L'hypnose ca marche vraiment
 9782501129862

Table of contents :
Couverture
Page de titre
Page de Copyright
Introduction
I. Les origines de l’hypnose
On n’en a jamais autant parlé, mais sait-on d’où elle vient ?
1. D’où vient l’hypnose ?
Comment parler de cette vieille histoire ?
Moyen Âge et Lumières : la méfiance
XVIII e siècle : Mesmer et les magnétiseurs
XIX e siècle : la médecine et l’hypnose
La controverse Paris-Nancy
XX e siècle : déclin et renaissance
2. Comment a évolué l’hypnose ?
Milton H. Erickson
Thérapies brèves, neurosciences et dérives : le XXI e siècle sera-t-il hypnotique ?
II. Cerner l’hypnose
Peut-on définir ce qu’est l’hypnose ?
3. Qu’est-ce que n’est pas l’hypnose ?
Hypnose et inconscience
Hypnose, domination et spectacle
Hypnose et danger
Hypnose et passé
Hypnose et mystique
4. Qu’est-ce que l’hypnose ?
Triptyque
Transe
Technique
Relation
III. Soigner ou ne pas soigner avec l’hypnose
Quelles sont les principales pratiques de l’hypnose ?
5. Comment soigne-t-on avec l’hypnose ?
Indications de l’hypnose
Déroulement et pratique de l’hypnose thérapeutique
Bon à savoir
L’hypnose fonctionne-t-elle vraiment ? Hypothèses, évaluations et preuves
Contre-indications, nuances et complexité
6. Peut-on jouer avec l’hypnose ?
Hypnose et métiers
Hypnose et spectacle
Hypnose et rue
7. Qui pratique l’hypnose ?
Hypnothérapie soignante ou non
L’exercice illégal de la médecine
Trouver l’équilibre : liberté et sécurité, entre prohibition et anarchie
Différents praticiens face aux patients
Responsabilités de thérapeute
Améliorer la formation
Intermède : en pratique
IV. Comprendre l’hypnose
Sait-on comment l’hypnose fonctionne ?
8. Le cerveau en hypnose ?
L’hypnose dans le cerveau
Hypnose et perceptions
Hypnose agentivité et inconscient
Hypnose et recherches en neurosciences
9. Comment fonctionne l’hypnose ?
La force de l’apprentissage
Ressenti, inconscient, intention, point de vue
Mouvement de dissociation-réassociation
Profondeur et typologie de transe
Relation, sécurité, changement
10. L’hypnose et les autres ?
Hypnose et relaxation
Sophrologie, PNL, autres thérapies… se rapprocher ou s’éloigner de l’hypnose
Hypnose et méditation
Hypnose et mouvements alternatifs
Hypnose et nouveautés
Conclusion
Notes
Remerciements

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© Marabout (Hachette Livre) 2017. Tous droits réservés. Toute reproduction d’un extrait quelconque de ce livre, par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm, est interdite sans autorisation de l’éditeur. ISBN : 978-2-501-12986-2 « The primary suggestion in hypnosis is: change is possible. » MILTON H. ERICKSON Table des matières Couverture Page de titre Page de Copyright Introduction I. Les origines de l’hypnose On n’en a jamais autant parlé, mais sait-on d’où elle vient ? 1. D’où vient l’hypnose ? Comment parler de cette vieille histoire ? Moyen Âge et Lumières : la méfiance XVIIIe siècle : Mesmer et les magnétiseurs XIXe siècle : la médecine et l’hypnose La controverse Paris-Nancy XXe siècle : déclin et renaissance

2. Comment a évolué l’hypnose ? Milton H. Erickson Thérapies brèves, neurosciences et dérives : le XXIe siècle sera-t-il hypnotique ? II. Cerner l’hypnose Peut-on définir ce qu’est l’hypnose ? 3. Qu’est-ce que n’est pas l’hypnose ? Hypnose et inconscience Hypnose, domination et spectacle Hypnose et danger Hypnose et passé Hypnose et mystique 4. Qu’est-ce que l’hypnose ? Triptyque Transe Technique Relation III. Soigner ou ne pas soigner avec l’hypnose Quelles sont les principales pratiques de l’hypnose ? 5. Comment soigne-t-on avec l’hypnose ?

Indications de l’hypnose Déroulement et pratique de l’hypnose thérapeutique Bon à savoir L’hypnose fonctionne-t-elle vraiment ? Hypothèses, évaluations et preuves Contre-indications, nuances et complexité 6. Peut-on jouer avec l’hypnose ? Hypnose et métiers Hypnose et spectacle Hypnose et rue 7. Qui pratique l’hypnose ? Hypnothérapie soignante ou non L’exercice illégal de la médecine Trouver l’équilibre : liberté et sécurité, entre prohibition et anarchie Différents praticiens face aux patients Responsabilités de thérapeute Améliorer la formation Intermède : en pratique IV. Comprendre l’hypnose Sait-on comment l’hypnose fonctionne ?

8. Le cerveau en hypnose ? L’hypnose dans le cerveau Hypnose et perceptions Hypnose agentivité et inconscient Hypnose et recherches en neurosciences 9. Comment fonctionne l’hypnose ? La force de l’apprentissage Ressenti, inconscient, intention, point de vue Mouvement de dissociation-réassociation Profondeur et typologie de transe Relation, sécurité, changement 10. L’hypnose et les autres ? Hypnose et relaxation Sophrologie, PNL, autres thérapies… se rapprocher ou s’éloigner de l’hypnose Hypnose et méditation Hypnose et mouvements alternatifs Hypnose et nouveautés Conclusion Notes

Remerciements Introduction D’où vient ce livre ? Rencontre L’envie ou la nécessité d’écrire naissent souvent de rencontres. Pour ce livre ce fut celle des patients, des collègues et des étudiants. Depuis des années, je mène des consultations dans toutes sortes de milieux, centre hospitalo-universitaire, hôpital psychiatrique, psychiatrie de liaison, centre médico-psychologique, centre pénitentiaire, pratique de ville, et d’autres, explicitement orientées vers l’hypnose et les thérapies brèves. Cela n’allait pas toujours de soi, notamment dans certains services d’un hôpital universitaire, de faire valoir que l’hypnose était un outil de soin et de thérapie tout à fait valable. Je n’étais pas un praticien en développement personnel ni un homme de spectacle. Pourtant l’hypnose avait encore parfois l’image soit d’un amusement de foire, soit d’une pratique ésotérique ou d’une vague relaxation, soit d’un dangereux moyen de domination. Mais tant auprès des collègues à qui je parlais de ma pratique, tant pour les patients1, les questions étaient fréquentes, alors même que la pratique soignante de l’hypnose devenait plus légitime en France… et que l’effet de mode rendait le paysage moins lisible. Questions Qu’est-ce que l’hypnose ? Comment fonctionne-t-elle ? Est-on sûr qu’elle « fonctionne » ? Sur quelles indications et dans quelles limites ? Qui a le droit de la pratiquer ? Comment et à qui peut-on se fier ?

Comment se déroule une séance ? Y a-t-il plusieurs types d’hypnose ? Est-ce la même chose que « ce qu’on voit à la télé » ? Qu’est-ce qui est pareil ou différent ? Relaxation ? Méditation ? Et ça agit sur le cerveau ? En quoi est-ce utile ? Les patients venaient donc me voir « pour l’hypnose », « car on leur avait dit que l’hypnose… ». Comme pour les étudiants, et parce qu’il est normal de donner des connaissances pour que le patient s’approprie le soin, j’ai dû aussi enseigner aux patients, leur expliquer, déconstruire leurs idées reçues, répondre à leurs questions sur la thérapie qu’ils s’apprêtaient à expérimenter dans mon bureau. Les collègues intrigués me questionnaient, et je répondais bien volontiers, tentant de synthétiser, d’expliciter. Des fonctions universitaires m’ont amené aussi à expliquer aux étudiants en santé, parfois sceptiques, de quoi il s’agissait. Mais aussi aux étudiants se formant spécifiquement à l’hypnose, professionnels de tous horizons, qui, bien que motivés par cet apprentissage et cette pratique, n’étaient pas épargnés, loin de là, par les questionnements et les idées reçues ; et qui parfois étaient bien en peine de clarifier leurs propres arguments. Rencontre aussi avec le fameux « grand public », cet inconnu. Au sein de mon entourage, ou à l’occasion de conférences, les questionnements foisonnaient. Malgré l’effet de mode qui fait que l’on en parle beaucoup, l’information n’est pas toujours claire et compréhensible et chacun voudrait mieux s’y retrouver. Peu à peu j’ai appris à présenter un certain nombre de connaissances sous une forme que j’espère claire et accessible, sans être simpliste.

Compréhension Depuis quelques années, il est dans l’air du temps d’écouter ceux que l’on nomme des vulgarisateurs. Le site YouTube regorge de vidéos de jeunes gens remarquables qui rendent accessibles les sciences (comme e-penser, micmaths, dirty biology, science étonnante, pour n’en citer que quelques-uns parmi les plus célèbres)2. Vous y trouvez aussi des conférences de grands noms du monde de la science qui savent s’adresser au public (comme les célèbres Étienne Klein pour la physique, Cédric Villani pour la mathématique, Stanislas Dehaene ou Lionel Naccache pour les neurosciences et bien d’autres…). Loin de prétendre avoir leur génie (car il en faut pour rendre si compréhensibles et passionnantes des notions aussi complexes), je crois partager avec eux l’envie de délivrer une information à la fois claire ET qui respecte la nuance et la complexité d’un sujet ; qui le rende accessible ET ne le simplifie pas au point de le trahir et d’en donner une fausse idée. Je fais mienne, en l’appliquant à l’hypnose et à la thérapie, l’idée du physicien Étienne Klein concernant la mise à disposition de connaissances scientifiques : c’est une question d’éthique. « Si l’on dit mal les choses, on risque de mal les penser » et il ne faudra alors pas s’étonner qu’on en parle mal. Quelles sont les questions qui se posent aujourd’hui ? Qu’est-ce que les patients ont besoin de savoir sur l’hypnose avant même d’entrer dans mon bureau ? Que pourraient savoir mes étudiants ou collègues pour mieux répondre à leurs plus fréquentes interrogations ? De quelle introduction, ceux qui souhaitent se former à l’hypnose pourraient avoir besoin ? Quelle information fiable, simple mais relativement complète pour le public intéressé ou curieux de cette pratique ? Est-il possible de répondre à ces questions de façon réaliste, accessible, en adéquation avec la pratique de terrain et les connaissances scientifiques actuelles ?

C’est l’ambitieux pari de cet ouvrage. Donc… Ce livre n’est pas un « manuel d’hypnose », qui serait trop technique, adressé uniquement aux thérapeutes. Souvent ces ouvrages sont d’ailleurs des compléments à une formation car l’apprentissage de l’hypnose ne me semble pouvoir se faire que de façon « vivante ». Vous n’y apprendrez donc pas à pratiquer des séances. Ce livre n’est pas un « Changez votre vie grâce à l’hypnose », qui serait, comme d’autres livres, trop simplifié et peu réaliste, voire mystique ou « New Age », présentant l’hypnose comme une technique de développement personnel merveilleuse, miraculeuse, universelle, simple, fonctionnant toujours pour bouleverser la vie… Ce livre n’est pas une « philosophie de l’hypnose », d’une portée intellectualisante qui éloignerait de la réalité pragmatique du sujet. Ce livre n’est pas une « encyclopédie de l’hypnose », qui serait exhaustive au risque de ne pas assez se focaliser sur les questions qui se posent réellement au plus grand nombre. Ce livre n’est pas non plus « l’hypnose pour les idiots/ignorants/imbéciles », trop simplifié au point de ne pas donner d’information suffisamment précise, qui prendrait le lecteur pour incapable de comprendre une notion complexe, si elle est bien exprimée. En revanche, ce livre est le fruit de nombreuses discussions, de questions qui m’ont été posées par des collègues, patients, amis et à qui j’ai tenté de répondre. Parfois en reconstituant le dialogue, parfois en reprenant l’enregistrement d’un échange quand il avait eu lieu, j’ai voulu construire ce livre comme un jeu de questions/réponses. Quelquefois, donc, le propos suit le fil de la discussion, permettant de présenter les idées et la pratique mais aussi d’affirmer des opinions et arguments sur ce qui fait débat dans l’hypnose.

J’ai tout de même divisé le propos en « parties » et « chapitres » pour faciliter l’accès par thématiques. J’aimerais qu’il permette à chacun de comprendre afin de savoir ce qu’il peut trouver d’utile dans l’hypnose. La première partie évoquera l’origine de l’hypnose, indispensable pour la décrypter. La deuxième partie sera axée sur l’hypnose elle-même, ce qu’elle n’est pas (les idées reçues) et ce qu’elle est, ses composantes et ses caractéristiques. La troisième partie tentera de clarifier les enjeux actuels de l’hypnose : d’une part l’utilité et les indications de l’hypnose dans le soin et la médecine, d’autre part aussi les autres usages de l’hypnose et les débats que cela entraîne : hypnose spectacle, hypnose de rue, hypnothérapie pratiquée par des non-soignants. La quatrième partie permettra aux curieux d’aller un peu plus loin : nous y présenterons ce qui se passe dans un cerveau sous hypnose mais surtout ce qui, selon nous, fait le fonctionnement et l’efficacité de l’hypnose. Enfin nous y aborderons les différences avec les techniques qui lui sont apparentées (relaxation, méditation, sophrologie, EMDR…). Coexpertise Il me semble que partager nos connaissances est un enjeu très actuel. Les soignants, à juste raison, attirent parfois l’attention des patients sur les sources consultables pour se renseigner, les plus accessibles n’étant pas toujours les plus qualitatives3 ! De leur côté, les patients reprochent aux médecins, parfois à juste titre, de ne pas assez expliciter ou partager leur savoir. Le code de déontologie médicale ne nous enjoint-il pourtant pas à donner une information claire, loyale et appropriée ? Je fais partie des optimistes qui pensent (et du moins espèrent) que, de plus en plus, les patients et les soignants se rencontrent

réellement et partagent leurs savoirs. En plus de cette exigence éthique, la déferlante de l’hypnose tant dans le soin que dans les médias nécessite d’informer, de clarifier et même de « s’engager » en se positionnant face à la situation actuelle. Il nous faut apporter des réponses aux patients, et il faut apporter aux soignants aussi, y compris ceux qui pratiquent l’hypnose, des réponses et des arguments, pour eux et pour leurs patients. Le temps où la fascination et l’obéissance étaient les ressorts de la relation au médecin ou au thérapeute doit laisser place à l’« empowerment », mot quasi intraduisible qui exprime l’idée de donner plus de capacités et d’autonomie de décision, notamment aux patients, en les aidant à comprendre les enjeux qui les concernent. C’est en donnant aux patients le pouvoir de comprendre ce qui se joue, que l’hypnose leur devient utile. On a coutume de dire en hypnose et en thérapies brèves que « le thérapeute n’est pas un expert de la vie du patient ». Il accompagne, avec ses outils, une personne qui, elle-même, fait un chemin vers un objectif. C’est au patient de juger que la thérapie avance, que les séances lui conviennent et l’aident. C’est donc le patient qui est expert de sa vie, le thérapeute restant un expert de sa pratique. En somme, comme le dit justement ma consœur le Dr MarieChristine Cabié4 : « Le praticien est un expert de la thérapie et le patient est un expert de sa thérapie. » Cependant, au cours d’une thérapie, les protagonistes apprennent à se connaître mieux, le patient partage notamment avec nous un peu de son expertise sur sa vie. Peut-être serait-il bon que nous aussi, en miroir, partagions un peu ce que nous pensons et savons sur nos pratiques ; nous serions alors dans une relation encore plus équitable et respectueuse.

Il n’y a pas de raison. Bonne lecture ! Dr Philippe Aïm www.institut-uthyl.com I Les origines de l’hypnose On n’en a jamais autant parlé, mais sait-on d’où elle vient ? On la croise en effet un peu partout. Elle vient de nous, de notre état de conscience, et elle vient du lien aux autres. Elle permet de connaître et de se confronter à ce qu’on ne connaît pas complètement. Elle traverse l’histoire de la médecine et des sciences mais aussi celle du mystère et du charlatanisme comme celle de la psychothérapie et de la relation humaine. Pour mieux comprendre ce qu’est l’hypnose il est indispensable de commencer par apprendre d’où elle vient et ce qui la constitue. C’est au fil de cette histoire que l’on est passé, plusieurs fois, du mystère aux soins, qu’on l’a fait évoluer en cherchant à la rendre utile. C’est un voyage passionnant et au fil de ce voyage, vous le verrez, on comprend déjà l’essentiel des problématiques en jeu. Nous verrons donc l’origine de l’hypnose au fil des étonnantes anecdotes qui l’ont faite, puis son évolution moderne : le fameux Erickson, les thérapies brèves et la période actuelle. 1 D’où vient l’hypnose ? Comment parler de cette vieille histoire ? Alors quelle est l’histoire de l’hypnose ?

Je vous propose de lire cette brève histoire de l’hypnose à travers l’histoire des trois notions suivantes. — La notion de « transe », cet état de conscience particulier. — La question du pouvoir de notre esprit, particulièrement de l’imagination. — La relation interhumaine. L’idée que l’imagination et plus généralement nos représentations mentales peuvent influer sur notre corps, et soulager de certaines souffrances, est le germe même de l’idée de « psychothérapie », c’est-à-dire, en somme, la guérison par l’intermédiaire du psychisme et dans le cadre d’une rencontre. Idée, nous le verrons, qui n’allait pas de soi. La relation interhumaine, particulièrement son influence dans un cadre thérapeutique, a toujours déclenché de vifs débats. Les avancées, y compris scientifiques, dans ce domaine, n’ont pas toujours provoqué de consensus, jusqu’à aujourd’hui. Il suffit pour s’en convaincre de s’intéresser aux controverses contemporaines entre les différentes « écoles de psychothérapie » : on sait de mieux en mieux comment fonctionne notre complexe corps mais, quand il est question de savoir comment aborder l’autre et ses souffrances psychiques, personne n’est d’accord1. Le phénomène même de la transe, même s’il est aujourd’hui quasi synonyme d’état hypnotique, a toujours été considéré avec fascination ou méfiance. La transe, quant à elle, est une notion anthropologique présente dans quasiment toutes les cultures humaines. Mais en Occident, jusqu’à il y a très peu de temps, les savants s’intéressaient peu à ce qui se passait ailleurs, et l’ethnopsychiatrie n’existait pas. Plus encore, le phénomène même de la transe, même s’il est aujourd’hui quasi synonyme d’état hypnotique, a toujours été considéré avec

fascination ou méfiance. Il s’est confronté, peu à peu, à la science expérimentale et à la culture ambiante. Cela a permis au fil du temps de forger une vision plus rationnelle et scientifique de l’hypnose, plus adaptée à notre culture, mais qui laisse encore une part au mystère, celui de la relation et des capacités de l’esprit. La transe est donc une notion « ancestrale » ? La notion de transe apparaît dans de nombreuses formes de médecines tribales ou ancestrales, dans les pratiques associées aux diverses formes de « chamanisme » (sibérien, africain, amazonien, etc.). Souvent dans cette pratique, un homme possédant une connaissance, un rôle particulier de sage, guérisseur, conseiller, souvent d’ailleurs avec une dimension religieuse, entre et/ou fait entrer un autre souffrant dans un état de conscience particulier afin de le guérir2. Il semble que pour les médecins de l’Antiquité, et pour les cultures « traditionnelles » qui ont gardé trace de leurs coutumes avant l’influence occidentale, l’influence de l’esprit, de la parole sur le corps et la guérison était facilement admise. L’hypnose, si on la considère comme un état de conscience particulier qui mène à un changement, a donc été pratiquée sous maintes appellations à toutes les époques et en tous lieux. Aujourd’hui encore, elle se perpétue sous d’autres formes dans la pratique traditionnelle de différentes cultures : en Extrême-Orient, en Afrique, chez les Indiens d’Amérique, etc. Il semble que pour les médecins de l’Antiquité, et pour les cultures « traditionnelles » qui ont gardé trace de leurs coutumes avant l’influence occidentale, l’influence de l’esprit, de la parole sur le corps et la guérison était facilement admise3. À titre d’exemple, dans le papyrus d’Ebers, plus ancien document médical connu, rédigé en

Égypte au XVe siècle avant notre ère, on peut lire : « La parole m’a été donnée par le Maître de l’Univers afin d’expulser la souffrance. » Dans la Bible, on lit l’histoire de Hannah, jeune femme désespérée de ne pas avoir d’enfants, et qui verra son problème se résoudre après une prière ayant toutes les apparences d’une transe thérapeutique4. Dans la Grèce antique, on soignait dans les temples d’Esculape autant par les paroles que par les médicaments. À quelques remèdes tirés du règne végétal, on ajoutait presque toujours des chants agréables ou des prières mystiques qu’on appelait « charmes ». Au Moyen Âge, dans un monde où la notion dominante est celle de maladie organique, Maimonide ajoute la dimension de mental et de social5. Moyen Âge et Lumières : la méfiance Mais cette vision intégrative, « holistique6 », va se dégrader au Moyen Âge ? Réduisons notre champ d’étude à l’Occident7, car c’est ici que les controverses autour de l’hypnose finiront par se tenir. Sous nos latitudes donc, au Moyen Âge, la maladie est considérée comme purement organique. La médecine s’appuie sur d’antiques conceptions héritées des Anciens : Galien, Avicenne et Hippocrate, et la recherche, notamment anatomique, est muselée par l’hégémonie de l’Église, qui a une forte autorité et contrôle la vie scientifique et intellectuelle. Reprenons donc nos trois notions initiales : L’humain est vu comme un être qui peut se contrôler et qui ne doit pas se laisser dominer par la matière. Si le corps produit des

phénomènes inattendus, incontrôlés, c’est donc qu’il est habité. La foi officielle se méfie donc des phénomènes de transe, apanage des âmes « possédées » et des sorcières8. Combien de patientes qui aujourd’hui bénéficieraient de soins ont été brûlées sur les bûchers ? Les ecclésiastiques ont aussi pour mission d’exorciser, de guérir par la cérémonie religieuse et de combattre l’influence des puissances maléfiques sur les malades. L’expérience mystique directe est suspecte, car le clergé est l’intermédiaire « officiel » entre Dieu et les hommes. Elle se méfie aussi de la relation interindividuelle car l’influence sur l’homme doit venir du Ciel ou de ses représentants sur Terre, comme Jésus qui influe sur les autres en amenant la guérison. « Je le pansai Dieu le guérit » écrira même Ambroise Paré, père de la chirurgie, au sujet de ses interventions, tant il est dangereux de s’attribuer une telle influence ! L’Église se méfie enfin de l’imagination, qui perturbe l’esprit de l’homme et le détourne de la foi. L’Église se méfie enfin de l’imagination, qui perturbe l’esprit de l’homme et le détourne de la foi. Giordano Bruno, imaginant le concept « d’infini » de l’univers, sera brûlé. Galilée, osant affirmer que la Terre n’est pas au centre et que ce n’est pas le soleil qui tourne autour d’elle, y échappe dans son procès en hérésie face à l’église, en affirmant que c’est… son imagination qui l’a conduit à produire cette étrange théorie ! À cette époque où le diable devient une entité, on a peur que l’imagination ne soit l’appui des forces du mal ; il existe un délit de « pensées hérétiques ».

Mais à partir de la Renaissance, les connaissances s’affinent de plus en plus… Les philosophes des Lumières ne sont-ils pas plus rigoureux et moins influencés par une foi aveugle ? Bien sûr. Cependant, l’imagination est toujours un objet de méfiance ! Les philosophes en quête d’universalisme et de savoir absolu s’en méfient car elle pourrait troubler la justesse et l’objectivité d’un raisonnement. C’est l’avènement du scepticisme9. Citons quelques-uns de ces philosophes à titre d’exemple. Pour Pascal déjà, l’imagination « fourvoie l’être humain ». Montaigne juge l’imagination « perfide ». Pour Descartes, l’imagination est un fossé entre volonté et entendement, qui « invente » des propositions fausses, c’est un obstacle qui pourrait l’empêcher de raisonner correctement et rationnellement (de façon « cartésienne » en somme !). Pour Malebranche, c’est « la folle du logis (…) qui se plaît à faire la folle » et à dérégler la raison humaine pour l’entraîner dans le monde de l’absence et du fantasme. XVIIIe siècle : Mesmer et les magnétiseurs Rien ne semble favoriser l’idée que la relation et l’imagination peuvent être bénéfiques ! Qu’est-ce qui a permis un changement de paradigme10 ? Le changement surviendra progressivement, et non sans encombre, mais il a probablement été possible à partir de la drôle d’histoire de Mesmer. En 1766, un médecin allemand, Franz Anton Mesmer, soutient à Vienne une thèse intitulée De planetarum influxu in corpus humanum qui présente une théorie selon laquelle tous les corps vivants sont soumis à l’influence des astres par l’action d’un fluide magnétique

universellement répandu. La maladie résulterait d’une mauvaise distribution du fluide dans les différents organes. À l’époque, on pratique l’exorcisme et on recense plus de 150 000 entités diaboliques différentes. Mesmer est amené à donner son avis à l’Académie des sciences de Munich sur des démonstrations d’exorcisme de l’abbé Gassner, exorciseur réputé, qui arrive, pour obtenir la guérison, à faire se reproduire les symptômes des possédés, donc à faire refaire une « crise », en demandant au démon de se manifester et de reproduire les symptômes. Décortiquant les actions de Gassner, Mesmer en déduit qu’il n’y a pas là d’intercession, mais une sorte de force de l’abbé lui-même, un « pouvoir magnétique ». L’air de rien, il propose un changement de paradigme : le pouvoir n’est plus dans le démon, mais dans le « praticien » et on passe du privilège de l’influence du clergé et des monarques qui apposent leurs mains au « magnétisme animal11 ». Il y aurait un fluide magnétique entre les êtres animés, pouvant se transmettre d’une personne à une autre dans un pouvoir d’influence mutuelle. Personnage connu dans le Tout-Vienne, fréquentant des musiciens comme Haydn ou Mozart, il pratique sa technique et obtient des effets spectaculaires. Il guérit partiellement la cécité d’une jeune musicienne, ce qui contrariera dans un second temps les parents de cette dernière, qui craignent de ne plus toucher sa pension d’invalidité ! À deux doigts d’un scandale, Mesmer quitte Vienne en 1777. Il y aurait un fluide magnétique entre les êtres animés, pouvant se transmettre d’une personne à une autre dans un pouvoir d’influence mutuelle. Il exerce à Paris, écrivant un mémoire sur la découverte de son magnétisme animal, et développant sa technique avec des « passes

magnétiques », sortes d’appositions des mains sans contact, censées rétablir la circulation de ce mystérieux fluide. Il invente également le « baquet » : vaste cuve contenant un fond d’eau, divers objets, des aimants et de la limaille de fer qu’il magnétise. Des cordes en émergent et six à huit malades les tiennent autour du baquet. Le magnétiseur se promène entre les malades, effectuant ses passes, et le procédé suscite des « crises magnétiques » qui se prolongent dans des petites chambres particulières matelassées où on transporte le patient. Pour ajouter à l’ambiance, un orchestre comprenant toujours un harmonium de verre joue une musique étrange dans un coin de la pièce12. Le succès du mesmérisme est rapidement prodigieux, le « Tout-Paris » ne parle que de cela, jusqu’à la cour du roi. La légende veut d’ailleurs qu’un élève de Mesmer, Deslon, provoque un jour par le magnétisme un évanouissement chez Marie-Antoinette. Le roi ne laissera pas cet événement passer sans conséquence, susciter un évanouissement à la reine étant considéré comme le « privilège du roi13 »… Ce dernier en profite pour éclairer son scepticisme sur la question, et nomme une commission chargée d’enquêter sur l’existence du magnétisme animal et l’origine des guérisons qu’il procure. On y retrouve les plus grands noms de la science de l’époque : Lavoisier, Jussieu, Franklin, Guillotin, Bailly… Ils explorent le phénomène dans des cadres expérimentaux précis, faisant preuve d’une grande rigueur scientifique pour l’époque. Ils se mettent également en jeu, prenant la place des magnétisés, puis apprenant les techniques et se mettant à la place des magnétiseurs. Ils mettent au point, à cette occasion, le principe dit de « l’aveugle », à l’origine de la méthodologie de la plupart des études scientifiques modernes, en faisant des expériences avec un baquet magnétisé et un autre non magnétisé à l’insu des sujets14. Au bout de deux années de travail, ils produisent un rapport

au roi. Les différences de résultats selon les contextes les amènent à conclure que le fluide magnétique « n’existe pas ». Mais dans ce cas, à quoi est due la guérison ou la crise induite par Mesmer si ce n’est pas l’action du magnétisme ? D’après le rapport « [les expériences] autorisent à conclure que l’imagination15 est la véritable cause des effets attribués au magnétisme ». Avec une rigueur et une inventivité d’expérimentation remarquables, ils avaient prouvé, et reconnu officiellement, que l’imagination possède un pouvoir de guérison. Soigner par l’imagination… c’est donc la naissance de la psychothérapie ? La médecine d’imagination, c’est-à-dire le soin par le biais d’un mécanisme de l’esprit, aurait pu, aurait dû, être la porte ouverte à l’invention des psychothérapies… sauf que l’imagination n’était pas la vertu la mieux considérée, comme nous l’avons vu ! C’était l’imagination coupée du réel, qui préludait aux dérèglements et à la folie. L’occasion sera donc provisoirement manquée. À la suite des conclusions de cette commission, la pratique du « magnétisme animal » est interdite, ce qui paradoxalement lui fait de la publicité dans un premier temps. Puis des luttes intestines, de nature économique et politique, déchirent Mesmer et ses élèves, et ce dernier finit par quitter la France. Il séjournera notamment en Suisse allemande où il mourra, oublié de tous quelques années plus tard. Le fluide n’existait pas matériellement, l’imagination seule était responsable des changements constatés. Il a néanmoins laissé derrière lui un grand nombre de disciples, qui continuent à pratiquer les passes magnétiques et évoluent en différents courants. Deslon, notamment, répliqua astucieusement qu’il était remarquable d’obtenir de l’imagination des effets aussi

visibles sur la santé : si un tel traitement s’avérait aussi efficace, pourquoi ne pas l’utiliser ? Le fluide n’existait pas matériellement, l’imagination seule était responsable des changements constatés. La commission Lavoisier avait raison. Elle avait tellement raison que les magnétiseurs, sans dire qu’ils magnétisaient, continuèrent à exercer et adoptèrent ce point de vue, qui évolua et parfois dériva. XIXe siècle : la médecine et l’hypnose Que devinrent les « magnétiseurs qui ne faisaient plus de magnétisme » ? Les élèves de Mesmer font évoluer la pratique et sa compréhension. Le célèbre marquis de Puységur s’aperçoit que les « crises » ne sont pas indispensables à la guérison, que les passes ne sont pas tant nécessaires que le contact verbal, que la relation de confiance entre les protagonistes est essentielle pour entrer dans cet état particulier qu’il nommera « somnambulisme provoqué ». L’abbé De Faria, convaincu que tout se passe dans l’esprit du sujet parle de « sommeil lucide16 » qu’il provoque déjà par des suggestions de concentration ou de modification de perceptions. Deleuze, Villers, Bertrand et d’autres, malgré de grandes polémiques17, continuent à affiner le processus, comprennent la centralité de la relation, l’importance de la forme des messages, le pouvoir de ce qui se joue chez le sujet encore plus que chez l’opérateur, le maintien d’un niveau de contrôle et de volonté du sujet, contrairement aux apparences… On est « presque » à l’hypnose ! Malgré le mépris initial des autorités scientifiques officielles, cette exploration méthodique du phénomène et de ses effets encouragera-t-elle les médecins ? En effet. On doit le préfixe « hypn » et quelques néologismes comme « hypnotique »

au baron Hénin de Cuvilliers, magnétiseur « imaginationniste », c’està-dire qui ne croyait pas à un fluide mais au pouvoir de l’accès à l’imagination ; il tente dans son œuvre de démystifier le magnétisme18. C’est la médecine, dans la seconde partie du XIXe siècle, celle qui se modernise, qui est de plus en plus scientifique et expérimentale, qui va s’emparer du phénomène, le renommer, le développer et le faire entrer dans le champ des sciences médicales. Finalement, bien que la plupart des praticiens fussent guidés par l’idée d’aider leur prochain, c’est la médecine, dans la seconde partie du XIXe siècle, celle qui se modernise, qui est de plus en plus scientifique et expérimentale, qui va s’emparer du phénomène, le renommer, le développer et le faire entrer dans le champ des sciences médicales. James Braid, chirurgien écossais, assiste un jour à une démonstration publique de magnétisme (qui préfigure l’hypnose de foire actuelle). Fasciné, il essaie d’induire le somnambulisme sur ses proches, puis l’expérimente sur ses patients, et l’introduit enfin dans sa pratique de chirurgien19. Son approche sera plus médicoscientifique. Il tentera par exemple de protocoliser sa technique, s’appuyant beaucoup sur la fixation oculaire et les suggestions d’endormissement, pour la rendre plus facilement reproductible et étudiable expérimentalement. Il propose une théorie « psychoneurophysiologique » du phénomène, avec des éléments de physiologie20. L’élément central lui semble être ce « sommeil spécial », et notamment cet endormissement de la conscience et de la douleur, qui lui permet d’opérer différemment. Il appellera donc cela « l’hypnotisme » en 184321. Avec le mot « hypnose » on redonne donc une vocation médicale et scientifique au phénomène. Cela va-t-il l’aider à être accepté ?

Le braidisme rend acceptable l’hypnotisme aux yeux d’une communauté médicale qui avait condamné le mesmérisme22. De nombreux chirurgiens anglais en seront les émules malgré une réticence première : en effet, la chirurgie était une pratique qui s’appuyait sur les réactions, notamment douloureuses, des patients ! Cette naissance de l’anesthésie oblige à modifier la pratique, ce qui ne se fait jamais sans quelque circonspection. Quelques années plus tard, l’invention du chloroforme et du protoxyde d’azote (gaz hilarant), et leur usage par les chirurgiens et les dentistes mettent fin à cette première série d’anesthésies hypnotiques. Encore une occasion manquée… Mais l’hypnose a traversé la Manche. Le chirurgien Jules Cloquet impressionne ses pairs en réalisant une mastectomie (ablation d’un sein) sans douleur sous hypnose dès 1829. Azam, Broca et d’autres effectuent des opérations sous hypnose dans les années 1860, ce dont Alfred Velpeau rendra compte à l’Académie des sciences. Et c’est en France que l’hypnose connaîtra le plus grand engouement à l’occasion de l’un des débats les plus enflammés de son histoire : la controverse entre l’école de Paris de Charcot, et l’école de Nancy de Liébault et Bernheim. C’est également un moment fondamental de l’histoire des sciences médicales. La controverse Paris-Nancy Quelle était la pratique de l’école de Paris ? Jean Martin Charcot, professeur et chef de service à la Salpêtrière dans les années 1860, s’intéresse aux maladies nerveuses avec une grande rigueur clinique. Lors des « leçons du mardi », il présente et examine un malade devant ses élèves, montrant et classifiant les maladies. Après s’être intéressé à la sclérose en plaques ou à la sclérose latérale amyotrophique, maladie qui conservera son nom, il prend en charge des hystériques dans les années 1870. Il contribuera à faire avancer les connaissances sur cette maladie en postulant que la cause n’en

est pas organique (certains la pensaient due à l’utérus !), mais bien psychologique et due selon lui à des traumatismes. Il remarque que la présence du public influence le nombre et l’intensité des crises. D’ailleurs, les crises des hystériques de la Salpêtrière avaient un caractère uniforme, ce qui devait sûrement beaucoup à l’influence collective. Pour Charcot, l’hypnose est un état de conscience pathologique (c’est-à-dire un élément de maladie !) et caractéristique de l’hystérie. Pour Charcot, l’hypnose est un état de conscience pathologique (c’est-à-dire un élément de maladie !) et caractéristique de l’hystérie. Charcot se met à pratiquer l’hypnotisme en 1878. Le premier laboratoire de photographie médicale est à la Pitié-Salpêtrière, et l’on peut voir encore aujourd’hui ces premières photos sur des sujets en état de « léthargie », d’« extase » ou encore de « catalepsie ». C’est, estime-t-il, une « névrose expérimentale », inductible à volonté mais seulement chez les hystériques. C’est avant tout un moyen d’investigation, et non un agent thérapeutique. Il distingue trois états spécifiques des hystériques hypnotisées et formant le « grand hypnotisme » : la léthargie, la catalepsie, le somnambulisme. Et l’école de Nancy ? On a l’habitude de désigner sous ce terme un regroupement de penseurs de l’hypnose : Bernheim, Liébault, Liégeois et Beaunis. Le Dr Ambroise Liébault est médecin de campagne à Pont-SaintVincent près de Nancy. Il prend connaissance de la méthode hypnotique et se met à soigner toutes sortes d’affections : les « mauvaises habitudes », les tics, les phobies, les ulcères, les sciatiques, les diarrhées. Extrêmement humain, il va jusqu’à proposer des soins gratuits pour ses patients. Sa patientèle devient énorme (même si elle ne lui rapporte à peu près rien). Grâce au Dr Lorrain,

ancien camarade d’études de Liébault, un technicien de la faculté de Nancy, Drumont23 se passionne pour cette technique et parvient, grâce à un aliéniste de l’asile de Maréville, à pratiquer sur de nombreux malades psychiatriques, provoquant l’engouement du « Tout-Nancy » pour cette pratique. Ces démonstrations, ainsi que la guérison d’une sciatique chez un malade traité sans succès par Bernheim pendant six mois24 poussent le professeur à venir le voir pratiquer. Hippolyte Bernheim avait fui l’Alsace après la défaite de 1871, et s’était réfugié à Nancy, où il intégra la faculté de médecine, originellement fondée pour accueillir les professeurs strasbourgeois qui voulaient rester français. Il est nommé en 1879 professeur de médecine interne. Il a la réputation d’être un clinicien exceptionnel et rigoureux. Il se met à pratiquer l’hypnotisme après sa rencontre avec Liébault, à l’hôpital et dans son cabinet de la place Carrière. Petit à petit s’agrège autour de lui ladite « école de Nancy ». De récentes recherches historiques montrent que, même si cette appellation s’est installée avec une image positive dans l’imaginaire collectif, il n’y a pas vraiment eu, à proprement parler, d’école de Nancy25 au sens d’une école de pensée cohérente avec des objectifs communs. Il y a une « école de Liébault » dans le sens où il fut le principal praticien et inspirateur des autres. Mais, pour le reste, chacun avait en fait sa propre opinion et ses propres intérêts. Beaunis, physiologiste, y voit une possibilité d’étudier expérimentalement la psychologie, Liégeois, juriste, s’intéresse avec passion au phénomène et aux enjeux légaux et criminels, et Bernheim s’occupe de l’aspect thérapeutique. Ils ne sont d’accord en vérité sur quasiment rien sauf sur l’idée que Charcot se trompe dans sa vision de l’hypnose, et que Liébault voit juste en mettant la suggestion verbale comme facteur assez central de l’hypnotisme. À part ces points essentiels, leurs idées et intérêts divergent.

Bernheim prend assez naturellement la tête de ce qu’il appellera « l’école de Nancy », pour plusieurs raisons : il envisage immédiatement, en clinicien, l’intérêt de cette thérapeutique pour ses patients ; il peut aussi être reconnu plus qu’un simple professeur mais comme un vrai leader d’opinion après son transfert en Lorraine, ce qui correspond d’ailleurs à la demande française de l’époque de faire de Nancy, dernier bastion de l’orgueil français, un pôle d’excellence scientifique à quelques kilomètres de la puissance allemande. Il y voit également un moyen, pour se faire connaître, de s’opposer à Charcot (dont il a d’ailleurs suivi l’enseignement) ; il est enfin professeur de médecine et à ce titre habitué à cette position d’autorité et appelé, d’autant plus facilement qu’il « fait école », à s’exprimer dans divers écrits scientifiques et congrès. Ce qu’il fera d’ailleurs rapidement. Deux ans après la communication initiale en 188226 par Dumont à la société de médecine de Nancy sur la méthode de Liébault, qui marque le début de l’intérêt pour l’hypnotisme des quatre compères nancéiens, il publie un écrit qui s’oppose point par point à toutes les conclusions de Charcot. L’hypnose n’est pas, selon les écrits de Bernheim, l’apanage de l’hystérie, elle n’est en rien pathologique mais un état physiologique (c’est-à-dire naturel chez tout individu en bonne santé). • L’hypnose n’est pas, selon les écrits de Bernheim, l’apanage de l’hystérie, elle n’est en rien pathologique mais un état physiologique (c’est-à-dire naturel chez tout individu en bonne santé). • Suivant Liébault, il affirme que tout un chacun peut entrer en hypnose, à condition qu’il le souhaite et coopère avec l’hypnotiseur, et que le facteur hypnotisant ne réside pas dans une action physique, mais dans la suggestion verbale, qui est une réalité psychologique. • Le « grand hypnotisme » n’existe pas, les attitudes des hystériques de Charcot ne sont observables qu’à la Salpêtrière, largement suggérées par l’ambiance et l’expérimentateur27.

• En aucun cas il ne tient pour affaiblie ou détruite la volonté du patient. • Comble de la provocation, l’hypnose est un moyen thérapeutique ! L’hypnose entraîne une suggestibilité accrue, on peut donc suggérer la guérison et soigner les maux de l’esprit. La controverse entre les deux écoles s’amplifie, prenant même un caractère politique et dépassant les frontières nationales. Le premier Congrès international d’hypnotisme a lieu en 1889, réunissant de nombreux médecins et savants dont certains devaient connaître plus tard la célébrité, comme Freud ou Janet . L’autorité de Charcot est mise en difficulté dans la communauté scientifique, les membres du congrès semblent largement favorables aux thèses de Bernheim et iront jusqu’à définir l’hypnotisme comme un ensemble de phénomènes produits par la suggestion. On découvrira plus tard que l’hypnose est très vraisemblablement un état de conscience mais, pour le reste, science et histoire donneront plutôt raison à l’école de Liébault… Bernheim réduisait-il cependant le mécanisme de l’hypnose à la simple suggestion ? C’est dans cette direction qu’il ira, jusqu’à l’extrême. Il dira même, quelques années plus tard, qu’ « il n’y a pas d’hypnotisme, que seule existe la suggestion ». En cela il se démarque nettement de la position de Liébault qui se retrouve parfois embarrassé d’avoir été désigné comme étant le fondateur de cette école qui s’éloigne de ses pensées. Il croit marquer une étape : Mesmer avait cru créer un état nouveau de l’organisme par ses manipulations, Braid le remplaça par l’hypnotisme, sommeil artificiel dans lequel existent ces phénomènes, Liébault en fit un sommeil suggestif, Bernheim voulait dégager la suggestion du sommeil artificiel. Il invente alors le mot « psychothérapie » , pour désigner les soins par « suggestions à l’état de veille28 ». Au fond après avoir défendu l’hypnose, il s’en passe.

Dreyfusard29, fondateur d’un comité de la Ligue des droits de l’homme, il subira des attaques antisémites de certains collègues. Il prend sa retraite en 1911 et sera rapidement oublié par ceux qui font la vie scientifique française. Il se retire à Paris où il meurt en 1919. Et le fameux Coué n’était-il pas Nancéien également ? Ce pharmacien nancéien est convaincu du pouvoir de l’imagination dans le développement des maladies, et s’intéresse particulièrement au pouvoir que peuvent avoir les paroles des soignants sur la santé des malades. Très vite, il remarque qu’une plaisanterie, un conseil ou un commentaire personnel augmente l’efficacité des pilules ou de la pommade. Il soigne notamment des patients avec de l’eau distillée accompagnée de paroles rassurantes. Il rencontre Liébault et Bernheim, pratique l’hypnose, et prône très rapidement l’autosuggestion. Il est convaincu que chacun est maître de sa santé physique et psychique et que, de même, chacun porte en lui les moyens de sa guérison. Il croit au pouvoir de l’imagination, ce qui le distingue de Liébault, qui met surtout en avant la volonté. « Pratiquer la “méthode Coué” » est devenu une expression courante, qui dérive sûrement d’un de ses conseils, qui consistait à se répéter plusieurs fois par jour : « Chaque jour, en tout point de vue, je vais de mieux en mieux. » « Pratiquer la “méthode Coué” » est devenu une expression courante, qui dérive sûrement d’un de ses conseils, qui consistait à se répéter plusieurs fois par jour : « Chaque jour, en tout point de vue, je vais de mieux en mieux. » Sa pensée intéresse le monde médical, il se met à donner des conférences dans le monde entier. Emporté par sa naïveté et sa foi dans la bonté de l’homme, il manque de discernement, donne des conférences dans des milieux théosophiques, évangélistes, il ne se rend pas compte des confusions qui s’opèrent. Sa popularité lui vaut les attaques des facultés dénonçant le charlatanisme, des églises dénonçant l’incompatibilité avec la religion. Il crée de nombreuses

œuvres, aidant les mutilés et les prisonniers de guerre. Épuisé par ses voyages, mais aussi par les jalousies et trahisons qui jalonnent la fin de sa vie, il est terrassé par une pneumonie en 1926. Sa pensée est plus riche que les caricatures le laissent supposer et l’on redécouvre petit à petit l’œuvre de cet humaniste, en avance sur son temps30. S’il y a controverse, c’est qu’il y a succès ! Malgré les débats inévitables, l’idée de psychothérapie, particulièrement par l’hypnose, connaît-elle enfin un développement au XXe siècle, ou est-ce encore une occasion manquée ? Au risque de décevoir, l’occasion va de nouveau être manquée ! Avec l’école de Nancy à la fin du XIXe siècle, le principe prééminent de causalité externe (si un problème m’échappe, sa cause est extérieure) devient de plus en plus interne (il se passe quelque chose en nous qui nous échappe et détermine notre vécu). C’est, pourraiton dire, dans l’air du temps. C’est l’époque de la naissance de la phrénologie (l’idée que les bosses du crâne révèlent le caractère), l’époque où l’idée de réflexe laisse entrevoir que nos mouvements peuvent être influencés sans volonté. En fait, le terrain est propice surtout à la naissance du concept d’inconscient cérébral : « quelque chose » agit à notre insu. C’est la thématique du Horla et d’autres œuvres littéraires comme celles de Paul Valéry, Nietzsche, Dostoïevski… Les scientifiques sont aussi dans une époque de « mise au jour » des phénomènes qui nous échappent : l’atome, la mécanique quantique, la relativité, l’évolution des espèces aussi, qui nous transforme et nous fait évoluer pour que l’on s’adapte… C’est en fait le bon moment pour que les symptômes, ces idées, affects et comportements gênant le sujet et n’émanant pas de sa

volonté consciente, soient interprétés comme un élément « caché » de la réalité psychique qu’il faudrait dévoiler pour mieux le comprendre… En somme le temps de la psychanalyse est venu. XXe siècle : déclin et renaissance La psychanalyse naît, en effet, à la même époque que cette controverse… On peut même dire que la psychanalyse naît de l’hypnose. Le jeune Sigmund Freud pratique l’anatomo-pathologie et la neurologie à Vienne. Il est sensibilisé à la pratique de l’hypnose sur certaines névroses. Il obtient à 29 ans une bourse de voyage pour aller suivre les cours de Charcot à la Salpêtrière. Particulièrement impressionné par ce dernier (qu’il traduira en allemand), il s’intéresse de plus en plus à la psychologie et adhère à l’idée de Charcot sur l’origine traumatique de l’hystérie, part fondatrice de ses travaux sur la dynamique de l’inconscient. De retour à Vienne, il développe sa pratique de l’hypnose dans un but thérapeutique, ayant entendu parler des travaux de Bernheim (qu’il traduira également) et de Liébault. Il se montre très satisfait par cette pratique, disant obtenir « toutes sortes de succès ». Il cherche au départ à retrouver l’origine traumatique des symptômes31, méthode qu’il ne pense possible qu’en hypnose profonde, somnambulique. N’arrivant pas à produire cet état chez « Emmy Von N. », il prend le train avec sa patiente et l’emmène à Nancy pour rencontrer Bernheim en 1889. Il est impressionné par les praticiens de l’école de Nancy, très touché par la pratique de Liébault. Mais Bernheim n’arrive guère plus que Freud à mettre la patiente en hypnose profonde, avouant par ailleurs qu’il parvient rarement à des hypnoses profondes dans sa clientèle. Liébault lui confirme aussi que la possibilité de parvenir à

un « somnambulisme hypnotique » n’est pas toujours possible, ni nécessaire à l’obtention d’effets. Freud est alors tenté de renoncer à la méthode, convaincu à l’époque que seule l’hypnose profonde pouvait élargir le champ de la conscience, jusqu’à l’accès aux souvenirs pathogènes. Mais Bernheim lui montre sur un patient que les amnésies sous hypnose n’étaient qu’apparentes et que l’on pouvait faire revenir des souvenirs à l’état de veille. Freud en déduit qu’il existe des représentations psychiques dont le patient n’a pas conscience mais dont il garde le souvenir dans sa mémoire inconsciente. C’est l’origine du concept de refoulement. Beaucoup d’autres pratiques analytiques auront des parentés avec l’hypnose. Freud cherche de plus en plus à se passer de l’hypnose, il lui reproche entre autres le caractère aléatoire de l’hypnotisabilité du patient et craint aussi une « implication érotique possible » de la relation induite par l’hypnose. Freud cherche de plus en plus à se passer de l’hypnose, il lui reproche entre autres le caractère aléatoire de l’hypnotisabilité du patient et craint aussi une « implication érotique possible » de la relation induite par l’hypnose. Il s’éloigne peu à peu de la technique, renonçant au contact physique, ne demandant plus de fermer les yeux. Mais il laisse des « idées subites » surgir, demandant au patient qu’il fasse preuve d’une franchise totale et n’exclut aucune des idées qui se présentent spontanément ; c’est le phénomène de « l’association libre ». Il se place derrière le patient qu’il installe sur un divan, pour ne pas l’influencer par ses attitudes, et conseille aux médecins de s’abandonner eux-mêmes, dans un état « d’attention flottante », afin de « capter l’inconscient du patient ».

Il creuse l’idée de « rapport » (mot utilisé par Mesmer pour qualifier les sentiments qui entraient dans la relation hypnotique), en théorisant le concept de transfert, projection inconsciente d’affects sur la personne du thérapeute, et qui ne lui sont pas spécifiquement destinés. Les résistances du patient seraient levées lorsque, à force d’investigations et d’explications, le médecin aurait ramené à sa conscience ce qui était dissimulé dans son inconscient. Freud fait de l’analyse des résistances et de la liquidation du transfert le but de la cure analytique. Alors il arrête donc de pratiquer l’hypnose ? Freud prétendra que l’analyse est née le jour où il a renoncé à l’hypnose. Freud prétendra que l’analyse est née le jour où il a renoncé à l’hypnose. Ce n’est évidemment qu’une formule puisqu’il continuera à l’utiliser très tardivement et avec de bons résultats32. Mais petit à petit, tel un chercheur, un explorateur curieux, il est gêné d’obtenir des résultats qu’il ne peut expliquer. Plus le temps passe, plus il cherche à expliquer avant de guérir, comprendre plus que soigner. « La guérison vient de surcroît » écrirat-il. Pour lui, l’analyse « satisfait le désir de savoir du médecin, qui avait tout de même le droit d’apprendre quelque chose de l’origine du phénomène qu’il s’efforçait de supprimer » ; l’origine donc, plus que le mécanisme de la guérison. Cette recherche obstinée de causes devient au fur et à mesure un but en soi, laissant de côté, ou en retrait, l’idée de guérison, ou même de soin, de thérapie. Dans l’un de ses derniers textes, L’analyse avec fin et l’analyse sans fin, Freud dira même que : « L’analyse, avec sa

prétention de guérir les névroses en assurant la domination sur les pulsions, a toujours raison en théorie mais pas toujours en pratique. » Et cette considération sur l’hypnose : « L’hypnose semblait être un excellent moyen pour atteindre nos fins33 ; on sait pourquoi nous avons dû y renoncer. On n’a pas trouvé jusqu’à présent de substitut à l’hypnose. » Freud et son étrange théorie « sexuelle » auront un succès phénoménal. Ses livres feront autorité et influenceront considérablement le monde de la psychiatrie et de la psychologie. Tant et si bien qu’au milieu du XXe siècle, il n’y a quasiment plus qu’une seule interprétation valable du psychisme, des maladies mentales, des relations humaines, du lien social : c’est celle qu’a théorisée la psychanalyse. Le succès de l’analyse et le génie de son créateur à la défendre contribuent sûrement à la régression de l’hypnose, thérapie qui s’intéresse plus aux effets bénéfiques du traitement qu’aux causes supposées de la maladie ou aux mécanismes sous-jacents. L’hypnose est reléguée grosso modo à un objet d’étude pour les laboratoires de psychologie américains qui s’intéressent aux états de conscience ou à la communication. La réhabilitation de l’hypnose sera lente. Le célèbre psychanalyste français Jacques Lacan ira jusqu’à l’interdire à ses élèves dans son discours fondateur de Rome en 1956. Il était possiblement inquiet du caractère autoritaire que l’on pouvait percevoir dans les suggestions classiques, mais n’avait vraisemblablement pas tenu compte des apports d’Erickson, pourtant l’un de ses contemporains34. Difficile enfin en évoquant l’histoire de cette époque de ne pas citer Pierre Janet, médecin, ancien élève de Charcot, titulaire de la chaire de psychologie expérimentale au Collège de France. On lui doit notamment la théorie de la dissociation en hypnose qui nous servira

beaucoup par la suite. Il aurait pu être à l’origine d’un regain d’intérêt pour la pratique, mais son travail, pourtant remarquable, ne connaît pas une grande diffusion. Son œuvre gigantesque, vingt volumes, trois cents articles, près de cinq mille observations cliniques, est pourtant restée, à tort, confidentielle. L’hypnose est donc totalement tombée en désuétude pendant la première moitié du XXe siècle ? En réalité c’est surtout l’application clinique de l’hypnose qui s’éclipse au début du XXe siècle, au profit de recherches expérimentales. C’est « l’époque des chercheurs ». C’est surtout l’application clinique de l’hypnose qui s’éclipse au début du XXe siècle, au profit de recherches expérimentales. En Union soviétique, le célèbre Pavlov et ses collaborateurs s’intéressent beaucoup à l’hypnose dans l’élaboration de leur concept de conditionnement. Ils construisent une théorie de l’hypnose à partir de l’expérimentation animale. Mais c’est surtout aux États-Unis que des recherches sont menées. Elles concernent notamment la nature de l’hypnose, de la suggestion, de la dissociation. L’enjeu principal est la querelle entre « étatistes » et « non-étatistes » : l’hypnose correspond-elle à un état particulier de la conscience, ou n’est-elle que suggestibilité, qu’un jeu social consenti entre les protagonistes35 ? Quelques travaux se maintiennent sur le plan clinique : en Allemagne, J.H. Schultz, psychanalyste et disciple de Freud, élève d’Oskar Vogt (le concepteur de l’autohypnose), tente d’articuler autohypnose et concepts psychanalytiques dans son « training autogène », méthode de relaxation diffusée dès 1932, désormais classique en médecine et

en psychiatrie. En France, c’est Léon Chertok qui redonne un nouvel essor à l’hypnose à partir des années 1950. De formation analytique, analysé lui-même par Lacan, il hésite avant de s’intéresser vraiment au processus hypnotique, ce qui lui vaudra d’être exclu de plusieurs cercles analytiques. Il aura cependant de nombreux élèves. Même si la vocation soignante reste la plupart du temps au centre de l’hypnose, quelques « non-soignants » de formation ont laissé une trace dans les mémoires et les pratiques, comme Dave Elman. Cet homme de scène et de radio pratiquait une hypnose assez directive et rapide. Il décida en seconde partie de carrière de passer du temps à enseigner ses méthodes notamment à des médecins et dentistes qu’il forma en grand nombre. Il a laissé quelques élèves qui ont poursuivi le travail de popularisation de ses méthodes, et un livre au sujet de ses explorations intitulé sobrement Hypnotherapy. On a surtout retenu de cet homme certaines méthodes d’induction rapides et directives encore largement utilisées dans le monde du soin (parfois même sans que les praticiens sachent d’où viennent ces méthodes)36. Mais, en vérité, l’hypnose redeviendra surtout un outil thérapeutique et connaîtra un essor sans précédent grâce à un personnage fondamental. Allons jusqu’à dire que, si vous ne deviez retenir qu’un seul nom de cet historique, ce serait le sien : Milton H. Erickson. 2 Comment a évolué l’hypnose ? Milton H. Erickson

Il a tellement marqué le monde de l’hypnose que beaucoup de praticiens d’aujourd’hui disent faire de l’hypnose « éricksonienne »… Mais qui était-il ? Il est parfois difficile de distinguer la réalité de la légende tant les histoires d’Erickson paraissent incroyables. De plus, tant par lui que par ses élèves, ces anecdotes ont été racontées et redites encore et encore, et forcément enjolivées avec le temps. S’il n’y avait pas tant de témoins directs et de documents, on ne pourrait pas croire 10 % de ce qu’on raconte à son sujet. Mais même si nous ne devions en croire que 10 %, ce serait déjà une incroyable vie1. L’évolution de son existence s’est faite en parallèle de l’évolution de ses idées et de la transformation de l’hypnose. Raconter un peu de son histoire c’est mieux comprendre aussi l’hypnose d’aujourd’hui, car un grand nombre d’anecdotes, dont nous ne rapporterons que quelques-unes utiles à comprendre son approche, ont été déterminantes dans sa pratique et dans sa façon de considérer la thérapie et les patients. Divisons sa vie chronologiquement en quatre phases. L’enfant handicapé Erickson naît à Aurum (E.-U.), un petit village qui n’existe plus, dans une petite baraque à flanc de montagne, d’un père d’origine nordeuropéenne et d’une mère ayant du sang d’Indiens d’Amérique. Ils exploiteront par la suite une ferme dans le Wisconsin. Le jeune Milton souffre d’un certain nombre de troubles sensoriels et perceptifs congénitaux : il est daltonien, dyslexique, amusique2. Dès son plus jeune âge, il vit le monde d’une manière différente. Contraint d’apprendre autrement, il prend rapidement conscience de la relativité des cadres de références des humains.

Notons déjà que l’idée de s’adapter, non pas en changeant les faits parfois immuables, mais plutôt en observant la réalité dans un cadre de référence différent sera un des points clés de la thérapie éricksonienne et des thérapies brèves qui s’en inspireront. Son apprentissage de l’écriture est laborieux. L’un de ses enseignants bien inspiré, voyant qu’il avait du mal à distinquer le M et le E (les trois barres, verticales ou horizontales, se confondaient), a la bonne idée de se servir des connaissances de ce jeune fils de fermier. Il lui propose d’imaginer que le M est comme la silhouette d’un cheval de profil qui mange, avec les pattes arrière, avant, et sa tête vers le bas, le E en revanche est comme un cheval qui se cabre sur ses pattes arrière et hennit. Erickson, appréhendant cette connaissance par l’analogie, dans un cadre de référence qu’il connaissait bien, déclarera avoir eu une véritable « illumination ». Par la suite il comprendra mieux que personne l’importance des images et des métaphores qui valent plus qu’une longue explication pour faire passer une idée ou un concept et l’importance, également, comme il le disait souvent de « parler le langage du patient ». Le père d’Erickson est un jour en train de tenter de faire entrer un âne dans l’étable. Il tire l’animal par le licol alors que celui-ci résiste des quatre fers. Le jeune Milton rit de bon cœur des efforts de son père. « Puisque tu trouves cela si drôle, fais-le donc toi-même ! » Le jeune garçon va alors derrière l’animal et tire sur sa queue. L’âne détale et entre en courant dans l’étable. Erickson racontera souvent cette histoire pour illustrer la nécessité de penser autrement quand une tentative de solution semble aggraver le problème. À l’adolescence, Erickson est frappé par la poliomyélite. Alors qu’il est en pleine crise fébrile, il entend les médecins, dans la pièce d’à côté, annoncer à sa mère que « le garçon ne passera pas la nuit ». De façon peut-être étrange à nos oreilles, Erickson est frappé non pas tant par l’annonce de sa propre mort imminente que par la façon dont des médecins annoncent ainsi, sans ménagement, à une mère que son enfant va mourir. En colère, il se dit : « Que je sois damné si

je ne revois pas un lever de soleil. » Sa mère entre dans la chambre, cachant son émotion, et il lui demande de déplacer l’armoire qu’il y a en face de lui, encore un peu, non plus à gauche, voilà, un peu à droite… Le croyant délirant sous l’effet de la fièvre elle s’exécute tristement, l’embrasse et le laisse. En vérité, cette armoire comporte un miroir, qui, bien orienté, lui reflète la fenêtre au travers de laquelle on peut voir le soleil se lever. Le jeune Erickson se maintient éveillé et, au bout de ses ultimes forces, aperçoit donc le lever de soleil. Il a fait mentir les médecins. Il tombe dans un profond coma, dont il ressort trois jours plus tard, entièrement paralysé. Par la suite, il passe beaucoup de temps, attaché à son fauteuil pour ne pas tomber, devant la fenêtre, car la ferme et la famille nombreuse ne laissent pas beaucoup de temps pour s’occuper de lui. Il acquiert alors une faculté d’observation hors du commun. Pour ne pas dépérir ou devenir fou, il ne laisse jamais son cerveau au repos, il écoute les pas et essaie de reconnaître à qui ils appartiennent puis, même, s’il peut deviner l’état d’esprit de la personne en fonction de son pas. Il regarde la nature attentivement évoluer, il regarde ses petites sœurs jouer et s’aperçoit, par exemple, que parfois elles disent quelque chose mais que leur corps montre le contraire (ce qui sera en lien, bien plus tard, avec de nombreuses élaborations sur la fonction du langage verbal et non verbal, et le sens de leur désynchronisation). Un jour, on oublie de le mettre devant la fenêtre. Désespéré de devoir passer la journée dans son rocking-chair, sans même pouvoir observer le dehors, il se met à fermer les yeux et se dit « si je regarde à droite, je verrai le paysage ». Il imagine alors ce qu’il pourrait faire, marcher, grimper aux arbres… Quand il rouvre les yeux, son fauteuil a légèrement bougé. Comme si imaginer changeait quelque chose physiquement. Il regarde sa main et se dit qu’il ne peut bouger un doigt mais peut se souvenir de la sensation d’un doigt qui bouge3. Et son doigt bouge légèrement. Dès lors, il n’a de cesse de faire sa propre rééducation, par ces exercices psychocorporels de réactivation de souvenirs sensoriels, et par l’observation intensive de lui-même et de ce qui l’entoure. Il dira par exemple qu’il a beaucoup

appris à remarcher en regardant sa petite sœur apprendre à marcher, et en observant la séquence des mouvements de la marche. Il considérera plus tard que l’hypnose est avant tout un outil d’apprentissage, particulièrement par la sensorialité, efficace pour faire entrer dans la vie de nouveaux comportements, sensations, émotions, appropriés à la situation nouvelle à laquelle le sujet est confronté. Il parlera plus tard de cette démarche de rééducation comme d’autohypnose. Il lui apparaît comme évident qu’il peut adopter une attitude similaire devant tout problème humain. Il considérera plus tard que l’hypnose est avant tout un outil d’apprentissage, particulièrement par la sensorialité, efficace pour faire entrer dans la vie de nouveaux comportements, de nouvelles sensations, émotions, appropriés à la situation nouvelle à laquelle le sujet est confronté. Quelques mois plus tard, il remarche avec des béquilles et entreprend un périple en solitaire, en canoë sur le Wisconsin. Il part pendant quasiment deux mois, parcourt mille kilomètres, seul et avec 4 $ en poche ! Erickson, ado un peu fier, refuse de mendier ou de demander de l’aide, il s’efforce donc de communiquer de façon à amener les gens à l’aider. Il découvre les formidables pouvoirs de la communication. Il en revient avec une passion et une curiosité sans limite pour ses frères humains, un corps bronzé et renforcé (il marche sans béquilles et peut porter seul son canoë) et 2 $ de plus qu’à son départ. Le médecin et chercheur passionné Conscient qu’il ne peut pas devenir fermier, il décide de devenir médecin. En 1921, Erickson s’inscrit parallèlement en médecine et en psychologie à l’université du Wisconsin. Il connaîtra une longue période où il marchera plusieurs années sans béquilles. En 1923 et 1924, alors étudiant en troisième année de médecine, il participe au séminaire sur l’hypnose organisé à l’université par Clark L. Hull, un

des pères fondateurs de la psychologie expérimentale et des théories de l’apprentissage aux États-Unis. Hull cherche à appliquer au domaine de l’hypnose une méthodologie expérimentale stricte. Il cherche une méthode universelle, une technique standard d’induction. Erickson est convaincu que l’hypnose est thérapeutique, qu’elle offre de grandes possibilités et doit s’adapter au patient. Erickson rompt rapidement avec l’hypnose traditionnelle et les idées de Hull en se fondant sur sa propre expérience. En plus d’une application clinique, il décide de mener ses propres recherches, sur ses collègues puis étudiants, et commence à développer diverses techniques d’induction hypnotique permissives et indirectes. Autoriser le patient plutôt que de lui imposer. En plus d’une application clinique, il décide de mener ses propres recherches, sur ses collègues puis étudiants, et commence à développer diverses techniques d’induction hypnotique permissives et indirectes. Autoriser le patient plutôt que de lui imposer4. En 1928, Erickson obtient son doctorat en médecine en même temps que sa maîtrise de psychologie et occupera différents postes hospitaliers. Dans ce monde patriarcal qu’est la médecine des années 1930, il cherche en permanence à compenser son handicap par une soif intarissable d’apprendre, de se démarquer, de travailler plus dur. L’un de ses chefs lui dit un jour : « Erickson, tu es handicapé, tu es un sous-homme, mais cela te servira. Les patients te feront confiance car ils ne verront pas en toi un rival, et tu gagneras la confiance de tes patientes aussi qui ne verront pas en toi une menace. » Il découvre une fois de plus qu’il faut parfois penser autrement et qu’un problème peut, sous un certain angle, être une solution…

Pour lui, l’hypnose est un processus naturel, produit par le patient et non imposé par l’hypnotiseur, elle est thérapeutique, permissive et surtout elle permet un accès à des ressources. Il ne cesse de poursuivre ses expériences sur l’hypnose et ses réflexions sur le fonctionnement humain. Pour lui, l’hypnose est un processus naturel, produit par le patient et non imposé par l’hypnotiseur, elle est thérapeutique, permissive et surtout elle permet un accès à des ressources. L’inconscient, plutôt qu’une « poubelle à pulsions » comme pouvait le laisser voir la psychanalyse, est plutôt une sorte de « boîte à trésors » de savoirs et de capacités rendues inaccessibles par les problèmes. Il serait donc plus cohérent d’aider ainsi les patients que de leur appliquer ou leur imposer des théories, coupées de la réalité, pour « comprendre » l’origine de leur problème. Il travaille pour le gouvernement pendant la guerre à propos des effets psychologiques de la propagande nazie. Il fera aussi la connaissance de Bateson, père fondateur de l’école de Palo Alto et de la systémique5 avec qui il sera ami tout le reste de sa vie, et participera aux premières conférences Macy à l’origine du mouvement cybernétique. Le thérapeute hors du commun En 1948, Erickson subit un grave problème de santé (réaction immunitaire à un vaccin ? rechute poliomyélitique ?) qui le paralysera de nouveau. Il perdra l’usage de ses deux jambes et d’un bras. Peu à peu, il ne quittera plus la chaise roulante, de façon quasi permanente pour le reste de sa vie. Les muscles phonatoires sont également touchés. C’est aussi face à ses difficultés qu’il sera continuellement amené à simplifier ses techniques. Les médecins lui ayant conseillé un climat chaud et sec, il déménage en Arizona, et ouvre une consultation privée chez lui. Il reçoit de nombreux patients dans son bureau de Phoenix, obtient d’étonnants

résultats et fait preuve d’une créativité exceptionnelle dans ses stratégies thérapeutiques et d’un grand sens de la relation humaine. Il commence à être connu comme un spécialiste de l’hypnose et dirige la principale revue américaine sur l’hypnose clinique. C’est à cette époque que Haley et Weakland, membres du Mental Research Institute, le rencontrent de façon régulière et que la pratique éricksonienne aura une influence fondamentale pour le monde de la systémique et des thérapies brèves. Après 1973 : l’enseignement et l’héritage En 1973, un livre de Haley, Uncommon therapy, qui deviendra en français « Un thérapeute hors du commun » est édité et connaîtra un succès international. De partout, dans le pays et dans le monde, on se « bouscule » pour assister à un enseignement donné par Erickson. Il se met donc à enseigner, chez lui, à de nombreux élèves, et ce jusqu’à la fin de sa vie. Ses derniers élèves deviendront des successeurs dont certains sont célèbres. Rossi, par exemple, le poussera à théoriser6, décortiquant avec lui des milliers d’heures de thérapie, explicitant la « boîte à outils » du thérapeute éricksonien ; Sydney Rosen recueillera les histoires et anecdotes du maître dans un très beau recueil7 ; Bill O’Hanlon, patient d’Erickson puis thérapeute à son tour, fera ouvrage de vulgarisation ; Jeffrey Zeig, organisera les derniers séminaires, recueillera un grand nombre d’archives et dirige encore aujourd’hui la fondation Erickson. En septembre 1980, le premier congrès international consacré à Erickson est organisé, mais il décède six mois plus tôt, le 25 mars 1980.

Thérapies brèves, neurosciences et dérives : le XXIe siècle serat-il hypnotique ? C’est donc grâce à Erickson que l’on est passé de l’hypnose à l’hypnothérapie ? Les apports d’Erickson ne se sont en fait pas limités à l’hypnose ; ils interviennent dans une époque où, après un demi-siècle d’hégémonie analytique8, de nombreux facteurs contribuent à l’émergence de thérapies « brèves », des thérapies dont l’objectif serait défini, avec un nombre de séances limitées, centrées sur le client et ses aspirations… Certaines thérapies restent d’inspiration analytique, d’autres se construisent un peu en opposition comme la célèbre thérapie cognitive ou la thérapie comportementale qui n’en formeront plus qu’une quelques années plus tard ; d’autres ont un cadre théorique plus original comme la Gestalt-thérapie, l’analyse transactionnelle, les thérapies humanistes comme la logothérapie… Parallèlement naissent aussi celles qui sont restées appelées communément « thérapies brèves » (même si c’est un abus de langage puisque les thérapies citées précédemment sont également, stricto sensu, des thérapies brèves). Ces thérapies (hypnothérapie éricksonienne, thérapies orientées vers la solution, thérapies narratives, approches stratégiques, systémique brève, provocatrice, etc.) sont inspirées par les travaux d’Erickson et de Bateson (fondateur de l’école de Palo Alto) et, bien que s’étant divisées en de nombreuses branches, partagent un certain nombre de points communs. Quels sont ces points communs à l’hypnose et aux thérapies brèves qui en découlent ? L’un de ces points communs est la prise en compte du langage et du ressenti corporel. La psychothérapie n’est pas un « psychisme s’adressant à un

autre », mais s’intéresse à ce que ressent et à ce que peut le corps (aspect fondamental en hypnose) et ce qu’il exprime. Un autre aspect fondamental est la prise en compte avant tout des ressources et capacités (ce que l’on appelle usuellement « l’orientation vers la solution ») plutôt que sur la cause des problèmes. Le problème du patient, loin de « révéler une faiblesse sous-jacente », est plutôt un obstacle à l’accès aux ressources. La thérapie devient un processus de changement fondé sur des expériences mettant en jeu des ressources et non pas une compréhension des tenants et aboutissants du symptôme ni une méthode de résolution du problème. La thérapie devient un processus de changement fondé sur des expériences mettant en jeu des ressources et non pas une compréhension des tenants et aboutissants du symptôme ni une méthode de résolution du problème. Un troisième aspect essentiel à la pratique est l’importance accordée à la forme de la communication du thérapeute. L’objectif n’est pas tant de maîtriser la psychopathologie, le danger serait alors grand d’explorer la situation du malade pour la « faire coller » à nos prérequis, que de savoir entrer en lien de la façon la plus efficace possible avec le patient… Pour que le message passe, que le patient se sente entendu (tout un chacun a expérimenté des situations où un message, pourtant tout à fait bien intentionné, produit l’effet opposé…), qu’il accède à ses ressources, qu’il sait souvent avoir, sans en trouver le chemin. Une communication qui ne se contenterait pas de dire au patient qu’il a la ressource mais qui permettrait qu’elle émerge de lui. Enfin, une facette, particulièrement explorée par les thérapies dites « systémiques », est l’aspect relationnel de l’individu, non pas considéré encapsulé dans son problème, psychisme isolé en thérapie, mais bien inclus dans un système relationnel où il interagit et où chaque changement aura des conséquences complexes9.

Corps / Relations / Communication / Ressources sont les piliers de ces pratiques. Le développement des thérapies brèves contribue à faire connaître l’hypnose (dont elles sont nées en quelque sorte). Est-ce donc la fin des « hauts et des bas » pour l’hypnose ? Dans les années 1990, c’est l’avènement des thérapies cognitivocomportementales (TCC). Il y a à cela de nombreuses raisons mais soulignons avant tout que ces thérapies (du moins pendant les premiers temps) se sont présentées comme plus facilement reproductibles dans leur méthode, donc moins aléatoires, plus « protocolisables » donc potentiellement démontrables… Elles ont donc fait l’objet de recherches assez strictes, qui tentaient d’échapper un peu à un trop grand aléatoire relationnel. C’était le début d’une époque de forte prétention scientifique de sciences humaines comme la psychologie, et de la psychiatrie, notamment avec le très fort développement des neurosciences qui laissait fantasmer que l’on pourrait comprendre assez vite la « mécanique de l’esprit », et que tout ce qui sortait de ce cadre était suspect ou moins crédible10. Ainsi les TCC ont « montré leur efficacité » en clinique, ce qui a eu des retombées positives sur toutes les pratiques psychothérapeutiques puisqu’on pouvait montrer de façon assez scientifique qu’une thérapie (au moins un modèle !) avait des effets réels sur la souffrance psychique. Mais étant les seuls à pouvoir (et à vouloir ?) se soumettre à cette rigueur particulière, les autres modèles (des thérapies analytiques à l’hypnose en passant par d’autres) semblaient avoir perdu en crédibilité… Encore une période de « bas » donc… et un nouveau « haut » dans les années 2000 ? Nous sommes en plein dedans !

De nombreux facteurs y ont contribué. Tout d’abord, les thérapies dites « complexes » ont eu un regain d’intérêt : des groupes de recherche en thérapies brèves psychanalytiques étudient les facteurs relationnels, les TCC de la « troisième vague » incluent des techniques comme la méditation de pleine conscience, la prise en compte des valeurs ou des émotions complexes, des recherches montrent les facteurs communs relationnels et communicationnels de l’efficacité des thérapies… La méthodologie d’évaluation de la thérapie évolue et laisse plus de place à des études adaptées à l’évaluation de la psychothérapie. On peut donc s’intéresser de nouveau à l’hypnose comme à une thérapie parmi d’autres. Par ailleurs, les neurosciences ont produit des travaux montrant « ce qui se passe » dans un cerveau sous hypnose, contribuant à faire sortir cette pratique du champ de l’ésotérique ou du paranormal. Par ailleurs les neurosciences ont produit des travaux montrant « ce qui se passe » dans un cerveau sous hypnose, contribuant à faire sortir cette pratique du champ de l’ésotérique ou du paranormal. L’étude de la conscience éclaire la question de l’hypnose et l’étude scientifique de l’hypnose éclaire les neuroscientifiques sur la question des phénomènes de conscience. Mais les recherches également « cliniques », c’est-à-dire appliquées aux situations rencontrées en pratique, ont montré une efficacité dans de nombreuses situations. Des psychologues, philosophes et thérapeutes ont également produit une littérature importante sur l’hypnose, les thérapies brèves et cela contribue à enrichir le corpus théorique qui entoure l’hypnose. Il ne faut pas négliger non plus qu’après une période de très forte scientificité, dans une société de plus en plus rationaliste, l’hypnose,

comme d’autres thérapies complémentaires, attire par sa part de mystère. Aujourd’hui, l’hypnose est « à la mode », n’est-ce pas ? Dans tous les milieux, en effet. Les médecins, les soignants, parfois des services hospitaliers entiers se forment de plus en plus et appliquent cette technique dans de nombreux domaines. Le regain d’intérêt pour l’hypnose médicale, la scientificité de plus en plus reconnue de l’usage de l’hypnose sont allés de pair avec un regain pour son intérêt fascinant et donc pour son usage dans le spectacle. Un peu partout l’on voit des personnes qui, sous prétexte de divertissement ou de partage de plaisir, donnent à voir une pratique qui donne l’impression de flatter l’ego de l’hypnotiseur et des phénomènes qu’il produit (sur scène, à la télévision, dans la rue, sur YouTube…) et de se jouer, au moins partiellement, du sujet. Enfin, dans le même temps, on assiste à une « explosion » de toutes sortes de formations à l’hypnose, de qualité plus ou moins bonne, qui attirent des centaines de praticiens non-soignants qui deviennent (souvent un peu trop) rapidement thérapeutes. Il se trouve parmi eux des praticiens de qualité. Hélas, c’est aussi parfois chez ceux qui sortent d’une formation trop rapide, trop peu rigoureuse, trop prometteuse, promouvant l’ésotérique ou manquant d’éthique que l’on trouve des phénomènes inquiétants, des usages qui relèvent de dérives. Tous ces phénomènes (soins, spectacle, thérapeutes non-soignants, formations d’inégale qualité, médiatisation…) se défient les uns des autres autant qu’ils s’alimentent. Il nous faudra aborder évidemment l’ensemble de ces facteurs qui contribuent au paysage de l’hypnose actuelle. Mais peut-être faut-il d’abord se demander ce qu’est l’hypnose, à quoi sert-elle et comment elle fonctionne…

EN SOMME… L’hypnose, vue comme une pratique thérapeutique mettant en jeu, dans un état de conscience particulier, la relation, la communication, l’action de l’esprit sur le corps, a connu des hauts et des bas incessants dans son histoire. 11 Actuellement elle est de plus en plus connue et pratiquée, son efficacité mieux documentée. Néanmoins, son image reste toujours sulfureuse et associée à des aspects magiques, mystiques, spectaculaires. Nous assistons tout à la fois à un phénomène de mode, visible par la popularisation de l’hypnose de spectacle et dans le même temps à une plus grande scientificité dans son abord médical, à un niveau de preuve de plus en plus élevé de son efficacité, à de plus en plus de soignants qui la pratiquent. Ces deux phénomènes s’alimentent l’un l’autre. Erickson a beaucoup transmis par sa façon d’être, par ses recherches et par ses témoignages. Il a influencé le monde de la psychothérapie au-delà même de l’hypnose. Il a notamment permis à ses observateurs attentifs de mieux comprendre les techniques de communication associées à l’hypnose et à la psychothérapie. Il a inspiré les fondateurs des thérapies brèves pour mettre en lumière l’orientation vers les ressources, l’importance des relations ou du langage corporel dans le processus thérapeutique. Il est important, de nos jours, d’en savoir plus sur l’hypnose, pour ne pas laisser libre cours aux idées reçues et aux dérives. II

Cerner l’hypnose Peut-on définir ce qu’est l’hypnose ? C’est très difficile ! Il n’y a pas de consensus sur sa définition. L’histoire de l’hypnose montre déjà divers changements de paradigme : pour F.A. Mesmer c’est l’influence du praticien qui est au centre du processus, pour Bernheim c’est la technique, la suggestion, Charcot y voyant la centralité de l’état de conscience, pour Erickson, c’est avant tout une forme particulière de lien entre thérapeute et patient… Il s’agit d’un phénomène complexe, difficile à cerner. En vérité il y a un peu de tout cela : l’hypnose est un état de conscience particulier (la transe), un ensemble de techniques de communication (qui mènent à l’état de conscience ou influent sur le lien entre les protagonistes), un type de relation (centrée notamment sur la question de l’influence et de la conduite de l’attention et de l’intention), le tout marqué par des influences sociales et culturelles… Mais le plus important avec les phénomènes complexes est avant tout de donner une sorte de définition négative et de dire ce que l’hypnose n’est pas1, notamment parce qu’il y a beaucoup d’idées reçues à ce sujet. 3 Qu’est-ce que n’est pas l’hypnose ? Hypnose et inconscience L’hypnose est-elle du sommeil ? Si l’on met un électro- encéphalogramme sur le crâne du sujet en hypnose, on voit bien qu’il s’agit d’un tracé qui n’est pas celui d’une phase de sommeil.

Non ! Il suffit d’en faire l’expérience pour se rendre compte qu’on ne dort pas, qu’au contraire on est très « présent », focalisé, concentré, et que, même pour des phénomènes ressentis comme involontaires, on ne perd jamais conscience en hypnose2. Par ailleurs, si l’on met un électroencéphalogramme sur le crâne du sujet en hypnose, on voit bien qu’il s’agit d’un tracé qui n’est pas celui d’une phase de sommeil. De même les études sur l’état hypnotique en imagerie fonctionnelle cérébrale ont montré que le cerveau des sujets n’est pas en sommeil, au contraire : les circuits de l’attention sont mobilisés ! Mais alors pourquoi le fameux : « Dormez ! Vos paupières sont lourdes ! » ? Nous sommes les héritiers de l’histoire de l’hypnose. Depuis le sommeil magnétique, jusqu’aux malaises suscités par les hypnotiseurs de spectacle en passant par le nom même « d’hypnose » (ὕπνος signifiant « sommeil ») ou bien les crises avec perte apparente de conscience des hystériques de Charcot, sans compter la collusion avec le champ de la relaxation, l’apparence réaliste de l’imagerie mentale en hypnose un peu comme dans les rêves, bref, la transe a, sous nos latitudes, souvent l’apparence d’une sorte de sommeil. Notre culture, probablement assoiffée de rationalité préfère la penser comme du sommeil plutôt que de revenir à des mouvements involontaires et à une possession3. La particularité de ce travail est aussi qu’il faut que l’esprit soit dans une disposition particulière d’attention, de disponibilité, d’éveil de certaines fonctions, de réceptivité à certains messages. Dans d’autres cultures, elle peut être une transe chamanique avec une danse rythmique, une méditation ou un mouvement plus ou moins lent d’un moine shaolin, un rituel initiatique ; chez nous aussi, en vérité, une séance d’hypnose peut être bien plus active qu’on ne le croit. Mais l’imaginaire collectif a retenu cette idée d’une sorte

d’endormissement. De nombreux praticiens s’en sont saisis et ont même mis dans leur attirail des suggestions de sommeil. Mais l’hypnose n’est définitivement pas du sommeil comme celui de nos nuits. Hélas pour les patients qui arrivent parfois en consultation et demandent qu’on les endorme, qu’on les « répare » durant ce sommeil et qu’ils se réveillent guéris ! Même si elle produit parfois des résultats spectaculaires, l’hypnose tire son efficacité d’un travail actif dans l’esprit du patient4. La particularité de ce travail est aussi qu’il faut que l’esprit soit dans une disposition particulière d’attention, de disponibilité, d’éveil de certaines fonctions, de réceptivité à certains messages. Cela est plus facile (même si pas toujours) dans le calme… mais pas en dormant ! En vérité, si vous perdez conscience ou que vous vous endormez réellement ce ne sera justement plus de l’hypnose et le travail « hypnothérapeutique » ne sera alors pas possible. On peut être relaxé, détendu, on peut perdre un peu ses repères pour pouvoir en changer, mais on ne perd pas conscience en hypnose. Hypnose, domination et spectacle L’hypnose est-elle un moyen de domination ? D’imposition des idées ? Non, l’hypnose n’est pas imposée au sujet puisqu’elle est produite par le sujet ! L’hypnose ne vient pas de l’hypnotiseur, mais de l’esprit du sujet hypnotisé. En vérité, on pourrait aller jusqu’à dire que le verbe « hypnotiser » ne veut rien dire. Stricto sensu, on n’hypnotise personne, personne n’a un « pouvoir » particulier qui permet cela. On aide quelqu’un à entrer en hypnose, on lui facilite l’entrée en hypnose, on lui fournit un cadre qui l’aide à entrer dans cet état de conscience ou à faire ce travail intérieur…

L’hypnopraticien, et encore plus particulièrement le thérapeute, propose et le sujet dispose. Dans ce cadre, le sujet peut accepter une suggestion, c’est-à-dire une proposition d’une perception ou d’une vision différente. L’hypnotiseur de spectacle joue sur cette ambiguïté en formulant ces propositions sur un mode autoritaire, en affirmant haut et fort que le sujet va faire quelque chose sans même le vouloir, en mettant en scène un « pseudopouvoir » sur les gens… Mais en réalité, l’hypnopraticien, et encore plus particulièrement le thérapeute, propose et le sujet dispose. L’hypnose n’est donc pas un moyen de faire dire ou faire des choses qu’on ne veut pas ? Vous n’allez pas « révéler sous hypnose quelque chose que vous ne vouliez pas dire », vous n’allez pas vous déshabiller si vous ne le voulez pas, même si on vous le demande en hypnose, vous n’allez pas tuer votre voisin parce qu’un hypnotiseur vous l’aura demandé sous hypnose. Il n’est pas possible de faire sous hypnose quelque chose qui soit hors de nos dispositions, c’est-à-dire que nous ne pourrions pas faire hors hypnose. Mais alors d’où viennent tous ces phénomènes décrits, par exemple, par l’hypnose de spectacle où la personne semble « faire ce qu’on lui ordonne » ? Ce n’est pas de l’hypnose ? Et pourtant il peut tout à fait s’agir d’hypnose ! Précisons. Vous n’allez pas tuer votre voisin… sauf si vous êtes fondamentalement un tueur qui peut s’en prendre à son voisin ! On ne fait pas sous hypnose quelque chose qui nous aurait été totalement impossible hors hypnose. Nous faisons sous hypnose quelque chose qui nous serait possible. Cependant l’hypnose nous « facilitera » l’accès à cette possibilité.

Vous n’allez pas vous déshabiller… et pourtant, même sans hypnose, si vous avez besoin de vous faire examiner par un médecin vous allez retirer des vêtements pour que ce soit possible ! On ne fait pas sous hypnose quelque chose qui nous aurait été totalement impossible hors hypnose. Nous faisons sous hypnose quelque chose qui nous serait possible. Cependant l’hypnose nous « facilitera » l’accès à cette possibilité. L’hypnose est une sorte de « catalyseur ». En chimie, un catalyseur facilite une réaction chimique : il intègre cette réaction, il l’accélère ou l’augmente par sa présence, puis s’en retire. La réaction était de toute façon possible sans lui, il l’a facilitée, accélérée, amplifiée. Il ne s’agit pas seulement de ce qu’un sujet produit comme comportement, mais surtout ce qu’un sujet peut produire comme comportement dans ce contexte donné… Pour revenir à la question initiale : nous avons tous en nous, plus ou moins présente, une capacité, par exemple, à nous donner en spectacle5, une possibilité de nous laisser entraîner dans un « délire collectif ». L’hypnotiseur de foire, de scène, va surtout créer le contexte qui rend cela possible pour un certain nombre, et l’accentuer par de multiples artifices. Il ne s’agit pas seulement de ce qu’un sujet produit comme comportement, mais surtout ce qu’un sujet peut produire comme comportement dans ce contexte donné… Je vous propose de considérer l’hypnose comme un catalyseur de contexte. Qu’est-ce que cela veut dire ? L’hypnose agit différemment selon le contexte ? En vérité c’est surtout… nous qui sommes différents selon le contexte !

Vous connaissez peut-être cet exemple. Le 12 janvier 2007, pendant trois quarts d’heure, Joshua Bell a joué dans une station de métro de Washington à l’heure de pointe. C’est l’un des plus grands violonistes du monde. Le voir jouer en concert coûte des centaines d’euros et son stradivarius vaut 3,5 millions de dollars. Il joue là six pièces classiques parmi les plus élégantes jamais écrites. Plus de mille personnes passent, quasiment personne ne s’arrête (7 personnes en tout, surtout des enfants). Personne ne l’applaudit à la fin, une seule personne le reconnaît. « Dans un environnement ordinaire, à une heure inappropriée, sommes-nous capables de percevoir la beauté, de nous arrêter pour l’apprécier, de reconnaître le talent dans un contexte inattendu ? » écrira Gene Weingarten, le journaliste rapportant l’expérience (son article lui a valu le prix Pulitzer). L’hypnose, donc, catalyse, facilite, ce qu’un contexte permet. Génie ovationné dans une salle de concert, musicien de rue ignoré, peut-être par les mêmes qui l’ont applaudi la veille, dans une station de métro le matin. Rien ne s’exprime en dehors d’un contexte qui le permet. Le comportement n’est pas le même, la sensibilité à la scène vécue non plus. L’hypnose, donc, catalyse, facilite, ce qu’un contexte permet. L’hypnotiseur de spectacle, quand il a du talent (ce qui n’est pas si fréquent en vérité), parvient surtout à créer une ambiance dans laquelle tout cela peut se produire. Dès le billet acheté, chacun se demande s’il vivra ces phénomènes, les premières expériences proposées au public sont généralement des phénomènes quasi physiologiques6, ceux qui les vivent le plus rapidement sont invités sur scène et à chaque nouveau phénomène sont progressivement désignés comme « très hypnotisables » par rapport à ceux qui ne les produisent pas et doivent quitter la scène. S’insinue inconsciemment, dans l’esprit des quelques individus soigneusement sélectionnés, l’idée qu’on est réceptif à ce qui se joue et que tout le reste en découlera… À partir de là : the show must go

on ! Souvent pour le plus grand amusement. Parfois au détriment des difficultés ou des risques que peut entraîner la forme d’une telle pratique… Dans mon bureau de « psy », ce n’est pas la capacité à amuser, à divertir, qui se révèle. La personne qui consulte un thérapeute souffre et veut changer quelque chose dans sa vie. Dans le meilleur des cas, l’hypnose révèle la capacité du patient à mettre la main sur ses ressources, changer de point de vue, dépasser ses problèmes et trouver ses solutions. Les suggestions du thérapeute ne sont que des propositions dont le patient peut se saisir pour changer. Il nous faut donc, suivant en cela Erickson par exemple, l’en croire capable, et l’aider à y accéder. En cela, un hypnotiseur de scène ne pourrait soigner véritablement ni durablement sur une scène une anxiété, une douleur, une addiction. Le contexte ne favorise pas la révélation d’une « capacité à changer ». Le contexte créé par un praticien utilisant l’hypnose ne change pas la réalité, mais rend possible au sujet plus facilement l’accès à ses ressources, capacités, possibilités. Mais à l’inverse, je ne pourrais (et ne voudrais) pas dans le cadre d’un bureau de médecin faire « faire le pitre » à un patient, le contexte ne s’y prêtant évidemment pas. Le contexte créé par un praticien utilisant l’hypnose ne change pas la réalité, mais rend possible au sujet plus facilement l’accès à ses ressources, capacités, possibilités7. En somme, dans un contexte, installé par un homme de spectacle8, où l’hypnose est perçue par certains comme un moyen visant à prendre le contrôle sur eux, faire faire aux gens toutes sortes de choses ridicules ou amusantes ou répondre à des ordres, c’est bien l’hypnose qui servira de catalyseur, de révélateur9. En revanche,

dans un contexte permettant de percevoir l’hypnose comme un moyen dont se saisit le patient pour reprendre le contrôle de sa propre vie, trouver des ressources face à ses problèmes, ce sont ces capacités-là qui peuvent être recherchées par un thérapeute et révélées par l’hypnose. Hypnose et danger C’est donc bien de l’hypnose, même sur scène, qui permet de révéler quelque chose que l’individu semble faire contre son gré (un comportement spectaculaire), mais dont, à un autre niveau, il avait envie inconsciemment (se donner en spectacle, participer à l’ambiance, se lancer un défi, se « prendre au jeu », même s’il ne se rend pas toujours compte au départ de ce que cela implique). Alors, est-ce dangereux ? Que l’on voie l’hypnose provoquer des phénomènes spectaculaires ou inattendus sur une scène, une insensibilité à la douleur dans un bloc opératoire, un esprit qui surmonte un traumatisme, une addiction ou une dépression qui se poursuivait depuis des années, il apparaît à ceux qui en sont les praticiens ou les témoins honnêtes que l’hypnose est un outil particulièrement puissant. Or, tout outil puissant est potentiellement dangereux s’il est mal utilisé. Un cutter est un excellent outil de bricolage, mais peut devenir une arme blanche ; une substance chimique, comme la morphine ou le cannabis, peut être selon les circonstances comme un médicament, une substance récréative ou qui mène un individu fragilisé vers une mise en danger de lui-même… Pour qu’un outil puissant soit utile, il est nécessaire qu’il soit utilisé par quelqu’un qui le connaît et sait l’utiliser en contexte. Le médecin prescrivant de la morphine a pour objectif le soulagement du patient, le dealer qui en vend a pour objectif la dépendance du sujet pour son enrichissement personnel, l’ami bien intentionné qui en fait goûter a

pour but le partage de plaisir, sans se rendre compte forcément et immédiatement des dangers… Comparaison n’étant pas raison, revenons à notre hypnose. Les critères de sûreté sont donc : — savoir utiliser l’hypnose (c’est-à-dire avoir reçu une formation adéquate) ; — connaître le contexte dans lequel on l’applique (c’est-à-dire être habilité et compétent à traiter le genre de troubles pour lesquels la rencontre a lieu). Le danger serait de l’appliquer par exemple dans un contexte que l’on ne connaît pas. À titre d’exemple10 : je suis psychiatre, je ne vais pas pratiquer l’hypnose dans un bloc opératoire pour une opération chirurgicale. Non pas parce que je ne connais pas la technique hypnotique nécessaire (il m’est arrivé de l’enseigner à des anesthésistes !) mais parce que je ne suis pas anesthésiste. Je n’ai donc pas les compétences pour gérer les paramètres vitaux, le déroulé de l’analgésie et surtout la conduite à adopter en cas de difficulté en cours d’intervention, c’est-à-dire les paramètres « extrahypnotiques ». À l’inverse, en tant que psychiatre je peux être capable de savoir gérer une crise d’angoisse, une réminiscence traumatique ou déterminer si telle ou telle condition psychiatrique est compatible avec l’hypnose, ce que ne saura pas forcément faire un confrère d’une spécialité différente… L’hypnose est produite par un patient, dans un cadre offert par le thérapeute. Il se doit de bien connaître ce cadre. « Bien faire » de l’hypnose n’est pas, loin de là, qu’une question de bonne maîtrise de l’hypnose elle-même, mais du sujet dont on s’occupe. L’hypnose est produite par un patient, dans un cadre offert par le thérapeute. Il se doit de bien connaître ce cadre. En thérapie, il

s’agit de la communication et de la relation thérapeutique, de certains aspects psychologiques. On peut maîtriser à merveille la technique hypnotique et commettre des imprudences. Par ailleurs, certaines situations présentent un danger car elles peuvent entraîner des réminiscences et des « abréactions11 ». Quand un « hypnotiseur » met en scène, pour le spectacle, une relation de domination, c’est souvent d’ailleurs plus sur le plan non verbal que verbal (c’est-à-dire que même hors du contenu de son discours, c’est sur la forme, le ton, la gestuelle qu’est exprimé le message : « Vous êtes en mon pouvoir et allez faire et ressentir contre votre gré ce que je souhaiterai. ») Pour la plupart des gens, cela peut s’inclure dans un « jeu amusant ». Pour certaines personnes fragilisées qui auraient subi des traumatismes et des relations perverses, il peut se produire un « réveil » de ces difficultés. Souvent l’hypnotiseur ne s’en rend pas compte car la réaction n’est pas immédiate et la sidération induite par une situation « impressionnante » peut être forte chez le sujet. Mais c’est souvent dans l’après-coup, après quelques semaines, que la personne viendra consulter, mal à l’aise et pleine de « mauvais souvenirs qui reviennent ». Le danger est donc double : d’abord de l’ordre de la relation (un « hypnotiseur » malintentionné ou centré sur lui-même) et de l’ordre de la compétence (un praticien qui ne maîtrise pas et ne se préoccupe pas de ce qu’il peut réveiller chez l’autre), c’est-à-dire à l’outil, qui, mal utilisé, peut provoquer des difficultés chez des personnes fragilisées. Le danger est donc double : d’abord de l’ordre de la relation (un « hypnotiseur » malintentionné ou centré sur lui-même) et de l’ordre de la compétence (un praticien qui ne maîtrise pas et ne se

préoccupe pas de ce qu’il peut réveiller chez l’autre), c’est-à-dire à l’outil, qui, mal utilisé, peut provoquer des difficultés chez des personnes fragilisées. Bien entendu ce n’est pas l’hypnose en soi qui est un problème, car elle n’est en elle-même ni bonne ni mauvaise, c’est une technique (relationnelle, communicationnelle et de thérapie)12. Elle doit être pratiquée d’une part à bon escient, d’autre part avec la compétence requise pour déterminer si c’est à bon escient et enfin dans un cadre éthique. L’hypnose n’est pas éthique ? Aucune technique ne porte en elle sa propre éthique ! Est-ce que la chirurgie, la gastroscopie ou la mécanique automobile sont éthiques ? L’éthique est un ensemble de principes qui guident nos actions, et non les actions elles-mêmes. C’est la façon dont on utilise une technique qui est porteuse ou non d’éthique et de respect. Et concernant l’éthique du soin par l’hypnose, elle est simple : le bénéfice de l’hypnose doit être à celui qui entre en hypnose, pas à celui qui l’aide à y entrer (en dehors de la satisfaction de bien exercer son métier ou d’être normalement rétribué). On peut y ajouter l’adage médical « primum non nocere » : d’abord ne pas nuire, ce qui implique d’avoir la compétence pour gérer les situations. Et concernant l’éthique du soin par l’hypnose, elle est simple : le bénéfice de l’hypnose doit être à celui qui entre en hypnose, pas à celui qui l’aide à y entrer (en dehors de la satisfaction de bien exercer son métier ou d’être normalement rétribué). L’éthique est bien différente de celle du soin quand on utilise une technique d’influence à son propre bénéfice, que ce soit pour remplir une salle ou pour influencer le choix de quelqu’un ou encore pour flatter son propre ego (« Je sais hypnotiser n’importe qui, n’importe où, n’importe comment ») ou dans un lieu de divertissement ou dans la rue sur des inconnus avec une caméra pour s’en glorifier sur YouTube, ou encore pour manipuler…

Alors toute « hypnose qui divertit » est dangereuse ? Oui et non. Non, de facto pas toujours. Car chez un grand nombre de gens il n’y a pas d’incidents. Tout le monde, heureusement, ne sort pas psychotraumatisé d’un spectacle d’hypnose. Signalons aussi que la plupart des hypnotiseurs n’ont pas d’intentions négatives. Donc des témoignages positifs, l’on en trouvera toujours, et vu la démultiplication d’« hypnotiseurs » sans formation correcte ni cadre de pratique défini, il est heureux que la plupart du temps il n’y ait pas d’incidents graves ! Eh oui, car elle n’est certainement pas, selon nous, la plus éthique telle qu’elle est trop souvent pratiquée. En France, l’hypnose divertissante est tolérée, ce qui n’est pas le cas partout dans le monde, où certains pays ont clairement interdit la pratique de l’hypnose hors du cadre du soin. Malgré cette tolérance, de nombreux soignants ne peuvent évidemment pas l’encourager quand ils observent la situation telle qu’elle est. Un nombre de plus en plus grand de personnes, sans aucune qualification particulière dans le domaine relationnel ou du soin, pratiquent l’hypnose après une formation très courte, avec une maîtrise seulement de la technique (et encore, une maîtrise très partielle), de façon impromptue et sur le plus grand nombre sans connaître les intéressés. Sans compter que dans ces pratiques « divertissantes », on met en avant les pratiques les plus spectaculaires, impressionnantes voire « privatives » (on met la personne en impossibilité apparente de bouger un membre, ou de se souvenir de son nom, ou en situation de chuter de sa hauteur dans les bras de l’hypnotiseur…)13. Ces techniques de disparition de repères d’identité personnelle mettent en jeu trop d’inconnues dans l’équation pour qu’on les considère comme anodines. Elles peuvent fragiliser ou aggraver une personne déjà fragilisée. Remettre en question ses repères, changer ses

perceptions, peut être, j’en témoigne, un outil extraordinaire de thérapie pour changer sa vie, dans un cadre maîtrisé, mais ne peut pas être considéré comme un simple jeu. En somme, explorer les capacités de nos inconscients peut être tout à fait inoffensif voire bénéfique à la condition que cela se fasse en confiance, avec un praticien qui connaît son domaine et sécurise sa pratique. Ce n’est, hélas, pas le cas de la plupart des contextes ludiques actuels de l’hypnose. Un lecteur averti en vaut deux14. Mais que penser de ces affaires entendues, de « viols sous hypnose » ? Là, il n’est plus question de divertissement… Hélas non… c’est même dans des situations de « demande d’aide »15 que l’on en a entendu parler… Certes, « on ne peut pas faire faire quelque chose à quelqu’un sous hypnose qui soit hors de ses dispositions morales », c’est-à-dire quelque chose que sa morale personnelle réprouve. Et il n’est évidemment dans les dispositions de personne d’être violé ! Dans le même temps, certaines personnes en détresse, en souffrance, affaiblies ou malheureuses sont plus enclines, « disposées », à confier littéralement leur vie, entre les mains de celui qui prétend les sauver. Si celui-ci se révèle être animé de mauvaises intentions, un danger existe. Hélas, dans un grand nombre de cas16, il n’y a même pas besoin d’hypnose pour qu’éclatent des histoires d’abus, de relation de domination, de viols, y compris par des soignants, qui ont abusé de situation de pouvoir… Sur ces affaires, certains vous diront « c’est impossible puisqu’on ne peut pas faire faire quelque chose à quelqu’un qu’il n’aurait pas

accepté… » d’autres tenteront de diaboliser l’hypnose comme une immonde technique de domination. Comme on le voit, rien n’est simple, et la réalité exige nuance et précision. Il serait donc faux de dire que l’hypnose en soi permet des viols. La « domination » d’un individu par un autre survient dans un contexte (multifactoriel) de domination. Ainsi, ce qui est dit dans ce paragraphe n’implique pas seulement l’hypnose, loin de là ! Toute situation de demande d’aide entraîne un positionnement asymétrique au départ, dont « l’aidant » ne doit jamais abuser. L’éthique est fondamentale dans la pratique de toute technique de soin ou de relation d’aide. Par ailleurs, comme tout outil de communication efficace, il peut entraîner le meilleur potentiel (comme une réhumanisation de la relation et du soin par un soignant consciencieux17) comme le risque (faciliter les choses à un manipulateur, un pervers ou un charlatan malintentionné)18. Ajoutons que certaines personnes ont vécu dans des contextes de manipulation ou de domination. Les relations d’emprise ne sont souvent pas des situations de « violence physique manifeste ». Un manipulateur peut donc installer une relation de domination où l’affection se mêle et se confond avec de la violence19. Une situation de sidération s’installe, la victime se retrouve en difficulté pour résister, non pas du fait d’une éventuelle violence physique mais à cause de la bien plus redoutable emprise psychique. Certaines personnes n’ayant pas complètement surmonté ces traumatismes, ce genre de violences, de confusion, de sidération, d’abus, de maltraitances, sont parfois en difficulté pour repérer assez tôt les signes d’un nouveau danger, d’une nouvelle relation toxique quand elle se présente20.

Et, bien sûr, il est aussi dans les « dispositions » des agresseurs malintentionnés de jeter leur dévolu sur de telles personnes, hypnose ou pas. Le principe général « on ne peut pas faire quelque chose à quelqu’un sous hypnose qu’il ne voudrait pas faire » s’exprime aussi en contexte : en l’occurrence il est souvent question de contextes de demande d’aide. C’est-à-dire un contexte où une personne affaiblie par sa souffrance place sa confiance dans les mains d’un thérapeute, qui a donc une responsabilité importante21. Ce n’est toujours pas l’hypnose en soi, en tant qu’état de conscience qui est dangereuse, mais son utilisation. Travailler en hypnose implique impérativement d’établir une relation de confiance. En somme, il ne s’agit pas littéralement de « viol sous hypnose », mais de viol, sur une victime, par un agresseur qui a usé entre autres de techniques d’hypnose pour arriver à ses fins. Le fait que l’hypnose soit présente n’enlève rien, ni à la culpabilité de l’agresseur, ni à la souffrance de l’agressé. Bien au contraire, le sentiment pour la victime de s’être « fait avoir » par une personne « de confiance » à qui elle demandait de l’aide peut être particulièrement mal vécu ; et le fait, pour l’agresseur, d’abuser de la confiance que l’on lui donne, de dévoyer une technique communicationnelle, potentiellement thérapeutique, à des fins criminelles, est une circonstance particulièrement aggravante. La relation de confiance avec un praticien en hypnose est donc fondamentale. Plus largement, le sentiment de sécurité doit être présent avec tout professionnel de la relation d’aide. Hypnose et passé L’ hypnose est-elle un moyen de retrouver les causes, les origines de nos problèmes ? Une idée, issue d’une compréhension un peu simplifiée de la psychanalyse, s’est ancrée dans l’inconscient collectif : il faudrait

retrouver les causes de nos problèmes pour avancer. Au point que nombre de patients rencontrent un thérapeute en demandant en premier lieu : « Je voudrais savoir pourquoi j’ai cela », alors qu’en les interrogeant quelques minutes, on s’aperçoit que c’est surtout : « Je voudrais savoir comment me sortir de cela » qui est leur demande la plus importante. Cette idée de recherche d’origine est problématique à plus d’un titre. Tout d’abord parce que, parfois, la « cause » semble évidente22. Quelle « origine » au problème rechercher chez ce patient qui m’explique qu’il est en difficulté depuis qu’il a été enfermé au Bataclan le 13 novembre et a survécu aux attentats ? Le présent agit sur le passé et le transforme. Si nous ne remontons pas physiquement le temps, en revanche, nous changeons sans cesse la vision que nous avons de notre passé. Ensuite, parce que la causalité est vue, par ceux qui s’inspirent de l’hypnose, comme circulaire et non linéaire. La causalité linéaire, plus familière, nécessaire d’ailleurs dans certaines disciplines comme la physique classique, et généralement admise instinctivement quand on pense à notre propre vie, signifie que ce qui se produit est la conséquence d’une cause qui le précède. Le passé influence le présent, et le temps poursuit son infatigable cours, sans retour en arrière. Mais si l’on considère une causalité circulaire, l’effet vient rétroagir sur la cause et la transformer en permanence ! Le présent agit sur le passé et le transforme. Si nous ne remontons pas physiquement le temps, en revanche, nous changeons sans cesse la vision que nous avons de notre passé. Si j’observe une période de ma vie passée, alors que je vais bien, je la raconterai bien différemment que si je raconte la même période passée, pendant un moment présent de difficultés et d’épreuves.

L’hypnose éricksonienne est donc assez naturellement une thérapie qui travaille dans le présent et tournée vers l’avenir. Il n’y a donc souvent pas de causes « objectives » aux problèmes, elles sont souvent multiples, complexes et changeantes. En vérité, tous les faits nous parviennent accompagnés d’une interprétation. Ce qui nous fait souffrir n’est pas, finalement, ce qui s’est passé ; mais la façon dont ce qui s’est passé vient nous faire souffrir maintenant. Savoir ce qui s’est « réellement passé » est bien sûr fondamental pour la justice ou la police, c’est logique ; cela peut être important aussi pour certains patients et c’est totalement respectable. Mais pour le thérapeute, le but de la démarche n’est pas de découvrir des indices de vérité, mais de soulager la souffrance. Il ne mène pas l’enquête et ne doute pas du patient, ne cherche pas de preuves ou d’indices, mais des possibilités de soulager et de construire un avenir résilient. Il ne s’agit donc pas de retrouver une cause, connaître l’origine de la souffrance, mais bien regarder celle-ci différemment pour continuer à avancer. L’hypnose éricksonienne est donc assez naturellement une thérapie qui travaille dans le présent et tournée vers l’avenir. Mais quel est alors l’effet de l’hypnose sur la mémoire ? On entend dire parfois qu’elle est un moyen de retrouver des « vrais » souvenirs, jusqu’ici enfouis, refoulés. Même si cela ne fait pas complètement guérir, cela n’est-il pas apaisant de remettre la main sur ce qui cause une souffrance ? On entend aussi parler de « faux souvenirs » induits par l’hypnose ? L’hypnose nous aide-t-elle à accéder à la mémoire ou bien la modifie-t-elle23 ? L’hypnose a fait l’objet de vives controverses sur cette question, notamment sur le plan judiciaire avec la question d’abus sexuels remémorés de façon très précise sous hypnose, parfois très tardivement après les faits, lors d’une séance, après une longue amnésie24. Parfois la justice a démontré la véracité des faits et condamné les coupables, parfois il a été montré que les faits

n’étaient pas arrivés tels que remémorés, parfois il n’a pas été possible de vérifier quoi que ce soit. On sait par ailleurs, bien au-delà de l’hypnose que la mémoire est faillible et que certaines convictions sur nos souvenirs peuvent être fausses. Pour l’anecdote, 30 % des personnes accusées, puis innocentées par leur ADN, avaient avoué un crime pendant leur interrogatoire25, ce qui est considérable… Avant de connaître les effets de l’hypnose sur la mémoire, il est nécessaire d’en savoir un peu plus sur la mémoire elle-même… Comment fonctionne donc notre mémoire ? Nous avons parfois l’impression que le passé nous définit, que notre histoire est une suite d’événements enregistrés. Mais, en réalité, notre histoire est une histoire racontée, construite, les événements sont sélectionnés, inclus dans un récit cohérent… et, nous le savons aujourd’hui, parfois remaniés, complétés. De fait, notre cerveau est habitué à combler les blancs. Par exemple, une petite partie de notre champ visuel est « aveugle », sur chaque rétine, il y a une zone (celle où s’insère le nerf optique) qui ne voit littéralement rien. Pourtant, constatez-vous un trou de chaque côté de ce que vous voyez ? Non, évidemment. Votre cerveau reconstitue ce qui manque à partir du contexte. Et ce n’est qu’un exemple parmi des milliers d’autres de réarrangement de l’information pour y donner du sens… De même, il est impossible de retenir toutes les informations sensorielles quand nous vivons un moment : nos yeux, nos oreilles, tous nos capteurs sensoriels sont bombardés d’informations dont nous ne retenons qu’une petite partie. Nous pouvons compléter ce souvenir avec des éléments issus de l’imagination, pour donner une cohérence à la narration du souvenir. Et, par la suite, nos souvenirs sont en réalité des puzzles, dont la trace est disséminée en plusieurs lieux cérébraux.

La mémoire, subjective, déforme peu à peu les souvenirs, notamment selon les émotions associées : comme quand nous enjolivons le souvenir d’une période heureuse quand nous sommes en difficulté, ou relativisons le souvenir d’une tristesse passée, dans des moments agréables. Vous sentez une odeur et vous vous souvenez d’un amour passé ; vous entendez une musique et vos vacances vous reviennent ; à partir d’une sensation, les autres canaux sensoriels sont activés et reconstituent le souvenir, et ce à chaque fois que le souvenir est sollicité. Ils sont donc des reconstitutions et contiennent une part, indiscernable, d’imagination qui donne une cohérence narrative à l’ensemble26. Comme nous l’avons également souligné, la mémoire, subjective27, déforme peu à peu les souvenirs, notamment selon les émotions associées : comme quand nous enjolivons le souvenir d’une période heureuse quand nous sommes en difficulté, ou relativisons le souvenir d’une tristesse passée, dans des moments agréables. Il est donc impossible au sein d’un souvenir de clairement différencier la part de l’imagination de celle de la réalité. Cela semble effrayant ! Nous ne pouvons donc pas vraiment compter sur nos « vrais » souvenirs pour être une transcription fidèle de ce qu’il s’est passé dans notre vie… Non, du moins ne peut-on pas compter dessus comme l’on compterait sur une caméra chargée d’enregistrer passivement des données… Il peut paraître effrayant de perdre l’illusion que notre cerveau est un pur ordinateur. Mais c’est en même temps rassurant car c’est ce qui fait de nous des êtres humains ! Car nous sommes des êtres de sens et de cohérence, de discours, de dialogues et d’histoires racontables (pas de répertoire de faits objectifs). Notre histoire est constituée des éléments que nous retenons et de la cohérence que nous leur donnons. C’est une immense richesse que de pouvoir donner, et

éventuellement modifier, du sens à nos vies. Mais cela a un prix : la possible inexactitude de certains souvenirs. Comme le dit J.A. Malarewicz, « aucune technique ne permet de contourner la subjectivité, c’est-à-dire la complexité du psychisme humain28 ». Notre mémoire n’est pas une sténographie de la réalité. Notre mémoire n’est pas une sténographie de la réalité. La part d’un ordinateur qui stocke passivement des données est parfois appelée « mémoire morte ». Mais notre mémoire est bien vivante, elle travaille sans cesse, intègre nos souvenirs dans notre système bien plus complexe de pensée, d’émotion, d’imagination, de sens, de subjectivité. D’où vient cette idée que la mémoire contiendrait « quelque part » tous les faits réels ? On a longtemps pensé que notre mémoire contenait tous les souvenirs, tous présents et encodés d’une manière ou d’une autre, et que l’on ne perdait , éventuellement, que les chemins pour y accéder. Ce modèle était plutôt une vision statique et passive d’un meuble à tiroirs, dans lequel chaque tiroir, si on le retrouvait, contiendrait un souvenir impeccablement plié et repassé. L’hypnose s’imposait alors comme une technique particulièrement adaptée pour aider à se remémorer les souvenirs oubliés. L’état de conscience induit par l’hypnose, la facilité avec laquelle des images semblaient se présenter et le fort « réalisme » de ces dernières paraissaient indiquer cette pratique comme une voie privilégiée. Même Erickson pensait – l’idée ne provenait pas de lui au départ mais il semblait y adhérer dans certains de ses écrits – qu’on pouvait, en hypnose, accéder à toute la réalité des souvenirs. La mémoire se présentait pour lui presque « par strates » au point de faire des régressions en âge et de prétendre ramener

réellement l’individu dans l’état (émotionnel, mnésique, etc.) dans lequel il était à des époques antérieures. Cela semble aujourd’hui assez aberrant et, sur ce point, on peut affirmer qu’Erickson se trompait, ce qui ne remet aucunement en question ni son admirable travail, ni les recherches et expérimentations actuelles sur le fonctionnement et l’efficacité de l’hypnose dans le traitement des psychotraumatismes. Le maître de l’hypnose n’était d’ailleurs pas le seul à se représenter la mémoire de la sorte. Cette conception était courante et partagée. Il n’y a pas si longtemps, pour un tribunal américain, quasiment tout témoignage obtenu sous hypnose était, de fait, crédible, qu’il s’agisse d’agression sexuelle ou d’enrôlement dans une secte satanique. À la suite d’épisodes de condamnations après ces témoignages, dont il avait été démontré par la suite qu’elles étaient abusives, de nos jours la tendance est inverse : tout souvenir remémoré par hypnose est reçu avec beaucoup de circonspection (voire considéré comme non valable a priori) par la justice américaine29. Les souvenirs « partiellement faux » sont donc monnaie courante. Et les souvenirs « totalement faux » ? De façon logique par rapport à ce qui précède, on peut imaginer que certaines formes de communication (avec ou sans état de conscience particulier) peuvent modifier mémoire et souvenirs. Cela est tellement vrai qu’on a pu démontrer, sans trop de difficulté, qu’il était possible non seulement de déformer les souvenirs mais aussi d’inculquer des faux souvenirs. Ces expériences, menées, entre

autres, par la psychologue américaine Elizabeth Loftus, ont quelque chose de troublant. Le scénario est souvent le suivant : les examinateurs demandent l’autorisation à des étudiants de joindre leurs proches pour collecter des souvenirs. Ils racontent à l’étudiant ces épisodes pour voir s’il s’en rappelle et ils en incluent un faux. Initialement, un certain nombre ne s’en « rappelle » évidemment pas. Et à force de répéter le faux souvenir, ou de lui ajouter des détails cohérents avec la vie de la personne ( « Vous vous rappelez ? C’était quand vous viviez avec vos parents dans le Colorado… ») ou même de demander à la personne d’imaginer des détails de l’histoire, environ les deux tiers finissent par croire en l’existence réelle de ce souvenir. Toutes sortes de faux souvenirs ont ainsi pu être implantés : depuis s’être perdu dans un centre commercial jusqu’à avoir commis une agression ou un vol, en passant par avoir pris le thé avec le prince Charles ! Quand on a finalement révélé aux intéressés que le souvenir était faux, certains n’arrivaient plus à le croire… De nombreuses méthodes, mais aussi des modalités de communications anodines et quotidiennes peuvent créer involontairement de faux souvenirs, ou « contaminer » les vrais souvenirs avec de l’imaginaire. Il n’y a pas lieu de s’en inquiéter et c’est même parfaitement physiologique, notre esprit donnant ainsi un sens et une cohérence à notre vécu. Parfois un interrogatoire, une question suggestive peut modifier la mémoire. Particulièrement dans des situations ou une relation d’autorité s’installe (thérapie de toute sorte, police, hiérarchie…) Dans de rares cas, de véritables charlatans ont induit volontairement de faux souvenirs pour manipuler les gens30. Dans certains pays on a même interdit les thérapies de « remémoration du passé ». Un souvenir qui « revient » par hasard au détour d’une autre expérience (visiter un lieu de l’enfance, ou même une séance d’hypnose sur un tout autre sujet) n’est pas la même chose qu’une forte suggestion par un «

thérapeute », même sous forme de question (« vous êtes sûr que vous n’auriez pas… ? ») Mais alors tout est faux dans notre mémoire ? Non ! Bien sûr que nous retenons les événements à partir de faits qui se sont « objectivement passés ». Les faux souvenirs ne sont pas la norme. Mais l’évolution a fait de nous des êtres de sens, et nous avons des fonctions spécifiques pour donner du sens et de la subjectivité, qui sont bien plus fortes que les fonctions d’un disque dur31. Tout n’est pas vrai, tout n’est pas faux. Nous ne semblons simplement pas disposer des capacités nous permettant de distinguer de façon absolue ce qui relève d’un souvenir « réel » ou d’un souvenir reconstruit. En thérapie, que ce soit un rappel suggestif (lorsqu’on laisse la personne s’exprimer librement sur ses souvenirs) ou « indicé » verbalement (quand on donne des indices pour aider à se remémorer), ou d’un état de conscience particulier (comme celui par l’hypnose), il paraît clair que l’on peut faciliter la remémoration (parfois spectaculaire) de souvenirs réels : c’est ce que l’on nomme « l’hypermnésie ». Mais dans le même temps, on facilite aussi la « paramnésie » : la mise en route de l’imaginaire et des capacités extraordinaires de notre cerveau à chercher cohérence et signification pour donner un sens nécessaire à nos représentations mentales (quitte parfois à les modifier). Mais revenons à la thérapie. Le patient n’arrive pas en consultation avec seulement des événements à raconter, mais une souffrance actuelle, qui, elle, est bien réelle. Ayant travaillé avec des centaines de personnes psychotraumatisées, je sais que l’important est qu’un thérapeute ne travaille pas avec la question de « connaître la vérité » des faits. Ce n’est pas une enquête. Cela est l’affaire de la justice, du

droit, de la loi qui se devrait d’être la plus juste possible pour tous (et il y a du travail !). Parfois pour le patient cela peut être important d’avoir des preuves que « c’était bien réel », ce qui est parfaitement compréhensible et respectable. Parfois il y a évidemment des « indices extérieurs objectifs » qui permettent de savoir. Mais en tant que thérapeutes, si des souvenirs « reviennent », pendant une thérapie, notamment en état de conscience particulier, nous savons qu’ils peuvent être totalement vrais ou partiellement vrais, ou partiellement faux ! Nous travaillons avec le récit que le patient nous amène. Sous cet angle-là, tout est « vrai » dans ce que dit le patient ! Toutefois cela n’a pas d’importance : nous travaillons avec le récit que le patient nous amène. Sous cet angle-là, tout est « vrai » dans ce que dit le patient ! Le patient souffre parce qu’il revoit, au présent, ces images d’agression32. Je n’ai aucune enquête à mener, aucune approbation ou remise en question de la parole du patient à émettre. Comment établir une relation de confiance avec le patient si je suis dans une attitude de doute et de recherche d’indices face à ses propos ? Ce qu’il me dit me suffit33. C’est à lui d’évaluer ce qu’il fera avec ce qu’il perçoit. Je dois travailler avec lui, sans jugement, à partir de sa souffrance, de son ressenti, ici et maintenant. Il est important que, face à une demande d’un patient qui voudrait « retrouver de vrais souvenirs enfouis », le thérapeute puisse informer le patient que la prudence est nécessaire, que travailler sur une souffrance peut se faire sans forcément rechercher la vérité34. Si un travail en hypnose devait s’engager sur le passé, le patient peut aussi être informé que tout ce qu’il percevra n’a pas valeur de preuve légale, et qu’il ne lui sera d’ailleurs pas possible de savoir avec une certitude absolue si ce qu’il perçoit relève d’une mémorisation ou comporte des parts d’imagination. Cependant la motivation d’une

personne en souffrance est généralement et prioritairement que la souffrance s’apaise ! À ce titre, voici deux petites histoires illustratives. Alors que je travaillais en centre pénitentiaire, un patient vint me voir dans les suites de sa condamnation pour meurtre. Son drame était qu’il n’avait aucun souvenir du meurtre, et qu’il ne se connaissait pas violent, fuyait plutôt les conflits, n’avait jamais recours aux mains… Il ne pouvait se résoudre à l’idée qu’il avait pu commettre un tel acte, même si tout l’accusait vraisemblablement au vu de la condamnation. Je lui ai donc expliqué les éléments cités au paragraphe ci-dessus : pas de certitudes sur la véracité absolue de ce qu’il pourrait percevoir dans une éventuelle séance d’hypnose, pas de possibilité de distinguer l’enregistrement de souvenir de l’interprétation et l’imagination qui l’accompagnent, pas d’éléments de preuve médicolégale. Il m’annonça à la séance suivante qu’il renonçait à sa demande initiale. Le doute, m’expliqua-t-il, était déjà pour lui insupportable et permanent entre s’avérer être un meurtrier, ou s’avérer être condamné à tort à une lourde peine : deux options inacceptables. Si, en plus de ce doute, il percevait quelque chose en hypnose, dont il pourrait douter de la véracité, cela serait pour lui encore pire, une sorte de « doute sur du doute », un « doute au carré », d’autant que cela ne changerait rien, le procès avait eu lieu et n’était plus révisable. L’objectif du patient devint plutôt celui de faire le deuil de la certitude. Une patiente vint me voir dans le cadre d’un deuil non résolu d’un proche mort d’une « longue maladie », qu’elle avait vu douloureusement dépérir à domicile alors qu’elle était assez jeune. Sous hypnose elle revit la scène difficile et je lui demandai d’observer des détails de ce

souvenir, d’éventuelles différences, des choses qu’elle n’aurait pas remarqué la première fois. Elle remarqua en effet des aspects qu’elle n’avait pas pris en compte dans le souvenir initial, des gestes discrets mais significatifs, des images, des mots qui changeaient clairement l’interprétation qu’elle avait de son passé. « Je n’avais pas remarqué ces détails, je n’avais pas vu les choses comme ça, je comprends mieux maintenant… » À la séance suivante la patiente était grandement soulagée, à son grand étonnement. Elle n’était plus obsédée jusque dans ses cauchemars par le deuil, elle pouvait en parler sans se laisser déborder par les émotions… Mais elle me demanda si ce qu’elle avait vu était « bien réel ou alors dans [sa] tête ». « Est-ce vraiment important ? » lui demandai-je. Et après une courte réflexion, elle dut bien admettre que non. L’expérience vécue en séance suffisait à changer son vécu subjectif de ce deuil, que les éléments retrouvés aient été réels ou produits par son esprit pour lui laisser entrevoir un autre point de vue… Cette fragilité des souvenirs peut de fait s’avérer utile en thérapie… Paradoxalement, oui. Les psychothérapies ont souvent instinctivement bien compris ce mode de fonctionnement de notre cerveau. Les thérapies analytiques disent très clairement qu’elles cherchent la vérité « du sujet » et non la vérité absolue, Freud ayant bien montré qu’un traumatisme réel ou « fantasmé » aura le même impact psychique ; les TCC recherchent plus une « reprogrammation cognitive » et la possibilité de pensées alternatives qu’une exploration des origines de la souffrance ; les modernes thérapies brèves et l’hypnose médicale actuelle aident le patient à trouver des solutions pour avancer, utiliser les ressources dont il dispose, redonner un sens à sa vie et des capacités plutôt que d’interpréter indéfiniment des causes ; la mindfulness (méditation de

pleine conscience) invite à l’acceptation, plutôt qu’à la lutte et à la rationalisation pour apaiser les ressentis, etc. En vérité, on ne peut échapper aux faits, effacer la réalité d’un événement considérable qui s’est produit et dont on se souvient35. La thérapie peut en revanche aider à l’appréhender différemment, à « s’en sortir ». En vérité, on l’aura compris, la capacité du cerveau à ne pas être un disque dur, mais plutôt à pouvoir opérer des changements de point de vue et de perception sur le réel, à posséder des capacités de « malléabilité », qui pourrait pour certains sembler une fragilité, est en fait une capacité utile36, qui peut être particulièrement sollicitée en hypnose. Si l’esprit peut modifier ou réinterpréter un souvenir, il peut aussi, éventuellement guidé par un thérapeute qualifié, utiliser cette capacité pour le mettre dans une autre perspective, vivre mieux et avancer plus sereinement dans son parcours de vie, dans les suites d’un traumatisme. Et comme l’hypnose révèle des capacités existantes alors tout cela n’est pas utile qu’en thérapie. « La mémoire sert à oublier » comme l’a écrit Elisabeth Loftus. La mémoire est une fonction complexe faite d’enregistrements partiels, de reconstitutions partielles, d’oublis partiels et sélectifs qui permettent de donner un sens à notre identité. Fonction précieuse et centrale ! Si l’esprit peut modifier ou réinterpréter un souvenir, il peut aussi, éventuellement guidé par un thérapeute qualifié, utiliser cette capacité pour le mettre dans une autre perspective, vivre mieux et avancer plus sereinement dans son parcours de vie, dans les suites d’un traumatisme. Toute personne en souffrance se devrait d’être attentive si elle souhaite se faire aider, d’aller voir – notamment pour tout problème relatif à des « mauvais souvenirs » au sens large (histoire difficile, traumatismes subis, etc.) – un thérapeute diplômé, qualifié et

compétent ; qu’il s’agisse d’une thérapie classique ou a fortiori très spécialisée (TCC, hypnose, mouvements oculaires, etc.) Hypnose et mystique L’hypnose permet-elle de voyager dans des vies antérieures ? De faire de la télépathie ? De communiquer avec les morts ? Rien de tout cela ! L’hypnose n’est pas un instrument du paranormal, et le thérapeute n’a aucun pouvoir particulier. C’est bien le cerveau du sujet qui a cette capacité à produire des phénomènes hypnotiques, avec son consentement. Le thérapeute n’a qu’une technique qui l’aide à y accéder. Il n’y a pas d’énergie ou de magnétisme ou de capacité surhumaine chez les praticiens en hypnose. Ils n’ont aucun pouvoir particulier. Quant au travail thérapeutique, il dépend avant tout de la qualité de la relation entre le thérapeute et le patient. Mais alors pourquoi un tel lien à travers l’histoire entre hypnose et surnaturel ? Il se trouve juste que les phénomènes non encore expliqués sont souvent repris à leur compte par l’ésotérisme et le surnaturel. Il semble parfois plus « facile » de recourir à une théorie fantasque que d’attendre qu’une explication plus scientifique soit explorée (ou de se faire soi-même chercheur et d’explorer ces phénomènes rationnellement). Comme nous ne comprenons encore pas tout, le lien entre hypnose et surnaturel persiste. Les croyances servent d’argument de vente. Mais tous ces phénomènes ne sont pas avérés et leur lien avec l’hypnose n’a jamais pu être vérifié. Bien entendu cela ne veut pas dire que ces phénomènes, comme les vies antérieures, n’existent pas, chacun est libre de ses croyances ! Il s’agit juste de dire ici que l’hypnose n’est pas un outil qui nous renseigne sur ce point37 et n’est pas un moyen d’y accéder.

Des thérapeutes incompétents, car souvent peu formés et par de véritables commerciaux (voire des gourous) qui leur « vendent » un outil magique et lucratif, sont tentés par ces concepts. Énergie envoyée à distance, vies antérieures, vibrations hors de l’espace/temps humain, expérience hors du corps, pensées ou intentions transmises dans des objets (ou dans une bouteille d’eau38 !), alchimie, réincarnations, mémoire universelle ou cosmique… Tous les termes étranges, occultes ou paranormaux associés à l’hypnose devraient entraîner de la méfiance, tant des patients en souffrance que des soignants en recherche d’outils thérapeutiques. La lumière se fait petit à petit sur les explications rationnelles de ces phénomènes inconscients ou complexes. Certains thérapeutes proposent probablement ces techniques en toute bonne foi (c’est bien le mot juste), mais des supercheries demeurent nombreuses et il est difficile de faire la différence car, souvent, le discours est très travaillé, très convaincant et très porteur d’espoir pour ceux qui souffrent… Ces praticiens, sûrs de leur fait, certains de leurs pouvoirs ou des pouvoirs de leur occultisme, trahissent l’esprit des pionniers en hypnose. L’hypnose est une discipline du doute, du scepticisme, de la démarche réflexive pour comprendre ce qui se passe hors du champ du surnaturel. Elle a tenté, dans toute son histoire de dépouiller les phénomènes magiques et suggestifs de leur folklore pour en révéler la nature, ou la dimension utile au soulagement de la souffrance. Pensons par exemple à la commission Lavoisier qui analyse le mesmérisme et infirme l’existence du magnétisme et du « pouvoir » du praticien. Pensons à Braid qui expérimente sur des aveugles vérifiant que l’hypnose ne vient pas d’une fatigue oculaire. Bernheim qui pratique toutes sortes d’expériences pour tester les implications possibles de la suggestion dans différents domaines (y compris, au grand étonnement des modernes que nous sommes, concernant l’éducation ou le médico-légal). Au XXe siècle, Erickson écrivant des centaines d’articles dans lesquels il teste toutes sortes de phénomènes hypnotiques et leur utilisation, jusqu’aux

neuroscientifiques essayant d’en décortiquer le fonctionnement cérébral, en passant par les thérapies brèves qui extraient et développent à partir de l’hypnose toute une panoplie de stratégies de communication et leur utilisation thérapeutique. Se remettre en question, chercher, douter et affiner notre pratique et notre compréhension de l’hypnose, est bien plus dans l’état d’esprit de cette discipline que la mystique et les explications « toutes faites » du surnaturel. Se remettre en question, chercher, douter et affiner notre pratique et notre compréhension de l’hypnose, est bien plus dans l’état d’esprit de cette discipline que la mystique et les explications « toutes faites » du surnaturel. Au fur et à mesure des travaux de recherche, il semble que l’hypnose se révèle, de plus en plus, être un peu ce qu’en décrivait Erickson et bien d’autres praticiens de terrain, à savoir un phénomène extraordinaire et efficace, mais d’une certaine banalité car inscrit dans nos capacités humaines naturelles. Le mystère de l’hypnose et de son efficacité est surtout dans la richesse des relations humaines et de leur potentiel de changement. Mais alors, pourquoi dit-on qu’il faut « y croire » ? Lorsque j’étais interne en médecine, voulant faire ma thèse sur un sujet en lien avec l’hypnose, j’étais soutenu dans ce projet par un professeur qui, bien que non-praticien en hypnose, m’aida en « dirigeant » ce travail. Il s’agissait d’évaluer une indication de l’hypnose. Un jour, nous étions face à un confrère que nous souhaitions convaincre du bien-fondé de cette démarche de faire bénéficier des patients de l’hypnose et d’en analyser les effets. Peu convaincu, peu disposé à nous aider, ce dernier déclara : « De toute façon, l’hypnose, moi je n’y crois pas ! » Mon directeur de thèse lui fit alors la réponse la plus intègre et scientifique qui soit : « Ce n’est pas une affaire de croyance. C’est une technique, et pour savoir si elle marche, il faut la tester. »

En vérité, un patient, qui « y croit » beaucoup, qui se montre très enthousiaste, peut parfois mettre tant d’espoir en l’hypnose qu’il pourra être déçu, avec l’impression qu’il ne se passe rien, ou à l’inverse anticiper, presque simuler, ce qu’il croit être des manifestations d’hypnose. Ou bien, en attendant tout de l’hypnose, il court le risque de se reposer sur la technique, comme un élément extérieur, magique, qui pourrait le faire changer sans travail effectif (conscient ou non) de sa part. À l’inverse quelqu’un qui « n’y croit pas » ne consultera tout simplement pas ou bien résistera, et comme il est impossible de faire entrer quelqu’un en hypnose et d’obtenir des effets thérapeutiques sans son consentement… De moins en moins rattachée à des croyances et de plus en plus admise comme une technique thérapeutique, l’hypnose ne nécessite pas tant de croire que de vouloir simplement en faire l’expérience et en constater les effets. De moins en moins rattachée à des croyances et de plus en plus admise comme une technique thérapeutique, l’hypnose ne nécessite pas tant de croire que de vouloir simplement en faire l’expérience et en constater les effets. Même un peu sceptique au départ, on peut se laisser surprendre par les résultats que l’on observe pour peu qu’on accepte de suivre quelques instructions simples et qu’on scrute son expérience de modification perceptive39. L’élan pour venir consulter, la motivation, la confiance accordée au thérapeute sont cependant de réels facteurs d’efficacité. Au fond, bien plus qu’en l’hypnose elle-même, il faut surtout arriver à croire qu’un changement nous est possible. 4 Qu’est-ce que l’hypnose ? Triptyque Comment cerner l’hypnose ?

La définition de l’hypnose est sujette à controverse et à des changements réguliers. Évidemment, c’est une bonne chose pour ne pas « figer la pensée », pour aborder cela sous plusieurs angles… mais ce n’est pas parce que c’est un phénomène complexe et subtil qu’il n’y aurait rien à en dire ou qu’il serait impossible de cerner quelques idées générales. Notons déjà, pour éclairer notre lanterne, qu’on utilise le même mot pour désigner plusieurs composantes de l’hypnose. Quelles sont ces composantes de l’hypnose ? Quand on prononce le mot « hypnose », on fait référence : — À un état de conscience particulier, la transe hypnotique, qui se caractérise notamment par une absorption dans une expérience de modification perceptive ou par un « champ de conscience élargi1 ». — À une technique de communication, qui vise à faire efficacement passer un message. — À un certain type de relation qui met en jeu l’attention, l’influence. Vous pouvez retenir l’acronyme « RTT » : relation-transe-technique. Vous pouvez retenir l’acronyme « RTT » : relation-transe-technique2. Pour reprendre une métaphore chère à Patrick Bellet3, supposez que ce livre ne parle pas d’hypnose mais de vélo. Et que je vous promette qu’à la fin de sa lecture vous saurez identifier un vélo. Ce n’est pas la même connaissance que de savoir se servir d’un vélo pour avancer. Et quand on sait avancer sur un vélo, encore faut-il savoir prendre une carte et prévoir un itinéraire cohérent pour qu’il devienne réellement utile. En somme, on utilise le même mot pour parler de ce que c’est, comment on le fait et à quoi ça sert…

L’hypnose est donc une forme de relation entre un praticien utilisant des techniques particulières de communication et un sujet qui expérimente un état de conscience particulier appelé transe. L’hypnothérapie est généralement comprise comme la psychothérapie utilisant cette modalité relationnelle. Mais d’autres néologismes au préfixe « hypno » ont vu le jour : « hypno-analgésie » pour l’utilisation de l’hypnose dans le soulagement de la douleur, « hypno-sédation » dans le cadre d’un bloc opératoire en remplacement d’une anesthésie générale, sans compter la désignation de ceux qui pratiquent et les définitions qui alternent entre les hypnotistes/tiseurs/thérapeutes/praticiens/logues, etc. Et l’autohypnose ? Il s’agirait d’expérimenter seul l’hypnose. L’idée fait cependant débat. Pour ceux qui réduisent l’hypnose à l’état de conscience, il n’y a presque « que » de l’autohypnose, le thérapeute ne pouvant éventuellement que mettre en place un cadre et laisser le patient faire. Pour les thérapeutes qui ont dans l’idée que l’hypnose est un état avant tout relationnel, alors l’autohypnose n’existe pas. C’est ce qu’a soutenu, plus d’une fois, le célèbre Jeffrey Zeig (président de la fondation Erickson). À la limite, entrer seul en transe (la transe n’étant qu’une des caractéristiques de l’hypnose), mais faire de l’hypnose seul (tout comme produire un autre état relationnel : amitié, empathie, amour, etc.) paraît un non-sens. Alors c’est possible ou impossible ? Peut-être pouvons-nous adopter une position plus nuancée. Certes l’hypnose est une forme de relation. Elle ne s’apprend pas seul ou dans un livre, au risque de n’être « que » une transe. En revanche, avoir expérimenté l’hypnose en relation permet possiblement de la

reproduire. Cela ne veut pas dire qu’il s’agit de se « rappeler ce qu’on nous a dit » ou de « reproduire la séance », mais on peut faire revenir un état relationnel qu’on a connu. De même qu’avoir connu un sentiment de sécurité dans l’enfance facilite la confiance en soi, qu’avoir été aimé peut nous aider à aimer, qu’avoir été respecté nous aide à nous respecter nous-même. Non pas qu’on se rappelle à chaque fois qui nous a respecté ou comment, non pas qu’on se rappelle le contexte, mais plutôt que notre esprit se rappelle, non consciemment, qu’il a expérimenté le respect. La question n’est pas comment ou avec qui, mais que cette possibilité ait existé4. Il en va de l’hypnose comme d’un bon nombre de phénomènes relationnels ; l’expérience vécue, même sortie des détails de son contexte relationnel, représente un apprentissage que l’on peut utiliser ailleurs. Concrètement, quand l’état d’hypnose s’inscrit dans une relation, on parle généralement d’hypnose, quand il est obtenu par la personne seule (en se mettant en condition, en s’autosuggestionnant…), on parle d’autohypnose. Concrètement, quand l’état d’hypnose s’inscrit dans une relation, on parle généralement d’hypnose, quand il est obtenu par la personne seule (en se mettant en condition, en s’autosuggestionnant…) on parle d’autohypnose. Il me semble donc que l’on peut faire de l’autohypnose, particulièrement si on a connu l’hypnose. Et l’hypnose « conversationnelle » ? Originellement c’est notamment la pratique d’Erickson qui continuait à s’adresser au patient pendant la transe, à lui poser des questions, à maintenir le dialogue, faisant voler en éclats les représentations classiques du praticien donnant des ordres à un somnambule automate… L’état d’hypnose, bien que tout à fait formel, qu’il

considérait naturel, devait amener à se comporter naturellement ce qui inclut la possibilité de parler. Aujourd’hui et par extension, ce terme est utilisé la plupart du temps quand le praticien n’induit pas de façon formelle, et du moins pas de façon ratifiée, une transe. C’est la conversation qui utilise des outils techniques de l’hypnose et le patient peut expérimenter progressivement une modification perceptive, une transe légère voire plus intense. Ce terme est parfois aussi utilisé quand il n’y a pas de transe (ce qui est parfois difficile à affirmer !), ou du moins qu’elle n’est en rien recherchée, mais que des outils de communication thérapeutique hypnotiques sont utilisés. Ce qui correspond aussi à une autre pratique éricksonienne, ce dernier ne faisant pas que de l’hypnose, loin de là. On est alors presque dans le cadre des thérapies brèves, parfois décrites comme de « l’hypnothérapie sans transe5 ». Transe Commençons par le commencement : qu’est-ce que la transe hypnotique ? Cet état est difficile à décrire, bien que parfaitement reconnaissable pour ceux qui l’expérimentent. Roustang synthétise d’ailleurs merveilleusement cette difficulté par la question : « Comment décrire un dedans quand on est dehors ? » C’est d’ailleurs tellement difficile à définir et à résumer que je ne vais pas tenter de le faire mais plutôt décrire, à l’aide d’exemples, certaines caractéristiques de l’état hypnotique. En décrivant quelques caractéristiques de certaines activités de la vie ordinaire, on peut se donner une idée. En effet, des constats des praticiens et patients aux études de neurosciences, tout indique que l’état hypnotique est « physiologique » c’est-à-dire accessible à tout cerveau humain, et même de fait

rencontré, parfois partiellement, dans le quotidien, sans que l’on y fasse attention… — Supposons que vous conduisiez votre voiture et qu’en arrivant à la maison, vous vous rendiez compte que vous avez fait le trajet en étant complètement ailleurs, plongé dans des pensées, dans une conversation, dans la radio ou dans la résolution d’un problème. Cet exemple peut s’étendre à toute activité professionnelle ou personnelle pratiquée un peu automatiquement et qui nous laisse des ressources mentales disponibles pour tout autre chose. Il ne s’agit pas d’une « distraction » qui nous sortirait d’une activité, perturbés que nous serions par une autre, mais bien d’une possibilité de fonctionnement en automatique, nous laissant suffisamment de ressources, par exemple, pour conduire, respecter un itinéraire ou faire attention aux piétons (souhaitons-le !) tout en étant capables d’utiliser d’autres ressources pour une autre activité (résoudre un problème, chanter avec la radio ou discuter avec un passager). Cet exemple témoigne de deux caractéristiques de l’état hypnotique : Dissociation : la capacité de faire fonctionner des composantes de notre fonctionnement mental (des cognitions, émotions, comportements, pensées, souvenirs, capacités…) qui sont usuellement liées, associées, « unifiées » en nous-mêmes, et qui ici fonctionneraient de façon indépendante. C’est possible d’une certaine manière dans ces moments de dissociation physiologique (c’est-à-dire faisant partie d’un fonctionnement ordinaire de l’individu). De façon caractéristique, quand c’est en hypnose (c’est-à-dire de façon provoquée et parfois plus intense), il peut arriver que des états et sensations inhabituels, paradoxaux, contradictoires soient possibles De façon caractéristique, quand c’est en hypnose (c’est-àdire de façon provoquée et parfois plus intense), il peut arriver que des états et sensations inhabituels, paradoxaux, contradictoires soient possibles (à la fois ici et ailleurs, à la fois détendu et concentré, à la fois en rêverie et très conscient, à la fois présent et à distance, à la fois très éveillé mais profondément détendu, à la fois une impression de lourdeur et de légèreté du corps ou des membres, de chaleur et de fraîcheur, d’hypo et d’hyperesthésie6, la sensation

d’une modification du schéma corporel, d’avoir une partie de la pensée fonctionnant différemment d’une autre ou pas à la même vitesse…) Cela arrive aussi de façon parfois forte dans des situations de dissociation « pathologique ». Typiquement lors d’un traumatisme, par exemple, une personne sous l’effet du choc semblera sidérée, ailleurs ; plus tard, les évocations du souvenir ou les stimuli ressemblants (comme un bruit sourd pour quelqu’un ayant été traumatisé par une explosion) provoqueront de nouveau un mouvement de dissociation, une « replongée » dans le traumatisme rendu de nouveau présent qui provoquera des comportements semblant dissociés et automatiques7. Automaticité : pendant ces moments de dissociation (physiologiques ou hypnotiques), nous avons l’impression qu’une partie de notre activité est automatique, ou, pour reprendre un terme issu des études de neurosciences, nous observons une « disparition du soi-agent ». Pendant ces moments de dissociation (physiologiques ou hypnotiques), nous avons l’impression qu’une partie de notre activité est automatique, ou, pour reprendre un terme issu des études de neurosciences, nous observons une « disparition du soi-agent ». En hypnose, il arrive que nous produisions des actes, des sensations, des perceptions (et c’est pourtant bien notre corps et notre cerveau qui en sont l’origine et le support) mais ils semblent pour partie se produire de façon automatisée, sans que nous les ayons totalement choisis, sans que nous en soyons pleinement conscients, sans nous en sentir vraiment les agents. L’idée est même recherchée parfois par le thérapeute qui fait ressentir, constater au patient ces gestes automatiques ou même simplement que son cœur bat, que ses poumons respirent, qu’il ressent beaucoup de choses sans avoir rien à y faire, que le corps possède en lui des ressources pour fonctionner. Constater cela, le constater réellement et

hypnotiquement, est, par exemple, propice au lâcher-prise des tentatives de contrôles caractéristiques de l’anxiété. — Supposons que vous lisiez un roman passionnant ou regardiez un film captivant. Vous êtes tellement plongé dedans que les stimuli sensoriels alentour (les sons, les images qui environnent) deviennent moins forts, moins présents. Il faut vous interpeller plusieurs fois pour vous « sortir » de votre lecture ou de votre visionnage. Les perceptions hypnotiques sont vécues comme très présentes alors que les sensations « ordinaires » deviennent plus secondaires. Absorption : l’hypnose présente également cette composante d’absorption dans l’expérience. Les perceptions hypnotiques sont vécues comme très présentes alors que les sensations « ordinaires » deviennent plus secondaires. Nous sommes absorbés dans les sensations et sensibles à leurs changements avec une sorte de « fluidité mentale » et donc d’accès facilité à d’autres sensations, des souvenirs, des éléments habituellement non conscients, des ressources internes. Ce qui peut être utile, par exemple, pour se détacher d’une sensation douloureuse due à un examen clinique pour s’absorber dans un souvenir. — Car si le livre était bien écrit (ou le film bien fait), vous pourriez ressentir des perceptions ou des émotions évoquées, provoquées par la lecture. Vous expérimentez donc une modification perceptive (modification par rapport aux sensations alentour que vous ressentiriez si vous ne lisiez pas) qui vous est suggérée par l’auteur, par l’interaction entre les mots, les images et vos propres représentations. Elles sont même souvent suggérées de façon très indirecte. Un bon livre ne saurait contenir des indications comme « à ce moment-là vous devriez être ému par le sort du personnage » ou bien « cette description de nourriture est tellement bien faite qu’elle devrait vous donner faim ». De fait, sur les évocations de l’auteur, vous construisez, par votre réceptivité à ces évocations, l’autre partie de l’histoire que vous lisez8. Si on décrit un désert brûlant, le lecteur peut avoir subjectivement chaud, si on décrit une couleur ou un paysage, il pourrait le « voir », sans faire d’effort pour se le

représenter. De même en hypnose, on peut proposer de façon indirecte, par la description, de vivre une sensation utile (un relâchement, une chaleur, une énergie), sans l’imposer directement mais en tentant de la faire naître chez le patient. Suggestibilité : la notion de « suggestibilité » a mauvaise presse dans le langage courant (ce serait être faible, influençable). Mais en hypnose, c’est avant tout la possibilité de pouvoir accepter un changement, une perception différente, un autre point de vue. Les patients arrivent souvent avec la perception d’une réalité immuable, de sensations désagréables et permanentes. Il s’agit alors d’évoquer, de suggérer et non pas d’imposer. « Et si quelque chose était un peu différent ? Qu’est-ce qui changerait alors ? » L’exemple du livre illustre à nouveau l’idée : si certaines personnes sont informées par leur lecture, d’autres sont touchées, émues, d’autres même vivent ce qu’elles lisent, elles sont suggestionnées. La suggestibilité n’est pas une caractéristique générale et valable en tout temps : chacun de nous, selon sa sensibilité est plus ou moins réceptif à certains contextes, à certaines propositions, bref à certaines formes de suggestions. Ce vécu plein, ce vécu d’absorption sensorielle totale, d’oubli du soi et de la pensée est appelé « flow » par les psychologues qui l’étudient, notamment chez les sportifs — Le sportif, le peintre ou autre personne devant réaliser une performance, connaît un état d’absorption particulier dans lequel il est « dans son geste » ou sa performance. Il devient ses jambes qui courent ou ses mains qui jouent. Il est la vitesse ou la musique. Il dépasse son cadre habituel de perceptions sans effort cognitif, sans contenu de pensée particulier, il n’est que sensation pure et perception.

Ce vécu plein, ce vécu d’absorption sensorielle totale, d’oubli du soi et de la pensée est appelé « flow » par les psychologues qui l’étudient, notamment chez les sportifs9. La focalisation est maximale sur certaines sensations, sans en supporter la dénomination et à l’exclusion d’autres. Si l’on se disait à ce moment-là « je suis en train de faire ce geste / de ressentir cette sensation » alors la sensation ou la performance s’arrêterait, on s’en « décollerait ». Absorbé dans son geste, partiellement indifférent à ce qui l’entoure, le temps du sujet ne s’écoule plus de la même manière10. De même les patients peuvent éprouver une distorsion temporelle, pensant par exemple que la séance a duré trois minutes alors qu’elle en a duré plus de vingt… Il ne s’agit pas de relaxation ou de rêverie stérile, car le contenu de conscience n’est pas anarchique et fluctuant, il peut être focalisé. Mais ce n’est pas non plus un état d’effort cognitif intense puisque cette concentration, cette absorption se fait sans effort. Cet état de sensation pure est appelé « perceptude » par François Roustang. C’est en cela que c’est une « veille élargie » par rapport à la « veille ordinaire » habituelle, puisqu’elle permet d’être attentif à de nombreuses sensations ignorées le reste du temps, masquées par des cognitions conscientes11. Libéré du contrôle cognitif, de l’anticipation, de la pensée automatique, de la pensée-action, perdant un peu ses repères habituels, le patient peut s’appuyer sur d’autres ressources pour réinterpréter son monde. Cette expérience peut laisser une trace à l’état de veille et être une aide au changement. — Parfois, justement absorbé par une activité réflexe, répétitive, voire une activité qui incite à la rêverie, alors que rien ne nous y prépare, une idée surgit, survient. Vous êtes en train de vous raser, de vous coiffer, de conduire, de cuisiner et, d’un coup, votre esprit, ailleurs,

vous fait dire : « Tiens, je sais comment régler ce problème » ou bien : « Oh ! je sais ce qu’il faut que je lui dise et que je fasse. » C’est ce que l’on nomme le phénomène « d’illumination12 », ce que les scientifiques, les découvreurs, connaissent bien. La légende veut que Newton, se reposant et rêvant (tiens tiens…) sous un arbre, arrive enfin à mettre en forme sa théorie en voyant tomber une pomme (ou en la recevant sur la tête selon les versions !). Poincaré a l’idée de son théorème en mettant le pied sur le marchepied du tramway. Kekulé révolutionne la chimie en laissant son esprit vagabonder devant sa cheminée, Archimède dans son bain, Crick en bas d’un escalier et Percy Spencer fouillant ses poches en sont d’autres exemples13. Il arrive donc qu’en hypnose, la perte de certains repères, le réveil de certaines capacités ou parfois l’état de conscience, l’attente et la disponibilité au changement que suscite l’hypnose mènent à un soudain changement de point de vue ou l’émergence d’une nouvelle solution, surtout quand on ne l’attend pas ! Si l’on ajoute en diverses proportions les éléments précédents : dissociation, automaticité, absorption, suggestibilité, absorption sensorielle, distorsion temporelle ou spatiale, possibilité d’illumination… on peut avoir une petite idée de ce qu’est un état de transe. Si l’on ajoute en diverses proportions les éléments précédents : dissociation, automaticité, absorption, suggestibilité, absorption

sensorielle, distorsion temporelle ou spatiale, possibilité d’illumination… on peut avoir une petite idée de ce qu’est un état de transe. Tous ces éléments sont donc présents toujours et en même temps ? Non. Ces composantes peuvent être plus ou moins présentes ou non. Et il y en aurait même d’autres… Certaines transes nous semblent très « associées » et, en conscience, nous sommes très présents à nous-mêmes et pas « ailleurs », les fonctionnements sont unifiés et pas dissociés, (de grands praticiens comme Roustang utilisaient beaucoup ce genre de phénomènes), d’autres transes sont plus sensorielles, plus imaginatives ; parfois la distorsion temporelle est forte, parfois le thérapeute ne fait quasiment pas de suggestion, d’autres fois c’est la suggestibilité qui est forte et nous nous laissons guider tandis que certains seront en transe mais insensibles à toute suggestion, poursuivront un autre chemin que celui proposé… En tout cas, l’hypnose consiste à reproduire de façon volontaire, voire assistée, guidée, en relation, cet état particulier de conscience, dans un but thérapeutique. Les phénomènes de « transe du quotidien » ne sont pas exactement de l’hypnose, qui, elle, consiste en la possibilité de rechercher volontairement à reproduire ce genre de phénomène naturel et utile, de façon plus stable, plus dirigée, plus stratégique. Tout le monde peut entrer en hypnose ? Il n’y a pas des personnes hypnotisables ou non hypnotisables ?… Non, c’est une capacité naturelle. Tout le monde peut entrer en transe, mais pas tout le monde de la même façon… On a longtemps pensé (et beaucoup le pensent encore) qu’il y a une hypnotisabilité. Mais, en vérité, les tests et échelles d’hypnotisabilité sont des échelles de suggestibilité à un certain type de suggestions !

Comme le soulignait Erickson : « Quand vous appliquez un protocole d’hypnose sur une grande série de sujets et que celui-ci est inefficace chez 30 % d’entre eux, vous concluez que 30 % des sujets sont résistants à l’hypnose. Vous vous trompez. La vérité est que 30 % des sujets sont résistants à votre protocole ; en définitive, vous n’avez pas mesuré la résistance de la population étudiée à l’hypnose, vous n’avez mesuré que votre protocole, c’est-à-dire rien du tout. Vous n’avez pas touché le phénomène, mais une création artificielle de votre esprit ; c’est votre esprit qui n’a pas saisi au moins 30 % de l’hypnose14. » Un bon praticien devrait pouvoir vous aider à entrer dans « votre transe ». Si vous n’êtes pas réceptif à une échelle officielle d’hypnotisabilité, peut-être êtes-vous très réceptif à l’hypnose mais pas à ces tests-là. Un bon praticien devrait pouvoir vous aider à entrer dans « votre transe ». Chacun peut y entrer à sa façon, et chacun en connaît des équivalents ou des aperçus, par exemple dans les activités que l’on a évoquées ici. Mais si cela s’exprime dans tant d’activités, si aucune de ces caractéristiques n’est totalement indispensable ou permanente, si chacun a sa façon d’y aller, alors on pourrait voir de la transe partout ! C’est le risque. S’imaginer que toute activité ou tout souvenir où l’on s’absorbe et se focalise, toute activité automatique, toute manifestation de l’imaginaire, toute activité très sensorielle, toute distraction de l’environnement serait une réelle transe. Et ce serait pourtant faux. Nous ne sommes pas tout le temps en état d’hypnose.

Certes, il y a une sorte de lien de parenté entre ce genre d’activités et l’hypnose, de continuum. Mais dans l’état d’hypnose, le sujet vit une certaine stabilité de cet état (alors que dans le quotidien les transes sont souvent plus légères, instables ou fluctuantes), une intensité sensorielle (plus que lors de la simple imagination ou distraction), une perte plus ou moins grande de certains repères spatio-temporels, une tolérance à la contradiction ou à des idées qui seraient difficiles à accepter si elles étaient traitées cognitivement (par exemple si l’on propose à un patient de concentrer son angoisse dans une seule partie du corps, ou d’expirer les tensions à chaque souffle). Et surtout en hypnose, cet état est recherché volontairement et guidé par un praticien ! Pour certains neuroscientifiques15, l’état d’hypnose est surtout l’association de deux éléments : la fluidité mentale ( mental ease) et l’absorption. Pour ces scientifiques, l’état de conscience est un peu paradoxal. On connaît des états de concentration, où nous nous « absorbons » : nous faisons un effort, focalisés sur une tâche (un exercice de maths, par exemple), notre esprit est très actif, au point que les stimuli autour deviennent plus affaiblis, il est difficile de passer d’une idée à l’autre tant on est absorbés. À l’inverse, il existe des états de rêverie, où nous sommes en état de « fluidité mentale » : notre esprit fait peu d’effort, un rien, dans les stimuli extérieurs, peut nous distraire et nous fait passer d’une idée à l’autre, d’une représentation à l’autre. L’hypnose serait une sorte de mélange : nous n’avons pas forcément le sentiment de produire un effort important, cependant nous sommes absorbés dans une sensation ou une perception, au point que les stimuli extérieurs nous dérangent moins. L’hypnose serait une sorte de mélange : nous n’avons pas forcément le sentiment de produire un effort important, cependant nous sommes absorbés dans une sensation ou une perception, au point que les

stimuli extérieurs nous dérangent moins. Malgré cette absorption, nous passons fluidement d’une perception à l’autre, par exemple au rythme d’une suggestion. C’est une sorte de « concentration sans effort ». Il y a des situations dites « naturelles » (c’est-à-dire qui appartiennent aux capacités normales d’un esprit humain) qui sont proches de l’hypnose, mais plus ou moins intenses, plus ou moins recherchées, plus ou moins guidées, donc plus ou moins hypnotiques. Mais y a-t-il une rupture, une « bascule », un point-seuil très précis qui sépare un état de veille ordinaire et un état hypnotique ? Rien n’est moins sûr. C’est une question dans l’étude de tous les états subjectifs et de leur « frontière » qu’il est parfois dur… d’objectiver ! Si vous appuyez sur le dos de votre main, très progressivement avec la pointe d’un stylo, au bout d’un moment cela vous fait mal. Mais à quel moment exactement est-on passé du contact à la gêne, de la gêne à la douleur ? Vous rencontrez quelqu’un de charmant. À quel moment passez-vous d’apprécier une présence au coup de cœur, puis à l’attirance ; de l’envie de se rapprocher à l’amour « véritable » ? À quel moment précis passe-t-on de l’éclairage à la forte luminosité puis à l’éblouissement ? De la même façon pour la transe, même si je sais identifier un bout et l’autre du spectre (intensément hypnotisé/à l’état de veille)16 un certain nombre d’états intermédiaires et apparentés, difficiles parfois à distinguer les uns des autres, permettent des possibilités similaires s’ils sont utilisés à bon escient… Et une fois que l’on y est, même en y étant parvenu à notre façon, l’hypnose se manifeste pour tout le monde différemment ?

Eh oui… Voici encore un niveau de complexité. Nous n’avons pas tous la même sensibilité à l’hypnose, chacun la vit à sa façon. Nous n’avons pas tous la même sensibilité à l’hypnose, chacun la vit à sa façon. Prenez encore une fois l’exemple d’autres états complexes : la motivation se ressent aux niveaux psychique, cognitif, physique, comportemental. Mais s’exprime-t-elle pareil chez tous ? Non, évidemment. Certains auront plutôt l’air énergiques et joyeux, d’autres déterminés et sérieux. Certains, en état de fatigue seront plus ralentis et apathiques, d’autres plus nerveux et irritables. Certains en état de stress seront volubiles, agités, obsédés par une idée. D’autres plus distraits, renfermés, ayant du mal à se concentrer. Certaines personnes en état d’empathie auront besoin de l’exprimer, de se rapprocher, de montrer une émotion, d’autres, simplement présents, avec un regard plus expressif ou un silence qui en dira long… Nous voyons bien que tout « état » complexe17 se manifeste par divers aspects (émotionnels, cognitifs, comportementaux, éventuellement relationnels…), pas toujours tous présents en même temps, pas présents chez tout le monde de la même façon… et pourtant nous les

reconnaissons souvent (et surtout avec de l’entraînement), tant chez nous que chez les autres ! Cela devient compliqué ! Oui ! C’est pour cela qu’il faut se méfier de toute réduction simple de ce phénomène et qu’il n’est pas près d’y avoir de définition consensuelle de l’hypnose. Le fait même qu’il y ait un très grand nombre de définitions nous dit bien quelque chose sur l’hypnose : elle fait partie de ces phénomènes qui ne répondent pas à une définition simple et précise (il est assez simple avec un dictionnaire de définir ce qu’est un ours blanc, une petite cuillère verte ou un fil de soie). Certains mots ont en revanche plusieurs définitions (énergie, compétence, cadre…) d’autres encore ont, dans un dictionnaire, des définitions partielles, parfois courtes, qui tentent d’approcher le concept en l’illustrant de beaucoup d’exemples (action, conscience, art…), et qui pourraient faire l’objet de dissertations entières… Comme le dit l’un de mes collègues18 : « Tel Théodore Monod inventoriant les plantes sur son passage, c’est une forme de science que le naturalisme, qui consiste à humblement produire des observations, les mettre en forme et les ajouter à la connaissance générale. Et ainsi, notre idée de l’hypnose se précise, non pas à mesure que le discours se condense, jusqu’à une phrase lapidaire, ou une formule chimique, mais au contraire qu’il s’enrichit. » L’on sent bien en effet que définir l’hypnose n’est pas chose simple si l’on doit avoir recours à toutes ces approches, toutes ces analogies… Elle est une sorte d’expérience « naturelle », reproduite volontairement, de façon peut-être plus stable, plus intense et plus dirigée stratégiquement et avec quelques caractéristiques particulières. Soit. Mais étant si difficile à objectiver, on pourrait dire que si l’hypnose n’est pas partout, peut-être qu’elle est… nulle part !

Certains « constructionnistes »19 le disent. La transe serait une sorte de jeu consenti entre deux personnes. La sensation de transe, le travail qu’il est possible de faire en hypnose, n’a pas besoin de preuve quotidienne et permanente pour qu’on en constate les effets. Aujourd’hui cela devient tout de même difficile de le dire de cette façon-là. Nous avons des indices congruents qui montrent que la transe s’accompagne de changements réels au niveau du fonctionnement cérébral, justement dans des zones qui régulent attention et conscience. Les neurosciences actuelles nous poussent à dire qu’il s’agit bien d’un état de conscience particulier. De plus, certains phénomènes thérapeutiques (sur les maladies cutanées ou d’autres troubles) vont au-delà d’un simple comportement compliant. En revanche, dans la pratique quotidienne, prouver l’existence de la transe n’a pas, pour le praticien d’importance fondamentale ! La sensation de transe, le travail qu’il est possible de faire en hypnose, n’a pas besoin de preuve quotidienne et permanente pour qu’on en constate les effets20. Nous appliquons des techniques, le patient ressent quelque chose de particulier, qu’il ne ressent pas le reste du temps, et produit des phénomènes hypnotiques qui aident bien souvent à changer quelque chose à sa vie, ses perceptions, ses sensations. Concernant les phénomènes relationnels, il en va toujours de même. Je serais bien en peine de vous définir avec précision l’amitié ou l’amour. L’amour existe-t-il ou n’est-il qu’une convention, une habitude ? Une histoire qu’on se raconte pour justifier certains comportements, une façon de les décrire mais qui ne reposerait sur rien de tangible ? Ou au contraire un phénomène mécanique et chimique, scientifique, objectif, cérébral ? Cela n’a pas non plus vraiment d’importance en pratique ! C’est probablement un peu de tout ça. Et pourtant, même si je ne sais pas

exactement le définir, l’expliquer, je crois savoir quand je suis amoureux et quand je ne le suis pas, et, d’expérience, ce mode relationnel produit des effets bien réels ! Même si le savoir expert est en perpétuelle recherche d’objectivité, de données et de définitions, le savoir du terrain donne des indications légitimes et indispensables ! Les phénomènes de cette complexité mettent en jeu un tel nombre de paramètres qu’il est impossible (et restera sûrement impossible) de tous en tenir compte. La complexité du cerveau humain et du fonctionnement de l’esprit est peut-être trop difficile à appréhender pour… un esprit humain ! Il subsiste une part de mystère dans la relation, et le mystère contribue d’ailleurs à l’efficacité. Cependant, il y a un intérêt, sur le plan de la recherche fondamentale, à explorer ces questions, à en apprendre plus sur nos états de conscience. On a l’habitude, par exemple, de distinguer des états différents du sommeil, des phases, des cycles. Les neurologues ont, en quelque sorte, découpé le sommeil en morceaux. Et quand nous ne sommes pas dans une des formes de sommeil, nous sommes en « veille ». Cependant, la perception d’états très divers (de l’absorption à la dissociation en passant par la sidération, la transe, la rêverie, la pleine conscience, l’hypnose…) se passe en état de veille, nécessite d’être éveillé (on ne fait pas d’hypnose à quelqu’un qui dort, presque par définition, on n’y perd pas connaissance, on n’y est pas en sommeil…). Un créneau d’avenir des recherches sur la conscience n’est-il pas de sortir de l’idée d’une uniformité de l’état de veille ? Et s’il s’y produisait des phases ? Des états bien différents, ou présentant des caractéristiques cérébrales communes ? Et lesquelles ?

En attendant de telles recherches (dont certaines ont déjà commencé !), nous disposons de notre expérience clinique auprès des patients. Peut-on voir des « signes de transe » ? Peut-on savoir si le patient est hypnotisé ? Là aussi, il y a des signes « physiologiques » de la transe, mais qui n’ont rien de spécifique en eux-mêmes à l’hypnose (c’est-à-dire qu’on peut trouver chacun de ces signes dans d’autres situations). Généralement le corps connaît une détente musculaire, surtout si l’installation l’y invite, accompagné d’un désintérêt envers certaines parties de l’environnement et certaines actions. La respiration et le pouls sont ralentis (et peuvent accélérer selon la suggestion donnée ou le travail de la séance), la fréquence respiratoire et la tension artérielle également. Les réflexes ostéotendineux sont présents contrairement à ce qu’on constate dans le sommeil. Les mouvements volontaires sont inhibés dans une sorte de catalepsie, et paraissent plus durs à produire, les muscles du visage sont relâchés et davantage irrigués par un effet de vasodilatation périphérique. Le réflexe de déglutition est inhibé, le débit verbal peut être ralenti avec une légère dysarthrie21. D’autres indices « psychologiques » sont appelés logique de transe (« trance logic »). Il s’agit d’une forme de réceptivité au discours, qu’on appelle l’interprétation littérale. Les mots sont pris à la lettre, sans nuance, dans leur signification concrète et immédiate. Le sujet présente une tolérance au scénario qui lui est proposé même quand il y a une contradiction ou moins de logique. Une distorsion temporelle a lieu, une production d’images abstraites ou concrètes avec des émotions ou des souvenirs est facilitée. La capacité de se focaliser (sur le présent ou sur l’imagerie mentale) est augmentée, ainsi que celle de suivre, consciemment ou non, une suggestion. Comme nous l’avons dit, aucun de ces signes n’existe qu’en hypnose, mais tout n’est pas non plus présent en permanence pendant la transe…

L’expérience du praticien lui est utile pour savoir « où » le patient se situe, le vécu subjectif du patient également sera un bon indicateur. Bien entendu, l’idée que le patient soit réellement et plus ou moins profondément en transe a souvent assez peu d’importance objective. Autant dans un contexte de geste douloureux, de chirurgie ou d’urgence traitée sous hypnose, le praticien fera tout pour s’assurer que le patient est dans une transe confortable, stable et dans une sensation d’anesthésie avant le début du geste. Autant dans un contexte de thérapie, savoir si le patient est entré en transe légère ou profonde, en début, dès l’induction, ou en cours de séance juste pour un moment « clé », s’il a suivi à la lettre les consignes ou s’il a fait un peu autre chose mais de plus profitable pour lui, a moins d’importance car il lui sera possible dans tous les cas d’atteindre son objectif à sa manière. L’hypnose est un élément formidable dans la démarche de thérapie mais l’absence d’hypnose formelle ne signifie pas l’échec ou l’impossibilité de la thérapie. Qu’entend-on par « profondeur » de transe ? Ce concept de « profondeur » de transe, qui est admis comme une vérité absolue par certains est pourtant discutable. Il semble plutôt que la profondeur est une métaphore (on n’est pas réellement plus « profond » ou « enfoncé » dans quoi que ce soit) qui sert à décrire l’intensité avec laquelle sont vécus les signes de transe ou bien la facilité pour le sujet à produire certains phénomènes hypnotiques. Mais tout cela ne repose sur quasiment rien d’objectivable et de reproductible. Certains ont même établi des niveaux de profondeur, avec des caractéristiques qui nous permettraient de les reconnaître. Mais il

s’agit en général de prophéties autoréalisatrices. Si je définis le niveau de profondeur « 1 » comme la fermeture des yeux, le « 2 » comme une détente musculaire profonde et le « 3 » comme une analgésie du bras, en les suggérant dans cet ordre, je les obtiendrai dans cet ordre et je croirai avoir vérifié ma théorie ! En vérité il n’y a pas d’ordre et de profondeur car les éléments hypnotiques peuvent être produits ou non, de façon concomitante ou non, selon la technique, le patient, le thérapeute… N’accordez donc pas de valeur absolue aux transes décrites par niveaux bien établis (qu’elles soient des légères, super ou gigatranses) ou même classées par chiffres arabes ou lettres grecques… La « profondeur » de la transe n’a donc pas d’importance dans la réussite de la thérapie ? Dans l’hypnose conversationnelle, dans les thérapies brèves (qui ont emprunté de nombreux outils et stratégies à l’hypnose sans pratiquer de transes formelles), l’efficacité est fréquente alors même que la transe n’est ni formelle ni flagrante. L’important est que la modalité technique et relationnelle soit adaptée au patient, à sa personnalité, à sa problématique, donc oui, tous les « niveaux » de transe sont potentiellement efficaces s’ils sont bien utilisés ! Par ailleurs, certains supposent une plus grande profondeur avec l’obtention de plus de phénomènes hypnotiques « visibles » : c’est une erreur. Si l’on disait par exemple que la profondeur signe l’efficacité de la transe, sa plus grande capacité à nous transformer intérieurement alors c’est l’inverse ! L’obtention de phénomènes spectaculaires (mouvements ou immobilités ressentis comme involontaires ou analgésie/anesthésie temporaire) s’obtient souvent en quelques minutes (comme me le soulignent souvent mes collègues urgentistes et anesthésistes), avec

des techniques relativement simples et n’est pas corrélée avec une plus grande intensité de la transe. Même si moins « télévisuels », les changements internes plus profonds, durables (se libérer d’une addiction, d’une douleur chronique, d’une dépression, d’un traumatisme) et significatifs donc de cette véritable action en profondeur de l’hypnose, ne se font pas forcément de façon bruyante ou spectaculaire pour les yeux. Il n’y a pas de corrélation entre l’obtention de phénomènes et une quelconque « profondeur ». Le praticien devrait se demander si les exercices proposés au patient sont en corrélation avec l’aide qu’il peut y trouver, et pas s’il est à tel ou tel « niveau ». Il arrive que des effets plus spectaculaires aient lieu dans un bureau (émotions, mouvements…) ou que la séance paraisse « calme » (en la filmant on aurait l’impression que l’un dort et que l’autre lui parle doucement). Rien de cela n’indique ni l’efficacité, ni la supposée « profondeur ». Bien entendu, c’est surtout une sensation : subjectivement un patient peut avoir l’impression de vivre les phénomènes hypnotiques de façon plus ou moins intense, la transe peut paraître plus stable, plus loin du point de départ en veille. Il est probable que, dans certaines thérapies, ce vécu plus intense (donc plus « profond ») signe une meilleure efficacité, mais ce n’est pas une règle absolue. Technique Qu’appelle-t-on la technique hypnotique ? Un certain nombre d’outils de communication qui ont pour objet : — d’obtenir un état hypnotique ; — ou d’obtenir un effet possible de l’hypnose, avec ou sans l’état formel de transe…

L’hypnose (notamment dans sa part technique) vise à ce que le message de l’opérateur/du thérapeute atteigne sa cible, c’est-à-dire, soit entendu par le sujet/le patient. Car en vérité, l’hypnose (notamment dans sa part technique) vise à ce que le message de l’opérateur/du thérapeute atteigne sa cible, c’est-à-dire, soit entendu par le sujet/le patient. Comme l’affirme Dominique Megglé22 : « Communiquer une idée, un sentiment ou une émotion, et la communiquer efficacement, c’est-à-dire de manière à ce que le patient y réponde, telle est la meilleure définition de l’hypnose. » Certains messages, certaines nouvelles idées ou perceptions arrivent de façon plus « efficace » pendant l’état d’hypnose, mais aussi, une façon « hypnotique » de communiquer aide à améliorer la qualité de la relation, même sans transe formelle… Ainsi, un praticien en hypnose soigne sa façon de communiquer. Ce livre ne se veut pas un cours ou un manuel d’hypnose mais un éclaircissement sur cette pratique et son cadre d’application. Aussi, il n’est pas nécessaire de s’étendre sur les techniques, simplement d’en donner des exemples pour s’en donner quelque idée. Les messages donnés par le praticien en hypnose sont généralement appelés « suggestions ». Entendez cela comme des propositions qui sont faites au patient et à son inconscient de modifier certaines perceptions, sensations ou comportements. Ces suggestions peuvent prendre une forme directive, c’est-à-dire que la phrase peut être prononcée sur le mode impératif ou avec une seule possibilité (que le sujet peut ou non accepter). Mais attention, directif ne veut pas dire autoritaire ! Les hypnotiseurs de spectacle surjouent cet aspect-là et leurs suggestions ressemblent à des ordres (pour mieux masquer des suggestions subliminales). En thérapie je pourrais parfaitement dire à un patient : « Si vous êtes d’accord, asseyez-vous confortablement, fermez les yeux et respirez

tranquillement » ; de facto, la phrase est à l’impératif, mais je peux rester courtois, poli et respectueux… La communication se fait par l’intermédiaire du langage dit « digital » (le contenu, le sens des mots) mais aussi « analogique » (le phrasé, le ton, la posture, le langage non verbal). Souvent les thérapeutes, notamment éricksoniens, useront de suggestions indirectes, qui peuvent être par exemple permissives : « Vous pouvez peut-être ressentir dans l’une de vos mains une sensation… peut-être est-ce de la légèreté ? Du confort ? Autre chose ? » La suggestion indirecte permet au patient de ressentir une modification tout en se sentant libre d’y trouver son propre chemin. La communication se fait par l’intermédiaire du langage dit « digital » (le contenu, le sens des mots) mais aussi « analogique » (le phrasé, le ton, la posture, le langage non verbal). Ainsi, la façon de dire les mots, le moment où les dire, l’attitude sont des facteurs qu’un thérapeute étudie. Pour prendre un exemple concret : essayez de dire à quelqu’un de fermer les yeux et de ressentir une sensation agréable. Maintenant réessayez en prononçant le mot « agréable » lentement et pendant le temps de l’expiration. Vous constaterez que l’expérience est différente. Un principe important dans la thérapie hypnotique est le principe d’analogie. La pensée non consciente est souvent plus sensible à un langage analogique que trop conceptuel ou littéraire. Souvent même, c’est le recours à la pensée consciente qui maintient certains problèmes : préoccupations, ruminations, obsessions, réflexions conscientes et incessantes pour résoudre une difficulté d’ordre émotionnel ou physique. Parfois, ces préoccupations laissent apparaître la difficulté bien plus importante qu’elle n’est en réalité, ou nous empêche de percevoir les ressources qui aideraient. Pour cela, l’hypnose propose de mettre un peu en veille ou en retrait le contrôle

cognitif conscient et de laisser la place au ressenti, au corporel, à l’analogique, à l’image et à l’imaginaire. Le thérapeute peut donc user d’images, d’analogies, de métaphores « parlantes » pour aider le patient à mettre en route les processus imaginaires et inconscients utiles, ou tout simplement remplacer le « raisonnement » par « l’expérience ». « Une image vaut mieux que de longs discours » dit-on parfois. Le thérapeute peut donc user d’images, d’analogies, de métaphores « parlantes » pour aider le patient à mettre en route les processus imaginaires et inconscients utiles, ou tout simplement remplacer le « raisonnement » par « l’expérience ». En effet, il arrive que le patient « sache » intellectuellement ce qu’il pourrait, voudrait, devrait faire ou penser. Mais il ne peut pas (au niveau de son comportement, ses émotions, son vécu) commencer réellement le changement. Une métaphore remplace une connaissance par une expérience. De la même façon qu’un récit ne dit pas que son contenu, mais nous fait vivre une expérience personnelle en le découvrant. L’analogie, l’image, la métaphore marque l’individu à un autre niveau qu’un simple raisonnement. Une patiente vient me voir, épuisée. Elle a l’impression d’être débordée par sa propre vie, de s’occuper toujours des autres, de son mari, de ses enfants, de son travail. Puis de ses parents vieillissants, de ses collègues, de ses amies en difficulté… Les autres passent toujours avant elle-même, elle n’arrive pas à refuser les sollicitations. Elle dort moins bien, devient irritable, a envie « de tout envoyer balader ». Il est évident, et son entourage le lui dit parfois, qu’il faudrait qu’elle s’occupe d’elle/apprenne à dire non/prenne du temps pour elle, etc. Mais elle ne voit pas comment/ne

voit pas comment ce serait possible/ne peut quand même pas refuser de, etc. Il ne servirait à rien de lui répéter tout cela une fois de plus ! Le raisonnement et la réflexion atteignent leur limite, les belles idées restent « dans la tête » mais ne sont pas vécues « dans le corps ». Je lui demande alors si elle a déjà pris l’avion. Surprise, elle me répond que oui et je commence, en apparence, à discuter de tout autre chose que de son problème. « Voyez-vous, au début du voyage, les hôtesses donnent les consignes de sécurité, elles indiquent les issues de secours, ce qu’il faut faire en cas de panne… certains se moquent même des gestes qu’elles font en indiquant les sorties avec leurs mouvements de bras ou en enfilant le gilet de sauvetage !… Et elles nous informent qu’en cas de dépressurisation, un masque à oxygène tombera devant nous et qu’il faudra le mettre sur le visage… Et si vous lisez attentivement les consignes de sécurité, vous verrez que, si vous êtes avec un enfant il faut d’abord mettre le masque sur… » « Sur mon enfant bien sûr ! » m’interrompt-elle. « Eh non ! Sur vous-même… » « Mais c’est impossible, je ne pourrais pas faire cela… » « Sauf que si vous ne le faites pas et que vous vous évanouissez avant d’avoir pu lui mettre le masque, vous en mourrez plus certainement tous les deux… » Par le biais de cette petite analogie, la patiente comprend, bien mieux que par un raisonnement, un conseil ou une leçon de morale, qu’il vaut mieux se protéger pour aider efficacement ceux qui nous entourent. Qu’en somme : pour aider quelqu’un, il faut être en état de le faire !

Cette façon de procéder est assez typique de l’hypnose (en l’occurrence conversationnelle) : elle nous emmène vers une histoire, plus qu’elle explique un raisonnement, et elle suggère une nouvelle idée, une nouvelle perception du monde mais de façon très indirecte, en passant par le langage analogique (surprise, émotion) et l’imaginaire. D’autres usages plus formels d’une métaphore pourraient être par exemple de prendre au sérieux les images que notre inconscient nous envoie et de « filer la métaphore ». Un patient se plaint d’une « boule d’angoisse » dans le ventre. Loin des caricatures de psy qui parleraient alors uniquement de son angoisse (ou de sa mère !), le thérapeute pourrait l’aider à percevoir en hypnose… cette fameuse boule ! Sa couleur, sa température, sa texture, son mouvement ; puis à en changer quelque chose. Étonnamment, le patient perçoit un soulagement. Une patiente souffre de céphalées « comme si ma tête était une casserole d’eau bouillante ». La séance d’hypnose l’aidera selon elle « à trouver le bouton qui diminue le feu sous la casserole » et de nombreux changements en termes de sensations, émotions, comportements se mettent en route. Ainsi de cette patiente qui s’équipa d’une télécommande pour ralentir sa vie trop rapide, ce patient qui déposa quelques cailloux d’un sac à dos trop lourd, ou celui-ci à qui je proposai de visualiser une mer agitée au même rythme que son esprit angoissé, puis de s’entraîner grâce à des techniques hypnotiques, en apaisant son esprit, à voir cette mer devenir de plus en plus calme et paisible. Faut-il s’étonner que ces suggestions imagées et étranges puissent, dans les faits, aider à aller mieux ? Notons-le bien : notre inconscient nous envoie des images, des sensations « digérables », plus facilement appréhendables de notre problème. L’hypnose ne fait rien d’autre que les prendre au sérieux. Il n’est pas incohérent de penser qu’avec la résolution de cette image fournie par notre inconscient, celui-ci résolve par ricochet le problème initial. Cette résolution par l’analogie est facilitée par l’état hypnotique (un peu comme, toutes

proportions gardées, un film ou un livre nous marque d’autant plus que nous plongeons dedans.) La métaphore peut aussi être plus complexe et aider à percevoir un changement de point de vue ou de perception en racontant une histoire construite. La métaphore peut aussi être plus complexe et aider à percevoir un changement de point de vue ou de perception en racontant une histoire construite. De la même façon qu’un conte, un roman, un film peuvent nous marquer, il existe des histoires thérapeutiques. Donc, même si cela peut surprendre, il n’y a rien d’invraisemblable qu’un thérapeute raconte, pendant la conversation ou en cours de transe, une véritable histoire, qui peut commencer par : « Il était une fois… » ou par : « Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine… » Que l’on comprenne ou non immédiatement le sens, qu’elle agisse consciemment ou inconsciemment, une histoire, une métaphore, une analogie aidera toujours plus à un changement expérientiel qu’une explication23. Il peut également arriver que pendant une séance se produisent des phénomènes « idéosensoriels » (littéralement une idée qui provoque une sensation), c’est-à-dire que le patient perçoit sensoriellement (vue, toucher), sans apparemment l’avoir décidé, des phénomènes qui ont été suggérés par le praticien. Il existe aussi des phénomènes « idéomoteurs » (littéralement une idée qui provoque un mouvement), c’est-à-dire que le patient produit, de façon involontaire, un mouvement ou un arrêt de mouvement (un bras se déplace ou reste comme suspendu dans l’air, une main s’ouvre…). Bien entendu, encore une fois, les hypnotiseurs de foire usent et abusent à des fins discutables de ce genre de phénomènes. Ils font halluciner aux sujets des sons, odeurs et sensations pour les troubler et les faire réagir, leur font produire des comportements bizarres ou dangereux (comme le fameux corps raidi qui tient entre deux tables) dans le seul but d’impressionner, de montrer une sorte de pouvoir sur l’autre ou d’amuser le public aux dépens des volontaires.

Mais, bien utilisés, certains de ces phénomènes peuvent avoir une utilité thérapeutique et ne sont aucunement des « gadgets » pour s’amuser. Par exemple, un patient ayant du mal à s’apaiser, se remémore d’un jour où sa capacité à rester calme s’était exprimée. Revivant en hypnose ce souvenir agréable ayant eu lieu en été, sa peau se met à ressentir de la chaleur, son nez semble sentir l’odeur caractéristique de l’endroit. Il revit avec plus d’intensité son souvenir porteur de ressource, et gagne en confiance à pouvoir accéder à cette ressource. « Je sais que je peux le faire » n’est plus alors juste une idée mais une expérience. Quant aux phénomènes idéomoteurs, ils expriment parfois quelque chose de nos mouvements inconscients, peuvent être une métaphore de la stabilité (quand un mouvement reste suspendu), de la remise en mouvement (quand le corps effectue un geste), d’un apaisement ou d’une sécurité (quand une main vient d’elle-même se poser sur une zone douloureuse) ou même simplement du fait que, parfois, nous acceptons de ne pas tout maîtriser de ce qui se passe en nous, parfois un mouvement se produit, même hors de notre « contrôle conscient », sans être pour autant désagréable, dangereux ou angoissant. Un geste banal en apparence, qui peut signifier un changement, est parfois vécu comme un vrai bouleversement24. Il existe également des procédés de communication permettant de faciliter aux patients l’accès plus « réaliste » aux sensations suggérées. Par exemple si je me contente de dire et répéter « il fait chaud, de plus en plus chaud », je peux moins facilement susciter la sensation de chaleur que si je dis « vous commencez à ressentir cette chaleur peut-être au niveau de la tête ou des yeux qui chauffent, les oreilles également qui deviennent rouges. Le dos chauffe du haut vers le bas, comme quand le soleil est dans notre dos au travers d’une vitre, et va peut-être transpirer, et cette chaleur… », etc. Nous apprenons en hypnose à parler un langage évocateur de sensations. D’autres principes de langage facilitent la communication, et l’accès à un vécu différent. On dit par exemple qu’en transe (mais c’est aussi

un peu le cas dans la vie de tous les jours) « l’esprit n’entend pas la négation ». Par exemple si je vous dis « ne pensez pas à un ours blanc »… évidemment vous y pensez25 ! Ainsi le thérapeute éricksonien fera attention à ses formulations. Pas la peine de dire à un patient « détendez-vous et ne pensez pas à votre stress, à vos problèmes… ». « N’ayez pas peur » peut-être reçu comme un message de peur (mieux vaut lui préférer « rassurez-vous »). On peut aussi utiliser d’autres outils comme les présupposés : « Regardez si vous ressentez cette sensation différente plutôt en haut ou en bas du corps » ce qui présuppose que la sensation aura lieu, la seule question étant où. L’esprit, occupé à scruter cette question, a accepté inconsciemment le présupposé de la phrase. Bref, il existe un grand nombre de techniques qui ne font pas l’objet de ce livre mais sont assez bien répertoriées et en constante évolution. Les outils présentés ici ne le sont qu’à titre d’exemple. L’idée générale est qu’un message soit reçu par le patient, de façon consciente ou non. Savoir orienter la communication…, amener l’inconscient à se diriger dans une direction différente…, c’est de la manipulation ? Tout dépend ce que l’on entend par ce terme ! Les outils de communication, tout comme l’hypnose ou d’autres, ne portent pas en eux-mêmes d’éthique ou d’absence d’éthique. L’éthique d’un outil dépend de celui qui l’emploie. Si nous usons de techniques de communication pour extorquer, soumettre, influencer, alors c’est le sens péjoratif de la manipulation. C’est une arnaque en somme, le sujet allant dans une direction qu’il n’a pas choisie. Certains outils de communication existent dans le

domaine de la publicité : ils visent alors à faire consommer. D’autres sont en usage dans la politique : ils visent à convaincre, à faire voter. Dans le cas d’un soignant, la différence n’est pas qu’une affaire de technique, mais d’éthique ! Il existe un autre sens au mot manipulation, celui qu’emploient par exemple les kinésithérapeutes qui manipulent (c’est-à-dire prennent en main) leurs patients. Toujours de façon consentie et avec comme seul bénéficiaire… le patient. Le soignant se doit d’user de ses techniques de soin (qui incluent des moyens de communication) non pas pour son propre bénéfice, mais uniquement au bénéfice du patient qu’il soigne, et en servant les objectifs de celui-ci, et non les siens. L’usage de l’hypnose est tourné vers celui qui la pratique quand il cherche uniquement à remplir une salle de spectacle ou à impressionner les autres. L’éthique soignante est supposée différente. Il est donc encore une fois fondamental pour le patient d’être en confiance, de s’assurer qu’il travaille avec un praticien qualifié qui tient compte de ses attentes et qui discute avec lui des objectifs de la thérapie (sans lui imposer). Alors seulement le patient peut se laisser aller à expérimenter et peut-être même à changer sans s’en être rendu compte, inconsciemment… Les autres applications éthiquement acceptables de l’hypnose (performance sportive, artistique, aide ou exploration personnelle, etc.) doivent également être dans l’intérêt et jamais au détriment de la personne. Il existe aussi des applications sans bénéfice individuel direct au sujet (comme la recherche ou l’entraînement en formation) mais qui correspondent aussi à un cadre éthique et ne sont pas orientées vers un bénéfice caché du praticien au détriment du sujet.

Alors notre thérapeute communique activement, de façon à aider le patient à atteindre son objectif. Il l’aide à accéder à ses capacités, conscientes ou non en communiquant pour rendre « efficaces » les messages thérapeutiques. Mais la thérapie ne consiste-t-elle pas justement à rester « neutre » ? L’idée qu’un thérapeute doit rester neutre est une idée ancienne. Évidemment, un thérapeute ne doit pas émettre de jugement moral ou s’impliquer d’une façon déplacée. Il est « neutre » quant à la réussite du patient (c’est le patient qui est « motivé par le changement » et pas le thérapeute qui doit vouloir à sa place26), il est neutre quant aux choix moraux du patient27 et ne peut décider à sa place. Cependant neutre ne veut pas dire qu’il n’est pas influent ! Car nous sommes tous influents les uns sur les autres dès lors que nous interagissons. Dans les années 1960, un psychologue nommé Greenspoon avait réalisé l’expérience suivante : deux personnes sont l’une derrière l’autre. Celui de devant est le sujet, il ne voit pas celui de derrière, l’opérateur. Le sujet a pour consigne de prononcer aléatoirement tous les mots qui lui passent par la tête, pendant 50 minutes. L’opérateur a pour consigne (à l’insu du sujet) de faire un « mmh hmm » d’approbation – comme ce que l’on caricature d’un thérapeute – à chaque fois que le mot prononcé est au pluriel et de se taire si le mot est au singulier. La plupart des sujets à la fin de l’expérience n’ont pas compris sur quel critère l’opérateur acquiesçait ou non. Et pourtant, au fur et à mesure, ils se sont mis à prononcer, sans s’en rendre compte, de plus en plus de mots au pluriel. L’expérience de Rosenthal, à la même époque, montrait que des élèves, à qui on avait faussement augmenté le score à des tests «

d’intelligence », et transmis ce résultat à leurs enseignants, augmentaient non seulement leurs notes mais aussi leur (vrai) score aux tests28. Un grand nombre d’expériences et de données psychologiques et sociales montrent que nous sommes influents les uns sur les autres, notre présence, notre parole, notre langage non verbal nous rendent influents. Une des grandes originalités de l’hypnose (et des thérapies brèves qui s’en sont inspirées) est de tenter d’utiliser, à bon escient cette influence, plutôt que d’essayer vainement de l’éviter, la nier… ou la subir ! La pratique de l’hypnose nécessite selon nous de l’éthique ! Tous les efforts de communication, toute la gestion de l’influence réciproque doivent être dirigés dans l’intérêt du patient ! Ainsi, la pratique de l’hypnose nécessite selon nous de l’éthique ! Tous les efforts de communication, toute la gestion de l’influence réciproque doivent être dirigés dans l’intérêt du patient ! C’est la base de la relation hypnotique. Relation Quelles sont les spécificités de la relation hypnotique ? La relation hypnotique est la part la plus variable de cette affaire… et la plus fondamentale. La transe est cet état complexe et partiellement caractérisé que nous avons décrit. Il reste de la transe dans divers types de relation. Certes on pourrait distinguer, de façon parfois artificielle, certains « sous-types » (comme la transe léthargique – le sujet semble relaxé, fatigué – ou la transe somnambulique – le sujet reste dynamique et alerte, il peut par exemple facilement bouger ou parler pendant sa transe, mais est sensible aux suggestions ou dans une pensée plus

littérale). Mais, fondamentalement, le ressenti peut être assez proche. La technique peut être variable. Si l’on caricature : en hypnose de spectacle, les techniques seront par exemple très directes, les suggestions ressembleront à des ordres (même s’il existe des suggestions masquées, subliminales de « mise en condition »). En soins, le thérapeute pourra avoir des formulations permissives (qu’elles soient énoncées de façon directe ou plus indirecte), son but premier étant que le patient change (et non pas obéisse) et qu’il se saisisse de l’opportunité de la séance pour modifier par lui-même, à partir de lui-même, quelque chose à sa vie. La relation hypnotique, elle, est fondée sur la gestion de l’influence réciproque. La relation hypnotique, elle, est fondée sur la gestion de l’influence réciproque. C’est ici que l’éthique de la pratique se joue. C’est là où l’influence sera utilisée au bénéfice de l’hypnotiseur ou du patient. De même que l’influence en général, la communication en général, la possibilité de faire passer un message de sorte qu’il soit reçu, peut être utilisée aux meilleures fins (éducation, relation de confiance, thérapie…) mais aussi aux moins bénéfiques (arnaquer, manipuler, soumettre…) ; de même l’hypnose peut être un soin extraordinaire, humain, efficace et générateur de liberté, ou bien, entre de mauvaises mains, peut exposer. La relation hypnotique permet aussi de gérer la répartition de l’attention. D’une attention focalisée par exemple sur les difficultés, le patient pourra au fur et à mesure s’intéresser aussi aux changements, aux compétences et aux possibilités. De façon générale, la relation thérapeutique a certaines caractéristiques : elle est « abstinente » dans le sens où certains

rapprochements ne sont pas déontologiques, elle est « équilibrée » dans le sens où chacun doit y trouver son compte, l’un cherchant des soins et l’autre exerçant sa profession, elle est « régressive », l’un se sentant en défaut d’une capacité et demande de l’aide, etc. Ces caractéristiques existent bien évidemment en hypnose thérapeutique. Ce qui est un peu spécifique à l’hypnose est la façon dont l’influence s’exerce pour contrebalancer l’asymétrie initiale. L’un (le patient) demande de l’aide à l’autre (le thérapeute), cependant ce dernier, bien qu’il « fasse quelque chose » en menant une séance d’hypnose, en suggérant, ne doit pas agir à sa place ou lui dire quoi faire, mais bien lui permettre d’agir… Prenons l’exemple d’un parent chantant à son enfant une berceuse pour l’apaiser. Nous pourrions avoir l’impression que c’est le parent qui mène l’échange, c’est lui qui chante ou murmure doucement en faisant attention aux besoins de l’enfant. Ce murmure n’a pas pour but que l’enfant se soumette, mais bien qu’il s’autonomise, qu’il arrive à s’apaiser, qu’il dispose d’un espace de sécurité pour retrouver en lui-même le calme et le repos dont il besoin. C’est pourquoi le parent le fait en accompagnant, en observant l’enfant. Un peu de la même façon, même si la relation hypnotique thérapeutique donne l’impression que l’un parle et que l’autre écoute et accepte éventuellement les propositions faites, il s’agit bien en réalité d’un thérapeute qui permet au patient, par ses propositions et techniques, de trouver un espace, dans lequel un changement sera possible. Le thérapeute accompagne plus qu’il ne guide, il soutient et suit le patient plus qu’il ne demande que le patient le suive. Quand ce dernier ferme les yeux, les mots, détachés de leur contexte d’émission sont appropriés. Le thérapeute est un cadre qui permet cette appropriation, il vise à ce que la relation soit

suffisamment sécurisante pour que le patient crée un espace où il puisse se permette un changement intérieur. Le thérapeute accompagne plus qu’il ne guide, il soutient et suit le patient plus qu’il ne demande que le patient le suive. On n’insistera donc évidemment jamais assez sur l’éthique nécessaire et l’importance de se sentir en sécurité avec un praticien… EN SOMME L’hypnose est un état complexe, multifactoriel, polymorphe, naturel mais pouvant se provoquer volontairement, notoirement relationnel mais visant l’autonomisation. Il peut entraîner certaines caractéristiques parfois contradictoires (parfois de se dissocier, parfois de se réassocier, parfois d’être ailleurs, parfois d’être très présent à soi-même…) et des phénomènes qui sont une amplification ou un détournement d’un phénomène naturel. Il s’exprime différemment selon les circonstances et les personnes, certains signes pouvant être présents et d’autres non. Voilà qui est bien complexe, n’est-ce pas ? Comme tous les états complexes évoqués en analogie (amour, amitié, empathie, motivation, respect, etc.) sa définition est délicate, changeante, multiple. Et pourtant, ceux qui en parlent semblent la reconnaître. Si cette diversité permet de s’y mouvoir, il n’est pas toujours simple de s’y retrouver ! Retenons que l’état hypnotique a certaines caractéristiques (ni nécessaires, ni suffisantes, mais formant une expérience identifiable de modification perceptive, faite d’absorption, de fluidité mentale, d’intensité expérientielle…), qu’il est amené par la « technique hypnotique », qui peut tout autant servir à faire revenir cet état qu’à créer une certaine forme de relation. La relation

hypnotique, à géométrie variable selon les usages, vise la conduite de l’attention et de l’influence et la modification expérientielle. Maintenant que nous avons une idée générale de ce qu’est l’hypnose, il nous faut mieux connaître ses usages… III Soigner ou ne pas soigner avec l’hypnose Quelles sont les principales pratiques de l’hypnose ? Nous distinguerons, dans cette partie, tout d’abord l’hypnose « thérapeutique », c’est-à-dire celle qui soigne. Une personne en souffrance, tentée de recourir à l’hypnose a besoin d’en savoir plus sur les indications, les bénéfices attendus et le déroulement de l’hypnose dans un cadre soignant. Nous verrons aussi les arguments scientifiques qui gravitent autour de l’étude de la pratique de l’hypnose. Puis, il sera question des cadres de l’hypnose : tout d’abord de l’usage « ludique » dans le monde du spectacle et la pratique dite « de rue ». Puis nous parlerons de l’hypnose des praticiens qui l’utilisent pour aider, avec ou sans formation soignante initiale. Nous tenterons de faire le point sur cette problématique très actuelle. Attention : cette partie concerne la situation présente, c’est une photographie subjective du moment. Elle essaie de clarifier qui sont les personnes qui pratiquent l’hypnose, qui consulter, de quelle manière elle est pratiquée. Tout cela pourrait avoir évolué (en bon ou en mauvais) si vous lisez ce livre quelques années après son écriture. Il s’agit aussi parfois d’interrogations personnelles de

l’auteur, qui ne se veulent donc pas des vérités sur l’hypnose ellemême mais des questionnements sur le cadre de sa pratique. 5 Comment soigne-t-on avec l’hypnose ? Indications de l’hypnose Quelles sont les indications de l’hypnose thérapeutique ? Globalement les grandes catégories d’application de l’hypnose sont : — le soulagement de la douleur ; — la psychothérapie pour de nombreuses souffrances psychiques ; — le soin complémentaire de difficultés où le corps et l’esprit, le somatique et le psychique, s’imbriquent particulièrement. L’indication « reine » de l’hypnose, son domaine de pratique le plus fréquent et l’objet du plus grand nombre de publications est sans conteste la prise en charge de la douleur, que celle-ci soit aiguë, procédurale ou chronique. L’indication « reine » de l’hypnose, son domaine de pratique le plus fréquent et l’objet du plus grand nombre de publications est sans conteste la prise en charge de la douleur, que celle-ci soit aiguë, procédurale ou chronique. Qu’entend-on par douleur aiguë, procédurale ou chronique ? La Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) distingue ces trois catégories. — La douleur aiguë est due à une atteinte physique, brutale. Sa finalité est d’alerter notre organisme de cette atteinte, de cette blessure. Bien entendu, la priorité médicale est le diagnostic et le soin de l’atteinte à l’origine de la douleur. L’hypnose est alors un soin

complémentaire visant un soulagement parallèlement aux soins médicaux. Lors d’accidents, de blessures, de chocs, en accompagnant la nécessaire démarche médicale, les soignants formés peuvent aider le patient à mieux supporter la situation et la douleur physique. Dans ce domaine, l’hypnose est pratiquée notamment par les équipes de médecine d’urgence ou de SAMU. Dans certaines villes des pompiers ont également été formés aux bases de l’hypnose. — La douleur procédurale est induite par le soin (par exemple : examen nécessitant aiguilles ou autres dispositifs, réduction de luxation ou de fracture, chirurgie au bloc opératoire, soins dentaires…). Un style assez proche de procédures hypnotiques peut s’envisager pour ces deux types de douleurs, du fait de leur caractère aigu et potentiellement limité dans le temps. Ces méthodes sont plus directes, rapides et visent à entraîner temporairement et rapidement le patient vers un soulagement. Bien sûr pour une douleur procédurale, si le geste est programmé (ne serait-ce que quelques minutes avant), le praticien a le temps de préparer le patient, de prendre plus le temps d’induire une transe efficace. Dans les cas suraigus d’intervention en urgence, l’hypnose est encore plus rapide et directe. Mais, dans le fond, le fonctionnement est le même. Il ne s’agit pas d’effacer purement et simplement la douleur puisque le signal physiologique existe toujours (c’est-à-dire que l’information produite par les capteurs douloureux arrive automatiquement au cerveau), mais plutôt de pouvoir guider l’attention du patient pour que celle-ci aille, au moins partiellement, vers autre chose que la scène douloureuse. Tout se passe comme s’il ne souffrait pas (ou souffrait moins) de sa douleur. Mais comment est-ce possible ? Le principe est toujours le même : comme nous l’avons dit, l’hypnose révèle des capacités, ordinairement à l’état latent. Nous avons en

nous cette capacité à ressentir, ou pas, certaines sensations selon le lieu de notre attention. Par exemple, ressentiez-vous le contact de votre montre avant de lire cette phrase ? Le contact des vêtements sur la peau ? Et alors que vous ressentiez le contact des vêtements sur la peau, ressentiez-vous votre respiration ? Que se passe-t-il si vous vous focalisez attentivement sur l’une de ses sensations ? La lecture de ces lignes devient-elle plus lente ou difficile ? Concernant la douleur, il arrive qu’en situation extrême, certaines douleurs soient tout simplement exclues du champ de la conscience. Le cerveau reçoit sans cesse des milliers d’informations sensorielles pour ne retenir que les plus pertinentes. Dans un restaurant ou à un cocktail vous focalisez votre attention sur les propos de votre interlocuteur malgré le bruit de fond et les conversations alentour. Dans une pièce avec une horloge, vous finissez par ne plus entendre le « tic-tac » jusqu’à ce que vous y pensiez ou qu’on vous le fasse remarquer ! Nous avons la capacité de prioriser certaines informations, d’en mettre d’autres à distance. Concernant la douleur, il arrive qu’en situation extrême, certaines douleurs soient tout simplement exclues du champ de la conscience. Quelqu’un court dans une maison en flammes pour sauver un enfant sans sentir les brûlures, un autre se cache pour survivre sans même s’apercevoir qu’il est blessé… En 2008 sur le Vendée Globe (course à la voile autour du monde en solitaire et sans assistance), à 1 500 km des côtes australiennes, en plein océan Indien, le skipper Yann Elies est éjecté de son bateau. Sous le choc, son fémur se brise (le fémur étant le plus grand os du corps humain, le choc a dû être considérable), et le navigateur arrive tout de même (c’est à peine croyable) à nager, à remonter sur son bateau et aller jusqu’à sa cabine pour alerter ! Il sera secouru 36 heures plus tard. La capacité de s’autoanesthésier temporairement existe, la capacité de réinterprétation de la douleur, d’attention détournée au point de

pouvoir supporter ou négliger temporairement une douleur est une capacité naturelle de notre corps. Il reconnaîtra avoir trouvé des ressources insoupçonnées pour remonter sur son bateau et y progresser, et que le plus gros de la douleur arrivera réellement pendant la longue attente des secours. Ces exemples nous disent que la capacité de s’autoanesthésier temporairement existe, la capacité de réinterprétation de la douleur, d’attention détournée au point de pouvoir supporter ou négliger temporairement une douleur est une capacité naturelle de notre corps. Certes, c’est une ressource qui ne s’exprime pas dans n’importe quelles circonstances, mais qui peut être réveillée par l’hypnose. Encore une fois, l’hypnose ne fait que révéler des ressources latentes existantes, on ne le dira jamais assez. La chirurgie « sous hypnose » est donc possible ? Et même très régulièrement pratiquée ! C’est d’ailleurs sûrement un domaine où la méthodologie des études a été parmi les plus strictes. Par exemple, plusieurs études ont comparé, pour des opérations de type chirurgie de la thyroïde ou chirurgies réparatrices, un groupe de patients sous anesthésie générale à un groupe sous anesthésie locale avec hypnose. Qu’y découvre-t-on ? Que l’anxiété postopératoire est moindre dans le groupe « hypnose »1, que la douleur n’y est pas supérieure, que la durée moyenne de séjour et la reprise du travail y sont plus rapides, que les doses de produits anesthésiques utilisés y sont (évidemment) moindres et que les effets secondaires (évidemment) aussi. Notons enfin que certains marqueurs physiologiques de l’inflammation (dérivés du cortisol ou interleukine-6 dans les urines) sont également moindres dans le groupe « hypnose »2. Les chirurgies pratiquées aujourd’hui avec une « hypno-sédation » selon le terme

usité sont diverses : adénectomies, thyroïdectomies, parathyroïdectomies, chirurgie plastique, esthétique, réparatrice, interruption volontaire de grossesse, soins aux grands brûlés3, certaines interventions cancérologiques (tumeurs mammaires ou cutanées de volume réduit ou peu invasives) ou gynécologiques, etc. Ces techniques ne se pratiquent donc pas partout, mais plutôt là où la politique de tout un service va dans ce sens avec une équipe anesthésique formée et une équipe chirurgicale sensibilisée. En revanche l’hypnose n’est pas (ou très peu) utilisée dans les opérations plus lourdes comme les laparotomies (ouverture de l’abdomen), la chirurgie orthopédique ou cardiaque. Les praticiens de l’hypno-sédation aiment à rappeler que ces techniques nécessitent néanmoins la bonne coordination de toute l’équipe anesthésique et chirurgicale qui doit opérer dans des conditions différentes de l’habitude : silence relatif dans le bloc opératoire en dehors de la voix de l’anesthésiste, patient non curarisé4, confiance absolue dans l’anesthésiste qui, en fonction des réactions du patient, peut demander à interrompre le geste pour réapprofondir la transe… Ces techniques ne se pratiquent donc pas partout, mais plutôt là où la politique de tout un service va dans ce sens avec une équipe anesthésique formée et une équipe chirurgicale sensibilisée. Mais si l’on ajoute toutes les chirurgies où c’est possible, cela fait beaucoup… Sans compter les autres domaines où il existe

de la « douleur procédurale » Oui. Le même genre de procédures peut être utilisé pour la médecine dite « interventionnelle » : gastroscopies, coloscopie, fibroscopies bronchiques, ponctions, biopsies… Les domaines d’utilisation sont ici très importants car de nombreux soins et examens sont douloureux : par exemple, bien sûr, c’est un avantage considérable en médecine d’urgence (ponction lombaire ou pleurale, drain thoracique, points de suture, réduction de luxation…), en hématologie (myélogrammes, ponctions médullaires…), en cancérologie (biopsies, radiothérapie, injections…), en médecine dentaire, etc. Les applications sont extrêmement larges5 et utiles tant sur la douleur que sur l’anxiété due à ces situations. Des collègues urgentistes, que j’ai eu le plaisir de former à l’hypnose, mènent par exemple actuellement à Metz une très belle étude sur l’utilisation de l’hypnose dans la coronarographie qui pourrait diminuer la douleur, l’anxiété et la pression artérielle des patients venant de subir un syndrome coronarien aigu (de type infarctus). Il nous reste encore beaucoup à découvrir sur les applications de l’hypnose. Et la douleur chronique ? La douleur chronique est un syndrome plus complexe, multidimensionnel. On commence à parler de douleur chronique généralement quand elle dure depuis plus de 3 mois ou en tout cas plus longtemps que ce que la cause initiale pouvait le laisser supposer6. La douleur n’est plus le signal d’alerte d’un problème dans ce cas-là, mais devient le problème en lui-même. Cette douleur survient par excès de stimulation douloureuse de façon récurrente (maladie arthrosique, douleur cancéreuse…), par lésion d’un nerf (névralgie, douleur de membre fantôme… on parle de douleurs

neuropathiques) ou par dysfonction des systèmes de régulation de la douleur, sans lésion identifiée (colopathie fonctionnelle, fibromyalgie, céphalées de tension…). L’hypnose trouve ici une place intéressante puisqu’elle a une action non seulement sur l’intensité perçue de la douleur mais surtout sur le vécu de cette douleur, son aspect émotionnel, la gêne provoquée par la douleur, la possibilité de mieux la gérer ou de mieux gérer la vie avec cette douleur. Dans tous les cas, les symptômes vont rapidement dépasser la simple douleur et peser sur le fonctionnement général de l’individu (sa capacité à mener son quotidien), avec des retentissements psychologiques parfois importants. La médecine reste parfois limitée dans ce domaine, les traitements soulageant partiellement la douleur, et les conséquences fonctionnelles et psychologiques prenant peu à peu de plus en plus de place. L’hypnose trouve ici une place intéressante puisqu’elle a une action non seulement sur l’intensité perçue de la douleur mais surtout sur le vécu de cette douleur, son aspect émotionnel, la gêne provoquée par la douleur, la possibilité de mieux la gérer ou de mieux gérer la vie avec cette douleur. L’honnêteté oblige bien sûr à dire que dans les syndromes douloureux chroniques, les soins, tant médicaux « classiques » que l’hypnose, n’arrivent pas toujours à obtenir l’extinction totale de la sensation de douleur. En revanche, praticiens et patients peuvent témoigner que l’amélioration fréquente de la qualité de vie, de l’humeur et du retentissement psychologique et relationnel, de la gêne fonctionnelle sont des améliorations utiles, fondamentales même, qu’on obtient possiblement avec l’hypnose, et qui constituent une véritable différence. Par extension, on imagine bien que tous les domaines où le physique et le psychique se trouvent « entremêlés » pourraient trouver une place pour l’hypnose…

Oui. L’algologie reste l’indication la plus fréquente et le sujet du plus grand nombre de publications (plus de 1 000 !)7. D’autres domaines voient sans cesse l’atteinte physique et les difficultés psychiques s’entremêler comme la cancérologie ou les soins palliatifs (où la gestion tout à la fois de la douleur, des troubles fonctionnels, l’amélioration du confort et la prise en compte de la souffrance psychique sont le cœur du travail, bref, la prise en charge globale de l’individu). Mais on peut aussi penser à toutes les affections où peuvent exister à la fois une part physique et une part psychosomatique : gastralgies et ulcérations peptiques, acouphènes, maladies dermatologiques, (verrues, psoriasis, alopécie, prurit, urticaire), ou encore asthme, obésité et pertes de poids… Signalons aussi la sexologie, les indications entourant l’obstétrique (préparation à la naissance et à l’accouchement, douleurs de l’accouchement ou provoquées par les gestes médicaux douloureux, anxiétés et difficultés autour des accouchements et grossesses, procréation médicalement assistée dans sa part « non technique »), mais aussi l’utilisation par d’autres professionnels du soin. Des kinésithérapeutes pour les manipulations douloureuses et douleurs chroniques, des orthophonistes qui peuvent en faire bénéficier pour le bégaiement, les aphonies psychogènes et d’autres troubles, des ergothérapeutes ou psychomotriciens ont également pu trouver du bénéfice à cette pratique pour leurs patients… Et sur le plan psychique ? Évidemment, en psychiatrie, en psychologie, pour la psychothérapie8, les applications de l’hypnose sont nombreuses, et, au fond, les mêmes que toute méthode de communication ou de psychothérapie. À disposition du professionnel se trouvent non seulement la méthode hypnotique formelle mais aussi le mode de communication hypnotique (parfois appelé hypnose

conversationnelle9) qui peut être la base de la communication du praticien. À disposition du professionnel se trouvent non seulement la méthode hypnotique formelle mais aussi le mode de communication hypnotique (parfois appelé hypnose conversationnelle) qui peut être la base de la communication du praticien. Sont donc essentiellement concernés : les troubles anxieux (phobies, troubles anxieux généralisés…), le stress posttraumatique, les dépressions, les addictions, les urgences (gestion de la crise anxieuse ou suicidaire), les troubles du comportement alimentaire, les difficultés anxieuses ou comportementales en pédopsychiatrie… Certaines affections psychiatriques nécessitent évidemment une prise en charge spécifique et souvent médicamenteuse (comme la schizophrénie, le trouble bipolaire ou unipolaire), mais ne contreindiquent pas la pratique de l’hypnose thérapeutique en complément. En période d’équilibre thérapeutique, avec un professionnel (souvent psychiatre) connaissant bien le sujet et sans que ce soit le traitement principal (mais bien un traitement complémentaire de certaines anxiétés ou des troubles d’humeur associés), l’hypnose est tout à fait envisageable. Elle nécessite une utilisation particulière de ses différents outils pour les différentes indications. Peut-on soigner des enfants en hypnose ? Oui. Les enfants sont d’excellents sujets hypnotiques. En effet, le monde de l’imaginaire leur est plus directement accessible ; les frontières entre le jeu, la réalité, la fiction, le rêve sont parfois moins marquées que chez l’adulte et peuvent être utilisées pour aider l’enfant à mobiliser des ressources. La thérapie hypnotique (comme toute thérapie chez l’enfant) passera volontiers par le biais du jeu, du dessin, de l’histoire métaphorique ou d’autres modes d’accès à l’imaginaire qui mobiliseront, avec un praticien expérimenté, les mêmes ressources hypnotiques.

Ainsi si les indications sont sensiblement les mêmes (douleur aiguë, gestes douloureux, douleurs chroniques, psychosomatiques, troubles psychologiques ou familiaux, etc.), les modalités sont souvent différentes. Les enfants n’entrent pas en hypnose de façon aussi formelle que les adultes (caricaturalement : assis, les yeux fermés. etc.). Un enfant peut au contraire se focaliser ou peut sembler faire des « allersretours » entre un état de veille et de transe, mais peut aussi être en hypnose sans que cela soit particulièrement évident pour l’œil extérieur. La thérapie hypnotique (comme toute thérapie chez l’enfant) passera volontiers par le biais du jeu, du dessin, de l’histoire métaphorique ou d’autres modes d’accès à l’imaginaire qui mobiliseront, avec un praticien expérimenté, les mêmes ressources hypnotiques. Avec les grands enfants ou les adolescents, l’hypnose peut se rapprocher un peu plus de celle pratiquée chez l’adulte. Déroulement et pratique de l’hypnose thérapeutique Justement, comment se passe une séance d’hypnose ? Concrètement, cela va beaucoup dépendre, déjà, du contexte d’application. Dans un contexte d’hypno-sédation au bloc opératoire, l’anesthésiste va parler doucement, proche de la tête du patient en l’aidant à se détacher du contexte immédiat de la chirurgie et à mettre son attention dans un « ailleurs » plus sécurisant. Dans le contexte des urgences ou de la pratique d’un soin douloureux, de même, le thérapeute réalise souvent une « induction » (procédure qui amène le patient d’un état de veille à un état de transe) puis pratique son geste, parfois même sans que le patient s’en rende compte, s’il est correctement absorbé dans sa transe.

Dans un contexte moins « prévu à l’avance » (accident, urgence…), l’hypnose va être pratiquée également plus spontanément, de façon plus dynamique (le praticien parlant plus vite, plus directement), pour aider un patient à être soulagé le plus vite possible, apaisé ou au moins « distrait » de la scène douloureuse. En revanche quand nous entrons dans des phénomènes moins aigus, c’est-à-dire qui durent, qui sont moins limités dans le temps (douleurs chroniques ou récurrentes, souffrances psychologiques…), on entre dans le contexte de la pratique de la thérapie au sens large du terme. Donc en thérapie c’est de l’hypnose comme on l’imagine ? Assis dans un fauteuil, les yeux fermés, se relaxer… L’idée classique que l’on se fait parfois d’une séance peut ressembler à la réalité. Le tableau est alors celui d’un patient assis confortablement, souvent détendu et concentré les yeux fermés, et d’un thérapeute qui se place près de lui et lui parle afin de faciliter son expérience. Le tableau est alors celui d’un patient assis confortablement, souvent détendu et concentré les yeux fermés, et d’un thérapeute qui se place près de lui et lui parle afin de faciliter son expérience. Cette apparence n’est évidemment pas très télévisuelle et explique certainement pourquoi certains médias sont plus prompts à s’intéresser à l’hypnose spectaculaire (en apparence) et moins à celle (en vérité bien plus spectaculaire si l’on y réfléchit) qui aide les patients à changer et à franchir des pas essentiels dans leur vie. La séance avec un praticien en hypnose peut cependant être plus atypique. La séance avec un praticien en hypnose peut cependant être plus atypique. L’hypnose n’est pas de la relaxation10, même si souvent les patients (notamment anxieux) sont en demande de détente et risquent fort

d’en ressentir. L’hypnose peut aussi aider à travailler certains problèmes douloureux ou traumatiques, qui aboutiront à une séance qui ne sera pas de tout repos ; elle peut même se pratiquer debout, ou bien les yeux ouverts, ou même en poursuivant une conversation. Le praticien, ayant compris les principes qui font l’action de l’hypnose, peut s’affranchir parfois de la « pureté » technique pour laisser place à une thérapie plus « sur mesure », et donc possiblement atypique. De même que le dessin, le jeu, l’histoire racontée peuvent favoriser l’hypnose et la thérapie de l’enfant, les façons atypiques de procéder peuvent aider les… anciens enfants ! Certains patients pourront parfois se demander après coup si ce qu’ils ont vécu était bien de l’hypnose. Rappelons-nous alors que celle-ci est à la fois état, technique et relation. L’état de conscience est protéiforme et il n’est pas toujours facile de le reconnaître en soimême au début, et l’utilisation de techniques hypnotiques ou la gestion particulière de la relation peut parfois suffire à parler d’un traitement par l’hypnose auprès d’un praticien sensibilisé. Peut-être était-ce de l’hypnose, et peut-être pas, et peut-être que ça n’est pas important, surtout si vous avez ressenti une différence dans votre vie et pu observer un changement. Mais comment le praticien peut-il savoir si le patient est en hypnose ? En neurosciences, il y a des indices « cérébraux » de transe. Cependant, il est bien évidemment impossible d’avoir un dispositif d’IRM fonctionnelle ou de « PET Scan » dans nos bureaux ! En clinique quotidienne, c’est une question complexe. Parfois c’est une évidence (le patient expérimente subjectivement un état particulier, sa posture change, il réagit aux suggestions du thérapeute, il vit en pleine absorption et de façon très réaliste des

sensations qui n’ont rien à voir avec le contexte initial de la pièce où il se trouve…), parfois ça l’est beaucoup moins (le patient n’a pas la sensation que sa perception change comme il s’y attendait, il ne connaît pas encore sa façon d’entrer en transe pour la reconnaître directement, les changements corporels observés ne sont pas flagrants…). L’hypnose étant un état de conscience particulier, il reste en bonne partie subjectif et déclaratif. En vérité, il n’y a pas de signe absolu que le patient est en transe, il y a un faisceau d’arguments concernant sa façon de se tenir et de réagir aux suggestions, mais il n’y a pas toujours de certitude absolue, et c’est parfois dans l’après-coup, quand le patient explique ce qu’il a ressenti que l’on peut, éventuellement, le lui confirmer. L’hypnose étant un état de conscience particulier, il reste en bonne partie subjectif et déclaratif (de même que pour toute sensation : c’est bien la personne qui nous dit être douloureuse, motivée, de bonne humeur ou autre, même si les personnes sont plus ou moins aptes ou plus ou moins entraînées à reconnaître leurs états internes, et même si nous avons des signes extérieurs de ces états, évidents pour certaines personnes, beaucoup moins pour d’autres…) Par ailleurs, même le patient qui s’en rend compte, le réalise souvent par contraste, au moment où il « revient » et s’aperçoit qu’il sort d’un état différent de la veille ordinaire. Précisons cependant que plus on pratique l’hypnose et plus on sait reconnaître en nous-même cet état, naturel et accessible à tout le monde, rappelons-le. Les praticiens constatent qu’un des meilleurs moyens d’aider le patient à entrer en transe est en quelque sorte de l’accompagner, de se synchroniser et d’être eux-mêmes un peu en transe. Il convient aussi de préciser que le thérapeute peut parfois ressentir si le patient est en transe… en s’observant lui-même. En effet, les praticiens constatent qu’un des meilleurs moyens d’aider le patient à entrer en transe est en quelque sorte de l’accompagner, de se synchroniser et d’être eux-mêmes un peu en transe. Si le patient est

focalisé sur sa recherche et son travail intérieur, le thérapeute est, lui, focalisé sur le patient pour adapter sans cesse et au plus près ses interventions, ses gestes ou ses silences. Un patient en difficulté pour entrer en transe peut provoquer chez le thérapeute aussi une difficulté à être pleinement présent, et inversement. Patient et praticien s’influencent mutuellement et, en vérité, coconstruisent la séance. Un praticien expérimenté saurait reconnaître en lui-même une transe légère, une focalisation particulière, une « présence », assez bon indice que le patient vit aussi une modification de son état de conscience. Ce genre de synchronisations thérapeute-patient fait actuellement l’objet de recherches prometteuses. Comme un certain nombre d’états complexes, encore une fois c’est en les vivant plusieurs fois et en les apprivoisant qu’on parvient à les reconnaître. Et qu’ils peuvent être décrits subjectivement différemment selon les personnes ! Certains ont des sensations physiques, d’autres une activité visuelle élaborée, d’autres tout à fait floue, d’autres encore une activité plus imaginaire et d’autres au contraire une plus grande présence au réel. Mais cet état étant naturel, il suffit de suivre quelques consignes et suggestions, d’accepter de se prêter à l’expérience ou au questionnement proposé par le thérapeute pour avoir toutes les chances de vivre un moment hypnotique. Est-il indispensable aux soins d’avoir la certitude que le patient est en transe ? L’anesthésiste qui veut faire signe au chirurgien de commencer à inciser, l’urgentiste qui veut commencer un geste potentiellement douloureux peuvent, en effet, avoir besoin de percevoir leur patient de façon quasi certaine en transe, et vont, pour cela, utiliser des inductions hypnotiques plus formelles, longues de plusieurs minutes parfois. Ils ne se fieront toutefois pas uniquement aux signes « extérieurs » de transe. Le patient a parfois des réactions inattendues mais de significations différentes de ce qu’on imagine.

Une collègue eut ainsi un patient qui semblait souffrir pendant un geste douloureux (grimaces, gémissements…), malgré la séance et malgré la présence assez claire de certains signes de transe hypnotique. Mais le patient lui dit après coup qu’il n’avait absolument pas souffert et au contraire passé un moment agréable ! L’état d’hypnose n’est pas un but en soi dans la thérapie, mais un moyen, seulement éventuel, d’atteindre un objectif de changement… J’ai vu pour ma part de nombreux patients pleurer en séance mais c’était, au final, plutôt des pleurs de soulagement… Bref, il n’existe pas de décodeur fiable et universel des attitudes. Concernant la psychothérapie, si un état « réel » de transe survenait dès le début de la séance ou bien à la 5e minute ou bien peu avant la fin de séance, ou bien qu’il soit arrivé de façon douteuse ou avec des changements perceptifs très légers, mais qu’il suffisait à provoquer un changement attendu, nous l’avons dit, cela n’aurait aucune importance. L’état d’hypnose n’est pas un but en soi dans la thérapie, mais un moyen, seulement éventuel, d’atteindre un objectif de changement… Bien sûr, dans certains cas, la transe est une véritable valeur ajoutée et rend la thérapie plus directement efficace. Mais l’hypnose est surtout, nous ne le dirons jamais assez, un certain type de relation dans lequel le thérapeute verra, touchera, entendra le patient d’une autre façon, pour lui permettre d’accéder à un changement. L’apprentissage de la « reconnaissance » de la transe peut être parfois immédiat, sorte de « révélation » lors de notre première expérience hypnotique, parfois long, nuancé et complexe. Il faut se fier à un thérapeute compétent et surtout en qui on a confiance et avec qui l’on se sent en sécurité. La sécurité relationnelle est non seulement indispensable mais aussi… facilitatrice de l’émergence de l’hypnose !

Mais l’hypnose est surtout, nous ne le dirons jamais assez, un certain type de relation dans lequel le thérapeute verra, touchera, entendra le patient d’une autre façon, pour lui permettre d’accéder à un changement. Peut-on bénéficier d’hypnose partout ? Il existe des écoles de formation dans toute la France, et donc des praticiens un peu partout. Mais la pratique de l’hypnose est loin d’être la règle ! Il existe des praticiens « en ville ». Soit que ceux-ci l’utilisent en accompagnement dans leur métier lorsque l’indication se présente (médecins généralistes, spécialistes, infirmiers libéraux, kinés…) soit qu’ils la pratiquent en tant que psychothérapie (certains généralistes, psychiatres, psychologues, psychothérapeutes…). Il existe aussi des thérapeutes / hypnothérapeutes non-soignants (qui n’ont pas de cursus de formation aux métiers du soin) qui pratiquent l’hypnose dans un but de bien-être et de développement personnel, mais il est bien plus dur de savoir, les concernant, « sur qui l’on tombe ». C’est un problème complexe sur lequel nous reviendrons dans un prochain chapitre. Concernant l’hôpital, un certain nombre (trop limité évidemment à mon goût !) d’hôpitaux et de services a pris l’initiative de former certains de leurs agents (services de traitement de la douleur, services d’urgence, anesthésie, soins palliatifs, obstétrique…). La question de la « façon dont se passe une séance », évoquée plus haut, dépend aussi de si la séance est proposée ou recherchée, dans un cabinet, un hôpital ou au milieu d’une scène d’accident de la route, sur un événement prévu et programmé ou bien dans un contexte d’intervention urgente… Que ce soit en ville ou à l’hôpital, parfois le patient sait que le praticien pratique l’hypnose (c’est notamment le cas dans la demande de psychothérapie) ou le demande explicitement. Le reste

du temps, l’hypnose est souvent proposée par le praticien ou l’équipe, dans l’arsenal thérapeutique. En somme, il n’y a pas d’hypnose dans toutes les villes et les hôpitaux, loin de là, et il est rare que cela soit affiché. D’un côté, cela évite bien sûr des demandes inappropriées (un patient qui exigerait de l’hypnose alors que ce n’est pas adapté à ce qui lui arrive). Mais, dans le même temps, si les praticiens ont conscience de la valeur ajoutée de l’hypnose en termes de communication et de qualité de relation aux patients, et l’efficacité qu’elle présente notamment dans les contextes anxieux ou douloureux, ils ne peuvent qu’espérer que la pratique continue de s’étendre parmi les soignants… et donc la promouvoir, ce qui passe par l’intégrer ouvertement à leur pratique. Combien de temps dure une séance ? Désolé, une fois de plus, de répondre par un autre « cela dépend » ! En réalité, l’hypnose est une pratique assez flexible, elle s’adapte au patient et le praticien peut l’adapter à son exercice. En réalité, l’hypnose est une pratique assez flexible, elle s’adapte au patient et le praticien peut l’adapter à son exercice. L’urgentiste, le dentiste ou l’anesthésiste maintiendra une séance le temps de l’intervention, le médecin généraliste pourra mettre quelques éléments d’hypnose dans sa consultation plus courte… Les « psys » et autres thérapeutes ont des séances qui varient d’une demi-heure (c’est souvent le cas des psychiatres) jusqu’à une heure. Il est important de comprendre que le temps passé en hypnose, même court en apparence, peut être utile. Même quelques minutes sur une consultation qui en a « préparé le terrain » (permis d’entrer en relation de confiance et de choisir la bonne méthode) peuvent amener des effets. Bon à savoir

Peut-on pratiquer l’hypnose seul pour se soigner ? C’est ce qu’on appelle l’autohypnose. C’est un sujet, en vérité, assez controversé ! Pour certains théoriciens11, il n’y a au final « que » de l’autohypnose. En effet, l’hypnose n’est pas le fait du praticien, la guérison non plus. Le thérapeute crée un cadre dans lequel le patient peut entrer en transe (qui est un état naturel qui émane de lui), et ce cadre thérapeutique hypnotique permettra au patient de trouver une nouveauté, de s’en saisir. Cela ne veut pas dire que le thérapeute ne fait rien, bien au contraire, mais qu’il doit cibler son action pour autonomiser au maximum le patient. Il n’y aurait alors aucune différence entre l’hypnose en séance (qui est de « l’autohypnose relationnelle ») et hors séance. Pour d’autres c’est l’inverse ! La transe (être un peu dissocié, absorbé dans la sensation…) est possible seul, mais l’hypnose (qui aide et qui change la perception de la vie) est un état fondamentalement relationnel12. Comme certaines comparaisons que nous avons faites dans les chapitres précédents, l’empathie, l’amitié sont aussi des « états » relationnels, qu’on ne peut éprouver qu’en compagnie. Comme nous l’avons déjà souligné, on peut nuancer ces positions. L’hypnose en tant que relation est un ingrédient essentiel. Il est donc possible de faire de l’autohypnose, si l’on a déjà bénéficié d’hypnose en relation. L’autohypnose est possible car elle fait revivre la trace relationnelle hypnotique. Par « faire revivre la trace relationnelle », je veux dire qu’il y a des modalités relationnelles qu’on peut faire vivre, parce qu’on les a apprises en relation. J’ai notion (pour reprendre les mêmes exemples) de ce qu’est aimer, respecter, être en empathie ou en amitié, parce que quelqu’un me l’a appris en entrant en relation avec moi de cette manière. Cela ne veut pas dire que chaque fois que je respecte (moi-même ou les autres) je « repense » à une

expérience relationnelle ou à une personne, mais j’en fais, inconsciemment, revivre la trace. Il est donc possible de faire de l’auto-hypnose, si l’on a déjà bénéficié d’hypnose en relation. L’auto-hypnose est possible car elle fait revivre la trace relationnelle hypnotique. C’est souvent donc à partir d’une expérience (ou plusieurs) « d’hétéro-hypnose » que l’on peut commencer à pratiquer l’autohypnose. À partir de livres ou de vidéos on peut vivre un état de conscience particulier de transe, peut-être, mais de l’hypnose au sens « plein » du terme, peut-être pas. Et ce n’est pas un problème puisque, si les états de transe ordinaires et quotidiens sont inévitables voire bénéfiques, on n’a, en revanche, pas forcément tous besoin d’hypnose au sens (psycho) thérapeutique. Viser l’apprentissage de l’autohypnose comme objectif de la thérapie permet d’en faire une thérapie brève : au bout de quelques séances, le patient peut continuer par lui-même, ce qui lui donne une plus grande autonomie. En revanche, viser l’apprentissage de l’autohypnose comme objectif de la thérapie permet d’en faire une thérapie brève : au bout de quelques séances, le patient peut continuer par lui-même, ce qui lui donne une plus grande autonomie. Comment savoir si je dois consulter en hypnose ? Si vous souhaitez vous faire aider par exemple sur l’une des indications, ou l’un des types de difficultés, décrites plus haut. Mais aussi si vous vous demandez si votre problématique pourrait être accessible ou non à l’hypnose, vous pourriez vouloir consulter un professionnel pour savoir si la technique pourrait vous aider. Si vous faites confiance au thérapeute, alors vous pouvez faire confiance à sa capacité à connaître l’hypnose et donc, possiblement, à proposer autre chose que de l’hypnose !

Cependant, le praticien que vous rencontrerez a possiblement plusieurs cordes à son arc, plusieurs méthodes possibles et devra s’adapter à vous et aux objectifs que vous allez élaborer ensemble. La confiance est encore une fois le premier facteur, et bien plus central dans la possibilité de changement que la méthode. Si vous faites confiance au thérapeute, alors vous pouvez faire confiance à sa capacité à connaître l’hypnose et donc, possiblement, à proposer autre chose que de l’hypnose ! « Le bon chirurgien est celui qui décide de ne pas opérer », nous disait l’un de mes enseignants en chirurgie pendant mes études. Voilà qui calmait tant les chirurgiens potentiels pressés de pratiquer, que les patients qui attendaient l’opération miracle. Hélas, si certains patients demandent de l’hypnose de façon adaptée, sentant que cela sera leur « déclic », d’autres demandent (voire exigent) de l’hypnose, comme si c’était un ingrédient magique qui allait, sans effort, les transformer et les réparer. Or l’hypnose n’est pas prescrite comme un médicament. Tout en attendre est le meilleur moyen « qu’elle » échoue… puisque ce n’est pas l’hypnose qui doit changer quelque chose, mais bien permettre à la personne de changer quelque chose ! De façon lapidaire on pourrait dire que « l’hypnose ne marche pas » ! Comme toute forme de thérapie. Ce sont les patients qui « marchent » et, en réalité, se saisissent de l’hypnose pour changer. C’est un travail actif, qui nécessite une motivation et un engagement du thérapeute comme du patient. Et si « ça n’a pas marché pour moi » ? Si je ne suis pas entré en hypnose ? Alors peut-être que ce n’était pas le moment, peut-être que vous ne souhaitiez pas entrer en transe ou peut-être le souhaitiez-vous si fort que vous étiez crispé ? Ou peut-être n’était-ce pas le moment de changer ? Ou peut-être que le thérapeute n’a pas trouvé le moyen de vous accompagner en transe ? Ou peut-être que vous vous attendiez

à autre chose comme sensation ?… À quoi d’ailleurs ? Ou peut-être y étiez-vous, de façon évidente pour le thérapeute, tandis que vous n’étiez pas habitué à reconnaître cela en vous ? Et si votre façon de vivre la transe vous surprend par sa familiarité ? Vous êtes peut-être un expert de l’autohypnose sans le savoir et vous vous attendez à autre chose… Et si (ça arrive souvent !) après une première séance un peu décevante, la deuxième s’avère absolument extraordinaire ? Vous avez besoin d’apprivoiser cela, c’est normal. Tout le monde peut le faire en trouvant la bonne manière d’apprendre et la bonne personne. Il est fondamental de pouvoir parler au thérapeute, de lui dire ce que vous avez ressenti ou n’avez pas ressenti si cela vous questionne. Peut-être serez-vous surpris… On entend parfois dire que l’hypnose ne « résout » pas le problème mais le « déplace » La notion de « déplacement » est une notion psychanalytique, et est donc essentiellement valable dans ce cadre théorique. Certains psychanalystes ont reproché à toutes les thérapies plus brèves et ciblées que la démarche analytique (qui serait plus globale) de courir le risque qu’à réduire un symptôme, sans vraiment en résoudre les tenants et aboutissants, il risque de réapparaître sous une autre forme, voire de s’aggraver. Un peu comme une fièvre soignée par du paracétamol mais dont l’absence d’antibiotiques empêcherait une véritable résolution. Sauf que dans le monde de la souffrance psychique, ou psychosomatique, retrouver la « cause sous-jacente », la « vérité », n’est pas toujours possible, ni toujours souhaitable, ni toujours utile. Parfois, les causes sont multiples, changeantes, et diffèrent selon le point de vue.

Dans le monde de la souffrance psychique, ou psychosomatique, retrouver la « cause sous-jacente », la « vérité », n’est pas toujours possible, ni toujours souhaitable, ni toujours utile. Parfois, les causes sont bien connues (un événement traumatique, un deuil…) et les creuser n’a aucun sens. Parfois les causes sont connues, reconnues, ruminées, et pour autant rien ne change. Le patient va mal, et sait pourquoi, mais va toujours aussi mal13. L’hypnose n’est pas une approche causale, mais n’est pas non plus une approche symptomatique, elle ne vise pas plus la recherche de causes que la pure disparition du symptôme. L’approche hypnotique est clairement globale, psychique, corporelle, sensorielle, et aide le patient non pas à résoudre un problème mais à changer quelque chose dans sa vie, à faire de nouveaux choix, à reprendre contact avec des ressources, plus utiles et pérennes. Donc il ne s’agit pas d’une approche centrée sur les causes, ni sur les symptômes mais sur le changement, les ressources et les solutions. Si la découverte de la cause ne semble pas toujours provoquer pour autant de changement et si l’approche purement symptomatique peut sembler temporaire ou partielle, en revanche la découverte d’une ressource, d’une solution, d’un changement de point de vue, semble, elle, plus efficace et durable. Nous avons tous vécu des événements qui changent notre regard sur la vie. Encore une capacité naturelle, parfois rendue inaccessible, et que l’hypnose peut réveiller. Il ne s’agit pas d’une approche centrée sur les causes, ni sur les symptômes mais sur le changement, les ressources et les solutions. L’hypnose fonctionne-t-elle vraiment ? Hypothèses, évaluations et preuves… Je vous trouve bien enthousiaste ! Vous défendez l’hypnose et pas les autres approches… L’hypnose marche donc toujours ? À

À tous les coups ? Sur tout ? Non ! Et bien heureusement ! Dans le domaine de l’humain il faut se méfier des « 100 % » qui sont rarement scientifiques. Il est évident (ne nous mentons pas) qu’à titre personnel, si je pratique l’hypnose, c’est parce qu’elle me convient, m’aide à aider, et, subjectivement, plus que d’autres approches. Pour peu qu’il utilise une technique éprouvée, un praticien à l’aise avec sa technique n’en sera que plus efficace en la proposant au patient. Un patient qui adhère à la technique proposée est aussi un facteur de réussite. Cependant aucune approche n’est toujours efficace ! L’hypnose, pour une même problématique, peut avoir des résultats diamétralement opposés d’un patient à l’autre. L’esprit humain est bien trop complexe, les individus bien trop uniques pour que l’on trouve une recette universelle qui fonctionne. L’hypnose, pour une même problématique, peut avoir des résultats diamétralement opposés d’un patient à l’autre. Si vous entendez un jour un défenseur de telle ou telle façon de faire, vous expliquer que sa méthode « marche à tous les coups », fuyez ! Les facteurs relationnels sont si importants dans la réussite d’une thérapie que l’adaptation relationnelle, la confiance du patient, l’aisance du thérapeute avec sa méthode sont plus importants que la méthode elle-même ! Ce qui voudrait dire que toutes les thérapies fonctionnent ? Sans équivoque, les psychothérapies fonctionnent, de manière générale. C’est-à-dire que consulter un professionnel et se soigner par des moyens relationnels, communicationnels est une méthode valable de soins. Bien entendu, cela se complexifie quand on prend conscience qu’il y a plusieurs courants de pensée, plusieurs façons de faire et de

voir pour un même but de soulagement de la souffrance par des moyens psychiques. Dans les années 1970, avec la diversification des modalités de psychothérapie, certains psychologues s’interrogent sur une possible émergence d’un « effet dodo ». Cette dénomination « effet dodo » provient du livre Alice au pays des merveilles, de Lewis Carroll. Dans l’histoire, lors d’une course à laquelle Alice participe, le dodo, oiseaujuge, déclare que tous ceux qui ont participé à la course ont gagné et recevront un prix. On a alors nommé effet dodo ou verdict du dodo les situations où « tout le monde a raison ». Chaque type de thérapie (qu’elle soit analytique, comportementale, hypnotique ou autre) a ses « supporters », tous convaincus qu’elle fonctionne bien et avec une expérience clinique qui le corrobore. Et si, se demandèrent ces chercheurs et leurs suiveurs, tout le monde avait raison14 ? Dans le processus de la psychothérapie (c’est-à-dire, selon la définition de l’APA, ce processus interpersonnel conçu pour produire des modifications dans des sentiments, des pensées, des attitudes et des comportements qui se sont avérés pénibles pour la personne requérant l’aide d’un professionnel), on a recherché les ingrédients du succès. Quand une thérapie marche, qu’est-ce qui marche ? La réponse est aussi logique que déconcertante. Les thérapies dites bona fide, globalement , fonctionnent . Cette locution latine signifie « de bonne foi » et désigne des « conditions minimales » pour qu’une psychothérapie soit considérée comme telle : le thérapeute doit avoir une maîtrise universitaire ou un équivalent,

le traitement doit reposer sur une approche psychologique cohérente et valable, et le problème doit pouvoir être raisonnablement traité par une approche psychothérapeutique. Si des différences flagrantes d’efficience entre les psychothérapies ne peuvent pas toujours être clairement établies, c’est bien que leur fonctionnement repose beaucoup sur… ce qu’elles ont en commun ! Il y a des facteurs communs aux psychothérapies pouvant être à l’origine de l’effet dodo. Bien entendu, comme pour toute bonne recherche, il existe des contre-arguments. Pour certains, les facteurs spécifiques ont une importance plus décisive et certaines thérapies seraient plus efficaces que d’autres… Mais même en tenant compte de ces controverses, quelques idées semblent clairement émerger : la majorité des thérapies bien menées donne des résultats ; la réussite de la thérapie dépend beaucoup de la motivation et de l’engagement du patient dans la thérapie ; enfin et surtout, l’alliance thérapeutique qui s’établit entre le patient et le thérapeute est absolument déterminante pour prédire l’issue du traitement, bien plus que la technique utilisée par l’intervenant. La majorité des thérapies bien menées donne des résultats ; la réussite de la thérapie dépend beaucoup de la motivation et de l’engagement du patient dans la thérapie ; enfin et surtout, l’alliance thérapeutique qui s’établit entre le patient et le thérapeute est

absolument déterminante pour prédire l’issue du traitement, bien plus que la technique utilisée par l’intervenant. Même si toutes les psychothérapies ne sont pas équivalentes pour tout le monde, certains éléments sont primordiaux quel que soit le modèle et, au final, 85 % au moins du succès thérapeutique repose sur des facteurs « non spécifiques », indépendants de toute théorie. • L’implication, la détermination du patient : dans une proportion d’environ 40 %. Il s’agit de sa motivation, son engagement, son intention d’être actif dans le processus, son acceptation de travailler des questions y compris difficiles ou qui peuvent le confronter à des émotions. • La confiance en l’efficacité du traitement : environ 15 %. Elle inclut aussi la confiance dans le thérapeute et la compréhension de l’approche utilisée15. • La qualité de l’alliance thérapeutique entre le patient et le thérapeute : 30 % Il s’agit du lien de confiance réciproque et de collaboration qui s’établit entre thérapeute et patient. Il semble que ce facteur, déjà déterminant en soi, influe aussi sur tous les autres, puisque l’alliance favorise aussi l’implication du patient et sa confiance dans l’efficacité de l’approche. • Au final, la spécificité de l’approche thérapeutique privilégiée ne compte que pour 15 %. Dans l’état actuel des recherches, il est difficile d’établir clairement si certaines approches thérapeutiques sont beaucoup plus efficaces que d’autres face à des affections particulières. Il est plus important, pour la réussite du traitement, de se sentir en confiance, d’avoir une

relation honnête, respectueuse avec le thérapeute, que de privilégier la technique. Est-ce qu’après avoir défendu l’hypnose, vous allez nous dire qu’il n’y a pas lieu de privilégier cette technique ? ! Dire que la relation est le facteur primordial ne signifie pas que le choix de la technique soit secondaire. En effet, si celle-ci ne correspond pas aux attentes du patient, cela pourra avoir une incidence négative sur son implication personnelle, sur la qualité de l’alliance thérapeutique et sur la confiance ressentie, réduisant d’autant les chances de succès. De l’autre côté, si le thérapeute se sent en désaccord, en difficulté avec l’approche qu’il pratique, s’il n’y « croit pas », il ne peut que laisser transparaître voire transmettre ce manque d’enthousiasme. Par ailleurs la question est parfois mal posée dans les protocoles de recherche. Il est souvent question de se demander si telle ou telle technique serait meilleure face à tel ou tel symptôme. Mais ne seraitil pas plus pertinent de se demander si elle n’est pas plus indiquée pour répondre à tel ou tel besoin ? À telle ou telle typologie de patient ? Certains patients, pour un « problème » similaire (disons, par exemple, de nature anxieuse), ne pourraient-ils pas avoir besoin plutôt d’une approche corporelle (pour apaiser les sensations physiques désagréables) ? D’une approche centrée sur les solutions et ressources (pour retrouver des compétences utiles) ? Sur la restructuration cognitive (pour changer de pensées et de point de vue) ? Sur l’analyse (pour tenter de changer en comprenant mieux sa « vérité ») ? Sur l’acceptation en pleine conscience (pour cesser de lutter contre ce qui ne peut être changé) ? Les techniques spécifiques répondent, nous semble-t-il, à certains besoins, et non à certains problèmes ! L’hypnose, par exemple, travaille et tire son efficacité, entre autres, de l’utilisation des perceptions corporelles, de l’utilisation de ressources et de changement (plutôt que d’une recherche de

« causes »), des recadrages par analogie, etc., ce qui n’est pas le cas de toutes les techniques et peut correspondre à une attente de certains patients. En somme, les thérapies n’« entrent pas toutes par la même porte » même si toutes peuvent produire des effets. Toutes les thérapies ne conviennent donc pas à tout le monde, et le choix de la technique est peut-être utile aussi pour améliorer la confiance et la relation ! En somme, les thérapies n’« entrent pas toutes par la même porte » même si toutes peuvent produire des effets. Toutes les thérapies ne conviennent donc pas à tout le monde, et le choix de la technique est peut-être utile aussi pour améliorer la confiance et la relation ! Il est cependant à souligner que l’hypnose, et les thérapies brèves qui lui sont reliées ont en commun de s’être intéressées, très tôt dans leur histoire, non seulement à leurs outils spécifiques comme tous les autres modèles, mais aussi à la communication et à la relation, et donc aux « 85 % » d’outils non spécifiques. L’intérêt qu’elles portent à l’amélioration du lien thérapeutique, en dotant la relation thérapeutique d’outils de communication efficace, est aussi un intérêt non négligeable pour le thérapeute et pour le patient. Un certain nombre de praticiens, qu’ils pratiquent l’hypnose de façon formelle ou pas, voire qu’ils aient conservé leurs « anciennes » techniques, ont trouvé que la relation au patient était différente voire facilitée par l’apprentissage de l’hypnose et l’utilisation de son aspect communicationnel et relationnel, et il semble que les patients soient très sensibles à cette façon d’être entendus et pris en charge différemment. Comment les thérapeutes peuvent s’y retrouver, choisir leur pratique de thérapie ? On ne leur apprend généralement pas de technique spécifique pendant leurs études (ce sont des formations complémentaires) et ils

sont souvent influencés évidemment par les préférences théoriques de leurs enseignants… Curiosité et travail personnel sont nécessaires… Les psychiatres ou psychologues débutants s’interrogent parfois beaucoup sur le « courant de pensée » dans lequel ils se reconnaîtraient. Certains peuvent être fascinés par une technique ou une théorie, mais ils découvrent aussi, en rencontrant leurs premiers patients, l’importance que peut avoir la qualité de la relation. Il faut tout à la fois ne pas s’attacher trop à la technique (car la qualité de la relation est primordiale), et à la fois être à l’aise avec la technique que l’on va utiliser. Aussi étrange que cela puisse paraître, une technique est plus efficace, pas tant du fait de critères objectifs et mesurables (même s’il est important d’utiliser une technique potentiellement utile !), mais surtout parce qu’elle nous « plaît » et nous correspond ! Si l’on est à l’aise avec l’approche, qu’elle concorde avec nos attentes, nos valeurs, cette aisance facilite la relation, et donc les facteurs non spécifiques, vecteurs de succès thérapeutiques. Et les patients ? Parfois ce n’est effectivement pas facile de s’y retrouver. Certains patients se renseignent. D’autres sont « instinctivement » attirés par une modalité de thérapie ou une autre. Peut-être que le patient qui consulte en hypnose a parfois à l’esprit l’aspect corporel de l’approche ou la conviction plus ou moins consciente qu’il pourrait trouver en lui-même certaines capacités que l’hypnose lui permettrait d’atteindre. Mais, on l’aura compris, un patient qui verrait l’hypnose comme une technique magique ou miraculeuse qui va le transformer sans qu’il ait rien à faire prend le risque d’être déçu16 ! Il ne faut pas hésiter à changer de praticien pour trouver quelqu’un avec qui l’on soit suffisamment confortable pour poursuivre un travail aussi personnel qu’une psychothérapie.

Le patient qui n’a pas de connaissances particulières dans les techniques de thérapie devrait, encore une fois, privilégier son aisance relationnelle avec le praticien. Il ne faut pas hésiter à changer de praticien pour trouver quelqu’un avec qui l’on soit suffisamment confortable pour poursuivre un travail aussi personnel qu’une psychothérapie. Le travail est parfois impliquant, éprouvant, mais la confiance relationnelle doit être présente. Ce message est donc valable tant pour les patients que pour mes collègues thérapeutes : pratiquer une thérapie qui vous convient, que vous « aimez » est encore le meilleur moyen que cela « marche ». Si vous êtes plus à l’aise, le patient pourra l’être aussi. Le confort étant, pour une fois, un critère scientifique d’efficacité, ne boudons pas notre plaisir ! Tant que nous sommes dans les études scientifiques, concernant l’hypnose plus spécifiquement, quelles indications cliniques font l’objet d’arguments scientifiques ? Une revue attentive de la littérature révèle un certain nombre de données intéressantes mais qui demanderaient à être expliquées de façon précise. En France un rapport de l’Académie de médecine sur les thérapies complémentaires et surtout un rapport de l’INSERM de juin 2015 au sujet de l’hypnose (rapport facilement consultable en ligne) ont exploré une bonne partie de cette littérature, chacun peut y consulter les références, et la maîtrise de l’anglais facilitera les recherches pour qui voudrait lire les articles originaux17. Plusieurs indications sont vraiment étayées concernant la douleur aiguë (anesthésiologie, soins douloureux aux urgences notamment impliquant des aiguilles, médecine interventionnelle…), la douleur chronique (par exemple les troubles fonctionnels intestinaux « côlon irritable »), la santé des femmes (difficultés hormonales, préparation

à l’accouchement…), la psychiatrie (notamment dans l’anxiété, dans le stress posttraumatique…). Cependant, pour de nombreuses indications, les résultats paraissent incertains aux chercheurs. Bizarrement, en se penchant de plus près sur la littérature, de nombreuses études sont favorables à l’hypnose, mais ne leur suffisent pas pour conclure (pas assez larges, pas assez strictes…). Dans de nombreuses indications il est tout à fait possible que l’hypnose fonctionne mais on a de grandes difficultés à l’évaluer de façon adaptée. Pourquoi est-ce si dur à évaluer ? Tout d’abord parce que les études sont souvent trop peu nombreuses pour conclure. Les critères scientifiques sont de plus en plus stricts pour conclure à l’efficacité, et l’on ne peut que se féliciter, de façon générale, du niveau d’exigence scientifique toujours plus important de la communauté des chercheurs dans le domaine médical. Il y a évidemment une contrepartie à cette exigence : si une étude (et c’est très fréquent) est favorable à l’hypnose, mais que trop peu d’études comparables viennent le confirmer, que trop peu de patients au total ont été évalués, cela donne un bon indice de l’efficacité de la technique, mais ne la « démontre » pas. Dans certaines indications les études sont peu nombreuses, limitées (car réaliser une étude incluant de nombreux patients coûte extrêmement cher !) et, surtout, même quand elles sont nombreuses, elles sont souvent incomparables entre elles ! La technique ou la modalité hypnotique utilisée n’est pas la même (par exemple dans l’une il s’agit de huit séances en groupe et dans l’autre d’une seule séance individuelle), le critère d’efficacité retenu (dans l’une le critère est le degré de douleur, dans l’autre le niveau de stress ou la gêne fonctionnelle) ou la technique à laquelle l’hypnose est comparée

(dans une étude l’on compare hypnose et médicament, dans l’autre hypnose et un autre modèle de psychothérapie) ou encore l’indication précise diffère, ces éléments rendant toute analyse globale impossible, et rendant décevantes ces études qui, malgré l’impact clair de l’hypnose, ne permettent pas toujours aux chercheurs de conclure de façon définitive… Si par exemple (et c’est le cas) la majorité des études sur l’hypnose et le tabac est plutôt favorable à l’hypnose, mais que ces études sont trop différentes pour être comparées, ont des faiblesses méthodologiques ou d’autres défauts : on a, comme on dit, « de bonnes raisons de penser » que cela fonctionne (la clinique quotidienne nous l’indique clairement), mais la conclusion de l’efficacité ne peut être affirmée de façon ferme selon les critères stricts des recherches modernes. Alors on pourrait faire des études plus grandes et comparables… cela simplifierait les choses ? Il y a d’autres complications… D’autres limites méthodologiques entrent en jeu, qui sont d’ailleurs communes à l’évaluation de toute « psychothérapie complexe », ces thérapies qu’on ne peut (même si cette idée gêne certains chercheurs) évaluer comme on évalue d’autres soins ou comme des médicaments… Qu’est-ce qui les différencie ? En apprenant à déchiffrer les études cliniques, l’étudiant en médecine découvre souvent que le modèle érigé comme parfait ou presque pour affirmer l’efficacité d’un médicament est celui dit de « l’étude clinique de phase 3 ». De quoi s’agit-il ? Il s’agit entre autres de tenter de diminuer « l’effet placebo » pour connaître l’efficacité de la molécule elle-même. L’effet placebo fait

que l’efficacité de tout traitement est modifiée par les conditions de son administration. Un thérapeute empathique, chaleureux, ouvert, qui croit dans l’efficacité de son traitement ; un patient avec de fortes attentes et de forts espoirs, une certaine disposition psychologique ; un traitement avec une présentation particulière ; bref, tous ces facteurs et d’autres contribuent à augmenter l’effet du traitement. Ces facteurs ne doivent pas (ou le moins possible) parasiter l’étude, dont le seul but est de connaître l’efficacité de la « part chimiquement active » du médicament. Il s’agit aussi d’éliminer un effet qui serait simplement dû au hasard. Il est donc recommandé de : — « Contrôler » : si on donne un traitement contre la grippe à un groupe de patients et qu’ils guérissent en huit jours, cela ne veut pas dire que le traitement est efficace, mais juste que toute grippe passe en quelques jours. Il faut donc comparer à un groupe dit « groupe contrôle ». Pour contrôler : on divise le nombre de patients par exemple en deux groupes. La moitié des patients (le groupe « expérimental ») prendra le nouveau traitement et l’autre (le « groupe contrôle ») un placebo (ou le traitement de référence habituel) pour pouvoir savoir si notre nouveau traitement est plus efficace que son absence. — « Randomiser » : le groupe contrôle doit être identique au groupe expérimental. Car il faut être sûr qu’ils auraient évolué de la même façon sans le traitement, pour s’assurer que le traitement modifie leur devenir. Pour cela, les patients ne choisissent pas leur groupe, ils sont attribués au hasard à l’un ou l’autre groupe. — Travailler en « double aveugle » : l’idéal, pour ne pas modifier espoirs et attentes des uns et des autres, est que le patient ne sache pas s’il prend un traitement actif ou un placebo et que le médecin ne sache pas non plus la nature du traitement distribué pour ne pas communiquer, verbalement ou non, ses propres espoirs. Ils sont tous les deux « aveugles » des conditions de leur expérience : les

traitements sont identiques (couleur, forme, etc.), distribués dans des conditionnements anonymisés. La ou les personnes attribuant les numéros ne rencontrent jamais les patients, et ne sont pas les mêmes que ceux qui distribuent les comprimés. Ces critères (entre autres) sont ceux de ces études « bien faites », ces dispositifs absolument remarquables, élaborés au fil du temps et globalement fiables s’ils sont bien réalisés pour que nous connaissions l’efficacité des traitements. C’est pour que les études « disent la vérité » ? Ces études servent à démontrer qu’une molécule ou une technique fonctionne sur un symptôme dans l’absolu, mais elles ne décrivent pas pour autant la réalité de la pratique ! Les patients pouvant bénéficier de ces études sont consentants au dispositif, ils sont généralement sélectionnés selon des critères d’inclusion qui peuvent inclure par exemple de ne pas prendre les personnes « trop malades » avec des formes graves (car il ne serait pas éthique de les priver au hasard du traitement de référence pour leur donner un placebo), ni les patients « trop peu malades » (avec une forme trop légère, il serait plus compliqué de mettre en évidence une différence importante d’efficacité). Il faut également éviter les patients avec des formes atypiques du trouble, pour qu’ils puissent être comparables. Bref, les patients des études ne sont pas toujours représentatifs de nos « vrais patients ». Les patients trop âgés ne peuvent être pris en compte car ils ont souvent d’autres maladies associées qui pourraient modifier les résultats. Dans certaines études, les femmes ne sont pas incluses car les variations hormonales modifient les données ou bien pour éviter d’avoir à exclure la patiente de l’étude en cours de route du fait de la survenue d’une grossesse…

Bref, les patients des études ne sont pas toujours représentatifs de nos « vrais patients ». Une analyse récente a par exemple montré que les critères de recrutement des patients pour les études habituelles sur la dépression, ces mêmes études, qui mènent à l’agrément de médicaments sur le marché, auraient exclu… 82 % des patients souffrant de dépression18 ! Ces critères sont heureusement de plus en plus pris en compte et la qualité des études s’améliore. À ces problèmes généraux sur les études s’ajoutent les problèmes spécifiques à la psychothérapie… Oui. Le sujet de l’évaluation des psychothérapies est un sujet très vaste et controversé. N’entrons pas dans les détails qui seraient trop longs et complexes19. Posons juste quelques questions. La démarche des études consistant à vouloir s’extraire du contexte pour n’observer que l’intervention « nue », sans son aspect influencé par la relation a-telle un sens dans la thérapie, qui est par essence une intervention par la relation ? Le contexte justement, et son changement sont souvent à l’origine du changement en thérapie (la réalité ne peut parfois pas changer mais on peut changer la façon de la regarder et de la contextualiser). Par ailleurs il y a une différence essentielle entre la thérapie et les autres traitements : un médicament ou une procédure chirurgicale apporte de l’extérieur du patient une solution. En thérapie, il s’agit de créer un cadre qui permette au patient, de l’intérieur, de changer quelque chose, de trouver en lui-même, à partir de lui-même (même s’il est guidé par un thérapeute) d’autres possibilités.

En somme la thérapie peut moins facilement se prescrire. La motivation du patient, la relation qui s’engage sont des facteurs qu’on ne peut balayer puisqu’ils sont, eux-mêmes, le traitement. Si nous supposons que la part spécifique des thérapies est l’équivalent de la part active des traitements chimiques et que la part relationnelle est le placebo, alors, en utilisant une méthodologie qui vise à retirer au maximum cet aspect placebo et relationnel pour se concentrer sur la part spécifique, nous négligeons ce qui fait « 85 % » de l’efficacité selon les chercheurs qui se sont intéressés à l’« effet dodo ». Dans tous les cas, nous dénaturons le traitement lui-même, ou du moins nous négligeons les intrications très complexes entre les facteurs spécifiques ou non qui s’entremêlent ! Les thérapies sont une forme de « placebo structuré »20 qui tente d’améliorer volontairement, d’optimiser avec méthode, l’action de la relation et de la communication sur la souffrance. Donc évidemment, concernant l’hypnose : le double aveugle est impossible, l’hypnose n’est pas un cachet rond et blanc qu’on pourrait confondre avec un autre : le patient, parce qu’on en parle de plus en plus, se rend bien compte ou devine que c’est une séance d’hypnose qu’il a reçue. Quant au thérapeute il ne peut bien sûr être aveugle de ce qu’il fait lui-même ! On peut restreindre le problème en faisant évaluer le patient par quelqu’un qui ne sait pas quel traitement a été reçu, mais ça n’est pas tout à fait équivalent. Il n’y a pas de placebo d’hypnose. La randomisation, alors qu’elle permet la comparaison des groupes, fausse ici complètement la donne. Quand un patient sait qu’il aura « soit de l’hypnose soit une thérapie x », s’il avait un peu peur de l’hypnose et se retrouvait dans ce groupe, il pourrait y résister ; s’il souhaitait au contraire avoir la possibilité de se soigner par l’hypnose et se retrouvait dans le groupe contrôle, il perdrait sa motivation.

Et contrairement à une action chimique pure qui peut avoir lieu quand même, quel que soit l’état d’esprit du patient, en revanche dans certaines affections (comme l’addiction au tabac), sans motivation aucun traitement n’est efficace. Dans la vraie vie, l’hypnose est rarement prescrite. Les patients se font parfois à l’avance une idée du genre de thérapie qu’ils souhaitent. Et la préférence du patient pour un type de thérapie est un critère fondamental, contrairement à l’action d’un médicament pour lequel il est rare que le patient ait une idée du principe chimique à l’œuvre. Les critères qui font qu’un patient s’oriente, plus ou moins pertinemment, vers une thérapie ou une autre ; la typologie de patient, pour un même problème, qui serait le plus « à risque de succès » pour l’hypnose, est un abord qui n’est, à ma connaissance, jamais évalué ! La méthodologie médicale standard de l’évaluation des traitements, que l’on appelle parfois « evidence-based medicine » (médecine fondée sur des preuves), si elle est un progrès indéniable, un facteur de qualité de la recherche, peut parfois, pour les phénomènes complexes, éloigner trop drastiquement de la pratique. Il arrive que la recherche se rapproche plus de la pratique ? On en a quelques aperçus. Par exemple quand les critères d’évaluation de l’efficacité ne sont pas quantitatifs (des évaluations chiffrées, des échelles…) mais qualitatifs (on demande par exemple aux patients de décrire les apports de l’hypnose dans leur situation), on se rend compte de façon plus subtile que les patients apprécient la qualité de la relation (plus sécurisante) et de la communication, l’approche globale qui inclut l’aspect corporel, le fait d’avoir un rôle actif, un sentiment de contrôle sur leur peur, une capacité à changer de point de vue et à découvrir leurs ressources, de rendre des expériences difficiles plus positives…

De même, toutes les études qui s’éloignent un peu de la méthodologie stricte et se rapprochent plus des conditions de réalité voient l’efficacité de l’hypnose augmenter. Ces critères sont complexes et la difficulté à les quantifier ne permet pas de retenir ces études comme des preuves absolues ! De même, toutes les études qui s’éloignent un peu de la méthodologie stricte et se rapprochent plus des conditions de réalité voient l’efficacité de l’hypnose augmenter. Je reprends l’exemple du tabac. Il est traditionnel de dire que les études sur le sujet, même si elles sont assez positives, sont trop peu nombreuses et pas assez comparables pour pouvoir affirmer l’efficacité de l’hypnose… Mais à y regarder de plus près, il se passe un drôle de phénomène, à ma connaissance unique en médecine : une disparité de résultats absolument invraisemblable. Dans toutes les études, sur tous les traitements, pour toutes les pathologies, les résultats ne sont évidemment jamais identiques d’une étude à l’autre, mais ils sont dans une certaine « fourchette » Mais l’efficacité de l’hypnose sur l’arrêt du tabagisme varie de 4 à 88 % d’efficacité ! Nous pourrions gloser à l’infini sur cet étonnant constat21, mais retenons quelques points relativement clairs. La majorité des études est plutôt favorable à l’hypnose, la reconnaissant comme au moins aussi efficace, voire nettement plus, que les méthodes habituelles ou qu’une absence d’intervention. Cependant les mêmes problèmes méthodologiques apparaissent dans toute leur acuité. La très sérieuse et indépendante revue Cochrane par exemple, quand elle analyse avec des critères très précis cette littérature, n’arrive à retenir que 11 études (sur plusieurs dizaines), dont 9 ont plus de 30 ans. Leurs méthodologies sont

incomparables et pas toujours aussi précises que pour les critères actuels, rendant toute métaanalyse globale impossible. Et, bien que la majorité de ces études soit favorable à l’hypnose, les auteurs ne peuvent conclure… Si l’on regarde les études qui n’ont pas été retenues par cette revue, certaines suivaient les patients moins de temps, d’autres n’étaient pas randomisées ou pas contrôlées. Si ces études s’éloignaient des méthodologies standard utilisées pour les médicaments, elles se rapprochaient en revanche plus des conditions de la pratique et, sans surprise, la majorité d’entre elles était favorable à l’hypnose. L’exploration de l’hypnose nous montre qu’elle est un phénomène complexe. Les insuffisances de ces études ne doivent pas décourager de mener des recherches, bien au contraire, beaucoup reste à faire. Mais il faut arriver à faire évoluer les méthodologies de la recherche pour que celles-ci soient adaptées à la complexité de leur objet, aux nombreux paramètres qui jouent dans un soin par l’hypnose, infiniment plus complexe et relationnel qu’une prescription médicamenteuse… On peut supposer qu’une recherche incluant l’hypnose mais étudiant un phénomène simple ou avec peu de critères (comme la pression artérielle) ou une perception aiguë (comme une douleur procédurale) pourrait quelque peu imiter les études habituelles. Car, dans ces caslà, l’hypnose est proposée pour faire advenir une capacité ordinairement inhabituelle. Mais dès que le phénomène devient relationnel, chronique, multidimensionnel, dès que la solution doit clairement venir du patient comme dans les problématiques psychiques, comportementales, émotionnelles (l’hypnose ne faisant qu’installer le cadre qui rend ce mouvement possible) alors la complexité de l’évaluation des thérapies se rappelle à nous.

Mais dès que le phénomène devient relationnel, chronique, multidimensionnel, dès que la solution doit clairement venir du patient comme dans les problématiques psychiques, comportementales, émotionnelles (l’hypnose ne faisant qu’installer le cadre qui rend ce mouvement possible) alors la complexité de l’évaluation des thérapies se rappelle à nous. Dans le cas du tabac, comment ne pas penser que certains chercheurs auraient pu vouloir simplifier le comportement tabagique à une addiction à la nicotine facilement mesurable par un comportement (fumer ou non), alors que le tabagisme met en jeu le rapport au corps, les liens sociaux, l’image de soi, le stress et l’anxiété, le rapport au temps… Ce cas où le changement ne peut venir que du patient, et l’hypnose lui rend le changement possible, est un cadre de thérapie qui n’est pas forcément compatible et réaliste avec une évaluation de type « evidence-based ». Et puis le thérapeute n’est pas une molécule… c’est la relation qui est soignante… Doit-on aussi tenir compte de lui ? L’utilisation de l’hypnose amène un plus grand confort au praticien qui propose une véritable alternative au patient. Les exemples sont infinis : l’urgentiste qui n’a plus à maintenir physiquement un enfant pour lui faire ses points de suture et travaille dans le calme, le dentiste qui sent son patient en train de rêver sur le fauteuil plutôt que subir douloureusement les soins, le cancérologue qui « perd » quelques minutes à induire l’hypnose avant sa ponction et gagne du temps en pratiquant en compagnie d’un patient plus détendu, le médecin proposant autre chose que des médicaments pour la douleur chronique ou la souffrance psychique… De nombreux praticiens reconnaissent une amélioration dans la pratique, une plus grande facilité à communiquer, une aisance… et le confort est

« contagieux » quand les patients sentent le praticien plus à l’aise et mieux en lien. Ce genre de facteurs interactionnels sont complexes, et durs à évaluer, mais peuvent être déterminants. Bref, bien qu’empiriquement efficace, il ne faut pas économiser l’effort pour le démontrer de façon toujours plus claire et scientifique, continuer à chercher des méthodologies complexes et adaptées, comme (et peut-être encore plus que) pour toute thérapie ou phénomène relationnel… Contre-indications, nuances et complexité Certaines indications sont prouvées, d’autres probables… Y a-til des domaines où elle n’est pas indiquée ou même contreindiquée ? On pourrait dire quelques généralités : L’hypnose thérapeutique n’est pas indiquée quand il n’y a pas besoin de thérapie. Elle n’est pas indiquée quand la personne n’a pas de demande, on ne peut faire de l’hypnose contre le gré d’un sujet, tant pour des raisons techniques qu’éthiques. Il ne faut pas non plus prétendre soigner des affections non accessibles à la thérapie. L’hypnose ne guérit pas le cancer ou le diabète. Il ne faut pas non plus prétendre soigner des affections non accessibles à la thérapie. L’hypnose ne guérit pas le cancer ou le diabète. S’il est possible d’accompagner en complément, psychiquement, corporellement un patient au travers d’un processus pathologique, douloureux, anxieux ou existentiel, en revanche toute maladie grave et curable doit toujours faire prioriser le traitement médical. De façon générale, il faut éviter l’hypnose dans un contexte où la pratique pourrait mettre le patient en danger (s’il en venait à négliger un traitement indispensable par exemple).

Il n’est pas indiqué non plus de pratiquer l’hypnose thérapeutique « pour s’amuser ». Si la pratique de l’hypnose peut être agréable et souriante, en tant que soin elle n’est pas un jeu. De même qu’il n’y a pas lieu d’aller voir un médecin pour « voir ce que ça fait » de prendre tel traitement ou de subir tel examen. L’hypnose a un potentiel de changement, peut surprendre, remuer psychiquement même, ce qui nécessite la prudence, et de ne pas se « jeter dans les bras22 » du premier venu, juste pour rire… Sur le plan pathologique, la plupart des praticiens s’accordent à dire qu’une contre-indication de l’hypnose serait l’existence d’un phénomène psychotique décompensé. En d’autres termes, un épisode schizophrénique aigu, une bouffée délirante, une phase maniaque ou mélancolique, une psychose puerpérale, etc. dans leur phase aiguë. Sur le plan pathologique, la plupart des praticiens s’accordent à dire qu’une contre-indication de l’hypnose serait l’existence d’un phénomène psychotique décompensé. En d’autres termes, un épisode schizophrénique aigu, une bouffée délirante, une phase maniaque ou mélancolique, une psychose puerpérale, etc. dans leur phase aiguë. En revanche, l’hypnose n’est pas exclue, y compris dans ces maladies si elles sont traitées et équilibrées et que le praticien connaît ces pathologies…

C’est bien compliqué tout cela ! Oui ! Et c’est pour cela qu’il faut être prudent. Ce n’est pas la simple connaissance de l’hypnose qui permet de la pratiquer de façon thérapeutique, c’est la connaissance du domaine de son application ! De nombreux soignants me demandent pendant les formations s’ils peuvent utiliser l’hypnose sur des populations plus atypiques (personnes démentes, autistes, déficientes, surdouées…) ou bien dans des contextes moins fréquents (orthophonie, radiologie interventionnelle…). Ma réponse est toujours oui ; et plus précisément que l’hypnose, en tant qu’outil aidant le patient, peut être appliquée par un soignant… qui connaît le patient (et donc sa maladie éventuelle) ! Pas d’hypnose sur les enfants si on n’a pas de connaissances sur les soins aux enfants, par exemple… Je connais peut-être les techniques dont se servent les anesthésistes mais je n’irai pas au bloc opératoire pour pratiquer l’hypno-sédation. Je connais la psychiatrie, je me permets donc d’appliquer l’hypnose aux domaines de la souffrance psychique. À chaque praticien donc d’être au clair avec ses compétences et son domaine de pratique. La principale non-indication de l’hypnose est la méconnaissance du domaine dans lequel on l’applique… L’utilité de l’hypnose dépend donc aussi d’avec qui on la pratique… La principale non-indication de l’hypnose est la méconnaissance du domaine dans lequel on l’applique… 6 Peut-on jouer avec l’hypnose ? Hypnose et métiers Qui a le droit de pratiquer l’hypnose ?

Cette question soulève beaucoup d’ambiguïtés. D’une part nous pourrions dire que « les états naturels d’hypnose » que nous avons évoqués en début d’ouvrage sont possibles pour tous donc on ne peut évidemment en dénier le droit à qui que ce soit ! À cela s’ajoute l’idée que l’hypnose n’est pas produite par le praticien, celui-ci ne pouvant que fournir le cadre qui va aider la personne à entrer dans son hypnose. De prime abord il paraît donc difficile de parler de « droit à l’hypnose » du moins du côté de l’hypnotisé ! Et du côté du praticien ? Là c’est un peu différent, puisqu’on admet que l’hypnose est le fait de reproduire volontairement (parfois de façon plus stable, profonde, stratégique, et grâce à un praticien, sauf dans le cas d’autohypnose) un état naturel de transe pour accéder aux possibilités qu’il permet. La question du rôle et de la responsabilité de celui qui provoque ce phénomène pose donc évidemment question. Dans certains pays, la loi a restreint les usages de l’hypnose (comme en Belgique, Grande-Bretagne, Suède, Israël…), en ne permettant parfois de ne pratiquer l’hypnose (sur d’autres) qu’aux soignants, voire qu’à certains types de soignants (par exemple seulement les médecins et psychologues dans certains pays). Et en France ? Le terme « hypnose » n’est pas protégé par la loi. Tout le monde (et parfois n’importe qui) pourrait s’arroger un « titre » d’hypno (-tiseur/tiste/-thérapeute/praticien/-logue…). Et c’est bien ce qui inquiète parfois. Comment savoir sur qui l’on va « tomber » quand quelqu’un dit pratiquer l’hypnose ? Vous parlez de pratique de l’hypnose, mais y a-t-il des « métiers de l’hypnose » ?

La pratique de l’hypnose peut s’inclure dans un métier mais n’en est pas un à part entière. Quitte à surprendre je dirais que non. L’hypnose n’est pas un métier. Elle est tantôt vue comme une technique, un état, une forme de relation, une pratique, mais pas un métier. La pratique de l’hypnose peut s’inclure dans un métier mais n’en est pas un à part entière. Je ne suis pas « hypnothérapeute », je suis un médecin qui pratique (entre autres) l’hypnose. Je forme des médecins, des psychologues, des infirmières, des kinés, etc. à la pratique de l’hypnose. Si des personnes non-soignantes la pratiquent à des fins d’aide (ce qui est le cas de facto), alors il s’agit de définir ce/ces métier(s) (thérapeute ? accompagnant ? aidant ? coach ? marabout ? autre ?), qui serait un autre « métier qui utilise entre autres l’outil hypnotique ». Hypnose et spectacle Et pour l’hypnose de spectacle ? Là aussi « l’hypnotiseur » de spectacle a pour métier… le spectacle ! Par exemple, le plus célèbre des hypnotiseurs de spectacle actuel (celui qui a pris comme pseudonyme un nom proche d’un personnage de l’histoire de l’hypnose…) ne m’impressionne pas tant par ses capacités hypnotiques que par sa capacité à mener un show de bout en bout. Les techniques sont, en réalité, assez simples. Mais son véritable talent ne réside pas dans ce qu’il « fait » ou « fait faire »1 mais bien dans sa capacité à mener un spectacle pendant deux heures et de tenir un large public en haleine. Le showman conditionne très progressivement, par toute une série d’artifices,

assez simples à déchiffrer au final, le public qui joue le jeu de plus en plus et « sait » quel est le comportement qu’il devra produire… Rappelons que l’hypnose est avant tout un révélateur de contexte, si les personnes produisent ces comportements, c’est notamment par ce conditionnement progressif, du fait de l’ambiance générale, et parce que l’hypnose fait, ici, ressortir cette capacité, plus ou moins consciente, à « faire l’idiot », se donner en spectacle, compétence plus ou moins enfouie en chacun de nous depuis l’enfance… Après quelques « tests », l’hypnotiseur sélectionne généralement un certain nombre de personnes dites « réceptives ». Sur scène, il fait alors à chacun une suggestion très directe et ne garde que ceux qui y répondent. L’argument semble simple : « Si ça n’a pas marché sur vous c’est que vous n’êtes pas assez hypnotisables pour les besoins du spectacle. Avec vous, cela demanderait trop de temps. » Bien entendu l’argument est un peu spécieux. Tout le monde est « hypnotisable » puisque la capacité d’entrer en hypnose est en chaque esprit humain, de façon physiologique. Cependant tout le monde n’a pas la même façon de faire et un thérapeute, par exemple, se doit de s’adapter. Ce que teste l’hypnotiseur de spectacle, ce n’est pas la capacité à entrer en transe, la prétendue « hypnotisabilité », mais la capacité à répondre, de cette façon et dans ce contexte, à ses suggestions directes et autoritaires. Ce sont presque des tests d’obéissance. En réalité, certains sujets « non retenus » entreraient peut-être très bien en transe, seraient même « très hypnotisables », mais pas avec des phénomènes de ce genre… À partir de là, beaucoup devient possible car la « pression sociale » (par le public qui observe, a fortiori si, comme à la télévision, il est perçu comme très nombreux par les autres personnes sur scène qui produisent des phénomènes…) est un facteur de production de comportements. Chacun connaît les effets des mouvements de foule, de l’entraînement collectif de groupe, ou, dans un contexte plus dramatique, les implications des expériences de Milgram2, ou les conclusions de la psychologie sociale sur la

« soumission librement consentie3 ». L’hypnose de spectacle repose même essentiellement sur ces spirales d’engagement, sur une communication autoritaire bien rodée, bien plus que sur une hypnose avec des suggestions simplistes et directives (même si c’est ce que l’on remarque le plus en apparence). De fait, l’hypnose de spectacle repose même essentiellement sur ces spirales d’engagement, sur une communication autoritaire bien rodée, bien plus que sur une hypnose avec des suggestions simplistes et directives (même si c’est ce que l’on remarque le plus en apparence). Les phénomènes hypnotiques présentés sur scène sont généralement assez simples à obtenir et tout un chacun pourrait apprendre à les « imiter » en quelques heures4. Mais on peut aussi faire l’hypothèse (étayée par l’observation, tant la mienne que celle d’un certain nombre de confrères connaissant bien l’hypnose) que certains sujets ne sont pas en état de transe sur scène mais suivent le mouvement de groupe, s’y laissent entraîner de façon ludique, dans une désinhibition collective et une ambiance potache qu’ils prennent pour de l’hypnose. Il n’y a jamais eu besoin d’hypnose pour que, sous l’effet d’un mouvement collectif, on fasse des choses inattendues. Mais dans le concret, souvent, dans le domaine du spectacle, il y a finalement peu d’hypnose et beaucoup de jeu de rôle. Et finalement, on pourrait imaginer, pourquoi pas, un spectacle de qualité, avec une certaine forme d’éthique et de véritables « tours d’hypnose », au sens de la magie/prestidigitation, que je considère comme un art très noble. Mais dans le concret, souvent, dans le domaine du spectacle, il y a finalement peu d’hypnose et beaucoup de jeu de rôle. Les spectacles se sont démultipliés, et le niveau tant sur le plan hypnose que sur la

valeur des spectacles me semble souvent décevant. La créativité et la qualité ne sont pas au rendez-vous, quand ce n’est pas carrément des numéros répétitifs ou de mauvais goût. Nous avons déjà évoqué les dangers potentiels de cette pratique. Audelà des dangers physiques (dus au risque de chute, les hypnotiseurs ayant semble-t-il un certain goût pour faire tomber les gens – et les rattraper dans leurs bras si possible –, ou dus au risque sérieux pour le dos quand ils mettent les personnes « entre deux tables »), rappelons qu’effectivement, dans beaucoup de cas tout se passe plutôt bien, le spectacle peut être parfois drôle, souvent inoffensif, et qu’il existe quelques professionnels un peu plus sérieux. Certaines personnes ont eu des conséquences négatives de l’hypnose de spectacle (du moins telle qu’elle est un peu trop souvent pratiquée) et nombre de thérapeutes pourraient en témoigner. Mais des personnes fragiles ou fragilisées par certaines circonstances de vie peuvent être vivement perturbées (parfois inconsciemment) par la forme de la mise en scène qui reprend la forme d’une relation de domination. Les effets douloureux seront souvent retardés, parfois de plusieurs jours ou semaines, ce qui contribue à laisser penser cette pratique comme totalement inoffensive (puisqu’ils vont bien juste après le spectacle). Certaines personnes ont eu des conséquences négatives de l’hypnose de spectacle (du moins telle qu’elle est un peu trop souvent pratiquée) et nombre de thérapeutes pourraient en témoigner. Le plus inquiétant dans cette affaire est qu’il arrive que certaines des personnes parmi les plus réceptives aux suggestions et à la dissociation soient justement des personnes qui ont vécu des événements « dissociants » (comme des traumatismes, des violences, des manipulations) ou aient connu, consciemment ou non, des fragilités relationnelles. La

mise en scène peut entraîner une sidération qui empêche de réagir ou d’avoir un regard critique. Certaines de ces personnes seront alors des « excellents sujets », suivant sans problème en apparence tout ce qui leur est demandé, mais en paieront possiblement le prix à retardement. Pas besoin de chercher loin pour trouver des témoignages, car les spectacles se démultiplient et la qualité des praticiens de spectacle est souvent assez mauvaise, ils sont peu formés, et mènent ces numéros stéréotypés d’hypnose sans tenir compte de ce qui peut se jouer pour les sujets, sans réellement terminer les transes à la fin (erreur de débutant mais fréquente dans les spectacles, ce qui peut être assez désagréable), et en favorisant souvent les effets d’apparente domination, les humiliations ou les rires aux dépens des sujets. Avec la popularisation de l’hypnose, les personnes savent souvent à quoi elles s’exposent : un hypnotiseur qui se joue d’eux pour amuser la galerie. Ce à quoi on ne peut bien évidemment pas les en empêcher s’ils y consentent… À l’inverse, certains n’ayant pas répondu aux « tests » s’imaginent ne pas être sensibles à l’hypnose et se découragent de se soigner, ce qui est bien dommage puisque, comme on l’a vu, tout le monde peut travailler en hypnothérapie. Et en plus de ces cas, rares mais bien gênants, l’hypnose de spectacle est, pour d’autres raisons, l’ennemie du soin ? Pour des raisons un peu sociales, ou des raisons d’image, ce sont des « sœurs ennemies ». L’hypnose est une discipline qui a toujours cherché, au travers des hommes qui l’ont fait évoluer, à soigner et à rendre la démarche de plus en plus pragmatique ou scientifique, en tentant de s’opposer à la pratique simplifiée ou purement ludique.

Historiquement, l’hypnose de soin a toujours eu des liens avec le spectacle ou la mystique. Mesmer élabore une théorie scientifique et une pratique de soin à partir d’observations d’exorcisme ; Braid crée le vocable hypnotisme et en fait un protocole médical alors qu’il a appris à la suite d’une démonstration de foire… L’hypnose de soin tente sans cesse de se détacher de la pratique du spectacle, et cela lui est bien difficile ! L’hypnose est une discipline qui a toujours cherché, au travers des hommes qui l’ont fait évoluer, à soigner et à rendre la démarche de plus en plus pragmatique ou scientifique, en tentant de s’opposer à la pratique simplifiée ou purement ludique. Les soignants, les médecins, ont été les principaux artisans de l’évolution de l’hypnose et ont eu pour cela à s’opposer à la pratique de spectacle. Mais cette opposition est toujours complexe car il n’est pas facile de se détacher d’un élément qui fait partie de son berceau… Bien sûr, le soignant que je suis ne peut qu’être gêné de l’image que cette pratique (telle qu’on la constate en ce moment) renvoie. Certes il s’agit de spectacle et pas de soins… mais il s’agit d’hypnose alors la confusion est rapidement opérée. Les personnes ont l’impression en regardant (car tout est fait pour), que l’hypnose est une pratique plus puissante si elle est plus spectaculaire, qui repose sur le pouvoir et le charisme de l’hypnotiseur, qui impose sa volonté et manipule les pensées et les comportements du sujet… Comment voudrait-on se soigner ainsi ? Beaucoup se disent aussi « ce n’est pas possible, c’est truqué », ce qui donne une image d’artifice et de doute. Les thérapeutes voudraient faire passer les idées inverses sur leur pratique : l’hypnose est produite par le sujet et le thérapeute ne fait que la faciliter ; si le thérapeute est un aide, c’est bien le patient qui trouve l’occasion de travailler et de changer ; le thérapeute n’est pas là pour imposer mais pour permettre ; la suggestion est en fait une proposition dont le patient peut se saisir ou pas ; la pratique

thérapeutique est plus puissante et complexe et produit des effets bien réels même si elle est moins (télé)visuelle5… Cependant, d’une certaine façon, les phénomènes s’alimentent l’un l’autre : plus l’hypnose soignante est reconnue et fréquente et plus l’hypnose de spectacle est populaire (c’était déjà le cas il y a un siècle6 !) et, en miroir, il faut le reconnaître, la popularisation de cette hypnose de spectacle entraîne aussi l’intérêt des patients pour comprendre7, l’impression qu’elle peut produire des effets étonnants, l’envie de demander cette aide et la demande de soignants pour apprendre à l’intégrer éthiquement dans leur pratique… En miroir, il faut le reconnaître, la popularisation de cette hypnose de spectacle entraîne aussi l’intérêt des patients pour comprendre, l’impression qu’elle peut produire des effets étonnants, l’envie de demander cette aide et la demande de soignants pour apprendre à l’intégrer éthiquement dans leur pratique… Mais ce qui nous semble le plus gênant est le mélange des genres, les ambiguïtés des showmen qui reçoivent des personnes en thérapie, les thérapeutes qui utilisent le spectacle pour leur pratique, voire (ça s’est vu) qui vendent des places à leurs patients pour aller voir leur représentation… Hypnose et rue Que penser d’une autre forme « ludique » comme la pratique dite « de rue » ou « de trottoir » ? Quelques hypnotiseurs décidèrent un jour, outre-Atlantique, de pratiquer dans la rue, de proposer la pratique de l’hypnose de façon rapide à des inconnus. Ce « mouvement » (au départ anecdotique et presque « punk » dans l’idée) a pris une ampleur sans précédent, et en France un aspect commercial, qui fait que la pratique de rue a de nombreux émules. Plusieurs milliers de personnes sont passées dans notre pays par

une formation à l’hypnose de rue et quelques uns pratiquent régulièrement sur les trottoirs et les places de villes françaises. Cette pratique se présente avec un discours officiel de partage de plaisir et de démocratisation. L’hypnose y est vue, par les hypnotiseurs de rue, d’une part comme un simple phénomène agréable que l’on souhaite pouvoir faire partager au plus grand nombre, juste pour le plaisir ; et, d’autre part, comme une sorte de revendication de pouvoir faire vivre et faire pratiquer l’hypnose en masse, et ne pas réserver l’hypnose à une sorte d’élite (par exemple médicale) qui voudrait se l’approprier. Voilà pour le discours officiel… et si l’on va un peu plus loin ? Il y a, sur le premier aspect (simple partage de plaisir, petits jeux d’imagination, expériences), de facto, une sorte de tromperie quand on observe la différence avec les faits (puisqu’en réalité les séances sont souvent d’apparence dominante, autoritaire, privatives) ; et sur le second aspect (démocratisation de l’hypnose), une sorte de discours quasi politique (que dans ce champ on qualifierait stricto sensu de populiste, puisque prétendant défendre les intérêts du peuple contre une forme d’ élite) visant en quelque sorte, facilement et en s’amusant, à « rendre le pouvoir de l’hypnose au peuple » qui en aurait été privé. Bien sûr, on peut s’interroger : véritable revendication, pratique amusante ou argument commercial pour attirer ? Les formations en hypnose de rue, l’idée de l’hypnose pour tous représentent un véritable business pour leurs promoteurs. Les soignants s’en méfient : craignant souvent que des pratiques, potentiellement soignantes dans d’autres situations, soient pratiquées dans un contexte peu sécurisé ou par des personnes qui n’en ont pas la compétence. Cette inquiétude des soignants les amène encore plus facilement à être assimilés à des censeurs élitistes.

Mais plutôt que de défendre ou de cliver, observons. Un œil un peu critique est nécessaire pour savoir à quoi nous avons affaire. Si vous observez les prestations de ces hypnotiseurs ou si vous lisez leurs livres, vous vous apercevrez que la pratique dans la rue emprunte tous les codes de l’hypnose de spectacle8. Même derrière le discours officiel, il ressort très clairement que les routines9, les séquences d’hypnose de rue, sont quasi toujours fondées sur des suggestions relativement directes, dans un dispositif relationnel où l’hypnotiseur est clairement en position haute et amène le sujet à obtenir les phénomènes qu’il (l’hypnotiseur) a choisis. Les phénomènes hypnotiques obtenus dans la rue sont généralement stéréotypés, standardisés, répétitifs et donc peu, voire aucunement, adaptés au sujet. Autant qu’on puisse en juger (témoignages, contenus des formations, nombreuses vidéos sur Internet…), les phénomènes hypnotiques obtenus dans la rue sont généralement stéréotypés, standardisés, répétitifs et donc peu, voire aucunement, adaptés au sujet. Par ailleurs, les phénomènes privilégiés pour impressionner les passants et internautes sont souvent des phénomènes privatifs : on fait en sorte que le sujet ressente une incapacité à bouger un membre, à se souvenir de son nom ou à percevoir (ou non) une sensation. Alors qu’il est officiellement question de faire du bien gratuitement aux personnes, de partager un moment d’amusement et de découverte ; ce qui est réellement mis en avant dès qu’on regarde la scène avec un peu de recul, c’est souvent l’ego de l’hypnotiseur qui arrive à obtenir ce qu’il veut du sujet, avec parfois un ascendant, une assurance, un rayonnement pour susciter l’admiration et à le montrer si possible sur Internet. Si vous observez les prestations de ces hypnotiseurs ou si vous lisez leurs livres, vous vous apercevrez que la pratique dans la rue emprunte tous les codes de l’hypnose de spectacle. Donc ce sont des phénomènes spectaculaires qui rejouent la caricature habituelle de l’hypnose et ses clichés ?

Ce qu’on apprend à un hypnotiseur de rue est la maîtrise rapide d’une technique (sans la comprendre) généralement d’induction rapide et d’obtention d’effets spectaculaires10. Dans la rue se rejouent effectivement des clichés. Certains évidents : l’hypnotiseur qui obtient en position haute des phénomènes involontaires et peu maîtrisés de ses sujets par exemple. Certains moins évidents mais pourtant réels si l’on sait observer. Un article11 récent montre un psychologue journaliste intégrant une formation d’hypnose de rue. Au-delà du fond de l’article, un détail retient mon attention : il remarque que l’immense majorité des stagiaires venus s’initier sont des hommes, sans que ce phénomène soit expliqué ou analysé, ni par les formateurs, ni par l’auteur de l’article. De mon côté, je ne peux que remarquer le contraste avec les formations dont j’ai l’habitude. La majorité des postes de professions soignantes étant occupés par des femmes, quand je forme des soignants, l’auditoire est plutôt féminin… Quand on se penche sur les vidéos de rue diffusées en ligne, on constate parallèlement que la majorité des sujets sur lesquels ces hypnotiseurs en herbe vont pratiquer sont… des femmes. Les vidéos sont frappantes quand on fait attention à cette dimension. Des femmes, plutôt jeunes, et des hommes qui leur donnent des suggestions directes, se comportent avec elles parfois de façon assez « tactile » en multipliant les légers contacts, qui les font quasiment tomber, souvent pour les rattraper dans leurs bras, et leur font faire des actes, disons non totalement volontaires, sous prétexte de partager un moment de plaisir. De fait, l’hypnose de spectacle ou de rue remet sans cesse sur le devant de la scène (si l’on peut dire) la question de la vulnérabilité de la personne hypnotisée, le risque d’emprise voire d’abus. C’est parce que, de facto, s’institue un rapport de domination, non véritablement négocié ou contractualisé ; cette pratique peut avoir l’apparence

d’une victoire de l’un qui prive l’autre de facultés, d’une intrusion tactile. Partant de la reproduction de ce cliché de domination, il n’y a rien de vraiment surprenant de retrouver le plus classique d’entre eux : celui du rapport homme-femme, des stéréotypes de genre, de ces implicites qui banalisent ou valorisent la relation homme-femme centrée sur la domination physique, l’emprise psychologique, la séduction, ou plus simplement la vision de l’homme comme actif et de la femme comme passive12… De fait, l’hypnose de spectacle ou de rue remet sans cesse sur le devant de la scène (si l’on peut dire) la question de la vulnérabilité de la personne hypnotisée, le risque d’emprise voire d’abus. D’accord, mais après tout dans l’hypnose de soin aussi on peut le craindre. Même si on diminue (imaginons…) un aspect potentiellement sexiste sur la forme, avec la féminisation des professions soignantes, le cliché de domination peut exister : la personne est affaiblie, malade, et dominée par le savoir du soignant qui l’a sous son emprise, non ?… La relation de soin comporte évidemment un risque du même genre… et c’est bien pour ça qu’elle est tellement encadrée. Une sorte de vulnérabilité est accordée par le patient, pour un temps donné et dans un contexte choisi, admise et pas niée par le praticien. La relation est bornée par un cadre légal et déontologique, voire contractuel, ce qui n’est absolument pas le cas dans une pratique « sauvage » de l’hypnose. Une pratique qui pense, à tort, que l’hypnose peut être juste ludique et totalement anodine sur des inconnus particulièrement réceptifs. Concrètement, les hypnotiseurs de rue maîtrisent-ils ce qu’ils font ? On peut supposer que non, dans la plupart des cas.

Leur maîtrise de l’hypnose est extrêmement superficielle. La plupart des formations à l’hypnose de rue ont lieu en quelques heures, deux jours, quatre dans le « meilleur » des cas. Comment prétendre maîtriser une technique relationnelle complexe en si peu de temps ? Il leur est appris des protocoles, tours de passe-passe pour obtenir en un minimum de temps un maximum d’effets. Comme certains de ces effets ne sont pas ceux produits quotidiennement dans une pratique soignante, on leur fait parfois croire qu’ils maîtrisent mieux l’hypnose que les thérapeutes. Même si l’hypnotiseur de rue passe du temps verbalement à dire au sujet que c’est son propre inconscient qui produit tout cela, on lui montre bien, non verbalement (voir une vidéo en coupant le son pour s’en convaincre), que c’est l’hypnotiseur qui lui fait faire… Alors que les thérapeutes définissent usuellement l’hypnose comme une sorte de recherche interne de solutions, elle est ici réduite à sa dimension de suggestibilité. Alors ces inductions « rapides » « ultrarapides » « flash éclair » modifient l’état de conscience par le biais du choc… comme un uppercut pourrait aussi le modifier… Même si l’hypnotiseur de rue passe du temps verbalement à dire au sujet que c’est son propre inconscient qui produit tout cela, on lui montre bien, non verbalement (voir une vidéo en coupant le son pour s’en convaincre), que c’est l’hypnotiseur qui lui fait faire… Mais on trouvera en hypnose de rue uniquement des jeunes gens en mal de domination ? Ce serait aux formateurs en hypnose de rue de le dire s’ils souhaitaient répondre honnêtement13. Pour autant que je puisse en juger, les motivations peuvent être multiples et complexes. Certains, de bonne foi, veulent s’amuser,

plus rares (ou moins visibles), ils vont valoriser une pratique douce… Mais, l’hypnose fascine, elle donne l’image d’un apprentissage possible de l’influence, elle attire aussi pour cela, consciemment ou non, et pour la perspective d’apprendre à obtenir ces phénomènes. La perspective d’amener du « bon temps aux autres » peut aussi rassurer les personnes timides. L’hypnose est aussi vendue dans les milieux de la rue (et des partisans de la pratique sauvage de l’hypnose en général) comme une possibilité de vaincre sa difficulté d’aborder les gens et d’entrer en relation (c’est une illusion bien sûr puisque ce ne sont pas des relations bilatérales, et surtout pas authentiques). On a pu voir, dans un reportage télévisé sur le sujet, un lycéen (était-il timide et réservé au départ ?) apprendre en imitant des vidéos et devenir une véritable « star » dans sa classe14, miadmiré mi-craint. C’est ainsi d’ailleurs qu’on vend aussi ces formations à des thérapeutes, des soignants, pour leur « apprendre à oser ». Il s’agit de les « déniaiser » en les poussant à hypnotiser n’importe qui dans la rue, se « lancer ». Un certain mélange des genres un peu gênant15. L’hypnose ludique devrait rester ludique et anodine. Bien sûr, on a toujours peur de dérives et d’abus… S’il y a une hypnose de rue bon enfant et de bonne foi, plus douce, plus rare aussi, elle pèche par excès d’enthousiasme, par négligence ou imprudence. Il y a aussi une hypnose de rue malsaine, hélas assez présente sur YouTube. Et tous les intermédiaires. S’ils ne sont pas systématiques, loin de là, des abus et des dérives existent, certains témoignages sont gênants. Par exemple ceux où l’on nous parle d’hypnotiseurs de rue qui, obtenant avec l’hypnose des réactions inattendues, des émotions

difficiles chez leur sujet, en profitent pour leur donner la carte de leur cabinet pour qu’ils viennent consulter chez eux, cette séance de rue ayant sûrement révélé, selon eux, un problème sous-jacent… Voire certains qui vont dans la rue ou les bars explicitement pour produire ces phénomènes pour faire de la pub à leur activité de thérapeute. Pour vendre des formations, on a pu voir certains proposer des formations y compris à des mineurs. N’y a-t-il pas de quoi s’inquiéter quand on sait la fragilité que peut représenter l’adolescence ? Et même si l’on admettait que certains adolescents sont assez matures pour avoir des notions d’hypnose, est-ce le cas de tous les autres qui seront hypnotisés sous un mode autoritaire ? Qui sait comment un adolescent un peu tourmenté pourrait réagir aux pratiques « privatives » (perte d’une fonction d’un membre, immobilisation ou chute, oubli d’un chiffre, d’un prénom…) ? Qui sait ce qu’un adolescent en difficulté pourrait faire d’une telle pratique, qui joue aussi parfois sur les émotions, comportements, pensées, si c’est sans aucun cadre ? Qui sait ce que les adolescents fascinés par les « challenges » parfois dangereux sur les réseaux sociaux pourraient vouloir faire des pratiques qui modifient l’état de conscience ? Mais on ne peut pas empêcher les gens d’apprendre l’hypnose… Non, on ne le peut pas. De toute façon les livres, les vidéos existent. Ce savoir n’est pas secret. Et il n’est pas souhaitable qu’il le soit, d’autant qu’interdire l’hypnose ne ferait qu’augmenter un parfum de transgression et de soufre qui rendrait les dérives encore plus gênantes car clandestines ! On n’interdit pas les « pratiques récréatives et potentiellement dangereuses », surtout quand elles sont naturelles. On les interdit parfois partiellement (par exemple aux mineurs ou sur eux) pour donner une barrière au moins symbolique16, qui rappelle indirectement qu’elles sont à manier avec une certaine précaution.

Il ne viendrait pas à l’idée de la plupart des parents d’initier leurs enfants à l’alcool pour qu’ils sachent ce que ça fait. Mais de les informer sur le fait, au moins, de ne pas consommer dans des circonstances dangereuses. Si possible de ne pas prendre un traitement donné par un ami, car on n’est pas certain de souffrir de la même chose que lui, mais plutôt de consulter quelqu’un qui s’y connaît en traitements, comme un médecin. De se protéger en matière de sexualité. De ne pas utiliser d’objet dangereux dans des circonstances instables, de ne pas rentrer avec quelqu’un qui a bu… Oui, dans la plupart des cas il n’y aura pas d’accidents, dans beaucoup de cas on fait confiance au conducteur ou à notre bon sens, dans la plupart des cas même, on s’amuse même si on s’expose… mais on prend des risques. Et les éléments totalement interdits (par exemple l’héroïne, dont seul l’usage médical sous forme de morphine est possible et encadré, la prise d’alcool en conduisant et autres) ont une dangerosité directe et bien plus importante que l’hypnose en général. À cela s’ajoute une difficulté matérielle : il n’y a pas d’« objet » dans l’hypnose (contrairement à une arme, une drogue…), il s’agit de deux personnes qui se parlent, difficile d’y mettre une police. Si en plus on ajoute le fait qu’un consentement est exprimé (même s’il est parfois obtenu de façon discutable) par une personne, a priori, en possession de ses moyens, et si l’on ajoute même qu’il est difficile de définir avec précision l’hypnose, on voit difficilement comment une interdiction générale aurait lieu ! Il faut également éviter d’encourager la pratique sauvage, ou par/sur des personnes qui n’ont pas la maturité pour l’aborder en dehors d’un certain contexte et dans une certaine sécurité. D’ailleurs, si l’hypnose a quelque chose de sérieux voire de scientifique alors il n’y a rien à cacher, seulement des informations à donner. Il faut également éviter d’encourager la pratique sauvage, ou

par/sur des personnes qui n’ont pas la maturité pour l’aborder en dehors d’un certain contexte et dans une certaine sécurité. Apprendre ce que peut amener l’hypnose (c’est un des objets de ce livre), mais pas l’enseigner comme un jeu anodin. Les praticiens de l’hypnose de rue sont souvent sûrement sincères dans leur volonté d’entrer en relation avec les autres sur le mode de l’amusement et du plaisir, mais techniquement il y a une réelle différence entre apprendre cette série de manœuvres déstabilisantes et spectaculaires, et apprendre une modalité relationnelle dans un cadre sécure… Le problème n’est pas tant la technique mais ce que l’on va en faire et dans quel cadre. Pour rester simple : pratiquer l’hypnose avec quelqu’un qui a appris en un rien de temps, qui n’a aucune notion de prudence par rapport à la personne avec qui il pratique, comporte des risques, pas forcément vitaux, mais réels. Pratiquer l’hypnose avec quelqu’un qui a appris en un rien de temps, qui n’a aucune notion de prudence par rapport à la personne avec qui il pratique, comporte des risques, pas forcément vitaux, mais réels. D’ailleurs, au moment de rédiger ces lignes, je m’apprête à recevoir un patient, formé en quelques heures à l’hypnose de rue. Très mal après la fin de sa formation, son parcours se terminera aux urgences psychiatriques… Supposons que vous receviez en consultation un adolescent, vous l’aidez grâce à l’hypnose et à l’apprentissage de l’autohypnose à dépasser une douleur, une difficulté anxieuse. Plus tard, il aide un ami en reproduisant ce qu’il a appris… Le cas serait alors différent ? Qu’en pensez-vous ? Bien sûr qu’un adolescent traité médicalement en hypnose va « apprendre l’autohypnose » pour lui-même, et – qui sait ? –

l’apprendra-t-il à sa manière à un parent, un ami en difficulté. L’hypnose marchera alors, partiellement peut-être, car elle n’aura pas été taillée sur mesure, mais elle donnera possiblement l’occasion d’un soulagement ou l’idée de vouloir consulter… L’hypnose n’aura pas ici été apprise pour déstabiliser ou soumettre, elle n’aura pas été une pratique qui se joue du sujet pour l’impressionner, elle ne sera qu’un partage de compétence pour prendre soin de soi. Quelques techniques de communication thérapeutique qui peuvent apaiser comme on partagerait un conseil reçu. N’y a-t-il pas de pratique un peu plus sérieuse ou éthique dans ce contexte ludique ? Ludique, sympathique, bon enfant : peu sur les réseaux sociaux. De façon organisée et affichée ? L’honnêteté oblige à dire qu’il y a plusieurs tentatives (peu convaincantes à notre goût) de promouvoir cette pratique avec quelques avertissements éthiques formels. Mais ces recommandations semblent elles-mêmes comporter paradoxes ou imprécisions. Comment cela ? Demander d’être prudent, parler d’éthique, revient à reconnaître à demi-mot des dangers potentiels à l’hypnose ; tout en encourageant à former beaucoup de monde ; et pratiquer sur le plus grand nombre après une formation réduite, tout en disant que c’est une pratique anodine et inoffensive, cela revient à nier tout problème… Si l’on rappelle qu’un cutter est un bon outil de bricolage, mais devient dangereux s’il est mal utilisé, il faut rappeler qu’un être humain n’est pas un bout de bois, et qu’il n’y a pas beaucoup d’amusements éthiques avec un objet tranchant appliqué sur un humain.

Il ne suffit pas de rassurer si se produit une abréaction (réaction émotionnelle forte et inattendue qui peut survenir en hypnose quand un souvenir difficile refait surface). Le traumatisme est un sujet complexe et subtil qui serait difficilement gérable efficacement sans formation spécifique s’il « surgit » lors d’une séance impromptue. L’équilibre éthique peut paraître précaire quand on souligne un potentiel danger tout en affirmant l’absence de danger ; quand on demande du respect en promouvant des pratiques qui interrogent à ce sujet… Et, surtout, comment reconnaître qu’il existe un certain danger et faire des avertissements, tout en enjoignant le plus de personnes à pratiquer sur le plus grand nombre ?… Comment, alors même que plusieurs milliers de personnes sont formées en quelques jours, s’assurer de l’éthique de ces « hypnotiseurs » ? C’est évidemment impossible. Et une grande partie du paradoxe est là. L’éthique est un questionnement qui prend un peu de temps, d’expérience et de maturité, d’autant plus selon l’outil et son caractère relationnel. Former le « tout-venant » en masse et en quelques heures (ou à partir de livres ou vidéos) à aller pratiquer sur n’importe qui dans la rue : dans quel but, au fond ? Il faut craindre une hypnose qui serait sans objectif pour le sujet. Même si on évoque officiellement la découverte par le sujet de sa capacité hypnotique, le but est avant tout que l’hypnotiseur gagne en capacité à hypnotiser l’autre… La rue devient son terrain d’entraînement. Même si on évoque officiellement la découverte par le sujet de sa capacité hypnotique, le but est avant tout que l’hypnotiseur gagne en

capacité à hypnotiser l’autre… La rue devient son terrain d’entraînement. Le sujet est donc utilisé dans un but qui n’est pas lui. On a l’impression qu’il est amoindri (car pris dans un jeu qu’il n’a pas choisi et diminue ses capacités de mouvement ou cognitives) pour qu’un autre soit augmenté (amélioré dans sa technique, réussissant à « obtenir » un phénomène). Au-delà même de la question de « former » des gens en masse, le problème est aussi « ce à quoi on les forme ». On pourrait débattre plus clairement et largement de l’intérêt ou pas, de la pertinence ou pas, de la possibilité ou pas d’une hypnose ludique en amateur. Mais le problème n’est même pas là : il est celui de l’apprentissage d’une pratique d’abus d’autorité et de soumission au nom de l’hypnose17. Pourquoi continuer à enseigner au plus grand nombre possible comment confusionner un inconnu, comment faire perdre le contrôle d’un membre du corps sans en tirer la moindre métaphore thérapeutique, comment faire oublier son propre prénom ? La plus grande ambiguïté est là : c’est celle qui consiste à s’amuser des (et avec elles) réactions inattendues obtenues des autres en position de domination/fascination/autorité, et de le faire au prétexte de lui ouvrir des portes et découvrir des aspects de lui-même. Les abuseurs en tout genre ne tiennent pas un autre discours. Et si la personne n’a pas découvert ce qu’elle est censée y trouver, alors elle aura été l’objet du plaisir d’un autre. Est-ce acceptable ? En vérité, c’est souvent l’hypnotiseur qui semble s’amuser, et s’émerveiller de son pouvoir. En vérité, c’est souvent l’hypnotiseur qui semble s’amuser, et s’émerveiller de son pouvoir. Bien sûr, consentement et respect sont des principes importants mais la plupart des hypnotiseurs de rue ne sont probablement pas, en toute bonne foi, conscients de ce qui se joue. La relation hypnotique n’est pas anodine et nécessite de la prudence. Peu d’accidents, ce serait déjà beaucoup trop.

Certains hypnotiseurs de rue feraient peut-être de bons hypnotiseurs de spectacle. Mais enseigner ces techniques à tour de bras (superficiellement, sans prérequis), pour que n’importe qui hypnotise n’importe qui dans n’importe quelles conditions n’est pas une pratique que l’on peut encourager. Dans l’hypnose de spectacle, le sujet consent à ce que l’artiste l’utilise pour faire rire ou impressionner le public, il s’y présente à ses risques et périls, il a payé sa place, c’est lui qui vient à l’hypnotiseur, et si les choses sont clairement annoncées, il est difficile de refuser totalement le principe18. Le souci survient plus quand on ment au sujet sur l’innocuité de l’expérience ou sur son but, et qu’on ne le traite pas forcément d’une manière dont il puisse lui aussi bénéficier. Donc si on disait au sujet ce qu’il en est réellement, ce serait moins problématique ? Évidemment ! Et cela reviendrait à du spectacle de rue. Un soignant a le mandat de soigner, dans le spectacle le public vient volontairement et donne à l’hypnotiseur le mandat de l’amuser en utilisant ses réactions inattendues. Je tiens beaucoup à cette notion de « mandat ». Un soignant a le mandat de soigner, dans le spectacle le public vient volontairement et donne à l’hypnotiseur le mandat de l’amuser en utilisant ses réactions inattendues. Dans l’hypnose de rue, il n’y a pas de mandat au départ, c’est l’hypnotiseur qui en propose un : celui d’amuser de façon totalement inoffensive le volontaire et d’explorer l’imaginaire. Et, au final, ce mandat n’est pas respecté puisqu’il s’agit de le faire obéir, de lui faire produire des phénomènes involontaires, de l’utiliser pour progresser (progresser en confiance en soi… ou en ascendant sur ses semblables, à leurs dépens !) ou pour faire rire les spectateurs.

Cette tromperie sur le mandat me semble la plus gênante, plus encore que la pratique elle-même. Ce n’est pas qu’une technique. Il s’agit d’une pratique aux effets psychocorporels réels, sur des humains pris au débotté dans la rue ou dans un lieu public. Reconnaître un danger (il y a un danger pour tout outil puissant mal utilisé) mais se contenter de constater les effets de l’hypnose et l’amusement que cela procure. L’appliquer sur des passants qui n’avaient rien demandé, et qu’on doit rassurer, et rassurer encore sur l’innocuité totale du phénomène, dans le but qu’ils acceptent et se laissent faire… cela interroge, pour le moins… Les séances de rue filmées évoquent parfois les défis que se lancent certains jeunes sur internet : ceux-ci sont souvent inoffensifs et potaches, parfois pleins d’inconséquence, et c’est au départ toujours « juste pour rire ». Mais même si on admet qu’on peut, j’en conviens parfaitement, aider les gens à passer un bon moment, à développer des capacités, ce ne serait pas avec ces inductions très dissociantes, mal maîtrisées et autoritaires… C’est une vision de l’hypnose qui consiste à « suivre », dont l’essence est de céder aux suggestions. En faisant de la réussite des suggestions l’objectif, on place la relation sous le signe de cette obéissance. Les suggestions directes n’existent pas en thérapie ? Certaines oui, bien sûr. Mais le but est dirigé vers le patient, pas vers la démonstration du talent ou du pouvoir du praticien. Tout est fait dans la rue pour suggérer une autorité de l’opérateur, qui n’est parfois pas vraiment hypnotiseur mais prétend l’être. Le sujet doit accepter les suggestions et ce que veut l’hypnotiseur. Et non pas s’en saisir pour développer des capacités… les mots comptent. En thérapie, par exemple, une immobilité d’un membre survient pendant une séance, qu’elle représente l’immobilité de la

personne dans ses difficultés, et qu’une ressource aide la personne à faire bouger de nouveau ce membre et, donc symboliquement, sa vie ; ce ne serait alors pas le thérapeute qui empêche le bras de se plier, montrant par là sa capacité, et décidant en claquant des doigts que le mouvement redevient possible. L’intention et le contexte comptent parfois plus que l’acte lui-même. Moraliser l’hypnose de rue ne serait pas une mauvaise intention au départ… Évidemment. Mais, dans les faits, si on s’en tient à de l’hypnose dominante et spectaculaire, il devient difficile de se présenter comme un moralisateur de l’hypnose ludique. De nombreux formateurs montrent ainsi formellement « patte blanche ». L’éthique, un peu creuse, finirait par contredire le propos. L’intention bienveillante finirait par contredire les suggestions autoritaires. Une personne malintentionnée peut très facilement entrer dans ce système de revendications éthiques associées à des exercices privatifs, dominants qui peuvent « mal tourner » malgré les intentions officielles. Et même si des témoignages reçus indiquent que l’état d’esprit est présent dans certaines formations (rester respectueux, ne pas prendre le pouvoir, rester ludique, etc.), les techniques apprises ne vont pas dans le même sens. Sur beaucoup de vidéos, on constate que, même si le sujet vit ces expériences d’étrangeté, les phénomènes obtenus sont accompagnés de « suggestions positives », ce qui ne fait qu’augmenter l’ambiguïté de la situation. Même si la personne vit une perte de contrôle, un sentiment bizarre, tout le long il lui est non pas demandé ce qu’elle ressent mais plutôt il lui est répété (suggéré) encore et encore que c’est « super », « génial », « cool »,

« incroyable » et drôle… Il n’y a pas de dialogue. En lieu et place de demander à la personne comment elle se sent, on lui dicte que c’est formidable. À la fin, les personnes sourient, sans qu’il soit possible de dire si cette suggestion itérative n’y est pas pour quelque chose… Les pratiques elles-mêmes restent le suivi de suggestions qui montrent le pouvoir de l’opérateur, les numéros de mauvais goût qui rendent le sujet risible pour un auditoire ou le mettent dans une position faussement humiliante, lui font perdre une fonction, modifient une composante identitaire (prénom, sexe, trait de personnalité…), font apparaître des quasi-« symptômes » (contrôle à distance des sensations, étrangetés, modification émotionnelle…). Chez une personne qui joue le jeu de façon potache, il est possible que cela amuse le public et se contente de surprendre le sujet. Mais qu’en sera-t-il chez une personne en proie à des difficultés de maîtrise émotionnelle, des troubles de repères identitaires, des difficultés dans les relations d’autorité et de contrôle, voire des troubles psychiatriques ?… L’hypnotiseur « en deux jours » sait-il ce qu’il risque ? La fragilité n’est pas écrite sur le visage. Et il est important de savoir que la difficulté peut s’exprimer à retardement, à l’insu de l’hypnotiseur-qui-fait-rire. Le consentement est recherché mais demander un accord n’est pas forcément suffisant pour rendre tout processus (incluant contact physique, suggestion de prise de contrôle…) acceptable. Comme si le consentement de la personne était aussi libre que possible après une demi-heure de suggestions et d’ascendance relationnelle… Car, au-delà des suggestions gênantes, en vérité le contexte ne fait qu’ajouter au questionnement. Les suggestions les plus sulfureuses sont souvent prononcées alors que la session d’hypnose est déjà bien avancée, avec des exercices « progressifs » et une spirale d’engagement dont il est difficile de se sortir.

Cette expression a déjà été employée : mais en fait qu’est-ce qu’une spirale d’engagement ? Je ne saurais trop conseiller l’excellent livre de Joule et Beauvois Petit Traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (Éd. PUG). Il clarifie, avec beaucoup d’explications et d’exemples des éléments de la psychologie sociale, c’est-à-dire des déterminants contextuels et sociaux de nos pensées et comportements, et notamment dans des situations de manipulation ou, pour reprendre leurs termes, de « soumission librement consentie ». Vous y liriez par exemple que si vous demandez 20 centimes dans la rue, vous avez une chance sur dix qu’on vous les donne. Si vous demandez cette somme après avoir demandé l’heure, vous avez quatre fois plus de chances de les obtenir… Pourquoi ? Car en vous donnant l’heure (une demande simple qu’il est dur de refuser), la personne s’engage, elle fait un acte qui va dans le sens de vous aider. Il se produit alors ce qu’on nomme un « effet de gel », et les décisions suivantes seront plus facilement prises en cohérence avec la première. Vous commencez par un acte puis un suivant, et il y a plus de chances que les suivants soient pris en cohérence avec les premiers, il devient de plus en plus difficile d’en sortir. C’est la spirale d’engagement. C’est une technique commerciale classique : on demande à une personne de nous écouter cinq minutes, ou de regarder quelque chose, ou on l’aborde par une question simple à laquelle « on ne peut pas ne pas répondre » (« vous avez une cuisine ? »), et l’on a bien plus de chances de lui vendre un produit que si on lui avait proposé directement : « Êtes-vous intéressé par… ? » Technique astucieusement surnommée « le pied dans la porte » : le tout est de commencer à entrer, la porte ne peut plus trop facilement être refermée après…

« Tout se passe, effectivement, comme si la décision – notamment lorsqu’elle est prise en situation de groupe – gelait le système des choix possibles en focalisant l’individu sur le comportement le plus directement relié à sa décision (…) nous parlons, ici, de l’adhérence au comportement même de décision et non de l’adhésion aux raisons bonnes ou mauvaises qui sont censées orienter ce comportement19. » « On ne peut faire faire quelque chose en hypnose que le patient ne ferait pas ordinairement » me dira-t-on encore. Mais ce n’est pas ici l’hypnose qui est en jeu, mais le contexte de manipulation progressive de langage qui fait aller les personnes parfois plus loin qu’elles ne l’auraient voulu… En hypnose de rue, c’est souvent de ce genre de manipulation (au sens de Joule et Beauvois) qu’il s’agit. On aborde un passant en lui demandant quelque chose et puis on amène progressivement le mot hypnose et on propose un « simple test » ou un « exercice imaginatif ». Au fur et à mesure que le jeu commence, chaque étape emmène plus loin que la précédente. Après ces demandes, jeux de langage et autres processus (qui seraient trop longs, ici, à détailler et « déchiffrer »), on propose des suggestions simples et peu engageantes, puis de plus en plus engageantes… L’effet de groupe ne fait que démultiplier la difficulté à s’en extraire. Demander le consentement initial n’est encore une fois en rien suffisant pour affirmer que c’est inoffensif. Au bout de la spirale de l’engagement, et de l’hypnose fractionnée20, peuvent alors commencer les suggestions dont il nous semble donc qu’il s’agit, dans cette modalité : — non pas de faire découvrir à la personne les pouvoirs de son propre inconscient, mais bien de découvrir et renforcer les pouvoirs

de l’hypnotiseur sur la personne ; — non pas tant de donner le pouvoir mais de le prendre ; — non pas tant de donner le sourire à la personne que de faire rire ceux qui l’observent et observent ses difficultés ou incapacités à se libérer de la suggestion. Que faire par rapport à cette pratique ? Je n’ai évidemment aucun pouvoir de décision. Et au-delà des décideurs, rêvons un peu, et si c’étaient ceux-là mêmes qui promeuvent la possibilité d’une pratique non thérapeutique et ludique, qui faisaient, librement, amende honorable (qui s’engageraient à renoncer aux manipulations, pratiques dominatrices ou privatives, etc.) et montreraient qu’on peut promouvoir autre chose ? On l’aura compris, ce qui me gêne le plus n’est pas l’intention que l’hypnose puisse avoir un aspect non-soignant et agréable, ou même ludique voire spectaculaire, mais plus la tromperie sur l’objet de l’hypnose de rue et les contradictions. On l’aura compris, ce qui me gêne le plus n’est pas l’intention que l’hypnose puisse avoir un aspect non-soignant et agréable, ou même ludique voire spectaculaire, mais plus la tromperie sur l’objet de l’hypnose de rue et les contradictions. Je voulais ici faire remarquer qu’à encourager des pratiques telles que nous les avons décrites, qui mettent en scène une domination ou qui imitent des symptômes psychiatriques, qui insistent uniquement sur les phénomènes hypnotiques, qui révèlent un décalage entre un discours bienveillant, ludique et une pratique douteuse de phénomènes non anodins et dissociatifs, qui ne respectent pas le mandat donné au départ, bref, à encourager ces pratiques, les auteurs et vidéastes amateurs qui envahissent la Toile vont finir par faire fuir ou interdire la pratique qu’ils croient défendre.

Comme nous l’avons dit, interdire est possiblement inutile, cela ne ferait qu’ajouter au côté sulfureux et créer des pratiques « clandestines ». On peut discuter d’une interdiction de la pratique sur les mineurs, afin, au moins, de protéger les enfants. Mais je ne suis ni favorable aux anathèmes bien-pensants, ni à l’irresponsabilité du « tout est permis au nom de la liberté ». Globalement, le mieux à faire est probablement d’expliquer, d’argumenter voire d’avertir. D’une manière générale : pratiquer l’hypnose peut être agréable, peut soigner, peut comporter des risques (comme un massage peut vous soigner chez un kiné, être agréable avec un ami ou conjoint… ou être dangereux si un inconnu vous faisait sauvagement « craquer les vertèbres cervicales »). L’usage de l’hypnose, technique de communication puissante s’il en est, de façon très large, non contrôlée, sans but thérapeutique ou cadre scientifique ne semble pas assez protecteur sur le plan éthique et issu d’un apprentissage sans sécurité et autres notions importantes. L’usage de l’hypnose, technique de communication puissante s’il en est, de façon très large, non contrôlée, sans but thérapeutique ou cadre scientifique ne semble pas assez protecteur sur le plan éthique et issu d’un apprentissage sans sécurité et autres notions importantes. Voir quelqu’un le faire et reproduire la technique en autodidacte ne constitue pas une formation satisfaisante à une telle technique. C’est pourquoi, on ne peut encourager l’explosion de ces pratiques sans aucune borne. L’hypnose théâtrale, telle qu’elle est pratiquée, aliène ou assujettit, appauvrit les capacités ; l’hypnose thérapeutique se fixe plutôt pour but de libérer l’individu de schémas et comportements contraignants, d’enrichir ses capacités et ressources, de lui faire acquérir une plus grande autonomie et liberté dans son adaptation au monde.

Alors avertissons en concluant ce chapitre : si vous vous faisiez hypnotiser dans la rue, vous auriez des risques de vivre cette séance en compagnie de quelqu’un qui ne connaît quasi rien à ce qu’il prétend faire, qui a une formation de deux jours ou qui a appris par cœur des vidéos YouTube, qui a appris des protocoles standardisés et des manœuvres parfois déstabilisantes. Il est impossible de contrôler l’éthique, les intentions et la pratique de tant de gens, formés sur des temps très courts, à une approche purement techniciste de l’hypnose21. Le puissant outil thérapeutique qu’est l’hypnose sera alors dévoyé en un amusement non maîtrisé. Sans état d’esprit thérapeutique, il ne restera qu’un tour de passe-passe, parfois amusant, quelquefois dangereux, opéré parfois par des débutants en mal de reconnaissance… L’avertissement est clair. Vous disiez parallèlement qu’il pourrait exister une pratique acceptable de l’hypnose ludique. On la voit bien peu, mais oui, pourquoi pas ! Pourquoi la responsabilité, l’humilité, la prudence seraient-elles incompatibles avec la créativité et le plaisir ? Puisqu’il y a toujours eu en parallèle de l’hypnose de spectacle, il y en aura peut-être toujours. Elle fascine le public, elle interroge sur ce qu’il y a en nous. Il ne sert à rien de lui faire la guerre, même si on peut parfois regretter l’image qu’elle donne de notre pratique. On ne peut que déplorer que le domaine soit accaparé de la sorte, par ces pratiques de domination, de fascination, qui donnent l’air de se jouer des gens.

Et encore, le contexte est différent quand le message est clair (une personne qui monte volontairement sur scène et sait que l’hypnotiseur peut l’utiliser pour faire son numéro et amuser le public) que lorsqu’il y a une tromperie du public (qui consiste à présenter à ceux qui n’ont rien demandé des exercices anodins d’imagination quand en vérité on va entrer dans les mêmes pratiques privatives, déstabilisantes ou dominatrices). Nous ne pouvons que formuler comme un « vœu pieux » et un vague espoir que l’on aimerait pouvoir voir autre chose que (presque uniquement) des numéros répétitifs et de mauvais goût ainsi que de la grossièreté technique ; et plutôt renouer avec la finesse, l’élégance et la magie22. Que l’on aimerait surtout éviter le message désolant de domination qui est renvoyé. Que l’on aimerait que l’hypnose ne soit pas source de tentation pour ceux qui sont attirés par le pouvoir qu’ils croient y trouver, alors qu’elle pourrait être un apprentissage de la liberté… 7 Qui pratique l’hypnose ? Hypnothérapie soignante ou non Qu’appelle-t-on l’hypnothérapie ? C’est généralement le terme qu’on utilise concernant cette « hypnose qui vise une aide », et on l’utilise d’ailleurs qu’elle soit médicale ou non… Elle n’est pas plus réglementée que la précédente, n’est-ce pas ? Nous l’avons dit, en France, l’hypnose n’est pas réglementée. Tout un chacun pourrait (pour le moment) s’autoproclamer hypnopraticien/thérapeute/logue ou autre. C’est donc souvent l’unique titre des personnes hors du monde du soin qui pratiquent l’hypnose.

Et la crainte des abus et dérives est bien présente ? Je me suis étendu sur l’hypnose ludique en raison de sa visibilité (biaisée par les réseaux sociaux et les médias qui rendent visibles le spectaculaire et les gens en quête d’admiration). Mais, si quelques anecdotes désolantes existent à ce sujet, je pense que le risque est encore plus du côté de l’hypnothérapie. Les histoires d’abus sexuel, de dérives et de prises de pouvoir graves, de faux souvenirs induits, de mélange avec la mystique, le sectarisme, de dérives commerciales, etc. concernent essentiellement des « thérapeutes ». Comment l’expliquer ? La relation d’aide laissant plus de place à la vulnérabilité des uns, elle peut laisser plus de place à la cupidité éventuelle des autres. Tout d’abord le danger est plus grand parce que la demande d’aide induit une vulnérabilité du patient qui a des attentes envers son thérapeute. En demandant de l’aide le patient se met « à nu », « en danger » car il confie sa difficulté à un autre. La relation d’aide laissant plus de place à la vulnérabilité des uns, elle peut laisser plus de place à la cupidité éventuelle des autres. Beaucoup de monde est formé, sans qu’aucun critère n’encadre très clairement cette pratique. Dans ces domaines on peut donc craindre la « véritable dérive » (praticien pervers, démarche d’arnaque et de business ou dérive mystique ou sectaire, etc.) grave mais heureusement plus rare ; mais aussi et surtout, et bien plus banal et fréquent : praticiens trop peu ou mal formés et faisant « n’importe quoi » sur le dos de patients crédules.

Pourquoi ce niveau de pratique souvent bas ? — Il y a une ambiguïté entre la position d’hypnose non-soignante (qui se voudrait un simple accompagnement physiologique), la position soignante (qui se voudrait une aide à surmonter un processus pathologique), et certaines demandes d’hypnose (ou plus largement de thérapie) qui sont à la limite des deux quand elles demandent un mieux-être, un soutien dans un moment difficile ou dans une démarche volontaire. L’ambivalence est d’autant plus forte que l’hypnose présuppose que le travail de changement se fait essentiellement chez le patient, qui découvre son propre potentiel, le thérapeute n’étant qu’une condition pour que cela survienne. Nous verrons que, pour autant, le thérapeute ne fait pas « rien » et qu’aider les personnes en situation de souffrance psychique et émotionnelle n’est pas anodin. — Confusion, d’autant plus, du fait du caractère de plus en plus extensif des définitions de troubles mentaux et des exigences sociales plus importantes sur le bien-être et le développement personnel. Du coup, la demande est très forte pour cette pratique. Pour vous faire aider par l’hypnose, vous trouverez des praticiens soignants (PS) (médecins, psychologues, infirmiers et infirmières, sages-femmes, kinés, orthophonistes…) et des praticiens nonsoignants (PNS). — Il existe corollairement un flou légal sur les professions exercées et un vide juridique concernant la pratique et la formation. — De ce fait, des formations très commerciales et de mauvaise qualité fleurissent, forment le tout-venant et lui promettent parfois un certificat sans valeur mais présenté tel un diplôme extrêmement savant, promettent souvent ou laissent entendre l’accessibilité à un métier, une nouvelle carrière professionnelle présentée comme intéressante et lucrative…

Comment s’y retrouver ? Pour vous faire aider par l’hypnose, vous trouverez des praticiens soignants (PS) (médecins, psychologues, infirmiers et infirmières, sages-femmes, kinés, orthophonistes…) et des praticiens nonsoignants (PNS). Le titre n’étant pas protégé, derrière les mots « hypnothérapeutes », « hypnopraticiens », « hypnologues » ou « coach » ou encore bien d’autres appellations, on peut tomber sur les praticiens les plus chevronnés comme les plus incompétents. Si l’on tient un discours tout à fait officiel, on ne peut recommander que d’aller voir des soignants diplômés dans leur domaine de soin, et pour qui l’hypnose est un outil thérapeutique (parmi d’autres), même s’il n’était pas dans leur cursus initial. Si l’on tient un discours tout à fait officiel, on ne peut recommander que d’aller voir des soignants diplômés dans leur domaine de soin, et pour qui l’hypnose est un outil thérapeutique (parmi d’autres), même s’il n’était pas dans leur cursus initial. Tout simplement parce que, si la demande qui est faite concerne la compétence des soins, alors c’est une démarche de santé. De façon logique, il faut donc défendre que l’hypnose soit utilisée dans le cadre de l’activité professionnelle pour laquelle le soignant possède un diplôme reconnu, qui concerne non pas l’outil mais le soin sur un problème donné. Consulter un soignant en cas de difficultés est une forme de sécurité supplémentaire. Notamment car il existe des lois spécifiques. Par exemple en tant que médecin, si je commets une faute, une erreur envers un patient, je serai inquiété en tant que médecin et selon la déontologie de ma profession. Un soignant risque, entre autres, l’interdiction de pratique de son métier. Pas un simple praticien de l’hypnose. De même les

psychologues, les infirmières, etc. doivent répondre à une déontologie spécifique. La profession d’« hypnothérapeute » n’étant pas réglementée par décret, il n’y a pas la même obligation, il n’y a pas de notions comme le secret professionnel (même si devrait bien sûr exister une certaine confiance dans la confidentialité), le devoir d’information ou d’autres contraintes déontologiques. La profession d’« hypnothérapeute » n’étant pas réglementée par décret, il n’y a pas la même obligation, il n’y a pas de notions comme le secret professionnel (même si devrait bien sûr exister une certaine confiance dans la confidentialité), le devoir d’information ou d’autres contraintes déontologiques. Par ailleurs, le rôle d’un soignant est de connaître le patient et la pathologie dont il est question. Caricaturalement, il est arrivé à des thérapeutes non qualifiés de tenter de calmer les crises d’angoisse de quelqu’un qui vivait en fait une crise d’angine de poitrine… Comme nous l’avons dit : l’anesthésiste pratiquant l’hypnose ne sera pas forcément compétent sur les questions psychiques, de même qu’en tant que psychiatre, bien que connaissant bien les techniques (puisqu’il m’est arrivé d’en former certains), je n’irai pas pratiquer dans un bloc opératoire. Pourquoi cela ? Car, bien que je connaisse l’hypnose, je ne connais pas assez le bloc opératoire et l’anesthésie. La différence entre « pouvoir le faire » au sens technique, et « pouvoir le faire » au sens d’être autorisé à, habilité, tient compte de nombreux paramètres périphériques à l’acte pur, et notamment la responsabilité légale. Après tout, si votre voiture est en panne, vous irez plutôt voir un garagiste compétent plutôt qu’un plombier ou qu’un voisin qui sait un peu bricoler. Si vous allez consulter le voisin, ce n’est pas interdit, et c’est évidemment à vos risques et périls. Et la réalité est plus complexe que cette dichotomie ?

Beaucoup de PS ont été formés dans des écoles sérieuses avec des formations rigoureuses1, et le diplôme de soignant est une forme de sécurité (le soignant applique une certaine prudence par rapport à son patient car, avant même de connaître l’hypnose, il connaît le cadre de son exercice etc.). Il n’empêche que les formations pour soignants ne sont pas harmonisées, donc inégales, certains soignants sont trop peu ou mal formés en hypnose, certains, même après une formation sérieuse n’appliqueront aucune déontologie, ou bien qui ont fréquenté, parfois par erreur ou par facilité, des écoles de formation peu recommandables… C’est un poncif, mais bien entendu le port de la blouse blanche s’il est une protection partielle n’est jamais une garantie absolue. C’est un poncif, mais bien entendu le port de la blouse blanche s’il est une protection partielle n’est jamais une garantie absolue. Du côté des PNS, nombreux sont ceux peu et/ou mal formés qui, tout en connaissant trop peu l’hypnose, ne connaissent surtout pas assez le genre de problématiques qu’ils rencontrent. En n’ayant pas ou peu de connaissance en psychologie ou en médecine, mais des protocoles préétablis, certains sont pour autant tout à fait sûrs d’eux et de leur capacité à réussir mieux et à la place de toute médecine rationnelle. Il n’empêche qu’il y a des PNS tout à fait remarquables, professionnels, bons connaisseurs de l’hypnose avec une véritable déontologie et du bon sens, et qui restent dans les limites de ce qu’ils peuvent faire. Il n’empêche qu’il y a des PNS tout à fait remarquables, professionnels, bons connaisseurs de l’hypnose avec une véritable déontologie et du bon sens, et qui restent dans les limites de ce qu’ils peuvent faire (c’est-à-dire qu’ils accompagnent les personnes dans une démarche de mieux-être et de développement personnel sans chercher à soigner, diagnostiquer ou guérir).

Donc les PNS ont le droit de pratiquer ? Ils ont le droit de pratiquer la technique hypnotique, car celle-ci n’est pas réglementée en France. Elle est reconnue utile à la santé par les scientifiques, mais n’est pas pour autant définie comme une forme d’acte médical (ce qui limiterait son utilisation de facto). En revanche, les PNS n’ont pas le droit de s’en servir à des fins diagnostiques ou thérapeutiques au risque d’enfreindre la loi sur la pratique illégal de la médecine. En revanche, les PNS n’ont pas le droit de s’en servir à des fins diagnostiques ou thérapeutiques au risque d’enfreindre la loi sur la pratique illégal de la médecine. L’exercice illégal de la médecine En quoi consiste l’exercice illégal de la médecine ? La loi est assez large, voire extensive. L’exercice illégal de la médecine survient lors de toute démarche « d’établissement d’un diagnostic ou d’un traitement de maladie congénitale ou acquise, réelle ou supposée, par actes personnes, consultations verbales ou écrites ou par tous autres procédés quels qu’ils soient (…) sans être titulaire d’un diplôme, certificat ou autre titre (…) exigé pour l’exercice de la profession de médecin2. » Le diagnostic consiste à déterminer la nature de l’affection dont une personne est atteinte3, le traitement comprend les moyens pour guérir mais existe, selon la Cour de cassation, dès qu’un but curatif est poursuivi, quel que soit le procédé mis en œuvre (il n’est pas nécessaire qu’un médicament soit prescrit)4. Notons aussi qu’il n’est pas nécessaire que le traitement soit un traitement médical exercé par un non-médecin. La nature du

traitement, pour ainsi dire, ne compte pas vraiment. La loi ne s’intéresse pas à la valeur scientifique du diagnostic (il est question de maladie réelle ou supposée) ni même du traitement (mais juste à son intention thérapeutique, même si c’est de la poudre de perlimpinpin)5 ! De même, elle ne s’intéresse pas à la réussite ou a l’échec de ce traitement : un non-médecin qui a guéri quelqu’un est tout de même condamnable à ce titre. La loi trouve son origine dans une volonté de santé publique mais pour cela, de facto, elle protège le monopole des médecins sur l’exercice de la médecine, pour éviter que tout un chacun s’improvise soignant. « L’exercice illégal de la médecine ne sanctionne pas la “nonmédecine”, il sanctionne le “non-médecin” 6. » Par exemple, bien que depuis deux siècles il n’y en ait toujours aucun fondement scientifique, la jurisprudence fait état de condamnations pour exercice illégal de la médecine, de praticiens du magnétisme par exemple7… Quand les traitements des « guérisseurs » sont de nature purement psychologique, les condamnations ne sont pas systématiques8 (bien qu’ils puissent avoir potentiellement le même but ou les mêmes effets). En effet, la loi ne peut, par exemple, condamner les croyances (si un patient veut favoriser son traitement avec des prières, ou toute autre croyance dans une forme de psychologisme ou de magie). Cependant il faut garder en tête qu’un traitement purement psychologique peut être, évidemment, un traitement à part entière, tout à fait compatible voire inclus dans la vocation thérapeutique de la médecine et efficace. C’est l’une des ambiguïtés auxquelles peuvent faire face des juges dans ce genre de cas, une autre étant la limite à tracer entre une pratique relevant du

« mieux-être » (dont certaines formes, incluses dans les soins, sont codifiées, comme la psychiatrie) ou du « développement personnel » ou de la psychothérapie… Précisons que tout cela ne vaut que pour la France et d’autres pays où l’on considère que seuls les médecins (et par délégation les professions paramédicales) peuvent exercer les soins de santé (une conception très large de l’exercice illégal de la médecine)9. Dans d’autres pays (comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou d’autres pays du nord de l’Europe) il existe légalement une liberté de soigner, à condition qu’on ne prétende pas au titre de médecin ou qu’on ne pratique pas certains actes réservés. Dès lors, des professions se sont elles-mêmes organisées pour mieux se définir. Ce type de modèle laisse plus de liberté au patient mais moins de protection, pour les praticiens sérieux et les patients, face à un éventuel charlatan. Des condamnations ont déjà eu lieu pour l’hypnose en France ? Il y a eu des tentatives de recensement10 : on peut au moins évoquer 16 décisions de justice impliquant l’hypnose. Dont 6 affaires de viol ou d’agression sexuelle11 et un tiers des cas pour l’exercice illégal de la médecine12. L’hypnose est-elle particulièrement concernée par cette question de l’exercice illégal de la médecine ? Oui et non. À la fois technique descriptible assez précisément mais au mode d’action non encore élucidé, à la fois usitée dans le milieu médical mais manœuvre purement psychologique (sans objet utilisé ou intervention directe sur le corps), à la fois utilisable sur une modalité psychothérapeutique mais aussi utilisable sans intention thérapeutique, utilisée dans les milieux de la

psy/chiatrie/chologie/chothérapie, mais aussi dans des indications parfois proches du « développement personnel », à la fois présente dans le milieu du spectacle… Et surtout se fondant sur un état naturel (la transe) et sur une modalité particulière d’une aptitude commune à tous (la communication). Bref, l’hypnose a une place assez unique et « à la limite ». Les professionnels non-soignants l’ont bien compris. Ceux qui se sont autobaptisés hypnothérapeutes ou autres appellations font attention à ne jamais dire qu’ils soignent ou guérissent mais qu’ils « accompagnent ». Ils n’ont pas de patients mais des volontaires, des clients, des partenaires… Les professionnels non-soignants l’ont bien compris. Ceux qui se sont autobaptisés hypnothérapeutes ou autres appellations font attention à ne jamais dire qu’ils soignent ou guérissent mais qu’ils « accompagnent ». Ils n’ont pas de patients mais des volontaires, des clients, des partenaires13… Le mot psychothérapie est peu employé (une loi encadre le titre de psychothérapeute), le mot « thérapeutique » non plus, mais on parle plus volontiers de « thérapie » voire simplement de relation d’aide… La loi étant ce qu’elle est, il ne reste à ces praticiens qu’à « jouer sur les mots » (puisqu’on leur interdit certains mots et que, ce faisant, on leur demande de clarifier leur pratique avec plus ou moins de succès). Il y a donc des cas évidents : si un non-médecin faisait de l’hypnose dans un bloc opératoire, et s’amusait à poser un diagnostic ou prétendait guérir une maladie comme une allergie ou postulait pouvoir guérir un cancer (ça s’est vu…), il est bien évident qu’il pourrait facilement être dénoncé pour exercice illégal de la médecine. En revanche, le diagnostic ou le traitement des troubles anxieux ou psychosomatiques relèvent officiellement de la médecine ; mais si quelqu’un consultait pour faire des séances d’hypnose et de relaxation car il se sentait stressé, et que, le stress s’apaisant, son

eczéma régressait ? On n’a pas soigné son eczéma mais on l’a aidé à se mettre dans une situation telle que l’eczéma se reproduit moins (comme un sportif qui, après avoir soigné médicalement sa blessure, améliorerait sa technique avec un coach pour ne plus retomber). Les troubles de l’humeur, du sommeil peuvent être les signes d’une dépression ; mais si quelqu’un se pose des questions sur sa vie professionnelle et son équilibre personnel, et qu’à l’occasion d’un « coaching » hypnotique, il se met à aller mieux, être de meilleure humeur et mieux dormir ? Le sevrage tabagique est officiellement une indication soignante mais, si l’initiative venait du patient de s’arrêter de fumer (ce qui est le cas le plus fréquent et de loin !) et qu’il se faisait accompagner dans cette démarche par un PNS en hypnose… ou par un massage relaxant ou par des huiles essentielles ou par la pratique du sport ? Nous sommes dans une sorte de « zone grise ». Certains praticiens en santé aimeraient combattre de front tous les praticiens nonsoignants, d’autres, plus réalistes, aimeraient surtout trouver un moyen de protéger les patients des dérives. On voit bien que c’est tout de suite plus difficilement condamnable. L’hypnose dans le cadre d’une démarche de santé doit clairement rester une affaire de soignants, mais tout n’est pas soin de santé. Et d’ailleurs, si le praticien aide sans sortir des limites de son statut non médical (c’est-à-dire notamment en sachant passer le relais si c’est nécessaire), sans prétendre diagnostiquer ou guérir mais simplement aider la démarche du patient/client, est-ce réellement moralement condamnable ? Nous sommes dans une sorte de « zone grise ». Certains praticiens en santé aimeraient combattre de front tous les praticiens nonsoignants,

d’autres, plus réalistes, aimeraient surtout trouver un moyen de protéger les patients des dérives14. L’exercice illégal de la médecine est-il l’infraction la mieux adaptée pour sanctionner les dérives de l’hypnose ? Oui et non. Je ne suis pas juriste de métier mais, à lire les textes, il semble que l’exercice illégal est une arme plus « simple d’utilisation » puisqu’il s’agit de montrer qu’il y a une intention thérapeutique et une absence de titre. C’est probablement plus simple à démontrer qu’une tromperie, une escroquerie, qu’une méthode non scientifique ou nuisible dans certaines configurations psychologiques, etc. (car cela nécessite moins de débat scientifique, il s’agit juste de montrer l’absence de titre…). Mais le but de la loi sur l’exercice illégal n’est pas prioritairement de dénoncer le charlatanisme : « Il s’agit bien d’interdire l’exercice illégal de la médecine, et non pas l’exercice d’une “médecine illégale” 15. » Au fond, condamner quelqu’un pour cela, ce n’est pas lui dire que sa pratique est contestable ; mais qu’elle est peut-être légitime (ou pas), peut-être efficace (ou pas), mais simplement sans droit légal de l’exercer16. Car de nombreux médecins ont fait des années d’études pour pratiquer des médecines alternatives dont certaines n’ont pas fait la preuve scientifique de leur efficacité (homéopathie, acupuncture, ostéopathie…) ou sont très contestées, considérées parfois nuisibles par d’autres (approche psychanalytique du traitement de l’autisme…), mais qu’ils ont contribué à légitimer par leur diplôme et qui ne peut tomber sous le coup de cette loi. Si quelqu’un prétend guérir ou soigner mais n’en a pas les compétences, s’il intervient en se substituant au rôle médical ou paramédical, oui, l’exercice illégal de la médecine peut être un recours légitime et protecteur.

Donc si quelqu’un prétend guérir ou soigner mais n’en a pas les compétences, s’il intervient en se substituant au rôle médical ou paramédical, oui, l’exercice illégal de la médecine peut être un recours légitime et protecteur. Ce délit nous rappelle l’enjeu de santé publique de laisser la santé entre les mains de ceux qui en ont acquis les compétences et il est possiblement plus efficace dans sa mise en place et plus simple sur un plan juridique. Mais concernant les dérives et les dangers, sur le plan au moins symbolique, d’autres délits concernant l’escroquerie, l’emprise sectaire, les pratiques nuisibles, les abus de détresse et autres ne seraient-ils pas, peut-être, mieux à même de dénoncer les mauvaises pratiques, leurs dangers, leurs malhonnêtetés ? Si l’on est inquiet de voir se démultiplier les « thérapeutes » autoproclamés en hypnose (dont on ne sait souvent pas comment ils le sont devenus) il faudrait pouvoir dénoncer les dangers réels et les arnaques (et pas seulement une absence de diplôme), éviter un conflit stérile avec des pratiques acceptables et inévitables du milieu du bien-être, et avant tout protéger les patients, les malades en situation de détresse. Il faudrait pouvoir dénoncer les dangers réels et les arnaques (et pas seulement une absence de diplôme), éviter un conflit stérile avec des pratiques acceptables et inévitables du milieu du bien-être, et avant tout protéger les patients, les malades en situation de détresse. On ne peut non plus enlever le libre choix du patient sur sa manière de gérer sa vie. Si un patient arrête de fumer en « vapotant », il a acheté ce dispositif à des commerçants non médecins, s’il a décidé de se mettre au yoga pour arrêter ou d’aller voir un « hypnotiseur » qui prétend l’accompagner dans sa démarche libre d’arrêter (et ne prétend pas soigner ni guérir), il est très difficile de rendre tout cela condamnable sauf à enlever beaucoup de liberté ! Trouver l’équilibre entre protection et liberté est (comme dans beaucoup de domaines) une véritable gageure !

Est-ce possible ? Un équilibre imparfait qui peut toujours s’améliorer, oui, et qui passe prioritairement par l’information du public. S’il ne faut pas faire dans la prohibition, cela ne veut pas dire, selon nous, qu’il y a lieu de laisser la pratique devenir de plus en plus anarchique. S’il ne faut pas faire dans la prohibition, cela ne veut pas dire, selon nous, qu’il y a lieu de laisser la pratique devenir de plus en plus anarchique. Trouver l’équilibre : liberté et sécurité, entre prohibition et anarchie Aucune autre pratique ne traverse les mêmes dilemmes ? Comparaison n’est pas raison, comme on dit, mais je pourrais donner deux exemples, le premier illustre la limite parfois floue entre bienêtre et soin. C’est la question des massages pratiqués en kinésithérapie : certains représentants de la profession de kinésithérapeute ont tenté, sans succès, de défendre l’idée que les massages étaient une pratique qui leur était réservée. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, car on peut faire un massage dans un institut de beauté par exemple, sans vocation thérapeutique et par un non-professionnel de santé. Mais en revanche il y a toujours un avertissement stipulant que ce massage n’est pas médical/thérapeutique mais destiné au bien-être17. Par ailleurs, les pratiques manuelles se sont démultipliées, sans toujours de fondement scientifique. Bien que le décret de compétence étende leur responsabilité (notamment dans la planification des soins), la profession de « kiné » est débordée en tous sens par les instituts de soins et de bien-être et par des thérapeutes manuels autoproclamés qui

pratiquent des techniques diversement recommandables. Il faut une prescription médicale encadrée pour voir un kinésithérapeute mais n’importe qui peut aller voir n’importe quel « thérapeute en manipulation », sans compter les kinésithérapeutes eux-mêmes formés à des thérapies alternatives sans fondement scientifique18. Sur les thérapies diversement recommandables, il nous semble que, comme dans le cas de l’hypnose, un plus grand arrière-fond scientifique s’impose mais aussi une meilleure information aux personnes pour bien se repérer. Mais sur l’aspect massage, le parallèle semble possible dans une certaine mesure : on ne peut interdire la pratique du massage, on peut informer les personnes (et la plupart sont sûrement assez au clair là-dessus) sur le fait qu’on peut le pratiquer dans un contexte soignant en cas de problème médical, mais aussi hors de la pathologie, dans un contexte de bien-être et de relaxation, mais aussi de façon perçue comme assez sécuritaire dans un cadre personnel… ou qu’un massage est sensiblement équivalent parfois à un bon étirement ou à un exercice de yoga, qui paraît aussi difficilement condamnable ! La coexistence d’une discipline soignante et non-soignante pour le massage est relativement tolérée. De même la sécurité totale n’existe jamais et un massage par un amateur pourrait (mais rarement) être très dangereux sur certaines fragilités constitutionnelles ; pour autant, il paraît peu réaliste d’interdire la pratique du massage avec son conjoint, ses proches… Et le second exemple ? Il illustrerait la limite entre accompagnement dans un processus physiologique et soins médicaux. Car l’hypnose aussi va plus loin que la relaxation, et dans sa version « d’aide non-soignante » prétend accompagner un processus…

Il s’agit de l’accouchement. Bien qu’extrêmement médicalisé de nos jours, il est malgré tout un moment physiologique (c’est-à-dire qu’il n’est pas une maladie). Il reste, certes, un moment de fragilité, mais il peut, dans de nombreux cas « bien se passer ». Un certain nombre de médecins et de sages-femmes voient un danger dès que cet aspect est hors des mains de la médecine et voudraient fortement, voire légalement, dénoncer toute autre pratique que la médicalisation totale de l’accouchement, et exercer une sorte de pression sociale sur les femmes qui feraient un choix différent. Bien sûr, la médecine propose des actes (de prévention, de confort, de gestion des complications et autres) autour de l’accouchement, on lui doit la diminution absolument considérable de la mort en couches et de la mortalité infantile, nous rappelant que la médecine n’est pas limitée à la guérison… Mais cet accouchement devient-il une propriété totale de la médecine, semblent demander ces femmes qui revendiquent d’accoucher autrement ? À l’autre bout du spectre donc, certaines pratiques sont totalement sauvages avec des accouchements à domicile sans aucune assistance « parce que c’est naturel », et tous les intermédiaires. Un certain nombre de sages-femmes ont pris le parti d’aider des femmes à accoucher à domicile. Dans ce domaine aussi, un certain nombre de professionnelles non-soignantes, qu’on appelle souvent des « doulas » exercent de façon alternative cette aide. Parmi elles, certaines se vivent comme un complément non médical à l’accompagnement obstétrical, d’autres dans une opposition farouche à la médecine, ou avec des théories ou des pratiques qui n’ont plus grand-chose de rationnel…

Certains médecins tentent plutôt un compromis, maintenir une sécurité raisonnable et mettre au centre l’humanité et le libre choix des femmes. Le meilleur moyen d’y parvenir est évidemment d’informer le mieux possible pour que les choix soient le plus éclairés19… Les complications d’un accouchement doivent être gérées avec prudence et médicalement. Les contractions de l’accouchement, elles, peuvent être gérées médicalement, mais peuvent également être gérées non médicalement ; elles peuvent aussi être gérées par les personnes elles-mêmes… Et qu’en est-il des « contractions de la vie » ? Nous passons par des zones douloureuses dans notre existence. Certains surmontent par eux-mêmes… Oui, on parle alors souvent de « résilience ». Ce terme, emprunté à la physique et qui désigne la capacité d’un métal à retrouver sa forme initiale après avoir été déformé ou soumis à une force, désigne en psychologie la capacité à surmonter, notamment, les traumatismes. Certains, grâce à l’accessibilité de leurs ressources et à des relations aidantes peuvent développer cette capacité face aux épreuves et remous de la vie. Certains consultent un thérapeute non-soignant pour être accompagnés, ou d’autres un soignant pour être aidés à changer, ce qui n’est pas tout à fait pareil… Oui, basiquement, le recours à l’hypnose implique qu’on peut avoir besoin d’aide pour trouver en soi la capacité à changer (c’est le principe de la thérapie, notamment en hypnose éricksonienne). Mais une nouvelle ambiguïté survient alors. Certaines maladies clairement identifiées (même dans l’esprit du public) font l’objet de soins médicaux (le cancer, le diabète, ou, en psychiatrie, la schizophrénie, la dépression sévère…).

Et certaines difficultés (notamment d’ordre psychologique et qui représentent beaucoup de demandes de thérapie, comme certaines anxiétés, troubles de l’adaptation, etc.) se trouvent à la limite. La médecine n’est pas toujours le cadre unique par lequel les personnes passent pour aller mieux. La médecine n’est pas toujours le cadre unique par lequel les personnes passent pour aller mieux. Concernant notamment les pratiques qui activent le placebo ou l’autoguérison, elles sont parfois incluses dans la médecine, prescrites par des médecins, surtout quand elles le sont face à des diagnostics ou comme complément dans un cadre de soins traditionnels… mais pas toujours. Il y a donc bien une ambiguïté entre l’hypnose-psychothérapie et une hypnose « inoffensive », centrée sur le bien-être, le développement personnel… Prenons un exemple : une personne a peur du sang, des aiguilles. Cette peur est « logique ». Pendant des milliers d’années, la nature a inscrit en nous que la douleur et la vue de notre sang à l’extérieur de nous est un signal d’alerte. Aujourd’hui, au contraire, cela peut être parfois bon signe, pour un soin. L’hypnose peut être une simple « pédagogie par l’expérience » pour apprendre à ajuster sa peur et se relaxer en situation. Mais, en même temps, une anxiété majeure avec une surréaction handicapante provoquée par ce trouble anxieux relève bien de la maladie ou du soin spécialisé !… Entre une peur de tout contact physique à la suite d’un traumatisme sexuel, où le travail peut être profond, thérapeutique, potentiellement émotionnel, où la fragilité du sujet est grande… Et une personne qui

aurait peur de parler en réunion devant cinq collègues et veut se détendre un peu… est-ce du même acabit ? Il ne semble pas… Mais si cette peur lui rappelle en fait une dévalorisation abandonnique dans une enfance difficile ? Provoque une véritable dépression réactionnelle ? Là, en revanche… Le curseur n’est pas toujours facile à placer. Avec le temps, de la même façon que la médecine s’est « approprié » l’accouchement (entre autres au départ dans un but de protection, puisqu’il est un vrai moment de fragilité où, dans les cas difficiles, le pronostic est potentiellement grave), de la même façon, pour limiter certains risques, les diagnostics de la psychiatrie, les descriptions de la psychologie se sont mis à concerner de très nombreux aspects de la vie psychique. De la même façon que la médecine s’est « approprié » l’accouchement (entre autres au départ dans un but de protection, puisqu’il est un vrai moment de fragilité où, dans les cas difficiles, le pronostic est potentiellement grave), de la même façon, pour limiter certains risques, les diagnostics de la psychiatrie, les descriptions de la psychologie se sont mis à concerner de très nombreux aspects de la vie psychique. C’est encore plus vrai avec l’inflation de diagnostics du DSM-V20. En voulant les décrire, on a de facto rendu pathologiques de nombreux mouvements psychiques. C’est-à-dire par exemple qu’il y a un diagnostic si vous êtes triste plus de deux semaines après la mort d’un proche, si vous fumez des cigarettes en cas de stress, si vous dormez mal, si votre licenciement vous affecte plus de deux semaines, si, pour les femmes, vous avez des changements d’humeur la veille de vos règles… Alors que les pathologies lourdes (dépression, troubles anxieux sévères, psychotraumatismes graves, bipolarité, schizophrénies…)

relèvent sans grande ambiguïté de la spécialité en santé mentale, qu’en est-il quand on parle de gestion du stress ou de problèmes de sommeil ?… Alors que les pathologies lourdes (dépression, troubles anxieux sévères, psychotraumatismes graves, bipolarité, schizophrénies…) relèvent sans grande ambiguïté de la spécialité en santé mentale, qu’en est-il quand on parle de gestion du stress ou de problèmes de sommeil21 ?… Il est clair que les classifications qui décrivent les maladies mentales « enflent ». La vision de la maladie psychiatrique évolue. Jusqu’à il y a peu, la maladie mentale était vue comme toute difficulté comportementale ou psychologique qui cause de la souffrance, limite la liberté22… Mais au fur et à mesure (et c’est, là aussi, un peu plus évident dans le DSM-V23), la maladie mentale est distinguée, non plus seulement comme une souffrance, mais comme une déviation de la norme. On veut objectiver et mesurer le psychisme et, en l’absence de connaissance de toutes les causes sous-tendant les troubles mentaux, la maladie devient donc un dysfonctionnement entraînant une déviation de la norme des processus cognitifs, de régulation des émotions ou du comportement… ou d’occupations sociales ou professionnelles. Autrement dit, tout ce qui sort de ce qui est socialement accepté et provient d’un dysfonctionnement psychologique quelconque (ce qui est large !) est potentiellement un trouble mental classifié… Les normes sociales occidentales24 sont parfois exigeantes. Si la déviation de ces normes peut être classifiée comme un dysfonctionnement, alors le nombre de « maladies » ne peut qu’augmenter25. Parallèlement, le domaine du « développement personnel » ne peut que s’étendre sous la pression de cette norme plus pesante. La promesse d’aider, sur un grand nombre de problèmes de vie, les

personnes à aller mieux, si possible rapidement et sans trop d’efforts, associée à l’appât du gain, donnent un souffle aux formateurs et aux thérapeutes en développement personnel, sans qu’il soit si facile de distinguer a priori les vraies aides potentielles des arnaques. Le phénomène que vous appelez « PNS » est donc assez récent ? Eh bien, il y a toujours eu des guérisseurs, des rebouteux et des thérapeutes non conventionnels (pour lesquels, à une époque, la frontière avec les croyances religieuses n’était pas toujours claire). Mais, depuis une vingtaine d’années, sous l’effet conjugué de nombreux facteurs, les thérapeutes employant des méthodes proches ou similaires à celles des soignants se sont multipliés. Depuis une vingtaine d’années, sous l’effet conjugué de nombreux facteurs, les thérapeutes employant des méthodes proches ou similaires à celles des soignants se sont multipliés. Par exemple la possibilité et l’envie d’employer une technique au parfum sulfureux et mystérieux ou, au minimum, qui laisse penser qu’on va découvrir une part cachée de nous-mêmes. Technique d’ailleurs à laquelle un certain nombre de thérapeutes ne comprennent pas grand-chose et entourent sa pratique de mots mystérieux et de croyances ésotériques mal dissimulées par des mots empruntés au vocabulaire de la science (physique quantique, neurosciences…) ou de la psychologie. Et, dans le même temps, à une époque où cette technique gagne en crédibilité, elle entre dans les hôpitaux, et fait l’objet d’études de plus en plus encourageantes et scientifiques. À tout cela s’ajoute un intérêt croissant pour la psychologie, la thérapie, le développement personnel, parfois de façon peu distincte dans l’esprit du public. Même si ces médecins et soignants en ont été très largement les acteurs principaux, l’hypnose a presque toujours existé aussi au-delà de la médecine (notamment par les pratiques spectaculaires) mais on n’a jamais eu dans l’histoire autant de PNS se réclamant d’une

pratique qui emprunte, dans sa forme, beaucoup à la pratique d’une véritable psychothérapie. Il est clair que les Mesmer, Braid, Charcot, Bernheim, Hull, Erickson ou plus récemment Chertok, Zeig, Rossi, etc. bref, ceux qui ont fait vivre et évoluer l’hypnose étaient très majoritairement animés par l’idée de soigner, et eux-mêmes soignants. Même si ces médecins et soignants en ont été très largement les acteurs principaux, l’hypnose a presque toujours existé aussi au-delà de la médecine (notamment par les pratiques spectaculaires) mais on n’a jamais eu dans l’histoire autant de PNS se réclamant d’une pratique qui emprunte, dans sa forme, beaucoup à la pratique d’une véritable psychothérapie. De fait et par ricochet, la « crispation » légitime du milieu soignant médical (qui utilise de plus en plus les bienfaits de l’hypnose pour le soin) face à la démultiplication de pratiques moins cadrées n’a jamais été si forte… L’hypnose devient à la fois plus crédible… et pourrait souffrir de problèmes de crédibilité ! En vérité, les PNS sont les plus concernés car ils sont moins reconnus par les institutions, et devront fatalement montrer, plus que les soignants, le sérieux de leur pratique… Différents praticiens face aux patients Face à une personne qui souffre, qu’amène une formation de soignant à la pratique de l’hypnose par rapport à un thérapeute non-soignant ? Ce n’est pas le même métier puisque l’un soigne et l’autre pas. Mais nous l’avons vu, certaines indications sont ambiguës et questionnent légitimement le public. Tout professionnel de l’aide devrait pouvoir dire clairement quand il ne se sent pas compétent pour prendre en charge le patient qui se présente.

Concernant les soignants : la qualité du soignant s’acquiert par un « diplôme d’État » qui atteste d’un certain nombre de connaissances qu’au fond, l’État garantit. Cela donne, pour beaucoup de monde, l’idée d’une forme de sérieux, de qualité et surtout de responsabilité. De fait, pour les médecins et les soignants, contrairement aux autres, l’éthique, la déontologie est une affaire légale, une obligation (du même ordre que l’hygiène des mains avant un examen) dont la défaillance peut être jugée en tant que telle et interdire tout exercice. Il s’ensuit également que, lorsqu’un soignant propose une technique que le patient ne connaît pas, le patient fait le plus souvent confiance à la personne du soignant et le « suit » en premier lieu, plus qu’il ne suit une technique. La plupart du temps, le soignant n’est pas consulté parce qu’il serait meilleur en hypnose (même s’il peut l’être), mais surtout parce qu’il est meilleur en médecine ! La connaissance technique de l’outil suffitelle à en faire un métier pour aider ? À l’inverse, le diplôme de soignant apporte-t-il une garantie pour la qualité de l’hypnose ? Savoir obtenir des phénomènes hypnotiques et être un bon thérapeute sont deux choses bien différentes. Savoir obtenir des phénomènes hypnotiques et être un bon thérapeute sont deux choses bien différentes. Lorsque j’étais étudiant, en stage aux urgences, j’ai un jour appris à intuber un patient en détresse respiratoire en… cinq minutes ! Malgré l’urgence, tout se présentait « au mieux », les explications du médecin qui me supervisait furent claires et l’intubation réussit du premier coup. Alors, me direz-vous, n’importe qui peut le faire en ayant appris rapidement ? Non, évidemment, il s’agissait d’une toute première approche, et rigoureusement encadrée ! Une formation qui donne une compétence

à l’intubation pour un médecin urgentiste prend plusieurs jours de formation. Pourquoi ? Car le geste technique ne suffit pas, il lui faut apprendre les tenants et aboutissants de ce geste, les cas atypiques ou difficiles, les subtilités… et cette technique est apprise à des médecins travaillant déjà quotidiennement aux urgences qui vont intégrer cette nouvelle technique à leur métier préexistant. La formation initiale des soignants, très encadrée en France est peutêtre contestable et vraisemblablement améliorable, mais elle est souvent reconnue de bonne qualité, complète et complexe, et surtout émaillée de nombreux stages. Un PS, avant même d’apprendre l’hypnose a été confronté à des malades, des gens qui souffrent, qui meurent (souvent même bien plus qu’il ne le voudrait). C’est une expérience sans équivalent. Il forge son expérience de l’humain, et ne commence pas, comme c’est souvent le cas chez des PNS, après un pur apprentissage technique, à rencontrer seul à seul directement des personnes qui viennent littéralement lui confier leur vie, leurs problèmes les plus douloureux et les plus intimes. L’apprentissage par compagnonnage prend du temps et se fait sur le terrain. L’apprentissage par compagnonnage prend du temps et se fait sur le terrain. L’idée que la technique et sa maîtrise pourraient suffire empêche paradoxalement d’y trouver la limite. Pendant nos stages, nous entendons sans cesse des personnes se relayer. Le chirurgien demande l’avis de l’anesthésiste, celui-ci demande une information à l’infirmière, le kinésithérapeute rend compte de ce qu’il fait au médecin pour savoir s’il doit ou non continuer dans la même direction… Ou bien le cardiologue interroge l’endocrinologue car le traitement qu’il compte prescrire a une incidence sur la thyroïde, et celui-ci est relayé par un psychiatre car il soupçonne une dépression, etc.

Dans des formations de mauvaise qualité le thérapeute apprend : — parfois des protocoles préétablis correspondant à chaque situation (deuil, stress, confiance en soi, traumatisme, phobie, etc.), comme si tout problème avait une solution toute faite valable pour tous ; — parfois qu’il peut tout gérer ou presque avec l’hypnose ; — parfois au contraire, que, vu qu’il ne guérit rien (pour ne pas être accusé d’exercice illégal de la médecine), et que le client fait tout en hypnose, alors toutes les situations ou presque peuvent être prises en charge : « Il suffit de faire de l’hypnose et le patient va faire le travail. » Certes le patient travaille, mais le travail du thérapeute est de le mettre dans les conditions de ce travail, et pour cela il est préférable de connaître le contexte, nos limites et de développer cette culture du relais… De nombreux problèmes rencontrés en thérapie sont venus de praticiens qui ont dépassé leur compétence. Effectivement, nous avons déjà vu l’hypnose définie comme une pratique qui permet au patient de changer, puisque c’est naturel, comme respirer… on ne peut pas interdire aux gens de respirer ?… « Respirer » tout le monde peut le faire. Aider quelqu’un à mieux respirer demande des compétences. Former des personnes, soignantes ou non, à une technique vectrice de changement n’a rien d’anodin. Ce n’est pas parce que l’état hypnotique est naturel que le susciter dans un but de changement psychique est comparable. Forcément un doctorat ? Peut-être pas selon les contextes, mais en tout cas des compétences. Le débat est là, comment définir et attribuer des compétences, adaptées aux diverses pratiques de l’hypnose, en dehors du système des diplômes ?

Le débat est là, comment définir et attribuer des compétences, adaptées aux diverses pratiques de l’hypnose, en dehors du système des diplômes ? Si j’utilise un couteau pour couper mon pain et que d’autres l’utilisent pour couper des têtes je ne vais pas pour autant interdire les couteaux ou les réserver aux bouchers. On peut interdire aux petits enfants de s’en servir puis leur dire que ce n’est pas un jeu, qu’on peut apprendre à s’en servir de façon utile et sécure (c’est-àdire pas pour pratiquer la chirurgie…). Les discours consistant à dire que l’hypnose est aussi dangereuse que la roulette russe sont grandement exagérés. Mais tout discours consistant à dire qu’il existe une forme systématiquement anodine et inoffensive d’hypnose est irresponsable. L’un des problèmes est d’ailleurs qu’à force de présenter l’hypnose comme une technique non dangereuse, naturelle, inoffensive on a fini par laisser penser, soit qu’elle n’était pas efficace, soit qu’il ne servirait à rien de l’encadrer, d’en rechercher des critères de bonne pratique. Et pourtant, l’on a dit et redit que l’hypnose est produite par le patient, qu’Erickson pensait que les ressources étaient dans le patient… Bien sûr. Et pourtant Erickson était un universitaire, qui croyait beaucoup à la valeur d’un diplôme universitaire, qui était opposé à l’hypnose de spectacle (dont il qualifiait les praticiens de « charlatans »), et peu favorable à la démocratisation de l’hypnose. Certes, à son époque, il a lutté contre l’idée du « danger » de l’hypnose26. Mais c’était surtout dans un contexte historique particulier où il devait rassurer ses confrères détracteurs27 à qui il devait prouver sans cesse l’utilité de cette pratique, défendre son droit à pratiquer et

montrer qu’il n’était pas un dangereux illuminé mais bien un médecin responsable… Par ailleurs les « dangers » qui inquiètent le monde médical actuel (possibilité d’arnaque, d’emprise ou de manipulation, reviviscences et déstabilisation de personnes fragilisées) sont différents. Et Erickson a toujours conseillé la prudence avec les sujets fragiles, et visait toujours l’amélioration de la santé et le soin. Il parlait bien de « medical hypnosis », l’éthique médicale étant pour lui la capacité à ne pas mettre son propre ego en avant mais bien à servir uniquement l’intérêt du patient et la révélation des compétences de ce dernier… Avertissement non inutile puisque les médecins ont parfois un ego un peu grand… Leurs études leur donnent des responsabilités, la société et les patients les mettent dans une situation d’aider des gens en souffrance, dans une position de pouvoir, certains peuvent en perdre leur humilité, cela arrive… Mais c’est aussi ce qui peut arriver dans beaucoup de métiers où l’on aide les autres. Les connaissances, compétences, ordonnances peuvent donner l’impression, à tort ou à raison, d’une position haute par rapport au patient. Parfois c’est bien le cas pour certains confrères, aucune profession à responsabilités n’échappe au risque de « prendre la grosse tête », mais souvent c’est plutôt une façon maladroite de communiquer, malgré toutes les bonnes intentions de bienveillance et d’empathie. Il est évident pour tous ceux qui s’y forment que l’hypnose les aide, même en dehors des « séances » d’hypnose, à mieux communiquer cette empathie à leurs patients. Mais, justement, s’il ne s’agit que de révéler les capacités du patient, au moins le PNS « sait qu’il ne fait rien » puisque par définition il ne soigne pas ?… L’hypnose n’est pas « rien faire ».

L’hypnose n’est pas « rien faire ». Le PNS ne soigne pas mais ne fait pas rien quand il hypnotise. Il utilise une technique psychologique, puissante, potentiellement génératrice de changements. Et en vérité s’il ne « soigne pas » c’est juste parce qu’il n’a pas le droit de le dire sous cette forme. Mais il « prend soin », il pratique l’hypnose en tant que technique d’aide, sur des indications parfois à la limite, parfois clairement intriquées avec le registre médical (par exemple entre le PS qui aide à soulager une douleur chronique par l’hypnose et le PNS qui « l’accompagne dans ce processus d’acceptation et de reprise de contrôle sur sa propre vie dans ce contexte de douleur chronique » et qui vont tous deux utiliser le même genre de technique…). Le cadre n’est pas légalement formalisé, mais concrètement c’est bien ce qui se passe. Le soignant insère cette technique dans son métier et n’en fait pas a priori un métier en soi. La déontologie veut qu’il pratique l’hypnose dans le cadre de ses compétences. À cela s’ajoute que certains PNS ayant des croyances d’un ordre quasi mystique sur leur pratique sont aussi dans des positions de pouvoir et d’ego. Le soignant insère cette technique dans son métier et n’en fait pas a priori un métier en soi. La déontologie veut qu’il pratique l’hypnose dans le cadre de ses compétences. Le cadre est assez clairement fixé. Donc vous encouragerez les patients à… Être prudents et libres ! Je n’ai rien à enlever à la liberté des personnes de consulter qui ils souhaitent. Certes il y a ces métiers de soignants qui « existent » et ces métiers de thérapeutes non-soignants qui sont mal délimités. En tant que soignant soucieux de la sécurité des malades, je ne saurais encourager, soutenir la pratique de l’hypnose comme une distraction

ou comme une psychothérapie par des personnes non qualifiées. Mais quand un phénomène existe et engage potentiellement la santé, on ne peut que le constater et par rapport à cela informer, éduquer. La pratique des soignants n’est pas vraiment en danger d’une éventuelle législation ni leurs intérêts menacés pour le moment. La demande des patients pour cette pratique dans un cadre soignant est forte, la confiance dans le système de santé est globalement bien réelle dans la population générale et par ailleurs de nombreux soignants veulent se former, de nombreux hôpitaux forment leur personnel à cette pratique de plus en plus reconnue comme efficace. Cependant, je n’aimerais pas que, du fait de mauvaises pratiques, le discrédit soit jeté sur cette technique formidable et utile. Nous avons souligné les dangers d’un apprentissage purement technique, superficiel, motivé par une promesse de reconversion lucrative ou épanouissante, trop rapidement confronté à des patients parfois malades, affaiblis, potentiellement crédules, qui vont leur présenter des problèmes d’une complexité ou d’une gravité considérable… Sur les forums d’entraide des thérapeutes, l’on voit régulièrement des messages de PNS formés depuis peu demander des « protocoles » préétablis, pour une problématique décrite en deux lignes. « Que me conseillez-vous de faire pour un homme de 54 ans que je reçois demain et qui vit une séparation difficile ? » « Avez-vous un protocole pour quelqu’un qui a de gros problèmes de confiance en soi suite à une enfance avec des maltraitances de la part de sa mère ? » « Un protocole pour améliorer la guérison ? » Heureusement d’autres professionnels, soignants ou non, sont souvent là pour leur rappeler qu’on ne peut régler des problèmes humains à coups de protocoles tout faits, qu’il faut utiliser la technique pour s’adapter, non pour formater et qu’on ne peut répondre ainsi à de telles questions. Milton Erickson a insisté plus que n’importe qui sur le caractère unique de chaque patient.

Il n’empêche que certains patients vont peut-être voir des thérapeutes qui, face à leur problématique complexe et unique, une fois leurs yeux fermés, vont leur lire un protocole standardisé, qu’ils auront récupéré la veille, sur Facebook, auprès d’un inconnu… Il y a de quoi s’interroger sur la qualité de leur apprentissage initial. Rassurons-nous, non sans malice, sur le fait qu’une mauvaise maîtrise de l’outil rend peut-être le praticien moins dangereux, juste trop peu efficace… Responsabilités de thérapeute Donc le PNS a un certain nombre de responsabilités qu’il devrait apprendre avec la technique… Ajoutons qu’en cas de dérive, de comportement inadéquat, la justice sera plus facilement sévère avec le soignant, car l’État lui donnant son diplôme se veut en être un peu le garant. Puni par la loi, le soignant peut perdre le droit d’exercer son métier en plus de la sanction pénale. C’est cette responsabilité qui est une assurance supplémentaire pour les patients. Rappelons tout de même que l’absence de diplôme d’État n’autorise pas plus les comportements inadaptés et qu’il faut les dénoncer de la même façon28. Si une formation de thérapeute non-soignant devait valider un métier de relation d’aide avec des critères de qualité, il lui faudrait cesser d’être « dupe » du discours standard de l’accompagnement et du développement personnel, qui voit l’hypnose comme simple, douce et inoffensive… Si la crainte du charlatanisme existe, l’un des premiers éléments de réponse éthique consiste notamment à apprendre à tout thérapeute qu’il ne fait pas rien et qu’il a une responsabilité importante. Comment ça ?

Prenons un exemple : le 22 février 2017, Corse-Matin titre dans un article : « Un hypnotiseur sous les verrous pour des faits présumés de viol. » Les faits se seraient déroulés à Biguglia et six femmes ont porté plainte, l’homme est sous les verrous. Certains ne manquèrent pas de noter que, si le danger est moins dans l’hypnose que dans la personne qui l’utilise, pourquoi rappeler la « profession » du suspect ? Ne risquait-on pas de jeter le discrédit sur une pratique ? Ce n’est pas un « hypnotiseur » mais bien un « violeur » qui est en cause, qu’importe sa profession n’est-ce pas ? Évidemment, l’homme est responsable des actes éventuellement commis, que l’hypnose lui ait ou non « servi » pour manipuler les victimes. On remarquera que si un médecin avait été mis en cause dans une telle affaire on aurait bel et bien dit « un médecin a violé/abusé ses patient(e)s ». Mais quand un homme agresse une jeune femme dans un parking ou une forêt on rappelle rarement, dans le titre de l’article, sa profession… Car ces professions d’aide représentent une « circonstance aggravante ». Qu’on le veuille ou non, que ce soit juste ou pas, dans l’esprit de la population, pour un médecin, un soignant ou même un thérapeute non « conventionnel », un tel acte implique d’avoir abusé dans ce contexte professionnel, de la faiblesse, de la détresse des gens venus demander de l’aide. Notons ici encore un avantage de la formation soignante initiale, un avantage rarement formulé car peu explicite. Nous savons déjà, implicitement ou explicitement, depuis nos études, que notre

responsabilité nous oblige, que des procès sont faits contre les soignants en faute et qu’en cas d’escroquerie ou d’abus de faiblesse, la justice considérera notre profession comme une circonstance aggravante a priori. Ce qui manque parfois dans les formations, c’est ce rappel que nous, soignants ou thérapeutes, avons, involontairement, une position sociale et relationnelle de pouvoir, position que nous attribuent les gens au départ. Ce qui manque parfois dans les formations, c’est ce rappel que nous, soignants ou thérapeutes, avons, involontairement, une position sociale et relationnelle de pouvoir, position que nous attribuent les gens au départ. C’est une idée qui manque car on passe beaucoup de temps à dire au futur thérapeute en hypnose qu’il n’a pas la solution à la place de la personne, que l’hypnose émerge de l’hypnotisé et pas du pouvoir de l’hypnotiseur, que le thérapeute ne fait qu’accompagner et surtout pas imposer sa solution, qu’il doit respecter les choix… Tout cela est éminemment vrai et c’est une des forces de l’hypnose. Mais la force de guérison de cette « position basse » du thérapeute, qui doit agir humblement pour que les gens fassent leur chemin et trouvent leurs ressources, toute la force d’arriver à cette position vient du fait que les gens nous attribuent souvent au départ une « position haute ». Ils croient que nous (ou notre technique « miraculeuse ») avons un pouvoir ou que nous allons leur donner la solution. C’est assez logique car la souffrance pousse à vouloir de l’aide, donne envie de trouver un moyen de s’en sortir, si possible facilement. Et l’une des forces de la thérapie réussie est, pour le thérapeute, de quitter la position de pouvoir, pour aider les personnes (par cette technique ou une autre) à trouver en eux-mêmes, à partir d’euxmêmes, quelque chose d’utile. Que l’on soit médecin, ou soignant, ou « thérapeute » ou… quand on propose de l’aide, quand des patients nous en demandent sur leur

vie, leur santé, leur façon de mener leur existence, on a de facto une responsabilité. Il faut en être extrêmement conscient pour avoir la préoccupation de ne pas en abuser. Que l’on soit médecin, ou soignant, ou « thérapeute » ou… quand on propose de l’aide, quand des patients nous en demandent sur leur vie, leur santé, leur façon de mener leur existence, on a de facto une responsabilité. Il faut en être extrêmement conscient pour avoir la préoccupation de ne pas en abuser. Pour éviter d’avoir l’air d’encourager les personnes à s’installer sans assez de connaissances, pour éviter de parler d’exercice illégal de la médecine, peut-être parfois par manque d’expérience clinique, beaucoup de formateurs cherchant à former le tout-venant, cherchant parfois à plaire pour vendre d’autres formations, ne parlent pas assez de la responsabilité des praticiens, aspect, admettons-le, moins excitant a priori… et pourtant fondamental. Oublier ou ne pas assez insister sur cette dimension de responsabilité c’est commettre un impair sur le plan éthique. Les soignants ont en revanche été beaucoup sensibilisés à cette notion de responsabilité, des risques à commettre une erreur ou un impair, ils se sont rendu compte, par la pratique, de la confiance de leur patient, confiance qui, pour tout praticien humain et éthique, les oblige. Parler à des soignants de cette position basse de l’hypnose et de la communication thérapeutique, c’est les aider à pratiquer une thérapie respectueuse de l’individu, et c’est parfois aller à contre-courant d’une formation initiale qui nous a appris au contraire beaucoup en termes de connaissances, qui nous a donné déjà de grandes responsabilités. Est-ce parce qu’on a conscience des responsabilités que pour autant on évite d’abuser de sa posture de pouvoir ?

En tout cas ce n’est pas en laissant entendre qu’on n’en a aucune ou qu’on ne fait rien ! Et oui, avoir des responsabilités implique un questionnement éthique. Pour ma part cette « conscience » et cette préoccupation ont été largement facilitées par l’apprentissage de la médecine. Tout étudiant s’est rendu compte tôt dans son cursus, s’il n’a pris ne serait-ce que quelques minutes de recul, du pouvoir que lui attribuent les gens dans la détresse. Parce qu’on enfile une blouse et qu’on est dans un hôpital, alors le patient nous « prend pour un docteur », nous fait confiance et, surpris, nous entendons parler de sa vie et de ses problèmes personnels, nous lui demandons de se déshabiller pour l’examiner… La préoccupation éthique de ne pas abuser de notre pouvoir doit survenir justement par la prise de conscience qu’une sorte de pouvoir nous est (à tort) attribuée29. On n’empêchera évidemment pas les criminels (qui se trouvent dans toutes les professions, surtout celles en contact avec des personnes vulnérables) de passer à l’acte, en les abreuvant de questionnements éthiques dont ils n’ont cure, mais on aidera peut-être ceux qui, inconsciemment, pourraient se mettre dans une posture inadaptée. Les plus grands abus de pouvoir sont commis en prétendant le rendre… Bref, personne n’est à l’abri de problèmes d’ego… Beaucoup de praticiens font leur métier avec beaucoup de passion et d’altruisme. Certes, quels que soient les défauts du système de santé, avant même de se former à une technique spécifique comme l’hypnose, un soignant a rencontré des personnes en souffrance, malades ou

mourantes, et pour toute personne douée d’empathie, « l’ego » en prend un coup… Ces rencontres sont une expérience incomparable. S’il existe, de facto, une hypnose non-soignante, elle est cependant, comme l’hypnose soignante, ni neutre, ni anodine. Car souvent, la situation où un « client vient voir un thérapeute pour un accompagnement » et celle où un « patient vient voir un psy pour une thérapie » sont parfois bien ressemblantes, ce qui complique tout et n’offre pas de solution simple30. Pour ma part, sans l’équivalence des « stages hospitaliers » si formateurs sur ce plan-là, je pense en effet que des chapitres sur l’éthique dans une formation, ainsi qu’une supervision conséquente par quelqu’un d’expérimenté (et je ne parle pas d’une supervision purement technique, mais bien sur les aspects relationnels) peuvent être une façon d’aller dans la bonne direction… Se former à l’hypnose dans ces contextes ambigus (« pas soignant mais aidant ») demande dans tous les cas beaucoup de travail, du temps, du sérieux, de la supervision et de la pratique, même pour ceux qui seraient doués en empathie, eh oui, plus que pour les soignants qui ont un background relationnel expérientiel, qui n’ont pas appris qu’ils ne faisaient rien, et ont appris, parfois malgré eux, la responsabilité face aux soins. Mais est-ce qu’un soignant est forcément thérapeute ? Voici un autre contexte ambigu : quand des soignants dépassent leur domaine de compétences initial et renoncent à leur cœur de métier pour devenir des thérapeutes et prendre en charge des souffrances

(notamment psychiques) qui n’auraient jamais été « dans leurs cordes » avec leur métier initial. Un kinésithérapeute soigne un patient avec des troubles respiratoires, il le fait en hypnose pour que la manœuvre soit moins pénible. Il en profite pour émettre des suggestions qui ont pour effet d’aider le patient à arrêter de fumer. Difficile de condamner une telle pratique. Le même reçoit des personnes « comme un thérapeute » pour faire arrêter leur tabagisme… et puis réduire l’anxiété générale qui empêche de se sevrer… dépasse-t-il ses compétences ? Et s’il s’occupe de plus en plus d’anxiété ?… Une infirmière refait le pansement d’un patient douloureux sous hypnose, elle est dans ses compétences. Elle fait une séance, hors des soins, « comme un thérapeute » pour l’aider sur le vécu (notamment psychologique) de cette douleur, et peut-être va-t-elle gérer des éléments dépressifs, psychotraumatiques… officiellement dépasse-t-elle ses compétences ?… Il semble bien. Mieux encore, un infirmier dans un service de traitement de la douleur fait des consultations impliquant l’hypnose, il est dans son

cœur de métier. Si ce même infirmier s’installe en ville comme thérapeute pour recevoir des patients douloureux chroniques, il devient thérapeute au même titre que n’importe quel thérapeute, et quitte de facto son métier ! Il n’est plus infirmier. Encore une « zone grise » et complexe. On se plaît à penser cependant, que, même en dehors de leur champ officiel, leurs connaissances soignantes de base (relationnelles, éthiques, « culture du relais » ou d’expérience dans la santé, la souffrance, la maladie) représentent un avantage et, que, formés dans une école d’hypnose de qualité avec d’autres soignants, moins de dérives seront possibles31… Les PS sont exemptés des dérives ? Non. Formation mal choisie, de mauvaise qualité, manque d’éthique personnelle, dérives mystiques ou parascientifiques appuyées par un argument d’autorité (regarder certaines conférences TEDx édifiantes…). Tout cela arrive bien sûr. Il semble que le pourcentage en soit très faible car la médecine forme, dans une large proportion, des esprits rationnels et pragmatiques. Même si cela semble être minoritaire également, il y a lieu de penser que les PNS sont plus concernés par ce que l’on nomme les « dérives ». Cela dit, aujourd’hui, aucune étude d’envergure ne fait le point sur tout cela, l’on en est réduit au « cas par cas ». Mais s’ils étaient si douteux ces PNS, pourquoi un tel engouement ? Et surtout, si des praticiens sont mauvais, ils devraient « disparaître »

d’eux-mêmes non ? Après tout si une nouvelle boulangerie ouvre et que tout le quartier dit qu’elle vend du mauvais pain, elle ne tiendra pas longtemps… Les personnes qui consultent sont en position de faiblesse, et beaucoup de souffrances psychiques sont associées à une culpabilité. Ainsi certains patients ont tendance à se culpabiliser (à tort) de l’échec d’une thérapie ou d’un malaise dans la relation thérapeutique. Ce ne sont pas de simples consommateurs. Étrangement, si le boulanger vous dit : « Mon pain est bon » et que vous n’êtes pas d’accord, vous allez écouter votre palais. Mais la souffrance peut faire que, si un médicament est amer, vous l’avalerez quand même, parce que vous faites confiance à celui qui vous le prescrit. Confiance qui vient, entre autres, de votre souffrance et de votre espoir de changement. Cela entraîne que la santé, l’aide face à la souffrance ne sont pas totalement comparables à des biens de consommation ordinaires qu’un « marché libre » viendrait réguler par la concurrence. Il est ici utile de rappeler aux patients qu’ils sont les mieux à même de ressentir s’ils se sentent bien et en sécurité avec leur thérapeute, si la thérapie avance ou pas, s’ils peuvent évaluer les avancées et exprimer leur ressenti, et interrompre le traitement s’ils ne s’y retrouvent pas. La confiance est donc première. Le diplôme inspire confiance à certains ; pour d’autres, il n’est pas nécessaire, ce qui n’enlève rien à la nécessité d’une relation de confiance. Il est ici utile de rappeler aux patients qu’ils sont les mieux à même de ressentir s’ils se sentent bien et en sécurité avec leur thérapeute, si la thérapie avance ou pas, s’ils peuvent évaluer les avancées et exprimer leur ressenti, et interrompre le traitement s’ils ne s’y retrouvent pas.

Par ailleurs, la demande concernant la souffrance psychique est forte, bien plus que l’offre de soins dans le domaine, puisque les soignants sont trop peu formés dans leur cursus initial à la psychothérapie32, ce qui attire vers des thérapeutes plus immédiatement disponibles. Enfin, il faut porter quelque chose au crédit des non-soignants et au discrédit de mes confrères concernant leur formation initiale… Améliorer la formation Balayons devant notre porte ! Quelle est cette aptitude dont beaucoup de soignants manquent un peu ? L’aptitude à bien communiquer ! Un PNS peut manquer de notions sur la relation, la psychologie ou le contexte (médical par exemple) de la problématique qu’il prend en charge, mais il a appris avec l’hypnose, si sa formation est bonne, un processus de communication. La présentation, la forme est parfois plus séduisante et agréable que la médecine, parfois austère. Quand nous formons, en revanche, des soignants à l’hypnose, ils placent assez vite cette pratique dans leur contexte médical et, en même temps, apprennent souvent beaucoup sur une meilleure manière de communiquer avec le patient, de lui parler, de l’écouter, de l’aider à avancer… parce que cela manquait à leur formation ! Ils sortent d’un cadre techniciste de la médecine, ils apprennent à « réhumaniser le soin33 ». Si l’étude de la médecine nous apprend beaucoup sur le plan technique (le fond), la communication (la forme) s’apprend, hélas, uniquement sur le tas. Si l’étude de la médecine nous apprend beaucoup sur le plan technique (le fond), la communication (la forme) s’apprend, hélas, uniquement sur le tas.

Bien trop peu d’heures, voire aucune, sont consacrées à la communication. Il ne reste que l’apprentissage empirique auprès des patients (indispensable bien sûr), des pairs, ou l’empathie et le talent naturel de certains… Si l’on ajoute les contraintes administratives qui pèsent sur les médecins et ont réduit leur temps médical, les amenant parfois à diminuer les temps de consultation, ainsi qu’un certain nombre d’autres facteurs alors, en effet, un praticien « différent » devient attirant. Mais bien communiquer, communiquer en sorte que le message parvienne à l’interlocuteur et l’aide, s’apprend. Il est désolant que les formations médicales ne l’aient pas encore assez compris et soient, sur ce plan-là, souvent nettement doublées par des formations « alternatives ». Si la formation à la santé en France est de bon niveau, elle n’est pas assez humainement satisfaisante. Si la formation à la santé en France est de bon niveau, elle n’est pas assez humainement satisfaisante. Donc il faudrait améliorer la qualité des formations ? Oui ! Je souhaite que de plus en plus de soignants se forment, si ce n’est à l’hypnose, du moins à la communication thérapeutique inspirée par l’hypnose. Concernant les soignants, je me suis exprimé sur la question dans mon ouvrage Écouter, parler : soigner dans lequel je tente d’apporter aux soignants des outils concrets de communication pour les aider à améliorer la relation soignant-soigné, améliorer la confiance. Je souhaite que de plus en plus de soignants se forment, si ce n’est à l’hypnose, du moins à la communication thérapeutique inspirée par

l’hypnose, et que, souhaitons-le, ce genre de notions fasse son entrée dans le cursus initial de tout médecin. Certaines initiatives récentes, notamment de certains départements d’enseignement de la médecine générale, vont dans le bon sens sur ces domaines. De nombreux soignants sont authentiquement humanistes et empathiques, font ce métier par vocation d’aider leur prochain avec bienveillance, et il semble que la communication hypnotique les aide à mieux l’exprimer. Concernant l’hypnose non médicale et sa pratique, une réflexion de fond s’impose. Cela dit, je n’ai pas la prétention d’avoir de légitimité pour dire à d’autres quoi faire, et nous avons déjà « bien assez de travail » pour améliorer sans cesse la qualité des formations des soignants. Il y a plusieurs tentatives de la part de ces thérapeutes de s’organiser et de mettre de l’ordre et du professionnalisme dans leur pratique. Bien entendu, n’étant pas une profession encadrée par la loi, par l’État, l’aspect concurrentiel et commercial n’est jamais loin, mais les intentions (ou la nécessité ?) de clarifier la question font évoluer le paysage de l’hypnose. Il y a quelques années seulement, les écoles de PNS avaient une vocation strictement de formation à la technique et les praticiens à leur pratique. Actuellement, en plus d’une activité de formation et d’accompagnement, plusieurs écoles et de nombreux PNS mènent des actions nettement plus « engagées », qui visent à positionner plus institutionnellement et légalement leur pratique. L’enjeu de l’avenir immédiat se résume ainsi : quelles compétences pour quelle hypnose ? L’enjeu de l’avenir immédiat se résume ainsi : quelles compétences pour quelle hypnose ? Sans autre prétention que de contribuer à la réflexion, il me semble qu’une formation professionnalisante devrait donc être plus exigeante (ne faudrait-il pas être plus exigeant vis-à-vis d’un débutant que vis-à-

vis de quelqu’un qui a déjà un métier bien en place ?) et assumer qu’elle forme à un métier exigeant. Cette formation devrait compter un nombre d’heures suffisant pour apprendre un métier au-delà d’une technique (c’est-à-dire plusieurs centaines), ces heures devraient être étalées sur plusieurs mois et même plusieurs années pour permettre un recul suffisant, un examen de connaissances minimales, ou une admission sur dossier témoignant de connaissances minimales, devrait exister à l’entrée. Par ailleurs, une telle formation devrait comporter un certain nombre de lectures obligatoires, des stages et supervisions pendant un temps assez long avec des praticiens chevronnés (y compris après la fin de la formation initiale), des notions d’éthique, un examen théorique et pratique (par exemple sur analyse vidéo, ou dans un stage…), peut-être d’autres choses… Espérons que cela évolue, mais comment en être sûr tant que l’on met en avant l’attrait que représente une formation « facile », et la manne commerciale que représentent ceux qui veulent apprendre vite et aisément l’hypnose ?… Et, en vérité, les très bons PNS qui ont une formation diversifiée et une pratique qui va au-delà de la technique, avec une posture éthique, sont parfois des autodidactes, qui ont complété leur formation par d’autres formations, par des lectures cohérentes, par des supervisions. Les praticiens (y compris soignants parfois !) formés « n’importe comment » font donc potentiellement « n’importe quoi », à commencer par faire perdre leur temps et leur argent à ceux qui les consultent… Quels sont les problèmes de ces formations de mauvaise qualité ?

Il est très difficile (et sans grand intérêt) de « faire le tour » de toutes les formations existantes pour les « dénoncer ». Préférons donc « informer ». Donnons quelques exemples de ce qui peut poser problème. Par exemple, l’absence de sélection des dossiers. De nombreuses écoles proposent explicitement de prendre des personnes sans aucun background. Peut-être celles-ci ne savent-elles même ni lire ni écrire, peut-être ont-elles un métier ou une formation qui n’a rien à voir avec la relation d’aide, peut-être viennent-elles pour d’autres motifs pas toujours clairs ; elles seront tout de même formées de la même manière et à la même technique que si elles étaient des psychologues cliniciens, comme si d’où nous venons et ce que nous voulons en apprenant un métier d’aide n’avait aucune importance à être au moins questionné… Que penser lorsqu’on promet à une personne sans aucune qualification préalable qu’elle pourra ensuite, après quelques jours de formation (deux à quatre semaines par exemple), prendre la responsabilité d’ouvrir un cabinet et recevoir des personnes en souffrance ? Il n’y a pas de diplôme d’hypnose en France, tous les certificats et pseudotitres donnés par les écoles d’hypnose ne valent que pour ceux qui reconnaissent ladite école d’hypnose… Pour attirer les futurs thérapeutes, on leur fait miroiter des sortes de diplômes ou certificats parfois vides de sens. Excellent argument commercial peut-être. Nous l’avons dit, il n’y a pas de diplôme d’hypnose en France34, tous les certificats et pseudotitres donnés par les écoles d’hypnose ne valent que pour ceux qui reconnaissent ladite école d’hypnose… N’importe qui, même sans formation, peut, pour le moment, s’autoproclamer hypnothérapeute, ou tout autre titre bien plus

pompeux. Nous ne pouvons que le rappeler car ce genre de vocabulaire berne parfois les patients par son ambiguïté. Prenons même un exemple qui serait caricatural s’il n’était réel : les formations à distance. Alors que l’hypnose est une technique relationnelle par essence, qui s’apprend par la pratique, alors qu’un formateur devrait pouvoir répondre de l’attitude de ceux qu’il forme, alors que l’on forme à des pratiques qui impliquent de la responsabilité, comment peut-on comprendre que certains proposent, après des formations à distance, sans même peut-être les avoir jamais rencontrés, de donner un « certificat » ? Effectivement, un patient qui ne connaît pas le système des soins et des diplômes ne pourrait-il pas être séduit par une enseigne qui lui dirait qu’il est en présence d’un « Maître Praticien Certifié en Hypnose Ericksonienne par l’École…………. » ? Saurait-il alors qu’il est potentiellement en présence d’une personne qui a eu ce titre après le visionnage de quelques heures de vidéo et l’impression de quelques feuilles ? On peut aussi se laisser avoir autrement par l’origine de la certification. Prenons par exemple un institut (il y en a plusieurs) qui promettrait une certification par la NGH, la « National Guild of Hypnotists », une institution américaine regroupant un (très) grand nombre de professionnels en hypnose (dont certains sont professionnels de santé). Sauf que cette « guilde » a plusieurs fois été mise en cause aux États-Unis pour son manque de sérieux, son aspect commercial et sa tendance à distribuer, sans être trop regardante, des certificats et « diplômes » à partir du moment où un dossier en ligne était rempli et une cotisation payée. Au point qu’un chercheur américain avait pu, il y a une quinzaine d’années faire certifier… son chat en tant qu’hypnothérapeute35 ! À la suite de cette affaire qui fit grand bruit, le dossier à déposer à la NGH inclut obligatoirement une photo de permis de conduire…

Bref, la situation a peut-être évolué, mais on laissera chacun juge de ce que peut signifier ce genre d’accréditation reçue en quelques jours… Mais même si les titres des thérapeutes sont un peu « vides », la pratique, elle, peut avoir lieu bien concrètement. Il n’y a, là non plus, pas besoin d’un niveau « bac +15 » pour arriver à mener une séance ! Techniquement oui. Le double drame de l’hypnose est d’être une technique puissante… et relativement simple ! Le double drame de l’hypnose est d’être une technique puissante… et relativement simple ! La réalité est que les techniques de base de l’hypnose (je ne parle pas de stratégies de thérapie avancées) sont assez faciles à apprendre. Leur puissance fait évidemment que quelqu’un de malintentionné ou de mal formé pourrait très vite obtenir des effets (y compris spectaculaires). Mais c’est un saut sans filet. C’est ce qui fait que certains, avec à peine quelques notions, constatent des résultats et se croient tout permis. Quand tout se passe bien, il est « facile » de se contenter d’une technique, quand le patient est motivé pour changer, il est facile de se croire « bon » et de promettre des miracles… mais la réalité est souvent plus complexe qu’elle en a l’air. L’apprentissage relationnel et du cadre éthique est plus déterminant que la technique. Il n’y a pas d’argument fort pour penser qu’un PNS, notamment supervisé, ne puisse pas pratiquer une hypnose de base, aidante pour un certain nombre de personnes. Mais il n’est pas raisonnable de penser qu’une certification en quelques jours de cours est suffisante pour un bachelier pour traiter des personnes avec des troubles anxieux, phobies, en dépression,

addiction ou des traumatismes… Il faut parfois plus que de bonnes intentions. Entre l’incompétent, le charlatan, le praticien remarquable autodidacte, le psy qui appuie sa compétence en hypnose sur les fondations de sa formation initiale (qui inclut la capacité d’évaluer les difficultés psychiques), bref, tout existe. Tout n’est évidemment pas dramatique dans la pratique, mais c’est surtout, pour le moment, relativement illisible36, et Internet est parfois un miroir déformant. Comme le dit le Pr Falissard, auteur du rapport INSERM sur l’hypnose : « Ce qui me dérange dans l’hypnose c’est qu’aujourd’hui, vous voulez aller voir un hypnothérapeute, vous allez regarder sur internet ou dans un annuaire, vous ne savez pas trop qui vous allez aller voir parce que les formations sont complètement hétérogènes… vous ne savez pas si vous allez voir quelqu’un de sérieux ou de pas sérieux… » On l’aura compris, c’est aussi du domaine de la formation que l’organisation viendra ou pas : pour assainir le paysage de l’hypnose, donner une éthique à la formation, aider à rendre la démarche cohérente et lisible, rendre plus visibles les formations déjà cohérentes, se détacher des dérives mystiques ou autoritaires dès le début de la démarche d’un praticien. Au-delà de la « forme » (le titre, le nombre d’heures, les modalités de la pédagogie, le niveau…) il y a parfois des problèmes de « fond » sur le contenu même ? Cela arrive, oui. La rigueur n’est pas toujours de mise chez les « vendeurs de formation en hypnose ».

Depuis quelque temps, il ne se passe pas une année sans qu’apparaissent un nouveau concept, une nouvelle hypnose (dite humaniste, intégrative, quantique, ultra, spirituelle, nouvelle, profonde, évolutive, etc. dont certaines sont devenues des marques déposées) qui sont général un agrégat de diverses théories psychologiques et un mélange de techniques faussement nouvelles empruntées ici ou là, quand ce n’est pas une dérive mystique, ésotérique ou pseudoscientifique. L’hypnose est une discipline en évolution mais il n’y a pas plusieurs hypnoses. Des façons de procéder, des points de vue sur la pratique, oui, mais pour l’essentiel il n’y a pas de rupture épistémologique assez forte pour parler d’hypnose différente. L’hypnose est une discipline en évolution mais il n’y a pas plusieurs hypnoses. Des façons de procéder, des points de vue sur la pratique, oui, mais pour l’essentiel il n’y a pas de rupture épistémologique assez forte pour parler d’hypnose différente. Bien entendu, « créer un concept » est potentiellement lucratif, et on reste gêné par la démarche de breveter une thérapie37. Les allégations de nouveauté résistent rarement à une lecture avertie, les concepts sont flous et mélangés. Par exemple on confond dissociation et perte de conscience, réassociation et volonté, inconscient (les fonctions non conscientes) et inconscience (comme une perte de connaissance et de contrôle)… On prétend changer l’hypnose en appliquant des recettes bien anciennes… On prend une induction pour une thérapie… On emprunte des mots à la physique théorique… De nombreux auteurs-vendeurs nous donnent l’impression de réinventer l’eau tiède et de la breveter, faisant parfois preuve d’une ignorance crasse mais enrobée de propos séduisants et qui semblent tout expliquer et tout résoudre. Nous sommes aussi parfois en présence de concepts qui flirtent avec la mystique, l’ésotérique voire le paranormal. Interventions thérapeutiques à distance, concepts « quantiques » allègrement

transposés de la physique vers le mysticisme New Age, action sur le corps « éthérique » (concept issu de l’occultisme), connexion à une sorte de conscience supérieure, et bien d’autres, sont parfois enseignés au même titre que l’hypnose dans certaines formations. S’y ajoutent selon les cas des emprunts mal maîtrisés à l’hindouisme, à des concepts analytiques (comme les très à la mode « archétypes » de C.G. Jung que l’on sert à toutes les sauces sur les réseaux sociaux, parfois pour justifier des stéréotypes, notamment sur les hommes et les femmes) ; ajoutons à tout cela un peu de complotisme antimédical, des hypothèses univoques, explicatives de tout (le meilleur moyen d’enlever de la liberté à une personne étant de la priver d’une interprétation libre de son ressenti), et un découragement systématique à questionner les dogmes sous peine d’être accusé de fermeture d’esprit… Bref, nous pourrions passer du temps sur de nombreuses théories qui sont soit des concepts maquillés en nouveauté, des pseudosciences jargonnantes avec des références pauvres, quand elles ne sont pas de l’ordre de l’ésotérique ou du paranormal. Mais ce serait inutile. Car ce ne seraient que des exemples « archétypiques » de ce genre de démarches, qui continueront probablement encore d’abuser de l’ignorance des gens, et face auxquelles nous ne pouvons que recommander de conserver l’esprit critique si l’on veut s’en faire une idée… Pouvons-nous faire autre chose que de recommander de s’éloigner de ce genre de praticiens ou de formations pour quiconque voudrait envisager une pratique ayant une image sérieuse ? Car, de fait, des médecins et des scientifiques sont aussi parfois attirés et, en écrivant des préfaces ou en participant à des rencontres, donnent une caution scientifique à tout cela… Innover n’est donc pas une bonne idée ?

Sur le principe oui, évidemment. Mêler divers modèles, effectuer des emprunts théoriques, affiner la pensée sont un bon moyen de s’adapter aux besoins du patient. Inventer et breveter de fausses révolutions, de nouveaux types inédits de transes, ou des classifications bancales de « niveaux de profondeur », avec des « signes distinctifs38 » est une démarche plus questionnante. Les inventions de nouveaux « modèles » ou de nouveaux types d’hypnose, surtout s’ils prétendent « tout changer » doivent d’abord être regardés avec circonspection et esprit critique. Un peu de connaissance en psychothérapie et en hypnose fait souvent rapidement tomber l’illusion. Mais tout cela est très confusionnant pour les patients, déjà saturés d’informations contradictoires. Les inventions de nouveaux « modèles » ou de nouveaux types d’hypnose, surtout s’ils prétendent « tout changer » doivent d’abord être regardés avec circonspection et esprit critique. Car si certains soignants ou scientifiques communiquent mal, certains excellents communicants s’embarrassent rarement des faits. Donc des galimatias théoriques… et concernant la pratique ? Notons pour exemple sur le plan pratique, la promotion parfois gênante, dans certaines approches, de suggestions autoritaires et dominatrices pour l’induction hypnotique39 ou même pour la sortie de transe ! N’a-t-on pas vu des « thérapeutes » s’échanger l’astuce d’une suggestion sous forme de menace, dans laquelle on dit au sujet que s’il n’obéit pas, s’il ne se « réveille » pas quand on le demande, le thérapeute l’empêchera à tout jamais de ressentir à nouveau du bien-être ?

Est-ce vraiment l’état d’esprit d’un thérapeute que de produire des phrases qui laissent imaginer une domination sur le sujet et ses ressentis ? Ne devrions-nous pas encourager les patients et les praticiens qui veulent aider par l’hypnose à refuser ce genre de pratiques dominatrices ? Pour l’anecdote (telle qu’on me l’a rapportée) une des filles du célèbre Erickson, elle-même thérapeute, assistait un jour à un atelier, animé par d’estimés collègues, juste avant celui qu’elle devait ellemême donner. Pleine d’humilité elle participa comme tous les thérapeutes présents, débutants ou chevronnés aux exercices et jeux de rôle proposés par petits groupes. Alors qu’elle « jouait le rôle du patient » elle prévint son partenaire de ne pas lui faire de « suggestions d’amnésie ». (Il s’agit d’une suggestion du thérapeute d’oublier, au besoin, ce qui vient de se produire en séance pour le laisser « travailler » dans l’inconscient, ce qui peut parfois être utile mais n’a rien de systématique.) En effet lui expliqua-t-elle, bien que l’amnésie puisse parfois être utilisée sur le plan thérapeutique, son père l’avait entraînée et conditionnée pour immédiatement sortir de transe à la moindre suggestion d’amnésie, pour ne jamais être manipulée à son insu. Voilà qui en dit long sur la lucidité d’Erickson au sujet de l’éthique à géométrie variable qui peut exister chez ceux qui prétendent aider. Bien sûr, il y a aussi l’inquiétude d’un père, puisque ce sont des suggestions qui peuvent être utiles par ailleurs. En revanche, je suis convaincu de l’aspect délétère de ce genre de suggestions menaçantes. Comme j’aimerais, de mon côté, apprendre aux patients à immédiatement interrompre la relation d’avec tout praticien, soignant ou pas, qui userait de menaces ressemblant à des prises de pouvoir sur leur psychisme… Comment tout cela pourrait-il évoluer ?

Si quelques avatars ennuyeux ont été évoqués ici, ils ne sont pas forcément systématiques, loin de là et tant mieux, mais sont les plus visibles. Alors cela évoluera soit par une législation « dure » qui interdira la pratique de l’hypnose hors des soins. Interdire l’usage d’un mot à certaines catégories de population serait une décision forte des autorités. Si cela arrive, certains de ceux qui le redoutent y auront contribué. Cela dit, cette solution semble bien délicate à mettre en place, voire inapplicable ou injuste pour les praticiens non médicaux de qualité40. Bien sûr, dans un cadre soignant, l’hypnose comme soin devrait rester… une affaire de soignants. Mais de nombreux praticiens non médicaux qui s’affichent moins sur Internet, demeurent des artisans, qui communiquent avec prudence, sans usurper un rôle de médecin, sans faire ce pour quoi ils ne sont pas mandatés, et qui ont une éthique correcte qui ne mérite pas censure. Bien sûr, dans un cadre soignant, l’hypnose comme soin devrait rester… une affaire de soignants. Mais de nombreux praticiens non médicaux qui s’affichent moins sur Internet, demeurent des artisans, qui communiquent avec prudence, sans usurper un rôle de médecin, sans faire ce pour quoi ils ne sont pas mandatés, et qui ont une éthique correcte qui ne mérite pas censure. Soit par une absence de régulation comme maintenant qui rendra la situation toujours un peu plus difficile à déchiffrer. Plus gênant notamment si la confusion devient telle que la méfiance (des patients et du monde scientifique) devient généralisée sur l’hypnose, nous ne pourrions que le regretter. Soit par une législation sur la qualité des formations et sur les conditions, les compétences légitimant la possibilité de pratiquer l’hypnose dans une application non-soignante éthique (qui pourrait

inclure la thérapie dans une certaine limite mais aussi la préparation mentale du sportif et d’autres applications)41. Car il existe des formations qui n’ont pas les problèmes évoqués cidessus, qui respectent le cadre de leurs pratiques, qui ont un nombre d’heures et un contenu conséquent et des notions de relation, d’éthique… Dans tous les cas, les cadres de pratique gagneraient à être clarifiés, et la définition de compétences correspondant à une pratique donnée nous semble la meilleure voie à suivre. Dans l’attente, les patients sauront, je le souhaite, faire la différence si on leur en donne les outils. EN SOMME Au moment de conclure cette partie sur les diverses pratiques de l’hypnose, tentons de prendre du recul. La vocation première de l’hypnose, telle qu’elle est présentée dans ce livre, est de soigner. L’histoire même de l’hypnose est faite particulièrement de soignants et de scientifiques qui ont toujours lutté pour bien différencier, s’écarter, s’éloigner de tout usage ludique, spectaculaire ou mystique. Il revient peut-être aux soignants et aux « psys » de rappeler encore et encore que cette pratique n’est pas anodine et que la prudence s’impose, particulièrement dans les pratiques qui « jouent » sans prudence ou qui « aident » sans qualification. Un certain nombre de phénomènes actuels nécessitent de considérer attentivement la question et avec prudence. Les spectacles se multiplient, l’hypnose fleurit dans la rue, les formations parfois douteuses sont un véritable business, les praticiens non-soignants n’ont jamais été aussi nombreux, avec toute l’ambiguïté que charrie leur pratique.

Tout en défendant, avec d’autres, l’hypnose thérapeutique, celle qui a vocation à soigner, pour autant l’hypnose n’appartient pas à un groupe de personnes. En revanche il revient peut-être aux soignants et aux « psys » de rappeler encore et encore que cette pratique n’est pas anodine et que la prudence s’impose, particulièrement dans les pratiques qui « jouent » sans prudence ou qui « aident » sans qualification. Nous espérons que le champ de l’hypnose thérapeutique deviendra plus lisible, et que son utilité aux soins sera plus clairement remarquée et reconnue par nos tutelles. Que la confiance en cette pratique perdurera chez les patients, auprès des soignants compétents qui pourront faire valoir son intérêt au quotidien. Elle est un atout remarquable dans de nombreux domaines. Les soignants font mieux avec l’hypnose ce qu’ils faisaient déjà sans. Si doit continuer une forme d’hypnose non-soignante, orientée vers le bien-être ou la prévention, alors elle devra peut-être s’organiser, mieux se définir, se structurer, et participer au débat sur les compétences nécessaires à une bonne pratique, pour être plus solide et légitime que maintenant. Si doit continuer une forme d’hypnose non-soignante, orientée vers le bien-être ou la prévention, alors elle devra peut-être s’organiser, mieux se définir, se structurer, et participer au débat sur les compétences nécessaires à une bonne pratique, pour être plus solide et légitime. Les praticiens non-soignants qui voudraient donner du crédit à leur pratique seraient bien inspirés de se détacher clairement des dérives mystiques, non scientifiques ou impliquant des relations de domination relationnelle. Il s’agit que le nécessaire cadre se clarifie également, avec des praticiens formés correctement, respectueux d’une éthique et des limites de leur domaine de compétences au moment de recevoir des personnes en souffrance qui lui confieront leurs doutes et leurs espoirs.

S’il doit subsister une forme d’hypnose ludique, il faut qu’elle soit juste agréable, étonnante, prudente, sécurisée, de l’ordre de la magie/prestidigitation mais éloignée des dominations de mauvais goût, fascinations humiliantes, déstabilisations gratuites aux dépens des personnes. Rappelons que la dignité humaine consiste à ne pas utiliser un autre comme un moyen, ni le diminuer. Si le débat dont nous parlions : « Quelles compétences pour quelle pratique ? » s’ouvre avec honnêteté alors un développement de l’hypnose s’annonce plutôt qu’un risque pesant sur sa pratique. Soyons optimistes… Pour finir, précisons que pour parler de l’hypnose, de ses cadres, de ses risques et limites, toutes les comparaisons que l’on a pu faire sont imparfaites42. Le plus juste serait de dire en fait que l’hypnose est une forme de communication (dans sa part technique) et le fruit d’une communication (sur l’état de conscience ou la relation qui en découle) et qu’elle facilite la communication. Le plus juste serait de dire en fait que l’hypnose est une forme de communication (dans sa part technique) et le fruit d’une communication (sur l’état de conscience ou la relation qui en découle) et qu’elle facilite la communication. Et si nous disons qu’elle est une des formes de la communication, et si nous rappelons que la communication est un phénomène naturel qui peut avoir divers usages : ludique, agréable, manipulatoire, banal, aidant ou soignant dans la thérapie et qui peut s’apprendre ou se perfectionner… Alors en disant cela sur l’hypnose, cela laisse penser que nous portons en nous-mêmes des forces insoupçonnées qui pourraient être bénéfiques ou mortifères selon comment on les utilise. Bien utiliser la communication c’est utile, parfois indispensable, et même c’est souvent un soin ! Mais elle peut devenir manipulation ou

même pire… À partir de là, n’est-il pas légitime que les gens revendiquent une forme d’autonomie qui leur permettrait de mieux connaître cette communication ? C’est l’une des raisons du succès actuel de l’hypnose et il faut en tenir compte. On pourrait imaginer, d’une part, qu’il faut aider chacun à mieux connaître le sujet. Non pas pour en faire usage sur d’autres ou se prétendre soignants, mais avant tout pour savoir aussi se protéger des manipulateurs. Au fond, ce sont souvent les charlatans qui sont dans la rétention de savoir et enveloppent leurs discours de mystères pour mieux vendre. Donner les moyens de mieux comprendre les tenants et aboutissants de la pratique, pouvoir connaître les bénéfices, les dangers, mais aussi ce qu’on peut ou non en attendre est le but poursuivi par ce livre. Pour se protéger des dérives, sans pour autant entrer dans la prohibition ou la paranoïa, la connaissance a toujours été un rempart. On pourrait imaginer, d’autre part, un usage peu risqué et simple. L’autohypnose pourrait être apprise, par exemple, avec des thérapeutes qualifiés, de façon un peu plus large, non pas pour soigner d’autres mais peut-être simplement pour prendre soin de soi43 et de la façon dont on communique. On peut apprendre à quelqu’un à mieux utiliser sa respiration, sans lui laisser entendre qu’il peut aller aider des patients asthmatiques. On peut apprendre à mieux communiquer, ce serait même souhaitable, sans pour autant mettre chacun en position d’expert en communication. Nous ne pouvons échapper à la demande légitime de plus de connaissances. Mais il faut tracer un peu mieux les contours de cette idée. Comment donner de l’autonomie et du libre choix aux personnes, tout en s’assurant d’une certaine sécurité, tout en s’assurant que l’hypnose ne se met pas à être pratiquée de façon anarchique, autoritaire ou pour soigner sans que l’on soit compétent ?

La première étape est donc l’information. Pour ceux qui voudraient aller plus loin, la dernière partie de ce livre permettra de mieux comprendre (au moins partiellement) le mode de fonctionnement psychique de l’hypnose et de la distinguer des pratiques qui lui sont proches. Intermède : en pratique Que dites-vous concrètement aux patients alors ? Que dans l’absolu, tout problème de santé nécessite de rencontrer un professionnel de la santé, que la santé psychique fait partie de la santé et qu’il faut un peu connaître les pièges dans lesquels ne pas tomber. Les soignants ne sont pas tous irréprochables, loin de là, même si voir un soignant protège, c’est souvent un peu plus un gage de compétence, voir un non-soignant protège moins, mais on trouvera toujours des contre-exemples à la pelle : des non-soignants formidables qui ont véritablement sauvé des personnes et des soignants lamentables qui ne méritent pas leur titre. Dire aux patients aussi que le prisme d’Internet est parfois trompeur, car il nous montre avant tout les entreprises commerciales qui « vendent » de la formation et les praticiens qui s’affichent. Mais sur le terrain on trouve des PNS potentiellement aidants. Il est dur d’en estimer la proportion. Du fait de l’absence de régulation du phénomène et de protection du titre, il n’y a aucune garantie. Il convient d’être prudent avant de confier ses difficultés personnelles à quelqu’un, quel qu’il soit. Dans la réalité, beaucoup de patients ont confiance dans le diplôme d’État de la personne qu’ils rencontrent, mais surtout les patients vont souvent consulter par bouche à oreille, et c’est, finalement, un filtre inévitable et pas si mauvais… Un praticien répétitivement incompétent ou dangereux peut parfois finir par se faire (mal)

connaître. Un de vos proches qui a bénéficié avec succès d’une thérapie n’est pas une garantie que « ça marchera pour vous » mais doit vous indiquer déjà si ce que vous raconte votre proche ne vous met pas mal à l’aise. Mais le plus important reste la notion de sécurité relationnelle. Il faut se sentir bien, se sentir à l’aise, se sentir en sécurité face à son praticien. Mais le plus important reste la notion de sécurité relationnelle. Il faut se sentir bien, se sentir à l’aise, se sentir en sécurité face à son praticien. Le moindre malaise, la moindre difficulté, doit pouvoir être évoqué avec le praticien et résolu, ou doit mener à une sortie sans problème de la relation. A fortiori le moindre geste déplacé, toute tentative de manipulation, tout abord mystique ou toute tentative d’empêcher la volonté éventuelle du patient d’interrompre la thérapie, toute culpabilisation du patient pour ses problèmes doit entraîner une légitime méfiance. Sans confiance envers le praticien, pas de thérapie possible. J’encourage les patients à faire confiance à leur bon sens, à leurs sensations et à chercher avant tout à se protéger eux-mêmes. Que dire aux soignants ? S’ils veulent se former qu’ils surveillent, concernant l’école de formation, un certain nombre de critères. Premièrement, il me semble qu’un soignant est plus à même de former des soignants. Les soignants parlent « le même langage », connaissent les soins, les hôpitaux, les filières, les patients, les enjeux des pratiques soignantes. Ainsi ils devraient préférentiellement se tourner vers un institut d’hypnose thérapeutique qui forme uniquement dans un cadre

thérapeutique (c’est-à-dire qui forme des professionnels de santé). Par symétrie, il est logique que les enseignants et dirigeants de ces instituts soient également des professionnels du soin expérimentés dans la pratique de l’hypnose et dans l’enseignement. Se méfier donc des titres un peu atypiques « maître praticien de… »/ « formé par… »/ « seul habilité à… ». Il n’est pas logique et cohérent qu’en tant que soignant vous soyez supervisé par des personnes qui n’ont aucune expérience dans ce domaine. Aujourd’hui ces instituts sont essentiellement ceux de la CFHTB (Confédération francophone d’hypnose et de thérapies brèves, association qui regroupe un grand nombre d’instituts soignants qui ont adopté cette éthique), le CHTIP (Collège d’hypnose et thérapies intégratives de Paris), le centre Ipnosia, l’IFH (Institut français d’hypnose) et quelques autres44. De même les étudiants doivent être encouragés à pratiquer l’hypnose dans le cadre du décret de compétences, du règlement ou de la déontologie de leur profession soignante. La formation d’hypnose à elle seule ne faisant pas une qualification professionnelle, il faut se méfier donc des lieux où l’on vous promet facilement métier reconnu et reconversion professionnelle, ce genre d’option se réfléchit de façon posée… Par ailleurs, attention au mélange des genres. Pour les soignants, le soulagement du patient doit être notre seul souci. Un institut sérieux de soins ne peut aucunement soutenir ou promouvoir l’hypnosespectacle. Méfiez-vous donc de ceux qui ne se démarquent pas de cette pratique, qui considèrent qu’une technique de soins peut être apprise comme un simple divertissement amusant. Enfin, une formation en hypnose pour un soignant doit contenir un certain nombre d’heures. Il paraît impensable d’apprendre les bases de l’hypnose en moins de 8 ou 10 journées, et une formation complète incluant les notions de thérapie à ajouter au background soignant devrait comporter 200 à 300 heures au total.

La formation doit comporter beaucoup de pratique et d’exercices, l’hypnose est plus qu’un savoir, c’est avant tout un savoir-faire, impossible à apprendre uniquement en théorie. De ce fait il ne paraît pas raisonnable d’apprendre l’hypnose par Internet ou uniquement dans un livre. Il faut être guidé et entraîné par un thérapeute expérimenté. Méfiez-vous donc de ceux qui vous promettent une formation complète et rapide à la fois, de ceux qui cherchent absolument à vous vendre leur livre ou leurs leçons en e-learning. La supervision par des pairs ou des personnes ayant les compétences requises est également très recommandée. Pour la qualité intrinsèque de la formation, les critères sont assez superposables à ceux exposés ci-après pour le milieu de la relation d’aide non médicale45. Et que dire aux non-soignants ? Si vous souhaitez apprendre un peu d’hypnose, peut-être faut-il vous tourner vers l’apprentissage de l’autohypnose. Il est très dur de « choisir vers qui se tourner ». Si vous avez la moindre crainte, notez qu’il existe de plus en plus de formations à l’autohypnose, organisées aussi par des soignants. Si vous souhaitez vous-même devenir soignant, eh bien vous pouvez apprendre un métier de soins. Découvrez le métier d’infirmier, de psychologue, ou autre, et la relation thérapeutique. Les formations à l’hypnose viendront en complément et vous enseigneront donc un outil précieux. C’est le meilleur moyen de gagner la reconnaissance de vos compétences, par la profession et par les patients, et de lever toute ambiguïté. Si malgré tout vous souhaitez pratiquer l’hypnose en tant que pratique d’aide non-soignante, en lien avec le bien-être et le développement personnel, alors soyez prudent en choisissant l’école de formation46.

L’existence d’une sélection minimale à l’entrée ou d’interrogations sur les motivations à se former est un critère de sérieux intéressant. La sélection à la sortie aussi, c’est-à-dire où il peut être signifié au stagiaire qu’il n’a éventuellement pas acquis assez de connaissances si c’est le cas ; et non pas qu’il sera forcément « diplômé » s’il paie… La formation doit pouvoir inclure des lectures obligatoires (l’apprentissage d’un métier nécessite des connaissances), des supervisions, des notions d’éthique, de psychologie et de relation, un nombre d’heures suffisant (qui doit se compter en centaines) avec une large part d’exercices pratiques. Méfiez-vous des écoles qui donneraient des titres trop ronflants et fuyez ceux qui disent avoir inventé un concept ou déposé une marque de thérapie. Éviter les formations qui enseignent des concepts mystiques, ésotériques, spiritualistes, magiques, antiscientifiques, ou qui refusent de donner certaines explications quand vous posez des questions. Attention aux écoles qui vous apprendraient uniquement un discours « antimédical » pour montrer qu’ils font encore mieux que la médecine habituelle. Un praticien doit savoir connaître ses propres limites et un formateur doit les enseigner, et il faut absolument savoir passer la main si besoin est, c’est un gage de crédibilité. Un discours dans la confrontation permanente avec la médecine habituelle (même si celle-ci doit rester critiquable) est souvent l’apanage de ceux qui dépassent leurs compétences et leur cadre de pratiques et prennent des risques. Évitez les formations qui pratiquent l’ e-learning, cela ne correspond pas à l’hypnose qui est un savoir-faire qui s’apprend auprès d’autres. Par ailleurs une formation qui vous enseignerait uniquement des protocoles ne serait pas sérieuse. Un « script tout fait » pour chaque difficulté (un « script-deuil » « script-tabac » « script-confiance en soi ») est une pratique qui n’a pas de sens et révèle souvent l’incompétence. Apprendre l’hypnose doit apprendre à vous ajuster au patient, doit vous donner une boîte à outils souple et adaptative.

Pendant les formations, méfiez-vous de ceux qui vous enseigneraient l’hypnose en vous montrant leur « force », en montrant leur capacité à déstabiliser certains de leurs stagiaires ou à s’acharner sur les plus fragiles. Une formation sérieuse n’est pas une psychothérapie publique ou de groupe. On ne devrait pas être encouragé à résoudre nos gros problèmes personnels en public ou en « démonstration », les formateurs ne doivent pas chercher à nous déstabiliser ou à « s’acharner » sur quelqu’un en public. Si une personne ne se sent pas très bien pendant un exercice un formateur doit la rassurer, l’apaiser et éventuellement la guider vers un thérapeute mais pas la déstabiliser en public ou la pousser à révéler des choses intimes comme, hélas, on le voit parfois. Ne pas hésiter à partir si l’on se sent mal et qu’il est impossible d’en parler au formateur, ou pire, si l’on se sent mal et qu’un formateur tente de nous culpabiliser de nos propres difficultés. Dénoncez les dérives. Ne faites pas confiance à des formateurs qui passeraient la quasitotalité de leur temps à faire des formations et pas à rencontrer des personnes. Seule la pratique fait notre crédibilité. Un formateur, aussi beau parleur soit-il, pourra vous convaincre sur le coup, vous « hypnotiser » mais ne vous forme pas à la réalité du terrain s’il n’y est pas confronté. Enfin, ne vous contentez jamais d’une formation à l’hypnose, la relation d’aide est complexe, restons modestes, questionnons sans cesse notre pratique, lisons, doutons et restons éthiques. J’ai conscience que peu d’écoles non-soignantes sont dans ces critères exigeants car l’appât du gain l’emporte parfois sur l’éthique. Là aussi, le bouche-à-oreille, assorti d’un peu de bon sens, d’esprit critique est un outil intéressant. Mais j’espère que des critères de qualité identifiables adviendront pour le plus grand bien des patients

qui s’interrogent et cherchent, sans toujours savoir où les trouver, des thérapeutes compétents et déontologiques. IV Comprendre l’hypnose Sait-on comment l’hypnose fonctionne ? Les curieux qui voudraient aller plus loin pour mieux comprendre les mécanismes de l’hypnose pourraient être intéressés par les pages qui vont suivre. Nous nous y pencherons, en évoquant l’angle des neurosciences (ce qui se passe dans le cerveau en hypnose) et surtout nous présenterons ensuite notre vision du fonctionnement des changements que l’on obtient en hypnose. Pour mieux encore la cerner, nous pourrons enfin poursuivre la discussion sur les techniques « proches » avec lesquelles on la confond parfois, pour y clarifier, un peu, points communs et différences. 8 Le cerveau en hypnose ? L’hypnose dans le cerveau J’ai bien compris qu’en pratique quotidienne, objectiver l’hypnose n’était pas la priorité, l’essentiel étant son efficacité pratique. Mais on est tout de même bien tenté de demander si les neurosciences ont caractérisé cet état de conscience ! S’il est bien naturel, il doit se « passer quelque chose dans le cerveau », non ? Question légitime… et bien actuelle… Il est vrai que le mot « neurosciences » sert parfois d’argument d’autorité. Il est important de connaître les apports extraordinaires de

cette discipline, et d’avoir en tête qu’elle a aussi des limites dans l’interprétation que l’on peut en faire. Cet organe de 1,5 kg à peine comporte environ 100 milliards de cellules (les neurones), connectés entre eux par 10 000 milliards de connexions. Les neurosciences étudient le fonctionnement de l’objet le plus complexe connu à ce jour : le cerveau. Cet organe de 1,5 kg à peine comporte environ 100 milliards de cellules (les neurones)1, connectés entre eux par 10 000 milliards de connexions. Les neurones sont entremêlés les uns aux autres de façon extrêmement complexe, si on démêlait cette « pelote », et qu’on les mettait bout à bout, les neurones d’un seul cerveau feraient 4 fois le tour de la terre. Malgré les progrès incroyables de ces dernières décennies, il n’est pas exagéré de dire que nous n’en sommes qu’à la préhistoire de l’étude du cerveau. Les techniques dont on dispose sont indirectes, c’est-à-dire qu’on ne voit pas directement le fonctionnement du cerveau, mais des indices de son fonctionnement. Par exemple, l’électroencéphalographie (EEG pour les intimes), par la pose d’électrodes sur le crâne, mesure le changement de potentiel électrique entre les diverses zones du cerveau. L’imagerie fonctionnelle (répondant par exemple aux doux acronymes fMRI ou PETScan) mesure la perfusion sanguine, car une zone du cerveau qui s’active reçoit immédiatement un afflux plus important. Cependant, les cellules du cerveau fonctionnent en réseau. Quand on constate des zones cérébrales actives ensemble, il n’est pas toujours évident de savoir si une zone en a activé une autre et dans quel ordre. Par ailleurs, et même si ces aspects progressent de jour en jour, il reste beaucoup plus facile d’étudier les zones qui s’activent que celles qui sont inactivées, inhibées… ou de savoir si elles s’activent pour s’inhiber ! Enfin, la découverte d’une activation ou d’une inactivation d’une zone du cerveau doit être interprétée, et il s’agit souvent d’hypothèses de

fonctionnement plus que de certitudes absolues. Une corrélation (deux phénomènes ayant lieu en même temps) ne signifie pas toujours une causalité (un phénomène a lieu à cause, en conséquence de l’autre). Les neuroscientifiques se méfient des « explications qui expliquent enfin tout » (et dont les « buzz » sur Internet sont hélas friands) et parlent souvent au conditionnel. Les recherches actuelles amènent à penser l’hypnose non pas comme un état figé, mais comme un processus dynamique. Ces restrictions étant posées, certaines découvertes neuroscientifiques nous éclairent déjà un peu sur le fonctionnement de l’hypnose, en faisant le lien entre certains constats de praticiens et certains indices de fonctionnement du cerveau sous hypnose. Plus encore que la description d’un état, les recherches actuelles amènent à penser l’hypnose non pas comme un état figé, mais comme un processus dynamique. Ouf, il est donc possible d’étudier neuroscientifiquement l’hypnose ! Il est même important de le faire. Ce n’est pas parce qu’un phénomène est subjectif qu’il ne doit pas être étudié rationnellement. La médecine, dans sa dimension de soin et de soulagement, a progressé quand elle s’est intéressée sérieusement à la douleur, par exemple. Phénomène subjectif s’il en est, dont on connaît pourtant de mieux en mieux les corrélats neurologiques. Il en va de même des états de conscience : est-ce que le changement constaté chez le sujet reflète des changements « véritables » dans son fonctionnement cérébral, qu’on pourrait distinguer, « mesurer » ? Cette idée porte un nom, un peu barbare : la « neurophénoménologie expérientielle ». Aujourd’hui l’étude de l’hypnose par les neurosciences intéresse les chercheurs qui étudient les états de conscience, de même que les études sur la conscience intéressent ceux qui étudient l’hypnose. De nombreuses études

sont en cours et à faire et l’exploration de la conscience est un phénomène qui n’a pas fini de faire couler de l’encre2. Mais l’étude scientifique de l’hypnose a aussi ses limites. Par exemple, une des caractéristiques de l’hypnose thérapeutique est de tenter de s’adapter au patient, au plus près possible. Si l’on adapte la méthode à chacun des patients, on se place dans le domaine de l’expérience vécue, l’état hypnotique est « extraordinaire mais naturel », en continuité avec des phénomènes ordinaires (communication, influence, suggestion, relation, imagination…). C’est l’idée à l’origine de la psychothérapie. Mais l’étude scientifique de l’hypnose a aussi ses limites. Par exemple, une des caractéristiques de l’hypnose thérapeutique est de tenter de s’adapter au patient, au plus près possible. Si l’on adapte la méthode à chacun des patients, on se place dans le domaine de l’expérience vécue. La plupart de ceux qui pratiquent l’hypnose thérapeutique prennent le parti de l’expérience vécue, mais une analyse scientifique de l’hypnose nécessite un positionnement expérimental. Dans ce raisonnement, il existe un « état » hypnotique, différent de l’état « normal » de veille qui peut être défini par des signes spécifiques. Une étude scientifique doit être menée sur un certain nombre de sujets, et nécessite que l’on pratique exactement la même chose avec chacun pour qu’ils soient « comparables » et que l’on puisse en tirer des informations. Une étude scientifique doit être menée sur un certain nombre de sujets, et nécessite que l’on pratique exactement la même chose avec chacun pour qu’ils soient « comparables » et que l’on puisse en tirer des informations. Ainsi, pour étudier l’hypnose il faut faire des suggestions « standardisées »

que l’on va répéter à l’identique chez les divers patients. Pour cela on sélectionne les patients les plus « hypnotisables »3, pour observer plus clairement les phénomènes. Bref, les études de neurosciences sur l’hypnose ont leurs limites et ne sont jamais complètement transposables à la réalité clinique ! Mais malgré ces petites « trahisons » à l’état d’esprit de l’hypnose thérapeutique, elles ont néanmoins permis de comprendre des éléments fondamentaux ! Bon alors, que se passe-t-il dans le cerveau sous hypnose ? Le sujet s’endort ? Eh bien non. On sait très bien reconnaître le sommeil en EEG, et un sujet hypnotisé ne dort pas. Même s’il y a débat chez les scientifiques pour savoir si on peut reconnaître l’hypnose sur un EEG, tout le monde s’accorde sur le fait que ce n’est pas un EEG de sommeil. L’hypnose porte donc mal son nom, elle n’est pas un état de sommeil, mais au contraire d’éveil. D’autres études en imagerie cérébrale ont permis de montrer que c’est bien les circuits de l’attention et non pas ceux du sommeil qui étaient sollicités dans l’hypnose4. L’hypnose porte donc mal son nom, elle n’est pas un état de sommeil, mais au contraire d’éveil. L’hypnose est-elle un état de conscience objectivable ? Il y a lieu de le penser. La progression des neurosciences cognitives permet aujourd’hui de poser des hypothèses plus précises quant aux régions cérébrales impliquées dans différents aspects de l’expérience subjective. Assez peu d’études se sont intéressées à l’hypnose « seule », sans suggestions très dirigées vers un phénomène précis (diminution de la

douleur, changement de perception sensorielle), cependant, il ressort dans ces quelques études des changements assez convergents5. Il n’y a pas une « zone de l’hypnose », mais plutôt un « patron d’activation », c’est-à-dire un ensemble de zones qui s’activent ou qui diminuent leur activité. Il s’agit plus de chercher une sorte de signature de l’effet de l’hypnose dans le cerveau. Il n’y a pas une « zone de l’hypnose », mais plutôt un « patron d’activation », c’est-à-dire un ensemble de zones qui s’activent ou qui diminuent leur activité. Que constate-t-on ? — Tout d’abord, des zones sont mobilisées des deux côtés du cerveau : toutes les hypothèses sur une différence entre l’hémisphère droit qui serait plus artistique et intuitif – le gauche étant plus rationnel – sont déjà battues en brèche depuis longtemps et fausses, et l’idée qui en découlerait que l’hypnose active plutôt l’hémisphère droit est ici, a fortiori, complètement exclue. — Par ailleurs, on observe dans plusieurs études une activation des régions qui assurent le contrôle exécutif (cortex préfrontal et frontal) : ce qui pourrait bien vouloir dire que nous participons activement à l’hypnose ; nous ne sommes pas « démobilisés » mais actifs dans ce qui se joue, même quand les phénomènes se « produisent d’euxmêmes » ou nous surprennent. — Ces zones frontales sont reliées plus fortement aux zones qui contrôlent certaines fonctions corporelles (comme l’insula), ce qui pourrait ouvrir une hypothèse sur le contrôle en hypnose de nos réactions physiques habituellement plus automatiques.

— On observe à la fois une réduction des zones qui nous repèrent habituellement dans le temps (cortex pariétal), dans l’espace (cortex temporal, précunéus) et une modification de celles qui évaluent le contexte (cortex cingulaire postérieur) et nous aident à décider, dans tout ce qui nous entoure, ce qu’il faut ignorer ou observer attentivement (ce que l’on appelle le « réseau de saillance »). En somme il semble bien qu’on réduise notre attention d’ensemble, et qu’on en augmente fortement l’intensité sur ce sur quoi on la focalise sans effort. En somme il semble bien qu’on réduise notre attention d’ensemble, et qu’on en augmente fortement l’intensité sur ce sur quoi on la focalise sans effort. — D’autres changements au niveau de l’hypophyse (peut-être un changement dans les neurohormones ?) ou du cortex visuel occipital (régulation des informations sensorielles même sans implication d’images ?) ou du tronc cérébral (régulation de l’état de conscience ?) font l’objet d’hypothèses et de questionnements. — Enfin un changement d’activité dans le cortex cingulaire antérieur, dont les significations possibles sont potentiellement intéressantes. Du fait de sa position particulière entre le cortex (perceptions, décisions…) et le sous-cortex (émotions, souvenirs…), certains estiment qu’il serait à l’origine de la possibilité d’associer ou non un stimulus (perception corticale) avec une émotion ou un souvenir (mémoire et affects étant l’apanage du sous-cortex). Un certain nombre de difficultés ne sont-elles pas des « associations aberrantes » ? Sursauter ou cauchemarder à chaque bruit qu’on a associé au danger depuis le vécu d’une explosion, avoir une peur qui au lieu de protéger paralyse, bref associer des perceptions, de façon inadaptée à des émotions, à des souvenirs, à des pensées automatiques ou à des décisions de façon douloureuse n’est-il pas l’essence même du mécanisme sur lequel il faudrait jouer pour aider ? Dans cette hypothèse, l’état hypnotique activant fortement cette zone pourrait être à l’origine de la réinterprétation des contenus de

conscience, en donnant la possibilité accrue de désassocier et d’associer autrement images, sensations, souvenirs et émotions6. Il y aurait encore beaucoup à dire, mais en somme l’hypnose change l’activité des zones cérébrales impliquées dans la régulation des états de conscience (ce qui entraîne peut-être cette sensation de « fluidité mentale ») et dans les circuits de l’attention (peut-être à l’origine de ce sentiment « d’absorption »). L’hypnose, n’est pas juste « ne rien faire », il s’agit d’être dans cette sorte de relâchement et dans une forme d’attention focalisée en même temps. Ces fonctions sont disponibles dans notre cerveau, et nombre de mes collègues les expérimentent même chez des patients déficients, déments, autistes, sourds, aveugles, psychotiques et bien d’autres (alors que certains imaginent que ce serait plus difficile ou impossible). En vérité, quand on connaît son « sujet », on trouve des possibilités d’adapter la technique et on obtient des résultats. Cela nous indiquerait que ce sont des fonctions indépendantes des fonctions cognitives, de la mémoire ou de l’intelligence7 qui sont sollicitées pour la transe. C’est une faculté humaine que l’on peut vivre et apprendre à améliorer en nous-mêmes quelle que soit notre situation de départ, avec un thérapeute. Hypnose et perceptions Mais l’hypnose modifie réellement les perceptions comme la douleur ? La douleur s’accompagne de l’activation d’un réseau de structures cérébrales (le thalamus, le cortex somatosensoriel primaire et secondaire, l’insula et le cortex cingulaire antérieur…). Plusieurs

études d’imagerie cérébrale fonctionnelle démontrent que des suggestions hypnotiques d’analgésie produisent une diminution significative dans l’activité de ces régions8. Ces études impliquent une diminution de la douleur rapportée par des sujets à la suite des suggestions hypnotiques d’analgésie. Elles ne reflètent pas simplement un changement dans leur propension à rapporter verbalement des niveaux plus bas de douleur. Elles témoignent clairement d’une modification dans le traitement des informations sensorielles et émotionnelles qui constituent la douleur. Plus intéressant encore, la forme que prennent les suggestions d’analgésie affecte directement les effets observés au niveau cortical. La douleur est perçue selon deux dimensions : la première est la dimension sensori-discriminative. Il s’agit de la sensation, sa qualité, son intensité, sa localisation, ses caractéristiques ou, comment, combien j’ai mal. Au niveau cérébral, cette dimension est essentiellement encodée dans le cortex somatosensoriel. La deuxième est la dimension affective : le désagrément associé à la douleur, la perception d’une menace, l’aspect aversif de l’expérience. Le Pr Rainville a bien montré que des suggestions visant spécifiquement l’intensité de la douleur peuvent affecter l’activité dans le cortex somatosensoriel primaire, alors que des suggestions visant à atténuer spécifiquement le désagrément de la douleur agissent spécifiquement sur le cortex cingulaire antérieur, associé aux émotions9. Les suggestions « visent » donc une zone du cerveau. Et sur les autres sens ? En hypnose on a l’impression de voir ou d’entendre de façon plus intense, presque « réaliste », il se passe quelque chose ? Certains parlent même d’hallucination hypnotique…

Je cite juste deux études intéressantes par curiosité. Dans l’une10 on présente sur un écran une figure avec des carreaux, soit en niveaux de gris, soit avec la couleur rouge. On repère la zone du cortex qui perçoit la couleur rouge. On enregistre l’activité cérébrale (dans le « gyrus fusiforme ») quand la personne voit le rouge (condition 1), imagine simplement le rouge (c’est-à-dire qu’on lui dit de « voir » la couleur rouge à la place des niveaux de gris mais sans état hypnotique) (condition 2), et enfin, sous hypnose, « hallucine » le rouge (c’est-à-dire qu’on lui suggère qu’on va projeter cette couleur alors qu’on laisse l’écran en niveaux de gris) (condition 3). Une étude similaire11 met en jeu l’audition. On repère la zone cérébrale impliquée dans l’audition d’une phrase enregistrée. On enregistre cette activité à l’écoute (condition 1), l’imagination mentale de la voix (condition 2) ou l’hallucination auditive de la voix (on suggère que l’on va rediffuser l’enregistrement alors qu’on ne diffuse pas de son) (condition 3). Pour ces deux études, on s’aperçoit que l’activité cérébrale sous hypnose ressemble bien plus à la perception réelle qu’à l’imagination. Plus les sujets avaient l’impression claire de la perception, plus ils avaient la sensation que le stimulus était externe à eux, et plus les zones de la perception « réelle » s’activaient12… Bien entendu c’est leur cerveau qui produisait le stimulus. On peut donc penser que l’hypnose altère d’une certaine manière la représentation de soi en tant qu’agent responsable de l’expérience, ce que l’on appelle « l’agentivité ». Les changements surviennent et nous arrivent comme automatiques, nous les laissons advenir… Hypnose, agentivité et inconscient Ainsi le sujet ne se sent pas toujours agent de ses actes ?

Il l’est mais n’en a pas toujours conscience. Ou plutôt il prend encore plus conscience de ce qui se passe de façon automatique. L’une des acceptations de la « dissociation » est à la fois une sensation de relâchement et en même temps d’attention soutenue, mais sans effort, c’est une des « bizarreries » de l’hypnose. Ou encore la sensation d’être en plusieurs endroits, ressentir ce qu’il y a ici et ressentir de façon réaliste les sensations suggérées (comme dans les expériences décrites ci-dessus). L’une des acceptations de la « dissociation » est à la fois une sensation de relâchement et en même temps d’attention soutenue, mais sans effort, c’est une des « bizarreries » de l’hypnose. Une autre acceptation de la dissociation est cette automaticité. Les choses « se font », permettant au sujet d’observer, de laisser venir, plutôt que de contrôler frénétiquement… et de découvrir ainsi une autre forme de contrôle. Prenons un exemple. Quand nous levons le bras ou autre mouvement, en schématisant grossièrement, le cortex préfrontal prend la décision, il envoie un ordre moteur, et le cortex pariétal (entre autres) ressent la position des membres dans l’espace et renvoie cette information au cortex préfrontal pour qu’il corrige éventuellement le mouvement. En hypnose, on utilise parfois la « lévitation du bras ». Il s’agit de suggérer au patient que son bras se lève (parce qu’il devient léger, gonflé d’air, ou accroché à des ballons, ou devenu un levier qui s’actionne, ou toute autre métaphore thérapeutique). Le patient « lève » son bras, mais il a l’impression qu’il « est levé » automatiquement, hors de sa volonté. Des chercheurs ont étudié cette sensation de produire un mouvement sans avoir l’impression d’en être l’auteur13. Les sujets ont le bras attaché à une poulie.

Dans la première condition, on leur demande un mouvement volontaire : lever le bras. Tout concorde, plan moteur, réponse motrice, représentation sensorielle : le cortex frontal s’active (il donne l’ordre de lever le bras) et le cortex pariétal s’active peu (il s’activerait plus en cas de discordance, repérant la position inattendue du membre dans l’espace pour éventuellement corriger le mouvement). Dans la seconde condition c’est un mouvement passif, on actionne la poulie pour lever le bras du sujet. L’activité frontale est minimale car il n’y a pas de plan moteur, de décision d’agir, l’activité pariétale est en revanche intense (le cerveau « vérifie sans cesse » où il se trouve et ce qu’on lui fait) avec un sentiment d’altérité. Enfin, dans la troisième condition, il s’agit d’une lévitation du bras sous hypnose, où on suggère que la poulie va lever le bras, on ne touche pas à la poulie et le bras « se lève ». Et, dans ce cas-là, l’activité frontale est la même que dans un mouvement actif, et l’activité pariétale est semblable à celle d’un mouvement passif. C’est en quelque sorte un mouvement « actifinvolontaire ». C’est bien le sujet qui active son bras (heureusement !) mais tout se passe dans son ressenti comme si son bras était agi. Les explications ne sont pour l’instant que des hypothèses (rupture de communication fronto-pariétale ? signal corollaire aberrant ?), et les progrès de l’exploration fonctionnelle cérébrale élucideront peutêtre dans l’avenir le fonctionnement de ce sentiment d’automaticité. Ces travaux pourraient contribuer à l’exploration de plusieurs questions fondamentales relatives aux bases neurologiques de la représentation de soi et de la conscience. L’état d’hypnose permet-il un accès à l’inconscient ? L’inconscient… mais qu’est-ce ? Freud en avait une définition qui s’intégrait dans sa théorie analytique, et le voyait donc comme une sorte de « poubelle à pulsions » dans laquelle on cachait tous les éléments refoulés et insupportables, et qui venaient nous embêter sous une forme masquée dans les névroses.

Les cognitivistes en ont une vision qui ressemble plus à un « superordinateur » aux programmations complexes. Les éricksoniens le décrivent parfois comme une « boîte à trésors », contenant des apprentissages et des ressources, rendus temporairement inaccessibles par les difficultés et les problèmes… Si l’on écoute les chercheurs qui s’expriment sur la question de la conscience14, il semble plus correct de ne parler non pas « d’inconscient » comme d’une entité, mais de « phénomènes non conscients » pour désigner l’ensemble de ce qui n’arrive pas à notre conscience. Cette appellation semble en accord avec un propos d’Erickson quand il définissait l’inconscient par « tout ce qui n’est pas conscient ». Si l’on écoute les chercheurs qui s’expriment sur la question de la conscience, il semble plus correct de ne parler non pas « d’inconscient » comme d’une entité, mais de « phénomènes non conscients » pour désigner l’ensemble de ce qui n’arrive pas à notre conscience. De fait, la conscience (au sens transitif du terme « avoir conscience de quelque chose ») n’est qu’une partie très minoritaire de notre activité cérébrale. Non seulement la plupart de nos fonctions les plus basiques, mais aussi une grande partie des fonctions perceptives, mnésiques, mais également une bonne partie des fonctions les plus complexes (reconnaissance et réminiscences, prises de décision, attribution de sens, choix moraux…) se font de façon non consciente ! Quand une idée nous arrive, elle a déjà été, parfois depuis un bon moment, élaborée, travaillée de façon inconsciente.

Alors dans ce sens peut-être, l’hypnose permet de suspendre, de diminuer des fonctions conscientes (tentatives de contrôle, ruminations anxieuses, réticences…) et d’atteindre des fonctions non conscientes (rendues indisponibles ou « inaudibles » temporairement à cause du problème qui sature notre conscience) qui permettent alors un changement. On a des indices de cela en recherche ? Peu ! Je prends un exemple. Une étude15 avait étudié l’effet « Stroop » en hypnose. On fait lire à des sujets des lignes avec les noms de couleur avec l’encre congruente à la couleur (par exemple le mot « rouge » écrit à l’encre rouge, « bleu » à l’encre bleue, etc.) Puis on leur présente quasiment la même chose, mais de façon non congruente : c’est-à-dire par exemple le mot « noir » écrit en encre jaune, le mot « vert » écrit en couleur bleue, etc. Et on leur demande, non pas de lire mais de citer la couleur de l’encre. Essayez ! Vous le verrez : l’exercice devient bien plus difficile quand on doit citer les couleurs non-congruentes aux mots ! Ce ralentissement est l’effet « Stroop ». Cette étude démontrait qu’en suggérant aux sujets sous hypnose de ne plus voir que les couleurs, on supprimait l’effet Stroop et ils retrouvaient à peu près « la même vitesse ». Sur l’enregistrement EEG, l’onde dite « p400 » qui arrive à 400 millisecondes et perçoit les couleurs était modifiée de façon logique dans le

cerveau. Mais les auteurs ne disaient rien du fait que sur les courbes, l’onde « p100 » qui se déclenche à 100 millisecondes et qui n’est pas liée aux couleurs était également modifiée… Cela a attiré l’attention, 15 ans plus tard, d’une équipe de recherche à Nancy, avec qui j’ai eu la chance de participer au travail l’an dernier16. L’onde p100 perçoit les contrastes, de façon très précoce. Le traitement de cette information est non conscient, pour la bonne raison qu’à cette vitesse l’information n’a pas eu le temps d’arriver à la conscience. Pour modifier l’amplitude de l’onde p100 il faut faire varier les contrastes. Nous avons montré à des sujets des damiers noir-blanc / blanc-noir clignotant alternativement, chaque seconde pendant une minute : à chaque clignotement une onde p100 est produite que l’on mesure. Quand il s’agit de gros carreaux, de petits carreaux ou de carreaux de taille moyenne, l’onde p100 est différente. Puis, en état d’hypnose, on leur diffuse de nouveau ce « clignotement » mais uniquement des carreaux de taille moyenne en leur suggérant que les carreaux vont grossir progressivement et on enregistre leur onde p100 pendant une minute dès qu’ils perçoivent un changement de taille. Idem avec des carreaux de taille moyenne dont on leur dit qu’ils rapetissent. La perception consciente de changement de taille des carreaux est corrélée à une modification de l’onde p100, comme s’ils avaient « réellement » perçu des carreaux de taille différente !

Avant même la perception des carreaux, la perception non consciente et automatique des contrastes a été modifiée par la suggestion. Jusqu’ici, toutes les études ont testé la modification de phénomènes perceptifs usuellement perçus consciemment (comme la perception de douleur, de couleur, de mouvement). Mais c’est, à ma connaissance, la première fois que l’on montre que l’hypnose modifie aussi un phénomène qui est « objectivement » non conscient. Ce genre de travaux ouvre de nouvelles portes, et nous espérons que les recherches dans ce domaine seront poursuivies… Hypnose et recherches en neurosciences À À part ce dernier exemple, comment expliquer que nombre de ces études soient anciennes ? La fin des années 1990 et le début des années 2000 ont été riches en recherche fondamentale à ce sujet et le flot s’est un peu ralenti. Par ailleurs, certaines études ont montré des contradictions : pour certains le cortex cingulaire antérieur est au contraire diminué, par exemple, comme la connexion avec le cortex préfrontal. En vérité, ces études n’ont pas toutes la même méthodologie et il est difficile de les comparer, comme le soulignent certaines synthèses de littératures17. Les premières études cherchaient des corrélations entre hypnose et activité de certaines régions, on saurait aujourd’hui un peu mieux explorer l’ensemble du cerveau ou des réseaux d’activation. De plus, les études n’ont pas toutes la même méthodologie, alors qu’il serait logique que, selon l’induction ou les suggestions, l’activité de certaines zones, puisse être différente. Il est également possible que la même réponse hypnotique puisse provenir de différentes stratégies cérébrales selon les conditions et les individus…

Par exemple, certaines études ont souligné de façon intéressante l’utilité de s’intéresser non pas ce qui se passe quand on suit une suggestion mais le lien entre notre attention pendant que la suggestion est formulée et le suivi de cette suggestion. C’est compliqué ! Oui. Certes il se « passe quelque chose dans le cerveau », mais il n’est pas certain que l’on puisse donner avec une précision absolue la « signature cérébrale » de l’hypnose. Certes il se « passe quelque chose dans le cerveau », mais il n’est pas certain que l’on puisse donner avec une précision absolue la « signature cérébrale » de l’hypnose. Sur les réseaux cérébraux habituels, distinguons-en trois : Le « réseau exécutif », celui qui planifie et donne les ordres (ce sont notamment les changements dans la région du cortex préfrontal dorsolatéral). Le « réseau de saillance », chargé de sélectionner les informations pertinentes ou d’exclure parmi la somme d’informations (internes ou externes) reçues à chaque instant (ce sont les changements dans le cortex cingulaire et l’insula). Ces deux premiers réseaux subissent des changements, une augmentation de connectivité pendant l’hypnose18. Nous sommes différemment conscients de ce que nous faisons, de ce qui se passe, de ce que nous sentons. Et enfin le « réseau par défaut » (notamment le cortex préfrontal médian) semble désactivé. C’est le réseau qui fonctionne en permanence, en automatique si on ne fait rien, le bruit de fond de pensées qui s’enchaînent si on ne pense à « rien de particulier », les souvenirs et les éléments de notre identité qui sont « immédiatement accessibles » sans efforts.

Les chercheurs s’interrogent sur le phénomène prépondérant. Est-ce avant tout une activation exécutive, donc un contrôle, une sorte de tâche mentale qui modifie les pensées ? Ou bien avant tout une désactivation de ce réseau par défaut, une sorte de « désautomatisation » ? Ou une attention « de saillance » dirigée ou perturbée ? Ou encore, particulièrement typique du ressenti en hypnose : un mécanisme qui perturberait l’agentivité (l’impression d’être à l’origine de nos actes et de nos pensées) ? Donc un changement d’activité et de connectivité entre ces réseaux… En hypnose, à la suite des suggestions ou du contexte, des sensations, pensées ou actes semblent « se produire d’eux-mêmes ». Certains chercheurs pensent que ce phénomène pourrait venir d’un « contrôle dissocié », d’une déconnexion entre les systèmes exécutifs du cerveau et les systèmes de contrôle de nos actions, ces structures chargées de vérifier, de superviser si nous faisons bien ce que nous souhaitions faire. Cette faculté de nous autoobserver, c’est ce que l’on appelle la « métacognition », observer nos propres phénomènes mentaux. L’hypnose court-circuiterait ces systèmes, nous pourrions faire directement les choses, pleinement, et sans accéder à cette métacognition, nos mouvements et perceptions pourraient sembler involontaires et sans effort. Mais comment expliquer alors dans certaines études une activation plus forte de certaines zones justement liées à ce contrôle de nos actes ? Comment expliquer que les réseaux « exécutifs » et « de saillance » ne soient pas non plus déconnectés puisque les mêmes structures sont engagées ? D’autres chercheurs pensent plutôt que les structures fonctionnent correctement, mais que l’hypnose ferait produire des informations

métacognitives erronées ! C’est cela qui expliquerait l’activation plus forte du cortex préfrontal dorso-latéral qui intervient également dans cette fonction… Quelles que soient les hypothèses (coupure entre exécution et métacognition ou métacognition erronée) ce défaut d’agentivité ne suffit pas à lui seul à expliquer un phénomène aussi complexe que l’hypnose. L’absorption, les altérations sensorielles et du sens de soi, la relaxation… aucun de ces mécanismes n’est l’hypnose à lui seul. C’est plus le changement entre ces « 3 réseaux » qui compte ? C’est possible, mais tout n’est pas encore bien clair, et ce d’autant que les études ne sont pas comparables dans leurs méthodes… Sans compter l’intérêt qu’il y aurait à étudier l’hypnose comme un processus, en observant la modification temporelle des oscillations d’un réseau à l’autre… Tous ces phénomènes mériteraient d’être mieux expliqués, explorés méthodiquement avec les moyens de recherche qui ont tant progressé ces dernières années, et surtout mis en lien avec les découvertes d’autres domaines connexes. Ce n’est plus tant l’effet « réel » des suggestions (l’essentiel de ce qui a été étudié jusqu’ici en neurosciences !) qui est un sujet d’avenir que les effets de l’hypnose sur la conscience et la perception, les effets sur la relation, etc. qui questionnent. Bref, il y a encore du travail. Il est vrai que les premières études ont défriché le terrain et ont été moins nombreuses par la suite. Les études pourraient se relancer ? Le flot s’est un peu ralenti et les plus récentes études produites n’ont pas eu le même impact.

La recherche fondamentale s’est intéressée à d’autres sujets, les études étaient coûteuses… La recherche clinique (sur les difficultés des patients) a, en revanche, explosé. Ayant acquis que l’hypnose « existe », les cliniciens se sont surtout évertués à montrer son efficacité concrète. Il existe un niveau de preuve raisonnable de l’existence d’un état hypnotique (attentif et relâché, actif sur certaines structures perceptives) et de l’efficacité de l’hypnose dans certaines situations. Mais on ne comprend pas toujours complètement comment et pourquoi cela marche ainsi. Souhaitons donc que les nombreuses recherches récentes et à venir sur le sujet de la « conscience » donnent envie aux chercheurs de se pencher encore sur une modalité particulière de celle-ci : l’hypnose. Les querelles scientifiques ont-elles encore lieu d’être autour de l’hypnose ? On ne pourra jamais tenir rigueur aux hommes de trouver étrange l’hypnose. Le béotien entrant dans une salle de séminaire de formation à l’hypnose, ou dans un cabinet d’hypnothérapeute, pourrait être surpris de ce qu’il y voit et des effets que praticiens et patients lui attribuent, il lui faut parfois être sceptique pour ensuite s’informer. Le spectacle continue à faire perdurer une notion « magique » dans l’hypnose. Les concepts mystiques doivent continuer à faire l’objet de sévères critiques pour qui défend une pratique sérieuse. L’on est en droit de vouloir aller vers des pratiques plus rationnelles dans les soins. On ne pourra jamais non plus tenir rigueur aux scientifiques de vouloir critiquer et remettre toujours leur ouvrage sur le métier et tenter de démontrer et délimiter leurs pratiques. Si l’hypnose est toujours l’objet de débats nécessaires et parfois passionnés (et notamment en ce moment sur la question des cadres

de pratique), sur le plan scientifique, la recherche et la pratique actuelle ont permis d’apaiser un peu les esprits. Néanmoins, si l’hypnose est toujours l’objet de débats nécessaires et parfois passionnés (et notamment en ce moment sur la question des cadres de pratique), sur le plan scientifique, la recherche et la pratique actuelle ont permis d’apaiser un peu les esprits. On a presque réconcilié Nancy et Paris : les neurosciences laissent penser que l’état de conscience se modifie en hypnose, et la pratique éricksonienne et les études cliniques montrent qu’elle n’est pas pathologique et qu’elle est une forme de psychothérapie, avec des capacités thérapeutiques et des indications, et pour laquelle la relation thérapeutique est fondamentale. Mais les études sur le cerveau ne seront jamais des preuves absolues. Les neurosciences sont une des voies d’exploration de l’humanité par elle-même, avec ses potentiels extraordinaires, et ses limites. Bien sûr que l’hypnose modifie votre cerveau. Les études nous guideront peut-être sur la façon dont elle le fait. Mais vivre un moment d’émotion intense, apprendre, surmonter des épreuves, relire ou revoir un chef-d’œuvre, jouer du rock ou improviser du jazz, vivre un deuil ou tomber amoureux, élever des enfants… tout cela aussi modifie votre cerveau ! Nous n’avons pas fini d’en apprendre et il faut rester prudent et patient sur ces questions… Comme le disait avec justesse Barack Obama : « As humans, we can identify galaxies light years away, we can study particles smaller than an atom. But we still haven’t unlocked the mystery of the three pounds of matter that sits between our ears19. » 9 Comment fonctionne l’hypnose ?

Avec le temps, les lectures, les échanges et surtout la pratique, j’en suis venu à avoir une représentation personnelle de la façon dont fonctionne l’hypnose, les ressorts de son efficacité, de sa spécificité. Cette tentative d’explication ne change pas la pratique, elle ne révolutionne pas l’hypnose et ne prétend pas être absolue. Par ailleurs elle est exprimée ici de façon simplifiée et métaphorique. Ces idées sont en constante évolution et s’affinent avec le temps. Mais il me paraît indispensable de laisser au lecteur curieux quelques pistes sur la façon dont on peut comprendre le phénomène thérapeutique en hypnose. Les notions principales en sont l’expérience par l’analogie et la sensation, la sécurité relationnelle, l’apprentissage des ressources, la réassociation de la conscience1. La force de l’apprentissage Est-ce Erickson qui amène des jalons pour comprendre ? Bien que lui-même n’ait jamais vraiment bâti de modèle, de théorie complète de sa pratique, il a laissé beaucoup d’articles, beaucoup de vidéos, de témoignages, d’enregistrements de ses cours. Il a énormément insisté notamment sur la notion d’« apprentissage », très récurrente dans ses propos. Pour lui, nous sommes des apprentis perpétuels pour nous adapter aux changements de la vie, et la personne qui vient nous voir est un peu « à court d’apprentissages », elle ne sait plus faire… Alors le thérapeute lui apprend ce qu’il faut faire ? Et c’est là que la subtilité intervient puisqu’il ne lui apprend pas à faire mais… à réapprendre… Il ne se place pas en expert de ce qu’il faut faire, mais en expert sur l’apprentissage de la façon d’apprendre. Il lui permet de découvrir ce

que le patient sait déjà mais lui était rendu inaccessible par le problème. « Vous savez plus que vous savez que vous savez » disait-il. Il fait de la pédagogie en quelque sorte ? Presque. Distinguons là deux concepts : la didactique, centrée sur les connaissances à enseigner et la façon de les acquérir, et la pédagogie, centrée sur ce qui permet d’adapter la méthode d’apprentissage aux publics concernés. Le thérapeute est plus pédagogue que didacticien dans le sens où il n’a pas de connaissances préétablies sur le patient qu’il découvre mais doit surtout créer le cadre pour que l’apprentissage (jusqu’ici rendu difficile) ait lieu sur cette personne donnée… L’apprentissage serait une sorte de synthèse de ces notions. Le didacticien cherche à rendre les connaissances digérables, organisées, transmissibles, tandis que le pédagogue cherche à les transmettre au public à qui il s’adresse. Le thérapeute est plus pédagogue que didacticien dans le sens où il n’a pas de connaissances préétablies sur le patient qu’il découvre et doit surtout créer le cadre pour que l’apprentissage (jusqu’ici rendu difficile) ait lieu sur cette personne donnée… Mais même l’enseignant pédagogue a un savoir à transmettre ! Tandis qu’en thérapie, le thérapeute n’a pas le savoir de la « solution toute faite » au problème du patient. Il n’est censé que créer un cadre propice à l’apprentissage, et coconstruire le contenu du cadre avec le patient et à partir de celui-ci. C’est bien le patient qui a la possibilité d’apprendre, de découvrir en lui-même une connaissance dont il demeurera possesseur. Son apprentissage est donc de s’approprier son propre apprentissage ? L’hypnose est une technique qui permet d’apprendre comment accéder à ses propres ressources, à la prise en compte de ses

propres besoins. L’hypnose est une technique qui permet d’apprendre comment accéder à ses propres ressources, à la prise en compte de ses propres besoins. En souffrance, sur la défensive, dans une modalité de « survie », on ne peut apprendre. Ceux qui s’occupent d’enfants, par exemple, savent bien qu’un enfant en souffrance n’explore plus le jeu, qui est sa principale modalité d’apprentissage. Apprendre nécessite un cadre fait de sécurité relationnelle, nécessaire à la possibilité de « jouer », de tester, d’oser. Pourquoi est-ce plus efficace d’apprendre cela en hypnose ? Essayer de comprendre, ou essayer de simplifier quelque chose de complexe s’adresse à notre intellect. Or, la pratique d’Erickson nous apprend que le meilleur apprentissage, celui que l’on s’approprie, se fait par l’expérience, pas par la connaissance. Il ne suffit pas de savoir, il ne suffit pas de connaître la « vérité » ou la « solution ». Il faut que la solution entre dans notre vie. Étudiant en médecine, je me souviens avoir passé du temps à apprendre des listes de symptômes servant à diagnostiquer telle ou telle maladie. Mais il suffisait qu’en stage j’examine attentivement une personne porteuse de ce diagnostic pour le retenir facilement, l’image, le souvenir du patient, l’expérience de l’avoir examiné et d’avoir parlé avec lui me revenant à chaque fois. L’apprentissage éricksonien est un processus de subjectivation, d’appropriation d’une expérience correctrice. On vit une expérience avec son corps. Pour accepter de vivre réellement une expérience correctrice, il faut accepter de perdre un peu ses repères pour en trouver d’autres,

perdre ses savoirs habituels et ses certitudes douloureuses pour changer de cadre. En ce sens, la confusion est un meilleur opérateur de découverte que l’explication. Donc il ne s’agit pas que d’apprendre mais d’intégrer l’apprentissage, de nous situer face à cet apprentissage… Il s’agit d’apprendre non pas sur le problème ou sur nous-même ou sur le monde, car nous irions de nouveau vers des connaissances figées. Mais plutôt d’apprendre sur notre façon d’aborder le monde, sur notre changement, non pas du problème mais du lien au problème, à nous-même et aux autres. L’hypnose aide à s’approprier une connaissance, non à la manière d’un étudiant qu’on gaverait comme une oie de savoir prémâché, mais plutôt comme un étudiant intrigué par une idée soulevée en cours et qui lèverait le doigt, montrant par là qu’il sort d’une passivité (parce qu’il ressent qu’il y a un enjeu à acquérir cette connaissance) et montre qu’il veut incorporer, emporter avec lui ce savoir. En hypnose, le patient peut vivre une expérience surprenante, intrigante. Il est obligé de s’y « mouvoir », de la manipuler pour lui donner du sens, pour s’en approprier un sens. De même en hypnose, le patient peut vivre une expérience surprenante, intrigante. Il est obligé de s’y « mouvoir », de la manipuler pour lui donner du sens, pour s’en approprier un sens. Le thérapeute est celui qui déclenche ce processus, puis ne fait qu’accompagner pour que la personne apprenne… en faisant l’apprentissage. Et même si la scène hypnotique nous donne l’impression que le thérapeute suggère à un patient qui y réagit, c’est bien du patient que tout dépend au final. Comme le dit Roustang : « Il (le thérapeute) le met en demeure de le faire mais se sait dans l’incapacité radicale de le faire à sa place. »

Car si le patient est un peu perdu au début du processus, à la fin il est le mieux placé pour savoir ce qui va mieux, ce qui avance, ce qui est au final vraiment utile. Le thérapeute lance des pistes, s’adapte, tente de faire bouger les lignes et coconstruit avec le patient un cadre hypnotique propice au changement. Il ne lui transmet pas de savoir, il l’aide à accéder à sa propre connaissance et à l’intégrer. Et même si la scène hypnotique nous donne l’impression que le thérapeute suggère à un patient qui y réagit, c’est bien du patient que tout dépend au final. N’y a-t-il que la confusion ou le questionnement qui soit un opérateur de mouvement et de changement en hypnose ? Non, il y en a d’autres. Par exemple le principe d’analogie2. Nous apprenons mieux par l’expérience, par l’image, la métaphore, bref par l’analogie que par l’explication. Nous avons évoqué dans la partie 2 l’importance notamment des métaphores. Elles permettent un saisissement plus immédiat de la connaissance, car elles sont plus « expérientielles ». Si je dis « celui-ci, c’est un peu l’enfant qui criait “au loup !” », tout le monde comprend, et bien mieux et bien plus vite que si je dis « celui-ci, à force de mettre en alerte sans qu’il y ait vraiment danger, les personnes vont finir par s’habituer à l’idée qu’il déclenche de fausses alertes et du coup, le jour où le danger sera réel, plus personne ne le croira ». L’hypnose laisse les analogies survenir et l’imaginaire travailler, non pas pour y donner un sens prévu à l’avance (si un sens doit être donné, ce sera par le patient ou en coconstruction avec lui, mais pas imposé par le thérapeute) mais surtout pour que ces analogies soient le support du changement. L’hypnose laisse les analogies survenir et l’imaginaire travailler, non pas pour y donner un sens prévu à l’avance (si un sens doit être donné, ce sera par le patient ou en coconstruction avec lui, mais pas imposé par le thérapeute) mais surtout pour que ces analogies soient le support du

changement. On demande à un patient de faire comme si son angoisse se rassemblait en une seule partie du corps ou s’évaporait pour qu’il en soit libéré, on aide le patient à comprendre que son émotion gênante vise à lui apporter un message, à le guider vers un besoin… Je me rappelle aussi avoir vu François Roustang, face à un patient qui avait accompagné la formulation de son objectif (se calmer, s’apaiser) d’un geste de la main, lui avoir demandé de refaire ce geste, de plus en plus lentement, de plus en plus « hypnotiquement » pour « entrer dans son geste, devenir son geste ». Finalement ce mouvement qui n’était qu’une idée, peut être « in-corporé » par l’analogie du geste, du mouvement qui fait vivre au patient sa propre ressource. Les métaphores, mais aussi les suggestions, quand elles sont thérapeutiques, le sont parce qu’elles sont le support des analogies, de façon consciente ou non. Le patient se saisit de la suggestion pour y mettre un vécu qui n’était pas toujours voulu par le thérapeute, pour y mettre consciemment ou non un sens. Je demande à un patient s’il peut ressentir de la chaleur dans l’une de ses mains. Selon son besoin, le voit-il comme un défi lancé et se met-il à ressentir un meilleur contrôle de ses sensations ? Perçoit-il plutôt une liberté à pouvoir le faire ou plutôt une liberté à faire complètement autre chose ? Perçoit-il un lâcher-prise dans le fait de le ressentir sans l’avoir décidé ? Perçoit-il quelque chose de différent maintenant ou plus tard ? Y verra-t-il une utilité consciemment ou parfaitement inconsciemment ? La suggestion n’est qu’une proposition qui ouvre à différents vécus analogiques… Au fond, le principe d’une suggestion est qu’une personne réponde (en changeant son comportement, son état mental, ses représentations, ses sensations), parfois inconsciemment ou involontairement, à une idée, proposée souvent par une autre personne3 qui lui a évoqué par un geste ou une phrase ou une

allusion. Elle est un phénomène courant, ordinaire, pas toujours contrôlable. Au lieu de vouloir sortir la suggestion de la communication4, au lieu de lutter contre la suggestion ou de la subir, l’hypnose reconnaît qu’il y a une influence réciproque et tente de rendre ce phénomène le plus thérapeutique, le plus pertinent, le moins aliénant et le plus écologique (c’est-à-dire respectueux de l’environnement… du patient !) possible5. Ce qui passe souvent par un langage analogique, ouvert et sensoriel. Ressenti, inconscient, intention, point de vue S’agit-il alors non seulement de ressentir mais aussi de faire quelque chose de nos ressentis ? Il s’agit de ressentir et de se réapproprier le ressenti. Le sens découlera de cette meilleure réappropriation. En vérité nous ressentons d’abord. Nous percevons un grand nombre d’informations d’abord de façon non consciente, nous les traitons, et nous les percevons consciemment et leur donnons du sens seulement après. Il s’agit de ressentir et de se réapproprier le ressenti. Le sens découlera de cette meilleure réappropriation. Ainsi, contrairement à d’autres thérapies, l’hypnose n’agit pas par le biais de la « métacognition » (par l’observation de nos propres pensées et mouvements psychiques), mais par le biais du corps et du ressenti. La pensée est incarnée, les souvenirs, les émotions sont perçus dans le corps, et certaines approches intellectuelles nous l’auraient presque fait oublier. La perception nous constitue également et fait partie de notre identité. En d’autres termes, « je sais parce que je sens » (et même, pour paraphraser Descartes, « je sens donc je sais que je suis »), et non pas « je sais parce que c’est “je” qui “sait” ». En somme, les informations sensorielles sont des « intégrateurs d’expérience » et la « matière première » de l’hypnose.

La peur ou la joie, par exemple, sont vécues dans le corps. L’hypnose accepte cela, le prend tout à fait au sérieux, et voit le message du corps comme le message lui-même et pas seulement comme le porteur d’un autre message qui serait mental. En somme, les informations sensorielles sont des « intégrateurs d’expérience » et la « matière première » de l’hypnose. Alors quel est donc le rôle de l’inconscient ? Que signifie changer inconsciemment ? Comme nous l’avons dit, il y a lieu de remettre en cause la notion d’« inconscient » en tant qu’entité. Il n’y a pas d’inconscient qui a une vie autonome. Les chercheurs, que nous avons déjà cités dans le domaine de la conscience, ont plutôt dans l’idée qu’on ne peut que constater qu’il y a des « phénomènes non conscients ». En vérité, l’inconscient décrit par Erickson (plein de ressources rendues parfois inaccessibles par le problème, centré sur le corps et les relations…) est une forme de « métaphore utile », mais pas une réalité tangible et ontologique. Il amène plus d’espoir au patient de leur dire (que cela transparaisse de nos mots ou de nos attitudes) et de croire que « vous avez en vous des possibilités qui peuvent se manifester et sur lesquelles nous pouvons travailler ensemble pour changer » que de leur dire et de croire dans un discours plus classique « vous avez en vous des pulsions et des troubles sous-jacents que nous allons explorer pour comprendre ». Et même si la première proposition me semble, d’expérience, la plus juste, ce n’est pas pour autant que l’on va dessiner une sorte d’entité bienveillante et impalpable qui nous guide vers le droit chemin pour peu qu’on la laisse faire6…

Si, donc, on définit l’inconscient comme l’ensemble des phénomènes non conscients, tout simplement, alors nous découvrons qu’un grand nombre de processus s’y trouvent en termes de perceptions, de réactions et même de prises de décision7. L’hypnose permet d’accéder et de moduler des fonctions ordinairement inconscientes. L’hypnose permet d’accéder et de moduler des fonctions ordinairement inconscientes. Prenons un exemple : un patient vit un deuil, une tristesse, voire une angoisse, des sensations physiques désagréables. De fait, il refuse cette sensation désagréable, il tente de la contrôler, ou de chasser ces pensées négatives, ce qui généralement aggrave la situation et augmente l’envie de contrôle. Ce refus initial peut être une manifestation automatique et logique de l’inconscient. Chacun cherche à éviter la souffrance. Cependant, ce refus devient déni ou tentative d’effacement (« je ne veux pas que cette tristesse existe ») de ce qui est inévitable (la perte d’un être cher ne peut se passer sans tristesse). Et plus on repousse cette tristesse et plus elle augmente. Le patient est dépassé par ce qu’il ressent, qui le laisse désarmé et désespéré. L’hypnose lui propose d’observer sa sensation de tristesse, d’y accéder physiquement. Indirectement, cela signifie accepter son existence. Que ce soit dans une métaphore de cette tristesse que l’on peut transformer, que ce soit dans une sensation que l’on peut accepter puis légèrement changer ; dans tous les cas le patient, ayant accepté ce qui le traverse, le regarde autrement, lui donne un sens nouveau, souvent sans même le savoir. Il découvre, par exemple, que cette tristesse lui montre à quel point cette relation était importante. Loin d’être uniquement source de souffrance, cette tristesse se met à prendre un sens, à devenir précieuse même, puisqu’elle lui rappelle aussi la beauté et la force de cette relation. La tristesse de se quitter est liée à

la joie de s’être connus, même si, dans l’expérience hypnotique, le patient aura avant tout vécu une expérience sensorielle, un geste différent ou un changement de couleur ou de sensation… Nous voyons bien ici également l’importance du corps et de l’expérience. Le patient tentait de se raisonner, « avec la tête », alors que son problème était corporel, émotionnel, expérientiel. Ce n’est pas le bon outil ! Là encore, le raisonnement peut nous servir à résoudre un problème intellectuel8 mais pour un problème émotionnel, corporel, cela revient à tenter d’enfoncer un clou avec un tournevis. Peu efficace, potentiellement douloureux et frustrant. Le fonctionnement par analogie (comme l’apprentissage de tous les fondamentaux par le jeu chez l’enfant) permet d’accéder à cette sensation plus brute, dans une autre forme de contrôle, d’acceptation de ce qui ne peut changer, sans déni, pour changer ce qui peut l’être. L’accès à l’inconscient permet de passer d’une situation figée à une situation vivante et en action. L’accès à l’inconscient permet de passer d’une situation figée à une situation vivante et en action. En changeant la façon d’aborder cette sensation douloureuse, elle change ? On peut le dire. De même que si vous observez un enfant qui pleure et agace par ses cris, vous pouvez aussi regarder cet enfant comme en détresse et ayant besoin d’aide. Cela change sensiblement la capacité de supporter ces larmes, de s’approcher de cet enfant qui pleure (donc d’accepter qu’il pleure) et de le consoler. Accepter ne veut pas dire se résigner. Ce n’est pas accepter le monde tel qu’il est et ne rien y faire. Au contraire, la force de changer vient bien du fait que l’on refuse la souffrance ou la situation actuelle. Mais le refus ne doit pas

se transformer en déni. Il s’agit d’accepter l’existence de ce que l’on refuse, l’accepter pour l’accueillir et le mettre en perspective, l’inclure pour pouvoir en faire quelque chose9 et, seulement alors, aller vers ce que l’on voudrait à la place, au nom de la façon différente dont on veut aborder la vie. Il s’agit d’accepter l’existence de ce que l’on refuse, l’accepter pour l’accueillir et le mettre en perspective, l’inclure pour pouvoir en faire quelque chose et, seulement alors, aller vers ce que l’on voudrait à la place. Pour prendre une image, sous une pluie battante, nous sommes tentés de marcher en plissant les yeux, en contractant les épaules. Et pourtant, cette posture est inutile, ne nous empêchera pas d’être tout autant mouillés, nous fera mal à force de se contracter, nous empêchera de tout observer à force de plisser les yeux. Et si nous décidons d’accepter la pluie, alors en nous détendant, nous la vivons, même désagréable, nos yeux s’ouvrent, nous voyons mieux, et notre cou s’assouplit. Et c’est finalement là que nous sommes mieux équipés pour tourner la tête et percevoir un abri. Mais alors nous produisons des pensées, des actes (de façon automatique), nous vivons les événements et nous leur donnons un sens après ? En règle générale, nous ne pouvons changer ce qui nous arrive. Mais nous pouvons changer ce que nous faisons avec ce qui nous arrive. En règle générale, nous ne pouvons changer ce qui nous arrive. Mais nous pouvons changer ce que nous faisons avec ce qui nous arrive. Nous savons par exemple qu’une information perçue n’arrive à notre conscience que plusieurs centaines de millisecondes après avoir été perçue. Pourtant, le cerveau n’est pas inactif pendant tout ce temps ! L’information est traitée de façon non consciente, certaines réactions peuvent peut-être même avoir lieu immédiatement, et seulement

après nous les « réalisons » et leur donnons un sens, voire nous leur attribuons une intention consciente. Et, de façon plus générale, on dit que « l’agentivité est rétrospective », nous faisons quelque chose et nous en attribuons la paternité et l’intention de façon décalée dans le temps (même si, subjectivement, cela nous paraît simultané !)10. Dans certaines études, par exemple, on fait défiler de façon très rapide, subliminale, un certain nombre d’instructions sur un écran. La personne n’a pas consciemment le temps d’avoir l’information, pourtant elle peut la suivre… Si une des tâches proposées est de sortir de la pièce, la personne se lève alors qu’elle n’a pas pris conscience de sa lecture. Quand on lui demande pourquoi, elle a toujours une raison qui semble relever de ses intentions (par exemple « je voulais aller aux toilettes »)… Nous pourrions dire que notre inconscient produit un grand nombre de phénomènes dont nous ne nous sentons pas les concepteurs directs. Pensées spontanées, émotions, sensations échappent à notre volonté. Même si nous les ressentons comme immédiates, nous les « intentionnalisons » après leur production. De la même manière, nos souvenirs, selon le moment et la façon dont nous nous en rappelons, dont nous en parlons, n’ont pas tout à fait la même couleur émotionnelle. Tout événement nous parvient dans une gangue d’interprétation, car nous voulons y trouver un sens. En changeant l’angle de vue, nous réinterprétons nos actes, nous « réintentionnalisons » une partie de notre vécu spontané. C’est peut-être cela que nous appelons « accéder à l’inconscient ». Nous pourrions dire que notre inconscient produit un grand nombre de phénomènes dont nous ne nous sentons pas les concepteurs directs.

L’hypnose permet donc de changer surtout la façon dont nous regardons ce qui se passe ? Oui et le sens que nous attribuons change tout, jusqu’à notre motivation à agir. Par exemple un patient me dit un jour : « Si je continue comme ça à me droguer, c’est que je dois être suicidaire11. » Ces actes (se droguer) et sensations (le manque, l’envie de consommer) produits apparemment spontanément, hors de son contrôle, se voyaient attribuer une « intention » a posteriori ( c’est que je dois être suicidaire). « Mais que vouliez-vous au départ en vous droguant ? Vous vouliez mourir ? » demandai-je. « Non ! Je voulais calmer ma douleur, vivre plus sereinement les difficultés… » me répondit-il. « Donc finalement, vous vouliez vivre ?… et même vivre mieux ?… donc pas mourir… » Dans la séance d’hypnose, je lui demandai simplement s’il pouvait entrer en contact avec la vie qui était en lui. Vouloir vivre étant reconnu comme son intention véritable, il changea juste le moyen d’y accéder pour se remettre en accord avec lui-même. L’hypnose nous donne une chance, en entrant plus directement au contact avec nos perceptions inconscientes et immédiates, de leur donner une intention différente, la nôtre. L’étape préalable est donc cet état hypnotique, qui nous met au contact de ce que nous ressentons, qui nous ouvre ensuite à ce que nous imaginons et à ce « jeu » hypnotique, qui ne semble pas toujours immédiatement concerner le problème, mais finalement change notre rapport au monde. Il s’agit donc aussi de ne pas être attentif aux mêmes choses ?

En premier lieu, oui. Le problème est souvent un arbre qui cache une forêt (de compétences, de ressources, de capacités de changement). Mais pensez-y, pour qu’un arbre cache une forêt, où faut-il se trouver ? Évidemment le nez collé sur l’arbre (et peut-être au départ parce que c’était le meilleur endroit où se cacher…). En s’en détachant, en s’en dissociant en somme, même si cela nous « découvre », on peut voir le reste… Il ne s’agit pas seulement, comme ont pu le laisser penser certaines dérives « New Age » de l’hypnose, de la décrire comme un accès à un monde merveilleux uniquement fait de capacités formidables de tous et de bonheur. Il s’agirait là d’une distorsion de l’hypnose qui mettrait au contraire une forme de « pression à être heureux » qui plongerait au final dans un sentiment d’échec et de culpabilité. Au contraire, un praticien comme Erickson était optimiste, mais pas idéaliste, il était très réaliste sur le fait que la perfection n’était pas envisageable, que certaines difficultés devaient être avant tout acceptées ou ne pouvaient être résolues… Il était convaincu en revanche que chacun pouvait changer, avancer ou évoluer dans sa façon de voir la vie, et était porteur de plus que ce qu’il perçoit en termes de capacités d’apprentissage et de compétences, et que cela nécessitait souvent du travail. Donc il ne s’agit pas seulement de trouver des ressources, mais de trouver des ressources utiles en situation, même si l’approche peut paraître contre-intuitive. C’est-à-dire que « la solution n’est pas dans le problème », elle n’est pas non plus le contraire du problème, mais elle se situe dans les ressources. Un certain nombre de thérapies s’orientent vers l’exploration du problème et de ses causes, ou vers sa résolution qui tente de faire

« l’inverse du problème ». Or, la solution est avant tout dans les capacités. Un certain nombre de thérapies s’orientent vers l’exploration du problème et de ses causes, ou vers sa résolution qui tente de faire « l’inverse du problème ». Or, la solution est avant tout dans les capacités. Une patiente vient me voir avec des difficultés importantes à gérer ses émotions, sa concentration, dans le cadre d’études très difficiles. Nous arrivons à l’idée qu’elle a eu des ressources par le passé qu’elle a utilisées pour résoudre un grand nombre de difficultés, se lancer des défis. « Mais ce ne sont pas les ressources dont j’ai besoin pour ce concours-là, celles dont j’ai besoin je ne les ai pas, c’est pour cela que je vous reparle de mes difficultés et de mes crises d’angoisse… » Je prends une feuille de papier et lui demande12 : « Supposons que cette surface représente tous vos potentiels, vos capacités, vos ressources. Combien vous en reste-t-il ? » Elle prend la feuille et en déchire un morceau d’environ 10 % de la surface, je pose ce petit morceau et lui tends une autre feuille . « Supposons que cette surface représente tous vos potentiels, vos capacités, vos ressources. On n’est jamais à 100 % mais dans vos bons moments, quand vous arriviez à relever des défis, à surmonter des épreuves, à mieux vous épanouir, vous en étiez où ? » Elle déchire la feuille et cette fois garde un morceau d’environ 80 % que je pose à côté de l’autre. Je désigne ces deux feuilles et lui demande : « Si vous deviez demander de l’aide à l’une de ces deux personnes ? À qui vous adresseriez-vous ? » La réponse est bien sûr évidente, l’aide se trouve dans les ressources…

« Oui mais je ne sais pas comment utiliser ces capacités que j’ai potentiellement [elle désigne les 80 %] pour ma situation actuelle [elle désigne les 10 %] . » Notre objectif devenait donc un apprentissage visant à faire revenir (par le vécu en séance) des capacités existantes et à ajuster l’utilisation des capacités existantes à la situation… et non plus une plainte, une difficulté, une recherche de méthode de travail ou un impossible à résoudre. Ce serait donc bien un changement de perception et pas de réalité ? De façon générale quand une thérapie fonctionne, c’est par un effet de changement de perspective. De façon intéressante, on peut décrire la situation du patient en difficulté comme en « perception étroite ». Il a le nez collé sur son problème, figé, immobile, ne pouvant observer le monde qu’à travers le prisme de sa souffrance. L’hypnose, parfois en amenant son attention sur des éléments qui n’ont en apparence rien à voir avec le problème, lui permet d’avoir une « perception élargie » (que le thérapeute François Roustang appelait « perceptude »), ce qui lui donne accès, finalement, à plus de choix. L’hypnose, parfois en amenant son attention sur des éléments qui n’ont en apparence rien à voir avec le problème, lui permet d’avoir une « perception élargie » (que le thérapeute François Roustang appelait « perceptude »), ce qui lui donne accès, finalement, à plus de choix. Un jour, le fils d’Erickson se blesse, ça saigne, comme beaucoup d’enfants il panique. Son père lui dit alors : « Tu as mal, vraiment mal. Tu as mal ici [en désignant la blessure], pas ici [à côté] ni ici [de l’autre côté], exactement là ! » Ces exemples ne sont pas de l’hypnose au sens formel mais en montrent bien la démarche expérientielle. La perception étroite ne voit que la douleur. Et plus elle est refusée et plus on lutte, et plus

elle nous revient et occupe tout le champ de la conscience. En permettant d’abord une acceptation, une inclusion de cette douleur (« tu as mal exactement ici »), on peut introduire l’idée qu’il y a autre chose que la douleur en lui (« pas ici, ni ici »), et dire à cet enfant qu’il n’est pas que douleur. Une porte s’ouvre. Souvent le problème n’est pas tant d’avoir un problème (ou d’avoir traversé une épreuve) mais surtout de ne plus arriver à voir autre chose. En passant par l’expérience, par le corps, par le ressenti et les ressources, l’hypnose aide à changer. Le registre de la perception étroite est essentiellement mental, de rumination, d’obsession, de peur refusée qui devient panique, de tristesse inacceptable qui devient déprime. Les sensations et les comportements nous échappent. Ils ne sont plus que des réactions à la difficulté, et non plus liés à des actions et des choix délibérés. Les relations s’appauvrissent, semblent décevantes ou nous culpabilisent… Le registre élargi en revanche est celui de l’imaginaire, du corps, des relations et des actes qui ont un sens pour nous. L’hypnose permet non pas tant de prendre conscience d’autres aspects de la vie mais de les expérimenter. Expérimenter une ressource, expérimenter un moment où l’on est associé à ses ressources. En passant par le ressenti, l’hypnose nous met en relation plus directe avec l’expérience (et non pas en relation indirecte par le biais de la rumination, de la tentative de solution inefficace). Parallèlement elle nous met en lien avec notre capacité à accepter ce qui ne peut changer, à mobiliser des ressources pour faire face. Puis d’associer ces différents aspects pour que le mouvement de la vie reprenne.

Une telle démarche est engageante et nécessite une relation sécurisante pour quitter nos certitudes, nous permettre d’entrer en transe, d’accéder à la multitude des sensations et perceptions qui nous situent dans l’existence, pour augmenter notre liberté. « La transe, qui laisse les perceptions sans hiérarchie et sans ordre, réveille à la surface la multitude des impressions qui n’ont jamais été traitées et qui dormaient, en attente. » (F. Roustang.) Mais alors estce être présent et accepter ou être dans l’imaginaire et l’ailleurs ? Les deux dimensions existent dans l’hypnose et sont aussi opposées qu’interdépendantes. Représentons-les dans le schéma suivant. L’hypnose, sensorialité entre présence et imaginaire. La base sur laquelle repose l’état hypnotique est une forme particulière de sensorialité. Et ce qui se joue dans cet état oscille sans cesse entre une forte qualité de présence (je suis là, simplement présent à ressentir tout ce que je peux ressentir maintenant, c’est la notion de « perceptude » chère à Roustang) et à l’autre bout du spectre une absorption dans l’imaginaire (je suis ailleurs, plongé dans un souvenir ou un imaginaire qui n’a rien de réel

à ce moment-là mais devient ce qui est le plus directement accessible à mon esprit pendant un temps). Et il y a tous les intermédiaires et les mélanges. Par exemple : au lieu de la refuser, je tente de percevoir les détails de ma douleur (présence, acceptation) puis de la déplacer ou de l’évaporer (imaginaire). À l’inverse, je suis plongé en hypnose dans un souvenir agréable (imaginaire) qui me rappelle une compétence que j’ai, puis je tente de ramener cette compétence sous la forme d’une sensation, et j’observe ce que mon problème actuel advient quand j’ai présente en moi cette sensation (présence au réel à nouveau). Ajoutons que l’imaginaire transforme le présent en vertu du principe d’analogie. Il y a neurologiquement quelque chose de commun entre faire et imaginer faire. Quand on imagine, on a « presque fait » (et quand on fait, on a aussi imaginé) et cela peut avoir des effets. Finalement, l’imaginaire entre dans le réel. À l’inverse, la présence est accessible par le biais de l’imaginaire (pour être vraiment présent à moi-même, je suis souvent contraint de passer par des images : observer ma respiration, être attentif à ce qui bouge ou change en moi-même, etc. ou tout simplement « être présent », qui est déjà une métaphore)13. Notons que ce n’est pas là un imaginaire forcément fantastique ou fou qui ne ferait que nous renvoyer à des impossibles (imaginer qu’on est plus grand, plus beau, plus riche ou omnipotent peut mener à un sentiment de déception au retour de transe…). C’est plutôt un imaginaire prosaïque qui pourra conduire à une meilleure adaptation. Il permet de sortir du réel figé, étroit, douloureux en allant puiser dans les ressources, dans les possibles déjà présents, masqués par les symptômes. Ce n’est pas une imagination qui imagine, mais une imagination qui voit ce que, sans imagination, avec un regard conformiste et habitué, il était impossible de voir. Mais, pour le voir, il faut se laisser aller à toutes les images et aux substitutions qui émergent quand l’induction, parfois la confusion, parfois la relation sécure, parfois la différence, la multitude des

perceptions, bref quand l’hypnose nous permet d’arrêter de penser et réfléchir, pour enfin faire, être et ressentir. Mouvement de dissociation-réassociation Ici et ailleurs… présence et imaginaire… Est-ce qu’on touche ici à la question de la dissociation ? Comment fonctionne-t-elle ? C’est, me semble-t-il, un autre principe central du fonctionnement de l’hypnose : la mobilisation du mécanisme naturel de dissociation et de réassociation. On décrit de façon simple l’hypnose comme un état de dissociation. Mais c’est inexact à plus d’un titre : il s’agit plutôt d’une désassociation et le principe même de l’hypnose est plutôt de réassocier. On décrit de façon simple l’hypnose comme un état de dissociation. Mais c’est inexact à plus d’un titre : il s’agit plutôt d’une « désassociation » et le principe même de l’hypnose est plutôt de réassocier. Mais revenons au concept de base : le mot « dissociation » exprime l’idée du contraire d’une unité. On peut parfois le définir comme une sensation contradictoire simultanée, ou comme une perte d’agentivité (c’est-à-dire que je deviens spectateur de ce qui se passe au lieu d’acteur, d’agent de mon acte, je me regarde faire sans avoir l’impression que c’est totalement moi). Il peut arriver que l’on se sente très légèrement hors de soi-même, dans un moins grand sentiment d’être associé à ce que l’on vit, quand on fait une sieste, de la relaxation, qu’on « rêvasse », quand on conduit en automatique… On peut être encore plus dissocié quand on s’absorbe dans un tableau, un concert… Et cela peut aller jusqu’à des phénomènes pathologiques quand un patient a l’impression de faire quelque chose sans vraiment l’avoir voulu, de vivre un moment qui lui échappe (crise de boulimie, TOC, conduite dissociative, etc.).

Mais le mot « dissociation » est inadapté à décrire pleinement ce qui se joue dans ces moments, qu’ils soient « quotidiens » ou formellement hypnotiques. Car dissociation laisse entendre que l’esprit est coupé en deux, une partie par ici, une partie par-là. Mais ce qui se produit est plus en réalité une désassociation14. Car il ne s’agit pas d’une scission, il ne s’agit pas de deux morceaux… mais d’un peu plus que cela… Supposons que nos fonctions psychiques, des plus simples aux plus compliquées, des plus concrètes aux plus abstraites (les perceptions, sensations, émotions, conscience, sentiments, choix, intentions, relations, souvenirs, réflexes, comportements, mouvements…), qui forment au total notre vie psychocorporelle, notre « soi », soient une structure très complexe faite de briques de Lego15. Quand nous sommes associés, les briques connectées fonctionnent ensemble, dans une forme de cohérence. Quand nous sommes désassociés, certaines de ces briques se mettent à fonctionner de façon indépendante ; quand nous nous réassocions, ces briques se réintègrent. Parfois au même endroit et dans la même configuration. Parfois ailleurs, formant une nouvelle sculpture complexe. C’est toujours nous, nous nous « reconnaissons », mais il y a du changement. Pour produire un mouvement simple, par exemple, je tends la main pour boire un verre d’eau, se produisent de très nombreux phénomènes associés entre eux : le besoin de boire, la vue du verre, l’analyse de ce qu’il faudrait faire, l’ordre moteur, la vérification que le geste produit correspond à l’intention, le contact du verre qui donne d’autres informations, boire, recevoir le signal correspondant dans la bouche, etc. Il y en a des milliers ! Eh bien, une désassociation (modérée), c’est la possibilité de ne pas vivre tout cela comme entièrement relié, d’en faire une partie de façon différente, de changer, de déplacer une des briques.

Par exemple je désassocie la volonté du mouvement et la reconnaissance d’en être l’auteur : mon bras a semblé se lever « seul », du fait d’une suggestion hypnotique. C’est bien une part de moi qui en a donné l’ordre, mais cette « brique » est désassociée du reste et j’ai l’impression que cela vient de l’extérieur, que cela se produit seul. Mais je peux aussi associer d’autres briques : la sensation de boire de l’eau est associée, par suggestion hypnotique, à un souvenir de réussite. À chaque verre d’eau, une sensation positive m’envahit et m’encourage. La dissociation est-elle utile au quotidien ? Quand quelque chose survient, quand la vie avance, de nouvelles briques cherchent à venir dans cet édifice. Pour intégrer de nouvelles briques, il faut désassocier certaines briques de la sculpture pour faire entrer les nouvelles, les intégrer. Selon Rossi, psychologue et chercheur éricksonien16, nous passons par des cycles, en journée, d’une heure et demie à deux heures. Pendant 90-120 minutes environ, nous sommes en phase « haute », nous arrivons à être présents, à nous concentrer, bref, nous sommes associés. Puis pendant 10-20 minutes nous sommes en phase « basse », nous sommes ailleurs, en repos, associations d’idées et pensées spontanées, bref, désassociés. Cet état désassociatif (bien que plus léger, plus spontané, moins stable, souvent moins fort) est très proche de l’hypnose (qui reproduit cela de façon plus intense et choisie). L’hypothèse est que cet état permet d’intégrer le grand nombre d’éléments nouveaux auxquels la vie nous soumet. Nous avons ce besoin ; soit régulier, soit parfois provoqué par les événements quand « il y a beaucoup à intégrer ». Nous pouvons donc être en transe en nous plongeant dans un tableau, un concert, un livre, une activité prenante. Nous mettons notre cerveau disponible pour une intégration, nous mettons aussi certaines fonctions de côté (ou en arrière) pour en privilégier d’autres qui nous

absorbent dans l’expérience. En nous réassociant, nous en conservons quelque chose dans notre vie. Ni de façon pathologique, ni thérapeutique, certains sont « très doués pour la dissociation » et l’hypnose, par exemple les personnes qui ont une grande imagination, une capacité d’ouverture d’esprit, de remise en question, un intérêt pour des expériences nouvelles ou beaucoup de créativité. Mais aussi tout simplement… les enfants ! En effet, leurs « briques de Lego » sont encore souples et flexibles, facilement réarrangeables. Ils se désassocient facilement (par exemple ils croient avec facilité aux contenus de l’imagination et entrent littéralement dans le jeu, sans effort). En vérité c’est sûrement pour cela que l’on apprend tant dans l’enfance, et que l’on apprend moins bien en grandissant… Et dans l’hypnose ? Il s’agit aussi de se désassocier pour intégrer ? Ainsi, entre autres, fonctionne l’hypnose. Elle met en jeu la dissociation et la réassociation, elle opère une décomposition pour faire une recomposition différente. Avec les enfants, avec les personnes qui ont développé leur créativité, avec certains types de personnalités, on vise nettement moins la dissociation dans l’induction hypnotique puisqu’elle y est déjà facilement. On entre immédiatement dans le jeu. Avec d’autres, c’est au contraire très associé, les briques de Lego sont collées à la glu et il faut apprendre l’hypnose, cela peut prendre un peu plus de temps (souvent quelques minutes, parfois un peu plus…). Le problème est en fait un élément non intégré : un souvenir qui revient sans cesse à la conscience, une idée angoissante que l’on repousse sans cesse et qui s’impose, une façon de percevoir le monde qui nous le rend difficile, une douleur qui gâche des domaines de la vie bien au-delà de la perception physique, une culpabilité qui nous empêche d’être présents à ce qui se passe…

Le but de l’hypnose n’est donc pas la dissociation, mais la réassociation ! Un hypnothérapeute amène une désassociation, qui vise au final une réorganisation, une intégration différente de ces briques de Lego. Nous en sortons (quand c’est réussi) encore plus nous-mêmes, réassociés dans une intégration de plus d’aspects de nous-mêmes. Nous ne cessons alors de nous désassocier, sans arriver pour autant à intégrer autrement, à rendre différent ce qui nous pose problème. Nous sommes parfois coincés dans cette dissociation-problème. Le but de l’hypnose n’est donc pas la dissociation17, mais la réassociation ! Un hypnothérapeute amène une désassociation, qui vise au final une réorganisation, une intégration différente de ces briques de Lego. Nous en sortons (quand c’est réussi) encore plus nous-mêmes, réassociés dans une intégration de plus d’aspects de nous-mêmes. Attendez, je ne comprends pas. La transe est un état agréable pourtant, non ? Et dissociatif ! On est ici et là-bas, lourd et léger… Là vous présentez des moments dissociatifs, mais désagréables ! La transe n’est ni positive ni négative. Cet état de désassociation est vécu positivement quand il amène à nous plonger dans l’expérience puis nous réassocier, à revenir à nous-mêmes. Il est désagréable voire pathologique quand il est « coincé », quand il se répète ou se prolonge, quand il est focalisé sur des éléments désagréables sans amener d’intégration et de réassociation. Mais qu’est-ce qui fait que l’état désassociatif va se réassocier ou pas ? C’est l’acceptation et la sécurité. Si je me dissocie comme pour tous les cycles de la journée (c’est fréquent après le repas de midi, mais arrive plus subtilement le reste du temps…), je peux le percevoir comme insécure et le refuser («

arrête de rêvasser, ce n’est pas le moment »), et dans ce cas-là je vais désorganiser ce cycle et me sentir ailleurs et en lutte, parfois plusieurs heures, essayant vainement de « revenir ». Mais je peux aussi l’accueillir et l’accepter en faisant une « vraie » pause, en me laissant le loisir de me reposer ou de rêver (ou de faire un peu d’autohypnose). Et au bout de 10 minutes ou un quart d’heure, je serai « reparti » efficacement pour le cycle suivant. Faire simplement une pause régulière, proposer pendant cette pause de laisser venir ce qui vient, sans lutter, peut s’avérer un conseil efficace dans un bon nombre de cas. Prenons d’autres exemples de la vie quotidienne : Vous avez eu une journée difficile au travail. Vous repartez du bureau dissocié, perdu dans votre rumination sur les événements. Dans la voiture, vous conduisez en automatique pendant que votre esprit ressasse cette affaire. Hypothèse 1 : Vous refusez cette difficulté (choix légitime puisqu’elle est désagréable !). Pendant le trajet vous vous dites : « Ça va passer, le chef a dit que ce serait temporaire et il faut prendre sur soi. » Par un subtil effet ours blanc, l’anxiété augmente. Vous ne retrouvez pas de sécurité, car vous ne vous sentez pas prêt à en parler à la maison (« Après tout ce n’est rien et il/elle ne pourrait pas comprendre »). La dissociation s’installe, elle se coince. Vous êtes ailleurs, vous vous répétez en boucle : « Il faut que je tienne, ça va passer », vous ne jouez plus avec vos enfants (« Bon, je suis fatigué là, je n’ai pas la tête à ça… »), tout vous énerve, vous dormez mal et le problème, potentiellement, s’installe. Hypothèse 2 : Vous acceptez la difficulté, son côté pesant, donc cette dissociation. « Je suis fatigué, c’est dur en ce moment, et je n’ai qu’une envie, c’est de prendre des vacances. » En arrivant chez

vous, vous êtes sécurisé par l’idée que vous pouvez faire quelque chose qui vous plaît et vous aide à vous sentir mieux, ou que vous pouvez exprimer vos difficultés auprès de la personne qui collabore alors avec vous. Ou bien, sans même en parler en détail, vous dites : « Je suis bien fatigué, tu sais, je pense qu’on devrait prendre quelques vacances en famille, ne serait-ce qu’un week-end… » Ou bien vous savez que le lendemain vous pourrez voir un bon collègue à qui vous confier, ou un ami à même de vous changer les idées. Vous réassociez alors les diverses dimensions de la vie : ici la difficulté et la ressource qui vous en extrait. Il s’agit d’un mouvement physiologique de dissociation et réassociation. Notons bien que nier ou refuser l’angoisse est au départ logique puisqu’elle est désagréable ! La lutte contre la dissociation (« Il faut que je tienne, allez, concentre-toi, sois présent, arrête d’y penser ») nous coince en dissociation. Je bois un verre avec un ami, je suis associé, je me sens présent et agréable, dans le moment. Il m’annonce être atteint d’un cancer. J’accuse le coup et me dissocie en somme pour encaisser la nouvelle. Je rentre chez moi la tête ailleurs, perturbé. Refuser, consciemment ou non, est possible et peut se pérenniser. (« C’est dingue ! Vraiment je n’en reviens pas… ») La relation se « désassocie » un peu de la personne. Tous les patients atteints de cancer vous raconteront, c’est triste mais hélas fréquent, que certaines de leurs connaissances se sont éloignées au moment de la maladie, celle-ci étant trop dure à accepter pour eux. Mais l’acceptation est possible : « Ça m’a vraiment fait quelque chose », le reconnaître, c’est s’ouvrir à l’envie d’agir. La personne en parle alors à quelqu’un d’autre et elles l’appellent pour le revoir… C’est une réassociation des relations, sur fond d’acceptation et resécurisation. Et donc un certain nombre de problèmes de vos patients sont des « dissociations coincées » ?

Oui, des dissociations coincées ou des associations gênantes. Par exemple, la procrastination désassocie la nécessité de faire de la volonté ; la dépression désassocie chez le patient les aspects positifs de la vie, de l’attention portée ou de la satisfaction ; le traumatisme amène le survivant à associer des bruits sourds aux souvenirs d’explosion et de mort ; le TOC pousse à associer une pensée obsédante à un rituel répétitif ; la phobie désassocie l’image d’une araignée du faible danger réel et l’associe plutôt à une réaction d’évitement incontrôlée ; l’addiction désassocie le malaise physique, l’autodestruction et la consommation pour plutôt l’associer à l’apaisement temporaire… Un patient vient nous voir pour nous dire que quelque chose « cloche dans la structure », des briques sont mal associées ou défectueuses. Et il n’arrive pas à le résoudre en s’y attaquant directement. Nous passons par un « chemin détourné » appelé « dissociation ». Alors tout se mélange, les pensées sont répétitives et mortifères (ruminations, dévalorisations, flash-backs), l’action que nous croyons avoir n’est qu’une réaction, une tentative de fuite (addiction, TOC), voire de lutte contre notre propre émotion, tentative qui ne soulage que temporairement (puisqu’elle nous sort provisoirement de la passivité mais sans permettre d’intégrer réellement)… Un patient vient nous voir pour nous dire que quelque chose « cloche dans la structure », des briques sont mal associées ou défectueuses. Et il n’arrive pas à le résoudre en s’y attaquant directement. Nous passons par un « chemin détourné » appelé « dissociation ». Nous l’aidons à désassocier, parfois des fonctions annexes, parfois très indirectement liées aux difficultés. Puis en ayant laissé le patient plus facilement accéder à la capacité de changer, nous laissons la construction se réassocier, un peu différemment. Désapprendre est nécessaire pour apprendre.

Puis en ayant laissé le patient plus facilement accéder à la capacité de changer, nous laissons la construction se réassocier, un peu différemment. Désapprendre est nécessaire pour apprendre. Ce sont toujours des briques très profondes ? Pas toujours. Parfois c’est superficiel, ce sont des briques externes, récentes. Parfois cela touche presque à l’identité profonde du patient. Cela ne veut pas dire qu’il faudra forcément plus de temps, mais juste « viser au bon endroit ». Donc l’hypnose n’est pas du sommeil et le réveil n’est pas un réveil… Nous pourrions dire plutôt que l’hypnose est un éveil à d’autres possibilités, on réveille littéralement des capacités, que l’on s’en rende compte consciemment ou pas. Nous pourrions dire que l’hypnose est un éveil à d’autres possibilités. Prenons une autre image. Je m’aperçois que les livres de ma bibliothèque ne sont pas bien ordonnés. Si un ouvrage n’est pas au bon endroit, je vais le sortir, trouver l’étagère appropriée, écarter les livres et le remettre à sa place. Mais si je m’aperçois que tout est mélangé, ou que je ne m’y retrouve pas, je vais vider complètement les étagères et ensuite « re-ranger » les livres dans un ordre adéquat. C’est toujours la même bibliothèque, avec les mêmes livres, je la reconnais. Mais elle est dans une autre version d’elle-même qui me convient mieux. J’ai l’impression de la découvrir, je « m’éveille » à ce que cette nouvelle disposition m’inspire ou me dit sur la personne qui l’a rangée ainsi… Il faut donc accepter le désordre temporaire, le temps passé, le risque de la nouveauté.

Et le réveil, effectivement, n’est pas un réveil, puisqu’on est éveillé, mais est une réassociation. Alors si on peut désassocier, il n’y a pas de risques qu’on « réassocie n’importe comment » ? Disons que si le remaniement est plus superficiel, le risque est moindre, et si le remaniement est plus profond, il faut surtout que le patient soit en sécurité relationnelle. C’est ce qui lui permettra de réassocier les briques du puzzle de façon stable et sécure. C’est dans ces cas-là, en cas de fragilité plus profonde qu’interviennent les « dangers » dont certains parlent parfois : induction profonde et autoritaire, sans vraie réassociation et désassociations mal maîtrisées, sécurité relationnelle absente18… La personne peut être déstabilisée. Nous sommes des êtres de sens et de cohérence. Quand nous sommes en sécurité relationnelle nous sommes moins sur la défensive et pouvons prendre le temps de donner du sens à nos mouvements psychiques en reconstruction. En insécurité nous faisons moins de choix et nous nous construisons « en réaction ». Certains ont un édifice intérieur solide et souple, résilient au sens propre du terme. D’autres ont été fragilisés et ont besoin de sécurité pour se solidifier plus que de déstabilisation gratuite… Bien sûr, il faudrait affiner plus les connaissances, des études sont nécessaires pour évaluer ces destabilisations. Il ne s’agit pas d’inquiéter inutilement mais de souligner qu’un « excellent sujet pour l’hypnose » peut l’être parce qu’il est un enfant, parce qu’il est imaginatif, créatif ou le plus souvent motivé pour changer. Mais il peut parfois l’être parce qu’il est dans une phase de fragilité, parfois pathologique, qui nécessite de ne pas réduire l’hypnose au phénomène dissociatif, mais bien à ce qui se passe après et d’avoir

une vraie compétence dans la stratégie thérapeutique hypnotique (qui est fondamentalement intégrative, réassociative). Ce n’est pas trop s’avancer surtout que de dire que la collaboration thérapeutique et la sécurité relationnelle sont des facteurs de « risque de succès » et de meilleur déroulement de l’hypnose. Se sentir à l’aise avec la personne avec qui on fait l’expérience de l’hypnose. Ce n’est pas trop s’avancer surtout que de dire que la collaboration thérapeutique et la sécurité relationnelle sont des facteurs de « risque de succès » et de meilleur déroulement de l’hypnose. En somme on « réassocie n’importe comment » si on désassocie sans sécurité, si on désassocie sans réassocier, si on pense que l’hypnose est l’obtention de phénomènes et pas un remaniement intérieur, actif et thérapeutique. En somme l’hypnose thérapeutique permet de dissocier en sécurité pour réassocier… Exactement. La thérapie par l’hypnose commence par permettre cette dissociation, sur un fond de sécurité (la relation de confiance est essentielle), d’acceptation de ce qui se passe et de la perspective d’un changement. La thérapie par l’hypnose commence par permettre cette dissociation, sur un fond de sécurité (la relation de confiance est essentielle), d’acceptation de ce qui se passe et de la perspective d’un changement. Nous comprenons alors l’approche d’Erickson centrée sur les ressources. Aller vers celles-ci, par le vécu, nous sécurise en nous offrant de nouvelles perspectives, masquées par le problème. La thérapie ouvre une porte, un cadre dans lequel ce mouvement est possible. La relation de confiance va également d’Erickson vers son patient, car il est convaincu que celui-ci a les ressources pour changer. La sécurité naît aussi face à un thérapeute qui ne compte pas imposer la solution

par sa suggestion dans une relation autoritaire. Plutôt, le thérapeute sait que la solution peut émerger du patient, et de sa façon de se saisir de la suggestion, dans une relation de confiance réciproque. Nous pouvons voir dissociés d’autres éléments de notre vie psychique comme les perceptions et les comportements (manifestations d’angoisse, évitement, rejet…) d’une part et les intentions (projets, envies de calme, d’épanouissement de nos valeurs et capacités) d’autre part. Nous avons donné l’exemple de la tristesse due à un deuil. Redécrivons-le sous cet angle. Dans le cadre du refus et de l’insécurité (« Ce n’est pas possible, il ne peut pas mourir, je ne peux m’en remettre »), la disparition du mort laisse le patient tel un enfant sur un vélo qui se retournerait et ne verrait plus son parent le suivre. Seule la dimension de tristesse revient sans cesse, le patient se met à refuser cette tristesse même. Il est triste d’être triste (« Je devrais m’en remettre, je suis ridicule ») et se « coince » dans ce deuil. À l’inverse, accepter cette dissociation (« Je suis triste, j’y pense souvent, c’est vraiment difficile ») permet de voir plus loin. (« Je suis triste car je n’aurai plus cela avec lui… je suis donc triste parce que j’avais une relation très proche avec lui… ») En l’acceptant, l’esprit peut se détourner de cette tristesse qui revenait en boucle. Quand on s’occupe de quelque chose… on n’a plus à s’en préoccuper ! On peut alors ressentir la tristesse et le reste : ce qui reste de cette relation, ce qui vient de lui et vit encore en soi. La tristesse de la perte est corrélée, associée, à la joie de cette relation. La personne alors aura réassocié les dimensions de l’existence au lieu de maintenir un blocage. La résolution du deuil n’est pas de passer à autre chose, tourner la page, oublier, mais bien au contraire d’arriver à se rappeler sans avoir à le craindre, pouvoir se souvenir, en parler, peut-être même

avec le sourire. La vie est plus nuancée et complexe que monochrome. Reprenons aussi l’exemple de certains patients consultant avec des addictions. C’est une dissociation souvent entre actions et intentions. La personne voudrait être libre, se préserver, ne pas faire le geste (fumer, boire, jouer), mais le fait et le refait de façon automatique, quasiment non reconnue : « C’est [l’action] plus fort que moi [l’intention] ! » Tout se désassocie. Le corps est dissocié de la tête (la personne ne se rend plus compte des effets négatifs du produit), les intentions des autres sont détachées du ressenti qu’elles suscitent (par exemple, tout l’entourage ou le milieu médical tente bienveillamment de montrer au patient ses problèmes, alors que le symptôme fait dire au patient qu’il aime ça, que ça le détend, qu’il en a besoin ; à l’inverse les dealers ou amis « de défonce », ou camarades qui « sortent avec moi pour fumer ensemble » sont vus comme des soutiens alors qu’ils participent à l’aggravation de la difficulté). L’hypnose, alors, va accompagner cette dissociation, par exemple faire ressentir au patient ce qui se passe dans ses sensations douloureuses liées au manque et en même temps le mettre en contact avec une expérience différente, bref vivre une expérience multiple et dissociative qui va permettre de réintégrer à leur juste place tous ces éléments. C’est ainsi qu’un patient qui avait « peur du manque » de tabac (les briques « peur » et « manque » semblaient être associées !) termina la séance en se rendant compte que le manque était difficile physiquement mais aussi que le manque était présent uniquement dans les moments d’arrêt ! On n’est pas en manque quand on fume, quand on est dépendant. Il me dit donc qu’il accueillerait le manque

comme une difficulté physique mais associée à la joie d’être sur la bonne voie. À l’inverse dans une dépression, par exemple, c’est l’intention qui ne se retrouve jamais dans les actes et les faits : la personne aimerait un monde plus juste et moins triste mais se trouve toujours déçue de ce qui se passe, finit par avoir son attention accaparée par la tristesse ou le sentiment d’échec… Un dernier et plus « grave » exemple, souvent lié à la notion de « dissociation » : le psychotraumatisme. Si un événement difficile « banal » arrive, sous l’effet du choc, parfois nous nous « dissocions » (vous sursautez en arrière parce qu’une voiture arrivant à toute vitesse a failli vous écraser). Mais si l’urgence s’arrête, nous retrouvons de la sécurité et nos esprits, et nous pouvons accepter ce qui s’est passé, et en « faire quelque chose » (une histoire à raconter, une leçon à retenir, un souvenir…). En revanche, dans un traumatisme, un événement terrible arrive, vécu en dissociation (on parle même de « sidération ») de façon logique car il est trop « fort » pour être intégré sereinement. La dissociation est une capacité, et ici elle est fondamentale pour nous protéger de l’horreur ou du choc pendant qu’il se produit. On se dissocie de son corps présent car ce qui lui arrive est trop difficile. Il n’y a par la suite pas de retour immédiat à la sécurité (le traumatisme dure plus qu’un « sursaut ») et ce mauvais souvenir est de façon logique refusé car insupportable. La dissociation se « coince » donc, et se répète régulièrement. Une part de nous tente d’intégrer cet événement (car il est « inévitable »). Une part tente de ne surtout pas l’intégrer (car il est « insupportable »). Il se présente de façon inappropriée sous forme de flash-back ou de cauchemars (des tentatives d’intégrations qui échouent) et envahit la vie. À chaque élément qui rappelle même indirectement le

souvenir, ou au détour d’un moment vide, le traumatisme, ainsi que des réactions perceptives ou comportementales, revient automatiquement à l’esprit et la personne semble à nouveau « dissociée », ailleurs, absorbée dans cette difficulté. En fait, le mécanisme qui nous a dissociés pour nous protéger devient le problème lui-même. Quand un traumatisme est gênant, c’est donc parfois parce qu’une partie des briques qui le constituent est à l’extérieur, en difficulté d’intégration par refus et insécurité (« Arrête de penser à ça, ce n’est pas le moment que ça revienne… »), ou au mauvais endroit (dans les signaux d’alertes perpétuels, par exemple). La peur du contact physique ou du bruit sourd est au même rayon que la peur du vide, de la mort, de la douleur… au lieu d’être dans le rayon des mauvais souvenirs. Ou encore, une autre partie du trauma s’est peut-être placée, à la longue, au cœur de la sculpture, faisant reposer une partie de l’édifice dessus. Le patient se met alors à penser que sa vie est fondée en partie là-dessus : « Je suis ainsi parce qu’il m’est arrivé cela19 », ou à l’associer à des humeurs négatives ou dépressives. Un patient n’est pas malade de son passé, mais malade de son souvenir. Et il n’y a pas de fatalité, il n’y a pas de maladie liée au passé. Un patient n’est pas malade de son passé, mais malade de son souvenir. Celui-ci lui revient en boucle inopinément, devient comme une part de ce qui le constitue ou détermine ses actes, brouille ses intentions véritables et ses relations. Le problème n’est plus tant ce qui lui est arrivé que la façon dont ce qui lui est arrivé l’envahit et le dissocie de lui-même (de ce qu’il veut être) au présent, la façon dont ce souvenir se place de façon inadéquate dans sa structure de Lego, qui se désassocie et se réassocie sans cesse et sans succès… Au lieu de se battre contre la dissociation, l’hypnose l’accompagne, l’accentue même parfois, pour permettre de réorganiser l’édifice intérieur.

L’hypnose permet une sortie de cette dissociation, en s’appuyant sur les mêmes mécanismes qui ont mené au trouble, mais en proposant une ouverture. L’hypnose permet alors de réorganiser cette dissociation, c’est sa grande force et sa grande originalité. Au lieu de se battre contre la dissociation, l’hypnose l’accompagne, l’accentue même parfois, pour permettre de réorganiser l’édifice intérieur. L’hypnose permet une sortie de cette dissociation, en s’appuyant sur les mêmes mécanismes qui ont mené au trouble, mais en proposant une ouverture. Ce qui était un traumatisme (un souvenir laissant une empreinte négative et récurrente, cherchant répétitivement à s’intégrer sans y arriver) devient alors, cette fois-ci, un véritable souvenir. Un mauvais souvenir bien sûr, mais un souvenir, qui, comme tous les autres, n’est pas présent à la conscience si on ne lui demande pas, que l’on peut mettre à une autre place, et qui peut s’étioler avec le temps, et qui n’est qu’une histoire parmi d’autres, c’est-à-dire un élément qui est parfois utile, ou pas, mais qui n’est pas à lui seul déterminant de tout pour la personne. Il m’arrive souvent de dire que, ne pouvant effacer le passé (les attentats du 13 novembre se sont, hélas, bien réellement produits, par exemple), le but d’une thérapie pour le traumatisme est bien de transformer un trauma en souvenir. Cette souffrance est réelle, intense et ne peut être niée mais, en la plaçant ailleurs que dans ce qui constitue, on s’aperçoit qu’elle ne fonde pas une identité, et l’on peut vivre. J’ai en mémoire cet entretien de François Roustang avec une patiente ayant vécu un lourd traumatisme sexuel. Et alors qu’elle lui racontait cette immense détresse, il la regarda intensément et lui dit : « Mademoiselle… c’est quelque chose qui vous est arrivé… Cela ne vous constitue pas. » Cette phrase ne fait peut-être pas à elle seule la thérapie mais en résume l’état d’esprit. Cette

souffrance est réelle, intense et ne peut être niée mais, en la plaçant ailleurs que dans ce qui constitue, on s’aperçoit qu’elle ne fonde pas une identité, et l’on peut vivre. La dissociation lors d’un problème prend toute notre énergie… Les « phases hautes » dont nous parlions sont les phases associatives, où l’on est présent et ce maintien des briques ensemble est, de façon logique, énergivore. Mais les tentatives de réassociation, qui n’aboutissent pas, nous épuisent encore plus (à l’image de votre téléphone qui se décharge plus vite quand il « cherche le réseau » que lorsqu’il capte bien…) Et surtout, quand un problème survient, et quand il dure et se chronicise, ce n’est pas qu’une brique de Lego, mais en fait souvent plusieurs qui sont en dehors de l’édifice principal, désassociées de lui… mais reliées entre elles. Les « briques problèmes » ont une certaine cohérence entre elles qui leur permet de s’associer. Par exemple, un patient a très peur de l’abandon. Il y a là sûrement des briques souvenirs, émotions, comportement, volonté, sentiments, automatismes, valeurs, opinions, sensations, etc. qui sont reliées par cette ligne commune. De même un patient qui fait des crises de boulimie (qu’il semble vivre de façon automatique, pulsionnelle, incontrôlable, en transe) a, là aussi, des peurs, des envies, des pulsions, des troubles de mémoire et de jugement, des rationalisations, etc. De même pour la dépression qui comporte des idées, des phénomènes psychiques, moteurs, cognitifs, ou pour le traumatisme dont nous avons parlé, etc. Et ce « sous-édifice problème », en se « sous-associant », et en tentant de s’imposer, de s’intégrer, prend de l’énergie, occupe l’esprit, empêche les patients de penser, de se concentrer, d’être connectés

avec les autres, avec les intentions et les valeurs, bref, d’être euxmêmes. Il semble que le problème est à la fois en eux, lié à eux, mais n’est pas eux (et c’est important qu’ils le sachent). Le travail de l’hypnose, même s’il passe par la dissociation, est un travail de reconnexion différente de cette partie, en passant par leurs ressources, leurs sensations, leurs émotions, leurs intentions ou leurs valeurs, pour intégrer plus harmonieusement les diverses parties de ce qu’ils veulent être et devenir. En ce sens-là, pour ce genre de difficultés dissociatives, l’hypnose vise en quelque sorte à déshypnotiser. La dissociation en hypnose est donc une étape vers la réassociation hors de l’hypnose. Le but fondamental de l’hypnose est la réassociation. Une pratique purement dissociante ne fait que nous rendre spectateur de ce qui se passe en nous. Le but fondamental de l’hypnose est la réassociation. Remettre en mouvement ensemble notre identité, nos relations, nos souvenirs, nos intentions, nos ressources… Mais il est dur de se laisser aller à être, s’associer, sans passer par la dissociation. La dissociation est une compétence fondamentale. Lâcher ces certitudes implique de les accepter, de les regarder (donc ne plus être dedans, s’en désassocier) puis de changer de point de vue et laisser être ce qui est. Prêter attention à la sensation arrête l’action, le faire, pour nous permettre d’ être. Au final, le but de cette réassociation, dans un cadre thérapeutique, est donc l’intégration.

Au final, le but de cette réassociation, dans un cadre thérapeutique, est donc l’intégration. Mais alors il est faux de dire que l’hypnose dissocie ? Il est plus juste de dire qu’elle utilise la dissociation ! Et même si certains parlent d’hypnose « associée » pour parler d’une hypnose où l’on reste en contrôle, en réalité une forme de dissociation a quasiment toujours lieu, ne serait-ce que par notre observation de nous-mêmes (« je » observe « moi ») ou notre sensation de contrôler des habituels automatismes. Parfois l’hypnose nous semble aussi associée quand la présence à soi-même est maximale, quand « je » n’existe plus, se fond dans la perception, état quasi-méditatif… En tout cas, si elle n’est donc pas forcément associée dans sa forme, en revanche une séance d’hypnose thérapeutique est toujours associante dans son objectif ! Différencions cependant les cas : — Celui d’une douleur, par exemple procédurale (lors d’un soin douloureux, d’une anesthésie), où le praticien se retrouve en face d’une personne associée et va créer une dissociation, comme dissocier les sensations d’une partie du corps – opérée – de celles des autres, ou dissocier la conscience en lui permettant d’être « un peu ailleurs » pendant qu’on l’opère, ou encore en désassociant la sensation de l’interprétation de la douleur – perçue habituellement comme signe de danger, ou en transformant la sensation de douleur en picotements… On révèle cette capacité (d’apaisement, d’analgésie) par la dissociation. Ces « briques » sont plutôt en surface20 et temporairement désassociées. Le thérapeute va maintenir cette dissociation par ses

suggestions hypnotiques, et aider le patient à la maintenir, le temps du soin. Ici on crée presque de la « pathologie temporaire » (insensibilité d’une zone, dissociation de la conscience…), et à la fin on réassocie la personne, toujours en réunissant les conditions de sécurité et d’acceptation (par exemple, acceptation par la validation de l’expérience vécue et par la sécurité de la relation avec le médecin)21. — Il en va différemment dans une difficulté suraiguë qui dissocie brutalement et très fortement la personne. Il s’agira alors de resécuriser pour réassocier. Une personne venant de vivre une agression, par exemple, aura d’abord besoin de ressentir le retour à la sécurité et à la protection pour sortir mieux de sa sidération initiale. — Dans un phénomène plus chronique (douleur chronique, difficulté psychologique…) où l’hypnose va faire appel à la désassociation récurrente que vit le patient, mais au lieu de lutter contre (ce que le patient fait déjà, sans succès !), elle va l’accompagner (parfois l’accentuer) pour aider une réorganisation, une intégration différente et finalement la réassociation. Ou plus précisément le retour à un mouvement naturel de dissociation-réassociation qui est le mouvement de la vie. Par exemple un patient vient me voir avec une émotion difficile, vécue comme une sensation physique automatique, dissociée de son contrôle, entraînant des pensées et des comportements gênants. Je lui propose alors de ne pas lutter contre frontalement (acceptation), de la laisser exister, mais de l’associer à une image. Puis de modifier volontairement cette image (sécurisation, reprise de contrôle, approche indirecte). L’émotion, bizarrement, se calme… Le patient emporte avec lui cette expérience et commence à faire dans la « vraie vie » des expériences de reprise de contrôle de son existence. Même sans connaître les mécanismes complexes de la thérapie, on sent bien que l’on joue sur des mouvements de changements de

dissociation et de réassociation. Même sans connaître les mécanismes complexes de la thérapie, on sent bien que l’on joue sur des mouvements de changements de dissociation et de réassociation. L’hypnose est, là encore, un révélateur de capacités permises par (et par le biais de) la dissociation. En résumé, la dissociation est une capacité extraordinaire de l’esprit humain, qui vise l’intégration. Parce qu’on se dissocie, on perçoit, à certains moments, séparément, toutes les (ou du moins d’autres) dimensions de l’existence. On révèle « l’autre partie », celle des possibles, des intentions, capacités du corps et autres ressources, rendues inaccessibles ou invisibles par les difficultés. Alors on peut intégrer, mettre en avant ou en retrait, agencer différemment les éléments. L’hypnose est, là encore, un révélateur de capacités permises par (et par le biais de) la dissociation. Accédant à ces capacités, je peux les mettre en lien dans l’ensemble, et donc me réassocier, dans ces conditions de sécurité et d’acceptation. Car le but n’est pas « d’aller bien » ni de trouver le bonheur. L’idée n’est pas tant de trouver des ressources que d’associer les ressources, les problèmes, les intentions, les actes, les valeurs, les relations et autres, pour leur donner une direction. Le but de la manœuvre est que les diverses dimensions de l’existence soient associées les unes aux autres, ce qui donne espoir, résilience, sens et cohérence à la vie. Le but de la manœuvre est que les diverses dimensions de l’existence soient associées les unes aux autres, ce qui donne espoir, résilience, sens et cohérence à la vie. Pour résumer le mécanisme comme en une formule mathématique : Dissociation + Refus + Insécurité = Dissociation coincée (répétitive). Dissociation + Acceptation + Sécurité = Intégration et Réassociation. D + R + I = DC

D + A + S = I→R Profondeur et typologie de transe Se dissocier, se réassocier, trouver des ressources et compétences, réorganiser notre vie psychique… décidément, il ne s’agit pas de dormir ! De ce point de vue, le même nom servant d’étymologie pour les phénomènes observables en hypnothérapie et les médicaments induisant le sommeil appelés « hypnotiques » est une assimilation sémantique bien peu pertinente… Il est vrai que les effets analgésiques, le besoin de nombreux patients de se détendre (alors que l’hypnose peut bien d’autres choses) et la ressemblance de la transe profonde avec le sommeil expliquent ce « télescopage linguistique » bien malheureux. Donc il y a bien une « transe profonde » ? C’est ainsi qu’on nomme les transes vécues de façon plus intense. La profondeur est une métaphore et c’est très marqué culturellement. La transe a tout de même des façons de s’exprimer préférentiellement. L’observation clinique me fait dire qu’il y a différentes formes qui peuvent chacune s’approfondir. Je pense qu’il est toujours question d’hypnose, que ce ne sont pas des hypnoses différentes ou des niveaux toujours identifiables. Mais on observe des ressentis, qui laissent penser à des phénomènes différents, qui pourront être utilisés selon les besoins. Cette description phénoménologique n’a donc pas valeur de vérité et n’engage que son auteur et ses observations cliniques… Retenons pour cela le sigle « ADSL ». Attention

Dissociation Somnambulisme Léthargie. Souvent une séance d’hypnose se déroule selon le schéma suivant :

Une séance commence volontiers par un exercice d’attention. Pour se focaliser sur ce qui se passe au présent, on demande au patient de porter son attention sur sa sensorialité par exemple, ce qu’il perçoit ici et maintenant, la façon dont il est assis ou dont il respire. On se dirige vers une forme de transe : ce moment où l’on est attentif mais sans pour autant être dans une tension. « Prêtez tranquillement attention à votre respiration, à l’inspiration quand l’air entre en vous, à l’expiration quand il en sort, et à cette petite pause qui se trouve à la fin de l’expiration, ce petit moment, régulier où il ne se passe rien… » C’est ensuite généralement que survient la dissociation. Le patient est invité progressivement à entrer en contact avec une sensation subjective et différente ( « Peut-être ressentez-vous un de vos bras devenir plus léger… ») ou un mouvement automatique ( « Vous

ressentez vos épaules s’affaisser de plus en plus et votre bras se maintenir à l’équilibre… ») ou une image ( « Et alors que vous êtes sur ce fauteuil, une partie de votre esprit peut vous emmener sur une plage et ressentir sur votre peau la chaleur du soleil… ») ou bien désassocier subtilement certaines « briques de Lego » pour les associer différemment dans une métaphore ( « Vous pouvez ressentir qu’à chaque expiration vous descendez une marche d’escalier… et en bas de cet escalier il y a une porte… votre main tourne la poignée… ») et l’on peut éventuellement voir la main du patient bouger, mimant le mouvement. Il y a bien là dissociation : une part de lui est ici, une autre est ailleurs, en train d’ouvrir la porte, cette porte ailleurs agissant sur sa main « réelle » qui est toujours dans la pièce…) Et puis, si nous continuons des manœuvres d’approfondissement, nous entrons dans ce qui a été décrit par Erickson comme les deux types essentiels d’hypnose profonde. Les niveaux précédemment décrits sont les plus usuels et suffisent dans une majorité de cas. La transe dite « somnambulique » serait comme une absorption « totale » dans la transe, comme si le patient n’était pas « un peu ici et un peu là-bas » mais « totalement là-bas ». Parfois nous cherchons à atteindre, ou atteignons sans même l’avoir cherchée, une forme somnambulique ou léthargique. La transe dite somnambulique serait comme une absorption « totale » dans la transe, comme si le patient n’était pas « un peu ici et un peu là-bas » mais « totalement là-bas ». Il est en fait « totalement dissocié de son corps d’ici » et « totalement associé à son corps de là-bas ». Concrètement c’est une forme de transe dans laquelle la personne peut être les yeux ouverts, alerte, avoir une conversation, mais est totalement dans l’hypnose, peut suivre des suggestions, être très

consciente de ce qu’on lui dit, et sembler vivre pleinement ce qui se joue en transe, souvent le regard fixe et avec un langage plus littéral. Il n’est pas exclu qu’elle soit parfois dans cet état avant même que la séance officielle commence (ce que les thérapeutes ne repèrent pas toujours) ! Et il n’est pas exclu qu’elle ne perçoive pas avoir été en transe puisqu’elle a eu l’impression de se comporter de façon alerte. La transe dite « léthargique » ou stuporeuse est une transe où l’on constate un fort relâchement musculaire avec parfois un affaissement sur soi-même.

La transe dite léthargique ou stuporeuse est une transe où l’on constate un fort relâchement musculaire avec parfois un affaissement sur soi-même. La relaxation est profonde, l’anesthésie fréquente. Le patient nous entend d’assez loin et ne répond pas forcément de façon visible aux suggestions. Je redis ici qu’entrer en hypnose dite « profonde » n’a rien de nécessaire pour qu’un changement survienne et ne doit pas forcément être recherchée comme un but ni même comme un préalable ! Disons également que, sans aucun approfondissement et parfois sans s’en rendre compte, le patient entre « directement » dans une de ces transes profondes… Qui ne sont peut-être donc pas plus profondes ni forcément progressives, mais simplement différentes.

Pour être plus juste, il me semble que chacun de ces quatre modes peut être plus ou moins profond, et que le schéma pourrait être : — Nous nous servons de l’attention pour ensuite dissocier mais la dimension de l’attention, à elle seule, possède une sorte de palette de nuances progressives, qui vont de la simple focalisation consciente sur quelque chose (« Observez vos mains »), jusqu’à la mindfulness, c’est-à-dire, non pas comme on le traduit assez mal « pleine conscience », mais bien une « pleine attention », c’est-à-dire une pleine présence à tout ce qui est. Transe d’une nature particulière, que connaissent par exemple les méditants ou bien les disciples de Roustang en hypnose, qui consiste à « être pleinement là » en somme. — La dissociation peut être légère dans des expériences du quotidien : on « décroche », on conduit de façon automatique, mais peut aller beaucoup plus loin en hypnose avec une dissociation « complète » : je suis totalement ici et je ressens les sensations de là-bas, je sais que c’est telle partie de mon corps et je ressens qu’on la touche, qu’on l’opère, mais je ne pense plus pouvoir la bouger et je ne ressens pas la douleur de ce soin, ou encore je ressens lourdeur et légèreté, mouvement et involontarité… — La transe somnambulique (forme, disons, aboutie de la dissociation puisqu’il s’agit d’une absorption dans cette réalité alternative) peut arriver spontanément, par exemple quand l’on nous dit une phrase suffisamment significative pour changer totalement notre perspective. Parfois, sans toujours le vouloir, et dans tout type de thérapie, le thérapeute prononce une phrase « clé » et on voit alors le patient, toujours les yeux ouverts, être instantanément dans une nouvelle réalité. « Ah, je n’avais pas vu les choses comme ça, mais maintenant que vous le dites… » Il se

projette, se vit déjà dans une scène alternative et ressent, là, comme si c’était présent, une nouvelle perception. C’est une forme légère et fragile du phénomène. La forme que l’on trouve en séance plus formelle va être celle d’un patient qui poursuit son vécu hypnotique avec les yeux ouverts et semble « halluciner » son vécu, décrivant son expérience et pouvant échanger, répondant aux suggestions. À l’exemple de ce patient que soigna un de mes collègues, qui suggéra qu’ils étaient dans une galerie d’art. Thérapeute et patient se levèrent alors, et, marchant dans la pièce, devant les murs (pourtant peints en blanc) ; le patient se mit à décrire ce qu’il voyait sur des tableaux significatifs accrochés là… — Enfin la transe léthargique peut aller de formes légères de relaxation musculaire22 jusqu’à un état qui semble entre la veille et le sommeil profond, avec un relâchement musculaire très intense, une sensation de distance avec les perceptions extérieures (par exemple le patient entend de très loin nos suggestions et peut ne pas y répondre, du moins pas de façon visible, c’est après la séance, généralement après un « retour de transe » qui lui prendra un certain temps, qu’il pourra éventuellement nous informer de son vécu). Évidemment, les hypnotiseurs de spectacle et les praticiens de l’hypnose autoritaire usent et abusent de ces deux dernières formes de transes. C’est le moment où l’on peut voir des personnes « comme éveillées » mais qui continuent pourtant à jouer le jeu du spectacle ; ou bien ces moments où l’hypnotiseur provoque un grand relâchement pour faire « tomber en avant » (ou en arrière ou dans ses bras…) le sujet hypnotisé. Il y a bien sûr des utilisations thérapeutiques de ces phénomènes, d’autant que certaines personnes, dans certains contextes

relationnels, entrent plus aisément dans ce type de transe. Notons cependant que, dans le monde de l’hypnose, l’on s’est mis à appeler « transe » tout ce qui n’est pas de la veille ordinaire. Mais c’est très possiblement une approximation car, bien que les manœuvres techniques pour les obtenir soient ressemblantes, les vécus sont malgré tout différents et les phénomènes cérébraux également sans aucun doute. La « phénoménologie » de la transe ou plutôt « des transes » est une piste de recherche largement ouverte. L’essentiel en thérapie reste bien sur pas uniquement le phénomène mais l’usage que l’on en fera, dans une relation particulière, centrée sur les objectifs thérapeutiques et l’autonomisation de la personne et (contrairement à l’hypnose autoritaire) pas sur les envies du praticien. Relation, sécurité, changement Une relation centrée sur le patient et pas sur le praticien, c’est l’aspect éthique, dont nous avons parlé. Mais qu’est-ce qui fait, en termes de relations, que l’hypnose aide à changer ?

L’hypnose marche parce qu’elle construit l’autonomie dans le cadre et sur la base d’une relation. Dans la société dans laquelle nous vivons, c’est un paradoxe : l’hypnose marche parce qu’elle construit l’autonomie dans le cadre et sur la base d’une relation. Alors que nous vivons dans une société qui a mis l’autonomie comme tout à fait centrale pour acquérir la liberté et la sécurité (« Soyez autonomes et performants, ne comptez sur personne et c’est comme ça que vous serez tranquille et en sécurité » semble-t-on nous dire…), en réalité, l’humain fonctionne un peu à l’inverse. C’est la sécurité relationnelle qui précède l’autonomie ! Seule la relation respectueuse (c’est-à-dire accueillante de ce qui se joue chez l’autre) permet un apprentissage qui autonomise23. Prenons un exemple métaphorique d’un apprentissage qui autonomise : la marche. Le petit enfant apprend à marcher, cette capacité est en lui et elle a à se « révéler ». Pour y arriver, il lui faudra forcément se « lancer », accepter de lâcher la main qui le tient. Si la sécurité se transforme en étayage permanent et anxieux (« Je ne te lâcherai pas, je te tiens pour que tu ne puisses jamais tomber »), il s’agit d’une fausse sécurité. Le message est au contraire que le monde est trop dangereux pour être affronté seul, que l’autonomie entraîne une perte de sécurité ! Alors l’autonomie devient dangereuse ou impossible. Dans le cadre de la thérapie, ce sont ces cas où, par exemple, le patient a dans l’idée que le thérapeute sait ce qu’il faut faire, ou que le thérapeute veut imposer sa solution. À l’inverse, si l’autonomie totale est attendue (« Je ne l’aide pas, il se débrouille, il est censé y arriver seul »), c’est l’absence de base sécure pour rassurer l’enfant avant cette prise de risque de l’autonomie. L’adulte accepte plus difficilement que l’enfant fasse son propre chemin ET ait besoin d’être accompagné quand même.

Quand un enfant se lance, qu’on lui lâche la main, le message pourrait être en somme : « Je lâche ta main mais je suis là si tu tombes. » Si la sécurité est « internalisée », si l’enfant sent en lui cette présence sécure, il se lance. Si la sécurité n’est pas encore ancrée en lui, il se retourne pour voir si l’on est réellement là… et tombe. Le message que l’adulte fait passer (pas forcément explicitement mais par son attitude) est même dans le meilleur des cas : « Je suis présent, et tu peux y aller, et tu peux tomber [et pour apprendre, il tombera !] mais ici, en ma présence ou dans ce contexte, tomber est OK. » Évidemment, on ne peut comparer la thérapie et l’éducation de façon générale, car, contrairement aux parents, nous ne transmettons pas au patient des valeurs ou des façons de faire dans le but de les lui inculquer. La comparaison n’est valable que pour les apprentissages qui révèlent des capacités. Marcher, parler, lire sont des capacités humaines, pour lesquelles les adultes qui prennent soin de l’enfant ne font que donner les conditions pour les révéler. De façon intéressante, nous avons tendance à oublier les modalités de ces apprentissages. Vous avez oublié comment vous avez appris à marcher, à parler, et même peut-être les difficultés pour apprendre à lire. Vous avez oublié le moment où vous avez appris le sens des mots et des concepts, pour ne garder que les apprentissages euxmêmes. Le propre d’un contexte relationnel sécure est de pouvoir laisser une trace discrète quasi invisible qui laisse toute la place à l’autonomie. Plus tard dans les apprentissages, l’enfant découvrira qu’il y a le domaine de ce qu’il sait faire, le domaine de ce qu’il veut faire et, entre les deux, le domaine de ce qu’il peut réaliser avec de l’aide et dans un contexte sécure. La découverte est un compromis entre les capacités de l’enfant, l’aide et la sécurité que peut apporter l’adulte et les objectifs que l’on se donne.

L’autonomie ne se construit donc pas en solitaire comme on pourrait le penser. Elle est le fruit d’un processus collaboratif. Et tout comme parler ou marcher, nous avons des capacités, à révéler, d’espoir, de résilience, d’acceptation, de changement… La thérapie est, dit-on, une chose sérieuse. Aussi pourrait-on la comparer à un jeu ! Encore une fois dans le sens développemental du terme : les enfants jouent et c’est leur meilleure façon d’apprendre24. Tous les professionnels de la petite enfance vous diront qu’un enfant qui ne joue plus (c’est-à-dire qui n’utilise plus cette façon privilégiée d’explorer et d’apprendre) les inquiète. Il est insécure soit dans son corps (par exemple, il a une douleur dont il ne sait que faire) ou dans ses relations (maltraitance, conflits). Sans base sécure, il ne peut entrer dans l’autonomisation et l’apprentissage. En revanche, dans un contexte où il se sent sécurisé dans son corps et ses relations, il peut se laisser aller à jouer. C’est parce qu’on est bien accompagné qu’on peut se débrouiller seul ! L’autonomie ne se construit donc pas en solitaire comme on pourrait le penser. Elle est le fruit d’un processus collaboratif. Un enfant pourra faire toutes ces activités « risquées », et même les faire de façon ludique, parce qu’il a été protégé. Ni étouffé, ni lâché, mais sécurisé pour avancer25. En grandissant nous oublions donc la phase d’apprentissage, pour ne garder que la compétence utile. Nous découvrons qu’être autonome n’est pas se défaire, s’affranchir de ceux qui nous entourent. C’est au contraire internaliser la trace de leur présence, sous la forme d’une compétence propre, pour construire notre propre chemin. De la même façon, le thérapeute devient peu à peu inutile au fur et à mesure que la personne découvre ses propres capacités. Il n’est là

que pour faire en sorte qu’une liberté émerge26. C’est ainsi qu’un thérapeute peut être utile sans pour autant créer une dépendance relationnelle car le patient peut apprendre, auprès de lui, quelque chose qui reste et qu’il peut faire ensuite par lui-même sans qu’il soit fait référence à cette relation thérapeutique. Il a appris quelque chose qui était déjà en lui sous forme potentielle. Il y a aussi des différences avec une relation à un enfant… Oui, fondamentales. Aucune comparaison n’est jamais totalement juste, mais une analogie pour saisir un peu mieux. Dans la thérapie, le patient n’est pas un enfant, il ne doit pas subsister de relation « paternaliste » qui, au final, place le thérapeute en situation de savoir et de supériorité. Dans la thérapie, le patient n’est pas un enfant, il ne doit pas subsister de relation « paternaliste » qui, au final, place le thérapeute en situation de savoir et de supériorité. Si le thérapeute possède une technique, le patient est un expert de sa vie et de sa souffrance et il possède les ressources qui le feront avancer. La technique ne sert d’ailleurs qu’à laisser se construire la compétence chez le patient, et pas à la donner d’autorité comme si l’on savait mieux que lui ce qui lui faut pour sa vie… Il s’agit de deux personnes avec des compétences utilement réparties. Ce n’est donc pas un « thérapeute parent » qui crée un cadre, mais plutôt deux personnes (ou plus si c’est, par exemple, un thérapeute familial) qui coconstruisent le cadre relationnel de collaboration et de confiance mutuelle. Dans ce cadre, dont le thérapeute peut se faire le garant par son éthique, le patient peut « jouer », explorer de nouvelles idées ou sensations ou perceptions dans l’hypnose, par exemple. Dans ce cadre relationnel peut naître, à partir du patient même, une solution, une compétence, qui n’appartiendra qu’à lui.

Milton Erickson aimait à rappeler que le plus important en thérapie n’est pas de convaincre la personne mais de créer des conditions dans lesquelles elle va modifier par elle-même sa façon de penser. Le patient peut se permettre, dans le respect de ce cadre relationnel, de ne pas faire exactement ce que le thérapeute lui suggère s’il y a plus utile. Et c’est parce qu’on respecte, au sein de la relation, sa liberté d’être ce qu’il est, qu’il s’autonomise. L’alliance thérapeutique, cette capacité à coopérer (et non à s’affronter ou à donner une leçon), ce partenariat patient-thérapeute, est un ingrédient essentiel à la réussite des objectifs de thérapie. Elle passe par des techniques et des stratégies, par une pratique et une présence27. L’alliance thérapeutique, cette capacité à coopérer (et non à s’affronter ou à donner une leçon), ce partenariat patient-thérapeute, est un ingrédient essentiel à la réussite des objectifs de thérapie. Comme dans toute démarche d’autonomie, les patients en thérapie se mettent dans une situation dangereuse et courageuse, celle de changer, d’aller vers ce qui semble la nouveauté, l’inconnu. C’est parce que la situation est périlleuse qu’elle est autothérapeutique. Et c’est pour qu’elle soit autonomisante qu’ils ont besoin d’une sécurité relationnelle. Avant Erickson, on hypnotisait, en général des personnes très fragiles et suggestibles, pour suggérer directement un changement radical. On obtenait des résultats souvent spectaculaires et pas toujours durables. Déçus par cette apparente superficialité de l’hypnose, inquiets aussi de cette « prise de pouvoir » de la suggestion autoritaire, certains développèrent d’autres approches (comme Freud, dont la pratique voulut exclure l’hypnose pour lui préférer une analyse d’un individu solitaire, de ses résistances et relations de rivalité), d’autres renièrent la transe (comme Bernheim), d’autres continuèrent de s’accrocher à cette approche…

Mais un certain Erickson réussit à résoudre ce dilemme apparent (« L’hypnose est puissante mais impuissante ») en mettant en route une pratique, dans laquelle on se garde bien une fois en hypnose de dicter directement au sujet ce qu’il doit faire. On crée plutôt un contexte où il pourra par lui-même développer de nouveaux choix et comportements. Le sujet ne va pas mieux sous l’emprise de la suggestion. Il est un peu plus lui-même parce qu’il a appris, à partir de lui-même, une compétence, dans un contexte favorable, dans une acceptation relationnelle de son autonomie et de sa liberté. C’est pour cela que les progrès sont plus réels et durables. L’apport d’Erickson a donc été essentiellement relationnel, pas technique (même si c’était un technicien hors pair). Il amena à l’hypnose la subjectivité (en s’opposant à ses maîtres qui en faisaient un outil standardisé de recherche, en dénonçant les showmen qui en faisaient un outil pour se valoriser eux-mêmes, et surtout en définissant l’hypnose comme une relation chaleureuse et porteuse d’opportunités…)28 L’hypnose n’a donc pas pour but d’entrer en transe comme ceci ou cela, de suivre les suggestions d’un expert ou de lâcher-prise. L’hypnose dans une relation adéquate a pour but de nous réassocier à nous-même, de nous faire avancer dans notre propre voie, en relation avec soi, le monde et les autres… L’hypnose n’a donc pas pour but d’entrer en transe comme ceci ou cela, de suivre les suggestions d’un expert ou de lâcher-prise. L’hypnose dans une relation adéquate a pour but de nous réassocier à nous-même, de nous faire avancer dans notre propre voie, en relation avec soi, le monde et les autres… C’est une remise en lien avec certains aspects de nous-même (par exemple, des ressources) pour découvrir nos capacités par l’expérience et pas par le savoir théorique. C’est un processus naturel (espoir, résilience, compétence) que l’on accompagne en sécurité pour le faciliter.

Et c’est ce qui fait aussi le succès de l’hypnose chez les patients ? Oui, sans soupçonner même la complexité du mécanisme (qu’il n’est pas nécessaire de comprendre d’ailleurs pour changer !) il semble que les gens apprécient particulièrement ces aspects : pouvoir parler, pas uniquement des problèmes mais aussi des ressentis et des expériences agréables, entrer dans un processus de coopération et de meilleure communication avec le thérapeute, vivre des expériences sensorielles. Alors est-ce la présence, la réassociation, l’apprentissage, l’analogie, la place du corps, les ressources, la relation sécure ?… Il y a de nombreux ressorts possibles à l’efficacité de l’hypnose, il y a tant encore à dire. Elle ne laisse pas de fasciner par ce qu’elle suscite en nous. Nous espérons avoir donné un angle de compréhension de ce qui se joue possiblement dans une relation hypnotique. Restons alertes et souples, gardons notre curiosité mais aussi notre esprit critique et notre capacité à questionner et à faire évoluer la compréhension de l’hypnose, car quelque chose me dit que nous n’avons pas du tout fini d’en apprendre… L’hypnose est en tout cas une pratique qui nous rappelle de façon extraordinaire comme l’esprit a des capacités insoupçonnées et comme la relation humaine a des effets importants. 10 L’hypnose et les autres ? Hypnose et relaxation L’hypnose, c’est de la relaxation ? Non, ce serait assez réducteur.

Les techniques de relaxation sont un ensemble de moyens qui visent une détente et un relâchement musculaire. On trouve des « relaxologues » aussi bien en psychothérapie qu’en développement personnel. Parfois la thérapie est fondée, centrée ou a pour objectif la relaxation (par exemple pour lutter contre le stress). Parfois il s’agit d’un des aspects du travail. Par exemple, les thérapies « cognitives et comportementales » pratiquent aussi des techniques de relaxation et des exercices respiratoires en plus d’autres techniques comme les tâches thérapeutiques ou la reprogrammation cognitive. Concernant l’hypnose, il peut arriver que l’objectif poursuivi par le patient soit de se relaxer, et ce sera, en cas de réussite, l’effet obtenu. Il peut arriver aussi, même quand ce n’est pas l’objectif explicite, que cela fasse partie de ce que l’on observe chez le patient en hypnose. Cependant, parfois ce n’est ni possible ni souhaitable. On évoque parfois Erickson reprochant à ses élèves de toujours trop vouloir détendre leurs patients. Si un patient arrive douloureux, hurlant « J’ai mal au bras ! », est-ce qu’il est raisonnable de lui dire de se détendre, « Calmez-vous, tout va bien se passer » ? Le thérapeute rejoint le patient, l’accompagne et l’aide à opérer un changement progressif. Et même si le mieux-être se manifeste souvent chez les humains par un sentiment de détente, celle-ci n’est ni le seul but, ni le seul moyen de l’hypnose. Par ailleurs, certains patients n’ont pas besoin de relâchement mais d’énergie, d’autres ont besoin d’un travail actif ou sur leurs émotions (qui peuvent parfois être vives…), ou sur leur souvenir traumatique et, dans certains cas, l’hypnose n’est pas spécialement « reposante » ! Et même si le mieux-être se manifeste souvent chez les humains par un sentiment de détente, celle-ci n’est ni le seul but, ni le seul moyen de l’hypnose.

L’hypnose en tant que thérapie vise un véritable changement interne plus que de la relaxation. Soit il s’agit « d’hypno-relaxation », forme peut-être plus simple, moins remaniante, d’hypnose. Soit il s’agit de ce qui se passe à la fin d’une séance quand on intègre et réassocie (la relaxation comme soulagement après le travail accompli), parfois ce qui se passe en début de séance, ce relâchement permettant de laisser venir un monde intérieur plus riche, plus facilement. Parfois le patient semble relaxé, mais nous dit à la fin avoir vécu un travail interne d’une rare intensité et repart épuisé ! L’hypnose en tant que thérapie vise un véritable changement interne plus que de la relaxation. Ajoutons que « relaxer pour relaxer » peut conduire à une sorte de course à la performance relaxante, de course au mieux-être. Un peu comme si l’on disait : « Quelle est la meilleure façon de tout relâcher ?» Alors qu’en s’appuyant sur la recherche de besoins, de ressources, d’hypnose centrée sur le changement, nous pourrions simplement nous demander : « Quelle(s) partie(s) de notre corps a-t-on besoin de relâcher [ou de dynamiser, ou de mieux ressentir, ou de changer ou…] pour le changement dont on a besoin ? » Par ailleurs, la suggestion hypnotique et la dissociation peuvent aider à obtenir parfois des relaxations profondes et rapides. En somme la relaxation est une possibilité importante et très utile. L’hypnose permet aussi d’y accéder même si elle ne se limite pas à cela. Certains praticiens en relaxologie ont été ravis de constater qu’en se formant à l’hypnose, ils arrivaient plus vite à des résultats similaires (relaxer complètement un patient en 5 minutes au lieu de 20, par exemple), ou à ne relaxer « que ce qu’il y a besoin de relaxer pour ce

travail », ou inscrire la relaxation dans une stratégie plus globale centrée sur le patient. Sophrologie, PNL, autres thérapies… se rapprocher ou s’éloigner de l’hypnose Et la sophrologie, c’est de l’hypnose ? Presque ! Son concepteur Caycedo, neuropsychiatre colombien, pratiquait l’hypnose. Mais il préféra1 prendre un autre nom pour cette pratique, par crainte d’être assimilé à ce terme sulfureux d’hypnose. Il recherchait un état plus apaisé et harmonieux, il s’inspirait aussi du zen et du yoga… Il parlait de « relaxation dynamique », oxymore bien utile pour décrire cet état, finalement assez hypnotique donc, où le relâchement va de concert avec une activité intérieure. Et puis seule la sophrologie dite « caycédienne », terme protégé comme une marque, continua à être l’héritière directe de ces concepts, et un grand nombre d’autres « sophrologies » virent le jour… Globalement, nous pourrions dire que la sophrologie pratique une forme d’induction, dite « sophronisation », fondée essentiellement sur la détente corporelle de chaque partie du corps et la respiration. Bien que pratiquée aussi par des soignants, et que certaines forment reprennent des fonctionnements de psychothérapie, elle est plutôt considérée comme une pratique de développement personnel que de soins. Globalement, nous pourrions dire que la sophrologie pratique une forme d’induction, dite « sophronisation », fondée essentiellement sur la détente corporelle de chaque partie du corps et la respiration. Par la suite, le thérapeute peut proposer des images ou des tâches

mentales ou physiques, souvent neutres (c’est-à-dire peu chargées émotionnellement puisque l’apaisement et la pensée positive sont recherchés). L’état sophronique peut faire penser à la relaxation profonde, l’hypnose léthargique ou l’état de détente et de ressenti physique qui se trouve à la limite entre veille et sommeil. On peut différencier avec l’hypnose le fait que cette dernière, usant (éventuellement) de relaxation comme d’un moyen, ne cherche pas à « tout relaxer » (juste ce qui est utile) alors que la sophrologie peut demander au sujet de vérifier que chaque muscle se détend et se relâche. On peut différencier avec l’hypnose le fait que cette dernière, usant (éventuellement) de relaxation comme d’un moyen, ne cherche pas à « tout relaxer » (juste ce qui est utile) alors que la sophrologie peut demander au sujet de vérifier que chaque muscle se détend et se relâche. Par ailleurs l’hypnose est moins neutre, et peut parfois de façon très dynamique explorer le problème ou les émotions. Là aussi certains sophrologues ont pu trouver une dimension complémentaire ou plus précise, rapide ou stratégique. Toutes ces informations sont à nuancer aussi selon les types de sophrologie pratiqués, qui sont devenus moins lisibles avec la multiplication et l’aspect commercial : depuis la pratique presque médicale jusqu’à des pratiques alternatives et orientalisantes… Et qu’est-ce que la PNL ? Dans les années 1970, un étudiant en psychologie passionné de mathématiques (Bandler) et un professeur de linguistique (Grindler) élaborent une modélisation de techniques de communication de façon un peu systématisée. Ils repèrent des modèles de réussite qu’ils cherchent à détailler, s’intéressent à l’influence de la linguistique sur l’expérience subjective comme base de la théorie et outil de la thérapie.

Ils s’intéresseront à la systémique, à Bateson, puis beaucoup à l’hypnose et au travail d’Erickson, et contribueront à détailler ses techniques de communication, voire parfois à les nommer (et une bonne part de ce vocabulaire est inclus dans les cours, livres et formations en hypnose, parfois à l’insu des enseignants). Ils appellent par la suite leur démarche : « programmation neurolinguistique », dite « PNL » (NLP en anglais). Aujourd’hui c’est la technique peut-être la plus dévoyée du monde de la thérapie. Avec le temps, la technique connaissant un fort succès, elle a été appliquée à d’autres domaines où l’on cherchait la « réussite ». Aujourd’hui c’est la technique peut-être la plus dévoyée du monde de la thérapie. Alors qu’elle mettait au jour les structures de langage qui font la communication thérapeutique, notamment en hypnose, elle devint un modèle de « communication efficace ». Usant d’astuces de langage et de dissociation, elle passa dans le domaine du marketing, de la persuasion, de la séduction, en laissant penser qu’on pouvait justement « programmer » les réponses des individus. C’est aussi ce qui fait que les personnes formées à l’hypnose parfois reconnaissent certains outils de communication dans le discours des politiques ou les démarches publicitaires, domaines dans lesquels tous les conseillers en communication ont appris une forme plus ou moins dérivée de la PNL… Parfois très enrobée de promesses marketing assurant de pouvoir convaincre les autres, parfois forme sursimplifiée d’hypnose éricksonienne, parfois modélisation complexifiée et jargonnante, elle est aussi chez certains psychothérapeutes un accessoire de psychothérapie, faite de jeux de langage mais dans un usage plus humaniste. Bien qu’elle n’ait, en elle-même, jamais montré scientifiquement son efficacité ni même la vraie solidité de ses bases,

elle semble bénéficier à la communication de ses utilisateurs, mais elle est très loin d’être la méthode miracle vendue par certains. Comme pour l’hypnose (dont elle est au final une explicitation d’une part communicationnelle) il paraît assez clair que l’éthique devrait y être fondamentale et s’exprimer selon le même enjeu : une technique de communication efficace utilisée au bénéfice du patient est éthique ; utilisée au bénéfice de chacun pour gagner en liberté, elle est utile ; une technique de communication utilisée au seul bénéfice de celui qui émet cette communication (pour instiller une idée, vendre quelque chose ou faire qu’on vote pour lui) est nettement plus critiquable… D’autres formes de psychothérapies complexes se rapprochent de l’hypnothérapie ? Oui. D’une part celles qui en sont directement dérivées et qu’on appelle parfois les « thérapies brèves ». Comme nous l’avions brièvement évoqué dans la partie historique, au milieu du XXe siècle, le monde de la « psy » (chiatrie/chologie/chothérapie) a connu de grandes évolutions. La psychanalyse était remise en cause, de nombreux psychologues et thérapeutes élaboraient de nouveaux modèles pour faire face aux contraintes de leur temps (psychologisation de problèmes sociaux, chômage et banlieues, contraintes économiques et coût de la santé, évolutions scientifiques dans l’évaluation des soins et la compréhension du cerveau…). La seconde moitié du XXe siècle sera donc la période la plus productive avec de nombreux modèles naissant et se perfectionnant en psychothérapie. Certains construisirent de nouvelles théories du psychisme, de nouveaux modèles qui en découlaient. Parmi eux, certains se mirent en droite ligne de la psychanalyse et élaborèrent des thérapies brèves d’inspiration psychanalytiques

(PIP). D’autres élaborèrent des théories différentes comme la thérapie cognitive et comportementale (TCC). Mais, parallèlement, un autre courant naissait. Il était issu de la collaboration fructueuse entre un psychiatre qui pratiquait comme aucun autre, Milton Erickson, et un anthropologue passionné de communication : Gregory Bateson. Ce dernier avait fondé le MRI : Mental Research Institute à Palo Alto. Avec de grands intellectuels et chercheurs (Haley, Weakland, Watzlawick…) ils réfléchissent à la communication, notamment en thérapie et s’intéressent grandement au travail d’Erickson. De cette collaboration fructueuse naîtront de nombreux modèles de thérapie : la thérapie familiale, systémique brève, orientée vers la solution, stratégique, narrative, provocatrice… On a parfois regroupé ces modèles sous le nom de thérapies brèves. Il s’agit d’un « abus de langage » puisque les thérapies brèves d’inspiration psychanalytiques ou les TCC sont aussi au sens strict des thérapies brèves (nombre de séances limité, sur un objectif et avec une méthode…) mais l’usage, notamment dans la francophonie, a gardé la dénomination « thérapies brèves » pour ces modèles-là. Bien que différents entre eux, ces modèles se reconnaissent une filiation commune à Erickson et Palo Alto et des intérêts communs pour la question du corps, de la forme communication, des ressources, des relations… Dans tous les cas ces modèles se distinguent par leur pragmatisme. Ils ne cherchent pas à élaborer des théories psychologiques mais plutôt à trouver les moyens de rendre la thérapie efficace. Dans tous les cas ces modèles se distinguent par leur pragmatisme. Ils ne cherchent pas à élaborer des théories psychologiques mais plutôt à trouver les moyens de rendre la thérapie efficace. La

communication et la relation ne sont pas des sujets moins complexes, mais la théorie est fondée sur les facteurs d’utilité bien plus que sur l’origine des problèmes ou sur les structures psychologiques. Un thérapeute « bref » soigne sa communication ou sa façon de poser des questions avant tout. Comment aider quelqu’un le plus efficacement, rapidement et durablement possible, dans le respect de son contexte de vie, de son « écologie ». Les divers aspects développés par ces thérapies sont comme différentes facettes du travail d’Erickson qui auraient été « surdéveloppées » par tel ou tel modèle. Par exemple, Erickson fut un pionnier en recevant des couples ou des familles entières à une époque où dominait le modèle du « colloque singulier » entre un thérapeute et un patient. Les thérapeutes familiaux ont développé des pratiques spécifiques à ce genre d’entretiens. Erickson était stratégique, aspect qui a le plus attiré et a été affiné par les thérapeutes stratégiques. Il était clairement orienté vers les ressources, et les thérapeutes « orientés vers la solution » ont développé très fortement cet aspect… Il était aussi provocateur, narratif… Chacun chercha quelle était l’essence de l’efficacité d’Erickson (ou chercha à vendre un nouveau modèle) mais son génie était surtout d’être adaptatif dans ses stratégies… De nos jours, la tendance actuelle est à l’intégration. Les tenants de l’hypnose éricksonienne cherchent souvent à réintégrer ensemble ces différents aspects du « puzzle éricksonien » pour enrichir leur palette et tenter de s’adapter humainement et stratégiquement à ce qui se joue avec un patient donné. Ces thérapies ont l’avantage de pouvoir s’associer facilement car elles reposent sur des bases théoriques en partie communes, ce qui facilite leur intégration dans une même pratique, c’est du moins le travail que nous tentons de mener avec un certain nombre de mes collègues. Et dans les autres courants de pensée ?

Dans d’autres thérapies, on retrouve des éléments qui permettent de jeter des ponts entre les pratiques. Par exemple, certaines thérapies analytiques modernes interrogent la question des relations et de la communication qui sous-tend l’alliance thérapeutique. La logothérapie aide les patients à retrouver du sens à leur vie. Il s’agit d’un très beau modèle élaboré par Victor Frankl, psychiatre autrichien qui découvrit, notamment en faisant l’expérience des camps de concentration, que la perte de sens était une source de grande souffrance et que redonner du sens à notre expérience était un facteur majeur de résilience. Et puis bien sûr la TCC évolue. Si la première vague s’intéressait surtout aux changements comportementaux et la deuxième vague, aux changements cognitifs, ladite « troisième vague » des TCC s’intéresse aux émotions, aux relations, aux valeurs qui donnent un sens, à la pratique de l’imagerie mentale ou à la méditation de pleine conscience… Il semble bien que les diverses thérapies, en se focalisant, avec peutêtre plus de bon sens et de pragmatisme qu’avant, sur la réussite des patients et les facteurs qui y mènent, finissent par dire presque la même chose. La thérapie « ACT » ( Acceptation and Commitment Therapy), par exemple, incluse dans la troisième vague des TCC, a de vrais points communs avec les thérapies brèves, même si la terminologie est différente. Il semble bien que les diverses thérapies, en se focalisant, avec peutêtre plus de bon sens et de pragmatisme qu’avant, sur la réussite des patients et les facteurs qui y mènent, finissent par dire presque la même chose. Hypnose et méditation Vous évoquez la méditation. On en parle de plus en plus. Est-ce pareil ou différent ?

On me pose souvent cette question, concernant ces deux pratiques extraordinaires et libératrices (et à la mode), et la réponse ne tient pas en un mot. Tentons de clarifier, car il est parfois délicat de s’y retrouver, notamment quand une pratique rencontre du succès, est « à la mode », d’ailleurs tant auprès du public que dans le monde médical… Les psychiatres se sont mis il y a quelques années à s’intéresser aux effets de la méditation, notamment dite de « mindfulness ». La plus célèbre influence américaine puis mondiale sur cette tendance fut celle du psychiatre Jon Kabat-Zinn. Celui-ci définit cette pratique comme : « La portée volontaire d’attention à une expérience particulière, instant après instant et sans jugement. » Ou comme le dit le psychiatre François Bourgognon : « Méditer c’est s’arrêter, ressentir, observer et laisser les choses être telles qu’elles sont2. » Inspirée de la tradition bouddhique, mais dans une version laïque, la mindfulness s’appuie sur les apports de la méditation et a tenté de mieux en définir la méthodologie. Des programmes3 ont été élaborés et mis en forme, souvent en pratique de groupe de patients, notamment par des spécialistes de la thérapie cognitive et comportementale. La pratique méditative (qui n’est pas à l’origine une thérapie mais un chemin de vie) s’insérant ici dans des modèles thérapeutiques. L’un de ces programmes a même montré dans diverses études son efficacité sur la prévention de la rechute dépressive. Mais peut-on voir une tendance (la méditation) qui reste plus proche de la pratique méditative originelle et une autre (la pleine conscience) qui se place de plus en plus du côté de la technique en thérapie cognitive ? En passant d’une pratique spirituelle à une pratique méthodique, protocolaire, la méditation, cette « pleine présence », risque-t-elle de se dénaturer en devenant la « pleine conscience » ?…

Pleine conscience Observons. Pour la plupart des praticiens de cette méthode de pleine conscience, il est proposé au patient d’être observateur de ses propres perceptions, de ne pas réagir de façon automatique (par exemple avec de l’angoisse ou des idées dépressives) aux divers stimuli (internes ou externes) mais simplement de les observer, de les accepter sans jugement. Il peut être aussi proposé des exercices d’attention plus dirigée comme faire attention aux sensations corporelles des pieds à la tête ( body scan) ou d’amener son attention sur la respiration. Peu à peu, on apprend donc à focaliser continuellement sur une seule perception, puis à considérer les perceptions, émotions et cognitions comme des événements mentaux que l’on peut observer, ou ramener son attention volontairement au présent. Tout cela peut demander des efforts et nécessiter un entraînement. C’est ce qui fait qu’après une « instruction » avec un praticien (qui dans cette version laïque a remplacé le « maître ») de nombreuses séances personnelles d’entraînement, régulières, sont requises pour mieux maîtriser la technique. Les dimensions de la méditation étudiées par les neuroscientifiques sont soit une forme d’attention focalisée (par exemple, on demande au patient de se focaliser sur sa respiration, de ramener son attention si elle s’en éloigne), soit une forme d’attention ouverte (être présent à tout ce qui se passe, en le percevant sans le juger). Parfois l’accent est mis sur la question de la compassion (une forme de connexion avec les autres, qui relève d’un présupposé religieux originellement dans le bouddhisme et un ingrédient essentiel de certaines pratiques méditatives.) Cet aspect est un peu plus étudié et a été pratiqué récemment dans certaines versions laïques de la méditation4. C’est une forme de concentration, d’attention non réactive, de présence à ce qui est… ou à ce à quoi on s’impose d’être attentif. Il s’agit globalement de stabiliser l’attention, voire d’avoir une sorte de

« méta-attention » (c’est-à-dire d’être attentif à ce à quoi on est attentif), de favoriser la défusion (regarder nos pensées au lieu de les suivre comme si elles étaient nous), de quitter le « mode par défaut », c’est-à-dire cette « rêverie automatique » de pensées qui s’enchaînent et d’attention qui se disperse lorsqu’on ne fait rien… C’est une forme de concentration, d’attention non réactive, de présence à ce qui est… ou à ce à quoi on s’impose d’être attentif. Le contraire de l’hypnose ? Vue sous cet angle et à première vue, la méditation semble le contraire de l’hypnose. La méditation nous demanderait d’être présents alors que l’hypnose nous emmène ailleurs. L’hypnose nous dissocie, nous envoie dans des analogies et

des métaphores, alors que la méditation serait une totale association de toutes les dimensions acceptées, non transformées, telles qu’elles sont ici et maintenant. La méditation vise une pratique solitaire et autonome alors que l’hypnose se pratique en étant dirigé… Sur le schéma que nous avons fait au chapitre précédent, il faudrait voir la méditation de pleine conscience complètement à gauche et

l’hypnose complètement à droite, toutes deux ne partageant que le fait d’être attentif à la sensorialité. Mais à ce stade de la lecture vous savez déjà que tout cela est inexact concernant l’hypnose ! En hypnose, c’est bien la réassociation qui est le but, la présence (la dissociation n’est qu’un moyen d’y parvenir), l’absorption sont des dimensions centrales. S’associer aux diverses dimensions de l’existence est un objectif commun à ces pratiques et le seul moyen de trouver une autre façon de vivre. S’associer aux diverses dimensions de l’existence est un objectif commun à ces pratiques et le seul moyen de trouver une autre façon de vivre. Mais, même du côté de la « pleine conscience », la description de cette pratique comme d’un contraire absolu de l’hypnose semble inexacte et il n’est pas sûr que tous les tenants de ces programmes5 en soient toujours « pleinement conscients ». Tout d’abord, ne serait-ce qu’en s’en tenant à cette vision, nous le verrons, réductrice (une sorte de sport mental consistant à ramener sans cesse notre attention au présent ou à certaines sensations ou à se détacher et à observer sensations et pensées comme des événements mentaux), nous pouvons souligner qu’être « observateur de soi-même » contrairement à ce qui se dit n’est pas une pratique associative mais bien dissociative. Si je suis à un point d’observation où je me regarde penser je suis double : celui qui pense / celui qui observe la pensée. Plutôt que d’être présent, je me distancie de moi-même, mes sensations sont détachées de moi. Le risque est que cela constitue une forme d’évitement (« si votre attention s’éloigne, ramenez-la encore et encore à votre respiration »), ou d’un exercice cognitif plutôt que d’une réelle acceptation et présence.

Par ailleurs, tout est présenté comme si la pleine conscience visait l’association de façon directe, mais en fait elle passe aussi (comme l’hypnose) par une forme de dissociation (ou de désassociation). Sur le plan technique, malgré la prétention à ne pas recourir à l’imaginaire ou à la suggestion dissociative, on constate des « entorses » faites au phénomène purement attentionnel comme le recours à des métaphores (« respirez comme si tout votre corps respirait »). La pleine conscience vise l’association, mais elle passe fatalement par une part de dissociation. L’hypnose assume plus facilement ce détour et va même l’utiliser. La pleine conscience vise l’association, mais elle passe fatalement par une part de dissociation. L’hypnose assume plus facilement ce détour et va même l’utiliser. Par ailleurs, malgré la prétention d’une pratique personnelle et solitaire, il y a un lien à un instructeur, qui transmet et guide, ce qui n’a rien d’anodin. De nombreux témoignages évoquent la différence d’apprentissage entre un livre et des séances guidées et/ou collectives. Cela entraîne de facto une pratique qui comporte une dimension suggestive. Et même si l’on ne « guide pas la rêverie » comme dans certaines hypnoses, il y a au moins une suggestion inaugurale, fondamentale, ne serait-ce que de s’asseoir et d’être attentif… Alors ne serions-nous pas gagnants à observer les différentes dimensions de l’hypnose ou celles de la méditation plutôt que de vouloir les étiqueter séparément à tout prix ? Exemple d’approche dimensionnelle Nous avons évoqué par un schéma une dimension d’imaginaireanalogie-dissociation d’une part, et une dimension d’acceptationprésence-association d’autre part.

Il y a des pratiques méditatives très associatives où l’on doit juste être présent à soi-même. Il existe aussi des pratiques hypnotiques (notamment une bonne partie du travail de Roustang, qui n’a d’ailleurs jamais caché son intérêt pour le zen) qui consistent aussi à prendre contact avec ce qui est, à laisser être, à prendre juste sa place et habiter son corps, attendre sans rien attendre et se rendre disponible à toutes les dimensions de notre être. De même il existe des pratiques hypnotiques consistant à beaucoup « désassocier » ou à s’absorber dans l’imaginaire, et même à modifier très directement les perceptions, nous en avons parlé. Et des pratiques méditatives très dirigées ou métaphoriques qui ont l’apparence de l’hypnose. Si on lit par exemple Matthieu Ricard6, chercheur en sciences, moine bouddhiste, auteur et promoteur de méditation, très impliqué sur la question de la bienveillance et de l’altruisme, on peut être frappé par certains exemples. Je me souviens de ce passage où il décrit avoir vu un documentaire sur un orphelinat à l’étranger avec des images poignantes d’enfants en souffrance. La méditation qu’il se propose consiste alors à se focaliser… puis à convoquer l’image de ces orphelins comme s’ils étaient présents devant lui et se représenter qu’à chaque inspiration il absorbe leur souffrance et à chaque expiration il souffle en leur direction de la compassion et de l’amour inconditionnel… Nous sommes bien là dans un travail dissociatif et métaphorique. Pour prendre un exercice assez connu des méditants débutants, celui du « grain de raisin » pour distinguer (et simplifier) ces dimensions différentes (mais pas incompatibles) : dans une pure idée de « pleine conscience », je mets un grain de raisin dans ma bouche et je

ressens ses aspérités sur la langue et le palais, son goût, ma salive qui devient sucrée, sa texture qui se modifie… Dans une approche centrée sur la compassion, je mets un grain de raisin dans la bouche et je sens qu’il y a un lien avec la personne qui a labouré la terre et planté la vigne, celle qui a pris soin de la plante alors que soleil et pluie l’aidaient à mûrir, celle qui a cueilli le raisin, l’a conditionné, mis dans un camion, la personne qui a conduit ce camion et livré ce fruit, mis en rayon par une autre personne pour que je le trouve, en lien encore avec la personne qui me l’a finalement vendu pour que je l’aie dans la bouche… Je suis alors relié à beaucoup d’autres êtres vivants par cette expérience. Alors, ceux qui croient pratiquer comme Roustang font-ils de la méditation en croyant faire de l’hypnose ? Ceux qui sont influencés par le bouddhisme tibétain tel Matthieu Ricard mènent-ils parfois des méditations proches d’exercices d’hypnose7 ?… L’approche par des dimensions ou des descriptions de phénomènes n’est-elle pas plus pertinente que de vouloir absolument séparer ces catégories qui parfois se chevauchent ? L’approche par des dimensions ou des descriptions de phénomènes n’est-elle pas plus pertinente que de vouloir absolument séparer ces catégories qui parfois se chevauchent ? Dans la pratique, il y a des dimensions communes et les pratiques ne sont pas toujours complètement distinguables. Dans la pratique, il y a des dimensions communes et les pratiques ne sont pas toujours complètement distinguables. Les deux dimensions, de présence et d’analogie sont présentes : toutes deux au cœur de l’hypnose, l’idée de la présence semble en revanche bien plus mise en valeur que l’analogie dans la pratique méditative8.

Dans le vécu subjectif également, des points communs sont clairement ressentis par ceux qui pratiquent les deux approches. Pleine conscience ou méditation ? Nous pourrions dire pour résumer que la pleine conscience est une pratique issue des TCC de la troisième vague et qui consiste à observer (« instant après instant et sans jugement ») les pensées, émotions et comportements. « Je » reste celui qui observe « moi ». Le soi ne disparaît pas mais change sa position de sujet par rapport à l’expérience. La méditation, dans son aspect originel, propose plutôt la dissolution du soi dans la perception, l’absorption dans l’expérience. Donc une certaine approche techniciste de la pleine conscience pourrait être critiquable, voire porterait en elle une sorte de déformation de ce qu’est originellement la méditation. C’est ce qui semble, si on lit certains auteurs pétris de philosophie et de textes bouddhiques comme Fabrice Midal9 par exemple. Soulignons à sa suite que « pleine conscience » est une bien mauvaise traduction qui conduit à une certaine confusion. « Mindfulness is not consciousness » comme le disent certains auteurs, dans la langue anglaise qui permet parfois certaines nuances… To mind en anglais porte l’idée de « faire attention », comme dans « mind the gap » (attention à la marche) il s’agit donc plutôt d’une « pleine attention » voire d’une « pleine présence » notions bien différentes de l’idée de conscience. Le message originel de la méditation, être présent à soimême, dans une présence authentique n’est pas s’observer soimême, ni être pleinement conscient, comme le laissent penser certains, au contraire c’est simplement être.

Si on le réduit à « ramener sans cesse son attention à notre respiration », c’est un exercice qui ne met pas en présence de tous nos ressentis mais confine à l’évitement. Se focaliser de force pour ne pas être à ce que l’on vit. Dans l’idée d’un sport mental, on est bien loin de l’idée de simplement être et se « foutre la paix » comme le propose Fabrice Midal dans son dernier ouvrage. Dans une société de la performance on a parfois présenté tout cela comme une technique de gestion du stress… alors que, justement, nous allons mal quand on nous demande de tout gérer ! Ne pas gérer c’est laisser être, se rendre disponible. Être disponible aux dimensions de notre existence est un enjeu central. Non pas s’en décaler, s’en distancier. Les vivre et les accepter pour ce qu’elles sont. Ni faire le vide, ni se relaxer, ni s’abstraire, mais plutôt s’ouvrir à tout ce qui vient. Le risque de s’obstiner, de s’obséder par l’idée d’écarter nos pensées ou de les observer de loin n’y aide pas. En somme entre une définition de la méditation qui a pour perspective une présence authentique, pleine et entière, une disponibilité à la vérité de son être, et une pratique perçue comme un entraînement à une technique pour être observateur de ses mouvements psychiques il y a un pas certain, hélas parfois franchi (ou risquant d’être franchi) par les plus technicistes supporters de la pleine conscience sous forme de protocoles rigides ou de « techniques ». Et cette nuance a son importance. « Pour la plupart des gens, être attentif signifie “s’observer et se surveiller”. En réalité, l’attention que nous cultivons dans la méditation implique d’être un avec ce que l’on considère. (…) Il existe un second malentendu, plus subtil : penser qu’être attentif signifie “être totalement focalisé”. je serais alors d’autant plus attentif que je suis entièrement pris par ce que je considère –

que je ne suis plus en rapport avec rien d’autre. (…) L’attention que nous développons dans la méditation est, à l’inverse, ouverte et détendue10. » En somme méditer c’est apprendre la présence et pas viser une performance de conscience. Attention aux simplifications et aux « recettes miracles ». Alors, peut-être y a-t-il des précisions à faire sur ce que recouvre, parfois de bien contradictoire, ce mot « méditation » selon qui l’emploie… peut-être aussi qu’il faut différencier les études standardisées qui nécessitent des protocoles reproductibles, des patients et leur individualité qui exigent une adaptation constante. Peut-être faut-il simplement être pleinement attentif à ne pas laisser dériver la pratique méditative (tout comme l’hypnose) vers une approche standardisée, protocolaire, technique, qui, en croyant la pratiquer, la trahirait. Pour éviter la remise en question d’un management pressurisant, on envoie un employé stressé en stage pour le calmer, on fait méditer un enfant pour l’apaiser, le contenir en lui disant de se regarder respirer, en oubliant de le rassurer et d’accueillir son émotion… L’intention qui sous-tend la pratique (qui détermine d’ailleurs la façon de s’y prendre) est fondamentale. Méditer ou faire de l’autohypnose dans le but de s’ouvrir à soi-même et peut-être trouver d’autres façons de vivre est thérapeutique, libérateur. Mais contrôler toujours plus narcissiquement sa vie, gérer tout et vouloir mieux réussir, ne fait que renforcer ce qui mène à la souffrance. Il est encore plus flagrant, en revanche, que cette description de la méditation, comme une qualité de présence, est très proche de la vision de Roustang sur l’hypnose. Une pratique qui n’aurait pas pour but de « calmer la souffrance » mais de se mettre différemment en lien avec elle. Explorer notre

présence, être là, vivant, ne rien faire, se mettre là où l’on est, dans cette veille augmentée, nous ramener à cette perception généralisée qui, au fond, ne supporte pas vraiment la description et la dénomination, et y découvrir nos propres ressources. Alors que nous sommes coincés dans l’idée de faire quelque chose, sans cesse, nous découvrons qu’en ne faisant rien, ça change tout. Ce n’est pas très compliqué dans l’idée mais, comme c’est simple, c’est assez difficile… Il y a donc des différences, des complémentarités… et des liens réels (notamment cette immersion dans l’être plutôt que dans le faire). Mais tous ces états de « veille différente » ne sont pas tous équivalents entre eux. Le mot « méditation », le mot « hypnose » recouvrent des réalités différentes et des définitions variables. Tout n’est pas égal à tout… ni l’exact opposé ! Un patient et honnête travail de compréhension, de clarification, de recherche est nécessaire dans les temps qui viennent. Hypnose et mouvements alternatifs Qu’en est-il des mouvements oculaires ? L’EMDR, l’IMO… Les techniques de mouvements oculaires sont de plus en plus pratiquées et leur efficacité est reconnue, notamment dans le cadre du traumatisme psychique, sujet majeur en psychothérapie et motif très fréquent de consultation. Il existe deux techniques de base qui se sont fait connaître. Elles proviennent toutes les deux des États-Unis. La première et la plus connue est l’EMDR ( Eye Movement Desensitization and Reprocessing : désensibilisation et reprogrammation par les mouvements des yeux). Elle a été créée en 1987 par Francine Shapiro. Doctorante en lettres, elle s’intéressera à la psychologie à la suite de graves problèmes personnels de santé. Elle explore la méditation, l’hypnose éricksonienne et la PNL, deviendra chercheuse associée au MRI de Palo Alto. Elle

expérimente un peu par hasard sur elle-même, puis sur d’autres, l’effet de mouvements oculaires sur les pensées négatives et traumatiques11. Elle se rapproche d’acteurs importants des thérapies cognitives et comportementales et développe son modèle EMDR en 1990. Y seront également ajoutés des éléments provenant aussi de nombreux modèles dont l’hypnose (place sûre, imagerie guidée, utilisations de ressources…). En France, c’est surtout le regretté David Servan-Schreiber qui contribuera au développement et à la diffusion de sa technique en fondant EMDR France. L’IMO (Intégration par les mouvements oculaires, ou EMI – Eyes Movement Integration en anglais) a été développée par Steve et son épouse Connirae Andreas (acteurs importants de l’hypnose éricksonienne américaine) en 1989. La psychologue canadienne Danie Beaulieu apprendra cette technique au cours d’une démonstration dans un congrès en 1993. Par la suite, elle standardisera la technique et l’enrichira grandement de techniques de PNL et « d’impact » (regroupement de techniques, assez dynamiques et métaphoriques, de thérapie). Elle sera la principale promotrice et formatrice dans le monde. Depuis un certain nombre d’années ont émergé des « modèles » qui se veulent plus globaux ou intégratifs de différentes techniques. Citons pour exemple la modélisation de l’HTSMA (Hypnose tissage stratégique et mouvements alternatifs), élaborée par le psychiatre et pédopsychiatre français Éric Bardot et qui rassemble des techniques de thérapies brèves (solutionnistes, stratégiques, narratives) avec le modèle EMDR. Notons aussi le MATH, extrêmement proche, enseigné à l’institut Erickson du nord de la France. Il y en a d’autres… Globalement les techniques de mouvements oculaires présentent un aspect fascinant. Les praticiens qui s’y essaient constatent que la

charge émotionnelle associée aux souvenirs traumatiques diminue significativement en très peu de temps. Globalement les techniques de mouvements oculaires présentent un aspect fascinant. Les praticiens qui s’y essaient constatent que la charge émotionnelle associée aux souvenirs traumatiques diminue significativement en très peu de temps. Pourtant tout cela ne va pas sans poser de questions. Tout d’abord peut-on regrouper ces diverses techniques ou du moins les deux techniques princeps ou bien faut-il les distinguer et sur quelles bases ? Certes il y a des différences de protocole : l’EMDR n’utilise que des mouvements horizontaux, rapides, sans parler et poursuit avec l’idée qui vient au patient dans une technique d’associations libres, dont le déroulement est mesuré avec des échelles ; l’IMO utilise des mouvements lents, dans de nombreuses directions et le thérapeute peut énoncer des mots en lien avec l’expérience traumatique principale même si le patient ressent librement émotions, sensations et images entre les mouvements. Mais au-delà des différences, n’y a-t-il pas surtout un principe commun : celui des mouvements oculaires, efficaces notamment pour la gestion des flash-backs et souvenirs parasites ? Énoncer des différences techniques est une chose, mais le principe n’est-il pas similaire ? Les oppositions d’écoles sont-elles justifiées au-delà de la

volonté des enseignants de dire que ce qu’ils font marche mieux que ce que fait le voisin12 ?… Ces mouvements existent depuis bien longtemps, dans les pratiques chamaniques et bien évidemment dans l’hypnose, c’est même l’origine de la caricature du thérapeute avec le pendule. Les mouvements oculaires sont connus comme induction et approfondissement de transe hypnotique depuis plus de deux siècles. Ne faut-il pas plutôt y voir une des raisons de leur efficacité ? Autre question concernant les mouvements oculaires et les protocoles associés : s’agit-il d’une technique ou d’une thérapie ? La technique elle-même des mouvements oculaires étant relativement simple à apprendre (seulement quelques jours de formation), peut-on la qualifier réellement de psychothérapie ? Comporte-t-elle en soi une stratégie ? Un savoir-faire relationnel ? Il nous semble bien qu’il s’agit d’un outil plus que d’une psychothérapie structurée à part entière. Mais c’est un outil qui prend toute sa dimension quand il est intégré dans le spectre plus large d’un modèle psychothérapeutique, ce qui explique l’apparition de modèles intégratifs qui mettent ensemble mouvements oculaires et autres stratégies… Intégrer le corps au travers des mouvements oculaires ou du tapping alternatif, avec les aspects émotionnels, cognitifs et comportementaux est réellement porteur de changement. D’ailleurs, les mouvements oculaires portent-ils ontologiquement une tendance naturelle à se rapprocher d’un modèle existant ? L’utilisation de techniques de mouvements oculaires doit-elle pour fonctionner se rapprocher du cognitivo-comportementalisme (comme on peut l’entendre chez certains praticiens de l’EMDR) ? Est-elle une pure « neurothérapie » (comme on a pu entendre le dire dans certaines formations à l’IMO) ? Et donc agirait-elle « mécaniquement » sans dimension relationnelle au premier plan ? Doit-elle plutôt retrouver ses racines avec l’apport de l’hypnose, de l’orientation solution et de la stratégie systémique ?

Ces techniques (notamment l’EMDR) ont été également critiquées par certains sur l’aspect commercial de leur transmission. Les principaux modèles de mouvements oculaires sont des « marques déposées », ne pouvant être enseignés que par des écoles bien précises et des enseignants très spécialement habilités. De même un étudiant ne pourrait prétendre pratiquer la technique s’il n’a pas suivi le parcours initiatique extrêmement balisé (et onéreux) de l’institution mère. Si l’on comprend qu’une technique de soins ne peut être enseignée ou apprise par « n’importe qui », on peut s’étonner du procédé visant à déposer une marque de thérapie. De même, cela proscrit, ou du moins limite, les évolutions des modèles sous l’influence des praticiens de terrain. S’il faut s’entourer de précautions pour enseigner des techniques de soins, pour autant, la thérapie devrait pouvoir être librement apprise et transmise, et ce d’autant plus qu’elle est utile à nos patients. Les en priver (encore une fois en usant de toute la prudence nécessaire sur la déontologie des étudiants) ne serait pas éthique. Les grands praticiens n’ont jamais limité l’usage de leurs thérapies à ceux qu’ils avaient spécifiquement accrédités13. Se pose également la question du mode de fonctionnement de ces techniques. Empiriquement, la plupart des promoteurs de ces techniques expliquent grosso modo que les souvenirs traumatiques ne sont pas intégrés dans la mémoire autobiographique ce qui explique les réminiscences et autres flash-backs dissociatifs. Les mouvements oculaires en évoquant le trauma provoqueraient en somme l’intégration, tout comme nos vécus quotidiens sont « intégrés » quand nos yeux bougent sous nos paupières pendant le sommeil. Pour les praticiens en PNL, la position des yeux est révélatrice de la sollicitation d’une modalité sensorielle (visuelle, auditive…). Dès lors, les mouvements oculaires « mélangent » et intègrent les différentes

sensorialités du souvenir au sein du corps et du psychisme de l’individu, plus « unifié », intégré et réassocié. Au lieu d’une focalisation répétitive sur une seule modalité sensorielle (« je revois toujours son visage menaçant »), c’est-à-dire une perception étroite, l’enrichissement sensoriel amené par la technique (de nouveaux détails reviennent pendant la séance et sont revécus) permet un plus grand choix de réinterprétation et de réintégration. Pour de nombreux praticiens de l’hypnose, les mouvements en sont une extension ou une modalité, avec des principes de fonctionnement et d’efficacité relativement similaires. Pour notre part, en suivant le modèle décrit au chapitre précédent, il apparaît très clairement que les mouvements oculaires sont très dissociatifs. Tout connaisseur de l’hypnose, dans une séance d’EMDR ou d’IMO reconnaît bien la dissociation et la transe. Quand on dit à un patient de se focaliser sur son trauma, son expérience actuelle et le mouvement des yeux, que fait-on d’autre qu’accentuer la possibilité de se dissocier ? Et, exactement de la même façon qu’en hypnose, nous revivons le souvenir dissocié, en accentuant la dissociation, en l’accompagnant dans un contexte relationnel qui permet de l’intégrer (voir le chapitre précédent). Cet accompagnement de la dissociation dans un contexte d’acceptation bienveillante est tout ce qui fait cette magistrale efficacité. Réduire ces techniques à de la neurothérapie, ou n’y voir qu’une reprogrammation cognitive, ou encore rester extrêmement strict sur le protocole14, est une réduction du processus. Les mouvements oculaires s’intègrent très naturellement dans la pratique de l’hypnose, ils semblent même en accélérer ce processus de dissociation-réassociation pour peu qu’on les intègre à une structure psychothérapeutique fondée sur une sécurité relationnelle, une acceptation stratégique, une orientation vers le changement.

Mais ce ne sont là que des hypothèses, la pratique de terrain et l’efficacité empirique assez flagrante semblent avoir de l’avance sur la recherche fondamentale de l’explication de ces phénomènes. On « sait que ça marche » mais comment exactement ?… Nous garderons pour notre part quelques idées : — Les mouvements oculaires semblent une technique efficace pour désensibiliser les patients de leurs expériences traumatiques apparaissant notamment sous forme de cauchemars et de flashbacks. — Il nous paraît cohérent et naturel de rapprocher et d’intégrer ces techniques à l’hypnose et à ses prolongements naturels que sont les thérapies brèves, dans le sens où les mouvements oculaires sont inducteurs et facilitateurs de la transe. Il existe de nombreux outils efficaces que les mouvements oculaires semblent catalyser. — Par extension, l’intégration des mouvements oculaires avec l’hypnose et les thérapies brèves nous semble même utile et efficace pour d’autres problématiques, notamment anxieuses. — Le temps ne doit pas être à créer un « nouveau modèle » de plus, déposer une marque ou révolutionner la thérapie, mais plutôt rendre accessible aux soignants la possibilité d’intégrer des outils efficaces de diverses natures au service des patients, en l’occurrence notamment anxieux ou psychotraumatisés. C’est le sens de la démarche que nous avons avec certains de mes collègues. Il existe d’autres techniques (on peut citer l’EFT, le « Brainspotting » et d’autres) qui prétendent régulièrement amener des choses radicalement nouvelles mais reprennent peu ou prou les mêmes principes : stimulations répétitives, alternatives ou pas, accompagnées d’une exposition aux stimuli liés au traumatisme ou à l’angoisse, qui provoque un état de conscience particulier, de libération émotionnelle, dans une ambiance « d’acceptation de ce qui

vient », propice à ce réagencement interne qui permet l’intégration du trauma et la réassociation. Hypnose et nouveautés Alors y aura-t-il encore d’autres « nouveautés ou presque » ? Les convergences que l’on constate dans certaines thérapies nous montrent qu’il y a différentes façons de s’y prendre, mais, au fond, il y a quelques idées qui « marchent », qui ont tendance à aider plus volontiers les patients. Résultat : parfois avec une terminologie ou un rituel différents, les thérapeutes arrivent à des conclusions quasi-similaires. Ils cherchent moins une « vérité absolue du psychisme » qu’une façon d’aider leurs patients à trouver le changement dont ils ont besoin de la façon la plus écologique possible. Alors dans le monde actuel des psychothérapies, il y a plus d’évolutions que de révolutions, et l’on doit toujours, par principe, être circonspect et critique pour garder une démarche la plus rigoureuse et scientifique possible. Si la thérapie produit des résultats dans un certain nombre de cas, la priorité n’est donc pas à la révolution mais à l’affinage. La faire évoluer est prioritaire à la changer radicalement. L’avenir est déjà dans la recherche des déterminismes de fonctionnement des relations, notamment thérapeutiques. Les principes, communs ou divergents entre les « courants de pensée » (et de pratique) en thérapie, passionnent les thérapeutes. L’on pouvait s’attendre, dans ce contexte, à des fausses ou à des demi-nouveautés. Nous ne comprenons pas tout, alors l’explication nouvelle séduit même quand elle se passe de rationalité. Les patients sont en souffrance, alors l’apparition d’une méthode miraculeuse donne un légitime espoir, qui empêche parfois de se poser des questions.

Continuons à garder un œil critique. Il semble important que la thérapie du futur puisse être, elle aussi, intégrative, cette fois-ci dans le sens où nous pourrions intégrer diverses approches, leurs convergences et leurs divergences, pour le bien de nos patients. Par moments, en vous écoutant, on est tenté de dire « tout est équivalent à tout, il y a de l’hypnose partout, ces états de conscience (relaxation, sophrologie, EMDR, méditation, etc.) sont très proches ». Par d’autres aspects on est tenté de dire « mais alors rien n’est semblable à rien, tous ces états sont très différents ». On a encore beaucoup de travail. Tout ce qui a été dit ici est une vision incomplète, parce que trop courte, trop subjective, trop précoce par rapport à tout ce qu’il reste à apprendre. Il y a encore beaucoup à découvrir sur ces thérapies. Sur le plan des neurosciences mais aussi sur le plan phénoménologique (c’est-à-dire de description plus précise des dimensions des phénomènes subjectifs). Il y a plusieurs états de sommeil (profond, paradoxal…) alors pourquoi, tout simplement, ne pas dire qu’il pourrait bien y avoir plusieurs états d’éveil ? Il faudrait alors en définir les dimensions (nous avons évoqué la désassociation, la présence, l’absorption, il y a aussi l’agentivité, la saillance des représentations… peut-être celles-ci et/ou d’autres qui seraient opérantes…). Pour définir ces états, plutôt qu’une approche catégorielle (c’est-àdire qui les sépare en catégories définies, démarche parfois simplificatrice, parfois commerciale…), pourquoi ne pas plutôt opter pour une approche dimensionnelle (qui, en définissant l’intensité de chaque dimension, en dresse un portrait plus complexe et plus complet) ? Sortir des querelles, rendre plus précises et opérantes nos définitions… et surtout se rapprocher de la pratique clinique.

Car, au-delà des connaissances sur la conscience, l’horizon des recherches doit être l’utilité en direction du soin. Dans la pratique courante, notre seule obsession de thérapeute doit être de recourir à ce qui est le plus utile pour le patient, pas d’appliquer à la lettre un protocole ou une idéologie. On ne soigne pas avec des principes. La thérapie n’est pas une quête d’absolu et ne doit pas imposer une vision. Faire ce qui est utile et adapté, au sein d’une relation d’aide, c’est travailler avec l’humain. Citons encore Erickson : « Psychotherapy is treating a patient as an individual who is unique. There will never be a duplicate of that person. And you use the uniqueness of that person. And that person posseses a lot of unknown qualities15… » Conclusion Depuis quelques temps, l’hypnose intrigue tellement que je ne suis pas certain d’avoir répondu à toutes vos questions. En réalité, j’espère même en avoir suscité de nouvelles… On dit souvent que la technique hypnotique est simple, que la transe est naturelle. Mais pourtant il est difficile de bien en parler ou de bien l’enseigner. C’est une gageure car plus on l’approche, plus elle nous échappe. Elle ne laisse pas de questionner et ne se laisse pas réduire. L’hypnose nous dit quelque chose sur la conscience, la parole, la relation humaine et ces sujets sont infinis. La psychologie, la médecine mais aussi les sciences humaines, la philosophie et même, on l’a vu, dans une certaine mesure une vision sociale et politique gravitent autour de la pratique de l’hypnose. Sa popularité actuelle est à double tranchant : dérives commerciales et arnaques, mais aussi intérêt des cliniciens et des chercheurs. Elle attire autant qu’elle intrigue, intéresse autant qu’elle inquiète. C’est une période riche.

Je souhaitais en écrivant ce livre, aider à mieux la comprendre, la situer, afin que chacun sache utilement se repérer concernant la nature de l’hypnose, ses cadres d’utilisation, ses soubassements théoriques et ses applications pratiques… J’espère y être un peu arrivé : se protéger c’est aussi s’informer. J’espère que l’avenir clarifiera peut-être mieux les cadres de pratique, peut-être aussi plus précisément les modalités de son fonctionnement et le champ étendu de son utilité. Car, même si l’étude ou la pratique de l’hypnose dépassent en partie le cadre du soin, je souhaite avant tout, en tant que soignant, que sa popularité actuelle soit le symbole et même le vecteur d’un changement dans le soin. Nous vivons dans un monde où la qualité de présence d’un soignant auprès d’un patient n’est pas comptabilisée, ni même le temps passé avec lui. Pour les autorités, seul le nombre d’actes compte dans la journée d’un médecin ou d’une infirmière. Il y a là une vraie menace sur l’humain. Un vrai enjeu pour le soin. La pratique de l’hypnose, non seulement, donne des clés pour améliorer la relation thérapeutique, mais aussi nous permet de ressentir comme la relation est, en elle-même, thérapeutique. Montrer que l’hypnose est utile, c’est montrer que l’hypnose est utile aussi pour cela. Elle devrait intéresser ceux qui veulent mettre la relation, la présence, la rencontre, mais aussi les compétences, le corps, la communication au cœur du soin. La pratique de l’hypnose, non seulement, donne des clés pour améliorer la relation thérapeutique, mais aussi nous permet de ressentir comme la relation est, en elle-même, thérapeutique. Cette discipline est donc différente à bien des égards d’autres formes de thérapie, non seulement parce qu’elle met en jeu un état de conscience, des ressources, une stratégie, mais aussi et surtout pour ce qui fut le cœur du travail d’Erickson : le lien humain.

Contrairement à d’autres inventeurs ou chefs de file de courants psychothérapeutiques, on ne se souvient pas uniquement du technicien hors pair qu’il était, ou du théoricien génial. Même si, à n’en pas douter, il y a une très importante part technique dans l’hypnose et même s’il y a une réelle épistémologie, mais ce que l’on a souvent retenu est l’aspect relationnel. Erickson comme artisan de la relation. Capable d’entrer dans le monde du patient, d’être présent, pour l’aider à saisir sa chance de faire quelque chose de différent, mobiliser ses ressources, voir et vivre sa vie autrement. Trouver comment être pour laisser l’autre être. Un des plus célèbres livres sur Erickson raconte les histoires qu’il racontait aux patients. Et son titre est une phrase dite à une patiente alors qu’elle entre en transe : « Ma voix t’accompagnera1 ». Comme si celui qui a choisi cette phrase pour titre voulait mettre en avant, non pas la façon magistrale qu’aurait Erickson d’induire une transe, ni la pertinence parfaite qu’aurait la séance d’hypnose par rapport au problème de la patiente mais bien ceci : « Ma voix t’accompagnera », l’accompagnement relationnel comme déterminant dans la thérapie. Erickson formateur en hypnose ne voulait pas qu’on l’imite, qu’on « fasse du Erickson ». Il craignait plus que tout qu’on fasse de lui un gourou. Il souhaitait que chacun trouve son style, que l’on fasse du nous-même. En trouvant sa propre façon de faire, on emmène le patient avec qui l’on travaille à trouver aussi son propre chemin. Il faut donc garder en mémoire que contribuer à ce que quelqu’un prenne du pouvoir sur sa vie, de la liberté pour son existence, c’est prendre le risque de devenir inutile, et même le souhaiter. C’est le grand paradoxe du travail du thérapeute et de l’enseignant (et a fortiori de l’enseignant en thérapie) : c’est réussi quand on peut se passer de nous ! Prendre de la liberté et de l’autonomie, de l’espoir et de la résilience, au travers d’une relation et d’un état de conscience particuliers, propice à la

découverte de la sensorialité et des ressources est une opportunité thérapeutique réelle. Mais le message essentiel que nous devons garder de l’étude de l’hypnose est qu’il existe toujours une possibilité de changer, de percevoir la vie autrement, d’aller différemment vers soi-même et les autres. Mais le message essentiel que nous devons garder de l’étude de l’hypnose est qu’il existe toujours une possibilité de changer, de percevoir la vie autrement, d’aller différemment vers soi-même et les autres. La vie est une route pleine d’épreuves mais elle n’est pas une voie sans issue. S’inspirer d’Erickson, c’est surtout s’inspirer de cela, et c’est l’apprentissage de la plus grande des libertés. Les praticiens de l’hypnose aiment bien les histoires et métaphores. Alors deux petites histoires pour conclure. J’ai rencontré l’hypnose presque par hasard. Alors jeune interne en psychiatrie, je me suis inscrit à un diplôme universitaire d’hypnose médicale. Pour tout dire (mes maîtres me le pardonnent), c’était surtout par curiosité. Je n’avais pour tout contact avec l’hypnose qu’un mauvais spectacle vu quelques années plus tôt dans un quelconque club de vacances. Alors comment le mot « hypnose » pouvait-il être accolé avec le si sérieux mot « médicale » ? me demandais-je alors. Assistant au début du premier cours animé par médecins et professeurs, je fus intrigué par la présence d’un vieil homme (il avait plus de 80 ans), également sur cette estrade. J’ignorais que j’étais en présence d’un des plus grands penseurs de l’hypnose que j’ai d’ailleurs beaucoup cité dans ces pages : François Roustang. Il se mit à parler et, à ce moment-là, quelque chose se passa en moi, sans que je sache vraiment quoi. Pour expliquer l’hypnose il nous fit cette simple proposition :

« Se mettre en présence de la multitude des perceptions qui nous situent dans l’existence… » Je fermai les yeux et tentai de suivre cette suggestion que je comprenais à peine… Je réaliserai seulement bien plus tard avoir vécu une première expérience hypnotique fondamentale… car, sur le coup, si je pressentis confusément que cela pourrait changer ma façon de soigner, je me dis surtout : « Je n’y comprends rien… mais je sais que je veux faire ça ! » En vérité, « les jeux étaient faits », « la messe était dite », je venais de « tomber dans la marmite » l’hypnose et les thérapies brèves ne quitteraient plus ma vie professionnelle, jusqu’à maintenant et sûrement encore pour longtemps… Erickson est mort bien avant que je puisse être en âge de le rencontrer. Une nuit j’ai pourtant rêvé de lui2. C’était l’Erickson des dernières années, dans son fauteuil roulant, habillé en violet, avec sa voix lente et essoufflée qui découpait les phrases… Il était assis à côté de moi et il me disait : « You need time… until you know… what it is exactly… that you want to forget… right now3 ! » Puis nous éclations de rire ensemble. Paris, Nancy, septembre 2016 – mai 2017 Notes Introduction 1. Certains soignants ne disent pas a priori qu’ils pratiquent l’hypnose même si cela finit généralement par se savoir. (Il faut souligner que

dans un certain nombre de métiers, dont celui de médecin, la présence de la technique utilisée, notamment l’hypnose, est interdite sur la plaque ou sur l’ordonnance, l’ordre des médecins ayant une liste précise et limitative à ce sujet.) Ne pas « afficher » sa pratique de l’hypnose peut permettre au praticien qui a plusieurs outils de choisir plus librement ce qui lui paraît approprié pour son patient à un moment donné de la prise en charge. Cela permet aussi d’éviter quelques « demandes magiques » de patients qui exigeraient cette méthode comme unique planche de salut, comme on demanderait un miracle. C’est aussi, parfois, pour éviter que l’hypnose, mot auréolé de mystère et d’idées reçues, n’attire des personnes qui ne seraient pas dans une demande de soins et une démarche de santé, mais viendraient pour d’autres attentes. 2. L’auteur de ces lignes s’y est même risqué avec nettement moins de talent et de succès en publiant quelques vidéos sur la chaîne « CommPsy ». 3. Ils leur suggèrent de se méfier, par exemple, des sites Internet trop simplifiés et parfois aberrants. 4. Auteure notamment d’« Alliance thérapeutique et thérapies brèves », Éd. Érès. Chapitre 1 1. La plus célèbre des controverses récentes, pour les amateurs, se situe entre les psychanalystes et les cognitivo-comportementalistes, et est à l’origine d’une grande littérature, notamment le médiatisé « Livre noir de la psychanalyse » (Éd. Les arènes) et les réponses diverses qui ont suivi… 2. Pour l’aspect anthropologique de la question on peut consulter « Anthologie du chamanisme » de Narby et Huxley (Éd. Albin Michel) ou « Le chamanisme » de M. Perrin (Éd. PUF).

3. Contrairement au « dualisme » (séparation du corps et de l’esprit) qui a prévalu longtemps en Occident sous l’influence de Platon, d’Aristote et plus tard de Descartes. 4. Pour les intéressés par cet épisode, voir Aïm P., « Voyage entre hypnose et pensée juive », Hypnose et thérapies brèves, no 17, mai 2010. 5. Rabbin, médecin, philosophe, auteur d’ouvrages philosophiques, de travaux religieux de référence et de traités médicaux, il vécut autour de 1100 en Espagne puis en Égypte. Son « Traité des aphorismes » a été la source médicale la plus consultée du Moyen Âge. Il considérait que la maladie résulte de la rupture d’un équilibre à la fois psychique et physique et avait une approche holistique (c’est-à-dire considéré comme un tout) de l’homme malade. Dans son « Traité sur l’asthme » notamment, il sait en reconnaître l’origine psychosomatique : « Aussi ne faut-il pas trop y penser, ni trop se réjouir, ni trop s’attrister car bonheur et malheur ne sont grands que dans notre imaginaire. » Dans son « Traité des huit chapitres », introduction talmudique qui est vraisemblablement un des premiers traités de psychologie, il s’éloigne de l’idée de déterminisme et laisse la possibilité, la liberté aux humains de pouvoir agir sur eux-mêmes, provoquer des changements, utiliser leurs ressources pour changer leurs penchants, leurs dispositions, leurs émotions négatives, les « maux de leurs âmes ». On pourrait y voir un rapprochement avec des concepts non déterministes qui seront plus tard ceux de l’hypnose et de ses « filles », les thérapies brèves. 6. C’est-à-dire qui considère l’homme comme un « tout » non pas séparé corps/esprit. 7. Il est certain que l’étude de ces questions, sur le plan historique et international, ferait l’objet de longs et passionnants développements qui dépassent de loin l’objet de cet ouvrage. Remarquons simplement au passage que les praticiens de la transe ailleurs (par exemple, les chamanes africains et leurs danses, les transes

amérindiennes ou sibériennes, les pratiques méditatives des moines shaolin et bien d’autres partout dans le monde…) ont une pratique souvent associée à la croyance et à la notion de « guérison » (malgré les fonctions religieuses, les prêtres, chamanes et autres moines produisant de la transe sont aussi des guérisseurs). Le nom qu’on lui donne importe peu, il apparaît que partout dans le monde peut exister une forme de soin mettant en jeu l’état de conscience, la croyance, l’influence, l’apaisement de la souffrance. C’est pourtant bien en Occident que l’hypnose telle que nous la connaissons aujourd’hui apparaît, et nous verrons que ce n’est peut-être pas par hasard. 8. C’est peut-être cet héritage qui fait que, notamment en France, le mot « transe » est souvent vu négativement et garde une connotation mystique, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays notamment anglo-saxons. 9. Paracelse (1493-1541), malgré ses explications alchimiques sur la guérison, admet cependant le caractère relationnel et introduit l’imagination quand il dit par exemple : « Supprimez l’imagination et la confiance, et vous n’obtiendrez rien. » Mais il fait figure d’exception. 10. Un paradigme est un modèle, une façon de voir les choses, un ensemble de croyances et d’accords partagés par des scientifiques ou des philosophes pour un sujet donné. 11. Le mot est évidemment emprunté à la physique. Les forces attractives ou répulsives du « magnétisme » intriguent alors beaucoup et on ne connaît pas encore les ondes et les champs qui les expliquent. Des aimants ont déjà été utilisés par certains médecins, pour obtenir des guérisons. Mesmer imagine un magnétisme « animal », par analogie, mais sans le confondre, avec le magnétisme « minéral ».

12. Cet instrument, inventé à cet effet par Franklin, est parfois surnommé « instrument du diable ». Dans un registre beaucoup moins « étrange », Mozart a composé un concerto pour harmonium de verre. Malgré toute l’harmonie qui lui fut donnée par Mozart, cette pièce est connue pour provoquer des évanouissements dans la salle quand elle est jouée… Mozart fait également une allusion aux effets du mesmérisme dans son œuvre « Cosi fan tutte ». 13. Dans une version moins savoureuse, c’est le décès d’un patient que Mesmer soignait, même si ce décès n’avait rien à voir avec sa pratique, qui provoqua un scandale et des titres de journaux du genre : « Magnétisé à mort ! » Dans tous les cas, en difficulté pour condamner ouvertement le magnétisme (que ce soit Mesmer, du fait que ce dernier était protégé par Marie-Antoinette [tous deux ayant les mêmes origines], ou Deslon qui était le médecin particulier de son frère), Louis XVI opta plutôt pour la commission d’enquête scientifique. 14. En sorte que le patient soit « aveugle » de ce qu’il reçoit et que l’on puisse le différencier du « placebo » (concept non usité à l’époque, mais effet bien réel perçu comme celui de l’imagination). Aujourd’hui la plupart des études cliniques, par exemple pour tester l’efficacité d’un médicament, utilisent le principe du « double aveugle », ni le patient, ni le médecin ne savent s’ils donnent ou prennent un placebo ou un traitement actif afin d’éliminer au maximum la part de placebo et déterminer l’efficacité « réelle » du traitement. 15. Nous soulignons. 16. Cette contradiction entre l’apparence du sommeil et la lucidité, la présence du sujet est un point clé de cet état de conscience et est au centre des descriptions de l’hypnose d’un grand nombre d’auteurs, depuis Puységur jusqu’au plus moderne Roustang qui parle de « veille paradoxale », par analogie au sommeil paradoxal, moment d’intense activité psychique (les rêves) dans un corps pourtant endormi et immobile.

17. Experts comme autorités ne sont pas d’accord, un rapport de l’Académie royale de médecine y est catégoriquement favorable en 1831, mais une nouvelle commission en 1837 nie l’état de somnambulisme magnétique… Restituer les polémiques autour du magnétisme au XIXe siècle pourrait faire l’objet de livres entiers. 18. Un livret tentant de réhabiliter l’œuvre de cet homme a été écrit par le psychologue canadien Rémi Côté, « Hénin de Cuvilliers, concepteur de l’hypnose ». 19. Sans utiliser ce vocable, un autre chirurgien écossais installé en Inde, James Esdaile, utilisa beaucoup le sommeil magnétique à partir de 1845 pour pratiquer la chirurgie sans douleur. Son nom est demeuré dans l’esprit de certains hypnotistes notamment pour un certain niveau de « profondeur » hypnotique incluant une analgésie et qu’Elman appelait « l’état Esdaile ». Esdaile lui-même n’a jamais employé le mot « hypnose » et demeurait « mesmériste », pratiquant des passes, supposant un passage de substance entre praticien et patient (ou objets), attribuant à la méthode des possibilités quasi surnaturelles quant à la nature de l’influence… 20. Il cherchera par exemple à savoir pendant l’hypnose les réflexes ostéotendineux sont préservés si l’état provient d’une fatigue oculaire ou d’un mécanisme neurologique (en testant par exemple l’hypnose sur des non-voyants), etc. 21. Le XIXe siècle et l’insistance des praticiens sur cette notion de « sommeil » (bien que qualifié de magnétique, lucide, spécial, etc.), jusqu’au nom donné par Braid (il s’inspire du nom d’Hypnos (Ὕπνος),

personnification du sommeil dans la mythologie grecque, fils de la Nuit (νύξ), et frère jumeau de la Mort (Θάνατος) laisseront une idée reçue tenace dans les esprits sur la « perte de conscience » supposée en hypnose ; alors même que praticiens et chercheurs ne feront que redire et montrer au travers du temps que l’état d’hypnose est au contraire associé à une grande présence, une attention plus forte, une lucidité accentuée sur certains aspects et une autre forme de contrôle. Même Braid tenta de changer ce terme au bénéfice de « monoïdéisme » (insistant sur l’idée de concentration), mais sans succès. Il faut croire que l’idée « d’endormir un autre » avait (et a encore aujourd’hui) un attrait suffisamment fort pour que le terme demeure… 22. Notons que c’est à l’époque où l’Occident fera tout pour débarrasser la médecine du mystère, pour évacuer la sorcellerie et le charlatanisme, et tenter de faire de la médecine une science rationnelle (à partir du XIXe siècle) ; c’est à ce moment-là que, comme par hasard, l’hypnose fera son apparition comme une technique médicale « sérieuse ». 23. Personnage atypique, touche-à-tout génial, avocat et docteur en droit, licencié ès lettres, ayant fait ensuite des études de médecine sans toutefois passer de thèse, inventeur de procédés photographiques, plus tard bibliothécaire de l’université (à la suite du docteur Netter), il est à l’époque « chef des travaux de physiques » à la faculté. 24. Une légende urbaine veut que ce soit Bernheim lui-même qui souffrait de cette sciatique et qui, bien que réticent à ces « guérisons » et ne portant pas forcément une haute estime des praticiens de campagne par rapport aux universitaires, bénéficia des soins du bon docteur Liébault… 25. Voir à ce sujet le passionnant texte d’Alexandre Klein : « Nouveau Regard sur l’école hypnologique de Nancy à partir d’archives inédites

», Le Pays lorrain, 2010, pp. 337-348, dont nous reprenons les propos et l’analyse. 26. La même année où Charcot présente l’hypnose à l’Académie des sciences. 27. Ce qu’il appellera une « hypnose de culture » : « Une seule fois j’ai vu un sujet qui réalisait à la perfection les trois périodes : léthargique, cataleptique, somnambulique. C’était une jeune fille qui avait passé trois ans à la Salpêtrière… » 28. Il écrira en 1897 : « Ce qu’on appelle hypnotisme n’est autre chose que la mise en activité d’une propriété physiologique du cerveau, la suggestibilité. (…) La thérapeutique dite hypnotique est remplacée par la psychothérapie, qui consiste à actionner cette suggestibilité avec ou sans suggestions préalable du sommeil. (…) aujourd’hui, quand je fais de la suggestion verbale dans un but thérapeutique, je m’inquiète peu de savoir si le sujet dort ou ne dort pas. » 29. L’affaire Dreyfus, du nom du militaire qui avait été condamné pour trahison, dans un contexte propice à l’antisémitisme, puis finalement innocenté, créa une crise politique et sociale majeure qui opposa pendant des années les « dreyfusards » convaincus de l’innocence du capitaine Dreyfus et les « antidreyfusards » certains de sa culpabilité. 30. En mettant notamment en avant le rôle de l’imagination et des capacités de changement, il est clairement le nancéien le plus proche des éricksoniens (qui le suivront de quelques décennies). 31. C’est la méthode dite « cathartique ». 32. Les travaux de recherche du Pr Antoine Bioy l’ont bien montré.

33. Le renforcement du moi face aux symptômes provoqués, selon Freud, par des pulsions. 34. En effet, les analystes comme les hypnotistes voulaient sortir de la relation d’autorité des suggestions classiques, c’est-à-dire d’une relation où la liberté du sujet se perd, pour obéir. Dans le meilleur des cas le thérapeute nous « réparerait » comme un automate. Comment libérer le sujet de cette relation de suggestion/sujétion ? Dans la vision analytique, on envisagea la liberté comme l’envers de la relation. Un analyste qui parle peu, que l’on ne voit pas derrière un fauteuil et qui analyse nos résistances relationnelles. On entre dans un monde de transfert, de manque, de projection et de rivalités, de « défenses », de traumatismes fondateurs et de refoulements indépassables. Bref, être libre mais sans, ou contre, les autres. Erickson donna une réponse plus originale à cette même question, pour échapper à la dichotomie d’une liberté solitaire ou d’une relation aliénante. Il présenta la relation thérapeutique comme une collaboration et un apprentissage. C’est-à-dire que la relation existe et fait naître l’autonomie. La relation est guidée mais même la suggestion ne mène qu’à trouver en soi, et à partir des ressources, une plus grande liberté. En relation sans opposition à l’autonomie, en autonomie sans que cela remette en cause la relation. Pour une brillante présentation de ces idées voir Betbèze J., « L’autonomie relationnelle », Hypnose et thérapies brèves.Hors-série no 11, mars 2017. 35. Nous n’entrerons pas ici dans les détails de leurs arguments car aujourd’hui le débat semble nettement moins pertinent. Même si le comportement social « attendu » dans une situation donnée possède une influence, les observations tendent à montrer que les expériences des sujets (mouvements volontaires, analgésies…) sont un peu plus qu’un simple comportement compliant, elles produisent des variations physiologiques observables et un état expérientiel ; par

ailleurs, bien plus tard, les études de neurosciences semblent aller dans le sens d’un état de conscience avec des répercussions observables en imagerie sur le fonctionnement cérébral. 36. Elman a aussi présenté une construction théorique dans son livre au travers de ses techniques, on entend encore parler de concepts comme la « faculté critique » (et non pas du « facteur » critique comme on l’entend) qu’il faut arriver à contourner, des inductions très rapides et « fractionnées » ou d’une élaboration sur les « niveaux de profondeur » de la transe (Elman a popularisé la dénomination « état Esdaile », par exemple, ainsi que d’autres auxquels il attribuait des caractéristiques). Comme il n’existe pas de possibilité objective de mesurer la « profondeur » de la transe (qui n’est probablement qu’une métaphore comme nous le verrons), on peut dire que les idées d’Elman représentent surtout sa pratique plutôt que des « réalités » hypnotiques. Il n’y a pas, contrairement à ce que l’on peut entendre d’« hypnose elmanienne » à proprement parler. Le corpus théorique, même s’il a légué quelques idées intéressantes, n’est pas assez fourni et cohérent pour que l’on puisse réellement parler d’« hypnose elmanienne » (cette dénomination désigne seulement, semble-t-il, chez ceux qui l’emploient, en réalité un ensemble limité de techniques d’induction assez rapides et directives). Chapitre 2 1. Pour ceux intéressés par la vie et la carrière d’Erickson de façon plus détaillée que le résumé qui va suivre, nous pouvons recommander les documents suivants : « Wizard of the desert » du réalisateur Alexander Vesely, excellent documentaire dont une version sous-titrée est disponible via le site de l’institut Erickson de Rezé (www.rime44.com) ; « Erickson, hypnose et psychothérapie » de Dominique Megglé (Éd. Retz), dont la première partie est une biographie d’Erickson, « Le Dr Erickson, médecin et guérisseur américain » de Betty Alice Erickson et B. Keeney, qui contient des

anecdotes, témoignages et documents, dont la retranscription de son carnet de voyage sur le Wisconsin. À noter aussi qu’au moment où nous imprimons, Jeffrey Zeig, président de la fondation Erickson, achève un travail important de biographie qui devrait être publié dans les mois qui viennent. 2. Le daltonisme est un trouble de la vision des couleurs, la dyslexie, un trouble des apprentissages et notamment de la lecture, et l’amusie, une incapacité rare à percevoir la musique (les personnes perçoivent des sons discontinus). 3. La poliomyélite atteint les fonctions motrices, mais pas sensitives. Le patient ne peut bouger mais il garde sa sensibilité. 4. Notons qu’on aurait tort de limiter Erickson à la permissivité ou à l’indirectivité. Il maîtrisait tous les aspects de l’hypnose comme peu de monde avant ou après lui. Il était tout à fait capable, si la situation l’exigeait, d’être directif, autoritaire ou même spectaculaire. Son apport est plutôt, justement, dans cette adaptation aux besoins du patient. Quelle que fût la méthode, son objectif était toujours d’aider le patient à accéder à ses ressources et à changer. Il nous a surtout montré qu’un thérapeute se distinguait par son intention de soigner bien plus que par sa technique. Invité un jour à la télévision pour parler de l’hypnose médicale et la montrer, il dit assez justement à une « patiente » : « L’hypnose médicale est très différente de l’hypnose de scène. L’hypnose de scène, c’est celle où quelqu’un bombe le torse, écarquille les yeux et dit au public quel homme formidable il est… Mais ce que je voudrais que vous compreniez ici, c’est que c’est vous, en tant que personne, qui êtes vraiment une personne formidable. » C’est bien cette attention dirigée vers le patient et ses ressources qui est véritablement éricksonienne et pas une modalité technique. 5. Discipline qui étudie communication et relations dans des systèmes, notamment familiaux, à l’origine de la thérapie familiale systémique.

6. Erickson y a toujours été réticent. On peut supposer que c’était d’une part parce qu’il savait parfaitement ce qu’il faisait tout en étant (de son propre aveu) en difficulté pour l’expliquer ; d’autre part du fait de sa façon d’enseigner (il ne répondait que rarement aux questions mais proposait plutôt un apprentissage par l’expérience, tout comme en thérapie), enfin il estimait surtout que les théories pouvaient figer ou contraindre la pensée alors qu’il fallait sans cesse faire preuve de créativité pour s’adapter à chaque personne. 7. « Ma voix t’accompagnera », Éd. Terres et hommes. 8. La psychanalyse (sous sa forme initiale) va décliner un peu partout dans le monde, à l’exception notable de la France et de l’Argentine, grâce à un penseur génial, original et charismatique : Jacques Lacan… farouche opposant à l’hypnose… 9. On a parfois tendance à mettre de côté cette dimension quand on parle d’hypnose, pourtant la pratique d’Erickson notamment invite à considérer cet aspect familial, ce qui était assez révolutionnaire à l’époque. Erickson surprenait (et faisait l’objet de critiques) lorsqu’il recevait un couple, une famille ou, disons, « plus d’un patient » dans son bureau… 10. Encore aujourd’hui, dans bien des domaines, dire « une étude à montré que… » / « les neurosciences disent que… » / « la recherche montre que le cerveau… », fait office d’argument d’autorité un peu trop facilement brandi face à un public pas toujours à même de vérifier et d’évaluer les sources… 11. TCC : Thérépie cognitivo-comportementale qui, comme on l’a vu, a eu, plus fortement que d’autres thérapies, la caractéristique d’être évaluée avec les méthodes « habituelles » des autres médecines. EBM : « Evidence-based medicine » : avènement de l’idée qu’il faut fonder la décision médicale sur des preuves établies par des critères scientifiques.

Dans le champ de la psychothérapie, certaines méthodologies doivent être repensées pour les thérapies complexes, dont l’évaluation et la « preuve de leur efficacité » est possible mais avec des méthodes peut-être différentes de l’EBM « classique ». Chapitre 3 1. C’est la démarche scientifique et de progrès : on évolue dans le monde des idées en s’attelant, en premier lieu, non pas à ce que l’on doit penser, mais avant tout à ce que l’on ne peut plus croire. 2. Bien entendu, on pourrait « suggérer le sommeil », dire au sujet de se placer dans un état qui lui évoque le sommeil, lui demander de se relaxer très profondément. Il pourra être en hypnose profondément relaxé ET très présent. Et s’il se détend encore et que l’on attend en se taisant, il pourrait même éventuellement s’endormir (cela n’arrive quasiment jamais en séance)… et ce ne serait alors plus de l’hypnose mais bien du sommeil qui suit une période hypnotique relaxante. 3. D’ailleurs, des formes plus actives et spectaculaires de transes ont longtemps été réfrénées, décrites comme hors normes par le pouvoir religieux (la possession des sorcières) ou par le pouvoir médical (des hystériques en crise jusqu’aux syndrome de personnalités multiples). Il y a cependant un champ de recherches ouvert sur l’hypnose en mouvement… 4. C’est peut-être même le plus grand progrès de l’hypnose au XXe siècle et le plus grand apport d’Erickson. Il ne s’agit plus d’hypnotiser et de donner la solution mais d’aider le patient à entrer en hypnose et à trouver sa solution, même s’il travaille parfois de façon inconsciente, ce qui ne veut pas dire inactive ! 5. Se rappeler son enfance, ou observer des enfants autour de soi vouloir faire des « pestacles » pour en voir les racines… 6. Par exemple l’hypnotiseur va dire au public d’entrecroiser les doigts, de décroiser seulement les index et de se focaliser dessus

pour voir à quel moment ils se rapprochent… ce que physiologiquement ils sont de toute façon « naturellement » censés faire ! Présenter un signe physiologique comme inconsciemment produit peut s’entendre, mais le présenter comme le produit d’une suggestion et d’une suggestibilité ne relève-t-il pas déjà d’une mise en scène voire d’une entourloupe intellectuelle ? Et dans quel but ? 7. L’hypnothérapie ne transforme donc pas une station de métro en salle de concert, mais quand la thérapie est réussie, peut-être en nous laissant, dans un métro sombre, simplement fermer les yeux et imaginer une salle de concert, elle nous aide à y apprécier le violoniste qui joue. 8. Au contexte décrit plus haut et qui commence dès l’achat du billet et même avant, s’ajoutent l’ambiance, le son, l’excitation, la fascination quand le premier sujet très suggestible se met à produire des comportements étonnants… 9. Cette capacité qui existe donc bien, y compris sans hypnose. De nombreuses émissions de télévision révèlent ce genre de dispositions « naturelles » à se donner en spectacle par d’autres moyens comme l’appât du gain ou d’un éphémère « passage à la télé ». 10. Exemple similaire cité par G. Tosti dans « Le grand livre de l’hypnose », Éd. Eyrolles. 11. C’est-à-dire le fait de « re-vivre » un souvenir traumatique avec une décharge émotionnelle similaire quand une situation l’évoque et le ramène à la conscience. 12. De la même manière, plus largement, certaines émissions de télévision, certains jeux vidéo, certains usages dans certains contextes (jeux adolescents, baptêmes de promotion, rites sociaux…)

peuvent être bien ou mal vécus selon les circonstances. Ce n’est pas le problème de la télévision ou du jeu en soi, mais celui d’une éducation plus globale à faire sur l’importance du respect de ses propres limites et de celles des autres, mais c’est un débat bien plus large… 13. Un des drames de cette pratique est la conviction de maîtrise des praticiens parce qu’ils arrivent à obtenir des effets en apparence plus impressionnants ou captivants. Les cas de jeunes gens, voire de lycéens, surfant sur YouTube et imitant des protocoles établis et obtenant des « phénomènes » montrent bien qu’il est relativement facile techniquement de « faire jouer le jeu » sur un temps limité. Déstabiliser ou manipuler un interlocuteur sont, hélas, des phénomènes techniques et faciles, (être professionnel et éthique demande un autre effort d’apprentissage !) et cette « maîtrise » n’est qu’une illusion. Nous reviendrons plus loin sur les différences de contextes entre « les hypnoses ». 14. Nous reviendrons plus en détail sur la question du spectacle et de la rue dans la partie 3. 15. De façon intéressante, pas seulement d’aide psychothérapeutique puisqu’un avocat, par exemple, a été mis en cause à ce sujet aux États-Unis. Il s’agit là aussi d’une demande d’aide par une personne en détresse qui confie (une partie de) sa vie à quelqu’un qui prétend avoir la solution pour l’aider… 16. Nombre de cas rarissimes au vu du nombre immense des situations de demande d’aide chaque jour, mais chaque cas est un cas de trop.

17. On parle de réhumanisation du soin (l’expression est reprise du titre de l’ouvrage de Patrick Bellet « L’hypnose pour réhumaniser le soin », Éd. Odile Jacob) par opposition à une médecine qui serait froide et purement technique, qui ferait moins cas de la qualité et de l’humanité de la relation. J’ai, pour ma part, voulu montrer à mes collègues soignants dans mon livre « Écouter, parler : soigner » (Éd. Vuibert) que la pratique des thérapies brèves (issues de l’hypnose) nous donne des outils de communication qui améliorent l’efficacité thérapeutique et la relation de confiance entre soignant et patient. L’ouvrage « Construire la communication thérapeutique avec l’hypnose » (Bioy & Servillat [dir.], Éd. Dunod) montre aussi que les outils d’hypnose sont des atouts précieux pour améliorer la communication thérapeutique, support d’une relation thérapeutique humaine, cohérente, utile. 18. Il en est de même pour toute technique de communication, qui permet, selon la personne qui en retire bénéfice, le meilleur comme le pire. Par exemple une technique, non hypnotique, visant à faire passer plus facilement un message pourrait être utilisée par un enseignant au bénéfice de l’instruction d’un élève, ou bien par un publicitaire au bénéfice de la vente, ou bien par un politicien en son propre bénéfice pour faire passer plus facilement l’idée de voter pour lui… 19. Et, bien sûr, ce n’est pas le plus rare. Notons que la violence sexuelle a été potentiellement connue, selon les statistiques sérieuses les plus inquiétantes, par un tiers des femmes et un quart des hommes (d’après l’association « Stop aux violences sexuelles ») et que la plupart des situations de viol se déroulent dans un contexte intrafamilial ou dans un contexte où l’agresseur et l’agressé(e) se connaissent. 20. En somme, le traumatisme ancien se « réveille » sous la forme, de nouveau, d’une sidération.

21. Les thérapeutes formés en quelques jours se rendent-ils toujours compte des responsabilités qui seront les leurs quand, dès le lendemain de leur « formation », des patients potentiellement malades, en souffrance, perdus, viendront leur confier leur détresse ? 22. La tentation fut alors grande pour les théoriciens d’élaborer un système « d’origines cachées » pour justifier leur expertise. Problématique non sans lien avec l’idée qu’il faudrait « retrouver », « revivre » le traumatisme en hypnose. C’est surtout qu’il faut en modifier la trace actuelle, l’empreinte qu’elle laisse dans la vie de la personne. Pour rendre ce travail possible, l’idée que tout événement est la conséquence d’une cause unique qui le précède est un handicap, voire une grave erreur. 23. Une bonne partie des propos qui suivent sont inspirés d’un article « Psychothérapies et faux souvenirs », que j’ai écrit pour le site « La réponse du psy », site d’information tenu par des psychiatres pour les patients et leur entourage. L’article est accessible sur : http://www.lareponsedupsy.info/FauxSouvenirs.

24. L’amnésie temporaire d’un traumatisme est tout à fait possible même si la plupart du temps, quand un événement traumatique survient, on s’en souvient, parfois bien douloureusement. 25. On pourra consulter des chiffres à ce sujet sur ce site spécialisé : http://www.falseconfessions.org/fact-a-figures ou sur le site de « The Innocence Project », une ONG américaine ayant pour objectif de faire sortir de prison des personnes condamnées à tort. 26. Vous pouvez tenter l’expérience suivante : discutez avec un proche d’un souvenir commun en essayant de le décrire avec le plus de détails possibles. Vous allez finir par ne pas être d’accord sur des détails. Et plus vous allez vouloir justifier ou expliquer le détail qui fait votre désaccord, plus cette histoire deviendra cohérente en vous, et plus vous allez y croire. 27. Bien entendu dans cette partie nous ne parlons que de la mémoire autobiographique, celle des événements, et pas des « autres mémoires » : procédurale (qui nous permet d’apprendre des procédures comme lire, conduire…), de travail (qui permet de retenir une information utile pour un temps limité), sémantique (qui a retenu les définitions des mots et les concepts), etc. qui ne fonctionnent pas de la même façon et n’engagent pas les mêmes zones du cerveau. 28. On lira avec intérêt le livre de ce psychiatre, pionnier des approches systémiques et éricksoniennes en France « La femme possédée » (Éd. Robert Laffont) qui évoque entre autres sujets cette question des souvenirs vrais ou faux, de l’hypnose, des implications judiciaires, en perspective avec l’histoire de l’enjeu de la possession du corps de la femme en Occident depuis les sorcières possédées par le diable au Moyen Âge, les hystériques possédées par le désir à l’époque de Charcot et de Freud jusqu’aux « personnalités multiples » qui ont fasciné thérapeutes, médias et système judiciaire dans les années 1980.

29. Voir à nouveau les écrits de Malarewicz à ce sujet ( op. cit. ). 30. Tout récemment encore, en mai 2017, la justice a par exemple condamné à Paris une kinésithérapeute qui induisait de faux souvenirs d’abus sexuels à de nombreuses patientes, et leur extorquait au passage beaucoup d’argent… 31. D’ailleurs en termes évolutionnistes, la capacité de « tout stocker » est difficile à justifier. Pourquoi la nature dépenserait-elle tant d’énergie plutôt que (comme cela semble être le cas) pour stocker plus particulièrement ce qui est utile à guider nos actions ou à donner du sens. La capacité de donner du sens aux événements a permis un grand nombre d’activités spécifiquement humaines (politique, psychologie, philosophie…), c’est une ressource étonnante et précieuse, mais qui a un prix : ne pas pouvoir « tout » retenir objectivement. La « vérité » subjective est plus importante que la « vérité » objective, le sens passe parfois avant le réel. 32. Bien sûr le raisonnement est extensif à toute pathologie. Même avec un patient souffrant de schizophrénie, m’affirmant entendre la voix de Dieu, je peux toujours douter qu’il s’agisse de Dieu, je peux penser que cela s’inscrit dans une maladie, mais la perception, elle, est bien réelle : il entend cette voix ! Un thérapeute n’est pas « juge de vérité » mais artisan de la subjectivité. 33. N.B. : il s’agit bien d’une position de thérapeute et pas dans le cadre d’une expertise bien sûr. 34. Pour une réflexion plus large sur la question de la vérité en thérapie, on peut lire l’article de feu le Pr Thierry Melchior « Healing through truth », en français sur : https ://www.academia.edu/16913497/Healing_through_truth. 35. Il arrive que des personnes attribuant un pouvoir quasi magique à l’hypnose demandent qu’on leur « efface la mémoire ». Ce n’est évidemment pas possible. Il n’est possible que de changer la façon

que nous avons de vivre un souvenir, ce qui, de facto, le transforme, au moins dans son interprétation. Mais effacer le souvenir que quelque chose s’est produit n’est pas possible. L’excellent film de science-fiction « Eternal sunshine of the spotless mind » explore la question des conséquences d’un effacement hypothétique de souvenirs. 36. Capacité extraordinaire pour apaiser, avancer et changer mais qui présente, on l’aura compris, des revers : la contrainte de « sélectionner » parmi ce qu’il y a à mémoriser, la possibilité de modification voire de création de faux contenus de conscience… 37. Comme le souligne le Pr A. Bioy dans « Découvrir l’hypnose », Éd. Marabout. 38. Comme on peut le voir sur un désolant site plein d’ésotérisme et de paranormal mélangés à de l’hypnose, et dont nous tairons le nom pour ne pas lui faire de publicité… 39. De façon intéressante, « sceptique » tire sa racine de « skeptos » qui en grec signifie « scruter »… Chapitre 4 1. On doit cette formulation au Pr A. Bioy, je la préfère très nettement au classique « état de conscience modifié ». L’hypnose n’est pas seulement un « état » stable mais un processus complexe, et n’est pas « modifié » puisque, finalement, naturel. 2. J’ai découvert l’idée de ces trois composantes dans l’excellent livre de Salem et Bonvin « Soigner par l’hypnose », Éd. Masson, et je dois l’idée de l’acronyme à mon ami Laurent Gross.

3. Médecin et hypnopraticien, président et fondateur de la Confédération francophone d’hypnose et de thérapies brèves et de l’institut Erickson d’Avignon, auteur de « L’hypnose » et de « Réhumaniser le soin », Éd. Odile Jacob. 4. Il faut souligner ici que certains patients consultent car ils ont le sentiment de n’avoir pas assez connu ces expériences de respect ou d’amour. L’hypnose permettra là aussi un réapprentissage et, par exemple dans bien des cas, de savoir tirer un meilleur profit des expériences, initialement vécues comme « insuffisantes » pour être utilisées dans d’autres contextes, pour se reconstruire. 5. On sent bien qu’il est un peu hasardeux d’étendre la définition de l’hypnose conversationnelle jusqu’à cette « hypnose sans hypnose ». La dénomination d’hypnose (conversationnelle) devrait en toute logique inclure l’idée de pratiquer réellement de l’hypnose, ce qui peut inclure de la transe ! Mais il s’agissait, notamment de la part de ces thérapeutes à l’origine des thérapies brèves, de marquer leur lien originel à la pratique éricksonienne (pour ses stratégies, ses outils de communication, et les très nombreux cas où Erickson ne faisait pas d’hypnose, du moins formelle et ratifiée) sans pour autant pratiquer formellement l’hypnose avec induction de transe et suggestions. Avec le temps la définition est donc passée de « dialoguer ordinairement avec une personne en hypnose » à « dialoguer hypnotiquement avec une personne en état ordinaire »… Tout cela pourrait faire l’objet de débats… 6. L’hypoesthésie est la diminution de la sensibilité. L’hyperesthésie, au contraire, est une augmentation de l’intensité des sensations. 7. Nous aurons l’occasion de revenir sur le fonctionnement de la dissociation pour s’intéresser au cœur du fonctionnement

thérapeutique de l’hypnose dans un prochain chapitre. Nous lui préférerons alors le terme de « désassociation » proposé par notre collègue le Dr Luc Farcy, psychiatre au CHU de Nîmes. 8. C’est ce qui fait dire à mon collègue le Dr Betbèze que, lorsque plusieurs personnes ont lu un mauvais livre, elles ont toutes lu le même ; s’il s’agit d’un bon livre, chacun en aura lu un différent. 9. Le psychologue à l’origine de ce concept est Mihály Csíkszentmihályi, voir notamment son livre initial de 1990 « Flow : the psychology of optimal experience », Éd. Harper and Row. Le concept a donné lieu à un grand nombre d’études ces 20 dernières années. 38. Plus ou moins dissocié, plus ou moins profond, plus ou moins modifié, augmenté, focalisé, internalisé, externalisé, amnésié, anesthésié, activé… 39. Tout en reconnaissant que, bien sûr, les techniques directes d’hypnose peuvent avoir un intérêt en pratique, si elles sont utilisées dans un but dirigé vers le sujet, d’aide ou de mieux-être et pas pour le désarçonner ou réduire inutilement son confort. 40. L’option serait de tout simplement faire reconnaître l’hypnose comme uniquement une technique de soins. À partir de là, les choses seraient officiellement claires, de la même façon que certains termes et gestes (injections, chirurgie…) sont réservés aux soignants, il deviendrait donc interdit à tout non-soignant de pratiquer l’hypnose. (Il n’apparaît pas flagrant cependant qu’un diplôme soignant entraîne automatiquement et à lui seul une meilleure capacité en hypnose…) Option claire mais… réalisable ? On se heurterait aux mêmes problèmes que ceux déjà rencontrés : comment interdire l’apprentissage d’une technique qui ne nécessite aucun objet particulier et dont les livres foisonnent ? Comment exclure tous les usages non-soignants mais éthiques de l’hypnose ? Comment ne pas imaginer qu’un autre mot viendrait le remplacer et que les mêmes problèmes continueraient ? 41. Solution qui n’empêcherait pas tout, notamment l’usage d’un mot « dérivé » pour continuer une mauvaise pratique pédagogique. Mais elle permettrait de protéger un peu des formations aberrantes qui

emploient ce vocable ce qui permettrait dans l’idéal de les distinguer. 42. Pour rappel : elle n’est pas comme une drogue ou un médicament. Bien qu’une substance puisse donner le meilleur comme le pire selon l’utilisation et l’utilisateur, dans le cas de l’hypnose, il n’y a pas d’objet extérieur, de substance, mais un fonctionnement naturel. Les massages sont une comparaison intéressante même si elle est imparfaite puisqu’ils tolèrent une pratique agréable et personnelle, une pratique du milieu du bien-être, une pratique soignante pour les kinés, par exemple. On a pu comparer cela à la sexualité dans le sens où elle est un acte physiologique mais qui nécessite d’être prudent et de ne pas s’y exposer n’importe comment. Elle peut être agréable mais aussi l’expression de relation pervertie. Cependant, elle n’a pas d’usage à proprement parler médical ou thérapeutique et en tout cas n’est pas une thérapie. La comparaison avec l’accouchement pouvait aussi avoir sa pertinence dans le sens où il s’agit d’un acte physiologique, qui peut être accompagné non médicalement, mais aussi potentiellement médicalisable, qui a vu apparaître des praticien-ne-s non-soignant-es aux pratiques des plus recommandables aux plus ésotériques. 43. C’est d’ailleurs le titre d’un ouvrage de mes consœurs Isabelle Prévot-Stimec et Élise Lelarge : « Prendre soin de soi par l’autohypnose », Éd. Dunod. 44. Se méfier des « copies presque conformes » qui imitent parfois à une lettre près les noms d’institutions soignantes pour appliquer une autre éthique… 45. C’est-à-dire un nombre d’heures suffisant, une large place à la pratique, l’absence de concepts mystiques, de marques déposées de thérapie, de protocoles préétablis uniquement et pour tout, d’ e-

learning, de formateurs qui ne seraient pas cliniciens, de formateurs qui ne feraient qu’impressionner en déstabilisant les stagiaires ou en les poussant à livrer publiquement des aspects trop intimes… 46. Je n’ai pas à dicter la conduite de qui que ce soit, et je ne souhaite pas encourager la pratique de la thérapie par des personnes non qualifiées, mais, puisque la demande existe (et m’est régulièrement formulée) et que je peux ici donner mon avis, j’indique quand même quelques points. Chapitre 8 1. Si vous vouliez compter jusqu’à 100 milliards, il vous faudrait 3 200 ans. À cela s’ajoute que les cellules gliales représentent environ autant de cellules du cerveau, dont le rôle est encore imparfaitement élucidé… 2. Je n’entre volontairement pas dans les délicats problèmes de définitions et de limites de la conscience. Une fois de plus je recommande les passionnants ouvrages et les conférences disponibles sur Internet de chercheurs comme Stanislas Dehaenne ou Lionel Naccache qui viendront chatouiller les neurones de la curiosité des intéressés… 3. Notion critiquable. Tout le monde est en fait hypnotisable puisque c’est un état naturel, commun à tous. En revanche, tout le monde n’y accède pas de la même façon. Le thérapeute s’adapte, à la personnalité, aux attentes. Pour les besoins de la recherche fondamentale ont été élaborées des « échelles d’hypnotisabilité » (qui sont plutôt des échelles de suggestibilité car elles sont mesurées non en fonction de l’état d’hypnose, mais en fonction de la réponse aux suggestions). La corrélation entre la réponse aux suggestions et l’intensité de l’hypnose (qu’il n’est pas vraiment possible de « mesurer ») ou « l’hypnotisabilité » (la facilité à entrer dans cet état) est loin d’être évidente !

Certains « non hypnotisables » en recherche seraient peut-être très hypnotisables autrement ! Ces échelles sont en fait d’un certain nombre d’exercices hypnotiques, les uns à la suite des autres. Plus le patient répond à un grand nombre de ces exercices, plus il est dit « hypnotisable ». Mais, pour être précis, il n’est pas « plus hypnotisable » en général, mais plus sensible à ces suggestions et dans ce contexte. 4. Rainville & Price DD., Hypnosis phenomenology and the neurobiology of consciousness, Int J Clin Exp Hypn., 2003 Avr. ; 51(2) : 105-129. 5. On peut consulter là aussi, à cet effet les publications par exemple de Rainville et Price : Rainville & al., Cerebral mechanisms of hypnotic induction and suggestion, J Cogn Neurosci., 1999 Jan. ; 11(1) : 110-125. Rainville & al., Hypnosis modulates activity in brain structures involved in the regulation of consciousness, J Cogn Neurosci., 15 août 2002 ; 14(6) : 887-901. De Maquet et Faymonville : Maquet & al., Functional neuroanatomy of hypnotic state, Biol. Psychiatry. 1er févr. 1999 ; 45(3) : 327-333. Faymonville & al., Functional neuroanatomy of the hypnotic state, J. Physiol, Paris, juin 2006 ; 99(4-6) : 463-469. De Jiang et Spiegel :

Jiang & al., Brain Activity and Functional Connectivity Associated with Hypnosis, Cereb Cortex, 28 juill. 2016. 6. Voir la métaphore du « Lego » au chapitre suivant. 7. De plus en plus, nous formons des personnes qui traitent des patients avec des déficits cognitifs, sensoriels ou autres et il apparaît clairement qu’il est toujours possible d’entrer en transe et d’en vivre un effet thérapeutique. Ainsi de cette collègue qui nous montra comment ses patients âgés atteints de démence entraient de plus en plus facilement en hypnose, en vivaient des phénomènes et des bénéfices thérapeutiques, alors même qu’ils ne se souvenaient pas du thérapeute d’une séance à l’autre du fait de leurs troubles de mémoire ! 8. Faymonville et al., Neural mechanisms of antinociceptive effects of hypnosis, Anesthesiology, mai 2000 ; 92(5) : 1257-1267. Hofbauer et al., Cortical representation of the sensory dimension of pain, J. Neurophysiol, juill. 2001 ; 86(1) : 402-411. Wik et al., Functional anatomy of hypnoticanalgesia : aPETstudy of patients with fibromyalgia, Eur J Pain, mars 1999 ; 3(1) : 7-12. Willoch et al., Phantom limb pain in the human brain : unraveling neural circuitries of phantom limb sensations using positron emission tomography, Ann. Neurol, déc. 2000 ; 48(6) : 842-849. Et bien d’autres. 9. Voir par exemple : Rainville P. Hypnosis and the analgesic effect of suggestions, Pain, janv. 2008 ; 134(1-2) : 1-2. 10. Kosslyn et al., Hypnotic visual illusion alters color processing in the brain, Am J Psychiatry, août 2000 ; 157(8) : 1279-1284. 11. Szechtman et al., Where the imaginal appears real : a positron emission tomography study of auditory hallucinations, Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A., 17 févr. 1998 ; 95(4) : 1956-1960.

12. Pour le visuel, une zone du cortex occipital gauche et pour l’auditif, une région frontale médiane, non actives en « imagerie mentale volontaire ». 13. Blakemore et al., Delusions of alien control in the normal brain, Neuropsychologia, 2003 ; 41(8) : 1058-1067. 14. Lire notamment les travaux de Lionel Naccache ou Stanislas Dehaene, aussi innovants chercheurs que passionnants vulgarisateurs. Pour ceux qui souhaiteraient passer par d’autres canaux que la lecture, l’on trouve sur Internet un certain nombre de conférences en vidéo et l’ensemble des cours de S. Dehaene au Collège de France, somme considérable de connaissances. 15. Raz et al., Hypnotic suggestion and the modulation of Stroop interference, Arch Gen Psychiatry, déc. 2002 ; 59(12) : 1155-61. 16. Bacher et al., Bigger Than Life, 2017. Soumis à publication. 17. Landry & al., Brain correlates of hypnosis : a systematic review and meta-analytic exploration, Neurosci Biobehav Rev., 24 févr. 2017. Remarquable synthèse et hypothèses sur lesquelles nous fondons la suite du propos dans ce paragraphe. 18. Jiang H. & al., Brain activity and functional connectivity associated with hypnosis, Cereb. Cortex, 2016. 19. « En tant qu’humains, nous pouvons identifier des galaxies situées à des années-lumière, étudier des particules plus petites qu’un atome, mais nous n’avons toujours pas élucidé le mystère du kilo et demi de matière qui se trouve entre nos deux oreilles. » Chapitre 9 1. On peut relier ces 4 éléments importants aux niveaux de conscience et de ressources décrits dans le modèle « CRAI » (corps relations actions intentions) exposé dans mon précédent ouvrage « Écouter, parler : soigner. », op. cit. L’analogie procure une expérience

sensorielle donc du corps, la relation est sécure, accéder à la ressource est un acte qui devient réassocié à nos intentions. 2. Considéré même comme assez spécifique de cette pratique et en lien étroit avec la dynamique relationnelle qui s’y joue, par Bioy & Keller in « Hypnose clinique et principe d’analogie », Éd. De Boeck. 3. Comme le montre l’effet placebo, le stéréotype social, la prophétie autoréalisatrice, etc., la suggestion par une autre personne n’est pas la seule modalité. 4. Il est, disons-le clairement, dangereux de penser que l’on peut s’en affranchir. Il est impossible que l’on puisse tenir un discours à une personne et garantir que les idées qui s’y formeront ne vont pas la suggestionner. Négliger le phénomène, devenir aveugle à ses manifestations, c’est risquer de ne plus le maîtriser. 5. C’est parce que l’on reconnaît que l’hypnose nous enseigne un peu comment fonctionne la question de l’influence sur l’autre que la nécessité de l’éthique est une évidence… 6. Sinon, quelle différence avec le concept d’âme ?… Il nous semble que cela relèverait presque d’un certain « théisme » (quelque chose décide pour moi, à travers moi ou par rapport à moi), qui n’est pas vraiment un « déisme » (c’est Dieu qui agit) ni un psychologisme déterministe (c’est le passé, ma structure profonde, bref, quelque chose en moi, animé d’une volonté autre que la mienne qui me détermine, et ma seule liberté est de mieux connaître ce qui me détermine), mais plutôt une possibilité d’interagir avec ce qui, d’habitude à mon insu, se meut en moi. La sortie de l’idée d’une entité inconsciente, le cycle de dissociation et réassociation, la notion de « réintentionnalisation » et quelques autres idées présentées plus loin sont peut-être des ébauches de dépassement de ce nouvel animisme. 7. L’intuition par exemple, l’idée qui semble « surgir » et être la bonne est en fait une apparition dans la conscience du résultat d’un calcul

de probabilités réalisé inconsciemment, dont seul le résultat passe le « seuil » de la conscience. De même, nos choix moraux sont assez largement élaborés de façon non consciente. 8. Et encore ! Peut-être pour certains problèmes « sur le papier » mais les plus grands découvreurs ont fait une expérience d’imagination ou même corporelle pour découvrir quelque chose de nouveau. La pomme de Newton, la marche de tram de Poincaré (voir notamment le livre de Cédric Villani « Théorème vivant » sur la façon dont les idées lui viennent en construisant un théorème), ou la relativité d’Einstein (lire « Le pays où habitait Einstein » d’É. Klein qui montre bien le lien entre expérience, imagination, contexte et avancée intellectuelle). 9. Nous pourrions même dire qu’il faut accepter… le refus ! Si je subis un événement extérieur que je refuse, que je trouve injuste, je ressens alors une colère qui m’envahit. Je ne peux rien faire par rapport à l’événement, mais je peux inclure pour utiliser cette colère, si je l’accepte, pour lui donner du sens. Par exemple ce refus de l’injustice est le signe que la justice est une valeur forte pour moi et je peux entrer en lien avec ce qui est une ressource véritable. La colère est accueillie, elle prend du sens dans l’ensemble de l’existence et s’apaise car elle entre dans le mouvement général de la vie. 10. Voir par exemple cet article : Chambon & al., From action intentions to action effects : how does the sense of agency come about ?, Front Hum Neurosci., 2014 ; 8 : 320. Il y a de très nombreux articles neuroscientifiques sur ce sujet fascinant. 11. Bien entendu mes confrères analystes pourraient voir ici la fameuse

« pulsion de mort ». Mais cette idée n’existe pas chez Erickson qui, en plus de penser que l’inconscient contient fondamentalement la vie et la vitalité, se refusait à interpréter de façon univoque les propos d’un patient, pour que le patient puisse se mettre en mouvement psychique, pour ne pas le figer dans une réalité imposée de l’extérieur. 12. Je dois en bonne partie cette métaphore agie à Danie Beaulieu, brillante psychologue canadienne à l’origine de la « thérapie d’impact » et de la popularisation de l’IMO (Intégration par les mouvements occulaires) 13. La réelle « pleine présence » ne supporterait pas la dénomination, on y serait totalement plongé. Mais elle semble relativement inaccessible sans passer initialement par l’analogie et l’imaginaire. 14. Je remercie le Dr Luc Farcy qui défend ce mot et m’a ouvert les yeux sur cette nécessaire précision. 15. Merci à Antoine Garnier pour cette métaphore qu’il développe à merveille sur son blog et sur sa chaîne vidéo YouTube, ainsi que de nombreuses idées et formulations que je lui ai repris dans ces pages en tentant de ne pas trop les trahir. Ce chapitre ne serait pas le même notamment sans cette simplification remarquable qui, l’air de rien, permet d’expliquer aisément des phénomènes psychologiques d’une grande complexité. 16. Voir notamment son livre « Du symptôme à la lumière », Éd. Satas 17. Pas plus que ce n’est le sommeil… 18. C’est là qu’on voit caricaturalement ce qui nous gêne dans la fameuse « menace » de certains thérapeutes décrite dans la partie précédente. La transe est profonde, la position est autoritaire et on demande une « sortie »

rapide, avec une forme de chantage ou de menace, sans faire attention à l’écologie du patient et en position de domination (et non pas d’autonomisation). 19. Parfois, pour certains, ce qui s’est produit semble avoir « gâché toute leur vie » et pour d’autres « ce qui ne me tue pas me rend plus fort » disent ceux qui ont trouvé dans leur vie plus de conditions de résilience, dont certaines thérapies peuvent faire partie. 20. C’est-à-dire, de façon générale, plus accessibles. En effet, en quelques minutes l’on peut obtenir une dissociation assez grande pour une chirurgie… ou autre effet tout aussi spectaculaire dans le contexte moins thérapeutique du spectacle ! les briques touchant à l’identité profonde nécessitent un plus grand remaniement, ou une plus grande stratégie, pour atteindre l’objectif de façon indirecte ou par le biais d’autres briques. 21. C’est l’exemple de ces phénomènes qui arrivent spontanément et que l’on reproduit en hypnose, que nous décrivions en partie 2. Spontanément, ils ne sont qu’automatisme naturel. L’hypnose consiste à recréer cela volontairement et plus fortement. Les phénomènes naturels et spontanés de la conscience, chez un sujet sain, sont très profonds, et rapides, mais également très instables et difficiles à orienter et à exploiter. Par exemple, je peux oublier mon bras et ne plus le ressentir parce que je suis totalement absorbé par le film que je regarde. Mais ce n’est pas encore une anesthésie hypnotique. On peut simplement m’en parler et je le ressens à nouveau. Recréée en hypnose, cette anesthésie par déplacement de la tension attentionnelle a vocation à se consolider par une dissociation qui va plus loin que la distraction. On pourrait m’en parler sans que je le ressente. La dissociation cimente, rend stable l’expérience et l’on parle alors de phénomène hypnotique. 22. Il ne s’agit pas de « relaxation rêverie » ou de détente, mais bien d’un sentiment de relâchement de plus en plus profond, sans forcément d’autre contenu de conscience très identifiable.

23. Un apprentissage d’une connaissance livresque, théorique, est utile mais ne nous change pas en profondeur autant qu’une expérience, n’autonomisera jamais autant qu’un contexte relationnel qui permet d’être soi. De même un « protocole préétabli » pour tel ou tel problème a quelque chose de déshumanisant car il n’accueille et n’utilise pas l’individualité de l’autre mais au contraire le réduit à son symptôme. Voir des personnes pratiquer ainsi tout en critiquant l’approche médicale qui serait trop technique est d’une grande ironie… 24. Il est d’ailleurs aberrant que l’école n’ait pas intégré suffisamment cet aspect. C’est juste faire preuve de connaissances scientifiques et d’observation empirique que de savoir qu’un enfant apprend mieux, s’approprie mieux le savoir, quand il bouge, quand il agit et quand il joue. L’éducation scolaire continue à privilégier l’enfant statique et sérieux comme modèle… Ce n’est donc pas un contexte naturellement sécure, et ce n’est pas un contexte qui favorise l’autonomie, puisqu’il favorise, en vérité, la soumission au « moule » du système institutionnel scolaire… mais cela est une autre histoire… 25. La référence à la théorie de l’attachement, que mes confrères auront sûrement reconnue, n’est pas sans actualité. L’idée de l’attachement semble « à la mode » (même si elle est souvent mal comprise). Est-ce par hasard ? Il me semble que notre sédentarité (travail moins physique, transports de plus en plus présents…) a fait naître le besoin de plus en plus courant de jogging et de salles de sport. De même notre sursollicitation mentale (abondance d’informations, Internet, réseaux sociaux…) a fait naître un besoin de plus en plus répandu de méditation, de « pleine conscience » et d’hypnose. Il faut peut-être, dans cette nouvelle popularité de la théorie de l’attachement, au-delà des effets de mode et des compréhensions

partielles, y voir une réponse à un malaise ambiant, dans ce monde de l’autonomie et de la performance. Nous sommes donc tentés, parfois maladroitement, de revenir à ce qui compte, à ce qui nous attache et nous sécurise. Nous avons peut-être l’envie de donner la sécurité comme base à nos enfants, pour être en mesure de pouvoir affronter un environnement relationnellement violent, qui parfois isole, et sollicite un peu trop… 26. On trouve ici la contradiction la plus forte avec l’hypnose de spectacle et surtout de rue dans la forme que nous avons critiquée, qui, malgré un discours d’amusement, cherche, à « obtenir ». Il faut obtenir une « bonne » transe, un phénomène qui soit « de bonne qualité », une « belle » amnésie. Et si le sujet prend la liberté, consciente ou pas, de ne pas le faire, alors il est « résistant » (le mot en dit long) et il faut recourir aux astuces, manipulations et choix illusoires pour arriver à obtenir une démonstration, non pas tant des pouvoirs de l’inconscient que de celui qui arrive à en obtenir ce qu’il souhaitait… Et c’est souvent une privation de fonction que l’hypnotiseur décide de lui rendre, quand il le souhaite, d’un claquement de doigts, et lui suggère de façon autoritaire que c’était bon pour lui. Il n’apprend rien sur lui, à part que quelque chose lui échappe, et n’est pas plus libre d’avoir été un automate. 27. On comprend encore une fois qu’il ne suffit donc pas, après une formation express, d’être empathique et humain pour être véritablement thérapeute. 28. Certains tenants d’une approche directe et profonde se retrouvent dans une situation où ils suggèrent à l’autre quoi faire. « Vous allez vous sentir bien. » C’est spectaculaire, ça marche sur le coup, mais ce n’est pas un apprentissage. Au mieux le patient se le réapproprie s’il est motivé, au pire ça ne marche pas et, entre les deux, ça marche mais « ça sonne faux », l’amélioration est agréable mais semble venir de façon peu spontanée ni naturelle. Un peu comme si face à un enfant n’arrivant pas à construire un puzzle, nous prenions

les pièces pour les emboîter à sa place. Le résultat est joli mais l’enfant n’a rien appris qui pourra lui servir plus tard. Chapitre 10 1. Selon, notamment, Léon Chertok qui fut un grand spécialiste de l’hypnose au XXe siècle et d’autres auteurs. 2. Voir son ouvrage : « Savoir pour guérir : la méditation en 10 questions », Mona Éditions, collection « La réponse du psy ». 3. Dont certains très cadrés comme le programme MBCT ou MBSR ( Mindfulness-Based Cognitive Thérapy ou Mindfulness-Based Stress Reduction). 4. Voir notamment cet article qui interroge l’apport respectif et le fonctionnement de ces types de pratique, notamment sur le plan cérébral. Lippelt & al., Focused attention, open monitoring and loving kindness meditation : effects on attention, conflict monitoring, and creativity – A review, Front Psychol., 2014 ; 5 : 1083 5. Du moins dans leur version la plus « techniciste » et la moins en lien avec les pratiques méditatives originelles. 6. Dont je recommande le très beau livre « Plaidoyer pour l’altruisme », Éd. Pocket. 7. Il nous faut tout de même souligner que dans l’optique de la méditation bouddhique tibétaine, telle que nous la comprenons, la direction est suggérée par une croyance spirituelle (même s’il est possible de la laïciser) sur la valeur de bienveillance. L’hypnose éricksonienne ne préjugerait aucunement de la nature de la valeur, de la ressource qui serait utile. Simplement de faire accéder à cet état de conscience, utiliser ce qu’amène le patient et suggérer,

proposer, métaphoriser parfois, mais ne pas estimer une ressource, ou une valeur, prioritaire sur une autre, le changement ne pouvant venir que de ce qui fait sens pour la personne. 8. Même si le passage par une forme de désassociation, d’analogie, de perte de repères, semble indispensable pour réassocier les dimensions de soi et de son rapport au monde. Arrêter la lutte consciente pour que puisse émerger une autre façon de vivre. 9. Fabrice Midal est un des principaux enseignants de la méditation en France, fondateur de l’École occidentale de méditation et auteur de nombreux ouvrages dont « Foutez-vous la paix », Éd. Flammarion, « Frappe le ciel, écoute le bruit », Éd. Pocket, « Pratique de la méditation », Éd. Le livre de poche. Son parcours philosophique, ses références à Nietzsche, Husserl ou Heidegger autant qu’aux grands hommes du bouddhisme est à l’origine de sa façon de lire et penser la méditation. 10. F. Midal, « Pratique de la méditation » (op. cit.). 11. La légende veut que Shapiro, suit des yeux le mouvement tournoyant de feuilles dans un parc, alors que des pensées négatives lui reviennent notamment en lien avec un cancer qu’elle a eu. Quand ses yeux bougent les pensées disparaissent, quand elle les ramène à son esprit leur charge émotionnelle est moins négative… Voir son livre « Des yeux pour guérir », Éd. Seuil. 12. D’ailleurs, en parlant de voisinage, Grindler (concepteur de la PNL – Programmation neurolinguistique) n’a-t-il pas affirmé que, quelques années avant la « découverte » par Shapiro de l’EMDR, il avait parlé à cette dernière d’une technique de mouvements oculaires en PNL pour le traitement du trauma psychique, technique qui allait devenir en évoluant de son côté…

l’IMO ! 13. Erickson par exemple n’a jamais été « éricksonien », et n’aurait probablement pas aimé ce terme. Il n’a jamais donné d’accréditation spécifique, et n’a jamais restreint ses élèves de diffuser l’hypnose à d’autres soignants. 14. La rigidité protocolaire est un avatar particulièrement gênant. S’il faut bien appliquer un protocole comparable dans une étude statistique ; dans la réalité, les patients, les relations, les séances sont toujours différents et nécessitent une souplesse adaptative. Comment un thérapeute pourrait-il laisser à un patient un message de liberté et de changement si lui-même ne s’autorise qu’à faire toujours la même chose ? 15. « La psychothérapie consiste à traiter un patient comme un individu, qui est unique. Il n’y aura jamais de duplicata de cette personne. Et vous utilisez le caractère unique de cette personne. Et cette personne possède de nombreuses qualités insoupçonnées… » Conclusion 1. Par Sidney Rosen, Éd. Terres et hommes. 2. Il n’est pas dans les habitudes des praticiens en hypnose d’interpréter les rêves ou d’y voir des messages cachés, aussi me contenterai-je de dire que je n’ai fait ce rêve qu’une fois, mais l’impression qu’il m’a laissée me suit encore aujourd’hui. 3. « Tu as besoin de temps… pour savoir… ce que précisément tu veux oublier… maintenant ! » Remerciements Merci inaugural à Laura Zuili pour m’avoir contacté un jour de pluie parisienne. Grâce à toi, l’opportunité d’écrire ce livre s’est présentée. Merci éditorial et cordial à Hélène Gédouin et Agnès Vidalie aux éditions Marabout pour leur confiance, et à Amélie Poggi pour

l’efficace et compréhensif travail d’édition. Merci important aux relecteurs-trices, même « partiels » : Antoine, Béatrice, Émilie, Julie, Laurent, Théo, Valérie. Merci respectueux à Antoine Bioy qui m’a aidé à affiner ma compréhension de l’hypnose, et à Julien Betbèze qui m’a donné quelques précieux éclairages sur les questions relationnelles selon les cadres de pratique en hypnose. Merci chaleureux à Fabrice Midal pour avoir relu la partie concernant la méditation, pour nos échanges précieux et pour ses propos qui ont guidé un peu les miens sur cette question. Merci confraternel à François Bourgognon pour les échanges passionnés et passionnants que nous avons eus et aurons encore à ce sujet. Merci particulier à Béatrice Kammerer pour ta relecture aiguisée et la pertinence de tes remarques lors de nos conversations autour de certains chapitres. Merci vif à Antoine Garnier pour la richesse de nos échanges et l’apport, déterminant à cet écrit, de certaines de tes réflexions et métaphores. Merci transatlantique à Sarah Bloch-Elkouby pour une partie de la réflexion sur l’évolution de la psychiatrie et le DSM. Merci général à ceux qui ont parlé, débattu, argumenté et même se sont disputés respectueusement avec moi, sur Facebook et ailleurs, pour que nos idées s’affinent. Merci respectueux à ceux qui m’ont enseigné et m’enseignent encore l’hypnose. Merci fraternel à ceux qui l’enseignent avec moi, merci à Valérie (bienvenue à bord !), merci à Laurent et Marion, merci aux formateurs du CHTIP et d’UTHyL qui font vivre l’aventure.

Merci sincère à ceux qui m’ont laissé leur enseigner, c’est en vous parlant que ce livre s’est progressivement écrit dans ma tête, il tente d’avoir la forme libre de nos réflexions et discussions. Merci profond aux patients, qui m’accordent leur confiance et, en vérité, sont ceux qui m’apprennent véritablement l’hypnose chaque jour. Merci reconnaissant à Anna, pour bien plus qu’elle ne pense. Sans toi rien ne serait possible. À Samuel et Léa dont l’existence et la présence sont la plus grande de mes ressources. Ce livre est dédié à la mémoire de deux immenses thérapeutes qui furent présents en moi tout au long de cette écriture : Milton Erickson (1901-1980) décédé l’année de ma naissance. François Roustang (1923-2016), décédé l’année de la naissance de ce livre. Vos voix m’accompagnent.

Document Outline Couverture Page de titre Page de Copyright Introduction I. Les origines de l’hypnose On n’en a jamais autant parlé, mais sait-on d’où elle vient ? 1. D’où vient l’hypnose ? Comment parler de cette vieille histoire ? Moyen Âge et Lumières : la méfiance XVIII e siècle : Mesmer et les magnétiseurs XIX e siècle : la médecine et l’hypnose La controverse Paris-Nancy XX e siècle : déclin et renaissance 2. Comment a évolué l’hypnose ? Milton H. Erickson Thérapies brèves, neurosciences et dérives : le XXI e siècle sera-t-il hypnotique ? II. Cerner l’hypnose Peut-on définir ce qu’est l’hypnose ? 3. Qu’est-ce que n’est pas l’hypnose ? Hypnose et inconscience Hypnose, domination et spectacle Hypnose et danger Hypnose et passé Hypnose et mystique 4. Qu’est-ce que l’hypnose ? Triptyque Transe Technique Relation III. Soigner ou ne pas soigner avec l’hypnose Quelles sont les principales pratiques de l’hypnose ? 5. Comment soigne-t-on avec l’hypnose ?

Indications de l’hypnose Déroulement et pratique de l’hypnose thérapeutique Bon à savoir L’hypnose fonctionne-t-elle vraiment ? Hypothèses, évaluations et preuves Contre-indications, nuances et complexité 6. Peut-on jouer avec l’hypnose ? Hypnose et métiers Hypnose et spectacle Hypnose et rue 7. Qui pratique l’hypnose ? Hypnothérapie soignante ou non L’exercice illégal de la médecine Trouver l’équilibre : liberté et sécurité, entre prohibition et anarchie Différents praticiens face aux patients Responsabilités de thérapeute Améliorer la formation Intermède : en pratique IV. Comprendre l’hypnose Sait-on comment l’hypnose fonctionne ? 8. Le cerveau en hypnose ? L’hypnose dans le cerveau Hypnose et perceptions Hypnose agentivité et inconscient Hypnose et recherches en neurosciences 9. Comment fonctionne l’hypnose ? La force de l’apprentissage Ressenti, inconscient, intention, point de vue Mouvement de dissociation-réassociation Profondeur et typologie de transe Relation, sécurité, changement 10. L’hypnose et les autres ? Hypnose et relaxation Sophrologie, PNL, autres thérapies… se rapprocher ou s’éloigner de l’hypnose Hypnose et méditation

Hypnose et mouvements alternatifs Hypnose et nouveautés Conclusion Notes Remerciements