre l’affinité entre la langue parlée et la répétition. Quant aux reformulations (paraphrases, corrections, etc.), les spécificités linguistiques concernent surtout l’inventaire des marqueurs de la reformulation. En somme, formuler des règles « universelles » pour décrire les procédés de traduction dans le domaine transphrastique, comme le suggère, par exemple, l’hypothèse de l’explicitation (« explicitation hypothesis », citée ci-dessus, cf. 1) semble bien impossible.  

















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Caroline Pernot

23 Les différentes formes du discours rapporté comme problème de traduction Abstract : La linguistique contrastive ayant établi le caractère à la fois universel et singulier de l’auto-référenciation dans les langues naturelles, certains critères de l’équivalence traductologique (interprétative, discursive et diaphasique) sont conditionnés par les différences dans l’économie du discours rapporté. De plus, les avatars de discours rapportés sont marqués par des conventions socio-discursives et des métadiscours (grammaticaux ou épilinguistiques) qui posent des problèmes de reconnaissance et d’interprétation et apparaissent également comme des critères de l’équivalence traductologique. Les différents cas de traduction de langues romanes examinés ici sont ponctuellement enrichis de comparaisons avec des traductions en anglais et en allemand.    

Keywords : discours rapporté, concordance des temps, verbes introducteurs, mimétisme du discours direct, discours indirect libre    

0 Introduction Les signes d’une langue n’ont pas pour unique fonction de référer à la réalité extralinguistique, ils peuvent également être employés pour référer à eux-mêmes, dans un discours passé ou futur, réel ou imaginaire, produit par soi-même ou par un tiers. Produire un discours qui rapporte un autre discours est une fonction qui est présente dans toutes les langues naturelles et qui est une caractéristique propre du langage humain. La scolastique avait déjà distingué cette particularité du langage humain et opposé la référenciation extralinguistique (suppositio formalis) à l’autoréférenciation (suppositio materialis). Si la linguistique contrastive a permis de vérifier l’universalité de cette fonction (cf. Göldemann/Roncador 2002), elle a également révélé que son fonctionnement diffère selon les langues. Dans l’optique de la traduction, les contraintes linguistiques ne représentent toutefois pas l’unique paramètre de l’équivalence : les manifestations du discours rapporté obéissent également, dans les différentes langues romanes, à des régularités discursives liées aux genres de discours et aux situations énonciatives. Un troisième paramètre de l’équivalence traductologique est en outre fourni par le métadiscours narratologique et grammatical.  

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Les différentes formes du discours rapporté comme problème de traduction

1 Définition Le report d’un discours se fait fondamentalement soit au mode direct, non transposé, soit au mode indirect, avec une transposition du centre déictique vers le locuteur rapporteur. Chaque mode connaît des formes non introduites (discours direct libre, discours indirect libre) et des formes introduites. Dans ce dernier cas, le discours rapporté est syntaxiquement subordonné à la séquence introductrice, que ce soit en tant que complément du verbe (Il s’est dit : « C’est trop tard », discours direct régi) ou sous la forme d’une proposition complétive (Diceva che era stanco, discours indirect régi). Le mode indirect connaît en outre une forme synthétique de report de discours, le discours narrativisé, qui présuppose un acte de parole et en rend compte sans le donner à entendre (Il s’est confondu en excuses. Nous eûmes une conversation très intéressante). Il existe par ailleurs des emplois du conditionnel en français, en italien et en espagnol qui s’apparentent à du discours rapporté : dans cet usage, nommé en français conditionnel journalistique, conditionnel d’altérité énonciative ou conditionnel épistémique, en italien condizionale di dissociazione, condizionale di riserva ou condizionale giornalistico, et en espagnol condicional periodístico, les propositions énoncées au conditionnel sont données comme vraies uniquement dans le cadre de croyance d’un autre locuteur (cf. Kronning 2013). Son emploi consiste à subordonner la vérité de son affirmation à celle d’un discours tiers (Les otages auraient été libérés. Sarebbe colpevole. Estaría enfermo). Le conditionnel n’est néanmoins pas une forme de discours rapporté, mais une modalisation de discours par renvoi à une autre source d’énonciation, similaire en cela à l’emploi des prépositions modales telles que selon en français ou secondo en italien. La différence entre le mode direct et le mode indirect ne se limite pas à des changements morphosyntaxiques. Par le choix du mode direct, le locuteur rapporteur reprend les repères énonciatifs du locuteur cité et semble s’en faire le porte-voix : les déictiques de temps et de personne ne sont pas transposés et les codes linguistiques ainsi que les structures sémantico-syntaxiques sont reprises. Le discours rapporté au mode direct a une plus grande latitude énonciative que celui au mode indirect : onomatopées, particules du discours, topicalisation, énoncés elliptiques ou en langue étrangère sont reproductibles au mode direct, là où le mode indirect connaît de très nombreuses restrictions. Cette différence générale demanderait toutefois à être examinée dans le détail afin de déterminer quelles sont les légères variations qui existent entre les langues romanes.  











Il m’a dit : « Ti amo ». * Il m’a dit que mi ama. Il m’a dit qu’il m’aime.  





Il m’a dit « Là tu commences vraiment, hein … ». * Il m’a dit que je commençais vraiment, hein. Il a dit que je commençais vraiment à l’énerver.  





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Différents indices peuvent indiquer la présence d’un discours rapporté : indices phonétiques et intonatoires, morphologiques (modifications de temps, de modes, de personnes), syntaxiques (intégration ou rupture syntaxique), sémantique (présence de verba dicendi, d’énoncés d’ouverture), discursifs (registre de langue), propositionnels (contenu imputable à une personne autre que le locuteur) ou graphiques et textuels (ponctuation, structuration en paragraphes pour marquer le tour de parole ; sur l’évolution des normes graphiques en italien et français, cf. Tonani 2009). Les indices peuvent être cumulés ou se présenter en nombre réduit, auquel cas les discours rapportés prennent des formes implicites et interprétatives. Cela est particulièrement le cas du discours indirect libre, procédé employé de manière privilégiée dans les discours littéraires sans pour autant être exclu des textes de presse ou des échanges oraux informels. Représentation indirecte d’un discours autre, il est une forme dans laquelle les repères temporels, personnels ou simplement le contenu propositionnel renvoient à un autre locuteur, dont la syntaxe et la formulation peuvent être reprises sans les restrictions que connaît le discours indirect régi. Il est une forme non introduite mais peut être précédé par d’autres types de discours rapportés, comme dans les extraits suivants (discours directs introduits, j’ai commencé à me dire et je me suis dit dans le texte français ou discours narrativisé dans le texte espagnol, me acribilló a preguntas sobre detalles en los que yo no había tenido tiempo de pensar). Le discours indirect libre est uniquement marqué par la transposition des temps verbaux, qui introduit la distinction entre le moment du récit et le moment où les locuteurs ont formulé leurs pensées ou étaient engagés dans un dialogue :  





« je suis rentré […] et j’ai commencé à me dire oh là là oh là là c’est tout petit comment je vais faire c’est pas possible de vivre six mois là-dedans – et puis euh de suite j’ai j’ai commencé à réfléchir je me suis dit c’est très intéressant parce que si j’ai bien regardé euh l’orientation on est en plein sud – et comme le l’immeuble en face il ne faisait que trois étages et que nous on était au quatrième moi j’étais plus haut que lui donc j’allais avoir le soleil toute la journée ça c’était très très bien euh deuxième avantage c’est que c’était tout petit donc pour nettoyer c’était plus facile pour passer l’aspirateur il y avait la moquette par terre pour passer l’aspirateur ben ça serait tout petit ça serait euh vite fait » (Corpus de français oral du GARS, cité d’après Marnette 2002, 217).  



« Pero, instantáneamente, ganada por su terrible curiosidad, me acribilló a preguntas sobre detalles en los que yo no había tenido tiempo de pensar : ¿La Julita había aceptado ? ¿Íbamos a escaparnos ? ¿Quiénes iban a ser los testigos ? ¿No podíamos casarnos por la Iglesia porque ella era divorciada, no es cierto ? ¿Dónde íbamos a vivir ? » (cité d’après Gather 1994, 232s.).  















L’histoire de la traduction littéraire a montré que dans les traductions des œuvres de la littérature européenne de la moitié du XIXe siècle, âge d’or du discours indirect libre, les formes de discours indirect libre ont fait l’objet de nivellements fréquents et importants, étant soit traduites par du discours indirect régi soit transformées en de simples commentaires du narrateur (cf. notamment Kullmann 1995). Les facteurs tiennent au fait que le discours indirect libre était jusque lors une forme relativement marginale dans la littérature ; des discours rapportés tels que celui observable chez La  

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Les différentes formes du discours rapporté comme problème de traduction

Fontaine restent des cas isolés (Il met bas son fagot, il songe à son malheur / « Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ? / En est-il un plus pauvre en la machine ronde ? », La Fontaine, La Mort et le Bûcheron). Forme rompant à l’époque avec les conventions narratives usuelles (Proust parlait de « cet imparfait si nouveau dans la littérature » à propos des discours indirects libres dans l’œuvre de Flaubert) et non encore répertorié dans le métadiscours des grammaires, le discours indirect libre a posé des problèmes de reconnaissance, d’interprétation et de traduction. À ceci s’ajoutent des facteurs proprement linguistiques, le discours indirect libre étant par définition une forme de double énonciation dont les indices peuvent être ténus. Un exemple du caractère interprétatif de ce type de discours rapporté et des difficultés que pose sa traduction dans les langues non-romanes est fourni par L’Étranger de Camus. Dans cet extrait, les déictiques de temps et de personne sont identiques dans le discours simple du narrateur et dans son discours rapporté. La transposition des temps et des personnes, si elle est souvent observée, ne définit pas le discours indirect libre : l’unique indice formel est fourni ici par le discours direct qui suit et qui permet d’identifier a posteriori la séquence comme étant la représentation d’un discours.  













« Ensuite, il en est venu à l’histoire de Raymond. J’ai trouvé que sa façon de voir les événements ne manquait pas de clarté. Ce qu’il disait était plausible. J’avais écrit la lettre d’accord avec Raymond pour attirer sa maîtresse et la livrer aux mauvais traitements d’un homme ‹ de moralité douteuse ›. J’avais provoqué sur la plage les adversaires de Raymond. Celui-ci avait été blessé. Je lui avais demandé son revolver. J’étais revenu seul pour m’en servir. J’avais abattu l’arabe comme je le projetais. J’avais attendu. Et ‹ pour être sûr que la besogne était bien faite ›, j’avais tiré encore quatre balles, posément, à coup sûr, d’une façon réfléchie en quelque sorte. ‹ Et voilà, messieurs, a dit l’avocat général. J’ai retracé devant vous le fil d’événements qui a conduit cet homme à tuer en pleine connaissance de cause. […] › » (Camus, L’Étranger, 1194).  

   









   

La transposition en italien trouve son correspondant dans le discorso indiretto libero, qui conserve l’effet produit par le discours indirect libre dans ce contexte homodiégétique : celui d’une co-énonciation singulière produite par un locuteur ne se distanciant pas des propos tenus à son égard.  

« Poi è passato alla storia di Raimondo. Ho trovato che il suo modo di vedere i fatti non mancava di chiarezza. Tutto ciò che diceva era plausibile. Io avevo scritto la lettera d’accordo con Raimondo per attirare la sua amante e matterla in balía di un uomo ‹ di moralità discutibile ›. Sulla spiaggia avevo provocato gli avversari di Raimondo. Lui era stato ferito. Gli avevo chiesto la rivoltella. Ero tornato solo sul posto per servirmene. Avevo ucciso l’arabo come avevo in mente di fare. Avevo sparato una volta. Avevo atteso. E ‹ per esser sicuro che il lavoro era ben riuscito ›, avevo sparato ancora tre volte freddamente, a colpo sicuro, insomma pensando a quel che facevo. ‹ Riepiloghiamo, signori ›, ha detto il P.M. ‹ Ho ritracciato davanti a voi il susseguirsi di avvenimenti che ha condotto quest’uomo ad uccidere in piena cognizione di causa […]. › » (Camus, Lo straniero, 122s.).  















   

L’allemand en revanche connaît deux formes de discours indirect qui ne sont pas introduites. L’erlebte Rede, forme retenue dans la première traduction de cette œuvre,

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est en cela équivalente au discours indirect libre français qu’elle emploie le mode verbal de l’Indikativ, permettant sans heurts le passage du discours du narrateur à celui du discours cité en laissant une place à des jeux énonciatifs tels que la coénonciation ou l’ambiguïté (Ich hatte mit Raymond den Brief geschrieben, um dessen Geliebte ins Haus zu locken und sie der Mißhandlung durch einen Menschen ‹ zweifelhafter Moral › auszuliefern. Ich hatte am Strand Raymonds Feinde provoziert. Raymond war verwundet worden. […], Traduction de Goyert und Brenner, 99). La deuxième forme, le freie indirekte Rede, repose en revanche sur l’emploi d’un mode verbal spécifique, le Konjunktiv I (ou le Konjunktiv II de substitution), dont l’une des fonctions est d’indiquer la présence d’un discours rapporté (Ich hätte den Brief in Übereinstimmung mit Raymond geschrieben, um dessen Geliebte anzulocken und sie den Mißhandlungen eines Mannes von ‹ zweifelhafter Moral › auszusetzen. Ich hätte am Strand Raymonds Gegner provoziert. Raymond wäre verletzt worden. […], Traduction d’Aumüller, 116–118).1 Le freie indirekte Rede est d’un usage plus fréquent que l’erlebte Rede et, par contrecoup, fait de ce dernier, qui pourrait sembler a priori un équivalent exact du discours indirect libre, un mode dont l’emploi obscurcit la lecture et la détection d’un discours indirect libre.  







2 Les cas d’ambiguïté La traduction des cas de discours rapportés interprétatifs, qui ne disposent pas de marques telles que la transposition de la personne ou du temps verbal et lexical, requiert une distinction entre d’une part des énoncés qui, bien qu’étant formellement ambigus, sont inscrits dans un contexte qui ne laisse pas de doute quant à leur locuteur véritable et, d’autre part, ceux qui sont véritablement ambivalents et dont l’indétermination énonciative relève quelquefois d’une stratégie voulue pour le locuteur rapporteur. Le premier type de cas est illustré par les discours narrativisés suivants. « Il Preside communica di aver dovuto trasmettere all’Amministrazione Centrale una comunicazione relativa al numero di studenti stranieri iscrivibili ai corsi di laurea della facoltà […]. Sono state segnalate le […] disponibilità » (comptes rendus de réunions, corpus de Desoutter 2013, 123).  



« P.B. indique que depuis le mois d’octobre il a travaillé en étroite collaboration avec X,Y et les membres de la faculté. […] Des comptes rendus succincts sont rédigés et envoyés aux membres du conseil de la faculté pour qu’ils puissent suivre les décisions prises sur les questions d’actualité » (comptes rendus de réunions, corpus de Desoutter 2013, 123).  



1 Dans les langues romanes en revanche, le subjonctif s’est grammaticalisé et apparaît principalement comme une servitude grammaticale dans des propositions subordonnées, comme nombres de verba cogitandi tels penser (uniquement à la forme négative : Il ne pense pas que ce soit possible) ou credere (Non crede si possa fare molto per salvare la situazione).  

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Ces énoncés ne livrent aucun indice permettant d’identifier la source de l’énonciation et peuvent a priori être aussi bien des commentaires produits par l’auteur du compte rendu que des citations sous forme de discours narrativisés des propos tenus par un tiers. Néanmoins, le genre de texte ainsi que la présence en amont d’un discours indirect introduit par un verbe introducteur (communicare et indiquer) permet de les interpréter comme le report d’un discours tenu par un tiers. Ces cas d’ambiguïté formelle sont par nature plus fréquents en français ou en italien qu’en allemand, qui dispose, avec le Konjunktiv I, d’un mode verbal spécifique de discours rapporté. Tout particulièrement employé dans les textes de presse, le freie indirekte Rede au Konjunktiv I apparaît, bien que formant un type explicite de discours rapporté, comme une traduction adéquate des discours indirects libres français lorsque ceux-ci sont employés pour s’affranchir d’un verbe introducteur et introduire une plus grande fluidité dans le texte :  

« […] M. Tony Lake, exposait, en mai 1994, devant le Washington Institute for Near East Policy […] les liens que les responsables politiques américains avaient établis entre la guerre du Golfe et les accords d’Oslo. Il expliquait que la paix entre Israël et ses voisins arabes était destinée à demeurer une paix armée afin d’isoler les ‹ États voyous › (rogue states) irakien et iranien. Le président Saddam Hussein devait continuer à subir l’ostracisme des régimes arabes. L’Iran devait être privé de sa relation stratégique avec la Syrie » (Le Monde diplomatique, 07-2000, 10s.).  









« Es war im Mai 1994 […]. Tony Lake […] legte vor dem Washington Institute for Near East Policy […] die Zusammenhänge dar, die von den politischen Entscheidungsträgern der USA zwischen dem Golfkrieg und dem Abkommen von Oslo gesehen wurden. Lake stellte klar, dass der Frieden zwischen Israel und seinen arabischen Nachbarn ein bewaffneter Frieden bleiben müsse, um die so genannten Schurkenstaaten Irak und Iran zu isolieren. Präsident Saddam Hussein müsse weiterhin von den arabischen Regierungen geächtet werden, das strategische Bündnis des Iran mit Syrien solle unterminiert werden » (Traduction allemande pour la taz, in : Le Monde diplomatique, 07-2000, 10s.).  





Le deuxième type de cas manifestant une ambiguïté réelle et voulue se rencontre quant à lui majoritairement dans la littérature, comme illustré ci-après par des extraits de Madame Bovary, œuvre canonique à cet égard. Dans ses versions allemandes, les traducteurs ont souvent recours au freie indirekte Rede (au détriment de l’erlebte Rede à l’Indikativ, théoriquement possible) et enlèvent ainsi au texte sa polyphonie. Néanmoins, au vu de la grande fréquence d’emploi du freie indirekte Rede et de l’opacité corollaire de l’erlebte Rede, plus grande que celle du discours indirect libre français, cette équivalence est justifiable bien que se faisant au détriment de l’indétermination énonciative caractéristique du texte source. Ce choix traductologique amène toutefois les traducteurs allemands à devoir délimiter les contours du discours rapporté de manière plus nette que ne le fait le texte source. L’extrait suivant et sa confrontation à deux versions allemandes révèle que les deux traductions n’ont pas tracé les mêmes limites au discours rapporté. Les indices de discours indirect libre dans le texte de départ sont lexicaux (dessiller les yeux et avertir du gouffre peuvent relever de l’idiolecte du personnage cité) et situationnels (le contexte suggère une prise de parole de

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ce personnage). Le premier traducteur exclut « voulant » (bemühte sich, Indikativ) du discours indirect libre et le lit comme un élément de la prédication attribuable au narrateur. Le deuxième traducteur, à l’inverse, l’intègre dans le discours rapporté (wolle, Konjunktiv I) et l’interprète comme un verbe performatif qui explicite l’acte illocutoire visé et qui est proféré par le locuteur cité. Cette traduction représente le personnage comme énonçant : « Je veux vous dessiller les yeux, vous avertir du gouffre », ce qui est vraisemblable, compte tenu de la situation de discours et du ton sentencieux que le personnage adopte. Chaque interprétation est justifiable et le texte ne livre pas d’élément qui permette de hiérarchiser les variantes traductologiques.  









« […] quelqu’un avait envoyé à sa mère une longue lettre anonyme, pour la prévenir qu’il se perdait avec une femme mariée ;2 et […] la bonne dame […] écrivit à maître Dubocage, son patron, lequel fut parfait dans cette affaire. Il le tint durant trois quarts d’heure, voulant lui dessiller les yeux, l’avertir du gouffre. Une telle intrigue nuirait plus tard à son établissement. Il le supplia de rompre, et, s’il ne faisait ce sacrifice dans son propre intérêt, qu’il le fît au moins pour lui, Dubocage ! » (Flaubert, Madame Bovary, 142).  



   

« […] jemand [hatte] einen anonymen Brief an seine Mutter geschrieben und ihr mitgeteilt, daß sich ihr Sohn mit einer verheirateten Frau zugrunde richte ; die gute Frau […] wandte sich brieflich an Léons Chef Dubocage, der sich tadellos benahm. Er hielt ihn drei Viertelstunden zurück und bemühte sich, ihm die Augen zu öffnen und ihn vor dem Abgrund zu warnen, dem er zustrebe. Eine solche Affäre werde ihm später schaden, wenn er sich selbständig machen wolle. Er beschwor ihn, dieses Verhältnis zu lösen, und wenn er’s nicht in seinem eigenen Interesse tue, solle er es doch wenigstens ihm, Dubocage, zuliebe tun ! » (Flaubert, Madame Bovary, Traduit par Schickelé et Riesen, 336).  



   

« […] jemand [hatte] seiner Mutter einen langen anonymen Brief geschrieben und sie gewarnt, er stürze sich mit einer verheirateten Frau ins Unglück. Die gute alte Dame […] schrieb […] an Herrn Dubocage, seinen Brotherrn. Der erledigte die Angelegenheit tadellos. Er nahm ihn drei Viertelstunden lang ins Gebet ; er wolle ihm den Star stechen, ihn vor dem Abgrund warnen, dem er zueile. Eine solche Liebschaft könne später seinem Fortkommen Abbruch tun. Er bat ihn inständig, dieses Verhältnis aufzugeben, und wenn er dies Opfer nicht in seinem eignen Interesse bringen wolle, dann solle er es doch wenigstens ihm, Dubocage, zuliebe tun ! » (Flaubert, Madame Bovary, Traduit par Widmer, 372).  



   

Les traductions italiennes suivantes font également des choix divergents. La première transforme les trois propositions françaises (discours narrativisé, il le tint, puis deux discours indirects libres partiels, voulant lui dessiller les yeux, l’avertir du gouffre.) en une succession de discours narrativisés (gli parlò …, gli aprì …, gli mostrò …). La deuxième reproduit la structure du texte source. Toutes deux éliminent toutefois le verbe voulant de la version italienne, lequel pouvait, dans le texte source, être lu comme relevant du discours rapporté du personnage de Dubocage.

2 « se perdait avec une femme mariée » est en italiques dans le texte original.  



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« […] qualcuno aveva mandato a sua madre une lunga lettera anonima, per avvertirla che egli si perdeva con una donna sposata ; e subito la buona signora […] scrisse al notaio Dubocage, il principale di Leone. Il notaio si mostrò molto abile nella faccenda. Gli parlò per tre quarti d’ora, gli aprì gli occhi, gli mostrò in quale abisso stesse per cadere. Un tale imbroglio avrebbe nuociuto più tardi alla sua posizione. Lo supplicò di rompere la relazione : se non faceva quel sacrificio nel suo proprio interesse, lo facesse almeno per lui, per Dubocage ! » (Flaubert, Madame Bovary, Traduit par Angioletti et Angioletti, 293).  





   

« […] qualcuno aveva mandato a sua madre une lunga lettera anonima per avvertirla ch’egli ‹ si perdeva con una donna maritata ›. La buona signora […] scrisse subito al notaio Dubocage, principale del figlio, il quale trattò la faccenda con tatto perfetto. Lo intrattenne tre quarti d’ora per aprirgli gli occhi, mostrargli l’abisso. Una relazione simile avrebbe potuto nuocere, col tempo, alla sua sistemazione. Lo supplicò di romperla, e se non voleva fare questo sacrificio nel suo interesse, la facesse almeno per lui, Dubocage ! » (Flaubert, Madame Bovary, Traduit par Achilli, 264).  





   

3 L’introduction d’un discours rapporté 3.1 Les verbes introducteurs : sémantisme et syntaxe  

Au mode direct comme indirect, les discours rapportés peuvent être annoncés par une séquence introductrice, verbale ou quelquefois nominale (D’où cette interrogation : « Peut-on qualifier ainsi des pays où les exportations représentent parfois moins des deux tiers des importations ? », Le Monde diplomatique, 2000–06, 14s.). Le verbe introducteur permet de construire une occurrence de parole à travers sa valeur déclarative mais aussi d’identifier la source de l’énonciation seconde dont le marqueur est, dans l’énoncé cadre, le sujet du verbe introducteur. Les verbes introducteurs sont pléthoriques, mais leur emploi est soumis à des restrictions syntaxiques, le discours direct disposant d’une palette de verbes introducteurs plus riche que le discours indirect. Ces restrictions s’observent déjà sur le verbe prototypique dire. En français (dire), en italien (dire) et en allemand (sagen), ces verbes introduisent tant du discours direct que du discours indirect. On observe toutefois qu’au discours narrativisé, sagen peut introduire un contenu propositionnel (Die Dame sagte mir die Wahrheit) mais pas relater un acte de paroles (*Die Dame sagte ihm hereinzutreten). Dans ce dernier cas, il faut en allemand spécifier l’acte de parole réalisé, ce qui amène le traducteur d’énoncés aussi minimalistes que La dame lui dit d’entrer et La signora gli disse di entrare à ajouter, en se fondant sur la vraisemblance du contexte, une explicitation de l’acte de parole (Sie sagte ihm, er solle / er könne doch / er dürfe ruhig hereinkommen). Un autre verbe d’introduction primaire des langues romanes est faire (et ses équivalents en italien, catalan, portugais, provençal et roumain, l’espagnol faisant ici exception) dont la traduction, malgré son sémantisme réduit, est également soumise à des restrictions. Faire est un verbe introducteur qui, ne comportant pas de trait sémantique du dire, présente l’énoncé rapporté comme le résultat d’un acte de  







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parole, sans le caractériser. Employé exclusivement au discours indirect, surtout en incise et en postposition, il introduit des énoncés marqués affectivement. Un verbe similaire existe dans des langues non-romanes, tel machen en allemand, dont les correspondances traductologiques sont toutefois limitées puisque machen ne s’emploie que s’il introduit des onomatopées ou des interjections. Dans l’extrait suivant, machen ne conviendrait pas et a dû être remplacé par fragen, tandis que les versions italiennes ont pu conserver le caractère abrupt de la séquence introductrice à travers le choix de fare. « Du reste, ajouta Rodolphe, peut-être, au point de vue du monde, a-t-on raison ? – Comment cela ? fit-elle. – Eh quoi ! dit-il, ne savez-vous pas qu’il y a des âmes sans cesse tourmentées ? » (Flaubert, Madame Bovary, 163).  















« ‹ Übrigens ›, meinte Rodolphe, „vom Gesichtspunkt der Gesellschaft ist es vielleicht ganz richtig.“ ‹ Wie meinen Sie das ? › fragte sie. ‹ Nun ›, sagte er, ‹ wissen Sie denn nicht, daß es Seelen gibt, die in ständiger Zerrissenheit leben ? › » (Flaubert, Madame Bovary, Traduit par Schickelé et Riesen, 169).3    

















   

« Del resto – aggiunse Rodolfo – dal suo punto di vista la gente ha ragione. Come ? fece lei. Eh ! – egli disse – non sapete che vi sono anime tormentate senza posa ? » (Flaubert, Madame Bovary, Traduit par Angioletti et Angioletti, 152s.).  









« Del resto, – aggiunse Rodolfo, – dal punto di vista del mondo, forse hanno ragione. Come mai ? – ella fece. Ma come ! – diss’egli, – non sa che vi sono anime continuamente tormentate ? » (Faubert, Madame Bovary, Traduit par Achilli, 133).  









Le verbe introducteur peut occuper différentes positions syntaxiques et apparaître en préposition, postposition ou en incise. En français, l’incise ou la postposition s’accompagne de la particularité syntaxique dite de l’inversion sujet-verbe (Il disait : « C’est incroyable » ; « C’est incroyable », disait-il.). Le non-respect de cette règle est observable dans des registres de langue substandard (C’est incroyable », il disait ou qu’il disait). Les langues romanes à sujet personnel zéro, tel l’italien, ne peuvent en revanche pas marquer diaphasiquement les séquences introductrices sur le plan de la seule syntaxe.  













3 La séquence introductrice fit-elle n’est pas traduite dans la version de Walter Widmer : « ‹ Übrigens ›, setzte Rodolphe hinzu, ‹ haben die Leute vom Standpunkt der Gesellschaft aus vielleicht recht. › ‹ Wieso denn ? › ‹ Ei was ! › sagte er. ‹ Sie wissen doch, daß es Seelen gibt, die in unaufhörlicher Qual leben. › » (Flaubert, Madame Bovary, Traduit par Widmer, 187s.).  







   





   

   







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3.2 Schémas discursifs Enjeux stratégiques qui permettent d’orienter la réception du discours rapporté, les verbes introducteurs, à l’exception de dire / faire, actualisent des traits sémantiques, parmi lesquels des traits locutoires (balbutia-t-il), illocutoires (risqua-t-il, lui reprochat-il), perlocutoires (la persuada-t-il), ou encore paraverbaux (hurla-t-il) ou extraverbaux (bondit-il). Par le choix de ces éléments influant sur la réception du discours rapporté, le locuteur rapporteur dessine des portraits du locuteur rapporté et établit des contrats de communication avec le destinataire du texte. Sur le plan sémantique, un paramètre traductologique majeur est conditionné par les régularités d’emploi observables dans les différentes langues-cultures. Les textes de presse et équivalents (comptes rendus, procès-verbaux) révèlent tout particulièrement la présence de schémas discursifs conditionnant l’emploi et la traduction des verbes introducteurs. L’analyse de traductions de textes journalistiques (Le Monde Diplomatique traduit en allemand pour la taz), ainsi que celle de corpus parallèles (textes de presse françaisroumain-anglais, Nita 2006 et compte-rendus français-italien, Desoutter 2013) montre que la mise en scène des personnes citées répond à des régularités rédactionnelles qui varient selon les langues en présence. Le français se distingue du roumain et de l’italien, plus encore de l’allemand et de l’anglais, par l’emploi de verbes introducteurs sémantiquement chargés et diversifiés. Les catégories sémantiques relèvent du domaine de la clarification (ajouter, expliquer, souligner), mais incluent également le jugement (regretter, déplorer), la description de l’échange discursif (assurer, avertir, conclure, promettre) ainsi que des verbes à faible valeur déclarative (ironiser, lancer, pronostiquer, redouter, se féliciter). Les deux derniers types, en particulier, sont acceptés en français dans des textes informatifs mais le sont nettement moins en italien ou en roumain, a fortiori en allemand ou en anglais. Dans les textes italiens, on observe en revanche une prépondérance de verba dicendi sémantiquement neutres (les 3 verbes comunicare, informare, dichiarare représentent les 2/3 des verbes employés pour introduire les discours officiels, cf. Desoutter 2013). En roumain, les verbes introducteurs sont certes variés mais dans les limites d’une sémantique nettement moins nuancée qu’en français : a declara (déclarer), a spune (dire), a afirma (affirmer), a anunța (annoncer), a arăta (souligner), a susține (soutenir), de sorte que la traduction suivante ne respecte pas l’équivalence du genre de texte, malgré l’évidente correspondance sémantique entre les verbes a spune et dire :  



« ‹ Am dat instrucțiuni ministrului de interne să treacă, în mod excepțional, la reglementarea situației tuturor victimelor atentatelor de joi de la Madrid ›, a spus el [Jose Maria Aznar]. ‹ Vom acorda cetățenie spaniolă tuturor victimelor și rudelor lor directe ›, a spus șeful guvernului spaniol » (Evenimentul Zilei, corpus de Nita 2006, 190).    









« ‹ J’ai donné des instructions au Ministère de l’Intérieur de passer de manière exceptionnelle à la régularisation de la situation de toutes les victimes des attentats de jeudi à Madrid ›, a-t-il dit [Jose    



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Maria Aznar]. ‹ Nous accordons la citoyenneté espagnole à toutes les victimes et à leurs parents directs ›, a dit le chef du gouvernement espagnol » (Le Courrier des Balkans, corpus de Nita 2006, 190).  





On observe en anglais une neutralité dans les textes journalistiques, où se manifeste le monopole de say, dont l’emploi dans les traductions, bien que comportant un appauvrissement sémantique, maintient l’équivalence discursive entre les textes. La traduction en allemand peut révéler un effacement énonciatif du locuteur rapporteur plus marqué encore : l’absence de verbe introducteur et l’emploi du Konjunktiv I dans le discours cité représente un type de traduction fréquent et adéquat.  

« ‹ Le fric est devenu l’obsession […] › regrette Daoud, un étudiant de 31 ans » (Le Monde, corpus de Nita 2006, 190).    





« ‹ Money has become an obsession […] ›, says Daoud, a 31-year-old student » (The Guardian Weekly, corpus de Nita 2006, 190).    





« ‹ Imagine if there was no European parliament ›, says Richard Corbett, a British socialist MEP » (The Financial Times, corpus de Nita 2006, 187).    





« ‹ Imaginez qu’il n’y ait pas de Parlement européen ›, hasarde l’eurodéputé socialiste britannique Richard Corbett » (Le Courrier International, corpus de Nita 2006, 187).    





« Dans une lettre à M. Kofi Annan, […] M. Lars Holm attaque la brochure publiée par l’OCHA (dont M. Annan signe l’avant-propos), répétant que ‹ la grande majorité de la population ne doit pas craindre de conséquences graves pour sa santé ›, et conclut que l’OCHA ‹ accroît les peurs des populations touchées au lieu de leur apporter un soutien › » (Le Monde diplomatique, 2000–07, 15).  













   

« In einem Brief an Kofi Annan attackierte Lars Holm […] eine von der OCHA veröffentlichte Broschüre (mit einem Vorwort von Kofi Annan) : Man solle der Mehrheit der Bevölkerung nicht einreden, dass sie gravierende Auswirkungen auf ihre Gesundheit zu befürchten habe, und die OCHA ‹ schüre die Ängste der betroffenen Bevölkerung, statt sie zu beruhigen › » (Traduction allemande pour la taz, in : Le Monde diplomatique, 2000–07, 15).  





   



La traduction vers une langue cible telle que l’italien ou le roumain tend à privilégier les verbes introducteurs neutres ou apportant une qualification du discours cité, et en français, à fournir un supplément d’information. À l’inverse, l’effacement énonciatif du locuteur rapporteur au profit de verbes neutres, destinés uniquement à identifier la source de l’énonciation, ou de types de discours rapportés sans verbes introducteurs, est un procédé de traduction justifié pour les langues cibles allemandes ou anglaises au regard des conventions discursives liées à ce genre de texte. Ces observations basées sur des corpus parallèles ainsi que des corpus traduits sont liées au genre de texte, ici informatif et/ou officiel. Ce paramètre textuel demande à être défini avec précision : des relevés effectués sur des corpus parallèles anglais/ français de textes scientifiques destinés à un public académique montrent une tendance différente à respecter dans la traduction : les textes anglais révèlent un  



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emploi d’une fréquence plus élevée de verbes introducteurs plus variés (bien qu’au sémantisme très restreint, du type assert, comment, conclude, confirm, declare, demonstrate, document, expect, indicate, maintain, postulate, remark, state, support, write) que les textes français (cf. Carter-Thomas/Rowley-Jolivet 2013).

3.3 La concordance des temps L’intégration d’un discours cité dans un discours cadre, outre les questions du choix des séquences introductrices, soulève la question de la concordance des temps dans les langues romanes, illustrées ici par le français et l’italien. En italien, la concordanza dei tempi est appliquée de manière conséquente, tandis qu’en français, celle-ci n’a pas de caractère systématiquement contraignant. La transposition temporelle du français reçoit de plus deux types d’interprétation : elle est perçue soit comme une simple marque d’intégration syntaxique (thèse grammaticale), soit comme l’indice d’une modalisation apportée par le locuteur rapporteur (thèse sémantique). Dans l’optique de la thèse grammaticale, le temps du discours rapporté varie afin d’être en adéquation avec le temps de référence du locuteur rapporteur.  

a) Galilée explique que la Terre tourne autour du soleil (présent historique > présent historique) b) Galilée a expliqué que la Terre tourne / tournait autour du soleil (présent de l’accompli > présent ou imparfait) c) Galilée expliqua que la Terre tournait autour du soleil (passé simple > imparfait). En revanche, dans l’optique de la thèse sémantique, le temps du discours rapporté varie en fonction de la prise en charge souhaitée par le locuteur rapporteur. La transposition temporelle produit un énoncé dans lequel le locuteur citant laisse au locuteur cité la responsabilité de ses propos (Il a affirmé que tu étais un âne) tandis que sa non-application aboutit à un énoncé dans lequel le locuteur prend en charge le contenu propositionnel relaté (Il a affirmé que tu es un âne) ou, du moins, n’indique pas ne pas le prendre en charge. L’imparfait, ayant une valeur d’inactualité, permet à l’énonciateur rapporteur de ne pas co-asserter la proposition de l’énonciateur second, tandis que l’usage du présent, véhiculant une valeur d’actualité, valide le contenu propositionnel dans le temps du locuteur rapporteur, lequel indique rapporter l’acte locutionnaire mais également l’acte illocutionnaire. La concordance des temps étant sujette à interprétation, notamment en fonction du contenu propositionnel et du contexte, ce type d’énoncés met le traducteur devant des difficultés de lecture du discours rapporté. Si tant est qu’il puisse être déterminé que la concordance des temps implique une distanciation, celle-ci ne pourra pas, en italien, se traduire par le jeu des temps, puisque l’italien applique la concordanza dei tempi de façon systématique, ne laissant pas de place à ces jeux interprétatifs.

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La variabilité de la concordance des temps en français est en outre reliée à des paramètres sociolinguistiques et permet au locuteur rapporteur d’intervenir, dans la séquence introductrice, sur la représentation qu’il donne du locuteur dont il relate les propos. Le texte suivant contient un locuteur rapporteur mettant en scène une personnalité publique dont il fait varier l’image sociale à l’aide de la morphosyntaxe du verbe introducteur. Le verbe introducteur expliquer est tout d’abord soumis à la concordance des temps (il arrivait qu’elle expliquât, forme verbale du subjonctif imparfait relevant d’un registre soigné) puis est reformulé sans transposition temporelle (il arrivait qu’elle explique, forme verbale standard du subjonctif présent). Le discours cadre est le lieu d’intervention du locuteur rapporteur qui module l’ethos discursif du locuteur cité. La situation énonciative seconde, celle de la « personnalité éminente », est mise en scène par le rapporteur. Les indices sociologiques sélectionnés par celui-ci (cravate vs foulard négligé) sont corrélés au temps du verbe introducteur : tandis qu’expliquât apparaît en relation avec un ethos de personne distinguée, c’est explique qui est employé lorsque l’image sociale du locuteur d’origine est moins valorisée.  





« Parfois, sérieuse comme un pape […], il arrivait […] qu’une personnalité éminente expliquât (quand elle avait une cravate) ou explique (lorsqu’elle faisait dans le foulard négligé) que les incertitudes, voyez-vous, du monde que nous vivons, ses incohérences, aussi, sa fragilité sont telles que nombre de contemporains éprouvent un irrésistible besoin de chercher refuge dans le passé » (Benoziglio, Cabinet Portrait, 243s.).  



En italien, puisque la concordance des temps fait l’objet d’une application systématique, il n’est pas envisageable de manipuler l’ethos des locuteurs cités à travers une alternative temporelle entre congiuntivo imperfetto et congiuntivo presente. La stratégie de traduction consiste à faire varier le mode verbal au travers duquel est représenté le locuteur cité, soit congiuntivo imperfetto et indicativo imperfetto (laquelle forme verbale est un écart par rapport à la norme qui veut que capitare soit suivi du congiuntivo). Cette traduction maintient certes la variation diaphasique du texte français, le fait toutefois en modifiant les représentations sociolinguistiques des locuteurs cités : tandis que dans le texte source, c’est la personnalité distinguée à laquelle est attachée une forme marquée (en l’occurrence sur-correcte), dans le texte cible italien, c’est à la personnalité négligée qu’est attribuée une forme marquée (dans ce cas une forme déviante par rapport à la norme). La traduction en allemand, langue qui ne connaît pas le subjonctif grammatical du français et de l’italien, a quant à elle recours à une adaptation. Au travers d’une variation lexicale, le traducteur rend compte des différences de registre discursif : auseinandersetzen (exposer) correspond à la connotation sociolinguistique du subjonctif imparfait, klarmachen (faire comprendre) rend l’effet produit par le subjonctif présent.  



‘Talvolta capitava che, seria come un papa, una personalità eminente spiegasse, quando aveva una cravatta, o spiegava, quando aveva un foulard piuttosto trasandato, che le incertezze del

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mondo in cui viviamo, vedete, le sue incoerenze e perfino la sua fragilità sono tali che molti contemporanei risentono un irresistibile bisogno di cercare rifugio nel passato’ (notre traduction). « Manchmal kam es vor, daß in dem Apparat meiner Nachbarn eine herausragende Persönlichkeit, päpstlicher als der Papst […], den Zuschauern auseinandersetzte (wenn sie eine Krawatte trug) oder klarmachte (wenn sie einen auf Seidentüchlein machte), daß die Ungewißheiten, verstehen Sie, dieser Welt, in der wir leben, ihre Zerrissenheit und auch ihre Anfälligkeit, ganz zu schweigen von dem Risiko, jederzeit in die Luft zu fliegen, so groß sind, daß zahlreiche Zeitgenossen das unwiderstehliche Verlangen spüren, Zuflucht in der Vergangenheit zu suchen […] » (Benoziglio, Porträt-Sitzung, 244).  



4 Le discours direct : une polyphonie visible  

La reproduction de discours au mode direct est discursivement appréhendée comme étant la transcription fidèle d’un discours autre, tel qu’il est pensé ou formulé. Néanmoins, le discours direct n’est, par définition, pas le reflet exact d’un discours mais uniquement une reconstruction sélective : « In ogni riproduzione di discorsi, qualunque sia la forma della citazione, gli ennunciati della produzione vengono ‹ ricontestualizzati › » (Mortara Garavelli 1995, 70). Cette caractéristique est particulièrement manifeste à l’oral ; une parole citée, qu’elle soit rapportée à l’oral ou à l’écrit, est la plupart du temps vidée de ses scories d’oralité et privée de ses indices idiolectaux. La traduction de discours oraux rapportés pose un problème aigu lorsque, de plus, les langues et littératures sources et cibles ont des traditions discursives divergentes en matière d’oralité. La traduction d’œuvres de littérature latino-américaine révèle avec une grande acuité combien l’équivalence traductologique est délicate à réaliser (Berman 1982 ; Charron 2001). Les romans latino-américains sont produits dans un environnement culturel qui ne cherche pas à juguler les variétés intralinguistiques et dans lequel l’oralité et le vernaculaire dominent. Or, le français est culturellement une langue qui manifeste une tendance à bannir le lien avec le vernaculaire et à privilégier une homogénéisation des discours et un respect des normes de l’écrit. La traduction en français du roman Yo el Supremo s’inscrit, selon Berman (1982), dans une tension entre le « polyfacétisme » et la polyphonie des textes sources, d’une part, et la normalisation du français comme langue de traduction d’autre part. La représentation de discours oraux est soumise dans la langue cible à un traitement visant à adapter le texte source à des normes classiques, à « ennoblir », dit Berman, la rhétorique de l’oralité. L’appauvrissement de termes colorés et fortement connotés ainsi que l’effacement de la densité signifiante de verbes introducteurs en est une des caractéristiques :  





   















« ¡Cosas de malos espíritus ! se encocoró el cura xexueño » (Roa Bastos, Yo el Supremo, 19).  





« Une histoire de mauvais esprits ! s’écria le curé de Xexuí » (Roa Bastos, Moi le Suprême, 28).  





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Verbe d’une grande densité sonore, dérivé en outre de manière transparente de enclocar (glousser), le verbe encocorarse signifie familièrement contrarier, incommoder, et sa traduction par s’écrier représente un appauvrissement manifeste. L’effacement du vernaculaire se trahit également par la normalisation des libertés syntaxiques du discours rapporté dans cette œuvre, comme le montre la structuration du discours narrativisé dans le texte cible :  

« Muy distinta es su letra en la minuta del discurso, en las instrucciones a los diputados, en la denuncia en que años más tarde acusará a un hermano por robarle ganado de su estancia en Altos » (Roa Bastos, Yo el Supremo, 4).  



« Bien différent est son style au moment de ce discours, puis dans les instructions qu’il remet aux députés, et dans le texte où, des années plus tard, il accuse un de ses frères de lui avoir volé du bétail dans son domaine d’Altos » (Roa Bastos, Moi le Suprême, 10).  



Au regard des conventions narratives des œuvres latino-américaines, dont l’oralité a ses propres lettres de noblesse, la traduction en français est placée devant la difficulté que représente la transgression des normes discursives de la langue et littérature cibles. Afin de garantir la lisibilité du texte, elle est amenée à réduire la densité du tissu signifiant original.

5 Conclusion Les langues romanes révèlent des similitudes dans les marqueurs d’identification des discours rapportés qui fournissent un socle contrastif sur lequel peuvent reposer certaines équivalences traductologiques. Néanmoins, comme illustré par la question de la concordance des temps / concordanza dei tempi ou du discours indirect libre / discorso indiretto libero, elles comportent des éléments discordants ou ambigus qui sont autant de sources de difficultés pour la traduction. Une analyse des paramètres de traduction montre également que plusieurs autres types de facteurs sont en jeu. Il s’agit en tout premier lieu de paramètres liés aux conventions discursives qui ont cours dans les genres de textes, en relation avec la sélection de séquences introductrices ou le traitement de l’oralité comme type d’énonciation. D’autre part, il faut remarquer que la présence d’un métadiscours est susceptible d’influer sur les procédés de traduction mis en œuvre. Si l’absence d’identification d’un phénomène peut retarder son appropriation par les traducteurs, on peut supposer que la présence d’un métadiscours influe également sur la perception et la traduction des différents types de discours rapporté. Ainsi, on observe que l’usage au XVIIIe siècle tolérait encore l’accumulation de complétives au discours indirect, usage qu’abhorrait Flaubert, qui le dénonçait comme une « insupportable cacophonie ». Cette normalisation du discours indirect, scellée par les propos de l’écrivain canonique du discours indirect libre, a-t-elle pu influencer la traduction d’œuvres vers le français à cette époque ? Ce  







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type de questionnement doit en outre tenir compte d’un paramètre supplémentaire, insuffisamment traité ici : celui du caractère évolutif des normes du discours rapporté. Comme on peut le déduire des travaux comparatifs de Tonani (2009) sur la codification typographique du discours rapporté de l’italien et du français aux XVIIIe et XIXe siècles, cette problématique se pose avec une acuité particulière lorsque les deux langues et cultures discursives mises en regard se trouvent prises dans des évolutions non synchrones.  

6 Références bibliographiques 6.1 Littérature primaire Benoziglio, Jean-Luc (1980), Cabinet Portrait, Paris, Le Seuil. Benoziglio, Jean-Luc (1990), Porträt-Sitzung, Zürich, Benziger/Ex Libris. Camus, Albert (1953), L’Étranger, Paris, Gallimard. Camus, Albert (1974), Der Fremde, Traduit par Georg Goyert et Hans-Georg Brenner, Reinbek, Rowohlt. Camus, Albert (1994), Der Fremde, Traduit par Uli Aumüller, Reinbek, Rowohlt. Camus, Albert (1999), Lo straniero, Sans nom de traducteur, Milano, Bompiani. Flaubert, Gustave (1961), Madame Bovary, Paris, Garnier. Flaubert, Gustave (1967), Madame Bovary, Traduit par G.B. Angioletti et Paola Angioletti, Firenze, Sansoni. Flaubert, Gustave (1979), Madame Bovary, Traduit par René Schickelé et Irene Riesen, Zürich, Diogenes. Flaubert, Gustave (1985), Madame Bovary, Traduit par Walter Widmer, München, DTV. Flaubert, Gustave (1996), Madame Bovary, Traduit par Giuseppe Achilli, Milano, Fabbri. Roa Bastos, Augusto (1974), Yo el Supremo, Caracas, Biblioteca Ayacucho. Roa Bastos, Augusto (1977), Moi le Suprême, Traduit par Antoine Berman, Paris, Belfond.  

6.2 Littérature secondaire Berman, Antoine (1982), La traduction des œuvres latino-américaines, Lendemains 27, 39–44. Carter-Thomas, Shirley/Rowley-Jolivet, Elizabeth (2013), Rapporter la voix de l’autre dans les articles de recherche en anglais : problèmes et enjeux pour le chercheur francophone, in : Cécile Desoutter/Caroline Mellet (edd.), Le discours rapporté : approches linguistiques et perspectives didactiques, Berne, Lang, 159–179. Charron, Marc (2001), Berman, étranger à lui-même ?, Traduction, terminologie, rédaction 14/2, 97–121. Cunha, Doris A.C. (2004), Interactions discursives dans la fiction brésilienne, in : Juan Manuel López Muñoz/Sophie Marnette/Laurence Rosier (edd.), Le discours rapporté dans tous ses états, Paris, L’Harmattan, 139–146. Desoutter, Cécile (2013), La représentation du discours rapporté dans des procès-verbaux de réunion en français et en italien, in : Cécile Desoutter/Caroline Mellet (edd.), Le discours rapporté : approches linguistiques et perspectives didactiques, Berne, Lang, 117–136. Gather, Andreas (1994), Formen referierter Rede : eine Beschreibung kognitiver, grammatischer, pragmatischer und äußerungslinguistischer Aspekte, Frankfurt am Main/Berlin, Lang.  















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Caroline Pernot

Güldemann, Tom/Roncador, Manfred von (2002), Reported Discourse : A meeting ground for different linguistic domains, Amsterdam/Philadelphia, Benjamins. Kronning, Hans (2013), Le conditionnel épistémique d’« emprunt » en français, en italien et en espagnol : aspects diachroniques, diaphasiques et diatopiques, in : Éva Buchi/Jean-Paul Chauveau/Jean-Marie Pierrel (edd.), Actes du XXVIIe Congrès International de Linguistique et de Philologie Romanes, Strasbourg, Société de linguistique romane/ÉliPhi (en cours). Kullmann, Dorothea (ed.) (1995), Erlebte Rede und impressionistischer Stil. Europäische Erzählprosa im Vergleich mit ihren deutschen Übersetzungen, Göttingen, Wallstein. Marnette, Sophie (2002), Étudier les pensées rapportées en français parlé : mission impossible ?, in : Laurence Rosier (ed.), Le discours rapporté, Paris, Ophrys, 211–220. Mortara Garavelli, Bice (1995), Il discorso indiretto nell’italiano parlato, Études Romanes 34 : La subordination dans les langues romanes, 69–88. Nita, Raluca (2006), «… » ironise un professeur vs “…” says a teacher ou Sur les dérives du discours direct dans la traduction des verbes introducteurs. Étude contrastive français, anglais, roumain, in : Catherine Delesse (ed.), Discours rapporté(s). Approche(s) théorique(s) et / ou traductologique(s), Arras, Artois presses université, 173–195. Tonani, Elisa (2009), Blancs et marques du discours rapporté dans le roman français et italien, Romantisme 146/4, 71–86.  



















Sandra Lhafi

24 Thème / propos et la progression thématique Abstract : La prise en compte, dans une traduction, de la structure informationnelle du texte à traduire soulève de nombreux problèmes. À l’hétérogénéité des définitions des notions « thème », « rhème », etc. que l’on trouve dans la littérature – hétérogénéité qui, faute de critères stables et fiables, freine le repérage d’indices linguistiques probants (ordre des mots, déterminants, dislocations, etc.) – s’ajoute le problème de l’agencement textuel des phénomènes identifiés, pilier de la structure communicationnelle d’un texte. Or, si l’on admet par ailleurs que la structuration en thème / rhème d’un texte est le fruit d’un processus à la fois subjectif, scalaire et interpersonnel (anticipant la subjectivité du destinataire), toujours guidé par des contraintes issues d’un système langagier donné, ainsi que par des traditions discursives spécifiques, on prend alors pleinement conscience du défi que représente toute réflexion quant à la « traduisibilité » et à la « traduction » du dynamisme communicatif. La présente contribution offre un aperçu des principaux aspects du problème dont le traducteur devra tenir compte et signale à la fois les enjeux, les difficultés et les solutions possibles en la matière.    

















Keywords : dynamisme communicatif, progression thématique, thème / rhème    

0 Remarques préliminaires « Theme-rheme organization is widely considered ‹ an aspect of texture which is of crucial importance to the translator › (Hatim/Mason 1990, 220). Nevertheless, its concrete specific relationship to translation has remained relatively inconspicuous, perhaps owing to the linguistic controversy surrounding the ‹ theme-rheme ›-dichotomy and the implied theme-identification problems » (Gerzymisch-Arbogast 2004, 596).  











Les chercheurs tombent d’accord sur l’importance de la prise en compte en traduction de la « perspective communicationnelle » (cf. Riegel/Pellat/Rioul 42009, 1021), i.e. de la structuration de l’information au sein des textes source et cible, tout en rappelant le manque de descriptions systématiques en la matière (cf., entre autres, Albrecht 22013, 130 ; Gerzymisch-Arbogast 2001, 232 ; Koenitz 1987, 117). Une description systématique devrait être fondée sur une définition claire et discriminante des notions concernées (cf. « thème », « rhème », « propos », « topique », « commentaire », « focus », …) et fournir une présentation détaillée de l’inventaire linguistique permettant la réalisation des phénomènes concernés – ce qui implique une multiplication d’études contrastives mettant en valeur les ressources linguistiques de chaque langue tout en tenant compte de la fréquence et de l’idiomaticité des traits concernés.  































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Compte tenu des différentes variables impliquées dans la perspective communicationnelle, la question de sa traduction et des paramètres d’équivalence dominants appelle une réponse nuancée intégrant la complexité du phénomène.

1 Définitions 1.1 « Thème », « rhème » et notions apparentées  







Charles Bally introduit en 1932 (cf. Riegel/Pellat/Rioul 42009, 1022) les notions de « thème » et « propos » pour affiner la description de la phrase : en effet, aux niveaux « traditionnels », syntaxique et sémantique, est ajouté « un troisième niveau dit ‹ communicatif ›, pour analyser la phrase en fonction de l’information qu’elle véhicule. […] » (ibid., 1021 ; cf. aussi Albrecht 22013, 126). La diversité terminologique existante (cf. thème / topique / présupposé vs propos / commentaire / posé) résulte de la multiplicité des perspectives possibles dans ce domaine. Néanmoins, la plupart des linguistes optent pour une distinction entre deux perspectives centrales : l’une se situe au niveau de la phrase et concerne les possibilités offertes par un système linguistique donné pour organiser, structurer et hiérarchiser les informations véhiculées par les éléments linguistiques dans les limites de la phrase ; l’autre se concentre sur l’énoncé et met ainsi en avant le niveau de la parole et de la production de textes, toujours ancrés, dans un contexte individuel. Les deux perspectives ne s’excluent pas l’une l’autre mais s’influencent mutuellement en ce sens que les possibilités du système fixent les limites au sein desquelles l’énoncé pourra se mouvoir alors que les énoncés sont nécessaires pour l’élaboration d’une description linguistique adéquate des potentiels linguistiques. Cependant, « [l]a distinction thème / propos reste encore largement intuitive, peu conceptualisée » (Riegel/Pellat/ Rioul 42009, 1022), ce qui s’explique, entre autres, par la concomitance de différents facteurs, qui, selon leur combinaison, peuvent « rhématiser » ou « thématiser » un même élément linguistique – tel que le soulignent, par exemple, Gülich/Raible (1977, 65) :  





































« Eindeutige bzw. ein für alle Mal gültige Thema- bzw. Rhema-Signale sind diese Elemente allerdings ebenso wenig wie Betonung oder Wortstellung. In der Regel wirken verschiedene Mittel, die in Wechselbeziehung zueinander stehen, bei der Kennzeichnung von Thema und Rhema zusammen. Isoliert betrachtet, können die einzelnen sprachlichen Mittel den Grad an kommunikativer Dynamik eines Elements nicht angeben ».  



‘Toutefois, pas plus que l’accentuation ou l’ordre des mots, ces éléments ne sont des marques d’identification certaines du thème ou du rhème. Ces derniers ne sont en général identifiés que par l’interaction de différents facteurs. Pris isolément, les divers moyens linguistiques ne peuvent indiquer le degré de dynamisme communicationnel d’un segment d’énoncé’.

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L’assignation d’une valeur thématique ou rhématique à des éléments linguistiques isolés est donc en soi problématique, et ne peut, en fait, s’effectuer qu’au sein d’énoncés et non de phrases. Un problème supplémentaire réside dans le maintien de la stricte dichotomie thème / rhème. Firbas a introduit la notion de « dynamisme communicatif », largement acceptée de nos jours, qui se base sur une conception scalaire du phénomène : au sein de tout énoncé, on localisera des éléments plus ou moins thématiques ou rhématiques. « L’idée de fond est que la phrase (le discours) […] sous-tend une échelle de contenu informatif, dans le sens que chaque élément phrastique renferme un certain degré d’information » (Zaccaria 1990, 16). L’assignation de cette valeur communicative devient donc relative et flexible. Par ailleurs, B. Combettes (1999, 239s., cité d’après Ernst 2003, 123) signale un fait important relatif à la caractérisation d’un élément comme thématique ou rhématique :  













« […] ce que l’on pourrait appeler ‹ apport d’information › est davantage fourni par la mise en relation de constituants que par la charge informative de chacun d’entre eux ; on peut même considérer que, dans certains cas, les divers syntagmes qui constituent l’énoncé renvoient tous à des référents connus – quel que soit le type de ‹ connu › – et que c’est leur assemblage, les relations qu’ils établissent, qui apporte l’information nouvelle pour le récepteur […] ».  











Pour éviter l’insécurité terminologique, certains chercheurs (par ex. Ernst 2003, 123s., qui se base essentiellement sur les réflexions de Tschida 1995) réservent le terme « topic » au premier argument de la phrase (critère positionnel) tout en insistant sur l’affinité entre « topic » et « thème » (notion informationnelle). Dans cette optique, les notions de « topic » et de « comment » autorisent une perspective purement syntaxique à l’intérieur des limites de la phrase, alors que, par définition, les notions thème / rhème impliquent la prise en compte d’un contexte plus large (cf. ibid.). Cette restriction, qui peut paraître quelque peu simpliste (cf. Wüest 1998), est néanmoins utile, si l’on y ajoute une troisième distinction, celle que suggère Gerzymisch-Arbogast (2004, 594) : « Focussing determines the salience (stress or markedness) of an utterance component ». En d’autres termes, au-delà des critères positionnel et informationnel, il semble nécessaire d’introduire le critère de « saillance communicative ». En effet, un événement connu, donc thématique, pourra être présenté de façon saillante à chaque fois que l’énonciateur le jugera nécessaire. Le traducteur devra tenir compte de ces trois aspects lors de l’analyse du texte source et de la recherche d’équivalents pour la production du texte cible. Gerzymisch-Arbogast (2004, 593) propose la définition suivante :  































« […] ‹ theme › is understood to be the informational unit in an utterance that the speaker / author anticipates to be ‹ known › to the intended hearer / reader, while ‹ rheme › is understood to be the informational unit that the speaker / author anticipates to be ‹ new › to the intended hearer / reader. The identification of thematic and rhematic informational units is based on the model of rheme fixation […] which instead of a clear cut separation of informational blocks allows for a progression of informational units within the flow of an utterance ».  



















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On retrouve ici les aspects principaux dont il a été question auparavant : la structuration en thème / rhème est à comprendre comme un processus à la fois subjectif, scalaire et interpersonnel, en ce sens qu’il est basé sur l’anticipation de la subjectivité du destinataire. Quant au caractère « connu » des informations fournies, il semble utile d’introduire, avec Laporte (2003, 58) une indication supplémentaire :  







« Lorsqu’un thème représente une information qui n’a pas été mentionnée précédemment dans le texte, celle-ci est alors supposée connue ou concevable ; […] L’auteur présume ainsi que l’information thématique nouvelle sera comprise de son destinataire : a) soit parce qu’elle est reconnaissable par le contexte ou la situation de communication (ex. : les pronoms je, nous, vous) ; soit parce qu’elle réfère à une réalité connue (ex. : le temps) ou à un être, un objet d’un monde admis comme vrai ou possible dans le contexte (ex. : univers du conte) ».  















La notion de « thème » dépasse ainsi le domaine du déjà évoqué ou réellement vécu / entendu et inclut le domaine du possible, du concevable.  



1.2 « Progression thématique »  



La progression thématique telle qu’elle a été proposée par Daneš (1970) permet une description systématique de l’agencement interne des éléments thématiques et rhématiques au sein d’un texte tout en présentant l’avantage de souligner le caractère dynamique de la production / réception du texte. Ainsi, par exemple, la progression linéaire permet de souligner comment un rhème se convertit en thème, auquel sera assigné un nouveau rhème, qui se convertira en thème, etc. Les trois structures principales présentées par Daneš (progression thématique simple, à thème continu, à thèmes dérivés ; cf. à ce propos Zaccaria 1990, 30–41) et les multiples combinaisons qu’elles permettent (cf. ibid., 33 : « enchaînement complexe ») constituent un réel défi pour la traduction, compte tenu des autres variables qui entrent en jeu (cf. supra). Dans ce domaine, seules des descriptions contrastives systématiques des différents cas de figure permettraient de faire avancer la recherche, encore fort modeste en la matière.  





2 Manifestation de la structuration informative 2.1 La question de l’universalité La question de l’universalité de la structuration informative des textes a été abordée par divers chercheurs (cf. à ce propos Koenitz 1987, 108ss.) pour mieux asseoir les réflexions quant à la nécessité de traduire les phénomènes qui s’y rapportent. L’intérêt de la question réside dans le constat d’une part de l’existence universelle de cette catégorie et d’autre part de son développement et de ses réalisations spécifiques selon

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les systèmes langagiers : « Die Tatsache, daß die Kategorie FSP zwar universell ist, ihre konkrete Ausprägung und Struktur aber nicht, ist von besonderem Interesse für die Beschreibung der Äquivalenzbeziehungen zwischen Texten konkreter Sprachenpaare » (ibid., 110) (‘Le fait que la FSP (littéralement : perspective syntaxique fonctionnelle, i.e. structure informative de la phrase) soit une catégorie certes universelle, mais dont les manifestations concrètes et les structures ne le sont pas, est d’un intérêt tout particulier pour la description des relations d’équivalence entre les textes d’un couple donné de langues’). Certains chercheurs (cf. Stark 2001, 641) soulignent l’universalité de certaines tendances concernant le positionnement des éléments thématiques ou rhématiques :  









« Übereinzelsprachlich feststellbare serielle und satzinterne Phänomene wie die Voranstellung neuer ‹ topics › vor ihren comment, die Nachstellung ‹ gegebener › topics, die Initialstellung von engen Foki […] sind bestimmt von außereinzelsprachlichen informationsstrukturellen Kategorien textueller Natur » (ibid.).  











‘Les phénomènes sériels et intraphrastiques tels que l’antéposition du ‹ topic › par rapport au ‹ comment ›, la postposition d’éléments ‹ donnés › ou la position initiale d’éléments focalisés, que l’on observe à travers les langues, sont déterminés par les structures informatives de nature textuelle indépendantes des langues particulières’.  











2.2 Indices linguistiques Parmi les moyens linguistiques mis en œuvre pour signaler différents degrés de rhématicité / thématicité, les linguistes citent essentiellement l’ordre des mots, la diathèse, le choix des déterminants, l’accent de phrase et l’intonation et les relations converses. Nous les esquisserons dans ce qui suit. Auparavant, il est important de signaler la possibilité d’analyser tout élément linguistique quant à son rendement communicatif (cf. par ex. Combettes 2006).

2.2.1 Sérialisation – ordre des mots Comme le souligne Albrecht (22013, 128), l’ordre des mots est l’un des outils les plus efficaces pour varier le statut communicatif des éléments linguistiques. D’un point de vue contrastif, il convient de signaler d’entrée de jeu que, selon les langues et les possibilités de leur syntaxe, la modification de l’ordre canonique de la phrase se fera plus ou moins facilement ou nécessitera l’utilisation de moyens supplémentaires (cf. infra la mise en relief par ex.). Les langues témoignant d’une flexibilité plus grande – par exemple l’allemand, le latin, l’italien (cf. ibid.) mais aussi l’espagnol – permettent de varier aisément la structure informationnelle de la phrase. Les langues plus « rigides » en la matière, telles que le français ou l’anglais (cf. ibid., 129), ne peuvent changer l’ordre habituel qu’au moyen de réajustements syntaxiques supplémentaires.  



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Afin de mieux saisir le phénomène, l’on distingue communément (cf. par ex. Dressler 1990, 139) entre un « ordre naturel » et un « ordre artificiel ». Selon Dressler (1990, 139), il y a une préférence universelle pour l’ordre naturel, qui projette la perception cognitive sur l’agencement syntaxique : « The ordo naturalis represents, so to speak, a diagram between cognitive order (i.e., the cognitively perceived order of events) and sentence order » (ibid.). L’« ordre artificiel » crée un effet de « dissonance » entre les structurations cognitive et syntaxique (cf. ibid., 140s.) et présente ainsi la particularité d’attirer l’attention sur la syntaxe, qui invite à interpréter cet agencement marqué en en cherchant les effets communicatifs et participe amplement à l’engendrement d’un certain suspens dans le texte (cf. Nord 42009, 242). Sur le plan de l’organisation textuelle, un maintien systématique de l’ordre naturel contribue à la clarté de la description mais peut également engendrer une certaine monotonie (cf. l’analyse de la traduction de Niebla d’Unamuno in Nord 42009, 233). L’effet produit dépendra largement du type de texte et des traditions discursives que ce dernier implique. En matière de traduction, « […] le choix d’une structure syntaxique plutôt qu’une autre ‹ sémantiquement équivalente › n’[étant] pas anodin […] » (Gagnon/ Chamberland 2010, 79), la prise en compte des ordres choisis dans le texte source sera d’autant plus nécessaire que toute modification à ce niveau engendre inéluctablement une modification du dynamisme du texte (cf. Nord 42009, 242). Parmi les possibilités de modification de la structure de la phrase, les langues romanes privilégient deux constructions qui permettent de contrecarrer leur manque relatif de flexibilité (cf. supra) : les dislocations à droite ou à gauche ont en général pour effet la thématisation de l’élément « disloqué » :1  





































(a) Ces fleurs, elles sont magnifiques. (dislocation à gauche) Elles sont magnifiques, ces fleurs. (dislocation à droite)

La mise en relief engendre la focalisation ou la rhématisation de l’élément concerné :  

(b) C’est cette chanson que Max a chantée.

Une difficulté centrale sera de décider de la pertinence de l’imitation (ou non) de la structure dans la langue cible – problème illustré au moyen de la traduction suivante, qui transforme l’accent de phrase (« Any ») en mise en relief (« C’est … que… ») :  









« Any attempt at concealment from her will obviously be time wasted » : « C’est évidemment une perte de temps que de chercher à lui cacher quoi que ce soit » (Darbelnet 1970, 90s.).  





1 Exemples tirés de Albrecht (22013, 129)





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2.2.2 Diathèse Le choix d’une diathèse active ou passive influence la présentation des informations concernées (cf. Albrecht 22013, 127), moyennant une répartition différente selon le type choisi (cf. Gagnon/Chamberland 2010, 78 qui parlent d’« arrimage informatif » pour désigner le processus de structuration du texte tout en signalant la complexité du phénomène) : en effet, dans L’entreprise a achevé la construction du bâtiment, le complément d’objet direct a un statut rhématique, compte tenu de sa position dans la phrase. Par contre, si l’on opte pour la construction passive La construction du bâtiment a été achevée, le complément d’objet devient sujet et acquiert simultanément un statut plus thématique, modifiant ainsi les cotextes gauche et droit possibles.  





2.2.3 Accent de phrase, intonation Ces éléments d’ordre prosodique permettent de modifier la présentation des informations. Alors qu’à l’oral, les marques prosodiques peuvent être perçues directement et être donc utilisées systématiquement pour faciliter la hiérarchisation des informations fournies, à l’écrit, la prosodie demeure toujours ambivalente et peut être source d’interprétations fort différentes selon la réception individuelle (cf. Koenitz 1987, 111). Nord (42009, 139s.) évoque le problème en signalant l’importance de l’analyse des aspects suprasegmentaux du texte source pour accéder à sa structuration informative : « Die Analyse der suprasegmentalen Merkmale des Textes lässt [u. a.] Rückschlüsse auf […] den Aufbau (z. B. […] Betonung der rhematischen Satzteile) zu […] » (‘L’analyse des caractéristiques suprasegmentales du texte permet [entre autres] de tirer des conclusions sur sa construction (par ex. l’accentuation des segments d’énoncé rhématiques’). Cependant, la remarque « Schließlich wirkt sich auch die Thema-Rhema-Gliederung auf die innere Klanggestalt aus » (‘Pour finir, l’articulation thème-rhème se répercute elle aussi sur la forme sonore du texte’) signale un problème de fond : l’assignation des statuts + / – thématiques dépend de l’intonation inhérente au texte, mais cette dernière se reconstruit moyennant l’analyse de la structuration informationnelle…  















2.2.4 Déterminants : définis, démonstratifs, possessifs vs indéfinis  

Les déterminants permettent de structurer le texte et d’octroyer aux noms qu’ils précèdent un statut rhématique ou thématique. Le couple « défini vs indéfini » est le plus souvent cité dans ce contexte (cf. par ex. Albrecht 22013, 127). En général, le déterminant défini est perçu comme signal thématique alors que le déterminant indéfini introduit un élément rhématique (cf. ibid.) – ce qui est souvent décrit dans le contexte de la référence anaphorique (thématique) et cataphorique (rhématique).  



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Ainsi, Bernárdez (1982, 136), reprenant les propos de Weinrich sur le défini (1982, 310 : « gezielter Verweis auf die Vorinformation »), fait le constat suivant :  







« […] la dicotomía determinado / indeterminado coincide básicamente con la que establecimos entre tema y rema, en unas lenguas con más claridad que en otras. […] La determinación puede considerarse, textualmente, como una manifestación de la oposición entre ‹ conocido / no conocido › que puede apoyarse tanto en referencias intra- como extratextuales, endofóricas o exofóricas » (Bernárdez 1982, 136).  







Ces affinités particulières sont déjà évoquées dans Wandruszka (1969, 190) : « Je mehr die Erscheinung zum festen, wohlvertrauten Begriff wird, desto selbstverständlicher setzen wir den bestimmten Artikel » ; « Der bestimmte Artikel als ein zusätzliches Zeichen des Bekanntseins, der Vertrautheit » (ibid., 199) (‘Plus la représentation que nous nous faisons du phénomène se stabilise et nous devient familière, plus nous avons tendance à employer l’article défini » ; « L’article défini [fonctionne] comme marque supplémentaire du connu, du familier’). Cependant, la perspective contrastive révèle des différences non négligeables parmi les langues romanes : ainsi, en espagnol, l’article défini garde-t-il des traces de son origine démonstrative (cf. Wandruszka 1969, 205), ce dont le traducteur doit tenir compte.  

















2.2.5 Relations converses Les relations converses, qui concernent « […] deux verbes, qui, à sens égal, ne se distinguent que par la permutation de leurs actants, à la ressemblance des formes active et passive d’un même verbe […] » (Riegel/Pellat/Rioul 42009, 411), constituent un moyen supplémentaire de structuration de l’information au sein d’un énoncé. Albrecht (22013, 127s.) évoque ce phénomène tout en signalant l’asymétrie des langues quant au développement de ces relations :  





« Je lui ai prêté ma voiture », « Il m’a emprunté ma voiture » (ibid., 128).  







3 Conséquences pour la traduction 3.1 Problèmes de traduction Comme le souligne Gerzymisch-Arbogast (2004, 593), la prise en compte de la perspective communicationnelle au sein des traductions soulève des problèmes de taille : ainsi, une bonne traduction de cette perspective nécessite-t-elle à la fois une maîtrise parfaite des systèmes linguistiques mis en présence – et ce, en intégrant à la fois des données quantitatives (quelles possibilités ?) et qualitatives (quelles valeurs respec 



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tives au sein des systèmes ? quelle fréquence ? quelle productivité ?) mais aussi discursives : quel agencement pour quel type de texte ? etc. (cf. ibid.). La réflexion sur ces paramètres mène aux trois possibilités de traduction (cf. ibid., 596–598) dominantes : invariance, modification et révision. L’invariance, généralement mise en avant (cf. par ex. Koenitz 1987, 108), n’est en réalité qu’une option parmi d’autres (cf. Gerzymisch-Arbogast 2004, 596), laquelle, appliquée à mauvais escient, engendrera un effet d’« étrangeté » plus ou moins important (que Schleiermacher 1973 [1813] jugeait cependant souhaitable dans certains cas) : « […] it may impair the communicative value in translations both on a micro- and macrostructural level of texts […] » (Gerzymisch-Arbogast 2004, 596). Les deux autres options permettent de vaincre des différences aux niveaux microstructurel (modification) et macrostructurel (révision). Ainsi, une modification est-elle indiquée lorsque les langues source et cible présentent des différences d’ordre typologique ou lorsque les cultures véhiculées par elles divergent et rendent des ajustements nécessaires (addition ou suppression d’informations). La révision concerne la macrostructure du texte ; elle est de mise lorsqu’il y a modification de la fonction du texte cible par rapport à celle du texte source, ou lorsque des différences culturelles au niveau des normes discursives rendent des changements structuraux nécessaires (ibid.). Chaque choix de traduction devra être précédé d’une réflexion des aspects concernés :  

























« When formulating the target text, such parameters as target text function, anticipated text type and anticipated reader types as well as cultural specifics on the lexical and text norm level need to be considered » (Gerzymisch-Arbogast 2004, 598).  



3.2 Un problème épineux : quelle équivalence ?  

Jetons un coup d’œil sur les deux traductions espagnoles suivantes de L’Étranger de Camus :  

« […] je l’ai interrompu : ‹ Ah ! Vous n’êtes pas d’ici ? › Puis je me suis souvenu qu’avant de me conduire chez le directeur, il m’avait parlé de maman. Il m’avait dit qu’il fallait l’enterrer très vite, parce que dans la plaine il faisait chaud, surtout dans ce pays. C’est alors qu’il m’avait appris qu’il avait vécu à Paris et qu’il avait du mal à l’oublier » (Camus 2003, 15s. ; c’est nous qui soulignons).  















« Lo interrumpí […] : ‹ ¡Ah ! ¿Usted no es de aquí ? ›. Luego recordé que antes de llevarme a ver al director me había hablado de mamá. Me había dicho que era necesario enterrarla cuanto antes porque en la llanura hacía calor, sobre todo en esta región. Entonces me había informado que había vivido en París y que le costaba mucho olvidarlo » (Camus 2006, 14 ; traduction de del Carril).  

     









« […] lo interrumpí : ‹ Ah, ¿usted no es de aquí ? ›. Recordé después que, antes de llevarme a ver al director, me había hablado de mamá. Me había dicho que era necesario enterrarla muy rápidamente porque en llanura hacía calor, sobre todo en esta región. Fue entonces cuando me dijo que había vivido en París y que le costaba olvidarlo » (Camus 2005, 13s. ; traduction de Valente).  

     







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Le premier traducteur opte pour la modification et renonce à la mise en relief ; le second traducteur imite la structure syntaxique du texte source moyennant certaines modifications imposées par le système grammatical espagnol (cf. Pretérito indefinido et conjonction cuando). Alors que del Carril délègue la rhématisation à un niveau suprasegmental (intonation), Valente opte pour l’imitation de la manifestation syntaxique. Y a-t-il une traduction qui serait plus équivalente que l’autre ? Compte tenu du manque de critères discriminants et de la subjectivité de l’interprétation esquissés ci-dessus, seule la multiplication des études contrastives en la matière permettraient de fournir des éléments de réponse pertinents.  

4 Pour ne pas conclure… « Tout énoncé se compose de mots choisis et disposés pour dire quelque chose, tout énoncé est de la pensée structurée à l’aide de mots et de leur agencement. Changer la structure de l’énoncé à l’intérieur de la même langue risque, certes, d’en modifier l’effet et même le sens, mais le problème n’est pas le même quand on traduit, car les langues diffèrent suffisamment pour imposer des structures différentes à l’expression de la même idée. […] Ce n’est pas au texte en tant que forme matérielle qu’il faut ‹ coller ›, mais au sens qui se dégage du choix et de la disposition des mots » (Darbelnet 1970, 89s.).  







Cette pertinente remarque n’a pas perdu de son actualité et peut être appliquée au problème de traduction du « dynamisme communicatif » des textes : on y reconnaît tout aussi bien les différentes stratégies possibles (imitation ou non des structures du texte source) que les difficultés qui en résultent pour le traducteur : la traduction mettant toujours – au minimum – deux langues en présence dans toute leur richesse ainsi que des types de textes ancrés dans une culture spécifique, il s’avère difficile de présenter des options de traduction « universelles » qui s’appliqueraient à tout texte source à traduire. Au contraire, c’est au cas par cas que le traducteur jugera des agencements de l’information et des effets qui en résultent avant de s’interroger sur les équivalences que la langue cible lui propose pour la production du texte cible.  











5 Références bibliographiques 5.1 Littérature primaire Camus, Albert (2003, 11942), L’Étranger, Paris, Gallimard. Camus, Albert (2005), El extranjero, traductor : José Ángel Valente, Madrid, Alianza. Camus, Albert (2006), El extranjero, traducción de Bonifacio del Carril, Barcelona, Planeta.  

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5.2 Littérature secondaire Albrecht, Jörn (22013, 12005), Übersetzung und Linguistik, Tübingen, Narr. Bally, Charles (1932), Linguistique générale et linguistique française, Paris, Leroux. Bernárdez, Enrique (1982), Introducción a la lingüística del texto, Madrid, Espasa-Calpe. Blumenthal, Peter (1980), La syntaxe du message. Application au français moderne, Tübingen, Niemeyer. Blumenthal, Peter (1997), Sprachvergleich. Deutsch-Französisch, Tübingen, Niemeyer. Calsamiglia Blancafort, Helena/Tusón Valls, Amparo (1999), Las cosas del decir. Manual de análisis del discurso, Barcelona, Ariel. Combettes, Bernard (1999), Thématisation et topicalisation, leur rôle respectif dans l’évolution du français, in : Claude Guimier (ed.), La thématisation dans les langues, Bern, Lang, 231–245. Combettes, Bernard (2006), Du niveau textuel au niveau énonciatif dans la grammaticalisation : le rôle du contexte, Langue française 149, 48–60. Daneš, František (1970), Zur linguistischen Analyse der Textstruktur, Folia Linguistica 4, 72–78. Darbelnet, Jean (1970), Traduction littérale ou traduction libre, Meta 15:2, 88–94. Desclès, Jean-Pierre (1977), Systèmes énonciatifs et analyse de données textuelles, Études littéraires 10:3, 453–499. Dressler, Wolfgang U. (1990), Marked and unmarked translation : an approach from semiotically based natural text linguistics, Meta 35:1, 138–148. Ernst, Eva Johanna (2003), Kohärenz. Kohäsion, Organisation. Morphosyntax, Semantik und Pragmatik der Textverknüpfung in der französischen Sprache, Frankfurt am Main et al., Lang. Fernández Smith, Gérard (2003), Fundamentos teóricos, desarrollo y proyecciones actuales de la lingüística del texto, Tesis doctoral, Cádiz, Universidad. Gagnon, Odette/Chamberland, Anne-Émilie (2010), Cohérence textuelle : l’arrimage informatif, Québec français 156, 78–81. Gerzymisch-Arbogast, Heidrun (2001), Equivalence Parameters and Evaluation, Meta 46:2, 227–242. Gerzymisch-Arbogast, Heidrun (2004), Theme-rheme organization (TRO) and translation, in : Harald Kittel et al. (edd.), Übersetzung/Translation/Traduction (= HSK 26/1), Berlin/New York, De Gruyter, 593–600. Gülich, Elisabeth/Raible, Wolfgang (1977), Linguistische Textmodelle. Grundlagen und Möglichkeiten, München, Fink. Halliday, Michael A. K./Hasan, Ruqaiya (1976), Cohesion in English, New York, Longman. Hatim, Basil/Mason, Ian (1990), Discourse and the Translator, New York, Longman. Herbst, Thomas (1994), Linguistische Aspekte der Synchronisation von Fernsehserien, Tübingen, Niemeyer. Hönig, Hans G./Kußmaul, Paul (62003, 11982), Strategie der Übersetzung. Ein Lehr- und Arbeitsbuch, Tübingen, Narr. Koenitz, Bernd (1987), Thema-Rhema-Gliederung und Translation, Leipzig, VEB Verlag Enzyklopädie. Laporte, Myriam (2003), Des moyens pour la progression du texte, Québec français 128, 58–61. Motsch, Wolfgang (2004), Übersetzbarkeit unter sprachlichen und textuellen Aspekten, in : Harald Kittel et al. (edd.), Übersetzung/Translation/Traduction (= HSK 26/1), Berlin/New York, De Gruyter, 370–375. Nord, Christiane (42009, 11988), Textanalyse und Übersetzen. Theoretische Grundlagen, Methode und didaktische Anwendung einer übersetzungsrelevanten Textanalyse, Tübingen, Groos. Riegel, Martin/Pellat, Jean-Christophe/Rioul, René (42009, 11994), Grammaire méthodique du français, Paris, Quadrige/PUF.  



















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Heidi Aschenberg

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Abstract : Le sujet des entours – terme proposé par Bühler et élaboré plus tard par Coseriu en vue d’une classification des contextes du signe linguistique – se révèle être de première importance aussi pour la traductologie : la constitution du sens textuel dépend fortement des contextes qui interviennent dans l’événement communicatif. Étant donné qu’une traduction vise, en général, à rendre le sens du texte original, les réflexions traductologiques établissent un lien étroit entre les entours et la question cruciale de l’équivalence ou de l’invariance. L’article fournit, à partir des théories linguistiques des contextes, une vue d’ensemble des conceptions traductologiques, en examinant leur fondement théorique, d’une part, et leur applicabilité à l’analyse de traductions, d’autre part.    



Keywords : contexte, récontextualisation, équivalence, théorie de la pertinence    

1 Introduction Les termes de contexte et de situation ainsi que leur hyperonyme entours désignent des conditions constitutives de tout événement communicatif, qu’il soit oral ou écrit. La notion d’entour (all. ‘Umfeld’), qui provient de la théorie du langage du psychologue Karl Bühler, a été introduite dans la linguistique par Eugenio Coseriu, qui a esquissé à partir de ce concept une théorie programmatique des différents types de contextes du signe linguistique (voir infra). En tant qu’événements, nos discours se déroulent dans l’histoire, ils ont lieu à des moments précis et dans des lieux précis et sont produits par des êtres humains particuliers. Leur ancrage dans une situation historique déterminée implique différents types de contextes sans lesquels la référence et la genèse du sens ne seraient pas possibles, comme par exemple les circonstances situationnelles, les contextes linguistiques constitués à partir des signes de nos langues, les contextes de nos connaissances encyclopédiques ou les univers de discours (historique, fictif, scientifique, mythologique etc.), qui déterminent le statut de vérité de nos discours. Compte tenu de la diversité inépuisable de nos discours, il n’est pas étonnant que les termes en question aient une caractéristique essentielle en commun : une extension sémantique très vaste. De plus, il s’agit de notions relationnelles, en ce sens qu’elles renvoient toujours au texte ou à l’événement communicatif par rapport auquel elles se définissent. Ce sont précisément ces deux qualités que Manfred Pinkal (1985, 36) prend en considération en disant : « ‹ Kontext › kann, grob gesagt, die ganze Welt relativ zu einem Äußerungsereignis sein » (‘ On peut, en gros, définir la notion de  



   







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‹ contexte › comme le monde entier dans son rapport à un acte d’énonciation particulier ’). Les conséquences de cet état de choses sont évidentes : on constate une très grande variabilité en ce qui concerne la conception théorique de ces notions, qui est due, d’une part, à la définition du texte / de l’événement communicatif dont elles sont les corollaires et, d’autre part, à la discipline linguistique dont elles relèvent. Contrairement au texte écrit, le discours oral inclut une gamme plus large de contextes possibles, notamment tous les facteurs présents dans la situation de communication immédiate, c’est-à-dire dans le contact direct du locuteur avec l’interlocuteur (comme par ex. la prosodie, la mimique, les gestes, les données sociales de la situation etc.). Tous ces facteurs se répercutent sur le discours oral et vice versa, de sorte que se développe entre eux un rapport dynamique de dépendance et d’influence mutuelle. Il s’ensuit que le contexte situationnel est pris en considération avant tout par les disciplines linguistiques dont l’objet est la communication orale, comme par exemple la pragmatique, la sociolinguistique et l’analyse conversationnelle. Conformément à leur conception du langage et aux objets respectifs de leurs analyses, ces disciplines établissent plus ou moins exhaustivement des paramètres différents de la situation de communication. Le texte écrit, par contre, ne s’insère pas directement dans un contexte situationnel : selon les conventions des genres respectifs dont il fait partie, il doit plutôt remplacer verbalement les facteurs situationnels par des indications à propos des personnes, du temps, du lieu etc. qui forment, dans les circonstances données, l’entour d’un événement communicatif, d’une action ou d’un état de choses (cf. Koch/ Oesterreicher 22011, 6ss. ; Aschenberg 1999a). Étant donné que notre article porte uniquement sur le texte écrit, nous allons faire largement abstraction, dans ce qui suit, des théories qui portent sur le discours oral et ses entours (cf. Duranti/Goodwin 1992 ; Aschenberg 2001 ; House 2006). Malgré cette restriction, le sujet à traiter reste immense. Pour ne pas nous perdre dans la multitude des travaux qui, d’une manière ou d’une autre, ont thématisé les notions de contexte, situation et entour, nous esquisserons dans la première partie de cet article, en partant de Bühler (21965, 1934), la conception de Coseriu (2001, [1955]), qui est une des théories les plus différenciées des entours textuels. Les travaux de Bühler et de Coseriu peuvent être considérés comme des exemples prototypiques de l’« approche standard » selon laquelle la fonction des contextes s’accomplit dans la détermination du sens d’un énoncé ou d’un texte (cf. Kleiber 1994, 9ss.). Au cours des années passées, la question des contextes de la communication humaine a été reconsidérée dans le cadre de différentes approches, notamment de la sémantique, de la pragmatique, de la psycholinguistique et de la neurolinguistique.1 Nous discute 























1 Voir par exemple What is a Context ? Linguistic approaches and challenges éditée par Finkbeiner/ Meibauer/Schumacher (2012). La majorité des contributions réunies dans cette anthologie porte sur l’interaction verbale. L’approche cognitive joue un rôle central dans ces travaux.  

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rons une position opposée aux théories traditionnelles, à savoir celle de Georges Kleiber (1994), qui est influencée par la théorie de la pertinence. Dans la seconde partie, il sera question des conceptions du contexte qui ont été élaborées dans le cadre de la traductologie. Il va de soi que, dans cette partie également, nous ne pouvons que commenter quelques positions choisies que nous considérons comme représentatives et les illustrer dans la mesure du possible par des exemples concrets.

2 Les conceptions linguistiques du contexte Une des premières conceptions des contextes verbaux et extraverbaux qui a donné lieu plus tard à l’introduction de la notion d’entour dans la linguistique est celle de Bühler. Celui-ci avait développé cette théorie dans son livre Sprachtheorie. Die Darstellungsfunktion der Sprache, publié pour la première fois en 1934. En se basant sur les idées de la psychologie gestaltiste, selon lesquelles notre perception des entités particulières est guidée par le tout dont elles font partie, Bühler cherche à expliquer le fonctionnement et notre compréhension des signes linguistiques par les contextes qui constituent leurs entours. Les entours, définis de façon objectivante selon le modèle du champ de la psychologie gestaltiste, ne constituent pas des modes d’aperception du sujet parlant, mais plutôt quelque chose comme des environnements potentiels ou actuels dans lesquels les signes linguistiques sont insérés. Bühler distingue deux types de mots : les mots déictiques (‘Zeigwörter’) et les mots appellatifs (‘Nennwörter’). L’entour correspondant aux mots déictiques est la situation (‘Situation’), parce que c’est elle qui assure la localisation et la référence d’un événement communicatif à partir de trois facteurs qui forment son origine (‘origo’) : ego, hic et nunc. En ce qui concerne les mots appellatifs, la classification de Bühler établit trois types d’entours : 1. le « symphysisches Umfeld », l’entour physique tel que l’étiquette, le panneau, le poteau indicateur etc. ; cet entour fonctionne comme environnement dans le cas des noms qui n’ont pas de contexte verbal ; 2. le « sympraktisches Umfeld », l’ensemble des conventions qui règlent les rapports sociaux ; 3. le « synsemantisches Umfeld », une catégorie complexe qui englobe à la fois les rapports lexico-sémantiques et syntaxiques des signes linguistiques employés (voir Bühler 21965, 149ss. ; Aschenberg 1999a, 44–63). La notion d’entour de Bühler fut reprise par Coseriu en 1955 dans un article intitulé « Determinación y entorno »2 dans lequel il plaide pour une linguistique qui donne la priorité non à l’étude de la langue, mais à celle de l’activité langagière, autrement dit une linguistique qui analyse tous les phénomènes langagiers à partir du  



























2 Coseriu a intégré plus tard la théorie des entours dans sa conception de la linguistique textuelle (voir Coseriu 42007, 124–137 ; voir aussi Aschenberg 1999a, notamment 64–76). Nous nous référons ici à la version française de l’article « Determinación y entorno » publiée en 2001.  







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fait de parler. Il est évident qu’une telle approche requiert une théorie des contextes dans lesquels puisse s’accomplir cette activité humaine. Selon Coseriu, les entours sont de première importance, parce qu’ils contribuent dans une large mesure au développement du sens dans le discours :  

« Les entours interviennent nécessairement dans toute activité de parler, puisqu’il n’existe pas de discours sans circonstances, de discours qui n’ait une ‹ toile de fond ›. Ainsi qu’on l’a vu, les entours participent presque constamment à la détermination des signes et ils se substituent souvent aux déterminateurs explicites. Mais leur fonctionnalité ne s’arrête pas là : les entours orientent tout discours et contribuent à lui conférer son sens, et ils peuvent aller jusqu’à déterminer la valeur de vérité des énoncés » (Coseriu 2001, 54s.).  









La notion d’entour dans la conception de Coseriu est en définitive une catégorie extrêmement hétérogène parce qu’elle désigne à la fois des qualités internes et des rapports externes du texte. Elle se réfère à la langue historique, aux variétés employées dans un texte et aux différentes couches du savoir encyclopédique activées dans la production et la compréhension textuelles. Coseriu distingue d’abord quatre types d’entours, qui sont respectivement précisés par des sous-classes. Schématisés sommairement ces entours sont les suivants (voir Coseriu 2001, 56ss.) :  



I. SITUATION : II. RÉGION : III. CONTEXTE :

immédiate/médiate zone, milieu, ambiance idiomatique verbal extraverbal (physique, empirique, naturel, pratique, historique, culturel) IV. UNIVERS DU DISCOURS  





Comment ces notions sont-elles définies ? La SITUATION est entendue comme « les circonstances et les relations spatio-temporelles automatiquement créées par le fait même que quelqu’un parle » (Coseriu 2001, 56). La RÉGION, basée sur le critère de l’espace, est une catégorie hétérogène qui renvoie, d’une part, au savoir idiomatique, et, d’autre part, au savoir encyclopédique. Elle englobe trois sous-classes : la zone est définie comme « ‹ la région › dans laquelle on connaît et emploie habituellement un signe », le milieu comme « ‹ la région › dans laquelle l’objet désigné est connu »,3 l’ambiance comme « ‹ la région › déterminée socialement ou culturellement », caractérisée par un parler spécifique (ibid.). Le CONTEXTE, catégorie extrêmement composite, couvre « toute la réalité qui entoure un signe, un acte de parole ou un discours et cela en tant que savoir linguistique des interlocuteurs et en tant qu’activité » (ibid., 58). Les catégories du  







   





   



   











3 Il est significatif que Coseriu emploie le verbe connaître dans la définition de ces entours.  

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savoir encyclopédique sont également intégrées dans le CONTEXTE (plus précisément dans le contexte extraverbal). Le savoir du sujet est désigné par trois termes : 1. le contexte naturel, qui « est constitué par la totalité des contextes empiriques possibles, c’est-à-dire qu’il est l’univers empirique connu des interlocuteurs ». 2. le contexte historique, qui « est constitué par les circonstances historiques connues des interlocuteurs ». 3. le contexte culturel, qui « englobe tout ce qui appartient à la tradition culturelle d’une communauté ». Coseriu considère ce contexte comme une forme particulière du contexte historique (2001, 56ss. ; 42007, 133). L’UNIVERS DU DISCOURS, quant à lui, se réfère aux différents « systèmes de significations » (2001, 56) qui fondent les différents modes de validité d’un texte. Ainsi les univers du discours de la religion, des sciences, de la mythologie etc. ne représentent pas seulement différents systèmes de savoir, mais attribuent au texte aussi différentes valeurs de vérité.4 Coseriu a donc essayé d’élaborer la notion d’entour empruntée à Bühler à travers une classification dans la mesure du possible exhaustive et précise des contextes textuels. La visée objectivante – conception des différentes formes du savoir encyclopédique comme autant de contextes – correspond à la métaphore des entours. Ce qui invite à la critique, c’est le manque d’homogénéité de la théorie, surtout en ce qui concerne la délimitation entre les « entours » subjectifs (les différentes formes du savoir qui interviennent dans la production et la compréhension du texte) d’une part, et les « entours » objectifs d’autre part, ces derniers étant liés directement au texte en tant qu’unité de signes linguistiques utilisés dans une situation spatio-temporelle déterminée (voir Aschenberg 2015). Contrairement aux théories traditionnelles classificatoires, qui considèrent les contextes comme des environnements sémiotiques de nature différente portant sur la détermination du sens textuel, Kleiber (1994) opte pour une conception dynamique, constructiviste et hiérarchisante fondée sur la théorie psychologique de la pertinence de Dan Sperber et Deirdre Wilson, qui, comme chacun sait, a eu une influence retentissante sur la linguistique des décennies passées. Sperber et Wilson considèrent le contexte comme un concept purement psychologique, qui n’englobe pas des facteurs culturels et situationnels, mais désigne un « environnement cognitif », défini comme l’ensemble des prémisses actualisées par l’interlocuteur pour comprendre un énoncé.5  







































4 Il n’est pas possible de commenter ici le schéma complet des entours ; voir Coseriu (42007, 124ss.) et les passages déjà indiqués. 5 Sperber/Wilson (21995, 15s.) définissent le contexte comme suit : « A context is a psychological construct, a subset of the hearer’s assumptions about the world. It is these assumptions, of course, rather than the actual state of the world, that affect the interpretation of an utterance. A context in this sense is not limited to information about the immediate physical environment or the immediately preceding utterances : expectations about the future, scientific hypotheses or religious beliefs, anecdo 











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Selon Kleiber, la différence entre la conception psychologique et l’approche « standard » est la suivante :  





« Une telle conception du contexte se sépare en effet radicalement de la conception classique en ce qu’il s’agit cette fois-ci d’un phénomène éminemment mémoriel. Le contexte n’est plus conçu comme quelque chose d’extérieur, mais comme une réalité cognitive : contexte linguistique, situation extralinguistique, connaissances générales se retrouvent tous traités mémoriellement : ils ont tous le statut de représentation interne, même s’ils se différencient quant à l’origine et au niveau de la représentation (mémoire courte, mémoire longue, etc.) » (1994, 19).  







Kleiber distingue donc trois contextes de base : le contexte linguistique, la situation extra-linguistique et les connaissances générales présumées partagées (1994, 14). La conception constructiviste renverse par rapport aux théories traditionnelles la relation de détermination entre énoncé et contexte : ce n’est plus le contexte qui détermine le sens d’un énoncé, au contraire, c’est l’énoncé qui détermine le choix du modèle contextuel approprié (ibid., 18). Les différents contextes se trouvent dans une relation hiérarchique : le contexte linguistique est prioritaire sur la situation extralinguistique, parce que celui-ci est plus facilement disponible à la mémoire que la dernière :  







« […] si un contexte linguistique est disponible pour le pronom personnel il, par exemple, on n’ira pas chercher un antécédent dans la situation extra-linguistique, parce qu’il est esé moins accessible que l’antécédent linguistique, dans la mesure où celui-ci a été explicitement introduit dans la mémoire et se trouve donc être plus saillant que le réfèrent non encore introduit » (ibid., 19).  



Selon Kleiber, le déficit le plus grave des théories traditionnelles est le manque de précision (voir ibid., 11). Mais il critique également les théories cognitives parce que, à l’en croire, nous ne disposons pas encore de connaissances vraiment assurées au sujet de l’organisation de notre savoir sémantique et encyclopédique : « quelle est la structuration pertinente ? Sous forme de prototype ? […] sous forme de frame (cadre), de réseau sémantique, etc. ? Le débat reste ouvert […] » (ibid., 19). Notre petit tour d’horizon a montré que situation et contexte jouent un rôle central pour la genèse et l’interprétation du sens textuel. La distinction de trois types de contextes de base proposée par Kleiber (contexte linguistique, situation extralinguistique et connaissances générales présumées), qui peut être confirmée aussi à partir d’autres théories, nous semble pertinente en ce sens qu’il s’agit de trois types catégoriellement différents permettant une hiérarchisation et une précision selon l’objet d’étude respectif (discours oral / texte écrit, genre textuel etc.). La visée plutôt objectivante et classificatoire (Bühler, Coseriu) ou la visée plutôt « subjectivante » ou cognitive (Kleiber) dépend finalement du paradigme scientifique sous-jacent à l’ap 















tal memories, general cultural assumptions, beliefs about the mental state of the speaker, may all play a role in interpretation ». Voir aussi 3.2.2.  

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proche choisie. La distinction des trois contextes mentionnés nous servira de fil conducteur pour la classification des théories développées dans le cadre de la traductologie.

3 Conceptions traductologiques Les notions de situation et de contexte jouent un rôle important aussi en traductologie. Étant donné que le traducteur ne traduit pas des mots, mais des textes,6 la question des contextes et de leur contribution à la genèse et à l’interprétation du sens du texte de départ ainsi que du texte d’arrivée se pose nécessairement. Et tout comme dans les théories linguistiques, la réponse à ces questions est fortement dépendante de la conception que l’on a du texte, ou, plus précisément, de la traduction. Le problème de la définition des contextes est évidemment plus complexe pour la traductologie que pour la linguistique : tandis que cette dernière ne traite ce sujet en général que sur le fond d’une seule langue historique, d’une seule communauté culturelle et, pour cette raison, par rapport à des locuteurs en général assez « homogènes », la traductologie doit toujours prendre en considération deux langues et deux cultures, qui peuvent être, le cas échéant, radicalement différentes. Se pose en outre la question de l’équivalence, incontournable dans n’importe quelle réflexion sur la traduction. L’équivalence constitue la base du rapport entre le texte de départ et le texte d’arrivée : le tertium comparationis, qui s’accomplit dans ce que le traducteur veut conserver comme les invariants de la traduction (voir Albrecht 1990 ; 22013, 33). On peut donc se demander si la théorie des contextes concerne aussi le concept d’équivalence. Bien que les entours ne constituent que rarement le sujet central des travaux sur la traduction, on peut néanmoins constater que la majorité des auteurs s’y réfèrent d’une façon ou d’une autre. Pour donner une vue panoramique qui rende compte des conceptions traditionnelles ainsi que de théories plus récentes, nous allons d’abord présenter dans leurs grandes lignes quelques approches traditionnelles qui ont marqué l’histoire de la traductologie. Ensuite nous discuterons plus en détail trois travaux qui, au cours de la décennie passée, ont abordé la traduction explicitement à partir de la notion de contexte.7 Les questions qui nous guideront seront les suivantes : 1) quelles conceptions les traductologues se sont-ils fait des contextes ? 2) est-ce que la théorie des contextes joue un rôle dans la discussion du concept d’équivalence ?  















6 Voir entre autres Catford (31969, 1965, 1) ; Coseriu (1988, 295 et 298) ; Albrecht (22013, 23ss.). 7 Voir House (2006) ; Gutt (32000) ; Nida (2001).    









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3.1 Les théories traditionnelles 3.1.1 L’approche herméneutique La tradition herméneutique commence avec la célèbre conférence de Friedrich Schleiermacher « Ueber die verschiedenen Methoden des Uebersezens » (11813), dans laquelle l’auteur thématise déjà presque toutes les questions fondamentales de la théorie de la traduction. Schleiermacher considère la traduction comme un procédé historiquement contingent : le traducteur doit d’abord déchiffrer et interpréter le sens du texte de départ et le rendre après dans la langue d’arrivée en respectant son originalité et son individualité. En ce qui concerne les textes littéraires, Schleiermacher distingue deux méthodes de traduction : « Entweder der Uebersezer läßt den Schriftsteller möglichst in Ruhe, und bewegt den Leser ihm entgegen ; oder er läßt den Leser möglichst in Ruhe und bewegt den Schriftsteller ihm entgegen » ([1813] 1973, 47) (‘Ou bien le traducteur laisse l’écrivain le plus tranquille possible et fait que le lecteur aille à sa rencontre, ou bien il laisse le lecteur le plus tranquille possible et fait que l’écrivain aille à sa rencontre’).8 Selon la première méthode, c’est donc le texte original qui guide le choix des invariants et les options linguistiques du traducteur : le traducteur doit essayer de faire transparaître dans la traduction la particularité et l’étrangeté du texte original (la traduction dite « exotisante ») ; selon la seconde méthode (dite « naturalisante »), par contre, le traducteur adapte son texte à la situation culturelle des lecteurs envisagés, c’est-à-dire aux circonstances historiques de la réception. Les théories herméneutiques postérieures ont été développées surtout par rapport aux textes littéraires (voir par ex. Kloepfer 1967 ; Apel/Kopetzki 2003, 1983). Les auteurs se focalisent sur l’historicité du texte de départ ainsi que sur les « horizons »9 subjectifs et historiques de sa réception. Friedmar Apel, par exemple, définit la traduction littéraire comme suit :  































« Übersetzung ist eine zugleich verstehende und gestaltende Form der Erfahrung von Werken einer anderen Sprache. Gegenstand dieser Erfahrung ist die dialektische Einheit von Form und Inhalt als jeweiliges Verhältnis des einzelnen Werks zum gegebenen Rezeptionshorizont (Stand der Sprache und Poetik, literarische Tradition, geschichtliche, gesellschaftliche und individuelle Situation) » (22003, 1983, 18). ‘La traduction est une expérience des œuvres qui se fait à la fois sur le mode de la compréhension et sur celui de la mise en forme. L’objet de cette expérience est l’unité dialectique de la forme et du contenu conçue chaque fois comme rapport de l’œuvre particulière à l’horizon de réception donné (l’état de la langue et poétique, la tradition littéraire, la situation historique, sociale et individuelle)’.  



8 Traduction d’Antoine Berman (1999, 49). 9 Le terme d’horizon est emprunté à l’herméneutique de Gadamer.    

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La traduction entendue comme compréhension et création textuelles renvoie à trois types de contextes différents : au contexte constitué par le texte lui-même, au savoir subjectif (« Rezeptionshorizont ») et à la situation, intégrée dans la notion de « Rezeptionshorizont ». Il n’est pas toujours tout à fait clair lequel de ces trois contextes est décisif. En général, les herméneuticiens ont tendance à penser que c’est du texte luimême que doit être dégagé ce qui doit rester invariant (cf. Albrecht 1987, 5).  









3.1.2 L’approche fonctionnaliste La conception fonctionnaliste de John C. Catford, auteur d’une des premières monographies linguistiques sur la traduction, se base sur le contextualisme anglais, qui, influencé par les théories de l’anthropologue Bronislaw Malinowski, a mis en relief surtout l’importance du contexte situationnel et ses implications sociales. Catford établit de prime abord un lien très fort entre le contexte linguistique et la situation extralinguistique (31969, 1965, 23). L’insertion du texte dans la situation est illustrée par un graphique qui représente des cercles concentriques ordonnés autour du texte : le plus petit de ces cercles représente la situation de communication, le plus grand le contexte culturel total (« total cultural background », ibid., 52). La notion d’équivalence est définie à partir de la situation : « For translation equivalence to occur, then, both SL [source language] and TL [target-language] text must be relatable to the functionally relevant features of the situation » (Catford 31969, 1965, 94). La question qui se pose immédiatement est la suivante : quels sont les traits fonctionnellement importants de la situation ? Selon Catford, c’est le contexte linguistique ou le « cotexte » qui fournit au traducteur les informations nécessaires pour adapter sa traduction à la situation.  



















3.1.3 La théorie du skopos L’approche de la théorie du skopos, basée sur des conceptions pragmatiques, a suscité beaucoup d’intérêt chez les traductologues dans les années 80 et 90 du siècle passé. Leurs auteurs, Katharina Reiß et Hans J. Vermeer, définissent la traduction comme une « action complexe » (Reiß/Vermeer 1984, 23ss.) ou comme « transfert culturel » (ibid., 24). Selon eux, ce n’est pas le texte qui guide les options du traducteur, mais le skopos, c’est-à dire l’objectif de la traduction, que le traducteur établit à partir de l’ensemble des facteurs situationnels en vue des effets à produire sur le destinataire : « Der Skopos ist als rezipientenabhängige Variable zu beschreiben » (‘ Il faut décrire le skopos comme une variable relative au destinataire ’) (ibid., 101). La mise en valeur du contexte situationnel s’articule dans la définition de la notion d’équivalence : « Über Äquivalenz zwischen Ausgangs- und Zieltext kann man demnach immer nur unter Bezugnahme auf die Entstehungsbedingungen, einschließlich z.B. die Ent 























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stehungszeit – also unter Bezugnahme auf die Translations‹ situation › einer Übersetzung diskutieren » (‘ Il s’ensuit qu’on ne peut discuter de l’équivalence entre le texte source et le texte cible qu’en se référant aux conditions de sa production (i.e. de la traduction), en y incluant, par exemple, l’époque à laquelle elle a été réalisée – ce qui veut dire qu’il est nécessaire de prendre en compte la ‘situation’ de translation d’une traduction ’) (ibid., 141).  









3.1.4 La théorie de l’équivalence Les théories esquissées jusqu’ici montrent déjà que les entours interviennent non seulement dans la définition de la traduction mais aussi dans celle de l’équivalence. La théorie de l’équivalence la plus différenciée a été élaborée par Koller dans son manuel sur la traductologie, reprise et refondue dans un article publié en 1995 sous le titre « The Concept of Equivalence and the Object of Translation Studies ». Comment les entours sont-ils inclus dans cette conception ? Tout comme la notion de contexte, l’équivalence est, selon Koller, un terme relationnel qui peut être défini comme rapport entre les facteurs internes et/ou les facteurs externes du texte de départ et du texte d’arrivée :10  





« Equivalence is a relative concept in several respects : it is determined on the one hand by the historical-cultural conditions under which texts (original as much as secondary ones) are produced and received in the target culture, and on the other by a range of sometimes contradictory and scarcely reconcilable linguistic-textual and extra-linguistic factors and conditions » (Koller 1995, 196).  





Il est évident que ce que Koller appelle « conditions » dans sa définition équivaut à ce que d’autres linguistes et traductologues nomment situation et contexte. Les « frameworks » de l’équivalence, selon Koller, sont les suivants :  









1. les circonstances extralinguistiques reflétées par le texte ; 2. les connotations déclenchées par la forme linguistique du texte ; 3. les normes discursives usuelles dans la langue cible ; 4. la façon de prendre en considération le destinataire du texte ; 5. les propriétés esthétiques du texte de départ (voir ibid., 199).  









10 Conformément à cette distinction, Schreiber propose les termes Textübersetzung (traduction selon le texte) et Umfeldübersetzung (traduction selon les entours) : « Wenn sich die ranghöchste Invarianzforderung auf eine textinterne Invariante (d.h. ein formales oder inhaltliches Merkmal des Textes) bezieht, spreche ich von einer Textübersetzung, bezieht sie sich auf eine textexterne Invariante (z.B. Intention oder Wirkung), spreche ich von einer Umfeldübersetzung » (1993, 67s.). ‘Je parle de traduction selon le texte lorsque l’exigence d’invariance du rang le plus élevé concerne une donnée interne au texte (c’est-à-dire une caractéristique formelle ou sémantique de ce texte) et de traduction selon les entours lorsqu’elle concerne une donnée externe au texte (par ex. l’intention ou l’effet produit)’.  







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Dans l’interprétation de Koller, la notion d’équivalence se réfère donc à différents types de contextes qui peuvent être reflétés, actualisés ou créés dans l’accomplissement de la relation d’équivalence : la situation extralinguistique (voir 1), le contexte linguistique (voir 4, 5) et le savoir (voir 2 et 3). Comme Koller le souligne lui-même, il les a conçus à partir d’un point de vue strictement linguistique et textuel (voir ibid.).11 En guise de conclusion, nous pouvons constater que les entours ne constituent pas des sujets autonomes dans les théories traditionnelles de la traduction mais sont impliqués plutôt en tant que corollaires par la définition de la traduction et de son paramètre essentiel, l’équivalence. D’où il résulte que l’élaboration de ces concepts reste en général schématique et vague. Il faut ajouter en plus que notre classification des entours (situation extralinguistique, contexte linguistique et savoir) ne permet qu’une localisation théorique sommaire de ces conceptions. Étant donné que leur provenance théorique est diverse, leur contenu notionnel l’est aussi, même s’ils sont désignés par un même terme. La notion de situation, par exemple, a une autre signification dans le cadre du fonctionnalisme que dans l’herméneutique ou dans la théorie du skopos. Dans ce qui suit nous allons examiner quelques théories de la traduction plus récentes qui sont explicitement centrées sur la notion de contexte. Est-ce qu’elles sont plus précises sur notre sujet ?  



3.2 Théories récentes 3.2.1 La traduction en tant que recontextualisation Dans son essai intitulé « Text and context in translation » (2006), Juliane House reconsidère la question de la traduction dans toute sa complexité à partir de la notion de contexte. House définit la traduction comme une recontextualisation :  





« The task of translation as re-contextualization then consists of enacting a discourse out of the written text, i.e. the translator must create a ‹ living ›, but essential not dynamic, cognito-social entity replete with contextual connections […]. The new context in the target language is not conceived as dynamic or negotiated because of the power of relationship implied by the connection between text and translator. Its ‹ static › quality arises in the very space opened up by the separation in time and space of writer and reader, and by means of the translator herself [sic ] to  











11 Venuti (2000, 121) critique la conception statique du texte sous-jacente aux théories de l’équivalence de ce type : « Theorists tend to assume that the foreign text is a fairly stable object, possessing invariants, capable of reduction to precisely defined units, levels, and categories of language and textuality ».  







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define what the context is. This is very different from the type of context invoked in conversational interaction » (2006, 343).12  

Partant d’une approche fonctionnelle systémique, notamment de la théorie de Halliday, qui avait déjà servi de base à son livre Translation Quality Assessment : A Model Revisited (1997), House illustre les différents contextes et leurs relations par le graphique suivant (2006, 343) :  



Fig. 1 : Schéma pour l’analyse et la comparaison de textes originaux et leurs traductions.  

Le registre englobe selon l’auteur les éléments linguistiques de surface et établit les relations entre le texte et ses microcontextes. Le genre est conçu comme une catégorie d’une part supérieure au registre (ce que le graphique ne montre pas) ; il couvre les éléments de la structure profonde et instaure les relations avec le macrocontexte linguistique et culturel. D’autre part, genre et registre se trouvent dans un rapport fonctionnel selon la relation expression / contenu de la théorie de Hjelmslev : « Genre is the content plane of Register, and Register is the expression plane of Genre. Register in turn is the content plane of Language, with Language being the expression plane of Register » (ibid.).  







12 Le contexte dans la communication orale est selon House ouvert et dynamique.  





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Il y a cependant d’autres types de contextes, qui ne sont pas représentés dans le graphique, à savoir le discourse world et le frame. Il s’agit de deux concepts qui renvoient aux processus de la compréhension du texte. Tandis que dans l’explication de discourse world interviennent des notions de la pragmatique (ainsi le discourse world aide le destinataire à attribuer un « sens illocutionnaire » à un « acte locutionnaire »), le frame guide la compréhension du texte par exemple au niveau des actions représentées.13 House recourt à ces concepts pour expliquer deux modes différents de la recontextualisation traductrice : la covert translation (traduction naturalisante ou, dans l’esprit de Schleiermacher, einbürgerndes Übersetzen) et l’overt translation (traduction exotisante, dans l’esprit de Schleiermacher verfremdendes Übersetzen) : celleci réactive les contextes du texte de départ de façon que deux mondes discursifs sont « juxtaposés » dans le texte d’arrivée ; la « covert translation », par contre, est centrée uniquement sur la communauté cible, dont les normes communicatives sont dérivées par un « filtre culturel ». La covert translation est affectée plus directement par les contextes culturels, et le rapport avec le texte de départ est moins étroit que dans le cas de l’overt translation (ibid., 347ss.). Face à l’ensemble des catégories introduites dans le modèle, on est étonné de voir qu’elles ne trouvent pas d’application dans l’analyse des exemples dans la dernière partie de l’essai. L’auteur choisit des textes pragmatiques (des affiches dans des bâtiments publiques, un mode d’emploi, un manuel d’utilisation de logiciel) pour montrer de façon très sommaire que les traducteurs ne peuvent pas rendre directement les procédés linguistiques de l’original mais qu’ils doivent suivre les conventions textuelles et culturelles de la communauté d’arrivée (ibid., 352ss.). Comparé avec les réflexions d’autres auteurs qui ont thématisé les entours en vue de la traduction, le modèle de Juliane House a l’avantage d’offrir une série de catégories concrètes qui peuvent être utiles dans l’analyse de la traduction. Examiné de plus près, son modèle révèle cependant quelques déficits dont le plus grave est l’éclectisme. En commentant les catégories empruntées à Halliday, House se réfère à des approches tout à fait différentes (la grammaire générative, la pragmatique, le fonctionnalisme d’Hjelmslev etc.) et ajoute ensuite des catégories de la linguistique textuelle (discourse world) ainsi que de la linguistique cognitive (frame) sans les intégrer dans sa théorie. On a l’impression d’un ensemble hétéroclite dont les éléments ne sont pas élucidés solidement dans leurs rapports mutuels. Ceci se manifeste aussi dans le commentaire de la relation entre register et genre, qui n’est pas clair : subordination du registre au genre d’une part, relation d’inclusion réciproque entre les deux d’autre part. Il aurait été préférable de ne pas séparer ces deux catégories mais d’intégrer le registre dans celle de genre. En ce qui concerne les sous-catégories  





























13 Selon House, frame est un concept socio-psychologique. Sa définition est la suivante : « A frame delimits a class of meaningful actions virulent in the text producers‘ and receptors‘ minds ; it often operates unconsciously as a type of explanatory principle, i.e., a frame gives receptors instructions in their interpretation of the message included in the frame » (ibid., 347).  









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sociolinguistiques de FIELD et TENOR on peut se demander dans quelle mesure elles sont vraiment nécessaires pour l’analyse du texte écrit ou si elles ne sont plus appropriées à l’analyse de la communication orale. Le fait que les catégories du modèle ne sont pas mises à l’épreuve dans les traductions discutées à titre d’exemple soulève la question de leur utilité, ce qui, sans aucun doute, ne peut pas correspondre à l’intention de son auteur.

3.2.2 Théorie de la pertinence et traduction La théorie de la pertinence fut élaborée et présentée au public par Sperber et Wilson dans leur livre Relevance. Communication and Cognition en 1986. Cette théorie a eu une influence retentissante notamment sur les travaux qui traitent de questions relevant de la pragmatique. En ce qui concerne le fondement cognitiviste de leur approche, celui-ci est fortement marqué par la conception modulariste de la cognition élaborée par Jerry Fodor (1983) ; l’orientation pragmatique de la théorie porte l’empreinte des idées de Herbert Paul Grice (52010). La théorie de la pertinence fut appliquée aux questions principales de la traductologie par Ernst August Gutt14 dans son livre Translation and Relevance. Cognition and Context publié pour la première fois en 1991.15 Comme l’indique le titre du livre, la notion de contexte joue un rôle central dans la reconsidération ou, plus précisément, la réinterprétation des positions de la traductologie. Dans son introduction à la théorie de la pertinence (chap. 1 et 2), Gutt met en relief l’approche complètement différente de sa conception de la traduction par rapport aux conceptions traditionnelles. La théorie de la pertinence n’est ni une théorie classificatoire ni une théorie descriptive. Il s’agit par contre, à l’en croire, d’une théorie explicative qui essaie de rendre compte selon le modèle de cause à effet des processus cognitifs activés dans le traitement de l’information. Selon la théorie de la pertinence, la capacité de tirer des inférences du comportement d’autrui est une capacité mentale de première importance, parce que c’est justement cette capacité qui permet aux êtres humains d’entrer en communication. Communiquer selon cette théorie signifie transmettre des informations à autrui. Comment la théorie de la pertinence envisage-t-elle l’événement communicatif ? Le locuteur produit avec son message des stimuli qui permettent à l’interlocuteur de tirer des inférences quant à son intention informative (voir Gutt 32000, 23). L’interprétation inférentielle de l’énoncé se base sur des processus complexes dans lesquels interviennent différentes représentations cognitives, à savoir 1) les représentations sémantiques à partir des données linguistiques (« the output of the language module  







14 Gutt est un disciple de Deirdre Wilson. 15 Le livre a été réimprimé en 1993 et en 2000.    

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of the mind ») ; 2) les pensées sous forme de propositions dérivées à partir des représentations sémantiques et des données du contexte. Selon la théorie de la pertinence, le contexte d’un énoncé n’est pas un ensemble de facteurs extérieurs, mais un « environnement cognitif » : « The notion of ‹ cognitif environment › takes into account the various external factors but places the emphasis on the information they provide and its mental availability for the interpretation process » (ibid., 25). L’environnement cognitif englobe des informations de provenance diverse : il s’agit d’informations tirées de l’environnement physique, d’énoncés précédents et de n’importe quel type de savoir stocké dans la mémoire. Dans l’acte de compréhension, l’interlocuteur doit activer les contextes adéquats pour comprendre l’intention informative du locuteur. C’est ici que Gutt renvoie au principe central de la théorie de la pertinence, qui fut développée à partir de la troisième maxime de conversation de Grice :16  





















« The central claim of relevance theory is that the human communication crucially creates an expectation of optimal relevance, that is, an expectation on the part of the hearer that his attempt at interpretation will yield adequate contextual effects at minimal processing cost. This fact is believed to be part of our human psychology, and is expressed in relevance theory as the principle of relevance : Principle of relevance ‹ Every act of ostensive communication communicates the presumption of its own optimal relevance (Sperber/Wilson 21995, p.158 […]) › » (ibid., 30).  





   

Comment Gutt a-t-il appliqué cette théorie à la traduction ? La façon de procéder de l’auteur est la suivante : il part toujours d’une conception particulière de la traduction ou d’une question concrète de traduction pour préciser ensuite la position de la théorie de la pertinence par rapport aux sujets respectivement abordés. Voici deux exemples :  



1.

La « covert translation » (voir ibid., 45ss.) : cette notion désigne la méthode de traduction qui prend en considération surtout les lecteurs de la langue cible (J. House, voir supra). Gutt illustre ce procédé par des guides touristiques et des textes publicitaires dont les traductions s’écartent passablement des textes originaux. Selon Gutt, la relation entre les textes et leur traduction doit être conçue selon le principe de la pertinence : ceci veut dire que le traducteur, dans les exemples choisis, ne fait pas un « usage interprétatif » de l’original mais un « usage descriptif » en changeant le message du texte de façon qu’il soit pertinent pour les lecteurs du texte d’arrivée dans leurs contextes respectifs : « the receptor language texts are intended to achieve relevance in their own right, not in virtue of their interpretive resemblance with some source language original » (ibid., 57). Gutt estime que l’évaluation de la traduction ne doit pas suivre le critère de  























16 « Be relevant ! ».  



   

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l’équivalence, mais celui de l’adéquation à la pertinence dans les contextes des lecteurs envisagés (voir ibid., 61). 2.

La traduction comme « usage interlinguistique interprétatif » : l’auteur discute sous ce terme des traductions de textes littéraires, dans lesquels le traducteur ne peut pas conserver tous les traits esthétiques de l’original mais doit nécessairement faire un choix (selon la terminologie traditionnelle) des « invariants » ou des critères d’« équivalences » à respecter. Partant de Levy et de sa discussion des traductions de Morgenstern « Das ästhetische Wiesel » en anglais, Gutt montre qu’il y a différentes possibilités de traduire le texte. Les solutions du traducteur dépendent de son intuition de ce qu’il considère comme pertinent pour son public. Mais il peut échouer : « Thus our account of translation efforts does not predict that the principle of relevance makes all translation efforts successful any more than it predicts that ostensive communication is likely to arise where the translator’s assumptions about the cognitive environment of the receptor’s audience are inaccurate » (ibid., 112).  























Notre résumé des réflexions de Gutt est nécessairement très sommaire. La théorie de la pertinence est une théorie complexe et son application à la traduction est loin d’être réussie dans le détail. Le travail de Gutt se comprend plutôt comme une tentative de soumettre cette théorie à l’épreuve de la traduction, la terminologie est parfois compliquée et, somme toute, les renvois à cette théorie ne mènent pas à une conception différenciée et convaincante de la traduction. La notion de contexte défini comme « environnement cognitif » est au centre de cette conception, parce que la pertinence des stimuli de l’information à gérer par le lecteur se mesure selon leur adéquation aux contextes de celui-ci. La conception de la traduction qui résulte de cette approche est, comme l’auteur le constate lui-même, réductionniste, parce que toutes les questions de la traduction sont considérées au fond comme des questions de la communication (ibid., 188). Au niveau psychologique, la traduction, selon lui, n’exige pas une théorie particulière, parce que traduire n’est rien d’autre qu’une forme de la communication inférentielle (ibid., 199).17 En ce qui concerne les fondements de la théorie de la pertinence, le lecteur sceptique peut en outre se demander si les choses se passent vraiment dans notre  



17 Voir aussi Gutt (2005). Selon Venuti (2000, 334), le problème de la position de Gutt est le suivant : « His stress on cognition is admittedly reductive : it effectively elides the specificity of translation as a linguistic and cultural practice, its specific textual forms, situations and audiences. Relevance Theory assumes a universal principle believed to represent a psychological characteristic of our human nature […] and therefore offers an extremely complex yet abstract formalization that highlights individual psychology without figuring in social factors. When applied to translation by Gutt, this seems to mean a universal reader, one characterized by an overwhelming desire for minimal processing effort, if not for immediate intelligibility ».  









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cognition de la façon dont la conçoivent les auteurs. Où sont les arguments, les preuves ? En relisant le livre de Sperber/Wilson, on a l’impression d’un texte fortement thétique.  

3.3.3 Les contextes en traduction : le travail du traducteur  

Après avoir discuté l’approche plutôt abstraite de Gutt, nous allons clore la discussion théorique des contributions récentes sur le sujet avec un auteur dont le premier livre sur la traduction18 fut un des travaux fondateurs de la traductologie et dont le dernier livre est dédié aux contextes dans la traduction : Eugene A. Nida.19 Tout comme ses publications antérieures, Contexts in Translating (2001) est un travail essentiellement conçu dans la perspective du traducteur, une sorte de testament dans lequel l’auteur reconsidère encore une fois toute la gamme des questions centrales portant sur la traduction. Nida avait déjà traité les contextes de la traduction dans ses livres des années soixante et soixante-dix en envisageant une conception large, dans laquelle le contexte culturel jouait un rôle prépondérant : « words have meanings only in terms of the total cultural setting » (1964, 244).20 Conformément à cette réévaluation du contexte culturel, qui résulte sans aucun doute de ses expériences comme traducteur de la Bible, il élabore le concept de l’équivalence dynamique, selon laquelle les effets produits sur les lecteurs de la langue cible doivent correspondre dans la mesure du possible aux effets produits sur les lecteurs du texte originaire (voir ibid., 159). Dans son dernier livre, Nida constate dès le début le grand décalage entre la théorie et la pratique de la traduction. Selon lui, la majorité des traducteurs adopte une attitude assez distanciée quant à l’utilité des théories de la traduction pour leur travail.21 Pour cette raison, l’auteur tient à rédiger son manuel dans l’optique des traducteurs. Nida part de la conviction selon laquelle les contextes influencent tous les niveaux d’un texte, à savoir le niveau phonologique, lexical, grammatical et histo 









18 Toward a Science of Translating (1964). 19 Nida est décédé en 2011. Membre de la Société biblique américaine, il a travaillé avec des traducteurs de la Bible dans le monde entier. Ses publications sur la traduction portent nettement l’empreinte de ce travail. 20 Les autres contextes que Nida considère en 1964 fondamentaux pour la traduction sont les suivants : « (1) lexico-grammatical features of the immediate unit, (2) discourse context, (3) communicative context, (4) cultural context of the source language, and (5) cultural context of the receptor language. » 21 Nida écrit : « But what seems even more strange is that for the most part the best professional translators and interpreters have little or no use for the various theories of translations. They regard them as largely a waste of time, especially since the most professional translators regularly and consistently violate so many rules laid down by theorists » (2001, 1).    

















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rique.22 Le livre ne développe cependant pas une théorie systématique, mais montre à partir de nombreux exemples et des passages tirés de textes anglais, français, espagnols, allemands et leurs traductions comment les mots ou les unités d’expression plus étendues développent leur sens sémantique et pragmatique à partir de leurs traits linguistiques et des contextes respectifs. Ainsi Nida montre à titre d’exemple les effets du contexte phonétique produits sur le contenu textuel dans le poème The Raven d’Edgar A. Poe (ibid., 40ss.). En ce qui concerne les déterminations sémantiques des mots d’un texte, il les explique par leurs rapports paradigmatiques et syntagmatiques, par leur appartenance à un registre déterminé et leur occurrence dans des textes qui renvoient à des univers de discours différents etc. (voir ibid., 28ss.). Ce qui est intéressant dans le dernier travail de Nida, c’est sa tentative de développer des catégories onomasiologiques dans le domaine de la grammaire ainsi que dans celui du contenu. Nida soutient que le traducteur ne doit pas maîtriser le système grammatical d’une langue. Pour cette raison, il propose une interprétation sémantique des rapports grammaticaux, tels que « restriction » (the old man), « participation » (John ran back, Jane was given a new car for Christmas), « connexion » (« transitionals » : nevertheless, furthermore etc., « conjunctions » : and, but, except), « prépositions » (during, under etc.). Quant à la référence du texte, c’est-à-dire l’organisation des éléments du contenu, Nida prend en considération des catégories telles que temps, espace, connectivité, classe, dialogue, gradation etc. (ibid., 69ss.). Toutes ces catégories peuvent servir d’orientation dans le travail du traducteur, étant donné qu’il s’agit d’une série de tertia comparationis que le traducteur peut envisager pour établir les équivalences entre le texte original et le texte cible. Malgré le syncrétisme des catégories linguistiques qui interviennent dans l’analyse et malgré le manque constant de systématicité, Contexts in translating est un livre riche d’idées et d’exemples. Le procédé onomasiologique sur lequel Nida d’ailleurs ne réfléchit pas en théoricien mais qu’il suit explicitement dans différents chapitres de son livre rédigé en vue du travail des traducteurs mérite d’être reconsidéré et systématisé.  





























4 Conclusion Les réflexions traductologiques sur les entours, qu’elles soient développées implicitement comme dans les théories traditionnelles ou explicitement comme dans quelques conceptions récentes, montrent que ce sujet constitue une composante centrale de la traduction, qui est étroitement liée à la question de l’équivalence ou de l’invariance. La localisation théorique des contextes – du côté du producteur, du récepteur ou du

22 Le niveau historique inclut « events leading up to the production of a text, the ways in which a text has been interpreted in the past, and the evident concerns of those requesting and paying for translation » (Preface).  





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texte lui-même – dépend, dans une grande mesure, du paradigme dans lequel est inscrite la conception que l’on en a. La théorie cognitive de Gutt reste abstraite parce qu’elle veut expliquer la traduction seulement en tant que processus communicatif, tandis que House propose un ensemble de catégories concrètes pour l’analyse de la traduction, qui soulèvent cependant quelques questions quant à leur fondement et intégration théoriques (voir 3.2.1). En ce qui concerne l’applicabilité à des phénomènes concrets, l’approche la plus prometteuse semble être celle de Koller, qui, à vrai dire, n’avance pas une théorie abstraite de grande portée, mais considère les « frameworks » de l’équivalence comme des distinctions linguistiques développées à partir du texte. Plus modestes au plan théorique, les cinq « entours » potentiels de l’équivalence ne permettent pas seulement une catégorisation des procédés de la traduction à partir de l’enjeu de l’équivalence, mais aussi l’identification d’un échec ou d’une déviation intentionnelle par rapport à un lien possible entre le texte de départ et le texte d’arrivée.  







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26 Genres littéraires et traditions discursives dans les langues romanes Abstract : L’article vise à montrer l’intérêt qu’il y a à distinguer entre les traditions discursives et les traditions linguistiques dans l’histoire des traductions. L’argumentation s’appuie essentiellement sur trois études de cas concernant les éléments formulaires, les terminologies scientifiques et les noms de genres. Ces trois exemples, étudiés à partir de textes médiévaux, permettent de faire apparaître différents aspects du rôle joué par les traductions dans le changement linguistique.    

Keywords : tradition discursive, changement linguistique, formule, terminologie, nom de genre    

1 Traditions discursives et traduction La théorie des traditions discursives a été développée dans le cadre de la linguistique cosérienne. L’idée principale de cette théorie, qui s’est répandue surtout dans la romanistique allemande et dans le monde hispanophone, peut être résumée de la façon suivante : à côté de l’historicité des langues, comme le français, l’italien, l’allemand etc., et de leurs variétés respectives, nous pouvons distinguer une « seconde historicité », qui concerne toutes les règles (ou « normes ») selon lesquelles nous formulons des textes, oraux ou écrits : les genres littéraires et non littéraires, les normes conversationnelles, les styles, les formules pragmatiques et textuelles etc. (cf. Koch 1997 ; Wilhelm 2001 ; Kabatek 2005). Dans les études sur les traditions discursives, on insiste particulièrement sur l’« autonomie » des traditions discursives par rapport aux traditions linguistiques. Ce point paraît évident pour les genres littéraires : un genre comme le roman ou le sonnet peut être pratiqué dans plusieurs communautés linguistiques et il peut traverser ainsi, au cours de son histoire, plusieurs langues. Par conséquent, l’histoire du roman ou l’histoire du sonnet ne se laissent en aucun cas englober dans l’histoire d’une langue particulière, comme l’histoire de la langue française ou l’histoire de la langue italienne. Or la spécificité de la théorie des traditions discursives consiste dans le fait qu’elle postule la même autonomie par rapport aux langues pour toutes les normes discursives, des types de textes aux éléments formulaires, des normes de la conversation aux procédés argumentatifs. L’histoire d’une tradition discursive et l’histoire d’une variété linguistique constituent en ce sens des histoires parallèles, qui peuvent s’influencer réciproquement, certes, mais restent fondamentalement indépendantes l’une de l’autre.  





















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La traduction, en tant que transposition linguistique, affecte essentiellement la première historicité dans le modèle que je viens d’évoquer. Prenons un exemple : les six traductions italiennes de Buddenbrooks de Thomas Mann (11901) publiées entre 1930 et 2007 (Lami 1930 ; Pocar 1949 ; Rho 1952 ; Jesi/Speciale Scalia 1983 ; Minicelli 1992 ; Bortoli 2007), outre qu’elles reflètent des décisions individuelles et des stratégies éditoriales différentes, attestent quelques-uns des changements de la langue italienne au cours du XXe siècle ; mais le niveau du genre littéraire (de la tradition discursive) reste fondamentalement intact : le texte présente, dans chacune des traductions italiennes, tout comme dans la traduction française (Bianquis 1932) ou dans la nouvelle traduction espagnole (García Adánez 2008), les caractéristiques du roman européen du début du XXe siècle que l’on détecte déjà dans le texte source. Il est vrai que, selon la pratique des différentes époques, la traduction peut être accompagnée d’interventions au niveau des traditions discursives, comme la transformation d’un traité scientifique en dialogue, la mise en prose d’un texte versifié, la substitution d’éléments formulaires etc. Mais ces transformations de la forme discursive restent fondamentalement distinctes du processus de traduction : il s’agit de transformations d’un autre type, qui peuvent se vérifier aussi dans la tradition d’un texte à l’intérieur d’une même langue, et donc indépendamment de la traduction. Cela ne signifie pourtant pas que la théorie des traditions discursives ne soit pas pertinente pour la traductologie, bien au contraire : le concept de tradition discursive permet de préciser un grand nombre de problématiques concernant les recherches historiques sur la traduction. La distinction entre première et seconde historicité nous amène en particulier à poser les trois questions suivantes à l’histoire des traductions :  





















1)

Quels sont les genres, littéraires ou non littéraires, qui ont été traduits, aux différentes époques, dans une langue déterminée ? Cette perspective est plus ou moins présente dans toutes les histoires de la traduction, où elle se combine avec d’autres principes de classement, comme notamment la langue source – et le plus souvent elle y reste subordonnée (cf. entre autres Albrecht 2006).  



2)

Dans quelle mesure la traduction comporte-t-elle aussi une adaptation et donc un changement au niveau des traditions discursives ? La typologie des interventions discursives qui accompagnent la traduction proprement dite est particulièrement riche au Moyen Âge. Une belle étude de cas sur les différentes façons de traduire Boèce en italien au XIVe siècle a été publiée par Silvia Albesano (2006).  

3)

Dans quelle mesure, aux différentes époques, les traductions ont-elles contribué à établir de nouvelles traditions discursives dans une communauté linguistique donnée ? Dans ce domaine, on peut rappeler l’introduction d’un procédé stylistique comme le discours indirect libre en allemand, qui a au moins été facilité par les traductions des romans français de la deuxième moitié du XIXe siècle (cf. Albrecht 2003, 45s.) ; ou la migration d’une certaine « écriture » philosophique, qui passe de Heidegger aux poststructuralistes français, avant de se retrouver, principalement grâce aux traductions, chez leurs épigones allemands (cf. Albrecht 2009).  







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Dans ce qui suit, il n’est pas possible de dresser un tableau exhaustif des travaux qui ont déjà été réalisés dans ce vaste domaine de recherche (des aperçus historiques sur les traductions dans les principales langues romanes se trouvent dans Ernst et al. II, 2006). Il me semble plus urgent de discuter quelques problèmes d’ordre théorique et méthodologique qui sont inhérents à l’approche envisagée. Une attention particulière sera accordée à la question de savoir si la distinction entre traditions discursives et traditions linguistiques nous permet de décrire plus précisément le rôle des traductions dans le changement linguistique. Ce sont en effet les phénomènes de convergence entre traditions discursives et traditions linguistiques qui se révèlent cruciaux aussi bien pour l’étude historique des traductions que pour la théorie des traditions discursives. Et un matériau particulièrement riche à cet égard nous est fourni par les différentes formes de la transmission des textes au Moyen Âge. L’argumentation qui suit s’appuiera essentiellement sur trois études de cas.  

2 La circulation des formules dans la Romania médiévale 2.1 La formule entre langue et discours Le premier cas que je voudrais présenter concerne la traduction des éléments formulaires. Les difficultés inhérentes à la définition du terme formule sont bien connues (cf. la mise à point dans De Roberto 2013 ; dans ce paragraphe, je m’appuie essentiellement sur Wilhelm 2013). Quand on parle de formules, on pense à des éléments « préfabriqués », à des expressions qui ne sont pas créées spontanément, mais qui sont conservées telles quelles dans la mémoire des locuteurs : nous sommes dans le domaine de la répétition. Ce point a été mis en relief par Anne Cobby (1995, 4), qui définit la formule comme « a form of words which by repetition acquires an identity as an unit, and a meaning beyond its meaning in current usage ». Il est nécessaire de préciser pourtant que les formules n’appartiennent pas au patrimoine des langues respectives : tout comme les genres littéraires, les formules constituent des traditions discursives qui, en tant que normes traditionnelles, sont « transversales » aux traditions linguistiques. Il est vrai, d’autre part, que les formules ont souvent des caractéristiques particulières dans les différentes langues. L’intérêt des formules réside précisément dans leur nature apparemment contradictoire : il s’agit de déterminer leur position entre la dimension linguistique et la dimension discursive. Dans ce but, il est utile de rappeler que certaines traditions discursives peuvent être caractérisées par des traits linguistiques. L’exemple paradigmatique en est l’emploi d’une variété linguistique spécifique dans la poésie italienne jusqu’à la fin du  



















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XIXe siècle. Évidemment, ce ne sont pas des formes comme augello (au lieu d’uccello) ou diria (au lieu de direbbe) qui « définissent » des genres comme le sonnet, l’ode etc. Mais ces formes poétiques sont l’apanage traditionnel de la poésie savante. On peut parler ici de traditions de la réalisation linguistique d’un (ensemble de) genre(s) (cf. Schlieben-Lange 1983, 142–144 ; Wilhelm 2001, 473s.). Ce phénomène est fondamental pour la définition des formules. Considérons un exemple bien connu, l’expression qui, dans différentes langues, introduit traditionnellement le conte de fée : Il était une fois. Si on admet que des expressions comme Il était une fois, C’era una volta, Érase una vez, Es war einmal etc. constituent « la même formule », on se réfère à un élément discursif qui est reconnaissable indépendamment de sa réalisation dans l’une ou l’autre langue. En même temps, il est indéniable que la formule est hautement codifiée dans chacune de ces langues, au point que la réalisation espagnole, avec l’enclise du pronom atone au début de phrase, conserve un trait qui n’existe plus dans la syntaxe libre de la langue actuelle (cf. Coseriu 31994, 189 et 202 ; sur la « sopravvivenza nelle sequenze formulari di arcaismi sintattici » cf. aussi De Roberto 2012, 153). Ce qui importe ici est le fait que les traditions de la réalisation linguistique ont une valeur différente pour les formules et pour les genres littéraires : tandis que pour le sonnet les formes « poétiques » constituent seulement un élément accessoire qui n’affecte nullement l’attribution d’un texte au genre en question, pour les formules il est beaucoup moins aisé de séparer la forme linguistique de l’élément discursif. Cette double nature – leur caractère transversal aux langues particulières et leur figement dans chacune de ces langues – semble constituer un des traits essentiels des formules. On peut donc définir la formule comme une structure polyrhématique fixe, qui assume une fonction discursive précise, qui transcende la grammaire des langues particulières, mais qui est codifiée de façon univoque dans chacune des langues où elle s’emploie. Il est évident que la formule ainsi conçue représente un cas particulièrement instructif pour l’étude historique de la traduction.  























2.2 Les formules narratives dans les traductions de textes hagiographiques Les textes religieux, et en particulier les récits hagiographiques – les vies de saints et les miracles –, constituent un des types de textes les plus importants dans les langues vernaculaires pendant tout le Moyen Âge. Si les Vitae sont généralement traduites du latin, il n’est pas rare qu’un récit hagiographique passe d’un dialecte ou d’une langue romane à l’autre (pour l’hagiographie latine et vernaculaire cf. Philippart 1994–2014). Prenons la Vie de sainte Marie l’égyptienne, une des vies les plus populaires du Moyen Âge. Le poème français en octosyllabes – la Vie T, qui est conservée dans un manuscrit de la fin du XIIIe siècle (ed. Dembowski 1977) – atteste le passage d’une rédaction anglo-normande à une version picardisée. Par la suite, une des versions  

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françaises, qu’il n’est pas possible d’identifier, a été à la base de la traduction italienne, transcrite en 1384 par le notaire Arpino Broda à Pavie (ed. Isella Brusamolino 1992), et de la traduction espagnole, qui, elle aussi, est conservée dans un manuscrit de la fin du XIVe siècle (ed. Alvar 1970–1972 ; je me baserai sur l’édition « paléographique » dans Alvar 1972, vol. 2, 1–43). On connaît aussi une adaptation française de la même Vie T, due à Rutebeuf (mort autour de 1285). Le texte de Rutebeuf (ed. Faral/Bastin 1960, vol. 2, 9–59) nous permet de mesurer les changements textuels introduits par les deux traducteurs anonymes. Un élément formulaire particulièrement fréquent dans les textes narratifs du Moyen Âge est l’enchaînement de phrase avec une subordonnée temporelle anticipée introduite par quand :  











(1)

Puis si entra en un calan, / Outre passa le flun Jordan. / Quant ele fu outre passee, / En le forest en est entree (Vie T, 591–594)1.

La répétition du même matériau lexical au début de phrase facilite le passage à un nouveau moment de la narration (sur la formule introduite par quand cf. aussi Giovanardi/De Roberto 2015, 125–127). Ce procédé hautement redondant, qui confère un caractère statique à la narration, peut être substitué par des éléments plus « dynamiques », comme certains connecteurs (or, alors, puis), ou même par l’asyndète, comme dans la reformulation du passage par Rutebeuf :  





(2)

Puis s’en entra en un chalan, / Le flun passa, el bois en vint (Rutebeuf, 406s.).

Ces deux vers fournissent les mêmes informations que l’exemple (1) : Marie passe le fleuve et entre dans la forêt. Tandis que la Vie du XIIe siècle insiste sur le lien entre ces deux moments de l’histoire, en soulignant l’accomplissement de la première action avant de passer à la seconde, Rutebeuf se limite à indiquer la succession des deux actions par la juxtaposition de phrases simples. Les traducteurs, d’autre part, conservent ici la formule traditionnelle :  



(3)

Después subió en hunas tablas, / el flumen jordan passó las aguas. / Quando alliende ffue passada, / en grant desierto fue entrada (Vida, 672–675). sì entrò quella in una nave, […] / ultra passò lo fluvio Iordam. / Quando ella fo ultra passaa / in la guastura fo entraa (Vita Broda, 683; 685–687).

Le passage cité illustre la libre circulation des formules à travers les langues romanes du Moyen Âge : la formule introduite par quand n’appartient pas à la grammaire de  

1 Les gras sont de moi (R.W.).  

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l’ancien français, elle renvoie à un fonds commun de procédés discursifs qui est indépendant des traditions linguistiques du français, de l’espagnol, de l’italien etc. Il faut préciser pourtant qu’en général, les deux traducteurs traitent de façon assez différente la formule introduite par quand : tandis que dans la version espagnole l’enchaînement de phrase avec quando est encore plus fréquent que dans le modèle français, le procédé se trouve sensiblement réduit dans la rédaction lombarde. Face aux environ 60 occurrences du type quand dans la Vie T, on compte, en effet, dans la Vida, à peu près 70 exemples, mais pas plus qu’une vingtaine de cas dans la Vita Broda. L’attitude divergente ne semble pas être due, en tout cas pas exclusivement, au goût personnel des traducteurs. On peut constater, en effet, qu’un autre poème hagiographique du XIVe siècle lombard, la Vita di santa Margarita, qui a plusieurs traits en commun avec la Maria egiziaca (cf. infra), fait un emploi assez réduit de la formule introduite par quando. Apparemment ce type d’enchaînement de phrase, qui est d’ailleurs bien documenté dans la tradition lombarde antérieure (cf. Wilhelm 2006, 3–6), perd du terrain au cours du XIVe siècle dans l’hagiographie en vers. Il s’agit ici d’un premier indice du fait que les formules peuvent avoir un emploi sensiblement différencié, selon les époques et selon les régions. La prédilection pour quelques formules dans l’une ou l’autre région de la Romania est une conséquence de leur caractère traditionnel : tout comme les langues, mais souvent indépendamment d’elles, les traditions discursives sont caractérisées par une diffusion spécifique dans l’espace et dans le temps. Dans l’exemple suivant, la Vita Broda remplace le verbe respont par une expression plus articulée :  





(4) – Sire, che li respont Marie (Vie X, 1013) > Et quela sì ge resspoxe / molto humelmente in piana voxe (Vita Broda, 990s.).

Pour bien comprendre l’intervention du traducteur, il est intéressant de noter que la formule respose / humelmente in plana voxe est fréquente dans les textes religieux transcrits en Lombardie au XIVe siècle :  

(5)

E Yesu Christ sì ie respos / Humelament in plana vox (Passione bresciana, 43 ; cité dans Romano 1995, 97).  

(6) Lo segnor si ge respose / humelmente in plana uoxe (Barsegapè, Sermone, 1194s., ed. Salvioni 1891). (7)

E inlora Margarita sì respoxe / humelmente in plana voxe (Margarita Triv, 815s., edd. Wilhelm/De Monte/Wittum 2011).

L’ajout de la Vita Broda (exemple 4) ne constitue donc pas une formulation spontanée due au traducteur, mais il s’explique par le recours à un élément discursif largement

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expérimenté dans d’autres textes du même genre. En traduisant le poème français, le scribe lombard se sert des formules qui lui sont familières. Et même si la formule en question s’employait exclusivement dans des textes lombards – ce qui reste à vérifier –, il ne s’agit évidemment pas d’un trait « dialectal », mais, bien entendu, d’un cas de diffusion régionale d’une tradition discursive. On peut constater d’ailleurs qu’un certain nombre de formules qu’elles ont en commun rapprochent la Vita Broda de la Vita di santa Margarita lombarde, dont la transcription trivulcienne remonte à la fin du XIVe ou au début du XVe siècle. Précisons que la circulation des formules d’un texte à l’autre n’implique pas, dans notre cas, l’allusion à un texte individuel, elle renvoie plutôt à un fonds commun de stratégies discursives dont se servent librement les traducteurs ou rédacteurs anonymes. Il n’y a rien de surprenant, en effet, à ce qu’un traducteur médiéval, au moment de rédiger sa version, introduise des expressions, des rimes, des couplets de vers, qu’il a déjà rencontrés dans d’autres textes similaires. Il s’agit de réminiscences qui remontent à l’audition ou à la lecture de textes qui circulent dans le même environnement culturel : de ce point de vue, les éléments formulaires renvoient à des communautés discursives qui généralement ne coïncident pas avec les communautés linguistiques. Il est des éléments formulaires pourtant dont la variation d’un texte à l’autre demande une explication au niveau linguistique. C’est le cas pour l’introduction du discours direct d’un personnage par l’incise du type dist il / dist ele :  







(8) A chiaus parla auques briement, / Tel sens com el a lor despent : / « Seignor, dist ele, pelerin […] » (Vie T, 265–267). A los mançebos ssaluó, / ssu coraçon les mostró : / Dios vos salue jouens (Vida, 333–335). et saluò quy’ de la nave : / « Segnor » dixe quela « De ve salve […] » (Vita Broda, 346s.).  

















La version lombarde reflète assez bien le modèle français : l’allocution nominale est suivie par le verbe ‘dire’, qui à son tour est suivi par le pronom sujet. Dans le texte espagnol, d’autre part, l’incise dist ele est omise, et le discours de Marie est introduit par une formule traditionnelle de salutation, qui se retrouve d’ailleurs aussi dans le texte italien. L’introduction du discours direct par la formule « Allocution + dixe quelo / dixe quela » est régulière dans la Vita Broda, et cela vaut même pour les passages qui s’éloignent du modèle français. Ajoutons que l’incise dixe quelo / dixe quela est bien documentée dans l’hagiographie lombarde, aussi bien dans la Vita di sant’Alessio de Bonvesin da la Riva (fin XIIIe siècle) que dans la Vita di santa Margarita. La même formule qui en français est réalisée par la forme Sire, dist ele, prend la forme Segnor, dixe quela dans les textes lombards, avec la « substitution » du pronom il / ele par un démonstratif. Comment peut-on expliquer l’emploi du pronom démonstratif quelo / quela dans la reprise anaphorique ? En premier lieu il faut préciser que la formule dist il / dist ele de l’ancien français n’équivaut qu’en apparence à l’expression correspondante de la langue actuelle. En  













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ancien français, le pronom sujet il est un pronom « fort » : il n’indique pas la continuité thématique, qui est exprimée par le pronom zéro, mais il signale un contraste. Dans la plupart des cas où, dans notre texte, la formule dist il / dist ele est employée, il ne s’agit pourtant pas d’un changement de sujet : en quoi consiste donc la fonction contrastive du pronom dans le type dist il ? On sait que dans les langues à sujet zéro, comme l’ancien français ou l’espagnol moderne, le pronom sujet de la première personne connaît un emploi relativement fréquent. Dans ces cas, le pronom indique, selon Detges (2003, 316), « un contraste réel par rapport au locuteur précédent ». Des expressions stéréotypées comme déjà ego credo en latin vulgaire (cf. Mair 1992, 373) ont donc la fonction de « formules d’auto-thématisation » (Detges 2003, 315) : en d’autres termes, les pronoms ego, jeo, yo etc. servent à marquer l’acte de prise de parole. Or il me semble que cette analyse nous fournit aussi l’explication pour le type dist il : la séquence dist il / dist ele peut être interprétée comme une formule de thématisation du locuteur, et plus précisément comme une formule qui indique l’acte de donner la parole. Dans le type dist il le pronom conserve une valeur déictique, qui est rendue encore plus évidente par sa position postverbale : il indique ici un changement du plan d’énonciation (cf. aussi Prévost 2011). Dans cette perspective, on peut expliquer aussi le type dixe quelo / dixe quela de l’ancien lombard. On sait que dans les dialectes de l’Italie du Nord, le pronom sujet dérivé du nominatif latin devient clitique et obligatoire à partir de la deuxième moitié du XIVe siècle, tandis que la forme oblique s’impose comme nouvelle forme accentuée et libre (cf. Vanelli 1987) : vraisemblablement la formule du type Sire, dist ele a été adaptée dans la langue vernaculaire de l’Italie du Nord dans un moment historique où les vieilles formes pronominales el, ela étaient déjà devenues des formes faibles, tandis que les nouvelles formes lu, lé étaient encore marginales. De cette façon, l’emploi d’un pronom fort, qui est motivé du point de vue pragmatique, est entré dans une expression formulaire, qui pouvait facilement être réutilisée et qui s’est rapidement figée, conservant, au moins en français, un emploi pronominal déjà périmé. Notons encore que Rutebeuf, dans la deuxième moitié du XIIIe siècle, abandonne souvent le type Sire, dist ele. Au verbe ‘dire’ en incise suivi du pronom sujet qu’il trouve dans sa source, Rutebeuf préfère en effet le verbe antéposé, sans pronom sujet. Dans les cas où, pour des raisons de clarté, le sujet est exprimé, Rutebeuf choisit quelquefois un démonstratif :  



























(9) Le dame prie por amor / Que por lui fachë orison / Et doinst li se beneïchon. / « Sire, dist ele, dous amis […] » (Vie T, 912–915) > Et beneïçon li demande. / Cele dist: « Droiz est que j’atande […] » (Rutebeuf, 819s.).  







Précisons que le sujet de prie / demande est Zosimas. Le pronom ele ou cele indique donc un changement de sujet. Ce qui m’importe ici, c’est le fait que dans la Vie T le pronom sujet est encore suffisamment fort pour cette fonction, tandis que Rutebeuf

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juge bon de recourir au démonstratif. Ajoutons qu’en ancien lombard, la formule du type Segnor, dixe quela prévoit le démonstratif aussi dans les cas où il s’agit d’une simple continuation du sujet.

2.3 De la formule à la grammaire La comparaison des types Sire, dist ele et Segnor, dixe quela met en évidence l’entrelacement des traditions discursives (ici la formule qui introduit le discours direct) et des traditions linguistiques (ici la clitisation progressive des pronoms sujet dérivés du nominatif latin en français et dans les dialectes de l’Italie du Nord). Si dans cet exemple les deux niveaux – le niveau discursif et le niveau linguistique – restent bien distingués, il est des cas où un élément formulaire se transforme en élément proprement linguistique, grammatical. Pour la linguistique historique, il pourrait être extrêmement révélateur, en effet, de retracer l’histoire de ces « séquences formulaires qui circulent d’un texte à l’autre, dans le même genre discursif ou dans plusieurs genres, avant de se sédimenter dans les différentes langues » (Giovanardi/De Roberto, 2015, 105, ma traduction). Un exemple instructif dans ce sens est constitué par les constructions absolues participiales qui se transforment d’éléments formulaires en outils grammaticaux. Rappelons surtout les études sur la genèse des prépositions du type fr. pendant, it. durante (cf. Baldinger 1954 ; De Roberto 2012). Dans les textes médiévaux, on peut relever, en latin et dans les langues vernaculaires, des expressions formulaires qui ont leur origine dans des contextes juridiques et qui sont construites avec le participe présent de certains verbes, comme lat. pendere, durare, constare. Ces expressions formulaires désignent le plus souvent, dans la forme de l’ablatif absolu, la période d’un procès en cours, du type judicio pendente, causa pendente etc. (De Roberto 2012, 167 n. 37). En italien on trouve encore au XIVe siècle des expressions où le participe conserve une valeur verbale, comme dans durante ancora la festa, vostra vita durante in quella (ibid., 164). Dans un processus de grammaticalisation, qui conduit en particulier à l’antéposition du participe et à l’utilisation de la forme en dehors du contexte juridique, le participe est réinterprété comme préposition, qui peut être combinée avec n’importe quel nom indiquant un laps de temps (pendant les vacances, durante la notte etc.). Ce qu’il faut ajouter, c’est que le processus de grammaticalisation conduit à des résultats différents dans les deux langues considérées (pendant vs durante) : il est vrai que l’ancien italien connaît aussi des séquences cristallisées avec le participe pendente – pendente la prima accusa, pendente la quistione – mais la grammaticalisation comporte inévitablement un tri, qui implique une séparation nette entre systèmes linguistiques concurrents (cf. ibid., 167 n. 37). En ce qui concerne le rapport entre traditions discursives et traduction, le cas évoqué permet le constat suivant : comme nous l’avons vu au paragraphe 2.2, les  

















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éléments formulaires ne sont, en principe, pas affectés par le processus de traduction, et ils passent facilement du texte source au texte cible. En reprenant une des conclusions de Giovanardi/De Roberto (2015, 131), on affirmera que « pour le traducteur médiéval, les formules constituent une sorte de guide dans la traduction et un matériau extrêmement familier, qui est facilement transposable puisqu’il n’est pas lié à la communauté linguistique, mais à une communauté de discours ». Mais dès qu’un élément formulaire s’est transformé en outil grammatical – dès qu’il entre dans le système grammatical d’une langue particulière –, il ne résiste plus à la traduction : tandis que les formules circulent librement d’une langue à l’autre, les éléments proprement grammaticaux restent enfermés dans la langue particulière, et ils doivent être substitués dans le processus de traduction.  





3 La création d’un discours scientifique dans les langues vernaculaires 3.1 Le discours scientifique Le deuxième cas que je vais esquisser concerne la mise en place d’un discours scientifique dans les langues vernaculaires. L’importance des traducteurs médiévaux dans ce contexte est bien connue (cf. Dörr/Wilhelm 2008 ; Ducos 2012 etc.). Mais pour mieux comprendre le rôle de la traduction dans la science médiévale, il est utile de recourir encore à la distinction entre la dimension discursive et la dimension linguistique. Par discours scientifique j’entends l’ensemble des normes qui fondent, dans une époque donnée, le texte scientifique, indépendamment de sa réalisation dans une langue ou dans une autre. Ceci est évident pour le niveau des genres textuels : pensons aux formes actuelles de l’article, de la monographie, du compte rendu, ou encore de la conférence, du débat etc., qui constituent autant de pratiques conventionnelles et donc soumises à un changement dans le temps et dans l’espace, et foncièrement indépendantes des langues particulières. Il y a d’autres éléments de la pratique scientifique qui méritent d’être pris en considération dans la relation entre traditions linguistiques et traditions discursives : je pense notamment aux terminologies. Selon Peter Koch (1997, 52), les langues de spécialités (Fachsprachen) ne constituent pas des variétés de langue, mais plutôt des traditions discursives qui sont liées à des groupes et ont une diffusion qui traverse les langues particulières. Il est indéniable pourtant que le langage scientifique contient en même temps des éléments appartenant aux diverses langues. Le langage scientifique occupe une position de charnière entre les traditions linguistiques et les traditions discursives. Voyons un exemple. Le mot force, comme élément de la langue française, est soumis aux changements linguistiques réguliers, tant au niveau phonétique qu’au  





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niveau sémantique. Comme terme technique de la physique, par contre, où force est défini, selon le Petit Robert, comme le « produit de la masse d’un corps par l’accélération que ce corps subit », la signification du terme force – qui est d’ailleurs identique à celle de forza, Kraft etc. – échappe au changement sémantique et ne peut être modifiée qu’à l’intérieur de la science physique. Dans ce sens, le côté sémantique d’un terme scientifique, qui n’est pas sujet aux oppositions de la langue particulière, constitue un fait discursif. Cela n’empêche pas que le signifiant suive les changements de la langue respective, aux niveaux phonétique et morphologique. De cette façon, les termes peuvent même posséder un marquage diasystématique à l’intérieur de la langue particulière : le terme technique force, dans notre exemple, a le même signifiant que le mot de la langue courante, ce terme n’a donc pas une « allure » scientifique (cf. aussi Wilhelm 2011). On reconnaît ici un parallélisme avec ce que nous avons dit à propos des formules, qui sont transversales aux langues particulières mais codifiées de façon univoque dans chacune des langues où elles s’emploient : les terminologies, tout comme certains procédés syntaxiques caractéristiques du texte scientifique, sont situées à l’entrecroisement des traditions discursives et des traditions linguistiques, et c’est dans cette perspective qu’elles méritent une attention particulière aussi bien de la part de la traductologie que de la part de la linguistique.  











3.2 Les traductions du De inventione au XIIIe siècle Pour illustrer le lien entre traduction et mise en place d’un discours scientifique, je vais brièvement analyser trois textes qui visent à établir, dans la deuxième moitié du XIIIe siècle, l’art rhétorique en langue vernaculaire : la Rettorica et le Livre dou Tresor de Brunet Latin et la Rectorique de Jean d’Antioche. Ces trois textes adaptent de façon assez différente le De inventione cicéronien aux langues vernaculaires. En effet, les deux auteurs mettent en œuvre des stratégies quasiment opposées dans la fondation d’un discours scientifique destiné à un public extra-universitaire (ce paragraphe s’appuie sur Wilhelm 2012). La Rettorica (datée de 1260–1261) se présente comme une traduction en florentin des 17 premiers chapitres du De inventione complétée par de vastes commentaires intercalés (ed. Maggini 1968). Si Brunet Latin n’a pas terminé son traité italien, c’est probablement parce qu’il s’est tourné vers une œuvre plus ambitieuse : sa grande encyclopédie rédigée en français, le Livre dou Tresor, terminé en 1266 (ed. Carmody 1948). Le Tresor, qui a été défini comme un « manuel de formation de l’homme politique » (Contini 1976, 240, ma traduction), contient, comme couronnement de son parcours parmi le savoir médiéval, un traité de rhétorique, qui occupe les chapitres 1 à 72 du Troisième Livre. De nouveau, l’auteur s’inspire en premier lieu du De inventione, mais dans le Tresor, le texte de Cicéron est paraphrasé plus librement, et il est fusionné avec d’autres sources et avec des explications ajoutées par le traducteur.  







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Cette attitude profondément changée par rapport à la Rettorica s’explique certainement par le but plus pratique et didactique du Tresor. La « Rectorique de Marc Tulles Cyceron » translatée par Jean d’Antioche (ed. Guadagnini 2009, ici 61) est une traduction assez fidèle du De inventione et de la Rhétorique à Herennius. L’œuvre de Jean d’Antioche a été terminée en 1282 en Terre Sainte, à Saint-Jean d’Acre. Il est probable que Jean d’Antioche a travaillé à la vulgarisation du De inventione sans avoir eu connaissance de l’œuvre de son prédécesseur italien. Les attitudes divergentes des deux traducteurs se manifestent en particulier dans leurs choix terminologiques (pour le lexique de Brunet Latin cf. Heinimann 1968 ; Vatteroni 2004 ; Dworschak 2008). Ainsi peut-on constater que Brunet Latin et Jean d’Antioche emploient deux termes différents pour indiquer les arts du Trivium (qui pour nous représentent les « sciences du langage ») : tandis que Jean d’Antioche parle d’une science « sermocinale » (75), Brunet Latin parle de la science politique « en paroles » (Tresor, I 4,6). De façon un peu impressionniste, on pourrait dire que le terme utilisé par Jean d’Antioche a une allure plus scientifique, tandis que Brunet Latin s’efforce de trouver un terme plus proche de la langue courante. Et l’exemple reflète effectivement les tendances générales, presque opposées, qui caractérisent l’œuvre de Brunet par rapport à l’œuvre de Jean : où Jean d’Antioche introduit volontiers des latinismes, le maître florentin s’efforce, comme il le dit lui-même dans la Rettorica, de « dire più in volgare » (40), c’est-à-dire de s’approcher le plus possible des expressions et des tours vernaculaires. Pourtant il faut remarquer que la distinction in fatti / in detti ou en oevre / en paroles n’est pas moins forgée sur un modèle latin que le terme utilisé par Jean d’Antioche : on sait que le commentaire de Brunet Latin se base largement sur une compilation anonyme, intitulée Ars rhetorice, où l’on retrouve la même subdivision de la science politique en deux branches, qui sont précisément « in factis » et « in dictis » (cf. Beltrami 1993, 118). On peut donc s’exprimer più in volgare même en latin : plus précisément, aussi bien en latin que dans les langues vernaculaires, on a le choix entre des formes d’allure plus scientifique ou académique et des formes qui s’approchent plutôt de la langue courante et qui correspondent donc à l’intention de vulgarisation. Le cas sermocinale / en paroles permet une première conclusion. On voit que le discours scientifique connaît des réalisations différentes que l’on peut situer entre les deux pôles du « mode académique » et du « mode de vulgarisation ». Or si généralement beaucoup de textes en langue vernaculaire se servent du mode de vulgarisation, la comparaison entre le Tresor de Brunet Latin et la Rectorique de Jean d’Antioche peut illustrer deux tendances quasiment opposées dans la réalisation du langage scientifique en langue française dans la deuxième moitié du XIIIe siècle : tandis que Brunet Latin tend vers le pôle de la vulgarisation, Jean d’Antioche cherche à établir un mode académique sur le modèle des textes latins. En d’autres termes : les deux auteurs, tout en se servant de la même langue, s’inscrivent dans deux traditions discursives différentes.  



















































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Ces attitudes divergentes se manifestent dans de nombreux exemples :  



(10) elocutio (De inv. I 9) – parables (Tresor III 3) – elocucion (Rectorique, 86) (11) pronuntiatio (De inv. I 9) – parleure (Tresor III 3) – prononciacion (Rectorique, 87) (12) narratio (De inv. I 19) – fait (Tresor III 14) – narracion (Rectorique, 95)

À la tendance au latinisme chez Jean d’Antioche s’oppose l’effort de vulgarisation chez Brunet Latin. Plus précisément, on peut constater une tendance à l’ « emprunt » (ou « calque du signifiant ») chez Jean d’Antioche, et une tendance non moins nette au « calque sémantique » chez Brunet Latin (selon la terminologie proposée par Dörr 2007, 177). Établir la science en langue vernaculaire ne signifie pourtant pas seulement adapter ou créer une terminologie ; il s’agit en même temps de mettre en place des structures syntaxiques et textuelles aptes à soutenir un discours scientifique. Un procédé fondamental de tout discours scientifique est la définition. Or il est facile de constater, dans la traduction des définitions cicéroniennes, la même divergence entre nos deux auteurs. Regardons deux exemples qui concernent la définition des genres du discours oratoire, la définition du genus demonstrativum et celle du genus deliberativum :  



















(13) Demonstrativum est, quod tribuitur in alicuius certae personae laudem aut vituperationem (De inv. I 7) demoustrement est quant li parleours loënt et blasment home generaument ou partiement (Tresor III 2) La demoustrative maniere ou partie si est cele qui est adonee au los ou au vitupere d’aucune certaine persone (Rectorique, 85). (14) deliberativum, quod positum in disceptatione civili habet in se sententiae dictionem (De inv. I 7) Conseil est quant li parleour conseillent sour une chose ki est proposee devant aus generalment ou partiement, por mostrer liquel soit voir, ou non profitable, et quel non (Tresor III 2) la deliberative si est cele qui est mise en l’estrif ou en la delivrance et au reconsiliement civil et a en soi le dit de la sentence (Rectorique, 85).

Jean d’Antioche suit de près le modèle cicéronien, et il produit donc, en langue française, des définitions de type « aristotélicien » en accord avec un modèle du discours scientifique qui est encore valable aujourd’hui. Par contre, la définition de Brunet Latin – du genre conseil est quant li parleour conseillent – est remarquable par sa diction redondante et circulaire et l’enchaînement caractéristique de la subordonnée temporelle introduite par quand. Ce type de définition permet en particulier d’expliciter l’agent, ici le parleour, qui, dans les définitions plus « abstraites » de Cicéron et de Jean, reste implicite. Il est évident qu’il ne s’agit pas ici d’une carence de la langue vernaculaire par rapport au latin : l’exemple de Jean d’Antioche montre  









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clairement qu’il est tout à fait possible de formuler une définition « régulière » en français au XIIIe siècle. Ce qu’il faut souligner, c’est le fait que Brunet Latin choisit un mode plus informel de la définition, qu’il juge adéquat au texte qu’il est en train de composer. Et il est inutile de rappeler que les définitions du type un conseil c’est quand l’orateur donne un conseil se trouvent encore aujourd’hui, et pas seulement en français, dans le langage courant (cf. Riegel 1990).  



3.3 La science comme tradition discursive Retenons donc que le rapport entre science et langage peut être considéré selon deux perspectives différentes et complémentaires. Du côté des langues particulières on constate surtout que l’influence du latin sur la Rectorique de Jean est beaucoup plus marquée que dans le cas du Tresor de Brunet Latin ; et ceci vaut aussi bien pour le lexique que pour la syntaxe. L’attitude différente des deux auteurs ne découle pourtant pas en premier lieu d’un problème de langue, mais plutôt d’une divergence au niveau des normes ou traditions discursives. En effet, le type de définition « informelle » employé par Brunet Latin n’a pas disparu du langage courant, mais il n’est plus admis dans le discours scientifique : il s’agit donc d’un changement au niveau des normes discursives, et non pas d’un changement linguistique. De plus, il ne faut pas négliger ici la différence entre les genres textuels : le traité monothématique (la Rettorica de Brunet, la Rectorique de Jean) assume presque nécessairement une allure plus spécialisée, tandis que l’encyclopédie (le Tresor) est le genre prototypique de la vulgarisation scientifique. Il n’y a pas de doutes que les textes étudiés représentent un moment historique crucial : l’introduction d’une tradition discursive, qui est bien établie en latin, dans les langues vernaculaires. C’est le moment où des registres linguistiques plus « bas » et des formes textuelles informelles peuvent entrer en contact avec un genre prestigieux comme le discours scientifique : c’est ici que se place le projet de Brunet Latin de dire più in volgare. Mais très vite il s’opère un choix, qui précisera à nouveau un standard du discours scientifique, en langue vernaculaire. Évidemment les orientations divergentes de Jean d’Antioche et de Brunet Latin que nous avons constatées ici doivent être mises en relation avec la destination de leurs œuvres et le public visé. Brunet Latin écrit son Tresor en premier lieu pour l’homme politique, le podestat d’une commune italienne (qui ne doit pas nécessairement être de langue italienne) ; et il s’adresse, de façon plus générale, à toute personne intéressée au Cosmos politicus italien (cf. Meier 1988). En ce qui concerne l’œuvre de Jean d’Antioche, la réponse est beaucoup moins aisée : quelle peut être la fonction d’un traité de rhétorique dans les États croisés ? Nous savons que Guillaume de Saint-Étienne, le commanditaire de la Rectorique de Jean, utilisera la traduction du De inventione pour la rédaction de son traité sur l’histoire et les pratiques juridiques de l’Ordre des Hospitaliers (cf. Guadagnini 2009, 3–9, et les études citées). Et il faut  



























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rappeler aussi que Jean d’Antioche s’éloigne de la plupart des systèmes des sciences proposés au XIIe et au XIIIe siècle en prévoyant une place particulière au droit à côté des sciences sermocinales. On peut certainement supposer une destination plus livresque de la traduction de Jean.

4 Traduire pour établir un genre littéraire : le cas de la nouvelle  

4.1 Les noms de genres et leur traduction Le troisième volet de ma réflexion sur les zones de convergence entre les traditions discursives et les traditions linguistiques concerne cette partie du lexique qui reflète la distinction des genres textuels telle qu’elle est pratiquée dans une communauté linguistique : les noms de genres. L’intérêt, voire la nécessité, de prendre en considération les termes génériques dans l’étude des genres et des types de textes a été reconnu aussi bien par les linguistes que par les critiques littéraires (cf. entre autres Dimter 1981 ; Schaeffer 1989, 64–78). On sait que les genres littéraires ne sont pas à proprement parler des « classes », et même pas des « genres » stricto sensu, mais plutôt, selon l’expression de Coseriu (1971, 186), des individus historiquement constitués qui en tant que tels sont directement comparables aux langues comme le français, l’italien, l’allemand etc. Par conséquent, le chercheur n’aura pas l’ambition de « définir » le roman, la tragédie etc., mais son but sera de décrire l’histoire du roman ou l’histoire de la tragédie et d’en étudier les transformations dans les différentes époques (ibid., 186s.). Dans une telle perspective, l’emploi des noms de genres est un indice précieux des conceptualisations qui ont cours dans une société donnée : en tant que termes méta-communicatifs les noms de genres nous renseignent sur la conscience générique (le Gattungsbewusstsein), c’est-à-dire sur une partie importante des normes discursives qui, en général, restent implicites. En d’autres mots : « l’identité d’un genre est fondamentalement celle d’un terme général identique appliqué à un certain nombre de textes » (Schaeffer 1989, 65). La recherche sur les traditions discursives devra donc aussi prendre en considération les structures d’une partie du lexique d’une ou de plusieurs langues. L’approche envisagée – « partir de ces dénominations pour voir quels phénomènes leur utilisation recouvre » (Schaeffer 1989, 76) – n’est pas sans poser quelques problèmes d’ordre théorique : les termes roman, nouvelle, ode, sonnet, etc., en tant que mots de la langue française, font partie du lexique d’une langue particulière et ils expriment donc des concepts qui ont cours dans une communauté linguistique donnée ; en même temps, ces termes renvoient à des normes discursives, qui par définition sont indépendantes des langues particulières. À y regarder de plus près, la contradiction n’est pourtant qu’apparente. Généralement l’histoire d’un genre im 

   





























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plique le passage à travers plusieurs langues. Il suffit de rappeler l’exemple du sonnet qui, à partir de son origine sicilienne, se diffuse, au cours des siècles, dans beaucoup de langues, où l’on forge bien entendu des termes génériques correspondants. La question qui se pose ici est de savoir dans quelle mesure l’ « importation des concepts génériques littéraires » d’une communauté linguistique à l’autre (cf. Nies 1983) comporte des changements au niveau de la conception des genres concernés. Ci-après je vais discuter un exemple bien connu, la diffusion du genre de la nouvelle à partir du chef-d’œuvre de Boccace, pour illustrer les relations complexes entre la traduction d’un nom de genre et la diffusion – et, éventuellement, la transformation – du genre correspondant.  





4.2 Les traductions médiévales du Décaméron et la diffusion européenne du mot novella Les premières traductions complètes du Décaméron apparaissent au premier tiers du XVe siècle (cf. Wilhelm 1997, 160) : la traduction française de Laurent de Premierfait date de 1411–1414 (ed. Di Stefano 1998) ; la traduction catalane, anonyme, a été terminée en 1429 (cf. Renesto 2001) ; et de la même époque est aussi la traduction espagnole, qui est attestée de façon fragmentaire par le manuscrit de l’Escorial qui ne contient qu’une cinquantaine de nouvelles (ed. Valvassori 2009) et sera imprimée dans sa totalité en 1496 à Séville. La fortune européenne du terme novella (fr. nouvelle, cat. novelˑla, esp. novela, all. Novelle etc.) dans le sillage de la réception du Décaméron a souvent été analysée (cf. Krauss 1940 ; Rubini Messerli 2012, vol. 1, 8–25). Il semble pourtant que les traductions n’ont pas toujours été prises suffisamment en compte dans ce contexte. C’est particulièrement vrai pour le français : ainsi le FEW (VII, 206) atteste-t-il nouvelle comme nom de genre seulement à partir de 1460 environ, et donc à partir des Cent nouvelles nouvelles, en ignorant la traduction du Décaméron de Laurent de Premierfait. Du point de vue sémantique, le terme novella, choisi par Boccace et consacré comme nom du nouveau genre, peut être considéré dans une double série de relations : d’un côté, novella s’oppose à d’autres termes méta-communicatifs plus ou moins avoisinants, de l’autre, le nouveau sens de novella comme nom d’un genre de récit bref se dégage d’un vaste champ de significations du mot dans la langue courante. Les deux aspects mériteraient une étude approfondie, à partir du Décaméron et de ses traductions médiévales. Je me limiterai ici à donner quelques exemples qui servent à illustrer les rapports entre l’analyse lexicale et l’histoire du genre : puisque l’emprunt du terme novella par d’autres langues romanes comporte souvent un rétrécissement du sens (une réduction de la polysémie), il se pose la question de savoir si au changement au niveau lexical correspond, du même coup, une modification dans la conception du genre littéraire.  





















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Le positionnement de la novella à l’intérieur des genres de narration brève du Moyen Âge est thématisé dans le Décaméron même, à partir d’un fameux passage du Proemio qui a fait couler beaucoup d’encre (cf. Malato 2000). Ce passage ne semble pas poser de problèmes aux traducteurs :  

(15) intendo di raccontare cento novelle, o favole o parabole o istorie che dire le vogliamo (Decameron, Proemio, 13; ed. Branca 1980). je ay entencion de racompter cent nouvelles, ainsi comme on les voudra nommer, paraboles ou fables ou histoires (Laurent de Premierfait, 9). vos entén a recomtar cent novelˑles, ho faules, e paraules e istòries (Decameron catalan, Badia 1973–1974, 96).

Il faut préciser pourtant que le parallélisme entre les trois langues (le Proemio manque dans le manuscrit de l’Escorial) n’est qu’apparent. Dans la traduction française, on observe en effet une extension de l’emploi d’histoire au détriment de nouvelle :  

(16) Le donne parimente e gli uomini tutti lodarono il novellare (Decameron, I Intr., 113). les femmes et pareillemant les hommes tous approuverent que l’en racomptast histoires (Laurent de Premierfait, 34).

Ne disposant pas d’un verbe équivalent à novellare, Laurent recourt à l’expression raconter histoires au lieu du plus spécifique raconter nouvelles. Dans un passage parallèle, correspondant à Decameron, I Intr., 112, on lit compter nouvelles histoires (Laurent de Premierfait, 34). De toute évidence, Laurent de Premierfait, là où il ne suit pas de près le texte source, c’est-à-dire là où le calque n’est pas possible, semble préférer histoire à nouvelle, en optant ainsi pour le terme plus neutre et mieux établi en français, au lieu de nouvelle par quoi normalement il rend novella. Outre les déplacements à l’intérieur du champ novelle / favole / parabole / istorie, on peut enregistrer aussi quelques synonymes ajoutés dans la traduction d’une langue romane à l’autre. Limitons-nous de nouveau à un exemple pris dans le texte de Laurent de Premierfait. Le traducteur français a bien vu que le mot ragionamenti, dans le Proemio, renvoie à l’activité de raconter des nouvelles :  

(17) E se per quegli alcuna malinconia, mossa da focoso disio, sopraviene nelle lor menti, in quelle conviene che con grave noia si dimori, se da nuovi ragionamenti non è rimossa (Decameron, Proemio, 11). Et se par telz pensemens aulcune melancolie, esmeue d’un embrasé desir, survient dedans les courages des femmes, il fault que celle melancolie sejourne en leurs cuers avec grant et grief desplaisir, qui ne peuest estre osté plus convenablement, forsque par nouveaulx comptes de paroles joyeuses et de fables plaisens (Laurent de Premierfait, 8).

Face à une expression synonyme de ‘raconter des nouvelles’, Laurent recourt de nouveau à des termes établis, comme fable et conte. Le mot conte, qui au XIXe siècle sera parfaitement synonyme de nouvelle, a ici une valeur plus dynamique, similaire

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en cela effectivement à ragionamento : conte thématise en premier lieu ‘l’activité de raconter’. Notons pourtant que par l’ajout du terme conte, les relations entre les termes introduits par Boccace, novelle / favole / parabole / istorie, se trouvent modifiées : le mot conto, qui selon le TLIO est documenté à partir de Brunet Latin avec le sens de ‘l’exposition ou la narration en acte’, manque dans le Décaméron, le même sens étant recouvert par le mot novella. L’ajout de conte rétrécit donc le sens, la valeur, du terme nouvelle par rapport à l’italien novella (sur le terme conte en perspective romane, cf. aussi Paredes Núñez 1984). Venons-en au deuxième aspect de l’analyse sémantique du terme novella : les différents sens du mot dans la langue courante. Dans le Décaméron, le terme novella recouvre une vaste gamme d’acceptions diverses (cf. l’article Novèlla dans le GDLI XI, 1981, 600–602, qui distingue une douzaine de significations différentes, pour la plupart déjà présentes dans Boccace ; cf. aussi Sarteschi 2000). Si le mot français nouvelle peut reproduire en large partie cette polysémie, les langues ibériques ne disposent pas d’un terme immédiatement correspondant : tandis que le nom du genre est rendu par un calque, cat. novelˑla, esp. novela (ou novella), les acceptions courantes du mot sont traduites au cas par cas, avec des solutions variées. La première signification du mot novella, selon le GDLI, est ‘nouveauté, fait étrange et insolite, qui éveille l’étonnement et la curiosité’. Ce sens, qui n’est plus présent dans l’usage actuel, semble poser quelques problèmes aux traducteurs :  











(18) Ora questa che novella è, che tu così tosto torni a casa stamattina ? (Decameron, VII 2, 14). – Dy va ! Quelle nouvelleté est ceste ? Quoy veult ce dire, que en cestui matin tu es si tost retourné en maison ? (Laurent de Premierfait, 770 [var. : Quelle nouvelle est ceste]). – ¿ E qué cosa es aquesta que tú tan aína te tornas esta mañana a casa ? (Libro de las ciento novelas, Cap. LVIII, 328).  

















La variation entre les différents manuscrits de la traduction de Laurent de Premierfait (nouvelleté / nouvelle) pourrait indiquer que le sens ‘nouveauté’ est plutôt insolite pour nouvelle ; le traducteur espagnol recourt à un mot passe-partout (cosa). Le mot novella indique aussi le ‘récit, la relation d’un fait nouveau, d’une nouveauté’ :  



(19) senza lasciarsi parlare a alcuno o volere di fuori, di morte o d’infermi, alcuna novella sentire (Decameron, I Intr., 20). et qui refusoient parler a tous estranges, et qui demouroient hors de leurs propres lieux, et qui ne ouyoient nouvelles de mort ne de malades (Laurent de Premierfait, 13). e non querer oír fablas de muertos nin de enfermos (Libro de las ciento novelas, Cap. II, 35). (20) vogliamo e comandiamo che si guardi, dove che egli vada, onde che egli torni, che che egli oda o vegga, niuna novella altra che lieta ci rechi di fuori (Decameron, I Intr., 101). il ne nous raporte aulcune nouvelle, se elle n’est a nous gratieuse et plaisant (Laurent de Premierfait, 31).

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ningunas nuevas non traigan ni digan, si non tales que alegren e agraden a la compañía. (Libro de las ciento novelas, Cap. VIII, 53)

Tandis que nouvelle connaît l’acception ‘relation d’un fait nouveau’, le traducteur espagnol choisit d’autres termes, comme fablas et nuevas. Ajoutons que la traduction catalane recourt dans les mêmes passages à noves, dans le premier cas, et au terme généralisant cosa dans le deuxième (cf. ed. Riba 1926–1928, vol. 1, 38 et 63). C’est surtout le terme noves ou nuevas qui, dans les langues ibériques, correspond à novella dans le sens de ‘relation d’un fait nouveau’ : pourtant la distinction entre nuevas et novelas comporte inévitablement une restriction du sens du nom de genre novela, qui perd presque complètement la polysémie, voulue et peut-être même programmatique, de novella. Il y a aussi des significations de novella qui ne sont pas attestées pour le mot français nouvelle, ainsi l’acception ‘discours, raisonnement, bavardage’ :  







(21) pensò più non fossero senza risposta da comportare le lor novelle (Decameron, X 8, 54). Pour tant Tyton advisa qu’il ne endurroit point leurs paroles sanz response (Laurent de Premierfait, 1173). pensó Tito que non quería nin devía quedar sin respuesta, nin sofrir sus dezires e palabras e escándalos (Libro de las ciento novelas, Cap. XXXIII, 170s.).

Pour le sens ‘discours, raisonnement, bavardage’, Laurent de Premierfait recourt donc au terme plus vague de paroles. Le texte espagnol, de son côté, propose un cumul de synonymes, assez typique pour les traducteurs médiévaux (dezires e palabras e escándalos). On constate donc, dans la traduction française et surtout dans la traduction espagnole, un emploi plus restreint des termes nouvelle et novela par rapport à leur modèle italien. Pour le français, les différences semblent plutôt faibles, de sorte que Laurent de Premierfait, dans sa traduction, peut maintenir le terme nouvelle dans la plupart des cas, même là où il ne s’agit pas du nom de genre. En espagnol par contre, le terme novela constitue un emprunt, pour la forme et pour le contenu, qui ne recouvre que le nouveau sens « générique ». Le mot novela a donc une allure beaucoup plus spécialisée, presque comme un terme technique, tandis qu’en italien et en français les termes novella et nouvelle restent ancrés dans la langue courante, en en gardant la polysémie et l’imprécision.  



4.3 Structures lexicales et conception des genres littéraires La réception européenne du Décaméron constitue l’exemple paradigmatique de la coïncidence entre la diffusion d’un genre littéraire et la diffusion du mot par lequel est nommé ce nouveau genre : « Il successo di Boccaccio, il successo del genere letterario novella e quello della parola stessa, sono una medesima cosa » (Segre 2006, 56). Il est  





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bien connu d’ailleurs que « l’aire de la plus grande autorité du Décaméron » (ibid., 57, ma traduction) est constituée par l’Italie et la France, tandis qu’en Espagne l’influence du chef-d’œuvre de Boccace est plus tardive et d’importance moindre. D’après Segre (ibid.), la réception espagnole du Décaméron a été « bloquée », d’une certaine manière, par le recueil de récits exemplaires de type traditionnel, le Conde Lucanor de Juan Manuel (1335), et plus généralement, par un éthos différent, qui perpétue la fonction morale du récit bref, jusqu’aux Novelas ejemplares de Cervantès (1613). L’analyse des noms de genres, que je n’ai pu qu’esquisser ici, permet d’ajouter un aspect non mineur à ce tableau. Si l’on accepte l’hypothèse selon laquelle l’auteur du Décaméron, par ses choix lexicaux, propose des éléments pour une codification du nouveau genre de la nouvelle (cf. Malato 2000, 28), les changements à l’intérieur du champ lexical novelle / favole / parabole / istorie etc. qui se produisent dans le passage d’une langue romane à l’autre ne peuvent pas rester sans conséquences pour la conception même de la nouvelle dans les différentes traditions linguistiques et littéraires. Bien entendu, il ne s’agit pas de défendre ici une vision déterministe des rapports entre les structures du lexique et la conception des genres littéraires ; mais il faut bien mettre en relief le conditionnement réciproque entre les termes métacommunicatifs dans une langue déterminée et l’image qu’on se fait, dans la communauté linguistique respective, d’un ensemble de genres. Si quelques dictionnaires anciens proposaient comme correspondant du mot italien novella l’espagnol ejemplo (cf. Krauss 1940, 19) et si les auteurs espagnols aimaient « classifier les novelle italiennes sous le concept d’exemplo » (Paredes Núñez 1984, 448, ma traduction), il s’agit d’un fait lexical qui est profondément ancré dans l’histoire des genres littéraires. Ou, pour rappeler un autre cas bien connu, si en espagnol le terme novela, tout comme novel en anglais, désigne aujourd’hui non la ‘nouvelle’, mais le ‘roman’, ce fait requiert une explication aussi bien au niveau lexical qu’au niveau littéraire. Dans le cas des noms de genres, l’histoire du lexique d’une langue et l’histoire des conceptions littéraires semblent entremêlées de façon inextricable : les noms de genres sont intimement, presque inséparablement liés aux traditions linguistiques spécifiques. Les noms de genres se distinguent donc profondément des terminologies. Les termes génériques, loin de correspondre à des classes préétablies, recouvrent des regroupements souvent assez imprécis, mais ils représentent l’identité du genre en question. Pour cette raison, la traduction d’un terme générique n’est jamais une opération simple : dans un contexte scientifique, la substitution d’un signifiant à un autre – par exemple la traduction de narratio par fait ou par narracion – constitue une opération qui ne touche nullement le contenu du terme en question, qui est garanti par une définition explicite. Mais la traduction de novella par nouvelle ou par novela comporte des altérations au niveau des relations sémantiques du terme qui ne sauraient laisser intacte la conception de la nouvelle dans les différentes traditions linguistiques.  

















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5 Les traditions discursives autres que les genres Les trois esquisses historiques présentées ici permettent de circonscrire un champ de recherche relativement peu fréquenté mais qui pourrait se révéler assez utile pour la réflexion sur l’histoire des traductions : le vaste champ des traditions discursives autres que les genres littéraires et les types de textes. Les cas discutés soulèvent plusieurs questionnements théoriques, qui concernent particulièrement le lien entre l’histoire des traductions – qui est nécessairement une histoire de textes individuels – et le changement linguistique. Nos considérations se basent sur l’hypothèse que le passage du texte au système linguistique se produit à l’intérieur de traditions discursives déterminées : c’est à travers l’étude des traditions discursives que nous pouvons observer l’adoption et la progressive généralisation des innovations linguistiques (pour le cadre théorique cf. Oesterreicher 2001). Dans cette perspective, ce sont surtout les phénomènes de convergence entre traditions discursives et traditions linguistiques qui attirent notre attention. Pour les formules, il est généralement assez aisé de démêler le niveau discursif et le niveau linguistique. Ainsi pour la formule narrative Érase una vez, on peut décrire l’enclise du pronom atone comme le figement d’une structure syntaxique archaïque : l’individualité de l’élément discursif est renforcée, dans ce cas, par la perpétuation d’un trait linguistique périmé. La réalisation linguistique d’une formule peut même nous permettre des hypothèses sur le moment de son introduction dans une communauté linguistique, comme nous l’avons vu pour le type dist ele / dixe quela. En général la séparation des deux niveaux, discursif et linguistique, est la condition préalable pour l’analyse des phénomènes de variation et de changement. Ainsi, une formule à diffusion régionale, comme le type respose / humelmente in plana voxe, ne devient pas pour autant un élément linguistique (dialectal). Et la transformation d’un élément formulaire en outil grammatical, comme nous l’avons discutée pour la genèse de pendant et durante, ne peut être décrite de façon adéquate, en tant que processus historique, que si l’on réussit à séparer analytiquement le côté discursif du côté linguistique. Les terminologies scientifiques se distinguent de la plupart des autres traditions discursives par leur caractère fortement intentionnel : tandis que l’emploi d’une formule, par exemple l’enchaînement de phrase par la subordonnée antéposée introduite par quand, constitue dans beaucoup de cas une sorte d’automatisme, l’introduction d’un nouveau terme technique est dans une large mesure guidée par un choix. Ainsi, on peut décrire deux tendances différentes, presque opposées, dans la création d’une terminologie rhétorique par Jean d’Antioche et par Brunet Latin : l’opposition entre, par exemple, (sciences) sermocinales et (sciences) en paroles ne s’explique pas en premier lieu par une particulière ouverture pour le latinisme de la part de Jean – et donc au niveau linguistique –, puisque l’expression en paroles n’est pas moins adaptée du latin (in dictis) ; mais il s’agit d’un choix au niveau discursif, entre deux modes du discours scientifique, l’un plus académique, l’autre plus dirigé vers la  













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vulgarisation. Le ton presque « familier » du Tresor de Brunet Latin – pensons aussi à ses définitions « irrégulières » – n’est donc certainement pas à attribuer à l’incapacité de l’auteur ou à une carence de la langue française de la deuxième moitié du XIIIe siècle, mais plutôt au but particulier et au public visés par cette œuvre encyclopédique. Les noms de genres, qui en général ne sont pas moins intentionnels que les terminologies, ont ceci de particulier qu’ils désignent des traditions discursives dans la façon dont elles sont perçues dans une communauté linguistique particulière. Il est inévitable, et nous l’avons vu pour l’adaptation du terme novella dans les premières traductions du Décaméron en d’autres langues romanes, que le choix du nom de genre dans l’une ou l’autre communauté linguistique est étroitement lié à la conception que cette communauté se fait du genre littéraire en question. Le conditionnement réciproque entre le choix lexical – novela ou ejemplo ? – et la conception littéraire, tel qu’on peut le décrire dans les traductions du Décaméron, nous renvoie au fait, bien connu d’ailleurs, que la littérature est une institution beaucoup plus fortement liée aux langues « nationales » que d’autres traditions discursives, comme en particulier la science (cf. pourtant les réflexions autour du terme Weltliteratur dans Albrecht 1998, 161–198). Outre les cas discutés ici, il y a évidemment bien d’autres éléments discursifs en deçà des genres qui méritent une attention particulière dans l’étude historique des traductions. Je pense entre autres au discours métalinguistique, en entendant par là les réflexions ou observations qui portent sur une langue particulière, sur un dialecte ou sur une variété. Ainsi faut-il sans doute une certaine imagination pour concevoir une situation qui puisse justifier pleinement une phrase du type Il y a un monsieur devant la porte, mais il ne parle pas allemand. Mais dans les traductions du roman Buddenbrooks, cette phrase, prononcée d’ailleurs en bas-allemand dans le texte source, ne semble pas poser de difficultés. La phrase se trouve en effet au quatrième chapitre de la sixième partie du roman, qui, encadré par l’exclamation en polonais de la fidèle Ida Jungmann Meiboschekochhanne ! et l’impatient Assez ! de la Konsulin (Buddenbrooks, 221 et 228), présente un vrai festin du plurilinguisme, avec l’entrée en scène du bavarois Alois Permaneder :  



















(22) « Je, Fru Kunsel », sagte das Mädchen, « doar wier ʼn Herr, öäwer hei redʼ nich dütsch un is ook goar tau snaksch … » (Buddenbrooks, 221). – Oh, Dio, signora, – disse la cameriera – c’è un signore di là, ma non parla tedesco ed è proprio buffo (Lami 1930, vol. 1, 309). – Hé, mʼame, dit la soubrette en patois, c’est un monsieur, mais il ne parle pas allemand et ce qu’il est cocasse ! (Bianquis 1932/1994, 568). –Verá señ’a consulesa –dijo la criada–, es un señor que habla una cosa mu’ rara, yo creo que alemán no es … (García Adánez 2008, 390).  



















Dans les traductions citées, évidemment, les membres de la famille Buddenbrook ne parlent pas non plus allemand, mais, selon les cas, italien, français ou espagnol, mais

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le lecteur, qui est conscient de lire une œuvre traduite, comprend que l’italien, le français ou l’espagnol « représentent » ici la langue allemande. De cette manière, le roman, même le roman « réaliste », exige du lecteur un certain nombre de « transpositions mentales » qui seraient d’ailleurs beaucoup plus difficiles à réaliser dans une œuvre théâtrale ou cinématographique. Le lecteur tolère même un net décalage entre le commentaire métalinguistique et le discours effectivement mimé : ainsi dans la traduction française, la phrase de la servante est citée dans un français neutre – à part l’allocution Hé, mʼame, qui appartient à un registre familier –, et c’est seulement par un commentaire qu’on apprend que la phrase de la soubrette doit être imaginée en patois. Le même procédé se trouve aussi ailleurs :  















(23) der Herr […] sagte : « I bitt’ di gnädige Frau um Verzeihung von wegen dem Kartl ; i hob kei onderes zur Hond k’habt. […] » (Buddenbrooks, 222). le monsieur […] dit en patois munichois: – Je demande bien pardon à madame pour cette carte. Je n’en avais pas d’autres sous la main (Bianquis 1932/1994, 569). el caballero […] dijo en bávaro : –Le ruego a la honorable señora que disculpe lo de la tarjeta ; es que no tenía otra a mano (García Adánez 2008, 391).  











Le lecteur moderne ne voit aucun inconvénient dans cette répartition très particulière de l’information, où le contenu sémantique de la phrase est représenté par le soidisant discours direct du personnage tandis que le narrateur spécifie, au niveau métalinguistique, la langue ou la variété dans laquelle la phrase est censée être prononcée. Une seule des traductions examinées a choisi une solution radicalement différente : dans la traduction Garzanti, la façon de parler de M. Permaneder est rendue par un dialecte factice :  







(24) quel signore […] disse : « Prego che la signora mi scusi per via dal biet ; n’avè mia n’alter a purtà d’ma. […] » (Jesi/Speciale Scalia 11983/1999, 291).  







Ce procédé insolite se heurte à l’ « opacité » des dialectes, pour laquelle les dialectes, dans un texte littéraire, sont à proprement parler « intraduisibles » (cf. Albrecht 22013, 233s.). La solution proposée par Jesi (cf. la note dans Jesi/Speciale Scalia 11983/1999, XXXIIIs.) correspond en effet plutôt à la tradition de la comédie, où le décalage décrit entre commentaire métalinguistique et parole représentée n’est pas possible, qu’aux normes du roman. Notons néanmoins que ce serait une étude intéressante à faire sur la représentation du discours hétéroglotte dans la littérature narrative. Il s’agit là d’une tradition discursive bien circonscrite et d’une importance non secondaire pour la traduction des textes littéraires.  









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Katrin Zuschlag

27 L’analyse structurale du récit : « narratologie » et traduction  





Abstract : Alors que tout le monde s’accorde sur l’impossibilité de « bien » traduire un poème et la difficulté spécifique de traduire un drame, la traduisibilité sans perte d’un récit est rarement remise en doute. Mais sous une macrostructure apparemment identique à celle du texte source se cachent souvent des modifications fondamentales d’éléments narratifs microstructurels. Pourquoi ? Le récit étant une histoire racontée par un narrateur, c’est ce narrateur qui puise dans son répertoire linguistique et culturel pour transformer l’histoire abstraite en un discours concret. Avec le changement obligatoire de la voix narrative au cours du processus de traduction, tous les paramètres décisifs comme la personne, le lieu, le temps, les noms propres, les données chiffrées, les descriptions, les discours actoriels et les références culturelles doivent être adaptés à la langue et la culture cible par le traducteur. La supposée universalité du récit se révèle finalement inexistante, l’analyse structurale de textes originaux indispensable.    







Keywords : récit, narrateur, histoire, discours, traducteur    

1 Introduction Raconter une histoire est une pratique qui a traversé toutes les époques et tous les pays, que l’on retrouve aussi bien dans la tradition orale que dans la littérature écrite, dans la vie quotidienne comme dans les salons littéraires. Apparemment, il s’agit d’un phénomène universel, voire d’un besoin inhérent à la nature humaine qui devrait donc pouvoir s’échanger entre les langues et les cultures sans poser aucun problème. C’est sans doute la raison pour laquelle la plupart des ouvrages de traductologie mettent l’accent sur les difficultés spécifiques de la traduction de la poésie et du drame en négligeant la problématique complexe que soulève la traduction de la prose (cf. par ex. Emig 2013, 143). Les narratologues eux-mêmes semblent parfois sous-estimer l’effet que la traduction peut avoir sur un récit : « Autrement dit, le récit est traductible, sans dommage fondamental » (Barthes 11966/1981, 31). Geneviève Roux-Faucard (2008, 10) parle de la « facilité théorique à traduire le récit », qui se montre également dans le fait que les lecteurs ont généralement beaucoup de confiance dans un roman traduit tandis qu’ils se méfient de tout poème rendu dans une autre langue. Le livre de Roux-Faucard est l’un des rares ouvrages français et internationaux mettant la traduction du récit au centre de ses recherches. Ce qu’on trouve plus souvent, par contre, ce sont des  









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L’analyse structurale du récit

études de cas portant soit sur un seul auteur soit sur une seule catégorie structurale du récit.1

2 La constitution du récit par le narrateur « Innombrables sont les récits du monde » (Barthes 11966/1981, 7) – et innombrables sont les définitions du récit. Barthes lui-même parle des « formes presque infinies » (ibid.) sous lesquelles le récit peut se manifester. Les caractéristiques (constitutives) d’un récit sont, entre autres, définies comme « une succession d’événements d’intérêt humain » (Bremond 1966, 68), la représentation d’événements passés (cf. Gülich 1976, 225), la nature indirecte de la représentation (en allemand : « Mittelbarkeit », Stanzel 1979, 15) ou « la représentation d’ (au moins) un événement » (Adam 1984, 10). Pour Roux-Faucard (2008, 5), « [l]e récit […] est, par définition, tout texte racontant une histoire ». On peut donc constater un accord sur l’existence d’une certaine histoire qui se compose d’événements (intéressants et passés) d’une part et de quelqu’un représentant ou plutôt racontant cette histoire, c’est-à-dire l’existence d’un narrateur d’autre part. L’histoire en tant que telle reste virtuelle tant que le narrateur ne l’a pas mise en ordre et en forme. Cette dernière « parole réelle adressée par le narrateur au lecteur » correspond au discours dans la terminologie de Tzvetan Todorov (1966, 144).2 La narratologie au sens strict du terme, à savoir l’approche structuraliste dans la tradition du formalisme russe, s’intéresse surtout à l’histoire comme structure profonde du récit. Elle l’analyse en la décomposant en ses éléments fondamentaux : les personnages et leurs actions. En cela, elle suit en gros la démarche de Vladimir Propp dans sa Morphologie du conte, un livre qui peut être considéré comme la base et le moteur de la discipline narratologique. Cependant, l’histoire et son matériau, puisque ce sont des données non-verbales, ne sont pas altérés par la traduction. Ce qui change, c’est le discours, la verbalisation de l’histoire dans une langue déterminée. Le narrateur lui-même sélectionne dans l’infinité des événements ceux qui valent d’être racontés, il les met dans un certain ordre et il leur donne une forme linguistique. Sans forcément le vouloir, il est toujours obligé de faire un choix et de cette manière  































1 Cf. par exemple les études de Dorothea Kullmann (1992 ; 1995) sur la traduction du style indirect libre (en général et chez Flaubert en particulier) vers l’allemand ou l’article de Heidi Aschenberg (2013) sur les versions espagnoles du Zauberberg de Thomas Mann. 2 La distinction entre histoire et discours renvoie à la distinction entre fable et sujet chez les formalistes russes. D’autres auteurs ont fait la différence entre plot et story (E.M. Forster), entre histoire, récit et narration (Gérard Genette) ou entre Geschehen, Geschichte, Erzählung et Präsentation der Erzählung (Wolf Schmid). Les similitudes entre ces modèles sont aussi nombreuses que les différences. Pour notre objet, la traduction, il suffira de distinguer deux phases du récit, l’histoire abstraite et le discours concret. Cf. Zuschlag (2002, 12–23).  





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d’interpréter l’histoire : « Toute représentation est déjà une interprétation » (Adam 1984, 10). Nous, lecteurs, n’avons accès à l’histoire que par la voix du narrateur et c’est son interprétation individuelle qu’il nous présente.  





2.1 Le changement de voix Il s’ensuit que la même histoire, racontée par deux narrateurs différents, sera toujours interprétée et représentée de deux manières différentes.3 Jamais deux narrateurs ne nous offriront la même vue sur une seule histoire. Par contre, ils nous ouvriront des voies différentes pour y accéder. L’histoire en tant que telle n’en subira aucun changement, pourtant nous en connaîtrons une autre version. Ceci est encore plus évident quand les deux narrateurs ne sont pas de la même origine, quand ils ont une autre langue maternelle et un autre contexte culturel. Le processus de traduction transforme, par exemple, le narrateur allemand en un narrateur français et vice versa – le fait que le narrateur est une instance fictive et qu’il reste dans beaucoup de récits invisible, ne change rien à l’affaire.4 Gérard Genette (1983, 64s.) constate que « le changement de narrateur […] exige évidemment une intervention plus massive et plus soutenue, et […] a toutes chances d’entraîner davantage de conséquences ». Bien qu’en disant cela Genette ne pense pas à la traduction, son observation vaut également – et même encore davantage – pour les récits traduits.  



3 Le répertoire linguistique à la disposition du narrateur Pour raconter son histoire, le narrateur se sert évidemment du répertoire linguistique que lui offre sa langue maternelle. D’après Adam (1984, 105), cette « langue du récit »  



3 Pour Genette, la catégorie de la voix ne répond qu’à la question « qui parle ? » et non pas à la question « qui voit ? », qui, elle, est étudiée sous la catégorie du mode, tandis que les classifications antérieures, comme par exemple celle de Franz K. Stanzel, ont tendance à confondre voix et mode. Cf. Cohn (1981, 160), qui oppose la théorie de Genette à celle de Stanzel pour conclure : « Genette’s proclivity to categorical separation and Stanzel’s to categorical correlation notwithstanding, their principal categories themselves tally remarkably well. This is true in spite of the discrepancies in terminology and grouping that tend to mask the correspondence at first reading ». Pour cette raison et puisque la catégorisation reste sans effet sur les questions de traduction, la distinction entre voix et mode sera négligée ici. 4 Cet article traite uniquement des traductions allemand-français/français-allemand qui sont censées servir d’exemples pour illustrer le lien profond entre la narratologie et la traduction littéraire. Il va de soi que toute considération générale et la problématique en tant que telle valent également pour tous les autres couples de langues.  























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ne doit pas être considérée « comme un instrument normé et clair, objectif et neutre, mais comme un système ouvert sur l’accommodation intersubjective ». En outre, c’est par cette langue du récit que le narrateur définit sa « situation d’énonciation » (Maingueneau 31993, 1). Celle-ci se constitue de la personne (énonciateur et destinataire), du lieu et du temps. Les trois catégories définissent également l’écart entre l’action racontée et l’acte narratif. Cet écart peut se réduire « finalement à zéro : le récit en est arrivé à l’ici et au maintenant, l’histoire a rejoint la narration » (Genette 1972, 238). Outre cette détermination spatio-temporelle, c’est la participation du narrateur à l’histoire qui se manifeste par des indices linguistiques. Le fait que le récit est écrit à la première ou à la troisième personne peut déjà livrer une première indication – pas plus, mais pas moins non plus – à la question de savoir si son narrateur est absent de l’histoire (narrateur hétérodiégétique) ou s’il y est présent (narrateur homodiégétique) (cf. ibid., 251ss.). Le pronom de la deuxième personne se révèle encore plus complexe. Désigne-t-il le narrateur, un autre personnage ou le narrataire ?5  















3.1 Personne Grammaticalement, la personne se manifeste dans l’utilisation déterminée des pronoms personnels. Et bien que les systèmes pronominaux de l’allemand et du français soient relativement proches l’un de l’autre, la traduction d’un pronom personnel ne reste parfois pas sans conséquence pour la situation d’énonciation. Ainsi, le narrateur homodiégétique est un je narrateur qui révèle son sexe dès que surgit le premier accord d’un adjectif ou d’un participe passé. Le narrateur allemand, par contre, peut cacher son sexe tout au long du récit. Comparons le début du récit Catgut par Anna Gavalda dans sa version française et allemande :  



Au début, rien n’était prévu comme ça. J’avais répondu à une annonce de La Semaine Vétérinaire pour un remplacement de deux mois, août et septembre. Et puis le gars qui m’a embauchée s’est tué sur la route en revenant de vacances. Heureusement, il n’y avait personne d’autre dans la voiture. Et je suis restée. J’ai même racheté. C’est une bonne clientèle. Les Normands payent difficilement mais ils payent. Les Normands sont comme tous les belous, les idées, là-haut, une fois c’est gravé … et une femme pour les bêtes, c’est pas bon (Gavalda 1999, 111). Es war ganz anders geplant gewesen. Ich hatte auf eine Anzeige in « Der Tierarzt » geantwortet, wegen einer zweimonatigen Vertretung im August und September. Doch dann ist der Typ, der mich eingestellt hat, auf dem Rückweg aus dem Urlaub tödlich verunglückt. Zum Glück war sonst niemand im Auto.  



5 Genette (1972, 227, note 2) emploie le terme de narrataire pour désigner le destinataire du récit.  



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Und ich bin geblieben. Ich habe sogar die Praxis gekauft. Die Kundschaft ist nicht schlecht. Die Normannen zahlen zwar ungern, aber sie zahlen. Die Normannen sind wie alle Landeier, wenn sich eine Vorstellung erst mal hier oben festgesetzt hat – und eine Frau für die Tiere ist nicht gut (Gavalda 2008, 85).

Dès la troisième phrase (« embauchée »), le lecteur français sait que c’est une femme qui lui parle. Au début du deuxième paragraphe (« restée »), cette image d’une femme-vétérinaire se consolide encore – de sorte que l’énonciation « une femme pour les bêtes, c’est pas bon » n’a pour lui plus rien d’étonnant. Une lecture tout à fait différente se présente au lecteur allemand. Un narrateur « neutre » commence à raconter son histoire et il me semble justifié de supposer que le lecteur allemand y voit un narrateur plutôt masculin, et cela pour au moins deux raisons : la revue vétérinaire s’appelle « Der Tierarzt » et le narrateur est embauché pour remplacer un « Typ » – pourquoi donc penserait-il à une femme ?6 Il s’ensuit que l’assertion « und eine Frau für die Tiere ist nicht gut » (‘ une femme pour les bêtes, c’est pas bon ’) a un effet de surprise totale, une sorte de stupéfaction encore accentuée par le tiret. Cet effet – on pourrait même parler d’un surplus par rapport à l’original – n’est pas un effet délibérément élaboré par la traductrice allemande, Ina Kronenberger, mais une conséquence presque inévitable du changement de voix narrative. Un autre problème se pose quand il s’agit de rendre (ou plutôt d’éviter) l’homonymie des pronoms. Tandis que le pronom français vous peut représenter et la deuxième personne du pluriel et la forme de politesse, le pronom allemand sie et le possessif ihr peuvent se référer à la troisième personne du singulier et du pluriel. Pour sauvegarder l’absence d’ambiguїté, les traducteurs se servent en général d’un autre pronom ou de l’article défini.7 Dans la nouvelle L’inconnue de Françoise Sagan, ce détour se fait par une transposition du discours indirect en discours direct.  





































Car depuis dix ans, elle disait « notre maison » et David disait « la maison ». […] Elle entra dans « leur » chambre, la chambre de « leur » maison, et remarqua sans la moindre gêne que le lit était défait, ravagé, écumé comme il ne l’avait jamais été, lui semblait-il, depuis son mariage avec David (Sagan 1975, 51 et 60).  















Seit zehn Jahren sagte sie « unser Haus », und David sagte « das Haus ». […] Sie betrat « unser Schlafzimmer », das Schlafzimmer in « unserem Haus » und sah ohne die geringste Verlegenheit, daß das Bett so unordentlich, verwühlt und verwüstet war wie niemals, so schien es ihr, während ihrer Ehe mit David (Sagan 31978, 48 et 56).  















6 On peut laisser de côté le fait que l’auteur du récit est une femme. Bien que les lecteurs tendent à présumer une identité de sexe entre auteur et je narrateur, le recueil même prouve le contraire : des douze récits, trois sont racontés à la troisième personne, quatre par un je féminin et cinq par un je masculin. 7 Pour les exemples suivants, cf. Zuschlag (2002, 136 et 300s.).  





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Une traduction littérale de « leur » par le pronom allemand correspondant « ihr » aurait été ambiguë, une référence (fautive) au sujet « elle » au singulier même très probable. Pourtant, la transposition en discours direct mélange les perspectives du narrateur (qui parle de la protagoniste à la troisième personne) et celle de la protagoniste elle-même (qui prend son propre point de vue). Bien que les guillemets suggèrent une citation directe, il semble manquer un verbum dicendi pour rendre la phrase allemande plus idiomatique. De plus, la version française transmet plus de distance entre le narrateur et la protagoniste que la version allemande. Pourtant, la traductrice a fait preuve d’une prise de conscience du problème et s’est en fin de compte décidée pour le moindre mal. D’autres traducteurs y sont moins sensibles. Roux-Faucard cite une traduction française de Rat Krespel de E.T.A. Hoffmann :  















Krespel schnitt ein Gesicht, als wenn jemand in eine bittere Pomeranze beißt und dabei aussehen will, als wenn er Süßes genossen ; aber bald verzog sich dies Gesicht zur graulichen Maske, aus der recht bitterer, grimmiger, ja, wie es mir schien, recht teuflischer Hohn herauslachte (E.T.A. Hoffmann, Rat Krespel, cité par Roux-Faucard 2008, 32).  

Crespel fit une grimace affreuse, et son visage prit une expression diabolique (E.T.A. Hoffmann, Le Violon de Crémon, cité ibid.).  

Non seulement le traducteur Adolphe-François de Loève-Veimars raccourcit et simplifie outrageusement la description, mais il fait aussi complètement disparaître l’incise et ainsi la présence explicite du je narrateur. Apparemment, les narrateurs ont toutes les raisons de se méfier de leurs traducteurs ! Le destinataire se manifeste encore beaucoup moins dans le texte du récit. La plupart du temps, il reste invisible, « une figure abstraite qui n’est ni décrite ni nommée par le texte, mais présente […] à travers le savoir, les valeurs, les attentes que le texte suppose chez son lecteur » (Roux-Faucard 2008, 73). Ce lecteur implicite n’est pas identique avec le lecteur réel tout comme le narrateur n’est pas identique avec l’auteur. Dans son Nouveau discours du récit, Gérard Genette (1983, 103) distingue plusieurs instances narratives participant au processus de narration : l’auteur réel (auteur induit), le narrateur, le récit, le narrataire (lecteur virtuel) et le lecteur réel. Par le récit, c’est l’auteur réel qui communique avec un lecteur réel. Bien que les deux ne se connaissent pas, le texte transmet l’image qu’ils se font l’un de l’autre : l’auteur induit (du texte) parle ainsi au lecteur virtuel (i.e. possible). Au sein du récit, c’est finalement le narrateur qui raconte son histoire au narrataire.8 Il est bien rare  









8 Malgré sa clarté convaincante, ce modèle théorique pose un problème majeur pour l’analyse pratique de textes littéraires. Celui qui analyse un texte est présumé l’avoir lu. Alors que l’auteur reste absent et inconnu et que le narrateur et le narrataire sont des concepts abstraits, le lecteur est la seule instance narrative à être présente et bien connue du narratologue. Celui-ci n’est donc plus à même de distinguer nettement entre les effets produits sur le narrataire et ceux produits sur le lecteur. Pour  

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que le destinataire soit directement interpelé, comme au début des Petites pratiques germanopratines d’Anna Gavalda :  

Saint-Germain-des-Prés !? … Je sais ce que vous allez me dire […] Mais gardez vos réflexions pour vous et écoutez-moi car mon petit doigt me dit que cette histoire va vous amuser (Gavalda 1999, 9).  

Saint-Germain !? Ich weiß, was Sie sagen werden […] Doch behalten Sie Ihre Bemerkungen für sich, und hören Sie mir lieber zu, mein Gefühl sagt mir nämlich, daß die Geschichte Sie zum Schmunzeln bringen wird (Gavalda 2008, 9).  

Cet extrait illustre comment le narrateur (ici : la narratrice) présume une image très précise de ses narrataires. En anticipant leurs réactions, la narratrice réussit à créer une relation intime et confidentielle entre elle et ses destinataires, ce qui sert entre autre à consolider sa supposée loyauté. La traduction vers l’allemand n’y change rien, d’autant plus que le vouvoiement est maintenu. Ceci n’est pas toujours le cas, et pour des raisons diverses. Dans Je l’aimais, également d’Anna Gavalda, la protagoniste Chloé vouvoie son beau-père comme l’exige la convention française. En allemand, où le tutoiement entre beaux-enfants et beaux-parents est beaucoup plus répandu, le « vous » est rendu par un « du ». Helmut Scheffel, traducteur allemand de La modification de Michel Butor, s’est également décidé à traduire « vous » par « du ». Mais ce « vous » ne s’adresse pas (ou pas seulement) au lecteur ni à un narrataire au sein de l’histoire :  

























Vous avez mis le pied gauche sur la rainure du cuivre, et de votre épaule droite vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant (Butor 1957, 9). Du hast den linken Fuß auf die Messingschiene gesetzt und versuchst vergeblich, mit der rechten Schulter die Schiebetür etwas weiter aufzustoßen (Butor 1958, 7).

Dès le premier mot du roman, le protagoniste de l’histoire, Léon Delmont, le narrataire et le lecteur se superposent. Nous avons affaire à l’un des très rares récits à la deuxième personne qui s’ouvrent à plusieurs interprétations. Et comme le traducteur est aussi un interprète,9 il s’est décidé à renforcer la sombre et menaçante nature de la voix intérieure qui parle au protagoniste et celle-ci se traduit beaucoup mieux par le son [u:] commun au « vous » et au « du » que par la clarté d’un [i:] contenu dans la forme de politesse allemande « Sie ». Un autre argument pour le tutoiement en allemand, plus fort encore, est l’homophonie entre la forme de politesse et les diverses déclinaisons du pronom « sie » de la troisième personne du singulier et du pluriel.  















simplifier les choses, la différenciation entre narrataire et lecteur ne sera pas toujours faite dans ce qui suit. 9 Helmut Scheffel explique et justifie sa traduction dans un article s’intitulant « Übersetzen heißt Interpretieren » (cf. Scheffel 1991). Cf. aussi Zuschlag (2002, 291–314).  





L’analyse structurale du récit

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D’un autre côté, Scheffel se prive de la possibilité de sauvegarder certaines ambivalences du texte français, dans lequel le « vous » oscille parfois entre singulier et pluriel. Regardons trois petits exemples :  





[…] quand vous avez vu vos quatre enfants debout derrière leurs places […] Quand vous avez quitté le restaurant Tre Scalini où vous aviez déjeuné avec Cécile […] Elle est revenue plusieurs fois chez vous (Butor 1957, 31, 84 et 156). […] als du die vier Kinder hinter ihren Stühlen stehen sahst […] Als ihr das Restaurant Tre Scalini, wo du mit Cécile zu Mittag gegessen hattest, verlassen habt […] Mehrere Male ist sie zu euch gekommen (Butor 1958, 37, 104 et 204).

Parfois, c’est le contexte qui détermine ou facilite la décision du traducteur, parfois, il est obligé de se décider pour l’une des deux variantes et parfois, un article peut remplacer le pronom. Comme très souvent dans la traduction, et particulièrement dans la traduction littéraire, tout gain se fait au prix d’une perte.

3.2 Lieu Pour raconter son histoire, le narrateur doit adopter une certaine perspective, il doit se situer dans un endroit d’où il perçoit ce qui se passe. Le point de vue peut être signalé par un « ici » explicite dans le texte narratif ou il peut se cacher derrière une certaine représentation des événements. Cette perspective narrative comptant parmi les catégories les plus fréquemment étudiées et les plus contradictoirement discutées, Gérard Genette propose de l’analyser séparément de la catégorie de la voix. En introduisant le terme de focalisation, il nomme focalisation zéro la vision « par derrière » permettant au narrateur de savoir davantage que ses personnages, focalisation interne la vision « avec » percevant l’action par les yeux d’un des personnages et focalisation externe la vision « du dehors » observant les événements de l’extérieur (cf. Genette 1972, 206ss. ; Todorov 1966, 147s.). Au-delà de cette classification théorique, ce qui nous intéresse ici, c’est la manifestation dans le texte du lieu où se passe l’acte narratif. En tant que telle, la manifestation fait toujours partie de la voix, car c’est elle qui verbalise la narration. Plus explicitement, la localisation de la position du narrateur se fait par des déictiques spatiaux. Voici l’exemple d’une telle révélation explicite du point de vue dans l’incipit d’une nouvelle de Thomas Mann.  

















Hier ist « Einfried », das Sanatorium ! Weiß und geradlinig liegt es mit seinem langgestreckten Hauptgebäude und seinem Seitenflügel inmitten des weiten Gartens […] (Mann 1981, 217).  





Blanche et rectiligne, la longue bâtisse principale, flanquée de deux ailes, s’élève au milieu d’un vaste jardin […] (Mann 1975, 131).

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Le déictique « hier » ne se retrouve plus dans la traduction française, la première phrase est même complètement éliminée. L’effet produit sur le lecteur allemand ou français est tout à fait différent. Dans la version originale, il se sent confronté avec un narrateur extrêmement présent, qui se trouve en plein milieu des événements et qui entraîne le lecteur au centre de l’histoire. La traduction française, par contre, prend sa distance envers l’histoire et situe le narrateur « au-dessus » des événements. Cette distance se trouve également dans la deuxième phrase de l’original, mais si la version allemande est marquée par ce changement permanent et fascinant entre un narrateur très proche qui se retire constamment pour resurgir à tout moment, la traduction française néglige, elle, cette particularité et rend la situation énonciative beaucoup plus conventionnelle qu’elle ne l’est.10 Alors que la perte du déictique dans l’exemple précédent n’est pas due à un manque d’équivalent dans la langue cible, mais à la décision subjective des traducteurs (ou à la rigueur au respect des conventions narratives françaises), le pronom adverbial y ne dispose effectivement pas d’un pronom correspondant en allemand. Y se situe quelque part entre ici et là-bas, il s’utilise, d’après le Petit Robert, « [p]our rappeler le lieu où l’on est, où l’on va ». D’ailleurs, il ne s’agit pas d’un déictique ayant son point de repère dans la situation énonciative du narrateur, mais d’une anaphore se référant à un élément textuel précédent. L’anaphore étant ancrée dans le texte seul, le narrateur français peut s’en servir pour dissimuler son point de vue que le traducteur allemand se voit ensuite obligé de dévoiler (cf. Zuschlag 2002, 154).  











Nos concitoyens, ils s’en rendaient compte désormais, n’avaient jamais pensé que notre petite ville pût être un lieu particulièrement désigné pour que les rats y meurent au soleil […] (Camus 1131984, 34). Unsere Mitbürger merkten nun, daß sie nie auf den Gedanken gekommen wären, daß die Ratten unsere kleine Stadt besonders geeignet finden könnten, um hier an der Sonne zu sterben […] (Camus 1986, 17s.).

Ce passage montre très bien combien les repères de personne et de lieu sont étroitement liés l’un à l’autre. Par les possessifs de la première personne du pluriel « nos » et « notre », le narrateur se place très nettement parmi les citoyens de la ville gagnée par la peste. En renvoyant à cette ville par un article indéfini (« un lieu ») et ensuite par l’adverbe « y », il parvient pourtant à prendre une certaine distance envers ce lieu voué à la mort. Le lecteur allemand ne retrouve plus rien de cette distance. Le « lieu » a été supprimé et « y » s’est transformé en « hier », un déictique qui ne laisse aucun  



























10 Il me semble que l’on tend toujours en français à éviter l’utilisation de déictiques en combinaison avec un temps du passé, usage longtemps critiqué, mais désormais accepté.  

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doute sur le fait que le narrateur se trouve au même endroit que la mort.11 La vie du narrateur reste donc dangereuse : s’il n’est pas éliminé par le traducteur (cf. cidessus), c’est la peste qui menacera sa vie.  

3.3 Temps Le troisième repère déterminant la situation énonciative du narrateur est le temps. Avec son choix obligatoire d’un temps grammatical le narrateur révèle automatiquement sa propre position sur l’axe temporel des événements racontés qui par rapport à l’acte narratif peuvent avoir lieu dans le passé, dans la simultanéité ou dans l’avenir.12 Nous avons donc affaire à une « dualité temporelle » (Genette 1972, 77) intégrant le temps de l’histoire et le temps du récit. Une deuxième dualité naît des discordances entre l’ordre de l’histoire et l’ordre du récit. Car bien que toute narration verbale soit forcément linéaire, c’est le narrateur qui détermine l’ordre des événements dans le récit. Notamment (mais pas seulement) quand il s’agit d’événements passés, le narrateur a la possibilité d’en anticiper ou d’en rappeler d’autres. De telles anachronies – que Genette (ibid., 78ss.) appelle prolepses (anticipations) ou analepses (rappels) – demandent un point zéro à partir duquel elles peuvent être déterminées. Ce point zéro constitue le récit premier.13 En général, la mise en ordre du récit, sa distribution en segments premiers, analeptiques ou proleptiques, est sauvegardée par la traduction. Une exception rare mais d’autant plus frappante est constituée par la première traduction anglaise du roman tchèque Zert de Milan Kundera. Sous prétexte de rendre le récit plus lisible, le traducteur s’est mis à rétablir l’ordre chronologique dans le récit originellement marqué par un grand nombre d’anticipations, de rappels et d’incises. Pour l’auteur, ce fut un choc :  





« Le choc causé par les traductions de ‹ La Plaisanterie › m’a marqué à jamais. […] Et pourtant, pour moi qui n’ai pratiquement plus le [sic] public tchèque les traductions représentent tout » (Kundera 1986, 145s.).14  







Une telle permutation n’est toutefois plus qualifiée de traduction, mais d’adaptation (dans ce cas : un nivellement), si on suit la terminologie de Michael Schreiber (1993a,  

11 D’autres solutions, comme par exemple « dort » ou « in ihr », auraient été encore moins satisfaisantes, la première signalant l’absence du narrateur de la ville, la deuxième n’étant pas idiomatique. 12 Si on veut suivre la définition de Gülich (1976), ils ne peuvent toutefois se situer qu’au passé (cf. cidessus). 13 Dans le Nouveau discours du récit, Genette (1983, 20) change le terme du récit premier qui « peut être ressenti avec une connotation de jugement d’importance » en récit primaire qu’il considère « plus neutre ». C’est toutefois moins vrai pour les traductions allemandes « Basiserzählung » (pour le récit premier) et « primäre Erzählung » pour le récit primaire (cf. Genette 21998, 209). 14 Une discussion détaillée de ce cas se trouve chez Kuhiwczak (1990).  































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310) qui distingue la traduction motivée par des demandes d’invariance de l’adaptation motivée par des demandes de variance.15 Mais alors que la traductologie est pleinement consciente de ce besoin indispensable de définir les frontières de la traduction – de nombreuses études et approches différentes en témoignent jusqu’aujourd’hui –, les maisons d’éditions y sont beaucoup moins sensibles. La désignation d’un livre comme « traduction » n’est pas une appellation contrôlée, au contraire : la maison d’édition allemande Piper (et elle n’est pas la seule) s’en sert même pour doper ses ventes.16 Derrière le pseudonyme Nicolas Barreau – prétendument traduit par Sophie Scherrer – se cache l’auteure allemande Daniela Thiele. On cherchera en vain une version française (« originale ») de ses livres. Généralement, les interventions sont plus subtiles, mais ne restent pourtant pas non plus sans conséquence pour l’analyse structurale. Gérard Genette, par exemple, recourt systématiquement à des extraits proustiens pour illustrer ses thèses. Son traducteur allemand, Andreas Knop, reconnaît vite que les traductions allemandes disponibles ne sont pas aptes à soutenir les considérations théoriques de Genette de la même manière, et il est donc obligé de les adapter à ses besoins. Voici l’analyse de l’ordre du temps dans un passage de Jean Santeuil, les lettres A à I signalant les unités temporelles, le chiffre 2 le récit premier et le chiffre 1 le recours au passé par des analepses (cf. Zuschlag 2002, 48s.) :  











(A) Quelquefois en passant devant l’hôtel il se rappelait (B) les jours de pluie où il emmenait jusque-là sa bonne, en pèlerinage. (C) Mais il se les rappelait sans (D) la mélancolie qu’il pensait alors (E) devoir goûter un jour dans le sentiment de ne plus l’aimer. (F) Car cette mélancolie, ce qui la projetait ainsi d’avance (G) sur son indifférence à venir, (H) c’était son amour. (I) Et cet amour n’était plus (Marcel Proust, Jean Santeuil, cité par Genette 1972, 81). A2 – B1 – C2 – D1 – E2 – F1 – G2 – H1 – I2 (A) Manchmal, wenn er an dem Kossichefschen Haus vorbeikam, erinnerte er sich (B) an die Regentage, an denen er seine Kinderfrau veranlaßt hatte, mit ihm dorthin zu pilgern. (C) Doch er dachte an jene Zeit ohne (D) die Melancholie, die er einst geglaubt hatte (E) eines Tages in dem Gefühl verspüren zu müssen, daß er Marie nicht mehr liebte. (H) Denn es war nur seine Liebe, (F) die diese Melancholie im voraus (G) in seine zukünftige Gleichgültigkeit (F’) hineinprojizierte. (I) Und diese Liebe existierte nicht mehr (Marcel Proust, Jean Santeuil, traduit par Eva RechelMertens et Luzius Keller, cité par Zuschlag 2002, 48s.). A2 – B1 – C2 – D1 – E2 – H1 – F1 – G2 – F’1 – I2

15 « Une traduction est la transformation interlinguale d’un texte, basée sur une hiérarchie de demandes d’invariance et constituant toujours une interprétation du texte de départ. […] En revanche, l’adaptation […] n’est pas basée sur des demandes d’invariance, mais sur des demandes de variance » (Schreiber 2009, 91s.). Il est intéressant de noter que l’interprétation fait partie intégrale de la définition de la traduction. 16 Krekeler (2012) objecte qu’une telle démarche met en jeu et la crédibilité des éditeurs et la qualité littéraire de leurs publications.  







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L’analyse structurale du récit

(A) Manchmal, wenn er an dem Kossichefschen Haus vorbeikam, erinnerte er sich (B) an die Regentage, an denen er seine Kinderfrau veranlaßt hatte, mit ihm dorthin zu pilgern. (C) Doch er dachte an jene Zeit ohne (D) die Melancholie, die er einst geglaubt hatte (E) eines Tages in dem Gefühl verspüren zu müssen, daß er Marie nicht mehr liebte. (F) Denn diese Melancholie, ja, alles, was er im voraus hineinprojiziert hatte (G) in seine künftige Gleichgültigkeit, (H) war nur seine Liebe gewesen. (I) Diese Liebe jedoch existierte nicht mehr (Marcel Proust, Jean Santeuil, traduction de Rechel-Mertens/Keller modifiée par Andreas Knop, cité par Zuschlag 2002, 48). A2 – B1 – C2 – D1 – E2 – F1 – G2 – H1 – I2

À part la reconnaissance du fait que même une traduction relativement « fidèle » – Rechel-Mertens s’est vue attribuée un prix littéraire (Literaturpreis des Verbandes deutscher Kritiker) et un prix de traduction (Übersetzerpreis der Deutschen Akademie für Sprache und Dichtung) pour son imitation réussie de la syntaxe proustienne – ne reflète pas automatiquement l’ordre exacte des micro-unités narratives, les passages montrent aussi un emploi intéressant des temps du passé. Tandis qu’en français, récit premier et analepses sont également racontés à l’imparfait, les traductions allemandes mettent parfois un plus-que-parfait pour rendre le recours au passé plus clair (« veranlaßt hatte » et « geglaubt hatte » chez Rechel-Mertens/Keller et Knop, « hineinprojiziert hatte » uniquement chez Knop). On peut en conclure que l’usage des temps diffère essentiellement dans les langues française et allemande. Ainsi, le prétérit allemand est beaucoup moins approprié pour exprimer l’antériorité que l’imparfait français. Un autre problème est le manque, du côté allemand, d’un temps grammatical correspondant au passé simple. Le narrateur français dispose donc d’un moyen de mise en relief dont le narrateur allemand doit se passer – du changement entre passé simple et imparfait pour créer deux niveaux narratifs : « d’une part, les événements qui font progresser l’action, représentés par les formes au passé simple, de l’autre, à l’imparfait, le niveau des procès posés comme extérieurs à la dynamique narrative » (Maingueneau 31993, 57s.). En allemand, la mise en relief doit être compensée par d’autres moyens, par exemple des particules (cf. Zuschlag 2002, 172s.).  





















Les soirs où, assis devant la maison sous le grand marronnier, autour de la table de fer, nous entendions au bout du jardin […] le double tintement timide, ovale et doré de la clochette pour les étrangers, tout le monde aussitôt se demandait : « Une visite, qui cela peut-il être ? » mais on savait bien que cela ne pouvait être que M. Swann ; ma grand-tante parlant à haute voix, pour prêcher d’exemple, sur un ton qu’elle s’efforçait de rendre naturel, disait de ne pas chuchoter ainsi […] et on envoyait en éclaireur ma grand-mère, […] Mais une fois, mon grand-père lut dans un journal que M. Swann était un des plus fidèles habitués des déjeuners du dimanche chez le duc de X […] Nous étions tous au jardin quand retentirent les deux coups hésitants de la clochette. On savait que c’était Swann ; néanmoins tout le monde se regarda d’un air interrogateur et on envoya ma grand-mère en reconnaissance. […] « Ne commencez pas à chuchoter », dit ma grand-tante. (Proust 1987, 13s. et 20ss.)  



















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Die Abende, da wir, unter dem großen Kastanienbaum vor dem Hause, um den Eisentisch saßen und […] das zweimalige schüchterne, runde und goldene Klingeln der Glocke für die Besucher [hörten] […] meine Großtante, die, um mit gutem Beispiel voranzugehen, mit lauter Stimme sprach, wobei sie sich um einen Ton bemühte, der natürlich wirken sollte, verbot uns dann immer zu tuscheln […] meine Großmutter wurde dann als Aufklärer vorausgeschickt ; […] Eines Tages aber las mein Großvater in einer Zeitung, daß Herr Swann einer der regelmäßigen Gäste bei den Sonntagsfrühstücken des Herzogs von X sei […] Wir waren alle im Garten, als die zwei zögernden Schläge des Glöckchens ertönten. Man wußte, daß es Swann war ; trotzdem sah sich alles fragend an, und meine Großmutter wurde auf Erkundung geschickt. […] « Fangt nicht an zu tuscheln », sagte meine Großtante (Proust 1967, 23 et 32ss.).  







Tandis que le premier paragraphe à l’imparfait constitue une description des habitudes « extérieur[e] à la dynamique narrative » (Maingueneau 31993, 58), celle-ci commence par un passé simple contrastant le caractère unique de l’action au premier plan avec l’itération des événements à l’arrière-plan. Pour rendre ce changement évident, le traducteur allemand ajoute des adverbes au premier paragraphe (« dann immer », « dann ») – il semble donc qu’en allemand c’est plutôt l’emploi itératif du prétérit qui demande une explication que l’emploi duratif ou ponctuel qu’on trouve au deuxième paragraphe. En français « où l’imparfait employé seul s’interprète spontanément comme itératif » (ibid., 61), c’est exactement l’inverse. Il s’ensuit qu’un phénomène littéraire comme le pseudo-itératif chez Proust qui pousse l’itération à l’extrême même quand il s’agit de scènes racontées dans leurs moindres détails ne peut être que d’origine française. Ceci dit, les formes temporelles à elles seules sont capables de « construire un univers de sens qui a ses lois propres » (ibid., 70) – et qui ne vaut que pour sa langue d’origine.  



















4 Le répertoire culturel à la disposition du narrateur L’histoire abstraite n’a pas seulement besoin d’une mise en forme linguistique par le narrateur, il lui faut aussi un certain « contexte diégétique » (Genette 1972, 228), un univers culturel dans lequel elle peut se dérouler. Cet « univers raconté » (Bremond 11966, 66 ; cf. aussi Roux-Faucard 2008, 55) constitue l’arrière-plan de toute action sans forcément se manifester dans tous ses détails dans le texte. Il est basé sur un accord implicite entre les personnages, le narrateur et le lecteur sur certaines données du monde (même fictif). Roux-Faucard (2008, 260) parle d’un « effet-monde » qu’elle définit ainsi :  















« Constitution, par le lecteur, d’un monde référentiel dans lequel peut se dérouler l’histoire. Cette construction s’effectue sur la base des indications données par le texte. Elle s’accompagne, à des degrés variables, de l’impression de l’ ‹ existence › de ce monde. L’effet-monde peut se réaliser sous des formes diverses sur l’axe effet de proximité vs effet de distance ».  

   





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Bien que l’on puisse se demander si c’est le lecteur ou plutôt le narrateur qui construit ce monde, on ne remettra pas en question qu’un récit traduit ne se trouvera guère à la même place sur l’axe proximité-distance que le texte original. Roux-Faucard compte parmi les unités constituant le monde raconté les noms propres, les données chiffrées, les descriptions, les discours actoriels et les références culturelles. Et pour chacune de ces unités, il dépendra du traducteur si sa traduction produira un effet de proximité ou un effet de distance.17

4.1 Noms propres Confrontée au problème des noms propres, dans ce cas des noms propres fictionnels qui jouent sur leur sens littéral, la même traductrice peut parfois prendre deux décisions presque contradictoires.  

Sans blague, c’est la gérante de Pramod Melun-centre-ville et elle s’appelle Marchandize … (Gavalda 1999, 51) Ohne Witz, das ist die Filialleiterin vom Pramod im Zentrum von Melun. Und sie heißt Marchandize – […] (Gavalda 2008, 40) En plus, je [la vétérinaire] m’appelle Lejaret. Docteur Lejaret. (Gavalda 1999, 112) Dazu heiße ich Haxe. Frau Doktor Haxe. (Gavalda 2008, 86)

Il ne sera pas question ici de discuter la meilleure solution, il s’agit seulement de montrer que la première solution construit un contexte homogène (à Melun on s’appelle plutôt Mme Marchandize que Frau Ware), mais étrange au lecteur allemand (qui ne comprend pas la signification littérale du nom propre et n’y voit donc pas de comique), tandis que la deuxième solution fait exactement l’inverse : elle crée un contexte hétérogène (car l’histoire se déroule en Normandie et les autres personnages portent des noms français), mais très proche du lecteur allemand, au moins dans ce passage. Le traducteur est soumis à plus de contraintes quand il s’agit des noms propres référentiels qu’il ne peut pas modifier ou adapter à son gré. Tobias Scheffel, traducteur allemand des premiers romans de Fred Vargas, a opté pour une note du traducteur en bas de page pour faciliter la lecture en allemand.  

17 Dans ma critique du livre de Roux-Faucard, j’ai toutefois fait remarquer que ces problèmes de traduction ne se limitent pas à la traduction du récit ni même à la traduction littéraire. Ce sont plutôt les possibilités de résoudre ces problèmes qui diffèrent selon le genre du texte : alors qu’un drame peut se servir des accessoires sur scène, un texte technique peut ajouter des notes en bas de page et ainsi de suite. Cf. Zuschlag (2009).  



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*Mercantour, Gebirgsmassiv in den Seealpen an der französisch-italienischen Grenze. Auf der französischen Seite befindet sich der 685 km2 große Mercantour-Nationalpark. (Vargas 102005, 7)  

Une telle note est une méthode de traduction à double tranchant :18 d’une part, elle réduit l’effet de distance en compensant un manque de savoir du côté de la culture cible, mais d’autre part, elle renforce ce même effet de distance en sortant d’une certaine manière du récit et en regardant l’« univers raconté » d’un point de vue extérieur, voire à un méta-niveau.  





4.2 Données chiffrées Les données chiffrées, comme par exemple les dates, posent un problème de traduction quand elles éveillent des associations équivoques pour le lecteur du texte original et ne disent rien (ou peu) au lecteur de la traduction. L’alternative qui se présente au traducteur – dès lors qu’il ne veut pas accepter l’ignorance de son lecteur – consiste encore à mettre une petite note en bas de page ou à intégrer une explication des événements évoqués par cette date dans le texte narratif. Un autre domaine répandu des données chiffrées sont les indications de mesure : distance, durée, monnaie, poids. Si le but du traducteur consiste à créer un effet de proximité, il les adapte à la culture cible : « vierzehn Tage » deviennent ainsi « quinze jours » (cf. Roux-Faucard 2008, 59), « keine tausend Schritte » « huit cents mètres à peine » (ibid., 93). Mais parfois, un effet de distance se produit déjà chez le lecteur du texte original – surtout quand les indications de mesures sont démodées et non plus valables. L’expression « kaum fußhoch » dans un roman de Theodor Fontane datant de 1888 ne dit pas plus à son lecteur d’aujourd’hui que la traduction « haut d’un pied à peine » publiée presque cent ans plus tard (cf. ibid., 80).  































4.3 Les descriptions D’après Maingueneau (31993, 62), les descriptions sont des « unités textuelles d’une certaine ampleur qui suspendent un moment le déroulement du récit pour analyser un terme introduit par celui-ci : paysage, personnage, objet … ».19 Comme elles semblent être inférieures à la représentation des événements, elles sont plus sujettes  





18 Les avantages et inconvénients des notes du traducteur sont discutés par Geneviève Roux-Faucard (2008, 89–92). 19 Dans la littérature narratologique, il y a désaccord sur le fait de savoir si les descriptions font partie du récit au sens strict du terme. Mais cette question théorique reste sans conséquence pour la traduction de la description et est donc négligée dans ce contexte.  



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L’analyse structurale du récit

aux interventions des traducteurs. Les parties descriptives sont les premières à être abrégées ou supprimées (cf. Maingueneau 2000, 82, note 15). Elles sont rarement plus longues que dans le texte original. C’est surtout le cas quand il s’agit de traduire un monde lointain dont le champ lexical demande des explications. Roux-Faucard (2008, 88) lance pourtant l’avertissement d’un « effet ‹ Guide Bleu › » dont le traducteur doit se méfier pour ne pas trop « modifie[r] la relation entre le texte et son lecteur ». De plus, elle donne plusieurs exemples de traductions maladroites des parties descriptives qu’elle caractérise comme « inquiétante ou comique », voire « caricaturale » dans le cas de Theodor Fontane (cf. ibid., 84s.) ou ayant perdu « la charge émotionnelle » et engendrant une « communication […] perturbée » dans le cas de Stefan Zweig (cf. ibid., 112). L’exemple suivant fait apparaître à quel point la mauvaise traduction d’un connecteur et d’une particule joue déjà sur l’effet de la description.  







   





















Die dritte junge Dame war Hulda Niemeyer, Pastor Niemeyers einziges Kind ; sie war damenhafter als die beiden anderen, dafür aber langweilig und eingebildet, […] (Fontane 1985, 236)  

La troisième était Hulda Niemeyer, fille unique d’un pasteur ; elle faisait plus « dame » que les deux autres : en conséquence elle était ennuyeuse et fort satisfaite d’elle-même. (Theodor Fontane, Effi Briest, traduction d’André Cœuroy 1942)  







La troisième demoiselle était Hulda Niemeyer, fille unique du pasteur Niemeyer ; elle faisait bien plus dame que les autres, en revanche, elle était ennuyeuse et prétentieuse […] (Theodor Fontane, Effi Briest, traduction de Pierre Villain 1981)20  

Tandis que la locution adverbiale « en revanche » crée une image légèrement différente de celle transportée par « dafür aber », la traduction par « en conséquence » produit un véritable contre-sens. Bien que suspendant le déroulement du récit, la description ne suspend pas l’engagement du lecteur qui oriente ses attitudes et ses attentes non pas seulement à l’action, mais aussi (ou peut-être encore plus) aux descriptions. Car les actions et les dialogues dont le lecteur est obligé de tirer ses propres conclusions ne caractérisent la scène et les personnages qu’indirectement, alors que les descriptions contiennent des caractérisations qui lui sont offertes sur un plateau d’argent.  











4.4 Les discours actoriels Les discours actoriels, c’est-à-dire « [c]e que disent les personnages » (Roux-Faucard 2008, 60), sont le seul moyen de les faire se caractériser, se découvrir au sens strict du  



20 Pour les traductions françaises, cf. http://www.plathey.net/livres/germanophone/fontane.html (07.12.2013). Cf. aussi Pawlowski (2008).  

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terme, directement, sans la médiation du narrateur. Dans le monde fictif, le discours direct a vraiment lieu et un narrateur loyal prend soin de le rapporter d’une manière la plus fidèle possible – soit par une citation directe, un discours indirect ou un discours indirect libre.21 Le discours actoriel le plus pur et le plus authentique se manifeste évidemment dans le discours direct. Sa traduction est relativement facile quand il s’agit d’un discours transparent, c’est-à-dire un discours dans lequel ce qui est dit prédomine sur la manière de le dire. Mais parfois, c’est l’inverse qui est le cas : la manière couvre ou cache le contenu. Un tel discours opaque peut être un dialecte, un sociolecte, un usage fautif de la langue du récit ou une langue étrangère.22 L’exemple suivant de La consolante d’Anna Gavalda en réunit plusieurs :  



La pierre des mangeoires a été polie pour le confort des … poitrails … Poitraux ? Poitrails sounds good, sourit-il. … pour le confort des canassons donc […] (Gavalda 2008a, 387)  

[…] Der Stein der Futtertröge wurde poliert, damit die Brustpartie der Tiere geschont – geschonen ? Geschont sounds good, lächelte er. … damit die Klepper es bequem hatten […] (Gavalda 2008b, 369).  

La protagoniste, une Anglaise, ne se sent pas sûre de son français, elle hésite entre deux formes du pluriel. Dans la traduction, le pluriel est transposé dans une autre catégorie grammaticale qui pose souvent des problèmes pour les étrangers, le participe passé. L’interlocuteur, un Français, lui dit la forme correcte, mais lui parle en anglais. La traduction ne change rien à cet effet. Finalement, la protagoniste se réfugie dans un niveau de langue inférieur et remplace le mot « poitrails » par « canassons ». La version allemande, elle aussi, change de niveau de langue. Mais au lieu de substituer le verbe schonen par un synonyme plus facile, le substantif « Tiere » est remplacé par « Klepper ». Néanmoins, les trois caractéristiques du discours actoriel ont été maintenues : dans les deux textes, il y a une faute, une vulgarisation et une incise en langue étrangère. Cette dernière particularité ne se traduit pas aussi évidemment quand c’est de la langue cible qui apparaît dans l’original. Dans sa discussion de ce phénomène, Schreiber (1993b, 222) parle de « Teillösungen » [solutions partiel 























21 Je ne suis pas d’accord avec Maingueneau (31993, 96) qui se demande « si la notion de discours ‹ rapporté › est bien pertinente dans le cas d’une fiction romanesque. Au fond, il n’y a discours ‹ rapporté › dans ce cas que si l’on accepte le cadre instauré par l’illusion narrative. La narration ne rapporte pas des propos antérieurs qu’elle altérerait plus ou moins, elle les crée de toutes pièces, au même titre que ceux du discours citant ». La représentation de l’histoire par un narrateur étant un critère constitutif pour le genre du récit, « le cadre instauré par l’illusion narrative » ne peut être mis en question. C’est l’auteur qui crée le discours et c’est le narrateur qui le rapporte. 22 Pour la distinction entre discours transparent et discours opaque, cf. Albrecht (2005, 234).  



















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les] qui s’offrent, dont – encore une fois – la note en bas de page. Voici une scène qui se trouve dans un roman allemand, Homo Faber de Max Frisch, mais qui se déroule en France. Il s’agit d’un dialogue entre le protagoniste suisse allemand et un serveur parisien :  

Beaune, Monsieur, c’est un vin rouge. It’s okay, sagte ich. Du vin rouge, sagte er, du vin rouge – avec des poissons ? (Frisch 281988, 97).  

Le beaune, Monsieur, c’est un vin rouge.1 It’s okay, dis-je. Du vin rouge, dit-il, du vin rouge – avec du poisson ? 1 En français dans le texte (Frisch 1998, 121).  

À part la note du traducteur – non seulement solution partielle, mais aussi solution de fortune – on constate deux petites corrections qui rendent le discours plus idiomatique : « Le beaune » à la place de « Beaune » et « du poisson » au lieu de « des poissons ». On peut supposer qu’ici, la petite faiblesse linguistique devrait retomber sur l’auteur Frisch et non pas sur le personnage du serveur. Le « rapatriement » (Roux-Faucard 2008, 120) est mené à bien.  





















4.5 Les références culturelles Tout comme les discours actoriels, les références culturelles sont réparties entre références transparentes et non-transparentes. De plus, elles peuvent être extradiégétiques (ayant recours à la culture source en général) ou intradiégétiques (ayant recours à l’univers raconté) (cf. Roux-Faucard 2008, 61). Les références extradiégétiques font partie du domaine de l’intertextualité qui pose parfois des problèmes de réception pour le lecteur du texte original. Celui-ci est confronté à deux obstacles : il doit non seulement reconnaître l’intertextualité, mais il doit également l’identifier. Pour le lecteur du récit traduit, il est presque impossible de disposer d’une telle « compétence intertextuelle […] incluant une composante encyclopédique […] et une composante rhétorico-pragmatique » (ibid., 241) dans une culture étrangère. C’est pourquoi l’intertextualité est souvent abandonnée dans la traduction. Roux-Faucard (ibid., 244s.) étudie, entre autres, l’exemple du titre Ein weites Feld d’un roman de Günter Grass citant la dernière phrase d’Effi Briest de Theodor Fontane. Les références intradiégétiques, par contre, ont leurs points de repère dans le monde de l’histoire même et de ce fait, elles sont plus aptes à être traduites. Mais tandis que Marcel Proust évoque tout un univers de souvenirs d’enfance par une infusion au tilleul, les mêmes tilleuls situés par Pierre Loti en Angleterre « suscitent le désarroi du lecteur » (ibid., 70). La transparence de la référence proustienne crée un effet de proximité qui vaut également pour la traduction allemande, tout comme l’opacité de  











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la référence incohérente chez Loti.23 En fin de compte, les références culturelles semblent jouer un rôle plus important pour la réception (première) du récit que pour sa traduction.

5 Conclusion Seuls quelques problèmes de l’analyse structurale du récit traduit ont pu être abordés dans cet article. Il a toutefois été mis en évidence que la microstructure, et parfois aussi la macrostructure, sont susceptibles d’être sensiblement modifiées par la traduction. Ces modifications sont dues soit à l’incommensurabilité des systèmes linguistiques ou culturels soit à des décisions prises consciemment ou inconsciemment par les traducteurs. La question qui se pose donc avant tout est la suivante : « [Peut-on] analyser les voix narratives sur la base d’une traduction ? » (Roux-Faucard 2008, 49). Geneviève Roux-Faucard donne une réponse différenciée et plutôt sceptique :  









« Le lecteur qui tente une analyse sur la base d’un texte traduit doit donc être particulièrement vigilant et suffisamment averti des mécanismes de la traduction pour ne pas se risquer à des micro-analyses sans prudence » (ibid., 52).  



Plusieurs traductions d’études narratologiques lui donnent raison. Andreas Knop, traducteur allemand du Discours du récit et du Nouveau discours du récit de Gérard Genette, s’est vu obligé de modifier les traductions existantes de la Recherche du temps perdu pour les adapter aux considérations théoriques de Genette. Il explique et justifie sa démarche dans plusieurs notes du traducteur (cf. par ex. Genette 21998, 11, note 2 ou 56, note 117). Plus complexes encore sont les interventions entreprises par Jörn Albrecht, traducteur et « adapteur » des Éléments de linguistique pour le texte littéraire de Dominique Maingueneau. Dans sa préface, Albrecht explique qu’une pure traduction sans ajouts et modifications serait peu utile (cf. Maingueneau 2000, 9). Sylvie Patron, finalement, n’hésite pas à publier une traduction française d’un article écrit en anglais par le linguiste japonais S.-Y. Kuroda : « Étude du ‹ marqueur de topique › wa dans des passages de roman de Tolstoї, Lawrence et Faulkner (en traduction japonaise, évidemment) », donc la version française d’un texte anglais portant sur un phénomène de la langue japonaise surgissant dans des traductions japonaises d’œuvres russes et anglaises ! Cette traduction de 22 pages contient 39 notes de la traductrice (ce qui est peu vu la complexité du sujet) mettant en évidence  





















23 Au moins, si on présume une traduction littérale. En effet, les traducteurs de Proust (Schottlaender, Rechel-Mertens et Kleeberg) traduisent tous par « Lindenblütentee », la traductrice de Loti par « Linden ».  









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que toute traduction ne demande pas seulement une interprétation mais aussi une analyse narratologique. Voici l’une de ces notes :  



« Kuroda écrit when he entered the ballroom and proceeded to the drawing room (‹ quand il entra ›, etc.) et, de manière générale, rapporte le contenu du récit au passé. Je traduis au présent en m’autorisant de Hamburger, 1968 [1957], p. 107 : ‹ Inconsciemment, mais soumis à une nécessité logique, nous utilisons le présent dans la fiction épique lorsqu’il s’agit pour nous de rapporter le contenu d’un récit ou d’un drame : ce présent peut être appelé présent de reproduction. Le sens logico-linguistique de ce présent n’apparaît clairement que lorsque, à sa place, nous utilisons un imparfait […]› » (Kuroda 2012, 179, note 1).  

















Sylvie Patron base sa méthode de traduction sur une approche narratologique allemande, elle-même traduite, et ne se rend évidemment pas compte qu’elle explique sa traduction d’un passé simple par un présent en se référant au rapport entre le présent et l’imparfait – une démarche d’autant plus redoutable que les thèses de Hamburger sont très controversées (cf. Genette 1983, 52ss. ; Zuschlag 2002, 90ss.). Käte Hamburger elle-même avait basé son essai Noch einmal : Vom Erzählen sur une traduction allemande d’Eugénie Grandet de Balzac, puisqu’à son avis ce ne sont pas des apparitions linguistiques spécifiques qui importent mais des phénomènes narratifs généraux (Hamburger 21968, 65).24 Mais comment raconter sans se servir d’une langue individuelle, sans puiser dans un répertoire linguistique et culturel spécifique et donc limité ? Comment exprimer un phénomène narratif général ? Le récit peut être universel, un récit ne peut être qu’individuel.  











6 Références bibliographiques 6.1 Littérature primaire Butor, Michel (1957), La modification, Paris, Les Éditions de Minuit. Butor, Michel (1958), Paris-Rom oder Die Modifikation. Aus dem Französischen übertragen von Helmut Scheffel, München, Biederstein. Camus, Albert (1131984, 11947), La peste, Paris, Gallimard. Camus, Albert (1986, 11948), Die Pest. Einzig berechtigte, vom Verfasser autorisierte Übertragung ins Deutsche von Guido G. Meister, Hamburg, Rowohlt. Fontane, Theodor (1985, 11895), Effi Briest, in : Theodor Fontane, Romane. Irrungen, Wirrungen. Stine. Effi Briest. Der Stechlin, Berlin, Neues Leben, 233–490. Frisch, Max (281988, 11957), Homo Faber. Ein Bericht, Frankfurt am Main, Suhrkamp. Frisch, Max (1998, 11961), Homo faber. Un rapport. Traduit de l’allemand par Philippe Pilliod, Paris, Gallimard. Gavalda, Anna (1999), Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part, Paris, Le Dilettante.  



24 En allemand : « weil es nicht auf spezielle sprachliche, sondern allgemein erzählerische Erscheinungen ankommt ».  







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Gavalda, Anna (2002), Je l’aimais, Paris, Le Dilettante. Gavalda, Anna (2008, 12002), Ich wünsche mir, daß irgendwo jemand auf mich wartet. Erzählungen. Aus dem Französischen von Ina Kronenberger, Frankfurt am Main, Fischer. Gavalda, Anna (92007, 12003), Ich habe sie geliebt. Aus dem Französischen von Ina Kronenberger, Frankfurt am Main, Fischer. Gavalda, Anna (2008a), La consolante, Paris, Le Dilettante. Gavalda, Anna (2008b), Alles Glück kommt nie. Aus dem Französischen von Ina Kronenberger, München, Hanser. Loti, Pierre (1983), Aziyadeh. Auszüge aus den Notizen und Briefe eines Leutnants der englischen Marine, der am 10. Mai 1876 in türkische Dienste trat und in der Schlacht bei Kars am 27. Oktober 1877 fiel. Aus dem Französischen von Asma El Moutei Semler, Frankfurt am Main, Suhrkamp. Mann, Thomas (1981, 11903), Tristan, in : Peter de Mendelssohn (ed.), Thomas Mann. Gesammelte Werke in Einzelbänden. Frankfurter Ausgabe, vol. 2: Frühe Erzählungen, Frankfurt am Main, Fischer, 217–264. Mann, Thomas (1975, 11947), La mort à Venise suivi de Tristan. Introduction de Geneviève Bianquis. Traduit de l’allemand par Félix Bertaux et Charles Sigwalt, Paris, Fayard. Proust, Marcel (1987, 11913ss.), À la recherche du temps perdu I. Édition publiée sous la direction de Jean-Yves Tadié, Paris, Gallimard. Proust, Marcel (1926), Auf den Spuren der verlorenen Zeit. Der Weg zu Swann. Erster Band. Übertragen von Rudolf Schottlaender, Berlin, Die Schmiede. Proust, Marcel (1967, 11953), Auf der Suche nach der verlorenen Zeit 1. Deutsch von Eva RechelMertens, Frankfurt am Main, Suhrkamp. Proust, Marcel (2004, 12002), Combray. Auf der Suche nach der verlorenen Zeit. In Swanns Welt. Erster Teil. Aus dem Französischen neu übersetzt von Michael Kleeberg, München/Zürich, Piper. Sagan, Françoise (1975), Des yeux de soie. Nouvelles, Paris, Flammarion. Sagan, Françoise (31978, 11977), Augen wie Seide. Erzählungen. Aus dem Französischen von Margaret Carroux, Frankfurt am Main/Wien, Ullstein. Vargas, Fred (102005, 12000), Bei Einbruch der Nacht. Kriminalroman. Aus dem Französischen von Tobias Scheffel, Berlin, Aufbau.  







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Katrin Zuschlag

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Anke Grutschus

28 La variation linguistique comme problème de traduction Abstract : La présente contribution a pour objet la traduction de la variation linguistique, dont on dégagera d’abord les dimensions principales : variations diatopique, diastratique et diasituationnelle. On étudiera ensuite brièvement la représentation de la variation dans les textes littéraires en général, afin de mieux cerner les caractéristiques des textes sources. Dans la partie centrale, on abordera les différentes possibilités de traduction et les difficultés afférentes, pour déboucher sur des illustrations de traduction de différents types de variétés dans des textes littéraires.    



Keywords : variation, variété, traduction, dialecte, sociolecte    

1 Introduction L’objet de la présente contribution est la traduction de la variation linguistique dans les textes littéraires. Longtemps jugée « intraduisible »,1 la variation représente en effet un défi auquel le traducteur peut faire face grâce à un certain nombre de stratégies que nous présenterons par la suite (cf. infra, 4). L’intérêt des traductologues pour la variation est né assez tardivement,2 mais il a sensiblement augmenté depuis les années 1990 (cf. Brembs 2004, 19). On observe néanmoins des différences selon les pays : si, en Allemagne aussi bien qu’en Espagne, un nombre considérable de travaux ont été publiés,3 le sujet de la variation semble avoir moins retenu l’attention des traductologues italiens (cf. pourtant Armstrong/ Federici 2006) ou français (cf. Ballard 2001 ou Palimpsestes 10). Parmi les différents types de variation étudiés, ce sont les niveaux diatopique et diastratique qui se taillent la part du lion. En Espagne, on observe, depuis quelques années, un intérêt particulier pour la traduction de l’oralité (cf. entre autres Brumme/Espunya 2012).  





1 Cf. Buckley (2001, 273s.), qui constate que « les dialectes, l’argot et les jurons restent à peu près intraduisibles, tandis que les beaux discours sont toujours traduisibles ». 2 Greiner (2004, 902) souligne l’absence d’études systématiques du phénomène datant d’avant les années 1980. 3 Outre les chapitres relatifs à la variation dans l’ouvrage de référence de Kittel/Ungeheuer/Burkhardt (2004), il convient de signaler les monographies de Czennia (1992) et de Brembs (2004) ainsi que les travaux actuels recueillis dans Brumme/Espunya (2012), Fischer (2012), Brumme/Resinger (2008) et Brumme (2008).  











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Avant d’analyser de plus près les stratégies s’offrant au traducteur confronté à une variété, un certain nombre de précisions d’ordre méthodologique s’imposent. Elles feront apparaître une perspective variationnelle plutôt qu’une perspective traductologique, étant donné que la terminologie ainsi que les fondements théoriques élaborés par la linguistique variationnelle constituent des outils d’analyse particulièrement précieux. Tout d’abord, il s’agira de circonscrire la notion de « variation » (cf. infra, 2), dont nous dégagerons les dimensions principales. Ensuite, nous nous intéresserons à la représentation de la variation dans les textes sources (cf. infra, 3), laquelle se distingue par son caractère stylisé et ne doit donc pas être interprétée comme une transcription fidèle de la réalité langagière. La présentation des différentes stratégies de traduction s’appuiera sur une typologie (cf. infra, 4.1) réunissant toutes les possibilités de traduction et débouchera sur des exemples de traduction de variétés diatopiques (cf. infra, 4.2), diastratiques (cf. infra, 4.3) et diasituationnelles (cf. infra, 4.4). Notre présentation sera centrée sur la traduction de textes littéraires dont soit la langue source, soit la langue cible est une langue romane. La contribution se terminera par une discussion des difficultés (cf. infra, 5) susceptibles d’entraver la traduction de certaines variétés d’une langue source dans une langue cible en particulier.  



2 Les dimensions de la variation Le terme de « variation » décrit, à un niveau très général, d’abord des situations où les locuteurs ont la possibilité de choisir entre plusieurs variantes, que ce soient plusieurs formes avec une signification identique ou différentes réalisations d’une même unité linguistique (cf. Dufter/Stark 2002, 81). Ce point de départ somme toute banal devient problématique dès lors que l’on essaye de regrouper des traits variables d’une langue en « variétés » (cf. Gadet 1996, 17) : se pose alors la question de savoir combien de dimensions un possible « espace variationnel » devrait comporter.4 Dans ce qui suit, nous allons brièvement proposer deux solutions à cette question. Elles sont toutes deux fondées sur des critères extralinguistiques et correspondent à deux modèles de la variation particulièrement répandus dans la linguistique variationnelle actuelle. Le premier modèle, bien implanté notamment dans la romanistique allemande et dans les travaux sociolinguistiques d’expression allemande, italienne et espagnole, a été élaboré à la fin des années 1960 par Coseriu, lequel s’est appuyé, de son côté, sur  













4 Le nombre de dimensions et avec lui la granularité de l’analyse varient en fonction de l’objectif visé : alors qu’une granularité très fine peut notamment être de mise en lexicographie (cf. Hausmann 1989), la linguistique variationnelle procède à certaines abstractions ayant pour résultat un nombre réduit de dimensions (cf. cependant le modèle hexadimensionnel proposé par Krefeld 2010). Selon le rôle joué par la variation dans le texte source (cf. infra, 3.2), le nombre de dimensions peut se réduire encore davantage lors d’une traduction.  



La variation linguistique comme problème de traduction

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les travaux de Flydal (1952). Pour Coseriu (1969), la variation interne à une langue historique se décline sur trois axes ; il distingue ainsi : la variation dans l’espace, ou variation diatopique, qui est à l’origine des dialectes ; la variation dans la société, ou variation diastratique, qui produit des sociolectes ; et la variation selon la situation de communication, ou variation diaphasique, qui est source de différents registres ou styles. Grâce aux travaux de Koch/Oesterreicher (1985 ; 2001 ; 22011), une quatrième dimension vient compléter le diasystème ; elle s’étend sur un continuum entre les pôles de « l’immédiat communicatif » et la « distance communicative ». Ce continuum « permet de décrire la différente conception d’un message linguistique selon différentes ‹ stratégies communicatives › en corrélation avec divers paramètres communicatifs et contextuels d’une situation communicative respective (par ex. communication privée ou publique, code phonique ou graphique etc.) » (Dufter/Stark 2002, 84).5 L’autre modèle, élaboré par le sociolinguiste britannique Halliday (1978), prévoit un espace variationnel à deux dimensions comportant chacune plusieurs sous-dimensions : il distingue d’un côté entre les varieties according to users, englobant les variations en fonction de l’origine géographique et sociale du locuteur, regroupées sous le terme de dialect, et de l’autre les varieties according to use, que Halliday appelle register. Cette dernière dimension varie en fonction de la situation de communication, d’où le terme de « variation diasituationnelle » (cf. Dufter/Stark 2002, 89). Elle est déterminée par trois paramètres (cf. Halliday 1978, 110) : le field, entendu comme l’activité (entre autres langagière) en cours (y compris le sujet et le type d’interaction communicative), le tenor, qui décrit les rôles (au sens large) adoptés par les participants (notamment le degré de formalité de l’interaction), ainsi que le mode, désignant les options rhétoriques retenues dans la conception du message (comprenant par ex. le canal communicatif choisi).6 Nous ferons un usage éclectique de ces deux modèles et adopterons la terminologie suivante : le terme de « variation linguistique » comprendra pour nous la totalité de la variation interne au sein d’une langue historique, c’est-à-dire aussi bien la variation en fonction de l’usager que la variation en fonction de l’usage. Afin d’éviter des chevauchements trop importants avec d’autres contributions au présent ouvrage, nous ne prendrons cependant pas en compte la traduction de la variation linguistique en fonction de la profession du locuteur. Nous partirons des trois dimensions de variation suivantes : (i) la variation diatopique, (ii) la variation diastratique, comprenant notamment la variation en fonction de la position du locuteur dans l’espace social et en fonction de son âge, et enfin (iii) la variation diasituationnelle, déterminée notamment par la relation entre les locuteurs et le degré de formalité en résultant ainsi que par le canal de communication (phonique ou graphique).  

















































5 La place manque ici pour rendre compte des nombreuses critiques suscitées par ce modèle, pour lesquelles nous renvoyons à Gadet (1998) ainsi qu’à Dufter/Stark (2002). 6 Cf. Gadet (1998) pour différentes critiques du modèle.  



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3 La représentation de la variation dans le roman Dans ce qui suit, nous étudierons d’abord les caractéristiques sémantico-pragmatiques de la variation en contexte narratif (cf. infra 3.1), pour présenter ensuite différentes fonctions généralement attribuées à la variation dans le roman (cf. infra 3.2). Mais avant cela, il convient de brièvement passer en revue ce qui caractérise l’expression de la variation – prioritairement réalisée dans la communication orale – dans le domaine de l’écrit.7 Les travaux qui étudient le phénomène de « l’oral dans l’écrit » parlent souvent de « re-création », de « mimétisme », de « création stylisée » (cf. López Serena 2007, 192 et passim) ou de « transposition » (Barberie 2009, 101 et passim) de l’oralité lorsque cette dernière apparaît dans le roman. On utilise donc de préférence des termes mettant en avant le caractère artificiel et stylisé de cette oralité mise à l’écrit, allant ainsi à l’encontre de l’idée d’une « transcription » plus ou moins fidèle des traits oraux. En effet, « l’oral dans l’écrit » et par conséquent la représentation de la variation dans le roman est le résultat d’une sélection de traits perçus comme caractéristiques d’une certaine variété ou d’un certain registre. C’est grâce à cette sélection de caractéristiques plus ou moins saillantes, stéréotypées et surtout reconnaissables comme telles, que le romancier parvient à imiter et à évoquer la variété qu’il souhaite mettre dans la bouche de ses personnages. Les traits sélectionnés peuvent se situer à différents niveaux linguistiques, à commencer par le niveau phonétique (une prononciation divergente pouvant être rendue par des moyens graphiques), en passant par la morphologie, la syntaxe et le lexique pour finalement atteindre le niveau discursif.  



























3.1 Aspects sémantico-pragmatiques Lorsqu’il s’agit de traduire des passages caractérisés par une variété spécifique, il faut prendre en compte, dans la recherche d’un équivalent approprié, aussi bien des aspects sémantiques que des aspects pragmatiques. Dans ce contexte, il est particulièrement important de déterminer l’effet stylistique de la variation (cf. Czennia 2004, 506) : la variation rend-elle le passage en question plus « vivant », plus « authentique » ? A-t-elle pour but de faire rire le lecteur ? La fréquence d’une variante en particulier est également significative : s’agit-il d’une forme souvent employée et donc potentiellement plus familière pour le lecteur ou non ? Enfin, il convient d’étudier le degré d’expressivité de la forme en question. Les réponses à ces questions contribueront à trouver un équivalent approprié.  

















7 Par manque de place, nous ne distinguerons pas ici entre le niveau extradiégétique et le niveau intradiégétique, la variation étant évidemment bien plus fréquemment utilisée à ce dernier niveau.  

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La variation linguistique comme problème de traduction

Les aspects pragmatiques caractérisant un « texte à variation » dépendent notamment de la situation de communication et du type de discours dans lequel apparaît la variation. En font partie (cf. Czennia 2004, 507s.) le prestige d’une variété au sein de l’architecture8 de l’espace variationnel de la langue source et la valeur accordée aux variantes dia- et sociolectales dans un type de texte spécifique. L’emploi de variétés dans un texte narratif est donc étroitement lié à la tradition littéraire dans laquelle le texte s’inscrit.  





3.2 Fonctions des variétés dans la littérature La variation dans le roman est utilisée à des fins diverses et variées. Nous mettrons d’abord en évidence un certain nombre de fonctions placées au service de la narration en elle-même. La fonction paraissant prioritaire dans ce contexte est celle qui vise à caractériser les personnages, c’est-à-dire à les situer aussi bien géographiquement que socialement. La variété fait donc bien plus qu’ajouter un peu de « couleur locale », elle contribue surtout à placer le roman dans un contexte précis. En outre, une variété spécifique, voire un idiolecte peuvent aider à identifier et à mieux reconnaître un personnage donné.9 L’emploi d’une ou de plusieurs variétés au sein d’un roman peut bien évidemment souligner le caractère réaliste de ce dernier, en augmenter la vraisemblance et assurer ainsi un « effet de réel ». Finalement, la grande force expressive, la puissance évocatrice et la richesse en images caractérisant les variétés par opposition à la langue standard (cf. Collombat 2012, 26), peuvent contribuer à rendre la narration plus « vive », plus immédiate et plus dramatique. Outre ces fonctions relatives à la narration en elle-même, la variation peut également avoir différents effets sur le lecteur. L’effet le plus souvent cité est de nature humoristique ; habituellement, il résulte de l’exagération de certains traits d’une variété. Le deuxième effet est de nature tout à fait opposée : l’emploi d’une variété peut avoir pour résultat une certaine aliénation et créer une distance entre le lecteur et les personnages. En règle générale, le lecteur se sentira plus proche des personnages s’exprimant en langue standard, tandis que les personnages se servant d’une variété seront accueillis avec une certaine réserve (cf. Määttä 2004, 320). Enfin, l’utilisation d’une variété peut également être motivée par des raisons métalinguistiques, le caractère « déviant » de la langue non-standard devenant ainsi l’objet de la narration en elle-même.10  



















8 Cf. Oesterreicher (1995) pour une illustration du terme « architecture » en linguistique variationnelle. 9 Czennia (2004, 509) parle de la valeur « structurante » d’une variété lorsqu’elle est utilisée en tant que leitmotiv. 10 Cf. Albrecht (1981, 324), qui se réfère notamment à l’œuvre de Raymond Queneau.  













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4 Stratégies de traduction : typologie et études de cas  

Il va sans dire que la traduction de la variation requiert de solides connaissances de la langue source aux plans linguistique et culturel, permettant au traducteur tout d’abord de reconnaître la variation. Une fois la variation repérée et identifiée, le traducteur dispose d’un certain nombre de stratégies de traduction (cf. infra, 4.1). Mais avant d’opérer son choix, il doit d’abord dégager la fonction de la variété au sein du texte source, ce qui facilitera la recherche d’un équivalent approprié. Il doit également décider de l’importance des éléments variationnels et peut, lorsqu’il arrive à la conclusion que la variation ne joue qu’un rôle secondaire, choisir de ne pas la maintenir dans sa traduction. Dans sa recherche d’un équivalent approprié, le traducteur se trouvera confronté à deux types de difficultés (cf. Henjum 2004, 516). D’abord, il peut être plus difficile de faire coïncider équivalence référentielle et équivalence connotative dans le cas de la variété que pour une forme ou une construction relevant de la langue standard. Ensuite, il faut prendre soin de respecter les normes liées aux genres textuels ou aux traditions discursives : alors que le lecteur de la langue source peut être parfaitement habitué à ce qu’un roman contienne des passages en registre familier, cela ne correspond pas forcément aux normes du genre « roman » dans la langue cible. Pour le dire avec Määttä (2004, 321) : « language communities have different levels of tolerance towards written dialect ».  













4.1 Généralités et typologie Les options qui se présentent au traducteur lorsqu’il s’agit de traduire la variation sont nombreuses. Afin d’en présenter toute l’étendue, nous nous appuierons sur la typologie élaborée par Ramos Pinto (2009a). Notre présentation, telle qu’elle apparaît en figure (1), est axée sur les stratégies de traduction qui tentent de maintenir la variation. Bien évidemment, le traducteur peut également choisir de ne pas maintenir les marqueurs variationnels, même si une « neutralisation » complète, sans plus aucune trace d’une variation quelconque, semble rare dans la traduction de textes narratifs (cf. Ramos Pinto 2009a, 293). Si le traducteur choisit de rendre la variation du texte source, il peut recourir à un certain nombre de stratégies en principe cumulables. Les trois premières stratégies présupposent cependant que la variation présente dans le texte source ait été majoritairement neutralisée. Le traducteur peut :  







(a) choisir d’ajouter, dans le cotexte immédiat des passages de discours direct, des indications métalinguistiques signalant qu’un personnage s’exprime dans une variété non-standard, par exemple sous forme d’ajout accompagnant les verba dicendi (cf. ci-dessous ex. 4b) ;  

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La variation linguistique comme problème de traduction

(b) employer des termes d’adresse caractéristiques de la variation du texte source (on peut notamment penser à des calques d’hypocoristiques dialectaux) ; (c) « rétablir » une différence de registre entre les discours extradiégétique (rédigé en langue standard dans le texte source) et intradiégétique (rédigé dans une variété non-standard dans le texte source) en « rehaussant » le degré de formalité du discours extradiégétique ; (d) rendre une variété diatopique ou diastratique par une variété diasituationnelle en employant des marqueurs appartenant à la langue parlée ; (e) utiliser des marqueurs de diverse nature, lexicale, morphosyntaxique, graphique ou phonétique, provenant de différentes variétés de la langue cible, non pas dans le but d’évoquer une variété concrète de cette dernière, mais plutôt dans celui de rendre le contraste entre le « parler standard » (d’un personnage ou du narrateur) et le « parler non-standard » (d’un autre personnage) (cf. Ramos Pinto 2009a, 295) ; (f) et enfin, bien sûr, rendre la variété du texte source par une variété spécifique de la langue cible.  























Lors de la traduction de phénomènes non-standard, le traducteur peut également choisir de les rendre par des marqueurs inconnus du futur lecteur, par exemple pour conserver un effet d’ « exotisme » déjà présent dans le texte source. Cet effet se produit lors de l’emploi d’éléments lexicaux empruntés directement à la variété source, qui ne sont pas familiers pour le lecteur du texte cible. Le degré de familiarité de ces éléments peut être rehaussé grâce à une adaptation à l’inventaire graphique de la langue cible. Enfin, le traducteur peut créer une variété artificielle, ce qui augmentera l’effet d’« étrangeté ». La typologie des stratégies présentées ci-dessous illustre qu’en théorie, les traducteurs disposent d’un large éventail de possibilités pour maintenir la variation du texte source. Dans les chapitres suivants, nous montrerons à l’aide d’exemples comment différents types de variété ont été traduits. Nous nous servirons d’exemples issus de traductions de romans avec une langue romane pour lange source et/ou pour langue cible.  









4.2 La traduction de la variation diatopique Bon nombre de traductologues s’accordent à dire que la traduction de variétés diatopiques pose bien plus de problèmes que celle d’autres variétés (cf. par ex. Albrecht 2005, 234). Certains parlent même d’intraduisibilité dans ce contexte : « [Dialects] are both ‹ culture or geography specific › and ‹ language specific › – and hence a classical case of untranslatability » (Englund Dimitrova 2004, 121). Malgré cela, les textes comprenant des variétés diatopiques continuent à être traduits, même si, au cours du temps, les stratégies adoptées par les traducteurs ont sensiblement évolué (cf. Kolb 1998, 278 ; Czennia 1992) : alors que dans les traductions du XIXe siècle, un dialecte de la langue source était quasi systématiquement traduit par un dialecte de la langue cible, il est aujourd’hui communément admis que cette stratégie est potentiellement source d’incohérences, le contexte socioculturel  

















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Fig. 1 : Typologie des stratégies de traduction de la variation (adapté de Ramos Pinto 2009a, 295)

décrit dans le texte étant alors en contradiction avec l’affiliation linguistique des protagonistes. Aujourd’hui, ce type de traduction n’est guère utilisé que pour des œuvres dramatiques, correspondant alors à une adaptation. Si le traducteur décide de maintenir la variation, la solution la plus fréquemment adoptée consiste à rendre le dialecte par un sociolecte présentant des connotations comparables. Notre premier exemple présente un cas « classique » dont les traductions ont fait l’objet d’un grand nombre d’études :11 il s’agit des traductions de Pygmalion de Bernard Shaw, pièce dans laquelle le dialecte cockney de la protagoniste Eliza Doolittle joue un rôle central, la caractérisant comme une jeune fleuriste inculte, issue de la working class londonienne. En outre, le cockney en tant que variété illustre parfaitement les imbrications parfois complexes entre variétés diatopiques et diastratiques, surtout en anglais britannique : désignant à l’origine le parler d’un certain quartier de Londres, il a ensuite également été interprété comme variété diastratique des classes populaires.  







11 Cf. Azevedo (1998) et Sánchez (1999) pour l’espagnol et le catalan, Ramos Pinto (2009a ; 2009b) pour le portugais et Saunier (2009) pour le français.  



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L’auteur de l’une des traductions espagnoles a choisi de rendre le cockney par l’andalou sur la base de connotations similaires. Comme le montre l’exemple 1b, le parler d’Eliza Doolittle contient alors des marqueurs tels que l’aspiration du [s] final ou l’aphérèse de différents préfixes. Le traducteur français, en revanche, a opté pour une variété sociolectale avec un fort ancrage régional, à savoir le parigot (cf. l’exemple 1c), caractérisé, entre autre, par de nombreuses élisions et dislocations :  

(1a) THE FLOWER GIRL : Ow, eez ye-ooa san, is e ? Wal, fewd dan y’ de-ooty bawmz a mather should, eed now bettern to spawl a pore gel’s flahrzn than ran awy atbaht pyin. Will ye-oo py me f’them ? (Pygmalion, Acte I). (1b) LIZA : ¡ Ah, eh su hijo !, ¿ eh ? Bueno, pueh si usté’ hubiese cumplido con su deber de madre, él no le habería ‘ruinado la’ floresuna pobre chica para despuéh ‘caparse sin pagar. ¿ Me lah pagará usté’ ? (Bernard Shaw (1966) : Pigmalión. Traduit par Floreal Mazía, in : Bernard Shaw : Teatro Completo, t. II. Buenos Aires : Editorial Sudamericana, 1019, cité d’après Sánchez 1999, 308). (1c) LA VENDEUSE DE FLEURS : Non ! c’est-y pas vrai ? C’est vot’ gars ? Eh ben ; si qu’vous faisiez votdevoir, qu’eune mère ell’ devrait, i s’rait-i assez bêta pour m’fiche en l’air les fleurs d’eune pov’fille et filer au lieu de les cracher. Vous allez t’y les payer, vous, hein, oui ou non ? (Bernard Shaw (2002 [1983]) : Pygmalion. Trad. Michel Habart. Paris : L’arche, 8–9, cité d’après Saunier 2009, 25).  











































Ayant considéré que le portugais ne disposait pas d’une variété dialectale comparable au Cockney English, l’un des traducteurs portugais de la pièce a opté pour la création d’une « pseudo-variété »,12 résultat d’un mélange de marqueurs provenant de différentes variétés (aussi bien diatopiques que diastratiques) généralement perçues comme « populaires », « incultes » ou « fautives » tels que atão (à la place de então ‘alors’) ou la forme syncopée pra (au lieu de para) en 2b :  

















(2a) LIZA : […] You’re a great bully, you are. I won’t stay here if I don’t like. I won’t let nobody wallop me. I never asked to go to Bucknam Palace, I didn’t. I was never in trouble with the police, not me. I’m a good girl… (Pygmalion, Acte II). (2b) LIZA : […] Vossemecê é um brutalhão, é o que é. Se num m’agradar num fico cá, pois atão. E num consinto que ninguém me bata. Eu num pedi pra ir ao palácio, nem nunca tive sarilhos com a Polícia, isso é que não. Sou uma rapariga séria… (Bernard Shaw (1972) : Pigmalião. Traduit par F. Mello Moser. Lisbonne : Portugália, 55, cité d’après Ramos Pinto 2009b, 237).  









Dans notre deuxième exemple, l’espagnol cubain tel qu’il est mis dans la bouche de la protagoniste d’origine africaine de la nouvelle Tres tristes tigres (1967) de Guillermo Cabrera Infante, est rendu par, d’un côté, une variété diasituationnelle dans la traduction allemande (cf. exemple 3b), montrant des marqueurs du registre familier tels que la contraction de mots, l’élision de syllabes et l’omission de la déclinaison de l’article

12 Cf. Moser (1984, 223) pour une analyse par le traducteur lui-même.  

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et de l’autre, par un sociolecte, le African American Vernacular English, dans la traduction anglaise (cf. exemple 3c) :  

(3a) La dejé hablal así na ma que pa dale coldel y cuando se cansó de metel su descalga yo le dije no que va vieja, tu etás muy equivocada de la vida (así mimo), pero muy equivocada […] (Guillermo Cabrera Infante (1970) : Tres Tristes Tigres. Barcelona : Seix Barral, 34, cité d’après Cadera 2012, 293). (3b) Ich habse einfach drauflosredn lassn, bisse ersmal außer Puste war, un wiese dann ihr Pulver verschossen gehabt hat, habich zu ihr gesagt, ach was, Alte, du hasdoch kein blassn Schimmer vom Le’m (genauso habichs gesagt), aber auch nichn geringsten […] (Cabrera Infante, Guillermo (1987) : Drei traurige Tiger. Übersetzt von Wilfried Böhringer. Frankfurt a. M. : Suhrkamp, 33, cité d’après Cadera 2012, 293). (3c) I let her go on and on and on and go on just so she could get to an end and when she got tired of shootin off her big mouth and kinda breathless I told her but dahling you got it all wrong (those very words, yeah) youre an ole bag, I said, you know about life O.K., but you dont know nothin about living, but nothin dear […] (Guillermo Cabrera Infante (1971) : Three Trapped Tigers. Translated from the Cuban by Donald Gardener and Suzanne Jill Levine in collaboration with the author. New York et al. : Harper & Row, 24, cité d’après Cadera 2012, 293).  













Pour finir, nous voudrions présenter, avec la traduction espagnole de Lady Chatterley’s Lover, un dernier exemple, dans lequel le dialecte du Derbyshire, caractérisant l’origine modeste du héros, n’est pas maintenu, mais où une note métalinguistique explique que ce dernier s’exprime dans une variété (« su lengua ») différente :  





(4a) She was silent for a few moments in anger. « So if yer want t’key, yer’d better ta’e it. » (D. H. Lawrence (1994), Lady Chatterley’s Lover, Hardmonsworth, Penguin Books, 365 ss., cité d’après Sánchez 1999, 309). (4b) Irritada, Connie guardó silencio unos instantes. El guardabosque añadió en su lengua : – Si quiere la llave, más valdrá que se la quede (D. H. Lawrence (1993), El amante de lady Chatterley, Traduit par A. Bosch, Barcelona, Editorial Planeta, 307 ss., cité d’après Sánchez 1999, 309).  

















La traduction italienne de ce même roman privilégie également la langue standard, mais le traducteur indique dans une note de bas de page que le héros s’exprime « effettivamente » en dialecte :  



(5)



Le battute effettivamente in dialetto, sono state tradotte in italiano. Non si poteva altrimenti, salvo ricorrere a uno dei nostri dialetti. Ma ne sarebbe nato alcunché di risibile (D. H. Lawrence (1960), L’Amante di Lady Chatterley, Traduit par G. Monteleone, Milano, Mondadori, 211, cité d’après Varney 2009, 182).  





4.3 La traduction de la variation diastratique La difficulté à traduire la variation diastratique est évaluée différemment selon les auteurs. Alors que certains (cf. Kolb 1998) considèrent qu’elle pose moins de problè-

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mes que celle des variétés diatopiques, chaque sociolecte étant susceptible d’exister également dans la culture de la langue cible, d’autres (cf. Alsina 2012, 139 ss.) mettent en avant deux types de difficultés : le premier est que la variation diastratique est liée à d’autres formes de variation, c’est-à-dire qu’on constate une imbrication des variétés diatopiques (marquées), des variétés diastratiques (basses) et des variétés diaphasiques (familières / informelles), ce qui fait que l’on a rarement affaire à une variation diastratique « à l’état pur », mais plutôt à des amalgames – sans compter que le degré de cette imbrication varie selon les cultures. Le deuxième type de difficultés est de nature extralinguistique et résulte de différences dans la stratification sociale en fonction de la culture. Ainsi, Alsina (2012, 140), comparant la nature de la variation diastratique en anglais britannique avec celles de l’allemand, de l’anglais américain, de l’espagnol et du catalan, est amenée à constater :  











« [S]ocial-based language differences in theses languages [l’anglais américain et l’allemand, A. G.] are slight, and certainly much less marked than in British English. I can say that this is also the case for Spanish and for Catalan, in which, although some differences can be distinguished according to whether the speaker is more or less educated, the clear sociolectal differentiation found in English social varieties is absent ».  



Nous nous focaliserons ici, pour des raisons de place, sur un seul exemple particulièrement bien étudié (cf. Wecksteen 2011), à savoir les différentes traductions françaises des Adventures of Huckleberry Finn de Mark Twain (1884). Ce roman est particulièrement apte à illustrer notre problématique, puisqu’il accorde une place centrale aux « voix », mettant en présence un certain nombre de sociolectes, dont le African American Vernacular English ainsi qu’un sociolecte générationnel avec le langage des adolescents Tom Sawyer et Huckleberry Finn. Parmi les traductions françaises existantes, la dernière en date est la seule à réellement prendre en compte la variation diastratique. En ce qui concerne les marqueurs lexicaux, le traducteur prend soin de rendre les néologismes du texte de départ, servant à caractériser la créativité du langage des jeunes protagonistes, traduisant par exemple majestying par majestiser (cf. Wecksteen 2011, 476) ou preforeordestination par préordestination, résultat d’une fusion de préordination et de prédestination (ibid., 477). Il cherche également à maintenir les marqueurs phonographologiques du texte source, rendant ainsi to sivilize par siviliser (ibid., 480). L’exemple 6 illustre l’emploi de la forme élidée qu’était, dont le caractère non-standard sert à rendre celui de which, employé à la place de who :  





(6a) […] all of them smoked cob pipes, except the nigger woman, which was gone […] (Mark Twain (1977), Adventures of Huckleberry Finn, New York/Toronto, Norton/McLeod, 82, cité d’après Wecksteen 2011, 480). (6b) […] tous les autres fumaient des pipes de maïs, excepté la négresse, qu’était plus là […] (Mark Twain (2008), Aventures de Huckleberry Finn : le camarade de Tom Sawyer, Traduction de  

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l’anglais (États-Unis) par Bernard Hoepffner, Auch, Tristram, 170, cité d’après Wecksteen 2011, 480).

À côté de l’emploi de marqueurs morphologiques tels que l’agglutination et la déglutination,13 le traducteur prend également en compte des marqueurs morphosyntaxiques (emploi de la négation sans ne) et textuels tels que les phénomènes de répétition, visant la « mise en place d’un discours spécifique à l’enfance, qui joue sur la redondance et la répétition » (Wecksteen 2011, 483) – la traduction des marqueurs diastratiques est donc maintenue à tous les niveaux linguistiques.  



4.4 La traduction de la variation diasituationnelle Dans ce chapitre, nous allons étudier la traduction de deux types de marqueurs : d’un côté, nous nous intéresserons aux marqueurs caractéristiques d’un registre en particulier, qu’il soit familier, vulgaire ou soutenu, et de l’autre, nous analyserons des marqueurs renvoyant à l’oralité conceptionnelle (au sens de Koch/Oesterreicher 2001). Alors que la traduction des variations diatopique et diastratique semblait – en fonction des auteurs – poser des problèmes pouvant parfois aller jusqu’à l’intraduisibilité (cf. supra), la traduction de la variation diasituationnelle s’avère être moins problématique ; elle est cependant moins bien étudiée que les autres dimensions variationnelles. En guise d’exemple, nous présenterons les traductions française, italienne et portugaise du roman allemand Wir Kinder vom Bahnhof Zoo (1978) de Christiane F., caractérisé, à côté d’un certain nombre de variétés sociolectales (argot du milieu de la drogue et de la prostitution), par les registres populaire et vulgaire ainsi que par une oralité fortement marquée. En ce qui concerne la traduction du registre populaire, on relève des différences plus ou moins importantes selon les langues (cf. les exemples en 8) : alors que les traductions française et italienne tentent de reproduire le ton familier du texte allemand,14 truffé de lexèmes quantifieurs et / ou intensifieurs relevant du registre populaire, la traduction portugaise opte pour une neutralisation de la variation, allant parfois jusqu’à ne pas traduire certaines épithètes comme irre ‘génial’ ou wahnsinnig ‘dingue’ :  











13 Par exemple, la forme l’a madoué, résultat du découpage divergent de l’amadouer et symbolisant les lacunes lexicales des adolescents peu instruits, cf. Wecksteen (2011, 482). 14 Radtke (1984, 67s.) observe pourtant que, comparé à la version italienne, le caractère non-standard de la traduction française est plus développé, notamment parce qu’il se manifeste également au plan syntaxique avec des constructions telles que avec des meubles super.  



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(8a) Sie hatte ein wahnsinniges Zimmer mit den geilsten Möbeln. Sie hatte einen irren Plattenspieler und jede Menge Platten. Und Klamotten noch und noch. (Christiane F. (211981), Wir Kinder vom Bahnhof Zoo, Hamburg, Stern-Buch, 91, cité d’après Radtke 1984, 66) (8b) j’ai vu sa chambre – fantastique, avec des meubles super. Elle a un électrophone dernier modèle et des disques en pagaille. Et des fringues en veux-tu en voilà. (Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée… Témoignages recueillis par Kai Hermann et Horst Rieck, Traduit de l’allemand par Léa Marcou, Paris, Mercure de France, 1981, 89, cité d’après Radtke 1984, 67) (8c) Aveva una stanza pazzesca con i mobili più stupendi. Aveva un giradischi straordinario e dischi a volontà. E ancora cianfrusaglie a non finire. (Christiane F. (101982), Noi, i ragazzi dello zoo di Berlino, Traduzione di Roberta Tatafiore, Mailand, Rizzoli, 75, cité d’après Radtke 1984, 67) (8d) Tinha um quarto maravilhoso, com lindos móveis, o seu própio gira-discos e muitos discos. E imensos vestidos e roupa. (Christiane F. (1982), Os filhos da droga, Tradução de Maria Eugénia Ribeiro da Fonseca, Lisbonne, Editora Perspectivas e Realidades, 101, cité d’après Radtke 1984, 67)

Concernant le registre vulgaire, on observe des tendances similaires, c’est-à-dire que, alors que les traductions française et italienne tendent à rendre les vulgarismes sexuels du texte allemand de manière explicite et en se servant d’un registre tout aussi vulgaire, la traduction portugaise privilégie des euphémismes, se rapprochant ainsi du registre standard (cf. Radtke 1984, 76).

5 Conclusion Pour conclure ce bref survol des stratégies de traduction de la variation, il convient de résumer en les problématisant les difficultés que nous venons de soulever. Comme nous l’avons observé, la traduction de la variation s’avère compliquée dès lors que le traducteur se trouve confronté à une des différences suivantes dans l’architecture de l’espace variationnel de la langue source et de la langue cible. Tout d’abord, une variété peut ne pas avoir la même connotation dans la langue cible que dans la langue source. Ainsi, les variétés diatopiques tendent à avoir une connotation moins négative en allemand qu’en français (cf. Zimmer 1981, 144). Ensuite, il est possible qu’une variété occupe une place beaucoup plus importante dans la langue cible que dans la langue source. Ainsi, l’argot français est bien plus répandu que le registre argotique allemand (cf. Greiner 2004, 904) ; en catalan, la langue des jeunes est décrite comme peu élaborée (cf. Bartoll Teixidor 2012, 412), tandis que le registre comparable au français cultivé semble pratiquement inexistant en allemand (cf. Schwalm 2004, 480). En outre, certaines variétés sont le résultat d’une évolution culturelle très spécifique et jouent un rôle important dans la « culture source » ; cette spécificité rend la recherche d’une variété équivalente pratiquement impossible. C’est notamment le cas du African American Vernacular English, mais aussi de certaines langues créoles. Qui plus est, l’imbrication entre différents types de variétés peut être plus forte dans une des deux langues. Ainsi, la plupart des lexèmes  







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allemands relevant du registre populaire sont en même temps ancrés régionalement, ce qui n’est pas forcément le cas d’autres langues. D’un autre côté, les variétés diatopiques de l’anglais britannique sont dans leur grande majorité parlées par des locuteurs appartenant aux mêmes groupes sociaux. Finalement, les traditions discursives peuvent diverger selon les cultures et les époques quant à l’acceptabilité de certaines variétés. Le traducteur doit être conscient de toutes ces différences, qui ne rendent pourtant pas la variation intraduisible.

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Marc Van Campenhoudt

29 Terminologie et langues spécialisées dans les pays de langue romane Abstract : La terminologie est une discipline jeune qui, au sein des sciences du langage, entretient des liens ambigus avec la traductologie. Le fait que le terme spécialisé constitue un « problème de traduction » explique qu’elle s’est d’abord développée dans les écoles de traduction, dans une perspective de consultation et de production de données terminographiques multilingues, tout en subissant l’influence des courants normalisateurs et aménagistes. Dans les pays de langue(s) romane(s), les liens théoriques entre les recherches en traductologie et en terminologie sont souvent ténus. La discipline, initialement très marquée par l’École de Vienne, s’est considérablement renouvelée au cours des vingt dernières années, les terrains d’investigation s’étant largement diversifiés sous l’influence de toutes les disciplines des sciences du langage et particulièrement de l’ingénierie de la langue et de la linguistique de corpus. Les recherches sur la modélisation des bases de données terminologiques ont permis de grandes avancées dans l’élaboration de dictionnaires électroniques novateurs, ouverts sur le monde des ontologies et de la lexicologie, quand bien même la question de la qualité des contenus des terminographies multilingues reste prégnante.    





Keywords : terminologie, traductologie, recherche, formation, réseaux, langues romanes    

1 Terminologie et traductologie On retrouve en terminologie, comme en traductologie, un courant autonomisant qui voudrait faire de la terminologie une discipline distincte de la linguistique, sinon extérieure aux sciences du langage (Maria Teresa Cabré i Castellví 1998, 72–80). Eugen Wüster (1981), figure tutélaire de la discipline, soulignait clairement les différences. On peut encore retrouver cette attitude chez ceux qui entendent se réclamer de son école. Une opinion aussi tranchée a souvent prévalu au sein d’organismes d’aménagement linguistique, notamment au Québec, où l’on trouvait jadis du côté de l’École de Vienne, fondée par Wüster, un cadre théorique propice à la mise en place d’une politique d’aménagement linguistique. Cette attitude marquait aussi une rupture avec un enseignement universitaire plutôt axé vers la linguistique descriptive. Elle consistait, comme l’a très bien résumé Roger Goffin (2010, 120), à considérer que « les terminologies forment un système distinct de la langue générale ». Toujours selon ce même auteur, un autre courant considère que « les terminologies constituent  





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au même titre que la langue générale […] des sous-ensembles de la langue totale » (ibid.). De manière plus percutante encore, Pierre Lerat (1995, 18–20) affirme que « Le français de l’automobile est l’usage du français pour rendre compte de connaissances en matière d’automobile ». Il parle donc de langue spécialisée et non de langue de spécialité. En France, on a vu émerger au début des années 90, dans le sillage des travaux de Louis Guespin et d’Yves Gambier, une « socioterminologie » (Gaudin 2003, 12s.), qui insistait sur la nécessité de prendre en compte les usages, les points de vue, la diversité des pratiques… Les travaux de l’« école de Rouen » ont ainsi largement contribué, aux côtés des apports de la linguistique de corpus, à reconsidérer les « fondamentaux » viennois. Le fait que l’on ait ensuite vu apparaître une pragmaterminologie (de Vecchi 2005), une ethnoterminologie (Depecker 2013), une terminologie culturelle (Diki-Kidiri 2008) ou encore une ontoterminologie (Roche 2007) à côté de la sociolinguistique, de l’ethnolinguistique ou de la pragmatique pourrait faire accroire que la terminologie se voudrait encore une discipline autonome. Ce serait une interprétation largement abusive : outre le fait que ces appellations sont le plus souvent nées dans un pays qui aime à catégoriser en écoles,1 un examen attentif montre que leur apparition trahit plutôt une volonté d’élargissement des points de vue par rapport aux limites de plus en plus avérées de la « Théorie générale de la terminologie » (TGT) proposées par Eugen Wüster (1976 ; 1979). Maria Teresa Cabré i Castellví (2003) a ainsi proposé une « Théorie communicative de la terminologie », connue aussi sous le nom de « théorie des portes » (Cabré i Castellví 1999). Consciente des nombreuses raisons qui conduisent à reconsidérer la TGT, elle présente le terme comme une unité polyédrique dont l’approche peut se faire par diverses entrées. Le fait que les remises en cause de la TGT ont souvent émergé dans le cadre de recherches doctorales menées par des linguistes et philologues attachés à l’étude des faits de langue n’y est assurément pas étranger (cf. infra 3.3). Le monde germanique, souvent perçu à tort comme plus en phase avec l’École de Vienne, n’a d’ailleurs pas échappé à cette tendance, comme en attestent les travaux de Juan C. Sager (1990), de Reiner Arntz (1993), de Rita Temmerman (2000a et b) ou de Johan Myking (2001). Contribuer à un volume consacré à la traductologie conduit à s’interroger sur les faibles liens théoriques entre traductologie et terminologie. Là où les Translations studies se montrent souvent beaucoup plus attentives à la réalité des textes traduits au quotidien, les grands auteurs de référence du monde latin, et francophone en particulier, s’attachent fréquemment au corpus des œuvres littéraires traduites. Quand bien même le lien entre la traduction littéraire et la terminologie mériterait une étude approfondie (comme le suggérait déjà Humblé 2010), cette dernière n’est guère évoquée  



































1 Les nombreux chapitres du très sérieux Handbook of Terminology Management (Wright/Budin 1997–2001) ont été rédigés pour l’essentiel par des auteurs germanophones et anglophones, qui, de manière très pragmatique, ne s’embarrassent pas de cette question des écoles.  

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par des auteurs de référence du monde latin comme Jean-René Ladmiral (1994) ou Danica Seleskovitch et Marianne Lederer (2001). Le lien entre langue spécialisée et noblesse du style est pourtant évident en littérature. La carrière de traductrice maritime de Florence Herbulot, ancienne présidente de la Fédération internationale des traducteurs, témoigne assurément de l’absence de hiatus entre la traduction spécialisée et la traduction littéraire. Comme le note Michel Serres (1998, 7), « Le ‹bon› écrivain parle donc marine en mer, maçonnerie au pied du mur, chirurgie en salle de garde, philosophie à la Sorbonne… et leur somme dans ses livres ». À l’exception notable de Mathieu Guidère (2008, 137–140), la question des termes et du lien entre terminologie et traductologie n’est abordée que très incidemment par ceux qui adoptent une approche plus fonctionnelle et didactique, comme Louis Truffaut (1997 ; 2004), Amparo Hurtado Albir (1999 ; 72014) ou encore Frederic Chaume et Cristina García de Toro (2010), voire très pragmatique, comme Daniel Gouadec (22009). Il n’est guère que Georges Mounin (1963, 125–143) pour approfondir – il y a bien longtemps déjà – la problématique des « unités sémantiques minima », telles qu’envisagées alors par Eugen Wüster. Inversement, peu d’auteurs de manuels de terminologie évoquent la traductologie et les concepts théoriques communs apparaissent peu nombreux. John Humbley (2011) remarque qu’au fil des années, le lien s’est distendu entre ces deux disciplines, jadis abordées dans des revues communes aujourd’hui disparues,2 et dont l’intégration au sein des sciences du langage ne va pas de soi. Les terminologues sont, aujourd’hui, très souvent issus de filières de linguistique et se posent moins la question de l’autonomie de leur discipline. Souvent, ils ne considèrent pas le terme dans le cadre de la traduction. L’observation de leurs publications montre qu’ils ont souvent recentré leurs travaux sur la langue spécialisée, la structuration des données, la linguistique de corpus, l’intelligence artificielle et l’ingénierie linguistique, au risque de parfois perdre le lien avec la dimension multilingue. Dans le même temps, les publications de traductologie semblent également se diversifier. C’est ainsi que Michel Ballard a dirigé plusieurs ouvrages collectifs (1984 ; 1993 ; Ballard/El Kaladi 2003 ; Ballard/Pineira-Tresmontant 2007) dont les contributeurs prennent en compte la question de la terminologie, de la linguistique de corpus et des outils modernes d’aide à la traduction. À moins de se cantonner à une traductologie qui ne se soucie que d’herméneutique de la traduction du texte littéraire et de stylistique comparée – un courant qui demeure prégnant –, il est, effectivement, difficile de parler de la pratique de la traduction sans avoir à l’esprit l’ensemble des outils dont dispose désormais le traducteur. La question du monolinguisme d’un bon nombre de recherches terminologiques menées dans le monde latin, mais aussi anglo-saxon, mérite d’être soulevée. Le fait  

















2 Comme le constate John Humbley (2011), la célèbre revue Meta, très bien notée au niveau international, échappe à ce constat.  

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que des études ne portent que sur une seule langue n’incite, bien évidemment, guère à des échanges entre terminologie et traductologie. A fortiori, les études aménagistes visant à implanter un terme préférentiel inconnu du public, et l’approche normalisatrice d’Eugen Wüster (1979) ne sont pas davantage de nature à passionner les traductologues soucieux de la compréhension du message. Pourtant, des théories très convergentes de l’équivalence en terminologie ont été proposées (par ex. Van Campenhoudt 1994 ; Thoiron et al. 1996 ; Janssen 2002 ; 2004 ; Vossen 2004), fondées sur une approche descriptive respectueuse du sens et de la réalité de l’usage. Les recherches portant sur les techniques dictionnairiques permettant de gérer le multilinguisme sont certainement celles qui posent les questions les plus proches des préoccupations de la traductologie. Comme le note très bien Mathieu Guidère (2008, 137) : « En toute rigueur, il faudrait comparer le travail du traductologue – et non du traducteur – à celui du terminologue bilingue, parce qu’ils relèvent tous deux de l’analyse et de la conceptualisation interlinguistique ».  



















2 Le terminographe, lexicographe « aux pieds nus » ?  





La principale critique adressée aux dictionnaires de traduction spécialisée porte précisément sur l’absence de prise en compte des conditions de l’équivalence dans l’usage. Les lacunes criantes de nombre de glossaires et de bases de données terminographiques, s’agissant de répondre aux besoins, et le fait que l’anglais y joue trop fréquemment un rôle – non avoué – de langue pivot3 ne sont assurément pas de nature à alimenter un débat théorique fécond portant sur les conditions de l’équivalence. L’usage, très répandu dans le monde de la traduction, d’un célèbre tableur pour engranger de simples listes d’équivalents n’est pas non plus de nature à passionner le théoricien… L’ingénierie linguistique, en permettant notamment l’analyse des alignements entre textes traduits, a assurément contribué ces dernières années à des études pointues qui font le lien entre terminologie et traduction. En témoignent diverses contributions parues au fil des ans dans les revues qui, comme Meta ou Terminology, acceptent encore des écrits de langue latine.4 Dans le même temps, on ne peut que s’inquiéter de la perte des notions de langue source et de langue cible dans l’exploitation des « bitextes » par les industries de la langue. Paradoxalement, la généralisation des outils de traduction assistée par ordinateur (TAO) au tournant du siècle, de même qu’un désengagement des bailleurs de fonds a  



3 Wüster (1971, 149 ; 1968, 2.19 ; 1981, 66, 71) et Felber (1987, 128s.) notaient déjà cet état de fait. 4 Les URL des revues citées dans ce chapitre sont aisées à découvrir sur la toile.    





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très vite fait craindre une « crise de la terminologie » (Dubuc 1994). L’usage des mémoires de traduction a manqué sonner le glas du métier de terminologue ou de traducteur-terminologue. Il a été et demeure très tentant pour de nombreux grands services de traduction de réduire le coût de la production terminographique en utilisant les alignements de textes déjà traduits pour découvrir les équivalences. Les logiciels les plus réputés ne proposent-ils pas de générer des listes d’équivalents par le biais d’une extraction automatique dans les bitextes ? Combien de termes inadéquats ne se sont-ils pas répandus dans nombre de traductions du fait de la consultation en ligne de bitextes peu fiables ? L’architecture bancale et l’indigence parfois patente de diverses bases de données diffusées par les services de traduction d’organismes internationaux, souvent à l’aide des mêmes systèmes informatiques, semblent fonder le « regard en arrière » proposé par feu Roger Goffin (2010, 125) : « Alors que la linguistique universitaire apportait à la Terminologie une conceptualisation plus rigoureuse et des stratégies d’analyse plus fines, pour raffermir son statut linguistique, les pratiques se fragmentèrent et s’effritèrent au contact d’une informatique envahissante, nivelante, détournant l’usager de sa mission de compréhension ». Il est particulièrement heureux de constater qu’au-delà d’un « word boom » (Goffin 2010, 125), ce recul affligeant n’a pas marqué tout le secteur : il suffit d’observer le net enrichissement des fiches de la célèbre base de données Termium5 au cours des dernières années pour s’en convaincre.  























3 Terminologie et linguistique La volonté de poser la terminologie comme discipline ne relève assurément pas uniquement d’une confrontation – stérile – avec la linguistique contemporaine. Mener et défendre une politique d’aménagement linguistique dans un contexte diglossique conduit inévitablement à s’affranchir de la neutralité face à la diversité des usages à laquelle sont formés la plupart des linguistes. À cet égard, il n’est en rien étonnant de voir que des régions comme la Catalogne ou le Québec ont fait figure de pionnières au sein du monde latin et noué d’étroites relations de travail (Quirion/ Freixa 2013). De manière plus générale, s’agissant de traduire, la nécessité de délimiter le sens du terme dans le cadre d’une recherche d’équivalents induit également l’obligation pour le terminologue de s’affranchir d’une démarche purement sémasiologique qui a profondément marqué la tradition lexicographique. Finalement, des enjeux institutionnels au sein du monde de l’enseignement universitaire et de la recherche ont pu amener les enseignants-chercheurs des écoles de traduction ou des filières de langue étrangère appliquée à revendiquer l’autonomie de la terminologie et

5 www.btb.termiumplus.gc.ca.  

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de la traductologie au sein des sciences du langage pour se démarquer des cursus de lettres et obtenir des critères de recrutement qui tiennent compte des spécificités d’une formation au métier de traducteur.6

3.1 Méthodes terminographiques et lexicographiques Les points de distinction entre la terminographie et la lexicographie sont bien connus et largement théorisés.7 On peut tenter de les résumer par le tableau suivant (Van Campenhoudt 2014) :  

Lexicographie

Terminographie

Focalisation sur la langue générale

Focalisation sur un domaine spécialisé

Prise en compte de la diachronie8

Synchronie, usage contemporain uniquement

Dictionnaire multilingue = autant de volumes que de couples langue source – langue cible (deux dictionnaires : A→B et B→A)

Dictionnaire multilingue = un seul volume regroupant tous les équivalents sous une même entrée et censé garantir l’inversion des couples de langues

Macrostructure :

Macrostructure :

Approche sémasiologique

Approche onomasiologique, prédominance du « concept »













Polysémie



Monosémie (donc homonymie)

Classement alphabétique

Classement logique

Synonymes éparpillés

Synonymes regroupés

Lexème limité à ses frontières graphiques : boîte crânienne, boîte de vitesses, boîte aux lettres, boîte noire… : s.v. boîte

Syntagmes en entrée : lexèmes délimités en fonction du sens : boîte crânienne, boîte de vitesses, boîte aux lettres, boîte noire…

Microstructure :

Microstructure :

Le dictionnaire est un texte avec une microstructure souple

Le dictionnaire est un ensemble de fiches, obéissant à un modèle de données rigide et rassemblées dans une base de données













Néanmoins, les travaux récents d’informatisation des dictionnaires tendent à montrer que les frontières entre les pratiques de la lexicographie spécialisée et de la terminographie sont loin d’être étanches (L’Homme/Vandaele 2007). Les études métaterminographiques (Van Campenhoudt 2000, 128–130) indiquent que les dictionnaires spécialisés présentent une très large panoplie de pratiques hétérogènes, mêlant de 6 Nous reprenons ici une idée déjà émise par Martin Stegu (2006). 7 Pour les références de base, nous renvoyons le lecteur à la page Terminologie : Quelques références à l’usage des étudiants et des néophytes (www.termisti.org/ref.htm). 8 Plus rarement dans le dictionnaire bilingue.    



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manière plus ou moins consciente les deux approches et visant avant tout à répondre à des objectifs particuliers (renseigner, documenter, désigner, traduire …). On y retrouve toute la typologie des dictionnaires établie par Bernard Quemada (1967, 37s.). Le dictionnaire spécialisé monolingue est généralement une encyclopédie à la microstructure plus ou moins lâche. Les exemples « caractéristiques » de lexicographies spécialisées et de terminographies, mono- ou multilingues, sont – à la vérité – bien peu nombreux. Les ouvrages conçus pour véritablement garantir une traduction professionnelle de qualité (version) sont, par ailleurs, tout aussi rares, pour le plus grand malheur des professionnels. Il semblerait vain, par ailleurs, de chercher à caractériser le monde latin sur ce point : au-delà des manières d’appréhender la terminologie en tant que discipline, la réalité des dictionnaires spécialisés nous semble tout aussi foisonnante et diversifiée, quels que soient le pays, la culture et la langue. Comme l’a très bien observé Isabel Desmet (1996, 29–34), leur émergence est liée au grand développement des vocabulaires scientifiques et techniques aux XIXe et XXe siècles. Elle souligne, par ailleurs, que « La plupart des dictionnaires spécialisés sont l’œuvre de spécialistes, scientifiques, ingénieurs techniciens et non de linguistes. En réalité, les linguistes ne montrent pas, dans la première moitié du XXe siècle, d’intérêt particulier pour la terminologie » (Desmet 1996, 33). Les chercheurs qui ont participé à des projets d’informatisation de dictionnaires spécialisés peuvent aisément témoigner de la grande compatibilité des méthodes lexicographiques et terminographiques. Le projet européen MLIS-DHYDRO9 (1999– 2000), largement mené par des chercheurs francophones, est sans doute celui qui a été le plus loin en la matière. Il a prouvé qu’une très fine représentation des données, basée sur la monosémie et une grande granularité des catégories d’information permettait de transformer aisément une riche lexicographie spécialisée en terminographie et vice-versa (Descotte et al. 2001). Mené à sa suite, le projet IST-SALT10 (2000–2001) a nourri les normes ISO d’échanges et de catégorisation de données en terminologie. On songe particulièrement à l’émergence de la norme ISO 16 642 Terminological Markup Framework (TMF) et à la première expérimentation d’un registre de catégories de données, qui a débouché sur la nouvelle norme ISO 12 620 et la naissance du serveur Isocat.11 Celui-ci a poursuivi l’ambition de fédérer et d’harmoniser – hélas, uniquement en anglais – tous les descripteurs dictionnairiques utilisés dans les sciences du langage, quelle que soit la perspective adoptée. Un fait mérite ici d’être souligné : en privilégiant l’usage de fiches structurées, très tôt gérées dans des bases de données, à l’image de ce qui se faisait dans le domaine  























9 www.loria.fr/projets/MLIS/DHYDRO. 10 www.loria.fr/projets/SALT. 11 www.isocat.org. Le serveur Isocat est en passe d’être remplacé à l’heure où nous écrivons ces lignes.  

   

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du traitement automatique des langues, les terminologues ont très vite progressé dans l’exploitation de données finement discriminées. Dans le même temps, bien des lexicologues s’évertuaient à informatiser les dictionnaires préexistants à l’aide de systèmes de balisage de surface (Ide/Véronis 1996, 174), notamment, dans le cadre du chapitre 12 « Print Dictionaries » de la version P3 de la Text Encoding Initiative.12 Si l’on a donc rapidement disposé de données terminographiques informatisées, force est néanmoins de constater que le contenu informatif des fiches demeurait souvent très pauvre par rapport à la richesse des lexicographies de la langue générale ou spécialisée. Inversement, l’informatisation bien menée d’un ouvrage lexicographique multilingue permet de créer des fiches terminographiques très riches (Van Campenhoudt 2002).  





3.2 Apports de la linguistique de corpus On l’a vu, l’entreprise terminologique n’a pas toujours fait montre d’un intérêt marqué pour une description fine de l’usage, celle-ci se trouvant réduite, dans le meilleur des cas, à l’interrogation d’« experts » réputés omniscients. Ce constat nous semble devoir s’appliquer aux trois courants historiques majeurs de la discipline : la normalisation des concepts, la traduction et l’aménagement linguistique (Pierre Auger 1988, cité par Maria Teresa Cabré i Castellví 1998, 41s.). Qu’il s’agisse de normaliser une nomenclature, de fournir rapidement un équivalent au traducteur (trop) pressé ou d’éviter un emprunt, les méthodologies suivies ignoraient largement les atouts de la linguistique de corpus. Il est vrai que, longtemps dédaignée, celle-ci ne s’est réellement répandue au sein des sciences du langage qu’avec l’émergence de la micro-informatique et surtout le foisonnement de données textuelles électroniques au travers d’Internet. Ce n’est assurément pas un hasard si l’un des premiers textes qui marque une rupture radicale avec Wüster (Bourigault/Slodzian 1999) est paru dans le monde francophone dans le cadre d’une conférence Terminologie et intelligence artificielle où était invitée une collègue venue d’Irlande et auteur d’un ouvrage intitulé Terms in Context (Pearson 1998). Ici aussi, la tentation d’opposer une école latine face au monde anglogermanique serait donc caricaturale. La remise en cause de la doxa viennoise, trop fréquemment réduite au contenu du Manuel de terminologie d’Helmut Felber (1987) n’est pas tant la posture d’un camp que la confrontation progressive d’une théorie à des pratiques de recherche novatrices. Celles-ci ont souvent été menées par une nouvelle génération d’enseignants-chercheurs en sciences du langage investissant le territoire des filières professionnalisantes et maîtrisant bien les outils informatiques de la linguistique de corpus.  





12 quod.lib.umich.edu/t/tei.  

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Selon Isabel Desmet (2007, 5s.), une double approche des unités terminologiques a désormais vu le jour, qui entend les décrire à la fois comme « des unités qui s’inscrivent dans un système notionnel hiérarchisé et des unités qui appartiennent à un système linguistique donné. D’où le besoin ressenti par les linguistes-terminologues de les décrire sur deux plans d’analyse : le plan notionnel, mais aussi sur le plan fonctionnel, autrement dit, sur le plan de leur fonctionnement dans le discours spécialisé ». On a souvent reproché aux terminologues de négliger la question de l’équivalence (Guidère 2008, 140) et d’isoler le terme de son usage en discours.13 Le mouvement de retour vers le corpus a justement impliqué un regain d’intérêt pour l’étude de la langue spécialisée – déjà approfondie au Québec par Rotislav Kocourek (21991) et en France par Pierre Lerat (1995). Le premier a observé un lien étroit entre les techniques de « condensation syntaxique » propres aux langues spécialisées et l’émergence de termes qui véhiculent des connaissances particulières (Kocourek 21991, 79–82). Ainsi, la prééminence statistique des substantifs et des adjectifs en langue spécialisée témoigne-t-elle clairement de ce processus de terminologisation (Van Campenhoudt 2010). Il est intéressant de noter que plus d’un chercheur ayant soutenu une thèse en terminologie au début des années 90 a élargi par la suite ses recherches vers les caractéristiques linguistiques du texte spécialisé, s’agissant notamment d’en extraire des connaissances. Aux origines de ce retour vers l’analyse de la langue spécialisée, on trouve notamment les travaux menés autour des bases de connaissances terminologiques dans le sillage d’Ingrid Meyer et Douglas Skuce (Meyer/Eck/Skuce 1997), avec l’ambition d’établir un lien entre les textes et le dictionnaire. Les conférences Terminologie et intelligence artificielle (TIA) incarnent particulièrement ce courant en France, mais on le retrouve très largement dans le monde de la recherche en terminologie, notamment en Espagne (voir, par ex., Aguado de Cea 2007 ; Faber Benítez 2010). Dans les faits, cette branche de la recherche en terminologie se focalise parfois moins sur les problématiques de traduction ou de modélisation des bases de données terminologiques que sur la recherche de liens sémantiques et l’ordonnancement de connaissances au sein d’un domaine.14 Ce faisant, elle s’est rapprochée des recherches sur les ontologies, au risque de sembler amorcer un mouvement paradoxal de retour vers les conceptions d’Eugen Wüster, revisitées par l’ontoterminologie15 (Roche 2005).  











13 Il est, par ailleurs, patent que la plupart des terminographies, imprimées ou électroniques, ne fournissent pas de contextes d’attestation prouvant la réalité de l’usage du terme dans le discours spécialisé. 14 Saluons l’exception notable que constitue Terminología para traductores et intérpretes (Montero Martínez/Faber Benítez/Buendía Castro 22011). 15 Voir les thématiques des communications dans le cadre des conférences internationales TOTh : Terminologie & ontologie : théories et applications : www.porphyre.org/toth.  











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Il reste que ce mouvement de retour vers des faits de langue observables dans les textes spécialisés a ainsi conduit à mieux connaître leur réalité discursive et à remettre en cause un certain nombre d’idées. Ainsi, la recherche des marqueurs de la relation d’hyponymie a-t-elle permis de revisiter le fonctionnement des anaphores lexicales dans les textes spécialisés de langue française (Condamines 2005 ; Van Campenhoudt 2014). De même, la recherche de contextes d’attestation des termes et l’expérimentation de systèmes d’extraction de candidats termes ont conduit à découvrir que le terme spécialisé n’a pas nécessairement les mêmes comportements qu’un syntagme figé et qu’un terme peut ne pas répondre à divers critères classiquement identifiés en lexicologie, comme le test de dislocation (Lerat 1995, 50s., 88–90 ; Sfar 2012). Tout comme les études d’implantation ou les études de socioterminologie ont montré la difficulté d’interroger les experts (Depecker/Mamavi 1997 ; Gaudin/Delavigne 1994), les études sur corpus des textes spécialisés ont montré la grande diversité des usages terminologiques, qu’il s’agisse de plasticité du terme, de variation synonymique, de reformulation ou encore d’imprécision sémantique (notamment Temmerman 2000a ; 2000b ; Conceição 2001 ; 2005 ; Montero Martínez/Faber Benítez/Buendía Castro 22011, 125–130). Par ailleurs, la constitution de corpus en langue spécialisée amène à s’interroger sur le degré de spécialisation des textes en fonction de leur lecteurmodèle, du contexte d’écriture et des objectifs poursuivis (Pearson 1998, 58–62). À mesure qu’une discipline se propage, la variation semble s’installer et les caractéristiques « wüsteriennes » du terme, s’étioler (Thoiron/Béjoint 2010, 112). L’étude des figements du discours spécialisé a aussi conduit à renoncer à l’idée que la terminologisation ne concernait que la seule catégorie nominale. Si le terme est, effectivement, souvent un substantif, il est des domaines où des termes autonomes appartiennent à d’autres catégories. Ainsi, l’adjectif joue-t-il un rôle majeur dans la terminologie de la botanique (Pitkänen-Heikkilä 2015). De même, les disciplines scientifiques ou techniques qui impliquent des actions spécifiques ne manquent pas de verbes, voire de locutions adverbiales ou prépositives permettant d’exprimer une relation spatiale ou temporelle. En réalité, comme le notent Gaston Gross/ Michel Mathieu-Colas (2001, 69) : « les auteurs d’inspiration wüsterienne ont totalement négligé le fait que les langues techniques sont des ‹ langues › et, comme telles, ne se réduisent pas à un vocabulaire. Elles forment un tissu constitué, comme tout texte, par des phrases, qui sont les unités constitutives de tout message linguistique. Or, les phrases sont formées de prédicats et d’arguments qui doivent être définis les uns par rapport aux autres, le rôle des prédicats étant fondamental ». Toute la difficulté d’une extraction automatique des termes naît de cette difficulté à identifier un terme sur la seule base de critères formels, qu’ils soient de nature morphologique ou grammaticale, sans se soucier des impératifs de la phraséologie. Comme le résume Isabel Desmet (2007, 12), le lexique spécialisé n’échappe en rien à la variation, qu’elle soit linguistique (niveaux lexical et syntaxique), extralinguistique (diatopique, diachronique, diastratique ou diaphasique) ou inhérente aux  



























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genres et types de discours. À mesure que passent les années, des chercheurs se sont attachés à démontrer ce fait pour différentes langues romanes, comme l’attestent les tables des matières des principales revues de référence. La consultation des dictionnaires spécialisés permet – lorsque leurs auteurs ne se copient pas (Van Campenhoudt 1998) – de découvrir une variation diachronique sur plusieurs décennies. Une approche lexicologique du phénomène permet de l’isoler pour des sciences et techniques nouvelles comme dans le domaine nucléaire (Goffin 1989). Désormais, la linguistique de corpus permet d’appréhender une évolution de l’usage au sein d’un corpus alimenté au fil de plusieurs années de recherche, comme dans le domaine spatial (Picton 2009). On a ainsi remis en cause la vision d’une terminologie qui, ne travaillant qu’en synchronie, ne devrait pas prendre en compte la variation diachronique (Dury 2005 ; Dury/Picton 2009). À cet égard, les intéressantes études d’implantation des termes développées dans le cadre des politiques d’aménagement linguistique en France (Depecker/Mamavi 1997), au Québec (Quirion 2014) ou encore en Catalogne (Montané March/Cabré i Castellví 2013) ont assurément contribué à obliger les terminologues à mieux intégrer la réalité d’un usage tant écrit qu’oral dont rend aussi bien compte l’exploitation de corpus spécialisés (Quirion 2014) que l’enquête auprès de locuteurs plus ou moins experts (Depecker 2013 ; Depecker/Mamavi 1997). De manière générale, le terme est désormais non plus perçu comme une unité figée dans une fiche terminologique, mais comme une unité de discours dynamique (Kageura 2002) qui mérite d’être décrite à travers toutes les perspectives des sciences du langage (Temmerman/Van Campenhoudt 2014). La diversification des courants évoqués au point 1 et la multiplication de recherches doctorales empruntant des points de vue novateurs et portant sur une diversité de domaines en rendent assurément compte (cf. infra 3.3).  



3.3 L’apport des recherches doctorales Il serait intéressant de dresser une statistique des thèses de doctorat spécifiquement consacrées à la terminologie dans le monde latin depuis l’après-guerre, mais nous n’avons pas connaissance d’une telle étude. Une véritable dynamique française est née au début des années 90, avec la soutenance de thèses à l’Université de Paris 13, siège du Centre de terminologie et de néologie (CTN), à Lyon 2, dans le cadre du Centre de recherche en terminologie et traduction (CRTT), ou encore à Rouen, dans le cadre de l’unité de recherche Sociolinguistique, usage et devenir de la langue (SUDLA). Un même mouvement s’observe au Québec et en Catalogne à la même époque. Ces thèses ont très souvent constitué des apports théoriques novateurs par rapport à une discipline jusqu’alors fortement marquée par l’École de Vienne. Parmi celles-ci, une proportion non négligeable a été soutenue par des doctorants venus d’autres pays de langues latines où la terminologie n’était pas encore reconnue dans l’Université. Ces chercheurs ont depuis développé cette discipline dans le cadre de

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leur carrière, profitant du large mouvement de professionnalisation des filières de lettres dans les domaines de la linguistique appliquée et de la traduction (cf. supra 3.2). Cette expansion de la discipline a été également nourrie par les Universités d’automne en terminologie (1993–2000), organisées à l’Université de Rennes 2 à l’initiative du professeur Daniel Gouadec, où sont venus se former de nombreux collègues venus d’Europe du Sud et de l’Est. Il est intéressant de noter que peu de diplômés des écoles de traduction semblent s’être lancés dans de semblables études doctorales. Cette observation correspond sans doute à une tendance générale observée chez les traducteurs et interprètes diplômés, plus intéressés par une pratique professionnelle de haut niveau que par la recherche en sciences du langage. Il paraît néanmoins important de souligner que, de longue date, les écoles de traduction des pays latins font réaliser des mémoires de maîtrise en terminographie.16 Les enseignants-chercheurs dirigeant ces travaux ont ainsi pu nourrir leur réflexion théorique de l’apport de nombreuses données récoltées sur le terrain par leurs étudiants. Ils ont également pu tester des méthodologies diverses et valoriser des microglossaires qui sont, certes, de taille modeste mais dont la richesse du contenu pourrait parfois servir de modèles à bien des bases de données diffusées sur Internet.

4 Émergence d’une discipline 4.1 Mise au point de la méthode terminographique Alors que les traductologues étudient abondamment les traductions, rares semblent être les terminologues qui développent des recherches métaterminographiques portant sur les dictionnaires et les bases de données disponibles.17 Une idée largement répandue, y compris par les meilleurs auteurs, voudrait que la terminologie soit née après avoir été théorisée par Eugen Wüster, ce dernier (Wüster 1981, 74–76) affirmant, par ailleurs, que les prémices de sa méthode transparaissent dans des dictionnaires allemands comme celui d’Alfred Schlomann (1906–1932) ou de la Commission électrotechnique internationale (CEI 1938). Toutefois, la méthode terminologique conceptuelle prônée par Wüster est déjà parfaitement appliquée en 1894 dans la deuxième édition du célèbre dictionnaire De la quille à la pomme de mât de Heinrich Paasch, qui bénéficie des expérimentations méthodologiques de plusieurs dictionnaires de marine multilingue parus au XIXe siècle (Van Campenhoudt 1994 ; 2003).  



16 Ces glossaires sont parfois diffusés sur Internet. On notera qu’à ses débuts, le réseau Realiter a tenté de promouvoir des mémoires de terminologie à quatre mains, corédigés par des étudiants d’institutions différentes. 17 On citera comme exception le récent Theory and Practice of Specialised Online Dictionaries (Fuertes-Olivera/Tarp 2014, 104–191).  

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Lorsque sont apparus les premiers dictionnaires monolingues du français, l’approche polysémique, avec classement des syntagmes sous une unité lexicale, n’était sans doute pas tant fondée sur une théorie du sens que sur un impératif d’économie du papier. C’est un même « bon sens pratique » qui conduit à renoncer à la polysémie dans le cadre d’une terminographie multilingue : l’approche onomasiologique permet, sous réserve d’isomorphisme sémantique entre les langues, l’interversion de tous les couples de langue sans multiplier les volumes à l’infini, dans le respect de l’idéal descriptif.18 En effet, dans une approche lexicographique bilingue réciproque, un dictionnaire en deux langues réclame deux volumes, mais un dictionnaire en cinq langues supposerait la rédaction de vingt volumes distincts ! La nécessité de désigner des objets précis dans plusieurs langues en garantissant l’équivalence conduit, inévitablement, les bons auteurs à privilégier une approche onomasiologique et monosémique, qui ne nécessite pas une justification par la théorie viennoise (Van Campenhoudt 2001 ; 2002). Il est, à cet égard, remarquable que les spécialistes de l’ingénierie linguistique aient eu recours à une semblable approche par état de nécessité : en contexte, une lexie est nécessairement monosémique. La langue spécialisée pose très vite la question de l’initiation du profane. La conscience de la nécessité de clarifier les termes pour le futur spécialiste explique que des lexiques sont très tôt intégrés dans des textes techniques du XVe siècle et que des dictionnaires spécialisés apparaissent très tôt, telle L’explication des termes de marine d’Estienne Cleirac (1636). Ce fait est patent pour le domaine maritime espagnol, comme le montrent les travaux de Lidio Nieto Jiménez (2001a, b), au point que son Tesoro lexicográfico del español marinero anterior a 1726 (Nieto Jiménez 2001b) compte plusieurs centaines d’entrées déjà attestées et définies dans divers opuscules. Étrangement, l’antériorité, sinon de la terminographie, du moins de la lexicographie spécialisée par rapport à la lexicographie de la langue générale semble n’avoir guère retenu l’attention des théoriciens de la terminologie, alors que les métalexicographes savent très bien que les glossaires polyglottes – souvent spécialisés – ont précédé les dictionnaires monolingues, plus tardifs (Quemada 1967, 37–73, 567s.). Les dictionnaires de langues romanes sont manifestement directement concernés par ce fait. Pour le domaine nautique, on pourra citer parmi les premiers ouvrages monolingues, l’Hydrographie du père Georges Fournier (1643), le Dictionnaire des termes propres de marine de Desroches (1687) ou El vocabulario marítimo de 1696 (voir Nieto Jiménez 2002–2004) pour la terminographie monolingue. S’agissant de proposer des équivalents, on trouve déjà en 1702 le Dictionnaire de marine de Nicolas Aubin (1702) qui définit en français et fournit les équivalents en néerlandais et en 1777, le Vocabulaire des termes de marine anglois et francois, en deux parties de Lescallier (1777), vrai  













18 Une analyse de la diversité des produits terminographiques montre que les ouvrages qui sont de faux multilingues ou qui recourent à une langue pivot permettent, dans le meilleur des cas, de s’informer dans la langue dominante et de faire du thème vers les langues étrangères.  

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bilingue. Le premier véritable ouvrage terminographique du domaine est celui de Röding (1794–1798) : l’Allgemeines Wörterbuch der Marine in allen europæischen Seesprachen nebst vollstændigen Erklærungen contient neuf idiomes, dont quatre langues romanes (FR IT ES PT). Ces ouvrages posent déjà tous les problèmes de la technique dictionnairique à appliquer pour décrire, désigner et traduire.  

4.2 Naissance d’un enseignement Il semble indubitable que l’enseignement de la terminologie – comme de la traductologie – a, généralement, pris naissance dans les écoles de traduction. Ainsi un cours de terminologie figure-t-il au programme de l’Université de Montréal depuis 1969, le premier titulaire était Robert Dubuc (Delisle s.d., 19). L’Université de Montréal a fait figure de pionnière en matière de recherche et d’enseignement de cette matière, étant à la base de la création de la base de données Termium (la finale évoque le sigle de cette université). Les enseignants de l’école québécoise ont souvent été de véritables praticiens : ainsi, Robert Dubuc (Université de Montréal) a travaillé pour les services linguistiques de Radio Canada ; Pierre Auger (Université Laval) à l’Office québécois de la langue française (OQLF). Les manuels de Dubuc (42002, 1978), d’Auger/Rousseau (1978) et de Rondeau (21984, 1981) ont fait date et les publications du Groupe interdisciplinaire de recherche scientifique et appliquée en terminologie (GIRSTERM), fondé par Guy Rondeau, ont longtemps servi de référence dans le monde francophone. En Europe, on citera, sans prétendre être exhaustif, parmi les pionniers de l’enseignement, les professeurs Maria Teresa Cabré i Castellví, à l’Université autonome de Barcelone, Teresa Lino à l’Université nouvelle de Lisbonne, Bruno de Bessé, à l’ÉSIT (Paris) puis à l’ÉTI (Genève), Alain Fantapié (Paris 3) et Pierre Lerat (Paris 13), Daniel Gouadec (Rennes 2), Philippe Thoiron (Lyon 2), Caroline de Schaetzen (ILMH, Bruxelles) ou encore Daniel Blampain (ISTI, Bruxelles). La terminologie a souvent été d’abord enseignée comme une activité auxiliaire dans le cadre des cours de traduction spécialisée. Ainsi, en Belgique francophone, la terminologie n’a émergé comme matière autonome que vers la moitié des années quatre-vingts. Cet enseignement y est demeuré spécifique des écoles de traduction, cantonnées jusqu’il y a peu en dehors des universités, lesquelles n’enseignent pas cette matière dans le cadre des cursus de langues et littératures.19 Une situation similaire a longtemps prévalu dans beaucoup d’autres institutions européennes ; par ex., à l’École de traduction et d’interprétation de Genève où le cours de terminologie  













19 Le premier diplôme universitaire en terminologie, complémentaire de la maîtrise, a été organisé par l’Institut Marie Haps à partir de 1986. Le centre de terminologie de cette école et celui de l’Institut supérieur de traducteurs et interprètes ont longtemps fait figure de pionniers.  

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est né en 1984 et a été confié à Bruno de Bessé. La terminologie a fait irruption tardivement dans les universités, dans le cadre d’un mouvement général de professionnalisation des filières de lettres impliquant l’ouverture de cursus en langues appliquées. En France, les filières de langues étrangères appliquées (LEA) orientées vers la traduction ont été souvent des pionnières de ce mouvement, notamment à Lyon 2, Paris 7, Rennes 2, ou encore Strasbourg. John Humbley (2009, 6) a observé un semblable mouvement en Espagne et au Portugal. Il est difficile de dresser un inventaire des contenus des cours dispensés et de leur évolution au fil du temps. Ici, on insistera davantage sur l’École de Vienne et des questions de théorie ; là, sur la gestion dictionnairique ; là encore, sur la linguistique de corpus ou sur la maîtrise des outils de TAO. Au-delà d’un enseignement classique de la théorie de la terminologie et de la terminographie, les cours des filières de traduction développent très souvent un enseignement de la terminotique, dans un intitulé autonome ou dans le cadre d’un cours de traduction par ordinateur. Il peut s’agir d’une simple formation professionnalisante aux outils de TAO de tel leader du marché ou d’une formation plus orientée vers l’ingénierie linguistique et adoptant une démarche plus critique à l’égard des outils disponibles. De manière générale, les universités des pays latins semblent plus réticentes que celles des pays germaniques, anglo-saxons ou d’Europe de l’Est à lier leur enseignement aux exigences d’une certification par les entreprises privées.20 On dispose, par ailleurs, de très peu de données sur l’enseignement des terminologies au sein des cursus non orientés vers l’étude des langues, quel que soit le niveau d’enseignement, qu’il s’agisse de sciences ou de techniques. La manière dont les terminologies sont enseignées aux futurs professionnels, la nature du discours des enseignants à leur propos sont des dimensions largement négligées, alors que l’approche « corpus » ne peut guère connaître que des usages écrits, produits dans une langue surveillée. La pragmaterminologie ouvre des portes intéressantes pour mieux appréhender cette dimension, qui est celle de l’utilisation des terminologies en situation réelle. Les résultats des projets de recherche en linguistique menés sur l’usage professionnel, notamment en médecine, dans l’industrie nucléaire ou encore dans le secteur aéronautique, gagneraient à être mieux pris en compte dans les cours de terminologie, car ils permettraient de sortir de l’« imagerie d’Épinal » en s’affranchissant d’une terminologie observée essentiellement dans les dictionnaires et les bases de données. La question est d’importance pour la formation des interprètes de liaison (ou communautaires), confrontés plus encore à la variation du discours que les interprètes de conférence, et sans doute, désormais, à une plus grande variété de langues.  













20 Voir, par ex., le relevé des institutions membres du SDL University Partner Program : www.trans lationzone.com/learning/education/academic-institutions.html#tabs.  

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4.3 Les manuels de terminologie Les principaux manuels de terminologie ayant pour visée la formation du terminographe ont été publiés en français au Québec et leur antériorité au sein du domaine latin ne fait guère de doute. On songe, bien entendu, d’abord au Manuel pratique de terminologie de Robert Dubuc (42002, 1978), à l’Introduction à la terminologie de Guy Rondeau (21984, 1981), mais aussi au Vocabulaire systématique de la terminologie (Boutin-Quesnel et al. 1985), diffusé par l’Office québécois de la langue française, et au Précis de terminologie de Silvia Pavel/Diane Nolet (2001), diffusé par le Bureau de la traduction du Gouvernement du Canada. Le premier ouvrage de réflexion théorique en français clairement dédié à la terminologie est le célèbre Que sais-je ? d’Alain Rey (21992, 1979), suivi par d’autres, comme La terminologia rédigé en catalan par Maria Teresa Cabré i Castellví (1992) et traduit successivement en castillan, en français et en anglais. Plusieurs publications de thèses consacrées à la terminologie ont fait date, comme celle de François Gaudin (1990), qui est devenue un ouvrage de référence (Gaudin 2003). Le premier ouvrage en français à intégrer une approche orientée vers l’ingénierie de la langue est incontestablement La terminologie : principes et méthodes de Marie-Claude L’Homme (2004). Le manuel de Montero Martínez/Faber Benítez/ Buendía Castro (22011), intitulé Terminología para traductores e intérpretes, est sans doute celui qui informe le mieux l’étudiant sur les démarches pratiques à mettre en œuvre pour développer une terminographie qui s’affranchisse des pratiques anciennes.21 Toutefois, on manque assurément d’un vaste ouvrage de synthèse qui, sans être un recueil de contributions, pose tout à la fois des questions épistémologiques et décrive aussi les méthodologies pratiques qui permettent de produire, d’échanger et d’exploiter à l’aide de l’outil informatique des données terminographiques de qualité (rédaction, traduction, aménagement, normalisation, extraction de connaissance, applications spécialisées …). Le lien serait ainsi mieux établi entre les études scientifiques et les pratiques qu’elles sont censées nourrir et qui, pour l’heure, relèvent souvent d’une linguistique profane ou populaire (Stegu 2006 ; 2008).  









21 Le tableau que nous dressons ne tient, bien entendu, pas compte du contenu des cours – parfois polycopiés – destinés aux étudiants. Ainsi, dès le début des années 1990, l’Institut supérieur de traducteurs et interprètes de Bruxelles formait déjà ses étudiants à construire des glossaires (www. termisti.org/liste.htm) dont la structuration anticipait la norme ISO 16 642 (Merten/Mertens/Van Campenhoudt 1993), fondés sur une approche corpus (Van Campenhoudt 1993) et sur la recherche de liens sémantiques (Blampain/Petrussa/Van Campenhoudt 1992).  



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5 Panorama succinct de l’activité terminologique en langues romanes 5.1 Les organismes officiels La terminologie est une discipline qui s’est développée dans la seconde moitié du XXe siècle en étroite interaction avec l’activité d’organismes devant gérer d’importants volumes de traduction (Union européenne, ONU, OTAN, États fédéraux multilingues) et celle d’institutions officielles pratiquant des politiques interventionnistes en matière de langue (OQLF, Termcat, DGLFLF…). Ces deux aspects ont de longue date marqué la production terminographique, mais aussi la réflexion théorique. Ainsi, au Canada, la base Termium est gérée par le Service de traduction du gouvernement fédéral, alors que le Grand dictionnaire terminologique est un instrument d’aménagement linguistique de l’Office québécois de la langue française. Ne poursuivant pas les mêmes objectifs, ces bases ne cherchent pas nécessairement à harmoniser leur contenu.22 Il n’y a guère de pays latins qui ne possèdent ou n’aient possédé un service officiel responsable de la terminologie. Le rôle des Commissions de terminologie en France, du Service de la langue française en Belgique francophone ou encore du Centrul naţional de terminologie en Moldavie est bien connu. À partir du milieu des années 1990, la revue Terminometro de l’Union latine a consacré des numéros hors-série à l’état des politiques terminologiques pour de nombreuses aires de la Romania et il semblerait vain de prétendre résumer ici ce travail. Il nous semble néanmoins que les rôles pionniers de l’Office québécois de la langue française et de Termcat (Quirion/ Freixa 2013), mais aussi de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (Depecker 2001) sont particulièrement marquants s’agissant de développer des politiques d’intervention sur le corpus terminologique et ont indubitablement servi de modèles dans d’autres aires. À la fin du siècle dernier, les possibilités de financement, initialement nombreuses, offertes par les grands programmes de recherche européens ou dans le cadre des politiques locales d’aménagement ont constitué un appel d’air pour la recherche. Le paradoxe est que ce sont sans doute les chercheurs issus d’horizons nouveaux (lexicologie, linguistique de corpus, ingénieries linguistique et de la connaissance…) qui, tout en véhiculant l’idée d’une discipline autonome, ont remis en cause les pratiques des grandes bases de données institutionnelles et dressé le constat d’un hiatus profond entre le projet aménagiste, nourri des théories viennoises, et ce que

22 Ce double niveau se retrouve en Suisse : à côté de la base de données Termdat de la Section de terminologie des Services linguistiques centraux de la Chancellerie fédérale, on peut consulter une base de données allemand-français, Lingua-PC, propre au canton de Berne.  



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leur apprenaient leurs méthodes de recherche. Ils ont ainsi contribué à remettre en cause les fondements théoriques et les pratiques de ces institutions et d’instances qui les ont largement financés. C’est ainsi que Maria Teresa Cabré i Castellví (2013, 136s.) note que Termcat et l’OQLF ont connu à la même période une révision de leurs pratiques communes : « Nous avons dû attendre la décennie des années 1990 pour que les premières objections aux bases wüstériennes de la terminologie catalane et québécoise commencent à pointer, objections d’ailleurs bien plus timides dans les organismes officiels que dans les universités, et bien moins prononcées dans les universités du Québec que dans celles de Catalogne ». En Belgique francophone, la base Belterme23 a, de même, connu au cours de la dernière décennie une nette réorientation de ses missions. Après avoir eu comme principale mission d’adapter à la réalité du terrain linguistique belge les termes diffusés au Journal officiel de la République française (Lenoble-Pinson 2006), elle vise désormais plutôt à répondre à des besoins de dénomination dans des domaines particuliers intéressant le service public et les citoyens : audit, simplification administrative, enseignement supérieur, édition numérique… Cette remise en cause fut aussi l’occasion de repenser la recherche d’équivalents, les missions de traduction des bases de données aménagistes pouvant se révéler ambiguës (Cisse et al. 2009, 51–58).  









5.2 Les réseaux L’activité terminologique a toujours été marquée par l’existence de réseaux internationaux, à commencer par le réseau Termnet (www.termnet.org.), créé par l’Unesco et qui a son siège à Vienne. Cette activité de réseaux marque aussi le monde latin. L’action de la Direction de la terminologie et des industries de la langue (DTIL) de l’Union latine, malheureusement arrêtée depuis 2012, a été particulièrement dynamisante pour les pays de langues romanes. Son activité s’est notamment déclinée sous la forme d’un portail internet et d’une revue (Terminometro), mais aussi à travers l’organisation de nombreuses rencontres et la participation à d’importants projets internationaux. Dans le domaine universitaire, l’association internationale la plus ancienne est sans doute le Réseau ibéro-américain de terminologie (RITERM) (www.ufrgs.br/ riterm), créé en 1988 à la Universidad Simón Bolívar (Caracas) au terme du premier Simposio Iberoamericano de terminología. Il fédère, à travers l’usage de trois langues officielles (castillan, catalan, portugais), aussi bien des universités que des institutions, voire des individus. Il publie depuis 2005, la revue Debate Terminológico,

23 www2.cfwb.be/franca/xml/html/bd/bd.htm. Cette base de données est diffusée par le Service de la langue française de la Fédération Wallonie-Bruxelles.  

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accessible en ligne et dont la plupart des articles sont publiés en portugais ou en espagnol. Né à la même époque, le réseau de chercheurs universitaires Lexicologie, terminologie, traduction (LTT (www.ltt.auf.org/index.php)) a été créé dans le cadre de la Francophonie universitaire. Sa principale cheville ouvrière a longtemps été le professeur André Clas, de l’Université de Montréal. Devenue une association internationale autonome, cette société savante organise régulièrement des colloques, enrichissant une riche collection d’actes volumineux (www.bibliotheque.auf.org), et des formations dans le milieu universitaire. Le français y est la langue de communication, mais des chercheurs du monde entier participent à ses travaux, qui portent sur une pluralité de langues. Jusqu’au tournant des années 2010, le réseau a financé des projets de recherche originaux, associant des centres de recherche du Nord et du Sud. Plus récent, mais non moins méritant, le Réseau panlatin de terminologie Realiter (www.realiter.net) a longtemps été soutenu par la défunte Union latine, dont il s’est désormais affranchi. Comme Riterm, Realiter fédère aussi bien des chercheurs que des organismes actifs dans le domaine de la terminologie. Il a pour particularité de fonctionner en pariant sur l’intercompréhension entre les locuteurs de langues latines. Plusieurs réseaux internationaux ont dû mettre fin à leurs activités faute de financement. Ainsi, le Réseau international de néologie et de terminologie (RINT), devenu ensuite Réseau international francophone d’aménagement linguistique (RIFAL) a été très actif de 1988 à 2009. Fédérant les organismes en charge de la politique linguistique au sein des pays francophones, il a développé de nombreuses activités de formation et de production terminographique au profit des pays du Sud jusqu’à l’arrêt de son financement par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). On ne saurait négliger le rôle éminemment structurant joué par ces réseaux internationaux – et bien des réseaux nationaux24 – qui ont permis à de nombreux collègues de se rencontrer et de débattre, mais aussi de nouer de nombreux échanges de données, d’étudiants, de doctorants… D’importants projets communs y sont nés, fédérant leurs travaux respectifs et nourrissant de nombreuses publications scientifiques de référence.

5.3 Les revues et les actes de colloque De grandes revues ont historiquement marqué le développement de la terminologie dans le monde latin. On songe, pour les revues francophones, à Meta (Université de Montréal), à Terminologie et traduction† (Commission européenne), à Terminologies nouvelles† (revue du RINT, devenue Cahiers du Rifal†), à La Banque des mots (CILF) ou

24 On songera, entre autres, à la Société française de terminologie (SFT), à l’Asociația Românǎ de Terminologie (TermRom) ou encore à l’Associazione Italiana per la Terminologia (ASS.I.TERM).  

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encore à L’actualité terminologique† (remplacée par L’Actualité langagière, Secrétariat d’État du Canada) ou encore Terminogramme† (devenue Revue d’aménagement linguistique, OQLF). Pour le monde ibéro-américain, on a déjà cité Debate terminológico. La revue Terminàlia, de la Societat catalana de terminologia, paraît en catalan depuis 2009, la revue Tradterm est éditée en portugais depuis 1994 par le Centro Interdepartamental de Tradução e Terminologia de l’Universidade de São Paulo. L’émergence des pratiques bibliométriques conduit, nous semble-t-il, de plus en plus de terminologues à publier en anglais et l’émergence de la revue Terminology, très bien notée, a amené beaucoup de chercheurs des pays latins, notamment hispanophones, à publier leurs contributions en anglais. Pourtant, les deux grandes revues de référence du domaine, Terminology et Meta, acceptent des textes en français et en espagnol. Il manque assurément une publication phare qui permette de s’exprimer dans les principales langues romanes : l’expérience de l’intercompréhension au sein du réseau Realiter plaiderait pourtant en ce sens.  

6 Les voies de recherche actuelles Pour qui a suivi l’évolution de la terminologie depuis les années 80, il est aisé d’adhérer à l’affirmation de Roger Goffin (2010, 120) : « les études de la Terminologie sont à ce point diversifiées et éclatées, qu’elles se dérobent à toute tentative de bilan unitaire ». Vétéran de l’aventure d’Eurodicautom, il citait néanmoins des « conquêtes réelles comme la prise en compte de la phraséologie et de la textualité, de la sociolinguistique et des sciences cognitives ». Comme le note Isabel Desmet (2007, 3), les approches modernes « sont en fin de compte la conséquence d’une terminologie qui s’est progressivement confrontée à un seul phénomène : la variabilité, la variété et la variation inhérentes à toute langue naturelle, phénomène bien connu dans la linguistique contemporaine et dans les sciences du langage en général ». Les voies de recherche en terminologie se sont largement diversifiées au cours des deux dernières décennies. Il est clair qu’aujourd’hui, un doctorant en terminologie n’est plus en droit de consacrer de longues pages de son étude à réexpliquer la théorie générale de la terminologie, comme cela se faisait dans les thèses des pionniers. À moins de se lancer dans une véritable réflexion épistémologique ou herméneutique. Cette dimension existe, bien sûr, toujours, dans la lignée des travaux de Loïc Depecker (2002). « La manière de signifier du terme en discours » (Collet 2009) reste, d’ailleurs, une problématique sous-jacente que l’on retrouve dans les autres voies de recherche, quand bien même elles relèvent plutôt de la linguistique appliquée et poursuivent un but premier d’ordre plus pratique : aménagement linguistique, création d’ontologies, métaterminographie, traduction assistée par ordinateur, inventaire néologique, communication spécialisée… Philippe Thoiron/Henri Béjoint (2010, 107) s’interrogent, à juste titre sur la distinction qu’il y aurait à opérer entre une terminologie fondamentale et une terminologie appliquée.  





















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Comme nous l’avons montré plus haut (cf. supra 3.2), l’étude de faits de langues observés au sein de corpus informatisés devrait conduire – pour qui veut bien s’y intéresser – à une plus grande convergence des études traductologiques et terminologiques, au-delà d’une méthodologie commune (constitution du corpus, balisage, alignement, choix des logiciels). Confronté à la réalité du discours, le terminologue est amené à s’intéresser aux situations d’emploi et ne peut plus considérer le terme comme une entité isolée, suis generis, auquel aurait recours le rédacteur ou le traducteur après avoir consulté un dictionnaire (Van Campenhoudt/Temmerman 2011, 223–225). La diversification des voies de recherche et des approches constitue un enrichissement évident. Il est patent d’observer que la remise en cause de la doxa wüstérienne n’a pas débouché sur l’émergence de véritables nouvelles écoles théoriques unificatrices, capables de refonder les pratiques terminographiques. La terminologie apparaît de plus en plus comme une praxis diversifiée, où la majorité des travaux resituent le terme au sein de la pratique de la langue spécialisée, écrite ou orale. L’observation des usages, le recours systématique au corpus et la mise en retrait, sinon l’éviction, de l’expert omniscient semblent de larges constantes. Une recension des contributions retenues par les revues les plus consultées montre que beaucoup d’études portent sur la variation et l’évolution de l’usage. On s’affranchit de plus en plus des « frontières » du terme pour considérer, comme on l’a vu (cf. supra 3.2), d’autres catégories grammaticales, le rôle de l’adjectif et du verbe dans la terminologisation ayant été trop longtemps minimisé. On s’intéresse, de même, aux noms de marques ou de produits, ou encore aux acronymes. Dans le cadre d’une terminologie traductive, l’étude des bitextes conduit également à remettre en cause le figement du terme et à considérer la valence lexico-syntaxique du terme. Par sa dimension universelle, l’approche senstexte d’Igor Mel’čuk (1997), mise en œuvre à l’Université de Montréal, constitue sans conteste un apport original à l’étude du fonctionnement du terme en langue spécialisée. Le tarissement progressif des sources de financement nationales ou internationales pour des travaux de terminologie originaux, observé dès la fin du XXe siècle (Dubuc 1994, 147) et déjà plusieurs fois évoqué ici, a conduit de nombreux chercheurs à envisager leurs recherches sous d’autres angles. Les grands projets financés par des fonds publics ou privés concernent désormais l’informatisation et l’échange de données lexicales spécialisées, l’interfaçage des outils de TAO et surtout la communication en langue spécialisée. Le recentrage sur la langue utilisée comme outil de communication entre spécialistes ou entre spécialistes et profanes sous-tend de nombreux travaux, tant du côté de ceux qui côtoient le monde des ontologies que du côté de ceux qui s’intéressent aux pratiques de communication. Ainsi, dans le domaine médical pourra-t-on chercher à faire se correspondre des ontologies (par ex. des classifications de maladies ou d’actes de soin) ou s’intéresser aux difficultés de la communication entre soignants et patients parlant des langues différentes. À la frontière des deux démarches, on pourra établir le lien entre les « termes-étiquettes »  







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utilisés dans une ontologie classant les actes de soins dans un hôpital public et la réalité beaucoup plus riche et complexe des « termes de discours » (Thoiron/Béjoint 2010, 109) utilisés par les médecins du même hôpital rédigeant un rapport médical. Loin d’avoir débouché sur une scission entre écoles, l’irruption de tous les champs d’investigation des sciences du langage et la prise en compte des réalités de la langue spécialisée ont assurément enrichi le champ des études terminologiques. Les communautés de chercheurs se révèlent ainsi plurielles : face au terme, l’ontologue le plus authentique ne pourra jamais échapper à la réalité complexe des faits de langue.  





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25 Extrait d’un article publié en allemand dans la revue Linguistics (12:119, 1974, 61–106). 26 Traduit en castillan et disponible sous format électronique : www.edu-library.com/ca/fitxa/446.  

Françoise Hammer et Heinz-Helmut Lüger

30 Différences de culture et traduction : l’intraduisibilité culturelle  

Abstract : À partir d’un exposé des liens entre la langue et les aspects culturels de la communication, la contribution a pour objectif d’examiner les problèmes et difficultés qui peuvent se présenter dans une optique traductologique. Après un tour d’horizon sur les concepts de traduisibilité et d’intraduisibilité on abordera les différents domaines de savoirs culturels et leur rôle dans la traduction. Du fait de sa polyfonctionnalité, un texte constitue un acte communicationnel complexe dans un contexte culturel particulier et s’adressant à des destinataires indéterminés – un facteur qui aboutit souvent à augmenter les problèmes de traduisibilité. Une telle approche permet de différencier plusieurs niveaux de constitution textuelle et de mieux concrétiser – et ceci sur la base d’un exemple littéraire – les obstacles et les limites d’une traduction adéquate ou complète. Ces réflexions et analyses amènent à concevoir la traduction comme une négociation discursive.    

Keywords : faits culturels, degrés d’intraduisibilité, interculturalité, polyfonctionnalité, unités phraséologiques, négociation discursive    

1 Introduction Langue et société entretiennent des liens étroits, l’histoire et l’évolution culturelle d’une société se répercutent sur la langue qui en exprime les concepts et les valeurs :  

« Il faut nous représenter la langue comme un vaste catalogue où sont consignés tous les produits de l’intelligence humaine : souvent le catalogue, sous un même nom d’exposant, nous renvoie à différentes classes » (Bréal 31904, 144).  





Toute communication langagière transmet dans ses messages les plus anodins des informations culturelles : l’emploi des unités lexicales portant la marque des contextes où les locuteurs les ont apprises au cours de leur socialisation. Expression d’une vision du monde, la communication verbale peut ainsi être source de malentendus et de conflits, en particulier lorsque les participants appartiennent à des groupes sociaux ou culturels différents (Kühn 2006, 26), c’est pourquoi la traduction demande une prise en compte des aspects culturels spécifiques des langues confrontées.  

« Une traduction ne concerne pas seulement un passage entre deux langues, mais entre deux cultures, ou deux encyclopédies » (Eco 2006, 190).  



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Françoise Hammer et Heinz-Helmut Lüger

S’il y a consensus sur ce point, la discussion reste ouverte quant aux possibilités concrètes et aux limites de traduisibilité des réalités culturelles. L’internationalisation des échanges dans tous les secteurs de la vie sociale qui conduit à une augmentation massive de la demande de traductions et à une multiplication des fonctions de cellesci implique une sensibilisation accrue aux questions culturelles. L’objectif dans ce qui suit est d’éclairer la problématique à l’appui des nouvelles approches linguistiques. Après un aperçu de l’évolution d’une conception de l’intraduisibilité comme phénomène intrinsèque à la langue, l’exposé montre l’importance, pour la traduction, du recentrage pragmatique de la linguistique sur le texte comme expression spatiotemporelle d’une parole marquée par les normes sociales et scripturales de son contexte d’énonciation ; l’objectif de la traduction étant de réussir à en transmettre le message malgré les divergences culturelles du nouveau contexte. Dans cette optique, l’intraduisibilité devient graduelle, manifeste aux différents niveaux du texte, et variable selon la fonction et la localisation de celui-ci dans la langue cible. Les problèmes posés au traducteur sont illustrés à l’aide d’un texte littéraire.  

2 Le concept d’intraduisibilité Le débat sur la traduisibilité et l’intraduisibilité n’est pas neuf. Il a longtemps fait l’objet d’une confrontation théorique entre relativistes et universalistes. Pour les relativistes, dans la tradition de l’anthropologie américaine autour de Sapir, Whorf et Nida, la langue est l’expression d’une vision du monde qui organise la pensée en un système spécifique, intransposable dans un autre système. Sous cet angle toute traduction est nécessairement déficitaire par rapport à l’original du fait de l’incommensurabilité des systèmes linguistiques : « Traduttore, traditore ».  





« Das Übersetzen der biblischen Gedichte ist […] im Grunde unmöglich, nicht nur wegen der ganz anderen Sprachkultur, sondern wegen des ganz anderen Sprachdenkens, der ganz anderen Mentalität der Sicht auf die Welt, das sie abbildet »,  



‘La traduction des poèmes bibliques est […] au fond impossible, en raison de l’altérité radicale de la culture et de la pensée linguistiques de la Bible, ainsi que de la mentalité sous-jacente à sa manière de voir le monde qu’elle décrit’

écrit Reichert (2012, 48) pour résumer la position. La segmentation de la gamme des couleurs est souvent évoquée à l’appui de cette thèse. Cette position majoritairement articulée dans le domaine de la traduction littéraire, où la langue est elle-même objet de la traduction, est ainsi défendue par Ortega y Gasset dans Miseria y esplendor de la traducción (1937). Berman (1999) parle de « L’intraduisible comme valeur » :  





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Différences de culture et traduction : l’intraduisibilité culturelle  

« Dire d’un poème qu’il est intraduisible, c’est au fond dire que c’est un ‹ vrai › poème » (ibid., 42).  







Pour Benedetto Croce la traduction ne peut rendre l’intention et l’individualité de l’auteur. Pour les universalistes au contraire, tout vécu humain est linguistiquement communicable et transposable. Mounin (1963, 214) dans un chapitre intitulé Visions du monde et traduction pose l’existence d’universaux culturels « dont les universaux linguistiques ne sont qu’un élément ». Contrairement aux relativistes, il affirme que « tous ces faits de nomination de couleurs […] mènent à constater que les ‹ visions du monde › qu’ils extériorisent ne sont pas incommunicables : en référant à quelque chose de tangible dans le monde extérieur, elles permettent toujours de saisir un minimum invariant de signification dénotative, qui peut toujours être transmis de langue en langue » (ibid., 215). Et de conclure que « la traduction de toute langue en toute langue est au moins possible dans le domaine des universaux » (ibid., 223). Dans son célèbre article Aspects linguistiques de la traduction, Jakobson (1963, 84) se dresse de même contre les relativistes au nom de la nature même du signe linguistique :  



















« L’aspect cognitif du langage, non seulement admet mais requiert, l’interprétation au moyen d’autres codes, par recodage, c’est-à-dire la traduction. L’hypothèse de données cognitives ineffables ou intraduisibles serait une contradiction dans les termes ». « Les langues diffèrent essentiellement par ce qu’elles doivent exprimer, et non par ce qu’elles peuvent exprimer ».  







Pour Coseriu (1981) exiger de la traduction qu’elle reproduise dans la langue cible tout ce qui est dit dans le texte-source ou que le traducteur croit y avoir lu, est poser un faux problème. La traduction, écrit-il, n’est pas une affaire de langue mais de texte. « Nur Texte werden übersetzt ; und Texte werden nicht mit sprachlichen Mitteln allein erzeugt, sondern zugleich, in verschiedenem Maß, auch mit Hilfe von außersprachlichen Mitteln » (Coseriu 1981, 31). ‘On ne traduit que des textes ; et les textes ne sont pas produits à l’aide des seuls moyens linguistiques, mais aussi, dans des proportions variables, à l’aide de moyens extralinguistiques’.  







Traduire c’est transmettre un même contenu, en dépit de leurs divergences d’expression, dans les différentes langues. L’italien prego correspond ainsi à l’espagnol por favor et au français s’il te/vous plaît. Un tournant « conceptionnel » s’est ainsi opéré :  





« La traduction, et c’est un principe désormais évident en traductologie, ne se produit pas entre systèmes, mais bien entre textes » (Eco 2006, 41).  



Traduisibilité et intraduisibilité ne sont plus perçues comme des oppositions catégoriques mais comme des oppositions graduelles et différenciées.

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« Au lieu de dire, comme les anciens praticiens de la traduction, que la traduction est toujours possible ou toujours impossible, toujours totale ou toujours incomplète, la linguistique contemporaine aboutit à définir la traduction comme une opération, relative dans son succès, variable dans les niveaux de la communication qu’elle atteint » (Mounin 1963, 278).  



Dans le sillage de la linguistique pragmatique et conversationnelle, dont la recherche porte sur les aspects fonctionnels et interactionnels des textes, se propagent en traductologie, vers les années 1980, des théories de type fonctionnaliste qui donnent à la traduction pour objectif premier de reproduire le message sous la forme la mieux appropriée au destinataire. Pour le mouvement des ciblistes (contrairement aux sourciers), la traduction devient avant tout un acte (inter)langagier destiné à fournir à son destinataire, réel ou hypothétique, un texte cohérent qui réponde à ses attentes pratiques et à sa vision du monde. Un intérêt croissant est désormais accordé aux facteurs culturels de la communication (Floros 2002). La théorie du skopos (Reiß/ Vermeer 1984), en particulier, considère les aspects culturels comme le problème majeur de la traduction :  

« Language is seen as part of a culture, a translation is in this view a cultural rather than purely linguistic transfer » (Snell-Hornby 2008, 186).  



L’extension de la notion de traduction se trouve remise en question (Koller 2004), comme le montrent les fluctuations terminologiques : translation, transposition, transfert, adaptation, ou réécriture et le remplacement du concept d’équivalence (Snell-Hornby 21994, 11–16) par adéquation, acceptabilité, compatibilité, concordance ou plus tard négociation. L’intraduisibilité est perçue comme impliquée davantage par des divergences culturelles (kulturelles Weltanschauungsproblem) que des problèmes de langue (sprachliches Weltanschauungsproblem) (Wotjak 2011, 161s. ; Vermeer 21994). Acte communicationnel situé dans l’espace et le temps d’une communauté langagière, le texte est déterminé par son contexte culturel, historique, intertextuel et intermédiatique (Eckkrammer 2010, 46). La traduction se définit comme la transposition d’un prototexte en un métatexte (Osimo 2011, 50–53) reliant deux univers textoculturels plus ou moins proches. Pour satisfaire à la fonction communicationnelle du texte-cible, tout en respectant le contexte de l’original, la traductologie, consciente de la situativité socioculturelle du texte traduit, s’oriente aujourd’hui vers une conception médiatrice, la recherche du meilleur compromis possible entre deux contextes socio-culturels dans une situation donnée. Mouse or Rat ? Translation as negotiation titrent Eco (2003), Übersetzen als Verhandlung Pirazzini/Santulli/Detti (2012). Quoiqu’il en soit, la fonction primaire de la traduction demeure la transposition d’un texte A, émis dans un contexte culturel et situationnel spécifique, dans le moule d’un texte B qui réponde dans la langue cible aux intentions du texte-source (Hen 





Différences de culture et traduction : l’intraduisibilité culturelle  

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necke 2009, 3). L’identification des facteurs culturels constitue la tâche première du traducteur (Floros 2004).

3 La culture dans les textes La définition du concept de culture est loin de faire l’unanimité. On en dénombrerait au moins 400 selon Wotjak (2011, 162). Les textes n’en représentent que la partie verbalisée. Ils transmettent un ensemble de connaissances partagées, explicitées ou non, selon les conventions sociales et les normes du dire de la communauté, les conditions et objectifs de l’interaction. Le problème de la traduction est d’ajuster ces composants à ceux de la langue cible compte tenu des divergences existantes. Dans une première approche de l’intraduisibilité culturelle, Kupka (cité par Eco 2006) distingue quatre groupes de relations langue-culture : des langues divergentes à la fois par la structure et la culture, des langues proches par la structure mais éloignées par la culture, des langues proches par la culture mais éloignées par la structure et des langues semblables à la fois par la structure et la culture. Mais la traduction porte sur le texte :  



« Auch wenn Sprachen nicht ‹ äquivalent › sind, können Texte wohl ‹ äquivalent › sein. Die Frage ist nur, unter welchen Verfahren der Übersetzer bei der Re-Produktion des Textes wählen kann, um eine Art Textäquivalenz zu erreichen » (Drahota-Szabó 2013, 95).  











‘Même si les langues ne sont pas ‹ équivalentes ›, les textes, eux, peuvent l’être. La seule question est de savoir quels sont les procédés qui s’offrent au traducteur pour lui permettre d’atteindre une sorte d’équivalence textuelle’  



Le texte est intégré dans un contexte culturel hiérarchisé, celui de la culture générale (niveau de civilisation), des normes sociales et des normes textuelles. Dans son article Sprache und Kultur – Wie spiegelt sich Kulturelles in der Sprache ? G. Wotjak propose dans une optique traductologique, la distinction entre deux domaines culturels verbalisés (2011, 175), le domaine du savoir encyclopédique et celui du savoir social (cf. savoir et croyances de Plantin), domaines qu’il subdivise ensuite en trois sections A, B et C (Figure 1), la section A comprenant des savoirs sans rapport direct avec l’homme comme les sciences naturelles, la section B (entre savoir et croyance) des savoirs liés à l’individu comme les sciences de l’homme et la section C des sciences sociales dont fait partie la linguistique. La section A pose, selon lui, surtout des difficultés d’ordre référentiel, les deux autres, à différents degrés, des difficultés d’ordre culturel : institutionnel, social ou textuel.  







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Fig 1 : Domaines du savoir (d’après Wotjak 2011)  



En ce qui concerne le texte, l’intraduisibilité de celui-ci dépend selon Albrecht (22013, 14) de trois facteurs fondamentaux : 1) l’impossibilité d’établir des critères objectifs et universels pour déterminer la portée intersubjective d’un message, 2) l’absence d’équivalents dans la langue cible du fait d’une structuration sémantique différente et 3) les divergences des milieux culturels de la communication. Ce dernier point est au centre de la présente contribution. Trois acteurs interviennent dans le cadre de la traduction : l’auteur du texte (émetteur), le destinataire (récepteur) et le traducteur (décodeur-encodeur) chargé de faire le pont ou d’effectuer une médiation entre les cultures (Rentel/Venohr 2012 ; Wotjak 2012), qui appartiennent chacun à une sphère culturelle historico-spatiale spécifique :  







« Die Bikulturalität des Translators erst vermag zwischen Angehörigen zweier sich sonst nicht oder nicht hinreichend verständlichen Kulturen zu vermitteln » (Vermeer 21994, 52).  



‘C’est la biculturalité du traducteur qui permet seule la médiation entre ressortissants de deux cultures plus ou moins imperméables l’une à l’autre’

Le message du texte source renvoie à des univers d’expérience (Joly 2003) réels ou virtuels, localement et diachroniquement situés, d’une communauté linguistique, familière ou non au traducteur et dont l’appréhension comporte nécessairement une marge de subjectivité. Il s’agit pour lui de transposer dans un autre contexte paroleculture pour un destinataire réel ou hypothétique et avec un objectif éventuellement différent de celui du texte source. Dans un cadre interactionnel, la traduction ne peut être qu’une tentative de réadaptation culturelle reposant sur l’hypothèse cognitive d’un recoupement partiel des univers d’expérience confrontés.

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L’intraduisibilité signifie la marge de non-recoupement des différents domaines de parole-culture des interactants et devient un problème graduel. Traduire c’est « Dire presque la même chose » (Eco 2006). L’optimisation du métatexte implique des opérations de convergence, des compromis d’ordre à la fois interculturel, intertextuel et interpersonnel aux différents niveaux du texte. Entre traduction, transposition et adaptation la marge est souvent étroite (cf. Schreiber 1993). Le texte, comme acte communicationnel, est une entité polyfonctionnelle. Il ne s’agit pas là, comme le fait remarquer Wilss (1988, 113), d’une question de terminologie. Du fait de son caractère fondamentalement interactionnel, le texte assume en plus de sa fonction descriptive des fonctions expressive et appellative, comme l’a montré Bréal (31904, 288) dans sa sémantique bien avant Karl Bühler :  





« Mais le langage ne s’adresse pas seulement à la raison : il veut émouvoir, il veut persuader, il veut plaire ».  





4 Entre traduisibilité et intraduisibilité La polyfonctionnalité n’est pas spécifique du plan lexical, elle intervient à tous les niveaux du texte, de son unité la plus petite, le lexème, en passant par le syntagme jusqu’au texte lui-même (cf. Kallmeyer 1987 ; Lüger 1999 ; Foschi Albert 2009). En d’autres termes : toute manifestation verbale peut assumer différentes fonctions, opérer différents actes, tous situés dans un champ culturel particulier – avec pour corollaire des problèmes de non-traduisibilité. Le bref article de presse qui suit (1) illustre la complexité de la problématique.  





(1)

INSOLITE Le policier faisait le coup du lapin ■ L’officier de police Tom Broadway pensait avoir une bonne couverture pour sanctionner les automobilistes de Glendale (banlieue de Los Angeles). Dissimulé dans un costume de lapin géant, il traversait la rue sur les passages piétons non protégés par des feux, pour voir si les conducteurs cédaient le passage, comme l’exige le code de la route. Des élus, trouvant l’initiative du lapin géant dans la rue « aberrante » et « très dangereuse », ont protesté. L’officier, malgré une excellente moisson de procès-verbaux, a dû remiser sa fourrure. Il est revenu à une « couverture », plus conforme aux standards californiens : un short et un t-shirt. L’imagination n’a pas pris le pouvoir (Le Dauphiné libéré 4–4-2010).  













Le premier objectif de toute communication est de faire en sorte que le texte soit perçu et qu’un contact s’établisse entre rédacteur et lecteur, sinon aucun échange ne peut avoir lieu :  

« La intención concerniente al establecimiento / renovación / restablecimiento de relaciones sociales o comunicativas precede, por lo general, a la comunicación acerca de hechos. Ellas se  

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superponen constantemente a ésta con el fin de continuarla, mejorarla, detectar interferencias (y dado el caso eliminarlas) […] » (Steger 1978, 146).  

Pour ce faire la presse utilise tout un inventaire de moyens de mise en relief, comme dans (1) le recours aux capitales, aux caractères gras ou à la couleur dans le titre. La présentation syntaxique sur deux lignes de l’article, sert de même à attirer l’attention – l’évaluation est présentée sous forme de syntagme qui précède la description des faits. La sémantique enfin contribue à renforcer la mise en relief, elle annonce un fait surprenant, un acte de violence de la part d’un policier et crée une attente qui ensuite, dans le cours de la narration, prend une tournure inattendue et rend rétroactivement le titre ambigu (cf. Figure 2 : mise en relief → attirer l’attention). Quand bien même les moyens employés paraissent « normaux » au lecteur du journal, ils n’en sont pas moins l’expression d’une stratégie de communication où sont associés un média particulier (un journal régional), un type de texte (fait divers) et une présentation stylistique tournée vers le lecteur. Si ces différents aspects peuvent présenter des difficultés pour le traducteur, le double sens du titre en présente certainement une.  





Fig. 2 : Dimensions de la constitution textuelle  



Différences de culture et traduction : l’intraduisibilité culturelle  

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Les procédés de mise en relief ne sont pas gratuits, ils ont pour fonction de conforter la réalisation de l’objectif principal, voire de le rendre accessible. Dans des exemples comme (1), il s’agit en premier lieu de faire parvenir une information concrète, plus exactement de transmettre une succession d’actions (assertions), en partie avec des prises de position insérées et qui s’achève par une conclusion évaluative. C’est ce qu’il est convenu d’appeler le schéma d’action(s) centrale(s) du texte. Pour la traduction il s’agit du niveau de la constitution textuelle, qui présente en règle générale l’objectif principal. Mais la fonction pragmatique du texte ne s’arrête normalement pas là. Des actions secondaires diverses en augmentent la complexité. Ainsi tout d’abord, sur le plan de l’expressivité, la subjectivité de l’auteur. Le choix du vocabulaire et des formulations du locuteur ou scripteur fournissent des informations le concernant, qu’elles soient voulues ou non. L’usage de certains termes et locutions peut signaler l’appartenance régionale, sociale de l’auteur, sa position sociale ou son état émotionnel (cf. Charaudeau 2010). Dans l’exemple cité, l’aisance stylistique du rédacteur et son humour dans le jeu de mot du titre et la métaphore de la conclusion ont également une fonction. De toute évidence, l’article n’a pas pour objectif unique et primaire de communiquer des faits mais vise surtout à établir des relations entre le journal et ses lecteurs. La présentation de l’information donnée doit les amuser et les distraire. Il s’en suit qu’il peut être difficile dans la langue cible de trouver une formulation qui rende également compte de ces dimensions secondaires du texte source. La traduction des facteurs concernant l’organisation textuelle est généralement moins problématique. Le balisage des textes par des connecteurs explicites rend la tâche normalement plus facile. Il faut garder en mémoire cependant que l’accomplissement communicatif lui-même est, dans de nombreux cas, culturellement marqué. L’analyse conversationnelle, la linguistique textuelle et les recherches en langue de spécialité montrent combien la structure des textes et des communications est déterminée par le contexte culturel auquel appartient l’auteur ou l’orateur et combien les attentes peuvent diverger d’une communauté à l’autre (Drescher 2002 ; Krause 2010 ; Luginbühl/Hauser 2010). Sous cet angle, dans (1) l’emploi des temps joue un rôle structurant. Tandis que les faits rapportés sont tous à l’imparfait, dans la deuxième partie de l’article, les réactions qu’ils provoquent sont au passé composé, une présentation qui ne peut pas toujours être rendue de façon analogue. Les réseaux isotopiques de métaphores et d’expressions idiomatiques qui tissent des liens entre des passages entiers dans les textes littéraires et assurent leur cohésion, présentent des difficultés similaires (cf. Lüger 2002). Un autre plan, celui que des modalités d’interaction ou de communication, doit aussi être pris en considération. Les auteurs peuvent en effet signaler si leurs propos sont à prendre au sérieux ou de façon ironique et amusée ou s’ils font référence à des conceptions religieuses, mythiques ou à des contextes littéraires et scientifiques. Dans la majorité des cas il s’agit principalement d’allusions au contexte du quotidien de la communauté linguistique et donc à un environnement considéré de ce fait comme  



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naturel, comme l’exprime Bange par un terme un peu ambigu quand il parle de registres :  

« L’importance du registre sérieux est si grande qu’il occulte les autres registres, qu’il est regardé comme ‹ naturel ›, c’est-à-dire que ses conditions de possibilités sont posées en absolu, ne sont plus perçues dans leur particularité. Il est confondu avec l’emploi de la langue en soi […] » (Bange 1986, 216).  







La modalité de l’exemple cité est majoritairement celle d’un regard distancié. Le rédacteur signale dès le titre qu’il relate un fait peu commun et que l’on ne doit pas s’attendre à une information sérieuse. L’emploi de formules à double sens, les expressions imagées et la personnification de la conclusion ne laissent aucun doute sur la volonté de l’auteur d’établir une communication récréative. La Figure 2 présente la synthèse de ces différents plans généralement considérés séparément. C’est précisément cette multiplicité d’accès au texte qui fait de la traduction une entreprise risquée et complexe. Sa complexité va bien au-delà des critères de forme et d’esthétique que Nikula (2013, 165) considère comme la source majeure des difficultés de la traduction, avant tout littéraire. Tenter de trouver dans la langue cible une forme adéquate sur tous les plans du texte source, surtout sur ceux qui vont audelà du schéma des actions centrales, semble voué à l’échec. Accepter de faire des concessions semble la seule solution possible.  

« Sowohl der Übersetzer als auch der Übersetzungskritiker sollen in Kauf nehmen, dass Bedeutungsverluste beim Übersetzen oft nicht zu vermeiden sind » (Forgács 2007, 143).  



‘Le traducteur comme le critique des traductions doivent accepter le fait que les pertes de sens, lors de la traduction, sont souvent inévitables’

5 Faits culturels et langagiers Les considérations qui suivent exemplifient les explications générales présentées cidessus. Les publications les plus récentes attirent en effet l’attention sur la nécessité de prendre en compte l’influence du milieu culturel sur l’organisation du texte source comme du texte cible (cf. Hennecke 2009 ; Wotjak 2012). La discussion tourne dans ce contexte autour de phénomènes d’importance majeure, les prétendus faits culturels (Realien), l’emploi de métaphores, de locutions phraséologiques, y compris leurs variantes et modifications, la présence de composés ad hoc ou de jeux de mots (cf. Ballweg 1999). Afin d’illustrer ces phénomènes de la manière la plus simple, les exemples proviennent d’un même texte et de ses traductions. Il s’agit du roman Ein weites Feld de Günter Grass, publié en 1995 (traduit en français par Toute une histoire, en espagnol par Es cuento largo et en italien par È una lunga storia). Le choix de ce texte est motivé par les difficultés qu’il présente du fait du caractère complexe, recherché et non-conventionnel de la langue employée et de l’intégration massive  

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dans le texte de faits culturels. Comme le dit de façon imagée le traducteur Claudio Groff (2011, 152), il s’agit d’une « navigazione attraverso cento anni di storia tedesca ». (Les citations suivantes ne comportent que l’indication du chapitre et du numéro de page.) Les unités lexicales spécifiques d’une culture ou d’une communauté culturelle, ont toujours été considérées comme un problème typique de la traduction (ou même comme marques d’intraduisibilité). Des désignations comme Berliner Mauer ou Brandenburger Tor posent peu de difficultés car elles font référence à des objets politiques importants et connus au niveau international.  

(2) (3)



Berliner Mauer (I, 10) → Mur de Berlin (12), Muro de Berlín (17), Muro di Berlino (6) Brandenburger Tor (I, 13) → porte de Brandebourg (12), Puerta de Brandeburgo (20), Porta di Brandeburgo (9)

La situation s’avère différente quand la connaissance des objets de référence évoqués est moindre ou plus ou moins vague, comme dans les exemples suivants :  

(4) Todesstreifen (I, 15) → couloir de la mort (17), franjas de la muerte (21), linea della morte (10) (5) 17. Juni (I, 16) → émeutes du 17 juin (18), 17 de junio (23), il 17 giugno (11) [+ note à la fin du livre (645)]  

Les notes et les ajouts en bas de page et en fin d’ouvrage montrent les efforts faits pour combler les déficits supposés (pour une systématisation des procédés utilisés cf. Drahota-Szabó 2013). Les métaphores et les mots composés allemands posent souvent problème surtout lorsqu’il s’agit de constructions ad hoc. Comment traduire des néologismes comme kein Wasnochalles (II, 37), Skribifax (VI, 127) ou Schofelinskischaften (VII, 137) sans modifier le style ? Même s’il est possible de trouver des expressions presque équivalentes, on peut se demander si la mise en relief, la présentation de soi, les relations interpersonnelles, les modalités de communications qui sous-tendent ces expressions peuvent être bien rendues. L’ironie de la dénomination de la Stasi dans l’exemple (6) et la créativité d’expressions comme Schofelinskischaften ne peuvent être reproduites.  

(6) all die jahrzehntelangen Schofelinskischaften der Firma Horch, Guck und Greif (VII, 137) → toutes ces dizaines d’années de dégueulasseries commises par la maison des Grandes Oreilles (128–129), todos esos decenios de « mezquindades » de la empresa « Escucha, Mira y Agarra » (144), le decennali meschinerie della ditta Origlia, Sbircia & Agguanta (110)  







Les expressions métaphoriques offrent généralement de nombreuses possibilités de traduction (cf. Emsel/Endruschat 2010 ; Nikula 2012, 199–213). Essayer de les reproduire littéralement conduit à des solutions le plus souvent étranges dans la langue cible, voire incompréhensibles comme Mauerpicker oder Mauerspechte (I, 11) → piverts ou piqueurs de Mur (13), abattimuro o picchi muraioli (6). Dans l’exemple suivant, ni la traduction littérale (d) ni sa paraphrase (b) ne donnent une solution adéquate :  



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(7)

(a) […] das war ihm ein Daumensprung nur : vom Vormärz zu den Montagsdemonstrationen (II, 26–27) → (b) comme on ferme un œil après l’autre pour apprécier la distance (27), (c) eso era para él un salto de nada : del Vormärz a las manifestaciones de los lunes (34 + deux notes en bas de la page), (d) solo un salto lungo un pollice (19).  





Les solutions approximatives semblent par contre plus réussies : « […] fehlen mir einige Zentner Überzeugung » (I, 23) → quintaux de conviction (24), quintales de convicción (30) et una buona dose di convinzione (17). La situation se complique quand les expressions imagées sont associées à des éléments du contexte et forment des réseaux sémantiques plus ou moins importants, ce qui rend une reproduction exacte et complète difficile (Lüger 2006 ; Kühn 2012). L’exemple (8a) appartient ainsi à un réseau d’associations centré sur l’emploi figuré du verbe prahlen. Il indique implicitement un point de vue négatif et désigne un comportement exagéré et quelque peu prétentieux.  







(8a) Ihr Ziel hieß Siegessäule, deren krönender Engel als neuvergoldete Scheußlichkeit in der Abendsonne prahlte (I, 20–21 ; soulignement ajouté)  

Ce jugement négatif porte sur un contexte plus ou moins large, une critique des sentiments nationalistes excessifs exprimés après la victoire sur la France de 1870. L’auteur résume son point de vue à un autre endroit du texte par une formule lapidaire : « Siegen macht dumm ! » (III, 63 ; ‘ la victoire rend aveugle ’). Ce qu’il critique en (8a) se manifeste entre autres choses par le fossé entre les attributs éclatants de la victoire et les horreurs de la réalité : Sieg → Gold → Sonne → prahlen ↔ Scheußlichkeit. Cette opposition est très bien transmise dans la traduction française même si la locution verbale faire flamboyer ne rend pas exactement l’ambivalence de prahlen. Il en va autrement dans la version espagnole ou italienne : fanfarronear (27), gloriarsi (15).  



   











(8b) Leur but à eux était la colonne de Victoire, dont l’ange, à son sommet, faisait flamboyer au soleil du soir sa laideur redorée de neuf (22)

Les séquences figées posent encore souvent des difficultés d’un autre ordre, notamment quand elles n’ont pas de correspondants dans la langue cible, quand il s’agit de modifications ou de séquences reliées entre elles dans le texte (cf. Ettinger 1994 ; Forgács 2007). La reprise totale ou partielle d’une séquence figée peut, du fait de l’éloignement de ses constituants, poser problème ou même ne pas être perçue. Un exemple du texte source : la construction prédicative der Groschen fällt bei jmdm ‘il a enfin compris’ (cf. Lüger 2008). L’expression est reprise à plusieurs endroits du texte :  





(9a) « […] Fällt der Groschen ? » (I, 16) ; « Na, Tallhover, fällt der Groschen ? Ende Oktober neunundachtzig ? […] » (II, 41)    













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« […] Na, fällt der Groschen ? » (XVIII, 376) ; « Na ? Will der Groschen nicht fallen ? […] » (XX, 412)  















Le phrasème ne peut pas être traduit littéralement, car Groschen désigne une ancienne pièce de monnaie de dix Pfennig, un fait culturel typique. Les traducteurs parviennent pourtant à trouver des expressions équivalentes : fr. vous pigez ? (18), vous y êtes ? (41, 346), ça ne vient pas ? (380), esp. ¿ Lo entiende ahora ? (23), ¿ Me entiende ? (382), ¿ […] ha comprendido por fin ? (49), ¿ No se le hace la luz ? (419), it. Le viene qualche idea ? (11), (non) si accende la lampadina ? (31, 335), ci stiamo arrivando ? (305). Il faut toutefois constater que la fonction cohésive de l’expression sur le plan de l’organisation textuelle en allemand est perdue dans les traductions. À cela s’ajoute encore que Grass s’efforce visiblement d’établir un parallèle entre la chute du Groschen et celle du Mur de Berlin (cf. le deuxième exemple de 9a) dans une optique politique ; un événement personnel crucial servant de point de départ et de modèle pour un événement historique crucial. L’accumulation de combinaisons partant de Groschen, fallen, Fall, Mauerfall est significative. Il est par exemple question de groschengroßen Mauerbröcklein (I, 18), groschengroßen Absprengseln (I, 14), de Hinfälligkeit des Bollwerks (I, 19) ou de Fall von Machtermüdung (I, 16). Il se crée ainsi un réseau de signaux thématiques particulièrement dense, un fait qui, faute de récurrence, ne se retrouve pas dans les traductions, comme le montrent les exemples qui suivent :  



































(9b) groschengroße Mauerbröcklein → miettes de mur (20), pedacitos de Muro del tamaño de una moneda (25), briciole di muro grandi quanto una monetina (13) groschengroße Absprengseln → éclats gros comme des pièces de moins d’un mark (16), pedazos desprendidos, del tamaño de una moneda (21), pezzettini grandi quanto una moneta da dieci pfennig (10)

Si les versions espagnole et italienne sont les plus proches du texte source, les différences sont manifestes en ce qui concerne la mise en relief, l’organisation textuelle, la présentation de soi, les relations interpersonnelles. La traduisibilité de textes littéraires comme celui-ci où forme et fonds sont intrinsèquement liés (Nikula 2012, 192 : « Formgebundenheit ») atteint ses limites. La compréhension d’un texte suppose normalement un certain savoir préalable. Il peut s’agir en particulier de réminiscences de textes déjà entendus ou lus, un phénomène généralement traité en linguistique textuelle sous le concept d’intertextualité (Blühdorn 2006). Ces relations d’intertextualité vont de pair, tout au moins du point de vue traductologique, avec une prise en considération de la situation culturelle et du contenu textuel :  







« L’interculturalità è una sorta di corollario della intertestualità » (Foschi Albert 2009, 68).  



Concrètement, cela demande de reconnaître les expressions citées ou intégrées dans le texte (les relations intertextuelles ne sont pas toujours explicites, il s’agit souvent

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d’allusions) avant de décider de quelle manière traduire le passage considéré. Ceci est d’autant plus important que les conditions de réception des destinataires peuvent fortement différer et leur savoir ne pas nécessairement correspondre à celui du traducteur. La question se pose de savoir, s’il faut ou non ajouter au texte cible des explications complémentaires. Le texte d’analyse choisi fournit sur ce point de nombreux exemples car il relie et marie constamment des époques et des mondes différents. (10a) « […] Na, Fonty, diese Sorte kennen Sie doch. Sind alle vom Stamme Nimm, Ihre Treibels und Konsorten. Die machen bei uns ihren Schnitt. Für all diese Raffkes ist hier Niemandsland. Die sehen nur Baugrund […] » (VII, 137)  



Le roman de Günter Grass confronte le lecteur en permanence avec des allusions aux romans de Theodor Fontane ainsi dans (10a). Celui qui au nom de Treibel ne pense pas au roman Frau Jenny Treibel oder « Wo sich Herz zum Herzen find’t » de 1893 perd le plaisir d’une lecture au second degré. Dans le passage cité, la description du comportement des personnages est, comme chez Fontane, au premier plan quand il peint la rapacité des nouveaux riches uniquement intéressés à tirer profit de la situation politique actuelle pour leur ascension sociale. Le vocabulaire choisi semble très cohérent et est repris dans les différents chapitres. En (10a) on retrouve des expressions dépréciatives telles que und Konsorten, diese Sorte, vom Stamme Nimm, Raffkes ainsi que des phraséologismes comme seinen Schnitt machen (III, 63), ‘se tailler sa part’, que l’auteur a déjà sciemment employés dans un chapitre antérieur : « Die machen als erste ihren Schnitt » (III, 63) ; ou encore « Ist ihnen zu Kopf gestiegen : Siegen macht dumm ! » Dans un chapitre ultérieur on lit encore des dénominations peu élogieuses comme « Raffkes und Schofelinskis » : « Niemand siegt ungestraft » (XX, 411). Comment transposer ces relations intertextuelles dans la traduction ?  















   













(10b) « […] Et vous la connaissez bien, cette espèce, Fonty. Tous de la tribu des ‹ Je-prends ›, comme vos Treibel et consorts. Viennent chez nous se tailler leur part. Pour ces voraces, c’est une terre vierge, ici. Ils ne voient que du terrain à bâtir […] » (128) (10c) « […] Bueno, Fonty, a los de su clase los conoce. Son todos de la estirpe del agarra lo que puedas, de sus Treibel y consortes. Vienen aquí a sacar tajada. Para todos esos rapiñadores, esto es tierra de nadie. Sólo ven solares para construir […] » (144) (10d) « […] Beh, Fonty, conosce bene questa risma. Sono tutti della razza Arraffa, i suoi Treibel e compagni. Vengono a mietere da noi. Per tutti questi pescecani qui c’è la terra di nessuno. Vedono soltanto terreni edificabili […] » (109)  















Dans l’ensemble, les parallèles avec le roman de Fontane sont bien visibles. La chaîne isotopique « rapacité / orgueil » est cependant moins marquée que dans le texte source. Ainsi la répétition de l’expression seinen Schnitt machen ne se retrouve pas dans la version italienne ( → pensare ai suoi affari (49) mietere da noi (109)). La même observation vaut pour Raffkes et Schofelinskis. Si la désignation voraces (128) correspond exactement à l’idée exprimée, malfrats (380) a une connotation criminelle. La traduction espagnole témoigne des mêmes insuffisances : acaparadores y mezquinos  











Différences de culture et traduction : l’intraduisibilité culturelle  

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(418), rapiñadores (144). En italien, au lieu de la bonne traduction razza Arraffa, le traducteur préfère par la suite pescecane (‘requin’) à arrafatore (‘vorace’) (109), puis spilorcio (‘radin’) (334), qui ne correspond que partiellement à Schofelinski. L’originalité du texte source et l’effet cohésif du style – sur le plan de l’organisation textuelle – s’en trouvent amoindris. Pour permettre de mieux saisir les relations d’intertextualité et faire comprendre les différents faits culturels, des notes explicatives sont souvent ajoutées, comme dans les versions italienne et espagnole, dans cette dernière on trouve même des renseignements sur Fontane, y compris une liste des noms des personnages de ses romans.

6 Traduction et négociation discursive Phrasèmes, jeux de mots, effets de style ou faits culturels montrent les limites de la traduisibilité et les inévitables pertes de la traduction (Eco 2006). Le texte se construit en effet sur un réseau de connaissances et de normes partagées par une communauté et qui donc ne demandent pas toujours à être explicitées. Le texte masque ainsi des savoirs tangibles pour les destinataires mais souvent difficiles à discerner et à compenser dans la traduction. L’analyse des faits culturels met ainsi clairement en lumière qu’un texte est l’objet d’une interaction discursive. Une fois publié, il est livré à la subjectivité du lecteur, qui tente d’en dégager une interprétation cohérente et, pour le traducteur, transmissible dans une autre communauté langagière. La traduction, comme tout acte langagier, cherche à faire passer un message qui se joue entre le dit et le dire, entre le perceptible et le traduisible et qu’il s’agit donc de décoder puis de tenter d’adapter par approximation à une nouvelle communauté linguistique. De nombreuses allusions et sous-entendus liés au contexte immédiat d’énonciation du texte source peuvent ne pas être perçus ou reproductibles. L’exemple Mouse or Rat dans le titre de Eco (2003) signale par ailleurs que le choix traductologique d’un même objet du monde référentiel varie selon son emploi discursif et des valeurs émotionnelles. Les métaphores affectives sont ici éloquentes : ma petite souris (chatte) mais mon gros rat, voire mon gros lapin. La traduction des Italianismes de Raymond Queneau dans Exercices de style par des gallicismes (Eco 2003, 77–79) en italien exemplifie les marges de la traduisibilité mais aussi les déviances, compensations et arrangements nécessaires aux différents niveaux de l’interaction traductologique pour trouver un compromis acceptable pour toutes les parties impliquées dans le processus : le destinataire primaire, le destinataire secondaire (cf. ci-dessous), les médias et les conventions éditoriales de la langue cible (Figure 3). Le texte traduit, comme le texte source, est lui aussi dépendant des conditions culturelles de l’interaction, d’où l’existence possible de traductions parallèles (Hammer 2005b) et la nécessité de renouveler les traductions.  





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Tout traducteur, quel qu’il soit, est conditionné par son appartenance à une communauté culturelle localisée dans le temps et l’espace avec ses propres valeurs et concepts (Bachschmidt 2002). Un décès après une longue maladie signifie en 1970 un ‹ cancer ›, une maladie de langueur, en 1930, une ‹ tuberculose ›. Sa version du texte dépend en outre de sa conception de la traduction, qui détermine pour une bonne part son choix entre domestication ou défamiliarisation (cf. Eco 2006), c’est-à-dire une traduction plus ou moins proche du texte source ou du monde du destinataire (cf. Hammer 2005a ; 2008).  









Fig. 3 : Traduction et négociation  

Mais la traduction ne se limite pas à l’interprétation du texte et à sa reproduction monologale, sa fonction est de communiquer celle-ci au destinataire primaire, commanditaire ou non. Pour le destinataire primaire, l’acte langagier du texte cible correspond à celui du texte primaire. Thome (2012, 168–171) distingue pour la traduction primaire quatre types de contexte impliquant chacun des problèmes différents :  

– – – –

la culture de l’original est inconnue du destinataire la culture de l’original est connue mais divergente de celle du destinataire la culture de l’original est étrangère au traducteur et au destinataire la culture de l’original et celle du destinataire sont similaires.

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La marge de traduisibilité culturelle est ainsi délimitée par le jeu du connu et de l’inconnu, du communicable et de l’incommunicable d’une communauté à l’autre, même si l’action verbale des textes confrontés et la fonction du message sont similaires (Hammer 2005b). Mais le texte à traduire peut avoir à répondre à des visées différentes de celles du texte de départ selon les objectifs et le contexte de réception du destinataire dit ici « secondaire ». La traduction d’un discours politique a dans la langue cible une autre fonction que celle du texte original et qui peut varier selon qu’elle est reproduite dans la presse du jour ou dans une anthologie par exemple. De même des choix langagiers peuvent s’imposer selon les cultures d’entreprise de la langue cible. Le respect des objectifs du destinataire secondaire suppose des modalités traductologiques variant de la proximité au texte à l’adaptation, voire à la réécriture comme dans le secteur de la publicité. House (1997) distingue dans cette optique deux grands types de traduction : covert et overt translation, c’est-à-dire une traduction « domestiquée » et donc invisible d’une part, et une traduction défamiliarisée de l’autre, qui rende compte des spécificités de la langue de départ ; les deux modes pouvant se justifier selon les objectifs du contrat passé par le traducteur avec le destinataire secondaire. S’agit-il par exemple d’une publication grand public ou d’une édition savante destinée à la recherche ? Le traducteur doit également négocier un compromis avec le contexte médiatique, la co-présence d’illustrations ou graphiques et d’autres textes, et en dernier lieu avec les normes éditoriales. Les objectifs communicationnels déterminent à leur tour les marges de la traduisibilité. Le dilemme du traducteur est donc de devoir transmettre un texte cohérent acceptable par tous les destinataires sans trahir l’auteur. Équivalence, fidélité et loyauté ont tous pour hyperonymes approximation et négociation. Dès lors se pose sur le marché de la traduction des langues de spécialité la question de l’évaluation du travail commandité. Les échelles d’objectivation de House (1997) et les réflexions de Göpferich/Engberg (2004) traitent de ce problème. Sur le plan littéraire, la question est de savoir si l’auteur bilingue peut être le meilleur traducteur de ses œuvres. Bueno Garcia (2003) dans une analyse de l’autotraduction montre qu’on ne peut considérer le texte traduit par l’auteur comme identique au texte source mais plutôt comme un texte alternatif ou complémentaire du texte premier. Contrairement aux critiques sur les pertes dues à la traduction, de nombreux écrivains (et traducteurs comme Nord 2011) affirment que l’interprétation des traducteurs apporte un enrichissement à leur propre texte :  















« Kulturen entstehen durch Übersetzungen […]. Durch Einschluß des Fremden wird die eigene Kultur erweitert und verändert. Kulturen, die nicht übersetzen, stagnieren »,  



‘Les cultures naissent de la traduction. […] L’incorporation de l’étranger à sa propre culture élargit et transforme celle-ci. Les cultures qui ne traduisent pas stagnent’

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écrit Reichert (2012, 45). Handke préfère ainsi les traductions de Goldschmidt à ses propres textes et Claude Simon affirme que « le traducteur digne de ce nom […] est un véritable co-auteur qui, obligé de surmonter mille contraintes, réécrit l’ouvrage qui fait l’objet de son travail » (Bueno Garcia 2003, 269). Günter Grass va même jusqu’à exhorter le traducteur à laisser jouer son imagination pour devenir auteur lui-même (cf. : MDÜ – Fachzeitschrift für Dolmetscher und Übersetzer 57/3, 2011, 37). L’interprétation du texte premier et sa traduction sont soumises aux fluctuations des connaissances et normes culturelles d’écriture. Une reproduction définitive et intangible du texte source n’est pas possible. Définir le texte cible comme translation ou comme métatexte d’un texte premier rend peut-être mieux compte du travail accompli et des difficultés surmontées par le traducteur pour assurer l’acceptabilité de sa version par la communauté destinataire :  







« La ‹ fidélité › manifeste des traductions n’est pas le critère qui garantit l’acceptabilité de la traduction (si bien qu’il faut revoir l’arrogance ou la condescendance sexiste avec laquelle on considère parfois les traductions ‹ belles mais infidèles ›). La fidélité est plutôt la conviction que la traduction est toujours possible si le texte source a été interprété avec une complicité passionnée, c’est l’engagement à identifier ce qu’est pour nous le sens profond du texte, et l’aptitude à négocier à chaque instant la solution qui nous semble la plus juste » (Eco 2006, 435).  











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Différences de culture et traduction : l’intraduisibilité culturelle  

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Aspects historiques

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31 Interpretatio, imitatio, aemulatio : formes et fonctions de la traduction « libre » dans le domaine des langues romanes  





Abstract : Cet article se propose de présenter, dans l’ordre chronologique, un panorama de la traduction « libre » dans le domaine des langues romanes, à l’exemple du français, de l’italien et de l’espagnol. Comme on ne saurait séparer l’histoire de la traduction dans les langues romanes de la traduction pendant l’antiquité romaine, cette époque sera traitée en guise d’introduction. Le panorama présenté dans cet article ne pouvant être brossé qu’à grands traits, on traitera surtout des exemples censés être caractéristiques d’une certaine époque. Outre les pratiques de la traduction, les théories établies par certains auteurs seront également abordées, notamment lorsqu’elles traitent des méthodes de traduction « libres » (adaptation, imitation, etc.). La traduction libre peut renvoyer à plusieurs méthodes de traduction, selon le contexte (cf. Schreiber 1993, 79ss.). Il peut s’agir, par exemple : d’une traduction qui donne la priorité au « sens » du texte source au détriment de la forme ; d’une traduction qui semble trop s’éloigner du texte source ; d’une transformation créative, dans le but de créer un texte nouveau, surpassant le texte source, etc. La distinction entre « traduction littérale » et « traduction libre » est souvent associée à la différence entre « sourciers » et « ciblistes » (Ladmiral 1993), selon que la priorité est donnée à la culture source ou à la culture cible.    



































Keywords : histoire de la traduction, traduction libre, adaptation, imitation    

1 Antiquité romaine Dans son article sur quelques auteurs réputés défendre la traduction libre, tel que Cicéron, Horace et Saint-Jérôme, Jörn Albrecht (2010) évoque l’« histoire d’un malentendu millénaire ». Dans De optimo genere oratorum, Cicéron explique avoir traduit les discours de deux fameux rhéteurs attiques, Eschine et Démosthène, non comme un traducteur (ut interpres), mais comme un orateur (sed ut orator), c’est-à-dire suivant les normes rhétoriques de son époque. Ce passage, maintes fois interprété comme une norme prescriptive, est selon Albrecht (2010, 494), une simple explication : « […] il ne s’agit pas de recommandation ni de prescription » (cf. aussi Woll 1988). À propos d’Horace, la discussion porte sur l’interprétation du syntagme fidus interpres (dans l’Art poétique), souvent interprété « comme une sorte de vocatif » (Albrecht 2010, 490, en parlant d’une traduction espagnole). S’appuyant sur García Yebra (1994, 55), Albrecht souligne : « Contrairement à ce qu’on prétend depuis deux  

















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mille ans, Horace ne s’adresse pas aux traducteurs, mais aux poètes » (2010, 495). À la différence de Cicéron et d’Horace, Saint-Jérôme peut, lui, passer pour un véritable théoricien de la traduction. Dans une lettre à son ami Pammachius, l’auteur de la Vulgate confesse avoir traduit les textes grecs, excepté les Saintes Écritures, sens par sens (sensum exprimere de sensu). Quant à l’interprétation de ce passage, Albrecht précise, entre autres :  



« Est-ce que Saint-Jérôme voulait vraiment propager une traduction ‹ libre › au sens moderne du terme, voire une traduction ‹ pragmatique › ? Sûrement pas. Ce qu’il envisageait, c’était probablement un type de traduction qu’on qualifierait aujourd’hui de ‹ philologiquement correcte ›, c.-à-d. sans violation des règles de la langue cible » (Albrecht 2010, 496).  







   







Dans le même article, Albrecht propose une typologie de la traduction telle qu’elle était pratiquée dans l’antiquité romaine, en s’appuyant sur les catégories principales de celle-ci, qu’il résume en trois termes interpretatio, imitatio et aemulatio (cf. aussi Reiff 1959) :  

« Par interpretatio on entendait une reformulation relativement proche du texte source (avec une certaine marge de liberté) ; il s’agit de la traduction proprement dite. […] L’imitatio, qu’on rencontre surtout dans le domaine de la poésie, était une œuvre nouvelle qui s’inspire d’un texte source (équivalent moderne : traduction libre). L’aemulatio était le terme technique pour une pratique littéraire qui part d’un texte modèle avec le but de le surpasser, de ‹ faire mieux › » (Albrecht 2010, 494).  







   

Dans la pratique de la production littéraire, les différences entre ces types de traduction et la production d’une œuvre originale ne sont pas toujours évidentes. Selon Louis G. Kelly, certains auteurs romains, surtout préclassiques, comme les dramaturges Plaute et Térence, pourraient être considérés aujourd’hui comme des traducteurs :  



« Plautus and Terence are probably the world’s first commercial literary translators. Terence’s productions were based on the Greek plays of Menander and Apollodorus of Carystus. He was a somewhat more radical forerunner of the seventeenth-century belles infidèles […], and in composing a text he often combined translated passages from several Greek originals. All of these Romans adapted freely for a Roman audience of coarser tastes than the original Greek audiences » (Kelly 22009, 477).  



Pour un tableau plus complet des méthodes de traduction durant l’antiquité romaine, cf. Seele (1995).

2 Moyen Âge Pour le Moyen Âge, on peut distinguer deux principaux types de traduction, selon les langues impliquées (cf. Folena 1991, 13) : la traduction « verticale », d’une langue  





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classique (surtout le latin) vers une langue romane, et la traduction « horizontale », entre deux langues vulgaires ou deux langues classiques. En ce qui concerne les méthodes de traduction, le Moyen Âge n’en a pas encore une conception claire. Pour le français, François Bérier constate : « […] en l’absence de toute théorie qui puisse baliser l’avancement de son travail, le traducteur se retrouve la plupart du temps sur un terrain mouvant » (1988, 239). Cette insécurité se traduit par le foisonnement des synonymes utilisés pour désigner l’activité traductive. Bérier (1988, 239s.) cite, entre autres, les verbes translater, convertir, transférer et transporter, sans que l’on puisse établir un lien fixe entre un terme technique et une méthode de traduction déterminée. Comme les auteurs romains cités ci-dessus, certains auteurs du Moyen Âge pourraient passer aujourd’hui pour des traducteurs :  











« […] les premiers grands poètes – Chrétien de Troyes, Marie de France, Rutebeuf, Jean de Meung – sont avant tout traducteurs (à une époque où traduction, imitation et création ne sont guère différenciées) » (Delisle/Woodsworth 1995, 49).  



La traduction « libre » est aussi présente dans l’histoire de la Bible française. L’une des premières Bibles dans une variété du français (le picard, pour être plus précis) est la Bible Historiale de Guyart des Moulins (1297). Il ne s’agit pas d’une traduction directe des textes bibliques, mais d’une adaptation d’un ouvrage latin, Historia Scholastica, de Petrus Comestor (Pierre le Mangeur) :  





« Comme lui [Pierre le Mangeur], il [Guyart des Moulins] s’intéresse surtout aux livres historiques et narratifs de la Bible et il oublie Prophètes et Sapientiaux presque totalement ; comme lui aussi, il utilise un important matériel non biblique, Josèphe et des apocryphes ; comme lui encore, il utilise abondamment commentaires et gloses. Ce qui est tout nouveau, c’est que Guyart introduit des tranches entières du texte biblique lui-même, en ‹ grosse lettre ›, pour le distinguer du reste. Selon une formule qui répond au besoin et réussira bien au-delà de ses prévisions, il conjugue Écriture et commentaire, histoire et scolastique. […] La Bible Historiale a très vite – du vivant de l’auteur déjà – été complétée par la traduction de livres manquants. […] Toutes les premières impressions de la Bible française, jusqu’à 1530, seront des Bibles Historiales Complétées » (Bogaert 1991, 26s.).  











Il n’est pas inutile de rappeler que le français n’est pas la seule langue vulgaire en France vers laquelle on traduit au Moyen Âge. En effet, l’occitan n’est pas seulement la langue prestigieuse des troubadours, mais aussi la première langue romane qui fait l’objet d’une description grammaticale, au XIIIe siècle. L’une de ces grammaires, le Donatz Proensals d’un certain Uc Faidit, est le fruit d’une adaptation raccourcie de l’ars minor du grammairien romain Donat (cf. Buridant 1983, 95 ; Albrecht 2006, 1389). En Italie, comme en France, les traductions vers la langue vulgaire, appelées volgarizzamenti, sont souvent de véritables vulgarisations. Guthmüller cite, entre autres, la Rettorica de Brunetto Latini (1261), dans laquelle le traducteur italien, qui se présente comme co-auteur de Cicéron, a essayé de « rendre plus clair » (chiarire) les idées de celui-ci (cf. Guthmüller 1989, 220). Certaines traductions présentent des  





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adaptations culturelles, par exemple dans le domaine de la mythologie. Pöckl et Pögl citent le vulgarisateur Simintendi qui, dans une traduction d’Ovide, rend nympha par fanciulla, Amphitrite par lo grande mare et Titan par sole (Pöckl/Pögl 2006, 1377). En Italie aussi, la Bible, a connu diverses méthodes de traduction et d’adaptation. Ici comme dans d’autres pays, on trouve souvent des compilations :  

« Beaucoup de nos mss. [manuscrits] florentins ne sont pas précisément des Bibles, mais des recueils d’extraits où des lecteurs curieux copiaient, à côté des quelques livres de la Bible choisis par eux, les ouvrages qui leur plaisaient le plus » (Berger 1977, 211).  



Quand Dante cite des passages de la Bible, il les traduit lui-même (cf. Heinimann 1987). Tandis que le Convivio comporte des citations plutôt littérales, les références à la Bible dans la Commedia sont plus libres et très variées :  

« Dante è un buon conoscitore delle Scritture […] e delle varie interpretazioni loro date nei secoli che cita nei modi più diversi : citazioni testuali, allusive, liberi riferimenti a personaggi, a racconti, a immagini » (Bouchard 2004, 115s.).  





Passons à l’Espagne. Un exemple connu de « vulgarisation » est fourni par les traductions des textes spécialisés faites à la cour du roi Alphonse le Sage, à partir du milieu du XIIIe siècle. Contrairement aux traductions latines de la fameuse « école de Tolède », un siècle auparavant, qui étaient destinées à un public savant, les traductions alphonsines, le plus souvent de l’arabe en castillan, sont destinées à un public plus large (Pym 22009, 534s.). Selon Alphonse, ces traductions devaient être « llanos de entender » (Delisle/Woodsworth 1995, 119). Alphonse le Sage joue également un rôle important pour la réception de la Bible en Espagne, même si son Historia general est moins une traduction textuelle de la Bible qu’un livre d’histoire(s) inspirée par la Historia Scholastica de Petrus Comestor, comme la Bible Historiale de Guyart des Moulins : « L’histoire de la Bible écolâtre en France se retrouve presque trait pour trait dans celle de l’Historia general en Espagne » (Berger 1977, 237). Dans le prologue, le roi présente son livre comme une compilation : « […] yo don Alfonso por la gracia de Dios rey de Castilla […], despues que obe fecho ayuntar muchos escritos y muchas ystorias de los fechos antiguos, escogi dellos los mas verdaderos y los mejores que y sope y fize ende fazer este libro » (cité par Berger 1977, 238). On y trouve des résumés d’histoires bibliques, complétés, après coup, par des traductions plus littérales.  























3 Renaissance C’est à la Renaissance que l’on doit les premiers traités sur la théorie de la traduction dans plusieurs langues romanes. Le traducteur et imprimeur Étienne Dolet passe pour le premier théoricien de la traduction en France. Dans son opuscule La manière de bien traduire d’une langue en aultre (1540) il formule cinq règles de traduction (cf. Cary

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1963), dont les trois dernières se réfèrent à la distinction entre traduction littérale et traduction libre. Selon la troisième règle, le traducteur doit éviter une traduction motà-mot. Dans sa quatrième règle Dolet recommande de suivre le « commun langage » (ibid., 12) et d’éviter les latinismes et grécismes (Dolet rejoint en cela Martin Luther) et la dernière règle se réfère aux normes stylistiques de la langue cible. Quelques années plus tard, le poète Joachim Du Bellay, membre de la Pléiade, publie son ouvrage La deffence et illustration de la langue françoyse (1546), dans lequel il affirme que « […] les Traductions ne sont suffisantes pour donner perfection à la Langue Françoyse » et recommande l’imitation pour enrichir le répertoire des expressions poétiques de la langue française (cf. Aschenberg 1994, 136). Pour la notion d’imitation dans la littérature romane à la Renaissance, cf. aussi Gmelin (1932). En 1556 paraît le premier traité italien sur le problème du traduire, le Dialogo del modo di tradurre d’una in altra lingua secondo le regole mostrate da Cicerone de Sebastiano Fausto da Longiano, rhétoricien, traducteur de Cicéron (cf. Guthmüller 1990 ; Kapp 2008, 21ss.). Dans ce texte, dont le titre rappelle le traité de Dolet, Fausto da Longiano distingue la traduction stricto sensu (tradottione) d’autres procédés, connus en rhétorique : la metafrasi, c’est-à-dire une traduction libre qui se borne à rendre le sens du texte, la parafrasi, qui a pour but de rendre plus clair ce qui est écrit dans le texte source, le compendio, un résumé qui dépasse les limites de la traduction et la ispianatione, qu’il explique par les synonymes « interpretatione, ispositione, commentario, narratione, isplicatione » (Kapp 2008, 25). Sur le plan des pratiques traductives, plusieurs des traductions les plus prestigieuses de l’époque sont des traductions « libres ». Pour l’Italie, on peut mentionner la traduction de l’Énéide par Annibale Caro :  





















« Between 1563 and 1566, Virgil’s Aeneid was translated by the famous man of letters Annibal Caro (1507–66), becoming what may be considered the first great work of translation produced in Italy. It is still studied at school today and is in many ways an unrivalled classic. Caro’s Eneide, while excellent from a poetic standpoint, is, like all the works of its time, far removed from the original. The views of translator-poets such as Caro, for whom translation meant the creation of a text with the same value as the original, though distant from it, became the norm for poetic translation until Romanticism […] » (Duranti 22009, 462).  



La traduction italienne des Métamorphoses (L’âne d’or) d’Apulée, faite par Agnolo Firenzuola, comporte plusieurs modernisations culturelles. Ainsi, la monnaie romaine est remplacée par des carlini, giuli, ducati d’oro, danari, quattrini et lire, connus dans les différentes parties d’Italie au XVIe siècle (cf. Küenzlen 2005, 350). L’un des traducteurs les plus célèbres de France est l’humaniste Jacques Amyot (1513–1593) qui a traduit plusieurs œuvres grecques. Sa traduction du roman pastoral Daphnis et Chloë de Longos comporte également des modernisations : « Chez Amyot, les lits de feuillage sur lequel on mange allongé deviennent des sièges » (Mounin 1955, 135). Ces adaptations culturelles lui ont souvent valu d’être considéré comme le prédécesseur des « belles infidèles » du XVIIe siècle.  









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Pour avoir une idée des différences interculturelles qui déterminent les limites de la liberté des traducteurs littéraires, on peut comparer les traductions du même ouvrage vers des langues différentes. Ainsi, Wolfgang Pöckl a comparé les traductions française et allemande du roman chevaleresque espagnole Amadís de Gaula (1508). Dans la scène érotique suivante, la traduction française (1540) donne plusieurs détails que le texte source ne nomme pas, tandis que la version allemande (1569) est beaucoup plus sobre :  

[…] después de muchos autos amorosos entre ellos passados, dando fin a sus grandes desseos, aquella noche con gran plazer y gran gozo de sus ánimos passaron. Adonc furent embrassemens et baisers par milliers : adonc caresses et tous bons traictements que deux amans (en liberté) se peuvent faire, furent en saison, et tant que l’execution de l’amour s’en ensuyvit la nuict mesmes, dont il advint que la gentille damoyselle en perdit le nom de pucelle, avec tel contentement que celles qui le semblable ont essayé, et non aultres, peuvent estimer.  

[…] daß die Execution und vollbringung der lieb eben dieselb nacht darauff folgt (Pöckl 1981, 122).

La tolérance vis-à-vis des traductions « libres » varie considérablement en fonction des textes traduits. Tandis que des traducteurs littéraires comme Caro et Amyot sont célébrés, Étienne Dolet, lui, connaît un destin fort tragique. Sa traduction d’Axiochus de Platon est considérée comme hérétique à cause de quelques mots ajoutés, qui mettraient en doute l’immortalité de l’âme : « En conséquence, le 3 août 1546, le traducteur [Dolet] périt sur un bûcher, place Maubert, à Paris, pour avoir traduit trop librement » (Delisle/Woodsworth 1995, 146).  









4 XVIIe et XVIIIe siècles En France, cette période, notamment la deuxième moitié du XVIIe siècle, est connue comme l’époque des « belles infidèles » (Zuber 1968). Et Perrot d’Ablancourt en est le traducteur type. Ci-après, un passage tiré de l’avant-propos de sa traduction d’un ouvrage de l’auteur grec Lucien (parue en 1654), qui illustre parfaitement sa méthode « cibliste » :  









« Toutes les comparaisons tirées de l’amour, parlent de celuy des Garçons, qui n’estoit pas étrange aux mœurs de la Grece, et qui font horreur aux nostres. L’Auteur alegue à tous propos des vers d’Homère, qui seroient maintenant des pédanteries, sans parler des vieilles Fables trop rebâtües, de Proverbes, d’Exemples et de Comparaisons surannées, qui feroient à présent un éfet tout contraire à son dessein ; car il s’agit icy de Galanterie, et non pas d’érudition. Il a donc falu changer tout cela, pour faire quelque chose d’agréable ; autrement, ce ne seroit pas Lucien ; et ce qui plaist en sa Langue, ne seroit pas suportable en la nostre » (Perrot d’Ablancourt 1972, 184s.).  









Ce type de traduction a été critiqué aussi bien par des auteurs contemporains, comme Pierre-Daniel Huet (cf. Albrecht 1998, 69), que par des théoriciens du XXe siècle, tel

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que Jürgen von Stackelberg (1971). En revanche, on rencontre aussi des experts en histoire de la traduction, comme Michel Balliu, qui justifient ces traductions :  

« C’est le nombrilisme de la société de Louis XIV et sa volonté d’être le phare de l’Europe qui ont donné la priorité au lecteur français du XVIIe siècle, et non plus à l’auteur classique. Mais c’était aussi rendre service à cet auteur que de créer les conditions les plus favorables à son intégration dans le Grand Siècle » (Balliu 2002, 36).  



Il ne faut pas oublier que les traductions reproduisent souvent des procédés de transformation que l’on pratique aussi à l’intérieur d’une même langue, cf. par exemple, les textes purifiés ad usum Delphini (Löhning 1970). Dans le domaine des textes bibliques, on trouve, au XVIIe siècle, une grande variété de traductions et d’adaptations : d’une part, d’importantes traductions complètes de l’Ancien et du Nouveau Testament, comme la « Bible de Port-Royal » (cf. Bogaert 1991, 142ss.), d’autre part, de nombreuses adaptations poétiques, par exemple, les « paraphrases » des psaumes (Leblanc 1960), qui s’adressent à un public varié :  











« Les uns, comme Diodati et Conrart, veulent rajeunir les vieux psaumes en usage dans leur églises ; les autres, comme Godeau, veulent offrir aux catholiques et aux nouveaux convertis des textes qu’ils pourront chanter en langue vulgaire à l’exemple des réformés ; d’autres, comme Marillac, composent des paraphrases françaises pour des religieuses qui ne savent pas le latin. Racan écrit les siens pour les dames et les gens de la Cour ; le P. Martial de Brives pour le peuple » (Leblanc 1960, 273).  











Ces « paraphrases » sont tout aussi variées que leur public :  





« La même image biblique, qu’un auteur traduit en un vers ou deux, est paraphrasée par un autre en deux ou trois strophes ou davantage encore ; et cela beaucoup moins à proportion de l’utilité que peut avoir ce développement, qu’en raison du plaisir qu’il procure au poète » (Leblanc 1960, 288).  





Étant donné la prédominance de la langue et de la littérature françaises en Europe qui atteint son apogée au XVIIIe siècle, les traductions françaises servent souvent de textes sources « secondaires » pour des traductions indirectes. Les traductions étant, d’ordinaire, très libres, et occasionnellement indirectes, la différence entre le texte source « primaire » et le texte cible « secondaire » pouvait être considérable. Jürgen von Stackelberg, cite, à ce propos, les Night Thoughts de Young (1747), traduit en français par Le Tourneur et, ensuite, en italien, par Loschi. En voici un extrait :  













Like Birds quite exquisite of Note and Plume, Transfixt by Fate (who loves a lofty Mark) How from the Summit of the Grove she fell, And left it unharmonious ! All its Charm Extinguisht in the wonders of her Song !  



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Comme elle a été tout à coup précipitée du faîte du bonheur ! ainsi tombe, atteint d’un plomb meurtrier, le chantre mélodieux des forêts, au moment même où il charmoit les airs par son brillant ramage. Il expire au milieu de sa douce chanson interrompue …  



Come repentinamente ella è stata balzata dell’apice della contentezza ! Non altrimenti il musico volator della foresta tocco dal piombo micidiale, cade in quel momento istesso, in cui la sua gola animosa empia l’aere sospeso ad udirlo, d’una tremola e dilicata armonia, e spira a mezzo della sua dolcissima canzonetta… (Stackelberg 1984, 186ss.).  

Parmi les différences évidentes entre ces trois textes, on peut constater une « poétisation » grandissante, par exemple, her song > sa douce chanson > la sua dolcissima canzonetta. En Espagne, la situation est similaire : la littérature étrangère, par exemple la littérature allemande, passe le plus souvent par le « filtre » d’une traduction française intermédiaire (cf. Müller 1967, 260). En règle générale, il s’agit d’une traduction très libre. Cette époque connaît également des traductions et des adaptations directes, sans passer par une version française. J. L. Colomer (1989) cite, par exemple, une version italienne du roman picaresque espagnol Lazarillo de Tormes de 1554 (Il Picariglio Castigliano, 1622), un texte marqué par de nombreuses amplifications. Selon Colomer (1989, 370), ces amplifications ont pour fonction d’adapter le texte au modèle du roman picaresque de l’époque. En guise d’illustration, Colomer souligne l’emploi très fréquent des hendiadys dans la traduction italienne, voir les exemples ci-dessous, qui montrent qu’il ne s’agit pas toujours de synonymes au sens strict (cf. Colomer 1989, 371) :  















buena bueno comía deleite dijera fuertes grande larga pobre pobre Señor mío

buona, e appetitosa buono, virtuoso mangiava, e divorava gusto e diletto direi, e giurerei fieri, e arrabbiati forte e pesante grossa e lunga povero, e infelice povero, e industriante Signor mio, e Dio mio

5 XIXe siècle Le respect vis-à-vis des cultures étrangères gagne du terrain avec le romantisme allemand (cf. Berman 1984). Aussi, Madame de Staël épilogue sur l’héritage des « belles infidèles » dans son article « De l’esprit des traductions » (1816) où elle critique la façon de s’approprier les textes littéraires étrangers :  









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« Il n’y a pas de plus éminent service à rendre à la littérature, que de transporter d’une langue à l’autre les chefs-d’œuvre de l’esprit humain. […] Mais, pour tirer de ce travail un véritable avantage, il ne faut pas, comme les français, donner sa propre couleur à tout ce qu’on traduit ; […] on n’y trouverait pas des aliments nouveaux pour sa pensée, et l’on reverrait toujours le même visage avec des parures à peine différentes » (Mme de Staël 1816, citée par Wilhelm 2004, 696s.).  





Selon Stackelberg (1971, 585), la traduction ultra-littérale du Paradis perdu de Milton, par Chateaubriand, en 1836, sonne le glas des « belles infidèles ». Néanmoins, certains types de traduction « libre » subsistent. Un cas spécifique de traduction « libre », populaire aux XVIIIe et XIXe siècles, est l’adaptation d’un roman pour un public enfantin (cf. Schreiber 1993, 289ss.). Léger cite une traduction française du roman satirique Gulliver’s Travels de Swift, par Lejeune (1843) où les censures sont légion :  













« Les découvertes, les inventions et les expériences trop scatologiques des académiciens de Lagado sont […] fort obligeamment supprimés. Lemuel épargne ainsi aux enfants des descriptions trop détaillées : ‹ Le lecteur me dispensera de lui dire quelle était l’occupation de ce vieil académicien qui consumait ainsi sa vie à analyser les matières les plus fétides pour arriver à la solution du problème le plus insignifiant › » (Léger 2004, 538).  





   

Selon Nières-Chevrel, les traductions de ce type s’adressent à un public double :  

« Ce qui distingue fondamentalement les inflexions qu’introduisent les traducteurs pour adultes et les traducteurs pour la jeunesse, ce n’est pas que les seconds censurent alors que les premiers ne le feraient pas ; c’est que les traducteurs pour adultes visent d’abord à satisfaire leurs lecteurs, là où les traducteurs pour la jeunesse gardent à l’esprit les compétences de leurs jeunes lecteurs, mais aussi les attendus éducatifs des parents et des pédagogues. […] L’éditeur n’oublie pas que, derrière chaque livre, il y a un adulte acheteur » (Nières-Chevrel 2012, 723).  





En Italie, c’est un article de Mme de Staël, « Sulla maniera e l’utilità delle traduzioni » (1816), version italienne de l’article original en français cité plus haut (mais paru plus tard), qui ouvre le débat sur la traduction littéraire. Critiquant le classicisme italien, Mme de Staël souligne la fonction innovatrice de la traduction littéraire et elle invite les Italiens à traduire des ouvrages anglais et allemands (cf. Schwarze 2004, 278). D’autres auteurs critiquent les idées romantiques sur la traduction. Giovanni Carmignani, dans sa Dissertazione critica sulle traduzioni (1808), affirme que la langue littéraire italienne a atteint une beauté telle qu’elle ne peut plus être enrichie par voie de traduction (cf. Schwarze 2004, 254). Quant aux méthodes de traductions, Giacomo Leopardi, dans son Zibaldone (1817–1832), critique les traductions qui essayent d’imiter les structures de la langue source. Il postule une traduction plus libre, qui donne la priorité au « génie » (genio) et à l’« esprit » (spirito) de la langue (cf. Mattioli 1983, 41). En Espagne, l’influence française domine la théorie et la pratique des traductions. En 1817, par exemple, Luis Folgueras Sión traduit les satires de Juvénal dans la tradition des « belles infidèles », avec de nombreuses censures : « He suprimido la  



















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Sátira IX, y he depurado y expurgado de quanto pudiese ser ofensivo a la decencia y delicadeza de las costumbres cristianas » (cité par Ruiz Casanova 2000, 33). En outre, la pratique des traductions indirectes, au détour d’une version française intermédiaire, subsiste. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, on commence à traduire directement les ouvrages allemands et anglais (cf. Pöckl 2006, 1409), pendant que la littérature russe est perçue à travers le filtre français jusqu’au début du XXe siècle (cf. Martín-Gaitero 1998, 81).  

6 XXe siècle Pendant le XXe siècle, beaucoup de traductions françaises se conforment aux normes stylistiques du « bon usage », comme celles de la précision, de la concision, de l’harmonie et de l’objectivité (cf. Grünbeck 1976, 3). Citons quelques exemples de traductions « ciblistes ». Dans l’exemple suivant, tiré du roman Berlin Alexanderplatz, Döblin présente un collage du récit et de plusieurs citations et allusions (conte de fée, chansons etc.). Comme il n’emploie ni alinéa ni guillemets, il y a une fusion complète de tous ces composants, typique pour ce roman. La traduction française, cependant, présente une image totalement différente :  









Das schwammige Weib lachte aus vollem Hals. Sie knöpfte sich oben die Bluse auf. Es waren zwei Königskinder, die hatten einander so lieb. Wenn der Hund mit der Wurst übern Rinnstein springt. Sie griff ihn, drückte ihn an sich. Putt, putt, putt, mein Hühnchen, putt, putt, putt, mein Hahn. La grosse fille rit à gorge déployée. Elle déboutonna le haut de son corsage. Il y avait une fois un prince et une princesse qui s’aimaient tendrement. Quand le clebs, Dans la plèbe, Fait un saut, Un peu haut, Il tient entre ses dents Un saucisson appétissant Elle le prit dans ses bras. Chouette, chouette, chouette, Ma poulette Toc, toc, toc, Mon petit coq. (Schreiber 2012, 249s.)

Au moyen de deux signes typographiques, les italiques et l’alinéa, le mélange de l’original a été remplacé par un arrangement en plusieurs parties distinctes. Jörn Albrecht cite une traduction « cibliste » du roman Die sterbende Jagd de Gerd Gaiser (1953). Tandis que le texte source est écrit dans un style nominal très marqué, la traduction se présente dans un style verbal fluide :  





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Geräuschvolles Wiedersehen entstand Ils manifestaient bruyamment leur joie de se revoir (Albrecht 1998, 83).

Clem Robyns (1990) cite des traductions françaises de romans policiers américains qu’il classe dans la catégorie des « belles infidèles » modernes. Pour adapter les textes aux normes de la prestigieuse Série noire, on ne transforme pas seulement le style, mais aussi le contenu, entre autres par censure de scènes érotiques, comme dans l’exemple suivant :  





« Chen Yi said he wouldn’t be here for an hour », she murmured. … We rolled ourselves on the bed and fitted ourselves into the intricate but natural groove. I had a bigger head of steam up than I thought, even ; I pounded her until I thought my eyeballs would fall out… I must have fallen asleep afterward.  





– Chen Yi dit qu’il ne sera pas là avant une heure, murmura-t-elle. Je dus m’endormir, après (Robyns 1990, 33).

Andreas Gelz évoque un type de « traduction » littéraire spécifique : les auteurs du groupe Oulipo utilisent le terme de traduction et plusieurs quasi-synonymes pour désigner différents procédés littéraires intralinguistiques ou intersémiotiques, souvent ludiques : « transduction, terme qui désigne une contrainte littéraire inventée par Raymond Queneau, qui consiste dans la substitution des substantifs d’un texte donné par ceux puisés dans un lexique spécialisé différent », ou traduction typographique, par exemple, « remplacement de la sphère IBM ‹ Letter gothic › par la sphère IBM ‹ Symbol 1 › (Perec 1973, 117) » (Gelz 2011, 212). Dans la traductologie moderne, la distinction entre « sourciers » et « ciblistes » a déclenché un vif débat, dans lequel Jean-René Ladmiral défend la position des « ciblistes », critiquant les « sourciers » en ces termes : « le littéralisme, que prônent lesdits ‹ sourciers ›, n’est en réalité très souvent chez le traducteur qu’une forme de régression face à une difficulté insurmontée » (Ladmiral 1999, 45). La position des sourciers est défendue, entre autres, par Henri Meschonnic, notamment pour la traduction de la Bible. Meschonnic critique les traductions françaises existantes :  



















































« Les traductions courantes de la Bible se sont toutes résignées à ne garder que les idées (‹ l’esprit ›) et ont abandonné sa ‹forme› à l’original, comme intraduisible. Elles transforment un langage poétique en sous-littérature où subsiste seul le ‹ sens › » (Meschonnic 1973, 411).  







   

Pour ce qui est de la différence entre traduction et adaptation, il convient de nuancer avec G. Bastin (1993) qui fait observer que la différence entre traduction et adaptation ne correspond pas à une dichotomie stricte. À côté de textes mixtes, sous forme de traductions contenant des adaptations ponctuelles, il existe aussi des adaptations globales, affectant la totalité du texte (Bastin 1993, 476). Pour une typologie plus détaillée de la traduction et de l’adaptation, cf. Schreiber (1993 ; 2004).  



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Selon Cordonnier, l’adaptation d’un ouvrage littéraire devrait toujours être marquée comme telle :  

« […] même si nous critiquons l’adaptation des œuvres (théâtre, roman, poésie, etc.), cela ne veut pas dire que nous annonçons sa disparition. Mais à partir du moment où elle s’exerce, elle doit bien s’annoncer comme ‹ adaptation › (nous savons en effet que c’est loin d’être toujours le cas), et en aucun cas comme ‹ traduction ›. Car ce qui est fondamental du point de vue social, et il y a là une obligation déontologique, c’est que le lecteur ou le spectateur sachent clairement à quoi ils ont affaire […] » (Cordonnier 1995, 208).  











Examinons maintenant le cas de l’Italie et le rôle de la traduction pendant le fascisme, notamment le rapport entre traduction, idéologie et censure. Selon Ferme, la traduction littéraire, celle de la littérature américaine contemporaine en particulier, représente, pour les écrivains et traducteurs italiens, une forme de « subversion culturelle », comme l’indique le titre de son livre Tradurre è tradire. La traduzione come sovversione culturale sotto il Fascismo (Ferme 2002) :  





« […] la traduzione offriva ad alcuni intellettuali l’opportunità se non di appropriarsene, perlomeno di esercitare un limitato controllo ideologico sui testi che potevano influenzare il pubblico […] » (Ferme 2002, 44).  



Avant 1934, il n’y a pas de censure préventive dans le domaine de l’édition :  

« Whilst the press and the film industry were closely monitored by the State, the publishing industry was allowed a far greater margin of movement. Essentially, it was required to regulate itself. Until 1934, there was no preventive censorship, although books were liable to sequestration after publication » (Dunnett 2002, 101).  



Dans les années suivantes, la censure devient de plus en plus stricte. L’anthologie Americana, éditée par Vittorini, en est un cas notoire :  

« Vittorini’s anthology Americana was finally published in December 1942 in a new edition which bore the imprint of censorial guidance : the translations had not been altered but it was felt that the combination of Cecchi’s preface and the new introductory material which he had selected for each selection would alert the Italian reader to the spiritual poverty and hollow appeal of American literature » (Dunnett 2002, 118).  





Six mois plus tard, l’anthologie est complètement interdite par la censure. La censure existe aussi dans le domaine du cinéma. À partir de 1930, il est interdit de montrer des films étrangers en version originale. Pour la même raison, le régime fasciste préfère le doublage au sous-titrage :  

« In Italia la cultura del doppiaggio è per tradizione molto salda ed è stata inizialmente imposta dal proibizionismo del regime fascista che non concedeva alcun contatto con lingue diverse dall’italiano ; il sottotitolaggio, una forma di trasposizione linguistica trasparente che permette  



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Interpretatio, imitatio, aemulatio : formes et fonctions de la traduction « libre »  





allo spettatore di ascoltare la colonna sonora originale del film e di leggerne la traduzione nella forma di sottotitolo, risultava evidentemente inaccettabile » (Perego 2005, 21).  

Ce que dit Perego à propos de l’Italie est aussi valable pour d’autres pays européens, comme le souligne Goris :  

« Dubbing has been used as an ideological instrument by fascist governments of nations like Germany, Italy, Spain, in order to reinforce nationalist feelings through the imposition, unification and standardization of the national language. In France, where the standardized national language has always been used to reinforce political and cultural centralization, dubbing made its appearance in a similar context » (Goris 1993, 171).  



En Espagne, les films doublés pendant le régime de Franco sont réputés pour leur niveau de censure. Pour la version espagnole du film Baisers volés de François Truffaut (Besos robados, 1968), plusieurs passages politiquement non corrects ainsi que des scènes érotiques ont été censurés :  

« Rollo 1°.– Suprimir la frase ‹ meter mano › […] Rollo 2°.– Suprimir la frase ‹ Maravilloso anacronismo ›, referido al ejército. En la escena del hotel, realizar un nuevo montaje […] suprimiendo todos los planos de desnudo del pecho de la mujer […] » (Ávila 1997, 146).  











7 Conclusion En guise de conclusion, soulignons l’argument suivant : la méthode de traduction dépend non seulement de critères que l’on discute dans la traductologie moderne (genre textuel, public, fonction de la traduction, etc.), mais aussi, et surtout, du contexte historique et culturel de la traduction (cf. la notion de Translationskultur, proposée par Prunč (1997). Ainsi, ce n’est pas par hasard que l’apogée des « belles infidèles » coïncide avec l’époque de l’absolutisme. Par conséquent, l’analyse descriptive d’une traduction doit prendre en compte deux facteurs : le contexte historicoculturel et les propriétés structurelles de la traduction (cf. Albrecht 1998, 227ss.). Ainsi, l’évaluation d’une traduction « libre » peut varier considérablement, en fonction de l’époque étudiée.  











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Interpretatio, imitatio, aemulatio : formes et fonctions de la traduction « libre »  





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Jörn Albrecht

32 L’apport des traducteurs à la « relatinisation » des langues romanes  



Abstract : Dans la plupart des modèles modernes du processus de la traduction, la langue cible apparaît, pareille à la langue source, comme grandeur fixe. C’est une simplification. En réalité, la langue de départ prend presque toujours une certaine influence sur la langue d’arrivée du traducteur, et cela vaut particulièrement pour la préhistoire des langues romanes. En traduisant une multitude de textes latins dans leurs vernaculaires romans, les « clercs » du Moyen Âge et les traducteurs de la Renaissance ont profondément marqué les langues romanes in statu nascendi, créant un vocabulaire à « deux étages » et occasionnant une certaine convergence des langues romanes dans les registres élevés.    









Keywords : traduction « verticale », traduction « horizontale », relatinisation, doublets, patrii sermonis egestas    









0 Introduction Le lecteur sera peut-être surpris de trouver dans un manuel dédié à la traductologie un article qui semble concerner exclusivement l’histoire des langues romanes. Deux raisons en justifient la présence dans le présent volume : La première est que le phénomène de la relatinisation dont il sera question ici est en grande partie dû au travail des traducteurs, plus précisément des « vulgarisateurs » (volgarizzatori) du Moyen Âge et de la Renaissance. En raison de cette « relatinisation », les langues romanes, qui s’étaient de plus en plus différenciées après la chute de l’Empire romain, se sont, dans une certaine mesure, de nouveau rapprochées. Dans sa description du phénomène, Christian Schmitt parle de « convergence » :  















« Das jahrhundertealte Nebeneinander des Lateins und der (west)romanischen Sprachen führte dabei sowohl zu einer Annäherung des Spanischen an das Latein oder des Französischen und Italienischen an das Latein, also zu einer Relatinisierung romanischer Sprachen, wie auch zu einer immer deutlicher ausgeprägten Konvergenz der romanischen Sprachen untereinander, da in immer stärkerem Maße hier dieselben Elemente der Gelehrtensprache mit identischen Funktionen produktiv werden » (Schmitt 1988, 183s.).  



‘La coexistence séculaire entre le latin et les langues romanes (de l’ouest) ont conduit tout aussi bien l’espagnol que le français ou l’italien à un rapprochement avec le latin, c’est-à-dire à une « relatinisation » des langues romanes tout autant qu’à une convergence entre elles, s’expliquant  



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Jörn Albrecht

par le fait que les mêmes éléments empruntés à la langue savante sont devenus avec les mêmes fonctions de plus en plus productifs’.

Richard Valter souligne par ailleurs que la ressemblance manifeste des langues romanes ne s’explique pas uniquement par leur origine commune, mais également par une coexistence séculaire du latin écrit et des langues vernaculaires romanes :  



« Der beindruckende Gruppencharakter der romanischen Sprachen, der in lexikalischen oder grammatischen Übereinstimmungen oder Parallelen zum Ausdruck kommt, kann nicht nur durch den gemeinsamen Ursprung dieser Sprachen, das Vulgärlatein, erklärt werden. Die romanischen Sprachen verdanken ihre Einheitlichkeit auch dem ununterbrochenen Kontakt mit dem Schriftlatein und dem Kontakt untereinander » (Valter 1972, 132).  



‘Si les langues romanes donnent à ce point le sentiment de constituer un groupe homogène à travers ses ressemblances lexicales et grammaticales ou les parallèles que l’on peut y établir, cela ne peut être expliqué par la seule origine commune de ces langues, le latin vulgaire. L’homogénéité du groupe est également due aux contacts ininterrompus qui ont existé autant avec le latin écrit qu’entre les langues romanes elles-mêmes’.

La raison est que la convergence des langues romanes à partir du Moyen Âge a considérablement facilité la tâche des traducteurs dès lors que l’on ne s’est plus contenté de traduire du latin dans les langues vernaculaires ou vice-versa (traduction « verticale »), mais que l’on a commencé à traduire d’une langue romane à une autre (traduction « horizontale »). Le but de cette brève contribution est de montrer que la traduction ne consiste pas seulement à transférer un « contenu » d’une langue à une autre, mais que l’activité du traducteur exerce, à certaines époques plus fortement que dans d’autres, une influence sur la langue cible. Tous les traducteurs de l’Europe occidentale et de l’Europe centrale, dans les pays romans comme dans les pays germanophones et anglophones, ont « plié » leurs langues aux besoins de leur tâche de rendre accessible les textes religieux et les œuvres de l’Antiquité à tout le monde, mais les traducteurs de l’aire romane sont allés plus loin : en faisant des emprunts au latin, la source commune de leurs idiomes, ils ont freiné le processus de diversification et ont facilité ainsi, sans doute sans en être conscients, la compréhension et la traduction entre les langues romanes, du moins dans les registres élevés. Pour des raisons historiques évidentes, le roumain ne prend part à cette évolution qu’à partir du XVIIIe siècle. Quand on compare quelques « mots populaires » français, italiens ou espagnols avec leurs doublets savants, on voit spontanément que la transition d’une langue à l’autre s’effectue plus aisément au niveau « savant » qu’au niveau « populaire » : droit dritto derecho employer impiegare emplear direct diretto directo impliquer implicare implicar  































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L’apport des traducteurs à la « relatinisation » des langues romanes  



1 Traduction « verticale » et traduction « horizontale »  







Jusqu’à la fin de la Renaissance, seule la traduction à partir d’une langue de prestige comme le grec ou le latin était considérée comme une tâche digne d’un savant. Cervantès, dans un passage célèbre du Don Quichotte, (2e partie, chap. 62) se fait le porte-parole de cette opinion commune :  



« El traducir de lenguas fáciles ni arguye ingenio ni elocución. […] Y no por esto quiero inferir que no sea loable este ejercicio del traducir ; porque en otras cosas peores se podría ocupar el hombre ».  





Pour les premiers siècles au moins de l’histoire de la traduction en Europe, on distingue donc deux types de traduction : la traduction « verticale » à partir du latin dans les langues vernaculaires (descensus « descente ») ou vice versa de vernaculaire en latin (ascensus, « ascension ») d’une part, et la traduction « horizontale » entre deux langues vernaculaires de l’autre :  



















« … nella visione sincronica che il medioevo ha dei rapporti fra latino e volgare, in quello che potrebbe definirsi un bilinguismo e biculturalismo in senso sincronico, si deve distinguere un tradurre ‹ verticale ›, dove la lingua di partenza, di massima il latino, ha un prestigio e un valore trascendente rispetto a quella d’arrivo […], e un tradurre ‹ orizzontale › o infralinguistico, che fra lingue di struttura simile e di forte affinità culturale come le romanze assume spesso il carattere, più che di traduzione, di trasposizione verbale … » (Folena 1991, 13).  











La traduction verticale « descendante » était sans doute le genre le plus important, spécialement en Italie. Les traductions de ce type étaient appelées volgarizzamenti. En Espagne, on parle de romanceamientos, en France de vulgarisations, le terme français ayant pourtant d’emblée un sens plus général. Dans tous ces cas, il ne s’agissait pas seulement de transferts purement linguistiques mais de vulgarisations au sens moderne du terme. Il était question de rendre accessible à la masse des croyants le sens des textes bibliques et plus tard les œuvres littéraires et philosophiques de l’Antiquité à ceux qui, tout en ayant appris à lire, ne savaient pas le latin. La version du Pater noster que Dante donne au onzième chant du Purgatoire peut être considérée comme le prototype de ce genre de traduction : chaque prière n’est pas seulement traduite, mais expliquée en suite. Nous verrons par la suite que ces « vulgarisateurs », tout en voulant se faire comprendre par des lecteurs peu cultivés, se voyaient obligés de recourir à de nombreux emprunts au latin.  









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2 Les traducteurs entre latin et vernaculaire roman Contrairement à l’époque moderne où, à part quelques exceptions, le traducteur vit dans sa langue et sa culture et a acquis, avec beaucoup d’efforts, les connaissances de la langue et de la culture de départ nécessaires pour s’acquitter de sa tâche, les « clercs » du Moyen Âge, qui représentaient la majeure partie des traducteurs, vivaient entre deux mondes. Ils étaient, comme dit Gianfranco Folena (cf. supra), bilingues et biculturels. Mais ces deux mondes n’étaient pas perçus comme occupant le même rang : traduire du latin en « vulgaire » roman, c’était apporter la lumière aux classes sans culture, traduire de la langue vernaculaire en latin en revanche, c’était élever un texte d’importance relative au rang d’une œuvre d’intérêt général. Dans certains cas, on assiste à un « aller et retour » : une œuvre latine est d’abord traduite en langue vernaculaire, après quoi, le texte original étant tombée dans l’oubli, le texte vernaculaire acquiert le statut d’un original et se trouve ensuite retraduit en latin (rétrotraductions latines ; cf. Fery-Hue 2013, 11).  

















2.1 Améliorer la faculté d’expression et enrichir la langue vernaculaire au moyen de la traduction À notre époque, la langue cible de la traduction est considérée – sauf dans quelques cas très spécifiques – comme un moyen d’expression dont le traducteur doit respecter l’intégrité. Il s’agit d’une exigence implicite qui fait partie de ce que le doyen de la traductologie espagnole, Valentín García Yebra (21984, vol. 1, 43), appelle la « règle d’or » de la traduction :  







« La regla de oro para toda traducción es, a mi juicio, decir todo lo que dice el original, no decir nada que el original no diga, y decirlo todo con la corrección y naturalidad que permita la lengua a la que se traduce ».  



Il n’en était pas ainsi à des époques plus reculées. Quintilien voyait dans la traduction des grands auteurs grecs en latin un excellent moyen d’enrichir ses propres capacités stylistiques (v. Institution oratoire X, 5, 2–3), mais il ne dit pas clairement si cet enrichissement individuel va de pair avec un enrichissement collectif, c’est-à-dire avec une « amélioration » de la langue cible. Plus tard, la traduction vers la langue maternelle, la « version », faisait partie de la rhétorique enseignée dans les écoles ; pendant des siècles elle a été considérée comme instrument didactique indispensable au service du perfectionnement stylistique des élèves. Comme il s’agissait, dans la plupart des cas, de traductions « verticales descendantes », il était considéré « normal » que l’enrichissement des moyens stylistiques du traducteur laissait des traces dans la langue vers laquelle il traduisait. Encore au XVIe siècle, Jacques Peletier du Mans, humaniste français et membre de la Pléiade, recommandait dans son Art poétique français (1555), la traduction d’œuvres classiques comme moyen d’enrichir la langue française :  



















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L’apport des traducteurs à la « relatinisation » des langues romanes  



« […] les Traductions quand elles sont bien faites, peuvent beaucoup enrichir une Langue. Car le traducteur pourra faire Française une belle locution Latine ou Grecque : et apporter en sa Cité, avec le poids des sentences, la majesté des clauses et élégances de la langue étrangère […] » (cité d’après l’édition d’André Boulanger, Paris 1930, 106s., orthographe normalisée).  





2.2 Patrii sermonis egestas : les traducteurs face aux « lacunes » des langues vernaculaires de la Romania  





Dans son poème De natura rerum, une sorte d’adaptation libre du traité Περὶ Φύσεως (De la nature) d’Épicure, Lucrèce se plaint de la pauvreté de sa langue maternelle et de la nouveauté du sujet qu’il se propose de traiter (propter egestatem linguae et rerum novitatem), qui rendent son travail ardu. Depuis, les lamentations de ce genre sont devenues topiques ; on les retrouve dans nombre de préfaces des « vulgarisateurs ». « … l’argomento dell’inopia del latino o della patrii sermonis egestas », constate Gianfranco Folena (1991, 61), est « usato […] frequentemente anche per il volgare ». Du temps de Charles V, le doyen des traducteurs français, Nicolas Oresme, avoue qu’il se sent incapable d’adapter le français de son époque à la tâche de rendre le sens des œuvres classiques qu’il se propose de « translater » ; un traducteur lorrain de la Bible se déclare obligé de faire des emprunts à la langue de départ pour remédier à la « disette » de la langue d’arrivée :  

























« Quar pour tant que laingue romance, et especiaulment de Lorenne, est imperfaite et plus asseiz que nulle aultre entre les laingaiges perfaiz, il n’est nulz, tant soit boin clerc ne bien parlans romans, qui lou latin puisse translateir en romans, quant à plusour mos dou latin, mais convient que par corruption et per diseite des mos françois que en disse lou romans selon lou latin, si com : iniquitas, iniquiteit, redemptio, redemption, misericordia, misericorde, et ainsi de mains et plusours aultres telz mos que il convient ainsi dire en romans, comme on dit en latin » (cf. Brunot 21966, vol. 1, 568s.).  







À l’opposé de leur confrères germaniques, qui créent des néologismes calqués sur des modèles latins iniquitas > moyen haut all. ungelîch (disparu en allemand moderne) ; redemptio > irlôsunga > Erlösung ; misericordia > irbarmherzida > Barmherzigkeit, les clercs du Moyen Âge empruntent tout simplement le mot latin en l’adaptant graphiquement (et par là phonétiquement) à leurs langues cibles : iniquitas > iniquité, iniquità, iniquidad ; redemptio > rédemption, redenzione, redención ; misericordia > miséricorde, it. et esp. misericordia. La pauvreté lexicale des langues romanes in statu nascendi par rapport à leur source commune, le latin, passait inaperçue, pour ainsi dire, tant que leur emploi restait confiné aux besoins de la vie quotidienne ; du moment que l’on s’apprêtait à traduire, elle devenait manifeste. En Italie, un volgarizzatore du XIVe siècle renonce à une traduction proprement dite des Saintes Écritures et se prononce en faveur d’une paraphrase libre ; car  













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« … le cose spirituali e alte non si possono così propriamente esprimere per parole volgari come si fa in latino e per grammatica, per la penuria de’ vocaboli volgari » (Guthmüller 1989, 225).  



Un traducteur espagnol du XVIe siècle, dans l’intention de mettre en relief le mérite de son travail, affirme que « la abundancia de la lengua latina es mayor que nuestro común fablar » (Morreale 1959, 7) et un traducteur français de la même époque décide d’omettre tout simplement les passages particulièrement difficiles (« de si fort latin et de si grant mistere ») (Buridant 1983, 113). Mais beaucoup de traducteurs de l’époque ne paraphrasent pas et n’omettent point ; ils traduisent en rapprochant leur langues cibles de la langue source par voie d’emprunt. Pourtant, ils ne sont pas fiers de leurs exploits, comme le traducteur espagnol cité ci-dessus, ils s’excusent auprès de leurs lecteurs et essayent de rendre la compréhension de leurs textes plus aisée en rajoutant aux emprunts des mots populaires à peu près synonymes (« binômes synonymiques »). Ainsi on trouve chez Oresme agent et faiseur, puissance auditive ou puissance d’oïr, vélocité et hastiveté (cf. Buridant 1983, 134). Dans sa Storia dell’italiano letterario, Vittorio Coletti cite dans le même contexte : pace né riposo, sconoscente e vile, dolente e paurosa, bell’e gentil, disfatt’ e paurose, in allegrezza e ‘n gioia. (1993, 33). Ce procédé, né de la nécessité de la traduction, a vite été repris par les écrivains, qui ne sont pas traducteurs, mais qui emploient des latinismes sans être sûrs d’être compris par les lecteurs :  

















« Lo scrittore stesso che adopera un latinismo sente talvolta la necessità di chiarirlo, per non riuscire oscuro a quelli fra i suoi lettori che ignorano il latino. Ecco qualche esempio di tali interpretamenti : […] ‹ Avvegna che per molte condizioni di grandezze le cose si possono magnificare, cioè fare grandi …. › » (Migliorini 51978, 236, [citation = Dante, Conv., I, x, 7]).  







   

Plus tard, le binôme synonymique devient un procédé stylistique autonome, une sorte de figure de rhétorique.

3 Le phénomène de la relatinisation et ses conséquences Il serait sans doute exagéré d’attribuer le phénomène de la relatinisation des langues romanes exclusivement aux traducteurs, mais les historiens de la langue leur accordent une part importante :  

« La traduction des livres sacrés enrichit le français des termes comme annontiacïon, créacïon, figure, rationel ; les Computs, les Bestiaires, les Lapidaires, etc. apportent des mots comme administrer, automnal, clarifier, élément, mortalité etc. » (Caput 1972, vol. 1, 55).  







« I latinismi lessicali poi sono molto numerosi, anche e sopratutto nei luoghi di diretta traduzione da precedenti latini ben riconoscibili, soprattutto passi della Scrittura ; ad esempio : ‹ Maria  







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L’apport des traducteurs à la « relatinisation » des langues romanes  



ottima parte ha eletta ›, ‹ e in piú sue opere non sie curioso, cioè sollicito ›, con un procedimento tipico dei traduttori medievali che accoppiavano al termine latineggiante (sollicito) il corrispondente volgare (curioso) » (Coletti 1993, 72).  







À mesure que la traduction de textes latins en « vulgaire » roman évolue et se fait routine parmi les « clercs », l’emprunt lexical devient une pratique courante. Les premiers traducteurs, confrontés à un syntagme comme res publica, procédaient mot à mot comme leurs confrères germaniques : res → chose, publica → commune → chose commune. Leurs successeurs préférèrent le latinisme république (cf. Lüdtke 1998, 504). Ce qui importe dans ce contexte, c’est que la relatinisation se manifeste d’abord dans la langue écrite, domaine complètement négligé, voire méprisé par les représentants de la linguistique historique du XIXe siècle, pour qui le seul objet digne d’intérêt était la langue prise à sa source, c’est-à-dire « dans la bouche peuple ». Il va de soi que l’entrée de tout ce vocabulaire savant dans la langue commune va durer des siècles :  















« Dans quelle mesure la langue populaire admit-elle ces nouveaux mots ? Les textes prouvent que l’absorption est très lente » (Brunot 21966, vol. 1, 577).  







3.1 Un vocabulaire à deux étages : mots populaires et mots savants  

Avec la prolifération des latinismes dans toutes les langues romanes à la fin du Moyen Âge naît un vocabulaire à deux étages : les mots populaires au « rez-de-chaussée », les mots savants à « l’étage noble ». La confrontation d’un « mot populaire » avec son doublet « savant » est particulièrement impressionnante en français, parce que la différence graphico-phonétique – et assez souvent également la différence sémantique – y est plus marquée que dans les autres langues romanes :  



















article orteil

ration raison

fabriquer forger

singulier sanglier

séparer sevrer

captif chétif

fragile frêle

C’est un phénomène bien connu, dira-t-on, qui relève de l’histoire de la langue et qui n’a rien à voir avec les problèmes de la traduction. En effet, les doublets, à l’exception de quelques jeux de mots étymologiques, ne posent guère de problème aux traducteurs. Il en est tout autrement avec les latinismes pris dans leur ensemble, qui modifient la structure globale du lexique des langues romanes. Assez souvent le mot « populaire » cède la place au doublet « savant » : feeil est remplacé par fidèle, seing par signe, l’ancien it. inveggia par invidia, l’anc. portug. dino par digno ; renforçant ainsi la périphérie « savante » du lexique au détriment du « noyau populaire » (cf. Chaurand 1999, 77 ; Stefenelli 1992, 200ss. ; Teyssier 1994, 463s.). Parfois l’évolution sémantique des latinismes dans les différentes langues romanes crée des problèmes : entre succéder et succès il n’y a plus de rapport immédiat ;  



























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succès correspond bien à it. successo, mais che cosa è successo ? se traduit par qu’est ce qui s’est passé ? L’esp. suceder peut bien correspondre à succéder, mais pour le sucedió una desgracia on dit il lui est arrivé un malheur. Le participe latin praecisus « coupé de, séparé de » a été emprunté dans presque toutes les langues romanes ; pourtant seuls l’espagnol et le portugais, par un glissement sémantique tout à fait particulier, sont arrivés de la précision à la nécessité : traduzir é preciso « traduire est nécessaire », es preciso que haya alguien en la casa, puesto que la puerta está cerrada por dentro « il faut qu’il y ait quelqu’un dans la maison, puisque la porte est fermée de l’intérieur ». Il est vrai que l’introduction des latinismes a contribué à une sorte de « rapprochement » des langues romanes, mais en revanche elle a été la source de beaucoup de « faux amis », qui représentent des pièges, du moins pour les traducteurs peu expérimentés. À partir d’une certaine époque, la tentation de l’emprunt, pour ainsi dire la « solution de facilité », est devenue si grande, que la formation de mots proprement dite devient de moins en moins productive ; la cohésion formelle des champs notionnels s’en trouve amoindrie :  



































équitation cheval

natation nager

equitazione cavallo

natazione nuotare

equitación caballo

natación nadar

Les mots populaires réapparaissent seulement dans les définitions des noms d’actions : « art de monter à cheval » ; « action de nager » ; « la tecnica di andare a cavallo » ; « l’atto del nuotare » ; « arte de montar a caballo » ; « acción y efecto de nadar ». En Allemagne et en Angleterre, on puise également beaucoup dans le réservoir des langues classiques, surtout à partir de la Renaissance. Mais contrairement à ce qui se passe dans le domaine roman, assez souvent ces emprunts ne remplissent pas vraiment une lacune dans le champ notionnel à exprimer ; ils viennent plutôt s’ajouter à des formations autochtones, offrant ainsi à l’écrivain des choix synonymiques parfois subtils : adéquat adolescent altruisme ambigu appendicite adäquat Adoleszent Altruismus ambig Appendizitis angemessen Heranwachsender Nächstenliebe zweideutig Blinddarmentzündung (cf. Albrecht/Körkel 2008, 124s.)  







































L’expression « vocabulaire à deux étages » peut donc prendre des sens différents selon les cas : dans les langues romanes, elle se réfère aux différents niveaux d’abstraction des notions à désigner, en allemand il est plutôt question de différents degrés de « technicité ».  









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L’apport des traducteurs à la « relatinisation » des langues romanes  



3.2 La cohésion formelle du lexique (« Bildungsdurchsichtigkeit »)  



Comparons une phrase allemande « bizarre », construite arbitrairement pour servir d’exemple :  





Der Feuerwehrmann führt dem Hausmeister einen neuen Mülleimer vor. Le pompier présente une nouvelle poubelle au concierge.

Les mots composés de la phrase allemande contiennent neuf éléments qui appartiennent au vocabulaire fondamental de la langue allemande : Feuer, Wehr, Mann, vor, führen, Haus, Meister, Müll, Eimer. Tous ces mots renvoient à d’autres parties du discours étymologiquement étroitement apparentées (Feuer → feuern, Wehr → (sich) wehren ; Mann → bemannen etc.) créant ainsi un vaste réseau d’associations virtuelles. Mais, ce qui est plus important, les mots composés « s’expliquent par eux-mêmes » dans une certaine mesure : le Feuerwehrmann est un homme qui nous défend contre le feu ; le Hausmeister, mot à mot « maître de la maison » est celui qui est responsable d’un immeuble, le Mülleimer est un seau destiné à recevoir les ordures ménagères. Les mots de la phrase française, en revanche, ne nous « racontent » pas grand-chose : le pompier nous renvoie à la pompe à eau dont il se sert pour éteindre le feu, mais le mot concierge peut être analysé seulement par un spécialiste de latin médiéval et la poubelle rappelle le nom d’un ancien préfet de la Seine qui en a jadis imposé l’usage dans les ménages parisiens. Ces différences typologiques entre langues romanes et germaniques, tout spécialement entre français et allemand, ont été très souvent l’objet de commentaires d’ordre « idéologique ». Dans ses Discours à la nation allemande, Fichte, dans un accès de nationalisme qui l’a pris après la bataille d’Iéna, tâche de redonner courage à ses compatriotes humiliés en leur rappelant qu’à l’instar des Hébreux, des Grecs et der Romains, eux, les Allemands, parlaient une langue originale et pure, tandis que les peuples romans (et les Anglais) ne disposaient que d’idiomes mixtes, ex corruptione originis suae natae, truffés de latinismes mal assimilés. À titre d’exemple, il cite les latinismes allemands Humanität, Popularität, Liberalität :  



























« Diese Worte, von dem Deutschen, der keine andere Sprache gelernt hat, ausgesprochen, sind ihm ein völlig leerer Schall, der an nichts ihm schon Bekanntes durch Verwandtschaft des Lautes erinnert und so aus dem Kreise seiner Anschauung und aller möglichen Anschauung ihn vollkommen herausreißt. […] Man glaube nicht, daß es sich mit den neulateinischen Völkern, welche jene Worte vermeintlich als Worte ihrer Muttersprache aussprechen, viel anders verhalte. Ohne gelehrte Ergründung des Altertums und seiner wirklichen Sprache verstehen sie die Wurzeln dieser Wörter ebensowenig als der Deutsche » (Fichte 1915 [1807/1808], 4e discours, p. 67).  





« Ces mots, prononcés devant [sic ! = par] un Allemand qui n’a pas appris de langue étrangère, constituent pour lui un bruit complètement vide, qui ne lui rappelle, par la parenté du son, rien qui lui soit déjà connu, et qui ainsi l’arrache entièrement à la sphère de son intuition et de toute intuition dont il soit capable [sic !, plutôt :‘ L’arrache à la sphère de ses représentations et de toute  









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représentation… ’]. […] Qu’on n’imagine pas qu’il en aille tout autrement avec les peuples néolatins qui prononcent ces mots en faisant comme s’ils appartenaient à leur langue maternelle. À moins d’avoir approfondi de façon érudite ce qu’il en était de l’Antiquité et de sa vraie langue, ils comprennent aussi peu que les Allemands les racines de ses mots » (Fichte, Discours à la nation allemande, 4e discours, trad. par Alain Renaut, Imprimerie nationale Éditions, 1992, 131s.).  



Les Allemands, selon lui, possèdent et – hélas – emploient les mêmes latinismes que les peuples « néolatins », mais contrairement à eux, ils peuvent (et devraient) s’en passer. Pour Fichte, l’idéal d’une langue « philosophique » consiste dans un haut degré de « motivation interne », une langue, dont les concepts les plus abstraits sont exprimés, comme en grec classique, à l’aide de mots tout à faits simples qui font partie du vocabulaire de base. Il est évident que le français ne satisfait pas à cette exigence. Il suffit de comparer à ce propos quelques paires de mots où le rapport sémantique est morphologiquement nettement marqué en allemand, mais moins clairement ou pas du tout en français :  













Herz cœur

herzlich cordial

Hand main

Handbuch manuel

Bruder frère sicher sûr

brüderlich fraternel Sicherheit sécurité

Gesetz loi blind aveugle

gesetzlich légal

Blindheit cécité

Un siècle plus tard, quelques linguistes ont renversé, pour ainsi dire, l’argumentation en voyant un avantage là où Fichte voulait voir un défaut. Le français est élevé au rang de « langue abstraite » :  





« Affranchi d’associations formelles, le mot se fait plus abstrait et s’intellectualise. Il ne porte pas en lui-même les indices explicites de sa signification : il se définit par rapport à d’autres termes, au champ associatif qui l’entoure » (Ullmann 31965, 130 ; cf. également Albrecht 1970, 26–33).  







Un linguiste espagnol s’est hâté de revendiquer le même mérite pour sa propre langue :  

« La introducción de palabras tomadas del latín y del griego hace que el vocabulario moderno carezca de íntima coherencia. Las relaciones semánticas suelen no estar acompañadas por la semejanza fonética (hijo – filial ; hermano – fraterno ; igual – equidad ; ojo – oculista – oftalmólogo ; caballo – equino – hípico ; plomo – plúmbeo), y el léxico se hace cada vez más abstracto e intelectual » (Lapesa 91981, 453).  













Les linguistes d’aujourd’hui regardent généralement avec une certaine réserve ironique toute sorte d’évaluation des langues, toute tentative de leur accorder des qualités ou des défauts, mais il est difficile de nier, qu’il y a toujours un « grain de vérité » dans des observations de ce type. Ce qui importe pour la traductologie à l’âge du cognitivisme, c’est l’hypothèse que pour la « manipulation » d’une langue comme  







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l’allemand il faut un autre type de mémoire que pour la maîtrise des langues morphologiquement peu motivées.

3.3 Syntaxe, phraséologie et tropes lexicalisés Il va sans dire que la relatinisation des langues romanes ne se limite pas au lexique, mais le vocabulaire est sans doute le domaine le plus fortement concerné. Quant aux calques syntaxiques, c’est surtout l’ablatif absolu qui a redonné aux langues vernaculaires romanes un air plus « latin ». Les traducteurs l’imitent sous forme de constructions participiales dites « absolues ». La construction avec un participe passé à valeur de subordonnée circonstancielle du type Bello finito captivi remissi sunt « la guère finie (après la fin de la guerre), les prisonniers ont été renvoyés (à leur patrie) » apparaît relativement tôt :  













« Ma fatta la battalia, si potea ben vedere quanto d’ardine e quanta fortezza d’animo era essuta nell’oste di Catilina … » (XIIIe siècle ; cité d’apres Maggini 1952, 47).  





« Quand j’arrivai en Cypre, il ne me fu demurei de remanant que douze vins [240] livres de tournois, ma nef païe ‹ après que mon navire avait été payé › » (Joinville, cité d’après Gamillscheg 1957, 597).  



   

« Hecho esto, comieron lautamente » (Cervantes).  



De nos jours, la construction est courante dans toutes les langues romanes. Le cas des constructions avec le participe présent (ou avec un participe présent « sous-entendu ») est plus compliqué. Les types Socrate docente omnes tacebant « quand Socrate enseignait, tout le monde se taisait » ou Cicerone consule …. « Cicéron étant consul », « sous le consulat de Cicéron » se rencontrent plus tard dans les langues romanes. La construction est tout à fait usuelle en français moderne : Les circonstances aidant, nous réussirons. En italien (comme en espagnol) l’emploi du participe présent est restreint à quelques constructions lexicalisées comme par exemple vivente il padre « du vivant de son père ». Déjà au XIIIe siècle, le gerundio apparaît à sa place :  























« E stando queto ogn’uomo per paura, venne la moglie di Salmone con grande pianto ‹ et pendant que tout le monde restait coi par peur … › » (XIIIe siècle, cit. d’après Maggini 1952, 13).  



   

Aujourd’hui cette construction, surtout à valeur causale, est usuelle dans les registres élevés : Facendo caldo, mi tolsi la giacca « comme il faisait chaud …». En espagnol, on ne rencontre pratiquement que le gerundio en construction absolue : Ayudando todos, acabará pronto la tarea « avec l’aide de tous… ». À l’aide d’un exemple pris dans une grammaire espagnole, on peut démontrer en quoi consiste l’apport des « clercs » à la formation des langues romanes :  

















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Siendo tan fácil el problema, pocos lo han resuelto al primer intento « bien que le problème soit tellement facile, seulement peu l’ont résolu au premier essai ». On aurait pu aussi bien traduire par « pour facile qu’il soit » ou « malgré sa facilité » etc. ; la construction permet l’explicitation de la nuance concessive, mais elle ne l’exprime pas explicitement. Elle laisse au lecteur (ou au traducteur qui traduit vers une langue d’un autre type, comme par ex. l’allemand) le soin de le faire. En introduisant des constructions de ce type dans leurs langues cibles, les « vulgarisateurs » leur ont conféré une partie de ce « laconisme » du latin classique que les humanistes appréciaient tant et dont ils déploraient le manque dans les langues vernaculaires. La proposition infinitive du latin classique (accusativus cum infinitivo) ne fait qu’une réapparition éphémère à l’époque de la Renaissance. Des constructions du type j’advoue le tort estre mien (Marguerite de Navarre) disparaissent vite dans les siècles suivants (comme d’ailleurs également en allemand), tandis qu’elles s’établissent définitivement dans les registres élevés de l’anglais. Bien qu’ils ne fassent pas partie de la relatinisation stricto sensu, deux phénomènes méritent d’être mentionnés dans ce contexte : la phraséologie et les tropes lexicalisés. Quand on compare des séries comme :  

























Lat. lunga manu ; de longue main ; di lunga mano ; von langer Hand demander la main d’une fille ; chiedere la mano a una fanciulla ; pedir la mano a su novia ; um die Hand einer Frau anhalten  











main publique ; mano pubblica ; mano pública ; öffentliche Hand de seconde main ; di seconda mano ; de segunda mano ; aus zweiter Hand  











fr. faire la cour à qn. ; it. fare la corte a qlcno ; esp. hacer la corte a alguien ; catal. fer la cort a alg. ; all. jmd. den Hof machen  









on constate, que les premiers traducteurs traduisaient mot à mot, soit dans le sens vertical, soit dans le sens horizontal, créant ainsi un fonds commun de « phraséologie européenne ». La même chose vaut pour certains tropes hérités des langues classiques. Il suffit de donner un seul exemple : une des douze sections par lesquelles les astrologues divisent le ciel s’appelle domus en latin, maison en français, casa en italien, Haus en allemand et ainsi de suite. Même si le mécanisme de la métaphore lui reste complètement obscur, le traducteur peut choisir l’équivalent le plus direct.  





4 Conclusion La relatinisation des langues romanes, à laquelle les traducteurs ont considérablement contribué, représente un phénomène assez singulier : l’histoire des langues  

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L’apport des traducteurs à la « relatinisation » des langues romanes  



fait, pour ainsi dire, quelques pas en arrière. La différentiation des langues romanes, un processus déclenché et favorisé par des évènements historiques sans rapport direct avec le langage, semblait inéluctable, quand les intellectuels découvrirent que la source historique de leurs langues était toujours à portée de main ; et comme cette source était en même temps très souvent la langue de départ des traducteurs, ceux-ci cédaient facilement à la tentation de modifier leurs langues cibles selon le modèle de la langue source. Ce faisant, ils ont ralenti, voire renversé le processus de diversification des langues romanes naissantes. Celles-ci, « pauvres » mais assez homogènes au début, ont acquis un caractère « mixte », ce que Fichte, tout en exagérant et en simplifiant à outrance, a très bien vu. La recherche du « mot juste » ne se fait pas de la même manière en allemand et dans les langues romanes : le passage de Woche à wöchentlich comporte un glissement facile, de semaine à hebdomadaire il y a un saut. Et même l’instrument de travail le plus simple du traducteur ne réussit pas toujours à jeter un pont solide entre les deux vocabulaires de structure différente : le rapport très simple et clair entre Vorstellung « ce que je montre à moi-même » et Darstellung « ce que je montre à autrui » est estompé quand on consulte un dictionnaire bilingue. En outre, le phénomène de la relatinisation nous rappelle une fois de plus un fait qu’on a trop facilement tendance à oublier : traduire, de même que parler, ne signifie pas seulement « faire usage », « employer » ou « utiliser » une ou plusieurs langues, cela veut dire également, jusqu’à un certain point, modifier l’instrument dont on se sert en l’adaptant à des nouveaux besoins d’expression qu’on découvre au moment où l’on parle ou au moment où l’on traduit les paroles d’un autre. Les traducteurs du Moyen Âge ont procédé d’une façon qui n’est plus guère acceptée aujourd’hui, à l’époque des langues fixées. Mais n’oublions pas que la traduction, comme la culture en général et les langues en particulier, est soumise au changement historique ; même la notion de « traduction » que nous croyons adéquate aujourd’hui ne le sera peut-être plus pour les traductologues de demain.  













































5 Références bibliographiques Albrecht, Jörn (1970), Le français langue abstraite ?, Tübingen, Narr. Albrecht, Jörn (1995), Der Einfluss der frühen Übersetzertätigkeit auf die Herausbildung der romanischen Literatursprachen, in : Christian Schmitt/Wolfgang Schweickard (edd.), Die Romanischen Sprachen im Vergleich, Akten der gleichnamigen Sektion des Potsdamer Romanistentages (27.–30.9.1993), Bonn, Romanistischer Verlag, 1–37. Albrecht, Jörn/Körkel, Anna (2008), Les latinismes en français et en allemand, in : Daniel Baudot/ Maurice Kauffer (edd.), Wort und Text. Lexikologische und textsyntaktische Studien im Deutschen und Französischen, Festschrift für René Métrich zum 60. Geburtstag, Tübingen, Stauffenburg, 121–132. Boulanger, André (ed.) (1930), L’art poëtique de Jacques Peletier du Mans (1555), publié d’après l’édition unique avec introduction et commentaire, Paris, Les belles lettres.  







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Brunot, Ferdinand (21966), Histoire de la langue française des origines à nos jours, vol. 1 : De l’époque latine à la Renaissance, Paris, Colin. Buridant, Claude (1983), Translatio medievalis. Théorie et pratique de la traduction médiévale, Travaux de Linguistique et de Littérature 21, 81–136. Caput, Jean-Pol (1972), La langue française. Histoire d’une institution, vol. 1 : 842–1715, Paris, Larousse. Chaurand, Jacques (1999), Nouvelle histoire de la langue française, Paris, Seuil. Coletti, Vittorio (1993), Storia dell’italiano letterario. Dalle origini al Novecento, Torino, Einaudi. Fery-Hue, Françoise (ed.) (2013), Traduire de vernaculaire en latin au Moyen Âge et à la Renaissance. Méthodes et finalités, Paris, École des Chartes. Fichte, Johann Gottlieb (1915, 11807/1808), Reden an die deutsche Nation, eingeleitet von Rudolf Eucken, Leipzig, Insel. Fichte, Johann Gottlieb (1992), Discours à la nation allemande, 4e discours, trad. par Alain Renaut, Arles, Imprimerie nationale Éditions. Folena, Gianfranco (1991), Volgarizzare e tradurre, Torino, Einaudi. Gamillscheg, Ernst (1957), Historische Französische Syntax, Tübingen, Niemeyer. García Yebra, Valentín (21984), Traducción : Historia y teoría, Madrid, Gredos. Guthmüller, Bodo (1989), Die volgarizzamenti, in : August Buck (ed.), Grundriss der romanischen Literaturen des Mittelalters, vol. 10, 2, Heidelberg, Winter, 201–254. Lapesa, Rafael (91981), Historia de la lengua española, novena edición corregida y aumentada, Madrid, Gredos. Lüdtke, Helmut (1998), Der Ursprung der romanischen Sprachen. Eine Geschichte der sprachlichen Kommunikation, Kiel, Westensee. Maggini, Francesco (1952), I primi volgarizzamenti dai classici latini, Firenze, Le Monnier. Migliorini, Bruno (51978), Storia della lingua italiana, Firenze, Sansoni. Morreale, Margherita (1959), Apuntes para la historia de la traducción en la edad media, Revista de literatura 15:29–30, 3–10. Schmitt, Christian (1988), Funktionale Variation und Sprachwandel. Zum Verhältnis von ererbter und gelehrter Wortbildung im Spanischen und Französischen, in : Jörn Albrecht/Jens Lüdtke/Harald Thun (edd.), Energeia und Ergon. Studia in honorem Eugenio Coseriu, vol. 2, Tübingen, Narr, 183–203. Stefenelli, Arnulf (1992), Das Schicksal des lateinischen Wortschatzes in den romanischen Sprachen, Passau, Wissenschaftsverlag Rothe. Teyssier, Paul (1994), Portugiesisch : Externe Sprachgeschichte / Histoire externe de la langue, in : Günter Holtus/Michael Metzeltin/Christian Schmitt (edd.), Lexikon der Romanistischen Linguistik (LRL), vol. VI/2, Galegisch, Portugiesisch, Tübingen, Niemeyer, 461–472. Ullmann, Stephen (31965), Précis de sémantique française, Berne, Francke. Valter, Richard (1972), Einige Bemerkungen zum romanischen Wortschatz gelehrt-lateinischer Herkunft, Beiträge zur Romanischen Philologie 1, 132–151.  























Iris Plack

33 « Extraduction » et « intraduction » : les flux de traduction dans le monde latin  









Abstract : Les flux de traduction, c’est-à-dire le bilan des livres « exportés » et « importés » dans les différents pays, ont toujours exercé une influence décisive sur le développement des cultures et des littératures concernées. Ils ne sont pas non plus restés sans impact sur les stratégies de traduction prédominantes dans les pays cibles respectifs. Le double objectif de cet article consiste à esquisser d’un côté les grandes lignes des flux de traduction entre les pays de langue romane, leur direction et leur puissance, et de mettre en lumière de l’autre côté un cas particulier de « détour » de ces flux, à savoir le rôle médiateur de la France dans l’ « intraduction » de la production littéraire allemande en Italie. On abordera l’impact des facteurs économiques et culturels sur ces flux et la question de savoir si la mondialisation favorise ou si, au contraire, elle nivelle la diversité culturelle. La vue d’ensemble sera précédée d’un bref aperçu des questions méthodologiques et théoriques.    



















Keywords : extraduction, intraduction, flux de traduction, France, Italie     

0 Introduction Ce qui frappe de prime abord, c’est la métaphorique commerciale qui caractérise ce champ de recherche, à commencer par les néologismes « extraduction » et « intraduction », qui, jusqu’à présent, ne sont pas encore entrés dans le dictionnaire. Ganne/ Minon (1992, 58) en fournissent la définition suivante :  









« L’‹ intraduction › représente les livres traduits dans la langue du pays d’édition à partir d’une œuvre écrite dans une langue originale étrangère. L’‹ extraduction › représente, en revanche, les livres ‹ exportés › d’un pays et traduits dans une ou plusieurs langues étrangères ».  















Le bilan commercial des échanges littéraires entre les États n’est cependant que rarement équilibré, car, comme le soulignait déjà Rupprecht Leppla (1928/1929) dans les années 1920, le précepte do ut des ne s’applique pas à ce domaine (cf. Albrecht 1998, 186). En ce qui concerne les biens d’échange, les livres (ou bien, dans une optique plus restreinte, les œuvres littéraires), il n’est pas facile d’établir un « cours de change » fiable à partir des seuls classements littéraires,1 une œuvre pouvant être  



1 Albrecht (1998, 241) a forgé l’expression « literarischer Wechselkurs », tout en soulignant que la traduction est certes une condition nécessaire, mais pas suffisante pour le succès littéraire au-delà du pays (et de la langue) d’origine.  







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appréciée de façon diverse selon le pays concerné. Qui plus est, la notion même de littérature varie d’une culture à une autre (cf. Chevrel/Masson 2006, 12). Le terme, généralement très étroitement circonscrit aux belles-lettres dans les pays germaniques, a une acception plus large dans la Romania et dans les pays anglo-saxons, où il englobe les œuvres philosophiques et psychologiques. C’est ainsi que Nietzsche, réputé philosophe en Allemagne, est plutôt perçu comme homme de lettres en France. À l’inverse, contrairement à la pratique allemande, anglaise et scandinave, les ouvrages pour la jeunesse ont longtemps été exclus du champ des œuvres littéraires en France (cf. ibid.). Cette situation n’est évidemment pas sans implications pour la place accordée à de telles œuvres sur le marché du livre des différents pays européens. Dans ce qui suit, on se limitera à faire un tour d’horizon forcément superficiel et lacunaire des flux de traduction dans la Romania, sans cependant négliger, le cas échéant, la contribution des autres pays européens aux échanges littéraires. La vue d’ensemble sera précédée d’un bref aperçu des questions méthodologiques et théoriques. Pour éviter de se perdre dans un fatras de données disparates, on se penchera dans les paragraphes suivants sur un cas particulier de « détour » de ces flux, à savoir la fonction médiatrice de la France dans l’ « intraduction » de la production littéraire allemande en Italie.  









1 Questions méthodologiques et théoriques Perspectives et critères de recherche : Les recherches menées dans ce domaine ont éclairé la problématique sous divers angles et perspectives. Ainsi existe-t-il de nombreuses études qui traitent le problème d’un point de vue général, pour ainsi dire « à vue d’oiseau », en prenant en considération les flux de traduction entre plusieurs pays européens (i. e. Ganne/Minon 1992) ou en particularisant les facteurs susceptibles d’influencer les flux de traduction (i. e. Cachin/Bruyère 2001 ; Casanova 1999). On trouve en outre, bien sûr, toute une série d’études portant sur les échanges entre deux cultures spécifiques ou sur la fortune d’un auteur ou d’une œuvre en particulier en dehors de son pays d’origine. L’impact des œuvres traduites sur la culture cible est étudié notamment par les Translation Studies d’inspiration américaine, qui considèrent les traductions comme faisant partie intégrante du système littéraire du pays cible.2 Albrecht (2012), qui montre les transformations du canon littéraire en France au XIXe siècle par le biais des traductions, adopte un point de vue similaire, en posant la question de savoir dans quelle mesure la formation des canons littéraires peut être influencée par l’activité de traduction (cf. de même Albrecht 1998, 201).  











2 Itamar Even-Zohar introduit la notion complexe de « polysystème littéraire », c’est-à-dire d’un système social de la communication littéraire (cf. Shuttleworth 1998, ainsi que l’évaluation critique chez Albrecht 1998, 197).  





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Pour ce qui est des critères adoptés pour la recherche – en faisant abstraction de la perspective sous-jacente – on pourrait distinguer, grosso modo, ceux d’ordre plutôt quantitatif de ceux d’ordre qualitatif. Parmi les paramètres quantitatifs figurent la puissance et la direction des flux de traduction entre les différentes littératures nationales et, dans le cas des œuvres plus anciennes, qui ne tombent pas sous le coup de la convention de Berne, la « densité », ou bien l’ordre chronologique des traductions dans une certaine langue (cf. Albrecht 1998, 337ss.).3 Les questions d’ordre qualitatif sont par exemple : que traduit-on et que ne traduit-on pas dans un pays donné et pour quelle raison ? Existe-t-il un décalage entre la première publication d’un livre et la publication de sa traduction dans d’autres langues et pourquoi ? (cf. Cachin/Bruyère 2001, 507 ; Zoicaş 2008, 185). Et enfin : comment traduit-on, c’est-àdire quelle est la stratégie de traduction prédominante à une époque et dans un pays ou une culture donnés (cf. les « traditions » des divers pays chez Baker 1998), et qu’en est-il de la qualité de ces traductions ? On peut citer à ce propos les « usines de traduction » bien connues, où sont produites des traductions de manière, pour ainsi dire, industrielle.4  























Facteurs influençant (et influencés par) les flux de traduction : Les paramètres mentionnés ci-dessus peuvent fournir une première vue d’ensemble de la situation. Pour pouvoir en interpréter les données, la question se pose de savoir quels sont les facteurs qui influencent la direction et la puissance des flux de traduction et qui décident du « cours de change littéraire » d’une œuvre en particulier. Évidemment, le degré des échanges culturels entre les pays concernés y joue un rôle non négligeable. Des relations culturelles étroites favorisent d’un côté la connaissance mutuelle des langues et donc la propension des lecteurs de la culture cible à lire les œuvres étrangères directement « dans le texte » ; s’il s’agit cependant d’une connaissance plutôt superficielle, celle-ci peut, de l’autre côté, agir comme catalyseur susceptible de stimuler le marché de la traduction. Une différence culturelle trop grande, par contre, allant de pair avec un faible degré d’échanges, peut décourager traducteurs et éditeurs, mais elle peut aussi bien devenir au contraire une source de fascination (cf. Albrecht 2011b, 23).5 Il va par ailleurs de soi que les échanges culturels entre les pays sont toujours influencés par leurs relations historiques.  















3 Cf. les Kometenschweifstudien (litt. « études [des] queues de comètes «) Sonderforschungsbereich de l’Université de Göttingen sur la traduction littéraire, qui portent sur la totalité des traductions existantes d’une œuvre, par exemple Frank/Schultze (2004). 4 Cf. par ex. Allegri (1995) pour la situation en Italie du temps de la Restauration, ou encore Bachleitner (1989) pour l’Allemagne de la première moitié du XIXe siècle. 5 Au cas où, à l’inverse, la fascination pour la culture cible vient à manquer, l’intérêt pour la langue et donc pour la littérature cible pourra s’en ressentir, comme le constatent Sauter (2011, 10) et Jurt (1999, 89) pour les relations franco-allemandes.  











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D’un point de vue plus général, ce sont principalement des facteurs économiques, politiques et littéraires qui se disputent la prédominance en matière des flux de traduction.6 Si l’on regarde le livre comme simple bien d’échange, c’est la logique du marché, c’est-à-dire la rentabilité commerciale qui détermine la production de traductions. Albrecht (2011b, 23) définit ce facteur comme « rapport entre les ventes en librairie et la disposition de l’éditeur à faire traduire d’autres ouvrages du même auteur », tout en précisant qu’il prédomine surtout dans le secteur de la « littérature de consommation ». Pour la littérature classique, en revanche, il constate l’existence d’une sorte de contre-mouvement de la part des maisons d’édition, qui souvent tiennent à proposer « leur » traduction d’une œuvre classique (ibid., 24). On ne peut cependant pas faire abstraction du facteur politique, qui entre en jeu soit pour endiguer les effets du libre marché économique7 (comme la standardisation de « produits culturels » pour les adapter au goût moyen, cf. Heilbron/Sapiro 2007, 7), soit pour dicter les choix et fixer les canons dans les États totalitaires, comme l’Espagne sous Franco ou la Roumanie sous le communisme (cf. Zoicaş 2008, 184). Le canon compte plutôt parmi les facteurs littéraires dans les pays libres : les œuvres canonisées dans la culture source auront généralement une meilleure fortune sur le marché des traductions, et leur prestige dans la culture cible respective ne restera pas non plus sans influence sur la qualité de leur traduction. Une œuvre traduite peut même parvenir à faire partie de la littérature canonisée dans le pays cible et contribuer ainsi à changer le canon littéraire de celui-ci (cf. par ex. Albrecht 2012).8 Une fois canonisée, une traduction peut cependant entraver les retraductions de l’œuvre concernée (ce qui, du reste, vaut aussi pour une traduction particulièrement maladroite, cf. Albrecht 2011b, 23). Succès littéraire, qualité et disponibilité de la traduction sont donc étroitement liés (cf. Albrecht 1998, 341). Parmi les facteurs littéraires, il faut compter en outre le rôle des traducteurs eux-mêmes, dont la renommée peut promouvoir la demande de traductions,9 ainsi que celui des médiateurs culturels et des prix littéraires, capables de canaliser les flux de traduction et d’atténuer l’influence nivelante du marché.  





















6 Heilbron/Sapiro (2007, 3) parlent des rapports de force de type politique, économique et culturel (cf. aussi Sapiro 2010–2011, 25). Se situant dans la perspective de l’œuvre originale, Albrecht (1998, 341) recourt aux facteurs classiques virtù, occasione et fortuna qui pour Machiavelli font le succès d’un homme politique : au delà des facteurs littéraire (virtù), politique et économique (occasione), il faut donc aussi prendre en compte le pur hasard. 7 Le facteur politique comporte aussi des aspects juridiques comme la convention de 1886 sur les droits d’auteur, qui règle, entre autres, le statut des traductions, en imposant des restrictions à la retraduction. 8 À titre de contre-exemple, on peut citer la « canonisation ratée » de Racine en Allemagne, qu’Albrecht (2010, 55 et passim) attribue à son incompatibilité avec les attentes du public allemand, mais surtout à la politique de traduction allemande. 9 Pour la situation actuelle, Lawrence Venuti (1995) dénonce l’ « invisibilité » des traducteurs, qui résulte de l’exigence contemporaine d’une lisibilité aisée (« fluency ») du texte traduit.  























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Reste à signaler la conception sociologique du « champ littéraire » introduite par Pierre Bourdieu (1991),10 qui subdivise l’activité littéraire en champs de « production restreinte » et de « grande production » et prévoit de fortes corrélations entre ceux-ci et le champ de pouvoir qui les entoure. Conformément à notre classement, Bourdieu identifie deux principes indépendants, le « capital symbolique » et le « capital économique et politique », qui décident de la valeur et donc du « cours de change » des œuvres littéraires.11  























2 Bref aperçu des flux de traduction dans la Romania Le développement historique des flux de traduction : Ce bref tour d’horizon, qui se fonde surtout sur les informations du tableau détaillé élaboré par Albrecht (1998, 295–318), dessinera les grandes lignes des flux de traduction dans l’Europe et dans le monde latin. Il sera organisé suivant l’idée reçue, très répandue, surtout au XIXe siècle, d’une hégémonie littéraire qui passe successivement d’un pays européen à l’autre au cours de l’histoire (cf. Albrecht 2012, 733) – à commencer par l’Italie, dont la littérature « [d]e toutes les littératures en langue vulgaire, […] est assez logiquement la première à tenter les traducteurs » (Van Hoof 1991, 39). La chronologie des « pays donateurs », dont les trois premiers présentent ici un intérêt particulier, s’établit donc comme suit : 1. Italie, 2. Espagne / Portugal, 3. France, 4. Angleterre / Irlande, 5. Allemagne / Autriche / Suisse.12 L’équation de Heilbron/Sapiro (s. a., 4), selon laquelle « [p]lus une langue est centrale dans le système mondial de traduction, plus nombreux sont les genres de livres traduits de cette langue » et « moins on traduit dans cette langue », semble pourtant un peu trop simpliste, si l’on ne prend pas en considération un autre facteur, rappelé par Albrecht (2011a, 2597), qui peut agir comme correctif dans ce genre d’échange, à savoir la réceptivité respective des lecteurs pour les cultures et littératures étrangères.13 De plus, c’est la conception même de la traduction qui entre en jeu. Citons à titre d’exemple le tournant qui s’est opéré dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle sous le signe du romantisme et de l’historisme : partant d’une orientation vers la culture cible à une conception qui met le texte source au centre de l’intérêt, il aura un impact non négligeable sur la qualité des flux de traduction.  























10 Bourdieu (1991, 5) rapproche sa conception de la vieille notion de la « République des Lettres ». 11 Cf. aussi Sapiro (2003, 441s.), qui souligne la dépendance des champs littéraires nationaux de deux facteurs corrélés, à savoir le degré de libéralisme économique et le degré de libéralisme politique. 12 La dernière venue est la Russie, qui fait son entrée sur la scène européenne à partir de la seconde moitié du XIXe siècle (cf. Albrecht 2011a, 2596s.). Quant au classement chronologique des influences, il existe plusieurs opinions dans la littérature secondaire (cf. ci-dessous Albrecht 2012, 733s.). 13 Cf. aussi Bachleitner/Wolf (2004, 3), qui objectent que les langues de grande circulation ne seront pas automatiquement des langues de grande culture.  













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Commençons par l’Italie,14 qui, notamment au début de l’époque moderne, joue un rôle primordial en tant que source d’extraductions en Europe : Les « trois couronnes » Dante, Pétrarque et Boccace, ayant vite conquis un statut comparable aux classiques antiques, fournissent les premiers modèles à la traduction horizontale (cf. Albrecht 1998, 295).15 Pétrarque et Boccace sont traduits dans toutes les langues européennes, tandis que Dante est peu estimé dès la Renaissance et reçu avec réserve même dans l’Allemagne du temps de Goethe.16 Mais déjà à la fin de la Renaissance, la littérature italienne, devenue stérile et peu innovatrice, n’éveille plus d’intérêt particulier à l’étranger (cf. Albrecht 2012, 749) – bien qu’avec la fondation de l’Accademia della Crusca en 1583 son influence sur les pays voisins soit encore considérable. Au XIXe siècle, l’enthousiasme général suscité par les romans français et anglais provoque une baisse relative des traductions à partir de l’italien. C’est ainsi qu’en Allemagne, les Promessi sposi de Manzoni sont traduits au XXe siècle seulement. En ce qui concerne les intraductions, dès la moitié du XVIIe siècle, l’Italie subit l’influence du classicisme français et notamment du théâtre français classique, adapté au goût du public italien. Un siècle plus tard, c’est la littérature anglaise qui prédomine, traduite en règle générale par le biais de versions françaises (surtout Shakespeare et Byron). Une exception mérite cependant d’être mentionnée, à savoir la traduction italienne des célèbres poèmes d’Ossian de la plume de Melchiorre Cesarotti (cf. Pöckl/ Pögl 2003, 1380). C’est seulement au XIXe siècle que la traduction directe de l’anglais devient la règle, promue par des écrivains comme Ugo Foscolo, traducteur de Laurence Sterne. La traduction à plus grande échelle de la littérature espagnole et allemande se fera cependant encore attendre jusqu’à la fin du XXe siècle, tandis que du russe il n’existe que des traductions indirectes à travers le français. Au XXe siècle, les lacunes qui subsistent seront plus ou moins comblées ; ainsi traduit-on dans l’après-guerre l’œuvre complète de Freud, en se servant d’une terminologie scientifique adéquate – ce qui du reste n’est pas du tout le cas en France (cf. Pöckl/Pögl 2003, 1382). Avec le début du Siglo de Oro au XVIe siècle, l’Espagne s’impose comme « pays donateur » en Europe, avant tout avec les œuvres de Cervantès, le Don Quijote et les Novelas ejemplares, mais aussi avec le roman picaresque, représenté par exemple par Mateo Alemán. En Allemagne, l’intérêt pour la littérature espagnole recule au milieu du XVIIe siècle, pour être relancé un siècle plus tard, avec les traductions de Lessing et Herder ; le XIXe siècle allemand connaît une période d’enthousiasme pour l’Espagne : Tieck traduit le Don Quijote, Schlegel et Eichendorff présentent des traductions de Calderón. Pour ce qui est de l’intraduction, déjà au Moyen Âge, on traduit d’une  

















14 Cf. ci-dessous aussi Duranti (1998). 15 En France, on trouve par. ex. la première édition d’une traduction de Boccace (par Pierre Faivre) en 1485 (cf. Ballard 1992, 98). 16 Albrecht (1998, 301) souligne cependant le mérite de Christian Joseph Jagemann comme traducteur de Dante.    



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vaste gamme de langues, à savoir de l’arabe, de l’hébreu, du français, de l’italien et de toutes les variétés ibéro-romanes (cf. Pöckl 2003, 1404). Par ailleurs, au sein de la fameuse « école de Tolède », les langues vernaculaires agissent comme intermédiaires, notamment dans la traduction de textes arabes en latin.17 Comme, dès le début des temps modernes, l’Espagne exerce son influence littéraire, notamment à travers la littérature castillane, on fera ici abstraction des vicissitudes historiques des relations entre le catalan et le castillan.18 À la fin du XVe siècle, c’est la littérature italienne qui est prédominante dans le secteur des belles-lettres (cf. ibid., 1408).19 Les humanistes Juan Luis Vives, Juan de Valdés et Francisco de Enzinas sont persécutés par l’Inquisition à cause de leur activité de traducteurs. Après l’apogée littéraire du Siglo de Oro, c’est-à-dire vers la fin du XVIIe siècle, l’Espagne, épuisée, subit l’influence française, qui s’établit pour une période de presque trois siècles. La traduction indirecte par le biais du français y est plus répandue et persistante encore qu’en Italie : elle est la règle pour la littérature russe, et se pratique, par intermittence, aussi pour les œuvres allemandes (cf. ibid.).20 Ceci vaut encore pour le XXe siècle, au cours duquel le nombre des traductions sérieuses à partir de sources non françaises commence cependant à augmenter, dont la traduction de l’œuvre intégrale de Shakespeare par Luis Astrana Marín en 1929 (cf. Pym 1998, 558). Sous Franco, l’Espagne connaît une période d’isolement relatif et subit les effets de la censure. Il reste à faire quelques remarques sommaires sur le Portugal, en se limitant aux seules intraductions.21 La traduction du latin y commence avec un certain retard sur les autres pays latins. Pour ce qui est des autres littératures de langue romane, les traductions imprimées restent plutôt rares ; c’est seulement au XVIIIe siècle que l’on enregistre une augmentation nette du nombre des traductions, surtout du castillan, de l’italien et du français,22 et parallèlement, le français monte au rang de première langue source et de langue intermédiaire. À partir de 1830, un intérêt croissant est porté aux littératures anglaise, allemande et française (dont la dernière prédomine nettement), tandis que l’on traduit très peu de l’espagnol et de l’italien tout au long du XIXe siècle. Bien que l’activité de traduction augmente considérablement après la  







17 À partir de 1250, Alfonso X promeut la traduction de textes scientifiques de l’arabe en castillan, sans traduction ultérieure en latin (cf. Pym 1998, 553). 18 Pym (1998, 554) parle du « triumph of Castilian » en Espagne. 19 Pym (1998, 554) constate une liberté croissante en ce qui concerne la stratégie de traduction prédominante au XVe siècle. 20 Albrecht (1998, 313) souligne l’importance de la médiation française pour les œuvres de Goethe, Heine et E.T.A. Hoffmann, tandis que Pym (1998, 558) met en avant la réception d’auteurs allemands et anglais, par ex. Schopenhauer et Ruskin, par le biais des traductions françaises ou bien à travers la médiation d’écrivains français. 21 Sur les intraductions au Portugal, cf. Schäfer-Prieß/Endruschat/Schöntag (2003). 22 Albrecht (1998, 316) constate que le Don Quijote, imprimé peu de temps après sa parution à Lisbonne, est traduit en portugais à la fin du XVIIIe siècle seulement.  











   



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Première Guerre mondiale, l’espagnol continue à jouer un rôle subordonné, on préfère lire les œuvres espagnoles directement « dans le texte ». Sur le marché littéraire européen, ce sont surtout les traductions de la littérature française qui, à partir du XVIIe siècle, exercent une influence significative ;23 à titre d’exemple, on peut citer l’Allemagne, où il existe toute une série de retraductions d’œuvres comme le Candide de Voltaire ou Mme Bovary de Flaubert. C’est ainsi qu’au XXe siècle, quasiment toute la littérature française est disponible en traduction allemande. L’histoire des intraductions en France ne reste pas non plus sans impact sur l’Europe (ce que montrent les traductions indirectes rappelées précédemment). Après l’époque du descensus des langues antiques et des relatinisations, la traduction horizontale gagne en importance au XVIe siècle.24 La plupart des écrivains connus s’exercent à traduire, et presque la totalité des textes italiens sont traduits en français, beaucoup d’entre eux plusieurs fois.25 L’influence espagnole au XVIIe siècle, à l’époque des « belles infidèles », est moins forte que celle de l’Italie au siècle précédent ; une traduction partielle du Don Quijote paraît cependant peu après l’original, en 1614, avant qu’en 1677/1678, Filleau de Saint-Martin présente sa célèbre version, souvent rééditée, une « belle infidèle » par excellence.26 Le XVIIIe siècle est celui de l’ « anglomanie », alimentée par des écrivains-traducteurs anglophiles comme Voltaire, Destouches, l’abbé Prévost et Montesquieu. Vers la fin du siècle, Antoine de Rivarol publie une traduction de la Divina Commedia de Dante qui, contrairement à ce que l’on pouvait attendre, n’a rien d’une belle infidèle (cf. Albrecht 2003, 1398), et prélude aux traductions plus « fidèles » du siècle suivant. Une influence croissante de l’allemand se fait sentir aux XIXe et XXe siècles. Elle est annoncée par le phénomène du « werthérisme », qui se manifeste par la série de traductions du Werther de Goethe publiées entre 1776 et le début du XIXe siècle. La réception française privilégie cependant des auteurs comme Schiller, Goethe, Heine et E.T.A. Hoffmann, en négligeant d’autres auteurs importants, comme Stifter par exemple. Une attention particulière mérite d’être accordée à la traduction de la philosophie allemande, notamment de Kant et Heidegger, qui contribuera à briser les modèles trop rigides du langage littéraire français (cf. Albrecht 2003, 1398).  





























La « géographie » moderne de la traduction : En citant les propos de Goethe sur la « littérature universelle » (Weltliteratur), Joseph Jurt (1999, 86) met en avant le décalage qui existe entre la conviction optimiste des temps de Goethe, selon laquelle la  









23 Au sujet de la tradition française, cf. Salama-Carr (1998). 24 Chevrel/Masson (2006, 22) considèrent la Renaissance comme moment décisif, puisqu’elle « marque le début de l’intégration des traductions dans la pratique éditoriale française ». 25 Cf. Albrecht (2003, 1395), qui signale, outre les classiques toscans, l’Arioste, le Tasse et Mateo Alemán. 26 Néanmoins, comme le rappelle Albrecht (1998, 304), les traducteurs de l’espagnol adhèrent plutôt à la méthode de Port-Royal qu’à celle des « belles infidèles ».    













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mondialisation favoriserait la diversité culturelle et le traducteur serait le médiateur d’un « commerce intellectuel général », et la vision désenchantée d’aujourd’hui. Roger Sauter (2011, 15) dessine le scénario inverse lorsqu’il évoque le danger d’une production de best-sellers internationaux, probablement en anglais, qui n’auront plus besoin d’être traduits. Si l’on peut en croire les statistiques récentes des flux de traduction, la réalité se situe plutôt entre ces deux extrêmes. On se réfère ici surtout aux chiffres fournis par Ganne/Minon (1992), qui, vu la relative constance des rapports de force dans le champ global de la traduction, sont sans doute encore pertinents.27 Sapiro (2010, 10) esquisse la distribution des taux d’extraduction des principales langues sur le marché mondial dans les années 1980 : avec à peine entre 1 et 3% des livres traduits dans le monde, l’espagnol et l’italien comptent parmi les langues semipériphériques, tandis que la position centrale est occupée par le français et l’allemand, avec un taux situé entre 10 et 12%.28 La part du lion revient cependant à l’anglais, qui représente environ 45% du marché mondial. L’écart tend d’ailleurs à se creuser, le pourcentage des traductions de l’anglais étant passé à environ 59% en 1992 et à plus de 60% en 1995 (cf. ibid.). Le domaine des intraductions présente le tableau inverse : le taux moyen des traductions sur toute la production éditoriale en Europe s’élève à environ 15% vers l’année 1990 (cf. Ganne/Minon 1992, 57). Avec plus d’un quart de la production, l’Espagne et l’Italie sont donc des pays à fort taux d’intraduction, dépassés encore par le Portugal, où 33% des livres sont des traductions. L’Allemagne et la France comptent cependant parmi les « pays médians », avec respectivement 14 et 17,6% de la production éditoriale,29 alors que, constat peu surprenant, le taux d’intraduction en Angleterre est avec 3,3% très faible (cf. ibid., 64–68). La position dominante de l’anglais, qui occupe le premier rang parmi les intraductions dans tous les autres pays mentionnés,30 est plus accentuée encore si l’on considère les seuls best-sellers.31  















27 Cf. ci-dessous Bachleitner/Wolf (2004, 12). 28 Pour la France, Ganne/Minon (1992, 58) signalent la répartition suivante des extraductions : « 10% vers l’allemand, 11% vers l’anglais, 15% vers l’italien, 16% vers l’espagnol et 14% vers les autres langues de la CEE ». 29 Chevrel/Masson (2006, 22) souligne l’influence déterminante des aides des pouvoirs publics sur ces chiffres : en France, la multiplication des intraductions à partir des années 1980 a été facilitée par des aides financières aux traducteurs et par des subventions à la publication des traductions aux éditeurs. Il s’ajoute le rôle des prix littéraires, ici celui du prestigieux prix Pierre-François Caillé, créé en 1980 pour couronner les traductions particulièrement méritoires (cf. Salama-Carr 1998, 414). 30 Bachleitner/Wolf (2004, 11) signalent pour l’Allemagne un taux de 49,3% de livres traduits de l’anglais, contre 7,7% seulement d’œuvres traduites du français, langue qui occupe la deuxième position. 31 Alors que l’Angleterre pratique plutôt l’autarcie littéraire, avec une quantité négligeable de bestsellers non anglo-saxons, l’Italie et l’Espagne comptent parmi leurs best-sellers près de la moitié d’œuvres étrangères, pour la plupart de langue anglaise (cf. Ganne/Minon 1992, 60).    

















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Il faudrait certainement diversifier ces chiffres en fonction des langues et des sujets traduits, de la persistance des traductions sur le marché du livre etc., pour pouvoir en déduire des conclusions pertinentes.32 Ici, on se limitera à avancer l’hypothèse que la position moyenne revenant à la France et à l’Allemagne en termes d’intraduction et d’extraduction est révélatrice de la « politique littéraire » dans les deux pays : les mesures publiques et éditoriales, à savoir les aides financières et les prix littéraires, y endiguent les effets purement économiques qui, par contre, ont libre cours dans les pays anglo-saxons. Une question qui mériterait d’être examinée est celle de savoir dans quelle mesure la situation actuelle est influencée par les traditions historiques des différents pays dans le champ de la traduction.  





3 Problèmes et « détours » de la traduction : l’« intraduction » de la production éditoriale allemande en France et en Italie  









Après ces considérations d’ordre quantitatif, on examinera ci-dessous de plus de près le versant qualitatif des flux de traduction, en se focalisant sur quelques phénomènes particulièrement intéressants. Le rôle de médiateur assumé par la France notamment aux XVIIe et XVIIIe siècles,33 dont il était déjà question plus haut, s’étend sur quasiment tous les pays européens majeurs : en Italie, et plus encore en Espagne et au Portugal,34 une partie considérable des œuvres étrangères passe par le filtre du français. La réception des œuvres du « romantisme littéraire » allemand et celle de la philosophie allemande dans l’Italie du XIXe siècle serviront d’exemple pour l’examen de ce genre de « détour » de la traduction, qui partira de la question suivante : comment les flux de traduction (et leurs « détours » respectifs) influencent-ils la réception de certains courants littéraires ou de certains auteurs en particulier ?  

















La traduction indirecte des « romantiques » allemands en Italie par le biais du français : Encore au XIXe siècle, la France canalise les flux de traduction par la sélection des œuvres traduites et par sa norme « cibliste » de traduction, prédominante  







32 Pöckl (2003, 1409) constate par ex. pour l’Espagne, que les nouveaux auteurs de langue anglaise ne gardent pas longtemps la faveur du public, qui leur est accordée d’ailleurs souvent pour des raisons non purement littéraires. 33 Pour la « traduction indirecte », cf. Stackelberg (1984), qui passe en revue toute une série d’exemples historiques, dans lesquels le français agit comme langue intermédiaire entre divers pays européens. 34 En Espagne plus encore qu’en Italie, et pour une période plus longue, le français sert de langue intermédiaire pour les intraductions (cf. Pöckl 2003, 1408). Pour le Portugal, cf. Schäfer-Prieß/Endruschat/Schöntag (2003, 1422).  









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dès l’époque du classicisme. Pour la production littéraire de quelques pays n’ayant pas encore accédé au rang de dignes « pays donateurs », comme c’est le cas pour l’Allemagne à cette époque, elle sert de garant de légitimité culturelle35 et agit en même temps comme catalyseur : ainsi accueille-t-elle les impulsions du romantisme littéraire allemand et les transfère-t-elle en Italie sous une forme atténuée. Les médiateurs culturels français jouent un rôle primordial dans ce processus : c’est Mme de Staël qui, en fusionnant les idées romantiques allemandes avec le rationalisme français des Lumières, désamorce le côté polémique du courant et en facilite la réception en France. Il s’agit d’ailleurs d’une influence réciproque, car le romantisme, de son côté, agit sur les modèles littéraires et sur la manière de traduire en France.36 L’impact des flux de traduction sur la réception d’une littérature étrangère apparaît aussi à travers l’association étroite de deux ou plusieurs écrivains traduits parallèlement dans la culture cible, qui cependant ne font pas partie du même courant littéraire dans la culture source : c’est le cas pour Goethe, E.T.A. Hoffmann et Schiller en France, qui y sont considérés comme les représentants majeurs du « romantisme » allemand.37 En Italie, les répercussions de la réception française des romantiques allemands se font sentir pendant la Restauration en Lombardie-Vénétie, région qui connaît une croissance incontrôlée du secteur de l’édition dans les années 1820 et 1830.38 Les traductions d’œuvres allemandes, pour la plupart de qualité inférieure et exécutées sur le modèle français, y abondent ; surtout la réception de Schiller, marquée par la médiation française, contribue à façonner la notion du « romanticismo » italien – somme toute une interprétation populiste et libertine de la littérature « romantique » allemande et anglaise.39 L’association fréquente « Goethe – Hoffmann – Schiller » se transforme ainsi en une « trinité », plus curieuse encore, « Guglielmo Shakespeare – Federico Schiller – Volfango Goethe » (cf. Bevilacqua 2007, 48). Un exemple révélateur de l’influence exercée par les flux de traduction sur le succès d’une œuvre littéraire est fourni par la réception française et italienne de  









































35 Ainsi en Allemagne, on présente Alfieri comme « le Racine italien », Goldoni comme « le Molière italien » (cf. Arend 1996, 205). Mais tandis qu’en Allemagne, les écrivains français sont des intermédiaires courants s’il s’agit d’établir un auteur italien dans la littérature nationale, l’inverse ne vaut pas : en Italie, la tradition des « anciens » étant encore plus forte que l’influence littéraire française, ce sont les classiques antiques qui servent de garant : Klopstock est introduit comme « l’Homère du nord », Gessner comme « dépassant Théocrite » (cf. Flaim 1995, 368). 36 La manière de traduire, de préférence « cibliste » en France, s’orientera de plus en plus vers la conception plutôt littérale et « sourcière » qui prédomine en Allemagne (cf. par ex. Mounin 1967, 42s.). 37 Un rôle décisif dans ce développement est attribué à Gérard de Nerval, traducteur de Goethe, qui, dans sa propre création littéraire, est influencé par E.T.A. Hoffmann. 38 Sur les échanges littéraires entre la Lombardie et l’Autriche-Hongrie à l’époque de la restauration cf. Battaglia Boniello (1990). 39 Le courant est restreint à la Lombardie et au Piémont ; on pensera au « cercle milanais » autour de Pietro Borsieri, Giovanni Berchet et Ludovico di Brême. Sur la réception de Schiller à l’époque du « risorgimento » italien, cf. Bevilacqua (2007).  





















































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E.T.A. Hoffmann : en forgeant pour le titre hoffmannien Fantasiestücke la notion française de « contes fantastiques » – peu appropriée, à vrai dire, à la métaphore musicale choisie par l’auteur – le traducteur Adolphe Loève-Veimars40 fonde une tradition ; le terme, désignant depuis lors un nouveau genre littéraire, fait école non seulement en France, mais aussi en Italie.41 Parfois, ce sont des facteurs non proprement littéraires qui entrent en jeu, comme par exemple une célèbre adaptation musicale d’une œuvre littéraire. Cela vaut notamment pour l’ « artiste universel » Hoffmann, dont l’image française doit beaucoup à la musique et à Hector Berlioz en particulier.42 En Italie, ce sont surtout les opéras de Verdi et de Rossini qui, bien que tardivement, contribueront à y faire connaître les drames de Schiller (cf. Bevilacqua 2007, 55s.).43 Ainsi, le succès éditorial est favorisé et parfois précédé par le « détour » du succès musical. Par ailleurs, les flux de traduction dépendent aussi des cadres juridiques qui en dictent les conditions générales. C’est ainsi que dans les années 1829/1830, alors que la convention de Berne sur la protection des droits d’auteur n’est pas encore ratifiée, les deux maisons d’édition françaises Renduel et Lefebvre se font concurrence en publiant leurs traductions respectives des œuvres complètes de E.T.A. Hoffmann en France ; l’affaire finira par déboucher sur une vraie querelle entre les deux éditeurs (cf. Teichmann 1961, 37ss.).  





















La traduction des philosophes allemands en France et en Italie : un « objet mixte » ? Un autre exemple de l’influence française sur la médiation des idées et des flux de traduction est celui des philosophes allemands, dont la réception s’est produite dans la France et dans l’Italie du XIXe siècle plus au moins parallèlement à celle des « romantiques » allemands. À cette époque, la philosophie allemande exerce une influence particulière sur l’histoire des idées en France,44 et une fois de plus, ce sont les médiateurs culturels, comme le grand connaisseur de l’Allemagne Victor Cousin, qui préparent le terrain à leur réception. Il va de soi que la pensée philosophique allemande n’en restera pas intacte, mais sera « contaminée » par la pensée française.  

















40 Les traductions de Loève-Veimars, d’ailleurs plutôt « ciblistes », sont à l’origine d’une certaine « lecture cliché » de Hoffmann en France, qui ne tardera pas à se répandre aussi en Italie : à l’élément fantastique est substitué une sorte de « réalisme fantastique », l’ironie romantique est remplacée par l’« esprit » français. 41 Curieusement, on trouve une retraduction du terme français dans l’opéra de Jacques Offenbach Hoffmanns Erzählungen, représenté pour la première fois en 1881 à Paris (sur la réception musicale de Hoffmann cf. Hübener 2004). 42 Sur Berlioz et sa réception de Hoffmann, cf. Hübener (2004, 280ss. et 342s.). Berlioz met aussi en musique la traduction du Faust par Gérard de Nerval (Huit scènes de Faust, 1832, cf. ibid., 3s.). 43 On peut citer à titre d’exemple l’opéra I Masnadieri de Verdi, représenté pour la première fois en 1848, fondé sur la traduction italienne d’Andrea Maffei, la première version autorisée par la censure. 44 Michel Espagne (2004, 13) constate même que « la vie philosophique s’est déplacée au point qu’elle se situe entièrement en Allemagne ».  

































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Michel Espagne (2004, 15–16) va jusqu’à constater qu’ « [a]u fond, c’est moins la philosophie allemande qui nous occupera qu’un objet mixte, caractérisé par un métissage involontaire et les usages qui en sont faits » : un « métissage » qui s’opère surtout par le biais de l’éclecticisme de Cousin. En vulgarisant la pensée idéaliste de philosophes allemands comme Hegel ou Kant,45 il la rapproche des conceptions prédominantes en France, empreintes de la tradition sensualiste. C’est ainsi que la philosophie de Kant est associée étroitement à celle de Victor Cousin, mais aussi à la pensée du saint-simonisme, doctrine largement répandue en France. Les traces de l’influence cousinienne se retrouveront par exemple dans les traductions des œuvres kantiennes par Jules Barni et par Claude-Joseph Tissot, parues dans les années 1820 à 1840 et rééditées plusieurs fois, ou dans celles de Hegel par Augusto Vera.46 C’est avant tout à travers ces traductions que la conception française de la philosophie allemande trouve sa voie en Italie : d’une part, les intellectuels italiens étudient Kant directement dans les traductions françaises, d’autre part, au moment où des traductions italiennes paraissent, leurs auteurs se réfèrent pour la plupart à leurs prédécesseurs français. Ainsi, au début du XXe siècle, des traductions indirectes « avouées » des œuvres kantiennes sont fournies par Alfredo Gargiulo et Francesco Capra, tandis que leurs homologues Giovanni Vidari et Nicola Palanga n’avouent pas leurs emprunts aux versions françaises. Dans la France du XIXe siècle, la traduction des philosophes allemands n’agit pas seulement sur le paysage philosophique français, mais aussi sur les stratégies traductives prédominantes (cf. Salama-Carr 1998, 413). Le style de philosophes comme Kant, Hegel et Schelling ou plus tard celui de Heidegger, insolite à l’oreille d’un Français, oblige les traducteurs français à l’invention linguistique et les incite à l’usage de stratégies beaucoup plus « sourcières », c’est-à-dire plus orientées vers le texte source ou bien plus « fidèles ».47 Le flux de traduction à partir de l’allemand contribue ainsi à faire reculer la pratique encore répandue des traductions « classicistes », à l’image des belles infidèles, en France. Par le biais de traductions indirectes, cette évolution se propagera aussi en Italie. Ici, on se limitera à citer un exemple probant du début du XXe siècle : en 1907, Victor Delbos propose une traduction française d’orientation scientifique et documentaire des Fondements de la métaphysique des mœurs de Kant. Sa version très « fidèle » et explicative, richement dotée de notes savantes, servira de modèle à la traduction italienne de Giovanni Vidari, parue trois ans plus tard. Ayant  



































45 Dans le sillage de Mme de Staël, Kant est généralement considéré comme « spiritualiste » dans la France de la Restauration et il est donc apprécié notamment par les néo-catholiques et les conservateurs français et regardé avec méfiance par les rationalistes (cf. Espagne 1985, 272). 46 L’italien Augusto Vera est connu comme médiateur de Hegel non seulement en France, mais aussi dans sa patrie : retourné en Italie en 1859, il fonde l’école italienne de l’hégélianisme, d’abord à Milan, puis à Naples. 47 Cf. par exemple Albrecht (2009, 17ss.). Ce constat vaut aussi, sous une forme atténuée, pour la traduction de la littérature « romantique » allemande en France.  

















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tiré profit de son modèle français pour comprendre plus à fond la pensée kantienne, le traducteur italien fournit une traduction indirecte très appréciée du public italien, qui connaît plusieurs rééditions (cf. Plack 2005, 331–360).

4 Conclusion Les flux de traduction ont toujours exercé une influence décisive sur le développement des cultures et des littératures concernées : les traductions verticales à partir des langues antiques ayant contribué à forger les langues et littératures romanes,48 dans les époques suivantes, ce sont notamment les traductions horizontales qui influent sur les conceptions de la littérature et contribuent à modifier les canons littéraires et le paysage des idées des pays cibles respectifs. On a vu que la direction et la puissance des flux de traduction varient au cours de l’histoire, allant de pair avec le développement des rapports de force entre les pays. Ainsi la langue anglaise a-t-elle aujourd’ hui pris la relève du français en tant que lingua franca en Europe. Mais bien que le facteur économique tende à gagner de plus en plus de poids dans les échanges littéraires contemporains, on peut néanmoins souscrire à l’assertion de Ganne/Minon (1992, 95) selon laquelle « le principal facteur de diffusion des œuvres en Europe est bien la légitimité culturelle – et non seulement commerciale – dont leurs auteurs bénéficient dans leur propre pays ». Il n’est cependant pas rare que ce soit un pays médiateur qui agisse comme garant de la légitimité culturelle d’un auteur ou d’une œuvre, décidant ainsi de sa fortune dans les pays cibles respectifs, comme c’est le cas pour la France au XVIIe et encore jusqu’au XXe siècle. De tels « détours » des flux de traduction peuvent agir, quant à eux, sur la qualité de ces flux mêmes, par exemple en influençant les stratégies de traduction prédominantes dans les pays concernés. On s’est penché ici sur un phénomène particulier de « détour », la traduction indirecte, tout en négligeant d’autres phénomènes, comme la « re-traduction »,49 à savoir la remise dans la langue originale d’un texte à partir d’une traduction, la traduction inavouée50, très fréquente notamment au Moyen Âge, ou bien la « pseudotraduction », dont l’exemple le plus célèbre est sans doute le Don Quijote de Cervan 





















48 Ce n’est pas un hasard si Richard Baum (1995) choisit pour titre de son article « La naissance du français à partir de l’esprit de la traduction » (« Die Geburt des Französischen aus dem Geist der Übersetzung »). 49 Albrecht (2011b, 12) en fournit un exemple fameux, « la ‹ retraduction › [ou ‹ rétrotraduction ›, dans la terminologie de Gambier 1994, 413] du Neveu de Rameau de Diderot à partir de la traduction de Goethe avant que le manuscrit original ait été retrouvé ». 50 Relèvent de cette catégorie par exemple les traductions « innocentes » de cantiques se basant sur des psaumes et dont les auteurs ne citent pas les sources, parce qu’ils les considèrent comme connues de tous.  





























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tes :51 il s’agit d’un texte original qui se fait passer pour une traduction, soit pour conférer de l’authenticité à l’œuvre même, soit pour introduire des innovations culturelles ou littéraires dans la culture cible.  

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51 Dans le cas du Don Quijote, c’est plutôt à des fins parodiques que le narrateur se réclame d’une source fictive.  

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Aspects pratiques

Ramona Schröpf

34 La formation des traducteurs et des interprètes dans les pays de langue romane Abstract : La présente contribution donne un aperçu des formations en traduction et interprétation proposées dans une sélection de pays de langue romane, à savoir la France, l’Italie, l’Espagne et le Portugal, ainsi que les territoires francophones de la Belgique et de la Suisse. Ont été retenus, pour chaque pays, les établissements d’enseignement supérieur les plus rénommés. Les renseignements fournis concernent les contenus des programmes aux niveaux « Bachelor » (licence) et « Master » (licence + 2) ainsi que les langues et spécialisations proposées. Sont mentionnés en outre les réseaux dont les formations sont adhérentes, les labels de qualité qui leur sont accordés ainsi que les critères respectifs d’adhésion et / ou d’attribution.    













Keywords : formation de traducteurs et d’interprètes, labels de qualité, instituts d’enseignement supérieur, langues romanes    

1 Introduction La communication multilingue est à l’ordre du jour dans de nombreux secteurs d’activité. Que ce soit dans le domaine technique, pour la traduction d’un manuel, dans le domaine des affaires et de la politique, pour l’interprétation lors de rencontres bilatérales ou dans le domaine juridique pour la traduction d’un acte de naissance, les traducteurs et interprètes sont des piliers essentiels dans la compréhension mutuelle. Grâce au développement technique, le travail du traducteur et de l’interprète a pu être grandement facilité. Aujourd’hui, les outils de la traduction ne se limitent plus aux seuls dictionnaires imprimés, le traducteur dispose d’une vaste palette d’instruments comme les logiciels de traduction, les mémoires de traduction et les dictionnaires et glossaires en ligne, qui lui facilitent considérablement la tâche tout en lui faisant économiser du temps. La formation des traducteurs et des interprètes a été adaptée à cette évolution et a pris en compte le travail avec les nouvelles technologies, notamment le maniement des mémoires de traduction, la gestion des documents multilingues et la localisation du contenu des sites Internet ou encore le « remote interpreting » (cf. Korak 2010)1 pour le cas des interprètes. Quant à la formation, dans  



1 Voir Korak, Christina (2010), Remote Interpreting via Skype. Anwendungsmöglichkeiten von VoIPSoftware im Bereich Community Interpreting – Communicate everywhere ?, Berlin, Frank&Timme.  

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Ramona Schröpf

le cadre du processus de Bologne, de nombreux programmes Bachelor (désormais BA) et Master (désormais MA) ont été créés qui tiennent compte de ces nouvelles potentialités pour les traducteurs et interprètes. Cet article essayera d’apporter une réponse aux questions suivantes : Quelles sont les universités qui offrent une formation de traducteur et interprète dans les pays de langue romane ? Quels programmes de formation (BA ou MA) sont offerts ? Quel est le cursus de la formation et quelles langues et spécialisations sont proposées ? Existe-t-il des labels de qualité et quels en sont les critères ? Quels sont les débouchés professionnels ? Y a-t-il des connexions entre la formation et le monde professionnel (par ex. stages intégrés dans le programme d’étude, contacts avec des entreprises) ? Pour des raisons de place, notre article ne retient qu’une sélection d’universités et d’écoles de traduction2 dans les pays suivants : France, Belgique et Suisse francophones, Espagne, Italie et Portugal. Nous avons essayé de prendre en compte les programmes BA et MA proposés par les institutions les plus renommées dans les pays respectifs. Dans les chapitres qui suivent, nous allons d’abord nous poser la question de savoir pourquoi se lancer dans des études de traduction et interprétation pour ensuite décrire brièvement les cinq labels de qualités et les réseaux inter-universitaires les plus importants. Dans la partie principale (chapitres 2 à 6), nous présenterons une sélection d’universités et d’écoles de traduction qui offrent une formation de traducteur / interprète au niveau Bachelor et / ou Master. L’annexe proposera une liste des établissements passés en revue ainsi qu’une liste des membres des réseaux interuniversitaires dans les pays de langue romane.  



























1.1 Pourquoi suivre des études de traduction et d’interprétation ?  

Être un expert de la parole, maîtriser plusieurs langues et savoir les utiliser professionnellement est un métier dont les perspectives sont diversifiées et prometteuses. Les études de traduction permettent de développer des qualités et compétences multiples. Celui qui a de l’intérêt pour la nouveauté, une aptitude à la communication orale ou écrite, une bonne culture générale et un goût pour les échanges internationaux réunit déjà quelques-unes des conditions nécessaires pour envisager une carrière comme traducteur ou interprète. Quant aux débouchés professionnels, deux voies principales s’offrent au traducteur comme à l’interprète. La première consiste à travailler en free lance indépendant pour des clients différents et ouvrir éventuellement une agence de traduction, la seconde à trouver un emploi salarié dans l’un des

2 Nous tenons compte des programmes proposés dans les facultés de traduction et d’interprétation, les facultés des lettres et les écoles de traduction (par ex. l’ISIT).

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La formation des traducteurs et des interprètes dans les pays de langue romane

multiples secteurs où l’on peut avoir besoin d’une médiation linguistique : institutions de l’Union européenne, agences de presse, tribunaux et institutions publiques, cinéma ou télévision,3 offices de tourisme, assurances, agences de publicité, centres de documentation, instituts de recherche, associations privées, banques, institutions internationales (ONU) ou organisations non-gouvernementales, etc.  

1.2 Labels de qualité et réseaux d’universités Malgré les progrès récents de la traduction automatique et du traitement de l’information multilingue, les traducteurs et interprètes professionnels jouent toujours un rôle essentiel dans la communication multilingue. Les professionnels et les universitaires spécialisés dans le domaine des études sur la traduction se sont depuis longtemps penchés sur la question de la formation, initiale et continue, des traducteurs et interprètes. Cette réflexion a conduit à l’élaboration de normes de qualité et de critères de contrôle de qualité internationalement reconnus. Les labels de qualité pour les formations universitaires en traduction sont accordés aux universités qui répondent à un ensemble défini de critères professionnels et d’exigences du marché. Nous allons présenter brièvement les cinq labels et réseaux les plus importants et préciser leur fonction :  



L’association internationale la plus ancienne et la plus prestigieuse des instituts universitaires de la traduction et d’interprétation est la Conférence Internationale permanente d’Instituts universitaires de traducteurs et interprètes (CIUTI ; www.ciuti.org), fondée en 1960. Ses membres « s’engagent à l’excellence dans la formation et la recherche en traduction et interprétation. En être membre est donc une distinction autant qu’un défi permanent dans le contexte des développements de la recherche et des besoins du marché ».4 La CIUTI compte actuellement 42 membres dans le monde entier dont 13 dans les pays francophones.5 Le but de la CIUTI et de ses membres est de « veiller à assurer une excellente qualité dans la formation des traducteurs et des interprètes ».6 Pour garantir cette qualité dans la formation, la CIUTI a établi un catalogue des critères qui doivent être suivis par l’institution souhaitant en devenir membre.7 Le programme European Masters in Conference Interpreting (EMCI ; http://www.emcinter preting.org) a été conçu en 1997 pour donner aux jeunes diplômés la possibilité d’acquérir les compétences professionnelles et les connaissances requises pour l’interprétation de conférences. EMCI est un consortium d’universités partenaires proposant un master en  











3 Pour plus d’informations sur les possibilités de travailler dans le secteur audiovisuel voir par exemple le site de l’Association des Traducteurs / Adaptateurs de l’Audiovisuel : http://www.traduc teurs-av.org (13.11.2014). 4 http://www.ciuti.org/fr/ (13.11.2014). 5 Pour la liste détaillée des institutions membres, voir l’annexe pour les pays de langue romane ou le site http://www.ciuti.org/fr/membres/ (13.11.2014). 6 http://www.ciuti.org/fr/qui-sommes-nous/profile/ (13.11.2014). 7 Pour plus d’informations, voir http://www.ciuti.org/fr/qui-sommes-nous/profile/ (13.11.2014).  











   



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interprétation de conférence. Il vise à répondre à la demande des interprètes de conférence hautement qualifiés. Le programme a été élaboré en concertation avec les institutions européennes et la poursuite de cette coopération en est une partie intégrante. Dans son élaboration, les institutions participantes ont combiné leur expertise individuelle, leur but étant d’optimiser l’utilisation des ressources grâce à la coopération transnationale. Afin d’honorer leur engagement de maintien de la qualité telle que prévue dans les normes d’assurance qualité EMCI, les institutions participantes doivent revoir régulièrement l’évolution des besoins et des nouveaux développements et mettre à jour en permanence le programme. Les institutions membres sont tenues de mener une politique commune en matière de recrutement et d’évaluation des étudiants, sur la base des objectifs du programme et en appliquant les critères d’assurance qualité. Les participants s’efforcent de contribuer à la diffusion des bonnes pratiques à travers l’Europe. L’EMCI compte actuellement douze membres, dont six dans des pays de langue romane.8 Le réseau Master européen en traduction spécialisée (METS ; www.mastertraduction.eu) existe, lui, depuis 2004. Il s’agit d’un consortium de douze écoles de traduction et universités européennes (dont huit dans les pays de langue romane).9 Ce Master propose aux étudiants traducteurs une année de spécialisation et de professionnalisation interculturelle sous la forme d’un programme original garanti par les critères d’exigence qualité des douze partenaires. La formation se déroule sur un an sous la forme de deux semestres dans deux universités partenaires de pays différents. À ce titre, plusieurs parcours sont proposés. L’objectif est « de permettre aux étudiants de parfaire leur formation en Europe dans des domaines de compétences professionnelles spécialisées et d’enrichir ainsi leur parcours académique en vue d’une meilleure intégration sur le marché du travail international ». Le METS est un parcours hautement qualifié en traduction spécialisée au sein de l’enseignement supérieur dans l’espace européen.10 Le lancement officiel du réseau European Masters in Translation Network (EMT ; http://ec. europa.eu/dgs/translation/programmes/emt/index_fr.htm) en décembre 2009 a été la dernière étape vers la reconnaissance d’un cadre de référence au niveau européen pour la formation de traducteurs. L’établissement de ce réseau est un projet de partenariat entre la Commission européenne et les institutions d’enseignement supérieur proposant des formations en traduction de niveau master. EMT est un label de qualité attribué aux masters de traduction qui répondent à un ensemble défini de normes professionnelles et d’exigences du marché ainsi qu’aux critères qualitatifs du socle de compétences élaboré par la Direction générale de la traduction. Le profil des compétences décrit les compétences que les traducteurs doivent avoir pour travailler sur le marché actuel. EMT est une marque européenne déposée.11 Le réseau compte désormais 64 membres, dont 25 universités dans des pays de langue romane.12 L’objectif principal de l’EMT est d’améliorer la qualité de la formation des traducteurs de façon que les institutions de l’UE puissent recruter des traducteurs hautement qualifiés. Un nombre croissant d’universités utilisent ce profil pour  









8 Voir annexe pour une liste des membres dans les pays de langue romane et http://www.emcinter preting.org pour tous les pays. 9 Voir annexe pour une liste des membres dans les pays de langue romane et www.mastertraduction. eu pour tous les pays. 10 http://www.mastertraduction.eu/index.php/fr/accueil (17.11.2014). 11 Voir http://ec.europa.eu/dgs/translation/programmes/emt/index_fr.htm (14.11.2014). 12 Voir annexe pour une liste des membres dans les pays de langue romane.  



     



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développer leurs programmes. La liste des universités participantes a été renouvelée en juin 2014.13 Un dernier réseau visant à garantir la qualité de la formation de traducteurs et interprètes est le réseau OPTIMALE (Optimising Professional Translator Training in a Multilingual Europe ; www.translator-training.eu), qui intègre 70 partenaires de 32 pays européens différents (dont 16 de pays de langue romane).14 OPTIMALE est le résultat d’un projet de trois ans (2010–2013) financé par l’Union Européenne. Sa mission est d’observer les changements en cours dans les professions de la traduction à l’ère d’Internet, des réseaux sociaux (social networks) et d’une automatisation croissante du processus de traduction. Plus concrètement, les buts étaient d’établir une carte détaillée avec des programmes de formation existants, d’observer les besoins du marché et d’identifier les exigences pour la formation de traducteurs et interprètes.

2 Établissements d’enseignement supérieur en France 2.1 ESIT – École supérieure d’interprètes et de traducteurs, Paris L’École supérieure d’interprètes et de traducteurs (ESIT), fondée en 1957, est rattachée à l’Université Sorbonne Nouvelle (Paris 3) et compte actuellement environ 450 étudiants. Elle est membre des réseaux suivants : CIUTI, OPTIMALE, EMCI et EMT (avec un Master professionnel sur la Traduction éditoriale, économique et technique) (cf. infra). L’École universitaire de renommée mondiale prépare à trois masters professionnels et un master 2 Recherche, ainsi qu’au Doctorat en Traductologie. L’objectif de l’ESIT est de former des professionnels de haut niveau, apportant une contribution essentielle à la qualité et la fiabilité de la communication dans les échanges internationaux. L’enseignement est dispensé en combinaison linguistique trilingue, incluant la langue maternelle. Ces langues sont classées A, B et C. Le français et l’anglais sont obligatoires, en A, B ou C. Les langues proposées sont : anglais, allemand, arabe, chinois, espagnol, français, italien, japonais, portugais, russe. En combinaison trilingue, le français doit obligatoirement être la langue A ou B. L’anglais doit être la langue A, B ou C, à l’exception des combinaisons suivantes : françaisrusse-allemand et français-allemand-russe. En combinaison bilingue, le français doit obligatoirement être la langue A ou B. Le Master professionnel d’interprétation de conférence a été conçu pour former des interprètes, capables d’assurer une communication précise, fidèle et fluide entre les  











13 La liste des universités participantes ainsi que les programmes proposés sont consultables à l’adresse suivante : http://ec.europa.eu/dgs/translation/programmes/emt/call/index_fr.htm (16.11. 2014); pour les partenaires dans les pays de langues romanes, voir aussi l’annexe. 14 Voir annexe pour une liste des membres dans les pays de langue romane.  





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participants aux grands colloques scientifiques, aux conférences internationales et lors de rencontres bilatérales. Le Master professionnel d’interprétation français-LSF et LSF-français forme des praticiens à la langue des signes française capables d’assurer une communication précise, fluide et fidèle entre des interlocuteurs sourds, mal-entendants et entendants. Le Master professionnel de traduction éditoriale, économique et technique se consacre à la formation de spécialistes de la traduction capables de s’adapter à tous les contextes et de garantir la fiabilité et la qualité de l’information écrite, afin d’apporter une réelle valeur ajoutée aux entreprises et organisations dans le cadre de leurs échanges internationaux. Le Master 2 Recherche en Traductologie a comme objectif de former des professionnels de la traduction et de l’interprétation aux méthodes de recherche applicables à la traductologie, à l’analyse critique et à la théorisation sur les pratiques traductionnelles.15

2.2 ISIT – Institut de management et de communication interculturels, Paris L’ISIT est un établissement privé associatif créé à Paris. Il est membre de la CIUTI, de la FESIC (Fédération d’Écoles Supérieures d’Ingénieurs et de Cadres) et de la CGE (Conférence des grandes écoles). En outre, il est représenté dans les réseaux suivants : OPTIMALE, METS, EMCI et EMT (avec un Master en Management, Communication et Traduction). L’Institut compte actuellement près de 900 étudiants. Tout candidat à l’ISIT doit valider 3 langues, le français et l’anglais étant obligatoires. Une 3e langue est à choisir entre l’allemand, l’arabe, le chinois, l’espagnol et l’italien. La langue A (langue maternelle ou assimilée) peut être une autre langue que le français. Toute autre 3e langue est possible, elle fera l’objet d’un examen validé en fin de cursus. L’ISIT forme à tous les métiers du management et de la communication interculturels : traducteurs, managers et communicants interculturels, interprètes de conférence, juristes linguistes. D’une durée de 5 ans, ses formations sont accessibles avec un Bac ES, S et L ou après un bac + 1, + 2 ou + 3 validé. Dans le master Management, Communication, Traduction (MCT), les étudiants acquièrent les connaissances fondamentales dans trois ou quatre langues de travail afin de construire les bases du multilinguisme et de l’interculturalité. Les spécialisations de l’ISIT sont (1) le Management Interculturel (MI) et (2) Communication Interculturelle et Traduction (CIT). Le premier donne accès à des postes de cadres dans les  





















15 Pour plus d’informations, voir : http://www.univ-paris3.fr/bienvenue-sur-le-site-de-l-esit-63854. kjsp (14.11.2014).  



La formation des traducteurs et des interprètes dans les pays de langue romane

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entreprises internationales ; dans le second, les étudiants apprennent à traduire à un niveau professionnel et à intégrer les services communication d’entreprises internationales, en gérant toutes les activités en langues étrangères et en maîtrisant tous les outils multilingues et multimédias dans leurs plus récents développements. Avec le Master Européen en Traduction Spécialisée (METS), qui est accessible sur sélection (5 places offertes) uniquement après une 4e année à l’ISIT (en Communication Interculturelle et Traduction ou en Management Interculturel), l’ISIT offre un diplôme de Master co-signé par un consortium de douze universités et écoles européennes de traduction et d’interprétation associées (supra, 1.2). Avec le Master Interprétation de conférence, l’ISIT forme des interprètes de conférence professionnels capables de travailler pour les organisations internationales et pour le secteur privé. La formation se déroule sur deux années universitaires, composées chacune de deux semestres de 13 semaines. Les cours sont assurés par des interprètes de conférence en exercice.  









2.3 Université de Strasbourg – Institut de Traducteurs, d’Interprètes et de Relations Internationales (ITIRI) L’ITIRI est un institut universitaire rattaché à l’UFR Langues et Sciences Humaines Appliquées de l’Université de Strasbourg. Depuis 30 ans, l’ITIRI forme des spécialistes du monde de la traduction, de l’interprétation et des relations internationales. À la rentrée 2013 / 2014, l’Institut accueille environ 350 étudiants. Il est membre de l’Association Française des Formations Universitaires aux Métiers de la Traduction et fait partie du réseau OPTIMALE ainsi que du réseau EMT. La majorité des enseignants sont des professionnels : traducteurs, interprètes, responsables de services internationaux en entreprise. Les étudiants sont recrutés au niveau BA et préparent en deux ans l’un des masters proposés : Master parcours traduction professionnelle, domaines de spécialité, Master parcours traduction audiovisuelle et accessibilité ou Master parcours traduction littéraire. Il existe aussi un Master en Interprétation dont la première année est dédiée à l’initiation à l’interprétation et la deuxième à l’interprétation de conférence. L’ITIRI offre en outre des masters en Relations Internationales dont la première année a un tronc commun, l’étudiant choisissant en deuxième année entre Communication internationale, Management des projets de coopération de l’Union Européenne, Intelligence économique et gestion du développement international. L’ITIRI propose par ailleurs un autre master en deux ans : celui d’Animateur de cluster et de réseaux territoriaux. Il s’agit d’un diplôme franco-allemand mis sur pied conjointement par l’ITIRI et la Hochschule de Kehl.16 Enfin, l’étudiant peut aussi choisir un master en Euroculture (Master Erasmus Mundus), lui aussi en deux ans. Il  















16 Pour plus d’informations, voir : http://www.master-clustermanager.eu (15.11.2014).  



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s’agit d’un programme d’études unique en France, qui a reçu le label Erasmus Mundus par la Commission Européenne pour distinguer certains réseaux universitaires d’excellence.17

3 Établissements d’enseignement supérieur en Belgique et Suisse francophones 3.1 Haute École de Bruxelles – Institut Supérieur de Traducteurs et Interprètes (ISTI) L’ISTI a été créé en 1958. Il accueille environ 1 000 étudiants, ce qui en fait la plus grande école dans la Communauté française de Belgique. La réputation de l’ISTI à l’étranger est l’un de ses points forts : plus de 80 nationalités y sont représentées. Fort de sa reconnaissance internationale, l’ISTI a signé des accords de coopération et de mobilité avec 110 universités dans plus de 30 pays du monde. Chaque année, près de 200 étudiants participent aux différents programmes d’échanges en vue de perfectionner leurs acquis linguistiques. L’ISTI est détenteur du label EMT pour son Master en traduction. L’établissement est de plus membre de la CIUTI et du réseau METS. Les études à l’ISTI peuvent commencer dès après le baccalauréat. Le BA en traduction et interprétation s’articule autour de trois axes : cours de langues, cours de français et cours généraux, l’ensemble constituant une base solide pour aborder ensuite le master en traduction ou en interprétation. L’étudiant choisit deux langues de base parmi l’allemand, l’anglais, l’espagnol, l’italien, le néerlandais, le russe ou, uniquement en combinaison avec l’anglais, le chinois, l’arabe ou le turc. À partir de la 3e année, il peut ajouter une troisième langue étrangère, à savoir le japonais ou le croate. Le programme de 3e année en traduction et interprétation prévoit l’organisation d’une immersion multiculturelle et linguistique durant le premier quadrimestre. Cette immersion se concrétise essentiellement par d’un séjour d’études dans une université étrangère (éventuellement, pour les étudiants qui ont le néerlandais dans leur combinaison linguistique, en Flandre dans le cadre du programme Erasmus). Un Master en traduction fait suite au bachelor. Il est consacré à la formation spécifique en traduction. À partir de deux langues étrangères et vers le français, divers types de traduction représentatifs du paysage professionnel sont abordés : traduction générale, spécialisée, juridique, scientifique et technique, etc. Pour réaliser au mieux les différents volets du programme, les cours de traduction et d’initiation aux domaines de spécialité sont assurés par des traducteurs professionnels et des experts du  













17 Pour plus d’informations, voir : http://itiri.unistra.fr/masters-relations-internationales/eurocul ture-erasmus-mundus/ (17.11.2014).  





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domaine concerné. En 2e année de master, on peut opter pour une des orientations suivantes : traduction multidisciplinaire, traduction et relations internationales, traduction et industries de la langue, traduction littéraire. Ces orientations sont complétées par un stage professionnel en traduction, d’une durée de douze semaines, organisé en entreprise ou dans une institution nationale ou internationale. En fonction de l’orientation choisie, un mémoire doit être rédigé sur un sujet relatif à la traduction, au sous-titrage, au voice-over (commentaire oral ajouté à un film ou une présentation multimédia), à la terminologie ou à la traductologie. À côté du master en traduction, la Haute École propose aussi un master en interprétation. Il a pour objectif de former des interprètes de conférence aptes à travailler dans les principales institutions internationales. Le corps enseignant est majoritairement composé d’interprètes de conférence. De nombreux stages sont prévus au cours de l’année, à l’ONU, la Commission européenne, l’OTAN, à Eurocontrol, au Conseil de l’Europe, dans des ONG etc. Les examens se déroulent devant un jury composé des professeurs d’interprétation, d’interprètes professionnels free-lance et de représentants des institutions internationales. Les débouchés sont, parmi de nombreux autres, les institutions internationales, la diplomatie, les tribunaux nationaux et internationaux, le marché libre de l’interprétation, les ONG ou les médias.  

3.2 Université de Genève – Faculté de traduction et d’interprétation Fondée en 1559, l’Université de Genève est aujourd’hui, avec plus de 15 000 étudiants, le deuxième établissement d’enseignement supérieur de Suisse. Membre de la CIUTI et de l’EMCI, l’Université a en outre un statut d’observateur au réseau EMT avec sa Maîtrise universitaire en traduction. La Faculté de Traduction et d’interprétation propose une licence en trois ans appelée « Baccalauréat universitaire (niveau BA) en Communication multilingue » (Bachelor of Arts in Multilingual Communication) qui comprend les enseignements suivants : Méthodologie et pratique de la traduction, Langues et civilisations, Informatique et technologies langagières, Communication interculturelle et communication spécialisée. Le Baccalauréat universitaire en Communication multilingue constitue une formation de base préparatoire à des études de traduction et d’interprétation ou à d’autres formations supérieures dans le domaine de la communication multilingue. La formation se décline en dix modules, dont les contenus permettent d’acquérir des notions théoriques et pratiques dans des domaines aussi variés que la traduction, la communication, les technologies langagières et la linguistique. Une attention particulière est accordée à l’apprentissage des techniques d’analyse et de rédaction, ainsi qu’au perfectionnement des langues étrangères. Les combinaisons de langues offertes par la Faculté de traduction et d’interprétation sont les suivantes :  















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Langue A

Langues B et C

Allemand

Anglais / espagnol / français / italien

Arabe

Anglais / français

Espagnol

Anglais / français

Français

Allemand / anglais / espagnol / italien / russe

Italien

Allemand / anglais / français

L’université de Genève propose par ailleurs deux MA s’orientant l’un vers la traduction, l’autre vers l’interprétariat : Le premier, le MA en traduction, se décline en quatre mentions différentes : traduction spécialisée, traduction spécialisée – orientation traduction juridique, traductologie et technologies de la traduction. Les combinaisons de langue pour ce Master sont les suivantes :  







Langue A

Langues B et C

Allemand

Anglais / espagnol / français / italien

Anglais

Espagnol / français

Arabe

Anglais / français

Espagnol

Anglais / français

Français

Allemand / anglais / espagnol / italien / russe

Italien

Allemand / anglais / français

L’autre, le MA en interprétation de conférence, a pour objectif de former des interprètes de conférence capables d’assurer l’interprétation simultanée ou consécutive dans des réunions et des conférences, et de réfléchir sur les pratiques et les théories de l’interprétation. Les combinaisons de langue pour ce master sont les suivantes :  

Langue A

Langues B et C

Allemand

Anglais / espagnol / français / italien

Anglais

Allemand / arabe / espagnol / français / italien / russe

Arabe

Anglais / français

Espagnol

Allemand / anglais / français / italien

Français

Allemand / anglais / arabe / espagnol / italien / russe / LSF

Italien

Allemand / anglais / français

Russe

Anglais / français

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La formation des traducteurs et des interprètes dans les pays de langue romane

4 Établissements d’enseignement supérieur en Espagne 4.1 Université pontificale de Comillas (Universidad Pontificia Comillas, Madrid) – Departamento de Traducción e Interpretación L’université pontificale de Comillas (Universidad Pontificia Comillas) est une université catholique fondée en 1890 et située à Madrid. Comptant une dizaine de milliers d’étudiants, elle est en Espagne l’une des plus célèbres institutions universitaires. Elle est membre de la CIUTI, du réseau METS et de l’EMT avec son Máster en Traducción Jurídica-Financiera. Le Département de Traduction et Interprétation (Departamento de Traducción e Interpretación) propose des programmes d’études aux deux niveaux : un BA en Traduction et Interprétation (Grado en Traducción e Interpretación), un BA en Relations Internationales (Grado en Relaciones Internacionales) et un MA en Interprétation de Conférences (Máster Universitario en Interpretación de Conferencias). En outre, il est possible de faire un double diplôme en Relations Internationales et en Traduction et Interprétation (Doble grado en Relaciones Internacionales y en Traducción e Interpretación). Il s’agit ici d’une combinaison de deux degrés indépendants avec une durée de quatre ans chacun. Un certain nombre de contenus communs entre les deux degrés peut amener à la combinaison des deux en seulement 5 ans. Les langues à choisir sont l’espagnol comme langue A, l’anglais comme langue B et l’allemand ou le français comme langue C. Afin de se spécialiser dans des profils professionnels, l’étudiant peut choisir à partir de la troisième année entre les options suivantes : Économie et des affaires avec un profil d’entreprise internationale et organisations internationales, Droit et diplomatie pour la préparation à une carrière diplomatique, Politique étrangère et sécurité internationale pour une carrière d’analyste politique au niveau international.18 Le master en Interprétation de Conférences (Máster Universitario en Interpretación de Conferencias) est destiné à un public de 1er et 2e cycle détenant un diplôme en traduction et interprétation et doté de solides compétences linguistiques. Les candidats passent un examen oral où ils doivent faire la preuve de leurs compétences d’analyse et de synthèse, de leur aptitude à la communication, de leur parfaite maîtrise de la langue maternelle et d’une connaissance approfondie de l’anglais. La formation donnée dans le cadre de ce master est éminemment pratique. Elle comporte des exercices d’interprétation consécutive et simultanée, ainsi que des simulations de  





18 Pour plus d’informations sur le double diplôme, voir : http://www.upcomillas.es/chs/es/grados/ grado-en-relaciones-internacionales-bilingue-y-grado-en-traduccion-e-interpretacion-doble-titula cion (15.11.2014).  

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conférences multilingues complétées par des classes virtuelles vidéo permettant aux étudiants d’être évalués par des interprètes du Parlement européen et de la Commission européenne. Cela leur permet d’appliquer les connaissances et les compétences acquises pendant la formation et facilite le contact avec le monde professionnel.19

4.2 Université de Grenade (Universidad de Granada) – Facultad de traducción e interpretación L’université de Grenade (UGR) accueille environ 80 000 étudiants et a aussi des campus à Ceuta et Melilla. Fondée en 1531, elle est l’une des universités les plus anciennes et traditionnelles d’Espagne. La Faculté de traduction et interprétation, qui existe depuis 1979, est d’une grande renommée. L’établissement est membre de la CIUTI et fait partie du réseau OPTIMALE. Au niveau BA, la faculté propose un diplôme en Traduction et Interprétation (Grado en Traducción e Interpretación), au niveau master un diplôme en Interprétation de Conférences (Máster en Interpretación de Conferencias). Depuis septembre 2014 est proposé un nouveau master en Traduction spécialisé : le Máster en Traducción Profesional. La langue A peut être l’allemand, l’arabe, le français et l’anglais, la langue B l’arabe, le chinois, le français, le grec, l’anglais, l’italien, le portugais et le russe. À partir de la troisième année, l’étudiant peut choisir une langue C parmi l’arabe, le bulgare, le catalan, le chinois, le tchèque, le français, le grec, l’italien, le néerlandais, le polonais, le portugais, le roumain et le russe. La faculté de Traduction et Interprétation offre aussi la possibilité de choisir un programme européen en langues appliqueés (AEL, Applied European Languages). L’étudiant passe alternativement une année dans les centres associés à l’étranger et à l’université de Grenade. L’objectif de ce programme est de former des spécialistes dans le domaine linguistique et interculturel pour une insertion rapide dans les métiers de différents secteurs au niveau européen : droit, économie et commerce. Ce programme permet aussi l’accès à un master ou à une autre formation supérieure.20  













4.3 Université de Salamanque (Universidad de Salamanca) – Facultad de traducción e interpretación L’université de Salamanque est la plus ancienne université d’Espagne encore existante et l’une des quatre plus anciennes d’Europe après Bologne, Oxford et Paris. Fondée en 19 Pour plus d’informations, voir : http://www.upcomillas.es/chs/es/postgrado/social/master-uni versitario-en-interpretacion-de-conferencias (15.11.2014). 20 Pour plus d’informations, voir : http://grados.ugr.es/traduccion/pages/infoacademica/ ou http:// users.ugent.be/~jmabuyss/AEL/student.html (20.11.2014).  







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La formation des traducteurs et des interprètes dans les pays de langue romane

1218, elle compte actuellement 38 000 étudiants. Existant depuis 1992, la Faculté de Traduction et Interprétation est la faculté la plus récente de l’université. Elle avait été précédée par l’Escuela Universitaria de Biblioteconomía y Documentación, créée en 1987. La Faculté de Traduction et Interprétation est une des facultés d’Espagne comptant le plus grand nombre d’échanges internationaux. Il y a deux cursus au niveau BA : le Bachelor en Information et Documentation (Grado en Información y Documentación) et le Bachelor en Traduction et Interpretation (Grado en Traducción e Interpretación). Dans ce dernier, l’étudiant apprend les bases de la traduction et de l’échange interculturel. Le programme dure quatre ans et comprend la formation de base, des matières obligatoires, des matières facultatives incluant des stages au niveau international et le travail de fin d’études. Les langues entre lesquelles on peut choisir sont l’allemand, l’espagnol, le français, l’anglais, l’italien, le japonais et le portugais. Au niveau MA, l’étudiant peut choisir entre un master dans le domaine de l’information digitale : Máster Oficial en Sistemas de Información Digital et un master en Traduction et Médiation Interculturelle (Máster en Traducción y Mediación Intercultural). Ce dernier offre une spécialisation dans des environnements plurilingues (dans des domaines divers, techniques, juridiques, économiques ou des médias). Depuis 2009, ce master fait partie du réseau EMT. En outre, la faculté collabore avec le programme OPTIMALE financé par la Commission Européenne. Depuis 2014, ce master fait également partie du « Master Européen en Traduction Spécialisé (METS) ».  











4.4 Université Pompeu Fabra (Universitat Pompeu Fabra, Barcelone) – Facultad de Traducción e Interpretación Bien que jeune, puisqu’elle n’a été fondée qu’en 1990, l’Université Pompeu Fabra est en passe de devenir une des universités leader en Europe. Elle compte actuellement plus de 13 000 étudiants. Le ministre espagnol de l’Éducation lui a décerné le label CEI (International Excellence Campus) et ces dernières années, l’UPF a figuré parmi les premières dans les grands classements internationaux. Elle est membre du réseau OPTIMALE et du réseau METS. La Faculté de Traduction et Interprétation (Facultad de Traducción e Interpretación) propose un programme BA en Traduction et Interprétation (Grado en Traducción e Interpretación) avec les langues anglaise, française, allemande et la langue des signes catalane. Une spécialisation est possible dans le domaine des médias, du droit, de l’économie, des sciences naturelles et de la littérature. Un deuxième BA est proposé dans le domaine des langues appliquées et se concentre sur des travaux d’administration et de documentation dans des environnements plurilingues. Les langues parmi lesquelles on peut choisir sont également l’anglais, le français, l’allemand et la langue des signes en catalan. Au niveau MA, la faculté offre un Master en Traduction (Máster en Estudios de Traducción), qui s’adresse à des étudiants plus particulièrement intéressés par la  

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traductologie et la réflexion sur la traduction. Il constitue une première étape vers le doctorat dans le domaine de la théorie de la traduction, de la réception des traductions et de la traduction littéraire.

5 Établissements d’enseignement supérieur en Italie 5.1 Université de Bologne (Università di Bologna) – Sede di Forlì della Scuola di Lingue e Letterature, Traduzione e Interpretazione (SLLTI Forlì) Fondée en 1088, l’Université de Bologne est la plus ancienne université d’Europe. Elle compte 23 facultés pour environ 77 500 étudiants. Depuis 1989, l’université a également des annexes à Cesena, Forlì, Ravenna et Rimini. La Scuola di lingue e letterature, Traduzione e Interpretazione se trouve à Forlì. En 1998, elle a ouvert un site à Buenos Aires. L’université est membre de la CIUTI, du réseau METS, du réseau OPTIMALE et fait partie de l’EMT avec son Master en Traduction spécialisée (Laurea magistrale in Traduzione specializzata). La Scuola di lingue e letterature, Traduzione e Interpretazione offre une formation en quatre ans dans un BA en Médiation linguistique interculturelle (Laurea in Mediazione linguistica interculturale). La formation comprend les connaissances de base des méthodes de la traduction et de l’interprétation, ainsi que la familiarisation avec divers logiciels d’aide à la traduction. Elle est ouverte aux étudiants ayant une parfaite maîtrise de l’italien ainsi que d’excellentes connaissances dans deux autres langues, à choisir pour la langue B parmi le français, l’anglais, l’espagnol et l’allemand, et pour la langue C parmi le chinois, le français, l’anglais, le russe, l’espagnol et l’allemand. L’école propose aussi un Master en Interprétation, la Laurea Magistrale in Interpretazione. Il se déroule sur deux ans et a comme objectif de former des spécialistes de l’interprétariat. Différentes matières de spécialisation s’offrent à l’étudiant, par exemple le droit, la politique, l’économie, la technique, les sciences naturelles ou la culture. À cela s’ajoute un Master en Traduction spécialisée (Laurea Magistrale in Traduzione specializzata) qui exige de l’étudiant la maîtrise de l’italien et d’au moins deux langues étrangères (B et C) à choisir parmi le français, l’anglais, le russe, l’espagnol et l’allemand.  

5.2 Université de Trieste (Università degli Studi di Trieste) – Sezione di Studi in Lingue Moderne per Interpreti e Traduttori (SSLMIT) Fondée en 1924, l’Université de Trieste compte aujourd’hui près de 30 000 étudiants. L’établissement est membre de la CIUTI, de l’EMCI, du réseau OPTIMALE et de l’EMT  

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avec son master en Traduction spécialisée et Interprétation de conférence (Laurea magistrale in traduzione specialistica e interpretazione di conferenza). Au niveau BA, la Sezione di Studi in Lingue Moderne per Interpreti e Traduttori propose un programme de BA en Communication Interlinguistique Appliquée (Laurea in Comunicazione Interlinguistica Applicata). Les diplômés du Master en Communication Interlinguistique Appliquée sont en mesure de gérer l’information écrite et orale culturelle, technique et commerciale en trois langues. La langue A peut être l’italien, le français, l’anglais, l’allemand ou l’espagnol, la langue B est à choisir parmi le français, l’anglais, le russe, le serbo-croate, l’espagnol ou l’allemand et la langue C parmi l’arabe, le français, le néerlandais, le portugais, le russe, le serbo-croate, le slovène, l’espagnol ou l’allemand. Une attention particulière est consacrée à la linguistique, à l’histoire et la théorie de la traduction et aux technologies de l’information. Dans la filière MA en Traduction spécialisée et Interprétation de conférence (Laurea Magistrale in Traduzione specialistica e interpretazione di conferenza), l’étudiant acquiert des connaissances en théorie de la traduction et de l’interprétation. Le master est un prolongement naturel du BA en Communication Interlinguistique Appliquée. Il exerce aussi une forte attractivité sur les étudiants d’autres filières d’autres universités, italiennes et étrangères. Le diplôme comporte deux options (traduction spécialisée et interprétation de conférence), offrant une formation hautement spécialisée et flexible à la fois. Il répond aux besoins d’un marché caractérisé par des changements constants et variés. Les deux formations sont structurées de manière à garantir une connaissance significative dans les domaines de la traduction et de l’interprétation, ainsi qu’une solide expertise théorique et méthodologique dans les disciplines essentielles à la formation d’un traducteur et / ou interprète professionnel. Bien que distinctes, les deux formations visent toutes deux à renforcer les connaissances et les compétences pratiques en technologies de l’information, multimédia et hypermédia ainsi que la capacité d’identifier et résoudre les problèmes de terminologie. Elles se préoccupent, par ailleurs, de sensibiliser l’étudiant au respect de l’éthique professionnelle et au rôle social du traducteur et / ou interprète.  





6 Établissements d’enseignement supérieur au Portugal 6.1 Université de Porto (Universidade do Porto) – Faculdade de Letras (FLUP) L’université de Porto a été fondée en 1911 et compte environ 32 000 étudiants. La Faculté des lettres (FLUP) propose trois cursus BA qui ne sont pas spécialement conçus pour la traduction, mais qui constituent la base pour un master en traduction.

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Le premier est un BA en Langues, Littératures et Cultures (Licenciatura em Línguas, Literaturas e Culturas) sur la base duquel l’étudiant peut choisir un Master en Traduction (Mestrado em Tradução e Serviços Linguísticos). Le deuxième BA porte sur les Langues et Relations Internationales (Licenciatura em Línguas e Relações Internacionais). Le troisième, enfin, est un BA en langues appliquées (Licenciatura em Línguas Aplicadas). Pour les trois cursus, les langues proposées sont l’allemand, l’espagnol, le français, l’anglais et le portugais. Le Master en Traduction (Mestrado em Tradução e Serviços Linguísticos) fait partie du programme EMT ainsi que du réseau OPTIMALE. Les langues proposées sont le portugais, l’allemand, l’espagnol, le français, l’anglais, le chinois, l’italien, le japonais et le russe. L’étudiant peut choisir entre deux profils : le profil « traduction spécialisée (tradução especializada) », qui s’adresse aux étudiants voulant se spécialiser en portugais et en deux langues étrangères, et le profil « traduction et services linguistiques (Tradução e Serviços Linguísticos) », qui s’adresse, lui, aux étudiants souhaitant se spécialiser en portugais et en une langue étrangère. La spécialisation peut se faire en Traduction, Langues modernes, Informatique pour la Traduction, Production de textes et Révision linguistique. Le Master en Études Anglo-Americaines (Mestrado em Estudos Anglo-Americanos) offre une variante de Traduction Littéraire Anglais – Portugais. Les thèmes principaux de ce programme sont la littérature anglaise et nord-américaine, la culture anglaise et nord-américaine et la traduction littéraire.21  











6.2 Université de Lisbonne (Universidade de Lisboa) – Faculdade de Letras (FLUL) L’université de Lisbonne a été créée en 1911 et compte environ 20 000 étudiants répartis entre huit facultés. La Faculté de Lettres (FLUL) fait partie du réseau EMCI et propose un cursus BA en Traduction (Licenciatura em Tradução). Les langues offertes sont l’allemand, l’espagnol, le français, l’anglais et l’italien. Les matières principales sont la traduction, la littérature et la culture. Le programme proposé est de nature interdisciplinaire. Il s’agit d’une formation de base qui investit beaucoup dans l’aspect technique du travail de traduction et de l’immersion culturelle. Une fois titulaires du BA, les étudiants peuvent approfondir leurs compétences à travers des cours de spécialisation d’un an en Technologies de la traduction et Pratique de la traduction ou de deux ans dans le cadre d’un master en Traduction (Mestrado em Tradução) et un master en Interprétation de Conférence (Mestrado em Tradução e Interpretação de Conferências). Les étudiants choisissent leurs langues B et C parmi quatre possibles : allemand, français, espagnol, anglais. Il est recommandé de faire  

21 Pour plus d’informations, voir : http://sigarra.up.pt/flup/pt/web_page.Inicial (16.11.2014).  

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un stage pratique d’au moins 120 heures. Chaque année, une liste de stages locaux est proposée, dont les objectifs sont de compléter la formation académique des étudiants en leur permettant d’acquérir une expérience du monde professionnel. Le MA facilite ainsi l’intégration future de l’étudiant sur le marché du travail. La Faculté des Lettres propose aussi un cursus BA en Langues, Littératures et Cultures (Línguas, Literaturas e Culturas) avec le portugais comme langue A et une ou deux autres langues étrangères comme langues B ou C. Ce BA offre une formation initiale universitaire en sciences humaines qui permet l’accès à une spécialisation dans les domaines nécessitant la maîtrise d’une ou plusieurs des langues européennes les plus diffusées : l’allemand, l’espagnol, le français, l’anglais et l’italien. Les deux BA forment la base idéale pour un MA en Traduction (Mestrado em Tradução).22 Le Master en Traduction prépare à la recherche scientifique, technique et technologique orientée vers la formation de professionnels qualifiés. Le programme d’études propose une formation permettant une approche intégrée des différentes compétences nécessaires à la pratique de la traduction dans des domaines spécialisés ainsi qu’une familiarisation avec les stratégies et les méthodes de la recherche : traduction spécialisée dans les domaines scientifiques et techniques, traduction audiovisuelle et traduction littéraire, recherches théoriques et méthodologiques, recherche et développement en traduction automatique. Les langues parmi lesquelles on peut choisir les langues B et C sont l’allemand, le français, l’anglais et l’espagnol. Le Master en Traduction et Interprétation de conférence (portugais – chinois) (Mestrado em Tradução e Interpretação de Conferências) est organisé par l’Université de Lisbonne en collaboration avec l’Institut polytechnique de Macao. Il s’étend sur deux ans, le chinois et le portugais étant langues d’enseignement. Tous les cours ont lieu à l’Institut polytechnique de Macao. Ce master vise à initier à la recherche scientifique, technique et technologique. Le programme comprend d’une part la formation dans des domaines théoriques et permet d’autre part aux étudiants l’acquisition de connaissances détaillées sur les contextes d’exercice de ces professions et les outils utilisés, tout en favorisant le développement de la pensée critique qui leur permet d’être en mesure de faire des recherches de façon indépendante et de poursuivre des travaux requis par les caractéristiques de ces professions.23  





7 Conclusion Le but de cet article était de dresser un panorama des formations de traducteur et d’interprète proposées par les établissements d’enseignement supérieur dans les

22 Pour plus d’informations, voir : http://www.letras.ulisboa.pt/pt (16.11.2014). 23 Pour plus d’informations, voir : http://www.ipm.edu.mo/postgraduate/pt/lisboa_translation.php (18.11.2014).  





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principaux pays de langue romane. Il en ressort que des labels de qualités et les réseaux inter-universitaires internationaux prennent de plus en plus d’importance dans la définition et l’élaboration des cursus. Quant à l’articulation entre la formation et le monde professionnel, on note que de plus en plus de formations prévoient un stage intégré dans les institutions de l’Union Européenne ou dans des entreprises favorisant ainsi une meilleure intégration future de l’étudiant sur le marché du travail. Dans les programmes d’étude, les principales matières non linguistiques, dites de spécialité, sont traditionnellement la technique, le droit et les sciences de gestion, puisque ce sont les domaines dans lesquels les besoins en traduction – et donc les débouchés – sont les plus importants. Mais l’éventail des possibilités de spécialisation s’élargit, surtout au niveau du Master.24 Dans l’annexe, on trouvera les intitulés des facultés et écoles de traduction mentionnées dans l’article ainsi que les institutions membres des cinq réseaux décrits au chapitre (exclusivement dans les pays de langue romane).

8 Liste des institutions mentionnées 8.1 Instituts universitaires France ESIT– École Supérieure d’Interprètes et de Traducteurs ISIT – Institut de management et de communication interculturels – Etablissement d’enseignement supérieur associatif Strasbourg ITIRI – Institut de Traducteurs, d’Interprètes et de Relations Internationales Belgique francophone ISTI – Institut Supérieur de Traducteurs et Interprètes Suisse francophone Université de Genève Espagne Universidad Pontificia Comillas Universidad de Granada Universidad de Salamanca Universitat Pompeu Fabra

24 Par exemple dans le domaine de la traduction audiovisuelle : Master Traduction audiovisuelle et accessibilité à l’ITIRI (Université de Strasbourg) ; Máster en Traducción Literaria y Audiovisual à l’Université Pompeu Fabra à Barcelone, ou Master in Traduzione Multimediale ed Edizione delle Opere Audiovisive à l’Université de Bologne.  



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Italie Università di Bologna Università degli studi di Trieste Portugal Universidade do Porto Universidade de Lisboa On trouvera ci-après la liste des instituts membres des réseaux décrits situés dans les pays de langue romane.

8.2 CIUTI (Conférence internationale permanente d’Instituts universitaires de traducteurs et interprètes) Belgique ISTI – Institut Supérieur de Traducteurs et Interprètes Institut Libre Marie Haps (ILMH) Faculté de Traduction et d’Interprétation – Ecole d’Interprètes Internationaux Espagne Facultad de Traducción e Interpretación Universidad de Granada Facultad de Ciencias Humanas y Sociales, Traducción e Interpretación Universidad Pontificia Comillas France Institut de management et de communication interculturels ISIT Ecole Supérieure d’Interprètes et de Traducteurs (ESIT) Université Paris III – Sorbonne Nouvelle Italie Scuola di Lingue e Letterature, Traduzione e Interpretazione Università degli Studi di Bologna, sede di Forlì Facoltà di Interpretariato e Traduzione Libera Università San Pio V (Roma) SSLMIT – Sezione di Studi in Lingue Moderne per Interpreti e Traduttori Università di Trieste Suisse Faculté de traduction et d’interprétation (FTI) Université de Genève

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8.3 OPTIMALE (Optimising Professional Translator Training in a Multilingual Europe) Belgique Institut Marie Haps (HE Vinci) Espagne Universidad de Granada Universitat Jaume I Universidad de Salamanca Universidad de Alcalá Universitat Pompeu Fabra Universidad de Valladolid France Université Rennes 2 Université Paris Diderot Université Stendhal Grenoble 3 ITIRI Université de Haute-Alsace Aix-Marseille Université Université Lumière Lyon 2 ISIT ESIT-Sorbonne Italie Università della Calabria Università di Bologna Università degli Studi di Trieste Università di Bari Università di Macerata Sapienza – Università di Roma Portugal Universidade do Porto Universidade do Minho Roumanie Universitatea Babeş-Bolyai Universitatea din Craiova Universitatea Transilvania din Braşov

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8.4 EMT (European Masters in Translation Network) Belgique Brussel / Bruxelles : Master en traduction Institut Libre Marie Haps, Haute École Léonard de Vinci Master en traduction ISTI, Haute École de Bruxelles Mons : Master en Traduction Université de Mons, Faculté de Traduction et d’interprétation  







Espagne Castelló de la Plana : Màster Universitari en Traducció Medicosanitària Universitat Jaume I Madrid : Máster Universitario en Comunicación Intercultural, Interpretación y Traducción en los Servicios Públicos Universidad de Alcalá, Departamento de Filología Moderna Máster en Traducción Jurídica-Financiera Universidad Pontificia Comillas, Departamento de Traducción e Interpretación Salamanca : Máster en Traducción y Mediación Intercultural Universidad de Salamanca, Departamento de Traducción e Interpretación Valladolid : Máster en Traducción Profesional e Institucional Universidad de Valladolid, Facultad de Traducción e Interpretación  







France Brest : Master Rédacteur / Traducteur Université de Bretagne Occidentale (UBO), UFR Lettres et Sciences Humaines Victor-Segalen Grenoble : Master Langues étrangères appliquées, spécialité Traduction spécialisée multilingue (TSM) Université Stendhal Grenoble 3, UFR de Langues étrangères Lille : Master Traduction Spécialisée Multilingue Université Charles-de-Gaulle Lille 3, UFR des Langues Étrangères Appliquées (LEA) Metz : Master LEA Spécialité : Technologies de la traduction Université de Lorraine (UDL), UFR Lettres et Langues Mulhouse : Master en Traductions Scientifiques et Techniques (TST) Université de Haute-Alsace (UHA), FLSH, Département de Langues Etrangères Appliquées (LEA) Paris : Industrie de la langue et traduction spécialisée Université Paris Diderot, Paris 7, UFR EILA (Études interculturelles de langues appliquées)  













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Master professionnel: Traduction éditoriale, économique et technique Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, Ecole Supérieure d’Interprètes et de Traducteurs (ESIT) Master en Management, Communication et Traduction ISIT, Institut de management et de communication interculturels Rennes : Master : Métiers de la traduction-localisation et de la communication multilingue et multimédia Université Rennes 2, UFR Langues, Centre de formation des traducteurs-localisateurs, terminologues et rédacteurs Strasbourg : Master parcours traduction professionnelle, domaines de spécialité Master parcours traduction audiovisuelle et accessibilité Master parcours traduction littéraire Université de Strasbourg, UFR Langues et Sciences Humaines Appliquées, Institut de Traducteurs, d’Interprètes et de Relations Internationales Toulouse : Master de Traduction, Interprétation et Médiation linguistique Université de Toulouse 2 – Le Mirail, UFR de Langues, Littératures et Civilisations Etrangères et Régionales, CeTIM Centre de Traduction, Interprétation et Médiation linguistique  







Italie Bologna : Laurea magistrale in Traduzione specializzata Università di Bologna, Scuola di Lingue e Letterature, Traduzione e Interpretazione Milano : Laurea magistrale in Traduzione Specialistica e Interpretariato di Conferenza Libera Università di Lingue e Comunicazione IULM Roma : Laurea magistrale in Interpretariato e Traduzione Università degli Studi Internazionali di Roma (UNINT) Trieste : Laurea magistrale in traduzione specialistica e interpretazione di conferenza Università degli studi di Trieste, Scuola Superiore di Lingue Moderne per Interpreti e Traduttori (SSLMIT)  







Portugal Porto : Mestrado em Tradução e Serviços Linguísticos Universidade do Porto, Faculdade de Letras  

Roumanie Cluj-Napoca : Masterat European de Traductologie-Terminologie Universitatea Babeş-Bolyai, Facultatea de Litere  

Suisse Genève : – statut d’observateur – Maîtrise universitaire en traduction Faculté de traduction et d’interprétation, Université de Genève  

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8.5 METS (Master européen en traduction spécialisée) Huit écoles et universités européennes dans les pays de langue romane sont partenaires du METS :  

Belgique Haute École de Bruxelles (ISTI) Haute École Léonard de Vinci (ILMH) Espagne Universitat Pompeu Fabra (UPF) Universidad de Salamanca (USAL) Universidad Pontificia Comillas Italie Università di Bologna (Forlì Campus) France ISIT – Institut de management et de communication interculturels Université Catholique de l’Ouest (UCO-IPLV) -

8.6 EMCI (European Masters in Conference Interpreting) Six écoles et universités européennes dans les pays de langue romane sont partenaires du EMCI :  

France Paris – ISIT Paris - ESIT – Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 Italie Trieste – Università degli Studi di Trieste Portugal Lisbonne – Faculdade de Letras da Universidade de Lisboa Roumanie Universitatea Babeş-Bolyai Suisse francophone Genève – Faculté de Traduction et d’Interprétation

Iris Plack et Sylvia Reinart

35 Doublage et sous-titrage de films dans la Romania Abstract : L’article se propose de faire un tour d’horizon dans un domaine de recherche assez récent et en constante évolution : la traduction audiovisuelle. Après une rapide vue d’ensemble de la diffusion du sous-titrage et du doublage dans les pays de langue romane, le sujet sera abordé à partir de la question de savoir s’il existe des propriétés distinctives de ces formes de traduction et en quoi elles consistent. On passera en revue les particularités des deux techniques qui, par-delà leurs différences spécifiques, ont en commun le caractère multisémiotique de l’original, lequel exige une approche traductologique particulière. On verra que les évolutions récentes vont dans le sens d’une certaine convergence des préférences nationales et des tâches des traducteurs dans les différents pays de la Romania.    







Keywords : doublage, sous-titrage, oralité, multisémioticité, adaptation    

1 La diffusion des deux techniques dans les pays de langue romane Les transferts linguistiques opérés dans le domaine du doublage et du sous-titrage diffèrent fondamentalement d’autres formes de traduction, notamment parce qu’ils ne sont pas limités au seul canal verbal. Sous le terme générique « traduction audiovisuelle » sont regroupés principalement trois procédés bien distincts : le doublage, le sous-titrage et le voice over ou demi-doublage, à savoir la surimposition de la voix en langue d’arrivée sur celle de l’original de sorte que la bande sonore de l’original reste faiblement audible (cf. Lambert/Delabastita 1996, 41). Comme dans les pays de langue romane le demi-doublage est réservé aux films documentaires et ne se retrouve ni en salles ni à la télévision, nous nous pencherons dans ce qui suit sur les deux techniques centrales. À première vue, le doublage prédomine largement dans les pays de langue romane : il est de règle en Italie, en Espagne, en France, en Belgique francophone, dans la Suisse romande et italienne, et aussi dans l’Amérique latine hispanophone.1 Font exception le Portugal et la Roumanie, qui ont systématiquement recours au sous-titrage (cf. Media Consulting Group 2011, 8). Reste à mentionner le Luxembourg et Malte, où les transmissions télévisées sont diffusées exclusivement en  







1 Modot et al. (2007, 6s.) constatent des tendances similaires en ce qui concerne le cinéma et la télévision.  



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version originale (cf. Modot et al. 2007, 6). Trois raisons principales expliquent les préférences des différents pays : la diversité des traditions, la question des coûts et les facteurs politico-culturels.2 C’est ainsi qu’en Italie, par exemple, où le doublage est profondément enraciné dès la période fasciste, il y a aujourd’hui encore une forte résistance contre le sous-titrage (cf. Duranti 1998, 482). Les petits pays ou les petites communautés linguistiques, par contre, ont une préférence marquée pour la technique moins onéreuse du sous-titrage. Cette division nette entre pays de doublage et pays de sous-titrage est cependant un peu trop simpliste.3 Car si l’on y regarde de plus près, les préférences des spectateurs peuvent changer à mesure qu’ils se familiarisent avec d’autres possibilités. En plus, il faut distinguer entre des pays comme l’Italie, où le problème du choix entre doublage et sous-titrage ne se pose même pas, et les pays dans lesquels le problème du choix entre les deux techniques se pose (cf. Modot et al. 2007, 8). C’est le cas de la France, par exemple, qui, sur le grand écran, propose au spectateur tantôt le sous-titrage, tantôt le doublage. Dans ces pays s’ajoutent aux préférences du public les choix éditoriaux du diffuseur, qui diffèrent en fonction du potentiel commercial, du genre et budget du film, ainsi que de la possibilité de vendre le film à une chaîne de télévision (cf. ibid. 8, 56). En règle générale, on peut constater que le sous-titrage gagne du terrain partout en Europe, surtout en raison de la diffusion croissante de la télévision numérique et de nouveaux supports numériques comme le DVD, qui permettent au spectateur le choix entre version originale (soustitrée ou pas) et version doublée (cf. Gouadec 2002, 53). À cela s’ajoute le cas particulier des festivals, qui, dans les pays dits « de doublage », sont vécus comme un moment d’exception qui mérite l’ « effort » de la lecture des sous-titres (cf. Modot et al. 2007, 64). Les facteurs politico-culturels mentionnés ci-dessus ont aussi un impact sur les différenciations internes des divers pays. Ainsi, la préférence pour le sous-titrage est en général plus marquée dans les classes sociales plus élevées, ou bien la réticence y est moins grande. Parfois, le doublage peut servir à favoriser l’emploi d’une langue minoritaire, comme c’est le cas pour le basque, le catalan et le galicien en Espagne (cf. Zabalbeascoa et al. 2001, 110), ou à promouvoir au contraire la centralisation politique et culturelle à travers la diffusion de la langue nationale standardisée, comme c’était longtemps pratique courante en France (cf. Goris 1993, 171). Dans les deux cas, les traits oraux et régionaux qui caractérisent l’idiolecte des personnages seront éliminés dans la version doublée en faveur des formes standardisées (cf. ibid. 175 ; Zabalbeascoa 2001, 110). Un autre aspect relevant des différences socio-culturelles est le rôle du traducteur dans le processus de transfert : selon les pays, celui-ci n’est pas nécessairement intégré dans tout le processus qui mène du film original au produit final. En France, par exemple, l’ « adapteur-dialoguiste » assume la responsabilité pour le  































2 Yvane (1996, 134) regarde le phénomène du point de vue linguistique et met en avant que le soustitrage favorise l’acquisition des langues et cultures étrangères, tandis que le doublage sert plutôt à la protection des langues nationales, en les préservant de tout impérialisme linguistique. 3 Ce concept est critiqué par exemple par Gambier (1996b, 8s.).  



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procédé complet du doublage (cf. Le Nouvel 2007, 41 ; 50), tandis qu’en Allemagne, il livre seulement une traduction brute qui sert de modèle au réalisateur-dialoguiste. Pour ce qui est du sous-titrage, le traducteur portugais est responsable de tout le processus, à la différence de son collègue allemand, qui ne s’occupe pas forcément de la capture des « time in » et des « time out ». Ci-dessous, nous aborderons le sujet dans la perspective traductologique, la question qui guidera nos réflexions étant la suivante : existe-t-il des spécificités distinctives de ces formes particulières de traduction et en quoi consistent-elles ?  













2 Les spécificités traductologiques du sous-titrage « Le grand art de transposer un dialogue parlé en sous-titrage visuel consiste à exprimer le maximum d’idées dans la compression avec le maximum de naturel dans l’artifice » (Marleau 1982, 277). C’est en ces quelques mots que Marleau décrit les spécificités traductologiques du sous-titrage interlinguistique.4 Ce faisant, il met en avant trois traits caractéristiques de la traduction de sous-titrage :  







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la transposition d’un langage parlé en langage écrit – ou, plus précisément, la transposition d’un code phonique en code graphique, selon la terminologie utilisée par Koch/Oesterreicher (22011) la nécessité de la compression du texte qui en découle l’idée que la démarche en sous-titrage diffère largement de la traduction d’un texte imprimé. Bien plus que d’un « simple » transfert, c’est d’une adaptation qu’il s’agit, voire d’un art.  



Pour comprendre les deux derniers points, il faut ajouter un autre élément essentiel à la traduction de sous-titrage : le caractère multisémiotique de l’original. Cette multisémioticité fait que la constitution du sens d’un film ne découle pas de la seule interprétation du texte parlé, mais de la coprésence de plusieurs systèmes de signes (son / bruitage, musique et images). De plus, contrairement au doublage, le soustitrage ne se substitue pas au dialogue original, mais il s’y superpose. Avant de nous pencher en détail sur les conséquences pour la traduction, il convient de préciser les spécificités de la traduction (ou adaptation) du sous-titrage : ORALITÉ : Après s’être longtemps désinteressés de la traduction audiovisuelle (Lambert/Delabastita 1996, 35), les chercheurs se sont d’abord focalisés sur les contraintes intrinsèques à ce mode de traduction. Pour ce qui est du sous-titrage, ces contraintes découlent en partie du caractère oral de l’original qui, à proprement parler, consiste en une oralité feinte, car elle ne repose pas sur un dialogue réel, mais sur un texte rédigé par écrit (cf. Chaume Varela 2001). Ce texte, le script à traduire, a  





4 On ne parlera pas du sous-titrage pour les spectateurs sourds et mal-entendants, qui obéit à d’autres règles.  

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donc la spécificité d’être fixé par écrit mais d’avoir été conçu pour être parlé. Pour le traducteur, cette « oralité au second degré » pose problème, dans la mesure où le sous-titrage coexiste avec le dialogue parlé (et ne le remplace pas). Le spectateur lit donc un texte écrit. Mais, en même temps, il ne peut ignorer que ce texte est censé représenter un dialogue parlé. Or, les exigences en matière de scripturalité et d’oralité ne sont pas les mêmes. Ainsi, des paroles qui paraissent acceptables dans un discours oral peuvent être jugées offensantes ou choquantes lorsqu’elles sont présentées par écrit. C’est le cas des termes injurieux et autres invectives, de mots à connotation sexuelle, etc., souvent remplacés par des paroles plus « politiquement correctes ». D’un autre côté, il ne paraît guère concevable que le traducteur de sous-titrage se laisse guider par les seules normes de l’écrit, au risque de rendre les dialogues peu crédibles. Il n’est donc pas question d’éliminer toutes les caractéristiques du langage parlé, telle que l’utilisation fréquente de particules ou de mots peu spécifiques (mots passe-partout). Du caractère hybride du sous-titrage s’ensuivent des exigences contradictoires pour la traduction et, bien souvent, des choix traductologiques situées à michemin entre le langage parlé et le langage écrit. Les paramètres qui orientent ces choix sont à la fois des normes extérieures à cette forme de traduction (comme les attentes des récepteurs ou des responsables dans les ateliers de sous-titrage) et des exigences intrinsèques (comme les contraintes de temps et d’espace). Les normes extérieures au sous-titrage différant énormément d’un pays de langue romane à l’autre (cf. Reinart 2014, 263–265), on abordera ici seulement les normes intrinsèques. COMPRESSION : Le temps nécessaire à la lecture et l’espace limité sur l’écran sont certainement les deux éléments majeurs qui guident la traduction. Dans la majorité des cas, la transposition du langage parlé en langage écrit rend nécessaire la compression du texte, car la lecture des éléments du dialogue prend plus de temps que leur écoute. En outre, contrairement au doublage, la réception de l’information graphique du sous-titre et celle de l’information visuelle du film ne peuvent se faire simultanément. Comme les deux systèmes sémiotiques utilisent le même canal (l’œil), la réception est forcément linéaire. Le traducteur doit donc veiller à ce que le spectateur ait suffisamment de temps pour guider son œil du sous-titre vers l’image, et vice versa. Il ne dispose même pas de l’ensemble du temps de dialogue à cet effet, car il faut calculer des intervalles entre deux sous-titres. La durée de présentation des soustitres étant alors moins longue que le temps de dialogue de l’original (Ivarsson 1992, 43), la traduction doit faire preuve d’une très grande concision, ce qui est souvent assimilé à une « perte ». Ainsi, théoriciens et récepteurs (notamment ceux issus de pays ayant une longue tradition de doublage) déplorent parfois que du fait de la compression, le texte initial « se voit réduit à sa simple expression » (Marleau 1982, 277). Or, s’il est vrai que les contraintes inhérentes au sous-titrage peuvent entraîner le nivellement de certaines nuances d’expression, compression ne rime pas forcément avec suppression, et encore moins avec manque de qualité. Un texte parlé (même fictif) étant généralement redondant, il peut souvent être raccourci sans perte d’information réelle. Quant à la simplicité des sous-titres (ou, plus précisément, quant à la  

















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simplification par rapport au texte initial), tout aussi critiquée, force est de constater qu’il faut nuancer là-aussi. Nul doute qu’un sous-titreur peut être amené à utiliser un vocabulaire moins élitiste et des constructions de phrase moins exigeantes que dans l’original et que, dans la pratique du sous-titrage, on peut observer une nette préférence de mots « courants » aux mots « rares », de la parataxe à l’hypotaxe, de phrases courtes aux phrases longues, etc. S’il est vrai que ces expressions et constructions ne sont pas choisies en fonction de leur « proximité » par rapport à l’original, mais avec l’intention de dévier le moins d’attention possible de la scène filmique vers la lecture du texte, elles n’en servent pas moins les intérêts des spectateurs. En effet, ce n’est pas le plaisir de lecture qui constitue leur motivation principale à regarder un film (ou une émission), mais le jeu des acteurs, le savoir-faire du réalisateur et la qualité visuelle / esthétique du film. On peut en déduire que les principes de brièveté et de simplicité ne constituent pas un « défaut » du sous-titrage, mais une adaptation nécessaire à son mode de présentation et un moyen très efficace pour répondre aux attentes des récepteurs. Qui plus est, il faut observer qu’en matière « d’oralité », le discours original peut gagner à ce processus, étant donné que les dialogues initiaux trahissent parfois leur origine scripturale. Ainsi, on a souvent affaire à des phrases et expressions un peu trop élaborées pour être vraiment convaincantes. Dans ces cas, la réduction de la complexité syntaxique ou le choix d’expressions moins soignées s’accompagnent d’un gain d’authenticité. Avant de se plaindre d’une « pauvre qualité » supposée des sous-titres, il faut d’abord vérifier si l’on a bien calibré son instrument de mesure : vouloir juger de la qualité des sous-titres et d’un texte imprimé suivant les mêmes critères est une démarche vouée à l’échec, car la base de comparaison est erronée. Par ailleurs, il n’est nul besoin de revoir ses exigences systématiquement à la baisse quand on compare le texte initial au texte traduit. Dans la pratique du sous-titrage, on observe non seulement un « nivellement vers le bas » mais aussi un « nivellement vers le haut » (Reinart 2004, 84–86). Conscient du fait que sa traduction sera lue (et non pas écoutée), le sous-titreur a non seulement tendance à éliminer les ruptures de construction, mais aussi à se servir d’un registre un peu plus élevé que celui de l’original, à remplacer des mots argotiques par des mots correspondant au standard, voire à éliminer des lapsus ou à corriger des déclarations erronées – sous prétexte que le code écrit a plus d’autorité que le code parlé (cf. Ivarsson 1992, 79). On peut certes discuter du bien-fondé de cette approche traductologique – après tout, le spectateur sait que le sous-titrage part d’un dialogue parlé (cf. Kristmannsson 1996, 234) –, mais il n’en reste pas moins qu’une traduction de sous-titrage – comme toute autre traduction audiovisuelle – « n’est pas plus contrainte, pas plus un mal nécessaire que d’autres types de traduction » (Gambier 2004, 5). Il s’agit plutôt d’une « traduction sélective avec adaptation, compensation, reformulation et pas seulement [de] pertes ! » (ibid.). MULTISÉMIOTICITÉ : En effet, la prise de conscience méthodologique du soustitrage ne doit ni s’arrêter aux seules restrictions inhérentes à ce mode de traduction ni aux seules considérations linguistiques. Ce qui fait la spécificité de la traduction  





































   





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audiovisuelle, c’est bel et bien son caractère multisémiotique. Le traducteur – tout comme le spectateur – a affaire à des informations qui transitent par le canal acoustique, mais aussi par le canal visuel. La coprésence de ces différents codes est essentielle pour la traduction dans la mesure où, la plupart du temps, le texte à lui seul ne forme pas un ensemble cohérent. Le sens du film n’est donc pas inhérent aux seules paroles prononcées par les protagonistes, il découle aussi du scénario / de la scène, de la mimique et de la gestuelle des acteurs, du cadrage, des sons, de la musique, etc. Or, ces paramètres non verbaux restent inchangés. Si la traduction de sous-titrage constitue un art, c’est précisément parce qu’il est nécessaire de respecter l’interaction entre les différents codes du film, en dépit de l’invariabilité des images et des sons. Les choix macrostratégiques du traducteur s’en trouvent tout aussi affectés que ses choix microstratégiques. Ainsi, aucun traducteur n’envisagera sérieusement de transposer l’œuvre dans tous ses aspects dans la culture d’arrivée. Faire croire qu’une scène se déroule en Roumanie alors que le spectateur aperçoit un décor situé en France serait peu opportun. Impossible alors d’opter pour une stratégie traductrice « illusionniste », donnant l’impression que le film visionné constitue un original.5 Par son existence même (ainsi que par la persistance du dialogue original) le sous-titrage rappelle à chaque instant que le spectateur regarde un film étranger (overt translation dans la terminologie de House 1977 ; 1997). Les conséquences de cette visibilité du transfert linguistique ne sont pas banales. En effet, elle évite un paradoxe lié à toute forme de traduction, à savoir le manque de consistance culturelle : en lisant un roman traduit ou en visionnant un film doublé, le lecteur / spectateur accepte volontiers qu’un pompiere italien (ou un bombeiro portugais ou un bombero espagnol) parle français (ou toute autre langue d’arrivée). Il « oublie » tout simplement que la nationalité du personnage romancier / filmique n’est pas la sienne (cf. Albrecht 1998, 99). Néanmoins, l’aspect d’un acteur ainsi que ses gestes (peut-être « typiquement italiens ») peuvent entrer en collision avec la langue utilisée. Cette incongruité est inexistante dans le sous-titrage. Sa consistance culturelle constitue sans doute l’un des grands avantages de ce procédé par rapport au doublage (cf. Reinart 2014, 289).6 Les microstratégies (communément appelées « procédés de traduction ») en soustitrage sont, elles aussi, régies par le désir d’assurer l’équilibre entre perception acoustique et visuelle. Cette dernière étant double (image plus sous-titrage), il faut veiller à ce que la lecture des sous-titres ne vienne pas troubler le plaisir de regarder le film. Par conséquent, le traducteur privilégiera tout procédé qui augmente la lisibilité du sous-titrage :7 les mots courants sont préférés aux mots rares, les phrases courtes aux phrases longues et les dialogues sont fractionnés de façon à faciliter la lecture.  



















5 Une approche parfois retenue dans la version doublée. 6 Il s’agit là d’un avantage partagé par le demi-doublage. 7 Après tout, le spectateur ne peut pas revenir en arrière lorsqu’il a raté un sous-titre.      



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Pour la même raison, le traducteur (ou le sous-titreur)8 évitera des sous-titres sur changement de plan, peu propices à la perception. Au besoin, il s’éloignera de la formule d’origine afin d’assurer l’affichage synchrone des sous-titres avec le dialogue (une démarche nécessaire pour que le spectateur puisse identifier la personne qui parle). Il gardera constamment en mémoire que le film constitue non seulement un « texte » mais aussi une œuvre d’art et que ce n’est donc jamais le seul transfert linguistique qui est en cause. Pour ce qui est des phénomènes culturels, il convient de noter qu’il y a peu de place pour les expliciter. Pourtant, multisémioticité ne signifie pas nécessairement difficulté à traduire. Ainsi, les problèmes liés au devoir d’abréger le texte se trouvent sensiblement réduits par la présence de l’image et du son original.9 Mais surtout, le film lui-même empêche que le récepteur puisse « se faire une fausse image » de la scène – un élément qui, dans la traduction non-audiovisuelle, est parfois source de difficultés car la distance culturelle entre les récepteurs domestiques et étrangers peut être très variable. Enfin, il faut souligner que l’évolution technique facilite beaucoup la tâche du sous-titrage. La démocratisation du numérique et la disponibilité de logiciels de sous-titrage à bas prix ont non seulement rendu possible l’apparition du sous-titrage amateur (plus connu sous le nom de « fansubbing »), mais ces outils conviviaux aident aussi le traducteur professionnel à faire des choix très complexes. Car, en définitive, un sous-titrage de qualité est une tâche bien complexe faisant appel « à une foule de considérations techniques, artistiques, physiologiques, linguistiques et autres » (Laks 2013, 7).  















3 Les spécificités traductologiques du doublage L’argument de la complexité vaut également pour le doublage filmique, que nous aborderons maintenant. Deux des pionniers de la traductologie, Edmond Cary et Jiří Levý, ainsi que l’excellent traducteur Pierre-François Caillé, s’accordent sur le fait que le doublage filmique est le genre de traduction le plus difficile et donc le plus méritoire (cf. par ex. Levý 1969, 19).10 Cary (1960) le qualifie même de « traduction totale », en précisant :  





8 En Allemagne et en France, il ne s’agit pas forcément de la même personne, alors que dans d’autres pays romans comme par exemple le Portugal, le traducteur est impliqué dans tout le procédé. 9 Bien souvent, il y a des éléments de dialogue qui sont intelligibles par la seule interprétation de l’image ce qui fait qu’on peut se passer de les sous-titrer. Il en est de même pour les formules de salutation ou les interpellations par noms qui restent audibles et ne doivent donc pas forcément être repris dans le sous-titrage. 10 Caillé (1965, 116) adopte un point de vue similaire : « […] s’il est relativement facile de traduire un livre ou une pièce de théâtre, il est infiniment plus malaisé d’adapter un film dont les images, le jeu des acteurs, la longueur et l’articulation des phrases en gros plans imposent des impératifs absolus ».  











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« Si l’on tient à hiérarchiser les genres de traduction, ne serait-ce pas le doublage qui mériterait d’occuper le sommet de la pyramide, l’extrême pointe vers laquelle convergent et tendent tous les autres genres sans jamais y atteindre ? Tous les autres genres ne connaissent qu’une des facettes du langage : le doublage accepte d’être fidèle à toutes » (Cary 1960, 113).  







Parmi ces « facettes du langage » compterait, en premier lieu, la « parole parlée » qui, à la différence du « mot écrit », émane de la langue vivante (cf. ibid., 110) ; il faut donc respecter, outre les spécificités de la langue parlée, surtout le rythme particulier propre à chaque langue (cf. ibid., 113). À cela s’ajoute un trait plus proprement artistique, à savoir le « ton du texte », ses caractéristiques scéniques et stylistiques, qui participent de la qualité artistique du film. Rien d’étonnant alors que le doublage, pour Cary, soit un art, dont le libre épanouissement n’est freiné que par les conditions pratiques insuffisantes (cf. ibid., 115). Pour Caillé (1960, 107), par contre, celles-ci sont un facteur tout à fait négligeable par rapport à la valeur artistique :  



















« Si les voix des comédiens sont justes, si le texte doublé et [sic] juste, émeut ou divertit, la partie est gagnée. Quand le spectateur-auditeur est empoigné, il ne va pas se dire : ‘mourir’ n’est pas synchrone sur ‘die’. Cela est tellement vrai que quand un écrivain connu a par hasard écrit un doublage, personne ne s’avise de lui reprocher son manque de technique ».  





Au delà des considérations hiérarchiques, Caillé fait allusion au caractère multisémiotique du film, en mettant en jeu non seulement le texte doublé, c’est-à-dire « le tracé graphique des mentions écrites » (Metz 1971, 18), mais aussi les voix des comédiens, qui constituent pour ainsi dire la substance du « son phonétique des ‘paroles’ » (ibid.) et qui touchent de près à la conception des personnages.11 Nous allons maintenant passer en revue les différents facteurs déterminants du doublage, en allant du texte doublé pris en lui-même à sa synchronisation avec les codes visuels et ensuite aux adaptations culturelles et dramaturgiques. L’accent sera mis sur les spécificités plus proprement « traductologiques » dont dépend la qualité de la version doublée. LE TEXTE DOUBLÉ : ORALITÉ ET VARIATION DIATOPIQUE. Commençons par un facteur purement linguistique, à savoir le caractère oral, ou prétendument oral, du texte à doubler.12 Comme le dialoguiste travaille en général à partir d’une transcription des dialogues, le doublage passe par le code graphique pour aboutir à une réalisation phonique. Mais à ce changement de code ne correspond pas de changement de conception (cf. la terminologie de Koch/Oesterreicher 22011, 3ss. et pas 















11 Metz (1971, 18) distingue en tout cinq supports sensoriels du film, dont, outre les susmentionnés, l’image, le son musical et le bruit. 12 Brisset (2010, 2) parle d’une « oralité préfabriquée », c’est-à-dire la représentation artistique d’un dialogue naturel, caractérisé par un lexique, une syntaxe et un style particuliers.  







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sim),13 car il faut à tout prix conserver le caractère oral du langage.14 C’est justement cette « oralité conceptionnelle » (« konzeptionelle Mündlichkeit », cf. ibid.), située dans « l’immédiat communicatif » (cf. ibid., 10) qui peut poser problème dans le doublage (comme d’ailleurs dans la traduction littéraire en général) : l’« immédiat communicatif » n’étant pas organisé de la même façon dans toutes les langues, des adaptations seront nécessaires. En Italie, par exemple, prévaut encore l’ « italiano regionale », non exempt d’éléments dialectaux et donc encore soumis à la variation topique, tandis qu’en France, la langue parlée possède une grande homogénéité sur l’ensemble du territoire. Pour le doublage d’un film français en italien, on peut donc recourir à deux procédées alternatifs, cités par Albrecht (2005, 243) à propos de la traduction littéraire : ou on transpose le texte dans un registre « écrit »,15 ce qui comportera une perte d’expressivité, ou bien on opte pour une ou plusieurs variétés régionales, en courant le risque que le texte ne sera pas compris dans tout le pays.16 Le problème inverse se pose dans l’exemple suivant : par son dialecte viennois, le personnage de la « grisette » de la pièce de théâtre d’Arthur Schnitzler La Ronde est caractérisé comme une jeune femme de rang inférieur. La traduction française se sert d’un registre « parlé » suprarégional, tout en nivelant non seulement l’aspect régional, mais aussi, à un certain degré, l’appartenance à un milieu social particulier (cf. Hörmanseder 2008, 153ss.). La sauvegarde du caractère « naturel » du langage, qui pour Caillé (1960, 107) constitue la « pierre de touche » du doublage, s’avère donc un but difficile à atteindre. Cet exemple nous amène à un autre trait du doublage étroitement lié à l’architecture des langues, à savoir l’usage des variations linguistiques, et notamment des variétés diatopiques, qui contribuent largement à la construction du sens. Dialectes, régiolectes, sociolectes et accents aident non seulement à caractériser le personnage, mais ajoutent aussi de la couleur locale et confèrent une note d’authenticité au milieu (cf. Whitman-Linsen 1992, 49s.). Pourtant, dans la majorité des cas, le remplacement d’une variété par un équivalent dans la culture cible serait déplacé : comme celui-ci n’évoque pas les mêmes connotations par rapport à la région et la culture désignées, il risquerait de déconcerter le spectateur et de détruire son illusion d’assister à un film en version originale. Il existe cependant plusieurs solutions à ce problème, quoique pas toujours satisfaisantes : s’il s’agit d’un dialecte ou régiolecte signalant la prove 























































13 Pour Koch/Oesterreicher (22011), la conception « oral / écrit » (souvent qualifiée de « variation diamésique ») est un aspect transversal qui ne peut être réduit aux trois dimensions de variation linguistique selon Eugenio Coseriu (i.e. diatopique, diastratique et diaphasique). 14 Sur le caractère oral du langage dans le film et ses implications pour le doublage, cf. Pavesi (2008). 15 Ainsi dans la traduction italienne de Zazie dans le métro, le « môme » français est rendu par un simple « ragazzina », le « vieux pote » simplement par « amico » (cf. Albrecht 2005, 243). 16 Ce procédé est utilisé par le traducteur allemand du roman, qui recourt par exemple aux variantes régionales « Männekes » (dans le sens de ‘hommes’) ou « Kullerchen » (dans le sens de ‘monnaie’) (cf. ibid.).  









   



























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nance géographique du personnage, on peut se tirer d’affaire en inventant un « dialecte artificiel » qui n’est pas lié à une région déterminée.17 Le doublage allemand du film français Bienvenue chez les Ch’tis, où le régiolecte du Nord-Pas-de-Calais est porteur de clichés sociaux sur le nord de la France, en fournit l’exemple le plus marquant : le choix d’un régiolecte allemand ancré dans la culture cible aurait inévitablement eu un effet déroutant. Notons en passant que dans la version italienne du film, le titre Giù al nord mise justement sur cet effet, car l’adverbe de lieu « giù » ne se réfère évidemment pas à la réalité française, mais fait allusion à la situation italienne (où des clichés similaires sont attribués aux habitants du sud).18 Si, par contre, le dialecte n’a d’autre fonction que de caractériser un milieu ou des personnages populaires, on peut aisément le remplacer par un sociolecte, ou bien, dans certains cas, renoncer complètement aux éléments sociostylistiques (cf. Albrecht 2005, 234s.) et compenser la perte par la verbalisation des informations transportées ou par la qualité de voix du personnage. Et enfin, si tout le film se déroule dans une ambiance dialectale, le dialecte fonctionnant donc comme une langue de plein droit, comparable à une langue nationale, l’ajout d’éléments dialectaux ou d’un accent étranger dans la version doublée est d’emblée exclu pour ne pas produire un effet ridicule. Ainsi la version doublée allemande du film italien Baarìa de Giuseppe Tornatore, tourné en dialecte sicilien, se passe entièrement de tels éléments. Elle renonce même, soit dit en passant, à la possibilité d’ajouter une touche de couleur locale à travers les noms des personnages : l’accentuation des abréviations italiennes comme « Peppì » (Peppino) ou « Angelì » (Angelina) est adaptée à la norme allemande, i. e. Pèppi et Angèli. Comme dans la version originale, le dialecte entraverait la compréhension du public non-sicilien, on a d’ailleurs fait doubler le film en italien (avec une légère coloration sicilienne) pour sa première à Venise. LA SYNCHRONISATION AVEC LES CODES VISUELS : Un trait distinctif de la « traduction audiovisuelle » par rapport à la traduction littéraire est justement son caractère multisémiotique, qui comporte la nécessité de « synchroniser » les codes auditifs avec les codes visuels du film – un procédé qui, en allemand, a donné son nom au processus de doublage tout entier. En premier lieu, il faut ainsi prendre en compte la « phonétique visuelle », c’est-à-dire la synchronisation des voix avec le mouvement des lèvres.19 Ici on distingue entre le synchronisme quantitatif, qui présuppose la même durée de l’énoncé, et le synchronisme qualitatif, qui comporte la reproduction fidèle des mouvements labiales et des consonnes bilabiales en particulier (cf. Herbst 1994, 33ss.). Caillé (1960, 106) cite à ce propos un exemple probant : le dialoguiste français d’un film anglais se voit confronté au bon mot « See Naples and  







































17 Cf. ci-dessous par ex. Albrecht (2005, 235), qui mentionne à titre d’exemple le dialecte artificiel dans la Mère courage de Bertolt Brecht. 18 L’idée sera reprise en 2010 par le remake Benvenuti al Sud, centré sur la situation italienne. 19 Fodor (1976) a forgé pour ce phénomène la notion « phonetic synchrony » (à laquelle s’ajoutent les facteurs « content synchrony » et « character synchrony »).  

   













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die ». Trop soucieux du synchronisme labial, il écarte l’équivalent le plus proche du verbe anglais, « mourir », et crée la phrase devenue un classique de la bévue : « Voir Naples et décéder ». Évidemment, les exigences de synchronisme varient en fonction du type de scène et de cadrage (cf. Schreiber 2006, 76), et souvent, on accorde la priorité à la synchronisation des accents toniques de l’original avec ceux de la version doublée (« nucleus sync[hrony] »). Les accents toniques coïncidant, en règle générale, avec la production des gestes, on parle aussi de « synchronisme gestuel » (cf. Herbst 1994, 50). En plus, il faut que le texte doublé soit synchronisé avec l’intrigue du film, ce que Fodor (1976, 10) appelle « content synchrony ». Reste à mentionner les éléments paralinguistiques, qui jouent un rôle non négligeable dans le doublage, même s’ils ne relèvent pas de la seule compétence du dialoguiste. Du point de vue littéraire, il s’agit notamment du rythme à imprimer au texte, « qui doit épouser celui de l’original sans le singer » (Cary 1960, 114). Si le texte doublé est trop long, il revient à l’acteur de doublage de compenser ce défaut par une vitesse d’élocution accélérée (cf. Reinart 2004, 91) – ce qui peut avoir un impact négatif sur la valeur artistique du film. À cause des différences rythmiques entre les langues, il n’est pas possible de reproduire telle quelle la prosodie de l’original sans détruire la « mélodie » de la langue du doublage. Ainsi, par exemple, l’expressivité italienne constitue un problème pour l’acteur de doublage français : vu que le français ne dispose pas de l’accent tonique typique de l’italien, le dialogue doublé manquera inévitablement d’expressivité par rapport à l’original (cf. Yvane 1987, 19). WhitmanLinsen (1992, 51s.) propose de résoudre ce problème en choisissant des acteurs provenant des anciennes colonies ou bien de la France du sud, capables de conférer « l’accent du sud » au personnage doublé.20 Ce procédé est pour le moins discutable, parce qu’il met en cause la crédibilité du caractère et l’illusion qu’il s’agit d’un original. Il touche de près l’aspect de « character synchrony » mis en avant par Fodor (1976, 10), c’est-à-dire l’harmonie entre la voix de l’acteur de doublage et le personnage du film. La voix de l’acteur original, par contre, ne devrait pas guider le choix, vu que la même qualité de voix peut avoir des connotations diverses dans différentes cultures (cf. Reinart 2004, 95). LES ADAPTATIONS CULTURELLES : À la différence du sous-titrage, le doublage offre la possibilité d’apporter des changements délibérés au texte, ce qui peut aller jusqu’à l’altération du sens et du message filmique. Comme ces changements, qui du reste sont rarement imputables aux dialoguistes, relèvent d’une « exigence de variance » (dans la terminologie de Schreiber 1993, 125s.), il faut les qualifier d’éléments d’adaptation au sens strict du terme. Par manque de place, l’aspect des difficultés d’adaptation culturelle qui ne relèvent pas d’une « exigence de variance », mais qui  























































20 À titre d’exemple, Whitman-Linsen (1992, 51s.) cite l’accent marseillais prêté à Gina Lollobrigida dans la version française de Pane, amore e fantasia.  

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résultent de l’interaction entre codes visuels et auditifs, ne peut cependant pas être abordé dans ce contexte.21 Dans les films de divertissement, de telles adaptations sont plus fréquentes et posent moins de problèmes que dans les films d’auteur. Elles contribuent même quelquefois à augmenter la popularité du film dans la culture cible, comme l’illustre l’exemple de la version italienne de la série comique américaine Laurel and Hardy. Avec l’accentuation erronée des paroles, les célèbres acteurs Mauro Zambuto et Alberto Sordi prêtent un accent américain à « Stanlio » et « Ollio », un procédé déconseillé en règle générale, mais qui est utilisé ici pour obtenir un effet comique. D’un autre côté, le doublage comporte le danger que des passages du texte regardés comme risqués ou périlleux soient éliminés ou altérés. Ainsi dans l’Espagne de Franco, le doublage est un instrument de censure, de sorte qu’une maîtresse dans l’original peut aisément se transformer en tante ou sœur dans la version doublée (cf. Pym 1998, 558).22 Parfois ce sont des raisons de marketing qui président aux adaptations : dans l’émission pour enfants Michel aus Lönneberga, basée sur le livre d’Astrid Lindgren et diffusée à la télévision allemande, le protagoniste change de nom par rapport à l’original suédois pour faciliter l’identification dans la culture cible. Le nom original, « Emil », a été écarté pour éviter qu’il soit confondu avec son homonyme, le héros du fameux livre pour enfants d’Erich Kästner. Indépendamment des connotations positives ou négatives des adaptations, on peut en tout cas constater avec Franco La Polla (1994) que plus le doublage est « créatif », plus il s’éloigne de la possibilité d’accéder à la culture originale. On peut regretter ce fait ou adopter le point de vue de l’acteur et dialoguiste Oreste Lionello (1994), qui constate que le doublage doit se montrer pour ce qu’il est : un faux.  



















4 Conclusion et perspectives La traduction audiovisuelle constitue un domaine de recherche assez récent et en constante évolution (cf. Gambier 2004, 5), qui présente bien des spécificités par rapport à d’autres formes de traduction. Pour parvenir à un doublage ou à un soustitrage de qualité, il faut ainsi avant tout respecter le caractère multisémiotique de

21 Cf. sur ce point par ex. Whitman-Linsen (1992, 126ss.) et La Polla (1994). On pensera aux ruptures entre le code sonore et l’image causées par des interventions de caractère « culturel », qui sont particulièrement frappantes à l’intersection entre le texte parlé et le texte chanté dans les films musicaux (cf. Reinart 2004, 98s.). Le traitement des passages chantés dans la version doublée est discuté par Paolinelli/Di Fortunato (2005, 53s.). 22 La censure n’est toutefois pas toujours le fait de l’État, comme le montre l’exemple du film français Zazie dans le métro, basé sur le roman de Raymond Queneau, dont la version doublée en allemand a été censurée par le système d’autocontrôle FSK en raison du langage jugé trop cru de la jeune protagoniste (cf. Der Spiegel 2/1961, 61).  







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l’original : veiller à ce que l’équilibre entre images, sons et paroles ne soit pas troublé, prendre en compte des considérations d’ordre physiologique (temps de lecture ou de perception auditive des éléments de dialogue), mettre en relation les normes de l’écrit et de l’oral, etc. Car si, par définition, le langage est le centre d’intérêt des traducteurs, il faut garder en mémoire que celui-ci ne constitue qu’un élément (certes important) parmi d’autres de cette œuvre d’art qu’est le film. Cela étant, la traduction audiovisuelle est un genre aux multiples facettes dont nous n’avons pu présenter ici que quelques-unes. Surtout, elle n’est pas restreinte aux seuls films de fiction. On assiste aujourd’hui, bien au contraire, à une diversification des genres avec notamment l’expansion de la vidéo d’entreprise, de la vidéo de formation ou d’instruction (cf. Jüngst 2010, 9), du sous-titrage de discours spécialisés, de clips vidéo diffusés via Internet etc.23 Les versions sous-titrées (ou doublées) de ces supports viennent concurrencer le traditionnel support papier et font que, depuis quelque temps déjà, les films documentaires ne sont plus les seuls à utiliser un langage de spécialité. En outre, l’utilisation du sous-titrage en direct devient de plus en plus fréquente – tout comme le sous-titrage et le doublage amateur. Ces pratiques, certes illicites, témoignent du grand intérêt que les spectateurs portent à la diversité audiovisuelle puisqu’elles apparaissent surtout lorsque la diffusion d’un film se fait trop longtemps attendre dans un pays-cible. Malgré leur caractère non-professionnel, elles manifestent le progrès technique réalisé en la matière. Leur apparition n’aurait pu se faire sans la disponibilité et la simplicité grandissantes des logiciels spécialisés. Reste à ajouter que, parallèlement à ces évolutions diversificatrices, on observe aussi un certain degré de convergence à l’intérieur de la Romania, à commencer par le fait que les clivages traditionnels entre les pays de sous-titrage et de doublage tendent à s’amenuiser dans la mesure où le sous-titrage gagne du terrain un peu partout (Modot et al. 2007). L’avènement du DVD et l’expansion du numérique offrent au spectateur de plus en plus le choix entre les versions doublées et les versions sous-titrées.24 Pour le traducteur, dont les attributions diffèrent jusque-là très sensiblement d’un pays de langue romane à l’autre (cf. Gouadec 2009, 114–116), la donne change aussi, du moins dans le domaine du sous-titrage. Au lieu de manipuler juste des listes de dialogue, comme c’était le cas il y a très peu de temps encore, il est de plus en plus impliqué dans toute la chaîne de sous-titrage – pour le plus grand profit de la qualité, car il peut désormais répondre à la fois aux exigences techniques, esthétiques et linguistiques du procédé. Bref, il peut assumer la tâche dans toutes ses dimensions et choisir la traduction la plus appropriée : « Et là où il y a choix heureux, il y a création artistique » (Caillé 1960, 107).  









23 Les discours tenus lors de conférences sont assez souvent sous-titrés et divulgués par la suite aux participants sur support DVD. 24 L’évolution va ainsi dans le sens jugé souhaitable par les auteurs d’une étude menée au niveau européen (Modot et al. 2007, 17).  





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Anna Körkel

36 Aspects juridiques de la traduction dans les pays latins Abstract : Dans l’histoire du droit d’auteur, le droit de traduction et le droit des traducteurs ont longtemps fait l’objet de vives controverses. Aujourd’hui, ces deux types de droits sont universellement reconnus et inscrits dans les droits d’auteur européen et international. Il n’y a toutefois pas de consensus sur le périmètre et les critères d’application de la protection garantie par ces droits et le monde juridique se montre toujours très réservé à l’égard de la protection des traductions de textes dits utilitaires. En examinant la pratique judiciaire, on constate que pour traiter des questions de droit d’auteur en matière de traduction, les juristes ne tiennent que rarement compte des connaissances acquises en traductologie. La littérature juridique et la jurisprudence sous-estiment le plus souvent la dimension créatrice de la prestation du traducteur et semblent ignorer que toute traduction suppose nécessairement une interprétation.    

Keywords : droit d’auteur, droit de traduction, droit des traducteurs, Convention de Berne, décisions de justice en matière de traduction    

0 Introduction La présente contribution est consacrée à la question des droits d’auteurs dans le domaine de la traduction, sujet jusqu’ici relativement délaissé par les traductologues sans avoir par ailleurs suscité un grand nombre de travaux de la part des juristes.1 Du point de vue de la pratique de la traduction se posent ici des questions telles que : une traduction est-elle protégée par le droit d’auteur et dans quelle mesure ? Quels sont les droits du traducteur à l’égard des traductions nouvelles ou d’autres exploitations de sa traduction première ? Quels sont les droits de l’auteur de l’œuvre originale à prendre en compte en cas de traduction d’une œuvre étrangère ? … Du point de vue juridique, il convient d’abord de distinguer entre le droit des traducteurs et le droit de traduction. Le droit des traducteurs comprend tous les droits reconnus au traducteur sur sa traduction, laquelle est considérée de nos jours, en règle générale, comme une création intellectuelle et par conséquent comme une œuvre pouvant bénéficier d’une protection. Le droit de traduction a, quant à lui, trait  









1 Cf. Cebulla (2007, 33ss.). On y trouvera une bonne vue d’ensemble sur la littérature traductologique et juridique allemande consacrée à ce sujet.  

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aux prérogatives de l’auteur de l’œuvre originale, c’est-à-dire à son droit exclusif d’autoriser ou non la publication et l’exploitation de son œuvre sous la forme d’une traduction (cf. Radojkovič 1971, 190ss. ; Rom 2007, 15ss.). Ces deux types de droits sont aujourd’hui universellement reconnus et inscrits dans les droits nationaux. La traduction étant par nature transnationale, ces droits ont en outre fait l’objet de conventions internationales, parmi lesquelles la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques est l’une des plus importantes. En Europe, les droits d’auteur nationaux sont depuis les années 90 de plus en plus contraints par le droit européen. Les diverses directives européennes2 n’ont certes pas conduit à l’élaboration d’un droit d’auteur européen unifié, mais une harmonisation assez poussée des législations nationales a néanmoins été réalisée, ce qui permet aux pays membres de l’UE d’apporter désormais des réponses concordantes aux questions essentielles (cf. Schack 62013, 70ss. ; Wandtke 42014, 526ss.). Les développements qui suivent se focaliseront sur la France et l’Allemagne, qui représentent les deux cultures juridiques auxquelles on doit le système de protection juridique actuel en matière de droit d’auteur (cf. Hilty/Geiger 2007, Avant-propos, XIII). En raison de l’harmonisation évoquée plus haut des législations dans les pays d’Europe continentale et compte tenu du fait que les législations de ces pays s’inspirent largement du droit d’auteur à la française et non du copyright du système juridique anglo-américain,3 la description proposée peut être considérée, pour l’essentiel, comme valant aussi pour les autres pays de langue romane. Le bien-fondé de la protection des œuvres de l’esprit – lesquelles incluent en règle générale les traductions – nous semble aujourd’hui une évidence. Le droit d’auteur n’en est pas moins d’institution relativement récente, qui ne remonte qu’à la fin du XVIIIe siècle. Il est intéressant de noter que dans l’histoire du droit d’auteur, le droit des traducteurs et le droit de traduction ont longtemps fait l’objet de vives controverses. Si la traduction (l’œuvre traduite) a été considérée dès la fin du XVIIIe siècle comme œuvre pouvant bénéficier d’une protection, le bien-fondé de cette protection, autrement dit le statut d’auteur créateur accordé au traducteur, a été profondément remis en cause aux XIXe et XXe siècles. Aujourd’hui encore, les traductions de certaines catégories d’œuvres sont exclues de la protection par le droit d’auteur. Et il a fallu attendre longtemps pour que se développe un droit de traduction de l’auteur de l’œuvre originale : jusque tard dans le XIXe siècle, les auteurs ne pouvaient prétendre à aucun droit d’auteur pour l’exploitation de leurs œuvres sous forme de traductions (cf. Vogel 1991, 202ss. ; Körkel 2002, 134ss. ainsi que chap. 1). C’est la raison pour laquelle cette contribution commencera par un aperçu sur l’évolution historique des deux catégories de droits, aperçu dans lequel on accordera une  









2 Depuis 1991, l’Union européenne a adopté plus de dix directives harmonisant certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins. Pour plus de détails, cf. Wandtke (2014, 527ss.). 3 Sur la différence entre Droit d’auteur et système du Copyright, cf. entre autres Caron (2006, 33s.) ; Wandtke (2014, 33s.).  





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attention particulière aux représentations parfois diamétralement opposées des juristes de ce qu’est par nature la traduction (chap. 1). Le deuxième chapitre présentera l’état actuel du droit d’auteur et proposera une vue d’ensemble sur les principaux aspects du droit de traduction et du droit des traducteurs ; on y examinera aussi quelques affaires judiciaires intéressantes relatives à la traduction.  



1 Évolution historique du droit de traduction et du droit des traducteurs Avant que les ouvrages écrits dans la langue nationale ne bénéficient d’une quelconque protection juridique contre la copie, manuelle d’abord, imprimée ensuite (après l’invention de l’imprimerie au XVe siècle), l’idée même ne pouvait émerger de protéger les traductions en langue nationale d’ouvrages rédigés en langue étrangère ; aussi les traductions étaient-elles, de l’Antiquité au Moyen Âge, réalisées en toute liberté (cf. Delp 22003, 308 ; Rehbinder/Peukert 172015, 8s.). Même dans le système des privilèges, sous l’Ancien Régime, qui permettait à certains éditeurs, imprimeurs et plus rarement auteurs d’obtenir des autorités un privilège les protégeant contre la contrefaçon, les traductions n’avaient guère d’importance.4 Il fallut attendre le XVIIIe siècle finissant pour que fût posé le problème d’une réglementation de la traduction. Le Siècle des Lumières avait conduit à une augmentation du nombre de lecteurs, lesquels souhaitaient de plus en plus lire aussi des ouvrages en traduction, de sorte que la littérature traduite gagnait en importance économique ; l’accent mis sur la raison et le droit naturel aboutissait de son côté à réévaluer les productions de l’esprit (cf. Vogel 1991, 203s. ; Rom 2007, 17s. ; Kubis 2008, 520). Si nombre d’impulsions vinrent de France, où la Révolution avait aboli les privilèges et reconnu par les lois de 1791 et 17935 l’existence d’une « propriété intellectuelle » fondée sur le droit naturel, la propriété littéraire et artistique,6 les auteurs étrangers d’œuvres originales traduites  













4 Parmi les privilèges accordés au XVIe siècle, on ne trouve que très peu d’interdictions de traduire sans autorisation. L’une d’elle est le privilège souvent cité accordé par l’empereur Maximilien Ier à l’imprimeur Eucharius Röslin, dans lequel toute diffusion non autorisée d’une traduction est frappée d’interdiction. Cf. Brem (1983, 212) ; Vogel (1991, 203) ; Delp (2003, 308). 5 Il s’agit des Lois des 13–19 janvier 1791 et des 19–24 juillet 1793. Ces deux lois ont été en vigueur pendant plus de 150 ans, l’évolution du droit d’auteur français ayant été assurée jusqu’en 1957 par la jurisprudence. Cf. Caron (2006, 23ss.) ; Ulmer (1980, 70). 6 L’appellation « propriété littéraire et artistique », qui s’inspire de celle de « propriété matérielle » et reflète les conceptions juridiques du XIXe siècle, est traditionnelle en France ; elle a été consacrée par la Loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique et reprise, en 1992, par le Code de la propriété intellectuelle dont elle constitue l’une des deux branches (l’autre étant la propriété industrielle). Elle est peu usitée à l’étranger ; en Europe, seule l’Espagne adopte encore une dénomination semblable à celle de la France : Ley de Propiedad Intelectual. Au cours du XXe siècle, beaucoup de pays ont introduit  





























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en français demeuraient exclus, même en France, de toute protection juridique de leurs productions intellectuelles (cf. Hepp 1955, 280 ; Schmidt-Szalewski 1993, 152s. ; Lucas/Lucas-Schloetter 42012, 11ss.). L’une des raisons fondamentales en était la limitation du droit d’auteur au territoire national et aux citoyens nationaux (cf. Decker 1999, 217 ; Rom 2007, 17). Or c’est en général dans un pays dans lequel il est lui-même étranger que l’auteur de l’œuvre originale doit faire valoir ses droits relativement à l’exploitation de son œuvre sous forme de traduction. Le principe territorial et l’absence de conventions entre États ont fait que la situation de liberté totale d’impression et de traduction des œuvres d’auteurs étrangers a aussi prévalu dans d’autres pays européens (cf. Wadle 1989, 14ss. ; Vogel 1991, 202s. ; Schack 62013, 59s.). C’est ainsi que le principe de la liberté de traduction est maintenu dans les premières lois allemandes modernes relatives au droit d’auteur, qu’il s’agisse de celle de la Confédération germanique en 18377 ou de la loi d’Empire de 1870.8 Si le droit de la traduction s’est imposé si tardivement, c’est aussi pour des raisons économiques. Les pays « importateurs » de littérature étrangère, comme par exemple les États allemands, ne voyaient guère d’intérêt à l’existence d’une législation qui n’aurait profité qu’aux auteurs étrangers (cf. Vogel 1991, 210 ; Decker 1999, 217 ; Rom 2007, 17). Aussi les dispositions favorables aux éditeurs et imprimeurs nationaux étaient-elles justifiées par des arguments économiques. Dans son travail pionnier de 1774, Johann Stephan Pütter (1774, 83) explique ainsi :  



















‘Parmi ceux qui achètent de telles traductions il ne s’en trouverait guère qui achèteraient l’œuvre originale, de sorte que leur éditeur n’en subit aucune perte. Quant au livre et à son auteur, les traductions qui en sont faites à l’étranger ne peuvent que leur faire honneur […]. Pour la même raison, c’est à juste titre que l’on range les traductions parmi les œuvres que tout un chacun peut créer ou éditer en vertu de sa liberté naturelle, sans que quiconque puisse prétendre à un avantage, s’il n’y est pas fondé par quelque privilège. Il peut ainsi se faire que paraissent simultanément […] deux ou plusieurs traductions d’une œuvre, entre lesquelles l’acheteur aura libre choix’.9

l’appellation plus précise de « droit d’auteur », par exemple la Belgique (Loi relative au droit d’auteur), le Luxembourg (Loi sur les droits d’auteur), l’Italie (Protezione del diritto d’autore), le Portugal (Código do direito de autor) et l’Allemagne (Gesetz über Urheberrecht). Cf. Dietz (1990, 26). 7 La Königlich-Preußische Gesetz zum Schutze des Eigenthums an Werken der Wissenschaft und Kunst du 11.6.1837 maintenait le principe de la liberté de traduction, même si cette loi y apportait quelques restrictions. Pour plus de détails, cf. Vogel (1991, 209s.) ; Rom (2007, 23ss.) ; Kubis (2008, 521ss.). 8 La Gesetz, betreffend das Urheberrecht an Schriftwerken, Abbildungen, musikalischen Kompositionen und dramatischen Werken du 11.6.1870, devenue en 1871 la loi d’Empire en matière du droit d’auteur, confirmait malgré quelques restrictions le principe de la liberté de traduction. Pour plus de détails, cf. Vogel (1991, 214s.) ; Rom (2007, 27ss.) ; Kubis (2008, 523s.). 9 « Von denen, die alsdann solche Uebersetzungen kaufen, würde nicht leicht einer den Originaldruck gekauft haben, dessen Verleger also dadurch nichts entgehet. Dem Buche selbst und seinem Verfasser gereicht es vielmehr zur Ehre, wenn auswärtige Uebersetzungen davon gemacht werden […]. Aus eben  

















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Par ailleurs, le principe de la liberté de traduction s’accordait bien aux axiomes de la théorie du droit, laquelle distinguait à l’époque – et jusqu’à la fin du XIXe siècle – strictement entre le contenu, qui relevait du domaine public, et la forme susceptible, elle, d’être protégée. Selon le consensus scientifique de l’époque, seule la « forme » d’une œuvre pouvait être protégée par le droit d’auteur, jamais le contenu lui-même (cf. Vogel 1991, 207 ; Rom 2007, 19ss.). La traduction se contentant de rendre le contenu non protégé de l’œuvre tout en modifiant (par le seul fait du changement de langue) de fond en comble la forme linguistique, il n’y avait pas lieu, du point de vue juridique, d’accorder à l’auteur étranger une quelconque protection de son œuvre. Voici par exemple ce qu’écrit Kant en 1785 (1785/1987, 144) :  







‘De même, la traduction dans une autre langue ne peut-elle être comprise comme une copie, car elle n’est pas le discours de l’auteur, même si les pensées qu’elle exprime sont les mêmes’.10

Plus nuancée était la théorie défendue par Oskar Wächter (1858, 557ss.) dans son ouvrage Verlagsrecht (Droit de l’édition). Il y appelait de ses vœux une protection des auteurs contre les traductions non autorisées tout en modulant cette protection selon le rapport existant entre l’original et la traduction. Pour Wächter, la liberté de traduction devait se limiter aux cas où la traduction était ‘fondamentalement différente’ (Wächter 1858, 762) de l’original et pouvait par conséquent être considérée comme une ‘production littéraire [originale]’ (Wächter 1858, 558). Si en revanche elle se caractérisait par une ‘restitution fidèle de l’original’ (Wächter 1858, 762),11 alors elle devait être mise sur le même plan que la reproduction illicite, autrement dit la contrefaçon. Contrairement à l’opinion dominante chez les juristes, Wächter se prononçait donc fondamentalement en faveur d’un droit de la traduction qui protège l’auteur de l’original. Mais il voyait les choses d’une façon qui nous paraît aujourd’hui surprenante : selon lui, plus la traduction était « libre », moins elle empiétait sur les droits de l’auteur de l’original.  





der Ursache werden auch die Uebersetzungen billig zu denen Werken gerechnet, die ein jeder aus natürlicher Freiheit verfertigen und verlegen kann, ohne daß einer vor dem anderen einen Vorzug behaupten darf, sofern er nicht durch ein Privilegium dazu berechtigt ist. So kann es geschehen, daß zwei oder mehrere Uebersetzungen eines Werkes […] zu gleicher Zeit zum Vorscheine kommen, unter welchen dann ein jeder Käufer die freie Wahl hat » (Pütter 1774, 83). 10 « Auch kann die Übersetzung in eine andere Sprache nicht für Nachdruck genommen werden ; denn sie ist nicht dieselbe Rede des Verfassers, obgleich die Gedanken genau dieselben sein mögen » (Kant 1785/1987, 144). 11 « Kriterium ist immer : Ob die Übersetzung ein ihrem Verkehrswerth nach wesentlich Anderes ist, oder ob sie durch getreues Wiedergeben des Originals das dem Autor vorzubehaltende Recht der Übersetzung schmälert. » Wächter (1858, 762). (Le critère est dans tous les cas : la traduction est-elle du point de vue de sa valeur marchande une chose radicalment différente [de l’original] ou empiète-t-elle, par le rendu fidèle de l’original, sur le droit de traduction qui doit être réservé à l’auteur).  



















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Seuls quelques juristes réclamaient dès cette époque pour l’auteur une protection juridique sans restriction contre la traduction non autorisée de son œuvre (cf. Rom 2007, 20ss.). Ainsi, Eisenlohr (1855, 62) estimait-il que ‘une traduction n’est pas une œuvre nouvelle, mais l’œuvre originale revêtue d’habits d’une autre couleur, conservant cependant toutes ses caractéristiques, y compris les lacunes et les défauts de l’original’.12

La doctrine généralement admise était cependant que seul le principe de la liberté de traduction pouvait être inféré de la distinction entre forme et contenu. Celle-ci avait corollairement comme conséquence que, consistant en la création d’une forme linguistique nouvelle, les traductions étaient considérées comme des ‘productions nouvelles et autonomes de l’esprit’ (Jolly 1852, 153)13 et qu’elles furent reconnues dès la fin du XVIIIe siècle comme des œuvres pouvant bénéficier d’une protection.14 Kramer (1827, 103) justifiait cette situation juridique comme suit :  

‘Ce ne sont pas les idées qui font l’objet de la propriété mais le discours et sa représentation visible, l’écriture. Le traducteur, s’il agit comme il doit le faire, reprend certes les idées de l’original sans les modifier, mais il en a le droit comme tout un chacun. Son discours, en revanche, est assurément autre ; par l’activité de son esprit, il devient son discours, son écriture, ce qui fait qu’il devient à juste titre pleinement propriétaire de son œuvre’.15  

Le traducteur se trouvait ainsi, au moins de jure, dans une meilleure position que l’auteur (étranger) de l’œuvre originale qu’il traduisait. La protection dont il bénéficiait se limitait cependant à la reproduction mécanique de sa traduction et ne s’étendait pas aux traductions parallèles qui pouvaient lui faire concurrence (cf. Bachleitner 1989, 33ss.). Aussi les traducteurs étaient-ils en pratique, dans la première moitié du XIXe siècle, des ‘ouvriers aux pièces mal payés et mal considérés’ (Mounin 1965, 206)16 qui remplissaient leurs feuillets dans de véritables ‘fabriques de traduc-

12 « [E]ine Übersetzung [ist] kein neues Werk, sondern das alte, zwar in einem andersfarbigen Kleid, aber mit allen Eigenthümlichkeiten, ja mit den Fehlern selbst und Mängeln des Originals » (Eisenlohr 1855, cit. d’après Vogel 1991, 213s.). 13 « Übersetzungen [sind] in der Tat selbständige neue geistige Produktionen » (Jolly 1852, cit. d’après Vogel 1991, 212). 14 Ainsi par exemple dans le Allgemeine Landrecht für die preußischen Staaten (ALR) de 1794 (§ 1027). Cf. Kubis (2008, 521) ; Rom (2007, 30). 15 « Nicht die Gedanken sind es, die im Eigenthum stehen, sondern die Rede und ihre sichtliche Darstellung, die Schrift. Die Gedanken freilich zieht der Übersetzer – wenn er ist, was er seyn soll – unverändert herüber ; aber das ist ihm wie jedem erlaubt ; die Rede dagegen wird durchaus eine andere, wird seine Rede, seine Schrift, durch seine geistige Tätigkeit, und somit ist er mit Recht voller Eigenthümer dieses seines Werkes » (Kramer 1827, 103). 16 « [I]l povero traduttore, l’oscuro cottimilista mal pagato, sempre negletto » (Mounin 1965, 206).  

































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tions’.17 En Allemagne, la part des traductions dans la production romanesque augmenta considérablement à partir de 1820 ; en 1850, les romans d’auteurs étrangers, principalement anglais et français, représenteront même 50% de l’ensemble des romans mis sur le marché (cf. Bachleitner 1989, 6ss.). Pays exportateurs de littérature, la France et l’Angleterre manifestèrent tôt le désir de protéger les ouvrages de leurs auteurs contre la copie et la traduction illicites, ce qui les amena à pousser à l’élaboration de conventions internationales (cf. Vogel 1991, 211).18 Globalement, c’est la France qui fut en pointe pour la reconnaissance d’un droit extensif de traduction : dès 1852, on y introduisit le principe d’universalité, qui permit d’étendre aux auteurs étrangers la protection procurée par le droit d’auteur (cf. Hepp 1955, 280 ; Kubis 2008, 525 ; Schack 62013, 60). Les premiers jalons d’une protection transfrontalière des traductions furent posés au milieu du XIXe siècle dans plusieurs accords bilatéraux, par lesquels les États signataires se garantissaient mutuellement la possibilité pour leurs auteurs nationaux respectifs d’exercer un contrôle sur la traduction de leurs œuvres.19 Mais ce n’est qu’en 1886 que fut conclu le premier accord international avec la signature de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, qui reste aujourd’hui encore l’un des principaux accords internationaux dans le domaine du droit d’auteur.20 Par cette convention, chaque État garantissait aux auteurs nationaux des autres États contractants la même protection juridique qu’à ses propres nationaux (principe du traitement national). La convention fixait en outre un certain nombre de droits minimaux.21 Dans la version primitive signée le 9 septembre 1886 par dix États, parmi lesquels la Belgique, l’Empire allemand, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Espagne,22 on s’accorda après d’âpres discussions (cf. Brem 1983, 209) à ne reconnaître le droit de traduction qu’au seul auteur de l’œuvre originale mais en en limitant la durée à dix ans.23 Cette durée a été étendue dans l’acte additionnel de Paris de 1896 à l’ensemble  







17 « Übersetzungsfabriken », Bachleitner 1989, 1. Sur le statut du traducteur dans la première moitié du XIXe siècle, voir Bachleitner (1989, 1ss.). 18 L’Association littéraire et artistique internationale (ALAI) fondée à Paris en 1878 par Victor Hugo présenta dès 1883 un premier projet d’union internationale pour la protection du droit d’auteur, qui prévoyait dans son article 5 une assimilation du droit de la traduction au droit de copie. Les défenseurs français de ce projet ne purent cependant pas l’imposer. Cf. Nordemann/Vinck/Hertin (1977, 3) ; Vogel (1991, 217s.) ; Kubis (2008, 528). 19 Pour plus de détails, voir entre autres Vogel (1991, 215ss.) ; Delp (2003, 309s.). 20 Sur la Convention de Berne, voir notamment Nordemann/Vinck/Hertin (1977 ; 1990). 21 Ces deux principes sont encore en vigueur aujourd’hui. Cf. entre autres Rehbinder/Peukert (2015, 413s.) ; Wandtke (2014, 508s.). 22 Les autres pays signataires de la version primitive de 1886 étaient : Haïti, le Liberia, la Suisse et la Tunisie. Cf. Nordemann/Vinck/Hertin (1990, 4). Le Portugal n’a signé la Convention de Berne-Berlin qu’en 1911 (cf. www.wipo.int) (10.09.2015). 23 Cf. Art. 5 de la Convention de Berne, version primitive (1886).  































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de la durée du droit d’auteur (50 ans post mortem auctoris),24 sous la condition que la traduction ait paru dans un laps de temps maximum de dix ans après la publication de l’œuvre originale ; le droit de traduction se trouvait ainsi toujours soumis à condition.25 Il fallut attendre la révision de la convention en 1908 à Berlin pour que soit fixé dans son article 8 un droit de traduction universel :  



Article 8 [Convention de Berne, version révisée à Berlin (1908)] : « Les auteurs d’œuvres non publiées, ressortissant à l’un des pays de l’Union, et les auteurs d’œuvres publiées pour la première fois dans un de ces pays, jouissent, dans les autres pays de l’Union, pendant toute la durée du droit sur l’œuvre originale, du droit exclusif de faire ou d’autoriser la traduction de leurs œuvres ».26  









Cet article, resté inchangé sur le fond jusqu’à nos jours, ne fit cependant pas l’unanimité dans tous les pays. Certains considéraient qu’un droit universel de la traduction pouvait avoir des effets négatifs sur le développement des échanges culturels (cf. Hepp 1955, 283ss.). C’est pourquoi on accorda aux pays signataires la possibilité de faire des réserves concernant l’article 8, c’est-à-dire de limiter le droit de traduction selon les versions de 1886 et de 1896.27 Il est d’ailleurs des pays dans lesquels ces réserves sont encore en vigueur aujourd’hui (en 2015).28 Les questions touchant à la traduction donnèrent régulièrement lieu, lors des conférences de révision suivantes,29 à de vives discussions. À la conférence de révision de Stockholm de 1967, les pays en voie de développement demandèrent une limitation du droit de traduction pour des raisons de politique éducative ; le très controversé « protocole sur les pays en développement » qui en résulta conduisit à une crise  





24 La version de la Convention de Berne en vigueur (version de 1979) prévoit toujours une protection d’une durée de 50 ans p.m.a. (Art. 7 Convention de Berne), mais les États signataires ont la possibilité d’étendre la durée de la protection au-delà du minimum prescrit par la convention. C’est ainsi que les pays membres de l’UE accordent une durée de protection de 70 ans p.m.a. Cf. entre autres Rehbinder/ Peukert (2015, 50). 25 Cf. Art. 5 Convention de Berne, Acte additionnel de Paris (1896) ainsi que Nordemann/Vinck/Hertin (1977, 76). 26 Dans la version de la Convention de Berne en vigueur (version de 1979), la teneur de l’article 8 [Droit de traduction] est la suivante : « Les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques protégés par la présente Convention jouissent, pendant toute la durée de leurs droits sur l’œuvre originale, du droit exclusif de faire ou d’autoriser la traduction de leurs œuvres. » Cf. http://www.wipo.int (10.09.2015). 27 Pour les détails, voir Bappert (1969, 186ss.) ; Nordemann/Vinck/Hertin (1977, 76ss.) ; Rom (2007, 85s.). 28 C’est le cas, par exemple, de la Bosnie-Herzégovine, de la Serbie, du Monténégro et de la Slovénie. Cf. Rom (2007, 173) et www.wipo.int (10.09.2015). 29 La Convention de Berne du 9 septembre 1886 a été complétée ou révisée plusieurs fois : complétée à Paris le 4 mai 1896, révisée à Berlin le 13 novembre 1908, de nouveau complétée à Berne le 20 mars 1914 puis révisée à Rome le 2 juin 1928, à Bruxelles le 26 juin 1948, à Stockholm le 14 juillet 1967 et enfin à Paris le 24 juillet 1971 avant d’y être une nouvelle fois modifiée le 28 septembre 1979. C’est cette version de 1979 qui est aujourd’hui (en 2015) en vigueur. Cf. www.wipo.int (10.09.2015).  

























































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internationale du droit d’auteur qui ne fut surmontée qu’à la conférence de révision de Paris en 1971 (cf. Nordemann/Vinck/Hertin 1977, 214ss. ; Vogel 1991, 221 ; Kubis 2008, 529s.). Aujourd’hui, l’annexe introduite en 1971 à la Convention de Berne accorde aux pays en voie de développement sous des conditions limitatives strictes le droit de remplacer le droit de traduction prévu à l’article 8 par un système de « licences obligatoires ».30 Cette possibilité est encore utilisée par un certain nombre de pays.31 Les changements intervenus dans les critères juridiques de la protection ont conduit les conférences de révision à soulever également les questions relatives au droit des traducteurs. À partir de la fin du XIXe siècle, la théorie du droit rejeta la distinction stricte entre le contenu, relevant du domaine public, et la forme, susceptible de faire l’objet d’une protection ; c’est l’originalité créatrice qui devint le critère conditionnant la possibilité d’une protection. Si la majorité des juristes reconnaissait que le changement de la forme linguistique du texte par le traducteur avait valeur de création intellectuelle, quelques-uns refusaient ce point de vue (cf. Rom 2007, 30ss.). Voici par exemple ce qu’écrivait Boytha (1970, 95) sur la question du droit d’auteur relativement aux traductions :  











‘Dans l’œuvre traduite, c’est le même contenu, c’est-à-dire la même forme intérieure de l’œuvre originale qu’il s’agit de rendre perceptible dans l’autre langue. Seule est modifiée l’enveloppe extérieure de l’œuvre, et elle ne l’est elle-même que pour être adaptée à l’ensemble des éléments du contenu de l’œuvre. […] D’un point de vue ontologique, la traduction tire sa substance à ce point de l’œuvre originale, elle est si intimement liée à elle, qu’elle ne peut avoir aucune des caractéristiques qui font les œuvres originales’.32

La Convention de Berne ne contenait pas, dans sa version primitive, les dispositions nécessaires à la sauvegarde du droit des traducteurs, mais elle fut dotée de telles dispositions lors de sa révision à Berlin en 1908. Dans la version en vigueur, l’article 2 de la Convention de Berne stipule :  

Article 2 (3) [Convention de Berne, version en vigueur] : « Sont protégés comme des œuvres originales, sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale, les traductions, adaptations, arrangements de musique et autres transformations d’une œuvre littéraire ou artistique ».  





30 Pour plus de détails, cf. Nordemann/Vinck/Hertin (1977, 214ss.) ; Rom (2007, 86ss.). 31 Aujourd’hui (2015), des pays ayant recours à de telles « licences obligatoires » sont par ex. Cuba, la Thaïlande et le Viêtnam. Pour plus de détails, cf. Rom (2007, 173) ainsi que www.wipo.int (10.09.2015). 32 « Im übersetzten Werk soll auch in der neuen Sprache genau derselbe Inhalt bzw. die innere Form wahrnehmbar gemacht werden, wie in der Originalsprache. Es ändert sich also bloß die äußerste Schale des Werkes, und auch diese nur so, daß das neue Sprachgewand sich sämtlichen inneren Elementen des Werkes geschmeidig anpasst. […] Die Übersetzung lebt also ontologisch gesehen, dermaßen aus dem Originalwerk, es mit ihm so innigst verflochten ist, daß sie überhaupt keine selbständigen, vom Originalwerk getrennt ausweisenden Werkelemente haben kann » (Boytha 1970, 95).  















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L’entrée en vigueur de la Convention de Berne eut des effets sur les législations nationales, car aucun État ne pouvait se permettre, dans la durée, de n’accorder à ses propres nationaux qu’une protection inférieure à celle qu’il était tenu d’accorder aux nationaux d’autres pays en vertu de la convention. Cela conduisit à une harmonisation du droit d’auteur dans les pays signataires et, pour ce qui est du droit de traduction et du droit des traducteurs, à une reconnaissance généralement sans réserve de l’un comme de l’autre (cf. Dietz 1978, 35s. ; Kubis 2008, 530). Cependant, du fait que la Convention de Berne a donné lieu à diverses révisions (Rome, Bruxelles, Stockholm, Paris…) qui ne sont pas en vigueur dans les mêmes pays, du fait également qu’il reste possible pour les pays signataires de limiter le droit de traduction par le système de réserves ou de licences obligatoires, la situation juridique sur l’échiquier international peut s’avérer, dans les cas particuliers, assez compliquée. Par l’adhésion des États-Unis (1988), de la Chine (1992) et de la Fédération de Russie (1994) à la Convention de Berne, celle-ci a gagné considérablement en importance (cf. Wandtke 42014, 507).33 Elle compte aujourd’hui (2015) 168 pays signataires, dont la totalité des pays de l’Union Européenne (cf. Wandtke 42014, 507).34  

2 La traduction dans le droit d’auteur d’aujourd’hui La notion de traduction telle qu’elle apparaît dans le droit d’auteur correspond au sens courant (non scientifique) du mot, selon lequel une traduction est ‘la transposition d’une production langagière dans une autre langue’ (Möhring/Nicolini 2 2014, n° 14).35 Dans le droit d’auteur, cette définition recouvre les traductions entre différentes langues, entre différents dialectes ou parlers ou entre différents stades d’une même langue ainsi que la traduction d’une traduction dans une tierce langue ou la traduction à rebours vers la langue de l’œuvre originale (cf. Möhring/Nicolini 2 2014, n° 14 ; Dreier/Schulze 52015, 156 ; Schricker 2001, 211s.). Les textes mentionnent également la synchronisation des films et la transposition d’un langage informatique dans un autre (cf. Möhring/Nicolini 2 2014, n° 14). Aucune distinction conceptuelle n’est faite, en revanche, entre la traduction et l’interprétation (cf. Cebulla 2007, 24).  









33 Cf. également www.wipo.int (10.09.2015). 34 Cf. également . www.wipo.int (10.09.2015). 35 « Die Übersetzung ist die Übertragung eines Sprachwerks in eine andere Sprache » (Möhring/ Nicolini 2014, n° 14). Cf. aussi Wandtke/Bullinger (2014, 52) ; Cebulla (2007, 25).      









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2.1 La traduction comme œuvre de seconde main Les traductions sont rangées par le droit d’auteur dans la catégorie des œuvres de seconde main ou œuvres dérivées.36 Est considérée comme une œuvre dérivée toute transformation créatrice d’une œuvre préexistante dont les éléments originaux sont conservés (cf. Cornu 32002, 603 ; Schack 62013, 136ss.). Résultant d’une action de création, l’œuvre dérivée jouit de la même protection qu’une œuvre originale, mais la protection dont elle bénéficie vaut « sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale »,37 ce qui veut dire que sa publication et son exploitation sont soumises à l’autorisation de l’auteur de l’œuvre originale (cf. Rehbinder/Peukert 172015, 102ss.). La traduction relève de la catégorie de l’œuvre dérivée dans la mesure où elle transforme l’œuvre originale de façon créatrice sans annihiler le caractère propre de l’original, qui reste identifiable malgré les transformations subies. La catégorisation de la traduction comme œuvre dérivée a donc pour conséquence que le traducteur acquiert un droit d’auteur propre sur sa traduction (droit des traducteurs), mais que le droit de traduction reste réservé à l’auteur de l’œuvre originale, lui seul ayant la prérogative de décider si son œuvre peut ou non être publiée et exploitée dans une autre langue (droit de traduction). Comme ce fut déjà le cas dans la Convention de Berne,38 les législations nationales relatives au droit d’auteur mentionnent explicitement la traduction comme prototype de l’œuvre dérivée, mais elles ne la définissent jamais en tant que telle. Il s’agit donc d’une notion juridique qui demande à être explicitée (cf. Cebulla 2007, 32). La jurisprudence et la littérature juridique ne prennent que rarement en compte les résultats de la recherche en traductologie, ce qui apparaît de façon particulièrement nette dans l’évaluation de la légitimité d’une protection des traductions.  





2.2 Le droit à protection des traductions Selon le droit d’auteur en vigueur de nos jours, toute œuvre peut bénéficier d’une protection pourvu qu’elle soit une œuvre de l’esprit, c’est-à-dire une création intellec-

36 Cf. Radojkovič (1971, 195) ; Caron (2006, 181s.). Le droit d’auteur allemand nomme cette catégorie « Bearbeitungen », litt. « exercer un travail sur [l’œuvre originale] » (cf. entre autres Nordemann/ Nordemann 2014, 207ss. ; Dreier/Schulze 2015, 153ss.) ; en droit d’auteur italien, espagnol et portugais, on utilise le terme générique de « transformations » (trasformazione / transformación / transformação), cf. Dietz (1990, 34s.). 37 Cf. Art. L 112–3 Code de la Propriété intellectuelle. Des formulations analogues se trouvent dans d’autres lois relatives au droit d’auteur, par ex. dans les droits d’auteur italien (Art. 4), espagnol (Art. 21), portugais (Art. 3) ou allemand (Art. 3). 38 Cf. Art. 2 (3) Convention de Berne ; voir supra.  









































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tuelle qui fait preuve d’originalité (cf. Caron 2006, 46ss. ; Lucas 22002, 10ss.).39 On entend par là une création qui exprime la personnalité de son auteur et qui, se distinguant des productions banales ou routinières, présente au contraire un apport intellectuel et un caractère original (cf. Caron 2006, 51ss. ; Edelman 31999, 9ss.). Le concept d’originalité étant qualifié par la doctrine de « notion à géométrie variable » (Lucas 22002, 21) et même de « notion en crise » (Caron 2006, 65), il n’est pas étonnant que la question du degré d’originalité nécessaire pour que l’œuvre bénéficie de la protection – une originalité « modeste » suffit-elle ou faut-il exiger un certain seuil d’originalité ? – reste fortement discutée dans la littérature juridique (cf. Caron 2006, 64ss. ; Wandtke/Bullinger 42014, 10ss. ; Dreier/Schulze 52015, 78ss.). Il en va de même pour la traduction, qui ne se trouve ainsi protégée par le droit d’auteur que si elle répond aux critères de la création intellectuelle. Or du point de vue juridique, le critère de l’originalité est particulièrement difficile à déterminer dans le cas de la traduction : comment, en effet, l’originalité peut-elle se déployer dans une traduction dès lors que ‘seule [est modifiée] la forme langagière de l’œuvre, tandis que sont conservés le contenu aussi bien que la structure et la progression interne de l’œuvre originale’ (Dittrich 1985, 161) ?40 C’est ainsi qu’au XXe siècle des doutes furent de nouveau exprimés quant au caractère original de la traduction. Voici par exemple ce qu’écrit Brem (1983, 220) sur cette question :  



























‘Ce qui fait difficulté dans le domaine de la traduction, c’est tout particulièrement l’exigence d’originalité de l’œuvre à protéger soulignée dans de nombreuses décisions de justice. Le signe distinctif de la traduction n’est-il pas justement le souci de la plus grande fidélité possible à l’original et non celui de faire œuvre originale ? […] Il ne serait de ce fait pas surprenant que dans des cas particuliers la justice décide d’exclure de la protection du droit d’auteur les traductions qui ne font pas preuve d’une grande originalité’.41  

De fait, en 1977, le tribunal de grande instance (Landesgericht) de Vienne (Autriche) décida d’exclure une traduction du bénéfice du droit d’auteur au motif que la traductrice avait ‘certes réussi la transposition de la pièce [de langue étrangère] en langue

39 Cf. entre autres Caron (2006, 46ss.) ; Lucas (2002, 10ss.). Des formulations analogues se trouvent dans la littérature juridique d’autres pays européens ; par ex. en droit allemand, le terme œuvre de l’esprit correspond au terme de « Werk », défini comme « persönliche geistige Schöpfung », création intellectuelle personnelle; cf. entre autres Rehbinder/Peukert (2015, 68ss.). 40 « Die Übersetzung verändert nur die Sprachform des Werkes, während Inhalt sowie Aufbau und Gedankenführung des Originals erhalten bleiben », Dittrich (1985, 161). Cette formulation se trouve aussi dans la doctrine actuelle, cf. Rehbinder/Peukert (2015, 103). 41 « Schwierigkeiten im Bereiche der Übersetzung bietet insbesondere das in vielen Gerichtsentscheiden immer wieder in den Vordergrund gestellte Erfordernis der Originalität eines urheberrechtlichen Werkes. Kennzeichen der Übersetzung ist ja das Bemühen um möglichst weitgehende Treue zum Original und nicht das Schaffen einer eigenen Originalität. […] Es wäre deshalb nicht überraschend, wenn die Gerichtspraxis in Einzelfällen nicht besonders originelle Übersetzungen vom Werkschutz ausschließen würde » (Brem 1983, 220).  

























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allemande, mais qu’elle n’avait pas procédé à des modifications spécifiques de la littéralité et du contenu de l’œuvre’.42 Selon le tribunal, ‘la transposition linguistiquement correcte du texte de langue étrangère y compris de son contenu, de son sens, de son orientation, de son atmosphère et du milieu social qui y est représenté ne suffit pas’ ;43 pour pouvoir bénéficier de la protection du droit d’auteur, la traduction doit ‘présenter en outre un caractère particulier hautement personnel qui soit la marque de la personnalité même du traducteur’.44 Point n’est besoin d’être grand clerc en théorie de la traduction pour remarquer l’absurdité de la notion de traduction ici mise en œuvre. Le statut d’œuvre et le droit à la protection des traductions littéraires ne sont plus aujourd’hui contestés. La jurisprudence et la doctrine juridique présument que les traductions de ce type constituent fondamentalement une création intellectuelle du traducteur (cf. entre autres Rom 2007, 37). Pour autant, l’évaluation de la prestation du traducteur dans les décisions de justice ne laisse pas d’étonner le traducteur de métier. Dans un jugement du tribunal de grande instance de Berlin du 27 juillet 2006 relatif à la traduction de romans policiers français de Fred Vargas,45 on trouve ainsi :  







‘Il n’apparaît pas à la Chambre que le plaignant ait, comme il le prétend, réalisé une prestation de niveau supérieur. Il ne s’agit pas [i.e. la traduction en allemand de romans policiers français de Fred Vargas], en tout cas, de la traduction de textes ambitieux comme le sont par exemple les textes scientifiques ou la poésie’.46

Dans le même temps, le point de vue dominant chez les juristes est que toute traduction ne peut bénéficier de la protection du droit d’auteur. Concernant les traductions d’œuvres non littéraires, il convient selon eux d’établir au cas par cas pour chaque type de texte dans quelle mesure une protection est possible ; pour certains types ou genres la possibilité d’une protection est exclue catégoriquement (cf. Rom  

42 « Der Klägerin [sei] wohl die Übertragung des [fremdsprachigen] Stücks in die deutsche Sprache gelungen, […] sie [habe] aber keine eigentümlichen Veränderungen am Wortlaut und Gehalt des Werkes vorgenommen » (LG Wien, cit. d’après Noll 1994, 50). 43 « [D]ie sprachlich korrekte Übertragung des fremdsprachigen Textes einschließlich seines Gehalts, seines Sinnes, seiner Tendenz, seiner Stimmung und des darin geschilderten Milieus reiche nicht aus ; um urheberrechtlichen Schutz zu genießen, müsse die Übersetzung vielmehr darüber hinaus eine weitere höchstpersönliche, vom Übersetzer als Person abhängige Eigenart aufweisen » (ibid.). 44 Cf. note 43. 45 La traduction en allemand avait été réalisée par Tobias Scheffel, qui – et cela rend le jugement cité encore plus « étonnant » – a reçu pour ses traductions des romans policiers de Fred Vargas le « EugenHelmlé-Übersetzerpreis », un prix littéraire allemand honorant les prestations exceptionnelles en matière de traduction. 46 « Dass der Kläger eine weit überdurchschnittliche Leistung erbracht hätte, wie er behauptet, ist für die Kammer nicht ersichtlich. Es [scil. die Übersetzung französischer Kriminalromane von Fred Vargas ins Deutsche] handelt sich jedenfalls nicht um die Übersetzung besonders anspruchsvoller Texte, wie etwa wissenschaftliche Abhandlungen oder Lyrik », (LG Berlin, jugement du 27 juillet 2006, ZUM-RD 2007, 198).  



































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2007, 39ss.). Les critères avancés pour juger de la possibilité d’une protection témoignent de la difficulté qu’il y a à déterminer juridiquement le rapport entre une œuvre originale et sa traduction. Ces critères paraissent peu convaincants du point de vue traductologique, comme le montrent les quelques exemples suivants extraits de commentaires de lois et de manuels relatifs au droit d’auteur :  

‘Les traductions purement routinières de textes simples ne bénéficient pas de la protection du droit d’auteur’47 (Dreier/Schulze 52015, 156). ‘Ne bénéficient pas du statut d’œuvre de l’esprit les traductions purement routinières dans lesquelles la transposition dans l’autre langue est évidente, par ex. les menus de restaurants, les programmes de théâtre, les lettres commerciales simples ou les notices d’emploi ; il en va de même pour la traduction de textes par rapport auxquels le traducteur ne dispose pas d’une marge de manœuvre notable’48 (Schricker/Loewenheim 42010, 179).  

‘Les traductions sont en règle générale réputées être des créations intellectuelles, au motif que la transposition dans une nouvelle forme linguistique exige de la sensibilité et des aptitudes stylistiques qui manifestent l’esprit propre du traducteur, sauf lorsqu’il s’agit de textes élémentaires tels que les menus de restaurants, les programmes de théâtre, les lettres commerciales simples ou les notices d’emploi. Ce point de vue ne peut être accepté sous cette forme. Il est certes exact que l’on a affaire à une création intellectuelle lorsque la traduction exige de la sensibilité et des aptitudes stylistiques. Il est approprié, également, de délimiter le caractère original de la traduction par rapport au travail purement artisanal et non artistique. Mais il est excessif de poser l’originalité de la traduction en règle générale. […] C’est pourquoi il convient de partir du principe que la plupart des traductions n’atteignent justement pas le seuil d’originalité’49 (Möhring/Nicolini 22014, n° 15).  

« L’adaptateur d’une œuvre littéraire préexistante est protégé si l’ajout est original. […] Certes, plus que tout autre auteur, le traducteur a normalement une obligation de fidélité. Cela implique que sa personnalité ne puisse pas s’exprimer dans la composition de l’œuvre qu’il traduit. En revanche, sa fidélité n’est pas du tout incompatible avec la manifestation de sa personnalité dans  

47 « Rein routinemäßige Übersetzungen einfacher Texte genießen keinen Schutz » (Dreier/Schulze 2015, 156). 48 « Keine Werkqualität haben rein routinemäßige Übersetzungen, bei denen die Übersetzung auf der Hand liegt, etwa von Speisekarten, Theaterprogrammen, einfachen Geschäftsbriefen oder Gebrauchsanweisungen ; das Gleiche gilt für die Übersetzung solcher Texte, bei denen der Übersetzer für seine Gestaltung keinen nennenswerten Spielraum hat » (Schricker/Loewenheim 2010, 179). 49 « Übersetzungen sollen in aller Regel persönliche geistige Schöpfungen darstellen, weil die neue Sprachform Einfühlungsvermögen und stilistische Fähigkeit erfordere und damit den individuellen Geist des Übersetzers zum Ausdruck bringe, es sei denn, dass es sich um allereinfachste Texte handele, wie z. B. Speisekarten, Theaterprogramme, einfache Geschäftsbriefe oder Gebrauchsanweisungen. Dem wird so jedoch nicht gefolgt. Zwar ist richtig, dass dann eine persönliche geistige Schöpfung vorliegt, wenn die Übersetzung Einfühlungsvermögen und stilistische Fähigkeiten verlangt. Richtig ist ferner, wenn die Eigentümlichkeit auch hier von dem rein Handwerklichen abgegrenzt wird. Zu weitgehend ist es aber, wenn die Eigentümlichkeit bei Übersetzungen im Regelfall bejaht wird. […] Es ist deshalb eher davon auszugehen, dass die meisten Übersetzungen gerade nicht die erforderliche Werkhöhe haben » (Möhring/Nicolini 2014, n° 15).  

























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l’expression. En effet, la traduction implique des choix personnels de mots et de construction de la phrase. Cela est incontestable pour les traductions d’œuvres de fiction ou de poésies. En revanche, les traductions d’écrits techniques peuvent ne pas être originales, notamment si elles sont automatisées ou générées par des logiciels » (Caron 2006, 98s.).  

Ces citations montrent clairement que le monde juridique s’accroche à la distinction entre les traductions dignes d’être protégées et celles qui ne le sont pas. Cette distinction se fonde principalement sur l’opposition (discutable) entre « niveau élevé » et « niveau simple » : sont seules réputées être le résultat d’une création intellectuelle du traducteur et donc dignes de bénéficier d’une protection juridique les traductions qui exigent « de la sensibilité et des aptitudes stylistiques ». Cette condition n’est pas remplie pour la traduction des textes « simples », qui se résume aux yeux du monde juridique à une transposition « routinière » et « littérale ». Or le monde juridique range parmi les « textes simples » presque tous les « écrits à visée utilitaire »50 ou les « écrits techniques » en arguant que la simplicité de leurs formulations ne laisse au traducteur aucun espace de création que celui-ci comblerait de sa propre créativité. Le traducteur se verrait limité à devoir trancher entre le juste et le faux (cf. Rom 2007, 40ss.). Möhring/Nicolini (22014, n° 15) ont de cette catégorie de textes une conception étonnamment large :  







































‘C’est ainsi que des contrats ou des conditions générales de vente, même relativement longs, traduits par des personnes différentes ne se distingueront guère par leur teneur, dès lors que ces personnes maîtrisent le vocabulaire juridique nécessaire. Il en va de même pour les écrits scientifiques et techniques. Mais si ces traductions sont pour l’essentiel linguistiquement identiques, […] c’est qu’elles ne correspondent pas à une création intellectuelle qui porterait la marque personnelle des traducteurs respectifs’.51

Comme le fait à juste titre remarquer Cebulla (2007, 75), il est étonnant que ‘personne, du côté des juristes, n’ait, semble-t-il, essayé d’approfondir les notions de routine, d’artisanat ou de banalité appliquées à la traduction, et de s’interroger sur ce qu’est un texte simple ou de se demander s’il existe des textes faciles à traduire’. Dans la réalité, il y a sans doute peu de traducteurs ‘qui ont si souvent traduit des menus et des programmes de théâtre qu’on puisse parler dans leur cas de travail de routine’ (Cebulla 2007, 76).

50 En droit allemand, on parle de « Gebrauchszwecken dienende Schriftstücke » (Rom 2007, 40) ou de « Gebrauchstexte » (Cebulla 2007, 13). 51 « So werden sich beispielsweise auch längere Verträge oder Allgemeine Geschäftsbedingungen, die von verschiedenen Personen übersetzt werden, im Wortlaut kaum voneinander unterscheiden, vorausgesetzt, diese Personen verfügen über das notwendige juristische Vokabular. Ähnlich ist das bei wissenschaftlichen und technischen Beschreibungen. Sind die Übersetzungen in solchen Fällen aber im Wesentlichen gleichlautend, […] so liegt darin gerade keine geistige Schöpfung, welche die persönliche Handschrift des jeweiligen Übersetzers trägt » (Möhring/Nicolini 2014, n° 15).  

















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2.3 Les critères de protection des traductions dans les décisions de justice La question de savoir si une traduction donnée atteint ou non le seuil d’originalité requis pour bénéficier de la protection juridique ne peut, en cas de désaccord, être tranchée que par les tribunaux. Concernant les traductions de bandes dessinées, la Cour fédérale de justice de l’Allemagne a décidé dans son arrêt du 15 septembre 1999 de leur accorder la protection par le droit d’auteur, au motif que même la transposition d’histoires en images ‘dont la part langagière ne consiste le plus souvent qu’en dialogues simples’ exige de la part du traducteur qu’il en saisisse le contenu sémantique et en rende le phrasé tout en tenant compte des nuances et connotations véhiculées ; à quoi s’ajoute que l’espace limité des phylactères requiert une mise en forme linguistique et une intelligibilité particulières.52 En 1995, la Cour d’appel de Francfort/Main a exclu de la protection juridique la traduction des règles du golf au motif que le texte source n’était pas lui-même susceptible d’être protégé.53 L’absence de protection du texte source n’a cependant pas empêché le tribunal de Zweibrücken d’accorder la protection à une traduction d’épitaphes au motif que les traductions de ce type de textes supposaient des connaissances historico-culturelles particulières.54 La littérature relative au droit d’auteur part cependant du principe que la non protection juridique du texte source entraîne ipso facto celle de la traduction (cf. Rom 2007, 44s. ; Cebulla 2007, 63s.). S’agissant de traductions entre différents dialectes ou différentes époques, la théorie du droit opère une distinction entre la traduction créatrice susceptible d’être protégée et la simple révision d’un texte, exclue de toute protection (cf. Dreier/Schulze 52015, 156). Les révisions des traductions de la Bible sont aujourd’hui considérées, et par la jurisprudence et par la doctrine, comme traductions pouvant bénéficier d’une protection (cf. Rom 2007, 47). Un jugement de 2004 a accordé la protection juridique à la version révisée du Nouveau Testament de la Bible de Luther, au motif que la nouvelle version ‘était le résultat d’un processus créatif de comparaison et d’évaluation allant au-delà d’une simple rectification et d’un lissage linguistique’.55 Selon le tribunal, les révisions de la Bible ont pour objet de restituer les nuances, les allusions et les connotations de façon à les rendre compréhensibles pour le lecteur d’aujourd’hui.56  



52 Cf. BGH, arrêt du 15.9.1999 – Comic-Übersetzungen II, GRUR 2000, 144ss. 53 Cf. OLG Frankfurt a. M., arrêt du 7.2.1995 – Rules of Golf, NJWE-WettbR 1996, 99ss. 54 Cf. OLG Zweibrücken, arrêt du 21.2.1997 – Jüdische Friedhöfe, GRUR 1997, 363ss. 55 « Bei der konkreten Fassung [Revisionsfassung der Lutherbibel aus dem Jahr 1984] [handelt es sich um] das Ergebnis eines kreativen Abwägungsprozesses […], der über rein handwerkliche Berichtigungen und sprachliche Glättung hinausreicht » (LG Stuttgart, jugement du 29.1.2004 – Lutherbibel, GRUR 2004, n° 51). 56 Cf. LG Stuttgart, jugement du 29.1.2004 – Lutherbibel, GRUR 2004, 325ss.    



   







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Dans un procès relatif à l’obligation de versement d’une cotisation à l’assurance sociale des artistes concernant une traductrice qui avait réalisé des traductions de notices d’emploi et de brochures publicitaires, la Cour fédérale du contentieux social, dans un arrêt de 2006, a pris une position extrêmement restrictive sur la question de la protection juridique des traductions :57  

‘S’il s’agit, en revanche, de la traduction de textes qui ne relèvent pas de la ‹ littérature › au sens le plus large, mais sont néanmoins destinés à être publiés, comme par exemple les articles et reportages de presse, les brochures publicitaires, les notices d’emploi et les manuels d’utilisation d’appareils techniques, il importe de vérifier plus avant si l’on a affaire, en fonction de la nature des choses ou du cahier des charges imposé par le donneur d’ordre, à une traduction littérale ou mot-à-mot ou si le traducteur dispose d’une certaine latitude de mise en forme linguistique, ce qui, dans la pratique, constitue pour ce genre de textes sans doute plutôt une exception. […] Il s’agit alors de traductions purement techniques ou artisanales et non artistiques, dont on attend certes qu’elles soient justes du point de vue du contenu et irréprochables du point de vue de la langue, mais qui ne sont en fin de compte qu’une sorte de ‹ copie › du texte original’.58  







D’une façon générale, on peut constater que la jurisprudence sous-estime le plus souvent la dimension créatrice de la prestation du traducteur ; l’argumentation des juristes ignore jusqu’ici que toute traduction suppose nécessairement une interprétation.  

2.4 Traductions nouvelles, parallèles et adaptations d’une première traduction Notons d’abord que la publication de traductions nouvelles ne pose pas de problème si la durée de protection d’une première traduction par le droit d’auteur est écoulée. Si celle-ci a longtemps été très variable selon les pays,59 elle a été unifiée, en Europe, par

57 Cf. BSG, arrêt du 7.12.2006 ; pour plus de détails voir aussi Cebulla (2007, 152ss.). 58 « Handelt es sich hingegen um die Übersetzung von Texten, die nicht der ‹ Literatur › im weitesten Sinne zuzurechnen sind, aber dennoch veröffentlicht werden sollen, wozu z. B journalistische und redaktionelle Texte, Werbebroschüren, Bedienungsanleitungen und Handbücher für technische Geräte gehören, ist näher zu prüfen, ob es nach der Natur der Sache oder den konkreten Vorgaben des Auftraggebers um eine wörtliche bzw. wortgetreue Übersetzung geht oder ob dem Übersetzer ein Gestaltungsspielraum eingeräumt ist, was in der Praxis bei Texten dieser Art eher den Ausnahmefall darstellen dürfte. […] Es handelt sich dann um rein technische bzw. handwerkliche Übersetzungen, die zwar inhaltlich korrekt und sprachlich einwandfrei sein müssen, im Ergebnis aber gewissermaßen nur eine ‹ Kopie › des Originaltextes darstellen » (BSG, arrêt (non publié) du 7.12.2006, 8). 59 Par ex. en Allemagne depuis 1965 : 70 ans post mortem auctoris ; en France avant 1997 : 50 ans p.m.a. ; en Espagne jusqu’en 1987 : 80, puis 60 ans p.m.a. ; au Portugal, le droit d’auteur a été perpétuel avant d’être ramené à 50 ans p.m.a. en 1966. Cf. Dietz (1990, 163ss.).    





























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les directives européennes sur la durée de protection de 1993 et 200660 et fixée à 70 ans post mortem auctoris : la protection cesse donc 70 ans après la mort de l’auteur (ou du traducteur) et ses œuvres (ou traductions) tombent alors dans le domaine public (cf. Dreier/Schulze 52015, 1130ss. ; Lucas 22002, 81ss.). Même si la durée de protection de la première traduction n’est pas arrivée à échéance, un traducteur ne peut empêcher la publication d’une traduction parallèle que dans le cas où il a obtenu un droit de traduction exclusif (cf. Rom 2007, 56), ce qui n’arrive que rarement de nos jours.61 En l’absence d’exclusivité, les traductions nouvelles sont considérées, du point de vue juridique, non comme une adaptation de la première traduction mais comme une nouvelle œuvre dérivée de l’original, contre laquelle le premier traducteur ne peut rien (cf. Rom 2007, 56). En général, quand une maison d’édition a reçu de l’auteur original les droits de traduction de son œuvre, elle n’a guère intérêt à mettre sur le marché plusieurs traductions parallèles de cette œuvre. Il en existe pourtant des exemples, parmi lesquels celui qui a donné lieu, en Allemagne, entre 1999 et 2004, à un procès retentissant gagné en dernière instance par une traductrice contre son éditeur (affaire « Piper contre Krieger »).62 La traductrice Karin Krieger avait traduit pour la maison d’édition Piper cinq ouvrages de l’écrivain italien Alessandro Baricco et avait perçu pour ce travail une rémunération forfaitaire. Lorsque le roman qu’elle avait traduit sous le titre de Seide (‘soie’) se retrouva en bonne place dans les listes de best-seller, elle demanda à l’éditeur à être associée financièrement, pour une juste part, au succès du livre. L’éditeur lui versa un complément d’honoraire, mais l’informa quelques mois plus tard que certaines des œuvres de Baricco qu’elle avait traduites ainsi que celles qui le seraient à l’avenir paraîtraient désormais dans la traduction d’Erika Cristiani. Karin Krieger porta l’affaire en justice. L’Oberlandesgericht de Munich (cour d’appel du land de Bavière) posa certes sans ambiguïté dans son arrêt du 1er mars 200163 qu’il était possible de faire paraître simultanément plusieurs traductions d’une œuvre originale,64 la Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice), devant laquelle la traductrice se pourvut en cassation, fit cependant remarquer que l’éditeur ne pouvait purement et simplement retirer de la vente les traductions de madame Krieger mais qu’il était au contraire tenu de continuer d’en assurer l’exploitation.65  







60 Cf. directive 93/98/CEE du 29 octobre 1993, relative à l’harmonisation de la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins ; directive 2006/116/CE du 12 décembre 2006 relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins, modifiée par la directive 2011/77/UE du 27 septembre 2011. 61 Un tel droit de traduction exclusif avait été accordé, par ex., au traducteur français Alexandre Vialatte pour les œuvres de Kafka, au traducteur allemand Guido G. Meister pour La Peste de Camus et au traducteur allemand Heinrich (Enrique) Beck pour les œuvres de García Lorca. 62 Cf. OLG München, arrêt du 1.3.2001 – Seide, ZUM (2001, 427ss.). 63 Cf. ibid. 64 Cf. ibid. 65 Cf. BGH, arrêt du 17.6.2004 – Oceano Mare, I ZR 136/01.  











       

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Le besoin d’une nouvelle traduction peut aussi être motivé par les insuffisances, réelles ou prétendues, d’une première traduction, comme cela s’est produit dans le « cas García Lorca ». Il y a certes consensus dans le monde juridique sur le fait que même les « mauvaises » traductions bénéficient de la protection du droit d’auteur (cf. Rom 2007, 36 ; Cebulla 2007, 60), cela n’empêcha cependant pas un différend juridique d’éclater lorsque les traductions des œuvres de Lorca furent la cible de critiques de la part des spécialistes de littérature et dans les médias (cf. entre autres Oehrlein 1998, 43 ; Gauger 2009, 32). Les héritiers de l’écrivain espagnol avaient accordé en 1945 au traducteur Heinrich Beck un droit de traduction exclusif, que celui-ci défendit de son vivant comme après sa mort en 1974 à travers la fondation Beck chargée de défendre ses droits. Lorsqu’en 1998 l’éditeur Suhrkamp mit en chantier de nouvelles traductions66 en raison des insuffisances de celles de Beck, sa fondation introduisit une action en justice contre la maison d’édition. Le tribunal saisi ainsi que la Cour d’appel de Francfort/Main67 déboutèrent la fondation Beck de son action au motif principal que le contrat d’exclusivité concernant le droit de traduction n’était valable qu’entre les parties contractantes, à savoir les héritiers de García Lorca et Heinrich Beck, et que la fondation Beck n’était de ce fait pas en droit d’ester en justice. Ni le tribunal de première instance, ni la Cour d’appel ne se prononcèrent cependant sur la qualité des traductions de Beck. La question de savoir si – en cas d’existence d’un droit de traduction exclusif – une « mauvaise » traduction peut, malgré le droit d’exclusivité du traducteur, juridiquement légitimer une nouvelle traduction, n’a donc toujours pas été définitivement clarifiée. La situation juridique concernant les traductions nouvelles ou les exploitations d’une traduction première se présente, selon le point de vue dominant chez les juristes, aujourd’hui comme suit : Si un traducteur réalise une traduction nouvelle à partir d’une traduction première, si donc il s’appuie sur la « contribution créatrice » de la première traduction, on a affaire, juridiquement, non seulement à une nouvelle œuvre dérivée de l’œuvre originale, mais en même temps à une adaptation de la traduction première ; la publication et l’exploitation de la traduction nouvelle exigent alors et l’autorisation de l’auteur de l’original et celle du premier traducteur. Si en revanche le traducteur d’une traduction nouvelle se contente de s’inspirer de la traduction première tout en s’en démarquant, l’autorisation de l’auteur de l’œuvre originale suffit (cf. Rom 2007, 54s.). Cela vaut au demeurant pour toutes les autres formes d’adaptation d’une traduction (par ex. l’adaptation cinématographique). Il faut dans tous les cas vérifier si la  



























66 Les nouvelles traductions en allemand des œuvres de García Lorca ont été réalisées entre autres par Hans Magnus Enzensberger, Martin von Kloppenfels et Rudolf Wittkopf. 67 Cf. LG Frankfurt/Main, jugement du 26.3.1998/Az. 2-03 0 398/97 (non publié) et OLG Frankfurt/ Main, du 22.12.1998/Az. 11 U 22/98 (non publié).  















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traduction première n’est utilisée que comme une aide auxiliaire ou si des formulations entières lui ont été empruntées. La réponse à ces questions pose de redoutables problèmes, notamment en matière de preuves (cf. Rom 2007, 54).

3 Conclusion Le droit de traduction et le droit des traducteurs sont aujourd’hui partie intégrante des droits d’auteur européen et international. Il n’y a toutefois pas de consensus sur le périmètre et les critères d’application de la protection garantie par ces droits. Si la protection juridique des traductions de textes littéraires est universellement reconnue, le monde juridique se montre toujours très réservé à l’égard de la traduction des textes dits utilitaires. Le recours grandissant à la traduction assistée par ordinateur pourrait avoir pour effet de renforcer cette attitude dubitative ou d’introduire de nouveaux critères de jugement, si la traduction devait apparaître comme le résultat plus ou moins prédéterminé de règles linguistiques standardisées (cf. Rom 2007, 49ss. ; Cebulla 2007, 49ss.). Par-delà cette problématique, la littérature juridique et la pratique judiciaire montrent que les juristes ne tiennent que rarement compte des connaissances acquises en traductologie pour traiter des questions de droit d’auteur en matière de traduction. Cela les conduit à opérer avec des catégorisations plus que douteuses, par exemple lorsqu’ils distinguent entre traductions « simples » ou « routinières » par opposition aux traductions « difficiles » ou « originales ». Tout aussi insuffisants sont les arguments qui servent à motiver dans la littérature juridique le refus de faire bénéficier du droit d’auteur certaines traductions techniques ou spécialisées. L’idée, répandue dans les écrits juridiques, que ce type de traductions se résume à une « transposition littérale » pourrait être réfutée par le simple exemple des notices d’emploi. Qu’il s’agisse par ailleurs des conditions générales de vente ou de la documentation technique, la marge de manœuvre du traducteur dans la mise en forme linguistique de sa traduction n’est nullement aussi réduite que ne le supposent les juristes. Même si les litiges relatifs au droit d’auteur sont rares dans le domaine de la traduction non littéraire, on ne peut que constater avec Jörn Albrecht que le monde juridique ‘sous-estime gravement […] la complexité de la traduction, ainsi que le savoir et le talent qu’elle requiert y compris lorsqu’elle a pour objet des textes réputés ‹ faciles ›’ (Albrecht 2000, 514).  













Traduction René Métrich













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Thierry Grass

37 La traduction automatique et assistée par ordinateur dans les pays de langue romane Abstract : La traduction automatique a une longue histoire : développée durant la période de la Guerre froide, elle est passée par des hauts et des bas avant de connaître un regain d’intérêt au début des années 2000 grâce à l’approche statistique reposant sur de larges corpus parallèles de traductions humaines et de très grandes mémoires de traduction à l’origine de l’extension des services de traduction sur le web quelques années plus tard. Cette contribution, après un nécessaire historique de la traduction automatique destinée à comprendre les tenants et les aboutissants des deux principales approches (experte et empirique), se focalise sur les tendances actuelles des outils et techniques d’aide à la traduction : post-édition, cloud computing, mémoires de traduction ainsi que sur les développements de la recherche dans l’espace des langues romanes, axée en grande partie sur la constitution et l’exploitation de corpus parallèles. Raillée il y a encore peu de temps par ses détracteurs, la traduction automatique est désormais devenue un facteur incontournable de la traduction professionnelle.    





Keywords : traduction automatique, traduction assistée par ordinateur (TAO), histoire de la traduction, outils de traduction    

0 Introduction La traduction automatique (désormais TA), domaine privilégié de la linguistique computationnelle, est passée par des hauts et des bas mais connaît une véritable renaissance depuis une dizaine d’années conjointement au progrès technique, au phénomène de mondialisation et à la nécessité de traduire une quantité croissante de textes dans des combinaisons de langues toujours plus grandes. Parallèlement à la démocratisation de l’Internet, qui remonte à une vingtaine d’années, les outils de traduction (mémoires de traduction, bases de données lexicales, extracteurs de terminologie, aligneurs, etc.) et corrélativement la TA ont fait d’énormes progrès et se sont largement popularisés. Et pourtant, il y a encore vingt ans, les auspices n’étaient pas bons : malgré les sommes investies, la TA semblait être engagée sur une voie de garage et la TAO, Traduction Assistée par Ordinateur, connaissait des débuts assez poussifs, acceptée bon gré mal gré par la communauté des traducteurs professionnels, peu encline à se servir d’outils dont l’apprentissage demandait des connaissances techniques qui non seulement ne faisaient pas partie de la formation des traducteurs, mais de surcroît menaçaient l’existence même de leur métier. Désormais, tout  

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semble avoir évolué : les outils ont progressé et les traducteurs, bon gré mal gré, se sont adaptés, les formations en traduction ont assimilé les nécessités de se plier à un environnement de plus en plus technologique et incluent désormais des cours de traductique ou « Ensemble des techniques visant à automatiser la traduction ou des tâches connexes » selon la définition de Marie-Claude L’Homme (22008). Avec plus de 400 000 traducteurs dans le monde dont 150 000 environ en Europe, 99% des traductions sont encore effectuées par des humains (Waibel 2010),1 mais même si les chiffres évoluent vite, la machine, malgré les craintes des traducteurs professionnels, n’a pas encore supplanté l’être humain dans le processus de traduction et se borne à le seconder. À ce stade, la traduction n’est plus à considérer comme un artisanat, mais comme une véritable industrie de la langue dominée par de grandes sociétés comme Lionbridge aux États-Unis, Systran en France ou SDL au Royaume-Uni. Il est difficile dans le cadre qui nous est imparti de présenter une étude exhaustive de la TA, nous nous limiterons donc à présenter ses différentes évolutions pour aborder la problématique de son intégration dans le travail quotidien des traducteurs et aboutir à différents projets dans l’espace des langues romanes.  









1 Les différentes étapes de la traduction automatique S’il va de soi que nous n’allons pas retracer ici dans tous les détails l’histoire de la TA, il nous semble néanmoins pertinent de rappeler comment les méthodes ont évolué pour parvenir à un modèle dit hybride associant les deux approches historiques : l’une dite « experte », c’est-à-dire utilisant des règles linguistiques implémentées dans le programme et l’autre « empirique », c’est-à-dire utilisant de larges corpus de traductions humaines. Ces deux approches se déclinent elles-mêmes en différents modèles qui correspondent en même temps à l’évolution chronologique : traduction directe, transfert et langue pivot pour l’approche experte, modèles à base d’exemples, statistique ou hybride pour l’approche empirique.  











1.1 L’approche experte Comme l’Internet, la TA est au départ une technologie militaire apparue après la Seconde Guerre mondiale durant la période de Guerre froide et destinée à augmenter le potentiel du renseignement. C’est à un précurseur français d’origine géorgienne,

1 Chiffres communiqués lors d’une conférence donnée par Alex Waibel en 2010, présentation en ligne : http://i13pc106.ira.uka.de/fileadmin/cmu-uka-shared-files/jniehues/mt2010/2010-04-13.pdf.  



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Georges Artsrouni, que l’on doit entre 1932 et 1935 les premières « machines à traduire », des appareils permettant de consulter des sortes de lexiques automatiques avec des correspondances de mots en langue d’entrée et en langue(s) de sortie sur des bandes de carton souple perforé (Daumas 1965). Mais la TA à proprement parler s’inscrit dans les débuts de l’informatique en parallèle avec la cryptographie. L’un de ses précurseurs est le mathématicien britannique Alan Turing (1912–1954), inventeur de l’informatique, qui travaille sur le tout premier ordinateur et vient à bout du code Enigma, une machine à crypter utilisée par l’Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale. Quatre ans après la fin de la guerre, un autre mathématicien spécialiste de cryptographie pour la défense, l’Américain Warren Weaver, sera le premier à évoquer les possibilités offertes par les ordinateurs pour traduire les documents écrits en langue naturelle dans son célèbre mémorandum de 1949 : c’est à lui que l’on doit la première méthode dite de « traduction directe » caractérisée par une approche mot-àmot de la traduction reposant sur un dictionnaire bilingue d’équivalences lexicales et un nombre restreint de règles de réagencement. Les techniques employées par Weaver sont celles de la cryptographie et du calcul des probabilités.2 Le problème inhérent au système de traduction directe réside dans le fait que les mots d’une langue source ont rarement une et une seule équivalence dans une langue cible : l’article « the » en anglais pourra par exemple, selon le contexte environnant, se traduire par « le, la, les ou l’ » en français. Les erreurs produites par de tels systèmes se potentialisent en fonction du nombre de mots et de surcroît ne respectent pas les structures formelles de construction des phrases en langue d’arrivée, autrement dit leur syntaxe (l’expérience de Georgetown de TA du russe vers l’anglais présentée par IBM en 1954 ne comportait que 6 règles syntaxiques).3 Un peu plus tard, au début des années 1950, le linguiste israélien Yehoshua Bar-Hillel ainsi que d’autres de ses collègues du Massachussetts Institute of Technology, dont son célèbre successeur Noam Chomsky, poseront les fondements de la traduction à base de règles syntaxiques. Dans la dernière page de son rapport, Bar-Hillel prévoyait la possibilité d’une TA comportant « un vocabulaire restreint ou un nombre restreint de patrons de phrases ou peut être les deux à la fois » (Hutchins 2000, 3034). Mais la première époque de la TA se distingue par un monopole des modèles mathématiques laissant peu de place aux modèles linguistiques. Après les déceptions de la traduction directe, le célèbre rapport de l’ALPAC (Automatic Language Processing Advisory Committee) conclura en 1966 à l’impossibilité d’une traduction automatisée faute de recherches plus poussées en  























2 La société californienne Language Weaver, du nom de Warren Weaver et acquise en 2010 par SDL, propose un logiciel de traduction automatique fondée sur un système d’auto-apprentissage de la langue par l’analyse automatique de grandes quantités de texte. 3 Pour un aperçu de la traduction directe, voir le site consacré à InterTran : http://www.tranexp. com:2000/Translate/result.shtml. 4 Traduit de l’anglais par nos soins.  







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linguistique et notamment en syntaxe, il proposera un recentrage de la recherche sur l’aide à la traduction et notamment sur les dictionnaires électroniques (Léon 2002, 7). C’est le développement de modèles linguistiques nettement plus sophistiqués qui caractérise la deuxième époque de la TA. Cette période de « TA à base de règles » s’étend du milieu des années soixante à la fin des années quatre-vingt-dix. Des modèles de description linguistique incluant lexique, syntaxe, sémantique et même pragmatique sont à la base d’une des approches les plus prometteuses, le transfert. Le modèle par transfert comprend trois phases, une phase d’analyse de la langue source sous forme d’arbres étiquetés, une phase de modélisation des structures de la langue source vers la langue cible, le transfert proprement dit, et une phase de génération en langue cible. La technique du transfert pose elle aussi un certain nombre de problèmes : le principal handicap est que pour fonctionner correctement, cette technique demande, du fait des innombrables idiosyncrasies d’une langue donnée, l’implémentation d’un nombre considérable de règles et donc des moyens de recherche et développement particulièrement importants ; le deuxième problème est que le transfert ne fonctionne que par paires de langues et ne couvre de ce fait qu’un nombre assez réduit de langues, de facto seulement les plus importantes ; le troisième problème enfin est d’ordre structurel : même si les règles sont particulièrement sophistiquées et nombreuses, les résultats restent décevants et n’égalent pas la traduction humaine. Bref, la TA de haute qualité reste inaccessible à la technique du transfert car la tâche consistant à cerner l’ensemble des règles qui régissent une langue est presque infinie. La technique du transfert a donné lieu à de multiples applications commerciales, le logiciel le plus connu est « Systran Translator » qui jusqu’en 20095 utilise exclusivement cette technique. Pour pallier le problème des contraintes inhérentes au travail sur une seule paire de langues a été développée la technique dite de la langue pivot ou interlangue. Cette technique est née à peu près au même moment que la technique du transfert mais a été véritablement implémentée pour la première fois dans l’ex-URSS entre 1954 et 1960 pour pouvoir traduire du russe vers les différentes langues de l’Union Soviétique (Archaimbault/Léon 1997, 107). L’interlangue est une langue intermédiaire artificielle ou naturelle vers laquelle on traduit la langue source. Par cette technique, il est possible de réduire le travail linguistique et de traiter un plus grand nombre de langues conjointement. En revanche, là encore, les résultats atteints sont très loin d’une TA de haute qualité et le principal inconvénient de la langue pivot est d’introduire une langue supplémentaire entre langue de départ et langue d’arrivée, ce qui augmente encore le nombre d’erreurs et d’ambiguïtés potentielles. Relativement peu  

















5 D’autres systèmes basés sur le transfert ont fait l’objet d’une exploitation commerciale : Logos (développé par la société américaine Logos Corporation entre 1970 et 2000), METAL (développé conjointement l’Université du Texas et le groupe allemand Siemens entre 1980 et 1992), Reverso (développé par la société russe ProMT et commercialisé par la société française Softissimo entre 1997 et 2008), TAUM-Météo (développé entre 1968 et 1980 à l’Université de Montréal).  



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de systèmes basés sur l’interlangue ont dépassé le stade expérimental, relevons en Europe le projet Verbmobil6 (1993–2000) issu d’un consortium constitué du Ministère fédéral allemand de la recherche et de la technologie ainsi que des entreprises DaimlerChrysler, Siemens et Philips. Le système, intégrant la reconnaissance vocale et la synthèse de la parole pour la traduction allemand-anglais-japonais, constitue une des premières tentatives d’interprétation automatique. La déception par rapport aux divers systèmes de la deuxième époque quant aux résultats ressort notamment dans le rapport Danzin, rendu public en 1989 à l’initiative de la Communauté Européenne suite à l’ambitieux projet EUROTRA7 visant entre 1978 et 1992 au développement d’un système industriel de TA pour les institutions européennes. L’échec partiel de ce projet conduisit à se recentrer sur la traduction humaine, jugée définitivement plus fiable, et sur l’aide à la traduction (TAO) dont il sera question plus loin.

1.2 L’approche empirique C’est l’idée d’exploiter les traductions humaines présentes dans les mémoires de traduction, bases de données de segments traduits par des traducteurs humains, qui explique d’un point de vue chronologique la seconde approche, dite empirique, de la TA. Cette approche comporte trois modèles apparus plus ou moins les uns à la suite des autres : le modèle à base d’exemples, le modèle statistique et le modèle hybride. Tous ces modèles ont en commun l’utilisation de larges corpus parallèles (textes traduits par des humains et alignés segments par segments, en général phrase par phrase). Contrairement au transfert nécessitant un apport de connaissances apportées par des linguistes au moyen de grammaires formelles, l’idée fondamentale du modèle empirique est de puiser les connaissances dans les corpus de traductions humaines et de les analyser à l’aide d’algorithmes pour en déduire des règles. Il s’agit en quelque sorte d’une approche opposée au transfert : dans ce dernier, c’est le linguiste qui définit les règles et le « moteur de traduction » qui traduit, alors que dans l’approche empirique, c’est le système expert qui établit les règles et assemble des bouts de traductions humaines. Le premier modèle, dit modèle à base d’exemples ou « TA par analogie » a été développé à l’origine au Japon au début des années 1980 par Makoto Nagao (1984) pour faire face aux besoins de l’industrie nippone en matière de traduction de manuels techniques du japonais vers l’anglais. Le système va chercher au moyen de calculs de similarités un certain nombre d’exemples de traductions dans des textes déjà traduits pour en déduire des analogies et les réutiliser par la suite pour réaliser des traductions  











6 http://verbmobil.dfki.de/. 7 Site du projet EUROTRA : http://www-sk.let.uu.nl/stt/eurotra.html.    





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nouvelles, considérant qu’un certain nombre de phrases nouvelles à traduire ont des similarités formelles avec des phrases déjà traduites auparavant et répertoriées dans une base d’exemples bilingue. Avec ce modèle à base d’exemples, plus on élargit le corpus, plus le système devient performant, ce qui constitue un avantage pour les langues les mieux dotées en corpus parallèles bilingues comme l’anglais et dans une moindre mesure le français et l’espagnol. Par contre, le système sera peu performant face à des textes à traduire dont la thématique est éloignée des corpus de travail ou pour des langues peu dotées, c’est-à-dire ne disposant pas de corpus parallèles importants. Le second modèle, dit statistique, doit beaucoup au projet de TA « Candide » mené chez IBM de la fin des années 1980 au début des années 1990 et qui a permis que l’approche statistique, empruntée à la reconnaissance vocale, s’appuie sur un modèle mathématique probabiliste solide (Koehn 2010, 17, 81). Les travaux de référence (Brown et al. 1990 ; 1993) proposent des systèmes où les corpus bilingues parallèles sont alignés lexicalement, c’est-à-dire où les mots sources et cibles sont mis en correspondance à l’intérieur des couples de phrases bilingues parallèles dans des « tables de traduction » (Phrase Translation Table) où chaque paire d’équivalents de traduction se voit assigner une probabilité de traduction selon sa fréquence. Pour une phrase à traduire donnée, le système génère une possible traduction en combinant des données bilingues fournies par sa table de traduction et les données monolingues de la langue cible. L’ensemble des séquences cibles, calculées statistiquement à partir d’un corpus monolingue de la langue cible, forme un modèle de langue. La traduction proprement dite est réalisée par un décodeur algorithmique qui combine le modèle de traduction et le modèle de langue construits au préalable. Afin de diminuer les erreurs spécifiques à une traduction mot-à-mot proposée par les premières méthodes statistiques, se sont développés des systèmes à base de séquences plus longues que le mot (Koehn/Och/Marcu 2003). Des travaux plus récents encore utilisent des systèmes dits « factorisés » (Avramidis/Koehn 2008) intégrant dans le processus de traduction des informations d’ordre linguistique associées aux mots afin d’améliorer encore les résultats des méthodes purement statistiques. Par l’utilisation de ces techniques mixtes, les systèmes factorisés donnent des résultats comparables aux méthodes expertes, pour différentes paires de langues, et s’avèrent moins coûteux en temps et en ressources humaines. EuroMatrix8 (2006–2009) et EuroMatrix Plus9 constituent des exemples de projets ayant comme objectif le développement des systèmes factorisés pour les langues de l’Union Européenne. Comme pour le modèle à base d’exemples, la performance des systèmes statistiques s’accroît en fonction du volume des corpus parallèles utilisés. Notons que les systèmes de TA présents sur la toile, notamment ceux développés par Google, Microsoft et IBM utilisent l’approche statistique.  













8 http://www.euromatrix.net/. 9 http://www.euromatrixplus.net/.    



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Le troisième modèle, dit hybride, est censé combiner les avantages des approches experte et empirique. C’est l’entreprise Systran10 qui la première a mis sur le marché en 2009 un moteur hybride de traduction combinant des règles linguistiques et des techniques statistiques de calcul de probabilités (Schwenk et al. 2009) en obtenant du même coup la première place pour la traduction anglais-français lors de la campagne d’évaluation Workshop on Statistical Machine Translation de 2009. Le modèle hybride semble à l’heure actuelle le plus performant : il est utile de préciser que l’on juge de la qualité d’une TA dans la mesure où elle se rapproche le plus possible d’une traduction humaine, l’algorithme d’évaluation automatique le plus couramment utilisé pour tester les systèmes a pour acronyme « BLEU » pour Bilingual Evaluation Understudy (Papineni et al. 2002).  









2 Les nouvelles frontières de la traduction automatique Pour citer Philipp Koehn (2010, 14), l’un des pères fondateurs de la TA statistique : « L’histoire de la traduction est faite de grandes espérances et de déceptions. Nous semblons actuellement surfer de nouveau sur une vague d’allégresse, mais il est bon de garder à l’esprit les leçons du passé ».11 Il serait donc illusoire de penser qu’à brève échéance, il sera possible de se passer totalement de traducteurs humains (on trouve même le terme de « biotraducteur » !). La TA est amenée, comme en leur temps les mémoires de traduction, à modifier en profondeur le travail du traducteur dans son rapport avec son outil de travail et en particulier avec l’avènement de trois paramètres, la post-édition, le « cloud computing »12 et les très grandes mémoires de traduction.  















2.1 La post-édition Le terme de post-édition ou correction humaine de traductions automatiques a été créé en opposition à celui de révision ou correction humaine de traductions humaines. Même si les résultats obtenus pour la TA sont de plus en plus performants,13 cette technique n’est cependant pas infaillible et derrière une phrase grammaticalement

10 http://www.systran.fr/traduction/systran/entreprise/projets-de-recherche. 11 Traduit par nos soins. 12 La traduction peu élégante d’« informatique dans les nuages » nous conduit à préférer le terme en anglais. 13 En particulier dans les domaines, comme le domaine administratif, où il existe des corpus parallèles importants. Il faut aussi noter que la version « customisée » de Systran utilisée par la Commission européenne est plus performante que celle que l’on trouve en ligne.      











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correcte et bien formée peut se cacher un grossier contresens, l’ordinateur n’ayant pas de connaissance du monde. La post-édition est donc un corollaire nécessaire de cette technique et suppose notamment que l’on connaisse les erreurs les plus fréquentes commises par les systèmes de TA (Grass 2010). Pour Marie-Claude L’Homme (22008, 245), « l’utilisation d’un logiciel de traduction automatique impose au traducteur une modulation sensible de ses méthodes de travail [et parmi] tous les outils d’aide à la traduction, le logiciel de TA est celui qui impose le plus grand nombre de contraintes ». La post-édition occupe depuis relativement peu de temps l’avant-scène des pratiques traductionnelles. En milieu professionnel, en associant traduction, amélioration de la TA et vérification des mémoires de traduction, elle devrait s’imposer peu à peu comme la pratique principale (Robert 2010). Selon Brunette/O’Brien (2011, 23), à l’origine d’une étude menée au Québec par le groupe PostEd « Pour l’instant du moins, ce sont les traducteurs qui semblent les plus aptes à assurer des post-éditions de qualité ». La post-édition est donc plus qu’une tendance, c’est une nouvelle façon de traduire, plus aliénante pour les uns, plus productive pour les autres.  







2.2 Le « cloud computing »  



La traduction est passée en moins d’un demi-siècle de l’état d’artisanat à celui d’industrie et lorsque l’on parle d’industrie apparaissent conjointement des termes comme « productivité », « retour sur investissement » et « économies d’échelle » : la traduction n’échappe pas au processus de rationalisation et d’optimisation. L’esprit d’une gestion industrielle des procédures a conduit à un changement de perspective et de modèle économique de la part des sociétés qui développent les outils de traduction et les logiciels de TA : alors qu’au départ, jusqu’au début des années 2000, c’est le traducteur qui constituait le cœur de cible de ces sociétés, ce qui entraînait le développement d’outils centrés sur le traducteur, c’est désormais auprès de la société cliente de services de traduction que la promotion est faite. Le changement est radical dans la mesure où c’est désormais l’interopérabilité qui est privilégiée. En clair, depuis l’arrivée du cloud computing vers 2010 où les stockages d’informations se font désormais sur des serveurs distants de la machine utilisée, le traducteur est de plus en plus amené à exercer son activité sur une interface virtuelle en passant par Internet, sans toujours avoir accès à l’intégralité du texte qu’il a à traduire et encore moins à ses propres mémoires de traduction au profit de mémoires de traduction et de glossaires terminologiques « maison », c’est-à-dire appartenant au donneur d’ordre. Dans de tels systèmes de traduction en ligne, le traducteur est de plus en plus dépossédé de son propre travail créatif et intervient comme un simple maillon interchangeable dans une chaîne de production. Mais ce modèle n’a pas que des aspects négatifs et comme l’écrit Yves Gambier (2012) : « Ce nouveau modèle de distribution en ligne d’outils partagés qui ne sont donc plus la propriété d’un seul utilisateur ni installés (statiques) sur un ordinateur individuel, pousse le traducteur à  























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devenir membre d’une communauté internationale virtuelle et collaborative puisque les mises à jour, les nouvelles versions sont immédiatement disponibles et tous en bénéficient ».  

2.3 Les très grandes mémoires de traduction Dans la société de l’information, l’informatisation croissante conduit à une automatisation croissante, l’automatisation croissante ayant pour corollaire la réduction de la part de l’humain dans le processus de traduction lui-même, à tel point que la capacité à utiliser les outils de traduction est devenue pour certains recruteurs aussi importante que la capacité cognitive à traduire correctement. Avec les corpus parallèles ont été développées de très grandes mémoires de traduction (VLTM ou very large translation memories), des bases de données de plusieurs millions de phrases traduites par des humains. L’avantage de la mémoire de traduction en général réside dans ce qu’on appelle la « reconnaissance floue » (fuzzy matching) : si dans un contexte de traduction professionnelle il y a relativement peu de chances qu’une phrase nouvelle réapparaisse exactement telle quelle, en revanche les chances sont nettement plus élevées qu’une phrase apparaisse avec des modifications mineures par rapport à la phrase stockée dans la mémoire, avec d’autres noms propres par exemple ; l’algorithme de reconnaissance floue constitue l’architecture des mémoires de traduction, il est aussi à l’origine des systèmes statistiques de dernière génération en TA. Il est évident que plus la mémoire de traduction est grande et comporte de segments, plus la chance qu’une phrase nouvelle ait déjà été traduite auparavant augmente. Or, ces très grandes mémoires de traduction, en dehors de l’Acquis communautaire (Steinberger et al. 2012) et d’Europarl (Koehn 2005), corpus libres d’accès mais dont l’intérêt est limité parce que centrés sur les institutions européennes et le domaine administratif, ne sont pas à la portée du traducteur freelance mais gardées jalousement par des sociétés ou des grands cabinets de traduction qui bénéficient donc d’un avantage concurrentiel évident sur le marché de la traduction. La société Lionbridge propose par exemple un accès sur abonnement à son espace de traduction dénommé Translation Workspace en proposant des tarifs dégressifs en fonction du nombre de mots à traduire. Si l’on déduit les frais d’abonnement non négligeables à un logiciel-service14 des tarifs déjà très bas pratiqués par les traducteurs freelance, la marge bénéficiaire restante pour le traducteur humain est plus que réduite. Il est donc légitime de se poser la question de savoir si effectivement la TA ne conduit pas dans une certaine mesure à une paupérisation du traducteur professionnel.  











14 Concept anglo-saxon de « logiciel-service », traduction de SaaS (Software as a Service).  





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3 La traduction automatique dans l’espace des langues romanes Après l’anglais, ce sont les langues romanes qui sont les plus implémentées dans les logiciels de TA, c’est naturellement une conséquence des besoins de traduction allant de pair avec la construction européenne. Nous ferons ici un inventaire rapide de certains travaux d’envergure menés dans l’espace des langues romanes. Au préalable, il convient de relever qu’il est désormais possible pour de « petits » laboratoires de mener des travaux sur la TA, ce qui était impossible il y a encore 15 ans. D’une part l’enjeu réside dans la constitution de larges mémoires de traductions à partir de corpus parallèles. L’alignement de corpus et la constitution de mémoires de traduction au format TMX ne demande pas de connaissances très poussées en informatique et les outils disponibles sur le web sont nombreux. D’autre part, la réalisation de systèmes de TA statistique est désormais possible pour de nouvelles langues et avec un investissement humain réduit grâce au moteur de traduction open source Moses (Koehn et al. 2007).  





3.1 Le français La TA a constitué un enjeu important dans les pays francophones et en particulier pour la France où des travaux importants ont été réalisés sur la base de la technique du transfert. Des recherches en TA, puis en traduction assistée par ordinateur, ont été menées à Grenoble sous la direction du mathématicien Bernard Vauquois dès 1961 au CETA (Centre d’Études pour la Traduction Automatique) devenu GETA15 (Groupe d’Études pour la Traduction Automatique) en 1971, puis GETALP (Groupe d’Étude en Traduction Automatique/Traitement Automatisé des Langues et de la Parole) en 2007. Le CETA construisit le premier système de « deuxième génération » au monde, fondé sur un langage pivot hybride (une interlangue), et l’expérimenta sur de très importants volumes de textes. Le GETA participa à des transferts de technologie vers l’industrie tout en réalisant un système pré-opérationnel du russe vers le français destiné à un usage de renseignement militaire. Désormais rebaptisé GETALP,16 le laboratoire développe entre autres un système collaboratif de post-édition et d’évaluation de traductions automatiques tout en mettant l’accent sur les langues peu dotées. Actuellement, c’est surtout le LIMSI17 (Laboratoire d’Informatique pour la Mécanique et les Sciences  

15 Site du GETA : http://www-clips.imag.fr/geta/. 16 http://getalp.imag.fr/xwiki/bin/view/Main/. 17 http://www.limsi.fr/.      





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de l’Ingénieur), sous la direction de François Yvon, qui donne le la en matière de traitement automatique en France. En Suisse, le Laboratoire d’Analyse et de Technologie du Langage (LATL) de l’Université de Genève ainsi que l’Institut für Computerlinguistik de l’Université de Zürich mènent des recherches sur la TA à partir de l’alignement de corpus. On relèvera notamment le travail d’alignement bilingue allemand-français du corpus du Club alpin Suisse « Text+Berg digital »18 sous la direction de Martin Volk. Le Canada s’est intéressé très tôt à la question de la traduction et a créé un Bureau de la traduction qui dessert le gouvernement fédéral dès 1934 et est connu pour sa remarquable base de données terminologique Termium.19 Au Québec, le projet TAUMMétéo (Traduction Automatique de l’Université de Montréal), finalisé en 1981, a provoqué un regain d’intérêt pour la technique du transfert. Il s’agissait de traduire dans la paire de langues français-anglais les dépêches météo destinées au Canada ; les résultats probants ont permis de montrer que dans un secteur très spécialisé, la TA avait toute sa place. Les bons résultats de TAUM-Météo ont contribué à débloquer des crédits pour lancer le programme EUROTRA.  





3.2 Les langues romanes de la péninsule ibérique Comme dans la plupart des pays, la TA a été le principal catalyseur de la naissance de la linguistique informatique en Espagne où la TA apparut relativement tard, plus précisément en 1985 suite à l’entrée du pays dans la Communauté européenne et dans la trace du projet EUROTRA.20 Ce sont trois sociétés privées, IBM, Siemens et Fujitsu qui ont financé la création de plusieurs groupes de recherche dont IBM pour le Centre sur l’intelligence artificielle de l’Université Autonome de Madrid et Siemens pour le Groupe de traitement de la parole de l’Université Autonome de Barcelone. Notons que c’est cette firme allemande qui racheta le système METAL développé aux États-Unis. Fujitsu a quant à elle financé le développement de modules pour l’espagnol à partir du système japonais de traduction Atlas. Depuis 1994, l’entreprise AutomaticTrans21 a développé une plateforme payante de TA entre langues romanes. Le système de TA espagnol-catalan interNOSTRUM22 a été développé à partir de 1999 à la fois par le Département de langues et de systèmes informatiques de l’Université

18 http://www.textberg.ch/. 19 http://www.btb.termiumplus.gc.ca/. 20 En 1984 est créée en Espagne la SEPLN (Sociedad Española para el Procesamiento del Lenguaje Natural) avec pour objectif de promouvoir l’enseignement et la recherche en traitement automatique des langues. 21 http://www.automatictrans.es/. 22 http://internostrum.com/index.php.      

   

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polytechnique de Catalogne au sein du GRPLN (Grup de Recerca en Processament del Llenguatge Natural) et par l’Université d’Alicante. Ce système, basé sur la technologie du transfert et des transducteurs à états finis, est consultable en ligne mais a cessé d’être disponible à partir de mai 2014 où il a été remplacé par Apertium,23 un système de TA open source développé en collaboration avec un consortium d’entreprises et d’universités espagnoles qui, en plus de l’espagnol et du catalan, propose de la TA vers et depuis le portugais, le galicien, l’occitan, l’aranais, le français et, bien sûr, l’anglais. Le développement du traitement automatique des langues a eu selon Joseba Abaitua (1999, 228) « pour conséquence, entre autres facteurs, la prolifération des écoles de traduction en Espagne ; l’intérêt pour les technologies de traduction occupe désormais une place prépondérante dans l’université espagnole ».24  





3.3 L’italien Le Laboratoire de linguistique computationnelle de l’université de Pise, créé en 2006, est spécialisé en traitement automatique des langues et réalise des travaux sur l’analyse statistique, la création de ressources lexicales et la réalisation de corpus annotés. La TA n’a pas fait en Italie l’objet de travaux de grande envergure comme en France ou en Espagne et c’est une entreprise privée, SyNTHEMA,25 née en 1994 à l’initiative d’un groupe de spécialistes du traitement automatique des langues issu du Centre de recherche IBM, qui assure les travaux les plus marquants dans ce domaine, mais dans la confidentialité inhérente à la sphère privée.

3.4 Le roumain Enfin, la paire de langues roumain-français fait actuellement l’objet d’une expérimentation à l’aide du décodeur Moses (Navlea 2014). D’autres systèmes statistiques récents intégrant le roumain en combinaison avec l’anglais sont proposés par Tufiș/ Dumitrescu (2012), Dumitrescu et al. (2013).  

4 Pour conclure Signalons pour finir, last but not least, le réseau META-Net26 au niveau européen. META, acronyme de Multilingual Europe Technology Alliance, est un projet fondé par 23 24 25 26

       

http://www.apertium.org/. Traduit par nos soins. http://www.synthema.it/. http://www.meta-net.eu/.

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des universités et instituts de recherche européens, soutenu par la Commission européenne et dont le siège est à Berlin. Le dessein poursuivi par ce projet est de réunir des chercheurs, des prestataires de services, des utilisateurs et des entreprises privées ainsi que des professionnels des langues dans le but de poursuivre « un ambitieux effort international visant à faire de la technologie langagière un moyen permettant de réaliser la vision d’une Europe unie dans un marché numérique et un espace de l’information uniques ». Espérons que cet appel ne restera pas lettre morte et conduira à davantage d’harmonisation des travaux et, qui sait, à la création d’une très grande mémoire de traduction multilingue multidomaines en accès libre.  



5 Références bibliographiques Abaitua, Joseba (1999), Quince años de traducción automática en España, Perspectives : Studies in Translatology 7:2 : Hispanic Translation Studies, 221–230, http://paginaspersonales.deusto.es/ abaitua/konzeptu/ta/ta15.htm. Archaimbault, Sylvie/Léon, Jacqueline (1997), La langue intermédiaire dans la traduction automatique en URSS (1954–1960), Histoire Épistémologie Langage 19/2, 105–132, http://www.persee.fr/ web/revues/home/prescript/article/hel_0750-8069_1997_num_19_2_2679. Avramidis, Eleftherios/Koehn, Philipp (2008), Enriching Morphologically Poor Languages for Statistical Machine Translation, in : Proceedings of the Association for Computational Linguistics on Human Language Technology, Columbus, Ohio, Association for Computational Linguistics, 763–770. Brown, Peter F., et al. (1990), A statistical approach to machine translation, Computational Linguistics 16, 76–85. Brown, Peter F., et al. (1993), The mathematics of statistical machine translation, Computational Linguistics 19:2, 263–313. Brunette, Louise/O’Brien, Sharon (2011), Quelle ergonomie pour la pratique postéditrice des textes traduits ?, ILCEA 14, http://ilcea.revues.org/index1081.html. Daumas, Maurice (1965), Les machines à traduire de Georges Artsrouni, Revue d’histoire des sciences et de leurs applications 18:3, 283–302. Dumitrescu, Ștefan Daniel, et al. (2013), Experiments on Language and Translation Models Adaptation for Statistical Machine Translation, in : Dan Tufiș/Vasile Rus/Corina Forăscu (edd.), Towards Multilingual Europe 2020 : A Romanian Perspective, Bucureşti, Editura Academiei, 205–224. Gambier, Yves (2012), Traduction : des métiers différents, un processus commun, http://www.utu.fi/ fi/yksikot/hum/yksikot/ranska/opiskelu/opiskelijaksi/documents/gambier2012.pdf. Grass, Thierry (2010), À quoi sert encore la traduction automatique ?, Les Cahiers du GEPE 2, http:// www.cahiersdugepe.fr/index1367.php. Hutchins, John (2000), Yehoshua Bar-Hillel – A Philosopher’s Contribution to Machine Translation, in : John Hutchins (ed.), Early years in machine translation, Amsterdam/Philadelphia, Benjamins, 299–312. Koehn, Philipp (2005), EuroParl : A Parallel Corpus for Statistical Machine Translation, in : Conference Proceedings : the tenth Machine Translation Summit, AAMT, Phuket, MTsummit vol. 5, 79–86. Koehn, Philipp (2010), Statistical Machine Translation, Cambridge, Cambridge University Press. Koehn, Philipp/Och, Franz Josef/Marcu, Daniel (2003), Statistical Phrase-Based Translation, in : Proceedings of the 2003 Conference of the North American Chapter of the Association for Compu 





























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Index des noms Pour un ouvrage qui se veut de référence, il nous a paru d’autant plus fondé d’opérer une sélection rigoureuse, voire draconienne des noms destinés à figurer dans l’index nominum que les contributions qu’il rassemble visent, elles, chacune dans son domaine, à brosser le tableau le plus large possible des problématiques traitées, objectif qui exige et implique une grande abondance de renvois à un large éventail d’auteurs. Cet impératif de rigueur nous a conduits à adopter les cinq critères de sélection suivants. Le premier a été d’écarter a priori les contributeurs à l’ouvrage ; non pas qu’ils ne fussent pas qualifiés pour y figurer, mais il s’agissait d’éviter un entre soi qui n’eût pas été conforme à la déontologie de ce type d’entreprise. De même ont été écartés – second critère – les auteurs qui n’ont été cités qu’une seule fois ou dans des contextes particuliers, sauf lorsqu’ils bénéficiaient d’une certaine notoriété. Il en va pareillement du troisième critère, qui concerne plus particulièrement les écrivains et hommes de lettres principalement connus en traduction, lesquels n’ont été retenus que dans la mesure où ils relèvent de ce que les Allemands appellent la Weltliteratur, concept que l’on ne peut rendre qu’imparfaitement par littérature universelle. Les deux derniers critères sont plus positifs : l’un a été de privilégier ce que l’on pourrait appeler les « valeurs sûres », c’est-à-dire les auteurs, y compris relativement anciens, dont les noms et les travaux ont résisté à l’épreuve du temps et constituent aujourd’hui encore et peut-être à tout jamais une pièce importante sinon majeure de l’édifice traductologique en construction. L’autre a été d’accorder une semblable préférence aux auteurs de pays de langue romane. Dès lors que par la nature même du projet les langues romanes étaient à l’honneur, il n’eût pas été compréhensible que leurs meilleurs représentants ne le fussent point aussi.

Abercrombie, David 192 Adam, Jean-Michel 453, 551–553 Alemán, Mateo 676, 678 n. 25 Alonso de Madrigal (El Tostado) 17 Amyot, Jacques 33, 77, 645–646 Anscombre, Jean-Claude 296, 414–416, 418–419, 421 Apel, Friedmar 510 Arcaini, Enrico 53–54, 71, 144–145, 259–260, 263–265, 268, 270 Aristote 19, 31, 377, 535 Austin, John L. 397–398 Authier-Revuz, Jacqueline 416–417, 427 Baker, Mona 106 n. 10, 113–114, 673 Bakhtin, Mikhaïl 414, 416–417 Ballard, Michel 32–33, 49–50, 55 n. 8, 62, 103, 591 Bally, Charles 56, 71, 100, 246, 279, 295, 317, 351, 414, 416, 462, 492 Barthes, Roland 550–551 Beaugrande, Robert-Alain de 460 Bellay, Joachim du 28, 32–33, 645 Benveniste, Émile 63–64, 103 n. 8, 131, 414, 416

Berger, Samuel 644 Berkeley, George 379, 383 Berman, Antoine 37, 62–63, 109, 487, 618–619 Berrendonner, Alain 257 Bloomfield, Leonard 112, 168, 463 Blumenthal, Peter 134, 136, 144, 217, 222, 251, 355 n. 15, 357, 363, 366 Boccace (Boccaccio, Giovanni) 538, 540–542, 676 Boèce (Boetius) 15, 524 Bogaert, Pierre-Maurice 643 Bourdieu, Pierre 675 Bréal, Michel 279, 617, 623 Bremond, Claude 551, 562 Brunet Latin (Brunetto Latini) 533–536, 540, 543–544, 643 Bruni, Leonardo (Aretino) 11, 18–20, 29–31 Brunot, Ferdinand 463, 661, 663 Bühler, Karl 132, 306, 452, 503–505, 507–508, 623 Burger, Harald 296 Buridant, Claude 16, 144–145, 662

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Index des noms

Caillé, Pierre-François 679 n. 29, 720–724, 726 Caron, Christophe 730 n. 3, 739–740, 743 Cary, Edmond 2, 644–645, 720–721, 724 Catford, John C. 323, 511 Cervantès (Cervantes y Saavedra, Miguel de) 542, 659, 667, 676 Cesarotti, Melchiorre 676 Chateaubriand, René de 38, 44, 75, 649 Chevrel, Yves 11, 672, 678 n. 24, 679 n. 29 Cicéron 15, 35–36, 47, 99, 533, 535, 641–643, 645 Combettes, Bernard 460, 493 Conte, Maria-Elisabeth 460 Coseriu, Eugenio 78, 145, 149, 170, 215, 385, 442, 447, 460, 503–508, 537, 574–575, 619 Cousin, Victor 682–683 Croce, Benedetto 28, 40–41, 71–73, 619 Daneš, František 494 Dante Alighieri 15, 17, 29, 38, 72, 644, 659, 662, 676, 678 Darbelnet, Jean 3 n. 5, 50, 56, 70, 100–103, 110, 130, 223, 350 n. 4, 352, 496, 500 Dardano, Maurizio 276–281 Darmesteter, Arsène 278, 280 Derrida, Jacques 64–66 Dobrovol’skij, Dimitrij 297, 300, 304, 309 Doherty, Monika 2, 4 n. 7, 316 Dolet, Étienne 22, 28, 31–32, 55, 63, 644–646 Dressler, Wolfgang U. 496 Du Bellay voir Bellay, Joachim du Ducrot, Oswald 350 n. 4, 398–400, 506–407, 414–416, 418–422 Durieux, Christine 296, 299–300, 302 Eco, Umberto 53, 71, 73–74, 620–621, 623, 631, 634 Enzinas, Francisco de 677 Épicure 661 Erben, Johannes 278 Étienne, Robert 179 Ettinger, Stefan 138, 142, 145, 148–149, 303– 304, 337–338 Fichte, Johann Gottlieb 665–666, 669 Fillmore, Charles 377, 381, 383 Flydal, Leiv 574–575 Fodor, István 175–176, 723 n. 19, 724 Folena, Gianfranco 13, 16, 18–19, 24, 659–661

Foscolo, Ugo 676 Frege, Gottlob 316 n. 1 Gadamer, Hans-Georg 510 n. 9 Gambier, Yves 85, 407, 590, 758–759 García Yebra, Valentín 36, 52, 67–68, 70, 215– 216, 641 Gauger, Hans-Martin 135, 138, 143, 252, 276, 280, 336, 338 n. 19, 463 Genette, Gérard 551 n. 2, 552–553, 555, 557, 559–560, 562, 568 Gerzymisch-Arbogast, Heidrun 491, 493, 498– 499 Gile, Daniel 51, 86, 92, 94–96 Gmelin, Hermann 645 Goethe, Johann Wolfgang 63, 325, 676, 678, 681, 684 n. 49 Grice, Herbert Paul 397, 516–517 Guidère, Mathieu 63, 591–592, 597 Guillemin-Flescher, Jacqueline 49–50, 103–107, 431 Gülich, Elisabeth 367, 453, 468, 493, 551, 559 n. 12 Guthmüller, Bodo 643, 662 Halliday, Michael A. K. 133 Hamburger, Käte 108, 569 Harweg, Roland 463, 467 Hegel, Georg Wilhelm Friedrich 58 n. 9, 375, 683 Heidegger, Martin 66, 76, 524, 678, 683 Helbig, Gerhard 349, 351, 353, 361 Hervás y Panduro, Lorenzo 78 Hjelmslev, Louis 320, 514–515 Hoffmann, Ernst Theodor Amadeus 101, 555, 681–682 Holmes, James S. 84 n. 1, 99–100 Horace 32, 35–36, 63, 67, 99, 641 House, Juliane 109 n. 12, 407, 513–515, 517, 521, 633, 719 Huet, Pierre-Daniel 28, 35–37, 646 Hugo, François-Victor 38, 44 Hurtado Albir, Amparo 52, 67, 69–70, 591 Isačenko, Alexander V. 462 Isidore de Séville 14 Jakobson, Roman 2, 101 n. 5, 131, 168–170, 217–218, 349, 367, 390, 617

Index des noms

Jean d’Antioche 533–537, 543 Juan de Mena 20 Kade, Otto 85 Kant, Immanuel 60, 678, 683, 733 Kelly, Louis G. 642 Kleiber, Georges 132, 380, 467, 505, 507–508 Koch, Peter 136–137, 140, 144–147, 404, 532, 575, 584, 716, 722 Koller, Werner 170, 178–179, 291, 321–323, 335, 342, 453, 512–513, 521 Krauss, Werner 538, 542 Kühn, Peter 297, 305 Ladmiral, Jean-René 25, 47, 51, 55, 57, 60–62, 388, 591, 641, 651 Lambert, José 716 Laurent de Premierfait 538–541 Leconte de Lisle, Charles Marie 44 Leopardi, Giacomo 28, 38–40, 649 Levý, Jiří 518, 720 Locke, John 379, 382–383, 391 Lüdtke, Jens 135, 139, 150, 276, 284 Lusignan, Serge 16 Luther, Martin 31, 47, 645, 744 Maingueneau, Dominique 465, 553, 561–562, 564–565, 566 n. 21, 568 Malblanc, Alfred 3 n. 5, 50, 56–57, 70, 100–101, 251 Malinowski, Bronislaw 511 Man, Paul de 66–67 Marchand, Hans 138, 279 Marie de France 643 Marot, Clément 32–33 Martinet, André 57, 281 Masson, Jean-Yves 11, 672, 678 n. 24, 679 n. 29 Ménage, Gilles 33 Mercier, Désiré 379 Meschonnic, Henri 44, 47, 56, 63–64, 73, 77, 651 Meyer-Lübke, Wilhelm 276 Migliorini, Bruno 662 Milton, John 38, 75, 649 Motsch, Wolfgang 291 Mounin, Georges (, Louis) 47–49, 57–58, 60, 73, 77, 168–169, 175, 180, 591, 619–620, 645, 734

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Necker, Germaine (=Mme de Staël) 28, 37–39, 648–649 Neubert, Albrecht 439, 449 Nida, Eugene A. 47, 57–58, 100 n. 2, 304, 387, 519–520, 618 Nies, Fritz 538 Nietzsche, Friedrich 60, 672 Noll, Alfred 741 n. 42 Nord, Christiane 168–169, 496–497, 633 Oesterreicher, Wulf 137, 140, 146, 237, 239 n. 29, 244–245, 404, 543, 575, 577 n. 8, 584, 716, 722 Ortega y Gasset, José 28, 41–42, 618 Passy, Paul 192 Paul, Hermann 379, 392 Peirce, Charles Sa(u)nders 375 n. 1 Peletier du Mans, Jacques 660 Pergnier, Maurice 47–48, 58–59, 76 Perrot d’Ablancourt, Nicolas 28, 33–35, 646 Pétrarque (Petrarca, Francesco) 676 Pike, Kenneth L. 192 Platon 20, 30–31, 43, 66, 377, 646 Plutarque 33, 77 Pöchhaker, Franz 84–86, 88, 93–95 Propp, Vladimir 551 Putnam, Hilary 382, 386–387, 391 Quemada, Bernard 595, 601 Quine, Willard Van Orman 64 Quintilien 32, 660 Reiss, Katharina 109, 169, 388, 401, 448–450, 452, 511, 620 Renzi, Lorenzo 146, 213, 465 Rey, Alain 604 Rey-Debove, Josette 416 Ricœur, Paul 64–65, 76 Rivarol, Antoine de 678 Rohrer, Christian 280, 282, 286 n. 12 Rondeau, Guy 602, 604 Rossi, Mario 187, 192 Russell, Bertrand 399 Rutebeuf 527, 530–531, 643 Saint Jérôme 15, 35–36, 41, 47, 67, 99, 641–642 Sandmann, Antônio José 276–278, 283, 285– 286, 288–289

768

Index des noms

Santoyo, Julio César 17, 20–21, 67, 69 Sapir, Edward 618 Saussure, Ferdinand de 173, 316–317, 379, 425–426 Schiller, Friedrich 325, 678, 681–682 Schleiermacher, Friedrich 3, 39, 41, 47, 63–64, 77, 99, 389, 499, 510, 515 Schlieben-Lange, Brigitte 526 Searle, John R. 66, 397–398 Segre, Cesare 71, 541–542 Shakespeare, William 38, 676–677, 681 Snell-Hornby, Mary 121, 620 Sperber, Dan 507, 516–517, 519 Speroni, Sperone 32 Stackelberg, Jürgen von 647–649 Stanzel, Franz 551, 552 n. 3 Stegmüller, Wolfgang 377 Tacite 34 Terracini, Benvenuto 54, 72 Tesnière, Lucien 146, 193 Todorov, Tzvetan 551 Toulmin, Stephen 427 Toury, Gideon 113 Trier, Jost 320 Truffaut, Louis 3 n. 5, 50, 591

Valdés, Juan de 677 Venuti, Lawrence 513 n. 11, 518 n. 17, 674 n. 9 Vermeer, Hans J. 448, 450, 452, 511, 620, 622 Vinay, Jean-Paul 3 n. 5, 50, 56, 70, 99, 101–103, 110, 130, 223 Vives, Juan Luis 28, 30–31, 677 Voltaire (François-Marie Arouet, dit) 75, 678 Voss, Johann Hinrich 38 Wandruszka, Mario 2, 68, 130, 134–135, 147, 148, 264, 283, 290, 318–319, 323, 336, 341, 498 Weinreich, Uriel 57 Weinrich, Harald 214 n. 1, 465, 498 Weydt, Harald 136, 350–353, 362–363, 365 n. 33, 367–368 Whorf, Benjamin Lee 618 Wierzbicka, Anna 352 Wilson, Deirdre 507, 516–517, 519 Wilss, Wolfram 623 Wittgenstein, Ludwig 41, 378, 382 Wotjak, Gerd 139, 337, 341, 621–622 Wunderli, Peter 281 Wüster, Eugen 589–592, 596–597, 600 Zemb, Jean-Marie 4, 137, 356 n. 19, 358 n. 23 Zuber, Roger 36, 646

Index des sujets abrègement 275, 282–283, 289–290, 407, 565, 720 Abtönungspartikel 349, 353 n. 13, 357 n. 20 accent 53, 145, 176–178, 186–192, 194–202, 212, 214, 218, 224–227, 241, 339, 344, 353, 416, 448, 492, 495–497, 530, 554, 679, 722–725 acceptabilité 56, 70, 74, 124, 284, 307, 365, 423, 449, 451, 465, 586, 620, 631, 633–634, 717 acclimatation 37, 39, 44 acronymie 88, 283, 290, 324, 326, 609, 757, 762 acte(s) de langage 141, 298, 305, 359, 361, 397–409, 415, 421, 427–428 – acte illocutoire 359, 361, 398, 399, 400, 402, 408–409, 421, 427, 480, 483, 485, 515 – acte perlocutoire 398, 483 action centrale 626 adaptation 14, 25, 32, 34, 43, 56–57, 59, 61, 68, 101–102, 109, 111, 307, 322, 406–407, 420, 446, 456–457, 486–487, 510–511, 524, 527, 544, 559–560, 564, 620, 623, 633, 641, 643–645, 647–649, 651–652, 682, 718, 720–725, 737, 742, 745–747 adéquation 417, 439, 448–449, 485, 518, 620 aemulatio 14, 43, 641–653 affixoïde 288, 290 air de famille 41, 378, 380 allitération 168, 170–171, 175, 311 allocutaire 307, 403 ambiguïté et graphie 184 analyse componentielle 131 analyse contrastive 129–134, 136, 143–144, 147, 247, 276, 391, 426, 450, 468 anaphore (anaphorique) 107–108, 133, 136, 213, 226, 360, 384, 432 n. 15, 461, 463–468, 497, 529, 558, 598 anglomanie 678 aoristique 107–108 approche cognitive-communicationnelle 300, 388 n. 2, 440, 504 n. 1 approche descriptive 99, 113, 130, 592 approche évaluative 99, 109, 111 approche experte 752–755, 757 approche phrastique 123, 439 approche séquentielle 444, 453

approche traductologique 114, 714, 718 architecture (de langue) 577, 585, 722 argot 573 n. 1, 584–585, 718 argumentation et traduction 414, 420–427 ars bene dicendi 13, 75 ars recte loquendi 13, 74 article 3, 135, 139, 142, 179, 210–215, 461, 465–466, 469, 498, 554, 557–558, 581–582, 753 ascensus 659 aspect verbal 208, 217–220 aspectualité 215–221 assertion 105, 140, 296, 400, 403–404, 418, 429, 485, 554, 625 assonances 168, 171 atténuation argumentative 406, 421–423 augmentatifs (suffixes) 5, 135, 138, 142, 145, 148, 277 autonymie 414, 416–418, 427 auto-référenciation 474 auxiliaire 145, 222, 234 n. 14, 238, 241–242, 251, 259, 270 Bachelor 691–692, 698–699, 703 belles infidèles 28, 33–37, 75, 78, 322, 642, 645–646, 648–649, 651, 653, 678, 683 bilinguisme 88, 101, 340, 633, 659, 660 binôme synonymique 662 cadre (frame) 381, 455, 508, 512, 515, 521 calque 53, 57, 61, 102, 110, 284, 299, 308–310, 317, 322–324, 535, 539–540, 579, 661, 667 canon littéraire 16, 479, 488, 672, 674, 684 cataphore (cataphorique) 213–214, 463, 465, 497 causalité 263, 267, 424, 426, 667 censure 78, 649, 651–653, 677, 682 n. 43, 725 champ lexical 16, 132, 136, 139, 147, 320, 327, 386, 542, 565 champ littéraire 675 changement linguistique 523, 525, 536, 543 cibliste (cf. sourcier) 58–59, 61, 620, 641, 646, 650–651, 680–682 CIUTI 54, 84, 86, 96, 693, 695–696, 698–699, 701–702, 704, 709 Clerc 657, 660–661, 663, 667 clivage 225–226

770

Index des sujets

cloud computing 751, 757–759 code auditif 723 Code de la propriété intellectuelle 731 n. 6 code visuel 721, 723, 725 cohérence 104, 123, 131, 146, 203, 310, 400, 418, 440, 460–469 cohésion 70, 146, 302, 384, 399, 447, 460–469, 625, 664–667 cohésion formelle du lexique 665–667 collocations 53, 115, 120–121, 295, 302, 305, 317, 321, 328 n. 9, 329, 390 commentaire (comment) 14, 34, 49, 65, 105, 146, 224, 296, 306, 323–325, 416–417, 456, 476, 479, 491–492, 515, 533–534, 545, 643, 665, 699, 742 communication 25, 47–48, 51, 54, 57, 59–61, 72, 85, 87, 114, 149, 192, 196, 198, 203–204, 329 n. 10, 339, 356, 368, 384–385, 388, 397–399, 403, 408–409, 415–416, 439–440, 442, 444–447, 450–451, 454, 456–457, 483, 491–492, 494, 498, 504, 511, 514 n. 12, 516–518, 565, 575–577, 607–609, 617, 620, 622–627, 633, 672 n. 2, 691–693, 695–697, 699, 701, 705, 708–709, 711–713 comparaison de traductions 99–115, 119, 130, 133, 137, 140, 222, 404, 440–441, 474, 514 compatibilité 430, 595, 620 compétence de traduction 438, 456–457 complément 5, 220, 223, 225–226, 241 n. 32, 245, 259–260, 265, 269, 321, 475, 497, 746 composition 132, 134–135, 145, 147, 275–277, 279–282, 286, 288 n. 16, 290, 317, 338 conceptualisme 377 concessif 423–424 concordance 124, 129–130, 138, 356, 363 n. 31, 445, 620 concordance des temps 474, 485–488 connaissances encyclopédiques 455, 466, 503 connecteurs 132, 139, 144, 261, 350 n. 4, 354 n. 14, 408, 421, 423–426, 430–431, 461, 527, 565, 625 connettivi 350 n. 4, connexité 460–469 connotation 16, 53, 69, 115, 172, 288, 291, 297–298, 300–301, 309, 317 n. 2, 319, 321, 323, 325, 343, 361, 363–364, 366, 416, 427, 446, 486–487, 512, 559 n. 13, 578, 580–581, 585, 630, 717, 722, 724–725, 744

constituant 224, 281, 283, 285–287, 329, 356, 462, 493, 628 construction décausative 238–240 construction ergative 238–239 constructions impersonnelles 145, 243 n. 36, 244, 249, 252, 256–271 contexte 503–521 continuité thématique 364, 461, 530 contrepèterie 179 Convention de Berne 673, 682, 729–730, 735–739 conversion 277–279 corpus alignés 118 corpus comparables 106, 114–115 corpus informatisé 99, 112–115 corpus parallèles 108, 113, 114 n. 26, 306, 483–484, 751, 755–756, 757 n. 13, 759–760 correction 58 n. 10, 134, 202 n. 20, 468–469, 567, 757 correspondances 88, 102, 131, 133, 139, 143, 168, 171–172, 174–175, 196, 215–216, 227, 236, 253, 286, 299, 376, 382, 386–387, 389, 398, 417, 439, 482–483, 753, 756 cours de change littéraire 671, 673, 675 covert translation 407, 515, 517 création intellectuelle 729, 737, 739–743 culture d’entreprise 633 débouchés 692, 699, 708 décausatif 231, 233–234, 238–240 décisions de justice en matière de traduction 729, 740–741, 744–745 déconstruction 53, 65–67 définition 29, 57, 62, 66, 118–119, 123, 131, 136, 140, 169, 185–186, 210, 231, 234–236, 239, 250, 260, 276, 279, 299–301, 323, 333–334, 336–342, 349, 353–354, 356, 380–381, 400, 418, 421, 440, 443, 449, 453, 462, 465, 475–478, 491–494, 504, 509, 511–513, 515 n. 13, 525–526, 535–537, 542, 544, 551, 559–560, 621, 664, 671, 708, 726, 738, 752 degrés d’intraduisibilité 617ss. déictiques 107, 139, 213–214, 401, 415–417, 427, 431–432, 465, 475, 477, 505, 530, 557–558 déonomastiques 326, 329 dérivation 15, 18–20, 22–25, 145, 235 n. 16, 237 n. 21, 270, 275–279, 281–282, 286–290,

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317, 325, 328, 343, 358 n. 22, 387, 488, 530–531 descensus 659, 678 désémantisation du signifié 168, 170 destinataire primaire 631–632 destinataire secondaire 631, 633 déterminant(s) 100 n. 3, 115, 136, 142, 145, 209‒210, 212‒214, 277, 287, 460‒461, 465‒466, 469, 491, 495, 497‒498 détermination 103, 105, 208‒215, 220, 223, 439, 445, 449, 456, 478‒479, 504‒507, 520, 553 déterminé 60, 72, 88, 105, 174, 197, 210‒212, 253, 259‒260, 281, 286, 326, 418, 423, 453, 469, 498, 617, 620, 625 dialecte 120, 141, 143, 526, 529–531, 543–545, 566, 573, 575, 578–582, 722–723, 738, 744 dialectique 148, 350 n. 4, 352, 366 n. 36, 367, 375, 510 dialogisme 414, 416–420 diasystème 533, 575 diathèse 145, 215, 222, 231–253, 495, 497 dictionnaire bilingue 14, 23–24, 70, 121, 130, 143, 149, 201, 297, 304, 324–325, 328–329, 335, 336 n. 10, 362, 391, 594 n. 8, 669, 753 dictionnaire en images 120 dictionnaire monolingue (unilingue) 119, 201, 329, 601 dictionnaire onomasiologique 120, 329 dictionnaire sémasiologique 120 dictionnaire syntagmatique 120, 329 dictionnaire valenciel 141, 143 didactique de la traduction 88, 90–91, 93–94, 96, 103, 202–204, 335, 340, 403–404, 439, 441, 450, 453, 456 didactique des langues 3, 47, 59, 144, 333, 335, 340, 345, 403–404 dimension verticale 383‒387 dimensions de la variation 574‒575, 584, 722 n. 13 diminutifs (suffixes) 5, 135, 138, 142, 145, 148, 277, 290, 407 discours (vs. récit) 105, 550–551, 566 n. 21, 567 discours actoriel 550, 563, 565–567 discours direct 414, 427–430, 474–477, 481, 487–488, 529, 531, 545, 554–555, 566, 578 discours indirect 137, 140, 146, 414, 427‒431, 475‒476, 479, 481‒482, 488, 554, 566

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discours indirect libre 104 n. 9, 110, 414, 419, 427, 429–431, 474–480, 488, 524, 551 n. 1, 566 discours métalinguistique 378, 398, 416–417, 544–545, 578, 582 discours rapporté 137, 140, 143, 146, 414–415, 418–420, 427–431, 474–489, 566 n. 21 discours scientifique 25, 32, 247, 334, 385, 420, 425, 484, 503, 524, 532–537, 543, 595, 677, 738, 741, 743 dislocation 491, 496, 581, 598 distanciation 38–39, 485 doublage 2 n. 3, 168, 407–408, 652, 714–726 doublet 657–658, 663 droit d’auteur 674 n. 7, 682, 729–733, 735–748 droit de traduction 7, 729–739, 746–748 droit des traducteurs 7, 729–739, 747–748 dynamisme communicatif (communicationnel) 491–493, 500 échange de compliments 403 École de Tolède 644, 677 école de traduction 50, 87, 589, 593, 600, 602, 692, 694–713, 762 ellipse 135, 142, 460–464, 469 emprunt lexical 17–18, 20, 23, 31, 57, 61, 101–102, 114, 145, 174, 276 n. 1, 280, 289, 291, 308–309, 317–319, 322–324, 328, 338, 343–345, 417, 535, 538, 541, 579, 596, 658–659, 661–664, 748 énoncé constatif 398 énoncé performatif 398 énonciation (énonciateur) 66, 103 n. 8, 105, 107–108, 132, 140, 193, 224, 350 n. 4, 351, 354, 357, 360, 367, 377, 398, 400, 409, 414–432, 453, 475, 477–479, 481, 484–485, 488, 493, 504, 530, 553–554, 558–559, 618, 631 enrichissement (de la langue) 32, 38, 74, 474, 660‒662 enseignement de la traduction 13, 46, 50, 56, 74–75, 85, 86 n. 3, 88, 93–94, 100, 112 n. 22, 134, 323, 374, 387–391, 589, 593, 691–713 entours 503–521 équivalence 56‒57, 61, 63‒65, 69‒70, 72‒73, 102, 105, 114, 119, 131, 133‒134, 136‒137, 139, 141, 168, 170, 174‒176, 178‒179, 219, 223, 227, 258, 265, 288, 291‒292,

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299‒301, 303‒304, 321‒323, 328‒329, 335, 349, 356‒358, 363, 367, 387, 391, 427, 438, 445‒450, 453, 457, 462, 474, 479, 483‒484, 492, 495, 499‒500, 503, 509, 511‒513, 518‒521, 578, 592, 597, 601, 620‒621, 633, 753 équivalence de désignation 59, 132 équivalence de structure profonde 132 équivalence sémantico-syntactique 132‒133, 156 équivalence statistique 129, 133 équivalence traductologique 69, 129, 132‒133, 141, 474, 487‒488 équivalent 3, 13‒14, 21, 24, 42, 57, 66, 70, 77, 119, 121, 123‒124, 132, 148, 168, 178, 223‒224, 227, 258, 263, 265‒266, 269‒270, 281‒282, 284‒288, 290‒291, 295, 297‒298, 300‒304, 306‒307, 310, 317, 319‒327, 334, 341, 343, 355, 357‒362, 365‒366, 399, 402, 428, 432, 438, 448, 465, 478, 481, 483, 493, 558, 576, 578, 592‒594, 596, 601, 606, 622, 642, 668, 722, 724, 756 équivalent de discours 300, 302, 304 ergatif 135, 145, 231, 233–234, 237 n. 20, 238–240 erlebte Rede 477–479 erreur 21, 31, 36, 59, 99, 132, 203, 334, 336–342, 345, 520, 753–754, 756, 758 étude scientométrique 84–86, 96 étymologie 11, 14, 20‒21, 24, 243 n. 38, 316, 319, 334 n. 6, 341, 344, 663, 665 eurolinguistique 329 explétif 231, 243, 257–258 explicitation 22, 203, 287, 289, 325–327, 357, 366 n. 38, 423, 425–426, 428, 461, 465, 469, 481, 668 expression(s) figée(s) 120, 136, 227, 279 n. 7, 287, 295–311, 338, 351, 354, 360, 367, 387, 450, 454, 526, 530, 543, 598–599, 609, 628 extension (étendue) 320‒321, 327, 377‒378, 382, 387, 424, 461, 464, 468, 503, 620 extraduction 671–685 face 316, 402, 406, 408–409 faits culturels 323, 328, 617, 626–631 faux ami(s) 3, 119, 149, 290‒291, 295, 299‒300, 302, y304, 308, 316, 318‒319, 323, 327, 329, 333‒345, 664

fidélité (fidelidad, fedeltà) 13, 33, 36, 39, 56, 63–65, 67, 69, 75, 448–449, 633–634, 740, 742 figement 279 n. 7, 295–297, 526, 543, 598, 609 finalité 29, 34, 61, 261, 263, 439–440, 444–445, 451, 457 flux de traduction 6–7, 671–685 focalisation 130, 149, 189–191, 197–198, 225–227, 248–249, 297, 495–496, 557 focus 190, 197, 224–227, 447, 491 fonction communicative 295–296, 328 n. 8, 407, 440, 451 fonction pragmatique 144, 407–408, 421, 451, 457 fonction référentielle 168–170, 295–296, 300 force illocutoire 398, 402, 409 formation de traducteurs et d’interprètes 7, 50–51, 84, 86, 93, 113, 208, 603, 691–713, formation de(s) mots 135, 138, 140, 142, 145, 147, 275–292, 317, 467, 664 formule de routine 295–296, 305–306 formule expressive 296, 298, 306 formule pragmatique 295, 298, 305–307, 309, 523 freie indirekte Rede 478–479 gallicisme 139, 334, 340, 343, 631 genre (textuel, littéraire) 13, 16, 77, 113, 249, 404–405, 454, 479, 483–484, 488, 504, 508, 523–545, 563 n. 17, 578, 653, 682, 741, 745 germanisme 334, 340 gérondif 143, 221–222, 256, 260–262, 264–268, 271, 424 gestion de la terminologie 118, 122, 124 glose 14, 25, 643 grammaire de texte 46, 461–469 grammaire relationnelle 250 grammaire transphrastique 442, 447, 460 grammaticalisation 149, 171, 225, 365, 531 hagiographie (hagiographique) 526–531 herméneutique 39, 56–57, 59, 61–62, 68, 510–511, 513, 591, 608 histoire (racontée par un narrateur) 550–559, 562–563, 566–567 histoire de la traduction 28, 41, 62–63, 73, 322, 325, 476, 641, 647, 659, 751, 757 histoire des langues romanes 657

Index des sujets

historicisme 37, 75, 77 homonymie 178, 234, 285, 316, 318–319, 339, 342 n. 30, 387, 390, 554, 594, 725 hypéronyme 12, 317, 323–324, 384, 460–461, 463, 466–468 iconique (iconicité) 173–174 idéalisme 40, 72, 377, 683 idiolecte 479, 487, 577, 715 idiome(s) 284, 295–298, 300, 305, 309–310, 602, 658, 665 imitatio 14, 43, 641–642 imitation 25, 43, 56, 59, 68, 174–175, 289, 496, 500, 561, 641–642, 645 imparfait 4 n. 6, 104, 135, 138–139, 144–145, 148, 216–217, 219, 221–222, 242, 430, 477, 485–486, 561–562, 569, 625 impersonnel 135, 145, 148, 231–233, 237–238, 240, 243–244, 248–253, 256–271, 428 inaccusatif 231, 233, 238–240 infinitif 135–136, 138, 140, 143, 145, 217, 221, 234, 237, 242, 256, 260–264, 266, 270–271, 278 n. 4, 279, 287, 360, 404–405, 668 intension (compréhension) 377–378, 382 interaction 123, 177, 187–188, 191–192, 194, 198, 202–204, 222, 305, 307, 359, 363, 401–402, 415, 417, 425, 428, 430, 440, 443–444, 492, 504 n. 1, 514, 575, 605, 620–623, 625, 631, 719, 725 interculturalité 25, 53, 87, 306, 329 n. 10, 403, 455, 617, 623, 629, 646, 694, 696–697, 699, 702–704 interférence 113, 151, 289, 303, 318, 333–335, 337, 340–341, 345, 589 interjection 168, 171–173, 360, 415, 428, 482 interlangue 754–755, 760 internationalisme 337, 345 interpretatio 14, 30, 43, 641–642 interprétation (traduction orale) 5, 11–12, 35, 41, 84–97, 119, 190, 192–193, 197–200, 397, 408–409, 468, 477, 560 n. 15, 569, 602, 631–634, 691–707, 716, 729, 738, 745, 755 interprétation consécutive 88–90, 93, 409, 700–701 interprétation de conférence 84–85, 88–91, 93, 95, 119, 603, 693–697, 699–702, 705–707

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interprétation de liaison 88–91, 93, 96, 408–409, 603 interprétation en langue des signes 88–91, 94 interprétation judiciaire 99–90 interprétation pour les médias 88–91, 94, 96 interprétation simultanée 88–89, 93, 409, 700–701 intertextualité 455, 456, 567, 620, 623, 629–631 intonation 140, 185–187, 190, 192–199, 201–202, 225, 357–362, 476, 495, 497, 500 intraduction 671–685 intraduisibilité 17, 22, 29, 58, 169, 172, 174, 292, 322, 349, 356, 545, 573, 579, 584, 586, 617–634, 651 invariants de la traduction 447–448, 450, 509–513, 518, 619 label de qualité 691‒695, 708 langue A 113, 200, 446, 695‒696, 701, 705, 707 langue B 50, 113, 200, 446, 695, 701‒702, 705 langue C 695, 701, 705 langue cible 3–4, 15, 29, 31, 33, 39, 42, 55, 59, 100–101, 110 n. 16, 120–121, 123, 142, 170, 174, 176, 200, 208–211, 214, 220, 227, 246, 288 n. 15, 292, 295, 297–299, 302, 304, 307–308, 310–311, 321–326, 349, 355, 399, 401, 408, 420, 424, 430, 447, 450, 456–457, 484, 487–488, 496, 499–500, 512, 517, 519, 558, 566, 574, 578–579, 583, 585, 592, 594, 618–622, 625–628, 631, 633, 642, 645, 657–658, 660–662, 668–669, 753–754, 756 langue d’arrivée 14, 22, 57, 101, 248, 340–341, 407, 439, 510, 657, 661, 719, 753–754 langue de départ 14, 22, 76, 101, 214, 220, 227, 246, 248, 322–324, 340, 358 n. 23, 426, 439, 633, 657, 660–661, 669, 754 langue des jeunes 137, 585 langue pivot 592, 601, 752, 754 langue spécialisée 327, 589–610 langues de spécialité 6, 53, 71, 113, 135, 140, 144, 327, 466, 532, 590, 625, 633 langues vernaculaires romanes 15, 31, 487–488, 526, 530–537, 657–662, 667–668, 677 latinisme 534–535, 543, 645, 662–666 lexème 4, 114, 121, 124, 132, 136, 198, 223, 277, 300–301, 303, 316–317, 324, 329, 382,

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Index des sujets

386–387, 390, 424, 466, 584–585, 594, 623 lexicographie 53, 63, 136, 140, 147‒148, 201, 317, 326, 340, 352 n. 8, 391, 574 n. 4, 592‒596, 601 lexicologie 64, 282 n. 9, 316–317, 392, 589, 598, 605 lexicologie contrastive 316–317, 391 lexique spécialisé 136, 316, 326–328, 598, 651 liberté de traduction 13–14, 34, 36, 642, 646, 677 n. 19, 731–734 licences obligatoires 737–738 linguistique appliquée 47, 51–52, 54–55, 62, 208, 317, 600, 608 linguistique contrastive 3, 5, 47–48, 51–54, 60, 71, 100, 103, 129–151, 208–209, 295, 300–302, 306, 320, 329, 335, 388, 397, 399, 401, 409, 423, 438–439, 442, 474 linguistique du texte 53–54, 118, 143, 146, 383, 438–457, 512, 737 linguistique énonciative 48, 104 n. 9, 414, 418–419 linguistique pragmatique 48, 414, 620 linguistique textuelle 46, 48, 52, 56, 119, 438–457, 462–463, 467, 505 n. 2, 515, 625, 629 linguistique variationnelle 574, 577 n. 8, 584 littérature de consommation 674 locution 15, 120, 223–224, 227, 234, 245, 295, 301, 305, 352, 565, 598, 625–626, 628, 661 macrostratégie 719 macrostructure 444, 447, 550, 568, 594 macrostructurel 419, 499 marché de traduction 633, 673–674, 759 marché du travail 694, 707–708 marqueur argumentatif 421–426 marqueurs discursifs 132, 140, 328, 349–352, 354, 362, 367, 408, 461, 488, 568 marqueurs (lexicaux, morphologiques etc.) 103 n. 8, 107, 212, 226–227, 264, 350 n. 4, 429–431, 468–469, 481, 578–579, 581, 583–584, 598 Master 51, 87, 691–708, 711–713 maxime de conversation 517 médiateur culturel 17, 64, 198, 671, 674, 679–684 médiation 6, 61, 119, 408–409, 444, 566, 622, 677, 681–682, 693

mémoire de traduction (translation memory) 118, 122–125, 759, 763 message d’arrivée 439 message de départ 439 métadiscours 474, 477, 488 métaphore 12–13, 25, 295, 300–301, 303, 309–310, 324, 334, 340, 343, 387, 507, 625–627, 631, 668, 671, 682 métatexte 620, 623, 634 microstratégie 719 microstructure 336, 447, 568, 594–595 microstructurel 419, 499, 550 mimétisme du discours direct 474, 576 mise en relief 4, 187–188, 191, 194, 200, 225, 415, 495–496, 500, 561, 624–625, 627, 629 modalisation 406, 416, 461, 475, 485 modalité d’interaction 625 Modalpartikel 349, 352 n. 8 mode d’action 208, 216–218, 221 mode personnel 260–261 modification 177, 179, 187, 189, 198, 276 n. 2, 284, 291, 295, 298, 310–311, 322, 397, 407, 422–423, 426, 476, 495–496, 499–500, 538, 550, 556, 568, 626, 628, 741, 759 monosémie 326, 594–595, 601 morphologie 5, 138, 145, 148, 150, 208–253, 278 n. 5, 318, 576 morphologie (lexicale) 282 n. 9 morphosyntaxe 5, 133–134, 137–138, 142, 144, 147–148, 150, 188, 223, 268, 360, 367–368, 408, 461, 463, 475, 486, 579, 584 mot populaire 658, 662–664 mot savant 287, 663–664 mots du discours 114, 350 n. 4, 368 n. 42, 406–407, 421, 428 multisémioticité 714, 716, 718–720 narrataire 553, 555–556 narrateur 111, 136, 430, 476–478, 480, 545, 550–568, 579, 685 n. 51 narration 105, 107–108, 110, 219, 527, 539–540, 551, 553, 555, 557, 559, 566 n. 21, 577, 624, 645 négociation (negoziazione) 74, 408 n. 2, 620 négociation discursive 617, 631–634 néologisme 11, 17–20, 23–25, 30–31, 60, 120, 284, 291, 308, 583, 627, 661, 671 nom propre 30, 65, 139, 148, 283, 316, 324–329, 430, 550, 563–564, 759

Index des sujets

noms de genres 523, 537–538, 541, 542, 544 non traduction 174, 177, 359, 361–366, 368 norme 88, 105, 113, 119, 137, 226, 231, 238, 240, 244, 248, 250, 252 n. 51, 260, 284, 292, 298, 307, 342, 401, 406, 408, 442, 445, 448, 451, 466, 476, 486–487, 523, 525, 532, 545, 578, 595, 604 n. 21, 618, 621, 631, 633–634, 641, 645, 650–651, 693–694, 717, 723, 726 norme d’usage 297, 304–305, 309 norme de traduction 99, 680 normes discursives 364–365, 367, 431, 488–489, 499, 512, 515, 523, 536–537 notice de médicaments 405 nouvelle (genre textuel) 537–542, 554, 557, 581 occasionalisme 275, 286, 291 œuvre de l’esprit 649, 739, 740 n. 39, 742 œuvre dérivée 739, 746, 747 œuvre originale 642, 674 n. 6, 729–730, 732, 734–740, 742, 746–747 onomatopée (onomatopéique) 134, 168, 172–175, 179, 475, 482 oralité 487–488, 573, 576, 584, 714, 716–718, 721–722 (l’)oral dans l’écrit 576 outils de traduction 5, 51, 99, 118–125, 180, 329, 591–592, 603, 609, 691, 697, 707, 751, 758–760 overt translation 515, 633, 719 paramètres non-verbaux 104–105, 135, 403, 407, 551, 719 paramètres prosodiques 131, 140, 142, 184–204, 224, 227, 351, 353, 360, 362, 497 paraphrase 5, 15, 21, 24, 62, 75, 101, 270, 284, 286, 288, 299, 303, 322, 324, 425, 461, 468–469, 533, 627, 647, 661–662 parasynthèse 277–278 parole 48, 130, 133, 176, 186, 231, 238, 245–253, 284, 302, 350, 367, 407, 416–417, 427, 440, 475, 481–482, 492, 506, 545, 721 paronomase (paronymie) 150, 168, 178–179, 319, 339 participe passé 241–242, 261–262, 270–271, 553, 566, 667 participe présent 20, 143, 256, 262, 264–271, 531, 667

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particules modales 102, 131, 135–137, 140–143, 149, 201–202, 219, 328–329, 349–368, 419 n. 5, 461, 475, 561, 565, 717 passif périphrastique 232, 234 n¨14, 239, 241–243, 246–247, 249–250, 252–253 passif personnel 232 patrii sermonis egestas 657, 661–662 périphrase 135, 138, 150, 215, 217, 220–222, 241 n. 32, 248, 283–284, 289 perspective (conception) transphrastique 149, 442, 446–447, 460–461, 464, 469 phonétique articulatoire 131 phrase clivée 197 n. 16, 200, 225–227, 264, 418, 425 phrase relative 269–270 phraséologie 148, 295–296, 303, 317–318, 321, 598, 608, 667–668 phraséologisme 149, 281, 338, 630 poésie (poétique) 2 n. 3, 14, 38, 59, 63, 72, 111, 168–170, 444, 510, 525–526, 550, 642, 645, 647, 651–652, 741 politesse 397, 401–404, 406, 408–409, 554, 556 polyfonctionnalité 617, 623 polyphonie 307, 414–420, 479, 487–488 polysémie 24, 67, 290, 316, 318, 337, 374, 386–387, 390, 424, 538, 540–541, 594, 601 post-édition 751, 757–758, 760 préfixation 276–278 présupposition 224, 397–409, 418–419 principe de la pertinence 517 procédé onomasiologique 520 procédés de traduction 3, 57, 102, 179, 209, 316, 321–324, 465, 469, 488, 647, 719 proforme 136, 461–461, 463–465, 469 progression thématique 463, 491–500 pronom 133, 135–140, 142–143, 145–146, 148–150, 197 n. 16, 212–213, 223, 225–227, 232 n. 4, 234, 236, 238, 240, 243–245, 249–250, 253, 258–259, 269, 360, 425–426, 430, 460–465, 469, 508, 526, 529–531, 543, 553–558 pronom indéfini 231 pronoms allocutifs 407–408 pronoms pseudo-réfléchis 231–233 proposition adverbiale 260, 265, 302, 598 proposition complétive 260, 475, 488 proposition (construction) participiale 104, 144, 256, 262, 531, 667

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Index des sujets

propriété littéraire et artistique 13, 14, 731, 734 prosodie 115, 142, 184–204, 224, 307, 362, 497, 504, 724 protection juridique 729–737, 740, 742–745, 748 prototexte 620 proverbe 34, 102, 120, 140, 178, 296, 299–301, 310–311, 463, 646 pseudo-variété 581 pseudo-Xisme 343 ratio type/token 115, 147 realia 326, 323‒324 Realien 626 recherche plein texte 121 récit 103 n. 8, 105, 107–108, 306, 355, 416, 476, 526, 538, 540, 542, 550–569, 650 récontextualisation 503, 513–516 recréation 175 reformulatif 424 reformulation 14, 51, 101 n. 5, 184, 352, 367, 407, 425, 441, 446, 460‒461, 468‒49, 527, 598, 642, 718 régiolecte 722‒723 région 86–87, 93, 95–96, 423, 506, 528, 593, 681, 722–723 registre (de langue ; register) 120, 259, 264, 268, 270, 283, 298, 301–302, 304, 336, 343, 466, 476, 482, 486, 514–515, 520, 536, 545, 575–576, 578–579, 581, 584–586, 626, 657–658, 667–668, 718, 722 relatinisation 657–669, 678 relation temporelle 263, 266 relativisme culturel 41–42 relativistes (quant à la traduisibilité ; cf. universalistes) 618–619 renforcement argumentatif 357–358, 421–424 repérage 103 n. 8, 105, 107, 200, 358, 491 répétition 110–111, 215, 407, 461, 466–467, 469, 525, 527, 584, 630 reprise lexicale 460–461, 464, 466–468 réseau inter-universitaire 692, 708 réseaux 431, 455, 589, 606–607, 625, 628, 691 ressemblance 41, 132, 243, 285, 290, 308, 334 n. 6–7, 337, 339–342, 344–345, 417, 431, 498, 658 retraduction 22, 65, 674, 678, 682 n. 41, 684 n. 49 rétrotraduction 22, 660, 684 n. 49

rhématicité 495 rhématiser 235, 423, 496, 500 rhème (rhématique) 140, 191, 211, 224‒225, 365 n. 35, 368 n. 40, 423, 462, 491‒500 rhétorique 6, 13, 30–31, 39, 43, 60, 63, 74–75, 307, 309, 356, 359–360, 387, 420–427, 429, 450–451, 462, 487, 533–534, 536, 543, 575, 641, 645, 660, 662 romanceamiento 659 romanticisme 37 romantisme littéraire 680–681 rythme 63–64, 73, 170, 186–187, 191–192, 721, 724 saillance 494 savoir encyclopédique 325, 440, 455, 506–508, 621 savoir social 621 scène (scene) 108, 381, 406, 562, 565, 567, 646, 651, 653, 718–720, 724 schéma textuel 451, 454, 456 sciences de l’interprétation 84–86, 95–97 sciences du langage 6, 46, 56, 59, 61, 204, 414, 534, 589, 591, 594, 596, 599–600, 608, 610 scripturalité 717 SE-Diathese 231, 237‒238, 240, 243‒245, 248‒250, 252‒253 segnali discorsivi 350 sémantique de la compréhension (semantics of understanding) 381, 383 sémantique du prototype 132, 374, 376–378, 380–384, 386–387, 391 sémantique du stéréotype 374, 378, 382, 386–387, 391 sémantique lexicale 134, 137, 142, 146, 148, 316, 345, 374–392, 461 sémantique structurale (componentielle) 136–137, 139, 147, 328, 377–380, 382, 385–386, 390–391 sémantisation du signifiant 168, 170 sens (d’un mot, d’un énoncé, d’un texte) 1, 3–4, 18, 21, 25, 29–31, 36, 51–52, 56, 58–59, 63–67, 120, 130, 132, 170, 174, 187, 190, 193, 197, 203, 209, 211, 221–222, 234, 240, 242, 297, 299–304, 308–311, 316–319, 333–334, 336–339, 341–344, 349, 355–356, 358, n. 22, 364–366, 374–379, 382, 385–391, 398, 401, 407, 415, 417–421,

Index des sujets

428–429, 441, 444–448, 453, 498, 500, 503–504, 506–510, 515, 520, 538, 540, 565, 569, 592–593, 601, 609, 624, 626, 634, 641–642, 651, 659, 661, 716, 719, 722, 724, 738, 741 séquence (de texte) 296, 299, 351, 353–354, 358, 365, 367, 403, 423–425, 430, 443, 453, 475, 477, 481–482, 485–486, 488, 530–531, 628, 756 si passivante 233, 258 siglaison 283 signifiant (signifiance) 14, 21, 59, 64, 66, 144, 168–180, 223, 281, 316–317, 319, 324, 326, 330, 374–375, 382, 446, 533, 535, 542 signification (sens) textuel (significato testuale) 444, 446–447, 503, 507–508 similarité 106, 109, 169, 202, 309, 380, 755–756 situation 503–521 skopos (skopós) 29, 449–451, 511–512 sociolecte 120, 192, 566, 573, 575, 577, 580–584, 722–723 sonorités 168–169 sorte de texte 449, 451–453, 455–457 sourcier (cf. cibliste) 59, 61, 620, 641, 651, 681 n. 36, 683 sous-titrage 7, 307, 401, 407–408, 652, 699, 714–720, 724, 726 sous-titrage amateur 720, 726 sous-traduction 22, 302 stage (des étudiants) 692, 699, 703, 707–708 stratégie de la traduction 30, 55, 61, 68, 70, 366, 442, 457, 486, 673, 677 n. 19 stratégie de politesse 403 structure argumentative 421, 426–427 structure informationnelle 184, 187, 192, 197–198, 201, 203, 208, 224, 425, 491, 495 stylistique comparée 3, 50, 56–57, 71, 100–103, 129–130, 223, 246, 322, 591 suffixation 135, 139, 276–279, 286 sujet zéro 460–463, 469, 530 suprasegmentaux 169–170, 185, 497, 530, 460–461 surdétermination 220–223 surtraduction 22, 324 syllabe 175–176, 187–192, 196, 198, 581 synchronisation 7, 168–169, 175–178, 306, 401, 721, 723–724, 738 synchronisme labial 724

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synonymes 11–12, 16–17, 20, 22, 24, 52, 120–121, 192, 277, 279, 286, 327–328, 343, 356, 366–367, 385, 426, 461, 467, 539, 541, 566, 594, 643, 645, 648, 651, 662 syntaxe 4–5, 36, 38, 49, 102–103, 108, 110, 114, 129, 131–133, 135–136, 138–139, 144–145, 147–148, 150, 171, 184, 187, 191–192, 194, 197, 199–203, 208–227, 235, 237, 239 n. 27, 243, 248–249, 251–252, 257, 263–264, 268, 275, 279 n. 6, 280–281, 287, 297, 300–301, 303, 307, 318, 328 n. 9, 334 n. 6, 344, 351, 353, 359–360, 362, 364, 391, 403, 425, 443, 460, 475–476, 481, 485, 488, 492–493, 495–496, 500, 505, 526, 533, 535–536, 543, 561, 576, 584 n. 14, 597–598, 609, 624, 667–668, 718, 721 n. 12, 753–754 systèmes factorisés 756 tables de traduction 756 technique de la traduction 5, 55, 57, 60–61, 68, 70 temps grammaticaux 559, 561 terminographie 589, 594–595, 597, 600–601, 603–604, 608 terminologie 53, 62, 71, 77, 119, 135, 138, 140, 147, 169, 173, 193, 203, 240, 323, 326, 328–329, 350 n. 4, 400, 439, 523, 532–533, 535, 542–544, 551, 559, 574–575, 589–610, 623, 676, 699, 705, 716, 719, 721, 724, 751 terminologie de la traduction 11–25, 28–30, 32, 518 tertium comparationis 131–134, 141, 248, 300, 446, 509 texte cible 31, 33, 56, 59, 61, 88, 100, 103, 109, 110 n. 16, 111, 134, 169, 284, 295, 299, 302–303, 306, 309–310, 323, 325. 389, 407–408, 444–449, 455–457, 486, 488, 491, 493, 499–500, 512, 520, 532, 579, 620, 626, 630, 632, 634, 647 texte source 14, 31, 34, 37, 42–43, 56–57, 59, 61, 88, 100, 103–104, 109–111, 124, 134, 169–170, 172, 177–179, 284, 295, 297–298, 303, 306, 308–309, 311, 389, 406–408, 441, 444–449, 456–457, 479–480, 486–487, 491, 493, 496–497, 499–500, 512, 524, 532, 539, 544, 550, 573–574, 578–579, 583, 619–620, 622, 625–626, 628–634, 641–642, 645–647, 650, 675, 683, 744

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Index des sujets

textes parallèles 99–115, 118, 120, 123–124, 246, 328, 441, 450 textologie contrastive 401, 404, 439 thématicité 495 thématiser 492, 496 thème (thématique) 129, 277, 286, 302, 310, 401, 456, 463, 601 n. 18 thème (vs rhème) 74, 140, 191, 224, 367 n. 40, 461–462, 491–500 théorie cognitive 508, 521 théorie de la pertinence 503, 505, 507, 516–519 théorie de l’interprétation 84–97, 700 théorie du skopos 388, 439, 448, 511–513, 620 théorie fonctionnelle de la traduction 447 théories et modèles de la traduction 18, 46, 54–74, 513, 519 topic (topique) 224, 226, 234 n. 14, 235–236, 238, 461, 475, 491–493, 495, 568, 661, 722 topicalisation 475 tradition discursive 428, 491, 496, 523‒545, 578, 598 traduction à base de règles 753‒754 traduction assistée par ordinateur (TAO) 7, 24, 118, 592, 603, 608‒609, 748, 751‒763 traduction audiovisuelle 306, 308, 397, 407‒408, 697, 707, 708 n. 24, 712, 714, 716, 718‒720, 723, 725‒726 traduction automatique 7, 24, 69, 118‒119, 124, 208, 466, 593, 598, 707, 751‒763 traduction automatique par analogie 755 traduction de la Bible 63, 519, 644, 651, 661 traduction directe 643, 648, 676 traduction éloignante 56, 76‒77, 295, 299, 308‒309 traduction exotisante 510, 515 traduction horizontale 11, 15‒16, 643, 657‒659, 676, 678, 684 traduction indirecte 647, 650, 676‒678, 680‒684 traduction libre 15‒16, 641, 645 traduction littéraire 2, 51, 99‒100, 104, 109, 169, 214, 291, 322, 325, 397, 401, 405‒406, 426, 439, 476, 552 n. 4, 563 n. 17, 590‒591, 618, 642, 649, 652, 671‒672, 697, 699, 706‒707, 722‒723, 741 traduction littérale 15‒16, 32, 178, 222, 284, 299, 305, 308‒309, 319, 425,

428‒429, 441, 457, 468, 555 568 n. 23, 627, 629, 641, 644‒645, 649, 743, 745, 748 traduction morphème par morphème 78 traduction naturalisante 510, 515 traduction rapprochante 44, 56, 77, 295, 299, 304, 309 traduction spécialisée 46, 387, 425‒426, 591‒592, 602, 694, 697‒698, 700, 704‒707, 711, 713, 748 traduction verticale 11, 15‒16, 642, 657‒660, 684 traductions historiques 319, 324 traductions parallèles 631, 681, 734, 745‒748 traductique 24, 62, 69, 752 traduisibilité 22, 168–169, 172, 178, 355–358, 491, 550, 573 n. 1, 617– 619, 623–626, 629, 631, 633 traits distinctifs 16, 131, 169, 723 transcription 193, 195, 306, 325, 487, 529, 574, 576, 721 translémica 69–70 translittération 325 transphrastique 149, 442, 446–447, 460, 464, 469 transposition (procédé de traduction) 57, 102, 135, 169, 175, 178, 223, 299, 309, 341 n. 25, 420, 455, 576, 623 Trinité 375 tropes lexicalisés 667–668 truchement 18 turn taking 409 type d’équivalence 59, 300–301, 321 type d’équivalent 300–305, 316, 320–323 type de dictionnaires 119–120, 147, 317 type de traduction 19, 30, 41, 46, 74–78, 169, 286, 484, 407, 580, 633, 642, 646, 649, 659, 698, 718, 748 type de textes 30, 105, 169, 174, 179, 200, 246–247, 250, 253, 271, 298, 301, 310, 439, 443, 449–453, 500, 523, 526, 537, 543, 456, 496, 499, 577, 624, 741, 744 type illocutif d’énoncé 359, 361 typologie 5, 130 typologie des langues 137 typologie des textes 30, 132, 141, 401, 438–439, 441, 452–454 unité phraséologique 303, 337, 617 univers de discours 503, 520

Index des sujets

universalistes (quant à la traduisibilité ; cf. relativistes) 618–619 universalité 474, 494–495, 550, 735 universaux 375, 377, 383, 619 universaux de la traduction 113–115, 461 usines de traduction 673 valeur par défaut 382 variation 74, 140, 191, 224, 367 n. 40, 461–462, 491–500 variété diatopique 141, 216–217, 301, 343, 407, 573–575, 579, 581, 583–586, 598, 721–722 variétés diasituationnelles (diaphasiques) 216–217, 282, 317 n. 2, 329, 407, 474, 482, 486, 573–575, 579, 581, 583–585, 598, 722 n. 13 variétés diastratiques 329, 573–575, 579–584, 598, 722 verbes introducteurs 474, 479, 481–487 verbes pronominaux 232–234, 236

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version (traduction) 14, 20–23, 25, 32–33, 49, 64, 73–78, 178, 363, 368, 404 n. 1, 406, 466, 479–480, 482, 505 n. 2, 526, 528, 551 n. 1, 553, 555, 558, 566, 568, 584 n. 14, 595, 628–630, 634, 646, 648–650, 660, 676, 678, 683, 744 version interlinéaire 14, 25 vocabulaire 19–20, 23, 120, 140–141, 147, 149, 291, 316, 333–334, 595, 598, 601, 625, 630, 657, 663–667, 669, 718, 743, 753 voice-over 699, 714 voix 111, 133, 135, 138, 177, 190, 195, 203, 222–223, 231–253, 583, 715, 721, 723–724 voix (narrative) 110, 550, 552, 554, 556–557, 561, 568 volgarizzamento 15, 20, 23, 643, 657, 659, 661 Weltanschauung 620 Werthérisme 678