Lieux saints et pèlerinages d’Orient ; Histoire et géographie des origines à la conquête arabe [<3 ed.]

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Lieux saints et pèlerinages d’Orient ; Histoire et géographie des origines à la conquête arabe [<3 ed.]

Table of contents :
Titre......Page 2
Préface......Page 4
Introduction......Page 6
Remarques sur les sources de cette étude......Page 10
I. Étude historique......Page 18
1. Constitution d'une géographie sacrée......Page 20
2. Développement des lieux saints dans l'Orient Byzantin......Page 58
3. Les visiteurs des lieux saints......Page 102
4. Les motivations religieuses des pélerins......Page 134
5. Le voyage du pèlerin......Page 160
6. Le séjour du pèlerin. Description du lieu saint......Page 180
7. Le séjour du pèlerin. Les pratiques......Page 210
II. Repertoire des Lieux Saints......Page 244
1. Palestine......Page 248
2. Égypte......Page 308
3. Syrie et Mésopotamie......Page 326
4. Asie Mineure......Page 360
5. Thrace, Macédoine, Dacie......Page 388
6. Constantinople......Page 398
Bibliographie......Page 408
Index des saints et des personnages bibliques......Page 424
Index des lieux saints......Page 430
Table des matières......Page 436

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DU MÊME AUTEUR

Grégoire de Nysse, Vie de sainte Macrine, Introduction, texte critique, traduction, notes et index, Paris, Cerf, 1971 (Coll. "Sources chrétiennes", n• 178). Égérie, Journal de voyage (Itinéraire), Introduction, texte critique, traduction, notes, index et cartes, Paris, Cerf, 1982 (Coll. "Sources chrétiennes", n° 296).

Illustration de la couverture : Saint Jérôme s'embarque pour la Palestine. Bible de Charles le Chauve, 1x' s. (Bibliothèque nationale).

PIERRE MARAVAL

LIEUX SAINTS ' ET PELERINAGES D'ORIENT Histoire et géographie des origines à la conquête arabe Préface de Gilbert Dagron

Histoire

LES ÉDITIONS DU CERF 29, bd Latour-Maubourg, Paris 1985

Cet ouvrage a été présenté en novembre 1983 à l'université de Paris-IV Sorbonne comme thèse de doctorat ès lettres et sciences humaines; il en a gardé la forme, quoique avec un certain nombre de simplifications. Je tiens à remercier ici tous ceux qui ont contribué à l'élaboration de cet ouvrage, et tout d'abord M. Gilbert Dagron, professeur au Collège de France, qui a veillé attentivement sur ses progrès, non sans me suggérer de nombreuses pistes de recherche, et me fait aujourd'hui l'honneur de le préfacer. Les autres membres du jury - M'"' Marguerite Hari, MM. André Benoît, Charles Pietri et Jean-Pierre Sodini - ont aussi bien mérité, et à divers titres, ma reconnaissance. J'ai tenu compte autant que possible, dans la révision de mon manuscrit, de plusieurs de leurs remarques. On ne saurait être complet dans ses remerciements : il faudrait citer tous ceux qui, de quelque manière que ce soit, ont contribué à ma formation ou à la genèse de l'ouvrage ; que tous ceux dont je suis débiteur se sachent ici remerciés. Je dédie cet ouvrage à mes parents.

©

Les Editions du Cerf, 1985 ISBN 2-204-02214-4 ISSN en cours

PRÉFACE Le pèlerin occidental a un nom, une iconographie, une histoire. Du chrétien d'Orient qui va faire ses dévotions dans un sanctuaire proche ou lointain, on dit simplement qu'il voyage, qu'il avait fait un vœu, qu'il accomplit un acte de piété ; il n'y a ni spécificité du pèlerinage ni statut particulier du pèlerin dans cette partie de la chrétienté où se trouvent pourtant tous les sites néo- et vétérotestamentaires et qui, avec le culte des reliques, a très tôt multiplié les lieux saints. On ne s'en étonnera pas. Pierre Maraval nous montre un christianisme pénétré de la spiritualité du voyage, sensible à la fascination des ipsissima loca, attiré par des pratiques pieuses où le voir et le toucher ont acquis une sorte de légitimité. Tout Oriental était un pèlerin virtuel, de court ou de long voyage ; il n'était pas besoin d'un mot pour le dire. La géographie sacrée, qui va dessiner les itinéraires et les haltes, tarde à naître ; ce livre montre d'abord sa progressive éclosion, les doutes et contestations qui marquent les débuts d'une « archéologie chrétienne », les réserves et réticences qui tempèrent les premiers élans. La Nouvelle Jérusalem doit être céleste ; le vrai Temple est désormais partout où les chrétiens s'assemblent ; le Christ est ressuscité, « Il n'est pas ici ». Pourtant, les barrières finissent par céder, l'invention et l'inventaire des hauts lieux de l'Ancien et du Nouveau Testament deviennent systématiques ; le culte des saints et la mobilité des reliques étendent bientôt cette géographie historique à tout l'Empire et au temps présent. Un tel « accommodement», comme on dit pour la hiérarchie ecclésiastique d'alors, fait de tout l'Orient une terre de pèlerinage ; il souligne l'originalité de chaque région : qu'on pense aux stylites de Syrie. La Palestine garde un rôle

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éminent, mais surtout peut-être pour les chrétiens éloignés ou étrangers, ceux d'Occident, d'Arménie, de Géorgie, de Perse. Dès avant la conquête arabe est lancé le grand mouvement qui draine souvenirs et visiteurs vers la capitale. Constantinople tend à devenir le centre d'une nouvelle géographie du sacré ; Sainte-Sophie remplace le Temple et l'Anastasis de Jérusalem. Tout au long de ces itinéraires et de ces circuits régionaux qui se modèlent progressivement sur la carte réelle de l'Empire, les pèlerins sont pris en charge, hébergés, instruits, dirigés vers des sanctuaires à histoires, à reliques et à miracles. Une liturgie particulière y est organisée ; un programme architectural y est conçu en fonction de ce flux, des curiosités de ceux qui passent, des besoins de ceux qui restent (et qui peuvent demeurer sur place plusieurs mois ou plusieurs années). Les archéologues trouveront ici bien des références utiles pour interpréter les édifices qu'ils découvrent. Et nous voyons, à l'étape, le pèlerin se fondre dans la masse des voyageurs ; car sa route est aussi celle du marchand et du mendiant, celle des migrations saisonnières, des échanges et des errances. La panégyrie est aussi une foire ; l'argent circule, consacré au « salut de l'âme » (psychika), thésaurisé ou distribué en aumônes. De toute cette activité bien vivante il reste des traces : graffiti, ex-voto, eulogies. Assez pour comprendre l'importance du pèlerinage dans la culture chrétienne qui s'élabore. L'homilétique trouve là un public et de nouveaux thèmes, les recueils de Vies et Miracles un enrichissement et une diffusion, l'icône sa vraie place, loin de tout débat théologique, dans le jaillissement de la foi. Pour un croyant, l'image prolonge la relique et tient d'elle son caractère sacré ; d'un même geste il touche et il voit. Dans l'iconographie des lieux saints, dont ~es ampoules de Monza donnent un bel exemple, toute distance est abolie entre le passé et le présent, entre l'événement commémoré et le décor de sa commémoration. Le regard et l'attente de milliers de fidèles parviennent à fixer et à figer les traits du Christ, des apôtres, des saints, qui devront désormais apparaître, en songe ou en vision miraculeuse, « sous l'aspect sous lequel on les représente », ainsi qu'aiment à dire les hagiographes. Le pèlerinage est vécu tout à la fois comme un acte individuel et une manifestation collective ; c'est ce double caractère qui le rend si important, et si difficile à analyser. Avec autant de finesse que d'intelligence, Pierre Maraval ouvre un dossier dont on s'étonne qu'il ait longtemps été négligé. Il était bien armé pour traiter ce grand sujet : il connaît admirablement les textes. Gilbert Dagron Professeur au Collège de France

INTRODUCTION L'étude des pèlerinages durant les premiers siècles du christianisme se heurte dès l'abord à un problème de terminologie : ni le grec ni Je latin ne possèdent de mot qui rende compte exactement de ce que l'on met aujourd'hui sous ce terme. Peregrinus, d'où vient notre pèlerin, désigne à l'origine une catégorie juridique, celle de l'étranger, celui qui vient d'ailleurs, par opposition au ciuis, le citoyen qui a droit de cité - et il en est de même de son équivalent grec !;Évoç, dont Je sens ne suivra d'ailleurs pas la même évolution. Dans un sens dérivé et plus large, il s'applique ensuite au voyageur, sans que soit donnée à son voyage (peregrinatio) de connotation particulière. Ce n'est qu'à une époque plus tardive que des motivations religieuses coloreront entièrement le mot (sous la forme pelegrinus, dissimilation de peregrinus 1), et c'est avec cette coloration qu'il est passé dans les langues romanes et quelques autres 1 • Mais s'il n'existe pas de mot qui désigne le pèlerinage des Anciens, le phénomène existe dès leur époque de déplacements pour motif de religion. Encore faut-il préciser, car cette motivation religieuse peut s'orienter dans deux directions différentes : l'une, qui garde quelque chose du sens primitif du mot, privilégie le voyage lui-même, sans se soucier du but de

1. Ce dernier mot a subsisté en français sans connotation religieuse sous la forme pérégri11 ; il en est de même pour le verbe pàégri11er. 2. Ce n'est qu'à l'issue d'une longue évolution que le terme pèlerin a pris celte coloration, qui permet de l'appliquer à tout voyage de dévotion vers n'importe quel lieu saint. L'ancien français distinguait le paumier, pèlerin de Jérusalem, du romirr ou romc/, pèlerin de Rome. ÜA'1TE. \lita Nmn•a, 40 distinguait aussi pa/mien·, româ el peregri11i (ces derniers se rendant à Compostelle). En russe. le 1erme savant qui désigne le pèlerin est toujours l'équivalent de paumier (pa/,mmik!.

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celui-ci, l'autre le lieu de destination du pèlerin 3 • Dans le premier cas, une spiritualité de l'errance, prenant à la lettre les textes néotestamentaires qui déclarent le chrétien étranger (!;Évoç, peregrinus) dans ce monde 4 , prône le déplacement perpétuel comme un mode de vie ascétique. Cette forme de pèlerinage ne sera touchée par notre recherche que d'une manière accidentelle, dans la mesure seulement où sa quête la conduit en certains lieux privilégiés 5 • Nous nous attacherons en effet aux pèlerinages que définissent - en un second sens - les lieux mêmes où se rendent les pèlerins, les« lieux saints ». Certains lieux en effet attirent des visiteurs en raison même de la valeur religieuse particulière dont ils sont crédités, valeur que les chrétiens de l'époque ont exprimée en utilisant (après d'autres, en l'occurrence les Juifs) l'expression « lieux saints ». Quels furent ces lieux tenus pour saints ? Dans une religion historique comme le christianisme, ce devait être tout d'abord ceux où s'étaient déroulés les événements de l'histoire du salut, de l'Histoire « sainte » que racontent l'Ancien et le Nouveau Testament, en particulier les théophanies - toute la vie du Christ étant évidemment à considérer comme telle. Ces événements avaient laissé des traces - réelles ou supposées, ce n'est pas le lieu d'en discuter - : ce sont ces traces, les restes de ce passé, qui ont permis d'identifier concrètement les lieux saints de ce type. Mais d'autres restes ont été considérés comme assez saints pour donner de leur sainteté aux lieux dans lesquels ils se trouvaient, ceux des personnages qui firent cette histoire : tout d'abord les saints de l'Ancien et du Nouveau Testament, puis tous ceux des chrétiens qui étaient jugés dignes du titre de saint, au premier rang desquels les martyrs, bientôt suivis par les moines les plus illustres, voire par d'autres chrétiens (à cette époque, presque uniquement des clercs). La présence de ces saints, celle de leurs reliques, voire de leurs images, ont pu être à l'origine d'autant de lieux saints et susciter des pèlerinages. Il faut le souligner d'entrée : ces lieux saints sont bien distincts, aux origines du moins, des lieux de culte habituels des communautés chrétiennes, en particulier des lieux du culte eucharistique, et beaucoup resteront spécialisés en tant que lieux de pèlerinage. A tout le moins, même lorsque certains seront utilisés pour la liturgie quotidienne de la communauté, garderont-ils leur pouvoir d'attraction

3. Le mot pèlerinage témoigne de cette double valeur, puisqu'il désigne à la fois l'action et le lieu. 4. Cf. He Il, 13 : « Étrangers et voyageurs sur la terre » (cf. Ps 39,13). 1 P 2,11 : « Étrangers et voyageurs ». On invoque également la ressemblance avec le Christ, qui n'a pas de pierre où reposer sa tête (Mt 8,20). 5. B. Korr1Na, Peregrinatio re/igiosa, p. 304, note que de tels errants sont des Pi/ger, non des \'(la/lfahrer, bien que plusieurs prennent pour destination des lieux saints. Ils influenceront, par ailleurs, la spiritualité du pèlerinage en général. Ce type de pèlerinage n'a pas cessé dans le christianisme : citons l'exemple des pèlerins irlandais, dans le haut Moyen Age, ou celui du pèlerin des Récits du pèlerin nisse, au x1x' siècle (le terme « pèlerin » rend ici le russe strannik, « errant » ).

INTRODUCTION

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propre, dû à ce qui en fait des lieux saints". Certes, on prendra bientôt l'habitude d'introduire des reliques dans les églises destinées au culte ordinaire, ce qui leur vaudra parfois de devenir d'authentiques lieux de pèlerinage. Les fonctions cependant restent distinctes : le lieu de pèlerinage attire par sa valeur propre et particulière, par ce qui fait de lui un lieu saint - et qui est indépendant du culte qu'on y célèbre. Cela se manifeste en particulier dans le fait que le pèlerinage se situe hors du cadre habituel, ordinaire de la pratique religieuse 7 • Ce caractère exceptionnel, extraordinaire, apparaît à l'évidence dans le cas des pèlerins qui entreprennent de longs voyages, qui partent au loin à la recherche des lieux saints dont le renom est venu jusqu'à eux, mais il existe également chez les fidèles qui se rendent dans un lieu de pèlerinage tout proche : même s'ils y vont à date fixe, même s'ils y vont de manière communautaire, ce déplacement est un événement inhabituel, accompli hors du cadre ordinaire de leur pratique cultuelle, motivé qu'il est par la force d'attraction propre de ces lieux 8 • Nous venons de distinguer deux catégories de pèlerins, ceux qui entreprennent de grands voyages et ceux qui se rendent dans des lieux saints proches de leur domicile. Les premiers sont les plus connus, même s'ils ne sont pas forcément les plus nombreux, et ce sont eux qu'on aurait souvent tendance à considérer comme les seuls vrais pèlerins. Il est bien vrai que leur entreprise, qui les éloigne de leur patrie durant des mois, voire des années, en fait des peregrini au sens premier, des étrangers, des voyageurs. Mais la grande foule de ceux qui vénèrent les lieux saints (et font parfois leur fortune) est faite de visiteurs d'un ou de quelques jours, venus de villages voisins, tout au plus de la région environnante. Il n'est pas possible d'exclure cette masse souvent anonyme d'une histoire des lieux saints et des pèlerinages, même si les documents qui les concernent sont moins nombreux et moins circonstanciés que ceux qui nous font connaître les grands voyageurs. Même si ce sont souvent les récits de ces derniers qui, de par leur importance, constitueront le fil directeur de notre enquête, nous nous attacherons à ne pas négliger les documents qui nous permettent de toucher cette grande foule de « petits » pèlerins. Cette enquête se limite à un peu plus de trois siècles d'histoire, débutant à l'avènement de Constantin pour s'achever avec les invasions arabes du vn' siècle. Ces limites ne se justifient pas

6. C'est le cas en particulier de plusieurs lieux saints de Jérusalem, où se déroule la liturgie de la communauté ; encore doit-on souligner le caractère particulier de cette liturgie hiérosolymitaine, qui pérégrine d'un lieu saint à un autre. 7. Cf. A. DuPRONT, « La religion populaire dans l'histoire de l'Europe occidentale», Revue d'Histoire de l'Église de France 64, 1978, p. 188. 8. Relevons les traits indissociables du « fait pèlerin " tels que les énumère l'introduction au volume sur les pèlerinages de la collection « Sources Orientales » : « 1) la sainteté du lieu, où l'on se rend spécialement ; 2) le déplacement, collectif ou individuel, vers ce lieu ; 3) le bm de ce déplacemenr, qui est l'obtention d'un certain bien matériel ou spirituel» (Les Pè/en'nages, Paris, 1960, p. 9-IO).

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seulement par la masse des documents à mettre en œuvre : dans une histoire des pèlerinages chrétiens, cette période possède en effet son individualité propre. C'est celle des origines du phénomène, au 1v• siècle, et de son premier développement dans les siècles suivants, un développement dont la conquête arabe va modifier profondément les conditions. C'est aussi l'époque où l'Empire byzantin a sa plus grande extension en Orient. Un temps et un espace, donc, relativement homogènes. On s'attachera tout d'abord à définir quelques étapes, à montrer comment s'est constituée la géographie sacrée des lieux saints chrétiens d'Orient (chap. 1), puis comment ils se sont développés, région par région (chap. 2, ce dernier étant indissociable du répertoire qui constitue la seconde partie de cette étude). Seront étudiés ensuite les pèlerins eux-mêmes, qui ils sont (chap. 3) et quelle motivation les anime (chap. 4). Enfin sera décrite l'entreprise même du pèlerinage : le voyage (chap. 5), le séjour dans le lieu saint (chap. 6, décrivant ce lieu ; chap. 7, les pratiques du pèlerin en ce lieu).

REMARQUES SUR 4ES SOURCES DE CETTE ETUDE Les sources pour une histoire des lieux saints et des pèlerinages sont nombreuses et extrêmement diverses. La bibliographie placée en fin du volume en donne la liste exhaustive ; certaines d'entre elles, cependant, ont une importance particulière et sont citées tout au long de l'ouvrage : il est donc utile de les évoquer dès maintenant de manière un peu plus développée. L'utilisation d'autres sources, par ailleurs, posait des problèmes particuliers : j'indiquerai brièvement lesquels et quelles solutions ont été adoptées.

1. LITTÉRATURE SPÉCIFIQUE

Plusieurs textes concernent au premier chef notre histoire : ceux qui ont été écrits par ou pour des visiteurs de lieux saints. On y compte des récits de voyage, des guides et des ouvrages géographiques, enfin des collections de miracles destinées à être lues aux visiteurs de certains sanctuaires.

1. Récits de voyage et ouvrages géographiques (dans l'ordre chronologique) -

EusÈBE DE CÉSARÉE, Onomasticon (cité : Onom.).

L'ouvrage connu sous ce nom - dont le titre exact est « Sur les noms de lieux qui se trouvent dans !'Écriture » - n'est ni un récit de pèlerinage ni un ouvrage explicitement composé pour les visiteurs des lieux saints ; il a servi pourtant de guide à ces derniers, comme le montre notamment le fait qu'il ait été traduit en latin à deux reprises.

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C'est un catalogue alphabétique des toponymes bibliques, avec pour certains quelques données géographiques ou historiques. Plusieurs notices renseignent sur ce que l'on montrait alors aux visiteurs, dont certaines reposent peut-être sur l'expérience même d'Eusèbe (la source ÔEL xvu,:m).

La date précise de l'ouvrage n'est pas connue. E. Klostermann, son éditeur, en a relevé le tenninus ante quem, l'année 336 (l'ouvrage est dédié à Paulin de Tyr, qui mourra cette année-là) ; le tenninus post quem serait l'année 324, car l'ouvrage, au dire de Jérôme, viendrait après la Chronique, qui se termine à cette date. Mais l'affirmation de Jérôme est assez vague et n'indique peut-être pas une succession chronologique. D'autres indices persuadent de ne pas dater l'ouvrage d'après 325, car la mention du Golgotha montre que le site n'est pas encore vénéré par les chrétiens, comme il le sera après cette date ; d'autre part, la description de plusieurs lieux saints renvoie à une époque où ils ne sont pas mis en valeur. L'Onomasticon semble ainsi devoir être daté des années 320-325, sinon d'avant 320. Édition : EusEmus, Das Onomastiko11 der biblischen OrtSllllmen, hrsg. von E. KwsrERMANN, Leipzig 1904 (= GCS 11/1) (avec étude des sources dans l'introduction).

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Itinerarium Burdigalense (cité : It. Burd.). Première relation connue laissée par un visiteur des lieux saints de Palestine. L'ouvrage donne la liste des étapes et des relais (mansiones/mutationes) du trajet Bordeaux-Jérusalem, puis HéracléeRome-Milan. Son auteur, anonyme, appartient-il à la classe des fonctionnaires impériaux ? Son périple s'achève à Milan, cité impériale, et il n'est pas impossible qu'il utilise la poste impériale. C'est du moins un authentique pèlerin, à la recherche de sites bibliques, qui d'ailleurs ne détaille sa description que lorsqu'il parcourt la Palestine. Son voyage est très précisément daté : sous le consulat de Dalmatius et Zénophile (571,6), soit l'année 333. Édition: Jtinerarium Burdigalense, éd. P. GEYER et O. CuNTZ (= CCL 175, Itineraria et alia geographica), Turnhout 1965. Traduction commentée de H. DONNER, Pilge,fahrt ins Heilige Land. Die iiltesten Berichte c/1rist/icher Paliistinapilger (4.-7. Jahrhundert), Stuttgart 1979, p. 44-68. Traduction partielle de J. WILKINSON, Egeria's Travels, Londres 1971, p. 153-163.

- ÉGÉRIE, Itinéraire (cité ÉGÉRIE, /tin.). Relation à la première personne du pèlerinage effectué par une grande dame venue d'Occident (Galice ou sud de la Gaule) en diverses régions d'Orient (Palestine, Égypte, Arabie, Syrie-Mésopotamie, Asie Mineure). L'ouvrage nous est parvenu mutilé ; il est possible d'en compléter les données grâce à deux textes postérieurs qui ont connu la relation plus complète : la Lettre sur la bienheureuse Égérie de VALERIUS ou BIERZO, moine galicien du vn• siècle, et le De locis sanctis de PIERRE DIACRE, bibliothécaire de l'abbaye du Mont-Cassin au xn' siècle.

REMARQUES SUR LES SOURCES DE CETTE ÉTUDE

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La date du voyage d'Égérie est maintenant bien établie : il a eu lieu de 381 à 384. Édition : ÉGÉRm,Jounral de vovage (Itinéraire), Introduction, 1exte critique, traduction, notes, index et cartes par Pierre MARAVAL:suivi de VALERIUS ou BmRzo, Le11re mr la Bsc Égérie, Introduction, texte et traduction par Manuel C. DtAZ Y D1Az, Paris 1982 (= SC 296). On trouvera également dans ce volume tous les passages du De locis sa11ccis de Pn,RRE D1ACRF. qui peuvent avoir pour source le texte d'ÉGÉRIE traduits et commentés. L'édition la plus récente de ce texte est celle de R. WEBER (= CCL 175, 93-103 et 37-47). Le renvoi à mon édition d'Égérie m'a plus d'une fois dispensé de revenir en détail sur les questions qui y sont discutées.

JÉRÔME, Epitaphium Paulae (= Epist. 108), 7-14. Cette partie de l'Epitaphium Paulae, lettre écrite par S. Jérôme à la mémoire de Paula, grande dame romaine qu'il avait gagnée à l'ascétisme, relate le pèlerinage qu'elle fit en Palestine, avec sa fille Eustochium et d'autres compagnes, avant de se fixer à Bethléem pour y adopter la vie monastique. C'est l'œuvre d'un témoin oculaire, Jérôme ayant accompagné le groupe. Le genre littéraire de l'ouvrage (un éloge à caractère hagiographique) et la rhétorique de l'auteur ne font pas obstacle à la précision de la topographie. Le voyage a eu lieu vers 386 ; le fait que Jérôme en écrive une vingtaine d'années après (en 404) laisse à penser que certains traits de la description topographique ont été actualisés. -

Édition : SAINT JÉRÔME, Lercres, ed. J. LABOURT, tome V, Paris 1955, p. 163-176. Édition commentée de A.A.R. BASTIAENSEN et J.W. SM1T, in Vita di Martino, Vira di 1/arione, In memoria di Poo/a, Vérone 1975, p. 148-237 el 320-366. Traduction commentée de J. W1LKINSON, Jernsa/em Pi/grims, Wanninster 1977, p. 47-52; de H. DoNNER, op.cil., p. 138-170.

- JÉRÔME, traduction de l'Onomasticon d'Eusèbe. Entre 387 et 390, Jérôme a traduit l'Onomasticon d'Eusèbe. Traduction importante, car son auteur a ajouté des renseignements à plusieurs notices d'Eusèbe, signalant en particulier les églises bâties sur des lieux saints ; il en a également corrigé quelques erreurs. Éditio11 : E. KLoSTERMANN, op. cic. (la traduction de Jérôme se trouve en regard du texte d'Eusèbe).

- EucHERIUs, De situ Hierosolymae epistula ad Faustum presbytemm. Moins un itinéraire qu'une série de notes sur Jérusalem et quelques sites de Judée, rédigées à partir de témoignages oraux (uel relatione cognitus) et de documents écrits (uel lectione compertus). La date est discutée : si l'auteur en est l'évêque Eucherius de Lyon (v. 434-449), ce qui n'est pas impossible, on datera ce texte de la première moitié du v' siècle, mais après 414, car il cite une lettre de Jérôme de cette année-là. D'aucuns l'estiment postérieur à Adamnanus. Édition : Euc/1erii (q11ae Jertur) de siw H ierosolymae episwla ad Fauswm presby1en1m, ed. I. FRAIPONT (= CCL 175, p. 237-243). Traductions commentées de J. W1LK1NsoN, op. cic., p. 47-52 ; de H. DONNER, op. cit., p. 176-189.

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Breviarius de Hierosolyma (cité Breviarius). Guide à l'usage des pèlerins de Jérusalem décrivant ses principaux lieux saints, avec le détail des choses à y voir. On le possède sous deux formes différentes, qui se sont développées indépendamment à partir d'une source commune. L'ouvrage est à dater d'entre le milieu du V" siècle et le début du vu• siècle ; on l'assigne généralement aux premières décennies du VI' siècle. Édition: Breviari11s de Hierosolyma, cura et studio R. WEBER (CCL 175, p. 109-112 ; forma a et forma b). Traductions commentées de J. WILKINSON, op. cil., p. 59-61, et de H. DoNNl!R, ,,p. cit., p. 232-239.

- THEODOSIUS, De situ Terrae Sanctae (cité THEonosms, De situ). Compilation, à partir de sources écrites et de témoignages oralL'NTIUs V. Mcla11. i1m., 40 (SC 90, p. 202). 185. Apop/11. Patrum (PG 65, 96 Ci. 186. Bassa : Cv1RliT 1>1! CvR, 1'herap., VIII, li : SC 57, p. 313). 101. Cité par CvR11.1.1, 1> A1.11E, Hist. Laus., X.XVI, 3 (p. 140).

LE VOY AGE DU J>f;!.ERIN

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probablement de plusieurs livres bibliques IJJ. D'autres pèlerins en ont un seul : Pierre !'Ibère circule avec un exemplaire de l'évangile de Jean 1H, Thomas de Marga avec un volume des Évangiles 135 • Les exemples qui précèdent sont empruntés à des pèlerinages privés. On peut citer aussi bien des pèlerinages communautaires, où les participants se dirigent vers le lieu saint avec des chants et des prières. Lors d'une sécheresse, Porphyre, évêque de Gaza, organise des processions où les fidèles vont d'un sanctuaire de la ville à l'autre, derrière des croix, avec prières et génuflexions u~. Même pratique de la part de paysans du désert de Judée, dans une circonstance semblable : derrière les croix de procession de leurs villages, ils se rendent chez saint Euthyme aux cris du Kyrie eleison 137 • Les stylites de Syrie voient venir vers eux de telles foules en prière : auprès de Syméon l'Ancien montent des villages entiers des environs, derrière les prêtres, avec des chœurs d'enfants qui chantent m ; de grandes foules de Géorgiens, eux aussi récitant des psaumes et portant des croix, affluent auprès de Syméon le Jeune 139 • Les thaumaturges en déplacement suscitent pareillement l'affluence : lorsque Théodore de Sykéon se rend en pèlerinage dans la région de Nicomédie, où il visite tous les sanctuaires locaux qu'il rencontre, les habitants de la région accourent à sa rencontre avec des cierges et des encensements ; on lui demande de faire un détour par des champs stériles, des celliers dont le vin se gâte ; des pêcheurs qui ne peuvent rien prendre étalent leurs filets sur son chemin ... C'est une foule importante : on s'écrase pour approcher le saint, et une flotille de bateaux l'escorte encore lorsqu'il continue sa route sur mer 140 ••• Ces processions occasionnelles et spontanées peuvent devenir, ici et là, pratique habituelle des communautés, pèlerinage régulier, organisé. Il existe à Constantinople, au vi< siècle, des processions qui, avec psalmodie et prières à l'appui, font aller les fidèles d'un sanctuaire à un autre : ainsi, tous les vendredis, une procession se rendait de l'église de la Théotokos des Blachernes à celle des Chalcopratéia. Les villes de Germia et d'Eudoxias, en Galatie Salutaire, processionnaient solennellement vers l'église de la Mère de Dieu (Théotokos) d'un village situé entre elles, celui de Mousgé 141 • A Bidana de Lycaonie, la panégyrie

133. ÉmiRm, /ti11., 3, 6 ; 4, 3 ; IO, 7 ; li, 3 ; 12, 3 ; 14,1 ; 15,1 . Il est possible aussi que ce soient les clercs de ces lieux qui fournissent le lectionnaire. 134. V. Pcni lb. (p. 29 Raabe). 135. THoMAS ui; MARUA, Liber s11perion1111, VI, 2 (p. 582 Budge). 136. MARC 1.1: D1AcR1:, V. Porphyrii, 20 (p. 17 Grégoire-Kugener). 137. CvRn.1.li u1: ScvnmP., V. Eurhymi, 25 (p. 38 Schwartz). 138. Vita syr. Symeo11is (p. 109 Lietzmann). 139. V. Tl1eod. Syk., 158 (p. 132-133 Festugière). Cf. ibid., 67. 140. TufouoRE LE LECTEUR, Epitome, 494 (GCS p. 140). L'institution en est rapportée au patriarche Timothée (511-518). 141. V. Theod. Syk., 71 (p. 58).

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annuelle de saint Conon commençait par la venue processionnelle des habitants de la région au sanctuaire du saint : les fidèles, lampes en main, s'y rendaient de conserve en répétant les formules mêmes que, selon son hagiographe, le saint avait prononcées lors de son martyre : « V n est le Dieu de Conon » ; « Le Dieu de Conon a vaincu ! 142 »

142. Passio Co11011is (p. 306 Trautmann).

CHAPITRE VI

LE SÉJOUR DU PÈLERIN * DESCRIPTION DU LIEU SAINT

Au terme de son voyage, ou lors d'une étape de celui-ci, voici donc le pèlerin parvenu au lieu saint ou à l'un des lieux saints qui ont motivé sa mise en route. Ces lieux, assurément, sont très différents les uns des autres : entre le petit sanctuaire local, où l'affluence n'a lieu que quelques jours par an et provient de la seule région alentour, et le grand sanctuaire de renom universel où l'affluence est permanente, il n'y a guère de commune mesure. Tous ces lieux ont cependant quelques traits communs, qui en ont fait précisément des lieux de pèlerinage, des lieux saints où le fidèle va rendre un culte à ce qui en fait la sainteté. Ces traits communs font l'objet de ce chapitre : ils permettront de dresser une sorte de description-type du lieu de pèlerinage, dont les éléments principaux se retrouvent dans l'extrême diversité de ces lieux.

1. LA RELIQUE Premier élément indispensable : la relique. Le pèlerin va dans un lieu donné pour voir et vénérer : il n'y aura donc de lieu de pèlerinage sans un élément matériel qui puisse faire l'objet de cette vision et de cette vénération. Le terme relique (ÀEL'\jlava, reliquiae) peut convenir pour désigner cet élément, à condition de lui donner un sens assez large, celui de son étymologie : il s'agit de restes du passé, restes d'un événement ou d'un personnage, qui en portent témoignage et

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permettent d'évoquer leur souvenir 1• Détail topographique, ossements, objets divers : c'est autour de ces reliques que se constituent les lieux de pèlerinage. Cela vaut tout d'abord pour les sites bibliques. Nous avons dit plus haut que Je travail de localisation des événements de la Bible ne s'est pas contenté de généralités, de vagues approximations géographiques, mais a sans cesse visé la précision, Je lieu même où ces événements s'étaient passés. Pour ce faire, on a immédiatement cherché un élément matériel auquel accrocher cette localisation. Ce furent d'abord des sites bien définis : telle grotte, tel rocher, telle montagne, tel arbre ; mais très vite on est allé plus loin et on est passé des lieux aux objets, qu'ils soient importants - la crèche de Bethléem, la croix de la crucifixion, la colonne de la flagellation, etc. - ou secondaires, voire anecdotiques - les urnes des noces de Cana, le seau avec lequel la Samaritaine avait puisé l'eau, la margelle sur laquelle s'était assis le Christ, et une multitude d'autres. Ce sont ces éléments qui, par leur présence, objectivent les traces du passage du Christ ou d'autres personnages bibliques, permettant de reconnaître le lieu saint, lui donnant consistance. A la limite d'ailleurs, parce que c'est sur la terre de Palestine que le Christ a vécu, parce que c'est là que toute la geste de l'histoire du salut s'est déroulée depuis les origines, c'est tout le pays qui devient « terre sainte ». L'expression, sans doute, n'apparaît pas encore à notre époque, du moins comme un nom propre, mais c'est bien une telle conviction qui anime tous ceux des pèlerins qui, à défaut d'autre relique, emportent un peu de la terre de Palestine, de « la terre de la promesse où est né le Sauveur 2 ». En ce qui concerne les tombeaux des martyrs, la situation est généralement très simple : les reliques sont les ossements des martyrs, soit qu'ils aient reçu là leur sépulture, soit qu'on les y ait tra;1sférés par la suite, en tout ou en partie. Dans quelques cas on s'est contenté de reliques secondaires, obtenues par contact avec les authentiques. Il existe aussi quelques lieux de pèlerinage sans relique ni tombeau apparents, mais l'examen de leur histoire est révélateur de la nécessité où l'on s'est trouvé, peu à peu, de trouver (ou du moins de localiser) ces reliques absentes. Il en est ainsi, par exemple, à Sainte-Thècle de Séleucie. A l'origine, il n'y existe pas de lieu particulier que l'on puisse tenir pour Je tombeau de Thècle, ce qui s'accorde avec la première

1. A l'époque classique déjà, le pluriel ÀE;,pava désigne déjà les restes d'un mort, mais il a aussi un sens plus général. C'est llinsi qu'Eusèbe l'utilise pour désigner les« restes » de l'arche de Noé sur le mont Ararat (Eusim1;., 0110111., p. 2-4). Le terme se spécialise assez vite et désigne (souvent accompagné de ~iµw, précieux) les reliques des martyrs ou des saints. En Orient, ces reliques sont le plus souvent les ossements, libéralement partagés, alors qu'en Occident on trouve aussi les reliques par contact, appelées rcliq11iac, mais aussi sa11ctuaria, bra11dca, pig11om, etc. 2. Mcnsa de Tixtcr (aujourd'hui au musée du Louvre) : G/1. VIII, Suppl. III, n" 20600. Cf. A. l'RoJ.Ow, /,a Re/iq1œ de la vraie croix, p. 158, Doc. 3.

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rédaction de sa vie, qui ne parle pas de son ensevelissement 3 • Pourtant, l'église du 1v' siècle possède déjà un martyrium, c'est-à-dire un lieu qui témoigne de la présence de la sainte 4 • La Vie du v' siècle vient préciser le sens de cette présence : elle en appelle à une tradition selon laquelle la sainte s'enfonça vivante dans la terre, à l'endroit même de l'autel 5 ; c'est donc la relique vivante qui est présente dans le « sous-sol imaginaire » de ce martyrium 6 • Plus tard une nouvelle tradition se met en place : c'est dans une grotte proche que l'on cherche la présence de la martyre (et on élèvera au-dessus d'elle un nouveau sanctuaire), une grotte dans la paroi de laquelle elle est entrée pour échapper à ses persécuteurs, ne laissant entre leurs mains qu'un morceau de son manteau - dont on montre désormais aux pèlerins la relique pétrifiée 7 • On est bien passé d'un stade sans relique à celui d'une relique visible, avec entre les deux celui de la localisation invisible de la sainte. Autre sanctuaire où s'est posé un problème semblable : celui de Saint-Démétrius de Thessalonique. A l'origine, cette basilique ne possède ni tombeau ni relique (une tradition qui est peut-être la plus ancienne place ces reliques à Sirmium, n'accordant à Thessalonique que des reliques secondaires 8). On affirme pourtant la présence du martyr : le ciborium de la basilique, à l'intérieur duquel se trouve un lit funéraire, est tenu pour la demeure du saint. Demeure symbolique, assure encore l'évêque rédacteur des Miracles au début du vu• siècle ; demeure réelle, pensent les Thessaloniciens, qui y voient bientôt l'emplacement du tombeau 9 • On en est encore à un stade intermédiaire à l'époque où Justinien, puis Maurice, demandent qu'on leur envoie des reliques du martyr, car on se contente de leur faire parvenir de la poussière recueillie en un endroit qui est censé conduire au tombeau '°. Ces deux exemples montrent bien qu'un sanctuaire, en particulier un sanctuaire qui a du succès, qui devient un lieu de pèlerinage, ne peut s'accommoder longtemps de l'absence de reliques ; d'où, sans doute, tant d'inventions inspirées. Dans quelques cas où la présence des reliques ne semblait pas très assurée, un autre élément matériel a pu être proposé aux fidèles : on connaît ainsi, en

3. Cf. Ac1a Pa11/i et 1ïu•c/ae, 43 : « Elle s'en alla à Séleucie, et après en avoir illuminé beaucoup par la parole de Dieu, elle s'endormit d'un doux sommeil » (p. 270 Lipsius-Bonnet). Le texte est du 11' siècle. 4. ÉGlilUE, Jrin. 23, 4-5. 5. V. Tlzeclae, 28, 7-11 (p. 280 Dagron); M. Tlzecl., 7, 26 (p. 302); SÉVÈRE u'ANTIOCHE, Hom. 97 (PO 25, p. 580-581). 6. G. DAGRON, Introduction à Vie e1 Miracles de sainte Tlzècle, p. 72. 7. Ac1a Pauli el Tlrec/ae (cod. G), 45 (p. 272). Sur Je développement parallèle de la légende de Thècle et de l'organisation architecturale du site de Séleucie, cf. G. DAGRON, op. ci1., p. 47-54. 8. Les anciens martyrologes (le syriaque et l'hiéronymien) placent à Sirmium le martyre de saint Démétrius : cf. H. DELEIIAYE, I..ége,,des grecq11es des saillls 111ili1aires, Paris 1909, p. 108. Cf. aussi le Répenoire, « Thessalonique ». 9. M. D.m1e1r., 1, 22; 5, 52; 6, 55 ; 10, 87-89 (Lemcrle). 10. Ibid., 5, 51-54.

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Asie Mineure, des arbres ou des fontaines sacrés que la légende faisait naître du sang du martyr 11 • Un sanctuaire très réputé ne possédait pas la dépouille de son titulaire : celui de Qalat Siman. A la mort de Syméon Stylite l'Ancien, son corps avait été enlevé ma11u militari et conduit sous escorte à Antioche 12 ; le pèlerinage n'en continua pas moins auprès de la relique insigne que constituait la colonne du stylite. C'est autour d'elle que l'on bâtit la grande basilique destinée à recevoir les pèlerins, c'est elle que ceux-ci viendraient voir et vénérer 13 • Un autre cas de figure était posé par le culte des anges. On a dit plus haut que les sanctuaires élevés en l'honneur des anges avaient souvent reçu des reliques de martyrs ; en d'autres cas, on constate que la dévotion des pèlerins s'est attachée à un élément concret et matériel : à Chonai, c'est la fissure dans le rocher qu'aurait provoquée l'archange saint Michel et les eaux qui en jaillissent 14 ; à Pythias ce sont les sources thermales que fréquentent les malades 15 ••• Des éléments matériels sont ainsi voués aux anges, et des légendes permettaient de rapporter à un événement fondateur la sainteté du lieu 16 • On hésitera peut-être davantage à utiliser le terme « relique » pour les saints personnages encore vivants auprès desquels les pèlerins se rendaient en visite. Pourtant l'attitude des visiteurs, en leur présence, est la même qu'en présence des reliques : on attend de leur vision un témoignage, celui de la sainteté de leur vie, et de leur contact une participation à leur sainteté et aux pouvoirs qui lui sont liés. Le saint n'est pas encore une relique, mais il est traité comme s'il l'était. Certains s'en offusquent et refusent de jouer ce rôle 11 ; d'autres l'acceptent sans problème : en guise d'eulogies ou d'instruments de guérisons miraculeuses, Syméon Stylite le Jeune distribuait à ses visiteurs de ses poils ... dont il existait même une réserve dans une des pièces du monastère 18 ! La relique qui fait le lieu saint, en règle générale, n'est pas li. Ainsi la fontaine de Sainte-Tryphaine à Cyzique* (Hellespont), le chêne de Saint-Thérapon en Lydie *, le figuier de Saint-Papas en Isaurie *, l'amandier de Saint-Thémistocle à Myre • (Lycie), etc. 12. Vita syriaca Symeonis, 133-134 (p. 177-178 Lietzmann). 13. ÉVAGRll, Hist. eccl., l, 14 (p. 23-24). 14. Noter cependant que la fissure est déjà mentionnée par HÉlmoorn, Hist., VII, 30. 15. Cf. Répertoire « Asie Mineure, Bithynie ». Il est possible que les reliques des saintes Ménodora, Nymphodora et Métrodora se soient trouvées dans l'église de Saint-Michel. 16. Cf. Miracle de sailll Micl,e/ à Colosses (PO 4, p. 547-562 = AB 8, p. 287-316). 17. Cf. TuÉoooRlff DE CvR, Hist. relig., XXVI, 12 (SC 257, p. 184): Syméon, dont les visiteurs veulent toucher le manteau, trouve cet excès d'honneur déplacé et c'est pour cela qu'il monte sur une colonne. Ibid. Ill, 8 (SC 234, p. 279 s.) : Marcianos, qui a appris qu'on lui élève des chapelles mortuaires, demande à deux de ses disciples d'ensevelir son corps en secrel et de ne révéler à personne le lieu de sa 1ombe. 18. V. Sy111co11. irm., 192, 232. Les vêtements de certains moines ont des vertus prophylactiques ou miraculeuses, et ils en fon1 part libéralement : cf. TufonoR1ff DE CvR, Hist. relig., IX, 5 (SC 234, p. 434), XXI, 16 (SC 257, p. 96), XXVI, 12 (p. 184); THÉODOJŒ DE PÉTRA, V. T/,eodosii (p. 82-83). Cf. infra, chap. VII.

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immédiatement accessible au pèlerin : elle se trouve parfois dans une crypte, ou une« confession » en contrebas du sanctuaire, dont l'accès est soumis à restrictions (on y reviendra plus loin) ; elle est à tout le moins à l'abri derrière des chancels ou des balustres 1•. A Jérusalem, le bloc rocheux du tombeau du Christ est tout entier pris dans un édicule grillagé qui le protège de toutes parts ; la plate-forme rocheuse du Golgotha *, intégrée dans un portique, n'est accessible que par deux escaliers ; la grotte des entretiens, à l'Éléona *, constitue la crypte de la basilique, de même que celle de la Nativité à Bethléem *... Les reliques de petites dimensions - souvenirs bibliques, ossements des martyrs et des saints - sont déposées dans des reliquaires, eux-mêmes soigneusement enfermés dans des chapelles ou des pièces particulières, ou placées dans des niches peu accessibles. La relique de la croix à Jérusalem est à l'intérieur d'un reliquaire d'or et d'argent, lui-même placé dans une chapelle latérale du Martyrium *, chapelle fermée par de lourdes portes dont les clefs sont confiées au stavrophylax, membre important du clergé de cette église 20 ; la tête de Jean-Baptiste à Émèse est aussi conservée dans une pièce dont la porte est munie de verrous de fer 21 , etc. Il peut arriver, il arrivera de plus en plus fréquemment, que les reliques soient placées sous l'autel du sanctuaire : cette pratique, qui deviendra courante dans les lieux de culte ordinaires 11 , fera parfois de ces dl;!rniers des lieux de pèlerinage au sens que nous avons dit, où c'est la dévotion aux reliques qui motive le déplacement des fidèles, généralement hors du cadre de la pratique religieuse habituelle 13 • Pour en revenir aux conditions d'accès à la relique, on notera que certains sanctuaires en avaient de particulières : ainsi la colonne de Syméon Stylite l'Ancien n'était pas accessible aux femmes, comme d'ailleurs, du temps de Syméon, la mandra où elle s'élevait (alors qu'elle était accessible aux bêtes de somme !) 14. Même limitation à Saint-Euthyme, où la chapelle contenant le tombeau du saint se trouve à l'intérieur du monastère 15 • Du fait de ce souci de protection, certaines reliques ne pouvaient être vénérées par tous qu'à 19. Sur les décors des ca11cel/i (avant l'iconoclasme), cf. Ch. Dm.voYE, s.v. Cancclli, RBK l, 900-920. Sur les cryptes, cf. J .P. SomN1, « Les cryptes d'autel paléochrétiennes : essai de classification». Travaux et Mémoires, 8 (Hommage à M. Paul Lemcr/c), Paris 1981, p. 437-458. 20. Le premier titulaire connu de celle fonction est Porphyre, futur évêque de Gaza (MARC LE D1ACRE, V. Porphyrii, JO, p. 10). Sur la chapelle de la Croix, cf. Répertoire, « Palestine, Martyrium ».

21. Mir. BarSa11111a, 97 (ROC 19, p. 287). De même la chapelle de Saint-Jean-Baptiste à Samarie (JEAN Rur-us, P/eropho1iac, 29 : PO 8, p. 90-91). 22. Tant en Orient qu'en Occident, dès la fin du v' siècle, on ne dédicace plus d'église sans reliques de manyrs sous l'autel. 23. C'est le cas des reliques de saint Nicétas le Goth à Mopsueste • (un des premiers exemples connus, fin du 1v' siècle), de celles de saint Spyridon de Trimithonte •, de celles de saint Artémius à Saint-Jean-Baptiste d'Oxéia •, à Constantinople (M. An., 37). 24. ÉvAGRE, Hist. ceci., 1, 14 (p. 24 Bidez-Parmentier). Cf. Vita syriaca Symeonis, 14, 23, 25. De telles interdictions existaient dans des temples païens, ainsi dans le Marnéion de Gaza (MARC LE D1ACRll, V. Porpl,yrii, 76, p. 61). 25. CYRILLE DE ScvnmPous, V. E11thymi, 54 (p. 76).

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certains jours, ainsi la vraie croix de Jérusalem, que l'on ne sortait qu'une ou deux fois par an de son refuge 26 ; le reste du temps, elle n'était accessible qu'à certains visiteurs de haut rang ou de grande sainteté 27 • La protection de la relique, le plus souvent, est aussi un décor, et un décor précieux. L'édicule qui enchâsse le tombeau du Christ, à l' Anastasis *, est constitué de colonnes torses, aux chapiteaux ouvragés, qui supportent un toit conique argenté et doré, lui-même surmonté d'une croix d'or; un ciborium doré surplombe le rocher du Golgotha*, de même que l'emplacement où, à Saint-Démétrius de Thessalonique *, est censé se tenir le saint. De même le ciborium qui abrite la châsse du vêtement de la Vierge, dans l'église de la Théotokos des Blachernes *, est-il orné d'une mosaïque faite d'or et de pierres précieuses. Les tombeaux eux-mêmes, ou les reliquaires, sont fréquemment des œuvres d'art richement décorées. Soulignons la variété des reliquaires, dont les sources littéraires et archéologiques nous fournissent de nombreux exemples. Variété quant au matériau : on en trouve de pierre, de bois, de métal (or, argent, bronze, plomb), d'ivoire, de verre 28 ••• Variété quant au décor, qui peut être peint ou sculpté, comporter ou non des inscriptions 29 • Variété enfin quant à la forme : le type sarcophage est le plus fréquent, mais il en est de carrés, de ronds, d'oblongs ; d'aucuns ont l'aspect de martyria en miniature, d'autres sont conditionnés par la forme de la relique (ainsi ceux qui contiennent le crâne de quelque saint) 30 • En Syrie on a découvert

26. Érn1Rrn, //i11., 37, 1-3 ; Lect. am,., 43 (PO 36, p. 281) ; 68 (p. 363). A Constantinople, à la fin du v11' siècle, elle é1ai1 exposée à l'adoration du jeudi au samedi saints (ADAMNANus, /)c /ocis, 3, 1 : CC/, 175, p. 228). 27. Cf. les exemples cités infra, chap. VII, p. 122, n. 71. 28. Quelques exemples, à partir de sources liuéraires. Reliquaires d'or (ou dorés) ; celui de la vraie croix à Jérusalem (Ém'!Rm, /tin. 37 ,1 ; MARC LI! D,t.cRll, V. Porphyrii, 14) ; celui du vêlement de la Vierge des Blachernes (lnventiovestis BMV, 12, p. 300-301 ; or el pierres précieuses) ; celui qui conlienl la tête de sainte Théodole martyre (ANT. PLAc., /ri11., 22,12 : or el pierres précieuses). Reliquaires d'argent : celui de saint Serge de Resapha, celui d'Euphémie de Chalcédoine (ÉvAGRll, Hist. eccl. IV, 28 et Il, 3: p. 176 el 40); celui de saint Euthyme (CvRILLI! Dl! ScYTttor•., V. E111hymi, 42, p. 61). Reliquaire de plomb : celui de saint Artémius (M. Art., 33, 34 : p. 50-52). Reliquaire d'ivoire : la plaque d'ivoire de Trêves (cf. p. 48, n. 136) esl sans doute un élément de reliquaire. Reliquaire de verre : celui qui contient la 1ê1e de Jean-Baptiste à llmèse (ANT. Pr.Ac., lti11., 46, 7). Reliquaire de bois : celui de la tunique de la Vierge à Germia (GRrkl. Dll TouRs, Mir. 1, 8). Les fouilles archéologiques, par ailleurs, ont exhumé de nombreux reliquaires de pierre (marbre, basalte, etc.) ou de métal. Sur ces derniers, cf. H. BuscttHAUSHN, Die spiitromischen Metal/scrinia u,1d Jriihchristlichen Re/iquiare. /. Kata/og, Vienne 1971 (= Wiener by7.antinische Studien, 9) cl S. EvrŒ, « A book on reliquaries and some ncw reliquaries from Analolia », Sa1ra1 Tarihi Yi/ligi-Kunsthistorische Forschungen 8, 1979, p. 57-94. 29. L'inscription mentionne le plus souvent le nom du saint : cf. H. Dm.r!HAYH, cc Saints el reliquaires d'Apamée », AB 53, 1935, p. 224-244. A Héraclée, une inscription de huil trimètres iambiques, sur le sarcophage de sainte Glycérie, vantail l'efficacité 1haumaturgique de ses reliques : cf. E. KALINKA et j. STRZYGOWSKt, in]ahreshefte des Ôst. Archiio/. /11s1i1u1. 1, 1898, Beiblau, col. 26-28 el fig. 11. 30. Quelques exemples dans H. LH011lt·s d,• 'frm· s,iim,·. Paris 1958. ampoule Monza 3 revers 1_pl. IX), Monza 5 revers (pl. XI), Monza 9 (pl. XIV), e1c., pour l'Anastasis. Monza 2 revers pour Bethléem. Même lorsqu'on n'y remarque pas ces détails lopographiques, on peut penser que lt' décor d'aulres ampoules de Monza-Bobbio (ou d'autres suppons iconographiques semblables) provienl des compositions monumentales de cenains sanciuaires de Jérusalem : la scène de l'ascension de l'ampoule Monza I revers (pl. III) s'inspire peut-être d'une mosaïque de l'Éleona ou de la Sainte-Ascension, celle de l'ampoule Monza 9 revers (pl. XV), où l'on voit Thomas toucher le côté du Christ, reprend probablement une composition de l'église de Sion. où l'on plaçait cet épisode. 114. Cf. M. S1MN, « Sur l'origine des sarcophages chrétiens du type Bethesda ». Mé/1111g,•s d'ard1éo/ogit• ,•t d'histoir~ SS, 1958, p. 201-223 (repris dans /.,• Christia11ism,· 1mtiq11Es, « Spuudaei el l'hiloponcs », HO 7, 1910, p. 341-348: 11>., « Le monas1ère des Spoudaei à Jérusalem el les Spoudaei de Cunslantinuplc », ibid., 4, 1900-1901, p. 225-231. Ce monas1ère de l'Anas1asis, si1ué 1ou1 près de la basilique, érnil assez peuplé : lors de la prise de Jérusalem, un y releva deux cenl douze vic1imes (STRATISassio Co11onis (p. 319-320 Trau1mann). Le sanclUaire possède aussi des biens fonciers, champs el vignobles (p. 313, 10-12). 174. jJ1: St:YTIIOP., V. Emhymi, 25 (p. 38); T11Éo1>0R1cr 1>1: CYR, Hist. re/ig., xxv1, 13 (SC 257, p. 190); Vita syriaca Symeo,iis (p. 109 Lietzmann), V. Symeon. iu11., 103; V. Theod. Syk., 158. . 15. Érn\Rrn, /ti11., 49, 1 ; Lect. Am,., 68 (PO 36, p. 223-224); Grand Lect. (géorg.), 1234-1254 (CSCO 205, p. 36-39). 16. V. Elisabeth 17ra11111., 3 (AB 91, p. 253). 17. M. 71rec/., 33, 2 (p. 376-377 Dagron; cr. aussi l'in1rod., p. 79). 18. GR1,,;orR1: 1>1: TouRs, Mir., I, 32 (MGH, p. 508). 19. V. Theod. Syk., 13, 20 ; MCD 10, 39; 26, 5 ; 30, 55-58. D'autres termes servent parfois à désigner la veillée : agrypnia, 1ryk1égersia (M. Thecl., 26,9 ; 33,17). 20. Sur le chant des hymnes pendant la vigile, cf. GRÉGOIRH Dll NvssE, V. Macrinac 33, 6-10 (Sc 178, p. 248). Les Miracles de sailll Mercure (en copte) rapportent un trait original, la pannychis en vêtements blancs : « La foule se releva, se revêtit joyeusement de vêtements blancs et alla dans l'église ; elle continua d'y chanter des hymnes jusqu'au retour de la lumière ,, (Mir S. Mercurii, 10, 51 : p. 108-109 Orlandi). Même chose dans CoNSTANTIN DE SmuT, Seco11d Panégyriq11e de saim Cla11de d'Antioche, PO 35, p. 616-617. 21. M. Thed, 26 (p. 355-356). 22. Ibid. (p. 357-358). 23. Passio Cono11is (p. 306 Trautmann) ; Passio Blasii, 12, (PG 116, 829 C). 24. Éo1m11;, lti11., 25, 8.

LES PRATIQUES

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on aimerait avoir plus de détails à ce sujet, comme ceux que donnent des directoires liturgiques (typica) tardifs 25 • Un autre temps fort de la panégyrie était la synaxe eucharistique, au cours de laquelle les fidèles participaient aux « saints mystères » 2". Synaxe solennelle, avec la participation d'un nombreux clergé, qui compte souvent les évêques de la région 27 • Elle semble être la dernière célébration proprement religieuse, le jour du congé 2'. Les textes attestent certes l'éclat de telles cérémonies et leur belle organisation ; on ne les imaginera pas cependant trop formalistes.ni trop compassées. L'auteur des Miracles de Thècle a su décrire de manière très colorée« la bousculade à courant et à contre-courant qu'il y avait pour la sacro-sainte mystagogie entre ceux qui venaient d'entrer, ceux qui déjà s'en allaient, ceux qui de nouveau rentraient, ceux qui de nouveau sortaient, ceux qui criaient, ceux qui se disputaient, ceux qui s'empoignaient et refusaient de céder les uns aux autres, parce que chacun voulait être le premier à avoir part aux saints dons 29 ». D'autres textes sont témoins de semblables désordres 30 • La veillée nocturne et la célébration eucharistique sont essentielles à toute panégyrie, mais d'autres pratiques peuvent les accompagner. La procession des reliques , ou leur ostension solennelle, est fréquente 31 ; c'est d'ailleurs souvent le jour de la fête que les reliques exsudent des effluents miraculeux, aussitôt distribués aux pèlerins 31 • Les synaxes comportent aussi généralement des prédications, où les orateurs font le « panégyrique » du saint .ii ; il nous est resté un grand nombre de ces textes. A côté des prédications proprement dites, on voit dans certains sanctuaires - ainsi à Sainte-Thècle de Séleucie - des sortes de concours d'éloquence, ouverts à tous, sur le thème naturellement des

25. Cf. R. JANIN, Les Églises et h•s 111011E C1,sA1