L’évanescence de la valeur: une présentation critique du groupe Krisis 9782747570466

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L’évanescence de la valeur: une présentation critique du groupe Krisis
 9782747570466

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L'ÉVANESCENCE DE LA VALEUR

© L'Harmattan, 2004 ISBN : 2-7475-7046-0 EAN : 9782747570466

Jacques GUIGOU et Jacques WAJNSZTEJN

L'EVANESCENCE DE LA VALEUR Une présentation critique du Groupe Krisis

L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris FRANCE

L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 1026 Budapest HONGRIE

L'Harmattan ltalia Via Degli Artisti, 15 10124 Torino ITALIE

Temps critiques Collection dirigée par Jacques Guigou et Jacques Wajnsztejn Avec le déclin du rôle historique des classes, la critique de la société capitalisée ne peut plus trouver l'essentiel de ses références dans les pratiques du mouvement prolétarien comme elle l'a fait depuis le début du XTXe siècle jusque dans les années 1970. Aujourd'hui, même si les replis identitaires perdurent, si les intégrismes communautaires se renforcent en réaction à la domination planétaire de l'économie, on assiste aussi au retour d'une critique qui ne se limite pas au cercle étroit des "théoriciens", ni à une réflexion universitaire entachée de ses implications à l'État Cette critique exprime concrètement le refus de la tyrannie du capital et sa conséquence, la contrainte au travail.

D é j à parus Jacques GUIGOU, Jacques WAJNSZTEJN (dir.), Violences et globalisation, 2003. Jacques WAJNSZTEJN, Capitalisme et nouvelles morales de Cintérêt et du goût, 2002. Jacques GUIGOU, Jacques WAJNSZTEJN (dir.), La valeur sans le travail, 1999. Jacques GUIGOU, Jacques WAJNSZTEJN (dir.), L'individu et la communauté humaine, 1998.

AVANT PROPOS L'objet de ce livre est de donner un exemple précis des caractéristiques actuelles de la réappropriation de la théorie communiste . Cette réappropriation s'effectue à partir de différents pôles et ne peut donner lieu à une unification artificielle vu l'absence d'un sujet porteur de cette théorie et de sa perspective programmatique. Cette activité ne peut donc se contenter de se réapproprier la théorie du prolétariat, mais elle ne peut pas non plus couper tous les fils avec elle. C'est bien là une de nos difficultés2. Cette réappropriation a suivi plusieurs voies qui ne sont pas indépendantes de moments historiques situés. A la fin des années 60, l'attention s'est surtout portée sur les œuvres de jeunesse de Marx et particulièrement sur Les Manuscrits de 1844 qui semblaient le mieux exprimer le sens révolutionnaire de l'époque. En effet, l'analyse des rapports sociaux, du travail, de l'économie politique, est structurée par un couple sujet/objet dans lequel le moteur est le sujet. Les Grundrisse (ou Contribution à la critique de l'économie politique) et le Vf Chapitre inédit du Capital, viennent ensuite en appui, comme pour assurer un lien entre les œuvres de jeunesse et Le Capital, à une époque où les "althustaliniens" font encore flèche de tout bois, en France du moins. Cela conduisait à dégager progressivement le cadre de la théorie communiste, du strict cadre prolétarien et à poser la révolution à titre humain. Le temps de la critique se supeiposait à celui de la réappropriation, mais, pendant ce temps là, nous étions battus sur le terrain des luttes contre le capital. Ce fut l'heure des bilans, la théorie se fit petite et s'émietta encore davantage. La 1 La notion de "théorie communiste" est acceptable à condition d'avoir un emploi assez large de ces deux termes, du même type que celui qu'on pouvait avoir du vocable "socialisme" au moment de la Première Internationale. 2 Cest ce que nous répétons depuis quinze ans dans la Quatrième de couverture de la revue Temps critiques. Sur la question du fil historique et de sa rupture, on consultera les n° 12 et 13 de Temps critiques BP 2003. Montpellier cedex 01 et site httD^/membresl vcos.fr/tempscritiques

revue Temps critiques représenta une des tentatives (microscopique) de regroupement Toute convergence entre des initiatives isolées apparaît alors au moins comme fortuite ou au mieux, comme une évidence de l'universalisation de ce qui est avancé et finalement de son critère de validité. C'est ainsi que nous prîmes connaissance des thèses du groupe Krisis et de leur courant. Cela fut renforcé par le fait que, de l'extérieur, nous étions souvent associés à ce groupe quant à la question de la critique du travail et de sa fin. Association abusive car nous n'avons jamais parlé de la fin du travail, au sein du capital en tout cas, mais du rôle de plus en plus réduit du travail vivant dans le procès de valorisation, ce que nous nommons : l'inessentialisation de la force de travail. Néanmoins, malgré cette différence, les deux groupes mettrait au centre de loir critique du travail la question de la valeur, mais là aussi sans que nous parlions exactement de la même chose. Des contacts communs, puis des échanges de courrier (avec Jappe et par son intermédiaire ou celui de M.), une participation à une de nos publications3, une présentation de Temps critiques par Jappe pour la revue Krisis, ne levèrent pas les ambiguïtés. Nous avons décidé de faire une présentation critique de ce groupe en essayant de distinguer ce qui nous rassemble de ce qui nous sépare. Le projet de départ ne devait concerner que la revue et ses lecteurs, mais devant les difficultés de clarification, nous avons effectué de plus amples développements qui replacent aussi Krisis au sein de son cheminement théorique et de ses influences. Un livre s'imposait donc.

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R-Kuiz, "Pulsion de mort de l'idéologie capitaliste. Économie totalitaire et paranoïa de la terreur", in J.Guigou et J.Wajnsztejn (dir.), Violences et globalisation, L'Harmattan, 2003, p.337-343.

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CHAPITRE I

LE CONCEPT D'ABSTRACTION RÉELLE Le groupe Krisis s'est constitué en 1986 à Nuremberg. Son projet de recherche vise une critique fondamentale de l'idéologie bourgeoise, du marché, de l'État, et de la politique. Très rapidement, le groupe, et particulièrement RKurz, se centre sur la critique des théories de la valeur, puis la critique du travail. Leur filiation théorique avec l'École de Francfort est explicite surtout crvec Adorno et son disciple des années 60-début 70 : Hans-Jurgen Krahl; filiation toute aussi évidente avec le théoricien américain Moishe Postone, cité de nombreuses fois par les auteurs de Krisis et par A. Jappe dans Les Aventures de la marchandise. Avec la participation récente de ce dernier au groupe, la référence à l'Internationale situationniste et particulièrement à G.Debord se fait plus sensible. INFLUENCES ET FILIATIONS

1- Partons de Postone et de son écrit sur l'antisémitisme4. Pour lui, attendu que la rationalité instrumentale aussi bien que l'idéologie antisémite naissait du même monde capitaliste et que celle-là ne saurait expliquer cette dernière, il importe d'exposer l'enchaînement conceptuel qui des catégories fondamentales de la

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Cf. Moishe Postone : "Antisémitisme et national-socialisme", dans Marx est-il devenu muet? Face à la mondialisation. Textes traduits de l'américain et présentés par Olivier Galtier et Luc Mercier, L'Aube, 2003, p.79-107. Nous avons été les premiers à traduire ce texte — sous le titre "La logique de l'antisémitisme", le seul texte de Postone publié en fiançais à l'époque — dans Temps critiques n°2, automne 1990, p.13-37, présentation de Bodo Schulze, traduction de Bodo Schulze et de Laure Balandier).

société capitaliste monte jusqu'à la contre-rationalité3 antisémite. C'est à cette tâche que s'applique Postone, mais en s'appuyant sur la critique de l'économie politique faite par Marx plutôt que sur une critique d'ordre philosophique. D insiste sur le fkit que Le Capital n'est pas un manuel d'économie, mais la critique d'une certaine forme sociale de l'activité humaine, de la richesse ainsi que de la pensée, c'est-à-dire celle de la matérialité et de l'idéalité sociales, de l'économie et de l'idéologie, de la fausse société et de la pensée fédehisée que celle-ci engendre. Dès le début du Capital, il apparaît que la "modernité" n'est pas si rationnelle qu'elle ne le prétend. La marchandise qui semble être une chose terre à terre, s'avère être une "chose extrêmement embrouillée, pleine de subtilités métaphysiques et de lubies théologiques", une chose "sensible suprasensible", à "caractère mystique6", "un hiéroglyphe social"7, une "forme délirante8". Elle n'est pas seulement cette chose concrète ayant telle valeur d'usage mais comporte également une dimension abstraite, la "valeur", qui n'apparaît jamais a i tant que telle, mais d'une façon à faire tourner la tête. Là est posée le concept "d'abstraction réelle" que Marx a développé dans la Contribution à la critique de l'économie politique. On y lit que la réduction des différents travaux à "un travail non différencié, uniforme, simple, bref à un travail qui soit qualitativement le même et ne se différencie donc que quantitativement (...) est une abstraction qui s'accomplit journellement dans le procès de production sociale", abstraction qui n'est "pas plus grande ni moins réelle que la réduction en air de tous les corps organiques9". Postone va démontrer que l'antisémitisme naît de la manière dont apparaissent ces deux côtés de la marchandise, puis du capital, 3

Ce concept de contre-rationalité a été proposé par Dan Dîner in Zwischen Aporie und Apologie. Uber Grenzen der Historisierbarkeit des National-socialismus, Fischer. 1987. Le concept de contre-rationalité tient compte de ce que l'antisémitisme s'oppose radicalement à la rationalité instrumentale tout en comportant une certaine logique interne que le terme d'irrationalité tend à obscurcir. Pour un emploi plus récent du terme, on peut se rapporter à un article d'Hipparchia dans le n°l 3 de Temps critiques (2003), p. 133. 6 Marx, Le Capital tome I Messidor. Ëd sociales. 1983, p.81. 7 Ibid., p.83. 8 /&